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Full text of "Gustave Nadaud et la chanson française : précédé d'une analyse de la chanson française à travers les ages : avec notices sur Désaugiers et Pierre Dupont"

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EUGÈNE    VAILLANT 

Gustave  Nadaud 

et  la 

Chanson  Française 

PTIKCÉDK    D'UNI 

ANALYSE  DE  LA  CHANSON  FRANÇAISE 
A  TRAVERS  LES  AGES 

VVEC, 

NOTICES  SUR  DÉSAIH3IERS  ET  PIERRE   DUPONT 

Préface  de 
THÉODORE    BOTREL 


PARIS 

ALBERT  MESSEIN,  ÉDITEUR 

ir  nr  LÉON    VAN  1ER 

1|).    QUAI    SAINT-MICHEL,     IQ 
1911 


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Gustave  Nadaud 

et  la 

Chanson  Française 


DU   MÊME  ACTEUR 


Souvenirs  de  Colombie.  Colon,  i885,  épuisé. 

En  Océanie  et  aux  Antilles.  Combet,  éditeur,  Paris. 

Au  galop  à  travers  l'Italie.  L'éclaireur,  à  Nice. 

Chansons  Normandes.  Hachette  et  G1*,  Paris. 

Les  Fêtes  Normandes.  Bonnaventure,  éditeur,  à  Caen. 

Les  Chants  Rustiques.   Joanin,  éditeur,   Rouart,   successeur, 

Paris. 
Le  Retour  au  Pays.   Préface   de  F.  Mistral.    Pièce  eu  i  acte. 

Joanin,  éditeur,  Paris. 
Les  Cloches  d'Elseneur.  Poème  lyrique.  Joanin,  éditeur,  Paris. 
Etude  sur  Béranger.  Préface   de  J.  Claretje,    de  FAxadémie 

Française.  L'Edition,  Paris. 
Chansons  tendres.  Gotallat  et  Cie,  éditeurs,  Paris. 
Pour  celles  que  nous  aimons.  Préface  de  Bertraxd  Millau  vote. 

Les  Concerts  à  l'école,  éditeur,  Vaux  (Eure). 

Pour  paraître  : 

Notice  historique,  scientifique  et  économique  sur  l'arrondis- 
sement do  Pont-Audenier    Eure). 

Liste  chronologique  des  Trouvères  normands.  M.  Ml,  Mil. 
XIV,  XV. 


Chansons  inédites  de  Gauthier  d'Argies,  Trouvère  du   XIII" 
liècle. 


EUGÈNE    VAILLANT 

Gustave  Nadaud 

et  la 

Chanson  Française 

PRÉCÉDÉ    D'UNE 

ANALYSE  DE  LA  CHANSON  FRANÇAISE 
A  TRAVERS  LES  AGES 

AVEC 

NOTICES  SUR  DÉSAUGIERS  ET  PIERRE   DUPONT 

Préface  de 
THEODORE    BOTREL 


PARIS 

ALBERT   MESSEIN,    EDITEUR 

Successeur  de  LÉON    VAN  1ER 

19,     QUAI    SAINT-MICHEL,     II) 

l.jll 

Deuxième  édition 


A  LA  MEMOIRE 

D'ERNEST     CHEBROUX 


\  l'exécuteur  testamentaire  et  ami  Hc  Gustave  Nadaud, 
hommage  respectueux  et  filial  à  celui  qui  pendant  cinquante 
années  a  combattu  pour  la  bonne  et  saine  chanson. 


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PREFACE 


Après  avoir  conté,  l'an  dernier,  avec  une 
érudition  certaine  alliée  à  une  charmante  sim- 
plicité, la  vie  du  «  Bonhomme  Béranger  »,  voici 
qu'aujourd'hui  Eugène  Vaillant,  le  charmant 
troubadour  normand,  nous  conte  celle  de  Gus- 
tave Nadaud. 

Et,  comme  cette  publication  est  faite  au  len- 
demain de  la  mort  d'Ernest  Chebroux,  le  doux 
poète  qui  fut  l'ami  et  l'exécuteur  testamentaire  de 
l'auteur  des  Deux  Gendarmes,  Eugène  Vaillant 
en  profite  pour  associer,  dans  un  suprême  hom- 
mage, le  Maître  et  le  Disciple...  et  cela  rend 
plus  émouvante  encore  pour  nous,  Chanson- 
niers, la  lecture  de  ce  beau  et  bon  livre. 

Nadaud,  le  fin  et  spirituel  Nadaud,  était  Fla- 
mand d'origine.  Et  n'est-il  pas  curieux  d'obser- 
ver que  les  deux  Chansonniers  qui  personnifié- 


PRKFACE 


rent  le  mieux  ce  qu'il  est  convenu  d'appeler 
«  l'esprit  bien  parisien  »,  naquirent  aux  deux 
confins  extrêmes  de  la  France  :  Désaugiers  à 
Fréjus,  Gustave  Nadaud  à  Roubaix  !  Tant  il  est 
vrai  que  l'esprit  et  la  gaîté  sont  bien  et  restent 
bien  —  quoi  qu'en  disent  et  pensent  les  centra- 
lisateurs à  outrance  —  les  qualités  légendaires 
et  indéniables  de  la  race  gauloise  tout  entière. 

Mais  on  ne  peut  nier  cependant  l'influence 
des  «  Petites  patries  »  sur  le  génie  particulier 
de  leurs  enfants  :  Désaugiers  conservera,  toute 
sa  vie  durant,  la  gaieté  débordante,  éclatante, 
ensoleillée  de  sa  côte  d'azur,  tandis  que  Nadaud, 
entre  deux  joyeux  refrains,  nous  soupirera  tout 
à  coup  une  romance  douloureuse  et  douce 
comme  le  soleil  embaumé  de  sa  mélancolique 
Flandre. 

Quel  talent  complexe  et  complet  fut,  en  effet, 
Nadaud!  Lisez  à  haute  voix  ses  chansons  (car 
elles  se  lisent  ;  et  dire  dune  chanson  «  qu'elle 
se  lit  »  n'est  pas  en  faire  un  mince  éloge!)  ;  lisez 
à  des  auditeur*  non  prévenus  ces  joyeuses  fan- 
taisies :  Bonhomme  Les  Deux  Notaires t  Carcas* 
sonne,  Thomas  et  moi,  Boise ntier,  Les  Boulons, 
Les  Deux  Gendarmes,  La  Lettre  à  l'Etudiant,  Le 
Roi  boiteuxt  L'honnête  Voleur,  et  ces  petits 
drames  en  quelques  couplets;  Les  Trois  Hussards, 


PREFJ 


La  grande  Blessée,  Chevrette,  Le  Nid  abandonné, 
L'Anniversaire  de  V Ouvrier,  Le  vin  de  Marsala, 
et  ce  chef-d'œuvre  méconnu  :  Le  Cœur  volant 
(pour  ne  citer  que  ces  quelques  chansons  au  ha- 
sard parmi  deux  cents  autres),  — et  vous  verrez 
ensuite  vos  amis  stupéfaits  d'apprendre  que 
c'est  le  même  homme  qui,  une  soirée  entière, 
les  fit  pleurer  tour  à  tour  de  tristesse  et  de  joie. 

J'ai  fait  cette  expérience  :  essayez  ! 

Et  voilà  pourquoi  je  répète  ici  ce  que  j'ai 
déjà  dit  à  notre  confrère  Varloy  au  cours  d'une 
récente  enquête  (1),  à  savoir  que,  selon  moi, 
Nadaud  est  et  restera  le  type  représentatif  le 
plus  parfait  du  chansonnier  français,  plus  par- 
fait encore  que  Béranger  peut-être,  parce  que 
ce  dernier  personnifia  surtout  l'esprit  politique 
et  philanthropique  d'une  époque.  Aussi,  quoi 
qu'on  en  dise,  l'œuvre  de  Béranger  vieillit  et 
date,  tandis  que  celle  de  Gustave  Nadaud  reste 
jeune,  fraîche,  souriante  et  vibrante  comme 
l'immortelle  petite  Muse  qui  l'inspira  :  la  Chan- 
son ! 

Et  nous  devons  remercier  grandement  ceux 
qui  se  font  —  comme  l'auteur  de  ce  livre  —  les 
biographes  et  les  défenseurs  de  ceux-là  qu'avec 

(1)  Gustave  Nadaud,  1.  vol.  in-18,  par  H.  Varloy. 


\li  PRBPACB 

un  peu  de  dédain  souvent,  on  appelle  les  «  bons 
chansonniers  ».  Je  dis  défenseurs,  car  de  même 
que,  jadis,  il  démolit  à  tout  jamais  la  stupide 
légende  d'un  Béranger  pensionné  par  la  cour 
impériale,  de  même  aujourd'hui,  Eugène 
Vaillant  démolit,  preuves  en  mains,  celle  qui 
nous  représentait  le  noble  et  délicat  Nadaud  dé- 
daignant, un  soir,  l'invitation  de  Lamartine 
vieilli  et  disgracié  pour  accepter  celle  d'une 
princesse  toute  puissante  ;  de  même  que  de- 
main il  détruira,  sans  doute,  celle  d'un  Pierre 
Dupont  s'inclinant,  par  courtisanerie intéressée, 
devant  Napoléon  III  triomphant. 

Que  voulez- vous?  Le  public  ne  pourra  jamais 
se  résigner  à  applaudir  un  artiste,  sans  parti 
pris,  en  ne  lui  demandant  que  d'être  l'exalta- 
leur  de  la  beauté  et  le  consolateur  de  nos  sou- 
cis :  il  lui  faut  le  cataloguer,  l'enchaîner,  l'em- 
murer  tout  vif  dans  telle  ou  telle  coterie  poli- 
tique. Lamartine,  à  qui  l'on  demandait  un  jour  : 
«  Où iiègerea-vou»  à  la  Chambre?  à  droite?  à 

gauche  'au  centre?»  répondit  :  «  Au  plafond  !  » 

Oh  !  qu'il  avait  bien  raison  ! 

Ou  chantes-tu,  alouette  gauloise,  avec  plus 
d'allégresse  que  la-haui,  dans  les  nuages,  au 
plafond  bleu  du  ciel  de  France? 

Planons  donc.  Amis  (  lhansonniers,   joyeuses, 


PRÉFACE  XIII 

libres,  indépendantes  alouettes  que  nous 
sommes,  planons  au-dessus  de  toutes  les  que- 
relles, de  toutes  les  haines,  et  ne  redescendons 
vers  les  plaines  que  pour  chanter  aux  hommes 
l'indulgente  patience,  le  courage  au  labeur  entre 
la  tendre  justice  et  la  douce  fraternité  ;  que 
pour  chanter  au  peuple  l'infinie  grandeur  de 
Dieu  dans  l'infinie  splendeur  de  sa  création...  et 
lui  parler  aussi  de  l'amour  filial,  aveugle,  que 
nous  devons  à  la  Patrie. 

Et,  du  fond  des  Champs-Elyséens,  où  il  voi- 
sine avec  Béranger,  Désaugiers  et  Dupont,  je 
suis  certain  que  Gustave  Nadaud  nous  criera, 
clans  un  joyeux  sourire  : 

«  Chansonniers,  vous  avez  raison  !  » 

Théodore  Botrel. 
Pont-Aven,  1")  mars  1911. 


AVANT-PROPOS 


AVANT-PROPOS 


La  Chanson,  on  le  sait,  a  joué  dans  toutes  les 
grandes  époques  un  rôle  considérable,  et  nous 
n'entreprendrons  pas  ici  son  histoire,  car  il  nous 
faudrait  écrire  celle  de  la  France.  «  Les  hommes 
chantent  d'abord,  ils  écrivent  ensuite  »,  a  dit  Cha- 
teaubriand. 

L'on  chante  certes  dans  tous  les  pays,  mais  nous 
pouvons  affirmer,  sans  crainte  d'être  contredit, 
que  l'on  chante  mieux  en  France  que  partout 
ailleurs,  notre  pays  étant  plus  gai  que  les  autres. 
Celte  dixième  Musc  est  donc  de  notre  race,  par 
l'esprit  et  le  cœur  de  notre  nation. 

Nous  venons,  par  ce  livre,  entretenir  le  lecteur  de 
Gustave  Nadaud,  véritable  chansonnier  de  race, 
d'un  esprit  fin  et  délicat,  lequel  personnifie,  dans 
l'histoire  de  la  Chanson  Française,  le  charme  et 
la  grâce  de  son  époque. 


i  GUSTAVE    NADAUD    ET    l.\    CHANSON    FRANÇAISE 

Dans  cette  étude,  nous  montrerons  les  œuvres 
les  plus  remarquables,  les  plus  délicates  et  toujours 
jeunes,  de  cet  inoubliable  auteur  (quoiqu'il  soit  de 
bon  ton  de  dire  qu'elles  sont  démodées)  ;  nous 
ajouterons  des  anecdotes,  des  traits  de  bonté, 
d'esprit,  et  des  lettres  inédiles,  tout  en  demeurant 
dans  le  domaine  de  la  chanson. 

Mais,  avant  d'entrer  en  matière,  nous  avons 
pensé  qu'il  y  aurait  intérêt  à  parcourir,  dans  un 
examen  rapide,  la  chanson  à  travers  les  âges, 
sorte  d'introduction  à  l'exposé  de  son  épanouis- 
sement. 

Toutefois,  qu'on  se  rassure,  ce  qui  va  suivre 
ne  sera  pas  l'histoire  entière  de  la  chanson,  mais 
un  aperçu,  résumé,  de  son  évolution,  pour  pré- 
senter l'immortel  auteur  des  Deux  Gendarmes, 
des  Deux  Hussards,  du  Nid  Abandonné,  de  La  Ga- 
ronne, de  L'Epingle  sur  la  Manche  et  de  tant 
d'autres  œuvres  gracieuses  et  spirituelles,  toujours 
recherchées  des  amis  de  la  chanson  et  des  lettres. 


La  Muse  Nationale  tut  donc,  après  les  première 
chansons    latines    limées,    les  jongleurs    (joueurs) 
el    les   trouvères  (trompeurs)  —   «    Qui   mult  bien 
chantoent.  »  —  Nous  voyons  donc  immédiatement 

T  MLLEPEH  chanter  les  exploits  de  Roland,  en  com- 

bnttanl  ;'i  la  tète  «les  troupes  de  Guillaume-le-Bà- 


<.i-iv\i;    vuMUl)    ET    LA    CHAJiSOïl    FRANÇAISE  5 

tard,  duc  de  Normandie,  à  la  bataille  de  Hastings 
en  1066,  dans  les  champs  de  Senlac  (Angleterre). 

Ces  premiers  chants  étaient  des  Chansons  de 
Gestes.  «  Gestes  »  signifiait  alors  «  actes  notoires, 
histoire  authentique».  Tel  était  au  Moyen  Age  le 
sens  du  mot  latin  Gesta. 

Aux  jongleurs  primitifs  succèdent  par  degrés 
les  Trouvères  ou  Bardes.  En  Raccompagnant  d'une 
sorte  de  harpe,  la  «Chrotta  »  ou  «  rote  »,  ils  chan- 
taient les  héros  de  leur  race  ;  et  aux  sons  rauques 
de  leur  hymne  de  guerre,  lebardit,  répété  par  tous 
les  guerriers,  ils  allaient  à  la  bataille  ! 

C'est  donc  à  la  France  qu'appartient  l'initiative 
de  l'épopée  ;  cette  action  a  commencé  nos  chants 
et  le  premier  monument  nous  vient  de  Tirold  ! 
ou  Turoldus,  contemporain  et  compatriote  de 
Guillaume-le-Conquérant.  De  tous  les  poèmes  de 
Honeevaux,  le  plus  ancien  connu  est  celui  dont  h» 
texte  tut  trouvé  à  Oxford  ;  il  appartient  au  xie  siècle 
C'est  un  récit  épique,  composé  de  groupes  mono- 
rimes  ou  plutôt  assonanées,  écrit  dans  la  menu1 
langue  que  les  lois  promulguées  par  Guillaume, 
après  la  conquête  de  l'Angleterre,  «  La  chanson 
de  Roland  marque  donc  indiscutablement  notre 
épopée  nationale  (1)». 

Poursuivant  la  description  de  nos  bardes,  voici 
l'image  qu'en  fait  l'illustre  poète  LECONTE  de 
LlSLE,  dans  le  Massacre  de  Mona  : 

(1)  V.  La  Chanson  de  Roland,  par  (îai  tiukk. 


i)         (.1  si.Wlï    NADAll)    BT    la    chanson   FRANÇAISE 

«  A  leurs  reins  pend  la  rhote  et  luit  le  large  glaive  ; 

«  La  touffe  de  cheveux  qu'une  écorce  relève 

«  Flotte,  signe  héroïque  au  crâne  large  et  rond...  » 

C'est  donc  à  partir  du  XIe  siècle  que  deviennent 
plus  nombreux  les  poèmes  épiques,  et  que  la 
poésie  commencera  à  s'épanouir. 

Les  Chansons  de  Gestes  répondaient  aux  deux 
grandes  passions  de  la  société  :  V amour  de  la 
patrie,  r orgueil  de  la  famille.  Le  héraut  ou  le  trou- 
vère qui  en  composait  une  était  le  dépositaire  de  la 
gloire  du  pays  et  l'honneur  des  individus  (1  . 

Nous  sommes  déjà  loin,  on  le  voit,  des  jongleurs 
primitifs,  qui  n'étaient,  pour  la  plupart,  que  de 
vils  courtisans. 

Les  Chansons  de  Gestes  peuvent  donc  se  diviser 
en  trois  cycles,  savoir  : 

1°  Le  Cycle  Français  ou  Epopée  Royale. 

2°  Le  Cycle  Breton  ou  Epopée  Courtoise. 

3°  Le  Cycle  de  l'Antiquité  ou  Epopée  Antique. 

«  Charlemagne  apparaît  en  de  sanglants  imagos, 

On  croit  voir  flamboyer  l'éclair  de  Durandal, 

•  De  pieux  Chevaliers  poursuivie  le  Snint-Graaî, 

1  rie  Rome  Alexandre  exiger  des  otages,  i 

L'on  remarque  que  les  Chansons  de  Gestes  étaient 
plus  ordinairement   en  vers  de  dix  ou  de  douze 

i  Histoire  Littéraire  de  la  France  (S.  L'Abbé,  Uis- 
toire  Miniature  de*  Lettres  Françabes.) 


GUSTAVE    \\1>.\U>    Il     l.A    CHANSON    FHANl   V.IS1  7 

syllabes.  Plusieurs  des  premiers  Trouvères  el 
Troubadours  étaient  de  race  noble,  savoir  :  Thi- 
bault, Comte  de  Champagne,  qui  fut  Roi  de  Na- 
varre, Guillaume  IX  Duc  d'Aquitaine,  Richabd 
Cœur-de-Lion,  Roi  d'Angleterre,  le  Comte  d'Anjou, 
Roi  de  Sicile,  (père  de  saint  Louis),  etc.  ;  et  Villon 
nous  dira  :  «  Qu'il  en  était  d'autres,  de  petites  races 
et  trouvères  de  profession  ». 

Les  airs  de  ces  chants  ressemblaient  au  chant 
grégorien  et  à  des  chants  ecclésiastiques. 

Je  cite  une  chanson  de  Thibault, Comlede  Cham- 
pagne, parce  que  ce  Trouvère  peut  être  considéré 
comme  le  Père  de  la  Chanson  Française  ;  Ton  croit 
que  ce  Prince  Chansonnier  est  le  premier  qui  ait 
mélangé  les  rimes  masculines  aux  rimes  fémi- 
nines. 

Amoureux  de  la  Mère  de  saint  Louis,  il  com- 
posa la  plus  grande  partie  de  ses  chansons  en 
l'honneur  de  sa  dame  de  beauté,  la  Reine  Blanche. 
La  chanson  suivante  est  du  xmc  siècle,  mais  fut 
rajeunie  par  Moncrif,  écrivain  français,  au  début 
du  XVIIIe  siècle  : 


<!  GUSTAVE    NADAUD    ET    LA.    CHANSON    FRANÇAISE 

LA  REINE  BLANCHE 

(XIII*4  siècle) 

Air  :  Quand  nous  entendrez  le  doux  Zéphyr. 

Las  !  si  j'avais  pouvoir  d'oublier 
Sa  beauté,  son  bien  dire, 
Et  son  très-doux  regarder, 
Finirais  mon  martyre  : 
Mais  las  !  mon  cœur  je  n'en  puis  ôter  ; 
Et  grand  affolage 
M'est  d'espérer; 
Mais  tel  servage 
Donne  courage 
A  tout  endurer. 
El  puis  comment  oublier 
Sa  beauté,  son  bien  dire 
Et  son  très-doux  regarder? 
Mieux  aime  mon  martyre. 

Thibault,  comte  de  Champagne, 
le  père  de  la  Chanson  française, 
Dé  en  1201,  mort  en  1250. 

Les  Trouverai  de  profession  chantaient  leurs 
poèmes  en  s'acompagnant  de  la  rhote,  de  la  vielle 

00  <1<*  la  cornemuse,  ils  contribuaient  à  l'éclat  des 

Têtes,   accompagnant   les   seigneurs  dans    leurs 


GUSTAVE    WDAlD    ET    LA    CIIA.\S(>\    FRANÇAISE  0 

campagnes,  charmant  les  manoirs  en  hiver,  et 
recevaient  de  riches  cadeaux.  » 

Les  Vieilles  chroniques  nous  racontent  que  le 
Roi  Henri  II  donna  deux  châteaux  à  Robert  de 
Borsu  (Trouvère  anglo-normand,  voir  Essai  sur  les 
Bardes  jongleurs,  etc.,  par  Y  Abbé  de  la  Hue),  pour 
son  roman  de  Saint-Graal,  avant  même  qu'il  ne  fût 
terminé  !  Les  temps,  on  le  voit,  étaient  meilleurs 
qu'aujourd'hui,  car,  où  donc  trouver,  de  nos  jours, 
le  Mécène  des  lettres? 

Avant  le  xme  siècle  les  chansons  sont  peu  va- 
riées. Dans  sa  remarquable  Histoire  de  la  Chanson, 
du  Mersan  nous  dit  que  pour  le  fond  :  «  C'était 
presque  toujours  des  idylles  sur  le  printemps,  les 
Heurs,  les  oiseaux,  l'hiver  et  ses  glaces  ;  elles  sont 
adressées  à  des  Iris,  vraies  ou  idéales,  et  à  des 
blondes,  jusqu'au  temps  de  Charles  IX  et  de 
Henri  II,  où  les  brunes  prirent  leur  revanche.  » 

Kt  ceci  nous  montre  que  rien  ne  change  dans  les 
caprices  et  les  originalités  de  la  mode. 

Les  casques  dorés  furent  chantés  amoureusement 
il  y  a  dix  ans,  et  qui  ne  se  souvient  des  succès  de 
celte  ii lie  d'apache,  «  Casque  d'Or  »,  dont  un 
peintre,  sans  doute  éclectique  et  décadent,  peignit 
les  traits,  pour  exposer  cette  hétaïre  de  malandrins 
au  Salon  !  la  réclame  insane  que  l'on  fait  Je  nos 
jours  à  ce  monde  interlope,  doit  rendre  parfois 
bien  rêveuses  les  laborieuses  et  honnêtes  jeunes 
filles!!  Donc,  il  v  a  dix  ans,  les  blondes  étaient  à 


10       t.isiAU:    wimM)    BT    LA   <:h\nso\    FRANÇAIS! 

la  mode,  et  le  chanteur  Mercadier  murmurait, 
aiusi  que  d'autres  étoiles  des  Champs-Elysées  et 
des  Boulevards  : 

«  Ce  sont  les  blondes  qui  m'ont  charmé, 
Minces  et  rondes,  j'en  suis  aimé  !...  »  etc. 

Mais  tout  lasse  et  tout  passe...  et  depuis  trois  ans, 
les  brunes  redeviennent  à  la  mode  !... 

A  quand  la  Chanson  des  Chapeaux,  des  Chichis, 
et  celle  de  la  mode  Tanagrienne  où  Orientales 
des  modernes  Elégantes  de  1911  ?  Mais  revenons 
à  la  chanson  française  de  nos  bardes. 

Vers  1400,  nous  voyons  un  Normand,  Olivier 
Basselin  (ou  Bachelin),  composer  de  joyeuses  chan- 
sons surnommées:  Vaux-de-Vire. 

L'étymologie  du  mol  vient  de  ce  que  notre  chan- 
sonnier-foulon demeurait  près  d'un  moulin,  dont 
il  se  servait  pour  fouler  ses  draps,  situé  près  de  la 
rivière  de  Vire,  au  pied  du  coteau,  qu'on  appelle 
i    Les  Vaux  »,  entre  le  château  et   l'ancien  couvent 

des  Cordeliers,  lequel  servaif  à  sécher  les  draps. 

I  donc  parce  que  Olivier  Bas  sel  in  chanta  il 
souvent  ses  chansons  en  ce  coteau,  qu'on  leur 
donna   le   nom    de:     Vaux-dc-Vire.    Os    chansons 

étaient  bachiques,  el  plus  tard,  par  corruption, 

Ton    donna    a    celles   qui    fuient    faites    le   nom   (le 

Vaudeville  el  Vaux-de-Ville$   1). 

i  EtymologUs,  el  les  auteurs  du 


GUSTAVE    \  VDA.UI)    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE         II 

Nous  trouvons  celte  note  encyclopédique  sur 
VEtyittolûgiê  : 

Ce  Vau-de-Virc  ou  Vaudeville  fut  d'abord  une 
chanson  inaligne  et  gaie  fille  de  la  Satire.  Suivant 
Boileau,  qui  dit,  après  avoir  donné  les  règles  de 
la  Sa  lire  dans  L'Art  Poétique  : 

D'un  trait  de  ce  poème,  en  bons  mois  si  fertiles, 
Le  Français,  né  malin,  forma  le  Vaudeville, 
Agréable,  indiscret,  qui  conduit  par  le  chant, 
Passe  de  bouche  en  bouche,  et  s'accroît  en   marchant. 
La  Liberté  française  en  ces  vers  se  déploie; 
Cet  enfant  de  plaisir  veut  naître  dans  la  joie  ! 

«  Vers  le  commencement  du  xvinc  siècle  des 
couplets  furent  admis  dans  les  pièces  du  théâtre 
léger,  et  l'on  s'habitua  peu  à  peu  à  donner  le  nom 
de  Vaudevilles  à  ces  pièces  mêmes.  » 

—  Olivier  Basselin  est  donc  le  père  du  Vaude- 
ville. —  Après  celte  époque,  nous  voyons  le  Duc 
d'Orléans  et  François  Ier  faire  des  chansons. 

Puis  c'est  Villon,  enfant  de  Paris,  libertin,  spi- 
rituel, fréquentant  les  «  tabernes  méritoires  de  la 
Pomme-de-Pin,  du  Caslel,  de  la  Magdelcine  et  de 
la  Mulle  »,  dont  parle  Rabelais.  C'est  là  que  cam- 
ponisait  Villon,  quand,  après  avoir  dérobé  quelque 

Dictionnaire  Universel,  se  sont  trompés  en  disant  que 
Vaux-de-Vire  était  un  lieu  proche  de  Vire,  il  n'y  a  rien 
de  ce  nom -là,  à*  Vire, 


12        GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

repue  franche  aux  rôtisseurs  de  la  rue  aux  Ours,  il 
chantait  la  Blanche  Savatière  ou  la  Gente  Sancis- 
sière  du  coin,  ou  bien  sa  joyeuse  épitaphe  : 

Ne  suis-je,  Badaud  de  Paris, 

De  Paris,  dis-je,  auprès  Pontoise!  (1) 

Ce  cabaret  de  la  Pomme-de-Pin  fut  célèbre  aux 
xvie  et  xvne  siècles  et  devint  le  rendez-vous  des  gens 
de  Lettres  et  de  leurs  bons  amis  de  la  Cour  ;  il  était 
situé  non  loin  de  Notre-Dame,  Rue  delà  Juiverie, 
en  face  l'église  de  la  Madeleine  démolie  en  1789  (2). 

François  Corbueil,  dit  Villon,  écrivit  donc  de 
remarquables  ballades  sur  les  événements  de  son 
temps  ;  or,  la  ballade  appartient  à  la  chanson. 

En  suivant  l'histoire  nous  arrivons  à  Clément 
Marot,  puis  Ronsard,  et  sommes  à  l'époque  des 
beaux  esprits  du  xvie  siècle  ;  l'on  se  passionne  poul- 
ies traductions  romaines  et  grecques.  Clément 
Marot  fut  un  créateur,  dans  le  style  archaïque,  et 
Konsard  demeure  un  génie  dans  la  poésie  badine. 

Le  Roi  Henri  IVécrivit  aussi  des  chansons,  dont 
plusieurs  sont  conservées  à  la  Bibliothèque  Natio- 
nale, ci-contre  une  Romance  du  vert-galant  Béar- 
nais, Romance  gracieuse  dont  on  ne  chante  plus 
que  le  premier  et  le  sixième  couplet. 

(1)  Histoire  de  Paris,  par  Théo.  Layaixik,  t.  I. 

(2)  lim-lles,  $alOM  cl  cabarets,  par  (i.  GOLOMBEY. 


(.1  STAM-.    NADAI'D    Et    LA    CHANSON     FRANÇAISE         i-\ 


ADIEUX  A  GABRIELLK 

(1596) 

Air  d'un  Noël  du  père  Ducaurroy. 


Charmante  Gabrielle, 
Percé  de  mille  dards, 
Quand  la  gloire  m'appelle 
A  la  suite  de  Mars, 
Cruelle  départie, 

Malheureux  jour, 
Que  ne  suis-je  sans  vie 

Ou  sans  amour  t 


lielle  astre,  je  vous  quitte  : 
O  cruel  souvenir  ! 
Ma  douleur  s'en  irrite  ; 
Vous  revoir  ou  mourir. 
Cruelle  départie,  etc. 

Je  veux  que  mes  trompettes, 
Mes  titres,  les  échos 
Incessamment  répètent 
Ces  doux  et  tristes  mots  : 
Cruelle  départie,  clc 


11        GUSTAVE    wduii    RT    r.v    chanson    FRANÇAISE 

L'Amour,  sans  nulle  peine, 
M'a,  par  vos  doux  regards, 
Comme  un  grand  capitaine, 
Mis  sous  ses  étendards. 
Cruelle  départie,  etc. 

Si  votre  nom  célèbre 
Sur  mes  drapeaux  brillait, 
.lusques  aux  bords  de  l'Ebre 
L'Espagne  me  craindrait. 
Cruelle  départie,  etc. 

Partagez  ma  couronne, 
Le  prix  de  ma  valeur  ; 
Je  la  tiens  de  Bellone, 
Tenez-la  de  mon  cœur. 
Moment  digne  d'envie, 

Heureux  retour, 
C'est  trop  peu  d'une  vie 

Pour  tant  d'amour. 

Je  n*ay  pu  dans  la  gu<  ne 
Qu'un  royaume  gaigner  ; 
Mais  sur  toute  la  terre 
Vos  yeux  doivent  régner. 
Moment  digue  d'envie, 

Heureux  retour, 
I  trop  peu  d'une  vit» 
Tour  tant  d'amour. 


GUSTAVE    NADAUD    ET    L.*    CHANSON    iham    \im  I  .'» 

Du  temps  de  Henri  IV  aussi  ; 

Si  le  roi  m'a  va  il  donné 

Paris  In  grand'  ville 

Kl  qu'il  eût  voulu  m'ôter 

L'Amour  de  nui  mie, 

J'aurais  dit  au  roi  Henri 

Gardez  donc  votre  Paris, 

J'aime  mieux  ma  mie,  au  gai  t     . 

»  bis 
J'aime  mieux  ma  mie. 

Sous  Louis  XIV,  la  chanson  est  encore  plus  ilo- 
rissante  que  sous  les  règnes  précédents  et  l'on 
évoque  avec  plaisir  :  Bois-Robert,  Voiture,  Maître 
Adam  de  Nevers,  etc.,  à  côté  de  ces  beaux  esprits 
de  l'hôtel  de  Rambouillet,  lequel,  ouvert  dès  1(50(1, 
vit  naître  et  fit  éclore  bien  des  réputations;  nous 
voyons  figurer  Malherbe,  Chapelain,  Corneille,  Ro- 
troa,  Scarron,  Bensarade,  Saint-I^vremond,  La 
Rochefoucauld  et  toute  une  élite  d'hommes  d'épées  ; 
nous  y  voyons  aussi  de  fins  Bas-Bleu  rivaliser 
d'esprit;  au  premier  rang  figurent  M"10  de  Ram- 
bouillet, d'une  intelligence  supérieure,  cl  sa  lilie, 
M"0  Julie  d'Arzennes,  puis  M"1  de  Rourbon-Condé, 
qui  devint  duchesse  de  Longueville,  M,lc  de  Coli- 
gny,  la  marquise  de  Sablé,  enlin  M"r  de  Sçudéry 
(le  plus  li ii  bas-bleu  de  ce  Cénacle)  et  M"°  Des- 
houilières,  laquelle  roucoulait  aussi  délicieuse- 
ment en  vers. 


16         GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Dans  ce  royaume  des  lis,  et  devant  toutes  ces 
grâces  poudrées,  nos  fins  et  délicats  lettrés  fai- 
saient montre  d'esprit;  YEpigramme  venait  Sou- 
ventes  fois  venger  un  amoureux  éconduit  et,  parmi 
ceux  dont  l'aiguillon  était  le  plus  piquant,  nous 
pouvons  citer  Voiture  1 

Mais,  il  nous  faut  quitter  ces  élégances  du  noble 
Parnasse,  qui  exercèrent  pendant  trente  ans  une 
heureuse  influence  sur  toute  la  littérature,  et  con- 
tinuer notre  évolution  chansonnière  ;  en  quittant 
cette  tour  d'ivoire,  nous  allons  nous  mêler  au 
peuple,  toujours  intéressant,  et  duquel  nous  vint 
souvent  de  tiers  exemples  !  à  côté  des  beaux  es- 
prits, c'est  aussi  l'époque  de  la  chanson  populaire 
et  satirique,  avec  Philippe-le- Savoyard,  avec  Gros- 
Gnillaame  et  Turlupin,  donnant  la  réplique  au 
Normand  Gauthier  Garguille;  Tabarin  attire,  avec 
non  moins  de  succès,  les  badauds  et  amateurs  de1 
farces  ou  de  chansons  burlesques. 

Philippe-le-Sauoyard,  en  homme  pratique,  fai- 
sait plusieurs  métiers  (1).  «  11  s'était  établi  sur  le 
terre-plein  du  Pont-Neuf,  près  de  la  statue  du 
Béarnais,  et  si'  mit  à  improviser  des  chansons  sa- 
tiriques. Par  ses  couplets  licencieux,  il  faisait  les 
délices  des  aventuriers  et  des  coupeurs  de  bourse. 
Comme  il  était  aveugle,  cela  augmentait  L'intérêt 

(1,  Voir  le  Chamonnier  hiitorique  du   \  VIII  siècl§t 

t.  I. 


GUSTAVE    \VD\ii>    Kl     IV    chanson    PB  ANC  AISE        il 

de  ses  chants  et  de  sa  personne  ;  du  reste,  il  ne 
craignait  pas  de  proclamer  son  mérite  et  répétait 
bruyamment  à  la  foule  : 

«  Je  suis  l'illustre  savoyard, 

«  Des  chantres  le  grand  capitaine, 

«  Je  ne  mène  pas  mon  soldat 

«  Mais,  c'est  mon  soldat  qui  me  mène. 

«  Accourez  filles  et  garçons, 
«  Ecoutez  bien  ma  musique, 
«  L'esprit  le  plus  mélancolique 
c  Se  réjouit  à  mes  chansons  ! 

«  Je  suis  l'orphée  du  Pont-Neuf, 
«  Voici  les  bestes  que  j'attire  : 
f  Vous  y  voyez  l'âne  et  le  beuf 
«  Et  la  nymphe  avec  le  satyre.  » 

Kn  1670,  quand  il  quitta  Paris,  un  cocher  au  ser- 
vice de  M.  de  Verthemont  prii  sa  place  et  exerça  sa 
verve  caustique,  en  se  consacrant  au  genre  sati- 
rique, ne  respectant  personne. 

En  lisant  YHistoire  de  Paris,  nous  voyons  que  le 
Pont-Neuf  était  la  seule  promenade  populaire  de 
l'époque  «  qui  se  trouvait  encombré  de  marchands, 
d'arracheurs  de  dents,  de  chansonniers  et  surtout 
de  tires-laines  ou  coupes-bourses  ;   c'était  là  que 


ii»        GUSTAVE     VVDUI»    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Mondov  vendait  son  merveilleux  orviétan,  Tabarin 
débitait  les  folies  goguenardes,  Maître  Gonin  faisait 
ses  tours  de  gobelets,  Brioché,  montrait  ses  ma- 
rionnettes et  ses  singes  ». 

Voici,  d'autre  part,  en  quels  termes  Bertaud  en 
parle  dans  sa  Ville  de  Paris  : 

Pont-Neuf,  ordinaire  théâtre 

Des  vendeurs  d'onguent  et  d'emplâtre  ; 

Séjour  des  arracheurs  de  dents, 

Des  tripiers,  libraires,  pédant, 

Des  chanteurs  de  chansons  nouvelles, 

D'entremetteurs  de  demoiselles, 

De  coupes-bourses,  d'argotiers,  elc... 

Voilà  Paris  sous  Louis  XIII  et  sous  Louis  XIV. 

Ces  chansonniers  du  Pont-Neuf,  tel  le  cocher  de 
Verthemont,  etc.,  prouvent  que  l'on  n'invente  rien 
de  nos  jours  ;  et,  nos  très  hauts  chansonniers  de  la 

butte  »,  curent,  on  le  voit,  d'illustres  devanciers 
dans  ces  improvisateurs  du  Pont-Neuf!  A  celte 
époque,  tout  le  inonde  lait  des  chansons.  Même  la 
Duchesse  de  Bourbon,  lille  naturelle  du  Roi,  qui 
laisse  déborder  eu  \er.i  un  esprit  malicieux  et 
mordant,  qu'elle   tenait  de  s:»   mère.  M""'  de   Mon- 

tespan  : 


1  est  hi  duchesse  de  Bourbon 

<  > 1 1 i  met  tout  le  monde  en  chanson  !  » 


GUSTAVE  NADAUU    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE        i9 

Un  autre  bâtard  de  sang  royal,  le  prieur  de  (1) 
Vendôme,  tient  sa  place  parmi  les  chansonniers 
de  l'époque  aux  dîners  du  Temple;  car  bien  avant 
le  Caveau,  il  y  avait  des  dîners  périodiques,  «  il  y 
eut  les  dîners  de  la  jeunesse  de  Boileau,  de  Racine, 
où  Taisaient  assaut  La  Fontaine  et  Molière  ;  il  y 
avait  aussi  la  Société  des  Enfants  Sans-Souci,  orga- 
nisée pour  le  Vaudeville  et  les  chansons  »  (2). 

«  Dans  l'Histoire  de  Paris,  par  Lanallée,  nous 
voyons  qu'une  Société  des  Enfants  Sans-Souci  lut 
fondée  parles  Bourgeois  de  Paris  en  1402,  et  éta- 
blie en  conlrérie  pour  représenter  aux  Halles,  et  à 
la  place  de  Grève,  des  pièces  satiriques,  qu'on  appe- 
lait Sotties,  ou  pièces  joyeuses.  » 

Sous  Louis  XV  c'est  encore  la  chanson  de  So- 
ciété avec  les  chansonniers  Piron,  Colle,  Verdier, 
Vadé  cl  Y  Abbé  Latteignant,  mais  c'est  surtout  la 
chanson  badine  et  libertine,  à  l'usage  des  petites 
maisons,  où  se  donnaient  de  lins  soupers  !...  «  Bon 
souper,  bon  gite...  et  le  reste  »  ! 

Louis  XV,  qui  prisait  tort  le  genre  badin,  lit 
lui-même,  dit-on,  quelques  chansons  avec  art  cl 
malice. 

Sous  ce  règne  du  «  Bien  aimé  »,où  la  corruption 

(1)  Le  grand  Prieur  de  Vendôme  et  son  frère  le  duc, 
étaient  les  derniers  rejetons  des  amours  de  Henri  IV 
et  de  Gabrielle  d'Estrée. 

(2)  Voir  /.es  Œuvres  de  Laujon,  t.  IV. 


*20         GUSTAVE    NAUAUD    ET    LA    CHANSON     FRANÇAISE 

s'étalait  honteusement,  jusqu'au  trône,  et  dont  la 
déplorable  administration  contribua  à  rendre  né- 
cessaire la  Révolution  de  1789,  l'on  pense  bien  que 
la  chanson  ne  se  gêna  guerre  vis-à-vis  de  la  Cour, 
tous  les  personnages  en  turent  critiqués  et  verte- 
ment chansonnés,  sans  ménagement  surtout,  pour 
Antoinette  Poisson,  Marquise  de  Pompadour,  cette 
néfaste  favorite  du  Roi  à  laquelle  l'on  dut  la  guerre 
ruineuse  de  Sept  ans. 

Sous  Louis  XVI,  le  comte  d'Arlois  chansonne. 
sans  vergogne,  toute  la  famille  royale  (1).  «  C'est 
l'époque  des  Marquis  poudrés  et  musqués,  des 
galants  abbés  et  damerets,  des  robbins  suffisants  ; 
l'on  flagelle  sans  pitié,  et  justement,  les  ridicules 
et  les  vices,  en  s'abritant,  toutefois,  sous  le  couvert 
de  l'anonymat,  par  crainte  de  la  Bastille  et  des 
haines  mortelles  : 

•  Celui  qui  a  tait  la  chanson 
i  N'oserait  pas  dire  son  nom 
«  Car  il  aurait  les  étrivières  ! 

C'est  ainsi  que  l'on  signe,  et  l'on  faisait  bien  ! 
u  car  le  joyeux  Snint-Ainand  fut  «  bastonné  »  par 
le  Prince  de  Condé,  et  Rousseau  reçut,  de  La  Faye 
lui-même,  une  volée  (le  Hois-Vert  ». 

Nous  arrivons  au  règne  de  Louis  XVI,  qui  lut 
salué  par  des  cris  dVnthousiasnie. 

1;  Le  chan$onniet  hiitorlaae  au  wm   tiède. 


GUSTAYB    BADAUD    ET    LA   CHANSON    FRANÇAISE       21 

Hélas,  après  avoir  entendu  des  chants  d'espé- 
rance il  entendra  ensuite  des  chants  satiriques,  et 
peu  après,  la  terrible  chanson  de  la  «  Carmagnole  », 
cependant  que  Marie-Antoinette,  qui  aimait  à 
jouer  au  clavecin  l'air  de  «  Ça  ira  »,  sera  conduite 
à  l'échafaud  par  une  foule  en  fureur  qui  chantera 
autour  de  la  charrette  et  de  la  guillotine  la  chan- 
son du  «  Ça  ira  »,  dont  le  refrain  fut  improvisé, 
par  Landie,  chanteur  public,  au  champ  de  Mars, 
pour  la  Fête  de  la  Fédération. 

C'était  une  contredanse  à  la  mode  que  ce  : 

«  .\h  !  ça  ira,  ça  ira,  ça  ira 

•  Le  peuple  en  ce  jour  sans  cesse  répète  ; 

t  Ah  !  ça  ira,  ça  ira,  ça  ira, 

«  Malgré  les  mutins  tout  réussira. 

Cette  chanson  était  sans  violence,  mais  il  n'en 
était  pas  de  même  avec  la  «  Carmagnole  »,  laquelle 
fut  composée,  nous  dit  du  Mersan  (1),  en  août  1792, 
époque  à  laquelle  Louis  XVI  fut  emprisonné  au 
Temple.  «  Elle  eut  une  vogue  populaire,  et  devint 
le  signal  de  l'accompagnement  des  joies  féroces  et 
des  exécutions  sanglantes.  On  dansait  la  Carnw- 
gnole  dans  les  bals,  on  la  chantait  au  théâtre  et 
autour  de  la  guillotine  !  » 

L'on  ne  peut  se  défendre  d'un   fiisson   d'épou- 

(1)  Recueil  des  chansons  nationales  et  populaires,  par 
DUMEltSAN. 


'l'i        GUSTAVE    SADA.Lt)    il     LA    <HVN-«)\    FRANÇAISE 

vante,  en  relisant  cette  chanson  dune  poésie  bru 
taie  qui  enivra  tout  le  peuple  à  cette  époque,  d'une 
folie  sanguinaire,  et  où,  au  dire  des  jacobins,  «  la 
tète  de  Louis  XVI  était  le  gant  jeté  à  la  vieille  Eu- 
rope ». 

Cette  chanson  appartient  à  l'histoire  (histoire 
terrible  et  rouge,)  nous  la  donnons  ci-dessous  in- 
extenso  : 


LA     CAHMA(i\()Ll-: 


Ma  dam 'Veto  avait  promis  bis. 

De  faire  égorger  tout  Paris;  bis. 

Mais  sou  coup  a  manqué, 

Grâce  à  nos  canonnié. 

Dansons  la  carmagnole, 

Vive  le  son  !  vive  le  son  I 
Dansons  la  carmagnole, 

Vive  le  son  du  canon  ! 


Monsieur  Veto  ;i\;iii  promis  bis. 

I  >  êti  e  fidèle  à  s;<  patrie  ;  bis. 

Mais  il  y  a  manqué, 

Ne  raisons  plus  cai  lié. 

Dansons  la  carmagnole  ele 


GUSTAVE    NAhAL'D    Fi     LA    cUANSoN    FRANÇAISE         ZO 

Antoinette  avait  résolu  bis. 

De  nous  iairc  tomber  sur  eu:  bis 

Mais  son  coup  a  manqué 

Klle  a  le  nez  cassé. 

Dansons  la  carmagnole,  elc. 


-Son  mari,  se  croyant  vainqueur.  bis. 

Connaissait  peu  notre  valeur.  bis. 

Va,  Louis,  gros  paour, 

Du  Temple  dans  la  tour. 

Dansons  la  carmagnole,  etc. 


Les  Suisses  avaient  tous  promis  bis. 

Qu  ils  leraient  feu  sur  nos  amis  :  bis. 

Mais  comme  ils  ont  sauté, 

Comme  ils  ont  tous  dmsé  ! 

Chantons  notre  victoire,  etc. 


Quand  Antoinette  vit  la  tour,  bis. 

Elle  voulut  fair'  demi-tour  ;  bis. 

Klle  avait  mal  au  cœur 

De  se  voir  sans  honneur 

Dansons  la  carmagnole,  elc. 


'1  \        GUSTAVE    NADAtJD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 


Lorsque  Louis  vit  le  fossoycr. 
A  ceux  qu'il  voyait  travailler. 

Il  disait  que  pour  peu 

Il  était  dans  ce  lieu. 

Dansons  la  Carmagnole,  etc. 


bis, 

bis. 


Le  patriote  a  pour  amis, 
Tous  les  bonnes  gens  du  pays; 
Mais  ils  se  soutiendront 
Tous  au  son  du  canon. 
Dansons  la  carmagnole,  etc. 


bis. 
bis. 


L'aristocrate  a  pour  amis, 
Tous  les  royalist's  à  Paris  ; 
Ils  vous  les  soutiendront 
Tout  comm'  des  vrais  poltrons. 
Dansons  la  carmagnole,  etc. 


bis. 

bis. 


La  gendarmerie  .'»\:ut  promis 
Qu'elle  soutiendrai!  If  patrie  ; 

Mais  ils  n'ont  p:is  manqué 

\n  i  on  du  canon  lé 

I  >;» us* ms  la  carmagnole,  etc. 


/»/s. 

bis, 


GUSTAVE    SADAUD    Kl     LA    CHANSON    FRANÇAISE        25 

Amis,  restons  toujours  unis,  bis. 

Ne  craignons  pas  nos  ennemis  ;  bis. 

S'ils  viennent  attaquer, 

Nous  les  ferons  sauter. 

Dansons  la  carmagnole,  etc. 


Oui,  je  suis  sans  culotte,  moi.  bis, 

En  dépit  des  amis  du  roi,  bis. 

Vivent  les  Marseillois, 

Les  Bretons  et  nos  lois. 

Dansons  la  carmagnole,  etc. 


Oui,  nous  nous  souviendrons  toujours  bis. 
Des  sans-culottes  des  faubourgs  bis. 

A  leur  santé,  buvons. 

Vivent  ces  bons  lurons  ! 

Dansons  la  carmagnole, 
Vive  le  son  !  vive  le  son  1 

Dansons  la  carmagnole, 
Vive  le  son  du  canon  ! 


i\\        GUSTAVE    N\i>MD    FT    T.  \    CHANSON    F&ÀNÇÀtSfi 

Nous  avons  dit  la  folie  sanguinaire  du  peuple. 
Qu'on  en  juge  par  ces  lignes  tirées  des  Révolutions 
de  Paris  :  «  Après  l'exécution,  quantité  de  volon- 
taires s'empressèrent  de  tremper  dans  le  sang  du 
despote  le  1er  de  leurs  piques,  la  baïonnette  de  leurs 
fusils  ou  la  lame  de  leurs  sabres.  Beaucoup  d'offi- 
ciers du  Bataillon  de  Marseille  et  autres  imbibèrent 
de  ce  sang  impur  des  enveloppes  de  lettres  qu'ils 
portèrent  à  la  pointe  de  leurs  épées,  en  lèle  de  leur 
compagnie,  en  disant  : 

—  Voici  du  sang  d'un  tyran  !  —  Un  citoyen  monta 
sur  la  guillotine  même,  cl,  plongeant  tout  entier 
son  bras  nu  dans  le  sang  de  Capet  qui  s'était 
amassé  en  abondance,  il  en  prit  des  caillots  plein 
la  main  et  en  aspergea  par  trois  fois  la  foule  des 
assistants  qui  se  pressaient  au  pied  de  l'échafaud 
pour  en  recevoir  chacun  une  goutte  sur  le  front! 

Frères  !  disait  le  citoyen»  en  faisant  son  asper- 
sion, frères  I  on  nous  a  menacés  que  le  sang  de 
Louis  Capet  retomberait  sur  nos  tètes  :  oh  bien  ! 
qu'il  y  retombe.  Républicain!  !  le  sang  d'un  roi 
porte  bonheur  !  » 

Quittons  ces  lunes  de  la  guillotine  en  souhai- 
tant que  l'avenir  nous  préserve  des  Révolutions! 
Heureusement  <|u<'  pour  effacer  ces  chants  (1) 
d'autres  plus  élevés  vpnl  naître,  ayant  pris  leur 
inspiration  dans  l'amour  de  la    patrie  et  dans 

i    Mi  moiret  sur  lu  Convention, 


GUSTAVE     \\n\i  n    ET    i.\    CHANSON    FRANÇAISE        27 

la  haine  de  l'Etranger  envahisseur  de  noire 
sol! 

Saluons  donc  encore  el  toujours  ces  patriotes 
immortels,  nobles  enfants  de  notre  France  bien- 
aiinée! 

Au^  chants  de  la  Carmagnole  et  du  Ça  ira  suc- 
cèdent ceux  de  la  Marseillaise  avec  Rouget  de  Vlsle, 
ceux  de  Joseph  Chénier  avec  le  Chant  du  départ,  et 
en  (in,  pour  ne  citer  que  ces  trois  héros,  Casimir 
Delavigne,  le  Poète  des  Messéniennes,  dont  les 
strophes  de  la  Parisienne  eurent  la  même  faveur 
populaire  que  les  autres  poèmes  héroïques. 

Ces  chants  inspirés  par  le  patriotisme,  véritables 
hymnes  de  guerre,  vinrent  enflammer  des  plus 
nobles  ardeurs  le  cœur  de  tous  les  patriotes  épris 
de  justice  et  de  liberté!  Après,  nous  arrivons  au 
Directoire,  et  nous  devons  citer  le  nom  à' Ange 
Pilou,  qui  obtint  un  grand  succès  parmi  la  jeu- 
nesse dorée  des  incroyables,  lesquels  aflectèrent  un 
ridicule  grotesque,  allant  jusqu'à  l'idiotisme.  L'on 
en  sait  le  costume  étrange  :  Cheveux  courts  par 
derrière,  longs  el  rabattus  sur  les  yeux,  pour  imiter 
la  toilette  des  condamnés  à  la  guillotine,  bas  chinés, 
habit  court  et  carré,  gilet  de  panne  chamoise  à  dix- 
huit  boulons  de  nacre,  cravate  uer  le  montant  jusqu'à 
la  bouche,  des  lunettes,  deux  montres,  etc. 

Que  l'on  ajoute  à  cet  accoutrement  un  zézaie- 
ment inepte  dans  le  parler,  et  l'on  aura  un  portrait 
fidèle  de  ces  muscadins,*'  qui  mirent  à  la  mode, 


*2lî        GUSTAVE    >\.DAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

chez  les  femmes,  les  nudités  des  courtisanes  de  la 
Grèce  !  » 

Si  l'époque  était  troublée,  la  cervelle  de  toute 
cette  société  ridicule  ne  l'en  était  pas  moins,  on  le 
voit  !  et  le  nom  d' Incroyable  est  bien  celui  qu'il 
faut  écrire  comme  mot  de  la  fin. 

L'on  continuera  de  chanter  sous  le  Directoire, 
quoique  le  peuple  soit  rentré  «  dans  ses  taudis, 
dans  sa  misère  ». 

Epoque  de  transition,  s'il  en  fut  une.  Le  peuple 
a  quitté  son  bonnet  rouge,  la  bourgeoisie,  la  no- 
blesse sortent  à  nouveau  les  carrosses  !  le  Palais 
Royal  reprend  son  animation  libertine,  les  tripots 
y  sont  nombreux,  la  débauche  s'y  donne  rendez- 
vous.  Jamais,  disent  les  chroniques,  «  il  n'y  eut  un 
tel  amour  des  plaisirs,  jamais  les  spectacles  licen- 
cieux et  les  courtisanes  n'avaient  eu  une  si  grande 
vogue...  Après  l'argent,  la  danse  est  devenue  l'idole 
des  Parisiens  ». 

Une  chanson  de  (iarat  (Pierre-Jean)  passionne 
l'aristocratie  nouvelle,  de  même  que  les  entrechats 
du  danseur  Vestris,  «  Dieu  de  la  danse  ». 

El  c'est  vers  cette  époque  que  nous  voyons  dé- 
barquer à  Paris  Désaugiers,  revenant  d'Amérique 
après  avoir  éprouvé  tous  les  malheurs  d'une  sau- 

vage  ei  barbare  révolution  en  Haïti  (Saint-Do- 
mingue .Sous  Le  règne  de  ce  nègre  sanguinaire  Afe*- 
ga/i/tet,  qui  fit  égorger  10.000  mulâtres;  hélas  I  il  en 

«tait  de  même  en  Î88&,  qu'en  1701,  car  L'auteur  de 


GUSTAVE    SADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAIS!  29 

celle  étude  fut  lui-même  témoin  des  atrocités  de 
cette  révolution,  sous  le  Président  Salomon.  Et  qui 
pourrait  donner  une  idée,  et  retracer  les  mutila- 
lions,  les  gémissements  des  mulâtres  et  des  pauvres 
mulâtresses  de  Pont-an-Prince,  Saint-Marc,  Mi- 
ragoane,  pendant  cette  Révolution  de  1883  ?  (1) 

Il  faudrait,  pour  fixer  ces  horreurs,  la  plume  de 
Tacite.  Nous  avons  donc  vécu,  au  même  âge  que 
Désaugiers,  ces  heures  inoubliables,  au  doux  pays 
de  ces  Messieurs  de  couleu  !  et  ces  heures  de  pillages 
de  meurtres,  de  viols  et  d'incendies  ne  s'eftaceront 
jamais  de  notre  mémoire.  Donc,  après  une  absence 
de  cinq  années,  Désaugiers,  qui  devait  s'illustrer 
dans  le  Vaudeville  et  les  couplets  joyeux,  revoyait 
Paris  au  moment  fantaisiste  du  Directoire. 

Après  les  horreurs  de  la  Révolution,  l'on  éprou- 
vait le  besoin  de  se  réunir,  de  jouir  delà  vie  et  des 
plaisirs  de  la  table.  «  Il  faut  fêter  Bacchus  et  Co- 
rnus, il  est  de  bon  ton  d'être  Epicurien.  » 

D'un  caractère  enjoué,  d'une  belle  humeur,  d'un 
physique  agréable,  notre  joyeux  Désaugiers  ne  pou- 
vait  trouver  une  époque  plus  en  rapport  avec  ses 
penchants  et  ses  dispositions  artistiques.  II  se  li- 
vre sans  retard,  et  tout  entier,  à  la  littérature  et  la 
musique. 

Désaugiers,  né  en  Provence,  pays  des  Trouba- 

(1)  Voir  En  Ocêanfr  et  aux  Antilles,  par  l'auteur  \'C<>m- 
bkt,  Ed.,  Paris). 


30   GUSTAVE  WDAl'l)  ET  Là  CHANSON  FRANÇAISE 

dours,  était  dune  famille  où  les  dons  de  l'esprit,  de 
la  musique  et  du  chant  étaient  héréditaires  :  il  y 
avait,  nous  dit  Sainte-Beuve,  dans  ses  Portraits  et 
Contemporains,  «  comme  un  courant  naturel  de 
verve,  degaîté,  de  musique,  qui  allait  du  père  aux 
enfants  ». 

En  quelques  mois,  il  est  le  fournisseur  attitré  de 
petits  Théâtres  à  la  mode  où  il  lance  des  pièces 
étincelantes  d'esprit  et  d'une  allure  spéciale. 

Nous  ne  pouvons  suivre  Désaugiers  dans  sa  vie 
et  retracer  tous  les  succès  qu'il  obtint  ;  il  nous  fau- 
drait écrire  une  Etude  spéciale  ;  mais  cependant 
l'on  nous  pardonnera  volontiers  de  nous  étendre 
un  peu  sur  ce  chansonnier  que  Ton  surnomma 
VAnacréon  Français',  car  nous  pouvons  dire  que  la 
^aîté  française  et  la   chanson  de   table  ne  vinren 

iyer  les  agapes  de  nos  sociétés  littéraires  qu'à 
cette  rentrée  de  Désaugiers  parmi  les  amis  de  la 
bonne  chanson,  et  pour  ces  raisons  ce  joyeux  ri- 
meur  appartient  à  rhistoiiv  de  la  Chanson  Fran- 
çaise. 
[1  écrivit  plus  de  120  pièces  de  théâtre,  et  fui  un 

ateur  de  types  observés  finement,  dans  l'atti- 
tude et  la  physionomie  ;  mais,  c'est  surtout  dans 
la  chanson,  que  Désaugiers  devail  acquérir  la  no- 
toriété et  se  classer  parmi  les  premiers  chanson- 
niers de  son  époque  <  et  du  Rocher  de  Cancale  ,  So- 
ciété Littéraire  don  I  il  lut  président.  Avantd'arriver 
a  I  )■'■  augiers  j'ai  donné  un  légeraperçu  t\u  Directoire 


GUSTAVE    NÀDÀUD    Kl    LA    ciiwmin    riiwi   ihi:       3  I 

et  du  Palais-Royal.  A  seule  lin  de  ne  pas  nous 
écarter  de  celle  date,  nous  trouvons  dans  les 
œuvres  du  chansonnier  quelques  tableaux  mer- 
veilleux, où  le  talent  du  maître  l'ait  passer  sous 
nos  yeux,  comme  en  un  cinématographe,  des 
scènes  de  la  vie  de  Paris,  série  miniature,  véri- 
tables tableaux  vivants  des  mœurs  et  d'une 
époque,  qui  marque  un  point  d'histoire,  non  éloi- 
gnée du  Directoire  et  des  Incroyables... 


LE  PALAIS-ROYAL 

Aih  de  la  Sauteuse 

Du  Palais-Royal 
Comme  je  peindrais  bien  l'image, 

Si  de  Juvénal 
J'avais  le  trait  original! 

Mais  tant  bien  que  mal, 
Muse,  entamons  ce  grand  ouvrage. 

Quel  homme,  au  total, 
Mieux  que  moi  connaît  le  local  ? 

Entrepôt  central 
De  tous  les  objets  en  usage  ; 

Jardin  sans  rival, 
Qui  du  {,'oût  est  le  tribunal... 

L'homme  matinal 
Peut,  à  raison  d'un  liard  la  pa#e, 


■)'l         GUSTAVE     VADADD    ET     LA     CHANSON     NlAM    WSK 

De  chaque  journal 
S'y  donner  le  petit  régal, 

D'un  air  virginal, 
Une  belle  au  gentil  corsage 

Vous  mène  à  son  bal, 
Nommé  Panorama  moral... 

Sortant  de  ce  bal, 
Si  de  l'or  vous  avez  la  rage. 

Un  râteau  fatal 
Sous  vos  yeux  roule  ce  métal  ; 

Et  par  ce  canal 
L'homme  de  tout  rang,  de  tout  Age, 

Va  d'un  pas  égal 
A  la  fortune,  à  l'hôpital. 

Le  Palais-Royal 
Est  l'écueil  du  meilleur  ménage  ; 

Le  nœud  conjugal 
S'y  brise  net  comme  un  cristal. 

Le  provincial, 
Exprès  pour  l'objet  qui  l'engage, 

Y  vient  d'un  beau  schall 
Faire  l'achat  sentimental  ; 

Mais  l'original 
A  vu  certain  premier  étage... 

Heureux  si  son  mal 
Se  borne  à  la  perte  du  schall!... 

Dans  un  temps  fatal, 
Si  maint  politique  orage 

Le  Palais-Royal 
Devint  h*  théâtre  infernal, 

Du  gai  carnaval 
Il  tst  aujourd'hui  l'héritage. 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSOU    FRATH   MSF.        33 

Jeu,  spectacle,  bal, 
Y  sont  dans  leur  pays  natal, 

Flamand,  Provençal, 
Turc,  Africain,  Chinois,  Sauvage, 

Au  moindre  signal. 
Tout  se  trouve  au  Palais-Royal  ; 

Bref,  séjour  banal 
Du  grand,  du  sot,  du  fou,  du  sage, 

Le  Palais-Royal 
Est  le  rendez-vous  général. 

Ces  chants  de  genre  (car  il  faut  lire  :  Paris  en 
Miniature,  Tableau  de  Paris  à  cinq  heures  du  matin 
et  cinq  heures,  du  soir  et  d'autres),  ne  sont  pas,  pour 
notre  part,  les  moins  attrayants  dans  l'œuvre  du 
chansonnier,  car  il  se  montre  ici  observateur  spi- 
rituel, et  d'une  finesse  remarquable.  Mais  il  fallait 
entendre  l'auteur  chanter  ses  œuvres,  disent  les 
biographes  ;  a  excellent  compositeur  et  doué  d'une 
voix  agréable,  il  charmait  absolument  son  public 
car  il  jouait,  dit-on,  ses  chansons. 

Désaugiers  était  un  homme  gai  (quoique  Béran- 
ger  nous  ait  dit  que  cette  gaîté  n'était  pas  le  fond 
de  son  caractère)  (1),  il  appliquait  dans  sa  vie  la 
devise  qu'il  avait  choisie  pour  la  Société  Littéraire 
du  Caveau  Moderne,  savoir  : 

«  Aime,  ris,  chante  et  bois, 
«  Tu  ne  vivras  qu'une  fois. 

(1  )  Voir  Ma  Biographie. 


34        GUSTAVE    \\i»Wb    il     LA    CHÀNSOfl     PHAlfÇAlSll 

Par  ses  chants  pleins  de  verve,  de  vitalité,  de  la 
gaîté  pétillait  avec  la  mousse  du  Champagne, 
Désaugiers  fut  un  chansonnier  recherché  de  toutes 
les  sociétés  gastronomiques  et  bachiques  ;  de  1806 
à  1815  il  fut  le  chantre  populaire  de  la  gaîté  sous 
l'Empire,  comme  il  le  sera  sous  Louis  XVIII  et 
sous  Charles  X  ;  son  cœur  était  bon  et  malgré  le 
Jlon  flou  et  le  pan  pan  bachique,  cet  Epicurien 
était  capable  d'écrire  des  chants  philosophiques, 
et  nous  ne  pouvons  résister  au  plaisir  de  citer  :  La 
Philùêôphie  (F un  se.vac/rnaire  : 

A  soixante  ans,  on  ne  doit  pas  remettre 
L'instant  heureux  qui  promet  un  plaisir; 
Plus  tard,  le  sort  voudra  t-il  nous  permettre 
De  le  rejoindre  et  de  le  ressaisir?    (bis) 
Sur  l'avenir  je  ne  compte  plus  guère  : 
Le  présent  seul  à  mon  âge  est  certain  ;    (bis) 
Mon  plus  beau  jour  est  celui  qui  m'éclaire, 
Car  les  vieillards  n'ont  pas  de  lendemain,    (bis) 

Si  le  destin  veut  prolonger  ma  vie, 

Je  me  résigne  à  ces  sages  décrets  ; 

Mais  mourir  vieux,  n'est  pas  ee  que  j  envie: 

L'âge  souvent  amène  des  regrets       (his) 

Chacun  son  tour  est  la  règle  du  sage  ; 

Contentons-nous  d'égayer  nos  instants.    (Mt) 

Celui  qui  p  le  A  soixante  uns  Dlgtge, 

S'il  Vécu!  bien,  vécut  assez,  longtemps,     {bit 

i  strophes  sont  vécues  et  humaines  et  cette 


i.imwi.    winih    ET    LA    UUANSOS    PHANÇAISB        oT» 

mélancolie,  qui  monte  ainsi  aux  lèvres  de  Désau- 
giers, pourrait  donner  raison  à  Béranger,  si  l'auteur 
de  .1/.  et  A/,nt  Dénis  n'avait,  pendant  plus  de  trente 
ans,  été  le  boute-en-train  de  toutes  les  réunions 
épicuriennes  : 

Lorsque  le  Champagne 
Fait  en  s'échappant 

Pan  pan, 
Ce  doux  bruit  nie  gagne 
L'âme  et  le  tympan  ! 

Vivat  à  Désaugiers  qui  relit  épanouir  le  rire 
sur  les  lèvres  closes  par  la  terreur  sanglante.  Pré- 
sident du  Caveau,  il  fut  LOmmé  par  deux  fois  Di- 
recteur du  Vaudeville;  cet  homme  aimable  n'avait 
pas,  autant  dire,  d'opinions  politiques,  peut-être 
un  penchant  pour  la  ileur  de  lys!...  mais  il  s'ac 
commodait  fort  bien  de  tous  les  régimes  pourvu 
que  ceux  de  la  table  fussent  bons  l  II  chanta  pour 
l'Empire,  pour  Louis  XVIII  et  Charles  X  qui  le  lit 
chevalier  de  la  légion  d'honneur  et  reçut  une  pen- 
sion sur  la  Cassette  de  ce  Roi,  et  dans  nos  recher- 
ches sur  rAnacréon  Français  nous  avons  découvert 
eette  note  que  nous  croyons  inédite  dans  ses  bio- 
graphies : 

«  Le  Grand  Orient  pouvait  citer  avec  orgueil 
parmi  les  maçons  qui  appartenaient  à  son  atelier: 
XXI  Désaugiers  XX  ». 

Comme  tous  les  méridionaux,  Désaugiers   avai 


•U»        GUSTAVE    KADAUD    ET    LA    CHANSON     FRANÇAISE 

un  extérieur  charmant,  une  gaieté  inépuisable  ;  ce 
bon  et  joyeux  compagnon  mourut  de  la  pierre  le 
9  avril  1822,  âgé  de  54  ans,  il  fut  profondément  re- 
gretté et  fit  lui-même  cette  originale  et  facétieuse 
épitaphe  : 

Ci-gît  hélas,  sous  cette  pierre, 
Un  bon  vivant  mort  de  la  pierre 
Passant,  que  tu  sois  Paul  ou  Pierre. 
Ne  va  pas  lui  jeter  la  pierre. 

Il  avait  peu  d'ennemis,  mais  il  en  avait  néan- 
moins dans  les  admirateurs  deBéranger;  du  reste, 
on  a  toujours  des  ennemis,  et  l'on  connaît  cette 
phrase  d'Elysée  Reclus:  «  Garde-toi  de  réussir... 
ou  bien  tu  n'éviteras  pas  la  haine  des  jaloux  »,  et 
l'on  pourrait  ajouter  :  ...la  haine,  surtout,  de  ceux 
auxquels  tu  auras  rendu  service. 

La  lettre  autographe  que  nous  publions  prouve 
la  bonté  du  chansonnier  et  sa  bienveillance,  et 
l'anecdote  ci-dessous  nous  montrera  son  bon 
cœur  et  son  insouciance  de  l'argent  : 

<(Un  jour  qu'il  rentrait  chez  lui  avec  un  sac 
rempli  d'écUS  (1.200  francs),  qu'il  venait  de  tou- 
cher, il  rencontra  un  de  ses  amis  à  qui  il  conta 
s;i  bonne  fortune.  «  Tu  es  bien  heureux  de  tou- 
cher tant  d'argent,  et  je  suis  loin  de  ta  position. 
-  Eh  bien  !  dit  Désaugiers,  veux-tu  partager?  » 
le  partage    lui    lait  sur   une   borne  et     Désaugiers 


GUSTAVE    HADÀUD    ET    LA    CHANSON    I  K  \ >. <   wm         -\7 


C/f\o  i^t  •  xh-S 


Ajtrh-<L-      o^t^        i>jflfU~     ****-       fiJ 


A- 


t*~*l*'     *%*•'#'    Poj     °L^    J^ 


1^       (^   D'^orvaty-. 


/  • 


38        GU6TAYE    tiADAÙD    ET    i.\    CHANSON    FRANÇAISE 

rentra  chez  lui  avec  600  francs  de  moins  et  le  plai- 
sir d'avoir  obligé  un  ami  (1).  » 

Parmi  les  contemporains  de  Désaugiers,  nous 
voyons  le  Barde  national  Bêranger,  tous  deux  de 
caractère  et  de  pensers  différents.  Comme  nous 
avons  consacré  une  Etude  au  chansonnier  Pa- 
triote et  Républicain,  nous  y  renverrons  le  lec- 
teur (2). 

Aucune  comparaison  à  faire  entre  ces  deux 
chansonniers.  Bêranger  peu  à  peu  est  devenu  un 
véritable  apôtre  du  progrès  social,  sa  vie  fut  désin- 
téressée et  ses  chants  élevés,  d'un  ardent  et  sincère 
patriotisme,  laissant  sur  le  front  de  ce  grand  pen- 
seur la  clarté, toujours  vive, d'une  auréole  glorieuse 
et  de  génie  ! 

Il  aima  passionnément  la  France,  lutta  fière- 
ment contre  le  régime  despotique  pour  le  triomphe 
des  idées  démocratiques. 

Et  nous  saluons  respectueusement  à  nouveau, eu 
Bêranger,  non  seulement  le  grand  Maître  de  la 
chanson,  mais  aussi  et  surtout,  le  patriote  el  dé- 
mocrate citoyen,  qui  fut  surnommé  le  Père  du 
Prnj>lc. 

Par  son  caractère,  par  sa  vie  toute  de  boulé,  par 

(1)  in  Grande Encyclopédie> 

(2)  Etude  sur  Bêranger  le  chansonnier,  Patriote  ri  Ré 
pubiii a//i, Préface  de  Jules  Claretii  <i<-  L'Académie  Fran- 

e  i.  Edition  :  rue  <!<■  Furstenberg,  Paris  . 


GtSTAVE    NADAUD    ET   LA    CÈÎANS0H    FRANÇAISE        39 

ses  œuvres  d'un  esprit  éclairé  sur  les  questions 
sociales,  Béranger  demeure  le  plus  grand  chanson- 
nier de  son  époque,  et  j'ajoute,  qu'aucun  autre 
n'est  parvenu  jusqu'à  ce  jour  à  le  surpasser  en  la- 
lent,  en  patriotisme,  en  bonté  et  surtout  en  désin- 
téressement. 

Honneur  donc  àBérangerlqui  appartient  incon- 
testablement à  l'histoire  de  la  France  et  dont 
l'œuvre  sociale  est  immortelle! 

Nous  arrivons  bientôt  à  Gustave  Nadaud,  mais  il 
nous  paraît  impossible,  en  suivant  l'histoire  de  la 
Chanson  Française,  de  ne  pas  consacrer  quelques 
pages  au  Poète-Chansonnier  Lyonnais  Pierre  Du- 
pont. L'œuvre  de  ce  merveilleux  chantre  de  |la  na- 
ture est  assez  puissante,  pour  que  le  lecteur  nous 
permette  de  saluer  l'inoubliable  auteur  des  Sapins, 
des  Bœufs,  et  de  tant  d'autres  œuvres  grandioses 
qui  placent  cet  amoureux  de  la  nature  au  premier 
rang  des  Poètes  de  l'Eglogue  et  de  la  poésie  hu- 
maine. 


^r^        '^  »«^^y  ^/f^é,v^  ^^i^A^.f  tu/y  A—  f~<*~ 

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GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    GHÀNSOH    FRANÇAISE         il 


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PIKURE   DUPOM' 


PIERRE  DUPONT 


Pierre  Dupont  se  trouva  orphelin  dès  l'âge  de 
quatre  ans  et  fut  alors  recueilli  par  son  oncle,  brave 
curé  de  Rochetaillée-sur-Saône  à  quelques  lieues 
de  Lyon.  Le  souvenir  des  spectacles  riants  de 
cette  merveilleuse  contrée  laissèrent,  dans  l'esprit 
et  le  cœur  de  l'enfant,  an  inoubliable  souvenir, 
dont  plus  tard  le  poète  animera  ses  poèmes. 

Vers  l'âge  de  neuf  ans,  Pierre  Dupont  fut  placé  au 
petit  séminaire  de  Largentière,  son  oncle  désirant 
faire  de  son  neveu  un  prêtre.  Malheureusement 
pour  le  brave  curé  et  heureusement  pour  la  chan- 
son), le  jeune  Dupont  était  de  nature  indépen- 
dante, il  ne  put  se  plier  à  la  discipline  du  recueille- 
ment et  quitta  le  séminaire,  avant  d'avoir  achevé 
ses  études.  Quoique  fort  contrarié,  son  oncle 
s'occupa  de  lui  faire  apprendre  un  état  qui  lui  per- 
mît de  vivre  plus  tard. 

Nous  voyons  donc,  tristement,  le  jeune  Dupont 


16        GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

passer  success;vement,  apprenti  canut,  clerc  de 
notaire,  employé  de  Banque  avant  de  venir  à  Pa- 
ris se  faire  un  nom  dans  les  lettres. 

Il  tant  dire  que  Pierre  Dupont  avait  déjà  enfour- 
che le  cheval  ailé!  Quelques  poèmes,  dont  celui  du 
Nid  de  la  Sainte  Vierge,  lui  avaient  conquis  les  en- 
couragements des  lettrés  et,  mieux  encore,  une 
jeune  iille  du  meilleur  inonde,  Mlle  Louise  de  Sen- 
neville,  devint  l'inspiratrice  de  ses  premiers 
poèmes,  qu'il  rima  en  l'honneur  de  cette  jeune 
Béatrice. 

Dupont  avait  déjà  commencé  son  poème  des 
Deux  Anges*,  une  fois  terminé  il  vint  à  Paris,  et  sur 
le  Conseil  du  grand  poète  Pierre  Lebrun,  auteur  de 
Marie  Stltart,  déposa  son  manuscrit  à  l'Académie 
Française,  rentrant  ainsi  en  lice  dans  ce  haut 
tournoi  littéraire. 

Ce  poème  des  Deux  Ange*  fut  couronné  par  l'Aca- 
démie Française  en  1842. 

Qtte  heureuse  initiative  de  souscription,  faite  à 
Provins,  dont  la  lamillc  de  Pierre  Dupont  était  ori- 
ginaire, lui  permit  d'acheter  un  remplaçant  et  île 
s'exonérer  du  service  militaire;  libéré  de  cette  obli- 
gation, notre  poète  avait  toute  liberté  pour  se  par- 
faire dans  la  poésie,  son  prix  Académique  lui 
valut  même  une  place  d'aide  au   Dictionnaire  de 

cette  compagnie,  assurant    ainsi   sa    vie  maté- 
rielle. 

Néanmoins,  les  aspirations  poétiquesde  Dupont 


GUSTAVE    \\D\in    i:  l    i.\    <:n\\-n\    iitvv   \isi 


M 


n'étaient  pas  encouragées  par  les  Editeurs.  Un 
d'eux,  dit-on,  lui  conseilla  de  publier  cinq  à  six 
ouvrages,  à  ses  frais,  alors  que  le  poète  espérait  le 
voir  acheter  son  manuscrit  !... 

—  Mais  je  ne  suis  pas  riche,  dit  Dupont. 

—  Vous  n'êtes  pas  riche...  alors  pourquoi  écri- 
vez-vous? (1) 

Hélas  !  nous  savons  tous  les  extraordinaires  ré- 
ponses de  MM.  les  Editeurs  aux  jeunes  talents, 
aussi  Dupont  partit  navré  de  ce  premier  contact 
avec  les  hommes...  d'impression  ! 

Bien  avant  de  déposer  son  manuscrit  à  L'Acadé- 
mie, notre  lutur  chansonnier,  nouvellement  débar- 
qué à  Paris,  eut  l'idée  d'aller  faire  visite  à  Victor 
Hugo.  Voici  l'anecdote  : 

Dupont  se  présente  chez  le  grand  poète,  lui  lait 
passer  son  nom  :  Hugo  l'ignore,  ou  à  peu  près,  lui 
lait  répondre  par  son  domestique  qu'il  ne  peut  le 
recevoir. 

Dupont  redescendit  l'escalier  tristement  et  fut  dé- 
sappointé, on  le  comprend.  Il  lui  vint  alors  la  pensée 
d'écrire  les  vers  ci-dessous  sur  une  de  ses  cartes  : 


Si  tu  voyais  une  anémone. 
Languissante  et  près  de  mourir, 
Te  demander  comme  une  aumône 
Une  goutte  d'eau  pour  ileurir; 


(1)  Les    Contemporains,  Pierre  Dupont,   par  J.-M.-J, 
BOUILLAT. 


'til        GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Si  tu  voyais  une  hirondelle 
Un  jour  d'hiver  te  supplier, 
A  tes  vitres  battre  de  l'aile 
Demander  place  à  ton  foyer  ; 

L'hirondelle  aurait  sa  retraite, 
L'anémone  sa  goutte  d'eau, 
Pour  toi,  que  ne  suis-je,  ô  poète, 
Ou  l'humble  fleur,  ou  l'humble  oiseau. 

(C'était  une  sorte  de  coquetterie  du  poète);  les 
vers  crayonnés,  il  remonte  sonner  à  la  porte  de 
Victor  Hugo,  lui  fait  passer  les  vers  et  s'en  va. 

Mais  à  peine  était-il  dans  la  rue  que  le  domes- 
tique de  Victor  Hugo  le  rejoint  et  lui  dit  que  son 
maître  veut  le  voir  de  suite. 

Et  voilà  la  connaissance  faite.  Victor  Hugo  avait 
reconnu,  dans  les  quelques  vers  improvisés,  un 
poète  de  race.  Il  va  sans  dire  qu'il  s'intéressa  à 
Dupont  et  lui  fit  ouvrir  bien  des  portes,  quoiqu'on 
ait  dit  que  l'auteur  des  Châtiments  ne  fit  rien  pour 
Dupont,  cette  opinion  est  fausse  et  les  vers  sui- 
vants, inoins  connus  que  les  premiers,  témoi- 
gnent de  la  reconnaissance  du  poète  envers  le 
maître. 

Lors  de   L'apparition  de  son  premier  volume 

de    chansons,    Pierre     Dupont   envoya,   en   forme 

de    dédicace,  à    Victor    Hugo,  ces    trois    qua- 

t ra in  s  : 


GUSTAVE    NA.DAUD    ET    LA    CHANSON    iliw<   USE        19 

Sous  ton  regard,  douce  rosée, 
Depuis  l'anémone  a  fleuri  : 
L'hirondelle  a  vu  ta  croisée 
Ouvrir  à  son  aile  un  abri. 

Ton  foyer  est  plein  d'étincelles, 
Ta  vitre  pleine  de  lueurs, 
L'hirondelle  y  chaullc  ses  ailes, 
L'anémone  y  dora  ses  fleurs. 

En  échange  de  cette  aumône 
Reçois,  à  chaque  renouveau, 
Toutes  les  fleurs  de  l'anémone, 
Toutes  les  chansons   de  l'oiseau  î 

Quelle  grâce  et  quelle  simplicité  dans  ces  vers, 
quelle  délicatesse  dans  la  pensée  du  poète  recon- 
naissant! 

Victor  Hugo  encouragea  donc,  certainement,  les 
efforts  de  Pierre  Dupont,  et  c'est  un  point  que  nous 
tenions  à  fixer. 

Quand  il  crut  pouvoir  vivre  de  son  talent,  lequel 
ne  prit  naissance  qu'avec  la  Chanson  des  Bœufs,  il 
quitta  sa  place  à  l'Académie  (vers  1845). 

Dupont  était  lié  avec  beaucoup  d'artistes,  et  ce 
fut  Gounod,  le  célèbre  compositeur,  qui,  entendant 
Pierre  Dupont  chanter  la  Chanson  des  Bœufs, 
assura  son  succès  en  la  faisant  interpréter  devant 
tous  ses  amis  au  théâtre  des  Variétés  par  Hoffmann, 
costumé  en  laboureur  normand.  Dès  lors,  Dupont 

i 


.M>        GUSTAVE    NADAUD    ET    I.  \    CHANSON    FRANÇAISE 

était  lancé,  et,  pendant  vingt  ans,  ses  chants  furent 
popularises  dans  toute  la  France. 

Pierre  Dupont  chantait  ses  strophes  en  les  écri- 
vant, et  un  compositeur  notait  les  airs  du  chan- 
sonnier, qui  ne  savait  pas  la  musique.  M.  Flotard, 
dans  la  Renne  du  siècle,  causerie  d'autan  (1),  nous 
apprend  que  Pierre  Dnponl,  qui  devait  chanter 
des  chants  de  Liberté  en  1848,  «  fréquentait  en  1S43 
un  cercle  catholique  où  ses  vers  étaient  goûtés  et 
pratiquait  Ozanam  et  discutait  avec  Lacordaire  ». 

Ceci  n'est  point  surprenant,  car  nous  savons  qu'à 
son  arrivée  à  Paris,  Dupont  lit  passer  quelques 
poèmes  légitimistes  dans  la  Gazette  de  France  et  le 
Quotidien,  en  souvenir  probablement  de  sa  noble 
et  première  petite  muse,  M11* Louise  de  Senneville  ; 
mais,  passons  sur  ces  différentes  couleurs  !..  Nous 
pourrions,  si  nous  le  voulions,  nous  étendre  bien 
davantage  sur  la  vie  du  poète,  mais  nous  esquis- 
sons à  grands  traits  l'histoire  littéraire  de  Dupont 
et  nous  renvoyons  le  lecteur,  pour  une  étude  plus 
approfondie,  à  la  table  bibliographique  que  nous 
avons  établie,  à  la  lin  de  ces  notes,  car  nous  ne 
devons  oublier  que  l'étude  principale  de  cet  ou- 
vrage est  consacrée  à  Gustave  Nadaud. 

La  Poétique  de  Pierre  Dupont  peut  se  diviser  en 
trois  s^rirs    savoir  :  Les  ('.liants  rustiques,  1rs  Chan 

sons  ouvrières,  les  Chansons  politiques. 

1,  T.  Mil,  p.  MO,  1890. 


GUSTAVE    NVDVID    Et    LA    CHAXSOS    FRANÇAISE 


;,i 


Nous  donnerons  une  chanson  de   chaque  série, 
à  seule  fin  de  faire  revivre  ces  chants,  malheureu- 
sement  trop  oubliés  de  nos  jours,  car,  ainsi  que 
l'écrivait  un  fin  lettré,  M.  Jean  (TArmor  :  «  Non  seu- 
lement Georges  Sand,  Musset,  Lamartine,  Karr,  le 
bon  Dumas,  sont  inconnus  de  nos  générations  », 
et  dans  la  chanson,  disait-il,  on  ne  chante  plus  les 
refrains  de  Béranger;  Désaugiers,  Nadaud,  Pierre 
Dupont  sont  d'illustres  inconnus,  et  si  l'on  n'entend 
jamais  prononcer  le  nom  de  la  Lisette  de  Béranger, 
tous  les  gamins  de  Paris  (et  d'ailleurs),  en  revanche, 
connaissent  Viens  Ponpoule  !  (1).  C est  malheureu- 
sement très  exact,  mais  nous  travaillons  à  la  re- 
naissance de  la  bonne  Chanson  Française  et  nous 
sommes  assurés  que  le  beau  et  le  bien  triomphe- 
ront de   Y  argot  et   de   Y  inepte  ;    tous   nos   efforts 
tendent  à  cette  réaction,  et  c'est  dans  cette  idée 
que  tut  fondée,  par  le  chansonnier  Ernest  Clie- 
broux,  l'œuvre  louable  de  la  Chanson  Française, 
dont  les  filiales   de  Lyon,  Rouen  et  Toulouse,  diri- 
gées avec   le    plus  grand  dévouement  et   le  ptus 
entier  désintéressement,  répandent  leurs  bienfaits 
parmi  les  jeunes  tilles   ouvrières  de  ces  grandis 
cités.  Nous  avons  du  reste  dans  le  Journal  musi- 
cal, dans  la  Revue  des  concerts  à  l'école  et  le  Réveil 
de  l'Eure  exposé  la  genèse,  le  but  phitanthropique 

(1)  Voir  La  Revue  des  concerts  à  l'école,  août-septembre 
1909. 


v> 


<l  -1AVE    BADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 


et  moral  de  cette  œuvre  populaire,  cducatrice  de 
l'esprit    et    du    cœur.  Et  c'est  dans  ^cet  espoir 
aussi,  que  nous  avons  entrepris  ce  travail. 
Voici  les  chants  de  Pierre  Dupont  : 


LES  SAPINS 


J'allais  cueillir  des  Heurs  dans  la  vallée, 
Insouciant  comme  un  papillon  bleu, 
A  Tàge  où  l'âme  à  peine  révélée 
Se  cherche  encore  et  ne  sait  rien  de  Dieu. 
Je  composais  avec  amour  ma  gerbe, 
Quand,  au  détour  du  coteau,  l'aspect  noir 
De  sapins  verts  couvrant  un  sol  sans  herbe 
Me  lit  prier  ainsi  sans  le  savoir  : 

Dieu  d'harmonie  et  de  beauté, 
Par  qui  le  sapin  fut  planté, 
Par  qui  la  bruyère  est  bénie, 

J'adore  ton  génie 

Dans  la  simplicité  ! 

Le  sapin  brave  et  l'hiver  cl  l'orage, 
Chaque  printemps  lui  t'ait  un  éventail: 
Droite  esl  s;i  Qèche  ci  vibrant  son  feuillage 

L'art  grec  s'y  mêle  au  gothique  travail, 
L<  s  blancs  piliers  un  souffle  les  balance, 
Sani  plus  d'efforts  que  de  simples  roseaux 

Chœur  végétal,  symphonie,  orgue  Immense, 
m  h  dardi  au  ciel  d  innombrables  tin  aux 


GUSTAVE    NVD.VUD    ET    IA    CHANSON    FRANÇAISE         53 

Dieu  d'harmonie  et  de  beauté 
Far  qui  le  sapin  tut  planté, 
Par  qui  la  bruyère  est  bénie, 

J'adore  ton  génie 

Dans  sa  simplicité. 


Les  bûcherons,  dont  la  hache  est  sonore, 
Sapin  géant,  coupent  tes  bois  légers, 
Qui  porteront  du  couchant  à  l'aurore 
Hommes,  bestiaux  et  produits  échangés. 
De  ta  résine  on  enduira  tes  planches, 
Tu  doubleras  les  caps  sombres  sans  peur, 
Tantôt  voguant  au  gré  des  voiles  blanches, 
Tantôt  poussé  par  l'ardente  vapeur. 


Dieu  d'harmonie  et  de  beauté 
Par  qui  le  sapin  tut  planté, 
Par  qui  la  bruyère  est  bénie, 
J'adore  ton  génie 
Dans  sa  simplicité. 


L'Archet  de  Dieu  règle  votre  cadence, 
Musiciens  rythmés  par  l'aquilon, 
l'n  jour  des  bals  vous  mènerez  la  danse 
De  l'orme  agreste  au  splendide  salon. 
Vous  traduirez  des  accents  dont  la  flamme 
Cherche  des  cœurs  l'invisible  chemin  ; 
Aux  violons  vous  donnerez  une  âme 
ït  vibrerez  dans  un  Archet  humain. 


,>  1        GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Dieu  d'harmonie  et  de  beauté 
Par  qui  le  sapin  fut  planté, 
Par  qui  la  bruyère  est  bénie, 

J'adore  ton  génie 

Dans  sa  simplicité. 


Heureux  sapins,  vos  solives  légères 
Font  les  chalets,  construisent  les  hameaux  ; 
Dans  vos  taillis  se  cachent  les  bergères, 
Et  les  buveurs  dorment  dans  vos  rameaux. 
L'humanité  par  vos  soins  est  servie, 
Bois  familiers,  dans  sa  joie  et  son  deuil  ; 
Dans  un  berceau  vous  accueillez  la  vie, 
Et  vous  clouez  ses  morts  dans  un  cercueil. 


Dieu  d'harmonie  et  de  beauté 
Par  qui  le  sapin  fut  planté, 
Par  qui  la  bruyère  est  bénie, 
J'adore  ton  génie 
Dans  sa  simplicité. 


Arbres  divins,  respectés  des  tempêtes, 
Vous  inspirez  le  calme  et  ces  douceurs 
Qu'aime  la  toute  aux  vers  de  ses  poètes, 
El  qu'Apollon  enseignait  aux  neufsœurs. 
Quand,  au  hasard,  la  sagesse  infinie 
Eclaire  an  iront,  c'est  à  l'ombre  des  bois; 
Reviens,  Orphée,  \  rêver  I  harmonie  ; 
Viens,  0  Lycurguc  I  >  méditer  des  i«'is. 


GUSTAVE    \VI>UI>    ET    \A    «Il  V  n  -i  »  \     iit\\<   u-l  .».» 

Dieu  d'harmonie  et  de  beaulé 
Par  qui  le  sapin  fut  planté, 
Par  qui  la  bruyère  est  bénie, 

J'adore  ton  génie 

Dans  sa  simplicité. 


LA  CHANSON  DE  LA  SOIF 

(Test  du  pays  bleu  de  la  Chine, 
Contrée  où  fleurit  l'inconnu 
Et  plus  d'une  plante  divine 
Que  le  mûrier  blanc  est  venu. 
Sa  feuille  est  soyeuse  et  fertile, 
Le  ver  à  soie  en  la  rongeant 
A  son  insu  dévide  et  file 
Un  écheveau  d'or  et  d'argent. 

Filez,  moulins  ;  glissez,  navettes  ; 
Tissez  le  satin,  le  velours; 
Faites  des  robes  de  toilettes, 
Faites  des  nids  pour  les  amours. 

Les  plus  célèbres  filandières, 
Les  Parques,  Minerve,  Arachné 
Ont  brisé  fuseaux  et  filières 
Lorsque  le  ver  à  soie  est  né. 
On  peut  comparer  la  finesse 
De  son  linceul,  brillant  réseau, 
Aux  fils  blancs  que  la  Vierge  laisse 
S'éparpiller  de  son  fuseau. 


56    GUSTAVE  N.VDAU1)  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

Filez,  moulins  ;  glissez,  navettes  ; 
Tissez  le  satin,  le  velours  ; 
Faites  des  robes  de  toilettes, 
Faites  des  nids  à  nos  amours. 

L'an  deux  mille,  une  fée,  en  Chine, 
Surnommée  Esprit  du  mûrier, 
De  ses  jardins  fit  une  usine, 
Du  ver  à  soie  un  ouvrier. 
Un  beau  jour,  la  France  l'accueille, 
Et,  dardant  son  plus  chaud  rayon, 
Du  mûrier  fait  pousser  la  feuille, 
La  soie  est  tissée  à  Lyon. 

Filez,  moulins  ;  glissez,  navettes  ; 
Tissez  le  satin,  le  velours  ; 
Faites  des  robes  de  toilettes, 
Faites  des  nids  à  nos  amours. 

La  soie  au  courant  bleu  du  Khône 

Se  trempe  aussi  bien  que  le  1er  ; 

Voyez  luire  le  satin  jaune, 

Le  rose  ou  blanc,  le  bleu,  le  vert. 

Quand  une  fille  ou  blanche  OU  noire 

Danse  dans  l'éclat  du  satin, 

Dans  le  velours  ou  dans  la  moire, 

(/est  comme  un  rayon  du  matin. 

Pilez,  moulins  ;  glissez,  navettes  ; 
TiflSez  le  satin,  le  velours  ; 
laites  «les  robes  de  toilettes, 
Faites  «les  nids  à  nos  amours 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON     FRANÇAISE         .»/ 

Que  de  métiers,  que  de  bobines! 
Que  de  travaux  et  d'œuvres  d'art  ! 
Quel  essor  donnent  aux  machines, 
Vaucanson  et  l'humble  Jacquart  ! 
Quand  l'insecte  a  fini  sa  tache, 
Des  milliers  de  doigts  sont  en  jeu  ; 
Les  fils  sont  croisés  sans  relâche, 
L'homme  achève  l'œuvre  de  Dieu. 

Filez,  moulins  ;  glissez,  navettes  ; 
Tissez  le  satin,  le  velours; 
Faites  des  robes  de  toilettes. 
Faites  des  nids  à  nos  amours. 

Dans  ce  labyrinthe  de  fées, 
L'esprit  émerveillé  se  perd, 
Mais  combien  d'âmes  étouffées, 
Dans  ce  travail,  comme  le  ver  ! 
J'entendais  une  jeune  fille 
Dire  en  pleurant  sur  son  fuseau  : 
«  Je  suis  comme  l'humble  chenille, 
«  Et  je  file  aussi  mon  tombeau.  » 

Filez,  moulins;  glissez,  navettes; 
Tissez  le  satin,  le  velours; 
Faites  des  robes  de  toilettes, 
Faites  des  nids  à  nos  amours. 

A  vos  fuseaux  chantez,  ftleuses, 
Chante  canut  à  ton  métier, 
Car  vos  heures  laborieuses 
Fleuriront  comme  l'églantier. 


il        GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    ui\\si>\    l UANÇÀISI 

Voilà  votie  tour  qui  s'avance  ; 
Voyez  le  bal  élincelant, 
Où  chaque  épousée  entre  en  danse 
En  beaux  habits  de  satin  blanc. 


Filez,  moulins  ;  glissez,  navettes  ; 
Tissez  le  satin,  le  velours  ; 
Faites  des  robes  de  toilettes, 
laites  des  nids  à  nos  amours. 


LE  CHANT  DES  OUVRIERS 


Nous  dont  la  lampe  le  matin, 
Au  clairon  du  coq  se  rallume, 
Nous  tous  qu'un  salaire  incertain 
RamèD€  avant  l'aube  à  l'enclume, 
Nous  qui  des  bras,  des  pieds,  des  mains, 
De  tout  le  corps  luttons  sans  cesse 
Sans  abriter  nos  lendemains 
Contre  le  froid  de  la  vieillesse. 


Aimons  nOUS,  cl  quand  nous  pouvons 
Nous  unir  pour  bouc  à  la  ronde. 
Que  le  canon  se  t.iise  ou  gronde, 

BuVOni  Jer) 
a  l'indépendance  du  monde  l 


GUSTAVE    \Ui\llt    ET    LA    CHANSON    FRANÇAIS]         5U 

Quel  fruit  tirons-nous  des  labeurs 
Qui  courbent  nos  maigres  échines! 
Où  vont  les  ilôts  de  nos  sueurs? 
Nous  ne  sommes  que  des  machines. 
Nos  Babels  montent  jusqu'au  ciel, 
La  terre  nous  doit  ses  merveilles  ; 
Dès  qu'elles  ont  fini  le  miel 
Le  mu ilre  chasse  les  abeilles. 


Aimons-nous  et  quand  nous  pouvons 
Nous  unir  pour  boire  à  la  ronde, 
Que  le  canon  se  taise  ou  gronde, 

Buvons  {ter) 
A  l'indépendance  du  monde  I 


Nos  bras,  sans  relâche  pendus, 
Aux  Ilots  jaloux,  au  sol  avare, 
Ravissent  leurs  trésors  perdus  : 
Ce  qui  nourrit  et  ce  qui  pare  : 
Perles,  diamants  et  métaux, 
Fruit  du  coteau,  grain  de  la  plaine, 
Pauvres  moutons,  quels  bons  manteaux 
Ils  se  tissent  avec  notre  laine  ! 


Aimons- nous,  et  quand  nous  pouvons 
Nous  unir  pour  boire  à  la  ronde, 
Que  le  canon,  se  taise  ou  gronde, 

15u vous  (ter) 
A  l'indépendance  du  monde  ! 


♦  Kl         GUSTAVE    NADALD    ET    LA    CHVNSON     FRANÇAISE 

Au  flls  chétif  d'un  étranger 
Nos  femmes  tendent  leurs  mamelles, 
Et  lui,  plus  tard,  croit  déroger 
En  daignant  s'asseoir  auprès  d'elles, 
De  nos  jours,  le  droit  du  seigneur 
Pèse  sur  nous  plus  despotique  ; 
Nos  filles  vendent  leur  honneur, 
Aux  derniers  courtauds  de  boutique. 


Aimons-nous,  et  quand  nous  pouvons, 
Nous  unir  pour  boire  à  la  ronde, 
Que  le  canon  se  taise  ou  gronde, 

Buvons  {ter) 
A  l'indépendance  du  monde  ! 


Mal  vêtus,  logés  dans  des  trous, 
Sous  les  combles,  dans  les  décombres, 
Nous  vivons  avec  les  hiboux 
Et  les  larrons  amis  des  ombres  ; 
Cependant,  notre  sang  vermeil 
Coule  impétueux  dans  nos  veines; 
Nous  nous  plairions  au  grand  soleil, 
RI  sous  les  rameaux  verts  des  chênes. 


Aimons  nous,  et  quand  nous  pouvons 
Nous  unir  pour  boire  a  la  ronde, 
Que  le  canon  se  taise  ou  gronde, 

Buvons  der) 
A  l'indépendance  du  monde  I 


GUSTAVE    SADAUD    ET    LA    CIIASSOS    ra\y.  VISE        lit 

A  chaque  fois  que  par  torrents 
Notre  sang  coule  sur  le  monde, 
C'est  toujours  pour  quelques  tyrans 
Que  celte  rosée  est  féconde  ; 
Ménageons-le  dorénavant, 
L'amour  est  plus  fort  que  la  guerre  ; 
Kn  attendant  qu'un  meilleur  vent 
Souffle  du  ciel  ou  de  la  terre. 


Aimons-nous  et  quand  nous  pouvons 
Nous  unir  pour  boire  à  la  ronde, 
Que  le  canon  se  taise  ou  gronde, 

Buvons  (ter) 
A  l'indépendance  du  monde  !  (1) 

Nous  n'avons  point  voulu  faire  la  moindre  ana- 
lyse, après  chacune  de  ces  chansons,  à  seule  lin 
d'en  laisser  goûter  la  grandeur,  le  charme  et  l'idéal 
au  lecteur. 

Mais  à  présent,  nous  pouvons  dire  hautement, 
que,  dans  aucune  de  ses  œuvres,  Pierre  Dupont  ne 
s'est  élevé  plus  magnifiquement  que  dans  la  poésie 
descriptive  et  philosophique  des  Sapins.  La  pensée 
est  grandiose,  l'image  est  vraie,  impressionnante 
et  sublime  ! 

Dans  la  Chanson  delà  Soie,  avec  quelle  délica- 

'1)  La  Muse  Populaire,  Pierre  Dupont,  chants  et  poé- 
sies, Paris, Garnier frères,  éditeurs,  in-8<>,  187.>,  {)"  édit. 


G2       GUSTAVE    N'ADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

lesse  il  a  vécu  el  détaillé  ce  poème  des  humbles 
artisans  canuls!...  Et  ce  refrain,  dont  le  rythme 
berceur  vient  gracieusement  faire  passer  sous  nos 
yeux  les  doigts  habiles,  de  ces  jeunes  fileuses! 
vous  obsède  délicieusement  I 

«  Filez  moulins,  glissez  navettes, 
<«  Tissez  le  satin,  le  velours  ; 
«  Faites  des  robes  de  toilettes, 
«  Faites  des  nids  à  nos  amours  ». 

Comme  tout  cela  est  dit  avec  ex  qui  site  !  ici,  l'on 
devine  que  l'auteur  des  Bœufs,  des  Sapins  et  de 
la  Chanson  des  Ouvriers,  chants  rudes  et  vigoureux, 
s'est  fait  plus  câlin  pour  les  jeunes  filles  labo- 
rieuses, son  vers  est  plus  tendre,  plus  mélodieux, 
et  ce  géant  de  la  nature  s'est  penché  avec  dévotion 
et  tendresse  sur  ces  fuseaux  comme  un  père  se 
pencherait  sur  un  irèle  berceau,  pour  envelopper 
d'amour  un  être  délicat  el  cher  ! 

Avec  la  Chanson  des  Ouvriers,  c'est  le  prélude  de 
1848  !  l'heure  est  aux  questions  sociales,  aux  légl- 
limes  revendications  du  droit  à  la  vie  humaine  ! 
et  lils  d'artisans  fils  d'un  ouvrier  forgeron),  dans 
(«•  problème  passionnant,  nous  pensons,  malgré 
les  polémiques  de.  Mirccourt{))  et  Suinte-lkiwe  ('-')• 

■  (ij  Voir  Lei  Contemporains!  «le  Mmecqurt,  1870, 

Voir   /.r:    ((iiisrrirs   du    Liiiuli,    <le   S.w.vn.  lù.rvi  , 
p. 


GL9TÀVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRAN<   USE        63 

con Ire  ce  geste  démocratique  de  Pierre  Dupont,  (//ie 
le  poule  eut  raison  de  prendre  parti  pour  les  déshé- 
rités; à  ce  moment  il  se  montrait  le  disciple  du 
grand  patriote  républicain  Béranger! 

Ch.  Baudelaire  dans  YArt  romantique,  t.  III, 
p.  376)  nous  dit  ceci,  après  avoir  entendu  Dupont, 
dans  ce  Chant  des  Ouvriers  (laquelle  est  sa  première 
chanson  politique)  : 

«  Si  rhéteur  qu'il  taille  être,  si  rhéteur  que  je  sois 
et  si  fier  que  je  sois  de  l'être,  pourquoi  rougirai  s- 
je  d'avouer  que  je  fus  profondément  ému  »,  et,  plus 
loin,  Ch,  Baudelaire  ajoute  :  «...  ici,  c'est  le  senti- 
ment qui  se  complique  d'orgueil  poétique,  de  vo- 
lupté entrevue  dont  on  se  sent  digne;  c'est  un  vé- 
ritable trait  de  génie.  Quel  long  soupir!  quelle 
aspiration  !  Nous  aussi,  nous  comprenons  la  béants 
des  palais  et  des  parcs,  nous  aussi  nous  devinons  Tari 
d'être  heureux  !  » 

Et  Alphonse  Daudet  a  dit  aussi  des  chansons  de 
Dupont  :  «  Qu'elles  étaient  toutes  frémissantes  des 
beaux  rêves  de  1848,  toutes  résonnantes  des  mé- 
tiers de  la  Croix-Rousse,  toutes  embaumées  des 
mille  parfums  des  vallées  lyonnaises  ». 

Appliquons-nous  donc  à  former  une  génération 
Itère  de  ses  droits  et  de  sa  liberté,  mais  si  nous  for- 
mons l'esprit,  ne  négligeons  pas  le  cœur  de  nos  en- 
fants, a  seule  fin  qu'ils  pensent  comme  Dupont 
(lue  : 


<>{        GUSTAVE    vvnun    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

«  Le  glaive  brisera  le  glaive 

«  Et  du  combat  naîtra  Uamonr!  »  (1) 

Patriotes,  nous  le  sommes  î  et  nous  donnerions 
volontiers,  au  jour  du  danger,  à  notre  France  me- 
nacée, jusqu'à  la  dernière  goutte  de  notre  sang  ! 

Mais  n'est-il  pas  humain  de  dire,  et  de  crier  à 
toutes  les  nations  : 

L'Amour  est  plus  fort  que  la  guerre  ? 

En  tout  cas,  c'est  une  opinion,  et  personne,  je 
crois,  ne  pourra  nous  donner  tort,  de  rêver  à  cette 
ère  nouvelle,  humaine  et  pacifique,  pour  les  futures 
générations. 

En  étudiant  l'œuvre  de  Pierre  Dupont,  nous  de- 
vons reconnaître  qu'il  est,  avant  tout,  bucolique, 
ainsi  que  Théocrite,  Horace  ou  Virgile. 

Devant  la  nature,  Dupont  devient  un  coloriste 
d'une  incomparable  maîtrise,  et  c'est  dans  les 
Chants  rustiques,  dans  «  l'Eglogue  »  qu'il  tant 
surtout  admirer  Fauteur,  plus  poète  que  chanson- 
nier, car  dans  certaines  œuvres,  le  refrain  esteon- 
f us  et  ne  \ient  pas  se  souder  au  couplet,  ainsi  que 

ceux  de  Béranger  ou  Gustave  Nadaud,  pour  ne  citer 

que  œf  deux  chansonniers.  La  chanson  est  un  ai  I 

i  Chant  des  Nations,  de  Pierre  Dupont,  publié  en 
1847  Gai  mer  frères,  éditeurs,  Pai  Is. 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE        0T> 

tout  spécial,  et  tel  grand  maître  ciseleur  de  rimes 
ou  de  magnifiques  poèmes,  ne  saurait  bien  sou- 
vent «  construire  »  une  chanson. 

Nous  avons  eu,  surtout  après  48,  des  ouvriers 
qui  écrivirent  de  remarquables  chansons,  il  y  avait 
en  eux  le  trait,  l'allure  et  le  rythme,  car  l'ouvrier 
chante  en  travaillant  dans  une  cadence,  mesurée  à 
sa  spécialité,  soit,   forgeron,   menuisier  ou  pein- 
tre, etc.  ;  l'auteur  des  Sapins  est  donc  plus  poète 
que  chansonnier.    Pierre   Dupont   avait   épousé, 
avant  48,  je  crois,  une  jeune  femme  du  nom  d'Elisa, 
qu'il  avait  rencontrée  dans  une  sorte  de  guinguette 
littéraire  ;    malheureusement  pour    le    poète,   sa 
femme  mourut  peu  d'années  après,  d'une  maladie 
de  poitrine.  Quand  Charles-Louis-Napoléon  Bona- 
parte eut  fait  le  Coup  d'Etat  de  1851,  Pierre  Du- 
pont, qui  fréquentait  alors  les  réunions  politiques 
et  les  clubs  révolutionnaires,  fut  poursuivi  pour 
différentes   chansons   sociales,   parmi    lesquelles 
figure  La  Chanson  du  Pain. 

t  On  n'arrête  pas  le  murmure 

•  Du  peuple  lorsqu'il  dit  :  j'ai  faim  I 

«  Car  c'est  le  roi  de  la  nature, 

«  11  faut  du  pain,  il  faut  du  pain  !  » 

Cette  chanson  n'est  pas,  cependant  un  appel  à  la 
révolution  ;  néanmoins,  Dupont  fut  pris,  jugé  et 
condamné  à  sept  années  d'exil  à  Lambessa,  coin- 


66        GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CÏIANSON  FRANÇAISE 

mune  d'Algérie,  dans  la  province  de  Constantine. 
Grâce  à  de  hautes  influences,  il  obtint  sa  grâce  (à 
laquelle,  peut-être,  la  princesse  Mathilde  ne  fut  pas 
étrangère). 

Après  ces  événements,  Pierre  Dupont  revint 
à  Lyon,  vivant  au  milieu  de  ses  parents  et 
amis  ;  il  abandonna  la  coupe  amère  de  la  poli- 
tique (pour  celle  du  cabaret),  car,  il  faut  bien 
l'avouer,  sous  peine  de  ne  pas  connaître  la  vie 
du  poète-chansonnier,  le  malheureux  depuis  la 
mort  de  sa  femme,  avait  pris  de  funestes  habi- 
tudes d'intempérance  (1).  Dès  1859  la  carrière 
de  Pierre  Dupont  était  autant  dire  terminée,  quoi- 
qu'en  1864  dix  Eglognes  du  poète  furent  publiées. 
L'on  parle  aussi  d'une  brochure,  Sur  certains  bruits 
de  coalition,  publiée  en  1860,  où  il  se  serait  rallié  à 
l'empire,  et  Carjat,  le  poète-photographe,  a  ra- 
conté bien  souvent,  que  Dupont  aurait  poussé  un 
vivat,  sur  le  passage  de  l'Empereur  ;  c'est  possible  ! 
car  n'oublions  pas  qu'il  lut  élevé  par  un  prêtre, 
qu'il  écrivit  quelques  poèmes  légitimistes,  et  que 

s  chanls  humains  ne  lui  furent  inspirés  que  par 
la  misère  du  peuple  et  la  sienne!  Mais,  l'on  dit 
faut  de  choses  sur  un  homme  en  vue,  que  tout  est 
aussi  ténébreux  là  que  dans  In.  genèse  de  ses  chan- 
sons '   2  .  Aussi  nous  passons,  et  terminons  par 

1)  Voir  La  Contemporains,  J  M-  J.  Hoi  illat,  p.  18. 

2)  Voir  Les   caasettei  ttantcUl,    FlOTTARD,   Renne   dn 


Gl  STAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE        (>7 

quelques  citations,  venant  honorer  le  poêle,  cl  plus 
dans  l'ordre  poétique  de  cette  élude  avant  tout 
littéraire. 

Pierre  Dupont  était  la  bienveillance  même,  il 
était  enjoué,  délicat,  nous  disent  ceux  qui  furent 
ses  amis.  Et  Sainte-Beuve  dans  les  Causeries  du 
Lundi  a  écrit  :  a  Tous  ceux  qui  connaissent, 
M.  Pierre  Dupont  me  le  peignent  comme  un 
esprit  doux,  poétique,  aimant  naturellement  le 
bien,  aimant  sincèrement  la  nature  et  les 
champs,  etc.  »  (1). 

Personne,  effectivement,  plus  que  Pierre  Dupont 
ne  pouvait  aimer  la  nature  ;  elle  était  pour  lui  la 
plus  belle  des  maîtresses?  aussi  la  parait-il  avec 
toutes  les  couleurs  les  plus  riches,  en  lui  donnant 
les  trésors  de  son  cœur,  il  l'aimait,  en  véritable 
amant,  au  point  même  de  vouloir  changer  ses  pri- 
mitifs atours,  pour  l'embellir  encore;  que  l'on  en 
juge,  par  l'anecdote  suivante,  qu'a  contée,  avec  un 
esprit  subtil  et  poétique,  l'académicien  Jules  Clare- 
tie  dans  la  Vit  à  Paris  (2).  M.  Jules  Claretie  nous 
apprend  tout  d'abord  que  Pailleron  fut  initié  aux 
rimes  et  aux  chansons  par  Dupont  :  «  Oui,  ce  fut 

siècle,  1899.  Voir  Rev.  Universelle,  Louis  Cognât,  t.  III, 
p.  63-64. 

(1)  Page  54,  Sainte-Beuve,  Les  Causeries  du  Lundi. 

(2)  La  Vie  à  Paris,  in-8«\   1884,  par  Jules  Claretie, 
p.  41-42. 


1)8    GUSTAVE  NADALD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

pourtant  Dupont  qui  poussa  l'académicien  d'au- 
jourd'hui (1884)  à  faire  des  vers,  tout  en  l'entraî- 
nant par  les  bois  des  environs  de  Paris  et  en  lui 
racontant  péripatétiquement  que  l'homme  n'a  de 
joie  que  dans  cette  libre  vie,  parfois  si  âpre,  des 
lettres  ! 

—  Un  jour,  nous  contait  Pailleron,  il  avait  ap- 
porté des  greffes  de  la  gloire  de  Dijon  et  des  Sou- 
venirs de  la  Malmaison,  de  je  ne  sais  plus  quelles 
roses  précieuses  et,  tout  en  chantant  par  les  sen- 
tiers des  bois  de  Sèvres,  il  prenait  son  greffoir,  pi- 
quait la  rose  rare  sur  un  églantier  sauvage  et  riait, 
le  Sylvain,  en  disant  :  «  qui  sera  bien  étonné  en 
passant  par  ici?  Les  parisiennes  !...  elles  croiront 
que  des  roses  pareilles  poussent  en  plein  bois,  et 
si  une  grisette  cueille,  une  fois  par  hasard,  une 
fleur  qui  charmerait  une  marquise,  eh  !  bien,  il  n'y 
aurait  pas  de  mal  à  ça,  n'est-ce  pas,  camarade?  » 

N'est-elle  pas  charmante  cette  anecdote?et  comme 
elle  confirmerait,  s'il  en  était  besoin,  de  l'amour 
sincère  du  poète  envers  la  nature.  Et,  combien  il 
avait  raison,  car  en  L'exaltant,  en  la  peignant  avec 
tout  son  cœur,  Pierre  Dupont  lui  doit  son  immor- 
talité! 

Frappe-toi  le  cœur,  c'est  là  qu'est  le  génie,  a  dit 
le  poète,  et  toutes  les  pastorales  de  Dupont  furent 
vécuei  par  lui  avec  béatitude  ! 

Dans  sa  Chanson  des  Cerises,  par  exemple,  en 
tien  ,  Dtn  il  <\ pose  devant  nos  yeux  un  tableau  ex- 


GUSTAVE    NA.DAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE         69 

quis  et  frappant,  d'une  vérité  telle  que  nous  ne 
pouvons  nous  en  détacher  que  pour  l'accompagner 
plus  loin.  Ecoutez  ces  deux  vers  : 

«  La  pente  verte  des  coteaux  ? 
«  Est  toute  rouge  de  cerises, 

Quelle  force  et  quel  coloris  dans  ces  deux  vers. 

Dans  les  Fraises,  deux  vers  aussi  arrêtent  la 
pensée  ;  ici  même  la  peinture  en  est  plus  séduisante 
encore. 

Voyez  : 

m  Rouge  au  dehors,  blanche  au  dedans, 
«  Comme  les  lèvres  sur  les  dents  ! 

Je  n'ai,  pour  ma  part,  rencontré  plus  de  beauté 
et  de  grandeur  dans  les  plus  grands  poètes,  et  si 
nous  voulions,  nous  pourrions  poursuivre  longue- 
ment ces  citations.  Dans  La  Vigne,  Les  Abeilles,  Les 
Pins,  La  chanson  du  Blé,  La  chanson  des  foins  et 
combien  d'autres  !  Lisez  ces  chansons  et  dites-nous 
si, dans  ces  pastorales,  vous  ne  trouvez  pas  le  rêve 
et  la  couleur  séduisante  d'un  Millet,  d'un  Corot, 
ou  d'un  Guillemet  ? 

Nous  sommes  arrivés  maintenant  à  la  Mort  du 
Poète  ! 

Au  début  de  l'année  1870  (année  terrible),  une 
maladie,  dont  souffrait  Dupont  depuis  de  longues 


70        GUSTAVE    WiiAUI)    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

années,  emportait,  à  quarante- neuf  ans,  l'auteur  de 
tantd'œuvres  fraîches  et  populaires,  œuvres  saines, 
moralisatrices,  œuvres  de  Fraternité,  œuvres  d'un 
terrien  contre  V exode  des  champs  ! 

Après  une  cérémonie  à  l'Eglise  Saint-Bruno  des 
Chartreux,  le  Poète  chansonnier  retournait  à  cette 
terre,  où  tout  commence  et  où  tout  finit,  au  cime- 
tière de  la  Croix  Rousse  ! 

Vingt-neuf  ans  ptus  tard,  un  monument  à  Pierre 
Dupont  était  inauguré  à  Lyon,  au  square  des 
Chartreux,  grâce  aux  initiatives  du  Caveau  Lyon- 
nais, des  amis  de  la  chanson  et  surtout  au  dévoue- 
ment [inlassable  d'Ernest  Chebroux  et  de  M,  Ca- 
mille Roy,  lequel,  après  une  remarquable 
conférence  au  Musée  Guimet,  le  3  avril  1891,  ouvrit 
une  souscription  qui  permit  d'inaugurer  la  statue 
de  Pierre  Dupont,  le  30  avril  1899,  Œuvre  du 
sculpteur  lyonnais  M.  Girardet  (1). 

Nous  ne  pouvons  mieux  terminer  ces  pages 
qu'en  citant,  du  discours  de  l'honorable  secré- 
taire perpétuel  de  l'Académie  et  des  Beaux-arts, 
M.  Roujon,  les  paroles  suivantes,  lesquelles  ho- 
norent d'autant  plus  Pierre  Dupont,  qu'elles 
émanent  d'une  haute  et  distinguée  personnalité 
des  Lettres  Françaises  : 

L'iZUVre  de  Pierre.  Dupont,  C%e*t,  parmi  les  fron- 
daisons   du    rieur    chêne    druidi<jue,    une  larme  de 

(\)  Voir  Let  Nouvellet  illustrées,  S  nov.  19<h.  n°  70. 


UUSTA\E    NADAUD    ET    LA    CHANSON     flU.M .USE        71 

rosée  matinale  qui  scintille  au  soleil  de  France  (1), 
A  ce  fervent  poète  de  l'enchanteresse  nature,  à 
Pierre  Dupont,  qui  fit  sortir  de  son  luth,  pour  la 
terre  nourricière,  de  l'esprit  et  du  corps,  ses  plus 
douces,  comme  ses  plus  grandioses  mélopées  rus- 
tiques, nous  adressons  notre  hommage  respectueux 
et  filial,  pour  son  œuvre  immortelle  ! 

Assis  avec  lui,  sous  l'arbre  des  grands  rêves,  ou 
cheminant  avec  le  poète,  vers  les  pentes  vertes  des 
coteaux,  Pierre  Dupont  nous  a  fait  délicieusement 
respirer  sa  poétique  gerbe,  fleurs  écloses  dans  les 
sentiers  ombreux  et  discrets  du  jardin  de  son 
cœur,  tout  en  éblouissant  nos  yeux  de  célestes 
clartés  ! 

Angélus  des  matins  printaniers  î  Des  bois,  des 
vallées,  des  plaines  et  des  ruisseaux  jaseurs  ;  can- 
tiques d'harmonies  !  parfumés  des  senteurs 
agrestes  !  Pierreries  des  rosées  matinales  !  Voilà 
ses  chansons  !  et  voilà  la  Muse  enivrante  que 
Pierre  Dupont  exalta,  glorifia,  poétisa,  divinisa 
en  laissant  dans  nos  âmes  la  fièvre  extatique  de 
l'éternellement  vrai,  en  versant, dans  nos  cœurs,  le 
frisson  de  l'infiniment  beau  ! 


(1)  Discours  pour  l'inauguration  du  Monument   de 
Pierre  Dupont,  30  avril  1809, 


72        GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE        73 


BIBLIOGRAPHIE 


Baudelaire,  Notice  sur  Pierre  Dupont.  —  Sainte-Beuve, 
Causeries  du  lundi  (21  avril  1851).  —  Avenel,  Chan- 
sons et  chansonniers.  —  Mirecourt,  Les  Contempo- 
rains :  Dupont,  1870.  —  Anatole  de  la  Forge,  Les 
serviteurs  de  la  Démocratie,  1883.  —Aimé  Vingtrinier, 
Une  statue  à  Pierre  Dupont,  Lyon,  1883.—  H.  Dervyl, 
plusieurs  articles  sur  P.  Dupont,  dans  la  Discussion, 
1886.  -  A.  Sylvestre,  Conférence  sur  Pierre  Dupont, 
Lyon,  1890.  —  Le  Salut  public,  Etude  sur  l'œuvre  de 
Pierre  Dupont,  11  juin  1890  et  4  juin  1895.—  C.  Roy, 
Conférence  sur  Pierre  Dupont,  Lyon,  1891.  —  F.  Du- 
quesnel,  Un  chansonnier  populaire,  dans  le  Petit 
Journal  (9  août  1897,  Intermédiaire  des  chercheurs  et 
curieux  (30  août  et  10  septembre  1897).  —  A.  Bleton, 
Les  Saisons,  Etude  sur  Pierre  Dupont.  —  H.  Rougeox, 
Discours  pour  l'inauguration  du  monument  de  Pierre 
Dupont  (30  avril  1899).  —  Le  Roux,  Allocution  pour 
l'inauguration,  etc.  —  Storck,.4  Pierre  Dupont, Lyon, 
30  avril  1899.  —  Dans  la  Revue  du  siècle,  1S99,  t.  XIR 
articles  d'E.  Flottard  :  Causerie  d'antan  par  un  con- 
temporain de  Pierre  Dupont  ;  d'ARMAND  Belloc  sur 
la  Vie  et  les  œuvres  de  Pierre  Dupont  ;  historique  de  la 
souscription  pour  le  monument  de  Pierre  Dupont.  — 
Œschimann,  fils,  plusieurs  articles  sur  Pierre  Dupont 
dans  le  Passe-Temps  et  le  Parterre,  année  1901. — 


74    GUSTAVE  NADALD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

Journaux  de  L3Ton,  à  propos  des  Fêtes  de  la  chan- 
son, 18  octobre  1890,  27  septembre  1892,  2  décembre 
1893,  et  à  propos  de  l'inauguration  du  monument  de 
Pierre  Dupont,  30  avril  1899.  Les  Contemporains  de  Mi- 
recourt  (1070).  La  vie  à  Paris,  J.  Glaretie,  n°8,  1884. 
—  Les  Contemporains,  parJ.  M.  J.  Bouillat.  —  Cognât 
Louis,  Pierre  Dupont,  a  Nantua,  Revue  universelle, 
1903,  t.  3.  —  La  Revue  du  siècle,  oct.  1892,  no  63.  — 
Les  Xouvelles  illustrées,  novembre  1903.  —  La  bonne 
chanson,  Gabriel  Clouzet,  janvier  190&. 


ETUDE  SUR  GUSTAVE  NADAUD 

ET 

LETTRES     INÉDITES    DU    CHANSONNIER 
A    ALFRED    ARAGO 


ÉTUDE    SUR   GUSTAVE  NADAUD 

ET 

LETTRES   INÉDITES     DU     CHANSONNIER 

A    ALFRED     ARAGO   (1) 


Charles-Gustave  Nadaud  est  né  à  Roubaix,  le 
20  février  1820. 

La  famille  de  ce  nom  est  originaire  du  Limou- 
sin ;  «  Nadaud,  alias  Nadault,  Nadal,  Natalisoude 
Nadault  »  et,  le  premier  nom  de  cette  famille, 'dont 
il  fait  mention,  est  Jehan  Nadault,  docteur  ès-lois, 
qui  vivait  noblement  au  xme  siècle  (vers  1296). 

Voici  du  reste  une  note  provenant  de  IM/ma/tac/t 
administratif,  historique  et  statistique  de  l'Yonne 
année  1836,  reproduite  par  le  Nobiliaire  du  Linwu- 

(1)  Ainsi  qu'on  le  verra  au  cours  de  cette  étude, 
M.  Ernest  Chebroux  a  bien  voulu  metlre  à  notre  dispo- 
sition de  précieux  documents,  venant  ainsi  rehausser 
notre  modeste  travail,  par  l'intérêt  du  vrai  et  de  linc- 
dit. 


78        GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

sin  (1)  :  ((  La  maison  Nadault  doit  être  considérée 
comme  une  famille  de  la  plus  vieille  robe,  si  elle 
n'a  pas  joué  un  rôle  important  dans  les  affaires  du 
pays,  si  elle  n'a  pas  eu  l'éclat  que  donne  la  faveur 
des  rois  et  la  fréquentation  des  cours,  si  son  nom 
n'est  pas  sorli  des  provinces  où  elle  eut  ses  princi- 
paux établissements,  il  y  a  cependant  peu  de  mai- 
sons en  France  qui  peuvent  se  vanter  d'avoir  porté 
leur  nom  si  longtemps  avec  une  dignité  si  modeste 
et  si  bien  soutenue  ;  dès  le  xme  siècle,  nous  trou- 
vions des  titres  qui  font  mention  de  cette  fa- 
mille ». 

D'autre  pari,  un  procès-verbal  de  la  Prestation 
de  serment  et  de  l'installation  d'un  Nadaud,  pro- 
cureur-général près  la  Cour  de  Grenoble,  men- 
tionne que  :  «  La  famille  de  Nadaud  est  une  des 
plus  anciennes  du  Limousin,  et  que  depuis  des 
siècles  elle  a  eu  l'avantage  d'occuper  avec  distinc- 
tion, à  Limoges,  les  diverses  charges  munici- 
pales »  (2). 

Etant  donné  l'usage  qui  subsistait  jusqu'au 
xvin,;  siècle,  les  Nadaud  ont  changé  l'orthographe 
du  nom,  en  quittant  leur  pays  d'origine. 

Par  les  femmes  Nadaud  serait  allié  aux  Na- 
daulf  de  HulTon. 

(t)  Généalogie  dt  la  Maison  Nadault  de  Billion,  pai 
l'abbé  Lccler.  •  El  Libris,  G.  Nadaud». 

verbal  k  Grenoble  année  I839.gr.  in-8*. 


GUSTAVE  BADAUD  ET  L\  CHANSON  FRANÇAISE   7!) 

Vers  1818,  Jean-Baptiste  Nadaud  vint  se  fixer  à 
Koubaix.  11  y  fonda  une  importante  maison  de 
tissus,  devint  Président  de  la  Chambre  du  Com- 
merce et  mérita  l'estime  de  ses  concitoyens. 

De  son  mariage  aver  Mlle  Caroline  Chauwin  na- 
quit le  futur  chansonnier  dont  nous  publions 
l'extrait  de  naissance,  que  nous  devons  à  l'obli- 
geance de  M.  de  Renty,  juge  de  paix  à  Roubaix  : 

«  L'an  mil  huit  cent  vingt,  le  vingt  un  lévrier  à 

({iiatre  heures minutes  du  soir,  par  devant 

Nous,  Roiissel-Grimonprez,  adjoint  délégué  parle 
Maire  pour  remplir  les  fonctions  d'Officier  de 
PEtat-Civil  de  la  ville  de  Roubaix,  chef-lieu  de 
cantons,  arrondissement  de  Lille,  département  du 
Nord,  a  comparu  :  Jean-Baptiste  Nadaud,  âgé  de 
trentre-quatre  ans,  négociant,  domicilié  à  Rou- 
baix, lequel  nous  a  présenté  un  enfant  du  sexe 
masculin,  né  le  20  février  à  onze  heures  du  matin, 
de  lui  déclarant  et  de  Caroline- Joseph- Françoise 
Chauwin, son  épouse, et  auquel  il  a  déclaré  vouloir 
donner  les  prénoms  de  Charles-Gustave.  Les  dites 
déclaration  et  présentation  faites  en  présence  de 
François-Marie  Vouzelle,  âgé  de  trente-trois  ans, 
négociant,  et  de  Jean-Baptiste  Florin,  âgé  de 
soixante-douze  ans, boulanger,  tousdeux  domiciliés 
à  Roubaix.  Le  père  et  les  témoins  ont  signé  avec 
nous  le  présent  acte  de  naissance  après  qu'il  leur 
en  a  été  fait  lecture. (Suivent  les  signatures)  ». 


80   GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

Pour  expédition  conforme  aux  registres  délivrée 
suivant  autorisation  de  M. le  Juge  de  Paix  des  can- 
tons Est  et  Ouest  de  Roubaix,  en  date  du  18  avril 
1909,  et  sur  papier  libre  pour  renseignements  ad- 
ministratifs, à  la  Mairie  de  Roubaix,  le  vingt  août 
mil  neuf  cent  neuf. 

Le  Maire, 


Vu  par  nous  P.  de  Renty, 
Juge  de  Paix  des  cantons  Est  et  Ouest 
de  Roubaix,  pour  légalisation  de  la  signature 
de  M.Leblanc, adjoint  au  Maire,  apposée  ci-dessus. 

Roubaix,  le  20  août  1909. 


Quoique  destiné  au  commerce  par  la  future  suc- 
cession commerciale  de  son  père,  Nadaud  reçut 
une  excellente  instruction. 

Primaire  et  commerciale  d'abord,  à  Roubaix,  elle 
se  termina  au  Collège  Rollin  de  Paris,  par  des 
Etudes  classiques. 

Voici  la  liste  des  prix  obtenus  par  le  jeune  rhé- 
toricien  pendant  quatre  années  : 

«  Prix  obtenus  par  l'Elève  Gustave  Nadaud  au 
Collège  Hollin  : 

«  1834   Premier  prix  de  version  grecqui 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON     FRANÇAISE         «Il 

«  1835.  2e  prix  vers  latins,  1er  prix  de  semestre. 

c  1836.  1er  prix  de  version  grecque,  1er  prix  vers 
latins. 

«  1837.  1er  prix  version  grecque,  1er  prix  de  rhéto- 
rique, etc.  » 

Après  ces  années  au  collège  Rollin,  Gustave 
Nadaud  retourna  à  Roubaix,  avec  son  diplôme  de 
Bachelier  en  poche,  mais  aussi,  avec  ses  rimes  dans 
la  tête  ! 

Son  père  l'employa  à  la  comptabilité  de  sa  mai- 
son, et  voyait  avec  peine  son  fils  s'adonner  à  la 
poésie  ! 

En  1840,  ses  parents  fondaient  une  succursale  à 
Paris,  Place  des  Victoires,  et  Gustave  Nadaud, 
alors  âgé  de  vingt  ans,  fut  envoyé  à  cette  maison, 
pour  y  tenir  les  livres  de  caisse. 

Mais,  moins  surveillé,  plus  à  lui-même,  il  déserta 
ceux-ci  pour  ceux  de  la  chanson,  et  quelques  gais 
refrains  le  firent  connaître  des  étudiants  du  quar- 
tier latin  (puis  aussi  des  Reines  de  Mabille),en  un 
mot,  il  fut  jeune,  et  eut  raison  de  l'être;  sa  con- 
duite néanmoins  ne  fut  jamais  répréhensible  : 
«  Beaucoup  de  personnes  —  écrit-il  dans  ses  Com- 
mentaires inédits,—  sont  convaincues  que  j'ai  ha- 
bité, comme  étudiant,  le  quartier  latin  ;  Non  !  j 'étais 
né  dans  le  commerce,  et  c'est  pour  le  commerce 
que  j'ai  habité  Paris  Place  des  Victoires  dès  1840.  » 

Plus  loin,  il  dira  qu'il  a  peu  fréquenté  les  bals 
du  temps,  s'il  a  chanté  l'Etudiant  (mot  qu'il  croit 

6 


\)ï        GUSTAVE    NADAUD    ET    L\    CHANSON    FRANÇAISE 

avoir  été  le  premier  à  employer),  «  c'est  plutôt  par 
ouï-dire  que  par  une  pratique  personnelle  ». 

Il  est  donc  attiré  vers  la  Poésie,  et  surtout  vers 
la  chanson  ;  il  aligne  les  chiffres  de  sa  comptabilité 
par  devoir,  mais  il  aligne  des  vers  par  amour  et  met 
en  musique  ses  chants  ;  Ch.  Monselet  dans  un 
chapitre  intitulé  :«  Un  négociant  qui  a  mal  tourné  » 
nous  dit  que  :  «  Nadaud  ne  tarda  pas  à  devenir 
apostat  de  la  tenue  des  livres  et  déserteur  des 
étoffes  de  Roubaix  »  (1). 

A  vingt-huit  ans,  il  se  décide,  malgré  les  objur- 
gations de  sa  famille,  à  abandonner  les  affaires, 
et  publie  son  premier  recueil  de  chansons. 

Il  a  de  fervents  admirateurs  parmi  ses  amis 
du  quartier  latin,  lesquels  vantent  à  leurs  familles 
les  talents  du  jeune  chansonnier,  et  peu  de  temps 
après  Nadaud  fait  son  entrée  dans  les  grands  Sa- 
lons Parisiens. 

Le  premier  qui  ouvrit  ses  portes  à  son  talent 
naissant  fut  celui  du  poète  Jules  Barbier,  ensuite 
ce  lut  celui  d'Emile  Augier.  Ces  deux  célèbres  au- 
teurs honorèrent  le  poète  de  leur  amitié,  et,  comme 
les  amis  des  amis  sont  toujours  les  amis,  grâce  à 
celle  qui  unissait  Emile  Augier  au  peintre  Alfred 

ago,  Gustave  Nadaud  eu1  un  nouveau  parrain,  en 

cet  artiste  distingué. 

Un  an  après, en  1N48,  Nadaud  est  lancé,  il  devient 

(1)  PetiU  mémoires  littéraires,  chap.  xu. 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA.    CHANSON    FRANÇAISE         03 

le  favori  des  salons  intellectuels  et  artistiques  ;  sa 
réputation  s'accroît,  et  Pitre  Chevalier  dans  Y  Art 
dramatique  nous  dira  :  «  qu'il  amusa  l'atelier 
d'Eugène  Giraud  et  que  les  amateurs  le  dispu- 
tèrent aux  artistes,  les  gens  du  monde  aux  littéra- 
teurs, et  que  les  grands  seigneurs  tinrent  aussi  à  le 
posséder  »,  et  c'est  ainsi  que  nous  voyons,  après 
1851,  Gustave  Nadaud  devenir  le  boute-en-train  des 
soirées  de  la  Princesse  Mathilde  et  de  la  Princesse 
Clotilde,  cousines  de  l'Empereur  Napoléon  III. 

Bien  souvent,  nous  nous  sommes  entretenu  avec 
le  bon  chansonnier,  Ernest  Chebroux,  de  la  phy- 
sionomie du  Maître,  et  le  portrait  qu'il  nous  en  fit 
correspond  absolument  à  celui  que  M.  Charaux  en 
a  fait  dans  une  notice,  et  que  reproduit  M.  Mas- 
quelier  dans  Les  Contemporains.  Voici,  comme 
chansonnier,  la  description  de  G.  Nadaud  :  «  D'une 
ligure  distinguée  où  semblaient  s'unir  et  se  con- 
londre  la  finesse  gauloise,  le  calme  du  Nord  et  la 
gaîté  française,  Nadaud  laisait  entendre,  en  chan- 
tant ses  vers,  tout  ce  qu'il  voulait,  sans  laisser 
échapper  la  plus  subtile  nuance  de  pensée  ou  de 
sentiment.  » 

u  Une  fois  au  piano  —  disent  les  «  Etudes  »,  il  y 
allait  de  dix,  de  quinze,  de  vingt  chansons  à  la  file, 
il  ne  se  lassait  pas,  et,  comme  de  juste,  personne  ne 
s'ennuyait.  C'était  plaisir  de  l'entendre,  plaisir  de 
le  voir  jouir  lui-même  de  son  œuvre,  avec  une 
simplicité  et  une  bonhomie  charmante.  Il  n'avait 


84   GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

qu'une  voix  médiocre,  une  voix  d'amateur  ;  mais 
sans  jamais  se  forcer,  il  exprimait,  il  jouait,  il  ac- 
centuait chaque  sentiment  :  il  s'attendrissait,  il 
s'accompagnait  en  quelque  sorte  doublement  en 
soulignant  d'un  trémolo,  ou  d'un  demi-sourire,  tel 
mot  délicat  ou  fine  malice.  » 

Pour  compléter  ce  portrait  de  Gustave  Nadaud, 
nous  dirons  que  l'homme  était  distingué,  aimable 
et  bon.  M.  Pitre  Chevalier  dira,  «  qu'il  a  eu  partout 
des  amis, d'ennemis  nulle  part.  Sa  gracieuse  popu- 
larité se  mêle  en  souriant  à  toutes  les  gloires,  sans 
porter  ombrage  à  aucun  amour- propre  rival  »  (1). 

Voilà  donc  la  physionomie  de  G.  Nadaud  dé- 
peinte par  plusieurs  personnalités,  et  tous  ces  por- 
traits se  ressemblent  ;  l'accord  est  parfait  pour  re- 
connaître sa  modestie,  sa  bonne  humeur  et  sa  bonté. 

Ces  qualités,  de  l'esprit  et  du  cœur,  lui  valurent 
les  amitiés  sincères  et  durables  de  ceux  qui  furent 
les  premiers  à  saluer  son  talent. 

Nous  publierons  plus  loin  une  correspondance 
de  Gustave  Nadaud  à  son  ami  Alfred  Ârago  ;  les 
autographes  du  chansonnier  nous  montreront 
la  fidélité  et  l'estime,  ainsi  que  le  dévouement, 
(ju'il  avait  su  inspirer  à  tous  ces  amis,  par  l'amé- 
nité de  son  caractère  et  la  simplicité  souriante  de 
ses  Tarons    2  . 

(I  i  Lu  Revue  d'Ail  dramatique. 

(2)  Cette  COITespoada0C€  est  notre  propriété. 


GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE    85 

Comme  musicien,  sa  musique  était  simple,  et 
tout  le  monde  pouvait  la  chanter. 

Il  était  donc,  avant  tout,  un  mélodiste  inspiré, 
ce  que  souvent  la  science  musicale  moderne  ne 
donne  pas  toujours  aux  fils  d'Euterpe  du  xxe  siècle  ! 

Nadaud  fut  donc  applaudi  comme  Poète,  comme 
musicien  et  comme  chanteur. 

L'on  peut  classer  les  chansons  de  Nadaud  en 
plusieurs  genres,  car  il  aborda,  d'une  taçon  heu- 
reuse, les  sujets  les  plus  divers,  savoir  : 

Chansons  humoristiques,  Chansons  Mélancoliques 
ou  cantilènes,  Chansons  joyeuses.  Chansons  à  dire, 
à  jouer,  etc..  Il  eut  aussi,  après  la  guerre,  de 
beaux  accents  patriotiques  et  écrivit  des  chansons 
sociales  (parfaitement  sociales  !)  dans  le  bon  sens 
du  mot,  quoiqu'on  ait  dit  de  lui  parfois,  qu'il  fut 
bourgeois  (ceux-là  ne  devaient  le  connaître  qu'im- 
parfaitement). 

Le  qualificatif,  dont  on  abuse  beaucoup  trop, 
est,  du  reste,  un  non  sens,  car  un  artiste  est-il  ja- 
mais bourgeois  ?...  Nadaud  fut  un  artiste,  même 
légèrement  bohème,  par  la  vie  toujours  au  dehors 
qu'il  mena  toute  son  existence. 

Il  n'a  jamais  eu  l'appartement  confortable,  mais 
un  nid  d'oiseau  toujours  sur  la  branche.  Soit  rue 
de  Verneuil,  où  il  habita  près  de  trente  ans,  se 
contentant  de  deux  pièces,  soit  rue  Blanche,  rue 
Lafitte,  et  en  dernier  lieu,  rue  de  Passy,  63. 

Voilà  l'intérieur  du   Bourgeois  Nadaud  !  Mais, 


86         GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

s'il  suffit  de  gagner  quelque  peu  d'argent  et  faire 
le  bien  autour  de  soi,  pour  être  taxé  de  bourgeoi- 
sisme,  bien  !  Nadaud  gagna  de  l'argent  avec  ses 
œuvres  devenues  très  populaires.  Si  c'est  aussi, 
parce  que  ce  chansonnier  n'eut  point  la  tenue  dé- 
braillée, ni  la  cravate  La  Vallière  nouée  négli- 
gemment autour  du  col,  ni  les  cheveux  hirsutes, 
qu'il  fut  qualifié  de  Bourgeois  ;  oh  I  alors,  c'est 
différent,  —  il  fut  bourgeois  1  —  mais,  pour  nous, 
Nadaud  demeure  un  artiste  mondain. 

Il  écrivit,  disions-nous,  tous  les  genres,  mais 
c'est  surtout  dans  la  chanson  aimable  et  spiri- 
tuelle, sentimentale  ou  légèrement  ironique  (sans 
méchancetés),  qu'il  est  plus  intéressant  de  le  con- 
naître, car  c'est  dans  ce  genre  qu'il  eut  ses  plus 
grands  succès  et  obtint  sa  popularité. 

Lisez  ou  entendez  les  Deux  Notaires,  le  Docteur 
Grégoire,  Bonhomme,  vous  en  apprécierez  toute  la 
valeur  littéraire  ;  ces  œuvres,  du  reste,  sont  clas- 
sées comme  des  chefs-d'œuvre. 

Devant  l'accueil  flatteur  et  enthousiaste  des 
Salons  Parisiens,  envers  Gustave  Nadaud,  l'éditeur 
Veuillot,  et  plus  tard  Ileugel,  s'assurèrent  une 
grande  partie  des  œuvres  du  Chansonnier.  Ils 
passèrent    avec    lui    un     contrat    avantageux,    lui 

permettant  d'envisager  l'avenir  avec  confiance  ci 
sérénité. 

Nadaud  ne  connut  donc  jamais  les  panade*  de 
Béranger,  ni  la  vie  tourmentée  de  Pierre  Dupont, 


-IVVI      SADABD    Il      \\     i.UWSuV     FRANÇAISE         117 

et  il  put  se  consacrer  à  loisir  à  ses  poétiques  tra- 
vaux. 

Nous  allons  donc  faire  passer  successivement 
sous  les  yeux  du  lecteur,  une  chanson,  dans  chacun 
des  genres  qui  valurent  le  succès  au  chanson- 
nier; et  MM.  les  Editeurs  de  Nadaud  ne  nous  en 
voudront  pas,  de  reproduire  quelques  œuvres  du 
Maître,  que  l'on  ne  connaît  pas  assez  (1). 

Nous  nous  appliquerons  surtout  à  présenter 
les  Poèmes  délicats  du  Chansonnier,  où  il  est  le 
moins  connu,  et  que  l'on  a  toujours  cependant 
plaisir  à  lire  ou  entendre,  car  si  l'on  chante  moins 
de  nos  jours,  la  poésie  toutefois  n'est  point  encore 
bannie  des  réunions  artistiques  et  littéraires. 

Nous  citerons  tout  d'abord  : 

La  bouche  et  l'oreille,  de  la  série  des  Chansons  à 
dire,  au  nombre  de  vingt-quatre  : 

(1)  Les  éditeurs  Tresse  cl  Stock,  de  Paris,  ont  édite, 
en  1891,  un  premier  vol.  de  Chansons  à  dire.  En  189.~>, 
un  deuxième  vol.  Xoiwellcs  chansons  à  dire  et  à 
chanter.  Ces  deux  volumes  contiennent  toutes  les 
œuvres  de  G.  Nadaud. 


88         GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 


LA  BOUCHE  ET  L'OREILLE 


La  bouche  disait  à  l'oreille  : 
«  Tout  vous  caresse  et  vous  sourit 
Vous  êtes  l'aurore  vermeille.  » 
Et  l'oreille  s'ouvrit. 

La  bouche  disait  à  l'oreille  : 
«  Et  patati  et  patata. 
Vous  n'avez  pas  de  pareille.  » 
Et  l'oreille  écouta. 

La  bouche  disait  à  l'oreille  : 
«  Tout  l'univers  vous  applaudit 
Comme  la  huitième  merveille.  » 
Et  l'oreille  entendit. 

La  bouche  disait  à  l'oreille: 
«  Pour  vous  le  charme  de  l'esprit 
Hst  le  miel  choisi  de  l'abeille.  » 
F^t  l'oreille  comprit. 

La  boucha  disait  ù  l'oreille  : 
m  rai  guidé  Sociale  et  Nu  ma, 
Voulez-vous  que  je  vous  conseille 
L'oreille  se  ferma. 

Dans  ce  genre,  tout  spécial,  <lr  l'apologue  où  le 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CtlANSON    FRANÇAISE        89 

talent  consiste  à  faire  passer  délicatement,  dans 
les  derniers  vers,  une  morale,  un  précepte,  pour 
résumer  un  tout,  voyez  comme  Nadaud  y  arrive 
sans  heurt  et  dans  une  forme  élégante  ! 

Il  égale  ici  les  fabulistes  Lachambaudie,  Florian, 
et  se  rapproche  de  La  Fontaine,  qui  eut  avant  lui 
Esope,  ne  l'oublions  pas  I 

Le  Poète  se  révèle  un  judicieux  observateur. 
Dans  les  Petits  Poèmes  Amoureux,  nous  détachons 
de  cette  série,  au  nombre  de  vingt-quatre,  le  : 
Retour  de  Voyage. 


RETOUR  DE  VOYAGE 

L'oiseau  qui  jadis  s'envola 
Est  enfin  rentré  dans  sa  cage. 

Le  voici,  te  voilà  l 
Raconte-moi  ton  long  voyage. 

Ne  te  livre  pas  à  demi  : 
Fais-moi  toutes  tes  confidences. 
Ta  femme  devient  ton  ami  ; 
Dis-lui  tes  plaisirs,  tes  souffrances, 
Et,  s'il  en  lut,  tes  défaillances... 

Ou  plutôt,  non,  ne  me  dis  rien. 
Ecoute  :  c'est  moi  qui  raconte 
Ce  que  tu  fis  :  par  ce  moyen, 
Je  ne  mettrai  pas  à  ton  compte 
Ce  qui  pourrait  te  faire  honte. 


1)0       GUSTAVE    NW)AUD    ET    TA    CHANSON    KlANÇAÎSE 

Car  tu  n'as  pas  été  sans  voir 
Ces  beautés  vives  ou  légères. 
Ces  Romaines  au  grand  œil  noir, 
Ou  ces  sirènes  étrangères, 
Astres  errants,  fleurs  passagères. 

Mais  tu  ne  pouvais  oublier 

Que  d'autres,  moins  belles  peut-être, 

Restaient  assises  au  foyer, 

Les  yeux  tournés  vers  la  fenêtre  ; 

La  maison  attendait  son  maître. 

N'ost-il  pas  vrai  ?  J'ai  bien  compris 
Que  tu  n'as  pas  souillé  ton  àme, 
Que  rien  n'est  beau  comme  Paris, 
Qu'il  n'est  pas  d'amour  ni  de  flamme 
Qui  vaille  le  cœur  de  ta  femme. 

L'oiseau  qui  jadis  s'envola 
Est  enfin  rentré  dans  sa  cage. 

Le  voici,  te  voilà  I 
Ne  me  dis  rien  de  ton  voyage 


Apres  avoir  lu  celte  poétique  pensée  de  l'auteur, 
dites-nous  si  vous  n'êtes  pas  impressionné  par  le 
sentiment  exquis  et  vécu  qui  se  dégage  du  poème? 

C'est  bien  l'état  d'âme  de  la  vraie  compagne  du 
foyer,  qui  est  amante  et  femme  à  la  fois,  souvent 
inquiète  du  lendemain,  tourmentée  pendant 
l  absence,  mais  toujours  dévouée,  toujours  indul- 


GUSTAVE    NADAl  D    BT    TA    CHANSON    FRANÇAISE        91 

gcnte  au  retour  :  «  car  la  mission  de  la  femme  est 
de  soulager  et  de  soulïrir  ». 

Dans  les  Récits  touchants,  au  nombre  de  vingt 
et  un,  nous  choisissons,  parmi  ces  petits  joyaux, 
où  le  sentiment  et  la  bonté  se  mêlent  aux  qualités 
de  l'homme  sensible  :  Le  Nid  Abandonné. 


LE  NID  ABANDONNE 


Dans  un  jardin  du  voisinage 
Deux  merles  avaient  fait  leur  nid  ; 
Trois  reufs  furent  le  témoignage 
Du  doux  serment  qui  les  unit. 

Je  les  ai  vus  sous  ma  fenêtre, 
De  la  pointe  à  la  fin  du  jour, 
Couver,  trois  semaines  peut-être, 
L'espoir  tardif  de  leur  amour. 

Les  petits  ont  vu  la  lumière  ; 
J'entends  leurs  cris  ;  il  faut  nourrir 
Celte  jeunesse  printanière 
Qu'on  craint  toujours  de  voir  mourir 

Que  de  soucis  et  que  de  joie  ! 
On  ne  peut  rester  endormi  : 
Sans  cesse  il  faut  guetter  la  proie; 
Il  faut  éviter  l'ennemi. 


9*2        GUSTAVE    SADAUD    ET    LA    CttANSON    FRANÇAISE 

O  vertu,  tendresse  immuable, 
O  soins  constants,  travaux  passés, 
Par  quel  amour  insatiable 
Serez-vous  donc  récompensés  T 


Ce  matin,  des  cris  de  détresse 
Dans  le  jardin  ont  résonné  : 
Les  merles  voletaient  sans  cesse 
Autour  du  nid  abandonné. 

Sans  doute,  un  épervier  rapide, 
Une  couleuvre  aux  yeux  perçants, 
Ou  des  enfants,  troupe  perfide, 
Auront  surpris  les  innocents? 

Non,  dès  qu'ils  ont  senti  leurs  ailes, 
Les  ingrats  ont  tui  pour  toujours, 
Avides  d'amitiés  nouvelles, 
Oublieux  des  vieilles  amours. 

Ils  vont  étaler  leur  plumage, 
Voler  et  chanter  dans  le  ciel, 
S;ms  entendre  le  cri  de  rage 
Qui  soit  du  buisson  paternel. 

A  quelles  cruelles  épreuves 
SerOQl  soumis  les  fils  ingrats  ! 

L'affection,  comme  les  fleuves, 
Descend  el  ne  remonte  pas, 


GUSTAVE    n.VDAID    El    LA    CHANSON    FRANÇAISE       93 

Allez,  enfants,  douces  chimères, 
Rêves  menteurs  qui  nous  charmez, 
Vous  n'aimerez  jamais  vos  mères 
Autant  qu'elles  vous  ont  aimés. 


Remarquez  ici,  comme  tout  s'enchaîne  heureu- 
sement et  gracieusement,  peu  à  peu  l'émotion  se 
fait  plus  intense  et  arrive  attendrissante  dans  les 
derniers  quatrains. 

«  L'affection,  comme  les  fleuves, 
«  Descend  et  ne  remonte  pas  !  » 

Quelle  maxime  profonde  en  ces  deux  vers  1 

Nous  avons  souvent  entendu  dire  ce  poème,  et 
toujours  il  a  émotionné  jusqu'aux  larmes  le  cœur 
des  mères...  cependant  qu'une  mélancolie  passait 
sur  le  front  des  pères  ! 

C'est  dans  ce  genre,  que  Nadaud  n'est  pas  suffi- 
samment connu,  car  il  écrivit  ces  poésies,  après 
la  guerre  ;  dans  le  même  ordre,  il  faut  lire  : 

Grand-père,  vous  nètes  pas  vieux,  rien  de  plus 
exquis,  et  ce  poème  doit  figurer  dans  les  poésies 
classiques  des  écoles  du  gouvernement. 

Nous  poursuivons  notre  étude,  dans  le  jardin 
des  rêves  du  Chansonnier-Poète  et  allons  nous 
arrêter  un  instant  à  ses  Chansons  humoristiques. 

Cette  série  se  compose  de  18  chants. 

Nous  allons  nous  rencontrer  ici  avec  l'esprit,  la 


!)4       GUSTAVE    \AD\UD   ET   LA   CHANSON    FRANÇAISE 

iinesse  d'expression  et  l'à-propos,  qui  caractérisent 
Nadaud. 

Nous  détachons  de  cette  gerbe  :  Le  Secret  du 
bonheur. 


LE  SECRET  DU  BONHEUR 


Je  sais  un  excellent  moyen 

De  vivre  heureux  et  de  bien  vivre  : 

Il  est  aisé,  ne  coûte  rien  ; 

Au  même  prix  je  vous  le  livre. 

Suivez-moi  dans  cette  maison 
Adossée  au  petit  village  ; 
Elle  a  le  vert  pour  horizon, 
Et  pour  vêtement  un  treillage. 

C'est  la  villa  d'Académus 
Ou  le  cottage  de  Socrate; 
On  y  chante  des  orémus 
Où  la  verve  gauloise  éclate. 

On  y  vit  dans  l'air  et  dans  1  eau  ; 
Ce  n'est  pas  là  que  l'on  s'ennuie  ; 
On  joue  aux  boules,  quand  il  fait  beau  ; 
Le  whist  est  pour  les  jours  de  pluie. 

On  poursuit  un  dorte  entretien 

Dans  le  salon,  sous  la  tonnelle; 
On  y  relit  h'  livre  ancien 
Auprès  de  la  page  nouvelle. 


(JUSTWE    \AD\UD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE        95 

Gaîment,  bruyamment,  poliment, 
On  cause,  on  raisonne,  on  discute 
Chacun  défend  son  sentiment 
Sans  que  jamais  on  se  dispute. 

—  Mais  votre  ami,  me  direz- vous, 
A  donc  un  secret?  —  Sans  nul  doute, 
Tenez;  je  vous  le  donne  à  tous, 
Puisqu'on  sait  le  prix  qu'il  me  coûte. 

Dans  la  chaumière  ou  le  château, 
A  la  campagne  ou  dans  la  ville. 
Apposez  un  simple  écriteau 
Au  seuil  de  votre  domicile. 

Il  suffit  qu'on  lise  à  propos, 

Et  surtout  qu'on  mette  en  pratique, 

L'avis  conçu  dans  ces  cinq  mots: 

ON    NE  PARLE   PAS    POLITIQUE. 

VA  comme  il  a  raison,  le  bon  Nadaud,de  recher- 
cher d'abord,  pour  le  bonheur,  l'humble  village, 
loin  des  ambitions  et  des  fumées  delà  ville,  loin 
de  la  vie  Apre,  et  des  promesses  fallacieuses  des 
cités,  ce  coin  paisible  où  l'on  peut  vivre  ! 

Croyons -en  le  chansonnier,  dont  l'esprit  est 
avisé  :  vivons  loin  du  bruit,  et  suivons  sagement 
l'avis  qu'il  nous  donne. 

Viennent  ensuite  Les  Chansons  à  jouer,  au  nom- 
bre de  vingt. 


96    GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

Dans  cette  série  nous  choisissons  Carcassonne. 
Cette  chanson  fut  un  des  grands  succès  de  G.  Na- 
daud.  Un  excellent  et  vieil  ami  de  ma  famille,  le 
commandant  Eugène  Dubois  (qui  disait  aussi,  et 
avec  talent,  le  monologue),  m'a  lui-même  raconté 
combien  le  chansonnier-poète  jouait  et  disait  à  ra- 
vir cette  chanson  (1). 

Nous  avons  sous  les  yeux  la  brillante  confé- 
rence que  fit  sur  Nadaud  l'érudit  et  distingué 
normalien,  M.  Léo  Claretiey  lequel  donna  lecture, 
en  cette  classique  matinée,  d'une  lettre  du  délicat 
poète,  Eugène  Manuel, où.  il  est  justement  question 
de  cette  œuvre  de  Nadaud  : 

«  C'était  cette  chanson  —  écrivait  M.  Manuel  — 
qu'on  lui  redemandait  toujours  et  qu'il  disait  in- 
comparablement: Il  mettait  dans  son  histoire  tous 
les  regrets  de  la  vie,  tous  les  désirs  non  satisfaits  ! 
toute  la  philosophie  mélancolique  des  mécomptes  ! 
lin  a  jamais  vu  Carcassonne  !  est  devenu  proverbe, 
car  chacun  a  son  Carcassonne  fuyant  et  insaisis- 
sable o  (2). 

(1)  Le  commandant  E.  Dubois  fut  Vice-Président  de 
la  Sociélé  historique  d'Auteuil  et  de  l'assy-  où  il  s'était 
retiré. 

2)  Conférence  sur  G.  Nadaud,  par  Léo  Claretie,  voir 
le  supplément  au  Bulletin  de  la  Société  Historique, 
Archéologique  d'Auteuil  et  de  Pussy,  de  décembre  1894. 


GUSTAVE  NADALD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE    97 


CARCASSONNE 


Je  me  fais  vieux,  j'ai  soixante  ans, 

J'ai  travaillé  toute  ma  vie, 

Sans  avoir,  durant  tout  ce  temps, 

Pu  satisfaire  mon  envie. 

Je  vois  bien  qu'il  n'est  ici-bas 

De  bonheur  complet  pour  personne, 

Mon  voeu  ne  s'accomplira  pas  : 

Je  n'ai  jamais  vu  Carcassonne  ! 

On  voit  la  ville  de  là-haut, 
Derrière  les  montagnes  bleues  ; 
Mais,  pour  y  parvenir,  il  faut, 
Il  faut  faire  cinq  grandes  lieues  ; 
En  faire  autant  pour  revenir  ! 
Oh  I  si  la  vendange  était  bonne  ! 
Le  raisin  ne  veut  pas  jaunir  : 
Je  ne  verrai  pas  Carcassonne  ! 

On  dit  qu'on  y  voit  tous  les  jours, 
Ni  plus,  ni  moins  que  les  dimanches, 
Des  gens  s'en  aller  sur  le  cours,' 
En  habits  neufs,  en  robes  blanches. 
On  dit  qu'on  y  voit  des  châteaux 
Grands  comme  ceux  de  Babylone, 
Un  évêque  et  deux  généraux  ! 
Je  ne  connais  pas  Carcassonne  I 


98        GUSTAVE    RADAUD   ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Le  vicaire  a  cent  fois  raison: 

C'est  des  imprudents  que  nous  sommes. 

Il  disait  dans  une  oraison 

Que  l'ambition  perd  les  hommes. 

Si  je  pouvais  trouver,  pourtant, 

Deux  jours  sur  la  lin  de  l'automne... 

Mon  Dieu  !  que  je  mourrais  content, 

Après  avoir  vu  Garcassonne  I 

Mon  Dieu  I  mon  Dieu  1  pardonnez-moi 
Si  ma  prière  vous  offense  ; 
On  voit  toujours  plus  haut  que  soi 
En  vieillesse  comme  en  enfance. 
Ma  femme,  avec  mon  fils  Aignan, 
A  voyagé  jusqu'à  Narbonne, 
Mon  filleul  a  vu  Perpignan 
Et  je  n'ai  pas  vu  Carcassonne  ! 

Ainsi  chantait  près  de  Limoux, 
Un  paysan  courbé  par  l'âge. 
Je  lui  dis  :  «  Ami,  levez-vous, 
Nous  allons  faire  le  voyage.  » 
Nous  partîmes  le  lendemain, 
Mais  (que  le  bon  Dieu  lui  pardonne!) 
Il  mourut  à  moitié  chemin  : 
Il  n'a  jamais  vu  Carcassonne  I 

Oui» chimères  1  nos  rêves,e1  parfois, insaisissable 
l'idéal  poursuivi,  «  mais  si  vous  retire/,  à  l'homme 
ses  chimères,  <{tic  lui  restera-t-ill  a  dit  Fonta- 
nelle 


GUSTAVE    \\nwi>    ET  LA    CHAÎfSOK    riiw  \isi         90 

Et  combien  sont  douces  les  folies  chimériques 
des  Poètes,  des  Artistes  et  même  des  Savants  : 
s'ils  n'atteignent  jamais  «  Carcassonne  »...  ils  en 
rêvent  toujours  délicieusement  !...  et,  cet  état  d'es- 
prit vaut  bien,  selon  nous,  celui  de  certains  jeunes 
modernistes,  qui  ont  arrêté  les  battements  de  leur 
cœur  à  tout  sentiment  idéal,  pour  se  faire  une 
existence  et  une  religion,  dans  le  matérialisme  el 
L'égoîsme  ! 

Du  reste,  dans  une  époque  de  transition  de  vi- 
tesse perpétuelle,  la  pensée  n'est  que  fugitive  et  le 
passé  n'existe  plus  !  Bientôt,  hélas,  à  moins  d'un 
événement  qui  nous  fera  nous  retrouver  tous,  soit 
dans  un  élan  patriotique,  pour  le  salut  de  la  France 
ou  pour  l'apothéose  de  l'Union  fraternelle,  glori- 
fiant la  grande  et  sublime  idée  pacifique  et  huma- 
nitaire, dont  la  science  est  le  flambeau  devant 
illuminer  la  raison  des  peuples,  bientôt,  disons- 
nous,  le  scepticisme  aura  remplacé  «  Carcas- 
sonne »  dans  le  cœur  des  générations  futures!... 
Mais,  revenons  au  bon  soleil  de  la  gai  té,  ainsi 
qu'an  bon  esprit  de  Nadaud. 

Les  Chansons  joyeuses  terminent  les  Chansons  à 
dire,  et  sont  au  nombre  de  Neuf;  c'est  peu,  mais 
dans  le  volume  édité  par  Tresse  et  Stock  en  1891 , 
l'on  rencontre  aussi  des  Chansons  joyeuses,  parmi 
lesquelles,  notamment,  Les  Deux  (iendarmes,  que 
nous  donnerons  dans  le  prochain  chapitre,  à  seule 
lin  de  la  taire  suivre  d'anecdotes  s'v  rattachant. 


100     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Nous  avons  fait  choix,  dans  cette  dernière  sé- 
rie, de  Y  Epingle  sur  la  manche. 


L'ÉPINGLE  SUR  LA   MANCHE 

Le  roi  se  déshabillait 

Avec  Éloi,  son  valet. 

En  tirant  la  manche  auguste, 

Éloi  se  piqua.  «  C'est  juste, 
S'écria  le  roi, 
C'est  ma  faute,  Éloi, 

Car  j'ai  mis  hier  dimanche, 
Je  ne  sais  pourquoi, 

Une  épingle  sur  ma  manche.  »  — 

«  Sire,  Votre  Majesté 
A  sans  doute  ainsi  noté, 
Pour  en  garder  la  mémoire, 
Quelque  projet  méritoire? 

Oui,  sans  doute,  Eloi, 

Répondit  le  roi  ; 
A  le  croire,  arni,  je  penche  ; 
Mais  pourquoi,  pourquoi 
Cette  épingle  sur  ma  manche?  »  - 


Sire,  Votre  Majesté 
Avait-elle  projeté 
De  renvoyer  connue  un  cuistre 
Son  premier  et  seul  ministre? 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     101 

—  Non,  mon  bon  Éloi, 
Répondit  le  roi  : 

Laissons  l'oiseau  sur  la  branche  ; 

Mais  pourquoi,  pourquoi 
Cette  épingle  sur  ma  manche  ?»  — 

((  Sire,  Votre  Majesté 
Aurait-elle  décrété 
De  doubler   mes  honoraires 
Aux  dépens  de  mes  confrères  ? 

-  Non,  mon  brave  Eloi, 
Répondit  le  roi  : 

Ta  demande  est  assez  tranche  ; 

Mais  pourquoi,  pourquoi 
Cette  épingle  sur  ma  manche?  »  — 

«  Sire,  Votre  Majesté 
Veut-elle  faire  un  traité 
Avec  le  roi  de  Navarre  ? 
La  guerre  est  un  jeu  barbare. 

—  Non,  mon  sage  Éloi, 

Répondit  le  roi, 
J  ai  besoin  d'une  revanche  ; 

Mais  pourquoi,  pourquoi 
Cette  épingle  sur  ma  manche?»  — 

«  Sire,  Votre  Majesté 
Aurait-elle  contracté 
Quelque  emprunt  ou  quelque  dette 
Dont  le  paiement  l'inquiète  ? 


102     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

—  Non,  prudent  Eloi, 
Répondit  le  roi  ; 

Ce  qu'on  doit,  on  le  retranche  ; 

Mais  pourquoi,  pourquoi 

Cette  épingle  sur  ma  manche?  »  — 

«  Sire,  Votre  Majesté 
Songeait-elle  à  sa  santé  ? 
Elle  aurait  besoin  peut-être 
D'un  médecin  ou  d'un  prêtre  ? 

—  Non,  monsieur  Eloi, 
Répondit  le  roi; 

Je  suis  ferme  sur  la  hanche  ; 

Mais  pourquoi,  pourquoi 

Cette  épingle  sur  ma  manche  ?  »  - 

«  Alors,  Votre  Majesté 
Songeait  &  l'hérédité 
De  son  trône  de  Castille  ? 
Bile  n'a  ni  fils  ni  fille. 

—  Oui,  mon  cher  Éloi, 
S'écria  le  roi  ; 

Va  chercher  la  reine  Blanche  !  » 

El  voilà  pourquoi 
L'épingle  était  mr  sm  manche. 

<  i  monologue  obtint  un  très  vif  succès  dans  1rs 
salons  el  au  théâtre. 

Les  in  ns  Lionnel  Saint-Germain,  Coquelin  aîné 
et Coquelin cadet,  ainsi  que  d'autres  artistes  re 


Gustave  sadaud  et  lv  ch\nma  française    103 

nommés,  se  firent  applaudir  chaleureusement  dans 
cette  joyeuseté. 

Peu  après  MM.  Villemeret  Delormel  lancèrent  au 
concert  Le  nœud  à  mon  mouchoir,  dont  le  fond, 
l'idée,  sont  absolument  Y  Epingle  sur  la  manche; 
c'est,  en  un  mot,  un  pastiche,  lequel  tait  ressortir 
tout  le  succès  que  rencontra  G.  Nadaud  en  compo- 
sant cette  amusante  pièce,  dont  furent  jaloux  bien 
des  auteurs,  car  après  Villemer  et  Delormel  l'on 
continue  de...  pasticher!  soit  Y  Epingle  ou  Le 
nœud  au  mouchoir  et  le  bon  chansonnier,  Ernest 
Chebroux  a  collectionné  ces  œuvres  nouvelles, 
avec  intérêt  et  philosophie  ! 


La  chanson  de  Pandore  ou  Les  deux  Gendarmes 
fut  l'œuvre  populaire  par  excellence  de  G.  Nadaud. 

Il  était  inimitable  dans  son  interprétation  ;  pour 
le  Brigadier,  il  prenait  l'accent  méridional  et  pour 
Pandore,  celui  alsacien.  Aussi,  était-ce  le  rire  à 
gorge  déployée,  quand  il  arrivait  au  vague  son... 
qu'une  note  basse  soulignait  au  piano,  pendant 
que  Pandore  reprenait,  indécis  et  somnolent,  son 
éternel  refrain  : 

Brigadier,  vous  avez  raison  I 

Nous  publions  cette  chanson,  qui  fut  célèbre  par 
bien  des  points,  on  le  verra  : 


lOG     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 


DEUX  GENDARMES 


Deux  gendarmes,  un  beau  dimanche, 
Chevauchaient  le  long  d'un  sentier  ; 
L'un  portait  la  sardine  blanche, 
L'autre  le  jaune  baudrier. 
Le  premier  dit  d'un  ton  sonore  : 
«  Le  temps  est  beau  pour  la  saison  : 

—  Brigadier,  répondit  Pandore, 
Brigadier,  vous  avez  raison!  » 

«  Ah  !  c'est  un  métier  difficile  : 
Garantir  la  propriété, 
Défendre  les  champs  et  la  ville 
Du  vol  et  de  l'iniquité? 
Pourtant,  l'épouse  qui  m'adore 
Bepose  seule  à  la  maison. 

—  Brigadier,  répondit  Pandore, 
Brigadier,  vous  avez  raison.  » 

Phébus,  au  bout  de  su  carrière, 

l'ut  encor  les  apercevoir; 
Le  brigadier,  de  sa  voii  (1ère, 
I  i  oublfl  le  silence  du  soir. 
Vois,  dil   il,  le  soleil  (|iii  doi  i 

Les  nuages  à  l'horizon. 

-  Brigadier,  répondit  Pandore, 
Brigadier,  \  ous  avez  raison.  » 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     107 

Puis,  ils  révèrent  en  silence; 

On  n'entendit  plus  que  le  pas 

Des  chevaux  marchant  en  cadence  ; 

Le  hrigadier  ne  parlait  pas. 

Mais,  quand  revint  la  pâle  aurore, 

On  entendit  un  vague  son  : 

«  Brigadier,  répondait  Pandore, 

Brigadier,  vous  avez  raison.  » 


Au  sujet  des  Deux  Gendarmes,  nous  reprodui- 
sons une  aventure  qui  advint  à  l'auteur,  lors  d'un 
voyage  qu'il  fit  à  Màcon,  où  siégeait  à  la  Préfecture 
de  cette  ville  un  ami  des  lettres  et  un  homme 
d'esprit,  tout  à  la  fois. 

L'anecdote  est  extraite  du  Carillon  Lyonnais,  ra- 
contée par  Nadaud. 

Le  préfet  avait  invité  Nadaud,  son  intime.  Mais 
celui-ci,  pressé  de  se  rendre  ailleurs,  comptait 
brûler  Màcon,  sans  y  séjourner.  Il  descend,  sous 
un  nom  d'emprunt,  dans  un  hôlcl,  espérant  dé- 
jouer par  cette  ruse  innocente  la  sagacité  des  ins- 
pecteurs de  police.  Nadaud  s'était  trompé;  il  était 
reconnu  et  dénoncé  à  M.  le  Préfet  de  Saône-el- 
Loire. 

Huit  heures  sonnaient  au  beffroi  de  sa  pendule 
et  Nadaud  s'apprêtait  à  se  glisser  mollement  entre 
les  draps  humides  de  son  lit  d'hôtel,  quand  un 
bruit  de  bottes  retentit  dans  le  couloir.  On  frappe 
à  sa  porte.  —  Qui  est  là?—  Ouvrez!  —  A  qui? 


10H     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

—  Ouvrirez,   que  je  dis!  —  Mais  à  qui,  diable? 

—  A  la  force  publique  !  —  Que  me  veut-elle  la 
force  publique?  —  Vous  le  saurrrez  quand  je  vous 
l'aurrrai  dit  ! 

Nadaud,  intrigué,  se  décide  à  ouvrir  son  huis. 
Paraît  alors  un  superbe  Pandore  : 

—  Vous  êtes  bien  le  dénommé  Durrrand  ? 

—  Non...  c'est-à-dire...  oui,  si  vous  le  voulez  I 
C'est  le  nom  que  j'ai  inscrit  sur  le  registre  de 
l'hôtel. 

—  Vos  papiers  ? 

—  Ah  !  fichtre  !  je  n'en  ai  pas. 

—  C'est  bon  !  suivez-moi  ! 

—  Mais...  Où?... 

—  Vous  le  verrez.  J'ai  l'ordre  de  vous  arrêter. 

—  Elle  est  forte,  celle-là  I  Vous  avez  l'ordre 
d'arrêter  le  nommé  Durand,  et  c'est  moi  qui  suis 
coffré  ? 

—  Parfaitement!  Allons,  du  leste!  Vous  vous 
expliquerez  chez  le  commissaire. 

—  Brigadier,  vous  avez  raison!  murmure,  en 
chantonnant,  le  pauvre  Nadaud,  qui  n'a  plus 
qu'un  espoir,  c'est  de  se  voir  relâché  parle  com- 
missaire. 

On  quille    L'hôtel   sous  les    regards    furieux   de 

toute  la  valetaille  qui  voyait  déjà  la  tête  de 
l'assassin  rouler  nu  pied  de  l'échafaud.  Car  Na- 

daud-Durand  était  pour  le  moins   un  assassin,  un 

parricide  peut  être. 


GUSTAVE    SADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     1 01) 

On  traversa,  dans  la  nuit  noire,  des  rues  tor- 
tueuses et  plus  noires  encore. 

—  Est-ce  loin?  interroge  Nadaud. 

—  Vous  le  verrez  I 

—  Brigadier,  vous  avez  raison  ! 

—  Pourquoi  que  vous  m'appelez  toujours  bri<j(t~ 
(lier  ?  Je  suis  seulement  gendarme. 

—  Oh  !  c'est  une  façon  de  parler  à  moi. 

—  Comme  vous  voudrez  ! 

—  Brigadier,  vous  avez  raison,  fredonne  encore 
le  faux  Durand. 

—  Assez  I  pas  de  rouspétance  ! 

Enfin,  gendarme  et  accusé  arrivent  devant  un 
vaste  bâtiment,  où  quelques  fenêtres  percent  la 
nuit  de  clartés  fulgurantes. 

On  monte  quelques  marches.  On  frappe  à  une 
porte  et...  le  gendarme  introduit  Nadaud-Durand 
dans  un  salon  où  le  rire  éclate  de  toute  part.  Stu- 
péfaction de  Nadaud... 

—  Ah  !  s'écrie,  en  riant,  le  préfet,  je  vous  y 
prends,  monsieur  Durand,  une  autre  fois,  méfiez- 
vous  de  ma  police  ! 

Car,  c'était  bien  chez  le  préfet  que  Nadaud  avait 
été  conduit  par  Pandore,  chez  le  préfet  qui  rece- 
vait quelques  amis  et  s'était  fait  amener  par  la 
force  le  poète-chansonnier  récalcitrant. 

Chacun  riait,  Pandore  lui-même,  qui  resta 
consciencieusement  derrière  la  porte,  pour  jouir 
de  la  surprise  de  son  prisonnier. 


140     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Quand,  bientôt,  il  entendit  Nadaud  attaquant  ce 
couplet  connu  : 

Ah  !  c'est  un  métier  difficile, 
Garantir  la  propriété, 
Défendre  les  champs  et  la  ville 
Du  vol  et  de  l'iniquité. 
Pourtant  l'épouse  qui  m'adore, 
Repose  seule  à  la  maison. 
—  Brigadier,  répondit  Pandore, 
Brigadier,  vous  avez  raison  ! 

L'anecdote  est  vraie,  elle  lut  contée  par  Nadaud 
à  Boudouresque  et  Chebroux, ainsi  qu'au  directeur 
du  Carillon  Lyonnais. 

L'on  est  tout  surpris  de  nos  jours,  de  savoir  que 
cette  chanson  fut  frappée  de  censure,  alors  que 
dans  note  siècle,  des  chansons  antimilitaristes 
sont  interprétées  au  Cale-Concert. 

Gustave  Nadaud,  on  le  sait,  était  devenu  le  fa- 
milier des  soirées  de  la  Princesse  Mathiide  et  le 
chansonnier  des  salons  mondains  (1). 

L'anecdote  suivante,  absolument  fausse,  dé- 
mentit', du  reste,  par  Ernest  Chebroux,  n'en  est 
pas  moins  d'une  amusante  iantaisie  ;  elle  concerne 

la  chanson  des  Deux  Gendarmes,  Racontée  par  la 
1   La  Princesse  Mathiide  avait  an  salon  littéraire, 

OÙ  étaient   Conviés    tous  les    beaux    esprits,   toutes    les 

notabilités  de  son  temps. 


GUSTAYE    NADAUD    EX    LA    CHANSON    FRANÇAISE     111 

Revue  Mondiale,  elle  fut  reproduite  par  l'Intermé- 
diaire des  Chercheurs  et  Curieux.  Voici  l'anecdote  : 

Dans  une  soirée  chez  la  Princesse  Mathilde, 
Nadaud  fut  invité  par  l'Empereur  à  chanter  les 
Deux  Gendarmes,  sans  oublier  le  dernier  couplet. 

u  Nous  verrons  quel  était  ce  dernier  couplet  !  » 

—  Ah!  protesta  Nadaud,  maudit  couplet...  il 
est  bien  mauvais,  une  boutade,  un  vers  de  fan- 
taisie !... 

—  Nous  verrons,  nous  verrons... 
Et  Nadaud  chanta  ; 

J'ai  toujours  servi  sans  réplique, 
Depuis  le  grand  Napoléon, 
Louis-Philippe  et  la  République, 
Et  le  nouveau  Napoléon. 
Celui-là,  je  me  remémore, 
Je  l'avais  fourré  z'en  prison... 
—  Brigadier,  répondit  Pandore, 
Brigadier,  vous  avez  raison. 

Les  personnes  groupées  autour  de  l'Empereur 
et  de  l'Impératrice  ne  surent  si  elles  devaient  rire. 

Nadaud  était  rouge  et  la  sueur  perlait  à  son 
front,  lorsque  Napoléon,  s'approchant  de  lui  et  la 
main  tendue,  lui  dit  : 

<(  Vous  avez  glorifié  en  ce  couplet,  monsieur  Na- 
daud, la  première  qualité  du  soldat  français,  qui 
est  l'obéissance  passive  et  le  respect  de  la  disci- 


ii'l     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON     FRANÇAISE 

pline.  Souffrez  que  je  vous  en  remercie  et  que  je 
vous  exprime  ma  reconnaissance,  en  attachant 
moi-même  à  votre  boutonnière  un  bout  de  ruban  ; 
je  vous  fais  chevalier  de  la  Légion  d'honneur!  » 

Xadaud  sourit  et  remercia. 

Quelque  intime  osa  : 

Le  «  maudit  couplet  »  était  le  meilleur. 

Sire,  vous  avez  eu  raison  ! 

C'est  égal,  ce  que  Nadaud  était  rouge  I... 

Cette  histoire  nous  l'avons  soumise  à  la  censure 
de  l'exécuteur  testamentaire  de  Nadaud,  M.  Er- 
nest Chebroux;  il  nous  a  répondu  dans  les  termes 
suivants  : 

«  On  a  prêté  bien  d'autres  histoires  au  célèbre 
chansonnier  (il  est  vrai  qu'on  ne  prêle  qu'aux 
riches),  celle-ci,  par  exemple.  Napoléon  III  avait 
invité  Nadaud  au  château  de  Compiègne  et  aurait 
dit  à  son  chambellan  devant  le  poète  : 

«  —  Je  désire  que  M.  Nadaud  soit  au  château 
comme  chez  lui. 

t  A  quoi  le  chansonnier,  qui  habitait  en  ce  temps- 
là  une  modeste  chambre  à  Paris,  aurait  répondu 
ironiquement  à  l'Empereur: 

€  —  Sire» j'espérais  mieux. 
Légende  !  Jamaifl  Nadaud  qui  était  orléaniste  (et 
ne  s'en  Cachail   pas)  et  qui    redoutait   par-dessus 

tout  de  passer  pour  un  courtisan,  ne  mit  le  pied 


GUSTAVE    NVUMI)    ET    LA    CIIANS<>\    FRANÇAISE     113 

ni  à  Compiègne,  ni  aux  Tuileries,  ni  dans  aucune 
autre  résidence  de  César. 

«  Une  seule  fois,  il  se  rencontra  chez  la  princesse 
Mathilde  avec  l'Empereur  et  l'Impératrice.  Napo- 
léon, qui  ne  manquait  ni  d'esprit,  ni  d'à-propos, 
demanda,  il  est  vrai,  au  gai  frondeur  de  la  gen- 
darmerie, de  lui  chanter  Pandore.  Nadaud 
s'excusa,  disant  que  cette  chanson  était  interdite 
et  que,  d'ailleurs,  il  l'avait  oubliée.  Napoléon  in- 
sista, aidé  de  la  princesse  Mathilde  qui  goûtait 
fort  l'esprit  du  chansonnier.  Nadaud  céda  :  il 
chanta  Pandore  à  la  grande  joie  des  assistants. 

«  L'Empereur  fut  le  premier  à  en  rire  :  il  lendit  la 
main  au  malin  chansonnier  et,  naturellement,  le 
lendemain  l'interdit  fut  levé.  Quant  au  couplet: 

J'ai  même,  il  m'en  souvient  encore, 
Conduit  Bonaparte  en  prison, 

légende  !  » 

Tout  ceci  est  une  légende  !  et  ce  couplet  était  du 
chansonnier  Bastide  et  non  de  Nadaud. 

M.  Georges  Boyer,  dans  le  Figaro,  a  relevé  ce 
point  d'histoire. 

Voici  dans  quelle  circonstance  Nadaud  fui 
présenté  à  l'Empereur  et  chanta  devant  lui  la  fa- 
meuse chanson.  Il  est  bon  de  faire  savoir  ici,  que 
le  Chansonnier  n'écrivit  pas  que  des  Chansons  ;  il 
composa  plusieurs  pièces  de  Théâtre,  dont  le 
Le  Dr  Vieux  temps, 

8 


1M     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

C'était  un  petit  opéra  de  Salon.  AI.  Pitre  Cheva- 
lier, dans  VArt  dramatique,  nous  contera  cette 
soirée  : 

«  La  Princesse  Mathilde,  qui  prisait  fort  le  ta- 
lent de  Nadaud,  lui  fit  une  surprise  royale. 

«  Elle  réclama  sa  pièce  Le  Dv  Vieux  lemps)  et  les 
interprèles  de  Nadaud,  pour  un  petit  comité,  et  ce 
petit  comité  se  composa  de  l'Empereur,  de  la  Cour, 
des  ministres,  de  toutes  les  grandeurs  et  beautés 
du  jour.  Nadaud  gagna  cette  bataille  d'Auslerlilz, 
avec  l'arme  qui  était  son  infaillible  talent,  avec  sa 
simplicité  charmante  et  son  inaltérable  modestie. 
Cest  là  que  Pandore  triompha  de  l'impassibilité 
napoléonienne  —  et  qu'un  général  s'écria  en 
l'applaudissant:  «  —  Pourquoi  interdire  celle 
chanson  dans  les  concerts  ?  Moi,  je  la  mettrais  à 
l'ordre  du  jour  de  l'armée,  comme  haute  leçon 
d'obéissance  morale.  » 

«  L'Empereur  serra  la  main  de  l'auteur, et  le  len- 
demain l'interdit  était  levé.  » 

Nous  arrivons  aux  lettres  de  Gustave  Nadaud  à 
son  ami  Al  Irai  A  raya. 

Les  deux  premières  sont  relatives  à  la  nomina- 
tion du  chansonnier  dans  l'ordre  de  la  Légion 
d'honneur. 

On  sait  que  Nadaud  lui  nommé  elievalier  le 
13  ftOÛl  1861,  mais  avant  de  prendre  connaissance 

(le  cette  correspondance,  nous  croyons  utile  de 

faire  connaître  celui  auquel  ses  lettres  sont  adres- 


GUSTAVB    WDUii    Fi    LA    CHANSOfl    FBANÇAI81     41") 

secs.  Nous  donnons  quelques  lignes  biographiques 
sur  M.  Alfred  Arago,  dont  la  famille  et  le  grand 
nom  appartiennent  à  la  littérature,  l'histoire,  les 
sciences  et  les  Beaux-Arts  Français,  qu'ils  hono- 
rèrent : 

«  Arago  (Louis- Alfred-François),  second  fils  de 
François  Arago,  frère  du  grand  astronome,  est 
né  le  20  juin  1816  à  Perpignan.  A  cultivé  la  pein- 
ture, qu'il  a  étudiée  sous  Paul  Dclaroche,  et  a  lait 
de  1841  à  1852  divers  envois  aux  salons,  notam- 
ment :  Charles-Quint  au  couvent  de  Saint- Jusl, 
La  Récréation  de  Louis  À7,  qui  lui  a  valu  une  troi- 
sième médaille  en  1846  ;  Y  Aveugle,  souvenir  d'un 
voyage  en  Italie,  Abraham,  etc.,  en  1852,  il  lut 
attaché  comme  inspecteur  général  des  Beaux-Arts 
au  Ministère  d'Etat,  et  il  a  fait  parti  du  comité 
d'organisation,  ainsi  que  du  jury  de  la  première 
Exposition  Universelle  de  1855.  Décoré  de  la  Lé- 
gion d'honneur  en  1854,  il  a  été  promu  officier 
le  lCl  janvier  1870;  Alfred  Arago  mourut  à  Paris  en 
1892,  un  an  avant  Gustave  Nadaud  ». 

Première  lettre  de  G.  Nadaud  à  Alfred  Arago. 

«  Mon  cher  Alfred, 

«J'étais  hier  à  dîner  chez  le  juge  de  Paix  du 
«  canton  quand  ta  lettre  m'est  parvenue.  J'avais 
«  reçu  la  veille  un  mot  de  Doucet  qui  me  disait  que 


11G     GUSTAVE    NADAUD    Eï    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

«  c'était  signé  ;  mais  l'adresse  de  ta  lettre  a  été  la 
«  première  notification  quasi-officielle.  Tu  sais  que 
«  je  suis  devenu  méfiant. 

«  J'écris  aujourd'hui  à  la  princesse  Mathilde.  Elle 
«  seule,  je  crois,  a  pu  vaincre  des  répugnances  aussi 
«  obstinées  et  aussi  prolongées. 

«  Je  vais  maintenant  rêver  pendant  sept  ans  que 
«  je  ne  l'ai  pas. 

«  Adieu  et  merci,  mon  brave  ami,  tes  deux 
«  lignes  m'ont  fait  du  bien,  et  je  suis  heureux  de 
«  recevoir  de  toi  une  bonne  nouvelle  ». 

«  A  toi  de  tout  cœur. 
«  G.  Nadaud.  » 

(Ville  illisible),  16  août  18(31. 

Deuxième  lettre  de  Gustave  Nadaud  atu  même. 

Mon  cher  Alfred, 

«  J'ai  le  plus  vif  désir  de  recevoir  ici  la  petite 
i  croix  de  la  Princesse.  Tâche  de  trouver  un  moyen 
«  «le  me  l'adresser  par  la  poste  (non  pas  dans  une 
ii  lettre). 

-Je  suis  anéanti.  Hier  dimanche,  j'ai  écrit  21 
«  lettres.  Je  recommence  ce  matin. 

.le  recois  de  beaucoup  de  côtés,  même  de  per- 
<•  sonnes  qui  me  lonl  complètement  inconnues,  des 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     117 

«  témoignages  de  sympathies  qui  me  touchent  vé- 
«  ritablement. 

o  Un  merci  à  Augier  quand  tu  le  verras  pour  son 
«  apostille  et  à  toi  de  tout  cœur. 

«  G.  Nadaud.  » 

Lundi,  6  heures  du  matin  !  !  !  !  ! 
19  août  1861. 

Ces  deux  lettres  sont  fort  intéressantes,  car  elles 
nous  apprennent  que  Nadaud  attendait  depuis 
longtemps  cette  croix.  «  Il  était  devenu  méfiant,  et 
allait  rêver,  pendant  sept  ans,  qu'il  ne  l'avait 
pas  !  » 

La  Prinoesse  Mathilde  —  dit-il  —  seule  a  pu 
vaincre  des  répugnances  aussi  obstinées  et  aussi 
prolongées. 

Ces  difficultés  n'étaient  pas  surprenantes,  Na- 
daud n'ayant  jamais  caché  ses  opinions  d'orléa- 
niste; or,  Napoléon  III  avait  conspiré  contre 
Louis-Philippe,  pour  obtenir  le  pouvoir  absolu! 

Enfin,  nous  voyons  heureux,  le  bon  chanson- 
nier, de  cette  petite  croix,  que  la  princesse  Mathilde 
tint  à  lui  offrir,  et  non  seulement  il  a  les  félicita- 
tions de  ses  amis,  mais  aussi  celles  d'admirateurs 
inconnus  de  lui  ;  l'appui  de  la  cousine  de  l'Empe- 
reur, l'apostille  d'amis,  tels  que  Doucet,  qui  était, 
à  cette  époque,  Ministre  de  l'Instruction  publique, 
celles   d'Alfred    Arago.    d'Emile    Augier,   triom- 


*,;{     GUSTA.Y1    RADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 


*    *../.   /£./  ^„    ^,  ,  ^  >^-  «^os^-  -<£*..-*»    a  «*«-%-. .«^- 


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Otm.+s^f    //    OJCé    //// 


GUSTAYE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAIS!       II'.' 

plièrent  des  griefs  que  l'on  avait  contre  Fauteur  des 
Deux  Gendarmes  et  du  Vieux  Mendiant,  que  Vadmi- 
nislration  supérieure  jugeait  comme  contenant 
des  :  «  allusions  subversives  et  entachées  de  crime 
de  lèse-majesté  !  » 

Ainsi,  Nadaud,  à  quarante  et  un  ans,  recueillait 
la  croix  de  Désaugiers  !  qu'il  attendait  depuis  sept 
ans.  L'on  ne  peut  que  regretter  que  son  ami  Ernest 
Chébroux  n'ait  pas  obtenu  cette  distinction  à  la- 
quelle il  avait  droit  à  plus  d'un  titre. 

Les  deux  lettres  suivantes  nous  montrent  le 
chansonnier  dans  les  afïres  de  l'angoisse.  La  mère 
de  G.  Nadaud,  très  malade,  est  perdue,  et  c'est  à  son 
vieil  ami  qu'il  fait  part  de  ses  douloureux  pressen- 
timents, c'est  aux  cœurs  d'Arago  et  de  Doucet 
qu'il  demandera  l'appui  moral,  dans  cette  sépa- 
ration suprême  et  éternelle. 

Cinq  mois  après  sa  plus  grande  joie,  le  chan- 
sonnier éprouvait  sa  plus  grande  peine  —  ainsi  va 
la  vie  !  —  Voici  ces  deux  lettres  relatives  à  la  mort 
de  la  mère  de  Gustave  Nadaud. 

u  Mon  cher  Alfred. 

«  Je  dois  à  notre  vieille  amitié  de  ne  pas  te  lais- 
«  ser  ignorer  l'état  alarmant  de  ma  pauvre  mère. 
«  Elle  a  eu  une  attaque  avant-hier  et  depuis  près 
«  de  48  heures  elle  n'a  pas  un  seul  instant  repris 
«  connaissance.  Je  ne  garde  aucun  espoir. 


120     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

«  Sois  assez  bon  de  prévenir  Doucet,  et  lorsque 
«  tu  verras  la  Princesse  (tu  auras  alors,  je  le  crains, 
ci  une  nouvelle  plus  douloureuse  encore  à  lui  an- 
«  noncer)  dis-lui  toutes  mes  douleurs. 

«  A  toi. 

«  G.  Nadaud  ». 
24  décembre  1861. 

«  Mon  cher  Alfred, 

«  Ma  pauvre  mère  a  rendu  le  dernier  soupir  hier 
«  à  8  heures  du  soir.  La  triste  cérémonie  a  lieu 
a  après-demain  samedi,  28  décembre,  à  la  ville  au 
«  bois,  porte  Maillot,  Neuilly,  à  11  heures  très  pré- 
«  cises.  Je  n'envoie  pas  de  lettres  de  faire-part, 
«  j'écris  seulement  à  une  dizaine  d'amis.  Je  n'en 
a  adresse  pas  à  Doucet  ;  vous  ne  pouvez  ensemble 
«  quitter  le  Ministère  :  mais  si  l'un  de  vous  peut 
<  être  près  de  moi  dans  ce  terrible  moment  j'accep- 
c  terai  avec  reconnaissance  cette  marque  d'ami- 
«  tié. 

«  A  toi  de  tout  cœur. 

«  G.  Nadaud  »>. 
2G  décembre  18G1. 

Nous  (hissons  par  années  celte  correspondance. 
Lei  deui   lettres  suivantes   l'ont  ressortir  la  bonté 

de  Nadaud  et  l'esprit  du  chansonnier, 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE      1 '2 1 

Ce  sont  deux  protégés  qu'il  recommande  à  son 
ami. 

La  seconde  lettre  est  plus  originale,  en  ce  sens 
qu'elle  est  écrite  en  vers  «  rimes  avec  humour  et 
au  courant  de  la  plume  »  : 

«  Mon  cher  Alired, 

«  M.  Minérel  de  Roubaix  (sénateur),  mon  com- 
«  patriote,  voulait  recommander  au  jury  de  l'expo- 
«  sition  M.  Eugène  Digaud  qui  présente  trois  ta- 
«  bleaux  sous  les  nos  2.507,  2.508  et  2.509. 

«  Il  a  été  obligé  de  quitter  Paris  et  il  m'adresse 
«  M.  Digaud  qui  me  demande  une  recommanda- 
«  tion  pour  le  jury.  Que  puis-je  faire?  Si  non 
u  m'adresser  à  toi  qui  es  en  bien  meilleure  situa- 
a  tion  pour  savoir  ce  qu'il  y  a  à  faire.  Je  remets 
«  donc  cette  lettre  d'introduction  à  M.  Digaud  en 
«  te  priant  de  lui  faire  un  bon  accueil  et  de  l'aider 
«  si  tu  le  peux  dans  son  entreprise. 

«  Je  t'adresse  d'avance  tous  mes  remerciements 
«  et  toutes  les  amitiés  de  ton  bien  cordialement 
«  dévoué. 

«  G.  Nadaud.  » 
3  avril  1863. 

Seconde  lettre  : 

Mon  protégé  du  jour  se  nomme  Léon  Caille, 
Si  tu  pouvais  lui  taire  avoir  une  médaille, 


\'1'1     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Il  en  serait  content  et  moi  peut-être  aussi  ! 

Mais  comment  émouvoir  ce  jury  peu  sensible? 

—  C'est  fait, dis-tu?  — Comment!  déjà?c'est  impossible  ? 

—  Mais  si,  mais  si,  mais  si 

—  Merci,  merci,  merci. 

0  Mon  cher  Alfred, 

«  Je  te  recommande  en  prose  les  nos  377  et  378 
«  (Salle  C.) 

«  Mille  amitiés 

a  G.  Nadaud.  » 
4  2  mai  4881». 

Il  est  presque  certain,  que  M.  Alfred  Arago,  de- 
vant cette  humoristique  recommandation,  fit  plai- 
sir à  Nadaud,  ainsi  qu'à  son  jeune  protégé. 

Cette  septième  lettre  de  Nadaud  est  assez  cu- 
rieuse, en  ce  qui  concerne  le  grand  peintre  Jérôme 
(le  peintre  des  Rois). 

Nadaud  entretient  aussi  son  ami  de  la  Ferme  de 
Beauvoir  (qui  est  une  chanson)  et  qu'il  envoya 
probablement  au  peintre  paysagiste,  Van  Marek, 
pour  L'illustrer. 

Cette  chanson  de  la  Ferme  de  Beauvoir,  est  d'une 

vive  couleur  rustique  : 

C'est  à  la  ferme  de  Beauvoir 

Qu'est  un  troupeau  de  vaches  blanches. 
Je  vais  la  bas  tous  les  dimanches 
Hien  que  pour  le!  voir    etc. 


GUSTAVE    tfADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     1  ^> 

Notons  que  Nadaud  a  écrit  quelques  pastorales, 
dont  :  le  Puits  du  Pont  Kerlo,  c'est  une  paysannerie 
sentimentale  dont  la  description  historique  ne 
manque  pas  d'intérêt;  mais,  revenons  à  notre  cor- 
respondance. 

La  lin  de  la  lettre  annonce  à  son  ami,  ce  qu'il  a 
dit  au  Peintre  Jérôme,  et  ceci,  il  l'exprime  en  un  ma- 
licieux quatrain,  si  l'on  se  reporte  à  la  chanson  de 
Nadaud:  «  Le  peintre  des  Rois  »  (Ed.de  1895, p. 27G). 

Voici  les  premiers  quatrains  de  cette  chan- 
son : 

A  la  cour  d'un  roi  d'Allemagne 
Je  voj'ais  souvent  autrefois 
Un  artiste  de  la  Romagne, 
Albertini  peindre  des  Rois. 

D'un  bout  à  l'autre  de  l'année 
Il  fabriquait,  de  parti  pris, 
La  même  te  te  couronnée, 
Même  qualité,  même  prix. 

Mais  où  le  poème  a  tout  son  sel,  c'est  quand  le 
chansonnier  nous  raconte  que  dans  une  visite 
à  l'artiste  il  voit  sur  le  chevalet  un  nouveau 
Guillaume  inachevé  : 

Il  avait  tous  les  accessoires, 
Paysage,  fond  de  portrait, 
L'habit,  la  couronne  et  les  gloires, 
Mais  de  visage  pas  un  trait  ! 


424     GUSTAVE    NA.DAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Alors,  le  peintre  explique  ainsi  son  travail  et  sa 
pensée  : 

Celui  que  je  prépare 

Ne  peut-il  mourir  ce  soir! 

etc.. 

puis,  il  poursuit,  et  termine  ainsi  : 

Quand  Dieu  reprend  Guillaume  Père, 
Guillaume  fils  nous  est  rendu, 
Ce  royaume  est  toujours  prospère 
Et  mon  portrait  n'est  pas  perdu  !... 

C'est,  on  le  voit,  une  amusante  plaisanterie  entre 
amis.  Voici  la  lettre  : 

«  Mon  cher  Alfred, 

u  J'ai  été  plusieurs  fois  pour  te  voir,  mais  j'ai 
«  toujours  trouvé  visage  de  bois. 

«  Tu  dois  être  à  la  campagne,  j'y  vais  moi-même 
«  de  demain  samedi  à  lundi  soir. 

«  La  ferme  de  Beauvoir  a  été  donnée  à  Von  Ma- 
«  rek.  Quant  au  peintre  des  Rois,  voici  ce  que  j'ai 
•   dit  à  Jérôme  : 

Vous  voulez,  dessiner  un  Louis,  un  Guillaume 
Un  Frédéric,  un  roi  quelconque,  à  votre  choix 
Ce  que  Jérôme  prend  appartient  a  Jérôme 
Va  donc,  mou  cher  ami,  pour  le  peintre  des  rois. 

«  A  bientôt  et  à  toi, 

o  (i.  Nadaud.  I 
t,s  octobre  i.stt. 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE      I  —  •*"» 

Cette  huitième  lettre,  témoigne  de  la  vie  agitée 
du  chansonnier,  allant  d'un  pays  à  un  autre,  de 
villas  en  châteaux,  etc.  Venu  là,  pour  une  soirée,  il 
y  était  retenu  par  sa  gaîté  et  l'aménité  de  son  carac- 
tère ;  les  amphitryons  se  réjouissaient  aux  refrains 
du  Trouvère,  et  le  rossignol  demeurait  8  jours, 
15  jours,  prisonnier  volontaire  des  sympathies  que 
son  talent  avait  fait  naître. 

Cette  existence  est  bien  celle  d'un  artiste! 

Nadaud  apprend  à  son  ami  qu'il  se  rendra  au 
château  de  Marzac,  après  un  court  séjour  en  Nor- 
mandie et  en  Bretagne.  * 

Le  propriétaire  du  château  était  M.  de  Fleurieu. 
Or,  nous  devons  apprendre  au  lecteur  que  le  poète 
avait  fait  quelques  rêves  fantaisistes  : 

Le  premier,  fut  celui  d'avoirsa  Vigne]  et  Nadaud 
l'eut, en  Saône-et-Loire,  à  Cormartin, près  de  Mâcon. 

A  ce  sujet,  Ernest  Chebroux  nous  écrivait  ceci  : 
«  Il  faisait  avec  cette  vigne  quelques  pièces  de  vin 
«  dont  il  ne  tirait  d'autre  profit  que  le  plaisir  de  le 
«  faire  boire  à  ses  amis  ». 

D'autre  part,  dans  Les  (Contemporains  nous  lisons 
ce  passage  :  «  Le  rêve  de  Nadaud  avait  été  de  faire 
son  vin,  son  fameux  Cormartin,  auquel  il  prêtait 
toutes  les  saveurs  exquises,  tous  les  bouquets 
bourguignons  dont  sa  chère  piquette  était  totale- 
ment dépourvue.  » 

—  De  la  coupe  aux  lèvres,  le  plaisir  des  amis 
était  inoins  grand  ! 


4*26  GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

Pas  commerçant,  toujours  loin  de  son  plan,  le 
propriétaire  songea  qu'il  valait  mieux  chanter  la 
vigne  que  fabriquer  du  vin  et  il  abandonna  la  viti- 
culture. Nous  donnons  la  musique  autographe 
inédit  que  Nadaud  écrivit  pour  sa  chanson  du 
Cormartin  (1). 

Mais  aimant  la  nature,  el  pour  se  consoler  des 
ingratitudes  de  Cormartin,  «  Nadaud,  dit-on,  avait 
loué  une  petite  métairie  dans  le  château  de  Marzac 
pour  élever  ses  bœufs. 

Donc,  en  se  rendant  en  Dordogne,  nous  savons 
maintenant  que  le  bon  chansonnier  allait  pendant 
un  mois  visiter  sa  métairie,  .ses  herbages  et  ses 
bœufs!  Nadaud  cherchait  son  Carcassonne! 

Lettre  de  Nadaud  : 

e  Mon  cher  Alfred, 

«  Je  pars  pour  la  Normandie  el  la  Bretagne;  dans 
«  8  jours  je  serai  au  château  de  Marzac  par  Les 
«  Eyzies  (Dordogne)  où  je  compte  rester  jusqu'au 
«  12  septembre.  Tu  dois  recevoir  dans  2  jours  le 
«  dessin  de  Dupray. 

«  Ne  perds  pas  Jérôme  de  vue. 

«  A  toi. 

«  G.  Nadai'I).  » 
19  août  1880. 

(.cite  avant-demiin  lettre  va    nous    montrer  le 

(1)  Autographe  de  la  collection  Albert  Kielïcr,  (!«•  la 
France  Littéraire, 


ÔtSTAVE    N\I>\ID    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     127 


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GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     129 

chansonnier  à  Nice,  dans  sa  villa  Pandore  à  Cimiez, 
dont  la  vue  était  ravissante  à  cette  époque  (Cimiez 
n'étant  pas  encore  lancé);  située  derrière  le  château 
deZuylen,  il  jouissait  de  cette  hauteur  d'un  magni- 
fique panorama,  s'étendant  sur  la  mer,  depuis  la 
Californie,  point  extrême  de  la  promenade  des 
Anglais,  jusqu'au  quartier  des  Pouchettes,  ou  celui 
des  pêcheurs. 

Nadaud  est  toujours  jeune,  toujours  disposé  à 
voyager,  et  s'il  ne  visita  pas  Rome,  ce  ne  fut  pas 
lui  qui  manqua  le  départ;  du  reste,  il  s'est  révélé 
dans  ce  quatrain  : 

Je  veux  tout  voir  et  tout  connaître, 
Venir  ici,  courir  là-bas  : 
Où  j'étais,  je  ne  veux  plus  être; 
Je  veux  être  où  je  ne  suis  pas  (1). 

Tout  en  vivant  au  milieu  de  ses  roses  et  de  ses  ar- 
tichauds,  il  travaille  toujours,  écrit  de  nouvelles 
chansons,  s'occupe  des  dessins  qui  doivent  illus- 
trer ses  poèmes,  en  un  mot,  il  prépare  sa  rentrée  à 
Paris  et  à  Roubaix. 

Il  donne  aussi  quelques  soirées,  à  58  ans  nous  le 
voyons  débordant  d'activité. 

(1)  Voir  Miettes  poétiques,  T.  V.  Stock,  édit.,  Paris. 


\'.]0     GUSTAVE    NADVin    ET    LA    CHAN80S    FRANÇAISE 

Lettre  de  Nadaud  : 

«  Mon  cher  Alfred, 

«  Me  voici  revenu  de  Rome,  en  ce  sens  que  je 
«  n'y  ai  pas  été.  Non,  mon  cher  ami,  j'avais  un 
«  compagnon  de  voyage  qui  a  manqué  de  décision 
«  au  moment  voulu,  et  je  suis  resté  avec  mes  résé- 
<(  das  et  mes  artichauts.  Nous  sommes  en  carna- 
a  val,  le  carnaval  de  Nice,  le  dernier  des  carna- 
«  vais.  Aujourd'hui,  demain  et  après-demain  on  va 
q  faire  toutes  sortes  de  folies. 

«  Depuis  deux  jours  le  ciel  est  couvert  et  tous  les 
«  pronostics  étaient  pour  la  pluie  (qu'on  n'a  pas 
«  vue  ici  depuis  trois  mois)  et  voilà  encore  que  les 
«  nuages  semblent  s'écarter  et  que  le  temps  va  re- 
«  devenir  serein. 

«  J'ai  entre  les  mains  un  dessin  que  D.  Keyser, 
«  directeur  de  l'Académie  de  peinture  d'Anvers, 
«  vient  de  me  faire  sur  la  chanson  de  Y  Aïeul.  Un 
((  peintre  italien,  Giacometti,  doit  me  taire  Libre, 
<  une  chanson  sur  l'Italie. 

«  Jérôme  a  dû  recevoir  une  boîte  de  Heurs  que  je 
«  lui  ai  envoyée. 

«  Je  vais  bientôt  songer  au  départ,  c'est-à-dire 

«  au  retour.  Ce   n'est   pas  que  je  ne  me  trouve  pas 

«  lus  bien  à  Nice,  mais  la  soif  de  Paris  commence 

se  Caire  lentir.  Il  faut  que  je  me  réchauffe  au 

'iMir  de  nies  .-nuis'; 


GUSTAVE    NADAUD    1:1     i.v    CHANSON    FRANÇAIS!      i'M 

«  A  toi,  et  aux  tiens,  cher  ami,  de  tout 
cœur. 

«  G.  Nadaud.  » 
3  mars  4878. 

«  J'ai  donné  dans  un  chalet  trois  matinées  litté- 
raires et  musicales  qui  ont  eu  leur  succès.  » 

Celte  lettre  de  chaude  intimité,  nous  donne  bien 
le  fond  du  caractère  du  chansonnier. 

La  Villa  Pandore  existe  toujours,  quoique  trans- 
formée, et  pendant  notre  séjour  à  Cimiez  nous 
prenions  bien  souvent  la  rue  Gustave  Nadaud  pour 
gagner  les  oliviers,  et  goûter  toute  la  poésie  de  ce 
pays  enchanteur  : 

«  Un  régal  de  soleil,  de  rose  cl  d'oranger 

«  Que  le  ciel  et  la  mer  semblent  se  partager  ». 

La  dernière  lettre  de  Gustave  Nadaud  à  Alfred 
Arago,  nous  montrera  l'inépuisable  gaité  du  chan- 
sonnier, et  l'ardeur  toute  juvénile  qu'il  apporte  à 
la  préparation  d'une  nouvelle  édition  de  ses 
œuvres. 

Elle  laissera  voir  aussi  une  certaine  sensibilité, 
qui  est  celle  d'un  homme  vivant  beaucoup  par  Le 
cœur. 

Enfin,  rien  de  ce  qui  est  intellectuel  et  artistique 
ne  le  laisse  indifférent,  et  c'est  ainsi  qu'il  dira  à 
sou  ami  tout  son  enthousiasme  pour  lediscours  de 


132  GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

Labiche,  l'auteur  plein  d'esprit  de   la  Cagnotte,  et 
de  tant  d'autres  fines  comédies. 

Voici  cette  lettre,  vers  et  prose,  datée  également 
du  «  Chalet  Pandore  »  : 


«  Je  fais  savoir  à  mes  amis 
•  Queje  suis  cloué  dans  ma  chambre. 
«  Un  mal  bien  connu  s'est  permis 
«  De  me  prendre  au  vingt-un  décembre, 
«  Quatre  jours  avant  la  Noël, 
«  Onze  avant  la  nouvelle  année, 
«  Je  suis  un  homme  plein  de  fiel 
«  Et  ma  bile  s'est  retournée. 
«  0  mes  amis,  priez  le  ciel 
«  Pour  que  mon  mal  bientôt  finisse. 
«  Je  ne  vous  ai  pas  dit  lequel  : 
«  J'ai  la  jaunisse.  » 


«  Oui,  mon  cher  Alfred  voilà  ce  que  j'ai.  Mon 
'édition  va  marcher  très  bien,  je  trouve  partout 
<  des  adhérents  chaleureux,  j'aurai  trop  de  des- 
o  sins.  On  m'en  offre  de  toutes  parts  et  je  suis 
-  obligé  d'en  refuser.  Pourquoi  mes  vieux  amis 
il  sont-ils  plus  rétifs  que  les  amis  incon- 
nus? 

«  Ce  n'est  que  depuis  ma  maladie  que  j'ai  pu  me 
h  procurer  le  discours  de  Labiche.  Quelle  mer- 
Elle!  1  Miel  ehef-d'ccuvre  ! 


GUSTAVE    .NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE      433 

«J'en  ai  encore  pour  une  dizaine  de  jours  de 
«  claustration. 

«  Cordial  vœu,  cher  ami, 

«  G.  Nadaud.  » 
Chalet  Pandore. 
1$  décembre  1880. 

Cette  dernière  lettre  nous  fait  placer  ici  une  anec- 
dote, qui  a  trait  non  seulement  à  cette  édition 
nouvelle  mais  encore  à  la  générosité  de  Nadaud. 

Nous  la  reproduisons  telle  que  M.  Ernest  Che- 
broux  nous  l'a  contée  : 

«  Quand  Nadaud  publia  sa  grande  édition  illus- 
trée par  ses  amis,  les  grands  peintres  de  notre 
époque,  un  de  ses  premiers  exemplaires  fut  pour 
les  frères  Lionnet,  artistes  de  premier  ordre,  et 
fort  recherchés  dans  les  salons. 

«  Nadaud  porta  lui-même  à  ses  deux  interprètes 
et  amis  les  trois  volumes  et  eut  la  délicatesse  de 
glisser  dans  les  pages  (je  crois  que  c'était  dans  la 
page  où  se  trouvait  le  Navire  Aérien,  créé  par  les 
Lionnet)  un  billet  de  1.000  francs,  pour  remercier 
ses  interprètes  qui  commençaient  à  courir  après  la 
pièce  de  20  francs.  Comme  le  geste  était  délicat  et 
grand  en  même  temps  ! 

«Les  frères  Lionnet  ouvrirent  un  jour  devant  moi 
le  beau  livre  qui  venait  de  paraître,  mais  connais- 
sant toutes  les  chansons  de  Nadaud,  ne  me  mon- 


134     GUSTAVE    YVDALD    ET    LA    CHANSON     FRANÇAISE 

lièrent  queles'admirables  dessins  qui  se  trouvaient 
à  la  fin  du  livre.  » 

«  Quand  mourut  le  dernier  des  Lionnet,  Hippo- 
lyte,  on  vendit  la  bibliothèque,  ou  plutôt  ce  qui 
en  restait  ;  un  amateur  acheta  à  la  vente  l'ouvrage 
de  Nadaud  et  en  parcourant  les  pages  trouva  le 
billet  de  mille  francs,  une  petite  fortune  que  les 
deux  pauvres  artistes  avaient  dans  leur  biblio- 
thèque sans  s'en  douter.  » 

L'anecdote,  on  le  voit,  valait  la  peine  d'être  re- 
produite. 

Pour  juger  des  amis,  et  des  relations  de  Nadaud, 
nous  citons  ce  passage  de  la  remarquable  confé- 
rence de  M.  Léo  Claretie,  sur  le  chansonnier,  con- 
cernant cette  Edition  exceptionnelle  :  —  G.  Na- 
daud (qui  ne  s'était  jamais  fait  payer  ses  soirées), 
se  trouvait  à  ce  moment  un  peu  gêné  :  «  Il  sufïit 
à  Nadaud  de  placer  un  exemplaire,  dans  chacune 
des  maisons  où  il  avait  dîné,  comme  on  déposerait 
sa  carte  de  visite,  pour  que  ses  droits  d'auteur 
aient  tout  de  suite  atteint  la  somme  de  cent  mille 
francs.  » 

A  seule  lin  de  faire  mieux  savoir  à  quel  point 
Nadaud  était  aimé  el  sympathique,  nous  repro- 
duisons quelques  lettres  de  différentes  personnali- 
i  publiées, pour  la  première  fois,  dans  le  Journal 
Gaulois,  le  30 décembre  1803,  sons  la  signature  de 
S.  Basquierde  VEpine*  Mlles  sont  de  :  Méry,  Roger 
de  Beauvoir,   baroa  Corvisart,  Rachel,  la  grande 


GUSTAVE     NADAll)     l.l      l\     CIIANSO.N     FRANÇAISE      135 

Comédienne,  A.  Dumas;  mais,  ainsi  que  le  signale 
l'auteur  de  l'article,  «  le  duc  de  Morny,  E.  Augier, 
Reichemberg,  Barbier,  L.  Fiquier,  la  femme  de 
Rossini,  et  beaucoup  d'autres  célébrités  écrivaient 
aussi  bien  à  Nadaud,  que  les  signataires  des  lettres 
suivantes  ». 
«  Nous  reproduisons  sans  commentaires  ». 

Lettre  humoristique  de  Méry. 
(Cette  lettre  est  datée  du  12  juillet  1857  (1).) 

«.  Mon  poète  chéri, 

«  Je  viens  vous  faire  violence  en  laveur  de  l'a  ri  s- 
«  tocratie  européenne  d'Ems,  pour  vous  arracher  à 
«  ce  monopoleur  de  Paris.  Vous  trouverez  ici, 
«  comme  dit  un  de  nos  vieux  frères,  bon  souper, 
«  bon  gîte  et  le  reste.  Moi  qui  suis  un  égoïste 
«  double,  je  veux  vous  cacher  que  je  vous  enten- 
«  drais  avec  un  bonheur  extrême  dans  cette  char- 
"  niante  vallée  où  la  rivière  «  La  Lahu  »  et  la  forêt 
«  voisine  accompagnent  les  poètes  beaucoup  mieux 
ti  qu'un  piano  allemand  ! 

«  Comme  intermède,  je  vous  proposerai  des  pr< 
«  menades  en  gondole,  où  nous    nous  entretien - 
«  drons  de  la  nature  et  des  choses  deNaturarerum, 

(1)  Méry,  poète  et  romancier,  était  ué  dans  les  Bou 
ches-clu-Khône,  1798-1866. 


136      GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

«  comme  Horace  avait  l'habitude  de  taire  avec  son 
«  jardinier.  Il  y  a  aussi  des  cigares  exquis  (déci- 
«  dément  ils  ne  datent  pas  de  1870  et  Gambetta 
«  n  était  qu'un  insolent  plagiaire)  que  le  dit  Horace 
«  a  attendus  vainement  et  qu'il  n'a  jamais  tumés  ! 
«  Hoc  erat  in  votis,  disait-il,  mais  Christophe  Co- 
«  lomb  n'avait  pas  encore  découvert  l'île  de  «  Ta- 
«  bago  )>  et  les  vœux  du  Nadaud  romain  n'ont  pas 
«  été  tous  exaucés. 

«  Résumé  : 

«  Nous  fumerons,  nous  causerons,  nous  boirons 
«  du  vin  du  Rhin,  nous  nous  promènerons  aux 
«  étoiles  comme  des  péripatéticiens,  et  vous  chan- 
ce terez  vos  odes  admirables  faites  de  larmes  et  de 

«  sourires. 

Méky. 

Lettre  de  Roger  de  Beauvoir. 

«  Que  d'esprit  dans  votre  Prince  Indien!  J'ai  cru 
«  relire  Zading  ;  les  Chaussettes  ont  eu  un  succès 
«  non  moins  grand  ;  le  petit  club  formé  d'aventure 
n  chez  moi   demeure    encore  charmé   de  Toinon. 

Pour  moi,  que  la  goutte  et  les  douleurs  ne 
(T  quittent  pas,  je  me  trouve  sous  le  charme  de  ces 
«  compositions  qu'Alfred  de  Musset,  notre  vieil 
«  ami,  «ut  tant  aimées.  Continuez  à  chanter,  moi 
i  je  guérirai  peut-être  en  vous  entendant  sou- 
«  venl 


GUSTAVE    NADAUl)    ET    LA.    CHANSON     FRANÇAISE       137 

Celle  lettre  du  distingué  écrivain,  mort  comme 
Méry  en  1866,  constitue  une  des  plus  délicates  ana- 
lyses des  œuvres  de  Nadaud. 


Billet  du  baron  Corvisart. 

«  Venez  donc  voir  le  vieux  Russien  dont  les 
«  glaces  du  nord  n'ont  pas  encore  gelé  le  cœur. 
«  J'ai  été  l'ami  de  Désaugiers  et  de  Béranger  et  je 
«  dois  l'être  aussi  de  Nadaud  qui  est  de  la  même  fa- 
«  mille. 

<*  Tout  à  vous  de  confiance  et  de  cœur, 

«  Corvisart.  » 

(Cette  lettre  est  datée  du  8  mars  1859). 

Alexandre  Dumas  s'exprimait  ainsi  en  répon- 
dant au  chansonnier  après  que  celui-ci  lui  avait 
adressé  une  de  ses  œuvres  : 

«  Avec  quel  plaisir,  mon  cher  Nadaud,  je  vais 
«  lire  cette  idylle.  Vous  allez  me  faire  croire  que 
«je  suis  redevenu  jeune,  vous  qui  l'êtes  toujours 
«  resté.  » 

Puis  c'est  la  grande  tragédienne  Rachel,  priant 
Nadaud  de  venir  dire  ses  œuvres  chez  elle  : 

«  N'allez-vous  pas  me  trouver  tout  à  fait  indis- 
«  crète,  en  venant  vous  prier  de  bien  vouloir  venir 
«  chez  moi  ce  soir,  pour  faire  entendre  au  prince 
«  Jérôme   Napoléon  quelques-unes  de   vos   déli- 


13IJ     GUSTAVE    NADAUD   ET    LA   CÎÎANSOIN    FRANÇAISE 

«  cieuses  chansons.  Nous  ne  serons  que  huit  à  dix 
«  personnes  ;  et  je  ne  puis  vous  dire  quelle  serait 
«  ma  reconnaissance  si  vous  pouviez  me  faire  cet 
<x  extrême  plaisir. 

((  Rachel.  » 

Toutes  ces  lettres  témoignent  de  l'estime  affec- 
tueuse que  Ton  avait  pour  Gustave  Nadaud,  et 
quoique  ces  missives  ne  soient  pas  inédites,  nous 
avons  cru  devoir  les  reproduire,  car  elles  font  mieux 
connaître  le  chansonnier  dans  ses  relations. 

En  suivant  l'existence  du  poète,  nous  appre- 
nons qu'il  ressentit  dans  sa  carrière  deux  dou- 
leurs. 

La  première  fut  causée  par  le  diner  de  Lamar- 
tine, que  l'on  connaît  peut-être,  aussi  la  raconte- 
rons-nous brièvement,  Nadaud  ayant  lui-même 
expliqué  longuement  cet  incident  dans  la  Préfo 
de  ses  Nouvelles  Chansons  (édition  de  1891),  repro- 
duisant in-extenso  une  lettre  de  Lamartine,  dé- 
truisant cette  légende,  que  Ton  ressortait  cependant 
de  temps  à  autre  : 

Lamartine  ei  la  Princesse  Clotilde  invitèrent 
pour  le  même  soir  le  chansonnier;  Nadaud»  par 
galanterie,  accepta  l'invitation  de  la  princesse 
(fille  de  Victor-Emmanuel  qui  épousa  Pion-Pion  . 
Lamartine  en  lut  piqué,  et  pendant  son  dîner  au- 
rait improvisé  les  paroles  luivantea  (ou  plutôt  les 
vers  suivants]  sur  l'air  des  Deux  Gendarmée  : 


GUSTAVE    >  v  I  *  V  i  i  >    il     \\    CHAASCft    FRANÇAISE     13(1 

«  Un  jour  le  vaincu  de  Pharsale 
i  M'offrit  un  souper  d'un  écu; 
«  Le  vin  est  bleu,  la  nappe  est  sale  ; 
«  Je  n'irai  pas  chez  le  vaincu, 
«  Mais  que  la  cousine  d'Auguste 
«  M'invite  en  sa  noble  maison, 
«  J'accours,  j'arrive  à  l'heure  juste: 
«  Brigadier,  vous  avez  raison.  >■• 

Celte  parodie  lut  imprimée  dans  le  Parnasse  Sa- 
lyrique  sous  le  nom  de  Coquenard  (nom  d'une 
rue  que  celui  de  Lamartine  avait  remplacé),  et 
l'incident,  on  s'en  doute,  l'ut  répandu  un  peu  par- 
tout. 

Cette  parodie  n'était  pas  de  Lamartine  mais 
d'une  mauvaise  âme  (comme, malheureusement,  ou 
en  reçoit  chez  soi  quelques  fois),  car  le  poète  des 
Méditations  et  des  Harmonies  politiques  avait  une 
éducation  trop  élevée,  pour  se  servir  de  l'Epi- 
gramme. 

Le  désaveu  parut  dans  une  lettre  que  Lamar- 
tine lit  publier  par  le  journal  :  Le  Figaro. 

Nous  en  citons  quelques  passages  : 

«  Mon  cher  Nadaud, 

«  II  ne  Faut  jamais  badiner,  même  à  porte  close, 
o  avec  l'amitié  et  encore  moins  avec  l'honneur. 
«  On  risque,  pour  un  petit  plaisir,  de  se  blesser  soi- 
u  même,  ou,  ce  qui  est  bien  plus  grave,  de  blesser 


MO     GUSTAVE    HADAUD    ET    LA     CHANSON    FRANÇAISE 

«  un  caractère  parfaitement  pur  et  de  perdre  un 
«  ami  à  jamais  regrettable.  C'est  ce  que  j'ai  éprouvé 
«  il  y  a  quelques  jours,  en  apprenant  qu'un  de  ces 
«  journaux  qui  écoutent  aux  portes  et  qui  prennent 
«  au  sérieux  ce  qui  est  plaisanterie,  parce  qu'ils  ne 
«voient  pas  les  visages  et  n'entendent  pas  l'accent, 
«  venait  de  me  prêter  à  votre  égard  quelques  vers 
«  improvisés  avant  diner,et  même  quelques  expres- 
«  sions  qui  ne  sont  pas  de  moi. 

«  C'est  ainsi  qu'un  musicien  de  l'antiquité  faisait 
«  pleurer  et  rire  avec  la  même  note,  en  changeant 
«  le  mode  ou  le  ton.  Les  vers  cités,  du  reste,  «  du 
«  premier  au  dernier  ne  sont  pas  les  miens  ». 

«  Je  ne  vais  pas  chez  le  vaincu  de  Pharsale,  ou- 
«  trage  à  votre  caractère,  n'aurait  aucun  sens  à 
«  l'égard  d'un  homme  de  cœur  qui  venait  familiè- 
«  rement  chez  moi,  et  à  qui  j'avais  eu  le  plaisir 
c  d'offrir  sans  iaçon  le  vin  du  cru  à  la  campagne  ; 
a  la  délaite  aurait  élé  plutôt  une  séduction  et  la 
«  disgrâce  un  attrait  pour  vous  comme  pour  tous 

les  nobles  cœurs...  etc.  » 

Kt  plus  loin  Lamartine  explique  le  fait  : 

«  Mes  invités  turent  exacts  au  rendez-vous.  .Pétais 
«  lier  de  vous  avoir  et  je  me  vantais  démon  ascen- 
«  danfl  sur  un  talenl  qui  ne  se  vend  pas, mais  qui  se 
i  donne,  quand  un  billet  de  vous  survint  et  rabattit 
i  tout  mou  orgueil  en  tn'apprenanl  qu'une  princesse 
i  belle  aimable  et  impériale  venait  de  vous  inviter 

«  pour  le  même  joui-  et  que  VOUS  vous  étiez  vu  dans 


GUSTAVE    NADAl D     ET    LA     CHANSON     FRANÇAISE     \  \\ 

«  l'impossibilité  de  refuser  par  je  ne  sais  quelle  loi 
«  d'étiquette  que  mon  amitié  ne  soupçonnait  pas. 
«  Vous  connaissez  l'humeur,  bien  ou  mal  fondée, 
«  d'un  hôte  malencontreux  forcé  de  dire  à  ses  con- 
«  vives  : 

Nous  n'avons,  mes  amis,  ni  Nadaud,  ni  Molière  ! 

«  J'eus,  au  premier  moment,  un  court  accès  de 
a  cette  méchante  humeur  et  je  m'amusai,  pendant 
«  qu'on  enlevait  votre  couvert  de  la  table,  à  paro- 
«  dier,  en  riant  du  bout  des  lèvres,  la  charmante 
«  ironie  de  votre  immortel  Pandore  : 

Brigadier,  vous  avez  raison. 

«  Mais  je  me  gardai  bien  d'écrire  une  seule 
«  ligne  de  cette  parodie  et  même  de  répéter  le  cou- 
«  plet  à  mes  amis,  de  peur  qu'il  ne  s'échappât  de 
«  leur  mémoire  sur  les  échos  de  l'indiscrétion  pour 
«  aller  vous  atteindre  au  cœur,  vous  que  j'aimais... 
«  j'ai  eu  tort,  puisque  j'ai  eu  le  malheur  d'être  l'oc- 
«  casion  pour  vous  de  la  moindre  peine,  je  m'en 
«  frappe  la  poitrine  comme  d'une  mauvaise  ac- 
«  tion...  » 

Et  il  termine  par  des  excuses,  pour  ce  qu'il  ap- 
pelle «  la  seule  mauvaise  plaisanterie  que  je  me 
sois  permise  de  ma  vie  ». 

Cette   jolie  réparation   de   Lamartiue    l'honore 


142     GUSTAVE    WDAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

grandement,  en  même  temps  qu'elle  témoigne  de 
l'estime  profonde  qu'il  éprouvait  pour  G.  Na- 
daud. 

Mais  allez  donc  détruire  une  légende  !  et  la  fa- 
meux couplet  revenait  périodiquement  dans  ses 
feuilles  littéraires. 

En  1895,  après  la  mort  du  chansonnier,  son  exé- 
cuteur testamentaire  fut  obligé  de  publier  à  nou- 
veau cette  protestation  de  Lamartine  ! 

Cet  incident  affligeait  d'autant  plus  Nadaud  qu'il 
le  faisait  passer  pour  un  Courtisan  de  l'Empire, 
cette  fausse  légende  le  faisait  Bonapartiste  !  aussi 
écrivit- il  ces  quatrains  dans  la  préface  de  son 
livre  : 

«  Ces  vers  immérités  où  j'insulte  au  vaincu 
M'ont  pu  faire  pnsser  pour  un  Bonapartiste. 
Je  ne  le  tus  jamais  ;  et  comme  j'ai  vécu 
Je  mourrai  dans  la  peau  d'un  vieil  Orl 

«  J'ai  des  préférences, des  sympathies,  du  dévoue- 
«ment.  Mais  : 

A  nul  engagement  Liber  n'a  consenti, 
Il  es!  de  son  pays  niais  non  de  son  parti. 

Et  (li  ce  jour  Nadaud  cessa  ses  visites  à  la  Prin- 
cesse Mathilde,  préférant  passer  pour  un  ingrat, 
que  laisser  croire  qu'il  lût  un  courtisan    politique. 


GUSTAVE    VADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     143 

Nadaud  était  royaliste,  comme  Désaugiers,  mais 
d'un  caractère  différent  ! 

Cette  pensée  le  poursuivit  jusqu'à  son  lit  de 
mort(l),  elle  offensait  sa  vie  ;  aussi  écrivit-il  à 
Ernest  Chrebroux  les  lignes  suivantes,  quelques 
jours  avant  de  mourir  : 

«  Ami  Chebroux,  voici  la  vérité  sur  l'incident 
«  dont  j'ai  eu  à  souffrir  toute  ma  vie  : 

«  Les  vers  ne  sont  pas  de  Lamartine  ;  j'en  con- 
«  nais  l'auteur  que  je  ne  veux  pas  nommer,  je  lui 
«  pardonne. 

«  Ce  nest  pas  chez  la  Princesse  Mathilde  que  j'ai 
«  été  dîner  ce  soir  là,  mais  chez  la  Princesse  Clo- 
«  tilde,  laquelle  revenait  à  Paris,  avait  elle-même 
«  dressé  la  liste  des  artistes  qui  devaient  figurer  à 
«  cette  soirée.  » 

Ernest  Chebroux  publia  cette  lettre  au  journal  Le 
Figaro  le  27  juillet  1895,  faisant  une  bonne  fois  jus- 
tice de  celte  fausse  légende  qui  était  contre  les 
opinions  de  Nadaud  d'abord,  et  ensuite  contre  la 
dignité  de  l'homme,  et  c'est  ainsi  qu'il  a  pu  dire 
franchement  : 

Que  jamais  il  n  avait  été  ni  reçu  à   Compiègne  ni 

(1)  Dans  Contes  et  Récits  d'un  vieux  Roubaisien,  par 
G.  Nadaud,  il  retrace  encore  toutes  les  phases  de  cette 
affaire,  l'on  sent  qu'il  veut  faire  entièrement  la  lumière 
sur  l'incident.  «  Cet  ouvrage,  publié  à  Roubaix  en  1892, 
est  le  dernier  du  poète.  » 


144  GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

diix  Tuileries  ni  ailleurs  :  «  Je  n'ai  jamais  été  l'hôte 
ni  même  le  convive  de  l'Empereur  »,  et  il  faut  le 
croire. 

L'autre  douleur  lui  vint  de  son  propre  Editeur. 

Sans  songer  au  chagrin  qu'il  lui  devait  causer, 
celui-ci  se  laissa  aller  à  lui  dire,  un  jour  que  Na- 
daud  lui  faisait  visite:  «Mon  cher  Nadaud,  la 
mode  est  aux  refrains  de  Montmartre  ;  pour  les  re- 
frains de  la  butte  on  délaisse  les  vôtres,  qui  sonl 
moins  de  vente,  on  vous  trouve...  vieux!  » 

C'est  par  un  tel  outrage  que  l'Editeur  payait 
quarante  années  de  succès,  que  le  poète  avait  ap- 
portées dans  sa  maison  ! 

Quelle  différence  avec  l'Editeur  de  Béranger,  le 
brave  et  digne  Perrotin,  qui  augmenta  la  rente  qu'il 
faisait  au  chansonnier,  et  veillait  aux  besoins  du 
vieillard,  dont  la  main  était,  comme  celle  de  Na- 
daud, toujours  ouverte  à  l'infortune,  et  dont  l'in- 
souciance pécuniaire,  les  générosités,  les  secours 
aux  uns  et  aux  autres,  causaient  parfois  la  gêne, 
dans  le  foyer  du  vieux  chansonnier  républicain. 

«  On  vous  trouve  vieux.  » 

Vraiment,  l'on  peut  difficilement  supposer  que 
la  vie  mercantile  puisse  donner  un  telle  rudesse  de 
langage,  après  40  années  de  collaboration  ! 

L'affaire  s'arrangea,  dit-on,  mais  Nadaud  était 
touché  au  cœur,  il  fallait  qu'il  le  fût  profondément 
pour  décocher  les  traits  suivants  à  celui  qui  était 
la  cause  de  sa  peine. 


GUSTAVE    N\F>WI>    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     145 


t  JE  SUIS  GATEUX  » 

Cette  lois,  c'est  fini  de  rire, 
Tous  mes  parents  me  semblent  dire 
En  me  voyant  si  souffreteux  : 
Il  est  gâteux  ! 

Je  suis  pincé  par  le  flanc  gauche, 
La  cuisse  droite,  la  jambe  gauche, 
Le  pied  fauché  se  fait  boiteux, 
Je  suis  gâteux  ! 

Les  troubadours  de  la  canaille 
Disent  :  c'est  parfait  qu'il  tenaille, 
Ce  ramolli,  ce  vaniteux 
C'est  un  gâteux. 

Un  ménestrel  qui  me  dédaigne 
Ne  veut  plus  voir  sur  son  enseigne 
Mon  nom  qui  le  rendait  honteux, 
Je  suis  gâteux  ! 

Etre  remercié  d'office 
Après  quarante  ans  de  service, 
N'est-il  pas  vrai  que  c'est  piteux  ? 
Je  suis  gâteux 

Ceux  à  qui  je  dois  mes  souffrances 
Sont  les  Editeurs  de  romances... 
Je  ne  suis  pas  plus  bête  qu'eux... 
Je  suis  gâteux  1 

10 


140     GUSTAVE    NADAUD    ET    Là    CHANSON    FRANÇAISE 

«  Qui  donc  a  dit  qu'il  était  vieux  ?  »  Nous  trou- 
vons, au  contraire,  qu'il  a  de  l'esprit  à  revendre... 
à  ceux  qui  en  manquaient! 

Révolté  contre  l'outrage  fait  à  son  talent,  il  bon- 
dit jusqu'à  sa  lyre,  et  écrivit  le  merveilleux  poème  : 
«  Qui  donc  »,  qu'on  lira  certainement  avec  plai- 
sir : 


QUI  DONC? 

Qui  donc  a  dit  que  j'étais  vieux? 
Celui-là  ne  me  connaît  guère, 
C'est  sans  doute  un  être  vulgaire, 
Quelque  jaloux,  quelque  envieux 
Qui  s'est  caché  durant  la  guerre. 
Qui  donc  a  dit  que  je  suis  vieux  ? 

Qui  donc  a  dit  que  j'étais  vieux? 
Est-ce  la  rime,  est-ce  la  muse? 
L'une  m'étreint,  l'autre  m'amuse. 
Comme  une  poule  pond  des  œufs. 
Je  ponds  des  vers,  et  j'en  abuse: 
Qui  donc  a  dit  que  je  suis  vieux? 

Qui  donc  a  dit  que  j'étais  vieux? 
Quelque  pédant,  quelque  maroufle 
Sans  glttéj  ni  verve,  ni  souffle, 
Dont  le  pied  lourd  et  tortueux 
Ne  cliaiisseï  ait  pas  nia  pantoufle  : 
Qui  (Jonc  a  <lit  que  je  buis  vieux? 


UU8TAVE    WDAll)    ET    LA    CHAHSOH    FRANÇAISE     \M 

Qui  donc  a  dit  que  j'étais  vieux  ? 
<ie  n'est  certes  pas  une  femme  ; 
Demandez  plutôt  à  madame... 
Mais  vous  êtes  trop  curieux? 
Nous  attendrons  qu'elle  réclame  : 
Qui  donc  a  dit  que  je  suis  vieux? 

Qui  donc  a  dit  que  j'étais  vieux  ? 
Est-ce  mon  acte  de  naissance? 
On  l'aura  fait  en  mon  absence 
Pour  dépister  les  curieux. 
La  vieillesse,  c'est  l'impuissance  : 
Qui  donc  a  dit  que  je  suis  vieux  ? 

Qui  donc  a  dit  que  je  suis  vieux  ? 
Personne,  personne,  personne  I 
La  machine  est  encore  bonne. 
Quand  vient  le  moment  sérieux 
Le  cerveau  pense  et  le  cœur  sonne  : 
Qui  donc  a  dit  que  je  suis  vieux  î 

Quelle  verve  1  et  ce  poème  est  écrit  au  déclin  de 
la  vie  de  Nadaud. 

Ernest  Chebroux dissuada  le  poète  de  continuer 
cette  polémique,  si  peu  dans  son  caractère,  mais 
G.  Nadaud  laissa  tout  un  dossier  de  chansons 
caustiques,  en  réponse  à  l'injure  qui  lui  avait  été 
faite,  et  ces  œuvres,  qui  resteront  inédites  proba- 
blement, démontrent  toute  la  vigueur,  toute  la  luci- 
dité d'esprit  du  chansonnier,  où  vibrent  tonte  l'in- 
dignation d'un  cœur  sensible  ! 


148      GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Parmi  les  distinctions  honorifiques  qui  vinrent 
consacrer  le  mérite  des  œuvres  de  G.  Nadaud, 
nous  mentionnons  le  Prix  Vittel,  de  l'Académie 
Française.  Il  fut  même  question,  à  un  moment,  de 
la  candidature  du  chansonnier  à  un  fauteuil  de 
cette  éminente  compagnie. 

Peut-être  le  poète  en  avait-il  le  désir,  car  nous 
trouvons  ce  quatrain,  dans  les  Miettes  Poétiques, 
rimé  après  l'article  de  M.^Montorgueil  : 

«  Je  suis  satisfait  de  mon  sort 
Et  j'attends  doucement  la  mort, 
Pourtant,  j'aurai  bien  quelque  envie 
D'être... 

L'idée  toutefois  s'en  répandit  parmi  les  amis 
du  chansonnier-poète  et  un  écrivain  de  talent, 
M.Georges  Montorgneil  (chansonnier  à  ses  heures) 
envisagea  celte  candidature  ;  dans  une  fantaisie 
humoristique  et  littéraire,  il  suppose  Nadaud 
membre  de  l'Académie  Française,  en  remplace- 
ment de  M.  CuVillier-Fleury,  et  improvise  un  spi- 
rituel discours  dans  la  bouche  du  Directeur, chargé 
de  souhaiter  la  bienvenue  du  récipiendaire. 

Celle  originale  fantaisie  fut  insérée  dans  le 
journal  Paris  (*)  novembre  1887),  sous  le  titre  de  : 

Nadaud  à  l'Académie  »,  nous  citerons  de  ces  trois 
colonnes,  les  dernières  lignes  : 

Le  peuple  répète  en  ce  moment  des  refrains  si 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE      110 

«  obscènes,  si  ridicules,  si  prétentieux,  si  niais, 
«  que  l'Académie  a  pensé  qu'au  nom  des  Lettres 
«  et  de  l'honneur  national,  il  était  temps  qu'elle 
«  intervînt. 

«  En  vous  choisissant,  malgré  vous,  qui  chan- 
«  tiez  comme  votre  illustre  devancier  : 

«  Non,  mes  amis,  non  je  ne  veux  rien  être, 
a  l'Académie  a  tenu  à  apprendre  aux  Français  des 
«  salons,  des  ateliers,  des  théâtres  et  des  usines, 
«  que  ces  couplets  canailles  en  vogue  ne  sont  à  la 
«  chanson  que  ce  que  la  fuschine  est  au  vin.  En 
c  vous  nommant,  Monsieur,  l'Académie  a  voulu 
«  prouver  très  haut, solennellement,  que  la  chanson 
«  française  n'est  pas  la  drôlesse  qui  «ourt  les  rues 
«  à  la  recherche  de  bottes  à  lécher,  ordurière  à 
«  Taire  rougir  quand  elle  n'est  pas  bête  à  faire 
<(  pleurer,  que  la  chanson  française  est  une  muse 
«  plus  décente  et  plus  noble. 

«  L'Académie  ne  vous  a  désigné  que  pour  pou- 
«  voir  dire  :  la  Chanson  française,  la  voilai  » 

Pour  copie  qui  souhaiterait  d'être  fidèle: 
Georges  Montorgueil. 

Paris,  novembre  1887. 

Non  seulement  M.  Montorgueil  écrivit  en  homme 
d'esprit,  mais  il  écrivit  aussi  un  magnifique  plai- 


150     GUSTAVE    NADA.UI)    ET    LA    UlA.NSON    FRANÇAIS!. 

doyer  pour  la  bonne  et  saine  chanson  contre 
1  ineptie  du  jour. 

Si  Nadaud  ne  fut  pas  de  l'Académie  Française, 
i!  lut  reçu,  magnifiquement,  par  celle  des  Jeux 
Floraux  de  Toulouse,  en  la  solennelle  séance  de 
cette  Compagnie  Poétique,  le  3  mai  1883. 

Nous  reproduisons  le  discours  en  vers,  adressé 
au  récipiendaire,  par  M.  le  Comte  Fernand  de 
Rességuier,  secrétaire  perpétuel,  et  aussi  le  Poème 
lu  par  G.  Nadaud,  Maître  es-jeux  ;  ces  deux  pièces 
forment  un  ensemble  d'esprit,  d'érudition  et  de 
grâce  littéraire  et  poétique,  que  nous  avons  cru 
devoir  faire  connaître  au  lecteur. 


VERS 

ADRESSÉS 

A  M.  GUSTAVE  NADAUD 

PAR 

M.  le  Comte  Fehnand  dr  RESSÉGUIER 

S  KG  R  K T A I R K    P R  R  P KTU  RL 


VERS 

ADRESSÉS 

A  M.  GUSTAVE  NADAUD 

PAR 

M.  le  Comte  Fernand  de  RESSÉGUIER 

SECRÉTAIRE   PERPÉTUEL 


Après  la  chanson  de  nos  preux, 
Chanson  d'amour,  chanson  de  gestes, 
Dont  les  hauts  faits  sont  valeureux, 
Mais  les  tercets  fort  indigestes  ; 

Après  les  flons-flons  du  Caveau, 
Et  les  petits  refrains  bachiques, 
Et  les  couplets  et  le  rondeau, 
Et  la  cantate  politique  ; 

Après  les  ponts-neufs  qu'aux  marmots 
Répètent  sans  fin  les  grand'mères, 
La  complainte  alignant  les  mots 
Et  martyrisant  la  grammaire; 


154      GUSTAVE    NÀDÀUD    ET    LA.    CIIWSOX     FRANÇAIS! 

Après  le  quatrain  libertin 

Qui  peuple  notre  répertoire, 

Et  le  vaudeville  malin 

Dont  tout  bon  Français  se  fait  gloire, 


Parut,  ô  Xadaud  !  ta  chanson, 
Qui,  gracieuse,  honnête  et  franche, 
Jette  un  accord  dans  la  maison 
Comme  l'oiselet  sur  la  branche. 

Idylle  simple  ou  chant  d'amour, 
Voix  de  l'aïeule  ou  de  l'enfance, 
Echos  des  bois,  bruits  du  silence, 
Elle  nous  berce  tour  à  tour  ; 

Tantôt  s'élevant  dans  la  nue, 
Ta  rime  voyage  en  ballon  ; 
Tantôt,  cantilène  ingénue, 
Elle  redescend  au  vallon. 


Souriante  ou  mélancolique, 
Elle  fouille  le  cœur  humain, 
Caressant  la  note  comique 
Et  la  bêtise  du  prochain. 

Grâce  A  ta  verre  enchanteresse, 
Incomparable  maître  ès-jeux. 

Tout  est  permis  ;«  ton  adresse: 
Bile  dit  tout  ce  que  tu  veux. 


GUSTAVE    NVDSUI)    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     1  .V> 

Naïvetés  du  pauvre  monde, 

Petites  misères,  travers 

Ht  ridicules  à  la  ronde, 

Tu  les  gourmandes  dans  ton  vers. 

Nadaud  !  Idéal  que  personne 
Xe  peut  atteindre,  c'est  certain, 
Tu  ressembles  à  Carcassonne, 
Qui  m'apparaît  dans  le  lointain  ; 

Car  d'un  rien  tu  fais  quelque  chose 
Que  nous  aimons  à  répéter, 
Qui  nous  enivre  et  nous  repose, 
Qui,  tristes,  nous  ferait  chanter. 

Voilà  pourquoi,  gentil  poète, 
Clémence  Isaure  en  sa  maison 
Réclame  aujourd'hui  ta  musette 
Et  te  demande  ta  chanson. 

Toulouse  à  ce  prix  te  pardonne 
D'avoir  parlé  d'un  ton  léger 
Des  Gascons  et  de  la  Garonne. 
Hlle  aurait  bien  pu  se  venger  ! 
Mais  Toulouse  n'a  pas  voulu, 

Lanturlu  ! 
Elle  s'y  connaît,  la  Gasconne  : 
En  faisant  de  toi  son  élu, 
Elle  reçoit  ;  c'est  toi  qui  donne. 


ÉLOGE    DE  CLEMENCE   ISAURE 


PAR 


M.  Gustave  NADAUD,  maître  es  jeux 


ÉLOGE  DE  CLÉMENCE  ISAURE 

PAR 

M.  Gustave  NADAUD,  maître  es  jeux 


J'ai  fait  un  rêve,  un  rêve  étrange  : 
Une  tée,  un  lutin,  un  ange, 
Une  femme  dans  tous  les  cas, 
Près  de  mon  chevet  est  venue, 
Et  je  l'ai  soudain  reconnue 
Quoique  ne  la  connaissant  pas. 

Son  port  était  d'une  déesse  ; 
Son  élégance  et  sa  noblesse 
Eclataient  dans  ces  beaux  habits 
Qu'on  dessinait  au  Moyen  Age 
Pour  les  dames  de  haut  lignage 
Et  les  saintes  du  Paradis. 

Par  un  nimbe  d'or  maintenue, 

Sa  tête  planait  dans  la  nue 

Et  l'azur  était  sous  ses  pas  : 

«  Je  suis  bien  vieille,  me  dit-elle  ; 

—  Mais  non  :  vous  êtes  immortelle, 

Et  l'immortel  ne  vieillit  pas.  » 


160     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Son  visage  sévère  eut  un  léger  sourire, 

Elle  médit...,  du  moins  je  crus  l'entendre  dire: 

«  Tu  ne  me  déplais  point.  »  —  On  sait  que  tout  auteur 

Fait  parler  à  son  gré  son  interlocuteur. 

Puis,  familièrement,  elle  ajouta  :  «  Bonhomme  ! 

(C'est  ainsi,  paraît-il,  que  là-haut  on  me  nomme) 

On  veut  en  ta  personne  honorer  la  chanson. 

Les  aigles  veulent  bien  recevoir  le  pinson. 

Pour  prendre  le  niveau  de  la  docte  assemblée, 

Pourras-tu  soutenir  assez  haut  ta  volée  ? 

Quand  il  faudra  chanter  la  gloire  et  la  vertu 

Et  la  terre  et  le  ciel,  dis-moi,  le  pourras-tu  ? 

Tu  ne  semblés  pas  lait  pour  les  hauteurs  sublimes 

Qui  donnent  le  vertige  et  cachent  des  abîmes. 

Non,  le  souffle  te  manque,  et  ta  petite  voix 

Est  bonne  pour  l'écho  des  jardins  et  des  bois  ; 

Souvent  ton  air  chevrotte  et  ta  chanson  chevauche  ; 

Tu  veux  aller  à  droite  et  tu  tournes  à  gauche, 

Côté  du  cœur,  danger.  »  (Tous  les  jours  on  apprend 

Que  le  propre  d'un  songe  est  d'être  incohérent.) 

u  Tu  ne  finiras  pas  sans  l'aire  mon  éloge  : 

C'est  un  devoir  auquel  nul  ici  ne  déroge. 

Parmi  tant  de  sujets  lequel  vas-tu  choisir? 

—  Mon  sujet  favori  :  La  paix  et  le  loisir. 

.lai  rêvé  (c'est  encore  un  rêve  dans  le  rêve) 

La  tempête  domptée  expirant  sur  la  grève, 

L'Océan  conjuré,  le  nid  des  alcyons, 

Le  calme  dans  le  trouble...  »  —  Elle  me  dit  :  t  Voyoni.  >» 

Ainsi  qu'une  onde1  tourmentée, 
Dire  existence      t  (     portée 


GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE  \  i)  l 

Par  un  invincible  courant. 
Trouverons  nous  une  retraite 
Où  notre  navire  s'arrête 
Dans  le  remous  de  ce  torrent  ? 

Nous  voulions  garder  une  trace 
De  toute  chose  ayant  sa  place 
Dans  le  cœur  ou  dans  la  raison; 
Mais  les  souvenirs  du  voyage, 
Gomme  les  arbres  du  rivage, 
Sont  déjà  loin  à  l'horizon. 

Dans  l'espace  étroit  de  son  orbe, 
Le  moment  présent  nous  absorbe  ; 
Nos  jours  s'écoulent  confondus, 
Semblables  aux  flots  qui  se  brisent, 
S'amoncellent  et  se  détruisent 
Pour  se  redresser  éperdus  ! 

Si,  du  moins,  dans  notre  impuissance, 
Dieu  nous  accordait  la  licence 
D'imiter  l'alcyon  des  mers. 
Qui,  sans  effroi  de  la  tourmente, 
Etablit  sa  maison  flottante 
Sur  la  cime  des  flots  amers! 

Alors,  on  dit  que  la  tempête, 
Qui  des  grands  mâts  couche  In  tête, 
Ne  peut  submerger  le  roseau 
Où  dort  la  paisible  couvée. 
Sur  le  sein  des  eaux  soulevée, 
Comme  Moïse  en  son  berceau. 

Il 


4 (j*2     GUSTAVE  NADAID  ET  LA  CHANSON  FRANÇAIS* 

Pourquoi  ne  peut  on  pas  de  mênïe 
Trouver,  au  pays  Où  l'on  aime, 
Cet  esquif  léger  et  mouvant 
Qui  vogue  sans  voile  ni  rame. 
Qui  se  plie  au  choc  de  la  lame 
El  se  courbe  au  souffle  du  Vent? 

Ainsi,  sur  l'Océan  du  monde, 
Nous  livrerions  au  gré  de  l'onde 
Le  nid  de  mousse  et  de  velours, 
Où  seraient  mollement  bercées 
Nos  plus  attachantes  pensées, 
Nos  amitiés  et  nos  amours! 

—  «  C'est  assez  bien,  dit-elle,  et  ta  muse  pédestre 
A  quelque  peu  quitté  son  horizon  terrestre. 
Je  te  fais,  cependant,  observer  que  l'amour 
Reparaît  dans  tes  chants  plus  souvent  qu'à  son  tour, 
Et  lu  conviendras  bien  que  chanter  ce  qu'on  aime, 
Cela  ressemble  lort  à  se  chanter  soi-même. 


Dans  ton  petit  bagage  on  ton  petit  cerveau 
Cherche  un  autre  sujet,  soit  ancien,  soit  nouveau. 
N'as-tu  pas  célébré  de  ta  plume  légère 
"  Le  livre?» — Oh!  oui  ,1e  livre  et  Fauteur  qu'on  préfère. 

—  Le  sais-tu  !  —  Je  le  sais.  —  Je  m'en  souviens  nussi. 
Dieu  I  (ju  on  :i  de  mémoire  en  sontfe  !     -  Le  voici: 


Le  livre  de  choix  ou  d'étude 
Qu'on  repasse  par  habitude 

Kl  les  yeux  rennes  à  demi. 


«.ISIWI      \VDUD     KT     LA     (.IIANmiN     ll;A\<    \IM.       1  l>3' 

Celui  qui  semble  de  lui-même 
Se  rouvrir  aux  pages  qu'on  aime, 
Ce  livre-la,  c'est  un  ami  1 

Un  ami  qui  vous  t'ait  visite, 
Et  qui,  venant  sans  qu'on  l'invite, 
Jamais  ne  se  rend  importun  : 
On  le  déguste  feuille  à  feuille, 
Ainsi  qu'un  fruit  mûr  on  le  cueille  ; 
On  le  hume  comme  un  parfum. 

Il  n'exige  pas  qu'on  l'admire  ; 
Il  vous  instruit  sans  vous  le  dire, 
Professeur  indulgent  et  doux, 
On  sent  l'écrivain  dans  le  livre  ; 
Il  semble  tout  exprés  revivre 
Pour  venir  causer  avec  vous. 

Il  charme  bien  plus  qu'il  n'étonne  ; 
Son  orgueil  n'offense  personne  ; 
Il  vous  maintient  à  sa  hauteur, 
On  finit  le  vers  qu'il  commence  ; 
S  il  ne  l'avait  écrit  d'avance, 
On  croirait  en  être  l'auteur. 

D'autres  veulent  un  grand  théâtre. 

Il  leur  faut  la  foule  idolâtre 

El  les  chaudes  ovations  : 

Ils  cherchent  les  routes  nouvelles 

Kt  vous  emportent  sur  leurs  ailes 

Vers  les  hautaines  régions. 


IGi      GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON     FRANÇAISE 

On  veut  les  suivre  dans  l'espace... 
Le  souille  manque  ;  l'œil  se  lasse  ; 
On  retombe  tout  haletant. 
On  rentre  au  logis  habitable, 
Et  l'on  retrouve  sur  sa  table 
Le  livre  ami  qui  vous  attend. 

Nous  ne  vivons  pas  sur  des  cimes; 
Craignons  les  poètes  sublimes 
Gontlés  de  leurs  propres  efforts. 
Ceux  qui  conviennent  à  nos  Ages, 
Ce  sont  les  simples  et  les  sages, 
Et  non  les  puissants  et  les  forts. 

Pour  moi,  si  l'on  veut  le  connaître, 
Celui  que  j'ai  choisi  pour  maître. 
C'est  l'homme  élégant  et  poli 
Qui  fuyait  les  cités  malsaines, 
Kt  qui  m'invite  avec  Mécènes 
Dans  sa  villa  de  Tivoli. 

Je  conviendrai,  pour  être  juste, 
Qu'il  flattait  un  peu  trop  Auguste, 
Et  que  trop  large  était  son  cœur. 
Mais  il  est  maîlre  en  l'art  de  vivre, 
Kt  sa  bonne  humeur  vous  enivre 
Ainsi  qu'une  vieille  liqueur. 

—  «  Hcste  donc  à  l'abri  du  profane  vulgaire, 
En  dehors,  si  tu  veux.  —  Mais  on  ne  le  veut  guère. 
Au-deMUS,  m  tu  peux.  —  Mais  on  ne  le  peut  pas 

.lr  icspire  mon  air  el  marche  dans  mes  pas. 


GUSTAVE  XADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE   465 

—  Il  faudrait  cependant  exalter  sa  patrie, 
L'aimer  victorieuse  et  l'adorer  meurtrie  ; 
11  faudrait  célébrer  les  lettres  et  les  arts 
Dominant  les  partis,  la  foule  et  les  Césars; 
Il  faudrait,  remontant  à  la  source  première, 
Retrouver,  retremper  sa  foi  dans  la  lumière, 
El  puis,  redescendant,  penser  aux  malheureux, 
Incliner  son  regard  pour  qu'il  tombe  sur  eux. 
Puis,  enfin,  je  suis  femme,  et  ta  harangue  écrite 
Ne  peut  me  marchander  l'encens  que  je  mérite.  » 

Alors  à  ses  genoux  je  me  précipitai, 

Et  par  un  mouvement  pindarique  emporté  : 

«  Femme,  sainte,  je  vous  honore  ; 

«  Oui,  vous  êtes  Clémence  Isaure, 

«  A  Clémence  Isaure,  salut  ! 

«  J'entonne  mon  chant  de  victoire, 

«  Et  je  dédie  à  votre  gloire 

«  Toutes  les  cordes  de  mon  luth. 

«  Mais  mon  luth  est  la  mandoline, 

«  Qui  n'a  pas  la  note  divine 

«  Et  ne  sied  qu'aux  tendres  discours. 

«  N'importe  !  l'instrument  modeste 

«  Sera  reçu,  puisqu'il  en  reste, 

«  Chez  les  neveux  des  troubadours. 

m  Dans  cette  enceinte  vénérée 

«  A  votre  culte  consacrée, 

«  On  accueille,  vous  l'avez  dit, 


IW      .1-1  v\i"    winuu   i;i    h\    chanson    l'itAv  \im 

«  La  chanson...  ou  la  chansonnette 
«  De  ma  muse...  ou  de  ma  musette  !  » 
L'immortelle  me  répondit  : 


«  A  chacun  son  style  et  sa  sphère. 
«  Ne  tais  que  ce  que  tu  sais  faire.  » 
Ce  disant,  elle  s'envola. 

Telle  fut  ma  chanson  r£vée  ; 
Ce  matin,  je  l'ai  retrouvée  ; 
Je  vous  l'apporte,  et  la  voilà  ! 

Apres  cette  réception  gracieuse,  à  la  cour 
d'amour  de  Clémence  Isaure,  nous  allons  connaître 
le  Chansonnier  Patriote. 

En  1870,  Xadaucl,  quoique  âgé  de  cinquante  ans, 
voulut  donner  à  sa  patrie  son  dévouement.  Il 
s'engagea  comme  infirmier,  dans  l'armée  des 
Vosges,  et  plus  tard  fut  versé  dans  l'armée  de  la 
Loire,  où  il  rendit  de  véritables  services. 

A  ceux  qui  le  félicitaient  de  j>orter  volontaire- 
ment l'uniforme  des  secouristes,  il  avait  une  réponse 
(l'une  simplicité    touchante:  «  Que   voulez-vous 
disait-il  —  on  fait,  comme  on  peut,  sa  petite  sœur 

<lc  charité  î  » 

Brave  homme:  Si  l'âge  ne  lui  permettait  plus 
de  porter  utilement  le  chassepot,  il  donnait,  à  son 

paya  malheureux,  son  intelligence  et  son  cœur,  ^n 
soignant  sur    le  champ  de   bataille  et  dans  les 


<,LST\Vi:    \\D\I.!>     Il      L\     giVN^iN     i  |;\M    \IH        I  *>7 

hôpitaux    uiiLUaircs,    les    victimes    d'une   guerre 
homicide  et  folle! 

C'est  pendant  l'année  terrible  qu'il  écrivit  plu- 
sieurs chants  d'un  patriotisme  ardent  et  éclairé  ; 
parmi  ces  poésies  nous  citons:  La  Grande  Blessée, 
La  Jeune  fille  en  deuil,  Pour  ma  Pairie,  N'oublions 
pas 

Dans  ses  commentaires  inédits,  qu'il  écrivit 
pendant  la  guerre,  il  nous  fait  savoir,  où  il  écrivit 
sa  chanson  :  La  Grande  Blessée,  et  s'exprime  ainsi  : 

«  C'était  pendant  la  guerre,  la  triste  guerre,  j'étais 
«  à  Hesançon,  logé  chez  Monseigneur  Mathieu,  le 
«  vieil  archevêque,  qui  venait  voir  dans  ma 
«  chamhre  si  rien  ne  me  manquait. 

<»  En  janvier  1871  il  faisait  un  froid  terrible,  et 
«  le  matin  j'entendais  la  porte  de  ma  chamhre 
«  s'ouvrir  et  le  vendable  prélat  venait  mettre 
«  l'allumette  au  bois  de  la  cheminée. 

«  Dans  ma  carrière  d'infirmier  je  n'ai  pas  tou- 
«  jours  été  si  agréablement  servi  ni  logé. 

«  Je  me  rappelle  que  j'écrivais  La  Grande  Blessée 
((  sur  du  papier  de  l'archevêché  que  j'ai  toujours 
«  conservé.  De  retour  à  Lyon,  je  la  publiais.  Quel- 
«  ques  mois  plus  tard,  M.  Thiers,  parlant  de  la 
«  France,  employait  la  même  expression  en  l'appe- 
«  lant  La  Grande  Blessée  »>. 

Le  soldat  du  Christ  servant  le  soldat  de  la  Ré- 
publique est  un  joli  tableau  ! 

De  ces  Chansons  patriotiques,  de  G.  Xadaiid,où 


1  (io  GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

il  dépeint  nos  mutilations,  nous  citerons,  de  pré- 
férence, La  Jeune  fille  en  deuil. 

Ce  récit  est  touchant,  au  delà  de  toute  expres- 
sion, et  il  est  bon  de  redire,  et  relire  ces  vers,  écrits 
dans  les  angoisses  d'une  guerre  sacrilège,  où  la 
folie  d'un  «  César  »  n'eut  d'égale  que  la  lâcheté 
kVui\  Bazaine,  et  le  mensonge  d'un  Bismark  ! 


LA  JEUNE  FILLE  EN  DEUIL 


Pourquoi  toujours  en  noir, 
La  jeune  fille? 
Elle  est  sans  guide  et  sans  famille  ; 
Voilà  tout  ce  qu'on  peut  savoir. 

Toujours  en  noir  ! 
Si  vous  lui  demandez  la  cause 
De  son  incurable  souci, 
Sur  ses  yeux  un  voile  se  pose  ; 

Elle  répond  ainsi  : 
«  Mon  père  est  mort  ;  ma  mère  est  morte. 
(>  n'est  p;is  leur  deuil  que  je  porte  ». 


Pourquoi  toujours  en  noir? 
Son  teint  est  pâte  ; 
Comme  un  BOUpir  M  voix  s'exhale 
El  sans  pleurer  sait  émouvoir. 
Toujours  en  noir  ! 
J  ;i  vais  une  MBUr  bien-aimce, 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    PRAHÇAIS1     169 

Mon  frère  était  vaillant  et  fort. 
Ainsi  s'envole  la  fumée 

Sous  le  souffle  du  Nord. 
Mon  frère  est  mort,  ma  sœur  est  morte. 
Ce  n'est  pas  leur  deuil  que  je  porte.  » 

Pourquoi  toujours  en  noir  ? 

Son  front  est  sombre  ; 
C'est  moins  une  forme  qu'une  ombre, 
C'est  moins  un  beau  jour  qu'un  beau  soir. 

Toujours  en  noir  ! 
«  J'aurais  porté  de  cœur  et  d'âme 
Le  nom  d'un  époux  adoré. 
Je  suis  veuve  avant  d'être  femme, 

Et  telle  resterai. 
Mon  cœur  est  mort,  mon  âme  est  morte. 
Ce  n'est  pas  leur  deuil  que  je  porte.  » 

Pourquoi  toujours  en  noir? 

Ses  yeux  sont  mornes. 
On  sent  une  douleur  sans  bornes 
Dans  une  plainte  sans  espoir. 

Toujours  en  noir  ! 
«  Que  le  vent  orageux  m'entraîne  ! 
Emportez-moi,  flux  et  reflux  ! 
0  mon  Alsace,  ô  ma  Lorraine, 

Je  ne  vous  verrai  plus. 
Car  ma  patrie  est  morte,  morte! 
Et  voilà  le  deuil  que  je  porte.  » 

Nadaud  écrivit  aussi  ses  Notes  d'infirmier,  cet 
ouvrage  publié  par  Pion,  en  1871,  obtint  une  mé- 


170    (.lsiam:   nauai.  u   1:1    i.\   ciivnso.n    ruvN».:u>i 

daille  d'or  de  la  Société  Nationale  d'encourage- 
ment au  bien,  en  1886. 

En  parcourant  les  œuvres  du  chansonnier,  on 
peut  dire  que  sa  Muse,  après  la  guerre,  se  fait  plus 
sérieuse.  Il  songe  avec  douleur  à  nos  revers  et  dans 
N'oublions  pus,  sa  chanson  est  énergique  et  fière  ! 
Son  amour  de  la  patrie  le  portail  à  la  revanche. 

Du  reste,  il  annonce  dans  Mu  Patrie,  que  la 
France  a  besoin  de  chansons  venant  apporter  l'es- 
pérance aux  cœurs  déchirçs,  et  relever  les  énergies 
de  l'âme  : 

N'attendez  plus  de  moi, 
La  molle  poésie 
Qui  d'un  secret  émoi 
Tenait  l'âme  saisie. 
()  France,  je  t'aimais 
Jusqu'à  l'idolâtrie, 
Tous  mes  chants  désormais 
Seront  pour  ma  patrie  ! 

Il  préconise  la  chanson  nouvelle  aux  jeunes,  et 
voilà  comment  le  Maître   la   comprend,   la   désire, 

et  l'enseigne  : 


LA  Nol  VI  i  l.i    CHANSON 

( 'liamon,  il  laut  chyiK-c-r  de  sl\  le  : 
Mnel  ne  serait  pas  Ion  honneur, 


i  .i  -i  vu.    \  vi»  vi  i»    ii    i.\    I  il  v\vi\    FijL\v.:\isji     I  7  I 

Si  lu  pouvais  le  rendre  utile, 
Sans  perdre  ton  aimable,  humeur  ? 
Les  ans  ont  blanchi  notre  tête, 
L'orage  a  courbé  notre  corps  ; 
Bénis  soient  rage  et  la  tempête, 
S'ils  rendent  nos  (ils  fiers  et  torts. 


Il  faut,  sous  un  refrain  frivole, 
Cacher  une  leçon  : 
Charme,  élève,  console 
Et  vole,  vole,  vole, 
Chanson  ! 

Tu  ne  verseras  plus  à  boire 
A  des  paresseux  avinés  ; 
Tu  n'exalteras  plus  la  gloire 
Des  soudards  indisciplinés. 
Mais  chante  les  vertus  guerrières 
Des  enfants  qui  sont  notre  espoir; 
Célèbre  les  mains  ouvrières 
Qui,  simplement,  font  leur  devoir. 

Ne  flatte  plus  la  populace, 
Ni  les  puissants  ni  les  partis  : 
Prends  la  balance,  prends  ta  place 
Plus  loin  des  grands  que  des  petits. 
Mets  ton  influence  au  service 
Du  droit  et  vie  l'humanité  : 
Tu  tiens,  avec  le  fouet  du  vice, 
L'aiguillon  de  la  charité. 


17*2      GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON     FRANÇAISE 

Cours,  recueillie  et  cadencée, 
Sois  la  joie  ou  l'allégement, 
L'expression  d'une  pensée 
Ou  la  note  d'un  sentiment. 
Ne  crains  pas  de  mouiller  ton  aile 
Aux  pleurs  des  humaines  amours. 
L'amour  est  la  chose  éternelle; 
L'éternel  est  jeune  toujours. 

Ne  sois  plus  satire  et  scandale, 
Ne  sois  plus  le  rire  moqueur  ; 
Fais-toi  conseil,  fais-toi  morale, 
Sois  saine  à  l'esprit  comme  au  cœur. 
Sois  la  lueur  avant-courrière 
Du  jour  qui  vient  se  rapprochant, 
Et,  s'il  se  peut,  fais- toi  prière  : 
La  prière  est  encore  un  chant. 

Il  faut,  sous  un  refrain  frivole, 
Cacher  une  leçon  : 
Charme,  élève,  console 
Lt  vole,  vole,  vole, 
Chanson  ! 

Nous  avons  dit,  dans  les  premières  pages,  que 
(i.  Nadaud,  après  la  guerre,  avait  écrit  des  chanta 

élevés  pour  le  bien  social  de  l'humanité.  En  lisant 
Les  Amis  <hi  peuple,  nous  voyons  les  pensera  d'un 
«•sprit  réfléchi 

Le  poète  et  l'homme  se  sont  penchés,  après   nos 


GustaVe  badaud  ei  la  chanson  française    17o 

grands  malheurs,  sur  les  souffrances  du  peuple,  et 
il  lui  donne  les  judicieux  conseils  de  son  expé- 
rience, sur  les  amis  qu'il  doit  choisir  : 


LES  AMIS  DU  PEUPLE 


Peuple,  ta  mission  est  sainte 

Et  l'avenir  est  avec  toi  ; 

Marche,  sans  colère  et  sans  crainte, 

Dans  le  devoir  et  dans  la  loi. 

Mais  ceux  qui  ne  pourraient  te  rendre 

Tout  le  bonheur  qu'ils  t'ont  promis, 

Tes  flatteurs,  crains  de  les  entendre  : 

Peuple,  prends  garde  à  tes  amis  ! 

Non,  tout  n'est  pas  bien  en  ce  inonde, 

Les  hommes  ne  sont  pas  parfaits  ; 

Mais  seule  la  paix  est  féconde  ; 

La  discorde  nous  rend  mauvais. 

Redoute  les  tribuns  farouches  : 

Entre  tes  mains  qu'ont-ils  remis? 

Du  pain?  —  Non  pas...  mais  des  cartouches 

Peuple,  prends  garde  à  tes  amis  ! 

Ils  t'appellent  du  nom  de  frères 
Lorsque  l'orgueil  fait  leur  fureur  ; 
Ils  s'adressent  à  tes  misères 
Et  ne  parlent  pas  à  ton  cœur. 


174    i.imwi:   \\Dun   i:t    i.a    «ii  \\sn\    i  i;  \m,.\im. 

Us  calculent  sur  tes  entrailles, 
nsolents,  lorsque  tu  gémis, 
nquicts  lorsque  tu  travailles  : 

Peuple,  prends  garde  à  tes  amis. 

Ils  disent  :  le  peuple  nous  aime; 
Ils  disent  :  le  peuple  est  à  nous  ; 
Réponds  :  le  peuple  est  à  lui-même  ; 
Il  combat  pour  lui,  non  pour  vous  ! 
Ils  vantent  la  blouse  et  l'écuelle 
Quand  ils  sont  bien  gras  et  bien  mis. 
Pour  eux  le  peuple  est  une  échelle  ; 
Peuple,  prends  garde  à  tes  amis  ! 

Tu  dois  vaincre  par  les  idées  ; 
N'attends  rien  du  fer,  ni  du  feu  ; 
Et,  pour  qu'elles  soient  fécondées, 
Compte  sur  toi-même  et  iur  Dieu. 
Les  épis  jetés  en  semence 
Parle  soleil  seront  jaunis; 
Si  tu  crois  à  la  Providence, 
Peuple,  prends  garde  à  tes  amisl 


Le  chansonnier  se  ralliait  peu  à  peu  aux  idées 
républicaines  (1).  Il  est  un  républicain  modère 
certainement,  mais  u  l'orléaniste  »  a  dû  rougir  du 
geste  intéressé  des  d'Orléans,  réclamant  leurs  biais, 

I  Nous  aurons  donc  la  République, 

La  liberté,  ce  graftd  principe  ! 


<.l-l\\r.    NADA(I)     1.1      f.A     CIIWSuN     Kl»  \\<    \ISI.       17') 

après  la  perte  de  deux  de  nos  provinces,  et  une  in- 
demnité de  guerre  de  cinq  milliards. 

Et  si  Nadaud  n'était  pas  rouge  de  ce  soleil  levant, 
comme  toute  âme  éprise  d'idéal  et  de  justice,  le 
citoyen  allait  vers  la  lumière  ! 

Nous  avons  eu  quelques  aperçus  de  la  vie  agitée 
et  pleine  d'imprévue  du  chansonnier. 

«  11  allait,  de  l'est  à  l'ouest,  du  midi  au  centre, 
mais,  invariablement  aussi,  et  fidèlement,  il  reve- 
nait au  nord,  sa  patrie  I  heureux  de  revoir  sa  fa- 
mille et  ses  nombreux  amis,  soit  de  Roubaix,  Lille 
ou  Douai  ». 

Dès  son  retour  de  la  Villa  Pandore[l),  à  Nice,  où 
il  passait  tous  les  hivers,  il  touchait  Paris,  etgagnait 
Roubaix. 

Inutile  de  dire  combien  était  attendu  et  fêté  ce 
retour  du  Trouvère  ! 

Une  fois  dans  son  pays,  dans  les  joies  de  ce  re- 
tour à  la  terre  natale,  au  foyer  des  anciens,  dans 
ce  qui  sera  toujours  exquis  et  cher,  Tes  Souvenirs 
(renfonce,  Nadaud  faisait  vibrer  sa  lyre  aux  échos 
de  son  cœur  et  saluait  son  vieux  clocher,  par  ces 
vers  d'une  grâce  louchante  : 

(1)  Ou  Villa  Noél. 


170     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 


MON  CLOCHER 


Salut  !  je  te  revois  encore 
Aussi  pauvre,  mais  plus  touchant, 
Mon  clocher  d'ardoise  que  dore 
La  pourpre  du  soleil  couchant  ! 
etc ... 

plus  loin  il  continue  ainsi  : 

Tu  rends  la  mémoire  présente 
De  l'âge  où  ton  cadran  poudreux 
Marquait  l'heure  rapide  ou  lente 
De  nos  leçons  ou  de  nos  jeux, 
etc... 

Maintenant  écoulez  les  vers  suivants,  d'une  phi 
losophie  pleine  de  sagesse  et  de  douceur;  nous  ci- 
tons le  couplet  entier  : 

C'est  que  tu  liens  à  l'âme  émue 
Le  livre  ouvert  du  souvenir; 
Toujours  ton  aspect  y  remue 
Quelque  rêve  près  de  finir 
c  est  qu'après  une  Longue  absence, 

Je  retrouve,  sans  les  chercher, 
Quinze  ans  (le  paix  et  d'innocence, 
Mon  vieux  clocher! 


GUSTAVE     NADAUD    ET    LA    CHANSON     FRANÇAISE      4  77 

et  ce  poème  est  une  des  œuvres  les  plus  vécues  du 
Poète. 

Une  autre  fois,  il  célébrera  sa  maison,  et  toujours 
il  nous  donnera  une  fleur  de  sa  pensée,  où  son 
àme  chantera  délicieusement  de  bons  vers,  comme 
ceux-ci,  par  exemple,  pris  dans  :  Ma  maison. 

Oui,  tout  me  charme  et  me  pénètre 
Dans  ce  coin  de  terre  et  de  ciel, 
Si  j'étais  fleur,  j'y  voudrais  naître, 
Abeille,  j'y  ferais  mon  miel. 

Rossignol,  je  serais  fidèle 
Aux  échos  de  ce  site  ombreux, 
Et  je  nicherais,  hirondelle, 
A  l'angle  de  ce  toit  heureux. 

Pourquoi?  je  m'en  vais  vous  le  dire, 
Et  vous  me  donnerez  raison  : 
Ce  site  et  ce  toit  que  j'admire. 
C'est  mon  pays,  c'est  ma  maison. 

Et  tout  cela  est  beau,  parce  que  c'est  le  reflet 
d'une  àme  demeurée  simplement  bonne,  malgré  la 
gloire  et  les  succès. 

Nadaud  n'avait  ni  orgueil  ni  pédanterie;  il  aimait 
ses  confrères  en  chansons,  ses  compatriotes,  ses 
amis;  il  eut  une  correspondance  suivie  avec  Manso, 
le  poète  Roubaisien,  affectionnait  particulièrement 
Desrousseaux,   le    chansonnier  patoisant   Lillois, 

12 


171)      t.l-TWI.     V\l»\ll>     l.l     LV     CHANSON     lUAViWM-. 

l'auteur  de  cette  célèbre  berceuse  populaire  :  Le  Pe- 
tit-Quinquin.  A  Paris  il  aimait  à  chanter  avec 
les  amis  de  la  Lice  et  du  Caveau;  à  l'exemple 
de  Bérauger,  il  stimulait  les  jeunes,  encourageait 
les  efforts  ;  entiu,  dans  une  pensée  philanthro- 
pique et  de  solidarité  mutuelle,  il  fonda,  après 
la  fameuse  publication  de  ses  œuvres  illustrées, 
la  Petite  caisse  des  Chansonniers,  dont  les  fonds 
servaient  à  iaire  éditer  les  auteurs  pauvres,  à 
secourir  les  uns,  à  pensionner  les  chansonniers 
vieux  et  infirmes. 

Cette  petite  caisse,  il  l'alimenta  seul  pendant  dix 
ans,  c'est-à-dire,  jusqu'à  sa  mort. 

Ce  n'est  pas  tout,  ses  traits  de  bonté  ne  s'arrêtent 
pas  là,  et  la  liste  serait  longue  s'il  nous  fallait  énu- 
mérer  tous  les  bienfaits;  cependant,  il  faut  que  l'on 
sache  qu'il  édita  les  (envies  du  chansonnier  Eh- 
gène  Pot  lier,  ancien  membre  de  la  Commune,  au- 
teur de  {'Internationale.  Nadaud  écrivit  même  une 
charmante  préface  se  terminant  ainsi  : 

Si  1  abeille  ouvrière  humaine, 
Veut  aller  sons  un  autre  eiel, 
Le  travail  commun  la  ramène 

\  la  ruelle  OÙ  se  l'ait  le  miel. 
Quand  un  essaim  d'oiseaux  l'égatt 
I   t  mère  les  rappelle  mu  nid  : 
La  politique   nous  sépare 

Kt  la  ehaneon  nous  réunll . 


<.lV|"A\n    NAUVID    El    IA    CHANSON     I  l;  \  \<    \|-|        17!) 

Ces  derniers  vers  nous  montrent  l'esprit  large  du 
chansonnier. 

Rien  d'extrême,  pas  de  sectarisme  ni  d'esprit 
dogmatique  chez  lui;  il  était  bien  Iqin,  de  penser, 
comme  certains  groupes,  qui  répudient  ceux  qui 
ne  sont  pas  inféodés  à  leurs  principes  ;  car  cer- 
tains politiciens,  qui  se  disent  démocrates, ne  sont 
que  des  despotes  et  retardent  la  marche  en  a  va  ni 
de  ceux  qui  viendraient  à  eux  s'ils  étaient  traités 
avec  plus  de  condescendance  dans  les  rapports  po- 
litiques et  sociaux.  Méfions-nous  des  extrêmes,  en 
général,  ce  ne  sont  que  des  esprits  brouillons,  à 
ceux-là  nous  préférons,  comme  Nadaud.  la  poli- 
tique du  jusle  mibeu.  Aimons  la  France,  comme 
le  poète,  ainsi  qu'il  le  dit  dans  les  Contes  et  Récits 
d'un  vieux  Roubaisien  :  «  aux  politiquants,  polili- 
queurs.  politiciens  »  : 

La  France  est  notre  amante  immuable  immortelle, 
Maiî  vous  V aimez  pour  vous,  ei  nous  ruinions  pour  elle. 

Paroles  de  poète,  dira-t-on,  oui,  mais  n'oublions 
pas  que  le  poète  ne  calcule  qu'avec  son  cœur! 

Nadaud  édita  donc  les  œuvres  d'Eugène  Pottier, 
«  qui  était  très  malheureux  et  que  son  parti  lais- 
sait dans  l'ombre.'  Il  édita  aussi  les  œuvres  de 
/).  Vlachal,  Jauin,  Dubois  el  enfin  celles  d'Ernest 
Chebroux,  qu'il  avait  choisi  pour  cire,  après  sa 
mort,  son  exécuteur  testamentaire,  cari]  admirait, 


\  00      GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

avec  juste  raison,  le  vigoureux  talent  du  chanson- 
nier, et  avait  mis  en  lui  toute  sa  confiance,  pour 
combattre  et  enrayer  les  retrains  dépravés. 

E.  Chebroux  a  tenu  parole  ;  Ton  ne  saurait  trop 
le  louer  d'avoir  flétri  la  chanson  du  ruisseau, 
car  on  recrute  de  nos  jours,  pour  les  laboratoires 
de  l'obscène  chanson,  hommes  et  femmes  (princi- 
palement ces  dernières)  auxquels  on  apprend  un 
répertoire  que  réprouve  toute  morale,  «  et  dont  le 
succès  tient  surtout  au  costume  suggestif  de  l'in- 
terprète féminin,  qu'à  un  semblant  de  talent  ».  Une 
fois  les  chansons  et  les  gestes  appris,  cet  oiseau  de 
passage  ira  semer  dans  des  salles  de  province  et 
de  l'étranger  le  virus  malsain  d'une  littérature 
pornographique! 

Alors,  et  d'après  ces  colporteurs,  l'étranger  ju- 
gera notre  littérature  et  nos  mœurs  !  C'est  une 
honte  et  l'on  devrait  y  veiller  en  haut  lieu  avec  plus 
de  souci  ;  pour  notre  respect  national,  c'est  un  de- 
voir ! 

Nous  nous  excusons  de  cette  digression,  et  nous 
nous  empressons  de  revenir  au  parfum  plus 
agréable  de  la  Musc  du  poète. 

De  la  préface  que  Nadaud  rima  pour  lésa  Chan- 
sons et  sonnets  »  (1885),  d'Ernest  Chebroux, 
COinme  <*1  le  honore  autant  celui  qui  l'écrivit  que 
celui  qui  la  mérita,  nous  nous  plaisons  a  en  repro- 
duire les  derniers  vers  : 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE      I  84 

Va  donc,  charmant  petit  volume, 
Par  le  vent  laisse-toi  bercer 
Comme  le  papier  sur  la  plume 
Qui  vole,  mais  pour  se  fixer. 
Ensemble,  nous  cherchons  la  place 
Où  doivent  mûrir  nos  moissons, 
Entre  tes  plis  prend  ma  préface, 
Ma  chanson  parmi  tes  chansons. 

Chantre  du  printemps  et  des  roses, 
De  la  nature  et  du  foyer, 
Tu  ne  dis  que  de  bonnes  choses 
Pour  loucher  ou  pour  égayer. 
La  muse  des  anciens  trouvères 
T'a  donné  ses  douces  leçons. 
Alternons,  en  touchant  nos  verres, 
Ma  chanson  avec  tes  chansons. 

N'est-ce  pas  charmant? 

En  dehors  des  publications  des  œuvres  des  poètes 
ki petite  caisse  des  Chansonniers  rendit  d'autres  ser- 
vices, elle  donna  et  permit  un  sourire,  une  joie  aux 
pauvres  chansonniers  échoués  dans  les  hospices, 
comme  nous  le  disions  plus  haut  :  il  y  en  avait  à 
Bicètre,  Ivry,  etc.,  tous  ayant  eu  leur  heure  de  po- 
pularité dans  la  chanson. 

Ernest  Chebroux,  comme  directeur,  était  chargé 
de  distribuer  les  fonds;  il  le  faisait  équitablement, 
mais  avec  prévoyance  pour  le  lendemain,  c'est 
alors  que  G.  Nadaud  le  traitait  d'avare;  et  ces  pe- 


U\l     <U>TA\r.     N\n\m    ET    LA     CHANSON     FlUx.AIM. 

tites  querelles  du  cœur  étaient  charmantes,  entre 
ces  deux  hommes,  dont  l'un  eut  voulu  tout  donner 
aux  misères  du  jour,  et  dont  l'autre  prévoyait  celles 
du  lendemain. 
De  Nice,  Nadaud  écrivait  ces  vers  à  son  ami  : 

Admets  que  j'ai  une  maîtresse 
Et  que  j'en  sois  fort  amoureux, 
Pour  reconnaître  sa  tendresse 
Je  voudrais  être  généreux. 
ptc... 

et  il  termine  ainsi  : 

Or,  la  chanson,  c'est  ma  maîtresse 

- 

Seule  et  (ternière  ;  je  peux  bien, 
Pour  la  tirer  de  la  détresse, 
Donner  la  moitié  de  mon  bien. 

ftfcave  eouir  !  alors  Krnes.l  Chebroux,  chaque 
mois,  emovait  aux  chansonniers  hospitalisés  une 
l><liu-  pièce  d'or  : 

('/était  pour  les  pauvres  vieux  le  tabac,  lejournal 
rt  même  le  petit  verre  ou  le  calé  assuré...  la  h  con- 
solation h  quoi  !  Kl  toutes  ces  anecdotes  de  la  \  ie 
de  Nadaud  ne  sont-elles  pas  touchantes? 

Nadaud  étàïî  bon  sans  ostentation,  et  ne  se  lai- 
s;»il  aucune  illusion  sur  la  reeon naissance  de  rru\ 
< 1 11  ' i I  axait  obligé. 

Il  s;i\;iil,  par  expérience.  <juc  h>rs</iic  l'on  fait  <tn 


GUSTAVE    NVDVUD    ET    LA    CHANSON    PHÀIK   USE      lu;5 

bien  aux  gens,  il  faut  s'attendre,  le  plus  souvent,  à 
de  V ingratitude;  sachant  que  l'on  ne  peut  rien  chan- 
ger aux  lois  humaines,  il  avait  écrit  ce  joli  qua- 
train, qui  n'est  pas  connu  : 

Semons,  semons  sans  espérance 
Les  bienfaits  qui  font  les  ingrats  ; 
La  vertu  ne  me  touche  pus 
Quand  elle  attend  sa  récompense. 

Est-ce  assez  joli  comme  trait  d'ironie  et  de  philo- 
sophie ? 


ANliCDOTK 


SUR    LA    ROSETTE    D* OFFICIE  H,     DE    NADAUD 


ANECDOTE 

SU!    I.A    UOSKTTE   n'OFFlCÏEÏt,    DK   NADAUD 


Pendant  la  Présidence  de  M.  Jules  Grévv,  Gus- 
lave  Nadaud  reçut  une  invitation  à  déjeuner  du 
chef  de  l'Etat,  lequel  prisait  fort  l'esprit  et  le  talent 
du  chansonnier  Houbaisien. 

Nadaud  se  rendit  à  l'invitation  présidentielle,  où 
se  trouvaient  quelques  invités  amis. 

Au  dessert,  alors  que  la  conversation  prend  une 
lournur'c  jrjïû's  intimé,  après  quelques  anecdotes  et 
quelques  chansons  demandées,  par  Jules  Grévy,  à 
Nadaud,  qui  s'était  exécuté  avec  sa  bonne  grâce 
habituelle,  le  Président  de  la  République  dit  au 
chansonnier  : 

—  Mon  cher  Poète,  je  tiens  à  vous  annoncer  moi- 
même  que,  disposant  d'une  rosette  d'officier  de  la 
Légion  d'Honneur,  vous  serez  compris,  dans  la 
prochaine  promotion,  pour  celle  distinction,  car 
vous  représentez  et  honorez  d'Une  façon  aussi  dis- 
tinguée que  spirituelle,  les  lettres  et  la  chanson 
française   !)... 


m 


GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 


A  ce  moment,  un  convive  se  leva  et,  interrom- 
pant le  Chef  de  l'Etat,  lui  dit  : 

—  Mais,  monsieur  le  Président,  vous  oubliez,  fâ- 
cheusement, pour  notre  ami,  que  cette  rosette  est 
déjà  promise  ! 

Le  Chef  de  l'Etat  tut,  on  le  conçoit,  légèrement 
interloqué!  mais  immédiatement,  à  seule  fin  de 
faire  cesser  la  situation  gênante  qui  allait  régner, 
il  se  tourna  gracieusement  vers  le  chansonnier- 
poète  et  lui  dit  : 

—  Toutes  mes  excuses,  mon  cher  Nadaud,  j'avais 
en  effet  oublié  cette  disposition,  mais  ce  n'est  que 
partie  remise,  croyez-le  bien. 

Nadaud  remercia,  s'inclina  et  sourit. 

Mais  il  mourut  sans  cette  rosette! 

Ce  monsieur,  qui  s'était  ainsi  interposé,  n'était 
autre  que  Wilson,  et  cette  croix  promise  à  Nadaud, 
par  le  Président  de  la  République,  alla  fleurir  la 
boutonnière  du  célèbrejournaliste  Aurélien  Scholl. 

Cette  anecdote  fut  contée  par  Nadaud,  lui- même, 
à  son  ami  Ernest  Chebroux,  duquel  nous  la  tenons 
et  qui  s'écria,  avec  son  esprit  boulevardier  : 

«  Ah  !  quel  malheur  d'avoir  un  gendre  ». 

Nous  allons  arriver  maintenant  à  la  dernière 
étape  de  notre  ouvrage,  aux  derniers  jours  et  der- 
niers moments  du  chansonnier,  qui  incarnait  si 
bien  les  qualités  de  notre  race,  c'est-à-dire  la 
loyauté,  l'esprit  et  la  générosité. 

Pour  fermer  les  veux  de  l'aïeul,  c'est  aux  mains 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     1 U9 

du  fils  qu'appartient  ce  geste  lent,  respectueux,  en 
même  temps  qu'il  est  de  grandeur  et  d'amour  ! 

Devant  l'émotion,  très  sincère,  que  nous  ressen- 
tons en  arrivant  aux  dernières  heures  du  poète, 
l'on  comprendra  facilement  le  sentiment  qui  nous 
anime,  en  laissant  à  Ernest  Chebroux,  l'exécuteur 
testamentaire  de  Nadaud,  le  soin  pieux  de  termi- 
ner cette  vie  du  chansonnier,  et  de  nous  apprendre 
quelles  furent  les  dernières  paroles  du  maître  en 
même  temps  que  ses  actes  ultimes. 

Ils  furent  grands,  et  remplis  d'une  simplicité 
digne,  ainsi  qu'on  le  verra,  par  le  langage  expres- 
sif de  son  ami  : 

«  Chaque  année  l'exquis  poète,  que  fut  Gustave 
«  Nadaud,  prenait,  avec  les  hirondelles,  son  vol 
«  vers  les  pays  bleus,  et  revenait  avec  les  brumes 
«  messagères  du  printemps,  dès  qu'avril  avait  mis 
<(  un  peu  de  vert  aux  buissons. 

«  Celte  année  (en  mars  1893),  sur  la  promesse 
«  trompeuse  de  ce  mois,  il  avait  quitté  Nice  plus 
((  tôt. 

a  Nadaud,  d'ailleurs,  n'aimait  pas  les  séjours 
«  prolongés  dans  le  même  endroit  ;  s'il  faisait  ex- 
«  ception  en  faveur  du  pays  ensoleillé,  c'est  que 
«  sa  santé  l'y  obligeait. 

«  Il  s'était  peint  lui-même  en  ce  distique  : 

Je  suis  né  voyageur,  je  cours  de  toutes  parts, 
Enchanté  quand  j'arrive,  enchanté  quand  je  p;irs. 


liMI     GUSTAVE    NADAUD    ET    II    CHANSON    FRANÇAISE 

u  Avant  de  se  plonger  dans  la  ton  niaise  pari- 
<(  sienne,  Nadaud  était  allé,  ainsi  qu'il  en  avait 
«  l'habitude,  respirer  l'air  du  pays  natal. 

«  Il  resta  peu  à  Roubaix,  juste  le  temps  d'em- 
«  brasser  les  siens  et  de  contracter,  hélas,  le  germe 
«  de  cette  maladie  de  poitrine  qui  devait  l'empor- 
«ter  si  rapidement.  C'est  au  sortir  dune  soirée 
«  où  il  avait  promis  de  se  faire  entendre,  (pie  le 
«  poète,  déjà  malade,  prit  froid  et  s'alita  pour  ne 
«  plus  se  relever.  » 

Déjà,  Nadaud,  trois  ans  avant,  avait  envisagé  sa 
fin  prochaine,  ainsi  qu'en  témoigne  l'extrait  sui- 
vant, d'une  lettre  inédite  (pic  M.  Ernest  Chebroux 
a  bien  voulu  confier  à  notre  travail  ainsi  que  les 
dernières  volontés  du  chansonnier,  (pie  l'on  trou- 
vera à  la  suite  de  ce  premier  document  : 


Extrait  d'une  lettre  de  Gustave  Nadaud  à  Ernest 

Çhebroux, 

Villa  Noël  Cimicz,  Nice. 
29  mars  1890. 
...t  Maintenant,   mon  cher  Chebroux,  je  le  dirai 

c  que  je   vais  faire  mon  testament  et  j'inscris  sur 

la  page  suivante  mes  dernières  volontés  : 

-    Je  désir»-,   quand    je    mourrai,  que  le    service 


i.imui;    NAinin   ri    la   ciiwsiON    iuamuse    11)1 

«  religieux  soit  fait  à  l'endroit  ou  je  mourrai  et  que 
«  mon  corps  soit  transporté  au  cimetière  Monl- 
«  martre,  dans  le  caveau  où  reposent  mon  père  et 
«  ma  mère. 

«  Pas  de  discours  et  surtout  pas  de  souscription 
«  pour  un  monument. 

«  Il  se  peut  que  je  meure  d'un  moment  à  l'autre 
«  et  j'écris  ces  lignes  pour  que  tu  puisses  t'opposer 
«  à  des  propositions  qui  ne  me  conviennent  pas, 
«  et  je  signe, 

«  G.   Nadaud.  » 

«  Ceci  aurait,  le  cas  échéant,  la  valeur  d'un  tesla- 
«  nient  ;  il  laudra  que  tu  gardes  cette  lettre  à  cause 
«  de  mes  dernières  volontés, 

«  G.  Nadaud.  » 


Dernières  volontés  de  Gustave  Xadaud  écrites  le 
7  avril  lMKi  (Document  pui>lié  pour  la  /j/vm/ï/v 
fois,  in  extenso). 

«  Je  renonce  à  la  chanson. 

«  Quand  France  a  cessé  de  rimer  avec  Espé- 
«  rance  l'alouette  vieillie  se  tait  ;  mais  je  n'ai  pas 
a  renoncé  à  m'intéresser  à  la  chanson,  ni  aux 
s  chansonniers,  et  c'est  à  toi,  ami  Chebroqx,  que 
«  je  désire  laisser  le  soin  de  répartir  la  somme 
«  de  :  1.600  francs  entre  les  Sociétés  : 


102      GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON     FRANÇAISE 

Le  Caveau 300  francs 

La  Lice  chansonnière 300  » 

Le  Caveau  Lyonnais 200  » 

Le  Caveau  Stéphanois 200  » 

La  Lyre  Bienfaisante 100  » 

Les  Entants  du  Nord 100  » 

Les  Fils  des  Trouvères 100  » 

MM.  Lion  net  frères 200  » 

Dominique  Flachat 100  » 

1600      » 
«  G.  Nadaud. 

lia  été  versé  en  outre  parles  soins  de  Che- 

broux,  au  Bon-Bock 200  » 

Lepers,  artiste  ..*...  100  » 

R.  Pausard,  chansonnier  .     .  100  » 

E.   Legentil,             id.  100  » 

(Ces  dernières  sommes  provenaient  de  la  Petite 
(laisse  des    Chansonniers). 

Dernières  paroles  :  27  avril  1893,  veille  de  la 
mort  du  poète  :  «  Je  désire  que  tout  soit  fait  dans 
la  plus  grande  simplicité  :  qu'on  n'envoie  pas  de 
lettres  de  iaire  part,  pas  non  plus  de  discours. 
Pas  d'honneurs  militaires.  Pas  de  souscriptions 
pour  un  monument.  » 

Le  lendemain  le  poète  expirait. 

Apres  ces  touchants  souvenirs  d'Ernest  Che- 
broax,  nous  allons  achever  cette  étude,  avec  nos 
renseignements  personnels. 


GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE   193 

Pendant  cette  congestion  pulmonaire,  sur  la- 
quelle vint  se  greffer  l 'influenza,  G.  Nadaud  eut  à 
son  chevet  l'aînée  de  ses  sœurs,  Mma  Wacrenier, 
(décédée    un    mois    avant    notre  excellent  ami, 
Ernest  Chebroux,  c'est  à-dire  en  novembre  1910) 
qui  entoura  son  frère  d'un  tendre  dévouement,  et 
d'une  pieuse  affection  ;  Yabbé  Fabre,  ancien  curé 
de  Charenton,  qui  venait  d'être  nommé  évêque  de 
la  Réunion,  et  avec  lequel  Nadaud  entretenait  de- 
puis longtemps  de  cordiales  relations,  accourut 
auprès  de  son  ami,  pour  lui  administrer  les  der- 
niers sacrements.  Après  qu'il  les  eut  reçus,  Na- 
daud fit  alors  venir  ses  amis,  qui  s'étaient  discrè- 
tement retirés,  et  leur  dit  :  «  Je  tiens  à  ce  que  vous 
sachiez  que  je  meurs  en  chrétien,  mais  aussi  en 
chansonnier  ».  Et  Nadaud  but  une  coupe  de  Cham- 
pagne. 

11  donnait  ainsi,  à  la  déesse  Chanson,  une  der- 
nière pensée  de  reconnaissance  et  d'amour,  un 
dernier  salut  à  la  Muse  aimée. 

Si  le  premier  geste  honore  l'âme  chrétienne  de 
G.  Nadaud,  le  second  honore,  une  fois  plus,  l'es- 
prit du  Chansonnier  ;  tel  est  notre  avis,  et  ce 
geste,  plein  de  caractère,  appartient  à  l'histoire  de 
la  chanson.  Il  faut  le  dire,  et  non  le  taire  !  Gustave 
Nadaud  mourut  en  son  domicile  de  Passy,  le  29 
avril  1893.  Nous  apprenions  la  mort  du  poète  étant 
à  Madrid  et  dans  notre  petite  société  littéraire 
nous  fûmes  tous  très  émus  de  cette  triste  nouvelle  ! 


104     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CtlASSO.N    FRANÇAISE 

On  sait  que  le  Poète  avait  refusé  toute  pompe, 
mais  nombreux  étaient  les  amis  du  défunt,  qui  se 
pressaient,  le  1C1  mai,  dans  l'Eglise  Notre-Dame  de 
Grâce  de  Passy.  En  dehors  des  sociétés  littéraires 
de  Paris  et  du  Nord,  des  Revues,  etc.,  voici  quel- 
ques noms  de  personnalité  des  lettres  et  des  Arts 
qui  vinrent  honorer  une  dernière  fois  le  Poète  de 
leur  fidèle  amitié. 

MM.  Jules  Barbier  (qui,  le  premier,  lui  avait  ou- 
vert les  portes  de  son  salon),  Rodin,  Carolus  Du- 
rand, Maxime  Boucheron,  Ricard  Jean,  Saint-Gei- 
main,  Les  frères  Lionnet,  Octave  Pradels,  Coquelin 
Cadet,  Lemaire,  Heugel,  Louis  Noël,  Meusy,  Oscar 
Cornet  tant,  de  la  Berge,  Eugène  Baillet,  Desrous- 
seaux  fds,  Ernest  Chebroux,  etc. 

«  Des  artistes  de  Roubaix  chantèrent  des  mor- 
ceaux religieux,  et  l'orgue  joua,  en  sourdine,  plu- 
sieurs refrains  des  plus  populaires  chansons  de 
Xadaud  «  ;  et  ces  mélopées  musicales  émurent 
vivement  tous  les  assistants,  car  c'était  Pâme  du 
chansonnier  qui  exhalait  son  dernier  soupir  !... 

Les  cordons  du  poêle  étaient  tenus  par  :  Ernest 
Chebroux,  Saint-Germain,  Jules  Barbier  et  Hodin. 

Le  cortège  funéraire  se  dirigea  au  cimetière 
Montmartre  «  où,  tout  secoué  de  sanglots,  Ernest 
Chebroux  murmura  quelques  mots  entrecoupés  : 
I  Adieu,  bon  et  cher  ami...  Adieu,  Nadaud... 
Adieu,  chansons  »  (\). 

1 1  in  Revae  du  .vorrf.  K>  mai  [h<x\. 


GUSTAVE    EfADAUD    El     l.\    CHANSON    FRANÇAIS!      195 

Gustave  Nadaud  ne  désirait  pas  de  souscriptions 
pour  un  monument,  mais  la  ville  de  Roubaix  te- 
nait à  l'honneur  de  perpétuer  le  souvenir  de  son 
illustre  concito3ren  dans  les  temps  futurs.  Un  co- 
mité fut  constitué  par  les  amis  et  admirateurs  de 
Nadaud,  et  trois  ans  après  sa  mort,  le  11  oc- 
tobre 1896,  la  ville  de  Roubaix,  en  fête,  inaugurait 
au  parc  Barbieux  un  splendide  monument,  élevé 
à  la  mémoire  d'un  de  ses  enfants,  qui  avait  honoré 
les  lettres  et  illustré  son  pays,  œuvre  du  grand 
s  ulpteur  Roubaisien  M.  Cordonnier,  et  de  l'archi- 
tecte de  la  ville,  M.  Lefebure. 

Pour  cette  résurrection  du  Poète,  le  succès  dé- 
passa les  espérances  do  tous,  et  nous  ne  pouvons 
mieux  faire,  pour  donner  une  idée  de  cette  solen- 
nité, que  reproduire  les  échos  des  journaux,  nous 
donnant  le  nom  des  personnalités  qui  y  prirent 
une  part  effective,  ainsi  que  les  vibrants  discours 
qui  furent  prononcés  après  l'exécution  d'une  can- 
tate, et  la  remise  du  monument  à  la  ville. 

Nous  devons  à  l'obligeance  du  directeur  du  Jour- 
nal de  Roubaix,  les  manuscrits  suivants,  et  lui 
adressons,  ici,  tous  nos  remerciements. 


INAUGURATION 
DU  MONUMENT  NADAUD 


LES    DISCOURS 


INAUGURATION 
DU  MONUMENT  NADAUD 


LES   DISCOURS 


Discours  de  M.  Roger  Marx 
délégué  du  Ministre  des  Beaux-Arts. 

M.  Roger  Marx,  en  qualité  de  président,  a  pris  le 
premier  la  parole  : 

Il  exprime  les  regrets  de  M.  Rambaud  dont  la 
venue  a  été  empêchée  au  dernier  moment  ;  au  nom 
de  M.  le  ministre  des  Beaux-Arts  qui  l'a  délégué, 
M.  Roger  Marx  remercie  le  Président  du  comité 
Xadaud,  M.  Bossut,  «•  dont  le  zèle  infatigable  a  été 
au-dessus  de  tout  éloge  »,  la  municipalité  de  Rou- 
baix,et  il  loue  l'œuvre  commune  de  M. Cordonnier 
et  de  M.  Lefebvre. 

L'accueil  favorable  qui  a  été  lait  au  monument, 
avant  même  qu'il  soit  inauguré  et  à  une  époque  où 
l'on  se  plaint  de  l'aflluence  des  statues,  vient,  selon 


200     GUSTAVE    NÀDÀUD    ET    LA    CHANSON     FRANÇAISE 

M.  Roger  Marx,  de  ce  que  le  chansonnier  continue 
au  delà  de  la  tombe  à  vivre  en  communion  avec 
l'âme  populaire. 

«  En  France,  la  prédilection  pour  la  chanson  est 
un  signe  du  besoin  de  gaieté,  d'expansion  propre  au 
tempérament  et  à  la  race.  » 

«  Aussi  ne  manque-t-on  pas  de  glorifier  ceux 
auxquels  sont  dus  les  refrains  aimés  de  tous  les 
âges,  de  toutes  les  classes:  plus  que  partout 
ailleurs,  dit  M.  Roger  Marx,  en  terminant,  l'hom- 
mage rendu  à  un  chansonnier  était  logique  dans 
une  ville  industrielle,  ouvrière  telle  que  Roubaix, 
où  la  bienfaisante  chanson,  la  chanson  de  Béranger 
et  de  Gustave  Nadaud  vient  si  souvent  ragaillardir 
l'àme  de  l'ouvrier  de  fabrique  et  adoucir  son  effort 
dans  l'accomplissement  de  la  rude  tâche  quoti- 
dienne. » 

Des  applaudissements  prolongés  qui  se  répercu- 
tentde  rang  en  rang  dans  l'assistance  saluent  la  lin 
du  discours  de  M.  Marx. 

Le  silence  s'étant  rétabli,  M.  Henri  Bossut,  avec 
l'émotion  de  l'ami  qui  parle  de  l'ami  qui  lui  a  été 
enlevé,  prononce  le  discours  suivant,  dont  plu- 
sieurs passages  sont  soulignés  par  les  applaudis- 
sements «les  auditeurs. 


r.USTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     '20 1 

Discours  de  M.  Henri  Bossut, 
président  du  comité  Nadaud. 

«  Messieurs.  Ma  première  parole  sera  un  remer- 
cîment  à  M.  le  ministre  de  l'Instruction  publique 
et  des  Beaux-Arts  qui  a  bien  voulu  déléguer 
M.  Roger  Marx,  inspecteur  général  des  Musées, 
pour  présider  la  cérémonie  de  l'inauguration  du 
monument  érigé  à  la  mémoire  du  grand  chanson- 
nier Nadaud.  Notre  comité  qui  avait  eu  la  pro- 
messe du  concours  de  M.  le  Préfet  du  Nord,  re- 
grette son  absence  forcée  et  associe  M.  Roger  Marx 
et  M.  Letailleur,  secrétaire  général  de  la  préfecture 
qui  représente  M.  Vel-Durand,  dans  l'expression 
d'un  même  sentiment  de  gratitude.  » 

«  Messieurs,  si  les  états,  les  villes  et  les  villages 
s'honorent  d'avoir  donné  naissance  à  des  hommes 
remarquables  par  leur  supériorité,  à  des  hommes 
célèbres,  à  de  grands  hommes,  s'ils  leur  élèvent 
des  statues  et  des  monuments,  n'est-il  pas  vrai  de 
reconnaître,  Messieurs,  que  cet  hommage  ne 
s'adresse  pas  toujours  à  l'époque  où  nous  vivons, 
pas  plus  d'ailleurs  que  dans  les  âges  qui  nous  ont 
précédé,  aux  hommes  qui  les  méritent  mais  plutôt 
aux  idées  ou  aux  partis  qu'ils  représentent. 

«  Aussi,  avons-nous  le  regret  de  voir,  comme  une 
sorte  de  conséquence  de  ces  écarts  de  l'opinion  pu- 
blique, que  des  hommes  tels  que  Alfred  de  Musset, 


202     GUSTAVE    SADALD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

de  Balzac  et  tant  d'autres,  que  vous  avez  nommés 
avant  moi,  n'ont  pas  leurs  images,  leurs  traits  et 
leurs  titres  reproduits  sur  nos  places  publiques  à 
l'adresse  de  la  postérité  et  voués  au  jugement  de 
l'histoire. 

«Heureusement  pour  l'honneur  d'unecité  qui  tient 
le  premier  rang  dans  l'industrie  et  le  commerce 
par  son  esprit  d'initiative,  par  son  travail  et  son 
intelligence  pratique,  les  amis  de  Gustave  Nadaud, 
aidés  par  l'administration  municipale  qui  nous  a 
donné  ce  magnifique  emplacement  avec  une  allo- 
cation de  2000  francs,  encouragés  par  une  subven- 
tion du  Conseil  général  du  Nord,  appuyés  par  le 
Gouvernement  delà  République  dont  le  ministère 
des  Beaux-Arts  nous  alloue  généreusement  une 
somme  de  quatre  mille  francs,  ce  dont  notre  co- 
mité tient  à  exprimer  sa  reconnaissance,  heureu- 
sement, disais-je,  les  nombreux  amis  de  Gustave 
Xadaud  ont  senti  battre  leur  cœur  à  la  mort  de 
leur  cher  et  célèbre  concitoyen  et  ils  ont  pensé 
qu'il  était  de  leur  devoir  d'élever  à  notre  chanson- 
nier, poète  et  musicien,  un  monument  digne  de 
lui.  couronné  de  son  buste  et  propre  à  immorta- 
liser sa  mémoire. 

or  Dès  lors,  Messieurs,  un  concours  a  été  organisé 
qui  ;>  réuni  des  sculpteurs  et  des  architectes  de 
grand  tnlent  dont  les  o-uvres,  exposées  à  l'Ecole 
Nationale  des   Arts   Industriels  de  notre  ville,  ont 

été  admirées  par  le  public  d  jugées  par  un  jury 


GUSTAVE   wh.un   i/r  r.A  ctaÀXSOA    nuv  mi      203 

spécial  sous  le  contrôle  de  deux  délégués  du  gou- 
vernement, MM.  P.  Lefort  et  Roger  Ballu.  C'est 
l'œuvre  commune  de  deux  enfants  du  Nord, 
M.  A.  Cordonnier,  de  Lille,  sculpteur  éminent  dont 
la  réputation  grandit  toujours,  et  de  M.  Charles 
Lefebvre,  de  Roubaix,  trois  fois  lauréat  des  con- 
cours de  Dunkerque,  de  Roubaix  et  de  Lyon,  dont 
le  mérite  assure  l'avenir,  c'est  leur  brillant  ou- 
vrage que  nous  sommes  fiers  d'inaugurer  aujour- 
d'hui. 

«Il  nous  semble,  Messieurs,  que  l'aspect  de  notre 
monument  cause,  au  premier  coup  d'œil,  une  im- 
pression exacte  et  vivante  de  l'homme  qui  a  chanté 
la  jeunesse  ;  il  fallait,  en  effet;  à  Nadaud,  la  simple 
nature  :  les  oiseaux  et  les  fleurs,  le  grand  air  et  le 
soleil.  Grâce  à  Dieu,  son  buste  souriant  nous  dit 
qu'il  est  à  sa  place  et  qu'il  en  est  content. 

«  On  a  publié  tant  de  biographies  de  notre  conci- 
toyen que  celui  qui  a  l'honneur  de  vous  en  parler 
en  ce  moment  cherche  ce  qu'il  doit  en  dire  après 
ce  qui  a  été  dit,  écrit  ou  chanté  sur  lui,  sur  ses  dé- 
buts, ses  succès,  sa  vie  et  sa  mort. 

«  Il  nous  paraît  cependant  utile  de  rappeler  ici,  en 
face  de  ce  monument  et  en  cette  circonstance,  que 
Gustave  Nadaud  est  né  à  Roubaix,  en  1820,  d'une 
famille  amie  des  choses  de  l'esprit  et  du  cœur  ;  son 
père  était  un  négociant  ou  plutôt  un  mathématicien 
ardent  chercheur  peu  apte  au  négoce;  cependant 
Gustave  Nadaud,  après  avoir  fait  ses  études  au 


'20  \     GUSTAVE  \ADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

collège  Rollin  où  il  eut  des  succès,  où  tous  ses 
condisciples  étaient  ses  camarades  et  où  tous  les 
Roubaisiens  étaient  ses  amis,  tenta,  quelques 
années  après  sa  sortie  du  collège,  les  difficultés  du 
commerce  pour  lequel  il  n'était  point  fait;  il  en  a 
essayé,  sans  succès,  par  esprit  d'origine  et  par  sen- 
timent du  devoir. 

«  Disons  en  ce  moment  que  notre  poète  a  bien  fait 
d'abandonner  cette  carrière  ;  il  n'était  pas  né  poul- 
ies bénéfices  du  négoce  ;  il  n'a  jamais  aimé  l'ar- 
gent, pas  plus  qu'il  n'a  jamais  aimé  la  politique  et 
les  grandeurs. 

«  Reprenant  possession  de  lui-même  et  fort  d'une 
indépendance  qu'il  a  toujours  su  garder,  il  s'est 
adonné  à  ses  goûts  naturels,  et  ses  premières  chan- 
sons du  quartier  latin  réjouissent  parfois  encore 
nos  oreilles,  malgré  leur  hardiesse,  atténuée  et 
adoucie  d'ailleurs,  par  une  séduisante  musique 
dont  les  refrains  ont  été  si  populaires.  On  ne  sau- 
rait reprocher  ces  petits  péchés  de  jeunesse  au 
chansonnier  qui  a  donné  dans  la  suite  de  son  exis- 
tence laborieuse  tant  de  leçons  de  saine  morale 
mêlée  de  bon  sens  et  de  gaieté  gauloise. 

«  Messieurs,  Gustave  Nadaud  était  un  croyant  de 
naissance  et  d'éducation,  il  possédait  tout  simple- 
ment une  vertu  qui  est  d'autant  plus  belle  qu'elle 
est  rare  :  je  veux  dire  l'indulgence.  Il  a  signalé  et 
flétri  sans  aigreur  les  vices  de  son  temps,  l'égoïsme 
surtout;  ses   vers  ont   été  \ils.  incisifs,  si    vous  le 


GU STATE    SADAUD    ET    LA    CHAÏIS0H    FRANÇAISE      20.r> 

voulez,  mais  vrais  avant  tout  ;  jamais  il  ne  s'est 
abaissé  à  la  calomnie;  il  riait  de  sa  médisance  et, 
en  blâmant  les  actes,  il  respectait  les  personnes. 
Sa  philosophie,  à  mesure  que  son  esprit  s'élevait, 
jugeait  bien  des  travers  et  son  but  était  de  corriger 
sans  blesser.  Voyez,  Messieurs,  avec  quel  tact  et 
avec  quelle  mesure,  dans  les  «  Deux  Gendarmes  » 
qui  ont  fait  le  tour  du  monde,  il  a  su  conserver, 
quoi  qu'on  en  puisse  penser,  le  respect  de  la  disci- 
pline et  de  l'autorité,  tout  en  plaisantant,  tout  en 
forçant  le  trait  jusqu'à  l'aveuglement,  et,  s'il  est 
permis  de  s'exprimer  ainsi,  jusqu'à  la  surdité  de 
l'obéissance  quand  même. 

«  Les  maîtres  de  notre  chansonnier-poète  n'ont  pas 
étéDésaugiers,Béranger  ou  Pierre  Dupont;  ce  n'est 
point  d'eux  que  son  talent  procède  ;  c'est  à  notre 
Lafontaine  qu'il  a  demandé  la  simplicité  du  bon 
sens  ;  c'est  à  Tibulle  qu'il  doit  la  forme  de  son  ta- 
lent plein  de  charme  et  d'abandon  ;  c'est  Horace 
qui  lui  a  inspiré  ses  plus  justes  et  plus  fortes 
pensées;  c'est  Anacréon  qui  lui  a  soufflé  sa  verve 
enchanteresse  et  qui  lui  a  dicté  la  concision  et  la 
légèreté  de  son  style. 

«  Je  vous  supplie,  Messieurs,  d'excuser  cette  invo- 
lontaire exagération  ;  veuillez  la  regarder  comme 
l'effet  d'un  sentiment  plus  fort  que  la  raison 
même  ;  c'est  une  amitié  de  plus  d'un  demi-siècle 
qui  vous  parle  et  qui  croit  à  la  vérité  de  son 
admiration  autant  qu'elle  croit  à  la  durée   des 


206     GUSTAVE    NADAUD    ET     LA    CHANSON    FRANÇAISE 

œuvres  de  notre  poète  et  chansonnier  roubai- 
sien. 

c  Laissez-moi  maintenant,  Messieurs,  vous  mar- 
quer quelques  traits  delà  vie  intime  et  du  caractère 
de  Gustave  Nadaud  ;  il  était  l'ami  des  petits  et  des 
humbles  et  il  allait  droit  à  ceux  qu'il  voulait  con- 
soler dans  leurs  jours  malheureux  ;  il  offrait  alors 
de  leur  dire  ou  de  leur  chanter  tout  ce  qui  pou- 
vait posséder  le  don  de  les  distraire  de  leurs  tristes 
pensées  et  il  touchait  délicatement  la  corde  qui 
l'ait  revivre.  Croyez-en,  Messieurs,  celui  qui  vous 
le  dit  pour  en  avoir  senti  le  souffle  bienfaisant.  Si 
Nadaud  aimait  les  faibles,  il  n'a  jamais  recherché  les 
grands,  quoi  qu'on  ait  pu  dire,  et  il  n'a  jamais,  que 
je  sache,  fait  antichambre. 

«  A  deux  pas  deceparcsplendideil  était  un  caba- 
ret nommé  le  Créchet  (du  nom  d'une  petite  lampe 
de  l'ouvrier  tisserand)  où  tous  les  soirs,  lorsqu'il 
habitait  Roubaix,  Gustave  Nadaud  se  rendait  avec 
quelques  amis  ;  là,  il  les  égayait  de  sa  verve  iné- 
puisable, toujours  égale  à  elle-même,  simple  et  na- 
turelle, vive  et  spirituelle;  il  fredonnait  à  l'aller  et 
au  retour,  les  jours  de  pluie  ou  de  soleil,  tout  le 
long  d'un  petit  sentier,  ses  aimables  couplets  en 
marchant  sur  ces  vieilles  dalles  que  n'ont  pas  ou- 
bliées ses  0Ontemporaill8,  Son  esprit  lin  était  pro- 
fondément observateur  et  s'il  voyait  grand  dans 
ses  étude  bumaines,  il  s'intéressait  aux  infiniment 
petits  dani  lei  Choses    de   la   nature,    rien    ne    lui 


GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE  207 

échappait  de  ce  qu'il  voyait  sur  son  chemin  ;  sous 
la  feuille,  dans  les  herbes,  sur  les  fleurs,  dans  les 
arbres  et  dans  les  cieux,  aux  fenêtres  des  maisons, 
sous  le  chaume  des  ouvriers  qu'il  aimait  et  dont  il 
était  aimé.  Il  y  a  trouvé  le  fonds  de  ses  meilleures 
compositions.  Nadaud  avait  le  cœur  bon  et  tendre  ; 
demandez-le,  Messieurs,  à  ses  deux  excellentes 
sœurs  qui  l'ont  entouré  jusqu'à  sa  dernière  heure 
de  tant  de  soins  et  d'affection. 

«  Je  me  garderai  bien  de  passer  sous  silence, 
comme  il  eût  fait,  sa  donation  au  musée  de  la  ville 
de  Roubaix  de  cette  collection  de  dessins,  unique 
par  leur  nombre,  parleur  genre  et  leur  variété,  si- 
gnés des  noms  de  nos  meilleurs  peintres  et  offerts  ' 
par  eux  à  mon  ami  Nadaud  pour  illustrer  l'édition 
in-folio  de  ses  œuvres  choisies. 

«  D'autres  pourront  mieux  que  moi  énumérer  ses 
œuvres,  ses  chansons,  ses  jolis  poèmes,  ses  idylles, 
je  me  suis  borné  à  puiser  dans  mes  souvenirs 
d'enfance,  dans  les  douces  heures  de  mon  âge  mûr 
et  dans  les  regrets  de  ma  vieillesse  les  titres  d'un 
ami  dont  le  talent  sera  de  plus  en  plus  apprécié 
tant  qu'il  y  aura  dans  le  monde  de  bonnes  et  belles 
choses  à  chanter  ou  à  dire  et  des  cœurs  pour  les 
comprendre.  Pour  terminer,  Messieurs,  ce  trop 
long  discours  par  une  parole  simple  et  vraie  :  Dieu 
a  donné  à  Nadaud,  outre  les  dons  qui  l'ont  fait 
poète,  les  qualités  qui  caractérisent  l'honnête 
homme  et  qui  font  l'homme  de  bien. 


208  GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE! 

«  Messieurs,  au  nom  et  comme  président  du  co- 
mité Nadaud,  j'ai  l'honneur  de  remettre  à  M.  le 
maire  de  la  ville  deRoubaix,  la  possession  du  mo- 
nument que  nous  inaugurons  aujourd'hui.  Je  rem- 
plis un  agréable  devoir  en  offrant  nos  remerciments 
à  tous  ceux  qui  ont  contribué  à  la  solennité  de 
cette  fête  populaire  ;  notre  comité  tient  à  cœur  de 
féliciter  particulièrement  M.  Julien  Kozzul,  auteur 
de  la  musique,  et  M.  J.  Rosoor,  des  paroles  de  la 
cantate  que  nous  avons  applaudie  tout  à  l'heure, 
ainsi  que  cette  nombreuse  et  vaillante  société  cho- 
rale qui  porte  le  nom  tant  aimé  de  Nadaud,  et 
notre  musique  municipale,  la  Grande  Harmonie 
de  Roubaix,  qui,  dans  les  luttes  artistiques,  peut 
compter  ses  victoires  par  le  nombre  de  ses  ba- 
tailles. » 

Les  applaudissements  redoublent  quand  M.  Bos- 
sut  a  fini  de  parler.  Il  reçoit  les  félicitations  de  ses 
voisins  et  de  la  lamille  Nadaud. 

M.  le  président  donne  alors  la  parole  à  M.  le 
maire  deRoubaix.  M.  Desobry, adjoint,  en  l'absence 
de  M.  (barrette  retenu  par  la  maladie,  le  remplace 
t*t  s'exprime  ainsi  qui  suit  : 

Discours  de  M.  A.  Dcsobnj,  adjoint  au  maire  de 

Roubùix, 

Messieurs,  au  nom  de  l'administration  munici- 
pale que  je  représente   ici,  je   vous  exprime  toute 


GUsl'AVî:    NADAUD    KT    LA    CHàHSOH     II»  ANC  USE     v20!) 

ma  gratitude  en  reconnaissance  de  l'heureuse  ini- 
tiative que  vous  avez  prise  en  vue  d'arriver,  au 
moyen  d'une  souscription  publique,  à  ériger  le 
beau  monument  que  vous  venez  d'offrir  à  la  ville 
de  Roubaix. 

«  Aussi  nous  l'acceptons  avec  empressement. 
Nous  estimons,  avec  vous,  Messieurs,  que  Gustave 
Nadaud  est  digne  de  passer  à  la  postérité,  que  cet 
enfant  de  Uoubaix  était  un  chansonnier  de  premier 
ordre,  dont  les  œuvres  sont  universellement  ré- 
pandues. 

«  Soyez  persuadés,  Messieurs,  que  nous  nous 
appliquerons  à  assurer  la  conservation  de  ce  tra- 
vail d'art  dû  à  deux  artistes  du  Nord  :  M.  Lefebvre, 
architecte  et  roubaisien,  M.  Cordonnier,  sculpteur 
de  Lille,  à  qui  j'adresse  mes  plus  vives  félicita- 
tions. 

«  Je  me  résumerai  en  disant  que  ce  monument 
perpétuera  le  souvenir  du  talent  si  remarquable  de 
Gustave  Nadaud  et  des  deux  artistes  distingués 
que  j'ai  nommés. 

«Je  termine  en  exprimant  les  remerciements  de 
l'administration  municipale  à  M.  Roger  Marx,  dé- 
légué de  M. .le  ministre  des  Beaux-Arts,  et  à  M.  Le- 
tailleur  délégué  de  M.  le  préfet  du  Nord,  dont  la 
présence  honore  la  ville  de  Roubaix  tout  entière  et 
rehausse  l'éclat  de  la  cérémonie  d'inauguration 
du  monument  élevé  à  la  mémoire  de  Gustave  Na- 
daud, le  célèbre  chansonnier  roubaisien.  » 

14 


—  10     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Nouveaux  applaudissements  après  le  discours  de 
M.  Desobry.  Sur  l'invitation'de  M.  Marx.  M.  Achille 
Scrépel,  sénateur,  prend  à  son  tour  la  parole:  voici 
le  texte  de  son  allocution  : 


Discours  de  M.  A.  Scrépel,  sénateur. 

«  Pour  la  première  fois,  Roubaix,  la  grande  cité 
industrielle,  a  l'honneur  d'élever  un  monument  à 
l'un  de  ses  enfants,  à  celui  qui,  par  son  génie,  fut 
non  seulement  le  Grand  Roubaisien,  mais  un 
illustre  Français. 

«  Les  éloquentes  paroles  que  vous  venez  d'en- 
tendre vous  ont  tracé  si  complètement  la  vie  et 
l'œuvre  de  G.  Nadaud  que  la  place  n'est  plus  aux 
grands  discours. 

«  Mais,  comme  enfant  de  Roubaix,  ami  (de  Na- 
daud, je  demande  à  dire  quelques  mots  dans  une 
circonstance  si  solennelle  ;  mon  cœur  a  besoin  de 
parler  à  ce  vieux  camarade  dont  l'art  du  statuaire 
a  reproduit  les  traits  bienveillants  et  sympa- 
thiques, et  lui  dire  :  Gustave,  toute  la  ville  est 
en  fête,  toutes  les  mains  s'entrelacent,  les  cœurs 
battent  à  l'unisson,  et,  dans  un  élan  indescrip- 
tible, tes  concitoyens  te  regardent,  te  saluent. 

t-  J'ai  connu  Nadaud  dès  son  enfance;  il  était 
doux,  affable,  bon,  tendant  volontiers  la  main  i\  la 
souffrance  ;  il  aimait  le  peuple  et  le  peuple,  qui  suit 


GU8ÏAV1    \AD.W  1)    ET    L\    CHANSON    IHÀNÇYISE     211 

reconnaître  les  siens,  lui  rend  aujourd'hui  ses  hom- 
mages respectueux.  Que  son  estimable  famille,  que 
ses  nombreux  amis  doivent  être  heureux  en  ce 
jour  de  tête,  en  voyant  toute  une  population  en- 
thousiaste acclamer  la  mémoire  du  grand  chan- 
sonnier, du  poète  enchanteur. 

«  C'est  bien  la  récompense  la  plus  honorable,  la 
plus  digne,  celle  qui  doit  aller  au  cœur  de  la  fa- 
mille, comme  elle  va  au  cœur  de  ses  nombreux 
amis.  Permettez  à  celui  qui  fut  son  ami,  au  séna- 
teur, de  proclamer  bien  haut,  devant  cette  brillante 
réunion  et  devant  la  famille  Nadaud,  ces  paroles 
de  reconnaissance  :  Nadaud,  la  ville  de  Roubaix 
n'oublie  pas  son  enfant  ;  elle  te  voue  à  l'éternelle 
admiration  de  tes  concitoyens.  » 

Les  applaudissements  de  l'assistance  retentis- 
sent quand  M.  Scrépel  a  terminé. 

Un  cri  de  «  Vive  le  sénateur  »  se  mêle  aux  bra- 
vos. 

La  parole  est  ensuite  donnée  par  le  président  à 
M.  Félix  de  Monnecove,  président  des  «  Rosati  », 
qui  prononce  le  discours  suivant  : 


Discours  de  M.  Félix  de  Monnecove. 

«  Les  Rosati  ont  à  cœur  d'apporter  à  Gustave  Na- 
daud le  tribut  de  leur  admiration  et  de  leur  sym- 
pathie, le  jour  où  la  ville  de  Roubaix  décerne  un 


*212  GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

éclatant  hommage  à  l'un  de  ses  enfants  les  plus 
illustres  parmi  ceux  qui  l'honorent  et  qui  flattent 
son  légitime  orgueil,  et  où  le  statuaire  Cordonnier, 
l'un  des  nôtres,  et  Lefehvre,  architecte  du  gouver- 
nement, dévoilent  devant  tous  l'œuvre  resplendis- 
sante que  nous  saluons  aujourd'hui. 

«  Né  dans  une  cité  laborieuse  entre  toutes,  Na- 
daud  devait  débuter  dans  la  vie  comme  on  y  dé- 
bute généralement  parmi  vous;  il  fut  d'abord  tra- 
vailleur et  commerçant.  Mais  sa  vocation  l'en- 
traîna, et,  dès  qu'il  se  sentit  inspiré,  il  ouvrit  se 
ailes  et  se  mit  à  chanter. 

«  Poète  avant  tout  et  poète  aux  conceptions  ingé- 
nieuses, il  s'adonna  presque  exclusivement  à  la 
chanson,  et,  dans  ce  pays  où  la  chanson  a  partout 
un  droit  de  cité  dont  tant  d'hommes  de  talent 
maintiennent  la  tradition,  il  fut  vraiment  le  chan- 
sonnier populaire. 

«  A  ce  titre,  Nadaud  devait  être  des  nôtres,  car, si 
nos  devanciers  d'Artois  chantaient  sous  des  ber- 
ceaux enguirlandés  de  roses,  c'est  sous  les  hou- 
blons de  Flandre  que  Nadaud  aimait  à  chanter,  et 
nous  lui  réservions  notre  plus  haute  distinction, 
I  année  même  OÙ  la  mort  nous  l'a  pris. 

La  chanson,  n'est-ce  pas  l'âme  de  la  nation  qui 
s  incarne  à  chaque  instant  dans  l'œuvre  que  le  pa- 
triotisme enflamme   ou    que   l'actualité  inspire? 

N'est-ce  pas  souvent  aussi  létincclante  fantaisie  ou 
l'élégie  plaintive  qui  captive  le  porte? 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FBANÇAISB      213 

«  La  lyre  de  Nadaud  avait  toutes  ces  cordes.  Que 
de  fois  n'ont-elles  pas  vibré  sous  ses  doigts  pour 
notre  plus  grand  plaisir,  à  nous  dont  l'oreille  et  le 
cœur  ont  retenu  tant  de  ses  refrains  ! 

«  J'ai  beaucoup  aimé  Nadaud,  j'étais  fier  de  la 
sympathie  qu'il  me  témoignait  ;  j'aurais  voulu 
vous  dire  toute  mon  admiration  pour  son  œuvre 
vraiment  considérable,  mais  elle  a  trouvé  devant 
vous  des  interprètes  si  distingués  et  si  complets 
que  je  ne  saurais  essayer  d'ajouter  quelque  chose 
à  ce  qu'ils  viennent  de  vous  faire  entendre. 

«  Tous  ceux  qui  aiment  les  lettres,  et  qui  portent 
avec  vous  le  deuil  de  l'homme  excellent  qui  n'est 
plus,  sont  heureux  de  le  voir  glorifier  comme  vous 
savez  le  faire,  dans  cette  cité  reconnaissante  qui  se 
lève  en  son  honneur  et  qui  remplit  ses  rues  de  pa- 
vois et  d'acclamations. 

«  Le  poète  si  délicat,  le  lettré  si  fin,  parmi  tant  de 
doutes  amers,  et  tant  de  tristes  défaillances,  n'a 
jamais  cessé  de  croire  à  la  fantaisie,  à  la  jeunesse, 
à  l'amour,  à  la  patrie  ;  et  nous  qui  pensons  comme 
Nadaud,  que  s'il  est  bon  d'égayer  ses  contempo- 
rains, il  est  doux  de  les  réconforter  aussi,  nous  ré- 
péterons après  lui  :  Non,  non,  tous  les  dieux  ne 
sont  pas  partis!  » 

Ce  discours  a  été  également  très  applaudi  et  l'au- 
teur félicité. 

M.  l'inspecteur  des  Beaux-Arts  annonce  que  la 
parole  est  donnée  à  M.  Manso,  président  des  «  Fils 


-14  GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

des  Trouvères  ».  Le  poète  lillois,  ne  se  trouvant 
pas  sur  l'estrade,  n'a  pu  prononcer  le  discours  qu'il 
avait  préparé  pour  la  circonstance,  et  que,  grâce 
à  la  communication  qu'il  a  bien  voulu  nous  en 
donner,  nous  pouvons  faire  connaître  à  nos  lec- 
teurs. En  voici  le  texte  : 


Discours  de  M.  Ch.  Manso. 

u  En  honorant  et  en  perpétuant  le  souvenir  de 
leurs  dignes  fils,  les  villes  s'honorent  elles-mêmes. 
Roubaix  accomplit  aujourd'hui  un  acte  de  justice 
bien  cher  à  son  cœur.  11  était  juste  que  Nadaud 
ait  un  monument  dans  sa  ville  natale. 

«  Il  était  juste  que  le  bronze  perpétuât  le  souvenir 
de  ce  délicat  et  spirituel  poète. 

«  Nous  venons  nous  associer  à  cette  touchante 
manifestation. 

«  Au  nom  de  la  société  des  «  Fils  des  Trouvères  », 
j(  viens  déposer  cette  couronne  coin  me  un  hom- 
mage reconnaissant  et  saluer  celui  qui  fut  noire 
;  ni.  Je  n'entreprendrai  pas  l'historique  de  son 
q  uvre.  des  voix  plus  autorisées  l'ont  l'ait  et  vien- 
nent de  le  faire  encore.  Je  viens  saluer  celui  qui 
lut  un   homme  de  talent,   un   homme   d'esprit,  un 

homme  «le  cœur.  Cette  trilogie  dans  un  seul  être 

esj  chose  plus  rare  qu'on  ae  le  suppose,  surtout 

Je  tempe  présent.Je  salue  le  poète  avec  admi- 


GUSTAVE    NADAUD    ET    I. A    CHANSON    FRANÇAISE      2 1  ."i 

ration,  riiomme  d'esprit  avec  un  sourire,  l'homme 
de  cœur  avec  émotion.  Nadaud  est  resté  le  fidèle 
amant  de  la  chanson  française,  aimable  et  spiri- 
tuelle, émue  parfois  et  toujours  distinguée  et  de 
bonne  compagnie,  cette  chanson  qui  faisait  les  dé- 
lices de  nos  pères,  cette  chanson  qui  déride  les 
fronts  sans  choquer  le  bon  goût,  qui  vient  à  la  fin 
de  tout  repas  joyeux  tremper  le  bout  de  son  aile 
aux  coupes  de  Champagne  avec  un  franc  éclat  de 
rire. 

«  Si  Nadaud  fut  moins  chanté  dans  ses  dernières 
années,  c'est  que  nous  avons  changé  tout  cela,  mais 
je  crains  fort  que  nous  sommes  en  train  de  gas- 
piller cet  héritage  gaîment  et  spirituellement 
amassé  par  nos  aïeux.  Etre  resté  fidèle  à  la  sainte 
tradition  malgré  l'entraînement  de  notre  époque, 
n'est  pas  un  de  tes  moindres  titres  de  gloire,  cher 
Maître  ! 

«  Quant  à  ton  cœur,  tous  ceux  qui  ont  eu  le  bon- 
heur de  t'approcher  l'ont  senti  battre.  Il  était  à  la 
hauteur  de  ton  talent.  Nous,  humbles  trouvères 
lillois,  avons  connu  ta  bienveillante  indulgence, 
la  délicatesse  de  tes  conseils  et  nous  n'avions  pas 
moins  d'admiration  pour  le  caractère  de  l'homme 
que  pour  le  talent  du  poète. 

«  Voilà  pourquoi  en  cejour  solennel  où  la  ville  de 
Roubaix  inaugure  ce  monument  en  l'honneur  de 
son  glorieux  fils,  Lillois,  nous  venons  joindre 
notre  émotion  à  la  sienne  et  saluer  celui  qui  l'a 


210  GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

tant  aimée,  celui  qui  était  heureux  de  déposer  à 
ses  pieds  les  lauriers  et  les  fleurs  qu'il  récoltait  loin 
d'elle. 

«  Heureuses  les  villes  qui  donnent  le  jour  à  des 
natures  d'élite  qui,  avec  les  rayons  de  gloire  ac- 
quis, éclairent  doucement  le  front  de  leurs  mères; 
heureux  ceux  nés  de  ces  mères  jalouses  de  leur  re- 
nommée, qui  leur  élèvent  un  souvenir  durable  et 
sauvent  ainsi  leurs  noms  de  l'oubli  ! 

«  Aimable  chansonnier,  reste  au  milieu  de  cette 
grande  et  laborieuse  cité  qui,  dans  sa  dévorante 
activité,  trouve  encore  le  temps  d'honorer  ses  écri- 
vains et  ses  artistes.  Ici,  au  seuil  de  ce  magnifique 
jardin,  à  chaque  printemps  les  fleurs  s'épanoui- 
ront et  feront  monter  vers  toi  leurs  enivrants  par- 
fums, la  brise  caressera  ton  front  d'airain  ;  les  oi- 
seaux diront  pour  toi  leurs  plus  douces  chansons. 
La  nature  enfin,  t'enverra  la  fraîcheur  exquise  de 
son  premier  sourire,  te  payant,  elle  aussi,  son  tri- 
but de  reconnaissance,  à  toi  qui  l'as  chantée  avec 
ton  âme  vibrante  de  poète  I  » 

La  parole  a  été  donnée  en  dernier  lieu  à  M.  Che- 
broux,  officier  de  l'Instruction  publique  et  prési- 
dent de  la  u  Lice  Chansonnière  n  de  Paris. 

M.  Chehrouxfut,  comme  on  le  sait,  l'ami  intime, 
le  confident  et  L'exécuteur  testamentaire  littéraire 
de  Nadaud.  Aussi  la  plus  grande  attention  a  été 
prêtée  a  son  discours  ainsi  conçu  : 


GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FHANÇAISE  217 

Discours  de  M.  Chebroux. 

«  Mesdames,  Messieurs.  Après  les  inoubliables 
fêtes  que  Paris  vient  de  donner  aux  souverains 
d'une  puissance  amie,  c'est  Roubaix,  qui,  à  son 
tour,  salue  de  ses  acclamations  enthousiastes,  en 
la  personne  de  son  fils  le  plus  cher,  cette  autre 
grande  et  aimable  souveraine  :  la  Chanson. 

<(  S'il  est  un  spectacle  dont  nous  puissions  être 
fiers,  s'il  est  une  chose  qui  nous  doive  consoler 
des  chants  orduriers  et  ineptes  dont  nous  sommes 
abreuvés  en  cette  fin  de  siècle,  où  le  sublime  touche 
parfois  le  grotesque,  c'est  assurément  la  manifes- 
tation grandiose  d'aujourd'hui  :  c'est  cette  même 
pensée  de  pieuse  reconnaissance  qui  nous  réunit 
autour  de  ce  monument  si  gracieux,  si  harmonieux 
en  sa  conception. 

«  C'est  la  glorification  par  le  bronze  et  le  marbre 
de  celui  que  nous  devons  mettre  au  premier  rang 
des  chansonniers  français  et  à  la  meilleure  place. 

«  Mais,  avant  de  chanter  la  gloire  du  chansonnier 
roubaisien,  permettez-moi  de  parler  un  peu  de 
cette  dixième  muse,  à  laquelle  il  donna  pendant 
plus  d'un  demi-siècle  le  plus  pur  de  son  esprit  et 
de  son  cœur. 

«  La  chanson  est  un  produit  intellectuel,  essen- 
tiellement français,  c'est  une  fleur  qui  ne  pousse 
et  ne  se  plaît  que  sur  le  sol  béni  de  France. 


210  GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

«  Comme  la  vigne,  fille  du  soleil,  elle  a  dû  nous 
être  apportée  des  pays  latins  ;  elle  compose,  quoi 
qu'on  en  puisse  dire,  la  plus  grande  partie  de  notre 
patrimoine  littéraire. 

«  Tous  les  peuples  peuvent  avoir  des  poètes.  La 
France  seule  a  des  chansonniers.  En  ces  temps  de 
nervosité,  de  fièvre,  où  nous  obéissons  à  des 
poussées  vigoureuses  qui  nous  obligent  à  vivre  ra- 
pidement, à  jouir  vite  des  choses,  la  chanson 
semble  appelée  à  devenir  l'unique  poésie  de  l'ave- 
nir. 

«  Nous  n'avons  plus  les  loisirs  de  lire  les  longs 
poèmes,  fussent-ils  beaux  comme  ceux  du  divin 
Homère  qui  se  composaient  de  vingt-quatre 
chants  :  combats  titanesques,  idylles  amoureuses, 
drames  ou  comédies  ;  la  chanson,  celle  qui  mérite 
ce  nom,  celle  qui  ne  se  prête  ni  aux  grimaces,  ni 
aux  contorsions  ridicules,  de  pitres  prétentieux  et 
vains  ;  la  bonne  et  saine  chanson  nous  dit,  nous 
joue  tout  cela  en  quelques  couplets. 

(i  Nul  long  poème  n'a  fait  pleurer  les  mères  comme 
un  seul  quatrain  du  Nid  abandonné.  Aucun  clin  ut 
épique  n'a  électrisé  un  peuple  comme  la  Mar- 
seillaise, lançant  sur  l'Europe  coalisée  quatorze 
années  victorieuses  ! 

<  La  grande  poésie  habite  des  sphères  éthéréeset 
par  cela  même  qu'elle  plane  dans  le  rêve  et  l'idéal, 

il  lui  est  difficile  <!<•  se  pencher  sur  l'humaine  foule 
et  d'en  connaître   les  besoins  el  les  aspirations. 


gustwe  NADAUD  et  la  chanson  française    210 

«  La  chanson  est  humaine  ;  elle  est  du  peuple  ; 
elle  vit  avec  nous,  au  milieu  de  nous,  disant  nos 
bonheurs  ou  nos  souffrances,  joyeuse  de  nos  rires, 
attristée  de  nos  larmes. 

a  Elle  s'assied  au  foyer  familial  où  dort  l'enfant 
dans  sa  hercelonnette,  aide  la  jeune  fille  à  pous- 
ser l'aiguille,  l'aïeule  à  tourner  le  fuseau,  môle  ses 
ariettes  au  rythme  des  marteaux  frappant  l'en- 
clume. C'est  l'interprète  de  nos  sentiments,  la 
compagne  aimante  et  consolante  de  nos  labeurs 
quotidiens. 

«  C'est  donc  à  tort  qu'on  traite  assez  souvent  la 
chanson  comme  une  petite  chose,  comme  une 
partie  infime  de  notre  littérature. 

«  Nous  devons  à  cette  coupable  indifférence,  à  cet 
injuste  dédain,  ce  débordement  de  chansons  mal- 
propres et  niaises,  qui  forment  le  fond  du  réper- 
toire des  cafés-concerts  et  d'ailleurs,  versanl  au 
peuple  un  breuvage  empoisonné  qui  corrompt 
son  goût,  son  esprit  et  son  cœur. 

c  Sans  vouloir  remonter  trop  haut  dans  l'histoire 
de  la  chanson,  disons  que  quatre  astres  chanson- 
niers, quatre  maîtres  dont  les  œuvres  laisseront 
un  sillon  lumineux  à  travers  les  âges  futurs  au- 
ront brillé  sur  ce  siècle. 

«  Ces  quatre  rois  du  couplet,  nous  pourrions  les 
dénommer  ainsi  : 

«  Désaugiers,  le  Rire  ;  Bérangcr,  la  Philosophie  ; 
Dupont,  l'Eglogue  ;  Nadaud,  l'Esprit, 


220  GUSTAVE  BADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

<i  Disons  que  Nadaud  qu'il  faudrait  dénommer 
aussi  la  Grâce  et  le  Charme,  résumait  en  lui  ses 
trois  devanciers  ;  je  veux  dire  que  sans  leur  em- 
prunter rien  il  possédait  leurs  qualités  maîtresses, 
car  Gustave  Nadaud  n'était  d'aucune  d'école  (si  ce 
n'est  de  celle  du  bon  sens).  Ses  vers  sont  bien  à  lui, 
sa  note  est  absolument  personnelle,  ainsi  que  je 
l'ai  dit  ailleurs  (si  c'est  le  juvénal  fin  et  railleur, 
piquant  de  son  vers  mordant,  jamais  agressif  ce- 
pendant, taquin  plutôt)  toutes  les  turpitudes  et  les 
abus  qu'il  rencontre  en  son  chemin,  c'est  aussi  le 
doux  poète  attentif  aux  moindres  manifestations 
de  la  nature  et  du  cœur  humain,  notant,  pour  le 
redire  à  la  foule,  tout  ce  qui  se  produit  en  lui  et  au- 
tour de  lui  :  le  grondement  de  l'Océan,  le  chant  de 
la  vague,  une  Heur  qui  s'ouvre,  un  battement 
d'ailes,  tout  intéresse  et  passionne  le  poète. 

«  Boileau  a  écrit  : 

<  Il  faut  même  en  chanson  du  bon  sens  et  de  l'art,  i 

«  Boileau  est  venu  trop  tôt  pour  lire  les  chansons 
de  Béranger  et  de  Nadaud,  et  c'est  là  son  excuse 
d'avoir  écrit  une  semblable  énonnité,  car  c'est 
surtout  dans  ce  petit  poème  tour  à  tour  railleur, 
philosophique,  amoureux,  admirable  en  sa  con- 
ception, qu'il  est  nécessaire  d'avoir  du  bon  sens 
et  de  l'art,  el  dans  cet  art-là,  Gustave  Nadaud  est 
resté  un  maître  incomparable. 

"  Je  n'abuserai  pas  de  vos  moments  en  nous  ci- 


GUSTAVE    NÀDAL'D    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE     221 

tant  les  œuvres  du  chansonnier-poète,  nous  les 
connaissons  toutes.  Toutes  chantent  sur  nos 
lèvres  et  sont  gravées  dans  nos  cœurs. 

«  Nous  savons  également  qu'il  y  avait  en 
Nadaud,  trinité  charmante,  un  chansonnier,  un 
musicien  et  un  interprète  admirable. 

L'œuvre  de  Gustave  Nadaud,  sans  parler  de  ses 
comédies,  de  ses  contes  et  de  ses  récits,  se  com- 
pose de  plus  de  400  productions. 

«  Les  couplets  qu'il  a  semés  par  le  monde  sont 
aussi  nombreux  que  les  grains  de  blé  recueillis  en 
un  vaste  champ. 

«  C'est  à  croire  que  Nadaud  avait  la  chanson 
dans  le  cœur. 

«Après  vous  avoir  dit  un  peu  du  bien  que  je 
pense  du  chansonnier-poète,  j'aurais  voulu  vous 
montrer  un  peu  de  l'homme  ;  vous  parler  de  sa 
modestie  sans  pose,  de  son  inaltérable  bonté,  de 
sa  bienveillance  inépuisable  pour  les  petits,  pour 
les  jeunes,  pour  les  sociétés  chansonnières  dont  il 
était  la  joie  et  la  gloire:  Le  Caveau  de  Paris,  la 
Lice  Chansonnière,  le  Caveau  Lyonnais,  le  Caveau 
Stéphanois,  le  Temple  de  la  Chanson,  et  vingt 
autres  sociétés  artistiques  et  littéraires  où  il  ai- 
mait à  se  faire  entendre. 

«  Parlerai-je  aussi  de  cette  Petite  Caisse  des 
Chansonniers  qu'il  avait  fondée,  qu'il  alimentait 
de  ses  modestes  revenus  et  qui  a  rendu  tant  de 
services  aux  auteurs  pauvres? 


'l~lï     GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

«  L'homme  vaut  l'artiste. 

a  L'artiste  est  à  la  hauteur  de  l'homme. 

<(  En  voilà  assez  pour  justifier  l'hommage  que 
nous  rendons  aujourd'hui  à  sa  mémoire  et  à  son 
génie  de  chansonnier-poète,  en  élevant  dans  sa 
ville  nationale  cet  impérissable  et  artistique  mo- 
nument dû  au  talent  du  sculpteur  Cordonnier. 

«  Qu'on  me  permette  en  terminant  de  remercier 
au  nom  de  la  Chanson  les  membres  du  comité  et 
son  honorable  président,  M.  Henri  Bossut,  sous 
l'inspiration  duquel  s'est  constitué  ce  comité  et 
dont  l'ardeur  infatigable  a  si  largement  contribué 
à  mener  à  bien  cette  œuvre  de  justice  et  de  recon- 
naissance :  La  glorification  de  Gustave  Nadaud.  » 

Plusieurs  fois  interrompu  par  des  applaudisse- 
ments, M.  Chebroux  a  recueilli  de  chaleureux 
bravos  à  la  fin  de  son  discours. 

Nous  lisons  au  moment  de  terminer  cette  notice 
les  lignes  suivantes,  dans  le  Grand  Echu  de  Lille, 
sur  le  déplacement  possible  du  monument  de  Na- 
daud : 

«  Nous  avons  exposé  par  le  menu,  il  y  a  quelque 
temps,  la  question  du  déplacement  du  monument 
du  chansonnier  ronbaisien  Gustave  Nadaud,  que 
beaucoup  de  bons  esprits  s'accordent  à  trouver  trop 

loin  du  centre  de  la  ville. 

€  A  ce  prOpOS,  le  poète-chansonnier  qui  fut  l'ami 

et  l'exécuteur  testamentaire  de  Gustave  Nadaud, 
M.    Ernesl    Chebroux,    président-fondateur    de 


GUSTAVE    tfÀDÀUfi    il     LA    CHANSON    FRANÇAISE      -23 

l'Œuvre  de  la  Chanson  française,  président  d'hon- 
neur du  «  Caveau  lyonnais  »  et  de  la  «  Muse  de 
Nadaud  »,  vient  d'écrire  à  M.  Delannoy,  président 
de  cette  dernière  société,  la  lettre  suivante  : 

Paris,  le  23  octobre  1909. 

«  Mon  cher  président  et  ami 

«  Je  suis  très  heureux  de  recevoir  de  vos  nou- 
«  velles,  et  aussi  de  lire  les  articles  concernant 
«  notre  chère  institution  chansonnière  «  La  Muse  de 
«  Nadaud  ».  Je  vous  ai  déjà  dit  ma  iaçon  dépenser 
«  au  sujet  du  monument  de  notre  regretté  Nadaud, 
«  qui  serait  beaucoup  mieux  au  centre  de  Roubaix. 

«  Je  vous  sais  gré,  à  vous  et  à  vos  amis,  des 
«  efforts  que  vous  faites  pour  tenter  d'obtenir  ce 
«  résultat. 

«  Pour  rendre  notre  culte  plus  fervent,  ne  pla- 
ie çons  pas  nos  dieux  trop  loin  de  nous. 

«  Lejouroù  Nadaud  sera  place  Chevreul,  je  ie- 
«  rai  le  voyage  de  Paris  à  Roubaix. 

«  Je  vous  charge  de  semer  mes  bons  souvenirs 
a  parmi  nos  collègues  de  la  «  Muse  »,  et  d'en  réser- 
«  ver  une  bonne  part  pour  vous  et  les  chers  vôtres. 

«  Ernest  Chebroux  >. 

Nous  nous  associons  à  ce  vœu  légitime  des  ad- 
mirateurs de  G.  Nadaud  et  souhaitons  la  réalisa- 


224  GUSTAVE  NADAUD  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE 

tion  de  ce  déplacement  du  monument  du  chanson- 
nier-poète pour  un  quartier  plus  fréquenté  et  plus 
au  centre  de  cette  cité. 

Après  ces  belles  pages  exaltant  le  Maître  disparu, 
nous  publions  un  très  beau  poème  de  M.  Georges 
Nazim,  où  vibre,  dans  un  souffle  puissant,  une 
harmonie  poétique,  dont  on  goûtera,  comme  nous 
certainement,  toute  l'élévation,  le  respect  et  la 
beauté  !  Elle  fait  grand  honneur  à  son  auteur,  et 
cet  hommage  du  poète,  Georges  Nazim,  a  sa  place 
toute  marquée  ici,  pour  terminer  cette  notice,  par 
la  langue  des  dieux,  en  l'honneur  du  Maître. 


A  NADAUD 

Quand  l'aïeul  disparaît  toute  la  maison  pleure, 
II  tenait  une  si  large  place  au  foyer  ! 
Si  vite,  à  l'écouter  parler,  s'enfuyait  l'heure  ! 
Son  sourire  savait  si  bien  tout  égayer  I 

Les  petits-fils,  surpris  devant  le  grand  mystère, 
Pour  la  première  fois  sentent  leurs  cœurs  meurtris; 
Et  quand  leur  œil  voilé,  quitte  un  instant  la  terre, 
Ils  semblent  dire  au  ciel  :  Pourquoi  nous  l'avoir  pris? 

Tels  nous  sommes  devant  ta  tombe,  Nadaud,  maître  ! 
Nous  sentons  qu'avec  toi  meurt  le  meilleur  de  nous  ; 
Et  nous  nous  demandons,  quel  Dieu  jaloux  peut  être 
Celui  qui  prend  d'abord  les  plut  aimés  de  tous. 


GUSTAVE  NADA1.D  ET  LA  CHANSON  FRANÇAISE  22.) 

C'est  que  tu  fus  pour  nous  l'âme  de  la  jeunesse, 
Que  nos  frêles  berceaux  connurent  tes  chansons 
Et  qu'à  notre  ignorance  et  qu'à  notre  faiblesse 
Ce  fut  toi  qui  donnas  les  plus  hautes  leçons. 

C'est  que,  sans  te  soustraire  à  nul  devoir  civique, 
Tu  ne  sacrifias  jamais  à  cet  autel 
De  haine  et  de  discorde,  ou  pour  la  politique, 
On  vient  communier  sous  l'espèce  du  fiel. 

Ta  muse  ne  connut  jamais  l'hypocrisie, 
Ton  cœur  fut  pitoyable  à  toute  adversité, 
Tu  fus  le  rire  franc,  tu  fus  la  poésie, 
Mais  avant  tout  tu  fus  l'honneur  et  la  bonté. 

Jusqu'au  moment  fatal  qui  ferma  ta  paupière, 
Tu  vécus  pour  bien  faire  et  chantas  pour  charmer  ; 
Aussi  nous  garderons  ton  souvenir,  Grand-Père, 
Qui  jamais  ne  tus  vieux  et  sus  toujours  aimer  1 


! 


CONCLUSION 


CONCLUSION 


En  écrivant  ces  études,  nous  avons  obéi  à  un 
sentiment  de  légitime  justice,  en  ce  qui  concerne 
ces  immortels  auteurs. 

Une  nouvelle  génération  littéraire,  désireuse  de 
conquérir,  sans  beaucoup  d'efforts,  les  lauriers  de 
la  renommée, a  cherché  systématiquement,  et  dans 
un  but  vénal,  à  répandre  dans  le  public,  que  les 
œuvres  de  ces  chansonniers  étaient  démodées, 
vieux  jeu,  de  vieille  forme,  qu'enfin,  elles  ne  de- 
vaient survivre  à  leurs  auteurs  ! 

C'est  là  une  hérésie  contre  la  vérité  et  le  bon 
sens. 

Il  nous  a  donc  plu,  à  nous,  qui  pensons  autre- 
ment, et  qui  sommes  respectueux  de  nos  maîtres, 
de  publier  à  nouveau,  et  de  réveiller  aujourd'hui 
des  chants  toujours  vibrants,  toujours  jeunes  de 
nos  chansonniers  Pierre  Dupont  et  Gustave  Nadaml 
principalement. 


230     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

Après  cette  dernière  étude,  à  laquelle  nous  avons 
apporté  de  l'inédit,  nous  sommes  persuadés  que  le 
lecteur  éclairé  ratifiera  notre  opinion. 

Mais  le  public  est  oublieux  !  aussi  avons-nous 
mis  en  relief  des  œuvres  prouvant  surabondam- 
ment que  la  poétique  de  Gustave  Nadaud,  par 
exemple,  demeure  toujours  fraîche  et  accessible  à 
tous;  chez  le  poète,  point  de  mots  alambiqués,  ni 
de  rimes  convulsives. 

Pour  juger  l'œuvre  d'un  chansonnier,  ou  d'un 
poète,  il  ne  suffit  pas  de  lire  une  pièce  ou  deux,  il 
faut  lire  l'ensemble  de  leurs  œuvres  et  s'en  inspi- 
rer, vivre,  en  un  mot,  dans  V ambiance  de  leurs  rêves, 
si  non,  l'on  risque  de  faire  une  Critique  systéma- 
tique, sur  un  choix  personnel. 

En  ce  qui  concerne  G.  Nadaud,  le  chansonnier 
et  sa  Muse  sont  précis,  le  vers  est  clair,  élégant  et 
classique  dans  la  forme,  jamais  vulgaire. 

La  popularité  d'hier,  comme  la  gloire  d'aujour- 
d'hui, qui  s'attachent  aux  noms  de  Dupont  et  Na- 
daud, viennent  de  ce  qu'ils  furent  humains, et  qu'ils 
firent  vibrer  leur  lyre  aux  accents  de  leurs  cœurs  ! 

La  Muse  de  Dupont  est  fille  de  la  nature  et  de 
l'humanité  ! 

Celle  de  Nadaud  est  lille  de  la  grâce,  de  l'esprit 
et  de  La  bonté  ! 

11  est  donc  un  devoir  de  ne  pas  penneltre  que 
leurs  nimcs  soient  Oubliées  OU  délaissées, car,  où 
sonl  doue  leurs  Pairs  ? 


GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE      '!'•)  1 

Depuis  plusieurs  années,  nous  avons  entrepris 
la  croisade  contre  les  pourvoyeurs  d'insanités,  qui 
sèment  dans  l'esprit  d'un  public  trop  indulgent  — 
et  pour  la  joie  du  cosmopolite  —  le  virus  malsain 
d'un  erotique  délirium,  ou  d'un  argot  indé- 
cent. 

Il  faut  endiguer  le  flux  des  chansons  corrup- 
trices. 

Parmi  les  talents,  qui  ne  cessent  de  se  dévouer  à 
la  bonne  renommée  de  la  chanson   française  el 
auxquels  nous  sommes  heureux  de  rendre  hom- 
mage,   nous    devons    mettre    au    premier  rang  : 
MM.  Ernest  Chebroux,  Théodore  Botrel,  Teulet, 
Maurice  Boukay,  Xavier  Privas,  Yan  Nibor,  Léon 
Durocher,  Octave  Pradels,  Eug.  Lemercier,  pour 
ne  citer  que  ceux-  là,  associant  aussi  dans  ce  salut 
au  drapeau  de  la  bonne   chanson,  les   Présidents 
dévoués,    autant  que   désintéressés,    des    filiales 
de    X Œuvre  de    la   Chanson   Française  de   Lyon, 
Rouen  et  Toulouse,  ainsi  que  ceux  des  sociétés  poé- 
tiques et  littéraires  de  :  Roubaix,  Amiens (Rosati), 
Rouen  (Violelti),  Cherbourg  (Jeux  Floraux  de   la 
fTanche),  Lyon,  {Saint-Etienne  et  les  présidents  des 
sociétés  du  Languedoc  el  de  la  Provence,  morale- 
ment unis. 
Enfin,  comme  les  derniers  sont  ici  les  premiers  : 
Honneur!  aux  vaillantes  sociétés  dn  Caveau,  de 
la  Lice  chansonnière  et  de  la  Pomme  de  Paris,  qui 
secondent  si  bien  les  efforts  de   l'apôtre  trop  tôt 


232     GUSTAVE    NADAUD    ET    LA    CHANSON    FRANÇAISE 

disparu  de  la  Chanson  Française,   Ernest   Che- 
broux. 

Et  maintenant,  Chanson  Française  :  toi  qui  es 
l'aine  de  la  nation  : 

Charme,  élève  et  console 
Et  vole,  vole,  vole,  vole 
Chanson  ! 

Et  nous  ajoutons  cette  devise  pour  terminer  : 
a  Chanson  !  Sois  Athénienne  par  la  pensée  et  Fran- 
çaise par  le  cœur  !  » 


FIN 


BIBLIOGRAPHIE 
DES  ŒUVRES  DE  GUSTAVE  NADAUD 


Chansons  de  Salon. 

Chansons  populaires. 

Chansons  légères. 

Chansons  nouvelles. 

Chansons  inédites. 

Chansons  nouvelles  à  dire. 

Miettes  poétiques. 

Varia. 

Recueil  d'opérettes. 

Contes  et  récits  et  scènes  en  vers. 

Un  volume,  édition  de  luxe   tiré  à   a  ooo  exemplaires,   illustré 
par  les  grands  Maîtres. 

Un  recueil  d'opérettes. 

Mes  notes  d'infirmier. 

Une  idylle. 

Un  traité  de  solfège. 

Derniers  chants. 

La  chanson  depuis  Béranger,  (tiré  à  ioo  exemplaires). 

Souvenirs  et  récits  d'un  vieux  Roubaisien. 

Une  idylle,  roman,  (mi-partie  prose,  mi-partie  vers). 

Théâtre  : 

Docteur  Vieux  temps. 

La  Volière. 

Porte  et  ienétre. 

L'oncle  d'Autralie. 

Théâtre  de  fantaisie,  Scènes,  Saynètas  et  Comédies. 


QUELQUES  NOTES  ET  BIBLIOGRAPHIES 
SUR  G.  NADAUD 


L.-IIexry  Lecomte. 
Pitre  Chrvalibb 

ErNEST   CllEBROLX. 

Le  Dr  V.  Delaporte. 

Charaux. 

IL  Masqlei.ieu. 
Léo  Claretie. 


Ferkird  Lefranc. 

Pierre  et  Paul. 

À.  Biusson. 

Ernest  Chebroux. 


\ .   Barguid  DE  I.'ElUSE. 
E.    LlGBIl  LBRB-Bl  vi  M  il  lu:. 

Mo»  roaoi  i  h.. 


\l  \<  rigb  Tuéai 
Laurett  (  'm  \  i  . 


—  Gustave    Nadaud.   La  Chanson, 

1878. 

—  Gustave    Nadaud.    Revue   d'art 

dramatique. 

—  Gustave  Nadaud.  La  Revue  du 

Siècle,  août  1887. 

—  Etudes  et  Causeries  littéraires. 

Paris,  1900,  in-8°,  2r  scrio. 

—  Etude  sur  G.  Naudaud. 

—  Les  contemporains. 

—  Société  historique  d'Auteuil  et 

de  Passy,  189/4. 

—  La  Lice  chansonnière.  1893. 

—  La  Revue  du  Nord,  1893. 

—  Les  Hommes  d'aujourd'hui. 
Les  Annales  politiques  et  litté- 
raires, 1893. 

—  Le  Sylfe,  août  1893. 

—  Journal   Le   Gaulois,    1  \   octobre 

i89G. 

—  Echo  des  Jeunes,  18  novembre 

1903. 

—  Le  Salut  Public,  Lyon,  20  janvier 

190a. 

—  Le  Gaulois,  3i  décembre  i8o3. 

—  Écho  du  Nord,  h  décembre  1893. 
Journal  Paris  et  Echo  du  Nord, 

1 1  Novembre  18N7. 

—  Journal LeFigaro,  <7  juillet  1895 

—  Gustave  Nadaud,  1895. 

Le  Parterre.     Hommage  à    Na- 
daud), Lyon,  1895. 


'/'';■,  )te%  ont   été  '"a  ■  liée    pour  '''tic  étude  tur  (îu<i<irr 

Sadaud. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages 

Dédicace  et  Lettre  Ernest  Chebroux v 

Préface ix 

Avant-Propos  et  résumé  de  la  Chanson  Française 

du  moyen-âge  à   Dcsangicrs 1 

Pierre  Dupont 43 

Gustave  Nadaud 7  5 

Conclusion •     .     .  227 


A  CIIE  VÉ  D'IMPRIMER 
le  vingt  avril  mil  neuf  cent  onze 

PAR 

BUSSIÈRE 

A     SA1NT-AMAND  (ciIEIi) 

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