/

BIBLIOTHÈQUE INTERNATIONALE D'ÉCONOMIE POLITIQUE

publiée sous la difeclion de Alfred BONNET

mSTOII^E

DES

DOCTRINES ÉCONOMIQUES

PAR

LuiGi COSSA

Trofesseur à l'Université ie Pavic

AVEC UNE PREFACE

DE A. DESCHAMPS

Professeur aurégc' à la Faculté de droit de l'Université de Paris

PARIS

Y. GIARD & E. BRIÈRE

/ LIBRAIRES-ÉDITEURS

16, rue Soufflot, 16 1899

PRÉFACE

II paraît être dans la destinée des ouvrages du pro- fesseur Louis Gossa d'obtenir les honneurs de la tra- duction en langues de tous pays. Pour des œuvres qui veulent être de vulgarisation, rien ne saurait être plus flatteur, si rien ne peut mieux montrer que le but visé a été atteint.

Le livre dont M. Bonnet offre aujourd'hui la tra- duction au public français est, depuis assez long- temps déjà, apprécié comme il le mérite, non-seule- ment en Italie, son pays d'origine, mais aussi en Espagne, en pays de langue allemande et en pays de langue anglaise, des traductions l'ont répandu. Celle que nous donne le traducteur français est d'ailleurs préférable aux traductions espagnole, alle- mande et anglaise; car elle est prise de la troisième édition italienne 1892). Et, en lisant les Notions pré- lù/imaires écniespav L. Gossa lui-même en tête de cette troisième édition,, on verra en quoi elle ne peut qu'être supérieure aux deux premières. L'ouvrage a été si sérieusement remanié, que l'auteur a cru devoir marquer la transformation par un signe exté- rieur, par une légère modification du titre : le Guida allô studio dell' Economia polilicaest dexenuV Inlivdu- zione allô studio dell' Economia yolitira.

11 convient d'ajouter que cette traduction française

Il PRÉFACE

a été faite sur le manuscrit de la 3"= édition révisé p.'ir L. Gossa postérieurement à sa publicnlion, et mis à la disposition du traducteur par le fils de l'au- teur, le professeur Emile Gossa. Les quelques adjonc- tions ou suppressions qu'on pourra relever si l'on rapproche de la présente traduction le texte italien de la3° édition ne devront donc pas être imputées à la fantaisie ou à la négligence du traducteur, dont nous avons pu suivre les scrupuleux efforts et à la probité scientifique duquel nous nous plaisons à rendre hommage.

La création récente, dans nos Facultés de Droit, d'un doctorat ès-sciences politiques et économiques, dont le programme comporte l'étude historique des doctrines économiques, fait vivement sentir le besoin d'ouvrages tels que celui dont M. Bonnet nous donne la traduction. V Histoire de V Economie politique d'Adolphe Blanqui, déjà ancienne 1837, V éd. , et qui est autant, sinon plus, une histoire des faits qu'une histoire des doctrines, YHistoire de ^Economie politique de M. Ingram traduction française par MM. H. de Varigny et E. Bonne- maison, 1893 , l'Histoire des doctrines économiques de M. A. Espinas, YHistoire des systèmes économiques et socialistes de M. H. Denis ;1897\, ouvrages fort estimables, donnent déjà, dans une large mesure, et par la diversité même de leurs caractères, un commencement de satisfaction à ce besoin. La traduction du livre de L. Gossa vient puissamment augmenter les ressources de l'étudiant français. Nul doute que, d^ici à quelques années, ces ressources ne

PREFACE II [

s'accroissent de publications dues à ceux de nos collègues des Facultés de Droit qui enseignent l'histoire des doctrines économiques. Nous en avons déjà les prémisses dans l'élégante et instructive Histoire des doctrines économiques dans la Grèce anticjue de M. A. Souchon.

Les bonnes volontés peuvent se mettre à l'œuvre. De longtemps il n'y en aura trop. Le besoin auquel il s'agit de satisfaire est un de ceux qui demandent du temps poursecréerunorganeparfaitement adapté.

En parlant ainsi, nous avons en vue, que cela soit bien entendu, le besoin d'ouvrages de vulgari- sation. Nous n'avons à aucun degré la pensée de diminuer les mérites des ouvrages jusqu'ici parus. La science des auteurs n'est point en cause : elle est assurément fort au-dessus de la notre, n'y en eût-il que cette raison qui n'est point la seule que l'acquisition des connaissances historiques exige de longues années. Et si nous ne citons pas ici telles ou telles importantes histoires des doctrines écono- miques publiées en Allemagne, en Hongrie, en An- gleterre, en Russie, etc., ce n'est point que nous ne les estimions à leur juste et grande valeur scien- tifique, mais simplement parce que, pour la plupart, elles sont plutôt des matériaux pour l'ouvrage de vulgarisation à écrire, et qu'ainsi, par leur érudition même, elles sont moins proches du but que nous avons en vue que les ouvrages dont nous avons donné les titres.

Ce but, qui n'est point le seul assurément, ni peut-être le plus élevé que puisse viser un historien des doctrines, mais qu'il est naturel qu'un profes-

IV PREFACE

seur chargé de cet enseignement considère avec sollicitude, c'est TefTet utile de l'histoire publiée.

Or, pour que l'effet en soit utile, force est bien de prendre en considération la réceptivité, si l'on nous permet cette expression, des lecteurs auxquels elle s'adresse. En France, actuellement, la grosse clien- tèle de l'historien des doctrines, ce sont nos candidats au doctorat es- sciences politiques et économiques, par conséquent des jeunes gens, qui sont moins des spécialistes que des candidats- spécialistes, et qu'il s'agit de former par une com- plète instruction économique. Et, précisément, la difficulté, pour l'historien des doctrines, vient de ce qu'il s'adresse à des lecteurs dontrinstruction dogma- tique devrait être déjà forte et solide, mais ne l'est pas d'ordinaire comme il serait désirable qu'elle le fût. La faute en est-elle à eux? Il serait injuste de le prétendre. A l'époque ils commencent l'étude historique des doctrines, ils ont, en grand nombre, oublié les notions d'économie politique générale qui leur ont été données dans leur première année de licence. Deux ans, trois ans même, voire quatre ans. si le service militaire est venu interrompre leurs études, se sont passés depuis lors. Que leur reste-t-il de leurs connaissances dogmatiques? Ce sont des novices, à qui l'on va parler comme à des vétérans.

Voilà une première source d'embarras. Elle est d'ordre universitaire et pédagogique et peut donc être tarie. L'historien des doctrines, lui, n'y peut rien; mais, tant qu'elle subsistera, il sera comme paralysé dans ses efforts.

Même en supposant des lecteurs pourvus d'une

PREFACE V

suffisante instruction dogmatique, il reste qu'une liistoire utile des doctrines économiques est œuvre difficile à réaliser. Il faut bien se dire, en effet, que l'immense majorité de ceux qui liront l'ouvrage ne seront pas ni n'auront l'ambition de devenir des érudits ès-connaissances économiques^ ce dont on ne saurait les blâmer. Ce qu'il leur faut, et qu'il est désirable qu'ils aient, parce qu'à cela seul ils s'intéresseront et de cela seul ils tireront profit, c'est une histoire qui, lue avec elfort d'attention, laisse dans l'esprit le sentiment d'un acquis réel, simple, coordonné, constitué par des idées plus que par des noms d'auteurs et des titres d'ouvrages, par des impressions nettes plus que par des analyses détaillées désoeuvrés. Ce livre existe-il ? C'est à ceux qui en ont éprouvé le besoin, et qui ont cherché aie satisfaire, de répondre. Que si leur réponse compor- tait des réserves, nous nous permettrions de leur dire que la faute assurément n'en est pas à ceux qui se sont mis à la tâche, mais à l'extrême difficulté de la tache elle-même, difficulté dont on ne peut prendre, croyons-nous, pleinement conscience qu'à la condition de s'y être heurté, de s'être, à chaque instant, débattu contre elle et surtout d'avoir été témoin de l'état d'esprit des jeunes gens j'entends des plus studieux qui désirent sincèrement s'ini- tier à ces études et en tirer profit.

Quoi qu'il en soit, la première qualité d'une œuvre de ce genre, c'est d'être, comme l'on dit, aussi « objective •> que possible. Et, à ce titre, sans en compter beaucoup d'autres, le livre du professeur L. Gossa est éminemment recommandable. Il n'y a

V[ PREFACE

qu'un point sur lequel il se montre intransigeant, et, sur ce point, qui d'ailleurs est plutôt question de conception des études économiques elles-mêmes qu'alYaire d'histoire des doctrines, nous sommes volontiers intransigeant comme lui, c'est celui de la distinction de la science économique et de l'art politique ou social. Encore ceux qui repoussent cette distinction ne sauraient-ils en faire grief à riiistorien, puisque ce n'est point dans la partie historique de son livre, mais dans sa partie théo- rique, qu'il traite cette question brûlante, bien que déjà ancienne.

A ce propos, disons quelques mots de l'économie de l'ouvrage et de sa division en deux parties. Pour- quoi cette Partie théorique, en 124 pages, par laquelle débute un livre connu surtout comme histoire des doctrines?

C'est que l'intention première de L. Cossa fut d'écrire un Guide ^jour l'étude de CEconomie poli- tique [Guida alto studio delCeconomia politicaj. Non pas un guide pour débutants : nous ne croyons pas méconnaître la pensée ni trahir les espérances de l'auteur, en disant que des débutants dans l'Eco- nomie politique ne tireraient presqu'aucun profit de la lecture de son livre, parce qu'ils ne le compren- draient vraiment pas, si éminentes que soient ses qualités de méthode et de clarté ; mais un guide pour ceux qui veulent entreprendre l'étude « appro- fondie » [studio approfondito^ p. 1) de notre science et qui, par conséquent, en possèdent déjà les éléments.

PREFACE VII

Dès lors, cette première partie, qu'il appelle Partie théorique, n'est nullement un exposé, ni même un résumé de la dogmatique économique dans son état présent. C'est un exposé magistral, et d'une parfaite netteté, de la conception même de l'Economie politique, de son objet, de ses caractères et de sa méthode. L'histoire des doctrines peut faire courir à des esprits encore insuffisamment préparés un risque grave, qui est de leur donner à croire que ce qu'on leur a jusqu'alors présenté comme une science susceptible de systématisation n'est peut- être qu'un ensemble plus ou moins artificiellement coordonné d'opinions successives, de manières de voir et de penser individuelles et subjectives, qu'il n'y a que des doctrines et pas de science écono- mique, un désir scientifique, mais pas d'acquis ni peut-être même pas de possibilité d'acquis scienti- fique. C'est alors la déroute pour l'esprit, la désillu- sion, voisine du découragement, sinon du dédain. La centaine de pages que L. Gossa consacre à ramasser et exposer avec fermeté ses idées à ce sujet sont un excellent cordial, un précieux viatique pour l'étude historique qui suivra. Les jeunes gens qui s'en seront nourris iront plus allègrement jusqu'au bout de la tâche, et si, malgré tout, ils éprouvent des défaillances après avoir lu tout l'ouvrage, qu'avant de le fermer ils reviennent à ce début, pour le relire et le méditer. Qu'ils se disent bien que, si un savant comme le professeur L. Cossa, qui connaît mieux qu'eux l'histoire des doctrines, loin d'en être troublé dans sa conviction scientifique, y a puisé au contraire une conviction

VIII PllÉFACE

plus forte, c'est qu'il s'en trouve sans doute des raisons dans l'histoire même des doctrines, ([ui ne leur apparaît à eux, pour le moment, que comme uin' raison de douter. Un peu de science nuit aux convictions économiques, beaucoup de science y ramène.

Cette Partie théorique présente un autre cai-Mctère et une autre utilité : elle peut être donnée comme une histoire des doctrines actuelles (si ces deux expressions ne jurent pas d'être accouplées sur la conception môme de l'Economie politique. Les divergences et discussions à ce sujet ne se prêtent guère à un exposé proprement historique, parce qu elles sont assez récentes, et qu'elles durent, si encore elles ne sont pas plus vives aujourd'hui que jamais. La question de méthode y trouve naturelle- ment sa place, question dont la portée a été étrange- ment surfaite de nos jours, au point que des écoles ennemies en sont nées, s'excommuniant les unes les autres avec un esprit d'exclusivisme qui n'est pas sans ridicule lorsqu'on voit leurs adeptes, une fois sortis des discussions théoriques et trop sou- vent verbales, se mettre à l'œuvre cl publier des onvi'agps : si le drapeau de l'école n'était déployé dans la préface, on n'aurait souvent aucune raison de le reconnaître à la lecture du livre. Et comment aussi retenir un sourire, lorsque ces écoles rivales revendiquent à l'envi comme on voit plusieurs communes réclamer l'honneur d'être le berceau d'un même homme illustre tel grand nom de l'Economie politique, qui n'a pas éprouvé le besoin de nous avertir de sa méthode et auquel

PREFACE IX

on peut ainsi en attribuer de différentes. Les uns disent qu'Adam Stnith est un déductif, et ils ont raison; les autres, qu'il est un enquêteur, un « his- toriste », un inductif, et ils n'ont pas tort; Stanley levons estime que les raisonnements de Smith sont mathématiques, et l'on peut l'estimer avec lui, bien qu'il soit très vrai aussi, et nullement contradic- toire, de lui attribuer une méthode psychologique. Ne ferait-on pas mieux de convenir que la bonne méthode est celle qui use de tous les moyens suivant l'objet, suivant le côté de la vérité qu'on veut découvrir, suivant les circonstances et les diffi- cultés, contrôlant le résultat des uns par le résultat des autres, usant de toutes les ressources de l'intel- ligence et n'en excluant aucune, comme si Ton en avait trop! Le professeur L. Gossa met au point, avec infiniment de justesse et de bons sens, ces controverses sur la méthode. Puisse, dans l'intérêt de la science économique, se faire l'apaisement et la conciliation entre les professionnels sur ces questions d'école, trop stériles pour la place qu'elles ont tenue? Nous espérons que la récente brochure de M. Emile Levasseur [De la méthode dans les sciences économiques. Paris, 1898) contribuera lar- gement à cet apaisement, au moins chez ceux qui ont plus le souci des progrès de la science que celui de leur propre personnalité.

La seconde partie de l'ouvrage de L. Cossa^ qui forme en réalité le corps du volume, est l'histoire des doctrines économiques. Elle représente assuré- ment un travail énorme, et cependant l'auteur nous

X PREFACE

dit modestemont qu'elle n'est qu'un « résumé d'histoire externe des théories économiques » (p. 139). Chacun sait qu'un résumé demande plus de temps et d'efforts qu'une œuvre développée, puis- qu'à tout le travail nécessaire pour être en mesure de faire œuvre développée, doit s'ajouter le travail de condensation raisonnée et de choix éclairé. Ce n'est du moins qu'à ces conditions qu'un résumé est œuvre scientifique. Résumer l'œuvre développée d'aulrui ne sera jamais qu'un travail de qualité très intérieure. Tel n'est pas le cas du professeur L. Gossa.

Mais qu'entend-t-il par Ihistoire externe dos doctrines, et à quoi par fait-il opposition ? « L'histoire externe, nous dit-il lui-même (p. \'2i)\ « est celle qui étudie l'origine et le développement « des théories et des systèmes, considérés dans leur « ensemble et dans leurs parties principales, sans « descendre aux menus détails. » Elle diffère «de « l'histoire interne, en ce que celle-ci recherche la « formation et les progrès des différentes théories <c particulières, celles, par exemple, de la valeur, de « la monnaie, de la rente, des impôts, et dont on « fait souvent précéder ou suivre leur exposé doc- « trinal. » Cette déhnition. ou plutôt cette concep- tion de l'histoire interne, s'applique en quelque sorte littéralement, parmi les ouvrages de langue fran- çaise, au précieux ouvrage de M. Maurice Bloek : Le.v pro'jrès de la Science économique depuis Adam Smitli; révision des doctrines économiques (2 vol., Paris, éd. 1897.)

Si nous voyons bien la différence entre ces deux

PREFACE XI

types d'ouvrages historiques, celui de L. Gossa et celui de M. Maurice Block, nous concevons moins bien le principe de distinction entre l'histoire externe et l'histoire interne tel que le pose L, Gossa. VHisloire des systèmes économiques et socialistes de M. Hector Denis répond assurément à la définition donnée par L. Gossa de l'histoire externe des doctrines, et cependant elle donne au plus haut point l'impression d'une histoire interne des sys- tèmes, sans que cependant elle ressemble en rien ni à la définition de Gossa sur ce type d'histoire ni à l'ouvrage de M. Maurice Block. A notre sens, s'il y a lieu de distinguer entre l'histoire externe et l'histoire interne, le principe de la distinction ne saurait être dans le degré de minutie des détails ni dans ce que l'une étudie les systèmes dans leur ensemble et l'autre les différentes théories particu- lières. L'étude historique d'une théorie particulière, par exemple de celle de la valeur, pourrait aussi bien revêtir le caractère interne, et, d'autre part, la quantité des détails ne ferait rien à la chose, leur nature seule importerait. Nous reconnaîtrions l'histoire interne à ce qu'elle serait principalement une histoire des idées et l'histoire externe à co qu'elle serait une notation précise de la date d'appa- rition de ces idées, des pays elles sont nées, de ceux elles se sont répandues, de la forme sous laquelle elles se sont propagées (écrits, enseigne- ment, traités, polémiques), des noms des auteurs, et de leur priorité quand on les prétend novateurs, de leur valeur scientifique et de leur nombre quand on les représente comme des adeptes.

XII PREFACE

Et, dans la réalité, c'est bien cette histoire externe que nous donne L. Gossa.

Mais dans quelle mesure ces deux types d'histoire peuvent-ils être séparés sans inconvénient? L'his- toire externe manquera de vie et se perdra dans les détails biographiques et bibliographiques, si This- loire des idées ne reste point sa base et sa justifica- tion, si elle n'en est point l'âme. Et l'histoire des idées, sans une certaine dose d'histoire externe, ne fera-t-elle point, à l'inverse, l'effet d'une àme sans corps? L'historien ne risquera-t-il pas de paraître se substituer aux écrivains et aux œuvres dont il dit faire l'histoire, et écrire un exposé de ses ima- ginations historiques?

La vérité est qu'il y a une question de dosage, une difficulté de titre et d'alliage, très délicate à résoudre au gré du lecteur. Dans l'ouvrage du professeur L. Gossa, l'histoire externe est assuré- ment l'élément prédominant. Mais l'auteur était trop expérimenté pour n'y point allier l'histoire interne dans la proportion indispensable.

L'histoire des idées, pour être exacte, suppose chez ceux qui l'entreprennent une connaissance très complète de l'histoire externe. Le professeur L. Gossa a mis à notre disposition sa grande érudi- tion, éclairée par une science économique très sûre. Son ouvrage est, si l'on peut dire, un outillage per- fectionné offert à tous ceux que préoccupe l'histoire des doctrines économiques.

A. Deschamps.

NOTIONS PRÉLIMINAIRES

Il semble naturel et raisonnable de commencer l'étude approfondie d'une science par des recherches propédeutiques sur son objet, son rôle et son but, sur les limites qui la séparent des disciplines voisines et sur leurs relations réciproques, sur la meilleure division des matières qu'elle comprend, sur les méthodes d'in- vestigation qui lui sont propres, sur les difficultés qu'elle présente et sur l'importance théorique et pra- tique de leur solution. Ces préliminaires théoriques doivent être suivis d'un exposé des origines, des pro- grès et des transformations subies par la discipline elle- même dans le cours des temps, pour expliquer ainsi son état actuel, qui se reflète dans les controverses agitées par les représentants les plus autorisés des différentes écoles et en partie aussi dans les critiques de ceux de ses adversaires qui ne sont pas trop incompétents.

Cette nécessité n'a été que bien rarement ressentie par les hommes de génie auxquels nous devons les progrès les plus importants des sciences physiques et des sciences morales. Ils n'ont pas, d'ordinaire, écrit des œuvres didactiques, et si leur esprit inventif leur a inspiré des œuvres magistrales, ils ne se sont nullement préoccupés de faire connaître aux lecteurs les prémisses

2 NOTIONS PRÉLOUNAIHES

qui leur servaient de point de départ, les buts auxquels ils tendaient, les voies qu'ils avaient choisies pour arriver plus rapidement à leur fin.

L'économie politique nous fournit une preuve cu- rieuse et manifeste de cette observation dans les œuvres de ses grands maîtres: Quesnay, Turgot, Smith, Ricar- do, et même dans celles de beaucoup de leurs illustres continuateurs, Thiinen, Hermann, Mees, etc., qui n'ont jamais exposé, ou qui n'ont indiqué qu'en passant, les fondements rationnels de leurs théories.

Vers 1830, quelques écrivains anglais, sur ce point encore des précurseurs, ont jugé bon de s'occuper, dans des monographies spéciales, des définitions (Mal- thus) et de la méthode (Stuart Mill) de l'économie poli- tique, tandis que d'autres (Whately, Senior et d'une façon plus complète Cairnes) en firent l'objet de cours spéciaux. Les résultats les plus certains de ces recherches se trouvent résumés et formulés avec une rigoureuse circonspection et illustrés ptir de nombreux exemples dans le livre récemment publié par Keynes, dont on doit hautement apprécier la doctrine, la modération, la précision et la clarté. C'est un témoignage remar- quable de l'union féconde de l'économie et de la philo- sophie, qui caractérise traditionnellement les meilleurs écrivains de la Grande-Bretagne depuis Hume et Smith jusqu'à Jevons et Sidgwick.

L'exemple des Anglais a été suivi, et d'autres ouvrages propédeutiques ont été depuis publiés en Allemagne par Pickford, en France par Dameth, en Espagne par Carreras y Gonzales et, parmi les auteurs vivants, par

NOTIONS PRÉLIMINAIRES 3

l'érudit M. Kautz, par le pénétrant M. Lampertico, par le profond M. Menger, et par les jeunes et laborieux professeurs MM. Laurence Laughlin et Ely.

J'ai tenté l'entreprise, il y a quinze ans, en publiant mon Guida allô studio delV economia fjolitica. J'ai résume dans ce livre les préliminaires théoriques de l'économie en y ajoutant un aperçu historico-critique, fruit d'études patientes, d'après les sources et en utili- sant les meilleures monographies. Je désirais suppléer ainsi à l'absence de notices historiques dans les œuvres citées ci-dessus, si l'on fait exception de celle de Kautz, déjà alors ancienne et criticable pour ses jugements incertains, son ordre défectueux, et d'infinis détails d'utilité douteuse, mais que n'ont pas encore rendue inutile les excellentes histoires publiées depuis par Duhring. Eisenhart, Ingram, Espinas. Ces écrivains, en effet, ou bien n'ont pas tenu compte des derniers résultats des recherches spéciales , dispersées dans des livres, des opuscules, des articles difïîciles à se procurer (Duhring, Eisenhart et Espinas), ou bien ils ne les ont utilisés qu'en partie (Ingram), ou bien ils ont entassé, sans choix et sans ordre, des données biogra- phiques et bibliographiques étrangères au sujet (Wal- cker), ou bien ils ont fait des principaux auteurs une critique pénétrante mais trop subjective (Eisenhart et Ingram) et quelquefois même sans observer la cour- toisie la plus élémentaire (Duhring et Walcker).

L'accueil favorable fait à mon petit ouvrage et le rapide succès de deux éditions italiennes, de deux édi- tions espagnoles, d'une édition allemande augmentée

4 NOTIONS PRÉLIMINAIRES

dénotes utiles par Moormeister, et d'une édition an- glaise (enrichie d'une préface de Jevons et très répan- due même dans les Universités des États-Unis), ne suffirent pas à m'en cacher les lacunes et les défauts nombreux de fonds et de forme, même si on compare cet ouvrage à quelques-uns de mes travaux, dans lesquels l'ordre, les proportions, la brièveté et la clarté sont observés avec un soin beaucoup plus grand.

On pouvait en effet me reprocher mon silence sur les systèmes des socialistes scientifiques et sur les écrivains Scandinaves, slaves, hongrois, les indications absolu- ment insuffisantes sur les économistes américains^ l'ordre trop rigoureusement chronologique suivi dans la partie historique, les critères parfois inexacts dans la critique des différentes écoles, les citations d^écrivains de peu d'importance (notamment des écrivains italiens), la réfutation trop minutieuse des objections faites à l'économie et quelques inexactitudes sur quelques autres points de la partie théorique.

Pour remédier de mon mieux à ces défauts, qui ne m'ont été signalés qu'en partie par les observations de quelques écrivains compétents et bienveillants (je dois citer principalement Adamson, professeur à Manchester, et Keynes, professeur à Cambridge), et aussi pour céder aux instances de l'éditeur anglais et du traducteur espagnol (Ledesma y Palacios, professeur à Valladolid) et de l'excellent éditeur italien, Ulrico Hoepli, j'ai refait mon travail. J'ai modifié le titre, l'ordre des ma- tières et en grande partie le contenu, tout en conservant à l'ouvrasre son caractère de livre élémentaire, écrit

NOTIONS PRÉLIMINAIRES 5

avant tout pour mes auditeurs, afin qu'ils puissent ap- prendre seuls les notions propédeutiques que le nombre croissant des congés scolaires ne me permet plus de développer suffisamment dans mes cours oraux. J'ose espérer que cette compilation, dans sa forme nouvelle, répondra au but modeste qu'elle se propose, et qu'elle reprendra la place que l'indulgence des lecteurs lui avait donnée dans les années qui ont suivi sa première édition.

Pauie, 30 avril 1891.

L. G.

^

BIBLIOGRAPHIE

DE LA

PROPÉDEUTIQUE ÉCONOMIQUE

Th. Rob. Malthus, The définitions in political economy. Lon- don, 1827 (réimprimé en 1853).

John Stuart Mill, On ihe définitions of political economy, and on the method of investigation proper to it. (1830). Dans ses : Essays on some unsettled questions, etc. London, 1844 (2«édit., 1874).

Rich. Whately, Introductory lectures on political economy. London, 1831 (5*= édit., 1855).

N. W. Senior, Four introductory lectures on political economy (1847). London, 1852.

J. E. Cairnes, The character and logical method of political economy. London, 1857 (2« édit., 1875, réimprimée en 1888).

D. Julius Kautz, Théorie und Geschichte der National-Oeko-

nomie. Wien, 1858-60; 2 volumes.

E. Pickford, Einleitung in die Wissenschaft der politischen Oekonomie. Franckfurt a. M., 1860.

H. Dameth, Introduction à l'étude de l'économie politique. Paris, 1865(2" édit., 1878).

Fed. Lampertico, Economia dei popoli e degli Stati. Introdu- zione. Milano, 1874.

M. Carreras y Gonzales, Philosophie de la science économique . Madrid et Paris, 1881.

C. Menger, Untersuchungen ïiber die Méthode der Staaiswis- senschaften, etc. Leipzig, 1883.

8 BIBLIOGRAPHIE

J. Laurence Laughlin, The study of polUical economy. New- York, 188.".

Rich. T. Ely, A?î indroduciion to political economy. New- York, 1889 (réimprimé sous le titre de : Ouilines of écono- mies, 1893).

J. N. Keynes, Tke scope and metliod of polUical economy. London, 1891.

PREMIERE PARTIE

THÉORIE

m

CHAPITRE PREMIER OBJET ET LIMITES DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

Si on considère les actions de Thomme, (qu'on l'ima- gine dans un état d'isolement ou qu'on l'étudié dans la société domestique, civile et politique), on voit qu'elles ont en grande partie pour but de lui procurer, directe- ment par la production ou indirectement par l'échange, l'ensemble des biens matériels nécessaires à sa conser- vation et à son perfectionnement.

L'étude des phénomènes qui sont le résultat de cette activité forme l'objet de deux disciplines, dont le but est entièrement différent et que quelques écrivains (Her- mann, Schâffle, Wagner, Sax) ont essayé de détermi- ner avec plus ou moins de précision. Ce sont la tech- nologie, qui étudie les richesses au point de vue physique et objectif et qui, en utilisant les vérités enseignées par les sciences mathématiques et naturelles, indique les procédés à suivre pour obtenir des produits tout à fait conformes au but auquel ils doivent servir, et l'économie, qui étudie les richesses au point de vue moral et subjectif, c'est-à-dire dans leurs relations avec le réseau complexe des intérêts publics et privés qui naissent de la lutte incessante que l'homme, stimulé par des besoins susceptibles d'une augmentation indéfinie, doit soutenir contre la nature, limitée dans les matières comme dans les forces qui la constituent. L'agriculteur

12 OBJET ET LIMITES

qui défriche un terrain, qui Tensemence, qui le cultive pour en recueillir les fruits, s'inspire de critères tech- niques quand il se procure les semences, les machines, les instruments appropiés à l'obtention des produits qu'il désire ; il s'inspire au contraire de critères écono- miques, quand il prépare et exécute les travaux agri- coles de façon à obtenir la plus grande utilité avec la moindre somme d'efforts, de sacrifices et de risques.

D'ailleurs l'économie, ou selon une autre expression la science économique, ne forme pas une discipline unique ; elle constitue un groupe de disciplines qui ont un objet commun, mais qui se distinguent nettement entre elles par les rôles qu'elles jouent et par les buts qu'elles .se proposent.

La plus importante de ces disciplines c'est, à plus d'un titre, l'économie politique, que nous définissons (en complétant la notion qu'en a donnée Romagnosi) : la théorie de l'ordre social des richesses, étudié dans son essence, dans ses causes, dans ses lois ration- nelles et dans ses rapports avec la prospérité pu- blique.

L'économie politique a pour objet non pas la richesse, c'est-à-dire l'ensemble des biens échangeables et ma- tériels, mais l'activité humaine, activité qu'elle étudie sous un point de vue particulier, celui de l'intérêt géné- ral. Par l'expression ordre social des richesses on indique précisément que les phénomènes étudiés par l'économie politique constituent un ordre, c'est-à-dire une unité dans la variété, et que cet ordre sappelle social parce qu'il concerne des relations existant entre les hommes vivant dans la société civile, c'est-à-dire dans la société constituée en État, qui est un être mo- ral indispensable à la conservation et au perfectionne- ment des individus qui la composent. La société civile peut d'ailleurs être considérée comme un organisme

DE l'économie politique 13

doué d'une vie propre et de fonctions spéciales, qui, maliïré des différences substantielles trop souvent oubliées par les sociologues, présente quelques analo- gies avec les organismes étudiés par les sciences biolo- giques.

L'économie politique, comme l'indique notre défini- tion, a deux rôles distincts :

Elle étudie dans l'ordre social des richesses ce qu'il y a de typique, d'essentiel, de permanent, soit dans la coexistence, soit dans la succession des phénomènes: elle recherche les causes dont ils dépendent, et elle en mesure, quand cela est possible, l'intensité ; enfin elle recherche le mode d'action de ces causes, c'est-à-dire les lois rationnelles auxquelles elles obéissent ;

2'' Elle fournit des principes pour bien diriger les attributions économiques des autorités politiques.

Le but ultime, auquel tend l'économie politique, .satis- faisant ainsi à .sa double fonction, c'est de procurer le bien-être général.

Cette définition, c'est-à-dire la détermination de l'objet, du rôle, du but de l'économie politique, nous donne les critères nécessaires qui nous permettent de ne pas la confondre avec les autres branches des disci- plines économiques.

L'économie politique se distingue d'abord de l'éco- nomie privée, qui étudie les phénomènes de la richesse au point de vue de l'intérêt particulier de l'administra- tion des affaires domestiques et industrielles. De la subdivision de l'économie privée en économie domes- tique, qui donne les règles de la constitution et de l'ad- mini.stration du patrimoine de la famille, et en économie industrielle, qui fournit les normes de la con.stitution et de l'admini-stration des différentes entre- prises.

En second lieu l'économie politique se distingue des

14 OBJET ET LIMITES

disciplines économiques historico - descriptives , qui étudient les phénomènes de la richesse dans leurs mani- festations concrètes et variables, dans le temps et dans l'espace, en ce qu'elle étudie, au contraire, les rela- tions abstraites et constantes, et les caractères typiques et essentiels de ces phénomènes. Partant l'économie politique diffère d'une façon substantielle de l'histoire et de la statistique économiques.

L'histoire économique raconte les faits particuliers concernant la richesse et elle s'occupe principalement des institutions publiques et privées qui les concernent ;. elle en expose les origines, les progrès, la décadence, la renaissance, et recherche, par l'induction qualita- tive, les causes concrètes qui les ont produites et les effets immédiats qui en sont dérivés, sans en rechercher les causes premières permanentes et absolues. Autre chose est écrire l'histoire du commerce du moyen âge, comme l'a fait magistralement Heyd. ou l'histoire spé- ciale du commerce français fort bien racontée par Pi- geonneau, autre chose expliquer dans son essence intime la fonction universelle du commerce, comme l'a si bien fait Lexis.

La statistique économique décrit les faits qui con- cernent la richesse et les industries; elle les dispose avec une exactitude arithmétique en groupes d'éléments quantitatifs homogènes et en séries réelles successives, formant ainsi des cadres qu'elle rend souvent plus ins- tructifs par l'étude comparée, et qu'elle porte à un degré encore plus élevé d'utilité quand, par l'induction quan- titative, elle découvre, dans la coexistence et la succes- sion des faits observés, certaines régularités empiriques intéressantes, qu'il ne faut pas confondre avec les lois scientifiques, parce qu'elles sont liées à des conditions déterminées de temps et d'espace. Autre chose est la statistique des prix sur les marchés de Hambourg et de

DE l'Économie politique 15

Londres dans les trente dernières années, autre chose la théorie générale de la valeur et du prix que l'on trouve dans les œuvres de Galiani, de Condillac, de Ricardo, de Mill, de Jevons, de Menger.

Il ne faut pas, en troisième lieu, confondre l'écono- mie politique avec la morale économique, qui étudie les modes légitimes d'acquisition et d'emploi des ri- chesses à propos des devoirs de l'homme, en les consi- dérant comme un moyen utile ou comme un obstacle dangereux pour l'exercice de la vertu, qui est le but auquel elle tend. Autre chose est la recherche du juste salaire dont s'occupent les moralistes (théologiens et philosophes) et quelques économistes (par exemple Brants, et avec une méthode et pour une fin différentes Thilnen), autre chose la théorie uniquement et scienti- fiquement économique du salaire, qu'ont élaborée Smith, Ricardo, et à laquelle se rattachent les contro- verses, vives encore en Angleterre et en Amérique, pour nous en tenir à quelques auteurs, entre Walker, Marshall, Bonar, Macvane, Giddings.

Il faut enfin soigneusement distinguer l'économie po- litique du droit économique, philosophique et positif, qui pourrait embrasser la plus grande partie du droit privé (tout le droit commercial et la plus grande partie du droit civil), une partie considérable du droit admi- nistratif et quelques théories du droit pénal. Le droit économique a pour objet les droits et les devoirs publics et privés qui naissent des faits économiques et des institutions qui s'y rapportent, et les sanctions aux- quelles ils donnent lieu ; il règle la sphère de com- pétence externe des personnes physiques et morales dans les relations qui dérivent de leur activité dirigée vers l'acquisition, la possession et l'usage des richesses ; l'économie, au contraire, nous le répétons, recherche les lois rationnelles des faits économiques et donne des

J6 OBJET ET LIMITES

principes directeurs pour le bon gouvernement des affaires publiques. Autre chose est. par exemple, re- chercher avec Kant, Hegel, Krause, Ahrens, Miraglia le fondement juridique de la propriété privée dans le droit philosophique, ou rechercher avec d'autres écrivains l'organisation du droit positif, autre chose est au con- traire déterminer les fonctions économiques, les avan- tages et les limites dans lesquelles son exercice doit être contenu dans l'intérêt bien entendu, présent et futur, de la vie sociale.

CHAPITRE II DIVISIONS DE L^ÉCONOMIE POLITIQUE

Les doctrines comprises dans Téconomie politique peuvent être classées et ordonnées selon des critères matériels ( 1) et formels dont l'importance est déterminée par les buts, scientifiques ou purement didactiques, auxquels elles doivent servir.

Une première distinction a son fondement dans k double rôle de l'économie politique ; elle comprend :

L'économie pure, rationnelle (ou comme on l'ap- pelle aussi, théorique), qui constitue une science, au sens rigoureux du mot, parce qu'elle explique les phé- nomènes qui constituent l'ordre social des richesses ;

2' L'économie appliquée (ou comme on l'appelle aussi, pratique), qui constitue un art, parce qu'elle fournit les principes qui permettent de diriger les fonc- tions économiques des sociétés politiques.

Malheureusement cette distinction qui est d'une im- portance capitale n'est pas comprise de la même façon par les écrivains qui l'ont adoptée. Quelques-uns font entrer dans l'économie appliquée jusqu'aux règles de l'économie privée, alors que d'autres n'y comprennent que l'examen de certaines institutions dues à l'initiative individuelle, par exemple, les sociétés ouvrières de ré-

(i) Le mot matériel, ici et dans la suite du chapitre, s'oppose à formel.

18 DivrsiONS

sistance, de prévoyance, les sociétés coopératives. D'autres, au contraire, pensent queréconomie appliquée, qu'ils appellent concrète, s'occupe non pas de la solu- tion des questions pratiques générales, mais de l'expli- cation des phénomènes spéciaux, subordonnés à cer- taines lois secondaires ou dérivées dont ne s'occupe pas l'économie pure, qu'ils appellent abstraite. Tels seraient les détails du système monétaire, du système bancaire, du système financier, etc. Il ne faut pas oublier non plus que tandis que beaucoup d'économistes estiment que l'économie rationnelle étudie les phénomènes en eux-mêmes et pour eux-mêmes, en dehors de toute in- gérence de l'autorité publique, d'autres au contraire pensent que, si l'économie pure doit s'abstenir de sug- gérer les principes directeurs de l'action économique de l'État, elle ne peut pas cependant se refuser à étudier les influences que cette action exerce sur la produc- tion comme sur la distribution des richesses. C'est ce qu'ont montré récemment et très justement Sax et d'autres économistes ; nous ne pouvons néanmoins nous rallier à leur manière de voir lorsque, par suite d'une grave erreur de fait, ils en font un argument critique contre les meilleurs écrivains de l'école clas- sique anglaise qui, tout au contraire, sur les traces de Ricardo, ont étudié avec le plus grand soin les phéno- mènes concernant l'incidence et la répercussion des impôts dans des œuvres strictement scientifiques.

Une autre distinction, que quelques économistes, pour la plupart allemands, substituent à la précédente, tandis que d'autres au contraire la considèrent comme lui étant subordonnée, et que d'autres enfin (comme Held, Neumann, Kleinwâchter) confondent totalement avec elle, s'appuie sur la différence qui existe entre l'économie générale et l'économie spéciale, c'est-à-dire l'économie relative aux différentes branches de l'indus-

DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 19

trie. D'après nous cette distinction, si elle peut utile- ment servir de base à l'étude de sujets séparés ou de monographies complètes (d'économie rurale, forestière, minière, commerciale, etc.), ne constitue pas un critère propre à une subdivision des matières de l'économie pure et appliquée, parce que, même en faisant abs- traction de cet inconvénient, peu grave en vérité, de donner lieu à des répétitions inévitables, elle amène aussi, insensiblement, à introduire dans l'économie po- litique des digressions peu opportunes sur l'économie privée (et particulièrement sur l'économie industrielle) €t parfois même sur la technologie, comme cela est arrivé fréquemment à Rau, à Wagner et à Schônberg.

Un autre défaut grave de cette division c'est d'amener à considérer par rapport à une industrie particulière certaines questions qui se réfèrent à toutes, comme par exemple la question des grandes et des petites exploi- tations rurales, qui forme un côté spécial du problème complexe des grandes et des petites entreprises. Xous ne pouvons pas comprendre, d'ailleurs, comment cer- tains économistes s'obstinent à considérer comme iden- tiques, d'un côté, l'économie pure et l'économie géné- rale et, d'un autre côté, l'économie appliquée et l'économie spéciale, comme si la généralité était un trait caractéristique de toutes les vérités de la science qui s'opposerait nécessairement à la spécialité, qu'on sup- pose, d'autre part, inhérente à tous les principes de l'art et à ceux-ci seulement.

Une troisième distinction que l'on peut considérer comme identique au fond avec celle qui comprend l'économie pure et l'économie appliquée, mais qui a l'avantage d'éliminer les équivoques qui y sont inhé- rentes, nous vient également d'Allemagne, Jakob et Rau, qui l'introduisirent les premiers, purent la faire accepter d'une façon presque générale, et qui, par

20 DIVISIONS

influence directe ou indirecte, fut adoptée aussi par un petit nombre d'économistes des autres pays. Je fais allusion à cette classification qui distingue entre :

L'économie sociale (ou, comme on l'appelle aussi, civile, nationale, ou simplement Féconomique), c'est- à-dire l'économie pure dans le sens que nous donnons à cette expression :

2" La politique économique, lato sensu, ou la légis- lation économique (comme l'appelle Cherbuliez), ou l'économie de l'Etat, qui cependant s'occupe aussi des fonctions économiques des sociétés politiques inférieures, et se confond avec l'économie appliquée telle que nous l'avons définie. Mais, comme ces fonctions concernent l'ingérence de l'autorité publique dans les richesses privées, et l'administration des richesses appartenant aux sociétés politiques, il en découle une subdivision de la politique économique en deux parties, c'est- à-dire :

a) La politique économique, stricto sensu, qui four- nit aux pouvoirs publics les principes directeurs de leur ingérence dans les richesses privées ;

bj La politique financière, ou, comme on rai)pelle généralement, la science des finances, c'est-à-dire la doctrine du patrimoine public, qui fournit les principes directeurs pour la constitution, l'administration et l'emploi du patrimoine propre de l'Etat, de la Province et de la Commune.

Il faut remarquer cependant que la science des finances, par suite de l'importance de ses principes, et de la nécessité de les subordonner ou de les coordonner avec d'autres principes d'ordre moral, juridique, et pour des raisons de haute convenance politique dont doivent s'inspirer le législateur et l'administrateur dans le do- maine des applications, et aussi par une tradition aca- démique qui (en Allemagne) remonte à la première

DE i/égonomie politique 21

moitié de notre siècle, est maintenant d'ordinaire considérée comme une discipline complètement distincte de l'économie politique et, par suite, elle est ensei- gnée, depuis quelque temps même en France et plus encore en Italie et aux États-Unis, dans des œuvres et dans des cours spéciaux. Récemment un éminent professeur allemand Sax (Gnmdlegung der theoretis- chen Sta,atswirthschaft,Wien 1887), et en Italie, avec quelques réserves, Ricca-Salerno, Graziani et Conigliani, ont insisté avec beaucoup de force sur le caractère pure- ment économique de quelques-unes des théories finan- cières, déduites de la doctrine économique de la valeur subjective. Il ne faut pourtant pas oublier que les ana- logies ingénieuses établies par Sax entre la distribution des richesses privées et la destination d'une partie de ces richesses à des buts publics ne sont pas toutes exactes et acceptables et que, de toute façon, les prin- cipes de l'art financier constituent la matière principale de Tune des branches les plus importantes de la poli- tique administrative, abstraction faite bien entendu de la théorie de l'incidence des impôts, qui. comme nous l'avons déjà dit, est vraiment scientifique et pourrait ainsi (comme plus d'un l'a fait) être considérée comme partie intégrante de l'économie sociale.

La politique économique, stricto sensu, qui devrait rigoureusement fournir à l'homme d'État des prin- cipes exclusivement déduits de l'idée de l'utile, au sens donné par l'économie (principes que. presque seul, Cherbuliez a développés), s'achemine, elle aussi, à grands pas à une transformation, déjà presque accomplie dans la politique financière, et par laquelle, cessant d'être la partie politique de l'Economie, elle deviendrait plutôt la partie économique de la Poli- tique, et spécialement de la politique administra- tive, c'est-à-dire de la science de l'administration.

99

DIVISIONS

De cette façon la théorie des fonctions économiques des sociétés politiques serait illuminée par des principes plus larges, dans lesquels on ferait la place qui leur appartient à ces critères de morale, de droit, d'hygiène, d'esthétique et de haute politique qui doivent pour partie être associés aux critères purement économiques et pour partie les dominer. C'est une évolution qui s'est depuis longtemps accomplie en Alle- magne, lorsque deux hommes éminents, Mohl et Stein, substituèrent à la science delà police exclusivement em- pirique des vieux Caméralistes la science de l'adminis- tration, développée avec une large et profonde érudi- tion et avec une connaissance parfaite des besoins de notre époque, et devenue un corps imposant et autonome de doctrine qui a raison de se détacher du Droit admi- nistratif. Cette séparation, dont quelques publicistes allemands ont essayé, avec plus ou moins de succès^ de préciser les bases, fait ses débuts même en Italie, spécialement grâce à Carlo F. Ferraris et à quelques autres, et elle devra, tôt ou tard, s'effectuer également dans la science comme dans l'enseignement, lorsqu'elle aura triomphé des obstacles qu'elle trouve dans l'oppo- sition de beaucoup de juristes de la vieille école.

Une bonne distinction des matières contenues dans l'économie politique, pure et appliquée, a son fonde- ment dans le caractère même des relations qui for- ment Tordre social des richesses. Elle distingue les différents stades ou moments dans la succession na- turelle des phénomènes économiques. J.-B. Say a proposé, dans ce but, la division célèbre en produc- tion, distribution et consommation des richesses, qu'il énonçait dans sa définition delà science et qu'il donnait même pour titre à son Traité (1803). c'est-à-dire à son œuvre principale. Cette distinction a été pendant long- temps presque généralement acceptée, comme en font

DE l'Économie politique 23

foi les œuvres de Gioja, Kraus, Jakob, Rau, Riedel, Schûz et Mac Culloch.

D'autres écrivains plus modernes, et ils forment peut- être la majorité, ont ajouté une quatrième partie con- cernant la circulation ou, selon l'expression anglaise courante, l'échange, phénomène de première impor- tance qui mérite une étude séparée, aussitôt après celle de la production, plutôt que d'être comprise dans le chapitre de la production (Say) ou dans celui de la distribution (Rau, Mac Culloch). Nous citerons comme exemple les œuvres de FIorez-Estrada, Garnier, Baudrillart, Nazzani, Mangoldt, Schônberg, Walker, Andrews, Ely.

Une petite variante dans l'ordre des matières a été adoptée d'abord par James Mill, puis par Kudler et par beaucoup d'écrivains français (Levasseur, Jourdan, Laveleye, Leroy-Beaulieu, Beauregard) ; ces auteurs font précéder la distribution par la circulation. Un petit nombre, au contraire, parle delà consommation aussitôt après la production (Chapin) ou après la production et la circulation, comme Gide.

L'innovation de Roscher, qui voulait ajouter aux quatre parties que nous venons d'énumérer une cin- quième concernant la population, n'a pas été adoptée. Il ne s'aperçut pas qu'une étude complète de ce sujet (au point de vue statistique, économique et législatif) peut former l'objet, ou d'une science (la Démographie, ou mieux la Démologie), ou de monographies spéciales ; c'est ce qu'ont essayé déjà, avec plus ou moins de succès, Bernouilli, Riimelin, Gerstnei% et quelques autres. L'économie politique ne s'occupe de la popula- tion que pour étudier les influences de sa quantité, de sa densité, de sa composition et de son accroissement sur les différentes phases de la richesse. On peut donc en faire l'objet d'une étude complémentaire soit dans

24 DIVISIONS

la partie consacrée à la production (Mac Culloch), soit dans celle qui est consacrée à la distribution (Jourdan) ou à la consommation (Walker, Leroy-Beaulieu).

D'autres innovations tendent au contraire à simpli- fier ou à modifier différemment la division tripartite de Say. Ainsi, par exemple. Turgot (déjà au siècle dernier), Senior, Stuart Mill, dans un premier Essai déjà cité, et Rossi n'admettent pas une théorie économique de la consommation (c est-à-dire de l'usage des richesses), parce que, selon eux, elle appartient à la morale, à l'économie domestique et aux finances. Ils sont ainsi en désaccord complet sur ce point a^ec d'autres écrivains plus récents qui font précéder toutes les autres théories par la théorie de la consommation, en la faisant entrer dans celle de l'utilité (Jevons, Walras, Pierson), ou dans celle de la demande (Marshall;. Cette opinion est également partagée par certains écrivains qui considè- rent la doctrine de la consommation comme constituant un préliminaire nécessaire à l'économie, mais non pas une de ses parties principales.

Un dernier groupe d'écrivains maintenant , avec Senior et Rossi, la suppression de la partie consacrée à la consommation, consacre toute une partie à la circulation (ou à l'échange, comme l'appellent les Anglais, ou au trafic, selon l'expression de Held), dont ils s'occupent, ou après la production (Cherbulliez, Villey, Sidgwick, Carter- Adams, Laurence Laughlin, Nicholson), ou après la distribution, comme Stuart Mill (dans ses Principes) et Shadwell.

Sans songer à nier l'importance didactique de ces controverses, il nous faut dire, en terminant, que ce sont plutôt des questions d'ordre que d'importance, et que toute classification des phénomènes économiques renferme inévitablement en elle-même quelque chose d'inexact et d'arbitraire, parce qu'elle est une décompo-

DE L ECONOMIE POLITIQUE Zt>

i

sition artificielle d'un tout organique en éléments qui sont reliés entre eux par une série très variée d'actions et de réactions. La science peut certainement les étudier isolément, pour des raisons de méthode ou pour des né- cessités d'exposition, mais ils sont, en réalité, essentiel- lement connexes. C'est ainsi que la production implique nécessairement la consommation productive et suppose réchange, qui donne naissance à la valeur, qui se trouve en étroite corrélation avec le coût, qui nécessite pour être analysé l'étude de quelques uns des facteurs de la distribution. Et, d'un autre côté, il est évident que la qualité des objets consommés détermine nécessairement celle des richesses produites, tandis que les systèmes mêmes de distribution réagissent, et sur l'énergie du travail, agent de la production, et sur les divers aspects de la consommation. Il ne faut pas oublier, non plus, que les divergences signalées ci-dessus ont quelquefois un caractère purement nominal. Ainsi, par exemple, quelques-uns des écrivains qui ne consacrent pas un titre séparé à la consommation, en font l'objet d'un appendice à une division principale de la matière. Il nous suffît de citer Mill, Sidgwick, Rau, Courcelle- Seneuil, Cherbulliez et Nicholson.

26 RAPPORTS

CHAPITRE III

RAPPORTS DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

ET DES AUTRES SCIENCES

Les différences substantielles, qui séparent l'économie politique des disciplines connexes dont l'objet est tota- lement ou partiellement commun, n'excluent pas la possibilité de relations plus ou moins étroites et n'em- pêchent pas que l'économie n'emprunte d'utiles notions à d'autres disciplines qui lui sont simplement auxi- liaires.

Les disciplines connexes à l'économie politique sont : l'histoire, la statistique et la morale économiques, le droit économique et l'économie privée.

Les disciplines auxiliaires sont : la psychologie, la technologie et la politique.

§ l*"". l'histoire économique.

Il y a de nombreux points de contact entre l'histoire économique, qui raconte les faits concernant l'ordre social des richesses et qui en recherche le lien causal concret et immédiat, et l'économie politique qui étudie les caractères essentiels, les causes premières et les lois rationnelles.

L'histoire économique, et en particulier l'histoire moderne, peut fournir des éléments très utiles pour

DE l'économie politique 27

démontrer la vérité des doctrines auxquelles on arrive par le simple raisonnement. Il faut pour cela supposer qu'on a pu trouver des analogies réelles et suffisantes dans les conditions sociales et matérielles qui doivent fournir les faits qui serviront à expliquer des faits d'autres temps et d'autres lieux. Sans une grande con- naissance du sujet et sans les plus grandes précautions dans l'interprétation, on arrive, comme les dilettanti de l'histoire et de l'économie (et même de la statistique), à invoquer avec une sereine témérité l'éloquence des faits (et des chiffres) pour appuyer de purs sophismes, 2:)0st hoc (ou cum hoc) ergo projeter hoc. Des esprits prudents et sûrs ont pu, par l'histoire des assignats français, des bank-notes autrichiens et des green-backs américains, éclaircir admirablement la théorie du cours forcé du papier monnaie.

En second lieu, l'histoire économique peut servir davantage encore à l'économie politique en déterminant mieux le caractère limité et purement relatif de cer- taines lois économiques dérivées, qui changent avec le changement des conditions sociales qui en sont la condition nécessaire. C'est ce qu'a démontré admirable- ment Bagehot et les économistes allemands de l'école historique; cependant ceux-ci, par une réaction exces- sive, sont tombés dans l'erreur très grave de ne pas admettre ou de méconnaitre l'importance d'autres lois économiques, certainement universelles et constantes.

D'un autre côté, l'économie politique fournit à l'his- toire économique les critères théoriques qui lui sont indispensables pour le choix, la coordination et l'appré- ciation des faits, des conditions et des institutions qui en forment la matière. Il faut faire observer ici cepen- dant que l'histoire ne tirera aucun profit ni des théories insuffisamment sûres, ni des théories exactes mais insuffisantes pour expliquer des faits qui dépendent

28 RAPPORTS

aussi de causes différentes et quelquefois plus impor- tantes que les causes d'ordre économique. C est dire que l'interprétation économique de l'histoire n'est pas moins utile, mais qu'elle est tout aussi difficile que in- terprétation historique de l'économie et qu'il faut éviter ces deux dangers opposés : faire servir certaines données historiques (ou données statistiques), arbitrairement recueillies, comme preuves de théories préconçues, ou vouloir expliquer certains faits passés (ou certaines con- ditions présentes, sociales ou politiques), et par consé- quent de caractère évidemment complexe, à l'aide de critères purement économiques.

C'est ce que n'ont pas toujours su éviter des auteurs d'une compétence généralement reconnue, et auxquels nous devons des œuvres par plus d'un point remar- quables.

J. E. Thorold Rogers, The économie interprétation of history. London, 1888. Traduction française, Paris, 1892.

A. Loria, La teoria economica délia costituzione poli - iica. Torino, 1886. édition (française) aug- mentée, Paris. 1893.

î^ 2. STATISTIQUE ÉCONOMIQUE

11 y a entre la statistique économique et l'économie politique des relations de même nature, mais plus in- times encore. La statistique économique forme une partie notable de l'économie politique appliquée. Elle s'occupe des faits concrets de la richesse; elle les décrit, et elle recherche les régularités qui existent dans leur coexistence et dans leur succession, dans certaines limites de temps et d'espace.

La statistique (comme l'a dit excellemment Gabaglio) emprunte à l'économie politique les notions qui lui sont

DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 29

nécessaires pour le choix et pour l'analyse des faits économiques, pour la critique, la comparaison et l'ar- rangement des données qu'ils fournissent. A cela, nous ajouterons que cette aide est d'autant plus néces- saire que la statistique économique, qui, sans doute, a fait des progrès grâce à d'illustres spécialistes, se trouve cependant dans un état peu satisfaisant par suite de l'opposition qu'elle rencontre chez les industriels et les commerçants qui craignent que les données recueillies puissent nuire à leur crédit ou faciliter l'introduction de nouvelles charges fiscales.

Mais la statistique, bien employée, rend, à son tour, d'éminents services à l'économie politique. Elle lui fournit des matériaux empiric[ues précieux pour éclair- cir. beaucoup mieux que par des exemples hypo- thétiques, la vérité de quelques propositions établies par voie déductive. Il ne faudrait pas croire qu'il puis- sent suffire pour cela des résultats de l'observation in- dividuelle, ou de ceux que fournissent les enquêtes publiques ou privées, ou les monographies, seraient- elles aussi bien faites que le sont celles que nous devons à Le Play et à ses meilleurs disciples et continuateurs. C'est, en effet, seulement par l'observation systéma- tique et quantitative qu'on arrive à découvrir dans les faits sociaux, qui, pris individuellement, semblent coexister sans ordre, une merveilleuse régularité, lors- qu'on élimine indirectement et par voie de compensa- tion l'influence des causes perturbatrices. Dans quelques sciences physiques, ce résultat peut, au contraire, être obtenu directement par l'expérimentation, à laquelle l'économiste ne peut avoir recours que rarement et d'une façon bien imparfaite.

Il faut remarquer que les lois empiriques révélées par la statistique ne sont pas toujours un obstacle pour la découverte de lois scientifiques, elles constituent

30 II APPORTS

(luelquefois des points de départ pour des déductions ultérieures, qui ont déjà conduit, ou pourront conduire dans la suite à découvrir, par d'autres moyens, de nouvelles lois vraiment scientifiques. Ainsi, par exemple, l'observation statistique de nombreuses données sur les crises commerciales et leur périodicité ont fourni à Je vous, à Juglar et à d'autres spécialistes la matière propre à des recherches plus approfondies sur la nature et les causes de ces funestes perturbations écono- miques.

L'économie politique a tiré un grand secours des progrès récents de la statistique, dus à l'illustre Qué- telet (mort en 1874) et remarquablement continués par Engel, Wappaus, Knapp, Lexis, Becker, Oettin- gen, Guerry, Bertillon, Levasseur, de Foville, etc. Et j'espère que l'Italie, (qu'ont illustrée autrefois les travaux de Gioja et de Romagnosi, et qui se trouve aujour- d'hui encore au premier rang et pour ses statistiques ofTicielles, dirigées avec une compétence généralement reconnue et avec une énergie et une activité prodigieuses par Bodio, et au point de vue scientifique et méthodo- logique, parce qu'elle compte d'illustres savants comme, pour nous en tenir à quelques noms, Messedaglia, Perozzo, Gabaglio), conservera à cette discipline la place qui lui appartient dans renseignement supérieur.

Parmi les œuvres de propédeutique et d'histoire de la statistique nous mentionnerons, en dehors des livres déjà anciens de Mone, de Fallati et de Wappaus, l'ou- vrage encore inachevé de John. La méthodologie a été approfondie par Rûmelin et Westergaard ; l'histoire de la méthodologie, par Wagner et Meitzen, pour ne citer que quelques-uns des meilleurs, et avec plus de profondeur par Gabaglio. Pour la statistique descriptive générale on peut consulter les ouvrages de Kolb et ceux de Brachelli ; en matière de statistique écono-

DE l'économie politique 31

mique, et spécialement de statistique commerciale, la première place appartient à Engel, à Neumann- Spallart et à quelques autres. Les meilleurs manuels de statistique sont dus à Mayr, à Haushofer et à Block. Les commençants liront avec un grand profit le petit ouvrage de Virgilii.

V. John, Geschichte der Staiistik, 1'''= partie. Stutt- gart, 1884.

H. Weslergaard, Die Grundzùge der Théorie der Sta- iistik. Jena, 1890.

A.- Meitzen, Geschichte, Théorie und Technik der Sta- iistik. Berlin, 1886 (traduit en anglais).

Ant. Gabaglio, Teoria générale délia statislica. édi- tion entièrement refaite. Milano, 1888. 2 vol.

G. F. Kolb, Handbuch der vergleichenden Siatistik. Leipzig, 1857. édit., 1879 (un supplément en 1883).

H. F. Brachelli, Die Staaten Europa's. 4" édit. Briinn, 1883-1884.

F. X. V. Neumann-Spallart, Uebersichten der Welt-

wirthschaft. Stuttgart, 1887 (continué par F. v. Juraschek. Berlin, 1890).

G. V. Mayr, Die Gesetzm'àssigkeit im Gesellschaftslebcn .

Miinchen, 1877. (Excellemment traduit en italien

et complété par G. B. Salvioni. Torino, 1886,

2*= édit.) M. Haushofer, Lehr und Handbuch der Siatistik.

2" édit., Wien, 1882. M. Block, Traité théorique et pratique de statistique.

édit. Paris, 1886. F. Virgilii, Manuale di Siaiistica. Milano, 1891.

§ 3. MORALE économique

Il nous faut préciser, pour éviter d'étranges et dan- gereuses équivoques, les rapports de Téconomie poli- tique, qui étudie l'ordre social des richesses, et de la mo-

32 RAPPORTS

raie économique, publique et privée. Celle-ci a pour but, étant donnés certains idéals, de fournir des pré- ceptes sur les devoirs des bommes au sujet de l'acqui- sition et de l'usage des richesses, préceptes qu'elle déduit des principes suprêmes du juste et de l'équi- table qui lui sont suggérés par la raison (morale philo- sophique) ou révélés par la religion (morale théologique).

Il faut; tout d'abord, remarquer que l'économie pure est indépendante de la morale, parce qu'elle explique des phénomènes qu'elle ne peut ni créer ni modifier. Les propositions de la science économique, au sens étroit du mot, peuvent par conséquent être vraies ou fausses, dans leur essence ou dans leur forme, mais elles ne peuvent jamais être bonnes ou mauvaises, utiles ou dangereuses. Aussi, cette fameuse iniportation de l'élément éthique, dont s'enorgueillit une nombreu.se école d'économistes contemporains, n'est pas (pour l'économie pure, nous le répétons) une découverte qui l'ennoblit, mais une absurdité qui la bouleverse. Ainsi, par exemple, l'économie rationnelle explique la raison ^ les éléments, les fonctions, les limites de l'intérêt du capital prêté, mais elle est tout à fait incompétente pour juger du mérite des lois positives, civiles ou commer- ciales, qui prohibent ou restreignent l'intérêt conven- tionnel du prêt à intérêt, ou qui le laissent libre avec ou sans la sanction de lois pénales contre l'usure.

Je ne veux pas par nier la nécessité théorique et pratique de la morale économique (et particulièrement de la religion) comme norme de conduite pour les honnêtes gens, et, pour ma part, j'applaudis à ces théo- logiens qui, comme Co.sta-Rossetti, Cathrein et quel- ques autres, s'occupent de l'économie politique comme d'une doctrine auxiliaire de la théologie morale; je pense cependant qu'il n'est pas logiquement correct de confondre les théories de la science avec les pré-

DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 33

ceptes de l'art. Nous admettons, nous aussi, que dans la partie concrète de l'économie rationnelle ou. en d'autres termes, pour l'explication des faits individuels il faut tenir compte des idées morales, qui tempèrent souvent et de façon variée l'action de l'intérêt person- nel, qui est le moteur principal des phénomènes éco- nomiques. Nous ne partageons cependant nullement l'opinion de ceux qui, comme Dargun, préconisent la construction d'une nouvelle science économique, dé- duite du principe de la sympathie, ou amour du pro- chain, sans remarquer l'inutilité, bien plus l'impossibi- lité de cette entreprise, comme l'ont démontré finement Dietzel et Philippovich.

Dargun, Egoismus und Altruismus in der Nailonal- ùkonomie. Leipzig, 1885.

On ne doit pas s'étonner, en y réfléchissant, que les vérités de l'économie rationnelle puissent servir aux moralistes, et il faut par conséquent approuver la cé- lèbre phrase de Droz (un orthodoxe dans ces deux dis- ciplines) : l'économie politique est le plus puissant auxiliaire de la morale. En démontrant, en effet, les avantages même matériels qui résultent de l'exercice de certaines vertus (activité, prévoyance, épargne) et les dangers économiques qui résultent des vices contraires (paresse, imprévoyance, prodigalité), elle fournit des arguments d'une très grande efTicacité pratique sur l'es- prit de ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas appré- cier pour elles-mêmes les maximss de l'éthique ration- nelle ou positive.

L'économie politique sert en outre à rectifier les assertions de quelques écrivains, qui, dans leurs juge- ments sur certains actes moralement blâmables, ne savent pas mesurer le degré véritable de culpabilité,

3

34 RAPPORTS

parce qu'ils sont fourvoyés par desconcepts économiques erronés. Ainsi, par exemple, on dit couramment que l'avarice est un vice pire que la prodigalité, parce que celle-ci peut, en partie, trouver son excuse dans les bons effets qu'elle a pour les ouvriers, tandis que, au con- traire, étant donné les conséquences purement éco- nomiques de ces deux vices, on doit dire que le non usage temporaire de certains biens produit un mal moindre que celui de leur destruction. L'économie contribue par conséquent à formuler avec plus de pré- cision et de prudence certains préceptes moraux, le pré- cepte sacro-saint de l'aumône par exemple, en montrant les graves inconvénients qui proviennent des largesses faites sans discernement aux plus importuns et non aux plus besoigneux.

On peut consulter sur ce sujet : A. Clément, dans le Dictionnaire de V Économie politique de Coquelin, Paris 1853, Introduction, pp. xxiii-xxiv, et le dernier chapitre de Sigdwick, Principles of Poliiical Eco- nomy, 2* édit. Londres 1887.

L'économie politique est, au contraire, hiérarchique- ment inférieure à la morale dans sa partie appliquée, parce que les préceptes de l'éthique ne doivent jamais être transgressés pour retirer un avantage purement économique, les richesses étant un simple moyen pour atteindre le but de la conservation des hommes et celui de leur perfectionnement. Si donc il y a des conflits partiels entre les raisons de l'éthique et celles de l'éco- nomie, les premières doivent toujours l'emporter. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne le travail des enfants dans les ateliers, de hautes considérations d'ordre mo- ral justifieraient l'intervention modératrice du pouvoir social, même s'il n'y avait des motifs impérieux d'une autre nature qui conseillent cette ingérence.

Nous avons intentionnellement parlé de conflits par-

DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 35

tiels entre la morale et l'économie, sachant Lien qu'il est absurde d'imaginer des conflits généraux, et cela grâce à cette harmonie flnale consolante de l'utile et du juste dont parlent les philosophes de toutes les écoles, si on fait exception, bien évidemment, des pessimistes.

Il résulte de que, dans les questions d'application , on doit tenir compte de l'élément éthique qui est com- plètement étranger à l'économie rationnelle abstraite, et sur lequel insistent, justement dans ce sens, les écri- vains auxquels nous avons fait allusion ci-dessus. Mais il ne faut pas oublier que cet élément ne domine souve- rainement pas même dans l'économie appliquée, car il faut bien souvent faire appela des vues juridiques et politiques pour déterminer jusqu'à quel point les idéals de réthique peuvent être convertis en préceptes appuyés sur une sanction légale extérieure, et peuvent, d'autre part, tendre à des buts pratiquement réalisables.

Cette question très délicate des rapports entre l'éeo- nomie appliquée et la morale a été l'objet de nombreuses monographies de la part des économistes philosophes, utilitaires ou spiritualistes, notamment en France, et elle a conduit par suite à des résultats opposés. On peut consulter sur ce point les ouvrages de Dameth, de Rondelet (1859), de Renouvier (1869), de Molinari (1888). Il faut faire une place à part aux travaux de Min- ghetti et de Baudrillart, remarquables aussi par l'élé- gance de la forme. Parmi les écrivains de théologie morale, qui se sont occupés d'économie politique, il suffira de rappeler Cathrein.et Weiss.

M. MingheLti, Dell'economia publica e délie sue atti- nenze colla morale e col diritlo. Firenze, 1859; 2^ édit., 1868; traduit en français par Saint-Ger- main Leduc : Des rapports de l'économie publique avec la morale et le droit. Paris, 18G3.

H. Baudrillart, Des rapports de la morale et de Véco-

36 RAPPORTS

oiomie politique. Paris, 1860; édit., sous le

litre de : Philosophie de Véconomie poUiiquc.

Paris, 1883. V. Calhrein, S. J., Morolphilosophie, 2"= vol. Freiburg

im Br. 1891. A. M. Weiss, Sociale Froge und sociale Ordmmg,

ibidem, 1892.

§ ■^ . DROIT ÉCONOMIQUE

Malgré les différences déjà signalées entre récono- mie politiqae et la science du droit, qui détermine la sphère de compétence des individus dans l'ordre de la justice, les relations sont très étroites entre l'économie politique et les différentes parties du droit public et du droit privé, rationnel ou positif.

I. Droit international public. L'économie poli- tique confirme par des arguments positifs les théories juridiques relatives à l'équitable organisation des re- lations entre les différents États, en temps de paix, de guerre et en cas de neutralité. Elle démontre, en effet, les bienfaisants effets économiques de la paix, les dan- gers des guerres politiques et commerciales, et propose, pour les cas elles sont malheureusement inévitables, de sages tempéraments pour en adoucir les tristes con- séquences, en proclamant, elle aussi, le principe du respect de la propriété privée des peuples belligérants, reconnu presque généralement dans les théories et même, dans une certaine mesure, admis dans le droit international moderne. Et les démonstrations écono- miques ont une telle force persuasive que Scialojaacru pouvoir prédire dans son optimisme ingénu qu'un temps viendra la justice internationale sera l'effet d'un calcul économique.

II. Droit constitutionnel et droit administratif. Ces deux branches du droit public interne, qui ne peu-

DE l'économie politique 37

vent être distinguées l'une de Tautre avec une parfaite rigueur, parce qu'elles font toutes deux, en partie au moins, la théorie de la hiérarchie des autorités publiques, et qu'elles se confondent souvent, spécialement en Italie, avec les matières de la Politique constitutionnelle et administrative, se rattachent, elles aussi, à l'économie politique ; une bonne constitution et une bonne adminis- tration, en effet, même étudiées au point de vue juri- dique, intéressent directement et indirectement l'ordre social des richesses. Il est facile, en effet, de démontrer, d'un côté, les bons effets économiques d'une constitu- tion qui répond complètement aux besoins de la nation, et ceux d'une bonne administration, sans laquelle toute organisation constitutionnelle demeure lettre morte, bien que savamment construite, et d'un autre côté, les conséquences politiques avantageuses d'un bon système économique. Nous trouvons une conflrmation de cela dans ce fait que souvent les idées subversives, politiques et économiques, sont dans une alliance étroite, qui ne peut être détruite que par la diffusion rapide des sages principes de ces deux disciplines.

Il faut remarquer, cependant, que bien que l'écono- mie fournisse des critères plus utiles pour l'adminis- tration déjà organisée que pour l'administration à or- ganiser, il est cependant évident que les écrivains de droit public administratif peuvent tirer de précieux enseignements de la science économique. Nous n'en- tendons pas justifier la pratique de certains auteurs qui, oubliant le caractère de la doctrine qu^ils professent, ont l'habitude de remplir leurs traités de digressions économiques sans utilité et presque toujours sans va- leur, soit pour faire montre de leur érudition, soit pour cacher leur manque de connaissances juridiques.

Il faut recommander, même à ce point de vue, les auteurs classiques de droit administratif français (De

38 RAPPORTS

Gérancio, Cormenin, Vivien, Dufour, Laferrière, Du- crocq, etc.) et quelques récents auteurs allemands cVouvrages sur le droit administratif général (Meyer, Loning) , sans oublier leurs illustres prédécesseurs, Robert V. Mobl, Pozl et plusieurs autres bons auteurs qui ont écrit sur le droit administratif des différents États de l'Allemagne.

Les limites qui séparent le droit administratif do la science de l'administration (dont se sont occupé en Ita- lie Ferraris, Orlando, Brugi, etc.) ont été nettement indiquées d'abord par Hoffmann, puis par Stengel, Der Begriff, Umfang und System des Verwaltungsrechts (in Tuh'mger Zeitschrift fiïr die ges. Staatswissen- schaft, 1882, pp. 219-261) et elles sont rigoureusement observées dans l'excellent Diciio?inai?'e dont il dirige la publication.

K. Freih. v. Slengel, Worierbuch des deutschen Ver- xcaltungsrechis . Freiburg in Br. 1889-1893. Deux volumes et deux suppléments.

III. Droit Pénal et Procédure civile. Même ces deux branches spéciales du Droit Public qui semblent, à première vue, complètement étrangères aux matières économiques, se rattachent par quelques points à notre discipline, qui a contribué à d'importantes réformes de ces deux codes. Pour le droit pénal on peut signaler les distinctions plus exactes des incriminations et les graduations plus rationnelles des peines qui ont été introduites ou qui pourraient l'être dans les disposi- tions qui concernent la falsification des monnaies, com- parée aux altérations et aux simples contrefaçons. Rappelons aussi les peines , supprimées ou autre- ment motivées, pour les délits de coalition ou de grève ou pour les faits réellement incriminables

DE l'économie politique 39

auxquels les grèves peuvent donner lieu. Pour la Procédure, il suffira de signaler l'influence bonne ou mauvaise que peuvent exercer sur le crédit privé les lois qui concernent la vente forcée, l'expropriation des biens des débiteurs récalcitrants, quelle que soit la place qu'elles peuvent occuper dans les systèmes de codification des divers États.

IV. Droit Civil. On saisit immédiatement le lien qui unit le droit civil à l'économie, quand on pense qu'une grande partie des doctrines comprises dans le premier se rapportent à des institutions essentiellement économiques, comme la propriété et les autres droits réels, les successions, les contrats à titre onéreux, etc.

Le droit civil apprend à l'économie les relations juridiques auxquelles donnent lieu les transactions économiques et leurs différences extrinsèques, et il apprend, à son tour, de l'économie le caractère et la fonction essentielle de beaucoup de ses institutions. Ainsi, par exemple, le véritable caractère de l'échange et de l'achat-vente se comprend mieux quand on remarque que ces contrats, le jurisconsulte voit d'importantes différences de forme, sont, au fond, compris économiquement dans un genre plus com- plexe, l'échange. Nous ne prétendons cependant pas justifier quelques écrivains récents qui, pal' une réaction excessive contre le formalisme des juristes de la vieille école, ont commis de graves erreurs historiques dans des interprétations osées, purement ou principalement économiques, de certaines institutions civiles. Dank- wardt, par exemple, s'est trompé dans son commentaire ingénieux, mais téméraire, de quelques fragments du droit romain, et le professeur Endemann n'est pas sans encourir le même reproche pour ce qui concerne le Droit Commercial.

40 RAPPORTS

H. Dankwardt, Naiionalùkonomie und Jurisprudenz .

RosLock, 1857 et suiv. W. Endemann, Bas deuische Handelsrecht. Heidel-

berg, 1865; édit., 1887.

Les doctrines économiques ont exercé une influence notable sur la réforme de quelques-unes des dispositions des codes civils modernes. Il nous suffira de citer l'abolition des lois limitant l'intérêt conventionnel dans le prêt à intérêt, les nombreuses innovations du système hypothécaire et du droit successoral, les changements radicaux dans le contrat d'emphytéose, etc., etc.

L'étude des relations qu'il y a entre la législation et l'économie politique a été, dans ce siècle, l'objet de recherches variées, auxquelles ont contribué d'émi- nents écrivains italiens, comme par exemple Valeriani, Romagnosi et plus encore Minghetti, dans une œuvre déjà citée. En France, dès 1838, Pellegrino Rossi fit la critique économique du Code civil napoléonien, mar- quant la voie à Batbie et à Sévin qui reprirent ce sujet en 1865 en y joignant des propositions concrètes de réforme.

Ces relations ont été longuement étudiées par Rivet et, avec plus de compétence économique, par Jourdan et par Béchaux. Les travaux de ces deux auteurs ont été couronnés par l'Académie des Sciences Morales et Politiques en 1880.

F. Rival, Des rapports du droit et de la législation avec

iéconomie politique. Paris, 1864. A. Jourdan, Des ixipports entre le droit et l'économie

politique. Paris, 1884. A. Béchaux, Le droit et les faits économiques. Paris,

1889.

V. Droit Commercial. Les rapports sont plus étroits encore entre l'économie et le droit commercial.

DE l'économie politique 41

qui s'occupe d'institutions exclusivement économiques (sociétés, monnaie, titres et institutions de crédit, transports, assurances, faillites, etc.), que l'on ne peut évidemment juger sans en connaître la véritable nature. C'est ainsi que les progrès récents des théories écono- miques ont facilité les progrès des théories juridiques correspondantes, et quelquefois même ont conduit à de profondes réformes législatives. Et, par exemple, les travaux d'Einert, qui déduit la théorie juridique delà lettre de change de l'étude de ses fonctions écono- miques actuelles, ont été, au moins en partie, la base de la loi allemande sur le change de 1848, qui a commencé la réforme, accomplie presque partout aujourd'hui, de cette branche très importante du droit commercial.

Au point de vue purement scientifique, les recherches modernes sur la théorie de la monnaie suffisent à démontrer les immenses services rendus par les études économiques à Savigny et à Hartmann et particulière- ment à Goldschmidt, le plus célèbre des écrivains alle- mands de droit commercial, et par les études juridiques à Knies.

Les ouvrages récents de Lyon-Caen et Renault, de Vivante, de Marghieri et spécialement le grand traité de Vidari, sont d'honorables témoignages de l'heureuse combinaison des études économiques et du droit com- mercial.

L. Goldschmith, Handbuch des Handelsrechts. Erlan- gen, 1864, 3^ édit., 1894 et suiv. System des Han- delsrechts, 3" édit., Stuttgart, 1892.

E. Vidari, Corso di DiriUo Commerciale. Milano 1877- 1887, neuf volumes 4'= édit,, 1893 et suiv.

§ 5. ÉCONOMIE PRIVÉE

Bien que l'économie politique étudie les phénomènes

42 RAPPORTS

de la richesse au point de vue de l'intérêt général, et C{ue l'économie privée se place au point de vue de l'inté- rêt particulier de l'administration familiale et indus- trielle, on ne doit pas oublier que certains critères généraux de l'administration privée peuvent aussi être appliqués, dans certaines limites et avec certaines mo- difications inévitables, aux administrations publiques dont s'occupe l'économie politique appliquée.

D'un autre côté, la connaissance des lois rationnelles de l'économie sociale est indispensable même à l'éco- nomie industrielle, afin de suppléer à ce qu'il y a de nécessairement incomplet dans le point de vue pure- ment individuel des faits économiques.

C'est dans ce but que quelques écrivains récents se sont occupés intentionnellement de ces parties des doc- trines économiques qui se rattachent étroitement aux principes directeurs de l'organisation administrative des entreprises industrielles.

G. Courcelle-Seneuil, Manuel des affaires, i" édit.,

Paris, 1883. C. Ad. Guilbault, Traité d^ économie industrielle . Paris,

1877. A. Prouteaux, Principes d'économie industrielle. Paris,

1888. Em. Cossa, Primi elementi di economia agraria. Mi-

lano, 1890. A. Emminghaus, Allgemeine Geicerkslehre . Berlin,

1868. M. Haushofer, Der Industriebetrieb. Stuttgart, 1874.

§ 6. DISCIPLINES AUXILIAIRES.

On peut considérer comme des auxiliaires de récono- mie politique, rationnelle ou appliquée, parce qu'elles lui fournissent des notions nécessaires ou utiles, les théo-

DE l'économie politique 43

ries les plus générales de la psychologie, de la techno- logie et de la politique.

A. Psychologie. Bien que l'économie politique ne puisse pas être considérée comme une Psychologie appliquée, et qu'elle puisse moins encore être réduite à un simple calcul du plaisir et de la douleur, comme l'ont cru Gossen, Jevons et comme l'enseignent Sax et ses disciples, par cette raison quelle n'est pas une doctrine éthique (stricto sensu) qui étudie l'homme au point de vue individuel, mais parce qu'elle est au con- traire une discipline sociale qui l'étudié en tant que membre des groupes sociaux, et partant dans les rela- tions variées qui en résultent, on ne peut pas nier que l'économie politique doit utiliser la psychologie pour bien déterminer la nature de quelques-uns des principes qui constituent les moteurs principaux des actions humaines concernant l'ordre social des richesses, comme, par exemple, la loi du moindre effort, qui nous con- duit, toutes circonstances égales, à préférer le gain le plus grand au gain moindre.

B. Technologie. Malgré la différence radicale qu'il y a entre les règles concernant les procédés de fabrication des différents produits, que la technologie (physique, chimique et mécanique) établit en s'appuyant sur les résultats des sciences mathématiques et natu- relles, et les vérités et les principes d'ordre social, dont s'occupe l'économie politique, il est certain que l'éco- nomie rationnelle, en tant qu'elle explique le mécanisme de la production et de la circulation, dans son étude du travail, des machines, de la monnaie, du crédit, des banques, des moyens de transport et de communica- tion, etc., peut retirer quelque avantage de la connais- sance, au moins élémentaire, des principes qui dirigent

44 RAPPORTS

la technique générale et spéciale des phénomènes qu'elle étudie à son point de vue particulier.

Bauer, Ueber die Unierscheidung der Technil, von der Wirthschaft. (la Faucher, Vierieljahrsclirift fur Volksivirthschaft, 1864, pp. 33-50;.

Si donc les économistes peuvent consulter avec pro- fit les ouvrages qui, sous le titre générique d'économie rurale, forestière, minière, commerciale, traitent de ces industries spéciales, soit au point de vue technique, soit au point de vue de l'économie privée, ils peuvent retirer un avantage encore plus grand des œuvres qui étudient la technique générale dans ses relations avec l'économie politiqu*^.

Il faut faire une mention spéciale pour les trois mo- nographies suivantes, de contenu et de tendances di- vers d'ailleurs :

Ch. Babbage, Economy of machmenj and vianufac- tures, 1831. (Réimprimé plusieurs fois et traduit en plusieurs langues; traduit en français par Ed. Biot : Tmiié sur l'économie des machines et des manufactures. Paris, 1834). Augmenté et en partie modifié par Charles Laboulaye, Economie des machines et des manufactures. Paris, 1880.

Verdeil, L'industrie moderne. Paris, 1861.

E. Herrmann, Technische Fragen und Problème der modernen Volksicirthschaft. Leipzig, 1891.

C. Politlriue. C'est, stricto sensu, la doctrine du bon gouvernement selon les principes de l'utilité sociale. Dans sa partie générale elle est une di.scipline auxi- liaire de l'économie politique, parce qu'elle lui fournil des notions indispensables sur la nature et les fonctions des différentes sociétés politiques. Dans le sens plus large de science et d'art du gouvernement dans ses relations multiples, elle tend à absorl>er, dans sa partie

DE l'Économie politique 45

spéciale et, d'une façon plus précise, dans la politique administrative (science de l'administration publique), toute l'économie appliquée, qui, rigoureusement, de- vrait se limiter, comme nous l'avons déjà dit, à fournir les critères du bon gouvernement économique et finan- cier, déduits de l'unique principe de l'utile et parlant très restreints et nécessairement incomplets.

Pour la politique générale, en dehors de l'ouvrage classique de Dahlmann (1835), de la remarquable esquisse de Waitz(1862), et des Principes d'Holzen- dorf (S*" édit. 1879), on peut consulter les œuvres de De Parieu et de Bluntschli, et surtout les savants traités de L. Woolsey, de Sidgwick et de Roscher.

E. de Parieu, Principes de la science poliiiqne. Paris, 1870; 2«édit., 1875.

J. C. von Bluntschli, Poliiik als Wissenschaft. Stutt- gart, 1876 (Traduit en français par A. de Ried- matten : La Politique. Paris, 1879.

Tlieod. D. Woolsey, Political Science, or the State iheoretically and practically considered. 1878, 2 vol.

H. Sidgwick, The éléments of poliiics. 1891.

W. Roscher, Politik, elc. Stuttgart, 1892.

Pour la science de l'administration, les deux princi- paux ouvrages sont ceux de Mohl et de Stein. En Italie, nous devons de bons Essais à Ferraris, qui pré- pare un Traité ; il faut mentionner aussi Wautrain-Ca- vagnari, l'auteur du premier livre élémentaire sur cette discipline.

Rob. von Mohl, Die Polizeivissenschaft. 3' édition, Tubingen, 1866, 3 volumes. (Ouvrage devenu ancien pour une partie seulement, mais remar- quable par la profondeur, l'ordre, la clarté et l'excellence de la méthode).

L. von Stein, Die Verivaliungslehre. Stuttgart, 1865 et suiv., 8 parties en 10 volumes. (OEuvre gran-

46 RAPPORTS

diose et très importante, malgré les lourdes divisions hégéliennes tripartites, les construc- tions métaphysiques arbitraires et les graves et trop fréquentes inexactitudes dans les rensei- gnements législatifs.)

Handbuch dcr VenvaUungslehre. Stuttgart, 1870; édit., 1887-8H. 3 volumes. (Très utile résumé de l'ouvrage précédent).

C. F. Ferraris, Saggi di economia, staiisiica e scienza delV amminisirazione . Torino, 1880.

V, Wautrain-Cavagnari, Elemenii di scienza delV am- minisirazione. Firenze, 1890.

CHAPITRE IV CARACTÈRES DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

Les controverses toujours vives sur le caractère de l'économie politique sont souvent purement nominales ; souvent aussi elles dérivent de l'incompétence philoso- phique de beaucoup des économistes qui s'en sont occupés, alors qu'ils ne possédaient même pas les élé- ments de la méthodique scientifique ; elles dépendent aussi de ce fait que, sous le nom d'économie politique, on réunit d'ordinaire et quelquefois même on confond deux disciplines étroitement liées par l'identité de Tobjet, mais cependant essentiellement différentes par la nature de leur rôle et de leur but.

Pour éviter toute équivoque il est nécessaire de donner ici quelques notions sommaires sur les caractères de la science et sur les meilleurs critères pour la classification de ses différentes branches.

§ 1"". CARACTÈRES DE LA SCIENCE

Dans sa signification la plus large on entend par science un système de vérités générales sur un ordre donné de phénomènes. Et, en effet, la découverte d'un lien qui unit des phénomènes en apparence hétérogènes change en connaissance scientifique la simple notion empirique des faits particuliers et séparés.

Bien que l'on doive admettre l'unité finale de la science, qui est le reflet de l'unité du vrai, on ne peut pas cependant nier que le grand arbre du savoir humain

48 CARACTERES

comprend les ramifications les plus variées et donne lieu à la formation de groupes multiples de disciplines, qui vont toujours se divisant et se subdivisant davan- tage. On ne méconnaît pas ainsi, d'ailleurs, la possibi- lité et la nécessité idéale d'une science des sciences, ou, comme on disait autrefois, d'une science des raisons dernières, qui explique l'enchaînement des principes fondamentaux des disciplines particulières.

Une opinion aussi courante que superficielle subor- donne la classification des sciences à un critère pure- ment subjectif, à la faiblesse de l'esprit humain, qui, ne pouvant embrasser l'ensemble detoutle savoir, est forcé de n'en parcourir qu'une partie, plus ou moins considé- rable, en allant graduellement du facile au difificile et se contentant même de l'ensemble de connaissances nécessaires ou utiles à l'exercice des professions choi- sies par chacun. C'est ainsi que celui qui se destine à l'industrie étudie de préférence les sciences mathéma- tiques, physiques et naturelles, que les fonctionnaires publics étudient les sciences juridiques et politiques, que les ecclésiastiques étudient les sciences sacrées, etc.

On oublie ainsi qu'en dehors de ces critères exclusive- ment subjectifs et extrinsèques, il en est d'autres qui ont un caractère intrinsèque et objectif, et que par suite, en supposant même pour un moment que l'homme eût la possibilité de saisir tout le savoir, il faudrait encore reconnaître l'existence de disciplines essentiellement distinctes par la qualité de leur objet, ou par celle de leur rôle, ou par celle de leur but. C'est la justification de deux systèmes de classification objective des sciences, dont l'un a son fondement dans un critère matériel, très généralement et très aisément admis, tandis que l'autre dépend d'un critère formel, lui aussi très important, mais trop souvent mal inter- prété.

DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 49

Il n'est pas besoin d'une culture très développée pour comprendre qu'il ne faut pas confondre entre elles, par suite de la très grande diversité des objets qu'elles étu- dient, les sciences sacrées et les sciences profanes, les sciences physiques et les sciences morales, les sciences philosophiques et les sciences naturelles, quelque opi- nion que l'on puisse avoir sur les essais, plus ou moins heureux, de classification scientifique que l'on trouve dans les œuvres de Bacon, de Hegel, d^Ampère, de Comte, de Spencer, etc. Peut-on ne pas admettre que la théologie, l'astronomie, la mécanique, la chimie, l'esthétique, la physiologie, la technologie, la chirur- gie et la politique diffèrent radicalement entre elles par le caractère tout à fait différent du domaine propre de leurs recherches ?

Beaucoup de gens, au contraire, sont tout à fait sur- pris de cette affirmation que, sous certains aspects théoriquement et pratiquement très importants, la dis- tance est plus grande entre la mécanique rationnelle et la technologie, l'astronomie et l'art nautique, la phy- siologie et la chirurgie, que la distance, infranchis- sable semble-t-il, qui sépare la mécanique et l'astro- nomie de la physiologie, la technologie de la chirur- gie et de la politique ! Il faut, il est vrai, une étude attentive des principes concernant la classification for- melle des sciences pour être pleinement convaincu de la vérité inébranlable de cette proposition en apparence paradoxale. Cette étude a pour base la distinction capi- tale, souvent combattue et plus souvent mal comprise, entre deux catégories de doctrines, qui sont en com- plète antithèse entre elles, même quand elles s'occupent du même ordre de phénomènes. Je fais allusion à la distinction, que tout le monde connaît mais dont on n'est pas très généralement pénétré, entre la science et l'art.

50 CARACTÈRES

On appelle sciences, au sens étroit du mot, les disci- plines (qualifiées par les uns de rationnelles, par d'autres, et moins correctement, de théoriques) qui ont pour rôle d'expliquer les relations qui lient certains phénomènes homogènes, et dans le but purement spé- culatif d'en faciliter la pleine connaissance. L'algèbre, la géométrie, l'anatomie, la physiologie, la pathologie, la chimie, la psychologie, l'histoire, la statistique consti- tuent des sciences, parce qu'elles nous donnent la con- naissance de certains faits, physiques ou moraux, externes ou internes, abstraits ou concrets, sans s'occu- per d'une façon directe de la pratique.

On appelle arts, au contraire, les disciplines (quali- fiées par les uns de appliquées, par d'autres, et moins correctement, de pratiques), qui ont pour rôle de sug- gérer des normes, des régies, des maximes ou, sous quelque nom qu'on les désigne, les moyens les mieux appropriés pour atteindre certaines fins. Il faut com- prendre sous le nom d'arts, au sens étroit du mot, non seulement les beaux arts et les arts mécaniques, mais en général la technologie, l'hygiène, la thérapeutique, la chirurgie, la morale, la politique, parce qu'elles ont toutes pour but de fournir des normes de conduite, naturellement très disparates, selon qu'il s'agit d'exercer une industrie, de conserver ou de rétablir la santé, d'arriver à la vertu ou de bien gouverner rÉtat.

La science recherche ce qui est; elle interprète les phénomènes, explique leur essence, décrit leurs carac- tères, elle les classe; elle recherche les régularités em- piriques, les causes , et, en déterminant leur manière d'agir, elle arrive à la connaissance des lois, absolues ou relatives , de coexistence et de succession des phéno- mènes étudiés. La science s'occupe des faits concrets et variables, passés ou présents, ou elle se propose

DE l'économie politique 51

certains idéals, ou elle prévoit, dans certaines limites, les faits futurs, ou elle s'occupe d'une manière abstraite de ce qui est typique, universel, constant et commun, par suite, au passé, au présent et à l'avenir.

L'art, au contraire, ne découvre pas la vérité, mais il la suppose; il n'explique pas des théorèmes, mais il résout des problèmes généraux; il a un but pratique et non spéculatif; il ne découvre pas des lois, mais il indique les règles qui permettent d'éclairer la pratique.

Une erreur tout aussi grave , que partagent même beaucoup de ceux qui distinguent de quelque façon la science et l'art, consiste dans la confusion qu'ils font entre la science et la théorie, l'art et la pratique, tandis qu'il résulte de ce que nous avons dit que la science qui nous apprend à connaître comme l'art qui nous apprend à faire constituent la théorie, qui s'oppose à la pratique, c'est-à-dire à l'action, qui tend à la réalisation de buts déterminés. S'il est donc exact de dire, avec Mill, que la science est à l'art comme le mode indicatif est au mode impératif, il est certainement faux d'ajouter que l'un est à l'autre comme l'intelligence est à la vo- lonté; il est manifeste que la pratique seule fait appel à la volonté, tandis que l'art qui tend à guider l'action ne s'identifie pas avec elle, mais la précède. En résumé, on peut dire que la science explique et expose, que l'art dirige (il impose des préceptes ou il propose des conseils), la pratique exécute et dispose.

Il n'est pas davantage admissible que la pratique puisse tenir lieu de théorie, comme l'affirme un préjugé courant, et de même on ne peut pas accepter l'opinion de ces écrivains allemands contemporains qui con- fondent de nouveau la science et l'art ou répudient ce dernier, parce qu'il ne serait qu'une pure casuistique et un simple recueil de recettes, théoriquement incom- plet et pratiquement inutile. 11 faut remarquer, d'ail-

52 CARACTÈRES

leurs, que ]a science, l'art et la pratique s'intègrent réciproquement et se prêtent un concours absolument indispensable.

Dans l'ordre logique, la science, expliquant les phé- nomènes du monde physique et ceux du monde moral, précède l'art qui, d'après les vérités découvertes par la science, indique les règles pour modifier les phéno- mènes eux-mêmes, et- l'art, à son tour, précède la pratique qui, en se servant des vérités de la science et des règles île l'art, utilise les enseignements de l'expérience spécifique , individuelle ou collective , pour appliquer les unes et les autres aux cas concrets, extrêmement complexes et variables. S'il est vrai que sans connaitre l'anatomie, la physiologie, la pathologie et la thérapeutique, on ne peut traiter rationnellement les maladies, il n'est pas moins vrai que la connaissance de ces disciplines et de toutes les autres disciplines complémentaires ne suffit pas à former un bon clini- cien.

Dans l'ordre historique, au contraire, les choses se passent en sens inverse, parce que, à une pratique aveugle, et pour ainsi dire instinctive , succède un art grossièrement empirique, que suit beaucoup plus tard la science, qui fournit des connaissances solides, grâce auxquelles on peut refaire tout le processus d'inves- tigation et d'exécution. On a fait des vers, on a joué des instruments, on a construit des maisons, on a soi- gné des malades, on a gouverné des peuples, bien avant que l'on connût l'art poétique, la musique, l'es- thétique, l'architecture et les diverses branches de la médecine et des doctrines juridiques et politiques.

Il est une autre division très importante , formelle elle aussi, des sciences proprement dites, tirée du critère de l'état plus ou moins élevé auquel s'arrête la recherche de l'enchaînement des divers phénomènes

DE l'Économie politique 53

dont s'occupent les sciences. Il en résulte les trois groupes suivants :

Les sciences descriptives ou desimpie classification des phénomènes, divisés et subdivisés selon le temps et l'espace, ou distribués en séries, catégories, genres, espèces, d'après leurs caractères analogiques. Ces sciences deviennent des sciences morphologiques quand elles arrivent à déterminer, d'une façon rigoureuse, les caractères essentiels qui distinguent les différents groupes. Telles sont, par exemple, la botanique, la zoologie, dans leur partie systématique, la chrono- logie, la géographie et même la statistique, au sens l'entendaient Achcnwall et ses disciples.

Les sciences qui recherchent les régularités empi- riques dans la succession et dans la coexistence des phénomènes. On les a appelées quelquefois des lois de fait, parce qu'elles sont liées à d'étroites limites d'es- pace et de temps. Elles peuvent s'en tenir à de simples notions qualitatives (comme, par exemple, l'histoire, le droit positif et la philosophie de l'histoire et la philo- sophie du droit), ou, au contraire, s'élever à des déter- minations quantitatives (comme la météorologie et la statistique, au sens l'entendent les statisticiens les plus autorisés).

Les sciences étiologiques, qui recherchent le lien causal qui unit les phénomènes, physiques ou moraux, externes ou internes, concrets ou abstraits, le mode d'action des causes découvertes, c'est-à-dire les lois scientifiques , universelles ou particulières , absolues ou relatives, primitives ou dérivées, dont dépendent les phénomènes eux-mêmes. Telles sont, par exemple, l'astronomie, la physique, la chimie ; telle devrait être la philosophie de l'histoire, si elle pouvait devenir une science.

II faut enfin remarquer, pour éviter de dangereux

54 CARACTERES

malentendus au sujet des rapports des sciences et des arts, qu'il n'y a pas de science qui serve à un art seulement, de même qu'il n'y a pas d'art qui ait son fondement dans une seule science. Ainsi, par exemple, la physique, la chimie et la mathématique rationnelle servent à plusieurs branches de la technologie, la psychologie est utile à toutes les sciences sociales ; de son côté, l'agronomie est un art qui puise à plusieurs sciences et, par exemple, à la météorologie, à la phy- sique, à la chimie, à la mécanique, à la botanique, à la zoologie, etc.

Etant données ces notions générales sur les caractères des différentes sciences et sur les critères logiques de leur classification, il sera moins difficile de déterminer les caractères de l'économie politique ou, mieux, des deux disciplines formellement hétérogènes qu'on a l'habitude de comprendre, très généralement mais très inexactement, sous cette unique dénomination, assez peu heureuse d'ailleurs.

Herbert Speocer, The classification ofthe sciences, 1869.

Trad. franc, par Réthoré. 6«édit. Paris, 1897. A. Messedaglia, Lascienza nelV ctà nostra. Padova,

1874. Ger. Heymans, Karakter en Méthode des Staathuishoud-

kunde. Leiden, 1880. (Chap. I, p. 8 et suiv.) Eug. von Philippowich, Ueber Aufgabe und Méthode

der politischen Œkonomie. Freiburg i. Br. 1886. C. Menger, Grundziige einer Klassification der Wirth-

schaftsicissenschaften. Jena, 1889.

§ 2. CARACTÈRES DE l'ÉCONOMIE SOCIALE

L'économie sociale est une science, au sens le plus large du mot, parce qu'elle comprend un système de vérités générales sur l'ordre social des richesses ; cet ordre résulte d'un ensemble de phénomènes étroitement

DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 55

connexes entre eux qui, par leur importance, méri- tent une recherche théorique. C'est une science qui a fait de notables progrès, non pas à la vérité aussi mar- quants que ceux de quelques autres disciplines, comme la physique par exemple, mais plus que suffisants pour donner un démenti à ceux qui lui refusent cette quali- fication par des démonstrations qui ne peuvent que dé- montrer leur incapacité à comprendre le véritable carac- tère de la doctrine qu'ils combattent et que, par une singulière contradiction, ils sont parfois chargés d'en- seigner.

BonamyPrice, Chapters on practical poliiical economy. London, 1878.

On dit, par exemple, que les faits économiques sont, par leur nature, extrêmement complexes parce qu'ils dépendent pour partie des conditions très variées du territoire et du climat, et pour partie de la volonté de l'homme, modifiée par la tradition, l'éducation, l'ins- truction, toutes choses que l'on ne peut juger avec une précision scientifique parce qu'elles sont sujettes à d'in- cessantes transformations.

On répond à cela que la complication et la variabilité des faits sociaux et en particulier des faits économiques ne leur enlèvent pas leurs caractères généraux et n'em- pêche pas la persistance de certains effets qui dépendent delà constance des causes qui les produisent. Pour des raisons semblables, l'anatomie , la physiologie et la pathologie ne sont pas réduites à l'impuissance par le fait des inégalités physiques des individus et par le fait de la complexité des formes pathologiques des mala- dies. Il ne faut donc pas s'étonner si, dans l'ordre social des richesses, la variation des cas individuels est compatible avec l'existence des lois générales de la valeur, du prix, du salaire et du profit.

56 CARACTÈRES

D'ailleurs même les changements et les perturba- tions de l'ordre économique présentent, malgré leurs irrégularités apparentes , quelque chose de normal qui dépend de lois particulières. Si donc, dans le domaine des sciences médicales, en dehors de l'anatomie nor- male et de la physiologie, nous avons des doctrines spéciales qui décrivent les organes et les fonctions du corps humain à l'état pathologique, de même, en éco- nomie politique, nous avons une théorie des perturba- tions ou des crises (annonaires, monétaires, bancaires, commerciales, etc.), qui est le complément nécessaire de la théorie des fonctions économiques normales.

L'économie sociale est de plus une science, même au sens le plus étroit du mot, parce qu'elle se propose d'expliquer les phénomènes sans se préoccuper des moyens les plus propres pour obtenir d'utiles modifica- tions dans leurs manifestations.

Au point de vue formel, c'est-à-dire eu égard à son rôle, l'économie sociale n'est ni une science purement descriptive ou systématique, ni une science qui recherche simplement des régularités empiriques. C'est une science morphologique et étiologique tout à la fois ; morpholo- gique, parce qu'elle détermine l'essence des faits écono- miques, considérés dans leurs caractères typiques; étiologique, parce qu'elle en recherche les causes pre- mières, qui consistent en certaines forces constantes ec irréductibles d'ordre physique ou psychique, et qu'elle recherche, enfin, leur mode d'action, c'est-à-dire qu'elle en détermine les lois scientifiques.

Au point de vue matériel, c'est-à-dire eu égard à son objet, l'économie sociale fait partie des sciences morales, c'est à-dire des sciences qui étudient l'homme en tant qu'être capable de sentir, de penser et de vouloir, et elle appartient à ce groupe de sciences qualifiées de sociales, parce qu'elle se propose, non pas l'étude de

DE l'économib politique 57

l'homme considéré individuellement dans ses facultés psychiques, mais celle de riiomme, considéré collecti- vement, comme membre de la société civile.

L'économie sociale étudie les richesses au point de vue moral et non au point de vue physique (comme la technologie), au point de vue social et non au point de vue individuel (comme l'économie privée) ; elle les étu- die en analysant les phénomènes auxquels donnent lieu les relations spontanées des différentes économies parti- culières, associées ou en concurrence^ en faisant abs- traction, mais seulement d'une façon préliminaire, des influences que l'action de l'Etat et celle des autres so- ciétés politiques inférieures exercent sur ces rapports.

Nous ne pouvons, par conséquent, accepter les doc- trines de ceux qui considèrent Téconomie sociale comme une science physique (dans un sens large), ou comme une science biologique, ou comme une science qui a des traits communs avec les sciences physiques et avec les sciences morales, ou comme une science psychique, ou comme une science éthique (morale, au sens étroit du mot), ou comme une science historique, ou finalement comme une science non autonome, condamnée à devenir un chapitre, totalement remanié, de la sociologie. Nous allons brièvement exposer nos critiques en reprenant pour partie ce que nous avons dit au sujet des limites et des rapports de l'économie politique en général.

L'économie sociale a été considérée par quelques-uns comme une science physique, ou, comme l'a dit Coque- lin, comme une partie de l'histoire naturelle de l'homme, et, par un grand nombre d'écrivains, même contempo- rains, (Say, Garnier, Cairnes, Block, etc.), comme une science qui occupe une place intermédiaire entre les sciences physiques et les sciences morales, et cela parce qu'elle doit s'occuper de certains phénomènes physiques comme, par exemple, la limitation du sol et la loi des

Ob CARACTERES

revenus décroissants. On répond à cela que l'économie politique n'explique pas directement ces principes qu'elle emprunte à d'autres disciplines l'agronomie) pour en faire les prémisses de ses très importantes déductions.

D'autres affirment que l'économie est une science biologique, soit à cause de certaines analogies qu'il y a entre l'organisme animal et l'organisme social, sur les- quelles ils insistent longuement (comme le font ScliPeffle, Lilienfeld et leurs faciles imitateurs) sans apercevoir les différences substantielles (fort bien notées par Krohn et par Menger pour ne citer que ces deux noms), .soit par suite de l'importance qu'a, dans l'analyse économique, la tendance de l'homme à conserver et à propager l'espèce , tendance commune à toutes les races ani - maies et qu'étudie la biologie.

Pour d'autres, l'économie sociale est en train de deve- nir une science psychique ou, comme le dit Sax, une application de la psychologie, ou, comme d'autres l'ont dit. une mécanique de l'intérêt per.sonnel. Sans nier l'importance du principe édonistique comme postulat de l'économie, et en reconnaissant volontiers les secours qu^on peut tirer de certaines données, d'ailleurs très simples, de la psychologie pour éclaircir quelques points de la théorie de l'utilité et de la valeur, et en admettant enfin que certains phénomènes économiques se retrouvent_, pour ainsi dire en germe, même dans la vie d'un Robinson isolé du reste du monde, nous sommes cependant per.suadé qu'il ne faut pas confondre les points de départ d'un raisonnement avec le raison- nement lui-même. Nous croyons de plus que la théorie de l'utilité et celle de la valeur, comme on l'appelle d'ordinaire, subjective, n'est pas toute l'économie, ni le pivot de cette science. Nous croyons enfin que le pivot de l'économie sociale consiste dans l'analyse po.sitive des phénomènes qui naissent de la dépendance réciproque

DE l'économie politique 59

des différents groupes de producteurs et de consomma- teurs, constitués par des hommes vivant dans un monde réel, et que par suite notre science ne doit devenir ni une branche de la biologie, ni une branche de la philo- sophie rationnelle comme le demandent deux écoles, opposées d'ailleurs, qui comptent même en Italie des partisans pleins de talent et de bonne foi, mais, à notre avis, pas assez impartiaux.

Un autre groupe d'écrivains non contents de faire de l'économie sociale, comme nous le faisons nous-même, une partie des sciences morales, l'identifie sans hésita- tion avec l'éthique (la morale, au sens étroit), c'est-à-dire avec la doctrine des devoirs de l'homme en général, ou avec l'éthique économique, c'est-à-dire avec la doctrine des droits sur l'acquisition et l'usage des richesses. Ils oublient ainsi que la morale est un art et que l'économie sociale est une science qui étudie, d'une manière indé- pendante de l'éthique, la nature, les causes et les lois des phénomènes économiques, en tant qu'ils dépendent du principe de l'intérêt personnel. Ce principe, elle ne juge pas, mais elle le considère, ce qu'il est en fait, comme le moteur principal des actions humaines concer- nant l'ordre social des richesses, sans négliger, comme nous l'avons déjà indiqué, de tenir compte de cer- taines modifications du principe purement utilitaire qui résultent de l'influence du sentiment moral.

Une autre école, elle aussi nombreuse et puissante, dont nous parlerons en traitant de la méthode, soutient que l'économie est une science historique qui doit tra- cer à larges traits les différentes phases de la civilisa- tion économique et trouver la loi de son évolution. On change ainsi complètement l'objet et le rôle de l'économie sociale qui, comme nous l'avons déjà dit, est une science abstraite qui considère l'ordre écono- m.ique non pas dans ses manifestations concrètes et

60 CARACTÈRES

individuelles, comme c'est la tâche de l'histoire et de la statistique, mais dans ses caractères typiques et gé- néraux, c'est-à-dire en recherchant dans les phéno- mènes passés et présents ce qu'il y a d'essentiel et de permanent et non ce qu'il y a d'accidentel et de variahle.

Nous nous séparons enfin de l'école sociologique qui professe en grande partie, avec son maitre Auguste Comte, les doctrines philosophiques des positivistes et qui tenant, comme Scha?ffle et beaucoup d'autres', la sociologie pour une discipline voisine des sciences bio- logiques, se rapproche ainsi d'un autre groupe d'écri- vains dont nous avons parlé ci-dessus, en ce qu'ils s'ac- cordent tous à nier à l'économie sociale la qualité de discipline autonome.

Il faut remarquer tout d'abord que bien que l'économie sociale entre dans le groupe des sciences morales, que la nature de leur objet fait appeler sociales, elle ne peut pas cependant être considérée comme la science sociale, comme le pensaient Carey, Clément et beaucoup d'au- tres, et cela pour cette raison très manifeste qu'elle ne considère les phénomènes de la société civile qu'au point de vue des intérêts économiques, qui ne sont ni les seuls, ni les plus importants si on les compare à ceux qui ont un caractère religieux, moral, intellectuel et politique. Il n'est donc pas douteux que s'il pouvait se constituer une science sociale achevée qui, par une profonde synthèse , arriverait à découvrir les lois générales de la vie sociale, considérée dans son universalité, l'économie sociale aurait perdu toute raison d'être indépendante. Mais comme nous sommes loin, et pour quel temps encore ! de cet heureux événement, puisque cette discipline, que Comte, en adoptant un hybridisme que beaucoup ont critiqué, a baptisée du nom de sociologie, se trouve encore à l'état embryonnaire, on ne tiendra pas, nous l'espérons,

DE l'économie politique 61

pour une trop grande hardiesse de repousser nettement les propositions d'abdication que quelques positivistes, reprochant à l'économie sa soi-disant stérilité et ses abs- tractions, voudraient nous imposer témérairement. Nous sommes loin d'accepter, sans hésitation, la pro- phétie de Block qui affirmait récemment (Progrès de la science économique, Vol. F'', page 51 ) que la socio- logie ne pourra jamais acquérir le caractère d'une vraie science; nous accordons volontiers un grand prix aux travaux propédeutiques et morphologiques de Comte, de Spencer et de quelques-uns de leurs disciples, parmi lesquels je citerai Vanni, dont il faut louer le talent, la doctrine et la modération ; mais nous ne pouvons cependant oublier qu'il manque à la sociologie moderne, qui se glorifie plus que de toute autre chose de ses comparaisons physiologiques incertaines et stériles, ces garanties de consentement_, de continuité et de sûre prévision de l'avenir, que les positivistes eux- mêmes affirment être les caractéristiques des véritables sciences. Et même, comme le suggérait finement Sidgwick, si nous interrogions les trois lumières de la nouvelle science sur l'avenir de la société humaine, nous aurions des réponses aussi étranges que contra- dictoires. Dans cet état des choses, il nous semble que nous sommes d'accord, non seulement avec ^Marshall et les meilleurs économistes anglais, mais même avec Knies et Schbnberg, peu suspects de tendresse pour les doctrines de l'école classique, pour penser qu'il n'est pas du tout prudent d'abandonner, comme le dit excellemment Mazzani, les trésors que nous possédons pour la prévision audacieuse de conquêtes nouvelles. Il ne sufïît pas, pour nous persuader du contraire, de nous rappeler l'influence bien connue qu'exercent sur les faits économiques d'autres faits sociaux de di- verse nature, et même, nous ne devons pas roublier.

62 CARACTERES

les phénomènes physiques, parce que de cet enchaî- nement des faits réels on ne peut pas déduire qu'il n'est ni possible ni opportun de faire une étude sé- parée des différentes causes dont les faits dépendent alors que, comme le remarque (Jherbuliez, la tendance du progrès intellectuel nous porte non pas à confondre mais à diviser et à subdiviser les différentes sciences, pour pouvoir mieux les étudier avec des méthodes mieux appropriées.

C'est ce que nous répondrons à Ingram, qui soutient brillamment la thèse contraire, et aussi à Cognetti qui reproduit les mêmes idées avec des arguments ana- logues et qui le fait (au dire de Philippovich) avec beaucoup de chaleur mais peu de succès.

J. K. Ingram, The présent position and prospects of poiitical economy. London, 1876 (traduit en alle- mand par V. Scheel. Jena, 1879 et en français dans le Journ. des Écon., mars 1877).

S. Cognetti de Martiis, L'economia corne scienza auio- noma. Torino 1886.

A. Ma.TshSiU, The présent position ofecoiwmics. London, 1885.

S 3. CARACTÈRES DE LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE

Il nous reste peu de choses à dire sur la politique économique pour ne pas répéter des choses déjà dites et parce qu'il s'agit de propositions moins controversées. La politique économique qui fournit au législateur et à l'administrateur des principes directeurs pour le bon exercice des attributions économiques de l'État, de la province et de la commune, n'est pas, comme l'écono- mie pure, une science comprise dans les sciences so- ciales, mais un art qui, s' occupant de matières étroite- ment unies à la doctrine du gouvernement, forme

DE l'économie politique 63

partie intégrante des disciplines politiques ; elle est, comme nous l'avons dit déjà, une branche de la Politique administrative (science de l'administration) qui, pour sa partie financière, a déjà conquis une auto- nomie propre soit à l'égard de la Politique, soit à l'égard de l'Économie, tandis que, pour la partie éco- nomique (au sens étroit) cette séparation n'est pas encore accomplie.

Le mélange et la confusion de l'économie sociale et de la politique économique, qu'on a longtemps et très généralement considérées opinion aujourd'hui en core très répandue comme une seule discipline, a été en fait très nuisible aux progrès de l'une et de l'autre , parce que, en ne distinguant pas nettement les vérités de la science des règles de l'art, on devait nécessairement sacrifier les premières aux secondes ou celles-ci à celles-là.

En désignant les unes et les autres par le terme équivoque de principes, ou, ce qui est pis encore, par la dénomination générique de lois, on ne donnait pas une attention suffisante à la double signification de ce dernier mot, qui, au sens juridico-politico-moral, indique un précepte d'une autorité compétente, renforcé par une sanction externe ou interne, tandis qu'au con- traire, au sens strictement scientifique, il indique le mode d'action de certaines forces qui tendent à pro- duire constamment les mêmes effets. De découlent de regrettables conséquences que nous résumons brièvement :

On n'a pas réussi à déterminer avec précision la sphère d'action de l'économie politique, ce qui du reste était inévitable. La science économique a besoin que son domaine soit rigoureusement circonscrit, condition né- cessaire d'une étude adéquate et approfondie, tandis que l'art ne réussira jamais à formuler des règles qui aient

64 CARACTÈRES

une action sur la pratique,' s'il s'imagine pouvoir les déduire d'une seule science, quelque rapport étroit qu'elle ait avec son propre objet.

La confusion de la science et de l'art enlève à la première le caractère de l'impartialité, car son devoir est de rechercher la vérité pour elle-même, sans se préoccuper des applications vertueuses ou vicieuses, utiles ou nuisibles qu'on en peut faire. C'est ainsi que la chimie pharmaceutique apprend à préparer l'arsenic au médecin qui se propose de guérir les malades comme au scélérat qui veut empoisonner sa victime ; de même l'économie sociale doit s'occuper de la con- nexion des phénomènes qu'elle étudie, en conservant une entière neutralité entre les intérêts opposés de classe et les différents systèmes de gouvernemeut. Quand au contraire la seience n'est pas bien distincte de l'art, on tombe insensiblement dans cette erreur dangereuse de considérer la vérité non pas comme un but, mais comme un moyen propre à défendre ou à combattre un système déterminé. La confusion de l'é- conomie sociale et de la politique économique a conduit beaucoup de pseudo-économistes à considérer la science comme un arsenal d'armes propres à défendre l'appli- cation inconditionnée et universelle du libre échange ; elle a suggéré àd'autres, des optimistes et des quiétistes, de rechercher dans la science des arguments pour faire l'apologie de lalibre concurrence, pour démontrer l'har- monie universelle des intérêts, pour nier la possibilité de tout conflit, même partiel, entre le capital et le tra- vail, entre l'entrepreneur et l'ouvrier; d'autres au con- traire, des pessimistes et des révolutionnaires, ont voulu trouver dans cette même science des arguments pour défendre des réformes plus ou moins radicales, pour supprimer l'anarchie qu'ils croient être une ton- séquence inévitable de la propriété privée et de la

DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 65

concurrence, que leurs adversaires considèrent au contraire comme les pivots de la distribution naturelle des richesses, d'après eux la seule admissible.

L^emploi ambigu du mot loi appliqué aux propo- sitions de la science, qui tend à la connaissance, comme aux règles de l'art, pour lequel les connaissances sont un moyen pour diriger l'action, conduit à deux erreurs opposées et très regrettables. D'un côté, on décore du nom pompeux de lois scientifiques, et partant appli- cables à tous les cas, de simples règles essentiellement changeantes et nécessairement soumises à de nom- breuses exceptions. Ainsi, par exemple, on appela loi de la science le « laisser faire » et on en réclama (les disciples de Bastiat et ceux de l'école de Manchester) l'application immédiate sans tenir compte ni de la variété des conditions, ni de l'influence des précédents, ni même, dans l'hypothèse la plus favorable, de la nécessité de prudentes dispositions transitoires. On oublia que même le sacro-saint précepte de ne pas tuer ne peut pas être considéré comme ayant une valeur absolue, parce qu'il souffre une exception au sas la mort de l'injuste agresseur est nécessaire pour sauver la vie de l'innocenie victime. Inversement quelques écrivains récents ont refusé aux lois scientifiques le caractère d'universalité et ils ont créé ce concept hybride de lois sujettes à des exceptions, tandis que, au contraire, même pour les phénomènes complexes sur lesquels des causes diverses agissent simultanément, le résultat en apparence exceptionnel fournit la preuve de l'action des différentes lois concourantes. Pourrait-on soutenir que l'ascension du mercure dans le tube thermomé- tique ou l'ascension des ballons aérostatiques sont une exception à la loi de la pesanteur? Un exemple typique de cette confusion entre la loi scientifique et la règle d'application nous est fourni parRossiqui, recherchant

66 CARACTÈRES

la loi de la valeur, préfère la formule de coût de pro- duction à celle de l'offre et de la demande, parce que cette dernière, dil-il. est plus vraie mais moins utile.

De tout ce qui précède il résulte qu'il est désirable, aussi bien dans l'intérêt de l'économie sociale que de la politique économique, qu'on en fasse une étude dis- tincte et selon des critères correspondant à leur carac- tère formel opposé, afin que, d'un côté, on conserve à la science son caractère général et son indépendance de tout but purement pratique, en la dépouillant en niême temps de toute prétention à une traduction immédiate de ses vérités en règles d'application instan- tanée et universelle, et que l'on conserve, d'autre part, à l'art le précieux concours des vérités qui lui sont four- nies par les différentes .sciences pour arriver à des pré- ceptes dénature relative etsu.sceptibles de modifications profondes.

En soutenant, comme nous le fai,sons, la nécessité d'une séparation de la politique économique et de l'éco- nomie sociale, nous ne voulons point critiquer les éco- nomistes qui (comme Mill, Cairnes, Jevons, pour nous en tenir à quelques noms illustres) ont traité des ques- tions de législation économique. Nous reconnaissons même, d'une façon explicite, qu'il est très désirable qu'on continue dans cette voie, spécialement pour les problèmes (comme la monnaie, le crédit, les banques, le commerce, les tarifs douaniers, etc.) pour lesquels le critère économique est évidemment le plus important. Il faut simplement remarquer que, lorsque les écono- mistes s'occupent de ces questions, ils ne doivent pas oublier qu'ils abandonnent pour un moment leurs recherches scientifitjues habituelles et qu'ils doivent par conséquent s'inspirer de critères absolument différents.

S. van Houlen, De Staathuishoudkunde als Wetens- chap en Kunst. TTroningen, 1866.

CHAPITRE V DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS

DE ^ÉCONOMIE POLITIQUE

Sans attribuer une importance excessive aux discus- sions, jamais éteintes, au sujet des dénominations et des définitions de l'économie politique, et en reconnais- sant même que leur énumération minutieuse, sans jamais être complète, se réduirait à un déploiement inutile d'érudition facile , nous pensons cependant qu'une critique sommaire des principales dénomina- tions et définitions peut être utile pour rendre plus clair ce que nous avons dit dans les chapitres précé- dents.

§ i"'". DÉNOMINATIONS

Dans le langage courant, le mot économie équivaut à parcimonie, épargne, ou bien il indique (économie de l'univers, du corps humain, etc.) un tout systématique, rappelant, dans tous les cas, les idées de proportion, d'ordre, d'harmonie.

Si on s'en tient à l'étymologie (de oixo; maison et vôao; loi), économie signifie loi de la maison, gouverne- ment de la famille, ou, au sens que l'école appelle subjectif, discipline qui s'occupe, ou du gouvernement de la maison, ou de cet objet plus restreint, le gouvernement des biens matériels appartenant à la famille. La combi- naison du substantif économie et de l'adjectif politique (de TTOAi;, cité ou État) indique le gouvernement de l'État,

68 DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS

OU, ici aussi dans un sens plus étroit, gouvernement de ses biens, et l'économie politique s'oppose ainsi, par un étrange pléonasme, à ce qu'on appelle l'économie do- mestique. Au point de vue subjectif, l'économie politique serait la doctrine du gouvernement ou bien des finances publiques.

Il résulte de que la signification courante, comme son sens étymologique, ne correspondent nullement au sens scientifique conventionnel de l'expression économie politique. C'est alors une discipline qui, d'un côté, ne prend en considération qu'une petite partie des attribu- tions de l'État, de l'autre, au contraire, ne s'occupe pas uniquement des richesses de l'Etat et pourrait même subsister et conserver toute son importance si l'État n'existait pas, c'est-à-dire dans cet état d'anarchie qui est pour le plus grand nombre symbole de terreur et pour quelques-uns idéal de perfection. Il ne faut donc pas s'étonner si on a quelquefois propo.sé de remplacer l'expression d'économie politique par une autre qui réponde mieux au véritable caractère de cette discipline.

Les uns voudraient remettre en honneur l'expression d'économie civile, qui remonte à Genovesi ; d'autres, en plus grand nombre, préfèrent l'expression d'économie publique (Beccaria, Verri, Pecchio, Minghetti;; d'autres, cnfin^ en très grand nombre en Allemagne, voudraient imposer le mot d'économie d'État, sans s'apercevoir que toutes ces expressions ont le défaut commun d'être ambiguës comme celle qu'ils combattent.

Un autre groupe d'écrivains, pour la plupart Français et Italiéiis (comme Scialoja, De Augustinis, Reymond, Ciccone), emploient l'expression d'économie sociale (dont nous nous sommes servi pour désigner unique- ment l'économie rationnelle), soit pour lui donner pour champ d'observation toute la science sociale, soit, au contraire, en évitant cette usurpation, soit, enfin, pour

I

DE l'économie politique 69

indiquer (comme le fit Ott, disciple du socialiste Bûchez) les réformes que les économistes devaient, selon lui, défendre.

La dénomination d'économie du peuple et la déno- mination équivalente d'économie nationale (adoptée, dès 1774, par Ortes) ont un plus grand nombre de partisans. Celle-ci est la plus courante en Allemagne, parce que, dans l'opinion de l'école dominante, l'expression écono- mie nationale exprime clairement le système de la pro- tection douanière que les disciples de List opposent à celui du libre échange, qu'ils considèrent comme un corrollaire de l'économie cosmopolite anglaise. Même en faisant abstraction de cette question, qui concerne non pas la science mais plutôt ses applications, nous sommes nettement adversaires des locutions d'économie du peuple et d'économie nationale, parce qu'elles impli- quent une erreur fondamentale ; elles rapportent les phénomènes de la science pure aux soi-disant person- nalités économiques de la nation et du peuple, tandis que, au contraire, elle doit étudier, comme nous l'avons déjà dit, les faits multiples et réels auxquels donnent lieu les relations spontanées du trafic entre les diffé- rentes économies individuelles ou collectives, associées ou en concurrence, même en dehors de toute influence ethnique ou politique.

Pour d'autres raisons, nous ne pouvons accepter la dénomination d'économie industrielle, qui constitue pour nous une branche de l'économie privée. C'est le titre qu'a porté la chaire créée, en 1819, pour J.-B. Say au Conservatoire des Arts et Métiers, dans le but trop manifeste d'éviter une expression qui pouvait, prise ù la lettre, porter ombragea un gouvernement peu disposé à laisser se répandre des doctrines qui se rapportaient, d'une manière quelconque, à l'administration publique.

N'espérant pas porter remède par d'autres adjectifs

70 DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS

aux défauts inhérents à la locution depuis longtemps déjà adoptée, quelques économistes ont proposé d'y renoncer, et se sont servis (par exemple Cherbuliez) de l'expression de science économique, ou même d'écono- mie, ou d'économique (Garnier, Jevons, Macleod, Mar- shall, etc.), remettant en usage le langage des philoso- phes grecs, accepté par Hutcheson (1748), sans voir cependant que, conformément au sens étymologique, les Grecs désignaient par ce mot l'économie domestique, et qu'à notre époque, au contraire, cette dénomination générique peut comprendre aussi bien l'économie poli- tique que l'économie privée.

Il y eut, enfin, des écrivains qui, sans abandonner le vocabulaire grec, ont proposé de recourir à une dénomi- nation tout à fait différente, en empruntant à la Poli- tique d'Aristote le mot chrématistique (employé dans un sens péjoratif par Sismondi), ou en formant le mot chrysologie, ou ploutonomie (Robert Gujard), ou plou- tologie et ergonomie (Courcelle-Seneuil et Hearn), ou catallactique (Whately), qui sont tous des néologismes non acceptés ou inacceptables, parce qu'ils désignent la richesse et non les actions humaines qui s'y rappor- tent; parce que, en outre, ils considèrent la richesse d'une façon trop générale et trop indéterminée, et que le mot catallactique indique l'échange, phénomène sans doute très important pour l'économie, mais qui cepen- dant no l'embrasse pas tout entière.

Faute d'expression meilleure, il nous semble bon de conserver celle d'économie politique, qui sert de titre au livre publié, en 1615, par Montchrétien de Vatteville, et qui a été adoptée par Steuart (1767), par Verri (1771), par Smith (1776), et qui depuis, sur son exemple, a été et est encore la plus employée, notamment en Angle- terre, en France, en Italie, en Amérique, dans la science et dans l'enseignement.

J

DE L ECONOMIE POLITIQUE / 1

Il ne faudrait pas s'imaginer que les économistes seuls n'ont pas réussi à se forger une dénomination correcte pour la discipline qu'ils cultivent. Les physi- ciens, les chimistes, les métaphysiciens ne sont-ils pas dans une situation pire, puisqu'ils sont forcés d'indi- quer l'objet de leurs études par des mots qui, pris dans leur sens étymologique, ne l'expriment en aucune ma- nière, ou ne le font qae d'une manière vague et quel- quefois inexacte? Quel inconvénient y a-t-il pour les physiciens et les physiologues, ou pour les géographes et les géologues, à se servir de mots dont les sens sont analogues pour indiquer des disciplines séparées, comme tout le monde le sait, par des limites que la recherche moderne a établies avec une exactitude suffi- sante ?

Jos. Garnier, De l'origine et de la filiation du motéco- r.omie politique. (In Journal des Économistes, 1852. Tome 32% pp. 300-316; tome 33"= pp. 11-23).

S l. DEFINITIONS

Les définitions ont une tout autre importance que les dénominations parce qu'elles servent à indiquer l'objet, le rôle et le but de chacune des disciplines. Bien qu'elles se trouvent d'ordinaire, pour la commo- dité de l'exposition, au début des traités scientifiques, les définitions, souvent négligées par des écrivains de grand mérite, n'arrivent que tard, parce qu'elles sup- posent un état assez avancé de la recherche et consti- tuent non pas ses premiers, mais ses derniers résultats. Loin d'être dangereuses et de n'être, comme on l'af- firme quelquefois, que d'oiseuses et stériles questions de mots, les définitions, pourvu qu'elles satisfassent à ces trois conditions, d'être précises, claires et brèves,

7*2 DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS

sont un moyen nécessaire pour éviter les sophismes dans lesquels on tombe, en se servant de termes mal définis et auxquels on attribue involontairement des significations différentes dans le même raisonnement. Mais il ne faut pas oublier que les définitions ont un caractère purement provisoire, parce que les progrès continus dos sciences nécessitent des changements correspondants ec parce que, de plus, toute définition a le défaut inévitable d'être quelque chose d'arbitraire, en tant qu'elle établit des lignes absolues de séparation entre des phénomènes qui se relient entre eux sans une véritable solution de continuité. Il convient, par consé- quent, sans renoncer au précieux secours des défini- tions, de faire connaître, au besoin, les cas limites auxquels les définitions elles-mêmes ne peuvent pas parfaitement s"adapter. Enfin, il faut noter que, malgré l'extrême difficulté et parfois même l'impossibilité de trouver une formule satisfaisant aux conditions indi- quées, il n'en résulte pas que le temps employé pour arriver, avec plus ou moins de succès, à cette fin a été perdu. Comme le remarque avec sa finesse accoutumée Sidgwick, la valeur des définitions ne se mesure pns aux mots qui la composent, mais bien aux discussions qui s'y rapportent: celles-ci impliquent toujours l'ana- lyse de faits concrets, la distinction des points essen- tiels, des points purement accidentels, et constituent par suite la base sûre de jugements et de classifications d'importance capitale.

Cela étant admis, et rappelant ce que nous avons dit sur le concept, les relations, les caractères de la dualité des doctrines comprises dans l'économie politique, il ne nous semble pas difficile de tenter une critique résumée des définitions courantes, en signalant leurs défauts soit au point de vue matériel et spécifique, soit au point de vue logique et général.

DE l'Économie politique 78

Sans nous attarder à relever le défaut trop manifeste de clarté et de brièveté de beaucoup de définitions (et aussi pour ne pas en faire un examen détaillé) nous fe- rons remarquer que presque toutes les définitions pèchent contre l'exactitude, et cela parce qu'elles assignent à réconomie un objet trop vaste ou trop étroit, ou parce qu'eHes en expriment imparfaitement le rôle et le but, ou qu'elles en changent essentiellement les caractères.

On attribue à l'économie politique un objet trop vaste lorsqu'on la définit la doctrine de la civilisation, de l'intérêt personnel, de l'utile, du commode, des besoins et de leur satisfaction, ou lorsqu'on en fait la théorie du bien-être physique, ou même seulement celle du bien-être matériel, parce que ces locutions se rap- portent d'une façon manifeste même à des intérêts non économiques.

On commet une erreur analogue lorsque, confondant le champ de recherche de l'économie politique avec celui de toutes les disciplines économiques et même des disciplines te(;hnologiques, en définit l'économie, la science (ou la philosophie, ou la métaphysique) de la richesse. On commetalors une erreur grave, parce qu'on prend pour objet de l'économie les richesses, c'est- à-dire l'ensemble des biens matériels échangeables, et non pas les actions humaines qui concernent l'ordre social des richesses. On évite, en partie, cette erreur lorsqu'avec Coquelin on assigne comme but à l'éco- nomie politique l'étude de Tindustrie, ou, comme on le dit aussi, du travail et de sa rétribution.

Il nous faut repousser, à un autre point de vue, mais toujours parce qu'elles élargissent d'une façon exces- sive le champ de recherche de l'économie politique, les définitions de ceux qui, comme Say (dans son Cours), la confondent avec la science sociale et lui don- nent par conséquent pour rôle de résoudre, de son

74 DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS

point de vue nécessairement circonscrit, tous les pro- blèmes qui se rattachent à la vie civile, dépassant ainsi sa sphère naturelle de compétence.

Nous devons au contraire repousser comme trop restrictives, au point de vue 'matériel, les définitions qui font de l'économie politique la doctrine de l'échange, du commerce, de la valeur, de la propriété, matières très importantes sans doute, mais qui ne concernent pas l'activité économique tout entière, mais seulement celle qui se réfère à la circulation ou à la distribution des richesses.

On restreint trop, au point de vue formel, le cercle d'investigation de l'économie politique lorsque, ne tenant compte que de ses applications, on la confond avec l'art de s'enrichir (économie privée), ou avec celui de protéger et de favoriser la richesse privée comme la richesse publique (politique économique), ou lorsque, se limitant au contraire à la science seule, on lui assigne pour rôle d'expliquer les phénomènes de la richesse sociale, mais non pas celui d'indiquer les meilleurs moyens pour la conserver et pour l'augmenter.

Il faut ajouter, pour compléter et rectifier ce que nous avons dit, que la plupart des formules que nous avons combattues, soit parce c[u'elles sont trop larges, soit parce qu'elles sont trop étroites, ont les unes et les autres ce défaut, parce qu'elles attribuent à l'économie politique un objet trop vaste (civilisation, bien-être, intérêt personnel, richesse), et en même temps un rôle circonscrit uniquement à la science ou a l'art.

On ne peut pas davantage admettre d'autres défini- tions qui changent complètement le caractère de l'éco- nomie politique pour en faire une science historique qui étudie les lois de développement et non les lois rationnelles des phénomènes économiques, ou une doctrine morale qui recherche des idéals pour une équi-

DE L ECONOMIE POLITIQUE / .)

table répartition des biens matériels, ou un art en tout et pour tout subordonné aux critères juridiques et politi- ques, ou pour la réduire, au contraire, à une science purement étiologique selon quelques-uns, ou unique- ment morphologique, selon d'autres. Nous ne pouvons, enfin, accepter l'opinion de ceux qui considèrent comme complètement étrangères à l'économie sociale les lois empiriques fournies par la statistique écono- mique, et cela parce que, dans certains cas, il n'est pas possible d'aller plus loin, tandis que dans d'autres, comme nous l'avons noté, les lois empiriques ont été ou peuvent devenir plus tard une aide pour la découverte des véritables lois scientifiques.

Le dissentiment des économistes au sujet des défini- tions, qui ne peut certes pas contribuer à leur assurer le respect et la sympathie des profanes, est toujours déploré et il le fut, en d'autres temps, par Peilegrino Rossi qui reproduisit, avec vivacité, les lamentations de Ssnior et de Mac Culloch. Il nous semble que ces controverses, plus souvent app-jrentes que réelles, parce qu'elles sont agitées par des auteurs qui, s'ils sont en désaccord sur les définitions, s'accordent sur la qualité des matières comprises dans l'économie et quelquefois même sur la façon de les traiter, ne suf- fisent à justifier ni les invectives des adversaires, ni les cris de douleur des écrivains timides de notre dis- cipline.

Qu'on remarque, tout d'abord, que ces disputes exis- tent avec autant d'acharnement et d'insistauv^e pour d'autres sciences que l'on qualifie cependant de posi- tives et d'exactes ; qu'on remarque, ensuite, que la diver- gence entre les définitions proposées par des auteurs par- venus justement à une grande renommée, à des époques différentes, est, non seulement naturelle, mais désirable aussi, parce qu'elle atteste les progrès que la scienc^e a

76 DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS

déjà faits; qu'on remarque enfin que les variétés sont plus fréquentes clans les définitions des écrivains incom- pétents ou médiocres, et qu'elles n'ont alors aucune importance et s'expliquent facilement, quand on songe que celui qui ne peut apporter d'utiles découvertes à la science, cherche précisément, dans les controverses de pure forme, le moyen aussi facile que peu enviable d'acquérir auprès du commun des lecteurs la renoih- mée d'écrivain original.

Quelques auteurs de logique, qui ont été au.ssi d'émi- nents économistes, se sont occupés expressément des définitions dans l'économie politique (Wately, Stuart Mill. .levons). On peut con.sulter aussi les monographies suivantes :

Th, Rob. Mallhus, The définitions of poUiical economy. London, )8J7.

J. E. Calmes, The character and logical method of po- Uiical economy. London, 1870, pp. 134-148.

Fr. Jul. Neumann, Grundhegriffeder Yolksicirlhschafts- lehre, in Hanlbuch der polit. Oekon., de G. Schôn- berg. édit., vol.] (Tubingen, 1890), pp. 133-174.

C. Menger, Untersuchungen, etc. Leipzig, 1883.

J. N. Keynes, The scope and method of political eco- nomy. London, 1891, pp. 146-163.

On trouve dans les œuvres suivantes un bon noml^re de définitions de l'économie politique : elles ont été recueillies avec beaucoup de soin, mais elles ne sont pas toujours jugées avec assez d'exactitude.

J. Kautz, Die Xational-Oekonomie als Wissenschaft. Wien, 1858, pp. 286-291.

Jos. Garnier, But et limites de Vécon. polit., dans ses Notes et Petits Traités, etc. Paris, 1865, p. 83 et suiv.

M. Carreras y Gonzalez, Philosophie de la science éco- nomique. Paris. 1881, pp. 20-27.

C. Supino, La drfinizione delV economia polit ica. Mi- lano, 1883.

CHAPITRE VI DES MÉTHODES DANS L'ÉCONOMIE POLITIQUE

Ces dissentiments au sujet des caractères de l'écono- mie politique en entraînent d'autres, non moins persis- tants, sur les méthodes, parce qu'on ne peut être d'accord sur les moyens quand on est en désaccord sur les fins. Si, en effet, la logique fournit des règles gé- nérales sur l'art de raisonner, il est incontestable, d'autre part, que chaque discipline a une méthode propre appropriée à l'objet, au rôle, aux buts qui la dis- tinguent des autres. On ne peut pas suivre les mêmes routes pour découvrir des idéals, des règles de conduite, des lois historiques, des régularités empiriques, des lois scientifiques. Aussi la méthode de l'économie sera-t-elle absolument différente suivant qu'on la confond avec l'éthique, ou qu'on lui assigne un but historico-des- criptif, qu'on en fait une science ou qu'on la réduit à un art. Si nous faisons abstraction des erreurs commises au sujet des caractères de l'économie politique et en la considérant, ce qu''elle est aujourd'hui, comme une science et comme un art, il en résulte qu'il n'est pas exact d'imaginer une méthode unique pour atteindre des buts si disparates.

La recherche des . méthodes de l'économie , déjà assez malaisée par elle-même, est rendue plus difficile encore, pour ne pas dire impossible, quand elle est faite par des personnes auxquelles manque la préparation philosophique nécessaire, c'est-à-dire, qui n'ont pas des idées correctes et précises sur la nature et les rôles de

78 DES MÉTHODES

la méthode en général et sur la meilleure façon de trouver celle des disciplines particulières.

Certains, par exemple, croyant combattre la méthode déductive, attaquent la méthode métaphysique, qui part d'hypothèses arbitraires pour arriver nécessairement à des conséquences erronées, ignorant ou feignant d'igno- rer qu'une jjareille méthode, qui répond à l'enfance de quelques-unes des sciences physiques, n'a jamais été adoptée par aucun écrivain sérieux des sciences sociales, et n'a, en tous cas, rien de commun avec la méthode déductive qui, comme la méthode inductive, dont elle est l'opposé, est fondée sur l'observation.

D'autres, au contraire, affirment avec force que l'économie est une science inductive, ou même une science expérimentale, ou que, du moins, elle doit em- ployer cette méthode si elle veut faire des progrès et abandonner les stériles déductions, alors que l'histoire des sciences A'éritablement inductives et expérimentales nous apprend qu'elles atteignent le plus haut degré de perfection possible quand elles arrivent au stade dé- ductif.

D'autres enfin, tout en évitant ces erreurs, se con- tentent d'affirmer, par un éclectisme facile, que l'éco- nomie politique se sert de la méthode inductive non moins que de la méthode déductive, de l'observation et du raisonnement, comme s'il était possible d'imaginer une discipline positive qui procède autrement. Ils ne voient pas que le nœud de la question consiste précisé- ment à savoir dans quel ordre, dans quelles proportions et pour quels buts se combinent et alternent le proces- sus inductif et le processus déductif ; si l'un et l'autre, ou l'un ou l'autre seulement, fournissent les prémisses et les conclusions ; si et dans quelle mesure ils peu- vent aider à l'invention, ou seulement à la démonstra- tion et à la vérification ; s'ils peuvent conduire à la

DANS l'économie l'OLITIQUE 79

découverte de lois scientifiques véritables et quels sont, en cas d'affirmation, les degrés de leur certitude et les limites de leur application ; si, enfin, l'importance rela- tive de l'induction et de la déduction est toujours la même, pour les diverses parties d'une même science, aux différents stades de ses investigations, et aux di- verses périodes historiques qui marquent les progrès de chaque discipline.

Une dernière équivoque, tout aussi regrettable que les autres, dans la question qui nous occupe, dépend de ce fait que la plupart des écrivains se sont inutilement appliqués à combattre ou à concilier entre elles les dif- férentes théories énoncées sur la méthode, comme si l'on devait, toujours à nouveau, rechercher dans le vide une méthode nouvelle et correcte et l'opposer aux vieilles et fausses méthodes des écrivains antérieurs, tandis qu'au contraire la seule recherche vraiment po- sitive et utile consiste dans la recherche des méthodes qui nous ont réellement conquis notre patrimoine scien- tifique actuel en fait d'économie politique. Si on avait toujours suivi cette voie on aurait vu que les grands maîtres de la science, souvent en désaccord sur la théorie de la méthode, ont été merveilleusement d'accord pour se servir de celles qui sont les plus propres à l'explica- tion des phénomènes et à l'étude des questions d'écono- mie pure ou appliquée dont ils s'occupaient.

Adam Smith, qui est pour quelques-uns le prototype de la méthode déductive, pour d'autres le maître de la méthode inductive, et pour d'autres encore le pré- curseur de la méthode historique, se sert en réalité du processus déductif et du processus inductif tout en recourant parfois à l'analyse psychologique et parfois aux faits historiques. Dans la doctrine des salaires, par exemple, il recherche déductivement la loi générale et il cherche inductivement les causes de leurs variations

80 DES MÉTHODES

dans les diverses professions. On peut dire la môme chose de Ricardo et de Malthus, qui sont souvent con- dérés comme les représentants de deux méthodes opposées. S'il est vrai, d'un côté, que Malthus. par la nature même du problème de la population, l'a étudié en se servant de l'induction historique et statistique, d'après les matériaux dont il disposait; s'il est vrai, d'un autre côté, que Ricardo employa de préférence la déduction , pour résoudre les problèmes les plus 2'énéraux de la circulation et de la distribution des richesses , il n'en est pas moins vrai que Malthus s'est servi lui aussi de la déduction dans sa polé- mique avec Ricardo sur la théorie de la valeur , tandis que Ricardo étudia, avec une entière connais- sance des faits concrets, les notions concernant la monnaie et le crédit public et privé dans quelques-unes de ses monographies. DemêmeMill etCairnes, brillants défenseurs de la méthode déductive pour la science pure, se sont servis de Tinduction, lorsque, s'occupant des questions d'application, ils eurent à étudier les paysans propriétaires (Mill], le travail des esclaves, l'influence de l'augmentation de la production de l'or sur les prix (Cairnes).

Ceci étant donné, nous exposerons notre manière de voir sur les méthodes de l'économie sociale et de la poli- tique économique, en les faisant précéder de quelques notions de méthodologie générale.

Ji 1*'. DES MÉTHODES SCIENTIFIQUES EN GÉNÉRAL

On entend par méthode le processus logique par lequel on découvre ou on démontre la viîrité. Elle a donc un double rôle, inventif et didactique. On dis- tingue, d'après leur point de départ, la méthode déduc- tive, qui va du général au particulier et la méthode

DANS l'économie POLITIQUE 81

inductive qui va, au contraire, du particulier au général,

La méthode déductive (synthétique, rationnelle, a priori) part, en effet, de principes évidents par eux- mêmes ou fondés sur Tobservation, et elle en tire, par le seul raisonnement, sans le secours des moyens extérieurs, les conséquences qu''ils renferment. C'est une méthode rigoureuse qui donne des résultats certains lorsque les prémisses sont exactes et les déductions correctes. On appelle déductives ou exactes, au sens étroit du mot, les sciences qui, comme la philosophie pure et les mathématiques abstraites, ont leur fonde- ment dans la méthode déductive.

La méthode inductive (analytique, empirique, a posteriori) part, au contraire, de l'observation des faits particuliers, pour remonter, par des raisonnements fondés sur l'expérience , à certaines lois dérivées faxiomata ynediaj et ensuite aux lois primitives des phénomènes étudiés. C'est une méthode moins sûre, surtout si on l'applique à l'explication des faits com- plexes et continuellement variables. On appelle induc- tives certaines sciences physiques, qui se trouvent encore, et malgré de notables progrès, dans un état purement empirique, comme, par exemple, la géo- logie et la météorologie, et, parmi les sciences so- ciales, la statistique, qu'elle soit purement descriptive ou qu'elle recherche des régularités de fait.

D'autres sciences, au contraire, sont appelées posi- tives ou exactes, au sens le plus large du mot, parce qu'elles se servent alternativement du processus inductif et du processus déductif. Telles sont, par exemple, la mécanique, l'astronomie, la physique, la chimie, qui, après avoir découvert par l'induction quelques lois générales , purent en découvrir d'autres et tirer les conséquences des premières comme des secondes, en

6

82 DES MÉTHODES

arrivant au stade de la déduction, rendue bien plus par- faite par le précieux secours du calcul.

Comme l'observation est un procédé qui sert à toutes les méthodes, soit pour établir les prémisses, soit pour trouver les lois, les démontrer, en vérifier les résul- tats, ou en déterminer les limites, il est nécessaire d'ajouter, pour éviter toute équivoque, quelques notions sommaires sur les différentes formes qu'elle peut revêtir.

Au point de vue de la nature des phénomènes, on distingue l'observation interne des faits psychiques,, sujette à de multiples causes d'erreur par le caractère changeant, la délicatesse des phénomènes mêmes et la partialité fréquente de l'observateur, de l'observation externe, applicable aux faits physiques comme aux faits sociaux.

Au point de vue de la qualité du processus employé, on distingue l'observation naturelle et l'observation artificielle.

L'observation naturelle, c'est-à-dire l'observation des phénomènes tels qu'ils se présentent, s'élève à des degrés différents d'exactitude suivant qu'elle se fait :

Au moyen des sens (internes et externes), et elle est pour cela sujette à de nombreuses erreurs qui dépendent des imperfections des organes sensitifs ou de ^a nature des objets, trop petits ou trop éloignés, ou de celle des faits extraordinairement complexes ;

2" Au moyen d'instruments de précision, accom- modés à la nature des phénomènes qu'on étudie, comme le télescope, le microscope, le thermomètre, le baromètre, employés par l'astronome, l'histologiste, le naturaliste, le physicien, le météorologiste, etc.

L'observation artificielle, Texpérimentation, atteint le plus haut degré de perfection parce qu'elle reproduit les phénomènes en variant à volonté les conditions :

DANS L'ÉCONOMIE POLITIQUE 83

1" Par rélimination réelle et alternative des différents éléments perturbateurs des phénomènes concrets, qui sont de cette façon réduits à leurs formes les plus simples, et partant les plus propres à l'étude de l'inten- sité de chacune des forces ;

En mettant certains phénomènes complexes , comme, par exemple, les phénomènes organiques, qui ne peuvent pas être réduits à leurs éléments, en contact avec d'autres phénomènes, dans le but de déterminer avec une précision quantitative les différentes actions et réactions qui en résultent.

Aussi appelle-t-on expérimentales, au sens exact du mot, uniquement ces disciplines inductives qui, comme la physique, la chimie et quelques disciplines biolo- giques, peuvent faire de véritables expériences.

Sur la méthode en général et sur l'observation appli- quée aux faits sociaux on peut consulter, en dehors des auteurs déjà cités, les traités de logique générale (Sigwart, Wundt, Bain), les traités de statistique (Haushofer, Block, Gabaglio) et en particulier les mono- graphies suivantes :

C. Cornewall Lewis, A trealiseon the methods of obser- vation and reasoning in politics. 1852 ; 2 vol. (Ouvrage très savant).

P. A. Dufau, De la méthode d'observation dans les sciences morales et politiques. Paris 1866.

S 2. DES MÉTHODES DANS i/ÉCONOMIE POLITIQUE

En nous servant des observations faites et en nous rappelant le caractère relatif de la question posée, nous allons exposer avec la plus grande clarté et la plus grande précision possible quelles sont les méthodes les mieux appropriées aux investigations économiques,

04 DES METHODES

en résumant, avec les modifications nécessaires, ce qu'ont enseigné sur ce sujet d'autres écrivains qui en ont parlé brièvement, mais avec science (Mangoldt, Bôhm-Bawerk, Cohn, Philippovich, Sidgwick, Mar- shall) et d'autres qui s'en sont spécialement occupés (Cairnes, Heymans. Menger, Dietzel, Keynes) dans leurs excellents traités de logique économique.

Remarquons, tout d'abord, que toute controverse sur la méthode de la politique économique nous semble oiseuse pour ne pas dire impossible, parce que, devant suggérer au législateur les critères généraux du bon gouvernement économique et financier, qui convien- nent aux différentes conditions de temps, de lieu et de civilisation, elle doit nécessairement se servir de l'in- duction^ qualitative et quantitative, en puisant dans les nombreuses observations données par l'histoire et par la statistique économique. La politique économique est donc une discipline principalement inductive ; c'est également de l'induction, et en particulier de l'induc- tion individuelle, fondée sur sa propre exj)érience que doit se servir l'administrateur qui applique ces critères à chaque cas concret.

Remarquons, en second lieu, en nous contentant de parler de l'économie sociale, et en nous en tenant, comme il convient, à la méthode effectivement suivie par les plus profonds économistes, que ces auteurs ont fondé sur Tobservation de certains faits psychiques (internes) et de certains faits physiques (externes) de caractère élémentaire quelques prémis.ses, pour arriver ensuite, au moyen de déductions suivies, à la connais- sance des lois générales de la circulation et de la distribution des richesses, c'est-à-dire aux théories les plus difficiles et les plus importantes de l'économie sociale.

Ces prémisses, clairement énoncées par quelques

DANS L ÉCONOMIE POLITIQUE bO

écrivains, spécialement par des écrivains anglais (Senior, Cairnes, Bagehot), ne peuvent pas en vérité être déter- minées a priori, parce que leur nombre varie continuel- lement, soit par la nature des phénomènes qu'on étu- die, soit par le degré plus ou moins grand d'exacti- tude auquel on veut pousser la recherche. Il est évident qu'il faut commencer par un petit nombre de prémisses afin de simplifier le raisonnement, et en prendre successivement d'autres afin de s'approcher le plus possible de la réalité, courant ainsi le danger de rendre l'argumentation plus compliquée et les erreurs plus faciles.

Bien qu'il soit impossible de faire une énumération complète des prémisses de l'économie déductive, nous pensons qu'il est possible et nécessaire d'énoncer les prémisses les plus générales qui sont le fondement implicite ou explicite des théories les plus importantes de la science pure ; nous n'ignorons pas d'ailleurs quelle difficulté il y a à les formuler de façon à éviter toutes les objections :

1" Dans Tordre économique le moteur principal et ordinaire des actions humaines est l'intérêt personnel, qui nous pousse à rechercher le gain le plus grand avec la moindre somme d'efforts, de sacrifices et de risques possible (loi du moindre effort).

2" La terre nécessaire à l'homme pour vivre et pour travailler est limitée non seulement dans son étendue, mais aussi dans sa fécondité parce que, dans des cir- constances données, il arrive tôt ou tard un moment les nouvelles applications du capital et du travail à une quantité donnée de terrain donnent un produit moins que proportionnel aux moyens de culture (loi des reve- nus décroissants).

La tendance physico-psychique de la race humaine à se multiplier est constamment supérieure à la possibi-

86 DES MÉTHODES

lité d'augmenter les moyens de subsistance qui lui sont indispensables (loi de la population).

Etant données ces prémisses et l'hypothèse de la libre concurrence, c'est-à-dire de la pleine liberté con- tractuelle (excluant la violence et la fraude) et la pleine connaissance du marché (excluant l'ignorance et l'er- reur), les économistes classiques ont déduit la théorie de la valeur et celles de la circulation et de la distribu- tion des richesses, qui en sont le corollaire.

Si, pour juger de la solidité de ces déductions scien- tifiques, nous examinons le degré de certitude des pré- misses sur lesquelles elles s'appuient, nous trouvons qu'elles se résolvent en faits évidents par eux-mêmes, ou démontrés empiriquement par d'autres disciplines (psychologie, agronomie, physiologie) et qu'elles sont par conséquent fondées sur l'observation. L'écono- mie sociale est ainsi une doctrine non moins positive que beaucoup de sciences physiques, qui ont trouvé leurs prémisses grâce à des inductions beaucoup plus laborieuses, et elle est non moins exacte que la mathé- matique pure déduite d'axiomes et de définitions hypo- thétiques.

Si, au contraire, nous comparons les résultats du rai- sonnement déductif avec les faits réels, nous trouvons que ceux-ci diffèrent d'une façon plus ou moins e.'sen- tielle de ceux-là, parce qu'il est bien naturel que les phénomènes sur lesquels influent non seulement les causes principales et constantes, qui constituent les bases de la déduction scientifique, mais aussi d'autres causes accidentelles et variables, ne peuvent pas cadrer avec les résultats prévus i^ar les seules causes considé- rées. Il arrive, en effet, très souvent que l'amour (de la famille, du prochain, de la patrie), la vanité, Tapathie, l'ignorance, l'erreur, empêchent que le principe de l'intérêt personnel ait son plein effet ; il arrive aussi, et

DANS L'ÉCONOMIE POLITIQUE 87

heureusement assez souvent, que les inventions et les perfectionnements agraires retardent l'action de la loi des revenus décroissants ; il arrive en outre que l'amour paternel, la prévoyance, l'égoïsme mettent un frein à l'énergie du principe de la population ; il arrive finale- ment que non seulement la violence et la fraude, mais aussi la loi positive, la coutume, l'habitude, l'opinion mettent des bornes aux pleins effets de la libre concur- rence. Il suffira de rappeler les lois scientifiques de la valeur, du salaire, de la rente, du profit, pour avoir des exemples importants des discordances entre les faits prévus et les faits réels. Il est bien vrai que ces divergences, très fortes pour les cas individuels, s'atté- nuent beaucoup et souvent même disparaissent si on substitue l'observation collective et systématique à l'ob- servation particulière, et cela parce que les effets des causes accidentelles, étant donné un nombre considérable de cas observés, s'éliminent par compensation, mais cela ne supprime pas la possibilité et même la nécessité de faire quelques compléments ou quelques correctifs aux déductions originaires.

C'est pour ces raisons que l'économie sociale est souvent appelée une science hypothétique, parce que les lois qu'elle découvre ne sont pas toutes immua- bles dans le temps, ni universelles dans l'espace, mais qu'elles expriment seulement la tendance de certaines causes à produire des effets donnés qui, dans la réalité, sont modifiés par l'intervention d'autres causes perturbatrices. Aussi faut-il formuler avec la plus grande prudence les lois économiques, et faire con naitre exactement leur caractère. On devra dire, par exemple, que l'augmentation de la demande tend à produire une augmentation du prix et que l'auûmen- tation de l'offre tend à produire une diminution de ce môme prix, et non que le prix s'élève avec l'aug-

88 DES MÉTHODES

mentation de la demande et baisse avecraugmentation de l'offre, ce qui est faux, ces deux effets pouvant être modifiés par le concours de causes qui agissent en sens inverse .

Mais il faut aussi faire remarquer que le caractère hypothétique des lois économiques, comme de beau- coup de lois physiques, n'enlève rien à leur valeur scientifique, parce que les tendances exprimées parles lois elles-mêmes sont universelles et constantes et se révèlent même dans ces faits réels qui nous donnent des résultats différents des résultats prévus. Il est évident que le phénomène complexe, bien que modifié par des causes perturbatrices, se ressent en même temps de faction des causes prises en considération par le raisonnement déductif. C'est une erreur énorme de logique d'apporter un fait réel, sujet à l'action de diffé- rentes causes, comme une preuve concluante de la faus- seté d'une loi exprimant* les tendances de quelques- unes d'entre elles idéalement isolées. De même que le mouvement d'une locomotive sur les rails ne prouve pas que le frottement n'existe pas, de même que le vol d'une plume dans l'air n'est pas une démonstration de l'inexistence de la loi de la pesanteur, de même l'aug- mentation de la production agraire dans un pays donné ou la diminution de la population dans un autre ne peuvent servir à prouver la fausseté de la loi des revenus décroissants, qui suppose l'état stationnaire de l'agronomie, ou celle du principe de Malthus qui indique une tendance qui peut être neutralisée par de multiples obstacles préventifs ou répressifs que cet auteur a, d'ailleurs, minutieusement analysés.

Pour corriger les défauts des déductions les plus générales de l'économie, fondées sur un nombre trop restreint de prémisses, on peut suivre deux voies diffé- rentes, apporter des perfectionnements ultérieurs au

DANS l'économie POLITIQUE 89

processus déductif, ou recourir au procédé inductif.

On perfectionne les déductions primitives appliquées aux cas artificiellement simplifiés, en ajoutant de nou- velles prémisses et en étudiant de cette façon des cas plus complexes, et parlant plus voisins de la réalité. Ainsi, par exemple, Thûnen, qui s'était proposé de rechercher l'influence du marché sur la distribution des systèmes de culture, et plus tard Nicholson, qui a étudié dans deux belles monographies l'influence de la quantité de la monnaie sur les prix et celle des machines sur les salaires, ont choisi pour point de départ des cas très simples pour s'approcher de la réalité en prenant suc- cessivement un nombre toujours plus grand de pré- misses, et arriver ainsi à des conclusions scientifique- ment exactes, bien qu'elles ne concordent pas complè- tement avec la multiplicité indéfinie des phénomè- nes concrets. C'est par une méthode identique que Mi 11 commence sa théorie classique des valeurs inter- nationales, en supposant l'existence de deux Etats voisins qui échangent entre eux directement (sans emploi de la monnaie) et librement (sans taxes même fiscales) le seul genre de produit qu'ils obtiennent res- pectivement, et continue ses recherches en supprimant, l'une après l'autre, ces limitations, pour arriver enfin à une hypothèse plus complexe, qui se rapproche presque complètement du système des échanges internationaux effectivement pratiqué.

On peut, d'une autre manière encore, apporter des corrections aux imperfections des déductions originaires sans renoncer à la précision inhérente à cette méthode. On peut étudier alternativement les modifications qu'une même cause subit lorsqu'elle agit dans des conditions différentes, qu'on étudie, elles aussi, à part, l'une après l'autre, et, s'il le faut, en les combinant diversement entre elles. Si, en procédant ainsi, on tient compte de

90 DES MÉTHODES

toutes les conditions pratiquement importantes, on arri- vera à une solution générale du problème qui pourra, avec de légères modifications suggérées par l'expérience, suffire à la juste interprétation des phénomènes réels. Keynes illustre cette méthode par un excellent exemple. Il étudie les effets probables et lointains d'une grève ou- vrière terminée par une augmentation de salaires, en étudiant ce phénomène dans les trois cas qui peuvent se présenter : l'augmentation des salaires détermine, ou une augmentation des produits sans porter préjudice à personne, ou une élévation de prix au détriment des consommateurs, ou une diminution de profit aux dépens des entrepreneurs ; il faut ajouter, dans ces deux der- niers cas, l'une et l'autre de ces deux hypothèses alter- natives : les profits et les salaires sont ou ne sont pas au-dessous du taux normal, et évaluer enfin, dans ces diverses hypothèses, les effets de la concurrence que se feront entre eux les entrepreneurs et les ouvriers occupés dans la même industrie ou même dans des pro- fessions différentes.

Il faut, au contraire, et très souvent, avoir recours à la méthode inductive non pas. comme on se l'imagine quelquefois, pour obtenir une preuve directe de la vé- rité des lois découvertes déductivement, mais plutôt pour vérifier l'existence des causes perturbatrices, pour en mesurer l'intensité, ou pour découvrir au moins les lois empiriques de leurs variations.

Ce n'est que dans un nombre restreint de cas, ou, pour mieux dire, dans certaines parties de la théorie de la production, de la consommation et de la population, comme l'a remarqué d'abord Mangoldt (dans son dernier travail dans le Dictionnaire de Bluntschli et Brater) et plus tard Sidgwick et Keynes, que la méthode induc- tive peut servir à la détermination des prémisses et à la vérification des résultats et aussi, mais non pas d'une

DANS l'ÉCONOxMIE POLITIQUE 91

façon exclusive, à rexplication directe de certains phénomènes, comme, par exemple, les causes qui in- fluent sur l'énergie du travail, la valeur économique des difl'érentes formes d'entreprises, grandes et petites, individuelles et collectives, etc., que l'on peut expliquer par de simples arguments empiriques.

Si l'on fait abstraction de ces problèmes, Mill et Cairnes ont eu complètement raison. Ils ont démontré d'une façon victorieuse que la complexité des phéno- mènes sociaux, dans lesquels les effets peuvent dériver de causes complètement opposées, et en même temps les causes peuvent produire des effets extrêmement va- riables par suite du changement des conditions dans lesquelles elles opèrent, empêche d'arriver directement par l'observation et par l'expérience spécifique à la dé- termination des causes réelles des faits observés. Et cela est d'autant plus vrai qu'il s'agit de forces qui sont entre elles en relations mutuelles et qui, d'ailleurs, ne produisent leurs conséquences qu'à de grands inter- valles de temps. Supposons qu'une myriade d'érudits, triomphant de toutes les difficultés, arrive à nous donner la connaissance complète de tous les salaires payés dans tous les temps, dans tous les lieux et pour chaque caté- gorie d'ouvriers; il serait tout à fait impossible de cons- truire par ce moyen une théorie générale du salaire qui se substituerait à toutes les autres théories si im- parfaites et si peu concordantes qu'elles soient, qui sont le résultat des recherches déductives des écono- mistes.

L'impossibilité de découvrir par la méthode purement inductive les lois scientiQques de la circulation et de la distribution des richesses, se comprend mieux lorsqu'on se rend un compte exact de l'imperfection des méthodes d'observation dont l'économie est forcée de se servir. L'observation collective et systématique de grandes

92 DES MÉTHODES

masses de phénomènes homogènes et l'induction quan- titative ou statistique qui la prend comme base, sont certainement des instruments précieux ; elles nous donnent la connaissance d'intéressantes régularités empiriques qui confirment parfois les résultats des dé- ductions antérieures et quelquefois permettent des dé- ductions ultérieures ; elles sont cependant tout à fait impuissantes à nous révéler les causes premières des phénomènes observés.

L'observation des phénomènes réels est non moins imparfaite, parce que cette observation est purement naturelle, qu'elle ne peut se servir ni des instru- ments de précision, ni de l'expérimentation, c'est-à-dire, de la reproduction des phénomènes dans des conditions continuellement variées, qui permettent au chimiste, au physicien, au physiologue de mesurer avec précision l'importance spécifique de chacune des forces concou- rantes.

L'économiste doit, en effet, observer uniquement avec ses sens externes et internes, sujets à de multiples causes d'erreurs, des phénomènes qui résultent d'éléments psychiques qui ne sont pas toujours susceptibles de détermination rigoureuse, et il doit les observer à me- sure qu'ils se présentent. On ne peut pas voir de véri- tables expériences dans ces essais de législation sug- gestive, c'est-à-dire provisoire et ne s'élendant qu'à certaines parties du territoire de l'État, parce que la nature de l'objet en limite nécessairement l'application, et aussi parce que ces soi-disant expériences législatives ne peuvent pas se faire dans des conditions créées vo- lontairement, mais dans des conditions naturellement déterminées. On ne peut pas certainement non plus appliquer à l'économie sociale la méthode de diffé- rence, pas même la méthode de concordance et des variations concomitantes, si bien analysées dans la

DANS L'ÉCONOMIE POLITIQUE 93

Logique de Mill. S'il s'agit, par exemple, de la méthode de différence, la plus importante ici, il faut remarcfuer qu'il est impossible d'imaginer deux territoires qui soient dans les mêmes conditions physiques, géogra- phiques, ethnographiques, économiques et politiques, à l'exception d'une seule condition, celle dont on veut mesurer l'influence. Les argumentations que certains auteurs apportent, soit pour, soit contre le système pro- tecteur, en comparant les conditions des deux colonies anglaises de Victoria et de la Nouvelle-Galles du Sud, 011 sont en contradiction l'une avec l'autre, ou ne peu- vent conduire à des résultats satisfaisants, à moins de recourir à des arguments d'une autre nature, ob- tenus par la méthode déductive. Des exemples très nombreux des sophismes qui dérivent de l'abus de la méthode de différence nous sont fournis et par les

. libre-échangistes qui invoquent la prospérité de l'Angle- terre, et par les protectionnistes qui invoquent celle des États-Unis, comme des preuves irréfragables de la bonté du système que chacun d'eux défend.

Les résultats de notre recherche, nécessairement aride et abstruse, peuvent être résumés dans les propo- sitions suivantes :

1" L'économie sociale est une science d'observation qui se sert de la méthode déductive et delà méthode in- ductive dans chacune de ses parties ; l'ordre d'emploi de ces méthodes peut d'ailleurs être différent et leurs fonctions d'importance variée ;

2" Les économistes emploient plus particulièrement, mais non pas exclusivement, la méthode inductive j^our exposer la théorie, en grande partie descriptive, de la production, de la consommation et certaines parties de celle de la population, en ayant recours, cependant, à

•la déduction, soit comme moyen de vérification, soit comme instrument pour mieux préciser les conclusions

94 DES MÉTHODES

inductives et pour en tirer des conséquences ulté- rieures ;

3" Les écononistes se servent plus particulièrement, mais non pas exclusivement, de la méthode déductive pour formuler les théories de la circulation et de la dis- tribution. Partant d'un petit nombre de prémisses psy- chiques, physiques et physiologiques, fondées sur l'ob- servation interne et externe, ils arrivent à découvrir les lois scientifiques des f)hénomènes. Ces lois ne pré- voient pas des faits qui doivent nécessairement arriver, mais ils expriment seulement la tendance universelle et constante de certaines causes à produire des effets donnés, dans des conditions déterminées et dans l'hy- pothèse de l'absence d'éléments perturbateurs ;

•'i° Pour diminuer la divergence entre les résultats de leurs déductions premières et les phénomènes réels, qui se réalisent dans des conditions très variées et sont sujets à des influences perturbatrices multiples, les économistes ont recours à deux expédients :

a) Ils font successivement de nouvelles hypothèses que leur suggère l'observation ; ils les associent aux prémisses primitives, et étudient ainsi, avec des difïi- cultés croissantes, des cas plus complexes mais plus voisins de la réalité ;

b) Ils se servent de l'induction qualitative et de l'in- duction quantitative pour découvrir les causes secon- daires, en mesurer l'intensité, ou pour trouver au moins les lois empiriques qui conduisent parfois à la décou- verte déductive de véritables lois scientifiques.

La politique économique se sert plus particulière- ment, mais non pas exclusivement, de la méthode in- ductive, et spécialement de l'induction historique et de la statistique pour fournir au légistateur les normes gé- nérales du bon gouvernement économique et financier, tandis que, de son côté, l'administrateur se sert de l'ex-

DANS l'économie POLITIQUE 95

périence spécifique et de l'induction individuelle pour appliquer ces normes aux cas concrets.

Fr. Jul.'Seuma.nn, Nafurgeseiz und Wirihschaftsgesetz (in Zeitschrift fur die gesammte Staatswissenschaf t , fasc. 3,1892).

§ 3. LA MÉTHODE HISTORIQUE

L'importance méthodologique de l'histoire, notam- ment pour la politique économique, est reconnue par tous les écrivains, mais elle a été considérablement exagérée, depuis un demi-siècle, par une école célèbre. Contrairement à l'école dominante (philosophique ou classique) elle soutient énergiquement que l'économie politique ne peut découvrir de vérités absolues, cons- tantes, universelles, mais seulement des principes rela- tifs, variables, particuliers, et partant liés aux diffé- rentes conditions de temps, de lieu et de civilisation.

L'illustre Guillaume Roscher a été le précurseur de cette nouvelle école dont il a formulé le programme à plusieurs reprises. C'est ce programme qu'adopta Bruno Hildebrand (1848), mais il ne l'a développé qu'en partie et avec beaucoup d'emphase. Karl Knies l'a développé dans tous ses détails, avec plus de précision et en s'ap- puyant sur de fortes études juridiques, dans une très bonne monographie (1853). Ces chefs d'école ont eu des disciples même hors de l'Allemagne ; il nous suffira de citer parmi beaucoup d'autres, AVolowski en France, Clifîe Leslie et Posnett en Angleterre, Kautz en Hon- grie, Hamaker et Levy dans les Pays-Bas, Cognetti et Schiattarella en Italie.

Karl Knies, Die politische Oekonomie vom Standpimkfe der geschichtlichen Méthode. Braunschweig, 1853. (2eédit. Berlin, 1881-83).

9G DES MÉTHODES

S. CogneLli de'Marliis, Belle atlinenze tra Veconomia

sociale e la sioria. Firenze, 18G5. H. J. Hamaker, De hisionsche School in de Siaaihuis-

houdkunde. Leiden, 1870. R. Schialtarella, Del nieiodo in economia sociale. Na-

poli, 1873. H. M. Posnelt, The historical niethod in ethics, juris- prudence and political economy. London, 1882. Th. E. ClifleLeslie, EssaysinpoUtical economy. 2"= édit. London, 1888.

Les doctrines de lécole historique, que nous allons résumer, ont été jugées, il y a longtemps déjà, briève- ment mais excellemment par Me.s.sedaglia, et plus ré- cemment, dans l'œuvre classique de Menger, qui les a discutées longuement et qui en a fait une critique fine et pénétrante.

De même que pour le droit l'école historique de Hugo. Niebuhr , Savigny , dont cependant les disciples de Roscher se séparent sur des points essentiels, ne recon- naît pas de principes rationnels ayant une valeur abso- lue et universelle (philosophique), et ne reconnaît que le droit positif, produit organique de la conscience nationale, de même pour l'économie l'école de Roscher nie TeKistence de vérités absolues et de types idéaux pour le bon gouvernement des États. Elle reconnaît seulement une économie nationale qu'elle oppose (d'ac- cord en cela avec List) à l'économie cosmopolite, et qui est propre à chaque peuple et à chaque époque. Les prétendus principes généraux sont le résultat de l'abs- traction erronée ou incomplète de l'état de fait du pays auquel appartient l'auteur. L'économiste doit se borner à la description des caractères des différentes époques de la civilisation économique, et indiquer les maxi- mes de gouvernement qui conviennent à chacune d'elles.

DANS l'Économie politique 97

Mais il faut, à notre avis, se rappeler tout au con- traire :

1" Qu'il ne faut pas confondre les vérités de la science avec les règles de l'art; les premières sont, en partie au moins, absolues et universelles ; les autres sont tou- jours relatives et changeantes, parce que, pour les appliquer aux cas concrets, il faut précisément prendre en considération non seulement les différentes condi- tions de temps, sur lesquelles insistent avec raison les disciples de l'école historique, mais aussi les conditions géographiques et ethnographiques, dont ont toujours tenu compte d'ailleurs les meilleurs écrivains de poli- tique générale, anciens ou modernes, lorsqu'ils ont parlé de la bonté relative des lois. 11 suffît de rappeler Aristote, Bodin, Montesquieu, Filangieri. Tous les dé- fenseurs du libre échange ne se refusent pas, par exemple, à admettre les tem.péraments nécessaires à la sage application de ce système aux pays depuis long- temps soumis au régime de la protection douanière.

2" Que si les conditions de civilisation sont de leur nature variables, il ne faut pas oublier cependant que les lois du monde physique, les qualités psychiques des individus et certaines tendances des corps sociaux ont été, sont et seront toujours les mêmes, et que partant les faits économiques, qui en résultent, ne pourront jamais changer dans leur essence. Qui soutiendra, par exemple, que le principe de l'intérêt, l'influence de la rareté sur la valeur et celle du prix des denrées sur la rente ont une importance purement provisoire ou lo- cale ?

Que réduire l'économie politique à un but simple- ment pratique et descriptif cela équivaut à détruire la science et à stériliser l'art, en les déclarant incapables de fournir des critères généraux pour juger et diriger le progrès. On invoque souvent à l'appui des nouvelles

7

98 DES MÉTHODES

doctrines les sciences naturelles ; mais l'analogie est sans valeur, car la nature organique, tout comme la nature inorganique, a ses lois générales. Roscher faisait remarquer que la nourriture de l'enfant ne convient pas à l'homme adulte ; Messedaglia répondait que la fonc- tion alimentaire est chez tous les deux la même et que c'est à la physiologie à en déterminer les lois.

4" Que la substitution de la méthode historique à la méthode inductive. si elle se faisait jamais, marquerait un regrès, parce qu'elle conduirait à méconnaître l'im- portance de l'observation individuelle et celle de l'in- duction quantitative, et qu'elle impliquerait, de plus, une contradiction étrange avec le principe'de la relati- vité des institutions économiques, puisqu'elle propose de tirer des faits imparfaitement connus du passé des cri- tères pour réformer la législation économique du pré- sent.

5" Que déclarer, comme le font les partisans d'un courant historique plus exclusif encore (Schmoller, In- gram, etc) que tout essai de construction d'une science économique est prématuré et qu'il faut attendre le mo- ment où on possédera des matériaux historico-descriptifs complets sur les conditions de tous les temps et de tous les lieux, révèle une illusion étrange sur la valeur théo- rique de ces matériaux et la possibilité de les recueillir, et une ignorance non moins singulière du caractère complexe des phénomènes économiques. En tout cas il s'agirait non pas d'un changement de méthode, mais d'un changement radical du rôle et des buts de l'écono- mie politique, qui deviendrait une discipline historique ou historico-philosophique.

Malgré les très graves erreurs dans lesquelles est tombée la nouvelle école, elle mérite, à d'autres points de vue, de grands éloges et elle a rendu d'importants services à la science. Elle a été le point de départ d'une

DANS l'Économie politique 99

réaction salutaire, quoique excessive, contre les idéa- listes purs, ou, comme on les appelle d'ordinaire, contre les doctrinaires. Sous l'influence d'une erreur non moins grave, ceux-ci voulaient traduire, sans plus, en lois positives les principes de l'art économique qui n'ont rien d'absolu ni de général. Elle a réagi utilement aussi contre les optimistes (l'école de Bastiat) et les indivi- dualistes qui, bercés dans la foi commode des harmo- nies économiques, ne se préoccupent pas des maux sociaux et repoussent, comme contraire au dogme du laisser faire, toute ingérence, même tempérée et oppor- tune, de l'État pour les diminuer.

L'école historique, et en particulier son illustre chef Roscher, a de plus enrichi la science de très utiles con- naissances historiques et géographiques et d'une ana- lyse comparative, fort ingénieuse sans être toujours irréprochable, des caractéristiques des différentes pé- riodes de la civilisation économique ; elle n'a pu d'ail- leurs arriver à la philosophie de l'histoire économique, c'est-à-dire à la détermination rigoureuse des lois de développement, qu'elle considère à tort comme l'unique objet de la recherche scientifique et que beaucoup de ses disciples confondent avec les lois de raison. Nous devons, aussi, et c'est son plus grand mérite, aux dif- férentes fractions de cette école un nombre considé- rable de savantes et utiles monographies, soit sur l'his- toire de la science, illustrée admirablement dans les œuvres d'une forme achevée de Roscher, soit sur l'his- toire des institutions et des conditions de fait, comme les travaux, également très remarquables, de Schmol- 1er, dans le but très louable de nous instruire sur le passé, en rendant ainsi plus profonde la connaissance du présent et moins difficile la préparation d'un avenir meilleur. Et, qu'il nous soit permis de le dire, il y a eu aussi en Italie des élèves de Roscher qui, adversaires

JÛO DES MÉTHODES

déclarés des théories méthodoloi^iques du maître, ont essayé de propa^^er, dans les limites de leurs modestes forces intellectuelles, Tamour des recherches histori- ques.

En terminant ces notes critiques nous remarquerons que l'école historique a été indirectement utile à la science en provoquant des études sur l'histoire écono- mique, mais qu'elle n'a fait aucune innovation utile dans les principes fondamentaux de l'économie sociale^ et que même quelques-uns de ses partisans les plus exagérés ont fait œuvre dangereuse en écartant les jeunes de l'étude, selon eux infructueuse, de la science pure. Il y a donc une grande illusion dans le jugement que l'école historique porte d'ordinaire sur elle-même. Il suffît, en effet, de comparer les quatre volumes du Système de Roscher, qui accepte d'ailleurs les princi- pales doctrines de Smith, de Malthus et de Ricardo, avec les livres des meilleurs partisans allemands de l'école classique (par exemple Thilnen, Hermann. Man- goldt) pour .se convaincre que, jusqu'ici au moins, les économistes historiens n'ont apporté aucune modifica- tion essentielle aux principes théoriques professés anté- rieurement. Et de même, en Angleterre, lorsque Cliffe Leslie, qui avait déployé avec enthousiasme le même drapeau, étudie dans le volume cité ci-dessus les échan- ges internationaux ou les relations entre le taux des profits et celui des intérêts, il se sert, dans l'impossi- bilité d'agir autrement, de la méthode déductive. Ivnies lui-même, l'auteur d'un code de la nouvelle méthode historique, a publié plus tard des monographies excel- lentes sur la théorie de la valeur, de la monnaie et du crédit dans lesquelles il se sert de la méthode déductive ; il est d'ailleurs si subtil et son style est si confus, au dire même de ses compatriotes, que tout le monde ne peut pas se servir de ses ouvrages, à beaucoup d'égards

DANS l'économie POLITIQUE 101

d'ailleurs parmi les meilleurs que nous possédions sur ces sujets.

S 4. LA MÉTHODE MATHÉMATIQUE

Il est une question de méthode qui se lie étroitement aux questions précédentes , c'est celle qui concerne l'application de l'analyse mathématique et des figures géométriques aux raisonnements économiques. Elle a donné lieu à de nombreuses équivoques , facilement explicables d'ailleurs, .si l'on songé à l'influence des pré- jugés, à la façon inexacte dont le problème a été formulé, sans parler du peu de compétence des mathématiciens en économie et des économistes en mathématiques.

Après quelques renseignements de fait nous nous limiterons à quelques observations générales, dégagées, nous l'espérons, de toute exagération. Nous étudierons la possibilité et les limites d'application de la méthode mathématique, les buts qu'elle peut remplir, les avan- tages qui en dérivent, et l'opportunité didactique de son emploi.

Déjà au siècle dernier on avait essayé, en Italie plus qu'ailleurs et plus tôt, d'appliquer, par des procédés simples et imparfaits, les symboles algébriques et les figures géométriques aux questions de monnaie (Ceva), d'intérêt (D. Bernouilli), de prix (Verri, Ferroni, Lloyd) et des marchandises de contrebande (Beccaria, Gilio). On lit plus tard des applications plus larges, les unes très malheureuses (Canard) et les autres incertaines et con- tradictoires (Whewell) à des problèmes plus généraux. Cournot (1838) et Dupuit (1844 et suiv.) ont traité à l'aide du calcul la théorie de la valeur, spécialement dans les cas de monopole. Plus tard encore Gos.sen (1854), puis levons (1862 et suiv.) et Walras (1873), tous trois d'une façon indépendante, sont arrivés à des conclusions im-

lOC DES MÉTHODES

portantes et identiques au fond sur la théorie de l'utilité et de l'échange, et ils ont fait quelques applications à la doctrine de la distribution. Les fruits de leurs études ont été ensuite réunis, commentés et répandus par Launhard, et mieux par Auspitz et Lieben en Allema- gne, par D'Aulnis de Borouill, par Cohen Stuart et par Mees (junior) en Hollande, par Wicksteed en Angle- terre, par Antonelli, Rossi, Pareto et Pantaleoni en Italie. Les uns se sont contentés d'appliquer les élé- ments de la géométrie synthétique et analytique, ou ceux de l'algèbre, tandis que d'autres (Cournot, Jevons, Walras, etc.) font intervenir la théorie des fonctions et d'autres théories du calcul différentiel et du calcul inté- gral.

Il n'est pas douteux que la méthode mathématique est applicable à l'économie déductive, puisqu'il s'agit de questions (comme l'a dit excellement Messedaglia) de plus et de moins, de maxima et de minima, de pro- portions et de limites en quantité et en mesure, et qu'il faut, par conséquent, repousser l'opinion de Mill, de Cairnes, de Ingram et de beaucoup d'autres, qui se refu- sent à reconnaître le caractère mathématique de l'éco- nomie en se fondant sur l'impossibilité d'assujettir ses prémisses à une détermination arithmétique exacte. Cette objection a été réfutée, à l'avance, par Fuoco(Sag^i Economici, tome II. Pisa, 1827, pag. 75 etsuiv.) et plus lard par Cournot, qui. dans la Préface de son premier travail d'économie politique {Principes mathématiques de la théorie des richesses, Paris 1838), rappelait que l'analyse mathématique n'a pas seulement pour objet de calculer les nombres, mais aussi celui de trouver des relations entre les grandeurs qui ne peuvent pas être évaluées numériquement, et entre les fonctions dont la loi ne peut pas être exprimée par des symboles algé- briques.

DANS l'économie POLITIQUE 103

Il faut, cependant, se garder de demander aux mathé- matiques plus qu'elles ne peuvent donner. Elles sont un précieux instrument d'investigation et elles fournis- sent un langage précis, clair, élégant, de beaucoup préférable au langage courant, et partant, un excellent moyen de démonstration ; mais elles ne peuvent fournir ni les prémisses du raisonnement, ni les matériaux sur lesquels il se fonde, et elles garantissent moins encore l'infaillibilité des résultats. Il suffit, pour s'en convaincre, de se rappeler les controverses qui se sont élevées entre les mathématiciens. Ainsi, par exemple, Bertrand a critiqué [Bulletin des sciences mathématiques et Journal des Savants, 1883; pag. i99-508) les méthodes de Cournot et de Walras ; ce dernier a, lui-même, re- proché [Eléments d'écon. jpol. pure, S'^édit. Lausanne, 1889, pag. 504) de graves erreurs à Dupuit, tandis que sa théorie des prix a été contestée par les savants alle- mands Auspitz et Lieben. (Cette polémique a été très exactement résumée par Pareto dans le Giornale degli Economisti, mars 1892). .levons, lui-même, dans un passage remarquable de sa Logique [Principles of Science, London, 1874^ liv. VI, ch. XXXI, II), cité ré- cemment par Messedaglia, déclare que certaines équa- tions , auxquelles devrait avoir recours l'économie mathématique, seraient tellement complexes qu'elles dépasseraient toute possibilité d'analyse, affirmation étrange dans la bouche d'un écrivain qui avait répété à plusieurs reprises que l'économie ne peut être qu'une science mathématique. Dans une de ses monographies (Mémoires de la société des ingénieurs civils, janvier 1891), Walras déclare avec plus de confiance encore qu'il ne connaît que deux écoles d'économistes, les ma- thématiciens qui cherchent à démontrer, et les littéra- teurs qui ne démontrent rien !

Dans les limites de leur véritable champ d'application,

104 DES MÉTHODES

lusage des symboles mathématiques et graphiques a. d'ailleurs, de grands avantages. Il substitue des for- mules brèves et élégantes aux exemples arithmétiques prolixes et ennuyeux dont se servent d'ordinaire les économistes. Il présente une série de raisonnements dont on découvre, à vue d'œil, l'enchaînement et les erreurs qui ont pu s'y glisser ; il oblige à formuler avec beaucoup de précaution et de précision les prémisses du raisonnement, à apprécier, dans leur signification vé- ritable, l'élément de la continuité et celui de la ré- ciprocité d'influence des différents phénomènes, et il permet d'éviter l'erreur dans laquelle tombent les éco- nomistes non mathématiciens, qui considèrent souvent comme constantes des données variables, comme le sont, par exemple, la, demande et l'offre, le coût de pro- duction.

Il ne faut pas croire que la méthode que nous discu- tons ne puisse servir qu'à la démonstration et n'ait aucun rôle dans la découverte ; l'on sait que beaucoup de résultats, théoriquement importants, ont été obtenus à l'aide des mathématiques. Citons, comme exemple, certaines propositions sur la théorie de la valeur dues à l'illustre Marshall. Certains exemples nous prouvent aussi, d'autre part, qu'on peut arriver avec le langage courant et sans le secours des moyens analytiques à des théories quantitatives exactes et clairement expri- mées. De cette façon, Menger est arrivé, dans la théorie de la valeur, à des conclusions presque égales à celles de Jevons et, comme nous le croyons (cela est reconnu maintenant en France, ^^'alras, op. cit., pag. 19, et en Angleterre, Keynes, Scope and Methocl, pag. 250), in- dépendamment de lui, ce qui, par parenthèse, l'absout de l'accusation de plagiat qui lui a été faite quelquefois en Italie.

Quant à l'utilité didactique du langage mathéma-

DANS l'économie POLITIQUE 105

tique, il faut remarquer qu'elle dépend en grande partie de la qualité et de la culture des lecteurs pour lesquels on écrit. Rappelons, à ce propos, que Cournot, dégoûté du silence des économistes, avait renoncé à l'usage du calcul dans ses derniers ouvrages. Il ne faut pas oublier non plus que, quand il s'agit de démonstrations très simples, un des avantages du langage mathématique, qui est d'éviter les circonlocutions, disparaît, et il peut même arriver (et ^^'alras en fournit plus d'un exemple) qu'il faut plusieurs pages pour arriver par l'analyse à des résultats qu'on aurait pu atteindre par un chemin moins aride et pku court. Concluons donc par cette pensée très sage d'un savant économiste mathématicien (Edge- worth) : « La parcimonie des symboles, dit-il, est sou- vent une élégance pour le physicien, elle est une néces- sité pour l'économiste, »

W. St. Jevons, Tke Hieory of political economy. 2- édit.

London, 1879 (bibliographie incomplète, riche

d'ailleurs). F. Y. Edgeworth, Matheniatical Psychics, etc., 1881. F. Y, Edgewortli, On ihe applications of mathemaiics

io political economy (in Journal of the statistical

Society, London, décembre 1889). A. Beaujon, Wishunde in de économie (in Economist,

Amsterdam, octobre 1889). M. Pantaleoni, Principii di economia pura. Firenze,

1889. J. N. Keyaes, The scope and method of political economy .

London, 1891, ch. VIII, pp. 236-251. A. Messedaglia. L'economia poliiica, etc. Discorso

inaugurale. Rom a, 1891. T. Fisher, Malhematical investigations m the theory of

value and priées. New Havcn, 1892.

106 IMPORTANCE

CHAPITRE VII IMPORTANCE DE L'ÉGOxNOMÏE POLITIQUE

Ce que nous avons dit dans les chapitres précédents sur le concept, les limites, les divisions, les relations, le caractère, les dénominations, les définitions et les méthodes de l'économie politique nous en a fait pres- sentir l'importance ; nous allons l'étudier d'une façon particulière en la déduisant de l'objet, des rôles et du but de notre discipline.

Elle a de l'importance au point de vue théorique et au point de vue pratique, selon qu'il s'agit des avan- tages qu'on peut retirer des vérités de l'économie rationnelle, ou des avantages non moins considérables qui dérivent des normes fournies par l'économie appli- quée, c'est-à-dire par l'art économique.

A. E. Cherbuliez, Précis de la science économique, Pa- ris, 1862, vol. I, ch. IV, pp. 3n-48.

A. S. BoUes, Polit ical economy, ils meaning, meihod, etc. (in Bankefs magazine, Ne^v-Yo^k, janvier 1878).

J. S. Nicholson, Political economy as a branch of édu- cation. Edimburgh, 1881.

A. N. Cumming, On the value of political economy to mankind. Glasgow, 1881.

S. N. Patten, The educational value of political economy . Baltimore, 1891.

Au point de vuede la sciencepure, l'économie politique a une grande utilité générale. Elle forme une partie im-

DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 107

portante de toute culture étendue, car elle donne la con- naissance des lois de l'ordre social des richesses. La série complexe et intéressante des phénomènes qui for- ment un des aspects les plus notables de la vie sociale, ne doit pas passer complètement inaperçue, ou n'être connue qu'imparfaitement, par tous ceux qui aspirent au titre de personne instruite. Cette connaissance, tou- jours très utile, devient de nos jours presque indispen- sable par suite de la forme actuelle de nos organisa- tions politiques, des grandes transformations qu'ont subies les institutions sociales, et spécialement de la pré- pondérance de l'élément économique, devenu mainte- nant le fondement principal du pouvoir politique, si on le compare à dautres éléments, autrefois, en partie au moins, indépendants de la richesse.

Aussi l'économie politique devrait-elle faire partie des matières de l'enseignement supérieur et de l'ensei- gnement secondaire et ne pas être enseignée seulement dans les établissements d'instruction industrielle, dans lesquels elle est étudiée dans un but purement pro- fessionnel. On ne peut pas comprendre pourquoi les jeunes gens auxquels on enseigne les langues classiques, les théorèmes des mathématiques, les lois de la phy- sique, de la chimie et de l'histoire naturelle doivent ignorer complètement les lois de la vie sociale et en particulier celles de l'économie.

Ceux qui étudient les sciences historiques, juridiques «t politiques ont des raisons spéciales pour étudier à fond l'économie politique qui leur fournit les critères indispensables pour le choix, l'organisation et la criti- que des faits, comme nous l'avons indiqué déjà en par- lant des relations de l'économie politique et des autres disciplines.

Au point de vue des applications, l'étude de l'écono- mie politique a une grande importance pratique, gêné-

1 08 IMPORTANCE

raie et particulière, pour la vie politique et pour la vie privée.

Il faut remarquer, en premier lieu, que les lois éco- nomiques exercent une influence aussi universelle qu'irrésistible sur tous les hommes, considérés comme membres de la société civile. Ils ont intérêt à en faire une étude au moins élémentaire soit pour se procurer les avantages qui résultent de leur connaissance, soit pour éviter les inconvénients qui résultent de leur igno- rance.

L'économie politique sert, en outre, à éclairer le peuple sur les véritables causes de beaucoup de per- turbations économiques, et dissipe ainsi des préjugés qui renaissent de temps à autre et qui peuvent devenir très dangereux pour la tranquillité publique. Il suffira de rappeler les crises annonaires, monétaires et ban- caires, pour se souvenir en même temps des préjugés couramment acceptés sur l'influence que les négociants en grain, les boulangers, les banquiers exercent sur ces phénomènes.

Dans la vie privée, c'est surtout aux entrepreneurs, aux capitalistes et même aux ouvriers que l'étude de l'économie politique est le plus profitable.

Les entrepreneurs, tout comme les capitalistes, doi- vent en effet posséder non seulement les connaissances techniques nécessaires à l'exercice des industries qu'ils dirigent ou dans lesquelles ils emploient leurs capitaux,, mais aussi un large courant de connaissances écono- nomiques afin de bien diriger leurs entreprises et ne pas succomber dans la lutte devant des concurrents plus expérimentés et plus instruits. La pleine connais- sance des besoins du marché, la coordination et l'ap- plication sage des instruments productifs, l'achat des matières premières, la vente de ses propres produits, effectuée dans les meilleures conditions, sont des fonc-

DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 1 09

tiens très délicates des entrej3reneurs ; l'étude de l'éco- nomie industrielle, qui a son complément nécessaire dans l'économie politique, peut leur être d'un grand secours.

Cette étude, même élémentaire, sera de plus très utile même aux ouvriers qui apprendront ainsi la véri- table Yiature de leurs intérêts et les moyens les plus pro- pres à les faire valoir, tout en respectant les droits d'autrui. L'économie politique leur enseignera la néces- sité du capital et sa véritable l'onction économique, les avantages de répargne, les dangers de l'oisiveté, les dommages qui résultent des grèves, l'utilité des insti- tutions de prévoyance et de coopération, etc. L'ensei- gnement de l'économie politique donné, sous forme populaire, à la classe ouvrière, en dehors des avantages déjà énumérés, procure aussi à la société l'avantage incalculable de la préserver de beaucoup de périls, parce qu'elle met une digue à l'extension des doctrines subversives, qui trouvent un terrain propice dans les esprits incultes et dans les imaginations facilement excitables des ouvriers.

A ce propos, il faut remarquer que la diffusion des doctrines funestes du socialisme est relativement moin- dre en Angleterre qu'en France, précisément parce que dans le premier de ces pays les notions de l'économie sont plus largement répandues que dans le second, grâce notamment à certaines écoles accessibles même aux ou- vriers, qui y sont instituées depuis longtemps, mais qui n'ont pas cependant le gros chiffre d'élèves que sou- vent on leur a donné.

Au point de vue de la vie publique, il est évident que l'économie politique doit être étudiée par tous ceux qui y prennent une part plus ou moins active, et cela spé- cialement si l'on songe .aux formes politiques qui do- minent aujourd'hui chez les nations les plus civilisées.

110 IMPORTANCE

L'étude de l'économie politique est particulièrement nécessaire à toutes les personnes qui entrent dans les assemblées délibérantes et dans les corps consultatifs de l'État, de la province^ delà commune, sénateurs, dépu- tés, conseillers provinciaux et communaux, conseillers d'État, membres des conseils municipaux, des com- missions léi^islatives et autres corps analogues qui aident les ministres dans la préparation des projets de loi à soumettre à la discussion de la représentation na- tionale. Comme les lois et les mesures auxquelles ces corps ont part concernent presque toujours, au moins indirectement, les intérêts économiques de l'État et ceux des particuliers, on comprend que leurs auteurs ne doivent pas ignorer les principes de l'économie pu- blique. Ne doit-on pas penser que la prodigalité de certaines administrations publiques, qui défie de nos jours tout blâme possible, peut, au moins en partie^ être attribuée à une fausse conception des phénomènes économiques, qui dérive du manque de préparation scientifique nécessaire?

Même les fonctionnaires du pouvoir exécutif chargés de veiller à la bonne application des lois fiscales,, administratives, judiciaires, etc., ont intérêt à étu- dier l'économie politique, parce qu'ils sont appe- lés à administrer ou à protéger les entreprises publi ques ou privées, à trancher des controverses dans les- quelles est presque toujours impliqué quelque intérêt d'ordre économique.

Il faut enfin remarquer que dans les États libres l'opi- nion publique, qui trouve ses légitimes manifesta- tions dans la presse et dans l'exercice des droits d'as- sociation, de réunion et de pétition, exerce une influence si considérable sur les affaires politiques et administratives qu'il n'y a presque pas de personne ins- truite et soucieuse des intérêts de son pays qui ne par-

DE l'Économie politique 111

ticipe directement ou indirectement au gouvernement général ou local et qui puisse par conséquent négliger des études qui sont nécessaires pour que cette influence soit véritablement utile à la prospérité publique et privée.

L'importance de l'étude scientifique de l'économie politique paraît plus grande encore si on tient compte de quelques-uns des obstacles contre lesquels elle doit lutter et qui peuvent être ramenés aux trois sui- vants :

L'intrusion des dilettanti, qui tranchent en ma- tière économique, sans aucune préparation, ou seule- ment après une étude unilatérale des problèmes contro- versés, sans tenir compte de la nature extrêmement complexe des phénomènes.

L'imperfection delà terminologie économique, qui attribue un sens plus précis et quelquefois complète- ment différent aux mots employés dans le langage cou- rant.

La résistance des classes intéressées à certains abus, que l'économie politique combat, et celle des uto- pistes, qui rêvent des réformes dont elle montre l'im- possibilité.

En ce qui concerne le premier point il faut regretter que l'économie soit dans des conditions tout à fait opposées à celles de l'astronomie et de la chimie, déjà débarrassées depuis des siècles du contact fâcheux des astrologues et des alchimistes. Les dilettanti, et parti- culièrement les journalistes, les littérateurs, etc. , qui se déclarent, avec une modestie réelle ou supposée, des profanes lorsqu'on discute des questions de philoso- phie, de calcul, d'obstétrique, ne peuvent pas se per- suader que tout le monde est nécessairement incompé- tent dans toutes les matières qu'il n'a pas étudiées et qu'il n'y a pas de raison pour faire une exception en

112 IMPORTANCE

faveur des sciences sociales et en particulier de l'écono- mie politique. Oubliant la vérité de cette phrase tant répétée de Rousseau, qu'il faut beaucoup de philosophie pour se rendre compte des phénomènes que nous avons tous les jours sous les yeux, les dilettanti entrent en lice à chaque instant pour défendre ou pour combattre, dans le Parlement ou dans les réunions populaires, ou par la presse, les mesures économiques et financières les plus difiiciles et les plus complexes, et ils ne crai- gnent pas d'attaquer les doctrines enseignées par les maîtres les plus éminents d'une science dont ils ignorent absolument l'objet, le but et les caractères. Par suite do l'habitude de discuter avec légèreté de ces problèmes, il devient de plus en plus difficile de déraciner les pré- jugés les plus vulgaires. Si celui qui étudie la physique, la chimie, la géologie a tout à apprendre, celui qui étudie l'économie, comme le remarque subtilement Macvane, se trouve dans une condition pire, car il a aussi beaucoup à oublier.

Sur le second point il faut remarquer que, tandis que dans d'autres sciences on forge des termes techniques appropriés, dont on donne d'exactes définitions de con- vention, en économie politique, au contraire, même lorsqu'on a eu grand soin de définir le sens attribué aux mots richesse, utilité, valeur, capital, rente, il faut tou- jours craindre que, par négligence, ces mots soient employés dans le sens différent qu'ils ont dans le lan- gage courant, et qu'il en résulte des raisonnements viciés par l'emploi alternatif d'un même terme tech- nique, ce qui permet des interprétations ambiguës ou contradictoires.

Sur le troisième point enfin, l'étroite connexion qu'il y a entre l'économie appliquée et la politique, dont la première est une partie, provoque contre elle la vive opposition de ceux qui trouvent leur intérêt dans cer-

DE l/ÉCONOMIE POLITIQUE 113

tains monopoles, ou dans certains privilèges, ou dans telles autres institutions qu'elle combat, et l'opposi- tion plus acharnée encore de ceux qui croient possibles des mesures inconsidérées qu'elle combat dans l'inté- rêt du progrès social bien entendu. Whately a dit avec raison que les théorèmes d'Euclide n'auraient jamais reçu l'assentiment unanime des savants, s'ils avaient une relation immédiate avec la richesse et avec le bien- être individuel.

N. W. Senior^ Four introductory lectures, etc. London, 1852, pp. 12-17.

F. A. Walker , PolUicaL economy. 2" édit. New- York, 1887, pp. 29-31.

S. M. Macvane, The icorking principles of poliiical economy. New-Yoïk, 1890, pp. 12-16.

CHAPITRE VIII RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS

Tout le monde ne reconnaît pas l'importance de l'é- tude de l'économie politique, parce qu'on n'apprécie pas toujours avec justesse les raisons que nous avons données dans le chapitre précédent. On mène, au con- traire, contre elle une campaj^ne assez vive. Certains prétendent que c'est une doctrine absolument impos- sible ; d'autres la tiennent au moins pour inutile ; d'autres enfin la condamnent comme très dangereuse. Ces objections continuellement répétées doivent être écartées parce qu'elles dérivent, ou bien de fausses présuppositions de fait, ou de l'ignorance du caractère véritable de l'économie, ou d'erreurs manifestes de logique.

Rich. Whately, Iniroduciory lectures on polilical eco- nomy (1831), 5"^ édit. London, 18j5.

F. Ferrara, Imporianza delV economia poUtica. Torino, 1849.

Jul. Kautz, Die National-Oekonomik als Wissenscha/L Wien, 1858, pp. 423-42, et les auteurs cités.

J. L. Shadweli, A systejn of political e':onoiny. Lon- don, 1877, pp. 1-8.

C. F. Bastable, An examinaiion of soins corrent objec- tions to ihe sludy of political economy. Dublin, 1884.

H. Sidgwick, Scope and rnethod of political economy. Aberdeen, 1885.

Les uns refusent à l'économie politique le caractère de science, et ils invoquent comme preuve:

RÉPONSK A QUELQUES OBJECTIONS 115

1" Les hypothèses sur lesquelles elle se fonde ;

Les ahstractions dont elle se sert ;

Les prohlèmes qu'elle ne résout pas ;

4" Les discussions auxquelles elle ne parvient pas à mettre fin.

Au sujet des hypothèses il faut remarquer, en pre- mier lieu, que les prémisses de l'économie sociale ne sont pas hypothétiques en elles-mêmes, puisqu'elles sont fondées sur l'ohservation ; elles le sont seulement en ce qu'elles sont isolées par la pensée d'autres causes peri-urhatrices, dont on fait ahstraction. Remarquons, en outre, que les hypothèses non contredites par les faits ont été souvent l'instrument de précieuses dé- couvertes scientifiques, et que les hypothèses purement arhitraires doivent être imputées non pas à la science, mais à quelques déhutants sans expérience. D'ail- lours, l'histoire des sciences physiques et mathématiques nous apprend que quelques-uns de leurs théorèmes ont, <iux aussi, une base purement hypothétique et que cer- taines de leurs propositions, que l'on tenait autrefois pour des axiomes, ont un caractère tout à fait empi- rique.

Sans abstraction (analytique ou synthétique) il n'y a pas de science, mais seulement une connaissance .sté- rile de phénomènes individuels. La grammaire, la logique, l'algèbre, le droit procèdent eux aussi par abs- tractions ; elles sont non seulement utiles, mais néces- saires. Si on peut, comme de tout d'ailleurs, abuser de l'abstraction en économie, cela ne suffît pas pour re- fuser à celle-ci le caractère de science.

Il y a, certes, en économie politique des problèmes non ré.solus, comme il y en a dans toutes les branches du savoir. Quelques-uns sont insolubles (comme la quadra- ture du cercle, la trisection de l'angle, le mouvement perpétuel, etc.), mais il en est d'autres qui pourront être

116 RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS

résolus avec les progrès ultérieurs de la recherche scientifique,

11 est absurde enfin de nier à l'économie politique le caractère de science parce qu'il existe des contro- verses sur sa nomenclature et sur ses principes. Un écri- vain irlandais, sans parler des autres, a fait de cette objection une critique acerbe dans un livre peu connu en Italie.

W. Dillon,-r/(e disinal science. [DubUn, 1882.

A propos des discussions sans fin on peut remarquer :

!• Qu'elles sont souvent plus apparentes que réelles ; qu'elles tiennent à la forme plus qu'à la substance et qu'elles pourraient en partie cesser si les adversaires, qu'on doit supposer de bonne foi, cessaient d'équivo- quer ;

2" Ces discussions portent souvent sur des points d'importance secondaire et qui concernent, d'ordinaire, non pas la science, mais ses applications, et cela est inévitable si on songe à la résistance de beaucoup d'in- térêts en lutte, dans lesquels l'art économique voudrait apporter l'ordre et la conciliation ;

3" L'économie ne peut pas être responsable de ce que quelques-uns de ceux qui l'étudient, s'obstinent à re- mettre en question des problèmes depuis longtemps résolus ;

4" Enfin, les discussions sérieuses et objectives et le doute raisonné, qu'il ne faut pas contondre avec le scepticisme systématique, prouvent, d'une part, l'imper- fection d'une discipline, mais elles sont, d'autre part, un moyen très utile qui pourra conduire à des décou- vertes fécondes.

Un autre groupe d'adversaires nie l'utilité de l'éco-

à

RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS 117

nomie politique, soit parce que, suivant les uns, elle ne donne aucun résultat important, soit parce que, sui- vant d'autres, les quelques résultats importants aux- quels elle conduit sont tout indiqués par le sens commun et mis en pratique par chacun.

La stérilité des résultats de l'économie politique se déduit :

du peu d'importance de son objet ;

de la simplicité de ses notions fondamentales ;

du caractère négatif de ses conclusions.

Quant à la prétendue infériorité de l'objet, il faut remarquer que les lois qui président aux phénomènes économiques sont dignes de Tattention du savant comme celles qui gouvernent le monde physique. L'impor- tance de la recherche devient évidente lorsqu'on songe à l'étroite relation qu'il y a entre le bien-être matériel et le bien-être moral. La misère, c'est-à-dire la plus grande plaie économique, n'est-elle pas une calamité qui souvent produit et souvent accompagne et rend plus aiguës les deux plus grandes plaies intellectuelles et morales, l'ignorance et le crime ?

Partir de notions simples (besoin, utilité, valeur, capital, etc.) pour arriver à des notions plus complexes, c'est une condition logiquement nécessaire de toute recherche scientifique. Qui donc reprochera à la géo- métrie ses définitions (du point, de la ligne, de la sur- face) et ses axiomes, d'où on déduit des théorèmes inté- ressants et fort utiles? Ferrari a très finement remarqué que l'économie peut tirer gloire d'avoir déduit de pré- misses si élémentaires des conséquences d'imporlance fondamentale pour le bien-être général. De même que les concepts de liberté, de souveraineté, de nationalité, différemment interprétés, ont été la cause de discus- sions, de guerres, de révolutions dans l'ordre politique, de même l'idée de valeur et celle de travail, mal unies

118 RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS

entre elles, ont été Torif^ine des théories célèbres du so- cialisme scientifique. Manzoni a merveilleusement démontré, dans le Dialogue de V invention, que les idées simples de Rousseau ont logiquement conduit aux terribles applications de Robespierre.

II est tout aussi faux de déduire la prétendue inuti- lité de l'économie du caractère négatif de ses conclu- sions, que beaucoup réduisent, même parmi ceux qui ne sont pas des adversaires, à la formule du laisser- faire. On oublie ainsi que l'économie sociale recherche des lois et ne donne pas de principes ; on oublie, de plus, {[ue les principes, ou mieux, que les normes de la po- litique économique ne sont pas tous négatifs ; que beaucoup de ces normes négatives ne sont pas pour cela moins importantes ; qu'enfin le laisser-faire n'est pas un dogme scientifique, mais une hypothèse de l'éco- nomie sociale, et une règle de l'art économique sujette, par cela même, à de notables exceptions.

Quant k opposer à la théorie, comme on le fait quel- quefois, le sens commun et la pratique individuelle comme des sources plus limpides pour arriver aux mêmes vérités et aux mêmes normes, c'est un sophisme séculaire et vulgaire que l'on rencontre, pour ainsi dire, sur le seuil de toute investigation scientifique.

Si l'on compare à la théorie le sens commun, c'est- à-dire l'aptitude ordinaire à faire ou à comprendre une chose, et la pratique individuelle, c'est-à-dire l'expé- rience qu'on acquiert en refaisant et en voyant refaire par d'autres certaines choses, et si l'on considère que la pratique suppose un certain nombre de connaissan- ces empiriques, il faut conclure que la théorie et la pratique, fondées toutes deux sur l'observation et sur le raisonnement, diffèrent cependantessentiellement en ce <]ue la théorie est le résultat systématique de la pratique

RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS ] 19

séculaire, qu'elle est le fruit, selon une autre expression, de l'esprit des nations, tandis qu'au contraire la prati- que part d'observations nécessairement moins nom- breuses et moins exactes et opère avec des raisonne- ments moins parfaits et moins rigoureux. Opposer la pratique à la théorie, c'est presque dire que le moins équivaut au plus ou que la partie est plus grande que le tout. En fait, la contestation est entre le plus et le moins d'étude, entre la doctrine entière et la demi-doctrine, car celle-ci tyrannise et beaucoup l'esprit des soi- disant hommes pratiques qui se croient émancipés de toute influence théorique.

Mais si, d'un côté, la pratique des affaires ne peut pas remplacer la doctrine, il n'en est pas moins vrai que celle-ci a besoin de celle-là pour résoudre les questions concrètes. Les doctrinaires qui repoussent le secours de la pratique ont tout aussi tort que les empiriques qui s'obstinent à refuser les lumières de la théorie.

Les études économiques rencontrent encore de plus nombreux adversaires parmi ceux qui, sans se soucier de la solidité scientifique de l'économie, déclarent qu'elle est moralement ou politiquement dangereuse.

Pour démontrer que l'économie politique est dange- reuse au point de vue de la morale (religieuse ou phi- losophique), on invoque :

la nature matérielle de son objet, la richesse;

le caractère utilitaire de sa prémisse la plus impor- tante, l'intérêt;

les opinions critiquables de certains économistes ;

4" l'immoralité prétendue des théories de l'intérêt du capital, de la population, de l'assistance, etc.

Ces accusations, souvent lancées avec une parfaite bonne foi et dans les meilleures intentions, peuvent être facilement réfutées, parce qu'elles proviennent d'une

120 RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS

connaissance insuffisante des caractères de l'économie.

Quant à la nature matérielle de l'objet, qui n'est pas d'ailleurs la richesse, mais les actions humaines qui s'y rapportent, nous remarquons que l'économie poli- tique étudie les phénomènes sociaux sous un seul aspect, et elle le fait parce que le progrès scientifique exige une division et une subdivision toujours plus grandes de la recherche. Qui donc mettrait en doute la valeur théorique de l'histoire naturelle et de la phy- sique, parce que ces deux diciplines ont un objet bien plus circonscrit que la physique d'Aristote, l'histoire naturelle de Pline, la science de Thaïes ?

La limitation du champ de la recherche d'une science n'impliqueni le mépris, ni la négation des autres sciences. Appellera-t- on athées le mathématicien, le physiologue, le technologue, par cela seul que dans leurs livres il n'y a pas un mot qui rappelle l'existence de Dieu et les devoirs de l'homme? Il faudrait certes condamner l'économiste qui enseignerait que l'acquisition des richesses est la fin unique, ou même seulement la fin principale, soit pour l'individu, soit pour la société, mais ces propositions absurdes n'ont rien à voir avec l'économie. Pour les mêmes raisons, celui qui affirme- rait que l'homme est pour manger, ou que l'idéal de la vie sociale, c'est la guerre, formulerait des principes contraires à la morale, mais on ne pourrait les imputer à la physiologie ou à la stratégie.

L'accusation d'immoralité qu'on lance contre l'éco- nomie politique, parce qu'elle part du principe de l'in- térêt, est tout aussi fausse, et pour plus d'une raison. C'est l'argument principal dont s'est servi, avec beau- coup d'habileté littéraire, mais fort peu de compétence scientifique, Técole de Carlyle et de Ruskin, qui a encore, par suite de la juste célébrité de ces écrivains, de nom- breux disciples, notamment en Angleterre. C'est au

RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS 121

premier qu'est due la célèbre épithète de science lugubre (dismal science) appliquée à Téconomie.

Th. Carlyle, Past andpre sent. London, 1843. Arsène Dumont, Dépopulation et civilisation. Paris, 1892.

Remarquons, d'abord, que le principe de l'intérêt n'est pas une règle de la politique économique, mais une hypothèse dont se sert l'économie sociale pour expli- quer les phénomènes de la richesse, en les déduisant de la cause principale d'où ils dérivent. Il faut remarquer, en second lieu, que l'économie ne crée pas l'intérêt, ne le juge pas, mais qu'elle en étudie l'action, de la même manière que le physiologue étudie les lois de la nutri- tion. On ne peut pas nier, d'ailleurs, la puissance de ce principe qui pousse l'homme à rechercher le maximum d'effet utile avec le minimum de dépense de force.

De plus, il ne faut pas oublier que le principe de l'in- térêt, tel qu'il est étudié par l'économie, est un simple fait psychique et non un fait moral, car il n'y a pas de relation nécessaire entre la loi du moinde effort et la question morale de l'emploi des richesses. Dietzel, qui a plus que tout autre approfondi ce sujet, remarque très justement que le maximum de prix pour les mar- chandises qu'il vend et le minimum de prix pour celles qu'il achète sont recherchés aussi bien par celui qui pro" digue son revenu en débauches et en libertinage que par celui qui l'emploie à fonder des maisons d'instruc- tion ou d'assistance.

Il faut ajouter que l'intérêt privé ne se confond pas avec l'intérêt purement individuel (qui exclut toute préoc- cupation de famille) et moins encore avec légoïsme qui demande qu'on fasse valoir ses avantages propres aux dépens des droits d'autrui. On ne doit pas s'imaginer

122 RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS

enfin que le principe utilitaire de l'intérêt est nécessai- rement blâmable ; il est, nous le répétons, moralement indifférent, pour ne pas dire irrépréhensible, lorsque, dans l'ordre économique, il diriii^e le choix entre plu- sieurs façons d'agir, toutes équitables et justes. Ce prin- cipe devient non seulement perturbateur mais encore absolument immoral et (comme l'a excellemment dé- montré ]Manzoni) impossible à suivre pratiquement, quand on veut en faire (avec Bentham et son école) le régulateur suprême de l'activité humaine. Mais cette erreur n'a rien de commun avec l'économie sociale qui ne s'occupe pas de ces questions ; comme on l'a dit déjà, l'économie apppliquée combat, au point de vue purement utilitaire, l'oisiveté, l'imprévoyance, la pro- digalité qui sont, en même temps, des actions blâma- bles au point de vue moral,

H. Dietzel, Beitrage zur Methodik der Wirthschafts- wissenschaft ijn Jahrbûcher fur Nationalokonomie, etc., vol. IX. Jena, 1884).

On ne peut pas non plus tirer un argument solide contre notre science de certaines opinions critiquables émises par quelques économistes connus, qui n'expri- ment alors que des vues individuelles, étrangères à l'économie comme science. Cela explique comment le spiritualiste Turgot , le déiste Smith, l'incrédule Say, le luthérien Roscher, le calviniste Cherbuliez, le ca- tholique Droz ont pu enseigner les mêmes vérités éco- nomiques. On pourrait supprimer dans les œuvres de Say, de Stuart Mill, de Garnier et de beaucoup d'au- tres, toutes les affirmations fausses au point de vue re- ligieux et moral, sans changer leurs doctrines écono- miques.

Quant à l'immoralité prétendue des théories sur l'in-

RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS 123

térêt, la population et l'assistance, il suffira de remar quer que l'économie politique :

Peut démontrer l'inopportunité et l'inefficacité des lois prohibitives et restrictives de l'intérêt conventionnel dans le prêt, sans pour cela approuver l'usure, ànon droit réprouvée par la morale et; punie par la loi positive;

"2" Elle peut montrer les dangers d'un excès partiel de population et conseiller la prévoyance, sans pour cela envahir le domaine de la morale et porter atteinte à ses raisons suprêmes ;

3" Elle peut montrer les inconvénients de certaines formes d'assistance, sans pour cela méconnaître le pré- cepte divin de la charité, ou les avantages même écono- miques de l'assistance, et en particulier de l'assis- tance privée, quand elle tend à combattre les causes et non pas seulement à diminuer les effets de l'indi- gence et de la misère.

Un dernier groupe d'adversaires de l'économie poli- tique, qui se partage en deux branches opposées, la déclare politiquement dangereuse parce qu'elle est :

1" anarchique, c'est-à-dire ennemie du principe d'au- torité et créatrice du nihilisme administratif;

2" réactionnaire, c'est-à-dire ennemie de 1 égalité et du progrès.

Aux uns et aux autres on peut tout d'abord répondre que leurs objections ne peuvent atteindre la science économique, qui ne défend ni n'attaque aucun principe de gouvernement, quelque bon ou quelque mauvais qu'il soit, mais se borne à expliquer les phénomènes, et que par conséquent ses doctrines peuvent être vraies ou fausses, mais non utiles ou dangereuses.

Si ces attaques concernent la politique économique, il faut la défendre par deux réponses distinctes.

A ceux qui reprochent à l'économie politique d'être

124 RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS

l'ennemie du principe d'autorité, nous répondrons que la limitation des attributions économiques des pouvoirs publics ne tend pas à affaiblir mais à renforcer le prin- cipe d'autorité, parce qu'il le met à sa véritable place et lui assigne ses limites de raison. D'ailleurs^ aujour- d'hui plus que jamais, cette limitation n'est pas deman- dée d'une façon absolue, car il faut évidemment tenir compte des conditions de temps et de lieu, de civili- sation et de précédents de tout genre.

A ceux qui attaquent l'économie politique parce qu'elle est réactionnaire et hostile au progrès et à l'égalité, nous répondrons :

1" Que la politique économique, telle qu'elle est gé- néralement professée, a toujours été favorable aux sages r( ''formes et qu'elle n'a jamais été hostile qu'à celles qui détruiraient la civiliîi.ation et qui sont la négation du progrès ;

Que l'économie politique ne peut pas être cause des inégalités naturelles qu'il y a entre les hommes, parce qu'elles sont les conséquences inévitables de leurs qualités intellectuelles et morales différentes et qu'elles doivent être considérées comme un facteur éminem- ment favorable au progrès social ;

3" Que la politique a toujours combattu les inégalités artificielles, filles du privilège et des institutions gou- vernementales vicieuses, et l'on ne doit pas oublier qu'elle a, pour une grande partie, contribué aux ré- formes qui les ont fait disparaître.

Pour toutes ces raisons, il semble que nous pouvons conclure que l'antipathie qu'ont pour l'économie poli- tique les représentants des opinions extrêmes, empiri- ques ou doctrinaires, individualistes ou socialistes, réac- tionnaires ou utopistes, peut être considérée comme une preuve indirecte de l'utilité théorique et pratique de ses enseignements.

DEUXIÈME PARTIE

HISTOIRE

CHAPITRE PREMIER L'HISTOIRE DE L^ÉCONOMIE POLITIQUE

L'histoire de l'économie politique, est Texposition raisonnée de l'origine et des progrès des théories éco- nomiques, considérées dans leurs relations avec les conditions, les idées et les institutions sociales.

L'histoire ainsi entendue n'est pas un simple exposé chronologique des doctrines, mais elle comporte des appréciations critiques sur leur bonté absolue et rela- tive. Elle recherche les germes des différentes théories dans leurs manifestations isolées, accidentelles et frag- mentaires, et elle montre comment elles ont pu cons- tituer, plus tard, un corps de doctrine distinct et plus ou moins systématiquement coordonné.

Il faut, au sujet des liens qui unissent les théories économiques aux faits dont elles s'occupent, mettre en lumière deux ordres de rapports.

Les écrivains ressentent presque toujours, avec plus ou moins de force, l'influence des conditions, des idées et des institutions spéciales du pays et de l'époque aux- quels ils appartiennent ou qui a plus particulièrement attiré leur attention. Cette influence est très grande, bien qu'elle passe inaperçue et qu'elle soit même niée par ceux qui la subissent et qui proclament, en même temps, leur indépendance philosophique. Ils se mettent ainsi en contradiction avec la vérité ou, mieux^ avec la nature même des choses. Si l'on s'attache à Tessence des différentes théories, dépouillées des particularités

128 HISTOIRE DE l'ÉGONOMIE POLITIQUE

purement accidentelles, il est souvent facile de décou- vrir qu'elles ont pour base une apologie de certaines institutions économiques données, que l'auteur approuve et idéalise pour ainsi dire, ou une opposition à certaines institutions économiques que l'auteur combat résolu- ment. On peut donc appliquer aussi aux économistes le reproche célèbre que Bacon (aisait à certains philo- sophes, qui tamqua'in e vinculis ratiocinantur.

D'un autre côté, les écrivains exercent, ou du moins quelques-uns et dans une mesure fort inégale, une in- fluence notable sur les opinions de leurs contemporains et sur leur postérité, influence qui, souvent, a préparé des réformes législatives et administratives de grande importance. C'est ainsi que les ouvrages des physio- crates ont inspiré quelques unes des lois flnancières des premières années de la République française : Adam Smith a donné, par ses doctrines, une grande impul- sion à la réforme du système économique de plusieurs États de l'Europe ; c'est au livre de Malthus que sont dues les importantes modifications introduites en 1834 dans la loi des pauvres en Angleterre. Inversement, le travail des esclaves dans l'antiquité et la prédomi- nance des prêts de consommation au moyen âge expli- quent à n'en pas douter le mépris de certains philo- sophes anciens pour le travail manuel et l'hostilité à l'égard de l'intérêt qui trouve son expression concor- dante à la fois dans les ouvrages des théologiens, des canonistes et des civilistes du moyen âge.

Cependant si, dans l'histoire des théories écono- miques, on étudie l'influence des institutions, on ne doit pas, pour cela, confondre l'histoire des théories écono- miques avec l'histoire des institutions ; ce sont deux ordres de recherche absolument différents parleur objet, bien qu'on les conçoive comme devant former partie intégrante dans une histoire complète de l'économie.

HISTOIRE DE l'ÉGONOMIE POLITIQUE 129

entendue dans son sens le plus large. Blanqui, et ceux qui ont suivi ses traces, se sont donc trompés en déduisant l'antiquité des doctrines de celle des ins- titutions et des faits, car ils ont ainsi confondu la science avec les objets qu'elle étudie. Affirmer, comme ils le font, que il y a des richesses, des échanges, des monnaies et des impôts, on doit trouver aussi une science économique, cela équivaut à dire que l'astrono- mie et la physiologie sont une conséquence nécessaire du mouvement des astres et des phénomènes de la vie végétale et animale.

P. Rossi, Introduction à l'histoire des doctrines écono- miques, in Journal des Economistes. T. II (Paris, 1842), pp. 201-223.

H. Baudrillart, De l'histoire de l'économie politique. Ibidem. T. V {3" série, 1867;, pp. 57-75.

L'histoire des doctrines économiques comprend : L'histoire externe, qui étudie l'origine et le déve- loppement des théories et des systèmes, considérés dans leur ensemble et dans leurs parties principales, sans descendre aux menus détails. Elle est générale, si elle embrasse tous les temps et tous les lieux ; spéciale, si elle se limite à une époque, à une nation, à un sys- tème, à un ou à quelques écrivains, etc ;

2" L'histoire interne (ou, comme on dit en Alle- magne, dogmatique], qui recherche la formation et les progrès des différentes théories particulières (celles, par exemple, de la valeur, de la monnaie, de la rente, des impôts) et dont on fait souvent précéder ou suivre leur exposé doctrinal. Les matériaux de l'histoire in- terne de l'économie sont dispersés dans une multitude de monographies. Parmi les auteurs d'ouvrages géné- raux et systématiques qui ont, dans les limites de leur

9

i30 HISTOIRE DE l'ÉCONOMIE POLITIQUE

.sujet, recueilli des données très abondantes sur l'his- toire interne de l'économie politique, la première place appartient, sans conteste, à notre vénéré maitre Guil- laume Roscher.

W. Roscher, System der Volksivirthschaft. Stuttgart, 1854-1880. 4 volumes (réimprimés plusieurs fois séparément;. Le premier volume a paru en français sous le titre : Principes iVéconomie politique, traduction française par Wolowski. Paris, 1857, 2 vol. ; le second, sous le titre de Traité d'économie politique rurale, traduction française par Vogel. Paris, 1888.

Les critères dont il faut s'inspirer dans l'étude de l'histoire (externe et interne) de l'économie sont les suivants :

Le choix des matériaux doit être judicieux, et, par conséquent, on ne doit enregistrer ni toutes les œuvres, ni tous les auteurs, mais ceux-là seulement qui sont remarquables par leur valeur intrinsèque , leur originalité, leur influence.

2" L'exposition des faits intrinsèques (livres, doc- trines, enseignements) et extrinsèques (conditions indi- viduelles et sociales) doit être claire, sobre et fidèle.

3" La critique des théories doit être large et impar- tiale, mettre en relief leur originalité, les influences qu'elles ont subies ou exercées et leur valeur réelle, tant par rapport au temps elles sont nées, que par rapport à l'état dernier de la science.

L'histoire des disciplines économiques ne peut pas remplacer leur étude dogmatique, mais elle en est un complément nécessaire. Pourvu qu'elle soit éclairée par la critique, elle ne peut donner naissance ni au scep- ticisme systématique, ni à un éclectisme inconsidéré, ni à l'apologie posthume de doctrines et d'institutions

i

HISTOIRE DE l'ÉCCNOMIE POLITIQUE 131

vieillies. Elle peut, au contraire, contribuer à l'histoire de la civilisation, en mettant en lumière l'influence des économistes sur les réformes sociales déjà effectuées, et en préparant le lerrain pour d'autres réformes qui pourront être réalisées dans l'avenir. Elle servira, en outre, à mieux connaître la valeur des théories, parce qu'on les aura étudiées dans leurs origines et dans les modifications qu'elles ont successivement subies'.

Comme il est impossible de recourir toujours à toutes les sources, il faudra bien souvent nous servir des œuvres générales ou spéciales qui en résument, au moins partiellement, le contenu. Il nous faut donc in- diquer, en y joignant quelques notes critiques, les œuvres principales qui se rapportent à l'histoire géné- rale externe de l'économie politique; nous parlerons plus loin des œuvres spéciales.

On trouve une indication sommaire des histoires de l'économie politique dans :

R. v. MohI, Die Schriften liber die Geschichiederpoli- iischen Œkonomie, in Geschichte und Literalur der Slaatswissenchaften. T. III (Erlangen, 1858), p. 291 et suiv.

Jul. Kautz, op. cit., pp. 34-50.

K. Knies, Bie politische Œkonomie, etc. B^aunsch^veig, 1881-83, pp. 9-22 et 521-533.

Les notices historiques, d'ordinaire assez courtes et exclusivement bibliographiques, que l'on trouve, comme introduction ou comme appendice, dans beaucoup do traités, ne suffisent pas pour donner une connaissance suffisante du développement graduel de cette disci- pline. 11 faut en dire autant des articles, remarquables souvent, que l'on trouve dans certains Dictionnaires et dans les meilleures Encyclopédies. Citons, par exemple, les traités d'économie politique publiés, en Angleterre,

132 HISTOIRE DE L ÉCONOMIE POLITIQUE

par Mac-Culloch, Shadwell, Marshall; en France, par Say, Garnier, Courcelle-Seneuil; en Allemagne, par Lotz, Rau, Wirth, parle socialiste Mario (Winkelblech), par Cohn, et spécialement par von Scheel (dans le Manuel de Schonberg) ; en Italie, par Bianchini, et sur ses traces par Trinchera; en Hollande, par Pierson; en Espagne, par Florez Estrada, Carballo y Vanguemert, Carreras y Gonzalez ; par Forjaz da Sampajo, en Por- tugal ; par Wreden, en Russie ; par Bilinski, en Pologne : en Suède, par Hamilton et par Leffler; en Danemark, par Frederiksen ; aux Etats-Unis d'Amérique, par Perry . Ellis Thompson, Laughlin, James [dans V Encyclopédie de Lalor), etc.

Parmi les ouvrages exclusivement consacrés à l'his- toire générale de l'économie politique, il faut faire une mention spéciale pour :

Ad. Blanqui, Histoire de V économie politique en Eu- 7'ope, etc., suivie d'une bibliographie, eic. Paris, 1837-38, 2 vol., édit. (par les soins de M. A. Oit), Paris, 1860; Iraduile en anglais par E.-J. Léonard. London, 1880.

Alb. de Villeneuve-Bargemont, Histoire de l'économie politique. Paris, 1841. 2 vol.

Travers-Twiss, Vieiv of the progress of poUtical eco- nomy in Europe, etc. London, 1847.

Jul. Kautz, Die geschichtliche EntwicUelung der Naiio- nal-Oekonomie undihrer Literatur. Wien, 1860.

Eug. Duhring, Krilische Geschichte der Nationalokono- mieund des Socialismus. Berlin, 1871 (3* édit., 1879'.

H. Eisenharl, Geschichte der Nationalokonomil., Jena, 1881 i2<= édit. 1891).

J. K. Ingram, A history of pclitical economy. Edin- burgh, 1888 (trad. allemande de E. Roschlau, Tubingen, 1890; trad. italienne de Debarbieri, Torino, 1892; trad. irançaise de Henry de Vari- gny et E. Bonnemaison, Paris, 1893).

A. Espinas, Histoire des doctrines économiques. Paris, 1892.

HISTOIRE DE l'ÉCONOMIE POLITIQUE 133

On peut reprocher aux compilations de Blanqui et de Villeneuve-Bargemont leur manque de méthode, d'ordre, de critique, l'insufTisance et l'inexactitude des renseignements, rarement puisés aux sources, et l'igno- rance presque complète des œuvres qui n'ont pas été écrites ou traduites en français. L'histoire de Villeneuve- Bargemont, qui se place au point de vue d'une éco- nomie politique chrétienne qu'il oppose à celle de Smith, a été rapidement oubliée, tandis que celle do Blanqui, remarquable par l'élégance de la forme, a eu un grand succès, en l'absenced'une œuvre meilleure et facilement accessible à la généralité des lecteurs. Les jugements de Blanqui, qui a subi pour partie l'in- iluence de Sismondi, ont leur point de départ dans l'idée d'une économie politique française, généreuse et philanthropique, qu'il opposait à l'économie anglaise, selon lui trop mesquine et trop exclusive.

Travers-Tviss n'a étudié que quelques auteurs anglais, français, italiens, et il n'a pas toujours fait une étude suffisante des sources; mais son ouvrage a plus de valeur que les deux précédents, bien qu'il ne donne qu'un simple tableau historique depuis le xvi^ .siècle. 11 faut louer chez lui certaines de ses appréciations et le grand soin qu'il a mis à distinguer Ihistoire des doctrines de celle des institutions.

L'ouvrage du professeur hongrois, Jules Kautz, dis- ciple de Roscher et partisan des doctrines de l'école historique, quilui ont fourni le critère de ses jugements, a plus de valeur que les histoires précédentes et souvent au.ssi que celles que nous mentionnerons plus loin. Les renseignements sont abondants, les recherches appro- fondies, et la connaissance des histoires particulières et des monographies très étendue. Cependant, ses juge- ments, néce.s.sairement peu objectifs, sont souvent incertains et même superficiels. Il faut noter encore que

134 HISTOIRE DE l'ÉGONOMIE POLITIQUE

son style ampoulé, ses impropriétés de termes, la mau- vaise distribution des matières et l'absence d'une table des auteurs, ont enlevé, dès sa publication, à cette œuvre, d'ailleurs très savante, une notable partie de l'utilité qu'elle aurait pu avoir. De plus, les études faites dans ces dernières années sur les différentes par- parties de l'histoire de l'économie et le progrès ulté- rieur de la science ont fait vieillir une grande partie de de cette œuvre.

Les histoires de Diihring et d'Eisenhart ont des mérites et des défauts différents. Elles sont remar- quables par l'ordre, la sobriété, la juste place donnée aux principaux auteurs ; mais elles sont absolument insuffisantes pour la partie bibliographique. Ces deux auteurs se sont peu préoccupés des œuvres secondaires, mais relativement importantes, et en général des mono- graphies. Eisenhart, en particulier, ne donne qu'une esquisse historique trop succincte; il n'est pas toujours impartial et il partage avec Duhring ce préjugé de con- sidérer comme absolument moderne l'origine de notre science. Diihring, qui s'est occupé très longuement des théories de List, de Carey et de quelques socialistes, est trop entiché du protectionnisme américain, et tout à fait injuste dans les jugements qu'il porte sur certains grands auteurs (par exemple, Malthus et Ricardo), et il est en même temps trivial dans l'appréciation de l'œuvre scientifique de certains de ses illustres compa- triotes, sans parler de sa prétention d'avoir découvert une économie nouvelle, qui résoud les controverses entre l'économie ancienne et les formes du socialisme qu'il combat.

Sans aucun doute, et pour plus d'une raison, il faut mettre au-dessus des travaux dont nous venons de parler, l'histoire de l'irlandais Ingram, un savant et élégant disciple de Técole d'Auguste Comte, et qui était

HISTOIRE DE LEGONOMIE POLITIQUE 135

déjà connu par son discours contre l'école classique. Si elle est moins riche de renseignements, compa- rée à l'œuvre de Kautz, sur les auteurs étrangers et les auteurs secondaires, elle fournit cependant (après Roscher, Eisenhart, von Scheel, Meyer, Pecchio et notre Guide) des données suffisantes et exactes sur le développement de l'économie en Allemagne et en Italie, tout en insistant davantage sur les auteurs anglais et même sur les auteurs français, généralement étudiés aux sources. Toutefois, si on peut accepter presque toujours, dans le volume d'Ingram, ses exposés de doc- trine, ce n'est qu'avec une grande réserve qu'il faut accepter ses jugements sur des écrivains, même de pre- mier ordre, comme Malthus, Ricardo, Cairnes et quelques autres, qui n'appartiennent pas à l'école historique allemande et à la sociologie, auxquelles l'auteur emprunte ses critères pour juger le passé de la science et pour prévoir l'avenir.

Il n'est pas nécessaire de nous étendre sur le mérite de certains résumés historiques de l'économie, qui ne s'élèvent pas au-dessus de la compilation mécanique et vulgaire. Parmi les auteurs étrangers nous signalerons, parce qu'ils contiennent certains renseignements, d'ailleurs absolument incomplets, sur la littérature de leur propre pays, les manuels des hollandais Molster et De Rooy, du suédois Balchen, et celui, un peu supé- rieur, du professeur russe Vernadsky.

J. A. Molster. De Geschicdenis der Staathuishoudkunde. Amsterdam, 1851.

E. W. de Rooy, Geschicdenis der Staathuishoudkunde in Europa. Amsterdam, 1851.

Iwan Vernadsky, Résumé historique de l'économie po- litique (en russe). Saint-Pétersbourg, 1858.

Alex. R. Balchen, Grunddrarjen of den Poliliska Eko- nomiens historia. Stockolm, 1869. (Très rapide esquisse).

136 HISTOIRE DE l'ÉCONOMIE POLITIQUE

On peut tirer un plus LTand profit de certains travaux sur l'histoire spéciale de l'économie politique dans les différents pays et dans les différents temps, et d'un nombre encore plus considérable de monographies, écrites d'après les sources, sur les différentes écoles et sur certains écrivains dignes, pour telle ou telle raison, d'être pris en plus grande considération. Les maté- riaux ainsi recueillis sont si abondants qu'il est très difficile de s'en rendre maitre, mais ils permettent de résumer mieux qu'on ne l'a fait jusqu'ici les résultats les plus importants et les plus sûrs des recherches historiques particulières.

Ce qu'il nous faut le plus regretter, c'est l'absence d'une histoire de l'économie politique en France avant les physiocrates, et en Angleterre avant Smith. On peut y suppléer, mais en partie seulement, par quelques mono- graphies et notamment par deux volumes, malheureu- sement écrits en russe, du professeur Janschull sur l'histoire du free tracle, et par un remarquable Essai de Roscher, qui n'a cependant pas connu tous les auteurs, et qui n'a pas toujours pu les consulter de première main. Un élève distingué de Menger, le docteur Etienne Bauer, privât dozent à Vienne, auquel nous devons quelques bons Essais, prépare une histoire de l'éco- nomie politique avant Adam Smith, pour laquelle il a déjà, dans ses voyages à Londres et à Paris, recueilli de précieux matériaux.

Pour l'histoire de l'économie politique en Allemagne, il n'y a presque rien à glaner après le travail colossal de Ptoscher. qui est un modèle d'exactitude et pour le fond et pour la forme ; on ne peut faire que cette objec- tion, c'est que l'importance du sujet est très inférieure aux soins infatigables qui ont été dépensés.

Il faut encore citer l'histoire de l'économie politique en Espagne de Colmeiro, et celle des Pays-Bas de Las-

HISTOIRE DE l'ÉGONOMTE POLITIQUE 137

peyres, qui a été roccasion d'un autre travail plus pro- fond du professeur van Kees, malheureusement resté inachevé par suite de la mort de l'auteur. Colmeiro et van Ress ont étudié avec grand soin le lien qu'il y a entre les théories, les conditions de fait et les institu- tions. Il faut louer encore les Essais moins développés d'Arnberg pour la Suède, et de Kautz pour la Hongrie, Une histoire des théories économiques aux Etats-Unis, et notamment pour les dernières décades, rendrait de très grands services. Espérons que le jeune savant doc- teur Furber, de Chicago, pourra bientôt nous la donner; sur les conseils de Menger, il nous a communiqué le manuscrit de la première partie de son travail, qui nous a paru remarquable par sa sobriété et sa clarté.

W. Rosctier, Geschichte der Naiional-Œkonoynik in

Deiitschland. Mïmchen, 1874. M. Cohneiro, Historia de la cconomia polifica en Ës-

pana. Madrid, 1863. Deux volumes (elle s'arrête

au xviii° siècle). Elle se trouve complétée par

l'ouvrage suivant du même auteur : Biblioteca

de los economistas espanoles de los siglos '16, il

y 18. Madrid 1861. Réimprimé en 1880. Et. Laspeyres, Geschichte der volkswirthschaftlichen

Anchauungen der N iederlmider, elc. Leipzig, 1863.

(Elle ne contient que le xvu« et le xvin" siècles. 1 0. van liées, Geschicdenis der Staaihuishoudkunde in

Nederland, etc. Utrecht, 1865-68. Deux volumes. J. W. Arnberg, Anteckningar om frihetsUdens poli-

tiska ekonomi . I. Upsala, 1868. (Elle comprend la

période de 1719 à 1772.) Jul. Kautz, Entwickelungs-Geschichie der volkswirih-

schaftlichen Ideen in Ungarn, etc. Budapest, 1876.

(Traduction abrégée de l'œuvre originale, en

hongrois, éditée en 1868.)

L'Italie a eu, grâce au baron P. Custodi, la première collection, incomplète d'ailleurs, de ses économistes,

138 HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

accompagnée de biographies. Elle doit à Joseph Pecchiô un essai historique sur ces auteurs, qui a été très ré- pandu en Italie, grâce à la prohibition qu'en avait faite la censure autrichienne, et à l'étranger, grâce à une traduction française. C'est alors que naquit et s'accré- dita pour longtemps l'opinion de la prééminence absolue (Gioja et Mugnai ou de la prééminence temporaire (Ro- magnosi) des Italiens en économie. Cette thèse, en- core aujourd'hui très répandue, a été attaquée avec vi- gueur par Ferrara CBiblioteca, delV Economista,, série I, vol. III. Torino, 1852), et après lui, avec autant d'acri- monie, par un anonyme (dans VEconomista. Milano, 1858). Des recherches récentes et l'étude d'ouvrages importants qui avaient échappé au baron Custodi. ont permis de conclure que l'Italie, aux xiii% xv% xvi^ siècles et dans la première moitié du xvii^, a eu des écrivains de premier ordre, notamment en ce qui concerne la mon- naie, et que, dans la seconde moitié du xviii% elle a fourni sa contribution à la constitution de la science. La collection de Custodi a servi de base à deux es- quisses historiques. La première, de Vernadsky, en russe, et l'autre, plus savante et plus profonde, de l'il- lustre N. G. Pierson, en hollandais.

Scnttori classici di economia politica. Milano, 1802- 1816. 50 volumes.

Gius. Pecchio, Storia delU economia pubblica in Italia. Lugano, 1829. Plusieurs fois réimprimé ; la der- nière réimpression est de 1852, Turin. Traduc- tion française de L. Gallois. Paris, 1830.

Ivan Vernadsky, Recherches hlsiorico-critiques sur les économistes italiens. Moscou, 18i9. (Thèse de doc- torat.)

N. G. Pierson, Bijdrage toi de geschicdenis der ccono- m.ische studien in Italie, etc. Amsterdam, 1866. (Traduction allemande, sans le nom de l'auteur, par un certain Schwarzkopf. Strasbourg, 1872.',

HISTOIRE DE l'ÉCONOMIE POLITIQUE 139

D'excellentes monographies sur l'histoire de l'éco- nomie politique en Italie ont été publiées dans ces vingt dernières années par Ricca-Salerno, Cusumano, Gobbi, Fornari, Morena, Supino, Graziani, Montanari, Balletti, Alberti, etc. Nous faisons des vœux pour que Toniolo, Conigliani, Graziani, Morena et Balletti terminent bientôt d'autres monographies depuis longtemps pro- mises. Albergo a publié, avant l'impulsion donnée à ces études depuis 1870, une bonne étude sur la Sicile. Nous travaillons nous-mêmes à une bibliographie, si possible complète, des économistes italiens jusqu'à 1848 ; mais c'est un travail ingrat que nous n'espé- rons guère pouvoir publier.

Giulio Albergo, Sloria delV Economia poliiica in Sici- lia. Palermo, 1855.

Notre présent travail n'étant qu'un résumé d'histoire externe des théories économiques, accompagné cepen- dant des indications nécessaires pour des études plus larges et plus approfondies, nous les diviserons, pour faciliter l'exposition, dans les périodes suivantes :

l** La période que nous appelerons fragmentaire, qui comprend l'antiquité, le moyen âge et qui se pro- longe, par quelques écrivains, jusqu'au xvii" siècle ;

La période que nous appellerons des monogra- phies et des systèmes em,piriques, qui va du xvi* siècle jusqu'à la moitié du xviii'' ;

3" La période des systèmes scientifiques (de Quesnay et de Smith), qui ont des précurseurs jusque dans le xvii®, mais qui se développent et se perfectionnent dans la seconde moitié du siècle suivant et au commence- ment du nôtre ;

14b HISTOIRE DE l'ÉGONOMIE POLITIQUE

A" La période critique contemporaine, dans laquelle, du contraste des diverses écoles et de la discussion des bases mêmes de la science, se font jour de multiples tentatives pouréliminerleséquivoques, perfectionner les méthodes, recueillir des matériaux plus nombreux et mieux élaborer les fruits de l'observation, pour rendre plus complètes et plus exactes les conclusions de l'éco- nomie rationnelle et formuler avec plus de prudeiice les règles de l'économie appliquée.

CHAPITRE II L'ÉPOQUE FRAGMENTAIRE

Les opinions sont très diverses parmi les historiens au sujet des origines de Téconomie politique ; pour les uns, c'est une science très ancienne, pour d'autres, elle est tout à fait moderne. De Villeneuve-Bargemont en trouve les origines dans le paradis terrestre, Kautz en Orient, Blanqui en Grèce, Biancliini commence son histoire à la chute de l'empire romain d'Occident, Twiss au XV i" siècle, Eisenhart au système mercantile, que Duhring tient pour de la préhistoire. Dilhring, avec beaucoup d'autres, commence par Quesnay, tandis que d'autres commencent par Smith. Il faut dire aussi que certains écrivains attribuent la paternité de l'économie politique à tels ou tels écrivains italiens, français, an- glais du xvi^ ou du xvii^ siècle, par exemple à Davan- zanti, àScarulTi, à Botero, à Serra, à Bodin, à Mont- chrétien, à Boisguilbert, à Stafford, àMun, à Petty, etc. Toute équivoque, en tant du moins qu'elle ne serait pas alimentée par des préjugés nationaux, serait bien vite dissipée, pour peu qu'on veille à ne pas confondre, d'une part, les opinions vulgaires sur les phénomènes économiques et, d'autre part, les concepts doctrinaux qui s'efforcent de les expliquer, soit incidemment dans des œuvres consacrées principalement à d'autres sciences, soit en s'en occupant ex professa dans des monographies, soit, entîn, en mêlant les règles de l'art et les vérités de la science dans un corps de doctrine

142 l'époque fragmentaire

indépendant, formant un tout empirique (une collection de monographies), ou un système vraiment scientifique (c'est-à-dire logiquement coordonné).

Ceci posé, nous admettrons, que les systèmes auto- nomes d'économie politique, ayant un champ de re- cherche suffisamment déterminé susceptihle d'être ex- ploré avec des méthodes appropriées, ne remontent pas au delà du siècle passé (Quesnay et Smith) ; mais nous reconnaissons aussi, contrairement à Diihring. àEisen- hart, à Cohn, et à beaucoup d'autres, que d'importantes notions scientifiques nous ont été transmises, sous forme de fragments, dans les œuvres de philosophie appliquée, de droit et de théologie, qui constituent la partie la plus notable du patrimoine intellectuel de l'antiquité et du moyen âge.

Du Mesnil-Marigny, Histoire de l'économie 'politique des anciens peuples. Paris, 1872.2 vol. (3« édit.» 1878. 3 volumes). (Apologie rétrospective du protectionnisme).

Franc. Trinchera, Storia criiica delV economia pubblica. T. I. Epoca aniica. Napoli, 1873. (Mauvaise com- pilation).

Bûchsenschïitz, Die HauptstUtteji des Gewerbfleisses im Idasslschen Alterthum. Leipzig, 1869.

H. Wiskemann, Die antike Landiriiihschaft, etc. Leipzig, 1859.

A. Boeckh, Die Staatshaushaltung der Athener. Ber- lin, 1817, édit., 1851. 3 volumes. Traduction française : Economie politique des Athéniens, par A. Laligant. Paris, 1828. 2 volumes.

Bureau de la Malle, Economie politique des Romains. Paris, 1840. 2 volumes.

§ 1. l'économie politique dans l'antiquité

Les conditions sociales, le régime politique, les opi- nions religieuses et philosophiques, la persuasion que

l'époque fragmentaire 143

toute l'activité des citoyens, y compris l'activité écono- mique, doit être exercée dans l'État et par l'État, tou- jours omnipotent, quelques diverses qu'aient été les formes de sa constitution, n'ont pas permis aux penseurs de l'antiquité de s'élever à l'idée de lois rationnelles de l'ordre social des richesses, idées qui sont la base nécessaire de toute doctrine économique achevée, indé- pendante.

Notre science trouva comme obstacle à sa constitu- tion, dans le monde ancien, le caractère même de l'or- ganisation sociale, viciée par le régime de l'esclavage, qui corrompait et avilissait la richesse dans ses sources; l'esprit de conquête et de guerre, qui ne permettait pas aux peuples les plus forts et les plus puissants de se livrer aux luttes pacifiques et fécondes de l'industrie; enfin la constitution politique elle-même. En fait, en Grèce comme à Rome, tous les soins des citoyens étaient tournés vers les affaires publiques. De la liberté si admi- rée on n'avait pas une idée exacte ; on la croyait réalisée pai* une large participation aux fonctions de l'État que l'on voulait tout puissant et qui, par même, était appelé à étouffer toute autonomie de l'individu comme des sociétés politiques inférieures. Comme obstacle à la naissance de l'économie politique, nous trouvons enfin les doctrines religieuses du paganisme, qui, d'accord avec les théories des philosophes, condamnaient les arts industriels, à l'exception de l'agriculture, parce qu'ils les considéraient comme dangereux pour la santé du corps, la culture de l'esprit et l'exercice des vertus domestiques et civiles.

A) Orient. Les idées économiques des peuples de l'ancien Orient, telles qu'on les trouve dans leurs livres sacrés, n'offrent qu'un faible intérêt si on les étudie à la lumière de la science moderne. Elles peuvent se résu-

144 l'époque fragmentaire

mer dans quelques préceptes moraux sur la vertu du travail, de la tempérance et de l'épargne, et sur le devoir de ne pas désirer les richesses, si ce n'est pour les employer à des objets de culte ou au secours des malades et des indigents. L'exercice des arts et du commerce est, en général, tenu pour vil, tandis que l'af^riculture est très estimée ; celle-ci atteignit, notam- ment aux Indes et en Egypte, un haut degré de pros- périté. La division du travail, au lieu de produire les miracles qu'elle doit à la liberté, se cristallisa dans le .système des castes héréditaires qui ont imprimé à la civi- lisation orientale .son caractère d'immobilité, et coupé les ailes à tout progrès raisonnable. Seuls quelques éru- dits et quelques hommes d'État delà Chine apprécièrent à peu près exactement la fonction du commerce et eurent une idée suffisamment exacte de la nature de la monnaie et de celle de ses substituts fiduciaires, devan- çant ainsi (comme le démontrent un fragment de Kvv'an- tsze, du septième siècle de l'ère vulgaire, et les œuvres de deux autres savants qui ont vécu au xi" siècle) par leurs préceptes beaucoup de pratiques , les unes recommandables, les autres mauvaises, de l'économie monétaire moderne.

. Eb. Kiibel, Die soziah^ xind volks/i'irthschafiliche

Geseizgebiwg des Alten Testamentes, elc, Wiesba-

den^ 1870. Giac. Lumbroso, Rpçherches sur Véconomie politique de

VEgypte sous les Lagides. Turin, 1870. W. Wissering, On chinese currency. Coin and paper

money. Leiden, 1877.

B) Grèce. Pusieurs des États de la Grèce ancienne, favorisés par la nature et par leur excellente situation maritime, ont atteint un haut degré de puissance com- merciale et politique ; et quelque.s-uns de leurs éminents

l'époque fragmentaire 145

penseurs auraient être amenés à en rechercher les causes. Cependant, et par les raisons déjà développées et par la prédominance déjà signalée des intérêts stricte- ment politiques, les recherches théoriques des Grecs sur les phénomènes économiques furent toujours subor- données aux études de la philosophie pratique (ou mo- rale, au sens large), qui, pour les Grecs, se subdivisait en trois branches : l'économie (domestique), l'éthique au sens étroit, c'est-à-dire la doctrine des devoirs, la poli- tique, c'est-à-dire l'art du gouvernement.

K. H. Rau, Ansichten der Volksivirihschaft. Leipzig, 1821.

W. Roscher, Ueber das Verhàltniss der Naiional-Œ- komie zum klassischen Alterihum (1849). Réim- primé dans les Ansichten der Volksivirihschaft Leipzig, 1861. pp. 3-46.

J. G. Glaser, Die Entwiclielwuj der Wirlhschaftsvcr- h'dltnisse bei den Griechrn. Berlin, 1865.

L. Cessa, Di alcuni studii storici suite teorie economiche dei Grcci, in Saggi di economia polilica. Milano, 1878, pp. 3-1'j. (Notes critico-bibliographiques.

Parmi les historiens, on peut consulter Hérodote, bien qu'il soit inférieur à Thucydide, lequel a su mettre en évidence, avec une grande perspicacité, l'élément économique et en particulier l'importance de l'échange et son influence sur les faits politiques et sociaux, au point de provoquer l'enthousiasme, peut-être excessif, de Roscher, qui, dès l(S^i2, lui avait consacré une sa- vante biographie.

G. Roscher, Disputaiio prima de doctrina œcûnomiro- polUicx npud Grœcos primor(tiis. Lipsis^, 1866.

Avant Platon, plusieurs éciivains se sont occupés, dans des œuvres .spéciales, de l'économie domestique et de quelques branches de la technologie, en parti- culier de la chasse, des mines et de l'agronomie. Nous

10

146 l'époole fragmentaire

avons perdu, par exemple, les œuvres de léron et de Callicratides sur l'économie domestique, celles d'Apol- lodore de Lemnos sur les mines, et de Carete de Paros sur l'agriculture. Et si, peut-être, on disputa, comme l'a conjecturé Stein, sur certains points spéciaux de la chrématistique (science de la richesse, auxiliaire de l'éthique) et en particulier sur la distinction de la richesse et de la monnaie, il est hors de doute que la question économique et politique de l'esclavage fut l'ohjet de discussions dont nous retrouvons l'écho dans les œuvres d'Aristote.

Salv. Talamo, Il concetto délia schiavitù seconda Aris-

lotile. Roma, 1881. (In Aiti delV Accad. di S. Tom-

maso d'Aquino. Tome I.) L. Slein, Die staatsirisscinrhaftUche llieorie der Grie-

clien voi' Arisloteles und Platon. (In Zeitschr.

fur die ges. Staaiswisenschaft, 1853. Tubingen,

pp. 115-182.

On peut faire une moisson plus abondante de rensei- gnements au sujet des vues économiques des Grecs sur les richesses sociales dans les œuvres des philosophes et particulièrement chez ceux de l'école de Socrate (m. 399. av. J. C), qui donna une direction pratique aux recher- ches spéculatives. Cependant, ils n'ont con.sidéré les biens économiques que comme un moyen pour atteindre les buts les plus élevés de la vie. de sorte qu'ils se sont occupés d'éthique économique et non d'économie poli- tique, et ils se sont proposé surtout de démontrer que le bonheur véritable ne consiste pas dans la richesse. C'est, parmi beaucoup d'autres, la pensée de l'auteur, stoïque ou socratique, d'un dialogue intitulé Eryxias. que l'on trouve parmi les dialogues de Platon et qui fut pendant longtemps attribué à Eschine.

C. H. Hagen, Observationum œcononiico-polUiraniin iu Œsrhinis Dialogunu etc. Regiomonli. 1822.

l'époque fragmentaire 147

La pensée économique des philosophes Grecs est plus largement et plus fidèlement reproduite dans les écrits de Platon, de Xénophon et en particulier dans ceux d'Aristote.

Platon (429-348. av. J. C), dans sa République, es- quisse le plan d'un État gouverné par des philosophes. Pour eux et pour la classe des guerriers existe le système de la communauté des biens et leur mariage est sévè- rement réglementé. Le travail des esclaves et des étrangers pourvoit aux besoins de toute la population. Dans son ouvrage sur les Lois, Platon modère un peu son culte de l'idéal et il cherche à adapter son système politique et économique aux conditions réelles des temps. Il appelle riches ceux qui possèdent plus que les autres ; il distingue les biens humains (santé, force, beauté, richesse) des biens divins (sagesse, vertu, tempérance), et ceux qui servent à la jouissance et au luxe, des biens qui procurent un gain. 11 avait su apprécier dans la République l'importance du travail et celle de sa divi- sion, sans en prévoir les développements postérieurs ; il analyse dans les Lois les usages de la monnaie, instrument et signe de l'échange, et aussi les avan- tages du commerce. Cependant, il pense que, dans l'intérêt de l'Etat, il convient de défendre l'usage de la monnaie et le prêt, d'exercer une surveillance étroite sur les manufactures, de restreindre le commerce, nui- sible aux mœurs et à l'agriculture. Celle-ci a toutes ses préférences et il donne un grand nombre de préceptes pour arriver à une bonne exploitation. Bien qu'il ne méconnaisse pas les tendances des hommes à la pro- priété individuelle, il incline cependant vers le système de la plus grande égalité possible des biens, qui ne doivent pas dépasser un certain maximum; il propose un communisme tempéré. Le communisme absolu, qu'il considère comme l'idéal de la justice, avait trouvé

148 l/ÉPOOUE FRAGMENTAIRE

un critique spirituel dans Y Assemblée des femmes d'Aristophane, et devait être plus tard complètement réfuté dans le second livre de la Politique d'Aristote.

Rob. von Molli, Die Siaafsromane. In Geschic/de iind Lileraiur lier SlaalsiiHssenscha/ïen, vol. I. Erlangen, 1855. pp. 171-176. G. B. Salvioni, // Comimi&mo nella Grecin antica. Pa-

dova, 1883. Rob. Pôlhmaiin, Gesrliicldc des aiitil.en Kommunis- * mus uitilSozialismus. Munchen, 1893-94. 2 vol.

Xénophon (4ii-354. av. J. C.) est moins profond, mais plus positif que Platon. 11 est l'auteur de quelques œuvres liistoriques et de petits traités sur l'économie domestique, la chasse, les revenus de l'Attique, etc. Pour lui, la richesse consiste dans l'excédant des biens sur les besoins ; il appelle biens les choses utiles à la vie, et il reconnaît comme éléments productifs la nature, qui fournit les matériaux que le travail trans- forme. 11 apprécie, comme Platon, l'avantai^e qui dérive de la division des profussions, et il a des idées jl)lus exactes sur les arts manufacturiers et le commerce, tout en accordant la première })lace à l'ag-ricultLire, qui lui semble fournir l'occupation la plus propre à fortifier le corps et l'âme, et à augmenter les richesses. 11 décrit, dans ce but, les conditions du sol et du climat, et les méthodes d'organisation du travail qui lui pa- raissent les plus propres au progrès de Part agraire; il est, dans une certaine mesure, un précurseur éloigné de la théorie moderne des limites de la production ter- ritoriale. 11 croit à la nécessité de l'esclavage ; il recom- mande, toutefois, de traiter les esclaves avec humanité. 11 exprime, enlin, des idées originales sur la monnaie et sur le prix, mais^ en parlant de la valeur des métaux précieux, il commet une grave erreur sur la valeur de

l'époque fragmentaire 149

l'argent, qu'il croit constante et complètement indépen- dante des changements dans les quantités produites.

B. Hildebrancl, Xenopkontis el Aristotelis de œconomia publica doairinœ illuslrantur. Particula I (seule parue). Marburg, 184.").

Ad. Frout de Fontpertuis, Filiation des idées écono- miques dans Vantiquilé, etc. (in Journal des Eco- nomistes, septembre 1871 et ss.)

Victor Brants, Xénophon économiste (in Revue catho- lique de Louvain, 1881).

Aristote (384-322. av. J. C.),lcplus éminent des savants grecs, occupe également la première place en économie. Observateur patient, profond, pratique, il a non seule- ment poussé plus avant les recherches spéculatives sur la richesse, mais il a résumé tout le savoir économique de l'antiquité en traçant, en partie du moins, les limites des recherches faites sur ce sujet par les plus illustres penseurs du moyen âge. Ses théories écono- miques sont contenues dans l'Ethique h Nicomaque et dans la Politique ; son Economie est une compila- tion d'écrivains postérieurs, basée cependant pour le second livre sur la Politique (d'après Zeller) et pour le premier (d'après Gottling) sur d'autres ouvrages d'Aris- tote.

Il comprend dans le patrimoine les biens destinés à la con.sommation et ceux qui sont destinés au gain ; en distinguant les biens qui servent directement au pro- priétaire de ceux qui servent à l'échange, il pose les premières bases de la distinction- célèbre de la valeur d'usage et de la valeur d'échange, de l'économie natu- relle et de l'économie monétaire, qui forment l'objet de différentes branches d'activité auxquelles corres- pondent des disciplines théoriques. Malgré ses préfé- rences morales pour l'économie naturelle,, il recon-

150 l'époque fragmenta [RE

naît que l'économie monétaire caractérise les peuples qui, par suite d'une large division des travaux, sont par- venus à un degré déjà élevé de civilisation. Il assigne à la monnaie les deux fonctions principales, d^être mesure commune des valeurs et instrument nécessaire pour faciliter l'échange. Il ne confond pas la monnaie avec la richesse, et démontre, au contraire, en rappe- lant la fable de Midas, qu'on peut mourir de faim au milieu de la plus grande abondance de métaux ; il ignore cependant que la monnaie peut aussi être un capital et il déduit de sa stérilité .supposée la condam - nation de l'intérêt. Il divise la population en quatre classes : les agriculteurs, les artisans, les commerçants et les professions libérales (prêtres, guerriers, magis- trats, etc.) ; il exclut de la participation au gouverne- ment de la chose publique ceux qui se vouent aux arts tendant à augmenter le patrimoine et, partant, indignes d'hommes vraiment libres. Il admet l'es- clavage, et même il le défend ; il affirme sa néces- sité économique, qui correspond à l'infériorité des esclaves en intelligence, et il reconnaît seulement que cette nécessité disparaîtrait s'il arrivait jamais un temps la cithare jouerait d'elle-même et la navette courrait seule. Il veut que la population soit propor- tionnée au territoire, parce que, si elle était faible, elle compromettrait Tindépendance de l'État; si elle était, au contraire, surabondante, la tranquilité, l'ordre, la sécurité feraient défaut.

J. C. Glaser, De Arisiolelis docirina de dwitiis. Regio-

monti, 1850 (Insuffisant). W. Oncken, Die Staatslehre des Aristoteles. Leipzig,

1870-75. 2 volumes. D. G. Ritchie, v°. Aristotile, in Diciionary of polit ical

economy de R. H. Inglis Palgrave, P'' partie^

1891.

l'époque fragmentaire 151

C) Rome. Les écrivains classiques romains, et en particulier les philosophes, ne se sont pas occupés des questions économiques avec le même soin que les Grecs, qui furent, en cette matière encore, les sources aux- quelles ils puisèrent de préférence.

F. B. G. Hermann, Disserlatio exhibens sententiasRo- manorum ad rpconomiam universam sive nalionnlem periinentes. Erlangse, 1823 (superficiel).

Nous ne donnerons que quelques brèves indications sur Cicéron, Sénèque, Pline l'ancien, les écrivains d'a- gronomie et ceux de jurisprudence. Cicéron traduisit, dans sa jeunesse, \' Fxonoinlque de Xénophon, et fit connaître, à plusieurs reprises (notamment dans le De Officiis I, 42), ses opinions favorables à l'agriculture et hostiles aux manufactures et au petit commerce. On trouve également, dans ses œuvres de rhétorique, de philosophie et de politique, d'autres observations éco- nomiques dignes d'être notées, qui ont été recueillie."? avec beaucoup de soin par l'érudit hollandais Calkoen.

Calkoen, Over eenige staathnishoudkundige gevoelens en sieilinfien in de geschriften van Cicero, etc. (In Bi/dragen tôt. Regsgel en Wetgeving de van Hall, 1831-32. Tome VI, pages 413 et suiv.)

Ennemi de l'avarice , comme de la dissipation et du luxe, des conquêtes et des guerres, adversaire de l'es- clavage et favorable à la frugalité , à la tempérance et au travail, Sénèque a parlé de l'éthique économique en «'inspirant des idées de la philosophie stoïque.

Dans son histoire naturelle, Pline reconnaît la pro- ductivité plus forte de la grande culture; il déplore les maux qui résultent des « latifundia » cultivés par des mains serviles ; il se montre même adversaire du luxe,

[h'2 l'époque fragmentaire

comme aussi de l'exportation des monnaies et de l'im- portation des marchandises étrangères , et il donne aussi quelques indications sur la valeur, sur ses causes et sur ses mouvements.

Plus importantes encore sont les œuvres des agro- nomes (scriptoves vei rusticcej, qu'il ne faut pas con- fondre avec les agrimensoros (scrlptores reiagrainae), et notamment celles de Caton , Varron , Columelle. Vivant à une époque de décadence économique et mo- rale, ils voudraient restaurer des conditions agraires plus saines et plus heureuses. Leurs préceptes tech- niques se proposent de rendre l'agriculture plus ration- nelle, d'introduire les pratiques rurales d'autres peuples, et en particulier des Carthaginois ; ils veulent, déplus, réveiller l'amour de la vie des champs, en excitant les propriétaires à cultiver eux-mêmes leurs terres, et en déconseillant la constitution de tenures trop vastes abandonnées au travail servile.

Les théories économiques des jurisconsultes, qui sont conservées notamment dans le Digeste, ont une em- preinte romaine plus nette et plus originale. Il ne faut pas cependant rapprocher arbitrairement des fragments d'auteurs, qui ont écrit à des siècles de distance, pour en tirer, à grand' peine, une sorte de compendium d'é- conomie politique , arrangé à la manière moderne, comme l'a fait le hollandais Tydeman, qu'a suivi, en cela, Kautz. D'autres écrivains plus récents, comme Scheel. Bruder, avec un sens historique plus exact, se sont proposé d'illustrer quelques passages remarquables du Corpus juris et ils ont indiqué le lien qui unit au droit romain classique un grand nombre de mesures économiques de la législation moderne. Il y a plus long- temps encore, certains fragments, et en particulier celui de Paul (loi I, Dig. de contr. empt., XVIII, 1) sur l'ori- gine et les fonctions de la monnaie, ont exercé l'esprit

l'époque fragmextaihe 153

d'analyse de quelques écrivains, et notamment de quel- ques écrivains italiens. Certains économistes érudits (comme Carli et plus encore Néri) ont déduit, en s'ap- puyant sur des preuves parfois un peu faibles, que les idées romaines, au lieu d'être contraires (comme le sou- tenait entre autres Pagnini) aux Ihéories monétaires des économistes modernes, y étaient entièrement con- formes.

P. Neri, Osservazioni sul prezzo légale délie Dioncie.

Milano, 1751, pages 105 et suiv. G. G. Tydeman. Disquisiiio de yEconomix Politicœ

notionibus in Corpore Juris rivilis Justinianeo .

Lugduni-Batavorum, 1838. H. von Scheel, Die wirihsrhaftlichen Grundoegriffe ira

Corpore Juris civilis (in Jahrhûcher fùrnal . Oekon.

de B. Hildebrand. Jena, 1866). Ad. Bruder, Zur œkonomischen Charakteristik des

rUmischen Rechies [inZeilschrift fur dieges. Staals-

wissenschaft de Tubingen ; année 32-35, 1876-

1879. G. Alesio, Alcune riflessioni. iniorno ai concetti del va-

lore nell. aniichità rlasslca (in Archivio juridico.

Vol. XLII. Bologna, 1889). . P. OErtmann, Die Volksivirthschaftslehre des Corpus

Juris Civilis. Berlin, 1891.

Le moyen âge est une période de lutte très ardente entre le monde ancien, dominent les idées païennes, et le monde moderne, que le souffle régénérateur du christianisme a totalement transformé. Celui-ci pro- clame, en effet, l'unité de la race humaine et le prin- cipe de l'égalité, il condamne l'esclavage et le servage et en prépare l'abolition graduelle ; il reconstitue la famille, en élevant la situation morale et civile de la

154 l'époque fragmentaire

femme, en adoucissant la rigueur de la puissance pater- nelle et en réformant le système des successions ; il crée et il généralise les établissements de bienfaisance ; il prêcbe aux riches les devoirs de la justice et de la charité, aux pauvres, ceux du travail et de la résigna- tion, aux uns et aux autres la foi et le sacrifice. On établit ainsi les bases d'une organisation meilleure de la production et de la distribution des richesses et on dimi- nue les souffrances économiques et morales des classes les moins aisées.

Mais cette œuvre féconde et réparatrice rencontra dans les idées, dans les préjugés, dans les mœurs et dans les lois, tant et tant de rési.stances, qu'elles retar- dèrent de plusieurs siècles le plein effet de ces réformes. Et en effet, l'époque antérieure aux croisades, troublée par des luttes incessantes entre le Saint-Siège et l'Em- pire, qui se disputent la suprématie politique de l'Eu- rope chrétienne, et parles guerres, plus modestes mais non moins incessantes et acharnées, des seigneurs féo- daux, n'était point favorable au développement des ma- nufactures et du commerce. Dans cette suite incessante de batailles, de rapines et de violences de toute sorte, les industries manquaient des garanties nécessaires d'ordre et de liberté, et couraient de graves dangers, par suite de l'absence de sécurité dans les moyens d'échange, de transport et de communication, tandis que l'agriculture languissait, chargée de poids insupportables et exténuée par la condition misérable des colons, .serfs de la glèbe et opprimés par les exactions du système féodal.

L. Cibrario, Délia economia politica nel medio evo, libri

ire. Torino, 1839. 2 volumes. 5' édit. 1861. Trad.

franc, par Barneaud, avec introduction par Wo-

lowski, Paris, 1854. J.-E. Th. Rogers, A history of agriculture and priées

in England. London, 18G6 et suiv. 6 volumes.

l'époque fragmentaire 155

K. V. Inama- Sternegg, Deutsche WirthschafUge- schichte. Vol. I et II. Leipzig, 1879, 1891.

K. Lamprecht, Deulsches Wirthschaftsleben inMiitel- alter. Leipsig, 1885-1886. 4 volumes.

W. Cunningham, The groivthof englisch industry and commerce. Vol. I. Cambridge, 1890.

Ce n'est que dans la seconde partie du moyen âge que les manufactures et le commerce reçurent une impulsion vigoureuse par l'émancipation des communes, par la formation de la bourgeoisie et par les impor- tantes routes nouvelles ouvertes au commerce par les Croisades. Organisées en un fort régime corporatif autonome, nécessaire pour résister à la toute puissance des barons féodaux, qui concentraient dans leurs mains la puissance territoriale, elles devinrent rapidement, notamment dans les florissantes républiques italiennes, et plus tard dans les Flandres et dans la Hanse teuto- nique, un puissant élément de prospérité matérielle et de progrès civil.

C'est vers l'an mille que naquirent en Italie ces nou- velles institutions économiques qui, de nos jours encore, éveillent notre admiration. Elles trouvèrent de solides appuis dans les statuts et dans les coutumes relatives au droit commercial, au droit maritime et au change, sanc- tionnées en grande partie par les ordonnances et par les lois des premiers siècles de l'époque moderne, qui ont préparé, pour notre siècle, les Codes en vigueur.

A. Lattes, Il diriito commerciale nella legislazione sta- tutaria délie città italiane. Milano, 1883.

E. Bensa, Il contralto di ossicurazionenel medio\evo. Ge- nova, 1884. Traduction française parJ.Valery: ZTjs- toire du Contrat d'assurance au moyen âgr. : Paris, 1897.

V. E. Orlando, Délie fratellanze artigiane in Italia. Firenze, 1884.

Mais la renaissance des études économiques ne date

15C l'époque fuagmkntaiue

que du xiii'' siècle ; elle est due notamment à l'étude de l'Ethique et de la Politique d'Aristote, dont les doc- trines sur la richesse furent paraphrasées par un grand nombre de commentateurs des traductions latines de ces deux œuvres. Avant cette époque, il n'y avait que des dis- sertations morales sur les dangers de la richesse, sur les maux causés par Tavarice et par le luxe, sur le devoir de charité, etc. Cela s'explique aisément si l'on songe à l'influence, alors prépondérante, des idées religieuses, à la réaction vigoureuse contre le matérialisme de l'anti- quité païenne, à la prépondérance de l'économie natu- relle, au peu d'importance du trafic, notamment du trafic international, à la décadence des sciences pro- fanes, aux tendances métaphysiques et mystiques des penseurs les plus vigoureux. Lorsque, plus tard, les conditions de l'industrie furent améliorées , que la sécurité publique fut mieux assurée, que les com- munications furent rendues moins difficiles , que Tamour du savoir eut augmenté, que la jurisprudence fut renouvelée par l'œuvre d'écoles célèbres, que la sco- lastique fut arrivée à son apogée, les écrivains les plus sagaces de la philosophie appliquée ne dédaignèrent pas de s'occuper des phénomènes économiques, et ils en étudièrent les relations avec la doctrine des devoirs et avec celle du gouvernement de. la chose publique.

Ceux qui connaissent l'histoire des sciences au moyen âge ne seront pas étonnés que parmi les fragments économiques, qui sont dispersés dans les œuvres des théologiens, des philosophes, des jurisconsultes et des politiques, ceux que nous devons aux théologiens occupent la première place. Tandis que les philoso- phes, la plupart ecclésiastiques, commentent, plus ou moins à la lettre, les théories économiques d'Aristote, en les corrigeant à l'aide des principes du Christia- nisme, les écrivains de théologie morale, dans leurs

l'épûoue fragmentaire 157

traités, dans leurs questions, dans leurs sommes, dans leurs décisions, dans leurs réponses, dans leurs ser- mons, dans leurs monographies sur le sacrement delà pénitence, ayant à s'occuper de la restitution de l'indu et du thème plus général de la justice dans les con- trats, se trouvent nécessairement amenés à rechercher la nature du commerce, de ses formes et de ses opéra- tions variées, afin de distinguer les contrats licites et innocents des contrats illicites et criminels.' Et c'est ainsi qu'à la morale économique des Grecs, fondée sur la philosophie, succède celle des scolastiques basée sur la théologie, qui était à cette époque la science souveraine, la science des sciences.

L'exposé des théories économiques du moyen âge, (îomplètement négligé ou puisé à des sources secon- daires dans les histoires générales de l'économie poli- tique, devient maintenant plus facile, grâce à quelques bonnes monographies, dues soit à des compilateurs dili- gents, soit à des spécialistes de la civilisation de cette époque. Il n'y a pas jusqu'ici d'œuvre impartiale qui expose les modifications graduelles des théories et qui soit dégagée de toute tendance d'opposition systéma- tique ou d'apologie extrême.

\V. Endemann, Die nationalôkonomischen Gnnulsaize lier canonhlischen Lehre. Jena, 1863.

\V. Endemann, SliuUen in der wmanisch-hanonts- lischen Wirthschafts und Recktdehre. Berlin, 1874 1883. 2 volumes.

Cil. Jourdain, Méiroire sur les cominen cément s de l'é- conomie politique dans les écoles du moyen-âge il869), in Mémoires de l'Acad. des Inscr. et Belles- Lettres. Tome XXVIII. Paris. 1874, p. p. 1-51.

H. Contzen, Geschichte der volksuirthschaftlichen Lite- raturinder Mittelalter. Leipzig. 1869. édition (augmentée;, Berlin, 1872. OEuvre un peu su- perficielle, y

158 l'époqle fragmemtaire

V. Cusumano, DelV economia poUtica nel Medio Evo. Bologna, 1876. Réimprimé dans les Saggi di Eco- nomia politica, etc. Palerrao, 1887. (Il s'occupe spécialement des écrivains politiques).

V. Brants, Coup d'œil sur les débuts de la science économique dans les écoles françaises, etc. Lou- vain, 1881.

W. Roscher, Geschichte der National-Oekonomik in Deutschland. Miinchen, 1874, p. p. 1-31.

W^. J. Ashley, An inlroduction to english économie his- tory and theory. The middle âges. London, 1888. Chapitre III, pag. 124 etsuiv., 2*= partie, 1893. Chapitre VI, pag. 377 et suiv.

Les théories fondamentales de réconomie scolastique sont celles du juste prix et de l'usure; celle-ci est le fondement de la prohibition de l'intérêt dans le prêt d'argent et des autres choses fongibles.

La doctrine du juste prix, exposée dans les œuvres de théologie morale, dans les ouvrages sur l'usure, sur les contrats et dans quelques monographies, contient les germes des théories modernes sur la valeur, puis- qu'on y donne, comme éléments du prix, les besoins, l'utilité, la rareté, le coût de production, comme l'ont remarqué les rares écrivains qui, comme Agazzini (dès 1834)^ Gobbi, Graziani, Montanari, sont remontés aux sources. On distinguait le prix légitime et indivisible, fixé par l'autorité, pour les denrées de première néces- sité, et cela pour des motifs de fait faciles à compren- dre, et un prix naturel, déterminé par les usages et par la concurrence. Celui-ci était variable et compor- tait, suivant les cas, trois degrés, minimum, moyen et maximum, avec une latitude plus grande pour les objets rares, et moindre pour les marchandises d'usage général, quoique non absolument nécessaires. 11 faut remarquer cependant que le prix légitime devait être établi par l'autorité d'après des critères tirés du prix

l'époque FlîAGMENTAIRE 159

naturel, et qu'il perdait sou efficacité et devait céder le pas au prix naturel, quand le changement des condi- tions de fait pouvait le rendre injuste.

Parmi les théologiens qui se sont occupés de la valeur et du prix, rappelons Vcnusti, Lupo, Filiucci, et en particulier Gasparino ; les deux premiers appartien- nent au xvi^ et les autres au xvrl^

BasL. Gasparino, De legiiimo et naturali reriim vcna- lium pretio, etc., Forolivii, 1634.

Une grande importance pratique pour le développe- ment de beaucoup d'institutions économiques et juri- diques et de grand intérêt théorique pour les dis- cussions qui en sont dérivées doit être attribuée à la doctrine canonique de l'usure et à la prohibition de l'intérêt. Pour avoir une idée exacte de ces contro- verses, il faut corriger les riches informations que Ende- mann a empruntées aux abrégés théoriques du xvi^ et du xvii*^ siècle, à l'aide d'autres renseignements fournis par Funk et par Bôhm-Bawerk, qui ont consulté presque toujours les sources les plus directes.

F. X. Funk, Geschichte des kirchlichen Zinsverbotes.

Tubingen, 1876. E. V. Bohm-Bawerk. Geschichte und Kritik der Kapi-

ialzins-Theorieen. Innsbruck, 1884.

La condamnation explicite et inconditionnée de l'u- sure, c'est-à-dire de l'intérêt {quodcumque sorti acce- dii) dans le prêt d'argent, est prononcée par les Pères de r Egli.se d'après des raisons déduites de passages connus de la Sainte Ecriture et du précepte général de la charité. Elle amena la prohibition canonique de Tintérêt, cir- conscrite aux seuls ecclésiastiques dans les huit pre- miers siècles de l'Église (et pour l'Église grecque même

160 l'épooue fragmentaire

plus tard), elle fut étendue ensuite dans l'Eglise latine même aux laïques par les prescriptions d'un grand nombre de conciles œcuméniques et nationaux. Ces prescriptions des lois ecclésiastiques, qui trouvèrent une incessante résistance dans les besoins du com- merce, furent appuyées, à partir de Charlemagne, par des lois prohibitives analogues dues à l'autorité civile, avec quelques exceptions, partielles et temporaires, en faveur des banquiers juifs et des lombards, auxquels les princes laïques et ecclésiastiques eux-mêmes durent souvent recourir dans leurs moments de gêne. Ces pro- hibitions civiles furent ensuite, dans les Etats protes- tants d'abord, remplacées (depuis le milieu du xvl^siècle) par des fixations de maximum imposé à l'intérêt con- ventionnel. Il s'en suivit un adoucissement toujours plus grand dans l'application de la défense ecclésias- tique, qui cessa en fait après que plusieurs décisions du Saint Office (de 1822 à 1838) ordonnèrent aux confes- seurs de ne pas inquiéter leurs pénitents et d'attendre une solution définitive.

De grossières erreurs, répandues surtout parles écri- vains protestants, sont répétées aujourd'hui encore sur la nature véritable delà proliition canonique de l'intérêt, sur les limites et les conditions de cette prohibition. Il n'est pas exact que les scolastiques aient tous cru, comme Aristote, à la stérilité delà monnaie, et qu'ils aient ignoré que l'argent pouvait être une occasion de gain pour l'emprunteur. Ils croyaient seulement que ce gain était au travail du débiteur, et que le créancier qui, sans aucun préjudice, prêtait de l'argent, n'avait pas droit à un dédommagement, en dehors de la restitution. Si nous consultons, en effet, les œuvres des grands sco- lastiques du xiii*-' siècle, qui se sont les premiers occu- pés de ce sujet au point de vue philosophico-juridique, nous voyons qu'ils soutiennent leur thèse avec des

l'époque fragmentaire 161

arguments différents de ceux des théologiens qui les ont précédés. Le franciscain Alexandre d'Halos (m. 12 4.')), le premier, Saint Bonaventure (m. 1274j et le grand dominicain Albert le Grand (1193-1280), et son disciple, plus illustre encore, S. Thomas d'Aquin (1225-1274), invoquent l'autorité de la Bible, celle des saints Pères et des Conciles, mais ils s'appuient surtout sur ce fait, que, pour les choses fongibles et, partant, pour l'argent. Tusage ne peut être indépendant de leur propriété comme pour les choses non fongibles (terres, maisons, outils); le prêteur ne peut donc pas, en plus delà restitution pure et simple, prétendre à un dédommage- ment pour l'usage, qui appartient de droit à l'emprun- teur, qui est devenu propriétaire ; il ne peut pas non plus prétendre à un dédommagement pour le temps écoulé entre le moment du prêt et celui de la restitution, parce que le temps appartient à Dieu et ne peut pas être vendu. C'est donc le prêt, explicite ou déguisé (sous les formes d'antichrèse, de vente à crédit, etc.), et non pas l'argent, qui est esseniiellement gratuit. Bien plus, on peut tirer profit de l'argent de plus d'une manière, et, dans les siècles qui suivirent, on admit successive- ment bien des exceptions qui soulevèrent, d'ailleurs, de vives controverses entre les théologiens rigoristes, amis de la logique, et les théologiens qui cherchaient à satisfaire aux multiples besoins du commerce. La né- cessité s'imposait d'une application moins rigide des prescriptions qui étaient nées à une époque l'écono- mie naturelle et les prêts de consommation, consentis souvent par des usuriers, étaient la règle, et qui deve- naient insupportables avec la multiplication des emplois productifs du capital, facilités par la multiplication des établissements de crédit.

C'est pourquoi, tout en maintenant la prohibition de l'intérêt (lucruin ex vmtuoj, on reconnut successivc-

li

J62 l'époque fragmentaire

ment certains titres qui donnaient le droit d'exiger une compensation ou un intérêt fid quod interestj. Ce furent, notamment, le damnuin emergens (admis déjà par saint Thomas quand le dommage était prouvé) ; le lucrum cessans, combattu vigoureusement tout d'abord et graduellement admis ensuite sur des preuves toujours moins rigoureuses, et même plus tard sur de simples présomptions lorsqu'il s'agissait de com- merçants ; la peine conventionnelle, etc. On admit éga- lement, comme réparation de certains risques particu- liers (dans le change maritime, plus tard dans le triple contrat) et aussi pour d'autres motifs que nous ne pouvons rappeler ici, d'autres titres de profit dans les censives réelles et personnelles et dans d'autres formes de contrat qui, pour les canonistes les moins rigoureux, présentaient des différences substantielles avec le prêt, nécessairement gratuit.

Dans l'impossibilité de faire une revue complète de la littérature économique du moyen âge, nous nous bornerons à la simple énumération de quelques-uns des écrivains les plus remarquables. Des monographies ont été écrites sur un grand nombre d'entre eux ; nous en avons parlé dans un travail spécial.

L. Cossa, Di alcuni studii recenii sulle teorie econo- michenel Medlo-Evo, 1876. Et aussi dans les Saggi di economia poliiica. Milano, 1878, pp. 15-38.

-4) xirre siècle :

Saint Thomas d^Aquin. l'ange de l'école, le prince des théologiens et des philosophes, est aussi l'écri- vain le plus remarquable de son siècle sur les ma- tières d'économie et de politique. Ses œuvres principales sont: laSumma Theologica. [Il, II); laSumma philo- sofica adversus gentiles; les Commenti ad Aristotlle

l'époque fragmentaire 1G3

ot l'opuscule Deregimine Judeorum ; le De usiiris est apocryphe. Saint Thomas a également écrit le livre I et les 4 premiers chapitres du livre 11 du De regimine principum, qu'a continué son disciple, le moine Tho- lomée Fiadoni de Lucques. évêque de Torcello. Ses doctrines sur l'usure, ses opinions sur la richesse et ses sages maximes de politique monétaire et fiscale ont été reproduites par quelques biographes, critiques et his- toriens de l'économie politique, sans qu'ils aient tou- jours pris soin de séparer ses écrits véritables des ouvrages apocryphes. Le meilleur ouvrage à consulter:

J. J. Baumann, Bie SinaisLehre des h. Thomas von Aquino. Leipzig, 1893 (particulièrement pp. 190- 203),

Parmi les écrivains scolastiques minores, Jourdain <;ite Henri d.e Gand, qui a, mieux que ses contempo- rains, dans une œuvre arrivée jusqu'à nous, De mercl- moniis et negotlatlonlbus, apprécié l'utilité et les fonctions du commerce.

D) XIV® siècle.

Parmi les nombreux auteurs d'ouvrages De regi- mine, institutione, eruditione principum (pour la plupart s'inspirant de saint Thomas), nous citerons :

1" Engelbert, abbé d'Admont en Styrie (m. 1331) qui a écrit un De regimine principum en 7 livres, men- tionné par Contzen.

'2"^ Le moine Paul Minorita (probablement de Venise) <jui. entre 1313 et 1315, a écrit un De regimine recto- '/■/'.s, divisé en 3 livres, dans lequel il s'occupe du gou- v(nncment moral, du gouvernement de la famille et du gouvernement de la cité, etc. L'élégance et la conci- sion de son style et d'autres mérites encore ont amené

164 l'époque fragmentaire

l'illustre Adolphe Mussafia à le publier et à l'annoter (Vienne, 1868).

Eo-idio Colon na, augustin, élève de saint Thomas et précepteur peu influent de Philippe le Bel (1247-13J6) a écrit également un De regimine princijnun (antérieur à celui du moine Paul) dans lequel, se séparant en cela du maitre. il déclare le consentement du peuple néces- saire pour la levée d'impôts extraordinaires.

François Petrarca (1304-1374), dans son livre De repuhliccL opthne a.dininistr8.nda , réclame également la justice et la modération des impôts et la punition des abus des publicains ; dans ses lettres familières il donne de bons préceptes d'économie agraire.

Parmi les juriconsultes il faut faire mention du napo- litain Andréa d'Isernia (1220-1316), cité par Fornari et commenté par Palumbo. Il faut surtout noter ses opi- nions sur l'aliénabilité du domaine public et sur les avantages de la ferme des impôts.

(av. L. Palumbo, Andréa d'Isernia. Napoli, 1886.

Plus important encore est un groupe de philosophes et d'hommes d'État français qui ont donné à leurs sou- verains d'excelleîits conseils de politique économique et financière. Il faut citer :

Philippe Dubois, qui, dans sa Summct brevis (1300) et dans son livre De reciq^eratione sanctde terrœ (1306), reprochait à Philippe le Bel ses altérations de la monnaie et lui en montrait les dangers (Cfr. A. Vuitry, in Journal des Économistes, décembre 1880. pp. 447- 459).

Jean Buridan, recteur de l'Université de Paris en 1327, qui a donné dans ses Questions sur l'éthique d'Aristote, comme le remarque Jourdain, un court traité sur les rôles économiques de la monnaie.

li

l'époque fragmentaire 165

Durand de Saint-Pourçain, dominicain, évêque de Meauxen J326, et Philippe de Maizières. conseiller de Charles V le Sage, qui écrivit, en 1389, le Songe du vieil pèlerin. Ils proposaient des banques de prêt sur gage, grâce auxquelles l'Etat pourrait venir au secours des pauvres et les soustraire aux fortes usures des juifs. (Voir V. Brants. Philippe de Maizières, in Revue ca- tholique de Louvain, 1880). Mais la première place appartient à :

Nicolas Oresme, évêque de Lisieux (m. 1382), qui a écrit en latin et ensuite traduit en français, à l'usage de son élève Charles V, un petit traité De origine, natura, jure etinutationibus monetaruni. dans lequel il résume méthodiquement dans un style simple et clair la théorie de la monnaie. Il est un adversaire vigoureux des altérations des monnaies. Les mérites de ce petit ouvrage, que tous les écrivains spécialistes des siècles suivants ont connu, ont été mis en lumière par Roscher; Wolowski a publié, en 1864, le texte latin et le texte français dans une très belle édition.

Francis Meunier, Essai sur la vie et les ouvrages de

Xicole Oresme. Paris, 1857. G. Roscher, Un grand économiste français du xiY^ siècle

(In Compte rendu de l'Académie des sciences morales

et politiques. Paris, 1862, pag. 435 et suiv.) N. Oresme, Traictie de la première invention des mon-

noies, etc., par M. L. Wolowski. Paris, 1864.

Sans parler d'autres écrivains scolastiques d'impor- tance moindre, comme les professeurs de la faculté de théologie de Vienne, Henri de Langenstein (Henricus de AssiaJ et Henri de Hoyta, fort loués par Roscher, nous citerons le chancelier Jean Gerson, élève du pre- mier de ces écrivains, qui, comme Buridan, s'est occupé, dans ses tractatus diversi, de la théorie du prix, mais

166 l'époque fRx^g?.ientaire

({ui, seul parmi les théologiens, a soutenu que les lois civiles pouvaient, afin d'éviter un plus grand mal. tolérer l'intérêt (usura' que les lois ecclésiastiques condamnent.

C) w" siècle :

Parmi les scokistiques de la première moitié du xv'' siècle se sont illustrés par leur science et leur connais- saissance des besoins du commerce le dominicain saint Antonin, archevêque de Florence (1389-1455) et le fran- ciscain saint Bernardin de Sienne. Ils se sont occupés, au point de vue de la théologie morale, le premier dans sa Summa. theologica (Opéra omnia. Firenze, 1741). le second dans ses Sermones {Opéra omnia. Venezia, 1745. 5 volumes), de quelques-unes des questions concernant la théorie de la circulation et de la distribu- tion des richesses et notamment de la valeur, du com- merce, du crédit ; ils ont admis que quelquefois l'ar- gent liahet quamdani seminalem rationem lucrosi, qiiain communiter capitale vocamus (saint Bernar- din), et justifié ainsi l'intérêt des emprunts de la ville de Florence et le trafic des titres qui les représentaient (saint Antonin).

R. H. Funk, Uebev die ôkonomischen Anschauungen der miUelalterlichen Theologen (In Zeitschr. /". die Stuatsiviss., 1869, pp. 125-175;.

Kn Allemagne, en dehors de Kuppener et de Sum- mcnhart de Cahv, il faut citer le philosophe et théo- logien Gabriel Biel (m. 1495), qu'on a appelé le dernier des scolastiques, notamment pour le petit ouvrage (ins- piré d'Oresme) qu'il a écrit sous le titre de :

De monelarunx pot esta ie sinad et xdilitate lihellus (Ma- gonza, 1541).

l'époque fragmentaire 167

D) xvi^ et xvii" siècles :

Les profondes transformations économiques qui s'accomplissent, modèrent la rigueur des doctrines scolastiques ; elles ne sont plus défendues dans leur forme primitive que par un très petit nombre d'écri- vains; on admet, avec une facilité toujours plus grande, les nouveaux établissements de crédit et les titres qui permettent de tirer un profit de l'emploi productif de la monnaie.

Les opinions relativement libérales sont représentées par les écrivains de droit commercial, par Stracca et mieux encore par Scaccia et par Délia Torre ; elles sont également défendues par le jurisconsulte D. Gaito (1626) et par un autre génois, le négociant G. Domenico Péri, et attaquées, au nom de la logique, par le professeur de Pavie, Antoine Merenda.

U. Gobbi, L'eronomia poUtica negli scrUtori ilaliani del secoloXVJ-XVlI. Milano, 1889, pp. 52-57, 269-302. Sig. Scaccia, De commerças et cambio. RomiE, 1619. Raph. de Turri, De cambiis. Genuœ, 1641. Ant. Merenda, De cambio nundinali. Papiœ, 1645. Giov. Dom. Péri, IL negoziante, etc. Venezia, 1672.

Nous citerons, à titre d'exemple, les controverses auxquelles ont donné lieu les emprunts publics, les monts de piété, les lettres de change et la répression du vagabondage.

Les emprunts de Venise, de Florence, de Gênes, la constitution des créanciers en sociétés (Montij, leur droit à un intérêt, notamment dans le cas de prêt forcé, la légitimité de la vente des titres (luoghi di monte), combattue d'abord énergiquement, notamment par les augustins (Guy de Bello Regaldo et Grégoire de Ri- mini), et admise avec plus ou moins de réticences par d'autres théologiens et jurisconsultes (Pierre de Anca-

168 l'époque fragmentaire

rano, Jean Andréa, le cardinal Henri d'Ostie), trou- vent enfin une pleine justification dans la multiplica- tion des banques de dépôt à Venise, à Gênes, en Sicile et a Naples. Dans les premières années du xvii' siècle on publie à Milan quelques ouvrages d'Alexandre de Rho (1603), et des pères Ferrari (1623), Cantoni (1625), et Dugnani (1027), qui ont pour but de démontrer la légitimité de l'intérêt dans les emprunts faits par la ville à la banque de saint Ambroise.

Ona compilé surles luoghidi monte, \cica.h\es et non vacables, et sur les sociétés pour l'acbat de charges à la Curie Romaine Csocietates ufficii) de nombreux trui- tes économico-juridiques dont n'ont pas tenu un compte suffisant les historiens de l'économie.

Frjnr. Castracane, Tractaius de societalibus qiui' fiant super uflicUs Romanx Curix. Rom a, 1609.

Card. Joh. Bapt. De Luca, Be locis moniium^ etc. (Dans son Theatrumveritatisetjustiiix). Roma, 1669.

Fabr. Evangelista, I)e locis moniium cauKralium non vacabilium. Roma, 1767.

Beaucoup plus vives furent les controverses sur les monts de piété, très répandus en Italie dans la seconde moitié du xv^ siècle et introduits ensuite au siècle sui- vant dans les Pays-Bas (Scarini, Oobergher), pour faire des prêts sur gage aux pauvres et les soustraire aux lourdes usures des banques privées et, en particulier, des juifs. Les donations des fidèles ne sufTisant pas à leur fournir les sommes nécessaires, ces établis- sements, qui prêtaient d^abord gratuitement, deman- dèrent, sur les conseils de Bernadin de Feltre, un intérêt pour couvrir les dépenses d'administration. Cette pratique fut réprouvée par le moine auguslin Nicolas Barianno (Tractatusde inonte impietatis. Cre- mona, 1 496), par le dominicain Thomas De Vio, nommé

l'époque fragmentaire 169

cardinal (Gaétan) en 1498, et défendue par le franciscain Bernardin de Biisto [DefenHorium montispietatis. Mi- lano, 1497), par De Rosellis et par d'autres, et obtint ensuite l'approbation de Léon X, au cinquième concile de Latran.

Ad. Biaise, Des mnnts de piété, édit. Paris, 1856. 2

volumes. F. X. Funk, Op. cit., pp 51-53.

Les lettres de change furent l'objet de polémiques non moins subtiles. Grâce à ces titres de crédit, on pou- vait effectuer des paiements dans des lieux éloignés et éviter les dépenses et les risques du transport de l'ar- gent. Le profit du change était légitime, d'après les canonistes, quand le change était réel et non fictif ou sec (c'est-à-dire fait pour cacher un prêt) parce que le profit provenait non propter tempus, sed propter loci distantiam. Il y eut plus tard de nouvelles polé- miques entre les partisans et les adversaires des lettres de change créées pour faire des paiements dans les foires et ceux qui discutaient la légitimité du change de retour (canihio colla ricorsa). Le premier traité De cambiis est celui de Thomas De Vio (1499). Parmi les nombreux traités publiés depuis, nous citerons celui de Thomas Buoninsegni de Sienne, d'abord mar- chand, puis moine (Dei cambii. Firenze, 1573); le traité plus complet du P. Fabien Clavario de Gênes {Trantatus de cambiis. Genu?p, 1568); l'abrégé, remar- quable par son ordre et sa clarté, du P. Romualdo Go\i {Trattato dei cambii. Lucca, 1612); les polé- miques entre le P. Bernard Giustiniani (1610) et le P. Ortensius Capellone (1621) qui combattent, et les pères Ant. de iS. Salvatore et Basile Alemanni (1623) qui défendent le change de retour.

170 l'époque fragmentaire

Plus connue des économistes, parce qu'elle est insérée dans le premier volume de la collection de Custodi, est la Brève notizia clei cambii (1581), dans laquelle Ber- nard Davanzati (15!?9-1606) décrit, avec une élégance, une simplicité et une clarté remarquables, le mécanisme de la lettre de change ; il signale aussi l'utilité de la spéculation et quelques-unes des causes des paiements internationaux.

La prohibition de la mendicité, décrétée au commen- cement du xvi® siècle par quelques villes des Pays-Bas et d'Espagne, donne matière à une intéressante polé- mique théologico-économique, à laquelle prirent part beaucoup d'écrivains, et notamment quelques francis- cains, qui la justifiaient d'une façon plus ou moins expli- cite, et quelques dominicains, qui la combattaient; on a ainsi discuté quelques-uns des problèmes de l'assis- tance. Parmi les nombreux travaux (rappelés par Col- meiro, par Rahola et plus complètement par De Bosch Kemper) consacrés à ce sujet il suffira de citer celui de Ludovic \'ives {De subventione joauperuni. Brugge, 1526), qui demande une forte organisation laïque de l'assistance publique, ceux du P. Dominique Soto (De- liberacion en la causa de los j^obres. Salamanca, 1545) et du moine augustin L. Villavicentius (De oeconomia sacra circa pauperum curam, etc. Antvverpiae, 1564), adversaires énergiques de toute restriction au vagabon- dage ; ceux du jurisconsulte C. Cellaris [Oratio contra menclicitatem. Antverpijie, 1531), du franciscain Jean de Médine [De la orden cpae en algunos paeblos de Espana sehapjuesto en la limosna, etc. Salamanca, 1545) et du chancelier de Bruges, Egidius Witsius (De continendis et alendis doini pauperibus, etc., 1562), qui préconisent des maisons de travail obligatoires, et, enfin, les ouvrages du P. Michel Giginta, qui défend une opinion moyenne, favorable à la fondation de mai-

l'époque fragmentaire 171

sons de travail facultatives {Tratado de remédia de pobres. Coimbra, 1575).

M.Colmeiro, Historiade laEcon. Polit. enEspana.Yol. I. Madrid, 1862.

Fed. Rahola, Economistas espanoles de los siglos XVI y XVII. Barcelona, 1887.

J. de Bosch Kemper, Overzigt van de letterkunde om- irent het Armwezen in da zestiende eeuiv. (In Ne- derlandsche Jaartweken voor Regsgeleerdheid, elc Deel XII, SlLik 3, 1850).

F. Ehrle, Bcitruge mr Geschichte, elc. der Armenpflege. Friburg im Br., 1881, pp. 27-59.

§ 3. l'économie politique des humanistes

A l'époque de la Renaissance, l'étude des cla.ssiques g'recsetlatins;lecultede Platon, qui dominait notamment en Toscane sous l'influence de Marsilio Ficino ; l'apolo- gie de la civilisation païenne et de ses institutions, qui s'opposent aux institutions sociales et économiques du moyen âge, arrivées à leur perfection au xv*" et xvi® siècles grâce aux créations florissantes de l'économie mo- nétaire et du crédit, qui a succédé à l'économie pure- ment naturelle que les humanistes préféraient ; l'éman- cipation de la pensée des lisières de l'aristotélisme, en décadence d'ailleurs, exercèrent leur influence sur les philosophes,, les historiens et les politiques même dans l'ordre des recherches économiques et de la légi.s- lation. Les finances de Florence nous offrent un tableau de la pratique alternée des différents systèmes d'im- pôts : impôt sur les immeubles, l'idéal de Savonarole, le réformateur chrétien; décimes proportionnels ou en échelle, dont Guicciardini a fait une étude comparée : projet d'impôt unique de Ludovic Ghetti ; d'autre part les auteurs de ce temps ont demandé la formation de

172 l'époque fragmentaire

trésors de guerre^ ou condamné le trafic de la part du Prince, la régie ou l'adjudication des impôts, et fait une opposition persistante aux altérations monétaires. Dans les monographies historiques déjà citées de Gobbi, de Fornari. de Ricca-Salerno et dans un discours acadé- mique récent de Toniolo, on peut trouver un exposé du développement de ces théories en Italie ; les ouvrages de Schnioller et de Wiskemann (résumés dans l'Histoire de Roscher) font connaître le mouvement analogue des doctrines des humanistes et des réformateurs en Alle- magne II nous suffira d'indiquer quelques écrivains, et notamment les écrivains italiens.

G. Ricca-Salerno, Sforia délie dottrine finanziarie in Italia. Roma, 1881, pag. 27 et suiv.

T. Fornari, Délie teoine economiche nelle Provincie Ja- poletane. Vol. I. Milano, 1882, pp. 117-194.

G. Toniolo, Scolastica ed Umanismo nelle dottrine eco- nomiche, etc. Pisa, 1887.

G. SchmoUer, Zur Geschichte dernaiionalbkon. Ansich- ten in Beutschland, wàhrend der Reformations-Pé- riode \\r\ Zeitschr.f. diges. Staatsu'iss. Tubingen, 1860).

H. Wiskemann. Darsfellung der in Deidschland zur Zeil der Reformation herrschenden nationalôkon. Ansicli- ten. Leipzig, 1861.

W. Roscher, Geschichte der Nat. Œk. in Deidschland. Mïinchen, 1874, pag. 32 et suiv.

A) xv^ siècle:

Trois publicistes et hommes d'État. .lean Gioviano Pontano (né à Cerreto en Ombrie), Benoit Crotugli ;né àRaguse), Diomède Carafa comte de Maddaloni, le plus illustre des trois, contribuèrent par leurs conseils et par leurs actes^ dans les charges qu'ils occupent auprès des rois d'Aragon, à de sages réformes économiques et financières dans le royaume de Xaples.

l'époque fragmentaire 173

Pontano (1426-1503) donne de bons préceptes fiscaux et d'excellents conseils de morale économique [Opéra. omnia. Napoli, 1505-1508. 2 volumes).

Cotrugli écrit vers le milieu du siècle son petit ouvrage Délia Mercatura. e ciel Mercante perfetto (édité à Venise en 1573, traduit en français en 1582 et réimprimé à Brescia en 1602) ; Genovesi et Zanon en ont fait de grands éloges. Il s'occupe spécialement delà valeur, du prix, de l'échange et des contrats commer- ciaux. (Voir l'article de A. Montanari dans Vltalia, Centrale. Reggio, 25 décembre 1890).

Carafa (qu"ont étudié admirablement, d'abord Cusu- mano, puis Ricca, Fornari et Gobbi) est supérieur à tous ses contemporains qui ont écrit sur les finances. Son petit traité De régis et boni pvincipis offîcio a été écrit en langue vulgaire entre 1469 et 1482 sur les instances d'Eléonore d'Aragon, duchesse de Favière, qui en com- manda une traduction latine à J.-B. Guarini (publiée à Naples en 1668 et plus tard par Mansi, qui la crut inédite, en appendice à la Biblioteca latlna de J. Alb. Fabricio. (Padova, 175'i). Dans cet opuscule, Carafa (m. 1487) expose des idées en partie nouvellles sur l'utilité du commerce, sur l'harmonie entre les recettes et les dépenses publiques, sur les avantages de la ferme des impôts, et il énonce, le premier, l'idée des impôts sur les revenus certains, développée ensuite par Bo- tero et devenue plus tard le fondement du système fis- cal de Broggia.

V. Cusumano, Diomede Carafa, economista e finanziere italiano. {InArchivio Giuridico. Bologna, 1871. Vol. VI, et plus tard dans ses Saggi di Econ. Pol. Pa- lermo, 1887, pp. 134-145.

On peyt placer encore parmi les humanistes, François Patrizii (né à Sienne), évêque de Gaëte (1412-1494). Il a

i74 l'époque fragmentaire

écrit deux ouvrages : De rcgno et régis instltutlone (Parisiis, 1567) et De institutione reipuhlicœ {^ibidem ., 1564), dans lesquels il demande la création de do- maines fiscaux, dont Tadministration doit être cepen- dant placée sous le régime de la location perpétuelle. Dans ce siècle, et en partie dans les deux siècles pré- cédents, il faut signaler, à Florence, le littérateur Bru- netto Latini et d'autres auteurs d'ouvrages encyclopé- diques, Beato Dominici (m. 1420) et Léon Baptiste Alberti, qui ont étudié le gouvernement économique de la famille, les chroniqueurs Jean et Mathieu Villani. Benoit Dei, le notaire Ser Lapo Mazzei, qui ont ouvert la voie aux érudits historiens Segni, Nardi et \'archi ; le blatier Dominique Lenzi dans son Speccliio umH.no (13'20-1335) s'occupe des disettes, et les deux banquier.; François Balducci-Pegolotti et Jean de Uzzano écrivent, au XIV'' et au xv^, des manuels pratiques à l'usage des commerçants ; quelques-uns de ces ouvrages ont été réimprimés par V agnini [Dellct deciiUcL^ etc. Firenze, 1765-66).

G. Toniolo, Scolastlca ed Umanismo. Pisa, 1887.

B) xxi" siècle :

Les fruits les plus mûrs de la Renaissance se trouvent dans les œuvres historiques et politiques de Palmieri, de Machiavel, de Guicciardini, et de quelques autres, la plupart italiens, auxquels, du reste, on ne peut attri- buer de notables progrès dans les recherches écono- miques.

Mathieu Palmieri {Délia vita civile. Firenze, 1529) s'occupe de politique économique ; il consacre la der- nière partie de son livre à « l'utile, c'est-à-dire aux questions de commodités, ornements, largeur, beauté de notre vie, aux facultés, aux richesses, à l'abondance

l'époque fragmentaire 175

de toutes les choses qui sont dans l'usage des hommes » et il défend l'impôt proportionnel, que combattaient les démagogues florentins.

Nicolas Machiavelli (1469-1527), le prince des poli- tiques italiens, n'était pas porté à étudier à fond le côté économique des problèmes politiques ; il reconnaît lui- même qu'il est peu au courant des questions « de laine ^ et de soie « , et il ne possédait pas pour cette étude les / aptitudes nécessaires, parce qu'il était trop grand admi- rateur de la civilisation païenne et qu'il avait une pré- dilection pour l'économie naturelle, dont il constatait les restes chez les populations germaniques et qu'il a tlécrits avec une grande admiration. Ce fut donc une tentative vaine, comme cela résulte aussi de l'œuvre remarquable de Villari, que d'essayer de glaner les idées économiques originales dans les écrits du secré- taire florentin, comme l'a fait Knies dans une œuvre patiente et pleine d'érudition.

Karl Knies, iY/c. Machiavelli, ah volksicirthschaftUcher Schriftsteller (in Zeitschrift fur die ges. Stoais- wiss. Tubingen, 1852, vol. VIII).

Pasquale Villari, Nicolà Machiavelli e i suoi tempi. Fi- renze, 1877-1882. Trois volumes.

Nous trouvons un plus grand nombre d'observations économiques, sinon dans les ceuvres historiques de Fran(,"ois Guicciardini (l'i80-1540) qui sont purement politiques, du moins dans ses écrits minores.

Franc. Guicciardini, Opet^e inédite, illustraie da G. CanesirirJ. Firenze, 1857-67. Deux volumes.

C) Les utopistes du xvi« et du xvii*^ siècles : /

L'étude de Platon, un dégoût profond de la corrup- tion des temps, la dépre.ssion économique, les guerres

176 l'épouue fragmentaire

et les révolutions politiques et religieuses continuelles etc., nous expliquent surabondamment l'apparition d'un grand nombre d'ouvrages dans lesquels la com- munauté des biens est considérée comme un type de réforme désirable (Frank, Munster) ; elle est défendue par les armes par quelques sectaires (Mûnzer). Cette recons- truction sociale est inspirée par des idées morales, comme dans l'Utopie de Thomas Morus, chancelier d'Angleterre [De optime re'qoufdicse statu deque nova, insida Ufopia. 1516) et dans l'opuscule beaucoup moins connu du philantrope espagnol Ludovic Vives [Ds coniunione reriun, 1635); elle est la conséquence d'une imagination déréglée chez le florentin Antoine François Doni dans ses Mondi celesti, terrestri ed in- fernali. Firenze, 185'2-53. 2 volumes.

Il faut remarquer que dans V Utopie de Morus, la communauté des biens se combine avec la mono- gamie tandis que dans la Ciuitas solis du domi- nicain calabrais Thomas Campanella (écrite avant 1607) et dans VOceana du républicain anglais Thomas Harrington (1656), l'ennemi farouche de la grande pro- priété foncière, on propose, comme Platon, la commu- nauté des femmes, car on ne peut détruire rationnelle- ment la propriété privée .si on conserve la famille.

En dehors des ouvrages déjà cités de Mohl et de Kleinwachter. on peut consulter l'intéressant opuscule de:

A. Gehrke, Communisiische Idealstaaten (Plalo, Morus, Campanella, Cabetj. Bremen, 1878.

Les utopies ont provoqué, à ce moment comme tou- jours, des réfutations, c'est-à-dire des défenses de la propriété privée. Il nous suffira de citer Fouvrage d'un célèbre politique, adversaire cependant d'une trop grande concentration des biens.

l'époque fragmentaire 177

Paola Paruta, Délia perfettione délia vita politica. Ye- nezia, 1599 (Cfr C. Supino, La scienza economica in lialia, etc. Torino, 1888, pag. 89).

D) La. légitimité de Vintérêt :

A côté des écrivains catholiques qui essayent de con- cilier les besoins du commerce avec la théorie cano- nique de l'illégitimité du prêt à intérêt, quelques écri- vains, protestants ou suspects d'hérésie, s'élèvent, se séparant en cela de leurs coreligionnaires (par exemple de Lutherj, contre les doctrines théologiques et juri- diques dominantes. Il faut rappeler au xvi* sièle Calvin et le jurisconsulte Charles Dumoulin {Tractatus con- tractuura et usurarum, 1546) ; au xyii", Claude Sau- maise, qui s'est occupé de ce sujet à plusieurs reprises et avec profondeur {De usuris, 1638. De modo usu- rariun, 1639. De fœnoretrapezitico, 1640) et après lui, non sans réserves et sans contradictions, l'illustre publiciste hollandais Ugo de Groot (Grotius) dans le livre II, chap. XII, de son grand ouvrage De jure pacis ac belli.

Tous ces écrivains, qui, d'après certains économistes, auraient résolu toutes les questions soulevées par ce sujet, n'ont pas réussi, au contraire, comme l'a montré Bohm-Bawerk, à expliquer le fait économique de la productivité du capital, et ils ne sont pas arrivés, d'autre part, à trouver des arguments acceptables pour étayer le principe juridique de la légitimité de l'inté- rêt, qui trouve encore de nos jours (sans parler des so- cialistes) des adversaires acharnés.

On peut lire, par exemple, le curieux ouvrage de Victor Modeste, Le préi à intérêt, dernière forme de V esclavage. Paris, 1889.

Au xviii'' et au xix« siècles la controverse a été reprise sans arguments nouveaux chez les théologiens, par

J2

178 l'époque fragmentaire

exemple par lillustrc polyjçraplie Scipion Maffci (DelV hnpiego ciel clenaro. Roma, 174 4\ qui a provoqué les critiques de Balleriiii et de Concilia et ensuite Tencyclique Vix 'per\:enit de Benoit XIV (1745), et, enfin, par labbé Marc Mastrofini, dont l'ouvrage Le usure (Roma, 1831, plusieurs fois réimprimé] a été l'occasion d'une nouvelle polémique. Mais les écono- mistes, comme tels, n'ont pas' besoin des 4 petits volumes, d'ailleurs bien faits, du cardinal de la Luzerne {Dissertation sur le j^rêt de commerce. Dijon, 1823) pour savoir qu'on peut tirer un profit de l'emploi de l'argent (ce qu'aucun théologien n'a jamais contesté), et ils ne sont pas disposés à accorder à Mastrofini que la prohibition de l'intérêt ne s'adresse qu'aux débiteurs pauvres ce qui est faux historiquement), et finalement ils n'apprennent rien des rigoristes, qui ne cessent de répéter que le prêt est par lui-même (c'est-à-dire dans des conditions qui ne se réalisent pas dans la vie mo- derne) essentiellement gratuit.

E. v. Bohm-Bawerk, Geschichte urtd Kriiik der Kapi- talzins-Tlieorteen. Innsbruck, 1884, pp. 27-46, 65- 69 et passim.

CHAPITRE III LES MONOGRAPHIES

Dans la seconde période historique de l'économie po- litique, qui comprend les xvi" et xvii'" siècles et la première moitié du xviii'', les modifications profondes subies par le système de la production, de l'échange, du transport, du crédit et des impôts, forment l'objet d''Lm grand nombre de monographies théoriques et d'ou- vrages de circonstance, dans lesquels l'examen de chaque question est inspiré, timidement d'abord et plus nettement ensuite, par des critères économiques, de plus en plus indépendants de ceux que l'on empruntait aux autres sciences, auxquelles l'économie politique était subordonnée dans la période précédente.

Les ouvrages de polémique, inspirés par l'intérêt exclusif des producteurs et des consommateurs, pren- nent petit à petit un caractère plus déterminé et plus exclusif, et se transforment en systèmes empiriques de politique économique et financière; puis vers le milieu du siècle passé on trouve quelques tentatives de conci- liation pratique, dues à des précurseurs et défenseurs des réformes économiques et fiscales, et aussi quelques essais de coordination théorique imparfaite dus à un cer- tain nombre d'écrivains éclectiques, plus remarquables par leur érudition que par leur puissance intellectuelle, qui publient des traités ou font des leçons dans les chaires qui ont été expressément créées ou transfor- mées dans les différents pays de l'Europe.

180 LES MONOGRAPHIES

Il nous paraît donc conforme au développement réel de l'économie politique de parler, dans ce chapitre et dans le chapitre suivant, des principales monographies, des systèmes de politique économique et financière, de l'éclectisme bureaucratique et de Téclectisme de la chaire.

§ 1. LA POPULATION ET l'ASSISTANGE.

On sait que le plus grand nombre des écrivains de po- litique et d'économie, convaincus de l'importance d'une population nombreuse au point de vue de la sécurité, de la puissance, de la richesse privée et de la richesse publique, se sont occupés presque exclusivement de re- chercher les causes de son accroissement et de suggérer les moyens les plus propres à le faciliter. Bien plus, vers le milieu du xvrif siècle, des auteurs à bon droit estimés, comme le grand statisticien J. Pierre Siiss- milch (1707-1767) et, après lui, les très érudits profes- seurs de sciences camérales, Justi et Sonnenfels, ont pensé que l'augmentation de la population était le but principal que l'État devait se proposer pour réaliser le bien-être du peuple.

Rob. von Molli, Geschiclite und Lileraiur der Staais-

wissenschaften^ 3"^ vol. (Erlangen, 1858), pag. 409

et suiv. Ach. Sinigaglia, La teoria economica délia popolazione

in Italia. Bologna, 1881. (Extrait de VArchivio Giu-

ridico).

C'est un des titres de gloire du meilleur des écono- mistes italiens du xvi® siècle, Jean Botero, d'avoir étudié, presque ex professa, le- sujet de la population avec une méthode vraiment scientifique dans son opuscule classique Délie cause délia grandezza e magnifîcenza

LES MONOGRAPHIES 181

délie città (Roma, 1588. Trad. anglaise de R. Peter- son. Londres, 1606), supérieur en ceci à Machiavelli, qui avait entrevu [Discorsi, liv. I, ch. I) qu"il y avait une cause physique (la productivité du sol) à la limita- tion de l'augmentation indéfinie de l'espèce humaine, qui naturellement augmente les substances abon- dent ; supérieur à Chiaramonti, à Zecchi, à Zuccolo et à d'autres politiques du xvri^ siècle, qui avaient entrevu, sans l'approfondir, cette vérité que l'augmentation de la population dépend de celle des subsistances ; supé- rieur enfin à tous les écrivains qui, jusque vers le milieu du siècle passé, se sont occupés de ce sujet.

Tandis que le grand publiciste Jean Bodin, auquel Botero est redevable d'un grand nombre de maximes de politique économique et financière, enseignait (La République, 1576, liv. V, ch. II) que c'était une erreur de craindre une disette future par suite de l'augmenta- tion de la population, Botero, qui considérait cependant l'augmentation de la population comme un élément de la prospérité publique et qui suggérait (dans la Ragione di Stato. 1589) les moyens d'y pourvoir, énumère d'une façon vraiment magistrale les obstacles à l'accroisse- ment indéfini du nombre des hommes. Ce sont pour lui moins les disettes, les pestes et les guerres, que le défaut d'équilibre entre la vertu génératrice des hommes et la vertu nutritive des villes, c'est-à-dire la difficulté d'avoir tout près les subsistances nécessaires et la dif- ficulté de les faire venir de loin. Il est ainsi amené à se préoccuper des excès de population, et il consi- dère les colonies comme utiles quand elles servent à absorber la partie exubérante de la population, c'est-à- dire, quand elles enlèvent le sang superflu et corrompu, et non quand elles prennent la partie saine.

G. JandelH, Il precursore di Malthus. (in Filosofia délie

182 LES MONOGRAPHIES

Scuole iialiane. Vol. XXllI. Roma, 1881, pp. 147- 160.)

Dans la série nombreuse des précurseurs de Malthus (dont beaucoup, comme Hume, Steuart, Townsend, etc., ont été cités par lui dans la préface de ses Essais), il faut signaler Franklin, Beccaria, Ortes et Ricci.

B. Franklin, Observations concerning ihe increase of

mankind. Philadelphia, 1751. (Cfr. Mac Culloch, The literature of pol. econ. London, 1844, pp. 253- 257.)

C. Beccaria, Elementi di economia poliiica (1769). Im-

primé dans les vol. XI et XII de la Collection de

Custodi. Milano, 1803. G. Ortes, Riflessioni sulla popolazione délie nazioni per

rapporto alV economia nazionale. 1790. (Cfr. Fed.

Lampertico, G. Ortes e la scienza economica al suo

tempo. Venezia, 1865.) Lod. Ricci, Riforma degli istiiuli pli délia cilla di Mo-

dena. Modena, 1787.

Franklin indique , brièvement et clairement , les causes qui déterminent l'augmentation et la diminution de la population ; Beccaria consacre un des meilleurs chapitres de ses Leçons à ce sujet, et il fait allusion à la loi des revenus décroissants de la production territoriale. Plus profonde est la monographie d'Ortes qui contient en germe la partie substantielle de la théorie de la popu- lation ; mais on n'y trouve ni données historiques ni don- nées statistiques, pour lesquelles il aurait pu utiliser les indications précieuses fournies par le mémoire de l'abbé Marc Lastri (Ricerche suJV antica, e nioderna popolsizione délia, cittk di Firenze, 1775), ni applica- tions pratiques. Si l'illustre Ludovic Antoine Muratori avait déjà discuté, incidemment et dans un livre ascé- tique, quelques points de la théorie économique de l'as- .sistance (Délia caritk cristiana, 1723), c'est à Ludovic

LES MONOGRAPHIES 183

Ricci que revient la gloire d'avoir trouvé dans le prin- cipe de la population les prémisses d'où il déduit de sages maximes sur l'organisation de la charité publique, pour qu'elle serve à alléger et non à amener l'indi- gence et la misère.

A. Setli, Lodooico Ricci e la beneficenza pubblica net secolo scorso (Nuova Antologia, 1880).

11 nous est impossible de nous occuper des nombreux travaux qui ont été écrits sur le côté économico-admi- nistratif de l'assistance ; nous nous contenterons de renvoyer aux œuvres suivantes qui donnent d'abon- dants renseignements historiques et bibliographiques.

C. I. Pelitli, Saggio sul buon governo delta mendicilà,

etc. Torino, 1827. 2 volumes. De Gérando, De la bienfaisance publique. Paris 1839.

4 volumes, (irenier, Essai de bibliographie charitable. Paris, 1891.

§ 2. LA MONNAIE

Les grands événements qui séparent le moyen âge do l'état moderne, c'est-à-dire la chute de l'empire romain d'Orient, les grandes découvertes géographiques, l'in- vention de la poudre et celle de l'imprimerie, la renais- sance des études classiques, la décadence de la féoda- lité, la constitution des monarchies, le schisme religieux, etc., etc., et les autres faits de caractère plus purement économique, comme les nouvelles directions des routes commerciales et les transformations des rapports com- merciaux entre l'Occident et l'Orient, les altérations monétaires continues et, en iriême temps, l'afflux en Europe des métaux précieux venant des riches mines découvertes en Amérique, la prépondérance toujours

184 LES MONOGRAPHIES

plus grande de l'économie monétaire sm' l'économie natu- relle, qui caractérise le moyen âge, et la multiplication des établissements de crédit ; la confiscation des biens des corporations religieuses dans les pays protestants et l'augmentation de l'indigence, l'excès de la population, la fondation des colonies, l'émigration et les relations économiques avec les pays d'origine qui en furent la conséquence ; l'institution des armées permanentes, l'augmentation progressive des dépenses publiques, et le besoin toujours plus grand de nouvelles recettes fis- cales, appellent, au x\f siècle et dans les siècles sui- vants, lattention des penseurs sur les problèmes qui concernent la circulation et les finances.

Les écrivains de minéralogie, dans leurs études sur les métaux précieux, s'occupent aussi de la monnaie ; ils effleurent souvent les questions économiques et quel- quefois même^ comme le célèbre Jules Agricola dans son livre De re metallica (lùdD), il les approfondissent. Les antiquaires et les numismates en parlent aussi dans leurs études sur les monnaies anciennes (Budée, Alciat, etc.i, sur les monnaies modernes (Borghini, pour les monnaies de Florence) ; c'est un objet d'étude pour quel- ques moralistes, comme l'aristotélicien Auguste Nifo, de Sienne, dans son o^îuscule De divitiis (1531). Les juris- consultes s'en occupent longuement, spécialement dans le but de déterminer les conséquences légales des alté- rations, faites par les princes, du poids, du titre, et des rapports de valeur des monnaies. Bartole de Sassofe- rato '1313-J359) et ses nombreux élèves parlent de la monnaie dans des œuvres générales ; il existe aussi de courts traités spéciaux par Martin Garrati (de Lodi) (1438), François Corti (de Pavie, 1482), Albert Bruno (d'Asli, 1506) et quelques autres dont les travaux ont été réunis dans les collections De monetis faites par les écrivains allemands Mathieu Boyss(1574), Reinero Bu-

LES MONOGRAPHIES 185

delio (1591) et par le piémontais Gaspard Tesauro(1609). Les ouvrages plus récents d'Antoine Sola (1541), d'An- toine Favre (1609) et plus encore, les ouvrages sur le Cliangenient des monnaies deChar\esDumou\in{Opera omnia. Paris, 1638) et du jésuite espagnol Mariana, (Toledo 1599), ont une valeur plus grande. Tous ces écrivains, qui savaient en quoi consiste la bonitas in- trinseca des monnaies et qui ont dépeint parfois avec de vives couleurs les dangers économiques des altérations, les ont déconseillées aux princes ; mais, partant de cette maxime que la valor impositus constituait l'essence de la monnaie, ils ont soutenu que les altérations des monnaies étaient, dans certains cas, légitimes.

Giuseppe Salvioli, Il diritto monetario italiano. Milano, 1889 {'mEnciclopedia giirridica. Vol. X. P'" II l, eh. XetXI.)

G. A. Conigliani, Noie storiche sulla qiiestione giuridica dei pagamenîi moneiari. Modena, 1891.

Il faut attribuer une grande importance à quelques écrivains qui étudient ce sujet sous son aspect purement économique. Le plus ancien est le célèbre astronome Nicolas Copernic, qui, vers 1526, écrivit, sur la de- mande de Sigismond l", roi de Pologne, un petit traité De monetae cudendae ratione, resté inédit jusqu'en 1816, réimprimé et traduit en français par Wolowski (1864). Copernic expose clairement les fonc- tions de la monnaie, il critique les altérations et le sei- gneuriage, dont il montre les dangers, il est partisan de l'alliage, entrevoit le théorème de Gresham et pré- conise la concentration et la simplification du régime monétaire; il a surtout en vue la condition des pro- vinces prussiennes, alors sujettes de la Pologne.

A. Montanari, Aicolô Copernico, etc. Padova, 1873. (2'-" édit. 1877.)

186 LES MONOGRAPHIES

Presque à la même époque un anonyme [Gemeine Stlmmen von der MLlntze, 1530. Apologie, etc., 1531), dans sa défense de la bonne politique monétaire des princes saxons de la branche albertine (contrecarrée par les partisans de la branche ernestine), expose des idées fort exactes sur le caractère de la richesse, du com- merce et de la monnaie.

W. Roscber, Ueber die Bliithe deutscher Naiionalu- konomik im Zeitalter der Reformation Berichie der sàchsischen Gesellschaft der Wiss. Phil. hist. Classe. 1862, pag. 145 et su iv.)

W. Lotz, Die Drei Flugsc/iriften iiber den Mûnzstrcit, etc. Leipzig-, 1893.

Dans la longue série des ouvrages français sur la mon- naie, dont quelques-uns sont relativement anciens et n'ontpas encore été étudiésde près, comme, parexemple. ceux de Grimaudet, Garrault (1586), PouUain (1621), Boutteroue (1666), Le Blanc (1690), Boizard (1692), Dupréde Saint-Maur (1746), Bettange (1760) et Abbot de Bazinghen (1764), nous rappelons seulement celui de Jean Bodin ^ 1530-1596] qui, dans son ouvrage De In République (1576), propose la suppression de Talliagc, la fixation de la valeur relative de Tor et de l'argent à 12 pour 1. la frappe de monnaies d'or et d'argent de poids égal et de valeur proportionnelle, l'unité des hôtels de monnaies, etc.

C. A. Conigliani, Le dottrine moneiarie in Francia du- rante il média evo. Modena, 1890.

Les anglais possèdent aussi une série nombreuse d'écrivains monétaires remarquables, dont on trouvera la liste dans Jevons, Investigations in Currency and Finance. London, 1884, p. 363 et suiv. Parmi les plus importants il faut citer W. Petty (1682), J. Locke

LES MONOGRAPHIES 187

(1682-95), N. Barbon (1606), le fameux Rej^ort (1717) crisaac Newton et, enfin, le traité de Joseph Harris [An essay on money and coins. London, 1757-58), récemment réimprimé.

Une place éminente, parmi les écrivains monétaires, appartient, sans aucun doute, aux italiens, comme cela est généralement reconnu par les écrivains étrangers. Et cela deviendrait plus évident encore si un de nos jeunes économistes s'occupait, avec le soin nécessaire, de ce sujet si intéressant.

Au xvi" siècle, en dehors de la courte et très élégante Lezione délie monete (1588) de Bernard Davanzati {Scrittori classici italiani di Economia, politica. Parte Antica. T. II. Milano, 1804, p. 17) qui résume les idées fondamentales, il faut signaler, avant tous les autres, Gaspard Scarufïî, de Reggio en Emilie (1519-1584), négociant, banquier, quelque temps essayeur et ensuite adjudicataire de l'Hôtel des monnaies, l'auteur de YAli- tinonfo (c'est-à-dire la véritable lumière), écrit de 1575 à 1579, édité à Reggio en 1582, commenté par Prati- suoli avant 1587 (Reggio, 1604) et réimprimé dans un des volumes de la Collection de Custodi. Il expose avec beaucoup de profondeur et de compétence, mais avec une prolixité excessive, les fonctions de la monnaie ; il en déplore les désordres et propose comme remède un système monétaire unique, basé sur le rapport fixe de valeur de 12 à 1, qu'il considère comme excellent et qui a été, d'ailleurs, conseillé par le divin Platon, et qui est à peu près conforme au rapport réel de cette époque ; il ajoute, enfin, que les dépenses de fabrication doivent être payées par celui qui fait frapper les monnaies, l'Etat devant d'ailleurs prendre sur lui une partie de ces dé- penses.

Andréa Balletti, G. Scaruffi e la quesiione monelarla nel secolo XVI. Modena, 1882 (Bon travail, très

188 LES MONOGRAPHIES

soigné dans sa partie biographique et dans son exposition).

Au xvri^ siècle, il faut rappeler, en dehors des Discorsi de JeanDonato Turboli, meilleur directeur d'Hôtel des monnaies qu'économiste (1616-29), deux œuvres écrites vers 1680 par le savant modénais Geminiano Montanari (1633-1687), professeur à l'Université de Padoue, imprimées soixante-dix ans après dans la Raccolta di opère sulle monete d'Argelati (et ensuite reproduites dans la Collection de Custodi), dans lesquelles on retrouve, à chaque pas, l'influence de Bodin.

Enfin, au xviii^ siècle, qui fournit le plus grand nombre de monographies sur ce sujet, il faut citer en dehors des volumes diffus et érudits du comte G. R. Carli, de la traduction et des commentaires des œuvres de Locke, dues au florentin Pagnin.i, des écrits de Brog- gia (1743) et de Vasco (1772), les opuscules popu- laires de Eeccaria et ceux de Pierre et d'Alexandre Verri :

Joannes Ceva, De re nummaria quoad fieri potuit geo- metrice pertractata. Mantuae, 1711. (Opuscule que nous avons communiqué à Nicolini qui l'a com- menté dans le Giornale degli Economisti.\o\. VIII. Padova, 1878 et signalé ensuite à Jevons, qui l'a cité dans sa Bibliographie des économistes ma- thématiciens).

Ferdinando Galiani, Délia Moneia. Napoli, 1750 (Pu- blié sans nom d'auteur dans sa jeunesse et réim- primé en 1780 sous son nom et avec de nom- breuses notes). C'est le meilleur traité italien; sa forme est également remarquable.

V ov!\\i&o 'i^ev'i , Osserimzioni sut prezzo légale délie mo- nete. Milano, 1751, in-4. (Œuvre extrêmement remarquable.)

Cr. Ad. Soetbeer, Literaturnachweis ûber Geld und Mïinzwesen. Berlin, 1892.

LES MONOGRAPHIES 189

§ 3. l'enghérissement des prix

L'enchérissement des prix a été étudié incidemment par les auteurs que nous venons de citer, parce que c'est un sujet étroitement lié à celui de la monnaie. La hausse des prix faisait sentir ses effets perturbateurs tout particulièrement sur ceux qui avaient des revenus fixes en argent ou des créances résultant de contrats à longs termes. Si quelques écrivains, comme l'évêque Ugo Latimer, dans ses Sermons (1549), attribuaient ce fait à l'avarice des propriétaires qui haussaient arbitrai- rement la rente, et si d'autres (comme Frank, Zwingle, Melanchton, Henckel) y voyaient l'effet des monopoles des commerçants et des spéculations des usuriers, il ne manque pas d'écrivains, en France et en Angleterre, qui ont expliqué cette grande révolution économique d'une façon moins exclusive et plus conforme à la vérité.

Tandis que le seigneur de Malestroit {Paradoxes sur le fait des monnaies. Paris, 1566) affirmait que ren- chérissement des prix était seulement apparent , parce que il avait pour cause les altérations des monnaies si, disait-il, contre une même quantité de marchandise, il faut donner un plus grand nombre de pièces dimi- nuées, c'est qu'il en faut ce nombre pour faire la même quantité de métal fin que par le passé , Jean Bodin réfutait cette affirmation dans deux opuscules, qu'il a ensuite résumés dans sa République.

J. Bodin, Réponse aux Paradoxes de M. de Malestroit

touchant renchérissement de toutes les choses^ etc.

Paris, 1568. Discours sur le rehaussement et la diminution des

monnaies. Paris, 1578. L'anonyme, Discours sur les causes de l extrême cherté,

etc. Paris, 1574 (réimprimé dans les Archives

190 LES MONOGRAPHIES

curieuses de l'histoire de France, etc. Vol. VI, série I. Paris, 1835), donne un résumé de Bodin avec des notes sans valeur.

Bodin démontre que le.s causes principales de ren- chérissement des pri.\ sont l'abondance de la monnaie, résultat de l'augmentation de la production des métaux précieux et en particulier de l'argent, de l'importance acquise par le commerce extérieur et par les capitaux qu'attirait la banque de Lyon. Il reconnai.s.sait encore comme causes importantes le luxe des riches, la libre exportation du blé, les monopoles, le mauvais état des monnaies. Il voulait porter remède à tout cela par des réformes monétaires et fiscales qui tendraient à protéger l'industrie nationale par des droits élevés d'importa- tion, etc.

Une opinion contraire à celle de Malestroit et en apparence seulement différente de celle de Bodin est défendue par un autre économiste français, François de Grammont, seigneur de Saint-Germain, secrétaire de Louis XIII. Il est l'auteur d'un ouvrage curieux et peu connu, écrit, semble-t-il, sur l'ordre de Richelieu. Il cherche à prouver combien sont injustes les plaintes des contribuables français sur l'augmentation des im- pôts, qu'il ne croit qu'apparente, puisque le trésor l'oyal ne peut pas avec l'argent reçu acquérir plus de richesses qu'il ne le faisait avec les anciennes contribu- tions nominalement plus faibles. Il soutenait (contre Ma- lestroit) que la quantité de l'argent a augmenté effecti- vement, et qu'il faut en donner davantage pour obtenir la môme quantité de marchandises, mais il objecte à Bodin que, bien queTunité de valeur de la monnaie ait réelle- ment diminué, sa valeur totale est demeurée la même.

Scip. de Grammont, Le denier royal, traité curieux de l'vret de l'argent, etc. Paris, 1620 XXII-299 pag.).

LES MONOGRAPHIES 191

C. A. Conigliani, L'aumento apparen'e délie spesr puh- hliclie e il Denier royal, etc. Milano, 1890 (in Filangieri, XV« année, lasc. V;.

Nous devons citer encore un Dialogue anglais entre un propriétaire, un fermier, un commerçant, un fabri- cant de bonnets et un docteur en droit, qui diri,2:e la discussion. Ce dialog-ue est remarquable par l'abon- dance des faits recueillis par une observation directe et par la vivacité avec laquelle est exposée la diversité des opinions sur les causes, les effets et les remèdes de la révolution des prix. Les plaintes, les explications et les propositions sont naturellement différentes et souvent contradictoires. Ce dialogue, édité en 1581. par A\'. S. (William Stafford. d'après Farmer). réimprimé en 1751 (et attribué à Shak.speare), puis de nouveau dans le volume IX de la Harleian MisceLlany, a été finalement reproduit par l'excellente Slialispeare Society. Il ré- sulte des reclu-rcbes approfondies d'Elisabetli Lamond {Engllsli Hisi.orical Review, avril 1891) que ce dia- logue, écrit dès 1549 et probablement par John Haies (mort en 157'2j, a été publié par Stafford avec quel- ques omissions (dont l'une expo.se nettement ce qu'on appelle la loi de Gresham) et quelques adjonctions, dont la plus remarquable est celle Stafford (après Hodin) indique la great store and plenty of treasure comme une des causes de renchérissement des prix. Haies voit, au contraire, la cause du renchérissement dans les altérations monétaires et dans la transforma- tion des terres cultivées en blé, en prairies pour l'éle- vage des brebis. Il croit pouvoir remédier aux dan- gers qui en résultent par quelques mesures douanières et eu particulier par des droits élevés à l'exportation de la laine et par la libre exportation des céréales.

W. S., A conipendious or briefe examinalion of cer-

192 LES MONOGRAPHIES

tayne onlinary complaints, etc. London, 1581 fréimprimé avec une introduction de J. D. Mat- thew et avec des notes de F. J. Furnivall. Lon- doii; 1876).

E. Nasse, Ueber eine volksicirthschaftliche Sclwift aus (ter Zeit cler Preisrevolution, etc. (in Zeitschr. fur die ges. Staatswiss. 1863, pp. 369-391).

Thomas Gresham, Information touching the fall of ihe exchainge, 1558 (réimprimé par E. de Lave- leye dans les Jahrh. f. Xat.Oelc de B. Hildebrand., 1882, vol. IV. pp. 117-119).

§ 4. LES PAIEMENTS INTERNATIONAUX.

De tous les économistes de la première moitié du xvii* siècle, la première place appartient, à plus d'un titre, à Antoine Serra qui écrivit dans les prisons de la F/ca- ria, il était enfermé, non pas comme complice de Campanella (comme l'a imaginé Salfi), mais comme accusé de faux monnayage (comme l'a démontré Ama- bile), son Brève trattato délie cause che j)Ossono fare abbondare li regni d'oro e d'argento dove non sono minière. (Napoli, 1613j.

Ce petit ouvrage eut une destinée curieuse. Oublié par les contemporains, trouvé par hasard par Intieri, qui en donna une copie à Galiani, il fut porté aux nues par celui-ci dans la seconde édition de son traité Délia moneta. (1780). Il fut ensuite réimprimé par Custodi et signalé avec des éloges hyperboliques par Peccliio. par Bianchini et par presque tous les historiens de l'éco- nomie politique, qui ne se sont pas souciés de le lire en entier, etc'estlàcequi explique comment Serra est, pour quelques-uns, le fondateur de l'économie, pour d'autres, le créateur ou un défenseur, et pour d'autres enfin un adversaire du système mercantile, dont on ne peut même pas avec certitude le déclarer partisan. Travers

LES MONOGRAPHIES 193

Twiss {View of the jorogress,. etc. London, 1847, pp. 8- 10, 32-33, 51, 75, 163), Ferrara {Biblioteca cleW Eco- nomista, série I, vol. III, Torino, 1852, pp. xLviir-Lv), et Pierson (Bijdrage tôt de geschiedenis, etc. Ams- terdam, 1866, pp. 8-13, 29-30), sont les seuls qui se soient efforcés, avec beaucoup de soin, sinon avec un plein succès, de porter un jugement exact sur cette œuvre si importante.

Depuis l'analyse très soignée de la polémique entre De Santis et Serra publiée par Fornari, Gobbi a étudié attentivement le Brève trattato et il a exposé, avec beaucoup de perspicacité, mais en partie seulement, son contenu. Enfin, De Viti, un éminent spécialiste en matière de monnaie et de change, nous a donné un excellent commentaire (auxquel Benini a joint quel- ques gloses), qui pourra faciliter la comparaison du mérite de Serra avec celui de ses contemporains et de ses prédécesseurs.

Tommaso Fornari, Studii sopra Antonio Serra e Marc'

Antonio De Santis. Pavia, 1879. U. Gobbi, La concorrenza estera, etc. Milano, 1884,

pag. 49 et suiv. Veconomia poliiica negli scrittori italiani. Milano,

1889, pag. 176 et suiv. A. De Viti De Marco, Le teorie economiche iVAnt.

Serra. Milano, 1890 (In Memorie del R. Instituto

Lombardo di Scienze, série III, vol. IX, pp. 103-130).

Comme cela résulte du titre du Traité et de ses affir- mations souvent répétées. Serra, en discutant un sujet nouveau et de caractère scientifique, ne se préoccupe pas (comme l'avait fait Bottero) des causes de la richesse, mais seulement de celles qui amènent l'abondance de la monnaie. Il n'a pas étudié légèrement un problème trop vaste ; il a étudié correctement et avec des idées larges un problème restreint et il l'a fait avec une mé-

13

194 LES MONOGRAPHIES

thode excellente et sans digressions, mais cependant avec beaucoup de répétitions qui s'expliquent, en partie, parla circonstance qui l'avait amené à écrire. Sans dis- cuter la question de l'échange international, étrangère à son sujet et pour laquelle il eût été d'ailleurs incom- pétent, car il ignorait la théorie quantitative de la valeur de la monnaie et celle du coût comparatif, et en s'abste- nant aussi de parler du change réel, Serra donne une explication exacte du phénomène des paiements interna- tionaux en monnaie. Il montre que Tabondanee de la monnaie, dont l'importance est, pour lui, un axiome, dépend de causes naturelles (les mines) et de causes artificielles; ces dernières se subdivisent en accidents propres (qui ne peuvent pas être créés), ce sont l'excé- dent des produits de la terre sur les besoins de la con- sommation indigène et une position géographique favorable au commerce, et en accidents communs (que l'on peut chercher à réaliser), ce sont le nombre des industries (manufactures), la qualité de la population, le grand trafic et l'aide du gouvernement. On voit la grande analogie qu'il y a entre les causes de la richesse indiquées par Botero, que Serra avait sans doute consulté, et les causes de l'abondance de l'argent dont ce dernier donne une meilleure classification, supérieur ici encore à son prédécesseur en ce que, tout en préférant lui aussi les manufactures à l'agriculture, il parle (comme Ta remarqué le premier Nazzani dans son Saggio sulla. vendita, fondlaria, 1872) de la loi limitative de la pro- duction agraire. Quanta la politique économique, Serra demande la liberté d'exportation de la monnaie et celle du change, que son adversaire Marc-Antoine De Santis deNocera, dans ses Discorsi (1605), voulait empêcher et restreindre par des défenses d'exportation et par des tarifs légaux. Il croyait que ces expédients pouvaient faire entrer de la monnaie dans l'Etat, mais il se fondait

LES MONOGRAPHIES 195

sur une théorie absolument inexacte de la valeur de lu monnaie et sur cette hypothèse fausse que le change défavorable est la cause et non l'effet de la rareté de la monnaie, tandis qu'il dépend de la faible importance de l'industrie manufacturière, de l'absentéisme d'un grand nombre de citoyens riches, et du grand nombre de négociants étrangers. Serra n'indique, d'une façon explicite, aucun remède, se réservant de parler « dès que le maitre l'aura ordonné ». Mais le gouvernement, qui accueillait les opinions des empiristes et qui édictait des Pragmatiques inspirées par De Santis, ayant fait interroger en 1617 Serra, le renvoya aussitôt en prison, parce que, d'après un chroniqueur cité par Fornari (pag. 262), il n'y avait dans ses conclusions que du verbiage.

Le mérite des travaux de Biblia 'Discorso sopra l'ag- giustamento dellamoneta e cainhr'i ciel Regno, 1621) semble disparaître à côté de celui de Serra. Il considère comme fixe le rapport de valeur entre l'or et l'argent et il veut, lui aussi, que la loi fixe le taux légal du change avec Tétranger. Il faut citer aussi les ouvrages de Vic- tor Lunetti {Politica mercantile. Napoli, 1630; Pds- tretto de' tesori, etc., 1640), qui demande la prohibition de l'exportation de la monnaie et l'abolition des douanes.

Il est, au contraire, un autre ouvrage qui mériterait d'être l'objet de quelque travail (et De Viti nous l'a promis), c'est l'œuvre économico-juridique du bolognais Romeo Bocchi ; mettant à profit les fruits de ses lec- tures, de ses expériences et de ses nombreux voyages, il s'efforce d'expliquer le mécanisme des paiements et, en particulier, des paiements par compensation pen- dant les foires,

Romeo Bocchi, Délia giusta unlversale misura e suo iipo. Tome I : Anima délia moneta. Tome II : Corpo délia moneia. Venezia, 1621. (Gobbi, VEconomia

196 LES MONOGRAPHIES

polUica, etc. Milano, 1889, pp. 164-175. en a donné un bon extrait.)

,^ 5 . LES BANQUES DE DÉPÔT ET DE ClRCULATrON

Les banques publiques de dépôt sont nées au xv^ siècle (Barcelone, Valence, Saragosse), au xvi'" siècle (Trapani, Gênes, Palerme, Messine, Naples, Venise, Milan) et au xvii'' siècle (Amsterdam, Rotterdam, Ham- bourg, Nuremberg) sur la ruine des banques privées, en général tombées en faillite. Elles avaient pour but de faire des prêts à un intérêt modéré (Naples', de sim- plifier les paiements entre commerçants en les rempla- çant par de simples virements de compte (Gênes, Ve- nise, Sicile), de créer une valeur idéale de banque ramenée à une quantité fixe d'argent, et partant sous- traite aux périls de la multiplicité et de l'altération des monnaies (Amsterdam 1609, Hambourg 1619), et fina- lement aussi de consolider et d'amortir la dette de l'Etat (Gênes) ou celle de la commune (^Milan) par le recouvrement d'impôts cédés à la Banque elle-même. On a écrit sur ces banques, non seulement des mono- graphies historiques pour faire connaître (en attendant une histoire générale du crédit) chacun des établisse- ments, mais aussi quelques ouvrages théoriques, qui sont les débuts de la littérature bancaire.

Parmi les nombreux ouvrages historiques sur les banques de Gênes (Serra, Lobero, Cuneo, Wisnievvski), de Naples (Rocco, Ni.sco, Petroni, Ajello, Tortora), de Venise (Lattes, Ferrara), je n indiquerai que les travaux récents et très remarquables de Cusumano, Piccolo- mini, Soresina, Dunbar, qui ont éclairci sur certains points l'histoire d'un grand nombre de banques italiennes.

V. Cusumano, 67or/a dei banchi di Sicilia. Vol. I:

LES MONOGRAPHIES 197

I banchi privaii. Roma, 1887. Vol. Il: I banchi

piiblici, 1892. Narc. Mengozzi, Il monte dei Paschi. Siena, 1891. Nie. Piccolomini, Il monte dei Paschi, etc. Vol. I-IV.

Siena, 1891-93. Am. Soresina, Il banco giro di Venezia. 1889. Ch. Dunbar, The bank of Venise ( In Quartely Journal

of économies. Vol. VI. Boston, 1892).

La constitution du Banco di Rialto à Venise (1587) et de celui de Saint- Aynbrogio , à Milan (1598) ont été l'occasion d'intéressants ouvrages théoriques ; le Banco de Gênes et le Banco Giro (1619) de Venise ont suscité des ouvrages purement descriptifs (Merello), des ou- vrages d'histoire (Trevisan) et de comptabilité (Cavalà).

Elie Lattes a réimprimé deux célèbres discours, abso- lument contraires, attribués au sénateur Thomas Con- tarini, et prononcés en 1584, au moment de la fonda- tion du Banco di Rialto. Celui qui est favorable aux banques publiques rappelle les abus multiples, les opérations imprudentes, les faillites des banques pri- vées. En sens contraire, le second discours fait remar- quer que l'Etat ne doit pas de se faire marchand ; que l'obligation de payer en valeur de banque pourrait être dans certains cas très lourde ; que dans les moments de crise financière, la tentation de se servir de l'argent déposé deviendrait trop forte ; que, finalement, la fail- lite de la banque publique aurait des conséquences beaucoup plus graves que celle des banques privées.

Le négociant milanais Jean Antoine Zerbi, qui avait étudié, dans ses voyages, les banques espagnoles, sici- liennes et en particulier celle de Saint-Georges, recom- mande fortement de fonder une banque semblable, en recueillant l'argent nécessaire au moyen de luoghi (actions), de dépôts de cartularlo et de molteplici (actions augmentées de l'intérêt composé) ; il décrit les

198 LES MOxNOGRAPIIIES

opéi'ations de la banque et énumère les avantages économiques et fiscaux qui en résulteraient. Les résul- tats furent bien dillérents de ceux qu'on avait prévus; la banque, créancière et fermière des impôts delà ville, fut sur le point do tomber en faillite en 1G30, et, trans- formée plus tard en Monts-de-piété de Saint-Charles, de Sainte-Thérèse, Napoléon et Lombardo-\'énitien, elle devint une simple administration de la dette pu- blique.

E. Lattes, La Libéria délie banche a Venezia. Milano,

1869, pp. 118-160. C. A. Zerbi, Dialogo del banco di S. Ambrosio. Milano,

1593. Del banco di S. Ambrosio, 1597. JJis-

corso in forma di dialogo iniorno al banco di S.

Ambrosio, 1599 fCfr. Em. Greppi, Il banco di S.

Ambrosio. Milano, 1882). Mich. Merello, Brève dichiarazione delV instituzione

délia campera di S. Giorgio, etc. Genova, 1607. Bern. Trevisan, Inf'ormazione per il banco del GirOy

écrite après 1680 (Dans la traduction de la

Science dit commerce de J. Sonnleithner, faite en

italien par F. Viganô. 3" édition, Milano, 1863,

pp. 293-299, G. Cavalà Pasini, La scuola in pratica del banco

giro, etc. Venezia, 1741.

Il faut ajouter que V. Lunetti (cité dans le précé- dent) fit, en 1630, au gouvernement napolitain la pro- position de créer une Tavola délia R. Corte, privilé- giée pour le paiement des commerçants, qui devait céder une part de ses bénéfices au fisc (pour éteindre ses dettes), et un Offîciodell' aboyidanza. Il ne faut pas oublier non plus un abbé Norbis (un italien), cité par le professeur Bidermann {Die Wiener Stadt-Bank. Wien, 1859) qui émit l'idée de fonder à Vienne un Banco- giro, qui eut une très courte durée.

La littérature anglaise sur les banques de circulation

LES MONOGRAPHIES 199

e.st plus récente, plus abondante et plus intéressante. Elle commence par une série ininterrompue de projets et de polémiques, qui précédèrent et accompagnèrent la fondation de Téphémère Land-Bank et celle de la Banque d'Angleterre, créée en 1694 par l'écossais Guil- laume Pattersonj Con/ere?îce on the public debts, 1695) et dirigée par Michel Godfroy (A short account ofthe Bank of England. 1695), qui prêta à l'État son capital et mit en circulation des billets qui rapportaient d'abord environ 3 pour cent, et qui cessèrent d'être pro- ductifs d'intérêt après 1700.

J. R. Mac Culloch, The UUerainre of political eco- nomy. London, 1945, pag. 155 et suiv. (Pas tou- jours exact ni impartial dans ses jugements).

Lord Macaulay, Hisiory of England, vol. IV.

Eug. V. Philippovich, Lie Bank von England. "Wien, 1885.

J. E. Tti. Rogers, The firsc nine years of the bank of England. Oxford, 188".

Clî. F. Dunbar, Xotes on earbj banking schemes (in Quarterly Journal of Economies, vol. II. Boston, 1888, pp. 482-490.

Priée (Handbook of London Bankers, pag. 142 et 145) raconte qu'un certain Hagenbuck, qui se disait italien, fit, dès 1584, la proposition de créer une banque publique à l'imitation de celle que l'on voulait fonder à Venise et que, en [Q'2'2. une proposition semblable fut faite par un certain FLobert Heatii. D'autres projets se succédèrent sans interruption dans la seconde moitié duxvii^ siècle et dans la première moitié duxviii"^. Les uns proposaient des banques de dépôt sur le type hol- landais, comme Lambe , d'autres, sur le type vénitien, comme Lewis. Pother et Cradocke proposèrent au Par- lement anglais, comme plus tard Law au Parlement écossais, l'institution d'une banque territoriale^ qui,

200 LES MONOGRAPHIES

prêtant son capital à l'Etat, ferait ensuite des prêts à la propriété, en se procurant les moyens nécessaires par rémission de billets à vue et au porteur, munis d'une simple garantie hypothécaire. Le plus absurde de ces projets, celui d'Ugo Chamberlain et John Briscoe (1690) aboutit à la Land-Bank .

S. Lambe, Seasonable observations, etc., 165<.>.

M. Lewis, Proposais io increase trade, 1G77. Pro- posais io ihe Kinrj, 1678. A short ntodel of banli, etc.

W. Potier, Key io iceallh, 1651. Humble i>roposals. 1651. Tradesrnan's Jeicell, 1661.

F. Cradocke, An expédient to make aicay ail impo- sitions, 1660. Weallh discovered, 1659.

John Law, Money and trade considered. etc., 1705; traduit par l'auteur, sous le titre de : Considéra- tions sur le numéraire et le commerce, 1720.

Du billet de banque garanti par la propriété fon- cière imaginé par Law, il est facile de passer au billet inconvertible, expérimenté sous la régence de Philippe d'Orléans. L'histoire critique du système de Law a été faite d'abord par Thiers (1826), qui a été un juge trop bienveillant, puis par Daire (1843), qui a été trop .sé- vère ; Cochut a fait connaître les anecdotes et les satires de l'époque (1853); Horn (1858) et Alexi (1885) se sont également occupés de cette question. Il faut con- sulter de préférence :

Em. Levasseur, Recherches historiques sur Le système de Law. Paris, 1854. (Travail très soigné.)

J. Heymann, Law und sein System. Miinchen, 1853. (Examine spécialement les doctrines).

Au système se rattachent un grand nombre d'ou- vrages d'auteurs contemporains, adversaires impla-

LES MONOGRAPHIES 201

cables (Paris Duverncy), partisans plus ou moins dé- clarés (Melon, Dutot), historiens impartiaux, comme Forbonnais (Recherches et considérations sur les finances en France, vol. V, Liège, 1758), sur lesquels il n'est pas utile de donner des indications plus détail- lées.

CHAPITRE IV LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

Les Etats modernes, issus des ruines du féodalisme, avaient besoin de revenus toujours plus grands pour subvenir aux dépenses de la nouvelle organisation militaire, politique et administrative, aux dépenses de guerre et au luxe des cours. Les anciens expédients financiers, revenus domaniaux, confiscations, contri- butions de guerre, ne pouvaient plus suffire, même en y joignant les expédients nouveaux, dons gratuits, régies fiscales, vente des charges, des monopoles indus- triels et commerciaux, concédés à des individus ou à de grandes compagnies. La transformation de l'ancienne économie, reposant sur l'échange en nature, caracté- ristique del'époque féodale, en économie monétaire, con- séquence nécessaire de la naissance des manufactures et du commerce et aussi de l'importance toujours croissante de la richesse mobilière des villes, attirait toujours davantage l'attention des gouvernements, qui commençaient à se persuader que la prospérité de TEtat a son fondement principal dans le bien-être écono- mique du peuple. Il en résulta une série de disposi- tions législatives qui vinrent confirmer, modifier ou changer les lois de la période précédente ; celles-ci s'inspiraient d'idées indéterminées et contradictoires, ou tendaient à procurer des revenus au fisc ou aux favoris du prince sans se soucier de l'utilité géné- rale.

204 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

C'est ainsi que la législation économique de quelques Etats, tout en conservant son caractère empirique, gagne en unité et s'inspire de critères généraux. Ceux- ci varient nécessairement avec les conditions des diffé- rents pays, suivant qu'ils sont principalement agricoles, qu'ils possèdent déjà ou cherchent à posséder des manufactures, qu'ils cherchent à s'enrichir par la navi- gation et le commerce, spécialement par le commerce international. Nous ne devons donc pas nous étonner de la coexistence ou de la succession de systèmes absolument opposés, puisque tous aspirent à assurer l'autonomie et quelquefois la prépondérance aux Etats qui les adoptent et qu'ils partent de conceptions abso- lument différentes suivant qu'ils tendent à favoriser l'agriculture, les manufactures, le commerce dans l'intérêt des classes dominantes, ou qu^ils cherchent à préserver la nation de certains dangers moraux, réels ou supposés, par de rigoureu.ses lois somptuaires, des défenses absolues d'importation des marchandises étrangères, ou qu'ils A'eulent préserver les con.som- mateurs des disettes et amener l'abondance de la mon- naie. La lutte des différentes classes, représentant des intérêts opposés, et plus tard la louable intention des gouvernements d'assurer le bien-être de la nation en accueillant les demandes légitimes et en repoussant les prétentions injustes sont l'origine des sy.stèmes em- piriques de politique économique. Nous trouvons dans les œuvres auxquelles ils ont donné naissance des germes théoriques précieux qui deviennent, dans la période suivante, des éléments plus ou moins importants de systèmes vraiment scientifiques.

Avant de nous occuper des systèmes empiriques, dont les meilleurs représentants sont fournis par un nombre considérable d'écrivains du xvii^ et de la pre- mière moitié du xyiii*^ siècle, nous devons mentionner

LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 205

quelques publicistes, dont quelques uns très anciens, qui ont écrit des ouvrages de politique générale ou de politique économique, se trouvent résumées la pra- tique courante et les idées dominantes de leur temps.

Ce sont : au xiv^ siècle, Jean Ser Cambi, historien et politique et, au xv^, un poème anonyme sur la politique anglaise (1436), qui défendent le système protecteur et sont ainsi en opposition nette avec les idées relativement libérales de Diomède Carafa; au xvi'' et au commence- ment du wïi", Melchior Ossa et Georges Obrecht, dont les œuvres (résumées par Roscher) laissent dans l'ombre celles du plagiaire Gaspard Klock (De contributionibus, 1634 Deaerario, 1651), auquel Held et, il y a quelques années, Stein ont prodigué des éloges immérités.

Joannes Ser Cambii, Monila Guinisiis {\n Miscellanea de Baluzio. Lucca, 1764, tome IV, pag. 81).

The Libell of Enylish Policye (1436), édité par R. Pauli. Lipsia, 1878.

Parmi les écrivains politiques qui se sont occupés plus spécialement de questions économiques et finan- cières et en général des questions d'administration, la première place appartient sans conteste à Jean Bodin (1530-1596). Dans le sixième livre de son œuvre prin- cipale [De la, République, 1576), développée dans la traduction latine (1584), il tient compte de l'influence du climat et du sol et donne un système complet de politique économique et financière ; il réclame la libre importation des denrées alimentaires et des matières premières, des droits élevés à l'importation des produits étrangers et la défense d'exportation des céréales et des matières premières. Cela ne l'empêche pas d'ailleurs de déclarer que le commerce doit être franc et libre.

H. Baudrillart, Jean Bodin et son temps. Paris, 1853.

206 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

La seconde place appartient à Jean Botero (1540- 1G17), qui reproduit les idées économiques de Bodin; il préfère seulement la prohibition aux droits élevés sur les marchandises étrangères. Il est incompétent en matière de monnaie et de crédit, mais il développe et perfectionne dans certaines parties la théorie de limpot, qu'il considère comme la source ordinaire des revenus de l'État [Délia, ragion cli Stato. Roma, 1589).

Parmi les politiques de moindre valeur il nous suf- fira de citer le jésuite espagnol Mariana [De rege et régis institutlone, 1599), le compilateur érudit, mais indigeste, Grégoire de Toulouse (De RejDubUca, 1597), Celse Mancini de Ravenne, auteur du livre De juribus jjr.inclpatiun (1596), commenté par Rava (1888), Sci- pion Chiaramonti de Cesena {Delta ragione di Stato, 1635), disciple de Botero, qui a sur le commerce des idées plus larges, et enfin Jacques Bornitz [De nummis, 1608 De rerum sufficientia in republica, 1625), compilateur d'ouvrages spéciaux sur la politique éco- nomique. Tous ces écrivains sont d'ailleurs inférieurs par plus dun point au hollandais Boxhorn qui a écrit des Institutiones politicœ (Amsterdolami, 1643) qui ont été très répandues même en Ualie.

Le poète normand Antoine de Montchrétien, qui a été porté aux nues par Duval et plus encore par Funck- Brentano qui le proclame fondateur de l'économie politique, est un contemporain de Serra, mais il lui est inférieur et pour le fond et pour la forme. Il dédia au roi Louis XIII et à la reine régente Marie de Médicis un Traité, dans lequel il expose sans beaucoup d'ordre ses idées et ses propositions, de caractère restrictif sur les manufactures et le commerce terrestre et maritime, mê- lant, comme l'a remarqué impartialement Baudrillart, à beaucoup d'erreurs de doctrine et de fait quelques bonnes observations sur le travail et la concurrence.

LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 207

Nous ajoutons qu'il faut tenir compte à Montchrétien d'avoir demandé une protection égale pour les manu- factures et pour l'agriculture ; on se rappelle le dissen- timent qui existait sur ce point entre Henri IV (qui sui- vait les avis d'Olivier de Serres et de Laffemas) et Sully; le roi introduisait en France la culture du mûrier et l'industrie de la soie, tandis que son austère ministre protégeait exclusivement l'agriculture.

Jules Duval, Mémoire sur Antoine de Montchrétien, elc. Paris, 1868.

Ant. de Montchrétien, Traicté de V Economie ^wUtiqne dédié en 46io au hoy et à la Reyne mère du Roi/, avec une introduction et notes par Th. Funck- Brentano. Paris, 1889.

H. Baudrillart, v" Montchrétien, in Xouoeau Diction- naire d'Economie politique, vol. Il, Paris, 1891, pp. 325-328.

L. Wolowski, Henri IV économiste. Paris, 1855.

E. Bonnal, Sully économiste. Paris, 1872.

S 1. LE SYSTÈME ANXONAIRE

V. Cusumano, La teoria del commercio dei grani in

Italia. Bologna, 1877. U. Gobbi, La concorrenza estera e gli economisti ita-

liani. Milano, 1884.

La crainte des disettes, le peu de confiance que l'on avait dans les commerçants en blé que l'on tenait poiir des spéculateurs malhonnêtes s'enrichissant au préjudice des agriculteurs et du peuple, et enfin des considérations juridiques et politiques sur l'impor- tance des approvisionnements ont été les causes prin- cipales de l'ancienne législation annonaire, qui se pro- posait d'assurer aux consommateurs la quantité de blé nécessaire. Les gouvernements espéraient y pourvoir

508 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

par rétablissement de « greniers d'abondance » admi- nistrés par des fonctionnaires publics ; par des défenses d'exportation, des franchises et des primes à l'importa- tion des blés étrangers ; par la fixation légale du prix du pain, et par des obstacles de tous genres à la libre circulation du blé à l'intérieur, consistant soit dans l'obligation pour le propriétaire de déclarer la quantité de blé produite excédant sa consommation, soit dans l'obligation de porter son blé à la ville pour le vendre sous la surveillance de l'autorité, soit dans la prohibition de faire du pain chez soi, d'employer le blé à des usages industriels, etc. On croyait par ces dispositions protéger les consommateurs nationaux contre la concurrence des consommateurs étrangers et contre les fraudes des acca- pareurs, en soustrayant le commerce des denrées au droit commun pour le soumettre à l'administration pu- blique. C'est en Italie que l'on trouve les premiers théo- riciens de ce système et les premiers adversaires des exceptions temporaires que quelques gouvernements faisaient à la rigueur des mesures annonaires en per- mettant les « traites » lorsque le blé excédait les besoins du pays ou lorsque les prix étaient tellement bas, qu'ils portaient atteinte aux intérêts des propriétaires et des agriculteurs. Au xvi® siècle tous les politiques approu- vent plus ou moins complètement ce système, et un avocat romain, Casali, proteste même contre une cons- titution de Clément VII qui, suivant l'exemple de ce qui se faisait à Florence depuis 1427, avait autorisé les « traites ».

Bapt. Casali, In legcm agrariam. Romae, 1524.

Vers la fin du xvi'' siècle et au commencement du xvii^ un grand nombre de jurisconsultes s'occupent de ce sujet et commentent les lois positives. Les causes

LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 209

(les disettes et les mesures par lesquelles on peut y porter remède sont l'objet de deux monographies. Celle de Segni^ chanoine de Bologne, est une apologie du système annonaire le plus rigoureux : elle invoque surtout des considérations morales ; celle de Tapia, magistrat napolitain, est plus modérée et s'inspire davantage des besoins de la pratique.

Gio. Batt. Segni, Traltalo sopra la carestia e famé. Bolo-

gna, 1602. Carlo Tapia march. di Belmonle, Tratiato delVahhon-

danza. Napoli, 1638 (écrit longtemps avant).

Le changement des conditions du commerce, les progrès théoriques, la réaction des classes agraires, frappées dans leurs intérêts, les exigences du fisc, qui ne veut pas renoncer au revenu des droits sur les cé- réales, amènent petit à petit la décadence du système. En Italie De Luca ne l'accepte qu'avec beaucoup de tem- péraments (1680), Broggia le défend faiblement (1743) €t Genovesi (1765) le repousse. En Allemagne il trouve encore un partisan dans Unger, mais il est combattu par Philippi, partisan du protectionnisme agraire et par Reimarus, qui défend résolument le libre échange.

F. Unger, Von dcr Ordnung der Friichlpreise, elc. Got-

tingen, 1752. L. A. Philippi, Jier vertheidigte Kornjude. Berlin, 1765. H. Reimarus, D/eF/r//ie(7 des Getreidehandels. édit.

Hamburg, 1790.

§ 2. LE SYSTÈME MERCANTILE

Ad. Held, Carey'sSociahvissenschafl und das Merkaniil- sijstem. Wurzburg, 1866. (Ne remonte pas toujours aux sources).

14

210 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

H. .T. Bidermann, Ueher den Mcrkanlilismus. Inns- bruck, 1870.

W. Cunningham, The growth of english mdustry and commerce. Vol. II. London, 1892.

C. F. Bastable, The Iheory of inieDialkmal irade. Du- blin, 1877.

S. Bauer, V-' Balance oftrade, in Dictionary ofPolilical Economy de R. H. Inglis Palgrave. Part. I. Lon- don, 1891, pp. 85-88 (court, mais très substantiel).

W. A. S. B.ewm'S,, English Irade and finance, etc, 1892.

^ Le système mercantile a eu une importance plus grande encore. Il a pendant plusieurs siècles exercé une influence sur la législation et, par conséquent, sur les conditions économiques d'un grand nombre d'Etats; il a laissé des traces visibles dans les systèmes de protec- tion douanière qui dominent encore aujourd'hui dans la plupart des pays d'Europe et d'Amérique. On Ta appelé quelquefois système restrictif, mais cette expres- sion est trop générique ; certains auteurs, sur les traces de Mengotti, l'ont dénommé le Colbertisme, lui donnant ainsi le nom de l'homme d'Etat qui, sans en être le créateur, en a tait l'expérience la plus large, la plus intelligente dans le gouvernement d'un grand pays.

Les mercantilistes partaient de cette idée, vérité d'évidence dans l'économie privée, que la possession de l'argent permet Tacquisition de toutes les autres richesses ; ils voyaient, en outre, que la puissance com- merciale et politique se concentrait chez les nations qui, occupant la première place pour leurs manu- factures et leur commerce, spécialement pour le com- merce maritime, facilité par la possession de grandes colonies, disposaient d'une grande quantité de métaux monnayés, qui provenaient de leurs mines de métaux précieux(Espagne, Portugal), ou qu'ils attiraientparleur commerce (Italie, Flandre. Flollande et, plus tard, Angle-

LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 211

terre et France). De tout cela les mercantilistes con- cluaient que le bien-être économique d'une nation est proportionnel à la quantité de monnaie en circula- tion et ils en tiraient comme corollaire la règle fonda- mentale de leur politique économique : conserver et augmenter l'argent existant dans le pays. Il est abso- lument contraire à la vérité d'attribuer aux partisans de ce système cette opinion étrange que la monnaie est l'unique richesse, tandis qu'au contraire il n'est pas rare de rencontrer chez les partisans du mercantilisme cette erreur absolument opposée, que la monnaie a une valeur de pure convention, complètement indépen- dante de la matière dont elle est composée, erreur qui atteint son apogée avec Law et ses disciples, partisans du papier-monnaie. Ce jugement erronné sur le prin- cipe fondamental des mercantilistes vient en grande partie de ce qu'ils emploient parfois le mot monnaie (comme les Romains le mot « pecunia w) pour parler de la richesse. (3n ne peut pas nier d'ailleurs, comme l'a fort bien remarqué Smith, que beaucoup d'écrivains déclarent dès l'abord que la monnaie n'est pas l'unique richesse, mais leur argumentation laisse ensuite sup- poser qu'ils sont d'un avis opposé.

S'ils sont unanimes à croire à l'importance écono- mique et fi.scale d'une grande quantité de monnaie, ou, selon l'expression anglaise, d'un trésor [treasure). les opinions sont très divergentes au sujet des moyens propres à atteindre ce but. Tout en reconnaissant qu'il est tout à fait impossible, par suite de l'absence de recherches historiques exactes sur l'économie politi- que, notamment en Angleterre et en France, de classer correctement les différents écrivains, même en s'en tenant aux plus importants, il nous semble que nous avons trouvé un fil conducteur dans le labyrinthe de la littérature du système mercantile. Nous distinguons

"212 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

trois phases suffisamment caractérisées dans l'ensemble, bien que quelques écrivains ne puissent, par suite de l'incohérence de leurs principes ou du peu de clarté de leurscxposés, être assignés avec certitude à l'une d'entre elles.

A) La prohibition de V exportation de la monnaie.

Les formes les plus anciennes du mercantilisme sont : la prohibition de l'exportation des monnaies, les altéra- tions des monnaies désignées par l'étrange euphémisme d'augmentation, et la fixation légale du cours des changes. Par les défenses à l'exportation on appliquait aux monnaies le système adopté pour le blé, et on oubliait que la sortie de l'argent, qui, selon l'expression du poète, per medios ire satellites amat, est la con- séquence nécessaire de conditions économiques déter- minées. Par les altérations et par le tarif officiel du change on croyait pouvoir amener directement ou indi- rectement une augmentation de la monnaie en cir- culation.

Parmi les partisans de ces expédients, adoptés par un grand nombre de gouvernements, il suffira de signaler une série d'écrivains espagnols et portugais qui réclament la prohibition des marchandises étrangères ou des droits élevés comme un autre moyen efficace pour conserver l'or et l'argent qui venait des colonies d'outre-mer.

L. Ortiz, Mémorial al Rey para prohibir la salida de

l'oro, 1588. Sancho de Moncada, Restauracion politica de Espana.

Madrid, 1619. Damian de Ohvares, Mémorial para prohibir la enlrada

de los generos estrangeros. Madrid, 1621. Duarte Gomez, Discursos sobre el commercio de lasdoi

Jndias. Lisboa, 1622, p. 218.

LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 213

Juan de Castanares, Sistema sobre prohibir la enlrada de los generos eslrangeiros . Lisboa, 1626.

Parmi les écrivains monétaires italiens dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, De Santis et Lunetti sont des partisans décidés de la défense d'ex- portation des monnaies ; Biblia ne l'admet que pour les monnaies nationales ; Bocchi l'approuve mais ne la croit pas praticable ; Serra et Turbolo la repoussent absolument.

Nous pouvons constater un progrès notable, quoique relatif, chez quelques écrivains qui s'aperçoivent que ces expédients ne permettent pas de conserver la mon- naie, parce qu'ils s'arrêtent à certains symptômes de la situation monétaire, mais ne tiennent pas compte des véritables causes qui seules peuvent amener l'abondance de l'or et de l'argent. Nous citerons Laffemas, contem- porain de Serra et de Montchrétien, contrôleur général du commerce sous Henri IV, qui, dans un des nombreux opuscules cités par Lafïîtte, combat directement les dé- fenses d'exportation de l'argent.

Barthélémy Lafïemas, Comme l'on doit permetlre la liberté du transport de Vqr et de Vargent hors du royaume, et par tel moyen conserver le nostre et at- tirer celui des estranqers. Paris, 1602.

P. Lai^Rlle, Notice sur B. Laffemas. Paris, 1876.

B) La balance des contrats.

La seconde phase du système mercantile mérite d'être étudiée de près. Elle s'est développée pratiquement en Angleterre depuis les derniers siècles du moyen âge et elle a eu de nombreux partisans ou adversaires théori- ques vers la fin du xvi^ et au commencement du xvii« siècles, quand le changement des conditions du com- merce rendirent la continuation du système impossible.

214 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

Nous rencontrons pour la, première fois dans This- toire de l'économie une polémique qui a provoqué de très nombreux ouvrages... Ils ont été négligés dans les meilleures histoires générales de l'économie (même par Kautz et par Ingram) et même par des écrivains qui, comme Roscher [Zur Geschichte der englischen Volkswh'thschaftslehre. Leipzig, 1851-1852) et Ochen- kowsky [Englands wirthschaftliche Entwickelung am Ausgange des Mittelalters. Jena, 1879), se sont occupés avec beaucoup de soin des anciens économistes anglais.

Rich. Jones, Primitive political Economy of England{m

Edinhurgh Review, april 1847). Réimprimé dans

ses Literary Remains edited by W. Wheweli. Lon-

don, 1859, pp. 291-335. J. Janschull, Le free-lrade anglais. Part, I. La période

du mercantilisme . Moscou, 1876(en russe). Edm. V. lleyking, Zur Geschichte der Handelsbilanz-

theorie. l'-Ttieil. Berlin, 1880. G. Schanz, Englische Handehpolilik gegen Ende de'i

Mittelalters. Leipzig, 1881. Deux volumes. Em. Léser, Denksckrift ûber die englische WoUenin-

dustrie (1622). 1887. Alb. Hahl, Zur Geschichte der Volksivirthschaft lichen

Ideen in England, etc. 1893.

Le système dont nous parlons a été appelé par Jones, d'une expression heureuse, le système de la balance des contrats (balance of bargains), parce que c'était, en effet, un ensemble de mesures tendant à surveiller les contrats entre commerçants anglais et commerçants étrangers, afin qu'il en résultât une augmentation de la monnaie en circulation dans l'Etat. En plus de la défense de l'exportation de l'or et de l'argent, les lois imposaient aux commerçants anglais, qui vendaient leurs marchandises dans les villes

LES SYSTEMES EMPIRIQUES 21 O

(Bruges, Anvers et particulièrement Calais) qui avaient le monopole de l'exportation des objets manufacturés [staple towns), l'obligation de reporter dans leur patrie en espèces sonnantes une partie déterminée du prix reçu des étrangers. D'autres statuts {Statutes of em- ployment] imposaient aux marchands étrangers, qui vendaient leurs marchandises en Angleterre, le devoir d'employer Targent reçu en achats de produits anglais. Pour assurer l'exécution de ces prescriptions, les com- merçants étaient soumis à une surveillance spéciale de la part des fonctionnaires [customers] chargés de la perception des droits dans les staple towns ; ils devaient faire changer en monnaies anglaises, par Tintermédiaire d'un autre fonctionnaire public {royal exc/ianger), les monnaies étrangères dont ils étaient détenteurs.

Avec le temps, différentes circonstances, la reprise de Calais par les Français, les altérations monétaires d'Henri VIII et le fréquent usage des lettres de change dans les paiements des dettes commerciales, rendirent toujours plus difficile l'exécution rigoureuse de ces mesures. Finalement l'importance acquise dans le commerce international par la fameuse compagnie des merchcint adventurers, qui luttaient avec succès contre le monopole des anciens centres du commerce d'expor- tation, contribua à ruiner presque totalement le système et à donner naissance à la dernière phase du mercantilisme.

Les ouvrages théoriques qui défendent le système de la balance des contrats sont très rares au xvi^ siècle, mais ils se multiplient dans les premières décades du siècle suivant.

Clément Armstong, A irealise conceming ihe staple and the commodities of Um reaime. Vers 1530. Édité par R. Pauli avec deux mémoires anony-

2i6 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

mes adressés au comte d'Essen, Drel volksivivth- schaflliche Denkschriflen aus cler zeit Heinrichs VIII. Gôllingen, 1878.

Dans ses ouvrages de polémique Thomas Milles, employé aux douanes, exprime quelques idées générales sur les impôts, combat les compagnies privilégiées et propose le retour au système de la balance des contrats. Plus intéressante est la controverse (commentée par Janschull) entre le hollandais Gérard Malynes, qui déplore les ruses des banquiers, causes principales de la sortie de l'argent, et qui demande le rétablissement de l'office de changeur royal, et Edouard Misselden, qui se déclare l'ennemi des anciennes restrictions et le défenseur du free-trade, c'est-à-dire du commerce libre, débarrassé des monopoles des individus ou des villes et soumis aux seules restrictions nécessitées par l'intérêt général. Misselden est'certainement (s'il n'est pas le pre- mier comme le croit Janschull) un des meilleurs écono- mistes de son temps.

Th. Milles, The customcrs apologie. London, 1604. The cuslomers replie, 1604. The mislery of ini- quity, 1609. An abstract almost Verbatim of Ihe cuslomers apologie, 1622.

G. Malynes, A trealise of the canker of EnglaniVs commomvealth, msivs 1601. St. George for En- gland allegorically descrihed, mai 1601. En- glands iviews in the unmasking of tivo paradoxes, 1603. 2'he maintenance of free trade, 1622. The center of the circle of commerce, 1623. Lex mercatoria, 1622.

Ed. Misselden, Free trade or meanes to make trade flourisli . London, 1622. 2" édit. The circle of com- merce or the balance of tirade in défense of free trade. London, 1623.

Dès cette époque le public anglais commence à pren- dre part aux controverses économiques, et les ouvrages

LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 217

deviennent si nombreux que, vers le milieu du siècle passé, Massie avait recueilli près de mille cinq cents ouvrages ou opuscules dont on conserve le catalogue au Musée Britannique (Mss. Lansdowne 1049, cité par Cunningham, The Economie Journsil, n" 1. London, 1891, pag. 81;. Dans ces controverses chacun des intérêts de classe trouve des défenseurs. C'est ainsi, par exemple, queKeymor, Gentleman, Davies sont des défenseurs de la pêche, Wheeler, agent des mer chant adventurers (combattu par Milles) défend, comme Misselden, les intérêts du commerce d'exportation, tandis que Raleigh, Verger, Digges etc., défendent le commerce colonial, et un anonyme les manufactures.

J. Keymor, On Ihe dutch fishing, 1601.

T. Gentleman, The icay lo icin weailh, 1614.

W. Jotin Wheeler, A ireaiise of commerce, 1601.

W. Raleigh, Observations touching Iradeand commerce,

1614. Sir Duflley Digges, The defence of trade, 1615. A true discovery of Ihe decay of trade, 1622 (Edité par

Léser, op. cil).

C) La. balance du commerce.

Un examen plus attentif des fonctions du commerce amène quelques écrivains, relativement libéraux, à se persuader toujours davantage du peu d'efficacité du système qui prétendait surveiller chaque contrat afin d'obtenir une augmentation de la circulation monétaire, système auprès duquel les ouvrages de Bodin (1576), d'Haies et de Stafford (1549 et 1581) et ceux de Botero (1589) marquent déjà un progrès notable. Nous citerons, parmi beaucoup d'autres, Lewis Robert {The treasure oftraffike, 1641) et .John Parker (0/" a free i7'ade, lti48).

Mais le négociant Thomas Mun est l'auteur qui donne aux idées nouvelles une forme vraiment systéma-

218

LES SYSTEMES EMPIRIQUES

tique. Dans son Discourse oftrade, publié en 1621 (et non en 1609 comme le dit Mac Cullocli), et dans une Pétition au Parlement (1628) il défend lui aussi la Compag-nie des Indes Orientales en démontrant, sans attaquer du reste les statutes of ertifÀoyiiient, qu'elle provoque par son commerce une importation de mon- naie de beaucoup supérieure à Texportation. Mais dans un autre de ses ouvrages, beaucoup plus important, écrit entre 1641 et 1651, publié après sa mort par son fils en 1664 sous le titre significatif de EnglancVs treasure by forraign tracle, il fait un exposé complet de la théorie du commerce internationnal, mieux éla- borée que celle de Misselden, sans tomber dans les exagérations de beaucoup de mercantilistes postérieurs. Ce livre a eu en Angleterre et à l'étranger une grande autorité. Il nous suffira de rappeler que Genovesi, en 1764, le fit traduire en appendice à l'édition napolitaine de Cary et qu'Adam Smith se réfère principalement à Locke et à Mun pour réfuter le mercantilisme.

Mun se propose de démontrer que l'unique moyen de s'enrichir consiste pour un Etat à diriger l'ensemble de ses opérations commerciales de telle sorte que la valeur des marchandises exportées dépasse celle des marchandises importées, et obtenir ainsi un « résidu» actif (balance) que l'on doit, .sans vexations, faire payer en argent. Ce résidu permet seul au prince d'augmenter son « tré.sor ». Dans ce but il demande des lois somp- tuaires, la fondation de colonies, des encouragements à la marine et au commerce de transit, des droits d'entrée élevés (mais non prohibitifs) sur les marchan- dises étrangères, des facilités pour les exportations des nationaux et pour l'importation des matières premières que l'on peut travailler dans le pays et en particulier pour celles qui viennent des Indes. Pour montrer que cette importation de matières premières ne peut pas

î

■/Ci;

I

'^ dtnssiiïe qui «erveiC f^ Ifase «î la ^ajhmtf «s: oc doi. ^vucabi^.

CalifSC^dasieialrt^saaefi^iecr-ariBBeafiaB af ^mris «t «■PB'-, 116 «: fiiûT.

Itee jurfinaiT —*g^»" 4lkr la !ifiùasi^ an canif «Dcre* " donc

Lefc jywnmirtPF «e laonenleiit sur Ja décadsaïQe à^

1^ ^adBMt amc la f^eane*- ^ - '^ mbluli-j.^-.. - --

.aiiK:.

e^lkiaç.

raa.

Mer..

218 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

tique. Dans son Discourse oftra.de, publié en 1621 (et non en 1609 comme le dit Mac CuUocli), et dans une Pétition au Parlement (1628) il défend lui aussi la Compagnie des Indes Orientales en démontrant, sans attaquer du reste les statutes of employaient, qu'elle provoque par son commerce une importation de mon- naie de beaucoup supérieure à Texportation. Mais dans un autre de ses ouvrages, beaucoup plus important, écrit entre 1641 et 1651, publié après sa mort par son fils en 1664 sous le titre significatif de EnglancVs treasure by forraign trade, il fait un exposé complet de la théorie du commerce internationnal, mieux éla- borée que celle de Misselden, sans tomber dans les exagérations de beaucoup de mercanlilistes postérieurs. Ce livre a eu en Angleterre et à l'étranger une grande autorité. Il nous suffira de rappeler que Genovesi, en 1764, le fit traduire en appendice à l'édition napolitaine de Cary et qu'Adam Smith se réfère principalement à Locke et à Mun pour réfuter le mercantilisme.

Mun se propose de démontrer que l'unique moyen de s'enrichir consiste pour un Etat à diriger l'ensemble de ses opérations commerciales de telle sorte que la valeur des marchandises exportées dépasse celle des marchandises importées, et obtenir ainsi un « résidu» actif (balance) que l'on doit, sans vexations, faire payer en argent. Ce résidu permet seul au prince d^augmenter son « trésor ». Dans ce but il demande des lois somp- tuaires, la fondation de colonies, des encouragements à la marine et au commerce de transit, des droits d'entrée élevés (mais non prohibitifs) sur les marchan- dises étrangères, des facilités pour les exportations des nationaux et pour l'importation des matières premières que l'on peut travailler dans le pays et en particulier pour celles qui viennent des Indes. Pour montrer que cette importation de matières premières ne peut pas

LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 219

être nuisible, il cite l'exemple du paysan auquel le sol restitue au centuple les semences qu'on lui a confiées. Mun n'ignore pas que le mouvement de la monnaie ne dépend pas seulement de celui des marchandises, mais qu'il dépend aussi d'autres causes. Il sait également qu'une très grande quantité de monnaie renchérit no- minalement la valeur des marchandises et empêche leur exportation, il n'ignore pas enfin les imperfections des tableaux de douane qui servent de base pour calculer si la balance est ou non favorable.

T. M. A discourse of trade from Emjland into the East Indies. London, 1621.

Thomas Mun, EnglanWs treasureby forraign trade, or the ballance of our forraign trade is the rule of ourtreasure. London, 1664. (Réimprimé par Mac Culloch clans la très rare Select collection of early english tracts on commerce. London, 1856, pag. 1 et suiv., 116 et suiv.)

Parmi les partisans anglais de la balance du com- merce, il y a deux tendances absolument opposées, au point de vue pratique comme au point de vue spéculatif. Les pessimistes se lamentent sur la décadence de l'An- gleterre qu'ils attribuent au commerce « passif » avec les Indes et avec la France et à la concurrence ruineuse ■de l'Irlande pour Tindustrie de la laine.

Sam. Fortrey, England's interest and improcement, 1629.

Roger Coke, A discourse on trade, 1670; et divers tra- vaux écrits de 1671 à 1696.

(Anonyme) Britannia languens, 1680.

John Pollexfen, England and East India inconsitent in their manufactures, 1697.

Ch. King, British merchant or commerce preserved, 1721.

Jos. Gee, Trade and navigation ofGreat Britain, 1729.

220 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

Les mercantilistes les plus modérés, admirateurs de la politique économique de la Hollande, portent un jugement bien différent sur les conditions économiques de l'Angleterre. Il nous faut mentionner, en dehors d'un anonyme fort libéral (E?7(jf/a?id'sgreaf hajojJiness, 1677), trois écrivains qui, au siècle passé, ont été fort appréciés, même en Italie^ Temple, Child et Davenant.

On doit à Guillaume Temple, qui fut longtemps am- bassadeur d'Angleterre dans les Pays-Bas, d'excellentes observations sur le travail, l'épargne, le luxe et les rapports de la production et de la consommation. Josias Child mérite davantage encore de retenir l'attention pour ses jugements exacts sur les caractères de la mon- naie, pour ses idées modérées sur la population, pour son hostilité contre les monopoles et les autres entraves mises au commerce intérieur, et surtout parce qu'il considère la balance du commerce non comme une cause, mais comme un effet des bonnes conditions du commerce et en particulier du commerce maritime. Il a cependant des idées étroites sur lés rapports de la mère patrie avec les colonies ; avec Culpeper il demande la réduction légale du taux de l'intérêt et il attribue à l'in- fériorité de son taux de l'intérêt la prospérité de la Hollande. Les œuvres économiques, financières et sta- tistiques de Charles Davenant marquent un progrès encore plus important. Très peu convaincu (dans ses dernières œuvres) de l'exactitude des calculs basés sur l'importation et l'exportation, il est (comme l'a remar- qué Pierson) plutôt mercantiliste de nom que de fait ; il demeure cependant partisan des compagnies privilégiées et du système colonial le plus rigoureux ; il admire l'acte de navigation de Cromwell, que Child (comme plus tard Smith) n'approuve que pour des raisons politiques ; il est enfin un adversaire déclaré des emprunts pu- blics.

LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 221

W. Temple, Obseroations iipon the uniled Provinces of Nelherlands, 1672. Essay on the (rade of Ireland, 1673.

Jos. Chil.i, Observations concerning trade ond interesl of money, 1668. A new discourse on trade, 1690, édil., 1694.

(Sir Thomas Culpeper), /l tract against usurie^ 1640. Usefiil remarks on high interest, 1641.

Ch. Davenant, Essay on the Easl India trade, 1696-97. Essay on the probable means of making apeoplc gainers in the balance of trade, 1699. Discourses on the public revenues and on the trade of England, 1698. Essay upon loans, 1710.

Les mercantilistes allemand.s et espagnols de cette période, de même que les mercantilistes français et italiens, sont de beaucoup inférieurs aux mercantilistes anglais, bien qu'ils aient été beaucoup appréciés à leur époque.

J. J. Bêcher [Politischer Disciu's, 1668, édit. 1759), Ph. W. von Hôrnigk, son beau-frère, tout puis- sant dans le monde officiel {Oesterreich ûber Ailes, 1684), et le baron Guillaume de Schroder [Fûrstliche Schatz-iind Rentkaminer , 1686), l'un des plus anciens partisans des emprunts publics, demandent Tapplication à l'Autriche d'un système restrictif rigoureux. Une opinion plus modérée est représentée par Seckendorff, l'auteur d'un traité de politique spécialement finan- cière, adapté aux conditions des petits états allemands {Der deutsche Fûrsterstaat, 1655) et plus encore par l'illustre polygraphe Hermann Conring (1606-1681), célèbre dans l'histoire de la statistique, et l'auteur d'essais remarquables sur les impôts.

La série des mercantilistes minores se clôt en Espagne avec Jérôme Ustariz et Bernard Ulloa, tous deux admirateurs de Colbert. Leurs œuvres, traduites en plusieurs langues, exercèrent une notable influence

922 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

sur plusieurs écrivains italiens et allemands du siècle passé.

G. Ustariz, Teorka y practica de comercic y de marina. Madrid, 1724, édit., 1757. Traduction libre par Forbonnais. Paris, 1753. Trad. italienne., Rome, 1793. B. Ulloa, Restableclmienio de las fabricas y comercia espaiwl. Madrid, 1740. Deux volumes. Trad. franc . Amsterdam, 1753. Cfr. A. Wirminghaus, Zziei spanische Jlercaniilisteyi. Jena, 1886.

L'ouvrage de Jean François Melon (Essai politique aur le Commerce. Amsterdam, 173 't. Nouvelle édit.. J754) est le résumé le plus autorisé des doctrines pro- fessées sur l'économie ou, comme on le disait alors, sur le commerce. La célébrité et la diffusion de son livre ont été très grandes, moins pour son mérite théorique,, qui est très faible, mais pour sa brièveté et sa clarté. Melon préconise la liberté du commerce, entendue, cependant, dans le sens d'un échange du superflu contre le nécessaire ; il admet de nombreuses restric- tions à l'importation et à l'exportation ; il est favorable aux compagnies privilégiées, aux emprunts publics, qu'il appelle des dettes de la main droite à la main L^auche et, dans certaines limites, même aux altérations monétaires. Sur ce dernier point il trouve un contra- dicteur dans Dutôt, le caissier de Law {Réflexions politiques sur le commerce et les finances. Amster- dam, 1738 . L'écho de ces controverses est allé juscju'en Italie, elles ont été résumées par Gérùme Costan- tini (1754;. Les doctrines de Melon ont fait école et elles ont été exposées par le banquier romain Gérôme Bel- loni dans un discours qui a eu un grand succès, et plus coip.plètement par Joseph Antoine Costantini, par Ricci (1755) et par le père G. P. Pereira, d'origine por-

LES SYSTEMES EMPIRIQUES 223

tugaise (1757). Broggia {Dei tributi, 1743) et Muratori [Délia publica félicita. Modena, 1749) sont des dis- ciples de Melon, mais leur doctrine sur le commerce des blés est moins libérale.

March. G. Belloni, Del commercio, dissertazione.

Roma, 1750. édit. 1757). Giov. Sappelti cosentino (Guiseppe Antonio Costan-

Uni , Eleinenii di commercio . Genova, 1762 (l'''=édit.

1749).

Dans la première moitié du siècle passé, le système mercantile s'est, petit à petit, transformé en système protecteur. La balance du commerce, le cours des changes passent au second plan ; ils ne sont plus le but, mais le symptôme de la prospérité économique. Ce qui importe, avant tout, c'est Taugmentation de la densité de la population, le développement du commerce, de la navigation et, en particulier, des manufactures, qui donnent les profits les plus élevés, occupent un plus grand nombre de personnes, etc. Tandis que, à l'origine, le système mercantile, comme l'a démontré Heyking (Op. cit., pag. 24-43) unissait l'idée de l'équilibre éco- mique à celle de l'équilibre politique (ce que Justi con- sidère comme une chimère), plus tard, son caractère national devient plus marqué, et il cherche à donner à l'Etat non seulement l'indépendance, mais la supré- matie et, partant, il recherche la puissance politique plus que l'augmentation de la richesse. C'est un point que Cunningham a mis en lumière pour les écono- mistes anglais et que beaucoup de critiques oublient trop souvent.

W. Cunningham, Adam Synith und die Merkantilisien (in Zeitschr. fur die ges. Staatsitnss, pp. 41-64). The progress of économie doctrine in England, etc. (in The Economie Journal. Voll. 1891, pp. 73-94).

224 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

Pour juger le système mercantile dans son ensemble, il faut le juger en se tenant également éloigné d'un rationalisme superficiel et des réhabilitions intempes- tives. Par ses manifestations pratiques les plus pures et les plus grandioses et en même temps les plus tem- pérées, c'est-à-dire dans l'acte de navigation de Crom- well (1651) et dans les réformes économiques et fiscales de Colbert (1661-1683), le mercantilisme a contribué à la création de la marine anglaise et à celle des manu- factures françaises. Le génie de Colbert conçut une œuvre grandiose et il eut la volonté ferme de l'atteindre; il ne s'en tint pas aux expédients mesquins de ses pré- décesseurs, que beaucoup de ses successeurs ont repris, et il n'aboutit pas, comme on l'a cru quelquefois, à des conséquences absurdes. Il supprima un grand nombre de restrictions au commerce intérieur, améliora les moyens de transport et de communication, unifia les poids et les mesures, etc. S'il multiplia, sans nécessité véritable, les règlements de fabrique, il établit en 1634 un tarif, qui a été élevé en 1667 par représailles contre la Hollande, mais qui est encore libéral, si on le compare à ceux du protectionisme moderne. Il ne faut pas ou- blier que Colbert a déclaré, à plusieurs reprises, que les mesures adoptées par lui avaient un caractère purement provisoire. Et il est facile de comprendre pourquoi Wal- pole et Pitt (senior) en Angleterre, Frédéric Guillaume T"" et Frédéric II de Prusse, Joseph II d'Autriche, Pierre le Grand en Russie, ont essayé, rarement avec la même habileté et par suite avec un succès varié, de suivre les traces de Colbert.

F. Joubleau, Éludes sur Colherl. Paris, 1856. Deux vo- lumes.

P. Clément, Histoire de Colbert et de son administration. 2^ édit. Paris, 1875. Deux volumes (E.xcelleDt ou- vrage).

LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 225

Neymarck, Colbert et son tenais. Paris, 1877. Deux vo- lumes.

G. Cohn, Colbert vornehmlich in staatstvisihschafl- licher Hinsichl. In Zeitsclmft de Tubingue. Vol. 25 et 26, 1869-1870, pp. 369-434, 390-454 (Monogra- phie soignée avec une bonne indication des sources).

Considéré au point de vue théorique, le système mer- cantile, dans ses phases de la balance du commerce et de la protection douanière, se présente comme une pre- mière tentative d'explication des différents moments de la circulation des richesses. C'e.st un essai nécessaire- ment imparfait, parce que le phénomène de la produc- tion n'était pas encore expliqué ; on n'avait pas une notion exacte du capital, que l'on confondait avec l'ar- gent, dans lequel on voyait la forme de richesse la plus durable et la plus facile à être accumulée. Sans doute, les mercantilistes ont exagéré l'importance de la mon- naie, parce qu'ils ne voyaient pas nettement qu'elle n'est essentiellement qu'un instrument ; tous ne s'aper- cevaient pas qu'il était impossible d'acheter sans vendre ; quelques-uns proposaient des moyens qui n'étaient nullement propres à atteindre les résultats cherchés. Ils avaient raison de voir dans l'argent une marchan- dise siii generis et de déplorer les inconvénients qu'entraîne sa pénurie, mais ils ne s'apercevaient pas qu'une quantité excessive pouvait avoir des inconvé- nients, parce qu'elle élevait les prix et rendait toujours plus difficiles les exportations. Ils ignoraient que l'uti- lité de la monnaie dépendait, non seulement de sa masse, mais aussi de la rapidité de son cours; ils ne comprenaient pas que la balance du commerce et la balance des créances et des dettes ne sont pas tou- jours la même chose, et qu'il était possible, pour une nation, d'importer des marchandises d'une valeur supé-

15

226 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES

rieure à celle des marchandises exportées, sans, pour cela, épuiser son stock métallique, parce que tous les paiements ne se font pas en monnaie et parce qu'il est possible de compenser l'excédent de valeur des produits venus de l'étranger par des créances sur l'étranger. Les mercantilistes croyaient, à tort égale- ment, qu'il était possible d'avoir une balance toujours favorable, et ils ne parvenaient pas à comprendre qu'un sophisme se cache dans le principe de la réciprocité, qui était l'idéal des traités de commerce, parce que refuser les marchandises étrangères à raison du refus que l'étranger fait de nos produits, c'est refuser un avantage parce que un autre se le refuse.

Au lieu de se persuader que les peuples comme les individus ne peuvent s'enrichir s'ils ne produisent plus qu'ils ne consomment, les mercantilistes, ne tenant compte que du commerce extérieur et des marîufac- tures qui en formaient le principal aliment, ensei- gnaient qu'il faut exporter plus que ce que l'on importe, et confondaient ainsi l'importation avec la consomma- tion et l'exportation avec la production, par suite de cette fausse supposition que l'intérêt général de la nation s'identifie avec l'intérêt des commerçants. Cette erreur et les conséquences funestes qui résultèrent des rivalités et des guerres des Anglais, des Français et des Hollandais, qui se disputèrent à coups de tarif l'hégémonie écono- mique, ne se trouvent certainement pas justifiées, mais elles s'expliquent et s'atténuent, si l'on pense à l'impor- tance exceptionnelle du commerce et de la monnaie à cette époque et chez ces nations qui virent naître les premiers penseurs qui se préoccupèrent des causes et des mouvements de la richesse nationale.

CHAPITRE V LA RÉACTION LIBÉRALE ET L ÉCLECTISME

La décadenco de l'agriculture, opprimée par les exac- tions féodales et par le poids d'impôts excessifs et mal répartis, le nombre croissant des pauvres, les tristes conséquences du régime de tutelle rigoureuse auquel étaient soumises les manufactures, enchaînées dans les corporations, perverties par l'esprit de monopole et de- venues, sous les successeurs inhabiles de Colbert, des instruments dociles de fiscalité et de police, toutes ces causes firent naitre dans l'esprit de certains philan- tropes et de certains magistrats, zélés pour le bien public et désireux de remédier aux maux qui oppri- maient la classe la moins aisée et spécialement les cultivateurs, le désir de réformes économiques et fis- cales, qu'ils ont soigneusement indiquées et défendues avec fermeté. Ces projets concernent en particulier le commerce des grains, la réorganisation du système des impôts, les abus des corporations ; ils ont amené, vers la fin du xviL^ siècle et dans la première moitié du xviii", d'importants changements dans la politique économique de beaucoup d'Etats, et ils ont fourni en même temps de nouveaux matériaux à la recherche scientifique.

§ I. Le prgtegtionisme agraire.

Les partisans de ce système devaient soutenir une double lutte, et contre les partisans des anciennes me-

228 LA RÉACTION LIBÉRALE

sures annonaires, qui avaient pour objet de protéger le public contre les dangers des famines, spécialement par la défense d'exportation des grains, et contre les mer- cantilistes et les protectionnistes industriels, qui re- doutaient l'exportation de la monnaie et désiraient que le prix des céréales fût peu élevé parce qu'ils espéraient obtenir ainsi la diminution des salaires et l'augmentation des profits. Ils répétaient, au contraire, après Sully, que l'agriculture et le pâturage sont les deux mamelles de l'Etat, et ils proposaient des mesures douanières qui avaient pour but de garantir aux cultiva- teurs et aux propriétaires des prix rémunérateurs, qui les amèneraient à ne pas négliger et même à améliorer leurs terres.

Le premier partisan du protectionisme agraire est un homme politique hollandais, Graswinkel (1651), dont la renommée ne dépassa pas les frontières de son pays. Boisguilbert eut, au contraire, une plus grande célé- brité; il est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages, qui ont exercé une influence notable sur les italiens Pascoli et Bandini. Ces écrivains, et d'autres de moin- dre importance, pouvaient invoquer à l'appui de leurs opinions, l'exemple delà législation annonaire anglaise. Par deux actes célèbres elle avait introduit, en 1670, une échelle mobile qui réglait les droits à l'importa- tion d'après les prix du blé à l'intérieur du royaume, et elle accordait par le bounty act de 1689 des primes à l'exportation des céréales.

Rich. Faber, Die Entstehung des Agrarschuizes in En- gland. Strasburg, 1888.

Tandis que, quelques années auparavant, la plupart des économistes anglais recommandaient l'imitation du régime commercial de la Hollande, nous avons main-

ET l'éclectisme 229

tenant une série d'économistes français , d'écrivains allemands et spécialement d'écrivains italiens, qui de- mandent l'adoption de la législation agraire de l'Angle- terre. Le premier dans l'ordre des temps, et aussi par sa pratique administrative, par la large base théorique de ses arguments, par le zèle qu'il déploie en faveur des classes rurales auxquelles il voudrait assurer un sort meilleur, est un illustre magistrat normand, Pierre le Pesant de Boisguilbert, C'est un adversaire éner- gique du colbertisme, un ennemi des privilèges accordés aux manufactures. Il demande de profondes réformes fiscales, l'abolition des douanes intérieures et la liberté absolue d'exportation des céréales ; mais il est en même temps persuadé de la nécessité d'empêcher par des droits élevés à l'importation la concurrence ruineuse des mar- chandises étrangères. Il a exposé ses idées dans un cer- tain nombre d'écrits, d'un style pénible, sans beaucoup d'ordre et quelquefois peu clair. Le Détail de la, France ( 1 697) et le Factuin de la France ( 1 707) ont un caractère plus particulièrement statistique. Ses autres ouvrages sont théorico-pratiques : le Traité de la nature^ cul- ture, commerce et intérêt des grains (1704), la Dis- sertation sur la nature des richesses, de l'argent et des i7'^6^t^s, etc. Ces deux derniers ouvrages ont été réunis, deux ans avant la mort de l'auteur, sous le titre inexact de Testament politique de M. de Fau5an(1712). Quel- ques biographes de Boisguilbert (Daire, Horn, Cadet), s'appuyant sur certaines de ses phrases {laissez faire la nature et la liberté) et sur l'emphase avec laquelle il combat l'importance excessive donnée à la monnaie, qui devrait être le « valet » et non le « tyran » du com- merce, ont voulu faire de Boisguilbert un libre échan- giste absolu, et ils ont qualifié de contradictions ses propositions restrictives. On pourrait, par ce procédé, porter sur Colbert le même jugement, puisqu'il répète

230 LA RÉACTION LIBÉRALE

dans un grand nombre de documents officiels que le commerce doit être « extrêmement libre ».

J.C. Horn, V économie politique avant les Physiocrales. Paris, 1867.

P. Cadet, Pierre de Boisguilbert, précurseur des écono- mistes. Paris, 1870.

W. von Sl^arzynsky, P. de Boisguilbert und seine Beziehungen zur neueren Volksicirthschaftslehre. Berlin, 1873.

Gust. Cohn, Boisguilbert, {Zeilschrift fur die ges. Staalsu-iss. Vol. XXV, 1869, pag. 369). Excellent essai.

Aug. Oncken, Die Maxime laissez faire et laissez passer, etc. Bern, 1886, p. 49-55.

Il nous suffira de mentionner parmi les autres protec- tionnistes agraires français, Claude Herbert, que Kautz rattache à tort à la physiocratie; il est l'auteur d'un livre connu même en Italie, il fut traduit par l'ordre du gouvernement napolitain, en 1764, et parut précédé d'une préface de Genovesi.

Cl. Herbert, Essai sur la police générale des bleds Londres, 1754. Xouv. édit. Berlin, 1757.

Boisguilbert a eu, en Italie, plus d'influence que Melon. Son école y est représentée par deux précur- seurs notables des réformes qui furent tentées à Rome par Pie VI et réalisées à Florence par Pierre Léopold : l'abbé Léon Pascoli, de Pérouse. trop vite oublié, et l'archidiacre Salluste Antoine Bandini. de Sienne , beaucoup plus connu, mais qui n'a pas toujours été jugé équitablement.

Léon Pascoli accepte les théories de Boisguilbert (il lui emprunte le titre de son principal ouvrage), mais il ne répudie cependant pas le mercantilisme. Il est par- tisan de l'abolition des douanes intérieures, de la libre

ET l'éclectisme 231

exportation des grains (sauf en temps de disette), mais il demande au contraire la prohibition de l'exportation des matières premières et de l'introduction des objets manufacturés, comme cela se pratique en Angleterre.

Teatamento poiilico d'un accademico fiorenii.no. Colonia (Perugia) 1733 i^écriL en 1728). —Voir aussi sa préface à son autre ouvrage (avec le nom de l'au- teur) IL Tevere navigato e navigabile. Roma, 1740.

Bandini (1677-1760) est un disciple plus résolu de Boisguilbert, dont il a reproduit de nombreux passages (comme l'a démontré Gobbi) ; il s'est aussi assimilé son système et en partie aussi celui de Vauban, et il en a fait application aux conditions des Maremmes de Sienne, ruinées par le mauvais gouvernement des Médicis. Dans son Discorso (1737), il proposait une réforme économique complète : l'abolition des mesures an- nonnaires, et une réforme fiscale, à savoir un sys- tème d'impôts qui, tout en conservant les droits à l'importation, consistait essentiellement dans une dime sur les terres, d'après les déclarations des pro- priétaires, payée en argent, pour laquelle on tiendrait compte des variations de prix des denrées et qui serait perçue et répartie par les communes, qui en pren- draient la ferme. C'est une erreur étrange (relevée d'abord en 1819 par Gambini, et réfutée en 1852 par Ferrara) de voir dans Bandini un libre échangiste absolu (comme l'ont fait, après Gorani, presque tous les historiens de l'économie politique) et même un ancêtre de Cobden, comme le croient, avec Zobi, un très grand nombre de spéciah.stes toscans, qui oublient que Bandini non seulement admet les défenses d'im- portation des céréales, mais qu'il n'est pas toujours débarassé de toute crainte au sujet de la sortie de la

232

LA REACTION LIBÉRALE

monnaie et qu'il a encore quelques préjugés (que lui a reprochés Paoletti) sur les « magasins d'abondance ».

S. A. Ba.nd\n\. Discorso Economico, elc.Firenze, 1775" Réimprimé en 1803 (in Raccolla de Custodi. P. Mod. Tom I) et plusieurs fois à Sienne. La meil- leure édition est celle de 1877. (V. les très intéressants Ricordi de Bandini Piccolomini. Siena, 1880).

Pour conclure sur la valeur des protectionnistes agraires, soit au point de vue théorique, soit au point de vue pratique, nous remarquerons qu'ils ne furent ni les fondateurs de la science économique, ni les précur- seurs directs du système physiocratique, ni les inspira- teurs immédiats des réformes économiques et fiscales. D'autre part, il est certain que Boisguilbert, par sa cri- tique du colbertisme, par sa théorie de la solidarité des intérêts, en opposition complète avec le pessimisme de Montaigne et de Bacon, mais spécialement par l'apolo- gie du haut prix des denrées agricoles et par l'identifi- cation de l'intérêt des classes rurales avec celui de la nation, a suggéré à la physiocratie un de ses principes fondamentaux. Quant à Bandini, qui ne peut aspirer à aucune importance théorique, il a le mérite d'avoir par ses sages conseils, méprisés des ignares minis- tres de Jean Gaston, préparé la voie aux réformes de Léopold, beaucoup plus radicales comme on le sait, mais qui (comme cela sera démontré par le savant professeur Morèna dans un volume qui contient ses ar- ticles publiés dans la Rassegna, nationale) ne furent pas seulement inspirées et défendues par des libres échangistes absolus (Neri, Fabbroni, Fossombroni), mais qui ont été soutenues par d'autres (Gianni, etc.) qui n'allaient pas au delà des idées de Bandini, sans parler de ceux qui demandaient, comme Biffî Tolo-

ET l'éclectisme 233

mei, la défense d'exportation des matières premières et faisaient rétrograder la science jusqu'à Pascoli.

PompeoNeri, Discorso sopra la materia frumentaria, 1767 (Publié en appendice au livre de Fabbroni, Dei provvedhnenU annonarii. Firenze, 1804).

Les œuvres de Gianni et de Fabbroni, incomplètes, forment la RaccoUa degli Economisti toscani. (Fi- renze, 1847-49. Quatre volumes).

Les œuvres très intéressantes de Fossombroni, en grande partie inédites, seront prochainement pu- bliées par Morena.

Aldobr. G. B. Paolini, Dclla legittima liber ciel com- mercio.Yol I et IL Firenze, 1785 et suiv.

Matteo BifTi Tolomei, Sentimento im'parziale per la Tos- cami, 1791. Esame del commercio attivo toscano, 1792. Confronta délia ricchezza dei paesi che godono libertà nel commercio friimentario, etc., édit. 1795.

S 2. LA LIBERTÉ INDUSTRIELLE

De nombreux et vaillants écrivains anglais et spéciale- ment des écrivains français, prédécesseurs ou contem- porains des pliysiocrates, se sont efforcés de démolir la partie la plus vulnérable des mesures de Colbert, c'est- à-dire les obstacles mis à la liberté de l'industrie et du commerce intérieur par les corporations privilégiées et les règlements de fabrication.

Em. Levasseur, Histoire des classes ouvrières en France jusqu'à la Révolution. Paris, 1859. Deux volumes.

H.. W. Farnam, Die innere franz'ôsische Gewerbepo- lilik von Colbert bis Turcjot. Leipzig, 1878.

Hubert Valleroux, Les corporations d'arts et métiers. Paris, 1885.

23^

LA REACTION LIBERALE

G.AlberLi,Ze corponizione d'arti e mesiieri e la libertà ciel commercio inierno, etc. Milano, 1888.

La guerre contre les corps de métier est, en vérité, beaucoup plus ancienne ; dès le xvi"^ siècle, Bodin (1568 et 1576) et avant lui Haies, dans un ouvrage pu- blié par Stafford en 1581 , condamnaient leurs tendances au monopole et demandaient qu'elles fussent ouvertes à tous, y compris les étrangers. Au siècle suivant les maîtrises trouvèrent des adversaires encore plus réso- lus dans le triumvirat, alors fameux, des mercanli- listes autrichiens, Bêcher (1668), v. Hornigk (1684) et Schroder (1686), en cela d'accord avec Seckendorff {Additiones à la troisième édition de son Deutscher Fûrstenstasit, 1665). Mais ces adversaires n'avaient pas d'autre objet que de remplacer les règlements des cor- porations privilégiées et en partie encore autonomes par des règlements beaucoup plus rigoureux édictés par rÉtat, comme, par exemple, l'inspection officielle et la marque obligatoire des produits. On trouve aussi à cette époque des adversaires relativement plus libé- raux^ comme, par exemple, Child (Observation concer- ning trade, 1668^, Coke {Enghind's improvement 1675) et un écrivain plus éminent, Pierre De la Court (1618-1685). le plus illustre des anciens économistes hollandais, qui a étudié la structure intime des corpo- rations dont il a fait une critique très vive et demandé, sans être écouté, la réforme radicale. Ses doctrines ont été exposées par Laspeyres et par van Rees dans leurs Histoires (citées au chapitre I") et dans divers ou- vrages spéciaux.

Het Welicaeren der Stad Leyden, 1659. Inierest van Holland, 1662 (trad. parue sous le litre : Mémoires de Jean de Wilt. Ratisbonne, 1709). Aamvysing der heilsame poliiike Gronden, etc. Leyden, 1669 (trad. allemande, 1672).

ET L^ÉGLEGTISME 235

Et. Laspeyres, Miitheilungen aus P. de la CourVs Schrlfien (m Zeitschr. fur die ges. Staatswissen- schaft,i862, p. 330-374). 0. van Rees, Het Wel>vaeren, etc. Utrecht, 1851.

L'abolition des maîtrises a été en vain suggérée en 1752 au Sénat de Venise par Dolfîn (Ag. Sagredo, Sulle consorterie délie arti edifica,tive. Venezia 1857, page 190) ; elle a été effectuée, en 1770, en Toscane par Pierre Léopold, avec la collaboration de Sarchiani {Ragioname7ito sut commercio, etc. 1781. Meinorie economico-politiche 1783), en France par Turgot et par la Constituante (1776, 1791) et en 1787 en Lombar- die, grâce à Beccaria et à Verri, aux ouvrages de Decker (1744), de Tucker (1750) et de Plumart de Dangeul {Remarques sur les avantages et les désavan- tages de la France et de la Grande-Bretagne, 1754. Traduction italienne, Venezia, 1758). Plus explicite encore est l'excellente monographie de Simon Clicquot de Blervâche (1723-1796), inspecteur général des ma- nufactures. En réponse à une demande de l'Académie d'Amiens, il exposait avec une grande compétence théo- rique et pratique les inconvénients du régime corpo- ratif et il indiquait les moyens de les faire disparaître ; il a étudié aussi le difficile problème du remboursement des dettes des corporations, que Turgot a négligé. Parmi les plus zélés inspirateurs des réformes tendant à éman- ciper le commerce intérieur de la France il faut rappe- ler aussi Jean Claude Marie Vincent (seigneur de Gournay), intendant du commerce (1712-1759), traduc- teur de Culpeper et de Child (1754), auquel on attribue la célèbre maxime laissez passer, et que l'on considère, depuis V Eloge qu'en a fait Turgot, et c'est une de ces fables convenues si fréquentes dans l'histoire de l'é- conomie — comme le second fondateur du système physiocratique. Pour se convaincre du contraire on

236 LA RÉACTION LIBÉRALE

pourra lire la monographie du professeur Auguste Oncken qui, dans un autre ouvrage déjà cité {Die Maxime laissez faire, etc., Bern, 1886, pag. 108 et suiv.) a déjà fourni des éclaircissements sur ce sujet.

Cfr. Tarticle de G. Schelle, in Nouveau Dictionnaire d'Economie politique. Yo\. 1. Paris, 1891. pag. 1105.

Anonyme (Clicquot). Considérations sur le commerce et en particulier sur les compagnies, sociétés et maîtrises. Amsterdam, 1758. Publié aussi à La Haye (sous le pseudonyme de M. Delisle), 1758. Trad. ital. (de A. N. Talierj. Venezia, 1769.

Jules de Vroil, Etude sur Clicquol-Blervâche , Paris, 1870.

En Italie le sujet a été traité avec peu d'originalité et relativement tard. Les élèves de Melon et ceux de Geno- vesi l'exception de Sergio) défendent, plus ou moins complètement, les entraves au commerce intérieur. Lorsque, vers la fin du siècle, l'Académie d'agriculture, des arts et du commerce de Vérone mit au concours le sujet des corporations, celles-ci trouvèrent un apo- logiste exagéré dans Marachio (1794) et des défenseurs plus modérés dans Marogna (1791) et dans Torri (1793), qui voulaient réformer les abus. Elles ont été combat- tues énergiquement par l'abbé Augustin Vivorio (1744- 1822) et, avec plus de compétence, par le laborieux éco- nomiste piémontais, abbé Jean-Baptiste Vasco (1733- 1796). Mais tous ces écrivains connaissaient et citaient les œuvres de Turgot, de Condillac et de Smith !

Ag. Vidorio, Sopra i corpi délie arti, etc. Verona, 1792. G. Wàsco, Délie Università délie Arti e Mestieri. Milano,

1793. (Réimprimé dans la Collection de GusLodi.

P. Mod.Vol. XXXIII).

ET l'éclectisme 237

§ 3. LES THÉORIES ET LES RÉFORMES FINANCIERES

Les problèmes financiers ont attiré, après les pro- blèmes monétaires et en même temps que les questions de commerce et de change, l'attention d'un grand nombre d'écrivains, qui ont mêlé plus ou moins heu- reusement des considérations théoriques à l'examen des conditions et des lois de leur pays et quelqviefois à des propositions de réforme. D'abord se développèrent des doctrines qui remontent en partie à Aristote, qui (comme l'a excellement démontré Neumann) pense que la répartition des dépenses publiques selon les facultés est la seule qui corresponde à la justice distributive; en partie elles viennent des canonistes, qui recherchent dans les im^DÔts la cause juste, la forme convenable et l'autorité légitimej^en partie elles sont une suite de la théorie de Bodin et de Botero^qui distinguent les impôts personnels et les impôts réels, approuA'ent ces derniers et demandent qu'ils frappent plutôt les terres, sans exclure les impôts sur les objets de luxe et de consom- mation générale, mais bien les objets de première nécessité. Un bon nombre de politiques, comme par exemple Caputo (De regimine reipublicae, 1621) et, avant eux, un groupe de jurisconsultes, dont Verreti (1547), cité par Rava, dans leurs traités de subsi- diis, de collectis, de tributis, de vectigalibus, s'ef- forcent d'établir avec une grande précision les principes d'équité qui doivent présider à la perception des im- pôts, que beaucoup considèrent encore au xvii^ s. comme des revenus extraordinaires de l'État, à côté des reve- nus domaniaux et des droits régaliens qui forment les revenus ordinaires. Le principe de la généralité de l'impôt s'affirme d'abord timidement, puis avec plus de fermeté, à rencontre des privilèges de l'aristocratie et

238

LA REACTION LIBERALE

du clergé, dont le candide Bandini (1737) attend la renonciation volontaire. La raison géométrique de l'impôt, c'est-à-dire la proportionnalité, est admise par tous (en dehors du père Davilla, espagnol, qui demande une capitation progressive, 1651); quelques-uns cepen- dant réclament l'exemption d'un revenu minimum, déjà exprimée par un jurisconsulte allemand, Mathieu Wesembeck {Cynosura liturgica. de subsidiis, 1645), oublié par Roscher et commenté par Gusumano {Ar- chioio di Statistica, Roma, 1880). C'est en Alle- magne que les théories financières sont exposées dans des œuvres systématiques spéciales, dans des ouvrages d'érudition (Bornitz, Besold, Klock), ou pour préparer les fonctionnaires des magistratures financières [Cham- bres). L'ouvrage de Seckendorf, dont nous avons déjà parlé, devient le vade meciun, et, plus tard, il fournira le plan des leçons faites par quelques professeurs de droit, comme, par exemple, Thomasius et Ludv^^ig à Halle [xevs 172'2), Franckenstein à Leipzig, etc.

G. Ricca-Salerno, Sioria délie doitrine finanziarie in Italia. Roma, 1881. (Travail très soigné, très jus- tement loué par Stein et par Wagner.)

Les exigences toujours croissantes des gouverne- ments allemands, obligés de réparer les pertes occa- sionnées par des guerres prolongées et désastreuses, firent naître une vive controverse qui commença à la fin du xvii^ siècle et se prolongea jusqu'au milieu du xviii''. Les uns, comme Tenzel [Entdeckte Goldgrube in de)' Accise, 1685) montraient les avantages d'une accise générale, tandis que d''autres, comme Leib (1708) et Eulner (1721), voulaient la circonscrire aux villes, et d'autres enfin, la repoussaient parce qu'elle était con- traire à l'équité, et inapplicable. La controverse se clôt

ET l'éclectisme 239

avec un ouvrage modéré et judicieux de von der Lith {Politische Betrachtungen ûber die verschiedenen Arten der Steuern. Breslau, 1751), qui démontre la nécessité de combiner les impôts directs et les impôts indirects. Une discussion du même genre s'éleva en Angleterre quand, vers 1733, le tout puissant ministre Walpole essaya de faire voter par le Parlement une accise sur le vin et sur le tabac, extrêmement impopu- laire, ce fut l'occasion d'une douzaine de libelles. Peu de temps après, Matteo Decker [Serions considérations on tlie several high duties, 1744), par son projet d'im- pôt unique sur les maisons, suscita des écrits favorables (Horsley), et d'autres défavorables, et en particulier ceux de G. Massie (1756-57), économiste récemment loué par Cunningham. On ne doit pas oublier les nombreux faiseurs de projets {arbitristas) espagnols, auxquels Colmeiro a consacré une monographie et un chapitre de son histoire.

K. Th. V. Inama-Sternegg, Der Acchenstreit deutscher Finanziheoretiker. [Zeitschrift fur die ges Siaais- wiss. vol. 21. Tubingen, 1865, pp. 516-546). Em. Léser, Ein Accisenstreit in England. Heidelberg,

1879. G. Ricca-Salerno. Le dollrine finanziarie in Inghillerra, etc. {Giornale degli economisli. Bologna, 1888). M. Colmeiro. Ilisloria de la Economia polilica en Es- pana. Vol. II. Madrid, 1863.

Plus que dans ces ouvrages de circonstance, la capa- cité financière des Anglais s'est révélée dans quelques œuvres scientifiques, dans lesquelles quelques écrivains de grande valeur, discutant sur les critères généraux de l'impôt, ont donné la préférence aux impôts indirects en invoquant principalement des raisons d'équité. Hobbes (1642) enseigne que l'impôt (emtae pacis pre~

240

LA REACTION LIBERALE

tiiun) doit être proportionnel aux services reçus de l'Etat, dont la somme est, selon lui, mesurée par les consom- mations de chacun. Cette doctrine fut acceptée par Child, Davenant et d'autres écrivains anglais, et notam- ment par Petty (1662). Le Hollandais Jean De La Court arrive aux mêmes conclusions, tout en invoquant des raisons quelque peu différentes.

L'originalité des Anglais* est, pour des raisons d'évi- dence, encore plus grande dans la théorie et dans la pratique du crédit public. Au xviii® siècle, ils possèdent déjà quelques ouvrages et quelques opuscules qui s'oc- cupent des détails de ce sujet, à peine effleuré ailleurs. Archibald Hutcheson(^A collection oftreati.sesrelciting to na^tional clebt, 1721) propo.se la conversion de la dette publique en dette privée des propriétaires fonciers. Xataniel Gould (combattu par Pulteney) propose, long- temps avant Price, la création d'une caisse d'amortisse- ment fA?i essay on the national clebt, 1726), tandis que Barnard '^Considérations on the proposai for re- clucing the interest, etc., 1750) propose la conversion et Hocke {An essay, etc., 1750) la transformation de la dette perpétuelle en tontines de 99 ans. Plus tard, Mortimer CElernents of commerce and finances, 1774). non content de défendre les emprunts publics, combat- tus par Hume, en fait une apologie exagérée, et réclame la priorité à l'encontre du livr^e célèbre du Juif portugais Pinlo (Traité de la circulation et du crédit, 1773J.

J. R. Mac Culloch, The littérature ofpolUical economy. London, 1845, pag. 318 et suiv.

Parmi les partisans des réformes dans le système de la répartition et de -la perception des impôts, nous devons signaler dans cette période^les écrivains français qui demandent l'abolition des privilèges de classe, la

ET l'éclectisme 241

suppression des lourds impôts de consommation, une équitable réorganisation des impôts directs, la substi- tution de la régie à la ferme, etc. On trouve un certain nombre de projets excentriques, comme celui de Jon- chère (1720) ; d'autres, notamment ceux de l'abbé de Saint-Pierre (1717-1723) et de Boulainvilliers (1727), bien qu'ils soient inspirés par des vues philanthropiques, ont spécialement en vue, comme on l'a trop oublié, les intérêts des classes dominantes. Certains auteurs, enfin, se font les défenseurs de la classe taillable et corvéable à merci, qui faisait entendre, dès la fin du xvi^ siècle, ses lamentations (Fromenteau, le Secret des finances de la. France, 1581), et s'occupent spécialement de la misérable condition des paysans. Ainsi, par exemple, Boisguilbert, et après lui, Pa.scoli et Bandini. Dans son Projet d'une dîme royale (1707), Vauban ne s'est pas débarrassé des théories des mercantilistes et il est par- tisan de la concentration et de l'ingérance gouverne- mentale. Il faut remarquer encore qu'aucun de ces écrivains n'est partisan de l'impôt unique, au sens physiocratique, bien que tous aient préféré les impôts directs aux impôts indirects et qu'ils aient donné la première place à l'impôt territorial. Nous ne devons pas être étonné si, à côté des novateurs, nous trouvons des défenseurs, plus ou moins modérés, des systèmes en vigueur, comme Duval (Eléments de finance, 1736jet Naveau (le Financier citoyen, 1757J. Il y a aussi des quiétistes qui, comme l'anonyme dont les Mémoires de Ti^évoux font l'éloge (l'Ami de la paix, 1761), deman- daient de laisser faire au Roi !

L'Italie peut se glorifier, dans cette période, de la grande œuvre du recensement milanais, c'est-à-dire du cadastre parcellaire géométrique commencé sous le règne de Charles VI par une première commission présidée par Miro (1718 à 1733) et continué et refait

16

242 LA RÉACTION LIBÉRALE

par une seconde commission. Celle-ci a été présidée, sous le règne de Marie-Thérèse, par l'illustre économiste flo- rentin Pompeo Neri (1749-1758), qui a fait Thistoire de ses travaux dans un \o\umineux Rapport (1750), ré- sumé et complété par Jean Rinaldo Carli (1776).

C. Lupi, Sioria de^principii, délie masshne e regole seguite nella f'onnazione del catasio prediale, etc. Milano, 1825.

Dans l'ordre théorique, il faut reconnaître une grande importance à l'ouvrage de Broggia. C'est le premier traité méthodique des impôts ; il est de beaucoup supé- rieur aux travaux des caméralistes ses contemporains. Cette importance a été pressentie par Galeani Napione, signalée, en passant, par Rau ; elle a échappé à Pierson ; nous l'avons démontrée en 1876, et elle a été mise en pleine lumière par Ricca-Salerno (Storia, etc., pp. 105- 111), et elle ressort aussi du résumé exact qu'en a fait Fornari.

Charles Antoine Broggia, négociant napolitain (ou vénitien demeurant à Naples, comme le prétend Set- tembrini) a, mieux que Bodin et Bottero, fait la théorie des impôts réels. Il prend, comme point de départ, le système fiscal napolitain et, en particulier, la réforme de l'impôt territorial ordonnée par Charles III, en 1741, et esquisse un système complet d'impôts. Il propose une combinaison rationnelle des impôts directs et indirects, et s'occupe aussi de quelques questions spéciales, comme celle des ports francs, qu'il combat, et celle de la taxation des maisons habitées par leurs proprié- taires. Ennemi des privilèges, des adjudications, des emprunts et de la taxation directe des industries (admise par Vauban), Broggia fonde son système sur deux bases, celle de l'impôt sur les terres, sur les mai- sons et sur les capitaux prêtés ''dîmes sur les revenus

ET L ÉCLECTISME 243

certains), à percevoir grâce à lin cadastre (établi d'après les déclarations des contribuables) et celle des impôts sur la consommation intérieure (gabelles) et sur la consom- mation extérieure (droits de douanes). Ce n'est qu'en cas de besoins extraordinaires qu'il admet les contribu- tions volontaires, l'augmentation des dîmes et, dans certaines limites étroites, la capitation. La monographie de Broggia qui, comme on vient de le voir, accepte les théories des mercantilistes, s'occupait aussi (avec peu d'originalité) des monnaies, et faisait partie d'un grand ouvrage qu'il s'était proposé d'écrire sur la science de la vie civile économique.

C. A. Broggia, Dei tributi, délie monete e del fjooerno polilico délia sanità. Napoli, 1743. (Réimprimé dans la Collection de Custodi. Part, antiq., vol. IV.)

Dans un ouvrage postérieur, qui le fit exiler, Broggia proposait à la Commission pour le rachat des fermes (cession de certains impôts aux créanciers de l'Etat) créée en 1751, le rachat de celles-ci au prix courant, inférieur au prix originaire. Cette opération, que nous appellerions aujourd'hui une conversion de rente, proposée quelques années auparavant en Toscane (Pompeo Neri), était combattue par les juristes de la vieille école, favorables aux cessionnaires, qui trouvè- rent à Naples un savant défenseur dans l'avocat Charles Tranchi, l'auteur d'un Mémoire qui l'emporte^ pour la forme, sur celui de Broggia.

C. A. Broggia, Memoria ad oggetto di varie politiche ed economiche ragioni, etc. Napoli, 1754.

§ 4. CHAIRES, JOURNAUX, ACADÉMIES

Il est hors de doute que la création de chaires univer-

244 LA RÉACTION LIBÉRALE

sitaires spéciales pour les sciences camérales, propo- sées par Morhof, Wolff et ensuite par Thomasius (Roscher, Geschichte, etc., pag. 344 et suiv.) et effec- tuée en 1727 par le roi Frédéric Guillaume I de Prusse, qui en confia l'enseignement à un jurisconsulte, Gasser (Halle), et à un historien, Dithmar (Francfort sur l'Oder), exerça une grande influence sur l'organisation systématique des disciplines économiques (toujours sui- vie en Allemagne), et plus tard même sur les progrès des théories financières. Les sciences camérales, destinées aux futurs employés de l'Etat, formaient, sous le nom d'économie et de commerce, un étrange mélange de notions agronomiques, technologiques et d'économie privée, dont on avait besoin pour l'administration des terres, des bois, des mines, des industries fiscales, qui formaient la partie principale des revenus de l'État. Sous le nom de police, elles contenaient en germe les théories qui forment maintenant la science de l'admi- nistration, notamment de l'administration économique; sous le nom de science des finances, elles s'occupaient de théories qui différaient des théories modernes, no- tamment en ce qu'elles n'avaient pas la solide base de la science économique actuelle, ne considéraient pas avec une ampleur suffisante la matière des impôts et ne disaient rien, ou peu de chose, de la répercussion des impôts, et des emprunts publics.

Les chaires de sciences camérales se multiplièrent en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, etc. Le précis de Darjes peut donner une idée des doctrines qu'on y enseignait ; celui de Baumstark, qui appartient à l'économie moderne, en donne une bibliographie com- plète.

J. G. Darjes, Erste Grûnde der Camerahvissenschafien. Jena, 1756. édit., Leipzig, 1768.

ET l'éclectisme 245

Ed. Baumstark, Kameralistische Encyclopcidie . Leip- zig, 1835).

On créa également en Italie, peu de temps après, des chaires spéciales dans lesquelles on enseignait unique- ment l'économie politique. La première, celle de Naples, fondée en 1754, par Barthélémy Intieri, pour l'abbé Antoine Genovesi, qui l'occupa avec grand succès jusqu'en 1769, porta d'abord le titre de chaire de méca- nique et de (commerce. César Beccaria occupa quelque temps (1769-1770), à Milan, la chaire de sciences camé- raies, et Auguste Paradisi fit à Modène (1772-1780) des leçons d'économie civile, restées inédites, auxquelles il substitua, dans les dernières années, le livre de Condillac (1776). A Païenne, Vincent Emanuel Sergio enseigna les doctrines de Genovesi (1779-1806).

L. Cossa, Suite prime cattedre di economia in Italia (1873). {In Saggi di economia politica. Milano, 1878, pp. 65-95.

Vers le milieu du siècle, les journaux scientifiques et littéraires qui rendaient compte des ouvrages nouveaux, comme, par exemple le Journal des Savants, les Acta Eruditoram de Leipzig, les Novelle Letterarie de Venise et mieux celles de Florence (1740-1769), le Magazzino toscano (1754 et suiv.), les Giornali dei Letterati de Modène, de Florence et celui de Pise (1771- 1795) et plus tard le Giornale Encicloijedico et le Giornale d' Italia Venise), la Biblioteca Oltrajnon- tana et les Ozii letterarii de Turin, commencèrent à renseigner leurs lecteurs sur les ouvrages d'économie, de jour en jour plus nombreux. En Allemagne et en France on sentit bientôt le besoin de publications spé- ciales, qui réunirent dans un mélange bizarre des articles de technologie, d'économie privée et d'écono-

246 LA RÉACTION LIBÉRALE

mie publique. La première revue française est le Jour- nal Œconomique (Paris, 1751-1762, 49 volumes), puis parut le Journal du Commerce (Bruxelles, 1759-1762, 24 volumes) ; les premiers périodiques allemands sont : VŒkonomische Fama, (1729), le Leipziger Sammlun- gen de Zincke (1742) et d'autres, mentionnés par Ros- cher (Geschichte, pag. 430 et suiv.). Il y aurait quelque intérêt à étudier l'influence scientifique des revues éco- nomiques françaises et allemandes.

Les académies ou sociétés agricoles et quelques sociétés scientifiques et littéraires contribuèrent aussi à fixer l'attention sur les problèmes économiques. Elles publièrent des monographies de leurs membres, elles organisèrent des concours et donnèrent des prix sur des sujets intéressants et controversés. On doit citer les sociétés d'encouragement de Dublin ( j 736) et de Londres (1754), l'Académie d'Amiens, celles de Rennes (1756), de Bordeaux, de Vienne dans le Dauplliné, de Leipzig, de Saint-Pétersbourg, de Zurich, et plus particulière- ment la célèbre Académie de Berne (1758). En Italie, fut fondée la fameuse Accademia dei Georgofîli (1753), il faut louer l'initiative prise par le gouvernement vé- nitien (1768), qui créa un grand nombre d'Académies agricoles (Udine, Vérone, Vicence, Belluno, Cone- gliano, Trevise). Les Académies scientifiques et litté- raires de Mantoue, de Padoue, de Turin mirent plus d'une fois au concours, rivalisant avec celle des Georgo- phili. des questions concernant l'annone, l'assistance, les corps de métiers, la liberté du commerce, etc. Il ne faut pas oublier que les doctrines physiocratiques et même celle de Smith exercèrent leur influence sur le choix de ces sujets et sur l'esprit dans lequel ils furent traités.

A. Zanon, DeW ulilità morale, economica c polilica délie accademie d'agricoltura, arii e commercio. Udine, 1771. Et dans ses Opère. Udine, 1828-31.)

ET l'éclectisme 247

Aug. Oncken, Der altère Mirabeau imd die œkonomische

Gesellsehaft in Bern, 1886. Léon. Piemonte, Antonio Zonon. Padova, 1891, pp.

67-80. A. Balletti, L'economia poliiica nelle Accademie e nei

Congressi degliscienziati (1750-1850;. Modena, 1891.

(Monographie consciencieuse et intéressante).

§ 5. l'éclectisme bureaucratique

ET l'éclectisme DE LA CHAIRE

A. une époque déjà on avait tant discuté sur la population, l'agriculture, les manufactures, le com- merce, les monnaies, les banques, l'annone, les impôts, les emprunts, et après les travaux des publicistes et des philosophes, comme Locke, Hume, Montesquieu, il était bien naturel que beaucoup de savants eussent le désir de résumer, plus complètement que Melon, Ustariz, Ulloa, etc., la cormnv.nis ojjinio sur la science du commerce, que l'on appela bientôt économie d'État, économie civile, économie publique, économie politique, économie nationale. Forbonnais en France, Steuart en Angleterre, Justi en Allemagne, Sonnenfels en Autriche, Gejiovesi en Italie, l'ont fait avec un certain succès. Ces œuvres ont été cependant, avec raison, oubliées, parce que, au moment même paraissaient ces travaux de compilation, qui sont une preuve du talent et de l'érudition de leurs auteurs, des hommes d'un tout autre mérite, s'appuyant sur leurs propres observations et sur celles d'autrui, avaient créé un système scienti- fique qui, rectifié en certaines de ses parties, complété sur d'autres, appuyé sur des bases plus solides et dé- pouillé des éléments hétérogènes, a formé ensuite l'éco- nomie moderne.

Le premier dans l'ordre des temps, mais non du

248

LA REACTION LIBERALE

mérite, est Forbonnais (1 722- 1800), l'historien des finances françaises. 11 laisse dans l'ombre Melon, mais il est encore partisan de la balance du commerce, des monopoles et des prohibitions qu'il défend, comme intendant du commerce, dans la fameuse controverse sur les toiles peintes, avec Vincent de Gournay, et qui provoqua un brillant écrit de Morellet (1758). Il loue en même temps le libre commerce et ne méconnaît pas les abus des corporations, mais il s'occupe, avant tout, de l'importance économique du luxe, de la rapidité de la circulation et de l'augmentation de la population.

Éléments du commerce. 1754. Réimprimé plusieurs fois. Entièrement refondu dans les Principes et observations économiques, 1767.

L'écossais sir James Steuart lui est de beaucoup supé- rieur, et pour l'étendue de ses recherches, et pour son érudition. Il expose en deux gros volumes les théories du mercantilisme. L'œuvre de Steuart, d'abord bien accueillie en Angleterre, fut complètement oubliée après la publication de celle de Smith. Ce n'est que plus tard qu'elle a été louée avec exagération par quelques allemands (d'abord par Hufeland en 1807, et enfin par Hasbach en 1891), qui ont fait de Steuart un précur- seur de la nouvelle science, dont il est bien plutôt la négation. Steuart a été plus exactement apprécié par Say, Kautz, Ingram, et il a trouvé dans Feilbogen un critique pénétrant et impartial, qui nous permet de nous dispenser de la lecture ingrate de son traité. Il a, il est vrai, quelques bonnes idées sur la population, sur les impôts, sur les machines, sur l'influence du marché, sur la distribution des systèmes de culture, etc., mais elles sont mêlées aux erreurs les plus étranges, et délayées dans des di.s.sertations fort ennuyeuses, comme la dissertation d'une centaine de pages sur la fabrication

ET l'éclectisme 249

des monnaies. Quel étrange précurseur de Smith ! C^est un apologiste de l'omnipotence économique de l'Etat ; il veut concilier la concurrence avec les corpo- rations, et il est partisan de la liberté des banques pourvu qu'elles émettent des billets inconvertibles. Il faut une bonne dose de pédantisme pour comparer les physiocrates et Smith avec un écrivain qui ne sait pas distinguer l'argent du capital, la valeur du prix, le salaire du profit.

J. Steuart, An inquiry into the principles of political economy, elc. London, 1767. Deux volumes. Trad. en français (1789) et en allemand (1769-1772).

S. Feilbogen, James Steuart uud Adam Smith (In Zeitschr. fur die ges. Staatstuiss., 1889.).

L'abbé Antoine Genovesi (1712-1760) eut plus de succès, parce que ses leçons lui firent en Italie un bon nombre de disciples. D'une grande érudition, s'il est inférieur à Steuart pour sa connaissance du système monétaire et du systène financier, il lui est supérieur par la conciliation qu'il tenta entre les vieilles théories de Child, de Temple, de Melon, d'Ustariz, d'Ulloa et les théories plus récentes et plus libérales de Herbert et de Hume. Les Leçons de Genovesi forment plutôt une collection de monographies qu'un véritable traité, et les sujets sont rapprochés par le voisinage des pages plus que par celui des idées, comme l'a dit excellement Ferrara. Ses opinons, ajoute cet auteur, étaient vieilles dès leur naissance, et si c'est un jugement un peu sévère, il est plus proche de la vérité que celui de Bianchini qui compare Genovesi à Smith. Il est vrai cependant que Genovesi est le plus illustre et le plus modéré des mercantilistes italiens. Il a su mieux que les autres combiner le protectionisme industriel avec le protectionisme agraire ; le commerce est pour lui, non

250 LA RÉACTION LIBÉRALE

seulement un but, mais aussi un moyen, pour la vente des produits des autres industries ; il distingue le com- merce utile (extraction des denrées et des objets manu- facturés et introduction des matières premières), du commerce nuisible (exportation des matières premières et importation des marchandises étrangères) et il prouve que le premier a besoin de la liberté plus que de la protection et que le second doit être prohibé ou forte- ment enchaîné.

Ant. Genovesi, Délie lezioni di commercio ossia d'eco- nomia civile. Napoli, 1765. Deux volumes. 2* édit. 1768-1770. Traduit en allemand (1776) et en espa- gnol (1785). Résumé par Tomaso Gibellini, Ele- menli di ecoiiomia civile. Tormo, 1805). (Voir aussi G. Racioppi, Antonio Genovesi. Napoli, 1871).

A l'école de Genovesi (cfr. Gobbi, La concorrenza. estera, 1884, pag. 139 et suiv.) appartiennent les napo- litains Fortunato (1760), Strongoli (1783), Yenturi (1798), Zanon d'Udine (Lettere, 1756-1767), Todeschi de Ferrare {Opère, 1784) et Marcello Marchesini, [Sag- gio cVéconomia. politica,. Napoli 1793).

Le plus important des caméralistes allemands, Jean Henri Justi (m. 1771), professeur au Theresœum de Vienne (1750-1752) et ensuite à Gœttingue, a en- seigné, lui aussi, les doctrimes du mercantilisme et, à ce point de vue, on doit le mettre un peu au-dessous de Genovesi et de Steuart. Son mérite principal est d'avoir groupé ses théories dans un ordre systématique, d'avoir distingué l'économie et le commerce de la science de la police (ou de l'administration), dont il est le père ; il a fait des recherches personnelles et il a mieux élaboré les matériaux déjà recueillis en partie dans le Dictionnaire de la. police de Delamare (1526). Il a composé le premier traité des finances qui contienne

ET l'éclectisme 251

une classification rationnelle des dépenses publiques, une théorie des revenus (trè.s complète pour les domaines et les régies), absolument insuffisante pour les emprunts publics, et un essai de coordination des principes fon- damentaux des impôts, avec certains développements sur les impôts directs (impôt territorial, industriel et personnel par classes) et sur les impôts indirects, et en particulier sur les droits dédouanes, qui sont pour lui, au point de vue économique, les brides dont se sertie gouvernement pour guider les industries de la façon la plus conforme au bonheur des peuples.

Joh. H. G. von Justi, Staatsicirthschaft, odor systema- tische Abhandiuny aller Oekonomischen und Came- ral-Wissenschaften. Leipzig, 1755. Deux volumes. 2* édit. 1758. System des Finanzwesens. Halle, il66.—Polizei-Wissenschaft,il6D. (Cfr. Deutsch. J. H. G. von Justi, in Zeiischr. fur die ges. Staats- ifiss, Tiibingen, 1889 ; et en parLiculier G. Mar- chât, Studien ïiber die Eniwickelung der Vcrical- tungslehre in Deutschland. Munchen, 1885.

Le baron Joseph de Sonnenfels (1733-1817) occupe en Autriche une position analogue à celle de Justi en Allemagne. 11 est, lui aussi, un mercantiliste ; il est plus libéral que Justi dans ses attaques contre les en- traves annonaires et féodales, mais il n'a pas su comme lui présenter ses théories dans un ordre systématique. Il a sur la question de la population une théorie ori- ginale ; il y voit le grand principe de la politique écono- mique et financière, et ainsi l'ancienne règle de la balance du commerce se trouve complètement modi- fiée, parce que Sonnenfels ne défend pas la balance numérique (qui se règle en argent) mais la balance des profits, qui permet d'occuper dans l'industrie le plus grand nombre d'individus.

Vingt-cinq ans avant Sonnenfels, Jean Pierre Siiss-

252 LA RÉACTION LIBÉRALE ET l'ÉCLEGTISME

milch, qui avait, en se servant des travaux des arithmé- ticiens politiques (Graunt, Petty, Halley, Kerseboom, etc.) fondé la théorie statistique de la population, pro- fessait les mêmes principes sur la politique économique {Die gôttliche Ordnung in den Veranderungen des menschlichen Geschlechts. .1742. 2^ édit., 1761.) Le livre de Sonnenfels fut prescrit comme ouvrage obliga- toire dans les universités autrichiennes jusqu'en 1846, et un professeur d'Agram a même considéré comme nécessaire de réfuter en 1831 l'antique principe de la population.

Jos. V. Sonnenfels, Grundz'àize der Polizel, der Hand- lung und der Finanz. Wien, 1765. Trois volumes. Huitième édition, 1819-1822.

Joh. Henfner, Iniroductio in œconomiam nationalein. Agram, 1831.

CHAPITRE VI LES PRÉCURSEURS DE LA SCIENCE

Les auteurs dont nous avons parlé dans le chapitre précédent ne s'élèvent pas au-dessus du niveau des opinions courantes ; ils se contentent de les ordonner en sections et en chapitres dans des œuvres qui n'ont que l'apparence scientifique, et qui ne sont que l'ex- pression de la législation économique et financière en vigueur. Cependant, d'autres auteurs contemporains, ou même plus anciens, ont déjà découvert les germes plus ou moins développés des théories nouvelles qui vont se fondre dans le système de Quesnay ou qui four- niront des matériaux précieux à la science de Smith.

Ces éléments, de valeur très inégale, sont dus à des économistes, à des jurisconsultes, à des politiques et à des philosophes, pour la plupart écossais , anglais et français. Ils se rapportent, en général, à la théorie de la production et de la distribution des richesses, mais ils se rattachent aussi parfois aux principes fondamen- taux de la science et de l'art économiques. Les anciennes théories du commerce, de la circulation, de la politique agraire et industrielle, commerciale et financière, ont été ainsi augmentées, corrigées et en partie aussi dé- molies.

Nous allons essayer, vestigia deserere awsi, de les classer et de faire une critique sommaire des doctrines de ces précurseurs de la science ; ils sont beaucoup

254 LES PRÉCURSEURS

ignorés et souvent aussi appréciés avec peu d'impartia- lité et d'exactitude.

1. LA PRODUCTION ET LA DISTRIBUTION.

On discutait depuis des siècles sur l'importance ab- solue et relative des différentes industries, et on pro- posait des moyens pour les protéger toutes ou pour en favoriser quelques-unes aux dépens des autres, mais on ne s'élevait pas d'ordinaire, si ce n'est incidemment, à l'idée de l'unité de l'industrie et on ne recherchait pas les éléments la production ; personne n'avait énuméré les causes de ses progrès et tous ignoraient les formes que revêt son organisme. On avait cependant quelque- fois, mais de façon superficielle, parlé des avantages de la concurrence, même les écrivains les plus résolu- ment favorables aux restrictions de toute sorte les avaient quelquefois signalés ; l'antiquité même avait reconnu ceux de la division du travail ; la littérature scolastique du xv^ siècle avait entrevu la théorie du capital ; quelques écrivains du xvi^ et du xvii* siècle ont entrevu la loi des revenus décroissants; enfin, au xviii^ siècle, on trouve des adversaires (Montesquieu, Sonnenfels) et des partisans (Bielfeld, Steuart) de l'em- ploi des machines.

La recherche fondamentale des éléments de la pro- duction a ses premiers et ses meilleurs représentants en Angleterre; ce sont deux écrivains justement célèbres, à ce titre et à d'autres plus importants encore (Petty et Locke), et un écrivain plus obscur (Asgill), déterré pour ainsi dire par Dugald Stewart et par quelques autres érudits de notre époque.

William Petty (16231687) est un des plus illustres précurseurs de la statistique investigatrice, et un ad- versaire de la plupart des doctrines des mercantilistes,

DE LA SCIENCE 255

sinon de toutes. Il a été, avec Locke, un des premiers partisans du type monétaire unique et un des plus an- ciens adversaires des lois restrictives de l'intérêt. Il a professé que le travail est le père, c'est-à-dire le principe actif, et la terre, la mère de la richesse ; il a distingué dans la population deux classes : la classe productive et la classe improductive, selon qu'elles contribuent ou non à la production des objets utiles et matériels ; il a défini, enfin, la rente comme l'excédent du prix des denrées agricoles sur leur coût de production.

Quantulumcumque or atract conccrning money, 1682. Political anaioiny of Ireland. 1691. A ircatise on taxes and contributions. 1662. Dernière édition, 1769. Several essays in political arithmetick, 1699.

Cfr. W. L. Bevan, sir William Petly. Canterbury, 1893.

Le célèbre philosophe et politique Jean Locke (1632- 1704) doit être considéré comme un mercantiliste ; il a même donné une forme systématique aux erreurs de ce système, mais il a le mérite d'avoir perfectionné quelques doctrines spéciales, comme celle de la pro- priété, qu'il fait dériver du travail, celle de la monnaie, dont il combat (contre Lowndes et Barbon) les altéra- tions , bien qu'il exagère l'importance de la quantité de la monnaie et qu'il n'apprécie pas avec exactitude les causes de sa valeur. Il insiste sur la puissance pro- ductive du travail, alors que Hobbes, longtemps aupa- ravant, avait compté, parmi les éléments de la produc- tion même, la terre et l'épargne.

John Locke, Two treaiises on government. 1690.— Some considérations of the conséquences of the lowering ofinterest, etc., 1691. Further considérations, etc. 1698. Trad. ital. (de G. Fr. Pagnini). Firenze, 1751. Deux vol. Woi-ks, 1835. Neuf volumes.

Thom. Hobbes. De cive, 1642. Leviathan, 1651.

256 LES PRÉCURSEURS

Enfin le dernier des écrivains cités, qui est un parti- san des banques territoriales, parle clairement de la terre comme de l'unique source de toute richesse.

John Asgill, Several assertions -proved in order to create anothtr species ofmoney, etc. 1698.

Il faut noter que presque tous les écrivains consi- dèrent que l'augmentation de la population est, dans tous les cas. désirable ; que les salaires tendent à se rapprocher du prix des denrées indispensables à l'entre- tien des ouvriers et qu'ils ne peuvent par conséquent supporter le poids des impôts directs ; que l'augmenta- tion de la rente territoriale et la diminution du taux de l'intérêt sont des symptômes de progrès économique. Il existe cependant sur ce dernier point d'importantes divergences entre les écrivains, selon qu'ils confondent ou non l'argent avec le capital.

Le plus grand nombre des partisans du mercanti- lisme, et parmi eux quelques-uns des plus modérés, comme Culpeper (1641) et Child (1668), pensaient que le taux peu élevé de l'intérêt est la cause de l'abon- dance de la monnaie et ils en demandaient la réduc- tion. Ils invoquaient surtout la prospérité de la Hol- lande. D'autres, au contraire, soutenaient (Petty, Locke et même Montesquieu et Vincent de Gournay), que le faible taux de l'intérêt est l'effet et non la cause de l'abondance de la monnaie ; aussi étaient-ils des adver- saires de la fixation légale de l'intérêt. Le premier qui soutint cette opinion, c'est l'auteur anonyme d'un inté- ressant opuscule intitulé Interest of money mistaken (1668). D'autres écrivains enfin, après avoir réfuté l'opi- nion générale qui confondait le capital avec la monnaie, démontrèrent que le taux de l'intérêt est complètement indépendant de la quantité de la monnaie. Bauer a dé-

DE LA SCIENCE 257

montré que le mérite de cette démonstration appartient à Nicolas Barbon (.4 discourse of tracle, 1690) et non à Massie {Essay on the governing causes of the na- tural rate of inter est, 1750) ni à Hume (1755), auxquels on attribue d'ordinaire cette théorie.

Stepli. Bauer, Xicholas Barbon lin Jahrbûchcr fiir Xaf. Oek. N. F. Ban cl XXI, 1890).

§ ?. LA VALEUR ET l'iMPÔT.

La théorie de la valeur avait été étudiée par les sco- lastiques qui se proposaient de déterminer le juste prix, et plus tard, incidemment, par tous les écrivains qui se sont occupés de la monnaie. Vers le milieu du siècle passé, elle était arrivée à un tel degré de développe- ment que, dans les œuvres de quelques-uns des meil- leurs économistes, nous trouvons déjà exposées, d'une façon plus ou moins concise, les théories de l'utilité, du coût de production, de l'offre et de la demande, et leurs diverses modifications et combinaisons. Nous in- diquerons quelques-uns des représentants de chacune de ces théories et nous renverrons pour des renseigne- ments plus complets aux excellentes monographies de Loria, de Graziani, de Montanari et de Zuckerkandl.

Ach.'Loria, La ieoria ciel valore negli economisli ita-

liani. (In Archivio giuridico, Bologna, 1882). Aug. Graziani, Sioria critica délia ieoria ciel valore ir

Italia. Milano, 1889. A. Montanari, Coniribulo alla sioria ciel valore negli

scriitori italiani. Milano, 1889. R. Zuckerkandl, Zur Théorie des Preises, etc. Leipzig,

1889.

L'influence de la rareté sur la valeur avait été notée

17

258 LES PRÉCURSEURS

par Davanzati et mieux encore par Geminiano Monta- nari. Barbon (1690) en a fait une analyse plus correcte ; on peut le considérer, avec Galiani [Delta, moneta, 1750), qui est encore plus explicite, comme un précurseur de la théorie moderne de l'utilité finale ou de l'utililé- limite. Dans la même année, un anonyme toscan (Fab- brini), qui a été commenté par Montanari et copié par Franzi (1769), considérait comme éléments de la valeur l'utilité des choses et la difïiculté de se les procurer [DelU indole e qualitk naturali e civili délia moneta. Rome, 1750). Petty, au contraire, enseitçnait dans son traité des impôts (1662) que la valeur d'une chose dé- pend du travail dépensé dans sa production et qu'elle est mesurée par la durée de ce travail, tandis que Locke (1690), qui voit, lui aussi, dans le travail le fondement de la valeur, le détermine en ayant éiçard plutôt à sa quantité qu'à sa durée. Enfin Grotius, Puffendorf, WollT. Barbeirac, et quelques autres, estiment c|ue les dépenses de production sont le point auquel tend la valeur nor- male, vers lequel gravite la valeur courarxte qui sul)it des oscillations continues d'après le changement des conditions du marché.

L'étude des phénomènes de l'incidence et de la répercussion des impôts, corollaires de la loi delà valeur, mais aussi critérium essentiel d'un bon système d'im- pôts, a été un autre élément de progrès pour l'écono- mie. Tout le mérite de ces recherches revient aux éco- nomistes anglais, c'est-à-dire à l'auteur anonyme de l'opuscule intitulé : Reasons fora llniited exportation of wool (1677), que Mac Culloch a retrouvé, et plus en- core à Locke (1691) et à Vanderlint, qui sont d'accord pour penser que tous les impôts se répercutent sur la rente territoriale.

Locke enseigne que, dans un état essentiellement agricole, presque tout le poids des impôts pèse sur les

DE LA SCIENCE 259

propriétaires et il en déduit la nécessité d un impôt uni- que sur les terres, qui sera avantageux aux contribua- bles eux-mêmes en épargnant les dépenses de percep- tion. Il est complètement inutile d'essayer de faire con- courir aux charges de l'État les commerçants, qui augmenteraient les prix, les locataires, qui diminue- raient les loyers dûs au propriétaire, et les ouvriers, qui obtiendraient une augmentation correspondante de leurs salaires.

W. vonOclienkowski, John Loche ah XationalœUonom. In Jahrbûcher fur National Oekonomie. 18" année, 1880, pp. i3i-476.

Une théorie identique a été exposée avec plus de profondeur par Jacques Vanderlint(iUone7/ a,ns\vers ail fliings. London, 1734 , qui est partisan de l'impôt uni- que, parce que la terre est la source unique des richesses.

G. Ricca-Salerno, Le doitrine finanziarie in Inghiltcnn . Bologna, 1888, pag. 23 et suiv.

3. L-V LIBERTÉ ABSOLUE DU COMMERCE

Les théories restrictives, qui ont dominé pendant des siècles la politique économique, avaient déjà subi de profondes modifications grâce à l'introduction d'un régime de liberté partielle appliqué au commerce des grains sous l'influence des idées de Boisguilbert, et à la disparition graduelle des monopoles et des autres en- traves au libre exercice des industries à l'intérieur.

D'autres écrivains portaient des coups plus décisifs au système mercantile et au système protecteur, qui lui avait succédé, en s'en prenant à leurs principes fonda-

260 LES PRÉCURSEURS

mentaux et en proclamant la liberté absolue du com- merce intérieur et du commerce extérieur.

Il ne s'agit ni des applications partielles des princi- pes du libre échange, dont on a des exemples remar- quables, quoique temporaires, dans la politique écono- mique de Florence au cours de la dernière partie du moyen âge, ni des tentatives pour l'instaurer à ^'enise, ni du système relativement libéral des Pays-Bas, réfor- mes qui trouvent au xvi*" et au xvii" siècles des défenseurs théoriques dans Sassetti, Giogalli, Pierre de la Court (ch. V,§ 2), qui tous s'inspirent de considérations fondées sur l'intérêt exclusif de la classe commerçante.

Pohlmann, Die Wirthschaftspolilik der floreniiner Re- naissance, und das Princip der Verkehrsfreiheit . Leipzig, 1878.

Filippo Sassetti, Ragionamento sopra il coinmercio fra i Toscani e i Levaniini, 1577. (Publié dans ses Lettere. édite ed inédite. Firenze, 1855.)

Scrittura inedita'di Simone GiogaUi, negozianLe ve- neto del secoloXVII. Venezia, 1856.

Il ne s'agit pas non plus des glorifications indétermi- nées du libre échange, comme celles de Emeric de Ld.croix [Le nouveau Cy née, 1623), ni de propositions inspirées par l'intérêt de régions spéciales, comme celles de Albert Struzzi {Dialogo sobre el comercio de ostos reynos de Castilla, 1622, page 17) et de Diego Joseph Dormer {Discursos historicos politicos, 1684) cités par Colmeiro, ni d'autres projets partiels, cir- conscrits, par exemple, à l'introduction de ports francs, demandés en Angleterre, comme l'atteste un écrit anonyme cité par Bauer [Free ports, the nature and necessitie of them stated, 1652).

L. Cessa, Lateoria del libero scambio nel secolo decimo- settiino, 1873. (Aussi in Saggi di Economia poli- tica. Milano, 1878, pp. 39-64).

DE LA SCIENCE 261

Les discussions qui eurent lieu au sujet de l'acte de navigation de 1651, combattu par quelques mercanti- listes, et notamment par l'auteur anonyme de Britannia languens (1680), et défendu au contraire, pour des raisons politiques, par des écrivains très libéraux, comme l'était l'auteur des très importantes Considéra- tions on the East India trade (1702), conduisirent à un examen plus approfondi de tout le système restrictif. Ce système fut réfuté dans ses bases théoriques par Nicolas Barbon (A discourse of trade, 1690), qui dé- montre que l'importation des marchandises étrangères provoque nécessairement l'exportation des produits na- tionaux, théorie qui étonne chez un auteur favorable non seulement aux droits compensateurs, mais même à la fixation légale de l'intérêt et aux altérations monétaires.

La démonstration explicite des avantages du libre échange est due à un économiste anglais et à un écono- miste français qui ont écrit à un demi siècle d'inter- valle l'un de l'autre et qui ont étudié ce problème non plus à un point de vue particulier et national, mais au point de vue général et cosmopolite.

Sir Dudley North, dont l'importance a été signalée par Roscher et plus encore par Janschull (Le libre échange anglais, vol. I, Moscou, 1876, pp. 97-112), qualifie le mercantilisme d^aberration politique. Il part de cette idée que la monnaie est une marchandise qui se distribue naturellement entre les différentes nations selon leurs besoins respectifs, manifestés par le mouvement des prix, et il s'appuie en outre sur la solidarité des intérêts entre les différentes classes sociales, comme entre lés différents États, pour procla- mer que la liberté industrielle et commerciale absolue est l'unique moyen d'arriver à la richesse.

Sir Dudley North, Discourses upon trade. London, 1691

262 LES précurseurs]

(Réimprimé à un petit nombre d'exemplaires à Edimbourg, 1822 et à Londres, 1846 .

Une importance éji^ale doit être attribuée au paladin franc-ais de la liberté économique, le marquis Fiené Voyer d'Argenson (1094-1757). Il est l'auteur d'ouvrages poli- tiques et d'écrits économiques, inédits pendant plus d'un siècle, et d'un très important article publié en 1751 dans le Journal Œconomique pour réfuter la Dissertazione sul coinmercio de Belloni, que défen- daient les rédacteurs de ce journal. D'Argenson. dont les doctrines ont été récemment exposées par Oncken ÇDie Maxime laissez faire, etc. Bern, 1886, pp. 55-80) est l'auteur de la maxime ne pas trop gouverner et du fameux laissez faire, considéré comme le grand principe de la politique économique. Pour lui le pas- sage des marchandises d'un Etat dans un autre devrait être libre, comme Tair et l'eau ; toute l'Europe ne de- vrait être qu'une seule foire ; laliberté constitue Téqua- tion, la police, la balance du commerce ; laissez faire, rnorhleUj laissez faire !

Anonyme, Lettre à l'auteur (Belloni . In Journal (Eco- nomique. Avril 1751. Réimprimé avec la réponse dans la Collection de Custodi. P. Nov, tom. II pp. 133-153 .

Mémoires et Journal inédit du marquis d'Argcnson, etc. Paris, J858,

,^' 4. l'école écossaise

Un autre groupe d écrivains a contribué, d'une façon différente et jusqu'ici peu remarquée, aux pro- grès de l'économie, moins par la qualité des doctrines qu'ils ont professées que par la façon dont ils les ont enchaînées, en les introduisant dans l'enseignement

DE LA. SCIENCE 263

d'une science qui avait déjà plus d'un siècle d'exis- tence. On doit à ces écrivains la première tentative de réduire en système les principes de la circulation et en partie aussi ceux de la distribution des richesses. C'est un point sur lequel nous avions appelé l'attention dès 1876 et qui a été éclairci par Hasbach dans deux excellentes et érudites monographies, et par Bonar dans un ouvrage magistral.

W. Hasbach. Die philosophischen Grundlagen der von

F. Quesnay uvd Ad Smiih begrùndelen polUischen

Oekonomie. Leipzig, 1890. Uittersuclumfjenûber

Adam Smith und die Entwicklung der poUlischen

Oekonomie. Leipzig, 1891.

James Bonar, Philosophy and polilical economy, etc, 1893.

Tandis que dans les écoles on maintenait la division de la philosophie pratique (faite nar les anciens Grecs), en trois parties, l'éthique, la politique et l'économie, entendue dans le sens d'économie privée, (que Morhof, Thomasius et d'autres en Allemagne désiraient voir enseignée par des professeurs spéciaux), les créateurs de la nouvelle science du droit naturel, c'est-à-dire Gro- tius (De jure belliac pacis, 1638), Puffendorf (De offi- cio hominis etcivis, 1672. Trad. en français par Bar- beyrac, 1728) et leur prolixe continuateur Wolff f Jus naturx, 1741-49. Institutiones, etc., 1750) dévelop- paient dans un ou deux chapitres de leurs œuvres les théories de la valeur, du prix, de la monnaie, des sa- laires et de l'intérêt, dont ils s'occupaient à l'occasion de la recherche des principes de l'égalité et de la jus- tice dans les contrats. 11 faut remarquer cependant que l'étude économico-juridique de la valeur, de la mon- naie et des contrats, ce que Hasbach n'a pas formelle- ment indiqué, commence avec les théologiens et Iss

264 LES PRÉCURSEURS

canonistes du moyen-âge ; ils se sont occupés, en effet, du juste prix et de l'équité contractuelle et ils ont dis- tingué les pactes licites des pactes viciés par l'usura- ricipravitas. Aussi serait-il fort intéressant de rechercher dans les théologiens précurseurs de Grotius, que con- naissent bien les historiens du droit, les modifications que la doctrine de la justice absolue dans les contrats devait subir en devenant une partie du droit naturel.

Ces théories encore imparfaites et professées (cela est important à relever) par des écrivains allemands imbus des maximes du système mercantile n'auraient pu être d'aucune utilité pour notre science si elles n'avaient été transportées dans l'atmosphère, économiquement plus respirable, d'un pays, où, petit à petit, des hommes d'une toute autre envergure que les caméralistes alle- mands avaient déjà développé et ordonné beaucoup mieux ce système encore embryonnaire. Ce lut la tâche de l'école de la philosophie écossaise dont le chef, François Hutcheson, qui professa, de 1730 à 1746, la philosophie morale à l'Université de Glasgow, eut pour élève Adam Smith. Hutcheson utilisa pour son ensei- gnement l'ouvrage de Puffendorf, qui avait été traduit en anglais par son prédécesseur Carmichsel (1718). Il conserve, mais en lui faisant une place plus large avec des matériaux anglais, la partie économique, et il cor- rige la philosophie avec les principes de Schaftesbury, et la politique avec les doctrines libérales de Locke, qu'il substitue à l'absolutisme de Hobbes. Hutcheson divisait son cours (comme plus tard Smith) en théologie naturelle, éthique, jurisprudence (qui comprenait l'é- conomie) et politique. Longtemps après, Adam Fer- guson, professeur à Edimbourg, qui survécut à Smith, modifia l'ordre des matières, en séparant l'économie de la jurisprudence, et en subdivisant la politique en political law, qui traite des national institutions, et

D"E LA SCIENCE 265

en public opconomy, qui s'occupe des national re- sources (people, wealth, revenue).

F. Hutcheson, Philosophiae moralis inslitutio compen- diaria, etc. Rotterdam, 1745. System of moral philosophy, 1755 (posthume).

Ad. Ferguson, Institutes of moral philosophy. 2<= édit. Edinburgh,1773. Principles of poUtlcal and mo- ral sciences, 1792.

Hutcheson, malgré ses idées sur la liberté naturelle et les droits innés, est un partisan décidé du mercanti- lisme. Ce qui est digne d'être noté, c'est la façon systé- matique dont il a traité des théories de la valeur, du prix, du commerce, des monnaies et de l'intérêt, sans parler de ses idées sur le travail comme principal élément productif, et sur la mesure de la valeur ; sur ces derniers points il avait pour prédécesseurs Petty et Locke. L'influence que Hutcheson a exercée sur Smith a été devinée par Cousin, et il est facile de le constater si l'on compare la façon dont tous deux com- mencent l'analyse des phénomènes économiques.

§ 5. LES PRÉCURSEURS IMMÉDIATS

Les vérités fondamentales de la science et les règles de l'art économique ont été très convenablement éla- borées par deux écrivains dont le premier (Cantillon) doit être étudié en relation avec Quesnay, et le second (Hume) en relation avec Smith.

Richard Cantillon, dont se sont occupés récemment Jcvons et Higgs, fut un banquier très expert. H est en Angleterre d'une famille irlandaise ; il a longterafps vécu à Paris il a été en relation d'affaires avec haw. Il est mort assassiné à Londres en 1734. Son Essai sur

266 LES PRÉCURSEURS

la nature du commerce a été composé après 1730; il n'a été publié qu'en 1755. Il a circulé en manuscrit et il a été connu par Mirabeau, qui s'en est servi largement pour le premier volume de son Ami des homynes (1756). Il a été loué par Quesnay, Smith, Condillac, copié presque à la lettre par M. Postlethwayt (Great Bri- tain's true System, etc., 1757) et suivi fidèlement dans la première partie du livre de Harris [Essay upon mo- ncy and coins. London, 1757-1758), qui ne le cite pas davantage.

Essai sur la nature du commerce en général. Traduit de Tanglais (traduction supposée). Londres (Pa- ris) 1755. Réimprimé dans le 3" volume de la traduction française des Discours 'politiques de Hume faite par De Mauvillon (Amsterdam, 1755). Traduit et mutilé, sous le faux nom de Philippe Cantillon, sous le Wlve Analy sis of trade (London, 1759). Traduction italienne. Venise, 1767. (Le textfr français a été réimprimé avec soin par le pro- fesseur Dunbar. Boston, 1892).

U Essai de Cantillon, que Jevons considère comme le premier traité systématique, le berceau véritable de l'é- conomie politique, est divisé en trois parties. Dans la pre- mière il parle du travail et de la terre, comme éléments de la production, et de leur proportion (d'après Petty) ; de la théorie de la valeur normale et de la valeur cou- rante, de la population, des métaux précieux, consi- dérés comme la meilleure matière monétaire ; ses dé- monstrations sont faites avec une précision et une clarté remarquables. Dans les chapitres VII et VIII on trouve en germe la doctrine de Smith sur les causes delà différence des salaires dans les différentes profe.ssions, et dans le chapitre XII celle de Quesnay sur la dépen- dance qu'il y a entre les différentes classes sociales et les propriétaires. Dans la seconde partie, qui est un

DE LA SCIENCE 267

petit traité sur la monnaie, il faut signaler particulière- ment son étude sur les causes de la différence des prix dans les grandes villes et dans les campagnes, et son étude des effets que produit sur les salaires et sur le prix des marchandises la découverte de nouvelles mines d'or et d'argent (ce sujet a été étudié de nos jours par Cairnes dans deux excellents essais). La troisième con- tient une théorie des paiements internationaux et une analyse des spéculations sur le cours des changes, qui, au dire de .levons, pourrait sembler être un extrait de l'œuvre classique de Goschen.

W. S. Jevons, R. Coniilloa and ihe naiionalily of Po-

liiiral Economy (In Contemporary Beview. Janvier,

1881). H. Higgs. R. C'intillon iThe Economie Journal. Vol. l.

juin 1891). St. Bauer, Contillon (dans la parLie du Dictianon/

(if poltticni Economy de R. H. Inglis Palgrave.

London, I892j. H. Higgs, CantiUon's place in économies (In Quarierty

Journal of économies. Boston, juillet 1892).

Les questions économiques, étudiées d'ordinaire dans des opuscules de circonstance ou dans des ouvrages sur les sciences philo.sophiques et juridiques, commen- cèrent, vers le milieu du xviii^ siècle, à éveiller un inté- rêt beaucoup plus grand et plus général après que quel- ques écrivains les eurent considérées au point de vue politique, comme le fît Montesquieu [Esprit des lois, 17'i8-i9), qui étudia les institutions financières dans leurs relations avec les formes de gouvernement, ou dans leurs rapports avec le progrès de la civilisation. Bien que ces écrivains ne soient pas tous dégagés de la théorie mercantiliste, ils lui portèrent de rudes coups. Le préjugé vulgaire de la .suprématie de l'argent a été combattu par le philosophe Berkeley [The Querist, 1735-1 737), à l'aide

268 LES PRÉCURSEURS

de quelques questions habilement posées, mais il est grand partisan du papier monnaie ; par Mathieu Decker {An essay on the décline of the foreign trade, 1744) et mieux encore par Josias Tucker (m. 1799) dans plu- sieurs écrits sur des sujets spéciaux C-^dvsintages and disadvantages of France and Great Britain 1750. Four tracts, 1754). dont un {Reflections on the na- turalisation of foreign 'protestants, 1755) a été traduit par Turgot sous un autre titre. Mais c'est David Hume {1711-1756) qui attira plus que tous les autres, par sa célébrité comme historien et comme philosophe, par l'exquise élégance de son style, l'attention publique sur les controverses de l'économie politique. Il a été tenu en haute estime par Adam Smith qui, déjà initié aux recherches économiques par Hutcheson, dut subir l'in- fluence des idées plus avancées de son ami lorsqu'il fut chargé de l'enseignement de la philosophie morale.

Il est assez difficile de porter un jugement exact sur la place qui revient à Hume. Certainement il n'a pas fonde l'économie politique, comme l'ont prétendu ses biographes Walckenaër et Burton. Quelques criti- ques peu impartiaux l'ont préféré à Smith (lord Brou- gham, Skarzinski), d'autres (Diihring) l'ont mis sur la même ligne ; Feilbogen a montré ses erreurs dans un excellent travail, le meilleur qui ait été écrit sur ce su- jet. Si on les compare au petit ouvrage, systématique et techniquement profond, de Cantillon, les Essais de Hume, publiés sous le titre significatif de Political Discourses en 1752, et complétés en 1753, manquent évidemment d'unité et de cohérence ; ils parlent des théories de la population, du luxe, de la circulation (commerce, monnaie, intérêt, balance du commerce, jalousie dans le trafic) et des finances (impôts et dette pu- blique), mais ils ne disent rien du capital, de la valeur, du salaire, etc. Ils sont inspirés par des principes libéraux,

DE LA SCIENCE 269

par un amour ardent du progrès, mais ils énoncent, souvent sous une forme dubitative et mêlées à quelques paradoxes, des vérités déjà démontrées par d'autres et d'une façon plus satisfaisante à l'aide d'arguments pure- ment économiques, tandis que l'objet principal de Hume est évidemment de combattre les préjugés populaires et de démontrer l'influence du commerce sur la civili- sation. Il faut noter que les Essais de Hume, connus et exaltés même par les économistes de profession, ne suf- firent pas à les persuader de leurs erreurs, qui ne leur parurent pas réfutées par des arguments assez persua- sifs. L'allemand Darjes, l'italien Genovesi, l'écossais Steuart, étudient Hume et restent mercantilistes. Tur- got, lui-même, admire Hume, mais il croit le commerce stérile.

D. Hume, Political discourses. London, 1752. Essays and Ireaiises on several subiects. 1753. (Traduits à plusieurs reprises en français, en italien, en al- lemand, etc.).

S. Feilbogen, Smith und Hume (In Zeitschrift fur die ges. Siaalsiviss. 26" année. 1890. pp. 695-716).

CHAPITRE VII LE SYSTÈME PHYSIOGRATIQUE

Le mérite insigne d'avoir créé un système scienti- fique d'économie politique, ou mieux de droit philoso- phique social, considéré principalement au point de vue économique, c'est-à-dire un système déduit d'un petit nombre de principes et parfaitement homogène, qui em- brasse l'économie pure et la politique économique et financière, appartient, sans .doute aucun, à un homme de génie, François Quesnay, le chef de l'école qui sest appelée d'abord, par antonomase, l'école des économistes et qui, après 1768, prit le nom de physiocratique parce- qu'elle croyait à l'empire des lois naturelles. Ce sys- tème, bien qu'il ait été esquissé en partie par Cantillon et qu'il soit composé d'éléments fournis par Boisguil- bert, Petty, Locke, Vanderlint, doit être considéré comme nouveau, parce que son auteur aélhninéde nom- breuses contradictions et l'a enrichi d'analyses origi- nales sur le capital, le produit brut et le produit net, et sur les rapports entre la population et les subsistances. L'histoire de la physiucratie, et celle des nombreux ouvrages dans lesquels ce système se trouve exposé, commenté, combattu et défendu, présente par consé- quent un grand intérêt. Elle a été faite, pour partie, dans plusieurs monographies, qui ne sont pas toujours im- partiales et qui ne donnent pas une connaissance suffi- santes des sources, dont beaucoup sont encore iné- dites.

272 LE SYSTÈME

Notice abrégée des différents écrits modernes sur la science de l'économie politique. In Ephémérides du citoyen, eic. Paris, 1769 (Matériaux abondants, mais pas toujours sûrs).

Un choix des meilleurs ouvrages de l'école physio- cratique a été fait par E. Daire dans la Collection des principaux économistes (Paris, 1846, 2 volumes), et par F. Ferrara dans la Biblioteca aelV Economista, (vol. I. Torino, 1850), avec de bonnes notes biogra- phiques et critiques. Daire est toutefois un juge trop bienveillant, et Ferrara un juge trop sévère.

G. Kellner, Zur Geschichte des Physiocraiismus. Gôttin- gen, 1847.

Jos. Garnier, W Physiocrates, dans le vol. II. (1853) du Dictionnaire de r Economie politique de Coque- lin.

L. de Lavergne, Les économistes français du xvni^ siècle. Paris, 1870 (Élégantes biographies).

G. Schelle, Du Pont de Nemours et l'école physiocra- tique. Paris, 1888. (Contient beaucoup de notices intéressantes sur l'histoire externe du système).

§ 1. L'école de Quesnay.

François Quesnay (1694-1774) était le fils d^un avocat propriétaire foncier, et il fut lui-même un agriculteur passionné. Il exerça. la médecine et écrivit une œuvre remarquée sur la physiologie ; appelé à Versailles, il devint le médecin de Louis XV et de madame de Pompa- dour, qui le protégea particulièrement. Etranger aux intrigues de cour et tout entier à l'étude, il écrivit pour V Encyclopédie de Diderot et d'Alembert les deux ar- ticles fermiers (1756) et grains (1757), qui contiennent les germes de son système, et il en composa d'autres, hommes (récemment découvert par Bauer), intérêt de

PHYSIOGRATIQUE 273

Vargent et impôts jusqu'ici inédits, qu'il avait repris lorsque V Encyclopédie , prohibée parle gouvernement, était devenue une publication clandestine. Le fameux Tableau économique a été imprimé mais non publié en 1758. Dans sa première comme dans sa seconde édition, fort modifiée, de trois exemplaires seulement (dont un a été découvert également par Bauer), il contient un tableau numérique qui décrit la circulation et la dis- tribution des richesses entre les différentes classes socia- les, accompagné de quelques commentaires (Extrait des Economies royales de M. de Sully), qui ont été ensuite développés sous le titre de Maximes générales du gouvernement économique cVun royaume agricole et insérés dans la Philosophie rurale de Mirabeau (1763). Il écrivit aussi d'autres opuscules, le Problème économiciue et le Second problème économique, le Droit naturel {il^S), qui fait connaître ses idées philo- sophico-juridiques^ et enfin les Dialogues sur le com- merce et les travaux des artisans, dans lesquels il dé- fend ses doctrines et fait mieux connaître sa méthode.

Phijsiocratie, etc, recueil publié par Du Pont. Leyde et Paris, 1767-1768. 2 volumes. (Réimprimé à Yver- don, 1768. 6 volumes.)

Fr. Quesnay. Œuvres économiques et philosophiques avec une introduction et des notes par Auguste Oncken. FrankfurL a M., 1888 (Edition préléra- ble à celles de Du Pont et de Daire et enrichie de notes). D'aulres ouvrages et des lettres de Quesnay seront prochainement publiées par Bauer, qui en a publié un compte rendu dans les Jahrbùcher fur Nat. Oekonomie . N. F. vol. XXI. août 1890.

Le plus ancien et le plus fervent disciple de Quesnay a été le marquis Victor de Mirabeau, auteur de nom- breux ouvrages, écrits dans un style prolixe et dccla-

18

274 LE SYSTÈME

matoire. Dans les premières parties de son Ami des hommes ou traité de la jjopulation (Avignon, 1756), il soutenait l'ancienne doctrine sur la population et faisait l'apologie de la petite culture, qui occupe un plus grand nombre de paysans. Converti à la pliysiocratie, il publia d'autres volumes, commenta le sybillin Ta- bleau économique {il QO), dont Bandeau (1770) donna plus tard une meilleure explication ; il écrivit ensuite la Théorie de Vimpôt (1760), qui fournit, avec un mé- moire de Saint-Péravy [Mémoires sur les effets de l'impôt indirect, 1768), un bon résumé des doctrines financières du maître ; plus tard les Economiques (1769) et enfin la Philosophie rurale ou économie générale et politique de l'agriculture (1763), qui est son meil- leur ouvrage.

Après lui, par l'ancienneté et par son zèle à faire connaître le système , vient Pierre Samuel Du Pont (1739-1817), le dernier survivant de l'école, qu'il dé- fendit contre Say qui, comme Smith et beaucoup d'autres (y compris Turgot), l'appelait une secte à cause de l'inflexibilité avec laquelle les élèves défendaient les opinions du maître. Du Pont a le mérite d'avoir com- battu, (il y fallait un certain courage), les assignats et d'avoir contribué aux sages réformes financières de l'Assemblée constituante, dans laquelle on lui donna le nom de Nemours pour le distinguer d'un homonyme. Ami de Turgot, il l'a soutenu dans ses réformes ; il fut collaborateur et directeur des deux revues physiocra- tiques, \eJournalde l'agriculture, du commerce et des finances (1765-1766), et les Ephémérides du citoyen (1766 etsuiv.). dans lesquelles il publia un très grand nombre d'articles, écrits parfois un peu à la légère. Schelle a parlé de ses œuvres dans la monographie que nous avons citée plus haut.

Les meilleurs interprètes de la pliysiocratie ont été.

PHYSIOCRATIQUE 275

sans aucun doute, Mercier de la Rivière, Baudeau et Letrosne, sans parler des disciples de moindre impor- tance, Abeille, Condorcet, Bosnier de FOrme, Bigot de Sainte-Croix, Chastellux, l'abbé Morellet, c|ui (avec Mercier et Baudeau) délendit contre Galiani la liberté absolue du commerce des blés, etc., etc.

Mercier de la Rivière, intendant à la Martinique, est l'auteur d'un ouvrage que Smith (il est inexact que ce .soit, comme il le dit, un petit ouvrage), considère comme le meilleur exposé de la physiocratie. En réalité, si on le lit en entier dans ses quarante-quatre chapitres (et non dans les dix-huit reproduits par Daire) on y trouve une analyse fidèle de la partie philo.sophique du système et un exposé des idées politiques de ceux de ses partisans qui créèrent la fameuse doctrine du des- potisme légal, que d'autres (comme Turgot et Du Pont) ont nettement repou.ssée .

Mercier de la Rivière. V ordre naturel et essenliei des sociétés politiques, l'aris, 1767. A été l'occasion de la fameuse satire de Voltaire (qui d'ailleurs avait beaucoup de respect pour Quesnay et admirait Turgot) intitulée : Llwmme aux quarante écus.

Nous devons à l'abbé Beaudeau, d'abord adversaire, puis un partisan ardent de la physiocratie, beaucoup d'articles intéressants dans les Ephémérides du ci- toyen et un résumé des doctrines de Quesnay, préférable à ceux de Mirabeau, de Du Pont et de Mercier, pour sa clarté, sa méthode et quelques développements origi- naux.

Abbé N. Baudeau, Première introduction à la philoso- phie économique ou analyse des états policés. Paris, 1771.

Il faut citer encore Letro,sne, l'auteur d'une réponse

276 LE SYSTÈME

quelquefois peu heureuse, à l'œuvre mémorable (1776) dans laquelle Condillac réfutait la doctrine de l'impro- ductivité des manufactures et du commerce. Dans le livre de Letrosne (De l'ordre social, 1777), il faut signaler la seconde partie (Z>e ri72feréisoc/aZ), qui contient quelques bonnes observations sur la monnaie et sur la circula- tion.

^' '>

TURGOT

Anne-Robert-Jacques Turgot, baron de l'Aulne, (1727-1781), longtemps intendant à Limoges et, pen- dant près de deux ans (1774-1776), ministre de Louis XVI, est aussi célèbre pour ses ouvrages que pour ses sages réformes. Il s'efforça de réorganiser les finan- ces et de débarrasser l'agriculture, les manufactures et le commerce des entraves séculaires qui les oppri- maient ; ces réformes furent bientôt après rapportées. Le ministre tomba, victime de la faiblesse du roi, des intrigues de la cour, de l'opposition des classes privi- légiées et en partie aussi parce qu'il s'était trop hâté et qu'il avait imprudemment négligé les tempéraments nécessaires à l'introduction sans secousses d'un nouvel ordre de choses (Foncin, Essai sur le ministère de Turgot. Paris, 1887).

Comme économiste, Turgot mérite une place- à part pour la variété et la solidité de ses connaissances et pour la multiplicité des sujets qu'il a discutés dans ses œuvres et dans ses mémoires officiels. Ses œuvres ont été recueillis par Du Pont [Œuvres de Turgot 1809- 1811, 9 volumes) et par Eug. Daire(1844, 2 volumes). La sobriété, l'ordre et la clarté de son exposition, Texcel- lence de sa méthode, sa répugnance à suivre en tout et pour tout les opinions du maître, ne permettent pas de ne voir dans Turgot qu'un disciple de Quesnay,

PHYSIOGRATIQUE 277

bien qu'il professe au fond les mêmes doctrines, et qu'il ne se soit pas dégagé (comme on l'a parfois prétendu à tort) des erreurs de l'école, dont il ne voulait pas être considéré comme un partisan. L'étude de ses œuvres est facilitée par de nombreuses monographies, de va- leur différente, écrites parfois dans des vues apologé- tiques.

'A. Batbie, Turgot philosophe, économiste et administra- teur. Paris, 1861.

A. Mastier, Turgot, sa vie et sa doctrine. Paris, 1861.

Tissot, Turgot, sa vie, son administration et ses ou- vrages. Paris, 1862.

H. v. Scheel, Turgot als Nationcdœkonom (In Zeitchr. fur die ges. Staatswiss. de Tubingen, 24" année. 1868, pp. 243-270).

Fr. v. Sivers, TurgoVs Stellung in der Geschichie der Nationalôkonomie {InJahrb. fur Nat. Œk. d'Hiide- debrand. Jena, 1874, pp. 145-208j.

A. Neymarck, Turgot et ses doctrines. Paris, 1885. 2 volumes.

L. Say, Turgot. Paris, 1887.

P. Feilbogen, Smith und Turgot. Wien, 1893.

Parmi ses travaux sur des sujets spéciaux, il faut citer sa lettre à l'abbé Cicé sur le papier monnaie (1749) dans laquelle, à peine âgé de 20 ans, il combat les sophismes de Terrasson, disciple de Law ; le fragment valeur et monnaies (1770), destiné au. Dictionnaire du commerce de son ami Morellet; le très célèbre mémoire sur les -prêts d'argent (1769) ; son mémoire sur les mines et carrières (1770) ; ses lettres brillantes sur la liberté du commerce des grains (1770), qui sont un véritable chef d'œuvre ; enfin ses nombreux écrits sur V impôt, et ses rapports officiels sur la perception de la taille, qui lui donnèrent l'oecasion de parler du capital, des salaires, de la rente, des emprunts publics, etc.

278 LE SYSTÈME

Les Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, écrites en 1766, et publiées à la fin de l'année 1769, dans les Ephéinérides du citoyen avec des modifications arbitraires de Du Pont, supprimées seu- lement dans quelques unes des éditions postérieures, doivent être considérées comme une explication claire et élégante des doctrines des physiocrates, mais elles marquent aussi un progrès notable dans l'histoire de la science, parce que Turgot a su séparer l'étude de l'économie de celle du droit, séparation qui n'existe pas dans les ouvrages de Mirabeau, de Mercier, de Beau- deau, etc. ; il a ainsi composé le premier traité scien- tifique d'économie sociale et il a adopté, comme l'indique le titre, la classification qui a été plus tard adoptée.

Il recherche la genèse historique et rationnelle des faits économiques, et il voit dans la distribution inégale de la propriété foncière la cause principale du progrès économique. En mettant en contact par l'échange les diverses économies individuelles, elle oblige ceux qui ne possèdent pas de terre à vendre des produits et à rendre des services aux propriétaires dont ils cultivent les fonds, et cela en parcourant les cinq stades de l'esclavage, de la servitude, du vasselage, du colonat et du fermage. La nécessité de l'échange est l'origine de la valeur estimative et objective, mesurée par la monnaie, c'est- à-dire par la forme la plus commune du capital, dont il examine les diverses fonctions dans leurs rapports avec l'industrie. 11 explique les rapports économiques entre les propriétaires, les cultivateurs, les artisans, les com- merçants et les protessions libérales, en appréciant leurs services, directs et indirects, et en déterminant les parts qu'ils reçoivent dans la distribution. Il s'arrête spécialement à rechercher la nature de l'intérêt du capital ; il est partisan de la liberté de l'intérêt et il la justifie par cette raison que l'emprunteur, avec la

PHYSIOCRATIQUE 279

somme prêtée, peut acheter un fond qui peut lui donner un profit, qu'il doit partager avec le prêteur. Ces fines analyses purement économiques et leur enchaînement .savant marquent le passage de Quesnay à Smith et constituent le mérite principal de Turgot qui, cepen- dant, est inférieur à Tun et à l'autre en orisfinalité.

§ 3. LES BASES DU SYSTEME

Les théories des physiocrates forment un système de droit public économique, combiné avec une analyse de la production et de la distribution des richesses, d'où ils déduisent, avec une logique parfaite, quelques pré- ceptes de politique économique et financière.

Le droit économique de Quesnay a son fondement dans le concept d'un ordre naturel, qui se rattache, bien que d'une façon un peu extrinsèque, à la philo- sophie de Malebranche [Traité de la. morale, i6(S4),cité comme une autorité dans la préface de la Philosophie rurale de Mirabeau, et il est en pleine harmonie avec les théories alors courantes sur la félicité de l'état de nature, plus tard vicié par les institutions humaines. Par là, Quesnay donne la main à Rousseau, sans ac- cepter cependant la doctrine du contrat social et celle de la souveraineté du peuple. D'ailleurs, le système de Quesnay diffère de celui de Grotius, Puffendorf et Hut- cheson, ([ui développent leurs idées économiques dans un ou deux chapitres de la théorie des contrats synal- lagmatiques, comprise dans le droit privé, tandis que les physiocrates étudient le droit de propriété et la liberté du travail et du commerce presque toujours dans leurs rapports avec le droit public. L'ordre naturel est, pour l'école de Quesnay, un complexus de lois (au sens juri- dique du mot) qui, par la volonté divine, gouvernent

280

LE SYSTEME

le monde et forment une espèce de code éternel et uni- versel, dont les dispositions sont gravées, d'une façon (''vidente, dans la conscience de chacun, et doivent être respectées par les lois positives qui, selon Du Pont, ne sont que de simples actes déclaratifs des lois natu- relles, conséquences nécessaires des besoins de l'homme, de la diversité de leurs aptitudes et de la né- cessité d'appliquer les capitaux à la terre.

L'analyse de la production (territoriale) qui se ratta- che à la théorie de la distribution du produit net (expliquée avec des chiffres hypothétiques dans le Tableau économique), débute par une classification originale des capitaux, qui comprennent les « avances primitives », c'est-à-dire le capital fixe (outils, bestiaux), et les « avances annuelles », c'est-à-dire le capital cir- culant (semences, engrais) du cultivateur. Le résidu qu'on obtient en déduisant du produit brut les dépenses de culture (reprises), qui comprennent aussi les gains des producteurs (fermiers, métayers, salariés), constitue le « produit net », c'est-à-dire l'augmentation annuelle de la richesse nationale, qui sert aux besoins de l'Etat et à l'augmentation du capital. Au point de vue écono- mique, la société se compose de trois classes, celle des producteurs, qui exercent, pour leur compte ou celui d'autrui, l'industrie territoriale (agraire ou extractive) ; la classe stérile (que Turgot appelle la classe stipendiée), constituée par les commerçants qui transportent, et par les artisans qui transforment la richesse, mais n'en aug- mentent pas la quantité (Letrosne), et par les professions libérales, qui rendent elles aussi des services utiles et quelquefois nécessaires, mais n'accroissent pas le pro- duit net (Quesnay et Turgot), parce que la valeur ajoutée aux matières premières correspond à celle qui est consommée (outils, matières auxiliaires, salaires) dans la production ; enfin la classe des propriétaires

1

PHYSrOCRATrOUE 281

(appelée la classe disponible par Turgot), qui vit sans travailler et reçoit le produit net comme compensation des capitaux incorporés dans le sol.

La politique économique des physiocrates est très simple et de caractère négatif, parce qu'elle se résume dans l'aphorisme laissez faire, laissez X)àsser, c'est-à- dire dans la liberté illimitée, qui est conforme à l'ordre naturel ; grâce à elle chaque producteur, guidé par son intérêt personnel, contribue à la prospérité générale sans qu'il soit besoin d'aucune ingérence gouvernementale. Mais l'école de Quesnay, quand elle veut montrer les avantages économiques de la liberté industrielle et com- merciale, se sert d'arguments bien différents de ceux des libre-échangistes modernes. Elle invoque la liberté parce qu'elle espère que, grâce à la concurrence, les dé- penses delà classe productive diminueront et que le pro- duit net augmentera : elle désire le bon marché des mar- chandises, mais cependant le haut prix des denrées agri- coles. L'action de l'Etat étant réduite uniquement à la défense sociale, on comprend que la question de la forme du gouvernement fût secondaire pour les physiocrates , et on comprend aussi pourquoi beaucoup d'entre eux ont préféré le gouvernement puissant d'un seul à celui d'une assemblée, parce qu'ils le croyaient plus indépendant et plus porté aux réformes nécessaires pour émanciper l'industrie des entraves qui l'enserraient.

Ils ont accepté et développé les doctrines de Locke et de Vanderlint quant à l'incidence finale des impôts sur la rente foncière, ou comme ils disaient sur le produit net, parce qu'ils croyaient que la concurrence avait pour effet nécessaire la réduction des salaires et des profits à un minimum non imposable. De ce point de départ ils concluaient logiquement que la substitution d'un impôt unique et direct sur le produit net aux impôts multiples était conforme à l'intérêt général et à l'intérêt

282 LE SYSTÈME

des contribuables eux-mêmes. On aurait pu ainsi diminuer les dépenses de perception et même sup- primer les inconvénients de répercussions onéreuses et inévitables .

Le système physiocratique, considéré par rapport aux théories empiriques auxquelles il succédait, présente un tel mélange d'erreurs et de vérités, de mérites et de défauts, qu'il a rendu malaisé un jugement équitable, même pour ceux qui l'ont examiné objectivement. Il a, d'ailleurs, été condamné quelquefois comme une uto- pie absurde ; on l'a aussi identiflé en tout et pour tout avec le système de Smith, qui n'y aurait apporté que des modifications sans importance.

Il nous semble qu'on ne peut refuser à l'école de Quesnay-le mérite d'une analyse ingénieuse, quoique pour partie fausse, des phénomènes de la production et de la distribution en général, et des fonctions du capi- tal, bien distinctes de celles de la monnaie, en particu- lier, et aussi celui d'avoir mis en lumière l'importance fondamentale de l'agriculture et d'avoir porté le der- nier coup à la théorie de la toute puissance économique de l'Etat, en demandant la liberté du travail et du com- merce et la réforme radicale des mauvais systèmes d'im- pôts alors en vigueur. Il est vrai cependant que le sys- tème, irréprochable au point de vue logique, est fondé sur des bases juridiques et économiques en partie fausses et en partie inexactes, et sur un petit reste du mercantilisme qu'il combat si vigoureusement. L'idée d'un ordre de nature, en dehors duquel aucune économie scientifique n'est possible, était transformée par les physiocrates dans l'hypothèse, aussi arbitraire qu'ab- surde, de l'existence de lois applicables à tous les temps et à tous les lieux, sans tenir compte des précédents historiques et du degré de civilisation. L'origine du produit net était attribuée à la libéralité de la nature,

PHYSIOGRATIQUE 283

alors qu'elle est un effet de la limitation et des inégalités dans la fertilité et dans la situation des terres. La dis- tinction en travail productif et travail improductif, et ■entrelâ rente originaire et la rente dérivée aurait fait grand honneur à l'école de Quesnay, si elle ne l'avait mal appliquée dans sa théorie de la stérilité des manufactures et du commerce. Cette dernière théorie ■était, pour quelques-uns, une suite de cette erreur phy- sique qui leur faisait croire que la terre est productive ■d'objets nouveaux, et, pour d'autres, de cette erreur éco- nomique de l'identité, affirmée mais non démontrée, ■des valeurs produites et des valeurs consommées dans la production, pour d'autres enfin de cette idée, juste en «Ile-même, de la dépendance de l'industrie manufactu- rière et commerciale vis-à-vis de l'industrie agricole, mais viciée par Tignorance de la réciprocité de cette dépen- dance. La cause principale, et insuffisamment remarquée, <le leur erreur fondamentale consiste à avoir identifié l'intérêt général avec l'intérêt particulier des différentes -classes, et à avoir par conséquent étudié les phénomènes ■économiques au point de vue des intérêts des produc- teurs (réduits pour eux aux cultivateurs) et non à celui des consommateurs, sans s'apercevoir, par exemple, que le bon marché des denrées agricoles est tout aussi désirable que celui des autres marchandises et qu'il ne fallait pas comprendre dans les dépenses de produc- tion (au point de vue social) les salaires, les profits, les intérêts, qui sont au contraire une partie de la rente, ■d'où peut dériver, non moins que de la rente foncière, le produit net, parce que la réduction supposée au minimum indispensable à l'entretien des travailleurs ne' ne se fait pas toujours. Les disciples de Quesnay se trompent gravement quand ils font du laisser faire un ■dogme scientifique, tandis que ce n'est qu'une règle pratique, sujette à de nombreuses exceptions, néces-

284 LE SYSTÈME

saires pour éliminer les collisions très fréquentes entre les intérêts particuliers et l'intérêt général. Les physio- crates se trompent enfin, même en faisant abstraction de son impossibilité d'application, lorsqu'ils demandent l'impôt territorial unique, corollaire légitime de leur théorie de la répercussion des impôts, fondée sur riiypotbèse fausse de l'impossibilité de frapper les salaires et les profits. Pour conclure, nous ferons remar- quer que l'école de Quesnay, qui a bien mérité de la science et de la pratique pour la guerre qu'elle a soute- nue contre les sophi^mes du mercantilisme et les excès du despotisme économique, est tombée dans un grand nombre d'erreurs, que professent de nos jours encore les optimistes, et que l'on s'obstine parfois à considérer comme indissolublement unies aux théories de l'école de Quesnay.

Et. Laspeyres, Quesnay, Turgot und die Physiokra- ien (In Deutsches Staaiswôrierbuch de Bluntschli etBraler. Volume viii, 1864, pp. 445-455j.

N. G. Pierson, Het Physiocmtisme (In De Economist, 1880). Excellent essai critique.

H. Denis, Des origines et de l'évolution du droit écono- mique. La Physiocratie. (In Philosophie pjsilive de Littré, 1880).

§ 4. LA PHYSIOCRATIE A l'ÉTRANGER

Le système de Quesnay, qui eut en France ses der- niers représentants dans le marquis Germain Garnier CAbrégé élémentaire des j^rincipes de l'économie jDolitique, 1796) et dans Dutens (Philosophie de Véco- nomie j)olitique, 1835), contemporains de Théodore Schmalz (1760-1841) et de Charles Arnd (Die naturge- mUsse Volkswirthschaft, 1845. 2^ édit., 1851), c'est- à-dire des derniers physiocrates allemands, n'a pas

PHYSIOGRATIQUE 285

trouvé de partisans en Angleterre. Il en a eu quel- ques-uns de second ordre dans d'autres pays : Stroj- nowski en Pologne, le prince Galitzin en Russie (1796) et un nombre un peu plus considérable en Allemagne et en Italie.

Parmi les physiocrates allemands, nous devons signa- ler, en dehors de Ftirstenau et de Springer, le suisse Isaac Iselin, le fondateur du périodique Ephemeriden der Menscheit (1776-1782), le laborieux J. Aug. Schlettwein (1731-1802), auteur d'un résumé [Grundfeste der Staaten oder politische Oekonomie, 1779), Jacques Mauvillon (1743-1794), qui le dépasse en profondeur (Sammlung von Aufsatzen, etc., 1776. 2 volumes), et enfin le margrave Charles-Frédéric de Bade (1728- 1811), l'auteur d'une espèce de table synoptique C-^na- lyse abrégée des principeii de Véconomie politique) insérée àan^le^Ephéméridesdii citoyen [ilTi) et qu'on a souvent attribuée (par exemple Daire) à Du Pont, qui l'a reniée tout en l'améliorant trois ans plus tard {Table raisonnée des principes de l'économie poli- tique, Carlsruhe, 1775). Ce prince fit l'expérience de l'impôt unique dans les villages de Theningen et de Balingen (1770-1776), et de Dictlingen (1770-1792). Mais comme l'a démontré Emminghaus, l'insuccès d'un système mal inauguré (Schlettwein) et exécuté à regret (par J.-J. Schlosser) sur un petit territoire et pendant si peu de temps, ne peut pas fournir des éléments certains pour un jugement fondé sur sa bonté relative ou absolue.

A. Emminghaus, Karl Friedrich' s von Baden Phy- siocratische Verbindungen, Bestrebiingen nnd Ver- suche (In Jahrbûcher fur Nat. Oekon. 10"^ année 1872, pag. 1 et suiv.)

W. Roscher, Geschichte der Nat. Oekonomik in Deuisch- land. Mûnchen, 1874, pp. 480-500.

286 LE SYSTÈME

Cfr. F. von Sivers, dans les Jahrbùcher, 13= année, 1875, pp. 1-15.

K. Knies, C. Fr. v. Baden briefUcher Verkehr mit Mira- beau and Du Pont. Heidelberg, 1892. Deux vo- lumes.

Il est certain que la physiocratie a exercé une influence .sur les ministres toscans, promoteurs des réformes de Léopold (Tavanti, Neri, Gianni), qui firent même tra- duire quelques livres et quelques opuscules français {Coyer, Baudeau, Bosnier de TOrme, etc. i, dans le but de rendre populaire les idées qu'ils défendaient, comme cela résulte des travaux de Zobi {Manuale storico délie massime e degli ordinaraenti economici vigenti in Toscana, 1847), de ceux de Montgomery Stuart [Storia. del libero scambio in Toscana, 1876), et mieux encore de la consciencieuse monographie d'Abel Morena (Le- ri formée le dottrine economicJie in Toscana. In Ras- segna nationale. Firenze, 1886 et suiv.). Un petit nom- bre d'écrivains ont accepté, sans notables changements, les doctrines de l'école de Quesnay. Parmi eux nous men- tionnerons Melchior Delfîco (1788) et Nicolas Fioren- tino (1794) ; parmi les écrivains annonaires, en dehors de Xegri déjà cité (1767^, Scottoni (1781), Mario Pagano (1789), De Gennaro [Annona, ossia piano econoniico di publica sussistenza, 1783;. Scrofani (3/eï7i07'ie di econoniia polltlca, 18'26 ; parmi les écrivains de finance, Adam Fabbroni, rappelé par Balletti (1778). Joseph Gorani (1771), Jean Paradisi (1789) et particu- lièrement le toscan Joseph Sarchiani {Intorno al sis- tema délie pmhbliche imptosizioni, 1791). Beaucoup d'autres, au contraire, acceptent les nouvelles théories sans abandonner les anciennes, par exemple, Paoletti {Veri mezzi di rendere felici le société, 1772/ qui est favorable aux lois somptuaires; Filangieri (1752-1788), partisan du libre échange et de l'impôt unique, mais

PHYSIOCRATIQUE 287

lidèle à la théorie de la balance mercantile; Brio:anti, qui admet les droits compensateurs et insiste sur l'utilité du commerce; D'Arco, d'abord mercantiliste (1771), plus tard (1775) partisan d'une doctrine éclectique en ce ([ui concerne le blé, et qui finit par admettre, sous l'in- fluence des idées d'Ortes, la pleine liberté du commerce (1788) ; enfm Mengotti [IlColbertismo. Firenze, 1792), qui indique les précautions nécessaires à prendre pour préparer le libre échange.

Gaet. Filangieri, Délie leggi jxiUdche ed economiche, 1780. Et le second livre de la Scienza délia legis- lazione (Réimprimé dans la Collection de CusLodi, Part. Mod. Vol. 32j.

Filippo Briganti, Esame economiro del sisiema civile. Napoli, 1780. (Et dans Custodi, Part. Mod. Vol. 28 et 29).

Conte Giov. Batt. Glierardo D'Arco. Opère, Cremona, 1785. Vol. I et m.

§ 5. LES CRITIQUES DE LA PHYSIOGRATIE

Userait absolument inutile d'énumérer les nombreux écrivains du siècle dernier qui ont combattu, en toutou en partie, les théories physiocratiques sans être d'au- cun secours aux progrès de la science. Quelques-uns veulent ressusciter le mercantilisme ; il semble possible à d'autres de combiner les principes de l'ancien système avec ceux du nouveau ; d'autres s'essayent à réfuter certaines propositions exactes des physiocrates et les remplacent par des propositions fausses, ou bien ils ac- ceptent les prémisses (incidence del'impôt sur le produit net), et repoussent, pour de simples considérations pra- tiques, leurs conséquences nécessaires (impôt unique), ou enfin ils réfutent les doctrines erronées de la stérité de l'industrie et du commerce, de l'absolue identité

288 LE SYSTÈME

de l'intérêt particulier avec l'intérêt général, et de la répercussion des impôts, et ils y substituent d^autres erreurs manifestes ou tout au moins des assertions non démontrées. C'est à ces catégories de critiques qu'ap- partiennent quelques uns des éclectiques déjà cités, For- bonnais, Steuart, Justi et beaucoup d'autres écrivains, en particulier des écrivains allemands, cités par Kautz et plus complètement par Roscher {Geschichte, etc., pp. 494-592). Parmi ceux-ci, il en est un, bautement apprécié en Allemagne, Justinus Moser (1720-1794), qui, dans une série d'écrits politiques {Patriotische Phan- tasien, 1774), combat ladivision du travail, la grande in- dustrie, le libre échange, demande des restrictions féo- dales à la propriété et défend les corporations ; c'est en même temps un ennemi des mesures propres à favoriser l'augmentation de la population ; il est partisan des hauts salaires, de la liberté illimitée du commerce des blés et du développement du crédit agraire. Nous devons parler encore de deux autres écrivains éclecti- ques plus connus, même hors de l'Allemagne, Biish et Herrenschwand. Ils font grand cas des doctrines de Quesnay et de Smith, mais ils conservent, en grande partie, les préjugés du mercantilisme et, en particulier, celui de l'importance suprême de la quantité de la mon- naie et des phénomènes de la circulation. J. Georges Busch (1728-1800), directeur de l'Académie commer- ciale de Hambourg, s'est occupé, dans ses nombreux écrits, de la partie technique des théories monétaires, bancaires, et en général, des théories commerciales, énonçant çà et des idées saines et originales en matière de rente, de systèmes agraires, de crises éco- miques et de population. Herrenschwand a particulière- ment insisté sur ce dernier sujet; on le considère en général comme un des nombreux précurseurs de Mal- thus.

PHYSIOGRATIQUE 289

L. Rupprecht, Juslus Mbsers sociale und volkswirth- schaftliche Anschauungen. Stuttgart, 1892.

J. G. Bûsch, Kleine Schriften ûberdie Handluyig, 1772. Abhandlung von Geldumlauf, 1780. Deux vol.— Theoretisch-prakiische Darstelliing der Handlung, 1792. Deux volumes. SammilicheSchrifien.Wien, 1813-1818. Seize volumes.

Herrenschwand, De l'économie politique moderne. Londres, 1786. De iécon. pol. et morale de Vespèce humaine, 1796. Deux volumes. —Du vrai principe actif de Vécon.poL, 1797.

Nous devons nous arrêter plus longtemps surGaliani, Condillac, Beccaria, Verri, Ortes, qui ont étudié avec originalité les problèmes fondamentaux de la science et préparé la voie à ses progrès ultérieurs.

Il faut être reconnaissant à un écrivain contemporain (Macleod) d'avoir rappelé l'attention sur l'importance théorique de Condillac, qui a réfuté l'erreur des phy- siocrates sur la stérilité des manufactures et du com- merce, et donné une théorie de la valeur. Nous ne pouvons cependant concéder à Macleod qu'avec Condillac commence une ère nouvelle ; d'autres écri- vains (Galiani, Turgot, Letrosne) avaient déjà, en effet, discuté avec talent et avec autant d'ampleur le même sujet. Condillac voit dans l'utilité de quantités détermi- nées de biens le fondement de la valeur ; il montre les avantages réciproques que les échangistes retirent de l'échange, parce qu'ils obtiennent des richesses aux- quelles ils attribuent une valeur supérieure à celle des valeurs qu'ils cèdent.

Condillac, Le Commerce et le gouvernement, etc. Vol. I (volume unique). Amsterdam et Paris, 1776.

19

290 LE SYSTÈME

.^ 6. GALIANI, BECCARIA, VERIU, OUTES.

L'abbé Ferdinand Galiani est à Naples (1728- 1787). C'est à la lois un économiste et un jurisconsulte, et toujours un écrivain élégant. 11 traduisit, à Vàixe de vingt ans, les ouvrages de Locke sur la monnaie, qu'il utilisa partiellement pour composer son traité classi([ue (1750), dont nous avons déjà parlé (chap. III, § 2^ ; il publia plus tard, alors qu'il était secrétaire d'ambassade à Paris, ses Dialogues sur le commerce des blés, qui le firent connaître dans toute l'Europe et lui attirèrent de vives réponses. Dans son livre sur la monnaie, bien qu'il s'inspire des principes du mercantilisme et qu'il soit favorable, dans certaines circonstances (sur les traces de Melon), aux altérations de valeur de la monnaie, ses doctrines sont- généralement saines et toujours exposées avec beaucoup de clarté. Il faut sur- tout louer sa défense de la liberté de l'intérêt, le cba- pitre sur le cours des changes, et spécialement la théorie de la valeur. Cette dernière théorie a été commentée avec beaucoup de pénétration par Graziani {Storla critica, etc., 1889, pp. 99-107), qui a montré que Galiani est un des précurseurs les plus importants de la doctrine qui l'onde la valeur sur l'utilité concrète de chaque quantité de richesses considérée à part, utilité déterminée selon lui par l'intensité différente des besoins, sans oublier l'influence du temps sur la va- leur et les influences réciproques de la demande sur la valeur et de la valeur sur la demande. Dans ses Dialogues, il montre l'impossibilité d'établir un sys- tème unique, libéral ou restrictif, de politique anno- naire. l'auteur se montre non seulement dialecticien puissant, mais il devance, en un certain sens, l'école

PHYSIOCRATIQUE 291

historique moderne en combattant les théories trop absolues de la physiocratie et en mettant en lumière, sauf quelques erreurs dans les applications, le carac- tère relatif des institutions économiques et la nécessité de les adapter aux diverses conditions de temps^ de lieu et de civilisation.

Dialogue sur le commerce des blés. Londres (Paris), 1770. Nouvelle édition augmentée. Berlin, 1795. Deux volumes. Traduits en allemand par Bar- khausen (1777), par un anonyme (1778), et par Beicht (1802).

Cfr. L. Diodati, Vita delV abaie F. Galiani.. Napoli, 1788. G. Ugoni, La lelteraiura ifaliana, etc. Vol. I (Milano, 1856), pp. 191-357. F. Fornari, Délie teorie economiche nelle provincle napolc- tane, etc. Milano, 1888.

Le marquis César Beccaria (1738-1794), l'illustre au- teur du livre Des délits et des peines (1764), a publié une Prolusione (1769), écrit des lezioni di economin (1769-1770) restées inédites jusqu'en 1804, et contribué {avec Verri et Carli) à d'importantes réformes dans l'administration de la Lombardie, notamment de l'an- nonne, des monnaies, des poids et des mesures, et à l'abolition des corps de métiers et de la ferme des impôts. Ses Elementi d'economia pitbblica, trop défavorable- ment jugés par Pascal Duiwsit {Revue moderne, 18G5), sont remarquables pour la précision, la clarté et la rigueur des déductions, qui dénotent un auteur familier avec les mathématiques comme le prouve son Tenta- tive anfttitico sui contrabbandi (In Caffè. Vol. I, Brescia, 1765), qui inspira au sicilien Guillaume Silio (1792) un ouvrage analogue. Bien qu'il accepte les doctrines des physiocrates (avec lesquels il entra en relation pendant le court voyage qu'il fit à Paris en 1766), il ne repousse pas cependant tous les préceptes

592 LE SYSTÈME

du mercantilisme. Il attaque les corporations et n'ad- met pas les prohibitions ; il est éclectique comme Ga- liani, partisan décidé de la liberté annonaire, mais cependant il défend les primes à l'exportation (repous- sées par Carli) et il est grand partisan des droits pro- tecteurs. Au point de vue théorique, si on ne peut lui reconnaître l'originalité que lui attribuait Say dans l'analyse de la fonction des capitaux (qu'il emprunte à la physiocratie), ni celle que voulait lui reconnaitre, avec beaucoup d'autres, Pecchio, au sujet de la divi- sion du travail, ni même celle dont parle Ingram, dans l'analyse des causes déterminantes de la diversité des salaires dans les différents métiers (énumérées longtemps auparavant par Caritillon), il doit être loué pour ses idées exactes sur la population (chap. TII, §1) et plus encore, comme le remarque Graziani [op. cit. pp. 72-76) pour sa belle analyse de la loi de la valeur normale, dans les cas de libre concurrence et dans les cas de monopole.

C. Beccaria, Elemenii di economia pubblica (1769). Dans les volumes XI et XII. Part. Mod. (1804) de la Collection de Custodi et vol III ;Torino, 1852) de la Biblioieca dell' Economista de Ferrara. Trad. française. Paris, 1852.

Cfr. les notices biographiques données par C. Cantù, Beccaria e il diritto pénale. Firenze, 1862; et par A. Amati (et A. Buccellati), C. Beccaria e Vabo- lizione délia pena di morte. Milano, 1872.

Son ami et collègue, le comte Pierre Verri, à Milan (1728-1797), n'a ni son talent ni sa culture scientifique et littéraire, mais il lui est de beaucoup supérieur comme économiste pour la quantité et pour la valeur de ses écrits, dans lesquels il s'émancipe presque complète- ment de l'erreur physiocratique sur la non productivité des industries. Bien qu'il partage encore quelques-uns

PHYSIOGRATIQUE 293

des préjugés du mercantilisme, notamment dans ses Elementi ciel cornmercio {ilQo}, il professe des idées nettement libérales dans ses Riflessioni sulle legi vin- colcLTiti, principEilmente nel commercio dei grani, écrites en 1769 et publiées en 1796; il a, également, remarquablement analysé les causes de la décadence de l'industrie et du commerce de la Lombardie sous la domination espagnole dans ses Memorie sulV econo- mia pubblica. dello Stcito di Milano (1768), publiées dans la Collection de Custodi (vol. XVII).

Les Meditazioni sulV economia x>olitica (1771), plus complètes et plus claires que les Elementi de Beccaria, sont le meilleur précis publié en Italie au siècle passé et elles seraient même supérieures aux abrégés étrangers si les Réflexions de Turgot ne lui étaient pas anté- rieures. Il est vrai cependant que Verri le dépasse tout au moins pour avoir fait une analyse plus exacte et plus compréhensive de la production, parce qu'il a montré que, dans lagriculture comme dans les manufactures, l'homme ne peut que rapprocher et séparer, mais' qu'il ne peut jamais créer de nouveaux objets (section 3") ; il se trompe cependant sur un point, car il considère les commerçants comme de simples intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs. Les Meditazioni forment un système, parcequ'elles sont un examen des différentes causes qui permettent ou empêchent qu'un pays s'enrichisse par un excédant de la production sur la consommation, et qu'on obtienne ainsi le produit maxi- mum d'où dépend l'augmentation continue de la popu- lation. C'est pour cela que Verri (contrairement à Bec- caria) préfère la petite à la grande culture et combat la concentration excessive des propriétés, comme les en- traves directes à la liberté industrielle et commerciale. Il admet cependant (dans l'impossibilité du libre échange universel) des droits protecteurs, précurseur en cela

294 LE SYSTÈME

(comme le remarque Pierson) de la théorie du fair-trade ; il les accepte aussi parce que, combinés avec les impôts directs, ils sont nécessaires au point de vue fiscal, le système de l'impôt territorial unique étant prati- quement impossiiDle et scientifiquement faux. Enfin la théorie de la valeur de Yerri est très importante, parce que le premier il s'occupe presque uniquement de la valeur courante, déterminée par la loi de l'offre et de la demande, qu'il expose cependant en termes peu heureux, parlant toujours du nombre des acheteurs et de celui des vendeurs ; il a proposé une formule qui a été enjjuite discutée, modifiée, défendue par Frisi. Gioja, Valeriani et Rossi (Cfr. Graziani, op. cit., pp. 1 13-J31;. Une faute d'impression dans le Cours d'économie 'po- litique de Pellegrini Rossi. dont personne ne s'est jus- qu'ici aperçu, a introduit dans beaucoup d'ouvrages italiens et étrangers un certain Ferry (Verri), auquel on attribue la formule de l'offre et de la demande !. .

(P. Verri) Meditazioni suW economia politica. Li- vorno, 1771. Ptéimprimé plusieurs fois avec des adjonc- tions de l'auteur (et quelquefois avec des notes sans intérêt et peu bienveillantes de G. R. Carlil, par exemple, dans la Collection de Custodi (vol. XV) et dans celle de Fer- rara (vol. III), et en même temps que ses œuvres philo- sophiques. On en a fait trois traductions françai.ses, une anonyme (1800), l'autre par Mingard (1773; et une troi- sième par Neale (1823) ; deux allemandes, par un ano- nyme (1774), et par L. B. M. Schmidt (1785); une hollan- daise (1801).

Voir aussi, en dehors du recueil des lettres et des œuvres inédites publié par Casati : Isid. Bianchi, Elogio storico di P. Verri. Cremona, 1803. C. Ugonij La letteratura italiana, etc. Vol. 11(1856), pp. 35-128. Eug. Bouvy, Le comte P. Verri. Paris, 1889.

Le prêtre Jean-Marie Ortes (1713-1790), le plus illus-

PHYSIOGRATIQUE 295

tre des économistes vénitiens du siècle passé, dont nous avons déjà signalé les idées exactes sur la question de la population (ch. IIP, .^ 1), est un esprit original, mais son style est faible ; parfois paradoxal, il est un peu étranger, mais moins qu'il ne voudrait le faire croire, au mouvement général des études économiques de son temps. Il est l'auteur d'ouvrages anonymes, im- primés à un petit nombre d'exemplaires, recueillis et commentés avec grand soin par Custodi, Cicogna et Lampertico. Il combat le mercantilisme sans adopter les théories de la physiocratie, et il défend le libre échange universel, en se déclarant en même temps partisan des biens de .mainmorte, des fidéicommis et de beaucoup d'autres restrictions médiévales au droit de propriété. Son système part d'un principe évidem- ment faux, à savoir que la richesse des différents peuples constitue une quantité fixe, rigoureusement proportionnelle au nombre des habitants ; c'est donc une tentative vaine que d'essayer de Taccroitre, parce qu'il ne faut pas confondre la distribution des richesses entre les individus avec celle qui se fait dans l'économie nationale.

Dell' economia nazionale. Part, I. 1774. Erroripopo- lari intorno alV economia nazionale. 1771. Bei fidecommessi, elc. V. la Collection de Custodi, vol. XXI-XVII etXLII. Bibliot. delC Econom., vol. III (1852).

Fed. Lampertico, Giammari^ Ories e la scienza eco- nomica al suo tempo. Venezia, 1865. (Excellente monographie;.

Pour les économistes vénitiens, contemporains d'Ortes, on peut consulter, en dehors de l'ou- vrage déjà cité d'Alberti sur les corporations : Alb. Errera, Storia delV econ. pol. negli Siati délia Repubblica Venefa. Venezia, 1877; et J. Facen, Mengotti e le sue opère. (In Bivista Veneta. IIP an- née, 1875).

296 LE SYSTÈME PHYSIOCRATIQUE

Nous ajouterons, en terminant, que les autres écono- mistes italiens du siècle passé se sont occupés de l'annone (Carli, Caraccioli, Cacherano, Aleandri), des impôts (Palmieri, Gianni, Vergani, Scola, Marchesini, Foscarini) et des monnaies. Il est parlé de leurs ouvrages dans les livres, déjà cités, de Cusumano, de Gobbi, de Ricca-Salerno et dans un de nos essais bibliographiques.

L. Cossa, Snggio di bibliografia délie opère econo- miche italiane sulla moneta et sul credito anteriori al -1849. (In Giornale degli Economisa. Bologne,

juillet 1892).

CHAPITRE VIII ADAM SMITH ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS

L'économie politique qui formait , .^râce à Quesnay, un système achevé de droit économique, dont Turgot avait dégagé un système d'économie sociale, prend, peu après, dans l'œuvre immortelle d'Adam Smith, le caractère et l'importance d'une science, au sens le plus large du mot, qui embrasse non-seulement l'économie rationnelle, mais aussi l'économie appliquée, c'est-à- dire la politique économique et financière. Cette œuvre est aujourd'hui encore le fondement le plus sûr des recherches ultérieures parce que, comme l'a excellem- ment remarqué Roscher, ce qui a été écrit sur ce sujet avant Adam Smith peut être considéré comme une préparation à ses théories, et tout ce qu'on a écrit de- puis comme leur complément.

C'est peut-être pour cela que nous ne possédons pas jusqu'ici un bon travail critique qui établisse, d'une façon exacte et impartiale , le mérite de Smith à l'égcird des économistes ses prédécesseurs et ses suc- cesseurs.

On ne peut pas , en effet, considérer comme répon- dant à cette fin les courts essais de Blanqui (1843), de Cousin (1850), de Kautz (1851), de Lavergne (1859), de Du Puynode (1865), d'Oncken (1874), de Chevalier (1874), de Weisz (1877), de Stôpel (1878), de Walcker (1890), ni même les travaux plus étendus et plus com- plets de Laspeyres (1865), de Held (1867), de Cliffe

298 ADAM SMITH

Leslie (1870), de Bagehot, d'Inama-Sterne^g, de Nasse, de Luzzatti et de Ricca-Salcrno (1876), de Helferich (1877), deNeurath(1884),etde Courcelle-Seneuil(1888). Les dix monographies suivantes ne remplissent pas non plus cet objet, soit qu'elles manquent d'impartialité (Rossler, Skarzynski), soit qu'elles ne constituent pas une critique approfondie (Delatour et Haldane), soit parce qu'elles s'occupent seulement dune partie du su- jet (Léser, Oncken, Hasbach, Zeyss, Feilbogen et Jager).

J. F. B. Baert, Adam Snillh en zijn onderzoek naar den rijkdom der volken. Leiden, 1858. (Quoique d'une critique insuffisante, c'est encore, à cer- tains points de vue. le meilleur travail sur ce sujet).

H. Rossler, Ueber die Grundlehren der von Ad. Smilli hegrûndeien Volksivirthschaftstheorie. Erlangen, 1868. 2' édit., 1871.

Em. Léser, Der Begriff des Reichthiims bei Ad. Smiili. Heidelberg, 1874.

Aug. Oncken, Ad. Smith und Immanuel Kant, etc. Leipzig, 1877.

W. von Skarzynski, Ad. Smith aïs Moralphilosoph und Schôpfer der Nationalœkonomie. Berlin, 1878.

Alb. Delacour, Ad. Smith, sa vie, ses travaux et ses doctrines. Paris, 1886-

R. B. Haldane, Life of Adam Smith. Londres, 1887. (Contient aussi une riche mais incomplète bi- bliographie).

R. Zeyss, Ad. Smith rind der Eigennuiz. Tïibingen, 1889.

W. Hasbach, Untersuchungen ïiber Adam Smith, etc. Leipzig, 1891.

0. Jiiger, Den moderne Statsôkonomie Grundlàggelse ved Ad. Smith. Kristiania, 1893.

§ L LA VIE ET LES TRAVAUX DE SMITH,

La meilleure biographie de Smith e.st celle deDugald-

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 299

Stewart, Account ofthe life and writiyigs ofAcl. Smith (in Transactions of the R. Society of Edinburgli, vol. III, part. I, 1793, pp. 55-537, Réimprimée et aup:- mentée dans le second volume des œuvres de Stewart, éditées par William Hamilton, 1858). On trouve quel- ques détails complémentaires intéressants dans l'es- quisse biographique deJ. R. Mac Culloch, Treatises and Essays, etc. Edinburgh, 1853, pp. 443-462, et aussi dans Em. Léser, Untersuchungen zur Geschichte der Nationalœkonomie. Jena, 1881, pp; 3-46.

Adam Smith est à Kirkaldy, en Ecosse, le 5 juin 1723. C'est qu'il fit ses premières études ; il les con- tinua à Glasgow (1737-1740), il eut pour maitre Hut- cheson, et les termina à Oxford (1740-1746). Il apprit les langues classiques et les langues modernes, les sciences mathématiques, naturelles et philosophiques; il se rendit, vers 1748, à Edimbourg; c'est qu'il fit, sous le patronage de lord Kames, des leçons de rhéto- rique et de belles-lettres, et qu'il se lia d'amitié avec son célèbre compatriote David Hume. En 1751, il fut nommé professeur de logique; et, cette même année, il obtint la chaire de philosophie morale. Comme ses prédécesseurs, il comprenait dans la philosophie mo- rale la théologie naturelle, l'éthique, la jurisprudence, les institutions politiques, et, dans celles-ci, l'économie })olitique. Sa grande mémoire, ses tendances naturelles, ses relations avec des commerçants experts, la publica- tion des Essais de Hume (1752), de Cantillon (1755), de Harris (1757), et d'autres écrivains anglais et français, et même la réimpression, faite en Ecosse, d'un grand nombre d'ouvrages des meilleurs économistes anglais du xv!!** siècle, contribuèrent à tourner l'attention de Smith vers les problèmes économiques, et en particu- lier vers ceux du commerce international. Il lut, en effet, dans la Select Society d'Edimbourg, une étude

300 ADAM SMITH

sur les effets des primes à l'exportation des blés (1754) et, dans un manuscrit de l'année suivante, signalé par Dugald Stewart, il défendit (avant les physiocrates) les principes du libre échange. En 1759, il publia sa théorie des sentiments moraux, qui est un excellent traité de morale, assez faible dans sa partie métaphy- sique, et fondé sur les principes psychologiques de l'é- cole écossaise, dont Hutcheson fut le chef, et dont Reid et Smith ont été, avec quelques autres, les plus illustres continuateurs.

Ad. Smith, The theory of moral sentimenis . London, 1759. Sixième édition (augmentée) 1790. Deux volumes. Plusieurs traductions françaises: 1764; 1830. (Cfr. J. A. Farrer, Adam S?ni7/i. London, 1881).

Sur la demande, qui lui fut faite, par l'intermédiaire de Charles Townsend, d'accompagner dans son voyage le tout jeune duc de Buccleugh, il quitta sa chaire en 1764, visita la France et la Suisse, s'arrêta quelques mois à Toulouse, et presque une année (1766) à Paris, il fit la connaissance de beaucoup de philosophes (Diderot, d'Alembert) et d'économistes, notamment de Quesnay et de Turgot, les plus vaillants champions du système, qu'il combattit plus tard en le considérant ce- pendant comme le plus proche de la vérité. Dans les dix années qui suivirent , Smith vécut retiré dans sa patrie, faisant cependant, comme Ta démontré Léser, de fréquents voyages à Londres, tout occupé à ré- diger son livre sur la Richesse des Nations, terminé en 1775, et publié dans les premiers mois de 1776.

Ad. Smith, An inquiry into the nature and causes ofthe wealthof nations. London, 1776. Deux volumes in-4; troisième édition augmentée, 1784. Parmi les éditions avec commentaires, citons celles de Playfair (1805), de Buchanam(i8i4), de Wakefield (1835-1839),

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 301

et tout particulièrement celle de Mac Gulloch (Edim- bourg, 1828, quatre volumes), réimprimée plusieurs fois avec des corrections ultérieures, en 1839, 1850, 1855, 1863, 1870, et celle de Rogers (1869, 1880). Parmi les éditions courantes les plus récentes, il faut signaler celles de J. S. Nicholson (1884 et 1887), accompagnée d'une bonne introduction et de notes bibliographiques.

La Richesse des Nations a été traduite dans les principales langues de l'Europe, par exemple en danois (1779), en espagnol (1794), en hollandais (1796), en russe (1802), en polonais (1812). Parmi les nombreuses traductions françaises, la meilleure est celle de Germain Garnier (1805 ; cinquième édition, 1880); parmi les édi- tions allemandes, celle de C. W. Asher (1861). On doit préférer à. la première édition italienne (Napoli, 1790), celle qui a été insérée dans la Biblioteca delV Econo- inistcL (vol. II, Torino, 1851).

De nombreux extraits ont été publiés ; rappelons ceux de Jérémie Joyce (Cambridge, 1797; 3^ édition, 1821), de W. P. Emerton [An abridgement, etc., Oxford, 1881), et de F. A. B. De Wilson {Analysis of Ad Smith's Wealth of Nations Books 1 and 2. Oxford, 1885).

La renommée acquise par Smith le fît nommer com- missaire pour les douanes à Edimbourg, il se rendit avec sa mère et sa cousine en 1778 ; on lui donna le titre de recteur de l'Université de Glascow (1787). Il mourut le 17 juillet 1790.

§ 2. L.-V. RICHESSE DES NATIONS

De tout ce qui précède, il résulte qu'Adam Smith ne peut être considéré ni comme le créateur des différentes doctrines économiques, ni comme le créateur du pre-

302 ADAM SMITH

mier, ni même d'un traité parlait de cette science. Mais s'il a trouvé dans les œuvres des économistes anglais, des philosophes écossais et des physiocrates français^ de précieux matériaux, des doctrines en partie déjàdémontrées et quelques essais de coordination; s'il a trouvé, de plus, dans les progrès des industries et dans les inconvénients de Tancienne législation restrictive, une honne occasion pour méditer sur la nature et sur les causes de la richesse et sur les réformes nécessaires à son accroissement, il n'en est pas moins vrai^ d'autre part, que lui seul avec son génie, vivant dans un milieu et travaillant avec des matériaux qui ont été accessi- bles non seulement à des bureaucrates et à des hommes d'alTaires. comme Melon et Forbonnais, et à desérudits de la valeur de Genovesi, de Steuart, de Justi, mais aussi à des personnes d'un esprit et d'une culture peu communs comme Quesnay et Turgot, posa les bases solides d'une science nouvelle et de ses principales applications, et laissa à une grande distance non seu- lement les inventeurs de recettes empiriques d'écono- mie politique ou de combinaisons mécaniques de doc- trines hétérogènes et souvent contradictoires entre elles, mais même les fondateurs du système physiocratique, dans lequel se mélangeaient, avec une logique irréfu- table, des vérités admirablement pressenties, des er- reurs théoriques très graves et des règles qu'on suppo- sait être d'une application générale et qu'il était au contraire impossible de mettre en pratique.

L'œuvre de Smith est un véritable chef-d'œuvre, parce qu'elle a été écrite par un homme qui possédait un remarquable esprit philosophique, une instruction riche et variée, une profonde érudition historique et un remarquable sens pratique, qui lui permirent d'étudier les différents côtés des problèmes qu'il a développés dans leurs détails, en appliquant alternativement le rai-

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 303

sonnement déduclif et le raisonnement inductif; de plus, son style est élégant et accessible à tout lecteur cultivé et attentif. La richesse de ses illustrations historiques, l'évidence des preuves de fait, et même les digressions dans le domaine administratif (justice, instruction, armée), que quelques écrivains ont si vive- ment blâmées, et qui rappellent son dessein primitif d'écrire une encyclopédie juridico -politique, expliquent en grande partie la popularité de l'œuvre et son influence sur les réformes législatives des principaux États modernes.

On a souvent fait cette remarque, et il était facile de la faire, que le livre de Smith n'est pas un traité au sens étroit du mot, comme le prouvent le peu de soin donné aux définitions, et souvent leur absence voulue, et le manque de proportion entre les différentes parties de l'œuvre; d'autres ont ajouté, et c'est une opi- nion encore dominante (comme on peut le voir dans Sidgwick), que Smith, comme Steuart, considérait l'économie politique comme un art, et que la science n'était pour lui qu'un accessoire ou tout au plus une simple propédeutique, et enfin que toute son œuvre est un recueil de monographies sans lien systématique. Mais, tout en souscrivant à la précieuse critique de hàH- tahle {Hermathena, n" 12, Dublin, 1886), nous remar- quons que Smith lui-même, dans un passage oublié par ses critiques (livre IV, ch. IX), a défini d'une ma- nière expresse l'économie par la formule qui se trouve au frontispice de ses Recherches, et qu'il s'est préoc- cupé de l'ordre des matières; il a étudié l'économie comme science dans les deux premiers livres, This- toire économique dans le troisième, les systèmes de poli- tique économique dans le quatrième, et la politique financière dans le cinquième; il a donc, et c'est notre conclusion, adopté une classification qui ne diffère pas

304 ADAM SMITH

en substance de celle qui est encore souvent adoptée dans la science et dans l'enseignement.

Dans le livre premier, Smith, partant de ce que.JL^.. travail est la source principale de la richesse natio- nale, recherche les causes qui en augmentent refïîcâ^ cite productive, et il s arrête en particulier suri analyse de la division du travail, dont il indique Torigine, les effets, les avantages et les conditions d'application, c'est-à-dire l'accumulation antérieure du capital et l'ex- tension du marché. Mais comme la division a pour con- séquence nécessaire l'échange, et que celui-ci suppose la valeur, Smith est amené à parler des deux formes de la valeur, de la valeur d'usage, fondée sur l'utilité des choses, et de la valeur d'échange, constituée parleur puissance d'achat. Il recherche les causes, la mesure, la loi de la valeur d'échange ; cette loi est différente suivant qu'il s'agit de la valeur naturelle ou de la valeur de marché. L'analyse des éléments de la valeur natu- relle l'amène à la théorie de la distribution, qui con- tient ses célèbres recherches sur les causes de la diver- sité des salaires et des profits, et ses recherches incom- plètes sur la nature de la rente et sur les relations entre les différentes espèces de rente, et il arrive à cette conclusion que le progrès des richesses fait augmenter la rente et les salaires et diminuer les profits. Il tire de cette conséquence que l'intérêt des propriétaires et celui des ouvriers coïncide avec l'intérêt général, beau- coup plus que l'intérêt des capitalistes. Pour Smith donc, le travail humain est le principe générateur de la richesse, qui consiste dans l'ensemble des objets ma- tériels qui servent aux nécessités, aux commodités et aux plaisirs de la vie. La production des richesses se réduit en effet à ajouter de l'utilité et de la valeur aux objets échangeables et matériels. Tous les travaux, utiles ou nécessaires, ne sont pas pour cela productifs

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 305

au point de vue économique. Et par exemple, les ser- vices des ecclésiastiques, des magistrats, des médecins, des domestiques ne le sont pas, parce qu'ils n'ont pour résultat direct aucun objet matériel. Le système de Smith a été appelé souvent et pendant longtemps un système industriel, parce qu'il part du concept du tra- vail, tandis que les mercantilistes partaient de celui de la monnaie et les physiocrates de celui de la terre, et qu'ainsi ils ne reconnaissaient pas la productivité de toutes les industries matérielles.

Dans le livre second, l'influence physiocratique est la plus notable, Adam Smith distingue le fonds de consommation et le capital, dont il énumère les diffé- rentes espèces, en insistant sur la distinction entre le capital fixe et le capital circulant, entre le produit brut et le produit net; il indique l'importance de l'épargne, qui crée le capital et alimente le travail productif, tandis que la consommation improductive sert d'aliment à de purs services qui n'augmentent pas la richesse. L'examen des différentes formes du capital l'amène à parler de la monnaie, de ses fonctions, de ses substi- tuts fiduciaires, et de la confusion, déjà critiquée par d'autres, entre la quantité de la monnaie et le taux de l'intérêt, qu'il voudrait voir fixer par la loi un peu au-dessus du taux courant, pour empêcher crue le capi- tal ne soit prêté de préférence aux prodigues et aux spéculateurs, toujours prêts à payer un intérêt plus élevé. Smith pense que l'emploi du capital dans Tagri- culture est plus productif que dans les autres industries, parce que le concours gratuit des forces naturelles per- met de payer la rente au propriétaire.

Après avoir, dans le troisième livre, esquissé une histoire de l'industrie^ et étudié plus particulièrement les causes qui ont fait prospérer en divers temps et en différents lieux l'industrie des campagnes et celle des

20

306 ADAM SMITH

villes, Smith fait, dans le quatrième livre, un examen détaillé du système mercantile, qu'il combat dans son principe fondamental comme dans ses différentes appli- cations ; et il passe ensuite à l'examen plus rapide et moins approfondi du système physiocratique, dont il met en évidence les erreurs, mais en laissant un peu dans l'ombre ses mérites. La critique de ces deux sys- tèmes lui fournit l'occasion d'exposer les préceptes de sa politique économique. Smith admet, luiaus.si, comme principe supérieur d'un bon gouvernement, la plus grande liberté dans la production et dans la circulation ; il combat, comme Que.snay , les différents expédients des anciens systèmes restrictifs, c'est-à-dire l'esclavage, le servage, les entraves féodales et les fidéicommis, les monopoles, les corporations, les règlements, la fixation légale des prix et des salaires, le système colonial, les primes, les prohibitions et les droits protecteurs élevés, etc. Il faut remarquer cependant que, bien qu'elle .soit fondée sur le principe du « laissez faire » et du « lais- sez passer «, la politique économique de Smith se dis- tingue notablement de celle des physiocrates. Avant tout, la démonstration de Smith est essentiellement dé- duite de raisQn.s (Vopportuuité, tandis que l'argument principal de Quesnay et de Turgot est dans le concept juridique du droit de travailler. De plus, le principe de l'identité de l'intérêt individuel et de l'intérêt général n'est pas professé d'une façon absolue par Smith, bien qu'il pense que, d'ordinaire, le bien-être général résulte de la lutte des intérêts particuliers, modérée par la concurrence. Mais ce qu'il importe le plus de remar- quer, c'est que Smith défeml la liberté économique en se préoccupant surtout de l'intérêt des consommaTeùrs et non de l'intérêt exclusif des différentes catégories dè^producteurs, et qu'il considère par conséquent le bon marché de tous les produits comme l'idéal du progrès

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 307

économique. Enfin, qu'on remarque que, guidé en cela par un sens pratique sûr, Smith ne croit ni à la possibi- lité ni à l'utilité d'une application immédiate et uni- verselle de la liberté industrielle et commerciale, et que, étant donné même un stade de civilisation très avancé, ne s'oppose pas à ce que, pour des raisons d'hygiène, de moralité, d'ordre public il soit fait quelques exceptions à la règle. C'est ce que prouvent notamment les res- trictions qu'il admet à la circulation des billets de banque, et à la liberté du commerce, soit en temps de guerre, soit pour des raisons politiques en cas de repré- sailles avec probabilité de succès, et enfin le droit pro- tecteur à l'exportation de la laine et les monopoles temporaires à des compagnies qui font des entreprises aventureuses, dont on peut espérer des avantages con- sidérables dans l'avenir ; ces restrictions sont mention- nées pour la première fois dans l'édition de 1784.

Dans le cinquième livre, il étudie l'action de l'Elat. Smith ne lui attribue pas seulement les fonctions néga- tives delà défense des personnes et des proJDriétés et du niaintien de la sécurité intérieure et extérieure, mais il lui assigne aussi de larges pouvoirs en matière d'édu- c^t^oji. d'instruction, notamment d'instruction élémen- taire, et il pense enfin qu'il doit faire toutes les œuvres de grande iitilité pubHgue qui ne peuvent pas donner une rémunération suffisante à l'industrie privée. Smith s'occupe enfin des moyens pécuniaires indispensables pour satisfaire aux besoins de la vie sociale, et il expose les règles principales de rétablissement des impôt.?. Utilisant ce qui avait été écrit avant lui sur les finances, con.sidérées spécialement au point de vue politique et fiscal, il fonde le système des impôts sur la base solide de la théorie économique de la distribution des biens ; il réfute l'ancienne doctrine domaniale, préconise un mé- lange rationnel d'impôts sur la consommation et sur les

308 ADAM SMITH

différentes catégories de revenu, et met en lumière les inconvénients auxquels donne lieu l'abus du crédi t public. Telle est, dans ses lignes générales, l'œuvre de Smith. Elle a déterminé le contenu, les limites, le ca- ractère et la méthode-de la science moderne; elle ren- ferme des germes précieux pour le développement ulté- rieur de certaines théories insuffisantes, comme celles de la population, des salaires, des profits, et pour la correction de quelques autres, comme celles de la rente et du capital, qui contiennent des erreurs et des con- tradictions, ou d'autres enfin qui, comme celles du tra- vail productif et du travail improductif, et du concours gratuit de la nature dans l'industrie territoriale, se res- sentent encore de l'erreur fondamentale du système physiocratique que Smith avait réfutée.

Si Smith a subi, sur certains points, l'influence de la philosophie dominante à son époque, s'il a une idée un peu inexacte sur Tharmonie de l'intérêt public et de l'intérêt privé, s'il restreint d'une façon trop exclusive les attributions économiques de l'Etat par une réaction excessive contre la politique économique de son temps, s'il ne reconnaît pas suffisamment le caractère essen- tiellement relatif des institutions sociales en général , et du problème de l'ingérence gouvernementale en parti- culier, on ne peut pas souscrire cependant dans toute leur étendue aux accusations d'individualisme, de ma- térialisme, d'absolutisme, et moins encore à l'accusation d'idéalisme excessif, qui ont été produites contre lui par l'école économique maintenant dominante en Alle- magne.

S 3. ADVERSAIRES, DISCIPLES ET CRITIQUES

L'œuvre de Smith, dans les années qui ont suivi immédiatement sa publication, a suscité une grande

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 309

quantité d'ouvrages qui avaient pour but d'éclaircir, d'ordonner, de résumer, de répandre la nouvelle doc- trine, et de la défendre contre les objections, emprun- tées le plus souvent aux théories du mercantilisme, et quelquefois aussi de la corriger et d'exposer d'une façon plus satisfaisante certains points plus ou moins importants.

Au nombre des adversaires, ceux qui se présentent à nous avec des traits caractéristiques, quoique différents, appartiennent au groupe des mercantilistes, anglais et français, et au groupe des romantiques, allemands pour la plupart. Dans le premier il faut citer Pownall ^Le^fe?' to Adam Smith, 1776), Crawfurd (Doclrine of equiva.- lents, 1794), Gray [The essential pvincÂples ofwcalth, 1797) et Wakefield(A?i essay upon polltical economy, 1804) ; Cotteril (1831), et plus récemment Alison (1842) et en partie aussi G. Atkinson [Principles of social and jiolitical economy, 1858). En France, Ferricr (Du gouvernement dans ses rapports avec le commerce, 1802) essaye de réhabiliter le système mercantile, qui est présenté d'une façon modérée par deux protection- nistes ingénieux, l'érudit Ganilh [Des systèmes d'éco- nomie politique, 1809. Traité de Véconomie j^oli- tique, 1815. Dictionnaire, etc., 1826) et Louis Say Principjalcs causes de la richesse, 1818.—- Traité de la richesse, 1827. Etudes, etc., 1836),et portéauxconsé- quences les plus absurdes par Saint-Chamans {Nouvel essai sur la richesse, etc., 1824) ; on trouve des idées analogues dans Toeuvre célèbre de J. G. Fichte Der (jeschlossene Handelsstaat, 1800), sans parler des ou- vrages de Kaufmann (1827 et suiv.) et de ceux du ministre russe Cancrin (1 845) et d'un protectionniste moins extrême, l'autrichien Frânzl (1834). L'école que Roscher a appelée l'école romantique, parce qu'elle voudrait ressusciter avec le moyen-âge politique le moyen -âge

310 ADAM SMITH

économique, a son précurseur dans Môser, ses plus célè- bres partisans sont Gentz, ami de Metternich et tra- ducteur de Burke, mais elle reconnaît pour chef Adam MûUer (1779-1829), dont les théories ont été adoptées plus ou moins complètement par Haller, Bodz-Raymond, Kosegarlen, etc. Dans ses différentes œuvres, Miiller {Elemente cler Staatskunst, 1809, 3 volumes. Ver- sucJi einer neuen Geldtheorie, 1816. Nothwen- digkeit einer theologischen Grundlage der Staats- wissenschaften, 1819), se déclare l'adversaire de l'éco- nomie de Smith, qu'il trouve infectée d'individualisme, et de sa politique économique, libérale et cosmopolite. Il y oppose une théorie qu'il fonde sur la morale ; il tient un grand compte des conditions historiques, com- plète l'analyse de la division par celle de l'associa- tion des travaux, étudie l'influence du capital intel- lectuel, et défend une politique nationale et restrictive, tendant à rétablir les entraves féodales à la propriété, et les corporations d'arts et métiers. Dans les œuvres de Millier, on trouve (comme l'a démontré Hildebrand) quelques-uns des germes des théories développées plus tard par l'école de List. Le vicomte Alban de Vil- leneuve-Bargemont [Economie politique chrétienne. Paris, 1834, 3 volumes) est le chef d'une école d'éco- nomistes français qui ont quelque affinité avec les théo- ries, ou plutôt avec les tendances, des romantiques allemands.

L'adhésion du chef de l'école utilitaire, le juriscon- sulte et politique radical Jérémie Bentham (1749-1832), aux théories de Smith, contribua à la répandre en Angleterre. Bentham a écrit un Manuel d'économie joolitique, publié après sa mort par Dumont, plusieurs monographies sur le libre échange et sur la dette pu- blique et, en particulier, une Défense of usury (1787) dans laquelle il demande, comme Turgot (1769), la

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 311

pleine liberté de l'intérêt des capitaux; il s'y attaque à une exception admise par Smith qui se déclara con- vaincu. H ne faut pas oublier que l'application générale du principe de l'intérêt personnel, acceptée par beaucoup d'économistes (en particulier parles deuxMill), contra- riant les règles de la saine morale, a provoqué des cri- tiques, souvent fondées, même au point de vue pure- ment économique.

Lord James Lauderdale (1759-1839) a soumis à une critique minutieuse les nouvelles doctrines. Il a fait des observations exactes sur les différences entre la richesse publique et la richesse privée, sur l'importance de l'uti- lité comme fondement de la valeur, sur l'impossibilité de la mesurer d'une façon absolue, sur les influences que la distribution exerce sur la production ; mais il est souvent pédant et quelquefois injuste, comme lorsqu'il met en doute l'importance de l'épargne et de la division du travail, et lorsqu'il pense que le commerce n'est productif que médiatement.

J. Lauderdale, Ayi Inquiry into the nature and ori- (jin of the public wealth. Edinburgti, 1804. édit. 1819, trad. franc., 1808; trad. nll., 1808.

En Allemagne, les doctrines de Smith, dont se sont inspirés beaucoup d'hommes d'Etat, comme Stein, Hardenberg, et d'autres auteurs des réformes adminis- tratives, effectuées notamment en Prusse, durent néces- sairement transformer entièrement, sinon dans la dis- tribution des matières^ du moins dans leur contenu, l'ancienne encyclopédie économique des caméralistes. Parmi les meilleurs auteurs d'ouvrages de vulgarisation, nous citerons Weber qui importa en Allemagne la locution d'économie politique (Lehrhuch der politi- schen Oehonomie, 1813), Kraus,Sartorius, Lûder, qui, sans s'éloigner trop de leur maitre, mettent mieux en

312 ADAM SMITH

évidence les facteurs naturels de la production, les biens immatériels, la valeur d'usage et l'action écono- mique de l'Etat. Christian Jacques Kraus (S taaiswirt h- schaft, 1808-11) insiste sur la distinction entre l'éco- nomie pure et l'économie appliquée ; Georges Sartorius (Handbiich, [l%.\Von den Elementen des National- reichtums, 1806-8) abonde en illustrations historiques, tandis que Auguste Ferdinand Liider fUeber National- industrie, 1800-04) se sertplutôt delà statistique, et plus tard CDie National'ôkonomie, 1820) il étudie longue- ment le prétendu concours gratuit de la nature dans la production. Le comte Jules Soden s'est consacré, avec plus d'originalité, à la détermination plus exacte des concepts fondamentaux de la science. C'est un auteur [Die National'ôkonomie. Leipzig, 1805-24, 9 volumes) obscur, prolixe, enclin aux discussions purement verba- les ; G. Hufeland [Neue Grundlegung der Staats- wirthschaftskunst. Giessen, 1807-13) a exposé, au contraire, avec beaucoup de pénétration les fonctions de l'entrepreneur et les notions de la valeur, du prix, du capital, de la monnaie, mais il est inférieur en clarté et en profondeur à Jean Frédéric Eusèbe Lotz {Revision der Grundbegriffe der Nationale irthschaftslehre. Coburg, 1811-14), qui a composé également un excellent manuel, dans lequel il défend le libre échange et expose d'une manière diffuse la science des finances [Handbuch der Staatswirthschaftslehre. Erlangen, 1821-22,3 vol. 2''édit. 1837-38). Mais c'est le manuel plus court de Louis Henri von Jakob [Grunds'atze der Nationaloko- noniie. Halle, 1805, 3'' édit., 1825) qui a été surtout répandu dans les écoles. Jakob a traduit Say et il est l'auteur d'un manuel très bien fait de science finan- cière {Die Staatsfinanzw issenschaft . Halle, 1821. 2 vol. - 2'' édit., 1837. - Trad. franc, de Jouffroy, 1846).

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 313

§. 4. MaLTHUS ET LE PRINCIPE DE LA POPULATION

Une place importante clans l'histoire de la science appartient au pasteur protestant Thomas Robert Mal- thus (1766-1834), professeur d'histoire et d'économie au collège de Haileybury. Il a étudié d'une façon vrai- ment magistrale la théorie économique de la population, dont il a recherché le principe fondamental dans ses applications diverses ; il a posé les bases d'une doctrine qui, dépouillée de son enveloppe pseudo-mathématique, et formulée avec plus de précision au point de vue psy- chologique et au point de vue statistique, résiste encore victorieusement aux objections, qui reposent en grande partie sur des équivoques, et aux fausses conséquences qu'en ont tirées quelques disciples incompétents, par- tisans des restrictions légales au mariage, sans parler des partisans du système immoral du préventive in- tercouTse, que l'on désigne d'ordinaire inexactement du nom de néo-malthusiens.

Malthus a été élevé par son père, ami et correspon- dant de Rousseau, qui croyait à la théorie du progrès indéfini (de Condorcet), et à celle du bonheur illimité qu'aurait donné au genre humain le communisme défendu par William Godwin [Enquiry concerning political justice, 1793 The enquirer, 1797). Le jeune Malthus avait sur tous ces points des opinions différentes. Il publia, sous le voile de l'anonyme {An essay on the principle of -population, as it affects the future improvement of society, 1798), un opuscule dans lequel il essayait de démontrer, mais avec trop d'em.phase, qu^aucune réforme économique et politique ne pourrait paralyser les maux sociaux, parce qu'ils sont une conséquence de la tendance générale et cons- tante de la race humaine à dépasser les moyens de

314 ADAM SMITH

subsistance, nécessairement limités ; ce sont ces maux, la souffrance, la misère et le vice qui rétablissent, en fait, l'équilibre entre le nombre des hommes et la quan- tité des éléments nécessaires à leur conservation. Le pessimisme du premier Essai de Malthus, d'un caractère nettement polémique, ne se justifie pas, mais il s'ex- plique, si l'on songe qu'il écrivait aune époque dans la- quelle la succession des disettes, les maux causés par les guerres, la concentration des entreprises, le relâchement dans l'application des lois sur les pauvres, la conces- sion faite par les paroisses de suppléments de salaires (allowances), l'augmentation des impôts et de la dette publique, contribuaient à rendre plus nuisible et plus dangereux le contraste entre l'augmentation croissante de la population et la rareté des subsistances. Après de nouvelles études, mettant à profit son expérience et les renseignements recueillis dans ses voyages en France, en Suisse, en Russie et dans les Etats Scandinaves, Malthus refit complètement son premier travail, l'enri- chit d'abondantes illustrations historiques et statis- tiques, et le publia sous son nom. 11 l'a d'ailleurs corrigé dans les éditions ultérieures, et il y a joint des appendices qui ont spécialement pour but de répondre aux principales objections de ses adversaires.

Th. Rob. Malthus, .4» esmy on ihe prinàple of popu- lation, or a view of i.t pasi and présent e/fects on human happiness, etc. 1803. 2 vol. édition (de l'auteur), 1826. Population dans le Sup- plément à VEnajclopaedia Britannica de Macvey Napier (1824).

Cfr. James Bonar, Malthus and his work. London. 1885, et. Soetbeer, Die Stellung der Sozialisten zur Malthus' schen Bcvôlkerungslehre. Berlin, 1886.

Dans sa forme nouvelle, l'œuvre de Malthus a le ca- ractère, le contenu, les proportions d'une œuvre vrai-

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 3J5

ment scientifique et originale. Il a modéré son pessi- misme primitif, et supprimé quelques propositions risquées ; il a ajouté une analyse ingénieuse et profonde des effets divers qu'exercent et que peuvent exercer, dans les différents stades de civilisation, les obstacles posi- tifs et préventifs à l'augmentation de la population. Parmi ceux-ci il comprend le moral restraint, qu'il considère comme le seul moyen par lequel la raison humaine, victorieuse de l'instinct, 'peut arrêter l'excès de population. Il enrichit enfin son livre de la critique minutieuse des effets de l'émigration et des systèmes de charité légale et de communisme, dans lesquels il voit des excitants à l'augmentation des naissances en dehors des limites inexorablement marquées par la quantité des aliments. UEssai de Malthus est l'œuvre fondamentale sur le sujet économique de la population ; elle n'a pas été jusqu'ici dépassée, malgré ses défauts réels, souvent signalés, parfois avec trop de subtilité. II est certain que Malthus n'a pas méconnu, mais qu'il a un peu atténué (étant donné les conditions de son temps), Tinfluence du progrès économique et en par- ticulier celle des nouveaux systèmes de culture, d'amé- lioration des communications, du libre échange, sur l'augmentation des subsistances, et celle du progrès intellectuel sur l'augmentation des naissances.

Parmi les œuvres moins importantes de Malthus, en dehors de son ouvrage sur la rente, nous devons men- tionner ses Définitions in political econorny (Lon- don, 1827), trop oubliées maintenant. Il a été moins heureux dans ses polémiques avec Say sur le gênerai (jlut et avec Ricardo sur la valeur et les droits à l'im- portation des céréales. Chose étrange, le professeur Malthus, esprit pratique, observateur diligent des effets immédiats des institutions économiques, croyait à la po.ssibilité d'un excès absolu de population et il ad-

316 ADAM SMITH

mettait le protectionnisme agraire, contrairement à l'industriel Say et au banquier Ricardo, qui négligeaient, comme l'avoue Ricardo dans ses lettres, les conséquences transitoires pour rechercher les conséquences défini- tives.

Th. Rob. Malthus, The high price of provisions, iSOO.

Observations oniheeffecis ofilie corn to?rs,1814.

Grounds of an opinion on the poLicy of restric- iing importation of foreign corn, 1815. Vrinciples of political eco7wmy, 1820.-2^ édi t., 1836. The nieasure of value, 1823. (VoirBoaar, op. cit.).

$ 5. J.-B. SAY ET LA THÉORIE DES DÉBOUCHÉS

Parmi les contemporains français de Malthus et de Ricardo, quelques-uns se sont proposés d'éclaircir, de résumer et de répandre les principes de Smith, sans aspirer à être originaux. Sans parler du livre prolixe, et un peu antérieur, d'Isnard [Traité des richesses, 1781 ) qui s'arrête encore à réfuter les physiocrates, ce que Mill {Commerce defended, 1808) et Torrens [Eco- nomists refuted) firent plus tard contre Spence (1807), ni de celui de Canard {Principes d'Economie poli- tique, 1802), l'auteur d'une théorie excentrique de la répercussion des impôts, ni des deux volumes de Sis- mondi (De la, richesse commercicile , 1803), certaine- ment préférables mais bientôt oubliés, il faut mentionner le petit ouvrage du philosophe comte Destutt de Tracy [Traité d'économie politique, 1815), clair et précis, et celui de Joseph Droz {Economie politiciue, 18'29, 3*édit., 1854), qui s'inspire de considérations morales. Mais ces écrivains ne s'éloignent pas, au fond, des doc- trines de Say, le plus illustre des économistes français de cette période.

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 317

Jean-Baptiste Say (1767-1832) est à Lyon. Il a été commis de magasin, journaliste, puis membre du tri- bunat, plus tard directeur d'une filature de coton et enfin professeur d'économie industrielle au Conserva- toire des arts et métiers, et, dans la dernière partie de sa vie, professeur au Collège de France. Ayant reçu, par hasard, deClavière, qui devint plus tard ministre, un exemplaire du livre de Smith, il s'enthousiasma pour l'étude de l'économie politique, et devint, comme on l'admet généralement, le plus grand et le plus heureux des vulgarisateurs ; il a aussi, ce qu'on n'admet pas tou- jours à tort, développé avec bonheur l'œuvre de l'illustre écossais. Dès la première édition de son Traité (1803), qu'il a résumé dans son Caie'c^isme (1817), et enrichi de développements sur l'économie industrielle dans son Cours complet [iS^S], qui reproduit les leçons faites au Conservatoire des arts et métiers, Say donne des preuves de ses éminentes qualités dans l'exposition claire et élégante des doctrines purement économiques, dont il a donné de bonnes définitions et qu'il a illustrées d'excellents exemples pratiques. Il a ordonné ses ma- tières selon sa célèbre division tripartite, et il les a ren- dues intelligibles à la généralité des lecteurs, qui n'au- raient pu aborder les digressions historico-politiques de Smith. Le Traité de Say a été complètement modifié à sa seconde édition (1814), qu'il ne put publier sous l'Empire; il a été notablement corrigé et complété dans les trois éditions postérieures. Traduit dans presque toutes les langues, il est devenu un livre populaire, qui a permis à beaucoup de gens de connaître des doctrines qui ne leur étaient pas accessibles dans leurs sources originales. Mais l'ambition qu'avait l'auteur d'être considéré comme le premier des économistes de son temps, et son manque de connaissances his- toriques et juridiques, lui firent commettre de grosses

318 ADAM SMITH

erreurs sur l'ingérence de l'Etat, qu'il veut restreindre beaucoup plus que ne le faisait Smith, sur l'improduc- tivité des dépenses publiques, et sur la libre frappe des monnaies, et ne lui permirent pas de tenir un compte suffisant de tous les progrès que la science avait faits, notamment en Angleterre et grâce à Ri- cardo. C'est pour cela qu'il n'a pas accepté les doctrine» de ce dernier sur la valeur, la monnaie, la distribution et l'incidence des impôts, et qu'il a ajouté un grand nombre de notes critiques à la traduction française des^ Principes de Ricardo (1818) faite par Constancio. Il considère comme identiques au point de vue social les concepts de produit brut et de produit net, et il tombe dans de nombreuses contradictions dans la théorie des produits immatériels, (Voir ses notes à une réimpression non autorisée du Cours de Storch, 1823); il discute sans succès contre Gioja sur l'utilité de la statistique, dont il n'apprécie pas le caractère scientifique. Il a été plus habile dans les développements qu'il a donnés à une partie de la doctrine des consommations privées et dans l'analyse des effets de l'épargne et de la consom- mation improductive ; il a enfin admirablement exposé la théorie des débouchés, qu'il n'a certes pas créée de toutes pièces, parce que, comme l'indique Mac Culloch, juge d'ailleurs trop sévère, elle avait été déjà entrevue par Tucker, par Mengotti, et mieux par un anonyme (Sketch ofthe aclv-dnce and décline of nations, 1795) mais il l'a largement développée, notamment dans ses applications à la doctrine du libre échange et à celle des crises. Au sujet de celle-ci il soutint, d'accord en cela avec Ricardo, une polémique heureuse contre Mal- ihus et Sismondi, qui croyaient possible un encombre- ment général et permanent des marchandises, sans son- ger que, tant que les besoins de tous ne sont pas satisfaits (ce qui est impossible), les encombrements ne

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 319

peuvent être que partiels, parce que, au point de vue général, l'offre et la demande se font nécessairement équilibre. Dans ses controverses avec Sismondi, au sujet du régime des industries en général et des ma- chines en particulier, Say ne sut pas réfuter avec des ar- guments pleinement persuasifs 1' « économie à rebours » de son contradicteur qui avait mis à nu des plaies so- ciales, en grande partie transitoires, mais dignes ce- pendant d'être prises en considération.

J. B. Say, Traité cVéconomie politique. Paris, 1803. 2 vol., 5" édit., 1826. - édit. (par A. Clément), 1876. Catéchisme d'économie politique, 1817. Cours complet d'économie politique pratique. Paris, 1828-30. 6 vol. Œuvres complètes, publiées par H. Say, dans les vol. IX-XII de la Collection des jjrincipaux économistes. Paris, 1841.

Dans l'attente d'une monographie tout à fait satisfai- sante sur les travaux de Say, on peut consulter l'étude excellente, mais un peu apologétique, de Franc. Ferrara, publiée dans la Dibliotecct clelV Economista, série I, vol. VII, (Torino, 1885), pp. V-CX ; et aussi G. Du Puynode, Etudes sur les principaux économistes, Paris, 1868, pp. 336-410, et mieux encore Et, Laspeyres, V" Say dans Je Deutsclies Staaiswôrterbuch de Blunt- schli et Brater, vol. IX (Stuttgart), 1865), pp. 116-1-23.

Au nom de Say se rattache celui de son gendre, Charles Comte (m. 1837), l'auteur d'un bon livre sur la Propriété (1834, 2 vol.) et d'un Traité de législa- tion (Paris, 1827, 4 vol.) resté inachevé, dans lequel il examine à fond le sujet de l'esclavage. Il faut citer aussi l'allemand Henri Storch, à Riga (m. 1835), auteur de plusieurs ouvrages, dont le plus connu, le Cours d'économie j^olitique (Saint-Pétersbourg, 1815, 6 vol.) écrit pour les deux grands ducs Nicolas

320 ADAM SMITH

et Michel de Russie, ses élèves, est peu original dans sa partie théorique, mais très riche au contraire de documents sur le cours forcé, l'histoire des prix, les banques, etc. Dans son ouvrage le plus important, les Considérations sur la 7i.ature du revenu national (Paris, 1824), qu'il a lui-même traduit en allemand (Plalle, 1825), il corrige et complète, devançant Du- noyer, la théorie des produits immatériels de Say. et celle de la rente, développée avec plus de profondeur par Hermann (1832).

§6. RrCARDO ET LA THÉORIE DE LA DISTRIBUTION.

La science a fait des progrès bien plus considérables grâce aux travaux de Ricardo, le plus grand des éco- nomistes de ce siècle. Comme Malthus, il a eu la male- chance d'être mal apprécié, et par beaucoup d'admira- teurs enthousiastes, et par un nombre plus grand encore d'adversaires, anciens ou récents, parmi lesquels nous regrettons de rencontrer deux écrivains de grande va- leur, Jevons et Ferrara.

David Ricardo est en 1772 ; il est le fils d'un né- gociant juif, d'origine hollandaise, qui le destina, dès l'adolescence, aux affaires, mais qui l'abandonna bientôt parce qu'il désapprouva sa conversion au christianisme. Ricardo devint banquier et il exerça cette profession avec une rare intelligence et un rare succès : en peu d'années il acquit une grande fortune ; il compléta son instruction en étudiant les sciences naturelles ; ayant trouvé, par hasard, le livre de Smith, il se donna tout entier à Téconomie politique. Il fut élu, en 1819, mem- bre du Parlement, on fît grand cas de ses opi- nions dans les questions commerciales et financières ; il fut l'un des fondateurs du Political Economy Club

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 321

(1821) et l'ami des plus illustres publicistes de son temps, en particulier de Bentham, de Mill et aussi de Malthus et de Say, avec lesquels il eut des polémiques ardentes, mais courtoises. Il mourut en 18'23, universellement regretté, et pour les qualités de son intelligence, et pour celles de son caractère, loyal, indépendant, généreux. Pendant sa courte carrière scientifique (1809-23), Ri- cardo publia quelques ouvrages peu volumineux, mais de grande valeur, dans lesquels il discute la question monétaire, et surtout, avec des réserves et des tempé- raments souvent oubliés par ses disciples, la fameuse théorie quantitative de la monnaie, acceptée par le Builion Committee de 1810, combattue par Bosanquet, soutenue par la Currency school , inspiratrice des Actes bancaires (1844-45) de Robert Peel ; il se fit le promoteur d'une banque nationale de circulation émet- tant des billets convertibles en lingots d'or ; il com- battit le système d'amortissement de la dette publique alors en vigueur {sinking fund) ; il soutint à plusieurs reprises (contre Malthus) la libre importation des cé- réales, avec une grande profondeur de vue et une pleine connaissance des faits, notamment dans l'opuscule magistral sur la Protection de l'agriculture.

D. Ricardo, The high price ofbidlion a proof of ihe dépréciation of bank notes, 1810. -4« édition, 1811. Reply to M. Bosanquet, 1811. Proposais for an economical and secure currency, 1816. Plaii for the establishment of a national bank, 1824 (Pos- thume). — Funding System, dans la 6" édition de V Encyclopaedia Britannica, 1820. An essay on the influence of a loto price of corn on ihe profits of stock, 1815. On protection to agricidture, 1822. Quatre éditions.

The icorks of D. Ricardo, par J. R. Mac Culloch. Lon- don, 1846 (réimprimées en 1881). -Trad. franc, par A. Fonteyraud. Paris, 1847. On doit y

21

322 ADAM SMITIT

joindre les lettres publiées dans les Mélanges et correspondcmces de J. B. Say. Paris, 1833 (et dans les Œuvres. Paris, 1844) et les 88 lettres plus in- téressantes encore adressées à Malthus : Letters of D. Bicardo, etc., éditées par James Bonar. Oxford, 1887.

Sa grande renommée lui vient surtout de ses Prin- cipes cVécononiie fjolitique (1817). C'est une œuvre originale et profonde qui fait époque dans l'histoire de la science, bien qu'elle n'ait pas tous les mérites que lui ac- cordent ses partisans enthousiastes (comme Mac Culloch et De Quincey) et qu'elle présente de très graves dé- fauts qui ne peuvent échapper aux critiques conscien- cieux, mais on n'y trouve pas les fautes signalées, de mauvaise foi ou d'une manière équivoque, par des jugés légers ou incompétents. Ricardo ne s'est jamais proposé d'écrire un traité complet, parce que, comme cela résulte de nombreux passages de ses lettres, il connaissait, et même il exagérait par modestie, son incapacité à écrire ; il était, de plus, très sceptique sur la possibilité et l'utilité d'une théorie scientifique de la production des richesses. Ses Principes, qui n'étaient pas, à l'ori- gine, destinés à la publicité et qui n'ont été imprimés que sur les vives instances de ses amis, et spécialement de James Mill (comme cela est indiqué dans l'A iffo6io- graphie de son fils, J. St. Mill), sont comme un appen- dice à l'œuvre de Smith, dans lequel Ricardo, utilisant les recherches de quelques écrivains contemporains, en particulier de Malthus, Say et West, qu'il accepte, rec- tifie ou combat, s'est proposé de donner une nouvelle théorie de la distribution des richesses. C'est pour lui le véritable objet de l'économie politique ; il a déduit cette théorie de la théorie de la valeur, et il y a ratta- ché ses théories non moins originales et profondes sur les échanges internationaux et sur l'incidence des im-

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 323

pots. Tel est le but qu'il se propose et qu'il a rempli en substance, quoique en partie seulement, pour des raisons qui se découvrent facilement, si on veut bien le lire avant de le juger. C'est, d'abord, parce que Ricardo, comme cela était son droit, ne s'est occupé que de science pure, laissant de côté les applications; il a cherché, comme il le dit (dans ses lettres à Malthus), la vérité et non l'utilité de ses principes ; il s'est borné, même dans la science pure, aux déductions tirées d'un petit nombre de prémisses générales, construisant des cas simples ou, selon son expression, des strong cases, parce qu'il voulait déterminer les effets derniers des lois économiques, étudiées chacune d'une façon indé- pendante, et qu'il a négligé complètement, comme on le lui a reproché, les effets prochains et transitoires, dont son émule, observateur plus prudent, plus sa- vant, mais moins subtil et moins profond, se préoccu- pait, de son côté, d'une façon trop exclusive.

Etudiant, par exemple, la valeur, Ricardo n'ignore pas, mais il n'apprécie pas à sa juste valeur, Timpor- tance de la demande, mais il exagère celle de l'offre, représentée par le coût, tandis qu'une école contem- poraine donne trop d'importance à la demande, repré sentéepar l'utilité; étudiant d'une façon magistrale la rente, il accentue trop l'influence des degrés différents de fertilité, et il atténue celle de la distance du marché ; il ne songe pas assez à l'influence du progrès, qui neutralise la hausse progressive des prix des denrées agricoles, et, fidèle à son but théorique et général, il ne tient pas compte de la coutume, de la sympathie et de l'ambition politique, qui modifient l'action delà concur- rence et ne permettent pas au propriétaire d'exiger dans beaucoup de cas, toute la rente du fermier auquel il est personnellement attaché ou qui est un électeur in- fluent. Ricardo n'a pas voulu s'occuper de toutes les

324 ADAM SMITH

théories de la distribution, et son élude mérite plus d'un reproche, par suite des très grands défauts de son expo- sition. Ce sont eux qui sont la cause principale des équi- voques auxquelles son œuvre a donné lieu, des déduc- tions fausses qu'on en a tirées (les novateurs pessimistes} et des réfutations erronées qu'on en a faites (les conserva- teurs optimistes). Il a ainsi laissé une tâche difficile aux savants impartiaux qui se proposent de formuler ses théories avec plus de précision et de clarté, de les corri- ger, de les compléter, et d'en déduire des applications plus intéressantes et moins éloignées de la pratique. Ri- cardo, qu'on accuse à tort de doctrinarisme, parce qu'il s'est servi de la seule méthode possible pour la nature des problèmes qu'il étudiait, ne l'a pas toujours appliquée d'une façon absolue, ainsi que le reconnaissent la plupart de ses partisans et de ses adversaires, unanimes sur ce point. Ses connaissances historiques et philosophiques sont moindres que celles de Smith et même de Mal- thus, mais il a comme eux et comme Say la même con- naissance des affaires ; si son exposition est moins sys- tématique que celle de Say, et s'il a accordé à ses défi- nitions et à sa terminologie moins de soin que Malthus, Ricardo les dépasse tous en profondeur et en clarté. Il n'eut pas la précaution d'indiquer d'une façon explicite les prémisses de ses argumentations, de bien déterminer les limites de leur champ d'application et les circons- tances principales qui peuvent en modifier les résul- tats. C'est pour cela que, tout en n'ignorant pas que l'utilité est le fondement, mais non la mesure de la valeur, il formula la théorie classique du coût de pro- duction et celle du coût comparatif dans les échanges internationaux, mais, s'étant servi du concept, mal déterminé, de la quantité de travail, qui s'identifiait pour lui avec les dépenses de production (y compris l'influence du capital), on en a tiré la théorie socialiste

I

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 325

pseudo-ricardienne du travail cause unique de la valeur ; il a réfuté la théorie de l'utilité que Say oppo- sait à celle du coût, mais il ne s'aperçut pas qu'une détermination différente et plus concrète du concept générique de l'utilité pouvait conduire à la théorie de l'utilité finale, qu'on a l'habitude d'opposer à la théorie qui pourrait être appelée du coût final, dont elle est, au contraire, le complément. Qu'on n'oublie pas que tout ce qu'il y a d'incomplet ou de mal formulé dans l'œuvre de Ricardo, ne peut pas lui enlever le mérite insigne d'avoir enrichi la science d'une théorie originale de la distribution des richesses, qui reste la base la plus sûre des corrections et des adjonctions qui ont été déjà faites et que Ton fera dans l'avenir. Nous devons, par conséquent, repousser d'une façon nette les alïîrmations de ces érudits qui, avec des citations exactes seulement en apparence, ont mis en doute le mérite inventif de Ricardo. Il est plus original encore que Smith, et pour des raisons à peu près identiques. Presque tous les éléments de sa théorie se trouvent dans des ouvrages antérieurs, mais ils y sont énoncés incidemment, ils y sont isolés, sans lien entre eux et mêlés à de très graves erreurs. Ricardo doit à Smith, par exemple, quelques-unes de ses proposi- tions fondamentales sur la valeur, mais elles étaient chez Smith exprimées d'une façon obscure et accompa- gnées d'autres propositions absolument contradictoires. La théorie des débouchés (Say) devance, sur certains points, la théorie beaucoup plus importante des échan- ges internationaux, dont Bastable mettait récemment en lumière la profonde simplicité et l'élégance. La théorie des salaires et en particulier celle des profits, que Ricardo rattache admirablement à la théorie des prix, est également originale, et il ne faut accuser que la négligence de l'exposé, si beaucoup de lecteurs,

326 ADAM SMITH

inattentifs OU incapables, ont méconnu le sens vérita- ble de la dépendance du taux relatif du profit et du coût du travail (et non du salaire) et si les socialistes, comprenant mal la notion de salaire naturel, déter- miné par le Standard of life, qui est, pour Ricardo, essentiellement changeant, lui ont attribué la loi d'ai- rain du salaire irréductible au minimum des subsis- tances nécessaires pour faire vivre les ouvriers et leur famille. Même en ce qui concerne la rente, l'orij^inalité de Ricardo est pour nous hors de contestation. Nous savons qu'un protectionniste agraire écossais, James An- derson, contemporain de Smith (m. 1808), dans quel- ques-uns de ses écrits de circonstance, cités par Tedder (v" Anderso7i dans le Dictionary of. Pol. Econ, de Palgrave. Part. I, 1891, p. 39), mais notamment dans le livre An inquiry into the nature of the corn la\çs (Edinburgh, 1777), découvert par Mac Culloch {Lite- rature of Pol. Econ., pp. 68-70), expose d'une façon claire, dans une note, le principe de la rente, qu'il déduit de la seule considération de l'inégale fertilité des terres et que, plus tard, deux autres écrivains, indépen- damment d'Anderson, ont exposé, en même temps et expressément, la doctrine de la rente d'une façon ana- logue, mais avec des différences fondamentales, qu'on n'a pas assez remarquées. L'un d'eux, Malthus {An inquiry into the nature and ^drogress ofrent, 1815) pour lequel Bonar et plus fortement Léser {Untersu- chungen zur Geschichte der Nationalœkonomie. Jena, 1881, p. 47 et suiv.) revendiquent la priorité, demeure encore incertain entre la vieille théorie de la rente (produit net) professée par les physiocrates et accueillie partiellement par Smith [en faisant seulement une excep- tion pour les mines) et la nouvelle. Il admet, en effet, la diversité de fécondité des terres et la loi des revenus décroissants comme cause de la rente, mais il croit

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 327

qu'elle dépend, en outre, de l'aptitude de la terre à donner un produit supérieur aux dépenses de culture et de ce caractère particulier des céréales, dont la demande ne peut jamais diminuer ; et, ce qui importe da- vantage, il insiste sur ces deux causes supposées dans ses Principes d'économie politique, postérieurs à ceux de Ricardo. L'autre théoricien de la rente, sir Edward West [An essay on the application of capital to land, 1815) a des idées plus exactes ; il est complètement débarrassé de l'erreur physiocratique qui voit dans la rente un effet de la libéralité de la nature et non un effet de la faible production de la terre. Il faut remarquer, après Gonner, que Ricardo qui, dans son Es.sai de 1815, attribue uniquement à Malthus le mérite de la nouvelle théorie, après avoir lu l'opuscule de West, cite égale- ment cet écrivain dans la préface de son Economie (1817), dont le dernier chapitre est consacre à la réfu- tation des erreurs de Malthus. Malgré cela, la supério- rité de Ricardo, même sur ce sujet de la rente, consiste à avoir fait des propositions qui s'y rapportent une des bases de théorie de la distribution, et à en avoir éli- miné pour toujours les restes du système de Quesnay. Il n'est pas nécessaire, enfin, étant donné l'honnêteté inattaquable de Malthus et de Ricardo, de réfuter l'aC' cusation, démentie par les faits, mais répétée en Alle- magne par Held (repoussée, il est vrai, par Wagner et par Cohn), et en Angleterre par Ingram, d'après la- quelle Ricardo, par sa théorie libérale sur les céréales, soutenait, dans des vues égoïstes, le money^d interest contre le landed interest, que détendait je protec- tionniste agrarien Malthus, sans songer que Malthus, dont on fait le patron des grands propriétaires, était un ecclésiastique qui professait dans un Col- lège entretenu par la Compagnie des Indes, tandis que le banquier Ricardo était un grand propriétaire foncier !

3'28 ADAM SMITH

D. Ricardo, PrincipLes of political economy and taxa- tion. London, 1817. - 3"= édil. (1res augmentée), 1821. - Trad. franc, de F. S. Conslancio (avec des noies critiques de Say , 1818. Deux volumes. La meilleure édition est celle de E. C. K. Gon- ner, avec une introduction, des notes et des appendices. London, 1891.

La meilleure biographie est celle de Mac Culloch (Ricardo' s Works, pp. 15-33). Parmi les travaux cri- tiques on peut consulter, en dehors du long commen- taire de Ed. Baumstark (Leipzig, 1838; réimprimé, 1877) maintenant un peu vieilli, l'article de Et. Las- peyres dans le volume III (Stuttgart, 1864), pp. 619- 634, du Deutsches StantsM-ôrterbuch ; celui de Em. Léser, dans les Ja.hrbûcher fur Nat. Oek. de Conrad, 5887 ; celui de N. S. Patten, Malthns and Ricardo, Baltimore, 1889, et l'Introduction de P. Beauregard à l'édition des chapitres sur la valeur, la rente, les salaires et les profits, qui forment un des volumes (1890) delà, Petite Bibliothèque Économique deGuil- laumin.

Ricardo, Malthus et Say ferment la première période classique de la nouvelle économie, dont les résultats se trouvent résumés dans une forme rigoureusement scien- tifique, mais un peu aride, par le publiciste radical, élève de Bentham, ami intime de Ricardo, James Mill (1773- 1838), l'illustre historien de Vlndia Britan- nica (181-1819), qui, le premier, a formulé d'une façon explicite la théorie du fonds des salaires. Ces résultats ont été également résumés, .sous forme de dialogueet de roman, par Mistre.ss Marcett, Miss Marti- neau et Mistress Fawcett.

James Mill, Eléments of political economy. London, S" édit., 1826. - Trad. franc, de Parisot, 1824.

ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 329

M. Marcel, Conversations on polilical economy, 1817. -

Trad. franc,., 1824. H. Martineau, Illustrations of polilical economy^ 1832-

1834. Neuf volumes. Trad. franc, de G. de Moli-

nari, 1880. 2 vol. M. G. Faw^cett, Taies in polilical economy, i%l^.

CHAPITRE IX

L'ECONOMIE POLITIQUE EN ANGLETERRE

Les progrès de réconomie politique dans notre siècle sont dus à l'influence toujours plus grande qu'elle a exercée sur les réformes législatives, à la diffusion et à l'amélioration des moyens d'échange, de transport, de publicité et de communication, aux modifications fré- quentes du système monétaire, à la multiplication des établissements de crédit, à l'émancipation de l'agricul- ture et de la propriété foncière des derniers vestiges des entraves féodales, à la liberté de l'industrie manu- facturière et du commerce intérieur, à la lutte incessante entre les partisans de la protection et ceux du libre échange, et, en même temps, à la succession rapide des crises commerciales, monétaires, bancaires, et à la né- cessité toujours plus grande d'une législation tendant à défendre les intérêts des classes ouvrières^ insuffisam- ment protégées par les caisses d'épargne, les sociétés de prévoyance, les coopératives, et par le patronage des classes aisées.

D'un autre côté, la consolidation du système repré- sentatif et la liberté de la presse, d'association, de réunion, qui en sont les conséquences, augmentent toujours davantage le cercle des personnes qui parti- cipent plus ou moins directement à l'administration des affaires publiques, et qui ont ainsi des raisons spéciales pour s'intéresser tout particulièrement aux

332 l'économie politique

disciplines qui étudient les phénomènes qui sont en relation étroite avec la prospérité générale.

Mais toutes ces causes, qui donnent une poussée salu- taire aux études économiques, n'agissent pas partout avec la même intensité et elles n'ont pas partout des résultats également importants. L'Angleterre a conservé pendant longtemps la première place, mais cette position éminente lui est de plus en plus contestée, en particulier par l'Allemagne, qui se pose depuis une vingtaine d^année en réformatrice orgueilleuse de la science. L'Allemagne a certainement enrichi la science par ses nombreuses recherches historiques et statisti- ques et elle y contribue maintenant par de très impor- tants travaux, dans lesquels elle associe à la puissance de l'abstraction et à son exquis sens pratique la con- naissance des résultats des travaux étrangers, qui lui a autrefois manqué. La France, au contraire, qui jadis rivalisait avec l'Angleterre et qui l'emportait sur l'Allemagne, perd de son importance théorique par l'esprit d'exclusivisme de l'école qui y domine, tandis •que l'Autriche, Tltalie et les Pays-Bas, et plus récem- ment les Etats-Unis et la Russie, ont utilisé les progrès réalisés par les doctrines anglaises et allemandes tout en évitant, en partie, quelques uns des défauts de l'école actuelle de l'économie politique allemande, et elles font des progrès marqués qui laissent à une dis- tance notable les petites nationalités d'origine latine, Scandinave et slave.

J. Kautz, Z)/e geschichtliche Entwickelung der National- okonomie und ihrer Liieraiur. Wien, 1860, pag. 488 et suiv.

J. K. Ingram, Hislory of political economy. Edin- burgh, 1888, pag. 138 et suiv.

En Angleterre l'économie politique, après les grandes

EN ANGLETERRE 333

œuvres de Smith, de Mallhus et de Ricardo, devient pendant longtemps une science presque populaire, enseignée dans les établissements d'instruction supé- rieure aux futurs hommes d'Etat et même dans quel- ques écoles élémentaires comme un antidote salutaire contre les progrès des doctrines socialistes, qui n'ont pas trouvé à cause de cela en Angleterre cet accueil facile qu'elles ont rencontré en France et dans quel- ques uns des pays d'Europe et d'Amérique. La vi- vacité de l'opposition faite à l'économie dans ces vingt dernières années ne lui a pas été dommageable parce qu'elle a obligé les savants à faire une révision des théories professées jusque-là, et préparé sans doute à la science une période de nouveaux triomphes, dont on peut signaler déjà des présages significatifs. En Allemagne et en Italie, ce sont les chaires d'économie politique qui ont une influence prépondérante ; en An- gleterre l'instruction économique se fait par les nom- breuses revues qui appliquent les principes de la science à la discussion des questions d'actualité pratique. Nous signalons principalement la Quarterly et YEdin- burgh Review, anciens organes des tories et des whigs, la Westminster Review, organe des vieux radicaux, la Fortnightly, la Contempora'ry, la iVa- tional Revie\v,\e Nineteenth Century, qui représen- tent les nouvelles tendances libérales ou qui occupent une position neutre et indépendante. Parmi les publi- cations spéciales, très peu nombreuses jusqu'ici, les périodiques les plus célèbres et les plus anciens sont le journal hebdomadaire d'économie polique, The Eco- nomist, fondé en 1843 et qui s'occupe des questions com- merciales, monétaires et bancaires, et la revue trimes- trielle Journal of the sta.tistlca.1 Society de Londres, qui a célébré en 1885 le cinquantième anniversaire de sa fondation.

334 'I/économie politique

La ligue de Manchester, fondée par Cobden et Briglit, grâce à la persévérance de son agitation législative. et au patronage puissant du ministre Peel et de ses succes- seurs Itussell et Gladstone, a réussi à faire aboutir les ré- formes économiques et financières, commencées depuis longtemps par Huskisson. Elle a obtenu l'abolition des corn-laws, de l'acte de navigation, des droits pro- tecteurs de l'industrie manufacturière, et l'abolition ou la réduction notable de nombreuses accises. D'autres mesures ont amélioré d'une façon certaine la condition des classes ouvrières; ce sont principalement: la liberté de coalition, la reconnaissance légale des « trades- unions », les nombreux « factories acts », les lois sur les « friendly » et sur les « building societies », sur les magasins coopératifs, etc. On a aboli aussi, à la satisfac- tion générale, un grand nombre de formes d'ingérence gouvernementale, vieillies et vexatoires ; mais on a aussi, sans trop se préoccuper des objections exagérées de quelques doctrinaires partisans du « laissez faire », petit à petit rendu l'instruction élémentaire obligatoire, augmenté les ^Douvoirs de l'Etat sur les banques d'émission et sur les chemins de fer, créé des caisses d'épargne postale et des caisses publiques d'assurance sur la vie, racheté les télégraphes et réformé beaucoup d'autres services publics plus ou moins liés au bien-être économique du pays, qui, malgré la violence de nom- breuses crises funestes, est allé en augmentant graduel- lement, comme le démontrent les excellents travaux statistiques de Levi, de Giffen, etc.

Arch. Prentice, Hisiory of ihe anii-corn-law league . Manchester, 1883. Deux volumes.

Leone Levi, The hisiory of commerce and of ihe éco- nomie progress of ihe brilishnaiion{i 863-1878)^ London, 1880.

Aug. Mongredien, Hisiory of ihe free-irade movement in England. London, 1881.

EN ANGLETERRE 335

L. Price, A short hislory of polillcal economy in England from Ad. Smith to A. Toynbee. London, 1891. (Bon résumé historico-cri tique des théories des principaux économistes anglais, non com- pris les économistes actuels).

Cannan, .4 history of the théories of •production and distribution in english political economy from 4776 to iSiS. London, 1893 (Excellente monographie).

J. LE DÉVELOPPEMENT ULTÉRIEUR DE l'ÉCONOMIE

CLASSIQUE

L'écossais Jean Ramsay Mac Culloch (1789- 15^64)^ est un écrivain érudit mais partois inexact, ingénieux mais quelquefois superficiel ; il est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages économiques et financiers. Il a contribué à vulgariser les doctrines de Smith, de Mal- thus et de Ricardo par ses abrégés, remarquables par leur clarté, et il a inauguré, par ses travaux biogra- phiques, ses collections d'anciens économistes, et no- tamment par sa bibliographie, les recherches historiques sur la science économique, qu'avant lui et longtemps ■encore après lui on a complètement négligées ; en An- gleterre, son Dictionnaire du commerce [9^ édition en 1880) est un répertoire utile de renseignements tech- niques et statistiques.

J. R. Mac Culloch, Principles of political economy. Edinburgh, l825.-7« édit., 1885, trad. franc, sur la édit. de A. Planche, édit. 2 vol. A treatise on the principles and praciical influence of taxation and the fundin g System. Edmlmrgh, 1846. 3* édition, 1863. The literature of political eco- nomy. London, 1845.

Le colonel Robert Torrens (1780-1864) lui est supé- rieur par sa pénétration et il l'a égalé par son activité. 11 est l'auteur de nombreux ouvrages sur la production

336 l'économie politique

des richesses, sur les salaires et les coalitions, mais il est surtout connu par sa théorie des échanges interna- tionaux et par d'autres opuscules dans lesquels il défend les réformes commerciales, bancaires et finan- cières de Robert Peel.

Rob . Torrens, An essay on the production of wealthy 1821. On ivages and combinations. 1834. An essay on the influence of th9 external corn trade. 4-^ édit., 1827 (fort apprécié par Ricardo). The budget, 1844.

L'archevêque anglican de Dublin, Richard Whately (m. 1863), professeur à Oxford, est l'auteur de bonnes leçons d'introduction à l'économie (1831) ; il a fondé une chaire à Trinity Collège, qui a été honorablement occupée par Longfîeld, par Lawson, et plus tard bril- lamment par Cairnes, et maintenant par Bastable.

Mais, de tous les économistes anglais qui ont écrit après Ricardo et avant Stuart Mill, la première place appartient sans conteste à Nassau Guillaume Senior (1790-186^.). Il a été professeur à Oxford de 1826 à 1831 , et plus tard en 1847. C'est un économiste sagace, d'une large et solide culture ; il a écrit, dans un style élégant, de bonnes monographies sur la distribution interna- tionale des métaux précieux (1827-1828), sur la popu- lation (1828-1829), sur la valeur de la monnaie (1829), sur la mesure des salaires (1830) et sur la législation des fabriques (1837). Il a publié également des leçons propédeutiques (1826 et 1852) et un précis d'économie [An outline of the science of polit ical econoniy, 1836), inséré d'abord dans V Encyclopaedia. Metropoiitana, et réimprimé (6^ édit, 1872) séparément. Nous devons à Senior une analyse ingénieuse du coût de production, dans lequel il fait entrer la rétribution pour la formation du capital, appelée par lui abstinence, qui a soulevé

EN ANGLETERRE 337

des objections fondées en grande partie sur une équi- voque. Il a fait également des recherches intéressantes sur les relations entre le taux des salaires et celui des profits ; il a été un des premiers en Angleterre à s'oc- cuper de la terminologie économique, qu'il a cherché à rendre plus correcte et plus précise. Senior a, en outre, le mérite d'avoir insisté sur le caractère scientifique de l'économie sociale et sur son caractère de neutralité à l'égard des différents systèmes de politique écono- mique, qu'ils soient inspirés par le principe du « laissez faire » ou par celui de l'ingérence goavernementale.

C'est une grave erreur, répandue notamment en Alle- magne, d'identifier l'école classique anglaise avec l'école de l'optimisme, qui est représentée par Carey et par Bastiat, et de la désigner sous le nom d'école de Manchester. Il n'y a qu'un petit nombre d'écrivains de second ordre, comme Banfield {Organisation of iyidustrie 1844, - 2'' édit. 1854) et Rickards {Popula- tion and capital, 1854), qui défendent ces opinions on Angleterre. Elles ont été résumées dans le Manuel de Rogers {Manuel of political economy, 1868) ; mais on n'en fait pas même mention dans d'autres traités qui ont cependant une certaine valeur, et que nous citons ci-dessous, bien que quelques-uns soient de date plus récente.

Th. Chalmers, The Christian and civic economy, 1821 . Deux volumes. On political economy-, édit, 1832. Il donne beaucoup d'importance au principe moral ; c'est un pur disciple de Malthus, combattu au contraire par Eisdell (On the industry of nations, 1833). J. P. Stirling, The philosophy oftrade, 1846, a fait de bonnes observations sur la théorie de la valeur. W. L. Sargant, The science of social opulence, 1856. Sa méthode présente quelque analogie éloignée avec celle de Thunen. W. E. Hearn, Plutology, 186i.

09

338 l'économie politique

Réimprimé en 1889 ; il contient d'intéressants dévelop- pements sur la production. John Macdonell, Surveij ofpoliticsLl economy, 1871. John L. Schadwell, System of political economy, 1877.

.^' 2. JOHN STUART MILL

Les Principes d'économie politique de cet illustre philosophe, publiciste et économiste, dont les idées ont exercé une influence si notable sur l'opinion des classes cultivées en Angleterre, et en partie aussi sur celle de l'étranger, nous présentent principalement le résumé, l'achèvement et l'exposé le meilleur des doctrines de récole classique dans leur forme la plus exacte ; à un autre point de vue, au contraire, c'est à eux que se rat- tachent les théories de nombreux adversaires de l'éco- nomie, notamment des socialistes, et ils ouvrent la voie aux perfectionnements ultérieurs de l'école critique contemporaine. Pour bien comprendre le caractère, et il faut bien le dire, les contradictions nombreuses de ce livre vraiment singulier, il faut pénétrer dans l'hi.stoire intime de la vie intellectuelle et morale de Mill, qu'il a lui-même racontée avec une admirable sincérité.

John StuarL Mill, Auiobiography. Lonclon,1873. Trad.

franc, par Gazelles, Paris. W. L. Courtney, Li/e of John Stuart Mill. London,

1889. F. Faure, /. S. Mill (in Nouveau Dictionnaire (Céco-

nomie politique. Paris, 1891. Vol. II pp. 273-280). MinLo, J.S. Mill (in Encyclop. Brit. Vol. XVI. 1883;.

SluartMill est à Londres en 1806. Son père le .sou- mit à un régime d'instruction très rigoureux, soustrait à tout principe religieux. A quatorze ans il connais.sait admirablement les langues et les littérature.';; classiques.

EN ANGLETERRE 339

Après quelques mois passés en France (1820), il fît la connaissance de Say et de Saint-Simon, il retourna dans sa patrie, étudia la philosophie et le droit, et se lia alors d'amitié avec Bentham, Austin, Grote, Macaulay. Ilobtint en 1823, sous l'autorité immédiate de son père, une place dans l'administration de la compagnie des Indes, qu'il occupa jusqu'en 1858. Il fut député de Westminster (1865), mais il ne fut pas réélu en 1868 à cause de l'indépendance de son caractère et de l'excen- tricité de quelques unes de ses opinions. Il se retira à Avignon, il mourut en 1873.

Il se rattacha d'abord à l'école des philosophes radi- caux, dirigée par Bentham et représentée par la Westminster Review ; mais, dès 1826, des sentiments plus nobles et plus généreux furent éveillés en lui par les lettres de quelques uns de ses amis (Marmontel, Condorcet, Saint-Simon) et renforcés par l'amitié d'une femme de grand cœur et d'un esprit remar- quable (1831), devenue plus tard sa femme (1851), dont il a fortement dépeint les vertus, et à laquelle il a dédié sa belle monographie sur la liberté {On liberty, 1859). Depuis, disciple dissident de Bentham (voir un article de 1838 dans la revue précitée), il apporte d'importantes modifications à la doctrine de l'utilité [Utilitd.risni, 1863) ; il subit plus tard, au moins partiellement, l'influence de Comte {Auguste Comte and positivism, 1865), avec lequel il a été pendant longtemps en cor- respondance (1841-1846). Il défendit avec beaucoup d'ardeur les réformes agraires de l'Irlande {England and Irland, 1868), la représentation des minorités par le système de Hare {On représentative government, 1861) et les droits politiques des femmes {On the sub- jection of Women, 1869).

Ses théories économiques sont exposées dans ses •Essais (1844), dans son Système de logique (1813),

340 l'économie politique

dans ses Principes d'économie politique (1848), dans quelques écrits insérés dans le recueil de ses petits traités (1867-1875) et dans ses fragments posthumes sur le socialisme (1879).

John Stuart Mill, Essays on sonie unsettled question of poliiicaleconomy. London, 1844.-2«édit. 1874. System of logic 7'aclocinative and inductioe. 1843. Deux volumes. édit., 1875. Trad. franc., par Peisse, sur la édit. (plusieurs éditions). Principles of poiitical economy, ivith some of iheir applications to social philosophy. London, 1848. 2 vol.- édit., 1871. Trad. franc, par H. Dus- saud et Courcelle-Seneuil (plusieurs éditions). Dissertations and discussions. édit., 1867-1875. Quatre volumes. Chapfers on socialism- (in Fortnightly Review, 1879). Trad. franc., in Revue philosophique.

Les Essais ont été écrits en 1827 et 1830, mais ils sont re.stés inédits (sauf le dernier) jusqu'en 1844. Ils contiennent presque toutes les contributions vraiment originales de Mill en matière d'économie sociale. Dans le premier, il développe la théorie du commerce inter- national de Ricardo et formule clairement la fameuse doctrine des valeurs internationales, qui est la base la plus solide des argumentations en faveur du libre échange, et qu'il a enrichie plus tard de nombreux exem- ples, dans son traité, sous l'appellation d'équation de la demande internationale. Dans le second essai, il étudie l'influence de la consommation sur la production, et il cherche à prouver que Vabsenteism est un mal pure- ment local, et que, si un encombrement général et per- manent des produits est impossible, un encombrement général et temporaire est possible, mais qu'il dépend du manque de confiance et non d'un excès de pro- duction. Dans le troisième, il argumente sur l'emploi

EN ANGLETERRE 341

des mots productif et improductif, soit au point de vue du travail, soit au point de vue de la consommation. Dans le quatrième, consacré au profit et à l'intérêt, Mill défend et explique la théorie de Ricardo sur les rapports entre les salaires et les profits, et il démontre que ceux-ci dépendent du coût du travail, et que, par conséquent, une amélioration dans la production des objets consommés par les ouvriers fait augmenter leur salaire réel, sans c;ependant diminuer les profits des entrepreneurs. Le cinquième et dernier essai donne quelques règles de méthodologie économique, qu'il a développées plus complètement et avec plus de maturité dans le sixième livre du Système de logique. Dans cette œuvre, il admet, avec Comte, une sociologie géné- rale, science concrète et nécessairement inductive, et il soutient, d'un façon non moins explicite, la nécessité d'une science économique séparée quoique non indépen- dante, qu'il distingue magistralement de l'art. Il in- siste sur son caractère abstrait et hypothétique, qui nécessite, par conséquent, non pas une soi-disant mé- thode métaphysique et intuitive qu'il repousse, mais la méthode de la déduction, qu'appliquent également les sciences physiques les plus avancées ; celles-ci ont aussi à leurs secours l'aide précieuse de l'observation expérimentale, qui est, dans sa signification rigoureuse, presque complètement inaccessible aux sciences socia- les. C'est là, comme on l'a vu dans la première partie, la théorie delà méthode qui, grâce aux excellents com- mentaires de Cairnes et aux récentes rectifications de Menger et de Keynes, constitue la base la plus sûre de l'économie moderne.

Mill s'est proposé dans ses Principes d'économie politique., qui ont été considérés sans conteste pendant longtemps, et à certains points de vue de nos jours encore, comme le meilleur traité anglais sur la matière,

342 l'économie politique

d'exposer avec une ampleur suffisante les doctrines de l'économie politique, telle qu'elle a été constituée par Ad. Smith et complétée par Malthus et par Ricardo, €n tenant compte des progrès partiels ultérieurs dus à Wakefîeld, à Babbage, à Rae, à Ghalmers, etc. ; de joindre aux résultats de la science pure leurs applica- tions les plus importantes, et de substituer ainsi, en utilisant les travaux de Jones, de Laing, de Thornton, aux digressions, parfois trop longues et vieillies de Smith, des considérations conformes àl'étatactuel de la science et de la pratique, et pouvant fournir en même temps un exemple de l'emploi correct de la méthode qu'il avait proposée. Ce but, Mill l'a pleinement atteint, parce que son livre, malgré de nombreux défauts, est devenu, grâce aussi à ses mérites particuliers d'expo- sition claire, ordonnée et attrayante, la source principale à laquelle ont puisé les économi.stes contemporains, dont beaucoup ne se sont plus occupés des œuvres des grands maîtres, et en particulier de celles de Ricardo et ds Malthus, parce que leurs principes étaient exposés avec plus de précision par Mill, qui s'est préoccupé d'en rendre l'intelligence plus facile.

Il faut notamment prendre en considération, dans les Principes de Mill, son analyse de l'influence du progrès sur la population, sur les prix et sur la distri- bution, ses observations sur la tendance des profits à un minimum, sur l'état stationnaire, et l'antithèse qu'il établit entre le caractère physique des lois scientifiques de la production et le caractère social de celles de la dis- tribution, sa meilleure contribution, selon lui, à l'écono- mie politique. La critique moderne pense, au contraire, que son mérite principal consiste dans l'exposition lumineuse qu'il a faite de la théorie de la valeur et de celle de la distribution, et dans la correction de quelques unes des erreurs de Ricardo, bien que ces corrections

EN ANGLETERRE 343

restent loin de la perfection qu'il croyait avoir atteinte. Il s'est occupé, en effet, de la valeur courante et de la, valeur normale, mais plutôt de celle-ci que de celle-là, sans rechercher d'une manière approfondie leur influence réciproque. Dans son étude de la valeur normale, il a considéré, comme Ricardo, le phénomène par rapport au vendeur, et il a un peu trop insisté sur le coût de production ; il y a plus d'une ambiguïté, comme l'a relevé Cairnes, dans sa détermination de ce coût. Il a bien indiqué que la demande, représentée par l'utilité, influe sur l'offre et par conséquent indirec- tement sur le coût, mais il n'a pas su mesurer l'inten- sité de cette influence, parce qu'il se réfère au concept vague de Tutilité totale du produit (valeur d'usage) et, non au concept précis de l'utilité fmale(ou marginale)en fonction d'une quantité déterminée ; il a négligé la notion de valeur normale considérée au point de vue de l'acheteur, qui, dans certains cas, modifie, et, dans d'autres, exprime la valeur normale effective. Il a développé d'une façon remarquable la théorie des valeurs internationales, mais il ne s'est pas aperçu, que celle-ci n'est pas complètement séparée ni différente de celle des valeurs nationales, mais qu'elle a avec elle de nombreux points de contact, tandis que quelques unes des différences apparentes dépendent de l'expli- cation incomplète et inexacte qu'il a donnée de la valeur en général. Enfin, Stuart Mill ne s'est pas préoccupé d'appliquer la théorie de la valeur, qu'il considère cependant comme fondamentale, à l'expli- cation des lois de la distribution, soit parce que, par erreur de système, il en parle (livre 2) avant l'échange {livre 3), soit parce qu'il a été trop préoccupé de la différence qu'il y a entre le caractère social de la dis- tribution (c'est-à-dire de l'échange des produits contre des services productifs) et le caractère pour ainsi. dire

3^4 l'économie politique

mécanique de la circulation (c'est-à-dire de l'échange des produits contre d'autres produits).

Les phases de la vie intellectuelle et morale de Mill nous expliquent les nombreuses contradictions qu'il y a entre les différentes parties de son œuvre capitale, c'est-à-dire ses plus grands défauts. Nous voulons parler des contradictions réelles, et non des contra- dictions imaginées par quelques critiques, qui lui ont attribué des incohérences de méthode dont il n'y a pas trace dans ses ouvrages, ou des discordances entre les doctrines qu'il enseigne dans le domaine de la science et les critères dont il fait usage dans les applications, nécessairement changeants avec les variations de temps et de lieux et les conditions sociales.

Plus encore que l'influence des idées philanthropiques, qui lui lont, dans les éditions ultérieures de ses Prin- cApes et notamment dans la troisième, faire des pré- visions toujours plus favorables à l'avenir de la classe ouvrière, et avouer qu'il croit à la possibilité d'une réalisation éloignée du socialisme, influence qui atteint son apogée dans les Chapitres posthumes consacrés à ce sujet; plus que sa proposition de restreindre le droit de succession en ligne collatérale; plus que ses sympathies pour les impôts sur les transferts de propriété à titre onéreux, qui dans les dernières années de sa vie abou- tissent au fameux projet de confiscation de la rente future des terres, on doit passer sous silence, au point de vue scientifique, comme contradictoires entre elles, la combinaison des aspirations socialistes et de l'adhésion aux théories de Malthus ; il va même jusqu'à proposer des restrictions légales au mariage. Sa sympathie pour l'état stationnaire, qui est un principe de déca- dence, est en contradiction avec sa foi inébranlable au progrès indéfini ; il y a contradiction aussi entre la glo- rification du système des petites propriétés paysannes,

EN ANGLETERRE 345

qu'il admire avec Laing, et spécialement avec Thornton {A plea for peasantprojjrietors, [8^8,-2" édit. 1874), et l'apologie de la grande propriété collective dont Mill se fît le promoteur, après 1870, comme président de la Land tenure refovin association [Dissertations and discussions, vol. IV, 1875. Papers on land tenure) ; il y a contradiction enfin entre les idéals du véri- table socialisme, ennemi de toute concurrence, et l'apo- logie des sociétés coopératives de production, qui ne font que substituer la concurrence des entreprises col- lectives d'ouvriers à la concurrence des entreprises individuelles.

A la gloire de Stuart Mill se rattache la renommée moindre d'Henri Fawcett( 1833- 1884), qui a été profes- seur à Cambridge, membre très actif de la Chambre des Communes, il soutint avec beaucoup de chaleur la réforme financière des Indes et la cause de la coopéra- tion, sans demander cependant une ingérence excessive de l'Etat, et qui devint, en 1880, Postmaster-general. En dehors des recueils d'un grand nombre de ses arti- cles et de ses discours, on peut citer ses monographies remarquables, bien que peu originales, sur la condition des ouvriers et sur le libre échange, et enfin son résumé des Principes de Mill, enrichi de renseignements exacts et de développements intéressants sur les questions d'application, en particulier sur l'esclavage, sur les impôts locaux, sur les découvertes des nouvelles mines' d'or, sur les lois des pauvres, sur l'expropriation des terres, sur les « trades-unions » , sur les sociétés coopé- ratives, etc., etc.

H. Fawcett, The économie position of the bristish la- bourer. London, 1865. Pauperism, 1871. Free trade and protection^ 1878. - édit., 1885. Ma- tinal of political economy, 1863. - 6" édit. 1883. Essays and lectures on social and political subjects,

346 l'économie politique

1872. (Cfr. Leslie Slephen, TJfe <>f H. Fain-etl, 1885).

§ 3. LES MONOGRAPHIES.

L'économie politique a fait également des progrès en Angleterre grâce à de nombreux travaux qui se sont proposé d'apprécier certains phénomènes, d'en rechercher les causes, d'en prévoir les conséquences, de défendre ou de combattre l'introduction ou l'abolition de lois et d'institutions nouvelles. C'est ainsi, par exemple, que la réforme du système de production, due principalement à l'introduction des machines, provoqua des travaux, les uns descriptifs, les autres théoriques, comme celui du mathématicien Charles Babbage (On the econoray of machinery and manufactures, 1832J qui complètent l'analyse de Smith sur les avantages de la division du travail, ou des écrits techniques apo- logétiques, comme celui de Ure [Philosojyhy of manu- factures, 1835. Trad. franc., Paris, 2 vol.. 1836), ou critico-philanthropiques comme ceux de Gaskell {Arti- sans and machinery, 1836), deKay [Social condition of the people, 1852.) et de Morrison {An essay on the relations betxveen labour and capital. 1854). La question coloniale fut, elle aussi, l'objet de nom- breuses études ; il faut citer notamment les leçons de H. Merivale {Lectures on colonisation, 1841-42), et les projets hardis de E. G. Wakefield (England and America, 1843. A view of the art colonisation, \^\^). Sir James Caird {English agriculture. édit, 1852. The landest interest. 4' édit. 1880) a écrit avec une grande compétence sur l'économie agraire ; sur les lois agraires récentes, il faut signaler particulièrement les monographies de Brodrick {English land and english landlords, 1881), de Schaw-Lefevre {Freedom of land,

EN ANGLETERRE 3'l7

1881. Agrarîan tenures, 1893), de Kay {Fr(3e-trade in land. 9" édit. 1885) et de R. M. Garnier [History of the english landed interest, 1893. 2 volumes). L'apo- logie du libre échange a été faite par Dunckley {The charter of nations, 1854) et par Farrer {Free-trade versus fair trade, 1885) ; il a été vivement combattu par Byles {Sophisms of free-trade) et par Alison (Free- trade and protection , 1842).

La question monétaire a été étudiée par un groupe de bons écrivains : Lord Liverpool (A treatise on the coins of the reahn. Oxford, 1805, réimprimé en 1880), W. Stanley Jevons {Money and the mecanlsm of exchange. 1875. édit. 1878. Trad. franc.. Paris, 1876), J. Sh. Nicholson {A treatise on money. Edin- burgh, 1888), les deux premiers partisans du mono- métallisme, le dernier du bimétallisme, qui a trouvé récemment de nouveaux apologistes dans Seyd, Bar- bour, Hucks-Gibbs, etc. Plus nombreuses et, dans l'ensemble, plus importantes sont les monographies sur la question des banques; elle a été traitée largement dans- la classique Histoire des prix de Thomas Tooke, continuée par Guillaume Newmarch (A history of priées and the state of circulation from 1192-1856. London, 1838-57. Six volumes. Bonne traduction alle- mande, un peu abrégée, par .G. W. Asher, Dresde, 1858-59. Deux volumes) et dans l'ouvrage ingénieux, mais souvent paradoxal, de H. D. Macleod [The theory and practice of banking . 5^ édit. 1892. Deux volumes) ;, elle «, été récemment résumée par Courtey dans l'ar- ticle Banking de la 9^ édition de V Encyclopaedia Bri- tannica. Sur les questions pratiques, méritent d'être signalés les ouvrages de Gilbart, de Crump, d'Hankey The principles of hank,ing. \8Q7) et celui de R.-H. - Inglis Palgrave {Bankrate in England, France and. Germany. 1844-78. London, 1880), en grande partie',

348 l'égonomee politique

statistique. Mais l'œuvre qui présente le plus grand intérêt théorique est celle de Gosohen {The theory of foreign exchanges. 1861. 14" édit. 1890. Trad. franc, par L. Say, Paris, édit., 1896, sur la théorie des paiements internationaux, et l'ouvrage élégant de Ba- gehot (Lombard-Street, a description of the w.oney markot, 1873. - 7*^ édit. 1878. Trad. franc. Paris, 187^i), qui contient un résumé très clair du système bancaire de la Grande-Bretagne. Ont enfin une non moindre importance les ouvrages de polémique, par lesquels les partisans du currency pnnciple, rattaché aux théo- ries monétaires de Ricardo, ont préparé et soutenu la nouvelle législation bancaire de Robert Peel, Les partisans du banking principle , qui professaient des idées plus libérales sur l'émission des billets, qu'ils considéraient comme essentiellement identiques aux autres titres fiduciaires (lettres de changes, chèques, etc.), tandis que leurs adversaires les assimilaient à la mon- naie métallique, ont violemment combattu cette légis- lation. Le chef de la première école, à laquelle appar- tiennent Torrens et Mac CuUoch, fut le fameux banquier S. Jones Loyd (plus tard Lord Overstone), auteur de nombreux travaux réunis sous le titre de : Tracts and otiier publications on metallic and paper currency, 1858. Le chef de la seconde fut Tooke, qui groupe au- tour de lui Stuart Mill, Jacques Wilson, gendre de Ba- gchotet son prédécesseur à la direction de VEcononiist [Capital currency and banking, 1847), et notamment le très pénétrant John Fullarton [On the régulation of currency, 1844. - 2* édit. 1845).

Les réformes financières proposées , effectuées ou combattues, ont été discutées longuement dans des ouvrages de circonstance, dont quelques-uns sont remar- quables même au point de vue scientifique. Je citerai, parmi les plus anciens, ceux de Sir John Sinclair [His-

EN ANGLETERRE 349

tory of the public revenue. 3" édit. 1803-4. Trois vol.), de Robert Hamilton {Tfie rise and progress, the ré- demption, etc. of the national debt. 3^ édit. 1818), de Sir Henri Parnell (On financial reform. édit. 188-2); les ouvrages historiques de Taylcr [History of taxation of En gland, 1853), d'Hubert HaW {History of the eus- tom revenue, 1885), et l'œuvre grandiose de Stephan Dowell (.4 history of taxation in England, 1884-85. Quatre vol. '2* édit. 1888) ; les ouvrages sur les impôts, de Sayer (On the income tax, 1831), et de Buchanan [înquiry into the taxation, 1844) ; les ouvrages- plus récents de Baxter [Taxation on the United Klng- dom, 1869), de Noble [The Queen taxes, 1870), de Morton Pelo, de Giffen [Essay on finances. 2'' édit. 1880), de Wilson [The national budget, 1882) ; ceux dePalgrave(1871), Goschen (J872) et de Probyn (1875. 2' édit. 1885) sur les impôts locaux; le recueil des exposés financiers de Gladstone [Financial stateinents, 1 863-70. Trois vol.) et les belles monographies sur la dette pu- blique de Newmarch [On the loans raised by M. Pltt, 1855), de Capps [The national debt financially consl- dered, 1859) et de Baxter {National debts, 1871).

Il nous faudrait encore mentionner, si la place ne nous manquait, les publications les plus importa'ntes sur la question ouvrière en général et en particulier sur les trades unions, notamment l'ouvrage deHowell (The confticts of capital and labour. 2^ édit. 1890), les tra- vaux sur les sliding scales des salaires, dont se sont occupés spécialement Munro etPnce{Industrial peace, 1887), sur l'arbitrage, de Cromnton [Indus trial con- ciliation, 1876), et sur les institutions de prévoyance et les coopératives. Il suffira de dire que les salaires en général et les conditions réelles des ouvriers ont été étudiés à plusieurs reprises par Rogers, Brassey, Gif- fen, etc.; que les caisses d'épargne et les sociétés de se-

3b0 l'économie politique

cours mutuels l'ont été par des spécialistes compétents, Ansell (18351, Neison (1845), Tidd Pratt (1830 et suiv.), Scratchley (1849 et suiv.), Lewins (1866); les sociétés coopératives de consommation, par Holyoake (The his- tory of coopération in England, 1875-79. Deux vol.), les sociétés coopératives rurales, par Pare (1860), et Stubbs (1884); les coopératives de construction, par Jones (1803;) les caisses ouvrières en général, par Hole [The homes of the worhing classes, 1866) ; la par- ticipation aux bénéflces, par Taylor [Profit sharing, 1884), et dernièrement par Lowry Whittle, et par Rawson {Profit Sharing précédents, 1891); la rému- nération du travail en général, par Schloss {Methods of industrial remunerati.on, 1892).

§ 4. CRITIQUES ET ADVERSAIRES

Dans les vingt années qui ont suivi lapublication des Principes de Stuart Mill, les doctrines de l'école clas- sique n'eurent que de rares adversaires, et ceux-ci même ne furent que peu écoutés dans le camp des éco- nomistes. Les violentes attaques de Carlyle, de Dillon, et en particulier celles de Lalor [Money and moral, 1854). de John Ruskin (Wo?'/is, 1871-87), dont Geddes a fait récemment l'apologie {John Ruskin econoniist, Edinburgh, 1884), ont trouvé un écho plutôt parmi les littérateurs qu'auprès des économistes. Même les ouvra- ges des nouveaux protectionnistes, qui ont formé la ligue du fair-trade, dirigée par Eckroyd, parmi les- quels il faut citer Sullivan, ont trouvé un certain appui auprès de quelques intéressés, mais ils n'ont pas réussi à persuaderles hommes d'étude. On peut en dire autant des articles du positiviste Frédéric Harrison et de quelques autres apologistes, plus ou moins exagérés,

EN ANGLETERRE 351

des trades-Linions. Les ouvrages de quelques éminents philanthrophes, Kingsley, Denison Maurice, Hughes, ont eu un peu plus d'influence. C'est inexactement qu''on les a qualifiés de socialistes chrétiens, parce que, s'ils combattent la concurrence individuelle qu'ils voudraient remplacer par la coopération, sur laquelle ils fondent trop d'espérances, ils ne sont pas, comme les socialistes autoritaires, des ptirtisans de l'ingérence excessive de l'État, pas plus que ne l'ont été Lord Ashley (plus tard Lord Shaftesbury) et beaucoup d'autres qui ont sou- tenu au Parlement les factory acts et d'autres lois protectrices des intérêts de la classe ouvrière,

Cfr. L. Brentano, Die christlich- sociale Bewegung in

England. Leipzig, 1883. Th. Klrkup, An inqidry inlo socialism. London, 1887. G. Cohn, Lord Shaftesbury {in Deutsche Rundschau.

3" fasc-, 1889).

La véritable crise de l'économie classique anglaise, que Ton a cru quelquefois avant-coureuse de son nau- frage et quelquefois de son remplacement par une science nouvelle, tandis qu'elle a conduit au contraire à d'importantes corrections et à de nouvelles adjonc- tions à la science ancienne, date de l'année 1869. Pour des commodités d'exposition, nous réduirons à trois groupes, dont le premier est représenté par Thornton et par Toynbee, le second, par Cliffe Leslie et Ingram, et le troisième, par Cairnes et par Jevons, tous les écri- vains de ce mouvement.

On peut consulter sur ce sujet, en dehors des histoires déjà citées d'Ingram et de Price, deux articles de Fox- weli et de Cohn, juges trop sévères d'ailleurs des éco- nomistes classiques.

H. S. Foxwell', The économie -movemeni in England.

352 l'économie politique

(in Quarterly Journal of Economies. Boston, oc- tobre 1887). G. Cohn. Die heutige Nationalôkonomie in EnglawJ,etc. (in Jahrbuch fur Gesetzgehung, Verivaltung; etc., de G. Schmoller. Leipzig, 1889. l"fasc. pp. 1-46).

Nous avons de Guillaume Thornton (1813-1880) une monographie sur la population {Overpopuîation and itsreïnedy, 1846), une autre sur les paysans-proprié- taires, déjà citée, et une autre moins connue {Indian public Works, 1875). Dans un ouvrage, dans lequel il se fait le défenseur des trades unions {On labour, ils wrongful daims and rightful dues, 1869. - 2^ édition, 1870. Trad. ital., Firenze, 1875), il dirige des objections très nettes contre la théorie de la valeur et contre celle du fonds de rétribution des salaires iwage fund), qui était exposée dans les traités de Mill et de Fawcett d'une façon explicite mais très prudente, tan- dis que d'autres écrivains en avaient déduit le corol- laire de la stérilité absolue des coalitions et des grèves. Devant les arguments de Thornton, qui sont, en réalité, en partie faux et le résultat d'équivoques sur la loi do l'offre et delà demande, Stuart Mill, qui ne s'était pas arrêté aux objections dirigées contre la théorie du fonds des salaires par le jurisconsulte Longe (A réfu- tation of the wage-fund theory, 1866) et par Cliffe Leslie {Fraser's Magazine, juillet 1868), publia, avec une singulière précipitation, dans la Forlnightly Reciew {mars 1869), un article, réimprimé dans ses Dissertations and discussions (vol. IV, pag. 43 et suiv.), dans lequel il répudiait celte doctrine, en rela- tion très étroite avec cette proposition que la demande de produits n'est pas demande de travail. Cette condescendance irraisonnable a été alors, et elle est encore aujourd'hui, considérée par quelques ennemis de l'économie comme une condamnation de la science

EN ANGLETERHE 353

économique, eL les nombreuses polémiques, nées en 1876 à roccasion du centenaire de la Richesse des nations, citées par Laurence Laughlin, dans son édi- tion résumée des Principes de Mill (New-York, 1888, pp. 36-37), montrent à merveille leurs prévisions peu favorables à l'avenir de l'économie politique.

Voir sur la théorie des salaires en général, et sur celle du « wage-fund » en particulier (en alLen- dant le mémoire annoncé de Slephan Bauer), l'opuscule de W. D. Mac Donnall, A hisiorv mid criticisrn of Ihe varions théories of wages, Dublin, 1888, plus remarquable par sa clarté que par sa profondeur.

On cite d'ordinaire, notamment en Allemagne, parmi les adversaires les plus récents de l'école classique en Angleterre, un jeune homme de grand talent, Arnold Toynbee (1852-1883). Sa fin tragique et prématurée, son amour sincère et désintéressé pour les classes ouvrières, et les magnifiques œuvres de charité et de patronage qu'il a fondées, et que continuent sous son nom un groupe choisi d'amis et de disciples, méritent de retenir l'attention plus que ses travaux scientifiques, à peine commencés. En effet, dans ses leçons posthu- mes, fort exactement appréciées par Marshall dans sa belle préface à Vlndustrial pedce de Price (1887). on trouve des jugements souvent sensés, quelquefois témé- raires, sur la science' économique, des recherches his- toriques intéressantes et de sages projets de législation sociale, qui, considérés dans leur ensemble, ne sont rien moins que favorables à une excessive ingérence gou- vernementale, et qui sont par suite en contradiction flagrante avec son étrange prophétie, selon laquelle à l'ère de la liberté des échanges succédera celle de l'ad- ministration. Toynbee se déclare radical et sccialiste,

23

354 l'économie politique

mais il demande la réalisation de la justice, il exalte le self help, la coopération, l'initiative individuelle, le respect de la propriété privée, il répudie le matéria- lisme, etc. Ces contradictions dans le domaine de l'art économique ne doivent pas nous surprendre chez un auteur qui appelle, dans une de ses leçons, l'école de Ricardo une imposture intellectuelle, alors que, dans une autre, il déclare qu'elle a besoin seulement de quelques corrections et d'une forme plus rigoureuse- ment scientifique.

A. Toynbee, Lectures on the industrial révolution in England. London, 1884. - édit., 1887.

L'école classique a trouvé un adversaire beaucoup plus compétent dans l'avocat irlandais Thomas Edouard Cliffe Leslie (1827-1882). Il a été professeur à Belfast, mais il résidait en Angleterre, C'est un écrivain savant et érudit, auquel on doit des monographies sur l'éco- nomie appliquée, dans lesquelles il se déclare partisan de profondes réformes financières, notamment de la ré- forme des impôts indirects, et de l'émancipation de la propriété foncière des entraves féodales, A l'école deSum- ner Maine et dans ses fréquents voyages, Leslie se livra à des recherches historico-économiques, et il fut le plus chaud et, pendant quelque temps, le seul partisan du courant suivi en Allemagne par Roscher et par Knies, Il ne reste de lui que des Essais, publiés dans plusieurs revues, le manuscrit d'une œuvre historique de longue haleine ayant été perdu en 1872, Parmi ces essais, nous devons rappeler ceux qu'il a consacrés à des questions agraires, dans lesquels, comme Mill et Thornton, il défend la petite propriété et même la petite culture, et ceux qui sont consacrés à l'étude de la dis- tribution des métaux précieux, de l'histoire des prix et

EN ANGLETERRE 355

des variations des salaires et des profits. Les théories générales de Leslie, indiquées dans quelques courts travaux critiques sur les œuvres de Smith, Mill, Cair- nes, Bagehot, sont développées dans ses Essais sur les relations de l'économie et de la statistique, et en parti- culier dans celui qui est consacré à la méthode philo- sophique dans l'économie politique, publié d'abord dans le périodique irlandais HormR.thena(\o\. II, 1876, réimprimé dans les Essays de 1888, pp. 163-193). Ce mémoire a spécialement pour but de combattre la mé- thode déductive, c'est-à-dire l'étude distincte du côté •économique des problèmes sociaux, de nier l'existence des lois générales de l'intérêt et du profit, et finalement de combattre, comme trop indéterminé et trop exclusif, le concept du désir de la richesse, fondement principal des déductions de l'école classique. Des objections très analogues, non moins absolues et exagérées, contre, la méthode déductive, avaient déjà été faites par le protec- tionniste David Syme, auteur d'un livre très fortement loué par Cohn {Outline of an industrial science, 1874), <lans un article inséré dans la Westminster Review, (vol. 96, 1871); Lowe (Lord Sherbroocke), dans la Nineteenth Century (novembre 1878), et mieux Sidg- wick, dans la Fortnightly Review (vol. 31, 1879), ont répondu à ces deux attaques.

Des opinions très analogues à celles de Leslie sont en <;e moment défendues par un autre éminent économiste anglais, John Kells Ingram, qui professe, comme Har- rison et Geddes, les doctrines philosophiques et sociales d'Auguste Comte, qu'il considère comme le précurseur de l'école historique allemande. Il a reproché à la théorie classique d'être trop abstraite et trop absolue, dans un discours célèbre, et dans son Histoire de Véconomie politique, déjà plusieurs ibis citée, qui constituent avec d'autres excellents articles insérés dans la 9* édi-

356 l'économie politique

lion de V Eneyclopaedia Britannica, ses principaux titres scientifiques.

Th. Ed. Cliffe Leslie, Lancl Systems and industrial eronomy of Ireland, England and conlinenlal coun- tries, 1870. Essays in poliiical economy and moral philosophy. Dublin, 1879.-2'" édil. (avec sept nouveaux essais économiques substitués aux essais purement politiques), 1888.

J. K. Ingram, The présent position and prospects of pohtlcal rconomy. Londres, 1878. (Cfr. E. Naz- zani, Saggl di economia polilica. Milano, 1881, pp. 17-21.)

Mais l'économie politique a fait beaucoup plus de progrès grâce aux travaux de deux hommes éminents. qui ne se sont pas contentés de la critique purement né- gative et qui ont apporté des corrections essentielles et d'utiles compléments aux doctrimes de Stuart Mill, dont ils ont été les continuateurs les plus illustres en Angleterre. Cairnes et Jevons. bien que leurs mé- thodes et leurs buis soient différents, le premier se déclarant disciple de Stuart Mill, qu'il combat avec énergie sur plusieurs points, tandis que le second a cru substituer des doctrines absolument nouvelles aux doc- trines de Ricardo, qu'il appelle able but wong-headecl , et de son admirateur Mill, alors qu'en réalité sa cri- tique, ne conduit pas à des conséquences au.ssi étranges et aussi désatreuses.

John Elliot Cairnes (18"24- 1875), irlandais lui ausî^i, condisciple de Cliffe Leslie, professeur à Dublin en 1861 , puis, pendant quelque temps (186fi-187"2) à VUniver- sltij Colk'de de Londres, a déployé une extraordinaire activité scientifique, notamment dans les dix dernières années de sa vie, que troublait une très douloureuse maladie.. En dehors de son ouvrage sur" la méthode (1857), plusieurs fois cité, et qui a été pendant plus de

EN ANGLETERRE 357

vingt ans le meilleur sur ce sujet, Cairnes, qui avait une aptitude singulière à suivre l'actioa de certaines causes économiques générales à travers un ensemble très compliqué de faits, a publié un important travail sur l'esclavage aux Etats-Unis {The slav(3 power, its character, career and probabla designs, 1862. -2''édit., 1863) dans lequel il a montré les principaux inconvé- nients économiques du travail servile, fait de mauvaise grâce, maladroit et uniforme. Il a publié en outre, dans différentes revues, quelques essais remarquables; les uns critiques, comme ceux sur Comte et Bastiat ; d'autres économico-historiques, parmi lesquels il faut en signaler quelques uns de très importants sur les effets probables de l'augmentation de la production de l'or, qu'il développe admirablement en analysant le pro- cessus de renchérissement des prix, variable selon que les pays sont plus ou moins directement en communica- tion d'affaires avec les ré:^ions métallifères, et selon la nature des produits, matières premières ou objets ma- nufacturés; d'autres, enfin, d'économie appliquée, et particulièrement l'essai sur le véritable caractère de ia maxime « laissez- faire ».

A la veille de sa mort Cairnes publia son œuvre principale, sur quelques principes fondamentaux de l'économie, qu'il expose avec une certaine nouveauté de vues. Elle comprend trois parties : la valeur, le travail et le capital, le commerce international. Dans la première, utilisant le traité do Cherbuliez, qu'il a fait connaître aux anglais, il préci.se mieux la distinction entre les lois de la valeur courante et les lois de la valeur normale, il relève quelques inexactitudes de Stuart Mill sur le coût et les dépenses nominales de production, en excluant du premier (comme l'avait déjà fait Senior) les salaires et les profits. Par sa célèbre théorie des groupes non concurrents, il chercha à

358 l'économie politique

démonti:er que, même dans l'industrie intérieure, la con- currence et le coût n'expriment pas toujours la loi de la valeur, qui est déterminée par la demande réciproque. Il eut cependant le tort de donner une importance exacrérée à cette théorie, qui modifie la loi de Ricardo et de Stuart Mill, mais ne la détruit pas, et il ne saisit pas le véritable sens de la théorie du degré final d'utilité, qu'il critiqua trop à la légère. Dans la seconde partie il faut surtout relever la doctrine du fonds de rétribution des salaires, répudiée par Mill, comme nous l'avons dit, et que Cairnes a formulée avec plus de précision, mais avec des observations qui en atté- nuent Timportane. Il ramène à de justes propor- tions l'influence des trades unions sur le taux des salaires et il se montre très confiant dans l'avenir de la coopération ; il réfute d'une façon persuasive la loi de Brassey [On -work and wages, 1878) sur l'uniformité générale du coût du travail. La troisième partie n'est pas moins importante ; elle contient une révision mi- nutieuse de la théorie du commerce et des valeurs internationales de Ricardo et de Mill ; il substitue à l'idée de la balance des importations et des exportations l'idée plus compréhensive et plus exacte de la balance des dettes et des créances ; sur ce point (comme le remarque Bastable) il avait été précédé par J. L. Forster (An essay on thej^rinçijjle of commercial exchanges ^ 1804), que Mac Culloch a loué pour ses idées sur l'absentéisme. Descendant aux applications, Cairnes combat les principaux arguments des protectionnistes, notamment des protectionnistes américains ; il est très heureux, comme le remarque Ingram, dans sa réfu- tation de l'argument qui s'appuie sur la concurrence que le high-payed labour de ce pays fait au pauper labour de l'Europe, il est moins convaincant au con-

EN ANGLETERRE 359

traire dans sa critique de la doctrine de Carey sur l'utilité de la multiplicité des industries, et de celle de Mill sur la protection des industries naissantes, théorique- ment admissible, comme le remarque Sidgwick. mais pratiquement inopportune, comme l'a démontré en quel- ques lignes Bastable (He7^?Tiai/iena, n. 12. Dublin, 1886).

J. E. Calmes, Essays on polilical economy,theoreHca- and applied. Lonclon, 1873. Some leading prin- r.iples of political economy neivly expounded, 1874. Trad. ital. Firenze, 1877. (Cfr. surCairnes l'ar- ticle de Fawcett dans la Fortnightly Revieit\ l" août 1875.)

Guillaume Stanley Jevons est à Liverpoolen 1835. Essayeur à l'hôtel des monnaies de Sidney de 1854 à 1859, il étudia de retour en Angleterre les sciences philosophiques et morales; il avait antérieurement étudié les sciences physiques et mathématiques. Il a été professeur de logique et d'économie à Manchester (1 863-1878), puis à VUniversity Collège de Londres (1876-1881) ; il s'est noyé à Bexhill en 1882. Il a laissé des travaux importants sur des sujets très divers, mais il n'a pu produire tout ce qu'il aurait pu donner sans cette mort prématurée. Il fut un logicien éminent, un pénétrant économiste, un bon mathématicien, et il avait une aptitude extraordinaire pour les travaux statistiques. Il exposait alternativement les résultats de ses études^ dans une forme populaire, comme dans le Primer of politicsil economy (1878) et dans son volume sur la monnaie (1875), ou dans le langage le plus élevé de la science comme dans ses Principles of science (1874, deux vol.), non sans associer quelquefois à la rigueur de l'argumentation les élans de la fantaisie, auxquels il n'a pas résisté dans son étude sur les crises commerciales, dont il rattache la périodicité à celle des

oCO l'économie politique

récoltes du blé et indirectement à celle des taches solaires {The periodicity of coinrnercial crises, 1878-79. Réimprimé dans ses Investigations, pag. 221 et siiiv.).

Le premier travail de Jevons qui attira l'attention des savants concernait la dépréciation de l'or [A serions fall in the value of golcl, 1863, réimprimé dans ses Investigations, img. 13-118), qu'il a étudiée avec une méthode très différente de celle de Cairnes; il publia ensuite une monographie, dans laquelle il se préoccupe d'un épuisement possible, quoique éloigné, de la houille {The coal question, 1865). Parmi ses nombreux tra- vaux économico-statistiques, dans lesquels il fit grand usage des représentations graphiques et des moyennes géométriques, dont il se sert plutôt que des index num- 5e/'.s de Nevi^march, souvent employés dans r/?conomisf, il faut signaler tout particulièrement ses recherches sur les variations des prix, ses tentatives ingénieuses pour trouver les lois des oscillations du taux de Tescompte, de la circulation et des réserves métalliques de la Banque d'Angleterre, etc. Dans le domaine de l'éco- nomie appliquée, Jevons a étudié à plusieurs reprises les questions de la lutte des types monétaires ; il a toujours été un défenseur convaincu mais modéré du monométallisme ; sur la question ouvrière, il est favorable à la coopération et à la participation aux bénéfices, et il a affirmé la nécessité d'une sage législa- tion sociale {The State in relation to labour, I8i^2).

Au point de vue de l'économie rationnelle, Jevons, qui s'était posé en réformateur radical, a donné des essais, remarquables sans aucun doute, mais qui n'ont pas restauré la science ab imis fundamentis. Un peu sceptique sur l'unité future de Téconomie politique, comme cela résulte d'une de ses leçons d'ouverture {Fortnightly RevieWy vol. 20, décembre 1876), il a

EN ANGLETERRE 361

déclaré, dès 1862, que l'économie comme science doit être étudiée avec la méthode mathématique, qu'il croyoit capahle de donner des mesures exactes des données psychologiques sur le plaisir et la douleur, selon lui le point cardinal des recherches économiques : c'est ce qu'il a essayé de faire dans un fragment encore inédit ■consacré à la consommation. En précisant le concept de l'utilité finale, Jevons, qui n'avait pas connu les travaux de Gossen (1854), a apporté une contrihution utile à la théorie de la valeur et complété les théories de Ricardo. tandis qu'au contraire son adhésion aux idées très indéterminées des économistes français sur les lois du salaire n'a point aidé aux progrès de la science.

W. Stanley Jevons, 7he tlieori/ of poliliml economy. Londres, 1871. - 2" édit., 1879. - Réimprimé en 1888. Jrad. ital. dans la série III, vol. II, 1875, de la Bihlioteca delV Economistn). Meihods of so- cial ref'onn, 1883. Jnvestigniions in currency and finance, 1884, publiées avec une intéressante in- troduction par le professeur Foxvell (pag. xix et suiv.)

Voir aussi : Lelters and Journal of W. S. Jevons, 1886 (avec une bibliographie complète), et W. Boehmert, W. S. Jevons und seine Bedeutung l'ùt die Théorie der Volksicirlhscliafislehi'e (in SchmoJ- 1er, Jahrb. fur Gesetzgehung, Vericaliung, etc. Leipzig, 1891. 3-^ fasc, pp. 76-124).

5. l'ét.\t actuel

Les faits ont démenti solennellement les pronostics des sceptiques et les craintes des pusillanimes qui, il y a quinze ans. croyaient imminente la ruine de la science économique en Angleterre. Malgré les pertes importantes occasionnées par la mort de Cairnes, de

362 l'économie politique

Bageliot, de Cliffe Leslie, de Jevons, il est resté encore un solide noyau d'excellents maîtres et un groupe nombreux de disciples zélés qui, mettant à profit les progrès réalisés à l'étranger, ont contribué puissamment à en préparer de nouveaux et de non moins signalés dans la terre classique de ses gloires les plus grandes. Le courant historique a reçu une vigoureuse impul- sion grâce aux travaux et à l'enseignement de James Thorold Rogers, professeur à Oxford (m. 1890), qui a écrit l'histoire de l'agriculture et des prix au moyen âge et dans les premiers siècles des temps modernes. Il a exposé et résumé les résultats de ses travaux dans d'au- tres ouvrages sur les salaires, en y joignant des recher- ches patientes et originales, que Ton peut apprécier aussi dans la monographie, déjà citée, sur les premières an- nées de la Banque d'Angleterre. 11 a été moins heureux dans les critiques qu'il a faites à Ricardo et, en général, aux grands maîtres de la science dans ses leçons sur Vin- terjorétation économique de l'histoire. Son élève W. J. Ashley, professeur à Ha \ra?'d University suit la même voie et avec succès ; il a commencé de bons travaux sur l'histoire économique de l'Angleterre.

James. E. Thorold Rogers, Hislory of agriculture and priées (de 1259 à 1702). London, 1866-1887. Six volumes. Six centuries of icork and labour. 1884. Deux volumes. The industrial and com- mercial historx] of England, 1891.

W. J. Ashley, The early history of the englishivoollen industry. Philadelphia, 1887. An introduction lo english économie history and theory. London, 1888; IP Part. 1893.

La première place dans le champ des recherches his- torico-économiques appartient au très érudit professeur Guillaume Cunningham, qui a publié une histoire uni- verselle du commerce et de l'industrie anglaises dans

EN ANGLETERRE 363

leurs relations avec les institutions et les doctrines, qui pourra remplacer les compilations utiles mais vieillies d'Anderson(l790, 6 vol.) et deMacpherson (1805,4 vol.). Tout comme Ashley et Foxwell, Cunningham adhère, en grande partie, aux idées théoriques de l'école histo- rique allemande.

W. Cunningham, Polilics and économies. London, 1885. The (jrowlh of english induslry and com- merce. Vol. let II. Cambridge, 1890-1892.

Parmi les travaux historiques spéciaux, il en est quel- ques-uns de remarquables sur les anciennes Guildes et, en particulier, sur les corporations des commerçants, qui complètent ou rectifient, sur plusieurs points, les études du professeur Brentano. Le principal est le livre de Charles Gross [The OUd-Merchant, 1890), qui a publié depuis d'autres travaux intéressants.

On peut, à certains points de vue, considérer comme un complément des œuvres historiques les recherches statistiques et, en particulier, les recherches sur les conditions des classes ouvrières, publiées récemment dans des monographies séparées ou dans le célèbre pé- riodique de la Société royale de statistique de Londres, notamment par Levi, Brassey, Giffen, Chisholm, etc.

Un autre indice certain des progrès que les étude» économiques font en Angleterre nous est fourni parles importants travaux sur l'histoire de la science, qui avait été autrefois fort négligée. Tandis que le professeur Foxwell, qui a dignement succédé à la chaire de Je- vons, dont il publie des œuvres posthumes, s'occupe d'un travail considérable sur la bibliographie de l'économie politique, spécialement en Angleterre, destiné à rem- placer l'imparfaite Littérature de Mac Culloch, l'érudit James Bonar a commenté les doctrines de la nouvellcj école autrichienne sur la valeur, publié un important

364 l'économie politique

travail biographique et critique sur Malthus, édité des lettres de Malthus : Gonner a commenté avec talent Ricardo, et Smart a traduit le Capital de BOhm Rawork. Les monographies historico-littéraires de H. Higgs, et celles de D. G. Ritchie, dans le Dictiomiaire de Pal- grave, méritent aussi d'être mentionnées.

Dans la sphère plus élevée des investigations* écono- miques par la méthode mathématique, appliquée égale- ment aux études statistiques (poursuivies avec succès par Rawson, Mouat. Hendriks, Inglis Palgrave, Xews- holme, Wynnard Hooper, etc.;, il faut faire une place à part pour F. Y. Edgeworth, l'illustre successeur de Rogers à la chaire d'Oxford. Il faut citer aussi A\'ick- steed, qui a exposé, d'une façon claire et élégante, les théories de la valeur de .levons. Bonar a fort bien montré le lien qu'il y a entre les théories économiques et les théories philosophiques.

F. G. Edgeworth, Maihemaiical Psijchics, 1885. Ph. H. Wicksteed, The alphabet of économie science. Part. 1, 1888. J. Bonar, Philosophy and polilicai econoiiuj, etc. 1893.

Mais la première place parmi les économistes anglais contemporains appartient sans conteste au professeur Alfred Marshall, qui a .succédé, en 1885, à Fawcett à l'Université de Cambridge. Par son enseignement et par ses travaux, il a donné des preuves éclatantes de son esprit pénétrant, de ses connaissances variées et approfondies, de ses idées larges et exactes sur la mé- thode, de son appréciation exacte des théories de l'école classique, qu'il continue dans le sens de Smith, en combinant, mais avec plus de modération, l'usage des mathématiques, comme Jevons, aux recherches histo- riques, comme Rogers et Cliffe Leslie, et à l'induction statistique, comme Giffen, parce que comme il Ta si-

EN ANGLETERRE 365

gnaK'", les faits bruts sont muets et ne dispensent pas de^^ déductions théoriques. Il a particulièrement étudié fa théorie de la valeur, sur laquelle il a écrit d'intéres- sants mémoires analytiques, non publiés. Ce n'est qu'en 1879 qu'il s'est décidé à résumer le résultat de ses études dans un livre élémentaire, mais très remarquable, écrit en collaboration avec sa femme, Maria Paley, qui a remplacé, presque complètement, l'autre précis clas- sique, plus facile mais moins profond, rédigé par Mis- tress M. G. Fawcett [PolUical economy for beyinners, 1870) d'après le Manuel de son mari. Après avoir exposé ses idées sur les caractères et la méthode de la science dans sa leçon d'ouverture du 24 février 1885 [Tlie présent position of économies), il a publié, l'année suivante, le premier volume de son œuvre principale. On a également de lui quelques monogra- phies, parmi lesquelles il nous suffira de citer la der- nière, très importante, sur le sujet si controversé main- tenant de la concurrence {Some aspects of compéti- tion, 189U).

Alfr. Marshal], l'he économies of industry. London, 1879. - 2" édit. 1882. Principles of économies. Vol. T, 1890- 2" édil., 1891. (Cfr. l'article de N. G. Pierson dans la revue De Economiste mars 1891. pp. 177-207, et celui de A. Wagner, dans le Quarlerly Journal of Economies. Boston, avril 1891).

Le but que Marshall se propose dans ses Principes esta peu près le môme que celui de Stuart Mill. Il u exposé les théories de l'école classique, revues et corri- C-ées d'après les derniers progrès de la recherche scien- ti tique, et enrichies d'applications correspondant aux conditions et aux: besoins actuels. Il serait inopportun de vouloir juger, avant l'achèvement de Tœuvre, si Marshall a, ou n'a pas, pleinement atteint son but.

366 l'économie politique

Il est cependant certain que le livre de l'illustre pro- fesseur de Cambridge, supérieur, à certains points de yne, à celui de Mill par la richesse des détails, la pleine connaissance de l'état actuel de la science, pourra diffi- cilement le remplacer comme œuvre didactique, parce que la forme de l'exposition et la subtilité des recherches le rendent accessible à un plus petit nombre de lec- teurs, et parce que l'ordre qu'il suit, excellent pour la recherche, Test moins pour la communication des ré- sultats. Ce n'est pas cependant un défaut pour une ceuvrc qui est en grande partie originale, bien que l'auteur déclare modestement qu'il veut présenter seu- lement a modem version of old doctrines. La vérité est qu'il expose, d'une façon magistrale, les doctrines reçues, qu'il les corrige, qu'il en limite, quand cela est nécessaire, les applications, et qu'il continue les recher- ches de ses prédécesseurs, souvent interro^npucs au moment croissait avec la difficulté l'intérêt pratique de solutions plus concrètes. Marshall a mis à profit les travaux antérieurs, mais il n'est pas tombé dans les mêmes erreurs. Il apprend, par exemple, de Cournot à apprécier le principe de la continuité dans les phéno- mènes économiques, sans accepter ses déductions erro- nées sur le commerce international ; il adopte la théorie de Walker sur les salaires, mais sur beaucoup de points il la corrige ; il analyse les effets du principe de l'inté- rêt personnel, mais il ne néglige pas les modifications qu'il subit en pratique sous l'influence du sentiment moral ; il admet et il explique la loi des revenus décrois- sants dans la production territoriale, mais il ne se borne pas à de simples considérations générales, il descend dans l'examen des effets qu'elle produit sur les différents .systèmes et sur les différentes formes de culture et sur les autres emplois du sol. Il éclaircit, en particulier, la loi de la valeur en montrant qu'elle est la résultante do

EN ANGLETERRE 3G7

phénomènes qui doivent être étudiés séparément, et par rapporta l'offre, qu'il identifie avec la production, étu- diée par lui avec beaucoup de soin et de notables pro- grès sur Hearn (le meilleur spécialiste sur ce sujetl, et par rapport à la demande, c'est-à-dire aux conditions <lu marché, dont il donne une analyse qui ajoute à l'ana- lyse déjà si remarquable de .levons. Il emprunte à celui- ci la théorie du degré final d'utilité, ou, comme il préfère s'exprimer, de l'utilité marginale, mais il s'empresse de démontrer qu'elle éclaire et qu'elle complète en partie mais qu'elle ne remplace pas celle du coût de produc- tion. Au sujet de la valeur, Marshall, dépassant les limi- tes des recherches de Mill, démontre que l'échange des produits avec les servicesproductifs (distribution) est gou- verné par la même loi que l'échange des produits avec les produits (circulation). L'idée de la continuité des phénomènes économiques a diminué pour l'auteur l'in- térêt des bonnes définitions ; il n'y a point donné le soin qu'elles réclament (livre second) et c'est pour cela peut-être qu'il n'a pas réussi à se débarrasser de cer taines erreurs traditionnelles chez les économistes anglais, et notamment il considère comme capital les provisions nécessaires à l'entretien des ouvriers et de leur famille, et il commet cette erreur plus grave encore de comprendre dans les dépenses de production non seulement le remplacement du capital et la com- pensation des efforts, des sacrifices et des risques inhé- rents à la production même, mais aussi le revenu de la classe ouvrière, confondant ainsi le point de vue de l'en- trepreneur, qui est celui de l'économie privée, avec celui de la société, qui est propre à l'économie politique. Marshall a le mérite d'avoir ajouté à la loi des revenus décroissants une loi des revenus croissants [law of increasing return), non remarquée par Ricardo, pnr Malthus et par Stuart Mill, qui se vérifie dans les cas

368 l'économie politique

l'augmentation de la demande provoque une intensité plus grande dans les systèmes de production, qui rend possible une plus large division du travail et conduit (ce qui semble à première vue paradoxal) à une diminu- tion du coût et du prix. Mais Marshall exagère beau- coup, comme le remarque finement Pierson, le champ d'application de cette loi, et il en tire des conséquences très optimistes en matière d'augmentation de la popu- lation, lorsqu'il affirme que la loi des revenus croissants est toujours applicable à l'augmentation de capital et de travail dans la production, tandis que ia nature reste soumise à l'influence de la loi des revenus décroissants. L'optimisme de Marshall n'a d'ailleurs rien de commun ni avec celui des physiocrates, ni avec celui de Bastiat. Ses vues sur la question ouvrière, sur la diversité des causes qui règlent la demande de tra\ail et la demande de produits, et sur les conditions et les limites de l'inter- vention de l'Etat pour protéger les intérêts des cla.sses moins aisées, sont, à tous les points de vue. recomman- dables et également éloignées des exagérations du so- cialisme et de celles de 1 individualisme. Ce n est certes pas chez Mill, Cairnes, .levons et Marshall qu'on retrouve les caractéristiques de convention de l'école de Man- chester, souvent supposées, pour des besoins de la polé- mique, là elles n^existent pas.

Un seul écrivain, éminent à beaucoup d'égards mais excentrique souvent, Spencer, représente en Angle- terre les théories des individualistes doctrinaires : mitis il ne faut pas oui)licr que Spencer The man versus the state, ISSôi appuie sa protestation ffo.v clnmaiitis in déserta dit spirituellement Cohn sur des arguments que le plus grand nombre des libéraux ab.solus ne voudraient certes pas s'approprier, notamment sur un argument donné dans sa Social statics (1850), avant Darwin par conséquent, exprimant la crainte que

EN ANGLETERRE 369

l'intervention de l'Etat en faveur des faibles ne trouble la loi du progrès qui veut le triomphe des plus habiles, c'est-à-dire des plus forts ! Il faut ajouter qu'un illustre savant naturaliste, Huxley, a répondu à Spencer ; il a rectifié l'idée de la lutte pour l'existence et noblement protesté contre la barbare application littérale qui en est faite aux phénomènes sociaux {The Nineteenth Century, Février 1888).

L'université de Cambridge compte encore parmi ses professeurs un éminent philosophe, Henri Sidgwick. 11 est l'auteur d'une critique très appréciée des différents systèmes de morale {The methods of ethics, 187'i.- 4*édit., 1890)et d'un traité d'économie politique, précédé d'une belle introduction qui contient des observations très fines sur les méthodes ; les deux premiers livres sont consacrés à la science et le dernier à Tart. La valeur des deux parties de l'œuvre de Sidgwick, insuffisam- ment appréciée par Ingram et par Gohn, est en vérité un peu différente. La première partie contient un exposé, souvent abstrus, de l'économie théorique ; l'au- teur y soumet à des critiques, dont l'importance n'égale pas toujours la subtilité, les théories communément acceptées. Ainsi, par exemple, ses chapitres sur la valeur et les échanges internationaux sont obscurs, et l'idée qu'il se fait de la richesse et en particulier de la monnaie, qu'il étend aux titres de banque, est trop large ; il a fait quelques observations ingénieuses sur les monopoles et consacré un bon chapitre aux variations temporaires et locales de la répartition ; il a distingué avec raison, mais cela n'a pas grande importance, la coutume de l'habitude. La partie la meilleure du traité de Sidgwick est celie qui concerne l'économie appliquée (III* livre). Il examine, au point de vue moral et juri- dique, avec une grande hauteur de vues, une méthode rigoureuse et une sereine impartialité, les questions

24

370 l'économie politique

d'intervention de l'Etat dans la production et dans la distribution des richesses. On y trouve une critique impartiale du communisme et du socialisme contempo- rain et un bon chapitre sur les rapports de l'économie et de la morale. Sidgwick a repris ces sujets dans le savant ouvrage qu'il a récemment publié sur la théorie de la politique; il a répété, abrégé ou corrigé ce qu'il avait écrit antérieurement sur ce sujet.

H. Sidgwick, The principles of poUtical economy. London, 1883. -2« édit., 1887. The éléments of poliiics, 1891.

Les récents progrès de l'économie politique ont trouvé des vulgarisateurs habiles qui ont assumé la tâche dif- ficile et ingrate d'en exposer les principaux résultats dans des œuvres élémentaires. C'est ce qu'ont fait E.Cannan [Elementary poUtlcal ecoûom.y, 1888), J. E. Symes(A short text-hooli of polituzal ecoiomy, 1888), et E. C. K. donner [PoUtical economy, 1888).

Les deux jeunes professeurs, Joseph Shield Nichol- son, de l'Université d'Edimbourg, et François Bastable, do l'Université de Dublin, collaborateurs de la neuvième édition de V Encyclopaedia Britannica, ont publié, en dehors des ouvrages déjà cités, quelques monographies qui montrent leurs aptitudes scientifiques et, en parti- culier, la bonté de la méthode, la sûreté de la doctrine et la netteté de leur style. Bastable est spécialement connu par la révision soignée qu'il a faite de la théorie des changes internationaux et par sa savante Science des finances ; Nicholson, par ses études sur l'influence des machines sur les salaires, par un élé- gant petit ouvrage sur la question agraire, remar- quable par ses sagaces observations sur les limites d'application de la théorie de la rente, et enfin par un

EN ANGLETERRE 371

grand traité d'économie, riche de développements his- toriques.

G. F. Bastable, The iheory of international trade. Dublin, 1887. Public finance, 1892.

J. S. Nicholson, The effects of machiner y on wages. Cambridge, 1878.-2* édit., 1892. TenanVs gain not landlord's loss, Edinburgh, 1883. Principles of'political economy, 1893-94. Deux volumes.

Ce que nous avons dit suffît à démontrer que, dans ces dernières années, les économistes anglais ont donné de nouvelles preuves de leur valeur théorique, de leur exquis sens pratique, et de leur sage aversion pour les questions purement verbales, et qu'ils ont également cessé de ne pas tenir compte, selon la tra- dition, des ouvrages étrangers ; par l'étude des meil- leurs auteurs étrangers, ils ont élargi leur horizon, par des recherches historiques et statistiques, ils se sont habitués au maniement des méthodes les plus propres aux diverses parties de l'économie, et ils ont montré que, pour les écrivains vraiment originaux, la diversité des opinions est plus apparente que réelle, comme cela résulte de la méthodologie de Keynes.

Pour prouver que les Anglais, non seulement con- servent mais accroissent l'ancienne renommée de leur primauté économique, nous rapjjellerons que, dans l'année 1891, de laborieux savants ont commencé la publication de deux revues spéciales et d'un excellent dictionnaire. Les revues générales déjà citées ne suffi- saient plus, et il fallait un autre Dictionnaire à côté de celui de Macleod (Vol. I, London, 1863), resté inachevé et consacré presque exclusivement aux questions de crédit, que ce savant et ingénieux auteur, comme on le .^ait, a traitées dans de volumineux ouvrages et résu-

372

L ÉCONOMIE POLITIQUE EN ANGLETERRE

mées dans son Economies for beginners, 1878.-2" édit., 1880.

The Economie Review, 1891. The Economie Journal ^Dirigé par Edgeworth), 1891. R. H. Inglis Pal- grave, Diclionary of poUtical economy, 1891 et suiv.

CHAPITRE X L'ÉCONOMIE POLITIQUE EN FRANCE

La France peut, même dans ce siècle, se glorifier d'avoir eu dans Sismondi, Cournot, Dupuit, Dunoyer, Bastiat, Chevalier, Cherbuliez, Le Play, Courcelle-Se- neuil, d'illustres représentants de tous les courants théoriques et pratiques de l'économie politique. Elle a encore en De Parieu, Block, Levasseur, Léon Say, Le- roy-Beaulieu, de Molinari, Frédéric Passy, de Foville, Gide, Périn, Brants, Cheysson, Jannet, des écono- mistes dignes, à plus d'un titre, d'être pris en grande considération. Cependant on ne peut pas nier que l'éco- nomie politique, particulièrement la science pure, qui a toujours été impopulaire en France et tenue tout au plus pour une « littérature ennuyeuse », n'a plus depuis longtemps l'estime des savants, et qu'elle se trouve dans des conditions peu favorables, si on la compare à la position élevée qu'elle conserve en Angleterre et même aux progrès qu'elle a faits en Allemagne^ et qu'elle fait en Autriche, en Italie et aux Etats-Unis.

Plusieurs causes ont contribué à cette décadence intellectuelle, et, en premier lieu, le petit nombre de chaires d'économie politique. Elle n'est enseignée, en effet, que dans quelques écoles spéciales, au Conserva- toire des Arts-et-Métiers, à l'école des Ponts-et-Chaus- sées, et plus récemment à l'école des hautes- études commerciales, à l'école libre des sciences politiques, ou, comme matière de pur luxe, dans un établissement

374 l'économie politique

comme le Collège de France qui ne confère pas de grades académiques et n'a pas d'auditoire régulier et constant, mais où, cependant, ont professé des hommes de grand mérite, comme Say, Rossi, Chevalier, Bau- drillart, actuellement Levasseur et Leroy- Beaulieu. Ce n'est que tout dernièrement que l'économie est deve- nue une matière, d'abord libre, puis obligatoire, dans les Facultés de droit (et même dans les Instituts profes- sionnels) et qu'elle a été l'occasion de la publication de cours et de résumés par Batbie, Cauwès, Beauregard, professeurs à la Faculté de droit de Paris, Alfred Jour- dan, professeur à Aix et à Marseille, et par Villey, Rozy, Worms, Rambaud, etc.

A. Batbie, Nouveau cours d'économie politique. Paris, 1866. 2 vol. P. Cauwès, Cours d'économie poli- tique, 3« édit., 1892-1893, 4 vol. P. Beauregard, Eléments tC économie politique, 1890. A. Jourdan, Cours analytique d' économie politique, 1885. -2« édit., 1893. J. Rambaud, Traité élémentaire et rai- sonné d'économie politique, 1892.

Le progrès et la diffusion de l'économie ont été égale- ment empêchés par la guerre que lui firent d'une façon continue les industriels protectionnistes, appuyés par l'opinion publique, les sphères gouvernementales et les majorités des assemblées délibérantes, et même par beaucoup d^écrivains, dont quelques-uns sont des hom- mes de valeur comme Cauwès, Gouraud {Essai sur la liberté du commerce, 1854), Richelot, traducteur de List et admirateur de Macleod {Une Révolution en éco- nomie politique), Dumesnil-Marigny (Les libre-échan- gistes et les protectionistes conciliés, 1860), etc. Les libre-échangistes français, il faut bien le dire, s'appuient sur des arguments trop génériques et ils n'ont aucun .souci des précédents historiques et des conditions locales,

EN FRANCE 6 lu

dont tiennent justement compte leurs principaux adver- saires.

Mais la cause principale de la décadence des études économiques, dont se plaint éloquemment Léon Say {Le socialisme d'état, 1884, p. 208), est dans le dé- bordement des doctrines socialistes, qui trouvent un accueil facile auprès de la classe ouvrière et un terrain tout préparé par les tendances usurpatrices de la bureaucratie ; l'opposition qu'elles rencontrent dans l'individualisme extrême et dans l'optimisme intransi- geant de l'école officielle, qui oppose des erreurs théo- riques aux propositions inconsidérées de ses adversaires, ne suffît pas à en empêcher la diffusion. Et, en effet, l'école française s'est éloignée, sauf de rares exceptions, de l'école anglaise, et elle a sacrifié la science à l'art ; elle a repoussé les théories de Malthus et de Ricardo qui, en Angleterre, avaient été corrigées et mieux for- mulées, et considéré le « laissez-faire » comme un dogme rationnel et non pas, ce qu'il est réellement, comme une règle d'art ; elle a fait de la science la gar- dienne intéressée de l'organisation économique exis- tante, et s'est opposée non seulement à l'ingérence bienfaisante ou dangereuse de l'Etat, mais même aux plus légitimes manifestations de la liberté, lorsque celle-ci, par la formation de groupes sociaux spontanés et autonomes, vient en aide à la faiblesse de l'ouvrier isolé et sans ressources devant la force débordante de l'entrepreneur capitaliste. L'exclusivisme de cette école, maîtresse du. Journal des économistes {[8 'i^), dirigé par de Molinari, de l'Economiste français, dirigé par Leroy-Beaulieu (1873), et du M onde économique, dirigé par Beauregard (1881), largement dotée grâce aux abondantes ressources que l'Académie des sciences morales et politiques peut consacrer aux prix qu'elle distribue (les sujets étant toujours traités d'après les

376 l'économie politique

opinions bien connues des juges), et soutenue aussi par les réunions mensueltes de la Société d'économie politiciue et par les publications de la maison Guil- laumin, a éié décrit par le meilleur des économistes dissidents , Gide , avec des couleurs peut-être trop vives (comme le remarque le professeur hollandais D'Aulnis), mais ne s'éloignant pas, en somme, de la vérité. Nous trouvons donc en France ce type d'éco- nomiste orthodoxe^ dont Técole aujourd'hui domi- nante en Allemagne nous esquisse continuellement les traits, en les appliquant à tort aux écrivains anglais et en oubliant qu'elle est elle-même d'un exclusivisme non moindre, mais dans une autre direction.

A. de Foville, The économie movement in France (in Quartcrly Journal of Economies. Boston, janvier 1890, pag. 222-232). Ch. Gide, The économie schools, etc., in France (in Poliiieal Science Quar- tcrly. New-York, 1890. Vol. V, pag. 603-635).

^" 1. l'école classique

Les remarques précédentes sur la tendance générale des recherches économiques ne sont pas contredites par ce fait que nous trouvons en France quelques écono- mistes d'un rare mérite, qui ont suivi complètement ou ne se sont que peu écartés des doctrines et de la méthode des économistes anglais ; ils constituent une minorité notable, mais rien de plus. A cette minorité appartien- nent Pellegrino Rossi , Michel Chevalier, Antoine Elisée Cherbuliez, Joseph Garnier, et, en partie seu- lement, Courcelle-Seneuil et Block ; trois de ces auteurs seulement sont Français de naissance.

Pellegrino Rossi, à Carrara en 1787 et assassiné à Rome en 1848, se fît connaître, pendant son exil en

EN FRANCE 377

Suisse, comme criminaliste ; appelé en France en 1833, il succéda à Say dan« la chaire d'économie politique, qu'il occupa très brillamment, pour entrer quelques années plus tard dans la carrière diplomatique. Rossi contribua, par ses leçons, publiées en grande partie après sa mort, à faire connaître les doctrines de Malthus et de Ricardo, qu'il exposa avec beaucoup de compétence et de clarté, mais avec peu d'originalité ; il a cependant mis en lumière l'importance de la valeur d'usage, que les anglais avaient un peu négligée, et la distinction entre la science et l'art, qu'il avait empruntée à Senior. Michel Chevalier (1806-1879) lui succéda dans sa chaire en 1840. Ancien Saint-Simonien, directeur du Globe, ingénieur de mérite, brillant écrivain, très habile dans le maniement des chiffres, il suivit une direction différente de Rossi, parce qu'il s'occupa beaucoup plus de l'économie appliquée , que des théorèmes de l'économie rationnelle ; il a étudié dans son cours les moyens de transport, et, en particu- lier, les chemins de fer (vol. I et II), dont il a été le promoteur très zélé, et mieux encore la monnaie. Il a d'ailleurs consacré à ce dernier sujet d'autres mono- graphies ; il avait soutenu contre Léon Faucher que la baisse de la valeur de l'or, provenant de la décou- verte des mines de la Californie et des placers de l'Australie, aurait des conséquences beaucoup plus graves que celles qui ont eu lieu en réalité (De la haïsse probable de l'or, 1858). Partisan ardent du libre échange, il le défendit dans son Examen du système commercial connu sous le nom de système protec- teur (2^ édit., 1853), et il fut, avec Cobden, le négocia- teur heureux du traité de commerce de 1860. Il a parlé impartialement en 1848 des questions ouvrières, tout en attaquant, dans le Joii7'?2ai des Débats, le socialisme par ses Lettres sur l'organisation du travail ; il soutint

378 l'économie politique

contre son émule Louis Wolowski (1810-1876), d'origine polonaise, beau-frère de Faucher, et vaillant défenseur du bimétallisme [L'or et Vargent, 1870) et de l'unité d'émission (La question des banques, 1864), l'étalon unique d'or, avec De Parieu et avec Levasseur (La question de L'or, 1858); il défendit également les théories bancaires de l'école de Tooke et de Fullarton. Partisan des expositions internationales, il a essayé de créer, mais sans résultats notables, à l'occasion de celle de Londres de :!862, une agitation contre les brevets d'invention ; plus tard il a résumé ses arguments dans un opuscule intitulé Les brevets d'invention (1878). lia écrit pour l'exposition de 1867 une classique introduction aux rapports des jurys, et, presque en même temps, un mémoire contre l'octroi {L'industrie et Voctroi de Paris, 1867).

P. Rossi, Cours iVéconomie politique. Vol. I-II. Paris, 1840-41. Vol. III-IV {-posthumes) 1851-54. Mé- langes d'économie politique, 1857. 2 vol. Œuvres complètes, 1865 et suiv. Dix volumes. Cfr. L. Reybaud, Economistes modernes, 1862, pp. 371-439.

M. Chevalier, Cours d'économie politique. Vol. I-IIÏ. 1842-1850. 3 vol. - édit., 1855-1866. V. l'ar- ticle de P. Leroy-Beaulieu dans le Nouveau Dic- tionnaire d'économie politique. Vol. I, 1890, pp. 410- 416.

C'est sous l'influence presque exclusive de Say, de Rossi et de Chevalier que Joseph Garnier (1813- 1881) a écrit en 1845 ses Éléments d'économie poli- tique. Il est un des fondateurs, et . il a été pendant longtemps le rédacteur en chef du Journal des Econo- mistes, de VJinnuaire de V économie politique \ il est l'auteur de très nombreux travaux, énumérés avec soin par Lippert. Dans les éditions ultérieures et sous le nou- veau titre de Traité, les « Éléments» de Garnier, aux-

EN FRANGE 379

quels se joignirent d'autres volumes complémentaires sur les finances et sur la population, devinrent un réper- toire très érudit, mais peu profond, des études économi- ques, que l'on peut mettre en parallèle avec le Diction- naire d'économie politique {[Sbi-iSo^, '2 \o\.), édité par Guillaumin et dirigé par Charles Coquelin [m. 1853), l'auteur du brillant ouvrage Du crédit et des banques (18 '18, -3^édit., 1875), avec la collaboration d'un grand nombre de spécialistes, dictionnaire qui a été pendant longtemps un modèle incomparable d'encyclopédie éco- nomique.

Jos. Garnier, Traité d'économie politique , 1860. -9<= édit., 1889. Du Principe dépopulation, 1857.-2^ édit., 1885. Notes et petits traités, 1858.-2« édit., 1865. Eléments de finances, 1862. Puis sous le titre de Traité, édit., 1882. Cfr. J. .T. Garnier, Bio- graphie de l'économiste Jos. Garnier. Turin, 1881, et l'article de Lippert dans le Handworferhuch der Staatswissenschaften. Vol. III. Jena, 1891, pp. 699-702.

Le plus illustre parmi ceux qui ont étudié la science pure, fidèle aux doctrines de l'école cla.ssique, a été le genevois Antoine Elisée Cherbuliez (1797-1869), pro- fesseur de droit à Genève en 1833, d'économie en 1835, puis membre du Grand Conseil jusqu'ert 1848. Il émi- gra en France et y resta jusqu'au coup d'État ; revenu dans sa patrie, il fut professeur en 1853 à l'Académie de Lausanne, puis, dans les dernières années de sa vie, au Politechnicon de Zurich. Républicain conservateur, il est l'auteur de deux ouvrages politiques célèbres; il a écrit plusieurs articles dans la Bibliothèque univer- selle, dans le Journal des Economistes et dans le Dic- tionnaire de Coquelin, sur des questions théoriques et contre le socialisme, une monographie sur les causes de la misère, dans laquelle il défend chaleureusement le

380 l'économie politique

patronage, et enfin un traité d'économie qui présente beaucoup de points de contact avec les Principes de Mill, auxquels il est supérieur, sous certains rapports, pour la cohérence des principes, pour la distinction rigoureuse des vérités de la science et des règles de l'art, pour l'harmonie des différentes parties et pour la connaissance plus large de la littérature économique. Il faut remarquer, comme signe des temps, que le nom de Cherbuliez et celui de Cournot ne figurent pas dans \q Nouveau dictionnaire d'économie j^olitique dirigé par L. Say et Joseph Chailley (Paris, 18!i0-i892, 2 vol.), et que le traité de Cherbuliez, que nous avons signalé en 1876 comme le meilleur de tous ceux qui ont été écrits en français, n'a eu qu'une seule édition et n'a été traduit qu'en italien!

A. E. CherbuHez, Théorie des garanties conslituiion- nelles. Paris, 1838, 2 vol. De la démocratie en Suisse, 1843. 2 vol. Simples notions de l'ordre social, 1848.-2» édit., 1884. Etudes sur les causes de la misère, 1853. Précis de lu science écono- mique et de ses principales applications. Paris, 1862. 2 vol. Cfr. E. Rambert, A. E. Cherbuliez [Bi- bliothèque universelle. Genève, 1870. Tomes 38 et 39).

Parmi les économistes qui forment pour ainsi dire le passage entre l'école classique et celle des optimistes, il faut signaler, pour leur talent et leur merveilleuse acti- vité scientifique, Courcelle-Seneuil et Block. Léon Say jouit également d'une grande autorité, et parce qu'il porte dignement un nom illustre, et parce qu'il a dirigé avec habileté et prudence une des plus ardues opéra- tions de change de notre temps, le payement de l'in- demnité de cinq milliards, et aussi parce qu'il est l'au- teur d'ouvrages modérés dans le fond et élégants dans la forme. Il a traduit la Théorie des changes étrangers

, EN FRANGE 38 J

de Goschen (2* édit. franc. 1875); nous mentionnerons uniquement, en dehors de son volume déjà cité sur le Socialisme cV Etat, Les solutions démocratiques de la question des impôts (1866) et le grandiose Dic- tionnaire des finances (1887 et suiv.), dont il dirige la publication.

Jean Gustave Courcelîe-Seneuil (1813-1892 , négo- ciant, journaliste, professeur d'économie à Santiago (Chili), de 1853 à 1863, conseiller d'Etat en 1879, a écrit de nombreux ouvragés de philosophie, de droit, de politique, de comptabilité, de mérite divers, mais il s'est occupé plus spécialement d'économie industrielle et d'économie politique, et en particulier des banques et du socialisme. Il a traduit avec Dussard les Principes de Stuart Mill, et publié, en suivant en grande partie cet ouvrage, un traité qui est digne de beaucoup d'élo- ges par la bonté de sa méthode, la distinction suffisam- ment exacte entre la science et l'art, le parallèle très soigné entre les deux systèmes économiques de la con- currence et de l'autorité, par ses comparaisons entre les institutions juridiques et les phénomènes économi- ques, et pour quelques développements intéressants sur l'émigration et les colonies, considérées spécialement dans leurs relations avec les conditions des sociétés hispano-américaines.

J. G. Courcelle-Seneuil, Traité théorique et pratique des opérations de banque. 1853. - 6"^ édit., 1876. La banque libre, 1867. Liberté et socialisme, 1868. Traité théorique et pratique d'économie politique, 1858-1859.2 vol. -3"= édit., 1891.— Traité sommaire d'économie politique, 1865.

Maurice Block (né en 1816 de parents allemands) est l'auteur de nombreux ouvrages de statistique thi'orique et appliquée, directeur du Dictionnaire général de la

382 l'économie politique

politique (1862-64), du Dictioîinaire de Vacbninistra- tion française (1855-1 856,- 3'' édit., 1891), collaborateur d'un grand nombre de revues, même de revues alle- mandes et anglaises ; familier avec presque toutes les langues de l'Europe et la littérature économique uni- verselle, dont il fait des compte-rendus, depuis plus de quarante ans, dans le Journal des Economistes^ avec beaucoup de soin et avec beaucoup de brio, il a ainsi préparé les matériaux qui lui ont servi pour son œuvre bistorico-critique sur les Progrès de la science écono- mique depuis Smith, dans laquelle il a eu de multiples occasions de critiquer l'école allemande moderne et de faire l'éloge de Técole autricliienne.

M. Block. Les progrès df la science économique depuis Ad. 5OT///*.Paris,1890; -'inédit., 1897.2 vol. Pe/<7 manuel d' économie poli liq ne , 1873. -8<= édil., 1880. Les théoriciens du socialisme en Allemagne, 1873.

,^ 2. LES OPTIMISTES.

Bien qu'elle ne soit pas en contradiction ouverte avec les auteurs indiqués ci-dessus, la nombreuse pbalange des écrivains qui suit les idées défendues dans l'ensei- gnement, dans les académies, et dans les principales revues, professe d'une façon plus marquée les tbéories de l'optimisme en matière d'économie sociale, celles de l'individualisme à l'égard de la politique économique, et celles du quiétisme au sujet delà question ouvrière. Elle a son précurseur dans Dunoyer, son chef dans Bas- tiat, et elle compte, parmi les auteurs vivants, un parti- san brillant et batailleur dans De Molinari, et un repré- sentant savant, judicieux et modéré dans P. Leroy- Beaulieu ; il faut mentionner encore Levasseur. Fré- déric Passy et un petit nombre d'autres économistes.

EN FRANCE 383

Charles Dunoyer (1786-1862), journaliste courai^reux pendant la Restauration, préfet et plus tard conseiller d'État sous Louis-Philippe, estundisciplefîdèle, mais un interprète quelquefois inexact de la théorie de Malthus. Il commença en 1825 et il termina en 1830, sous le titre de Nouveau traité d'économie sociale, une œuvre dont les exemplaires ont été détruits par un incendie, qu'il a refaite pour la troisième fois, avec de plus grands développements, en 1845, et dont il a résumé les principes fondamentaux dans l'article Pro- duction inséré dans le Dictionnaire de Coquelin (vol. IL pp. 439-450). Dunoyer s'est occupé avec beau- coup d'originalité de la liberté économique, non seule- ment dans ses applications les plus variées, mais aussi dans ses relations avec tous les autres facteurs du pro- grès économique, intellectuel et moral. Sa classifica- tion des industries, acceptée par beaucoup d'écono- mistes, et sa théorie des industries personnelles, dans laquelle il a résumé toute la théorie des produits imma- tériels, déjà exposée en partie par Say et par Storch, a servi, plutôt par les polémiques auxquelles elle a donné lieu que par son contenu positif, à rectifier quelques points de la théorie de la production. Dunoyer a été moins heureux avec sa conception du travail comme unique facteur productif, et avec sa théorie du concours gratuit des éléments naturels, qui l'ont amené à nier la rente territoriale, devançant ainsi les théories soute- nues par Carey en Amérique et plus tard par Bastiat, (jui s'est reconnu plus ou moins explicitement leur élève.

Ch. Dunoyer, De la liberté du travail, 1845. 3 vol. Notices d'économie sociale, 1870. Œinres, 1885- 1886. 4 vol. Cfr. F. Ferrara, dans le vol. VII, série 2'' de la Biblioleca deW economista. Tarin, 1859. pp. v-XLix. ,

384 l'économie politique

Frédéric Bastiat est à Bayoïine en 1801 ; pro- priétaire foncier à Mugron, il s'est occupé, dans le silence de son domaine, de littérature, de beaux-arts et d'éco- nomie politique, enlisant les ouvrages de Smith, Say, et en particulier ceux de Charles Comte, de Dunoyer et de Carey. Sa carrière scientifique n'a duré que de 1844 à 1850 ; il est mort de consomption à Rome en 1850. Bastiat a été un philanthrope sincère et un ferme champion de la liberté économique, qu'il a défendue contre les assauts des protectionnistes et, spécialement après 1848, contre ceux des socialistes, notamment dans ses deux célèbres brochures Capital et rente (1849) et Gratuité du crédit (1850), dirigées contre Prou- dhon et Chevé, qui défendaient le crédit gratuit. Ses So- phismes économiques (l845-1847)sont un chef d'œavre de bon sens et de logique ; il y réduit à l'absurde, (par exemple, par la fameuse pétition des marchands de chandelles), les principaux arguments des protec- tionnistes ; il montre que leurs théories, demandant la spoliation en faveur des riches, se rattachent à celles des socialistes qui la demandent à l'avantage des pau- vres {Protectionnisme et communisme, 1849). Sa dé- monstration serait inattaquable, si elle ne ressuscitait la doctrine physiocratique du droit absolu à la liberté des échanges et, partant, la négation des fonctions écono- miques de ÏEtdit {L'Etat, etc. 1847) et s'il n'oubliait pas complètement d'examiner les arguments favorables à la protection temporaire des industries naissantes. Bastiat a traduit les principaux discours deCobden, de Bright, de Fox et des autres chefs de la Ligue de Man- chester, qu'il a publiés en y joignant une magistrale introduction (Cobden et la ligue, ou V agitation anglaise pour la liberté des échanges, 1845). Il a été moins heureux sur le terrain de la science pure, qu'il a étudiée sur la fin de sa vie, dans le but de briser dans

EN FRANGE 385

les mains des socialistes les armes qui leur étaient fournies par les « funestes théories » de Ricardo et de Malthus. Ses idés sur la valeur, la rente, la population (Propriété et spolmtlon, 1848. Harmonies écono- miques, 1850, - 2e édit. 1851) sont déduites de l'idée physiocratique de l'ordre naturel, c'est-à-dire de l'idée préconçue d'une harmonie fatale entre l'intérêt privé, pourvu qu'il soit libre, et l'intérêt public, qu'il identifie avec celui du consommateur, et qui conduit inévitable- ment au progrès indéfini, cest-à-dire à l'augmentation continue du bien-être général et à la diminution gra- duelle des différences entre les diverses classes so- ciales. Les principales bases de son fragile édifice théo- rique sont: l'explication de la valeur comme le rapport de deux services échangés, en prenant par une étrange équivoque (signalée par A. Clément, FerraraetCairnes) le mot service, tantôt comme équivalent de travail effectué, tantôt comme synonyme d'utilité, ou de travail épargné; la théorie (analogue à celle de Dunoyer et de Carey) du concours gratuit de la nature dans la production, et partant la négation de la rente, qui se confond avec l'intérêt du capital employé à préparer et à améliorer la terre ; enfin l'hypothétique loi de la distribution (elle aussi énoncée par Carey), en vertu de laquelle, avec le progrès de l'industrie, la part de produit qui va à l'ouvrier augmente d'une façon absolue et d'une façon relative, tandis que celle qui reste à l'entrepreneur capitaliste augmente bien dans sa quantité totale, mais diminue par rapport au salaire ; enfin ses étranges con- tradictions sur la population, par lesquelles il combat à plusieurs reprises la théorie de Malthus, qu'il accepte dans d'autres parties de son volume sur les Harmonies. Il est évident que la hâte extrême avec laquelle Bastiat a compilé ses Harmonies, l'a empêché de faire l'ana- lyse de certains phénomènes économiques avec la pro-

25

ï.:-*

iaslIiMite

\(m^

»rc

k\i^

EN FUANE

387

il s'est occupé de questions spéiales, comme de la pro- priété, de l'esclavage, du comierce des grains, de la nonnaie, du crédit, des poids emesures, et, sousdiffé- iits points de vue aussi, de l'eBemblc des phénomènes onomiques ; il défend, sur incompétence de l'Etat matière économique, des octrines que des juges I suspects, comme par exon^Ie de Foville, ont juste- :it taxées d'exagération.

G. De Molinari, Cours dconomie polUhiue. Paris, I855-18G3. 2 vol. Omlions cVéconomie politique. Bruxelles, 1861. 2 vol.— L'Evolution économique au XfX° siècle. Paris, S81. Les lois naturelles (le l'économie poliliqiie.^Ol. Précis il'économie politique et de inom/ ■, ]'.)'3.

l^croy-Bcaulieu, ihtM' cur au Collège do

comme son beuu-pce Michel Chevalier,

I tètent en matière slatiiique, a débuté par de

■)nographies sur Vctn intellectuel et moral

fvs (1868), sur la 'iii'-^tlon ouvrière (IST-^,

X?), sur le travail flc-t'emmes (1873j, sur la

/ (1874, . 4" édit. B91), auxquels l'Aca-

sciences morales c politiques a décerné

pendant ses titres cientiliques les plus

le Traité de lu sicnce des finances, le

nçais qui rivaliser ertains points de vue,

; allemands, etses'ois longues études sur

des richesses, .sr le collectioisme, et

'ins de l'FJul. ne partage pas les

(^s de Spencer c de Molinari ; cepen-

rtisan du quiéti^îie économique, qui le

lions imparlait». et quelquefois fausses

»iico-pratiques g grande importance.

.e l'importance pratique de la théorie

rdo et il n'aerpte pas la théorie de

386 l'économie politique

fondeur dont il a donné des preuves dans son opuscule célèbre Ce que Von voit et ce que Von ne voitpas .1850)

Fréd. Bastiat, Œuvres complètes, 2= édiL., 1862-1864 (réimprimées plusieurs fois). 7 vol.

Voiries travaux de De Fontenay, Paillottet, F. Passy, De Foville, etc., mais spécialement l'essai de François Ferrara dans le vol. XII de la Biblio- leca delV Economista (1851), pp. v-glx, et celui de J. E. Cairnes dans la FoitnUjhtly Revieic, Oc- tobre 1860, réimprimé dans ses Essays (1873j.

L influence que Bastiat a exercée par la partie saine de ses œuvres, qui contient la réfutation des sophismes des protectionnistes et des socialistes, comme par la partie évidemment inexacte sur la valeur et la distri- bution des richesses, se manifeste moins dans las ou- vrages de ses élèves que dans la tendance qui se retrouve encore aujourd'hui chez la majorité des éco- nomistes français et chez une notable minorité d'alle- mands et d'italiens. L'influence immédiate de Bastiat se constate chez quelques écrivains, parmi lesquels il suffira de citer Martinelli {Harmonies et perturbations sociales, 1853), Bénard {Les lois économiques, 1862), R. De Fontenay {Du revenu foncier, 1854), qui a écrit plus tard d'autres travaux dans lesquels il montre une grande vigueur de raisonnement et, enfin, Frédéric Passy, l'infatigable champion de la liberté et le promo- teur ingénu et sympathique de la paix universelle {Leçons d'économie politique, 1861. 2 vol. Mélanges économiques, etc.).

Gustave de Molinari est à Liège en 1819 ; il a été directeur de V Economiste belge (1855 à 1868) et depuis 1882 à\i Journal des Economistes ; c'est le champion le plus estimé de l'individualisme ; écrivain fécond, parfois pénétrant, souvent excentrique mais toujours brillant,

EN FRANGE 387

il s'est occupé de questions spéciales, comme de la pro- priété, de l'esclavage, du commerce des grains, de la monnaie, du crédit, des poids et mesures, et, sous diffé- rents points de vue aussi, de l'ensemble des phénomènes économiques ; il défend, sur l'incompétence de l'Etat en matière économique, des doctrines que des juges non suspects, comme par exemple de Foville, ont juste- ment taxées d'exagération,

G. De Molinari, Cours iVéconomie politique. Paris, 1855-1863. 2 vol. Questions cV économie politique. Bru.xelles, 1861. 2 vol. L'Evolution économique au XfX° siècle. Paris, 1881. Les lois naturelles de l'économie politique, 1891. Précis d'économie politique et de morale, 1893.

Paul Leroy-Beaulieu, professeur au Collège de France, comme son beau-père Michel Chevalier, fort compétent en matière statistique, a débuté par de bonnes monographies sur Yétat intellectuel et moral des ouvriers (1868), sur la question ouvrière (1872, 'l" édit. 1882), sur le travail des femmes (1873), sur la colonisation (1874,-4" édit. 1891), auxquels l'Aca- démie des sciences morales et politiques a décerné des prix. Cependant ses titres scientifiques les plus sérieux sont le Traité de la science des finances, le seul traité français qui rivalise, à certains points de vue, avec les traités allemands, et ses trois longues études sur la répartition des richesses, sur le collectivisme, et sur les fonctions de l'Etat. Il ne partage pas les opinions extrêmes de Spencer et de Molinari ; cepen- dant, c'est un j^artisan du quiétisme économique, qui le conduit à des solutions imparfaites et quelquefois fausses de problèmes théorico-pratiques de grande importance. Par exemple, il nie l'importance pratique de la théorie de la rente de Ricardo et il n'accepte pas la théorie de

388 l'économie politique

Malthus, parce qu'elles sont contraires à sa foi dans l'augmentation incessante du bien-être des classes ouvrières ; il a de nombreux doutes sur la possibilité d'application et sur les avantages de la participation aux bénéfices et de la coopération. Cela ne fait pas qu'il n'ait fourni quelques utiles contributions aux progrès de la science par ses recherches sur le taux de l'intérêt, par ses comparaisons très approfondies entre les entreprises gouvernementales et celles qui sont constituées par les sociétés anonymes, et par beaucoup de bonnes observations sur les dangers de l'ingh^ence économique de l'Etat lorsqu'il se fait le seul défen- seur des faibles ; s'il exagère ces dangers, ses idées sont cependant une digue contre les théories du" socia- lisme d'Etat.

P. Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances. Paris, 1877. 2 vol.-o« édit., 1892. Essai sur la répartition des richesses, ISSl.-S'' édit., 1888. Des causes qui influent sur le taux de l'intérêt (in Mémoires de V Académie des sciences morales et po- litiques. Tome XI, 1885j. Précis d'économie politique, 1888. L'Etat moderne et ses fonctions. 1890. Cfr. l'article de Pierson dans De E'-ono- mist (septembre 1890, pp. 608-615).

Henri Baudrillart (1821-1892), philosophe, journa- liste, suppléant de Chevalier dans la chaire d'économie et prédécesseur de Levasseur dans celle d'histoire de l'économie au Collège de France, s'est occupé spéciale- ment des rapports des phénomènes économiques et des lois de la morale. Parmi ses nombreuses publications il faut signaler, en dehors d'un bon Manuel et d'autres œu- vres déjà citées, sa belle histoire du luxe et ses savants ouvrages sur l'état de l'agriculture française, publiés par les soins de l'Académie des sciences morales et politiques, supérieurs par leur importance à l'enquête

aAI

EN FRANCE 389

sur les conditions des manufactures faite par Louis Reybaud, romancier et économiste (m. 1879), le très célèbre historien des socialistes modernes.

H. Bauclrillart, Manuel d'économie polUiqiœ, 1857.

édit., 1883. Histoire du luxe privé el public.

1878-1880. 4 vol. Les populations agricoles de la

France, 1880-1885. 2 volumes. L. Reybaud, Eludes sur le régime des manufactures.,

1859-1874. 4 vol.

Emile Levasseur (né en 1828) est l'auteur d'excel- lentes monographies, ô.\vi\pvécis préférable à celui de Baudrillart, mais surtout de très savants ouvrages économico-historiques : il a publié un certain nombre d'ouvrages de géographie et de statistique, et on lui doit une œuvre classique sur la population en France.

E. Levasseur, Précis d'économie politique^ 1867.- 4* édil., 1883. Histoire des classes ounrières en France, etc., jusqu'à la Révolution, 1859. His- toire, etc., jusqu'à nos jours, 1867. La population française, etc. 1889-1892. Trois volumes.

§ 3. LES ÉCOLES DISSIDENTES

Ces écoles ont eu et ont encore en France, en Belgi- que et en Suisse, d'illustres représentants, mais toutes n'ont pas un nombre important de disciples. Sis- mondi, Cournot, Auguste Comte, Le Play, Périn, et quelques autres ont laissé, comme économistes ou comme critiques de Téconomie, des traces profondes de leur passage dans le sentier de la science.

On peut considérer comme des dissidents, sinon tous, au moins quelques uns de ceux qui, appliquant la méthode mathématique, sont arrivés à des consé-

390 l'économie politique

quences divergentes de celles de l'école classique et de celles des optimistes. Nous citerons A. Cournot (1801-1877), philosophe et mathématicien, qui a été le premier à se servir de cette méthode avec compétence dans ses Recherches sur les principes de la théorie de la richesse (1838). Cournot s'est occupé de la valeur et de la rente, notamment dans les cas de monopole, et il a étudié l'influence des impôts sur les prix, et il est ainsi arrivé à des résultats parfois imprévus dans la théorie des échanges internationaux. Croyant plus tard que l'usage des mathématiques avait nui à son livre qui, en fait, passa inaperçu pendant plus de 25 ans, il y renonça complètement dans ses Prin- cipes de la théorie des richesses (1863), et, dans le résumé, en grande partie modifié, qu'il publia peu do temps avant sa mort {Revue sommaire de la science économique, 1877). Juvénal Dupuit, inspecteur géné- ral des ponts et chaussées (1804-1866), s'éloigne moins des doctrines courantes. Dans ses mémoires sur les travaux publics il a parlé, lui aussi, de la théorie de la valeur, et il a écrit un volume intéressant sur la liberté commerciale, dans lequel il démontre que les pertur- bations momentanées qu'elle peut amener ne diffèrent pas de celles qui sont l'effet de l'introduction des machines ou de tout autre perfectionnement indus- triel. Parmi ceux qui se sont servi du calcul pour résoudre des questions spéciales nous citerons Fauvcau. Le chef de l'école mathématique est maintenant Léon Walras, professeur à l'Université de Lausanne.

E. J. Dupuit, De la. mesure de VulilUê des travaux publics (in Annales des fonis et chaussées, série. Tome VIII, 1844). De l'influence des péages sur l'ulililé des voies de communication. {Ibidem, 1849^ La liberté commerciale, son principe, ses consé- quences, 1861.

EN FRANGE 391

G. Faaveau, Considérations mathématiques sur la théorie de Vimpôt, 1864! Considérations mathé- malhiques sur la théorie de la valeur (in Journal des Economistes, 1867).

L. Walras, Eléments d'économie politique pure. Lau- sanne et Paris, 1874-1877.-20 édit., 1889. Théo- rie mathématique de la richesse sociale, 1883.

L'école positiviste et en particulier son illustre chef Auguste Comte, un ancien saint simonien (1797-1857), s'est moins occupée de la réforme de l'économie poli- tique que de sa négation comme science particulière des phénomènes économiques, qu'elle considère comme indissolublement unis à ceux de l'ordre intellectuel, moral et politique. C'est à cette démonstration que Comte a consacré notamment le quatrième volume de son Cours de j)hilosophie positive, remarquable d'ail- leurs à plus d'un titre. Sa classification des sciences en physico- mathématiques, biologiques et sociolo- giques, sa détermination des trois stades, théologique, métaphysique et positif, sa distinction de la statique et delà dynamique sociales, ses vues sur la considération du caractère continu des phénomènes de la vie sociale, ont exercé une notable influence non seulement sur Harrison, Geddes, Ingram, mais aussi sur d'illustres économistes qui, comme Mill, Cairnes, Marshall, reconnaissent l'utilité d'une étude séparée des phéno- mènes économiques.

Aug. Comte, Cours de philosophie positive. Paris, 1830- 1842. 6 vol.-4« édit., 1881. Sys'ème de politique positive, 1851-1854. 6 vol. -Nouvelle édition, 1880- 1883.

Littré, Comte et la philosophie positive, 1863. Cairnes, M. Comte and political economy. (In Forinightly Reviens mai 1870, et dans ses Essays, 1873. J. K. Ingram, Uistory of political economy, 1888, pp. 196-200.

392 l'économie politique

D'autres philosophes ont fait des incursions plus ou moins heureuses dans le domaine économique. Am- broise Clément a essayé de combiner, avec peu de succès d'ailleurs, l'économie avec la morale et la politique [Essai sur la, science sociale, 1868. 2 vol.) ; Secrétan, professeur à Lausanne, annonce la fin du salariat; Renouvier admet le droit au travail ; Fouillée, dans son livre La propriété sociale et la démocratie, critique le caractère trop absolu de la propriété foncière, et enfin E.spinas dans son Histoire des doctrines économiques (1891) fait des observations ingénieuses et intéressantes, mais quelquefois inexactes, sur le caractère des diffé- rentes époques et des divers systèmes, sans cependant faire un examen minutieux et approfondi des théories, notamment de celles des auteurs contemporains.

Des objections plus importantes ont été faites aux optimistes par quelques écrivains de l'économie appli- quée qui, malgré de notables différences dans la ten- dance et dans les détails, sont cependant d'accord pour combattre l'individualisme et le quiétisme de l'école dominante et pour admettre la nécessité d'une réforme sociale. Le précurseur de ce mouvement a été Sis- mondi.

Jean Charles Léonard Sismonde de Sismondi (1773- 1842), illustre historien, littérateur, agronome, a dé- fendu les doctrine."? courantes dans ses premières œuvres (Tableau de l'agriculture toscane. Genève, 1801. De la. richesse commerciale, 1803. 2 vol.). mais il en a fait une critique sévère dans ses Nouveaux principes d'économie poUticiue , Ôû de la richesse dans ses rapports avec la population (Paris, 1819. Deux vol. 2*^ édit. 1827), et aussi dans ses Etudes sur réconomie politique (1837-1838. 2 vol.). Cedernier ouvrage e.st un recueil d'essais sur l'agriculture, l'esclavage^Jes^ma- nufaotures, le commerce, les monnaies et le crédit, les

EN FRANGE 393

colonies, la balance entre la production et la consomma- tion, etc. Il combat quelques unes des doctrines de Smith, de Say et de Ricardo, et oppose à leur cbrématistique, qui s'occupe des richesses en oubliant l'homme qui les produit, la véritable économie politique, qui étudie l'intluence de la production et de la distribution sur le bi^îT-êtreTTialériel du peuple. Frappé de la succession ra- pide des^crises dérivant de l'e-xcès de la production, qui, à son tour, est la conséquence de la division du travail, des machines, de la formation des grandes entreprises et en particulier de la concurrence effrénée, par l'effet de laquelle les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres plus pauvres, Sismondi proclame la néces- .sité de retourner à la petite culture, de restaurer la pe- tite propriété et la petite industrie ; il pense, en outre, que l'entrepreneur doit garantir la subsi.stance des ou- vriers etque l'Etatdoit l'aider dans cette tâche. Sismondi , loin de combattre la liberté du commerce, ou de récla- mer un changement, qu'il croit pernicieux , dans le .système de répartition des produits, s'arrête à la critique négative du régime industriel moderne et il se déclare naïvement incapable d'en proposer un meilleur. Cela suffît à expliquer son influence sur des écrivains qui, tout en acceptant ses prémisses, en ont tiré les consé- quences les plus diverses, c'est-à-dire, et sur les socia- listes et sur les partisans des réformes partielles dans le système actuel de production et de distribution des ri- chesses. Ses théories eurent un savant interprète dans Théodore Fix, allemand d'origine, qui fonda la Revue mensuelle d'économie j^olitique 11833-1836. 5 vol.), qui publia ensuite d'intéressantes Observations sur Vétat des classes ouvrières {] S \(^) : elles ont inspiré de nombreuses enquêtes privées sur lesl^onditions des ouvriers^ et en particulier sur les abus dérivant du travail des enfants, parmi lesquelles nous rappelons

394 l'économie politique

celle du médecin et philanthrope L. R. Villermé [Tableau de l'état physique et moral des ouvriers, 1840. Deux vol.), et les brillants essais de Léon Faucher (m. 1855' intitulés Etudes sur VAngletcj're (Paris, 1845. Deux vol.) ; elles onteu aussi une influence sur les descriptions très exagérées d'Eugène Buret (La misère des classes laborieuses en Angleterre et en France. Paris, 1842. Deux vol.). Ai>x travaux de l'école de Sis- mondi se rattachent, au moins pour partie, ceux de quelques écrivains que Kautz qualifie assez heureuse- ment de demi-socialistes, comme, par exemple, Villiaumé [Nouveau traité d'économie politique, 1857. Deux Yol.) et Auguste Ott, un disciple érudit de Bûchez [L'éco- noniie j^olitique coordonnée au jyoint de vue du pro- grès, 1851 ; récemment réimprimé).

Cfr. sur les doctrines de Sismondi, H. Eisenhart, Gescliichte de)' Naiionalôkonomie. Jena, 1881, pp. 99- 117. et mieux L. Elster, /. Ch. L. S. de Sis- mondi,' in Jahrbûcher fur Naiionalôkonomie. Nou- * velle série, vol. XIV (1887;, pp. 321-382.

Beaucoup plus utile a été l'œuvre de Frédéric Le Play (1806-1882), camarade de Chevalier à l'Ecole po- lyteclmique, inspecteur général des mines , savant organisateur de plusieurs Expositions internationales, en particulier de celle de 1867. Il a fait de nombreux et périlleux voyages et institué, avec une singulière abné- gation, des enquêtes personnelles sur le budget écono- mique et sur les conditions. morales des familles^ ou- vrières choisies par lui comme typiques dans les différents pays et dans les diverses professions. Il a publié les résultats de ces enquêtes dans deux grandes œuvres, continuées par de zélés disciples, qui, dans les dissussions de la Société d'économ.ie sociale de Paris, et par la publication de La Réforme sociale (1881 et suiv.)

EN FRANCE 395

et de la Science sociaie (1876), s'efforcent de répandre les idées du maître. Ennemi de lïndividualisme exagéré, sans combattre cependant la libre concurrence, Le Play veut guérir les plaies sociales par une restauration mo- rale de Tautorité du père dans la famille, et de celle de l'entrepreneur dans l'atelier, sans demander cepen- dant le retour ni aux anciennes corporations, ni au ré- gime patriarcal, auquel il oppose ce qu'il appelle la famille-souche, qu'il voudrait rétablir par la liberté de tester et par l'abolition des dispositions qui prescrivent la division des terres entre les cohéritiers. Il a contribué aux progrès de l'économie pure par ses recherches sur la consommation et les différentes habitudes sociales, étudiées par la méthode monographique, qui peut être un utile complément, mais qui ne peut pas cepen- dant (comme on le dit parfois) se substituer aux obser- vations méthodiques et collectives de la statistique. Parmi ses disciples il faut signaler Daire, Focillon, de Ribbe, Guérin, mais, avant tout, l'éminent ingénieur Emile Cheysson, professeur à l'Ecole des Mines et à riCcole des Sciences politiques, l'organisateur de la sec- tion d'économie sociale à l'Exposition de 1889, et l'au- teur de nombreuses et excellentes monographies éco- nomiques et statistiques, dans lesquelles il discute, avec une rare compétence, les questions de méthode.

F. Le Play, Les ouvriers européens. Paris, 1855. édit., 18T7^'87p. Six volumes. '^^^Zes ouvriers des deux mondes, elc. 1858-1885. f" série. Cinq vôllimésV S^série, 1886-1893. Trois volumes. La réforme sociale en France déduite de l'observa- tion comparée des peuples européens, 1864. Deux volumes (7" édit., 1887. Trois volumes). Son œuvre théorique est résumée dans : L'organim- tionda travail, 1810.-5" édit., 1888, et dans d'autres ouvrages moins étendus.

Cl'r. sur Le Play les appréciations deV. BranLs,

396 l'économie politique

F. Le Play, dans la Revue catholique de Louvain (1882). Ch. de Ribbe, Le Play, d'après sa cor- respondance. Paris, 1884. A. Jannet, V Ecole de Le Play. Genève, J890. H. Higgs,F. Le Play, dans le Quarterly Journal of Economies. (Boston, juillet 1890,1.

Tandis que le Play, qui espérait voir se réaliser la paix. sociale dans tous les pays de confession chrétienne, cite seulement, bien que fervent catholique, les pré- ceptes du Décalogue et ceux de l'Evangile qui en sont le complément, il était bien naturel que naquit une école qui, faisant un appel direct à la doctrine catholique, mettrait en évidence le côté chrétien de l'économie appliquée, et demanderait comme un complément nécessaire de la liberté économique et des associations spontanées d'ouvriers, le patronage des entrepreneurs sous la direction plus ou moins immédiate de l'autorité ecclésiastique. Cette école a son siège principal en Belgique, et spécialement à l'Université catholique de Louvain, qui fait antithèse à l'Université libre de Bruxelles et aux Universités gouvernementales de Liège et de Gand ; elle a aussi actuellement des repré.sentants dans les facultés libres de droit de Paris, de Lyon, de Lille et d'Angers.

Cette école est représentée en Allemagne par le D'" G. Ratzinger (Die VolhsuùrtJLSchaft in ihren slttlichen Gruyullagen, 1881J, en France par Charles Périn. L'œuvre principale de ce dernier, traduite en \ plusieurs langues, est intitulée De la, richesse dans les ' sociétés chrétiennes (Paris, 1861. Deux vol. - 3" édit., 1883); il a également publié Les lois de la société chrétienîie [181^-2" édit., 1876), Le socialisme chré- tien (1878), L'économie politique cVaprès rEncycliciue (1891). Il a aussi écrit une histoire de l'économie moderne, malheureusement quelquefois partiale {Les

EN FRANGE 397

doctrines économiques depuis un siècle, 1880). Périn a eu un digne successeur . à son enseignement dans un esprit égal au sien mais qui lui est supérieur par son érudition historique et par sa connaissance technique des différentes doctrines, VictorJBrants, Excellent pro- fesseur, il a poussé ses élèves aux études qui peuvent tendre à l'amélioration de la condition des ouvriers. Il a_ débuté par un érudit Essai historique sur la condition des classes ~ rurales en~~Bêïgîque (Louvain, 1880), anquéî" se" rattache un bon travail de Vanderkindere. Une fois nommé professeur, Brants a résumé,, dans trois précieux petits volumes, les doctrines de l'école catholique : Lois et méthodes de V économie politique (Louvain, 1883. -S*" édit., 1887.), La lutte pour le pain quotidien (1885.-'îs édit., 1888), La circulation des hommes et des choses (1880.-2^ édit., 1892).

De bons précis, plus courts, sont dus à De Melz Noblat,Ze.y lois économiques, 1861.- 2"= édit., 1880. F. Hervé-Bazin, Trailé élémentaire d'économie politique, 1880. Plus faible est le résumé des doctrines de Le Play fait par Guillemenot, Essai de science sociale, etc., 1884.

Nous devons citer, a côté de Brants, pour la valeur et la modération de ses doctrines, Claudio Jannet, d'abord magistrat, puis professeur à l'Institut catho- lic[ue_dê__Paris. Il est l'auteur d'une œuvre remar- quable sur les États-Unis [Les États-Unis contempo- rains. 4^ édit., 1889. Deux vol.), d'un intéressant recueil d'études dans lesquelles il combat le socialisme à'Y^idii [Le socialisme cV État et taré forme sociale, {^Wj et d'une monographie récente {Le capital, la spécu- lation et la finance, 1892). Les doctrines de ces auteurs peuvent se glorifier, en ce qui concerne leur appli- cation aux questions ouvrières modernes, de l'appro-

398 l'économie politique

bation implicite du chef auguste de l'Église, qui, dans l'Encyclique Rerum novarurii du 15 mai 1891, a dit son opinion toujours autorisée, quoiqu'elle ne soit obligatoire qu'en matière de dogme et de morale ; on a eu quelquefois le tort de chercher dans l'^ncî/c/if^tie co qui ne pouvait ni ne devait s'y trouver, un traité d'économie politique.

Aux écrivains dont nous venons de parler s'oppose, sinon en tout du moins en partie, un autre groupe de zélés catholiques, dont quelques uns reçoivent leurs inspirations de l'étranger et tendent la mam à l'école des socialistes catholiques, dirigée pendant un temps par Monseigneur Ketteler, évêque de Mayence (m, J8771 et représentée parles Christlich-Sociale B Ihtter {ISQS); d'autres au contraire ont reconnu dans le cardinal Manning un chef savant et laborieux, favorable à-UH-e large intervention de l'Etat dans la question ouvrière, et qui avait applaudi au fameux manifeste du jeune empereur d'Allemagne. Un dernier groupe, exclusive- ment français, dont le chef est le fougueux orateur comte de Mun, qui a pour organe V Association catho- lique et pour champ d'action les Cercles catholiques cVouvriers, demande la restauration des anciennes corporations^d'arts et métiers. Le plus érudit champion" de ce courant extrême, qui voit dans Périn un ami trop zélé de la liberté, et qui voudrait rattacher, même dans la science pure, l'économie à la morale, doit être

cherché hors de France :

»

Ch. S. Devas, Grounckvork of Economies. London,

1883. PolUical economy, 1892.

Une dernière catégorie de dissidents de l'école dominante, dont la qualité vaut mieux que la quantité, est celle qu'on a l'habitude de désigner sous le nom d'école nouvelle.

EN FRANCE 399

Les deux représentants les plus illustres de ce groupe, dont les doctrines et les tendances sont d'ailleurs différentes, sont le belge de Laveleye et le français Gide.

Emile de Laveleye (1822-1892), professeur à Liège, littérateur et publisciste, a écrit d'excellents essais. On lui doit de bons travaux sur l'économie agraire en Belgique, en Hollande, en Lombardie et en Suisse, et un volume sur les crises commerciales (Le marché inonétdiire et les crises, 1865); il a été un défenseur infatigable mais exagéré du bimétallisme (La monnaie et le bimétallisme international, 1891) ; il a collaboré aux principales revues d'Europe et d'Amérique, et il a acquis une renommée mondiale. Devenu partisan ardent des nouvelles doctrines allemandes {Les tendances nouvelles de V économie politique, in Revue des deux inondes, 1875), il a résume les meilleures monogra- phies anglaises et allemandes sur la propriété collective, dont il a fait jusqu'à un certain point l'apologie (De /<-i jyropriété et de ses formes primitives. 187 1-1"= édit., 1891) ; enfin, ses Eléments d'économie politique (1882 d'édit. 1891) montrent son peu d'aptitude à parler des principes de la science pure, dont il ne connaissait exactement ni l'objet, ni le but, ni la méthode. (Cfr. notre article dans le Giornale degli Economisti, Bologne, octobre 1891,et Gobletd'Aviella, E. de Laveleye, 1895).

Charles Gide (né en 1847), professeur à la Faculté de droit de Montpellier, le frère du regretté juriscon- sulte Paul Gide, est d'un tout autre tempérament scien- tifique. C'est un économiste éminent qui, comme Cairnes et Jevons, doit être jugé moins .sur ce qu'il voudrait être que sur ce qu'il est en réalité. AJ^ersaire décidé des optimistes, partisan de la liberté sans être idolâtre de la concurrence, Gide, si on ne tient pas

400 l'économie politique

compte de quelques propositions peu mesurées sur la propriété foncière et de quelques prédictions exagérées sur l'avenir des coopératives de consommation, qui préparent, selon lui, le terrain aux coopératives de production, doit être considéré comme un économiste moins éloigné qu'il ne le pense de l'école classique, qu'il attaque souvent, dailleurs d'une façon vague. Son traité d'économie politique suffît à le prouver (le meilleur précis à notre avis, comme celui de Cherbuliez est le meilleur traité) ; il résume, avec compétence, les doctrines modernes et entre autres la théorie de la valeur de Jevons, qui ne diffère pas au fond de celle de l'école austro-allemande. Gide, qui n'arrive à définir la nouvelle école (allemande) que par une phrase à effet en la qualifiant d'école de la solidarité opposée à celles de la liberté, de l'autorité, de l'égalité, a le mérite incontestable d'avoir créé un organe indépen- dant de la pensée économique, qui peut compter sur un bel avenir, malgré la conspiration du silence de ses puissants adversaires.

Ch. Gide, Princii^es d'écotiomie politique. Paris, 1884. édit., 1896.-Trad. anglaise, 1892. L'école nouvelle. Genève, 1890. Revue d'économie poli- tique. Paris, 1887 et suiv.

^ -i. LES MONOGRAPHIES

S'il y a décadence dans les recherches de science pure, le progrès fait par les français dans l'étude de l'histoire peut nous servir de réconfort. En dehors des œuvres classiques de Thierry, Taine, de Monteil, Gué- rard, Leber, Mantellier, Bourquelot, notamment sur les conditions et les institutions médiévales, nous avons de remarquables monographies deFagniez, de Frignet,

EN FRANGE 401

la belle histoire de Pigeonneau (1885-1889) sur le com- merce, et aussi les ouvrages de Poirson, de Ijoutaric, et de quelques autres sur les institutions économiques de certains rois, et, enfin, les histoires des classes rurales de Delisle, Doniol, Dareste de la Chavanne, Babeau et Villetard, le travail de Hanauer sur les con- ditions économiques de TAlsace et celui de Mathieu sur la Lorraine. Si la statistique moderne a été créée par l'illustre belge Adolphe Quetelet (1796-1 874), Guerry a été un maître dans la statistique morale, à laquelle Yver- nès a consacré différents travaux, ainsi, d'ailleurs, qu'à la démographie, qu'ont particulièrement étudiée Levasseur et Bertillon. La statistique économique a été cultivée par Moreau de Jonnès, Legoyt, et maintenant par Block, déjà cité, et par l'éminent Alfred de Foville, l'auteur de brillants articles sur les prix et de deux belles mo- nographies sur les transports (La transformation des moyens de transport, 1880) et sur le morcellement du sol (Le morcellement, 1885), qui peut servir de complément au livre de A. Legoyt, 1886.

De Franqueville (Du régime des travaux piihlics, 2°édit., 1870. Quatre vol.), Audiganne {Les chemins de fer, 1858-1863. Deux vol.), Picard {Traité des che- mins de fer, 1887. Quatre vol.), ont étudié, au point de vue historique et dans leurs détails techniques, les tra- vaux publics et en particulier les chemins de fer.

Dans l'économie agraire, en dehors de Baudrillart, déjà cité, il faut mentionner l'éminent publiciste HippolytePassy (1793-1880), auteur d'un petit volume, qui n'a pas encore été dépassé, sur les systèmes de cul. ture (2'=édit., 1852), Léonce de Lavergne (1809-1888), justement loué par Cliffe Leslie {Fortnightly Review, février 1881), auquel nous devons de savantes et élé- gantes monographies. Essai sur l'économie rurale de V Angleterre, de VEcosse et de l'Irlande (1854,

26

402 l'économie politique

5* édit., 1882); L'Agriculture et la jJOjDulation (1857, 2" édit., 1865); Economie rurale de la France {iSQi). 4^ édit., 1870), et enfin le belge Piret qui a commencé une œuvre considérable, quoique mal proportionnée {Traité d'économie rurale, 1889 et suiv, j, le comte de Tourdonnet (Traité joratic^ue du métayage, 1882) et ReroUe (Dit colonage partiaire, 1888) qui ont étudié à fond le métayage, Cazeneuve (1889) ({ui s'est occupé de la participation aux bénéfices dans les entreprises rurales, et un grand nombre d'auteurs qui ont écrit sur le crédit foncier et sur le crédit agricole, etc., etc.

Sur les manufactures, il faut consulter les ouvrages de Léon Faucher, de Verdeil, du belge Ducpétiaux, de Charles Laboulaye, le frère de Fillustre Edouard Labou- laye ; sur le crédit et sur les banques, Wolowski, Horn, Juglar, l'auteur d'un beau volume sur les Crises com- merciales (2" édit., 1889), Courtois fils, qui a écrit l'histoire de la banque de France; parmi les nombreux ouvrages sur le libre-échange, rappelons celui d'Ame (Etude sur les tarifs des douanes, 1876. Deux vol.) ; sur la population, Bertheau (1892) ; sur l'assistance, qui a été étudiée dans un grand nombre de livres remar- quables, l'ouvrage classique La charité légale, ses causes et ses effets (1836), bien que sa critique de la charité publique soit trop absolue, a pour auteur le genevois F. Naville (1784-1836) ; le grand ouvrage de de Gérando [De la bienfaisance jniblique, 1839. 4 vol.) étudie surtout les questions d'administration, il n'est vieilli que pour certaines de ses parties (Cfr. Ch. Gra- nier. Essai de bibliographie charitable, 1891).

Il existe également un grand nombre de monogra- phies sur les salaires, les syndicats, les sociétés de pré- voyance, les coopératives; c'est ce que prouvent les Qpu- vres de Simon, Beauregard, Crouzel, L. Smith, Laurent,

EN FRANCE 403

De Malarce, Lafitte, Véron, Penot, Rouillet, Abrial, Batbie, Bûchez, Feugiieray, Lemercier, Ch. Plobert, Le Rousseau, Fougerousse, Gibon, etc. dont les œuvres sont indiquées dans nos Primi elementi d'economia sociale (lO^édit., 1895; trad. franc. Paris, 1889).

Sur les finances, (en dehors du Traité de Leroy- Beaulieu et du Dictionnaire de Léon Say), la première place appartient au savant ouvrage d'Esquirou de Pa- rieu {Traité des impôts^ etc. Paris, 1862-64. Cinq vol. 2e édit., 1866-67), qui n'a pas d'égal dans la littérature des autres pays. On doit aussi mentionner sur les impôts, les ouvrages de Vignes, Guyot, Denis, professeur à l'Université de Bruxelles, et au point de vue historique, de bons travaux deClamageran, Vuitry, Stourm, Four- nier de Flaix, etc., etc. Sur les emprunts, rappelons seulement les travaux de .Juvigny, Laffitte, Labeyrie, Cucheval-Clarigny, et nous renvoyons pour les autres à nos Primi elementi di scienza délie finanze, (Tiédit. 1890; trad. franc, Paris, 1891).

CHAPITRE XI L'ECONOMIE POLITIQUE EN ALLEMAGNE

I

Le progTes des études économiques a été, dans ce siècle, certainement très notable en Allemagne, et les doutes légers et imprudents émis par quelques écri- vains français et italiens sur la réalité de ce progrès font peu d'honneur à leur perspicacité et à leur science. On ne peut cependant pas admettre l'idée d'une primauté germanique dans le champ entier des sciences écono- miques, parallèle à celui que l'Allemagne conserve jus- qu'ici dans les sciences philologiques, philosophiques, historiques et juridiques. Cette prétention, que la grande majorité des écrivains de ce pays répète avec une obstination blâmée d'ailleurs par des hommes aussi savants qu'impartiaux comme Wagner, trouve très fa- cilement accès même en Italie auprès de quelques jeunes écrivains par trop enthousiastes ; on ne peut réduire cette proposition à sa juste valeur qu'en quittant les généralités trop vagues et trop indéter- minées, pour examiner avec soin les différentes branches de la science économique cultivées en Alle- magne.

La part très large faite à l'économie politique dans les facultés philosophiques, juridiques et po- litico-administratives des universités allemandes a contribué non seulement à la diffusion des connais- sances, mais aussi à déterminer le courant donné à cette étude, non moins que la qualité des arguments et

EN ALLEMAGNE 405

le caractère des œuvres publiées. La science étant sur- tout étudiée par des professeurs, cela nous explique en outre beaucoup de traits caractéristiques du développe- ment des études économiques en Allemagne, c'est-à- dire le manque de sens pratique, l'abondance des trai- tés, des manuels, des précis, les discussions tbéo- riques d'une subtilité souvent exagérée, accompagnées d'un luxe inutile d'incidents purement verbaux, pour aboutir (dans les vingt dernières années) à une négli- gence blâmable des recherches scientifiques. On s'est trop souvent borné à des recherches d'histoire et de statistique économiques, intéressantes, mais souvent trop particulières ; on veut y voir la base inductive d'une nouvelle science économique, ou d'une sociolo- gie encore plus nouvelle, devant laquelle l'économie actuelle devrait disparaître. On doit cependant considé- rer comme une excellente conséquence de la culture juridique des professeurs allemands l'idée plus exacte qu'ils se sont faite des fonctions économiques de l'Etat, qu'ils ont sa:\'amment analy.sées et défendues energique- ment contre les objections des individualistes. Cepen- dant ils n'ont pas su le plus souvent éviter l'erreur théo- rique de confondre la saine liberté économique, défen- due par 1 école classique, avec le dogme absolu du « laissez faire «, professé par les optimistes, ni l'erreur pratique de désirer une ingérence nuisible et excessive de l'Etat ; par ils se .sont rapprochés des funestes uto- pies du socialisme bureaucratique ou révolutionnaire. Un autre mérite incontestable des économistes alle- mands, pour lequel on peut leur reconnaître dans une certaine mesure une véritable prééminence, consiste à avoir, fidèles aux traditions de l'ancienne doctrine camé- raliste, maintenu et mieux précisé la distinction entre la science pure et ses applications ; ils ont, en effet, reconnu à côté de la politique financière (science des

•406 l'égonomte politique

finances) une politique économique, et étudié dans des vues plus larges cette branche de l'économie afin de constituer la science de l'administration, qui s'est subs- tituée à la science de la police, trop ancienne et trop étroite. ]Mais les équivoques sont encore nombreuses, car la distinction entre l'économie pure et l'économie appli- quée est souvent confondue (et quelques-uns s'en font un titre de gloire, comme nous l'avons dit) avec celle de réconomie générale et de l'économie particulière, comme s'il y avait des questions scientifiques de carac- tère spécial et des questions d'application de caractère général !

Quoiqu'il en soit, il est certain que l'Allemagne du xix^ siècle possède des maîtres éminents dans toutes les branches des disciplines économiques. Des hommes comme v. Thiinen, Hermann et Mangoldt, Stein, Schâftle, Roscher, Knies, Wagner ; des spécialistes comme Xebenius, Hanssen, Helferich, Nasse, Soet- beer, Schmoller,.Cohn^ etc.; des statisticiens comme Engel, Rilmelin, Lexis, Knapp, Becker, etc., peuvent être comparés aux plus illustres savants de tous les temps et de tous les pays.

W. Roscher, Geschichte dur National-Oekouomie in Deutschland. Munchen, 1874, pp. 862-1048 (sa- vant, impartial, élégant).

V. Cusuinano, Le scuole economiche délia Germania, in rapporio alla questione sociale. Napnji, 1875. (Extraits abondants des œuvres les plus récentes, qui ont été souvent copiés sans citation de sources).

K. Walcker, Geschichle der Nalionalùkonomie . Leip- zig, 1884, pp. 111-261. (Singulier mélange de renseignements biographiques et bibliogra- phiques quelquefois inexacts et souvent étran- gers au sujet, et de jugemsnts le plus souvent faux et assez souvent blessants).

M. Meyer, Die neuere Xational(Jkonomie,elc. 4* édit.,

EN ALLEMAGNE 407

Munden i. W., 1885. (Compilation améliorée

dans les dernières éditions).

Cohn, System der Xalionulôkonomie. l""" vol.

Siultgart, 1885, pp. 123-133, 157-173.

V. Scheel, Die poUUsclie Oekonomie, in Handbuch

(le Schdnberg. édit., vol. I. Tubingen, 1890,

pp. 94-106.

§ 1. L''ÉCOLE CLASSIQUE.

Charles Henri Rau, en 1792, professeur à Erlan- gen en 1818, puis à Heidelbergen 1822, il mourut en 1870, en dehors de quelques travaux de moindre im- portance parmi lesquels il faut citer ses remarquables Ansichten der Volkswirthsrhaft (Leipzig, 1821), dans lesquels il indique le caractère relatif des institutions économiques et l'influence qu'exercent sur elles les conditions locales de sol et de climat, a publié un cours complet d'économie politique divisé, comme celui de Jakob, en trois parties : économie sociale, politique économique, et politique financière, qu'il tint pendant une longue série d'années au courant du progrès de la science. Si cette œuvre ne brille pas par l'originalité des vues ni par la profondeur des recherches, elle est cependant très remarquable par Tampleur de la doc- trine, la richesse des données statistiques, législatives et bibliographiques, la modération des jugements, l'har- monie des parties, la clarté de Texposition, son sage éclectisme théorique et son exquis sens pratique. Ces qualités expliquent pourquoi le livre de Rau a conservé pendant si longtemps, dans les Universités et pour les candidats aux carrières administratives, la première place, fait oublier les manuels antérieurs, et soutenu la concurrence contre quelques autres manuels postérieurs à sa première édition, par exemple ceux de Zachariœ (1832), Rotteck(1835), Bûlau (1 835), Riedel (1836-1842),

408 l'économie politique

Eiselen (1843), Schilz (1813), Glaser (1858), Rossler (1864), Umpfenbach (1867), etc.

K. H. Rau, Lelirbiich der politisrhen Oekonomie. l^*" vol., Leipzig, 1826 (8« édit., 1868-69). -2« vol., 1828 (5e édit., 1862-63). -3« vol., 1832 (5" édit., 1864-G5).

Nous devon.s signaler à côté de Rau, parce qu'ils se rapprochent de lui à certains points de vue, trois hommes d'Etat, qui se sont également occupés des questions théoriques, dans un esprit et avec un succès différents, Malchus, Hoffmann, Xebenius.

G. A. von Malchus ;1770-1840', ancien ministre du Royaume de Westphalie, a étudié spécialement la science des finances ; nous lui devons une œuvre de caractère tout à fait pratique et en harmonie avec le système français des impôts [Hanclbuch der Finanz- '{çissenschaft. Stuttgart, 1830. Deux volumes). Jean Gottfried Hoffmann (1765-1847), professeur et directeur de rOfïïce de statistique de Berlin, plus pénétrant mais moins systématique, a fait, au contraire, dans ses œu- vres économiques et financières, Tapologie des institu- tions prussiennes : ses opinions ont, d'ailleurs, souvent varié, notamment sur la question de la liberté indus- trielle et des corporations. En dehors de plusieurs re- cueils de ses travaux moins importants on a de lui une théorie de la monnaie [Die Lehre vom Gelde. Berlin, 1838. Die Zeichen der Zeit im d.eutschen Miïnz- wesen, 1841), dans laquelle il recommande, le premier en Allemagne et sans donner des arguments vraiment persuasifs, l'adoption de l'étalon monétaire unique d'or; cette proposition provoqua une réponse beaucoup plus savante et pratiquement fondée de Hermann. Dans sa théorie des finances {Die Lehre von den Steuern, 1840) ses opinions sont moins concluantes encore ; il combat

EN AI-LEMAGNE 409

avec des arguments trop faibles l'impôt foncier et 'l'impôt sur la rente, et il n'a pas des idées exactes sur la répercussion des impôts.

Charles Frédéric Nebenius , 17<S4-1857) leur a été cer- tainement de beaucoup supérieur; il est un de ceux qui ont eu une part intelligente et active à la préparation et à la formation du Zollverein fZ)e?' deiitsc/ze Zollverein, soin System iind seine Zukunft. Carlsruhe. 1835;. Dans le domaine scientifique, il a ac-quis une renommée bien méritée par ses travaux sur la théorie du crédit public, qui, malgré les progrès ultérieurs, notamment en ce qui concerne les effets économiques des emprunts (C. Dietzel, Wagner, Nasse, Schâffle) conservent encore une très grande importance pour la profondeur des recherches, la rectitude des jugements et l'abondance des renseignements historiques.

F. Nebenius. Di^r offenlUche Crédit. Carlsruhe, i820. édit-, vol. I, 1829. Ueber die Herabsetzwvj dnr Zinsen der offentlichea Schuldoi. Stuttgart, 1837.

Thiinen, Hermann et Mangoldt se sont consacrés, au contraire, presque exclusivement aux questions géné- rales de l'économie sociale; ces trois écrivains, restés fidèles à l'esprit de l'école classique, ont apporté des contributions utiles et originales aux progrès de la science pure ; ils occupent sans aucun doute une place très éminente.

Le comte Jean Henri de Thiinen (1783-1850), autodi- dacte, agronome élevé à l'école de Thaer, et possesseur de la grande propriété de Tellow dans le Mecklenbourg, a fait faire de notables progrès à la science économique ; en se servant du calcul, il a approfondi par la méthode déductive et indépendamment de Ricardo, la théorie de la rente. Il s'est occupé spécialement du problème de

410 l'économie politique

la rente de position, que ie grand économiste anglais n'avait étudiée qu'incidemment ; il a consacré de longs développements, dans le premier volume de «on Etat isolé, aux lois qui déterminent la distribution territoriale des systèmes de culture d'après la distance du marché. Il a été moins heureux dans ses recher- ches sur le salaire naturel (c'est-à-dire sur le juste sa- laire) ; il crut avoir déterminé le juste salaire dans la formule Vëip, c'est-à-dire racine carrée du produit que l'on obtient en multipliant la somme exprimant la va- leur des choses nécessaires à l'entretien de l'ouvrier par celle qui indique la valeur des produits obtenus par son travail, mais ses prémisses étaient arbitraires et in- suffisantes. Pratiquement il pensait se rapprocher de la solution du problème en accordant à ses paysans une participation aux bénéfices (Gfr. Sedley Taylor, Profit- Sharing. London, 1884). La critique de cette formule a été l'objet de travaux ingénieux, mais peu concluants et souvent équivoques, delà part de Laspeyres (1860), de Knapp (1865), de Brentano (1867), de Schumacher (1869), de Falck (1875) et enfin d'une réfutation victo- rieuse de Komorzynski (1894).

J. H. V. Thiinen, Der isolirte Slaat. 1" vol., Ros- tock, 1826 (2'' édit., 1842. Trad. franc, de Laver- rière, 1851). -2« vol., 1850-63 (Trad. franc, de Wol- koft; 1857).-3«vol., 1863.

Cfr. H. Schumacher-Zarchlin, /. H. v. Thùnen. Ros- Lock, 1868.-2'= édit., 1883.

M. WolkofT, Lectures d'économie politique rolioimelle, 1863.

Frédéric Benoit Guillaume Hermann (1795-1868), professeur et, plus tard, directeur de l'Office de statis- tique de Munich, est moins original que Thiinen, mais il l'égale pour son esprit critique et il a une connais-

EN ALLEMAGNE 411

sance plus complète de la littérature économique. Comme Hufeland, Lotz, Soden, il a cherché à préciser les théories abstraites de la productivité, du capital, de la valeur et du prix, de la rente, de l'intérêt et de la consommation. Dans sa théorie du capital, qu'il définit d'une façon trop large, parce qu'il y comprend, comme Say, les- capitaux d'usage, et qu'il étend plus encore par son analyse des capitaux immatériels, ce quicon- •duit logiquement aux idées quelque peu étranges de Charles Dietzel (Das System der Staatsanleihen. Hei- ■delberg, 1855) sur les emprunts publics, Hermann n'apasété, sauf quelques bonnes observations, trop heu- reux. Il faut le louer sincèrement pour les quelques corrections qu'il a faites à la doctrine du fonds des sa- laires et pour sa belle exposition de la théorie de la va- leur et du prix ; dans cette étude il a devancé les tra- vaux des derniers économistes anglais, en considérant le phénomène au double point de vue de l'acheteur et du vendeur. Mais c'est sa théorie du revenu qui consti- tue le principal titre de sa renommée scientifique ; c'est pour lui un concept subjectif, et le premier il Ta déter- miné rigoureusement en le distinguant des notions ob- jectives de produit brut et de produit net, avec lesquels les anglais le confondaient. Il a ainsi fourni leur point de départ aux recherches intéressantes, mais quelque- fois inexactes, de Bernhardi (lSi8) et aux travaux plus approfondis de SchMûe {M e ns ch und Gut, 1860) et de Schmoller [Ziir Lehre vom Einkommen, 1863). Le professeur K. G. Neumann, l'éminent collaborateur du Manuel de Schonberg et l'auteur de bonnes monogra- phies, qu'il a résumées dans ses Grundlagen der Volkswirthschaft. (Tilbingen, 1<S89), peut être consi- déré, dans une certaine mesure au moins, comme un disciple de Hermann ; c'est un écrivain érudit, mais -quelquefois trop subtil.

412 l'économie politique

F. B. W. Hermann, SUtatsicirthschafiliche Unfersu- chungen. Munchen, 1832. La seconde éditioQ (posthume , partiellement améliorée, mais sans les intéressantes notices historico-critiques de la première, a été publiée en 1870.

L'éminent économiste saxon Hans von Mangoldt (1824-1 868V, professeur à Gôttingue. puis à Eribourg, auteur d'ouvrages très remarquables, n'a pas suivi une direction très différente de celle de Hermann. Il a débuté par une dissertation sur les caisses d'épargne (1847); il a publié ensuite quelques intéressants articles théoriques et biographiques dans le Diction- naire de Bluntschli et Brater, une bonne monographie sur la doctrine du profit, un précis déconomie, qui est encore aujourd'hui un des meilleurs, et un traité plus développé, resté inachevé par la mort prématurée de l'auteur. Les parties les plus originales de Mangoldt, concernent l'analyse exacte, mais trop minutieuse, du profit de l'entrepreneur, qu'il veut séparer complète- ment de l'intérêt et du salaire, et aussi la théorie delà rente foncière, dont il montre ingénieusement les analogies avec les revenus de monopole, sans indiquer les différences. Les mêmes idées ont été exprimées, d'une façon tout à fait indépendante , par le fran- çais P. A. Boutron TJiéorie de la rente foncière Paris, 1867) et par Schaffle [Die nationalôkonomiscJie Théorie cler ausschliessenden Absatzverhiiltnisse. Tûbingen, 1867j.

H. v. Mangoldt, Die Lchre vom Untemehmergewin . Leipzig, 1855. Gruntlriss (1er VoUcswirthschafis- lehre. Stuttgart, 1863.-2^ édit. (augmentée par F. Kleinwâchter), 1871. Volkswirtlischoftslehrf. 1" vol., Stuttgart, 1868 (traite de la production, de la conservation et de la distribution des ri- chesses;. Cfr. Ad. Wagner, Gedàchtnissreile auf H. V. Mangoldt. Freiburg i. Br., 1870.

EN ALLEMAGNE 413

Un petit groupe d'éminents spécialistes, Baumstark, Laspeyres, Helferich s'écartent peu de l'économie clas- sique, ou tout au moins ils n^ont pas pris une part très active aux polémiques entre l'école historique et l'école des optimistes. Helferich a écrit sur les oscillations de la valeur des métaux précieux de 149'2 à 1830 (Niirn- bcrg, i843) ; E. Nasse a consacré de courtes mais excel- lentes monographies à la monnaie, au crédit, et aux banques, etc. Le plus célèbre est Georges Hanssen (1809 1894), auquel nous devons une série de travaux classiques qui traitent, spécialement au point de vue historique, de l'économie agraire de l'Allemagne.

G. Hanssen, Agrarhistorische Ahhondlungen. Leipzig, 1880-84. Deux vol.

Une position éminente, bien qu'isolée à certains points de vue, a été occupée pendant longtemps, parmi les économistes et les publicistes allemands, par Lorenz Stein (1815-1890), professeur à Vienne, historien profond du socialisme français, défenseur de réformes radicales dans l'enseignement du droit, créateur émi- nent de la Science de Va.driiinisir(ition (voir p. 45-46), à laquelle il a donné des proportions colossales en la substituant à l'ancienne science de la police. Il a écrit aussi un petit nombre de monographies juridico-éco- nomiques, un résumé excessivement métaphysique d'économie politique, et un traité classique de la Science des finances, qui a tous les mérites et tous les défauts de sa Science de V adininistvEition . Après le travail de Stein, les Manuels de Science financière se sont multipliés. Il faut signaler comme pleins démérite: un manuel de Umpfenbach, qui expose les notions fon- damentales ; un autre très complet et encore inachevé de Wagner, remarquable pour sa doctrine, la perspica- cité, l'abondance et l'exactitude de ses renseignements

414 l'économie politique

statistiques et législatifs; un élégant et très clair résumé de Roscher ; enfin les monographies écrites par des spé- cialistes compétents pour le Manuel de Schonberg.

L. V. Stein, Lehrbuch dor yalionaWlwnomie. Wien, 1858.-3" édit., i887. Lehrbuch der Finaimcissen- srhafl, 1860. - édit., (en 4 volumes), 1885-80.

K. Umpfenbactî, Lehrbuch der Finanztvissenschaft. Erlangen, 1859-60. - 2" édit., 1887.

Ad. Wagner, Finanzwissenschaft. Vol. I. Leipzig^ 1871-1872. - 3'' édit., 1883. - Vol. II, 1878-80. - 3^ édit., 1890. - Vol. III, 1886-89.

W. Roscher, System der Finanzwissenschaft . Stutt- gart, 1886,-3'= édit., 1889.

G. Schonberg, Handbuch der politischen Oekonomie. S" édit., vol. III. Tubingen, 1890.

Cfr. K. Th. Eheberg, Geschichte der Finanzwissen- schoft. [Handivôrterbuch der Staatsicissenschaften de Conrad, Elster, etc. Vol. III. lena, 1891, pp. 487-505).

S 2. l'école historique et ses dérivations.

Ce serait une entreprise trop ardue, et fort inutile^ que de vouloir énumérer tous les i^récurseurs réels ou prétendus de l'école historique. Il suffît de dire que Adam Millier, Alexandre Hamilton, Sismondi, Schon {Xeue Untersuchung der nationalôkonomie, 1835), Schmitthenner [ZwOlf Bâcher vom Staate, i839), Auguste Comte et d'autres adversaires de l'économie classique ont exposé des idées qui, incontestablement, ont exercé une grande influence sur les théories de cette école.

L'importance de Li.st (1789-1846) est, à ce point de vue et à d'autres, encore plus grande. Il e.st le chef reconnu des protectionnLstes allemands, et en particu- lier de ceux de l'Allemagne méridionale ; il a été le pro-

EN ALLEMAGNE /i 1 5

moteur du Zollverein, de la construction rapide de.s che- mins de fer et en général des réformes qui avaient pour but d'unifier la législation économique et fiscale. Au point de vue théorique, sa doctrine de la protection tem- poraire des manufactures, et en général son économie nationale qu'il opposait à l'économie cosmopolite des Universités, est fondée sur une succession uniforme ima- ginaire des stades de civilisation, qui ne trouve pas dans l'histoire une démonstration suffisante, et elle est déduite de cette idée, qui n'est pas complètement inexacte, d'un sacrifice imposé momentanément aux consommateurs pour développer les forces productives de la nation ; mais cette idée, à son tour, dérive d'une opposition, qui n'est nullement nécessaire, entre les forces productives et la valeur d'échange des marchandises.

Fr. List, Bas nationale System der poliiischen Oekono- mie. l"vol., 1841. - Trad. franc, par Richelot, 1851.-7° édit., avec une introduction intéressante (pp. 1-249) de K. Th. Eheberg. Stuttgart, 1883. Gesammelte Schriften (édité par L. Hatiser). Stutt- gart, 1850. Trois volumes.

Cfr. pour d'autres indications, l'article de Em. Léser dans VAUgemeine deutsche Biographie, 1883.

Parmi les champions de l'école historico-écono- mique. qui, comme Ta bien démontré Menger, ne peut pas être considérée comme étant en parfaite harmonie avec les tendances et les idées de l'école historico-juri- dique (Hugo, Niebuhr, Savigny, Eichhorn), mais qui descend au contraire en ligne droite des écoles historico- politiques de Tubingue et de Gottingue (Spittler, Dahl- mann, Gervinus), on doit compter Hildebrand, Knies et Roscher.

Bruno Hildebrand (1812-1878) fonda en 1863 à Jena, oùils était professeur, les Jahr bûcher fur Nationaloko- nomie uncl Statistik ; depuis 1873, il partagea la

416 l'économie politique

direction avec son gendre, le professeur Jean Conrad, qui lui succéda comme directeur en 1878. Il est parti- culièrement connu par un ouvrage inachevé Die Nationalohonoinle der Gegenwart iind Zukunft, i'^'" vol. Francfort. 1848), dans lequel il fit, avec talent et élégance plus qu'avec exactitude, une large critique des systèmes modernes d'économie politique, exagérée dans les objections dirigées contre l'école classique, mais fort exacte dans sa réfutation du socia- lisme.

Charler Knies (né en 1821), professeur à Heidelberg, défenseur ingénieux de la séparation de la statistique descriptive et de la statistique investigatrice (il a .sur ce point pour disciple Rûmelin et Wagner), est inférieur à Hildebrand pour son style enveloppé et bizarre, mais supérieur à lui par son activité scientifique, par l'éten- due et la profondeur de ses connaissances économiques et juridiques ; il est l'auteur d'une œuvre dans laquelle il a fait connaître les normes de la méthode historique, qu'il a laissée complètement de côté, comme nous l'avons déjà indiqué, dans ses excellentes monographies sur la valeur, sur les transports, et en particulier dans son (cuvre classique sur la monnaie et sur le crédit, à la- quelle manque encore la partie consacrée aux emprunts publics.

K. Kaies, Die Statistik als selbsiândige Wissenschaft. Cassel, 1830. Die jwlitische Oekonomie vom Standpunkte der geschichtlichen Méthode. Braun- schweig, 1853.-2" édit. avec d'importants appen- dices), Berlin, 1881-83. Die Eisenbahnen und ihre Wirkungen, 1853. Die nationalôkonomische Lehre vom Werth (in Zeilschrift fur die gesammte Staatsiciss., 1855). Der Teiegraph als Verkehrs- mittel, 1857. Geld und Crédit. J" vol., 1873. - édit., 1885; - vol., 1876-79.

EN ALLEMAGNE 417

Guillaume Rosclier (181 7-1894), professeur à Leipzig, a, dès 1843, esquissé les traits caractéristiques de la méthode historique, d'après laquelle non seulement la politique économique mais encore l'économie sociale aurait son fondement dans l'induction historico-statis- tique. Il est sans aucun doute un des plus illustres éco- nomistes de ce siècle. Si nous ne pouvons le louer pour avoir défendu cette méthode, déjà critiquée plus haut, parce qu'on arriverait ainsi à substituer aux lois scienti- fiques de réconomie sociale les lois de développement des faits économiques que nous feraient connaître les études historiques, géographiques et philosophiques sur les différents stades de la civilisation chez les différents peuples, il nous semble, au contraire, mériter un éloge hans réserves pour l'impulsion vigoureuse qu'il a don- née par ses œuvres, remarquables par leur profondeur, leur érudition extraordinaire, par la connaissance par- faite des théories de l'école classique, qu'il a en somme acceptées, par la sereine impartialité de la critique, par la clarté et l'élégance du style, soit à l'étude dog- matique des doctrines, soit à l'histoire de leur déve- loppement, et aussi parce que, seul en Allemagne, il a réussi à composer un traité d'économie dans lequel il a conservé aux différentes parties leurs proportions né- cessaires, et qu'il a su éviter les digressions philoso- phico-juridiques et l'excès des détails technico-législa- tifs.

W. Roscher, System der Volksiviiihscliaft. l^f'vol., Stuttgart, 1854.-21« édit., 1894. 2-= vol., 1859. 12« édit., 1888. 3= vol., 1881.-6" édit., 1892. 4«vol., 1886. -4« édit., 1894. vol., 1894. - Ansichien der Volksivirthschaft. Leipzig, 1861. 3' édit., 1878. Deux volumes. Ueber Korniheue- rung und TheuerangspoUtik. 3*' édit., 1852. Kolo- nien, Kolonialpolitik und Answanderung, 1856. 3= édit., 1885.

27

418 l'économie politique

Cfr., sur Roscher, le remarquable essai de Schmoller dans le recueil intitulé Zur Lille raturgeschkhte der Slaats-und Sozialiuissenschaflen. Leipzig, 1888, pp. 147-171.

C'est à Gustave Schmoller (né en 1838 1, actuellement professeur à Berlin, que revient le mérite d'avoir tenté l'application de la méthode historique et d'avoir déduit des prémisses de Floscher et de Knies les conséquences qu'ils n'en avaientpas eux-mêmes tirées. Nous lui devons un grand nombre d'excellentes monographies sur l'his- toire économique de l'Allemagne et en particulier sur la petite industrie, sur les corporations, sur les époques delà politique financière prussienne, et sur la théorie des entreprises industrielles. Une partie de ces études, et beaucoup d'autres que nous ne citons pas pour être bref, sont insérées dans la revue qu'il dirige de- puis iSS\ , Jahrbuch fur Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirthschaft (fondée par Holtzendorff en 1872, qui s'adjoignit comme collaborateur Brentano en 1877) ; nous devons mentionner également les mono- graphies rédigées par ses meilleurs disciples et réunies dans le recueil intitulé Staats-und Socialwissen- schaftliche Forschungen (Berlin, 1878 et suiv.), qui présente quelque analogie avec une autre collection de travaux historico-économiques, dirigée par le profes- seur Conrad, de Halle. Schmoller partage cette grave erreur de croire à l'impossibilité d'appliquer utilement la méthode déductive aux recherches de la science éco- nomique, qui, à son avis, ne pourra se constituer tant que l'on n'aura pas de matériaux historiques et .statis- tiques complets sur les conditions économiques de tous les temps et de tous les lieux.

G. Schmoller, Zur Geschichte der deulschen Rlein- (jewerhe un 19 Jalirhundert. Halle, 1870. Ueber

J

EN ALLEMAGNE 419

einige Grundfragen des Rechts und dei' Volkwirih- schaft, 1875 (contre Treilschke). Die Strassbur- ger Tûcher-und Weberzunft, etc., 1881. DieEpo- chen der preussisclien Finanz-PoUiik (in i" vol. du Jahrbuch, etc.). Die geschichtliclie Entwi- cklung dcr Unternehmung {Jahrbuch, etc., 1890- 1893). Ziir Social-und Geiverbepoliiik der Ge- genwart. Leipzig, 1890.

Albert Eberard Frédéric Schâffle (né en 1831), jour- naliste, professeur à Tubingue en 1861, puis à Vienne en 1868, et pendant quelque temps (1871) ministre du commerce dans le cabinet Hohenwart, diriii'e maintenant à Stuttg-art la revue trimestrielle Zeitschrift far die gesanimte Staatswissenschaft, fondée en 1844 par des professeurs de la Faculté d'administration de Tubingue et dirigée par eux jus- qu'en 1875. Il a débuté par un bon précis d'économie politique, qui s'est accru et s'est amélioré dans ses éditions successives ; il y étudie avec beaucoup de compétence la théorie des entreprises, celle de la mon- naie, du crédit, des moyens de transport, et il y expose les critères qui permettent de distinguer l'économie générale des économies particulières. Il a composé plus tard un traité plus considérable de sociologie économique, dans lequel il a exagéré les ressemblances entre la structure et les fonctions du corps humain et du corps social ; il a ainsi commis de graves erreurs qui ont été relevées par Krohn et par d'autres critiques. Il a trouvé dans de Lilienfeld {Gedanken ûbev die Socialwissenschaft der Zukunft, 1873 et suiv.) un représentant d'idées fort analogues aux siennes. 11 a porté plus tard un jugement très bienveil- lant sur le socialisme, dont on l'a cru souvent un apologiste, de sorte qu'il a été amené à désapprouver les tendances de la démocratie sociale. Il est certain

''iSO l'économie politique

que dans beaucoup de ses monographies sur le système monétaire, la question ouvrière, les problèmes fiscaux, il montre une confiance exagérée dans les avantages de l'ingérence économique de l'État.

Alb. Eb. Fr. Schaffle, Die Xalional'tJkonomie. Ttihin- gen, 1861. -S^ édit., sous le titre de : Bas gesPÂl- schaftliche System der menschlichen Wirthsrhaf'ty 1878. Deux volumes. Bau und Leben des sozialen Korpers, 1875-1878. Quatre volumes. -S*- édit., 1881 et suiv. Kapitalisnius und Sozialismus, 1870. DieQuiiitessenz des Sozialismus, 1874. (Trad. franc., par Benoît Malon, 1880.)-13« édit., 1891. Z>/e Aussichislosigkeit der Sozialdemokratic , 1885.- 4^ édit., 1893. Die internationale Doppekv'ùhrung , 1881. Der corporative Hïdfskassenzivang, 1883.- édit., 1884. Die Grunds'àtze der Sieuerpolilik, 1880. Gesammelte Aufsdtze, 1885-1886. Deux volumes.

H. Bisclîof, Grundzûge eines Systems der Nationalô- konomie. Graz, 1876. (C'est un résumé du traité de Schaffle).

§ 3. ÉCONOMISTES LIBÉRAUX ET SOCIALISTES

DE LA CHAIRE

Le groupe de libéraux, pour la plupart journa- listes et avocats, qui forme ce que les adversaires ont assez inexactement appelé l'école de Manchester, a étudié l'économie politique dans les œuvres des Français et spécialement dans Bastiat. Il a fondé à Berlin une société d'économie politique, présidée par Prince-Smith (1809-1874), écrivain brillant et facile ; il a organisé des congrès annuels, fondé en 1863 une revue (Vierteijahrsschrift fïir Volkswirth- schaft uncl\Culturgeschichte ) et, soutenu, dans les pre- mières années de l'empire, par les assemblées délibé- rantes, il a préconisé l'abolition des lois restrictives

EN ALLEMAGNE 421

de la liberté du travail, de l'association et du domicile, il a demandé l'abolition de la prison pour dettes et celle des lois restrictives de l'intérêt conventionnel dans le prêt, l'unification du système des monnaies, des poids et des mesures, l'organisation des banques, la réforme des impôts et des douanes, etc. Ermann Schulze-Delitsch (1808-1879) s'est rendu célèbre parmi les économistes libéraux moins par sa culture, quelque peu superfi- cielle, dont s'est moqué àprement Lassalle, que par sa persévérance et son remarquable sens pratique. 11 a pu ainsi organiser et répandre les banques populaires et d'autres formes de sociétés coopératives, en s'inspirant des principes de la mutualité et de l'autonomie; il a été fortement aidé dans cette œuvre par Schneider, Parisius, Richter et quelques autres collaborateurs du célèbre périodique Die Inniing cler Zukunft (Cfr. A. Bern^tein. Schulze-Delitsch, etc. Berlin, 1879). A ce groupe appartiennent Faucher (mort en 1878), Michaelis, Rentzsch, directeur de V Ilandwôrterbuch cler Volhs- wirthscha.ftsleJire [Leipzig, 1865. Réimprimé en 1869), et parmi les économistes de valeur moindre, Wollf, Braun, Wyss, etc. Il faut tout particulièrement men- tionner, au contraire, pour la modération de leurs doctrines et pour leur compétence signalée dans quel- ques questions spéciales, Ad. Soetbeer, traducteur de Mill, secrétaire de la Chambre de commerce de Ham- bourg et actuellement professeur honoraire à Gôttingue, auteur d'ouvrages remarquables sur la statistique des métaux précieux, et vaillant promoteur de l'étalon unique d'or, que défendent également, en dehors de Bamberger, d'autres économistes (comme Nasse) qui appartiennent d'ailleurs à des écoles très différentes ; A, Emminghaus, auquel nous devons de très bonnes monographies, notamment sur les assurances. Le camp des libéraux a été abandonné depuis quelque

422 l'éconojiie politique

temps par Maximilien ^^'irth, journaliste, statisticien et auteur d'ouvrages de lecture facile, et en parti- culier d'un manuel d'économie, peu profond et nulle- ment systématique [Grundzûge der National-Oeko- nomie, 1856-1870), et par Victor Bohmert, directeur du bureau royal ofliciel de la statistique de Dresde, rédac- teur de VArbeiterfreund,et défenseur zélé delà par- ticipation des ouvriers aux bénéfices.

V. BôhmerL, Die GcvAnnbetheiligung. Leipzig, 1878. Traduction italienne par P. Manfredi. Milano, 1880. Trad. franc, par Albert Trombert, 1888. (En sens contraire) H. Prommer, Die Gcirinnbe- theiligung. Leipzig, 1886. (Impartial) L. Stein- brenner, Die BelheiUgung, sic, Heidelberg, 1892.

Une grande partie des professeurs allemands qui, pour les questions de science pure, acceptent presque tous les doctrines de l'école historique ou celles du néo- historisme de Schmoller et de la sociologie deSchaffle, ont entrepris vers 1870 une lutte vive et, à certains points de vue, justifiée contre les exagérations du libé- ralisme et du quiétisme absolu. Appuyés par les gou- vernements qui, après 1879, ont suivi la politique économique du prince de Bismarck et sont entrés réso- lument dans la voie de la protection douanière et dans celle de la législation sociale, ces économistes ont fait tous leurs efforts dans leur enseignement, dans les congrès, dans les revues et dans des publications spé- ciales pour répandre leurs doctrines. Ils sont partisans de la reconstitution de l'économie sociale, qu'ils veu- lent fonder sur les recherches historiques et statistiques et mettre en harmonie avec les principes de Féthique et du droit ; ils sont également favorables à une réforme sociale effectuée par l'œuvre de l'État, également éloi- gnée des conservateurs libéraux et des socialistes révo-

EN ALLEMAGNE 423

lutionnaires(Cfr. les Schriften des Vereins fur social- polllUi. Leipzig, 1872-189'2. 51 volumes). Pour toutes ces raisons, ces professeurs ont été qualifiés de l'appel- lation dédaigneuse, qui n'est pas exacte pour tous, de so- cialistes de la chaire, ou, comme on dit plus souvent maintenant, de socialistes d'Etat. Sans entrer dans la cri- tique du système, que nous avons laite à grands traits dans la Première joartie de cet ouvrage,, nous dirons qu'en réalité un bon nombre de ces écrivains, (Wagner, Scliâffle, Samter, Neumann, von Scheel, etc.), ont accepté avec trop de confiance quelques-unes des pro- positions des socialistes sur la propriété foncière, le droit d'héritage^ l'impôt progressif, l'assurance ouvrière obligatoire ; certains écrivains, comme le savant et ingé- nieux Lange (mort en 1876) partagent même presque toutes leurs opinions (Die A?'6ei^er/'ra^e, 1865.-4'" édit. 1879). Ajoutons que, grâce aux influences déjà signalées et au système de nomination des professeurs en vigueur dans les Universités, l'école allemande, par sa négation de l'existence de lois générales, a détourné les étudiants des recherches théoriques, en les retenant sur les ques- tions d'ordre politique ; elle mérite donc le reproche d'exclusivisme tout autant que l'école optimiste fran- çaise, et elle a nui de cette façon aux progrès de la science pure qui, dans ces vingt dernières années, se sont considérablement ralentis dans la patrie de Thil- nen et de Hermann par le fait des nouveaux (Schmol- 1er) plus que par celui des anciens chefs de l'école his- torique (Koscher et Knies), car ces derniers n'ont pas confondu les théories anglaises avec celles de l'opti- misme et de l'individualisme, ni mis sur le même rang Bastiat et Ricardo, comme cela est arrivé notam- ment à Held, écrivain excellent à certains points de vue {Zwei Biïcher zur socialen Geschichte Englands. Leipzig, 1881) ; ils ont également commis des erreurs

•^i24 l'économie politique

très g-raves dans rinterprétalion et dans la critique des doctrines fondamentales de Smith, (Rosier par exemple, Ueber die Grundlehren der von Ad. Smith begriln- deten \'olkswirthschaftsleJire. Erlangen, 1868.-2" édit. 1871. Vorlesungen der Volkswirthschaft, 1878).

Il ne faudrait pas croire cependant que toutes les publications récentes des économistes allemands n'ont aucune valeur théorique, et il ne faut pas oublier, d'autre part, que, dans le domaine de l'histoire et de la statistique économiques, TAllemagne compte des écri- vains de premier ordre, dont nous avons déjà parlé, et un groupe important d'éminents érudits : elle a de plus fourni de remarquables monographies sur la légis- lation économique nationale et comparée, et sur la science financière (Vocke, Neumann, v. Scheel, Lehr, Léser, Kaizl, v. Falck, Wolff, v. Reitzenstein, Ehe- berg, etc), à laquelle Schanz a consacré une revue spéciale (G. Schanz, Fi nanz-Archiv. Stuttgart, 1884 et suiv.). 11 faut observer enfin que l'Allemagne possède de nombreux ouvrages très remarquables sur les autres parties du savoir économique, qu'il ne nous est pas pos- sible d"énumérer ici. Il suffit de rappeler ceux de Con- rad, Meitzen, von Miaskowski, von der Golz sur la question agraire, ceux de Schonberg, Klostermann, Kleinwaclitcr, Brentano, Hasbach, et de beaucoup d'autres sur la question industrielle et sur la question ouvrière, ceux de Lexis, Schraut sur la question com- merciale, les écrits de Nasse, Arendt, et de quelques autres sur le système monétaire et sur le système ban- caire, les monographies de Paasche sur les prix, de Mithoff sur la distribution, de Pierstorff sur le pro- fit, etc., etc.

Deux écrivains qui, tout en se rattachant à l'école du socialisme delà chaire, s'en écartent sur quelquespoints dignes d'être relevés, méritent une mention spéciale.

EN ALLEMAGNE 425

Gustave Cohn, professeur à Riga, à Zurich et actuel- lement à Gôttingue, a débuté par une savante mono- graphie sur la législation des chemins de fer anglais ; il s'est fait connaître ensuite par de brillants essais sur des sujets très variés d'histoire et de politique écono- miques, et il a commencé enfin avec un succès relative- ment moindre la publication d'un manuel d'économie politique, riche d'observations pénétrantes et précieuses, mais qui manque d'un grand nombre des qualités né- cessaires dans une étude systématique d'une science quelconque. Il faut louer Cohn cependant pour sa mo- dération, notamment sur les questions de méthode, et pour la pondération avec laquelle il juge les œuvres des grands maîtres de la science.

Gust. Cohn, Unter suchungen ûber die englische Eisen- bahnpoUtili. Leipzig, 1874-1875, 1883. Trois vol. VolkswirihschaflLiche Aufs'dize. Stuttgart, 1882. Xationalukonomischen Siudien, 1886. System der National'okonomie. Vol. I et II. Stuttgart, 1885-89.

Les titres scientifiques d'Adolphe Wagner (né en 1835) sont encore plus considérables ; fils d'un illustre physiologue, frère d'un éminent géographe, professeur à Vienne, à Hambourg, à Dorpat, à Fribourg, et depuis plus de vingt ans à Berlin, ^^'agner est avant tout un spécialiste de premier ordre en matière de monnaie, de banque, de cours forcé et de finance. Il s'est fait le défenseur des doctrines bancaires de Tooke et de Ful- larton, dont il a fait une savante analy.se; puis il s'est converti peu à peu aux idées restrictives en matière d'émission, et s'est rapproché du système de la banque d'Etat, il a défendu a,vec Arendt, Schaffle, Lexis, la théo- rie du bimétallisme international {Far biraetallistiscJie Mûnzpolitik Deutschlands] ; il est l'auteur de l'article Statistih dans le vol. X du Dictionnaire de Blunts-

426 l'économie politique

chli et Brater (18G7), et il s'est occupé en outre, à plu-^ sieurs reprises, de la réforme du système monétaire autrichien. En Russie il a publié un travail classique sur la théorie du cours forcé du papier monnaie, dans lequel il distingue soigneusement les oscillations de l'agio de la dépréciation dans la valeur des marchan- dises. Bien qu'il ait défendu la propriété foncière contre^ les assauts du socialisme {Die Abschaffung des priva- ten GrundeigentJiinns, 1870) il a proposé aux conseils, municipaux des grandes villes l'expropriation des pro- priétaires des maisons pour résoudre le problème du renchérissement des loyers, ce qui a provoqué de sages, critiques de RoscheretdeNasse. Son volumineux Coiu'S d'économie est remarquable par la profondeur des re- cherches, l'érudition, l'abondance des exemples histo- riques, statistiques, législatifs, la précision et la clarté de la langue, mais il pèche par la tendance exagérée de l'auteur à accepter les principes du socialisme d'Etat, soit dans sa politique économique, soit dans sa politique financière. Dans son Cours comme dans le Manuel de Schonberg, Wagner a traité remarquablement la partie générale et quelques chapitres spéciaux' de la théorie des impôts, et la doctrine des emprunts publics. Il ne pourra cependant pas, même avec l'aide d'éminents collaborateurs, remplacer comme il l'espère le traité de Rau, parce que la disproportion des parties, les énormes digressions philosophiques, historiques et juridiques Ont considérablement augmenté l'étendue de l'ouvrage et en ont fait presque une encyclopédie. Dans la science pure, Wagner est très correct quant à l'emploi des mé- thodes, et il s'écarte fortement de Schmoller ; il appré- cie avec beaucoup de sagacité et d'impartialité les grands écrivains anglais (Smith, Ricardo, Malthus), y compris les auteurs contemporains, et il s'émancipe, à ce point de vue, des préjugés de ses compatriotes. Il ne

EN ALLEMAGNE 427

faut donc pas s'étonner si de son école est sorti Henri Dietzel (né en 1857), professeur à Bonn, le seul écrivain de l'Allemagne proprement dite qui ait eu le courage de porter des coups vigoureux à l'exclusivisme domi- nant ; il a été le précurseur de l'école autrichienne, et il a démontré la nécessité d'associer aux recherches po- sitives les investigations théoriques.

Ad. Wagner, Beilràge zur Lehre von den Banken. Leipzig, 1857. Die Geld und Creditheorie der PeeV schen Bankade. Wien, 1862. System der deidschen Zetlelbankyeselzgehunf). Freiburg i. Br, 1870 - édit., 1873. Deux volumes. Die Ord- nung des ôsterreichischen Staatshaushaltes. Wien, 1863. Die russiche Papiericdhrung. Riga, 1868. Lehrhuch der politischen Oekonomie. l'''"vol., Leipzig, 1876. -3« édil., 1892-1893. - vol., 1871. édit., 1883. 6' vol., 1880- édit., 1890. vol., 1886-1889.

H. Dietzel, Ueber das Verhallniss der Volkswirlh' schoftslehre zur Socialwirihschaf'tslehre. Berlin, 1882. Der Ausgangspunkt der Socialwirlhschafts- lehre, etc. (in Zeitschr. /". die ges. Staafsivissen- schaft. Tubingen, 1883). Ueber Weseji und Be- deiitung der Theilbaus (Ibidem, 1884-85). Bei- ir'dge zur Methodik der Wirlhschaftswissenschaft (in Jahrbûcher de Conrad. Jena, 1884).

Quel que soit le jugement qu'on porte sur le courant actuel des études économiques en Allemagne, il est hors de doute que l'activité scientifique va toujours en augmentant. On en trouverait une preuve dans le grand nombre de revues spéciales que nous avons citées, et dans celles qui ont été fondées récemment, VArchiv fiir sociale Gesetzgebung (Tilibingen, 1888) dirigée par Braun, VAUgemeines stattstisches Archlv, dirigée par von Mayr (1890-91), et dans les deux colos- sales publications, l'une sous forme de traité, l'autre sous forme de dictionnaire, qui sont l'œuvre collective

4'28 l'économie politique

d'un groupe nombreux d'éminents spécialistes. Ils ont résumé dans ces œuvres tout ce quil y a de plus inté- ressant dans le domaine des doctrines économiques, administratives et financières, en les illustrant par une ample moisson de renseignements historiques, statis- tiques, législatifs, et il ont ainsi achevé deux encyclo- pédies, Tune systématique, l'autre alphabétique, dont il n'y a pas d'égales dans la littérature d'aucun autre pays. Parmi les précis, d'ordinaire assez courts, il suffira de citer le Grundriss de A. Held ('2^ édit. 1878), le Leitfadôn de A. Adler [i^ édit., 1890), le résumé de II. Schober(4^ édit., 1888), qui a presque toujours suivi Roscher, celui de Neurath (2" édit., 1892) et enfin celui de Lehr.

GusL. Schônberg, Handbuch der politischen. Oekono- mie. Tubingen, 1882. Deux volumes. -3* édit., 1890-91. Trois gros volumes. (Trad. italienne dans la BibUoieca dell' Economista, dirigée par Boccardo).

J. Conrad, L. Elster, W. Lexis, etc., Handwôrter- buch der Siaatsioissenschafl. Jena, 1889-94. Six volumes. 1" supplément, 1895.

J. Lehr, Politische Oekonomie. MuRchen, 1892 (2« édi- tion).

CHAPITRE XII

L'ÉCONOMIE POLITIQUE EN AUTRICHE

DANS LES PAYS-BAS, EN ESPAGNE ET EN PORTUGAL

Nous réunissons dans ce chapitre, par manque de place, ce qui nous semble digne d'être noté dans les conditions de l'écononie politique chez deux peuples de nationalité germanique et deux de nationalité latine, et nous constatons tout d'abord que l'importance scien- tifique des deux premiers dépasse de beaucoup celle des deux seconds.

§ 1 . l/ÉCCLE AUSTRO-ALLEMANDE

Bien qu'il n'ait pas antérieurement manqué à l'Au- triche des économistes zélés et particulièrementdesstatis- ticiens (v. Czôrnig, Ficker, plus tard Neumann-Spallart, et maintenant Brachelli et le bavarois K. Th. v. Inama- Sternegg, éminent historien de l'économie allemande), cependant elle ne pouvait lutter avec les autres parties de l'Allemagne, même si Ton tient compte des nom- breuses publications sur les questions commerciales, monétaires et bancaires. Sans parler des prolixes com- pilations du professeur Mischler (senior) de Prague, des savantes œuvres historiques de Béer, des monographies estimées de Plener, de Peez, etc., des bons essais de Neurath et de quelques travaux ingénieux de Hertzka,

430 l'économie politique

passé récemment au socialisme, nous rappelerons seulement les excellents précis des professeurs viennois Kudler (m. 1853) et Neumann-Spallart (m. 1888), le premier protectionniste, le second libre écliani^iste, et, d'une façon particulière, les œuvres financières, très étu- diées et très élégantes du baron Charles de Hock (fê08- 1869), dans lesquelles nous trouvons des observations originales sur la répercussion des impôts et une étude approfondie des impôts de consommation.

Jos. Kudler, Die Grundlehren di'r Volkswirlhschfi/ 1 . Wien, 1846. Deux volumes. -2« édit., 1856.

F. S. Neumann, Volkswirthschaftslehre mit beson- derer Anwendiing auf Heertcesen, etc., Wien, 1873.

C. V. Hock, Die uffentiichen Abgaben und Schulden. Stuilgart, 1863. Die Finanzverivaltung FranU- reichs, 1857. Die Finanzen und die Finanzge- schichte der vereinigten Staatenvon America, 1867.

Dans ces dernières années, grâce au travail diligent de deux éminents professeurs, Charles Menger et Emile Sax, dont l'activité scientifique est d'ailleurs beaucoup plus ancienne, est née une école autrichienne, ou mieux austro-allemande, qui doit être hautement louée pour avoir rappelé Tattention du monde savant sur les pro- blèmes de la science pure et en particulier sur celui de la valeur, et sur la nécessité d'appliquer la méthode déductive, que les économistes allemands avaient abandonnée pour se livrer presque tous à de minutieuses recherches historiques et statistiques.

Emile Sax (né en 1845), professeur à l'Université allemande de Prague et député au Reichsrath, a écrit un bon travail sur les maisons ouvrières ; il doit sa réputation d'éminent économiste à sa grande monogra- phie (résumée dans le Manuel de SchÔnberg) sur les moyens de tran.sport et de communication, dont il a

EN AUTRICHE, ETC. 431

montré de main de maître le caractère public, et dont il a fait une analyse objective et impartiale, supérieure à t;elles de Cohn et de Wagner, remarquables sans doute, mais trop subjectives. Dans les polémiques sur la mé- thode, il a défendu la méthode déductive et soumis à un ingénieux examen le principe de l'intérêt personnel et t;elui delà sympathie; il a montré la nécessité d'étudier l'action de l'Etat même dans le domaine de la science pure. Il faut signaler encore un autre travail ori^-inal de Sax. dans lequel il se propose de déduire toute la théorie financière, dont il revendique le caractère scientifique, de la théorie de la valeur ; il y a quelque ^xgération, qu'il enveloppe, d'ailleurs, dans un style souvent obscur.

Em. Sax, D/e Wohnunffszustûnde der urbcUenden Klns- sen. Wien, 1869. Die Verkehrsmillel in Volks- und Slaatswirthschaft, 1878-1879. Deux volumes. Das Wesen und die Aufyabe der Naiionaloko- nomie, 1885. Grundlegung der Iheorelischen Staalawirlhschaft, 1887. Die Progressivsleuer (in Zeitschr. fur Volkswirihschafl. 1, 1892).

Charles Manger (né en J840), professeur à Vienne, a exercé une influence plus grande encore par ses ou- vrages, ses vastes connaissances et son excellent en- seignement. Son frère Anton (professeur de droit) et son cousin Maximiiien se sont occupés également de quelques questions d'économie. Dans un premier travail, immédiatement apprécié mais moins qu'il ne le méri- tait, et; dans ses essais postérieurs sur le capital, sur les questions de monnaie, Menger, sans faire usage du calcul, est arrivé à des résultats en partie analogues à ceux de Jevons et en partie nouveaux sur la doctrine de la valeur subjective des biens instrumentaires, définitifs et complémentaires, et à quelques applications

432 l'économie politique

qui ont été le point de départ d'une série d'articles de ses disciples, v. Wieser (maintenant professeur à Prague), Zuckerkandl et Komorzynski.

C. Menger, Grimdsaize der Volhsîcirthschaflslehre.

Wien, 1871. Zur Théorie des Kapiials (in Jahr-

hùcher fur Naiional-Oekonomic . Jena, 1889.)

Geld, dans Y Handioorierbuch de Conrad, vol.

III, 1892. Der Uebergang zur Goldwcihrung. Wien, 1892. Fr. V. Wieser, Ueber den Ursprimg und die Hawpl-

gesetze des wirthschaftliches Werlhes. Wien, 1884.

Der natùrliche Werth, 1889. R,. Zuckerkandl, Zur Théorie des Preises. Leipzig, 1889. Joh. V. Komorzynski, Der Werth in der isoUrten

Wirthschaft. Wien, 1889. Cfr. W. 'èmdiTi, An introduction lo ihe iheorij of value

on the Unes of Menger, etc. London, 1891.

Le signal de la lutte contre le courant trop exclusif de l'école historique a été donné par Menger dans ses classiques Untersuchungen, qui constituent un exposé profond et clair des préliminaires d'une méthodologie économique, dont Fauteur s'occupe depuis de longues années, tout en dirigeant en même temps les travaux préparatoires d'une hibliographie générale de l'écono- mie politique. Un compte-rendu acerbe et inexact de Schmoller provoqua une réponse très vive et trop agres- sive de Menger, qui, à son tour, fut suivie d'articles plus mesurés, dans lesquels Wagner et Dietzel, malgré quelques réserves, adhéraient à ses opinions. A l'hon- neur de Menger il faut ajouter que, loin de mépriser ou même de négliger les recherches historiques et histo- rico-littéraires, il les encourage, comme le prouvent les excellentes thèses de ses disciples Bauer et Feilbogen, dont nous avons déjà parlé, et celle de Schullern, dont nous parlerons plus loin.

EN AUTRICHE, ETC. ^tdS

C. Menger, Untersuchungen ûber die Méthode der So- cialicissenschaflen und dn' politischen Oekonomre insbesoudere. Leipzig, 1883. Die Irrihiimer des Historimus. Wien, 1884.

Parmi les disciples de Menger le plus éminent est sans aucun doute Eugène von Bohm-Bawerk, profes- seur à Innsbruck et maintenant à Vienne. Il a com- mencé sa carrière par une remarquable monographie, dans laquelle il cherche à démontrer que les simples rapports de droit et de fait ne forment pas un capital au point de vue de l'économie sociale, bien qu'ils puis- sent former une partie importante du patrimoine indivi- duel. 11 a, plus tard, avec plus de largeur que ^^'iescr, développé la théorie de la valeur, déduite de l'utilité- limite, d'après la doctrine de leur maître commun. L'œuvre la plus importante de Bohm-Bawerk e.st l'histoire et la théorie de l'intérêt du capital ; il l'expli- que par la différence de valeur entre les biens pré- sents et les biens futurs, qu'ils soient employés dans la consommation ou dans la production. Ce livre est remarquable par la profondeur des recherches, par sa critique pénétrante et la clarté lumineuse de son expo- sition, malgré les critiques acerbes que quelques auteurs ont faites sur l'exactitude et Timportance de ses conclu- sions.

D'autres élèves de Menger, comme Gross et particu- lièrement Mataja, ont étudié le profit ; Schullern a ana- lysé le concept de la rente ; Meyer a remarquablement exposé la théorie de la justice dans la répartition des impôts, et il a soumis à une révision diligente la théorie de la rente ; Eugène vonPhilippovich est l'auteur d'une excellente étude sur la banque d'Angleterre dans ses rapports avec les finances {Die Bank von England^ Wien, 1885); il a débuté dans la chaire de Fribourg par la publication d'une judicieuse leçon d'ouverture

28

4o4 L ECONOMIE POLITIQUE

[Ueber Aufgabe und Méthode der politischen Oeko^ nomie. 1886); plus tard, il a publié un bon pré- cis. Il faut ajouter que l'école austro-allemande n'a pas oublié les questions d'application et d'actualité, comme le prouvent notamment les travaux de Mataja (Oa.s Recht des Schadenersaizes, 1888) et ceux de Seidler sur les budgets {Budget und Budgetrecht, 1885) et sur les peines pécuniaires [Die Geldstrafe, in vol. 20 des Jahrbïi.cher fur Xational-Oekonoinie, 1890).

Eug. V. Bôhm-Ba\verk, Redite und Verhdltnisse vom Slandpunkte der volksivirthschaftlichen Gùlerlehre. Innsbruch, 1881. Grundzûge der Théorie des ivirthschaftlichen Gùierirerths (in Jahrbûcher de Conrad, 1886). Kapiial und Kapiialzins. Inns- bruch, 1884-1889. Deux volumes. - Trad. angl. de W. Smart, 1890-1891.

F. Mataja, Der Unlernehmergewin. Wien, 1884.

G. GTOSS,DieLehre vom Unternehniergeicinn, Leipzig,

1884. Wirthschafisformen und Wirihschafts-

prinzipien, 1888. H. V. Schullern, Untersuchungen ùber Begriff und

Wesen der Grundrenie. Leipzig, 1889. Rob . Meyer, Die Principien der gerechten Besteuerung .

Berlin, 1884. Bas Wesen des Einkommens, 1887. Eug. V. Philippowich, Grundriss der politischen Oe-

konomie. Freiburg i. Br., 1893. Deux volumes.

Tout en étant d'accord avec nos illustres collègues de Vienne et de Prague sur la méthode et tout aussi convaincu qu'eux-mêmes que l'application qu'en a faite Ricardo n'est pas inattaquable, nous nous per- mettons cependant d'émettre un doute sur l'impor- tance qu'ils attribuent à la théorie de l'utilité-limite et à ses dérivés. Nous l'acceptons comme un complé- ment utile et comme une correction partielle à la théo- rie de la valeur courante, mais nous ne pouvons

EN AUTRICHE, ETC. 435

accorder qu'elle doive remplacer celle de la valeur nor- male et devenir le centre d'une économie nouvelle sur une base purement psychologique. Les réflexions de Dietzel et de Patten [Jarhûcher fur Nationalôko- nomie, 1890-91), nous semblent dignes d'être prises en considération, parce qu'elles ne sont pas, comme celles de certains adversaires, de grossières équivoques. Il faut en outre souhaiter moins de prolixité et plus de clarté.

Cfr. sur l'école aulro-allemande : James Bonar, The Austrian Economists. (in Quarterly Jour- nal of Economies. Boston, octobre 1888). Em. Sax, Die neueslen Forlschrilte der naiionaloko- mischen Théorie. - Trad. ital. de A. Graziani. Siena, 1889. E. v. Bôhm-Bawerk, The Austrian Economists (in Annals of the American Academy, etc. J'hiladelphia, janvier 1891).

Voir aussi la nouvelle revue trimestrielle Zeitsrhrift fur Vollxswirthschaft, Socialpolitik und Verical- twuj. Wien, 1892.

.^" 2. l'économie politique dans LES PAYS-BAS

L'état des études économiques dans les Pays-Bas peut être considéré comme florissant. Elles sont repré- sentées dignement dans les Universités de Leyde, d'Utrecht, de Groningueet d'Amsterdam; on leur ouvre les revues générales [De Gids) et elles ont leurs revues spéciales [De Economiste Vragen der Tijd.s). Les Hollandais sont tout à fait au courant de l'état actuel de la science en France, en Allemagne, en Angleterre ; ils sont restés fidèles aux traditions de l'école classi- que, dont ils ont perfectionné les résultats, et ils ont étu- dié dans de bonnes thèses de doctorat les questions de science pure et de science appliquée. Il suffît de men- tionner le mémoire de van Houten sur la valeur (1859),

436 l'écoîsOmie politique

ceux des éminents professeurs d'Aulnis de Bourouill (d'Utrecht) sur le revenu social (1874), d'accord avec les doctrines de Jevons, et de Greven (de Leyde) sur la théorie de la population (1875), étudiée du point de vue des idées des évolutionnistes Spencer, Greg et Galton, et, en outre, la thèse très correcte d'Heymans sur la mé- thode (1880), celles de Tasman sur la répercussion, et de Cohen Stuart sur l'impôt progressif ( 1 889) , et enfin , celles de Falkenburg sur le salaire, de Verrijn Stuart qui réfute l'opinion de ceux qui voient dans les théories de Marx une suite des théorèmes de Ricardo (1890), de von der Schalk sur les coalitions industrielles (1891), et de Me- thorst sur les maisons de travail pour les pauvres (1895) . Parmi les autres professeurs, nous devons citer van Ress (1825-1869), auteur de très savants travaux his- torico-littéraires, Quack qui a écrit de brillants essais sur le socialisme, Vissering (1818-1888), savant auteur d'un manuel élégant mais peu profond, Cort van der Linden, quia écrit dans l'e.'^iDrit de l'école allemande un bon précis sur les finances. Antoine Beaujon (1853-1890) leur est supérieur à tous sous beaucoup de rap- ports. Il s'est occupé d'abord de travaux statistiques, il a écrit ensuite en anglais son œuvre principale sur la pêche, et il a publié enfin une monographie précieuse » dans laquelle il a déduit correctement de la théorie des échanges internationaux le corollaire de la liberté du

commerce.

H. Q. G. Quack, De socialisten. Personen en stelsels.

Amsterdam, 1875-1879. Sim. Vissering, Handboek van praldische Siaathuis-

houdkuncle, 1860-65; édit., 1878. Deux petits vo-

kimes. P. W. A. Cort van Linden, Leerboek der financien.

1887. A. Beaujon, Hisiory of ihe duich sea fisheries. Ams-

EN AUTRICHE, ETC. 437

terdam, 1884. Handel en handeispoliiiek. Haar- lem, 1888.

Guillaume Cornélius Mees (1813-1884), président de la Banque des Pays-Bas, a été un savant de premier ordre. Il a débuté par deux mémoires, le premier sur les altérations monétaires [De vi mutcitae monetae in solutionein pecuniae debitae, 1838), le second sur les anciennes banques de dépôt ; il a relevé quelques erreurs de Steuart et de Smith, et expliqué la véritable nature des opérations de la banque d'Amsterdam fProeve eener gesdiiedenis va.n het bankwezen in Nederland. Rotterdam, 1838). Il écrivit ensuite une excellente monographie sur le travail dans les établisse- ments d'assistance (De Werkinrigtinge7ivan arnien, 1844). Il publia beaucoup plus tard ses travaux de science pure ; ils sont remarquables par la profondeur de la pensée, la correction un peu arido de la forme, et la sobriété de l'érudition. Dans le volume intitulé OverzicJit van eenige hoofdstukken der Staatshuis- houdkunde. Amsterdam, 1886, il a résumé, avec une simplicité et une clarté remarquables, les théories de l'école classique, et, en particulier, celles de Ricardoet de Stuart Mill sur la production, la valeur, la distri- bution des richesses, sans omettre de parlerdes limites de leur champ d'application. 11 faut signaler tout par- ticulièrement sa théorie des relations entre le salaire et la rente et celle des échanges internationaux, qu'il a enrichie de développements intéressants. Il a égale- ment publié d'autres mémoires dans les Actes de l'Académie Royale des Sciences d'Amsterdam, qui sont autant d'essais complémentaires, également très impor- tants : le premier porte sur le système monétaire, dont Mees avait déjà parlé dans une monographie spéciale (Het niuntwezen van Nederlandsch Indie. Amster-

438 l'économie politique

dam, 1851), et aussi, à plusieurs reprises, dans de remar- quables rapports officiels {De muntstandaard in ver- hand met de pogingen tôt invoering van eenheid VEin munt, 188')). Il y expose avec une méthode cor- recte la théorie du bimétallisme international, et il évite les exagérations des partisans extrêmes de ce sys- tème. Sur cette doctrine, presque généralement accep- tée en Hollande, nous possédons des travaux de Pier- son, de Van den Berg, directeur de la banque de Java, et enfin de Boissevain et de Rochussen (1891); les œuvres de ces deux derniers écrivains ont été couron- nées. Les mémoires de Mees sur la répartition des impôts (1874) et sur les concepts fondamentaux de l'éco- nomie (1877) sont pleins d'observations pénétrantes.

Parmi les économistes hollandais actuels, la première place appartient à Nicolas Pierson (né en 1839), profes- seur d'économie à Amsterdam (1877), successeur de Mees à la présidence de la Banque néerlandaise (1884), et, depuis août 1891, ministre des finances. Esprit pénétrant, également bien doué pour les recherches historiques, scientifiques et les travaux d'application, Pierson a écrit de nombreux mémoires sur la monnaie, le crédit, la valeur, le salaire, la rente, l'impôt, etc., presque tous insérés dans les revues déjà citées, De Gids et De Economist. Admirateur des économistes anglais (en particulier de Ricardo, de Mill, de Je vous, de Marshall), il persévère dans la théorie du libre échange sans tomber dans l'optimisme; il admet une intervention modérée de l'Etat dans la question ouvrière, mais repousse énergiquement les théories du socialisme.

Parmi les monograpliies qui ont fait l'objet de publi- cations séparées, nous citerons sa traduction du livre de Goschen sur le cours des changes, son discours sur le concept de la richesse [Het begrip van volksrykdom.

EN AUTRICHE, ETC. 439

'S. Gravenhage, 1864) ; l'opuscule Twee adviezenover muntwezen (1874) et enfin ses brillantes et érudites dis- sertations historico-politiques sur le gouvernement des colonies (Het Kulhiur-stelsel, 1868. totalement re- fondues sous le titre de Koloniale jjolitiek. Amster- dam, 1877), Le chef-d'œuvre de Pierson est son traité d'économie politique, dans lequel, abandonnant les divisions ordinaires et sans aucun appareil d'éru- dition, il explique, avec une profondeur qui égale celle de Mees mais avec une toute autre vivacité de style, les doctrines de l'économie moderne. Il commence par la théorie de la valeur qui le conduit aux théories de la distribution et de la circulation; il continue, après avoir expliqué lesproblèmes financiers même au pointdevue pratique, par les théories de la consommation, de la population et enfin par celle de la production, dont il proclame l'importance capitale. Le livre de Pierson est en somme un des meilleurs exposés de l'état actuel de la science.

N. G. Pierson, Leerboek der Staalhidshoudkunde . Haarlem, 1884-90. Deux vol. Grondbeginselen der Siaathuishoudkunde. Haarlem, 1875-76. -Nou- velle édition, un peu modifiée, 1886.

§ 3. l'économie politique en ESPAGNE

Cfr. (en dehors de mon article déjà cité). M. H. v. Heckel, Zur Entwickelung und Lage der neueren staatsivissenschaftlichen LiUeratur in Spanien (in Jahrbûcher fur Nationalùkonomie. Jena, 1890. Nou- velle série, 21« vol., pp. 26-49).

Le peu de stabilité des gouvernements, les crises économiques et financières, les nombreux obstacles à la diffusion du savoir, le peu d'originalité des écrivains.

440 l'économie politique

habituéi? à imiter les œuvres étrangères et notamment les œuvres françaises, suffisent à expliquer le peu d'importance relative des économistes espagnols et portugais contemporains; dans ces dernières années, on peut signaler quelques honorables exceptions.

Il existe en Espagne un très grand nombre de livres élémentaires, mais on ne peut louer en eux ni l'ampleur de la doctrine, ni la pénétratioa de la critique, ni la rigueur de la méthode, ce qui explique le besoin de traduire les résumés écrits en langue étrangère. On apprécia pendant longtemps le Curso de Economia -politico. (!'■" édit. Londres, 1828. Deux vol.-7'= édit. Oviedo, 185?.-trad. franc, de L. Galibert, 1833) d'Al- varo Florez Estrada (m. 1833), qui résume avec beau- coup d'habileté dans des analyses en partie originales les théories des économistes classiques. Les Principes d'économie politique du protectionniste A. Borrego (1844) sont plus connus que les excellents Eléments du marquis de Valle Santoro (1829). Les idées restric- tives ont été encore plus favorablement défendues par l'illustre historien et publiciste Manuel Colmeiro (Tra- ta,do elementa.1 de economia j^olitica eclectica. Madrid, 1845. Deux volumes), qui, converti plus tard au libre échange, résuma ses leçons dans les Principios de economia j^olitica (Madrid, 1859.-4'' édit., 1873). Benigno Carballo y Wangûemert (m. 1864) professa des idées plus conformes aux théories reçues dans son Curso de economia politica (Madrid, 1855-56. Deux vol.). Plus vaste encore est l'œuvre du professeurs. D. Madrazo, de l'Université de Madrid (Lecciones de econ. polit., Madrid, 1874-75. Trois vol.), disciple de Ba.stiat. Des théories analogues étaient professées par le séna- teur Mariano Carreras y Gonzales, auteur d'un précis de statistique (i863), et d'un traite d'économie, fort en usage dans les écoles et qui porte le titre caractéris-

EN AUTRICHE, ETC. 441

tique de F iloso fia del interès Personal (Madrid. 1865.- 3* édit., 1881). J. M. de Olozaga y Bustamente , auteur d'une œuvre érudite (Tratado de econoinia, politica. Madrid, 1885-86. Deux vol.), très répandue hors d'Espagne, n'est pas moins optimiste.

D'excellentes monographies ont été publiées dans la Gaceta, economîsta 1I86O-68. Douze volumes), dans les Mémoires de la Société économique de Madrid (1835- 77) et dans ceux de l'Académie des sciences morales et politiques (1863-78) ; d'autres ont été réunies dans les volumes d'Essais et d'Etudes publiés par Diaz (1855), par Duran y Bas (1856) et parEscudero(1878y. Le libre échange a été défendu par Figuerola, Barzanellana, de Bona y Ureta, Ochoa, Sanromâ, etc. ; sur le crédit en général ont écrit Casasas (1890); sur le crédit foncier, Oliver (1874), Isbert y Ouyas (1876) ; sur la propriété, Santamaria de Paredes (1874; et Martinez (1876) ; sur la population, Oaballero, qui a soulevé une vive polémique (1873) ; sur les crises industrielles, Pastor y Rodri- guez (1879) ; sur la question sociale, Arenal 1880 , Fer- ran, Menendez (1882; ; sur les caisses d'épargne, Ra- mirez (1876); sur l'assistance, Aranaz (1859i, Perez Molina 1868, Montells y Bohigas (1879) et quelques autres.

Les ouvrages sur la science des finances sont très nombreux. En dehors du Diccionnario de liacienda de Canga Arguëllcs Londres, 18'26, - 2*^ édit. Madrid, 1834-40. Trois volumes) et des livres élémentaires de Lopez Narvaez (Tratado de Hacienda, etc., 1856) et de Lozano y Montes {Compendio, etc., 1878', on peut citer l'œuvre critique de Conte [Examen, etc. Cadix, 1854-55. Quatre vol.), les traités systématiques de Pefia y Aguayo [Tratado de la Hacienda, etc. Madrid, 1838), de Toledano [Curso de institue iones. 1859-60. Deux vol.) et l'ouvrage plus récent et plus accrédité de Pier-

442 l'économie politique

nas y Hurtado {Manual de instituciones de hacienda- publica espanola. Cordova, 1869. - 4^ édit., Madrid^ 1891), riche de notices sur l'histoire et sur la législation financière nationale. 11 faut signaler d'une manière spéciale L. Maria Pastor (m. 1872), auteur de trois excellents travaux sur les impôts (La Ciencia, de la. contribucion. Madrid, 1856), sur le crédit privé et. public {Filosofla, del crédita, 1850.-2« édit, 1858) et sur l'histoire delà dette publique (Hisioi'ia de ladeuda publica espanola, 1853). Les impôts ont été étudiés par Heredia (1813), Lopez de Aedo (1844), Valdes-- pino (1870), etc.; sur le crédit public il existe un traité élémentaire de A. Hermandez Amores (Murcie, 1869).

Parmi les travaux d'histoire économique il faut faire une mention spéciale pour ceux de F. Gallardo Fer-- nandez [Origen, progvesos, etc. de las renias de Espaiîa. 1806-32. Sept vol.), pour la très intéressante histoire des banques espagnoles de R. Santillan [His- toria sobre los bancos, etc. Madrid, 1865. Deux vol.) et pour l'excellent Essai sur la propriété foncière de De- Cardenas [Ensayo sobre la historia de la propriedad territorial en Espaiîa. Madrid, 1873-75. Deux vol.)

Les doctrines des socialistes de la chaire, combattue;?, par Rodriguez, Sanromâ, Carreras, trouvent des parti- sans éminents et modérés dans F. Giner [Principios elementales del derecho, 1871), G. Azcàrate [Estudios^ politicos y economicos, 1876), Botello (1889) et Sanz y Escartin (La cuestion economica, 1890). Une sage théorie éclectique est défendue par Piernas y Hurtado, professeur à Madrid [Vocabulario de la economia, 1877.-2^ édit., 1882), qui a récemment publié un vo- lume d'Essais [Estudios economicos, 1889) et d'inté- ressantes conférences sur la coopération {El movi- miento cooperativo, 1890), et aussi par L. de Saralegui

EN AUTRICHE, ETC. 4i3

y Médina (Tratado de economia fjôlitica. ^6" édit., 1890).

I. F. Da Silva, Diccionano bibliographico portu- guez, etc., Lisboa, 1858-87. Quatorze volumes.

J. Fred. Laranjo, Economistas poriuguezes [0 Insii- iuto. Vol. XXIX et suiv. Coimbra, 1882-1884).

L'économie politique a trouvé dans le Portugal des conditions encore moins favorables qu'en Espagne. Le premier écrivain de quelque importance est l'évêque de Pernambuc et d'Elvas, J. J. Cunha d'Azéredo Couti- nho (1743-1821), qui a publié quelques essais sur le com- merce, les mines, la monnaie, l'esclavage. Un certain nombre de monographies sur les questions d'applica- tion ont été insérées dans les Mémoires de l'Académie des Sciences (1789-1816). L'excellent jurisconsulte et économiste José da Silva Lisboa (1756-1835 a le mérite d'avoir fait connaître en Portugal et au Brésil les théo- ries de Smith ; il a résumé ses idées dans les Estudos do bem comum e economia, politica (Rio de Ja- neiro, 1819-20. Deux vol.). Nous trouvons des écrivains éclectiques ou partisans de la physiocralie, comme le professeur de Coïmbre, J. J. Rodriguez de Brito (1753- 1831), qui a écrit des Memorias politicas sobre as ver- dadeiras bases de la grandeza das naçoes, Lisboa, 1803-05) ; d'autres, au contraire, se sont faits les défen- seurs d'un protectionnisme modéré, comme F. S. Cons- tancio, traducteur de Malthus et de Ricardo, qui a fondé et dirigé à Londres les Annaes das Sciencias (1818-22) et José Accursio das Neves (1766-1834), un érudit connaisseur de l'histoire économique portu- gaise {Variedades sobre objectos relatlvos as artes,

444 l'économie politique

commercio e manufacturas. Lisboa, 1814-17, Deux volumes).

Le premier précis d'économie loolitique écrit, dans une forme un peu scolaslique, par le prêtre D. Man- nuel d'Almeida Lisboa, 1822), devait servir pour la chaire proposée par le député Rodriguez da Brito, mais non instituée par suite de l'opposition des parti- sans du système restrictif inauguré au siècle précédent par le ministre Pombal. Ont paru ensuite les Institui- çoes (Lisboa, 1834) de José Ferreira-Borges (1780-1838), extraites en grande partie des œuvres de ïracy et de Storch, les Preleçcocs (Porto, 1837) de Ag. Alb. da Sil- veira Pinto (1785-1852, les Xoroes elementares de Ant. d'OliveiraMarreca (Lisboa, 1838), le très court pré- cis de Pinheiro-Ferreira [Précis cVun cours cléconoinie politique. Paris, 1840) elles autres plus récents de F. L. Gomes [Essai sur la théorie de l'économie politique, etc. Paris, 1807) et de L. Aug. Rebello da Silva [Com- 2:>enclio de economia politica, rural, industrial e commercial (Lisboa, 1868. Trois volumes).

Une chaire d'économie a été créée à l'Université de Coïmbre en 1830 et confiée à Adrien Pereira Foriaz de Sampajo. qui l'a occupée jusqu'en 1871. Il a publié un précis, inspiré dans la première édition 1 1839) par le catéchisme de Say et dans la seconde (1841) par le traité de Rau. Augmentée dans les réimpressions ultérieures, et notamment dans la cinquième [Novos elementos de economia politica e estadistica. Coïmbra, 1858-59. Trois vol.), corrigée à nouveau et un peu abrégée dans la sixième (1867) et dans la septième (1874. Deux vol.), cette œuvre, peu profonde, mais remarquable par l'ordre, la clarté et la richesse des renseignements, remplaça dans les écoles les compilations précédentes.

L'enseignement de la science des finances ayant été introduit dans l'enseignement de l'Université (1865\

EN AUTRICHE, ETC. 445

conjointement avec le droit financier national comme en Espagne, Mendonça Cortez publia des Estudos fhinn- çeiros, résumées (1873) par Ctirnido de Figuereido, auteur d'une Introduccao a sciencia das finanças (1874). On doit lui préférer le traité du professeur An- tonio dos Sanctos Pereira Jardim (né en 1821), intitulé Princijnos de Finança (Coimbra^ 1869.-3eédit., 1880).

A Tinfluence des idées radicales, voisines du socia- lisme, est le petit ouvrage de F. M. de Sousa Bran- dao (0 tvahalho. Lisboa, 1857). Le ministre actuel des finances, Oliveira Martins (0 régime das riquezas, Lisboa, 1883) et J. J. Rodrigues de Freitas, professeur à TAcadémie polytechnique de Oporto {Principios de Economia politica. Porto, 1883), se sont in.spirés, au contraire, des théories de l'école historique et des résul- tats de la sociologie.

Parmi les monographies nous citerons les Principes de la science des finances {Syntelologia) de Ferreira Borges (Lisboa, 1834), l'histoire de la dette publique de Da Silveira Pinto {Dividapubliraj^orlugueza, Lon- dra, 1831), les ouvrages de Morato Roma sur la mon- naie (De lamonnaie. Libona, 1861), de Serzedello sur les banques [Os bancos, 1867) et du professeur Laranjo sur l'émigration et les colonies (T/ieo)7a gérai da emi- graçào. Tome I. Coimbra, 1878).

CHAPITRE XIII

L'ÉCONOMIE POLITIQUE DANS LES PAYS

SCANDINAVES, SLAVES ET MAGYARES

Il sutrira de donner de très rapides indications sur la littérature Scandinave, slave et magyare. (Nous nous sommes particulièrement servis des œuvres et des renseignements fournis par les professeurs Falbe Han- sen, Scharling, Petersen, Hertzberg, Rabenius, Hamil- ton, Lilienstrand. Wreden, Janschull, Jahnson, Loria, Kautz et Bêla Foldes . Toutes les œuvres ont un inté- rêt ou historique ou purement local, ou bien, quoique remarquables^ elles ne s'éloignent pas de celles des meilleurs économistes anglais, allemands, français. Dans les vingt-cinq dernières années cependant les progrés de la Russie ont pris des proportions telles qu'ils nous permettent d'espérer en un avenir scienti- lique encore plus brillant.

§ 1. PAYS SCANDINAVES.

A. Dariemark.

A la période mercantiliste appartiennent le^s œuvres très importantes de Tévêque Henri Pontoppidan ; il est l'auteur d'une description statistique du Danemark (1763-81; et d'un livre intitulé Oekonomik Balance (1759;; il a été directeur du Danmarsk og Norges okonomisk Magazin (1757-68. Huit volumes). A cette

DANS LES PAYS SCANDINAVES, ET(J. 447

période se rattachent également les travaux de Frédéric hïitken {Oekonomiske Tanker, 1755-61. Neuf volumes) et les œuvres politiques de Andrée Schylte (1773-76), qui s'est fortement imprégné des idées de Hume. Othon D. Liitken a répandu des idées libérales en ma- tière de monnaie (1735) et devancé Malthus, dès 1758, dans la théorie de la population ; on lui doit un des premiers travaux systématiques [Undersogninger, etc., 1760).

On doit, en partie, à l'influence physiocratique les réformes faites par le ministre Struensee : abolition de la servitude, de la communauté des terres, des pres- tations féodales, etc. Le tarif douanier relativement modéré de 1797 est postérieur de quelques années seu- lement à la traduction de Smith (1772-80), qui a été suivie, beaucoup plus tard, par celle des ouvrages de Say, Sismondi, Blanqui, Ricardo, Mac Culloch, Rau et plus tard encore par celle de Bastiat et de Faw- cett.

Une chaire d'économie ayant été créée à l'Université de Copenhague, le professeur C. Olufsen (1815-27) pu- blia un précis {Grundtra.ek af denj^ra-ktiske Stalsôko- nornie, 1815) d'après les écrivains allemands. En 1848 une faculté politico-administrative spéciale fut créée ; l'enseignement fut confié au célèbre statisticien David, -qui, longtemps auparavant, avait dirigé le StatsukonO' misk Archiv (1826-29, continué en 1841-43), et à Berg- soe, auteur d'une volumineuse Statistique du Dane- mark (1844-53). Un peu plus tard le professeur C. J. H. Kayser publia un bon précis, dans lequel il résume l'économie classique, notamment d'après Hermann et Stuart Mill [On arbeidets Ordning . 1857. Trad. sué- doise, 1867). Son successeur N. C. Frederiksen (émigré «n Amérique en 1877) se rapproche des théories des -optimistes dans trois monographies sur la libre concur-

448 L'ÉCONOiMIE POLITIQUE

rence (1863), le développement (1870) et sur les con- cepts fondamentaux de Téconomie (1874). Des idées analoï^ues sont exposées dans le manuel populaire de M. Gad [Det almindelige Velstands natur og aarsager. 2" édit. 1879).

Les études économiques ont reçu en Danemark une nouvelle impulsion après la fondation de la Société d'économie politique (1872) et la publication d'un^ revue mensuelle {NationalôJionomisk Tidschrift , 1873 et suiv.) à laquelle collaborent l'éminent statisticien professeur H. Westergaard , les professeurs V. Falbe- Hansen et W. Scharling, qui ont publié, pour un con- cours en 1869, deux bonnes monographies sur les variations des prix après la découverte de l'Amérique. Falbe-Hansen dirige aussi la statistique offîcielle et suit avec beaucoup de modération les idées de l'école alle- mande, à laquelle adhèrent plus complètement le privat- docent Alexis Petersen-Studnitz, directeur de la revue ci-dessus mentionnée, Krebs, W. Arntzen et H. Ring^ auteurs d'unprécis {Nationalukonomien, 1875), et enfin Cl. Wilkens, qui a écrit un essai de sociologie (Sam- fundslegemets Grundlove, 1881). Scharling, collabo- rateur de plusieurs périodiques allemands, auteur d'une introduction à l'économie [Inledning Ht den jjo- litiska, ôkonomi, 1868) et d'un Programme de leçons [Grundrids af den rené Arbejdslaere, 1871) suit les doctrines de l'école classique. L'école mathématique est représentée par Westergaard [Inledning tit stiidiet of Natlonalôkonoinien, 1891), F. Bing, M. Rubin, Julius Petersen (Bestenimelse af den rationelle Ar- beidslôn samt nogle Bemerkingen von Oekonomiens Méthode, 1873).

L'importance relative du socialisme, très répandu en Danemark, a fait naître un grand nombre d'ouvrages sur la question ouvrière.

DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 449

Cfr. R. Meyer, Der Socialismus in Danemark. Berlin,

1874. G. Martinet, Le Socialisme en Danemark, 1893.

B. Nbrivège.

Plus que l'union politique, qui a duré jusqu'à la (in de 1814, la communauté des langues a contribué à im- primer à la littérature économique de la Norwège un caractère peu différent de celui du Danemark. Depuis le milieu du siècle passé il a été publié un grand nombre d'ouvrages de caractère descriptif ou concernant des intérêts purement locaux. La crise économique, les désordres monétaires, l'insolvabilité des banques sont les sujets les plus souvents traités. Sur la question ban- caire il faut citer quelques opuscules du capitaine Ma- riboe (1815-21), mais spécialement une bonne monogra- phie du professeur Antoine Martin Schweigaard {Om Norges Bank og Pengevaesen, 1836). Schweigaard est aussi l'auteur d'une célèJjre Statistique de la Norwège qu'il n'a pu terminer parce qu'il a dépensé son activité comme membre du Stortliing, il a obtenu l'abolition des corporations, des monopoles, des droits protecteurs ; il a pris également une part active dans rétablissement des chemins de fer.

Voir F. Hertzberg, Professor Schweigaard. Christia- nia, 1883.

Au moment de la discussion sur la question moné- taire qui se termina par la formation de la ligue Scandinave (1872-75) parurent plusieurs ouvrages de polémique de T. H, Aschehoug, de l'ex-ministre 0. J. Broch (1867), du banquier Heftye (1873) et de Gam- borg (1874). Il n'existe pas en Norwège de traités et de précis d'économie, sauf un petit ouvra'ge populaire de H. Lehmann {Velstandslecre, 1874) qui accepte les

29

450 l'économie politique

doctrines de Bastiat. Parmi les économistes actuels, en dehors de ceux que nous avons déjà cités, il faut men- tionner le directeur du bureau de statistique, A. N. Kyaer, qui a écrit un bon ouvrage sur la navigation {Biclnig til ùebjsnlngen of shibsfartens oehonomiske forhold, 1877). Un concours fut ouvert en 1876 pour une seconde chaire d'économie à l'université ; on choi- sit pour sujet le crédit et les banques. A ce concours prirent part Gamborg {Seddelbanken) , Kyaer {Om seddelbariker) et Ebbe Hertzberg (qui fut nommé , au- quel nous devons deux travaux très remarquables, publiés en 1877 sous le titre de : En kritisk Frems- tilling af Griuidsaetmingerne for Seddelbankers, et Uni Kredi tiens Begreb og Vaesen. Gamborg a écrit en outre une très courte dissertation théorique sur Tintérêt [Om renten af -penge^ 1870), Enfin, parmi les auteurs les plus récents nous devons signaler Morgenstierne et Jiiger, auteur d'une monographie déjà citée sur les théories du capital et de la rente dans Adam Smith.

G. Suède et Finlande.

La Suède a, elle aussi, une littérature, qui remonte au milieu du siècle passé, sur l'organisation des manu- factures et sur des sujets généraux, dont les auteurs ont été d'ordinaire des professeurs de sciences camérales, qui acceptaient plus ou moins explicitement les idées des mercantilistes. 11 suffit de citer parmi eux A. Berch (m. 1771), très célèbre en son temps 'De fellcitate pa- ir iae j^er Oeconomiam proniovenda, 1731. Inled-^ ning tilt allmanna Hushallningen, 1747). Ils sont tous inférieurs à A. Chydenius (1729-1803), auteur d'excellentes monographies qui défendent les théories libérales, développées plus tard par Smith {Poliiiska Skrifter, édités par E. G. Palmén, 1877-80). Nous trouvons plus tard à Upsal le professeur L. G. Rabe-

DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 451

nius, protectionniste, auteur d'un manuel [L'àrehok i National-Ekonomlen, 1829), auquel a succédé, quel- ques années plus tard, son fils Théodore, qui a écrit sur les dîmes (1856), la liberté industrielle (1867), le luxe (1873), et qui a traduit nos Eléments de finances (1882). Le professeur actuel D. Davidson s'est surtout occupé de science ; il a écrit sur la formation du capital, sur l'histoire de la théorie de la rente [Bidrag till Kapitabildningen, 1878. Bidrag till joixWante- teoriens historia, 1880). La chaire de l'Université de Lund, qui est plus récente, est occupée dignement par le comte G. K. Hamilton, auquel nous devons quelques travaux sur le concept et le développement de l'éco- nomie C1858), sur la physiocratie (1864), sur la monnaie et le crédit [Ont jjenningar och kredit. IbBl), sur la question ouvrière {Om arbetshlassen, 1865), etc.

Pour des raisons pratiques, on a beaucoup discuté en Suède la question des banques et celle du cours forcé, sur lesquelles nous possédons d'excellents travaux de Nordstrom (1853), de Skogman (1845-46), de J. M. Agardh (1865), de Leffler (1869), de Carlquist (1870, et aussi le très remarquable mémoire de Bergfalk sur les crises commerciales (1859). La science des finances n'a pas été négligée; nous citerons entre autres un ouvrage de CoUin (A fhandling om staisinkomsterna, 1816). On peut avoir une idée exacte des conditions de la science économique en Suède d'après le précis de G. Westman [Natioiialekonomiens Grunddrag, 1881- 1885), destiné à l'enseignement secondaire, et celui de G. A. Leffler, disciple de l'école allemande, pour l'enseignement supérieur (Grundlinier LUI National- ekonomiken, 1881).

La première place parmi les économistes de la Fin- lande appartient au professeur A. Liljenstrand, de l'Université d'Helsingsfors, qui, en dehors de quelques

45"2 l'économie politique

ouvrages moins importants (1851-57), a pulilié deux monographies sur l'association [System a.f Samfund- sehonoinins Liiror, 1860) et sur les conditions territo- riales de sa patrie (Finlands Jordnaturer, etc.. 1879).

A. Pologne et Bohême.

Le comte Frédéric Skarbek (1792-1869), profcs.seur à Varsovie, estl'auteur de bons précis d'économie (18'20), d'administration (18"21) et de finance (1824), d'un dic- tionnaire (1828) et de deux traités d'économie pure et appliquée (1859-60). La traduction française du premier des précis indiqués [Théorie des richesses sociales, 1829. Deux volumes) est souvent citée pour sa bonne analyse du phénomène de la circulation. Le manuel du négociant Sigismond Dangel [Ogôlne zasady ekononiii politycznéi, 1862) et les œuvres économiques et sociales fort appréciées de Joseph Supinsky (Lemberg, 1872. Cinq volumes) ne sont pas connues hors de la Pologne. Nous devons à Withol Zaleski, professeur à Varsovie, des œuvres statistiques et des monographies sur les rapports de l'économie et de la morale (1867), sur les sociétés ouvrières (1873), etc. Joseph Oczapowski, col- laborateur de la Reinie d'économie poliiiciue, profes- seur à Varsovie et ensuite à Cracovie, a écrit quelques travaux historiques, critiques et dogmatiques, d'après les théories de l'école allemande, qu'il a réunis dans un volume publié en 1889. Comme partisan de cette même école nous devons signaler le laborieux professeur de Lemberg, Léon Bilinski (né en 1846), quia écrit, en allemand, sur les impôts sur le luxe, (1875, sur les tarifs de chemin de fer (1875), sur la réforme des finances communales (1878) et, dans sa langue maternelle,

DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 453

quelques études sur l'impôt, sur la rente {Siudya nad podatkieni dochodowym, 1870), un manuel de science des finances [System nauki skarbowey , etc., 1876) et un grand traité d'économie [System ekonornji spo- lecznej, 1880-82. Deux vol.) qui a remplacé un autre précis du même auteur publié en 1873-74.

Sur l'économie agraire ont écrit Soldraczinski, Rem- bowski, Skarzinsky, Stawisky ; sur le commerce et sur les banques, Falkenhagen-Zaleski ; sur les assurances, Mayzel ; sur les finances, le prince Lubomirski, Na- gôrny, etc. Les œuvres de Tengoborski, Cieszkowski, V. Miaskowski, Ochenkowski, écrites en français et en allemand, sont généralement connues.

En langue bohème nous avons un précis de la science des finances du professeur J. Kaizl [Financni vêda, 1888) de l'Université de Prague.

B. Russie.

Si on ne tient pas compte du Domstroi, qui est une compilation sur l'économie domestique de différents auteurs du xvi^ siècle publiée par Golochwastow (1849) et commentée par Nekrassow (1872) et par Briickner (1874), la littérature économique russe commence, dans la seconde moitié du siècle suivant, avec les ou- vrages de l'érudit mercantiliste serbe Krishanitsch (commentée par Bodenstedt) et avec le curieux ou- vrage intitulé Pauvreté et Richesse (1724) de Po.s- soschkow. autodidacte, paysan, commerçant, indu.s- triel, mort en prison en 1726, qui a développé, d'une façon très explicite, les idées restrictives qui ont in.spiré la politique économique de Pierre le Grand.

A. Briickner, Iwaii Possoschkoïc, 1878.

L'économie moderne pénétraen Paissie avecles leçons de Tretjiikow (1772;. les traductions de Smith (1802) et

454 l'économie politiquk

de Sartorius (1812), le précis de Schlôtzer (1805), mais surtout avec les œuvres déjà citées de Storch qui sont, dans leur ensemble, préférables aux traités de Bu- towski (1847), de Stepanow et de Tschivilew (1848), de Kamensky (1856) et au court précis de Vernadsky (1858). Il faut louer, sinon pour leur originalité, moins pour leur précision et leur clarté, les Principes d'économie de Gorlow (1859), auquel nous devons aussi le premier traité de Science des finances (1845). Mais l'œuvre la plus remarquable de cette période est certainement la belle monographie de Turguenew sur les impôts (Saint-Péterbourg, 1818.-2^ édit. 1819), qui discute à fond les questions les plus importantes et qui mériterait d'être traduite dans une langue plus familière aux économistes.

Pour avoir une idée exacte des caractères, de la ten- dance et de l'importance des travaux d'économie poli- tique publiés en Russie, il ne faut pas oublier que, bien que cette science soit enseignée dans les Universités et qu'on en fasse des exposés populaires dans beaucoup de revues (Journal économique, Messager de l'Europe, Messager russe, Journal du ministère des finances, etc.) et en particulier dans le Magazine des sciences poli- tiques (1872 et suiv.), cependant les rigueurs de la censure préventive, notamment dans les trente années du règne de Nicolas, ont empêché beaucoup d'esprits éminents de s'occuper des problèmes de théorie pure et d'un grand nombre de questions d'application. C'est ce qui explique le fait singulier de l'abondance des ouvrages russes sur l'histoire des idées et des faits, sur la statistique et sur la législation comparée.

Karatajew, Bibliographie des finances, du commerce et de Vindustrie, (1714-1879). S' Pétersbourg, 1880. ill donne les titres de plus de six mille ou- vrages).

DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 455

Ed. Berendts, Volks-iind Staatsivissenschafilichi' Ans- chauungen in RusslancL, etc. Saint Pétersbourg, 1888.

C'est à l'histoire des doctrines économiques que sont consacrés les ouvrag-es de Balugjenski (i806), de Masslow(1820) sur les systèmes d'économie, l'ouvrage un peu superficiel de Babst sur Law (1852), et les ouvrages iDeaucoup meilleurs de Geissmann sur la physiocratie (1849); de Muriaweff sur Turgot (1858i, de Zechanowsky sur Smith (1859), mais notamment les deux volumes de Janschull sur l'Histoire du libre échange en Angleterre (1876-78) et les recherches intéressantes de Briezky sur la théorie des impôts en France au siècle passé (1888), auxquelles se rattache un mémoire plus ancien d'Alexejenko sur les théories des impôts de Smith, Say, Ricardo, Sismondi et Stuart Mill (1870).

Sur les faits économiques nous avons les monogra- phies sur l'histoire des finances en Russie d'Hage- meister (1833) et de Tolstoi (1842\ les monographies fort appréciées d'Ossokin sur les douanes intérieures (1850) et sur l'impôt des patentes (1856 etc. ; sur la législation fiscale comparée, le savant travail de A. Sa- blowski-Desatowski sur les finances prussiennes (1871), l'ouvrage, encore inachevé, de Kowalewski sur l'an- cienne juridiction des impôts en France (1870) et les essais de Ragosin sur l'impôt du tabac (1870) et de Lwow sur l'impôt des patentes (1879).

Plus nombreuses et non moins importantes sont les publications de statistique économique, dont on trouve un compte rendu dans une savante monographie du professeur Jahnson, de Saint-Pétersbourg, qui nous l'a courtoisement communiquée (1880). Sur la statistique russe en général, en dehors de deux travaux de vulga- risation de Buschen (1867) et de Livron (1874) nous

456 l'économie politique

possédons une œuvre érudite et consciencieuse de Jahnson {Statistique comparée de ht Russie et des Etats del'Euro2)e occidentale, 1878-80. Trois volumes). La statistique agraire a été étudiée par Tchaslav^^ski, Orlow, Kablukow, ^^'ilson, auteur d'un Atlas très soigné (1869), et surtout par Yermolow [Mémoire sur la production agricole de la Russie, 1878). Comme complément aux ouvrages précédents nous pouvons citer les travaux de Werekha sur les forêts (1873), de Borkowski (1872), de Besobrasow(1870), de Jahnson et d'Orbinsky (1880) et de Fedorow (1888) sur le commerce des blés, et enfin ceux de Skalkowski etde Besobrasow sur l'industrie des mines. On n'a pas négligé non plus, malgré les difficultés inhérentes au sujet, la statistique des manufactures et du commerce. C'est aux manu- factures que se rapporte un excellent recueil de mo- nographies (1862-65) et le bel Atlas de Timirilsew (1870.-2'' édit., 1873); le.=! travaux d'Aksakow (1858) et de Besobrasow (1865) concernent le commerce et les foires.

Un réveil notable des études économiques en Russie peut être constaté depuis 1865 ; il est en partie à l'abolition du servage et à la crise qui en a été la conséquence immédiate, à la réforme des impôts, à laquelle on a déjà consacré d'importantes études, à la multiplication des sociétés anonymes, en parti- culier pour la construction des chemins de fer à la fon- dation de la grande Banque d'Etat et à l'augmenta- tion correspondante du papier monnaie. La condition des paysans et delà propriété commune a été étudiée par Kaw^elin^ Pasnikow, Efïîmenko, Trirogow', Trylow, Skrebitzky, Iwanikow, ïhôrner, Wassilitchikow (1876), Sieber (1883) ; le crédit agraire, par Besobrasow (1861) et Chodsky; les caisses rurales de prêt, par Jakowleff, Koljupanow, Luginin ; les chemins de fer, par Zecha-

DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 4o7

nowesky, Golowatschow, Witto, J. S. Bloch, auteur d'un ouvrage statistique érudit mais peu critique (1878. Cinq volumes', et mieux par A. Tschuprow [Les chemins de fer. Moscou, 1875-78). disciple fervent de l'école allemande et partisan des chemins de fer d'Etat. Sur les sociétés anonymes nous avons les ouvrages de Tarassow et d'Issajew ^1877) et la monographie de législation comparée de Thorner (1871) ; les banques et la circulation ont été étudiées par Lamansky, Kulom- sins, Wreden, Schwaschenko (1880), Kaufmann, qui a écrit également sur les caisses d'épargne (1875).

La science des finances est cultivée en Russie avec prédilection. Les leçons lithographiées de Besobrasow et de Lebedew, professeur à Saint-Pétersbourg et auteur d'une œuvre grandiose sur le Droit financier, celles de Miihlhausen, professeur à Moscou, beaucoup mieux que les manuels publiés par Lwow et par Patlaeffsky , ont contribué à en répandre la connaissance. Parmi les monographies on peut consulter les tra- vaux très savants de Janschull, professeur à Moscou, dont quelques uns ont été réunis en un volume (188 i), les travaux de Lebedew sur les impôts locaux 1886, d'Aleksejenko sur les impôts directs (1879 , de Ptu- kowskv sur les impôts personnels (I862i, de Tl^'irner sur l'impôt foncier (1860). de Sodoffsky sur l'impôt des maisons (1892), de Subbotin sur l'impôt sur l'indus- trie (^1877) et, d'une façon particulière, trois dissertations de Besobrasow et de Bunge, recommandables pour la profondeur des recherches et la connaissance parfaite de la législation et de la littérature économique.

W. P. Besobrasow, Impôt sur les actes, 1864. Les revenus publics de la Russie, 1872 (in Mémoires de l'Académie impériale de S' Pétershourg).

IV. BuDge, Théorie du cré'lit. Kiew, 1852. Le cours forcé en Russie, 1871. (Traduction de la mono-

458 l'économie politique

graphie de Wagner, avec une introduction et de savantes notes complémentaires). Cfr. F. De Rocca, La circolazione moaetaria ed il corzo for- zoso in Russia. Rome, 1881.

Aux controverses sur le libre-échange et la protection douanière ont pris part Bobrinsky, Kalinowshy, Wal- cker, Thorner, Bunge et Janschull ; sur la question ouvrière il y a des travaux de Nowosselisky (1881), d'Issajew ; sur la condition des paysans, de Nowitzky (1876), Sokolowsky (1878), Umantz (1884), Gregoriew (1885) et Kabliikow (1885).

Parmi les monographies qui traitent de la sience pure nous citerons celles de Korsak sur les formes de l'in- dustrie (1861), et de Wreden sur la théorie des entre- prises (1873) ; celles de Wolkoff (1854) et de Fucbs sur la rente 1871), celle de Antonowicz (1877) et le travail plus important de Zaleski (1893) sur la valeur et l'excel- lent travail de Sieber sur la tbéorie de la valeur de Ricardo et de Marx (1885), fort loué par Loria. Le domaine entier de la science a été parcouru dans le grand traité d'Antonowicz (1886) et dans les traités de Wreden (1874 ; T édit. 1880), d'.hvanjkow(1885,-3'' édit. 1891), de Tschuprow (1892), disciple de l'école alle- mande. Il faut louer les précis de Liliew (1860), de Bunge (1870), de L. W. Chodsky (1884,-2« édit. 1887), auxquels nous nous permettrons d'ajouter l'excellente traduction de nos Premiers éléments d'économie sociale a\ec un appendice biliographique du professeur Sokalsky de Charkow (1886).

Aux provinces de la Baltique appartiennent l'histo- rien Al. Brilckner, auteur d'une monographie intéres- sante sur la monnaie [Kupfergeldhrisen, 1867), l'illustre auteur de la statistique morale, Alexandre v. Oettingen (né en 1827), le banquier Goldmann, qui a étudié le papier monnaie (Dsls russische Pajnergeld,

DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 459

1866); à la Courlande, le sociologue P. de Lilienfeld et Berens, qui a écrit sur la rente (1868) etc., etc.

.^3. HONGRIE.

Le défaut de place et l'existence de deux bonnes histoires particulières nous permettent de ne donner que de rapides indications sur la littérature magyare et notamment sur son ancienne littérature.

En dehors de l'ouvrage de Kautz (déjà cité), nous avons pu consulter; grâce à l'amabilité de i'au- teur, rexceliente esquisse historique de H. J. Biclermann, Das Studlum der politischen Oekono- mieund ihrer Hilfsivlssenschafien in Ungarn. Ka- schau, 1859 (n'est pas dans le commerce).

La création d'une chaire de sciences camérales à l'Uni- VersitédeTyrnau(l760), transférée ensuite à Pesth, et à l'Académie deGranvaradino(1769), d'Agram(1772), etc., et la discussion d'importants projets de lois dans les assemblées politiques, auxquelles prenaient part des membres infkients de la haute aristocratie, ont réveillé l'intérêt public sur les questions économiques, malgré le peu de préparation scientifique et le peu de rensei- gnements positifs, par suite du manque de bonnes sta- tistiques. L'ouvrage de Sonnenfels, traduit en latin par Beke (1807-1808), a été obligatoire dans l'enseignement; les excellents ouvrages deHuber [Politia civitatis, 1829) •et de Henfner (Introductioin oeconomiam j)olitica.7n, 1831), qui s'inspiraient des manuels allemands alors en usage, eurent moins de succès.

L'illustre patriote comte Stephan Széchenyi a donné \ine forte impulsion aux études d'économie appliquée. Il est l'auteur de quelques brillantes monographies,

460 l'économie politique

écrites dans sa langue nationale et inspirées parles doctrines libérales, intitulées HitGl[Sur le crédit, 1830), Vilay [Lumière, 1831), Stadium (1833), A ketet népe [Le peu-pie oriental, 1841), etc., qui ont- provoqué des polémiques auxquelles ont pris part entre autres le comte Joseph Desewffy i^conservateur), auteur, lui aussi, d'une monographie sur le crédit (A Intel, 1831. -Tra- duction allemande. Kaschau, 1831). Par son influence et sa popularité, Széchenyi contribua à d'importantes réformes : abolition des entraves féodales et des mono- poles, amélioration des moyens de transport, diffusion du crédit, etc. Dans le même ordre d'idées nous pou- vons signaler les travaux de Csato sur l'économie en général (1835), de Gyôry sur l'influence des machines sur les salaires (1834) et sur les moyens de communi- cation (1835) ; Srânyi a écrit sur la dette publique et sur le papier monnaie (1834).

La période suivante est remarquable par l'enthou- siasme soulevé par les œuvres de Frédéric List et par les aspirations vers un système restrictif, soutenues par la fameuse Association j)rotectrice (Védegylet) avec des exagérations telles qu'elle fut blâmée par List lui- même. Ces idées ont été reprises dans les ouvrages de Fényes, de Pusstai, Pulssky, dans les dissertations de Tréfort sur les systèmes d'économie (1843) et avec plus de modération dans l'ouvrage de Erdélyi intitulé Notre économie (Nerazeti Iparunh, 1843) et dans le savant et excellent précis de politique de Aug. Karvasy, pro- fesseur à Pesth, qui embrasse aussi l'économie et la science des finances [A politika Tudoniànyok, 1843! Deux vol., - '2" édit. 1845-47). Nous devons aussi à Kar- vasy, une étude critique sur la méthode historique dans, les études économiques (1855). On doit recommander les monographies de Gorové. de Brunneck, de Micskey, de Mészâros, de Korizmics, etc., sur la propriété foncière ;

DANS LES PAYS SCANDINAVES ETC. , /i61

celles de Erdélyi de Szokolay, de Simon ; sur l'indus- trie , les corporations, l'usure, celles de Focrarasy, Janko, Kôvats, Farkas, Csengery, Mandello sur le com- merce, le crédit et les banques; celles du comte Emile Deséwfly, de Kemény, de Fay, de Kritzbay, etc., sur la monnaie et les finances ; du baron Eotwôs, de Dere- sényi et de Karvasy sur le socialisme.

Parmi les contemporains les plus remarquables nous citerons : le très savant professeur Julius Kautz (né en 1829), gouverneur de la banque austro-hongroise, élève de Roscher; le très actif professeur Bêla Fôldes (Weiss), auteur de différents mémoires, écrits en alle- mand et en hongrois, et d'un précis d'économie poli- tique (1881) ; Mariska et Matlekovits, auxquels nous devons deux traités de science financière ; Lôniay qui a écrit à plusieurs reprises sur la question des banques ; Gyorgy, Hegedus, etc. Il faut louer en particulier les œuvres remarquables et très connues de Matlekowits, la plupart écrites en langue allemande ; on connaît également les études (publiées en France) de Horn, sur les banques.

G. Kautz, Nemzetgazdasag es Pénzûgyian. Budapest, 1864. Deux vol.-5« édit., 1890. D'aulres mono- graphies sur l'histoire des métaux précieux (1877), sur la question monétaire (1881), etc.

Bêla Fôldes, ^4 nemzetgazdasagtan es pénzûgyian l,è- zikonye, 1881.-2'= édit., 1883.

W. Mariska, Pénzûgyian, 1871. A. Matlekowits, Pénzûgyian, 1876.

CHAPITRE XIV L'ÉCONOMIE POLITIQUE AUX ÉTATS-UNIS

II pourrait sembler à première vue que les conditions physiques , sociales et politiques des Etats-Unis de l'Amérique du Nord, et le développement colossal de leur richesse, de leur culture et de leur puissance ont amené des progrès non moins signalés dans la sphère des investigalions économiques. L'immense extension du territoire disponible, le rapide accroissement de la po- pulation et du capital, le taux élevé des salaires et des profits, le développement gigantesque des moyens de communication, les changements continuels dans le système des monnaies et clés banques, la succession de tarifs plus ou moins libéraux ou restrictifs, les ten- tatives de tout genre en matière d'impôts, l'augmenta- tion menaçante de la dette fédérale et la rapidité non moins merveilleuse de son extinction, le contraste entre les intérêts manufacturiers du Nord, adversaires de l'esclavage et partisans de la protection, et les Etats agricoles du Sud, favorables au travail servile et à la liberté du commerce, sont des faits de grande impor- tance qui ont été Tobjet d'excellents travaux historiques et statistiques, très instructifs même pour l'Europe.

A. S. Bolles, Indvstrial history of ihe United States,

édit., Norwich, 1879. W. G. Sumner, A history of american currency. New

York, 1878.

AUX ÉTATS-UNIS 463

E. J. James, S/wrfjV'H ûberden Amerikanischen Zollia-

rif. Jena, 1877. W. G. Sumner, Lectures on the history of protec-

tion, etc. New-York, 1877. A. S. Bolles, The financial history of the United States

from 411 i la 4860. New-YorA-, 1879-83. Deux

volumes. E. G. Bourne, The history of the surplus revenue of

4831. New-York, 1885.

Mais, pour de multiples raisons, le progrès de la science n'a pas marché d'un pas égal à celui des ri- chesses et des institutions publiques et privées. Les conditions tout à fait particulières des Etats-Unis enle- vaient, tout d'abord, toute apparence de fondement au principe de l'universalité des lois économiques, pro- clamé par l'école classique. L'excès de la population, la loi des revenus décroissants, la théorie de la rente, le paupérisme, étaient des phénomènes auxquels on ne prêtait généralement aucune foi, et que certains consi- déraient comme possibles mais sans importance pra- tique. Les questions qui s'agitèrent à plusieurs reprises entre les partisans et les adversaires de l'eslavage, les protectionnistes et les libres échangistes, les monomé- tallistes et les bimétallistes, les partisans de l'unité et ceux de la pluralité des banques, les défenseurs et les adversaires du cours forcé, des impôts directs et des impôts indirects, du maintien ou de l'extinction des dettes, ont été l'occasion d'un très grand nombre d'ou- vrages, scientifiquement sans importance, parceque les raisons économiques étaient subordonnées aux buts des partis politiques, et formaient autant d'armes dont se servaient les fédéralistes et les antifédéralistes, les ré- publicains et les démocrates, pour se disputer le pouvoir, tout en combattant sans conviction profonde les opinion.s de leurs adversaires. Daniel ^^'ebster, qui se déclarait l'ennemi de toute théorie, fut d'abord libre échangiste^

464 l'économie politique

puis protectionniste afin de suivre, en sens inverse, les changements de son adversaire Calhoun. On sait éçrale- ment que l'institution des banques nationales, due à Chase, contrôleur de la trésorerie au moment de la guerre civile, fut inspirée avant tout par des raisons financières. Cependant, quelques éminents hommes d'Etat, comme Jefferson, Madison, Sherman, Garfield, et surtout Ilamilton, se sont occupés sérieusement des problèmes économiques, et ont montré des aptitudes remarquables pour les résoudre. Nous devons égale- ment à des fonctionnaires instruits et zélés d'excellents travaux sur d'importantes questions spéciales. Il suffira de citer ceux de Quincy Adams, Lee, Gouge. Gallatin, et ceux de D. A. Wells sur les réformes fiscales et douanières.

John Quincy Adams, Report iipon weights ami mea- surea (1817). Washington, 1821.

H. Lee, Report of a Committee, etc. Boston, 1827 (dé- fense du libre échange).

W. M. Gouge, A short history of paper money and bankhig, etc. Philadelphia, 1833.

Alb. Gallatin, Considérations onthe currency andhan- king System, 1831, et d'autres écrits réunis dans le vol. ni de ses œuvres, éditées par H. Adams en 1879.

L'enseignement de l'économie dans les Collèges et dans les Univer.sités, qui allaient se multipliant grâce à d'abondantes donations privées, a été donné, pendant plusieurs décades et encore aujourd'hui, presque exclu- sivement par des ministres des différentes sectes reli- gieuses, sans l'aide du gouvernement et au milieu de l'indifférence générale. Il n'existe qu'unpetit nombrede manuels, sans originalité, qui n'ont pas éveillé l'atten- tention des savants étrangers qui, jusque il y a quel- ques années, admiraient les œuvres juridiques remar-

AUX ÉTATS-UNIS 465

quables de Story et de Kent, mais qui ignoraient que TAmérique avait des économistes en dehors de Carey ■et de George, tous deux étrangers à l'enseignement et qui ne sont pas, à vrai dire, des hommes de science.

Nous ne croyons donc pas inutile de donner quelques indications sur les sources ; nous nous servirons des renseignements que nous ont donnés White, Dunbar, Walker, Sumner, Newcomb, Laughlin, Patten, Clark, Ely, Andrews et certains autres de nos éminents collè- gues.

Cfr. S. A. Aliibone, Critical dictionanj of english iderature,etc. Philadelphia, 1878. Trois volumes. Supplément (de G. Forster Kirk) 1891. Deux volumes. Ch. F. Dunbar, Economie science in America (in North American Revieiu. Vol. CXII. Boston, 1876). Th. E. Clifïe Lesiie, Poliiical Economy in the United States, (in ForlnightUj Re- view, 203, octobre 1880).

Nous avons largement puisé dans l'excellent travail manuscrit intitulé Studies historical and critical on the development of the économie theory in America {Lipsia, 1890) qui nous a été aimablement prêté par son auteur, le D"" H. F. Furber, de Chicago; il manque en- core à ce travail deux chapitres sur les publications de ces dernières années.

§ 1. l'école nationale et lecole cosmopolite

Benjamin Franklin (1706-1790), l'auteur de la Science du bonhomme Richard, est le plus ancien économiste pratique des Etats-Unis ; nous avons déjà cité (p. 182) son opuscule sur la population. Dans d'autres travaux il a combattu l'esclavage, défendu le papier monnaie ; il voit dans le travail la mesure de la valeur, etc. Après lui viennent Dickinson [Letters to a gentleman, 1765),

30

■46G l'économie politique

qui a des idées correctes sur le commerce et sur la mon- naie, mais surtout Webster, vigoureux adversaire du cours forcé.

B. Franklin, A modest inqviry into the nalwe ami necessity of a paper currency, 1729. Principles of Irade, 1774, et d'autres travaux réunis dans le second volume de ses œuvres éditées par J. Sparks. Boston, 1840. (Cfr. Rich. Hildebrand, FranUUn ah Xationalôkonom. (in Jahrbûcher fur NalionaVôkonomie . Jena, 1863).

Pelatiah Webster, PoUtical essays on the nature and opérations of money. Philadelphia, 1791.

La première place appartient, parmi les publicistes américains du siècle passé et peut-être encore de notre siècle, à Tillustre chef du parti fédéraliste Alexandre Hamilton (1757- 1804), auteur de rapports officiels mémo- rables sur le crédit public, les banques (1790), les mon- naies, les manufactures (1791), dans lesquels il défend le bimétallisme, la création d'une banque fédérale uni- que de circulation et la nécessité de droits protecteurs modérés pour les industries naissantes, avec des argu- ments qui diffèrent peu de ceux des partisans du fair- ira.de, et sans tomber dans les exagérations des protec- tionniste.? ab.solus.

A. Hamilton, Works. Xew-York, 1855. Quatre vo- lumes. — Cfr. Shea, Life and epoch of A. Hamil' ton, 1879.

Daniel Raymond {Thoughts on jjolitical economy, 1820,-2" édit., 1823) est le premier qui ait exposé les théories nationales et protectrices, in.spirées en grande partie par la haine contre l'Angleterre. Il défend la liberté économique à l'intérieur mais non pas à l'exté- rieur, en s'appuyant sur la célèbre distinction faite

AUX ÉTATS-UNIS 467

par Lauderdale et par Ganilh entre l'économie privée et l'économie publique. Des idées analogues se retrou- vent dans Phillips {Manual of political economy, 1831) et dans Simpson [The working man's manual, 1831) ; ces ouvrages sont pleins d'invectives contre les Anglais, et Colton (Public economy ofthe United Sta- tes, 1848) va même jusqu'à affirmer que Smith, Ri- cardo et Malthus étaient payés pour ruiner les autres nations par le libre échange. Une certaine notoriété s'est attachée à Alexandre Everett, qui, dans ses News ideas on population (1833) combat Malthus en lui attribuant d'étranges erreurs et en soutenant que l'aug- mentation de la demande de travail et du taux des sa- laires est parallèle à celle de la population. Les idées restrictives ont été défendues, avec beaucoup plus de sens, par John Rae, émigré écossais dans le Canada (Some new principles on the subject of political eco- nomy. Boston, 1834), qui chercha à réfuter la théorie de la production de Smith, et qui tît cependant de bonnes observations, acceptées par Stuart Mill, sur l'accumu- lation du capital. Plus récemment le professeur F. Bo- wen, le meilleur écrivain de cette école, a défendu le hanking principle ; il n'admet ni le fonds des salaires, ni la rente ; il nie la valeur pratique des doctrines de Malthus, parce qu'en Amérique le cultivateur est pro- priétaire et l'ouvrier capitaliste, et il délend un protec- tionnisme modéré pour utiliser les richesses minérales et provoquer la naissance d'industries variées. Le protec- tionnisme trouve encore un défenseur dans Stephan Colwell, le commentateur de List (1856) et l'auteur d'une analyse pénétrante du mécanisme des paye- ments, dans laquelle il combat le papier monnaie et demande que les banques ne soient pas obligées de rembourser les billets avant l'échéance des traites es- comptées.

468 l'économie politique

Francis Bowen, Principles of poUtical économe/. Bos- ton, 1856. Refait sous le titre American poli licaù economy, 1870. S. Colwell, Ways and means of paymerii. Philadelphia, 1859.

Dans les écoles, ce sont les doctrines anglaises qui dominent : importées en Amérique grâce à de nom- breuses réimpressions de Smith (1789, 1811, 1818, etc.) et de Ricardo et à la traduction de Say faite par Biddle ; commentées, dans le sens d'un individualisme extrême, dans les écrits de Thomas Cooper (loués d'une façon exagérée par Mac CuUoch) et dans ceux de François Wayland, remarquables pour leur clarté mais sans ori- ginalité, et encore employés dans quelques collèges, grâce aux utiles corrections de Chapin. Les éléments de Wilson (1839) et les traités de Potter (1841) et de Opdyke (1851), tous deux anti-malthusiens, eurent moins de succès. On a également déjà oublié le traité de Vethake [Principles of political economy, 1838, 2^ édit. 1844), plus profond, mais obscur et prolixe, qui admet, en cas de guerre, quelques exceptions au libre échange.

Th. Cooper, Lectures on ihe éléments of poUiical eco- nomy. Colombia, 1826.-2« édit., 1829.

Fr. Wayland, The éléments of political economy. Bos- ton, 1837. Recast by A. L. Chapin. New-York, 1881.

A. L. Chapin, First principles of political economy, 1881.

9

OPTIMISME RESTRICTIF ET OPTIMISME LIBERAL

Le chef de ce qu'on appelle l'école de Pensylvanie, qui n'a pas simplement nié les théories anglaises mais s'est risquée avec beaucoup d'audace mais peu

AUX ÉTATS-UNIS 469

de succès, à en émettre de nouvelles, est le célèbre Henri Charles Carey (1793-1879). C'est un écrivain fé- cond, convaincu, ingénieux, et en partie original, mais prolixe, et, comme tous les autodidactes (y compris George), sans aucune connaissance des méthodes scien- tifiques. Il a débuté par un essai sur les salaires (1835) dans lequel il combat le pessimisme qu'il croit inhérent à la doctrine du fonds des salaires. Dans son économie jyolitique (1838) il expose la théorie de la valeur déter- minée par le coût de reproduction, et il en déduit une pré- tendue loi de la distribution des richesses par laquelle il oppose à l'augmentation simplement ab.solue du pro- fit l'augmentation absolue et relative des salaires, et par conséquent l'amélioration nécessaire et continue de la condition des ouvriers. Dans son Crédit System (1838) il a étudié les effets de la rareté de l'argent; dans Past, présent and future (1848) il abandonne les idées libérales, qu'il avait d'«abord professées, combat avec plus d'énergie Ricardo et Malthus et, partant de la fameuse théorie de l'ordre de culture des terres, il en déduit comme corollaires les lois fausses des revenus croissants et de l'augmentation plus rapide du capital que de la population. Après avoir exposé ses idées sous une forme populaire {Harmony of interests, 1850), il a fait une exposition plus large de son système dans la Science sociale (1858), qui est son œuvre principale; il y a affirmé l'idée de l'identité providentielle des lois cosmiques et des lois sociales, qu'il a développée plus complètenient.dans une autre monographie [Unity of law, 1872). pleine d'erreurs de physique. Les théories de Carey, magistralement réfutées par Lange en ce qui concerne la méthode (J. Stuart Mitl's Ansicliten ûber die sociale Frage, 1866) et rapprochées du mercanti- lisme par Held, ont trouvé dans Diihring un défenseur sophistique et absolu [DieVerkleinerer Carey's, 1868) ;

470 l'économie politique

elles ont trouvé des apolog-istes plus modérés, qui les ont acceptées en restant fidèles au libre échange, dans Fer- rara {Introduzione au vol. XIII, série 1, de la Blblio- teca deir Economista, (1853) et dans Wirth (1863).

H. Carey, Principles of poUtical economy. Philadel- phia, 1837-40. Trois volumes. Trad ital. clans le volume cilé de la Blblioteca dell' Economista. Principles of social science, 1858-59. Trois volumes (résumés par Miss K. Mac Kean, sous le titre de Manualof social science, 1864, réimprimé en 1879). Trad. frann., par Saint Germain-Leduc et Aug. Planche, 1861. Miscellaneous Works, éditées par son neveu H. Carey Baird, 1880.

Voir sur Carey : W. Elder, A memoir of H. C. Carey, 1880. J. W. Jenks, H. C. Carey als Xadonal'ùko- nom. Jena, 1885, et l'article deLexisdans VUand- wôrterbuch der Staatswissenschaften. Vol. II, pag. 808.

Evariste Peshine SmilTi est le plus original des dis- ciples de Carey, notamment dans sa théorie de la popu- lation qu'a acceptée le maitre ; Elder est ingénieux et brillant, mais parfois inexact et infidèle ; Ellis Thomp- son leur est supérieur par sa connaissance très étendue de la littérature ; Horace Greeley (E-s^ays, 1869) a une valeur moindre. Hors de Pensylvanie, W. D. Wilson '{First principle.-^, 1875, réimprimés en 1879) cherche à combiner les théories de Carey avec celles de Malthus !

E. Peshine Smith, Manual ofpolitical economy. New- York, 1853. Trad. franc, de C. Baquet, 1854.

W. Elder, Questions of the day. Philadelphia, 1871.

Rob. Ellis Thompson, Social science and national eco- nomy, 1875. Eléments of polit ical economy, 1882. Protection to home industry, 1886.

Les professeurs Ferry et Sturtevant sont plutôt des disciples de Bastiat que de Carey. Libre-échangistes,

AUX ÉTATS-UNIS 471

ils sont persuadés que la concurrence fait les prix justes, et ils ne croient pas à une augmentation exces- sive de la population. Perry combine les doctrines de Bastiat avec celles de Macleod ; il appelle l'économie la science de la valeur ; il croit que le concours productif de la nature est gratuit ; il n'admet pas la rente, bien qu'il accepte la loi des revenus décroissants. Il est, en outre, l'ennemi des banques de circulation, et il est favorable aux droits de douanes fiscaux, pourvu qu'ils soient spécifiques et non ad valorem. Sturtevant expose des doctrines presque identiques, mais il est moins pro- lixe et plus concis dans ses déOnitions.

A. Latham Perry, Eléments of politkal economy. New-Vork, 1866. -20« édit. sous le titre de Prin- ciples, 1891. Introduction to political economy, 1877.-3'= édit.., 1882 (Ne contient que les théories les plus générales sur la valeur, la production, le commerce, la monnaie, le crédit et l'impôt).

J. R. Sturtevant, Economies or ihe science of ivealih. New-York, 1877. Réimprimé en 1881.

§ 3. l'école classique

Vers le milieu du siècle, après la réforme des tarifs douaniers, le sub-treasure bill et la publication du traité d'économie politique de Stuart Mill, l'école clas- sique devient prédominante parce que les vieilles ques- tions, et notamment celle de l'esclavage, ont disparu depuis la fin des guerres civiles. Il n'y a plus à lutter que contre les partisans de Carey, qui veulent perpétuer les institutions nées des nécessités de la guerre, c'est- à-dire les banques nationales, le papier monnaie et la dette fédérale.

Le précis d^économie politique du professeur Bascom a joui pendant quelques années d'une grande faveur. Il

472 l'économie politique

suit les doctrines de Mill, qu'il a exposées avec beau- coup de clarté. Il est partisan du monométallisme^ adversaire des banques d'émission, et il veut rempla- cer les billets par des certiflcats payables en or, con- servé comme réserve. On retrouve ces mêmes doctrines exposées, mais avec moins de netteté, dans la Science de la richesse de Amasa Walker, qui s'occupe égale- ment des questions monétaires et fiscales. Il attaque, lui aussi, la législation des banques de 1863 et les dépôts permanents auxquels il attribue la crise de 1873, et il demande l'extinction rapide de la dette publique. A la différence de Bascom, il n'accepte pas la doctrine de Malthus.

John Bascom, Political economy. Andover, 1860. - Ré- imprimé en 1874.

A. Walker, The science of ivealih. Boston, 1866.- édit., Philadelphia, 1872.

Le général François Amasa Walker (fils), président de rinstitut polytechnique de Boston, est un esprit beaucoup plus distingué. lia publié, en 1874, un Atlas statistique des Etats-Unis, et il a dirigé avec compé- tence le recensement de la population en 1870 et en 1880. Il est l'auteur d'un grand nombre de monogra- phies, dont les résultats sont condensés dans son excel- lent traité [Political economy. New- York, 1883-2'' édit. 1887), qu'il a lui-même résumé plus tard [A brief text- book, 1885) et réduit enfin à des proportions encore moindres {First lassons, 1889). Son travail spécial le plus important est celui qu'il a consacré au salaire [The wages question, 1876. Nouvelle édit., 1891). Il distingue nettement l'entrepreneur du capitaliste, il décrit leurs fonctions, combat la doctrine du fonds des salaires, et défend ingénieusement cette thèse, que le salaire, bien qu'il soit quelquefois anticipé, est, en réalité, le ré-

AUX ÉTATS-UNIS 473-

sidu de la valeur du produit d'où l'on a déduit les inté- rêts et les profits. Dans son œuvre sur la monnaie {Money, 1878. Nouv. édit.. 1891), résumée dans Mojiey trade and iiidustry (1879), il défend le bimétallisme international ; il n'a que peu de sympathie pour la cir- culation mixte. Son petit volume sur la rente foncière {Land and its rent. Boston, 1883) ne s'éloigne pas des doctrines reçues ; il y réfute victorieusement les objec- tions de Carey, de George, de Leroy-Beaulieu. Dans son traité d'économie, il distingue rigoureusement la science pure de la science appliquée ; il fonde la valeur des richesses (y compris la monnaie) sur l'offre et sur la demande, tout en reconnaissant l' influence du coût et celle du degré final d'utilité ; il pense que le proprié- taire de mines reçoit, outre la rente, une compensation pour l'épuisement du sol; il a donné, enfin, d'utiles développements sur les questions de commerce, de monnaie, de banque, sur le socialisme et la condition des ouvriers.

§ 4 . HENRI GEORGE

Cet ingénieux écrivain, universellement connu, mais apprécié de façon très opposée par des juges peu com- pétents ou passionnés, est à Philadelphie, en 1838 ; il a été typographe à San-Francisco en 1857, et il a abandonné à plusieurs reprises cette profession pour devenir marin, mineur, journaliste et fonctionnaire public, jusqu'au moment où, établi à New-York, il s'est enrichi par le .succès extraordinaire de ses œuvres. Il a développé dans .son livre fameux Progress andpoverty (San Francisco, 1879) les idées ébauchées dans l'opus- cule Our land and land policy (1871) ; il en a fait en- suite application à l'Irlande [The irish land question^

474 l'économie politique

1881); ily apeuajoutédanssesSociaZp?'o6Ze7?2s(1884) ; il a défendu habilement le libre-échance {Protection and free trade, 1886), et il a enfin publié une critique de l'Encyclique Rerum novarutn {The condition of labour, 1891.;!

George est un des principaux partisans du collecti- visme agraire, que combattent vivement les écono- mistes et les autres socialistes. Il reconnaît la produc- tivité du capital et. en particulier, celle des machines ; il défend l'intérêt et le profit, et il nie qu'il y ait conflit entre le capital et le travail ; il combat cependant la théorie de Malthus et la loi des revenus décroissants, et il accepte, sans s'apercevoir de la contradiction , la théorie de la rente de Ricardo et celle du salaire de Walker, dont il exagère les conséquences. Ennemi trop ardent de la propriété foncière, qu il considère comme attentatoire au droit naturel et inaliénable de tous les hommes à la terre, il soutient que l'accroissement de la rente et le monopole des propriétaires sont la cause des crises industrielles, de la baisse des intérêts et des salaires, et par conséquent du paupérisme. Il repousse l'intervention directe de l'Etat pour fournir du travail aux ouvriers, mais il propose comme remède aux maux actuels la confiscation de la rente {unearned incré- ment) par le moyen d'un impôt unique, sans aucune indemnité pour ceux qui resteraient nominalement pro- priétaires, et il ne doute pas que de cette façon lEtat aurait un revenu plus que suffisant pour venir en aide au petit nombre de pauvres qui subsisteraient après que la hausse des salaires et des profits, conséquence de l'abolition de la rente, aurait assaini les plaies sociales. La sincérité des convictions, le tableau exact de l'état des pays nouveaux et, en particulier, de la Californie, la vivacité du style, coloré par des images souvent heu- reuses, expliquent suffisamment le brillant succès de

AUX ÉTATS-UNIS 475

"son Progress and poverty, plein d'étranges contra- dictions, d'erreurs matérielles et de faux raisonnements, qui révèlent à chaque page le manque d'une instruction %scientifique.

Cfr. sur George, en dehors des comptes rendus de Wagner et de Schmoller, et des critiques som- maires de Fawcett [State sorjalism, 1883), de Sa- muel Smith [The nationalisation of ihe land, 1884), de M. L. Scudder [The labor-value falîacy. Chi- cago, 1886) : H. Rose, Henry George. London, 1884. V. H. Mallock, Property and progress, 1884.

W. Hanson, Fallacies in Progress and Poverlij. New-York, 1884. M. J. Pauw van Wieldrecht, Beoordeeling van H. Qporge, Voruitgang en Ar- moede. Utrecht, 1885. D'Aulnis'de Bourouill, Het hedendagsche Socialisme, 1886, pag. 182 et suiv.

A. Sertorius Freih. von Waltcrshausen, Der moderne Socialismus in den Vereinigten Staatrn. Berlin, 1890, pag. 329 et suiv. S. Cognetti de Martiis, Il sociaiisnio negli Siaii Uniti. Torino, 1891, pag. 257 et suiv. John Rae, Contemporary socialism, 1891, pag. 441 et suiv. A. Menger, Das Recht an den vollen Arbeitsertrag. Stuttgart, 1891, pag. 147 et suiv.

§ 5. LES MONOGRAPHIES.

Parmi les nombreuses monographies sur la monnaie •et les banques, citons : Condy Raguet, On currency and bcinking (1839); J. S, Gibbons, The banks of New Foî'fe (1858); H. R. Lindermann , Moîiey and légal tender (1877); G. Mac Adam, An alphabet in finance (1880); J. G. Knox, United States nofe.s(1884) ; et spécialement l'ingénieuse défense du bimétallisme, par S. Dana Horton (Sylver and gold. Nouvelle édi- tion, 1877. The Silver pound, 1888. SilverinEuropa^ 1890).

476 l'économie politique

Parmi les proLectionnistes, nous mentionnerons : ErasteB. Bigelow, Tariffquestion{\SQ'2),-Tariff2Dolicy (2''édit. , 1877j; G. B. Stebbin, American 2)rotectionist inanudil (1883). Parmi les libre-échangistes : W. M. Grosvenor, Does protection protect? (1876); les nom- breux opuscules de David A. Wells {Practical écono- mies, 1882); J. Butts, Protection and freetrade (1875), et enfin l'histoire de J. D. Goss (History of the tariff administration in the United States 1891). qui est également l'auteur d''une bonne monographie sur l'a- mortissement de la dette publique {Sinking fiinds, 1892).

Nous devons un manuel pratique de statistique à G. V. Pidgin [Practicat Statistics. Boston, 1888) et quelques travaux sur la question agraire à Cox {Free lancl and free tracle, 1881], à Sato {History of the land question, 1886\ à Allinson et à Penrose (Ground rents in Philadelphie, 1888J, à Cheyney, ete. Il existe, sur la science des finances, des travaux de : H. White, qui a fait des adjonctions précieuses à la traduction de nos Premiers Eléments {Taxation. New- York, 1888); F. K. Worthington, H istorical sketch of the finances of Pennsylvania (1877) et J. Chr. Schwab, History ofthe New York property-tax (1890).

Les publications sur la question ouvrière sont, comme cela est naturel, très abondantes. Nous nous conten- terons de citer l'ouvrage de Mac Neill , The labor mo- vement (1887) et celui de G. Gunton, Principles -of social économies inductively considered (New- York, 1891), dans lequel il a fondu son précédent ouvrage, {WeaWi and progress). Sur le travail des enfants, nous avons les travaux de W. F. ^^'illoughby et Miss Clara de Graffenried (1890); sur l'arbitrage et la conci- liation, ceux de J. D. Week, Labor différences and their settlement (1886); sur la coopération : Alb. Shaw,

AUX ETATS-UNIS 477

Coopération in a western city, A. G. Warner, Three fcLses of coopération in the We.si(l887,. E. W. Bemis, Coopération in New England (1886), Ch. Bernard, Coopération as a business {[881], et enfin sur la parti- cipation : N. P. Gilman, Profit sharing (1889).

La littérature sur l'histoire du communisme et du socialisme n'est pas moins riche. Au point de vue cri- tique, il faut recommander le livre de M. Th. D. AVool- sey, Cominunistn and Socialism ;New-York, 1880;; sur l'histoire du communisme en Amérique, nous pos- sédons les travaux de Noyés 1 1870, , de Nordhoff (1876), et de H. A James (1879), etc. Pour connaître la condi- tion des classes ouvrières, nous pouvons consulter le rapport de M. Young (Labor in Europe and America^ 1876), et les rapports ultérieurs et de beaucoup préfé- rables de l'éminent statisticien Caroll D. A\'right, di- recteur du bureau central de la statistique du travail à Washington.

§ 6. l'état actuel.

G. Cohn, Die heutige NationaVùkonomie in England und America {in Jahrbuc h de Schmoller. 13" an- née, vol. III, 1889, pp. 1-36).

L'augmentation du nombre des universités, la fon- dation de nouvelles chaires d'économie et même de facultés distinctes d'administration (New- York et Phi- ladelphie, etc.), la création de V American Economie Association (1885), la publication de revues spéciales {1886-1889), les recueils d'excellentes monographies, les polémiques suscitées par les publications de beau- coup de jeunes professeurs qui ont suivi les cours des Universités allemandes, et en particulier de TUniversitc

478 l'économie politique

de Halle, l'influence de professeurs plus expérimentés; parfaitement au courant de l'état de la science en Allemagne, n'en suivant pas aveuglément le courant en ce qu^il a de trop exclusif, ce sont les faits prin-^ cipaux qui expliquent les progrès que l'économie a faits dans ces dix dernières années en Amérique et la naissance d'un noyau d'éminents écrivains dont le talent, la science et l'activité peuvent être mis en pa- rallèle avec ceux des meilleurs savants de lEurope.

Ce qui caractérise l'école que nous qualifierons de germano-américaine , c'est sa division réelle , bien qu'elle n'ait été ni reconnue, ni jusqu'ici signalée, en deux groupes très différents entre eux. Au premier appartiennent ceux qui accordent la plus grande im- portance à la méthode inductive , aux recherches histo- rico- statistiques, et qui laissent de côté, comme vieillies, les recherches de la science pure. Le partisan le plus net de ce courant est l'infatigable professeur Richard T. Ely, de l'Université de Baltimore, érudit mais quelque- fois négligent.

Richard T. Ely, Frenchand german socialism, 1883. 2'he past and présent of political economy, 1884. Récent american socialism, 1885. The labor mo- vement in America, 1886. Froblems of to-day^ 1888. Taxation in American States and Cities, 1888. An introduction to political economy, 1889> (Refait sous le titre : Outlines of political eco- nomy, 1893).

Le même ordre d'idées est suivi par le professeur Edmond J. James (Philadelphie), qui a écrit sur le mo- nopole du gaz (1887), sur les chemins de fer (The railway question, 1887), sur la question monétaire (1888), par le professeur J. W. Jenks iBloomington), critique de Carey, auteur de quelques monographies,

AUX ÉTATS-UNIS 479

par exemple, sur la législation des routes (1888); Falk- ner (Philadelphie) , traducteur de la statistique de Meitzen. Un peu plus modérés sont les deux profes- seurs de l'Université de Colombie, Edwin R. A. Selig man, qui a débuté par un bon travail sur les corpo- rations médiévales en Angleterre (1887), pour se consacrer ensuite avec succès à la théorie des impôts et en particulier à celle de l'incidence et de la pro- gression, et R. M. Smith, auteur de bons mémoires sur des sujets de statistique et de méthodologie.

E. R. B. Seligman, Contimiity of économie ihowjhf, 1886. Two chapiers on ihe medioeval guilds of England, 1887. On Ihe shifiing and incidence of taxation, \S92. Progressive taxation, etc., i89i.

R. Mayo Smith, Methods of investigation in political economg, 1886. Statistics and Economies, 1888.

Il faut enfin mentionner l'éminent professeur Henri Carter Adams (Anna Arbor), auteur d'excellents travaux économiques et financiers sur l'ingérence de l'Etat (Relation of the state to industrial action, 1887 , sur les impôts {Taxation in the United States, 1881) et sur les emprunts (Public debts, 1887). Carter Adams marque pour ainsi dire le passage au second groupe par son Esquisse de leçons, sur le type du Grundriss de Held (Outline of lectures uj^on political eronomy, 1881,- 2*" édit.. 1886). L'organe de ce groupe est la Po- litical Science Quarterlij, édité à New- York (1886).

L'originalité et la valeur théorique est plus grande chez un autre groupe d'écrivains qui cultivent avec amour la science pure, comme Patten Philadelphie), Giddings i Bryn MawTy et Clarck (Northampton) ; ce dernier est arrivé souvent à des résultats analogues à ceux de l'école austro-allemande. Ils ont apporté d'in- téressantes contributions aux théories du capital, de la

480 l'économie politique

valeur et de la distribution des richesses. Il faut égale- ment mentionner A\'ood, qui a exposé une théorie du salaire, Hawley, qui a défendu contre Edouard At- kinsoiifT/ie Distribution of jpvoducts, 1885) les doc- trines de Walker_, et enfin Tuttlequi a écrit sur le con- cept de la richesse (1891).

Le plus original et le plus actif parmi les économistes que nous avons avons cités c'est certainement Patten. Ecrivain très clair, critique pénétrant, mais quelquefois partial, des économistes classiques, il a mis juste- ment en évidence l'importance de la théorie de la con- sommation, et a essayé de réhabiliter, avec des argu- ments spécieux, le protectionnisme.

Clarck est un écrivain moins clair; il a insisté sur le caractère moral de certaines questions économiques, et il a commenté, comme Giddings, qui est souvent plus ingénieux, la doctrine de la distribution des ri- chesses.

Simon N. Patten, The preniises of polUical economy. Philadelphia, 1885. The siabilUy of priées, 1889.

The conaumpiion of ivealth, 1889. The funda- mental idea of capital, 1889. The economical premises of proteciion, 1889. The iheory of dyna- mics économies, 1892.

Jolin B. Clark, The philosophy of xoealih. Boston, 1886.

Capital and his earnings, 1888. Possibility of a scientific law of wages (1889) et d'autres articles sur ces mêmes sujets (1890-91). Clark and Giddings, The modem distributive process. Boslon y 1888.

Franklin H. Giddings, Sociology and polUical eco-

nomy, 1888. Stuart Wood, Theory of wages, 1888. A critique of

wages théories, 1891.

Des polémiques très instructives se sont élevées à l'occasion des remarquables travaux de F. A. Walker

AUX ÉTATS-UNIS 481

sur les profits et sur les salaires {TJie source of busi- ness 2^>'ofits, 1887. The doctrine of vent and the residual clahnant theory of wages^ 1891) ; Macvane (1887)^ Olerk et Hobson (1891) y ont pris part comme défenseurs d'une nouvelle théorie de la distribution, dé- terminée par la rente, qu'ils comparent aux profits et aux intérêts. Il faut prendre en particulière considéra- tion le petit volume intitulé Science économie discus- sion (New-York, 1886), qui contient quelques essais sur l'objet, le but et la méthode de l'économie, écrits par des partisans de l'école allemande (Adams, Ely, James, Patten, Seligman, Mayo Smith) et par des disciples de l'école classique (Hadley, New^comb, Taussig).

Parmi les auteurs qui sont restés fidèles à l'école clas- sique il faut citer encore, en dehors de Walker, Charles F. Dunbar, professeur à Harvard University et G. Sumner, professeur à Yale Collège. Dunbar aune connaissance approfondie de l'histoire et de la théorie économique ; il dirige habilement le Quarterly Jour- nal of Economies (fondé à Boston en 1880], qui est devenu une des meilleures revues, dans laquelle il a écrit un grand nombre d'articles, et notamment un article magistral sur les différentes écoles économiques [The reaction in political economy), inséré dans le premier volume. Très compétent sur les questions de crédit, Dunbar a publié récemment une intéressante monographie intitulée Chapters on the theory and his- tory of banking (New-York, 189i2). Parmi ses nom- breux élèves il faut faire une mention spéciale pour Bourne, et notamment pour Laughlin et Taussig. J. Laurence Laughlin est l'auteur d'un petit ouvrage élé- mentaire {The study of political economy, 1885), d'une réduction des Principes de Stuart Mill (3^ édit., 188j), enrichie de savantes illustrations, d'une mono- graphie sur les systèmes monétaires [The history of

31

482 l'économie politique

bimetallisni in the United States, 1886), d'un bon ])ré- iiis {Eléments ofjDollt i cal economy. New-York, 1887), qui contient quelques développements ingénieux sur la valeur. F. W. Taussig s'est occupé des coalitions, de la question monétaire et surtout des tarifs, dans quel- ques essais réunis ensuite en volume {The tariff liis- tory of the United States, 1888); il démontre notam- ment que les conditions qui pouvaient justifier une pro- tection temporaire ont cessé pour l'Amérique.

En dehors des études historico-critiques déjà citées sur le système monétaire et sur le système protecteur, nous devons à William Graham Sumner un travail de sociologie intitulé What social classes owe to each other (1883), traduit en français, et quelques essais contre le bimétallisme, sur les salaires, etc. {Collected essays in iDolltical and social science. New-York, 1885). Défenseur du currency principle,i>eu favorable aux coopératives, et libériste radical, Sumner accepte en partie les doctrines des optimistes.

Parmi les partisans de l'école classique, Newcomb, Hadley, Andrews et Macvane occupent également une place éminente. L'illustre astronome Simon Newcomb, auteur de quelques monographies et d'excellents arti- cles sur la méthode {North American Review, Octobre 1875), sur l'organisation du travail {Princeton BevieM', Mai 1880) et sur « deux écoles d'économie politique » {Ibidem, Novembre 1884), a publié plus tard un traité (Princlples of political economy. New- York, 1886:, remarquable par sa précision et sa clarté, et en parti- culier par une bonne analyse du mécanisme de la cir- culation ; mais il est peu explicite sur la question du type monétaire, et peu pratique dans les chapitres con- sacrés à l'art économique et en particulier au système d'impôts. Arthur T. Hadley, disciple de Wagner, a, au contraire, une compétence théorique et pratique recon-

AUX ÉTATS-UNIS 483

nue ; il est rauteur d'une monographie classique sur les chemins do fer [Railroad transportation, its history and lïis laws. New- York, 1884;, à laquelle on peut comparer le travail de Ch. Fr. Adams {Railroads, their orlgin and problems, 2'édit., 1880). Dans cette œuvre, comme dans d'autres ouvrages postérieurs (1888 et suiv.), Hadley traite, avec beaucoup de profondeur, le sujet si controversé des monopoles, sur lequel nous avons des travaux de Clark, Giddings, Gunton, Jenks, etc. ; il mérite d'être cité (pour nfe citer qu'un exemple) à côté de la dissertation célèbre de F. Klein- wiichter {Die Kar telle, 1883 .

E. B. Andrews (né en 1844), élève de Helferich et président de la Brown University , associe à l'étendue des connaissances la modération du jugement et la clarté de l'exposition, dont il a fait preuve dans ses travaux sur le problème monétaire (An honest dollar, 1889) et sur la loi économique des monopoles (1890), mais principalement dans un excellent résumé d'éco- nomie politique, dont le texte précis et sobre est accom- pagné de notes explicatives et bibliographiques pré- cieuses pour les maîtres comme pour les étudiants des établissements d'instruction supérieure.

E. B. Andrews, Instiiutes of économies. Boston, 1889.

Le précis de Macvane, professeur à Harvard Uni- versity., a été écrit avec une méthode tout à fait autre. Sans aucun appareil d'érudition, il expose les théories principales de l'économie pure et quelques-unes de leurs applications, d'une façon familière et avec les exemples nécessaires. Bien que ces deux écrivains appar- tiennent à l'école classique, Macvane, moins porté aux nouveautés, se tient rigoureusement à Ricardo et à Stuart Mill ; il est fidèle à la théorie du coût de produc-

484 L ÉCONOMIE POLITIQUE

tion et à celle du fonds des salaires, qu'il a défendue dans quelques articles du Quarterly Journal of Eco- nomies, (1887 et suiv.^, dirigés spécialement contre la théorie de l'utilité-limite de l'école austro-allemande, et contre la théorie de \A'alker sur les profits et les sa- laires.

S. M. Macvane, The icorking principles of poUtical economy. New-York, 1890.

Voir aussi, en dehors des Bévues déjà citées, les périodiques : A'orth American Review, Neiv Prin- ceton Remeic, Yale Review, Scribner Magazine, Popular Science Monthlij, Social Economiste Inter- national Journal of Ethics, et en particuHer les Annals of the American Academy of PoUtical and Social Science. Philadelphie, 1890 et suiv. La Cyclopaedia of PoUtical Science, PoUtical Eco- nomy, etc. (Chicago, 1881-84. Trois vol.), dirigée par John L. Lalor (traducteur de Roscher), con- tient de bons articles originaux de Burchard, Ford, Hadley, James, Knox, Weeks, Wliite, etc., mais elle est, au fond, une traduction du Dic- tionnaire de Coquelin.

CHAPITRE XV L'ÉCONOMIE POLITIQUE EN ITALIE

L'importance relativement moindre des économistes italiens de ce siècle, si on les compare à ceux du siècle passé, s'explique suffisamment par les grandes difficul- tés contre lesquelles ils durent lutter, particulièrement pendant la domination et la prédominance de l'élément étranger. Ils eurent contre eux la défiance des gouver- nements, les restrictions à la liberté de la presse, le nombre infime des chaires, le peu de liberté des pro- fesseurs, la difficulté des communicalions entre les dif- férentes parties de l'Italie, et entre l'Italie et les autres nations. Les progrès faits pendant ces vingt dernières années, c'est-à-dire après que l'unité et l'indépendance nationales ont été conquises, nous en donnent une preuve consolante.

L. Cossa, Sagrjio di Bibliografia dei trattati e com- pendii di economia pollilca scrilti da italiani (in Giornale degli Economisti. Septembre 1891 et janvier 1892).

§ 1. DE 1800 à 1814.

Quoiqu'à l'époque de la domination française le vent ne fût pas propice aux idéologues, il y eut toutefois de bons professeurs, comme Valeriani à Bologne, Ca- gnazzi à Naples, Balsamo à Palerme et Scuderi à

486 l'économie politique

Catane, et de courageux propagandistes des idées libé- rales, tels que ce même Balsamo et Fabbroni, et aussi un érudit et patient commentateur de nos anciens éco- nomistes, le baron Pierre Custodi (17.72-1842), auquel nous devons la collection que nous avons souvent citée.

Tandis que Raccbetti, de Crémone (1802), et dans leurs œuvres sur le droit public Martignoni, de Côme (1805!, Simoni, de Trente (1807) et notamment le véni- tien Angelo Ridolfi Dirltto sociale, 1808), s'occupaient incidemment d'économie, Luca de Samuele Cagnazzi de Altamura (1764-1852), publiait ses Elementi di eco- nomla politica (1813), dans lesquels il expose sans aucune originalité-, mais avec ordre et clarté, les théo- ries de Smith et de Say, faisant oublie/ les essais anté- rieurs, trop courts, de iTamassia 1802), de Milizia ^1803', de Serafini (1811), trop exclusivement pratiques de Azzariti (1806), ou peu propres à l'enseignement, comme le volume de Predaval 1807.

A cette période appartiennent Jean Fabbroni (1752- 1822), défenseur zélé des réformes de Léopold et spécia- lement du libre commerce des blés, dont il a parlé dans plusieurs articles de polémique et plus amplement dans son livre classique Dei provvedimenti annonarii. 1804 (2e édition, 1817). Gioja Sul commercio dei co- mestibili e il caro prezzo dei vitto. Milano, 1802 , Scarpelli, Palmeri-Salazar(1813^ et plus encore l'illustre Victor Fossombroni, se sont montrés favorables à la liberté du commerce des blés.

Le vénérable patriote, éminent agronome (élève d'Ar- thur Young), l'abbé Paul Balsamo (1764-1816), qui suc- céda au mercantiliste Sergio (1806) dans la chaire d'économie, a propagé en Sicile les doctrines de Smith et s'est fait le promoteur de réformes tendant à pro- téger l'agriculture contre les charges féodales.

EN ITALIE 487

Raccolta degli economisti toscani. Firenze, 1847-49.

Quatre volumes (Comprend les œuvres de Fab-

broni et celles de Gianni). P. Balsamo, Memorie economiche ed agrarie. Pa-

lermo, 1803. Memorie inédite di pubblica econo-

mia, 1845. Deu.x volumes.

Le.s études économiques ont été poursuivies : en Pié- mont, par Prosper Balbo et Galeani Napione ; en Lom- bardie, par Jean-Baptiste Giovio, de Côme [Opuscoli, 1804), par Nuytz (1802) et Martinelli (1808), qui ont écrit sur la monnaie, par De Carli, qui proposa la fon- dation d'une banque d'escompte pour le commerce de la soie (1813); dans l'Italie centrale, par le comte Mario Fantuzzi, de Ravenne (3/e?72orte, 1804), par le protec- tionniste Colizzi-Miselli [Sulla lana greggia,, 1802) et parN. M. Nicolai {Sulla campagna et sulVannona di Roma, 1803) ; dans les provinces méridionales, par Targioni, d'origine to.scane (1802), qui, ainsi que Marulli (1804) et De Mattia (1805), s'est occupé de l'assistance, et sans parler d'autres écrivains (cités dans la Storia de G. Albergo), par le silicien Antonin Délia Rovere, auteur des excellents Memorie sulla moneta bassa di Sicilia (Palermo, 1814).

§ 2. DE 1815 A 1830

L'enseignement de l'économie politique donné d'or- dinaire par des professeurs protectionnistes (Païenne et Catane), remplacé par un cours de « sciences et lois politiques » (Pavie et Padoue, 1817), suspendu à Naples (1820-1825) et définitivement supprimé à Parme (1820), à Turin (1821) et à Bologne (1828), renaît partiellement dans les revues, c'est-à-dire dans la Biblioteca italiana (1816-1840), dans le Conciliatore (1818-1819), dans le

488 l'économie politique

Giornale Arcadlco {] S [9- \S10), dans VAntologia (1821- 1832), dans le Giornale di Scienze, Lettere ed Arti pour la Sicile (1823-18421 et dans les Annali Univer- sali di Statistica (1824-1871), fondées à Milan par Custodi, Gioja et Romagnosi et continuées par Sacchi.

Se succèdent ensuite, avec des succès divers, les trai- tés d'économie de Ressi (1817-1820), d'Agazzini '1822 et 1827), le traité quelque peu meilleur de Charles Bo- sellini, de Modène {Nuovo esame délie sorgenti délia privatae dalla pubblica ricchezza, 1816-17, deux volu- mes), le résumé scolaire de Sanfîlippo, de Palerme [IstitiLzioni, 1824), qui marche sur les traces de Say, et celui du professeur Scuderi, de Catane, plus ample, plus réfléchi et adapté aux besoins de la Sicile (Prin' cipii di civile economia, 1827. Trois vol.). La renom- mée de ces écrivains a été éclipsée par celle qu'eurent à leur époque Valeriani et Gioja.

Luigi Molinari Valeriani, d'Imola (1758- 1828), phi- lologue, philosophe, jurisconsulte, fut un profes.-eur actif et un écrivain érudit, mais prolixe et obscur, qui s'est occupé spécialement des rapports de l'économie et du droit; il a étudié avec beaucoup de soin les théo- ries de la valeur, du prix, du change, de la justice dis- tributive, etc.

Del prezzo, etc., 1806. Discorsi, 1807. Dei cambi^ 1823. Opereilc, 1824. Erotemi, 1825-28. - (Cfr. A. Cavazzoni-Pederzini, Iniorno la viia, le opère e le dottrine di L. M. Valeriani. Modena, 1859).

Melchior Gioja, de Plaisance (1767-1829), fut une espèce de dictateur ne supportant aucune objection ; il a cultivé avec succès la stati.stique ; on lui doit un Nuovo prospetto délie Scienze econoiniche (Série I, Teo?'ie, Milano, 1815-17. Vol. I-VI), dans lequel il voulait

EN ITALIE 489

résumer tout ce qu'on avait écrit et pensé en matière d'économie, de finance et d'administration, et substi- tuer une grande encyclopédie systématique à la collec- tion de Custodi, qu'il avait souvent critiquée. Travailleur ardent, très érudit, puissant analyste, mais pointilleux et immodéré dans la critique, Gioja, auquel nous sommes redevables de nombreuses observations très ingénieuses, par exemple, dans la théorie de l'associa- tion des travaux, est insupportable par le pédan- tisme de ses tableaux statistiques et sa manie de rechercher des contradictions, maintes fois imaginaires, dans les œuvres de Smith, de Say et d'autres maîtres de la science, qu'il combat trop souvent pour rendre hommage à sa thèse favorite de la priorité des écono- mistes italiens. Gioja est un partisan exagéré de l'ingé- rence gouvernementale, à laquelle il a consacré une monographie {Discorso popolare sulle manifatture nazionale e tariffe daziarie, 1819).

François Fuoco, deNaples, quoique doué d'une grande aptitude pour les recherches économiques, est moins cé- lèbre ; il a vécu dans l'exil pendant de longues années ; il est l'auteur d'une œuvre plutôt excentrique {La ma- gia ciel credito snelata, Napoli, 1824. Deux vol.), écrite pour défendre les projets financiers du ministre Medici, et dont il laissa (pressé par le besoin d'argent) Joseph De Welz, de Côme, se déclarer l'auteur. Ses Saggi economici ont une bien plus grande valeur; il discute, dans cet ouvrage, avec beaucoup de finesse la théorie de la méthode, celle de la valeur et les systèmes indus- triels et bancaires ; il accorde une attention particulière à la théorie de la rente de Ricardo, dont, le premier en Italie, il reconnaît l'importance, tandis que Scuderi {Giornale di Scienze e Lettere di Palermo) et un ano- nyme (Biblioteca Itallana, 1824), précurseurs deCarey et de Bastiat, en niaient la valeur. Les Saggi de Fuoco

490 l'économie politique

passèrent presque inaperçus jusqu'à ce que Scialoja (1840) et Mohl (1844) en firent l'éloge; on ne tint pas. davantage compte des deux excellentes études qu'il publia postérieurement.

Franc. Fuoco, Saggi cconomici. Prima série. Pisa, 1825-27. Deux volumes. Iniroduzione alla, studio deir economia industriaU . Napoli, 1829. Le hanche e Vindustria, 1834.

Sans parler de quelques ouvrages sur le cadastre et sur les machines (1823-1824), on peut citer dans cette période les travaux de jeunesse de Bianchini sur l'influence de l'administration (1828) et sur les délits qui portent préjudice à l'industrie (1830), loués par Romagnosi, qui écrivit, en 1829, un essai magistral sur la libre concurrence. Ce sont cependant les discussions sur Tagriculture et la question annonaire qui occupent la première place. Gautieri s'occupe des forêts (18J8),. Chiarini étudie l'économie des immeubles (1822), Dan- dolo (1820) et Berra (1825) recherchent les causes de la baisse des céréales, tandis que François Gambini, d'Asti, [Délie leggi frumentarie in Italia, 1819) défend la liberté absolue, qui trouve des défenseurs ardents même dans VAccademia clei Georgofili, Capponi, Ricci, Ridolfî, etc., répondent aux objections de Paolini et des autres partisans des droits à Timportation (1824). La liberté économique, en général, est défendue en Sicile contre les protectionnistes Calvi (1825) et Viola (1828), par un éminent élève de Balsamo, Nicolas Palmeri dans son Saggio délie cause e délie angustie attuali delV economia agraria délia Sicilia (Palermo, 1826).

§3. —DE 1831 A 1848 Après la mort de Gioja, la fondation de VIstituto-

EN ITALIE 491

d'incoraggiamento di Palermo M 831), la conversion de Sanfilippo au libre échange, la création du Progressa de Naples (1832-1846), écrivent Bianchini, Blanch, Mêle, De Aui^ustinis, Mancini, et l'influence toujours croissante de Romagnosi, devenu l'âme des Annali di Statistica et l'inspirateur de jeunes écrivains de talent (Cantù, Correnti, Marzucchi, Blanchi, iSacchi), les idées libérales se propagent de plus en plus et, avec elles, les caisses d'épargne, les asiles pour l'enfance et d'autres institutions de bienfaisance, sur lesquelles on discute aussi dans les neuf Congressi degli scienziati (1839-1847). Quelques émigrés comme Marliani en Espagne, Chitti et Arrivabene en Belgique, font par leurs travaux respecter les malheurs de l'Italie. Nous devons à Arrivabene la traduction des traités de Mill 1830) et de Senior (1836), publiée en Suisse et com- mentée.à Milan par Poli; il fit ainsi mieux connaî- tre en Italie les théories de Malthus et de Ricardo, popularisées plus tard par Pellegrino Rossi et fort appréciées dans les classiques Principil d'economia, sociale (Naples, 1840. - Deuxième édition, 1846. Trad. française, 1844) de Antonio Scialoja. Appelé à la chaire d'économie rétablie à Turin en 1846, il écrivit un Trattato elementaro (1848) qui obtint un succès qui fut refusé, au contraire, aux excellents travaux dans lesquels Francesco Corbani, professeur à Sienne (de 1842 à 1859) démontre l'importance économique de l'élément religieux, comme l'a fait récemment le R. P. Matteo Liberatore [Principii d'economia poli- tica. Roma, 1889).

Cfr. Carlo de Cesarg, La vita, i tempi e h' operti di A. Scialoja. Rome, 1879.

Jean Dominique Romagnosi (1761-1835), écrivain célèbre en matière de droit public, de droit privé et de

492 l'économie politique

statistique, s'occupa toujours, mais avec plus de suite dans les dernières et malheureuses années de son exis- tence, des questions économiques ; il a écrit d'impor- tants mémoires sur des questions d'ordre général : la définition, la dignité, la coordination de l'économie politique, ses relations avec les autres sciences civiles et en particulier avec le droit, le caractère, les avan- tages, les limites de la liberté économique (^agricole, industrielle, commerciale); il a commis de graves erreurs dans la théorie de la population, qu'il n'avait pas approfondie.

Voyez la bonne monographie de G. Valenli, Le idée economiche di Gian Domenico Roniagnosi. Rom a, 1891.

Très inférieur à Romagnosi pour ses connaissances juridiques et économiques, Carlo Cattaneo, de AÎilan, le surpasse de beaucoup par la puissance et la vivacité de son style. Il a étudié avec beaucoup de savoir certai- nes questions d'économie appliquée. Il a fait l'apologie des institutions agraires de la Lombardie et, fidèle aux principes du maitre. il a combattu dans ses interdi- zioni israelltiche, dans les Annali di Statistica. et dans le Politecnico, qu'il a très habilement dirigé, les sophismes spécieux de Frédéric List.

C. Cattaneo, Scritli di economia puhblica'\o\. I et II. Genova, 1887-1888.

La défense de l'exportation de la soie grège hors du Piémont, déjà attaquée par Gambini (1820) et Len- cisa (1831), provoque une chaleureuse réfutation du jurisconsulte de Novare, Jacques Giovanetti (1834), adversaire également des impôts annonaires (1833). Le piémontais Michelini et Meguscher, de Trente (1836),

EN ITALIE 493

ont écrit sur les forêts, Gastaldi (1840] sur le commerce et les banques, Eandi (1844) sur les caisses d'épargne, llestelli (1845) sur les associations industrielles et com- merciales, De Rocchi (1846) sur les machines. Mori- chini(1835), Magenta (1838, Zennari, Bernardi (1845), et Casarini (1846), se sont occupés de l'assistance, et avec plus de science, le comte C. llarione Petitti, de Ro- reto (1790-1850), auteur du Saggio ciel biion governo délia, mendicità (Torino, 1837. 2 volumes^ qui peut soutenir la comparaison avec la grande œuvre de Gérando, qui en a fait de grands éloges. Nous devons à Petitti d'autres travaux sur le travail des enfants (1841). sur les associations douanières (1844), sur les chemins de fer italiens (1845), sur la réforme des im- pôts (1850) et une œuvre posthume sur le jeu du « lotto » (1853).

Ludovic Bianchini, auteur des Principii del credilo pit66h'co(1827, -2^édit., 1838) défend les emprunts amor- tissables ; il s'est surtout fait connaitre par ses compi- lations historiques sur les finances de Naples (1834- 1836) et de Sicile (1841). Les controverses économico- fiscales sur les ports francs, sur le « tavoliere di Puglia », sur la conversion de la rente etc., ont pro- voqué une multitude d'articles de polémique de Bian- chini, de Ceva-Grimaldi, du duc de Ventignano, etc., de Ferdinand Lucchesi-Palli et de Jacques Savarese, auteur d'un traité d'économie qui est resté inachevé (1848).

Le sicilien François Ferrara (né en 1810), directeur du Giornale di Statistica (1836-1848), il eut comme collaborateurs : Emerico Amari, Vito d'Ondes Reggio, François Perez et Raphaël Busacca, auteur de bonnes études sur le cours forcé (Firenze, 1870), a écrit difïé- rentes œuvres statistiques, historico-critiques et théori- ques ; il défend énergiquement la liberté commerciale ;

494 l'économie politioue-

il a fait, à propos delà polémique sur le cabotage entre Xaples et la Sicile (1837), l'apologie de la doctrine de Malthus (1841) ; il soutient que les Grecs n'eurent pas une véritable science économique (18'i6) ; il donna, déjà dans ses premiers travaux, des preuves certaines de la puissance de son intelligence et de la vivacité de son style.

Franc. Ferrara, Memorie di slaii.slica. Rome, 1890.

L'économie politique moderne a pénétré en Italie dans une première période; dans une deuxième période elle a été ob.scurcie par les doctrines restrictives de Gioja ; de nouveau libérale dans la troisième, sous l'influence salutaire de Romagnosi et grâce aux leçons de Pellegrino Rossi. qui propage les théories de l'école classique (Smith, Malthus, Ricardo, Senior), elle rede- vient exclusive, mais en sens opposé, dans la quatrième période avec Françesco Ferrara, qui succède à Scialoja dans sa chaire de Turin (1849-1858), et propage, dans ses brillantes leçons, qui circulent lithographiées dans toute l'Italie, les doctrines de Carey, qu'il commente avec une grande érudition dans les Préfaces de la Diblioieca, deW Economista, éditées plus tard séparé- ment. Sans tomber dans les amphibologies de Bastiat, Ferrara se déclare partisan de la théorie du coût de reproduction comme fondement unique de la valeur, dont il cache le côté faible par ses fameux succédanés, acceptés par Minghetti ; il croit à l'augmentation néces- saire et fatale des salaires ; il repousse la théorie de la rente; il professe le principe absolu du « laissez-faire », c'est-à-dire l'optimisme dans la science et l'indivi- dualisme extrême dans les applications. Ses idées bien

EN ITALIE 495

tîonnues sur la projjriété, le.s droits d'auteur, les bre- vets industriels, la distribution de la richesse en sont la preuve, etc. Chercheur infatigable des origines et des progrès de la science économique en Angleterre et en France, critique puissant, mais parfois injuste, il a écrit avec beaucoup de soin les biographies des principaux économistes ; les principes qui lui servent de critère lui font estimer outre mesure Say, Dunoyer, Chevalier, et iïiéconnaître les mérites de Ricardo et diminuer ceux de -Rossi et de Stuart Mill.

Fr. Ferrara, Importanza delV economia poUlica. To- rino, 1849. Biblioieca delV Eronomlsia. Série I (Trattati complesslvi.) Série II. [Traitati speciali). Torino, 1850-70. Vingt-six volumes. Esame sio- 7'ico-criiico di fconomistl c doHriiu' ccoiwniiche, etc. Torino, 1889-1892. Deux volumes (en quatre par- ties).

Parmi les élèves et les admirateurs de Ferrara, nous rappelerons Torrigiani, qui fut professeur à Parme et à Pise ; Todde, professeur à Modène, actuellement à Cagliari; le savoyard Jean-Jacques Reymond, écrivain sage et tempéré, trop tôt enlevé à la science par une •cruelle maladie. Gérôme Boccardo (né en 1829) contri- bua puissamment à propager en Italie les doctrines de Bastiat ; il a été professeur à Gènes ; il est l'auteur merveilleusement fécond d'ouvrages sur des sujets très Variés (collections, encyclopédies, traités, manuels, •«ssais, discours, articles) dont les plus importants sont -le précis d'économie, dont on s'est servi pendant de longues années dans les écoles , le dictionnaire qu'il a rédigé d'après celui de Coquelin, mais qu'il a enrichi (notamment dans la seconde édition) de notes intéres- santes , la troisième série de la Biblioteca dell'Econo- mista, moins exclusive que les séries précédentes.

496 l'économie politique

G. Todde, Note mil' economia poliiica. Cagliari, 1885.

J. J. Reymond, Etudes sur V économie sociale et in- ternationale. Turin, 1860-61. Deux volumes.

G. Boccardo, Traitaio ieorico-pratico d'economia poli- tica, 1853 (7^ édit., 1885). Trois volumes. Dizio- nario universale d'economia politica e commercio . Torino, 1857. Quatre volumes. -2« édil. (en deux volumes). Milano, 1875-77.

Biblioteca delV Economista. Série III. Torino, 1875- 1892. Quinze volumes.

Les tentatives faites par Bianchini et par Bruno pour rattacher l'économie aux autres branches de la science sociale, bien qu'elles aient été fort approuvées notamment à l'étranger, exercèrent peu dinfluence. On peut en dire autant de l'excellent abrégé du sicilien Placide De Luca, professeur à Xaples. Il ne s'est pas tout à fait débarrassé des préjugés restrictifs, mais il a le mérite d'avoir écrit le premier manuel italien de la science des finances, dans lequel il suit avec trop de fidélité celui de Jakob (d'après la traduction française), déjà vieilli à cette époque. D'autres traités eurent moins de succès encore: ils sont, ou peu connus, comme ceux deScopoli, de Vérone (1850), et du toscan Trinci^ ad- versaire de Malthus (1858), ou sans originalité, comme celui du napolitain Trinchera (1853), qui copie Rossi dans la partie théorique et Bianchini dans la partie his- torique, ou d'une forme abstruse, comme les nombreux traités de Marescotti (1853, 1861, 1878, 1880), ou trop courts, comme les résumés de Meneghini (1856) , de Rusconie (1852) et de De Cesare il862).

Lod. Bianchini, Délia scienza e del ben vivere sociale e délia economia degli Stati. Vol. I, Napoli, 1845. Vol. II, 1855.

Giov. Bruno, La scienza delV ordinamenio sociale, Palermo, 1859-62. Deux volumes.

EN ITALIE 497

P. De Luca, Principii dementm'l di scienza economica. Napoli, 1852. La scietiza délie Finanze, 1858.

Dans le Piémont, qui devint, grâce au séjour de nom- breux émigrés, un centre d'études non moins important que ceux qui existaient auparavant à Milan et à Xaples, les revues, et notamment la Contemporanefi (1850- 1870), publièrent de bons articles d'économie; il faut également citer les monographies du comte 11. G. de Salmour sur le crédit foncier et agricole (184G) et son organisation dans les Etats Sardes (1853) et en Italie (1862). En Vénitie se distinguèrent J. B. Zannini, le courageux auteur du Piano di ristorazione economica délie Provincie Venete, et Valentin Pasini, de Schio (mort en 1864), dont se sont occupé brièvement Lam- pcrtico, et longuement Bonglii. L'économie politi- que a été étudiée également à Modène par Ludovic Bosel- lini et Andréa Cavazzoni-Pederzini ; à Bologne, par les jurisconsultes Borgatti et Martinelli ; en Sicile, par Te deschi-Amato, Biundi, Rizzari, l'émincnt Salvatore Marche.'-e (mort en 1880) et par Perni (disciple de Bruno et Intrigila, des statisticiens éminents.

L'économie ne fut pas négligée dans les revues mi- lanaises : le Giornale délie scienze j^olitico-legali (1850-53) contient de bons articles d'Antoine Mora ; Correnti, De Cristoforis, Zanardelli, Allievi, Massarani et Emile Broglio, auteur d'élégantes lettres sur l'impôt, sur la rente (1856), ont été collaborateurs du Crépus- colo (1850-56).

Il faut citer spécialement trois écrivains, qui furent aussi d' éminents hommes d'état : Stéphan Jacini, An- toine Scialoja et Marc Minghetti.

Stéphan Jacini, de Casalbuttano (1837-1891), ne s'est pas occupé de science pure, mais il s'est signalé par ses travaux de jeunesse sur l'économie agraire, aux-

32

4Ô8 l'économik politique

quels il revint pour les compléter dans son âge mûr, alors qu'il était président et rapporteur de l'enquête ag-raire(1817-1877). Antoine Scialoja J817-1877), ayant perdu sa chaire, se voua à la profession d'avocat; il écri- vit deux brillants opuscules polémiques sur les disettes et sur le budget de Naples ; il s'occupa plus tard, comme écrivain et comme ministre, de la réforme des impôts directs (Nuova Antologia, 1067-1 868j ; il a défendu (contre Minghetti, Morpurgo et Allievi) la con- solidation de l'impôt foncier. Marc Minghetti, de Bolo- gne (18f8-1886i, orateur éloquent, lettré et artiste, est connu dans la science économique par son ouvrage sur les rapports entre l'économie, la morale et le droit, recommandable sinon pour l'originalité, du moins pour l'excellence de la doctrime et pour sa forme exquise.

S. Jacini, La proprirtà fOndiaria e la popolazione agrl' cola lit Lomhardia. Milano, 1854.-3'= édit., 1857. Frammenti delV incliicsta agraria. Roma, 1883.

A. Scialoja, Carostia e govcrno, 1853. Il hilancio degli Staii Sardi ed il Nopoliiano. Torino, 1858.

M. Minghetti, Opuscoli leiterarii ed économie i. Fi- renze, 1872.

La période de notre émancipation politique a été favo- rable à la diffusion des éléments de l'économie grâce au rétablissement des chaires anciennes (Bologne, Pise, Parme, Modène) et à la création de chaires nouvelles dans les Universités (Gênes, Cagliari, Messine, Rome) et dans les « instituts industriels et professionnels» ; cela se fit cependant avec une hâte qui ne permit pas de choisir de bons professeurs. En même temps, le développement des manufactures et du commerce, la liberté de dis-

EN ITALIE 499

cussion, la liberté de la. presse, et la nécessité de résoudre promptement les graves questions économi- ques et financières qui surgissaient, provoquèrent des projets, des rapports, des discours, des opuscules et des enquêtes officielles et parlementaires, dans lesquelles d'éminents statisticiens purent se signaler. En dehors de ceux que nous avons déjà nommés, il faut citer : Cavour, Sella, Luzzatti, Lampertico etc. La science pure a été négligée, et parce que les préoccupations poli- tiques absorbaient les meilleurs esprits , et parce que l'école pseudo-orthodoxe était prédominante. La fondation de la Xuova Antologia, (1866), au début encore soumise à ces influences, apporta quelque amé- lioration à cet état de choses. On se servit dans l'ensei- gnement supérieur des traités inachevés des professeurs De Rocchi (de Sienne), Salvatore, Majorana-Calatabiano, de Casane (1866) et Ippolito, de Naples (1869) et de ceux de Ponsiglioni, qui succéda à De Rocchi et ensuite à Boccardo (1870,-2'^ édit. 1880 , et de G. E. Garelli (1875-2* édit. 1880). i^armi les précis écrits pour les instituts techniques, nous citerons ceux de Fornari( 1 868) , de Rameri (1864, 1868, 1876) et de Lo Savio (1872;, qui furent les précurseurs d'un courant meilleur.

Le nestor des économistes italiens, Antonio Ciccone (1808), qui a succédé en 1865 à Jean Manna, (auteur de bonnes études administratives) dans la chaire de Naples, fut un disciple modéré de l'école dominante. Aux Prmcipii cVeconoraia. sociale (1866-68), parvenus à leur troisième édition (1882-83. Trois volumes;, firent suite les remarquables mémoires complémentaires sur les lois naturelles de l'économie (1883), sur la valeur, sur le salaire (1888), sur les pensions pour la vieillesse (1882), ainsi que d'autres de plus grande importance sur Macleod, sur l'assistance et la misère (1874) et celui qui obtint un prix àMilan, sur la question sociale(1884); ils

500 l'économie politique

montrent l'intelligence, le savoir et l'activité de l'au- teur.

Quant aux mono,2:raphies, nous devons signaler dans le Piémont celles d'Alessandro Garelli sur les banques, les crises, les salaires, instructives, toutes pleines de faits, et la Logica, délie imposte, œuvre pondérée du jurisconsulte Matteo Pescatore ; en Ligurie, les nom- breux écrits économico-fiscaux de Camille Pallavicino, de Pierre Sbarbaro, de Jacob Virgilio et de Paul Bo- selli, les deux derniers très compétents dans les ques- tions commerciales et maritimes ; en Lombardie, les travaux d'Allocchio sur la liberté des échanges, le cré- dit foncier et les caisses d'épargne, ceux de Fano sur la charité préventive (1868) et les écrits brillants mais quelque peu paradoxaux de l'émigré Henri Cernuschi sur le mécanisme des échanges et le bimétalisme ; dans la Vénétie, les nombreuses compilations de l'infati- guable Albert Errera, les travaux de Benvenuti sur les banques et les finances et l'ouvrage plus pratique de Cappellari délia Colomba sur les douanes (1867), mais surtout les essais économico-statistiques et financiers d'Emile Morpurgo (mort en 1 885) et les excellentes études sur le crédit foncier (1868) et sur les banques de Venise (1869) de Elle Lattes, qui acquit une renommée encore plus grande par ses travaux d'épigraphie étrusque ; en Emilie, les grandes recherches sur les colonies et sur l'émigration (1874) de Leone Carpi ; en Toscane, les mémoires économico-agraires et autres travaux de Ridolfî, de Corsi, de Rubieri, de Cini, d'Andreucci, de Franchetti, de Sidney et George Sonnino, etc. ; dans les provinces napolitaines, Racioppi, Nicolo Miraglia, Tortora, Faraglia, etc., Auguste Magliani (1825-1891) et Constantin Baer, tous deux très compétents dans les questions monétaires et fiscales ; enfin, en Sicile, le professeur, déjà cité, Jean Bruno, directeur du Gior-

EN ITALIE 501

nale cli Statistica (depuis 1848), auteur de bonnes études sur les caisses d'épargne (1852(, sur la liberté de la boulangerie et sur la taxe du pain (1855), etc.

,^6. l'état actuel

Ang. Bertolini, Saggio cli bibliografia economica ita- liana (1870-1890). Bologna, 1892. (in Giornale degli Economhti).

H. von SchuUern-Schrattenhofen, Die theoretische Naiionalokonomie Italiens in neuesier Zeit. Leip- zig, 1891. (Monographie savante et soignée).

A. Loria, Economies in Italy (Annats of the American Academy, etc. Vol. II, n. 2. Phiiadelphia, 1891).

U. Rabbeno, The présent condition of polit ical eco- nomy in Italy [Political Science Quarterly. Vol. VI, n. 3. New York, 1891).

La fondation de chaires nouvelles à Padoue et à Pavie (1858) et renseignement que Ton y donnait dans une sereine objectivité scientifique, dénuée do toute ten- dance apologétique ou critique des conditions actuelles, en tenant compte des progrès faits par l'économie spé- cialement en Angleterre et en Allemagne, mis à profit par de bons et actifs disciples, devenus ensuite profes- seurs dans les principales universités du royaume, fut la cause principale de la meilleure direction des études et des publications qui ont été louées par des juges étrangers compétents.

Le mérite principal du réveil scientifique actuel est à trois hommes, illustres à différents titres : Messe- daglia, Nazzani etLampertico, et aussi à Vito Cusumano (né à Partanna en 1843). sorti de l'école de Pavie, et devenu plus tard à Berlin un admirateur passionné des doctrines allemandes, qu'il propagea en Italie par le savant ouvrage dont nous avons déjà parlé.

502 l'économie politique

Angelo Messedaglia (né à Villafranca de Vérone en 1820), a été professeur à Padoiie (1858-1866), puis à Rome. L'étendue et la profondeur de ses connaissances scientifiques et littéraires, sa possession des méthodes analytiques, l'impartialité de ses jugements, en font, sans flatterie, le maître de « ceux qui savent ». Il a écrit à plusieurs reprises sur la méthodologie statis- tique et économique, sur la monnaie, sur la popula- tion, sur les impôts directs et sur le crédit public. On peut dire que les défauts de ses œuvres tiennent à leurs qualités éminentes. Faisant précéder la synthèse des phénomènes de l'analyse de leurs différents aspects, dans laquelle il est maître, Messedaglia ne sait pas évi- ter les répétitions qui troublent l'ordre systématique de ses travaux et il aime à s'arrêter à la critique minu- tieuse des formules, quelquefois impropres et parfois inexactes (comme le sont les progressions de Malthus), qui résument des principes de grande importance théo- rico-pratique : c'est ainsi que certains disciples peu ex- perts ont pu avoir la conviction erronée que les obser- vations du maître pouvaient ébranler certaines lois de la science. En outre, une juste antipathie pour les con- clusions trop absolues a engendré chez Messadaglia, sinon le scepticisme, du moins une certaine hésitation, qui lui a fait esquiver les questions capitales sur la dis- tribution de la richesse. Toujours peu satisfait de son œuvre, il recommençait toujours (pour les corriger et les compléter) les premières parties de ses travaux, mais il n'a jamais terminé les dernières parties. Nous laissons de côté, pour ne pas sortir de notre sujet, ses ch'ssiques monographies statistiques (préférées par l'auteur) et nous indiquons seulement ses monographies économi- ques, en signalant, comme techniquement parfaite, son étude sur le cadastre.

EN ITALIE 503

A. Messedaglia, Dei prrstiti puhblici e tlel miglior sis- tema tli consolidazione. Milano, 1850. Délia teoria délia popolazione priucipaimenie solto l'as- peito del nietodo. Vol. 1. Verona, 1858. La moneta e il sistema mo)ielario. La sforia e la sla- iisiica dei metalli preziosi. [Arcliivio di Slaiis- tico. Anno VI e VIT. Roma, 1881-83). Relnzione sut TitoloI del Progetto di legge suir imposta foit- diaria. Roma, 1884. Veconomia poliiica in rela- zinne alla sociologia e quale scienza a se. Roma, 1891.

Emile Nazzani (né à Pavie en 1832). profes.seur pen- dant vingt-cinq ans à l'institut technique de Forli, doué d'une intelligence robuste et bien équilibrée, très ins- truit , débuta par des travaux savants sur l'écono- mie appliquée, dans lesquels il défendait la liberté des coalitions, et étudia l'organisation des sociétés coopéra- tives (in Industriale lioinagnolo, 1868-69) ; il aborda ensuite avec une profondeur modestement dissimulée les thèmes les plus ardus de l'économie pure : la rente (1872), le profit (1878), la demande de travail (1880), la valeur (1883), et résuma enfin avec une clarté simple et élégante, dans son compendiode meilleurprécis italien), les doctrines de l'école classique; il a réfuté, dans un autre écrit, les critiques des adversaires de cette école (1879).

E. Nazzani, Swito di economia poliiica. Forli, 1873- édit. Milano, 1886. Saggi di economia poli- iica. Milano, 1881. Sulle prime cinque sezioni del capitolo « On value » di Ricardo (in Rendiconti del R. Istitulo Lombardo di Scienze, 1883.).

Fedele Lampertico (né à Yicenza en 1833) s'est dis- tingué dans les belles lettres, l'histoire, le droit et la statistique. Il a discuté dans de nombreux travaux et dans d'excellents rapports parlementaires les sujets les plus variés : l'isthme de Suez, les mines, les glar

504 l'économie politique

ciers, les bois, les dîmes, les banques, le libre échange^ le papier monnaie, etc., et il entreprit de parcourir, dans la plus importante de ses œuvres, le champ entier des théories économiques, financières et administratives. S'il ne put, comme cela était à prévoir, terminer ce tra- vail, trop grandement conçu, trop irrégulier dans sa forme et peu proportionné dans ses parties, il nous a donné une précieuse collection de monographies dans lesquelles il a étudié, avec des développements en par- tie nouveaux et intéressants, quelques-uns des pro- blèmes les plus complexes de la science.

F. Lampertico, Ecomomia del ])opoli e degli Siati. Vol. I-V. Milano, 1874-84.

Aux critiques formulées sur un ton agressif par Cu- sumano (1873) répondit avec une vivacité encore plus grande Ferrara, dans la Nuoi:a Antoloyia (août 1873) ; il dénonça le germanisme et, plus tard (1878), l'américa- nisme économiques comme des ennemis de la liberté. Le meilleur élève de Messedaglia, Luigi Luzzatti (né à Ve- nise en 18il) répondit avec beaucoup de modération. C'est un écrivain brillant, qui s'est fait en Italie l'apôtre des banques populaires et des sociétés coopératives. Sa patrie et la science doivent lui être reconnais- santes pour ses innombrables articles de revues et de journaux et pour l'activité qu'il a déployée, comme dé- puté et comme ministre, dans les conférences moné- taires, dans les expositions industrielles, dans la con- clusion des traités de commerce et finalement par ses essais de réorganisation du crédit et des finances.

Les premières escarmouches furent suivies d'un con- grès tenu à Milan (1875), de la création de sociétés éphé- mères et de la publication d'articles favorables (E. Mor- purgo, L. Miraglia, P. Del Guidice, etc.) ou défavo-

EN ITALIE 505

rables (Marescotti, Bruno, Torrigiani, Scarabelli, etc.), à ce que l'on a appelé inexactement la nouvelle école iau- toritaire), tandis qu'en réalité elle comprenait des écri- vains de tendances très opposées, d'accord seulement pour combattre l'optimisme de la liberté illimitée. Les équivoques nées dans la chaleur de la lutte étant main- tenant dissipées pour les hommes de bonne foi, il n'est pas difficile de déterminer avec précision les tendances dominantes des différents groupes de nos économistes.

Le plus ingénieux parmi les individualistes , dont le nombre va en diminuant, est Domenico Berardi. Il a combiné les doctrines de Ferrara et celles de Spen- cer et il déduit résolument les dernières conséquences du principe du « laissez faire » (Le funzioni ciel go- verno nelU economia sociale. Firenze, 1887). Les mêmes idées sont défendues par Tullio Martello dans son vo- lume sur la monnaie (1872), et mieux encore dans un brillant article du Giornale clegli Econoviisti, dans lequel un anonyme combat avec beaucoup de savoir et une fine ironie (mais avec de regrettables allusions per- sonnelles) les énormités de l'école économico-zoolo- gique. Ponsiglioni, Todde et Angelo Bertolini, dont la jeune activité est pleine d'espérances, sont aussi des partisans modérés de l'individualisme.

Dans le petit nombre des partisans du socialisme de la chaire nous citerons Forti, directeur de la première série du Giornale clegli Econoniisti (1875-1878), Du- cati, Ousumano, actuellement plus modéré, Mortara, qui est partisan d'une forte ingérence de l'Etat dans la propriété foncière (1888) et enfin Camille Supino, auteur de mémoires éradits sur la valeur (1880-1889), le capital (1886-1891), l'escompte (1892), et d'essais très re- marquables sur la navigation (1890).

Les professeurs Toniolo, de Pise, et Ferraris, de Pa- doue sont moins exclusifs. Joseph Toniolo (né en 1845)

506 l'économie politique

a été avec Auguste Monlanari fauteur d'un bon ré- sumé) l'élève et pendant quelque temps le suppléant de Messedaglia ; il a publié des mémoires très soignés sur l'élément éthique, la méthode d'observation, la petite industrie, la rente, le salaire, la participation aux bénénces, etc., et notamment une monographie sur la distribution des richesses (1878). Il unit à l'exac- titude théorique du maître, de bonnes recherches his- toriques et philosophiques; ses consciencieuses leçons s'inspirent de hautes idées morales. Charles François Ferraris (né en 1850), disciple favori de Wagner, s'est occupé avec talent de la science administrative ; il est le défenseur ardent des chaires de statistique (1891); il s'est beaucoup occujié de la question monétaire et du cours forcé (1879) ; il est partisan de l'impôt militaire et de l'assurance ouvrière obligatoire; il a écrit avec une méthode encore plus correcte sur le crédit privé dans ses Principii di scienza, baricaria. (Milano, 1892), qui ont remplacé l'ouvrage autrefois excellent mais aujour d'hui vieilli de Pierre Rota (1873).

Joseph Ricca Salerno (né à Sanfratello en 1849) est lui aussi un disciple de Wagner. Il a été professeur à Pavie, à Modène et à Palerme. Il marque la transition entre l'école historique et l'école classique. Il a débuté par de savantes monographies sur le capital !l877), sur le salaire (1878) et les emprunts (1879), souvent un peu obscures ; il a publié ensuite (et c'est son meilleur travail) l'histoire des théories financières en Italie (1881), et de bons travaux économiques et financiers (dans des revues italiennes et étrangères) ; il acquiert de plus en plus la renommée d'un excellent maitre et d'un critique expert. Il a accueilli le premier, mais avec quelques modifications, dans un excellent article {Giornale degli Economisti, 1877) et dans son Manuale di scienza finanziaria (Firenze, 1888), la théorie de

EN ITALIE 507

Sax, qu'acceptent aussi ses excellents élèves de Modène, Auguste Graziani, professeur à Sienne, auteur de bons travaux sur le profit (1887), les dépenses publiques (1887), les opérations de bourse (1890), les piachines ■(1891), et Charles Ange Conigliani, qui a écrit un mémoire ingénieux sur les effets économiques des impôts (1890); il doit publier prochainement une histoire critique de la théorie économique de la monnaie •en Italie, que ses travaux antérieurs nous font vivement <iésirer.

Maffeo Pantaleoni (né à Frascati en 1857), directeur de l'Ecole de commerce de Bari, auteur d'excellents travaux de statistique économique, et notamment d'un mémoire sur l'importance probable de la richesse privée •en Italie (1884), a débuté par une savante monographie sur l'incidence des impôts; il a donné des preuves de son aptitude aux recherches exactes dans les Principii di econoynia jjura. (Firenze, 1889). Dans ce livre, qui «ut l'honneur rare d'être traduit en anglais, il expose la théorie de la valeur, conformément aux doctrines de Gossen, de Jevons et de Wieser, etc.; il y fait cependant des critiques parfois injustes à quelques-uns des chefs de récole autrichienne.

Le problème de la valeur a été également discuté par Piperno, qui a recherché avec soin les causes de Vaggio (1880), par Wollemborg (1882), l'infati- gable propagateur des caisses rurales de prêt (Raif- feisen), par Valenti (1890), éminent spécialiste en éco- nomie agraire, par Alessio, qui a écrit aussi une bonne monographie sur le système fiscal italien (1883), que l'on peut rapprocher de celle de Zorli (1887), et enfin par Blanchi (1891), qui s'est également fait connaître par de bonnes recherches sur la propriété territoriale (1890). <5uelques économistes acceptent, non sans réserves, les théories de l'école austro-allemande : Ugo Mazzola,

508 l'économie politique

qui a savamment parlé de l'assurance ouvrière en Alle- magne (1886); il a soutenu la théorie des produits immatériels, et fait (1890' quelques objections subtiles à la théorie financière de Sax ; Emile Cossa s'est occupé avec sobriété et clarté des entreprises industrielles (1888'i et des formes naturelles de l'économie sociale et de l'économie financière, il a résumé, en les séparant de l'agronomie et de l'économie générale, les éléments de l'économie agraire (1890), et il a également écrit avec une louable impartialité sur le problème ardu de la réduction des heures de travail (1892).

On doit grandement apprécier, à cause de la netteté de la doctrine et de l'excellence de sa méthode, les œuvres de De Yiti De Marco et de Gobbi. De Viti De Marco (né en 1858i dirige avec Pantaleoni, Mazzola et Zorli la nouvelle série du Giornale degli Economistî, dans laquelle il défend énergiquement le libre échange, attaqué théoriquementpar Benini (1883) et pratiquement par Ellena, Salandra, Alexandre et Egiste Rossi. Il est particulièrement connu par son étude sur la monnaie et les prix (1885), dans laquelle il défend, avec les res- trictions nécessaires, la théorie quantitative, et par son travail sur le caractère théorique de l'économie finan- cière (1888).

U fisse Gobbi (né en 1859), a étudié, dans un .style moins enveloppé mais plus négligé, l' organisation des sociétés coopératives et de l'assurance contre les acci- dents du travail ; il a recherché avec compétence l'in- fluence des systèmes de rétribution sur la productivité du travail (188)', et, dans son court mais très utile précis d'économie, il a combiné les doctrines de l'école classique avec les résultats des recherches minutieuses réunies dans le Manuel de Schonberg.

Achille Loria, deMantoue (né en 1857), n'est inférieur à aucun en intelligence, et il est supérieur à tous par

EN ITALIE 509

son originalité, et à beaucoup par ses connaissances. Professeur à Sienne et actuellement à Padoue, il occupe une place éminente dans la science, bien qu'on puisse lui reprocher de n'être pas assez objectif dans la critique des doctrines et dans le choix des faits qu'il cite à l'appui de ses théories personnelles. Il est difficile de résumer le système d'un auteur dont les tendances sont, en apparence du moins, les plus opposées. Il suit, en effet, Ricardo dans ses théories sur la valeur et sur la rente, tout en combattant avec àpreté et non sans équivoques {NuovcL Antologia, 1890) l'école autrichienne, mais il n'accepte pas sa théorie de la monnaie ; il est partisan de l'école historique et tient les phénomènes écono- miques pour variables et partant il croit que les théorèmes de l'école anglaise ne s'appliquent qu'au système capitaliste ; il admire Marx (dont il a parlé d'une façon magistrale) et croit, avec lui, que le profit est une forme transitoire, mais il réfute ses sophismes sur la valeur ; il se rapproche des socialistes dans sa cri- tique du régime économique moderne, mais il repousse leurs projets de réforme parce qu'il espère que les plaies sociales disparaîtront naturellement grâce à la diffusion de la propriété et à la disparition de la rente ; il loue enfin les évolutionnistes, mais il ne leur épargne pas les reproches qu'ils méritent. Pour bien comprendre les idées de Loria, qu'il a résumées dans une de ses leçons d'ouverture, il faut avoir présente à l'esprit l'importance suprême (et à notre avis exagérée) qu'il attribue au problème économique dans le système social et politique, et au problème territorial dans le système économique.

A . Loria, La rendila fondiaria e la sua elisione natu- rale. Milano, 1880. La legge di popolazione ed il sistema sociale. Siena, 1882. Carlo Darwin e Veconomia politica. Milano, 188i. Analisi délia

510 l'économie politique

proprietà capitalistica. Torino, 1889. Deux vo- lumes. (Cfr. les Appunii de Graziani dans le Giovnalc degliEconomisti, 1890).— Siudii sul valore- délia moneia, 1891. La terra ed il sistema so- ciale. Padova, 1892.

A l'école sociologique appartiennent Schiattarelia, Puviani, Zorli, Lo Sa\io, Jacopo Luzzatto, Angela Majorana, et en partie aussi De Johannis; les représen- tants les plus éminents sont Boccardo qui accepte réso- lument ces doctrines dans différentes préfaces de la Biblioteca. delV Economista, et Cognetti qui étudie les fonctions économiques chez les animaux et les tribus, sauvages, et recherche les origines du socialisme dans l'antiquité et en particulier en Chine et en Grèce dans des œuvres connues des philologues mais négligées, par les économistes. Il professe des théories analogues, à celles de Ugo Rabbeno, auquel nous devons des étu- des consciencieuses et en partie originales sur la coopé- ration et sur le protectectionnisme. Il faut signaler particulièrement, pour la profondeur de ses connais- sances et la modération de ses jugements, Icilio Vanni, qui ne méconnaît pas l'état embryonnaire, les difficul- tés et les dangers de la nouvelle science.

G. Boccardo, La sociologia. Torino, iSBO. ranimale e l'uomo, 1881.

S. Cognetti De Martiis, Le forme primitive delV evo-^ luzione economica. Torino, 1881. Socialisma atitico, 1889.

U. Rabbeno, TJ'evoluzione del lavoro. Torino, 1883. La cooperazione in Inghilterra (Milano, 1880) et in Italia (1886). Le società coopérative di produ- zione, 1889. Protezionismo americano, 1893,

IciUo Vanni, Studii sulla theoria sociologica délia popolazione. Città di Castello, 1886. Prime linee d'un programma critico di sociologia. Perugia, 1888,

EN ITALIE ' 5il

Le manque de place ne nous permet pas d'indiquer de très nombreuses monographies comme celles de Giovanni Rossi, Antonelli, et quelques-unes plus remarquables de Poreto (sur la théorie mathématique de la richesse), et d'autres de : Maggiorino Ferraris, Artom, Amar et Bertini dans le Piémont; de Buzzetti, Piola, Xicolini. Manfredi, Romanelli, Masé-Dari, Pizzamiglio, Sartori, Montemartini en Lombardie; Jacques Luzzatti, Salvioni, Délia Bona, Bertagnolli, Stivanello. D'Apel, Minelli, Kiriaki, Zanon, Ellero en Vénétie; de Manara, Malgarini, Rava, Mamiani en Emilie ; de Cambray-Digny et de Fontanelli en Toscane; de Villari, Zammarano, Martuscelli, Fortunato, Codacci-Pisanelli, Tammeo, Tangorra, Fiorese dans les provinces napolitaines ; de Vadalà-Papale, Santangelo Spoto, Gemmellaro-Russo, Arcoleo, Merenda en Sicile ; de Soro-Delitala, Longiave-Berni, Pmna-Ferrà en Sar- daigne.

Nous avons déjà cité (pag. 30-31) les principaux sta- tisticiens; on peut signaler encore Raseri, Stringher, Rameri, Sbroiavacica et Giuseppe Majoranà ; nous avons aussi indiqué quelques-uns des ouvrages sur l'his- toire de l'économie en Italie, dont nous avons donné ailleurs un index très complet.

L. Cossa, Saggio bibliografico sulla storia délie teorie economiche in lialia [Giornale tlegli Economisti, 1892).

CHAPITRE XVI LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

Par le mot, étymologiquement équivoque, de socia- lisme, adopté par les écoles de Owen et de Leroux et mis en vogue par Reybaud, on désigne, d'ordinaire, les systèmes de politique économique qui attaquent les bases actuelles de la société civile.

Mais si le mot socialisme, au point de vue théorique, embrasse un ensemble de doctrines, au point de vue pratique c'est au contraire le nom d'un parti qui com- prend des groupes divers, nationaux ou cosmopolites, anarchistes ou autoritaires, unitaires ou fédéralistes, révolutionnaires ou possibilistes, d'après leurs buts, leurs moyens d'action, leurs modes d'organisation.

Comme corps de doctrine, le socialisme embrasse, dans ses diverses écoles, des idées économiques qui se trouvent bien souvent combinées avec des théories philosophiques, religieuses et politiques contradictoires entre elles, dont quelques-unes tendent à l'abolition de l'Etat, delà religion et de la famille, que d'autres vou- draient conserver entièrement, ou seulement modifier. Au point de vue philosophique, on parle de socialistes matérialistes et de socialistes spiritualistes ; au point de vue religieux, de socialistes athées et de socialistes croyants, et souvent même, poursuivant l'équivoque dans les faits comme dans les mots, de socialistes chrétiens, sans s'apercevoir que les chrétiens (qu'ils soient catholiques ou protestants) ne peuvent être

LE SOCIALISME THÉORIQLE CONTEMPORAIN 513

socialistes, parce que, si le christianisme prescrit d'une façon absolue la chanté, il veut qu'elle soit spontanée, et partant méritoire, ce qui est en pleine contradiction avec le socialisme, qui oppose au devoir des uns le droit civilement coercitif des autres, et qui fait dispa- raître ainsi en même temps la vertu chez le bienfaiteur et la reconnaissance chez l'obligé. Au point de vue politique, les contradictions sont tout aussi fortes, parce que quelques-uns se servent des doctrines socia- listes comme moyeu d'agitation auprès des masses pour aboutir à un changement de la forme du gouvernement, tandis que pour d'autres les changements politiques, et en particulier le suffrage universel, sont un simple moyen pour obtenir les réformes sociales, que certains croient compatibles avec les formes de gouvernement les plus disparates. C'est ainsi que l'on parle souvent et non sans équivoque de socialistes conservateurs et de socialistes démocrates, de socialistes d'Etat et de socialistes de la rue.

Comme nous ne donnons que quelques indications très rapides sur le socialisme théorique considéré au point de vue purement économique, nous ne parlons pas des systèmes, déjà indiqués en partie, que l'on pourrait appeler anciens et que d'autres qualifient d'utopiques, parce que ce sont des romans d'Etat, qui sont inspirés par des idées purement littéraires, ou par des considérations morales sur les dangers de l'oisiveté des riches, résultat des inégalités économiques (Morus, Doni, Campanella), ou qu'ils invoquent au contraire des arguments essen- tiellement politiques (Platon). Nous ne parlerons pas non plus des systèmes professés dans la seconde moitié du siècle passé (Rousseau, Mably, Morelly, Brissot de Warville, etc.), que Ton peut appeler juridiques parce qu'ils sont basés presque exclusivement sur un prétendu droit de tous à l'usage gratuit des richesses naturelles.

33

51 t LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

Considéré de près, le socialisme théorique moderne, qui se qualifie pompeusement de scientifique, non pas tant parce qu'il dérive de quelques doctrines (mal inter- prétées) des économistes que par son interprétation ma- térialiste de l'histoire, serésoud, au contraire, dans une pure négation de la science économique. Il méconnaît, en effet, l'existence d'un ordre social des richesses, et se fonde sur cette hypothèse que la liherté engendre nécessairement l'injustice, les crises, la misère; delà, le socialisme déduit des maximes de politique économique qui tendent à la destruction totale ou partielle de la propriété privée et de la concurrence, c'est-à-dire des hases du système économique actuel.

11 est assez difficile de donner une classification des théories des socialistes, disparates entre elles, malgré l'identité de leurs prémisses négatives. Les fausses dé- finitions qu'ils donnent, les contradictions fréquentes qu'on trouve dans les écrits d'un même auteur, et enfin l'usage incertain des mots communisme, socialisme, collectivisme, anarchisme, employés tantôt comme des équivalents, mais plus souvent opposés ou subordonnés les uns aux autres, sans parler de l'équivoque entretenue par les individualistes extrêmes qui qualifient de socia- liste et qui repoussent, par conséquent, toute reforme qui implique une nouvelle ingérence de l'Etat, même si elle est nécessitée par de hautes raisons de justice et d'opportunité, constituent autant de difficultés.

On ne peut pas considérer comme une définition pré- cise du socialisme celle qui l'identifie avec la philo- sophie économique des classes souffrantes, ou qui, en d'autres termes, le présente comme l'économie ouvrière opposée à l'économie bourgeoise, c'est-à-dire l'économie du travail opposée à l'économie du capital ; il est injuste, d'autre part, de déclarer que tous les systèmes (et non pas quelques-uns seulement) défendus par le socialisme

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 515

se résolvent, ou dans l'anarchie, ou dans le despotisme; ce sont aussi des définitions incomplètes et inexactes que celles qui lont consister le socialisme dans la dis- tribution artificielle des richesses (et qui oublient les nombreuses observations qu'il a faites sur la produc- tion, la circulation et la consommation), ou dans l'abo- lition du salaire (compatible avec la libre concurrence", ou dans la suppression des revenus qui ne dérivent pas du travail (rente, intérêt, profit), parce que ces propo- sitions concernent seulement quelques-uns des buts auxquels tendent, et non pas d'une façon unanime, les diverses formes du socialisme.

Nous citerons quelques œuvres générales, dont l'étude peut fournir des données suffisantes pour la classifica- tion, la connaissance et l'appréciation des principales théories des socialistes.

Jos. Slammhammer, BlbUugtviphie des Socialismus und Communismus. Jena, 1893.

L. Reybaud, Etudes sur les formateurs ou socialistes modernes. Paris, 1840-43. Deux volumes.-?'^ édi- tion, 1864.

L. Stein, Der Sozialismus und Communismus des heu- liqen Frankreichs. Le\pz]g. 1847.- édit., 1848.— Geschiehte der sozialen Bewegung in Frankreich, Leipzig, 1850-51. Trois volumes. - Réimprimé en 1855.

J. J. Thonissen, Le socialisme depuis l'antiquité. Louvain, 1852. Deux volumes.

B. Hildebrand, Die Nationalbkonomie der Gegenwart und Zukunft. Vol. I. Frankfurt am Main, 1848.

E. De Laveleye, Le socialisme contemporain. Paris, 1883. - édit., 1891.

R. T. Ely, French and german socialism. Xew-Yark, 1883.

John Rae, Contemporary socialism. London, 1884. -2« édit. (fort augmentée), 1891.

O. Warschauer, Geschichtlich kritischer Ueberblick ûber

516 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

die Système des Kovimunismus^ ete. {Zeiischr. f. die ges. Slaaiswissenschafi . Tiibingen, 1890.)

H. vonScheel, SocialixmusundKommunismus. 3^ édil. beaucoup améliorée. (Dans le vol. I de VHand- hucli de Schonberg. Tubingen, 1890).

Eug. d'Eichthal, Socialisme, communisme et collecti- visme. Paris, 1892.

V. Cathrein, Der Socialismus. S"" édit. Freiburg im Br., 1892; trad. franc, par Olivier Feron, 1891.

Th. Kirkup, A history of socialisni, 1892.

H. Dielzel, Beitedge zur Geschichte des Sozialismus iind des Kommunismus (Zeitschr. fur Litteratvr und Geschiehle der Staatsiviss., 1893.)

i^" \ . LE COMMUNISME

Dans sa signification scientique, le communisme tend à substituer à la propriété privée des richesses de toute sorte (instruments de production et objets de consom- mation) la propriété publique (de l'humanité, de l'Etat, de la commune, ou de groupes confédérés). Les condi- tions nécessaires de ce système sont l'universalité du travail, l'égalité de la jouissance et la collectivité de la production et de la consommation ; l'abolition du ma- riage et celle de la famille, que demandent quelques com- munistes, ne sont pas essentielles. D'autre part, le col- lectivisme de la production et de la consommation ne suffît pas à con.stituer le communisme, parce qu'il est parfois proposé par des socialistes (comme par exemple Fourier) et aussi par des non socialistes pour des rai- sons de pure opportunité.

Il ne faut pas voir dans le communisme une commu- nion purement négative, comme on la pratique dans la famille et consistant dans l'usage en commun des biens comme dans la célèbre phrase de Rousseau qui <lcclare (en contradiction avec des idées exprimées dans

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 517

d'autres de ses œuvres) que la terre n'appartient à per- sonne et que les fruits sont à tous. On aboutirait à la négation implicite du communisme avec la division en parties égales, soit définitive, soit périodique, des patrimoines, car c'est un expédient qui, bien qu'il soit révolutionnaire et absurde, conserverait cependant, d'ailleurs sans aucune solide garantie, la propriété privée, que le communisme veut détruire.

Le communisme est un système de gouvernement économique qui, associant à l'idée d'égalité de droit, qui est la base du régime politique moderne, l'idée inexacte d'une égalité naturelle des facultés humaines, détruite uniquement par la diversité d'éducation, veut distribuer le travail selon les aptitudes, arriver ainsi à l'égalité du sacrifice et garantir à chacun une part de produit absolument égale, ou proportionnée aux besoins raisonnables reconnus par l'autorité.supérieure. Les systèmes communistes, visant à l'égalité, sont en complète opposition avec les systèmes socialistes, au sens étroit du mot, qui visent à une distribution des pro-. duits proportionnelle aux prestations, et partant néces- . sairement inégale.

Cela n'exclut pas cependant, et certains écrivains (soit incohérence, soit esprit de conciliation) en sont un exemple, la possibilité de systèmes intermédiaires qui admettent le communisme avec le droit à l'existence, c'est-à-dire la garantie d'un minimum de produit en raison des besoins, et en même temps le socialisme, c'est-à-dire la division de l'excédant d'après les presta- tions.

C'est précisément le droit à l'existence et le droit au produit intégral du travail, qui, dans l'esprit de certains, exprimeraient les droits fondamentaux de la classe ouvrière, que la législation moderne ne devrait plus se refuser à reconnaître. Mais (comme l'a démontré

518 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

Anton Menger) ces prétendus droits primitifs ou fonda- mentaux sont en contradiction absolue entre eux. Il y a également contradiction entre le droit au travail et le droit à l'assistance, que réclament certains socialistes.

A. Menger, Das Redit auf den vollen ÂrhcUsertrag. Stuttgart, 1886.-2«édit., 1891.

Tandis que le droit à l'existence, partant de l'idée de la fraternité et de celle de la solidarité, conduit logique- ment à l'égalité des biens, le droit au produit intégral du travail implique bien l'abolition de la propriété pri- vée de la terre et du capital, mais comme il s'inspire du principe de l'intérêt personnel, il n'est pas tout à fait incoanpatible avec la liberté et il cherche, en tout cas, à donner satisfaction à l'équité, puisqu'il reconnaît le mé- rite individuel et par conséquent l'inégalité de fait.

Le droit au travail, qu'il ne faut pas confondre avec la faculté de chercher une occupation (droit de travailler, •'liberté du travail), ni avec le simple droit à l'assistance, est, comme ce dernier, un droit relatif, conditionné, complémentaire, à côté des deux droits absolus et prin- cipaux, dont nous venons de parler. Le droit au tra- vail concerne, évidemment, tous ceux qui sont capables de travailler, et se résoud en un salaire payé par l'Etat dans ses ateliers à ceux qui n'ont pas pu trouver auprès d'un entrepreneur privé \me occupation rétribuée. Le droit au travail, considéré par Fourier et par Consi- dérant comme un substitut de prétendus droits primi- tifs (chasse, pêche, cueillette, pâture), a été reconnu dans la célèbre proclamation française du 25 février 1818 et il a été appliqué dans un esprit absolument con- traire au socialisme dans les ateliers nationaux, pour se transformer, après les journées de juin, en une simple reconnaissance du droit à l'assistance.

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 519

Le droit à l'assistance qui est en vigueur dans les pays qui admettent la charité légale, ne concerne que les pauvres, et elle a un caractère humiliant même quand il prend la forme d'un salaire accordé à un tra- vail effectivement fourni dans un dépôt de mendicité ou même à domicile.

V. Considérant, Théorie du droit de propriété et du

droit au travail, 1839.-3« édit., 1848. Proudhon, Le droit au travail et le droit de propriélé.

1848. Fr. Stopel, Das Recht aufArbeit, 1884. B. Prochownik , Das angebliche Becht auf Arheit,

1891. Cfr. E. Thomas, Histoire des ateliers nationaux. Vtixis,

1848.

Dans sa forme la plus absolue et la plus grossière, le socialisme a pour idéal une égalité parfaite entre le travail et les jouissances. Ses moyens sont Texpropria- tion immédiate des biens des corporations et la confis- cation graduelle de ceux des autres propriétaires après leur mort. Il maintient l'égalité en divisant les produits en parties égales. Il a eu pour représentant le célèbre agitateur François (il prit le nom de Gracchus) Babœuf (1764-1797), qui a rédigé le premier journal socialiste intitulé : Le tribun du peuple (1794-1796) et qui est mort à la suite d'une conspiration ourdie contre le di- rectoire; Buonarotti a fort habilement, et avec convic- tion, exposé ses idées.

Ph. Buonarotti, Histoire de la conjuration pour l'éga- lité, 1828. Deux volumes.-Réimprimé à Paris en 1869.

P. Janet, Les origines du socialisme contemjmrain. Paris, 1883.

V. Ad vielle, Histoire de G. Babeuf et du babouvisme. Paris, 1884. Deux volumes.

550 LE SOCFALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

Le célèbre publiciste William Godwin (1756-1836), adversaire de Malthus, s'est fïiit le défenseur modéré, mais illogique, du communisme. Après avoir clairement disting'Lié les trois systèmes opposés de répartition des biens {degrees of property) : propriété privée, presta- tions, et besoins, il se déclare partisan de ce dernier système, mais il propose des moyens peu propres pour le réaliser, parce qu'il ne veut pas du concours de l'État et se déclare anarchiste, mais finalement il se contente (dans la dernière de ses œuvres) du simple droit à l'as- sistance.

W. God^vin, An enquiry coucerning }jolHicnl justice. London, 1793. Deux volumes. -Réimprimé plu- sieurs fois. The enquirer, 1797 (et 1821). An enquiry on population, 1820.

Les systèmes d'Owen, de Cabet, de Weitling peuvent être cités comme des types de communisme plus claire- ment exposés dans leur partie théorique et suivis d'essais d'application partielle (spécialement aux États-Unis).

Robert Owen (1771-1858), riche industriel, promo- teur d'institutions philanthropiques de patronage pour ses ouvriers, de sociétés coopératives de consommation et de production, est un communiste psychologue. Athée, fataliste, convaincu de l'irrespon.sabilité humaine, il n'admet ni peines ni récompenses ; ennemi de la pro- duction en grand et de la concurrence il veut que le travail, distribué d'après les différents âges, s'exerce au service de petites communautés confédérées, dirigées par des magistrats électifs, et composées d'au moins 500 per- sonnes et d'au plus 2,000, qui reçoivent la même édu- cation, contractent des mariages non indi.ssolubles et qui, sans faire aucun usage du commerce et de la mon- naie, et sans connaître ni juges ni pri.sons, jouissent en nature de ce qui est nécessaire à leurs besoins.

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 521

Rob. Owen, News views of society, 1812. BiXik of ihe new moral ivorlcl, 1820. Révolution in the mind, 1850.

Cfr. W. L. Sargant, Rob. Owen and his social philo- sophy. London, 1886. A. J. Booth, Robert Owen the founder of socialism in England, 1869. IJyod Jones, The Life, times and labours nf R. Owen, 1890. Vol.. T.

Parmi ses disciples il faut faire une mention spéciale pour l'irlandais Guillaume Thomp.son (mort en 1833) qui, comme l'a démontré Menger, expose avec beaucoup de clarté la théorie de la plus-value, attribuée d'ordi- naire à Rodbertus et à Marx. On trouve des idées ana- logues dans les écrits de John Gray (1831), d'Edmonds (1828), de J. F. Bray (1839) et de Charles Bray (I8'il).

W. Thompson, An inquiry into ihe principles of the distribution of wealth. London, 1824.:Ht';imprimé en 1869.

L'avocat démocrate Etienne Cabet (1788-1856), après avoir lu, pendant son exil en Angleterre, l'utopie de Thomas Morus, écrivit un roman social communiste {Voyage en Icarie, 1840). Il s'y montre l'adversaire de la propriété et partisan de la famille. Cet ouvrage, plus remarquable par la beauté de la forme que par l'originalité des idées, est devenu plus tard le code de quelques sociétés d'émigrants français au Texas et dans rillinois, les doctrines d'un maître personnel- lement fort peu ascète ont été expérimentées.

Les idées du cordonnier Guillaume Weitling (1808- 1871) ne sont pas très différentes. Agitateur révolu- tionnaire convaincu et éloquent, il trouve le commu- nisme dans le Nouveau Testament. Il voudrait subs- tituer à l'organisation économique actuelle une associa- tion de familles qui embrasserait tout le genre humain ;

5'2*2 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

elles seraient gouvernées par des chefs électifs, nommés au concours et chargés de distrihuer, en parties égales, les choses nécessaires et utiles, et à ceux-là seulement qui fourniraient un nombre d'heures de travail supé- rieur au temps ordinaire, les objets agréables et de luxe, avec l'obligation cependant de les consommer dans un court laps de temps déterminé, afin que l'accumulation et la transmission héréditaire ne fassent pas renaître les inégalités économiques.

W. Weitling, Z)/e Welt ivie sie ist und sein sollie,i83S.

Garantien der Harmonie und Frelheit, 1842. Cfr. G. Adler, Geschichte der ersten sozialpolitischen

ArbeUerbewegiing in Deuischland. Breslau, 1885.

§ 2. LP] SOCIALISME PROPREMENT DIT.

Dans son sens le plus étroit le socialisme désigne les systèmes qui veulent, non pas abolir, mais assujettir à des restrictions essentielles la propriété privée et la concurrence, et qui sont en même temps adversaires de la répartition des produits par tête, ou d'après les besoins, mais partisans de leur répartition d'après les prestations de chacun.

Il y a cependant des divergences notables sur les mo- des de répartition ; les uns admettent au partage les propriétaires et les capitalistes, les autres excluent les revenus qui ne proviennent pas du travail.

Il faut en outre distinguer dans le socialisme propre- ment dit trois formes principales : lès socialistes autoritaires, qui veulent confier à un pouvoir suprême la production et la distribution des richesses ; les socialistes libéraux, qui admettent l'autonomie des différents groupes de travailleurs ; les socialistes anarchiques , qui ne reconnaissent la nécessité ni

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN ^^^

des sociétés politiques en général, ni de l'État en par- ticulier. L'espace nous manquant pour un examen dé- taillé de chacune des écoles, nous nous bornerons à quelques indications sur les doctrines économiques de quatre hommes remarquables, soit par l'influence qu'ils ont exercée, soit par la puissance de leur esprit et par la sincérité de leurs convictions. Nous parlerons de Saint-Simon, de Bazard, de Fourier et de Proudhon.

Le comte Claude Henri Kuuvray de Saint-Simon (1760-1825), prétendu fondateur d'un nouveau chris- tianisme, a esquissé aussi un système économique (in- dustrialisme) sans arrivera des conclusions pratiques, mais il a été le chef d'une école à laquelle ont appar- tenu, dans leur jeunesse, des hommes remarquables comme l'historien Augustin Thierry, l'économiste Mi- chel Chevalier, le philosophe positiviste Auguste Comte, et le publiciste Bûchez, le fondateur des premières sociétés coopératives françaises. Frappé des effets dé- sastreux de la répartition inégale et, selon lui, arbi- traire des richesses, qui provient des systèmes légaux de succession héréditaire, Saint-Simon a tracé à larges traits dans un grand nombre d'opuscules, pleins d'un enthousiasme que n'ont pu vaincre les souffrances d'une vie agitée et aventureuse, les bases d'une nou- velle monarchie industrielle, dans laquelle le pouvoir dont avaient joui jusqu'ici les classes oisives (légistes, fonctionnaires civils, militaires, etc.), qui ont détruit le féodalisme et l'aristocratie, devait passer à la classe in- dustrielle, composée des ouvriers, des entrepreneurs et des capitalistes. Saint-Simon arrive à ce système en déduisant les corollaires sociaux de la théorie des éco- nomistes qui voyaient dans le travail la cause unique de la valeur, identifiée avec la richesse.

C H. de Saint-Simon, Parabole politique (dans la revue L'Organisateur, 1819). Catéchisme des industriels,

524 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

1823-1824.— .Vouyeau Christianisme, 1825.— Œuvres d<' Saint-Simon et d' Enfant in. P.iris, 1865-1878 (quarante volumes). {Œuvres clmisies. Bruxelles, 1859. Trois volumes). Cfr. H. Fournel, Bibliographie Sainl-Sinnmienne. Pa- ris, 1833. G. Hubbard, Saint-Sinum. sa vie et ses travaux, 1857. P.jJ.inel, Saint-Sinn)n et le Saint-Simonisnie.

Après la mort de Saint-Simon, ses doctrines, expo- sées avec peu de succès dans le journal le Producteur (dirigé par Olinde Rodrigues) et mieux dans le Globe (1831-1832), ont trouvé des disciples ardents dans Ba- zard et dans Barthélémy Prosper Enfantin (1798-1864). Ce dernier, devenu le père suprême de la nouvelle religion, compromit par la théorie de l'émancipation de la femme et par celle du divorce 'que Bazard n'accepta pas) les petites communautés saint-simo- niennes, qui ont pris fin après la farce indécente et le célèbre procès de Ménilmontant.

Saint-Amand Bazard (1791-1832) a .sans doute le mérite d'avoir sérieusement développé la partie écono- mique du système saint-simonien. dont on peut le considérer comme le fondateur. Pour combattre ce qu'il appelait Texploitation de l'homme par l'homme, qui était autrefois celle du maître sur l'esclave et sur le .serf et maintenant du propriétaire des instruments de travail sur l'ouvrier, Bazard préconisait une réforme économique, mais il voulait tout d'abord le retour à l'esprit du christianisme primitif, l'instruction gratuite, universelle, obligatoire. Sa réforme consistait dans la distribution du travail selon les aptitudes, et du produit d'après les prestations, selon le célèbre aphorisme : de chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses œuvres. 11 croyait qu'on aurait pu y arriver par la substitution de la possession viagère à la propriété

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 525

héréditaire, en chargeant l'État de distribuer gratuite- ment les terres et les capitaux qui devenaient vacants par la mort des possesseurs temporaires, à ceux qui par leurs travaux antérieurs se seraient montrés les plus méritants. Cette opération, faite par des banques publiques, dirigées par une hiérarchie de prêtres indus- triels, aurait supprimé les graves inconvénients de la répartition actuelle des biens, injustement déterminée par l'accident de la naissance. A la différence de Saint- Simon, qui considérait les industriels dans leur ensem- ble et les opposait aux oisifs (légistes, fonctionnaires civils et militaires, etc.), Bazard est le premier socia- liste français qui montre, d'une façon claire, le conflit qui existe, dans le sein de la classe industrielle, entre l'entrepreneur et l'ouvrier privé des instruments de travail.

Bazard, Exposilioii de la dorArhie de Saint-Simon,

Paris, 1830-31. (.\nonyme , Economie politique et Politique, 1831

(Articles de différents auteurs, extraits du Globe)- Fr. W. Carové, Der SaiHt-Simonism,U!i. Leipzig, 1831. K. G. Bretschneider, Der Saint-Simonismus, 1832. A. J. Booth, Saint-Simon and Saint-Simonis)n. Lon-

don, 1871.

Comme Saint-Simon, Charles Fourier (1772-1837) s'est tenu éloigné de toute agitation révolutionnaire. C'est un penseur original, un écrivain prolixe et in- correct, doué de beaucoup de talent et d'une imagina- tion effrénée. Fourier se rapproche de Owen par ses prémisses psychologiques et par sa sympathie pour le travail collectif et la consommation collective, mais il s'en éloigne en ce que, sauf la garantie du minimum nécessaire à l'existence, il n'admet pas la répartition selon les besoins ; il est même plus modéré que les

526 LE SOCIALISME TiîÉOUIQUE CONTEMPORAIN

saint-simoniens en ce qui concerne riiéritage et il attribue 3/ ["2 des fruits de la production au travail i)itellectuel, 5/12 au travail manuel et 4/12 au capital. Il part de ce principe que l'attraction gouverne le inonde moral comme le monde physique, et il est persuadé que l'harmonieuse satisfaction des passions, dont il a fait une classification bizarre, en oubliant l'inertie^ aboutit par la volonté de Dieu au plus grand bonheur du genre humain; aussi propose-t-il que le travail, devenu attrayant par la combinaison de la division des occupations avec leur changement con- tinuel, se fasse en commun au sein d'associations de propriétaires, de capitalistes et d'ouvriers d'environ 1,800 personnes, formant une phalange (divisée en séries, subdivisées en groupes), habitant une maison appelée phalanstère, dirigées par des chefs (unarques) et réunies graduellement en une vaste fédération mon- diale, gouvernée par un magistrat suprême (omniarque) résidant à Constantinople. Fourier a une préférence marquée pour l'agriculture (et en particulier pour Tarboriculture et l'horticulture) exercée en grand, et il pense que les manufactures perdront de leur importance avec la disparition du luxe; il a une anti- pathie pour le commerce et pour les intermédiaires, qu'il voudrait supprimer par la consommation collec- tive, qui est préférable à la consommation domestique, parce qu'elle est moins exposée au gaspillage des pro- duits, 11 faut noter enfin que Fourier, qui n'a pas sur ce point les préjugés des autres socialistes, se montre plus profond qu'eux parce qu'il cherche à réformer les méthodes de production au lieu des méthodes de distri- bution, car il attribue le malaise social non pas à l'iné- galité mais à Tinsuffisance des richesses.

Ch. Fourier, Tliéor'n; des quatre mouvements. Leipzig" (Lyon), 1808.-2' édit., 1841. Traité de l'asst/cia-

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 52^

iion domestique et agricole, 1822. Deux volumes. - 2' édit., 1838. -- Le nouveau monde industriel et sociétaire, 1829.-3^ édit., 1848. La fausse indus- trie. 1835-36. Deux volumes. Œuvres choisies (avec une bonne Introduction par Cii. Gide). Paris, 1890.

Dans l'école de Fourier, qui eut ses organes spéciaux, comme la Phalange, la Revue du Mouvement social, la Rénovation, etc., il faut signaler, en premier lieu, Considérant, puis Madame Galti de Gamond, Muiron, Transon, Hippolyte Renaud, Lechevalier, auteur d'ou- vrages volumineux, Brisbane, en Amérique, et en partie aussi l'entrepreneur philanthrope Godin-Lemaire, le fondateur du familistère de Guise.

V. Considérant. Destinée sociale. Paris, 1836-38. Deux V01.-2' édit., 1847-49.

Pierre Joseph Proudhon (né à Besançon en 1809, mort à Passy en 1865), qui a commenté dans un de ses premiers travaux {Qu'est-ce que la propriété ? 1840) la célèbre phrase « la propriété c'est le vol » déjà employée par Brissot de Warville (1780), occupe une place émi- nente dans l'histoire du socialisme. Doué d'un esprit subtil et paradoxal, orné, comme tous les autodidactes, de connaissances variées mais un peu superficielles, il se complaît dans la recherche des contradictions réelles et apparentes qu'il trouve dans la succession des phé- nomènes économiques, et il en tire argument pour atta- quer les chefs des diverses écoles d'économistes et de socialistes dans des polémiques violentes et peu cour- toises, en se servant de la dialectique hégélienne, qu'il a étudiée superficiellement sur le conseil du socialiste Charles Griin (1617-1887).

P. J. Proudhon, Système des contradictions écono- miques ou Philosophie de la misère. Paris, 1846. Deux volumes.

558 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

Contrairement à sa devise ambitieuse destruam et aedifîcabo, Proudhon se montre aussi expert dans la critique du communisme et du socialisme spéculatif (Saint-Simon, Fourier), mystique (Leroux) et autori- taire (Blanc), que pauvre et même intérieur à ses adver- saires eux-mêmes dans ses projets. La ban([ue d'échange (appelée plus tard banque du peuple), à la différence de celle d'Owen [labour exchange banh, 1832-34) et de celle qui fut essayée à Marseille par Mazel (1830-45), de- vait non seulement faciliter les échanges en nature mais émettre aussi des « bons de circulation ». Ces bons que les associés et les adhérents de la banque s'obligeaient à recevoir comme de l'argent, permettaient aux porteurs de disposer des produits et des services évalués en heures de travail. De cette façon Proudhon croyait ar- river au crédit gratuit, qu'il a défendu dans sa célèbre polémique avec Bastiat [Intérêt et principal, 1850) sans s'apercevoir que ses bons, tout à fait incapables de pro- curer le crédit gratuit, s'ils étaient émis en escomptant les titres de personnes solvables, se convertiraient en papier-monnaie de la plus mauvaise espèce s'ils étaient émis en grand nombre et sans les garanties nécessaires. On trouve aussi comme déjà chez les saint-simonicns et chez les écrivains anglais cités ci-des.sus), bien qu'en d'autres termes, dans les Contradictions de Proudhon la théorie de la plus-value produite par l'ouvrier au profit de l'entrepreneur, qui constitue le point de départ du socialisme scientifique, fondé, d'après quelques-uns, par Rodbertus (Wagner, Rudolph Meyer, Adler, etc) et, selon d'autres, par Marx (Engels), qui s'en disputent à tort la paternité.

Beaucoup plus ingénieuse et originale est la tentative de Proudhon, bien qu'elle soit irréalisable, de concilier l'antinomie entre la liberté et l'égalité par l'anarchie, qui, selon lui, n'est pas le désordre, mais la véri-

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 52&

table liberté (égalité des conditions), que violent tous les gouvernements, et fort inutilement parce que la justice, comme la vérité scientifique, n'a pas besoin de la sanction de la force. Ennemi de la propriété privée (exploitation du laible par le fort , il voudrait la rem- placer, non pas par la propriété commune (exploitation du fort parle faible), mais par la possession (mal définie) des instruments de production et par la garantie^ don- née à l'ouvrier, du produit intégral de son travail, tout en maintenant léconomie individuelle, la concurrence et même l'héritage , l^ien qu'il le réduise à une très faible part. La meilleure critique de l'utopie de Proudhon, fon- dée sur l'individualisme le plus effréné, est dans les interprétations très diverses de l'anarchie données par les nihilistes russes (Bakunin, Krapotkine) et par les so- cialistes révolutionnaires, comme Fieclus,Most et quel- ques autres, et même dans ce fait que Proudhon lui- même le remplaça plus tard par le fédéralisme.

P. J. Proudhon, Œuvres coniplcl^s. Paris, 1873-86. Trente-sept volumes. Ccnespondcmct; (1832- 65j. Paris, 1874-75. Quatorze volumes.

Cfr. Fr. Hack, P.J. Proudhon. (In Zeitschr.fùr die ges. Slaatsiclss., 27' année, 1871, pp. 363-386). A. Sainte-Beuve, P. J. Proudhon, sa vie, sa corres- pondance, 1875. St. Ganz zu Putlilz, P.J. Prou- dhon. Berlin, i881. G. Adler, Anarchismus, in Conrad et Lexis, Handwurterhuch der Staais- tvissenschoften. Vol. I. Jena, 1889, pp. 252-270. K. Diehi, P. J. Proudhon. Seine Lehre und sein Leben. Jena, 1888-1890.— A. Mulberger, 6Vu</<m ûher Proudhon, 1891.

Louis Blanc (1813-1882), journaliste radical, disciple du communiste Buonarotti, éminent historien et très médiocre économiste, a publié dans la Revue du Pro- grès (1839) la première esquisse de sa célèbre Orga- nisation du travail (1841), à laquelle il a ajouté quatre

34

530 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

chapitres dans la neuvième édition (1850). L. Blanc est un socialiste autoritaire qui accepte, avec le droit à la vie, quelques unes des théories des communistes, sans se détacher du socialisme « par groupes », et en demandant même, comme président de la commission du Luxembourg, le droit au travail, qu'il a défendu contre Thiers (Le Socialisme. Droit au travaii, 1848;. Persuadé que la concurrence engendre le monopole et la misère, et se résout dans l'anarchie, il fait appel à l'initiative de l'État pour organiser le travail sur la base des principes de la solidarité et de la fraternité. Sans porter atteinte à la propriété privée, l'Etat devrait, par ses puissants moyens, créer des « ateliers sociaux », qui se substitueraient petit à petit aux entreprises ordi- naires; gouvernés d'abord par des fonctionnaires, ils seraient ensuite cédés à des associations ouvrières et se con.stitueraient en fédération sous une autorité centrale. L'État ferait l'avance à ces associés, unis entre eux par une assurance mutuelle, du capital nécessaire dont il prescrirait l'amortissement graduel ; il se réserve- rait également une grande latitude au sujet de l'em- ploi des profits. Les ateliers seraient accessibles aussi aux capitalistes, qui recevraient un intérêt fixe en dehors de la rétribution pour le travail commun, qui devrait être proportionnelle aux besoins de chacun dans la mesure (;ompatible avec les moyens disponibles, car c'est en cela que consiste l'équité. D'après Louis Blanc, ce .système ne s'éloignerait pas beaucoup de la répartition des produits d'après les prestations, car ile.st à présumer que les ouvriers les plus intelligents et les plus actifs ont des besoins plus grands et plus raffinés!

L. Blanc, Questions iV aujourd'hui et de demain. Vol. IV

et V. Paris, 1873-1884. Cfr. Ch. Robin, L. Blanc, sa vie et ses œuvres, 1851. Hipp. Castille, L. Blanc, 1858.

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 531

Ferdinand Lassalle (1825-1864), malgré son puissant génie, sa profonde culture philosophique et juridique et une connaissance plus que suffisante de Téconomie poHtique, n'occupe pas parmi les théoriciens socialistes une place égale à celle qu'il occupe dans l'histoire du socialisme militant. Aristocrate par nature, démagogue par ambition, et très habile connaisseur des passions populaires^ Lassalle, quelque peu incertain et exagéré dans ses aspirations définitives autant que modéré et précis par opportunisme et prudent dans ses revendica- tions présentes, de plus, écrivain brillant et orateur éloquent, doué de sympathiques qualités personnelles, possédait la vertu et les vices indispensables pour créer et diriger une formidable agitation révolution- naire. Au point de vue théorique, ses doctrines n'ont aucune originalité, parce qu'il s'approprie les prémisses de Rodbertus et de Marx et qu'il reproduit, avec des variations sans importance, les propositions de Louis Blanc. Pour émanciper les ouvriers allemands de la loi d'airain des salaires (attribuée à Ricardo) et pour leur garantir le produit intégral du travail, confisqué par l'en- trepreneur capitaliste, Lassalle conseille aux ouvriers de constituer un parti solide, qui, après avoir conquis, par le suffrage universel direct, une forte prépondérance politique, fera décréter par le gouvernement je prêt gratuit d'une centaine de millions de thalers à de nombreuses sociétés coopératives ouvrières, constituées en fédération, qui, en possession des instruments de production, remplaceront graduellement les entre- prises actuelles. Ce qu'il y a de caractéristique dans les écrits de Lassalle, c'est la guerre sans merci qu'il a faite à Schulze-Delitsch. Lassalle l'attaque dans une polémique injurieuse et triviale, et l'accable de son éru- dition, qui n'est pas, comme il l'affirme avec orgueil, toute la science du dix-neuvième siècle, mais qui est

532 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

eependant de beaucoup supérieure aux moyens intel- lectuels dont pouvait disposer son adversaire.

Ferd. Lassalle, Systo» der envorbenen Rechte, 1861.- 2" édit., 1880. 0/f'enes Antwortsclireiben, etc., 1863. Die indirekte Sieuer und die Loge der arbei- ienden Klassen, 1863. lierr Basliat-Schnlze von Deliizsch, der ôkonomische Ju'ian,oder Kapilal und, Arbeil, 1864; trad. franc, par B. Malon, 1880.

Cfr. E. von Plener, Ferdinand Lassalle. Leipzig, 1884. W. H. Dawson, German socialism ani Ferd. Lassalle. London, 1888-2^ édit., 1891.— G. Brandes, Ferd. Lassalle, Berlm, 1865.-2« édit., Leipzig, 1889.

§ 3. LE COLLECTIVISME

On appelle, d'un mot fort employé par les français, sollectivistes les théoriciens socialistes qui. tout en demandant la propriété publique des instruments de production et l'organisation collective du travail, ad- mettent la propriété privée des objets de consommation et même leur transmission héréditaire. Mais le collec- tivisme intégral (industriel) ne doit pas être confondu avec le collectivisme purement partiel (territorial}.

E. Jâger, Der moderne Sozialismus. Berlin, 1873.

A. E. Fr. QGhâ.ïi\e., Die Quiniessenz des Socialimus, 1815.

(traduit en italien et en français), -13^ édit., 1891. P. Leroy-Beaulieu, Le collectivisme, examen critique

du nouveau socialisme, 1884.-3^ édit., 1893. M. Block, Le socialisme moderne, 1891. J. Bourdeau, Le socialisme allemand et le nihilisme

russe, 1892.

Le collectivisme de la terre qui a (dans Paine et mieux dans Ogilvie) des précurseurs au siècle passé, a trouvé, en dehors de Stuart Mill et de George, dont .nous avons déjà parlé, de nombreux adhérents, même

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 533

chez les économistes et jusque chez quelques écono- mistes de l'école classique (James Mill) et chez d'autres enfin qui (comme Walras) ont bien peu de sympathie pour le socialisme. Ces écrivains insistent particuliè- rement sur cette idée, qu'il n'y a pas pour la propriété privée du sol toutes les raisons économiques et juri- diques qui militent en faveur de celle du capital mobi- lier. Parmi les plus modérés, quelques uns demandent l'incorporation du crédit hypothécaire (Schaffle, Stolp, Ruhland) ; d'autres la propriété commune de la terre mise en culture Samter); d'autres, au contraire, celle des maisons. Beaucoup de collectivistes pensent que la propriété commune doit être accompagnée de la culture pour le compte de l'Etat; un petit nombre, au contraire., voudrait que la propriété soit commune et l'usage individuel (Wallacci par la location des terres, en petits lots, aux plus offrants. Il y a des divergences d'opinion en(;ore plus importantes sur les modes de prise de possession ; les uns font appel à la confiscation (George), d'autres à une expropriation avec indemnité (Fliir.scheim; soit pour tout le fonds, soit pour toute la rente, soit uniquement pour la rente future Cunearned

W. Ogilvie, An essay on ihe right on properly in land.

1872. Réimprimé (sous le titre : Birlright in land\

par D. C. Macdonald. London, 1891. Herbert Spencer, Social staiics. 1851. A. E. Fr. Schaffle, Inkorporaiion des Hypothekencredita.

TQbingen, 1883. Ad. Samiev, Bas Eigenfhum in seiner sociale Bedeu-

tumj, 1878. A. Russe! Wallace, Land nalionalisalion , ils necessiiy

and ils nims, 1882. (Nouvelle édition, 1892.) S. W. Thackeray, The land and Ihe community^

1889. M. Fiiirscheim, Der emzige Heliungsiceg, 1891.

534 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

Hertzka,Z)ie Gesetze der socialen Entwicklung, 1886. W. H. Da\vson, The unearned incrément, 1890, H. Cox, Land nalionalisation, 1892. G. Ricca-Salerno, La nazionalizzazione délia terra (in Nuova Antologia, l'='' décembre 1893).

Le collectivisme intégral est la formule du socialisme actuellement dominant, représenté notamment par AVinkelblech et Rodbertus (complètement étrangers à toute agitation de parti) et par Marx, Charles Georges Winkelblech (1810-1865), professeur de chimie et de technologie, a publié, sous le pseudonyme de Mario, un savant ouvrage historico-critique (demeuré inachevé) sur les institutions et sur les théories économiques, qui devait comprendre aussi un plan de réforme de l'orga- nisation sociale actuelle, contraire, selon lui, aux prin- cipes du droit comme à l'intérêt bien entendu des classes productrices. Bien qu'il ait été cité par Rau et par Roscher, le livre de Winkelblech n'a exercé aucune influence sur ses contemporains jusqu'à ce que l'apo- logie, un peu exagérée, qu'en a faite Schâffle en 1870, en fit faire une réimpression qui appela sur cette œuvre l'attention de quelques spécialistes. D'après les idées de l'auteur, à la domination de la force (monopolisme), antérieure à la Révolution française, a succédé le libé- ralisme, actuellement dominant, combattu par le com- munisme, systèmes opposés et excessifs qu'il voulait concilier. Le libéralisme, infatué de l'idée purement négative de la concurrence illimitée, est un système atomiste qui, après avoir détruit les anciens privilèges, a engendré la ploutocratie, c'est-à-dire le monopole des grands capitaux, aussi pernicieuse aux petits entre- preneurs qu'aux ouvriers salariés. A son tour le com- munisme, idolâtre de la prétendue égalité de fait, est un système mécanique qui, par la distribution des pro- duits en raison des besoins, conduit au pire des mono-

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 535

pôles, à celui de l'indolence. L'unique combinaison rationnelle de la véritable liberté avec la véritable éga- lité se trouve dans le système que l'auteur appelle fédéral (sans aucun rapport avec le sens politique de ce mot) et qui se résoud dans le collectivisme absolu, par l'intermédiaire des sociétés ouvrières, or- ganisées par l'Etat, dans lesquelles, après un retranche- ment préalable d'un minimum nécessaire pour garantir à tous l'existence, le produit du travail commun se par- tage en raison des prestations de chacun. Il faut signaler dans la théorie de Winkelblech la complète intelligence des difficultés que toutes les formes de socialisme ren- contrent dans l'insuffisance de la production, dans l'excès de la consommation et dans le stimulant à l'augmentation indéfinie de la population, mais en même temps la confiance exagérée dans les remèdes qu'il propose : obligation universelle au travail et lois restrictives du luxe et des mariages.

K. Mario, Untersuchungen ûber die Organisation dcr Arbeit oder der System der Weliôkonomie. Kassel. 1850-59.-2« édit., Tubingen, 1884-83. 4 volumes.

Inexactement interprêté par Dûhring et par Eisenhart, combattu par Held, trop peu estimé par Roscher, porté aux nues par Rudolph Meyer (et par d'autres conserva- teurs sociaux) et surtout par Wagner (et par d'autres socialistes d'État), Charles Rodbertus (1805-lb75), dit Jagetzovv, du nom d'une de ses propriétés, député pen- dant quelques années et pendant quelques jours mi- nistre, a été un socialiste conservateur au point de vue politique qui, malgré les pressantes instances de Las- .salle, s'est tenu complètement étranger aux agitations de la démocratie sociale. Dans une série de monogra- phies, remarquables par des recherches ingénieuses et inédites, notamment sur les institutions économiques

53G LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

de Rome, mais défectueuses par la mauvaise exposition, Rodbertus a tracé, à différentes reprises, une philoso- phie de l'histoire économique d'où il a déduit un plan de réformes sociales déjà esquissé dans ses traits fonda- mentaux dans un ouvrage {Die Forderungen dev ar- beitenden Klasse) excellemment analysé par Dietzel, qui remonte à 1837. Il est extrêment difficile de se retrouver dans le labyrinthe des propositions de Rod- bertus, parce qu'il ne sépare pas nettement celles qui appartiennent au collectivisme absolu, idéal qui ne pourra d'après lui être réalisé que dans cinq ou six siècles, de celles qui pourraient être acceptées et appli- quées graduellement par des mesures immédiates. Parmi les réformes proposées par R,odbertus,il faut dis- tinguer les réformes partielles sur le crédit foncier, (qu'il veut transformer de fond en comble en remplaçant par le payement d'une rente perpétuelle l'obligation de rembourser le capital , des autres réformes plus générales sur l'organisme de la production et la condi- tion de la classe ouvrière. Ennemi déclaré de l'indivi- dualisme, et s'inspirant de la théorie organique de l'État de Hegel et de Schelling, Rodbertus confie à l'autorité publique la réalisation des réformes économiques qui doivent être conformes à l'intérêt collectif, parce que, pour lui, l'individu n'est qu'un organe du grand corps social. La transition loyale à un système qui fera cesser l'action inexorable de la loi économique par laquelle, étant donné la libre concurrence, la part proportionnelle de produit distribuée aux ouvriers diminue à mesure que le meilleur emploi de leur travail en augmente la productivité, pourrait être effectuée par Tinterven- tion de l'État. Celui-ci devrait établir au j^ro rata du pro- duit total de l'industrie la part à assigner aux travail- leurs et il devrait en outre fixer la durée de la journée normale de travail dans chaque industrie et la quantité

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 537

normale de produit qui correspond à chaque journée. Sur cette base il fixerait un tarif, continuellement variable, du prix du salaire et des services productifs et remplacerait petit à petit la monnaie métallique par des bons indiquant les journées de travail et émis sous forme de prêt aux entrepreneurs, qui paieraient avec eux leurs ouvriers, et avec lesquels ils pourraient pren- dre dans les entrepôts gouvernementaux la quantité de produits dont ils auraient besoin en raison du tra- vail utile qu'ils auraient fourni.

De cette façon Rodbertus, malgré le grand appareil de sa philosophie et de son érudition, partant de l'hy- pothèse d'une loi de décroissance progressive du salaire proportionnel, aussi fausse que celle de son augmenta- tion fatale, soutenue par Carey et par Bastiat, conclut par des propositions très analogues à celles de Owen et de Proudhon, mais plus compliquées. C'est en somme un système tyrannique et inefficace de taxation offi- cielle des prix et des salaires, qui produirait des effets semblables à ceux qu'on a obtenus par les assignats et le maximum sous la Révolution française. Aussi trou- vons-nous excessif l'enthousiasme de Wagner, qui a proclamé Rodbertus le Ricardo du socialisme !

Rodbertus, Zur Erkenntniss unserer siaatswirtltschoft- liclien Zustdnde. !«' fascicule. Neubrandenburg, 1844. Sociale Briefe an V. Kirchmann. I-III. Berlin, 1850-51. La seconde et la troisième lettre réimprimées sous le titre: Zur Beleuchiimg der socialen Frage, 1875. Zur Erklarung und Abhùlfe der heuUgen Krediinoihdes Grundhesiizes. Jena, 1868-69.-2' édit., 1876. Der normale Ar- beilsiag (extrait de la Berliner Revue). Berlin, 1871. Réimprimé dans la Zeilschrift fur die ges. Staalnirissencliaften. 34« année, 1878, pp. 322-367. Briefe undsozialpolitischeAufsàtze.BerWn, 1882. Das Kapital. Vierter sociale Brief an v. Kirch- mann, 1884.

538 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

Cfr. Ad. Wagner, Einigcs von und ïiber Rodbertus (in Zeilschrifl f. die (/es. Slaatswiss. 1878, pp. 119- 236. Th. Kozak, liodhertus Jagetzow's socialpo- litische Ansichien. Jena, 1882. G. Adler, Rodber- tus der Berjrùnder des ivissenschafilichen Soziali- mus. Leipzig, 1884. A. Menger, Das Rechl auf den vollen Arbeitserirag . Edition de 1886, pp. 79- 96. H. Dietzel, Karl Rodbertus. Partie I et II. Jena, 1886-88. W. H. Dawson, German socia- lism, etc.,London, 1891, pp. 61-90.

Karl Marx est à Trêves en i 818 ; il a vécu en exil à Paris, puic à Bruxelles et finalement, pendant de très longues années, à Londres, il est mort en 1883 ; il unit au plus haut degré les qualités du savant et celles du sectaire.

Doué d'un esprit puissant, connaissant à lond l'an- cienne littérature économique et en particulier la litté- rature économique anglaise, armé d'une dialectique subtile et souvent sophistique, écrivain toujours obscur et parfois inintelligible, il a étudié d'ordinaire les pro- blèmes abstrus de la science pure en les accompagnant de citations tirées habilement des documents officiels, qui constituent pour ses aveugles adhérents les preuves irréfutables de ses arJDitraircs constructions historiques et de ses affirmations doctrinales. Faisant abstraction de toute idée religieuse et de toute considération juri- dique, Marx prétend démontrer que l'évolution écono- mique conduit inévitablement au collectivisme, sans qu'il soit besoin des moyens révolutionnaires, pour lesquels il se dépensait avec tant d'énergie comme agi- tateur populaire. Sans parler de quelques écrits de moindre importance, les idées économiques de Marx (empruntées en partie aux socialistes anglais déjà cités et en partie aussi à Proudhon) se trouvent déjà esquissées dans une polémique acrimonieuse contre Proudhon (l8'i7), et elles ont été plus complètement exposées dans

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 539

son œuvre principale, dont il avait déjà publié, sous une autre forme et avec d'abondantes notes bibliogra- phiques, les premiers chapitres en 1859.

K. Marx, Misère de la philosophie . Réponse à la Philo- sophie de la misère de M. Proudhon. Bruxelles, 1847. Réimprimé en 1897. Trad. allemande de Bernstein et Kautsky, 1885. Zur Rriiik derpo- litischen Oekonomie. i'"'^ fascicule. Berlin, 1859. Das Kapital. l^^" vol. Productions-process des Kapiials. Hamburg, 1867. (4« édit. de F. Engels, 1890); Trad. franc, par Roy. - 2" vol. Circulaiions- process des Kapitals, 1885.

Cfr. G. Gross, Karl Marx. Leipzig, 1885.— G. Adler, Die Grundlogen der Karl Marxschcn Kritik der be- slehenden Volksivirthschaft.'îuh'nngen, 1887. G. A. Verrijn-SLuarC, iî«carc/oen il/arx, 1890. (On trouve un bon résumé de la doctrine de Marx dans le vo- lume déjà cité deCathrein, Der Sozialiinns.^" éd\i. 1892, pp. 12-29. Trad. franc, par Olivier Feron, S.J., 1891.)

Le fondement du système de Marx, c'est la philo.so- phie matérialiste et purement économique de l'histoire, avec laquelle il explique toutes les révolutions poli- tiques en les ramenant aux incessants changements dans le processus de la production et de la circulation, dont dépendent à leur tour les transformations corres- pondantes dans les systèmes de distribution de la ri- chesse. Pour connaître la loi d'évolution de la produc- tion et de la vente, il faut remonter à la théorie de la valeur et à celle de la plus-value (Mehrwerth) qui ré- vèle le processus de formation et d'accumulation du capital.

La théorie de la valeur de Marx (combattue à diffé- rents points de vue par Strassburger, Knies, Bohm- Bawerk, Adler, etc) est, comme l'a démontré Verrijn- Stuart bien différente de celle de Kicardo ; elle vient de

540 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

cette proposition de Smith que la cause unique, bien plus, la mesure, de la valeur de tous les produits est la quan- tité de travail nécessaire pour l'obtenir, et par consé- quent, d'après Marx, le travail est la substance qui forme la valeur en s'incorporant d'une certaine manière dans le produit. Or l'entrepreneur capitaliste, en achetant à l'ouvrier, privé des instruments de travail, non pas le produit mais sa force de travail [Arbeitskraft), se trouve dans la possibilité d'obtenir des prestations supérieures à celles qui sont nécessaires pour produire les objets indispensables à la vie de l'ouvrier, et de cette façon il obtient un profit et réalise une Plusmacherei impossible dans les échanges ordinaires, qui ont pour base la di- versité d'espèce et l'idendité do valeur des produits échangés. La plus-value empochée par l'entrepreneur constitue le capital, qui lui fournit le moyen de nou- velles accumulations qui, parla concurrence des entre- preneurs, amènent la concentration de la production dans un nombre rapidement décroissant de grandes fabriques qui, grâce à la division du travail et aux ma- chines engendrent le prolétariat, l'augmentation de la misère et la formation d'une armée de réserve d^ou- vriers sans travail, qui déprime toujours davantage le salaire des autres et contribue à rendre inévitables les crises qui frappent continuellement 1 industrie. Mais le progrès de la production capitaliste porte en lui-même le germe de sa destruction. Il arrivera nécessairement un moment les masses ouvrières, formellement libres mais en réalité sous l'oppression de la misère, briseront leurs chaînes et exproprieront à leur tour les expro- priateurs. Alors, la production se fera par des corpora- tions de travailleurs, constituant un état organisé dé- mocratiquement, et le produit sera en partie converti en capital et en partie distribué aux ouvriers, comme une propriété dont ils pourront disposer librement.

il

LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 541

Dans la période qui suivra iminédiatement la révolution, qui émancipera le travail de la tyrannie du capital, la répartition des produits se fera en proportion des pres- tations individuelles, évaluées d'après la durée du tra- vail nécessaire pour l'aire chaque unité de produit. Il reste donc, d'une manière transitoire, malgré Taboli- tion de toute différence de classe une distribution inégale des biens. Dans une période ultérieure et défi- nitive, le travail ayant cessé d'être une peine et étant de- venu une nécessité, toute différence entre le travail intel- lectuel et le travail musculaire cessera et on pourra faire la distribution des produits conformément à la justice absolue, qui demande que le travail soit déterminé par les aptitudes et la jouissance proportionnée aux besoins. Comme révolutionnaire Marx était très différent de Lassalle. Froid, cynique, inaccessible au sentiment de l'amour de la patrie, plein de mépris pour un grand nombre de ses partisans, il commença sa carrière en rédigeant avec Frédéric Engels le fameux programme du parti communiste. 11 fonda en 1864 l'As.sociation internationale des travailleurs, dont il fut pendant long- temps l'âme, et qui survécut de fait sinon de nom à la scission provoquée en 1872 par le nihiliste anarchiste lîakunin. La Démocratie sociale moderne allemande, dépassant les idées relativement modérées des partisans de Lassalle, accepta au Congrès de Gotha (1875) et encore plus explicitement à celui d'Erfurt (1891) les théories du collectivisme absolu, qui sont maintenant les plus généralement acceptées en Allemagne (Engels, Liebknecht, Bebel), en Belgique (De Pœpej, dans les Pays-Bas (Nieuwenhuis), en France (Guesde, Lafargue et avec quelques divergences Malon), en Angleterre et en Amérique (Hyndmann et Gronlund).

Fr. Engels, Die Enlwickelung des Sozialimus von der Utopie zur Wissenschaft, 1883 (S^ édit.).

542 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN

Liebknecht, Was die Sozialdemokralen swd und sein

ivolien, 1891. A. Bebel, Unsere Ziele, 1875 (5^ édit.) Die Frau, etc.

1892 (14« édit.) trad. ital. ; 1892. Trad. franc, par

Rave, 1871. H. M. Hyndmann, The historical basis of socialism in

England, 1883. L. Gronlund, The coopérative commonwealih. 4'' édit.,

1892. B.Malon,Ze socialisme intégral.2^ édit. 1892. Deux vol.

Précis historique et critique du socialisme, 1892.

Il n'y a pas en Italie^ malgré les agitations d'un parti dont l'activité se manifeste aussi dans la presse périodique, de défenseurs vraiment compétents du so- cialisme théorique. Il y a cependant des littérateurs et des journalistes, qui font des conférences, traduisent (souvent du français) des opuscules et des articles des socialistes allemands, et qui attaquent vigoureusement les représentants des pouvoirs constitués en même temps qu'ils délivrent des diplômes d'hommes célèbres à leurs amis personnels, qui militent dans les rangs du radi- calisme politique, ou dans les rangs encore plus hété- rogènes des économistes du passé et des crimina- listes de l'avenir.

Il faut louer Nitti d'avoir commencé par un volume érudit et intéressant une critique détaillée des diffé- rentes formes du socialisme.

Franc. S. Nitti, Il socialismo cattolico. édit. Torino,

1891. Trad. franc., Paris, 1894. Voir A. Bertolini, Cenno sut socialismo contemfornneo in Italia, 1889.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

(1)

Abbot de Bazinghen, iSt].

Abeille, 275.

Abrial, 403.

Accursio das Neves, 443.

Achenwall, 53.

Adams, 481, 483.

Adams (Carter), 24. 479.

Adams (Quincy), 464.

Adamson, 4.

Adier, 428, 510, 522, 528, 529. 538,

539. Advielle, 519. Agardh, 451. Agazzini, ^88. Agricola, 184. Ahrens, 16. A.jello, 196. Aksakow, 456. Albergo, 139, 487. Albert-le-Grand, 161. Alberti, (G.), 174, 234,295. Albcrti (L.-B.), 174. Alciat, 184. Aieandri, 296. Alemanni, 169. -vAlembert, 272, 300. Alessio, 153, 507. .Vlexejenko, 455, 457. Ale.xi, 200.

Alison, 209, .347.

Allibone, 465.

Allievi, 497, 498.

Allinson, 476.

Allocchio, 500.

Almeida (d'), 444.

Amabile, 192.

Amar, 511.

Amari, 493.

Amati, 292.

Amé, 402.

Ampère, 49.

Ancarano (Pierre de\ 168.

Anderson, 326, 363.

Andreucci, 500.

Andrews, 23, 465, 482, 483.

Ansell, 350.

Antonelli, 102, 511.

.A.ntonovicz, 458.

Apel (d'), 511.

Appolodore, 146.

Aranaz, 441.

Arco (d'), 287.

Arcoleo, 511.

Arenal, 441.

Arendt, 424, 425.

Argelati, 188.

Argenson (D'), 262.

Aristophane, 148.

Aristote, 70, 97, 149, 156.

Arnd, 284.

(1) Nous avons dans cet Index redressé quelques erreurs qui se sont glissées dans l'écriture des auteurs cités dans l'ouvrage.

(Noie du Iradticteur).

544

INDEX DES AUTEURS CITÉS

Arntzen, 448. Armstrong. 215. Arnberg, 137. Arrivabene. 491. Artom, 511 . Aschohoug, 449. Asgill, 254, 256. Asher, 301. 347. Ashley, 158, 351,332,333. Atkinson, 309. 480. Audiganne, 401. Augustinis (de), 6S, i91. Auspitz, 102, 103. Austin, 339. Azcàrate, 442. Azzariti, 486.

Babbage, 44, 342, 346.

Babeau, 401.

Babœuf, 519.

Babst, 455.

Bacon, 49, 128, 232.

Bade (Chaiies-FrédLTic de), 285.

Baer, 500.

Baert, 299.

Bagehot, 27. 85, 298, 348, .355.

Bain, 83.

Baird, 470.

Bakunin. 529, 541.

Balbo, 487.

Balchcn. 1.35.

Balducci-Pegolotti, 174.

Ballerini, 178.

Balletti, 139, 187, 247, 286.

Balsamo, 485, 486, 490.

Balugjenski, 455.

Bam berger, 421.

Bandini, 218, 230, 231, 2-32, 23S.

Bandoli, 241.

Banfield, 337.

Barbeyrac, 258, 263,

Barbon, 187, 255, 257, 258, 3i7,

Barbour, 347.

Bargemont.310.

Barkausen, 291.

Bariano, 168.

Barnard, 240.

Bartole, 184.

Barzanellana, 441.

Baseom, 471, 472.

Bastable, 114, 210, 303, -325,

.359, 370, 371. Bastiat, 65, 99, 337, 357, .-^73,

383, 384, 386, 420, 423, 450,

471, 489, 494. 495, 528,537. Batbie, 40,277, 374. 403. Bandeau, 274, 275, 278, 286. Baudrillart, 23, 35, 129, 205,

207, 374, 388, 389, 401. Bauer, 44, 1.36, 210, 256, 260,

272, 273, 353, 432. Baumann, 163.

Baumstark, 244, 245, 328, 413. Baxter, 349. Bazard. 523, 524, 525. Beaujon, 105, 436. Beauregard, 328, 374. 375, 402 Bebel. 541, 542. Beccaria, 68, 101, 182, 188,

245, 289, 291, 292, 293. Béchaux, 40. Bêcher, 221, 234. Becker, 30, 406. Béer, 428. Beicht, 291. Beke, 459. Belloni, 222,223. Bénard, 386. Benini, 193, 508. Bemis, 477. Benoit XIV, 178. Bensa, 155. Bentham, 310, .321, 328, 339.

336.

.382' 47(1,

2C6, 267,

Idô,

INDEX DES AUTEURS CITÉS

545

Benvenuti. 500.

Berardi, 505.

Berch, 450.

Berends, 455.

Berens, 459.

Berg (Van der), 438.

Bergfalk, 451.

Bergsoe, 447.

Berkeley, 267.

Bernard (Ch.), 477.

Bernardin de Busto. 169.

Bernardin de Feltre, 168.

Bernardin (Saint), 166.

Bernhardi, 411, 493.

Bernouilli, 23, 101.

Berastein, 421.

Bcrnstein, 539.

Berra 490.

Bertagnolli, 511.

Bertheau, 402.

Bertillon, 30, 401.

Berlini, 511.

Bertolini, 501, 505, 542.

Bertrand, 103.

Besobrasov, 456, 457.

Besold, 238.

Bettange, 186.

Bevan, 255.

Blanchi (G.), 507.

Blanchi (I), 294, 491.

Bibiia, 195, 213.

Biddle, 468.

Bidermann, 198, 210, 459.

Blanchini, 132, 141, 192, 249, 490-

491, 493, 496. Biel (Gabriel), 166. Bielfeld, 254. Biffi Tolomei, 233. Bigelow, 476.

Bigot de Sainte-Croix, 275. Bilinski, 132, 452. Bing, 448.

Bischof, 420.

Biundi, 497.

Biaise, 169.

Blanc, 528, 529, 530, 531.

Blanc (Le), 186.

Blanch, 491.

Blanqui, 129, 1-32, laS. 141, 297, 44t.

Bloch, 457.

Block, 31, 57, 61, 83. .373. 376, 380, 381, 382, 401, 532.

Bluntschli, 45, .319.

Bobrinsky, 458.

Boccardo, 495, 490, 510.

Bocchi, 195, 213.

Bodenstedt, 453.

Bodin, 97, 141, 181, 186, 188, 189, 190, 205, 206, 217, 237, 242.

Bodio, .30.

Bodz-Raymond, 310.

Buhm-Bawerk, 84, 177, 178, 364, 4a3, 434, 435, 5-39.

Boeckh, 142.

Boehmert, 422.

Boisguilbert, 141, 22S, 229, 230, ^32. 241.

Boissevain, 438.

Boizard, 186.

Bolles, 106, 462, 463.

Bona, (Délia), 511.

Bon a y Ureta, (de), 441.

Bonar, 15, 263, 314, 326, 363, 364,

435. Bonaventure (S.), ICI. Bonghi, 497. Bonnal, 207. Booth, 525. Borgatti, 497. Borghiai, 184. Borkowski, 456. Bornitz, 206, 238. Borrego, 440, Bosch Kemper, 171.

35

546

INDEX DES AUTEURS CITÉS

Boselli, 5CH).

Bosellini, 497.

Bosnier de l'Orme, 275, 2SG,

Botello, 442.

Botero, 141,180, 181, 19-3, 194, 20G,

217, 2.37, 242. Boulainvillicrs, 2'j1. Bourdeau ;J. , 532. Bourne, 463, 481. Bourouill, 876. 436, 475. -Bourquelot, 400. .'Boutaric, 401. Boutron, 412. Boutteroue, 18ô. Bouvy, 294. Bowen, 467, 468. Boxhorn, 206. Boyss. 184. Brachelli, 30. 31. 429. Brants. 15, 149, 15S. 1G5, 373, ZOb,

397. Brassey, 349, .358, 363. B rater, 319. Bray (J. F.) 521. Bray, 'Charles), 521.

Brandes, (G), 532. Braun, 421, 427.

Brenlano, 351, 3o.3, 410. 418, 424.

Bretschneider. 525.

Brietzky, 455.

Briganti, 287.

Bright, 334.

Brisbane, 527.

Briscoe, 200.

Brissot, 513, 527.

Brock. 449.

Brodrick, 346.

Broggia, 188, 209, 223, 242, 2i3.

Broglio, 497.

Brougham, 26S.

Briickner, 453. 458,

B.-udiT, 152, 153.

Brugi, 38.

Brunncck, 460.

Bruno, 184. 496, 497, 500, 505,

Buccellati, 292.

Buccleugh, 300. 349.

Buchanam, 300. 349.

Bûchez, 69, 403, 523.

Budée, 18i.

Budelio, 184.

Biilau, 407.

Bunge, 457,458.

Buonarotti, 519. 529.

Buoninsegni 169.

Burchard, 48 i.

Buret, 394.

Buridan, 164.

Burke. 310.

Burton, 268.

Busacca, 493.

Buschen, 455.

Biish, 288, 289.

Butowski, 45 i.

Butts, 476.

Buzzetti, 511.

Byles, 347.

Caballero, 441.

Gabet, 520, 521.

Cacherano, 296.

Cadet, 229, 230.

Cagnazzi, 485, 486.

Caird,346.

Cairnes, 2, 7, 57, 66, 76, 80, 84, 85.

91, 102, 135, 267, 336, 3i0, 343.

351. 355, 356, 357, 358, -359, 368,

385, 386. .391, 399. Calhoun. 464. Calkoen. 151. Callicratides, 146. Calvi, 490. Calvin. 177.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

547

Gambray-Digny, 511.

Gampanella, 176, 192, 513.

Canarrl, 101, 316.

Gancrin, 309.

Gangay Argûelles, 441.

Gannan,335, 370.

Gantillon, 265, 266, 268, 270, 292, 299.

Gathrein, 35.

Gantoni, 168.

Gantù, 292. 491.

Gappellari della Golomba, 50J.

Gapellone, 169.

Gapponi, 490.

Gapps, 349.

Gaputo, 237.

Garaccioli, 296.

Garafa, 172, 205.

Garballo y Vangûemert, 132.

Gardcnas (De), 442.

Garete de Paros, 146.

Garey, 60, 134, 218, a37, 3"j9, 383, 384, 385, 465, 469, 470, 473, 477, 478,489,494,537. Garey Baird. 470. Garli, 188, 242, 291, 292, 294, 296. Garli (De), 487. Gariquist, 451. Garlyle,121,350. ilarniichael. 264. Garové, 525. Garpi,500. Garrcras y Gonzales, 2, 7, 76, 132,

440,742. Gary, 218. Gasali, 208. Gasarini, 493. Casasas, 441. Casati, 294. Gastanares, 213. Gastillc, 530. Gastracane, 168, 213.

Gathrein, 32, 36, 516, 539.

Gaton, 152.

Gattaneo, 492.

Gauwès, .374.

Gavazzoni-Pederzini, 488.

Cavalà, 197, 198.

Gavour, 499.

Gazeneuve, 402.

Gernuschi, 500.

Gesare (De), 496.

Geva, 188.

Geva-Grimaldi, 493.

Ghailley (Joseph), ,380.

Ghalmers, 337, 342.

Ghamberlain, 200.

Chapin, 468.

Gharles III, 242.

Gharles V (le sage), 165.

Gh'arJes VI, 241.

Ghase, 464.

Chastellux, 275.

Gherbuliez, 20, 21, 24, 25, 62, 70,

106, 357, 373, 376, 379, 380, 400. Ghevalier, 297, 373, 374, 376, 377,

378, 387, 394, 495, 523. Chevé, 384. Gheyney, 476. Gheysson, 373, 395. Chiaramonti, 181, 206. Ghiarini, 490, Ghild, 220, 221, 234, 235, 240, 249,

256. Ghisholm,363. Ghitti, 491. Ghodsky, 456, 458. Ghydenius, 450. Gibrario, 154. Giccone, 68, 499. Gicé, 277. Gicéron, 151. Gicogna, 295. Gieszkowski, 453.

548

INDEX DES AUTEURS CITÉS

Cini,500. Clamageran, 403. Clark, 465, 479, 480. 48.'}. Clavière. .817.

Clément (A.), 34, 60, .385. 392. Clément (P.), 224. Clément, VII, 208. Clicquot, 235. Cobden, 231, 334. 377, 384. Cobergher, 168. Cochut, 200. Codacci-Pisanelli, 511. Cognetti, 62, 96, 475, 510. Cohn, 84, 132. 225, 2.3(t, 327, 351 352, 355, 368, 369, 406, 407, 425*, 431, 477. Coke, 219, 234. Colbert, 221. 224, 227. Colizzi-Miselli, 487. Collin, 451. Colmeiro, 136, 1.37, 171. 2.39, 260,

440. Colonna (Egidio\ 164. Col ton, 467. Columelle, 152. Colwell, 467. 468. Comte, 49, 60, 61, 135, 3.39, 341, 355, 357, 389, 391, 414. 523.

Comte (Charles), 319,384.

Concina, 178-

Condillac, 15, 236, 245. 266, 276, 289.

Condorcet, 275, 3.39.

Conigliani,21, 185,186, 191, 507.

Conrad, 4J6, 418, 424, 428.

Conrig, 221.

Considérant, 519, 527.

Constancio, 443.

Contarini, 197.

Conte. 441 .

Contzen, 157.

Cooper, 468.

Copernic, 185.

Coquelin. 34. 57, 7.3, 379 383, 484,

495. Corbani 491. Gormenin, .38. Correnti, 491, 497. Corsi, 500. Corti, 184. Cossa (E.),42. 511. Cossa,(L.) , 145. 162,245, 260,296,

485, 508. Gosta-Rossetti. 32. Costantini, 222. Cotrugli, 173. Cotte ri 1,309. Courcelle-Seneuil, 25, 42. 70, 132.

298, 373, 376, 380,381. Cournot, 101, 102, 103, 105, 366.

363, 380, 389, 390. Court (Jean de la), 240. Court (Pierre de la), 234. Gourtney, 338, 347. Courtois (fils), 402. Cousin, 265,297, Go ver. 286. Gox, 476, 534. Cradocke, 199, 2(X). Crawfurd 309. Cristoforis(Dc),497. Grompton, 349. Gromwell, 220,224. Grouzel, 402. Crump, 347.

Csato, 460.

Csengery, 461.

Cucheval-Clarigny, 403.

Gulpeper, 220, 221, 235, 256.

Cumming, 106.

Cuneo, 196.

Cunha d'Azéredo Coutinho, 443.

Gunningham, 155, 210, 217, 223, 239,362,363.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

549

Custodi, 137, 138, 192. 295, 486,

488, 489. Cusumano, 139, 158, 174, 196, 207,

238, 296, 406, 501, 505. Czornig, 429.

D Dahlmann, 45, 41.^. Daire, 200, 229, 270. 895. Dameth, 2, 7, 35. Dandolo, 490. Dangel, 452. Dangeul, 235. Dankwardt, 39, 40. Dareste de la Cliavaniie, 401. Dargun, 33. Darjes, 244, 269. Darwin, 368. Davanzati, 141. 187, 258. Davenant, 220, 221, 240. David, 447. Davidson, 451. Davies, 217. Davila, 238. Dawson, 532, 534, 538. Decker, 235, 239, 268 . Dei, 174. Delacour, 298. Delamare, 250. Delfico, 286. Delisle, 401. Denis, 284, 403. Desséwffy (E.), 460, 461. Desséwffy (.!.), 460. Deslutt de Tracy, 316. De vas, 398. Diaz, 441. Dickinson, 405. Diderot, 272, 300. Diehl, 529. Dietzel, 33, 84, 122, 409, 411, 427,

432, 4,35. 516, 536, 538. Digges, 217.

Dillon, 116, .350.

Diodati, 291.

Dithmar, 244.

Dolfin, 235.

Dominici, 174.

Doni, 176, 513.

Doniol, 401.

Donnall, 353.

Dormer, 260.

Dowell, .349

Droz, 33, 316.

Dubois, 164.

Ducati, 505.

Ducpétiaux, 402.

Ducrocq, 38.

Dufau, 83.

Dufour, 38.

Dugnani, 163.

Dûhring, 3,> 132. 134, 141, 268, 469

535. Dumesnil-Marigny, 374. Dumont, 310. Dumont (Arsène), 121. Dumoulin, 177, 185. Dunbar, 196, 197, 199, 465, 481. Dunckley, 847. Dunoyer, 320, 372. 382, 333, 384,

385. 495. Du Pont, 274, 275, 276, 278,280,285 Duprat (Pascal), 291. Dupré de Saint-Maur, 186. Dupuit, 101, 103, 373, 390. Durand de Saint- Pourçain ^

165. Duran y Bas, 441. Dureau de la Malle, 142. Dussard, 840, 381. Dutens, 284. Dutôt, 201, 222. Duvai, 206, 207,241. Duverney, 201.

550

INDEX DES AUTEURS CITÉS

Eandi, 493.

Eckroyd, 350.

Edgeworth, 105, 364.

Edmonds, 521.

Effimenko, 450.

Eheberg, 414, 415, 424.

Ehrle. 171.

Eichhorn, 415.

Eichthal (d'i, 516.

Einert, 41.

Eisdell, 337.

Eiselen. 408.

Eisenhart, 3, 132, 13i, 135, 141

294, 535. Elder, 470. Ellena, 508. Ellero, 511. Elster, 394, 428. Emerton, .301.

Ely, 3, 8, 23, 465, 478, 481, 515. Emminghaus, 42, 285, 421. Endemann, 39, 40, 157. Enfantin, 524. Engel, 30, 31, 406. Engelbert, 163. Engels, 528,539, 541. Ebtwos, 461. Erdélyi, 460, 461. Errera, 295, 500. Eschine, 146. Escudero, 441. Espinas, 3, 1-32, 392. Eulner, 238. Evangelista, 168. Everett, 467.

F

Fabbrini, 258.

Fabbroni, 232, 2.33, 286, 486, 487.

Faber, 218.

Fabricio, 173.

Facen, 295. ..Gagniez, 400.

Falbe-Hansen, 446, 448.

Falck, 410, 524.

Falkenburg, 436.

Falkenhagen-Zaleski, 453.

Falkner, 479.

Fallati, 30.

Fano, 500.

Fantuzzi, 487.

Faraglia, 500.

Farkas, 461 .

Farmer, 191.

Farnam, 2a3.

Farrer, 300, 347.

Faucher (G.), 421.

Faucher (L), 377, 378, 394. 402.

Faure, 338.

Fauveau, 391.

Favre, 185.

Fawcett, 328, 329, 345, 352, 364,

365, 475. Fay, 461. Fedorow, 456. Feilbogen, 248, 249, 268, 269, 277,

298, 432. Fényes, 460. Ferguson, 264, 265. Ferran, 441. Ferrara, 114, 138, 193, 196, 231,

249, 272, 319, 320, 383, 385, 386,

470, 493, 494, 495, 504, 505. Ferrari, 168.

Ferraris (C.-F.), 506, 22, 38, 46. Ferraris (M.). 511. Ferreira-Borges, 444, 445. Ferrier, 309. Ferroni, 101. Feugueray, 403 Fiadoni, 163. Fichte, 309. Ficker, 429.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

551

-^^

Figuerola, 441.

Filangieri, 97, 286. 287.

Filiucci, 159.

Fiorentino, 286.

Fiorese, 511.

Fisher, 105.

Fix, 393.

Florez-Estrada, 23, 1.32.

Flurscheim, 533.

Focillon, 395.

Fogarasy, 461.

Foldes, 446, 461.

Foncin, 276.

Fontanelli, 511 .

Fontenay, 386.

Fonteyraud, 321.

Fontpertuis, 149.

Forbonnais, 201,222, 247, 218, 288,

302. Ford, 484.

Forjaz daSampajo, 1.32. Fornari, 139, 172, 173. 193, 195, 242,

291, 499. Forti. 5<J5. Fortroy, 219. Fortunato (N), 250. Fortunato (J.), 511. Foscarini, 296. Fossombroni, 2.32, 233, 486. Forter, 358, Foiigerousse, 403. Fouillée, .392. Fourier, 523, 525, 526, 52S. Fournel, 524. Fournier de Flaix, 403. Foville, .30, 373, 376, 386, 401. Foxwcll, .351, 363. Franchetti, 500. Franchi, 243. Franklin, 182, 465. 466. Franqueville, 401. Frederiksen, 1-32, 447.

Frignet, 4(J0.

Frommer, 422.

Fuchs, 458.

Fullarton, .348, 378, 425.

Franckenstein, 2.38.

Frank, 176, 189.

Franzi, 258.

Franzl, 309.

Frédéric Guillaume I; 244.

Frisi, 294.

Froumenteau, 241.

Funck-Brentano, 206.

Funk, 159, 166, 169.

Fuoco. 102, 489.

Furber, 1.37, 465.

Furnival, 192.

Fûrstenau, 285.

G

Gabaglio, 28, 30, 31, 83.

Gad, 448.

Gaito, 167.

Galitzin, 285.

Galiani, 15. 188. 192, 258, 275, 289,

290.292. Galiardo Fernandez, 442. Gallalin, 464. Galton, 436. Gambini, 231, 490, 492. Gamborg, 449, 450. Ganilh, 309, 467. Garelli (A.), 499. Garelli (G.-E.), 500. Garfield, 464. Garnier (Joseph, 23, 57, 71, 76,

132, 272, 347, 376, 378. Garnier ;J. J.;, 379. Garnier (Germain), 284,301. Garrati, 184. Garrault, 186. Gaskell. 346. Gasparino, 159.

552

INDEX DES AUTEURS CITES

Gasser, 244.

Gastaldi, 493.

Gaston (Jean . 232.

Galti de Gamond, 527.

Gautieri, 490.

Geddes,350, 355,391.

Gee, 219.

Gehrke, 176.

Geissmann, 455.

Gemmelaro-Russo. 511.

Gennaro,286.

Genovesi, 68, 209, 218. 245, 247,

249, 250, 269,302. Gentleman, 217. Gentz. 310. George. 532, 5.33. George, 465, 469, 473, 474, 475. Gérando (De). 38. 183, 402, 493. Gerson, 165. Gerstner, 23. Gervinus, 415. Ghetti, 171.

Gianni, 232. 23.3, Î86. 296. 487. Gibbons, 475. Gibellini, 250. Gibon, 403.

Giddings, 15, 479. 480, 483. Gide, 373, 376. 399. 400. Giffen, a34, 349. 363. 364. Gibbart, 3i7. Giginta, 170. Giiman,477. Giner, 442, GJogalli, 260.

Gioj a, 23,.30.138. 294. 486, 488,489, 490 Giovanetti, 492. Giovio, 487. Giudice (Del). 504. Gladstone, 334, 349. Claser, 145, 150, 408. Gobbi, 139, 167, 173, 193, 195, 207, 231, 250, 508.

Godfrey, 199.

Godwin, 313.

Goldman, 458.

Goldschmidt, 41.

Golochwastow, 453, 457.

Golz (von der), 424.

Gomes, 444.

Gomez, 212.

Gonner327. 364.370.

Gorani, 231, 286.

Gorlow, 454.

Gorové, 460.

Gosohen, 348, 349, 381,438.

Goss, 476.

Gossen, 43. 101.

Gottling, 149.

Gouge, 464.

Gould, 240. <

Gouraud, 374.

Gournay, 248.256.

Graffenried 'Dej, 476.

Grammont, 189.

Granier, 402.

Graswinkel, 228.

Graunt, 252.

Gravenhage, 439.

Graziani, 21, 257, 290, 292, 294,

435, 507. Gray, 309,521. Greeley, 470. Greg, 436, Grégoire, 206. Grégoriew, 458. Grégoire de Rimini, 147. . Grenier, 183. Greppi, 198. Gresham, 185, 191. 192. Greven, 436. Grimaudet, 186. Gronlund, 541, 542. Gross. 363, 433, 539. Grosvenor, 476.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

55a

Grote, ."330.

Grotius, 177. 258,2(3:!, 264. 27i». Griin, 527. Guarini, 173. Guérard, 400. Guérin, 395. Guerry. .30. 401. Guesde, 541. Guicciardini, 174. 175. Guilbaiilt.42. Guillemenot, 397. Gujard, 70. Gunton, 476, 483. ^ Guyot. 41 13. Gyorgy, 4(31 . Gyôry. 4(50.

H

llack, 529.

Hadley, 481. 482, 483. 48 i.

Hagemeister, 455.

Hagen, 14(î.

Hagenbuck, 199.

Haldane, 298.

Hahl, 214.

Haies, 161, 191, 217.

Hall, 349.

Haller, 310.

Halley, 252.

Hamaker. 95, 96.

Hamilton '-\.), 414, 446. 464. 4(36.

Hamilton (G.-K.), 132, 451.

Hamilton ,R.;. 349.

Hamilton (W.), 299.

Hanauer, 401.

Hankey, 347.

Hanson, 475.

Hanssen, 406, 413.

Hardenberg, 311.

Hare, 339.

Harrington. 176.

Harris, 187, 266, 299.

Ilarrison, 350, 355, 391.

Hartmann, 41.

Hasbach, 248, 26-3, 264, 298. 424.

Haushofer, .31, 42, 83.

Hausser, 415.

Hawiey, 480.

Hearn, 70, a37, 367.

Heath, 199.

Heckel, 439.

Heftye, 449.

Hegedus, 461.

Hegel. 16, 49, 536.

Held, 423, 428. 469, 479, 535.

Helferich, 298, 406. 413, 483.

Henckel, 189.

Hendriks, .364.

Henfner, 252, 459.

Heredia, 442.

Henri de Gand, 163.

Herbert ((Jlaude), 230. 249.

Hermann, 2, 11, 44, 100, 32ii, 406,

4<j8. 4(39, 410, 411, 412, 423. 447. Hermandez Amores, 442. Hérodote, 145. Herrenschwand, 288, 289. Hertzberg, 446, 449, 450. Hertzka. 429, 534. Hervé-Bazin, 397. Hewins, 210. H( yd, 14, 18, 24, 151, 205, 2<l9, 297,

327. Heyking, 214. Heymann, 200. Heymanns, 54, 84, 436. Higgs, 265, 267, 364, 396. Hildebrand, 95, 149, 415, 416, 466,

515. Hobbes, 239, 255, 264. Hobson, 481. Hock, 430. Hoflmann, 38, 408. Hole. .350.

INDEX DES AUTEURS CITES

Holyoake, 350.

Holtzendorf, 45.

Hooke, 240.

Hooper, 364.

Horn, '200, 229, 230, 402, 461.

Hôrnigk, 221, 234.

Horton (Dana), 475.

llorsley, 239.

Houten, 66.

Hoyta ,de\ 165.

Howell, 349.

Huber, 459.

Hucks-Gibbs, 347.

llufeland, 411.

Hughes, 351.

Hugo, 96, 415.

Hume, 2, 182, 240, 247, 249,

268, 269, 299, 447. Huskisson, .334. Hutcheson, 70, 240, 264, 265,

279, 299, 300.

Huxley, 369. Hyndman, 541, 542.

I

léron, 146. Inaina-Sternegg, 135, 239,

391, 429, Ingram, 3, 98, 102, 132, 134,

248, 292. 316, 327, 332, .351,

.356, 369. Intieri, 192, 245. Inirigila, 497. Ippolito (D"), 499. Isbert y Guyas, 441. Iselin, 285.

Isernia, (Andréa d'). 164. Issajew, 457, 458. Iwanikow, 456.

J .lacini, 497, 498. .iHger, 298, 450, 532.

265,

268,

298,

214, 355,

.Tagetzo^v, 535.

.lahnson, 446, 455, 456.

Jakob, 19, 23, 312, 496.

Jakowlefl, 456.

James, 132, 463, 481, 484.

.Tames (H.-A.), 477.

James (E. J.),478.

Jandelli, 181.

Janet, 519.

Janko, 461.

Jannet. 373,396,397.

Janschull, 136, 214, 216. 446, 455, 457, 458.

Jardim (dos Sanctos Pereira),459.

Jefferson, 464.

Jenks, 470, 478, 483.

Jevons, 2, 4, 15, 24, 30, 43, 66, 70, 76, 101, 102, 103, iOi, 105, 186, 265, 266, 267, 320, 347, 351, 356, .359, 361, .364, 368, 399, 40<J, 436, 438.

Johannis (De), 510.

John, 30, 31.

Jonchère, 241.

Jones, 214, 342, 350.

Joseph II d'Autriche, 224.

Joubleau, 224.

Jourdan. 24, 40, 374.

Jourdain, 157, 163.

Joyce, 301.

Juglar, 30, 402.

Justi, 179, 247, 250, 251, 288, .302.

Juvigny, 403.

K

Kablukow, 456, 458. Kaizl, 423. 453. Kalinowsky, 458. Kamensky, 454. Kames, 299. Kant, 16. Karatajew, 454.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

ooo

Karvasy, 460, 461.

Kaufmann (Allemand), 3)9.

Kaufmann (Russe), 457.

Kautz. 3, 7, 76. 95, 131, 1.32, 133.

135, 137, 141, 152, 214, 230, 248,

288, 297, 332, 394, 446. 459, 461, Kawelin, 456. Kay, 346, 347. Kayser, 447. Kautsky, 539. Kellner, 271. Kemény, 461. Kent, 465. Kerseboom, 252. Ketteler, 398. Keymor, 217. Keynes, 2, 4, 8, 76, 84, 90. 104, 1Û5,

3il, 371. King, 219. Kingsley, 351. Kirk, 465. Kiriaki, 511. Kirkup, 351. 510. Kleinw'acMcr, 18. 176, 412, 424. Klock, 205, 2.38. Klosterman, 424. Knapp, 30. 406, 410. Knies, 41,61, 95, 131, 175. 286, .354,

406, 415, 416, 423, 539. Knox, 475, 484. Kolb, :30, 31. Koljupanow, 456. Komorzynski, 410, 432. Knrizmics, 460. Korsak, 458. Kosegarten. 310. Kôsats. 461. Kowalewski, 455. Kozak, 538. Krapotkine, 529. Kraus, 23. 311, 312. Krause, 16.

Krebs, 448. Kritzbay, 461. Krishanitsch, 453. Krohn. 419. Kubel, 144. Kudier, 430 Kulomsins, 457. Kuppener, 166. Kwan-Tsze, 144. Kvaer, 450.

Lacroix, 260.

Labeyrie, 403.

Laboulaye (Charles), 44, 402.

Laboulaye (Edouard', 402.

Lafargue, 541.

Laffemas, 207, 213.

Laferrière, 38.

Laffitte (B.),403.

Laffltte (P.), 213.

Laing. 342, 345.

Lalor, .350, 484.

Lamansky, 457.

Lambe, 199, 200.

Lamond, 191.

Lampertico, 3, 7, 295. 497, 499, 501,

503. 504. Lamprecht, 155. Lange, 423. Lansdowne, 217. Laranjo, 443, 445. Laspeyres, 137, 234, 235, 284, 297'

319, 328, 410, 413. Lassalle, 421, 531, 532, 5.35, 539,

541. Lastri, 182. Latimer, 189. Latini, 174.

Lattes, 155, 196, 197, 198, 500. Lauderdale, 311, 467.

556

INDEX DES AUTEURS GITES

Laughlin (Laurenct-), 3, 8, 24, 132,

353, 465, 481. Launhard, 102. Laurent, 402. Laveleye (De), 399, 515. Lavergne (De), 272, 297, 401. Laverrière, 410. Law, 199, 200. 211. 222, 205, 277,

455. Lawson, 33o. Lebedew, 457. Lechevalier, 527. Ledesma y Palacios, 4. Lee, 464. Leffler, 132. 451 . Legoyt, 401. Lehinann, 449. Lehr, 424, 428. Leib, 238. Lemercier, 403. Lencisa, 492. Lenzi, 174.

Léopold, 230, 232. 235. Le Play, 29, 373, 389, 394, 395, 396,. S97 Le Rousseau, 403. Lerou.x, 512. 528. Leroy-Beaulieu, 2i, 373, 374, 375,

378, 3S2, 387, 388. 403, 473, 532. Laser, 214, 239, 29s, 299, 300, 326,

328, 415, 424. Leslie (CliJre), 95, 96, 100, 298, 351.

352, 35i, 355, 356, 364, 401, 465. Leslie-Stephen, 346. Letrosne, 275, 276, 280, 289. "-Levasseur, 30, 200, 233, 373, 374.

378, 382, 388,-389,401, Levi, 3.34, 363. ^

Levy, 95. Levvins, 350. Lewis (Cornewald), 83. Lewis (M,}, 199. 2œ. Lewis (R.). 21.

Lexis, 14; 30, 406, 424, 425, 428, 470-

Liberatore, 491.

Lieben, 102, 103.

Liebknecht, 541, 542.

Lilienfeld,58, 419, 459.

Liliew, 458.

Liljenstrand, 451.

Linden (Cort van der), 436.

Lindermann. 475.

Lippert, 378, 379.

List, 69, 96, 1.34, 310. 374, 414. 415,

460. 467, 492. Lith (Vonder), 239. Littrû. 391. Liverpooi, 347. Livron, 455. Lloyd. 101. Lobero. 196. Locke. 186. 188. 218. 247. 254, 255,

256, 258, 264. 265. 270. 281, 290. Longe. 352. Longtield. .•«6. Longiave-Berni, 511. Lôniay. 461. Llining. 38. Lopez de Aedo. 442. Lopez Narvaes. 441. Loria, 28, 257, 446. 458, 501.508. Lo Savio, 499, 510. Lotz, 132, 186, 3J2. 411. Lowe. 355. Lowndes. 255. Loyd, 348.

Lozano y Montes. 441. Lubomirski, 453. Luca (De). 168, 209, 496. 497. Lucchesi-Palli, 493. Lûder, 311. 312. Ludwig, 238. Luginin, 456, Lumbroso, 144. Lunetti. 195, 198, 213.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

5o7

Lupi. 242.

Lupo, 159.

Luther, 177.

Lutken (F.), 447.

Lutken (Otlron. D.). 447.

Luzerne, 178.

Luzzatti, 298, 49:>. 504. Td!!.

Luzzatto, 510.

Lwow, 455, 457.

Lyon-Caen, 41.

M

Mably, 513.

Mac Adam, 475.

Macaulay, 199, 339,

Mac CuUoch, 23, 24, 75, 199, 240,

258, 299, 301, 818, 321, 322, 328,

335, 348, 358, 363, 447, 408. ^lachiavel, 174, 175, 181. Macdonell (J.), 338. Mac Donne! (C), 53:3. Mac Kean. 470. Macleod, 70, 289, 3i7. :;71, 374,

471,499. Mac Neill, 476. Macpherson, 363. Macvane, 15. 113, 481, 482, 483,

484. Madison, 464. Madrazo, 440, Mafrei,178. Magenta, 493. Magliani, 500. Maizières (De), 165. Majorana-Galatabrano, 499. Majorana (.\.), 510. Majorana (G.', 511. Malarce, 403. Mal chu s, 408. Malebranche, 279. Malestroit, 189. Malgarini 511.

Mallock, 475.

Malon, 420, 541, 542.

.Malthus, 2, 7, 76, 80. 88, K/J, 128, 134, 135, 182, 288, 313, 314, 315, 316, 320, 321, 322, 324, 326, 327, .328, .3.33, a35, 337, 342, 354, .364, .375, .377, 383, 385, 42ô, 443, 4G7, 469, 470, 472, 474, 491, 494, i96, 520.

Mal y nés, 216.

Mamiani, 511.

Manara.

.Mancini (El se), 206.

Manfredi, 422,511.

Mangoldt, 23, 84, 90, 100.

Manna, 499.

Manara, 511.

Mandello, 461.

Manfredi, 422,511.

Mangoldt, 406, 409, 412.

Manning, 398.

Mansi, 173.

Manuel-d'.\lmei(la, 444.

Mantellier, 400.

Manzoni, 118.

Marachio, 236.

Marcett, 328, 329.

Marchese, 497.

.Marchesini, 250, 296.

Marchet, 251.

Marescotti, 496, 505.

Marghieri, 41.

Mariana, 185, 206.

Mariboe, 449.

Mariska, 461.

Marliani, 491.

Mario, 132. 534, 535.

Marmontel, .3.39.

Marogna, 236.

Marshall, 15, 24, 61, 62, 70, 84, lu4, 132, 353, 364, 365, .366, 367, 368, 391, 438.

r)58

INDEX DES AUTEURS CITES

MartcUo, 505.

Martignoni. 4S<3.

Martineau, 328, 320.

Mai-tinelli (I). 386.

Martin elli (M.), 487, 407.

Martinet, 449.

Marti aez, 441.

Martuscelli, 511.

MaruUi. 487.

Marx, 43(5, 458. 531, 534, 538. 530,

541. Marzucchi, 401. Masc-Dari, 511. Massarani, 497. Massie, 239. Masslow, 455. Mastier, 277. Mastrofini, 178. Mataja,433. 434. Mathieu, 401. Matthew. 192. Matlekovits. 461. Mattia (Ue), 487. Maurice (Denison;, 351. Mauvillon (De), 26o, 285. Mayr. (G. v.), 31, 427. Mayzel, 453, Mazel, 528. Mazzei. 174. Mazzola, 507, 508. Medici,489. Mees(Juvior), 102. Mees, 2. 437, 438, 439. Meguscher, 492. Meitzen, 30, 424, 470. Melanchton, 180. Mêle, 401. Melon, 201, 222, 230, 247, 248, 240,

200. .302. Mendonça-Cortoz, 445. Meneghini, 406. Menendez, 441.

Menger (G.;. 3,7. 15, 54, 58, 7G. 84, 00 . 104, 137, 341, 415, 430, 431, 432. 4.33, 518, 521.

Menger (A. -H.), 475, 5.38.

Menger (M.), 431.

Mengotti, 210, 287, 318.

Mengozzi, 107.

Mercier de la Rivière, 275, 278.

r^Ierello, 107, 108.

Merenda, 167, 511.

Merivale, 346.

Messedaglia, .30, 54, 96, 08, 102, 103, 105, 501. 502, 503,504, 50G.

Mészaros, 46tJ.

Methorst, 436.

Melz-Noblat De^ 307.

Meunier (Francis > 165.

Meyer, 38, 135, 406, 433, 434. 528.

Mcyer (R.), 449, 535,

Miaskowski, 424, 453.

Michaelis, 421.

Michelini. 492.

Micskey, 463.

Milizia, 486.

Mill (James), 328, 533. 'Mill (Stuart), 2, 7, 15,24, 25, 51, 66, 76, 80, 89, 91, 93, 102, 316, 321, 322, .336, 338. 340, 341, .342, 343- 344, 345, 348, 350, .352, 354, 355, 356, 357, .358, 259, 366, .367, 368, 380, 391, 421, 4.37. 447. 448, 455, 467, 471, 472. 481, 483, 491, 495,' 532.

Milles, 216. 217.

Minelli, 511.

Mingard, 294.

Minghetti, 35, 40, 68, 497, 498.

Minorita (Paul;, 163.

Minto, 338.

Mirabeau. 266. 273, 278. 279.

Miraglia. 16, 5(X), 504,

Miro, 241.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

559

Mischlor. 429.

Misselden, 216, 218.

Mithofl", 424.

Modest.v. 177.

Molh, 22. 88, 45, 131. 148. 179. 490.

Molinari .le,, 35, 37-3. 375, 382. 360,

387, 488. Molster. 135. Moncada, 2. 12. Mone, 30. Mongredien, .334. Montaigne, 232. Montanari ;A), 173, 185, 257. 2.58,

506. Montanari (G.), 188, 258. Montchrétien, 70, 141, 206, 207. Monteii de), 400. Montemartini, 511. Montcs.iuiei],97,247. 254, 25G. 267, MoonueistrT, 4. Mora. 497. Morato Roma, 445. r\loreaii do Jonnrs. 4m1. Moroliet. 24S. 275, 217. Morclly. 513. Morena. 139. 232, 28G. Morgenticrne, 450. Morhof, 244. Morichini. 493. Morpurgo 498, 5rj0, 504; Morrisson. 346. Mortara, 505. Mortimer. 240. Morus. 176. 513. 521. Muser, 288. 310. Most. 529. Mouat, 364. Mugnai. 138. Miihlliausen, 457. Muiroa, 527. .Miilber.i;er, 529. Millier, clO, 414.

Mun. 141, 257, 218. 219. M un (de), 398. Munro, 349. Munster, 176. Miinzer, 176. Muratori, 182, 223. Muria\Yefl', 455. Mussafla, 164.

N '

Nagorny, 453.

Xapione, 242, 426.

Nardi, 174.

Nas?e, 192. 298, 405, 409, 413. 421,

424, 426. N a veau, 241. Naville, 402.

Nazzani 23, 61, 194. 501, 503. Neale, 294.

Nebenius, 406, 403. 409. Nckrassow, 453. Newcomb, 465, 481, 482. Negri, 286. Neison. 350. Neri, 153, 188, 2.32, 2;i3. 242, 243,

286. Neuman, 18. 76. 95. 411, 423. 12 i,

430.* Neumann-Spallart, 31, 429. Neurath, 298, 429, 448. Nevvmarch, 347, 349. Ncwsholme, .364. Newton, 187. Neymark, 225, 277, Nicholson. 24, 25, 89. 106, 331, 347,

370, 371. Nicolai, 487. Nicolini, 511. Niebuhr, 96, 415. Nieu\venhuis, 541. Nifo, 184. Nisco, 196.

500

INDEX DES AUTEURS CITES

Nitti, 542. Noble, 349. Norbis, lUS. Nordhofl", 477. Nordstrom, 451. No^vitzky, 458. No\vosselisky, 458. North, 2G1. Noyés, 477. Nuytz, 487.

Obrecht. 205.

Ochenkowski, 259, 453.

Ochoa 441.

Oczapowski, 452.

Oertmann. 153.

Oeltingen. 30, 458.

Ogilvie. 532, 5a3.

Olivares, 212.

OUveira (D') Marreca, 4i4.

Oliveira Martins, 445.

Oliver, 441.

Olivler-Feron, 539.

Olozaga y Bustamente. 441.

Olufsen. 447.

Ondes Reggio (Vito d'). 493.

Oncken (A.), Î30, 236, 247, 262, 297,

298. Oncken AV.), 150. Opdyke. 468. Oresme, 165. Orbinsky, 456. Orlando, 38. 155. Orlow. 456. <3rtes, 69. 182, 212, 287, 289. 294

295. Ortiz, 212. Ossa, 205. Ossokin, 455. Ostie (Henri d'), 168.

OU, 69, .394.

Overstone, 348.

Owen. 512. 520. 521. 525. 528. 5.37.

Paasche, 424.

Paepe De;. 541.

l^agano, 286.

Pagnini, 188.

Paillottet. 386.

Paine, 532.

Paley (Marie), 365.

Palgrave. .347, 349, .304. 372.

Pallavicino, 5<Xi.

Palmén, 45<J.

Palmeri (N.), 490.

Palmeri-Salazar, 48C.

Palmieri, 174, 296.

Palumbo, 164.

Pantaleoni. 102. 105,507.

Paoletti, '186.

Paolini, 2a3, 490.

Paradisi, 245, 285.

Pare, 350.

Pareto, 102, 103.

Parieu (De;. 45. 373, 378, 403.

Parisius, 421.

Parker, 318.

Parnell, 349.

Paruta, 177.

Pascoli, 218, 2.30, 241.

Pasini, 497.

Pasnikow, 456.

Passy (Frédéric), 373, 382, 386.

Passy (Hypolyte, 401.

Pastor (L.-M.), 442.

Pastor y Rodriguez, 441,

PatlaetTsky, 457.

Patrizii, 173.

Patten, 106, 328, 435, 465. 479, 48

481. Pattcrson, 199.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

561

Paul, 152. Pauli, 205. Pecchio, 68, 135, !38, 192,292.

Pederzini, 497.

Peel, 321, a34, 836, 348.

Peez, 429.

Peisse, 340.

Pena y Aguayo, 441.

Penrose, 476.

Penot, 403.

Pereira, 222.

Pereira Foriaz, 444.

Perez, 493.

Perez Molina, 441.

Péri, 167.

Périn, 373, 389. 396, 398.

Pernambuc, 443.

Perni, 497.

Perozzo, 30.

Perry, 132, 470, 471.

Pescatore, 500.

Petersen (G.). 448.

Petersen-Studnitz, 446.

Petitti, 183, 493.

Petrarca, 164. Peto, 349. Petroni, 196.

Petty, 141, 186, 240, 252, 25i. 256. 258, 265, 270.

Philippe d'Orléans, 200.

Philippi, 209.

Pliilippovich. 33, 54. 84, 199, 433,

434. Philipps, 467. Platon. 513. Play lair, 300. Plener, 429, 53:3. Picard. 401. Piccolomiui, 196, 197. Pickford. 2, 7. Pidgin, 476. Piemonte, 247.

Pie VI, 23U.

Piernas yHurtado, 442.

Pierre le Grand, 224.

Pierson. 24, 1.32, 138, 193, 220. 242, 28i, 294. 388. 438, 439.

Pierstofl", 424.

Pigeonneau, 14. 401.

Pinna-Ferra, 511.

Pinheiro Ferrara, 444.

Pinto, 240.

Piola. 511.

Piperno, 507.

Piret, 402.

Pitt, 224.

Pizzamaglio, 511.

Platon, 147, 148, 176, 187.

Playfair, 300.

Plener, 429, 532.

Pline, 151.

Poirson, 401.

Polhmann, 148. 260.

Pollexfen, 219.

Poli, 491.

Pombal, 444. Ponsiglioni, 505. Pontano, 172, 173. Pontoppidan, 446.

Posnett. 95, 96.

Possoschkow. 453.

Postletiiwayt. 266.

Potter, 200, 468.

Poullain,186.

Po\vnall,309.

Pozl, 38.

Pratisuoli, 187.

Pratt, 350.

Predaval, 486.

Prentice. 334.

Pries, 240, 335, 349, 35L

Price Bonamy, 55. 199.

Probyn, 349.

Prochownik. 519,

36

562

INDEX DES AUTEURS CITES

Proudhon, 384. 523. oiT, 628. 52?.

537. 538. Prouteaux. j2. Puflendorf. 258. 263. 279. Pulssky. -iCO. Pusstai. 460. Putlitz. 529. Puviani, 510. Puynode. 'Du), 297.310.

Q

Quack, 436.

Quesnay, 2, 139, 141, 253, 265, 266. 270, 272, 273, 275, 276, 279, 280, 281. 282, 283, 284, 286, 288, 297, 300, .302, 306, 327.

Quételet, 30, 401.

Quincey (De), 322.

Rabbeno. 501, 510.

Rabenius, 446, 451.

Racchetti, 486.

Racioppi, 250. 500.

Rae, 342. 467.

Rae (Jolin), 475. 515.

Ragosin, 455.

Raguet, 475.

Rahola, 171.

Raleigh, 217.

Rambaud, 374.

Rambert, 380.

Rameri, 499, 511.

Ram irez, 441,

Raseri, 511.

Ralzinger. 3%.

Rau, 19. 23, 25, 132, 145, 242, 407,

408, 444, 447, 536. Rava, 206, 2.37, 511. Rave, 542. Rawson, 350. 364. Raymond, 466.

Rebello da Silva, 444.

Reclus. 529.

Rees (Van). 137. 234, 235. 436.

Reid. 30(J.

Reimarus. 209.

Reitzenstein, 424.

Rembowski, 453.

Renaud, 527.

Renault, 41.

Renouvier, 35, 492.

Rentzsch, 421.

Rerolle, 402.

Ressi, 488.

Restelli, 493.

Reybaud, 378. 389, 512, 515.

Reymond. 68. 495, 496.

Ribbe, 395, 396.

Ricardo, 2, 15,18, 80, 100, 134, 135. 315, 316. 318, 320, 321, 322, 323, 324. 325, 326, 327, 328, 333. 335. 336, 340, 341, 342, 343. 348. 354, 356, 358, 361, 362, 364, 375' 377, 385, 387, .393, 409, 423, 426. 434, 436, 437, 4.38, 443, 447, 455, 458, 467, 468, 469, 474, 483, 489' 491, 494. 508,531, 539.

Ricca-Salcrno, 21, 139, 172,173,238. 2.39, 242, 259, 296, 298, 506, 534.

Ricci (L.), 182. 183.

Ricci, 222, 490.

Richelieu, 190.

Richelot, 374.

Rickards. 337.

Richter, 421.

Ridoifi (A.). 486.

Ridom(G \ 490. SCO.

Riedel. 23, 407.

Ring, 448.

Ritchie. 150. 364.

Rivet, 40.

Rizzari. 497.

Robert. 217.

INDEX DES AUTEURS CITES

503

^

Robert (Gh.), 403.

Robin, 530.

Rocca (De). 458.

Rocchi (De), 493, 499.

Rocco, 196.

Rodbertus, 521, 531. 534, 5:35.

Rodrigues. 524.

Rodriguez. 442.

Rodriguez de Brito, 443. 444.

Rodrigues de Freitas, 445.

Rogers, 28, 154, 199, 301, 3.37.

362, 364. Romagnosi, 12, .30.40, 138. 488.

491, 494. Romanelli, 511. Rondelet, 35. Rooy (De), 135. Roscher, 23, 45, 95, 9G, 98. 99.

130. 1:33, 135, 1.37, 145. 15^,

172, 186, 205, 214, 2:38. 244,

261, 285, 288, 297, 309. 354,

414, 415, 417, 423. 426, 428.

534, 535. Roschussen, 438. Rose. 475. Rosellis (De), 169. Rossi(-\.), 508. Rossi (E.), 508. Rossi (G.), 511. Rossi (P.), 24, 40, 65. 75, 102,

294, 374, 376, 377, 378, 491,

495, 496. Rossier, 298. 299, 408, 424. Rouiliet, 403. ■Rousseau, 112. 118. 279. 313.

516.

Rousseau (Le), 403. Roy, 539. Rotteck, 407. Rovere (Délia), 487, Rozy, 374. Rubieri, 500.

536.

349.

490,

100, 165, 246. 406. 461,

129, 494,

51c

Rubin, 448. Ruhland. 533. Rukowsky, 457. Rûmelin, 23, 30. 406. 416. Rupprecht, 289. Rusconi. 496. Ruskin, .350. Russell, a34.

Sablowski-Desatouwski, 455. Sacchi, 491. Sagredo, 235. Sainte-Beuve, 529. Saint-Chamans, 309. Saint-Péravy, 274. Saint-Pierre, 241. Saint-Simon, 3-39. 523, 528. Salandra, 508. Salfi, 192. Salmour, 497. Salvatore, 499. Salvioli, 185. Salvioni. 148.511. Samter, 423. 533. Sanfllippo, 491. Sanfilippo, 488. Sanromà, 441, 442. Santamaria de Paredes, 441. Santangelo Spoto, 511. Santillan, 442.

Santis (De), 193, 194. 195. 213. Sanz y Escartin, 442. Sappetti, 223.

Saralegui y Médina De', 443. Sarchiani, 235. 286. Sargant, 337, 521. Sartori, 511. Sartorius, 311, 312. Sa'ssetti, 260. Sato. 476. Saumaise. 177.

564

INDEX DES AUTEURS CITES

Savarese. 493.

Savigny, 41. 96, 415.

Savonarole, 171.

Say (J. B), 22. 23, 24, 57, 69. 73.

132, 248, 277, 292, 314, 315, 317,

319, 320, 321, 322, 325. 328, 339,

374, 377, 378, 383, 384. 393, 411,

444, 447, 455, 468, 486, 488, 489,

495. Say (H.^ 319.

Say (Léon), 348, 373. 375, 380. 403. Say (Louis), 309. Sayer, 349. Sax, 11, 18, 21, 41. 43, 58. 430. 431,

507, 508. Sbarbaro, 500. Sbroiavacca, 511. Scaccia. 167. Scarabelli. 505- Scarpelli. 486. Soaruffi, 141, 187. Schadwell, 24, 58, 114. 132, 338. Schàifle, 11, 60, 406. 409. 411, 412.

419, 420. 422. 423. 425. 532. 533.

534. Schalk (von der. 436. Scharling. 446, 448. Schanz, 214, 424. Schaw-Lefèvre, 346. Scheel, 132. 135, 152, 153. 277. 407.

423, 424, 516. Schelle, 236, 272, 274. ScheJling, 536. Schiattarella, 96. 510. Schlettwein. 285. Schloss. 350. Schlosser, 285. Schnialz, 284. Schmidt. 294. Schmitthenner. 414. Schmoller, 98, 99, 172. 4U6, 411.

418, 422. 475.

Schneider, 421.

Schober, 428.

Sclion. 414.

Schonberg. 19, 23. 61, 411. 414,

424. 426, 428. 508. Schraut. 424. Schroder, 221, 234. Schullern, 432. 433. 434. SchuUern - Schrattenhofen. 501 . Schulze-Delitsh, 421, 531. Scliumacher, 410. Schûz, 23, 408. Schwab, 476. Schwaschenko, 457. Schweigaard, 449. Schyite, 447.

Scialoja, 36, 68, 490. 491. 494.

497. 498. Scola, 296. Scopoli, 496. Scottoni, 286. Scratchley. 350. Scrofani. 286. Scudder, 475. Scuderi. 485, 488, 489. Seckendorff, 221, 234. 238. Secrétan, 392. Segni, 174, 209. Seidler, 434. Seligman. 479, 481. Sella, 499. Sénèque, 151. Senior, 2, 7, 24. 75, 85. 113, 336.

337, 491. 494. Serafini, 486. Ser Cambi, 205. Sergio. 245, 486. Serra, 141, 191. 192, 193. 194. 195.

196, 206, 213. Serres (De;. 207. Serzedello. 445. Settembrini. 242.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

565

Setti, 183.

Sévin, 40.

Seyd, 347.

Shakspeare, 191.

Schaw, 477.

Shea, 466.

Sherman, 464.

Sidgwick, 2, 24, 25, 34. 45, 61, 72, 84, 90, 114, 303, .369, .370.

Sidney, 500.

Sieber, 456, 458.

Sigwart, 83.

Silio. 101, 291.

Silva (Da), 443.

Silveira Pinto, 444, 445.

Simon, 461.

Simon (J.), 402.

Simoni (De), 486.

Simpson, 467.

Sinclair, 348.

Sinigagiia, 179.

Sismondi, 70, 133, 185, 318, .373^ 389,392,393,414,447,455.

Sivers, 277, 286.

Skalkowski, 456.

Skarbek, 452.

Skarzynsky, 230, 268, 298, 453.

Skogman, 451.

Skrebitzky, 456.

Smart, 364, 432. >- Smith, 2, 15. 70, 79, 100, 128. 133, 139, 14J, 211. 218, 236, 248, 249 253, 264, 265, 266, 268, 275, 279, 282. 288, 299. 300, 302, 303, 304, 305, 307, 310, 311, 317, 322, .324, 325, 333, 335, 342, 346. 355. 364. 384. 393, 424, 426, 437. 443. 447. 450, 455, 467, 468, 486, 489, 494. 539. Smith (L.), 402. Smith (Mayo), 479. 481. Smith (Peshine), 470.

Smith (Prince), 420.

Smith (Samuel), 475.

Socrate, 146.

Soden, 312, 411.

Sodoffsky, 457.

Soetbeer, 188. 406. 421.

Sokalsky. 458.

Sokolowsky, 458.

Sola. 185.

Soldraczinsky, 453.

Sonnenfels, 179. 247, 251. 252. 254, 459.

Sonnino (G.), 500.

Sonnino ^P.), 500.

Sonnleithner, 198.

Soresina, 196, 197.

Soro-Delitala, 511.

Soto, 170.

Sousa Brandao (De). 445.

Sparks, 466.

Spencer, 49, 54, 61, 368, 369, 387. 436, 505, 533.

Spittler, 415.

Springer, 285.

Srànyi, 460.

Stafford. 141. 191, 217.

Stammhammer. 515.

Stawisky, 453.

Stebbin, 476.

Stein, 22, 45, 146, 205. 311, 406, 413,

414. Steinbrenner, 422. Stepanow, 453. Steuart, 70, 182, 247. 248. 249. 2 5

254. 269, 288, 303. 437. Stephen, 346. Stengel, 38,

Stewart (Dugald), 254. 299. Stirling, 337. Stivanello, 511. Stolp. 533. Stopel, 297. 519.

583

INDEX DES AUTEURS CITÉS

Storch. 318, 319. 383. 444.

Story, 465.

Stourm, 403.

Strassbûrger, 539.

Stringher, 511.

Strojnowski, 285.

Stongoli, 250.

Struensee, 447.

Stuart (Cohen), 102. 436.

Stuart (Montgomery), 286.

Stubbs, 350.

Struzzi, 260.

Sturtewant, 470, 471.

Subbotin, 457.

Sullivan,. 350.

Sully, 207.

Summenhart de Calw. 166.

Sumner Maine, 462, 463, 465. 481.

Supino, 76, 139, 177, 505.

Supinsky, 452.

Siissmilch, 180, 252.

Syme, .355, 370.

Széchenyi, 459, 460.

Szokolay, 461.

Tackeray, 533. Taine, 400. Talamo, 146. Tamassia, 486. Tammeo, 511. Tangorra, 511. Tapia, 209. Tarassow, 457. Targioni, 487. Tasman, 436. Taussig, 481. Tavanti, 286. Tayler, 349. Taylor, 350, 410. Tchaslawski, 4' 6. Tedeschi-Amalo. 40i

Tedder. 326.

Temple. 220, 221, 249.

Tengoborski, 453.

Tenzel. 238.

Terrasson, 277.

Tesauro, 185.

Théodore, 451.

Thierry, 400, 523,

Thiers, 200, 530.

Thomas, 519.

Thomasius, 238, 244.

Thompson (Ellis), 132. 470.

Thompson, (W.), 521.

Thonissen, 515.

Thorner, 456, 457, 458.

Thornton, 342, 345, .351, 352, 354.

Thucydide, 145.

Thûnen, 2, 15, 89, 100. 337, 406,

409, 410, 423, Tirimasew, 456. Tissot, 277.

Thomas d'Aquin, 161, 162. Todde, 495, 496, 505. Todeschi, 250. Toledano, 441. Tolomei, 233. Tolstoi, 455. Toniolo, 172, 174, 505. Tooke, 347, 348, 378, 425. Torrens, 334, 348. Torri, 236. Torrigiani, 495, 505. Tortora, 196, 500. Tourdonnet, 402. Townsend, 182, 300. Toynbee, 351, 353. 354. Tracy, 444. Transon, 527.

Travers-Twiss, 132, 133. 141. 192. Tréfort, 460. Trevisan, 197, 198. Trinchera, 132, 496.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

567

Trinci. 490. Tretjakow, 453. Trirogow, 450. Trombert, 422. Trylow, 456 , Tsehiviiew, 454. Tschuprow, 457, 458. Turbolo, 188. 213. Tucker, 235, 268, 318. Turgot, 2, 24, 235, 236. 268. 269, ^ 274, 275, 276, 278, 279, 280, 281,

289, 293, 297, 300, 302, 306, 310,

455. Turguenew. 454. Turri, 167. Tuttle, 480. Tydeman, 152, 153.

U

Ugoni, 291, 294.

UUoa, 221, 222, 247, 249.

Umantz, 458.

Umpfenbach, 408, 413, 414.

Unger, 209.

Ure, 346.

Ustariz, 221, 222, 247, 249.

Uzzano, 174, 209.

V

Vadalà-Papale, 511. Valclespino, 442. Valenti, 492, 507. Valeriani, 40, 294, 485. Valle Santoro, 440. Valleroux, 233. Vanderlint. 258, 259. 281. Vanni, 61. Vanno, 510. Varchi, 17't. Varron, 152. Vasco, 188, 230. ^ Vauban. 229,231. 241. 242. Ventignano (duc de), 493.

Yenturi, 250. Venusti, 159. Verdeil, 44. 402. Vergani, 296. Verger, 217.

Vernadsky, 135. 138. 454. Véron, 403.

Verri (A.), 188.

Verri (P.), 70, 100, 188, 235, 289. 291 ,

292, 293, 294. Verrijn-Stuart. 436. 5.39. Vethake,468. Vidari, 41. Vignes, 403. Villani, 174. Villari, 175. 511. Villeneuve-Bargemont, 132, 133,

141. Villermé, 394, Villetard, 401. Villey, 24, 374. Villiaumé, 394. Vincent, 235. Viola, 490, Virgilii, 31. Virgilio, 500. Vissering, 436.

Viti (De) De Marco, 193, 195, 508. Vivante, 41. Vives, 176. Vivien, 38. Vivorio, 236. Vocke, 424. Voltaire, Vroil (De), 236. Vuitry, 403.

W

Wagner, U, 19, 30, 327, 404, 406, 409, 412. 413. 4U, 416, 4?3, 425,

568

INDEX DES AUTEURS CITES

426, 427, 431. 432, 475, 482. 506, 528, L35, 537, 538. Waitz. 45,

WakePield. 3(X), 309, 342, .346. Walcknaër. 268.

Walcker, 3, 15. 23, 24, 113. 297. 366, 406, 458, 465, 472. 474, 480. 481. Wallace, 5:3. Walpole, 224, 239. Walras, 24, 101, 102, 103, 104, 105,

390, 391, 533. Wappaiis, 30. Wassilitchikow, 456. Wautrain-Cavagnari, 45, 46. Wayland, 468. Walthershausen. 475. Warschauer. 515. Warner, 477. Weber, 311. Webster, 463, 466. Week, 476.

Weeks, 484.

Weiss, 35, 36.

Weisz, 297.

Weithing, 520, 521, 522.

Wells, 464, 476.

Welz (de), 489.

Werekha. 456.

Wesembeck, 238.

West, 322.

Westergaard,30, 31. 448.

Whately, 2, 7, 70. 76. 114. 336.

Wheeler, 217.

Whewell. 101.

White. 465.476. 484.

Whittle. 350.

Wicksteed, 102, 364.

Whorthington, 476. Wicldrecht, 475. Wieser, 432. Willoughby, 476. Wilson, 301, 348, 349.

Winkelblech. 534, Kj5. Wilkens. 448. Wilson, .348, 456. 468, 470. Wirminghaus, 222. Wirth, 132, 422, 470. Wiskemann, 172. Wisniewski, 196. Wissering, 144. Witt (Jean de), 234. Wltte, 457. Wolff, 244, 263. WolkofF, 410, 458.

WoUemborg, 507.

Wolowski, 95, 185, 207, 378, 402.

Woolsey, 45, 477.

Wollf, 421, 424.

Wood. 480.

Worms, 374.

Wreden, 132, 446, 457. 458.

Wright (Caroll), 457.

Wundt, 83.

Wynnard, 364.

Wyss. 421.

Xénophon, 147. 148, 151. Y

Yermoiow, 456. Young. 477. Y'vernès, 401.

Zachariffi, 407. Zaleski. 452, 458. Zanardelli. 497. Zannini. 497.

non. 246, 250, 511. Zammarano, 51t. Zechanowsky, 455, 457. Zecchi, 181, 197, 8.

INDEX DES AUTEURS GITES

569

Zeller. 149. Zennari. 493. Zobi, 286. Zorli. 507. 508. 510.

Zeyss, 298. Zuccolo, 181,231, 286. Zuckerkandl. 257, 432. Zwingle, 189.

TABLE DES MATIERES

Pages

Préface i

Notions préliminaires 1

Bibliographie de la propédeutiquo économique 7

PREMIÈRE PARTIE. Théorie.

Chapitre I. Objet et limites de l'économie politique .... 11

Chapitre II. Divisions de l'économie politique 17

Chapitre III. Rapports de l'économie politique et des

autres sciences 26

§ 1. L'histoire économique 26

§ 2. Statistique économique 28

§ 3. Morale économique 31

§ 4. Droit économique 36

§ 5. Economie privée 41

g 6. Disciplines auxiliaires 42

A. Psychologie 43

B. Technologie 43

C. Politique 44

Chapitre IV. Caractères de l'économie politique 47

§ 1. Caractères de la science 47

§ 2. Caractères de l'économie sociale 54

§ 3. Caractères de la politique économique 62

Chapitre V. Dénominations et définitions de l'économie

politique 67

§ 1. Dénominations 67

§ 2. Définitions 71

Chapitre VI. Des méthodes dans l'économie politique ... 77

§ 1. Des méthodes scientifiques en général 80

g 2. Des méthodes dans l'économie politique 83

§ 3. La méthode historique 95

§ 4. La méthode mathématique 101

Chapitre VII. Importance de l'économie politique 106

Chapitre VIII. Réponse à quelques objections 114

572 TABLE

DEUXIÈME PARTIE. Histoire.

Pages

Chapitre I. L'histoire de l'économie politique 127

Chapitre II. L'époque fragmentaire 141

§ 1. L'économie politique dans l'antiquité 142

A. Orient 143

B. Grèce 144

C. Rome 151

§ 2. L'économie politique des scolastiques 153

A. xiir siècle 162

B. xive siècle 163

C. XV' siècle 166

D. xvi" siècle et xvii* siècle 167

§ 3. L'économie politique des Humanistes 171

A. XV' siècle 172

B. XVI' siècle 174

C. Les utopistes du xvi» et du xviic siècle 175

D. La légitimité de l'intérêt '. 177

Chapitre III. Les monographies 179

§ 1. La population et l'assistance 180

§ 2. La monnaie 183

§ 3. L'enchérissement des prix 189

§ 4. Les paiements internationaux 192

§ 5. Les banques de dépôt et de circulation 196

Chapitre IV. Les systèmes empiriques 203

§ 1. Le système annonaire 207

Jk § 2. Le système mercantile 209

A. La prohibition de l'exportation de la monnaie. 212

B. La balance des contrats 213

C. La balance du commerce 217

Chapitre "V. La réaction libérale et l'éclectisme 227

§ 1. Le protectionnisme agraire 227

g 2. La liberté industrielle 233

§ 3. Les théories et les réformes financières 237

§ 4. Chaires, journaux, académies 243

§ 5. L'éclectisme bureaucratique et l'éclectisme de la

chaire 247

Chapitre VI. Les précurseurs de la science 253

§ 1. La production et la distribution 254

§ 2. La valeur et l'impôt 257

§ 3. La liberté absolue du commerce 259

§ 4. L'école écossaise 262

§ 5. Les précurseurs immédiats 265

Chapitre VII. Le système physiocratique 271

§ 1. L'école de Quesnay 272

TABLE 573

Pages

§ 2. Turgot 276

§ 3. Les bases du système 279

§ 4. La Physiocratie à l'étranger 284

§ 5. Les critiques de la Physiocratie 287

§ 6. Galiani, Beccaria, Verri, Ortes 290

Chapitre VIIL Adam Smith et ses successeurs immédiats. 297

g 1. La vie et les travaux de Smith 298

§ 2. La richesse des nations. . 301

§ 3. Adversaires, disciples et critiques 308

§ 4. Malthus et le principe de population 313

§ 5. J.-B. Say et la théorie des débouchés 316

§ /î. Ricardo et la théorie de la distribution 320

Chapitre IX. L'économie politique en Angleterre .331

S 1. Ledéveloppement ultérieur de l'économie classique 335

§ 2. John Stuart Mill 338

§ 3. Les monographies 346

§ 4. Critiques et adversaires 350

§ 5. L'état actuel 361

Chapitre X. —L'économie politique en France 373

§ 1. L'école classique 376

§ 2. Les optimistes 382

§ 3. Les écoles dissidentes 389

§ 4. Les monographies 400

Chapitre XL L'économie politique en Allemagne 404

§ 1. L'école classique 407

S 2. L'école historique et ses dérivations 414

§ 3. Économistes libéraux et socialistes de la chaire. . 420

Chapitre XII. L'économie politique en Autriche, dans les

Pays-Bas, en Espagne et en Portugal 429

§ 1. L'école austro-allemande 429

§ 2. L'économie politique dans les Pays-Bas 435

§ 3. L'économie politiq le en Espagne 439

S 4. L'économie politique dans le Portugal 443

Chapitre XIII. L'économie politique dans les pays Scandi- naves, slaves et magyars 446

g 1. Pays Scandinaves

A. Danemark 446

B. Norwège 449

C. Suède et Finlande 450

§ 2. Pays slaves

A. Pologne et Bohème 452

B. Russie 453

§ 3. Hongrie 459

Chapitre XIV. L'économie politique aux États-Unis. . . . 462

§ 1. L'école nationale et l'école cosmopolite 465

S 2. Optimisme restrictif et optimisme libéral 468

Oii TABLE

Pages

§ 3. L école classique 471

§ 4. Henri George 473

§ 5. Les monographies 475

§ 6. L'état actuel 477

Chapitre XV. L'économie politique en Italie 485

§ 1. De 1800 à 18U 485

§ 2. De 1815 à 1830 487

§ 8. De 1831 1848 490

§ 4. De 1849 à 1861 494

§ 5. De 1862 à 1871 498

§ 6. L'état actuel 501

Chapitre XVI. Le socialisme théorique contemporain. . . 512

§ 1. Le communisme 516

§ 2, Le socialisme proprement dit 522

§ 3. Le collectivisme 532

Index des auteurs cités 543

(Traduit par Alfred BONNET).

i.V

]tAô,

Beauvais. linpr. rroressionnelle, i, rue Mcolas-Godin

Bibliothèques

Université d'Ottawa

Echéance

Libraries University of Ottâ Date Due

PIETES

2 ^ DEC. m\ MORfSSET

1^ M. mi

^u

wm iiiii

f^'m 00>^.&i280b

l