LES PEINTRES CÉLÈBRES

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NOV 2 7 1974

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CHAPITRE I.

Hubert & Jean VAN EYCK

"Dassenge aîné (i) écrivait dans la Gazette de Liège, du 10 ventôse an 13 (l" mars 1805), au lendemain de la mort du peintre Léonard Defrance :

(1 N'oublions jamais que notre patrie est celle de Lombard, Douffet, Bertholet, Carlier, Lairesse. dont les immortels travaux sont placés dans le premier des musées du monde, à côté de ceux des Rubens. des Raphaël, des Michel-Ange : que ce van Eick, dont le génie opéra une révolution si marquante dans la peinture, puisque c'est à lui qu'est l'art de peindre à l'huile, que ce van Eick, connu sous le nom de Jean de Bruges, parce qu'il résida dans cette ville, est parmi nous, était Liégeois. »

Liégeois, en effet, sont les deux artistes de génie que furent

Hubert et Jean van Eyck, et non seulement ils découvrirent le

procédé de la peinture à l'huile, mais ils fondirent cette splendide

école du XV siècle, dont Bruges devint le centre et qui devait

porter si haut la gloire de la peinture flamande.

(!) Jean-Nicolas Bassenge aîné, à Liège, le 24 novembre 1758, honore à la fois le pays comme littérateur et comme citoyen. Ce fut, en partie, aux écrits de cet homme remarquable que Liège dut. en 1789, son émancipation politique. Afin de reconnaître les services qu'il avait rendus, le gouvernement français le notTîma commissaire de la République près l'admi- nistration centrale du département de l'Ourthe, et ses concitoyens l'élurent, en 1798, membre du Conseil des Cinq-Cents. Il mourut le 16 juillet 1811. bibliothécaire de la ville de Liège. Ulysse Capitaine. Recherches histo- riques et bibliographiques sur les journaux et les écrits périod'ques liégeois, p. 118.

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Mi-eseyck. ou Eyck-sur-Meuse, est le berceau de leur famille.

Cette petite ville, située sur la rive gauche de la Meuse, entre Maastricht et Ruremonde, connue anciennement, désignée encore en maintes chartes du moyen âge, sous la simple déno- mination de Eyck, faisait, en effet, partie de la principauté de Liège.

Selon l'usage de l'époque, la famille des deux artistes prit le nom de son lieu d'origine.

Quelques auiteurs ont essayé de placer le beroeau des van Eyck ailleurs qu'à Maeseyck; les uns, à Gand, ils ont exécuté leur œuvre capitale: le polyptique de V Agneau mystique-, les autres, à Bruges, arguant de ce que les noms de van den Eyck, van der Eck, etc., étaient fréquents, en cette ville, au XV' siècle.

Dans la chronique mensueMe de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège: Leodium 1906, pp. 152-159, M. l'abbé Coenen, groupant les différentes preuves qui peuvent ê-tre invo- quées en faveur de Maeseyck, comme lieu d'origine de la famille van Eyck, a démontré péremptoirement que les préitentions des deux villes des Flandres ne sont nullement fondées.

On ne connaît pas, au juste, la date de naissance des deux frères van Eyck.

Hubert, de beaucoup plus âgé que son frère Jean, serait vers 1366, d'après Karl van Mander, peintre et critique d'art flamand, qui écrivait à la fin du XVI' siècle (i)-

(1) Karl van Mander, à Meulebeke, près de Courtrai. en 1548, mort à Amsterdam, en 1606. Vies des plus célèbres peintres modernes italiens, flamands et allemands, depuis 7366' jusqu'en 1604, ouvrage traduit en français par Henri Hymans, sous le titre de Livre des peintres. 1884.

Jean, ainsi que nous le verrons, était franc-maître et avait deux apprentis, en 1422; or, pour être reçu franc-maître, dans les anciennes coiporalions de métiers de la région, il était requis d'avoir trente ans au moins; donc le plus jeune des frères van Eyck doit être né, au plus tard, en 1392 et, selon toutes proba- bilités, ce fut quelques années après cette date qu'il vit le jour.

Toutes les recherches n'ont pas davantage fait découvrir sous quels maîtres se formèrent les deux grands artistes. Du reste, les peintures liégeoises de la période qui précéda immé- diatement les van Eyck ne sont guère parvenues jusqu'à nous et les écrits de ces temps reculés mentionnent, à peine, quelques noms d'artistes contemporains.

On a bien dit et répété que leur père était lui-même peintre, mais cette assertion ne repose absolument sur aucun document précis; tandis qu'il paraît tout naturel que Jean, ainsi qu'on l'admet généralement, ait appris les principes de son art sous la direction et l'influence de son frère aîné Hubert.

C'est, vraisemblablement, à Liège, en cette ville épiscopale alors dans toute sa splendeur, que se développèrent les frères van Eyck, au milieu du monde de scribes, d'enlumineurs, de miniaturis-tes et d'orfèvres qui entouraient le puissant et riche chapitre de Saint-Lambert.

K On ne peut admettre, fait justement observer M. Alfred Michiels, que Hubert ait achevé son noviciat, ait débuté comme artiste au milieu d'une population aussi restreinte et ofîrant aussi peu de ressources que celle de Maeseyck.

D'après l'usage universel de l'époque, tout homme qui e.xerçaif un métier, se faisait recevoir dans une corporation industrielle ; non seulement les jurandes et maîtrises protégeaient leurs associés, mais elles ne permettaient point qu'on leur fît concurrence, et interdisaient tout travail libre. Si quelque ouvrier, si quelque artiste voulait se passer de leur tutelle, produire à l'écart, elles le poursuivaient, faisaient saisir d'autorité ses ouvrages, et les vendaient publiquement à leur profit.

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Hubert van Eyck, ne fût-ce que pour gagner sa vie, dut se conformer aux habitudes de l'époque. Mais, selon toute vraisem- blance, Maeseyck ne renfermait point de ghilde, les peintres auraient pu être reçus. Il ne pouvait trouver une compagnie ce genre qu'à Maestricht ou à Liège, et la métropole ecclésias- tique, formant alors une ville considérable, pleine de commerce, d'industrie, de luxe et d'activité, la logique porte à croire que le jeune Hubert van Eyck entra dans une corporation lié- geoise {!)• "

11 paraît avéré, au surplus, que les deux artistes ont cultivé, avec la même supériorité que la peinture à l'huile, la miniature et les vignettes pour livres à " ymaiges peintes ou historiées » qui constituaient, avant l'invention de l'imprimerie, une des res- sources les plus importantes, sinon la plus importante de leur profession.

M. Heris. qui a minutieusement étudié la participation des deux van Eyck à l'illustration des manuscrits de leur époque, retrouve, tout d'abord, leur intervention dans la coniection du célèbre bréviaire du duc de Belford, conservé à la Bibliothèque de Paris.

La plupart des vignettes de ce précieux volume, exécuté en Belgique, et dont l'achèvement remonte à l'an 1424, portent tellement le cachet particulier des frères van Eyck, dit cet auteur, elles ont une si frappante affinité avec le grand rétable de Gand, qu'il est impossible de ne pas y reconnaître ces pinceaux illustres (2).

(1) Alfred Michiels. Histoire de la peinture flamande. Seconde édition. Paris 1866. Lacroix, Verboeckhoven et C', éditeurs, t. II, p. 95.

(2) M. Heris. Mémoire en réponse à la question suivante : Quel est le point de départ et quel a été le caractère de l'Ecole flamande de peinture sous le règne des ducs de Bourgogne? Quelles sont les causes de sa splen- deur et de sa décadence? Alémoire couronné par l'Académie royale de Belgique, le 22 septembre 1855. Mémoires des prix de l'Académie, tome XXVn, p. 187.

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La même bibliothèque possède une transcription manuscrite du roman de la Table ronde et, en tête de chacun des deux volumes, in-folio qu'elle comprend, on remarque une grand; vignette qui, par la composition et par le costume des person- nages, a une si frappante analogie avec les volets des juges équitables et des milices du Christ du rétable de Gand, qu'il est presque impossible, dit encore cet auteur, d'y méconnaître le pinceau de Jean van Eyck.

Enfin. M. Héris attribue à Jean van Eyck plusieurs des miniatures qui, au nombre de dix-sept, ornent le célèbre manus- crit in-folio de la bibliothèque impériale de Vienne contenant l'histoire des rois de Jérusalem, depuis Godefroid de Bouillon jusqu'à Jean de Brienne, et dont l'exécution doit être reportée entre les années 1430 et 1450.

Peut-on supposer que les frères van Eyck auraient exercé leur profession d'enlumineur dans un aussi petit centre que Maeseyck ?

M. Héris ne le croit pas et il déclare que k la conjecture la plus plausible à laquelle on puisse recourir est que ce serait à I4ége, capitale de l'évêché le plus splendide et le plus opulent peut-être qu'il y eut en occident, que les frères van Eyck se signalèrent avant de figurer à la cour de Philippe le Bon. »

Le plus ancien document que nous possédons, concernant les van Eyck, a été publié par le comte de Laborde et il vient renforcer la croyance que c'est bien à Liège que les deux frères se formèrent tout d'abord. 11 résulte, en effet, de cette pièce, que Jean van Eyck fut attaché comme peintre et « valet de chambre » à la cour du prince-évêque Jean de Bavière, à qui la cruauté

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avec laquelle il réprima, en 1408. à la bataille d'Othée, le soulè- vement du peuple liégeois contre ses actes arbitraires, fit donner le surnom de Sans Pitié (i).

A la mort de ce prince, batailleur jusqu'à la fin de sa vis, Jean van Eyck, par lettres patentes, en due forme, du chef de la maison de Bourgogne : Philippe le Bon, « scellées et ordonnées en sa ville de Bruges le XIX' jour de may, l'an mil CCCCXXV », fut attaché, en la même qualité de peintre et de valet de chambre, à la cour de ce prince qui, jusqu'à la mort de l'artiste, survenue le 9 juillet 1441, le tint en très haute estime, le chargeant même, en diverses circonstances, de missions de confiance à l'étranger.

Peintre et valet de chambre du duc, Jean van Eyck recevait une pension annuelle de cent livres parisis (monnaie des Flandres), pension qui équivaudrait à environ mille francs de notre monnaie actuelle et pouvait être estimée très forte pour l'époque. En plus de ce traitement, le peintre obtenait encore une rémunération spéciale pour les travaux qu'il exécutait à la demande du prince, ainsi que l'attestent différents comptes de sa maison, publiés dans l'ouvrage de M. de Laborde.

La position de vakt de chambre, comme l'a établi cet auteur, n'avait, du reste, nul rapport avec l'office que cette quali- fication semblerait devoir indiquer; c'était une sorte de surin- tendance des ouvrages d'art exécutés soit pour la décoration du palais, soit pour la célébration des fêtes chevaleresques et autres dont la maison de Bourgogne aimait tant à prodiguer le spectacle.

(1) Le comte de Laborde : Les ducs de Bourgogne, Etude sur les lettres, les arts et l'industrie pendant le XV' siècle. Seconde partie t. I Preuves 699, pp. 206 et 499. Polain : Esquisses ou récits historiques sur l'ancien pays de Liège. édition, pp. 129 et suivantes.

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STATUES DE HUBERT ET JEAN VAN EYC'K groupe exécuté par L. Wienkr et érigé ii Maeseyck en septembre 1864

Il se comprend plus aisément, dès lors, que Philippe le Bon ait eu son peintre en si haute estime qu'il accepta, en 1434, d'être le parrain d'un de ses enfants, le faisant tenir sur les fonts de baptême, par le seigneur de Charny.

Un autre document, mis au jour par le même auteur, cons- titue aussi la preuve que Philippe le Bon voulut reporter sur la fille du peintre, après la mort de celui-ci, la faveur insigne dont il l'avait honoré de son vivant, fin 1448. en effet, il dota Hèlenie van Eyck, lorsqu'elle prit le voile, dans le monastère de Maeseyck, c'est-à-dire dans la ville même qui était le berceau de sa famille.

Ce document est conçu en ces termes :

(( A Lyennie (Hennie) van der Eecke, fille de Jehan van der Eecke, jadis poinctre, varlet de chambre de mondit seigneur, pour don que mondit seigneur lui a fait pour une foi", pour Dieu et aulmosne. pour soy aider a mettre religieuse en l'église et monastère de Mazek au pays de Liège: XXIIII francs. »

Sans nous arrêter, après beaucoup d'autres, à l'attribution minutieuse des travaux des deux frères van Eyck, pour essayer d'en faire, entre eux, une judicieuse répartition, nous dirons que trois faits importants sont à considérer dans leur oeuvre commune:

L'invention de la peinture à l'huile.

L'exécution du célèbre rétable de l'Agneau mystique.

La fondation de la première Ecole flamande.

Les anciens peintres connaissaient déjà les propriétés sicca- tives de certaines huiles qu'ils mélangeaient avec de la résine pour couvrir, en guise de vernis, et protéger leurs peintures en détrempe, donner aux couleurs de celles-ci du corps et de l'éclat.

Très longtemps, ils délayèrent les couleurs avec de l'eau, l'on avait fait dissoudre de la colle, de la gomme de cerisier ou de prunier, du blanc d'œuf, et si, dans les peintures italiennes,

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très solides, des XIII* et XIV siècles, l'analyse chimique a trouvé de la cire et de l'huile, cette dernière matière ne s'y rencontre encore qu'en très faible quantité.

L'emploi de l'huile pour mélanger les couleurs devait cepen- dant finir par l'emporter, sur la gomme et le blanc d'œuf, parce que l'huile s'incorpore mieux aux couleurs et d'une manière plus égale.

Mais l'application du procédé ne se prêtait guère à la fonte et à la dégradation des tons; son usage, dans les carnations, était, 'pour ainsi dire, impossible ; au surplus, il ne donnait aux couleurs, ni une vigueur ni un éclat suffisant; aussi, la peinture à l'huile n'était guère employée que pour la décoration des ban- nières, des murailles, des statues exposées en plein air et aux intempéries des saisons.

La plupart des historiens d'art font remonter aux environs de l'an 1410, si pas l'invention de la peinture à l'huile, par Hubert van Eyck, du moins les premiers perfectionnements que cet artiste apporta à un procédé, connu en partie, mais dont les difficultés d'utilisation n'avaient guère, jusque-là, permis l'emploi pour les ouvrages exigeant un certain fini.

L'honneur de cette importante découverte pour l'art, reviendrait donc d'abord à l'aîné des frères van Eyck; il est présumable, que Jean van Eyck contribua aussi à rendre, par Ja suite, plus parfaite encore, la méthode nouvelle.

M. Van Kirckoff, dans sa Notice sur l'Académie d'Anvers. produit un texte d'où il résulte, en effet, que Jean van Eyck montra, en 1420, à la confrérie de Saint-Luc, établie en cette ville, une tète peinte à l'huile qui fut fort admirée par la corporation des peintres anversois.

Dehaisnes déclare qu'après avoir étudié les documents, les récits des historiens et les tableaux qui nous restent du

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quatorzième et du quinzième siècle, il a acquis la conviction que Vasari s'est trompé, en attribuant à Hubert van Eyck l'inven- tion de la peinture à l'huile, mais qu'on ne peut refuser aux van Eyck la gloire d'avoir rendu un grand service au sujet du mélange des couleurs.

Il formule ainsi son opinion :

<( Durant plus d'un siècle avant les van Eyck, la peinture à riiuile a été en usage, non seulement pour des travaux décoratifs et exposés aux irj.tempéries de l'air, mais pour de véritables œuvres d'art, même pour des tableaux; c'est surtout dans les Pays-Bas, qu'on se servait de ce procédé. Toutefois, il était encore bien imparfait, puisque Melchior Broederlam, à la fin du quatorzième siècle, ne l'a employé, dans ses volets du rétable de Dijon, que pour les draperies et certains acces- soires et jamais pour les carnations.

Les van Eyck parvinrent à perfectionner ce mode de peindre, de manière à pouvoir s'en servir pour toutes les parties de leurs tableaux, même pour les têtes : et cette dernière circonstance explique les éloges que Jean van Eyck reçut, en 1420, de la confrérie de Saint-Luc d'Anvers. Et non seulement les van Eyck se servirent de la peinture à l'huile même pour les carnations, mais leurs tons et leurs coloris sont d'une solidité, d'une puis- sance et d'un éclat qui n'ont guère été dépassés par les plus grands artistes des siècles suivants. Pour arriver à ces résultats, ih avaient dîi apporter de sérieuses améliorations au procédé déjà en usage: et comme le dit très bien M. de Laborde, « l'im- portance des perfectionnements apportés par les van Dyck à cette manière de peindre fut confondue avec le retentissement produit par leurs chefs-d'œuvre ». Ces artistes sont donc les inventeurs, non pas de la peinture à l'huile, mais de la peinture à l'huile perfectionnée, ce que M. de Laborde a appelé la véritable peinture à l'huile (i)- »

(1) Histoire de l'Art dans la Flandre. l'Artois et le Hainaut, avant le XV* siècle, par M. le chanoine Dehaisnes, secrétaire-général des facultés catholiques de Lille, archiviste honoraire du département du Nord, prési- dent de la commission historique du même département. Lille, libr. Quarré. 1886, p. 570.

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L'œuvre immortelle par laquelle fut inaugurée la peinture à rtiuile, le chef-d'œuvre de l'Ecole flamande primitive, est certainement le célèbre rétable de V Agneau mystique.

Le biographe van Mander rapporte que les frères van Eyck, avant de s'adonner à la peinture à l'huile, produisirent un grand nombre d'ouvrages exécutés à la colle et au blanc d'œuf.

Aucun de leurs panneaux en ce genre n'est cependant parvenu jusqu'à nous. Il est vrai qu'ils ont pu, en majeure partie, disparaître dans l'incendie général dont la cité liégeoise fut la proie en 1468?

Au-dessous du tableau principal du rétable de Gand, celui de V Agneau, se trouvait encore, autrefois, un panneau exécuté à la colle et au blanc d'œuf, mais, avec le temps, la peinture s'est efïacée entièrement, tant elle était altérable.

Dans ces derniers temps, M. Maeterlinck, conservateur du musée de Gand, a émis l'idée que le rétable pourrait bien avoir été peint, en entier, à la détrempe, et que s'il a l'apparence et la durée d'une peinture à l'huile, c'est parce qu'il aurait été recouvert d'un enduit entrait une huile particulière et qui donnait de l'éclat à la peinture? (Voir l'Art Moderne, n°' des 13 août et 3 septembre 1911).

Cette supposiëon, toutefois, ne paraît guère admissible.

Le polyptique du rétable de Gand, qui devait à jamais illustrer le nom des van Eyck, a été commandé à l'aîné des deux frères, vers 1422, par Josse Vydt, seigneur de Pamèle, patri- cien ide Gand, et sa femme Isabelle Borlunt, fille de Jérôme, premier échevin, pour l'autel de leur chapelle de l'église Saint- Jean, aujourd'hui Saint-Bavon.

Cette même année, nous trouvons Hubert et Jean van Eyck établis à Gand, la gilde des peintres de cette ville les inscrivit sur les registres des maîtres dont elle se composait.

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La corporation des peintres gantois leur accorda la fran- chise de maîtrise, non à cause des preuves qu'ils avaient données de leur talent, mais en raison de l'afîection que la cité avait portée à Michelle, duchesse de Bourgogne, morte à Gand, le 8 juillet 1422, et qui avait professé une grande estime pour les deux artistes (i).

Le motif singulier, invoqué en cette circonstance pour justifier l'octroi de franchise aux frères van Eyck est de nature à faire croire que ceux-ci n'étaient guère connus encore par leurs travaux, tout au moins dans la ville ils venaient de s'établir en vue de réaliser île chef-d'œuvre auquel, tous deux, sont redevables de la majeure partie de leur gloire.

Hubert van Eyck consacra le reste de son existence à l'exé- cution du rétable de Gand et il mourut sans avoir pu l'achever. Son frère Jean fut chargé de continuer l'œuvre commencée, qui reçut le dernier coup de pinceau au printemps de l'année 1433.

Hubert van Eyck aura, vraisemblablement, laissé, sinon des cartons, au moins des dessins très poussés de cette grandiose composition et qui auront servi de guide à son frère Jean pour la terminer.

Exposée aux yeux du public, le 6 mai de la même année, cette vaste peinture excita l'admiration générale, une admiration qui devait se continuer à travers les siècles.

Comme les volets ne s'ouvraient qu'à certains jours solen- nels, alors, selon les expressions de van Mander, « Maîtres et disciples se pressaient autour du chef-d'œuvre, comme l'été, les mouches et les abeilles autour des corbeilles remplies de figues et de raisins ».

(I) Edmond de Buscher : Notice sur l'ancienne corporation des peintres et des sculpteurs à Gand, p. 34.

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Au milieu du XVI' siède, cent ans après la mort de Jean van Eyck, la réputation de cette peinture était si grande encore, dans l'Europe entière, que le roi d'Espagne, Philippe II, en fit faire une copie par Michel Coxie, le peintre malinois, élève de Raphaël, surnommé lui-même le Raphaël flamand.

Cette copie, payée plus de deux milJe ducats, fut transportée en Espagne et mutilée durant les guerres de Napoléon. Les musées de Berlin et de Munich en possèdent, aujourd'hui, plu- sieurs volets.

Quant à l'œuvre originale, après avoir échappé aux icono- clastes de la seconde moitié du XVI" siècle, elle devait aussi être démembrée.

Ayant été expédié à Paris, en 1794, le célèbre rétable rentra à Gand, lorsque eut lieu la restitution partielle de nos œuvres d'art par la France, en 1815; mais les panneaux du centre furent seuls réintégrés à leur ancienne place, dans la chapelle Vydt.

L'année suivante, six des huit volets étaient vendus par la fabrique de l'église Saint-Bavon, sans autorisation, subreptice- ment, peut-on dire, pour six mille francs, à un marchand de tableaux de Bruxelles, M. Van Nieuwenhuyse. qui les revendit, en 1818, avec quelques autres tableaux, pour cent mille francs, à un amateur anglais: M. Solly.

Ces volets sont, actuellement, au Musée de Berlin, qui les acheta, par la suite, toujours avec quelques autres tableaux d'importance secondaire, pour cent milJe thalers (410,900 fr.).

L'inscription latine que Jean van Eyck a mise, sur l'un de ces volets, en terminant le tableau, apparaît assez distincte- ment encore :

L'existence de cette inscription était complètement ignorée avant 1823, dit M. Coenen. Ce fut alors que le chanoine de Bast en trouva la copie dans un manuscrit du juriconsulte gantois: Christophe de Heurne.

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Le hasard voulut que Ton découvrit en même temps le texte onginal sur les volets de Berlin. Des traces de caractères ayqnt été constatées sous la couche verte qui couvrait les cadres, on se mit à enlever cette couleur et le texte fut ainsi révélé.

Cet auteur, qui s'est livré à une savante dissertation sur la reconstitution de l'inscription du rétable de l'Agneau mystique, la traduit comme suit :

Le peintre Hubert van Eyck, auquel personne n'a encore été trouvé supé- rieur, commença ce travail. Jean, son frère et son émule dans l'art, l'acheva à la prière de Judocus Vyd. Le 6 mai (de cette année 1433) vous met en face de l'œuvre peinte au verso.

Ce chronogramme indique la date du placement du rétable dans la chapelle Vydt (6 mai 1433) :

VersU seXta Mail Vos CoLLoCat aCta tUerl (i).

Les deux volets, sur lesquels sont représentés Adam et Eve,

avaient tout particulièrement provoqué l'admiration du cardinal

Luigi d'Arragona et de son secrétaire le chanoine italien Antonio

de Béatis. lorsqu'ils visitèrent, en août 1517. l'église Saint-Jean.

La relation de leur voyage, rédigée en 1521, par de Béatis le manuscrit original de ce journal de voyage est perdu, mais la Bibliothèque de Naples en conserve une copie ancienne témoigne de cette admiration, dans ce passage relatif à leur visite à " San Johanne » :

« Dans l'église majeure paroissiale qui est dite de Saint-Jean, très belle, et qui a un chœur surélevé et très grand. Et plus bas que le chœur, il y a un pourtour spacieux et beaucoup de chapelles à l'entour.

(1) Leodium 1907, pp. 54-59.

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A la main droite, il y a une chapelle se trouve un tableau dont les extrémités sont occupées par deux figures, à droite, Adam et, à gauche, Eve, de grandeur quasi naturelle et toute nue; elles sont peintes à l'huile, avec une telle perfection et un tel naturel, autant en ce qui concerne la proportion des membres que pour la carnation et le modelé, que, sans hésitation, on peut dire que cette peinture est le plus beau tableau de la chrétienté (i). »

« Les deux panneaux d'Adam et d'Eve, rapporte M. l'abbé Coenen, furent enlevés, en 1785, à la suite, dit-on, d'une remarque saugrenue de Joseph II sur la nudité de ces deux portraits. Ils restèrent au grenier de l'église jusqu'en 1861, quand le Gouvernement belge tn fit l'acquisition et les plaça au Musée de Bruxelles (2) . »

Ils ont été cédés, par la fabrique, au Gouvernement, pour la somme de 80,000 francs.

On ne voit plus, actuellement, à l'église même, que quatre des panneaux primitifs : trois supérieurs : Dieu le père, la Vierge, saint Jean-Baptiste et, en dessous, le grand tableau du centre du rétable: l'Adoration de l'agneau, qui a donné le nom à la composition entière.

Des copies, les unes du XVI', les autres du XIX° siècle, en partie avec des variantes, ont remplacé les volets détachés de l'œuvre originale.

C'est ainsi que les deux Saint-Jean, anciens patrons de l'église, les portraits du donateur et de la donatrice, sont rem- placés par les quatre évangélistes.

Les figures d'Adam et d'Eve, aux angles supérieurs, sont aussi vêtues dans les copies modernes!

(1) A.-J. Wauters. Hubert van Eyck. Revue de Belgique. Année 1909, p. 328.

(2) Leodium 1907, p. 54.

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Le tableau de l'Adoration de l'agneau immaculé, l'œuvre certainement la plus importante de la première école flamande, contient plus de trois cents figures et, comme fond, des paysages variés.

L'arrangement traditionnel et symétrique, jusqu'alors usité en peinture, y est encore observé, sans doute, mais le réalisme y fait aussi sa première et sensationnelle apparition.

Dans les têtes, on constate une diversité très grande et une individualité qui tient du portrait. C'est ce qui a fait dire à Van Mander que van Eyck donne, par le fait, tort à l'opinion de Pline, selon laquelle un artiste, lorsqu'il crée cent ou même un moindre nombre de figures, doit toujours, ou le plus souvent, en repro- duire quelques-unes qui sont exactement semblables, sans pou- voir en cela rivaliser avec la nature, l'on ne trouve pas deux visages entre mille se ressemblant complètement; car les trois cent trente têtes environ que l'on compte dans le tableau de l'Agneau diffèrent toutes les unes des autres.

Et les fonds d'or ont disparu, pour faire place au paysage.

Suivant les expressions d'André Van Hasselt, la forme humaine s'est assouplie, elle est devenue plus vivante, plus vraie. Ce n'est plus au milieu de ce ciel factice, l'or, qu'elle se tient immobile et qu'elle rayonne. Elle se meut et respire au milieu de la création elle-même, au milieu du monde.

Si Hubert van Eyck doit être considéré comme le fondateur de la belle école flamande du XV" siècle, Jean prit une part prépondérante au développement de celle-ci. Abandonnant com- plètement les traditions anciennes pour suivre la tendance réalists qu'il fortifia d'une manière éclatante, il acheva, peut-on dire, la création de son frère, inaugura entièrement un style nouve u en peinture.

Ainsi que le constate M. Héris, » Jean van Eyck rompit avec la symétrie, qui avait été la règle suprême des artistes

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antérieurs et que Hubert avait encore observée avec tant de rigidité; il tendit plus que jamais à l'individualisation des physio- nomies, et par là, il créa, en quelque sorte, le portrait; enfin, profitant des ressources nouvelles que la peinture à l'huile avait acquises, il renonça pour toujours aux fonds d'or, développa ses scènes dans le grand cadre de la nature, embellie de toutes les splendeurs de la lumière, de toute la magie du clair-obscur et de la perspective aérienne, et par là, il créa, en quelque manière, le paysage qui, on peut le dire, n'avait pas existé avant lui, d?ns sa réalité vivante, (i) »

Dans ses tableaux historiques, Jean van Eyck s'étudie parti- culièrement à animer le visage humain et à diversifier l'expression de ses personnages, selon le rôle qu'ils sont appelés à jouer dans la scène représentée. Il abandonne, pour la disposition des draperies, Je style grave et sévère qui avait prévalu dans l'^rt chrétien primitif et que l'on retrouve quelque peu encore chez son frère Hubert; il traite les étoffes et en dispose les plis d'après une étude exacte de la réalité, laissant, dans leur jeu et leur mouvement, presque deviner les formes du corps.

Les moindres détails, jusqu'aux moindres accessoires, très multipliés cependant dans ses tableaux, il les précise conscien- cieusement, parce qu'il considère que rien ne doit être négligé, ni trop sommairement rendu dans la représentation des objets de la nature.

Enfin, s'il affectionne généralement les grandes masses de lumière et d'ombre pour ses tableaux religieux; il sait aussi, surtout dans ses dernières productions, faire une application, sobre mais avec une entente parfaite, de la science du clair- obscur, particulièrement lorsqu'il peint des tableaux de genre.

(1) Héris, p. 140.

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Il n'est jusqu'au moyen de placer le principal personnage devant un miroir, de manière à ce qu'on le distingue parfaitement de face et de dos, qui n'ait été employé par cet artiste novateur, dans une de ses œuvres dont Facius, Vasari et d'autres écrivains des XV' et XVP siècles, parlent avec une sorte d'enthousiasme.

En quelques années, que de chemin parcouru, combien de progrès réalisés, quelle évolution accomplie dans l'art pictural!

Et que nous voilà loin du temps les peintres, sentant leur impuissance à exprimer clairement l'idée ou le sentiment que leurs tableaux devaient provoquer dans l'esprit du specta- teur, recouraient à l'intermédiaire factice des inscriptions tracées sur les phylactères qu'ils plaçaient entre les mains des person- nages, lorsqu'ils ne les faisaient point sortir de leur bouche.

Aussi, le nom des van Eyck retentit bientôt dans l'Europe entière, tandis que le procédé et le style nouveau qu'ils avaient introduits dans l'art de peindre, excitaient partout l'admiration.

L'éclosion de l'école des van Eyck fut donc prompte et spontanée.

On la désigna également sous le nom d'Ecole flamande ou d'Ecole de Bruges, parce que Jean, en l'an 1430, avait été s'établir dans cette ville qui, alors, une des plus importantes cités commerciales du monde, était devenue la résidence des ducs de Bourgogne.

Il est même constaté que Jean van Eyck, pour pouvoir prendre résidence à Bruges, dut payer la somme forte de douze livres, perçue de ceux qui étaient nés hors de la Flandre. Les autres ne payaient que trois livres.

De partout, on venait apprendre, à cette école, la technique de la peinture à l'huile; le peintre messinois, Antonello, se

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rendit un des premiers à Bruges, pour s'initier à la méthode des van Eyck, méthode qu'il transporta en Italie (i)-

Nombreux, du reste, sont les maîtres qui se formèrent sous la direction immédiate de Jean van Eyck ou sous l'influence des traditions laissées par les deux frères.

Nous mentionnerons sjîécialement, parmi les premiers, Rogier Van der Weyden, que Facius appelle: insignis pictor, peintre éminent, et Cyriaque d'Ancône: pictorum decus, gloire des peintres. II est l'auteur de la Cène conservée en l'église Saint- Pierre, à Louvain; mais des quatre volets qui se rattachaient autrefois à ce tableau, deux ornent, aujourd'hui, la Pinacothèque de Munich et les deux autres décorent le Musée de Berlin qui (Xjssède aussi de ce maître un tryptique provenant du village de Middelbourg, en Flandre (2).

Parmi les maîtres qui, sans avoir été élèves de Jean van Eyck, en subirent l'influence, Hans Memling brille en premier rang.

Van der Weyden lui enseigna les éléments de l'art pictural, en même temps qu'il lui inculquait les principes de l'Ecole de Bruges, dont il était devenu le chef, et à laquelle se rattache Memling par son sentiment profond de la nature, quoique empreint de ce mysticisme qui fut la caractéristique de son talent.

(1) D'Antonello, le Musée d'Anvers possède : Une colline du Calvaire et un portrait d'homme ; le Louvre, un autre portrait d'homme ; le Musée de Berlin : un portrait de jeune homme, et la National Galery de Londres : un Christ que l'on croit être une des premières œuvres de cet artiste, à Messine, en 1444, mort en 1493, à Venise.

(2) Le Musée d'Anvers possède, de Rogier Van der Weyden, le portrait de Philippe le Bon et un tryptique représentant les sept sacrements. Cet artiste peignit aussi cinq descentes de croix, actuellement aux Musées de Madrid, de Naples, de Liverpool, de La Haye et de Berlin.

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De tels artistes contribuèrent évidemment à augmenter la gloire des van Eyck et surtout à la continuer et à la répandre.

Hubert van Eyck mourut, à Gand, le 18 septembre 1426 et le corps de l'initiateur de la première école flamande, fut déposé dans le tombeau que la famille Vydt-Borlunt avait fait cons- truire à Saint-Bavon.

Marc Van Vaenewyck, en 1518, à Gand, il mourut en 1569, rapporte, dans son Historiœ van Belgis, p. 119, avoir encore vu, de ses propres yeux, l'os du bras droit de Hubert van Eyck, que ses admirateurs auraient détacfié de sa dépouille pour l'enfermer dans une armoire en fer et l'exposer, comme un objet de vénération publique, à la porte de la chapelle Vydt, dans l'église Saint-Jean, actuellement Saint-Bavon.

Jean van Eyck, décédé à Bruges, en 1441, le 9 juillet, fut infiumé dans l'église Saint-Donat, mais ses cendres ont été dispersées lors du déblaiement des ruines de cet édifice que l'incendie détruisit pendant la période révolutionnaire de la fin du XVIII' siècle.

Le nombre des tableaux de Hubert van Eyck parvenus jusqu'à nous est des plus restreint; son œuvre peinte se résume, pourrait-on dire, dans l'exécution des parties les plus importantes du rétable de V Agneau mystique qui lui appartiennent incontes- tablement.

Nous avons vu que, de l'original de cette grandiose compo- sition, le panneau centrai est resté à Gand. Ce panneau étant le plus important du tableau et presque la seule peinture attribuée unanimement à l'aîné des van Eyck, il importe que nous le fassions connaître d'après la description qu'en a donnée M. Héris:

Il Le panneau central représente l'agneau mystique debout sur un autel que recouvre une nappe blanche et au pied duquel est placé un calice destiné à recevoir le sang qui s'échappera de la poitrine de la victime rédemptrice. Sur un plan plus rapproché.

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on voit la fontaine d'eaux vives de l'Apocalypse, gracieux bassin, au milieu duquel s'élève une colonne surmontée d'une statuette de Saint-Michel en bronze, et qui verse, par sept têtes de dragons, autant de filets d'eau. Immédiatement auprès de l'autel, sont disposés des anges dont le front porte le signe de la croix et qui sont tous d'une grande beauté. Deux d'entre eux balancent des encensoirs dont ils font monter les parfums vers l'Agneau sans tache; d'autres portent les instruments de la passion, la croix et la colonne de la flagellation; d'autres sont prosternés et adorent l'emblème mystique du rédempteur. Du fond du passage, rayonne une ville, qui est la Jérus lem céleste, convergent vers l'autel une multitude de martyrs; à gauche, les femmes conduites par sainte Barbe, sainte Agnès et sainte Dorothée, à droite les hommes, parmi lesquels on remarque plusieurs papes et parti- culièrement saint Liévin, l'un des premiers apôtres de la Flandre; tous portent des branches de palmier, symbole de leur triomphe. Rien de plus gracieux, malgré l'exiguité des proportions, que ces figures féminines, dont les cheveux blonds flottent sur leurs épaules et qui se présentent dans des attitudes si variées et si nobles en même temps. Rien de plus austère que ces martyrs si divers de caractère et d'expression. Parmi les personnages les plus rapprochés, les uns sont agenouillés, d'autres tiennent des missels et prient. Au nombre de ceux qui sont le plus près de l'autel, il en est qui offrent leurs couronnes à l'Agneau divin, ou qui lui présentent leurs membres que les tourments ont brisés. Enfin, dans l'air, au-dessus de l'autel, plane le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe, qui répand comme un jet de rayons sur tous les fidèles. 11 serait difficile de donner une idée de la richesse et de la splendeur du paysage cette vaste composition se développe. Il est inondé de lumière, et se termine à l'horizon par une ligne de montagnes bleuâtres. La terre est une magni- fique nappe de verdure, toute diaprée de fleurs, marguerites, violettes, lis, roses, campanules et pensées. Çà et là, se présentent aussi quelques groupes d'arbres, parmi lesquels s'épanouit, par endroits, l'étoile d'un palmier. Tout est clair de ton, chaud de couleur, palpitant de vie. Ce qui frappe particulièrement le spec- tateur, c'est le prodigieux fini de cette œuvre, c'est l'étonnante délicatesse avec laquelle elle est exécutée et qui cependant ne nuit aucunement à l'harmonie de l'ensemble. La fontaine qui jaillit sur l'avant-plan est surtout une merveille d'art. Les filets d'eau

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qui s'en échappent semblent faits de diamant fondu, et le mouve- ment ondoyant qu'ils impriment à la surface du liquide qui remplit le bassin ils tombent, est rendu de manière à produire l'illusion la plus complète. Le trop plein du réservoir se dégorge et forme un ruisseau qui va serpentant dans un lit bordé de ces fleurettes charmantes que le printemps sème au bord des sources, et jonché de pierres précieuses qu'on voit étinceler à travers l'eau plus transparente que le cristal le plus pur (i). »

Nous avons relu cette description devant l'œuvre admirable qu'elle analyse et dépeint avec le sentiment qu'éprouve l'âme quand elle est frappée par les caractères du beau. Nous nous plaisons à reconnaître qu'elle nous a paru, en tous points, sincère et vraie.

N'est-ce pas, au reste, de ce tableau que le peintre-écrivain Eugène Fromentin a dit : « En vérité, quand on s'y concentre, c'est une peinture qui fait oublier tout ce qui n'est pas elle et donnerait à penser que l'art de peindre a dit son dernier mot, et cela dès sa première heure (2) . »

Dans son ouvrage Les Primitifs flamands (fascicule I, pp. 18 à 24), M. Fierens-Gevaert fait un exposé historique et chrono- logique, de 1420 à 1861, du poJyptique de l'Agneau mystique.

Il serait, peut-être, téméraire d'attribuer, sans réserves, d'autres œuvres à Hubert van Eyck en dehors du rétable gantois.

M. Héris dit que de toutes les peintures de l'école de van Eyck qui nous sont connues, il n'en est qu'une seule que nous puissions rapporter, avec une certitude presque complète, à Hubert, c'est le tableau du Musée de Naples représentant Saint- Jérôme. Cette attribution est fondée sur l'extrême analogie de l'œuvre avec le rétable de Gand.

(1) Heris. p. 120.

(2) Eugène Fromentin. Les Maîtres d'autrefois. Paris 1877, p. 430.

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11 y a bien aussi, au Musée de Madrid, une autre produc- tion que l'on présume être due au pinceau de Hubert van Eyck : Le triomphe de l'église chrétienne sur la synagogue, tableau le style et la pensée de l'aîné des deux frères sont admirablement reflétés, mais on n'est pas sûr que ce ne soit une copie ancienne au lieu d'un original.

On connaît, par contre, un assez grand nombre d 'œuvres de Jean van Eyck ; une soixantaine, dit-on. Il en est même plusieurs qui portent la signature du maître Johanes van Eyck, avec sa devise: Als ik kan (comme je peux). Elles sont datées entre 1432 et 1440.

Nous citerons, notamment :

La vierge glorieuse, décorant, autrefois, le maître-autel de l'église Saint-Donat, à Bruges, aujourd'hui au Musée de l'Aca- dé-mie de cette ville. Une inscription latine narre l'histoire de cette peinture : k Ce tableau fut demandé par Georges de Pola, chanoine de cette église (Saint-Donat), au peintre Jean van Eyck et l'oeuvre commandée en l'an 1434 a été achevée en l'an 1436 ...

La vierge glorieuse adorée par le chancelier Rollin. Musée du Louvre.

La vierge au donateur: Musée de Dresde.

Mais il en est, probablement, de cet artiste, comme de tous ceux qui ont formé école et auxquels on est porté à attribuer toutes les productions de l'époque portant, plus ou moins, l'em- preinte de leur style et de leur manière?

Jean van Eyck fut aussi un admirable peintre de portraits, si l'on en juge par ceux d'Arnoulfîni et de sa femme, à la Natio- nal Gallery, de Londres, et de V Homme à l'œillet, du Musée de Berlin.

3'

L'Ecole de Bruges, ouverte glorieusement par les van Eyck et qui, durant tout le XV siècle, jeta un si vif éclat sur le nom flamand, s'affaiblit dès que se réveilla le sentiment de la forme Classique par suite d'un retour à l'étude et à l'imitation de la civilisation antique. Un esprit nouveau était né, avec la réforme au début du XVI' siècle, et cet esprit étant contraire au sentiment naïf et de douce sérénité qui animait la première école flamande, celle-ci devait, naturellement, sous son influence, déchoir et s'éteindre.

Mais, bien que complètement disparue, vers le milieu du XVI' siècle, l'Ecole des van Eyck, aujourd'hui encore, a sa place marquée dans tous les grands musées et il n'est point d'histoire de la peinture qui ne rappelle son illustre souvenir.

CHAPITRE II.

LAMBERT LOMBARD

TDouR comparer, à l'aube du XVI° siècle, les peintres de la Wallonie aux peintres des Flandres, Marcellin La Garde s'exprime en ces termes :

« Tandis que dans toute la partie flamande de la Belgique, le goût des arts dominait, tandis que la Flandre possédait une école dont la réputation s'étendait dans toute l'Europe, et qu'une brillante pléiade d'artistes s'y élevait par l'émulation, les pro- vinces wallonnes restaient complètement étrangères à ce mouve- ment. Au pays de Liège, la peinture ne s'était nullement ressentie des progrès que lui avaient imprimés les travaux des frères van Eyck: d'informes figures de saints, ornées de rayons et de filets dorés, tels étaient les sujets que traitaient habituellement les hommes qui, dans la cité éburonne, cultivaient l'art vers lequel Lombard se sentit entraîné, et dont il devait être le réformateur dans sa patrie (i). »

Par ses voyages en Allemagne, en Hollande et en Italie, Lambert Lombard s'était initié à l'intelligence des chefs-d'œuvre antiques et à l'esprit des productions classiques.

Lorsqu'il rentra dans sa ville natale, pour s'y fixer définiti- vement, en 1539, non seulement il fut des premiers, chez nous,

(1) Biographie nationale. Deuxième partie, p. 278.

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à s'affranchir des traditions monastiques, mais il contribua encore, puissamment, à l'abandon du caractère de raideur et de naïveté propre à l'art gothique dont la plupart de nos peintres s'étaient inspirés jusqu'alors.

L'influence qu'il exerça, sous ce rapport, fut même décisive; aussi le considère-t-on comme le fondateur de l'Ecole wallonne de peinture.

Nous pourrions être renseignés, plus et mieux que nous ne le sommes, sur les détails de la vie de cet illustre concitoyen ; nous savons cependant que Lambert Lombard naquit à Liège, au quartier d'Avroy qui se trouvait, alors, en dehors de l'enceinte fortifiée de la ville.

La date exacte de sa naissance n'est point établie, mais tout porte à croire qu'elle peut être fixée à l'année 1505.

Son père appartenait au métier des mangons, autrement dit des bouchers.

La famille étant nombreuse, l'aisance n'y régnait pas toujours.

Il est aussi à notre connaissance que Lambert Lombard, à l'âge de vingt-deux ans, contracta mariage avec une jeune fille qui n'était pas plus que lui fortunée; qu'il eut successivement trois épouses, dont la deuxième était la sœur du peintre-graveur Lambert Suavius avec lequel on le confondit même très long- temps.

Le chanoine de la collégiale Saint-Denis: Dominique Lampson ou Lampsonius, qui fut secrétaire des princes- évêques Robert de Berghes, Gérard de Groesbeeck et Ernest de Bavière, s'était lié d'amitié avec Lombard. Il devint son élève et, plus tard, se fit son biographe. Or, lui-même ne donne guère de renseignements sur la jeunesse du maître, ses initia- teurs à la peinture, ses débuts dans la carrière artistique.

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Le premier ouvrage qu'on a cru pouvoir lui attribuer et qui ne constitue guère un réel travail d'art, est mentionné dans un manuscrit déposé aux archives de l'Etat, à Liège: le livre de dépenses du prieuré de Saint-Séverin, en Condroz. Ce registre nous apprend qu'en 1532. un maître Lambert, qualifié peintre du palais du cardinal de La Marck, polychroma « un crucifix avec les images de Notre-Dame et de Saint-Jean » qu'avait sculpté l 'entre-tailleur Balthasar. Ce Lambert reçut 20 florins de Liège pour sa peinture, ^lors que maitre Balthasar était payé à raison de 12 florins, seulement, pour la sculpture.

L'année suivante, Lombard entreprit un voyage en Alle- magne, dans le but de se perfectionner en son art, attiré, sans doute, dans ce pays, par la réputation déjà grande d'Albert Durer, dont les gravures étaient très répandues aux Pays-Bas.

A ce voyage se rattache la plus ancienne œuvre de Lombard, ayant une réelle valeur artistique: le croquis à la plume, d'après l'un des bas-reliefs qui décorent le célèbre monument romain d'Igel, près de Trêves.

Il est aussi avéré que Lombard séjourna ensuite, à plusieurs reprises, en Zélande, à Middelbourg, il fit la connaissance du penseur délicat Jean Gossaert (Jean de Maubeuge ou Jean Mabuse), dont il devint l'élève et même le collaborateur pour les importants travaux de décoration que ce maître exécutait à l'abbaye des Prémontrés de Middelbourg (i).

En 1537, Lambert Lombard partit pour l'Italie, et si nous ne possédons des renseignements bien précis sur son séjour en ce pays Lampsonius lui-même n'y consacre que quelques lignes au moins plusieurs dessins, datés de Rome et signés Lombard, nous sont heureusement conservés.

(1) Bulletin des Commissions d'Art et d'Archéologie. Année 1892, p. 363. Helbig : La Peinture au Pays de Liège et sur les bords de la Meuse. édition, pp. 147 et 149.

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Il avait été envoyé à Rome par le prince Erard de la Marck qui, venant de faire réédifier, dans de vastes proportions, le palais épiscopal de Liège, incendié en 1505, voulait l'orner de pedntures et de sculptures.

Mais Erard de la Marck mourut le 16 février 1538 et les beaux projets qu'il avait conçus, pour la décoration de son palais, s'évanouirent en même temps que fut retirée la pension qu'il servait à Lombard.

Le goût des arts, un instant éveillé à Liège, s'était assoupi de nouveau et semblait enseveli dans la tombe du prince Erard, ainsi que le dit M. Ulysse Capitaine: Corneille dt Berghes, Georges d'Autriche et Robert de Berghes qui. de 1538 à 1564, occupèrent successivement le siège de Liège, rivalisèrent, l'un comme l'autre, de dédaigneuse indifférence avec les riches bour- geois de leur capitale (i)-

Néanmoins, Lambert Lombard fonda, à Liège, dans des circonstances aussi peu favorables, un atelier ouvert à tous les arts: dessin, peinture, sculpture, architecture et gravure, d'où sortira l'école à laquelle son nom est resté attaché.

La K Grande Académie de Lombard », ainsi que l'on dénommait cet atelier, fut même la première école de gravure créée en notre pays.

Les anciens historiens d'art, notamment Luc de Heere et Vasari, s'accordent, en effet, à reconnaître qu'il pouvait y avoir ailleurs, à cette époque, des presses pour imprimer les bois, mais qu'il n'y avait qu'une seule chalcographie l'on imprimait les planches de cuivre et qu'elle était établie à Liège.

Et au dire du Brugeois Lampson « les Flamands et les Anversois » y venaient étudier.

(1) Ulysse Capitaine. Etude sur Lambert Lombard, p. 11.

LAMBERT LOMBARD

Peint par i,i'i-m£mk

Coll. du château de Kinkempois.

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Lombard s'adonna aussi à l'architecture et fut le premier encore à introduire, chez nous, le style et les principes de la renaissance italienne dans l'art de construire.

S'étant mis à collectionner les antiquités, principalement les pierres gravées et les médailles, il devint enfin un numismate très réputé et forma des élèves, tel que Hubert Goltzius qui, par ses publications sur les médailles grecques et romaines, s'acquit une grande renommée et fut anobli par le Sénat romain, pour son ouvrage intitulé : Vie des Empereurs depuis César jusqu'à Charles V.

Mais Lombard, qui jamais ne vécut dans l'opulence, sacrifia, peut-être, outre mesure à ses goûts de collectionneur. C'est, du moins, ce que nous fait supposer Lampson, disant : k La mali- gnité de la fortune ne l'empêcha pas de rechercher avidement et d'acheter avec une libéralité dépassant même ses ressources, d'anciennes empreintes, des pierres précieuses, remarquables par leur ciselure et hiéroglyphes, ainsi que des œuvres modernes se rapprochant du mérite des antiques, mais surtout d'anciennes médailles dans la connaissance desquelles il ne le cédait aux plus savants (i). »

Lambert Lombard mourut au mois d'août 1566 (2).

Rapprochons cette date de celle généralement attribuée à sa naissance : il était donc âgé de 61 ans.

Un manuscrit resté inédit assure que Lombard a été inhumé en l'église Sainte- Véronique (3).

La légende, qui a dénaturé l'histoire de beaucoup d'artistes, dit M. Helbig, a cherché à répandre une mélancolique poésie sur

(1) LamberH Lombarii apud Eburone picioris celeberrimi vito. Bruges, 1565, p. 30.

(2) Chapeauville, t. III, p. 424.

(3) Manuscrit Hoyoux. Bibliothèque de l'Université de Liège.

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la fin de Lombard, en le faisant mourir pauvre à l'hospice du Mont Cornillon, et il ajoute: « S'il est difficile de dire cette fiction a pris naissance, rien ne sera plus aisé que d'en prouver l'inanité », et l'auteur démontre, en effet, que cette légende n'est pas plus fondée que celle de la retraite de Memling à l'hôpital de Saint-Jean et quelques autres récits de ce genre (')•

Il invoque la biographie de Lampson, publiée un an avant la mort du peintre, et qui représente celui-ci comme un homme se livrant à certaines dépenses pour ses collections d'antiquités et aidant, de sa bourse, ses élèves pour se rendre à Rome.

Il note ensuite que de Villenfagne, le premier qui ait fait mention de la légende dans ses ouvrages, la révoque déjà en doute.

Des documents retrouvés aux archives de l'Etat à Liège sont, enfin, venus établir que Lambert Lombard était greffier de la Cour d'Avroy, charge rémunérée qu'il conserva jusqu'au commencement de l'année de son décès et dans laquelle il fut remplacé par son gendre, le sculpteur Follet, qui avait épousé, depuis un an, Philippette. probablement la plus jeune des filles de Lombard, et que celui-ci dota.

A considérer encore que, depuis 1561, Lambert Lombard était « concierge de la maison, porpris et vignobles del chieffz d'or » à Sclessin-Ougrée, près de Liège, appartenant au prince- évêque, fonctions qui conféraient au titulaire une sorte d'inten- dance à laquelle des émoluments étaient aussi attachés.

Laissons donc la prétendue histoire de ce grand artiste venant échouer, pauvre et misérable, à l'hospice de Cornillon, car il semble bien démontré, aujourd'hui, que ce n'est qu'une légende créée de toutes pièces, ne reposant sur aucun fond de vérité, et en complète contradiction avec la réalité des faits.

(1) Helbig, La peinture au Pays de Liège, 2* édition, p. 156.

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Lambert Lombard fut certainement un peintre fécond et son œuvre dut être considérable; il n'en est presque rien resté, malheureusement.

La disparition des nombreux et importants travaux de déco- ration qu'il exécuta pour des églises s'explique par la défectuo- sité des procédés techniques en usage alors pour les peintures murales. Abry, qui écrivait un siècle à peine après la mort de Lombard et était peintre lui-même, constate déjà que nombre de triptyques du maître sont fort détériorés parce que les fonds, blanchis à la colle, se sont écaillés (i)-

D'autre part, un assez grand nombre de tableaux de Lombard, réputés parmi ses meilleurs, avaient été enlevés des églises et du palais de Liège, par le prince-évêque Henri-Maxi- milien de Bavière, archevêque de Cologne, et étaient allés orner son palais de Bonn, sur le Rhin, sous prétexte qu'il faisait grand cas des ouvrages du maître !

Or, ils furent tous détruits par le bombardement que cette ville eut à subir en 1702.

Parmi les œuvres perdues, en cet incendie, on cite une Allégorie de la charité et un Jugement dernier qui témoignaient particulièrement du remarquable talent d'imagination et de com- position de leur auteur.

Des tableaux de Lombard restés dans les différentes églises de Liège, et que celles-ci possédaient encore en 1790, la plupart, enfin, disparurent pendant la tourmente révolutionnaire de cette époque; entre autres: le Martyr de Sainte-Barbe qui décorait

(1) Abry. Les hommes illustres de la nation liégeoise, p. 153. Bulle- tin de l'Institut archéologique liégeois, t. VIII, p. 285.

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l'église Saint-Barthélémy; la Cène et un Christ à volets de la cathédrale Saint-Lambert.

De Becdelièvre rapporte qu'au XVII' siècle, il existait, à Liège, une douzaine de portraits de Lombard, tracés sur des morceaux de planche, et que l'on regardait comme des origi- naux.

Pour expliquer cette abondance de portraits du maître, l'auteur ajoute que Lombard avait une espèce de manie; c'était de placer les traits de son visage dans presque tous ses tableaux, comme s'il avait voulu que son portrait tint lieu de sa signa- ture (1).

Si Lombard avait l'habitude de donner ses traits, tantôt à l'un, tantôt à l'autre de ses personnages, il ne faut pas trop s'en étonner; plus d'un peintre de l'époque avait, en quelque sorte, son sceau à lui qui le dispensait de signer ses tableaux. Henri Met de Blés, contemporain de Lombard, n'avait d'autre signa- ture, pour ses œuvres, qu'une chouette qu'il délinéait d'ordi- naire à l'endroit le moins apparent de son tableau, la cachant, parfois, avec tant de soin, qu'il faut chercher longtemps avant de la découvrir.

Lombard n'apposant aucune marque ou signature sur ses peintures, vivant à une époque d'évolution dans les arts, esprit chercheur lui-même, ayant, par conséquent, modifier plu- sieurs fois sa manière de peindre, il n'était pas aisé de reconsti- tuer son œuvre, bien qu'exécuté presque entièrement chez nous.

M. Jules Helbig, qui était un patient érudit. s'est attaché à inventorier les plus importants travaux du maître et il a consigné, dans le Bulletin des Commissions royales d'art et d'archéologie,

(1) De Becdelièvre. Biographie Liégeoise, t. I, p. 226.

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les résultats de ses consciencieuses recherches, les complétant encore dans la seconde édition de son livre sur la Peinture au Pays de Liège (i).

Après avoir constaté que bien peu de tableaux peuvent être attribués, avec certitude, à Lambert Lombard. » On ne saurait cependant lui contester, ajoute cet auteur, l'admirable portrait il a retracé ses propres traits, conservé au château de Kinkempois, et la réplique qui se trouve au Musée de Cassel )>.

M. Alfred Michiels fait de ce portrait la description que voici :

M 'étant rendu au château de Quincempois, près de Liège, se trouve un portrait de Lambert Lombard, peint par lui- même, comme le tableau occupait une place très élevée, M. Desoer appela ses domestiques, et non seulement le panneau fut descendu, mais transporté dans le jardin, en pleine lumière.

C'est une œuvre extrêmement remarquable, une effigie de grandeur naturelle; sur un fond jaune, par lequel on semble avoir voulu imiter l'or des anciennes peintures, se dessine la tête forte et accentuée du grave coloriste. Les premières givres de l'hiver blanchissent, çà et là, sa barbe et ses cheveux, qui sont très hardiment exécutés. Le pince-nez, qu'il tient à la main, dénote aussi l'approche de la froide saison.

Le regard énergique, tourné un peu vers la gauche, a beau- coup d'expression; mais dans toute la figure se trahit un mélange singulier : elle annonce un esprit sévère et une nature commune, de la fermeté sans élévation.

Sous la vigueur et la dignité rampe quelque chose de bour- geois. La peinture est grasse, chaude, moelleuse, touchée d'une main résolue : il y a, sur le col de la chemise, des empâtements de couleur aussi forts que ceux de Rembrandt.

Ce morceau exécuté vers 1556 étonne par l'aspect moderne de la facture. On y admire une liberté de pinceau que nul artiste flamand n'avait encore obtenue au même degré.

(1) Bulletin des Commissions royales d'Art et d'Archéologie, 31' année, 1892, pp. 351 à 454. Histoire de la Peinture au Pays de Liège, 2* édition, p. 168.

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Rien qu'à examiner le portrait de Lambert Lombard, observe encore le critique d'art français, on sent qu'il n'est point de race flamande. On y observe quelque chose de plus mâle, de plus austère, de plus triste et de plus réfléchi. C'est le visage d'un penseur et d'un stoïcien (i).

(c II semble difficile aussi de contester, dit M. Helbig, l'au- thenticité de la tête grotesque d'un joueur de flûte du Musée de Liège et du panneau représentant la Sainte Cène de la même collection, ainsi que sa réplique de date postérieure au Musée de Bruxelles. »

Parmi les œuvres conservées, il mentionne encore et décrit : Les Israélites s'apprêtant à sacrifier l'agneau pascal, du Musée de Liège; Saint Denis l'aréopagite, à l'église Saint-Denis, à Liège (2) ; un panneau des volets qui se trouvaient placés, autre- fois, au célèbre rétable sculpté de cette église; deux panneaux réunis en diptyque, au Musée de Bruxelles, ayant appartenu à la galerie du roi de Hollande; une Sainte Cène, retouchée à diverses reprises, et une Nativité, esquisse assez médiocre, aux Hospices civils de Liège ; une Adoratian des bergers, à la galerie du Belvédère, à Vienne, et une Sainte famille, à la Galerie impériale de la même ville ; une Déposition de la Croix, à la Galerie nationale de Londres. Il croit, enfin, pouvoir lui attribuer un assez grand panneau, d'une riche composition, animée par une multitude de figures, représentant Jacob abandonnant la terre de Mésopotamie avec ses femmes, ses serviteurs, ses trou- peaux, ayant appartenu à M. Helbig, puis à M. l'abbé Jos. Scheen, curé à Wonck, qui l'a légué, avec ses collections, au Musée diocésain de Liège.

(1) Alfred Michiels : Histoire de la peinture flamande, t. V, p. 252 et p. 278.

(2) Ce tableau, peint sur bois, a été vendu, en 1864, par la fabrique de l'église Ste-Véronique, à la fabrique de l'église St-Denis, au prix de deux cent cinquante francs. Gobert : Les Rues de Liège, t. IV, p. 70.

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A noter encore qu'une large part des peintures décoratives de la voûte de l'église St-Jacques, à Liège, est attribuée à Lom- bard. Ces peintures sont datées de l'année 1536, dans un cartel suspendu dans la voûte au-dessus du buffet d'orgues.

Passant des travaux conservés aux œuvres détruites : pein- tures murales à la manière de fresques, triptyques ou tableaux, M. Helbig rappelle que Lombard décora le chœur et les tran- septs de l'église collégiale St-Paul, à Liège, d'une série impor- tante de scènes tirées de la vie du Christ. Les dernières traces de ces peintures murales disparurent seulement en 1875. 11 existe d'ailleurs encore, dit-il, dans la même église, au fond de la basse nef méridionale, vers le chœur, au-dessus d'un autel, une autre peinture murale représentant le Crucifiement avec la sainte Vierge et saint Jean, que l'on croit pouvoir aussi attribuer à Lombard.

S'appuyant sur les renseignements fournis par Abry, Sau-' mery et le chanoine Hamal, M. Helbig passe ensuite successive- ment en revue les tableaux et rétables dont parlent ces autîurs dans leurs écrits: un triptyque qui était placé à l'entrée du chœur de l'église St-Barthélemy ; le Crucifiement de la cathédrale de St-Lambert, sur l'un des volets duquel était représenté David tuant Goliath, scène dont le croquis est conservé dans les collec- tions du duc d'Arenbcrg, tandis que sur l'autre volet était peint le Sacrifice d'Abraham. Dans cette même cathédrale se trouvaient encore une Cène et une peinture représentant le Christ descendu de la croix avec, dans le fond, une vue de la ville de Liège.

L'église St-Jean l'évangéliste de Liège, possédait un tableau à volets de Lombard, dont un dessin, signé et daté de l'an 1553, a conservé la composition du panneau central de ce triptyque. Enfin, dans l'église de Notre-Dame aux Fonts, il y avait aussi, autrefois, plusieurs tableaux à volets de Lambert Lombard.

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De belles gravures de Lambert Suavius, beau-frère de Lom- bard, exécutées sous la direction du peintre, nous ont conservé copie des tableaux disparus: La fuite du Sauveur et de ses apôtres; La Résurrection de Lazare; Le Christ au tombeau; Saint Paul écrivant et la Cène qui était à la cathédrale Saint- Lambert.

Nombreux sont les dessins du maître : lavis au bistre, cro- quis à la sanguine, à l'encre de Chine et à la plume, qui ont été conservés. Le duc d'Arenberg en possède plus de cmq cents, dont beaucoup datés d'Italie (i)-

Les collections de notre Académie des Beaux-Arts, du Musée d'Ansembourg et du cabinet des estampes de l'Université; de l'Académie de Dusseldorf, du château de Kinkempois, en ren- ferment également une plus ou moins grande quantité.

Le plus remarquable de ces dessins est la Déposition de la croix, dont M. Henri Duval a fait don à la Vilb de Liège et qui est exposé au Musée d'Ansembourg.

Lambert Lombard, semble-t-il, attachait une importance toute particulière à ses esquisses et dessins, puisque le plus souvent, il les datait et les signait de ses initiales L. L., de son nom en abrégé ou en toutes lettres. C'est bien, du reste, dans les dessins, comme le dit Helbig, que se révèle le caractère parti- culier de l'artiste, la note dominante de son talent; ils donnent la mesure de son génie inventif et nous initient aux recherches de son esprit studieux.

Imbu d'un art renouvelé des Grecs et des Romains, gagné des premiers au style de la Renaissance italienne, c'est en archi- tecture que Lombard s'est surtout montré novateur, sans cepen- dant faire preuve d'une grande fécondité et sans former école comme en peinture.

(1) Helbig: Lambert Lombard, peintre et architecte. Extrait du Bulle- tin des Commissions royales d'Art et d'Archéologie. Bruxelles 1893, p. 71.

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Plusieurs constructions importantes furent, néanmoins, érigées, à Liège, sur ses plans, entre autres, une demeure somp- tueuse, d'ordre corinthien composite, ornée de sculptures et d'armoiries, qui était située vis-à-vis du portail de la cathédrale St-Lambert.

On en a conservé quelques dessins, pris au moment de sa démolition, en 1829.

« Sur le versant de la colline que domine l'église Ste-Croix », il fit aussi édifier, vers 1556, une habitation pour le chanoine de St-Lambert, Liévin Torrentius.

Le géographe anversois, Abraham Ortelius, décrivait, en 1584, cette résidence de <i Messire Liévin Torrentius d qu'il qualifie de « prince des poètes lyriques » de son temps, en ces termes élogieux:

« Dominant la cité de toutes parts, elle possède les meilleures conditions de salubrité. Tout est si parfaitement distribué et aménagé que vous y reconnaîtrez l'heureuse main en architec- ture de feu Lambert Lombard, autrefois peintre et philosophe très célèbre de Liège. Il en a adapté l'ornementation à chacune de ses parties. Il y est parvenu de telle façon que vous ne trou- verez rien de plus agréable et que vous n'aurez point à constater le défaut d'étendue, malgré l'espace restreint dont l'architecte disposait (!)• "

M. Théodore Gobert a retrouvé l'emplacement exacte de cette maison, disparue depuis longtemps. Elle était érigée au- dessus des Degrés de St-Pierre, sur le territoire claustral de la collégiale de ce nom, tout à proximité de l'ancien hôtel de Favereau de Jenneret, aujourd'hui le couvent des Lazaristes.

(1) Abraham! Ortelii et Johannes Vlviani : Itinerarium per nonuUus GaUiae Belgicae partes, 1584, p. 20.

(2) Th. Gobert : Les Rues de Liège, t. II, p. 466 et t. 111, p. I«7.

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L'importante construction qui fornue l'angle supérieur de la place St-Michel et de la rue Haute-Sauvenière a aussi été attribuée à Lambert Lombard, mais sans aucune preuve, par la simple tradition.

Cette habitation, dans le goût de la Renaissance italienne, a subi de notables et malheureuses transformations, ainsi qu'on peut le constater par l'ancien encadrement de la porte principale resté encastré dans la façade vers l'actuelle place St-Michel.

Les fenêtres du rez-de-chaussée de la façade longeant la rue Haute-Sauvenière ont été considérablement agrandies et ne sont plus en concordance avec les fenêtres de l'étage, restées dans leur état primitif, avec leurs deux colonnettes engagées et leurs fortes moulures.

Pour regarder Lombard comme l'auteur des plans de cette originale construction, les uns ont confondu la demeure de h place St-Michel avec celle du chanoine Liévin Torrentius.

Les autres ont prétendu que le grand artiste liégeois du XVI' siècle avait fait ériger cette habitation pour son usage personnel, alors qu'il est certain, peut-on dire, qu'il résida toujours au quartier d'Avroy, il était né.

En vérité, on ne connaît pas le nom de l'architecte auteur des plans de cette maison, mais il n'est point douteux que cette construction est de beaucoup postérieure à Lambert Lombard.

De toutes les constructions que l'on peut attribuer à Lom- bard, la façade du portail de l'église St-Jacques est certainement l'œuvre qui fait le plus honneur à son talent d'architecte.

Sans doute, il peut paraître étrange de voir cette devanture, du style de la plus élégante Renaissance italienne, accolée à un monument gothique, mais, abstraction faite de cette considération, qui ne peut rien enlever à la valeur même de sa belle conception

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architeclonique, le portail de St-Jacques, dans l'état de délabre- ment où il se trouve, privé de ses statues et de ses bas-reliefs ainsi que des dorures de son décor plastique, nous apparaît cependant encore comme une œuvre en tous points digne d'ex- citer notre admiration.

Laissera-t-on s'efïriter jusqu'à la dernière, et au point de ne plus en reconnaître la forme, les pierres de ce beau portail, le plus ancien spécimen de la Renaissance italienne en Belgique?

En 1901, le Comité central de la Commission royale des monuments posait la même question à son Comité provincial de Liège, et celui-ci de répondre dans une lettre qui a été rendue publique :

« L'attention du Comité provincial a été sollicitée par le Comité central au sujet de l'état de délabrement du porche Renaissance de l'église St-Jacques, à Liège.

)i Aucun membre n'ignore l'état d'abandon et de dégrada- tion, chaque jour croissant, dans lequel disparaîtra insensible- ment ce petit chef-d'œuvre de l'art de la Renaissance, importa- tion de l'art italien en notre cité à une époque les traditions de l'art national étaient encore vivantes et fécondes sur les bords de la Meuse. Les anciens se souviennent d'y avoir vu des vestiges de polychromie et de dorures, amoindries aujourd'hui, mais non disparues pour un œil attentif.

» Ce monument, par son style et son époque, la contra- diction originale qui en résulte, a des titres particuliers à l'inté- rêt des autorités compétentes, qui ont le pouvoir d'en assurer la conservation et la restauration.

» Le Comité liégeois fait des vœux pour que le Conseil de fabrique de St-Jacques rende à notre cité, dans son éclat primitif, un précieux souvenir du XVI" siècle et de Lambert Lombard, son auteur. »

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C'était bien dit; aussi, la restauration du portail fut-elle décidée.

Le coût de la dépense, en y comprenant l'exhaussement de la chapelle latérale nord de l'église, était estimé.à. 40,000 francs.

Le Conseil communal, dans sa séance du 5 mai 1902, a voté, en faveur de l'exécution de ce projet, un subside de 10,000 francs.

Le Conseil provincial, dans sa réunion du 25 juillet suivant, a, de même, fixé son intervention à 5,000 francs, et nous n'avons jamais entendu dire que le Conseil de fabrique de l'église Saint- Jacques, non plus que l'Etat, se refusaient à supporter leur part contributive à cette dépense.

Nous nous demandons, dès lors, comment il se fait que, pour l'exécution de ce travail si utile et qui s'impose, on ne se soit pas encore mis à l'œuvre?

Il y a doctrine admise, incontestée, que Lambert Lombard était un homme érudit, un esprit cultivé, dont les connaissances étaient variées et profondes en art, en archéologie, en histoire et en philosophie de l'art.

Lampsonius rapporte qu'il s'est longtemps occupé d'une sorte de traité de grammaire des arts, c'est-à-dire d'un recueil de maximes, de règles, de préceptes, relatifs aux proportions, à la perspective et à d'autres connaissances nécessaires à l'artiste qui ne veut pas s'en tenir seulement à la pratique, au métier de son art (i).

Et Vasari, dans ses Vies des plus excellents peintres, sculp- teurs et architectes, parlant de Lombard, son contemporain, dit même qu'il est: gran liiteraio (2).

(1) Lampsonius: Lamberti Lombardi picoris vite, p. 14. Helbig : Lambert Lombard, p. 36.

(2) Georgio Vasari. peintre, architecte et biograplie italien, à Arezzo, en 1512, mort à Florence, en 1574.

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Mais rien qu'une lettre, de tout ce que Lombard a pu écrire, est parvenue jusqu'à nous. Il est vrai qu'on ne possède pas une seule lettre de Molière, pas le plus court billet de sa main et cependant il vécut un siècle plus tard que notre illustre conci- toyen, et il dut énormément écrire.

Cette épitre de Lombard est en langue italienne, adressée à Vasari et porte la date du 27 avril 1565. L'autographe en est conservée au dépôt des manuscrits de la galerie des Uffizzi, à Florence.

M. Helbig en a donné une traduction complète, dans son étude sur Lambert Lombard (i).

Dans cette lettre, Lombard avoue à Vasari que s'il ne lui écrit souvent, c'est parce qu'il n'a plus l'habitude de l'ita- lien, ayant quitté l'Italie il y a vingt-cinq ans et, depuis lors, ayant eu peu l'occasion de se servir de cette langue. Il ajoute même, pour s'excuser de sa « grossière missive » : « Je suis peintre et non un écrivain de Liège ».

Parlant de Jean de Bruges (Jean van Eyck) et des peintres qui vinrent après lui, marchant, mais de loin, sur ses traces, il s'exprime en ces termes: « Jean de Bruges ouvrit les yeux aux coloristes, mais ceux-ci, imitant sa manière sans trop se préoccuper de progresser, ont rempli nos églises d 'œuvres qui ne sont pas inspirées de la nature, mais seulement revêtues de belles couleurs ».

Il témoigne, au contraire, de son admiration pour le génie d'Albert Diirer « qui nous a montré, dit-il, la véritable voie de la perfection dans l'art ».

Les appréciations de Lombard, ainsi que le constate M. Helbig, ne donnent pas seulement la mesure de ses préférences.

(1) Helbig: Lambert Lombard, p. 36.

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elles jettent une certaine lumière sur les mérites que le peintre cherchait à assurer à ses propres œuvres, ainsi que sur le style particulier dont il eût voulu leur donner l'empreinte.

Le plus souvent, d'autres peintres se forment sous la direction et dans l'atelier des maîtres qui font école.

Il en fut surtout de la sorte pour Lambert Lombard, car il i laissé des élèves qui ont pris rang dans l'histoire de l'art.

Parmi ses disciples, en plus de Lampson et Goltzius, dont nous avons déjà parlé, on distingue deux élèves que le maître, à ses frais, envoya à Rome pour y compléter leurs études: Pierre Dufour et Jean Ramaye.

Le premier, surnommé de Jalhea ou de Jalhay, imita le mieux la manière de peindre de Lombard.

S'il est presque oublié, aujourd'hui, c'est parce que le colori de ses tableaux ne s'est pas maintenu, ainsi qu'on peut le voir par les œuvres de cet artiste que possèdent encore les églises de Liège : St-Jacques et St-Barthélemy.

Jean délie Rameye ou Ramaye, dont les tableaux figurent, en bonne place, dans diverses galeries étrangères, devint gouver- neur, en 1585, du métier des orfèvres de Liège auxquels, suivant l'usage, les peintres étaient associés, et il fut appelé, par Marie de Médicis, pour travailler à la décoration du palais du Luxem- bourg, décoration que compléta, par la suite, Pierre-Paul Rubens.

Frans Floris, ou Franc Flore, d'Anvers, est un disciple de Lombard qui vit, souvent, ses tableaux attribués à son maître. Il est l'auteur de la Chute des Anges rebelles et du Jugement de Salomon. deux tableaux du Musée d'Anvers.

Une anecdote prouve, d'ailleurs, que Lombard lui-même reconnaissait que son élève s'était absolument approprié sa manière de peindre.

5?

Floris avait été reçu franc-maître à Anvers, en 1540.

Assez longtemps après, Lambert Lombard lui ayant rendu visite dans la métropole commerciale des Pays-Bas, son ancien disciple ne voulut point le laisser partir sans qu'il eût dîné avec lui. Comme le repas se prolongeait un peu trop, suivant l'habitude de la maison, il abandonna la table et se glissa dans l'atelier: il y trouva les élèves de Floris, bons compagnons, joyeux buveurs, dont la langue était aussi prompte que le pinceau.

La conversation tomba naturellement sur leur maître, et ils firent son éloge.

<i C'est très bien à vous de le louer, dit Lombard, seulement Floris n'a jamais été qu'un voleur. »

Des murmures de désapprobation accueillirent ces paroles, et. comme le Liégeois les répétait, mes gaillards songeaient à lui faire un mauvais parti, quand il leur en expliqua le sens :

« Oui, un voleur, et il ne faut point que cela vous fâche. Il a été mon élève, n'est-il pas vrai? Eh bien, il m'a dérobé tous les secrets de mon art. »

Les rapins crièrent bravo, et Lambert alla rejoindre les convives.

<< Tu as dans ton atelier de fameux lurons, dit-il au maître du lieu; j'ai vu le moment ils allaient m'étriller, parce que je plaisantais sur ton compte. » Et il leur apprit ce qui s'était passé. L'aventure les égaya tous, et Floris donna des éloges à ses disciples, qui avaient montré tant d'afïection pour lui (>).

Et cet autre élève de Lombard: Guillaume Key ou Cayo de Bréda, dont l'œuvre totale a disparu, mais qui, en son temps, était à ce point réputé que le duc d'Albe l'invita à reproduire ses traits, bien qu'il eiit pour peintre attitré Antonio Moro.

(1) Michiels : loc. cit. t. V, p. 298.

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L'exécution de cette commande aurait même été la cause occasionnelle de la mort de l'artiste, dans des circonstances qui sont ainsi rapportées:

Le sanguinaire représentant de Philippe II posait, pour son portrait, lorsque des membres du tribunal de sang vinrent l'entre- tenir, en espagnol, s'imaginant que Key ne comprenait pas cette langue, en quoi ils se trompaient. Or, ils annoncèrent au duc d'Albe la sentence inique qui allait être prononcée contre les comtes d'Egmont et de Homes, les condamnant à mort.

Cette nouvelle épouvanta le peintre, à ce point, qu'à peine rentré chez lui, une fièvre violente l'alita.

Quelques jours après, le 5 juin 1568, il expirait, à la date môme les deux martyrs de la liberté de conscience étaient décapités sur la Grand'Place de Bruxelles.

L'influence qu'exerça chez nous, Lambert Lombard, fut considérable, sous divers rapports. Nous avons vu dans quel état d'infériorité, au point de vue des arts, il avait trouvé la Wallonie, comparativement à la partie flamande du pays; or, M. Du Jardin a pu dire que Liège, sous l'impulsion donnée par Lombard, était devenue, à l'époque de sa mort, un centre d'activité intellectuelle et scientifique dont la Belgique peut être fière (I).

Dans des circonstances aussi peu favorables, sur un terrain aussi mal préparé, il avait fondé l'école wallonne de peinture.

Et le peintre-biographe Vasari déclarait que « ses principes étaient ceux du vrai beau et que ses œuvres étaient admirables ».

Quant au peintre-écrivain allemand. Joachim Sandrart (2), dont les écrits sur l'art sont considérés comme des sources

(1) Du Jardin : L'Art flamand, t. I, p. 117.

(2) Joachim Sandrart. à Francfort-sur-le-Mein, en 1606. mort à Nuremberg, en 1688.

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précieuses pour son temps, il s'exprime en ces termes: <i Lambert Lombard était habile artiste, et il a immortalisé son nom par les progrès surprenants qu'il a faits dans la peinture, la sculpture et l'architecture, mais plus encore dans la perspective ».

Nul ne conteste, d'autre part, que Lombard est au premier rang parmi les artistes les plus intellectuels du XVI° siècle.

« Il ne concevait pas qu'on pût arriver à la perfection dans les arts, sans études littéraires et philosophiques préalables », aussi (I ses connaissances profondes dans les lettres et les sciences le firent ranger parmi les savants de son époque ». Ainsi s'exprime encore M. Du Jardin, et il ajoute : <i Son idéal était le travail inces- sant, non pas seulement borné à la peinture, - loin de là! il refusa des commandes nombreuses ; mais, étendu à toutes les branches de l'activité inteUectuelle. Et il abandonnait ses pin- ceaux pour passer des journées et des nuits entières avec ses auteurs préférés. Tout le sollicitait à fortifier sa science. Rien d'aride ne le rebutait (i)- "

L'on comprend, dès lors que, plein d'enthousiasme et d'admiration pour son maître, Hubert Goltzius, le jeune, ait pu s'écrier que personne ne surpassait Lombard en érudition.

Tel nous apparaît, dans le lointain des âges, Lambert Lombard : artiste d'un mérite vrai, versé dans toutes les connais- sances, maître glorieux ayant formé des élèves qui ont rendu hommage à sa mémoire, le précurseur, enfin, de la Renaissance flamande que devait, un siècle plus tard, illustrer Pierre-Paul Rubens.

(I) Du Jardin : toc. cit., p. 84.

CHAPITRE III.

GÉRARD DOUFFET

"Darmi les artistes qui composaient, au XVII' siècle, l'Ecole Liégeoise, dont on n'a pas suffisamment apprécié le mérite et l'importance, ainsi que l'ont reconnu maints auteurs, Gérard Doufïet a particulièrement marqué parce qu'il a repré- senté, dans toute son intégrité, le principe coloriste de Rubens dont il fut, du reste, l'élève.

Son œuvre, malheureusement, ne nous est qu'imparfaite- ment connue.

Gérard Douffet n'est pas. dans le groupe des peintres mosans du XVII' siècle, dit M. Helbig, celui dont le nom a eu le plus de retentissement, mais il est l'artiste qui a le plus formé école et dont les élèves ont le plus marqué dans l'histoire de l'art (1).

Si le maître n'occupe pas, dans l'Ecole belge, le rang auquel ses aptitudes l'ont fait atteindre, il convient d'attribuer cette ano- malie, estime d'autre part, M. Jules Du Jardin, à une cause regrettable: l'extrême rareté de ses ouvrages (2).

Et M. A.-J. Wauters de se demander si des portraits de Douffet ne sont pas cachés dans maintes galeries ou musées sous les noms de Rubens ou de van Dyck (3) ?

(1) Jules Helbig : La Peinture au Pays de Liège. 2* édition, p. 219.

(2) Jules Du Jardin : L'Art flamand, t. II, p. 163.

(3) A.-J. Wauters: Le siècle de Rubens et l'Exposition d'Art ancien. Revue de Belgique 1910, p. 313.

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Gérard Douffet, dont le nom est parfois écrit Douffeit ou d'Ouffet, naquit à Liège, le 6 août 1594, dans une habitation appartenant à ses parents et faisant face à l'église des Domini- cains, dans le quartier de l'Ile.

A l'école, il ne se distingua guère que par les figurines qu'il se plaisait à dessiner sur les marges des pages de ses cahiers, annonçant ainsi de très précoces dispositions pour la peinture. Aussi fut-il placé, très jeune, en apprentissage chez le peintre Jean Taulier qui, d'opinion luthérienne, avait quitter Bru- xelles, son lieu de naissance, pour venir s'installer à Liège et y cacher ses convictions philosophiques.

Bien que peu connu, comme peintre, Jean Taulier n'exerça pas moins une grande influence sur le développement de la peinture au pays de Liège, ayant conservé intacts les préceptes artistiques des anciens romanistes qu'il avait puisés dans ses pre- mières études, en Brabant et en Flandre.

(( 11 n'enseignait point l'imitation de l'Ecole française du XVir siècle, qui débutait alors, dit M. Alfred Michiels, mais il communiquait aux jeunes gens mis sous sa tutelle son enthou- siasme pour l'Ecole italienne. La direction qu'ils prirent en sortant de chez lui le démontre suffisamment. C'était, d'ailleurs, un homme de grandes ressources, qui avait beaucoup étudié, qui gravait sur bois et sur cuivre. Le tableau du maître-autel, dans la collégiale de St-Martin. était regardé comme son meilleur travail. »

Gérard Douffet ayant quitté son premier maître pour se rendre à Dînant, chez un peintre nommé Perpète, celui-ci, rapporte de Becdelièvre, jugea qu'il n'avait rien à lui apprendre; il écrivit à ses parents pour les informer des heureuses disposi- tions de leur fils, et pour les engager à lui donner un maître

GÉRARD DOUFFET et

SA. FAMILLE

d'après le dessin conservé au Musée d'Ansembourg et attribué au peintre

Gi

qui, par son habileté, fut en état de le perfectionner dans un art pour lequel il paraissait avoir un génie particulier (i).

L'avis de cet honnête et consciencieux patron fut suivi : Douffet est reçu au nombre des élèves de Pierre-Paul Rubens qui, à son retour d'Italie, à la fin de l'année 1608, avait ouvert un atelier à Anvers.

A une telle école, heureusement doué, enthousiaste de son art, Gérard Doufîet fit des progrès aussi rapides que brillants. Le génie du grand maître était, du reste, à son apogée et Doufîet en subit toute l'influence, malgré ses tendances plutôt romanistes.

Cette influence se manifeste particulièrement dans une Déposition de Croix qu'il dut peindre à cette époque, si pas dans l'atelier même de Rubens.

Entendez l'auteur du beau livre van Dyck et ses élèves porter jugement sur cette toile de Gérard Douffet. Après avoir analysé le Sauveur descendu de croix de van Dyck et manifesté toute son admiration pour l'énergique impression qui s'en dégage, M. Alfred Michiels poursuit en ces termes:

i< Eh bien, cette œuvre terrible a été dépassée: l'exposdtion rétrospective du troisième centenaire de Rubens, à Anvers, con- tenait un morceau plus dramatique. L'auteur, Gérard Doufîet, n'a pas une grande renommée: c'est un auteur wallon qui travailla pendant deux ans dans l'atelier de Pierre-Paul, quitta ensuite le maître immortel, s'éprit de la manière française contemporaine et fonda l'Ecole de Liège.

La toile représente aussi le Galiléen descendu de croix; par son violent caractère, par l'énergie et le mérite de l'exécution, elle agrandit, élève beaucoup l'idée qu'on avait pu se faire jusqu'ici de l'auteur.

Le Nazaréen, descendu de l'instrument funèbre, est assis sur un bloc de pierre, comme une personne vivante ; Joseph d'Arimathie, la main enveloppée d'un linge volumineux, le sou- tient par l'aisselle droite, tandis que la Vierge le soutient par

(1) de Becdelièvre : Biographie liégeoise, t. II. p. 149.

Ga- le bras gauche; la main dont elle touche le cadavre est aussi enveloppée d'une étoffe blanche, comme si le contact des chairs mortes répugnait aux deux personnages.

Le corps du martyr, en pleine décomposition, justifie cette horreur: livide, jaunâtre, semé de teintes bleues, il est sinistre à voir. La mort, pour le colorer, semble avoir épuisé sa sinistre palette. Coagulés par le sang, les cheveux se plaquent sur la figure verdâtre. Marie de Bethléem, néanmoins, tenant par l'occi- put cette tête effroyable, baise les lèvres noircies avec un dernier sentiment de tendresse et un courage surhumain qui fait frissonner.

A sa gauche, le disciple chéri, personnage au type élégant et sentimental, d'une rare distinction, porte dans ses mains un vase de cuivre se tuméfie une éponge ensanglantée : on vient de laver les plaies du Christ, d'achever sa funèbre toilette.

Joseph d'Arimathie, dont les traits ont aussi une rare élégance, fait face à l'apôtre bien-aimé.

Au second plan, l'espace demeuré libre entre Saint Jean et Marie est occupé par la tête paisible et curieuse d'un vieillard rubicond, dans le goût de Rubens, et par la tête assombrie de Madeleine éplorée.

Les ombres fortes du divin cadavre et des linges prodigués sous lui, autour de lui, donnent au travail un relief et une vigueur extraordinaires. La couleur est d'une intensité, d'une science prodigieuses: dans cette lugubre symphonie, le manteau pourpre de Saint-Jean introduit, seul, une note qui rappelle le monde des vivants.

Jamais scène de la Passion n'a été exprimée d'une manière plus tragique. Ribera aurait pu signer cette toile, qui soutiendrait sans désavantage la proximité des siennes. Les formes, les lignes, les contours et le travail du pinceau méritent les mêmes éloges. Elles doivent avoir été peintes par Douffet sous les yeux de Rubens, ou peu de temps après qu'il eut quitté le maître puissant, dont l'influence se révèle partout dans son œuvre, dans la donnée aussi bien que dans l'exécution (i). »

(1) Alfred Michiels : van Dyck et ses élèves. Seconde édition. Paris, Renouard, 1882, p. 290.

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Et le critique littérateur français de glisser cette note, au bas de la page que nous venons de transcrire :

« Un musée belge devrait faire tout au monde pour acquérir cette œuvre unique dans son genre et qui a la valeur d'un document fiistorique. Elle appartient à M. Félix Bamberg, consul général d'Allemagne, à Messine, qui l'a envoyée, je ne sais comment, aux organisateurs des fêtes du Centenaire.

Plus tard, le peintre liégeois fut emporté à la dérive par l'imitation de l'Ecole française. A-t-il manifesté ailleurs le rare talent qui dramatise ce morceau? On ne peut le savoir, pour le moment. Un heureux hasard m'a seul fait connaître ce chef- d'œuvre que personne n'avait apprécié, qui ne se trouve indiqué nulle part. »

Il n'est pas à notre connaissance que des négociations aient été entamées, à cette époque, pour conserver au pays cette toile de Doufîet. Nous avons cherché, en ces derniers temps, à savoir ce qu'elle était devenue et nous sommes seulement parvenus à apprendre de M. Ed. Jacob, consul actuel d'Allemagne, à Messine, que M. Bamberg père est décédé, il y a une vingtaine d'années, que Madame Bamberg n'existe non plus; enfîn, que le sort de leur fils unique, M. Maurice Bamberg, est actuellement inconnu.

<( Il est à croire, nous écrit l'honorable M. Jacob, que cette belle toile, que je me rappelle parfaitement, a changé, dès lors, déjà plusieurs fois de possesseur. »

Espérons que nous la retrouverons quelque jour et qu'il sera possible, alors, d'en assurer la conservation au pays.

Ayant conçu le projet, afin de compléter son éducation artis- tique, d'entreprendre le pèlerinage traditionnel de l'Italie, Gérard Douffet, en quittant l'atelier d'Anvers, rentra d'abord dans sa ville natale et y peignit une Judith coupant la tête d'Holopheme,

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d'après la gravure d'un tableau de Rubens et, vraisemblable- ment, les souvenirs qu'il avait conservés de l'œuvre originale; un Prométhée dévoré par un vautour et divers portraits.

En 1614, alors qu'il n'était encore âgé que de vingt ans, il partit pour l'Italie et se rendit à Rome, il séjourna sept ans, dessinant les statues antiques, s'adonnant à l'étude des œuvres des plus grands peintres italiens, s'efforçant aussi, courageuse- ment, de réparer les lacunes de sa première éducation en abor- dant l'histoire, la philosophie, le latin et même la poésie.

L'Ecole de Bologne y était en grand honneur. Douffet s'appropria le genre et les procédés de Guldo Reni dit le Guide, c'est-à-'dire un coloris doux et éclatant à la fois, la richesse et l'harmonie dans la distribution de la lumière, ce qui, mieux que le réalisme flamand, répondait, semble-t-il, à ses aspirations et fit sa fortune dans le genre portrait, auquel il s'adonna, dès lors, de préférence, et avec le plus de succès.

Avant de quitter l'Italie, pour rentrer en son pays, il aurait voulu visiter Naples, mais le bateau sur lequel il s'était embarqué, fut assailli par une tempête et obligé de relâcher à Malte, d'où il revint à Rome, y terminer quelques travaux. Ayant réuni les ressources nécessaires pour entreprendre son voyage de retour, il s'achemina vers le pays natal avec deux amis, peintres comme lui: Tilmant-Woot de Trixhe et Michel Houbart, ses compa- triotes.

<( Chemin faisant, rapporte de Becdelièvre, le hasard les con- duisit à un magnifique château dont le concierge leur montra toutes les curiosités, entre autres, un portrait en petit qu'il leur vanta comme un chef-d'œuvre. Douffet se content nt d'abord de le regarder sans le louer, le concierge lui fit sentir son igno- rance; mais sa surprise fut extrême, lorsque notre peintre s'en avoua l'auteur. Malgré les plus vives instances du concierge tout émerveillé, Douffet et ses deux compagnons continuèrent leur

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route, et arrivèrent à Pesaro, Houbart tomba malade : à peine eut-il repris des forces qu'il se remit en marche; quelques jours après, il retomba de nouveau; ne pouvant plus suivre ses amis, ceux-ci le quittèrent après avoir partagé avec lui leur petit trésor et lui promirent de l'attendre à Venise (i). »

Ayant abandonné, à leur compagnon, la moitié de la bourse commune qui, au surplus, n'était pas considérable, c'est dans le plus complet dénuement que Douffet et de Trixhe entrèrent à Venise.

Ils rencontrèrent, heureusement, dès leur arrivée en cette ville, un Liégeois du nom de Pierre des Ursins, dont ils avaient fait la connaissance à Rome. Celui-ci les introduisit dans une hôtellerie en répondant de leur dépense et procura, de suite, la commande de quelques portraits à Douffet qui peignit aussi un tableau pour un noble Vénitien.

Les deux artistes continuèrent ainsi à travailler à Venise, pendant tout l'hiver de 1622 à 1623.

Ayant, enfin, réuni quelque argent pour continuer leur voyage, ils rentrèrent à Liège, au printemps suivant.

Dès son retour, Gérard Douffet vit le prince-évêque de Liège, archevêque de Cologne, Ferdinand de Bavière, s'inté- resser à lui et l'honorer de commandes.

Il fit son portrait et, ainsi qu'il arrive presque toujours, en semblables circonstances, bientôt la plupart des notabilités du pays de Liège voulurent avoir leurs traits reproduits par le peintre du prince.

Pour l'église de l'abbaye de Saint-Laurent, il exécuta une importante composition, aux figures de grandeur naturelle; V Invention de la Sainte Croix; et pour l'église des Frères Mineurs (Eglise Saint-Antoine), une autre importante toile:

(1) Biographie liégeoise, t. II, p. 151.

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La glorification de Saint-François d'Assise, dont les figures, très nombreuses, sont, à peu près, de grandeur naturelle.

Ces deux œuvres capitales du peintre Doufîet sont actuelle- ment à la Pinacothèque de Munich qui possède aussi de lui : quatre très beaux portraits, trois d'hommes et un de femme. Celui catalogué sous le n" 876 porte la date de 1624; il aurait donc été peint, à Liège, un an après que Gérard Doufîet y fut rentré, retour d'Italie.

Avant de passer à la Pinacothèque de Munich, ce portrait appartenait à la galerie de l'Electeur palatin, Jean-Guillaume, à Dusseldorf et le catalogue le renseignait comme devant repré- senter un ancien magistrat liégeois.

Suivant Louis Abry, la Glorification de Saint-François d'Assise passait, à Liège, pour le chef-d'œuvre de Gérard Doufîet : « Je l'ai ouï estimer la plus signalée de ses peintures, écrit ce biographe, son contemporain, par les premiers connais- seurs de Liège, tant pour la grandeur de sa disposition que pour le nombre des figures, la situation, l'élévation et la descente des terrains, que l'on ne voit guère ailleurs; enfin ce serait aller trop loin que de vouloir découvrir la beauté de l'art qui s'y trouve enfermée ('). »

Pour ce qui est de V Invention de la Sainte Croix, cette toile figure, à Munich, parmi les raretés de la Pinacothèque. Une inscription, placée au bas de l'ancien cadre, mentionnait que le tableau avait été mis en place, au monastère de Saint-Laurent, à Liège, en 1624. Le catalogue de Munich nous apprend, d'autre part, que l'électeur palatin Jean Guillaume, ayant proposé d'acheter cette toile importante (2 m 75 de haut sur 3 m 30 de large) signée de Douffet, et son ofïre ayant été acceptée, il en

(1) Louis Abry: Les Hommes illustres de la nation liégeoise, p. 196.

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donna le double de la somme demandée par les moines de la puissante abbaye, soit 2,000 florins.

Avant de partir pour Rome, Gérard Doufïet avait aimé la fille d'un voisin de la maison paternelle: Catherine Dardespine; il en avait fait le portrait qu'il emporta en Italie, lui laissant le sien en retour.

Revenu à Liège, il la courtisa, sans trop d'impatience, pendant cinq années et l'épousa en 1628. L'année suivante, naissait de cette union, un fils qui s'adonna à l'arcfiitecture sans particulièrement se distinguer en cet art. Doufïet ne semble point avoir eu d'autre descendance qui lui ait survécu.

A cette époque, deux partis, également puissants et soutenus l'un et l'autre, se disputaient la prépondérance dans la ville de Liège: les Chiroux. partisans de l'évêque Ferdinand de Bavière et de l'esprit germanique et les Grignoux, qui tenaient pour la France et la civilisation française. La lutte entre eux, on le sait, ne dura pas moins de vingt-trois ans, avec des fortunes diverses, et devint parfois sanglante.

Gérard Douffet s'était montré champion ardent des Chiroux; aussi, ceux-ci, ayant eu le dessous, en 1646, notre peintre fut obligé de quitter la ville et ce ne fut qu'au bout de deux années qu'il put y rentrer et continuer ses travaux.

Une oeuvre importante de Doufïet, dont la composition accuse des réminiscences du célèbre tableau de Rubens, à la cathédrale d'Anvers, est la Descente de Croix qu'il a exécutée pour le maître-autel de l'église de Cornelis Munster, près d'Aix- la-Chapelle, et que l'on trouve, aujourd'hui encore, à la place pour laquelle elle a été peinte.

Elle avait été commandée par un seigneur d'Eynatten, abbé du monastère de cette ville, mort en 1645, et dont les armes figurent dans un fragment d'architecture du tableau.

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Enlevée par les armées françaises, en 1802, cette peinture a été restituée après la prise de Paris par les Alliés. Elle a été nettoyée et rentoilée en 1841 et son état de conservation laisse à désirer.

Plus terne, plus froide que dans les grandes pages de Munich, la couleur des reliefs aboutit, dit M. Michiels, à de mornes demi-teintes, qui se noient en des ombres terreuses et, malgré le souvenir du maître émouvant, l'ordonnance est faible, et une pesanteur léthargique endort toutes les lignes (i).

En 1640, Douffet avait peint un triptyque dont le panneau central représentait le Martyre de Sainte-Catherine et qui passait pour un de ses meilleurs travaux historiques.

Les volets fermés, laissaient apparaître les portraits des donateurs : Walthère de Liverloo, riche négociant liégeois, et son épouse Jeanne de Fossé. Ils étaient, dit-on, très remarquables comme exécution et saisissants de ressemblance.

Ce triptyque, placé dans l'église Sainte-Catherine, à Liège, devint la proie des flammes, lors du bombardement de la ville, par le marquis de Boufflers, en 1691.

Pour la cathédrale Saint-Lambert, Doufîet avait produit plusieurs tableaux qui ont disparu lors de la démolition de cette église : Une Elévation en croix, un Crucifiement, une Résurrec- tion de Lazare.

On ne sait non plus ce qu'est devenu un tableau commandé au peintre par les administrateurs de l'hospice du Petit-Saint- Jacques, au pont d'Avroy, pour la chapelle de leur hôpital: La Vocatian de l'apôtre Saint-Jacques.

Fisen en a fait trois copies: une, dans les mêmes propor- tions que l'original, les deux autres, de dimensions réduites, et Natalis en a publié la gravure, en 1648.

(1) Alfred Michiels : Histoire de la peinture flamande, t. X, p. 131.

Ce tableau a été vendu par les administrateurs de l'hospice à l'électeur palatin Jean Guillaume, le 4 mai 1700, pour le prix de dix mille florins brabant. Une copie, exécutée à ses frais, devait, en plus, être remise aux vendeurs.

L'œuvre de Douffet figurait encore au catalogue de la galerie de Dusseldorf. imprimé en 1751, tandis qu'il n'en n'est plus fait mention au catalogue de 1781. Il est à supposer, dit M. Helbig, qu'elle se trouve dans l'un ou l'autre château de la maison de Bavière.

Le décès de l'électeur Charles-Théodore, qui avait succédé à Jean-Guillaume, fit, en effet, échoir, en 1799, le Palatinat à la maison de Bavière, dont Maximilien-Joseph transporta, dans sa capitale, les tableaux de la célèbre galerie.

La ville de Liège aurait, à un moment donné, renfermé dans les églises, aussi bien que dans les couvents et chez quelques amateurs, dix-sept tableaux de Gérard Douffet, que les révolu- tions, les ventes à l'étranger, la mort des propriétaires ont dispersés ou anéantis pour la plupart.

Le Musée des Beaux-Arts, de Liège, ne possède qu'un panneau décoratif de Douffet : La Forge de Vulcain, ce qui n'est guère pour la galerie de la ville natale du maître!

Peint d'une touche large et grasse, d'une couleur vive et forte, ce tableau remet en mémoire, dit M. Michiels, par ses ombres diaphanes, par les tons fins de ses lumières, que l'auteur avait reçu des leçons de Pierre-Paul Rubens.

Le même auteur croit pouvoir attribuer à Gérard Douffet le tableau qui orne un des petits autels de l'église Sainte-Véro- nique : St-Roch intercédant auprès de la Vierge pour les pestiférés. D'autres, le croyent de Bertholet Flémalle, son élève.

Les couleurs de cette toile avaient fortement poussé au noir, les chairs même étaient devenues sombres, à ce que l'on rapporte;

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toujours est-il que le tableau a beaucoup souffert des retouches nombreuses et importantes qu'il a subies.

M. Helbig estime, d'autre part, qu'une Sainte famille, ayant fait successivement partie des collections du chanoine Hamal et du curé Scheen, à Wonck, appartenant aujourd'hui au Musée diocésain, pourrait bien être de Gérard Douffet.

Si l'on discute le mérite et la valeur de certains tableaux d'histoire de Doufïet, on s'accorde, au contraire, à reconnaître qu'il excellait dans le portrait, s'y montrant même, souvent, d'une supériorité incontestée.

« Il a laissé, dit M. Du Jardin, de forts beaux portraits, simples, pleins de caractère dans la pose et le costume, d'une exécution large et souple, sobres de tons, très expressifs et très vivants (i). » On n'a pas retrouvé beaucoup de portraits peinto par Gérard Douffet.

Nous citerons, cependant, indépendamment de ceux de la Pinacothèque de Munich, celui du bourgmestre de Liège, Sébastien La Ruelle, signé et daté de 1630, actuellement dans la salle du Collège, à l'Hôtel de Ville; les portraits du comte J.-B. d'Oultremont, du comte Charles de Hanxeller et de sa femme, née d'Oultremont, au château de Warfusée.

sont les autres? « Cachés, bien sûr, sous les noms de Rubens ou de van Dyck )>, répond M. Wauters, ce qui est le plus bel éloge que l'on pourrait faire du peintre liégeois (2).

(1) Du Jardin: L'Art flamand, t. II, p. 163.

(2) Voir sur la reconstitution du catalogue de l'œuvre de Douffet ; J. Helbig : La peinture au Pays de Liège. 2' édition, p. 237 à 241. G. Jorissen : Les œuvres de Douffet. dans Chronique archéologique du Pays de Liège, 1910, p. 96. J. Moret : Notes d'Archives concernant la vente de trois tableaux de Gérard Douffet, même Chronique 1911, p. 17.

yr

Malgré ses nombreux travaux, les protections qui ne lui firent point défaut et la réputation dont il jouissait, surtout comme peintre de -portraits, ce qu'il faut aussi considérer, Gérard Douffet ne semble avoir jamais réalisé des économies.

« Il parvint à la fin de ses jours sans avoir fait d'épargnes, dit de Becdelièvre. La gloire et non l'argent le guidait dans ses travaux. Il méditait longtemps les sujets qu'il voulait traiter et composait lentement. Le maniement trop assidu du pinceau le mettait dans un état d'épuisement et d'affaissement qui faisait craindre pour sa vie; aussi la faiblesse de sa santé le forçait-elle souvent d'avoir recours au repos. Les violentes douleurs de goutte, dont il fut tourmenté les dernières années de sa vie, ne lui firent rien perdre de sa tranquillité d'esprit. Doufîet aimait le séjour de la ville de Liège; il avait sa demeure dans la rue d'Amay. il était logé commodément. Cet habile artiste mourut l'an 1660, à l'âge de soixante-six ans; il a été enterré dans l'église des PP. Dominicains de Liège (i)- >'

Les principaux élèves de Douffet ont été :

Gérard Goswin, peintre de fleurs des plus distingués, très instruit, qui se fit connaître avantageusement, d'abord à Rome, ensuite et surtout à Paris, Louis XIII l'appela à sa cour pour' le charger de donner des leçons de dessin au dauphin qui, plus tard, devait devenir Louis XIV.

Goswin a été reçu membre de l'Académie des Beaux-Arts de Paris, lors de la fondation de cette institution en 1648.

à Liège le 20 juin 1616, il y est décédé le 12 janvier 1691.

Jean-Gilles Delcour. frère du sculpteur Jean Delcour dont il a fait le portrait qui est au Musée des Beaux- Arts de la ville de Liège.

(1) de Becdelièvre. t. II, p. 153.

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à Hamoir, en 1632, mort à Liège le 19 août 1695. Gilles Delcour s'attacha, principalement, pendant son séjour de sept années à Rome, à exécuter des copies des tableaux des grands peintres italiens, avec lesquels, dans son travail de copiste, il cherchait et réussissait, jusqu'à un certain point, à s'identifier.

Les tableaux qu'il peignit pour différentes églises de Liège, après son retour en cette ville, en 1664, ont disparu sans laisser de traces.

Enfin, Bertholet Flémalle, dont nous allons nous occuper spécialement, a été de tous les élèves de DouHet, celui qui a le plus marqué, en notre pays, dans l'histoire de l'Art.

CHAPITRE IV.

BERTHOLET FLEMALLE

"C'lémalle Barthélémy, connu sous le nom de Bertholet Flé- malle, Bertholet n'étant qu'une abréviation familière du prénom Barthélémy, est à Liège, le 23 mai 1614.

Son père était peintre verrier, et jouissait d'une certaine aisance, bien qu'à la tête d'une famille assez nombreuse. Soiron est le nom de famille de si mère.

Enfant, Bertholet, heureusement doué, montra des disposi- tions égales, peut-on dire, pour la musique que, du reste, il cultiva toute sa vie, et pour les arts du dessin auxquels il ne tarda guère à s'adonner de préférence.

Entré à l'école des enfants de chœur de la maîtrise de la cathédrale Saint-Lambert, il s'y était rapidement distingué, mais sa vocation, faut-il croire, l'entraînait plutôt vers la peinture. Toujours est-il que, très jeune, il fut placé en apprentis- sage chez un peintre du nom de Henri Trippet ou Trippez, dont les contemporains faisaient quelque cas, mais dont le nom n'a été sauvé de l'oubli, comme le dit un biographe, qu'à l'ombre de celui de son élève.

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Aussi, lorsque Douffet, revenu d'Italie, ouvrit, à Liège, un atelier qui eut promptement grande réputation, Bertholet s'em- pressa de s'y rendre et ce fut, en réalité, ce maître qui lui donna la direction devant influencer le développement de son talent naissant.

Deux ans après, sur les conseils de Douiïet, et selon l'usage, en ce temps-là surtout, il alla demander le complément de son éducation artistique à la classique Italie.

C'est en 1638 il avait alors 24 ans qu'il partit pour Rome, il séjourna quelques années. On n'est point renseigné sur les travaux qu'il a pu y exécuter, concurremment avec ses études.

Mais, tandis qu'il se disposait à rentrer dans sa patrie, nous le trouvons à Florence, occupé à peindre des tableaux qui lui sont commandés par le grand duc de Toscane Ferdinand H, pour la galerie de son palais. Qui nous apprendra ce que ces peintures sont devenues?

En quittant l'Italie, Bertholet Flémalle se rendit à Paris, où, on ignore dans quelles circonstances, il trouva un puissant pro- tecteur en la personne du célèbre chancelier de France, Pierre Séguier, qui lui fit donner une commande pour l'une des galeries du palais de Versailles.

Il peignit aussi, à cette époque, pour l'église des Grands Augustins à Paris, une Adoration des mages. La trace de ce tableau est aujourd'hui perdue.

Suivant Dezallier d'Argenville. le chancelier Seguier ■< pro- tecteur des gens de lettres et des grands artistes », ayant vu quelques esquisses que Flémalle avait faites pour orner les appar- tements de Versailles, voulut, dès lors, le retenir au service du Roi.

Peuitri- tjieqri.ni rr.i' Prif/rfli-ur ifr

PORTRAIT DK BKRTHOLET FLÉMALLK

Peint par lui-même. Musée des Beaux-Arts de Liège.

Gravé par Jkak Duvivue. Musée d'Ansembourg.

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Protégé comme il l'était, notre jeune peintre, s'il avait voulu se fixer à Paris, n'eut point certes manqué de besogne, mais il préféra revenir à Liège, ce qu'il fit, vers la fin de 1647, aprè,» neuf années d'absence.

De retour dans sa ville natale, il peignit, pour la collégiale St- Jean, un Crucifiement, que l'on regarde comme une de ses meil- leures compositions et qui est conservée, aujourd'hui encore, dans la sacristie de cette église.

Une réplique de ce tableau, de dimensions plus grandes que l'original et avec quelques variantes, se trouve à la cathédrale Saint-Paul.

La peinture, murale vraisemblablement, d'aspect si monu- mental, dont le burin de Natalis nous a conservé le souvenir : VAssemblée des généraux de l'ordre des Chartreux, a être exécutée aussi à cette époque par Bertholet Flémalle.

L'admirable planche du graveur porte, en efïet, la date de 1649 (1).

Durant les troubles politiques qui agitèrent la ville de Liège, par suite de la lutte entre les Chiroux et les Grignoux, Flémalle, tout comme Doufîet, fuya les excès de la guerre civile et se retira à Bruxelles, il ne peignit guère qu'un tableau: la Pénitence du roi Ezéchias.

Cette toile lui aurait été commandée, dit-on et peut-on croire, pour être offerte, en cadeau, à la reine de Suède Christine. Elle n'est cependant pas au Musée national de Suède, lequel ne possède de cet artiste qu'une peinture qui représente Paris blessant Achille au talon, pendant que le fils de Thélis adore la statue d'Apollon. On ignore si elle existe encore (2).

(1) Voir cette belle gravure au Musée d'Ansembourg.

(2) L. Alvin : Biographie nationale, t. VII, p. 99.

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Dès que la tranquillité fut rétablie à Liège. Bertholet Fié- malle s'empressa de rentrer dans sa ville natale pour y reprendre ses grands travaux interrompus.

C'est alors qu'il fit VAdoraUon des Mages qui, après avoir figuré comme tableau d'autel dans l'une des chapelles de la collégiale Saint-Denis, est conservée, aujourd'hui, à la cathédrale. Cette toile présenterait cette particularité que le peintre y aurait mis son portrait.

A citer encore, parmi les œuvres importantes de cette époque: une Invention de la Sainte-Croix, qui est à l'église Ste-Croix ; le Christ entre les deux larrons, une Circoncision et une série de paysages avec des figures bibliques, pour l'abbaye du Val-Benoît ; un Christ mourant sur la croix et un Christ avec la Sainte-Vierge et Saint-Jean, pour le couvent Ste- Agathe; la Conversion de Saint-Paul, pour le maître-autel de la collégiale de ce nom ; un Christ en croix avec la Vierge et un Purgatoire, pour l'église St-André, toutes œuvres détruites ou disparues.

En 1663, il peignit une Assomption de la Sainte-Vierge, qui, placée à l'église des Dominicains, était considérée comme une des meilleures œuvres du maître.

K L'artiste, dit Helbig, avait peint cette toile, en quelque façon, en collaboration avec son élève Guillaume Carlier, auquel il avait abandonné le soin de peindre les draperies et probablement aussi plusieurs têtes. La plupart des apôtres étaient représentés sous les traits des amis du peintre. Ainsi on y trouvait les portraits de Louis de Louvrex, de Carlier, du chanoine Carmanne, de Jean Detrixhe, et enfin, celui de Bertholet lui-même.

Jusqu'à la Révolution, cette peinture passait pour une des toiles les plus distinguées et les plus caractéristiques dans l'œuvre de Flémalle.

Sa destinée, ou plutôt sa destruction nous est révélée par un journal liégeois, en ces termes:

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Il Beaux-arts. A Liège, le chef-d'œuvre de notre célèbre compatriote Bertholet, le tableau du maître-autel des Domini- cains, de 24 à 25 pieds de hauteur, a été découpé par les con- ducteurs des charrois, pour raccommoder les couvertures d'un fourgon.

» Ce chef-d'œuvre de composition et de coloris, V Assomp- tion de la Sainte-Vierge, avait été mis de côté, d'après les principes révolutio-vandalistes, dans une écurie du palais épisco- pal: par qui? je l'ignore! par un honnête citoyen bienveil- lant? sans doute! (i). »

Une composition dans laquelle se manifeste particulière- ment la science de Bertholet comme dessinateur et le sentiment élevé qu'il avait de la forme, est celle qu'il exécuta, et que Michel Natalis a gravée, pour consacrer le souvenir d'une thèse soutenue à l'Université de Louvain, en 1663, par le comte de Hatzfeld.

Nous mentionnerons encore, parmi les travaux multiples de Bertholet Flémalle : une Nativité, peinte pour l'église des capu- cins du faubourg Ste-Marguerite, et qui est, actuellement, au Musée de Caen, elle fut envoyée, en 1804; une Résurrection de Lazare, une Déposition de croix et un Saint-Lambert au monastère de Stavelot.

Ces trois tableaux appartenaient à la cathédrale Saint- Lambert ; les deux premiers ont disparu et le dernier se trouve aujourd'hui au Musée de Lille. Enfin, une Conception de la Sainte-Vierge et un Saint-Charles Borromée, étaient à l'église Notre-Dame aux Fonts. On les retrouve de nos jours à la cathé- drale St-Paul.

Bertholet Flémalle qui, sans doute, avait conservé de puis- santes relations en France obtint, du ministre Colbert, la com- mande d'une peinture pour le plafond de la salle du Trône, dans le palais des Tuileries.

(1) Troubadour liégeois, du 5 primaire, an V (25 nov. 1796). Helbig : La Peinture au Pays de Liège, p. 257.

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Ce fut à Liège qu'il exécuta cet important travail : une vaste composition allégorique, sur toile et à l'huile, représentant la Religion protégeant la France.

La figure de la religion, tenant en main un médaillon à l'effigie de Louis XIV, apparaissait au centre, entourée d'autres figures portant des symboles: l'oriflamme, l'écusson fleurdelisé, la sainte ampoule, un casque, une épée, etc.

Ce plafond a été complètement détruit dans l'incendie de la Commune, en 1871.

Lorsqu'il eut terminé cette grande toile, Bertholet Flémalle s'était de nouveau rendu à Paris, pour la mettre en place; son œuvre ayant obtenu un succès énorme, il fut reçu membre de l'Académie royale de peinture et sculpture, le 14 octobre 1670. Deux jours après, il était nommé professeur à la même institution.

Les efforts qui furent tentés, alors encore, pour le retenir à Paris et le décider à s'y fixer définitivement, restèrent vains comme la première fois, et il rentra à Liège, dès le 12 décembre de la même année.

A son retour, le prince-évêque Maximilien-Henri de Bavière lui conféra une prébende de la collégiale de St-Paul, mais, à sa demande, le nouveau chanoine ne fut pas astreint à la tonsure et le prélat obtint même, pour lui, du Pape, une dispense de lire ses heures.

En devenant chanoine, Bertholet Flémalle était resté artiste : aussi, après son retour définitif au pays natal, peignit-il encore différents tableaux historiques ou religieux, ainsi que des por- traits, notamment une composition allégorique dans laquelle son protecteur, le prince-évêque, est représenté dans un médaillon au-dessus duquel plane une renommée. Au bas, sont les figures de la religion, de la sagesse et de la justice célébrant les vertus du prince. Ces portraits historiés, formant des adulations allégo- riques, étaient dans le goût du temps (i).

(1) Ed. Fétis: Les Artistes Belges à l'étranger, t. II, p. 388.

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Natalis a aussi reproduit, en gravure, ce tableau de Flémalle.

Mentionnons parmi les œuvres du maître existant encore : Les Adieux de Saint-Pierre et de Saint-Paul, à la cathédrale Saint- Paul ; l'Exaltation de la Sainte-Croix, à l'église Saint-Barthélémy ; Héliodore chassé du temple, au Musée de Bruxelles; les Adieux d'Alexandre-le-Grand en partant pour l'Asie, au Musée de Cassel; Pélopidas s'armani pour chasser les Lacédoniens de la forteresse de Cadmée, au Musée de Dresde et les Mystères de l'ancien et du nouveau testament, au Musée du Louvre.

Le Staedelsches Kunstinstitut de Francfort possède, à son tour, quatre tableaux du maître de Flémalle : une Sainte-Trinité, peinte en grisaille sur fond de bois; une Sainte-Véronique tenant dans ses mains le voile sur lequel s'est dessinée la face du Christ; une Vierge debout allaitant un enfant; enfîn, le Mauvais larron sur la croix, avec deux personnages, au pied de la croix, regar- dant, troublés et émus, le faciès du mort.

Le catalogue de ce musée renseigne que ce dernier tableau, un fragment, sans doute, d'une vaste composition, a été acquis à Mannheim, et que les trois autres œuvres ont été achetées à Aix-la-Chapelle, en 1849.

Bertholet Flémalle qui, souvent, se plaisait à introduire, dans ses tableaux, des ordonnances architecturales, parfois même assez compliquées, se serait aussi, à ce que l'on rapporte, essayé dans la pratique de l'art de l'architecture.

Certains biographes lui attribuent les plans de l'église des Chartreux qui, autrefois, dominait le mont Cornillon, près de Liège. Il aurait, de même, imaginé une reconstruction si somp- tueuse de l'église des Dominicains, que, seul, le chœur fut édifié, tant eût été considérable la dépense à résulter de la réalisation complète de ses projets.

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En 1663, se trouvant dans l'aisance, il put se faire construire, au bord de la Meuse, rue Saint-Remy, pour son usage personnel, une élégante demeure, à l'instar des villas italiennes, ornée par-devant d'une colonnade et même de peintures murales extérieures, mais cette habitation, peu en rapport avec notre climat, se détériora rapidement et dut être démolie dès l'année 1692.

Aucune des conceptions en architecture de Flémalle n'est, dans tous les cas, parvenue jusqu'à nous.

La mort de ce grand peintre est restée, en quelque sorte, mystérieuse.

Au dire de la plupart des chroniqueurs, ce chanoine aurait fini ses jours d'une façon romanesque, dans une aventure amou- reuse qui est ainsi rapportée par M. Alvin, dans la Biographie nationale :

« Flémalle s'était toujours fait remarquer par un caractère gai et enjoué; il se plaisait aux relations du monde, il s'y faisait remarquer par la vivacité de son esprit.

Vers la fin de sa vie, il devint tout à coup taciturne, rompit avec ses amis et se renferma dans la solitude, se rendant ina- bordable.

11 fallait une explication de cette métamorphose. On en trouva deux.

Les uns attribuent sa mélancolie à la jalousie qu'il éprouvai des succès d'un de ses élèves: Carlier. Rien ne justifie cette supposition; au contraire, les faits qu'on invoque pour l'appuyé-- la rendent invraisemblable.

Il n'en est pas de même de l'autre interprétation.

On sait que la célèbre empoisonneuse, la marquise de Brinvilliers, s'était réfugiée à Liège et que c'est dans les environs de cette ville qu'elle fut arrêtée, après un séjour de deux années, pour aller expier ses forfaits en place de Grève. Il est parfaite- ment établi que Flémalle, qui peut-être avait déjà connu la marquise à Paris, fut du nombre des Liégeois qui fréquentaient la maison de la réfugiée. Ce n'est point faire tort à la renommée de celle-ci que de lui attribuer un empoisonnement de plus.

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Quelque drogue, administrée par la moderne Locuste, a pu produire l'humeur noire qui a marqué les dernières années du peintre. On objecte que ce chef d'accusation ne fut pas énoncé lors du procès qui se fît à Paris; mais il y en avait un nombre suffisant, se rapportant à des crimes commis en France, pour que la justice s'en contentât et s'épargnât la peine d'en rechercher de nouveaux à l'étranger. Quoi qu'il en soit, la mort de Flémalle. qui eut lieu le 10 juillet 1675 un an avant l'exécution de la grande empoisonneuse a été attribuée par ses contemporains à cette indigne créature (i)- »

C'est d'Argenville, si prodigue en anecdotes ne reposant souvent sur rien, qui, le premier, pensons-nous, dans son Abrégé des vies des peintres, a attribué la maladie et la mort de Bertholet Flémalle au puéril dépit que lui aurait suscité les succès de son élève Carlier.

Cette ridicule conjecture est déjà démentie par le caractère, la nature propre de ce maître qui associait volontiers ses élèves à ses travaux de grande importance, se plaisait particulièrement à prendre, comme collaborateur, pour l'exécution de ses plus vastes compositions, son disciple préféré : Carlier.

Mais un tableau nous serait resté : témoignage vivant de la simplicité et de la modestie de cet artiste.

D'après une tradition ancienne, rapportée par de Villen- fagne (2) : Douffet, Bertholet, et Goswin, élève de ce dernier, auraient concouru à h confection de cette toile, dans une joiîts toute amicale entre les trois peintres. Douffet et sa femme y seraient représentés par le pinceau de Bertholet; Douffet aurait peint le portrait de Bertholet et les fleurs d'une large guirlande qui se détache d'un vase seraient de Goswin.

La composition de cette toile est d'un genre gracieux ; Douffet offre le prix de ce concours à son ancien disciple Bertholet qui.

(1) L. Alvin : Biographie nationale, t. VII, p. 101.

(2) de Villenfagne : Mélanges de littérature et d'histoire, 1788, p. 128.

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modestement le refuse et, montrant la guirlande de fleurs, semble dire qu'il revient à l'auteur de ces fleurs, Goswin... son élève!

L'examen du tableau, fait observer Helbig, ne dément pas la tradition, quant à la part qu'il convient de faire à chaque peintre et la collaboration de Bertholet y est incontestablement la plus importante (i).

M. Alfred Michiels, au contraire, tient pour suspecte la tradi- tion qui fait coopérer Flémalk, avec ses deux compatriotes, à l'exécution de cette peinture.

Le tableau faisait partie de la collection de M. C. Desoer; son petit-fils, M. Oscar Desoer de Solière, l'a légué à la Ville de Liège, pour son Musée des Beaux-arts, mais la famille Desoer de Solière s'est opposée à la délivrance du legs, en alléguant que le testateur n'était pas en droit de disposer de cette toile et l'Administration communale n'a pas cru devoir insister.

Goswin, après avoir été un des plus distingués élèves de Bertholet Flémalle, s'était lié d'une étroite amitié avec son ancien maître et aussi avec Doufïet. Il paraîtrait même que ce ne serait pas seulement en la circonstance que nous venons de rappeler que les trois artistes auraient employé leurs pinceaux dans le même tableau. Goswin, dans tous les cas, était digne de cette amitié.

« Peu de peintres, dit de Becdelièvre, ont été plus instruits que Gérard Goswin; les qualités du cœur ne le rendaient pas moins estimable que celles de son esprit. Naturellement généreux et bienfaisant, il ne paraissait sensible qu'à un seul plaisir, celui d'en faire aux autres: sa douceur, sa probité, sa candeur lui conciliaient l'amitié et l'estime de tous ceux qui le connaissaient.

Plus avide de gloire que d'argent, il ne laissait pas sortir d'ouvrages de ses mains, qu'il ne leur eût donné le dernier trait de perfection.

(1) Helbig: La peinture au pays de Liège, p. 271.

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Il dissertait agréablement sur tout ce qui a rapport à son art, comme l'histoire, la fable, les costumes des différents peuples, l'architecture, etc.

Son inclination le portait à peindre des fleurs et des fruits; il y réussit singulièrement, non par un travail léché et pénible, mais par une touche hardie, des couleurs vraies et bien empâtées : ses tableaux, vus à une distance convenable, font un très grand effet. C'est dans ce genre qu'il a égalé les plus grands maîtres qui ont parcouru la même carrière (i). »

Il fut nommé membre de l'Académie de peinture et de sculpture de France, lors de sa fondation, en 1648.

à Liège, le 20 juin 1616, Gérard Goswin y est mort le 12 janvier 1691.

Le peintre Englehert Fisen, à Liège, en 1655, décédé dans la même ville, en 1733, fut aussi un élève très distingué de Bertholet Flémalle.

Il provient d'une famille de bien modeste condition: son père était barbier.

Le portrait de Fisen et des membres de sa famille, peint par lui-même, est conservé au Musée des Beaux-arts, de Liège.

Laborieux autant qu'homme d'ordre, il nota, année par année, toute sa production en tableaux, portraits, tapisseries, et elle est considérable.

M. Helbig, à qui il a été donné de pouvoir consulter ce répertoire de l'artiste, a relevé que le catalogue de ses peintures comptait 652 numéros, parmi lesquels figurent 146 portraits.

Quoique les travaux de Fisen aient subi le sort de ceux de ses confrères, constate cet auteur, c'est-à-dire que beaucoup

(1) de Becdelièvre : Biographie liégeoise, t. 11, p. 71.

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d'entre eux aient été détruits ou dispersés au loin, il existe encore un assez grand nombre de ses toiles pour que, même dans son pays, on puisse se rendre compte de la nature de son talent et de la fécondité de son pinceau. Il était dessinateur habile; il peignait largement, mais, malheureusement, était pénétré du style des maîtres italiens de la décadence, au milieu desquels il avait passé sa jeunesse (i)-

M. Ad. Siret, dans la Biographie nationale, s'exprime, à peu près, dans les mêmes termes sur le talent de cet artiste: (( Bon dessinateur, coloriste au pinceau facile et large, Pisen aurait pu occuper dans l'Ecole flamande (?), une place brillante; mais ayant passé ses premières années au milieu des maîtres de la décadence italienne, il en ressentit toute sa vie l'influence fâcheuse (2). »

Le tableau du maître-autel de l'église Saint-Barthélémy, représentant le Martyre de l'apôtre auquel l'église est dédiée, est de Fisen et donne une haute idée de son talent, de même qu'un Christ en Croix, placé au fond d'une des basses nefs de ce temple, page pleine d'émotion, respire un sentiment tragique.

Une des chapelles de la basilique Saint-Martin est aussi garnie d'une série de peintures de Fisen.

Si l'on imprimait le journal manuscrit dans lequel cet artiste, depuis l'année 1679 jusqu'à l'année 1729, pendant un demi-siècle, par conséquent, a tenu note de ses iravaux, des personnes qui les lui ont achetés et des prix qui lui furent payés, non seule- ment cette publication serait intéressante à consulter, mais elle aiderait surtout à retrouver quelques-unes de ses œuvres.

(1) Helbig: La peinture au Pays de Liège, pp. 285 et 189.

(2) Ad. Siret : Biographie nationale, t. Vil, p. 78.

CHAPITRE V.

Jean-Guillaume CARLIER

T E 8 juin 1638 est la date de naissance, à Liège, de Jean- Guillaume Carlier. Elle résulte d'un extrait authentique des registres paroissiaux délivré, en 1715, à la famille du peintre, par le vicaire de Notre-Dame aux Fonts.

S'il faut en croire ce que rapporte l'auteur des Délices du Pays de Liège, le jeune Carlier avait déjà reçu des leçons de plusieurs artistes, dont le nom n'a pas été conservé, lorsqu'il fut admis dans l'atelier de Bertholet Flémalle. Celui-ci, cepen- dant, fut son véritable initiateur en l'art de peindre; on se plait à le reconnaître.

Carlier ne fît ni séjour, ni voyage en Italie; aussi, observe M. Alfred Michiels, remarque-t-on, dans ses tableaux, plus d'ori- ginalité que dans les œuvres de ses compatriotes, un accent de terroir, pour ainsi dire, se manifestent l'esprit wallon et le sentiment local (i).

Mais Carlier devint le collaborateur de Bertholet, pour les grands travaux de celui-ci, le maître laissant souvent à son élève le soin de peindre les draperies, les fonds et autres accessoires de ses tableaux.

(1) Alfred Michiels: Histoire de la peinture flamande, t. X, p. 162.

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Lorsque Bertholet retourna à Paris, en 1670, il se fit accom- pagner de Carlier et, encore, l'élève collabora aux travaux qu2 le maître exécutait pour Louis XIV.

Des quatre tableaux destinés au cabinet du roi, un aurait même été peint, tout entier, de la main de Carlier et cette toile, qui ne perdait rien à la comparaison avec les autres, fut con- servée dans le cabinet du monarque jusqu'à la révolution de 1789.

On connaît peu de chose de la vie de cet artiste. Il épousa, l€ 23 octobre 1669, Marie-Agnès Tignée. Suivant ce qui est conté par M. Félix van Hulst, en 1841, d'après une tradition orale qu'il a recueillie, au sein même de la famille du peintre, la mère de la jeune fille se serait opposée, assez longtemps, à ce mariage.

« Chaque jour, en se rendant à l'atelier de son maître, le jeune Carlier passait devant la maison de la veuve Tignée, au coin de la rue des Carmes-en-Ile. Cette veuve Tignée avait un fils capucin et deux filles dont l'aînée plut à Carlier; et malgré sa timide modestie, l'artiste parvint à s'en faire aimer. Il demanda la main d'Agnès Tignée et n'éprouva d'abord qu'un cruel refus de la part de la mère, qui, se fondant sur la sagesse d'un vieux proverbe liégeois, peu favorable aux peintres, ne voulait pas confier l'avenir de sa fille à l'imprévoyance d'un artiste.

Nos bons aïeux, comme on le sait, aimaient singulièrement les proverbes rimes et les citaient avec confiance à tout propos. Voici celui dont nous parlons: ]hône pondeu, vi bribeu. Le sens en est : Jeimie peintre, vieux mendiant.

Cependant, la réputation du jeune peintre croissant et la régularité de ses mœurs parlant en sa faveur auprès de la sévère veuve, celle-ci, à demi-vaincue par les bons renseignements qu'elle recevait de toutes parts sur la conduite et le caractère de Carlier et par les sollicitations, chaque jour plus vives du jeune homme, finit par dire à un tiers qui intercédait pour lui : <i Si Carlier est aussi bon peintre que vous le dites, qu'il fasse le portrait de mon fils, le capucin, et, s'il est ressemblant... nous verrons ».

POKTRAI'I- DE JEAN-GUll.l.AUiMK CAKLIKK (Iravé par E. Heusch.

qi

L'amour, alors, heureusement, remporta... le portrait était d'une telle ressemblance, dit-on, que la mère, transportée de joie à la vue de l'image de son fils, embrassa le peintre et lui donna la main de sa fllle (i)- »

Le conteur de l'anecdote a vu encore ce portrait dans le cabinet de l'arrière petit-fils de notre artiste : M. Carlier, ancien vice-président du tribunal civil de Liège.

" Il y a tant de vérité, tant de vie dans les chairs de cette figure, que vous vous attendriez, dit-il, à la voir sortir de la toile et s'avancer vers vous, si elle n'était profondément absorbée dans ses méditations. »

Les deux premiers tableaux importants, demandés à Carlier, sont le Baptême de Jésus et J.-C. guérissant un possédé, qui étaient au couvent des Carmes déchaussés, rue Hors-Châ- teau, à Liège.

Tous deux ont été enlevés, à l'époque de l'occupation fran- çaise, et l'un seulement nous a été rendu, en 1815. Il orne main- tenant le fond d'une des chapelles latérales de la cathédrale Saint-Paul : c'est le Baptême de Jésus. On ignore ce qu'est deve- nue la Guérison d'un possédé.

Carlier fit ensuite, pour l'église des Conceptionnistes, au pont d'Amercœur, un Saint-Joseph adorant l'enfant Jésus. Cette toile, aussi envoyée à Paris, lors de l'invasion française, a été donnée ensuite au Musée de Mayence. elle est gardée aujourd'hui. (N° 44 du catalogue. H. 1.98, L. 1.35.)

Ce tableau est d'une couleur vraie et lumineuse, dit M. Helbig. Remarquable par son harmonie simple, soutenue et

(I) Félix van Huist : Vies de quelques Belges. Liège. Oudart. 1841, pp. 6 et 7.

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le modelé correct des chairs, il l'est encore par le soin conscien- cieux de l'exécution, étudiée jusque dans ses moindres détails. La tête de Saint-Joseph est belle et assez noble d'expression. Les pieds, les mains, les genoux, que l'on voit à découvert, sont bien dessinés et peints d'une manière savante. En somme, cette toile offre un ensemble de qualités qui font le plus grand honneur à Carlier et lui assurent un rang distingué parmi les peintres du XVI P siècle (i) :

Mais le véritable chef-d'œuvre de Carlier, d'après l'opinion générale, était le Martyre de Saint-Denis qu'il avait peint, sur panneaux de bois, pour le plafond de la collégiale de ce nom, à Liège.

La tradition, sur les circonstances qui ont accompagné l'exé- cution de cette œuvre capitale, est rapportée, en ces termes, par M. Van Hulst:

« Le Chapitre de Saint-Denis s'ét it d'abord adressé à Bertholet pour le prier de faire ce tableau. Ce dernier trouva l'ouvrage trop long, et surtout d'un travail trop pénible pour son âge, parce qu'il ne pensait pas pouvoir achever, autrement qu'en place, un vaste tableau de plafond, et ce motif le porta lui-même à désigner au Chapitre son élève Carlier pour mettre à fin cette entreprise capitale.

Carlier, fier d'avoir été agréé, n'avait mis à son travail qu'un prix très médiocre et qui ne lui permettait pas de multi- plier les dépenses pour l'achever. Une étude assidue et profonde de la nature l'avait déjà mis depuis longtemps à même de pouvoir dessiner ses figures, sans avoir besoin d'être constamment aidé de modèles vivants: cependant, il lui en fallait un, et ce devait être un modèle de choix pour rendre avec vérité les reins et les bras nus et musculeux du bourreau qui s'apprête à trancher la tête de Saint-Denis.

(1) Helbig : Lm peinture au Pays de Liège, p. 276.

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Un beau frère Carme, aux formes athlétiques, grand ama- teur de peinture, fréquentait l'atelier de Carlier: le prier de vouloir bien poser en exécuteur des hautes œuvres était impos- sible : Carlier usa de ruse, feignit de vouloir représenter un gladiateur authentique et parvint à vaincre les scrupules du Carme qui finit par prêter, à son insu, son dos et ses larges épaules pour servir de modèle au bourreau de Saint-Denis (i)-

Quand le tableau fut achevé, sa couleur beaucoup plus vive que celle des autres ouvrages du même peintre et calculée pour des effets de perspective que les savants en peinture pouvaient seuls apprécier avant qu'il fut en place; les figures qui, vues droites et de face, paraissaient toutes disproportioméœ et mal disposées, et une multitude de traits qui ne semblaient que grossièrement ébauchés, firent juger aux chanoines chargés de l'examen que l'ouvrage était tout à fait manqué.

« Je vois bien que le tableau vous déplait, dit Carlier sans s'émouvoir : que cela ne vous inquiète pas, je le garde pour moi : seulement, et vous ne me refuserez pas cette satisfaction ; en indemnité des avances que j'ai perdues, je vous prie de le faire hisser un moment au plafond, pour que je puisse mieux apprécier toutes les fautes que vous y avez découvertes et étudier les moyens de les éviter, à l'avenir. »

Les chanoines, enchantés d'en être quitte à ce prix, firent monter le tableau au lieu de sa destination et furent bien surpris, alors, de voir tout à coup les figures se redresser, les teintes trop vives s'adoucir et se fondre au juste degré qui produit l'harmonie, sans cesser d'être naturelles et vraies, et les traits grossiers disparaître entièrement pour ne plus laisser voir que la hardiesse du dessin et le grandiose de la composition.

(1) M. Hetbig dit, de son côté, que, pour la tête de Saint-Denis. Carlier voulut faire le portrait du doyen Campo (Deschamps), chanoine de la collégiale et président du séminaire de Liège, qui se prêta volontiers au désir de l'artiste, mais que la résistance du frère Carme de poser cour le bourreau ne fut vaincue que par l'autorité du prieur du couvent qui obligea le religieux, sous peine de désobéissance, à servir de modèle.

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On ne parla plus, alors, de le redescendre ; mais Carlier, à qui la modicité du prix convenu permettait bien cette petite vengeance, rappela que tout avait été rompu, que le tableau lui appartenait, et ne consentit à le laisser au Chapitre, que pour un prix plus élevé qu'on s'empressa de lui compter avec reconnaissance (')• "

On aurait pu espérer que cette magistrale peinture de Carlier, attachée, comme elle l'était, à la voûte d'un temple, n'aurait point retenu l'attention des agents du gouvernement français en tournée d'enlèvement de nos plus remarquables œuvres d'art. Il n'en fut rien, cependant, et de Villenfagne écrivait, en 1809: <( Le chef-d'œuvre de Carlier était le martyr de St-Denis; ce beau monument est perdu pour les Arts; il ornait la voûte de l'église de ce nom, dans la ville de Liège; on a voulu, dans ces derniers temps, le détacher de cette voûte, sans faire attention à la difficulté de cette opération. Ce tableau, aussi remarquable par sa grandeur que par sa belle exécution, peint sur bois, était enchâssé dans un cadre, ou plutôt incrusté dans une charpente d'un poids énorme; il tomba avec fracas au milieu de l'église et fût endommagé dans toutes ses parties (2) ».

La composition qui remplace aujourd'hui, à l'église Saint- Denis, l'œuvre, si malheureusement détruite, de Carlier, n'est qu'une copie à la détrempe, plus ou moins fidèle, plus ou moins réussie, du tableau du maître. Elle est du peintre liégeois Lovin- fosse, faite alors qu'il était déjà très âgé et plus de mémoire, dit-on, qu'à l'aide des débris du tableau original.

Mais le Musée de Bruxelles possède l'esquisse, très poussée et très belle, d'après laquelle a été exécutée la grande peinture de la voûte de l'église Saint-Denis.

(1) Van Hulst : Vies de quelques Belges, pp. 16 à 18.

(2) de Villenfagne : Mélanges historiques et littéraires, Liège, Duvivier, 1810. p. 74.

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On conserve aussi, au Musée d'Ansembourg, un dessin de Carlier, fait au bistre, rehaussé de blanc, avant-projet d'un Martyre de Saint-Denis, mais tout différent de la peinture exécu- tée, quant à la composition du sujet et à la disposition des personnages.

C'est en 1666 que Carlier avait peint le Martyre de Saint- Denis et de ses compagnons.

Il exécuta encore d'autres travaux importants, aussi bien pour les églises et couvents que pour des particuliers amateurs d'art; pour ces derniers, notamment un certain nombre de portraits qui, parfois, sont de véritables tableaux.

C'est ainsi qu'à la demande du bourgmestre de Liège, Guillaume de Stembier, il peignit une grande toile qui est un tableau d'histoire religieuse en même temps qu'un portrait de famille. Elle représente le Christ apprenant aux Pharisiens que la simplicité des enfants est plus agréable à son père que les subtilités d'une science orgueilleuse. La figure du Christ occupe le centre du tableau, ayant à sa droite tous les docteurs et, à sa gauche, les membres de la famille de Stembier.

La singularité que présente semblable composition et qui peut nous étonner aujourd'hui, se rencontre assez fréquemment dans les anciens tableaux.

Citée souvent parmi les meilleurs travaux de Carlier, cette toile assez vaste (1 m 27 de haut sur 1 m 95 de large) est conservée, actuellement, dans la famille de Theux de Montjardin.

Carlier était encore occupé à peindre un portrait de famille, lorsque sa carrière, si brillamment commencée, fut, tout à coup, interrompue, juste au moment l'artiste, heureusement organisé cependant, était parvenu à son plus haut degré de puissance.

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Liège, en 1675, sous l'influence d'une imminente occupa- tion, aussi bien des Allemands que des Français, était de nouveau en proie aux dissensions intérieures. Ferdinand de Billehé, baron de Vierset, qui venait d'être nommé gouverneur de la citadelle, avait chargé Carlier de le peindre avec toute sa famille et notre artiste se rendait, à cet effet, à la forteresse, lorsqu'un jour, il fut frappé de stupeur en voyant celle-ci envahie par une garnison française. C'était le nouveau gouverneur qui, secrète- ment vendu à la France, avait introduit dans la place quinze cents soldats venus de la garnison française de Maestricht, dans la nuit du 27 au 28 mars.

Les bourgeois de Liège, dès qu'ils apprirent cette trahison, s'armèrent aussitôt et, tandis qu'ils se portaient tumultueuse- ment vers la citadelle, ils rencontrèrent Carlier qui en revenait, en compagnie d'un commandant nommé Beckers, resté étranger à la perfidie du gouverneur. Les prenant l'un et l'autre pour des Français, ces bourgeois exaltés tirèrent sur eux plusieurs coups de mousquet sans les atteindre.

Les versions, même celles des chroniques de l'époque, varient, quant à la suite des événements auxquels fût mêlé Carlier. Selon les uns, il put s'enfuir promptement et n'aurait pas été autrement inquiété; d'après les autres, il fut amené, prisonnier, à l'Hôtel de Ville, mais remis bientôt en liberté.

Quoi qu'il en soit, le saisissement, i'efîroi ressentis par l'artiste, au reste très impressionnable, avait complètement bou- leversé ses facultés et, après deux jours de délire, il fut emporté dans un épouvantable accès de fièvre, le premier avril 1675, à l'âge de 37 ans!

Les productions de Carlier, comme le dit de Becdelièvrs, montrent qu'il aurait été un des premiers peintres de l'Europe, si la mort ne l'avait moissonné dans un âge peu avancé et d'une manière malheureuse.

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Son coloris était remarquablement vigoureux et il avait une bonne entente du clair-obscur. Sans nul doute, si une mort prématurée n'était venue le surprendre, Jean-Guillaume Carlier, estime de même Adolphe Siret, fut devenu un des meilleurs artistes de son époque.

Il ne serait guère possible de faire l'inventaire de tout l'œuvre de Carlier, une partie de ses tableaux étant dispersée au loin ou disparue; mais nous dirons que les Délices du Pays de Liège renseignent encore, parmi ses peintures, un Loih et ses fUles et un Alexandre le Grand au lit de mort.

Le portrait gravé de Bertholet Flémalle, inséré dans cet ouvrage, est la copie d'un portrait à l'huile que Carlier fit de son maître. c< C'est un magnifique portrait, sous tous les rapports, que le portrait de Bertholet par Carlier, dit M. Van Hulst : Figure noble et régulière, l'œil vif exprimant à la fois la gaieté et la bienveillance, la bouche extrêmement gracieuse, une pose on ne peut plus naturelle, et les chairs d'un coloris vrai et plus chaud peut-être que dans aucun autre ouvrage de Carlier (i). »

Pour l'église des Carmes de Liège, Carlier a peint une Sainte-Madeleine del Pazzi. et, pour l'église des Carmes de Jemeppe sur Meuse, Les quatre docteurs de l'Eglise.

Elle au désert serait le sujet d'un tableau qu'il fit aussi pour les Carmes et qui a été enlevé, après l'entrée des Français en Belgique, en 1794.

L'église de Notre-Dame aux Fonts possédait encore une Sainte Famille, de Carlier.

(1) Van Hulst: Vies de quelques Belges, p. M.

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Les Hospices civils de Verviers conservent une toile d'amples dimensions de Carlier: un Crucifiement, et M. Brahy- Prost, de Liège, une Flagellation.

Le Musée des Beaux-arts de Liège a retenu, de son côté, un Saint-Jean-Baptiste et le portrait de Carlier peint par lui- même.

CHAPITRE VI.

GÉRARD DE LAIRESSE

/^ÉRARD de Lairesse, en 1641, mort en 1711, est certaine- ment le plus célèbre, non seulement des élèves de Bertholet Flémalle, mais de tous les peintres liégeois du XVI P siècle. Il est vrai qu'il fut, à la fois, peintre, graveur et historien d'art.

Il avait, au reste, de qui tenir : son père, Renier de Lairesse, était peintre lui-même ; sa mère, Catherine Taulier, était fîlle de Jean Taulier, le maître de Gérard Douffet et ce dernier, qui fut son parrain, lui donna son nom.

Louis Abry, lui aussi, peintre, graveur et écrivain, au surplus élève de Renier de Lairesse, dit dans son livre : Les Hommes illustres de la nation liégeoise, que « les tableaux de Renier de Lairesse égalaient ceux de Gérard Douffet et de Bertholet Flémalle ».

Mais s'il est à notre connaissance que ce vieux maître peignît différents tableaux, entre autres, le Martyre des onze mille Vierges, une Résurrection des morts, le Martyre de Saint-Lau- rent. V Enlèvement d'Hélène, la Mort de Senèque, nulle de ses peintures n'est parvenue jusqu'à nous.

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Ce qui nous porterait à croire qu'il peut s'être glissé quelque exagération dans la comparaison d'Abry, c'est que Renier de Lairesse abandonna la peinture religieuse et historique pour s'occuper exclusivement de décoration.

Houbraken dit cependant qu'il a vu de ses tableaux qu'on aurait certainement attribués à Bertholet. Seulement, ajoute-t-il, sa manière était un peu plus rude et sa couleur moins fondue.

Quoi qu'il en soit, il avait, à ce qu'il paraît, atteint la perfec- tion dans l'imitation des marbres. « Il s'appliqua, avec un succès étonnant, rapporte de Villenfagne, à rendre sur le bois le jaspe rouge, le marbre blanc et ceux des carrières du pays; il les imitait avec tant de naturel que tout le monde y était trompé : il fallait enfin y porter la main pour être persuadé que ce n'était pas du marbre (i) ».

C'était pour entretenir une famille nombreuse, ajoute cet auteur, que Renier de Lairesse fut obligé de recourir à ce nouveau genre; il s'en trouva bien et il fut à même de donner une éducation soignée à ses enfants.

Il avait quatre fils qui semblaient montrer des dispositions pour l'art, les deux aînés surtout; convaincu lui-même de ce que l'artiste qui aspire à s'élever, doit connaître autre chose que le maniement du crayon et des pinceaux, il leur fit étudier les lettres, la musique et même apprendre le latin.

Tous les quatre devinrent peintres: Ernest, l'aîné, s'adonna, non sans succès, à la miniature et à la peinture des fleurs, des fruits et des oiseaux ; les travaux, dans le même genre, des deux plus jeunes : Jacques et Jean, eurent sans doute moins de noto- riété ; mais, par contre, Gérard, qui était le deuxième, dont les heureuses dispositions s'étaient révélées dès l'âge le plus tendre, devait atteindre aux plus brillantes destinées.

(1) Recherches sur l'histoire de la ci-devant principauté de Liège, t. II. p. 317.

GÉRARD DE LAIRESSE d'après le portrait gravé par Jean Varin.

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Après avoir été initié par son père à la connaissance des procédés techniques de son art, Gérard de Lairesse fut placé sous la discipline de Bertholet Flémalle qui le prit en affection, le guida de ses conseils et lui fît partager son enthousiasme pour les monuments antiques et les chefs-d'œuvre modernes de Rome.

On dit qu'à l'âge de douze ou quinze ans, il peignait des sujets de sa composition, s'essayait dans la musique, jouant de plusieurs instruments, et tournant assez agréablement le vers.

Bientôt après, il se fait connaître par d'assez bons portraits; puis, son père ayant obtenu, pour lui, une commande de tableaux d'histoire, il réussit aussi dans la grande peinture et, par ce fait, se concilia la bienveillance de l'électeur de Cologne, Maximilien- Henri de Bavière, évêque de Liège.

En 1660, voulant aller se présenter à la cour de ce prince, il partit pour Cologne, mais s'arrêta à Aix-la-Chapelle afin d'y peindre le Martyre de Sainte-Ursule, tableau destiné à l'église de ce nom.

Cette toile, que le temps a respectée, déjà traitée avec une grande habileté pratique et la remarquable facilité qui devait rester avec l'imagination, le côté brillant du talent de Lairesse, commença sa réputation; mais elle lui suscita, dit-on, parmi les artistes de la ville, des jalousies et des inimitiés nombreuses ; tou- jours est-il que notre peintre renonça au voyage de Cologne, rebroussa chemin et revint à Liège.

Rentré dans sa ville natale, il reprend ses travaux avec une grande activité ; sur commande, il exécute un Martyre de Saint- Lambert, le Baptême et la Conversion de Saint-Augustin, peut- être encore d'autres tableaux religieux, mais il donne aussi cours à sa fantaisie et se livre à si féconde imagination, en peignant différentes toiles dont les sujets sont empruntés à la Fable.

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La Descente d'Orphée aux enfers, Venus et Adonis, Narcisse se mirant dans l'eau. Venus au clair de lune sont de cette époque.

L'important tableau (H. L82, L. 2.16) très intéressant à étudier, la Descente d'Orphée aux enfers qui orna le vaste man- teau de cheminée de l'une des salles de l'habitation de Godefroid de Sélys, ancien bourgmestre de Liège, est actuellement à notre Musée d'Ansembourg. I! a été exécuté en 1662, alors que l'artiste n'avait que 21 ans.

Une autre toile de Lairesse, de beaucoup postérieure en date, plus petite de dimensions (H. 0.90, L. 1.14), mais extrê- mement intéressante, que possède le Musée des Beaux-arts de Liège, est le Tribunal de la sottise ou la calomnie d'Apelles.

Le rhéteur-philosophe grec, Lucien, a décrit un tableau que fit Apelles, citoyen d'Ephèse, pour se venger d'une calomnie dont il faillit être la victime. Cette donnée de Lucien avait déjà inspiré Albert Durer, pour sa fresque de l'Hôtel de Ville de Nuremberg; Raphaël dans son important dessin conservé au Musée du Louvre; Boticelli et autres grands maîtres.

De Lairesse, qui avait toutes les audaces, ne redouta point d'aborder le même sujet après de tels génies.

Quoi qu'il en soit, sa composition est très détaillée et aussi claire que l'a pu être l'allégorie de ses devanciers, dit M. Helbig. qui en donne cette description :

(( Au milieu du tableau, on voit le juge à l'air important et stupide, avec les oreilles de Midas. Appuyée sur son trône : l'Ignorance, les yeux couverts d'un bandeau épais, le sein nu, tenant en main le hochet de la folie, semble inspirer la sentence. A ses pieds est le hibou, l'oiseau des ténèbres. De l'autre côté, le Soupçon, au teint livide, aux pieds crochus, est assis sur les marches du tribunal. Dans les mains, il tient un miroir à verre convexe, parce qu'il dénature tout ce qui se reflète dans son impur objectif.

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Au premier plan, des serpents enlacés se tordent à terre, tandis qu'une colombe se débat sous la serre d'un vautour.

Le juge avance la main vers la Délation. Celle-ci, jeune femme presque nue, furieuse, traîne par les cheveux un jeune homme qui, d'une main, semble s'accrocher à une colonne brisée, tandis qu'il lève la gauche vers le ciel ; à ses pieds est une torche que la Délation a laissé échapper. Celle-ci est conduite par une figure jaune et blême, hideuse à voir: c'est l'Envie personnifiée.

Une charmante blonde, aux yeux bruns, tenant un bouquet de fleurs qu'elle tend au juge, et dont le corps est terminé par une queue de poisson, à la façon des syrènes, précède ce groupe. C'est la Perfidie.

Derrière l'innocent sacrifié, une horrible Euménide le flagelle avec des serpents.

Au loin, on voit le Repentir s'enfuir boiteux, couvert d'un vêtement de deuil. Enfin, dans la région supérieure de la compo- sition, apparaît rayonnante, une palme à la main : la Vérité. Elle est précédée du Temps, qui frappe déjà de sa faulx l'édifice qui sert de temple au tribunal de la Sottise. »

Gérard de Lairesse, souvent aussi, empruntait ses sujets aux Métamorphoses d'Ovide.

N'a-t-il pas écrit: « Dans ma jeunesse, je possédais parfaite- ment toutes les fables d'Ovide, de sorte qu'il suffisait que j'en- tendisse en nommer quelqu'une pour m'en rappeler jusqu'à la moindre circonstance ».

C'est ainsi que l'histoire des tragiques amours du jeune Babylonien Pyrame avec Thisbé, racontée par Ovide, l'inspira, tout comme elle avait inspiré le Tintoret, Le Guide et Nicolas Poussin.

Ses prédilections mythiques l'incitèrent même à transporter, jusque dans le portrait, des scènes mythologiques représentant, par exemple, une nièce du comte de Glimes devenue plus tard princesse de Salm, sous la figure d'une divinité païenne : l'agreste Paies, à laquelle toute une troupe de bergers viennent offrir des fruits avec leurs hommages.

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La galerie, à Vienne, du prince de Lichtenstein possède une réduction de cette toile, achetée à Lairesse.

La nature avait traité peu favorablement Gérard de Lairesse, quant aux avantages extérieurs. M. Alfred Michiels le dépeint en ces termes : « Un front saillant, des orbitres pleines de chair et des sourcils mal dessinés, des pommettes s'égarant vers les oreilles et des lèvres épaisses, mais surtout un nez microsco- pique, oij l'os manquait et dont l'extrémité semblait une petite masse informe ajoutée après coup, étonnait les spectateurs, pro- voquaient même leur gaieté. Il avait, toutefois, des yeux étince- lants et une belle chevelure. Lairesse, cependant, aimait les femmes, recherchait leur entretien et leurs bonnes grâces: il tâchait de compenser par ses discours et ses prévenances le malheureux effet produit par sa figure. »

On raconte qu'une grande dame polonaise étant arrivée à Liège, accompagnée d'une jeune personne extrêmement belle, l'artiste s'enflamma, pour celle-ci, d'un subit amour dont la décla- ration ne fut accueillie par l'enchanteresse que par un sourire moqueur.

Mais doué d'une rare facilité de conception aussi bien que d'exécution, et les commandes se succédant à souhait, Gérard de Lairesse, très jeune encore, voyait au moins la fortune lui sourire agréablement, dans sa ville natale, lorsqu'une malheu- reuse affaire, aventure d'un autre genre, l'éloigna pour toujours de sa patrie.

Il fit la connaissance de deux sœurs, jeunes et jolies filles, originaires de Maestricht, qui lui servirent de modèles. Légère- ment, il s'engagea, vis-à-vis de l'une d'elles, par une promesse de mariage qui contraria vivement sa famille. Sur les instances de celle-ci, il se décida à ne point tenir son imprudent engage- ment, mais la jeune personne n'était point d'humeur à se laisser éconduire de la sorte.

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Informée des nouvelles dispositions de son infidèle amant, assistée de sa sœur, et armées toutes deux, elles attendent le peintre au sortir de son atelier, le somment de remplir sa pro- messe, et, sur sa réponse qu'il n'en fera rien, il reçoit, à la gorge, un coup de poignard.

Suivant l'usage de l'époque, Lairesse portait, au côté, une petite épée de salon. L'ayant tirée, pour se défendre contre les violentes attaques de ces deux femmes armées, le hasard voulut qu'il blessa grièvement une des assaillantes: la sœur ds la délaissée !

L'affaire était grave, la scène s'était passée en plein jour, elle fît scandale et l'arrestation de Lairesse fut ordonnée. Celui- ci, pour jouir du droit d'asile, se réfugia chez les Dominicains qui pansèrent l'entaille qu'il avait reçue et l'abritèrent dans leur maison jusqu'au moment il put trouver l'occasion de passer à l'étranger...

La Hollande, qu'il ne quitta plus, fut son pays d'adoption et il exerça, sur la peinture de ce pays, par sies travaux et ses livres, une influence décisive.

Nous retrouvons, à quelque temps de là, de Lairesse installé très modestement à Bois-le-Duc. Il vient d'épouser une jeune fille qui lui était alliée: Marie Salm. Elle avait témoigné beaucoup d'intérêt, donné même quelques soins à l'artiste, lors de sa mésaventure, et, finalement, l'avait accompagné dans son exil.

Gérard de Lairesse s'est remis courageusement au travail ; déjà sont achevées quelques petites toiles qu'il s'est efforcé de peindre avec un soin tout particulier pour leur donner la finesse qui plait aux Hollandais, mais les acheteurs ne se présentent pas. Il est réduit à fabriquer des enseignes, des paravents, tout ce qu'on lui demande.

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La détresse, néanmoins, commençait à se faire sentir dans le jeune ménage, lorsque notre peintre entra en relations vec un marchand d'objets d'art d'Amsterdam, du nom de Georges Uylenburg, qui lui acheta quelques tableaux, à des prix très modiques, et l'engagea à venir s'établir à Amsterdam, promettant de ne point lui laisser manquer d'occupations, conseil qui fut bientôt suivi par le peintre et promesse qui fut tenue par le mécène, du reste, intéressé.

Les biographies de Lairesse abondent en anecdotes; en voici une qui, si elle n'est point apocryphe, et elle pourrait ne pas l'être, étant donné la nature et l'esprit de l'artiste, montrerait que la jovialité, l'originalité, qui étaient au fond de son caractère, avaient tôt repris le dessus après le changement relativement heureux, survenu dans sa situation. Elle a trait aux premiers rapports qui s'établirent, à Amsterdam, entre le marchand et sa nouvelle recrue.

Uylenburg voulut voir travailler l'artiste.

Ayant fait préparer, chez lui, tout ce qu'il fallait pour peindre, il l'attendit à un jour convenu. Gérard fut ponctuel, se tint quelque temps en face de la toile dans l'attitude d'un homme qui médite, puis, à la grande stupéfaction du marchand, au lieu de prendre la palette et les pinceaux, tira, de dessous son manteau, un violon dont il se mit à jouer, disant à son hôte ébahi que les idées ne lui venaient pas autrement !

Après avoir laissé l'archet glisser et bondir quelques instants sur les cordes au gré de sa capricieuse fantaisie, il commença son tableau, revint encore à l'instrument inspirateur, puis, après plusieurs alternatives de musique et de peinture, il livra au marchand la charmante esquisse d'une Nativité.

Voici l'anecdote contée par Houbraken (t. 111, p. 109) ; elle a un caractère si original qu'elle doit être vraie, dit M. Alfred

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Michiels; et M. Fétis ajoute : qu'on l'accepte ou qu'on la repousse, la renommée de Gérard de Lairesse n'a pas plus à y gagner qu'à y perdre.

Lairesse ne resta pas longtemps sous la dépendance de Uylenburg. Ses premières toiles, que le marchand avait bien placées, chez des amateurs connus et réputés, accueillies, au reste, avec une faveur marquée, le firent bientôt avantageuse- ment connaître et les commandes lui arrivèrent, directement, chaque jour plus nombreuses.

Avec la réputation s'amenèrent aussi l'aisance et même la fortune.

Notre peintre s'installe assez somptueusement, mais avec un luxe de bon goût.

La politesse de ses manières, dit de Becdelièvre, l'enjoue- ment de son humeur, la vivacité de son imagination, la délicatesse de son esprit, rendaient sa société la plus aimable du monde : la joie et les plaisirs paraissaient le suivre partout il se montrait.

N'oublions, non plus, qu'il était aussi musicien et poète.

Sa maison du marché Saint-Antoine devint, dès lors, le rendez-vous de tout ce qu'il y avait de plus réel, à Amsterdam, en fait d'amis des arts et des lettres.

Et l'artiste continue à se livrer vaillamment à son art; c'est même à ce moment qu'il produit ses plus belles peintures de chevalet, ses plus admirables décorations.

La nécessité, suivant les expressions de M. Fétis, ne le pousse plus à faire de la célérité la première condition de son travail. Il médite les sujets qu'il traite et termine ses tableaux avec tout le soin nécessaire. Si ses œuvres se multiplient, c'est qu'il est doué d'une rare facilité d'exécution.

Comme preuve de cette facilité réellement extraordinaire, l'auteur de la Vie des peintres hollandais, le peintre-littérateur.

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Arnold Houbraken, un contemporain de notre artiste, cite le fait suivant :

Lairesse fit, un jour, la gageure, avec un familier de son atelier, Barthélémy Abba, de peindre, dans un seul jour, une composition mythologique représentant Apollon et les neuf Muses, grandeur naturelle d'exécution, avec leurs attributs spéciaux.

Dès le lendemain, de bonne heure, l'artiste se met au travail et le soleil n'était pas encore sur son déclin, lorsque Abba, venu pour s'assurer des chances qu'il avait de gagner son pari, constata que le tableau était très avancé: il ne restait plus qu'à peindre la tête d'Apollon. Lairesse pria son adversaire de poser pour le visage du Musagète. Abba ne put décliner une demande aussi flatteuse pour sa physionomie : Gérard fît donc son portrait, séance tenante et gagna la gageure (i)-

L'histoire racontée par Houbraken paraît encore trop dans la nature de l'artiste, dit M. Helbig, pour ne pas être acceptée; et si c'est une fable, ajoute M. Fétis, elle montre du moins la haute idée qu'on avait de la facilité du peintre liégeois.

Gérard de Lairesse entendait admirablement la peinture décorative et l'ornementation, surtout dans le goût de son époque; aussi, les travaux, en ce genre, qu'il exécuta, tant dans les édi- fices publics que dans des habitations privées, sont très nom- breux.

Avec un art tout particulier, il savait mêler les grisailles aux peintures polychromes et ses imitations de bas-reliefs sont des plus remarquables.

Dans la Maison des lépreux, à Amsterdam, il peignit un de ses plus beaux plafonds.

(t) Houbraken. t. III, p. 109 et suivantes.

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TABLEAU l'eint et gravé par Gérard de Laikessk.

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En collaboration avec le paysagiste hollandais Jean Glauber, il orna de peintures la salle à manger de la reine Marie d'Angle- terre et les appartements du roi Guillaume IH.

Déjà, en 1665, Guillaume prince d'Orange, stadhouder de la Hollande, depuis roi d'Angleterre, l'avait appelé à La Haye, lieu de sa résidence, pour le charger de travaux importants. Plus tard, lorsqu'il fit construire son château de Soestdyck, dans la Gueldre, ce fut encore au même artiste qu'il eut recours pour la décoration de cette grande et belle maison de plaisance.

Il existe toujours, à La Haye, dans le Binnenhof, en la Chambre civil* du tribunal (Gerechtshof) sept peintures décora- tives qui sont restées à la place pour laquelle l'artiste les a exécutées.

C'est à cette époque, enfin, qu'il se mit à graver à l'eau- forte.

Si Gérard de Lairesse n'avait été un grand peintre, dit M. Fétis. il se serait fait, par son seul talent de graveur, une belle renommée.

Ses estampes, assez nombreuses, pour former l'œuvre consi- dérable d'un artiste qui n'aurait manié que la pointe et le burin (environ 250 pièces), ont, comme ses tableaux, pour caractère distinctif la facilité de l'exécution.

Il entendait à merveille le travail de l'eau-forte; sa pointe avait toute la franchise, toute la liberté du crayon. Il traçait de verve ses compositions sur le cuivre, comme sur la toile et sur le papier. Sa main obéissait évidemment au premier jet de la pensée.

Il est inutile de dire, ajoute le même auteur, que Gérard de Lairesse est l'inventeur de toutes les compositions qu'il a repro- duites par la pointe et par le burin. Une seule planche de son

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œuvre rend la pensée d'un autre maître; c'est une sainte Famille d'après Bertholet Flémalle, dont les conseils eurent tant d'influence sur la direction prise par son talent.

Pour l'ouvrage, dont le succès fut considérable en son temps: VAnatomie du corps humain, publié, à Amsterdam, en 1685, par le savant médecin hollandais Godefroid Bidloo, qui était des amis de Lairesse, celui-ci dessina aussi, d'après nature, cent et cinq planches anatomiques qui furent ensuite gravées avec beaucoup d'exactitude et de netteté.

On reconnaît même, généralement, que la vogue de l'ou- vrage fut due, surtout, à la beauté des planches qui l'accom- pagnent.

Les dessins originaux de ces planches anatomiques sont con- servés à la bibliothèque de l'école de médecine de Paris.

En 1690, alors que Gérard de Lairesse atteignait à peine la cinquantième année de son âge, et tandis qu'il était dans toute la vigueur de son talent, un malheur affreux, le plus grand qui pouvait l'atteindre, vint le frapper: Il perdit complètement la vue et, cependant, supporta courageusement ce terrible coup du sort.

La musique, qu'il n'avait pas cessé de cultiver, lui devint, sans doute, d'un précieux secours pour dissiper les sombres préoccupations qui assiégeaient son esprit. Mais, comme l'écrit M. Fétis, qui ne croirait, qu'à dater de ce moment, il ne dut se considérer comme perdu pour son art? Cela ne fut pas cepen- dant :

<i Les artistes d'Amsterdam, peintres, sculpteurs, architectes, rendant hommage à son génie, ainsi qu'à son profond savoir, l'avaient, depuis longtemps, pris pour guide, et venaient le con- sulter toutes les fois qu'ils rencontraient dans leurs travaux un problème dont la solution les embarrassait. Ils se groupèrent, dès lors, plus intimement autour de lui. Gérard avait déposé ses pin- ceaux, ses crayons, mais il lui restait la haute faculté de théorie

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et d'analyse qui formaient la base de son talent. Il tint pour ses confrères, devenus ses disciples, des conférences dans lesquelles il traita successivement de toutes les parties de l'art, depuis ses éléments jusqu'à ses applications les plus étendues. La route qu'il ne lui était plus donné de parcourir, il la montrait à ceux qui pouvaient, grâce à ses conseils, y marcher d'un pas ferme et sûr. Chose nouvelle, c'était l'aveugle qui conduisait vers le but ceux dont les facultés étaient pleines et entières! Ses leçons furent recueillies par ses fils, mises en ordre et publiées par la Société des peintres d'Amsterdam ('). »

Grand livre des Peintres l'art de la peinture est enseigné dans toutes ses parties et expliqué au moyen d'exemples et de gravures, par de Lairesse. peintre, tel est le titre donné à ce recueil des conférences du maître.

La première édition de l'ouvrage parut en hollandais, à Amsterdam, en 1712: 2 vol. in-4, et fut suivie de trois autres éditions, dans la même langue: Amsterdam 1720, 2 vol. in-folio; Harlem, 1740. 2 vol. in-4 et Amsterdam 1745, 2 vol. in-folio. Deux éditions, en langue allemande, parurent, à Nuremberg, en 1724 et 1730, 2 vol. in-4. Enfin, deux éditions, en langue fran- çaise, ont été publiées, l'une à Amsterdam, en 1725; l'autre, à Paris, en 1787, 2 vol. in-4.

On peut juger, par là, du crédit universel, peut-on dire, dont jouissait, au XVIII" siècle, le Grand livre des Peintres, de Gérard de Lairesse. Il est, aujourd'hui, tombé dans l'oubli, sans que l'on puisse assigner un motif plausible, ainsi que le fait observer M. Fétis, à l'abandon qui est devenu le partage du traité de Gérard de Lairesse.

i< Pas un peintre, peut-être, le lit, et tous y trouveraient de précieux avis. Aucune des parties essentielles ou accessoires de l'art n'a été négligée par Lairesse. Il montre, à chaque page de son livre, autant de goût que d'instruction et de science pratique.

(1) Fétis: /.fs Artistes belges à l'étranger.

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Les principes qu'il expose et qu'il développe ne sont pas seule- ment le résultat d'une expérience acquise par de longues années d'exercice; ils sont aussi le produit de la méditation et présentent un enchaînement rationnel.

Dans les chapitres sur le dessin, l'emploi des couleurs et le maniement du pinceau, l'auteur part nécessairement de données élémentaires familières à tous les peintres, mais il arrive ensuite à des considérations d'un ordre élevé dont plus d'un artiste qui croit n'avoir plus rien à apprendre de ce côté, pourrait tirer profit. »

M. Charles Blanc, dans son Histoire des Peintres, apprécie non moins honorablement, le traité de Lairesse : « Cet ouvrage est des meilleurs, il contient d'excellentes vues et convient encore plus aux maîtres qu'aux élèves. Les idées en sont grandes, belles, souvent poétiques (i) ».

En appendice au Grand livre des Peintres, sont publiés quelques chapitres sur l'art de la gravure à l'eau-forte qui cons- tituent, sur cette matière, un traité des plus substantiels. Lairesse s'étant montré aussi habile graveur que grand peintre.

Gérard de Lairesse est mort pauvre, peut-être même dans le dénûment, à Amsterdam, le 28 juillet 1711, à l'âge de 71 ans. et s'il eut de belles funérailles tout ce que la cité hollandaise avait d'hommes distingués vint lui rendre un dernier hommage, ainsi qu'on l'a rapporté alors, ce fut la Société des peintres d'Amsterdam qui en supporta les frais, la même société qui, un an plus tard, devait publier la première édition du Grand livre des Peintres.

Un peintre-écrivain français, plus friand de détails que sou- cieux de vérité, Jean-Baptiste Descamps, dans un ouvrage qu'il

(1) Histoire des Peintres de toutes les écoles, depuis la Renaissance jusqu'à nos jours, par Charles Blanc. G. de Lairesse, p. 6.

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publia, en 1753. Vie des Peintres flamands, allemands et hollan- dais, affirme que si Lairesse est mort pauvre, c'est qu'il était resté, jusque dans sa vieillesse, incorrigible dans ses habitudes de débauche.

Avec M. Fétis, nous ne saurions admettre comme fondées tes accusations lancées contre Gérard de Lairesse. par le bio- graphe français, et répétées, trop légèrement, après lui, par une foule d'écrivains.

La nature de son talent et l'importance de ses travaux démontrent la fausseté de ces allégations.

On a voulu faire payer trop cher au peintre liégeois les erreurs de sa jeunesse.

Ce n'est pas au cabaret que Lairesse a pu acquérir la profonde connaissance des mœurs de l'antiquité qu'on remarque dans ses peintures, dans ses gravures, dans ses écrits; qu'il a formé son goût si délicat: qu'il a pris cette grande manière de concevoir et d'exprimer.

aurait-il trouvé le temps d'exécuter tant de peintures décoratives, tant de tableaux, tant de dessins et d'estampes, lui dont la carrière fut fermée à l'âge de cinquante ans par une cruelle infirmité, s'il avait été l'hôte assidu des estaminets? Et puis, ne sait-on pas qu'il cherchait dans la musique et dans la poésie une distraction aux sérieuses études de son art? De pareils instincts sont incompatibles avec le penchant qu'on lui prête pour les orgies.

Une chose dont on est frappé encore, en lisant l'ouvrage de Gérard de Lairesse, c'est de voir que l'homme auquel certains biographes prêtent les sentiments les plus bas, exprime, à chaque page de son livre, des pensées d'une remarquable élévation, et n'envisage jamais les choses que par leur côté le plus noble et le plus poétique.

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Enfin, n'a-t-il pas mis au bas d'un grand nombre de ses allégories des maximes morales relatives au danger des passions, aux suites funestes des entraînements de l'amour et de l'intem- pérance. Et c'est l'homme que trop de biographes, même de son pays, prétendent avoir été un débauché, un ivrogne !

Oh! nous savons que l'on a raconté une aventure assez fâcheuse qui lui serait arrivée, alors qu'il était dans une situation brillante, mais elle serait vraie, cette aventure, qu'elle ne prouverait rien encore. Que le lecteur en juge.

Il paraîtrait, qu'en 1672, pendant l'invasion de la Hollande par les troupes françaises, lorsque celles-ci s'étaient avancées jusque près d'Amsterdam, et tandis que les paysans des environs s'enfuyaient vers la ville, Lairesse, qui avait été passer la soirée chez des amis, à la campagne, s'en retournait chez lui, en chantant quelque refrain dont les paroles étaient en français. On l'aurait pris pour un espion, arrêté et enfermé, provisoire- ment, dans un souterrain ; par le soupirail, il aurait hêlé un passant qui, mis au courant de la situation dans laquelle se trouvait le peintre et le malentendu dont il était victime, serait allé prévenir sa femme, laquelle accourue, aurait, sans peine, obtenu sa délivrance.

Sans doute, Gérard de Lairesse a joui assez longtemps d'une grande prospérité, mais, pour expliquer la gêne en laquelle ce grand artiste s'est trouvé dans sa vieillesse, écartant jusqu'au soupçon d'inconduite d'où l'on voudrait faire dépendre son dénû- ment et que l'on fait planer sur toute sa vie, ne suffit-il donc pas de se souvenir qu'il n'était nullement préparé à une incapacité de travail aussi prématurée que celle dont il fut frappé à l'âge de cinquante ans, et qu'il était aveugle depuis vingt ans, lorsqu'il rendit le dernier soupir?

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Des tableaux de Gérard de Lairesse figurent dans presque tous les grands musées d'Europe, ainsi que dans nombre d'im- portantes collections particulières.

Le Musée des Beaux-arts de la ville de Liège possède du maître, indépendamment de la Descente d'Orphée aux enfers et du Tribunal de la Sottise ou la Calomnie d'Apelles, une Judith et l'esquisse très poussée, en huit panneaux, du Triomphe de Paul Emile, une des œuvres les plus marquantes de Lairesse, exécutée pour le bourgmestre d'Amsterdam, Pancratius.

Nous venons de rappeler les noms des artistes qui. au XVII" siècle, ont marqué avec le plus d'éclat dans l'histoire de la peinture au Pays de Liège. Nous avons aussi, incidemment, en parlant de leurs élèves, montré qu'autour de ces maîtres se groupent beaucoup de peintres, d'un mérite secondaire, sans doute, mais qui ont, néanmoins, joui, en leur temps, à juste titre, d'une assez grande réputation.

Il en est un encore qui appartenait à cette même Ecole liégeoise du XVI T siècle, et dont l'occasion ne s'est présentée d'en faire ici mention, parce qu'il ne se plaça sous la discipline d'aucun maître, préférant ne s'inspirer que de la nature et voyager {x»ur s'instruire.

Nous voulons parler de Walthère Damery.

à Liège, en 1610. y décédé en 1672. Walthère Damery appartenait à une famille de peintres, mais ce ne fut qu'après avoir terminé ses humanités qu'il prit les pinceaux et la palette, à son tour, sans passer par aucun atelier.

C'est, tout d'abord, en Angleterre qu'il se rend, attiré en ce pays on ne sait par quelles circonstances. Après y être resté plusieurs années, pendant lesquelles il s'adonna à la peinture de portraits, il visita la France, puis se dirigea vers Rome. Il y fit un assez long séjour, s'attachant particulièrement à l'étude des

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œuvres de Cortone qui, avec le chevalier Bernin, y florissait alors, et dont il subit l'influence du maniérisme académique.

Revenant d'Italie, Damery s'arrêta à Paris pour y peindre, dans la coupole de l'église des Carmes de la rue Vaugirard, la vaste composition qui s'y trouve actuellement encore. Elle repré- sente le prophète Elie enlevé au ciel, sur un char de feu, pendant qu'Elisée, son disciple, resté sur la terre, étend les bras pour recevoir le manteau qu'il laisse tomber.

M. Henri Delaborde a analysé et apprécié cette œuvre importante, dans un article intitulé: La peinture des coupoles, publié dans la Revue des deux Mondes, du 15 décembre 1863, et bien que le critique français, dont la compétence est bien connue, attribue, par erreur, ce grand travail à Bertholet Flé- malle, son appréciation flatteuse n'en subsiste pas moins à l'adresse de Damery: k Tout enfin, dans ces peintures sagement composées, sagement faites, révèle un esprit et une main bien informés: tout émane d'une science sans arrogance, mais non pas sans certitude, et qui, sous les dehors de la simplicité, de la bonhomie même, si l'on veut, a un fond de valeur propre, et son genre d'autorité ».

Parmi les autres œuvres conservées de Walthère Damery, nous mentionnerons spécialement:

A la Pinacothèque de Munich : Saint-Norbert, fondateur des Prémontrés, recevant, des mains de la Sainte-Vierge, l'habit blanc de son ordre.

Au Musée de Mayence : La Sainte-Vierge donnant le scapu- laire brun de l'ordre de Carmes à Saint-Simon Stock.

Au Musée des Beaux-arts de Liège : Vision de Saint-Dom.i- nique.

A l'église Ste-Foy, à Liège: La Sainte-Vierge entourée des figures symboliques de ses propres vertus.

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A l'église du Séminaire, à Liège: La Sainte- Vierge remettant le scapulaire blanc à Saint-Norbert.

Cette dernière peinture a beaucoup souffert; on y constate des retouches malheureuses.

A l'église Sainte-Marie-des-Lumières, en Glain, près de Liège : La présentation de Jésus par la Sainte-Vierge au temple est encore un tableau attribué à Damery.

Walthère Damery eut pour élève son neveu, Gilles Hallet. qui, à Liège, en 1620, partit, très jeune, pour l'Italie et se fixa à Rome, il termina ses jours, en 1694.

L'œuvre de ce peintre nous est peu connue; il était réputé avoir de l'imagination et posséder à fond les principes de son art.

Il travailla beaucoup pour les églises de la ville éternelle. Quatre toile dues à son pinceau et représentant la Nativité de la Sainte-Vierge, son Mariage, l'Annonciation et la Visitation ornent encore, aujourd'hui, la sacristie de l'église Dell' anima, à Rome.

Une gravure de Benoît Fariat nous a conservé la compo- sition d'un auire tableau de Hallet: la Translation par les anges de la maison de la Sainte-Vierge à Lorette.

On lit, au bas de cette belle estampe: » ^Cgidius Hallet invenit et delineavit; Bened. Fariat sculpsit Romœ ».

On voyait, à Liège, autrefois, plusieurs beaux dessins de sa façon, dit de Becdelièvre, mais la plupart ont malheureusement péri, lors du bombardement de cette ville par les Français, en 1691 (I).

Gilles Hallet avait acquis une assez belle fortune dont il légua, par testament, l'usufruit à sa sœur Catherine Hallet et le capital K pour la subsistance et l'entretenance des orphelins abandonnez de la paroisse de Sainte Foy de Liège, son pays ».

(1) de Becdelièvre: Biographie liégeoise, t. II, p. 354.

CHAPITRE VII.

LE XVIir SIÈCLE

Plumier - coclers - fassin - defrance

Dès l'aube du XVIII' siècle, l'art perd en élévation ; il porte, en tous pays, les marques d'une réelle décadence. Les continua- teurs affaiblis des peintres du XVII' siècle ne sont dominés par aucun grand artiste : nous assistons à une éclipse totale et générale du génie artistique.

Le critique d'art français, directeur au ministère des Beaux- arts, M. Paul Mantz, a emprunté au théâtre une comparaison heureuse pour définir cette époque: le XVIII' siècle, dit-il, est comme un long entr'acte la scène, jadis, si noblement occupée, demeure triste et déserte.

Le pays de Liège compte encore de nombreux artistes, mais ils sont tous d'ordre secondaire.

Le mérite de la plupart de nos peintres se tient entre les limites d'une honnête médiocrité, dépassées par quelques-uns seulement.

Il en est cependant qui acquièrent une assez grande notoriété ; tels, tout d'abord Edmond Plumier et Jean-Baptiste Coclers, l'un et l'autre nés sur le seuil du XVIII' siècle: Plumier en 1694;

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Coclers en 1696, mais tandis que le premier voyait sa carrière se fermer à l'âge de 39 ans, en 1733; Coclers, plus favorisé, peignit, peut-on dire, jusqu'au jour même de sa mort survenue le 23 mai 1772, à l'âge de 76 ans.

Edmond Plumier (1694-1733), élève à Liège, d'Englebert Fisen, à Paris, de Nicolas Larguillère dont il prit la manière, aurait marqué davantage parmi nos meilleurs peintres du siècle, s'il n'était, comme Carlier, mort en pleine maturité de talent.

Lorsqu'après un assez court séjour en Italie, Plumier revint à Liège, le prince-évêque régnant alors, Georges Louis de Berghes, lui demanda de peindre son portrait. On ignore ce que cette toile est devenue, mais il faut croire qu'elle était en tous points réussie, car on vit la plupart des familles patriciennes du pays de Liège lui commander aussi des portraits.

Les comtes d'Oultremont témoignèrent spécialement à l'ar- tiste une grande faveur, et aujourd'hui encore, il existe, au château de Warfusée, sept portraits de membres de cette ancienne famille, cinq de femmes et deux d'hommes, tous dus au pinceau de Plumier.

Une de ses bonnes toiles: l'Enlèvement de Proserpine est conservée au même château.

Pour les églises de Liège, il exécuta plusieurs grands tableaux d'autel.

Un Saint-Benoît enlevé au ciel, peint pour l'église Saint- Jacques, et qui passait pour son chef-d'œuvre en ce genre, a été dirigé sur Paris, en 1794. Il est aujourd'hui perdu.

Le Martyre de Sainte-Catherine, qu'il fit pour le maître-autel de l'église du même nom, occupe encore la place pour laquelle cette grande page décorative, ceintrée par le haut, a été conçue et peinte.

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Il en est de même d'une Descente de croix exécutée pour l'église Saint-Remacle au pont, et qui, enlevée par les armées françaises, a été restituée en 1815 ; mais cette dernière toile a subi des retouches aussi nombreuses que maladroitement faites, et l'état dans lequel elle se trouve ne permet guère d'en apprécier la valeur. Elle est signée et datée de 1718.

Au nouvel Hôtel-de-Ville, reconstruit en 1714, Plumier peignit le tableau posé sur la cheminée de la salle du Collège, autrement dit, l'antichambre de la salle du Conseil, on peut le voir encore, actuellement, et qui lui fut payé 750 florins. C'est une allégorie relative à la principauté de Liège. Le perron apparaît dans le fond de la composition.

La figure de femme, très peu vêtue, qui se trouve au premier plan, a scandaliser nos magistrats communaux de 1750, ar un Recès du Conseil, du 20 mars de cette année, porte que Coclers k peintre commissionné de la cité » est chargé « de faire des draperies convenables et suivant l'art, pour cacher les nudités des figures qui sont à l'antichambre du Conseil! (i) »

11 ne paraît aucunement, à l'examen de la toile, que cette bizarre résolution ait jamais été mise à exécution !

Les trois médaillons servant de dessus de porte de la même salle, figures allégoriques, sont également du pinceau de Plumier.

Les comptes communaux renseignent encore que, dans les années 1719-1720, il a été payé •< au sieur Plumier, peintre, pour une peinture du plafond de la chambre du Conseil, 500 florins; 1724-1725, pour le portrait de S. A., 320 florins; 1725-1726. pour les figures qu'il ajoute aux paysages de Jupin, 800 florins (2). »

(1) Archives de l'Etat, dépôt de Liège.

(2) S. Bonnans : Extraits des comptes cotnmunaux de la Ville de Liège.

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Les œuvres de cet artiste se distinguent, généralement, par le coloris et l'élégance du dessin. Il peignait avec ampleur et assu- rance, ne manquait, certes, pas d'habileté, et ses compositions sont pleines de verve, de mouvement.

]ean-Baptiste Coders (1696-1772) a joui, durant sa longue carrière, d'une grande notoriété; aussi son atelier fut-il très suivi.

Dans sa famille, originaire de la ville de Maestricht, mais établie à Liège, l'art de peindre semble se transmettre, en quelque sorte, comme un héritage.

Très nombreux, en effet, sont les artistes de ce nom ; il est aisé de comprendre, dès lors, que les informations les concernant, données par les biographes, manquent parfois de précision, lorsqu'elles ne sont pas contradictoires.

Il est difficile aussi de restituer, dans les travaux qu'ils ont laissés, la part qui revient à chacun d'eux. Jean-Baptiste paraît cependant être celui qui a le plus marqué et comme production et comme renommée.

Dès l'âge de dix-sept ans, il partit pour Rome et, durant le long séjour qu'il fit en cette ville, seize années, dit-on, il épousa une Romaine qui lui donna plusieurs enfants. Se disposant, néanmoins, à rentrer dans son pays, il s'embarqua ; mais s'étant arrêté, à Marseille, pour y peindre à fresque une spacieuse muraille de la Bourse, œuvre que le temps a détruite, il eut le malheur de perdre femme et enfants, dans une épidémie, pendant l'exécution de ce travail.

Remis en route, vers la terre natale, il dut, de nouveau, s'arrêter à Beaune, se trouvant sans ressources, pour continuer le voyage. Là, il épousa, en secondes noces, la fille d'un brave aubergiste, du nom de Bertrand, lequel avait consenti à l'héberger, malgré la pénible situation financière de Coclers.

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Rentré, enfin, à Liège, il y obtint immédiatement de l'occu- pation: le portrait qu'il fit aussi du prince-évêque Georges- Louis de Berghes, aurait de même été le point de départ de sa réputation. Ce qui est certain, c'est que, travaillant avec une grande facilité, il a beaucoup produit, peignant de nombreux portraits, exécutant des tableaux d'églises, des décorations d'ap- partements, dites tapisseries, des plafonds, réussissant enfin, dans ces différents genres.

Le plafond de la grande salle, à l'étage de l'hôtel d'Ansem- bourg (Musée des Arts décoratifs) est signé J.-B Coclers, 1741; au centre : un sujet allégorique ; dans un coin : des démons préci- pités; au-dessus de la cheminée : un guerrier sur le bouclier duquel se lit cette devise : «i Nec sorte, nec fato ».

Ce plafond a très bien conservé le vif des couleurs avec lesquelles l'artiste a peint les différents personnages.

J.-B. Coclers eut pour élèves la plupart des peintres du pays de Liège qui «e distinguèrent, dans la seconde moitié du XVIII' siècle. Martin Aubée, Jean Latour, et surtout Nicolas Fassin et Léonard Defrance sont de ce nombre.

Nicolas Fassin (1728-1811) dont le père, le chevalier de Fassin, a été successivement échevin, bourgmestre de Liège et ministre du prince Georges-Louis de Berghes, reçut très jeune, alors qu'il faisait ses humanités, des leçons de J.-B. Coclers, mais ce ne fut que beaucoup plus tard qu'il s'adonna complètement à la peinture.

A l'âge de vingt ans, il s'était rendu à Paris, peut-être avec l'intention d'a'Ier s'y perfectionner dans l'art vers lequel il sem- blait porté par vocation. Toujours est-il que la guerre, dite de sept ans, venant à éclater entre la France et la Prusse, il prit du service dans les mousquetaires gris du roi de France et fut, de suite, nommé officier, vraisemblablement, à cause du nom qu'il portait.

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En 1754, à la suite de difficultés avec des officiers qui l'accu- sèrent faussement, ainsi qu'il a été établi, d'avoir voulu passer à l'ennemi, il quitta le corps des mousquetaires mais ce fut pour organiser une compagnie, dans le régiment de cavalerie, que le maréchal de Belle-Isle avait créé en prenant possession du minis- tère de la guerre.

La paix conclue, Fassin donna sa démission d'officier et se rendit à Anvers pour y reprendre ses études académiques. Agé de 40 ans, il gagna ensuite l'Italie, séjourna à Rome et à Naples, voyagea en Savoie et en Suisse, se fixa, pendant quelque temps, à Genève il fut admis à faire le portrait de Voltaire qui résidait alors dans le voisinage, au château de Ferney ; enfin, après être retourné en Italie, avoir passé quelques semaines à Marseille et fait encore un séjour en Savoie et à Genève, notre gentilhomme-peintre rentra à Liège, en 1770.

S'étant lié d'amitié avec le peintre Léonard Defrance, ils conçurent ensemble le projet de doter leur ville natale d'une académie. Ils en soumirent les plans d'organisation au prince- régnant, Velbruck, amateur et protecteur des arts. Ce prélat seconda leurs vues, en dotant l'école nouvelle d'une pirtie des biens des jésuites, dont l'Ordre venait d'être supprimé par le pape Clément XIV.

Léonard Defrance fut nommé, à la suite d'un concours, premier professeur de cette académie et, peu de temps après l'inauguration de celle-ci, Nicolas Fassin alla s'établir à Spa, attiré en cette charmante localité, tant par ses beautés naturelles que par les occasions qu'il y trouvait de vendre aux étrangers ses travaux rappelant ceux des paysagistes hollandais. Both et Berghem. en grande faveur.

Fassin résida à Spa jusqu'à la réunion du pays de Liège à la France, époque à laquelle il revint définitivement dans sa ville

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natale. Il y mourut, le 21 janvier 1811, après s'être montré très laborieux jusque dans les derniers jours de sa verte vieillesse. Ses meilleures productions datent même de cette période de sa vie.

M. HeJbig a apprécié justement le mérite de cet artiste : K Fassin, dit-il, avait un talent aujourd'hui démodé, mais pourtant ferme, souple, aimable; son pinceau laisse rarement apercevoir les traces de fatigue, même dans ses toiles les plus achevées. Il était peintre, et, pour se rendre aussi complètement maître des ressources de la palette, en commençant les études à un âge la plupart des artistes sont déjà parvenus à toute la maturité de leur talent, il fallait une organisation d'élite. Il ne lui manquait, pour prendre la place d'un maître dans l'histoire de l'art, qu'un senti- ment plus profond de la nature, ou, si l'on aime mieux, une originalité plus marquée. Sa couleur est harmonieuse, son dessin est suffisamment correct; plus d'une de ses compositions offre un caractère de poésie et d'ampleur que l'on ne saurait mécon- naître (1). 'I

Le Musée des Beaux-arts de Liège possède un tableau de Nicolas Fassin : un paysage, avec figures et animaux, emprunté aux côtes de l'Italie.

Léonard Defrance (1735-1805) a été, en même temps, le dernier et le plus réputé des peintres du pays de Liège, au XVIII' siècle.

L'état civil du 8 ventôse an 13 (27 février 1805) fait ainsi mention de son décès:

K Léonard Defrance, âgé de 69 ans, peintre, demeurant rue Pierreuse, 296, époux de Marie-Jeanne Joassin. »

(1) Helbig : La Peinture au Pays de Liège, édition, p. 445.

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L'article nécrologique que lui consacra la Gazette de Liège, dans son numéro du 7 ventôse, est signé P.-J. Henkart (!)•

(( La ville de Liège vient de perdre un artiste célèbre.

» Léonard Defrance, dans ses murs, le 5 novembre 1735, a cessé de vivre, le 5 ventôse an 13, des suites d'un asthme, dont il était tourmenté depuis plusieurs années.

» L'un de ceux qu'il nommait les amis de son cœur acquitte un faible tribut, en jetant quelques fleurs sur sa tombe !

» Defrance honora sa patrie comme citoyen.

» Zélateur ardent de la liberté de son pays, persécuté, proscrit pour avoir embrassé sa cause, il lui est resté fidèle et a mérité ainsi l'honneur de la servir.

» Le talent de son pinceau, les efforts de sa plume furent constamment employés contre les excès de l'intolérantisme et les prétentions despotiques de l'ancien régime: magistrat populaire à la révolution de Liège, et après la réunion de ce pays à la France, nommé administrateur du département, le zèle du fonctionnaire fut toujours égal à son intégrité.

» Il honora sa Patrie, comme artiste.

» Un Prince, ami de son peuple, ami des arts; un Prince qui connut, protégea le goût naturel des Liégeois pour la peinture, Velbruck créa, dans la ville de Liège, une académie de dessin ; Defrance en fût nommé premier professeur par la voie du con- cours, la seule qui écarte les préférences d'une protection aveugle et met le talent à sa véritable place : celui de Defrance forma bientôt des élèves qui se sont distingués dans la carrière : des succès non moins heureux lui ont souri.

(I) Henkart Pierre-Joseph, à Liège, le 13 février 1761, nommé, avec dispense d'âge, par le prince Velbruck, chanoine de l'église collégiale de St-Martin (distinction purement lucrative et qui n'imposait point l'obligation de se vouer au célibat) ; membre du Conseil de régence (8 mai 1790), chargé de missions à Paris et à Francfort.

Sa probité, son noble dévouement à la chose publique, le zèle et la capacité qu'il avait montrés dans toutes les missions dont il avait été chargé lui avaient acquis la confiance de ses concitoyens. Successivement juge et procureur du roi, à Liège, il remplissait encore cette charge, lorsqu'il mourut, le 9 septembre 1815. (de Becdelièvre : Biographie liégeoise, t. II, p. 658).

PORTRAIT VE LÉONARD DEFRANCE

Pbint par lui-mêmk

Musée des Beaux Arts de Liège.

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11 En 1789, Guttenberg avait gravé un de ses tableaux, fruit d'une imagination à la fois piquante et philosophique, et l'aca- démie des sciences de Paris couronnait un mémoire, résultat de ses profondes connaissances de la nature et de l'emploi des couleurs.

» A cette époque, il abandonna la peinture, qu'il aurait cultiver toujours pour son repos et pour sa gloire, et il se livra aux affaires publiques qui ne lui ont attiré que des haines et des calomnies, mais aux yeux des patriotes, dont la devise était : Justice et humanité, ses preuves de citoyen étaient faites, comme ses titres de peintre étaient établis aux yeux des vrais connaisseurs : ils savent à quel degré Defrance possédait ces deux parties importantes de son art, la perspective et le clair-obscur; ils savent qu'il a embelli, augmenté le domaine de la bamhochade, soit qu'imitateur heureux de Tenniers, il retrace nos joyeux cabarets de village, les scènes familières, les plaisirs, les malices de nos bons paysans, avec une touche spirituelle, une vérité qui séduisent ; soit qu'ennoblissant le sujet, il représente nos manufactures nombreuses, nos forges, nos usines, avec ces efïets piquants de lumière qu'il sait si bien rendre, avec ces accessoires ingénieux qui enrichissent ses compositions: c'est ainsi qu'il s'est placé au rang des peintres que Liège nomme avec orgueil. »

D'aucuns ont essayé, même avec âpreté, dans ces derniers temps surtout, de ternir la mémoire de Defrance ; ainsi, du reste, que la mémoire de Bassenge. de Henkart et de Reynier, qui. comme lui, ont été des artisans de la Révolution liégeoise de la fin du XVIFI' siècle, laquelle a provoqué la chute de l'ancien régime. Mais nu! n'a dénié à Defrance son talent de peintre, et nous n'avons, ici du moins, à considérer que l'artiste.

M. Théodore Gobert. le plus ardent, peut-être, parmi les détracteurs de Defrance, déclare lui-même ne point contester qu'il se soit signalé avantageusement dans l'art pictural. « Nombre de ses œuvres, dit-il, l'Exposition de l'Art ancien de 1905. à Liège, a permis de l'attester nombre de ses œuvres sont

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marquées au coin d'un réel cachet artistique. On doit admirer souvent la coloration vive, l'aisance, la justesse, le naturel, dans la plupart de ses scènes de genre et de ses portraits (i). »

Et M. Joseph Demarteau, dans la préface du catalogue de l'Art ancien au Pays de Liège, à cette même exposition de 1905, sans être plus que M. Gobert, bien disposé en faveur de l'homme politique Defrance, reconnaît que celui-ci « a peint avec esprit et finesse, avec un talent qui fait i>enser à Meissonier et aux Madou, de menues scènes de genre, d'un genre parfois risqué (2) )>.

Léonard Defrance a écrit lui-même sa biographie. Comme il le 'déclare: <c Sans m'assujettir à aucun plan, à aucun ordre, je dirai ce qui m'est arrivé, ce que j'ai cru voir et observer en autrui comme en moi-même, au fur et à mesure que ma mémoire me le fournira ».

Et il ajoute: «i S'ennuiera qui voudra, si jamais ceci voit le jour? »

Le manuscrit de Defrance, quoique inédit alors, a été suivi dans ses grandes lignes par l'auteur de l'article consacré à ce personnage dans la Biographie liégeoise de Becdelièvre, publiée en 1836.

M. Louis Van Scherpenzeel Thim, consul de Belgique à Tunis, possède aujourd'hui l'original de cette autobiographie.

Une copie, écrite en entier de la main de M. le D' Alexandre, de son vivant archiviste provincial, est déposée à la Bibliothèque de l'Université de Liège et elle porte cette mention, toujours de la même écriture: " Copié d'après l'original communiqué par M. Van Scherpenzeel Thim, directeur général des mines », le père du détenteur actuel du manuscrit de Defrance.

(1) Th. Gobert: Autobiographie d'un peintre liégeois (Léonard Defrance). Liège, 1906. p. 5. Les Rues de Liège, t. l. p. 379.

(2) Jos. Demarteau : L'Art ancien au Pays de Liège, préface, p. XXXVL

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C'est cette copie que M. Théodore Gobert, l'actuel archi- viste provincial, a publiée dans son travail sur Léonard Defrance.

Nous allons en donner quelques extraits relatifs à la vie de l'artiste:

" Jean-Charles Defranoe et Marie-Agnès Clermont sont mes père et mère. Ils ont eu onze enfants; il y en avait dix vivans quand ma mère est morte. Je suis le second de tous, le 5 novembre 1735. Je me nomme Léonard.

A dix ans, l'on me mit chez un peintre nommé J.-B. Coclers, pour apprendre un peu de dessin, pour passer après chez un orfèvre ou argentier.

C'était l'état que l'on me destinait, mais mon maître, qui ne manquait pas de talent, crut trouver en moi quelque disposition pour la peinture, ou, soit qu'il eut besoin d'élève, proposa à mon père de me laisser chez lui. Je fus. après neuf mois d'épreuve, engagé pour sept ans. Ils s'écoulèrent à jouer, à dessiner, à peindre, à broyer ses couleurs, à imprimer ses toiles; je fis enfin foutes sortes d'ouvrages nécessaires aux peintres de pro- vince, où l'on ne trouve pas les couleurs apprêtées à pouvoir peindre en sortant de chez le marchand, comme à Paris, à Rome, etc.

A treize ans, je peignis. Mon amour pour le jeu, mes espiègleries et tous les amusements de l'adolescence, ma paresse même ne m'empêchèrent pas de faire quelque progrès dans cette partie de l'art. Je copiais passablement un tableau, sur la fin de mon terme, quand le tout était à peu près dessiné, soif par le moyen des carreaux, quand il s'agissait de copier de petit en grand, ou de grand en petit, soit par le moyen d'un voile; je ne savais nullement dessiner.

Peu de mois après que le temps de mon engagement fut expiré, il fallut songer à partir pour Rome. Ce voyage était annoncé, dès mon engagement; de temps à autre, on s'en entre- tenait, ainsi que de ceux que d'autres artistes entreprenaient. Je me procurais une grammaire de Venenoni que je feuilletais presque tous les jours, pendant plus de deux ans.

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Je partis pour Rome, le 3 de septembre 1753, par les Ardennes sur Longwy, la Loraine, l'Alsace, la Suisse, par Bâle, Lucerne, le Mont Godtard, 'e Milanois, les duchés de Parme et de Modène, les Etats du Pape, par Bologne et Lorette ; enfin, j'arrivai à Rome, le 13 octobre, après 40 jours de marche.

Je fus reçu à l'Hospice des Liégeois (Fondation Darchis) pour y rester pendant cinq ans. »

Defrance narre ensuite combien, dans les premiers temps de son séjour à Rome, alors que, dans le but de gagner un peu d'argent, il voulut travailler pour un marchand de copies de tableaux, combien il eut à regretter, à quel point il fut humilié de ne pas avoir suffisamment appris le dessin.

Instruit par l'expérience, s'étant rendu compte que sans posséder la science du dessin, un peintre ne peut arriver à quoi que ce soit:

« Je pris, dit-il, la ferme résolution de ne rien faire doréna- vant, quelque fut mon état de détresse, qui ne contribua à mon avancement dans le dessin. Effectivement, depuis, j'assure de n'avoir pas laissé passer un seul jour, dans le cours de trois années, sans l'avoir sacrifié à dessiner.

Je ne me bornais pas, cependant, à dessiner ; la conversation de mes camarades m'avait fait sentir que l'anatomie, l'ostéologie étaient indispensables; je m'y appliquais. J 'étudias les formes des différentes parties du corps humain, celles des muscles, leurs fonctions dans la nature; je comparais les plus belles statues entre elles, je cherchais les sujets de leurs différences.

Combien de fois n'ai-je pas mis les statues de Germanicus, du gladiateur combattant, en parallèle avec l'Apollon du Belvédère et l'Hercule de Farnèse!

Je ne savais accorder des perfections, des beautés si diffé- rentes. Ce n'est qu'à la longue et à la faveur de la lecture de l'histoire, de la mythologie, des poètes, que j'ai vu que ces ouvrages immortels étaient le fruit du génie. »

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Ce qui restait à courir des cinq années pendant lesquelles les pensionnaires de la Fondation Darchis sont reçus à l'Hospice liégeois de Rome, secoula ainsi: » J'étais content de mon sort, dit Defrance, j'étudiais en gagnant de l'argent ».

Le terme fatal arrivé, Léonard Defrance quitta cette demeure fiospitalière et, quoique abandonné à ses seules forces, il prolongea d'un an son séjour en Italie, visita NapJes et, en mars 1759, il entreprit le voyage de retour vers la patrie.

Etant passé par Florence, Bologne, Venise, Padoue. Milan, il traversa, de nouveau, les Alpes et arriva à Montpellier. Ses finances ne lui permettant pas de continuer sa route, il s'arrêta en cette ville et y fit quelques portraits, en vue de se procurer des ressources nouvelles.

C'est ensuite à Castres qu'il séjourna, huit mois durant, pour exécuter des portraits qui lui étaient demandés, notamment celui de l'évêque de cette ville.

A Toulouse, il se rendit après Castres, il peignit un portrait-tableau qui, exposé à l'Hôtel-de-Ville, en 1763, fut beaucoup admiré ; aussi, les commandes lui parvinrent nom- breuses et Defrance aurait pu se créer une situation enviable, mais la persepective d'un bel avenir ne l'y retint pas.

« Je partis en bateau, sur la Garonne, pour Bordeaux, et de là, à cheval, sur Paris. Je restai peu dans cette grande ville, me proposant d'y revenir pour m'y fixer, quand j'aurais revu mon père et ma famille. Ce projet est resté sans exécution parce que, rentré à Liège, j'y courtisai une cousine que j'épousai. »

Etabli définitivement dans sa ville natale, en 1765. Defrance fut, de suite, chargé de faire le portrait du prince-évêque, Charles d'Oultremont, mais ce portrait, quoique très ressemblant, dit-on, trop peut-être et pas assez flatté, ne satisfit point le prélat, ni, naturellement, sa cour.

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Tombé en disgrâce, Defrance se trouva bientôt réduit à peindre indifféremment tout ce qui se présentait : devants de cheminée, dessus de porte, paysages, natures mortes, jusqu'à des décorations de théâtre.

Il en était encore à travailler de la sorte, et à tous prix, lorsque Fassin, en 1772 ou 1773, l'emmena avec lui, dans un voyage en Hollande, pour y étudier les écoles flamandes et hollandaises.

C'est ainsi que les deux artistes assistèrent, à Amsterdam, à la vente de la collection de tableaux du bourgmestre Van der Marck.

<( Après avoir observé, pendant' plusieurs jours, tous ces tableaux, et fait attention aux prix auxque's ils étaient adjugés, j'eus la vanité, écrit Defrance, de croire que de plusieurs qui s'y vendirent assez bien, je pourrais en faire de pareils.

Aussitôt que je fus de retour à Liège, je peignis, en petit, trois ou quatre tableaux, d'après des copies que Fassin avait faites; et cela, pour assujettir ma main vagabonde qui, depuis sept à huit ans, ne faisait que placarder de la couleur sur des toiles. Je fus satisfait de moi-même, de mes essais en petit. Je me mis à composer des tableaux. J'envoyai les premiers en Hollande, à des marchands; ils furent acceptés et payés. J'essayai d'en emporter quelques-uns à Paris.

Avant de les présenter à personne, je les montrai au citoyen Fragonard, que j'avais connu à Rome. Cet aimable artiste en parut content. Je lui confiai que je venais tenter fortune. Il me demanda les prix de ceux que je lui montrais et, le lendemain, ils étaient vendus. J'eus lieu d'être satisfait de mon entreprise, mais ce qui m'a le plus flatté, c'est qu'il m'en a demandé pour lui- même.

Je profitai de ce débouché que je trouvais à Paris et j'allais presque tous les ans dans cette grande ville. Je fis des tableaux que je vendais aux marchands. Fragonard me donna pour conseil de ne pas en augmenter trop tôt le prix. Il faut, me dit-il, que les marchands gagnent et attendre qu'ils aient établi eux-mêmes des prix plus forts, parce qu'alors ils sont obligés de les soutenir pour ne pas passer pour avoir vendu au delà de la valeur réelle des tableaux. »

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La composition de Defrancc, gravée, en 1782, par Gutfen- berg, avait particulièrement assuré grande notoriété au peintre liégeois. Ce tableau représente la Suppression des couvents par iempeneur Joseph II.

D'autre part, Defrance s'était imposé à ses concitoyens qui, volontiers, achetaient ses tableautins.

Les expositions d'art de la Société d'Emulation de Liège avaient, surtout, contribué à faire connaître et apprécier, chez nous, les œuvres du maître.

On sait que cette société, dès sa fondation par Velbruck, en 1779, organisa, chaque année, tout au moins jusqu'en 1787, une exposition publique « d'objets d'art et de produits industriels ».

Liège peut même revendiquer, non sans quelque orgueil, comme le dit M. Ulysse Capitaine, l'honneur d'avoir été la première ville de Belgique qui ait organisé une exposition publique d'objets d'art. L'initiative prise par la Société d'Emulation fut suivie par Anvers, seulement, dix ans plus tard, en 1789; par Ganden 1792; par Bruxelles en 1811 et par Malines en 1812 (1).

Or, Defrance contribua, par de nombreux envois, au succès de ces expositions liégeoises. A la première, celle de 1779, il était représenté par un Cabaret, une Retraite de voleurs, une Vente de poissons, V apprêt du goûter, le Liseur de Gazette et un Militaire racontant en famille ses exploits.

II exposa, ensuite, un Charlatan, un Marchand de chansons, des Voleurs avec des femmes dans une caverne surpris par la maréchaussée, un Savetier qui bat sa femme, une Boutique de cordonnier, une boutique de barbier, etc.

M) Ulysse Capitaine : Notice historique sur la Sociité libre d'Emulation de Liège, p. 18.

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La Société d'Emulation, lorsqu'elle inaugura, le 2 juin 1779, sa grande salle des fêtes, avait inscrit, en lettres d'or, dans des cartouches appropriés à cet usage, comme il en existe encore aujourd'hui dans cette salle, les noms des grands hommes qui ont honoré la patrie liégeoise. Parmi les peintres, y figuraient, natu- rellement, tout d'abord, les noms de Van Eyck, Lombard, Douffet, Bertholet Flémalle, Carlier et Lairesse.

Postérieurement, on y ajouta ceux de Fassin et de Defrance.

Nous avons vu que, lors de la fondation, par Velbruck, de l'Académie des Beaux-Arts de Liège, Léonard Defrance en avait été nommé premier professeur à la suite d'un concours. Le même Prince-évêque, quelques années plus tard, en 1778, le 16 octobre, 4iii conféra le titre de directeur, en ces termes honorables :

« Le désir que Nous avons de contribuer par tout ce qui est en Notre pouvoir à inspirer l'émulation aux artistes et de protéger les arts, dont la perfection est d'une utilité si intéressante pour tout ce qui y a rapport, et voulant reconnaître et récompenser le mérite et le talent de Léonard Defrance, que nous avons cy devant nommé profeseur de notre Académie de peinture, lors de son institution ; à la direction de laquelle il a toujours donné tous les soins que Nous devions attendre de son intelligence et de son exactitude. Nous l'avons nommé, comme nous le nommons par ces présentes, notre premier peintre et directeur de notre Acadé- mie, avec tous les droits et toutes les pérogatives qui y sont atta- chés. En foi de quoi, etc. »

Rappelons enfin, qu'un mémoire de Defrance a été couronné par l'Académie royale des sciences de France. Il répondait à cette <juestion mise au concours : u Recherches des moyens par lesquels on pourrait garantir les broyeurs de couleurs des mala- dies qui les attaquent fréquemment et qui sont la suite de leur travail ».

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Le prix lui a été décerné en partage avec N. Pasquier de l'Académie royale de Paris.

Defrance, tout comme ses amis Bassenge. Henkart et Reynier, s'était montré chaud artisan des événements précurseurs de la Révolution liégeoise qui devait amener la chute du pouvoir épiscopal, exercé alors par Hoensbroek, successeur, depuis 1784, de Velbruck.

Lorsque la Révolution liégeoise fut triomphante, le 18 août 1789, à l'ancien ordre des choses se substitua une municipalité populaire, présidée par MM. de Chestret et Fabry que le parti révolutionnaire venait d'élire Bourgmestres.

Defrance abandonna, alors, sa palette et ses pinceaux pour s'adonner entièrement aux intérêts du nouveau régime.

Il remplit différentes fonctions et emplois publics durant cette période révolutionnaire; puis, lorsque les troubles furent apaisés, alors que, par suite du décret du 9 vendémiaire an IV (1" octobre 1795) le pays de Liège était réuni à la France, il fut, à la création des Ecoles centrales, nommé professeur de dessin à ces établissements, le 19 fructidor an IV (5 septembre 1797).

Defrance compta même parmi ses élèves Ruxthiel qui devait, plus tard, se faire un nom dans l'art du statuaire, mais il ne pro- duisit plus guère, comme peintre, jusqu'à sa mort survenue le 24 février 1805.

Le corps de Léonard Defrance, sur la demande de sa famille, fut inhumé dans le jardin de « l'asyle champêtre » de son ami Henkart, à Statte, faubourg de Huy.

Cette habitation d'été de Henkart était située au-dessus du tunnel de Statte que traverse le chemin de fer du Nord, au sortir de la station de Huy vers Namur.

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Un saule pleureur avait été placé sur la tombe du peintre liégeois, mais, il y a une soixantaine d'années, les restes de Defrance furent transportés au cimetière de Huy. sans qu'il soit, aux archives de la ville, resté trace de ce transfert.

Le saule pleureur même a disparu !

Le Musée des Beaux-arts de Liège possède les tableaux suivants de Defrance:

La partie de cartes. Bois. (H. 0.52, L. 0.36).

Intérieur d'une fonderie. Bois. (H. 0.34, L. 0.55).

Portrait du peintre.

Intérieur d'une usine. Bois. (H. 0.34, L. 0.55).

Le militaire en permission. Bois. (H. 0.43, L. 0.59).

Le Christ à la colonne. Bois. (H, 0.56, L. 0.25).

Visite à la Manufacture de tabac. Bois. (H. 0.47, L. 0.64).

Visite au tonnelier. Bois. (H. 0.47, L. 0.64).

Deux toiles de Léonard Defrance, anciens dessus de porte, décorent aussi la grande salle de l'étage du Musée d'Ansembourg: Femmes buvant le café et Hommes jouant aux caries.

CONCLUSIONS

Le Pays de Liège, Etat ecclésiastique vassal de l'empire germanique, Principauté avec Liège pour capitale, prit naissance au X" siècle et sombra comme tel dans les événements politiques qui marquèrent la fin du XVIII' siècle.

La puissance temporelle des évêques de Liège remonte cependant, en fait, au VIII" siècle, à l'époque Charles Martel délégua la juridiction féodale sur Tongres et Liège à Hubert qui avait succédé à Lambert, le fondateur de la cité liégeoise. Les évêques, dès lors, avaient, sur le patrimoine opulent qui leur avait été constitué par faveurs et libéralités, le droit de rendre la justice, de prélever des impôts, de réunir les milices. La garde des frontières leur était confiée.

Dès lors aussi, " leur autorité territoriale ne cessa de s'acfieminer, par des étapes dont la trace est perdue, vers une véritable souveraineté, écrit M. Kurth. C'est sous Notger, ajoute cet auteur, que l'élaboration de cette souveraineté arriva à son terme. Le premier, il reçut des rois d'Allemagne l'autorité poli- tique sur des comtés entiers et se trouva de la sorte à la tête d'un vaste domaine d'un seul tenant, sur lequel il exerçait toutes les attributions de la souveraineté temporelle. La principauté était née, enfin, et Notger fut le premier prince évêque (i). »

Admis comme conseiller à la cour impériale, régent de l'empire lors des voyages du suzerain, tuteur du prince hérédi- taire, Notger 971-1008 usa de son influence pour agrandir

(1) G. Kurth. Introduction historique. Catalogue de l'Exposition de l'Art ancien au Pays de Liège, p. IV et V.

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les possessions de l'Eglise de Liège. Tous les évêques du XI* siècle continuèrent à augmenter son territoire, et, d'adjonc- tions en adjonctions, l'Etat liégeois s'étendit en des directions très opposées.

L'église chapitrale parvint ainsi à posséder Waremme et le comté de Hesbaye, les abbayes de Fosses, de Florenne et de Lobbes près de Thuin, le fief d'Argenteau, le comté de Looz, le monastère d'Eyck dans le Limbourg, le duché de Bouillon, les villes de Huy, Dinant, Couvin, Maestricht et Malines, Chiny, Hastières, Bouvine, Malone, etc. jusqu'au château de Mirwart situé à l'une des extrémités de la Belgique.

D'autre part, Charlemagne et ses descendants avaient accordé aux évêques des pouvoirs politiques de plus en plus étendus. Ainsi Liège se transforma en principauté autonome, presqu'indépen- dante de toute domination extérieure.

Les bourgeois avaient aussi acquis des franchises et des libertés, bien rares à cette époque, dont ils se montrèrent toujours fiers, pour le maintien et le développement desquelles ils ne cessèrent de lutter dans les siècles suivants.

Malheureusement, le pays fut troublé, d'une façon presque continue, par des luttes perpétuelles, souvent suivies de pillages et de dévastations.

Des princes-évêques offusqués par les privilèges conquis par le peuple, prétendirent les 'restreindre, certains même les suppri- mèrent complètement. ,

Les Liégeois, soucieux et vigilants gardiens de leurs droits, entraient alors en révolte ouverte contre le prince.

Des guerres privées, comme il s'en déclarait fréquemment au imoyeai âge, désolèrent le pays; tel le déplorable conflit qui se produisit entre les Awans et les Waroux, au XIII* siècle, et dont la durée fut de 38 ans.

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D€s guerres civiles éclatèrent aussi à l'occasion de la nomi- nation au siège épiscopal.

Faisant preuve d'une fanatique intolérance, des évoques, ou leurs agents, pour combattre les doctrines de Luther et enrayer les progrès du protestantisme dans nos régions, se livrèrent à d'horribles persécutions.

Dans les conflits, entre monarques voisins, nos milices furent entraînées à prendre part active et combien meurtrière.

La neutralité du Pays de Liège, solennellement proclamée et notifiée aux divers souverains, fut, maintes fois, violée p^r des princes qui conspiraient avec l'étranger.

Le territoire, enfîn, envahi par des armées étrangères, a été ravagé à différentes reprises.

Cette succession, presque ininterrompue, d'événements cala- miteux fut cause, en igrande partie, que les Liégeois en vinrent à concevoir de l'aversion pour leur gouvernement ecclésiastique.

Sous l'influence des résolutions de l'assemblée nationale française qui avait décrété, dans sa séance du 4 août 1789, l'abolition des droits féodaux, des mainmortes, de Ja dîme, l'égalité devant l'impôt et la suppression des immunités affran- chissant le clergé de contribuer aux charges publiques, ils se soulevèrent, leur tour, et firent la révolution pacifique du 18. août 1789 qui devait entraîner la chute définitive du pouvoir temporel des évêques de Liège.

En 1792, le pays songea à créer une Convention nationale liégeoise. Pour la composer, le territoire avait été divisé en treize districts électoraux choisissant chacun un nombre de députés proportionné à sa population; or, tandis que Liège nommait 20 représentants, Verviers était appelé à en élire 11, Visé 7, Tongres 8, Stockhem 7, Maeseyck 7, Looz et Hasselt 9, Saint-Trond 7, Waremme 7, Huy 9, Ciney 8, Dinant 9 et Florenne 11. En tout 120,

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Cette répartition de ses représentants montre toute l'impor- tance que le Pays de Liège avait conservée jusqu'à la fin de son existence qui avait duré ,près de huit siècles.

(( Chacun de nous, écrivait dernièrement, M. Edmond Picard, à moins d'être un mutilé, possède au fond de soi-même un trésor de tendresse instinctive pour la race dont il est sorti, la terre cette race a vécu et déroulé sa naturelle essence et a subi, au cours des siècles, les modifications heureuses ou fâcheuses imposées par les événements ('). »

La crainte de paraître nous laisser influencer par un zèle, une ardeur patriotique, nous a engagé souvent, en ces pages, de citer des passages d'auteurs étrangers parce que leur témoignage, sous ce rapport, ne peut être suspecté.

Lorsque ces critiques et historiens d'art apprécient le talent ou les œuvres de nos artistes, l'on doit croire, en effet, qu'ils le font avec une entière indépendance, qu'ils jugent par raison et non par sentiment.

C'est pourquoi nous demanderons à M. Alfred Michiels de formuler, avec nous, les conclusions de cet ouvrage (2).

(1) Journal La Chronique eu 17 septembre 1911.

(2) Michiels Alfred-Joseph-Xavier, littérateur français, à Rome en 1813, mort à Paris en 1892. Il passa son enfance en Italie, puis se rendit à Paris, voyagea en Allemagne, en Angleterre, collabora à divers journaux et revues, et .devint bibliothécaire à l'Ecole des Beaux-Arts.

Grand travailleur, très instruit, écrivain précis, historien exact, critique d'art estimé, il a publié entre autres ouvrages: Etudes sur iAllemagne (1839); Souvenirs d'Angleterre (1844); Histoire de la peinture flamande (1847) ; L'Architecture et la Peinture en Europe du V au XVI* siècle (1853); Rubens et l'Ecole d'Anvers (1854) ; van Dyck et ses élèves (1880) ; Mem/i'ng et ses ouvrages (1883), etc. (Dictionnaire Larousse).

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« Ce n'est point le hasard, dit-il, qui a fait naître dans tes Pays-Bas les fondateurs de fa peinture moderne, les inventeurs de ses procédés, de sa méthode.

(( La nature, comme la position du territoire, le voisinage des provinces rhénanes, on la cultivait aussi, tout doit faire supposer que la peinture se développa d'abord dans le pays de Liège, avant de transporter son chevalet dans la Flandre. La civilisation put germer sur ces hautes terres, pendant que les tribus flamandes et bataves disputaient encore à l'Atlantique le sol même eJles étaient campées.

» Les récits des chroniqueurs prouvent, du reste, que le pays wallon fût le berceau de l'art néerlandais, comme l'histoire ft la géographie donnent lieu de le présumer (i). »

Nous avons vu que c'est du Pays de Liège que sont partis, au XV siècle, les fondateurs de la première école flamande qui, pleine d'onction et de grâce, fait descendre l'art de peindre des sphères éthérees vers la terre, tout en lui igardant, comme dans le tableau de l'Agneau mystique, le grand chef-d'œuvre de la peinture religieuse médiévale et peut-être de la peinture reli- gieuse, ses pieux et suaves caractères.

Et il importe peu que les Van Eyck, qui ont réalisé cet immense progrès de placer franchement leurs personnages dans la nature, au Jieu de les écraser sur un fond d'or, contre la paroi d'un mur ou une tenture ramagée, se soient illustrés dans quelqu'autre province: ils sont nés au Pays de Liège, très vraisemblablement ils ont fait leur éducation artistique et il est de notre droit, disons même de notre devoir, de les réclamer comme nôtres.

(1) Histoire de la peinture fiamande. t. H, p. 85 et 95.

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Un siècle plus tard, un liégeois, Lambert /Lombard, eut l'honneur d'être le premier peintre belge qui, élargissant le cercle des inspirations de l'artiste, s'affranchit complètement des traditions monastiques du moyen âge. Il abandonna le carac- tère de raideur et de naïveté de l'art gothique pour mieux obser- ver la nature et en représenter fidèlement les images, se révélant le précurseur de la Renaissance flamande, qu'un siècle plus tard encore, devait illustrer Pierre-Paul-Rubens.

Aussi, Lombard et les Van Eyck sont-ils restés plus que des gloires locales.

L'école liégeoise, fondée par Lombard, est dignement repré- sentée au XVII° siècle par Gérard Douffet qui, élève de Rubens. s'approprie te principe coloriste du ^rand maître, au point, honneur insigne, que l'on se demande, aujourd'hui, si maints de ses portraits ne sont pas cachés, dans diverses galeries publiques ou privées, sous les noms de Rubens ou de van Dyck ; autrement dit, si, en rectifiant de fausses attributions, on n'arriverait pas à grossir son œuvre de productions des plus remarquables qui en ont été distraites par erreur?

Bertholet Flémalle et Carlier, ses élèves, dont les toiles les plus importantes et les plus réputées, ne sont point parvenues jusqu'à nous, continuent, néanmoins, à faire honneur au Pays ■de Liège, tant leur réputation fut considérable.

On s'accorde même proclamer que Carlier, si la mort ne l'avait prématurément moissonné, en pleine maturité de talent, serait devenu un des plus grands artistes de son époque.

Gérard de Lairesse. dont la carrière s'est accomplie à l'étranger, oi'a cependant, non plus, perdu sa qualité de liégeois parce qu'il est allé s'établir chez une nation voisine i! a vécu illustre et considéré au point que les princes et les rois des Pays-Bas s'adressèrent à lui. de préférence à tous autres, pour orner et décorer leurs palais et édifices publics.

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Il n'est, icnfin, jusqu'au XVI II' siècle, qui, malgré son indi- gence artistique en tous pays, ne trouve encore des liégeois prenant places distinguées parmi les peintres de leur temps.

Nous avons limité notre étude et nos recherches aux seuls grands peintres qui, non seulement appartiennent au Pays de Liège par la naissance, mais se rattachent encore, par d'intimes liens, à la Cité liégeoise elle-même; sans quoi, nous n'eussions point omis de rappeler les titres de gloire de bien d'autres maîtres, tels Joachim Patenier et Henri Blés, qui, respective- ment nés à Dinant et à Bouvignes, sont de même originaires du Pays liégeois et lui font le plus grand honneur.

S'avançant (résolument, l'un et l'autre, dans la voie nou- velle inaugurée par les Van Eyck, accentuant et multipliant les plans de leurs tableaux, y étendant les horizons pour réserver de plus grands espaces au jeu des lumières et des ombres, Patenier et Blés se montrèreriit, en effet, aussi novateurs en accordant aux paysages, au milieu desquels ils plaçaient leurs figures, une importance au moins égale celle des personnages. C'est ainsi que l'on a pu dire, qu'avec ces deux peintres, le paysage, tel que le comprendra l'art moderne, apparaît pour la première fois dans l'histoire de l'art.

Tout en nous bornant de la sorte, nous croyons, néanmoins, avoir montré que, dans le passé, le pays liégeois a compté des peintres, aussi bien que des sculpteurs et des graveurs, dont nous pouvons légitimement nous enorgueillir, et que l'art liégeois est plus riche qu'on ne le pense, généralement, faute de connaître assez son histoire.

Et si nous ne sommes à même, aujourd'hui, de montrer que relativement peu d'oeuvres de nos anciens maîtres, c'est que, comme l'écrit encore M. Michiels: «■ Liège a été malheu- reuse dans ses collections d'art, comme dans toute sa destinée.

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La destruction de la ville par Charles le Téméraire, en 1468, anéantit ses anciens trésors, 'provenant du moyen âge ; le bom- bardement du maréchal de Boufflers, en 1691. qui dévora le quartier d'Outre-Meuse et ravagea la cité même, livra aux flammes beaucoup d'œuvres datant d'une époque plus récente. L'Hôtel de Ville fut réduit en cendres; l'église Sainte-Cathe- rine périt avec le chef-d'œuvre de Douffet, abrité sous ses voûtes; les peintures, que Hallet avait envoyées de Rome, eurent le même sort dans ice oruel désastre. L'incendie du palais des Etats, en 1734, appauvrit encore la cité indigente. La Révolution irançaise. utile, indispensable aux Liégeois sous tant de rapports, anéantit ou dispersa d'autres précieux ouvrages (i). »

Eprouvés comme nous l'avons été, c'est tout au plus si on n'a pas voulu, en art, contester, à la Wallonie entière, jusqu'à un caractère propre, une existence distincte, et confondre, avec les représentants nombreux et illustres de l'Art flamand, les quelques gloires qu'elle revendique, à juste titre, en faveur de son patri- moine artistique.

C'est en peinture, surtout, que la valeur esthétique de la race wallonne a été méconnue et contestée.

A-t-on assez répété que la Wallonie n'avait pas de peintres, ne faisait point de peintres? Dernièrement encore, M. Du Jardin n'a-t-il pas écrit: « Les Wallons ne sont guère pyeintres; car s'ils brillent en tant que sculpteurs, graveurs ou dessinateurs, le sens de la couleur n'est pas très développé chez eux. La raison de

(1) Histoire de la peinture flamande, t. X, p. 268.

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cette éventualité se trouve par ailleurs dans les lois de l'ata- visme (1) ».

L'accaparement de nos maîtres authentiques, auquel se livrè- rent d'autres races, aidant, nos artistes eux-mêmes en étaient venus à douter qu'ils fussent aptes aux créations de la couleur.

Cela tient aussi à ce que d'aucuns parmi nos maîtres anciens ont été. trop longtemps, ignorés ou point appréciés à leur juste valeur.

Heureusement, on commence, aujourd'hui, à revenir de vieux préjugés, et à reconnaître qu'il existe réellement un art qui est propre à la race wallonne, même en peinture.

Puissions-nous, en évoquant le passé si honorable de nos arts régionaux, avoir contribué à stimuler la confiance que nos artistes se doivent de conserver en leur puissance esthétique.

(1) Jules Du Jardin. L'Art Flamand, t. VI. p. 18t.

TABLE DES GRAVURES

PAGES

I Statues de Hubert et Jean van Eyck Il

II Panneau central du rétable de VAgneau mystique 25

III Lambert Lombard peint par lui-même 37

IV Gérard Douffet et sa famille 56

V Portrait de Bertholet Flémalle 75

VI Portrait de Jean-Guillaume Carlier 88

VII Portrait de Gérard de Lairesse lOI

VIII Tableau de Gérard de Lairesse 113

IX Portrait de Léonard De/rance peint par lui-même 131

DU /AÊ/AE AUTEUR

Les Maîtres tombiers, Sculpteurs et Statuaires liégeois. Vol. in-quarto, de 300 pages, avec 24 reproductions, hors-texte, tirées sur papier spécial. 1909. Prix : 5 fr.

Les Graveurs liégeois. Vol. in-quarto, de 150 pages, avec 25 reproduc- tions, hors-texte, tirées sur papier spécial en noir, bistre et sanguine. Exemplaire sur vergé anglais. 1908. Prix : 5 fr.

Code belge des Architectes, Entrepreneurs et Propriétaires par Micha et Remont. 4°"' édition. Revue augmentée et mise au courant de la législa- tion, de la doctrine et de la jurisprudence, par Alfred Micha, Avocat à ta Cour d'appel de Liège. Un vol. grand in-8, de 482 pages. 1909. Prix: 10 fr.

De la responsabilité des Solaires. Un vol. grand in-8 de 180 pages. 1883. Prix : 2 fr.

Envoi franco dans toute la Belgique contre remboursement.

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^fi 1975

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UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY

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ND Klcha, Alfred

671 Les peintres célèbres de

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