Skip to main content

Full text of "Histoire des doctrines économiques"

See other formats


/ 


BIBLIOTHÈQUE    INTERNATIONALE    D'ÉCONOMIE    POLITIQUE 

publiée  sous  la  difeclion  de  Alfred  BONNET 


mSTOII^E 


DES 


DOCTRINES  ÉCONOMIQUES 


PAR 


LuiGi    COSSA 

Trofesseur  à  l'Université  ie  Pavic 


AVEC  UNE  PREFACE 

DE      A.      DESCHAMPS 

Professeur  aurégc' 
à  la  Faculté  de  droit  de  l'Université  de  Paris 


PARIS 

Y.     GIARD     &     E.     BRIÈRE 

/         LIBRAIRES-ÉDITEURS 

16,   rue  Soufflot,    16 
1899 


PRÉFACE 


II  paraît  être  dans  la  destinée  des  ouvrages  du  pro- 
fesseur Louis  Gossa  d'obtenir  les  honneurs  de  la  tra- 
duction en  langues  de  tous  pays.  Pour  des  œuvres 
qui  veulent  être  de  vulgarisation,  rien  ne  saurait  être 
plus  flatteur,  si  rien  ne  peut  mieux  montrer  que  le 
but  visé  a  été  atteint. 

Le  livre  dont  M.  Bonnet  offre  aujourd'hui  la  tra- 
duction au  public  français  est,  depuis  assez  long- 
temps déjà,  apprécié  comme  il  le  mérite,  non-seule- 
ment en  Italie,  son  pays  d'origine,  mais  aussi  en 
Espagne,  en  pays  de  langue  allemande  et  en  pays 
de  langue  anglaise,  où  des  traductions  l'ont  répandu. 
Celle  que  nous  donne  le  traducteur  français  est 
d'ailleurs  préférable  aux  traductions  espagnole,  alle- 
mande et  anglaise;  car  elle  est  prise  de  la  troisième 
édition  italienne  1892).  Et,  en  lisant  les  Notions  pré- 
lù/imaires  écniespav  L.  Gossa  lui-même  en  tête  de 
cette  troisième  édition,,  on  verra  en  quoi  elle  ne  peut 
qu'être  supérieure  aux  deux  premières.  L'ouvrage  a 
été  si  sérieusement  remanié,  que  l'auteur  a  cru 
devoir  marquer  la  transformation  par  un  signe  exté- 
rieur, par  une  légère  modification  du  titre  :  le  Guida 
allô  studio  dell'  Economia  polilicaest  dexenuV  Inlivdu- 
zione  allô  studio  dell' Economia  yolitira. 

11  convient  d'ajouter  que  cette  traduction  française 


Il  PRÉFACE 

a  été  faite  sur  le  manuscrit  de  la  3"=  édition  révisé 
p.'ir  L.  Gossa  postérieurement  à  sa  publicnlion,  et 
mis  à  la  disposition  du  traducteur  par  le  fils  de  l'au- 
teur, le  professeur  Emile  Gossa.  Les  quelques  adjonc- 
tions ou  suppressions  qu'on  pourra  relever  si  l'on 
rapproche  de  la  présente  traduction  le  texte  italien 
de  la3°  édition  ne  devront  donc  pas  être  imputées  à 
la  fantaisie  ou  à  la  négligence  du  traducteur,  dont 
nous  avons  pu  suivre  les  scrupuleux  efforts  et  à  la 
probité  scientifique  duquel  nous  nous  plaisons  à 
rendre  hommage. 

La  création  récente,  dans  nos  Facultés  de  Droit, 
d'un  doctorat  ès-sciences  politiques  et  économiques, 
dont  le  programme  comporte  l'étude  historique  des 
doctrines  économiques,  fait  vivement  sentir  le 
besoin  d'ouvrages  tels  que  celui  dont  M.  Bonnet 
nous  donne  la  traduction.  V Histoire  de  V Economie 
politique  d'Adolphe  Blanqui,  déjà  ancienne  1837, 
V  éd.  ,  et  qui  est  autant,  sinon  plus,  une  histoire 
des  faits  qu'une  histoire  des  doctrines,  YHistoire  de 
^Economie  politique  de  M.  Ingram  traduction 
française  par  MM.  H.  de  Varigny  et  E.  Bonne- 
maison,  1893  ,  l'Histoire  des  doctrines  économiques 
de  M.  A.  Espinas,  YHistoire  des  systèmes  économiques 
et  socialistes  de  M.  H.  Denis  ;1897\,  ouvrages  fort 
estimables,  donnent  déjà,  dans  une  large  mesure, 
et  par  la  diversité  même  de  leurs  caractères,  un 
commencement  de  satisfaction  à  ce  besoin.  La 
traduction  du  livre  de  L.  Gossa  vient  puissamment 
augmenter  les  ressources  de  l'étudiant  français.  Nul 
doute  que,  d^ici  à  quelques  années,  ces  ressources  ne 


PREFACE  II  [ 

s'accroissent  de  publications  dues  à  ceux  de  nos 
collègues  des  Facultés  de  Droit  qui  enseignent 
l'histoire  des  doctrines  économiques.  Nous  en  avons 
déjà  les  prémisses  dans  l'élégante  et  instructive 
Histoire  des  doctrines  économiques  dans  la  Grèce 
anticjue  de  M.  A.  Souchon. 

Les  bonnes  volontés  peuvent  se  mettre  à  l'œuvre. 
De  longtemps  il  n'y  en  aura  trop.  Le  besoin  auquel 
il  s'agit  de  satisfaire  est  un  de  ceux  qui  demandent 
du  temps  poursecréerunorganeparfaitement  adapté. 

En  parlant  ainsi,  nous  avons  en  vue,  que  cela 
soit  bien  entendu,  le  besoin  d'ouvrages  de  vulgari- 
sation. Nous  n'avons  à  aucun  degré  la  pensée  de 
diminuer  les  mérites  des  ouvrages  jusqu'ici  parus. 
La  science  des  auteurs  n'est  point  en  cause  :  elle  est 
assurément  fort  au-dessus  de  la  notre,  n'y  en  eût-il 
que  cette  raison  —  qui  n'est  point  la  seule  —  que 
l'acquisition  des  connaissances  historiques  exige  de 
longues  années.  Et  si  nous  ne  citons  pas  ici  telles  ou 
telles  importantes  histoires  des  doctrines  écono- 
miques publiées  en  Allemagne,  en  Hongrie,  en  An- 
gleterre, en  Russie,  etc.,  ce  n'est  point  que  nous 
ne  les  estimions  à  leur  juste  et  grande  valeur  scien- 
tifique, mais  simplement  parce  que,  pour  la  plupart, 
elles  sont  plutôt  des  matériaux  pour  l'ouvrage  de 
vulgarisation  à  écrire,  et  qu'ainsi,  par  leur  érudition 
même,  elles  sont  moins  proches  du  but  que  nous 
avons  en  vue  que  les  ouvrages  dont  nous  avons 
donné  les  titres. 

Ce  but,  —  qui  n'est  point  le  seul  assurément,  ni 
peut-être  le  plus  élevé  que  puisse  viser  un  historien 
des  doctrines,  mais  qu'il  est  naturel  qu'un  profes- 


IV  PREFACE 

seur  chargé  de  cet  enseignement   considère  avec 
sollicitude,  —  c'est  TefTet  utile  de  l'histoire  publiée. 

Or,  pour  que  l'effet  en  soit  utile,  force  est  bien  de 
prendre  en  considération  la  réceptivité,  si  l'on  nous 
permet  cette  expression,  des  lecteurs  auxquels  elle 
s'adresse.  En  France,  actuellement,  la  grosse  clien- 
tèle de  l'historien  des  doctrines,  ce  sont  nos 
candidats  au  doctorat  es- sciences  politiques  et 
économiques,  —  par  conséquent  des  jeunes  gens, 
qui  sont  moins  des  spécialistes  que  des  candidats- 
spécialistes,  et  qu'il  s'agit  de  former  par  une  com- 
plète instruction  économique.  Et,  précisément,  la 
difficulté,  pour  l'historien  des  doctrines,  vient  de  ce 
qu'il  s'adresse  à  des  lecteurs  dontrinstruction  dogma- 
tique devrait  être  déjà  forte  et  solide,  mais  ne  l'est  pas 
d'ordinaire  comme  il  serait  désirable  qu'elle  le  fût. 
La  faute  en  est-elle  à  eux?  Il  serait  injuste  de  le 
prétendre.  A  l'époque  où  ils  commencent  l'étude 
historique  des  doctrines,  ils  ont,  en  grand  nombre, 
oublié  les  notions  d'économie  politique  générale  qui 
leur  ont  été  données  dans  leur  première  année  de 
licence.  Deux  ans,  trois  ans  même,  voire  quatre  ans. 
si  le  service  militaire  est  venu  interrompre  leurs 
études,  se  sont  passés  depuis  lors.  Que  leur  reste-t-il 
de  leurs  connaissances  dogmatiques?  Ce  sont  des 
novices,  à  qui  l'on  va  parler  comme  à  des  vétérans. 

Voilà  une  première  source  d'embarras.  Elle  est 
d'ordre  universitaire  et  pédagogique  et  peut  donc 
être  tarie.  L'historien  des  doctrines,  lui,  n'y  peut 
rien;  mais,  tant  qu'elle  subsistera,  il  sera  comme 
paralysé  dans  ses  efforts. 

Même  en  supposant  des  lecteurs  pourvus  d'une 


PREFACE  V 

suffisante  instruction  dogmatique,  il  reste  qu'une 
liistoire  utile  des  doctrines  économiques  est  œuvre 
difficile  à  réaliser.  Il  faut  bien  se  dire,  en  effet, 
que  l'immense  majorité  de  ceux  qui  liront  l'ouvrage 
ne  seront  pas  ni  n'auront  l'ambition  de  devenir  des 
érudits  ès-connaissances  économiques^  ce  dont  on 
ne  saurait  les  blâmer.  Ce  qu'il  leur  faut,  et  qu'il 
est  désirable  qu'ils  aient,  parce  qu'à  cela  seul  ils 
s'intéresseront  et  de  cela  seul  ils  tireront  profit, 
c'est  une  histoire  qui,  lue  avec  elfort  d'attention, 
laisse  dans  l'esprit  le  sentiment  d'un  acquis  réel, 
simple,  coordonné,  constitué  par  des  idées  plus  que 
par  des  noms  d'auteurs  et  des  titres  d'ouvrages,  par 
des  impressions  nettes  plus  que  par  des  analyses 
détaillées  désoeuvrés.  Ce  livre  existe-il  ?  C'est  à  ceux 
qui  en  ont  éprouvé  le  besoin,  et  qui  ont  cherché  aie 
satisfaire,  de  répondre.  Que  si  leur  réponse  compor- 
tait des  réserves,  nous  nous  permettrions  de  leur 
dire  que  la  faute  assurément  n'en  est  pas  à  ceux 
qui  se  sont  mis  à  la  tâche,  mais  à  l'extrême  difficulté 
de  la  tache  elle-même,  —  difficulté  dont  on  ne  peut 
prendre,  croyons-nous,  pleinement  conscience  qu'à 
la  condition  de  s'y  être  heurté,  de  s'être,  à  chaque 
instant,  débattu  contre  elle  et  surtout  d'avoir  été 
témoin  de  l'état  d'esprit  des  jeunes  gens  —  j'entends 
des  plus  studieux  —  qui  désirent  sincèrement  s'ini- 
tier à  ces  études  et  en  tirer  profit. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  première  qualité  d'une 
œuvre  de  ce  genre,  c'est  d'être,  comme  l'on  dit, 
aussi  «  objective  •>  que  possible.  Et,  à  ce  titre,  sans 
en  compter  beaucoup  d'autres,  le  livre  du  professeur 
L.  Gossa  est  éminemment  recommandable.  Il  n'y  a 


V[  PREFACE 

qu'un  point  sur  lequel  il  se  montre  intransigeant, 
—  et,  sur  ce  point,  qui  d'ailleurs  est  plutôt  question 
de  conception  des  études  économiques  elles-mêmes 
qu'alYaire  d'histoire  des  doctrines,  nous  sommes 
volontiers  intransigeant  comme  lui,  —  c'est  celui 
de  la  distinction  de  la  science  économique  et  de 
l'art  politique  ou  social.  Encore  ceux  qui  repoussent 
cette  distinction  ne  sauraient-ils  en  faire  grief  à 
riiistorien,  puisque  ce  n'est  point  dans  la  partie 
historique  de  son  livre,  mais  dans  sa  partie  théo- 
rique, qu'il  traite  cette  question  brûlante,  bien  que 
déjà  ancienne. 

A  ce  propos,  disons  quelques  mots  de  l'économie 
de  l'ouvrage  et  de  sa  division  en  deux  parties.  Pour- 
quoi cette  Partie  théorique,  en  124  pages,  par  laquelle 
débute  un  livre  connu  surtout  comme  histoire  des 
doctrines? 

C'est  que  l'intention  première  de  L.  Cossa  fut 
d'écrire  un  Guide  ^jour  l'étude  de  CEconomie  poli- 
tique [Guida  alto  studio  delCeconomia  politicaj.  Non 
pas  un  guide  pour  débutants  :  nous  ne  croyons  pas 
méconnaître  la  pensée  ni  trahir  les  espérances  de 
l'auteur,  en  disant  que  des  débutants  dans  l'Eco- 
nomie politique  ne  tireraient  presqu'aucun  profit 
de  la  lecture  de  son  livre,  parce  qu'ils  ne  le  compren- 
draient vraiment  pas,  si  éminentes  que  soient  ses 
qualités  de  méthode  et  de  clarté  ;  mais  un  guide  pour 
ceux  qui  veulent  entreprendre  l'étude  «  appro- 
fondie »  [studio  approfondito^  p.  1)  de  notre  science 
et  qui,  par  conséquent,  en  possèdent  déjà  les 
éléments. 


PREFACE  VII 


Dès   lors,    cette    première    partie,    qu'il   appelle 
Partie    théorique,    n'est   nullement    un   exposé,    ni 
même   un  résumé   de   la  dogmatique   économique 
dans  son  état  présent.  C'est  un  exposé  magistral,  et 
d'une  parfaite  netteté,  de  la  conception   même  de 
l'Economie  politique,  de  son  objet,  de  ses  caractères 
et  de  sa  méthode.  L'histoire  des  doctrines  peut  faire 
courir  à  des  esprits  encore  insuffisamment  préparés 
un  risque  grave,  qui  est  de  leur  donner  à  croire  que 
ce  qu'on  leur  a  jusqu'alors  présenté  comme  une 
science  susceptible   de   systématisation  n'est   peut- 
être  qu'un  ensemble  plus  ou  moins  artificiellement 
coordonné  d'opinions  successives,  de  manières  de 
voir  et  de  penser  individuelles  et  subjectives,  qu'il 
n'y  a  que  des  doctrines  et  pas  de   science  écono- 
mique, un  désir  scientifique,  mais  pas  d'acquis  ni 
peut-être  même  pas  de  possibilité  d'acquis  scienti- 
fique. C'est  alors  la  déroute  pour  l'esprit,  la  désillu- 
sion, voisine  du  découragement,  sinon  du  dédain. 
La   centaine  de   pages    que   L.    Gossa    consacre    à 
ramasser  et  exposer  avec   fermeté  ses  idées  à  ce 
sujet  sont  un  excellent  cordial,  un  précieux  viatique 
pour    l'étude    historique     qui     suivra.    Les   jeunes 
gens  qui  s'en  seront  nourris  iront  plus  allègrement 
jusqu'au   bout   de   la  tâche,  et  si,  malgré  tout,  ils 
éprouvent    des    défaillances    après    avoir    lu    tout 
l'ouvrage,  qu'avant  de  le  fermer  ils  reviennent  à 
ce  début,   pour  le   relire   et   le   méditer.   Qu'ils    se 
disent  bien  que,  si  un  savant  comme  le  professeur 
L.  Cossa,  qui  connaît  mieux  qu'eux  l'histoire  des 
doctrines,  loin  d'en  être  troublé  dans  sa  conviction 
scientifique,  y  a  puisé  au  contraire  une  conviction 


VIII  PllÉFACE 

plus  forte,  c'est  qu'il  s'en  trouve  sans  doute  des 
raisons  dans  l'histoire  même  des  doctrines,  ([ui  ne 
leur  apparaît  à  eux,  pour  le  moment,  que  comme 
uin'  raison  de  douter.  Un  peu  de  science  nuit  aux 
convictions  économiques,  beaucoup  de  science  y 
ramène. 

Cette  Partie  théorique  présente  un  autre  cai-Mctère 
et  une  autre  utilité  :  elle  peut  être  donnée  comme 
une  histoire  des  doctrines  actuelles  (si  ces  deux 
expressions  ne  jurent  pas  d'être  accouplées  sur  la 
conception  môme  de  l'Economie  politique.  Les 
divergences  et  discussions  à  ce  sujet  ne  se  prêtent 
guère  à  un  exposé  proprement  historique,  parce 
qu  elles  sont  assez  récentes,  et  qu'elles  durent,  si 
encore  elles  ne  sont  pas  plus  vives  aujourd'hui  que 
jamais.  La  question  de  méthode  y  trouve  naturelle- 
ment sa  place,  question  dont  la  portée  a  été  étrange- 
ment surfaite  de  nos  jours,  au  point  que  des  écoles 
ennemies  en  sont  nées,  s'excommuniant  les  unes 
les  autres  avec  un  esprit  d'exclusivisme  qui  n'est 
pas  sans  ridicule  lorsqu'on  voit  leurs  adeptes,  une 
fois  sortis  des  discussions  théoriques  et  trop  sou- 
vent verbales,  se  mettre  à  l'œuvre  cl  publier  des 
onvi'agps  :  si  le  drapeau  de  l'école  n'était  déployé 
dans  la  préface,  on  n'aurait  souvent  aucune  raison 
de  le  reconnaître  à  la  lecture  du  livre.  Et 
comment  aussi  retenir  un  sourire,  lorsque  ces 
écoles  rivales  revendiquent  à  l'envi  —  comme  on 
voit  plusieurs  communes  réclamer  l'honneur  d'être 
le  berceau  d'un  même  homme  illustre —  tel  grand 
nom  de  l'Economie  politique,  qui  n'a  pas  éprouvé 
le  besoin  de  nous  avertir  de  sa  méthode  et  auquel 


PREFACE  IX 

on  peut  ainsi  en  attribuer  de  différentes.   Les  uns 
disent  qu'Adam  Stnith  est  un  déductif,  et  ils  ont 
raison;  les  autres,  qu'il  est  un  enquêteur,  un  «  his- 
toriste  »,  un  inductif,  et  ils  n'ont  pas  tort;  Stanley 
levons  estime  que  les  raisonnements  de  Smith  sont 
mathématiques,  et  l'on  peut  l'estimer  avec  lui,  bien 
qu'il  soit  très  vrai    aussi,   et   nullement  contradic- 
toire, de  lui  attribuer  une  méthode  psychologique. 
Ne  ferait-on  pas  mieux  de  convenir  que  la  bonne 
méthode  est  celle  qui  use  de  tous  les  moyens  suivant 
l'objet,    suivant   le    côté    de    la  vérité    qu'on    veut 
découvrir,   suivant   les   circonstances   et   les   diffi- 
cultés, contrôlant  le  résultat  des  uns  par  le  résultat 
des  autres,  usant  de  toutes  les  ressources  de  l'intel- 
ligence et  n'en  excluant  aucune,  comme  si  Ton  en 
avait  trop!  Le  professeur  L.  Gossa  met  au  point, 
avec  infiniment  de  justesse  et  de   bons  sens,  ces 
controverses  sur  la  méthode.  Puisse,  dans  l'intérêt 
de  la  science  économique,  se  faire  l'apaisement  et 
la    conciliation    entre   les    professionnels    sur    ces 
questions  d'école,  trop  stériles  pour  la  place  qu'elles 
ont  tenue?  Nous  espérons  que  la  récente  brochure 
de  M.  Emile  Levasseur    [De  la    méthode    dans  les 
sciences  économiques.  Paris,    1898)  contribuera  lar- 
gement à  cet  apaisement,  au  moins  chez  ceux  qui 
ont  plus  le  souci  des  progrès  de  la  science    que 
celui  de  leur  propre  personnalité. 

La  seconde  partie  de  l'ouvrage  de  L.  Cossa^  qui 
forme  en  réalité  le  corps  du  volume,  est  l'histoire 
des  doctrines  économiques.  Elle  représente  assuré- 
ment un  travail  énorme,  et  cependant  l'auteur  nous 


X  PREFACE 

dit  modestemont  qu'elle  n'est  qu'un  «  résumé 
d'histoire  externe  des  théories  économiques  » 
(p.  139).  Chacun  sait  qu'un  résumé  demande  plus  de 
temps  et  d'efforts  qu'une  œuvre  développée,  puis- 
qu'à  tout  le  travail  nécessaire  pour  être  en  mesure 
de  faire  œuvre  développée,  doit  s'ajouter  le  travail 
de  condensation  raisonnée  et  de  choix  éclairé.  Ce 
n'est  du  moins  qu'à  ces  conditions  qu'un  résumé  est 
œuvre  scientifique.  Résumer  l'œuvre  développée 
d'aulrui  ne  sera  jamais  qu'un  travail  de  qualité  très 
intérieure.  Tel  n'est  pas  le  cas  du  professeur 
L.  Gossa. 

Mais  qu'entend-t-il  par  Ihistoire  externe  dos 
doctrines,  et  à  quoi  par  là  fait-il  opposition  ? 
«  L'histoire  externe,  nous  dit-il  lui-même  (p.  \'2i)\ 
«  est  celle  qui  étudie  l'origine  et  le  développement 
«  des  théories  et  des  systèmes,  considérés  dans  leur 
«  ensemble  et  dans  leurs  parties  principales,  sans 
«  descendre  aux  menus  détails.  »  Elle  diffère  «de 
«  l'histoire  interne,  en  ce  que  celle-ci  recherche  la 
«  formation  et  les  progrès  des  différentes  théories 
<c  particulières,  celles,  par  exemple,  de  la  valeur,  de 
«  la  monnaie,  de  la  rente,  des  impôts,  et  dont  on 
«  fait  souvent  précéder  ou  suivre  leur  exposé  doc- 
«  trinal.  »  Cette  déhnition.  ou  plutôt  cette  concep- 
tion de  l'histoire  interne,  s'applique  en  quelque  sorte 
littéralement,  parmi  les  ouvrages  de  langue  fran- 
çaise, au  précieux  ouvrage  de  M.  Maurice  Bloek  : 
Le.v  pro'jrès  de  la  Science  économique  depuis  Adam 
Smitli;  révision  des  doctrines  économiques  (2  vol., 
Paris,  2«  éd.  1897.) 

Si  nous  voyons  bien  la  différence  entre  ces  deux 


PREFACE  XI 

types  d'ouvrages  historiques,  celui  de   L.  Gossa  et 
celui  de  M.  Maurice  Block,  nous  concevons  moins 
bien    le    principe    de    distinction    entre    l'histoire 
externe  et  l'histoire  interne  tel  que  le  pose  L,  Gossa. 
VHisloire  des  systèmes  économiques  et  socialistes  de 
M.  Hector  Denis  répond  assurément  à  la  définition 
donnée    par    L.    Gossa    de    l'histoire    externe    des 
doctrines,   et  cependant  elle   donne   au    plus  haut 
point  l'impression  d'une  histoire  interne  des  sys- 
tèmes, sans  que  cependant  elle  ressemble  en  rien 
ni  à  la  définition  de  Gossa  sur  ce  type  d'histoire  ni 
à  l'ouvrage  de  M.  Maurice  Block.  A  notre  sens,  s'il 
y  a  lieu  de   distinguer   entre   l'histoire   externe  et 
l'histoire  interne,  le  principe   de  la  distinction  ne 
saurait  être  dans  le  degré  de  minutie  des  détails  ni 
dans  ce  que  l'une  étudie   les  systèmes   dans   leur 
ensemble  et  l'autre  les  différentes  théories  particu- 
lières. L'étude  historique  d'une  théorie  particulière, 
par  exemple  de  celle  de  la  valeur,  pourrait  aussi 
bien  revêtir  le  caractère  interne,  et,  d'autre  part,  la 
quantité  des  détails  ne  ferait  rien  à  la  chose,  leur 
nature     seule     importerait.     Nous     reconnaîtrions 
l'histoire  interne  à  ce  qu'elle  serait  principalement 
une   histoire  des  idées   et  l'histoire    externe    à   co 
qu'elle  serait  une  notation  précise  de  la  date  d'appa- 
rition de  ces  idées,  des  pays   où  elles  sont  nées,  de 
ceux  où  elles  se  sont  répandues,  de  la  forme  sous 
laquelle  elles  se  sont  propagées  (écrits,   enseigne- 
ment, traités,  polémiques),  des  noms  des  auteurs,  et 
de  leur  priorité  quand  on  les  prétend  novateurs,  de 
leur  valeur  scientifique  et  de  leur  nombre  quand  on 
les  représente  comme  des  adeptes. 


XII  PREFACE 

Et,  dans  la  réalité,  c'est  bien  cette  histoire  externe 
que  nous  donne  L.  Gossa. 

Mais  dans  quelle  mesure  ces  deux  types  d'histoire 
peuvent-ils  être  séparés  sans  inconvénient?  L'his- 
toire externe  manquera  de  vie  et  se  perdra  dans  les 
détails  biographiques  et  bibliographiques,  si  This- 
loire  des  idées  ne  reste  point  sa  base  et  sa  justifica- 
tion, si  elle  n'en  est  point  l'âme.  Et  l'histoire  des 
idées,  sans  une  certaine  dose  d'histoire  externe,  ne 
fera-t-elle  point,  à  l'inverse,  l'effet  d'une  àme  sans 
corps?  L'historien  ne  risquera-t-il  pas  de  paraître 
se  substituer  aux  écrivains  et  aux  œuvres  dont  il 
dit  faire  l'histoire,  et  écrire  un  exposé  de  ses  ima- 
ginations historiques? 

La  vérité  est  qu'il  y  a  là  une  question  de  dosage, 
une  difficulté  de  titre  et  d'alliage,  très  délicate  à 
résoudre  au  gré  du  lecteur.  Dans  l'ouvrage  du 
professeur  L.  Gossa,  l'histoire  externe  est  assuré- 
ment l'élément  prédominant.  Mais  l'auteur  était 
trop  expérimenté  pour  n'y  point  allier  l'histoire 
interne  dans  la  proportion  indispensable. 

L'histoire  des  idées,  pour  être  exacte,  suppose 
chez  ceux  qui  l'entreprennent  une  connaissance 
très  complète  de  l'histoire  externe.  Le  professeur 
L.  Gossa  a  mis  à  notre  disposition  sa  grande  érudi- 
tion, éclairée  par  une  science  économique  très  sûre. 
Son  ouvrage  est,  si  l'on  peut  dire,  un  outillage  per- 
fectionné offert  à  tous  ceux  que  préoccupe  l'histoire 
des  doctrines  économiques. 

A.  Deschamps. 


NOTIONS  PRÉLIMINAIRES 


Il  semble  naturel  et  raisonnable  de  commencer 
l'étude  approfondie  d'une  science  par  des  recherches 
propédeutiques  sur  son  objet,  son  rôle  et  son  but,  sur 
les  limites  qui  la  séparent  des  disciplines  voisines  et  sur 
leurs  relations  réciproques,  sur  la  meilleure  division 
des  matières  qu'elle  comprend,  sur  les  méthodes  d'in- 
vestigation qui  lui  sont  propres,  sur  les  difficultés 
qu'elle  présente  et  sur  l'importance  théorique  et  pra- 
tique de  leur  solution.  Ces  préliminaires  théoriques 
doivent  être  suivis  d'un  exposé  des  origines,  des  pro- 
grès et  des  transformations  subies  par  la  discipline  elle- 
même  dans  le  cours  des  temps,  pour  expliquer  ainsi  son 
état  actuel,  qui  se  reflète  dans  les  controverses  agitées 
par  les  représentants  les  plus  autorisés  des  différentes 
écoles  et  en  partie  aussi  dans  les  critiques  de  ceux  de 
ses  adversaires  qui  ne  sont  pas  trop  incompétents. 

Cette  nécessité  n'a  été  que  bien  rarement  ressentie 
par  les  hommes  de  génie  auxquels  nous  devons  les 
progrès  les  plus  importants  des  sciences  physiques  et 
des  sciences  morales.  Ils  n'ont  pas,  d'ordinaire,  écrit 
des  œuvres  didactiques,  et  si  leur  esprit  inventif  leur  a 
inspiré  des  œuvres  magistrales,  ils  ne  se  sont  nullement 
préoccupés  de  faire  connaître  aux  lecteurs  les  prémisses 


2  NOTIONS    PRÉLOUNAIHES 

qui  leur  servaient  de  point  de  départ,  les  buts  auxquels 
ils  tendaient,  les  voies  qu'ils  avaient  choisies  pour  arriver 
plus  rapidement  à  leur  fin. 

L'économie  politique  nous  fournit  une  preuve  cu- 
rieuse et  manifeste  de  cette  observation  dans  les  œuvres 
de  ses  grands  maîtres:  Quesnay,  Turgot,  Smith,  Ricar- 
do,  et  même  dans  celles  de  beaucoup  de  leurs  illustres 
continuateurs,  Thiinen,  Hermann,  Mees,  etc.,  qui  n'ont 
jamais  exposé,  ou  qui  n'ont  indiqué  qu'en  passant,  les 
fondements  rationnels  de  leurs  théories. 

Vers  1830,  quelques  écrivains  anglais,  sur  ce  point 
encore  des  précurseurs,  ont  jugé  bon  de  s'occuper, 
dans  des  monographies  spéciales,  des  définitions  (Mal- 
thus)  et  de  la  méthode  (Stuart  Mill)  de  l'économie  poli- 
tique, tandis  que  d'autres  (Whately,  Senior  et  d'une 
façon  plus  complète  Cairnes)  en  firent  l'objet  de  cours 
spéciaux.  Les  résultats  les  plus  certains  de  ces  recherches 
se  trouvent  résumés  et  formulés  avec  une  rigoureuse 
circonspection  et  illustrés  ptir  de  nombreux  exemples 
dans  le  livre  récemment  publié  par  Keynes,  dont  on 
doit  hautement  apprécier  la  doctrine,  la  modération,  la 
précision  et  la  clarté.  C'est  là  un  témoignage  remar- 
quable de  l'union  féconde  de  l'économie  et  de  la  philo- 
sophie, qui  caractérise  traditionnellement  les  meilleurs 
écrivains  de  la  Grande-Bretagne  depuis  Hume  et  Smith 
jusqu'à  Jevons  et  Sidgwick. 

L'exemple  des  Anglais  a  été  suivi,  et  d'autres  ouvrages 
propédeutiques  ont  été  depuis  publiés  en  Allemagne 
par  Pickford,  en  France  par  Dameth,  en  Espagne  par 
Carreras  y  Gonzales  et,  parmi  les  auteurs  vivants,  par 


NOTIONS    PRÉLIMINAIRES  3 

l'érudit  M.  Kautz,  par  le  pénétrant  M.  Lampertico,  par 
le  profond  M.  Menger,  et  par  les  jeunes  et  laborieux 
professeurs  MM.  Laurence  Laughlin  et  Ely. 

J'ai  tenté  l'entreprise,  il  y  a  quinze  ans,  en  publiant 
mon  Guida  allô  studio  delV  economia  fjolitica.  J'ai 
résume  dans  ce  livre  les  préliminaires  théoriques  de 
l'économie  en  y  ajoutant  un  aperçu  historico-critique, 
fruit  d'études  patientes,  d'après  les  sources  et  en  utili- 
sant les  meilleures  monographies.  Je  désirais  suppléer 
ainsi  à  l'absence  de  notices  historiques  dans  les  œuvres 
citées  ci-dessus,  si  l'on  fait  exception  de  celle  de  Kautz, 
déjà  alors  ancienne  et   criticable  pour  ses  jugements 
incertains,    son  ordre   défectueux,    et  d'infinis  détails 
d'utilité  douteuse,  mais  que  n'ont  pas  encore  rendue 
inutile  les    excellentes   histoires  publiées   depuis   par 
Duhring.  Eisenhart,   Ingram,   Espinas.   Ces  écrivains, 
en  effet,  ou  bien  n'ont  pas  tenu  compte  des  derniers 
résultats    des    recherches    spéciales ,    dispersées    dans 
des  livres,    des  opuscules,    des  articles  difïîciles  à  se 
procurer  (Duhring,  Eisenhart  et  Espinas),  ou  bien  ils 
ne  les  ont  utilisés  qu'en  partie  (Ingram),  ou  bien  ils  ont 
entassé,  sans  choix  et  sans  ordre,  des  données  biogra- 
phiques et  bibliographiques  étrangères  au  sujet  (Wal- 
cker),  ou  bien  ils  ont  fait  des  principaux  auteurs  une 
critique  pénétrante  mais  trop  subjective  (Eisenhart  et 
Ingram)  et  quelquefois  même  sans   observer  la  cour- 
toisie la  plus  élémentaire  (Duhring  et  Walcker). 

L'accueil  favorable  fait  à  mon  petit  ouvrage  et  le 
rapide  succès  de  deux  éditions  italiennes,  de  deux  édi- 
tions espagnoles,  d'une  édition  allemande  augmentée 


4  NOTIONS    PRÉLIMINAIRES 

dénotes  utiles  par  Moormeister,  et  d'une  édition  an- 
glaise (enrichie  d'une  préface  de  Jevons  et  très  répan- 
due même  dans  les  Universités  des  États-Unis),  ne 
suffirent  pas  à  m'en  cacher  les  lacunes  et  les  défauts 
nombreux  de  fonds  et  de  forme,  même  si  on  compare  cet 
ouvrage  à  quelques-uns  de  mes  travaux,  dans  lesquels 
l'ordre,  les  proportions,  la  brièveté  et  la  clarté  sont 
observés  avec  un  soin  beaucoup  plus  grand. 

On  pouvait  en  effet  me  reprocher  mon  silence  sur  les 
systèmes  des  socialistes  scientifiques  et  sur  les  écrivains 
Scandinaves,  slaves,  hongrois,  les  indications  absolu- 
ment insuffisantes  sur  les  économistes  américains^ 
l'ordre  trop  rigoureusement  chronologique  suivi  dans  la 
partie  historique,  les  critères  parfois  inexacts  dans  la 
critique  des  différentes  écoles,  les  citations  d^écrivains 
de  peu  d'importance  (notamment  des  écrivains  italiens), 
la  réfutation  trop  minutieuse  des  objections  faites  à 
l'économie  et  quelques  inexactitudes  sur  quelques  autres 
points  de  la  partie  théorique. 

Pour  remédier  de  mon  mieux  à  ces  défauts,  qui  ne 
m'ont  été  signalés  qu'en  partie  par  les  observations  de 
quelques  écrivains  compétents  et  bienveillants  (je  dois 
citer  principalement  Adamson,  professeur  à  Manchester, 
et  Keynes,  professeur  à  Cambridge),  et  aussi  pour  céder 
aux  instances  de  l'éditeur  anglais  et  du  traducteur 
espagnol  (Ledesma  y  Palacios,  professeur  à  Valladolid) 
et  de  l'excellent  éditeur  italien,  Ulrico  Hoepli,  j'ai 
refait  mon  travail.  J'ai  modifié  le  titre,  l'ordre  des  ma- 
tières et  en  grande  partie  le  contenu,  tout  en  conservant 
à  l'ouvrasre  son  caractère  de  livre  élémentaire,  écrit 


NOTIONS    PRÉLIMINAIRES  5 

avant  tout  pour  mes  auditeurs,  afin  qu'ils  puissent  ap- 
prendre seuls  les  notions  propédeutiques  que  le  nombre 
croissant  des  congés  scolaires  ne  me  permet  plus  de 
développer  suffisamment  dans  mes  cours  oraux.  J'ose 
espérer  que  cette  compilation,  dans  sa  forme  nouvelle, 
répondra  au  but  modeste  qu'elle  se  propose,  et  qu'elle 
reprendra  la  place  que  l'indulgence  des  lecteurs  lui 
avait  donnée  dans  les  années  qui  ont  suivi  sa  première 
édition. 

Pauie,  30  avril  1891. 

L.  G. 


^ 


BIBLIOGRAPHIE 

DE    LA 

PROPÉDEUTIQUE    ÉCONOMIQUE 


Th.  Rob.  Malthus,  The  définitions  in  political  economy.  Lon- 
don,  1827  (réimprimé  en  1853). 

John  Stuart  Mill,  On  ihe  définitions  of  political  economy,  and 
on  the  method  of  investigation  proper  to  it.  (1830).  Dans 
ses  :  Essays  on  some  unsettled  questions,  etc.  London,  1844 
(2«édit.,  1874). 

Rich.  Whately,  Introductory  lectures  on  political  economy. 
London,  1831  (5*=  édit.,  1855). 

N.  W.  Senior,  Four  introductory  lectures  on  political  economy 
(1847).  London,  1852. 

J.  E.  Cairnes,  The  character  and  logical  method  of  political 
economy.  London,  1857  (2«  édit.,  1875,  réimprimée  en 
1888). 

D.  Julius  Kautz,   Théorie  und  Geschichte  der  National-Oeko- 

nomie.  Wien,  1858-60;  2  volumes. 

E.  Pickford,  Einleitung  in  die  Wissenschaft  der  politischen 
Oekonomie.  Franckfurt  a.  M.,  1860. 

H.  Dameth,  Introduction  à  l'étude  de  l'économie  politique. 
Paris,  1865(2"  édit.,  1878). 

Fed.  Lampertico,  Economia  dei  popoli  e  degli  Stati.  Introdu- 
zione.  Milano,  1874. 

M.  Carreras  y  Gonzales,  Philosophie  de  la  science  économique . 
Madrid  et  Paris,  1881. 

C.  Menger,  Untersuchungen  ïiber  die  Méthode  der  Staaiswis- 
senschaften,  etc.  Leipzig,  1883. 


8  BIBLIOGRAPHIE 

J.  Laurence  Laughlin,  The  study  of  polUical  economy.  New- 
York,  188.". 

Rich.  T.  Ely,  A?î  indroduciion  to  political  economy.  New- 
York,  1889  (réimprimé  sous  le  titre  de  :  Ouilines  of  écono- 
mies, 1893). 

J.  N.  Keynes,  Tke  scope  and  metliod  of  polUical  economy. 
London,  1891. 


PREMIERE  PARTIE 

THÉORIE 


m 


CHAPITRE  PREMIER 
OBJET  ET  LIMITES  DE  L'ÉCONOMIE  POLITIQUE 


Si  on  considère  les  actions  de  Thomme,  (qu'on  l'ima- 
gine dans  un  état  d'isolement  ou  qu'on  l'étudié  dans  la 
société  domestique,  civile  et  politique),  on  voit  qu'elles 
ont  en  grande  partie  pour  but  de  lui  procurer,  directe- 
ment par  la  production  ou  indirectement  par  l'échange, 
l'ensemble  des  biens  matériels  nécessaires  à  sa  conser- 
vation et  à  son  perfectionnement. 

L'étude  des  phénomènes  qui  sont  le  résultat  de  cette 
activité  forme  l'objet  de  deux  disciplines,  dont  le  but  est 
entièrement  différent  et  que  quelques  écrivains  (Her- 
mann,  Schâffle,  Wagner,  Sax)  ont  essayé  de  détermi- 
ner avec  plus  ou  moins  de  précision.  Ce  sont  la  tech- 
nologie, qui  étudie  les  richesses  au  point  de  vue 
physique  et  objectif  et  qui,  en  utilisant  les  vérités 
enseignées  par  les  sciences  mathématiques  et  naturelles, 
indique  les  procédés  à  suivre  pour  obtenir  des  produits 
tout  à  fait  conformes  au  but  auquel  ils  doivent  servir, 
et  l'économie,  qui  étudie  les  richesses  au  point  de  vue 
moral  et  subjectif,  c'est-à-dire  dans  leurs  relations  avec 
le  réseau  complexe  des  intérêts  publics  et  privés  qui 
naissent  de  la  lutte  incessante  que  l'homme,  stimulé  par 
des  besoins  susceptibles  d'une  augmentation  indéfinie, 
doit  soutenir  contre  la  nature,  limitée  dans  les  matières 
comme  dans  les  forces  qui  la  constituent.  L'agriculteur 


12  OBJET    ET    LIMITES 

qui  défriche  un  terrain,  qui  Tensemence,  qui  le  cultive 
pour  en  recueillir  les  fruits,  s'inspire  de  critères  tech- 
niques quand  il  se  procure  les  semences,  les  machines, 
les  instruments  appropiés  à  l'obtention  des  produits 
qu'il  désire  ;  il  s'inspire  au  contraire  de  critères  écono- 
miques, quand  il  prépare  et  exécute  les  travaux  agri- 
coles de  façon  à  obtenir  la  plus  grande  utilité  avec  la 
moindre    somme  d'efforts,   de  sacrifices  et  de  risques. 

D'ailleurs  l'économie,  ou  selon  une  autre  expression  la 
science  économique,  ne  forme  pas  une  discipline  unique  ; 
elle  constitue  un  groupe  de  disciplines  qui  ont  un  objet 
commun,  mais  qui  se  distinguent  nettement  entre  elles 
par  les  rôles  qu'elles  jouent  et  par  les  buts  qu'elles  .se 
proposent. 

La  plus  importante  de  ces  disciplines  c'est,  à  plus 
d'un  titre,  l'économie  politique,  que  nous  définissons 
(en  complétant  la  notion  qu'en  a  donnée  Romagnosi)  : 
la  théorie  de  l'ordre  social  des  richesses,  étudié  dans 
son  essence,  dans  ses  causes,  dans  ses  lois  ration- 
nelles et  dans  ses  rapports  avec  la  prospérité  pu- 
blique. 

L'économie  politique  a  pour  objet  non  pas  la  richesse, 
c'est-à-dire  l'ensemble  des  biens  échangeables  et  ma- 
tériels, mais  l'activité  humaine,  activité  qu'elle  étudie 
sous  un  point  de  vue  particulier,  celui  de  l'intérêt  géné- 
ral. Par  l'expression  ordre  social  des  richesses  on 
indique  précisément  que  les  phénomènes  étudiés  par 
l'économie  politique  constituent  un  ordre,  c'est-à-dire 
une  unité  dans  la  variété,  et  que  cet  ordre  sappelle 
social  parce  qu'il  concerne  des  relations  existant  entre 
les  hommes  vivant  dans  la  société  civile,  c'est-à-dire 
dans  la  société  constituée  en  État,  qui  est  un  être  mo- 
ral indispensable  à  la  conservation  et  au  perfectionne- 
ment des  individus  qui  la  composent.  La  société  civile 
peut  d'ailleurs  être  considérée   comme  un   organisme 


DE  l'économie  politique  13 

doué  d'une  vie  propre  et  de  fonctions  spéciales,  qui, 
maliïré  des  différences  substantielles  trop  souvent 
oubliées  par  les  sociologues,  présente  quelques  analo- 
gies avec  les  organismes  étudiés  par  les  sciences  biolo- 
giques. 

L'économie  politique,  comme  l'indique  notre  défini- 
tion, a  deux  rôles  distincts  : 

1°  Elle  étudie  dans  l'ordre  social  des  richesses  ce 
qu'il  y  a  de  typique,  d'essentiel,  de  permanent,  soit  dans 
la  coexistence,  soit  dans  la  succession  des  phénomènes: 
elle  recherche  les  causes  dont  ils  dépendent,  et  elle  en 
mesure,  quand  cela  est  possible,  l'intensité  ;  enfin  elle 
recherche  le  mode  d'action  de  ces  causes,  c'est-à-dire 
les  lois  rationnelles  auxquelles  elles  obéissent  ; 

2''  Elle  fournit  des  principes  pour  bien  diriger  les 
attributions  économiques  des  autorités  politiques. 

Le  but  ultime,  auquel  tend  l'économie  politique,  .satis- 
faisant ainsi  à  .sa  double  fonction,  c'est  de  procurer  le 
bien-être  général. 

Cette  définition,  c'est-à-dire  la  détermination  de 
l'objet,  du  rôle,  du  but  de  l'économie  politique,  nous 
donne  les  critères  nécessaires  qui  nous  permettent  de 
ne  pas  la  confondre  avec  les  autres  branches  des  disci- 
plines économiques. 

L'économie  politique  se  distingue  d'abord  de  l'éco- 
nomie privée,  qui  étudie  les  phénomènes  de  la  richesse 
au  point  de  vue  de  l'intérêt  particulier  de  l'administra- 
tion des  affaires  domestiques  et  industrielles.  De  là 
la  subdivision  de  l'économie  privée  en  économie  domes- 
tique, qui  donne  les  règles  de  la  constitution  et  de  l'ad- 
mini.stration  du  patrimoine  de  la  famille,  et  en 
économie  industrielle,  qui  fournit  les  normes  de  la 
con.stitution  et  de  l'admini-stration  des  différentes  entre- 
prises. 

En  second  lieu  l'économie  politique  se  distingue  des 


14  OBJET    ET    LIMITES 

disciplines  économiques  historico  -  descriptives  ,  qui 
étudient  les  phénomènes  de  la  richesse  dans  leurs  mani- 
festations concrètes  et  variables,  dans  le  temps  et  dans 
l'espace,  en  ce  qu'elle  étudie,  au  contraire,  les  rela- 
tions abstraites  et  constantes,  et  les  caractères  typiques 
et  essentiels  de  ces  phénomènes.  Partant  l'économie 
politique  diffère  d'une  façon  substantielle  de  l'histoire 
et  de  la  statistique  économiques. 

L'histoire  économique  raconte  les  faits  particuliers 
concernant  la  richesse  et  elle  s'occupe  principalement 
des  institutions  publiques  et  privées  qui  les  concernent  ;. 
elle  en  expose  les  origines,  les  progrès,  la  décadence, 
la  renaissance,  et  recherche,  par  l'induction  qualita- 
tive, les  causes  concrètes  qui  les  ont  produites  et  les 
effets  immédiats  qui  en  sont  dérivés,  sans  en  rechercher 
les  causes  premières  permanentes  et  absolues.  Autre 
chose  est  écrire  l'histoire  du  commerce  du  moyen  âge, 
comme  l'a  fait  magistralement  Heyd.  ou  l'histoire  spé- 
ciale du  commerce  français  fort  bien  racontée  par  Pi- 
geonneau, autre  chose  expliquer  dans  son  essence 
intime  la  fonction  universelle  du  commerce,  comme  l'a 
si  bien  fait  Lexis. 

La  statistique  économique  décrit  les  faits  qui  con- 
cernent la  richesse  et  les  industries;  elle  les  dispose  avec 
une  exactitude  arithmétique  en  groupes  d'éléments 
quantitatifs  homogènes  et  en  séries  réelles  successives, 
formant  ainsi  des  cadres  qu'elle  rend  souvent  plus  ins- 
tructifs par  l'étude  comparée,  et  qu'elle  porte  à  un  degré 
encore  plus  élevé  d'utilité  quand,  par  l'induction  quan- 
titative, elle  découvre,  dans  la  coexistence  et  la  succes- 
sion des  faits  observés,  certaines  régularités  empiriques 
intéressantes,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  les  lois 
scientifiques,  parce  qu'elles  sont  liées  à  des  conditions 
déterminées  de  temps  et  d'espace.  Autre  chose  est  la 
statistique  des  prix  sur  les  marchés  de  Hambourg  et  de 


DE  l'Économie  politique  15 

Londres  dans  les  trente  dernières  années,  autre  chose 
la  théorie  générale  de  la  valeur  et  du  prix  que  l'on 
trouve  dans  les  œuvres  de  Galiani,  de  Condillac,  de 
Ricardo,  de  Mill,  de  Jevons,  de  Menger. 

Il  ne  faut  pas,  en  troisième  lieu,  confondre  l'écono- 
mie politique  avec  la  morale  économique,  qui  étudie 
les  modes  légitimes  d'acquisition  et  d'emploi  des  ri- 
chesses à  propos  des  devoirs  de  l'homme,  en  les  consi- 
dérant comme  un  moyen  utile  ou  comme  un  obstacle 
dangereux  pour  l'exercice  de  la  vertu,  qui  est  le  but 
auquel  elle  tend.  Autre  chose  est  la  recherche  du  juste 
salaire  dont  s'occupent  les  moralistes  (théologiens  et 
philosophes)  et  quelques  économistes  (par  exemple 
Brants,  et  avec  une  méthode  et  pour  une  fin  différentes 
Thilnen),  autre  chose  la  théorie  uniquement  et  scienti- 
fiquement économique  du  salaire,  qu'ont  élaborée 
Smith,  Ricardo,  et  à  laquelle  se  rattachent  les  contro- 
verses, vives  encore  en  Angleterre  et  en  Amérique, 
pour  nous  en  tenir  à  quelques  auteurs,  entre  Walker, 
Marshall,  Bonar,  Macvane,  Giddings. 

Il  faut  enfin  soigneusement  distinguer  l'économie  po- 
litique du  droit  économique,  philosophique  et  positif, 
qui  pourrait  embrasser  la  plus  grande  partie  du  droit 
privé  (tout  le  droit  commercial  et  la  plus  grande  partie 
du  droit  civil),  une  partie  considérable  du  droit  admi- 
nistratif et  quelques  théories  du  droit  pénal.  Le  droit 
économique  a  pour  objet  les  droits  et  les  devoirs  publics 
et  privés  qui  naissent  des  faits  économiques  et  des 
institutions  qui  s'y  rapportent,  et  les  sanctions  aux- 
quelles ils  donnent  lieu  ;  il  règle  la  sphère  de  com- 
pétence externe  des  personnes  physiques  et  morales 
dans  les  relations  qui  dérivent  de  leur  activité  dirigée 
vers  l'acquisition,  la  possession  et  l'usage  des  richesses  ; 
l'économie,  au  contraire,  nous  le  répétons,  recherche 
les  lois  rationnelles  des  faits  économiques  et  donne  des 


J6  OBJET    ET    LIMITES 

principes  directeurs  pour  le  bon  gouvernement  des 
affaires  publiques.  Autre  chose  est.  par  exemple,  re- 
chercher avec  Kant,  Hegel,  Krause,  Ahrens,  Miraglia  le 
fondement  juridique  de  la  propriété  privée  dans  le  droit 
philosophique,  ou  rechercher  avec  d'autres  écrivains 
l'organisation  du  droit  positif,  autre  chose  est  au  con- 
traire déterminer  les  fonctions  économiques,  les  avan- 
tages et  les  limites  dans  lesquelles  son  exercice  doit 
être  contenu  dans  l'intérêt  bien  entendu,  présent  et 
futur,  de  la  vie  sociale. 


CHAPITRE  II 
DIVISIONS  DE  L^ÉCONOMIE  POLITIQUE 


Les  doctrines  comprises  dans  Téconomie  politique 
peuvent  être  classées  et  ordonnées  selon  des  critères 
matériels  (  1)  et  formels  dont  l'importance  est  déterminée 
par  les  buts,  scientifiques  ou  purement  didactiques, 
auxquels  elles  doivent  servir. 

Une  première  distinction  a  son  fondement  dans  k 
double  rôle  de  l'économie  politique  ;  elle  comprend  : 

1°  L'économie  pure,  rationnelle  (ou  comme  on  l'ap- 
pelle aussi,  théorique),  qui  constitue  une  science,  au 
sens  rigoureux  du  mot,  parce  qu'elle  explique  les  phé- 
nomènes qui  constituent  l'ordre  social  des  richesses  ; 

2'  L'économie  appliquée  (ou  comme  on  l'appelle 
aussi,  pratique),  qui  constitue  un  art,  parce  qu'elle 
fournit  les  principes  qui  permettent  de  diriger  les  fonc- 
tions économiques  des  sociétés  politiques. 

Malheureusement  cette  distinction  qui  est  d'une  im- 
portance capitale  n'est  pas  comprise  de  la  même  façon 
par  les  écrivains  qui  l'ont  adoptée.  Quelques-uns  font 
entrer  dans  l'économie  appliquée  jusqu'aux  règles  de 
l'économie  privée,  alors  que  d'autres  n'y  comprennent 
que  l'examen  de  certaines  institutions  dues  à  l'initiative 
individuelle,  par  exemple,  les  sociétés  ouvrières  de  ré- 


(i)  Le  mot  matériel,  ici  et  dans  la  suite  du  chapitre,  s'oppose  à 
formel. 


18  DivrsiONS 

sistance,  de  prévoyance,  les  sociétés  coopératives. 
D'autres,  au  contraire,  pensent  queréconomie  appliquée, 
qu'ils  appellent  concrète,  s'occupe  non  pas  de  la  solu- 
tion des  questions  pratiques  générales,  mais  de  l'expli- 
cation des  phénomènes  spéciaux,  subordonnés  à  cer- 
taines lois  secondaires  ou  dérivées  dont  ne  s'occupe  pas 
l'économie  pure,  qu'ils  appellent  abstraite.  Tels  seraient 
les  détails  du  système  monétaire,  du  système  bancaire, 
du  système  financier,  etc.  Il  ne  faut  pas  oublier  non 
plus  que  tandis  que  beaucoup  d'économistes  estiment 
que  l'économie  rationnelle  étudie  les  phénomènes  en 
eux-mêmes  et  pour  eux-mêmes,  en  dehors  de  toute  in- 
gérence de  l'autorité  publique,  d'autres  au  contraire 
pensent  que,  si  l'économie  pure  doit  s'abstenir  de  sug- 
gérer les  principes  directeurs  de  l'action  économique 
de  l'État,  elle  ne  peut  pas  cependant  se  refuser  à  étudier 
les  influences  que  cette  action  exerce  sur  la  produc- 
tion comme  sur  la  distribution  des  richesses.  C'est  ce 
qu'ont  montré  récemment  et  très  justement  Sax  et 
d'autres  économistes  ;  nous  ne  pouvons  néanmoins 
nous  rallier  à  leur  manière  de  voir  lorsque,  par  suite 
d'une  grave  erreur  de  fait,  ils  en  font  un  argument 
critique  contre  les  meilleurs  écrivains  de  l'école  clas- 
sique anglaise  qui,  tout  au  contraire,  sur  les  traces  de 
Ricardo,  ont  étudié  avec  le  plus  grand  soin  les  phéno- 
mènes concernant  l'incidence  et  la  répercussion  des 
impôts  dans  des  œuvres  strictement  scientifiques. 

Une  autre  distinction,  que  quelques  économistes, 
pour  la  plupart  allemands,  substituent  à  la  précédente, 
tandis  que  d'autres  au  contraire  la  considèrent  comme 
lui  étant  subordonnée,  et  que  d'autres  enfin  (comme 
Held,  Neumann,  Kleinwâchter)  confondent  totalement 
avec  elle,  s'appuie  sur  la  différence  qui  existe  entre 
l'économie  générale  et  l'économie  spéciale,  c'est-à-dire 
l'économie  relative  aux  différentes  branches  de  l'indus- 


DE    L  ÉCONOMIE    POLITIQUE  19 

trie.  D'après  nous  cette  distinction,  si  elle  peut  utile- 
ment servir  de  base  à  l'étude  de  sujets  séparés  ou  de 
monographies  complètes  (d'économie  rurale,  forestière, 
minière,  commerciale,  etc.),  ne  constitue  pas  un  critère 
propre  à  une  subdivision  des  matières  de  l'économie 
pure  et  appliquée,  parce  que,  même  en  faisant  abs- 
traction de  cet  inconvénient,  peu  grave  en  vérité,  de 
donner  lieu  à  des  répétitions  inévitables,  elle  amène 
aussi,  insensiblement,  à  introduire  dans  l'économie  po- 
litique des  digressions  peu  opportunes  sur  l'économie 
privée  (et  particulièrement  sur  l'économie  industrielle) 
€t  parfois  même  sur  la  technologie,  comme  cela  est 
arrivé  fréquemment  à  Rau,  à  Wagner  et  à  Schônberg. 

Un  autre  défaut  grave  de  cette  division  c'est  d'amener 
à  considérer  par  rapport  à  une  industrie  particulière 
certaines  questions  qui  se  réfèrent  à  toutes,  comme  par 
exemple  la  question  des  grandes  et  des  petites  exploi- 
tations rurales,  qui  forme  un  côté  spécial  du  problème 
complexe  des  grandes  et  des  petites  entreprises.  Xous 
ne  pouvons  pas  comprendre,  d'ailleurs,  comment  cer- 
tains économistes  s'obstinent  à  considérer  comme  iden- 
tiques, d'un  côté,  l'économie  pure  et  l'économie  géné- 
rale et,  d'un  autre  côté,  l'économie  appliquée  et 
l'économie  spéciale,  comme  si  la  généralité  était  un  trait 
caractéristique  de  toutes  les  vérités  de  la  science  qui 
s'opposerait  nécessairement  à  la  spécialité,  qu'on  sup- 
pose, d'autre  part,  inhérente  à  tous  les  principes  de  l'art 
et  à  ceux-ci  seulement. 

Une  troisième  distinction  que  l'on  peut  considérer 
comme  identique  au  fond  avec  celle  qui  comprend 
l'économie  pure  et  l'économie  appliquée,  mais  qui  a 
l'avantage  d'éliminer  les  équivoques  qui  y  sont  inhé- 
rentes, nous  vient  également  d'Allemagne,  où  Jakob  et 
Rau,  qui  l'introduisirent  les  premiers,  purent  la  faire 
accepter  d'une   façon    presque    générale,    et  qui,    par 


20  DIVISIONS 

influence  directe  ou  indirecte,  fut  adoptée  aussi  par  un 
petit  nombre  d'économistes  des  autres  pays.  Je  fais 
allusion  à  cette  classification  qui  distingue  entre  : 

1°  L'économie  sociale  (ou,  comme  on  l'appelle  aussi, 
civile,  nationale,  ou  simplement  Féconomique),  c'est- 
à-dire  l'économie  pure  dans  le  sens  que  nous  donnons  à 
cette  expression  : 

2"  La  politique  économique,  lato  sensu,  ou  la  légis- 
lation économique  (comme  l'appelle  Cherbuliez),  ou 
l'économie  de  l'Etat,  qui  cependant  s'occupe  aussi  des 
fonctions  économiques  des  sociétés  politiques  inférieures, 
et  se  confond  avec  l'économie  appliquée  telle  que  nous 
l'avons  définie.  Mais,  comme  ces  fonctions  concernent 
l'ingérence  de  l'autorité  publique  dans  les  richesses 
privées,  et  l'administration  des  richesses  appartenant 
aux  sociétés  politiques,  il  en  découle  une  subdivision 
de  la  politique  économique  en  deux  parties,  c'est- 
à-dire  : 

a)  La  politique  économique,  stricto  sensu,  qui  four- 
nit aux  pouvoirs  publics  les  principes  directeurs  de  leur 
ingérence  dans  les  richesses  privées  ; 

bj  La  politique  financière,  ou,  comme  on  rai)pelle 
généralement,  la  science  des  finances,  c'est-à-dire  la 
doctrine  du  patrimoine  public,  qui  fournit  les  principes 
directeurs  pour  la  constitution,  l'administration  et 
l'emploi  du  patrimoine  propre  de  l'Etat,  de  la  Province 
et  de  la  Commune. 

Il  faut  remarquer  cependant  que  la  science  des 
finances,  par  suite  de  l'importance  de  ses  principes,  et 
de  la  nécessité  de  les  subordonner  ou  de  les  coordonner 
avec  d'autres  principes  d'ordre  moral,  juridique,  et  pour 
des  raisons  de  haute  convenance  politique  dont  doivent 
s'inspirer  le  législateur  et  l'administrateur  dans  le  do- 
maine des  applications,  et  aussi  par  une  tradition  aca- 
démique qui   (en  Allemagne)  remonte  à  la  première 


DE  i/égonomie  politique  21 

moitié    de    notre  siècle,     est    maintenant   d'ordinaire 
considérée  comme  une  discipline  complètement  distincte 
de    l'économie   politique  et,  par  suite,  elle  est  ensei- 
gnée, depuis  quelque  temps  même  en  France  et  plus 
encore  en  Italie  et  aux  États-Unis,  dans  des  œuvres  et 
dans    des    cours   spéciaux.   Récemment    un    éminent 
professeur  allemand  Sax  (Gnmdlegung  der  theoretis- 
chen  Sta,atswirthschaft,Wien  1887),  et  en  Italie,  avec 
quelques  réserves,  Ricca-Salerno,  Graziani  et  Conigliani, 
ont  insisté  avec  beaucoup  de  force  sur  le  caractère  pure- 
ment économique  de  quelques-unes  des  théories  finan- 
cières, déduites  de  la  doctrine  économique  de  la  valeur 
subjective.  Il  ne  faut  pourtant  pas  oublier  que  les  ana- 
logies ingénieuses  établies  par  Sax  entre  la  distribution 
des  richesses  privées  et  la  destination  d'une  partie  de 
ces   richesses   à  des  buts  publics  ne   sont  pas  toutes 
exactes  et  acceptables  et  que,  de  toute  façon,  les  prin- 
cipes de  l'art  financier  constituent  la  matière  principale 
de  Tune  des  branches  les  plus  importantes  de  la  poli- 
tique administrative,  abstraction  faite  bien  entendu  de 
la  théorie  de  l'incidence  des  impôts,  qui.  comme  nous 
l'avons  déjà  dit,  est  vraiment  scientifique   et  pourrait 
ainsi  (comme  plus  d'un  l'a  fait)  être  considérée  comme 
partie  intégrante  de  l'économie  sociale. 

La  politique  économique,  stricto  sensu,  qui  devrait 
rigoureusement  fournir  à  l'homme  d'État  des  prin- 
cipes exclusivement  déduits  de  l'idée  de  l'utile,  au 
sens  donné  par  l'économie  (principes  que.  presque 
seul,  Cherbuliez  a  développés),  s'achemine,  elle  aussi, 
à  grands  pas  à  une  transformation,  déjà  presque 
accomplie  dans  la  politique  financière,  et  par  laquelle, 
cessant  d'être  la  partie  politique  de  l'Economie,  elle 
deviendrait  plutôt  la  partie  économique  de  la  Poli- 
tique, et  spécialement  de  la  politique  administra- 
tive,   c'est-à-dire  de    la    science    de  l'administration. 


99 


DIVISIONS 


De  cette  façon  la  théorie  des  fonctions  économiques 
des  sociétés  politiques  serait  illuminée  par  des 
principes  plus  larges,  dans  lesquels  on  ferait  la 
place  qui  leur  appartient  à  ces  critères  de  morale,  de 
droit,  d'hygiène,  d'esthétique  et  de  haute  politique  qui 
doivent  pour  partie  être  associés  aux  critères  purement 
économiques  et  pour  partie  les  dominer.  C'est  là  une 
évolution  qui  s'est  depuis  longtemps  accomplie  en  Alle- 
magne, lorsque  deux  hommes  éminents,  Mohl  et  Stein, 
substituèrent  à  la  science  delà  police  exclusivement  em- 
pirique des  vieux  Caméralistes  la  science  de  l'adminis- 
tration, développée  avec  une  large  et  profonde  érudi- 
tion et  avec  une  connaissance  parfaite  des  besoins  de 
notre  époque,  et  devenue  un  corps  imposant  et  autonome 
de  doctrine  qui  a  raison  de  se  détacher  du  Droit  admi- 
nistratif. Cette  séparation,  dont  quelques  publicistes 
allemands  ont  essayé,  avec  plus  ou  moins  de  succès^ 
de  préciser  les  bases,  fait  ses  débuts  même  en  Italie, 
spécialement  grâce  à  Carlo  F.  Ferraris  et  à  quelques 
autres,  et  elle  devra,  tôt  ou  tard,  s'effectuer  également 
dans  la  science  comme  dans  l'enseignement,  lorsqu'elle 
aura  triomphé  des  obstacles  qu'elle  trouve  dans  l'oppo- 
sition de  beaucoup  de  juristes  de  la  vieille  école. 

Une  bonne  distinction  des  matières  contenues  dans 
l'économie  politique,  pure  et  appliquée,  a  son  fonde- 
ment dans  le  caractère  même  des  relations  qui  for- 
ment Tordre  social  des  richesses.  Elle  distingue  les 
différents  stades  ou  moments  dans  la  succession  na- 
turelle des  phénomènes  économiques.  J.-B.  Say  a 
proposé,  dans  ce  but,  la  division  célèbre  en  produc- 
tion, distribution  et  consommation  des  richesses,  qu'il 
énonçait  dans  sa  définition  delà  science  et  qu'il  donnait 
même  pour  titre  à  son  Traité  (1803).  c'est-à-dire  à  son 
œuvre  principale.  Cette  distinction  a  été  pendant  long- 
temps presque  généralement  acceptée,  comme  en  font 


DE  l'Économie  politique  23 

foi  les  œuvres  de  Gioja,  Kraus,  Jakob,  Rau,  Riedel, 
Schûz  et  Mac  Culloch. 

D'autres  écrivains  plus  modernes,  et  ils  forment  peut- 
être  la  majorité,  ont  ajouté  une  quatrième  partie  con- 
cernant la  circulation  ou,  selon  l'expression  anglaise 
courante,  l'échange,  phénomène  de  première  impor- 
tance qui  mérite  une  étude  séparée,  aussitôt  après 
celle  de  la  production,  plutôt  que  d'être  comprise 
dans  le  chapitre  de  la  production  (Say)  ou  dans  celui 
de  la  distribution  (Rau,  Mac  Culloch).  Nous  citerons 
comme  exemple  les  œuvres  de  FIorez-Estrada,  Garnier, 
Baudrillart,  Nazzani,  Mangoldt,  Schônberg,  Walker, 
Andrews,  Ely. 

Une  petite  variante  dans  l'ordre  des  matières  a  été 
adoptée  d'abord  par  James  Mill,  puis  par  Kudler  et  par 
beaucoup  d'écrivains  français  (Levasseur,  Jourdan, 
Laveleye,  Leroy-Beaulieu,  Beauregard)  ;  ces  auteurs 
font  précéder  la  distribution  par  la  circulation.  Un  petit 
nombre,  au  contraire,  parle  delà  consommation  aussitôt 
après  la  production  (Chapin)  ou  après  la  production  et 
la  circulation,  comme  Gide. 

L'innovation  de  Roscher,  qui  voulait  ajouter  aux 
quatre  parties  que  nous  venons  d'énumérer  une  cin- 
quième concernant  la  population,  n'a  pas  été  adoptée. 
Il  ne  s'aperçut  pas  qu'une  étude  complète  de  ce  sujet 
(au  point  de  vue  statistique,  économique  et  législatif) 
peut  former  l'objet,  ou  d'une  science  (la  Démographie, 
ou  mieux  la  Démologie),  ou  de  monographies  spéciales  ; 
c'est  ce  qu'ont  essayé  déjà,  avec  plus  ou  moins  de 
succès,  Bernouilli,  Riimelin,  Gerstnei%  et  quelques 
autres.  L'économie  politique  ne  s'occupe  de  la  popula- 
tion que  pour  étudier  les  influences  de  sa  quantité,  de 
sa  densité,  de  sa  composition  et  de  son  accroissement 
sur  les  différentes  phases  de  la  richesse.  On  peut  donc 
en  faire  l'objet  d'une  étude  complémentaire  soit  dans 


24  DIVISIONS 

la  partie  consacrée  à  la  production  (Mac  Culloch),  soit 
dans  celle  qui  est  consacrée  à  la  distribution  (Jourdan) 
ou  à  la  consommation  (Walker,  Leroy-Beaulieu). 

D'autres  innovations  tendent  au  contraire  à  simpli- 
fier ou  à  modifier  différemment  la  division  tripartite  de 
Say.  Ainsi,  par  exemple.  Turgot  (déjà  au  siècle  dernier), 
Senior,  Stuart  Mill,  dans  un  premier  Essai  déjà  cité, 
et  Rossi  n'admettent  pas  une  théorie  économique  de  la 
consommation  (c  est-à-dire  de  l'usage  des  richesses), 
parce  que,  selon  eux,  elle  appartient  à  la  morale,  à 
l'économie  domestique  et  aux  finances.  Ils  sont  ainsi  en 
désaccord  complet  sur  ce  point  a^ec  d'autres  écrivains 
plus  récents  qui  font  précéder  toutes  les  autres  théories 
par  la  théorie  de  la  consommation,  en  la  faisant  entrer 
dans  celle  de  l'utilité  (Jevons,  Walras,  Pierson),  ou 
dans  celle  de  la  demande  (Marshall;.  Cette  opinion  est 
également  partagée  par  certains  écrivains  qui  considè- 
rent la  doctrine  de  la  consommation  comme  constituant 
un  préliminaire  nécessaire  à  l'économie,  mais  non  pas 
une  de  ses  parties  principales. 

Un  dernier  groupe  d'écrivains  maintenant  ,  avec 
Senior  et  Rossi,  la  suppression  de  la  partie  consacrée  à 
la  consommation,  consacre  toute  une  partie  à  la 
circulation  (ou  à  l'échange,  comme  l'appellent  les 
Anglais,  ou  au  trafic,  selon  l'expression  de  Held),  dont 
ils  s'occupent,  ou  après  la  production  (Cherbulliez, 
Villey,  Sidgwick,  Carter- Adams,  Laurence  Laughlin, 
Nicholson),  ou  après  la  distribution,  comme  Stuart  Mill 
(dans  ses  Principes)  et  Shadwell. 

Sans  songer  à  nier  l'importance  didactique  de  ces 
controverses,  il  nous  faut  dire,  en  terminant,  que  ce 
sont  plutôt  des  questions  d'ordre  que  d'importance,  et 
que  toute  classification  des  phénomènes  économiques 
renferme  inévitablement  en  elle-même  quelque  chose 
d'inexact  et  d'arbitraire,  parce  qu'elle  est  une  décompo- 


DE    L  ECONOMIE    POLITIQUE  Zt> 

i 

sition  artificielle  d'un  tout  organique  en  éléments  qui 
sont  reliés  entre  eux  par  une  série  très  variée  d'actions 
et  de  réactions.  La  science  peut  certainement  les  étudier 
isolément,  pour  des  raisons  de  méthode  ou  pour  des  né- 
cessités d'exposition,  mais  ils  sont,  en  réalité,  essentiel- 
lement connexes.  C'est  ainsi  que  la  production  implique 
nécessairement  la  consommation  productive  et  suppose 
réchange,  qui  donne  naissance  à  la  valeur,  qui  se  trouve 
en  étroite  corrélation  avec  le  coût,  qui  nécessite  pour 
être  analysé  l'étude  de  quelques  uns  des  facteurs  de  la 
distribution.  Et,  d'un  autre  côté,  il  est  évident  que  la 
qualité  des  objets  consommés  détermine  nécessairement 
celle  des  richesses  produites,  tandis  que  les  systèmes 
mêmes  de  distribution  réagissent,  et  sur  l'énergie  du 
travail,  agent  de  la  production,  et  sur  les  divers  aspects 
de  la  consommation.  Il  ne  faut  pas  oublier,  non  plus, 
que  les  divergences  signalées  ci-dessus  ont  quelquefois 
un  caractère  purement  nominal.  Ainsi,  par  exemple, 
quelques-uns  des  écrivains  qui  ne  consacrent  pas  un 
titre  séparé  à  la  consommation,  en  font  l'objet  d'un 
appendice  à  une  division  principale  de  la  matière.  Il 
nous  suffît  de  citer  Mill,  Sidgwick,  Rau,  Courcelle- 
Seneuil,  Cherbulliez  et  Nicholson. 


26  RAPPORTS 


CHAPITRE  III 

RAPPORTS  DE  L'ÉCONOMIE  POLITIQUE 

ET  DES  AUTRES  SCIENCES 


Les  différences  substantielles,  qui  séparent  l'économie 
politique  des  disciplines  connexes  dont  l'objet  est  tota- 
lement ou  partiellement  commun,  n'excluent  pas  la 
possibilité  de  relations  plus  ou  moins  étroites  et  n'em- 
pêchent pas  que  l'économie  n'emprunte  d'utiles  notions 
à  d'autres  disciplines  qui  lui  sont  simplement  auxi- 
liaires. 

Les  disciplines  connexes  à  l'économie  politique  sont  : 
l'histoire,  la  statistique  et  la  morale  économiques,  le 
droit  économique  et  l'économie  privée. 

Les  disciplines  auxiliaires  sont  :  la  psychologie,  la 
technologie  et  la  politique. 


§  l*"".  —  l'histoire  économique. 

Il  y  a  de  nombreux  points  de  contact  entre  l'histoire 
économique,  qui  raconte  les  faits  concernant  l'ordre 
social  des  richesses  et  qui  en  recherche  le  lien  causal 
concret  et  immédiat,  et  l'économie  politique  qui  étudie 
les  caractères  essentiels,  les  causes  premières  et  les  lois 
rationnelles. 

L'histoire  économique,  et  en  particulier  l'histoire 
moderne,    peut  fournir  des  éléments  très  utiles  pour 


DE  l'économie  politique  27 

démontrer  la  vérité  des  doctrines  auxquelles  on  arrive 
par  le  simple  raisonnement.  Il  faut  pour  cela  supposer 
qu'on  a  pu  trouver  des  analogies  réelles  et  suffisantes 
dans  les  conditions  sociales  et  matérielles  qui  doivent 
fournir  les  faits  qui  serviront  à  expliquer  des  faits 
d'autres  temps  et  d'autres  lieux.  Sans  une  grande  con- 
naissance du  sujet  et  sans  les  plus  grandes  précautions 
dans  l'interprétation,  on  arrive,  comme  les  dilettanti 
de  l'histoire  et  de  l'économie  (et  même  de  la  statistique), 
à  invoquer  avec  une  sereine  témérité  l'éloquence  des 
faits  (et  des  chiffres)  pour  appuyer  de  purs  sophismes, 
2:)0st  hoc  (ou  cum  hoc)  ergo  projeter  hoc.  Des  esprits 
prudents  et  sûrs  ont  pu,  par  l'histoire  des  assignats 
français,  des  bank-notes  autrichiens  et  des  green-backs 
américains,  éclaircir  admirablement  la  théorie  du  cours 
forcé  du  papier  monnaie. 

En  second  lieu,  l'histoire  économique  peut  servir 
davantage  encore  à  l'économie  politique  en  déterminant 
mieux  le  caractère  limité  et  purement  relatif  de  cer- 
taines lois  économiques  dérivées,  qui  changent  avec  le 
changement  des  conditions  sociales  qui  en  sont  la 
condition  nécessaire.  C'est  ce  qu'a  démontré  admirable- 
ment Bagehot  et  les  économistes  allemands  de  l'école 
historique;  cependant  ceux-ci,  par  une  réaction  exces- 
sive, sont  tombés  dans  l'erreur  très  grave  de  ne  pas 
admettre  ou  de  méconnaitre  l'importance  d'autres  lois 
économiques,  certainement  universelles  et  constantes. 

D'un  autre  côté,  l'économie  politique  fournit  à  l'his- 
toire économique  les  critères  théoriques  qui  lui  sont 
indispensables  pour  le  choix,  la  coordination  et  l'appré- 
ciation des  faits,  des  conditions  et  des  institutions  qui 
en  forment  la  matière.  Il  faut  faire  observer  ici  cepen- 
dant que  l'histoire  ne  tirera  aucun  profit  ni  des  théories 
insuffisamment  sûres,  ni  des  théories  exactes  mais 
insuffisantes   pour  expliquer  des  faits   qui   dépendent 


28  RAPPORTS 

aussi  de  causes  différentes  et  quelquefois  plus  impor- 
tantes que  les  causes  d'ordre  économique.  C  est  dire 
que  l'interprétation  économique  de  l'histoire  n'est  pas 
moins  utile,  mais  qu'elle  est  tout  aussi  difficile  que  in- 
terprétation historique  de  l'économie  et  qu'il  faut  éviter 
ces  deux  dangers  opposés  :  faire  servir  certaines  données 
historiques  (ou  données  statistiques),  arbitrairement 
recueillies,  comme  preuves  de  théories  préconçues,  ou 
vouloir  expliquer  certains  faits  passés  (ou  certaines  con- 
ditions présentes,  sociales  ou  politiques),  et  par  consé- 
quent de  caractère  évidemment  complexe,  à  l'aide  de 
critères  purement  économiques. 

C'est  ce  que  n'ont  pas  toujours  su  éviter  des  auteurs 
d'une  compétence  généralement  reconnue,  et  auxquels 
nous  devons  des  œuvres  par  plus  d'un  point  remar- 
quables. 

J.  E.  Thorold  Rogers,  The  économie  interprétation  of 
history.  London,  1888.  Traduction  française,  Paris, 
1892. 

A.  Loria,  La  teoria  economica  délia  costituzione  poli - 
iica.  Torino,  1886.  2«  édition  (française)  aug- 
mentée, Paris.  1893. 

î^   2.  STATISTIQUE    ÉCONOMIQUE 

11  y  a  entre  la  statistique  économique  et  l'économie 
politique  des  relations  de  même  nature,  mais  plus  in- 
times encore.  La  statistique  économique  forme  une 
partie  notable  de  l'économie  politique  appliquée.  Elle 
s'occupe  des  faits  concrets  de  la  richesse;  elle  les  décrit, 
et  elle  recherche  les  régularités  qui  existent  dans  leur 
coexistence  et  dans  leur  succession,  dans  certaines 
limites  de  temps  et  d'espace. 

La  statistique  (comme  l'a  dit  excellemment  Gabaglio) 
emprunte  à  l'économie  politique  les  notions  qui  lui  sont 


DE    L  ÉCONOMIE    POLITIQUE  29 

nécessaires  pour  le  choix  et  pour  l'analyse  des  faits 
économiques,  pour  la  critique,  la  comparaison  et  l'ar- 
rangement des  données  qu'ils  fournissent.  A  cela, 
nous  ajouterons  que  cette  aide  est  d'autant  plus  néces- 
saire que  la  statistique  économique,  qui,  sans  doute,  a 
fait  des  progrès  grâce  à  d'illustres  spécialistes,  se  trouve 
cependant  dans  un  état  peu  satisfaisant  par  suite  de 
l'opposition  qu'elle  rencontre  chez  les  industriels  et  les 
commerçants  qui  craignent  que  les  données  recueillies 
puissent  nuire  à  leur  crédit  ou  faciliter  l'introduction 
de  nouvelles  charges  fiscales. 

Mais  la  statistique,  bien  employée,  rend,  à  son  tour, 
d'éminents  services  à  l'économie  politique.  Elle  lui 
fournit  des  matériaux  empiric[ues  précieux  pour  éclair- 
cir.  beaucoup  mieux  que  par  des  exemples  hypo- 
thétiques, la  vérité  de  quelques  propositions  établies 
par  voie  déductive.  Il  ne  faudrait  pas  croire  qu'il  puis- 
sent suffire  pour  cela  des  résultats  de  l'observation  in- 
dividuelle, ou  de  ceux  que  fournissent  les  enquêtes 
publiques  ou  privées,  ou  les  monographies,  seraient- 
elles  aussi  bien  faites  que  le  sont  celles  que  nous  devons 
à  Le  Play  et  à  ses  meilleurs  disciples  et  continuateurs. 
C'est,  en  effet,  seulement  par  l'observation  systéma- 
tique et  quantitative  qu'on  arrive  à  découvrir  dans  les 
faits  sociaux,  qui,  pris  individuellement,  semblent 
coexister  sans  ordre,  une  merveilleuse  régularité,  lors- 
qu'on élimine  indirectement  et  par  voie  de  compensa- 
tion l'influence  des  causes  perturbatrices.  Dans  quelques 
sciences  physiques,  ce  résultat  peut,  au  contraire,  être 
obtenu  directement  par  l'expérimentation,  à  laquelle 
l'économiste  ne  peut  avoir  recours  que  rarement  et 
d'une  façon  bien  imparfaite. 

Il  faut  remarquer  que  les  lois  empiriques  révélées 
par  la  statistique  ne  sont  pas  toujours  un  obstacle 
pour  la  découverte  de  lois  scientifiques,  elles  constituent 


30  II  APPORTS 

(luelquefois  des  points  de  départ  pour  des  déductions 
ultérieures,  qui  ont  déjà  conduit,  ou  pourront  conduire 
dans  la  suite  à  découvrir,  par  d'autres  moyens,  de 
nouvelles  lois  vraiment  scientifiques.  Ainsi,  par  exemple, 
l'observation  statistique  de  nombreuses  données  sur  les 
crises  commerciales  et  leur  périodicité  ont  fourni  à 
Je  vous,  à  Juglar  et  à  d'autres  spécialistes  la  matière 
propre  à  des  recherches  plus  approfondies  sur  la  nature 
et  les  causes  de  ces  funestes  perturbations  écono- 
miques. 

L'économie  politique  a  tiré  un  grand  secours  des 
progrès  récents  de  la  statistique,  dus  à  l'illustre  Qué- 
telet  (mort  en  1874)  et  remarquablement  continués 
par  Engel,  Wappaus,  Knapp,  Lexis,  Becker,  Oettin- 
gen,  Guerry,  Bertillon,  Levasseur,  de  Foville,  etc.  Et 
j'espère  que  l'Italie,  (qu'ont  illustrée  autrefois  les  travaux 
de  Gioja  et  de  Romagnosi,  et  qui  se  trouve  aujour- 
d'hui encore  au  premier  rang  et  pour  ses  statistiques 
ofTicielles,  dirigées  avec  une  compétence  généralement 
reconnue  et  avec  une  énergie  et  une  activité  prodigieuses 
par  Bodio,  et  au  point  de  vue  scientifique  et  méthodo- 
logique, parce  qu'elle  compte  d'illustres  savants  comme, 
pour  nous  en  tenir  à  quelques  noms,  Messedaglia, 
Perozzo,  Gabaglio),  conservera  à  cette  discipline  la  place 
qui  lui  appartient  dans  renseignement  supérieur. 

Parmi  les  œuvres  de  propédeutique  et  d'histoire  de 
la  statistique  nous  mentionnerons,  en  dehors  des  livres 
déjà  anciens  de  Mone,  de  Fallati  et  de  Wappaus,  l'ou- 
vrage encore  inachevé  de  John.  La  méthodologie  a  été 
approfondie  par  Rûmelin  et  Westergaard  ;  l'histoire 
de  la  méthodologie,  par  Wagner  et  Meitzen,  pour  ne 
citer  que  quelques-uns  des  meilleurs,  et  avec  plus  de 
profondeur  par  Gabaglio.  Pour  la  statistique  descriptive 
générale  on  peut  consulter  les  ouvrages  de  Kolb  et 
ceux   de  Brachelli  ;    en   matière  de  statistique  écono- 


DE  l'économie  politique  31 

mique,  et  spécialement  de  statistique  commerciale, 
la  première  place  appartient  à  Engel,  à  Neumann- 
Spallart  et  à  quelques  autres.  Les  meilleurs  manuels  de 
statistique  sont  dus  à  Mayr,  à  Haushofer  et  à  Block.  Les 
commençants  liront  avec  un  grand  profit  le  petit  ouvrage 
de  Virgilii. 

V.  John,    Geschichte  der  Staiistik,   1'''=  partie.    Stutt- 
gart, 1884. 

H.  Weslergaard,  Die  Grundzùge  der  Théorie  der  Sta- 
iistik. Jena,  1890. 

A.-  Meitzen,  Geschichte,  Théorie  und  Technik  der  Sta- 
iistik. Berlin,  1886  (traduit  en  anglais). 

Ant.  Gabaglio,  Teoria  générale  délia  statislica.  2«  édi- 
tion entièrement  refaite.  Milano,  1888.  2  vol. 

G.    F.  Kolb,  Handbuch  der  vergleichenden  Siatistik. 
Leipzig,    1857.    8«  édit.,   1879    (un    supplément 
en  1883). 

H.    F.    Brachelli,    Die    Staaten   Europa's.    4"   édit. 
Briinn,  1883-1884. 

F.  X.  V.  Neumann-Spallart,    Uebersichten  der  Welt- 

wirthschaft.    Stuttgart,  1887  (continué  par  F.  v. 
Juraschek.  Berlin,  1890). 

G.  V.  Mayr,  Die  Gesetzm'àssigkeit  im  Gesellschaftslebcn . 

Miinchen,  1877.  (Excellemment  traduit  en  italien 

et  complété  par  G.    B.    Salvioni.  Torino,  1886, 

2*=  édit.) 
M.  Haushofer,    Lehr  und   Handbuch  der    Siatistik. 

2"  édit.,  Wien,  1882. 
M.  Block,  Traité  théorique  et  pratique  de  statistique. 

2«  édit.  Paris,  1886. 
F.  Virgilii,   Manuale  di  Siaiistica.  Milano,  1891. 


§  3.  MORALE   économique 

Il  nous  faut  préciser,  pour  éviter  d'étranges  et  dan- 
gereuses équivoques,  les  rapports  de  Téconomie  poli- 
tique, qui  étudie  l'ordre  social  des  richesses,  et  de  la  mo- 


32  RAPPORTS 

raie  économique,  publique  et  privée.  Celle-ci  a  pour 
but,  étant  donnés  certains  idéals,  de  fournir  des  pré- 
ceptes sur  les  devoirs  des  bommes  au  sujet  de  l'acqui- 
sition et  de  l'usage  des  richesses,  préceptes  qu'elle 
déduit  des  principes  suprêmes  du  juste  et  de  l'équi- 
table qui  lui  sont  suggérés  par  la  raison  (morale  philo- 
sophique) ou  révélés  par  la  religion  (morale  théologique). 

Il  faut;  tout  d'abord,  remarquer  que  l'économie  pure 
est  indépendante  de  la  morale,  parce  qu'elle  explique 
des  phénomènes  qu'elle  ne  peut  ni  créer  ni  modifier. 
Les  propositions  de  la  science  économique,  au  sens 
étroit  du  mot,  peuvent  par  conséquent  être  vraies  ou 
fausses,  dans  leur  essence  ou  dans  leur  forme,  mais 
elles  ne  peuvent  jamais  être  bonnes  ou  mauvaises, 
utiles  ou  dangereuses.  Aussi,  cette  fameuse  iniportation 
de  l'élément  éthique,  dont  s'enorgueillit  une  nombreu.se 
école  d'économistes  contemporains,  n'est  pas  (pour 
l'économie  pure,  nous  le  répétons)  une  découverte  qui 
l'ennoblit,  mais  une  absurdité  qui  la  bouleverse.  Ainsi, 
par  exemple,  l'économie  rationnelle  explique  la  raison ^ 
les  éléments,  les  fonctions,  les  limites  de  l'intérêt  du 
capital  prêté,  mais  elle  est  tout  à  fait  incompétente  pour 
juger  du  mérite  des  lois  positives,  civiles  ou  commer- 
ciales, qui  prohibent  ou  restreignent  l'intérêt  conven- 
tionnel du  prêt  à  intérêt,  ou  qui  le  laissent  libre  avec 
ou  sans  la  sanction  de  lois  pénales  contre  l'usure. 

Je  ne  veux  pas  par  là  nier  la  nécessité  théorique  et 
pratique  de  la  morale  économique  (et  particulièrement 
de  la  religion)  comme  norme  de  conduite  pour  les 
honnêtes  gens,  et,  pour  ma  part,  j'applaudis  à  ces  théo- 
logiens qui,  comme  Co.sta-Rossetti,  Cathrein  et  quel- 
ques autres,  s'occupent  de  l'économie  politique  comme 
d'une  doctrine  auxiliaire  de  la  théologie  morale;  je 
pense  cependant  qu'il  n'est  pas  logiquement  correct 
de  confondre  les  théories  de  la  science  avec  les  pré- 


DE    L  ÉCONOMIE    POLITIQUE  33 

ceptes  de  l'art.  Nous  admettons,  nous  aussi,  que  dans 
la  partie  concrète  de  l'économie  rationnelle  ou.  en 
d'autres  termes,  pour  l'explication  des  faits  individuels 
il  faut  tenir  compte  des  idées  morales,  qui  tempèrent 
souvent  et  de  façon  variée  l'action  de  l'intérêt  person- 
nel, qui  est  le  moteur  principal  des  phénomènes  éco- 
nomiques. Nous  ne  partageons  cependant  nullement 
l'opinion  de  ceux  qui,  comme  Dargun,  préconisent  la 
construction  d'une  nouvelle  science  économique,  dé- 
duite du  principe  de  la  sympathie,  ou  amour  du  pro- 
chain, sans  remarquer  l'inutilité,  bien  plus  l'impossibi- 
lité de  cette  entreprise,  comme  l'ont  démontré  finement 
Dietzel  et  Philippovich. 

Dargun,   Egoismus    und  Altruismus  in  der  Nailonal- 
ùkonomie.  Leipzig,  1885. 

On  ne  doit  pas  s'étonner,  en  y  réfléchissant,  que  les 
vérités  de  l'économie  rationnelle  puissent  servir  aux 
moralistes,  et  il  faut  par  conséquent  approuver  la  cé- 
lèbre phrase  de  Droz  (un  orthodoxe  dans  ces  deux  dis- 
ciplines) :  l'économie  politique  est  le  plus  puissant 
auxiliaire  de  la  morale.  En  démontrant,  en  effet,  les 
avantages  même  matériels  qui  résultent  de  l'exercice  de 
certaines  vertus  (activité,  prévoyance,  épargne)  et  les 
dangers  économiques  qui  résultent  des  vices  contraires 
(paresse,  imprévoyance,  prodigalité),  elle  fournit  des 
arguments  d'une  très  grande  efTicacité  pratique  sur  l'es- 
prit de  ceux  qui  ne  savent  pas  ou  ne  veulent  pas  appré- 
cier pour  elles-mêmes  les  maximss  de  l'éthique  ration- 
nelle ou  positive. 

L'économie  politique  sert  en  outre  à  rectifier  les 
assertions  de  quelques  écrivains,  qui,  dans  leurs  juge- 
ments sur  certains  actes  moralement  blâmables,  ne 
savent  pas  mesurer  le  degré  véritable  de  culpabilité, 

3 


34  RAPPORTS 

parce  qu'ils  sont  fourvoyés  par  desconcepts  économiques 
erronés.  Ainsi,  par  exemple,  on  dit  couramment  que 
l'avarice  est  un  vice  pire  que  la  prodigalité,  parce  que 
celle-ci  peut,  en  partie,  trouver  son  excuse  dans  les  bons 
effets  qu'elle  a  pour  les  ouvriers,  tandis  que,  au  con- 
traire, étant  donné  les  conséquences  purement  éco- 
nomiques de  ces  deux  vices,  on  doit  dire  que  le  non 
usage  temporaire  de  certains  biens  produit  un  mal 
moindre  que  celui  de  leur  destruction.  L'économie 
contribue  par  conséquent  à  formuler  avec  plus  de  pré- 
cision et  de  prudence  certains  préceptes  moraux,  le  pré- 
cepte sacro-saint  de  l'aumône  par  exemple,  en  montrant 
les  graves  inconvénients  qui  proviennent  des  largesses 
faites  sans  discernement  aux  plus  importuns  et  non  aux 
plus  besoigneux. 

On  peut  consulter  sur  ce  sujet  :  A.  Clément,  dans  le 
Dictionnaire  de  V Économie  politique  de  Coquelin, 
Paris  1853,  Introduction,  pp.  xxiii-xxiv,  et  le  dernier 
chapitre  de  Sigdwick,  Principles  of  Poliiical  Eco- 
nomy,  2*  édit.  Londres  1887. 

L'économie  politique  est,  au  contraire,  hiérarchique- 
ment inférieure  à  la  morale  dans  sa  partie  appliquée, 
parce  que  les  préceptes  de  l'éthique  ne  doivent  jamais 
être  transgressés  pour  retirer  un  avantage  purement 
économique,  les  richesses  étant  un  simple  moyen  pour 
atteindre  le  but  de  la  conservation  des  hommes  et  celui 
de  leur  perfectionnement.  Si  donc  il  y  a  des  conflits 
partiels  entre  les  raisons  de  l'éthique  et  celles  de  l'éco- 
nomie, les  premières  doivent  toujours  l'emporter.  Ainsi, 
par  exemple,  en  ce  qui  concerne  le  travail  des  enfants 
dans  les  ateliers,  de  hautes  considérations  d'ordre  mo- 
ral justifieraient  l'intervention  modératrice  du  pouvoir 
social,  même  s'il  n'y  avait  des  motifs  impérieux  d'une 
autre  nature  qui  conseillent  cette  ingérence. 

Nous  avons  intentionnellement  parlé  de  conflits  par- 


DE    L  ÉCONOMIE    POLITIQUE  35 

tiels  entre  la  morale  et  l'économie,  sachant  Lien  qu'il 
est  absurde  d'imaginer  des  conflits  généraux,  et  cela 
grâce  à  cette  harmonie  flnale  consolante  de  l'utile  et  du 
juste  dont  parlent  les  philosophes  de  toutes  les  écoles, 
si  on  fait  exception,  bien  évidemment,  des  pessimistes. 

Il  résulte  de  là  que,  dans  les  questions  d'application , 
on  doit  tenir  compte  de  l'élément  éthique  qui  est  com- 
plètement étranger  à  l'économie  rationnelle  abstraite, 
et  sur  lequel  insistent,  justement  dans  ce  sens,  les  écri- 
vains auxquels  nous  avons  fait  allusion  ci-dessus.  Mais 
il  ne  faut  pas  oublier  que  cet  élément  ne  domine  souve- 
rainement pas  même  dans  l'économie  appliquée,  car  il 
faut  bien  souvent  faire  appela  des  vues  juridiques  et 
politiques  pour  déterminer  jusqu'à  quel  point  les  idéals 
de  réthique  peuvent  être  convertis  en  préceptes  appuyés 
sur  une  sanction  légale  extérieure,  et  peuvent,  d'autre 
part,  tendre  à  des  buts  pratiquement  réalisables. 

Cette  question  très  délicate  des  rapports  entre  l'éeo- 
nomie  appliquée  et  la  morale  a  été  l'objet  de  nombreuses 
monographies  de  la  part  des  économistes  philosophes, 
utilitaires  ou  spiritualistes,  notamment  en  France,  et 
elle  a  conduit  par  suite  à  des  résultats  opposés.  On 
peut  consulter  sur  ce  point  les  ouvrages  de  Dameth, 
de  Rondelet  (1859),  de  Renouvier  (1869),  de  Molinari 
(1888).  Il  faut  faire  une  place  à  part  aux  travaux  de  Min- 
ghetti  et  de  Baudrillart,  remarquables  aussi  par  l'élé- 
gance de  la  forme.  Parmi  les  écrivains  de  théologie 
morale,  qui  se  sont  occupés  d'économie  politique,  il 
suffira  de  rappeler  Cathrein.et  Weiss. 

M.  MingheLti,  Dell'economia  publica  e  délie  sue  atti- 
nenze  colla  morale  e  col  diritlo.  Firenze,  1859; 
2^  édit.,  1868;  traduit  en  français  par  Saint-Ger- 
main Leduc  :  Des  rapports  de  l'économie  publique 
avec  la  morale  et  le  droit.  Paris,  18G3. 

H.  Baudrillart,  Des  rapports  de  la  morale  et  de  Véco- 


36  RAPPORTS 

oiomie  politique.    Paris,  1860;   2«  édit.,    sous  le 

litre    de   :    Philosophie   de   Véconomie  poUiiquc. 

Paris,  1883. 
V.  Calhrein,  S.  J.,  Morolphilosophie,  2"=  vol.  Freiburg 

im  Br.  1891. 
A.  M.  Weiss,    Sociale  Froge   und  sociale  Ordmmg, 

ibidem,  1892. 

§    ■^ .  —  DROIT  ÉCONOMIQUE 

Malgré  les  différences  déjà  signalées  entre  récono- 
mie  politiqae  et  la  science  du  droit,  qui  détermine  la 
sphère  de  compétence  des  individus  dans  l'ordre  de  la 
justice,  les  relations  sont  très  étroites  entre  l'économie 
politique  et  les  différentes  parties  du  droit  public  et 
du  droit  privé,  rationnel  ou  positif. 

I.  Droit  international  public.  —  L'économie  poli- 
tique confirme  par  des  arguments  positifs  les  théories 
juridiques  relatives  à  l'équitable  organisation  des  re- 
lations entre  les  différents  États,  en  temps  de  paix,  de 
guerre  et  en  cas  de  neutralité.  Elle  démontre,  en  effet, 
les  bienfaisants  effets  économiques  de  la  paix,  les  dan- 
gers des  guerres  politiques  et  commerciales,  et  propose, 
pour  les  cas  où  elles  sont  malheureusement  inévitables, 
de  sages  tempéraments  pour  en  adoucir  les  tristes  con- 
séquences, en  proclamant,  elle  aussi,  le  principe  du 
respect  de  la  propriété  privée  des  peuples  belligérants, 
reconnu  presque  généralement  dans  les  théories  et 
même,  dans  une  certaine  mesure,  admis  dans  le  droit 
international  moderne.  Et  les  démonstrations  écono- 
miques ont  une  telle  force  persuasive  que  Scialojaacru 
pouvoir  prédire  dans  son  optimisme  ingénu  qu'un  temps 
viendra  où  la  justice  internationale  sera  l'effet  d'un 
calcul  économique. 

II.  Droit  constitutionnel  et  droit  administratif.  — 
Ces  deux  branches  du  droit  public  interne,  qui  ne  peu- 


DE  l'économie  politique  37 

vent  être  distinguées  l'une  de  Tautre  avec  une  parfaite 
rigueur,  parce  qu'elles  font  toutes  deux,  en  partie  au 
moins,  la  théorie  de  la  hiérarchie  des  autorités  publiques, 
et  qu'elles  se  confondent  souvent,  spécialement  en  Italie, 
avec  les  matières  de  la  Politique  constitutionnelle  et 
administrative,  se  rattachent,  elles  aussi,  à  l'économie 
politique  ;  une  bonne  constitution  et  une  bonne  adminis- 
tration, en  effet,  même  étudiées  au  point  de  vue  juri- 
dique, intéressent  directement  et  indirectement  l'ordre 
social  des  richesses.  Il  est  facile,  en  effet,  de  démontrer, 
d'un  côté,  les  bons  effets  économiques  d'une  constitu- 
tion qui  répond  complètement  aux  besoins  de  la  nation, 
et  ceux  d'une  bonne  administration,  sans  laquelle  toute 
organisation  constitutionnelle  demeure  lettre  morte, 
bien  que  savamment  construite,  et  d'un  autre  côté,  les 
conséquences  politiques  avantageuses  d'un  bon  système 
économique.  Nous  trouvons  une  conflrmation  de  cela 
dans  ce  fait  que  souvent  les  idées  subversives,  politiques 
et  économiques,  sont  dans  une  alliance  étroite,  qui  ne 
peut  être  détruite  que  par  la  diffusion  rapide  des  sages 
principes  de  ces  deux  disciplines. 

Il  faut  remarquer,  cependant,  que  bien  que  l'écono- 
mie fournisse  des  critères  plus  utiles  pour  l'adminis- 
tration déjà  organisée  que  pour  l'administration  à  or- 
ganiser, il  est  cependant  évident  que  les  écrivains  de 
droit  public  administratif  peuvent  tirer  de  précieux 
enseignements  de  la  science  économique.  Nous  n'en- 
tendons pas  justifier  la  pratique  de  certains  auteurs  qui, 
oubliant  le  caractère  de  la  doctrine  qu^ils  professent, 
ont  l'habitude  de  remplir  leurs  traités  de  digressions 
économiques  sans  utilité  et  presque  toujours  sans  va- 
leur, soit  pour  faire  montre  de  leur  érudition,  soit  pour 
cacher  leur  manque  de  connaissances  juridiques. 

Il  faut  recommander,  même  à  ce  point  de  vue,  les 
auteurs  classiques  de  droit  administratif  français  (De 


38  RAPPORTS 

Gérancio,  Cormenin,  Vivien,  Dufour,  Laferrière,  Du- 
crocq,  etc.)  et  quelques  récents  auteurs  allemands 
cVouvrages  sur  le  droit  administratif  général  (Meyer, 
Loning)  ,  sans  oublier  leurs  illustres  prédécesseurs, 
Robert  V.  Mobl,  Pozl  et  plusieurs  autres  bons  auteurs 
qui  ont  écrit  sur  le  droit  administratif  des  différents 
États  de  l'Allemagne. 

Les  limites  qui  séparent  le  droit  administratif  do  la 
science  de  l'administration  (dont  se  sont  occupé  en  Ita- 
lie Ferraris,  Orlando,  Brugi,  etc.)  ont  été  nettement 
indiquées  d'abord  par  Hoffmann,  puis  par  Stengel,  Der 
Begriff,  Umfang  und  System  des  Verwaltungsrechts 
(in  Tuh'mger  Zeitschrift  fiïr  die  ges.  Staatswissen- 
schaft,  1882,  pp.  219-261)  et  elles  sont  rigoureusement 
observées  dans  l'excellent  Diciio?inai?'e  dont  il  dirige  la 
publication. 

K.  Freih.  v.  Slengel,  Worierbuch  des  deutschen  Ver- 
xcaltungsrechis .  Freiburg  in  Br.  1889-1893.  Deux 
volumes  et  deux  suppléments. 

III.  Droit  Pénal  et  Procédure  civile.  —  Même  ces 
deux  branches  spéciales  du  Droit  Public  qui  semblent, 
à  première  vue,  complètement  étrangères  aux  matières 
économiques,  se  rattachent  par  quelques  points  à  notre 
discipline,  qui  a  contribué  à  d'importantes  réformes  de 
ces  deux  codes.  Pour  le  droit  pénal  on  peut  signaler 
les  distinctions  plus  exactes  des  incriminations  et  les 
graduations  plus  rationnelles  des  peines  qui  ont  été 
introduites  ou  qui  pourraient  l'être  dans  les  disposi- 
tions qui  concernent  la  falsification  des  monnaies,  com- 
parée aux  altérations  et  aux  simples  contrefaçons. 
Rappelons  aussi  les  peines ,  supprimées  ou  autre- 
ment motivées,  pour  les  délits  de  coalition  ou  de 
grève    ou    pour    les    faits    réellement    incriminables 


DE  l'économie  politique  39 

auxquels  les  grèves  peuvent  donner  lieu.  Pour  la 
Procédure,  il  suffira  de  signaler  l'influence  bonne  ou 
mauvaise  que  peuvent  exercer  sur  le  crédit  privé  les 
lois  qui  concernent  la  vente  forcée,  l'expropriation  des 
biens  des  débiteurs  récalcitrants,  quelle  que  soit  la 
place  qu'elles  peuvent  occuper  dans  les  systèmes  de 
codification  des  divers  États. 

IV.  Droit  Civil.  —  On  saisit  immédiatement  le  lien 
qui  unit  le  droit  civil  à  l'économie,  quand  on  pense 
qu'une  grande  partie  des  doctrines  comprises  dans  le 
premier  se  rapportent  à  des  institutions  essentiellement 
économiques,  comme  la  propriété  et  les  autres  droits 
réels,  les  successions,  les  contrats  à  titre  onéreux,  etc. 

Le  droit  civil  apprend  à  l'économie  les  relations 
juridiques  auxquelles  donnent  lieu  les  transactions 
économiques  et  leurs  différences  extrinsèques,  et  il 
apprend,  à  son  tour,  de  l'économie  le  caractère  et  la 
fonction  essentielle  de  beaucoup  de  ses  institutions. 
Ainsi,  par  exemple,  le  véritable  caractère  de  l'échange 
et  de  l'achat-vente  se  comprend  mieux  quand  on 
remarque  que  ces  contrats,  où  le  jurisconsulte  voit 
d'importantes  différences  de  forme,  sont,  au  fond, 
compris  économiquement  dans  un  genre  plus  com- 
plexe, l'échange.  Nous  ne  prétendons  cependant  pas 
justifier  quelques  écrivains  récents  qui,  pal'  une  réaction 
excessive  contre  le  formalisme  des  juristes  de  la  vieille 
école,  ont  commis  de  graves  erreurs  historiques  dans 
des  interprétations  osées,  purement  ou  principalement 
économiques,  de  certaines  institutions  civiles.  Dank- 
wardt,  par  exemple,  s'est  trompé  dans  son  commentaire 
ingénieux,  mais  téméraire,  de  quelques  fragments  du 
droit  romain,  et  le  professeur  Endemann  n'est  pas  sans 
encourir  le  même  reproche  pour  ce  qui  concerne  le 
Droit  Commercial. 


40  RAPPORTS 

H.  Dankwardt,   Naiionalùkonomie  und  Jurisprudenz . 

RosLock,  1857  et  suiv. 
W.  Endemann,   Bas   deuische  Handelsrecht.  Heidel- 

berg,  1865;  4«  édit.,  1887. 

Les  doctrines  économiques  ont  exercé  une  influence 
notable  sur  la  réforme  de  quelques-unes  des  dispositions 
des  codes  civils  modernes.  Il  nous  suffira  de  citer 
l'abolition  des  lois  limitant  l'intérêt  conventionnel  dans 
le  prêt  à  intérêt,  les  nombreuses  innovations  du  système 
hypothécaire  et  du  droit  successoral,  les  changements 
radicaux  dans  le  contrat  d'emphytéose,  etc.,  etc. 

L'étude  des  relations  qu'il  y  a  entre  la  législation 
et  l'économie  politique  a  été,  dans  ce  siècle,  l'objet  de 
recherches  variées,  auxquelles  ont  contribué  d'émi- 
nents  écrivains  italiens,  comme  par  exemple  Valeriani, 
Romagnosi  et  plus  encore  Minghetti,  dans  une  œuvre 
déjà  citée.  En  France,  dès  1838,  Pellegrino  Rossi  fit  la 
critique  économique  du  Code  civil  napoléonien,  mar- 
quant la  voie  à  Batbie  et  à  Sévin  qui  reprirent  ce 
sujet  en  1865  en  y  joignant  des  propositions  concrètes 
de  réforme. 

Ces  relations  ont  été  longuement  étudiées  par  Rivet 
et,  avec  plus  de  compétence  économique,  par  Jourdan 
et  par  Béchaux.  Les  travaux  de  ces  deux  auteurs  ont 
été  couronnés  par  l'Académie  des  Sciences  Morales  et 
Politiques  en  1880. 

F.  Rival,  Des  rapports  du  droit  et  de  la  législation  avec 

iéconomie  politique.  Paris,  1864. 
A.  Jourdan,  Des  ixipports  entre  le  droit  et  l'économie 

politique.  Paris,  1884. 
A.  Béchaux,  Le  droit  et  les  faits  économiques.  Paris, 

1889. 

V.  Droit  Commercial.  —  Les  rapports  sont  plus 
étroits  encore  entre  l'économie  et  le  droit  commercial. 


DE  l'économie  politique  41 

qui  s'occupe  d'institutions  exclusivement  économiques 
(sociétés,  monnaie,  titres  et  institutions  de  crédit, 
transports,  assurances,  faillites,  etc.),  que  l'on  ne  peut 
évidemment  juger  sans  en  connaître  la  véritable  nature. 
C'est  ainsi  que  les  progrès  récents  des  théories  écono- 
miques ont  facilité  les  progrès  des  théories  juridiques 
correspondantes,  et  quelquefois  même  ont  conduit  à  de 
profondes  réformes  législatives.  Et,  par  exemple,  les 
travaux  d'Einert,  qui  déduit  la  théorie  juridique  delà 
lettre  de  change  de  l'étude  de  ses  fonctions  écono- 
miques actuelles,  ont  été,  au  moins  en  partie,  la  base  de 
la  loi  allemande  sur  le  change  de  1848,  qui  a  commencé 
la  réforme,  accomplie  presque  partout  aujourd'hui,  de 
cette  branche  très  importante  du  droit  commercial. 

Au  point  de  vue  purement  scientifique,  les  recherches 
modernes  sur  la  théorie  de  la  monnaie  suffisent  à 
démontrer  les  immenses  services  rendus  par  les  études 
économiques  à  Savigny  et  à  Hartmann  et  particulière- 
ment à  Goldschmidt,  le  plus  célèbre  des  écrivains  alle- 
mands de  droit  commercial,  et  par  les  études  juridiques 
à  Knies. 

Les  ouvrages  récents  de  Lyon-Caen  et  Renault,  de 
Vivante,  de  Marghieri  et  spécialement  le  grand  traité  de 
Vidari,  sont  d'honorables  témoignages  de  l'heureuse 
combinaison  des  études  économiques  et  du  droit  com- 
mercial. 

L.  Goldschmith,  Handbuch  des  Handelsrechts.  Erlan- 
gen,  1864, 3^  édit.,  1894  et  suiv.  —  System  des  Han- 
delsrechts, 3"  édit.,  Stuttgart,  1892. 

E.  Vidari,  Corso  di  DiriUo  Commerciale.  Milano  1877- 
1887,  neuf  volumes  —  4'=  édit,,  1893  et  suiv. 

§  5.   —  ÉCONOMIE   PRIVÉE 

Bien  que  l'économie  politique  étudie  les  phénomènes 


42  RAPPORTS 

de  la  richesse  au  point  de  vue  de  l'intérêt  général,  et 
C{ue  l'économie  privée  se  place  au  point  de  vue  de  l'inté- 
rêt particulier  de  l'administration  familiale  et  indus- 
trielle, on  ne  doit  pas  oublier  que  certains  critères 
généraux  de  l'administration  privée  peuvent  aussi  être 
appliqués,  dans  certaines  limites  et  avec  certaines  mo- 
difications inévitables,  aux  administrations  publiques 
dont  s'occupe  l'économie  politique  appliquée. 

D'un  autre  côté,  la  connaissance  des  lois  rationnelles 
de  l'économie  sociale  est  indispensable  même  à  l'éco- 
nomie industrielle,  afin  de  suppléer  à  ce  qu'il  y  a  de 
nécessairement  incomplet  dans  le  point  de  vue  pure- 
ment individuel  des  faits  économiques. 

C'est  dans  ce  but  que  quelques  écrivains  récents  se 
sont  occupés  intentionnellement  de  ces  parties  des  doc- 
trines économiques  qui  se  rattachent  étroitement  aux 
principes  directeurs  de  l'organisation  administrative 
des  entreprises  industrielles. 

G.  Courcelle-Seneuil,    Manuel  des  affaires,  i"  édit., 

Paris,  1883. 
C.  Ad.  Guilbault,  Traité  d^ économie  industrielle .  Paris, 

1877. 
A.  Prouteaux,  Principes  d'économie  industrielle.  Paris, 

1888. 
Em.  Cossa,  Primi  elementi  di  economia  agraria.  Mi- 

lano,  1890. 
A.    Emminghaus,    Allgemeine  Geicerkslehre .    Berlin, 

1868. 
M.  Haushofer,  Der  Industriebetrieb.  Stuttgart,    1874. 


§    6.    —    DISCIPLINES   AUXILIAIRES. 

On  peut  considérer  comme  des  auxiliaires  de  récono- 
mie  politique,  rationnelle  ou  appliquée,  parce  qu'elles  lui 
fournissent  des  notions  nécessaires  ou  utiles,  les  théo- 


DE  l'économie  politique  43 

ries  les  plus  générales  de  la  psychologie,  de  la  techno- 
logie et  de  la  politique. 

A.  Psychologie.  —  Bien  que  l'économie  politique 
ne  puisse  pas  être  considérée  comme  une  Psychologie 
appliquée,  et  qu'elle  puisse  moins  encore  être  réduite  à 
un  simple  calcul  du  plaisir  et  de  la  douleur,  comme 
l'ont  cru  Gossen,  Jevons  et  comme  l'enseignent  Sax 
et  ses  disciples,  par  cette  raison  quelle  n'est  pas  une 
doctrine  éthique  (stricto  sensu)  qui  étudie  l'homme  au 
point  de  vue  individuel,  mais  parce  qu'elle  est  au  con- 
traire une  discipline  sociale  qui  l'étudié  en  tant  que 
membre  des  groupes  sociaux,  et  partant  dans  les  rela- 
tions variées  qui  en  résultent,  on  ne  peut  pas  nier  que 
l'économie  politique  doit  utiliser  la  psychologie  pour 
bien  déterminer  la  nature  de  quelques-uns  des  principes 
qui  constituent  les  moteurs  principaux  des  actions 
humaines  concernant  l'ordre  social  des  richesses,  comme, 
par  exemple,  la  loi  du  moindre  effort,  qui  nous  con- 
duit, toutes  circonstances  égales,  à  préférer  le  gain  le 
plus  grand  au  gain  moindre. 

B.  Technologie.  —  Malgré  la  différence  radicale 
qu'il  y  a  entre  les  règles  concernant  les  procédés  de 
fabrication  des  différents  produits,  que  la  technologie 
(physique,  chimique  et  mécanique)  établit  en  s'appuyant 
sur  les  résultats  des  sciences  mathématiques  et  natu- 
relles, et  les  vérités  et  les  principes  d'ordre  social,  dont 
s'occupe  l'économie  politique,  il  est  certain  que  l'éco- 
nomie rationnelle,  en  tant  qu'elle  explique  le  mécanisme 
de  la  production  et  de  la  circulation,  dans  son  étude 
du  travail,  des  machines,  de  la  monnaie,  du  crédit,  des 
banques,  des  moyens  de  transport  et  de  communica- 
tion, etc.,  peut  retirer  quelque  avantage  de  la  connais- 
sance, au  moins  élémentaire,  des  principes  qui  dirigent 


44  RAPPORTS 

la    technique    générale    et    spéciale    des   phénomènes 
qu'elle  étudie  à  son  point  de  vue  particulier. 

Bauer,  Ueber  die  Unierscheidung  der  Technil,  von  der 
Wirthschaft.  (la  Faucher,  Vierieljahrsclirift  fur 
Volksivirthschaft,  1864,  pp.  33-50;. 

Si  donc  les  économistes  peuvent  consulter  avec  pro- 
fit les  ouvrages  qui,  sous  le  titre  générique  d'économie 
rurale,  forestière,  minière,  commerciale,  traitent  de 
ces  industries  spéciales,  soit  au  point  de  vue  technique, 
soit  au  point  de  vue  de  l'économie  privée,  ils  peuvent 
retirer  un  avantage  encore  plus  grand  des  œuvres  qui 
étudient  la  technique  générale  dans  ses  relations  avec 
l'économie  politiqu*^. 

Il  faut  faire  une  mention  spéciale  pour  les  trois  mo- 
nographies suivantes,  de  contenu  et  de  tendances  di- 
vers d'ailleurs  : 

Ch.  Babbage,  Economy  of  machmenj  and  vianufac- 
tures,  1831.  (Réimprimé  plusieurs  fois  et  traduit 
en  plusieurs  langues;  traduit  en  français  par  Ed. 
Biot  :  Tmiié  sur  l'économie  des  machines  et  des 
manufactures.  Paris,  1834).  Augmenté  et  en  partie 
modifié  par  Charles  Laboulaye,  Economie  des 
machines  et  des  manufactures.  Paris,  1880. 

Verdeil,  L'industrie  moderne.  Paris,  1861. 

E.  Herrmann,  Technische  Fragen  und  Problème  der 
modernen  Volksicirthschaft.  Leipzig,  1891. 

C.  Politlriue.  —  C'est,  stricto  sensu,  la  doctrine  du 
bon  gouvernement  selon  les  principes  de  l'utilité  sociale. 
Dans  sa  partie  générale  elle  est  une  di.scipline  auxi- 
liaire de  l'économie  politique,  parce  qu'elle  lui  fournil 
des  notions  indispensables  sur  la  nature  et  les  fonctions 
des  différentes  sociétés  politiques.  Dans  le  sens  plus 
large  de  science  et  d'art  du  gouvernement  dans  ses 
relations  multiples,  elle  tend  à  absorl>er,  dans  sa  partie 


DE  l'Économie  politique  45 

spéciale  et,  d'une  façon  plus  précise,  dans  la  politique 
administrative  (science  de  l'administration  publique), 
toute  l'économie  appliquée,  qui,  rigoureusement,  de- 
vrait se  limiter,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  à  fournir 
les  critères  du  bon  gouvernement  économique  et  finan- 
cier, déduits  de  l'unique  principe  de  l'utile  et  parlant 
très  restreints  et  nécessairement  incomplets. 

Pour  la  politique  générale,  en  dehors  de  l'ouvrage 
classique  de  Dahlmann  (1835),  de  la  remarquable 
esquisse  de  Waitz(1862),  et  des  Principes  d'Holzen- 
dorf  (S*"  édit.  1879),  on  peut  consulter  les  œuvres  de  De 
Parieu  et  de  Bluntschli,  et  surtout  les  savants  traités 
de  L.  Woolsey,  de  Sidgwick  et  de  Roscher. 

E.  de  Parieu,  Principes  de  la  science  poliiiqne.  Paris, 
1870;  2«édit.,  1875. 

J.  C.  von  Bluntschli,  Poliiik  als  Wissenschaft.  Stutt- 
gart, 1876  (Traduit  en  français  par  A.  de  Ried- 
matten  :  La  Politique.  Paris,  1879. 

Tlieod.  D.  Woolsey,  Political  Science,  or  the  State 
iheoretically  and  practically  considered.  1878,  2  vol. 

H.  Sidgwick,  The  éléments  of  poliiics.  1891. 

W.  Roscher,  Politik,  elc.  Stuttgart,  1892. 

Pour  la  science  de  l'administration,  les  deux  princi- 
paux ouvrages  sont  ceux  de  Mohl  et  de  Stein.  En 
Italie,  nous  devons  de  bons  Essais  à  Ferraris,  qui  pré- 
pare un  Traité  ;  il  faut  mentionner  aussi  Wautrain-Ca- 
vagnari,  l'auteur  du  premier  livre  élémentaire  sur  cette 
discipline. 

Rob.  von  Mohl,  Die  Polizeivissenschaft.  3'  édition, 
Tubingen,  1866,  3  volumes.  (Ouvrage  devenu 
ancien  pour  une  partie  seulement,  mais  remar- 
quable par  la  profondeur,  l'ordre,  la  clarté  et 
l'excellence  de  la  méthode). 

L.  von  Stein,  Die  Verivaliungslehre.  Stuttgart,  1865 
et  suiv.,  8  parties  en  10  volumes.  (OEuvre  gran- 


46  RAPPORTS 

diose  et  très  importante,  malgré  les  lourdes 
divisions  hégéliennes  tripartites,  les  construc- 
tions métaphysiques  arbitraires  et  les  graves  et 
trop  fréquentes  inexactitudes  dans  les  rensei- 
gnements législatifs.) 

—  Handbuch  dcr  VenvaUungslehre.  Stuttgart,  1870; 
2«  édit.,  1887-8H.  3  volumes.  (Très  utile  résumé 
de  l'ouvrage  précédent). 

C.  F.  Ferraris,  Saggi  di  economia,  staiisiica  e  scienza 
delV  amminisirazione .  Torino,  1880. 

V,  Wautrain-Cavagnari,  Elemenii  di  scienza  delV  am- 
minisirazione. Firenze,  1890. 


CHAPITRE   IV 
CARACTÈRES   DE  L'ÉCONOMIE   POLITIQUE 


Les  controverses  toujours  vives  sur  le  caractère  de 
l'économie  politique  sont  souvent  purement  nominales  ; 
souvent  aussi  elles  dérivent  de  l'incompétence  philoso- 
phique de  beaucoup  des  économistes  qui  s'en  sont 
occupés,  alors  qu'ils  ne  possédaient  même  pas  les  élé- 
ments de  la  méthodique  scientifique  ;  elles  dépendent 
aussi  de  ce  fait  que,  sous  le  nom  d'économie  politique, 
on  réunit  d'ordinaire  et  quelquefois  même  on  confond 
deux  disciplines  étroitement  liées  par  l'identité  de 
Tobjet,  mais  cependant  essentiellement  différentes  par 
la  nature  de  leur  rôle  et  de  leur  but. 

Pour  éviter  toute  équivoque  il  est  nécessaire  de  donner 
ici  quelques  notions  sommaires  sur  les  caractères  de  la 
science  et  sur  les  meilleurs  critères  pour  la  classification 
de  ses  différentes  branches. 

§  1"".    CARACTÈRES    DE    LA    SCIENCE 

Dans  sa  signification  la  plus  large  on  entend  par 
science  un  système  de  vérités  générales  sur  un  ordre 
donné  de  phénomènes.  Et,  en  effet,  la  découverte  d'un 
lien  qui  unit  des  phénomènes  en  apparence  hétérogènes 
change  en  connaissance  scientifique  la  simple  notion 
empirique  des  faits  particuliers  et  séparés. 

Bien  que  l'on  doive  admettre  l'unité  finale  de  la 
science,  qui  est  le  reflet  de  l'unité  du  vrai,  on  ne  peut 
pas  cependant  nier  que  le  grand  arbre  du  savoir  humain 


48  CARACTERES 

comprend  les  ramifications  les  plus  variées  et  donne 
lieu  à  la  formation  de  groupes  multiples  de  disciplines, 
qui  vont  toujours  se  divisant  et  se  subdivisant  davan- 
tage. On  ne  méconnaît  pas  ainsi,  d'ailleurs,  la  possibi- 
lité et  la  nécessité  idéale  d'une  science  des  sciences,  ou, 
comme  on  disait  autrefois,  d'une  science  des  raisons 
dernières,  qui  explique  l'enchaînement  des  principes 
fondamentaux  des  disciplines  particulières. 

Une  opinion  aussi  courante  que  superficielle  subor- 
donne la  classification  des  sciences  à  un  critère  pure- 
ment subjectif,  à  la  faiblesse  de  l'esprit  humain,  qui,  ne 
pouvant  embrasser  l'ensemble  detoutle  savoir,  est  forcé 
de  n'en  parcourir  qu'une  partie,  plus  ou  moins  considé- 
rable, en  allant  graduellement  du  facile  au  difificile  et 
se  contentant  même  de  l'ensemble  de  connaissances 
nécessaires  ou  utiles  à  l'exercice  des  professions  choi- 
sies par  chacun.  C'est  ainsi  que  celui  qui  se  destine  à 
l'industrie  étudie  de  préférence  les  sciences  mathéma- 
tiques, physiques  et  naturelles,  que  les  fonctionnaires 
publics  étudient  les  sciences  juridiques  et  politiques, 
que  les  ecclésiastiques  étudient  les  sciences  sacrées,  etc. 

On  oublie  ainsi  qu'en  dehors  de  ces  critères  exclusive- 
ment subjectifs  et  extrinsèques,  il  en  est  d'autres  qui 
ont  un  caractère  intrinsèque  et  objectif,  et  que  par 
suite,  en  supposant  même  pour  un  moment  que 
l'homme  eût  la  possibilité  de  saisir  tout  le  savoir,  il 
faudrait  encore  reconnaître  l'existence  de  disciplines 
essentiellement  distinctes  par  la  qualité  de  leur  objet, 
ou  par  celle  de  leur  rôle,  ou  par  celle  de  leur  but.  C'est 
là  la  justification  de  deux  systèmes  de  classification 
objective  des  sciences,  dont  l'un  a  son  fondement  dans 
un  critère  matériel,  très  généralement  et  très  aisément 
admis,  tandis  que  l'autre  dépend  d'un  critère  formel, 
lui  aussi  très  important,  mais  trop  souvent  mal  inter- 
prété. 


DE    L  ÉCONOMIE    POLITIQUE  •  49 

Il  n'est  pas  besoin  d'une  culture  très  développée  pour 
comprendre  qu'il  ne  faut  pas  confondre  entre  elles,  par 
suite  de  la  très  grande  diversité  des  objets  qu'elles  étu- 
dient, les  sciences  sacrées  et  les  sciences  profanes,  les 
sciences  physiques  et  les  sciences  morales,  les  sciences 
philosophiques  et  les  sciences  naturelles,  quelque  opi- 
nion que  l'on  puisse  avoir  sur  les  essais,  plus  ou 
moins  heureux,  de  classification  scientifique  que  l'on 
trouve  dans  les  œuvres  de  Bacon,  de  Hegel,  d^Ampère, 
de  Comte,  de  Spencer,  etc.  Peut-on  ne  pas  admettre 
que  la  théologie,  l'astronomie,  la  mécanique,  la  chimie, 
l'esthétique,  la  physiologie,  la  technologie,  la  chirur- 
gie et  la  politique  diffèrent  radicalement  entre  elles 
par  le  caractère  tout  à  fait  différent  du  domaine  propre 
de  leurs  recherches  ? 

Beaucoup  de  gens,  au  contraire,  sont  tout  à  fait  sur- 
pris de  cette  affirmation  que,  sous  certains  aspects 
théoriquement  et  pratiquement  très  importants,  la  dis- 
tance est  plus  grande  entre  la  mécanique  rationnelle  et 
la  technologie,  l'astronomie  et  l'art  nautique,  la  phy- 
siologie et  la  chirurgie,  que  la  distance,  infranchis- 
sable semble-t-il,  qui  sépare  la  mécanique  et  l'astro- 
nomie de  la  physiologie,  la  technologie  de  la  chirur- 
gie et  de  la  politique  !  Il  faut,  il  est  vrai,  une  étude 
attentive  des  principes  concernant  la  classification  for- 
melle des  sciences  pour  être  pleinement  convaincu  de 
la  vérité  inébranlable  de  cette  proposition  en  apparence 
paradoxale.  Cette  étude  a  pour  base  la  distinction  capi- 
tale, souvent  combattue  et  plus  souvent  mal  comprise, 
entre  deux  catégories  de  doctrines,  qui  sont  en  com- 
plète antithèse  entre  elles,  même  quand  elles  s'occupent 
du  même  ordre  de  phénomènes.  Je  fais  allusion  à  la 
distinction,  que  tout  le  monde  connaît  mais  dont  on 
n'est  pas  très  généralement  pénétré,  entre  la  science  et 
l'art. 


50  CARACTÈRES 

On  appelle  sciences,  au  sens  étroit  du  mot,  les  disci- 
plines  (qualifiées  par  les  uns  de  rationnelles,  par 
d'autres,  et  moins  correctement,  de  théoriques)  qui  ont 
pour  rôle  d'expliquer  les  relations  qui  lient  certains 
phénomènes  homogènes,  et  dans  le  but  purement  spé- 
culatif d'en  faciliter  la  pleine  connaissance.  L'algèbre, 
la  géométrie,  l'anatomie,  la  physiologie,  la  pathologie,  la 
chimie,  la  psychologie,  l'histoire,  la  statistique  consti- 
tuent des  sciences,  parce  qu'elles  nous  donnent  la  con- 
naissance de  certains  faits,  physiques  ou  moraux, 
externes  ou  internes,  abstraits  ou  concrets,  sans  s'occu- 
per d'une  façon  directe  de  la  pratique. 

On  appelle  arts,  au  contraire,  les  disciplines  (quali- 
fiées par  les  uns  de  appliquées,  par  d'autres,  et  moins 
correctement,  de  pratiques),  qui  ont  pour  rôle  de  sug- 
gérer des  normes,  des  régies,  des  maximes  ou,  sous 
quelque  nom  qu'on  les  désigne,  les  moyens  les  mieux 
appropriés  pour  atteindre  certaines  fins.  Il  faut  com- 
prendre sous  le  nom  d'arts,  au  sens  étroit  du  mot,  non 
seulement  les  beaux  arts  et  les  arts  mécaniques,  mais 
en  général  la  technologie,  l'hygiène,  la  thérapeutique, 
la  chirurgie,  la  morale,  la  politique,  parce  qu'elles  ont 
toutes  pour  but  de  fournir  des  normes  de  conduite, 
naturellement  très  disparates,  selon  qu'il  s'agit 
d'exercer  une  industrie,  de  conserver  ou  de  rétablir  la 
santé,  d'arriver  à  la  vertu  ou  de  bien  gouverner 
rÉtat. 

La  science  recherche  ce  qui  est;  elle  interprète  les 
phénomènes,  explique  leur  essence,  décrit  leurs  carac- 
tères, elle  les  classe;  elle  recherche  les  régularités  em- 
piriques, les  causes ,  et,  en  déterminant  leur  manière 
d'agir,  elle  arrive  à  la  connaissance  des  lois,  absolues 
ou  relatives ,  de  coexistence  et  de  succession  des  phéno- 
mènes étudiés.  La  science  s'occupe  des  faits  concrets 
et  variables,  passés  ou  présents,   ou  elle    se   propose 


DE  l'économie  politique  51 

certains  idéals,  ou  elle  prévoit,  dans  certaines  limites, 
les  faits  futurs,  ou  elle  s'occupe  d'une  manière  abstraite 
de  ce  qui  est  typique,  universel,  constant  et  commun, 
par  suite,  au  passé,  au  présent  et  à  l'avenir. 

L'art,  au  contraire,  ne  découvre  pas  la  vérité,  mais 
il  la  suppose;  il  n'explique  pas  des  théorèmes,  mais  il 
résout  des  problèmes  généraux;  il  a  un  but  pratique 
et  non  spéculatif;  il  ne  découvre  pas  des  lois,  mais  il 
indique  les  règles  qui  permettent  d'éclairer  la  pratique. 

Une  erreur  tout  aussi  grave ,  que  partagent  même 
beaucoup  de  ceux  qui  distinguent  de  quelque  façon  la 
science  et  l'art,  consiste  dans  la  confusion  qu'ils  font 
entre  la  science  et  la  théorie,  l'art  et  la  pratique,  tandis 
qu'il  résulte  de  ce  que  nous  avons  dit  que  la  science 
qui  nous  apprend  à  connaître  comme  l'art  qui  nous 
apprend  à  faire  constituent  la  théorie,  qui  s'oppose  à  la 
pratique,  c'est-à-dire  à  l'action,  qui  tend  à  la  réalisation 
de  buts  déterminés.  S'il  est  donc  exact  de  dire,  avec 
Mill,  que  la  science  est  à  l'art  comme  le  mode  indicatif 
est  au  mode  impératif,  il  est  certainement  faux  d'ajouter 
que  l'un  est  à  l'autre  comme  l'intelligence  est  à  la  vo- 
lonté; il  est  manifeste  que  la  pratique  seule  fait  appel 
à  la  volonté,  tandis  que  l'art  qui  tend  à  guider  l'action 
ne  s'identifie  pas  avec  elle,  mais  la  précède.  En  résumé, 
on  peut  dire  que  la  science  explique  et  expose,  que 
l'art  dirige  (il  impose  des  préceptes  ou  il  propose  des 
conseils),  la  pratique  exécute  et  dispose. 

Il  n'est  pas  davantage  admissible  que  la  pratique 
puisse  tenir  lieu  de  théorie,  comme  l'affirme  un  préjugé 
courant,  et  de  même  on  ne  peut  pas  accepter  l'opinion 
de  ces  écrivains  allemands  contemporains  qui  con- 
fondent de  nouveau  la  science  et  l'art  ou  répudient  ce 
dernier,  parce  qu'il  ne  serait  qu'une  pure  casuistique  et 
un  simple  recueil  de  recettes,  théoriquement  incom- 
plet et  pratiquement  inutile.   11  faut  remarquer,  d'ail- 


52  CARACTÈRES 

leurs,  que  ]a  science,  l'art  et  la  pratique  s'intègrent 
réciproquement  et  se  prêtent  un  concours  absolument 
indispensable. 

Dans  l'ordre  logique,  la  science,  expliquant  les  phé- 
nomènes du  monde  physique  et  ceux  du  monde  moral, 
précède  l'art  qui,  d'après  les  vérités  découvertes  par  la 
science,  indique  les  règles  pour  modifier  les  phéno- 
mènes eux-mêmes,  et-  l'art,  à  son  tour,  précède  la 
pratique  qui,  en  se  servant  des  vérités  de  la  science 
et  des  règles  île  l'art,  utilise  les  enseignements  de 
l'expérience  spécifique ,  individuelle  ou  collective , 
pour  appliquer  les  unes  et  les  autres  aux  cas  concrets, 
extrêmement  complexes  et  variables.  S'il  est  vrai  que 
sans  connaitre  l'anatomie,  la  physiologie,  la  pathologie 
et  la  thérapeutique,  on  ne  peut  traiter  rationnellement 
les  maladies,  il  n'est  pas  moins  vrai  que  la  connaissance 
de  ces  disciplines  et  de  toutes  les  autres  disciplines 
complémentaires  ne  suffit  pas  à  former  un  bon  clini- 
cien. 

Dans  l'ordre  historique,  au  contraire,  les  choses  se 
passent  en  sens  inverse,  parce  que,  à  une  pratique 
aveugle,  et  pour  ainsi  dire  instinctive ,  succède  un  art 
grossièrement  empirique,  que  suit  beaucoup  plus  tard 
la  science,  qui  fournit  des  connaissances  solides,  grâce 
auxquelles  on  peut  refaire  tout  le  processus  d'inves- 
tigation et  d'exécution.  On  a  fait  des  vers,  on  a  joué 
des  instruments,  on  a  construit  des  maisons,  on  a  soi- 
gné des  malades,  on  a  gouverné  des  peuples,  bien 
avant  que  l'on  connût  l'art  poétique,  la  musique,  l'es- 
thétique, l'architecture  et  les  diverses  branches  de  la 
médecine  et  des  doctrines  juridiques  et  politiques. 

Il  est  une  autre  division  très  importante ,  formelle 
elle  aussi,  des  sciences  proprement  dites,  tirée  du 
critère  de  l'état  plus  ou  moins  élevé  auquel  s'arrête  la 
recherche  de  l'enchaînement  des  divers  phénomènes 


DE  l'Économie  politique  53 

dont  s'occupent  les  sciences.    Il    en  résulte  les  trois 
groupes  suivants  : 

1°  Les  sciences  descriptives  ou  desimpie  classification 
des  phénomènes,  divisés  et  subdivisés  selon  le  temps 
et  l'espace,  ou  distribués  en  séries,  catégories,  genres, 
espèces,  d'après  leurs  caractères  analogiques.  Ces 
sciences  deviennent  des  sciences  morphologiques  quand 
elles  arrivent  à  déterminer,  d'une  façon  rigoureuse, 
les  caractères  essentiels  qui  distinguent  les  différents 
groupes.  Telles  sont,  par  exemple,  la  botanique,  la 
zoologie,  dans  leur  partie  systématique,  la  chrono- 
logie, la  géographie  et  même  la  statistique,  au  sens  où 
l'entendaient  Achcnwall  et  ses  disciples. 

2°  Les  sciences  qui  recherchent  les  régularités  empi- 
riques dans  la  succession  et  dans  la  coexistence  des 
phénomènes.  On  les  a  appelées  quelquefois  des  lois  de 
fait,  parce  qu'elles  sont  liées  à  d'étroites  limites  d'es- 
pace et  de  temps.  Elles  peuvent  s'en  tenir  à  de  simples 
notions  qualitatives  (comme,  par  exemple,  l'histoire,  le 
droit  positif  et  la  philosophie  de  l'histoire  et  la  philo- 
sophie du  droit),  ou,  au  contraire,  s'élever  à  des  déter- 
minations quantitatives  (comme  la  météorologie  et  la 
statistique,  au  sens  où  l'entendent  les  statisticiens  les 
plus  autorisés). 

3°  Les  sciences  étiologiques,  qui  recherchent  le 
lien  causal  qui  unit  les  phénomènes,  physiques  ou 
moraux,  externes  ou  internes,  concrets  ou  abstraits, 
le  mode  d'action  des  causes  découvertes,  c'est-à-dire 
les  lois  scientifiques ,  universelles  ou  particulières , 
absolues  ou  relatives,  primitives  ou  dérivées,  dont 
dépendent  les  phénomènes  eux-mêmes.  Telles  sont, 
par  exemple,  l'astronomie,  la  physique,  la  chimie  ;  telle 
devrait  être  la  philosophie  de  l'histoire,  si  elle  pouvait 
devenir  une  science. 

II  faut  enfin  remarquer,  pour  éviter  de  dangereux 


54  CARACTERES 

malentendus  au  sujet  des  rapports  des  sciences  et  des 
arts,  qu'il  n'y  a  pas  de  science  qui  serve  à  un  art 
seulement,  de  même  qu'il  n'y  a  pas  d'art  qui  ait  son 
fondement  dans  une  seule  science.  Ainsi,  par  exemple, 
la  physique,  la  chimie  et  la  mathématique  rationnelle 
servent  à  plusieurs  branches  de  la  technologie,  la 
psychologie  est  utile  à  toutes  les  sciences  sociales  ;  de 
son  côté,  l'agronomie  est  un  art  qui  puise  à  plusieurs 
sciences  et,  par  exemple,  à  la  météorologie,  à  la  phy- 
sique, à  la  chimie,  à  la  mécanique,  à  la  botanique,  à  la 
zoologie,  etc. 

Etant  données  ces  notions  générales  sur  les  caractères 
des  différentes  sciences  et  sur  les  critères  logiques  de 
leur  classification,  il  sera  moins  difficile  de  déterminer 
les  caractères  de  l'économie  politique  ou,  mieux,  des 
deux  disciplines  formellement  hétérogènes  qu'on  a 
l'habitude  de  comprendre,  très  généralement  mais 
très  inexactement,  sous  cette  unique  dénomination, 
assez  peu  heureuse  d'ailleurs. 

Herbert  Speocer,  The  classification  ofthe  sciences,  1869. 

Trad.  franc,  par  Réthoré.  6«édit.  Paris,  1897. 
A.  Messedaglia,  Lascienza  nelV  ctà  nostra.  Padova, 

1874. 
Ger.  Heymans,  Karakter  en  Méthode  des  Staathuishoud- 

kunde.  Leiden,  1880.  (Chap.  I,  p.  8  et  suiv.) 
Eug.  von  Philippowich,  Ueber  Aufgabe  und  Méthode 

der  politischen  Œkonomie.  Freiburg  i.  Br.  1886. 
C.  Menger,    Grundziige  einer  Klassification  der  Wirth- 

schaftsicissenschaften.  Jena,  1889. 

§   2.    —   CARACTÈRES    DE    l'ÉCONOMIE    SOCIALE 

L'économie  sociale  est  une  science,  au  sens  le  plus 
large  du  mot,  parce  qu'elle  comprend  un  système  de 
vérités  générales  sur  l'ordre  social  des  richesses  ;  cet 
ordre  résulte  d'un  ensemble  de  phénomènes  étroitement 


DE    L  ÉCONOMIE    POLITIQUE  55 

connexes  entre  eux  qui,  par  leur  importance,  méri- 
tent une  recherche  théorique.  C'est  une  science  qui  a 
fait  de  notables  progrès,  non  pas  à  la  vérité  aussi  mar- 
quants que  ceux  de  quelques  autres  disciplines,  comme 
la  physique  par  exemple,  mais  plus  que  suffisants  pour 
donner  un  démenti  à  ceux  qui  lui  refusent  cette  quali- 
fication par  des  démonstrations  qui  ne  peuvent  que  dé- 
montrer leur  incapacité  à  comprendre  le  véritable  carac- 
tère de  la  doctrine  qu'ils  combattent  et  que,  par  une 
singulière  contradiction,  ils  sont  parfois  chargés  d'en- 
seigner. 

BonamyPrice,  Chapters  on  practical  poliiical  economy. 
London,  1878. 

On  dit,  par  exemple,  que  les  faits  économiques  sont, 
par  leur  nature,  extrêmement  complexes  parce  qu'ils 
dépendent  pour  partie  des  conditions  très  variées  du 
territoire  et  du  climat,  et  pour  partie  de  la  volonté  de 
l'homme,  modifiée  par  la  tradition,  l'éducation,  l'ins- 
truction, toutes  choses  que  l'on  ne  peut  juger  avec  une 
précision  scientifique  parce  qu'elles  sont  sujettes  à  d'in- 
cessantes transformations. 

On  répond  à  cela  que  la  complication  et  la  variabilité 
des  faits  sociaux  et  en  particulier  des  faits  économiques 
ne  leur  enlèvent  pas  leurs  caractères  généraux  et  n'em- 
pêche pas  la  persistance  de  certains  effets  qui  dépendent 
delà  constance  des  causes  qui  les  produisent.  Pour  des 
raisons  semblables,  l'anatomie ,  la  physiologie  et  la 
pathologie  ne  sont  pas  réduites  à  l'impuissance  par  le 
fait  des  inégalités  physiques  des  individus  et  par  le  fait 
de  la  complexité  des  formes  pathologiques  des  mala- 
dies. Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si,  dans  l'ordre 
social  des  richesses,  la  variation  des  cas  individuels  est 
compatible  avec  l'existence  des  lois  générales  de  la 
valeur,  du  prix,  du  salaire  et  du  profit. 


56  CARACTÈRES 

D'ailleurs  même  les  changements  et  les  perturba- 
tions de  l'ordre  économique  présentent,  malgré  leurs 
irrégularités  apparentes ,  quelque  chose  de  normal  qui 
dépend  de  lois  particulières.  Si  donc,  dans  le  domaine 
des  sciences  médicales,  en  dehors  de  l'anatomie  nor- 
male et  de  la  physiologie,  nous  avons  des  doctrines 
spéciales  qui  décrivent  les  organes  et  les  fonctions  du 
corps  humain  à  l'état  pathologique,  de  même,  en  éco- 
nomie politique,  nous  avons  une  théorie  des  perturba- 
tions ou  des  crises  (annonaires,  monétaires,  bancaires, 
commerciales,  etc.),  qui  est  le  complément  nécessaire 
de  la  théorie  des  fonctions  économiques  normales. 

L'économie  sociale  est  de  plus  une  science,  même  au 
sens  le  plus  étroit  du  mot,  parce  qu'elle  se  propose 
d'expliquer  les  phénomènes  sans  se  préoccuper  des 
moyens  les  plus  propres  pour  obtenir  d'utiles  modifica- 
tions dans  leurs  manifestations. 

Au  point  de  vue  formel,  c'est-à-dire  eu  égard  à  son 
rôle,  l'économie  sociale  n'est  ni  une  science  purement 
descriptive  ou  systématique,  ni  une  science  qui  recherche 
simplement  des  régularités  empiriques.  C'est  une  science 
morphologique  et  étiologique  tout  à  la  fois  ;  morpholo- 
gique, parce  qu'elle  détermine  l'essence  des  faits  écono- 
miques, considérés  dans  leurs  caractères  typiques; 
étiologique,  parce  qu'elle  en  recherche  les  causes  pre- 
mières, qui  consistent  en  certaines  forces  constantes  ec 
irréductibles  d'ordre  physique  ou  psychique,  et  qu'elle 
recherche,  enfin,  leur  mode  d'action,  c'est-à-dire  qu'elle 
en  détermine  les  lois  scientifiques. 

Au  point  de  vue  matériel,  c'est-à-dire  eu  égard  à  son 
objet,  l'économie  sociale  fait  partie  des  sciences  morales, 
c'est  à-dire  des  sciences  qui  étudient  l'homme  en  tant 
qu'être  capable  de  sentir,  de  penser  et  de  vouloir,  et 
elle  appartient  à  ce  groupe  de  sciences  qualifiées  de 
sociales,  parce  qu'elle  se  propose,  non   pas  l'étude  de 


DE  l'économib  politique  57 

l'homme  considéré  individuellement  dans  ses  facultés 
psychiques,  mais  celle  de  riiomme,  considéré  collecti- 
vement, comme  membre  de  la  société  civile. 

L'économie  sociale  étudie  les  richesses  au  point  de 
vue  moral  et  non  au  point  de  vue  physique  (comme  la 
technologie),  au  point  de  vue  social  et  non  au  point  de 
vue  individuel  (comme  l'économie  privée)  ;  elle  les  étu- 
die en  analysant  les  phénomènes  auxquels  donnent  lieu 
les  relations  spontanées  des  différentes  économies  parti- 
culières, associées  ou  en  concurrence^  en  faisant  abs- 
traction, mais  seulement  d'une  façon  préliminaire,  des 
influences  que  l'action  de  l'Etat  et  celle  des  autres  so- 
ciétés politiques  inférieures  exercent  sur  ces  rapports. 

Nous  ne  pouvons,  par  conséquent,  accepter  les  doc- 
trines de  ceux  qui  considèrent  Téconomie  sociale  comme 
une  science  physique  (dans  un  sens  large),  ou  comme 
une  science  biologique,  ou  comme  une  science  qui  a  des 
traits  communs  avec  les  sciences  physiques  et  avec  les 
sciences  morales,  ou  comme  une  science  psychique,  ou 
comme  une  science  éthique  (morale,  au  sens  étroit  du 
mot),  ou  comme  une  science  historique,  ou  finalement 
comme  une  science  non  autonome,  condamnée  à  devenir 
un  chapitre,  totalement  remanié,  de  la  sociologie.  Nous 
allons  brièvement  exposer  nos  critiques  en  reprenant 
pour  partie  ce  que  nous  avons  dit  au  sujet  des  limites 
et  des  rapports  de  l'économie  politique  en  général. 

L'économie  sociale  a  été  considérée  par  quelques-uns 
comme  une  science  physique,  ou,  comme  l'a  dit  Coque- 
lin,  comme  une  partie  de  l'histoire  naturelle  de  l'homme, 
et,  par  un  grand  nombre  d'écrivains,  même  contempo- 
rains, (Say,  Garnier,  Cairnes,  Block,  etc.),  comme  une 
science  qui  occupe  une  place  intermédiaire  entre  les 
sciences  physiques  et  les  sciences  morales,  et  cela  parce 
qu'elle  doit  s'occuper  de  certains  phénomènes  physiques 
comme,  par  exemple,  la  limitation  du  sol  et  la  loi  des 


Ob  CARACTERES 

revenus  décroissants.  On  répond  à  cela  que  l'économie 
politique  n'explique  pas  directement  ces  principes  qu'elle 
emprunte  à  d'autres  disciplines  (à  l'agronomie)  pour  en 
faire  les  prémisses  de  ses  très  importantes  déductions. 

D'autres  affirment  que  l'économie  est  une  science 
biologique,  soit  à  cause  de  certaines  analogies  qu'il  y  a 
entre  l'organisme  animal  et  l'organisme  social,  sur  les- 
quelles ils  insistent  longuement  (comme  le  font  ScliPeffle, 
Lilienfeld  et  leurs  faciles  imitateurs)  sans  apercevoir  les 
différences  substantielles  (fort  bien  notées  par  Krohn  et 
par  Menger  pour  ne  citer  que  ces  deux  noms),  .soit  par 
suite  de  l'importance  qu'a,  dans  l'analyse  économique, 
la  tendance  de  l'homme  à  conserver  et  à  propager 
l'espèce ,  tendance  commune  à  toutes  les  races  ani  - 
maies  et  qu'étudie  la  biologie. 

Pour  d'autres,  l'économie  sociale  est  en  train  de  deve- 
nir une  science  psychique  ou,  comme  le  dit  Sax,  une 
application  de  la  psychologie,  ou,  comme  d'autres  l'ont 
dit.  une  mécanique  de  l'intérêt  per.sonnel.  Sans  nier 
l'importance  du  principe  édonistique  comme  postulat 
de  l'économie,  et  en  reconnaissant  volontiers  les  secours 
qu^on  peut  tirer  de  certaines  données,  d'ailleurs  très 
simples,  de  la  psychologie  pour  éclaircir  quelques 
points  de  la  théorie  de  l'utilité  et  de  la  valeur,  et  en 
admettant  enfin  que  certains  phénomènes  économiques 
se  retrouvent_,  pour  ainsi  dire  en  germe,  même  dans  la 
vie  d'un  Robinson  isolé  du  reste  du  monde,  nous 
sommes  cependant  per.suadé  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
les  points  de  départ  d'un  raisonnement  avec  le  raison- 
nement lui-même.  Nous  croyons  de  plus  que  la  théorie 
de  l'utilité  et  celle  de  la  valeur,  comme  on  l'appelle 
d'ordinaire,  subjective,  n'est  pas  toute  l'économie,  ni  le 
pivot  de  cette  science.  Nous  croyons  enfin  que  le  pivot 
de  l'économie  sociale  consiste  dans  l'analyse  po.sitive  des 
phénomènes  qui  naissent  de  la  dépendance  réciproque 


DE  l'économie  politique  59 

des  différents  groupes  de  producteurs  et  de  consomma- 
teurs, constitués  par  des  hommes  vivant  dans  un  monde 
réel,  et  que  par  suite  notre  science  ne  doit  devenir  ni 
une  branche  de  la  biologie,  ni  une  branche  de  la  philo- 
sophie rationnelle  comme  le  demandent  deux  écoles, 
opposées  d'ailleurs,  qui  comptent  même  en  Italie  des 
partisans  pleins  de  talent  et  de  bonne  foi,  mais,  à  notre 
avis,  pas  assez  impartiaux. 

Un  autre  groupe  d'écrivains  non  contents  de  faire  de 
l'économie  sociale,  comme  nous  le  faisons  nous-même, 
une  partie  des  sciences  morales,  l'identifie  sans  hésita- 
tion avec  l'éthique  (la  morale,  au  sens  étroit),  c'est-à-dire 
avec  la  doctrine  des  devoirs  de  l'homme  en  général,  ou 
avec  l'éthique  économique,  c'est-à-dire  avec  la  doctrine 
des  droits  sur  l'acquisition  et  l'usage  des  richesses.  Ils 
oublient  ainsi  que  la  morale  est  un  art  et  que  l'économie 
sociale  est  une  science  qui  étudie,  d'une  manière  indé- 
pendante de  l'éthique,  la  nature,  les  causes  et  les  lois 
des  phénomènes  économiques,  en  tant  qu'ils  dépendent 
du  principe  de  l'intérêt  personnel.  Ce  principe,  elle  ne 
juge  pas,  mais  elle  le  considère,  ce  qu'il  est  en  fait, 
comme  le  moteur  principal  des  actions  humaines  concer- 
nant l'ordre  social  des  richesses,  sans  négliger,  comme 
nous  l'avons  déjà  indiqué,  de  tenir  compte  de  cer- 
taines modifications  du  principe  purement  utilitaire  qui 
résultent  de  l'influence  du  sentiment  moral. 

Une  autre  école,  elle  aussi  nombreuse  et  puissante, 
dont  nous  parlerons  en  traitant  de  la  méthode,  soutient 
que  l'économie  est  une  science  historique  qui  doit  tra- 
cer à  larges  traits  les  différentes  phases  de  la  civilisa- 
tion économique  et  trouver  la  loi  de  son  évolution. 
On  change  ainsi  complètement  l'objet  et  le  rôle  de 
l'économie  sociale  qui,  comme  nous  l'avons  déjà  dit, 
est  une  science  abstraite  qui  considère  l'ordre  écono- 
m.ique  non  pas  dans  ses   manifestations  concrètes  et 


60  CARACTÈRES 

individuelles,  comme  c'est  la  tâche  de  l'histoire  et  de 
la  statistique,  mais  dans  ses  caractères  typiques  et  gé- 
néraux, c'est-à-dire  en  recherchant  dans  les  phéno- 
mènes passés  et  présents  ce  qu'il  y  a  d'essentiel  et  de 
permanent  et  non  ce  qu'il  y  a  d'accidentel  et  de  variahle. 

Nous  nous  séparons  enfin  de  l'école  sociologique  qui 
professe  en  grande  partie,  avec  son  maitre  Auguste 
Comte,  les  doctrines  philosophiques  des  positivistes 
et  qui  tenant,  comme  Scha?ffle  et  beaucoup  d'autres',  la 
sociologie  pour  une  discipline  voisine  des  sciences  bio- 
logiques, se  rapproche  ainsi  d'un  autre  groupe  d'écri- 
vains dont  nous  avons  parlé  ci-dessus,  en  ce  qu'ils  s'ac- 
cordent tous  à  nier  à  l'économie  sociale  la  qualité  de 
discipline  autonome. 

Il  faut  remarquer  tout  d'abord  que  bien  que  l'économie 
sociale  entre  dans  le  groupe  des  sciences  morales,  que  la 
nature  de  leur  objet  fait  appeler  sociales,  elle  ne  peut  pas 
cependant  être  considérée  comme  la  science  sociale, 
comme  le  pensaient  Carey,  Clément  et  beaucoup  d'au- 
tres, et  cela  pour  cette  raison  très  manifeste  qu'elle  ne 
considère  les  phénomènes  de  la  société  civile  qu'au 
point  de  vue  des  intérêts  économiques,  qui  ne  sont  ni  les 
seuls,  ni  les  plus  importants  si  on  les  compare  à  ceux 
qui  ont  un  caractère  religieux,  moral,  intellectuel  et 
politique.  Il  n'est  donc  pas  douteux  que  s'il  pouvait 
se  constituer  une  science  sociale  achevée  qui,  par 
une  profonde  synthèse  ,  arriverait  à  découvrir  les 
lois  générales  de  la  vie  sociale,  considérée  dans  son 
universalité,  l'économie  sociale  aurait  perdu  toute 
raison  d'être  indépendante.  Mais  comme  nous  sommes 
loin,  et  pour  quel  temps  encore  !  de  cet  heureux 
événement,  puisque  cette  discipline,  que  Comte,  en 
adoptant  un  hybridisme  que  beaucoup  ont  critiqué, 
a  baptisée  du  nom  de  sociologie,  se  trouve  encore  à 
l'état  embryonnaire,  on  ne  tiendra  pas,  nous  l'espérons, 


DE  l'économie  politique  61 

pour  une  trop  grande  hardiesse  de  repousser  nettement 
les  propositions  d'abdication  que  quelques  positivistes, 
reprochant  à  l'économie  sa  soi-disant  stérilité  et  ses  abs- 
tractions, voudraient  nous  imposer  témérairement. 
Nous  sommes  loin  d'accepter,  sans  hésitation,  la  pro- 
phétie de  Block  qui  affirmait  récemment  (Progrès  de 
la  science  économique,  Vol.  F'',  page  51  )  que  la  socio- 
logie ne  pourra  jamais  acquérir  le  caractère  d'une  vraie 
science;  nous  accordons  volontiers  un  grand  prix  aux 
travaux  propédeutiques  et  morphologiques  de  Comte, 
de  Spencer  et  de  quelques-uns  de  leurs  disciples, 
parmi  lesquels  je  citerai  Vanni,  dont  il  faut  louer  le 
talent,  la  doctrine  et  la  modération  ;  mais  nous  ne 
pouvons  cependant  oublier  qu'il  manque  à  la  sociologie 
moderne,  qui  se  glorifie  plus  que  de  toute  autre  chose  de 
ses  comparaisons  physiologiques  incertaines  et  stériles, 
ces  garanties  de  consentement_,  de  continuité  et  de 
sûre  prévision  de  l'avenir,  que  les  positivistes  eux- 
mêmes  affirment  être  les  caractéristiques  des  véritables 
sciences.  Et  même,  comme  le  suggérait  finement 
Sidgwick,  si  nous  interrogions  les  trois  lumières  de  la 
nouvelle  science  sur  l'avenir  de  la  société  humaine, 
nous  aurions  des  réponses  aussi  étranges  que  contra- 
dictoires. Dans  cet  état  des  choses,  il  nous  semble  que 
nous  sommes  d'accord,  non  seulement  avec  ^Marshall 
et  les  meilleurs  économistes  anglais,  mais  même  avec 
Knies  et  Schbnberg,  peu  suspects  de  tendresse  pour 
les  doctrines  de  l'école  classique,  pour  penser  qu'il 
n'est  pas  du  tout  prudent  d'abandonner,  comme  le  dit 
excellemment  Mazzani,  les  trésors  que  nous  possédons 
pour  la  prévision  audacieuse  de  conquêtes  nouvelles.  Il 
ne  sufïît  pas,  pour  nous  persuader  du  contraire,  de 
nous  rappeler  l'influence  bien  connue  qu'exercent  sur 
les  faits  économiques  d'autres  faits  sociaux  de  di- 
verse nature,   et  même,  nous  ne  devons  pas  roublier. 


62  CARACTERES 

les  phénomènes  physiques,  parce  que  de  cet  enchaî- 
nement des  faits  réels  on  ne  peut  pas  déduire  qu'il 
n'est  ni  possible  ni  opportun  de  faire  une  étude  sé- 
parée des  différentes  causes  dont  les  faits  dépendent 
alors  que,  comme  le  remarque  (Jherbuliez,  la  tendance 
du  progrès  intellectuel  nous  porte  non  pas  à  confondre 
mais  à  diviser  et  à  subdiviser  les  différentes  sciences, 
pour  pouvoir  mieux  les  étudier  avec  des  méthodes  mieux 
appropriées. 

C'est  ce  que  nous  répondrons  à  Ingram,  qui  soutient 
brillamment  la  thèse  contraire,  et  aussi  à  Cognetti 
qui  reproduit  les  mêmes  idées  avec  des  arguments  ana- 
logues et  qui  le  fait  (au  dire  de  Philippovich)  avec 
beaucoup  de  chaleur  mais  peu  de  succès. 

J.  K.  Ingram,  The  présent  position  and  prospects  of 
poiitical  economy.  London,  1876  (traduit  en  alle- 
mand par  V.  Scheel.  Jena,  1879  et  en  français  dans 
le  Journ.  des  Écon.,  mars  1877). 

S.  Cognetti  de  Martiis,  L'economia  corne  scienza  auio- 
noma.  Torino  1886. 

A.  Ma.TshSiU,  The  présent  position  ofecoiwmics.  London, 
1885. 


S    3.    —  CARACTÈRES    DE    LA    POLITIQUE    ÉCONOMIQUE 

Il  nous  reste  peu  de  choses  à  dire  sur  la  politique 
économique  pour  ne  pas  répéter  des  choses  déjà  dites 
et  parce  qu'il  s'agit  de  propositions  moins  controversées. 
La  politique  économique  qui  fournit  au  législateur  et 
à  l'administrateur  des  principes  directeurs  pour  le  bon 
exercice  des  attributions  économiques  de  l'État,  de  la 
province  et  de  la  commune,  n'est  pas,  comme  l'écono- 
mie pure,  une  science  comprise  dans  les  sciences  so- 
ciales, mais  un  art  qui,  s' occupant  de  matières  étroite- 
ment   unies   à    la  doctrine  du   gouvernement,   forme 


DE  l'économie  politique  63 

partie  intégrante  des  disciplines  politiques  ;  elle  est, 
comme  nous  l'avons  dit  déjà,  une  branche  de  la 
Politique  administrative  (science  de  l'administration) 
qui,  pour  sa  partie  financière,  a  déjà  conquis  une  auto- 
nomie propre  soit  à  l'égard  de  la  Politique,  soit  à 
l'égard  de  l'Économie,  tandis  que,  pour  la  partie  éco- 
nomique (au  sens  étroit)  cette  séparation  n'est  pas  encore 
accomplie. 

Le  mélange  et  la  confusion  de  l'économie  sociale  et 
de  la  politique  économique,  qu'on  a  longtemps  et  très 
généralement  considérées  —  opinion  aujourd'hui  en 
core  très  répandue  —  comme  une  seule  discipline,  a 
été  en  fait  très  nuisible  aux  progrès  de  l'une  et  de 
l'autre  ,  parce  que,  en  ne  distinguant  pas  nettement  les 
vérités  de  la  science  des  règles  de  l'art,  on  devait 
nécessairement  sacrifier  les  premières  aux  secondes  ou 
celles-ci  à  celles-là. 

En  désignant  les  unes  et  les  autres  par  le  terme 
équivoque  de  principes,  ou,  ce  qui  est  pis  encore,  par  la 
dénomination  générique  de  lois,  on  ne  donnait  pas 
une  attention  suffisante  à  la  double  signification  de  ce 
dernier  mot,  qui,  au  sens  juridico-politico-moral, 
indique  un  précepte  d'une  autorité  compétente,  renforcé 
par  une  sanction  externe  ou  interne,  tandis  qu'au  con- 
traire, au  sens  strictement  scientifique,  il  indique  le 
mode  d'action  de  certaines  forces  qui  tendent  à  pro- 
duire constamment  les  mêmes  effets.  De  là  découlent 
de  regrettables  conséquences  que  nous  résumons 
brièvement  : 

1°  On  n'a  pas  réussi  à  déterminer  avec  précision  la 
sphère  d'action  de  l'économie  politique,  ce  qui  du  reste 
était  inévitable.  La  science  économique  a  besoin  que  son 
domaine  soit  rigoureusement  circonscrit,  condition  né- 
cessaire d'une  étude  adéquate  et  approfondie,  tandis  que 
l'art  ne  réussira  jamais  à  formuler  des  règles  qui  aient 


64  CARACTÈRES 

une  action  sur  la  pratique,'  s'il  s'imagine  pouvoir  les 
déduire  d'une  seule  science,  quelque  rapport  étroit 
qu'elle  ait  avec  son  propre  objet. 

2°  La  confusion  de  la  science  et  de  l'art  enlève  à  la 
première  le  caractère  de  l'impartialité,  car  son  devoir 
est  de  rechercher  la  vérité  pour  elle-même,  sans  se 
préoccuper  des  applications  vertueuses  ou  vicieuses, 
utiles  ou  nuisibles  qu'on  en  peut  faire.  C'est  ainsi  que 
la  chimie  pharmaceutique  apprend  à  préparer  l'arsenic 
au  médecin  qui  se  propose  de  guérir  les  malades 
comme  au  scélérat  qui  veut  empoisonner  sa  victime  ; 
de  même  l'économie  sociale  doit  s'occuper  de  la  con- 
nexion des  phénomènes  qu'elle  étudie,  en  conservant 
une  entière  neutralité  entre  les  intérêts  opposés  de 
classe  et  les  différents  systèmes  de  gouvernemeut. 
Quand  au  contraire  la  seience  n'est  pas  bien  distincte 
de  l'art,  on  tombe  insensiblement  dans  cette  erreur 
dangereuse  de  considérer  la  vérité  non  pas  comme  un 
but,  mais  comme  un  moyen  propre  à  défendre  ou  à 
combattre  un  système  déterminé.  La  confusion  de  l'é- 
conomie sociale  et  de  la  politique  économique  a  conduit 
beaucoup  de  pseudo-économistes  à  considérer  la  science 
comme  un  arsenal  d'armes  propres  à  défendre  l'appli- 
cation inconditionnée  et  universelle  du  libre  échange  ; 
elle  a  suggéré  àd'autres,  des  optimistes  et  des  quiétistes, 
de  rechercher  dans  la  science  des  arguments  pour  faire 
l'apologie  de  lalibre  concurrence,  pour  démontrer  l'har- 
monie universelle  des  intérêts,  pour  nier  la  possibilité 
de  tout  conflit,  même  partiel,  entre  le  capital  et  le  tra- 
vail, entre  l'entrepreneur  et  l'ouvrier;  d'autres  au  con- 
traire, des  pessimistes  et  des  révolutionnaires,  ont 
voulu  trouver  dans  cette  même  science  des  arguments 
pour  défendre  des  réformes  plus  ou  moins  radicales, 
pour  supprimer  l'anarchie  qu'ils  croient  être  une  ton- 
séquence  inévitable    de  la  propriété   privée    et  de   la 


DE    L  ÉCONOMIE    POLITIQUE  65 

concurrence,  que  leurs  adversaires  considèrent  au 
contraire  comme  les  pivots  de  la  distribution  naturelle 
des  richesses,  d'après  eux  la  seule  admissible. 

3°  L^emploi  ambigu  du  mot  loi  appliqué  aux  propo- 
sitions de  la  science,  qui  tend  à  la  connaissance,  comme 
aux  règles  de  l'art,  pour  lequel  les  connaissances  sont 
un  moyen  pour  diriger  l'action,  conduit  à  deux  erreurs 
opposées  et  très  regrettables.  D'un  côté,  on  décore  du 
nom  pompeux  de  lois  scientifiques,  et  partant  appli- 
cables à  tous  les  cas,  de  simples  règles  essentiellement 
changeantes  et  nécessairement  soumises  à  de  nom- 
breuses exceptions.  Ainsi,  par  exemple,  on  appela  loi 
de  la  science  le  «  laisser  faire  »  et  on  en  réclama  (les 
disciples  de  Bastiat  et  ceux  de  l'école  de  Manchester) 
l'application  immédiate  sans  tenir  compte  ni  de  la 
variété  des  conditions,  ni  de  l'influence  des  précédents, 
ni  même,  dans  l'hypothèse  la  plus  favorable,  de  la 
nécessité  de  prudentes  dispositions  transitoires.  On 
oublia  que  même  le  sacro-saint  précepte  de  ne  pas  tuer 
ne  peut  pas  être  considéré  comme  ayant  une  valeur 
absolue,  parce  qu'il  souffre  une  exception  au  sas  où  la 
mort  de  l'injuste  agresseur  est  nécessaire  pour  sauver 
la  vie  de  l'innocenie  victime.  Inversement  quelques 
écrivains  récents  ont  refusé  aux  lois  scientifiques  le 
caractère  d'universalité  et  ils  ont  créé  ce  concept  hybride 
de  lois  sujettes  à  des  exceptions,  tandis  que,  au  contraire, 
même  pour  les  phénomènes  complexes  sur  lesquels  des 
causes  diverses  agissent  simultanément,  le  résultat  en 
apparence  exceptionnel  fournit  la  preuve  de  l'action 
des  différentes  lois  concourantes.  Pourrait-on  soutenir 
que  l'ascension  du  mercure  dans  le  tube  thermomé- 
tique  ou  l'ascension  des  ballons  aérostatiques  sont  une 
exception  à  la  loi  de  la  pesanteur?  Un  exemple  typique 
de  cette  confusion  entre  la  loi  scientifique  et  la  règle 
d'application  nous  est  fourni  parRossiqui,  recherchant 


66  CARACTÈRES 

la  loi  de  la  valeur,  préfère  la  formule  de  coût  de  pro- 
duction à  celle  de  l'offre  et  de  la  demande,  parce  que 
cette  dernière,  dil-il.  est  plus  vraie  mais  moins  utile. 

De  tout  ce  qui  précède  il  résulte  qu'il  est  désirable, 
aussi  bien  dans  l'intérêt  de  l'économie  sociale  que  de 
la  politique  économique,  qu'on  en  fasse  une  étude  dis- 
tincte et  selon  des  critères  correspondant  à  leur  carac- 
tère formel  opposé,  afin  que,  d'un  côté,  on  conserve  à 
la  science  son  caractère  général  et  son  indépendance 
de  tout  but  purement  pratique,  en  la  dépouillant  en 
niême  temps  de  toute  prétention  à  une  traduction 
immédiate  de  ses  vérités  en  règles  d'application  instan- 
tanée et  universelle,  et  que  l'on  conserve,  d'autre  part, 
à  l'art  le  précieux  concours  des  vérités  qui  lui  sont  four- 
nies par  les  différentes  .sciences  pour  arriver  à  des  pré- 
ceptes dénature  relative  etsu.sceptibles  de  modifications 
profondes. 

En  soutenant,  comme  nous  le  fai,sons,  la  nécessité 
d'une  séparation  de  la  politique  économique  et  de  l'éco- 
nomie sociale,  nous  ne  voulons  point  critiquer  les  éco- 
nomistes qui  (comme  Mill,  Cairnes,  Jevons,  pour  nous 
en  tenir  à  quelques  noms  illustres)  ont  traité  des  ques- 
tions de  législation  économique.  Nous  reconnaissons 
même,  d'une  façon  explicite,  qu'il  est  très  désirable 
qu'on  continue  dans  cette  voie,  spécialement  pour  les 
problèmes  (comme  la  monnaie,  le  crédit,  les  banques, 
le  commerce,  les  tarifs  douaniers,  etc.)  pour  lesquels  le 
critère  économique  est  évidemment  le  plus  important. 
Il  faut  simplement  remarquer  que,  lorsque  les  écono- 
mistes s'occupent  de  ces  questions,  ils  ne  doivent  pas 
oublier  qu'ils  abandonnent  pour  un  moment  leurs 
recherches  scientifitjues  habituelles  et  qu'ils  doivent  par 
conséquent  s'inspirer  de  critères  absolument  différents. 

S.  van  Houlen,   De  Staathuishoudkunde  als    Wetens- 
chap  en  Kunst.  TTroningen,  1866. 


CHAPITRE  V 
DÉNOMINATIONS    ET    DÉFINITIONS 

DE  ^ÉCONOMIE  POLITIQUE 


Sans  attribuer  une  importance  excessive  aux  discus- 
sions, jamais  éteintes,  au  sujet  des  dénominations  et  des 
définitions  de  l'économie  politique,  et  en  reconnais- 
sant même  que  leur  énumération  minutieuse,  sans 
jamais  être  complète,  se  réduirait  à  un  déploiement 
inutile  d'érudition  facile ,  nous  pensons  cependant 
qu'une  critique  sommaire  des  principales  dénomina- 
tions et  définitions  peut  être  utile  pour  rendre  plus 
clair  ce  que  nous  avons  dit  dans  les  chapitres  précé- 
dents. 

§    i"'".    —   DÉNOMINATIONS 

Dans  le  langage  courant,  le  mot  économie  équivaut 
à  parcimonie,  épargne,  ou  bien  il  indique  (économie  de 
l'univers,  du  corps  humain,  etc.)  un  tout  systématique, 
rappelant,  dans  tous  les  cas,  les  idées  de  proportion, 
d'ordre,  d'harmonie. 

Si  on  s'en  tient  à  l'étymologie  (de  oixo;  maison  et 
vôao;  loi),  économie  signifie  loi  de  la  maison,  gouverne- 
ment de  la  famille,  ou,  au  sens  que  l'école  appelle 
subjectif,  discipline  qui  s'occupe,  ou  du  gouvernement  de 
la  maison,  ou  de  cet  objet  plus  restreint,  le  gouvernement 
des  biens  matériels  appartenant  à  la  famille.  La  combi- 
naison du  substantif  économie  et  de  l'adjectif  politique 
(de  TTOAi;,  cité  ou  État)  indique  le  gouvernement  de  l'État, 


68  DÉNOMINATIONS   ET   DÉFINITIONS 

OU,  ici  aussi  dans  un  sens  plus  étroit,  gouvernement  de 
ses  biens,  et  l'économie  politique  s'oppose  ainsi,  par  un 
étrange  pléonasme,  à  ce  qu'on  appelle  l'économie  do- 
mestique. Au  point  de  vue  subjectif,  l'économie  politique 
serait  la  doctrine  du  gouvernement  ou  bien  des  finances 
publiques. 

Il  résulte  de  là  que  la  signification  courante,  comme 
son  sens  étymologique,  ne  correspondent  nullement  au 
sens  scientifique  conventionnel  de  l'expression  économie 
politique.  C'est  alors  une  discipline  qui,  d'un  côté,  ne 
prend  en  considération  qu'une  petite  partie  des  attribu- 
tions de  l'État,  de  l'autre,  au  contraire,  ne  s'occupe  pas 
uniquement  des  richesses  de  l'Etat  et  pourrait  même 
subsister  et  conserver  toute  son  importance  si  l'État 
n'existait  pas,  c'est-à-dire  dans  cet  état  d'anarchie  qui 
est  pour  le  plus  grand  nombre  symbole  de  terreur  et 
pour  quelques-uns  idéal  de  perfection.  Il  ne  faut  donc 
pas  s'étonner  si  on  a  quelquefois  propo.sé  de  remplacer 
l'expression  d'économie  politique  par  une  autre  qui 
réponde  mieux  au  véritable  caractère  de  cette  discipline. 

Les  uns  voudraient  remettre  en  honneur  l'expression 
d'économie  civile,  qui  remonte  à  Genovesi  ;  d'autres,  en 
plus  grand  nombre,  préfèrent  l'expression  d'économie 
publique  (Beccaria,  Verri,  Pecchio,  Minghetti;;  d'autres, 
cnfin^  en  très  grand  nombre  en  Allemagne,  voudraient 
imposer  le  mot  d'économie  d'État,  sans  s'apercevoir  que 
toutes  ces  expressions  ont  le  défaut  commun  d'être 
ambiguës  comme  celle  qu'ils  combattent. 

Un  autre  groupe  d'écrivains,  pour  la  plupart  Français 
et  Italiéiis  (comme  Scialoja,  De  Augustinis,  Reymond, 
Ciccone),  emploient  l'expression  d'économie  sociale 
(dont  nous  nous  sommes  servi  pour  désigner  unique- 
ment l'économie  rationnelle),  soit  pour  lui  donner  pour 
champ  d'observation  toute  la  science  sociale,  soit,  au 
contraire,  en  évitant  cette  usurpation,  soit,  enfin,  pour 


I 


DE  l'économie  politique  69 

indiquer  (comme  le  fit  Ott,  disciple  du  socialiste  Bûchez) 
les  réformes  que  les  économistes  devaient,  selon  lui, 
défendre. 

La  dénomination  d'économie  du  peuple  et  la  déno- 
mination équivalente  d'économie  nationale  (adoptée,  dès 
1774,  par  Ortes)  ont  un  plus  grand  nombre  de  partisans. 
Celle-ci  est  la  plus  courante  en  Allemagne,  parce  que, 
dans  l'opinion  de  l'école  dominante,  l'expression  écono- 
mie nationale  exprime  clairement  le  système  de  la  pro- 
tection douanière  que  les  disciples  de  List  opposent  à 
celui  du  libre  échange,  qu'ils  considèrent  comme  un 
corrollaire  de  l'économie  cosmopolite  anglaise.  Même 
en  faisant  abstraction  de  cette  question,  qui  concerne  non 
pas  la  science  mais  plutôt  ses  applications,  nous  sommes 
nettement  adversaires  des  locutions  d'économie  du 
peuple  et  d'économie  nationale,  parce  qu'elles  impli- 
quent une  erreur  fondamentale  ;  elles  rapportent  les 
phénomènes  de  la  science  pure  aux  soi-disant  person- 
nalités économiques  de  la  nation  et  du  peuple,  tandis 
que,  au  contraire,  elle  doit  étudier,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  les  faits  multiples  et  réels  auxquels  donnent 
lieu  les  relations  spontanées  du  trafic  entre  les  diffé- 
rentes économies  individuelles  ou  collectives,  associées 
ou  en  concurrence,  même  en  dehors  de  toute  influence 
ethnique  ou  politique. 

Pour  d'autres  raisons,  nous  ne  pouvons  accepter  la 
dénomination  d'économie  industrielle,  qui  constitue 
pour  nous  une  branche  de  l'économie  privée.  C'est  le 
titre  qu'a  porté  la  chaire  créée,  en  1819,  pour  J.-B.  Say 
au  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers,  dans  le  but  trop 
manifeste  d'éviter  une  expression  qui  pouvait,  prise  ù 
la  lettre,  porter  ombragea  un  gouvernement  peu  disposé 
à  laisser  se  répandre  des  doctrines  qui  se  rapportaient, 
d'une  manière  quelconque,  à  l'administration  publique. 

N'espérant  pas  porter  remède  par  d'autres  adjectifs 


70  DÉNOMINATIONS    ET    DÉFINITIONS 

aux  défauts  inhérents  à  la  locution  depuis  longtemps 
déjà  adoptée,  quelques  économistes  ont  proposé  d'y 
renoncer,  et  se  sont  servis  (par  exemple  Cherbuliez)  de 
l'expression  de  science  économique,  ou  même  d'écono- 
mie, ou  d'économique  (Garnier,  Jevons,  Macleod,  Mar- 
shall, etc.),  remettant  en  usage  le  langage  des  philoso- 
phes grecs,  accepté  par  Hutcheson  (1748),  sans  voir 
cependant  que,  conformément  au  sens  étymologique, 
les  Grecs  désignaient  par  ce  mot  l'économie  domestique, 
et  qu'à  notre  époque,  au  contraire,  cette  dénomination 
générique  peut  comprendre  aussi  bien  l'économie  poli- 
tique que  l'économie  privée. 

Il  y  eut,  enfin,  des  écrivains  qui,  sans  abandonner  le 
vocabulaire  grec,  ont  proposé  de  recourir  à  une  dénomi- 
nation tout  à  fait  différente,  en  empruntant  à  la  Poli- 
tique d'Aristote  le  mot  chrématistique  (employé  dans 
un  sens  péjoratif  par  Sismondi),  ou  en  formant  le  mot 
chrysologie,  ou  ploutonomie  (Robert  Gujard),  ou  plou- 
tologie  et  ergonomie  (Courcelle-Seneuil  et  Hearn),  ou 
catallactique  (Whately),  qui  sont  tous  des  néologismes 
non  acceptés  ou  inacceptables,  parce  qu'ils  désignent 
la  richesse  et  non  les  actions  humaines  qui  s'y  rappor- 
tent; parce  que,  en  outre,  ils  considèrent  la  richesse 
d'une  façon  trop  générale  et  trop  indéterminée,  et  que 
le  mot  catallactique  indique  l'échange,  phénomène  sans 
doute  très  important  pour  l'économie,  mais  qui  cepen- 
dant no  l'embrasse  pas  tout  entière. 

Faute  d'expression  meilleure,  il  nous  semble  bon  de 
conserver  celle  d'économie  politique,  qui  sert  de  titre 
au  livre  publié,  en  1615,  par  Montchrétien  de  Vatteville, 
et  qui  a  été  adoptée  par  Steuart  (1767),  par  Verri  (1771), 
par  Smith  (1776),  et  qui  depuis,  sur  son  exemple,  a  été 
et  est  encore  la  plus  employée,  notamment  en  Angle- 
terre, en  France,  en  Italie,  en  Amérique,  dans  la  science 
et  dans  l'enseignement. 


J 


DE    L  ECONOMIE    POLITIQUE  /  1 

Il  ne  faudrait  pas  s'imaginer  que  les  économistes 
seuls  n'ont  pas  réussi  à  se  forger  une  dénomination 
correcte  pour  la  discipline  qu'ils  cultivent.  Les  physi- 
ciens, les  chimistes,  les  métaphysiciens  ne  sont-ils  pas 
dans  une  situation  pire,  puisqu'ils  sont  forcés  d'indi- 
quer l'objet  de  leurs  études  par  des  mots  qui,  pris  dans 
leur  sens  étymologique,  ne  l'expriment  en  aucune  ma- 
nière, ou  ne  le  font  qae  d'une  manière  vague  et  quel- 
quefois inexacte?  Quel  inconvénient  y  a-t-il  pour  les 
physiciens  et  les  physiologues,  ou  pour  les  géographes 
et  les  géologues,  à  se  servir  de  mots  dont  les  sens  sont 
analogues  pour  indiquer  des  disciplines  séparées, 
comme  tout  le  monde  le  sait,  par  des  limites  que  la 
recherche  moderne  a  établies  avec  une  exactitude  suffi- 
sante ? 

Jos.  Garnier,  De  l'origine  et  de  la  filiation  du  motéco- 
r.omie  politique.  (In  Journal  des  Économistes, 
1852.  Tome  32%  pp.  300-316;  tome  33"=  pp.  11-23). 


S    l.  DEFINITIONS 

Les  définitions  ont  une  tout  autre  importance  que 
les  dénominations  parce  qu'elles  servent  à  indiquer 
l'objet,  le  rôle  et  le  but  de  chacune  des  disciplines. 
Bien  qu'elles  se  trouvent  d'ordinaire,  pour  la  commo- 
dité de  l'exposition,  au  début  des  traités  scientifiques, 
les  définitions,  souvent  négligées  par  des  écrivains  de 
grand  mérite,  n'arrivent  que  tard,  parce  qu'elles  sup- 
posent un  état  assez  avancé  de  la  recherche  et  consti- 
tuent non  pas  ses  premiers,  mais  ses  derniers  résultats. 
Loin  d'être  dangereuses  et  de  n'être,  comme  on  l'af- 
firme quelquefois,  que  d'oiseuses  et  stériles  questions 
de  mots,  les  définitions,  pourvu  qu'elles  satisfassent  à 
ces  trois  conditions,  d'être  précises,  claires  et  brèves, 


7*2  DÉNOMINATIONS    ET    DÉFINITIONS 

sont  un  moyen  nécessaire  pour  éviter  les  sophismes 
dans  lesquels  on  tombe,  en  se  servant  de  termes  mal 
définis  et  auxquels  on  attribue  involontairement  des 
significations  différentes  dans  le  même  raisonnement. 
Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  les  définitions  ont  un 
caractère  purement  provisoire,  parce  que  les  progrès 
continus  dos  sciences  nécessitent  des  changements 
correspondants  ec  parce  que,  de  plus,  toute  définition  a 
le  défaut  inévitable  d'être  quelque  chose  d'arbitraire, 
en  tant  qu'elle  établit  des  lignes  absolues  de  séparation 
entre  des  phénomènes  qui  se  relient  entre  eux  sans  une 
véritable  solution  de  continuité.  Il  convient,  par  consé- 
quent, sans  renoncer  au  précieux  secours  des  défini- 
tions, de  faire  connaître,  au  besoin,  les  cas  limites 
auxquels  les  définitions  elles-mêmes  ne  peuvent  pas 
parfaitement  s"adapter.  Enfin,  il  faut  noter  que,  malgré 
l'extrême  difficulté  et  parfois  même  l'impossibilité  de 
trouver  une  formule  satisfaisant  aux  conditions  indi- 
quées, il  n'en  résulte  pas  que  le  temps  employé  pour 
arriver,  avec  plus  ou  moins  de  succès,  à  cette  fin  a  été 
perdu.  Comme  le  remarque  avec  sa  finesse  accoutumée 
Sidgwick,  la  valeur  des  définitions  ne  se  mesure  pns 
aux  mots  qui  la  composent,  mais  bien  aux  discussions 
qui  s'y  rapportent:  celles-ci  impliquent  toujours  l'ana- 
lyse de  faits  concrets,  la  distinction  des  points  essen- 
tiels, des  points  purement  accidentels,  et  constituent 
par  suite  la  base  sûre  de  jugements  et  de  classifications 
d'importance  capitale. 

Cela  étant  admis,  et  rappelant  ce  que  nous  avons  dit 
sur  le  concept,  les  relations,  les  caractères  de  la  dualité 
des  doctrines  comprises  dans  l'économie  politique,  il 
ne  nous  semble  pas  difficile  de  tenter  une  critique 
résumée  des  définitions  courantes,  en  signalant  leurs 
défauts  soit  au  point  de  vue  matériel  et  spécifique,  soit 
au  point  de  vue  logique  et  général. 


DE  l'Économie  politique  78 

Sans  nous  attarder  à  relever  le  défaut  trop  manifeste 
de  clarté  et  de  brièveté  de  beaucoup  de  définitions  (et 
aussi  pour  ne  pas  en  faire  un  examen  détaillé)  nous  fe- 
rons remarquer  que  presque  toutes  les  définitions  pèchent 
contre  l'exactitude,  et  cela  parce  qu'elles  assignent  à 
réconomie  un  objet  trop  vaste  ou  trop  étroit,  ou  parce 
qu'eHes  en  expriment  imparfaitement  le  rôle  et  le  but, 
ou  qu'elles  en  changent  essentiellement  les  caractères. 

On  attribue  à  l'économie  politique  un  objet  trop 
vaste  lorsqu'on  la  définit  la  doctrine  de  la  civilisation, 
de  l'intérêt  personnel,  de  l'utile,  du  commode,  des 
besoins  et  de  leur  satisfaction,  ou  lorsqu'on  en  fait  la 
théorie  du  bien-être  physique,  ou  même  seulement  celle 
du  bien-être  matériel,  parce  que  ces  locutions  se  rap- 
portent d'une  façon  manifeste  même  à  des  intérêts  non 
économiques. 

On  commet  une  erreur  analogue  lorsque,  confondant 
le  champ  de  recherche  de  l'économie  politique  avec 
celui  de  toutes  les  disciplines  économiques  et  même 
des  disciplines  te(;hnologiques,  en  définit  l'économie, 
la  science  (ou  la  philosophie,  ou  la  métaphysique)  de  la 
richesse.  On  commetalors  une  erreur  grave,  parce  qu'on 
prend  pour  objet  de  l'économie  les  richesses,  c'est- 
à-dire  l'ensemble  des  biens  matériels  échangeables,  et 
non  pas  les  actions  humaines  qui  concernent  l'ordre 
social  des  richesses.  On  évite,  en  partie,  cette  erreur 
lorsqu'avec  Coquelin  on  assigne  comme  but  à  l'éco- 
nomie politique  l'étude  de  Tindustrie,  ou,  comme  on  le 
dit  aussi,  du  travail  et  de  sa  rétribution. 

Il  nous  faut  repousser,  à  un  autre  point  de  vue,  mais 
toujours  parce  qu'elles  élargissent  d'une  façon  exces- 
sive le  champ  de  recherche  de  l'économie  politique, 
les  définitions  de  ceux  qui,  comme  Say  (dans  son 
Cours),  la  confondent  avec  la  science  sociale  et  lui  don- 
nent par  conséquent  pour  rôle  de  résoudre,   de  son 


74  DÉNOMINATIONS    ET    DÉFINITIONS 

point  de  vue  nécessairement  circonscrit,  tous  les  pro- 
blèmes qui  se  rattachent  à  la  vie  civile,  dépassant  ainsi 
sa  sphère  naturelle  de  compétence. 

Nous  devons  au  contraire  repousser  comme  trop 
restrictives,  au  point  de  vue  'matériel,  les  définitions 
qui  font  de  l'économie  politique  la  doctrine  de  l'échange, 
du  commerce,  de  la  valeur,  de  la  propriété,  matières 
très  importantes  sans  doute,  mais  qui  ne  concernent 
pas  l'activité  économique  tout  entière,  mais  seulement 
celle  qui  se  réfère  à  la  circulation  ou  à  la  distribution 
des  richesses. 

On  restreint  trop,  au  point  de  vue  formel,  le  cercle 
d'investigation  de  l'économie  politique  lorsque,  ne 
tenant  compte  que  de  ses  applications,  on  la  confond 
avec  l'art  de  s'enrichir  (économie  privée),  ou  avec  celui 
de  protéger  et  de  favoriser  la  richesse  privée  comme  la 
richesse  publique  (politique  économique),  ou  lorsque,  se 
limitant  au  contraire  à  la  science  seule,  on  lui  assigne 
pour  rôle  d'expliquer  les  phénomènes  de  la  richesse 
sociale,  mais  non  pas  celui  d'indiquer  les  meilleurs 
moyens  pour  la  conserver  et  pour  l'augmenter. 

Il  faut  ajouter,  pour  compléter  et  rectifier  ce  que  nous 
avons  dit,  que  la  plupart  des  formules  que  nous  avons 
combattues,  soit  parce  c[u'elles  sont  trop  larges,  soit 
parce  qu'elles  sont  trop  étroites,  ont  les  unes  et  les 
autres  ce  défaut,  parce  qu'elles  attribuent  à  l'économie 
politique  un  objet  trop  vaste  (civilisation,  bien-être, 
intérêt  personnel,  richesse),  et  en  même  temps  un  rôle 
circonscrit  uniquement  à  la  science  ou  a  l'art. 

On  ne  peut  pas  davantage  admettre  d'autres  défini- 
tions qui  changent  complètement  le  caractère  de  l'éco- 
nomie politique  pour  en  faire  une  science  historique 
qui  étudie  les  lois  de  développement  et  non  les  lois 
rationnelles  des  phénomènes  économiques,  ou  une 
doctrine  morale  qui  recherche  des  idéals  pour  une  équi- 


DE    L  ECONOMIE    POLITIQUE  / .) 

table  répartition  des  biens  matériels,  ou  un  art  en  tout 
et  pour  tout  subordonné  aux  critères  juridiques  et  politi- 
ques, ou  pour  la  réduire,  au  contraire,  à  une  science 
purement  étiologique  selon  quelques-uns,  ou  unique- 
ment morphologique,  selon  d'autres.  Nous  ne  pouvons, 
enfin,  accepter  l'opinion  de  ceux  qui  considèrent 
comme  complètement  étrangères  à  l'économie  sociale 
les  lois  empiriques  fournies  par  la  statistique  écono- 
mique, et  cela  parce  que,  dans  certains  cas,  il  n'est  pas 
possible  d'aller  plus  loin,  tandis  que  dans  d'autres, 
comme  nous  l'avons  noté,  les  lois  empiriques  ont  été  ou 
peuvent  devenir  plus  tard  une  aide  pour  la  découverte 
des  véritables  lois  scientifiques. 

Le  dissentiment  des  économistes  au  sujet  des  défini- 
tions, qui  ne  peut  certes  pas  contribuer  à  leur  assurer 
le  respect  et  la  sympathie  des  profanes,  est  toujours 
déploré  et  il  le  fut,  en  d'autres  temps,  par  Peilegrino 
Rossi  qui  reproduisit,  avec  vivacité,  les  lamentations 
de  Ssnior  et  de  Mac  Culloch.  Il  nous  semble  que  ces 
controverses,  plus  souvent  app-jrentes  que  réelles, 
parce  qu'elles  sont  agitées  par  des  auteurs  qui,  s'ils 
sont  en  désaccord  sur  les  définitions,  s'accordent  sur 
la  qualité  des  matières  comprises  dans  l'économie  et 
quelquefois  même  sur  la  façon  de  les  traiter,  ne  suf- 
fisent à  justifier  ni  les  invectives  des  adversaires,  ni 
les  cris  de  douleur  des  écrivains  timides  de  notre  dis- 
cipline. 

Qu'on  remarque,  tout  d'abord,  que  ces  disputes  exis- 
tent avec  autant  d'acharnement  et  d'insistauv^e  pour 
d'autres  sciences  que  l'on  qualifie  cependant  de  posi- 
tives et  d'exactes  ;  qu'on  remarque,  ensuite,  que  la  diver- 
gence entre  les  définitions  proposées  par  des  auteurs  par- 
venus justement  à  une  grande  renommée,  à  des  époques 
différentes,  est,  non  seulement  naturelle,  mais  désirable 
aussi,  parce  qu'elle  atteste  les  progrès  que  la  scienc^e  a 


76  DÉNOMINATIONS    ET    DÉFINITIONS 

déjà  faits;  qu'on  remarque  enfin  que  les  variétés  sont 
plus  fréquentes  clans  les  définitions  des  écrivains  incom- 
pétents ou  médiocres,  et  qu'elles  n'ont  alors  aucune 
importance  et  s'expliquent  facilement,  quand  on  songe 
que  celui  qui  ne  peut  apporter  d'utiles  découvertes  à  la 
science,  cherche  précisément,  dans  les  controverses  de 
pure  forme,  le  moyen  aussi  facile  que  peu  enviable 
d'acquérir  auprès  du  commun  des  lecteurs  la  renoih- 
mée  d'écrivain  original. 

Quelques  auteurs  de  logique,  qui  ont  été  au.ssi  d'émi- 
nents  économistes,  se  sont  occupés  expressément  des 
définitions  dans  l'économie  politique  (Wately,  Stuart 
Mill.  .levons).  On  peut  con.sulter  aussi  les  monographies 
suivantes  : 

Th,  Rob.  Mallhus,  The  définitions  of  poUiical  economy. 
London,  )8J7. 

J.  E.  Calmes,  The  character  and  logical  method  of  po- 
Uiical economy.  London,  1870,  pp.  134-148. 

Fr.  Jul.  Neumann,  Grundhegriffeder  Yolksicirlhschafts- 
lehre,  in  Hanlbuch  der  polit.  Oekon.,  de  G.  Schôn- 
berg.  3«  édit.,  vol.]  (Tubingen,  1890),  pp.  133-174. 

C.  Menger,  Untersuchungen,  etc.  Leipzig,  1883. 

J.  N.  Keynes,  The  scope  and  method  of  political  eco- 
nomy. London,  1891,  pp.  146-163. 

On  trouve  dans  les  œuvres  suivantes  un  bon  noml^re 
de  définitions  de  l'économie  politique  :  elles  ont  été 
recueillies  avec  beaucoup  de  soin,  mais  elles  ne  sont 
pas  toujours  jugées  avec  assez  d'exactitude. 

J.  Kautz,  Die  Xational-Oekonomie  als  Wissenschaft. 
Wien,  1858,  pp.  286-291. 

Jos.  Garnier,  But  et  limites  de  Vécon.  polit.,  dans  ses 
Notes  et  Petits  Traités,  etc.  Paris,  1865,  p.  83  et  suiv. 

M.  Carreras  y  Gonzalez,  Philosophie  de  la  science  éco- 
nomique. Paris.   1881,  pp.  20-27. 

C.  Supino,  La  drfinizione  delV  economia  polit ica.  Mi- 
lano,  1883. 


CHAPITRE   VI 
DES  MÉTHODES  DANS  L'ÉCONOMIE  POLITIQUE 


Ces  dissentiments  au  sujet  des  caractères  de  l'écono- 
mie politique  en  entraînent  d'autres,  non  moins  persis- 
tants, sur  les  méthodes,  parce  qu'on  ne  peut  être 
d'accord  sur  les  moyens  quand  on  est  en  désaccord  sur 
les  fins.  Si,  en  effet,  la  logique  fournit  des  règles  gé- 
nérales sur  l'art  de  raisonner,  il  est  incontestable, 
d'autre  part,  que  chaque  discipline  a  une  méthode 
propre  appropriée  à  l'objet,  au  rôle,  aux  buts  qui  la  dis- 
tinguent des  autres.  On  ne  peut  pas  suivre  les  mêmes 
routes  pour  découvrir  des  idéals,  des  règles  de  conduite, 
des  lois  historiques,  des  régularités  empiriques,  des  lois 
scientifiques.  Aussi  la  méthode  de  l'économie  sera-t-elle 
absolument  différente  suivant  qu'on  la  confond  avec 
l'éthique,  ou  qu'on  lui  assigne  un  but  historico-des- 
criptif,  qu'on  en  fait  une  science  ou  qu'on  la  réduit  à  un 
art.  Si  nous  faisons  abstraction  des  erreurs  commises 
au  sujet  des  caractères  de  l'économie  politique  et  en  la 
considérant,  ce  qu''elle  est  aujourd'hui,  comme  une 
science  et  comme  un  art,  il  en  résulte  qu'il  n'est  pas 
exact  d'imaginer  une  méthode  unique  pour  atteindre 
des  buts  si  disparates. 

La  recherche  des  .  méthodes  de  l'économie ,  déjà 
assez  malaisée  par  elle-même,  est  rendue  plus  difficile 
encore,  pour  ne  pas  dire  impossible,  quand  elle  est  faite 
par  des  personnes  auxquelles  manque  la  préparation 
philosophique  nécessaire,  c'est-à-dire,  qui  n'ont  pas  des 
idées  correctes  et  précises  sur  la  nature  et  les  rôles  de 


78  DES    MÉTHODES 

la   méthode  en  général  et  sur  la  meilleure   façon   de 
trouver  celle  des  disciplines  particulières. 

Certains,  par  exemple,  croyant  combattre  la  méthode 
déductive,  attaquent  la  méthode  métaphysique,  qui  part 
d'hypothèses  arbitraires  pour  arriver  nécessairement  à 
des  conséquences  erronées,  ignorant  ou  feignant  d'igno- 
rer qu'une  jjareille  méthode,  qui  répond  à  l'enfance  de 
quelques-unes  des  sciences  physiques,  n'a  jamais  été 
adoptée  par  aucun  écrivain  sérieux  des  sciences  sociales, 
et  n'a,  en  tous  cas,  rien  de  commun  avec  la  méthode 
déductive  qui,  comme  la  méthode  inductive,  dont  elle 
est  l'opposé,  est  fondée  sur  l'observation. 

D'autres,  au  contraire,  affirment  avec  force  que 
l'économie  est  une  science  inductive,  ou  même  une 
science  expérimentale,  ou  que,  du  moins,  elle  doit  em- 
ployer cette  méthode  si  elle  veut  faire  des  progrès  et 
abandonner  les  stériles  déductions,  alors  que  l'histoire 
des  sciences  A'éritablement  inductives  et  expérimentales 
nous  apprend  qu'elles  atteignent  le  plus  haut  degré  de 
perfection  possible  quand  elles  arrivent  au  stade  dé- 
ductif. 

D'autres  enfin,  tout  en  évitant  ces  erreurs,  se  con- 
tentent d'affirmer,  par  un  éclectisme  facile,  que  l'éco- 
nomie politique  se  sert  de  la  méthode  inductive  non 
moins  que  de  la  méthode  déductive,  de  l'observation  et 
du  raisonnement,  comme  s'il  était  possible  d'imaginer 
une  discipline  positive  qui  procède  autrement.  Ils  ne 
voient  pas  que  le  nœud  de  la  question  consiste  précisé- 
ment à  savoir  dans  quel  ordre,  dans  quelles  proportions 
et  pour  quels  buts  se  combinent  et  alternent  le  proces- 
sus inductif  et  le  processus  déductif  ;  si  l'un  et  l'autre, 
ou  l'un  ou  l'autre  seulement,  fournissent  les  prémisses 
et  les  conclusions  ;  si  et  dans  quelle  mesure  ils  peu- 
vent aider  à  l'invention,  ou  seulement  à  la  démonstra- 
tion et  à   la  vérification  ;  s'ils  peuvent  conduire  à  la 


DANS    l'économie    l'OLITIQUE  79 

découverte  de  lois  scientifiques  véritables  et  quels  sont, 
en  cas  d'affirmation,  les  degrés  de  leur  certitude  et  les 
limites  de  leur  application  ;  si,  enfin,  l'importance  rela- 
tive de  l'induction  et  de  la  déduction  est  toujours  la 
même,  pour  les  diverses  parties  d'une  même  science, 
aux  différents  stades  de  ses  investigations,  et  aux  di- 
verses périodes  historiques  qui  marquent  les  progrès  de 
chaque  discipline. 

Une  dernière  équivoque,  tout  aussi  regrettable  que 
les  autres,  dans  la  question  qui  nous  occupe,  dépend  de 
ce  fait  que  la  plupart  des  écrivains  se  sont  inutilement 
appliqués  à  combattre  ou  à  concilier  entre  elles  les  dif- 
férentes théories  énoncées  sur  la  méthode,  comme  si 
l'on  devait,  toujours  à  nouveau,  rechercher  dans  le  vide 
une  méthode  nouvelle  et  correcte  et  l'opposer  aux 
vieilles  et  fausses  méthodes  des  écrivains  antérieurs, 
tandis  qu'au  contraire  la  seule  recherche  vraiment  po- 
sitive et  utile  consiste  dans  la  recherche  des  méthodes 
qui  nous  ont  réellement  conquis  notre  patrimoine  scien- 
tifique actuel  en  fait  d'économie  politique.  Si  on  avait 
toujours  suivi  cette  voie  on  aurait  vu  que  les  grands 
maîtres  de  la  science,  souvent  en  désaccord  sur  la  théorie 
de  la  méthode,  ont  été  merveilleusement  d'accord  pour 
se  servir  de  celles  qui  sont  les  plus  propres  à  l'explica- 
tion des  phénomènes  et  à  l'étude  des  questions  d'écono- 
mie pure  ou  appliquée  dont  ils  s'occupaient. 

Adam  Smith,  qui  est  pour  quelques-uns  le  prototype 
de  la  méthode  déductive,  pour  d'autres  le  maître  de 
la  méthode  inductive,  et  pour  d'autres  encore  le  pré- 
curseur de  la  méthode  historique,  se  sert  en  réalité 
du  processus  déductif  et  du  processus  inductif  tout  en 
recourant  parfois  à  l'analyse  psychologique  et  parfois 
aux  faits  historiques.  Dans  la  doctrine  des  salaires,  par 
exemple,  il  recherche  déductivement  la  loi  générale  et 
il  cherche  inductivement  les  causes  de  leurs  variations 


80  DES  MÉTHODES 

dans  les  diverses  professions.  On  peut  dire  la  môme 
chose  de  Ricardo  et  de  Malthus,  qui  sont  souvent  con- 
dérés  comme  les  représentants  de  deux  méthodes 
opposées.  S'il  est  vrai,  d'un  côté,  que  Malthus.  par  la 
nature  même  du  problème  de  la  population,  l'a  étudié 
en  se  servant  de  l'induction  historique  et  statistique, 
d'après  les  matériaux  dont  il  disposait;  s'il  est  vrai, 
d'un  autre  côté,  que  Ricardo  employa  de  préférence  la 
déduction ,  pour  résoudre  les  problèmes  les  plus 
2'énéraux  de  la  circulation  et  de  la  distribution  des 
richesses ,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  Malthus 
s'est  servi  lui  aussi  de  la  déduction  dans  sa  polé- 
mique avec  Ricardo  sur  la  théorie  de  la  valeur , 
tandis  que  Ricardo  étudia,  avec  une  entière  connais- 
sance des  faits  concrets,  les  notions  concernant  la 
monnaie  et  le  crédit  public  et  privé  dans  quelques-unes 
de  ses  monographies.  DemêmeMill  etCairnes,  brillants 
défenseurs  de  la  méthode  déductive  pour  la  science 
pure,  se  sont  servis  de  Tinduction,  lorsque,  s'occupant 
des  questions  d'application,  ils  eurent  à  étudier  les 
paysans  propriétaires  (Mill],  le  travail  des  esclaves, 
l'influence  de  l'augmentation  de  la  production  de  l'or 
sur  les  prix  (Cairnes). 

Ceci  étant  donné,  nous  exposerons  notre  manière  de 
voir  sur  les  méthodes  de  l'économie  sociale  et  de  la  poli- 
tique économique,  en  les  faisant  précéder  de  quelques 
notions  de  méthodologie  générale. 

Ji    1*'.  DES    MÉTHODES    SCIENTIFIQUES    EN    GÉNÉRAL 

On  entend  par  méthode  le  processus  logique  par 
lequel  on  découvre  ou  on  démontre  la  viîrité.  Elle  a 
donc  un  double  rôle,  inventif  et  didactique.  On  dis- 
tingue, d'après  leur  point  de  départ,  la  méthode  déduc- 
tive, qui   va  du  général  au  particulier  et  la  méthode 


DANS    l'économie    POLITIQUE  81 

inductive    qui    va,    au    contraire,    du    particulier    au 
général, 

La  méthode  déductive  (synthétique,  rationnelle,  a 
priori)  part,  en  effet,  de  principes  évidents  par  eux- 
mêmes  ou  fondés  sur  Tobservation,  et  elle  en  tire,  par 
le  seul  raisonnement,  sans  le  secours  des  moyens 
extérieurs,  les  conséquences  qu''ils  renferment.  C'est  une 
méthode  rigoureuse  qui  donne  des  résultats  certains 
lorsque  les  prémisses  sont  exactes  et  les  déductions 
correctes.  On  appelle  déductives  ou  exactes,  au  sens 
étroit  du  mot,  les  sciences  qui,  comme  la  philosophie 
pure  et  les  mathématiques  abstraites,  ont  leur  fonde- 
ment dans  la  méthode  déductive. 

La  méthode  inductive  (analytique,  empirique,  a 
posteriori)  part,  au  contraire,  de  l'observation  des  faits 
particuliers,  pour  remonter,  par  des  raisonnements 
fondés  sur  l'expérience  ,  à  certaines  lois  dérivées 
faxiomata  ynediaj  et  ensuite  aux  lois  primitives  des 
phénomènes  étudiés.  C'est  une  méthode  moins  sûre, 
surtout  si  on  l'applique  à  l'explication  des  faits  com- 
plexes et  continuellement  variables.  On  appelle  induc- 
tives  certaines  sciences  physiques,  qui  se  trouvent 
encore,  et  malgré  de  notables  progrès,  dans  un  état 
purement  empirique,  comme,  par  exemple,  la  géo- 
logie et  la  météorologie,  et,  parmi  les  sciences  so- 
ciales, la  statistique,  qu'elle  soit  purement  descriptive 
ou  qu'elle  recherche  des  régularités  de  fait. 

D'autres  sciences,  au  contraire,  sont  appelées  posi- 
tives ou  exactes,  au  sens  le  plus  large  du  mot,  parce 
qu'elles  se  servent  alternativement  du  processus  inductif 
et  du  processus  déductif.  Telles  sont,  par  exemple,  la 
mécanique,  l'astronomie,  la  physique,  la  chimie,  qui, 
après  avoir  découvert  par  l'induction  quelques  lois 
générales ,  purent  en  découvrir  d'autres  et  tirer  les 
conséquences  des  premières  comme  des  secondes,  en 

6 


82  DES    MÉTHODES 

arrivant  au  stade  de  la  déduction,  rendue  bien  plus  par- 
faite par  le  précieux  secours  du  calcul. 

Comme  l'observation  est  un  procédé  qui  sert  à  toutes 
les  méthodes,  soit  pour  établir  les  prémisses,  soit  pour 
trouver  les  lois,  les  démontrer,  en  vérifier  les  résul- 
tats, ou  en  déterminer  les  limites,  il  est  nécessaire 
d'ajouter,  pour  éviter  toute  équivoque,  quelques  notions 
sommaires  sur  les  différentes  formes  qu'elle  peut 
revêtir. 

Au  point  de  vue  de  la  nature  des  phénomènes,  on 
distingue  l'observation  interne  des  faits  psychiques,, 
sujette  à  de  multiples  causes  d'erreur  par  le  caractère 
changeant,  la  délicatesse  des  phénomènes  mêmes  et  la 
partialité  fréquente  de  l'observateur,  de  l'observation 
externe,  applicable  aux  faits  physiques  comme  aux  faits 
sociaux. 

Au  point  de  vue  de  la  qualité  du  processus  employé, 
on  distingue  l'observation  naturelle  et  l'observation 
artificielle. 

L'observation  naturelle,  c'est-à-dire  l'observation  des 
phénomènes  tels  qu'ils  se  présentent,  s'élève  à  des 
degrés  différents  d'exactitude  suivant  qu'elle  se  fait  : 

1°  Au  moyen  des  sens  (internes  et  externes),  et  elle 
est  pour  cela  sujette  à  de  nombreuses  erreurs  qui 
dépendent  des  imperfections  des  organes  sensitifs  ou  de 
^a  nature  des  objets,  trop  petits  ou  trop  éloignés,  ou  de 
celle  des  faits  extraordinairement  complexes  ; 

2"  Au  moyen  d'instruments  de  précision,  accom- 
modés à  la  nature  des  phénomènes  qu'on  étudie, 
comme  le  télescope,  le  microscope,  le  thermomètre,  le 
baromètre,  employés  par  l'astronome,  l'histologiste,  le 
naturaliste,  le  physicien,  le  météorologiste,  etc. 

L'observation  artificielle,  Texpérimentation,  atteint  le 
plus  haut  degré  de  perfection  parce  qu'elle  reproduit  les 
phénomènes  en  variant  à  volonté  les  conditions  : 


DANS    L'ÉCONOMIE    POLITIQUE  83 

1"  Par  rélimination  réelle  et  alternative  des  différents 
éléments  perturbateurs  des  phénomènes  concrets,  qui 
sont  de  cette  façon  réduits  à  leurs  formes  les  plus 
simples,  et  partant  les  plus  propres  à  l'étude  de  l'inten- 
sité de  chacune  des  forces  ; 

2°  En  mettant  certains  phénomènes  complexes , 
comme,  par  exemple,  les  phénomènes  organiques,  qui 
ne  peuvent  pas  être  réduits  à  leurs  éléments,  en  contact 
avec  d'autres  phénomènes,  dans  le  but  de  déterminer 
avec  une  précision  quantitative  les  différentes  actions 
et  réactions  qui  en  résultent. 

Aussi  appelle-t-on  expérimentales,  au  sens  exact  du 
mot,  uniquement  ces  disciplines  inductives  qui,  comme 
la  physique,  la  chimie  et  quelques  disciplines  biolo- 
giques, peuvent  faire  de  véritables  expériences. 

Sur  la  méthode  en  général  et  sur  l'observation  appli- 
quée aux  faits  sociaux  on  peut  consulter,  en  dehors  des 
auteurs  déjà  cités,  les  traités  de  logique  générale 
(Sigwart,  Wundt,  Bain),  les  traités  de  statistique 
(Haushofer,  Block,  Gabaglio)  et  en  particulier  les  mono- 
graphies suivantes  : 

C.  Cornewall  Lewis,  A  trealiseon  the  methods  of  obser- 
vation and  reasoning  in  politics.  1852  ;  2  vol. 
(Ouvrage  très  savant). 

P.  A.  Dufau,  De  la  méthode  d'observation  dans  les 
sciences  morales  et  politiques.  Paris  1866. 


S    2.     —     DES     MÉTHODES     DANS     i/ÉCONOMIE     POLITIQUE 

En  nous  servant  des  observations  faites  et  en  nous 
rappelant  le  caractère  relatif  de  la  question  posée, 
nous  allons  exposer  avec  la  plus  grande  clarté  et  la 
plus  grande  précision  possible  quelles  sont  les  méthodes 
les  mieux  appropriées  aux  investigations  économiques, 


04  DES    METHODES 

en  résumant,  avec  les  modifications  nécessaires,  ce 
qu'ont  enseigné  sur  ce  sujet  d'autres  écrivains  qui  en 
ont  parlé  brièvement,  mais  avec  science  (Mangoldt, 
Bôhm-Bawerk,  Cohn,  Philippovich,  Sidgwick,  Mar- 
shall) et  d'autres  qui  s'en  sont  spécialement  occupés 
(Cairnes,  Heymans.  Menger,  Dietzel,  Keynes)  dans  leurs 
excellents  traités  de  logique  économique. 

Remarquons,  tout  d'abord,  que  toute  controverse  sur 
la  méthode  de  la  politique  économique  nous  semble 
oiseuse  pour  ne  pas  dire  impossible,  parce  que,  devant 
suggérer  au  législateur  les  critères  généraux  du  bon 
gouvernement  économique  et  financier,  qui  convien- 
nent aux  différentes  conditions  de  temps,  de  lieu  et  de 
civilisation,  elle  doit  nécessairement  se  servir  de  l'in- 
duction^ qualitative  et  quantitative,  en  puisant  dans 
les  nombreuses  observations  données  par  l'histoire  et 
par  la  statistique  économique.  La  politique  économique 
est  donc  une  discipline  principalement  inductive  ;  c'est 
également  de  l'induction,  et  en  particulier  de  l'induc- 
tion individuelle,  fondée  sur  sa  propre  exj)érience  que 
doit  se  servir  l'administrateur  qui  applique  ces  critères 
à  chaque  cas  concret. 

Remarquons,  en  second  lieu,  en  nous  contentant  de 
parler  de  l'économie  sociale,  et  en  nous  en  tenant, 
comme  il  convient,  à  la  méthode  effectivement  suivie 
par  les  plus  profonds  économistes,  que  ces  auteurs 
ont  fondé  sur  Tobservation  de  certains  faits  psychiques 
(internes)  et  de  certains  faits  physiques  (externes)  de 
caractère  élémentaire  quelques  prémis.ses,  pour  arriver 
ensuite,  au  moyen  de  déductions  suivies,  à  la  connais- 
sance des  lois  générales  de  la  circulation  et  de  la 
distribution  des  richesses,  c'est-à-dire  aux  théories  les 
plus  difficiles  et  les  plus  importantes  de  l'économie 
sociale. 

Ces   prémisses,   clairement  énoncées    par    quelques 


DANS    L  ÉCONOMIE    POLITIQUE  bO 

écrivains,  spécialement  par  des  écrivains  anglais  (Senior, 
Cairnes,  Bagehot),  ne  peuvent  pas  en  vérité  être  déter- 
minées a  priori,  parce  que  leur  nombre  varie  continuel- 
lement, soit  par  la  nature  des  phénomènes  qu'on  étu- 
die, soit  par  le  degré  plus  ou  moins  grand  d'exacti- 
tude auquel  on  veut  pousser  la  recherche.  Il  est 
évident  qu'il  faut  commencer  par  un  petit  nombre  de 
prémisses  afin  de  simplifier  le  raisonnement,  et  en 
prendre  successivement  d'autres  afin  de  s'approcher  le 
plus  possible  de  la  réalité,  courant  ainsi  le  danger  de 
rendre  l'argumentation  plus  compliquée  et  les  erreurs 
plus  faciles. 

Bien  qu'il  soit  impossible  de  faire  une  énumération 
complète  des  prémisses  de  l'économie  déductive,  nous 
pensons  qu'il  est  possible  et  nécessaire  d'énoncer  les 
prémisses  les  plus  générales  qui  sont  le  fondement 
implicite  ou  explicite  des  théories  les  plus  importantes 
de  la  science  pure  ;  nous  n'ignorons  pas  d'ailleurs 
quelle  difficulté  il  y  a  à  les  formuler  de  façon  à  éviter 
toutes  les  objections  : 

1"  Dans  Tordre  économique  le  moteur  principal  et 
ordinaire  des  actions  humaines  est  l'intérêt  personnel, 
qui  nous  pousse  à  rechercher  le  gain  le  plus  grand  avec 
la  moindre  somme  d'efforts,  de  sacrifices  et  de  risques 
possible  (loi  du  moindre  effort). 

2"  La  terre  nécessaire  à  l'homme  pour  vivre  et  pour 
travailler  est  limitée  non  seulement  dans  son  étendue, 
mais  aussi  dans  sa  fécondité  parce  que,  dans  des  cir- 
constances données,  il  arrive  tôt  ou  tard  un  moment  où 
les  nouvelles  applications  du  capital  et  du  travail  à  une 
quantité  donnée  de  terrain  donnent  un  produit  moins 
que  proportionnel  aux  moyens  de  culture  (loi  des  reve- 
nus décroissants). 

3°  La  tendance  physico-psychique  de  la  race  humaine 
à  se  multiplier  est  constamment  supérieure  à  la  possibi- 


86  DES    MÉTHODES 

lité  d'augmenter  les  moyens  de  subsistance  qui  lui  sont 
indispensables  (loi  de  la  population). 

Etant  données  ces  prémisses  et  l'hypothèse  de  la 
libre  concurrence,  c'est-à-dire  de  la  pleine  liberté  con- 
tractuelle (excluant  la  violence  et  la  fraude)  et  la  pleine 
connaissance  du  marché  (excluant  l'ignorance  et  l'er- 
reur), les  économistes  classiques  ont  déduit  la  théorie 
de  la  valeur  et  celles  de  la  circulation  et  de  la  distribu- 
tion des  richesses,  qui  en  sont  le  corollaire. 

Si,  pour  juger  de  la  solidité  de  ces  déductions  scien- 
tifiques, nous  examinons  le  degré  de  certitude  des  pré- 
misses sur  lesquelles  elles  s'appuient,  nous  trouvons 
qu'elles  se  résolvent  en  faits  évidents  par  eux-mêmes, 
ou  démontrés  empiriquement  par  d'autres  disciplines 
(psychologie,  agronomie,  physiologie)  et  qu'elles  sont 
par  conséquent  fondées  sur  l'observation.  L'écono- 
mie sociale  est  ainsi  une  doctrine  non  moins  positive 
que  beaucoup  de  sciences  physiques,  qui  ont  trouvé 
leurs  prémisses  grâce  à  des  inductions  beaucoup  plus 
laborieuses,  et  elle  est  non  moins  exacte  que  la  mathé- 
matique pure  déduite  d'axiomes  et  de  définitions  hypo- 
thétiques. 

Si,  au  contraire,  nous  comparons  les  résultats  du  rai- 
sonnement déductif  avec  les  faits  réels,  nous  trouvons 
que  ceux-ci  diffèrent  d'une  façon  plus  ou  moins  e.'sen- 
tielle  de  ceux-là,  parce  qu'il  est  bien  naturel  que  les 
phénomènes  sur  lesquels  influent  non  seulement  les 
causes  principales  et  constantes,  qui  constituent  les 
bases  de  la  déduction  scientifique,  mais  aussi  d'autres 
causes  accidentelles  et  variables,  ne  peuvent  pas  cadrer 
avec  les  résultats  prévus  i^ar  les  seules  causes  considé- 
rées. Il  arrive,  en  effet,  très  souvent  que  l'amour  (de  la 
famille,  du  prochain,  de  la  patrie),  la  vanité,  Tapathie, 
l'ignorance,  l'erreur,  empêchent  que  le  principe  de 
l'intérêt  personnel  ait  son  plein  effet  ;  il  arrive  aussi,  et 


DANS   L'ÉCONOMIE    POLITIQUE  87 

heureusement  assez  souvent,  que  les  inventions  et  les 
perfectionnements  agraires  retardent  l'action  de  la  loi 
des  revenus  décroissants  ;  il  arrive  en  outre  que  l'amour 
paternel,  la  prévoyance,  l'égoïsme  mettent  un  frein  à 
l'énergie  du  principe  de  la  population  ;  il  arrive  finale- 
ment que  non  seulement  la  violence  et  la  fraude,  mais 
aussi  la  loi  positive,  la  coutume,  l'habitude,  l'opinion 
mettent  des  bornes  aux  pleins  effets  de  la  libre  concur- 
rence. Il  suffira  de  rappeler  les  lois  scientifiques  de  la 
valeur,  du  salaire,  de  la  rente,  du  profit,  pour  avoir  des 
exemples  importants  des  discordances  entre  les  faits 
prévus  et  les  faits  réels.  Il  est  bien  vrai  que  ces 
divergences,  très  fortes  pour  les  cas  individuels,  s'atté- 
nuent beaucoup  et  souvent  même  disparaissent  si  on 
substitue  l'observation  collective  et  systématique  à  l'ob- 
servation particulière,  et  cela  parce  que  les  effets  des 
causes  accidentelles,  étant  donné  un  nombre  considérable 
de  cas  observés,  s'éliminent  par  compensation,  mais  cela 
ne  supprime  pas  la  possibilité  et  même  la  nécessité  de 
faire  quelques  compléments  ou  quelques  correctifs  aux 
déductions  originaires. 

C'est  pour  ces  raisons  que  l'économie  sociale  est 
souvent  appelée  une  science  hypothétique,  parce  que 
les  lois  qu'elle  découvre  ne  sont  pas  toutes  immua- 
bles dans  le  temps,  ni  universelles  dans  l'espace,  mais 
qu'elles  expriment  seulement  la  tendance  de  certaines 
causes  à  produire  des  effets  donnés  qui,  dans  la 
réalité,  sont  modifiés  par  l'intervention  d'autres  causes 
perturbatrices.  Aussi  faut-il  formuler  avec  la  plus 
grande  prudence  les  lois  économiques,  et  faire  con 
naitre  exactement  leur  caractère.  On  devra  dire,  par 
exemple,  que  l'augmentation  de  la  demande  tend  à 
produire  une  augmentation  du  prix  et  que  l'auûmen- 
tation  de  l'offre  tend  à  produire  une  diminution  de 
ce  môme  prix,  et  non  que   le  prix  s'élève  avec  l'aug- 


88  DES    MÉTHODES 

mentation  de  la  demande  et  baisse  avecraugmentation 
de  l'offre,  ce  qui  est  faux,  ces  deux  effets  pouvant  être 
modifiés  par  le  concours  de  causes  qui  agissent  en  sens 
inverse . 

Mais  il  faut  aussi  faire  remarquer  que  le  caractère 
hypothétique  des  lois  économiques,  comme  de  beau- 
coup de  lois  physiques,  n'enlève  rien  à  leur  valeur 
scientifique,  parce  que  les  tendances  exprimées  parles 
lois  elles-mêmes  sont  universelles  et  constantes  et  se 
révèlent  même  dans  ces  faits  réels  qui  nous  donnent 
des  résultats  différents  des  résultats  prévus.  Il  est 
évident  que  le  phénomène  complexe,  bien  que  modifié 
par  des  causes  perturbatrices,  se  ressent  en  même  temps 
de  faction  des  causes  prises  en  considération  par  le 
raisonnement  déductif.  C'est  une  erreur  énorme  de 
logique  d'apporter  un  fait  réel,  sujet  à  l'action  de  diffé- 
rentes causes,  comme  une  preuve  concluante  de  la  faus- 
seté d'une  loi  exprimant*  les  tendances  de  quelques- 
unes  d'entre  elles  idéalement  isolées.  De  même  que  le 
mouvement  d'une  locomotive  sur  les  rails  ne  prouve 
pas  que  le  frottement  n'existe  pas,  de  même  que  le  vol 
d'une  plume  dans  l'air  n'est  pas  une  démonstration  de 
l'inexistence  de  la  loi  de  la  pesanteur,  de  même  l'aug- 
mentation de  la  production  agraire  dans  un  pays  donné 
ou  la  diminution  de  la  population  dans  un  autre  ne 
peuvent  servir  à  prouver  la  fausseté  de  la  loi  des 
revenus  décroissants,  qui  suppose  l'état  stationnaire  de 
l'agronomie,  ou  celle  du  principe  de  Malthus  qui  indique 
une  tendance  qui  peut  être  neutralisée  par  de  multiples 
obstacles  préventifs  ou  répressifs  que  cet  auteur  a, 
d'ailleurs,  minutieusement  analysés. 

Pour  corriger  les  défauts  des  déductions  les  plus 
générales  de  l'économie,  fondées  sur  un  nombre  trop 
restreint  de  prémisses,  on  peut  suivre  deux  voies  diffé- 
rentes, apporter  des  perfectionnements  ultérieurs  au 


DANS  l'économie    POLITIQUE  89 

processus  déductif,  ou   recourir  au  procédé    inductif. 

On  perfectionne  les  déductions  primitives  appliquées 
aux  cas  artificiellement  simplifiés,  en  ajoutant  de  nou- 
velles prémisses  et  en  étudiant  de  cette  façon  des  cas  plus 
complexes,  et  parlant  plus  voisins  de  la  réalité.  Ainsi, 
par  exemple,  Thûnen,  qui  s'était  proposé  de  rechercher 
l'influence  du  marché  sur  la  distribution  des  systèmes 
de  culture,  et  plus  tard  Nicholson,  qui  a  étudié  dans 
deux  belles  monographies  l'influence  de  la  quantité  de 
la  monnaie  sur  les  prix  et  celle  des  machines  sur  les 
salaires,  ont  choisi  pour  point  de  départ  des  cas  très 
simples  pour  s'approcher  de  la  réalité  en  prenant  suc- 
cessivement un  nombre  toujours  plus  grand  de  pré- 
misses, et  arriver  ainsi  à  des  conclusions  scientifique- 
ment exactes,  bien  qu'elles  ne  concordent  pas  complè- 
tement avec  la  multiplicité  indéfinie  des  phénomè- 
nes concrets.  C'est  par  une  méthode  identique  que 
Mi  11  commence  sa  théorie  classique  des  valeurs  inter- 
nationales, en  supposant  l'existence  de  deux  Etats 
voisins  qui  échangent  entre  eux  directement  (sans 
emploi  de  la  monnaie)  et  librement  (sans  taxes  même 
fiscales)  le  seul  genre  de  produit  qu'ils  obtiennent  res- 
pectivement, et  continue  ses  recherches  en  supprimant, 
l'une  après  l'autre,  ces  limitations,  pour  arriver  enfin  à 
une  hypothèse  plus  complexe,  qui  se  rapproche  presque 
complètement  du  système  des  échanges  internationaux 
effectivement  pratiqué. 

On  peut,  d'une  autre  manière  encore,  apporter  des 
corrections  aux  imperfections  des  déductions  originaires 
sans  renoncer  à  la  précision  inhérente  à  cette  méthode. 
On  peut  étudier  alternativement  les  modifications  qu'une 
même  cause  subit  lorsqu'elle  agit  dans  des  conditions 
différentes,  qu'on  étudie,  elles  aussi,  à  part,  l'une  après 
l'autre,  et,  s'il  le  faut,  en  les  combinant  diversement 
entre  elles.  Si,  en  procédant  ainsi,  on  tient  compte  de 


90  DES    MÉTHODES 

toutes  les  conditions  pratiquement  importantes,  on  arri- 
vera à  une  solution  générale  du  problème  qui  pourra, 
avec  de  légères  modifications  suggérées  par  l'expérience, 
suffire  à  la  juste  interprétation  des  phénomènes  réels. 
Keynes  illustre  cette  méthode  par  un  excellent  exemple. 
Il  étudie  les  effets  probables  et  lointains  d'une  grève  ou- 
vrière terminée  par  une  augmentation  de  salaires,  en 
étudiant  ce  phénomène  dans  les  trois  cas  qui  peuvent 
se  présenter  :  l'augmentation  des  salaires  détermine,  ou 
une  augmentation  des  produits  sans  porter  préjudice 
à  personne,  ou  une  élévation  de  prix  au  détriment  des 
consommateurs,  ou  une  diminution  de  profit  aux  dépens 
des  entrepreneurs  ;  il  faut  ajouter,  dans  ces  deux  der- 
niers cas,  l'une  et  l'autre  de  ces  deux  hypothèses  alter- 
natives :  les  profits  et  les  salaires  sont  ou  ne  sont  pas 
au-dessous  du  taux  normal,  et  évaluer  enfin,  dans  ces 
diverses  hypothèses,  les  effets  de  la  concurrence  que 
se  feront  entre  eux  les  entrepreneurs  et  les  ouvriers 
occupés  dans  la  même  industrie  ou  même  dans  des  pro- 
fessions différentes. 

Il  faut,  au  contraire,  et  très  souvent,  avoir  recours 
à  la  méthode  inductive  non  pas.  comme  on  se  l'imagine 
quelquefois,  pour  obtenir  une  preuve  directe  de  la  vé- 
rité des  lois  découvertes  déductivement,  mais  plutôt 
pour  vérifier  l'existence  des  causes  perturbatrices,  pour 
en  mesurer  l'intensité,  ou  pour  découvrir  au  moins  les 
lois  empiriques  de  leurs  variations. 

Ce  n'est  que  dans  un  nombre  restreint  de  cas,  ou, 
pour  mieux  dire,  dans  certaines  parties  de  la  théorie  de 
la  production,  de  la  consommation  et  de  la  population, 
comme  l'a  remarqué  d'abord  Mangoldt  (dans  son  dernier 
travail  dans  le  Dictionnaire  de  Bluntschli  et  Brater) 
et  plus  tard  Sidgwick  et  Keynes,  que  la  méthode  induc- 
tive peut  servir  à  la  détermination  des  prémisses  et  à 
la  vérification  des  résultats  et  aussi,  mais  non  pas  d'une 


DANS   l'ÉCONOxMIE    POLITIQUE  91 

façon  exclusive,  à  rexplication  directe  de  certains 
phénomènes,  comme,  par  exemple,  les  causes  qui  in- 
fluent sur  l'énergie  du  travail,  la  valeur  économique 
des  difl'érentes  formes  d'entreprises,  grandes  et  petites, 
individuelles  et  collectives,  etc.,  que  l'on  peut  expliquer 
par  de  simples  arguments  empiriques. 

Si  l'on  fait  abstraction  de  ces  problèmes,  Mill  et 
Cairnes  ont  eu  complètement  raison.  Ils  ont  démontré 
d'une  façon  victorieuse  que  la  complexité  des  phéno- 
mènes sociaux,  dans  lesquels  les  effets  peuvent  dériver 
de  causes  complètement  opposées,  et  où  en  même  temps 
les  causes  peuvent  produire  des  effets  extrêmement  va- 
riables par  suite  du  changement  des  conditions  dans 
lesquelles  elles  opèrent,  empêche  d'arriver  directement 
par  l'observation  et  par  l'expérience  spécifique  à  la  dé- 
termination des  causes  réelles  des  faits  observés.  Et  cela 
est  d'autant  plus  vrai  qu'il  s'agit  de  forces  qui  sont 
entre  elles  en  relations  mutuelles  et  qui,  d'ailleurs,  ne 
produisent  leurs  conséquences  qu'à  de  grands  inter- 
valles de  temps.  Supposons  qu'une  myriade  d'érudits, 
triomphant  de  toutes  les  difficultés,  arrive  à  nous  donner 
la  connaissance  complète  de  tous  les  salaires  payés  dans 
tous  les  temps,  dans  tous  les  lieux  et  pour  chaque  caté- 
gorie d'ouvriers;  il  serait  tout  à  fait  impossible  de  cons- 
truire par  ce  moyen  une  théorie  générale  du  salaire 
qui  se  substituerait  à  toutes  les  autres  théories  si  im- 
parfaites et  si  peu  concordantes  qu'elles  soient,  qui 
sont  le  résultat  des  recherches  déductives  des  écono- 
mistes. 

L'impossibilité  de  découvrir  par  la  méthode  purement 
inductive  les  lois  scientiQques  de  la  circulation  et  de  la 
distribution  des  richesses,  se  comprend  mieux  lorsqu'on 
se  rend  un  compte  exact  de  l'imperfection  des  méthodes 
d'observation  dont  l'économie  est  forcée  de  se  servir. 
L'observation    collective    et   systématique  de  grandes 


92  DES    MÉTHODES 

masses  de  phénomènes  homogènes  et  l'induction  quan- 
titative ou  statistique  qui  la  prend  comme  base,  sont 
certainement  des  instruments  précieux  ;  elles  nous 
donnent  la  connaissance  d'intéressantes  régularités 
empiriques  qui  confirment  parfois  les  résultats  des  dé- 
ductions antérieures  et  quelquefois  permettent  des  dé- 
ductions ultérieures  ;  elles  sont  cependant  tout  à  fait 
impuissantes  à  nous  révéler  les  causes  premières  des 
phénomènes  observés. 

L'observation  des  phénomènes  réels  est  non  moins 
imparfaite,  parce  que  cette  observation  est  purement 
naturelle,  qu'elle  ne  peut  se  servir  ni  des  instru- 
ments de  précision,  ni  de  l'expérimentation,  c'est-à-dire, 
de  la  reproduction  des  phénomènes  dans  des  conditions 
continuellement  variées,  qui  permettent  au  chimiste, 
au  physicien,  au  physiologue  de  mesurer  avec  précision 
l'importance  spécifique  de  chacune  des  forces  concou- 
rantes. 

L'économiste  doit,  en  effet,  observer  uniquement  avec 
ses  sens  externes  et  internes,  sujets  à  de  multiples  causes 
d'erreurs,  des  phénomènes  qui  résultent  d'éléments 
psychiques  qui  ne  sont  pas  toujours  susceptibles  de 
détermination  rigoureuse,  et  il  doit  les  observer  à  me- 
sure qu'ils  se  présentent.  On  ne  peut  pas  voir  de  véri- 
tables expériences  dans  ces  essais  de  législation  sug- 
gestive, c'est-à-dire  provisoire  et  ne  s'élendant  qu'à 
certaines  parties  du  territoire  de  l'État,  parce  que  la 
nature  de  l'objet  en  limite  nécessairement  l'application, 
et  aussi  parce  que  ces  soi-disant  expériences  législatives 
ne  peuvent  pas  se  faire  dans  des  conditions  créées  vo- 
lontairement, mais  dans  des  conditions  naturellement 
déterminées.  On  ne  peut  pas  certainement  non  plus 
appliquer  à  l'économie  sociale  la  méthode  de  diffé- 
rence, pas  même  la  méthode  de  concordance  et  des 
variations   concomitantes,    si  bien  analysées   dans    la 


DANS    L'ÉCONOMIE    POLITIQUE  93 

Logique  de  Mill.  S'il  s'agit,  par  exemple,  de  la  méthode 
de  différence,  la  plus  importante  ici,  il  faut  remarcfuer 
qu'il  est  impossible  d'imaginer  deux  territoires  qui 
soient  dans  les  mêmes  conditions  physiques,  géogra- 
phiques, ethnographiques,  économiques  et  politiques,  à 
l'exception  d'une  seule  condition,  celle  dont  on  veut 
mesurer  l'influence.  Les  argumentations  que  certains 
auteurs  apportent,  soit  pour,  soit  contre  le  système  pro- 
tecteur, en  comparant  les  conditions  des  deux  colonies 
anglaises  de  Victoria  et  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud, 
011  sont  en  contradiction  l'une  avec  l'autre,  ou  ne  peu- 
vent conduire  à  des  résultats  satisfaisants,  à  moins 
de  recourir  à  des  arguments  d'une  autre  nature,  ob- 
tenus par  la  méthode  déductive.  Des  exemples  très 
nombreux  des  sophismes  qui  dérivent  de  l'abus  de  la 
méthode  de  différence    nous  sont  fournis   et    par  les 

.  libre-échangistes  qui  invoquent  la  prospérité  de  l'Angle- 
terre, et  par  les  protectionnistes  qui  invoquent  celle  des 
États-Unis,  comme  des  preuves  irréfragables  de  la  bonté 
du  système  que  chacun  d'eux  défend. 

Les  résultats  de  notre  recherche,  nécessairement 
aride  et  abstruse,  peuvent  être  résumés  dans  les  propo- 
sitions suivantes  : 

1"  L'économie  sociale  est  une  science  d'observation 
qui  se  sert  de  la  méthode  déductive  et  delà  méthode  in- 
ductive  dans  chacune  de  ses  parties  ;  l'ordre  d'emploi 
de  ces  méthodes  peut  d'ailleurs  être  différent  et  leurs 
fonctions  d'importance  variée  ; 

2"  Les  économistes  emploient  plus  particulièrement, 
mais  non  pas  exclusivement,  la  méthode  inductive  j^our 
exposer  la  théorie,  en  grande  partie  descriptive,  de  la 
production,  de  la  consommation  et  certaines  parties  de 
celle  de  la  population,  en  ayant  recours,   cependant,  à 

•la  déduction,  soit  comme  moyen  de  vérification,  soit 
comme  instrument  pour  mieux  préciser  les  conclusions 


94  DES    MÉTHODES 

inductives  et  pour  en  tirer  des  conséquences  ulté- 
rieures ; 

3"  Les  écononistes  se  servent  plus  particulièrement, 
mais  non  pas  exclusivement,  de  la  méthode  déductive 
pour  formuler  les  théories  de  la  circulation  et  de  la  dis- 
tribution. Partant  d'un  petit  nombre  de  prémisses  psy- 
chiques, physiques  et  physiologiques,  fondées  sur  l'ob- 
servation interne  et  externe,  ils  arrivent  à  découvrir 
les  lois  scientifiques  des  f)hénomènes.  Ces  lois  ne  pré- 
voient pas  des  faits  qui  doivent  nécessairement  arriver, 
mais  ils  expriment  seulement  la  tendance  universelle 
et  constante  de  certaines  causes  à  produire  des  effets 
donnés,  dans  des  conditions  déterminées  et  dans  l'hy- 
pothèse de  l'absence  d'éléments  perturbateurs  ; 

•'i°  Pour  diminuer  la  divergence  entre  les  résultats  de 
leurs  déductions  premières  et  les  phénomènes  réels, 
qui  se  réalisent  dans  des  conditions  très  variées  et  sont 
sujets  à  des  influences  perturbatrices  multiples,  les 
économistes  ont  recours  à  deux  expédients  : 

a)  Ils  font  successivement  de  nouvelles  hypothèses 
que  leur  suggère  l'observation  ;  ils  les  associent  aux 
prémisses  primitives,  et  étudient  ainsi,  avec  des  difïi- 
cultés  croissantes,  des  cas  plus  complexes  mais  plus 
voisins  de  la  réalité  ; 

b)  Ils  se  servent  de  l'induction  qualitative  et  de  l'in- 
duction quantitative  pour  découvrir  les  causes  secon- 
daires, en  mesurer  l'intensité,  ou  pour  trouver  au  moins 
les  lois  empiriques  qui  conduisent  parfois  à  la  décou- 
verte déductive  de  véritables  lois  scientifiques. 

5°  La  politique  économique  se  sert  plus  particulière- 
ment, mais  non  pas  exclusivement,  de  la  méthode  in- 
ductive,  et  spécialement  de  l'induction  historique  et  de 
la  statistique  pour  fournir  au  légistateur  les  normes  gé- 
nérales du  bon  gouvernement  économique  et  financier, 
tandis  que,  de  son  côté,  l'administrateur  se  sert  de  l'ex- 


DANS    l'économie    POLITIQUE  95 

périence  spécifique  et  de  l'induction  individuelle  pour 
appliquer  ces  normes  aux  cas  concrets. 

Fr.  Jul.'Seuma.nn,  Nafurgeseiz  und  Wirihschaftsgesetz 
(in  Zeitschrift  fur  die  gesammte  Staatswissenschaf  t , 
fasc.  3,1892). 

§  3.    LA    MÉTHODE    HISTORIQUE 

L'importance  méthodologique  de  l'histoire,  notam- 
ment pour  la  politique  économique,  est  reconnue  par 
tous  les  écrivains,  mais  elle  a  été  considérablement 
exagérée,  depuis  un  demi-siècle,  par  une  école  célèbre. 
Contrairement  à  l'école  dominante  (philosophique  ou 
classique)  elle  soutient  énergiquement  que  l'économie 
politique  ne  peut  découvrir  de  vérités  absolues,  cons- 
tantes, universelles,  mais  seulement  des  principes  rela- 
tifs, variables,  particuliers,  et  partant  liés  aux  diffé- 
rentes conditions  de  temps,  de  lieu  et  de  civilisation. 

L'illustre  Guillaume  Roscher  a  été  le  précurseur  de 
cette  nouvelle  école  dont  il  a  formulé  le  programme  à 
plusieurs  reprises.  C'est  ce  programme  qu'adopta  Bruno 
Hildebrand  (1848),  mais  il  ne  l'a  développé  qu'en  partie 
et  avec  beaucoup  d'emphase.  Karl  Knies  l'a  développé 
dans  tous  ses  détails,  avec  plus  de  précision  et  en  s'ap- 
puyant  sur  de  fortes  études  juridiques,  dans  une  très 
bonne  monographie  (1853).  Ces  chefs  d'école  ont  eu  des 
disciples  même  hors  de  l'Allemagne  ;  il  nous  suffira  de 
citer  parmi  beaucoup  d'autres,  AVolowski  en  France, 
Clifîe  Leslie  et  Posnett  en  Angleterre,  Kautz  en  Hon- 
grie, Hamaker  et  Levy  dans  les  Pays-Bas,  Cognetti  et 
Schiattarella  en  Italie. 

Karl  Knies,  Die  politische  Oekonomie  vom  Standpimkfe 
der  geschichtlichen  Méthode.  Braunschweig,  1853. 
(2eédit.  Berlin,  1881-83). 


9G  DES    MÉTHODES 

S.  CogneLli  de'Marliis,  Belle  atlinenze  tra  Veconomia 

sociale  e  la  sioria.  Firenze,  18G5. 
H.  J.  Hamaker,  De  hisionsche  School  in  de  Siaaihuis- 

houdkunde.  Leiden,  1870. 
R.  Schialtarella,  Del  nieiodo  in  economia  sociale.  Na- 

poli,  1873. 
H.  M.  Posnelt,  The  historical  niethod  in  ethics,  juris- 
prudence and  political  economy.  London,  1882. 
Th.  E.  ClifleLeslie,  EssaysinpoUtical economy.  2"=  édit. 
London,  1888. 


Les  doctrines  de  lécole  historique,  que  nous  allons 
résumer,  ont  été  jugées,  il  y  a  longtemps  déjà,  briève- 
ment mais  excellemment  par  Me.s.sedaglia,  et  plus  ré- 
cemment, dans  l'œuvre  classique  de  Menger,  qui  les  a 
discutées  longuement  et  qui  en  a  fait  une  critique  fine 
et  pénétrante. 

De  même  que  pour  le  droit  l'école  historique  de  Hugo. 
Niebuhr ,  Savigny ,  dont  cependant  les  disciples  de 
Roscher  se  séparent  sur  des  points  essentiels,  ne  recon- 
naît pas  de  principes  rationnels  ayant  une  valeur  abso- 
lue et  universelle  (philosophique),  et  ne  reconnaît  que 
le  droit  positif,  produit  organique  de  la  conscience 
nationale,  de  même  pour  l'économie  l'école  de  Roscher 
nie  TeKistence  de  vérités  absolues  et  de  types  idéaux 
pour  le  bon  gouvernement  des  États.  Elle  reconnaît 
seulement  une  économie  nationale  qu'elle  oppose  (d'ac- 
cord en  cela  avec  List)  à  l'économie  cosmopolite,  et  qui 
est  propre  à  chaque  peuple  et  à  chaque  époque.  Les 
prétendus  principes  généraux  sont  le  résultat  de  l'abs- 
traction erronée  ou  incomplète  de  l'état  de  fait  du  pays 
auquel  appartient  l'auteur.  L'économiste  doit  se  borner 
à  la  description  des  caractères  des  différentes  époques 
de  la  civilisation  économique,  et  indiquer  les  maxi- 
mes de  gouvernement  qui  conviennent  à  chacune 
d'elles. 


DANS  l'Économie  politique  97 

Mais  il  faut,  à  notre  avis,  se  rappeler  tout  au  con- 
traire : 

1"  Qu'il  ne  faut  pas  confondre  les  vérités  de  la  science 
avec  les  règles  de  l'art;  les  premières  sont,  en  partie  au 
moins,  absolues  et  universelles  ;  les  autres  sont  tou- 
jours relatives  et  changeantes,  parce  que,  pour  les 
appliquer  aux  cas  concrets,  il  faut  précisément  prendre 
en  considération  non  seulement  les  différentes  condi- 
tions de  temps,  sur  lesquelles  insistent  avec  raison  les 
disciples  de  l'école  historique,  mais  aussi  les  conditions 
géographiques  et  ethnographiques,  dont  ont  toujours 
tenu  compte  d'ailleurs  les  meilleurs  écrivains  de  poli- 
tique générale,  anciens  ou  modernes,  lorsqu'ils  ont 
parlé  de  la  bonté  relative  des  lois.  11  suffît  de  rappeler 
Aristote,  Bodin,  Montesquieu,  Filangieri.  Tous  les  dé- 
fenseurs du  libre  échange  ne  se  refusent  pas,  par 
exemple,  à  admettre  les  tem.péraments  nécessaires  à  la 
sage  application  de  ce  système  aux  pays  depuis  long- 
temps soumis  au  régime  de  la  protection  douanière. 

2"  Que  si  les  conditions  de  civilisation  sont  de  leur 
nature  variables,  il  ne  faut  pas  oublier  cependant  que 
les  lois  du  monde  physique,  les  qualités  psychiques  des 
individus  et  certaines  tendances  des  corps  sociaux  ont 
été,  sont  et  seront  toujours  les  mêmes,  et  que  partant 
les  faits  économiques,  qui  en  résultent,  ne  pourront 
jamais  changer  dans  leur  essence.  Qui  soutiendra,  par 
exemple,  que  le  principe  de  l'intérêt,  l'influence  de  la 
rareté  sur  la  valeur  et  celle  du  prix  des  denrées  sur  la 
rente  ont  une  importance  purement  provisoire  ou  lo- 
cale ? 

3°  Que  réduire  l'économie  politique  à  un  but  simple- 
ment pratique  et  descriptif  cela  équivaut  à  détruire  la 
science  et  à  stériliser  l'art,  en  les  déclarant  incapables 
de  fournir  des  critères  généraux  pour  juger  et  diriger  le 
progrès.   On  invoque  souvent  à  l'appui  des  nouvelles 

7 


98  DES    MÉTHODES 

doctrines  les  sciences  naturelles  ;  mais  l'analogie  est 
sans  valeur,  car  la  nature  organique,  tout  comme  la 
nature  inorganique,  a  ses  lois  générales.  Roscher  faisait 
remarquer  que  la  nourriture  de  l'enfant  ne  convient  pas 
à  l'homme  adulte  ;  Messedaglia  répondait  que  la  fonc- 
tion alimentaire  est  chez  tous  les  deux  la  même  et  que 
c'est  à  la  physiologie  à  en  déterminer  les  lois. 

4"  Que  la  substitution  de  la  méthode  historique  à  la 
méthode  inductive.  si  elle  se  faisait  jamais,  marquerait 
un  regrès,  parce  qu'elle  conduirait  à  méconnaître  l'im- 
portance de  l'observation  individuelle  et  celle  de  l'in- 
duction quantitative,  et  qu'elle  impliquerait,  de  plus, 
une  contradiction  étrange  avec  le  principe'de  la  relati- 
vité des  institutions  économiques,  puisqu'elle  propose  de 
tirer  des  faits  imparfaitement  connus  du  passé  des  cri- 
tères pour  réformer  la  législation  économique  du  pré- 
sent. 

5"  Que  déclarer,  comme  le  font  les  partisans  d'un 
courant  historique  plus  exclusif  encore  (Schmoller,  In- 
gram, etc)  que  tout  essai  de  construction  d'une  science 
économique  est  prématuré  et  qu'il  faut  attendre  le  mo- 
ment où  on  possédera  des  matériaux  historico-descriptifs 
complets  sur  les  conditions  de  tous  les  temps  et  de  tous 
les  lieux,  révèle  une  illusion  étrange  sur  la  valeur  théo- 
rique de  ces  matériaux  et  la  possibilité  de  les  recueillir, 
et  une  ignorance  non  moins  singulière  du  caractère 
complexe  des  phénomènes  économiques.  En  tout  cas  il 
s'agirait  non  pas  d'un  changement  de  méthode,  mais 
d'un  changement  radical  du  rôle  et  des  buts  de  l'écono- 
mie politique,  qui  deviendrait  une  discipline  historique 
ou  historico-philosophique. 

Malgré  les  très  graves  erreurs  dans  lesquelles  est 
tombée  la  nouvelle  école,  elle  mérite,  à  d'autres  points 
de  vue,  de  grands  éloges  et  elle  a  rendu  d'importants 
services  à  la  science.  Elle  a  été  le  point  de  départ  d'une 


DANS  l'Économie  politique  99 

réaction  salutaire,  quoique  excessive,  contre  les  idéa- 
listes purs,  ou,  comme  on  les  appelle  d'ordinaire,  contre 
les  doctrinaires.  Sous  l'influence  d'une  erreur  non  moins 
grave,  ceux-ci  voulaient  traduire,  sans  plus,  en  lois 
positives  les  principes  de  l'art  économique  qui  n'ont 
rien  d'absolu  ni  de  général.  Elle  a  réagi  utilement  aussi 
contre  les  optimistes  (l'école  de  Bastiat)  et  les  indivi- 
dualistes qui,  bercés  dans  la  foi  commode  des  harmo- 
nies économiques,  ne  se  préoccupent  pas  des  maux 
sociaux  et  repoussent,  comme  contraire  au  dogme  du 
laisser  faire,  toute  ingérence,  même  tempérée  et  oppor- 
tune, de  l'État  pour  les  diminuer. 

L'école  historique,  et  en  particulier  son  illustre  chef 
Roscher,  a  de  plus  enrichi  la  science  de  très  utiles  con- 
naissances historiques  et  géographiques  et  d'une  ana- 
lyse  comparative,  fort  ingénieuse  sans  être  toujours 
irréprochable,  des  caractéristiques  des  différentes  pé- 
riodes de  la  civilisation  économique  ;   elle  n'a  pu  d'ail- 
leurs arriver  à  la  philosophie  de  l'histoire  économique, 
c'est-à-dire  à  la  détermination  rigoureuse  des  lois  de 
développement,  qu'elle  considère  à  tort  comme  l'unique 
objet  de  la  recherche  scientifique  et  que  beaucoup  de 
ses   disciples  confondent  avec  les  lois  de  raison.   Nous 
devons,  aussi,  et  c'est  son  plus  grand  mérite,  aux  dif- 
férentes fractions  de  cette  école  un  nombre  considé- 
rable de  savantes  et  utiles  monographies,  soit  sur  l'his- 
toire de  la  science,  illustrée  admirablement  dans  les 
œuvres  d'une  forme  achevée  de  Roscher,  soit  sur  l'his- 
toire des  institutions  et  des  conditions  de  fait,  comme 
les  travaux,  également  très  remarquables,   de  Schmol- 
1er,  dans  le  but  très  louable  de  nous  instruire  sur  le 
passé,  en  rendant  ainsi  plus  profonde  la  connaissance 
du  présent  et  moins  difficile  la  préparation  d'un  avenir 
meilleur.    Et,  qu'il  nous  soit  permis  de  le  dire,  il  y  a 
eu  aussi  en  Italie  des  élèves  de  Roscher  qui,  adversaires 


JÛO  DES    MÉTHODES 

déclarés  des  théories  méthodoloi^iques  du  maître,  ont 
essayé  de  propa^^er,  dans  les  limites  de  leurs  modestes 
forces  intellectuelles,  Tamour  des  recherches  histori- 
ques. 

En  terminant  ces  notes  critiques  nous  remarquerons 
que  l'école  historique  a  été  indirectement  utile  à  la 
science  en  provoquant  des  études  sur  l'histoire  écono- 
mique, mais  qu'elle  n'a  fait  aucune  innovation  utile 
dans  les  principes  fondamentaux  de  l'économie  sociale^ 
et  que  même  quelques-uns  de  ses  partisans  les  plus 
exagérés  ont  fait  œuvre  dangereuse  en  écartant  les 
jeunes  de  l'étude,  selon  eux  infructueuse,  de  la  science 
pure.  Il  y  a  donc  une  grande  illusion  dans  le  jugement 
que  l'école  historique  porte  d'ordinaire  sur  elle-même. 
Il  suffît,  en  effet,  de  comparer  les  quatre  volumes  du 
Système  de  Roscher,  qui  accepte  d'ailleurs  les  princi- 
pales doctrines  de  Smith,  de  Malthus  et  de  Ricardo, 
avec  les  livres  des  meilleurs  partisans  allemands  de 
l'école  classique  (par  exemple  Thilnen,  Hermann.  Man- 
goldt)  pour  .se  convaincre  que,  jusqu'ici  au  moins,  les 
économistes  historiens  n'ont  apporté  aucune  modifica- 
tion essentielle  aux  principes  théoriques  professés  anté- 
rieurement. Et  de  même,  en  Angleterre,  lorsque  Cliffe 
Leslie,  qui  avait  déployé  avec  enthousiasme  le  même 
drapeau,  étudie  dans  le  volume  cité  ci-dessus  les  échan- 
ges internationaux  ou  les  relations  entre  le  taux  des 
profits  et  celui  des  intérêts,  il  se  sert,  dans  l'impossi- 
bilité d'agir  autrement,  de  la  méthode  déductive.  Ivnies 
lui-même,  l'auteur  d'un  code  de  la  nouvelle  méthode 
historique,  a  publié  plus  tard  des  monographies  excel- 
lentes sur  la  théorie  de  la  valeur,  de  la  monnaie  et  du 
crédit  dans  lesquelles  il  se  sert  de  la  méthode  déductive  ; 
il  est  d'ailleurs  si  subtil  et  son  style  est  si  confus,  au 
dire  même  de  ses  compatriotes,  que  tout  le  monde  ne 
peut  pas  se  servir  de  ses  ouvrages,  à  beaucoup  d'égards 


DANS    l'économie    POLITIQUE  101 

d'ailleurs  parmi  les  meilleurs  que  nous  possédions  sur 
ces  sujets. 

S  4.  LA    MÉTHODE    MATHÉMATIQUE 

Il  est  une  question  de  méthode  qui  se  lie  étroitement 
aux  questions  précédentes ,  c'est  celle  qui  concerne 
l'application  de  l'analyse  mathématique  et  des  figures 
géométriques  aux  raisonnements  économiques.  Elle  a 
donné  lieu  à  de  nombreuses  équivoques ,  facilement 
explicables  d'ailleurs,  .si  l'on  songé  à  l'influence  des  pré- 
jugés, à  la  façon  inexacte  dont  le  problème  a  été  formulé, 
sans  parler  du  peu  de  compétence  des  mathématiciens 
en  économie  et  des  économistes  en  mathématiques. 

Après  quelques  renseignements  de  fait  nous  nous 
limiterons  à  quelques  observations  générales,  dégagées, 
nous  l'espérons,  de  toute  exagération.  Nous  étudierons 
la  possibilité  et  les  limites  d'application  de  la  méthode 
mathématique,  les  buts  qu'elle  peut  remplir,  les  avan- 
tages qui  en  dérivent,  et  l'opportunité  didactique  de 
son  emploi. 

Déjà  au  siècle  dernier  on  avait  essayé,  en  Italie  plus 
qu'ailleurs  et  plus  tôt,  d'appliquer,  par  des  procédés 
simples  et  imparfaits,  les  symboles  algébriques  et  les 
figures  géométriques  aux  questions  de  monnaie  (Ceva), 
d'intérêt  (D.  Bernouilli),  de  prix  (Verri,  Ferroni,  Lloyd)  et 
des  marchandises  de  contrebande  (Beccaria,  Gilio).  On 
lit  plus  tard  des  applications  plus  larges,  les  unes  très 
malheureuses  (Canard)  et  les  autres  incertaines  et  con- 
tradictoires (Whewell)  à  des  problèmes  plus  généraux. 
Cournot  (1838)  et  Dupuit  (1844  et  suiv.)  ont  traité  à  l'aide 
du  calcul  la  théorie  de  la  valeur,  spécialement  dans  les 
cas  de  monopole.  Plus  tard  encore  Gos.sen  (1854),  puis 
levons  (1862  et  suiv.)  et  Walras  (1873),  tous  trois  d'une 
façon  indépendante,  sont  arrivés  à  des  conclusions  im- 


lOC  DES    MÉTHODES 

portantes  et  identiques  au  fond  sur  la  théorie  de  l'utilité 
et  de  l'échange,  et  ils  ont  fait  quelques  applications  à 
la  doctrine  de  la  distribution.  Les  fruits  de  leurs  études 
ont  été  ensuite  réunis,  commentés  et  répandus  par 
Launhard,  et  mieux  par  Auspitz  et  Lieben  en  Allema- 
gne, par  D'Aulnis  de  Borouill,  par  Cohen  Stuart  et  par 
Mees  (junior)  en  Hollande,  par  Wicksteed  en  Angle- 
terre, par  Antonelli,  Rossi,  Pareto  et  Pantaleoni  en 
Italie.  Les  uns  se  sont  contentés  d'appliquer  les  élé- 
ments de  la  géométrie  synthétique  et  analytique,  ou 
ceux  de  l'algèbre,  tandis  que  d'autres  (Cournot,  Jevons, 
Walras,  etc.)  font  intervenir  la  théorie  des  fonctions  et 
d'autres  théories  du  calcul  différentiel  et  du  calcul  inté- 
gral. 

Il  n'est  pas  douteux  que  la  méthode  mathématique 
est  applicable  à  l'économie  déductive,  puisqu'il  s'agit 
là  de  questions  (comme  l'a  dit  excellement  Messedaglia) 
de  plus  et  de  moins,  de  maxima  et  de  minima,  de  pro- 
portions et  de  limites  en  quantité  et  en  mesure,  et  qu'il 
faut,  par  conséquent,  repousser  l'opinion  de  Mill,  de 
Cairnes,  de  Ingram  et  de  beaucoup  d'autres,  qui  se  refu- 
sent à  reconnaître  le  caractère  mathématique  de  l'éco- 
nomie en  se  fondant  sur  l'impossibilité  d'assujettir  ses 
prémisses  à  une  détermination  arithmétique  exacte. 
Cette  objection  a  été  réfutée,  à  l'avance,  par  Fuoco(Sag^i 
Economici,  tome  II.  Pisa,  1827,  pag.  75  etsuiv.)  et  plus 
lard  par  Cournot,  qui.  dans  la  Préface  de  son  premier 
travail  d'économie  politique  {Principes  mathématiques 
de  la  théorie  des  richesses,  Paris  1838),  rappelait  que 
l'analyse  mathématique  n'a  pas  seulement  pour  objet 
de  calculer  les  nombres,  mais  aussi  celui  de  trouver  des 
relations  entre  les  grandeurs  qui  ne  peuvent  pas  être 
évaluées  numériquement,  et  entre  les  fonctions  dont  la 
loi  ne  peut  pas  être  exprimée  par  des  symboles  algé- 
briques. 


DANS    l'économie    POLITIQUE  103 

Il  faut,  cependant,  se  garder  de  demander  aux  mathé- 
matiques plus  qu'elles  ne  peuvent  donner.    Elles  sont 
un  précieux  instrument  d'investigation  et  elles  fournis- 
sent un  langage  précis,    clair,    élégant,    de  beaucoup 
préférable  au  langage  courant,  et  partant,  un  excellent 
moyen  de  démonstration  ;  mais  elles  ne  peuvent  fournir 
ni  les  prémisses  du  raisonnement,  ni  les  matériaux  sur 
lesquels  il  se  fonde,  et  elles  garantissent  moins  encore 
l'infaillibilité  des  résultats.  Il  suffit,  pour  s'en  convaincre, 
de  se  rappeler  les  controverses  qui  se  sont  élevées  entre 
les  mathématiciens.    Ainsi,   par   exemple,   Bertrand  a 
critiqué    [Bulletin    des   sciences    mathématiques   et 
Journal  des  Savants,  1883;  pag.  i99-508)  les  méthodes 
de  Cournot  et  de  Walras  ;  ce  dernier  a,  lui-même,  re- 
proché [Eléments  d'écon.  jpol.  pure,  S'^édit.  Lausanne, 
1889,  pag.  504)  de  graves  erreurs  à  Dupuit,  tandis  que 
sa  théorie  des  prix  a  été  contestée  par  les  savants  alle- 
mands Auspitz  et  Lieben.   (Cette  polémique  a  été  très 
exactement  résumée  par  Pareto  dans  le  Giornale  degli 
Economisti,  mars  1892).  .levons,   lui-même,   dans  un 
passage   remarquable  de  sa  Logique   [Principles    of 
Science,  London,  1874^  liv.  VI,  ch.  XXXI,  II),  cité  ré- 
cemment par  Messedaglia,  déclare  que  certaines  équa- 
tions ,    auxquelles    devrait   avoir   recours    l'économie 
mathématique,   seraient  tellement  complexes  qu'elles 
dépasseraient   toute  possibilité   d'analyse,    affirmation 
étrange  dans  la  bouche  d'un  écrivain  qui  avait  répété  à 
plusieurs  reprises  que  l'économie  ne  peut  être  qu'une 
science  mathématique.  Dans  une  de  ses  monographies 
(Mémoires  de  la  société  des  ingénieurs  civils,  janvier 
1891),  Walras  déclare  avec  plus  de    confiance  encore 
qu'il  ne  connaît  que  deux  écoles  d'économistes,  les  ma- 
thématiciens qui  cherchent  à  démontrer,  et  les  littéra- 
teurs qui  ne  démontrent  rien  ! 

Dans  les  limites  de  leur  véritable  champ  d'application, 


104  DES    MÉTHODES 

lusage  des  symboles  mathématiques  et  graphiques 
a.  d'ailleurs,  de  grands  avantages.  Il  substitue  des  for- 
mules brèves  et  élégantes  aux  exemples  arithmétiques 
prolixes  et  ennuyeux  dont  se  servent  d'ordinaire  les 
économistes.  Il  présente  une  série  de  raisonnements 
dont  on  découvre,  à  vue  d'œil,  l'enchaînement  et  les 
erreurs  qui  ont  pu  s'y  glisser  ;  il  oblige  à  formuler  avec 
beaucoup  de  précaution  et  de  précision  les  prémisses 
du  raisonnement,  à  apprécier,  dans  leur  signification  vé- 
ritable, l'élément  de  la  continuité  et  celui  de  la  ré- 
ciprocité d'influence  des  différents  phénomènes,  et  il 
permet  d'éviter  l'erreur  dans  laquelle  tombent  les  éco- 
nomistes non  mathématiciens,  qui  considèrent  souvent 
comme  constantes  des  données  variables,  comme  le 
sont,  par  exemple,  la, demande  et  l'offre,  le  coût  de  pro- 
duction. 

Il  ne  faut  pas  croire  que  la  méthode  que  nous  discu- 
tons ne  puisse  servir  qu'à  la  démonstration  et  n'ait 
aucun  rôle  dans  la  découverte  ;  l'on  sait  que  beaucoup 
de  résultats,  théoriquement  importants,  ont  été  obtenus 
à  l'aide  des  mathématiques.  Citons,  comme  exemple, 
certaines  propositions  sur  la  théorie  de  la  valeur  dues 
à  l'illustre  Marshall.  Certains  exemples  nous  prouvent 
aussi,  d'autre  part,  qu'on  peut  arriver  avec  le  langage 
courant  et  sans  le  secours  des  moyens  analytiques  à 
des  théories  quantitatives  exactes  et  clairement  expri- 
mées. De  cette  façon,  Menger  est  arrivé,  dans  la  théorie 
de  la  valeur,  à  des  conclusions  presque  égales  à  celles 
de  Jevons  et,  comme  nous  le  croyons  (cela  est  reconnu 
maintenant  en  France,  ^^'alras,  op.  cit.,  pag.  19,  et  en 
Angleterre,  Keynes,  Scope  and  Methocl,  pag.  250),  in- 
dépendamment de  lui,  ce  qui,  par  parenthèse,  l'absout 
de  l'accusation  de  plagiat  qui  lui  a  été  faite  quelquefois 
en  Italie. 

Quant  à  l'utilité   didactique  du  langage  mathéma- 


DANS    l'économie   POLITIQUE  105 

tique,  il  faut  remarquer  qu'elle  dépend  en  grande  partie 
de  la  qualité  et  de  la  culture  des  lecteurs  pour  lesquels 
on  écrit.  Rappelons,  à  ce  propos,  que  Cournot,  dégoûté 
du  silence  des  économistes,  avait  renoncé  à  l'usage  du 
calcul  dans  ses  derniers  ouvrages.  Il  ne  faut  pas  oublier 
non  plus  que,  quand  il  s'agit  de  démonstrations  très 
simples,  un  des  avantages  du  langage  mathématique, 
qui  est  d'éviter  les  circonlocutions,  disparaît,  et  il  peut 
même  arriver  (et  ^^'alras  en  fournit  plus  d'un  exemple) 
qu'il  faut  plusieurs  pages  pour  arriver  par  l'analyse  à  des 
résultats  qu'on  aurait  pu  atteindre  par  un  chemin  moins 
aride  et  pku  court.  Concluons  donc  par  cette  pensée 
très  sage  d'un  savant  économiste  mathématicien  (Edge- 
worth)  :  «  La  parcimonie  des  symboles,  dit-il,  est  sou- 
vent une  élégance  pour  le  physicien,  elle  est  une  néces- 
sité pour  l'économiste,  » 

W.  St.  Jevons,  Tke  Hieory  of  political  economy.  2-  édit. 

London,  1879  (bibliographie    incomplète,  riche 

d'ailleurs). 
F.  Y.  Edgeworth,  Matheniatical  Psychics,  etc.,  1881. 
F.  Y,  Edgewortli,  On  ihe  applications  of  mathemaiics 

io  political  economy  (in  Journal  of  the  statistical 

Society,  London,  décembre  1889). 
A.  Beaujon,  Wishunde  in  de  économie  (in  Economist, 

Amsterdam,  octobre  1889). 
M.  Pantaleoni,  Principii  di  economia  pura.  Firenze, 

1889. 
J.  N.  Keyaes, The  scope  and  method  of  political  economy . 

London,  1891,  ch.  VIII,  pp.  236-251. 
A.  Messedaglia.  L'economia   poliiica,    etc.    Discorso 

inaugurale.  Rom  a,  1891. 
T.  Fisher,  Malhematical  investigations  m  the  theory  of 

value  and  priées.  New  Havcn,  1892. 


106  IMPORTANCE 


CHAPITRE  VII 
IMPORTANCE  DE  L'ÉGOxNOMÏE  POLITIQUE 


Ce  que  nous  avons  dit  dans  les  chapitres  précédents 
sur  le  concept,  les  limites,  les  divisions,  les  relations, 
le  caractère,  les  dénominations,  les  définitions  et  les 
méthodes  de  l'économie  politique  nous  en  a  fait  pres- 
sentir l'importance  ;  nous  allons  l'étudier  d'une  façon 
particulière  en  la  déduisant  de  l'objet,  des  rôles  et  du 
but  de  notre  discipline. 

Elle  a  de  l'importance  au  point  de  vue  théorique  et 
au  point  de  vue  pratique,  selon  qu'il  s'agit  des  avan- 
tages qu'on  peut  retirer  des  vérités  de  l'économie 
rationnelle,  ou  des  avantages  non  moins  considérables 
qui  dérivent  des  normes  fournies  par  l'économie  appli- 
quée, c'est-à-dire  par  l'art  économique. 

A.  E.  Cherbuliez,  Précis  de  la  science  économique,  Pa- 
ris, 1862,  vol.  I,  ch.  IV,  pp.  3n-48. 

A.  S.  BoUes,  Polit ical  economy,  ils  meaning,  meihod, 
etc.  (in  Bankefs  magazine,  Ne^v-Yo^k,  janvier 
1878). 

J.  S.  Nicholson,  Political  economy  as  a  branch  of  édu- 
cation. Edimburgh,  1881. 

A.  N.  Cumming,  On  the  value  of  political  economy  to 
mankind.  Glasgow,  1881. 

S.  N.  Patten,  The  educational  value  of  political  economy . 
Baltimore,  1891. 

Au  point  de  vuede  la  sciencepure,  l'économie  politique 
a  une  grande  utilité  générale.  Elle  forme  une  partie  im- 


DE  L  ÉCONOMIE   POLITIQUE  107 

portante  de  toute  culture  étendue,  car  elle  donne  la  con- 
naissance des  lois  de  l'ordre  social  des  richesses.  La 
série  complexe  et  intéressante  des  phénomènes  qui  for- 
ment un  des  aspects  les  plus  notables  de  la  vie  sociale, 
ne  doit  pas  passer  complètement  inaperçue,  ou  n'être 
connue  qu'imparfaitement,  par  tous  ceux  qui  aspirent 
au  titre  de  personne  instruite.  Cette  connaissance,  tou- 
jours très  utile,  devient  de  nos  jours  presque  indispen- 
sable par  suite  de  la  forme  actuelle  de  nos  organisa- 
tions politiques,  des  grandes  transformations  qu'ont 
subies  les  institutions  sociales,  et  spécialement  de  la  pré- 
pondérance de  l'élément  économique,  devenu  mainte- 
nant le  fondement  principal  du  pouvoir  politique,  si  on 
le  compare  à  dautres  éléments,  autrefois,  en  partie  au 
moins,  indépendants  de  la  richesse. 

Aussi  l'économie  politique  devrait-elle  faire  partie 
des  matières  de  l'enseignement  supérieur  et  de  l'ensei- 
gnement secondaire  et  ne  pas  être  enseignée  seulement 
dans  les  établissements  d'instruction  industrielle,  dans 
lesquels  elle  est  étudiée  dans  un  but  purement  pro- 
fessionnel. On  ne  peut  pas  comprendre  pourquoi  les 
jeunes  gens  auxquels  on  enseigne  les  langues  classiques, 
les  théorèmes  des  mathématiques,  les  lois  de  la  phy- 
sique, de  la  chimie  et  de  l'histoire  naturelle  doivent 
ignorer  complètement  les  lois  de  la  vie  sociale  et  en 
particulier  celles  de  l'économie. 

Ceux  qui  étudient  les  sciences  historiques,  juridiques 
«t  politiques  ont  des  raisons  spéciales  pour  étudier  à 
fond  l'économie  politique  qui  leur  fournit  les  critères 
indispensables  pour  le  choix,  l'organisation  et  la  criti- 
que des  faits,  comme  nous  l'avons  indiqué  déjà  en  par- 
lant des  relations  de  l'économie  politique  et  des  autres 
disciplines. 

Au  point  de  vue  des  applications,  l'étude  de  l'écono- 
mie politique  a  une  grande  importance  pratique,  gêné- 


1 08  IMPORTANCE 

raie  et  particulière,  pour  la  vie  politique  et  pour  la  vie 
privée. 

Il  faut  remarquer,  en  premier  lieu,  que  les  lois  éco- 
nomiques exercent  une  influence  aussi  universelle 
qu'irrésistible  sur  tous  les  hommes,  considérés  comme 
membres  de  la  société  civile.  Ils  ont  intérêt  à  en  faire 
une  étude  au  moins  élémentaire  soit  pour  se  procurer 
les  avantages  qui  résultent  de  leur  connaissance,  soit 
pour  éviter  les  inconvénients  qui  résultent  de  leur  igno- 
rance. 

L'économie  politique  sert,  en  outre,  à  éclairer  le 
peuple  sur  les  véritables  causes  de  beaucoup  de  per- 
turbations économiques,  et  dissipe  ainsi  des  préjugés 
qui  renaissent  de  temps  à  autre  et  qui  peuvent  devenir 
très  dangereux  pour  la  tranquillité  publique.  Il  suffira 
de  rappeler  les  crises  annonaires,  monétaires  et  ban- 
caires, pour  se  souvenir  en  même  temps  des  préjugés 
couramment  acceptés  sur  l'influence  que  les  négociants 
en  grain,  les  boulangers,  les  banquiers  exercent  sur 
ces  phénomènes. 

Dans  la  vie  privée,  c'est  surtout  aux  entrepreneurs, 
aux  capitalistes  et  même  aux  ouvriers  que  l'étude  de 
l'économie  politique  est  le  plus  profitable. 

Les  entrepreneurs,  tout  comme  les  capitalistes,  doi- 
vent en  effet  posséder  non  seulement  les  connaissances 
techniques  nécessaires  à  l'exercice  des  industries  qu'ils 
dirigent  ou  dans  lesquelles  ils  emploient  leurs  capitaux,, 
mais  aussi  un  large  courant  de  connaissances  écono- 
nomiques  afin  de  bien  diriger  leurs  entreprises  et  ne 
pas  succomber  dans  la  lutte  devant  des  concurrents 
plus  expérimentés  et  plus  instruits.  La  pleine  connais- 
sance des  besoins  du  marché,  la  coordination  et  l'ap- 
plication sage  des  instruments  productifs,  l'achat  des 
matières  premières,  la  vente  de  ses  propres  produits, 
effectuée  dans  les  meilleures  conditions,  sont  des  fonc- 


DE    L  ÉCONOMIE   POLITIQUE  1  09 

tiens  très  délicates  des  entrej3reneurs  ;  l'étude  de  l'éco- 
nomie industrielle,  qui  a  son  complément  nécessaire 
dans  l'économie  politique,  peut  leur  être  d'un  grand 
secours. 

Cette  étude,  même  élémentaire,  sera  de  plus  très 
utile  même  aux  ouvriers  qui  apprendront  ainsi  la  véri- 
table Yiature  de  leurs  intérêts  et  les  moyens  les  plus  pro- 
pres à  les  faire  valoir,  tout  en  respectant  les  droits 
d'autrui.  L'économie  politique  leur  enseignera  la  néces- 
sité du  capital  et  sa  véritable  l'onction  économique,  les 
avantages  de  répargne,  les  dangers  de  l'oisiveté,  les 
dommages  qui  résultent  des  grèves,  l'utilité  des  insti- 
tutions de  prévoyance  et  de  coopération,  etc.  L'ensei- 
gnement de  l'économie  politique  donné,  sous  forme 
populaire,  à  la  classe  ouvrière,  en  dehors  des  avantages 
déjà  énumérés,  procure  aussi  à  la  société  l'avantage 
incalculable  de  la  préserver  de  beaucoup  de  périls, 
parce  qu'elle  met  une  digue  à  l'extension  des  doctrines 
subversives,  qui  trouvent  un  terrain  propice  dans  les 
esprits  incultes  et  dans  les  imaginations  facilement 
excitables  des  ouvriers. 

A  ce  propos,  il  faut  remarquer  que  la  diffusion  des 
doctrines  funestes  du  socialisme  est  relativement  moin- 
dre en  Angleterre  qu'en  France,  précisément  parce  que 
dans  le  premier  de  ces  pays  les  notions  de  l'économie 
sont  plus  largement  répandues  que  dans  le  second,  grâce 
notamment  à  certaines  écoles  accessibles  même  aux  ou- 
vriers, qui  y  sont  instituées  depuis  longtemps,  mais  qui 
n'ont  pas  cependant  le  gros  chiffre  d'élèves  que  sou- 
vent on  leur  a  donné. 

Au  point  de  vue  de  la  vie  publique,  il  est  évident  que 
l'économie  politique  doit  être  étudiée  par  tous  ceux  qui 
y  prennent  une  part  plus  ou  moins  active,  et  cela  spé- 
cialement si  l'on  songe  .aux  formes  politiques  qui  do- 
minent aujourd'hui  chez  les  nations  les  plus  civilisées. 


110  IMPORTANCE 

L'étude  de  l'économie  politique  est  particulièrement 
nécessaire  à  toutes  les  personnes  qui  entrent  dans  les 
assemblées  délibérantes  et  dans  les  corps  consultatifs  de 
l'État,  de  la  province^  delà  commune,  sénateurs,  dépu- 
tés, conseillers  provinciaux  et  communaux,  conseillers 
d'État,  membres  des  conseils  municipaux,  des  com- 
missions léi^islatives  et  autres  corps  analogues  qui 
aident  les  ministres  dans  la  préparation  des  projets  de 
loi  à  soumettre  à  la  discussion  de  la  représentation  na- 
tionale. Comme  les  lois  et  les  mesures  auxquelles  ces 
corps  ont  part  concernent  presque  toujours,  au  moins 
indirectement,  les  intérêts  économiques  de  l'État  et 
ceux  des  particuliers,  on  comprend  que  leurs  auteurs 
ne  doivent  pas  ignorer  les  principes  de  l'économie  pu- 
blique. Ne  doit-on  pas  penser  que  la  prodigalité  de 
certaines  administrations  publiques,  qui  défie  de  nos 
jours  tout  blâme  possible,  peut,  au  moins  en  partie^ 
être  attribuée  à  une  fausse  conception  des  phénomènes 
économiques,  qui  dérive  du  manque  de  préparation 
scientifique  nécessaire? 

Même  les  fonctionnaires  du  pouvoir  exécutif  chargés 
de  veiller  à  la  bonne  application  des  lois  fiscales,, 
administratives,  judiciaires,  etc.,  ont  intérêt  à  étu- 
dier l'économie  politique,  parce  qu'ils  sont  appe- 
lés à  administrer  ou  à  protéger  les  entreprises  publi 
ques  ou  privées,  à  trancher  des  controverses  dans  les- 
quelles est  presque  toujours  impliqué  quelque  intérêt 
d'ordre  économique. 

Il  faut  enfin  remarquer  que  dans  les  États  libres  l'opi- 
nion publique,  qui  trouve  ses  légitimes  manifesta- 
tions dans  la  presse  et  dans  l'exercice  des  droits  d'as- 
sociation, de  réunion  et  de  pétition,  exerce  une 
influence  si  considérable  sur  les  affaires  politiques  et 
administratives  qu'il  n'y  a  presque  pas  de  personne  ins- 
truite et  soucieuse  des  intérêts  de  son  pays  qui  ne  par- 


DE  l'Économie  politique  111 

ticipe  directement  ou  indirectement  au  gouvernement 
général  ou  local  et  qui  puisse  par  conséquent  négliger 
des  études  qui  sont  nécessaires  pour  que  cette  influence 
soit  véritablement  utile  à  la  prospérité  publique  et 
privée. 

L'importance  de  l'étude  scientifique  de  l'économie 
politique  paraît  plus  grande  encore  si  on  tient  compte 
de  quelques-uns  des  obstacles  contre  lesquels  elle 
doit  lutter  et  qui  peuvent  être  ramenés  aux  trois  sui- 
vants : 

1°  L'intrusion  des  dilettanti,  qui  tranchent  en  ma- 
tière économique,  sans  aucune  préparation,  ou  seule- 
ment après  une  étude  unilatérale  des  problèmes  contro- 
versés, sans  tenir  compte  de  la  nature  extrêmement 
complexe  des  phénomènes. 

2°  L'imperfection  delà  terminologie  économique,  qui 
attribue  un  sens  plus  précis  et  quelquefois  complète- 
ment différent  aux  mots  employés  dans  le  langage  cou- 
rant. 

3°  La  résistance  des  classes  intéressées  à  certains 
abus,  que  l'économie  politique  combat,  et  celle  des  uto- 
pistes, qui  rêvent  des  réformes  dont  elle  montre  l'im- 
possibilité. 

En  ce  qui  concerne  le  premier  point  il  faut  regretter 
que  l'économie  soit  dans  des  conditions  tout  à  fait 
opposées  à  celles  de  l'astronomie  et  de  la  chimie,  déjà 
débarrassées  depuis  des  siècles  du  contact  fâcheux  des 
astrologues  et  des  alchimistes.  Les  dilettanti,  et  parti- 
culièrement les  journalistes,  les  littérateurs,  etc. ,  qui 
se  déclarent,  avec  une  modestie  réelle  ou  supposée,  des 
profanes  lorsqu'on  discute  des  questions  de  philoso- 
phie, de  calcul,  d'obstétrique,  ne  peuvent  pas  se  per- 
suader que  tout  le  monde  est  nécessairement  incompé- 
tent dans  toutes  les  matières  qu'il  n'a  pas  étudiées  et 
qu'il  n'y  a  pas  de  raison  pour  faire  une  exception  en 


112  IMPORTANCE 

faveur  des  sciences  sociales  et  en  particulier  de  l'écono- 
mie politique.  Oubliant  la  vérité  de  cette  phrase  tant 
répétée  de  Rousseau,  qu'il  faut  beaucoup  de  philosophie 
pour  se  rendre  compte  des  phénomènes  que  nous  avons 
tous  les  jours  sous  les  yeux,  les  dilettanti  entrent  en 
lice  à  chaque  instant  pour  défendre  ou  pour  combattre, 
dans  le  Parlement  ou  dans  les  réunions  populaires,  ou 
par  la  presse,  les  mesures  économiques  et  financières 
les  plus  difiiciles  et  les  plus  complexes,  et  ils  ne  crai- 
gnent pas  d'attaquer  les  doctrines  enseignées  par  les 
maîtres  les  plus  éminents  d'une  science  dont  ils  ignorent 
absolument  l'objet,  le  but  et  les  caractères.  Par  suite  do 
l'habitude  de  discuter  avec  légèreté  de  ces  problèmes, 
il  devient  de  plus  en  plus  difficile  de  déraciner  les  pré- 
jugés les  plus  vulgaires.  Si  celui  qui  étudie  la  physique, 
la  chimie,  la  géologie  a  tout  à  apprendre,  celui  qui 
étudie  l'économie,  comme  le  remarque  subtilement 
Macvane,  se  trouve  dans  une  condition  pire,  car  il  a 
aussi  beaucoup  à  oublier. 

Sur  le  second  point  il  faut  remarquer  que,  tandis  que 
dans  d'autres  sciences  on  forge  des  termes  techniques 
appropriés,  dont  on  donne  d'exactes  définitions  de  con- 
vention, en  économie  politique,  au  contraire,  même 
lorsqu'on  a  eu  grand  soin  de  définir  le  sens  attribué  aux 
mots  richesse,  utilité,  valeur,  capital,  rente,  il  faut  tou- 
jours craindre  que,  par  négligence,  ces  mots  soient 
employés  dans  le  sens  différent  qu'ils  ont  dans  le  lan- 
gage courant,  et  qu'il  en  résulte  des  raisonnements 
viciés  par  l'emploi  alternatif  d'un  même  terme  tech- 
nique, ce  qui  permet  des  interprétations  ambiguës 
ou  contradictoires. 

Sur  le  troisième  point  enfin,  l'étroite  connexion  qu'il 
y  a  entre  l'économie  appliquée  et  la  politique,  dont  la 
première  est  une  partie,  provoque  contre  elle  la  vive 
opposition  de  ceux  qui  trouvent  leur  intérêt  dans  cer- 


DE   l/ÉCONOMIE   POLITIQUE  113 

tains  monopoles,  ou  dans  certains  privilèges,  ou  dans 
telles  autres  institutions  qu'elle  combat,  et  l'opposi- 
tion plus  acharnée  encore  de  ceux  qui  croient  possibles 
des  mesures  inconsidérées  qu'elle  combat  dans  l'inté- 
rêt du  progrès  social  bien  entendu.  Whately  a  dit  avec 
raison  que  les  théorèmes  d'Euclide  n'auraient  jamais 
reçu  l'assentiment  unanime  des  savants,  s'ils  avaient 
une  relation  immédiate  avec  la  richesse  et  avec  le  bien- 
être  individuel. 

N.  W.  Senior^  Four  introductory  lectures,  etc.  London, 
1852,  pp.  12-17. 

F.  A.  Walker ,  PolUicaL  economy.  2"  édit.  New- 
York,  1887,  pp.  29-31. 

S.  M.  Macvane,  The  icorking  principles  of  poliiical 
economy.  New-Yoïk,  1890,  pp.  12-16. 


CHAPITRE  VIII 
RÉPONSE  A  QUELQUES  OBJECTIONS 


Tout  le  monde  ne  reconnaît  pas  l'importance  de  l'é- 
tude de  l'économie  politique,  parce  qu'on  n'apprécie 
pas  toujours  avec  justesse  les  raisons  que  nous  avons 
données  dans  le  chapitre  précédent.  On  mène,  au  con- 
traire, contre  elle  une  campaj^ne  assez  vive.  Certains 
prétendent  que  c'est  une  doctrine  absolument  impos- 
sible ;  d'autres  la  tiennent  au  moins  pour  inutile  ; 
d'autres  enfin  la  condamnent  comme  très  dangereuse. 
Ces  objections  continuellement  répétées  doivent  être 
écartées  parce  qu'elles  dérivent,  ou  bien  de  fausses 
présuppositions  de  fait,  ou  de  l'ignorance  du  caractère 
véritable  de  l'économie,  ou  d'erreurs  manifestes  de 
logique. 

Rich.  Whately,  Iniroduciory  lectures  on  polilical  eco- 
nomy  (1831),  5"^  édit.  London,  18j5. 

F.  Ferrara,  Imporianza  delV  economia  poUtica.  Torino, 
1849. 

Jul.  Kautz,  Die  National-Oekonomik  als  Wissenscha/L 
Wien,  1858,  pp.  423-42,  et  les  auteurs  cités. 

J.  L.  Shadweli,  A  systejn  of  political  e':onoiny.  Lon- 
don, 1877,  pp.  1-8. 

C.  F.  Bastable,  An  examinaiion  of  soins  corrent  objec- 
tions to  ihe  sludy  of  political  economy.  Dublin,  1884. 

H.  Sidgwick,  Scope  and  rnethod  of  political  economy. 
Aberdeen,  1885. 

Les  uns  refusent  à  l'économie  politique  le  caractère 
de  science,  et  ils  invoquent  comme  preuve: 


RÉPONSK    A    QUELQUES    OBJECTIONS  115 

1"  Les  hypothèses  sur  lesquelles  elle  se  fonde  ; 

2°  Les  ahstractions  dont  elle  se  sert  ; 

3°  Les  prohlèmes  qu'elle  ne  résout  pas  ; 

4"  Les  discussions  auxquelles  elle  ne  parvient  pas  à 
mettre  fin. 

Au  sujet  des  hypothèses  il  faut  remarquer,  en  pre- 
mier lieu,  que  les  prémisses  de  l'économie  sociale  ne 
sont  pas  hypothétiques  en  elles-mêmes,  puisqu'elles 
sont  fondées  sur  l'ohservation  ;  elles  le  sont  seulement 
en  ce  qu'elles  sont  isolées  par  la  pensée  d'autres  causes 
peri-urhatrices,  dont  on  fait  ahstraction.  Remarquons, 
en  outre,  que  les  hypothèses  non  contredites  par  les 
faits  ont  été  souvent  l'instrument  de  précieuses  dé- 
couvertes scientifiques,  et  que  les  hypothèses  purement 
arhitraires  doivent  être  imputées  non  pas  à  la  science, 
mais  à  quelques  déhutants  sans  expérience.  D'ail- 
lours,  l'histoire  des  sciences  physiques  et  mathématiques 
nous  apprend  que  quelques-uns  de  leurs  théorèmes  ont, 
<iux  aussi,  une  base  purement  hypothétique  et  que  cer- 
taines de  leurs  propositions,  que  l'on  tenait  autrefois 
pour  des  axiomes,  ont  un  caractère  tout  à  fait  empi- 
rique. 

Sans  abstraction  (analytique  ou  synthétique)  il  n'y 
a  pas  de  science,  mais  seulement  une  connaissance  .sté- 
rile de  phénomènes  individuels.  La  grammaire,  la 
logique,  l'algèbre,  le  droit  procèdent  eux  aussi  par  abs- 
tractions ;  elles  sont  non  seulement  utiles,  mais  néces- 
saires. Si  on  peut,  comme  de  tout  d'ailleurs,  abuser  de 
l'abstraction  en  économie,  cela  ne  suffît  pas  pour  re- 
fuser à  celle-ci  le  caractère  de  science. 

Il  y  a,  certes,  en  économie  politique  des  problèmes 
non  ré.solus,  comme  il  y  en  a  dans  toutes  les  branches  du 
savoir.  Quelques-uns  sont  insolubles  (comme  la  quadra- 
ture du  cercle,  la  trisection  de  l'angle,  le  mouvement 
perpétuel,  etc.),  mais  il  en  est  d'autres  qui  pourront  être 


116  RÉPONSE    A    QUELQUES    OBJECTIONS 

résolus   avec    les  progrès  ultérieurs  de   la  recherche 
scientifique, 

11  est  absurde  enfin  de  nier  à  l'économie  politique 
le  caractère  de  science  parce  qu'il  existe  des  contro- 
verses sur  sa  nomenclature  et  sur  ses  principes.  Un  écri- 
vain irlandais,  sans  parler  des  autres,  a  fait  de  cette 
objection  une  critique  acerbe  dans  un  livre  peu  connu 
en  Italie. 

W.  Dillon,-r/(e  disinal  science. [DubUn,  1882. 

A  propos  des  discussions  sans  fin  on  peut  remarquer  : 

!•  Qu'elles  sont  souvent  plus  apparentes  que  réelles  ; 
qu'elles  tiennent  à  la  forme  plus  qu'à  la  substance  et 
qu'elles  pourraient  en  partie  cesser  si  les  adversaires, 
qu'on  doit  supposer  de  bonne  foi,  cessaient  d'équivo- 
quer  ; 

2"  Ces  discussions  portent  souvent  sur  des  points 
d'importance  secondaire  et  qui  concernent,  d'ordinaire, 
non  pas  la  science,  mais  ses  applications,  et  cela  est 
inévitable  si  on  songe  à  la  résistance  de  beaucoup  d'in- 
térêts en  lutte,  dans  lesquels  l'art  économique  voudrait 
apporter  l'ordre  et  la  conciliation  ; 

3"  L'économie  ne  peut  pas  être  responsable  de  ce  que 
quelques-uns  de  ceux  qui  l'étudient,  s'obstinent  à  re- 
mettre en  question  des  problèmes  depuis  longtemps 
résolus  ; 

4"  Enfin,  les  discussions  sérieuses  et  objectives  et  le 
doute  raisonné,  qu'il  ne  faut  pas  contondre  avec  le 
scepticisme  systématique,  prouvent,  d'une  part,  l'imper- 
fection d'une  discipline,  mais  elles  sont,  d'autre  part, 
un  moyen  très  utile  qui  pourra  conduire  à  des  décou- 
vertes fécondes. 

Un  autre  groupe  d'adversaires  nie  l'utilité  de  l'éco- 


à 


RÉPONSE    A    QUELQUES    OBJECTIONS  117 

nomie  politique,  soit  parce  que,  suivant  les  uns,  elle  ne 
donne  aucun  résultat  important,  soit  parce  que,  sui- 
vant d'autres,  les  quelques  résultats  importants  aux- 
quels elle  conduit  sont  tout  indiqués  par  le  sens  commun 
et  mis  en  pratique  par  chacun. 

La  stérilité  des  résultats  de  l'économie  politique  se 
déduit  : 

]°  du  peu  d'importance  de  son  objet  ; 

2°  de  la  simplicité  de  ses  notions  fondamentales  ; 

3°  du  caractère  négatif  de  ses  conclusions. 

Quant  à  la  prétendue  infériorité  de  l'objet,  il  faut 
remarquer  que  les  lois  qui  président  aux  phénomènes 
économiques  sont  dignes  de  Tattention  du  savant  comme 
celles  qui  gouvernent  le  monde  physique.  L'impor- 
tance de  la  recherche  devient  évidente  lorsqu'on  songe 
à  l'étroite  relation  qu'il  y  a  entre  le  bien-être  matériel 
et  le  bien-être  moral.  La  misère,  c'est-à-dire  la  plus 
grande  plaie  économique,  n'est-elle  pas  une  calamité 
qui  souvent  produit  et  souvent  accompagne  et  rend  plus 
aiguës  les  deux  plus  grandes  plaies  intellectuelles  et 
morales,  l'ignorance  et  le  crime  ? 

Partir  de  notions  simples  (besoin,  utilité,  valeur, 
capital,  etc.)  pour  arriver  à  des  notions  plus  complexes, 
c'est  là  une  condition  logiquement  nécessaire  de  toute 
recherche  scientifique.  Qui  donc  reprochera  à  la  géo- 
métrie ses  définitions  (du  point,  de  la  ligne,  de  la  sur- 
face) et  ses  axiomes,  d'où  on  déduit  des  théorèmes  inté- 
ressants et  fort  utiles?  Ferrari  a  très  finement  remarqué 
que  l'économie  peut  tirer  gloire  d'avoir  déduit  de  pré- 
misses si  élémentaires  des  conséquences  d'imporlance 
fondamentale  pour  le  bien-être  général.  De  même  que 
les  concepts  de  liberté,  de  souveraineté,  de  nationalité, 
différemment  interprétés,  ont  été  la  cause  de  discus- 
sions, de  guerres,  de  révolutions  dans  l'ordre  politique, 
de  même  l'idée  de  valeur  et  celle  de  travail,  mal  unies 


118  RÉPONSE    A    QUELQUES    OBJECTIONS 

entre  elles,  ont  été  Torif^ine  des  théories  célèbres  du  so- 
cialisme scientifique.  Manzoni  a  merveilleusement 
démontré,  dans  le  Dialogue  de  V invention,  que  les 
idées  simples  de  Rousseau  ont  logiquement  conduit  aux 
terribles  applications  de  Robespierre. 

II  est  tout  aussi  faux  de  déduire  la  prétendue  inuti- 
lité de  l'économie  du  caractère  négatif  de  ses  conclu- 
sions, que  beaucoup  réduisent,  même  parmi  ceux  qui 
ne  sont  pas  des  adversaires,  à  la  formule  du  laisser- faire. 
On  oublie  ainsi  que  l'économie  sociale  recherche  des 
lois  et  ne  donne  pas  de  principes  ;  on  oublie,  de  plus, 
{[ue  les  principes,  ou  mieux,  que  les  normes  de  la  po- 
litique économique  ne  sont  pas  tous  négatifs  ;  que 
beaucoup  de  ces  normes  négatives  ne  sont  pas  pour  cela 
moins  importantes  ;  qu'enfin  le  laisser-faire  n'est  pas 
un  dogme  scientifique,  mais  une  hypothèse  de  l'éco- 
nomie sociale,  et  une  règle  de  l'art  économique  sujette, 
par  cela  même,  à  de  notables  exceptions. 

Quant  k  opposer  à  la  théorie,  comme  on  le  fait  quel- 
quefois, le  sens  commun  et  la  pratique  individuelle 
comme  des  sources  plus  limpides  pour  arriver  aux 
mêmes  vérités  et  aux  mêmes  normes,  c'est  là  un 
sophisme  séculaire  et  vulgaire  que  l'on  rencontre, 
pour  ainsi  dire,  sur  le  seuil  de  toute  investigation 
scientifique. 

Si  l'on  compare  à  la  théorie  le  sens  commun,  c'est- 
à-dire  l'aptitude  ordinaire  à  faire  ou  à  comprendre  une 
chose,  et  la  pratique  individuelle,  c'est-à-dire  l'expé- 
rience qu'on  acquiert  en  refaisant  et  en  voyant  refaire 
par  d'autres  certaines  choses,  et  si  l'on  considère  que 
la  pratique  suppose  un  certain  nombre  de  connaissan- 
ces empiriques,  il  faut  conclure  que  la  théorie  et  la 
pratique,  fondées  toutes  deux  sur  l'observation  et  sur  le 
raisonnement,  diffèrent  cependantessentiellement  en  ce 
<]ue  la  théorie  est  le  résultat  systématique  de  la  pratique 


RÉPONSE    A    QUELQUES    OBJECTIONS  ]  19 

séculaire,  qu'elle  est  le  fruit,  selon  une  autre  expression, 
de  l'esprit  des  nations,  tandis  qu'au  contraire  la  prati- 
que part  d'observations  nécessairement  moins  nom- 
breuses et  moins  exactes  et  opère  avec  des  raisonne- 
ments moins  parfaits  et  moins  rigoureux.  Opposer  la 
pratique  à  la  théorie,  c'est  presque  dire  que  le  moins 
équivaut  au  plus  ou  que  la  partie  est  plus  grande  que  le 
tout.  En  fait,  la  contestation  est  entre  le  plus  et  le  moins 
d'étude,  entre  la  doctrine  entière  et  la  demi-doctrine, 
car  celle-ci  tyrannise  —  et  beaucoup  —  l'esprit  des  soi- 
disant  hommes  pratiques  qui  se  croient  émancipés  de 
toute  influence  théorique. 

Mais  si,  d'un  côté,  la  pratique  des  affaires  ne  peut  pas 
remplacer  la  doctrine,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
celle-ci  a  besoin  de  celle-là  pour  résoudre  les  questions 
concrètes.  Les  doctrinaires  qui  repoussent  le  secours  de 
la  pratique  ont  tout  aussi  tort  que  les  empiriques  qui 
s'obstinent  à  refuser  les  lumières  de  la  théorie. 

Les  études  économiques  rencontrent  encore  de  plus 
nombreux  adversaires  parmi  ceux  qui,  sans  se  soucier 
de  la  solidité  scientifique  de  l'économie,  déclarent 
qu'elle  est  moralement  ou  politiquement  dangereuse. 

Pour  démontrer  que  l'économie  politique  est  dange- 
reuse au  point  de  vue  de  la  morale  (religieuse  ou  phi- 
losophique), on  invoque  : 

1°  la  nature  matérielle  de  son  objet,  la  richesse; 

2°  le  caractère  utilitaire  de  sa  prémisse  la  plus  impor- 
tante, l'intérêt; 

3°  les  opinions  critiquables  de  certains  économistes  ; 

4"  l'immoralité  prétendue  des  théories  de  l'intérêt  du 
capital,  de  la  population,  de  l'assistance,  etc. 

Ces  accusations,  souvent  lancées  avec  une  parfaite 
bonne  foi  et  dans  les  meilleures  intentions,  peuvent  être 
facilement  réfutées,  parce  qu'elles  proviennent  d'une 


120  RÉPONSE    A    QUELQUES    OBJECTIONS 

connaissance  insuffisante  des  caractères  de  l'économie. 

Quant  à  la  nature  matérielle  de  l'objet,  qui  n'est 
pas  d'ailleurs  la  richesse,  mais  les  actions  humaines  qui 
s'y  rapportent,  nous  remarquons  que  l'économie  poli- 
tique étudie  les  phénomènes  sociaux  sous  un  seul 
aspect,  et  elle  le  fait  parce  que  le  progrès  scientifique 
exige  une  division  et  une  subdivision  toujours  plus 
grandes  de  la  recherche.  Qui  donc  mettrait  en  doute 
la  valeur  théorique  de  l'histoire  naturelle  et  de  la  phy- 
sique, parce  que  ces  deux  diciplines  ont  un  objet  bien 
plus  circonscrit  que  la  physique  d'Aristote,  l'histoire 
naturelle  de  Pline,  la  science  de  Thaïes  ? 

La  limitation  du  champ  de  la  recherche  d'une  science 
n'impliqueni  le  mépris,  ni  la  négation  des  autres  sciences. 
Appellera-t- on  athées  le  mathématicien,  le  physiologue, 
le  technologue,  par  cela  seul  que  dans  leurs  livres  il 
n'y  a  pas  un  mot  qui  rappelle  l'existence  de  Dieu  et  les 
devoirs  de  l'homme?  Il  faudrait  certes  condamner 
l'économiste  qui  enseignerait  que  l'acquisition  des 
richesses  est  la  fin  unique,  ou  même  seulement  la  fin 
principale,  soit  pour  l'individu,  soit  pour  la  société, 
mais  ces  propositions  absurdes  n'ont  rien  à  voir  avec 
l'économie.  Pour  les  mêmes  raisons,  celui  qui  affirme- 
rait que  l'homme  est  né  pour  manger,  ou  que  l'idéal  de 
la  vie  sociale,  c'est  la  guerre,  formulerait  des  principes 
contraires  à  la  morale,  mais  on  ne  pourrait  les  imputer 
à  la  physiologie  ou  à  la  stratégie. 

L'accusation  d'immoralité  qu'on  lance  contre  l'éco- 
nomie politique,  parce  qu'elle  part  du  principe  de  l'in- 
térêt, est  tout  aussi  fausse,  et  pour  plus  d'une  raison. 
C'est  là  l'argument  principal  dont  s'est  servi,  avec  beau- 
coup d'habileté  littéraire,  mais  fort  peu  de  compétence 
scientifique,  Técole  de  Carlyle  et  de  Ruskin,  qui  a  encore, 
par  suite  de  la  juste  célébrité  de  ces  écrivains,  de  nom- 
breux disciples,    notamment    en  Angleterre.  C'est  au 


RÉPONSE   A    QUELQUES    OBJECTIONS  121 

premier  qu'est  due  la  célèbre  épithète  de  science  lugubre 
(dismal  science)  appliquée  à  Téconomie. 

Th.  Carlyle,  Past  andpre  sent.  London,  1843. 
Arsène  Dumont,  Dépopulation  et  civilisation.   Paris, 
1892. 

Remarquons,  d'abord,  que  le  principe  de  l'intérêt  n'est 
pas  une  règle  de  la  politique  économique,  mais  une 
hypothèse  dont  se  sert  l'économie  sociale  pour  expli- 
quer les  phénomènes  de  la  richesse,  en  les  déduisant  de 
la  cause  principale  d'où  ils  dérivent.  Il  faut  remarquer, 
en  second  lieu,  que  l'économie  ne  crée  pas  l'intérêt,  ne 
le  juge  pas,  mais  qu'elle  en  étudie  l'action,  de  la  même 
manière  que  le  physiologue  étudie  les  lois  de  la  nutri- 
tion. On  ne  peut  pas  nier,  d'ailleurs,  la  puissance  de  ce 
principe  qui  pousse  l'homme  à  rechercher  le  maximum 
d'effet  utile  avec  le  minimum  de  dépense  de  force. 

De  plus,  il  ne  faut  pas  oublier  que  le  principe  de  l'in- 
térêt, tel  qu'il  est  étudié  par  l'économie,  est  un  simple 
fait  psychique  et  non  un  fait  moral,  car  il  n'y  a  pas  de 
relation  nécessaire  entre  la  loi  du  moinde  effort  et  la 
question  morale  de  l'emploi  des  richesses.  Dietzel,  qui 
a  plus  que  tout  autre  approfondi  ce  sujet,  remarque 
très  justement  que  le  maximum  de  prix  pour  les  mar- 
chandises qu'il  vend  et  le  minimum  de  prix  pour  celles 
qu'il  achète  sont  recherchés  aussi  bien  par  celui  qui  pro" 
digue  son  revenu  en  débauches  et  en  libertinage  que 
par  celui  qui  l'emploie  à  fonder  des  maisons  d'instruc- 
tion ou  d'assistance. 

Il  faut  ajouter  que  l'intérêt  privé  ne  se  confond  pas 
avec  l'intérêt  purement  individuel  (qui  exclut  toute  préoc- 
cupation de  famille)  et  moins  encore  avec  légoïsme  qui 
demande  qu'on  fasse  valoir  ses  avantages  propres  aux 
dépens  des  droits  d'autrui.  On  ne  doit  pas  s'imaginer 


122  RÉPONSE    A   QUELQUES    OBJECTIONS 

enfin  que  le  principe  utilitaire  de  l'intérêt  est  nécessai- 
rement blâmable  ;  il  est,  nous  le  répétons,  moralement 
indifférent,  pour  ne  pas  dire  irrépréhensible,  lorsque, 
dans  l'ordre  économique,  il  diriii^e  le  choix  entre  plu- 
sieurs façons  d'agir,  toutes  équitables  et  justes.  Ce  prin- 
cipe devient  non  seulement  perturbateur  mais  encore 
absolument  immoral  et  (comme  l'a  excellemment  dé- 
montré ]Manzoni)  impossible  à  suivre  pratiquement, 
quand  on  veut  en  faire  (avec  Bentham  et  son  école)  le 
régulateur  suprême  de  l'activité  humaine.  Mais  cette 
erreur  n'a  rien  de  commun  avec  l'économie  sociale  qui 
ne  s'occupe  pas  de  ces  questions  ;  comme  on  l'a  dit 
déjà,  l'économie  apppliquée  combat,  au  point  de  vue 
purement  utilitaire,  l'oisiveté,  l'imprévoyance,  la  pro- 
digalité qui  sont,  en  même  temps,  des  actions  blâma- 
bles au  point  de  vue  moral, 

H.  Dietzel,  Beitrage  zur  Methodik  der  Wirthschafts- 
wissenschaft  ijn  Jahrbûcher  fur  Nationalokonomie, 
etc.,  vol.  IX.  Jena,  1884). 

On  ne  peut  pas  non  plus  tirer  un  argument  solide 
contre  notre  science  de  certaines  opinions  critiquables 
émises  par  quelques  économistes  connus,  qui  n'expri- 
ment alors  que  des  vues  individuelles,  étrangères  à 
l'économie  comme  science.  Cela  explique  comment  le 
spiritualiste  Turgot ,  le  déiste  Smith,  l'incrédule  Say, 
le  luthérien  Roscher,  le  calviniste  Cherbuliez,  le  ca- 
tholique Droz  ont  pu  enseigner  les  mêmes  vérités  éco- 
nomiques. On  pourrait  supprimer  dans  les  œuvres  de 
Say,  de  Stuart  Mill,  de  Garnier  et  de  beaucoup  d'au- 
tres, toutes  les  affirmations  fausses  au  point  de  vue  re- 
ligieux et  moral,  sans  changer  leurs  doctrines  écono- 
miques. 

Quant  à  l'immoralité  prétendue  des  théories  sur  l'in- 


RÉPONSE    A    QUELQUES   OBJECTIONS  123 

térêt,  la  population  et  l'assistance,  il  suffira  de  remar 
quer  que  l'économie  politique  : 

[°  Peut  démontrer  l'inopportunité  et  l'inefficacité  des 
lois  prohibitives  et  restrictives  de  l'intérêt  conventionnel 
dans  le  prêt,  sans  pour  cela  approuver  l'usure,  ànon  droit 
réprouvée  par  la  morale  et;  punie  par  la  loi  positive; 

"2"  Elle  peut  montrer  les  dangers  d'un  excès  partiel 
de  population  et  conseiller  la  prévoyance,  sans  pour 
cela  envahir  le  domaine  de  la  morale  et  porter  atteinte 
à  ses  raisons  suprêmes  ; 

3"  Elle  peut  montrer  les  inconvénients  de  certaines 
formes  d'assistance,  sans  pour  cela  méconnaître  le  pré- 
cepte divin  de  la  charité,  ou  les  avantages  même  écono- 
miques de  l'assistance,  et  en  particulier  de  l'assis- 
tance privée,  quand  elle  tend  à  combattre  les  causes 
et  non  pas  seulement  à  diminuer  les  effets  de  l'indi- 
gence et  de  la  misère. 

Un  dernier  groupe  d'adversaires  de  l'économie  poli- 
tique, qui  se  partage  en  deux  branches  opposées,  la 
déclare  politiquement  dangereuse  parce  qu'elle  est  : 

1"  anarchique,  c'est-à-dire  ennemie  du  principe  d'au- 
torité et  créatrice  du  nihilisme  administratif; 

2"  réactionnaire,  c'est-à-dire  ennemie  de  1  égalité  et 
du  progrès. 

Aux  uns  et  aux  autres  on  peut  tout  d'abord  répondre 
que  leurs  objections  ne  peuvent  atteindre  la  science 
économique,  qui  ne  défend  ni  n'attaque  aucun  principe 
de  gouvernement,  quelque  bon  ou  quelque  mauvais 
qu'il  soit,  mais  se  borne  à  expliquer  les  phénomènes, 
et  que  par  conséquent  ses  doctrines  peuvent  être  vraies 
ou  fausses,  mais  non  utiles  ou  dangereuses. 

Si  ces  attaques  concernent  la  politique  économique, 
il  faut  la  défendre  par  deux  réponses  distinctes. 

A  ceux  qui  reprochent  à  l'économie  politique  d'être 


124  RÉPONSE   A    QUELQUES    OBJECTIONS 

l'ennemie  du  principe  d'autorité,  nous  répondrons  que 
la  limitation  des  attributions  économiques  des  pouvoirs 
publics  ne  tend  pas  à  affaiblir  mais  à  renforcer  le  prin- 
cipe d'autorité,  parce  qu'il  le  met  à  sa  véritable  place 
et  lui  assigne  ses  limites  de  raison.  D'ailleurs^  aujour- 
d'hui plus  que  jamais,  cette  limitation  n'est  pas  deman- 
dée d'une  façon  absolue,  car  il  faut  évidemment  tenir 
compte  des  conditions  de  temps  et  de  lieu,  de  civili- 
sation et  de  précédents  de  tout  genre. 

A  ceux  qui  attaquent  l'économie  politique  parce  qu'elle 
est  réactionnaire  et  hostile  au  progrès  et  à  l'égalité, 
nous  répondrons  : 

1"  Que  la  politique  économique,  telle  qu'elle  est  gé- 
néralement professée,  a  toujours  été  favorable  aux  sages 
r( ''formes  et  qu'elle  n'a  jamais  été  hostile  qu'à  celles 
qui  détruiraient  la  civiliîi.ation  et  qui  sont  la  négation 
du  progrès  ; 

2°  Que  l'économie  politique  ne  peut  pas  être  cause 
des  inégalités  naturelles  qu'il  y  a  entre  les  hommes, 
parce  qu'elles  sont  les  conséquences  inévitables  de  leurs 
qualités  intellectuelles  et  morales  différentes  et  qu'elles 
doivent  être  considérées  comme  un  facteur  éminem- 
ment favorable  au  progrès  social  ; 

3"  Que  la  politique  a  toujours  combattu  les  inégalités 
artificielles,  filles  du  privilège  et  des  institutions  gou- 
vernementales vicieuses,  et  l'on  ne  doit  pas  oublier 
qu'elle  a,  pour  une  grande  partie,  contribué  aux  ré- 
formes qui  les  ont  fait  disparaître. 

Pour  toutes  ces  raisons,  il  semble  que  nous  pouvons 
conclure  que  l'antipathie  qu'ont  pour  l'économie  poli- 
tique les  représentants  des  opinions  extrêmes,  empiri- 
ques ou  doctrinaires,  individualistes  ou  socialistes,  réac- 
tionnaires ou  utopistes,  peut  être  considérée  comme 
une  preuve  indirecte  de  l'utilité  théorique  et  pratique 
de  ses  enseignements. 


DEUXIÈME   PARTIE 

HISTOIRE 


CHAPITRE  PREMIER 
L'HISTOIRE    DE  L^ÉCONOMIE  POLITIQUE 


L'histoire  de  l'économie  politique,  est  Texposition 
raisonnée  de  l'origine  et  des  progrès  des  théories  éco- 
nomiques, considérées  dans  leurs  relations  avec  les 
conditions,  les  idées  et  les  institutions  sociales. 

L'histoire  ainsi  entendue  n'est  pas  un  simple  exposé 
chronologique  des  doctrines,  mais  elle  comporte  des 
appréciations  critiques  sur  leur  bonté  absolue  et  rela- 
tive. Elle  recherche  les  germes  des  différentes  théories 
dans  leurs  manifestations  isolées,  accidentelles  et  frag- 
mentaires, et  elle  montre  comment  elles  ont  pu  cons- 
tituer, plus  tard,  un  corps  de  doctrine  distinct  et  plus 
ou  moins  systématiquement  coordonné. 

Il  faut,  au  sujet  des  liens  qui  unissent  les  théories 
économiques  aux  faits  dont  elles  s'occupent,  mettre  en 
lumière  deux  ordres  de  rapports. 

Les  écrivains  ressentent  presque  toujours,  avec  plus 
ou  moins  de  force,  l'influence  des  conditions,  des  idées 
et  des  institutions  spéciales  du  pays  et  de  l'époque  aux- 
quels ils  appartiennent  ou  qui  a  plus  particulièrement 
attiré  leur  attention.  Cette  influence  est  très  grande, 
bien  qu'elle  passe  inaperçue  et  qu'elle  soit  même  niée 
par  ceux  qui  la  subissent  et  qui  proclament,  en  même 
temps,  leur  indépendance  philosophique.  Ils  se  mettent 
ainsi  en  contradiction  avec  la  vérité  ou,  mieux^  avec  la 
nature  même  des  choses.  Si  l'on  s'attache  à  Tessence 
des  différentes  théories,  dépouillées  des  particularités 


128  HISTOIRE    DE    l'ÉGONOMIE    POLITIQUE 

purement  accidentelles,  il  est  souvent  facile  de  décou- 
vrir qu'elles  ont  pour  base  une  apologie  de  certaines 
institutions  économiques  données,  que  l'auteur  approuve 
et  idéalise  pour  ainsi  dire,  ou  une  opposition  à  certaines 
institutions  économiques  que  l'auteur  combat  résolu- 
ment. On  peut  donc  appliquer  aussi  aux  économistes  le 
reproche  célèbre  que  Bacon  (aisait  à  certains  philo- 
sophes, qui  tamqua'in  e  vinculis  ratiocinantur. 

D'un  autre  côté,  les  écrivains  exercent,  ou  du  moins 
quelques-uns  et  dans  une  mesure  fort  inégale,  une  in- 
fluence notable  sur  les  opinions  de  leurs  contemporains 
et  sur  leur  postérité,  influence  qui,  souvent,  a  préparé 
des  réformes  législatives  et  administratives  de  grande 
importance.  C'est  ainsi  que  les  ouvrages  des  physio- 
crates  ont  inspiré  quelques  unes  des  lois  flnancières  des 
premières  années  de  la  République  française  :  Adam 
Smith  a  donné,  par  ses  doctrines,  une  grande  impul- 
sion à  la  réforme  du  système  économique  de  plusieurs 
États  de  l'Europe  ;  c'est  au  livre  de  Malthus  que  sont 
dues  les  importantes  modifications  introduites  en  1834 
dans  la  loi  des  pauvres  en  Angleterre.  Inversement, 
le  travail  des  esclaves  dans  l'antiquité  et  la  prédomi- 
nance des  prêts  de  consommation  au  moyen  âge  expli- 
quent à  n'en  pas  douter  le  mépris  de  certains  philo- 
sophes anciens  pour  le  travail  manuel  et  l'hostilité  à 
l'égard  de  l'intérêt  qui  trouve  son  expression  concor- 
dante à  la  fois  dans  les  ouvrages  des  théologiens,  des 
canonistes  et  des  civilistes  du  moyen  âge. 

Cependant  si,  dans  l'histoire  des  théories  écono- 
miques, on  étudie  l'influence  des  institutions,  on  ne  doit 
pas,  pour  cela,  confondre  l'histoire  des  théories  écono- 
miques avec  l'histoire  des  institutions  ;  ce  sont  deux 
ordres  de  recherche  absolument  différents  parleur  objet, 
bien  qu'on  les  conçoive  comme  devant  former  partie 
intégrante  dans  une  histoire  complète  de  l'économie. 


HISTOIRE    DE    l'ÉGONOMIE    POLITIQUE  129 

entendue  dans  son  sens  le  plus  large.  Blanqui,  et  ceux 
qui  ont  suivi  ses  traces,  se  sont  donc  trompés  en 
déduisant  l'antiquité  des  doctrines  de  celle  des  ins- 
titutions et  des  faits,  car  ils  ont  ainsi  confondu  la 
science  avec  les  objets  qu'elle  étudie.  Affirmer,  comme 
ils  le  font,  que  là  où  il  y  a  des  richesses,  des  échanges, 
des  monnaies  et  des  impôts, on  doit  trouver  aussi  une 
science  économique,  cela  équivaut  à  dire  que  l'astrono- 
mie et  la  physiologie  sont  une  conséquence  nécessaire 
du  mouvement  des  astres  et  des  phénomènes  de  la 
vie  végétale  et  animale. 

P.  Rossi,  Introduction  à  l'histoire  des  doctrines  écono- 
miques, in  Journal  des  Economistes.  T.  II  (Paris, 
1842),  pp.  201-223. 

H.  Baudrillart,  De  l'histoire  de  l'économie  politique. 
Ibidem.  T.  V  {3"  série,  1867;,  pp.  57-75. 

L'histoire  des  doctrines  économiques  comprend  : 
1°  L'histoire  externe,  qui  étudie  l'origine  et  le  déve- 
loppement des  théories  et  des  systèmes,  considérés 
dans  leur  ensemble  et  dans  leurs  parties  principales, 
sans  descendre  aux  menus  détails.  Elle  est  générale,  si 
elle  embrasse  tous  les  temps  et  tous  les  lieux  ;  spéciale, 
si  elle  se  limite  à  une  époque,  à  une  nation,  à  un  sys- 
tème, à  un  ou  à  quelques  écrivains,  etc  ; 

2"  L'histoire  interne  (ou,  comme  on  dit  en  Alle- 
magne, dogmatique],  qui  recherche  la  formation  et  les 
progrès  des  différentes  théories  particulières  (celles, 
par  exemple,  de  la  valeur,  de  la  monnaie,  de  la  rente, 
des  impôts)  et  dont  on  fait  souvent  précéder  ou  suivre 
leur  exposé  doctrinal.  Les  matériaux  de  l'histoire  in- 
terne de  l'économie  sont  dispersés  dans  une  multitude 
de  monographies.  Parmi  les  auteurs  d'ouvrages  géné- 
raux et  systématiques  qui  ont,  dans  les  limites  de  leur 

9 


i30  HISTOIRE    DE    l'ÉCONOMIE    POLITIQUE 

.sujet,  recueilli  des  données  très  abondantes  sur  l'his- 
toire interne  de  l'économie  politique,  la  première  place 
appartient,  sans  conteste,  à  notre  vénéré  maitre  Guil- 
laume Roscher. 

W.  Roscher,  System  der  Volksivirthschaft.  Stuttgart, 
1854-1880.  4  volumes  (réimprimés  plusieurs  fois 
séparément;.  Le  premier  volume  a  paru  en 
français  sous  le  titre  :  Principes  iVéconomie 
politique,  traduction  française  par  Wolowski. 
Paris,  1857,  2  vol.  ;  le  second,  sous  le  titre  de 
Traité  d'économie  politique  rurale,  traduction 
française  par  Vogel.  Paris,  1888. 

Les  critères  dont  il  faut  s'inspirer  dans  l'étude  de 
l'histoire  (externe  et  interne)  de  l'économie  sont  les 
suivants  : 

1°  Le  choix  des  matériaux  doit  être  judicieux,  et, 
par  conséquent,  on  ne  doit  enregistrer  ni  toutes  les 
œuvres,  ni  tous  les  auteurs,  mais  ceux-là  seulement  qui 
sont  remarquables  par  leur  valeur  intrinsèque ,  leur 
originalité,  leur  influence. 

2"  L'exposition  des  faits  intrinsèques  (livres,  doc- 
trines, enseignements)  et  extrinsèques  (conditions  indi- 
viduelles et  sociales)  doit  être  claire,  sobre  et  fidèle. 

3"  La  critique  des  théories  doit  être  large  et  impar- 
tiale, mettre  en  relief  leur  originalité,  les  influences 
qu'elles  ont  subies  ou  exercées  et  leur  valeur  réelle, 
tant  par  rapport  au  temps  où  elles  sont  nées,  que  par 
rapport  à  l'état  dernier  de  la  science. 

L'histoire  des  disciplines  économiques  ne  peut  pas 
remplacer  leur  étude  dogmatique,  mais  elle  en  est  un 
complément  nécessaire.  Pourvu  qu'elle  soit  éclairée  par 
la  critique,  elle  ne  peut  donner  naissance  ni  au  scep- 
ticisme systématique,  ni  à  un  éclectisme  inconsidéré, 
ni  à  l'apologie  posthume  de  doctrines  et  d'institutions 


i 


HISTOIRE    DE    l'ÉCCNOMIE    POLITIQUE  131 

vieillies.  Elle  peut,  au  contraire,  contribuer  à  l'histoire 
de  la  civilisation,  en  mettant  en  lumière  l'influence  des 
économistes  sur  les  réformes  sociales  déjà  effectuées, 
et  en  préparant  le  lerrain  pour  d'autres  réformes  qui 
pourront  être  réalisées  dans  l'avenir.  Elle  servira,  en 
outre,  à  mieux  connaître  la  valeur  des  théories,  parce 
qu'on  les  aura  étudiées  dans  leurs  origines  et  dans  les 
modifications  qu'elles  ont  successivement  subies'. 

Comme  il  est  impossible  de  recourir  toujours  à 
toutes  les  sources,  il  faudra  bien  souvent  nous  servir 
des  œuvres  générales  ou  spéciales  qui  en  résument,  au 
moins  partiellement,  le  contenu.  Il  nous  faut  donc  in- 
diquer, en  y  joignant  quelques  notes  critiques,  les 
œuvres  principales  qui  se  rapportent  à  l'histoire  géné- 
rale externe  de  l'économie  politique;  nous  parlerons 
plus  loin  des  œuvres  spéciales. 

On  trouve  une  indication  sommaire  des  histoires  de 
l'économie  politique  dans  : 

R.  v.  MohI,  Die  Schriften  liber  die  Geschichiederpoli- 
iischen  Œkonomie,  in  Geschichte  und  Literalur  der 
Slaatswissenchaften.  T.  III  (Erlangen,  1858),  p.  291 
et  suiv. 

Jul.  Kautz,  op.  cit.,  pp.  34-50. 

K.  Knies,  Bie  politische  Œkonomie,  etc.  B^aunsch^veig, 
1881-83,  pp.  9-22  et  521-533. 

Les  notices  historiques,  d'ordinaire  assez  courtes  et 
exclusivement  bibliographiques,  que  l'on  trouve,  comme 
introduction  ou  comme  appendice,  dans  beaucoup  do 
traités,  ne  suffisent  pas  pour  donner  une  connaissance 
suffisante  du  développement  graduel  de  cette  disci- 
pline. 11  faut  en  dire  autant  des  articles,  remarquables 
souvent,  que  l'on  trouve  dans  certains  Dictionnaires  et 
dans  les  meilleures  Encyclopédies.  Citons,  par  exemple, 
les  traités  d'économie  politique  publiés,  en  Angleterre, 


132  HISTOIRE    DE    L  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

par  Mac-Culloch,  Shadwell,  Marshall;  en  France,  par 
Say,  Garnier,  Courcelle-Seneuil;  en  Allemagne,  par 
Lotz,  Rau,  Wirth,  parle  socialiste  Mario  (Winkelblech), 
par  Cohn,  et  spécialement  par  von  Scheel  (dans  le 
Manuel  de  Schonberg)  ;  en  Italie,  par  Bianchini,  et  sur 
ses  traces  par  Trinchera;  en  Hollande,  par  Pierson;  en 
Espagne,  par  Florez  Estrada,  Carballo  y  Vanguemert, 
Carreras  y  Gonzalez  ;  par  Forjaz  da  Sampajo,  en  Por- 
tugal ;  par  Wreden,  en  Russie  ;  par  Bilinski,  en  Pologne  : 
en  Suède,  par  Hamilton  et  par  Leffler;  en  Danemark, 
par  Frederiksen  ;  aux  Etats-Unis  d'Amérique,  par  Perry . 
Ellis  Thompson,  Laughlin,  James  [dans  V Encyclopédie 
de  Lalor),  etc. 

Parmi  les  ouvrages  exclusivement  consacrés  à  l'his- 
toire générale  de  l'économie  politique,  il  faut  faire  une 
mention  spéciale  pour  : 

Ad.  Blanqui,  Histoire  de  V économie  politique  en  Eu- 
7'ope,  etc.,  suivie  d'une  bibliographie,  eic.  Paris, 
1837-38,  2  vol.,  4«  édit.  (par  les  soins  de  M.  A.  Oit), 
Paris,  1860;  Iraduile  en  anglais  par  E.-J.  Léonard. 
London,  1880. 

Alb.  de  Villeneuve-Bargemont,  Histoire  de  l'économie 
politique.  Paris,  1841.  2  vol. 

Travers-Twiss,  Vieiv  of  the  progress  of  poUtical  eco- 
nomy  in  Europe,  etc.  London,  1847. 

Jul.  Kautz,  Die  geschichtliche  EntwicUelung  der  Naiio- 
nal-Oekonomie  undihrer  Literatur.  Wien,  1860. 

Eug.  Duhring,  Krilische  Geschichte  der  Nationalokono- 
mieund  des  Socialismus.  Berlin,  1871  (3* édit.,  1879'. 

H.  Eisenharl,  Geschichte  der  Nationalokonomil.,  Jena, 
1881  i2<=  édit.  1891). 

J.  K.  Ingram,  A  history  of  pclitical  economy.  Edin- 
burgh,  1888  (trad.  allemande  de  E.  Roschlau, 
Tubingen,  1890;  trad.  italienne  de  Debarbieri, 
Torino,  1892;  trad.  irançaise  de  Henry  de  Vari- 
gny  et  E.  Bonnemaison,  Paris,  1893). 

A.  Espinas,  Histoire  des  doctrines  économiques.  Paris, 
1892. 


HISTOIRE    DE    l'ÉCONOMIE    POLITIQUE  133 

On  peut  reprocher  aux  compilations  de  Blanqui  et 
de  Villeneuve-Bargemont  leur  manque  de  méthode, 
d'ordre,  de  critique,  l'insufTisance  et  l'inexactitude  des 
renseignements,  rarement  puisés  aux  sources,  et  l'igno- 
rance presque  complète  des  œuvres  qui  n'ont  pas  été 
écrites  ou  traduites  en  français.  L'histoire  de  Villeneuve- 
Bargemont,  qui  se  place  au  point  de  vue  d'une  éco- 
nomie politique  chrétienne  qu'il  oppose  à  celle  de 
Smith,  a  été  rapidement  oubliée,  tandis  que  celle  do 
Blanqui,  remarquable  par  l'élégance  de  la  forme,  a  eu 
un  grand  succès,  en  l'absenced'une  œuvre  meilleure  et 
facilement  accessible  à  la  généralité  des  lecteurs.  Les 
jugements  de  Blanqui,  qui  a  subi  pour  partie  l'in- 
iluence  de  Sismondi,  ont  leur  point  de  départ  dans 
l'idée  d'une  économie  politique  française,  généreuse  et 
philanthropique,  qu'il  opposait  à  l'économie  anglaise, 
selon  lui  trop  mesquine  et  trop  exclusive. 

Travers-Tviss  n'a  étudié  que  quelques  auteurs  anglais, 
français,  italiens,  et  il  n'a  pas  toujours  fait  une  étude 
suffisante  des  sources;  mais  son  ouvrage  a  plus  de 
valeur  que  les  deux  précédents,  bien  qu'il  ne  donne 
qu'un  simple  tableau  historique  depuis  le  xvi^  .siècle. 
11  faut  louer  chez  lui  certaines  de  ses  appréciations 
et  le  grand  soin  qu'il  a  mis  à  distinguer  Ihistoire  des 
doctrines  de  celle  des  institutions. 

L'ouvrage  du  professeur  hongrois,  Jules  Kautz,  dis- 
ciple de  Roscher  et  partisan  des  doctrines  de  l'école 
historique,  quilui  ont  fourni  le  critère  de  ses  jugements, 
a  plus  de  valeur  que  les  histoires  précédentes  et  souvent 
au.ssi  que  celles  que  nous  mentionnerons  plus  loin.  Les 
renseignements  sont  abondants,  les  recherches  appro- 
fondies, et  la  connaissance  des  histoires  particulières 
et  des  monographies  très  étendue.  Cependant,  ses  juge- 
ments, néce.s.sairement  peu  objectifs,  sont  souvent 
incertains  et  même  superficiels.  Il  faut  noter  encore  que 


134  HISTOIRE    DE    l'ÉGONOMIE    POLITIQUE 

son  style  ampoulé,  ses  impropriétés  de  termes,  la  mau- 
vaise distribution  des  matières  et  l'absence  d'une  table 
des  auteurs,  ont  enlevé,  dès  sa  publication,  à  cette 
œuvre,  d'ailleurs  très  savante,  une  notable  partie  de 
l'utilité  qu'elle  aurait  pu  avoir.  De  plus,  les  études 
faites  dans  ces  dernières  années  sur  les  différentes  par- 
parties  de  l'histoire  de  l'économie  et  le  progrès  ulté- 
rieur de  la  science  ont  fait  vieillir  une  grande  partie  de 
de  cette  œuvre. 

Les  histoires  de  Diihring  et  d'Eisenhart  ont  des 
mérites  et  des  défauts  différents.  Elles  sont  remar- 
quables par  l'ordre,  la  sobriété,  la  juste  place  donnée 
aux  principaux  auteurs  ;  mais  elles  sont  absolument 
insuffisantes  pour  la  partie  bibliographique.  Ces  deux 
auteurs  se  sont  peu  préoccupés  des  œuvres  secondaires, 
mais  relativement  importantes,  et  en  général  des  mono- 
graphies. Eisenhart,  en  particulier,  ne  donne  qu'une 
esquisse  historique  trop  succincte;  il  n'est  pas  toujours 
impartial  et  il  partage  avec  Duhring  ce  préjugé  de  con- 
sidérer comme  absolument  moderne  l'origine  de  notre 
science.  Diihring,  qui  s'est  occupé  très  longuement  des 
théories  de  List,  de  Carey  et  de  quelques  socialistes, 
est  trop  entiché  du  protectionnisme  américain,  et  tout  à 
fait  injuste  dans  les  jugements  qu'il  porte  sur  certains 
grands  auteurs  (par  exemple,  Malthus  et  Ricardo),  et  il 
est  en  même  temps  trivial  dans  l'appréciation  de 
l'œuvre  scientifique  de  certains  de  ses  illustres  compa- 
triotes, sans  parler  de  sa  prétention  d'avoir  découvert 
une  économie  nouvelle,  qui  résoud  les  controverses 
entre  l'économie  ancienne  et  les  formes  du  socialisme 
qu'il  combat. 

Sans  aucun  doute,  et  pour  plus  d'une  raison,  il  faut 
mettre  au-dessus  des  travaux  dont  nous  venons  de 
parler,  l'histoire  de  l'irlandais  Ingram,  un  savant  et 
élégant  disciple  de  Técole  d'Auguste  Comte,  et  qui  était 


HISTOIRE    DE    LEGONOMIE    POLITIQUE  135 

déjà  connu  par  son  discours  contre  l'école  classique. 
Si  elle  est  moins  riche  de  renseignements,  compa- 
rée à  l'œuvre  de  Kautz,  sur  les  auteurs  étrangers  et 
les  auteurs  secondaires,  elle  fournit  cependant  (après 
Roscher,  Eisenhart,  von  Scheel,  Meyer,  Pecchio  et 
notre  Guide)  des  données  suffisantes  et  exactes  sur  le 
développement  de  l'économie  en  Allemagne  et  en  Italie, 
tout  en  insistant  davantage  sur  les  auteurs  anglais  et 
même  sur  les  auteurs  français,  généralement  étudiés 
aux  sources.  Toutefois,  si  on  peut  accepter  presque 
toujours,  dans  le  volume  d'Ingram,  ses  exposés  de  doc- 
trine, ce  n'est  qu'avec  une  grande  réserve  qu'il  faut 
accepter  ses  jugements  sur  des  écrivains,  même  de  pre- 
mier ordre,  comme  Malthus,  Ricardo,  Cairnes  et 
quelques  autres,  qui  n'appartiennent  pas  à  l'école 
historique  allemande  et  à  la  sociologie,  auxquelles 
l'auteur  emprunte  ses  critères  pour  juger  le  passé  de 
la  science  et  pour  prévoir  l'avenir. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  nous  étendre  sur  le  mérite 
de  certains  résumés  historiques  de  l'économie,  qui  ne 
s'élèvent  pas  au-dessus  de  la  compilation  mécanique  et 
vulgaire.  Parmi  les  auteurs  étrangers  nous  signalerons, 
parce  qu'ils  contiennent  certains  renseignements, 
d'ailleurs  absolument  incomplets,  sur  la  littérature  de 
leur  propre  pays,  les  manuels  des  hollandais  Molster  et 
De  Rooy,  du  suédois  Balchen,  et  celui,  un  peu  supé- 
rieur, du  professeur  russe  Vernadsky. 

J.  A.  Molster.  De  Geschicdenis der  Staathuishoudkunde. 
Amsterdam,  1851. 

E.  W.  de  Rooy,  Geschicdenis  der  Staathuishoudkunde 
in  Europa.  Amsterdam,  1851. 

Iwan  Vernadsky,  Résumé  historique  de  l'économie  po- 
litique (en  russe).  Saint-Pétersbourg,  1858. 

Alex.  R.  Balchen,  Grunddrarjen  of  den  Poliliska  Eko- 
nomiens  historia.  Stockolm,  1869.  (Très  rapide 
esquisse). 


136  HISTOIRE    DE    l'ÉCONOMIE    POLITIQUE 

On  peut  tirer  un  plus  LTand  profit  de  certains  travaux 
sur  l'histoire  spéciale  de  l'économie  politique  dans  les 
différents  pays  et  dans  les  différents  temps,  et  d'un 
nombre  encore  plus  considérable  de  monographies, 
écrites  d'après  les  sources,  sur  les  différentes  écoles  et 
sur  certains  écrivains  dignes,  pour  telle  ou  telle  raison, 
d'être  pris  en  plus  grande  considération.  Les  maté- 
riaux ainsi  recueillis  sont  si  abondants  qu'il  est  très 
difficile  de  s'en  rendre  maitre,  mais  ils  permettent  de 
résumer  mieux  qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'ici  les  résultats 
les  plus  importants  et  les  plus  sûrs  des  recherches 
historiques  particulières. 

Ce  qu'il  nous  faut  le  plus  regretter,  c'est  l'absence 
d'une  histoire  de  l'économie  politique  en  France  avant 
les  physiocrates,  et  en  Angleterre  avant  Smith.  On  peut  y 
suppléer,  mais  en  partie  seulement,  par  quelques  mono- 
graphies  et  notamment  par  deux  volumes,  malheureu- 
sement écrits  en  russe,  du  professeur  Janschull  sur 
l'histoire  du  free  tracle,  et  par  un  remarquable  Essai  de 
Roscher,  qui  n'a  cependant  pas  connu  tous  les  auteurs, 
et  qui  n'a  pas  toujours  pu  les  consulter  de  première 
main.  Un  élève  distingué  de  Menger,  le  docteur  Etienne 
Bauer,  privât  dozent  à  Vienne,  auquel  nous  devons 
quelques  bons  Essais,  prépare  une  histoire  de  l'éco- 
nomie politique  avant  Adam  Smith,  pour  laquelle  il  a 
déjà,  dans  ses  voyages  à  Londres  et  à  Paris,  recueilli 
de  précieux  matériaux. 

Pour  l'histoire  de  l'économie  politique  en  Allemagne, 
il  n'y  a  presque  rien  à  glaner  après  le  travail  colossal 
de  Ptoscher.  qui  est  un  modèle  d'exactitude  et  pour  le 
fond  et  pour  la  forme  ;  on  ne  peut  faire  que  cette  objec- 
tion, c'est  que  l'importance  du  sujet  est  très  inférieure 
aux  soins  infatigables  qui  ont  été  dépensés. 

Il  faut  encore  citer  l'histoire  de  l'économie  politique 
en  Espagne  de  Colmeiro,  et  celle  des  Pays-Bas  de  Las- 


HISTOIRE    DE    l'ÉGONOMTE    POLITIQUE  137 

peyres,  qui  a  été  roccasion  d'un  autre  travail  plus  pro- 
fond du  professeur  van  Kees,  malheureusement  resté 
inachevé  par  suite  de  la  mort  de  l'auteur.  Colmeiro  et 
van  Ress  ont  étudié  avec  grand  soin  le  lien  qu'il  y  a 
entre  les  théories,  les  conditions  de  fait  et  les  institu- 
tions. Il  faut  louer  encore  les  Essais  moins  développés 
d'Arnberg  pour  la  Suède,  et  de  Kautz  pour  la  Hongrie, 
Une  histoire  des  théories  économiques  aux  Etats-Unis, 
et  notamment  pour  les  dernières  décades,  rendrait  de 
très  grands  services.  Espérons  que  le  jeune  savant  doc- 
teur Furber,  de  Chicago,  pourra  bientôt  nous  la  donner; 
sur  les  conseils  de  Menger,  il  nous  a  communiqué  le 
manuscrit  de  la  première  partie  de  son  travail,  qui  nous 
a  paru  remarquable  par  sa  sobriété  et  sa  clarté. 

W.  Rosctier,    Geschichte   der  Naiional-Œkonoynik   in 

Deiitschland.  Mïmchen,  1874. 
M.  Cohneiro,  Historia  de  la  cconomia  polifica  en  Ës- 

pana.  Madrid,  1863.  Deux  volumes  (elle  s'arrête 

au  xviii°  siècle).  Elle  se  trouve  complétée  par 

l'ouvrage  suivant  du  même  auteur  :   Biblioteca 

de  los  economistas  espanoles  de  los  siglos  '16,  il 

y  18.  Madrid  1861.  Réimprimé  en  1880. 
Et.  Laspeyres,    Geschichte  der  volkswirthschaftlichen 

Anchauungen  der  N iederlmider,  elc.  Leipzig,  1863. 

(Elle  ne  contient  que  le  xvu«  et  le  xvin"  siècles. 1 
0.  van  liées,  Geschicdenis  der  Staaihuishoudkunde  in 

Nederland,  etc.  Utrecht,  1865-68.  Deux  volumes. 
J.  W.  Arnberg,  Anteckningar  om  frihetsUdens   poli- 

tiska  ekonomi .  I.  Upsala,  1868.  (Elle  comprend  la 

période  de  1719  à  1772.) 
Jul.    Kautz,  Entwickelungs-Geschichie  der  volkswirih- 

schaftlichen  Ideen  in  Ungarn,  etc.  Budapest,  1876. 

(Traduction  abrégée  de    l'œuvre   originale,    en 

hongrois,  éditée  en  1868.) 

L'Italie  a  eu,  grâce  au  baron  P.  Custodi,  la  première 
collection,   incomplète   d'ailleurs,    de  ses  économistes, 


138  HISTOIRE   DE    L'ÉCONOMIE    POLITIQUE 

accompagnée  de  biographies.  Elle  doit  à  Joseph  Pecchiô 
un  essai  historique  sur  ces  auteurs,  qui  a  été  très  ré- 
pandu en  Italie,  grâce  à  la  prohibition  qu'en  avait  faite 
la  censure  autrichienne,  et  à  l'étranger,  grâce  à  une 
traduction  française.  C'est  alors  que  naquit  et  s'accré- 
dita pour  longtemps  l'opinion  de  la  prééminence  absolue 
(Gioja  et  Mugnai  ou  de  la  prééminence  temporaire  (Ro- 
magnosi)  des  Italiens  en  économie.  Cette  thèse,  en- 
core aujourd'hui  très  répandue,  a  été  attaquée  avec  vi- 
gueur par  Ferrara  CBiblioteca,  delV Economista,,  série  I, 
vol.  III.  Torino,  1852),  et  après  lui,  avec  autant  d'acri- 
monie, par  un  anonyme  (dans  VEconomista.  Milano, 
1858).  Des  recherches  récentes  et  l'étude  d'ouvrages 
importants  qui  avaient  échappé  au  baron  Custodi.  ont 
permis  de  conclure  que  l'Italie,  aux  xiii%  xv%  xvi^  siècles 
et  dans  la  première  moitié  du  xvii^,  a  eu  des  écrivains  de 
premier  ordre,  notamment  en  ce  qui  concerne  la  mon- 
naie, et  que,  dans  la  seconde  moitié  du  xviii%  elle  a 
fourni  sa  contribution  à  la  constitution  de  la  science. 
La  collection  de  Custodi  a  servi  de  base  à  deux  es- 
quisses historiques.  La  première,  de  Vernadsky,  en 
russe,  et  l'autre,  plus  savante  et  plus  profonde,  de  l'il- 
lustre N.  G.  Pierson,  en  hollandais. 

Scnttori  classici  di  economia  politica.  Milano,  1802- 
1816.  50  volumes. 

Gius.  Pecchio,  Storia  delU  economia  pubblica  in  Italia. 
Lugano,  1829.  Plusieurs  fois  réimprimé  ;  la  der- 
nière réimpression  est  de  1852,  Turin.  Traduc- 
tion française  de  L.  Gallois.  Paris,  1830. 

Ivan  Vernadsky,  Recherches  hlsiorico-critiques  sur  les 
économistes  italiens.  Moscou,  18i9.  (Thèse  de  doc- 
torat.) 

N.  G.  Pierson,  Bijdrage  toi  de  geschicdenis  der  ccono- 
m.ische  studien  in  Italie,  etc.  Amsterdam,  1866. 
(Traduction  allemande,  sans  le  nom  de  l'auteur, 
par  un  certain  Schwarzkopf.  Strasbourg,  1872.', 


HISTOIRE    DE    l'ÉCONOMIE    POLITIQUE  139 

D'excellentes  monographies  sur  l'histoire  de  l'éco- 
nomie politique  en  Italie  ont  été  publiées  dans  ces  vingt 
dernières  années  par  Ricca-Salerno,  Cusumano,  Gobbi, 
Fornari,  Morena,  Supino,  Graziani,  Montanari,  Balletti, 
Alberti,  etc.  Nous  faisons  des  vœux  pour  que  Toniolo, 
Conigliani,  Graziani,  Morena  et  Balletti  terminent 
bientôt  d'autres  monographies  depuis  longtemps  pro- 
mises. Albergo  a  publié,  avant  l'impulsion  donnée  à  ces 
études  depuis  1870,  une  bonne  étude  sur  la  Sicile. 
Nous  travaillons  nous-mêmes  à  une  bibliographie,  si 
possible  complète,  des  économistes  italiens  jusqu'à 
1848  ;  mais  c'est  là  un  travail  ingrat  que  nous  n'espé- 
rons guère  pouvoir  publier. 

Giulio  Albergo,    Sloria  delV  Economia  poliiica  in  Sici- 
lia.  Palermo,  1855. 


Notre  présent  travail  n'étant  qu'un  résumé  d'histoire 
externe  des  théories  économiques,  accompagné  cepen- 
dant des  indications  nécessaires  pour  des  études  plus 
larges  et  plus  approfondies,  nous  les  diviserons,  pour 
faciliter  l'exposition,  dans  les  périodes  suivantes  : 

l**  La  période  que  nous  appelerons  fragmentaire, 
qui  comprend  l'antiquité,  le  moyen  âge  et  qui  se  pro- 
longe, par  quelques  écrivains,  jusqu'au  xvii"  siècle  ; 

2°  La  période  que  nous  appellerons  des  monogra- 
phies et  des  systèmes  em,piriques,  qui  va  du  xvi* 
siècle  jusqu'à  la  moitié  du  xviii''  ; 

3"  La  période  des  systèmes  scientifiques  (de  Quesnay 
et  de  Smith),  qui  ont  des  précurseurs  jusque  dans  le 
xvii®,  mais  qui  se  développent  et  se  perfectionnent  dans 
la  seconde  moitié  du  siècle  suivant  et  au  commence- 
ment du  nôtre  ; 


14b  HISTOIRE    DE   l'ÉGONOMIE    POLITIQUE 

A"  La  période  critique  contemporaine,  dans  laquelle, 
du  contraste  des  diverses  écoles  et  de  la  discussion  des 
bases  mêmes  de  la  science,  se  font  jour  de  multiples 
tentatives  pouréliminerleséquivoques,  perfectionner  les 
méthodes,  recueillir  des  matériaux  plus  nombreux  et 
mieux  élaborer  les  fruits  de  l'observation,  pour  rendre 
plus  complètes  et  plus  exactes  les  conclusions  de  l'éco- 
nomie rationnelle  et  formuler  avec  plus  de  prudeiice 
les  règles  de  l'économie  appliquée. 


CHAPITRE  II 
L'ÉPOQUE  FRAGMENTAIRE 


Les  opinions  sont  très  diverses  parmi  les  historiens 
au  sujet  des  origines  de  Téconomie  politique  ;  pour  les 
uns,  c'est  une  science  très  ancienne,  pour  d'autres,  elle 
est  tout  à  fait  moderne.  De  Villeneuve-Bargemont  en 
trouve  les  origines  dans  le  paradis  terrestre,  Kautz  en 
Orient,  Blanqui  en  Grèce,  Biancliini  commence  son 
histoire  à  la  chute  de  l'empire  romain  d'Occident,  Twiss 
au  XV i"  siècle,  Eisenhart  au  système  mercantile,  que 
Duhring  tient  pour  de  la  préhistoire.  Dilhring,  avec 
beaucoup  d'autres,  commence  par  Quesnay,  tandis  que 
d'autres  commencent  par  Smith.  Il  faut  dire  aussi  que 
certains  écrivains  attribuent  la  paternité  de  l'économie 
politique  à  tels  ou  tels  écrivains  italiens,  français,  an- 
glais du  xvi^  ou  du  xvii^  siècle,  par  exemple  à  Davan- 
zanti,  àScarulTi,  à  Botero,  à  Serra,  à  Bodin,  à  Mont- 
chrétien,  à  Boisguilbert,  à  Stafford,  àMun,  à  Petty,  etc. 
Toute  équivoque,  en  tant  du  moins  qu'elle  ne  serait 
pas  alimentée  par  des  préjugés  nationaux,  serait  bien 
vite  dissipée,  pour  peu  qu'on  veille  à  ne  pas  confondre, 
d'une  part,  les  opinions  vulgaires  sur  les  phénomènes 
économiques  et,  d'autre  part,  les  concepts  doctrinaux 
qui  s'efforcent  de  les  expliquer,  soit  incidemment  dans 
des  œuvres  consacrées  principalement  à  d'autres 
sciences,  soit  en  s'en  occupant  ex  professa  dans  des 
monographies,  soit,  entîn,  en  mêlant  les  règles  de  l'art 
et  les  vérités  de  la  science  dans  un  corps  de  doctrine 


142  l'époque  fragmentaire 

indépendant,  formant  un  tout  empirique  (une  collection 
de  monographies),  ou  un  système  vraiment  scientifique 
(c'est-à-dire  logiquement  coordonné). 

Ceci  posé,  nous  admettrons,  que  les  systèmes  auto- 
nomes d'économie  politique,  ayant  un  champ  de  re- 
cherche suffisamment  déterminé  susceptihle  d'être  ex- 
ploré avec  des  méthodes  appropriées,  ne  remontent  pas 
au  delà  du  siècle  passé  (Quesnay  et  Smith)  ;  mais  nous 
reconnaissons  aussi,  contrairement  à  Diihring.  àEisen- 
hart,  à  Cohn,  et  à  beaucoup  d'autres,  que  d'importantes 
notions  scientifiques  nous  ont  été  transmises,  sous  forme 
de  fragments,  dans  les  œuvres  de  philosophie  appliquée, 
de  droit  et  de  théologie,  qui  constituent  la  partie  la 
plus  notable  du  patrimoine  intellectuel  de  l'antiquité  et 
du  moyen  âge. 

Du  Mesnil-Marigny,  Histoire  de  l'économie  'politique 
des  anciens  peuples.  Paris,  1872.2  vol.  (3«  édit.» 
1878.  3  volumes).  (Apologie  rétrospective  du 
protectionnisme). 

Franc.  Trinchera,  Storia  criiica  delV economia  pubblica. 
T.  I.  Epoca  aniica.  Napoli,  1873.  (Mauvaise  com- 
pilation). 

Bûchsenschïitz,  Die  HauptstUtteji  des  Gewerbfleisses 
im  Idasslschen  Alterthum.  Leipzig,  1869. 

H.  Wiskemann,  Die  antike  Landiriiihschaft,  etc. 
Leipzig,  1859. 

A.  Boeckh,  Die  Staatshaushaltung  der  Athener.  Ber- 
lin, 1817,  2«  édit.,  1851.  3  volumes.  Traduction 
française  :  Economie  politique  des  Athéniens,  par 
A.  Laligant.  Paris,  1828.  2  volumes. 

Bureau  de  la  Malle,  Economie  politique  des  Romains. 
Paris,  1840.  2  volumes. 

§  1.  —  l'économie  politique  dans  l'antiquité 

Les  conditions  sociales,  le  régime  politique,  les  opi- 
nions religieuses  et  philosophiques,  la  persuasion  que 


l'époque  fragmentaire  143 

toute  l'activité  des  citoyens,  y  compris  l'activité  écono- 
mique, doit  être  exercée  dans  l'État  et  par  l'État,  tou- 
jours omnipotent,  quelques  diverses  qu'aient  été  les 
formes  de  sa  constitution,  n'ont  pas  permis  aux  penseurs 
de  l'antiquité  de  s'élever  à  l'idée  de  lois  rationnelles 
de  l'ordre  social  des  richesses,  idées  qui  sont  la  base 
nécessaire  de  toute  doctrine  économique  achevée,  indé- 
pendante. 

Notre  science  trouva  comme  obstacle  à  sa  constitu- 
tion, dans  le  monde  ancien,  le  caractère  même  de  l'or- 
ganisation sociale,  viciée  par  le  régime  de  l'esclavage, 
qui  corrompait  et  avilissait  la  richesse  dans  ses  sources; 
l'esprit  de  conquête  et  de  guerre,  qui  ne  permettait  pas 
aux  peuples  les  plus  forts  et  les  plus  puissants  de  se 
livrer  aux  luttes  pacifiques  et  fécondes  de  l'industrie; 
enfin  la  constitution  politique  elle-même.  En  fait,  en 
Grèce  comme  à  Rome,  tous  les  soins  des  citoyens  étaient 
tournés  vers  les  affaires  publiques.  De  la  liberté  si  admi- 
rée on  n'avait  pas  une  idée  exacte  ;  on  la  croyait  réalisée 
pai*  une  large  participation  aux  fonctions  de  l'État  que 
l'on  voulait  tout  puissant  et  qui,  par  là  même,  était 
appelé  à  étouffer  toute  autonomie  de  l'individu  comme 
des  sociétés  politiques  inférieures.  Comme  obstacle  à  la 
naissance  de  l'économie  politique,  nous  trouvons  enfin 
les  doctrines  religieuses  du  paganisme,  qui,  d'accord 
avec  les  théories  des  philosophes,  condamnaient  les 
arts  industriels,  à  l'exception  de  l'agriculture,  parce 
qu'ils  les  considéraient  comme  dangereux  pour  la 
santé  du  corps,  la  culture  de  l'esprit  et  l'exercice  des 
vertus  domestiques  et  civiles. 

A)  Orient.  — Les  idées  économiques  des  peuples  de 
l'ancien  Orient,  telles  qu'on  les  trouve  dans  leurs  livres 
sacrés,  n'offrent  qu'un  faible  intérêt  si  on  les  étudie  à 
la  lumière  de  la  science  moderne.  Elles  peuvent  se  résu- 


144  l'époque  fragmentaire 

mer  dans  quelques  préceptes  moraux  sur  la  vertu  du 
travail,  de  la  tempérance  et  de  l'épargne,  et  sur  le 
devoir  de  ne  pas  désirer  les  richesses,  si  ce  n'est  pour 
les  employer  à  des  objets  de  culte  ou  au  secours  des 
malades  et  des  indigents.  L'exercice  des  arts  et  du 
commerce  est,  en  général,  tenu  pour  vil,  tandis  que 
l'af^riculture  est  très  estimée  ;  celle-ci  atteignit,  notam- 
ment aux  Indes  et  en  Egypte,  un  haut  degré  de  pros- 
périté. La  division  du  travail,  au  lieu  de  produire  les 
miracles  qu'elle  doit  à  la  liberté,  se  cristallisa  dans  le 
.système  des  castes  héréditaires  qui  ont  imprimé  à  la  civi- 
lisation orientale  .son  caractère  d'immobilité,  et  coupé 
les  ailes  à  tout  progrès  raisonnable.  Seuls  quelques  éru- 
dits  et  quelques  hommes  d'État  delà  Chine  apprécièrent 
à  peu  près  exactement  la  fonction  du  commerce  et 
eurent  une  idée  suffisamment  exacte  de  la  nature  de  la 
monnaie  et  de  celle  de  ses  substituts  fiduciaires,  devan- 
çant ainsi  (comme  le  démontrent  un  fragment  de  Kvv'an- 
tsze,  du  septième  siècle  de  l'ère  vulgaire,  et  les  œuvres 
de  deux  autres  savants  qui  ont  vécu  au  xi"  siècle)  par 
leurs  préceptes  beaucoup  de  pratiques ,  les  unes 
recommandables,  les  autres  mauvaises,  de  l'économie 
monétaire  moderne. 

.  Eb.  Kiibel,    Die  soziah^  xind   volks/i'irthschafiliche 

Geseizgebiwg  des  Alten  Testamentes,  elc,  Wiesba- 

den^  1870. 
Giac.  Lumbroso,  Rpçherches  sur  Véconomie politique  de 

VEgypte  sous  les  Lagides.  Turin,  1870. 
W.  Wissering,  On  chinese  currency.  Coin  and  paper 

money.  Leiden,  1877. 

B)  Grèce.  —  Pusieurs  des  États  de  la  Grèce  ancienne, 
favorisés  par  la  nature  et  par  leur  excellente  situation 
maritime,  ont  atteint  un  haut  degré  de  puissance  com- 
merciale et  politique  ;  et  quelque.s-uns  de  leurs  éminents 


l'époque  fragmentaire  145 

penseurs  auraient  dû  être  amenés  à  en  rechercher  les 
causes.  Cependant,  et  par  les  raisons  déjà  développées  et 
par  la  prédominance  déjà  signalée  des  intérêts  stricte- 
ment politiques,  les  recherches  théoriques  des  Grecs  sur 
les  phénomènes  économiques  furent  toujours  subor- 
données aux  études  de  la  philosophie  pratique  (ou  mo- 
rale, au  sens  large),  qui,  pour  les  Grecs,  se  subdivisait  en 
trois  branches  :  l'économie  (domestique),  l'éthique  au 
sens  étroit,  c'est-à-dire  la  doctrine  des  devoirs,  la  poli- 
tique, c'est-à-dire  l'art  du  gouvernement. 

K.  H.  Rau,  Ansichten  der  Volksivirihschaft.  Leipzig, 
1821. 

W.  Roscher,  Ueber  das  Verhàltniss  der  Naiional-Œ- 
komie  zum  klassischen  Alterihum  (1849).  Réim- 
primé dans  les  Ansichten  der  Volksivirihschaft 
Leipzig,  1861.  pp.  3-46. 

J.  G.  Glaser,  Die  Entwiclielwuj  der  Wirlhschaftsvcr- 
h'dltnisse  bei  den  Griechrn.  Berlin,  1865. 

L.  Cessa,  Di  alcuni  studii  storici  suite  teorie  economiche 
dei  Grcci,  in  Saggi  di  economia  polilica.  Milano, 
1878,  pp.  3-1'j.  (Notes  critico-bibliographiques. 

Parmi  les  historiens,  on  peut  consulter  Hérodote, 
bien  qu'il  soit  inférieur  à  Thucydide,  lequel  a  su  mettre 
en  évidence,  avec  une  grande  perspicacité,  l'élément 
économique  et  en  particulier  l'importance  de  l'échange 
et  son  influence  sur  les  faits  politiques  et  sociaux,  au 
point  de  provoquer  l'enthousiasme,  peut-être  excessif, 
de  Roscher,  qui,  dès  l(S^i2,  lui  avait  consacré  une  sa- 
vante biographie. 

G.  Roscher,  Disputaiio  prima  de  doctrina  œcûnomiro- 
polUicx  npud  Grœcos  primor(tiis.  Lipsis^,  1866. 

Avant  Platon,  plusieurs  éciivains  se  sont  occupés, 
dans  des  œuvres  .spéciales,  de  l'économie  domestique 
et  de  quelques  branches  de  la  technologie,  en  parti- 
culier de  la  chasse,  des  mines  et  de  l'agronomie.  Nous 

10 


146  l'époole  fragmentaire 

avons  perdu,  par  exemple,  les  œuvres  de  léron  et  de 
Callicratides  sur  l'économie  domestique,  celles  d'Apol- 
lodore  de  Lemnos  sur  les  mines,  et  de  Carete  de  Paros 
sur  l'agriculture.  Et  si,  peut-être,  on  disputa,  comme 
l'a  conjecturé  Stein,  sur  certains  points  spéciaux  de  la 
chrématistique  (science  de  la  richesse,  auxiliaire  de 
l'éthique)  et  en  particulier  sur  la  distinction  de  la 
richesse  et  de  la  monnaie,  il  est  hors  de  doute  que  la 
question  économique  et  politique  de  l'esclavage  fut 
l'ohjet  de  discussions  dont  nous  retrouvons  l'écho  dans 
les  œuvres  d'Aristote. 

Salv.  Talamo,  Il  concetto  délia  schiavitù  seconda  Aris- 

lotile.  Roma,  1881.  (In  Aiti  delV  Accad.  di S.  Tom- 

maso  d'Aquino.  Tome  I.) 
L.  Slein,  Die  staatsirisscinrhaftUche  llieorie  der  Grie- 

clien    voi'   Arisloteles  und    Platon.    (In  Zeitschr. 

fur  die  ges.   Staaiswisenschaft,  1853.  Tubingen, 

pp.  115-182.  ■ 

On  peut  faire  une  moisson  plus  abondante  de  rensei- 
gnements au  sujet  des  vues  économiques  des  Grecs  sur 
les  richesses  sociales  dans  les  œuvres  des  philosophes  et 
particulièrement  chez  ceux  de  l'école  de  Socrate  (m.  399. 
av.  J.  C),  qui  donna  une  direction  pratique  aux  recher- 
ches spéculatives.  Cependant,  ils  n'ont con.sidéré  les  biens 
économiques  que  comme  un  moyen  pour  atteindre  les 
buts  les  plus  élevés  de  la  vie.  de  sorte  qu'ils  se  sont 
occupés  d'éthique  économique  et  non  d'économie  poli- 
tique, et  ils  se  sont  proposé  surtout  de  démontrer  que 
le  bonheur  véritable  ne  consiste  pas  dans  la  richesse. 
C'est,  parmi  beaucoup  d'autres,  la  pensée  de  l'auteur, 
stoïque  ou  socratique,  d'un  dialogue  intitulé  Eryxias. 
que  l'on  trouve  parmi  les  dialogues  de  Platon  et  qui 
fut  pendant  longtemps  attribué  à  Eschine. 

C.  H.  Hagen,  Observationum  œcononiico-polUiraniin  iu 
Œsrhinis  Dialogunu  etc.  Regiomonli.  1822. 


l'époque  fragmentaire  147 

La  pensée  économique  des  philosophes  Grecs  est  plus 
largement  et  plus  fidèlement  reproduite  dans  les  écrits 
de  Platon,  de  Xénophon  et  en  particulier  dans  ceux 
d'Aristote. 

Platon  (429-348.  av.  J.  C),  dans  sa  République,  es- 
quisse le  plan  d'un  État  gouverné  par  des  philosophes. 
Pour  eux  et  pour  la  classe  des  guerriers  existe  le  système 
de  la  communauté  des  biens  et  leur  mariage  est  sévè- 
rement  réglementé.    Le    travail   des    esclaves    et  des 
étrangers  pourvoit  aux  besoins  de  toute  la  population. 
Dans  son  ouvrage  sur  les  Lois,   Platon  modère  un  peu 
son  culte  de  l'idéal  et  il  cherche  à  adapter  son  système 
politique  et  économique  aux  conditions  réelles  des  temps. 
Il  appelle  riches  ceux  qui  possèdent  plus  que  les  autres  ; 
il  distingue   les   biens  humains   (santé,  force,  beauté, 
richesse)  des  biens  divins  (sagesse,  vertu,  tempérance), 
et  ceux  qui  servent  à  la  jouissance  et  au  luxe,  des  biens 
qui  procurent  un  gain.   11  avait  su  apprécier  dans  la 
République  l'importance  du  travail  et  celle  de  sa  divi- 
sion, sans  en  prévoir  les  développements  postérieurs  ; 
il   analyse   dans   les  Lois  les  usages  de  la  monnaie, 
instrument  et  signe  de  l'échange,   et  aussi  les  avan- 
tages du  commerce.    Cependant,    il  pense   que,    dans 
l'intérêt  de  l'Etat,  il  convient  de  défendre  l'usage  de  la 
monnaie  et  le  prêt,  d'exercer  une   surveillance   étroite 
sur  les  manufactures,  de  restreindre  le  commerce,  nui- 
sible aux  mœurs  et  à  l'agriculture.  Celle-ci  a  toutes  ses 
préférences  et  il  donne  un  grand  nombre  de  préceptes 
pour  arriver  à  une  bonne  exploitation.   Bien  qu'il  ne 
méconnaisse  pas  les  tendances  des  hommes  à  la  pro- 
priété individuelle,  il  incline  cependant  vers  le  système 
de  la  plus  grande  égalité  possible   des  biens,    qui  ne 
doivent  pas  dépasser  un  certain  maximum;  il  propose 
un   communisme    tempéré.    Le   communisme    absolu, 
qu'il  considère  comme  l'idéal  de  la  justice,  avait  trouvé 


148  l/ÉPOOUE    FRAGMENTAIRE 

un  critique  spirituel  dans  Y  Assemblée  des  femmes 
d'Aristophane,  et  devait  être  plus  tard  complètement 
réfuté  dans  le  second  livre  de  la  Politique  d'Aristote. 

Rob.  von  Molli,  Die  Siaafsromane.  In  Geschic/de  iind 
Lileraiur  lier SlaalsiiHssenscha/ïen,  vol.  I.  Erlangen, 
1855.  pp.  171-176. 
G.  B.  Salvioni,  //  Comimi&mo  nella  Grecin  antica.  Pa- 

dova,  1883. 
Rob.  Pôlhmaiin,  Gesrliicldc  des   aiitil.en   Kommunis- 
*  mus  uitilSozialismus.  Munchen,  1893-94.  2  vol. 

Xénophon  (4ii-354.  av.  J.  C.)  est  moins  profond,  mais 
plus  positif  que   Platon.   11   est   l'auteur  de  quelques 
œuvres  liistoriques  et  de  petits  traités  sur  l'économie 
domestique,   la  chasse,   les   revenus  de  l'Attique,  etc. 
Pour  lui,  la  richesse  consiste  dans  l'excédant  des  biens 
sur  les  besoins  ;  il  appelle  biens  les  choses  utiles  à  la 
vie,    et   il   reconnaît   comme    éléments    productifs    la 
nature,  qui  fournit  les  matériaux  que  le  travail  trans- 
forme.   11    apprécie,    comme   Platon,    l'avantai^e    qui 
dérive  de  la  division  des  profussions,  et  il  a  des  idées 
jl)lus  exactes  sur  les  arts  manufacturiers  et  le  commerce, 
tout  en  accordant  la    première   })lace   à    l'ag-ricultLire, 
qui  lui   semble  fournir  l'occupation   la  plus   propre  à 
fortifier  le  corps  et  l'âme,  et  à  augmenter  les  richesses. 
11  décrit,  dans  ce  but,  les  conditions  du  sol  et  du  climat, 
et  les  méthodes  d'organisation  du  travail  qui  lui  pa- 
raissent les  plus  propres  au  progrès  de  Part  agraire;  il 
est,  dans  une  certaine  mesure,  un  précurseur  éloigné 
de  la  théorie  moderne  des  limites  de  la  production  ter- 
ritoriale. 11  croit  à  la  nécessité  de  l'esclavage  ;  il  recom- 
mande, toutefois,  de  traiter  les  esclaves  avec  humanité. 
11  exprime,  enlin,  des  idées  originales  sur  la  monnaie  et 
sur  le  prix,  mais^  en  parlant  de  la  valeur  des  métaux 
précieux,  il  commet  une  grave  erreur  sur  la  valeur  de 


l'époque  fragmentaire  149 

l'argent,  qu'il  croit  constante  et  complètement  indépen- 
dante des  changements  dans  les  quantités  produites. 

B.  Hildebrancl,  Xenopkontis  el  Aristotelis  de  œconomia 
publica  doairinœ  illuslrantur.  Particula  I  (seule 
parue).  Marburg,  184."). 

Ad.  Frout  de  Fontpertuis,  Filiation  des  idées  écono- 
miques dans  Vantiquilé,  etc.  (in  Journal  des  Eco- 
nomistes, septembre  1871  et  ss.) 

Victor  Brants,  Xénophon  économiste  (in  Revue  catho- 
lique de  Louvain,  1881). 

Aristote  (384-322.  av.  J.  C.),lcplus  éminent  des  savants 
grecs,  occupe  également  la  première  place  en  économie. 
Observateur  patient,  profond,  pratique,  il  a  non  seule- 
ment poussé  plus  avant  les  recherches  spéculatives  sur 
la  richesse,  mais  il  a  résumé  tout  le  savoir  économique 
de  l'antiquité  en  traçant,  en  partie  du  moins,  les 
limites  des  recherches  faites  sur  ce  sujet  par  les  plus 
illustres  penseurs  du  moyen  âge.  Ses  théories  écono- 
miques sont  contenues  dans  l'Ethique  h  Nicomaque 
et  dans  la  Politique  ;  son  Economie  est  une  compila- 
tion d'écrivains  postérieurs,  basée  cependant  pour  le 
second  livre  sur  la  Politique  (d'après  Zeller)  et  pour  le 
premier  (d'après  Gottling)  sur  d'autres  ouvrages  d'Aris- 
tote. 

Il  comprend  dans  le  patrimoine  les  biens  destinés 
à  la  con.sommation  et  ceux  qui  sont  destinés  au  gain  ; 
en  distinguant  les  biens  qui  servent  directement  au  pro- 
priétaire de  ceux  qui  servent  à  l'échange,  il  pose  les 
premières  bases  de  la  distinction-  célèbre  de  la  valeur 
d'usage  et  de  la  valeur  d'échange,  de  l'économie  natu- 
relle et  de  l'économie  monétaire,  qui  forment  l'objet 
de  différentes  branches  d'activité  auxquelles  corres- 
pondent des  disciplines  théoriques.  Malgré  ses  préfé- 
rences   morales   pour   l'économie  naturelle,,   il   recon- 


150  l'époque    fragmenta  [RE 

naît  que  l'économie  monétaire  caractérise  les  peuples 
qui,  par  suite  d'une  large  division  des  travaux,  sont  par- 
venus  à  un  degré  déjà  élevé  de  civilisation.  Il  assigne 
à    la  monnaie  les    deux    fonctions  principales,    d^être 
mesure  commune  des  valeurs  et  instrument  nécessaire 
pour  faciliter  l'échange.  Il  ne  confond  pas  la  monnaie 
avec  la  richesse,  et  démontre,  au  contraire,  en  rappe- 
lant la  fable  de  Midas,   qu'on  peut  mourir  de  faim  au 
milieu    de    la   plus    grande    abondance    de    métaux  ; 
il  ignore  cependant  que  la  monnaie  peut  aussi  être  un 
capital  et  il  déduit  de  sa  stérilité  .supposée  la  condam  - 
nation  de  l'intérêt.   Il  divise  la  population  en  quatre 
classes  :  les  agriculteurs,  les  artisans,  les  commerçants 
et  les  professions  libérales  (prêtres,   guerriers,  magis- 
trats, etc.)  ;  il  exclut  de  la  participation  au  gouverne- 
ment  de  la  chose  publique  ceux   qui  se  vouent  aux 
arts  tendant  à  augmenter  le  patrimoine   et,  partant, 
indignes    d'hommes    vraiment  libres.    Il    admet  l'es- 
clavage,  et  même  il  le  défend  ;   il   affirme   sa  néces- 
sité économique,  qui    correspond    à    l'infériorité    des 
esclaves  en  intelligence,  et  il  reconnaît  seulement  que 
cette  nécessité  disparaîtrait  s'il  arrivait  jamais  un  temps 
où  la  cithare  jouerait   d'elle-même  et  où    la  navette 
courrait  seule.  Il  veut  que  la  population  soit  propor- 
tionnée au  territoire,  parce  que,  si  elle  était  faible,  elle 
compromettrait  Tindépendance  de  l'État;   si  elle  était, 
au  contraire,  surabondante,  la  tranquilité,  l'ordre,    la 
sécurité  feraient  défaut. 

J.  C.  Glaser,  De  Arisiolelis  docirina  de  dwitiis.  Regio- 

monti,  1850  (Insuffisant). 
W.  Oncken,  Die  Staatslehre  des  Aristoteles.  Leipzig, 

1870-75.  2  volumes. 
D.  G.  Ritchie,  v°.  Aristotile,  in  Diciionary  of  polit ical 

economy   de  R.  H.   Inglis   Palgrave,  P''  partie^ 

1891. 


l'époque  fragmentaire  151 

C)  Rome.  —  Les  écrivains  classiques  romains,  et  en 
particulier  les  philosophes,  ne  se  sont  pas  occupés  des 
questions  économiques  avec  le  même  soin  que  les  Grecs, 
qui  furent,  en  cette  matière  encore,  les  sources  aux- 
quelles ils  puisèrent  de  préférence. 

F.  B.  G.  Hermann,  Disserlatio  exhibens  sententiasRo- 
manorum  ad  rpconomiam  universam  sive  nalionnlem 
periinentes.  Erlangse,  1823  (superficiel). 

Nous  ne  donnerons  que  quelques  brèves  indications 
sur  Cicéron,  Sénèque,  Pline  l'ancien,  les  écrivains  d'a- 
gronomie et  ceux  de  jurisprudence.  Cicéron  traduisit, 
dans  sa  jeunesse,  \' Fxonoinlque  de  Xénophon,  et  fit 
connaître,  à  plusieurs  reprises  (notamment  dans  le 
De  Officiis  I,  42),  ses  opinions  favorables  à  l'agriculture 
et  hostiles  aux  manufactures  et  au  petit  commerce.  On 
trouve  également,  dans  ses  œuvres  de  rhétorique,  de 
philosophie  et  de  politique,  d'autres  observations  éco- 
nomiques dignes  d'être  notées,  qui  ont  été  recueillie."? 
avec  beaucoup  de  soin  par  l'érudit  hollandais  Calkoen. 

Calkoen,  Over  eenige  staathnishoudkundige  gevoelens 
en  sieilinfien  in  de  geschriften  van  Cicero,  etc. 
(In  Bi/dragen  tôt.  Regsgel  en  Wetgeving  de  van 
Hall,  1831-32.  Tome  VI,  pages  413  et  suiv.) 

Ennemi  de  l'avarice ,  comme  de  la  dissipation  et  du 
luxe,  des  conquêtes  et  des  guerres,  adversaire  de  l'es- 
clavage et  favorable  à  la  frugalité ,  à  la  tempérance  et 
au  travail,  Sénèque  a  parlé  de  l'éthique  économique  en 
«'inspirant  des  idées  de  la  philosophie  stoïque. 

Dans  son  histoire  naturelle,  Pline  reconnaît  la  pro- 
ductivité plus  forte  de  la  grande  culture;  il  déplore 
les  maux  qui  résultent  des  «  latifundia  »  cultivés  par  des 
mains  serviles  ;  il  se  montre  même  adversaire  du  luxe, 


[h'2  l'époque  fragmentaire 

comme  aussi  de  l'exportation  des  monnaies  et  de  l'im- 
portation des  marchandises  étrangères ,  et  il  donne 
aussi  quelques  indications  sur  la  valeur,  sur  ses  causes 
et  sur  ses  mouvements. 

Plus  importantes  encore  sont  les  œuvres  des  agro- 
nomes (scriptoves  vei  rusticcej,  qu'il  ne  faut  pas  con- 
fondre avec  les  agrimensoros  (scrlptores  reiagrainae), 
et  notamment  celles  de  Caton ,  Varron ,  Columelle. 
Vivant  à  une  époque  de  décadence  économique  et  mo- 
rale, ils  voudraient  restaurer  des  conditions  agraires 
plus  saines  et  plus  heureuses.  Leurs  préceptes  tech- 
niques se  proposent  de  rendre  l'agriculture  plus  ration- 
nelle, d'introduire  les  pratiques  rurales  d'autres  peuples, 
et  en  particulier  des  Carthaginois  ;  ils  veulent,  déplus, 
réveiller  l'amour  de  la  vie  des  champs,  en  excitant  les 
propriétaires  à  cultiver  eux-mêmes  leurs  terres,  et  en 
déconseillant  la  constitution  de  tenures  trop  vastes 
abandonnées  au  travail  servile. 

Les  théories  économiques  des  jurisconsultes,  qui  sont 
conservées  notamment  dans  le  Digeste,  ont  une  em- 
preinte romaine  plus  nette  et  plus  originale.  Il  ne  faut 
pas  cependant  rapprocher  arbitrairement  des  fragments 
d'auteurs,  qui  ont  écrit  à  des  siècles  de  distance,  pour 
en  tirer,  à  grand'  peine,  une  sorte  de  compendium  d'é- 
conomie politique ,  arrangé  à  la  manière  moderne, 
comme  l'a  fait  le  hollandais  Tydeman,  qu'a  suivi,  en 
cela,  Kautz.  D'autres  écrivains  plus  récents,  comme 
Scheel.  Bruder,  avec  un  sens  historique  plus  exact,  se 
sont  proposé  d'illustrer  quelques  passages  remarquables 
du  Corpus  juris  et  ils  ont  indiqué  le  lien  qui  unit  au 
droit  romain  classique  un  grand  nombre  de  mesures 
économiques  de  la  législation  moderne.  Il  y  a  plus  long- 
temps encore,  certains  fragments,  et  en  particulier  celui 
de  Paul  (loi  I,  Dig.  de  contr.  empt.,  XVIII,  1)  sur  l'ori- 
gine et  les  fonctions  de  la  monnaie,  ont  exercé  l'esprit 


l'époque  fragmextaihe  153 

d'analyse  de  quelques  écrivains,  et  notamment  de  quel- 
ques écrivains  italiens.  Certains  économistes  érudits 
(comme  Carli  et  plus  encore  Néri)  ont  déduit,  en  s'ap- 
puyant  sur  des  preuves  parfois  un  peu  faibles,  que  les 
idées  romaines,  au  lieu  d'être  contraires  (comme  le  sou- 
tenait entre  autres  Pagnini)  aux  Ihéories  monétaires 
des  économistes  modernes,  y  étaient  entièrement  con- 
formes. 

P.  Neri,  Osservazioni  sul  prezzo  légale  délie  Dioncie. 

Milano,  1751,  pages  105  et  suiv. 
G.  G.   Tydeman.  Disquisiiio  de  yEconomix  Politicœ 

notionibus    in   Corpore  Juris    rivilis    Justinianeo . 

Lugduni-Batavorum,  1838. 
H.  von  Scheel,  Die  wirihsrhaftlichen  Grundoegriffe  ira 

Corpore  Juris  civilis  (in  Jahrhûcher  fùrnal .  Oekon. 

de  B.  Hildebrand.  Jena,  1866). 
Ad.    Bruder,    Zur    œkonomischen    Charakteristik  des 

rUmischen  Rechies  [inZeilschrift  fur  dieges.  Staals- 

wissenschaft    de  Tubingen  ;    année   32-35,    1876- 

1879. 
G.  Alesio,  Alcune  riflessioni.  iniorno  ai  concetti  del  va- 

lore  nell.    aniichità  rlasslca  (in  Archivio  juridico. 

Vol.  XLII.  Bologna,  1889).  . 
P.   OErtmann,   Die  Volksivirthschaftslehre  des  Corpus 

Juris  Civilis.  Berlin,  1891. 


Le  moyen  âge  est  une  période  de  lutte  très  ardente 
entre  le  monde  ancien,  où  dominent  les  idées  païennes, 
et  le  monde  moderne,  que  le  souffle  régénérateur  du 
christianisme  a  totalement  transformé.  Celui-ci  pro- 
clame, en  effet,  l'unité  de  la  race  humaine  et  le  prin- 
cipe de  l'égalité,  il  condamne  l'esclavage  et  le  servage 
et  en  prépare  l'abolition  graduelle  ;  il  reconstitue  la 
famille,  en  élevant  la  situation  morale  et  civile  de  la 


154  l'époque  fragmentaire 

femme,  en  adoucissant  la  rigueur  de  la  puissance  pater- 
nelle et  en  réformant  le  système  des  successions  ;  il 
crée  et  il  généralise  les  établissements  de  bienfaisance  ; 
il  prêcbe  aux  riches  les  devoirs  de  la  justice  et  de  la 
charité,  aux  pauvres,  ceux  du  travail  et  de  la  résigna- 
tion, aux  uns  et  aux  autres  la  foi  et  le  sacrifice.  On 
établit  ainsi  les  bases  d'une  organisation  meilleure  de  la 
production  et  de  la  distribution  des  richesses  et  on  dimi- 
nue les  souffrances  économiques  et  morales  des  classes 
les  moins  aisées. 

Mais  cette  œuvre  féconde  et  réparatrice  rencontra 
dans  les  idées,  dans  les  préjugés,  dans  les  mœurs  et 
dans  les  lois,  tant  et  tant  de  rési.stances,  qu'elles  retar- 
dèrent de  plusieurs  siècles  le  plein  effet  de  ces  réformes. 
Et  en  effet,  l'époque  antérieure  aux  croisades,  troublée 
par  des  luttes  incessantes  entre  le  Saint-Siège  et  l'Em- 
pire, qui  se  disputent  la  suprématie  politique  de  l'Eu- 
rope chrétienne,  et  parles  guerres,  plus  modestes  mais 
non  moins  incessantes  et  acharnées,  des  seigneurs  féo- 
daux, n'était  point  favorable  au  développement  des  ma- 
nufactures et  du  commerce.  Dans  cette  suite  incessante 
de  batailles,  de  rapines  et  de  violences  de  toute  sorte,  les 
industries  manquaient  des  garanties  nécessaires  d'ordre 
et  de  liberté,  et  couraient  de  graves  dangers,  par  suite  de 
l'absence  de  sécurité  dans  les  moyens  d'échange,  de 
transport  et  de  communication,  tandis  que  l'agriculture 
languissait,  chargée  de  poids  insupportables  et  exténuée 
par  la  condition  misérable  des  colons,  .serfs  de  la  glèbe 
et  opprimés  par  les  exactions  du  système  féodal. 

L.  Cibrario,  Délia  economia  politica  nel  medio  evo,  libri 

ire.  Torino,  1839.  2  volumes.  5'  édit.  1861.  Trad. 

franc,  par  Barneaud,  avec  introduction  par  Wo- 

lowski,  Paris,  1854. 
J.-E.  Th.  Rogers,  A  history  of  agriculture  and  priées 

in  England.  London,  18G6  et  suiv.  6  volumes. 


l'époque  fragmentaire  155 

K.  V.  Inama- Sternegg,  Deutsche  WirthschafUge- 
schichte.  Vol.  I  et  II.  Leipzig,  1879,  1891. 

K.  Lamprecht,  Deulsches  Wirthschaftsleben  inMiitel- 
alter.  Leipsig,  1885-1886.  4  volumes. 

W.  Cunningham,  The  groivthof  englisch  industry  and 
commerce.  Vol.  I.  Cambridge,  1890. 

Ce  n'est  que  dans  la  seconde  partie  du  moyen  âge 
que  les  manufactures  et  le  commerce  reçurent  une 
impulsion  vigoureuse  par  l'émancipation  des  communes, 
par  la  formation  de  la  bourgeoisie  et  par  les  impor- 
tantes routes  nouvelles  ouvertes  au  commerce  par  les 
Croisades.  Organisées  en  un  fort  régime  corporatif 
autonome,  nécessaire  pour  résister  à  la  toute  puissance 
des  barons  féodaux,  qui  concentraient  dans  leurs  mains 
la  puissance  territoriale,  elles  devinrent  rapidement, 
notamment  dans  les  florissantes  républiques  italiennes, 
et  plus  tard  dans  les  Flandres  et  dans  la  Hanse  teuto- 
nique,  un  puissant  élément  de  prospérité  matérielle  et 
de  progrès  civil. 

C'est  vers  l'an  mille  que  naquirent  en  Italie  ces  nou- 
velles institutions  économiques  qui,  de  nos  jours  encore, 
éveillent  notre  admiration.  Elles  trouvèrent  de  solides 
appuis  dans  les  statuts  et  dans  les  coutumes  relatives  au 
droit  commercial,  au  droit  maritime  et  au  change,  sanc- 
tionnées en  grande  partie  par  les  ordonnances  et  par  les 
lois  des  premiers  siècles  de  l'époque  moderne,  qui  ont 
préparé,  pour  notre  siècle,  les  Codes  en  vigueur. 

A.  Lattes,  Il  diriito  commerciale  nella  legislazione  sta- 
tutaria  délie  città  italiane.  Milano,  1883. 

E.  Bensa,  Il  contralto  di  ossicurazionenel  medio\evo.  Ge- 
nova,  1884. Traduction  française  parJ.Valery:  ZTjs- 
toire  du  Contrat  d'assurance  au  moyen  âgr.  :  Paris,  1897. 

V.  E.  Orlando,  Délie  fratellanze  artigiane  in  Italia. 
Firenze,  1884. 

Mais  la  renaissance  des  études  économiques  ne  date 


15C  l'époque  fuagmkntaiue 

que  du  xiii''  siècle  ;  elle  est  due  notamment  à  l'étude  de 
l'Ethique  et  de  la  Politique  d'Aristote,  dont  les  doc- 
trines sur  la  richesse  furent  paraphrasées  par  un  grand 
nombre  de  commentateurs  des  traductions  latines  de  ces 
deux  œuvres.  Avant  cette  époque,  il  n'y  avait  que  des  dis- 
sertations morales  sur  les  dangers  de  la  richesse,  sur  les 
maux  causés  par  Tavarice  et  par  le  luxe,  sur  le  devoir 
de  charité,  etc.  Cela  s'explique  aisément  si  l'on  songe  à 
l'influence,  alors  prépondérante,  des  idées  religieuses, 
à  la  réaction  vigoureuse  contre  le  matérialisme  de  l'anti- 
quité païenne,  à  la  prépondérance  de  l'économie  natu- 
relle, au  peu  d'importance  du  trafic,  notamment  du 
trafic  international,  à  la  décadence  des  sciences  pro- 
fanes, aux  tendances  métaphysiques  et  mystiques  des 
penseurs  les  plus  vigoureux.  Lorsque,  plus  tard,  les 
conditions  de  l'industrie  furent  améliorées ,  que  la 
sécurité  publique  fut  mieux  assurée,  que  les  com- 
munications furent  rendues  moins  difficiles ,  que 
Tamour  du  savoir  eut  augmenté,  que  la  jurisprudence 
fut  renouvelée  par  l'œuvre  d'écoles  célèbres,  que  la  sco- 
lastique  fut  arrivée  à  son  apogée,  les  écrivains  les  plus 
sagaces  de  la  philosophie  appliquée  ne  dédaignèrent 
pas  de  s'occuper  des  phénomènes  économiques,  et  ils  en 
étudièrent  les  relations  avec  la  doctrine  des  devoirs  et 
avec  celle  du  gouvernement  de. la  chose  publique. 

Ceux  qui  connaissent  l'histoire  des  sciences  au  moyen 
âge  ne  seront  pas  étonnés  que  parmi  les  fragments 
économiques,  qui  sont  dispersés  dans  les  œuvres  des 
théologiens,  des  philosophes,  des  jurisconsultes  et  des 
politiques,  ceux  que  nous  devons  aux  théologiens 
occupent  la  première  place.  Tandis  que  les  philoso- 
phes, la  plupart  ecclésiastiques,  commentent,  plus  ou 
moins  à  la  lettre,  les  théories  économiques  d'Aristote, 
en  les  corrigeant  à  l'aide  des  principes  du  Christia- 
nisme, les  écrivains   de  théologie   morale,  dans   leurs 


l'épûoue  fragmentaire  157 

traités,  dans  leurs  questions,  dans  leurs  sommes,  dans 
leurs  décisions,  dans  leurs  réponses,  dans  leurs  ser- 
mons, dans  leurs  monographies  sur  le  sacrement  delà 
pénitence,  ayant  à  s'occuper  de  la  restitution  de  l'indu 
et  du  thème  plus  général  de  la  justice  dans  les  con- 
trats, se  trouvent  nécessairement  amenés  à  rechercher 
la  nature  du  commerce,  de  ses  formes  et  de  ses  opéra- 
tions variées,  afin  de  distinguer  les  contrats  licites  et 
innocents  des  contrats  illicites  et  criminels.'  Et  c'est 
ainsi  qu'à  la  morale  économique  des  Grecs,  fondée  sur 
la  philosophie,  succède  celle  des  scolastiques  basée 
sur  la  théologie,  qui  était  à  cette  époque  la  science 
souveraine,  la  science  des  sciences. 

L'exposé  des  théories  économiques  du  moyen  âge, 
(îomplètement  négligé  ou  puisé  à  des  sources  secon- 
daires dans  les  histoires  générales  de  l'économie  poli- 
tique, devient  maintenant  plus  facile,  grâce  à  quelques 
bonnes  monographies,  dues  soit  à  des  compilateurs  dili- 
gents, soit  à  des  spécialistes  de  la  civilisation  de  cette 
époque.  Il  n'y  a  pas  jusqu'ici  d'œuvre  impartiale  qui 
expose  les  modifications  graduelles  des  théories  et  qui 
soit  dégagée  de  toute  tendance  d'opposition  systéma- 
tique ou  d'apologie  extrême. 

\V.  Endemann,  Die  nationalôkonomischen  Gnnulsaize 
lier  canonhlischen  Lehre.  Jena,  1863. 

\V.   Endemann,    SliuUen    in   der   wmanisch-hanonts- 
lischen  Wirthschafts  und  Recktdehre.  Berlin,  1874 
1883.  2  volumes. 

Cil.  Jourdain,  Méiroire  sur  les  cominen  cément  s  de  l'é- 
conomie politique  dans  les  écoles  du  moyen-âge 
il869),  in  Mémoires  de  l'Acad.  des  Inscr.  et  Belles- 
Lettres.  Tome  XXVIII.  Paris.  1874,  p.  p.   1-51. 

H.  Contzen,  Geschichte der  volksuirthschaftlichen  Lite- 
raturinder  Mittelalter.  Leipzig.  1869.  2«  édition 
(augmentée;,  Berlin,  1872.  OEuvre  un  peu  su- 
perficielle, y 


158  l'époqle  fragmemtaire 

V.  Cusumano,  DelV  economia  poUtica  nel  Medio  Evo. 
Bologna,  1876.  Réimprimé  dans  les  Saggi  di Eco- 
nomia politica,  etc.  Palerrao,  1887.  (Il  s'occupe 
spécialement  des  écrivains  politiques). 

V.  Brants,  Coup  d'œil  sur  les  débuts  de  la  science 
économique  dans  les  écoles  françaises,  etc.  Lou- 
vain,  1881. 

W.  Roscher,  Geschichte  der  National-Oekonomik  in 
Deutschland.  Miinchen,  1874,  p.  p.  1-31. 

W^.  J.  Ashley,  An  inlroduction  to  english  économie  his- 
tory  and  theory.  The  middle  âges.  London,  1888. 
Chapitre  III,  pag.  124  etsuiv.,  2*=  partie,  1893. 
Chapitre  VI,  pag.  377  et  suiv. 

Les  théories  fondamentales  de  réconomie  scolastique 
sont  celles  du  juste  prix  et  de  l'usure;  celle-ci  est  le 
fondement  de  la  prohibition  de  l'intérêt  dans  le  prêt 
d'argent  et  des  autres  choses  fongibles. 

La  doctrine  du  juste  prix,  exposée  dans  les  œuvres  de 
théologie  morale,  dans  les  ouvrages  sur  l'usure,  sur 
les  contrats  et  dans  quelques  monographies,  contient 
les  germes  des  théories  modernes  sur  la  valeur,  puis- 
qu'on y  donne,  comme  éléments  du  prix,  les  besoins, 
l'utilité,  la  rareté,  le  coût  de  production,  comme  l'ont 
remarqué  les  rares  écrivains  qui,  comme  Agazzini  (dès 
1834)^  Gobbi,  Graziani,  Montanari,  sont  remontés  aux 
sources.  On  distinguait  le  prix  légitime  et  indivisible, 
fixé  par  l'autorité,  pour  les  denrées  de  première  néces- 
sité, et  cela  pour  des  motifs  de  fait  faciles  à  compren- 
dre, et  un  prix  naturel,  déterminé  par  les  usages  et 
par  la  concurrence.  Celui-ci  était  variable  et  compor- 
tait, suivant  les  cas,  trois  degrés,  minimum,  moyen 
et  maximum,  avec  une  latitude  plus  grande  pour  les 
objets  rares,  et  moindre  pour  les  marchandises  d'usage 
général,  quoique  non  absolument  nécessaires.  11  faut 
remarquer  cependant  que  le  prix  légitime  devait  être 
établi  par  l'autorité  d'après  des  critères    tirés  du  prix 


l'époque    FlîAGMENTAIRE  159 

naturel,  et  qu'il  perdait  sou  efficacité  et  devait  céder  le 
pas  au  prix  naturel,  quand  le  changement  des  condi- 
tions de  fait  pouvait  le  rendre  injuste. 

Parmi  les  théologiens  qui  se  sont  occupés  de  la  valeur 
et  du  prix,  rappelons  Vcnusti,  Lupo,  Filiucci,  et  en 
particulier  Gasparino  ;  les  deux  premiers  appartien- 
nent au  xvi^  et  les  autres  au  xvrl^ 

BasL.  Gasparino,  De  legiiimo  et  naturali  reriim  vcna- 
lium  pretio,  etc.,  Forolivii,  1634. 

Une  grande  importance  pratique  pour  le  développe- 
ment de  beaucoup  d'institutions  économiques  et  juri- 
diques et  de  grand  intérêt  théorique  pour  les  dis- 
cussions qui  en  sont  dérivées  doit  être  attribuée  à  la 
doctrine  canonique  de  l'usure  et  à  la  prohibition  de 
l'intérêt.  Pour  avoir  une  idée  exacte  de  ces  contro- 
verses, il  faut  corriger  les  riches  informations  que  Ende- 
mann  a  empruntées  aux  abrégés  théoriques  du  xvi^  et 
du  xvii*^  siècle,  à  l'aide  d'autres  renseignements  fournis 
par  Funk  et  par  Bôhm-Bawerk,  qui  ont  consulté  presque 
toujours  les  sources  les  plus  directes. 

F.  X.    Funk,  Geschichte  des  kirchlichen  Zinsverbotes. 

Tubingen,  1876. 
E.  V.  Bohm-Bawerk.  Geschichte  und  Kritik  der  Kapi- 

ialzins-Theorieen.  Innsbruck,  1884. 

La  condamnation  explicite  et  inconditionnée  de  l'u- 
sure, c'est-à-dire  de  l'intérêt  {quodcumque  sorti  acce- 
dii)  dans  le  prêt  d'argent,  est  prononcée  par  les  Pères  de 
r Egli.se  d'après  des  raisons  déduites  de  passages  connus 
de  la  Sainte  Ecriture  et  du  précepte  général  de  la  charité. 
Elle  amena  la  prohibition  canonique  de  Tintérêt,  cir- 
conscrite aux  seuls  ecclésiastiques  dans  les  huit  pre- 
miers siècles  de  l'Église  (et  pour  l'Église  grecque  même 


160  l'épooue  fragmentaire 

plus  tard),  elle  fut  étendue  ensuite  dans  l'Eglise  latine 
même  aux  laïques  par  les  prescriptions  d'un  grand 
nombre  de  conciles  œcuméniques  et  nationaux.  Ces 
prescriptions  des  lois  ecclésiastiques,  qui  trouvèrent 
une  incessante  résistance  dans  les  besoins  du  com- 
merce, furent  appuyées,  à  partir  de  Charlemagne,  par 
des  lois  prohibitives  analogues  dues  à  l'autorité  civile, 
avec  quelques  exceptions,  partielles  et  temporaires,  en 
faveur  des  banquiers  juifs  et  des  lombards,  auxquels 
les  princes  laïques  et  ecclésiastiques  eux-mêmes  durent 
souvent  recourir  dans  leurs  moments  de  gêne.  Ces  pro- 
hibitions civiles  furent  ensuite,  dans  les  Etats  protes- 
tants d'abord, remplacées  (depuis  le  milieu  du  xvl^siècle) 
par  des  fixations  de  maximum  imposé  à  l'intérêt  con- 
ventionnel. Il  s'en  suivit  un  adoucissement  toujours 
plus  grand  dans  l'application  de  la  défense  ecclésias- 
tique, qui  cessa  en  fait  après  que  plusieurs  décisions  du 
Saint  Office  (de  1822  à  1838)  ordonnèrent  aux  confes- 
seurs de  ne  pas  inquiéter  leurs  pénitents  et  d'attendre 
une  solution  définitive. 

De  grossières  erreurs,  répandues  surtout  parles  écri- 
vains protestants,  sont  répétées  aujourd'hui  encore  sur 
la  nature  véritable  delà  proliition  canonique  de  l'intérêt, 
sur  les  limites  et  les  conditions  de  cette  prohibition.  Il 
n'est  pas  exact  que  les  scolastiques  aient  tous  cru,  comme 
Aristote,  à  la  stérilité  delà  monnaie,  et  qu'ils  aient  ignoré 
que  l'argent  pouvait  être  une  occasion  de  gain  pour 
l'emprunteur.  Ils  croyaient  seulement  que  ce  gain  était 
dû  au  travail  du  débiteur,  et  que  le  créancier  qui,  sans 
aucun  préjudice,  prêtait  de  l'argent,  n'avait  pas  droit  à 
un  dédommagement,  en  dehors  de  la  restitution.  Si 
nous  consultons,  en  effet,  les  œuvres  des  grands  sco- 
lastiques du  xiii*-'  siècle,  qui  se  sont  les  premiers  occu- 
pés de  ce  sujet  au  point  de  vue  philosophico-juridique, 
nous  voyons   qu'ils   soutiennent  leur   thèse   avec   des 


l'époque  fragmentaire  161 

arguments  différents  de  ceux  des  théologiens  qui  les 
ont  précédés.  Le  franciscain  Alexandre  d'Halos 
(m.  12 4.')),  le  premier,  Saint  Bonaventure  (m.  1274j  et  le 
grand  dominicain  Albert  le  Grand  (1193-1280),  et 
son  disciple,  plus  illustre  encore,  S.  Thomas  d'Aquin 
(1225-1274),  invoquent  l'autorité  de  la  Bible,  celle  des 
saints  Pères  et  des  Conciles,  mais  ils  s'appuient  surtout 
sur  ce  fait,  que,  pour  les  choses  fongibles  et,  partant, 
pour  l'argent.  Tusage  ne  peut  être  indépendant  de  leur 
propriété  comme  pour  les  choses  non  fongibles  (terres, 
maisons,  outils);  le  prêteur  ne  peut  donc  pas,  en  plus  delà 
restitution  pure  et  simple,  prétendre  à  un  dédommage- 
ment pour  l'usage,  qui  appartient  de  droit  à  l'emprun- 
teur, qui  est  devenu  propriétaire  ;  il  ne  peut  pas  non  plus 
prétendre  à  un  dédommagement  pour  le  temps  écoulé 
entre  le  moment  du  prêt  et  celui  de  la  restitution, 
parce  que  le  temps  appartient  à  Dieu  et  ne  peut  pas 
être  vendu.  C'est  donc  le  prêt,  explicite  ou  déguisé  (sous 
les  formes  d'antichrèse,  de  vente  à  crédit,  etc.),  et  non 
pas  l'argent,  qui  est  esseniiellement  gratuit.  Bien  plus, 
on  peut  tirer  profit  de  l'argent  de  plus  d'une  manière, 
et,  dans  les  siècles  qui  suivirent,  on  admit  successive- 
ment bien  des  exceptions  qui  soulevèrent,  d'ailleurs, 
de  vives  controverses  entre  les  théologiens  rigoristes, 
amis  de  la  logique,  et  les  théologiens  qui  cherchaient  à 
satisfaire  aux  multiples  besoins  du  commerce.  La  né- 
cessité s'imposait  d'une  application  moins  rigide  des 
prescriptions  qui  étaient  nées  à  une  époque  où  l'écono- 
mie naturelle  et  les  prêts  de  consommation,  consentis 
souvent  par  des  usuriers,  étaient  la  règle,  et  qui  deve- 
naient insupportables  avec  la  multiplication  des  emplois 
productifs  du  capital,  facilités  par  la  multiplication  des 
établissements  de  crédit. 

C'est  pourquoi,  tout  en  maintenant  la  prohibition  de 
l'intérêt  (lucruin  ex  vmtuoj,  on  reconnut  successivc- 

li 


J62  l'époque  fragmentaire 

ment  certains  titres  qui  donnaient  le  droit  d'exiger  une 
compensation  ou  un  intérêt  fid  quod  interestj.  Ce 
furent,  notamment,  le  damnuin  emergens  (admis  déjà 
par  saint  Thomas  quand  le  dommage  était  prouvé)  ; 
le  lucrum  cessans,  combattu  vigoureusement  tout 
d'abord  et  graduellement  admis  ensuite  sur  des  preuves 
toujours  moins  rigoureuses,  et  même  plus  tard  sur 
de  simples  présomptions  lorsqu'il  s'agissait  de  com- 
merçants ;  la  peine  conventionnelle,  etc.  On  admit  éga- 
lement, comme  réparation  de  certains  risques  particu- 
liers (dans  le  change  maritime,  plus  tard  dans  le 
triple  contrat)  et  aussi  pour  d'autres  motifs  que  nous 
ne  pouvons  rappeler  ici,  d'autres  titres  de  profit  dans 
les  censives  réelles  et  personnelles  et  dans  d'autres 
formes  de  contrat  qui,  pour  les  canonistes  les  moins 
rigoureux,  présentaient  des  différences  substantielles 
avec  le  prêt,  nécessairement  gratuit. 

Dans  l'impossibilité  de  faire  une  revue  complète  de 
la  littérature  économique  du  moyen  âge,  nous  nous 
bornerons  à  la  simple  énumération  de  quelques-uns  des 
écrivains  les  plus  remarquables.  Des  monographies  ont 
été  écrites  sur  un  grand  nombre  d'entre  eux  ;  nous  en 
avons  parlé  dans  un  travail  spécial. 

L.  Cossa,  Di  alcuni  studii  recenii  sulle  teorie  econo- 
michenel  Medlo-Evo,  1876.  Et  aussi  dans  les  Saggi 
di  economia  poliiica.  Milano,  1878,  pp.  15-38. 

-4)  xirre  siècle  : 

Saint  Thomas  d^Aquin.  l'ange  de  l'école,  le  prince 
des  théologiens  et  des  philosophes,  est  aussi  l'écri- 
vain le  plus  remarquable  de  son  siècle  sur  les  ma- 
tières d'économie  et  de  politique.  Ses  œuvres  principales 
sont:  laSumma  Theologica.  [Il,  II);  laSumma  philo- 
sofica  adversus  gentiles;  les  Commenti  ad  Aristotlle 


l'époque  fragmentaire  1G3 

ot  l'opuscule  Deregimine  Judeorum  ;  le  De  usiiris  est 
apocryphe.  Saint  Thomas  a  également  écrit  le  livre  I  et 
les  4  premiers  chapitres  du  livre  11  du  De  regimine 
principum,  qu'a  continué  son  disciple,  le  moine  Tho- 
lomée  Fiadoni  de  Lucques.  évêque  de  Torcello.  Ses 
doctrines  sur  l'usure,  ses  opinions  sur  la  richesse  et 
ses  sages  maximes  de  politique  monétaire  et  fiscale  ont 
été  reproduites  par  quelques  biographes,  critiques  et  his- 
toriens de  l'économie  politique,  sans  qu'ils  aient  tou- 
jours pris  soin  de  séparer  ses  écrits  véritables  des 
ouvrages  apocryphes.  Le  meilleur  ouvrage  à  consulter: 

J.  J.  Baumann,  Bie  SinaisLehre  des  h.  Thomas  von 
Aquino.  Leipzig,  1893  (particulièrement  pp.  190- 
203), 

Parmi  les  écrivains  scolastiques  minores,  Jourdain 
<;ite  Henri  d.e  Gand,  qui  a,  mieux  que  ses  contempo- 
rains, dans  une  œuvre  arrivée  jusqu'à  nous,  De  mercl- 
moniis  et  negotlatlonlbus,  apprécié  l'utilité  et  les 
fonctions  du  commerce. 

D)   XIV®  siècle. 

Parmi  les  nombreux  auteurs  d'ouvrages  De  regi- 
mine, institutione,  eruditione  principum  (pour  la 
plupart  s'inspirant  de  saint  Thomas),  nous  citerons  : 

1"  Engelbert,  abbé  d'Admont  en  Styrie  (m.  1331)  qui 
a  écrit  un  De  regimine  principum  en  7  livres,  men- 
tionné par  Contzen. 

'2"^  Le  moine  Paul  Minorita  (probablement  de  Venise) 
<jui.  entre  1313  et  1315,  a  écrit  un  De  regimine  recto- 
'/■/'.s,  divisé  en  3  livres,  dans  lequel  il  s'occupe  du  gou- 
v(nncment  moral,  du  gouvernement  de  la  famille  et  du 
gouvernement  de  la  cité,  etc.  L'élégance  et  la  conci- 
sion de  son  style  et  d'autres  mérites  encore  ont  amené 


164  l'époque  fragmentaire 

l'illustre  Adolphe  Mussafia  à  le  publier  et  à  l'annoter 
(Vienne,  1868). 

3°  Eo-idio  Colon na,  augustin,  élève  de  saint  Thomas 
et  précepteur  peu  influent  de  Philippe  le  Bel  (1247-13J6) 
a  écrit  également  un  De  regimine  princijnun  (antérieur 
à  celui  du  moine  Paul)  dans  lequel,  se  séparant  en  cela 
du  maitre.  il  déclare  le  consentement  du  peuple  néces- 
saire pour  la  levée  d'impôts  extraordinaires. 

4°  François  Petrarca  (1304-1374),  dans  son  livre  De 
repuhliccL  opthne  a.dininistr8.nda ,  réclame  également 
la  justice  et  la  modération  des  impôts  et  la  punition  des 
abus  des  publicains  ;  dans  ses  lettres  familières  il 
donne  de  bons  préceptes  d'économie  agraire. 

Parmi  les  juriconsultes  il  faut  faire  mention  du  napo- 
litain Andréa  d'Isernia  (1220-1316),  cité  par  Fornari  et 
commenté  par  Palumbo.  Il  faut  surtout  noter  ses  opi- 
nions sur  l'aliénabilité  du  domaine  public  et  sur  les 
avantages  de  la  ferme  des  impôts. 

(av.  L.  Palumbo,  Andréa  d'Isernia.  Napoli,  1886. 

Plus  important  encore  est  un  groupe  de  philosophes 
et  d'hommes  d'État  français  qui  ont  donné  à  leurs  sou- 
verains d'excelleîits  conseils  de  politique  économique  et 
financière.  Il  faut  citer  : 

1°  Philippe  Dubois,  qui,  dans  sa  Summct  brevis 
(1300)  et  dans  son  livre  De  reciq^eratione  sanctde  terrœ 
(1306),  reprochait  à  Philippe  le  Bel  ses  altérations  de  la 
monnaie  et  lui  en  montrait  les  dangers  (Cfr.  A.  Vuitry, 
in  Journal  des  Économistes,  décembre  1880.  pp.  447- 
459). 

2°  Jean  Buridan,  recteur  de  l'Université  de  Paris  en 
1327,  qui  a  donné  dans  ses  Questions  sur  l'éthique 
d'Aristote,  comme  le  remarque  Jourdain,  un  court 
traité  sur  les  rôles  économiques  de  la  monnaie. 


li 


l'époque  fragmentaire  165 

3°  Durand  de  Saint-Pourçain,  dominicain,  évêque  de 
Meauxen  J326,  et  Philippe  de  Maizières.  conseiller  de 
Charles  V  le  Sage,  qui  écrivit,  en  1389,  le  Songe  du 
vieil  pèlerin.  Ils  proposaient  des  banques  de  prêt  sur 
gage,  grâce  auxquelles  l'Etat  pourrait  venir  au  secours 
des  pauvres  et  les  soustraire  aux  fortes  usures  des  juifs. 
(Voir  V.  Brants.  Philippe  de  Maizières,  in  Revue  ca- 
tholique de  Louvain,  1880).  Mais  la  première  place 
appartient  à  : 

4°  Nicolas  Oresme,  évêque  de  Lisieux  (m.  1382),  qui 
a  écrit  en  latin  et  ensuite  traduit  en  français,  à  l'usage 
de  son  élève  Charles  V,  un  petit  traité  De  origine, 
natura,  jure  etinutationibus  monetaruni.  dans  lequel 
il  résume  méthodiquement  dans  un  style  simple  et 
clair  la  théorie  de  la  monnaie.  Il  est  un  adversaire 
vigoureux  des  altérations  des  monnaies.  Les  mérites  de 
ce  petit  ouvrage,  que  tous  les  écrivains  spécialistes  des 
siècles  suivants  ont  connu,  ont  été  mis  en  lumière  par 
Roscher;  Wolowski  a  publié,  en  1864,  le  texte  latin 
et  le  texte  français  dans  une  très  belle  édition. 

Francis  Meunier,  Essai  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de 

Xicole  Oresme.  Paris,  1857. 
G.  Roscher,  Un  grand  économiste  français  du  xiY^  siècle 

(In  Compte  rendu  de  l'Académie  des  sciences  morales 

et  politiques.  Paris,  1862,  pag.  435  et  suiv.) 
N.  Oresme,  Traictie  de  la  première  invention  des  mon- 

noies,  etc.,  par  M.  L.  Wolowski.  Paris,  1864. 

Sans  parler  d'autres  écrivains  scolastiques  d'impor- 
tance moindre,  comme  les  professeurs  de  la  faculté  de 
théologie  de  Vienne,  Henri  de  Langenstein  (Henricus 
de  AssiaJ  et  Henri  de  Hoyta,  fort  loués  par  Roscher, 
nous  citerons  le  chancelier  Jean  Gerson,  élève  du  pre- 
mier de  ces  écrivains,  qui,  comme  Buridan,  s'est  occupé, 
dans  ses  tractatus  diversi,  de  la  théorie  du  prix,  mais 


166  l'époque  fRx^g?.ientaire 

({ui,  seul  parmi  les  théologiens,  a  soutenu  que  les  lois 
civiles  pouvaient,  afin  d'éviter  un  plus  grand  mal. 
tolérer  l'intérêt  (usura'  que  les  lois  ecclésiastiques 
condamnent. 

C)  w"  siècle  : 

Parmi  les  scokistiques  de  la  première  moitié  du  xv'' 
siècle  se  sont  illustrés  par  leur  science  et  leur  connais- 
saissance  des  besoins  du  commerce  le  dominicain  saint 
Antonin,  archevêque  de  Florence  (1389-1455)  et  le  fran- 
ciscain saint  Bernardin  de  Sienne.  Ils  se  sont  occupés, 
au  point  de  vue  de  la  théologie  morale,  le  premier  dans 
sa  Summa.  theologica  (Opéra  omnia.  Firenze,  1741). 
le  second  dans  ses  Sermones  {Opéra  omnia.  Venezia, 
1745.  5  volumes),  de  quelques-unes  des  questions 
concernant  la  théorie  de  la  circulation  et  de  la  distribu- 
tion des  richesses  et  notamment  de  la  valeur,  du  com- 
merce, du  crédit  ;  ils  ont  admis  que  quelquefois  l'ar- 
gent liahet  quamdani  seminalem  rationem  lucrosi, 
qiiain  communiter  capitale  vocamus  (saint  Bernar- 
din), et  justifié  ainsi  l'intérêt  des  emprunts  de  la  ville 
de  Florence  et  le  trafic  des  titres  qui  les  représentaient 
(saint  Antonin). 

R.  H.  Funk,  Uebev  die  ôkonomischen  Anschauungen 
der  miUelalterlichen  Theologen  (In  Zeitschr.  /".  die 
Stuatsiviss.,  1869,  pp.  125-175;. 

Kn  Allemagne,  en  dehors  de  Kuppener  et  de  Sum- 
mcnhart  de  Cahv,  il  faut  citer  le  philosophe  et  théo- 
logien Gabriel  Biel  (m.  1495),  qu'on  a  appelé  le  dernier 
des  scolastiques,  notamment  pour  le  petit  ouvrage  (ins- 
piré d'Oresme)  qu'il  a  écrit  sous  le  titre  de  : 

De  monelarunx  pot  esta  ie  sinad  et  xdilitate  lihellus  (Ma- 
gonza,  1541). 


l'époque  fragmentaire  167 

D)  xvi^  et  xvii"  siècles  : 

Les  profondes  transformations  économiques  qui 
s'accomplissent,  modèrent  la  rigueur  des  doctrines 
scolastiques  ;  elles  ne  sont  plus  défendues  dans  leur 
forme  primitive  que  par  un  très  petit  nombre  d'écri- 
vains; on  admet,  avec  une  facilité  toujours  plus  grande, 
les  nouveaux  établissements  de  crédit  et  les  titres  qui 
permettent  de  tirer  un  profit  de  l'emploi  productif  de  la 
monnaie. 

Les  opinions  relativement  libérales  sont  représentées 
par  les  écrivains  de  droit  commercial,  par  Stracca  et 
mieux  encore  par  Scaccia  et  par  Délia  Torre  ;  elles  sont 
également  défendues  par  le  jurisconsulte  D.  Gaito  (1626) 
et  par  un  autre  génois,  le  négociant  G.  Domenico  Péri, 
et  attaquées,  au  nom  de  la  logique,  par  le  professeur 
de  Pavie,  Antoine  Merenda. 

U.  Gobbi,  L'eronomia  poUtica  negli  scrUtori  ilaliani  del 
secoloXVJ-XVlI.  Milano,  1889,  pp.  52-57,  269-302. 
Sig.  Scaccia,  De  commerças  et  cambio.  RomiE,  1619. 
Raph.  de  Turri,  De  cambiis.  Genuœ,  1641. 
Ant.  Merenda,  De  cambio  nundinali.  Papiœ,  1645. 
Giov.  Dom.  Péri,  IL  negoziante,  etc.  Venezia,  1672. 

Nous  citerons,  à  titre  d'exemple,  les  controverses 
auxquelles  ont  donné  lieu  les  emprunts  publics,  les 
monts  de  piété,  les  lettres  de  change  et  la  répression 
du  vagabondage. 

Les  emprunts  de  Venise,  de  Florence,  de  Gênes,  la 
constitution  des  créanciers  en  sociétés  (Montij,  leur  droit 
à  un  intérêt,  notamment  dans  le  cas  de  prêt  forcé,  la 
légitimité  de  la  vente  des  titres  (luoghi  di  monte), 
combattue  d'abord  énergiquement,  notamment  par  les 
augustins  (Guy  de  Bello  Regaldo  et  Grégoire  de  Ri- 
mini),  et  admise  avec  plus  ou  moins  de  réticences  par 
d'autres  théologiens  et  jurisconsultes  (Pierre  de  Anca- 


168  l'époque  fragmentaire 

rano,  Jean  Andréa,  le  cardinal  Henri  d'Ostie),  trou- 
vent enfin  une  pleine  justification  dans  la  multiplica- 
tion des  banques  de  dépôt  à  Venise,  à  Gênes,  en  Sicile 
et  a  Naples.  Dans  les  premières  années  du  xvii'  siècle 
on  publie  à  Milan  quelques  ouvrages  d'Alexandre  de 
Rho  (1603),  et  des  pères  Ferrari  (1623),  Cantoni  (1625), 
et  Dugnani  (1027),  qui  ont  pour  but  de  démontrer  la 
légitimité  de  l'intérêt  dans  les  emprunts  faits  par  la 
ville  à  la  banque  de  saint  Ambroise. 

Ona compilé  surles  luoghidi  monte,  \cica.h\es  et  non 
vacables,  et  sur  les  sociétés  pour  l'acbat  de  charges  à 
la  Curie  Romaine  Csocietates  ufficii)  de  nombreux  trui- 
tes économico-juridiques  dont  n'ont  pas  tenu  un  compte 
suffisant  les  historiens  de  l'économie. 

Frjnr.  Castracane,  Tractaius  de  societalibus  qiui'  fiant 
super  uflicUs  Romanx  Curix.  Rom  a,  1609. 

Card.  Joh.  Bapt.  De  Luca,  Be  locis  moniium^  etc.  (Dans 
son  Theatrumveritatisetjustiiix).  Roma,  1669. 

Fabr.  Evangelista,  I)e  locis  moniium  cauKralium  non 
vacabilium.  Roma,  1767. 

Beaucoup  plus  vives  furent  les  controverses  sur  les 
monts  de  piété,  très  répandus  en  Italie  dans  la  seconde 
moitié  du  xv^  siècle  et  introduits  ensuite  au  siècle  sui- 
vant dans  les  Pays-Bas  (Scarini,  Oobergher),  pour  faire 
des  prêts  sur  gage  aux  pauvres  et  les  soustraire  aux 
lourdes  usures  des  banques  privées  et,  en  particulier, 
des  juifs.  Les  donations  des  fidèles  ne  sufTisant  pas 
à  leur  fournir  les  sommes  nécessaires,  ces  établis- 
sements, qui  prêtaient  d^abord  gratuitement,  deman- 
dèrent, sur  les  conseils  de  Bernadin  de  Feltre,  un 
intérêt  pour  couvrir  les  dépenses  d'administration. 
Cette  pratique  fut  réprouvée  par  le  moine  auguslin 
Nicolas  Barianno  (Tractatusde  inonte  impietatis.  Cre- 
mona,  1  496),  par  le  dominicain  Thomas  De  Vio,  nommé 


l'époque  fragmentaire  169 

cardinal  (Gaétan)  en  1498,  et  défendue  par  le  franciscain 
Bernardin  de  Biisto  [DefenHorium  montispietatis.  Mi- 
lano,  1497),  par  De  Rosellis  et  par  d'autres,  et  obtint 
ensuite  l'approbation  de  Léon  X,  au  cinquième  concile 
de  Latran. 

Ad.  Biaise,  Des  mnnts  de  piété,  2«  édit.   Paris,  1856.   2 

volumes. 
F.  X.  Funk,  Op.  cit.,  pp   51-53. 

Les  lettres  de  change  furent  l'objet  de  polémiques 
non  moins  subtiles.  Grâce  à  ces  titres  de  crédit,  on  pou- 
vait effectuer  des  paiements  dans  des  lieux  éloignés  et 
éviter  les  dépenses  et  les  risques  du  transport  de  l'ar- 
gent. Le  profit  du  change  était  légitime,  d'après  les 
canonistes,  quand  le  change  était  réel  et  non  fictif 
ou  sec  (c'est-à-dire  fait  pour  cacher  un  prêt)  parce  que 
le  profit  provenait  non  propter  tempus,  sed  propter 
loci  distantiam.  Il  y  eut  plus  tard  de  nouvelles  polé- 
miques entre  les  partisans  et  les  adversaires  des  lettres 
de  change  créées  pour  faire  des  paiements  dans  les 
foires  et  ceux  qui  discutaient  la  légitimité  du  change 
de  retour  (canihio  colla  ricorsa).  Le  premier  traité 
De  cambiis  est  celui  de  Thomas  De  Vio  (1499).  Parmi 
les  nombreux  traités  publiés  depuis,  nous  citerons 
celui  de  Thomas  Buoninsegni  de  Sienne,  d'abord  mar- 
chand, puis  moine  (Dei  cambii.  Firenze,  1573);  le 
traité  plus  complet  du  P.  Fabien  Clavario  de  Gênes 
{Trantatus  de  cambiis.  Genu?p,  1568);  l'abrégé, remar- 
quable par  son  ordre  et  sa  clarté,  du  P.  Romualdo 
Go\i  {Trattato  dei  cambii.  Lucca,  1612);  les  polé- 
miques entre  le  P.  Bernard  Giustiniani  (1610)  et  le 
P.  Ortensius  Capellone  (1621)  qui  combattent,  et  les 
pères  Ant.  de  iS.  Salvatore  et  Basile  Alemanni  (1623) 
qui  défendent  le  change  de  retour. 


170  l'époque  fragmentaire 

Plus  connue  des  économistes,  parce  qu'elle  est  insérée 
dans  le  premier  volume  de  la  collection  de  Custodi,  est 
la  Brève  notizia  clei  cambii  (1581),  dans  laquelle  Ber- 
nard Davanzati  (15!?9-1606)  décrit,  avec  une  élégance, 
une  simplicité  et  une  clarté  remarquables,  le  mécanisme 
de  la  lettre  de  change  ;  il  signale  aussi  l'utilité  de  la 
spéculation  et  quelques-unes  des  causes  des  paiements 
internationaux. 

La  prohibition  de  la  mendicité,  décrétée  au  commen- 
cement du  xvi®  siècle  par  quelques  villes  des  Pays-Bas 
et  d'Espagne,  donne  matière  à  une  intéressante  polé- 
mique théologico-économique,  à  laquelle  prirent  part 
beaucoup  d'écrivains,  et  notamment  quelques  francis- 
cains, qui  la  justifiaient  d'une  façon  plus  ou  moins  expli- 
cite, et  quelques  dominicains,  qui  la  combattaient;  on 
a  ainsi  discuté  quelques-uns  des  problèmes  de  l'assis- 
tance. Parmi  les  nombreux  travaux  (rappelés  par  Col- 
meiro,  par  Rahola  et  plus  complètement  par  De  Bosch 
Kemper)  consacrés  à  ce  sujet  il  suffira  de  citer  celui 
de  Ludovic  \'ives  {De subventione  joauperuni.  Brugge, 
1526),  qui  demande  une  forte  organisation  laïque  de 
l'assistance  publique,  ceux  du  P.  Dominique  Soto  (De- 
liberacion  en  la  causa  de  los  j^obres.  Salamanca,  1545) 
et  du  moine  augustin  L.  Villavicentius  (De  oeconomia 
sacra  circa  pauperum  curam,  etc.  Antvverpiae,  1564), 
adversaires  énergiques  de  toute  restriction  au  vagabon- 
dage ;  ceux  du  jurisconsulte  C.  Cellaris  [Oratio  contra 
menclicitatem.  Antverpijie,  1531),  du  franciscain  Jean 
de  Médine  [De  la  orden  cpae  en  algunos  paeblos  de 
Espana  sehapjuesto  en  la  limosna,  etc.  Salamanca, 
1545)  et  du  chancelier  de  Bruges,  Egidius  Witsius  (De 
continendis  et  alendis  doini  pauperibus,  etc.,  1562), 
qui  préconisent  des  maisons  de  travail  obligatoires,  et, 
enfin,  les  ouvrages  du  P.  Michel  Giginta,  qui  défend 
une  opinion  moyenne,  favorable  à  la  fondation  de  mai- 


l'époque  fragmentaire  171 

sons  de  travail  facultatives  {Tratado  de  remédia  de 
pobres.  Coimbra,  1575). 

M.Colmeiro,  Historiade  laEcon. Polit.  enEspana.Yol.  I. 
Madrid,  1862. 

Fed.  Rahola,  Economistas  espanoles  de  los  siglos  XVI 
y  XVII.  Barcelona,  1887. 

J.  de  Bosch  Kemper,  Overzigt  van  de  letterkunde  om- 
irent het  Armwezen  in  da  zestiende  eeuiv.  (In  Ne- 
derlandsche  Jaartweken  voor  Regsgeleerdheid,  elc 
Deel  XII,  SlLik  3,  1850). 

F.  Ehrle,  Bcitruge  mr  Geschichte,  elc.  der  Armenpflege. 
Friburg  im  Br.,  1881,  pp.  27-59. 


§  3.  —  l'économie  politique  des  humanistes 

A  l'époque  de  la  Renaissance,  l'étude  des  cla.ssiques 
g'recsetlatins;lecultede  Platon,  qui  dominait  notamment 
en  Toscane  sous  l'influence  de  Marsilio  Ficino  ;  l'apolo- 
gie de  la  civilisation  païenne  et  de  ses  institutions, 
qui  s'opposent  aux  institutions  sociales  et  économiques 
du  moyen  âge,  arrivées  à  leur  perfection  au  xv*"  et  xvi® 
siècles  grâce  aux  créations  florissantes  de  l'économie  mo- 
nétaire et  du  crédit,  qui  a  succédé  à  l'économie  pure- 
ment naturelle  que  les  humanistes  préféraient  ;  l'éman- 
cipation de  la  pensée  des  lisières  de  l'aristotélisme,  en 
décadence  d'ailleurs,  exercèrent  leur  influence  sur 
les  philosophes,,  les  historiens  et  les  politiques  même 
dans  l'ordre  des  recherches  économiques  et  de  la  légi.s- 
lation.  Les  finances  de  Florence  nous  offrent  un  tableau 
de  la  pratique  alternée  des  différents  systèmes  d'im- 
pôts :  impôt  sur  les  immeubles,  l'idéal  de  Savonarole, 
le  réformateur  chrétien;  décimes  proportionnels  ou  en 
échelle,  dont  Guicciardini  a  fait  une  étude  comparée  : 
projet  d'impôt  unique  de  Ludovic  Ghetti  ;  d'autre  part 
les  auteurs  de  ce  temps  ont  demandé  la  formation  de 


172  l'époque  fragmentaire 

trésors  de  guerre^  ou  condamné  le  trafic  de  la  part  du 
Prince,  la  régie  ou  l'adjudication  des  impôts,  et  fait 
une  opposition  persistante  aux  altérations  monétaires. 
Dans  les  monographies  historiques  déjà  citées  de  Gobbi, 
de  Fornari.  de  Ricca-Salerno  et  dans  un  discours  acadé- 
mique récent  de  Toniolo,  on  peut  trouver  un  exposé  du 
développement  de  ces  théories  en  Italie  ;  les  ouvrages 
de  Schnioller  et  de  Wiskemann  (résumés  dans  l'Histoire 
de  Roscher)  font  connaître  le  mouvement  analogue  des 
doctrines  des  humanistes  et  des  réformateurs  en  Alle- 
magne II  nous  suffira  d'indiquer  quelques  écrivains, 
et  notamment  les  écrivains  italiens. 

G.  Ricca-Salerno,  Sforia  délie  dottrine  finanziarie  in 
Italia.  Roma,  1881,  pag.  27  et  suiv. 

T.  Fornari,  Délie  teoine  economiche  nelle  Provincie  Ja- 
poletane.  Vol.  I.  Milano,  1882,  pp.  117-194. 

G.  Toniolo,  Scolastica  ed  Umanismo  nelle  dottrine  eco- 
nomiche, etc.  Pisa,  1887. 

G.  SchmoUer,  Zur  Geschichte dernaiionalbkon. Ansich- 
ten  in  Beutschland,  wàhrend  der  Reformations-Pé- 
riode \\r\  Zeitschr.f.  diges.  Staatsu'iss.  Tubingen, 
1860). 

H.  Wiskemann.  Darsfellung  der  in  Deidschland zur  Zeil 
der  Reformation  herrschenden  nationalôkon.  Ansicli- 
ten.  Leipzig,  1861. 

W.  Roscher,  Geschichte  der  Nat.  Œk.  in  Deidschland. 
Mïinchen,  1874,  pag.  32  et  suiv. 

A)  xv^  siècle: 

Trois  publicistes  et  hommes  d'État.  .lean  Gioviano 
Pontano  (né  à  Cerreto  en  Ombrie),  Benoit  Crotugli  ;né 
àRaguse),  Diomède  Carafa  comte  de  Maddaloni,  le  plus 
illustre  des  trois,  contribuèrent  par  leurs  conseils  et 
par  leurs  actes^  dans  les  charges  qu'ils  occupent  auprès 
des  rois  d'Aragon,  à  de  sages  réformes  économiques  et 
financières  dans  le  royaume  de  Xaples. 


l'époque  fragmentaire  173 

Pontano  (1426-1503)  donne  de  bons  préceptes  fiscaux 
et  d'excellents  conseils  de  morale  économique  [Opéra. 
omnia.  Napoli,  1505-1508.  2  volumes). 

Cotrugli  écrit  vers  le  milieu  du  siècle  son  petit 
ouvrage  Délia  Mercatura.  e  ciel  Mercante  perfetto 
(édité  à  Venise  en  1573,  traduit  en  français  en  1582  et 
réimprimé  à  Brescia  en  1602)  ;  Genovesi  et  Zanon  en 
ont  fait  de  grands  éloges.  Il  s'occupe  spécialement  delà 
valeur,  du  prix,  de  l'échange  et  des  contrats  commer- 
ciaux. (Voir  l'article  de  A.  Montanari  dans  Vltalia, 
Centrale.  Reggio,  25  décembre  1890). 

Carafa  (qu"ont  étudié  admirablement,  d'abord  Cusu- 
mano,  puis  Ricca,  Fornari  et  Gobbi)  est  supérieur  à  tous 
ses  contemporains  qui  ont  écrit  sur  les  finances.  Son 
petit  traité  De  régis  et  boni  pvincipis  offîcio  a  été  écrit 
en  langue  vulgaire  entre  1469  et  1482  sur  les  instances 
d'Eléonore  d'Aragon,  duchesse  de  Favière,  qui  en  com- 
manda une  traduction  latine  à  J.-B.  Guarini  (publiée  à 
Naples  en  1668  et  plus  tard  par  Mansi,  qui  la  crut 
inédite,  en  appendice  à  la  Biblioteca  latlna  de  J.  Alb. 
Fabricio.  (Padova,  175'i).  Dans  cet  opuscule,  Carafa 
(m.  1487)  expose  des  idées  en  partie  nouvellles  sur 
l'utilité  du  commerce,  sur  l'harmonie  entre  les  recettes 
et  les  dépenses  publiques,  sur  les  avantages  de  la  ferme 
des  impôts,  et  il  énonce,  le  premier,  l'idée  des  impôts 
sur  les  revenus  certains,  développée  ensuite  par  Bo- 
tero  et  devenue  plus  tard  le  fondement  du  système  fis- 
cal de  Broggia. 

V.  Cusumano,  Diomede  Carafa,  economista  e  finanziere 
italiano.  {InArchivio  Giuridico.  Bologna,  1871.  Vol. 
VI,  et  plus  tard  dans  ses  Saggi  di  Econ.  Pol.  Pa- 
lermo,  1887,  pp.  134-145. 

On  peyt  placer  encore  parmi  les  humanistes,  François 
Patrizii  (né  à  Sienne),  évêque  de  Gaëte  (1412-1494).  Il  a 


i74  l'époque  fragmentaire 

écrit  deux  ouvrages  :  De  rcgno  et  régis  instltutlone 
(Parisiis,  1567)  et  De  institutione  reipuhlicœ  {^ibidem ., 
1564),  dans  lesquels  il  demande  la  création  de  do- 
maines fiscaux,  dont  Tadministration  doit  être  cepen- 
dant placée  sous  le  régime  de  la  location  perpétuelle. 
Dans  ce  siècle,  et  en  partie  dans  les  deux  siècles  pré- 
cédents, il  faut  signaler,  à  Florence,  le  littérateur  Bru- 
netto  Latini  et  d'autres  auteurs  d'ouvrages  encyclopé- 
diques, Beato  Dominici  (m.  1420)  et  Léon  Baptiste 
Alberti,  qui  ont  étudié  le  gouvernement  économique  de 
la  famille,  les  chroniqueurs  Jean  et  Mathieu  Villani. 
Benoit  Dei,  le  notaire  Ser  Lapo  Mazzei,  qui  ont  ouvert 
la  voie  aux  érudits  historiens  Segni,  Nardi  et  \'archi  ; 
le  blatier  Dominique  Lenzi  dans  son  Speccliio  umH.no 
(13'20-1335)  s'occupe  des  disettes,  et  les  deux  banquier.; 
François  Balducci-Pegolotti  et  Jean  de  Uzzano  écrivent, 
au  XIV''  et  au  xv^,  des  manuels  pratiques  à  l'usage  des 
commerçants  ;  quelques-uns  de  ces  ouvrages  ont  été 
réimprimés  par  V agnini  [Dellct  deciiUcL^  etc.  Firenze, 
1765-66). 

G.  Toniolo,  Scolastlca  ed  Umanismo.  Pisa,  1887. 

B)  xxi"  siècle  : 

Les  fruits  les  plus  mûrs  de  la  Renaissance  se  trouvent 
dans  les  œuvres  historiques  et  politiques  de  Palmieri, 
de  Machiavel,  de  Guicciardini,  et  de  quelques  autres, 
la  plupart  italiens,  auxquels,  du  reste,  on  ne  peut  attri- 
buer de  notables  progrès  dans  les  recherches  écono- 
miques. 

Mathieu  Palmieri  {Délia  vita  civile.  Firenze,  1529) 
s'occupe  de  politique  économique  ;  il  consacre  la  der- 
nière partie  de  son  livre  à  «  l'utile,  c'est-à-dire  aux 
questions  de  commodités,  ornements,  largeur,  beauté 
de  notre  vie,  aux  facultés,  aux  richesses,  à  l'abondance 


l'époque  fragmentaire  175 

de  toutes  les  choses  qui  sont  dans  l'usage  des  hommes  » 
et  il  défend  l'impôt  proportionnel,  que  combattaient  les 
démagogues  florentins. 

Nicolas  Machiavelli  (1469-1527),  le  prince  des  poli- 
tiques italiens,  n'était  pas  porté  à  étudier  à  fond  le  côté 
économique  des  problèmes  politiques  ;  il  reconnaît  lui- 
même  qu'il  est  peu  au  courant  des  questions  «  de  laine  ^ 
et  de  soie  « ,  et  il  ne  possédait  pas  pour  cette  étude  les  / 
aptitudes  nécessaires,  parce  qu'il  était  trop  grand  admi- 
rateur de  la  civilisation  païenne  et  qu'il  avait  une  pré- 
dilection pour  l'économie  naturelle,  dont  il  constatait 
les  restes  chez  les  populations  germaniques  et  qu'il  a 
tlécrits  avec  une  grande  admiration.  Ce  fut  donc  une 
tentative  vaine,  comme  cela  résulte  aussi  de  l'œuvre 
remarquable  de  Villari,  que  d'essayer  de  glaner  les 
idées  économiques  originales  dans  les  écrits  du  secré- 
taire florentin,  comme  l'a  fait  Knies  dans  une  œuvre 
patiente  et  pleine  d'érudition. 

Karl  Knies,  iY/c.  Machiavelli,  ah  volksicirthschaftUcher 
Schriftsteller  (in  Zeitschrift  fur  die  ges.  Stoais- 
wiss.  Tubingen,  1852,  vol.  VIII). 

Pasquale  Villari,  Nicolà  Machiavelli  e  i  suoi  tempi.  Fi- 
renze,  1877-1882.  Trois  volumes. 

Nous  trouvons  un  plus  grand  nombre  d'observations 
économiques,  sinon  dans  les  ceuvres  historiques  de 
Fran(,"ois  Guicciardini  (l'i80-1540)  qui  sont  purement 
politiques,  du  moins  dans  ses  écrits  minores. 

Franc.  Guicciardini,  Opet^e  inédite,  illustraie  da  G. 
CanesirirJ.  Firenze,  1857-67.  Deux  volumes. 

C)  Les  utopistes  du  xvi«  et  du  xvii*^  siècles  :  / 

L'étude  de  Platon,  un  dégoût  profond  de  la  corrup- 
tion des  temps,  la  dépre.ssion  économique,   les  guerres 


176  l'épouue  fragmentaire 

et  les  révolutions  politiques  et  religieuses  continuelles 
etc.,  nous  expliquent  surabondamment  l'apparition 
d'un  grand  nombre  d'ouvrages  dans  lesquels  la  com- 
munauté des  biens  est  considérée  comme  un  type  de 
réforme  désirable  (Frank,  Munster)  ;  elle  est  défendue  par 
les  armes  par  quelques  sectaires  (Mûnzer).  Cette  recons- 
truction sociale  est  inspirée  par  des  idées  morales, 
comme  dans  l'Utopie  de  Thomas  Morus,  chancelier 
d'Angleterre  [De  optime  re'qoufdicse  statu  deque  nova, 
insida  Ufopia.  1516)  et  dans  l'opuscule  beaucoup 
moins  connu  du  philantrope  espagnol  Ludovic  Vives 
[Ds  coniunione  reriun,  1635);  elle  est  la  conséquence 
d'une  imagination  déréglée  chez  le  florentin  Antoine 
François  Doni  dans  ses  Mondi  celesti,  terrestri  ed  in- 
fernali.  Firenze,  185'2-53.  2  volumes. 

Il  faut  remarquer  que  dans  V Utopie  de  Morus,  la 
communauté  des  biens  se  combine  avec  la  mono- 
gamie tandis  que  dans  la  Ciuitas  solis  du  domi- 
nicain calabrais  Thomas  Campanella  (écrite  avant 
1607)  et  dans  VOceana  du  républicain  anglais  Thomas 
Harrington  (1656),  l'ennemi  farouche  de  la  grande  pro- 
priété foncière,  on  propose,  comme  Platon,  la  commu- 
nauté des  femmes,  car  on  ne  peut  détruire  rationnelle- 
ment la  propriété  privée  .si  on  conserve  la  famille. 

En  dehors  des  ouvrages  déjà  cités  de  Mohl  et  de 
Kleinwachter.  on  peut  consulter  l'intéressant  opuscule 
de: 

A.  Gehrke,  Communisiische  Idealstaaten  (Plalo,  Morus, 
Campanella,  Cabetj.  Bremen,  1878. 

Les  utopies  ont  provoqué,  à  ce  moment  comme  tou- 
jours, des  réfutations,  c'est-à-dire  des  défenses  de  la 
propriété  privée.  Il  nous  suffira  de  citer  Fouvrage  d'un 
célèbre  politique,  adversaire  cependant  d'une  trop 
grande  concentration  des  biens. 


l'époque  fragmentaire  177 

Paola  Paruta,  Délia  perfettione  délia  vita  politica.  Ye- 
nezia,  1599  (Cfr  C.  Supino,  La  scienza  economica 
in  lialia,  etc.  Torino,  1888,  pag.  89). 


D)  La.  légitimité  de  Vintérêt  : 

A  côté  des  écrivains  catholiques  qui  essayent  de  con- 
cilier les  besoins  du  commerce  avec  la  théorie  cano- 
nique de  l'illégitimité  du  prêt  à  intérêt,  quelques  écri- 
vains, protestants  ou  suspects  d'hérésie,  s'élèvent,  se 
séparant  en  cela  de  leurs  coreligionnaires  (par  exemple 
de  Lutherj,  contre  les  doctrines  théologiques  et  juri- 
diques dominantes.  Il  faut  rappeler  au  xvi*  sièle  Calvin 
et  le  jurisconsulte  Charles  Dumoulin  {Tractatus  con- 
tractuura  et  usurarum,  1546)  ;  au  xyii",  Claude  Sau- 
maise,  qui  s'est  occupé  de  ce  sujet  à  plusieurs  reprises 
et  avec  profondeur  {De  usuris,  1638.  —  De  modo  usu- 
rariun,  1639.  —  De  fœnoretrapezitico,  1640)  et  après 
lui,  non  sans  réserves  et  sans  contradictions,  l'illustre 
publiciste  hollandais  Ugo  de  Groot  (Grotius)  dans  le 
livre  II,  chap.  XII,  de  son  grand  ouvrage  De  jure  pacis 
ac  belli. 

Tous  ces  écrivains,  qui,  d'après  certains  économistes, 
auraient  résolu  toutes  les  questions  soulevées  par  ce 
sujet,  n'ont  pas  réussi,  au  contraire,  comme  l'a  montré 
Bohm-Bawerk,  à  expliquer  le  fait  économique  de  la 
productivité  du  capital,  et  ils  ne  sont  pas  arrivés, 
d'autre  part,  à  trouver  des  arguments  acceptables  pour 
étayer  le  principe  juridique  de  la  légitimité  de  l'inté- 
rêt, qui  trouve  encore  de  nos  jours  (sans  parler  des  so- 
cialistes) des  adversaires  acharnés. 

On  peut  lire,  par  exemple,  le  curieux  ouvrage  de 
Victor  Modeste,  Le  préi  à  intérêt,  dernière  forme  de 
V esclavage.  Paris,  1889. 

Au  xviii''  et  au  xix«  siècles  la  controverse  a  été  reprise 
sans   arguments   nouveaux  chez  les  théologiens,    par 

J2 


178  l'époque  fragmentaire 

exemple  par  lillustrc  polyjçraplie  Scipion  Maffci  (DelV 
hnpiego  ciel  clenaro.  Roma,  174 4\  qui  a  provoqué 
les  critiques  de  Balleriiii  et  de  Concilia  et  ensuite 
Tencyclique  Vix  'per\:enit  de  Benoit  XIV  (1745),  et, 
enfin,  par  labbé  Marc  Mastrofini,  dont  l'ouvrage  Le 
usure  (Roma,  1831,  plusieurs  fois  réimprimé]  a  été 
l'occasion  d'une  nouvelle  polémique.  Mais  les  écono- 
mistes, comme  tels,  n'ont  pas'  besoin  des  4  petits 
volumes,  d'ailleurs  bien  faits,  du  cardinal  de  la  Luzerne 
{Dissertation  sur  le  j^rêt  de  commerce.  Dijon,  1823) 
pour  savoir  qu'on  peut  tirer  un  profit  de  l'emploi  de 
l'argent  (ce  qu'aucun  théologien  n'a  jamais  contesté),  et 
ils  ne  sont  pas  disposés  à  accorder  à  Mastrofini  que  la 
prohibition  de  l'intérêt  ne  s'adresse  qu'aux  débiteurs 
pauvres  ce  qui  est  faux  historiquement),  et  finalement 
ils  n'apprennent  rien  des  rigoristes,  qui  ne  cessent  de 
répéter  que  le  prêt  est  par  lui-même  (c'est-à-dire  dans 
des  conditions  qui  ne  se  réalisent  pas  dans  la  vie  mo- 
derne) essentiellement  gratuit. 

E.  v.  Bohm-Bawerk,  Geschichte  urtd  Kriiik  der  Kapi- 
talzins-Tlieorteen.  Innsbruck,  1884,  pp.  27-46,  65- 
69  et  passim. 


CHAPITRE  III 
LES  MONOGRAPHIES 


Dans  la  seconde  période  historique  de  l'économie  po- 
litique, qui  comprend  les  xvi"  et  xvii'"  siècles  et  la 
première  moitié  du  xviii'',  les  modifications  profondes 
subies  par  le  système  de  la  production,  de  l'échange, 
du  transport,  du  crédit  et  des  impôts,  forment  l'objet 
d''Lm  grand  nombre  de  monographies  théoriques  et  d'ou- 
vrages de  circonstance,  dans  lesquels  l'examen  de 
chaque  question  est  inspiré,  timidement  d'abord  et  plus 
nettement  ensuite,  par  des  critères  économiques,  de  plus 
en  plus  indépendants  de  ceux  que  l'on  empruntait  aux 
autres  sciences,  auxquelles  l'économie  politique  était 
subordonnée  dans  la  période  précédente. 

Les  ouvrages  de  polémique,  inspirés  par  l'intérêt 
exclusif  des  producteurs  et  des  consommateurs,  pren- 
nent petit  à  petit  un  caractère  plus  déterminé  et  plus 
exclusif,  et  se  transforment  en  systèmes  empiriques  de 
politique  économique  et  financière;  puis  vers  le  milieu 
du  siècle  passé  on  trouve  quelques  tentatives  de  conci- 
liation pratique,  dues  à  des  précurseurs  et  défenseurs 
des  réformes  économiques  et  fiscales,  et  aussi  quelques 
essais  de  coordination  théorique  imparfaite  dus  à  un  cer- 
tain nombre  d'écrivains  éclectiques,  plus  remarquables 
par  leur  érudition  que  par  leur  puissance  intellectuelle, 
qui  publient  des  traités  ou  font  des  leçons  dans  les 
chaires  qui  ont  été  expressément  créées  ou  transfor- 
mées dans  les  différents  pays  de  l'Europe. 


180  LES    MONOGRAPHIES 

Il  nous  paraît  donc  conforme  au  développement  réel 
de  l'économie  politique  de  parler,  dans  ce  chapitre  et 
dans  le  chapitre  suivant,  des  principales  monographies, 
des  systèmes  de  politique  économique  et  financière,  de 
l'éclectisme  bureaucratique  et  de  Téclectisme  de  la 
chaire. 

§    1.   —    LA    POPULATION    ET    l'ASSISTANGE. 

On  sait  que  le  plus  grand  nombre  des  écrivains  de  po- 
litique et  d'économie,  convaincus  de  l'importance  d'une 
population  nombreuse  au  point  de  vue  de  la  sécurité, 
de  la  puissance,  de  la  richesse  privée  et  de  la  richesse 
publique,  se  sont  occupés  presque  exclusivement  de  re- 
chercher les  causes  de  son  accroissement  et  de  suggérer 
les  moyens  les  plus  propres  à  le  faciliter.  Bien  plus,  vers 
le  milieu  du  xvrif  siècle,  des  auteurs  à  bon  droit 
estimés,  comme  le  grand  statisticien  J.  Pierre  Siiss- 
milch  (1707-1767)  et,  après  lui,  les  très  érudits  profes- 
seurs de  sciences  camérales,  Justi  et  Sonnenfels,  ont 
pensé  que  l'augmentation  de  la  population  était  le 
but  principal  que  l'État  devait  se  proposer  pour  réaliser 
le  bien-être  du  peuple. 

Rob.  von  Molli,  Geschiclite  und  Lileraiur  der  Staais- 

wissenschaften^  3"^  vol.  (Erlangen,  1858),  pag.  409 

et  suiv. 
Ach.  Sinigaglia,  La  teoria  economica  délia  popolazione 

in  Italia.  Bologna,  1881.  (Extrait  de  VArchivio  Giu- 

ridico). 

C'est  un  des  titres  de  gloire  du  meilleur  des  écono- 
mistes italiens  du  xvi®  siècle,  Jean  Botero,  d'avoir  étudié, 
presque  ex  professa,  le- sujet  de  la  population  avec 
une  méthode  vraiment  scientifique  dans  son  opuscule 
classique  Délie  cause  délia  grandezza  e  magnifîcenza 


LES    MONOGRAPHIES  181 

délie  città  (Roma,  1588.  Trad.  anglaise  de  R.  Peter- 
son.  Londres,  1606),  supérieur  en  ceci  à  Machiavelli, 
qui  avait  entrevu  [Discorsi,  liv.  I,  ch.  I)  qu"il  y  avait 
une  cause  physique  (la  productivité  du  sol)  à  la  limita- 
tion de  l'augmentation  indéfinie  de  l'espèce  humaine, 
qui  naturellement  augmente  là  où  les  substances  abon- 
dent ;  supérieur  à  Chiaramonti,  à  Zecchi,  à  Zuccolo  et 
à  d'autres  politiques  du  xvri^  siècle,  qui  avaient  entrevu, 
sans  l'approfondir,  cette  vérité  que  l'augmentation  de 
la  population  dépend  de  celle  des  subsistances  ;  supé- 
rieur enfin  à  tous  les  écrivains  qui,  jusque  vers  le 
milieu  du  siècle  passé,  se  sont  occupés  de  ce  sujet. 

Tandis  que  le  grand  publiciste  Jean  Bodin,  auquel 
Botero  est  redevable  d'un  grand  nombre  de  maximes 
de  politique  économique  et  financière,  enseignait  (La 
République,  1576,  liv.  V,  ch.  II)  que  c'était  une  erreur 
de  craindre  une  disette  future  par  suite  de  l'augmenta- 
tion de  la  population,  Botero,  qui  considérait  cependant 
l'augmentation  de  la  population  comme  un  élément  de 
la  prospérité  publique  et  qui  suggérait  (dans  la  Ragione 
di  Stato.  1589) les  moyens  d'y  pourvoir,  énumère  d'une 
façon  vraiment  magistrale  les  obstacles    à  l'accroisse- 
ment indéfini  du  nombre  des  hommes.  Ce  sont  pour 
lui  moins  les  disettes,  les  pestes  et  les  guerres,  que  le 
défaut  d'équilibre  entre  la  vertu  génératrice  des  hommes 
et  la  vertu  nutritive  des  villes,  c'est-à-dire  la  difficulté 
d'avoir  tout  près  les  subsistances  nécessaires  et  la  dif- 
ficulté de   les  faire  venir  de  loin.    Il  est  ainsi  amené 
à  se  préoccuper  des  excès    de  population,  et  il  consi- 
dère les  colonies  comme  utiles  quand  elles  servent  à 
absorber  la  partie  exubérante  de  la  population,  c'est-à- 
dire,  quand  elles  enlèvent  le  sang  superflu  et  corrompu, 
et  non  quand  elles  prennent  la  partie  saine. 

G.  JandelH,  Il  precursore  di  Malthus.  (in  Filosofia  délie 


182  LES    MONOGRAPHIES 

Scuole  iialiane.  Vol.  XXllI.  Roma,  1881,  pp.  147- 
160.) 

Dans  la  série  nombreuse  des  précurseurs  de  Malthus 
(dont beaucoup,  comme  Hume,  Steuart,  Townsend,  etc., 
ont  été  cités  par  lui  dans  la  préface  de  ses  Essais),  il 
faut  signaler  Franklin,  Beccaria,  Ortes  et  Ricci. 

B.  Franklin,  Observations   concerning  ihe  increase  of 

mankind.  Philadelphia,  1751.  (Cfr.  Mac  Culloch, 
The  literature  of  pol.  econ.  London,  1844,  pp.  253- 
257.) 

C.  Beccaria,  Elementi  di  economia  poliiica  (1769).  Im- 

primé dans  les  vol.  XI  et  XII  de  la  Collection  de 

Custodi.  Milano,  1803. 
G.  Ortes,  Riflessioni  sulla  popolazione  délie  nazioni  per 

rapporto  alV  economia  nazionale.  1790.  (Cfr.  Fed. 

Lampertico,  G.  Ortes  e  la  scienza  economica  al  suo 

tempo.  Venezia,  1865.) 
Lod.  Ricci,  Riforma  degli  istiiuli pli  délia  cilla  di  Mo- 

dena.  Modena,  1787. 

Franklin  indique ,  brièvement  et  clairement ,  les 
causes  qui  déterminent  l'augmentation  et  la  diminution 
de  la  population  ;  Beccaria  consacre  un  des  meilleurs 
chapitres  de  ses  Leçons  à  ce  sujet,  et  il  fait  allusion  à  la 
loi  des  revenus  décroissants  de  la  production  territoriale. 
Plus  profonde  est  la  monographie  d'Ortes  qui  contient 
en  germe  la  partie  substantielle  de  la  théorie  de  la  popu- 
lation ;  mais  on  n'y  trouve  ni  données  historiques  ni  don- 
nées statistiques,  pour  lesquelles  il  aurait  pu  utiliser 
les  indications  précieuses  fournies  par  le  mémoire  de 
l'abbé  Marc  Lastri  (Ricerche  suJV  antica,  e  nioderna 
popolsizione  délia,  cittk  di  Firenze,  1775),  ni  applica- 
tions pratiques.  Si  l'illustre  Ludovic  Antoine  Muratori 
avait  déjà  discuté,  incidemment  et  dans  un  livre  ascé- 
tique, quelques  points  de  la  théorie  économique  de  l'as- 
.sistance  (Délia  caritk  cristiana,  1723),  c'est  à  Ludovic 


LES    MONOGRAPHIES  183 

Ricci  que  revient  la  gloire  d'avoir  trouvé  dans  le  prin- 
cipe de  la  population  les  prémisses  d'où  il  déduit  de 
sages  maximes  sur  l'organisation  de  la  charité  publique, 
pour  qu'elle  serve  à  alléger  et  non  à  amener  l'indi- 
gence et  la  misère. 

A.  Setli,  Lodooico  Ricci  e  la  beneficenza  pubblica  net 
secolo  scorso  (Nuova  Antologia,  1880). 

11  nous  est  impossible  de  nous  occuper  des  nombreux 
travaux  qui  ont  été  écrits  sur  le  côté  économico-admi- 
nistratif de  l'assistance  ;  nous  nous  contenterons  de 
renvoyer  aux  œuvres  suivantes  qui  donnent  d'abon- 
dants renseignements  historiques  et  bibliographiques. 

C.  I.  Pelitli,  Saggio  sul  buon  governo  delta  mendicilà, 

etc.  Torino,  1827.  2  volumes. 
De  Gérando,  De  la  bienfaisance  publique.  Paris  1839. 

4  volumes, 
(irenier,  Essai  de  bibliographie  charitable.  Paris,  1891. 


§    2.    LA    MONNAIE 

Les  grands  événements  qui  séparent  le  moyen  âge  do 
l'état  moderne,  c'est-à-dire  la  chute  de  l'empire  romain 
d'Orient,  les  grandes  découvertes  géographiques,  l'in- 
vention de  la  poudre  et  celle  de  l'imprimerie,  la  renais- 
sance des  études  classiques,  la  décadence  de  la  féoda- 
lité, la  constitution  des  monarchies,  le  schisme  religieux, 
etc.,  etc.,  et  les  autres  faits  de  caractère  plus  purement 
économique,  comme  les  nouvelles  directions  des  routes 
commerciales  et  les  transformations  des  rapports  com- 
merciaux entre  l'Occident  et  l'Orient,  les  altérations 
monétaires  continues  et,  en  iriême  temps,  l'afflux  en 
Europe  des  métaux  précieux  venant  des  riches  mines 
découvertes  en  Amérique,  la   prépondérance  toujours 


184  LES    MONOGRAPHIES 

plus  grande  de  l'économie  monétaire  sm'  l'économie  natu- 
relle, qui  caractérise  le  moyen  âge,  et  la  multiplication 
des  établissements  de  crédit  ;  la  confiscation  des  biens  des 
corporations  religieuses  dans  les  pays  protestants  et 
l'augmentation  de  l'indigence,  l'excès  de  la  population, 
la  fondation  des  colonies,  l'émigration  et  les  relations 
économiques  avec  les  pays  d'origine  qui  en  furent 
la  conséquence  ;  l'institution  des  armées  permanentes, 
l'augmentation  progressive  des  dépenses  publiques,  et 
le  besoin  toujours  plus  grand  de  nouvelles  recettes  fis- 
cales, appellent,  au  x\f  siècle  et  dans  les  siècles  sui- 
vants, lattention  des  penseurs  sur  les  problèmes  qui 
concernent  la  circulation  et  les  finances. 

Les  écrivains  de  minéralogie,  dans  leurs  études  sur 
les  métaux  précieux,  s'occupent  aussi  de  la  monnaie  ; 
ils  effleurent  souvent  les  questions  économiques  et  quel- 
quefois même^  comme  le  célèbre  Jules  Agricola  dans 
son  livre  De  re  metallica  (lùdD),  il  les  approfondissent. 
Les  antiquaires  et  les  numismates  en  parlent  aussi  dans 
leurs  études  sur  les  monnaies  anciennes  (Budée,  Alciat, 
etc.i,  sur  les  monnaies  modernes  (Borghini,  pour  les 
monnaies  de  Florence)  ;  c'est  un  objet  d'étude  pour  quel- 
ques moralistes,  comme  l'aristotélicien  Auguste  Nifo,  de 
Sienne,  dans  son  o^îuscule  De  divitiis  (1531).  Les  juris- 
consultes s'en  occupent  longuement,  spécialement  dans 
le  but  de  déterminer  les  conséquences  légales  des  alté- 
rations, faites  par  les  princes,  du  poids,  du  titre,  et  des 
rapports  de  valeur  des  monnaies.  Bartole  de  Sassofe- 
rato  '1313-J359)  et  ses  nombreux  élèves  parlent  de  la 
monnaie  dans  des  œuvres  générales  ;  il  existe  aussi  de 
courts  traités  spéciaux  par  Martin  Garrati  (de  Lodi) 
(1438),  François  Corti  (de  Pavie,  1482),  Albert  Bruno 
(d'Asli,  1506)  et  quelques  autres  dont  les  travaux  ont  été 
réunis  dans  les  collections  De  monetis  faites  par  les 
écrivains  allemands  Mathieu  Boyss(1574),  Reinero  Bu- 


LES    MONOGRAPHIES  185 

delio  (1591)  et  par  le  piémontais  Gaspard  Tesauro(1609). 
Les  ouvrages  plus  récents  d'Antoine  Sola  (1541),  d'An- 
toine Favre  (1609)  et  plus  encore,  les  ouvrages  sur  le 
Cliangenient  des  monnaies  deChar\esDumou\in{Opera 
omnia.  Paris,  1638)  et  du  jésuite  espagnol  Mariana, 
(Toledo  1599),  ont  une  valeur  plus  grande.  Tous  ces 
écrivains,  qui  savaient  en  quoi  consiste  la  bonitas  in- 
trinseca  des  monnaies  et  qui  ont  dépeint  parfois  avec  de 
vives  couleurs  les  dangers  économiques  des  altérations, 
les  ont  déconseillées  aux  princes  ;  mais,  partant  de  cette 
maxime  que  la  valor  impositus  constituait  l'essence 
de  la  monnaie,  ils  ont  soutenu  que  les  altérations  des 
monnaies  étaient,  dans  certains  cas,  légitimes. 

Giuseppe  Salvioli,  Il  diritto  monetario  italiano.  Milano, 
1889  {'mEnciclopedia  giirridica.  Vol.  X.  P'"  II l,  eh. 
XetXI.) 

G.  A.  Conigliani,  Noie storiche  sulla  qiiestione  giuridica 
dei  pagamenîi  moneiari.  Modena,  1891. 

Il  faut  attribuer  une  grande  importance  à  quelques 
écrivains  qui  étudient  ce  sujet  sous  son  aspect  purement 
économique.  Le  plus  ancien  est  le  célèbre  astronome 
Nicolas  Copernic,  qui,  vers  1526,  écrivit,  sur  la  de- 
mande de  Sigismond  l",  roi  de  Pologne,  un  petit 
traité  De  monetae  cudendae  ratione,  resté  inédit 
jusqu'en  1816,  réimprimé  et  traduit  en  français  par 
Wolowski  (1864).  Copernic  expose  clairement  les  fonc- 
tions de  la  monnaie,  il  critique  les  altérations  et  le  sei- 
gneuriage,  dont  il  montre  les  dangers,  il  est  partisan 
de  l'alliage,  entrevoit  le  théorème  de  Gresham  et  pré- 
conise la  concentration  et  la  simplification  du  régime 
monétaire;  il  a  surtout  en  vue  la  condition  des  pro- 
vinces prussiennes,  alors  sujettes  de  la  Pologne. 

A.  Montanari,  Aicolô  Copernico,  etc.  Padova,  1873.  (2'-" 
édit.  1877.) 


186  LES    MONOGRAPHIES 

Presque  à  la  même  époque  un  anonyme  [Gemeine 
Stlmmen  von  der  MLlntze,  1530.  —  Apologie,  etc., 
1531),  dans  sa  défense  de  la  bonne  politique  monétaire 
des  princes  saxons  de  la  branche  albertine  (contrecarrée 
par  les  partisans  de  la  branche  ernestine),  expose  des 
idées  fort  exactes  sur  le  caractère  de  la  richesse,  du  com- 
merce et  de  la  monnaie. 

W.  Roscber,  Ueber  die  Bliithe  deutscher  Naiionalu- 
konomik  im  Zeitalter  der  Reformation  Berichie  der 
sàchsischen  Gesellschaft  der  Wiss.  Phil.  hist.  Classe. 
1862,  pag.  145  et  su iv.) 

W.  Lotz,  Die  Drei  Flugsc/iriften  iiber  den  Mûnzstrcit, 
etc.  Leipzig-,  1893. 

Dans  la  longue  série  des  ouvrages  français  sur  la  mon- 
naie, dont  quelques-uns  sont  relativement  anciens  et 
n'ontpas  encore  été  étudiésde près, comme,  parexemple. 
ceux  de  Grimaudet,  Garrault  (1586),  PouUain  (1621), 
Boutteroue  (1666),  Le  Blanc  (1690),  Boizard  (1692), 
Dupréde  Saint-Maur  (1746),  Bettange  (1760)  et  Abbot 
de  Bazinghen  (1764),  nous  rappelons  seulement  celui 
de  Jean  Bodin  ^  1530-1596]  qui,  dans  son  ouvrage  De  In 
République  (1576),  propose  la  suppression  de  Talliagc, 
la  fixation  de  la  valeur  relative  de  Tor  et  de  l'argent  à 
12  pour  1.  la  frappe  de  monnaies  d'or  et  d'argent  de 
poids  égal  et  de  valeur  proportionnelle,  l'unité  des 
hôtels  de  monnaies,  etc. 

C.  A.  Conigliani,  Le  dottrine  moneiarie  in  Francia  du- 
rante il  média  evo.  Modena,  1890. 

Les  anglais  possèdent  aussi  une  série  nombreuse 
d'écrivains  monétaires  remarquables,  dont  on  trouvera 
la  liste  dans  Jevons,  Investigations  in  Currency  and 
Finance.  London,  1884,  p.  363  et  suiv.  Parmi  les  plus 
importants  il  faut   citer  W.   Petty    (1682),    J.   Locke 


LES    MONOGRAPHIES  187 

(1682-95),  N.  Barbon  (1606),  le  fameux  Rej^ort  (1717) 
crisaac  Newton  et,  enfin,  le  traité  de  Joseph  Harris 
[An  essay  on  money  and  coins.  London,  1757-58), 
récemment  réimprimé. 

Une  place  éminente,  parmi  les  écrivains  monétaires, 
appartient,  sans  aucun  doute,  aux  italiens,  comme  cela 
est  généralement  reconnu  par  les  écrivains  étrangers. 
Et  cela  deviendrait  plus  évident  encore  si  un  de  nos 
jeunes  économistes  s'occupait,  avec  le  soin  nécessaire, 
de  ce  sujet  si  intéressant. 

Au  xvi"  siècle,  en  dehors  de  la  courte  et  très  élégante 
Lezione  délie  monete  (1588)  de  Bernard  Davanzati 
{Scrittori  classici  italiani  di  Economia,  politica.  Parte 
Antica.  T.  II.  Milano,  1804,  p.  17)  qui  résume  les  idées 
fondamentales,  il  faut  signaler,  avant  tous  les  autres, 
Gaspard  Scarufïî,  de  Reggio  en  Emilie  (1519-1584), 
négociant,  banquier,  quelque  temps  essayeur  et  ensuite 
adjudicataire  de  l'Hôtel  des  monnaies,  l'auteur  de  YAli- 
tinonfo  (c'est-à-dire  la  véritable  lumière),  écrit  de  1575 
à  1579,  édité  à  Reggio  en  1582,  commenté  par  Prati- 
suoli  avant  1587  (Reggio,  1604)  et  réimprimé  dans  un 
des  volumes  de  la  Collection  de  Custodi.  Il  expose  avec 
beaucoup  de  profondeur  et  de  compétence,  mais  avec 
une  prolixité  excessive,  les  fonctions  de  la  monnaie  ; 
il  en  déplore  les  désordres  et  propose  comme  remède 
un  système  monétaire  unique,  basé  sur  le  rapport  fixe  de 
valeur  de  12  à  1,  qu'il  considère  comme  excellent  et  qui 
a  été,  d'ailleurs,  conseillé  par  le  divin  Platon,  et  qui 
est  à  peu  près  conforme  au  rapport  réel  de  cette  époque  ; 
il  ajoute,  enfin,  que  les  dépenses  de  fabrication  doivent 
être  payées  par  celui  qui  fait  frapper  les  monnaies,  l'Etat 
devant  d'ailleurs  prendre  sur  lui  une  partie  de  ces  dé- 
penses. 

Andréa  Balletti,  G.  Scaruffi  e  la   quesiione  monelarla 
nel  secolo  XVI.   Modena,  1882  (Bon   travail,  très 


188  LES    MONOGRAPHIES 

soigné  dans  sa  partie  biographique  et  dans   son 
exposition). 

Au  xvri^  siècle,  il  faut  rappeler,  en  dehors  des  Discorsi 
de  JeanDonato  Turboli,  meilleur  directeur  d'Hôtel  des 
monnaies  qu'économiste  (1616-29),  deux  œuvres  écrites 
vers  1680  par  le  savant  modénais  Geminiano  Montanari 
(1633-1687),  professeur  à  l'Université  de  Padoue, 
imprimées  soixante-dix  ans  après  dans  la  Raccolta  di 
opère  sulle  monete  d'Argelati  (et  ensuite  reproduites 
dans  la  Collection  de  Custodi),  dans  lesquelles  on 
retrouve,  à  chaque  pas,  l'influence  de  Bodin. 

Enfin,  au  xviii^  siècle,  qui  fournit  le  plus  grand 
nombre  de  monographies  sur  ce  sujet,  il  faut  citer  en 
dehors  des  volumes  diffus  et  érudits  du  comte  G.  R. 
Carli,  de  la  traduction  et  des  commentaires  des  œuvres 
de  Locke,  dues  au  florentin  Pagnin.i,  des  écrits  de  Brog- 
gia  (1743)  et  de  Vasco  (1772),  les  opuscules  popu- 
laires de  Eeccaria  et  ceux  de  Pierre  et  d'Alexandre 
Verri  : 

Joannes  Ceva,  De  re  nummaria  quoad  fieri  potuit  geo- 
metrice  pertractata.  Mantuae,  1711.  (Opuscule  que 
nous  avons  communiqué  à  Nicolini  qui  l'a  com- 
menté dans  le  Giornale  degli  Economisti.\o\.  VIII. 
Padova,  1878  —  et  signalé  ensuite  à  Jevons,  qui 
l'a  cité  dans  sa  Bibliographie  des  économistes  ma- 
thématiciens). 

Ferdinando  Galiani,  Délia  Moneia.  Napoli,  1750  (Pu- 
blié sans  nom  d'auteur  dans  sa  jeunesse  et  réim- 
primé en  1780  sous  son  nom  et  avec  de  nom- 
breuses notes).  —  C'est  le  meilleur  traité  italien; 
sa  forme  est  également  remarquable. 

V ov!\\i&o 'i^ev'i ,  Osserimzioni  sut  prezzo  légale  délie  mo- 
nete. Milano,  1751,  in-4.  (Œuvre  extrêmement 
remarquable.) 

Cr.  Ad.  Soetbeer,  Literaturnachweis  ûber  Geld  und 
Mïinzwesen.  Berlin,  1892. 


LES    MONOGRAPHIES  189 


§  3.  —  l'enghérissement  des  prix 

L'enchérissement  des  prix  a  été  étudié  incidemment 
par  les  auteurs  que  nous  venons  de  citer,  parce  que 
c'est  un  sujet  étroitement  lié  à  celui  de  la  monnaie.  La 
hausse  des  prix  faisait  sentir  ses  effets  perturbateurs 
tout  particulièrement  sur  ceux  qui  avaient  des  revenus 
fixes  en  argent  ou  des  créances  résultant  de  contrats  à 
longs  termes.  Si  quelques  écrivains,  comme  l'évêque 
Ugo  Latimer,  dans  ses  Sermons  (1549),  attribuaient  ce 
fait  à  l'avarice  des  propriétaires  qui  haussaient  arbitrai- 
rement la  rente,  et  si  d'autres  (comme  Frank,  Zwingle, 
Melanchton,  Henckel)  y  voyaient  l'effet  des  monopoles 
des  commerçants  et  des  spéculations  des  usuriers,  il  ne 
manque  pas  d'écrivains,  en  France  et  en  Angleterre,  qui 
ont  expliqué  cette  grande  révolution  économique  d'une 
façon  moins  exclusive  et  plus  conforme  à  la  vérité. 

Tandis  que  le  seigneur  de  Malestroit  {Paradoxes  sur 
le  fait  des  monnaies.  Paris,  1566)  affirmait  que  ren- 
chérissement des  prix  était  seulement  apparent ,  parce  que 
il  avait  pour  cause  les  altérations  des  monnaies  —  si, 
disait-il,  contre  une  même  quantité  de  marchandise, 
il  faut  donner  un  plus  grand  nombre  de  pièces  dimi- 
nuées, c'est  qu'il  en  faut  ce  nombre  pour  faire  la  même 
quantité  de  métal  fin  que  par  le  passé  — ,  Jean  Bodin 
réfutait  cette  affirmation  dans  deux  opuscules,  qu'il  a 
ensuite  résumés  dans  sa  République. 

J.  Bodin,  Réponse  aux  Paradoxes  de  M.  de  Malestroit 

touchant  renchérissement  de  toutes  les  choses^  etc. 

Paris,  1568. 
—  Discours  sur  le  rehaussement  et  la  diminution  des 

monnaies.  Paris,  1578. 
L'anonyme,  Discours  sur  les  causes  de  l extrême  cherté, 

etc.   Paris,  1574   (réimprimé  dans   les  Archives 


190  LES    MONOGRAPHIES 

curieuses  de  l'histoire  de  France,  etc.  Vol.  VI, 
série  I.  Paris,  1835),  donne  un  résumé  de  Bodin 
avec  des  notes  sans  valeur. 

Bodin  démontre  que  le.s  causes  principales  de  ren- 
chérissement des  pri.\  sont  l'abondance  de  la  monnaie, 
résultat  de  l'augmentation  de  la  production  des  métaux 
précieux  et  en  particulier  de  l'argent,  de  l'importance 
acquise  par  le  commerce  extérieur  et  par  les  capitaux 
qu'attirait  la  banque  de  Lyon.  Il  reconnai.s.sait  encore 
comme  causes  importantes  le  luxe  des  riches,  la  libre 
exportation  du  blé,  les  monopoles,  le  mauvais  état  des 
monnaies.  Il  voulait  porter  remède  à  tout  cela  par  des 
réformes  monétaires  et  fiscales  qui  tendraient  à  protéger 
l'industrie  nationale  par  des  droits  élevés  d'importa- 
tion, etc. 

Une  opinion  contraire  à  celle  de  Malestroit  et  en 
apparence  seulement  différente  de  celle  de  Bodin  est 
défendue  par  un  autre  économiste  français,  François 
de  Grammont,  seigneur  de  Saint-Germain,  secrétaire 
de  Louis  XIII.  Il  est  l'auteur  d'un  ouvrage  curieux  et 
peu  connu,  écrit,  semble-t-il,  sur  l'ordre  de  Richelieu. 
Il  cherche  à  prouver  combien  sont  injustes  les  plaintes 
des  contribuables  français  sur  l'augmentation  des  im- 
pôts, qu'il  ne  croit  qu'apparente,  puisque  le  trésor 
l'oyal  ne  peut  pas  avec  l'argent  reçu  acquérir  plus  de 
richesses  qu'il  ne  le  faisait  avec  les  anciennes  contribu- 
tions nominalement  plus  faibles.  Il  soutenait  (contre  Ma- 
lestroit) que  la  quantité  de  l'argent  a  augmenté  effecti- 
vement, et  qu'il  faut  en  donner  davantage  pour  obtenir  la 
môme  quantité  de  marchandises,  mais  il  objecte  à  Bodin 
que,  bien  queTunité  de  valeur  de  la  monnaie  ait  réelle- 
ment diminué,  sa  valeur  totale  est  demeurée  la  même. 

Scip.  de  Grammont,  Le  denier  royal,  traité  curieux  de 
l'vret  de  l'argent,  etc.  Paris,  1620  XXII-299  pag.). 


LES    MONOGRAPHIES  191 

C.  A.  Conigliani,  L'aumento  apparen'e  délie  spesr  puh- 
hliclie  e  il  Denier  royal,  etc.  Milano,  1890  (in 
Filangieri,  XV«  année,  lasc.  V;. 

Nous  devons  citer  encore  un  Dialogue  anglais  entre 
un  propriétaire,  un  fermier,  un  commerçant,  un  fabri- 
cant de  bonnets  et  un  docteur  en  droit,  qui  diri,2:e  la 
discussion.  Ce  dialog-ue  est  remarquable  par  l'abon- 
dance des  faits  recueillis  par  une  observation  directe  et 
par  la  vivacité  avec  laquelle  est  exposée  la  diversité  des 
opinions  sur  les  causes,  les  effets  et  les  remèdes  de  la 
révolution  des  prix.  Les  plaintes,  les  explications  et  les 
propositions  sont  naturellement  différentes  et  souvent 
contradictoires.  Ce  dialogue,  édité  en  1581.  par  A\'.  S. 
(William  Stafford.  d'après  Farmer).  réimprimé  en  1751 
(et  attribué  à  Shak.speare),  puis  de  nouveau  dans  le 
volume  IX  de  la  Harleian  MisceLlany,  a  été  finalement 
reproduit  par  l'excellente  Slialispeare  Society.  Il  ré- 
sulte des  reclu-rcbes  approfondies  d'Elisabetli  Lamond 
{Engllsli  Hisi.orical  Review,  avril  1891)  que  ce  dia- 
logue, écrit  dès  1549  et  probablement  par  John  Haies 
(mort  en  157'2j,  a  été  publié  par  Stafford  avec  quel- 
ques omissions  (dont  l'une  expo.se  nettement  ce  qu'on 
appelle  la  loi  de  Gresham)  et  quelques  adjonctions, 
dont  la  plus  remarquable  est  celle  où  Stafford  (après 
Hodin)  indique  la  great  store  and  plenty  of  treasure 
comme  une  des  causes  de  renchérissement  des  prix. 
Haies  voit,  au  contraire,  la  cause  du  renchérissement 
dans  les  altérations  monétaires  et  dans  la  transforma- 
tion des  terres  cultivées  en  blé,  en  prairies  pour  l'éle- 
vage des  brebis.  Il  croit  pouvoir  remédier  aux  dan- 
gers qui  en  résultent  par  quelques  mesures  douanières 
et  eu  particulier  par  des  droits  élevés  à  l'exportation  de 
la  laine  et  par  la  libre  exportation  des  céréales. 

W.  S.,   A  conipendious  or  briefe  examinalion  of  cer- 


192  LES    MONOGRAPHIES 

tayne  onlinary  complaints,  etc.  London,  1581 
fréimprimé  avec  une  introduction  de  J.  D.  Mat- 
thew  et  avec  des  notes  de  F.  J.  Furnivall.  Lon- 
doii;  1876). 

E.  Nasse,  Ueber  eine  volksicirthschaftliche  Sclwift  aus 
(ter  Zeit  cler  Preisrevolution,  etc.  (in  Zeitschr.  fur 
die  ges.  Staatswiss.  1863,  pp.  369-391). 

Thomas  Gresham,  Information  touching  the  fall  of 
ihe  exchainge,  1558  (réimprimé  par  E.  de  Lave- 
leye  dans  les  Jahrh.  f.  Xat.Oelc  de  B.  Hildebrand., 
1882,  vol.  IV.  pp.  117-119). 


§   4.   LES    PAIEMENTS    INTERNATIONAUX. 

De  tous  les  économistes  de  la  première  moitié  du  xvii* 
siècle,  la  première  place  appartient,  à  plus  d'un  titre,  à 
Antoine  Serra  qui  écrivit  dans  les  prisons  de  la  F/ca- 
ria,  où  il  était  enfermé,  non  pas  comme  complice  de 
Campanella  (comme  l'a  imaginé  Salfi),  mais  comme 
accusé  de  faux  monnayage  (comme  l'a  démontré  Ama- 
bile),  son  Brève  trattato  délie  cause  che  j)Ossono  fare 
abbondare  li  regni  d'oro  e  d'argento  dove  non  sono 
minière.  (Napoli,  1613j. 

Ce  petit  ouvrage  eut  une  destinée  curieuse.  Oublié 
par  les  contemporains,  trouvé  par  hasard  par  Intieri, 
qui  en  donna  une  copie  à  Galiani,  il  fut  porté  aux  nues 
par  celui-ci  dans  la  seconde  édition  de  son  traité  Délia 
moneta.  (1780).  Il  fut  ensuite  réimprimé  par  Custodi  et 
signalé  avec  des  éloges  hyperboliques  par  Peccliio.  par 
Bianchini  et  par  presque  tous  les  historiens  de  l'éco- 
nomie politique,  qui  ne  se  sont  pas  souciés  de  le  lire  en 
entier,  etc'estlàcequi  explique  comment  Serra  est,  pour 
quelques-uns,  le  fondateur  de  l'économie,  pour  d'autres, 
le  créateur  ou  un  défenseur,  et  pour  d'autres  enfin 
un  adversaire  du  système  mercantile,  dont  on  ne  peut 
même  pas  avec  certitude  le  déclarer  partisan.  Travers 


LES    MONOGRAPHIES  193 

Twiss  {View  of  the  jorogress,.  etc.  London,  1847,  pp.  8- 
10,  32-33,  51,  75,  163),  Ferrara  {Biblioteca  cleW  Eco- 
nomista,  série  I,  vol.  III,  Torino,  1852,  pp.  xLviir-Lv), 
et  Pierson  (Bijdrage  tôt  de  geschiedenis,  etc.  Ams- 
terdam, 1866,  pp.  8-13,  29-30),  sont  les  seuls  qui  se 
soient  efforcés,  avec  beaucoup  de  soin,  sinon  avec  un 
plein  succès,  de  porter  un  jugement  exact  sur  cette  œuvre 
si  importante. 

Depuis  l'analyse  très  soignée  de  la  polémique  entre 
De  Santis  et  Serra  publiée  par  Fornari,  Gobbi  a  étudié 
attentivement  le  Brève  trattato  et  il  a  exposé,  avec 
beaucoup  de  perspicacité,  mais  en  partie  seulement, 
son  contenu.  Enfin,  De  Viti,  un  éminent  spécialiste 
en  matière  de  monnaie  et  de  change,  nous  a  donné  un 
excellent  commentaire  (auxquel  Benini  a  joint  quel- 
ques gloses),  qui  pourra  faciliter  la  comparaison  du 
mérite  de  Serra  avec  celui  de  ses  contemporains  et  de 
ses  prédécesseurs. 

Tommaso  Fornari,  Studii  sopra  Antonio  Serra  e  Marc' 

Antonio  De  Santis.  Pavia,  1879. 
U.  Gobbi,  La  concorrenza  estera,  etc.  Milano,  1884, 

pag.  49  et  suiv. 
—  Veconomia  poliiica  negli  scrittori  italiani.  Milano, 

1889,  pag.  176  et  suiv. 
A.  De  Viti  De  Marco,    Le   teorie  economiche  iVAnt. 

Serra.  Milano,  1890  (In  Memorie  del  R.  Instituto 

Lombardo  di  Scienze,  série  III,  vol.  IX,  pp.  103-130). 

Comme  cela  résulte  du  titre  du  Traité  et  de  ses  affir- 
mations souvent  répétées.  Serra,  en  discutant  un  sujet 
nouveau  et  de  caractère  scientifique,  ne  se  préoccupe 
pas  (comme  l'avait  fait  Bottero)  des  causes  de  la  richesse, 
mais  seulement  de  celles  qui  amènent  l'abondance  de  la 
monnaie.  Il  n'a  pas  étudié  légèrement  un  problème 
trop  vaste  ;  il  a  étudié  correctement  et  avec  des  idées 
larges  un  problème  restreint  et  il  l'a  fait  avec  une  mé- 

13 


194  LES    MONOGRAPHIES 

thode  excellente  et  sans  digressions,  mais  cependant 
avec  beaucoup  de  répétitions  qui  s'expliquent,  en  partie, 
parla  circonstance  qui  l'avait  amené  à  écrire.  Sans  dis- 
cuter la  question  de  l'échange  international,  étrangère 
à  son  sujet  et  pour  laquelle  il  eût  été  d'ailleurs  incom- 
pétent, car  il  ignorait  la  théorie  quantitative  de  la  valeur 
de  la  monnaie  et  celle  du  coût  comparatif,  et  en  s'abste- 
nant  aussi  de  parler  du  change  réel,  Serra  donne  une 
explication  exacte  du  phénomène  des  paiements  interna- 
tionaux en  monnaie.  Il  montre  que  Tabondanee  de  la 
monnaie,  dont  l'importance  est,  pour  lui,  un  axiome, 
dépend  de  causes  naturelles  (les  mines)  et  de  causes 
artificielles;  ces  dernières  se  subdivisent  en  accidents 
propres  (qui  ne  peuvent  pas  être  créés),  ce  sont  l'excé- 
dent des  produits  de  la  terre  sur  les  besoins  de  la  con- 
sommation indigène  et  une  position  géographique 
favorable  au  commerce,  et  en  accidents  communs  (que 
l'on  peut  chercher  à  réaliser),  ce  sont  le  nombre  des 
industries  (manufactures),  la  qualité  de  la  population,  le 
grand  trafic  et  l'aide  du  gouvernement.  On  voit  la  grande 
analogie  qu'il  y  a  entre  les  causes  de  la  richesse  indiquées 
par  Botero,  que  Serra  avait  sans  doute  consulté,  et  les 
causes  de  l'abondance  de  l'argent  dont  ce  dernier 
donne  une  meilleure  classification,  supérieur  ici  encore 
à  son  prédécesseur  en  ce  que,  tout  en  préférant  lui  aussi 
les  manufactures  à  l'agriculture,  il  parle  (comme  Ta 
remarqué  le  premier  Nazzani  dans  son  Saggio  sulla. 
vendita,  fondlaria,  1872)  de  la  loi  limitative  de  la  pro- 
duction agraire.  Quanta  la  politique  économique,  Serra 
demande  la  liberté  d'exportation  de  la  monnaie  et  celle 
du  change,  que  son  adversaire  Marc-Antoine  De  Santis 
deNocera,  dans  ses  Discorsi  (1605),  voulait  empêcher 
et  restreindre  par  des  défenses  d'exportation  et  par  des 
tarifs  légaux.  Il  croyait  que  ces  expédients  pouvaient 
faire  entrer  de  la  monnaie  dans  l'Etat,  mais  il  se  fondait 


LES    MONOGRAPHIES  195 

sur  une  théorie  absolument  inexacte  de  la  valeur  de  lu 
monnaie  et  sur  cette  hypothèse  fausse  que  le  change 
défavorable  est  la  cause  et  non  l'effet  de  la  rareté  de  la 
monnaie,  tandis  qu'il  dépend  de  la  faible  importance  de 
l'industrie  manufacturière,  de  l'absentéisme  d'un  grand 
nombre  de  citoyens  riches,  et  du  grand  nombre  de 
négociants  étrangers.  Serra  n'indique,  d'une  façon 
explicite,  aucun  remède,  se  réservant  de  parler  «  dès 
que  le  maitre  l'aura  ordonné  ».  Mais  le  gouvernement, 
qui  accueillait  les  opinions  des  empiristes  et  qui  édictait 
des  Pragmatiques  inspirées  par  De  Santis,  ayant  fait 
interroger  en  1617  Serra,  le  renvoya  aussitôt  en  prison, 
parce  que,  d'après  un  chroniqueur  cité  par  Fornari 
(pag.  262),  il  n'y  avait  dans  ses  conclusions  que  du 
verbiage. 

Le  mérite  des  travaux  de  Biblia  'Discorso  sopra  l'ag- 
giustamento  dellamoneta  e  cainhr'i  ciel  Regno,  1621) 
semble  disparaître  à  côté  de  celui  de  Serra.  Il  considère 
comme  fixe  le  rapport  de  valeur  entre  l'or  et  l'argent  et 
il  veut,  lui  aussi,  que  la  loi  fixe  le  taux  légal  du  change 
avec  Tétranger.  Il  faut  citer  aussi  les  ouvrages  de  Vic- 
tor Lunetti  {Politica  mercantile.  Napoli,  1630;  Pds- 
tretto  de'  tesori,  etc.,  1640),  qui  demande  la  prohibition 
de  l'exportation  de  la  monnaie  et  l'abolition  des  douanes. 

Il  est,  au  contraire,  un  autre  ouvrage  qui  mériterait 
d'être  l'objet  de  quelque  travail  (et  De  Viti  nous  l'a 
promis),  c'est  l'œuvre  économico-juridique  du  bolognais 
Romeo  Bocchi  ;  mettant  à  profit  les  fruits  de  ses  lec- 
tures, de  ses  expériences  et  de  ses  nombreux  voyages, 
il  s'efforce  d'expliquer  le  mécanisme  des  paiements  et, 
en  particulier,  des  paiements  par  compensation  pen- 
dant les  foires, 

Romeo  Bocchi,  Délia  giusta  unlversale  misura  e  suo 
iipo.  Tome  I  :  Anima  délia  moneta.  Tome  II  :  Corpo 
délia  moneia.  Venezia,  1621.  (Gobbi,  VEconomia 


196  LES    MONOGRAPHIES 

polUica,  etc.    Milano,    1889,    pp.    164-175.    en    a 
donné  un  bon  extrait.) 


,^    5  .    LES    BANQUES    DE    DÉPÔT    ET    DE    ClRCULATrON 

Les  banques  publiques  de  dépôt  sont  nées  au  xv^ 
siècle  (Barcelone,  Valence,  Saragosse),  au  xvi'"  siècle 
(Trapani,  Gênes,  Palerme,  Messine,  Naples,  Venise, 
Milan)  et  au  xvii''  siècle  (Amsterdam,  Rotterdam,  Ham- 
bourg, Nuremberg)  sur  la  ruine  des  banques  privées, 
en  général  tombées  en  faillite.  Elles  avaient  pour  but 
de  faire  des  prêts  à  un  intérêt  modéré  (Naples',  de  sim- 
plifier les  paiements  entre  commerçants  en  les  rempla- 
çant par  de  simples  virements  de  compte  (Gênes,  Ve- 
nise, Sicile),  de  créer  une  valeur  idéale  de  banque 
ramenée  à  une  quantité  fixe  d'argent,  et  partant  sous- 
traite aux  périls  de  la  multiplicité  et  de  l'altération  des 
monnaies  (Amsterdam  1609,  Hambourg  1619),  et  fina- 
lement aussi  de  consolider  et  d'amortir  la  dette  de 
l'Etat  (Gênes)  ou  celle  de  la  commune  (^Milan)  par  le 
recouvrement  d'impôts  cédés  à  la  Banque  elle-même. 
On  a  écrit  sur  ces  banques,  non  seulement  des  mono- 
graphies historiques  pour  faire  connaître  (en  attendant 
une  histoire  générale  du  crédit)  chacun  des  établisse- 
ments, mais  aussi  quelques  ouvrages  théoriques,  qui 
sont  les  débuts  de  la  littérature  bancaire. 

Parmi  les  nombreux  ouvrages  historiques  sur  les 
banques  de  Gênes  (Serra,  Lobero,  Cuneo,  Wisnievvski), 
de  Naples  (Rocco,  Ni.sco,  Petroni,  Ajello,  Tortora),  de 
Venise  (Lattes,  Ferrara),  je  n  indiquerai  que  les  travaux 
récents  et  très  remarquables  de  Cusumano,  Piccolo- 
mini,  Soresina,  Dunbar,  qui  ont  éclairci  sur  certains 
points  l'histoire  d'un  grand  nombre  de  banques  italiennes. 

V.  Cusumano,  67or/a  dei   banchi  di  Sicilia.   Vol.   I: 


LES    MONOGRAPHIES  197 

I  banchi  privaii.  Roma,  1887.  Vol.   Il:  I  banchi 

piiblici,  1892. 
Narc.  Mengozzi,  Il  monte  dei  Paschi.  Siena,  1891. 
Nie.  Piccolomini,  Il  monte  dei  Paschi,  etc.   Vol.  I-IV. 

Siena,  1891-93. 
Am.  Soresina,  Il  banco  giro  di  Venezia.  1889. 
Ch.  Dunbar,  The  bank  of  Venise  (  In  Quartely  Journal 

of  économies.  Vol.  VI.  Boston,  1892). 

La  constitution  du  Banco  di  Rialto  à  Venise  (1587)  et 
de  celui  de  Saint- Aynbrogio ,  à  Milan  (1598)  ont  été 
l'occasion  d'intéressants  ouvrages  théoriques  ;  le  Banco 
de  Gênes  et  le  Banco  Giro  (1619)  de  Venise  ont  suscité 
des  ouvrages  purement  descriptifs  (Merello),  des  ou- 
vrages d'histoire  (Trevisan)  et  de  comptabilité  (Cavalà). 

Elie  Lattes  a  réimprimé  deux  célèbres  discours,  abso- 
lument contraires,  attribués  au  sénateur  Thomas  Con- 
tarini,  et  prononcés  en  1584,  au  moment  de  la  fonda- 
tion du  Banco  di  Rialto.  Celui  qui  est  favorable  aux 
banques  publiques  rappelle  les  abus  multiples,  les 
opérations  imprudentes,  les  faillites  des  banques  pri- 
vées. En  sens  contraire,  le  second  discours  fait  remar- 
quer que  l'Etat  ne  doit  pas  de  se  faire  marchand  ;  que 
l'obligation  de  payer  en  valeur  de  banque  pourrait  être 
dans  certains  cas  très  lourde  ;  que  dans  les  moments  de 
crise  financière,  la  tentation  de  se  servir  de  l'argent 
déposé  deviendrait  trop  forte  ;  que,  finalement,  la  fail- 
lite de  la  banque  publique  aurait  des  conséquences 
beaucoup  plus  graves  que  celle  des  banques  privées. 

Le  négociant  milanais  Jean  Antoine  Zerbi,  qui  avait 
étudié,  dans  ses  voyages,  les  banques  espagnoles,  sici- 
liennes et  en  particulier  celle  de  Saint-Georges,  recom- 
mande fortement  de  fonder  une  banque  semblable,  en 
recueillant  l'argent  nécessaire  au  moyen  de  luoghi 
(actions),  de  dépôts  de  cartularlo  et  de  molteplici 
(actions  augmentées  de  l'intérêt  composé)  ;  il  décrit  les 


198  LES    MOxNOGRAPIIIES 

opéi'ations  de  la  banque  et  énumère  les  avantages 
économiques  et  fiscaux  qui  en  résulteraient.  Les  résul- 
tats furent  bien  dillérents  de  ceux  qu'on  avait  prévus; 
la  banque,  créancière  et  fermière  des  impôts  delà  ville, 
fut  sur  le  point  do  tomber  en  faillite  en  1G30,  et,  trans- 
formée plus  tard  en  Monts-de-piété  de  Saint-Charles, 
de  Sainte-Thérèse,  Napoléon  et  Lombardo-\'énitien, 
elle  devint  une  simple  administration  de  la  dette  pu- 
blique. 

E.  Lattes,  La  Libéria  délie  banche  a  Venezia.  Milano, 

1869,  pp.  118-160. 
C.  A.  Zerbi,  Dialogo  del  banco  di S.  Ambrosio.  Milano, 

1593.  —  Del  banco  di  S.  Ambrosio,  1597.  —  JJis- 

corso  in  forma  di  dialogo  iniorno  al  banco  di  S. 

Ambrosio,   1599  fCfr.  Em.  Greppi,  Il  banco  di  S. 

Ambrosio.  Milano,  1882). 
Mich.    Merello,  Brève  dichiarazione  delV  instituzione 

délia  campera  di  S.  Giorgio,  etc.  Genova,  1607. 
Bern.  Trevisan,  Inf'ormazione  per  il  banco  del  GirOy 

écrite    après    1680  (Dans    la   traduction    de   la 

Science  dit  commerce  de  J.  Sonnleithner,  faite  en 

italien  par  F.  Viganô.  3"  édition,    Milano,  1863, 

pp.  293-299, 
G.    Cavalà  Pasini,    La  scuola    in  pratica   del  banco 

giro,  etc.  Venezia,  1741. 

Il  faut  ajouter  que  V.  Lunetti  (cité  dans  le  ,§  précé- 
dent) fit,  en  1630,  au  gouvernement  napolitain  la  pro- 
position de  créer  une  Tavola  délia  R.  Corte,  privilé- 
giée pour  le  paiement  des  commerçants,  qui  devait 
céder  une  part  de  ses  bénéfices  au  fisc  (pour  éteindre 
ses  dettes),  et  un  Offîciodell'  aboyidanza.  Il  ne  faut  pas 
oublier  non  plus  un  abbé  Norbis  (un  italien),  cité  par  le 
professeur  Bidermann  {Die  Wiener  Stadt-Bank.  Wien, 
1859)  qui  émit  l'idée  de  fonder  à  Vienne  un  Banco- 
giro,  qui  eut  une  très  courte  durée. 

La  littérature  anglaise  sur  les  banques  de  circulation 


LES    MONOGRAPHIES  199 

e.st  plus  récente,  plus  abondante  et  plus  intéressante. 
Elle  commence  par  une  série  ininterrompue  de  projets 
et  de  polémiques,  qui  précédèrent  et  accompagnèrent 
la  fondation  de  Téphémère  Land-Bank  et  celle  de  la 
Banque  d'Angleterre,  créée  en  1694  par  l'écossais  Guil- 
laume Pattersonj  Con/ere?îce  on  the  public  debts,  1695) 
et  dirigée  par  Michel  Godfroy  (A  short  account  ofthe 
Bank  of  England.  1695),  qui  prêta  à  l'État  son  capital 
et  mit  en  circulation  des  billets  qui  rapportaient 
d'abord  environ  3  pour  cent,  et  qui  cessèrent  d'être  pro- 
ductifs d'intérêt  après  1700. 

J.  R.  Mac  Culloch,  The  UUerainre  of  political  eco- 
nomy.  London,  1945,  pag.  155  et  suiv.  (Pas  tou- 
jours exact  ni  impartial  dans  ses  jugements). 

Lord  Macaulay,  Hisiory  of  England,  vol.  IV. 

Eug.  V.  Philippovich,  Lie  Bank  von  England.  "Wien, 
1885. 

J.  E.  Tti.  Rogers,  The  firsc  nine  years  of  the  bank  of 
England.  Oxford,  188". 

Clî.  F.  Dunbar,  Xotes  on  earbj  banking  schemes  (in 
Quarterly  Journal  of  Economies,  vol.  II.  Boston, 
1888,  pp.  482-490. 

Priée  (Handbook  of  London  Bankers,  pag.  142  et 
145)  raconte  qu'un  certain  Hagenbuck,  qui  se  disait 
italien,  fit,  dès  1584,  la  proposition  de  créer  une  banque 
publique  à  l'imitation  de  celle  que  l'on  voulait  fonder 
à  Venise  et  que,  en  [Q'2'2.  une  proposition  semblable  fut 
faite  par  un  certain  FLobert  Heatii.  D'autres  projets  se 
succédèrent  sans  interruption  dans  la  seconde  moitié 
duxvii^  siècle  et  dans  la  première  moitié  duxviii"^.  Les 
uns  proposaient  des  banques  de  dépôt  sur  le  type  hol- 
landais, comme  Lambe  ,  d'autres,  sur  le  type  vénitien, 
comme  Lewis.  Pother  et  Cradocke  proposèrent  au  Par- 
lement anglais,  comme  plus  tard  Law  au  Parlement 
écossais,  l'institution   d'une  banque  territoriale^    qui, 


200  LES    MONOGRAPHIES 

prêtant  son  capital  à  l'Etat,  ferait  ensuite  des  prêts  à 
la  propriété,  en  se  procurant  les  moyens  nécessaires 
par  rémission  de  billets  à  vue  et  au  porteur,  munis 
d'une  simple  garantie  hypothécaire.  Le  plus  absurde 
de  ces  projets,  celui  d'Ugo  Chamberlain  et  John  Briscoe 
(1690)  aboutit  à  la  Land-Bank . 

S.  Lambe,  Seasonable  observations,  etc.,  165<.>. 

M.  Lewis,  Proposais  io  increase  trade,  1G77.  —  Pro- 
posais io  ihe  Kinrj,  1678.  —  A  short  ntodel  of 
banli,  etc. 

W.  Potier,  Key  io  iceallh,  1651.  —  Humble  i>roposals. 
1651.  —  Tradesrnan's  Jeicell,  1661. 

F.  Cradocke,  An  expédient  to  make  aicay  ail  impo- 
sitions, 1660.  —  Weallh  discovered,  1659. 

John  Law,  Money  and  trade  considered.  etc.,  1705; 
traduit  par  l'auteur,  sous  le  titre  de  :  Considéra- 
tions sur  le  numéraire  et  le  commerce,  1720. 

Du  billet  de  banque  garanti  par  la  propriété  fon- 
cière imaginé  par  Law,  il  est  facile  de  passer  au  billet 
inconvertible,  expérimenté  sous  la  régence  de  Philippe 
d'Orléans.  L'histoire  critique  du  système  de  Law  a  été 
faite  d'abord  par  Thiers  (1826),  qui  a  été  un  juge  trop 
bienveillant,  puis  par  Daire  (1843),  qui  a  été  trop  .sé- 
vère ;  Cochut  a  fait  connaître  les  anecdotes  et  les  satires 
de  l'époque  (1853);  Horn  (1858)  et  Alexi  (1885)  se 
sont  également  occupés  de  cette  question.  Il  faut  con- 
sulter de  préférence  : 

Em.  Levasseur,  Recherches  historiques  sur  Le  système 
de  Law.  Paris,  1854.  (Travail  très  soigné.) 

J.  Heymann,  Law  und  sein  System.  Miinchen,  1853. 
(Examine  spécialement  les  doctrines). 

Au  système  se  rattachent  un  grand  nombre  d'ou- 
vrages   d'auteurs   contemporains,     adversaires   impla- 


LES   MONOGRAPHIES  201 

cables  (Paris  Duverncy),  partisans  plus  ou  moins  dé- 
clarés (Melon,  Dutot),  historiens  impartiaux,  comme 
Forbonnais  (Recherches  et  considérations  sur  les 
finances  en  France,  vol.  V,  Liège,  1758),  sur  lesquels 
il  n'est  pas  utile  de  donner  des  indications  plus  détail- 
lées. 


CHAPITRE  IV 
LES  SYSTÈMES  EMPIRIQUES 


Les  Etats  modernes,  issus  des  ruines  du  féodalisme, 
avaient  besoin  de  revenus  toujours  plus  grands  pour 
subvenir  aux  dépenses  de  la  nouvelle  organisation 
militaire,  politique  et  administrative,  aux  dépenses  de 
guerre  et  au  luxe  des  cours.  Les  anciens  expédients 
financiers,  revenus  domaniaux,  confiscations,  contri- 
butions de  guerre,  ne  pouvaient  plus  suffire,  même 
en  y  joignant  les  expédients  nouveaux,  dons  gratuits, 
régies  fiscales,  vente  des  charges,  des  monopoles  indus- 
triels et  commerciaux,  concédés  à  des  individus  ou  à  de 
grandes  compagnies.  La  transformation  de  l'ancienne 
économie,  — reposant  sur  l'échange  en  nature,  caracté- 
ristique del'époque  féodale,  en  économie  monétaire,  con- 
séquence nécessaire  de  la  naissance  des  manufactures 
et  du  commerce  et  aussi  de  l'importance  toujours 
croissante  de  la  richesse  mobilière  des  villes,  —  attirait 
toujours  davantage  l'attention  des  gouvernements,  qui 
commençaient  à  se  persuader  que  la  prospérité  de  TEtat 
a  son  fondement  principal  dans  le  bien-être  écono- 
mique du  peuple.  Il  en  résulta  une  série  de  disposi- 
tions législatives  qui  vinrent  confirmer,  modifier  ou 
changer  les  lois  de  la  période  précédente  ;  celles-ci 
s'inspiraient  d'idées  indéterminées  et  contradictoires, 
ou  tendaient  à  procurer  des  revenus  au  fisc  ou  aux 
favoris  du  prince  sans  se  soucier  de  l'utilité  géné- 
rale. 


204  LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES 

C'est  ainsi  que  la  législation  économique  de  quelques 
Etats,  tout  en  conservant  son  caractère  empirique, 
gagne  en  unité  et  s'inspire  de  critères  généraux.  Ceux- 
ci  varient  nécessairement  avec  les  conditions  des  diffé- 
rents pays,  suivant  qu'ils  sont  principalement  agricoles, 
qu'ils  possèdent  déjà  ou  cherchent  à  posséder  des 
manufactures,  qu'ils  cherchent  à  s'enrichir  par  la  navi- 
gation et  le  commerce,  spécialement  par  le  commerce 
international.  Nous  ne  devons  donc  pas  nous  étonner 
de  la  coexistence  ou  de  la  succession  de  systèmes 
absolument  opposés,  puisque  tous  aspirent  à  assurer 
l'autonomie  et  quelquefois  la  prépondérance  aux  Etats 
qui  les  adoptent  et  qu'ils  partent  de  conceptions  abso- 
lument différentes  suivant  qu'ils  tendent  à  favoriser 
l'agriculture,  les  manufactures,  le  commerce  dans 
l'intérêt  des  classes  dominantes,  ou  qu^ils  cherchent 
à  préserver  la  nation  de  certains  dangers  moraux,  réels 
ou  supposés,  par  de  rigoureu.ses  lois  somptuaires,  des 
défenses  absolues  d'importation  des  marchandises 
étrangères,  ou  qu'ils  A'eulent  préserver  les  con.som- 
mateurs  des  disettes  et  amener  l'abondance  de  la  mon- 
naie. La  lutte  des  différentes  classes,  représentant  des 
intérêts  opposés,  et  plus  tard  la  louable  intention  des 
gouvernements  d'assurer  le  bien-être  de  la  nation  en 
accueillant  les  demandes  légitimes  et  en  repoussant 
les  prétentions  injustes  sont  l'origine  des  sy.stèmes  em- 
piriques de  politique  économique.  Nous  trouvons  dans 
les  œuvres  auxquelles  ils  ont  donné  naissance  des  germes 
théoriques  précieux  qui  deviennent,  dans  la  période 
suivante,  des  éléments  plus  ou  moins  importants  de 
systèmes  vraiment  scientifiques. 

Avant  de  nous  occuper  des  systèmes  empiriques, 
dont  les  meilleurs  représentants  sont  fournis  par  un 
nombre  considérable  d'écrivains  du  xvii^  et  de  la  pre- 
mière moitié  du  xyiii*^  siècle,  nous  devons  mentionner 


LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES  205 

quelques  publicistes,  dont  quelques  uns  très  anciens, 
qui  ont  écrit  des  ouvrages  de  politique  générale  ou  de 
politique  économique,  où  se  trouvent  résumées  la  pra- 
tique courante  et  les  idées  dominantes  de  leur  temps. 

Ce  sont  :  au  xiv^  siècle,  Jean  Ser  Cambi,  historien  et 
politique  et,  au  xv^,  un  poème  anonyme  sur  la  politique 
anglaise  (1436),  qui  défendent  le  système  protecteur  et 
sont  ainsi  en  opposition  nette  avec  les  idées  relativement 
libérales  de  Diomède  Carafa;  au  xvi''  et  au  commence- 
ment du  wïi",  Melchior  Ossa  et  Georges  Obrecht,  dont 
les  œuvres  (résumées  par  Roscher)  laissent  dans  l'ombre 
celles  du  plagiaire  Gaspard  Klock  (De  contributionibus, 
1634  —  Deaerario,  1651),  auquel  Held  et,  il  y  a  quelques 
années,  Stein  ont  prodigué  des  éloges  immérités. 

Joannes  Ser  Cambii,  Monila  Guinisiis  {\n  Miscellanea 
de  Baluzio.  Lucca,  1764,  tome  IV,  pag.  81). 

—  The  Libell  of  Enylish  Policye  (1436),  édité  par  R. 
Pauli.  Lipsia,  1878. 

Parmi  les  écrivains  politiques  qui  se  sont  occupés 
plus  spécialement  de  questions  économiques  et  finan- 
cières et  en  général  des  questions  d'administration,  la 
première  place  appartient  sans  conteste  à  Jean  Bodin 
(1530-1596).  Dans  le  sixième  livre  de  son  œuvre  prin- 
cipale [De  la,  République,  1576),  développée  dans  la 
traduction  latine  (1584),  il  tient  compte  de  l'influence 
du  climat  et  du  sol  et  donne  un  système  complet  de 
politique  économique  et  financière  ;  il  réclame  la  libre 
importation  des  denrées  alimentaires  et  des  matières 
premières,  des  droits  élevés  à  l'importation  des  produits 
étrangers  et  la  défense  d'exportation  des  céréales  et  des 
matières  premières.  Cela  ne  l'empêche  pas  d'ailleurs  de 
déclarer  que  le  commerce  doit  être  franc  et  libre. 

H.  Baudrillart,  Jean  Bodin  et  son  temps.  Paris,  1853. 


206  LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES 

La  seconde  place  appartient  à  Jean  Botero  (1540- 
1G17),  qui  reproduit  les  idées  économiques  de  Bodin; 
il  préfère  seulement  la  prohibition  aux  droits  élevés  sur 
les  marchandises  étrangères.  Il  est  incompétent  en 
matière  de  monnaie  et  de  crédit,  mais  il  développe  et 
perfectionne  dans  certaines  parties  la  théorie  de  limpot, 
qu'il  considère  comme  la  source  ordinaire  des  revenus 
de  l'État  [Délia,  ragion  cli  Stato.  Roma,  1589). 

Parmi  les  politiques  de  moindre  valeur  il  nous  suf- 
fira de  citer  le  jésuite  espagnol  Mariana  [De  rege  et 
régis  institutlone,  1599),  le  compilateur  érudit,  mais 
indigeste,  Grégoire  de  Toulouse  (De  RejDubUca,  1597), 
Celse  Mancini  de  Ravenne,  auteur  du  livre  De  juribus 
jjr.inclpatiun  (1596),  commenté  par  Rava  (1888),  Sci- 
pion  Chiaramonti  de  Cesena  {Delta  ragione  di  Stato, 
1635),  disciple  de  Botero,  qui  a  sur  le  commerce  des 
idées  plus  larges,  et  enfin  Jacques  Bornitz  [De  nummis, 
1608  —  De  rerum  sufficientia  in  republica,  1625), 
compilateur  d'ouvrages  spéciaux  sur  la  politique  éco- 
nomique. Tous  ces  écrivains  sont  d'ailleurs  inférieurs 
par  plus  dun  point  au  hollandais  Boxhorn  qui  a  écrit 
des  Institutiones  politicœ  (Amsterdolami,  1643)  qui 
ont  été  très  répandues  même  en  Ualie. 

Le  poète  normand  Antoine  de  Montchrétien,  qui  a 
été  porté  aux  nues  par  Duval  et  plus  encore  par  Funck- 
Brentano  qui  le  proclame  fondateur  de  l'économie 
politique,  est  un  contemporain  de  Serra,  mais  il  lui  est 
inférieur  et  pour  le  fond  et  pour  la  forme.  Il  dédia  au 
roi  Louis  XIII  et  à  la  reine  régente  Marie  de  Médicis 
un  Traité,  dans  lequel  il  expose  sans  beaucoup  d'ordre 
ses  idées  et  ses  propositions,  de  caractère  restrictif  sur  les 
manufactures  et  le  commerce  terrestre  et  maritime,  mê- 
lant, comme  l'a  remarqué  impartialement  Baudrillart, 
à  beaucoup  d'erreurs  de  doctrine  et  de  fait  quelques 
bonnes  observations  sur  le  travail  et  la  concurrence. 


LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES  207 

Nous  ajoutons  qu'il  faut  tenir  compte  à  Montchrétien 
d'avoir  demandé  une  protection  égale  pour  les  manu- 
factures et  pour  l'agriculture  ;  on  se  rappelle  le  dissen- 
timent qui  existait  sur  ce  point  entre  Henri  IV  (qui  sui- 
vait les  avis  d'Olivier  de  Serres  et  de  Laffemas)  et  Sully; 
le  roi  introduisait  en  France  la  culture  du  mûrier  et 
l'industrie  de  la  soie,  tandis  que  son  austère  ministre 
protégeait  exclusivement  l'agriculture. 

Jules  Duval,  Mémoire  sur  Antoine  de  Montchrétien,  elc. 
Paris,  1868. 

Ant.  de  Montchrétien,  Traicté  de  V Economie  ^wUtiqne 
dédié  en  46io  au  hoy  et  à  la  Reyne  mère  du  Roi/, 
avec  une  introduction  et  notes  par  Th.  Funck- 
Brentano.  Paris,  1889. 

H.  Baudrillart,  v"  Montchrétien,  in  Xouoeau  Diction- 
naire d'Economie  politique,  vol.  Il,  Paris,  1891, 
pp.  325-328. 

L.  Wolowski,  Henri  IV  économiste.  Paris,  1855. 

E.  Bonnal,  Sully  économiste.  Paris,  1872. 


S    1.    LE    SYSTÈME    ANXONAIRE 

V.  Cusumano,   La  teoria  del  commercio  dei  grani  in 

Italia.  Bologna,  1877. 
U.  Gobbi,  La  concorrenza  estera  e  gli  economisti  ita- 

liani.  Milano,  1884. 

La  crainte  des  disettes,  le  peu  de  confiance  que  l'on 
avait  dans  les  commerçants  en  blé  que  l'on  tenait 
poiir  des  spéculateurs  malhonnêtes  s'enrichissant  au 
préjudice  des  agriculteurs  et  du  peuple,  et  enfin  des 
considérations  juridiques  et  politiques  sur  l'impor- 
tance des  approvisionnements  ont  été  les  causes  prin- 
cipales de  l'ancienne  législation  annonaire,  qui  se  pro- 
posait d'assurer  aux  consommateurs  la  quantité  de  blé 
nécessaire.  Les  gouvernements  espéraient  y  pourvoir 


508  LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES 

par  rétablissement  de  «  greniers  d'abondance  »  admi- 
nistrés par  des  fonctionnaires  publics  ;  par  des  défenses 
d'exportation,  des  franchises  et  des  primes  à  l'importa- 
tion des  blés  étrangers  ;  par  la  fixation  légale  du  prix 
du  pain,  et  par  des  obstacles  de  tous  genres  à  la  libre 
circulation  du  blé  à  l'intérieur,  consistant  soit  dans 
l'obligation  pour  le  propriétaire  de  déclarer  la  quantité 
de  blé  produite  excédant  sa  consommation,  soit  dans 
l'obligation  de  porter  son  blé  à  la  ville  pour  le  vendre 
sous  la  surveillance  de  l'autorité,  soit  dans  la  prohibition 
de  faire  du  pain  chez  soi,  d'employer  le  blé  à  des  usages 
industriels,  etc.  On  croyait  par  ces  dispositions  protéger 
les  consommateurs  nationaux  contre  la  concurrence  des 
consommateurs  étrangers  et  contre  les  fraudes  des  acca- 
pareurs, en  soustrayant  le  commerce  des  denrées  au 
droit  commun  pour  le  soumettre  à  l'administration  pu- 
blique. C'est  en  Italie  que  l'on  trouve  les  premiers  théo- 
riciens de  ce  système  et  les  premiers  adversaires  des 
exceptions  temporaires  que  quelques  gouvernements 
faisaient  à  la  rigueur  des  mesures  annonaires  en  per- 
mettant les  «  traites  »  lorsque  le  blé  excédait  les  besoins 
du  pays  ou  lorsque  les  prix  étaient  tellement  bas,  qu'ils 
portaient  atteinte  aux  intérêts  des  propriétaires  et  des 
agriculteurs.  Au  xvi®  siècle  tous  les  politiques  approu- 
vent plus  ou  moins  complètement  ce  système,  et  un 
avocat  romain,  Casali,  proteste  même  contre  une  cons- 
titution de  Clément  VII  qui,  suivant  l'exemple  de  ce 
qui  se  faisait  à  Florence  depuis  1427,  avait  autorisé 
les  «  traites  ». 

Bapt.  Casali,  In  legcm  agrariam.  Romae,  1524. 

Vers  la  fin  du  xvi''  siècle  et  au  commencement  du 
xvii^  un  grand  nombre  de  jurisconsultes  s'occupent  de 
ce  sujet  et   commentent  les  lois   positives.  Les  causes 


LES   SYSTÈMES   EMPIRIQUES  209 

(les  disettes  et  les  mesures  par  lesquelles  on  peut  y 
porter  remède  sont  l'objet  de  deux  monographies. 
Celle  de  Segni^  chanoine  de  Bologne,  est  une  apologie 
du  système  annonaire  le  plus  rigoureux  :  elle  invoque 
surtout  des  considérations  morales  ;  celle  de  Tapia, 
magistrat  napolitain,  est  plus  modérée  et  s'inspire 
davantage  des  besoins  de  la  pratique. 

Gio.  Batt.  Segni,  Traltalo  sopra  la  carestia  e  famé.  Bolo- 

gna,  1602. 
Carlo  Tapia  march.  di  Belmonle,  Tratiato  delVahhon- 

danza.  Napoli,  1638  (écrit  longtemps  avant). 

Le  changement  des  conditions  du  commerce,  les 
progrès  théoriques,  la  réaction  des  classes  agraires, 
frappées  dans  leurs  intérêts,  les  exigences  du  fisc,  qui 
ne  veut  pas  renoncer  au  revenu  des  droits  sur  les  cé- 
réales, amènent  petit  à  petit  la  décadence  du  système. 
En  Italie  De  Luca  ne  l'accepte  qu'avec  beaucoup  de  tem- 
péraments (1680),  Broggia  le  défend  faiblement  (1743) 
€t  Genovesi  (1765)  le  repousse.  En  Allemagne  il  trouve 
encore  un  partisan  dans  Unger,  mais  il  est  combattu 
par  Philippi,  partisan  du  protectionnisme  agraire  et  par 
Reimarus,  qui  défend  résolument  le  libre  échange. 

F.  Unger,  Von  dcr  Ordnung  der  Friichlpreise,  elc.  Got- 

tingen,  1752. 
L.  A.  Philippi,  Jier  vertheidigte  Kornjude.  Berlin,  1765. 
H.  Reimarus,  D/eF/r//ie(7  des  Getreidehandels.  2°  édit. 

Hamburg,  1790. 


§    2.    —   LE    SYSTÈME    MERCANTILE 

Ad.  Held,  Carey'sSociahvissenschafl  und  das  Merkaniil- 
sijstem.  Wurzburg,  1866.  (Ne  remonte  pas  toujours 
aux  sources). 

14 


210  LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES 

H.  .T.  Bidermann,  Ueher  den  Mcrkanlilismus.  Inns- 
bruck,  1870. 

W.  Cunningham,  The  growth  of  english  mdustry  and 
commerce.  Vol.  II.  London,  1892. 

C.  F.  Bastable,  The  Iheory  of  inieDialkmal  irade.  Du- 
blin, 1877. 

S.  Bauer,  V-'  Balance  oftrade,  in  Dictionary  ofPolilical 
Economy  de  R.  H.  Inglis  Palgrave.  Part.  I.  Lon- 
don, 1891,  pp.  85-88  (court,  mais  très  substantiel). 

W.  A.  S.  B.ewm'S,,  English  Irade  and  finance,  etc,  1892. 

^  Le  système  mercantile  a  eu  une  importance  plus 
grande  encore.  Il  a  pendant  plusieurs  siècles  exercé 
une  influence  sur  la  législation  et,  par  conséquent,  sur 
les  conditions  économiques  d'un  grand  nombre  d'Etats; 
il  a  laissé  des  traces  visibles  dans  les  systèmes  de  protec- 
tion douanière  qui  dominent  encore  aujourd'hui  dans 
la  plupart  des  pays  d'Europe  et  d'Amérique.  On  Ta 
appelé  quelquefois  système  restrictif,  mais  cette  expres- 
sion est  trop  générique  ;  certains  auteurs,  sur  les 
traces  de  Mengotti,  l'ont  dénommé  le  Colbertisme,  lui 
donnant  ainsi  le  nom  de  l'homme  d'Etat  qui,  sans  en 
être  le  créateur,  en  a  tait  l'expérience  la  plus  large,  la 
plus  intelligente  dans  le  gouvernement  d'un  grand 
pays. 

Les  mercantilistes  partaient  de  cette  idée,  vérité 
d'évidence  dans  l'économie  privée,  que  la  possession  de 
l'argent  permet  Tacquisition  de  toutes  les  autres 
richesses  ;  ils  voyaient,  en  outre,  que  la  puissance  com- 
merciale et  politique  se  concentrait  chez  les  nations 
qui,  occupant  la  première  place  pour  leurs  manu- 
factures et  leur  commerce,  spécialement  pour  le  com- 
merce maritime,  facilité  par  la  possession  de  grandes 
colonies,  disposaient  d'une  grande  quantité  de  métaux 
monnayés,  qui  provenaient  de  leurs  mines  de  métaux 
précieux(Espagne,  Portugal),  ou  qu'ils  attiraientparleur 
commerce  (Italie,  Flandre.  Flollande  et,  plus  tard,  Angle- 


LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES  211 

terre  et  France).  De  tout  cela  les  mercantilistes  con- 
cluaient que  le  bien-être  économique  d'une  nation  est 
proportionnel  à  la  quantité  de  monnaie  en  circula- 
tion et  ils  en  tiraient  comme  corollaire  la  règle  fonda- 
mentale de  leur  politique  économique  :  conserver  et 
augmenter  l'argent  existant  dans  le  pays.  Il  est  abso- 
lument contraire  à  la  vérité  d'attribuer  aux  partisans 
de  ce  système  cette  opinion  étrange  que  la  monnaie  est 
l'unique  richesse,  tandis  qu'au  contraire  il  n'est  pas 
rare  de  rencontrer  chez  les  partisans  du  mercantilisme 
cette  erreur  absolument  opposée,  que  la  monnaie  a  une 
valeur  de  pure  convention,  complètement  indépen- 
dante de  la  matière  dont  elle  est  composée,  erreur  qui 
atteint  son  apogée  avec  Law  et  ses  disciples,  partisans 
du  papier-monnaie.  Ce  jugement  erronné  sur  le  prin- 
cipe fondamental  des  mercantilistes  vient  en  grande 
partie  de  ce  qu'ils  emploient  parfois  le  mot  monnaie 
(comme  les  Romains  le  mot  «  pecunia  w)  pour  parler 
de  la  richesse.  (3n  ne  peut  pas  nier  d'ailleurs,  comme  l'a 
fort  bien  remarqué  Smith,  que  beaucoup  d'écrivains 
déclarent  dès  l'abord  que  la  monnaie  n'est  pas  l'unique 
richesse,  mais  leur  argumentation  laisse  ensuite  sup- 
poser qu'ils  sont  d'un  avis  opposé. 

S'ils  sont  unanimes  à  croire  à  l'importance  écono- 
mique et  fi.scale  d'une  grande  quantité  de  monnaie, 
ou,  selon  l'expression  anglaise,  d'un  trésor  [treasure). 
les  opinions  sont  très  divergentes  au  sujet  des  moyens 
propres  à  atteindre  ce  but.  Tout  en  reconnaissant  qu'il 
est  tout  à  fait  impossible,  par  suite  de  l'absence  de 
recherches  historiques  exactes  sur  l'économie  politi- 
que, notamment  en  Angleterre  et  en  France,  de  classer 
correctement  les  différents  écrivains,  même  en  s'en 
tenant  aux  plus  importants,  il  nous  semble  que  nous 
avons  trouvé  un  fil  conducteur  dans  le  labyrinthe  de 
la  littérature  du  système  mercantile.  Nous   distinguons 


"212  LES    SYSTÈMES   EMPIRIQUES 

trois  phases  suffisamment  caractérisées  dans  l'ensemble, 
bien  que  quelques  écrivains  ne  puissent,  par  suite  de 
l'incohérence  de  leurs  principes  ou  du  peu  de  clarté  de 
leurscxposés,  être  assignés  avec  certitude  à  l'une  d'entre 
elles. 

A)  La  prohibition  de  V exportation  de  la  monnaie. 

Les  formes  les  plus  anciennes  du  mercantilisme  sont  : 
la  prohibition  de  l'exportation  des  monnaies,  les  altéra- 
tions des  monnaies  désignées  par  l'étrange  euphémisme 
d'augmentation,  et  la  fixation  légale  du  cours  des 
changes.  Par  les  défenses  à  l'exportation  on  appliquait 
aux  monnaies  le  système  adopté  pour  le  blé,  et  on 
oubliait  que  la  sortie  de  l'argent,  qui,  selon  l'expression 
du  poète,  per  medios  ire  satellites  amat,  est  la  con- 
séquence nécessaire  de  conditions  économiques  déter- 
minées. Par  les  altérations  et  par  le  tarif  officiel  du 
change  on  croyait  pouvoir  amener  directement  ou  indi- 
rectement une  augmentation  de  la  monnaie  en  cir- 
culation. 

Parmi  les  partisans  de  ces  expédients,  adoptés  par  un 
grand  nombre  de  gouvernements,  il  suffira  de  signaler 
une  série  d'écrivains  espagnols  et  portugais  qui 
réclament  la  prohibition  des  marchandises  étrangères 
ou  des  droits  élevés  comme  un  autre  moyen  efficace 
pour  conserver  l'or  et  l'argent  qui  venait  des  colonies 
d'outre-mer. 

L.  Ortiz,  Mémorial  al  Rey  para  prohibir  la  salida  de 

l'oro,  1588. 
Sancho  de  Moncada,  Restauracion  politica  de  Espana. 

Madrid,  1619. 
Damian  de  Ohvares,  Mémorial  para  prohibir  la  enlrada 

de  los  generos  estrangeros.  Madrid,  1621. 
Duarte  Gomez,  Discursos  sobre  el  commercio  de  lasdoi 

Jndias.  Lisboa,  1622,  p.  218. 


LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES  213 

Juan  de  Castanares,  Sistema  sobre  prohibir  la  enlrada 
de  los  generos  eslrangeiros .  Lisboa,  1626. 

Parmi  les  écrivains  monétaires  italiens  dont  nous 
avons  parlé  dans  le  chapitre  précédent,  De  Santis  et 
Lunetti  sont  des  partisans  décidés  de  la  défense  d'ex- 
portation  des  monnaies  ;  Biblia  ne  l'admet  que  pour  les 
monnaies  nationales  ;  Bocchi  l'approuve  mais  ne  la 
croit  pas  praticable  ;  Serra  et  Turbolo  la  repoussent 
absolument. 

Nous  pouvons  constater  un  progrès  notable,  quoique 
relatif,  chez  quelques  écrivains  qui  s'aperçoivent  que 
ces  expédients  ne  permettent  pas  de  conserver  la  mon- 
naie, parce  qu'ils  s'arrêtent  à  certains  symptômes  de  la 
situation  monétaire,  mais  ne  tiennent  pas  compte  des 
véritables  causes  qui  seules  peuvent  amener  l'abondance 
de  l'or  et  de  l'argent.  Nous  citerons  Laffemas,  contem- 
porain de  Serra  et  de  Montchrétien,  contrôleur  général 
du  commerce  sous  Henri  IV,  qui,  dans  un  des  nombreux 
opuscules  cités  par  Lafïîtte,  combat  directement  les  dé- 
fenses d'exportation  de  l'argent. 

Barthélémy  Lafïemas,  Comme  l'on  doit  permetlre  la 
liberté  du  transport  de  Vqr  et  de  Vargent  hors  du 
royaume,  et  par  tel  moyen  conserver  le  nostre  et  at- 
tirer celui  des  estranqers.  Paris,  1602. 

P.  Lai^Rlle,  Notice  sur  B.  Laffemas.  Paris,  1876. 

B)  La  balance  des  contrats. 

La  seconde  phase  du  système  mercantile  mérite 
d'être  étudiée  de  près.  Elle  s'est  développée  pratiquement 
en  Angleterre  depuis  les  derniers  siècles  du  moyen  âge 
et  elle  a  eu  de  nombreux  partisans  ou  adversaires  théori- 
ques vers  la  fin  du  xvi^  et  au  commencement  du  xvii« 
siècles,  quand  le  changement  des  conditions  du  com- 
merce rendirent  la  continuation  du  système  impossible. 


214  LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES 

Nous  rencontrons  pour  la,  première  fois  dans  This- 
toire  de  l'économie  une  polémique  qui  a  provoqué  de 
très  nombreux  ouvrages...  Ils  ont  été  négligés  dans  les 
meilleures  histoires  générales  de  l'économie  (même  par 
Kautz  et  par  Ingram)  et  même  par  des  écrivains  qui, 
comme  Roscher  [Zur  Geschichte  der  englischen 
Volkswh'thschaftslehre.  Leipzig,  1851-1852)  et  Ochen- 
kowsky  [Englands  wirthschaftliche  Entwickelung 
am  Ausgange  des  Mittelalters.  Jena,  1879),  se  sont 
occupés  avec  beaucoup  de  soin  des  anciens  économistes 
anglais. 

Rich.  Jones,  Primitive  political  Economy  of  England{m 

Edinhurgh  Review,  april    1847).  Réimprimé  dans 

ses  Literary  Remains  edited  by  W.  Wheweli.  Lon- 

don,  1859,  pp.  291-335. 
J.  Janschull,  Le  free-lrade  anglais.  Part,  I.  La  période 

du  mercantilisme .  Moscou,  1876(en  russe). 
Edm.  V.  lleyking,  Zur  Geschichte  der  Handelsbilanz- 

theorie.  l'-Ttieil.  Berlin,  1880. 
G.  Schanz,  Englische  Handehpolilik  gegen    Ende   de'i 

Mittelalters.  Leipzig,  1881.  Deux  volumes. 
Em.  Léser,   Denksckrift  ûber  die  englische  WoUenin- 

dustrie  (1622).  1887. 
Alb.  Hahl,  Zur  Geschichte  der  Volksivirthschaft lichen 

Ideen  in  England,  etc.  1893. 

Le  système  dont  nous  parlons  a  été  appelé  par 
Jones,  d'une  expression  heureuse,  le  système  de  la 
balance  des  contrats  (balance  of  bargains),  parce  que 
c'était,  en  effet,  un  ensemble  de  mesures  tendant  à 
surveiller  les  contrats  entre  commerçants  anglais  et 
commerçants  étrangers,  afin  qu'il  en  résultât  une 
augmentation  de  la  monnaie  en  circulation  dans  l'Etat. 
En  plus  de  la  défense  de  l'exportation  de  l'or  et  de 
l'argent,  les  lois  imposaient  aux  commerçants  anglais, 
qui    vendaient    leurs    marchandises    dans   les    villes 


LES    SYSTEMES   EMPIRIQUES  21  O 

(Bruges,  Anvers  et  particulièrement  Calais)  qui  avaient 
le  monopole  de  l'exportation  des  objets  manufacturés 
[staple  towns),  l'obligation  de  reporter  dans  leur  patrie 
en  espèces  sonnantes  une  partie  déterminée  du  prix  reçu 
des  étrangers.  D'autres  statuts  {Statutes  of  em- 
ployment]  imposaient  aux  marchands  étrangers,  qui 
vendaient  leurs  marchandises  en  Angleterre,  le  devoir 
d'employer  Targent  reçu  en  achats  de  produits  anglais. 
Pour  assurer  l'exécution  de  ces  prescriptions,  les  com- 
merçants étaient  soumis  à  une  surveillance  spéciale  de 
la  part  des  fonctionnaires  [customers]  chargés  de 
la  perception  des  droits  dans  les  staple  towns  ;  ils 
devaient  faire  changer  en  monnaies  anglaises,  par 
Tintermédiaire  d'un  autre  fonctionnaire  public  {royal 
exc/ianger),  les  monnaies  étrangères  dont  ils  étaient 
détenteurs. 

Avec  le  temps,  différentes  circonstances,  la  reprise  de 
Calais  par  les  Français,  les  altérations  monétaires 
d'Henri  VIII  et  le  fréquent  usage  des  lettres  de  change 
dans  les  paiements  des  dettes  commerciales,  rendirent 
toujours  plus  difficile  l'exécution  rigoureuse  de  ces 
mesures.  Finalement  l'importance  acquise  dans  le 
commerce  international  par  la  fameuse  compagnie  des 
merchcint  adventurers,  qui  luttaient  avec  succès  contre 
le  monopole  des  anciens  centres  du  commerce  d'expor- 
tation, contribua  à  ruiner  presque  totalement  le 
système  et  à  donner  naissance  à  la  dernière  phase  du 
mercantilisme. 

Les  ouvrages  théoriques  qui  défendent  le  système  de 
la  balance  des  contrats  sont  très  rares  au  xvi^  siècle, 
mais  ils  se  multiplient  dans  les  premières  décades  du 
siècle  suivant. 

Clément  Armstong,  A  irealise  conceming  ihe  staple 
and  the  commodities  of  Um  reaime.  Vers  1530. 
Édité  par  R.  Pauli  avec  deux  mémoires  anony- 


2i6  LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES 

mes  adressés  au  comte  d'Essen,  Drel  volksivivth- 
schaflliche  Denkschriflen  aus  cler  zeit  Heinrichs 
VIII.  Gôllingen,  1878. 

Dans  ses  ouvrages  de  polémique  Thomas  Milles, 
employé  aux  douanes,  exprime  quelques  idées  générales 
sur  les  impôts,  combat  les  compagnies  privilégiées  et 
propose  le  retour  au  système  de  la  balance  des  contrats. 
Plus  intéressante  est  la  controverse  (commentée  par 
Janschull)  entre  le  hollandais  Gérard  Malynes,  qui 
déplore  les  ruses  des  banquiers,  causes  principales  de 
la  sortie  de  l'argent,  et  qui  demande  le  rétablissement 
de  l'office  de  changeur  royal,  et  Edouard  Misselden, 
qui  se  déclare  l'ennemi  des  anciennes  restrictions  et  le 
défenseur  du  free-trade,  c'est-à-dire  du  commerce  libre, 
débarrassé  des  monopoles  des  individus  ou  des  villes 
et  soumis  aux  seules  restrictions  nécessitées  par  l'intérêt 
général.  Misselden  est'certainement  (s'il  n'est  pas  le  pre- 
mier comme  le  croit  Janschull)  un  des  meilleurs  écono- 
mistes de  son  temps. 

Th.  Milles,  The  customcrs  apologie.  London,  1604.  — 
The  cuslomers  replie,  1604.  —  The  mislery  of  ini- 
quity,  1609.  —  An  abstract  almost  Verbatim  of  Ihe 
cuslomers  apologie,  1622. 

G.  Malynes,  A  trealise  of  the  canker  of  EnglaniVs 
commomvealth,  msivs  1601.  — St.  George  for  En- 
gland  allegorically  descrihed,  mai  1601.  —  En- 
glands  iviews  in  the  unmasking  of  tivo  paradoxes, 
1603.  —  2'he  maintenance  of  free  trade,  1622.  — 
The  center  of  the  circle  of  commerce,  1623.  —  Lex 
mercatoria,  1622. 

Ed.  Misselden,  Free  trade  or  meanes  to  make  trade 
flourisli .  London,  1622. 2"  édit.  —  The  circle  of  com- 
merce or  the  balance  of  tirade  in  défense  of  free 
trade.  London,  1623. 

Dès  cette  époque  le  public  anglais  commence  à  pren- 
dre part  aux  controverses  économiques,  et  les  ouvrages 


LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES  217 

deviennent  si  nombreux  que,  vers  le  milieu  du  siècle 
passé,  Massie  avait  recueilli  près  de  mille  cinq  cents 
ouvrages  ou  opuscules  dont  on  conserve  le  catalogue 
au  Musée  Britannique  (Mss.  Lansdowne  1049,  cité  par 
Cunningham,  The  Economie  Journsil,  n"  1.  London, 
1891,  pag.  81;.  Dans  ces  controverses  chacun  des 
intérêts  de  classe  trouve  des  défenseurs.  C'est  ainsi, 
par  exemple,  queKeymor,  Gentleman,  Davies  sont  des 
défenseurs  de  la  pêche,  Wheeler,  agent  des  mer  chant 
adventurers  (combattu  par  Milles)  défend,  comme 
Misselden,  les  intérêts  du  commerce  d'exportation, 
tandis  que  Raleigh,  Verger,  Digges  etc.,  défendent  le 
commerce  colonial,  et  un  anonyme  les  manufactures. 

J.  Keymor,  On  Ihe  dutch  fishing,  1601. 

T.  Gentleman,  The  icay  lo  icin  weailh,  1614. 

W.  Jotin  Wheeler,  A  ireaiise  of  commerce,  1601. 

W.  Raleigh,  Observations  touching  Iradeand  commerce, 

1614. 
Sir  Duflley  Digges,  The  defence  of  trade,  1615. 
A  true  discovery  of  Ihe  decay  of  trade,  1622  (Edité  par 

Léser,  op.  cil). 

C)  La.  balance  du  commerce. 

Un  examen  plus  attentif  des  fonctions  du  commerce 
amène  quelques  écrivains,  relativement  libéraux,  à  se 
persuader  toujours  davantage  du  peu  d'efficacité  du 
système  qui  prétendait  surveiller  chaque  contrat  afin 
d'obtenir  une  augmentation  de  la  circulation  monétaire, 
système  auprès  duquel  les  ouvrages  de  Bodin  (1576), 
d'Haies  et  de  Stafford  (1549  et  1581)  et  ceux  de  Botero 
(1589)  marquent  déjà  un  progrès  notable.  Nous  citerons, 
parmi  beaucoup  d'autres,  Lewis  Robert  {The  treasure 
oftraffike,  1641)  et  .John  Parker (0/" a  free  i7'ade,  lti48). 

Mais  le  négociant  Thomas  Mun  est  l'auteur  qui 
donne  aux  idées  nouvelles  une  forme  vraiment  systéma- 


218  LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES 

tique.  Dans  son  Discourse  oftra.de,  publié  en  1621  (et 
non  en  1609  comme  le  dit  Mac  CuUocli),  et  dans  une 
Pétition  au  Parlement  (1628)  il  défend  lui  aussi  la 
Compagnie  des  Indes  Orientales  en  démontrant,  sans 
attaquer  du  reste  les  statutes  of  employaient,  qu'elle 
provoque  par  son  commerce  une  importation  de  mon- 
naie de  beaucoup  supérieure  à  Texportation.  Mais  dans 
un  autre  de  ses  ouvrages,  beaucoup  plus  important, 
écrit  entre  1641  et  1651,  publié  après  sa  mort  par  son 
fils  en  1664  sous  le  titre  significatif  de  EnglancVs 
treasure  by  forraign  trade,  il  fait  un  exposé  complet 
de  la  théorie  du  commerce  internationnal,  mieux  éla- 
borée que  celle  de  Misselden,  sans  tomber  dans  les 
exagérations  de  beaucoup  de  mercanlilistes  postérieurs. 
Ce  livre  a  eu  en  Angleterre  et  à  l'étranger  une  grande 
autorité.  Il  nous  suffira  de  rappeler  que  Genovesi,  en 
1764,  le  fit  traduire  en  appendice  à  l'édition  napolitaine 
de  Cary  et  qu'Adam  Smith  se  réfère  principalement  à 
Locke  et  à  Mun  pour  réfuter  le  mercantilisme. 

Mun  se  propose  de  démontrer  que  l'unique  moyen 
de  s'enrichir  consiste  pour  un  Etat  à  diriger  l'ensemble 
de  ses  opérations  commerciales  de  telle  sorte  que  la 
valeur  des  marchandises  exportées  dépasse  celle  des 
marchandises  importées,  et  obtenir  ainsi  un  «  résidu» 
actif  (balance)  que  l'on  doit,  sans  vexations,  faire  payer 
en  argent.  Ce  résidu  permet  seul  au  prince  d^augmenter 
son  «  trésor  ».  Dans  ce  but  il  demande  des  lois  somp- 
tuaires,  la  fondation  de  colonies,  des  encouragements 
à  la  marine  et  au  commerce  de  transit,  des  droits 
d'entrée  élevés  (mais  non  prohibitifs)  sur  les  marchan- 
dises étrangères,  des  facilités  pour  les  exportations  des 
nationaux  et  pour  l'importation  des  matières  premières 
que  l'on  peut  travailler  dans  le  pays  et  en  particulier 
pour  celles  qui  viennent  des  Indes.  Pour  montrer  que 
cette  importation   de  matières   premières  ne  peut  pas 


LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES  219 

être  nuisible,  il  cite  l'exemple  du  paysan  auquel  le  sol 
restitue  au  centuple  les  semences  qu'on  lui  a  confiées. 
Mun  n'ignore  pas  que  le  mouvement  de  la  monnaie  ne 
dépend  pas  seulement  de  celui  des  marchandises,  mais 
qu'il  dépend  aussi  d'autres  causes.  Il  sait  également 
qu'une  très  grande  quantité  de  monnaie  renchérit  no- 
minalement la  valeur  des  marchandises  et  empêche 
leur  exportation,  il  n'ignore  pas  enfin  les  imperfections 
des  tableaux  de  douane  qui  servent  de  base  pour 
calculer  si  la  balance  est  ou  non  favorable. 

T.  M.  A  discourse  of  trade  from  Emjland  into  the  East 
Indies.  London,  1621. 

Thomas  Mun,  EnglanWs  treasureby  forraign  trade,  or 
the  ballance  of  our  forraign  trade  is  the  rule  of 
ourtreasure.  London,  1664.  (Réimprimé  par  Mac 
Culloch  clans  la  très  rare  Select  collection  of  early 
english  tracts  on  commerce.  London,  1856,  pag.  1 
et  suiv.,  116  et  suiv.) 

Parmi  les  partisans  anglais  de  la  balance  du  com- 
merce, il  y  a  deux  tendances  absolument  opposées,  au 
point  de  vue  pratique  comme  au  point  de  vue  spéculatif. 
Les  pessimistes  se  lamentent  sur  la  décadence  de  l'An- 
gleterre qu'ils  attribuent  au  commerce  «  passif  »  avec 
les  Indes  et  avec  la  France  et  à  la  concurrence  ruineuse 
■de  l'Irlande  pour  Tindustrie  de  la  laine. 

Sam.  Fortrey,  England's  interest  and  improcement, 
1629. 

Roger  Coke,  A  discourse  on  trade,  1670;  et  divers  tra- 
vaux écrits  de  1671  à  1696. 

(Anonyme)  Britannia  languens,  1680. 

John  Pollexfen,  England  and  East  India  inconsitent  in 
their  manufactures,  1697. 

Ch.  King,  British  merchant  or  commerce  preserved, 
1721. 

Jos.  Gee,  Trade  and  navigation  ofGreat  Britain,  1729. 


220  LES    SYSTÈMES   EMPIRIQUES 

Les  mercantilistes  les  plus  modérés,  admirateurs 
de  la  politique  économique  de  la  Hollande,  portent  un 
jugement  bien  différent  sur  les  conditions  économiques 
de  l'Angleterre.  Il  nous  faut  mentionner,  en  dehors  d'un 
anonyme  fort  libéral  (E?7(jf/a?id'sgreaf  hajojJiness,  1677), 
trois  écrivains  qui,  au  siècle  passé,  ont  été  fort  appréciés, 
même  en  Italie^  Temple,  Child  et  Davenant. 

On  doit  à  Guillaume  Temple,  qui  fut  longtemps  am- 
bassadeur d'Angleterre  dans  les  Pays-Bas,  d'excellentes 
observations  sur  le  travail,  l'épargne,  le  luxe  et  les 
rapports  de  la  production  et  de  la  consommation.  Josias 
Child  mérite  davantage  encore  de  retenir  l'attention 
pour  ses  jugements  exacts  sur  les  caractères  de  la  mon- 
naie, pour  ses  idées  modérées  sur  la  population,  pour 
son  hostilité  contre  les  monopoles  et  les  autres  entraves 
mises  au  commerce  intérieur,  et  surtout  parce  qu'il 
considère  la  balance  du  commerce  non  comme  une 
cause,  mais  comme  un  effet  des  bonnes  conditions  du 
commerce  et  en  particulier  du  commerce  maritime.  Il  a 
cependant  des  idées  étroites  sur  lés  rapports  de  la  mère 
patrie  avec  les  colonies  ;  avec  Culpeper  il  demande  la 
réduction  légale  du  taux  de  l'intérêt  et  il  attribue  à  l'in- 
fériorité de  son  taux  de  l'intérêt  la  prospérité  de  la 
Hollande.  Les  œuvres  économiques,  financières  et  sta- 
tistiques de  Charles  Davenant  marquent  un  progrès 
encore  plus  important.  Très  peu  convaincu  (dans  ses 
dernières  œuvres)  de  l'exactitude  des  calculs  basés  sur 
l'importation  et  l'exportation,  il  est  (comme  l'a  remar- 
qué Pierson)  plutôt  mercantiliste  de  nom  que  de  fait  ;  il 
demeure  cependant  partisan  des  compagnies  privilégiées 
et  du  système  colonial  le  plus  rigoureux  ;  il  admire 
l'acte  de  navigation  de  Cromwell,  que  Child  (comme  plus 
tard  Smith)  n'approuve  que  pour  des  raisons  politiques  ; 
il  est  enfin  un  adversaire  déclaré  des  emprunts  pu- 
blics. 


LES    SYSTÈMES  EMPIRIQUES  221 

W.  Temple,  Obseroations  iipon  the  uniled  Provinces  of 
Nelherlands,  1672.  — Essay  on  the  (rade  of  Ireland, 
1673. 

Jos.  Chil.i,  Observations  concerning  trade  ond  interesl  of 
money,  1668.  —  A  new  discourse  on  trade,  1690,  2« 
édil.,  1694. 

(Sir  Thomas  Culpeper), /l  tract  against  usurie^  1640. 
Usefiil  remarks  on  high  interest,  1641. 

Ch.  Davenant,  Essay  on  the  Easl  India  trade,  1696-97. 
—  Essay  on  the  probable  means  of  making  apeoplc 
gainers  in  the  balance  of  trade,  1699.  —  Discourses 
on  the  public  revenues  and  on  the  trade  of  England, 
1698.  —  Essay  upon  loans,  1710. 

Les  mercantilistes  allemand.s  et  espagnols  de  cette 
période,  de  même  que  les  mercantilistes  français  et 
italiens,  sont  de  beaucoup  inférieurs  aux  mercantilistes 
anglais,  bien  qu'ils  aient  été  beaucoup  appréciés  à  leur 
époque. 

J.  J.  Bêcher  [Politischer  Disciu's,  1668,  6®  édit. 
1759),  Ph.  W.  von  Hôrnigk,  son  beau-frère,  tout  puis- 
sant dans  le  monde  officiel  {Oesterreich  ûber  Ailes, 
1684),  et  le  baron  Guillaume  de  Schroder  [Fûrstliche 
Schatz-iind  Rentkaminer ,  1686),  l'un  des  plus  anciens 
partisans  des  emprunts  publics,  demandent  Tapplication 
à  l'Autriche  d'un  système  restrictif  rigoureux.  Une 
opinion  plus  modérée  est  représentée  par  Seckendorff, 
l'auteur  d'un  traité  de  politique  spécialement  finan- 
cière, adapté  aux  conditions  des  petits  états  allemands 
{Der  deutsche  Fûrsterstaat,  1655)  et  plus  encore  par 
l'illustre  polygraphe  Hermann  Conring  (1606-1681), 
célèbre  dans  l'histoire  de  la  statistique,  et  l'auteur 
d'essais  remarquables  sur  les  impôts. 

La  série  des  mercantilistes  minores  se  clôt  en 
Espagne  avec  Jérôme  Ustariz  et  Bernard  Ulloa,  tous 
deux  admirateurs  de  Colbert.  Leurs  œuvres,  traduites 
en  plusieurs  langues,  exercèrent  une  notable  influence 


922  LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES 

sur  plusieurs  écrivains  italiens  et  allemands  du  siècle 
passé. 

G.  Ustariz,  Teorka  y  practica  de  comercic  y  de  marina. 
Madrid,  1724,  3«  édit.,  1757.  Traduction  libre  par 
Forbonnais.  Paris,  1753.  Trad.  italienne.,  Rome, 
1793. 
B.  Ulloa,  Restableclmienio  de   las  fabricas  y  comercia 
espaiwl.  Madrid,  1740.  Deux  volumes.  Trad.  franc  . 
Amsterdam,  1753. 
Cfr.  A.  Wirminghaus,  Zziei  spanische  Jlercaniilisteyi. 
Jena,  1886. 

L'ouvrage  de  Jean  François  Melon  (Essai  politique 
aur  le  Commerce.  Amsterdam,  173 't.  Nouvelle  édit.. 
J754)  est  le  résumé  le  plus  autorisé  des  doctrines  pro- 
fessées sur  l'économie  ou,  comme  on  le  disait  alors,  sur 
le  commerce.  La  célébrité  et  la  diffusion  de  son  livre 
ont  été  très  grandes,  moins  pour  son  mérite  théorique,, 
qui  est  très  faible,  mais  pour  sa  brièveté  et  sa  clarté. 
Melon  préconise  la  liberté  du  commerce,  entendue, 
cependant,  dans  le  sens  d'un  échange  du  superflu 
contre  le  nécessaire  ;  il  admet  de  nombreuses  restric- 
tions à  l'importation  et  à  l'exportation  ;  il  est  favorable 
aux  compagnies  privilégiées,  aux  emprunts  publics, 
qu'il  appelle  des  dettes  de  la  main  droite  à  la  main 
L^auche  et,  dans  certaines  limites,  même  aux  altérations 
monétaires.  Sur  ce  dernier  point  il  trouve  un  contra- 
dicteur dans  Dutôt,  le  caissier  de  Law  {Réflexions 
politiques  sur  le  commerce  et  les  finances.  Amster- 
dam, 1738  .  L'écho  de  ces  controverses  est  allé  juscju'en 
Italie,  où  elles  ont  été  résumées  par  Gérùme  Costan- 
tini  (1754;.  Les  doctrines  de  Melon  ont  fait  école  et  elles 
ont  été  exposées  par  le  banquier  romain  Gérôme  Bel- 
loni  dans  un  discours  qui  a  eu  un  grand  succès,  et 
plus  coip.plètement  par  Joseph  Antoine  Costantini,  par 
Ricci  (1755)  et  par  le  père  G.  P.  Pereira,  d'origine  por- 


LES    SYSTEMES    EMPIRIQUES  223 

tugaise  (1757).  Broggia  {Dei  tributi,  1743)  et  Muratori 
[Délia  publica  félicita.  Modena,  1749)  sont  des  dis- 
ciples de  Melon,  mais  leur  doctrine  sur  le  commerce 
des  blés  est  moins  libérale. 

March.   G.    Belloni,    Del    commercio,    dissertazione. 

Roma,  1750.  2«  édit.  1757). 
Giov.  Sappelti  cosentino  (Guiseppe  Antonio  Costan- 

Uni , Eleinenii di commercio .  Genova,  1762  (l'''=édit. 

1749). 

Dans  la  première  moitié  du  siècle  passé,  le  système 
mercantile  s'est,  petit  à  petit,  transformé  en  système 
protecteur.    La   balance  du    commerce,    le  cours   des 
changes  passent  au  second  plan  ;  ils  ne  sont  plus  le  but, 
mais  le  symptôme  de  la  prospérité  économique.  Ce  qui 
importe,  avant  tout,  c'est  Taugmentation  de  la  densité 
de  la  population,  le  développement  du  commerce,  de  la 
navigation  et,    en  particulier,    des  manufactures,    qui 
donnent  les  profits  les  plus  élevés,  occupent  un  plus 
grand  nombre  de  personnes,  etc.  Tandis  que,  à  l'origine, 
le  système  mercantile,    comme  l'a  démontré  Heyking 
(Op.  cit.,  pag.  24-43)  unissait  l'idée  de  l'équilibre  éco- 
mique  à  celle  de  l'équilibre  politique  (ce  que  Justi  con- 
sidère comme  une  chimère),  plus   tard,  son  caractère 
national  devient  plus  marqué,  et  il  cherche  à  donner  à 
l'Etat  non   seulement  l'indépendance,  mais   la   supré- 
matie et,  partant,   il  recherche  la  puissance  politique 
plus  que  l'augmentation  de  la  richesse.  C'est  un  point 
que  Cunningham  a  mis   en  lumière  pour  les    écono- 
mistes anglais  et  que  beaucoup  de  critiques  oublient 
trop  souvent. 

W.  Cunningham,  Adam  Synith  und  die  Merkantilisien 
(in  Zeitschr.  fur  die  ges.  Staatsitnss,  pp.  41-64).  — 
The  progress  of  économie  doctrine  in  England,  etc. 
(in  The  Economie  Journal.  Voll.  1891,  pp.  73-94). 


224  LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES 

Pour  juger  le  système  mercantile  dans  son  ensemble, 
il  faut  le  juger  en  se  tenant  également    éloigné  d'un 
rationalisme  superficiel  et  des  réhabilitions  intempes- 
tives. Par  ses  manifestations  pratiques  les  plus  pures 
et  les  plus  grandioses  et  en  même  temps  les  plus  tem- 
pérées, c'est-à-dire  dans  l'acte  de  navigation  de  Crom- 
well  (1651)  et  dans  les  réformes  économiques  et  fiscales 
de  Colbert  (1661-1683),  le  mercantilisme  a  contribué  à 
la  création  de  la  marine  anglaise  et  à  celle   des  manu- 
factures françaises.   Le  génie  de   Colbert  conçut  une 
œuvre  grandiose  et  il  eut  la  volonté  ferme  de  l'atteindre; 
il  ne  s'en  tint  pas  aux  expédients  mesquins  de  ses  pré- 
décesseurs, que  beaucoup  de  ses  successeurs  ont  repris, 
et  il  n'aboutit  pas,  comme  on  l'a  cru  quelquefois,  à  des 
conséquences  absurdes.  Il  supprima  un  grand  nombre 
de  restrictions    au  commerce    intérieur,    améliora  les 
moyens  de  transport  et  de  communication,   unifia  les 
poids  et  les  mesures,  etc.   S'il  multiplia,   sans  nécessité 
véritable,  les  règlements  de  fabrique,  il  établit  en  1634 
un  tarif,  qui  a  été  élevé  en  1667  par  représailles  contre  la 
Hollande,  mais  qui  est  encore  libéral,  si  on  le  compare 
à  ceux  du  protectionisme  moderne.  Il  ne  faut  pas  ou- 
blier que  Colbert  a  déclaré,  à  plusieurs  reprises,  que  les 
mesures  adoptées  par  lui  avaient  un  caractère  purement 
provisoire.  Et  il  est  facile  de  comprendre  pourquoi  Wal- 
pole  et  Pitt  (senior)  en  Angleterre,  Frédéric  Guillaume T"" 
et  Frédéric  II  de  Prusse,  Joseph  II  d'Autriche,  Pierre  le 
Grand  en  Russie,  ont  essayé,   rarement  avec  la  même 
habileté  et  par  suite  avec  un  succès  varié,  de  suivre  les 
traces  de  Colbert. 

F.  Joubleau,  Éludes  sur  Colherl.  Paris,  1856.  Deux  vo- 
lumes. 

P.  Clément,  Histoire  de  Colbert  et  de  son  administration. 
2^  édit.  Paris,  1875.  Deux  volumes  (E.xcelleDt  ou- 
vrage). 


LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES  225 

Neymarck,  Colbert  et  son  tenais.  Paris,  1877.  Deux  vo- 
lumes. 

G.  Cohn,  Colbert  vornehmlich  in  staatstvisihschafl- 
licher  Hinsichl.  In  Zeitsclmft  de  Tubingue.  Vol. 
25  et  26,  1869-1870,  pp.  369-434,  390-454  (Monogra- 
phie soignée  avec  une  bonne  indication  des 
sources). 

Considéré  au  point  de  vue  théorique,  le  système  mer- 
cantile, dans  ses  phases  de  la  balance  du  commerce  et 
de  la  protection  douanière,  se  présente  comme  une  pre- 
mière tentative  d'explication  des  différents  moments  de 
la  circulation  des  richesses.  C'e.st  un  essai  nécessaire- 
ment imparfait,  parce  que  le  phénomène  de  la  produc- 
tion n'était  pas  encore  expliqué  ;  on  n'avait  pas  une 
notion  exacte  du  capital,  que  l'on  confondait  avec  l'ar- 
gent, dans  lequel  on  voyait  la  forme  de  richesse  la  plus 
durable  et  la  plus  facile  à  être  accumulée.  Sans  doute, 
les  mercantilistes  ont  exagéré  l'importance  de  la  mon- 
naie, parce  qu'ils  ne  voyaient  pas  nettement  qu'elle 
n'est  essentiellement  qu'un  instrument  ;  tous  ne  s'aper- 
cevaient pas  qu'il  était  impossible  d'acheter  sans  vendre  ; 
quelques-uns  proposaient  des  moyens  qui  n'étaient 
nullement  propres  à  atteindre  les  résultats  cherchés. 
Ils  avaient  raison  de  voir  dans  l'argent  une  marchan- 
dise siii  generis  et  de  déplorer  les  inconvénients 
qu'entraîne  sa  pénurie,  mais  ils  ne  s'apercevaient  pas 
qu'une  quantité  excessive  pouvait  avoir  des  inconvé- 
nients, parce  qu'elle  élevait  les  prix  et  rendait  toujours 
plus  difficiles  les  exportations.  Ils  ignoraient  que  l'uti- 
lité de  la  monnaie  dépendait,  non  seulement  de  sa 
masse,  mais  aussi  de  la  rapidité  de  son  cours;  ils 
ne  comprenaient  pas  que  la  balance  du  commerce 
et  la  balance  des  créances  et  des  dettes  ne  sont  pas  tou- 
jours la  même  chose,  et  qu'il  était  possible,  pour  une 
nation,  d'importer  des  marchandises  d'une  valeur  supé- 

15 


226  LES    SYSTÈMES    EMPIRIQUES 

rieure  à  celle  des  marchandises  exportées,  sans,  pour 
cela,  épuiser  son  stock  métallique,  parce  que  tous  les 
paiements  ne  se  font  pas  en  monnaie  et  parce  qu'il 
est  possible  de  compenser  l'excédent  de  valeur  des 
produits  venus  de  l'étranger  par  des  créances  sur 
l'étranger.  Les  mercantilistes  croyaient,  à  tort  égale- 
ment, qu'il  était  possible  d'avoir  une  balance  toujours 
favorable,  et  ils  ne  parvenaient  pas  à  comprendre  qu'un 
sophisme  se  cache  dans  le  principe  de  la  réciprocité, 
qui  était  l'idéal  des  traités  de  commerce,  parce  que 
refuser  les  marchandises  étrangères  à  raison  du  refus 
que  l'étranger  fait  de  nos  produits,  c'est  refuser  un 
avantage  parce  que  un  autre  se  le  refuse. 

Au  lieu  de  se  persuader  que  les  peuples  comme  les 
individus  ne  peuvent  s'enrichir  s'ils  ne  produisent  plus 
qu'ils  ne  consomment,  les  mercantilistes,  ne  tenant 
compte  que  du  commerce  extérieur  et  des  marîufac- 
tures  qui  en  formaient  le  principal  aliment,  ensei- 
gnaient qu'il  faut  exporter  plus  que  ce  que  l'on  importe, 
et  confondaient  ainsi  l'importation  avec  la  consomma- 
tion et  l'exportation  avec  la  production,  par  suite  de 
cette  fausse  supposition  que  l'intérêt  général  de  la  nation 
s'identifie  avec  l'intérêt  des  commerçants.  Cette  erreur  et 
les  conséquences  funestes  qui  résultèrent  des  rivalités  et 
des  guerres  des  Anglais,  des  Français  et  des  Hollandais, 
qui  se  disputèrent  à  coups  de  tarif  l'hégémonie  écono- 
mique, ne  se  trouvent  certainement  pas  justifiées,  mais 
elles  s'expliquent  et  s'atténuent,  si  l'on  pense  à  l'impor- 
tance exceptionnelle  du  commerce  et  de  la  monnaie  à 
cette  époque  et  chez  ces  nations  qui  virent  naître  les 
premiers  penseurs  qui  se  préoccupèrent  des  causes  et 
des  mouvements  de  la  richesse  nationale. 


CHAPITRE  V 
LA  RÉACTION  LIBÉRALE  ET  L  ÉCLECTISME 


La  décadenco  de  l'agriculture,  opprimée  par  les  exac- 
tions féodales  et  par  le  poids  d'impôts  excessifs  et  mal 
répartis,  le  nombre  croissant  des  pauvres,  les  tristes 
conséquences  du  régime  de  tutelle  rigoureuse  auquel 
étaient  soumises  les  manufactures,  enchaînées  dans  les 
corporations,  perverties  par  l'esprit  de  monopole  et  de- 
venues, sous  les  successeurs  inhabiles  de  Colbert,  des 
instruments  dociles  de  fiscalité  et  de  police,  toutes  ces 
causes  firent  naitre  dans  l'esprit  de  certains  philan- 
tropes  et  de  certains  magistrats,  zélés  pour  le  bien 
public  et  désireux  de  remédier  aux  maux  qui  oppri- 
maient la  classe  la  moins  aisée  et  spécialement  les 
cultivateurs,  le  désir  de  réformes  économiques  et  fis- 
cales, qu'ils  ont  soigneusement  indiquées  et  défendues 
avec  fermeté.  Ces  projets  concernent  en  particulier  le 
commerce  des  grains,  la  réorganisation  du  système  des 
impôts,  les  abus  des  corporations  ;  ils  ont  amené,  vers 
la  fin  du  xviL^  siècle  et  dans  la  première  moitié  du  xviii", 
d'importants  changements  dans  la  politique  économique 
de  beaucoup  d'Etats,  et  ils  ont  fourni  en  même  temps 
de  nouveaux  matériaux  à  la  recherche  scientifique. 

§  I.  —  Le  prgtegtionisme  agraire. 

Les  partisans  de  ce  système  devaient  soutenir  une 
double  lutte,  et  contre  les  partisans  des  anciennes  me- 


228  LA    RÉACTION    LIBÉRALE 

sures  annonaires,  qui  avaient  pour  objet  de  protéger  le 
public  contre  les  dangers  des  famines,  spécialement  par 
la  défense  d'exportation  des  grains,  et  contre  les  mer- 
cantilistes  et  les  protectionnistes  industriels,  qui  re- 
doutaient l'exportation  de  la  monnaie  et  désiraient 
que  le  prix  des  céréales  fût  peu  élevé  parce  qu'ils 
espéraient  obtenir  ainsi  la  diminution  des  salaires  et 
l'augmentation  des  profits.  Ils  répétaient,  au  contraire, 
après  Sully,  que  l'agriculture  et  le  pâturage  sont  les 
deux  mamelles  de  l'Etat,  et  ils  proposaient  des  mesures 
douanières  qui  avaient  pour  but  de  garantir  aux  cultiva- 
teurs et  aux  propriétaires  des  prix  rémunérateurs,  qui  les 
amèneraient  à  ne  pas  négliger  et  même  à  améliorer 
leurs  terres. 

Le  premier  partisan  du  protectionisme  agraire  est  un 
homme  politique  hollandais,  Graswinkel  (1651),  dont 
la  renommée  ne  dépassa  pas  les  frontières  de  son  pays. 
Boisguilbert  eut,  au  contraire,  une  plus  grande  célé- 
brité; il  est  l'auteur  d'un  grand  nombre  d'ouvrages, 
qui  ont  exercé  une  influence  notable  sur  les  italiens 
Pascoli  et  Bandini.  Ces  écrivains,  et  d'autres  de  moin- 
dre importance,  pouvaient  invoquer  à  l'appui  de  leurs 
opinions,  l'exemple  delà  législation annonaire  anglaise. 
Par  deux  actes  célèbres  elle  avait  introduit,  en  1670, 
une  échelle  mobile  qui  réglait  les  droits  à  l'importa- 
tion d'après  les  prix  du  blé  à  l'intérieur  du  royaume, 
et  elle  accordait  par  le  bounty  act  de  1689  des  primes 
à  l'exportation  des  céréales. 

Rich.  Faber,  Die  Entstehung  des  Agrarschuizes  in  En- 
gland.  Strasburg,  1888. 

Tandis  que,  quelques  années  auparavant,  la  plupart 
des  économistes  anglais  recommandaient  l'imitation  du 
régime  commercial  de  la  Hollande,  nous  avons  main- 


ET  l'éclectisme  229 

tenant  une  série  d'économistes  français ,  d'écrivains 
allemands  et  spécialement  d'écrivains  italiens,  qui  de- 
mandent l'adoption  de  la  législation  agraire  de  l'Angle- 
terre. Le  premier  dans  l'ordre  des  temps,  et  aussi  par 
sa  pratique  administrative,  par  la  large  base  théorique 
de  ses  arguments,  par  le  zèle  qu'il  déploie  en  faveur 
des  classes  rurales  auxquelles  il  voudrait  assurer  un 
sort  meilleur,  est  un  illustre  magistrat  normand,  Pierre 
le  Pesant  de  Boisguilbert,  C'est  un  adversaire  éner- 
gique du  colbertisme,  un  ennemi  des  privilèges  accordés 
aux  manufactures.  Il  demande  de  profondes  réformes 
fiscales,  l'abolition  des  douanes  intérieures  et  la  liberté 
absolue  d'exportation  des  céréales  ;  mais  il  est  en  même 
temps  persuadé  de  la  nécessité  d'empêcher  par  des  droits 
élevés  à  l'importation  la  concurrence  ruineuse  des  mar- 
chandises étrangères.  Il  a  exposé  ses  idées  dans  un  cer- 
tain nombre  d'écrits,  d'un  style  pénible,  sans  beaucoup 
d'ordre  et  quelquefois  peu  clair.  Le  Détail  de  la,  France 
(  1 697)  et  le  Factuin  de  la  France  (  1 707)  ont  un  caractère 
plus  particulièrement  statistique.  Ses  autres  ouvrages 
sont  théorico-pratiques  :  le  Traité  de  la  nature^  cul- 
ture, commerce  et  intérêt  des  grains  (1704),  la  Dis- 
sertation sur  la  nature  des  richesses,  de  l'argent  et  des 
i7'^6^t^s,  etc.  Ces  deux  derniers  ouvrages  ont  été  réunis, 
deux  ans  avant  la  mort  de  l'auteur,  sous  le  titre  inexact 
de  Testament  politique  de  M.  de  Fau5an(1712).  Quel- 
ques biographes  de  Boisguilbert  (Daire,  Horn,  Cadet), 
s'appuyant  sur  certaines  de  ses  phrases  {laissez  faire  la 
nature  et  la  liberté)  et  sur  l'emphase  avec  laquelle  il 
combat  l'importance  excessive  donnée  à  la  monnaie, 
qui  devrait  être  le  «  valet  »  et  non  le  «  tyran  »  du  com- 
merce, ont  voulu  faire  de  Boisguilbert  un  libre  échan- 
giste absolu,  et  ils  ont  qualifié  de  contradictions  ses 
propositions  restrictives.  On  pourrait,  par  ce  procédé, 
porter  sur  Colbert  le  même  jugement,  puisqu'il  répète 


230  LA    RÉACTION    LIBÉRALE 

dans  un  grand  nombre   de  documents  officiels  que   le 
commerce  doit  être  «  extrêmement  libre  ». 

J.C.  Horn,  V économie  politique  avant  les  Physiocrales. 
Paris,  1867. 

P.  Cadet,  Pierre  de  Boisguilbert,  précurseur  des  écono- 
mistes. Paris,  1870. 

W.  von  Sl^arzynsky,  P.  de  Boisguilbert  und  seine 
Beziehungen  zur  neueren  Volksicirthschaftslehre. 
Berlin,  1873. 

Gust.  Cohn,  Boisguilbert,  {Zeilschrift  fur  die  ges. 
Staalsu-iss.  Vol.  XXV,  1869,  pag.  369).  Excellent 
essai. 

Aug.  Oncken,  Die  Maxime  laissez  faire  et  laissez 
passer,  etc.  Bern,  1886,  p.  49-55. 

Il  nous  suffira  de  mentionner  parmi  les  autres  protec- 
tionnistes agraires  français,  Claude  Herbert,  que  Kautz 
rattache  à  tort  à  la  physiocratie;  il  est  l'auteur  d'un  livre 
connu  même  en  Italie,  où  il  fut  traduit  par  l'ordre  du 
gouvernement  napolitain,  en  1764,  et  parut  précédé 
d'une  préface  de  Genovesi. 

Cl.  Herbert,  Essai  sur  la  police  générale  des  bleds 
Londres,  1754.  —  Xouv.  édit.  Berlin,  1757. 

Boisguilbert  a  eu,  en  Italie,  plus  d'influence  que 
Melon.  Son  école  y  est  représentée  par  deux  précur- 
seurs notables  des  réformes  qui  furent  tentées  à  Rome 
par  Pie  VI  et  réalisées  à  Florence  par  Pierre  Léopold  : 
l'abbé  Léon  Pascoli,  de  Pérouse.  trop  vite  oublié,  et 
l'archidiacre  Salluste  Antoine  Bandini.  de  Sienne , 
beaucoup  plus  connu,  mais  qui  n'a  pas  toujours  été  jugé 
équitablement. 

Léon  Pascoli  accepte  les  théories  de  Boisguilbert  (il 
lui  emprunte  le  titre  de  son  principal  ouvrage),  mais  il 
ne  répudie  cependant  pas  le  mercantilisme.  Il  est  par- 
tisan de  l'abolition  des  douanes  intérieures,  de  la  libre 


ET  l'éclectisme  231 

exportation  des  grains  (sauf  en  temps  de  disette),  mais  il 
demande  au  contraire  la  prohibition  de  l'exportation 
des  matières  premières  et  de  l'introduction  des  objets 
manufacturés,  comme  cela  se  pratique  en  Angleterre. 

Teatamento  poiilico  d'un  accademico  fiorenii.no.  Colonia 
(Perugia)  1733  i^écriL  en  1728).  —Voir  aussi  sa 
préface  à  son  autre  ouvrage  (avec  le  nom  de  l'au- 
teur) IL  Tevere  navigato  e  navigabile.  Roma, 
1740. 

Bandini  (1677-1760)  est  un  disciple  plus  résolu  de 
Boisguilbert,  dont  il  a  reproduit  de  nombreux  passages 
(comme  l'a  démontré  Gobbi)  ;  il  s'est  aussi  assimilé  son 
système  et  en  partie  aussi  celui  de  Vauban,  et  il  en  a 
fait  application  aux  conditions  des  Maremmes  de  Sienne, 
ruinées  par  le  mauvais  gouvernement  des  Médicis. 
Dans  son  Discorso  (1737),  il  proposait  une  réforme 
économique  complète  :  l'abolition  des  mesures  an- 
nonnaires,  et  une  réforme  fiscale,  à  savoir  un  sys- 
tème d'impôts  qui,  tout  en  conservant  les  droits 
à  l'importation,  consistait  essentiellement  dans  une 
dime  sur  les  terres,  d'après  les  déclarations  des  pro- 
priétaires, payée  en  argent,  pour  laquelle  on  tiendrait 
compte  des  variations  de  prix  des  denrées  et  qui 
serait  perçue  et  répartie  par  les  communes,  qui  en  pren- 
draient la  ferme.  C'est  une  erreur  étrange  (relevée 
d'abord  en  1819  par  Gambini,  et  réfutée  en  1852  par 
Ferrara)  de  voir  dans  Bandini  un  libre  échangiste 
absolu  (comme  l'ont  fait,  après  Gorani,  presque  tous 
les  historiens  de  l'économie  politique)  et  même  un 
ancêtre  de  Cobden,  comme  le  croient,  avec  Zobi,  un 
très  grand  nombre  de  spéciah.stes  toscans,  qui  oublient 
que  Bandini  non  seulement  admet  les  défenses  d'im- 
portation des  céréales,  mais  qu'il  n'est  pas  toujours 
débarassé  de  toute  crainte  au  sujet  de  la  sortie  de  la 


232 


LA    REACTION    LIBÉRALE 


monnaie  et  qu'il  a  encore  quelques  préjugés  (que  lui  a 
reprochés  Paoletti)  sur  les  «  magasins  d'abondance  ». 

S.  A.  Ba.nd\n\.  Discorso  Economico,  elc.Firenze,  1775" 
Réimprimé  en  1803  (in  Raccolla  de  Custodi.  P. 
Mod.  Tom  I)  et  plusieurs  fois  à  Sienne.  La  meil- 
leure édition  est  celle  de  1877.  —  (V.  les  très 
intéressants  Ricordi  de  Bandini  Piccolomini. 
Siena,  1880). 


Pour  conclure  sur  la  valeur  des  protectionnistes 
agraires,  soit  au  point  de  vue  théorique,  soit  au  point 
de  vue  pratique,  nous  remarquerons  qu'ils  ne  furent  ni 
les  fondateurs  de  la  science  économique,  ni  les  précur- 
seurs directs  du  système  physiocratique,  ni  les  inspira- 
teurs immédiats  des  réformes  économiques  et  fiscales. 
D'autre  part,  il  est  certain  que  Boisguilbert,  par  sa  cri- 
tique du  colbertisme,  par  sa  théorie  de  la  solidarité  des 
intérêts,  en  opposition  complète  avec  le  pessimisme  de 
Montaigne  et  de  Bacon,  mais  spécialement  par  l'apolo- 
gie du  haut  prix  des  denrées  agricoles  et  par  l'identifi- 
cation de  l'intérêt  des  classes  rurales  avec  celui  de  la 
nation,  a  suggéré  à  la  physiocratie  un  de  ses  principes 
fondamentaux.  Quant  à  Bandini,  qui  ne  peut  aspirer  à 
aucune  importance  théorique,  il  a  le  mérite  d'avoir 
par  ses  sages  conseils,  méprisés  des  ignares  minis- 
tres de  Jean  Gaston,  préparé  la  voie  aux  réformes  de 
Léopold,  beaucoup  plus  radicales  comme  on  le  sait, 
mais  qui  (comme  cela  sera  démontré  par  le  savant 
professeur  Morèna  dans  un  volume  qui  contient  ses  ar- 
ticles publiés  dans  la  Rassegna,  nationale)  ne  furent 
pas  seulement  inspirées  et  défendues  par  des  libres 
échangistes  absolus  (Neri,  Fabbroni,  Fossombroni), 
mais  qui  ont  été  soutenues  par  d'autres  (Gianni,  etc.) 
qui  n'allaient  pas  au  delà  des  idées  de  Bandini,  sans 
parler   de  ceux  qui    demandaient,   comme  Biffî  Tolo- 


ET  l'éclectisme  233 

mei,  la  défense  d'exportation  des  matières  premières  et 
faisaient  rétrograder  la  science  jusqu'à  Pascoli. 

PompeoNeri,  Discorso  sopra  la  materia  frumentaria, 
1767  (Publié  en  appendice  au  livre  de  Fabbroni, 
Dei  provvedhnenU  annonarii.  Firenze,  1804). 

Les  œuvres  de  Gianni  et  de  Fabbroni,  incomplètes, 
forment  la  RaccoUa  degli  Economisti  toscani.  (Fi- 
renze, 1847-49.  Quatre  volumes). 

Les  œuvres  très  intéressantes  de  Fossombroni,  en 
grande  partie  inédites,  seront  prochainement  pu- 
bliées par  Morena. 

Aldobr.  G.  B.  Paolini,  Dclla  legittima  liber  là  ciel  com- 
mercio.Yol  I  et  IL  Firenze,  1785  et  suiv. 

Matteo  BifTi  Tolomei,  Sentimento  im'parziale per  la  Tos- 
cami,  1791.  —  Esame  del  commercio  attivo  toscano, 
1792.  —  Confronta  délia  ricchezza  dei  paesi  che 
godono  libertà  nel  commercio  friimentario,  etc.,  2« 
édit.  1795. 


S    2.    LA    LIBERTÉ    INDUSTRIELLE 

De  nombreux  et  vaillants  écrivains  anglais  et  spéciale- 
ment des  écrivains  français,  prédécesseurs  ou  contem- 
porains des  pliysiocrates,  se  sont  efforcés  de  démolir  la 
partie  la  plus  vulnérable  des  mesures  de  Colbert,  c'est- 
à-dire  les  obstacles  mis  à  la  liberté  de  l'industrie  et  du 
commerce  intérieur  par  les  corporations  privilégiées  et 
les  règlements  de  fabrication. 

Em.  Levasseur,  Histoire  des  classes  ouvrières  en  France 
jusqu'à  la  Révolution.  Paris,  1859.  Deux  volumes. 

H..  W.  Farnam,  Die  innere  franz'ôsische  Gewerbepo- 
lilik  von  Colbert  bis  Turcjot.  Leipzig,  1878. 

Hubert  Valleroux,  Les  corporations  d'arts  et  métiers. 
Paris,  1885. 


23^ 


LA    REACTION    LIBERALE 


G.AlberLi,Ze  corponizione  d'arti  e  mesiieri  e  la  libertà 
ciel  commercio  inierno,  etc.  Milano,  1888. 


La  guerre  contre  les  corps  de  métier  est,  en  vérité, 
beaucoup  plus  ancienne  ;  dès  le  xvi"^  siècle,  Bodin 
(1568  et  1576)  et  avant  lui  Haies,  dans  un  ouvrage  pu- 
blié par  Stafford  en  1581 ,  condamnaient  leurs  tendances 
au  monopole  et  demandaient  qu'elles  fussent  ouvertes 
à  tous,  y  compris  les  étrangers.  Au  siècle  suivant  les 
maîtrises  trouvèrent  des  adversaires  encore  plus  réso- 
lus dans  le  triumvirat,  alors  fameux,  des  mercanli- 
listes  autrichiens,  Bêcher  (1668),  v.  Hornigk  (1684)  et 
Schroder  (1686),  en  cela  d'accord  avec  Seckendorff 
{Additiones  à  la  troisième  édition  de  son  Deutscher 
Fûrstenstasit,  1665).  Mais  ces  adversaires  n'avaient  pas 
d'autre  objet  que  de  remplacer  les  règlements  des  cor- 
porations privilégiées  et  en  partie  encore  autonomes 
par  des  règlements  beaucoup  plus  rigoureux  édictés 
par  rÉtat,  comme,  par  exemple,  l'inspection  officielle 
et  la  marque  obligatoire  des  produits.  On  trouve  aussi 
à  cette  époque  des  adversaires  relativement  plus  libé- 
raux^ comme,  par  exemple,  Child  (Observation  concer- 
ning  trade,  1668^,  Coke  {Enghind's  improvement 
1675)  et  un  écrivain  plus  éminent,  Pierre  De  la  Court 
(1618-1685).  le  plus  illustre  des  anciens  économistes 
hollandais,  qui  a  étudié  la  structure  intime  des  corpo- 
rations dont  il  a  fait  une  critique  très  vive  et  demandé, 
sans  être  écouté,  la  réforme  radicale.  Ses  doctrines  ont 
été  exposées  par  Laspeyres  et  par  van  Rees  dans  leurs 
Histoires  (citées  au  chapitre  I")  et  dans  divers  ou- 
vrages spéciaux. 

Het  Welicaeren  der  Stad  Leyden,  1659.  —  Inierest  van 
Holland,  1662  (trad.  parue  sous  le  litre  :  Mémoires 
de  Jean  de  Wilt.  Ratisbonne,  1709).  —  Aamvysing 
der  heilsame  poliiike  Gronden,  etc.  Leyden,  1669 
(trad.  allemande,  1672). 


ET    L^ÉGLEGTISME  235 

Et.  Laspeyres,    Miitheilungen   aus  P.    de  la    CourVs 
Schrlfien  (m  Zeitschr.  fur  die  ges.  Staatswissen- 
schaft,i862,  p.  330-374). 
0.  van  Rees,  Het  Wel>vaeren,  etc.  Utrecht,  1851. 

L'abolition  des  maîtrises  a  été  en  vain  suggérée  en 
1752    au   Sénat  de  Venise  par   Dolfîn   (Ag.    Sagredo, 
Sulle  consorterie  délie  arti  edifica,tive.  Venezia  1857, 
page  190)  ;  elle  a  été  effectuée,  en  1770,  en  Toscane  par 
Pierre   Léopold,   avec  la    collaboration   de    Sarchiani 
{Ragioname7ito  sut  commercio,  etc.  1781.  —  Meinorie 
economico-politiche  1783),  en  France  par  Turgot  et 
par  la  Constituante  (1776,  1791)  et  en  1787  en  Lombar- 
die,  grâce  à   Beccaria    et    à   Verri,    aux   ouvrages  de 
Decker  (1744),   de   Tucker   (1750)    et   de   Plumart    de 
Dangeul  {Remarques  sur  les  avantages  et  les  désavan- 
tages de  la  France  et  de  la  Grande-Bretagne,  1754. 
Traduction    italienne,  Venezia,    1758).    Plus    explicite 
encore  est  l'excellente  monographie  de  Simon  Clicquot 
de  Blervâche  (1723-1796),  inspecteur  général  des  ma- 
nufactures. En  réponse  à  une  demande  de  l'Académie 
d'Amiens,  il  exposait  avec  une  grande  compétence  théo- 
rique et  pratique  les  inconvénients  du  régime  corpo- 
ratif et  il  indiquait  les  moyens  de  les  faire  disparaître  ; 
il  a  étudié  aussi  le  difficile  problème  du  remboursement 
des  dettes  des  corporations,  que  Turgot  a  négligé.  Parmi 
les  plus  zélés  inspirateurs  des  réformes  tendant  à  éman- 
ciper le  commerce  intérieur  de  la  France  il  faut  rappe- 
ler   aussi  Jean  Claude  Marie    Vincent    (seigneur    de 
Gournay),  intendant  du  commerce  (1712-1759),  traduc- 
teur de  Culpeper  et  de  Child  (1754),  auquel  on  attribue 
la  célèbre  maxime  laissez  passer,  et  que  l'on  considère, 
depuis  V Eloge  qu'en  a  fait  Turgot,  —  et  c'est  une  de  ces 
fables  convenues  si  fréquentes  dans  l'histoire  de  l'é- 
conomie —  comme  le  second  fondateur  du    système 
physiocratique.  Pour  se  convaincre    du    contraire    on 


236      ■  LA    RÉACTION    LIBÉRALE 

pourra  lire  la  monographie  du  professeur  Auguste 
Oncken  qui,  dans  un  autre  ouvrage  déjà  cité  {Die 
Maxime  laissez  faire,  etc.,  Bern,  1886,  pag.  108 
et  suiv.)  a  déjà  fourni  des  éclaircissements  sur  ce 
sujet. 

Cfr.  Tarticle  de  G.  Schelle,  in  Nouveau  Dictionnaire 
d'Economie  politique.  Yo\.  1.  Paris,  1891.  pag.  1105. 

Anonyme  (Clicquot).  Considérations  sur  le  commerce 
et  en  particulier  sur  les  compagnies,  sociétés  et 
maîtrises.  Amsterdam,  1758.  Publié  aussi  à  La 
Haye  (sous  le  pseudonyme  de  M.  Delisle),  1758. 
Trad.  ital.  (de  A.  N.  Talierj.  Venezia,  1769. 

Jules  de  Vroil,  Etude  sur  Clicquol-Blervâche ,  Paris, 
1870. 

En  Italie  le  sujet  a  été  traité  avec  peu  d'originalité  et 
relativement  tard.  Les  élèves  de  Melon  et  ceux  de  Geno- 
vesi  (à  l'exception  de  Sergio)  défendent,  plus  ou  moins 
complètement,  les  entraves  au  commerce  intérieur. 
Lorsque,  vers  la  fin  du  siècle,  l'Académie  d'agriculture, 
des  arts  et  du  commerce  de  Vérone  mit  au  concours 
le  sujet  des  corporations,  celles-ci  trouvèrent  un  apo- 
logiste exagéré  dans  Marachio  (1794)  et  des  défenseurs 
plus  modérés  dans  Marogna  (1791)  et  dans  Torri  (1793), 
qui  voulaient  réformer  les  abus.  Elles  ont  été  combat- 
tues énergiquement  par  l'abbé  Augustin  Vivorio  (1744- 
1822)  et,  avec  plus  de  compétence,  par  le  laborieux  éco- 
nomiste piémontais,  abbé  Jean-Baptiste  Vasco  (1733- 
1796).  Mais  tous  ces  écrivains  connaissaient  et  citaient 
les  œuvres  de  Turgot,  de  Condillac  et  de  Smith  ! 

Ag.  Vidorio,  Sopra  i  corpi  délie  arti,  etc.  Verona,  1792. 
G.  Wàsco,  Délie  Università  délie  Arti  e  Mestieri.  Milano, 

1793.  (Réimprimé  dans  la  Collection  de  GusLodi. 

P.  Mod.Vol.  XXXIII). 


ET  l'éclectisme  237 


§  3.  LES     THÉORIES     ET     LES    RÉFORMES     FINANCIERES 

Les  problèmes  financiers  ont  attiré,  après  les  pro- 
blèmes monétaires  et  en  même  temps  que  les  questions 
de  commerce  et  de  change,  l'attention  d'un  grand 
nombre  d'écrivains,  qui  ont  mêlé  plus  ou  moins  heu- 
reusement des  considérations  théoriques  à  l'examen  des 
conditions  et  des  lois  de  leur  pays  et  quelqviefois  à 
des  propositions  de  réforme.  D'abord  se  développèrent 
des  doctrines  qui  remontent  en  partie  à  Aristote,  qui 
(comme  l'a  excellement  démontré  Neumann)  pense  que 
la  répartition  des  dépenses  publiques  selon  les  facultés 
est  la  seule  qui  corresponde  à  la  justice  distributive;  en 
partie  elles  viennent  des  canonistes,  qui  recherchent 
dans  les  im^DÔts  la  cause  juste,  la  forme  convenable  et 
l'autorité  légitimej^en  partie  elles  sont  une  suite  de  la 
théorie  de  Bodin  et  de  Botero^qui  distinguent  les  impôts 
personnels  et  les  impôts  réels,  approuA'ent  ces  derniers 
et  demandent  qu'ils  frappent  plutôt  les  terres,  sans 
exclure  les  impôts  sur  les  objets  de  luxe  et  de  consom- 
mation générale,  mais  bien  les  objets  de  première 
nécessité.  Un  bon  nombre  de  politiques,  comme  par 
exemple  Caputo  (De  regimine  reipublicae,  1621)  et, 
avant  eux,  un  groupe  de  jurisconsultes,  dont  Verreti 
(1547),  cité  par  Rava,  dans  leurs  traités  de  subsi- 
diis,  de  collectis,  de  tributis,  de  vectigalibus,  s'ef- 
forcent d'établir  avec  une  grande  précision  les  principes 
d'équité  qui  doivent  présider  à  la  perception  des  im- 
pôts, que  beaucoup  considèrent  encore  au  xvii^  s.  comme 
des  revenus  extraordinaires  de  l'État,  à  côté  des  reve- 
nus domaniaux  et  des  droits  régaliens  qui  forment  les 
revenus  ordinaires.  Le  principe  de  la  généralité  de 
l'impôt  s'affirme  d'abord  timidement,  puis  avec  plus  de 
fermeté,  à  rencontre  des  privilèges  de  l'aristocratie  et 


238 


LA    REACTION    LIBERALE 


du  clergé,  dont  le  candide  Bandini  (1737)  attend  la 
renonciation  volontaire.  La  raison  géométrique  de 
l'impôt,  c'est-à-dire  la  proportionnalité,  est  admise  par 
tous  (en  dehors  du  père  Davilla,  espagnol,  qui  demande 
une  capitation  progressive,  1651);  quelques-uns  cepen- 
dant réclament  l'exemption  d'un  revenu  minimum, 
déjà  exprimée  par  un  jurisconsulte  allemand,  Mathieu 
Wesembeck  {Cynosura  liturgica.  de  subsidiis,  1645), 
oublié  par  Roscher  et  commenté  par  Gusumano  {Ar- 
chioio  di  Statistica,  Roma,  1880).  C'est  en  Alle- 
magne que  les  théories  financières  sont  exposées  dans 
des  œuvres  systématiques  spéciales,  dans  des  ouvrages 
d'érudition  (Bornitz,  Besold,  Klock),  ou  pour  préparer 
les  fonctionnaires  des  magistratures  financières  [Cham- 
bres). L'ouvrage  de  Seckendorf,  dont  nous  avons  déjà 
parlé,  devient  le  vade  meciun,  et,  plus  tard,  il  fournira 
le  plan  des  leçons  faites  par  quelques  professeurs  de  droit, 
comme,  par  exemple,  Thomasius  et  Ludv^^ig  à  Halle 
[xevs  172'2),  Franckenstein  à  Leipzig,  etc. 

G.  Ricca-Salerno,  Sioria  délie  doitrine  finanziarie  in 
Italia.  Roma,  1881.  (Travail  très  soigné,  très  jus- 
tement loué  par  Stein  et  par  Wagner.) 


Les  exigences  toujours  croissantes  des  gouverne- 
ments allemands,  obligés  de  réparer  les  pertes  occa- 
sionnées par  des  guerres  prolongées  et  désastreuses, 
firent  naître  une  vive  controverse  qui  commença  à  la 
fin  du  xvii^  siècle  et  se  prolongea  jusqu'au  milieu  du 
xviii''.  Les  uns,  comme  Tenzel  [Entdeckte  Goldgrube 
in  de)'  Accise,  1685)  montraient  les  avantages  d'une 
accise  générale,  tandis  que  d''autres,  comme  Leib  (1708) 
et  Eulner  (1721),  voulaient  la  circonscrire  aux  villes, 
et  d'autres  enfin,  la  repoussaient  parce  qu'elle  était  con- 
traire à  l'équité,  et  inapplicable.  La  controverse  se  clôt 


ET  l'éclectisme  239 

avec  un  ouvrage  modéré  et  judicieux  de  von  der  Lith 
{Politische  Betrachtungen  ûber  die  verschiedenen 
Arten  der  Steuern.  Breslau,  1751),  qui  démontre  la 
nécessité  de  combiner  les  impôts  directs  et  les  impôts 
indirects.  Une  discussion  du  même  genre  s'éleva  en 
Angleterre  quand,  vers  1733,  le  tout  puissant  ministre 
Walpole  essaya  de  faire  voter  par  le  Parlement  une 
accise  sur  le  vin  et  sur  le  tabac,  extrêmement  impopu- 
laire, ce  fut  l'occasion  d'une  douzaine  de  libelles.  Peu 
de  temps  après,  Matteo  Decker  [Serions  considérations 
on  tlie  several  high  duties,  1744),  par  son  projet  d'im- 
pôt unique  sur  les  maisons,  suscita  des  écrits  favorables 
(Horsley),  et  d'autres  défavorables,  et  en  particulier 
ceux  de  G.  Massie  (1756-57),  économiste  récemment  loué 
par  Cunningham.  On  ne  doit  pas  oublier  les  nombreux 
faiseurs  de  projets  {arbitristas)  espagnols,  auxquels 
Colmeiro  a  consacré  une  monographie  et  un  chapitre 
de  son  histoire. 

K.  Th.  V.  Inama-Sternegg,  Der  Acchenstreit  deutscher 
Finanziheoretiker.   [Zeitschrift  fur  die  ges  Siaais- 
wiss.  vol.  21.  Tubingen,  1865,  pp.  516-546). 
Em.  Léser,  Ein  Accisenstreit  in  England.  Heidelberg, 

1879. 
G.  Ricca-Salerno.  Le  dollrine  finanziarie  in  Inghillerra, 
etc.    {Giornale  degli  economisli.   Bologna,  1888). 
M.  Colmeiro.  Ilisloria  de  la  Economia  polilica  en  Es- 
pana.  Vol.  II.  Madrid,  1863. 

Plus  que  dans  ces  ouvrages  de  circonstance,  la  capa- 
cité financière  des  Anglais  s'est  révélée  dans  quelques 
œuvres  scientifiques,  dans  lesquelles  quelques  écrivains 
de  grande  valeur,  discutant  sur  les  critères  généraux  de 
l'impôt,  ont  donné  la  préférence  aux  impôts  indirects 
en  invoquant  principalement  des  raisons  d'équité. 
Hobbes  (1642)  enseigne  que  l'impôt  (emtae  pacis  pre~ 


240 


LA    REACTION    LIBERALE 


tiiun)  doit  être  proportionnel  aux  services  reçus  de  l'Etat, 
dont  la  somme  est,  selon  lui,  mesurée  par  les  consom- 
mations de  chacun.  Cette  doctrine  fut  acceptée  par 
Child,  Davenant  et  d'autres  écrivains  anglais,  et  notam- 
ment par  Petty  (1662).  Le  Hollandais  Jean  De  La  Court 
arrive  aux  mêmes  conclusions,  tout  en  invoquant  des 
raisons  quelque  peu  différentes. 

L'originalité  des  Anglais* est,  pour  des  raisons  d'évi- 
dence, encore  plus  grande  dans  la  théorie  et  dans  la 
pratique  du  crédit  public.  Au  xviii®  siècle,  ils  possèdent 
déjà  quelques  ouvrages  et  quelques  opuscules  qui  s'oc- 
cupent des  détails  de  ce  sujet,  à  peine  effleuré  ailleurs. 
Archibald  Hutcheson(^A  collection  oftreati.sesrelciting 
to  na^tional  clebt,  1721)  propo.se  la  conversion  de  la 
dette  publique  en  dette  privée  des  propriétaires  fonciers. 
Xataniel  Gould  (combattu  par  Pulteney)  propose,  long- 
temps avant  Price,  la  création  d'une  caisse  d'amortisse- 
ment fA?i  essay  on  the  national  clebt,  1726),  tandis 
que  Barnard  '^Considérations  on  the  proposai  for  re- 
clucing  the  interest,  etc.,  1750)  propose  la  conversion 
et  Hocke  {An  essay,  etc.,  1750)  la  transformation  de  la 
dette  perpétuelle  en  tontines  de  99  ans.  Plus  tard, 
Mortimer  CElernents  of  commerce  and  finances,  1774). 
non  content  de  défendre  les  emprunts  publics,  combat- 
tus par  Hume,  en  fait  une  apologie  exagérée,  et  réclame 
la  priorité  à  l'encontre  du  livr^e  célèbre  du  Juif  portugais 
Pinlo  (Traité de  la  circulation  et  du  crédit,  1773J. 

J.  R.  Mac  Culloch,  The  littérature  ofpolUical  economy. 
London,  1845,  pag.  318  et  suiv. 


Parmi  les  partisans  des  réformes  dans  le  système  de 
la  répartition  et  de -la  perception  des  impôts,  nous 
devons  signaler  dans  cette  période^les  écrivains  français 
qui  demandent  l'abolition  des  privilèges  de  classe,   la 


ET  l'éclectisme  241 

suppression  des  lourds  impôts  de  consommation,  une 
équitable  réorganisation  des  impôts  directs,  la  substi- 
tution de  la  régie  à  la  ferme,  etc.  On  trouve  un  certain 
nombre  de  projets  excentriques,  comme  celui  de  Jon- 
chère  (1720)  ;  d'autres,  notamment  ceux  de  l'abbé  de 
Saint-Pierre  (1717-1723)  et  de  Boulainvilliers  (1727), 
bien  qu'ils  soient  inspirés  par  des  vues  philanthropiques, 
ont  spécialement  en  vue,  comme  on  l'a  trop  oublié,  les 
intérêts  des  classes  dominantes.  Certains  auteurs,  enfin, 
se  font  les  défenseurs  de  la  classe  taillable  et  corvéable 
à  merci,  qui  faisait  entendre,  dès  la  fin  du  xvi^  siècle, 
ses  lamentations  (Fromenteau,  le  Secret  des  finances  de 
la.  France,  1581),  et  s'occupent  spécialement  de  la 
misérable  condition  des  paysans.  Ainsi,  par  exemple, 
Boisguilbert,  et  après  lui,  Pa.scoli  et  Bandini.  Dans  son 
Projet  d'une  dîme  royale  (1707),  Vauban  ne  s'est  pas 
débarrassé  des  théories  des  mercantilistes  et  il  est  par- 
tisan de  la  concentration  et  de  l'ingérance  gouverne- 
mentale. Il  faut  remarquer  encore  qu'aucun  de  ces 
écrivains  n'est  partisan  de  l'impôt  unique,  au  sens 
physiocratique,  bien  que  tous  aient  préféré  les  impôts 
directs  aux  impôts  indirects  et  qu'ils  aient  donné  la 
première  place  à  l'impôt  territorial.  Nous  ne  devons  pas 
être  étonné  si,  à  côté  des  novateurs,  nous  trouvons  des 
défenseurs,  plus  ou  moins  modérés,  des  systèmes  en 
vigueur,  comme  Duval  (Eléments  de  finance,  1736jet 
Naveau  (le  Financier  citoyen,  1757J.  Il  y  a  aussi  des 
quiétistes  qui,  comme  l'anonyme  dont  les  Mémoires  de 
Ti^évoux  font  l'éloge  (l'Ami  de  la  paix,  1761),  deman- 
daient de  laisser  faire  au  Roi  ! 

L'Italie  peut  se  glorifier,  dans  cette  période,  de  la 
grande  œuvre  du  recensement  milanais,  c'est-à-dire  du 
cadastre  parcellaire  géométrique  commencé  sous  le 
règne  de  Charles  VI  par  une  première  commission 
présidée   par   Miro  (1718  à  1733)  et  continué  et  refait 

16 


242  LA    RÉACTION    LIBÉRALE 

par  une  seconde  commission.  Celle-ci  a  été  présidée,  sous 
le  règne  de  Marie-Thérèse,  par  l'illustre  économiste  flo- 
rentin Pompeo  Neri  (1749-1758),  qui  a  fait  Thistoire  de 
ses  travaux  dans  un  \o\umineux  Rapport  (1750),  ré- 
sumé et  complété  par  Jean  Rinaldo  Carli  (1776). 

C.  Lupi,  Sioria  de^principii,  délie  masshne  e  regole 
seguite  nella  f'onnazione  del  catasio  prediale,  etc. 
Milano,  1825. 

Dans  l'ordre  théorique,  il  faut  reconnaître  une  grande 
importance  à  l'ouvrage  de  Broggia.  C'est  le  premier 
traité  méthodique  des  impôts  ;  il  est  de  beaucoup  supé- 
rieur aux  travaux  des  caméralistes  ses  contemporains. 
Cette  importance  a  été  pressentie  par  Galeani  Napione, 
signalée,  en  passant,  par  Rau  ;  elle  a  échappé  à  Pierson  ; 
nous  l'avons  démontrée  en  1876,  et  elle  a  été  mise  en 
pleine  lumière  par  Ricca-Salerno  (Storia,  etc.,  pp.  105- 
111),  et  elle  ressort  aussi  du  résumé  exact  qu'en  a  fait 
Fornari. 

Charles  Antoine  Broggia,  négociant  napolitain  (ou 
vénitien  demeurant  à  Naples,  comme  le  prétend  Set- 
tembrini)  a,  mieux  que  Bodin  et  Bottero,  fait  la  théorie 
des  impôts  réels.  Il  prend,  comme  point  de  départ,  le 
système  fiscal  napolitain  et,  en  particulier,  la  réforme 
de  l'impôt  territorial  ordonnée  par  Charles  III,  en  1741, 
et  esquisse  un  système  complet  d'impôts.  Il  propose  une 
combinaison  rationnelle  des  impôts  directs  et  indirects, 
et  s'occupe  aussi  de  quelques  questions  spéciales, 
comme  celle  des  ports  francs,  qu'il  combat,  et  celle 
de  la  taxation  des  maisons  habitées  par  leurs  proprié- 
taires. Ennemi  des  privilèges,  des  adjudications,  des 
emprunts  et  de  la  taxation  directe  des  industries 
(admise  par  Vauban),  Broggia  fonde  son  système  sur 
deux  bases,  celle  de  l'impôt  sur  les  terres,  sur  les  mai- 
sons et  sur  les  capitaux  prêtés  ''dîmes  sur  les  revenus 


ET    L  ÉCLECTISME  243 

certains),  à  percevoir  grâce  à  lin  cadastre  (établi  d'après 
les  déclarations  des  contribuables)  et  celle  des  impôts  sur 
la  consommation  intérieure  (gabelles)  et  sur  la  consom- 
mation extérieure  (droits  de  douanes).  Ce  n'est  qu'en 
cas  de  besoins  extraordinaires  qu'il  admet  les  contribu- 
tions volontaires,  l'augmentation  des  dîmes  et,  dans 
certaines  limites  étroites,  la  capitation.  La  monographie 
de  Broggia  qui,  comme  on  vient  de  le  voir,  accepte  les 
théories  des  mercantilistes,  s'occupait  aussi  (avec  peu 
d'originalité)  des  monnaies,  et  faisait  partie  d'un  grand 
ouvrage  qu'il  s'était  proposé  d'écrire  sur  la  science  de  la 
vie  civile  économique. 

C.  A.  Broggia,  Dei  tributi,  délie  monete  e  del  fjooerno 
polilico  délia  sanità.  Napoli,  1743.  (Réimprimé  dans 
la  Collection  de  Custodi.  Part,  antiq.,  vol.  IV.) 

Dans  un  ouvrage  postérieur,  qui  le  fit  exiler,  Broggia 
proposait  à  la  Commission  pour  le  rachat  des  fermes 
(cession  de  certains  impôts  aux  créanciers  de  l'Etat) 
créée  en  1751,  le  rachat  de  celles-ci  au  prix  courant, 
inférieur  au  prix  originaire.  Cette  opération,  que  nous 
appellerions  aujourd'hui  une  conversion  de  rente, 
proposée  quelques  années  auparavant  en  Toscane 
(Pompeo  Neri),  était  combattue  par  les  juristes  de  la 
vieille  école,  favorables  aux  cessionnaires,  qui  trouvè- 
rent à  Naples  un  savant  défenseur  dans  l'avocat  Charles 
Tranchi,  l'auteur  d'un  Mémoire  qui  l'emporte^  pour  la 
forme,  sur  celui  de  Broggia. 

C.  A.  Broggia,  Memoria  ad  oggetto  di  varie  politiche  ed 
economiche  ragioni,  etc.  Napoli,  1754. 


§   4.    —   CHAIRES,    JOURNAUX,    ACADÉMIES 

Il  est  hors  de  doute  que  la  création  de  chaires  univer- 


244  LA    RÉACTION    LIBÉRALE 

sitaires  spéciales  pour  les  sciences  camérales,  propo- 
sées par  Morhof,  Wolff  et  ensuite  par  Thomasius 
(Roscher,  Geschichte,  etc.,  pag.  344  et  suiv.)  et  effec- 
tuée en  1727  par  le  roi  Frédéric  Guillaume  I  de 
Prusse,  qui  en  confia  l'enseignement  à  un  jurisconsulte, 
Gasser  (Halle),  et  à  un  historien,  Dithmar  (Francfort  sur 
l'Oder),  exerça  une  grande  influence  sur  l'organisation 
systématique  des  disciplines  économiques  (toujours  sui- 
vie en  Allemagne),  et  plus  tard  même  sur  les  progrès  des 
théories  financières.  Les  sciences  camérales,  destinées 
aux  futurs  employés  de  l'Etat,  formaient,  sous  le  nom 
d'économie  et  de  commerce,  un  étrange  mélange  de 
notions  agronomiques,  technologiques  et  d'économie 
privée,  dont  on  avait  besoin  pour  l'administration  des 
terres,  des  bois,  des  mines,  des  industries  fiscales,  qui 
formaient  la  partie  principale  des  revenus  de  l'État. 
Sous  le  nom  de  police,  elles  contenaient  en  germe  les 
théories  qui  forment  maintenant  la  science  de  l'admi- 
nistration, notamment  de  l'administration  économique; 
sous  le  nom  de  science  des  finances,  elles  s'occupaient 
de  théories  qui  différaient  des  théories  modernes,  no- 
tamment en  ce  qu'elles  n'avaient  pas  la  solide  base  de  la 
science  économique  actuelle,  ne  considéraient  pas  avec 
une  ampleur  suffisante  la  matière  des  impôts  et  ne 
disaient  rien,  ou  peu  de  chose,  de  la  répercussion  des 
impôts,  et  des  emprunts  publics. 

Les  chaires  de  sciences  camérales  se  multiplièrent  en 
Allemagne,  en  Autriche,  en  Hongrie,  etc.  Le  précis  de 
Darjes  peut  donner  une  idée  des  doctrines  qu'on  y 
enseignait  ;  celui  de  Baumstark,  qui  appartient  à 
l'économie  moderne,  en  donne  une  bibliographie  com- 
plète. 

J.  G.  Darjes,  Erste  Grûnde  der  Camerahvissenschafien. 
Jena,  1756.  2«  édit.,  Leipzig,  1768. 


ET  l'éclectisme  245 

Ed.  Baumstark,  Kameralistische  Encyclopcidie .  Leip- 
zig, 1835). 

On  créa  également  en  Italie,  peu  de  temps  après,  des 
chaires  spéciales  dans  lesquelles  on  enseignait  unique- 
ment l'économie  politique.  La  première,  celle  de 
Naples,  fondée  en  1754,  par  Barthélémy  Intieri,  pour 
l'abbé  Antoine  Genovesi,  qui  l'occupa  avec  grand  succès 
jusqu'en  1769,  porta  d'abord  le  titre  de  chaire  de  méca- 
nique et  de  (commerce.  César  Beccaria  occupa  quelque 
temps  (1769-1770),  à  Milan,  la  chaire  de  sciences  camé- 
raies,  et  Auguste  Paradisi  fit  à  Modène  (1772-1780)  des 
leçons  d'économie  civile,  restées  inédites,  auxquelles  il 
substitua,  dans  les  dernières  années,  le  livre  de  Condillac 
(1776).  A  Païenne,  Vincent  Emanuel  Sergio  enseigna 
les  doctrines  de  Genovesi  (1779-1806). 

L.  Cossa,  Suite  prime  cattedre  di  economia  in  Italia 
(1873).  {In  Saggi  di  economia politica.  Milano,  1878, 
pp.  65-95. 

Vers  le  milieu  du  siècle,  les  journaux  scientifiques  et 
littéraires  qui  rendaient  compte  des  ouvrages  nouveaux, 
comme,  par  exemple  le  Journal  des  Savants,  les  Acta 
Eruditoram  de  Leipzig,  les  Novelle  Letterarie  de 
Venise  et  mieux  celles  de  Florence  (1740-1769),  le 
Magazzino  toscano  (1754  et  suiv.),  les  Giornali  dei 
Letterati  de  Modène,  de  Florence  et  celui  de  Pise  (1771- 
1795)  et  plus  tard  le  Giornale  Encicloijedico  et  le 
Giornale  d' Italia  (à  Venise),  la  Biblioteca  Oltrajnon- 
tana  et  les  Ozii  letterarii  de  Turin,  commencèrent  à 
renseigner  leurs  lecteurs  sur  les  ouvrages  d'économie, 
de  jour  en  jour  plus  nombreux.  En  Allemagne  et  en 
France  on  sentit  bientôt  le  besoin  de  publications  spé- 
ciales, qui  réunirent  dans  un  mélange  bizarre  des 
articles  de  technologie,  d'économie  privée  et  d'écono- 


246  LA    RÉACTION    LIBÉRALE 

mie  publique.  La  première  revue  française  est  le  Jour- 
nal Œconomique  (Paris,  1751-1762,  49  volumes),  puis 
parut  le  Journal  du  Commerce  (Bruxelles,  1759-1762, 
24  volumes)  ;  les  premiers  périodiques  allemands  sont  : 
VŒkonomische  Fama,  (1729),  le  Leipziger  Sammlun- 
gen  de  Zincke  (1742)  et  d'autres,  mentionnés  par  Ros- 
cher  (Geschichte,  pag.  430  et  suiv.).  Il  y  aurait  quelque 
intérêt  à  étudier  l'influence  scientifique  des  revues  éco- 
nomiques françaises  et  allemandes. 

Les  académies  ou  sociétés  agricoles  et  quelques 
sociétés  scientifiques  et  littéraires  contribuèrent  aussi  à 
fixer  l'attention  sur  les  problèmes  économiques.  Elles 
publièrent  des  monographies  de  leurs  membres,  elles 
organisèrent  des  concours  et  donnèrent  des  prix  sur  des 
sujets  intéressants  et  controversés.  On  doit  citer  les 
sociétés  d'encouragement  de  Dublin  (  j  736)  et  de  Londres 
(1754),  l'Académie  d'Amiens,  celles  de  Rennes  (1756), 
de  Bordeaux,  de  Vienne  dans  le  Dauplliné,  de  Leipzig, 
de  Saint-Pétersbourg,  de  Zurich,  et  plus  particulière- 
ment la  célèbre  Académie  de  Berne  (1758).  En  Italie,  où 
fut  fondée  la  fameuse  Accademia  dei  Georgofîli  (1753), 
il  faut  louer  l'initiative  prise  par  le  gouvernement  vé- 
nitien (1768),  qui  créa  un  grand  nombre  d'Académies 
agricoles  (Udine,  Vérone,  Vicence,  Belluno,  Cone- 
gliano,  Trevise).  Les  Académies  scientifiques  et  litté- 
raires de  Mantoue,  de  Padoue,  de  Turin  mirent  plus 
d'une  fois  au  concours,  rivalisant  avec  celle  des  Georgo- 
phili.  des  questions  concernant  l'annone,  l'assistance,  les 
corps  de  métiers,  la  liberté  du  commerce,  etc.  Il  ne  faut 
pas  oublier  que  les  doctrines  physiocratiques  et  même 
celle  de  Smith  exercèrent  leur  influence  sur  le  choix  de 
ces  sujets  et  sur  l'esprit  dans  lequel  ils  furent  traités. 

A.  Zanon,  DeW  ulilità  morale,  economica  c  polilica  délie 
accademie  d'agricoltura,  arii  e  commercio.  Udine, 
1771.    Et  dans  ses  Opère.  Udine,  1828-31.) 


ET  l'éclectisme  247 

Aug.  Oncken,  Der  altère  Mirabeau  imd  die  œkonomische 

Gesellsehaft  in  Bern,  1886. 
Léon.  Piemonte,  Antonio  Zonon.  Padova,  1891,  pp. 

67-80. 
A.  Balletti,  L'economia  poliiica  nelle  Accademie  e  nei 

Congressi  degliscienziati  (1750-1850;.  Modena,  1891. 

(Monographie  consciencieuse  et  intéressante). 


§  5.  —  l'éclectisme  bureaucratique 

ET    l'éclectisme    DE    LA    CHAIRE 

A.  une  époque  où  déjà  on  avait  tant  discuté  sur  la 
population,  l'agriculture,  les  manufactures,  le  com- 
merce, les  monnaies,  les  banques,  l'annone,  les  impôts, 
les  emprunts,  et  après  les  travaux  des  publicistes  et  des 
philosophes,  comme  Locke,  Hume,  Montesquieu,  il  était 
bien  naturel  que  beaucoup  de  savants  eussent  le  désir 
de  résumer,  plus  complètement  que  Melon,  Ustariz, 
Ulloa,  etc.,  la  cormnv.nis  ojjinio  sur  la  science  du 
commerce,  que  l'on  appela  bientôt  économie  d'État, 
économie  civile,  économie  publique,  économie  politique, 
économie  nationale.  Forbonnais  en  France,  Steuart  en 
Angleterre,  Justi  en  Allemagne,  Sonnenfels  en  Autriche, 
Gejiovesi  en  Italie,  l'ont  fait  avec  un  certain  succès.  Ces 
œuvres  ont  été  cependant,  avec  raison,  oubliées,  parce 
que,  au  moment  même  où  paraissaient  ces  travaux 
de  compilation,  qui  sont  une  preuve  du  talent  et  de 
l'érudition  de  leurs  auteurs,  des  hommes  d'un  tout 
autre  mérite,  s'appuyant  sur  leurs  propres  observations 
et  sur  celles  d'autrui,  avaient  créé  un  système  scienti- 
fique qui,  rectifié  en  certaines  de  ses  parties,  complété 
sur  d'autres,  appuyé  sur  des  bases  plus  solides  et  dé- 
pouillé des  éléments  hétérogènes,  a  formé  ensuite  l'éco- 
nomie moderne. 

Le  premier   dans  l'ordre   des  temps,    mais   non  du 


248 


LA    REACTION    LIBERALE 


mérite,  est  Forbonnais  (1 722- 1800),  l'historien  des 
finances  françaises.  11  laisse  dans  l'ombre  Melon,  mais 
il  est  encore  partisan  de  la  balance  du  commerce,  des 
monopoles  et  des  prohibitions  qu'il  défend,  comme 
intendant  du  commerce,  dans  la  fameuse  controverse 
sur  les  toiles  peintes,  avec  Vincent  de  Gournay,  et  qui 
provoqua  un  brillant  écrit  de  Morellet  (1758).  Il  loue  en 
même  temps  le  libre  commerce  et  ne  méconnaît  pas  les 
abus  des  corporations,  mais  il  s'occupe,  avant  tout,  de 
l'importance  économique  du  luxe,  de  la  rapidité  de  la 
circulation  et  de  l'augmentation  de  la  population. 

Éléments  du  commerce.  1754.  Réimprimé  plusieurs 
fois.  Entièrement  refondu  dans  les  Principes  et 
observations  économiques,  1767. 

L'écossais  sir  James  Steuart  lui  est  de  beaucoup  supé- 
rieur, et  pour  l'étendue  de  ses  recherches,  et  pour  son 
érudition.  Il  expose  en  deux  gros  volumes  les  théories 
du  mercantilisme.  L'œuvre  de  Steuart,  d'abord  bien 
accueillie  en  Angleterre,  fut  complètement  oubliée 
après  la  publication  de  celle  de  Smith.  Ce  n'est  que  plus 
tard  qu'elle  a  été  louée  avec  exagération  par  quelques 
allemands  (d'abord  par  Hufeland  en  1807,  et  enfin  par 
Hasbach  en  1891),  qui  ont  fait  de  Steuart  un  précur- 
seur de  la  nouvelle  science,  dont  il  est  bien  plutôt  la 
négation.  Steuart  a  été  plus  exactement  apprécié  par 
Say,  Kautz,  Ingram,  et  il  a  trouvé  dans  Feilbogen  un 
critique  pénétrant  et  impartial,  qui  nous  permet  de  nous 
dispenser  de  la  lecture  ingrate  de  son  traité.  Il  a,  il  est 
vrai,  quelques  bonnes  idées  sur  la  population,  sur  les 
impôts,  sur  les  machines,  sur  l'influence  du  marché, 
sur  la  distribution  des  systèmes  de  culture,  etc.,  mais 
elles  sont  mêlées  aux  erreurs  les  plus  étranges,  et 
délayées  dans  des  di.s.sertations  fort  ennuyeuses,  comme 
la  dissertation  d'une  centaine  de  pages  sur  la  fabrication 


ET  l'éclectisme  249 

des  monnaies.  Quel  étrange  précurseur  de  Smith  ! 
C^est  un  apologiste  de  l'omnipotence  économique  de 
l'Etat  ;  il  veut  concilier  la  concurrence  avec  les  corpo- 
rations, et  il  est  partisan  de  la  liberté  des  banques 
pourvu  qu'elles  émettent  des  billets  inconvertibles.  Il 
faut  une  bonne  dose  de  pédantisme  pour  comparer  les 
physiocrates  et  Smith  avec  un  écrivain  qui  ne  sait  pas 
distinguer  l'argent  du  capital,  la  valeur  du  prix,  le 
salaire  du  profit. 

J.  Steuart,  An  inquiry  into  the  principles  of  political 
economy, elc.  London,  1767.  Deux  volumes.  Trad. 
en  français  (1789)  et  en  allemand  (1769-1772). 

S.  Feilbogen,  James  Steuart  uud  Adam  Smith  (In 
Zeitschr.  fur  die  ges.  Staatstuiss.,  1889.). 

L'abbé  Antoine  Genovesi  (1712-1760)  eut  plus  de 
succès,  parce  que  ses  leçons  lui  firent  en  Italie  un  bon 
nombre  de  disciples.  D'une  grande  érudition,  s'il  est 
inférieur  à  Steuart  pour  sa  connaissance  du  système 
monétaire  et  du  systène  financier,  il  lui  est  supérieur 
par  la  conciliation  qu'il  tenta  entre  les  vieilles  théories 
de  Child,  de  Temple,  de  Melon,  d'Ustariz,  d'Ulloa  et 
les  théories  plus  récentes  et  plus  libérales  de  Herbert  et 
de  Hume.  Les  Leçons  de  Genovesi  forment  plutôt  une 
collection  de  monographies  qu'un  véritable  traité,  et  les 
sujets  sont  rapprochés  par  le  voisinage  des  pages  plus 
que  par  celui  des  idées,  comme  l'a  dit  excellement 
Ferrara.  Ses  opinons,  ajoute  cet  auteur,  étaient  vieilles 
dès  leur  naissance,  et  si  c'est  là  un  jugement  un  peu 
sévère,  il  est  plus  proche  de  la  vérité  que  celui  de 
Bianchini  qui  compare  Genovesi  à  Smith.  Il  est  vrai 
cependant  que  Genovesi  est  le  plus  illustre  et  le  plus 
modéré  des  mercantilistes  italiens.  Il  a  su  mieux  que 
les  autres  combiner  le  protectionisme  industriel  avec  le 
protectionisme  agraire  ;  le  commerce  est  pour  lui,  non 


250  LA    RÉACTION    LIBÉRALE 

seulement  un  but,  mais  aussi  un  moyen,  pour  la  vente 
des  produits  des  autres  industries  ;  il  distingue  le  com- 
merce utile  (extraction  des  denrées  et  des  objets  manu- 
facturés et  introduction  des  matières  premières),  du 
commerce  nuisible  (exportation  des  matières  premières 
et  importation  des  marchandises  étrangères)  et  il  prouve 
que  le  premier  a  besoin  de  la  liberté  plus  que  de  la 
protection  et  que  le  second  doit  être  prohibé  ou  forte- 
ment enchaîné. 

Ant.  Genovesi,  Délie  lezioni  di  commercio  ossia  d'eco- 
nomia  civile.  Napoli,  1765.  Deux  volumes.  2*  édit. 
1768-1770.  Traduit  en  allemand  (1776)  et  en  espa- 
gnol (1785).  Résumé  par  Tomaso  Gibellini,  Ele- 
menli  di  ecoiiomia  civile.  Tormo,  1805).  (Voir  aussi 
G.  Racioppi,  Antonio  Genovesi.  Napoli,  1871). 

A  l'école  de  Genovesi  (cfr.  Gobbi,  La  concorrenza. 
estera,  1884,  pag.  139  et  suiv.)  appartiennent  les  napo- 
litains Fortunato  (1760),  Strongoli  (1783),  Yenturi 
(1798),  Zanon  d'Udine  (Lettere,  1756-1767),  Todeschi 
de  Ferrare  {Opère,  1784)  et  Marcello  Marchesini,  [Sag- 
gio  cVéconomia.  politica,.  Napoli  1793). 

Le  plus  important  des  caméralistes  allemands, 
Jean  Henri  Justi  (m.  1771),  professeur  au  Theresœum 
de  Vienne  (1750-1752)  et  ensuite  à  Gœttingue,  a  en- 
seigné, lui  aussi,  les  doctrimes  du  mercantilisme  et,  à 
ce  point  de  vue,  on  doit  le  mettre  un  peu  au-dessous  de 
Genovesi  et  de  Steuart.  Son  mérite  principal  est 
d'avoir  groupé  ses  théories  dans  un  ordre  systématique, 
d'avoir  distingué  l'économie  et  le  commerce  de  la 
science  de  la  police  (ou  de  l'administration),  dont  il  est 
le  père  ;  il  a  fait  des  recherches  personnelles  et  il  a 
mieux  élaboré  les  matériaux  déjà  recueillis  en  partie 
dans  le  Dictionnaire  de  la.  police  de  Delamare  (1526). 
Il  a  composé  le  premier  traité  des  finances  qui  contienne 


ET  l'éclectisme  251 

une  classification  rationnelle  des  dépenses  publiques, 
une  théorie  des  revenus  (trè.s  complète  pour  les  domaines 
et  les  régies),  absolument  insuffisante  pour  les  emprunts 
publics,  et  un  essai  de  coordination  des  principes  fon- 
damentaux des  impôts,  avec  certains  développements 
sur  les  impôts  directs  (impôt  territorial,  industriel  et 
personnel  par  classes)  et  sur  les  impôts  indirects,  et  en 
particulier  sur  les  droits  dédouanes,  qui  sont  pour  lui, 
au  point  de  vue  économique,  les  brides  dont  se  sertie 
gouvernement  pour  guider  les  industries  de  la  façon 
la  plus  conforme  au  bonheur  des  peuples. 

Joh.  H.  G.  von  Justi,  Staatsicirthschaft,  odor  systema- 
tische  Abhandiuny  aller  Oekonomischen  und  Came- 
ral-Wissenschaften.  Leipzig,  1755.  Deux  volumes. 
2*  édit.  1758.  —  System  des  Finanzwesens.  Halle, 
il66.—Polizei-Wissenschaft,il6D.  (Cfr.  Deutsch. 
J.  H.  G.  von  Justi,  in  Zeiischr.  fur  die  ges.  Staats- 
ifiss,  Tiibingen,  1889  ;  et  en  parLiculier  G.  Mar- 
chât, Studien  ïiber  die  Eniwickelung  der  Vcrical- 
tungslehre  in  Deutschland.  Munchen,  1885. 

Le  baron  Joseph  de  Sonnenfels  (1733-1817)  occupe 
en  Autriche  une  position  analogue  à  celle  de  Justi  en 
Allemagne.  11  est,  lui  aussi,  un  mercantiliste  ;  il  est 
plus  libéral  que  Justi  dans  ses  attaques  contre  les  en- 
traves annonaires  et  féodales,  mais  il  n'a  pas  su  comme 
lui  présenter  ses  théories  dans  un  ordre  systématique. 
Il  a  sur  la  question  de  la  population  une  théorie  ori- 
ginale ;  il  y  voit  le  grand  principe  de  la  politique  écono- 
mique et  financière,  et  ainsi  l'ancienne  règle  de  la 
balance  du  commerce  se  trouve  complètement  modi- 
fiée, parce  que  Sonnenfels  ne  défend  pas  la  balance 
numérique  (qui  se  règle  en  argent)  mais  la  balance 
des  profits,  qui  permet  d'occuper  dans  l'industrie  le 
plus  grand  nombre  d'individus. 

Vingt-cinq  ans  avant  Sonnenfels,  Jean  Pierre  Siiss- 


252  LA    RÉACTION    LIBÉRALE    ET   l'ÉCLEGTISME 

milch,  qui  avait,  en  se  servant  des  travaux  des  arithmé- 
ticiens politiques  (Graunt,  Petty,  Halley,  Kerseboom, 
etc.)  fondé  la  théorie  statistique  de  la  population,  pro- 
fessait les  mêmes  principes  sur  la  politique  économique 
{Die  gôttliche  Ordnung  in  den  Veranderungen  des 
menschlichen  Geschlechts.  .1742.  2^  édit.,  1761.)  Le 
livre  de  Sonnenfels  fut  prescrit  comme  ouvrage  obliga- 
toire dans  les  universités  autrichiennes  jusqu'en  1846, 
et  un  professeur  d'Agram  a  même  considéré  comme 
nécessaire  de  réfuter  en  1831  l'antique  principe  de  la 
population. 

Jos.  V.  Sonnenfels,  Grundz'àize  der  Polizel,  der  Hand- 
lung  und  der  Finanz.  Wien,  1765.  Trois  volumes. 
Huitième  édition,  1819-1822. 

Joh.  Henfner,  Iniroductio  in  œconomiam  nationalein. 
Agram,  1831. 


CHAPITRE   VI 
LES  PRÉCURSEURS  DE  LA  SCIENCE 


Les  auteurs  dont  nous  avons  parlé  dans  le  chapitre 
précédent  ne  s'élèvent  pas  au-dessus  du  niveau  des 
opinions  courantes  ;  ils  se  contentent  de  les  ordonner 
en  sections  et  en  chapitres  dans  des  œuvres  qui  n'ont 
que  l'apparence  scientifique,  et  qui  ne  sont  que  l'ex- 
pression de  la  législation  économique  et  financière  en 
vigueur.  Cependant,  d'autres  auteurs  contemporains, 
ou  même  plus  anciens,  ont  déjà  découvert  les  germes 
plus  ou  moins  développés  des  théories  nouvelles  qui 
vont  se  fondre  dans  le  système  de  Quesnay  ou  qui  four- 
niront des  matériaux  précieux  à  la  science  de  Smith. 

Ces  éléments,  de  valeur  très  inégale,  sont  dus  à  des 
économistes,  à  des  jurisconsultes,  à  des  politiques  et  à 
des  philosophes,  pour  la  plupart  écossais ,  anglais  et 
français.  Ils  se  rapportent,  en  général,  à  la  théorie  de 
la  production  et  de  la  distribution  des  richesses,  mais 
ils  se  rattachent  aussi  parfois  aux  principes  fondamen- 
taux de  la  science  et  de  l'art  économiques.  Les  anciennes 
théories  du  commerce,  de  la  circulation,  de  la  politique 
agraire  et  industrielle,  commerciale  et  financière,  ont 
été  ainsi  augmentées,  corrigées  et  en  partie  aussi  dé- 
molies. 

Nous  allons  essayer,  vestigia  deserere  awsi,  de  les 
classer  et  de  faire  une  critique  sommaire  des  doctrines 
de  ces  précurseurs  de  la  science  ;   ils   sont  beaucoup 


254  LES   PRÉCURSEURS 

ignorés  et  souvent  aussi  appréciés  avec  peu  d'impartia- 
lité et  d'exactitude. 


.Ç    1.    —   LA    PRODUCTION    ET    LA    DISTRIBUTION. 

On  discutait  depuis  des  siècles  sur  l'importance  ab- 
solue et  relative  des  différentes  industries,  et  on  pro- 
posait des  moyens  pour  les  protéger  toutes  ou  pour  en 
favoriser  quelques-unes  aux  dépens  des  autres,  mais 
on  ne  s'élevait  pas  d'ordinaire,  si  ce  n'est  incidemment, 
à  l'idée  de  l'unité  de  l'industrie  et  on  ne  recherchait  pas 
les  éléments  dç  la  production  ;  personne  n'avait  énuméré 
les  causes  de  ses  progrès  et  tous  ignoraient  les  formes 
que  revêt  son  organisme.  On  avait  cependant  quelque- 
fois, mais  de  façon  superficielle,  parlé  des  avantages 
de  la  concurrence,  même  les  écrivains  les  plus  résolu- 
ment favorables  aux  restrictions  de  toute  sorte  les 
avaient  quelquefois  signalés  ;  l'antiquité  même  avait 
reconnu  ceux  de  la  division  du  travail  ;  la  littérature 
scolastique  du  xv^  siècle  avait  entrevu  la  théorie  du 
capital  ;  quelques  écrivains  du  xvi^  et  du  xvii*  siècle 
ont  entrevu  la  loi  des  revenus  décroissants;  enfin, 
au  xviii^  siècle,  on  trouve  des  adversaires  (Montesquieu, 
Sonnenfels)  et  des  partisans  (Bielfeld,  Steuart)  de  l'em- 
ploi des  machines. 

La  recherche  fondamentale  des  éléments  de  la  pro- 
duction a  ses  premiers  et  ses  meilleurs  représentants  en 
Angleterre;  ce  sont  deux  écrivains  justement  célèbres, 
à  ce  titre  et  à  d'autres  plus  importants  encore  (Petty  et 
Locke),  et  un  écrivain  plus  obscur  (Asgill),  déterré  pour 
ainsi  dire  par  Dugald  Stewart  et  par  quelques  autres 
érudits  de  notre  époque. 

William  Petty  (16231687)  est  un  des  plus  illustres 
précurseurs  de  la  statistique  investigatrice,  et  un  ad- 
versaire de  la  plupart  des  doctrines  des  mercantilistes, 


DE    LA    SCIENCE  255 

sinon  de  toutes.  Il  a  été,  avec  Locke,  un  des  premiers 
partisans  du  type  monétaire  unique  et  un  des  plus  an- 
ciens adversaires  des  lois  restrictives  de  l'intérêt.  Il  a 
professé  que  le  travail  est  le  père,  c'est-à-dire  le  principe 
actif,  et  la  terre,  la  mère  de  la  richesse  ;  il  a  distingué 
dans  la  population  deux  classes  :  la  classe  productive 
et  la  classe  improductive,  selon  qu'elles  contribuent 
ou  non  à  la  production  des  objets  utiles  et  matériels  ; 
il  a  défini,  enfin,  la  rente  comme  l'excédent  du  prix 
des  denrées  agricoles  sur  leur  coût  de  production. 

Quantulumcumque  or  atract  conccrning  money,  1682.  — 
Political  anaioiny  of  Ireland.  1691.  — A  ircatise  on 
taxes  and  contributions.  1662.  Dernière  édition, 
1769.  —  Several  essays  in  political  arithmetick,  1699. 

Cfr.  W.  L.  Bevan,  sir  William  Petly.  Canterbury,  1893. 

Le  célèbre  philosophe  et  politique  Jean  Locke  (1632- 
1704)  doit  être  considéré  comme  un  mercantiliste  ;  il  a 
même  donné  une  forme  systématique  aux  erreurs  de 
ce  système,  mais  il  a  le  mérite  d'avoir  perfectionné 
quelques  doctrines  spéciales,  comme  celle  de  la  pro- 
priété, qu'il  fait  dériver  du  travail,  celle  de  la  monnaie, 
dont  il  combat  (contre  Lowndes  et  Barbon)  les  altéra- 
tions ,  bien  qu'il  exagère  l'importance  de  la  quantité 
de  la  monnaie  et  qu'il  n'apprécie  pas  avec  exactitude 
les  causes  de  sa  valeur.  Il  insiste  sur  la  puissance  pro- 
ductive du  travail,  alors  que  Hobbes,  longtemps  aupa- 
ravant, avait  compté,  parmi  les  éléments  de  la  produc- 
tion même,  la  terre  et  l'épargne. 

John  Locke,  Two  treaiises  on  government.  1690.— Some 
considérations  of  the  conséquences  of  the  lowering 
ofinterest,  etc.,  1691.  —  Further  considérations,  etc. 
1698.  Trad.  ital.  (de  G.  Fr.  Pagnini).  Firenze, 
1751.  Deux  vol.  —  Woi-ks,  1835.  Neuf  volumes. 

Thom.  Hobbes.  De  cive,  1642.  —  Leviathan,  1651. 


256  LES    PRÉCURSEURS 

Enfin  le  dernier  des  écrivains  cités,  qui  est  un  parti- 
san des  banques  territoriales,  parle  clairement  de  la 
terre  comme  de  l'unique  source  de  toute  richesse. 

John  Asgill,  Several  assertions -proved  in  order  to  create 
anothtr  species  ofmoney,  etc.  1698. 

Il  faut  noter  que  presque  tous  les  écrivains  consi- 
dèrent que  l'augmentation  de  la  population  est,  dans 
tous  les  cas.  désirable  ;  que  les  salaires  tendent  à  se 
rapprocher  du  prix  des  denrées  indispensables  à  l'entre- 
tien des  ouvriers  et  qu'ils  ne  peuvent  par  conséquent 
supporter  le  poids  des  impôts  directs  ;  que  l'augmenta- 
tion de  la  rente  territoriale  et  la  diminution  du  taux  de 
l'intérêt  sont  des  symptômes  de  progrès  économique.  Il 
existe  cependant  sur  ce  dernier  point  d'importantes 
divergences  entre  les  écrivains,  selon  qu'ils  confondent 
ou  non  l'argent  avec  le  capital. 

Le  plus  grand  nombre  des  partisans  du  mercanti- 
lisme, et  parmi  eux  quelques-uns  des  plus  modérés, 
comme  Culpeper  (1641)  et  Child  (1668),  pensaient  que 
le  taux  peu  élevé  de  l'intérêt  est  la  cause  de  l'abon- 
dance de  la  monnaie  et  ils  en  demandaient  la  réduc- 
tion. Ils  invoquaient  surtout  la  prospérité  de  la  Hol- 
lande. D'autres,  au  contraire,  soutenaient  (Petty,  Locke 
et  même  Montesquieu  et  Vincent  de  Gournay),  que  le 
faible  taux  de  l'intérêt  est  l'effet  et  non  la  cause  de 
l'abondance  de  la  monnaie  ;  aussi  étaient-ils  des  adver- 
saires de  la  fixation  légale  de  l'intérêt.  Le  premier  qui 
soutint  cette  opinion,  c'est  l'auteur  anonyme  d'un  inté- 
ressant opuscule  intitulé  Interest  of  money  mistaken 
(1668).  D'autres  écrivains  enfin,  après  avoir  réfuté  l'opi- 
nion générale  qui  confondait  le  capital  avec  la  monnaie, 
démontrèrent  que  le  taux  de  l'intérêt  est  complètement 
indépendant  de  la  quantité  de  la  monnaie.  Bauer  a  dé- 


DE    LA    SCIENCE  257 

montré  que  le  mérite  de  cette  démonstration  appartient 
à  Nicolas  Barbon  (.4  discourse  of  tracle,  1690)  et  non 
à  Massie  {Essay  on  the  governing  causes  of  the  na- 
tural  rate  of  inter est,  1750)  ni  à  Hume  (1755),  auxquels 
on  attribue  d'ordinaire  cette  théorie. 

Stepli.  Bauer,  Xicholas  Barbon  lin  Jahrbûchcr  fiir  Xaf. 
Oek.  N.  F.  Ban  cl  XXI,  1890). 


§    ?. LA    VALEUR    ET    l'iMPÔT. 

La  théorie  de  la  valeur  avait  été  étudiée  par  les  sco- 
lastiques  qui  se  proposaient  de  déterminer  le  juste  prix, 
et  plus  tard,  incidemment,  par  tous  les  écrivains  qui 
se  sont  occupés  de  la  monnaie.  Vers  le  milieu  du  siècle 
passé,  elle  était  arrivée  à  un  tel  degré  de  développe- 
ment que,  dans  les  œuvres  de  quelques-uns  des  meil- 
leurs économistes,  nous  trouvons  déjà  exposées,  d'une 
façon  plus  ou  moins  concise,  les  théories  de  l'utilité, 
du  coût  de  production,  de  l'offre  et  de  la  demande,  et 
leurs  diverses  modifications  et  combinaisons.  Nous  in- 
diquerons quelques-uns  des  représentants  de  chacune 
de  ces  théories  et  nous  renverrons  pour  des  renseigne- 
ments plus  complets  aux  excellentes  monographies  de 
Loria,  de  Graziani,  de  Montanari  et  de  Zuckerkandl. 

Ach.'Loria,  La  ieoria  ciel  valore  negli  economisli  ita- 

liani.  (In  Archivio  giuridico,  Bologna,  1882). 
Aug.  Graziani,  Sioria  critica  délia  ieoria  ciel  valore  ir 

Italia.  Milano,  1889. 
A.  Montanari,  Coniribulo  alla  sioria  ciel  valore  negli 

scriitori  italiani.  Milano,  1889. 
R.  Zuckerkandl,  Zur  Théorie  des  Preises,  etc.  Leipzig, 

1889. 

L'influence  de  la  rareté  sur  la  valeur  avait  été  notée 

17 


258  LES    PRÉCURSEURS 

par  Davanzati  et  mieux  encore  par  Geminiano  Monta- 
nari.  Barbon  (1690)  en  a  fait  une  analyse  plus  correcte  ; 
on  peut  le  considérer,  avec  Galiani  [Delta,  moneta,  1750), 
qui  est  encore  plus  explicite,  comme  un  précurseur  de 
la  théorie  moderne  de  l'utilité  finale  ou  de  l'utililé- 
limite.  Dans  la  même  année,  un  anonyme  toscan  (Fab- 
brini),  qui  a  été  commenté  par  Montanari  et  copié  par 
Franzi  (1769),  considérait  comme  éléments  de  la  valeur 
l'utilité  des  choses  et  la  difïiculté  de  se  les  procurer 
[DelU  indole  e  qualitk  naturali  e  civili  délia  moneta. 
Rome,  1750).  Petty,  au  contraire,  enseitçnait  dans  son 
traité  des  impôts  (1662)  que  la  valeur  d'une  chose  dé- 
pend du  travail  dépensé  dans  sa  production  et  qu'elle 
est  mesurée  par  la  durée  de  ce  travail,  tandis  que  Locke 
(1690),  qui  voit,  lui  aussi,  dans  le  travail  le  fondement 
de  la  valeur,  le  détermine  en  ayant  éiçard  plutôt  à  sa 
quantité  qu'à  sa  durée.  Enfin  Grotius,  Puffendorf,  WollT. 
Barbeirac,  et  quelques  autres,  estiment  c|ue les  dépenses 
de  production  sont  le  point  auquel  tend  la  valeur  nor- 
male, vers  lequel  gravite  la  valeur  courarxte  qui  sul)it 
des  oscillations  continues  d'après  le  changement  des 
conditions  du  marché. 

L'étude  des  phénomènes  de  l'incidence  et  de  la 
répercussion  des  impôts,  corollaires  de  la  loi  delà  valeur, 
mais  aussi  critérium  essentiel  d'un  bon  système  d'im- 
pôts, a  été  un  autre  élément  de  progrès  pour  l'écono- 
mie. Tout  le  mérite  de  ces  recherches  revient  aux  éco- 
nomistes anglais,  c'est-à-dire  à  l'auteur  anonyme  de 
l'opuscule  intitulé  :  Reasons  fora  llniited  exportation 
of  wool  (1677),  que  Mac  Culloch  a  retrouvé,  et  plus  en- 
core à  Locke  (1691)  et  à  Vanderlint,  qui  sont  d'accord 
pour  penser  que  tous  les  impôts  se  répercutent  sur  la 
rente  territoriale. 

Locke  enseigne  que,  dans  un  état  essentiellement 
agricole,  presque  tout  le  poids  des  impôts  pèse  sur  les 


DE    LA    SCIENCE  259 

propriétaires  et  il  en  déduit  la  nécessité  d  un  impôt  uni- 
que sur  les  terres,  qui  sera  avantageux  aux  contribua- 
bles eux-mêmes  en  épargnant  les  dépenses  de  percep- 
tion. Il  est  complètement  inutile  d'essayer  de  faire  con- 
courir aux  charges  de  l'État  les  commerçants,  qui 
augmenteraient  les  prix,  les  locataires,  qui  diminue- 
raient les  loyers  dûs  au  propriétaire,  et  les  ouvriers, 
qui  obtiendraient  une  augmentation  correspondante  de 
leurs  salaires. 

W.  vonOclienkowski,  John  Loche  ah  XationalœUonom. 
In  Jahrbûcher  fur  National  Oekonomie.  18"  année, 
1880,  pp.  i3i-476. 

Une  théorie  identique  a  été  exposée  avec  plus  de 
profondeur  par  Jacques  Vanderlint(iUone7/  a,ns\vers  ail 
fliings.  London,  1734  ,  qui  est  partisan  de  l'impôt  uni- 
que, parce  que  la  terre  est  la  source  unique  des 
richesses. 

G.  Ricca-Salerno,  Le  doitrine  finanziarie  in  Inghiltcnn . 
Bologna,  1888,  pag.  23  et  suiv. 


,§  3.  L-V    LIBERTÉ    ABSOLUE    DU    COMMERCE 

Les  théories  restrictives,  qui  ont  dominé  pendant 
des  siècles  la  politique  économique,  avaient  déjà  subi 
de  profondes  modifications  grâce  à  l'introduction  d'un 
régime  de  liberté  partielle  appliqué  au  commerce  des 
grains  sous  l'influence  des  idées  de  Boisguilbert,  et  à  la 
disparition  graduelle  des  monopoles  et  des  autres  en- 
traves au  libre  exercice  des  industries  à  l'intérieur. 

D'autres  écrivains  portaient  des  coups  plus  décisifs 
au  système  mercantile  et  au  système  protecteur,  qui  lui 
avait  succédé,  en  s'en  prenant  à  leurs  principes  fonda- 


260  LES   PRÉCURSEURS 

mentaux  et  en  proclamant  la  liberté  absolue  du  com- 
merce intérieur  et  du  commerce  extérieur. 

Il  ne  s'agit  ni  des  applications  partielles  des  princi- 
pes du  libre  échange,  dont  on  a  des  exemples  remar- 
quables, quoique  temporaires,  dans  la  politique  écono- 
mique de  Florence  au  cours  de  la  dernière  partie  du 
moyen  âge,  ni  des  tentatives  pour  l'instaurer  à  ^'enise, 
ni  du  système  relativement  libéral  des  Pays-Bas,  réfor- 
mes qui  trouvent  au  xvi*"  et  au  xvii"  siècles  des  défenseurs 
théoriques  dans  Sassetti,  Giogalli,  Pierre  de  la  Court 
(ch.  V,§  2),  qui  tous  s'inspirent  de  considérations  fondées 
sur  l'intérêt  exclusif  de  la  classe  commerçante. 

Pohlmann,  Die  Wirthschaftspolilik  der  floreniiner  Re- 
naissance, und  das  Princip  der  Verkehrsfreiheit . 
Leipzig,  1878. 

Filippo  Sassetti,  Ragionamento  sopra  il  coinmercio  fra 
i  Toscani  e  i  Levaniini,  1577.  (Publié  dans  ses 
Lettere. édite  ed  inédite.  Firenze,  1855.) 

Scrittura  inedita'di  Simone  GiogaUi,  negozianLe  ve- 
neto  del  secoloXVII.  Venezia,  1856. 

Il  ne  s'agit  pas  non  plus  des  glorifications  indétermi- 
nées du  libre  échange,  comme  celles  de  Emeric  de 
Ld.croix  [Le  nouveau  Cy née,  1623),  ni  de  propositions 
inspirées  par  l'intérêt  de  régions  spéciales,  comme 
celles  de  Albert  Struzzi  {Dialogo  sobre  el  comercio  de 
ostos  reynos  de  Castilla,  1622,  page  17)  et  de  Diego 
Joseph  Dormer  {Discursos  historicos  politicos,  1684) 
cités  par  Colmeiro,  ni  d'autres  projets  partiels,  cir- 
conscrits, par  exemple,  à  l'introduction  de  ports 
francs,  demandés  en  Angleterre,  comme  l'atteste  un 
écrit  anonyme  cité  par  Bauer  [Free  ports,  the  nature 
and  necessitie  of  them  stated,  1652). 

L.  Cessa,  Lateoria  del  libero  scambio  nel  secolo  decimo- 
settiino,  1873.  (Aussi  in  Saggi  di  Economia  poli- 
tica.  Milano,  1878,  pp.  39-64). 


DE    LA    SCIENCE  261 

Les  discussions  qui  eurent  lieu  au  sujet  de  l'acte  de 
navigation  de  1651,  combattu  par  quelques  mercanti- 
listes,  et  notamment  par  l'auteur  anonyme  de  Britannia 
languens  (1680),  et  défendu  au  contraire,  pour  des 
raisons  politiques,  par  des  écrivains  très  libéraux, 
comme  l'était  l'auteur  des  très  importantes  Considéra- 
tions on  the  East  India  trade  (1702),  conduisirent  à 
un  examen  plus  approfondi  de  tout  le  système  restrictif. 
Ce  système  fut  réfuté  dans  ses  bases  théoriques  par 
Nicolas  Barbon  (A  discourse  of  trade,  1690),  qui  dé- 
montre que  l'importation  des  marchandises  étrangères 
provoque  nécessairement  l'exportation  des  produits  na- 
tionaux, théorie  qui  étonne  chez  un  auteur  favorable  non 
seulement  aux  droits  compensateurs,  mais  même  à  la 
fixation  légale  de  l'intérêt  et  aux  altérations  monétaires. 

La  démonstration  explicite  des  avantages  du  libre 
échange  est  due  à  un  économiste  anglais  et  à  un  écono- 
miste français  qui  ont  écrit  à  un  demi  siècle  d'inter- 
valle l'un  de  l'autre  et  qui  ont  étudié  ce  problème  non 
plus  à  un  point  de  vue  particulier  et  national,  mais  au 
point  de  vue  général  et  cosmopolite. 

Sir  Dudley  North,  dont  l'importance  a  été  signalée 
par  Roscher  et  plus  encore  par  Janschull  (Le  libre 
échange  anglais,  vol.  I,  Moscou,  1876,  pp.  97-112), 
qualifie  le  mercantilisme  d^aberration  politique.  Il 
part  de  cette  idée  que  la  monnaie  est  une  marchandise 
qui  se  distribue  naturellement  entre  les  différentes 
nations  selon  leurs  besoins  respectifs,  manifestés  par 
le  mouvement  des  prix,  et  il  s'appuie  en  outre  sur 
la  solidarité  des  intérêts  entre  les  différentes  classes 
sociales,  comme  entre  lés  différents  États,  pour  procla- 
mer que  la  liberté  industrielle  et  commerciale  absolue 
est  l'unique  moyen  d'arriver  à  la  richesse. 

Sir  Dudley  North,  Discourses  upon  trade.  London,  1691  • 


262  LES  précurseurs] 

(Réimprimé  à  un  petit  nombre  d'exemplaires  à 
Edimbourg,  1822  et  à  Londres,  1846  . 

Une  importance  éji^ale  doit  être  attribuée  au  paladin 
franc-ais  de  la  liberté  économique,  le  marquis  Fiené  Voyer 
d'Argenson  (1094-1757).  Il  est  l'auteur  d'ouvrages  poli- 
tiques et  d'écrits  économiques,  inédits  pendant  plus 
d'un  siècle,  et  d'un  très  important  article  publié  en 
1751  dans  le  Journal  Œconomique  pour  réfuter  la 
Dissertazione  sul  coinmercio  de  Belloni,  que  défen- 
daient les  rédacteurs  de  ce  journal.  D'Argenson.  dont 
les  doctrines  ont  été  récemment  exposées  par  Oncken 
ÇDie  Maxime  laissez  faire,  etc.  Bern,  1886,  pp.  55-80) 
est  l'auteur  de  la  maxime  ne  pas  trop  gouverner  et 
du  fameux  laissez  faire,  considéré  comme  le  grand 
principe  de  la  politique  économique.  Pour  lui  le  pas- 
sage des  marchandises  d'un  Etat  dans  un  autre  devrait 
être  libre,  comme  Tair  et  l'eau  ;  toute  l'Europe  ne  de- 
vrait être  qu'une  seule  foire  ;  laliberté  constitue  Téqua- 
tion,  la  police,  la  balance  du  commerce  ;  laissez  faire, 
rnorhleUj  laissez  faire  ! 

Anonyme,  Lettre  à  l'auteur  (Belloni  .  In  Journal  (Eco- 
nomique. Avril  1751.  Réimprimé  avec  la  réponse 
dans  la  Collection  de  Custodi.  P.  Nov,  tom.  II 
pp.  133-153  . 

Mémoires  et  Journal  inédit  du  marquis  d'Argcnson,  etc. 
Paris,  J858, 


,^'  4.   —  l'école  écossaise 

Un  autre  groupe  d  écrivains  a  contribué,  d'une 
façon  différente  et  jusqu'ici  peu  remarquée,  aux  pro- 
grès de  l'économie,  moins  par  la  qualité  des  doctrines 
qu'ils  ont  professées  que  par  la  façon  dont  ils  les  ont 
enchaînées,  en  les  introduisant  dans   l'enseignement 


DE    LA.    SCIENCE  263 

d'une  science  qui  avait  déjà  plus  d'un  siècle  d'exis- 
tence. On  doit  à  ces  écrivains  la  première  tentative  de 
réduire  en  système  les  principes  de  la  circulation  et 
en  partie  aussi  ceux  de  la  distribution  des  richesses. 
C'est  un  point  sur  lequel  nous  avions  appelé  l'attention 
dès  1876  et  qui  a  été  éclairci  par  Hasbach  dans  deux 
excellentes  et  érudites  monographies,  et  par  Bonar 
dans  un  ouvrage  magistral. 

W.  Hasbach.  Die philosophischen  Grundlagen  der  von 

F.  Quesnay  uvd  Ad  Smiih  begrùndelen  polUischen 

Oekonomie.  Leipzig,  1890.  —  Uittersuclumfjenûber 

Adam  Smith  und  die  Entwicklung  der  poUlischen 

■    Oekonomie.  Leipzig,  1891. 

James  Bonar,  Philosophy  and  polilical  economy,  etc, 
1893. 

Tandis  que  dans  les  écoles  on  maintenait  la  division 
de  la  philosophie  pratique  (faite  nar  les  anciens  Grecs), 
en  trois  parties,  l'éthique,  la  politique  et  l'économie, 
entendue  dans  le  sens  d'économie  privée,  (que  Morhof, 
Thomasius  et  d'autres  en  Allemagne  désiraient  voir 
enseignée  par  des  professeurs  spéciaux),  les  créateurs  de 
la  nouvelle  science  du  droit  naturel,  c'est-à-dire  Gro- 
tius  (De  jure  belliac  pacis,  1638),  Puffendorf  (De  offi- 
cio  hominis  etcivis,  1672.  Trad.  en  français  par  Bar- 
beyrac,  1728)  et  leur  prolixe  continuateur  Wolff  f Jus 
naturx,  1741-49. —  Institutiones, etc.,  1750)  dévelop- 
paient dans  un  ou  deux  chapitres  de  leurs  œuvres  les 
théories  de  la  valeur,  du  prix,  de  la  monnaie,  des  sa- 
laires et  de  l'intérêt,  dont  ils  s'occupaient  à  l'occasion  de 
la  recherche  des  principes  de  l'égalité  et  de  la  jus- 
tice dans  les  contrats.  11  faut  remarquer  cependant  que 
l'étude  économico-juridique  de  la  valeur,  de  la  mon- 
naie et  des  contrats,  ce  que  Hasbach  n'a  pas  formelle- 
ment indiqué,  commence  avec  les  théologiens  et  Iss 


264  LES   PRÉCURSEURS 

canonistes  du  moyen-âge  ;  ils  se  sont  occupés,  en  effet, 
du  juste  prix  et  de  l'équité  contractuelle  et  ils  ont  dis- 
tingué les  pactes  licites  des  pactes  viciés  par  l'usura- 
ricipravitas.  Aussi  serait-il  fort  intéressant  de  rechercher 
dans  les  théologiens  précurseurs  de  Grotius,  que  con- 
naissent bien  les  historiens  du  droit,  les  modifications 
que  la  doctrine  de  la  justice  absolue  dans  les  contrats 
devait  subir  en  devenant  une  partie  du  droit  naturel. 

Ces  théories  encore  imparfaites  et  professées  (cela  est 
important  à  relever)  par  des  écrivains  allemands  imbus 
des  maximes  du  système  mercantile  n'auraient  pu  être 
d'aucune  utilité  pour  notre  science  si  elles  n'avaient  été 
transportées  dans  l'atmosphère,  économiquement  plus 
respirable,  d'un  pays,  où,  petit  à  petit,  des  hommes 
d'une  toute  autre  envergure  que  les  caméralistes  alle- 
mands avaient  déjà  développé  et  ordonné  beaucoup 
mieux  ce  système  encore  embryonnaire.  Ce  lut  la  tâche 
de  l'école  de  la  philosophie  écossaise  dont  le  chef, 
François  Hutcheson,  qui  professa,  de  1730  à  1746,  la 
philosophie  morale  à  l'Université  de  Glasgow,  eut  pour 
élève  Adam  Smith.  Hutcheson  utilisa  pour  son  ensei- 
gnement l'ouvrage  de  Puffendorf,  qui  avait  été  traduit 
en  anglais  par  son  prédécesseur  Carmichsel  (1718).  Il 
conserve,  mais  en  lui  faisant  une  place  plus  large  avec 
des  matériaux  anglais,  la  partie  économique,  et  il  cor- 
rige la  philosophie  avec  les  principes  de  Schaftesbury, 
et  la  politique  avec  les  doctrines  libérales  de  Locke, 
qu'il  substitue  à  l'absolutisme  de  Hobbes.  Hutcheson 
divisait  son  cours  (comme  plus  tard  Smith)  en  théologie 
naturelle,  éthique,  jurisprudence  (qui  comprenait  l'é- 
conomie) et  politique.  Longtemps  après,  Adam  Fer- 
guson,  professeur  à  Edimbourg,  qui  survécut  à  Smith, 
modifia  l'ordre  des  matières,  en  séparant  l'économie 
de  la  jurisprudence,  et  en  subdivisant  la  politique  en 
political  law,  qui  traite  des  national  institutions,  et 


D"E    LA    SCIENCE  265 

en  public  opconomy,   qui  s'occupe    des  national  re- 
sources  (people,  wealth,  revenue). 

F.  Hutcheson,  Philosophiae  moralis  inslitutio  compen- 
diaria,  etc.  Rotterdam,  1745.  —  System  of  moral 
philosophy,  1755  (posthume). 

Ad.  Ferguson,  Institutes  of  moral  philosophy.  2<=  édit. 
Edinburgh,1773. —  Principles  of  poUtlcal  and  mo- 
ral sciences,  1792. 

Hutcheson,  malgré  ses  idées  sur  la  liberté  naturelle 
et  les  droits  innés,  est  un  partisan  décidé  du  mercanti- 
lisme. Ce  qui  est  digne  d'être  noté,  c'est  la  façon  systé- 
matique dont  il  a  traité  des  théories  de  la  valeur,  du 
prix,  du  commerce,  des  monnaies  et  de  l'intérêt,  sans 
parler  de  ses  idées  sur  le  travail  comme  principal 
élément  productif,  et  sur  la  mesure  de  la  valeur  ;  sur 
ces  derniers  points  il  avait  pour  prédécesseurs  Petty  et 
Locke.  L'influence  que  Hutcheson  a  exercée  sur 
Smith  a  été  devinée  par  Cousin,  et  il  est  facile  de  le 
constater  si  l'on  compare  la  façon  dont  tous  deux  com- 
mencent l'analyse  des  phénomènes  économiques. 


§    5.    —   LES   PRÉCURSEURS  IMMÉDIATS 

Les  vérités  fondamentales  de  la  science  et  les  règles 
de  l'art  économique  ont  été  très  convenablement  éla- 
borées par  deux  écrivains  dont  le  premier  (Cantillon) 
doit  être  étudié  en  relation  avec  Quesnay,  et  le  second 
(Hume)  en  relation  avec  Smith. 

Richard  Cantillon,  dont  se  sont  occupés  récemment 
Jcvons  et  Higgs,  fut  un  banquier  très  expert.  H  est  né 
en  Angleterre  d'une  famille  irlandaise  ;  il  a  longterafps 
vécu  à  Paris  où  il  a  été  en  relation  d'affaires  avec  haw. 
Il  est  mort  assassiné  à  Londres  en  1734.  Son  Essai  sur 


266  LES    PRÉCURSEURS 

la  nature  du  commerce  a  été  composé  après  1730;  il 
n'a  été  publié  qu'en  1755.  Il  a  circulé  en  manuscrit  et  il 
a  été  connu  par  Mirabeau,  qui  s'en  est  servi  largement 
pour  le  premier  volume  de  son  Ami  des  homynes  (1756). 
Il  a  été  loué  par  Quesnay,  Smith,  Condillac,  copié 
presque  à  la  lettre  par  M.  Postlethwayt  (Great  Bri- 
tain's  true  System,  etc.,  1757)  et  suivi  fidèlement  dans 
la  première  partie  du  livre  de  Harris  [Essay  upon  mo- 
ncy  and  coins.  London,  1757-1758),  qui  ne  le  cite  pas 
davantage. 

Essai  sur  la  nature  du  commerce  en  général.  Traduit 
de  Tanglais  (traduction  supposée).  Londres  (Pa- 
ris) 1755.  Réimprimé  dans  le  3"  volume  de  la 
traduction  française  des  Discours  'politiques  de 
Hume  faite  par  De  Mauvillon  (Amsterdam,  1755). 
Traduit  et  mutilé,  sous  le  faux  nom  de  Philippe 
Cantillon,  sous  le  Wlve  Analy sis  of  trade  (London, 
1759).  Traduction  italienne.  Venise,  1767.  (Le  textfr 
français  a  été  réimprimé  avec  soin  par  le  pro- 
fesseur Dunbar.  Boston,  1892). 

U Essai  de  Cantillon,  que  Jevons  considère  comme  le 
premier  traité  systématique,  le  berceau  véritable  de  l'é- 
conomie politique,  est  divisé  en  trois  parties.  Dans  la  pre- 
mière il  parle  du  travail  et  de  la  terre,  comme  éléments  de 
la  production,  et  de  leur  proportion  (d'après  Petty)  ;  de 
la  théorie  de  la  valeur  normale  et  de  la  valeur  cou- 
rante, de  la  population,  des  métaux  précieux,  consi- 
dérés comme  la  meilleure  matière  monétaire  ;  ses  dé- 
monstrations sont  faites  avec  une  précision  et  une 
clarté  remarquables.  Dans  les  chapitres  VII  et  VIII  on 
trouve  en  germe  la  doctrine  de  Smith  sur  les  causes  delà 
différence  des  salaires  dans  les  différentes  profe.ssions, 
et  dans  le  chapitre  XII  celle  de  Quesnay  sur  la  dépen- 
dance qu'il  y  a  entre  les  différentes  classes  sociales  et 
les  propriétaires.  Dans  la   seconde  partie,  qui  est   un 


DE    LA    SCIENCE  267 

petit  traité  sur  la  monnaie,  il  faut  signaler  particulière- 
ment son  étude  sur  les  causes  de  la  différence  des  prix 
dans  les  grandes  villes  et  dans  les  campagnes,  et  son 
étude  des  effets  que  produit  sur  les  salaires  et  sur  le  prix 
des  marchandises  la  découverte  de  nouvelles  mines 
d'or  et  d'argent  (ce  sujet  a  été  étudié  de  nos  jours  par 
Cairnes  dans  deux  excellents  essais).  La  troisième  con- 
tient une  théorie  des  paiements  internationaux  et  une 
analyse  des  spéculations  sur  le  cours  des  changes,  qui, 
au  dire  de  .levons,  pourrait  sembler  être  un  extrait  de 
l'œuvre  classique  de  Goschen. 

W.  S.  Jevons,  R.  Coniilloa  and  ihe  naiionalily  of  Po- 

liiiral  Economy  (In  Contemporary  Beview.  Janvier, 

1881). 
H.  Higgs.    R.  C'intillon  iThe  Economie  Journal.  Vol.  l. 

juin  1891). 
St.  Bauer,  v°  Contillon  (dans  la  2«  parLie  du  Dictianon/ 

(if  poltticni  Economy  de  R.    H.   Inglis   Palgrave. 

London,  I892j. 
H.  Higgs,  CantiUon's  place  in  économies  (In  Quarierty 

Journal  of  économies.  Boston,  juillet  1892). 

Les  questions  économiques,  étudiées  d'ordinaire 
dans  des  opuscules  de  circonstance  ou  dans  des  ouvrages 
sur  les  sciences  philo.sophiques  et  juridiques,  commen- 
cèrent, vers  le  milieu  du  xviii^  siècle,  à  éveiller  un  inté- 
rêt beaucoup  plus  grand  et  plus  général  après  que  quel- 
ques écrivains  les  eurent  considérées  au  point  de  vue 
politique,  comme  le  fît  Montesquieu  [Esprit  des  lois, 
17'i8-i9),  qui  étudia  les  institutions  financières  dans 
leurs  relations  avec  les  formes  de  gouvernement,  ou  dans 
leurs  rapports  avec  le  progrès  de  la  civilisation.  Bien 
que  ces  écrivains  ne  soient  pas  tous  dégagés  de  la  théorie 
mercantiliste,  ils  lui  portèrent  de  rudes  coups. Le  préjugé 
vulgaire  de  la  .suprématie  de  l'argent  a  été  combattu  par 
le  philosophe  Berkeley  [The  Querist,  1735-1 737),  à  l'aide 


268  LES   PRÉCURSEURS 

de  quelques  questions  habilement  posées,  mais  il  est 
grand  partisan  du  papier  monnaie  ;  par  Mathieu  Decker 
{An  essay  on  the  décline  of  the  foreign  trade,  1744) 
et  mieux  encore  par  Josias  Tucker  (m.  1799)  dans  plu- 
sieurs écrits  sur  des  sujets  spéciaux  C-^dvsintages  and 
disadvantages  of  France  and  Great  Britain  1750. 
—  Four  tracts,  1754).  dont  un  {Reflections  on  the  na- 
turalisation of  foreign 'protestants,  1755)  a  été  traduit 
par  Turgot  sous  un  autre  titre.  Mais  c'est  David  Hume 
{1711-1756)  qui  attira  plus  que  tous  les  autres,  par  sa 
célébrité  comme  historien  et  comme  philosophe,  par 
l'exquise  élégance  de  son  style,  l'attention  publique  sur 
les  controverses  de  l'économie  politique.  Il  a  été  tenu 
en  haute  estime  par  Adam  Smith  qui,  déjà  initié  aux 
recherches  économiques  par  Hutcheson,  dut  subir  l'in- 
fluence des  idées  plus  avancées  de  son  ami  lorsqu'il  fut 
chargé  de  l'enseignement  de  la  philosophie  morale. 

Il  est  assez  difficile  de  porter  un  jugement  exact  sur 
la  place  qui  revient  à  Hume.  Certainement  il  n'a  pas 
fonde  l'économie  politique,  comme  l'ont  prétendu  ses 
biographes  Walckenaër  et  Burton.  Quelques  criti- 
ques peu  impartiaux  l'ont  préféré  à  Smith  (lord  Brou- 
gham,  Skarzinski),  d'autres  (Diihring)  l'ont  mis  sur  la 
même  ligne  ;  Feilbogen  a  montré  ses  erreurs  dans  un 
excellent  travail,  le  meilleur  qui  ait  été  écrit  sur  ce  su- 
jet. Si  on  les  compare  au  petit  ouvrage,  systématique  et 
techniquement  profond,  de  Cantillon,  les  Essais  de 
Hume,  publiés  sous  le  titre  significatif  de  Political 
Discourses  en  1752,  et  complétés  en  1753,  manquent 
évidemment  d'unité  et  de  cohérence  ;  ils  parlent  des 
théories  de  la  population,  du  luxe,  de  la  circulation 
(commerce,  monnaie,  intérêt,  balance  du  commerce, 
jalousie  dans  le  trafic)  et  des  finances  (impôts  et  dette  pu- 
blique), mais  ils  ne  disent  rien  du  capital,  de  la  valeur,  du 
salaire,  etc.  Ils  sont  inspirés  par  des  principes  libéraux, 


DE   LA   SCIENCE  269 

par  un  amour  ardent  du  progrès,  mais  ils  énoncent, 
souvent  sous  une  forme  dubitative  et  mêlées  à  quelques 
paradoxes,  des  vérités  déjà  démontrées  par  d'autres  et 
d'une  façon  plus  satisfaisante  à  l'aide  d'arguments  pure- 
ment économiques,  tandis  que  l'objet  principal  de  Hume 
est  évidemment  de  combattre  les  préjugés  populaires 
et  de  démontrer  l'influence  du  commerce  sur  la  civili- 
sation. Il  faut  noter  que  les  Essais  de  Hume,  connus  et 
exaltés  même  par  les  économistes  de  profession,  ne  suf- 
firent pas  à  les  persuader  de  leurs  erreurs,  qui  ne  leur 
parurent  pas  réfutées  par  des  arguments  assez  persua- 
sifs. L'allemand  Darjes,  l'italien  Genovesi,  l'écossais 
Steuart,  étudient  Hume  et  restent  mercantilistes.  Tur- 
got,  lui-même,  admire  Hume,  mais  il  croit  le  commerce 
stérile. 

D.  Hume,  Political  discourses.  London,  1752.  —  Essays 
and  Ireaiises  on  several  subiects.  1753.  (Traduits  à 
plusieurs  reprises  en  français,  en  italien,  en  al- 
lemand, etc.). 

S.  Feilbogen,  Smith  und  Hume  (In  Zeitschrift  fur 
die  ges.  Siaalsiviss.  26"  année.  1890.  pp.  695-716). 


CHAPITRE  VII 
LE  SYSTÈME   PHYSIOGRATIQUE 


Le  mérite  insigne  d'avoir  créé  un  système  scienti- 
fique d'économie  politique,  ou  mieux  de  droit  philoso- 
phique social,  considéré  principalement  au  point  de  vue 
économique,  c'est-à-dire  un  système  déduit  d'un  petit 
nombre  de  principes  et  parfaitement  homogène,  qui  em- 
brasse l'économie  pure  et  la  politique  économique  et 
financière,  appartient,  sans  .doute  aucun,  à  un  homme 
de  génie,  François  Quesnay,  le  chef  de  l'école  qui  sest 
appelée  d'abord,  par  antonomase,  l'école  des  économistes 
et  qui,  après  1768,  prit  le  nom  de  physiocratique  parce- 
qu'elle  croyait  à  l'empire  des  lois  naturelles.  Ce  sys- 
tème, bien  qu'il  ait  été  esquissé  en  partie  par  Cantillon 
et  qu'il  soit  composé  d'éléments  fournis  par  Boisguil- 
bert,  Petty,  Locke,  Vanderlint,  doit  être  considéré 
comme  nouveau,  parce  que  son  auteur  aélhninéde  nom- 
breuses contradictions  et  l'a  enrichi  d'analyses  origi- 
nales sur  le  capital,  le  produit  brut  et  le  produit  net,  et 
sur  les  rapports  entre  la  population  et  les  subsistances. 
L'histoire  de  la  physiucratie,  et  celle  des  nombreux 
ouvrages  dans  lesquels  ce  système  se  trouve  exposé, 
commenté,  combattu  et  défendu,  présente  par  consé- 
quent un  grand  intérêt.  Elle  a  été  faite,  pour  partie,  dans 
plusieurs  monographies,  qui  ne  sont  pas  toujours  im- 
partiales et  qui  ne  donnent  pas  une  connaissance  suffi- 
santes des  sources,  dont  beaucoup  sont  encore  iné- 
dites. 


272  LE    SYSTÈME 

Notice  abrégée  des  différents  écrits  modernes  sur  la 
science  de  l'économie  politique.  In  Ephémérides  du 
citoyen,  eic.  Paris,  1769  (Matériaux  abondants, 
mais  pas  toujours  sûrs). 

Un  choix  des  meilleurs  ouvrages  de  l'école  physio- 
cratique  a  été  fait  par  E.  Daire  dans  la  Collection  des 
principaux  économistes  (Paris,  1846,  2  volumes),  et 
par  F.  Ferrara  dans  la  Biblioteca  aelV  Economista, 
(vol.  I.  Torino,  1850),  avec  de  bonnes  notes  biogra- 
phiques et  critiques.  Daire  est  toutefois  un  juge  trop 
bienveillant,  et  Ferrara  un  juge  trop  sévère. 

G.  Kellner,  Zur  Geschichte  des  Physiocraiismus.  Gôttin- 
gen, 1847. 

Jos.  Garnier,  W  Physiocrates,  dans  le  vol.  II.  (1853) 
du  Dictionnaire  de  r Economie  politique  de  Coque- 
lin. 

L.  de  Lavergne,  Les  économistes  français  du  xvni^ 
siècle.  Paris,  1870  (Élégantes  biographies). 

G.  Schelle,  Du  Pont  de  Nemours  et  l'école  physiocra- 
tique.  Paris,  1888.  (Contient  beaucoup  de  notices 
intéressantes  sur  l'histoire  externe  du  système). 


§  1.  —  L'école  de  Quesnay. 

François  Quesnay  (1694-1774)  était  le  fils  d^un  avocat 
propriétaire  foncier,  et  il  fut  lui-même  un  agriculteur 
passionné.  Il  exerça. la  médecine  et  écrivit  une  œuvre 
remarquée  sur  la  physiologie  ;  appelé  à  Versailles,  il 
devint  le  médecin  de  Louis  XV  et  de  madame  de  Pompa- 
dour,  qui  le  protégea  particulièrement.  Etranger  aux 
intrigues  de  cour  et  tout  entier  à  l'étude,  il  écrivit  pour 
V Encyclopédie  de  Diderot  et  d'Alembert  les  deux  ar- 
ticles fermiers  (1756)  et  grains  (1757),  qui  contiennent 
les  germes  de  son  système,  et  il  en  composa  d'autres, 
hommes  (récemment  découvert  par  Bauer),  intérêt  de 


PHYSIOGRATIQUE  273 

Vargent  et  impôts  jusqu'ici  inédits,  qu'il  avait  repris 
lorsque  V Encyclopédie ,  prohibée  parle  gouvernement, 
était  devenue  une  publication  clandestine.  Le  fameux 
Tableau  économique  a  été  imprimé  mais  non  publié 
en  1758.  Dans  sa  première  comme  dans  sa  seconde 
édition,  fort  modifiée,  de  trois  exemplaires  seulement 
(dont  un  a  été  découvert  également  par  Bauer),  il  contient 
un  tableau  numérique  qui  décrit  la  circulation  et  la  dis- 
tribution des  richesses  entre  les  différentes  classes  socia- 
les, accompagné  de  quelques  commentaires  (Extrait 
des  Economies  royales  de  M.  de  Sully),  qui  ont  été 
ensuite  développés  sous  le  titre  de  Maximes  générales 
du  gouvernement  économique  cVun  royaume  agricole 
et  insérés  dans  la  Philosophie  rurale  de  Mirabeau 
(1763).  Il  écrivit  aussi  d'autres  opuscules,  le  Problème 
économiciue  et  le  Second  problème  économique,  le 
Droit  naturel  {il^S),  qui  fait  connaître  ses  idées  philo- 
sophico-juridiques^  et  enfin  les  Dialogues  sur  le  com- 
merce et  les  travaux  des  artisans,  dans  lesquels  il  dé- 
fend ses  doctrines  et  fait  mieux  connaître  sa  méthode. 

Phijsiocratie,  etc,  recueil  publié  par  Du  Pont.  Leyde  et 
Paris,  1767-1768.  2  volumes.  (Réimprimé  à  Yver- 
don,  1768.  6  volumes.) 

Fr.  Quesnay.  Œuvres  économiques  et  philosophiques 
avec  une  introduction  et  des  notes  par  Auguste 
Oncken.  FrankfurL  a  M.,  1888  (Edition  préléra- 
ble  à  celles  de  Du  Pont  et  de  Daire  et  enrichie  de 
notes).  —  D'aulres  ouvrages  et  des  lettres  de 
Quesnay  seront  prochainement  publiées  par 
Bauer,  qui  en  a  publié  un  compte  rendu  dans  les 
Jahrbùcher  fur  Nat.  Oekonomie .  N.  F.  vol.  XXI. 
août  1890. 

Le  plus  ancien  et  le  plus  fervent  disciple  de  Quesnay 
a  été  le  marquis  Victor  de  Mirabeau,  auteur  de  nom- 
breux ouvrages,  écrits  dans  un  style  prolixe  et  dccla- 

18 


274  LE    SYSTÈME 

matoire.  Dans  les  premières  parties  de  son  Ami  des 
hommes  ou  traité  de  la  jjopulation  (Avignon,  1756), 
il  soutenait  l'ancienne  doctrine  sur  la  population  et 
faisait  l'apologie  de  la  petite  culture,  qui  occupe  un  plus 
grand  nombre  de  paysans.  Converti  à  la  pliysiocratie, 
il  publia  d'autres  volumes,  commenta  le  sybillin  Ta- 
bleau économique  {il QO),  dont  Bandeau  (1770)  donna 
plus  tard  une  meilleure  explication  ;  il  écrivit  ensuite 
la  Théorie  de  Vimpôt  (1760),  qui  fournit,  avec  un  mé- 
moire de  Saint-Péravy  [Mémoires  sur  les  effets  de 
l'impôt  indirect,  1768),  un  bon  résumé  des  doctrines 
financières  du  maître  ;  plus  tard  les  Economiques  (1769) 
et  enfin  la  Philosophie  rurale  ou  économie  générale 
et  politique  de  l'agriculture  (1763),  qui  est  son  meil- 
leur ouvrage. 

Après  lui,  par  l'ancienneté  et  par  son  zèle  à  faire 
connaître  le  système ,  vient  Pierre  Samuel  Du  Pont 
(1739-1817),  le  dernier  survivant  de  l'école,  qu'il  dé- 
fendit contre  Say  qui,  comme  Smith  et  beaucoup  d'autres 
(y  compris  Turgot),  l'appelait  une  secte  à  cause  de 
l'inflexibilité  avec  laquelle  les  élèves  défendaient  les 
opinions  du  maître.  Du  Pont  a  le  mérite  d'avoir  com- 
battu, (il  y  fallait  un  certain  courage),  les  assignats  et 
d'avoir  contribué  aux  sages  réformes  financières  de 
l'Assemblée  constituante,  dans  laquelle  on  lui  donna 
le  nom  de  Nemours  pour  le  distinguer  d'un  homonyme. 
Ami  de  Turgot,  il  l'a  soutenu  dans  ses  réformes  ;  il  fut 
collaborateur  et  directeur  des  deux  revues  physiocra- 
tiques,  \eJournalde  l'agriculture,  du  commerce  et  des 
finances  (1765-1766),  et  les  Ephémérides  du  citoyen 
(1766  etsuiv.).  dans  lesquelles  il  publia  un  très  grand 
nombre  d'articles,  écrits  parfois  un  peu  à  la  légère. 
Schelle  a  parlé  de  ses  œuvres  dans  la  monographie 
que  nous  avons  citée  plus  haut. 

Les  meilleurs  interprètes  de  la  pliysiocratie  ont  été. 


PHYSIOCRATIQUE  275 

sans  aucun  doute,  Mercier  de  la  Rivière,  Baudeau  et 
Letrosne,  sans  parler  des  disciples  de  moindre  impor- 
tance, Abeille,  Condorcet,  Bosnier  de  FOrme,  Bigot  de 
Sainte-Croix,  Chastellux,  l'abbé  Morellet,  c|ui  (avec 
Mercier  et  Baudeau)  délendit  contre  Galiani  la  liberté 
absolue  du  commerce  des  blés,  etc.,  etc. 

Mercier  de  la  Rivière,  intendant  à  la  Martinique,  est 
l'auteur  d'un  ouvrage  que  Smith  (il  est  inexact  que  ce 
.soit,  comme  il  le  dit,  un  petit  ouvrage),  considère 
comme  le  meilleur  exposé  de  la  physiocratie.  En  réalité, 
si  on  le  lit  en  entier  dans  ses  quarante-quatre  chapitres 
(et  non  dans  les  dix-huit  reproduits  par  Daire)  on  y 
trouve  une  analyse  fidèle  de  la  partie  philo.sophique  du 
système  et  un  exposé  des  idées  politiques  de  ceux  de 
ses  partisans  qui  créèrent  la  fameuse  doctrine  du  des- 
potisme légal,  que  d'autres  (comme  Turgot  et  Du  Pont) 
ont  nettement  repou.ssée  . 

Mercier  de  la  Rivière.  V ordre  naturel  et  essenliei  des 
sociétés  politiques,  l'aris,  1767.  A  été  l'occasion  de 
la  fameuse  satire  de  Voltaire  (qui  d'ailleurs  avait 
beaucoup  de  respect  pour  Quesnay  et  admirait 
Turgot)  intitulée  :  Llwmme  aux  quarante  écus. 

Nous  devons  à  l'abbé  Beaudeau,  d'abord  adversaire, 
puis  un  partisan  ardent  de  la  physiocratie,  beaucoup 
d'articles  intéressants  dans  les  Ephémérides  du  ci- 
toyen et  un  résumé  des  doctrines  de  Quesnay,  préférable 
à  ceux  de  Mirabeau,  de  Du  Pont  et  de  Mercier,  pour  sa 
clarté,  sa  méthode  et  quelques  développements  origi- 
naux. 

Abbé  N.  Baudeau,  Première  introduction  à  la  philoso- 
phie économique  ou  analyse  des  états  policés.  Paris, 
1771. 

Il  faut  citer  encore  Letro,sne,  l'auteur  d'une  réponse 


276  LE    SYSTÈME 

quelquefois  peu  heureuse,  à  l'œuvre  mémorable  (1776) 
dans  laquelle  Condillac  réfutait  la  doctrine  de  l'impro- 
ductivité des  manufactures  et  du  commerce.  Dans  le  livre 
de  Letrosne  (De  l'ordre  social,  1777),  il  faut  signaler  la 
seconde  partie  (Z>e  ri72feréisoc/aZ),  qui  contient  quelques 
bonnes  observations  sur  la  monnaie  et  sur  la  circula- 
tion. 


^'  '> 


—    TURGOT 


Anne-Robert-Jacques  Turgot,  baron  de  l'Aulne, 
(1727-1781),  longtemps  intendant  à  Limoges  et,  pen- 
dant près  de  deux  ans  (1774-1776),  ministre  de 
Louis  XVI,  est  aussi  célèbre  pour  ses  ouvrages  que  pour 
ses  sages  réformes.  Il  s'efforça  de  réorganiser  les  finan- 
ces et  de  débarrasser  l'agriculture,  les  manufactures 
et  le  commerce  des  entraves  séculaires  qui  les  oppri- 
maient ;  ces  réformes  furent  bientôt  après  rapportées. 
Le  ministre  tomba,  victime  de  la  faiblesse  du  roi,  des 
intrigues  de  la  cour,  de  l'opposition  des  classes  privi- 
légiées et  en  partie  aussi  parce  qu'il  s'était  trop  hâté  et 
qu'il  avait  imprudemment  négligé  les  tempéraments 
nécessaires  à  l'introduction  sans  secousses  d'un  nouvel 
ordre  de  choses  (Foncin,  Essai  sur  le  ministère  de 
Turgot.  Paris,  1887). 

Comme  économiste,  Turgot  mérite  une  place-  à  part 
pour  la  variété  et  la  solidité  de  ses  connaissances  et 
pour  la  multiplicité  des  sujets  qu'il  a  discutés  dans  ses 
œuvres  et  dans  ses  mémoires  officiels.  Ses  œuvres  ont 
été  recueillis  par  Du  Pont  [Œuvres  de  Turgot  1809- 
1811,  9  volumes)  et  par  Eug.  Daire(1844,  2  volumes).  La 
sobriété,  l'ordre  et  la  clarté  de  son  exposition,  Texcel- 
lence  de  sa  méthode,  sa  répugnance  à  suivre  en  tout 
et  pour  tout  les  opinions  du  maître,  ne  permettent  pas 
de  ne  voir   dans  Turgot   qu'un  disciple  de  Quesnay, 


PHYSIOGRATIQUE  277 

bien  qu'il  professe  au  fond  les  mêmes  doctrines,  et  qu'il 
ne  se  soit  pas  dégagé  (comme  on  l'a  parfois  prétendu  à 
tort)  des  erreurs  de  l'école,  dont  il  ne  voulait  pas  être 
considéré  comme  un  partisan.  L'étude  de  ses  œuvres 
est  facilitée  par  de  nombreuses  monographies,  de  va- 
leur différente,  écrites  parfois  dans  des  vues  apologé- 
tiques. 

'A.  Batbie,  Turgot  philosophe,  économiste  et  administra- 
teur. Paris,  1861. 

A.  Mastier,  Turgot,  sa  vie  et  sa  doctrine.  Paris,  1861. 

Tissot,  Turgot,  sa  vie,  son  administration  et  ses  ou- 
vrages. Paris,  1862. 

H.  v.  Scheel,  Turgot  als  Nationcdœkonom  (In  Zeitchr. 
fur  die  ges.  Staatswiss.  de  Tubingen,  24"  année. 
1868,  pp.  243-270). 

Fr.  v.  Sivers,  TurgoVs  Stellung  in  der  Geschichie  der 
Nationalôkonomie  {InJahrb.  fur  Nat.  Œk.  d'Hiide- 
debrand.  Jena,  1874,  pp.  145-208j. 

A.  Neymarck,  Turgot  et  ses  doctrines.  Paris,  1885.  2 
volumes. 

L.  Say,  Turgot.  Paris,  1887. 

P.  Feilbogen,  Smith  und  Turgot.  Wien,  1893. 

Parmi  ses  travaux  sur  des  sujets  spéciaux,  il  faut 
citer  sa  lettre  à  l'abbé  Cicé  sur  le  papier  monnaie  (1749) 
dans  laquelle,  à  peine  âgé  de  20  ans,  il  combat  les 
sophismes  de  Terrasson,  disciple  de  Law  ;  le  fragment 
valeur  et  monnaies  (1770),  destiné  au.  Dictionnaire  du 
commerce  de  son  ami  Morellet;  le  très  célèbre  mémoire 
sur  les  -prêts  d'argent  (1769)  ;  son  mémoire  sur  les 
mines  et  carrières  (1770)  ;  ses  lettres  brillantes  sur 
la  liberté  du  commerce  des  grains  (1770),  qui  sont 
un  véritable  chef  d'œuvre  ;  enfin  ses  nombreux  écrits 
sur  V impôt,  et  ses  rapports  officiels  sur  la  perception 
de  la  taille,  qui  lui  donnèrent  l'oecasion  de  parler  du 
capital,  des  salaires,  de  la  rente,  des  emprunts 
publics,  etc. 


278  LE   SYSTÈME 

Les  Réflexions  sur  la  formation  et  la  distribution 
des  richesses,  écrites  en  1766,  et  publiées  à  la  fin  de 
l'année  1769,  dans  les  Ephéinérides  du  citoyen  avec  des 
modifications  arbitraires  de  Du  Pont,  supprimées  seu- 
lement dans  quelques  unes  des  éditions  postérieures, 
doivent  être  considérées  comme  une  explication  claire 
et  élégante  des  doctrines  des  physiocrates,  mais  elles 
marquent  aussi  un  progrès  notable  dans  l'histoire  de 
la  science,  parce  que  Turgot  a  su  séparer  l'étude  de 
l'économie  de  celle  du  droit,  séparation  qui  n'existe  pas 
dans  les  ouvrages  de  Mirabeau,  de  Mercier,  de  Beau- 
deau,  etc.  ;  il  a  ainsi  composé  le  premier  traité  scien- 
tifique d'économie  sociale  et  il  a  adopté,  comme  l'indique 
le  titre,  la  classification  qui  a  été  plus  tard  adoptée. 

Il  recherche  la  genèse  historique  et  rationnelle  des 
faits  économiques,  et  il  voit  dans  la  distribution  inégale 
de  la  propriété  foncière  la  cause  principale  du  progrès 
économique.  En  mettant  en  contact  par  l'échange  les 
diverses  économies  individuelles,  elle  oblige  ceux  qui  ne 
possèdent  pas  de  terre  à  vendre  des  produits  et  à  rendre 
des  services  aux  propriétaires  dont  ils  cultivent  les  fonds, 
et  cela  en  parcourant  les  cinq  stades  de  l'esclavage,  de 
la  servitude,  du  vasselage,  du  colonat  et  du  fermage. 
La  nécessité  de  l'échange  est  l'origine  de  la  valeur 
estimative  et  objective,  mesurée  par  la  monnaie,  c'est- 
à-dire  par  la  forme  la  plus  commune  du  capital,  dont  il 
examine  les  diverses  fonctions  dans  leurs  rapports  avec 
l'industrie.  11  explique  les  rapports  économiques  entre 
les  propriétaires,  les  cultivateurs,  les  artisans,  les  com- 
merçants et  les  protessions  libérales,  en  appréciant 
leurs  services,  directs  et  indirects,  et  en  déterminant 
les  parts  qu'ils  reçoivent  dans  la  distribution.  Il  s'arrête 
spécialement  à  rechercher  la  nature  de  l'intérêt  du 
capital  ;  il  est  partisan  de  la  liberté  de  l'intérêt  et  il  la 
justifie   par  cette    raison    que   l'emprunteur,    avec   la 


PHYSIOCRATIQUE  279 

somme  prêtée,  peut  acheter  un  fond  qui  peut  lui  donner 
un  profit,  qu'il  doit  partager  avec  le  prêteur.  Ces  fines 
analyses  purement  économiques  et  leur  enchaînement 
.savant  marquent  le  passage  de  Quesnay  à  Smith  et 
constituent  le  mérite  principal  de  Turgot  qui,  cepen- 
dant, est  inférieur  à  Tun  et  à  l'autre  en  orisfinalité. 


§    3.    LES    BASES    DU    SYSTEME 

Les  théories  des  physiocrates  forment  un  système  de 
droit  public  économique,  combiné  avec  une  analyse  de 
la  production  et  de  la  distribution  des  richesses,  d'où  ils 
déduisent,  avec  une  logique  parfaite,  quelques  pré- 
ceptes de  politique  économique  et  financière. 

Le  droit  économique  de  Quesnay  a  son  fondement 
dans  le  concept  d'un  ordre  naturel,  qui  se  rattache, 
bien  que  d'une  façon  un  peu  extrinsèque,  à  la  philo- 
sophie de  Malebranche  [Traité  de  la.  morale,  i6(S4),cité 
comme  une  autorité  dans  la  préface  de  la  Philosophie 
rurale  de  Mirabeau,  et  il  est  en  pleine  harmonie  avec 
les  théories  alors  courantes  sur  la  félicité  de  l'état  de 
nature,  plus  tard  vicié  par  les  institutions  humaines. 
Par  là,  Quesnay  donne  la  main  à  Rousseau,  sans  ac- 
cepter cependant  la  doctrine  du  contrat  social  et  celle 
de  la  souveraineté  du  peuple.  D'ailleurs,  le  système  de 
Quesnay  diffère  de  celui  de  Grotius,  Puffendorf  et  Hut- 
cheson,  ([ui  développent  leurs  idées  économiques  dans 
un  ou  deux  chapitres  de  la  théorie  des  contrats  synal- 
lagmatiques,  comprise  dans  le  droit  privé,  tandis  que  les 
physiocrates  étudient  le  droit  de  propriété  et  la  liberté 
du  travail  et  du  commerce  presque  toujours  dans  leurs 
rapports  avec  le  droit  public.  L'ordre  naturel  est,  pour 
l'école  de  Quesnay,  un  complexus  de  lois  (au  sens  juri- 
dique du  mot)  qui,  par  la  volonté    divine,  gouvernent 


280 


LE    SYSTEME 


le  monde  et  forment  une  espèce  de  code  éternel  et  uni- 
versel, dont  les  dispositions  sont  gravées,  d'une  façon 
(''vidente,  dans  la  conscience  de  chacun,  et  doivent 
être  respectées  par  les  lois  positives  qui,  selon  Du  Pont, 
ne  sont  que  de  simples  actes  déclaratifs  des  lois  natu- 
relles, conséquences  nécessaires  des  besoins  de 
l'homme,  de  la  diversité  de  leurs  aptitudes  et  de  la  né- 
cessité d'appliquer  les  capitaux  à  la  terre. 

L'analyse  de  la  production  (territoriale)  qui  se  ratta- 
che à  la  théorie  de  la  distribution  du  produit  net 
(expliquée  avec  des  chiffres  hypothétiques  dans  le 
Tableau  économique),  débute  par  une  classification 
originale  des  capitaux,  qui  comprennent  les  «  avances 
primitives  »,  c'est-à-dire  le  capital  fixe  (outils,  bestiaux), 
et  les  «  avances  annuelles  »,  c'est-à-dire  le  capital  cir- 
culant (semences,  engrais)  du  cultivateur.  Le  résidu 
qu'on  obtient  en  déduisant  du  produit  brut  les  dépenses 
de  culture  (reprises),  qui  comprennent  aussi  les  gains 
des  producteurs  (fermiers,  métayers,  salariés),  constitue 
le  «  produit  net  »,  c'est-à-dire  l'augmentation  annuelle 
de  la  richesse  nationale,  qui  sert  aux  besoins  de  l'Etat  et 
à  l'augmentation  du  capital.  Au  point  de  vue  écono- 
mique, la  société  se  compose  de  trois  classes,  celle  des 
producteurs,  qui  exercent,  pour  leur  compte  ou  celui 
d'autrui,  l'industrie  territoriale  (agraire  ou  extractive)  ; 
la  classe  stérile  (que  Turgot  appelle  la  classe  stipendiée), 
constituée  par  les  commerçants  qui  transportent,  et  par 
les  artisans  qui  transforment  la  richesse,  mais  n'en  aug- 
mentent pas  la  quantité  (Letrosne),  et  par  les  professions 
libérales,  qui  rendent  elles  aussi  des  services  utiles  et 
quelquefois  nécessaires,  mais  n'accroissent  pas  le  pro- 
duit net  (Quesnay  et  Turgot),  parce  que  la  valeur 
ajoutée  aux  matières  premières  correspond  à  celle  qui 
est  consommée  (outils,  matières  auxiliaires,  salaires) 
dans  la  production  ;  enfin  la  classe  des  propriétaires 


1 


PHYSrOCRATrOUE  281 

(appelée  la  classe  disponible  par  Turgot),  qui  vit  sans 
travailler  et  reçoit  le  produit  net  comme  compensation 
des  capitaux  incorporés  dans  le  sol. 

La  politique  économique  des  physiocrates  est  très 
simple  et  de  caractère  négatif,  parce  qu'elle  se  résume 
dans  l'aphorisme  laissez  faire,  laissez  X)àsser,  c'est-à- 
dire  dans  la  liberté  illimitée,  qui  est  conforme  à  l'ordre 
naturel  ;  grâce  à  elle  chaque  producteur,  guidé  par  son 
intérêt  personnel,  contribue  à  la  prospérité  générale  sans 
qu'il  soit  besoin  d'aucune  ingérence  gouvernementale. 
Mais  l'école  de  Quesnay,  quand  elle  veut  montrer  les 
avantages  économiques  de  la  liberté  industrielle  et  com- 
merciale, se  sert  d'arguments  bien  différents  de  ceux 
des  libre-échangistes  modernes.  Elle  invoque  la  liberté 
parce  qu'elle  espère  que,  grâce  à  la  concurrence,  les  dé- 
penses delà  classe  productive  diminueront  et  que  le  pro- 
duit net  augmentera  :  elle  désire  le  bon  marché  des  mar- 
chandises, mais  cependant  le  haut  prix  des  denrées  agri- 
coles. L'action  de  l'Etat  étant  réduite  uniquement  à  la 
défense  sociale,  on  comprend  que  la  question  de  la  forme 
du  gouvernement  fût  secondaire  pour  les  physiocrates ,  et 
on  comprend  aussi  pourquoi  beaucoup  d'entre  eux  ont 
préféré  le  gouvernement  puissant  d'un  seul  à  celui  d'une 
assemblée,  parce  qu'ils  le  croyaient  plus  indépendant  et 
plus  porté  aux  réformes  nécessaires  pour  émanciper 
l'industrie  des  entraves  qui  l'enserraient. 

Ils  ont  accepté  et  développé  les  doctrines  de  Locke  et 
de  Vanderlint  quant  à  l'incidence  finale  des  impôts  sur  la 
rente  foncière,  ou  comme  ils  disaient  sur  le  produit  net, 
parce  qu'ils  croyaient  que  la  concurrence  avait  pour 
effet  nécessaire  la  réduction  des  salaires  et  des  profits 
à  un  minimum  non  imposable.  De  ce  point  de  départ 
ils  concluaient  logiquement  que  la  substitution  d'un 
impôt  unique  et  direct  sur  le  produit  net  aux  impôts 
multiples  était  conforme  à  l'intérêt  général  et  à  l'intérêt 


282  LE  SYSTÈME 

des  contribuables  eux-mêmes.  On  aurait  pu  ainsi 
diminuer  les  dépenses  de  perception  et  même  sup- 
primer les  inconvénients  de  répercussions  onéreuses  et 
inévitables . 

Le  système  physiocratique,  considéré  par  rapport  aux 
théories  empiriques  auxquelles  il  succédait,  présente 
un  tel  mélange  d'erreurs  et  de  vérités,  de  mérites  et  de 
défauts,  qu'il  a  rendu  malaisé  un  jugement  équitable, 
même  pour  ceux  qui  l'ont  examiné  objectivement.  Il  a, 
d'ailleurs,  été  condamné  quelquefois  comme  une  uto- 
pie absurde  ;  on  l'a  aussi  identiflé  en  tout  et  pour  tout 
avec  le  système  de  Smith,  qui  n'y  aurait  apporté  que 
des  modifications  sans  importance. 

Il  nous  semble  qu'on  ne  peut  refuser  à  l'école  de 
Quesnay-le  mérite  d'une  analyse  ingénieuse,  quoique 
pour  partie  fausse,  des  phénomènes  de  la  production  et 
de  la  distribution  en  général,  et  des  fonctions  du  capi- 
tal, bien  distinctes  de  celles  de  la  monnaie,  en  particu- 
lier, et  aussi  celui  d'avoir  mis  en  lumière  l'importance 
fondamentale  de  l'agriculture  et  d'avoir  porté  le  der- 
nier coup  à  la  théorie  de  la  toute  puissance  économique 
de  l'Etat,  en  demandant  la  liberté  du  travail  et  du  com- 
merce et  la  réforme  radicale  des  mauvais  systèmes  d'im- 
pôts alors  en  vigueur.  Il  est  vrai  cependant  que  le  sys- 
tème, irréprochable  au  point  de  vue  logique,  est  fondé 
sur  des  bases  juridiques  et  économiques  en  partie 
fausses  et  en  partie  inexactes,  et  sur  un  petit  reste  du 
mercantilisme  qu'il  combat  si  vigoureusement.  L'idée 
d'un  ordre  de  nature,  en  dehors  duquel  aucune  économie 
scientifique  n'est  possible,  était  transformée  par  les 
physiocrates  dans  l'hypothèse,  aussi  arbitraire  qu'ab- 
surde, de  l'existence  de  lois  applicables  à  tous  les  temps 
et  à  tous  les  lieux,  sans  tenir  compte  des  précédents 
historiques  et  du  degré  de  civilisation.  L'origine  du 
produit  net  était  attribuée  à  la  libéralité  de  la  nature, 


PHYSIOGRATIQUE  283 

alors  qu'elle  est  un  effet  de  la  limitation  et  des  inégalités 
dans  la  fertilité  et  dans  la  situation  des  terres.  La  dis- 
tinction en  travail  productif  et  travail  improductif,  et 
■entrelâ  rente  originaire  et  la  rente  dérivée  aurait  fait 
grand  honneur  à  l'école  de  Quesnay,  si  elle  ne 
l'avait  mal  appliquée  dans  sa  théorie  de  la  stérilité  des 
manufactures  et  du  commerce.  Cette  dernière  théorie 
■était,  pour  quelques-uns,  une  suite  de  cette  erreur  phy- 
sique qui  leur  faisait  croire  que  la  terre  est  productive 
■d'objets  nouveaux,  et,  pour  d'autres,  de  cette  erreur  éco- 
nomique de  l'identité,  affirmée  mais  non  démontrée, 
■des  valeurs  produites  et  des  valeurs  consommées  dans 
la  production,  pour  d'autres  enfin  de  cette  idée,  juste  en 
«Ile-même,  de  la  dépendance  de  l'industrie  manufactu- 
rière et  commerciale  vis-à-vis  de  l'industrie  agricole,  mais 
viciée  par  Tignorance  de  la  réciprocité  de  cette  dépen- 
dance. La  cause  principale,  et  insuffisamment  remarquée, 
<le  leur  erreur  fondamentale  consiste  à  avoir  identifié 
l'intérêt  général  avec  l'intérêt  particulier  des  différentes 
-classes,  et  à  avoir  par  conséquent  étudié  les  phénomènes 
■économiques  au  point  de  vue  des  intérêts  des  produc- 
teurs (réduits  pour  eux  aux  cultivateurs)  et  non  à  celui 
des  consommateurs,  sans  s'apercevoir,  par  exemple, 
que  le  bon  marché  des  denrées  agricoles  est  tout  aussi 
désirable  que  celui  des  autres  marchandises  et  qu'il 
ne  fallait  pas  comprendre  dans  les  dépenses  de  produc- 
tion (au  point  de  vue  social)  les  salaires,  les  profits,  les 
intérêts,  qui  sont  au  contraire  une  partie  de  la  rente, 
■d'où  peut  dériver,  non  moins  que  de  la  rente  foncière, 
le  produit  net,  parce  que  la  réduction  supposée  au 
minimum  indispensable  à  l'entretien  des  travailleurs  ne' 
ne  se  fait  pas  toujours.  Les  disciples  de  Quesnay  se 
trompent  gravement  quand  ils  font  du  laisser  faire  un 
■dogme  scientifique,  tandis  que  ce  n'est  qu'une  règle 
pratique,  sujette  à  de  nombreuses  exceptions,  néces- 


284  LE   SYSTÈME 

saires  pour  éliminer  les  collisions  très  fréquentes  entre 
les  intérêts  particuliers  et  l'intérêt  général.  Les  physio- 
crates  se  trompent  enfin,  même  en  faisant  abstraction 
de  son  impossibilité  d'application,  lorsqu'ils  demandent 
l'impôt  territorial  unique,  corollaire  légitime  de  leur 
théorie  de  la  répercussion  des  impôts,  fondée  sur 
riiypotbèse  fausse  de  l'impossibilité  de  frapper  les 
salaires  et  les  profits.  Pour  conclure,  nous  ferons  remar- 
quer que  l'école  de  Quesnay,  qui  a  bien  mérité  de  la 
science  et  de  la  pratique  pour  la  guerre  qu'elle  a  soute- 
nue contre  les  sophi^mes  du  mercantilisme  et  les  excès 
du  despotisme  économique,  est  tombée  dans  un  grand 
nombre  d'erreurs,  que  professent  de  nos  jours  encore 
les  optimistes,  et  que  l'on  s'obstine  parfois  à  considérer 
comme  indissolublement  unies  aux  théories  de  l'école 
de  Quesnay. 

Et.  Laspeyres,  Quesnay,  Turgot  und  die  Physiokra- 
ien  (In  Deutsches  Staaiswôrierbuch  de  Bluntschli 
etBraler.  Volume  viii,  1864,  pp.  445-455j. 

N.  G.  Pierson,  Het  Physiocmtisme  (In  De  Economist, 
1880).  Excellent  essai  critique. 

H.  Denis,  Des  origines  et  de  l'évolution  du  droit  écono- 
mique. La  Physiocratie.  (In  Philosophie  pjsilive  de 
Littré,  1880). 


§    4.    LA    PHYSIOCRATIE    A    l'ÉTRANGER 

Le  système  de  Quesnay,  qui  eut  en  France  ses  der- 
niers représentants  dans  le  marquis  Germain  Garnier 
CAbrégé  élémentaire  des  j^rincipes  de  l'économie 
jDolitique,  1796)  et  dans  Dutens  (Philosophie  de  Véco- 
nomie  j)olitique,  1835),  contemporains  de  Théodore 
Schmalz  (1760-1841)  et  de  Charles  Arnd  (Die  naturge- 
mUsse  Volkswirthschaft,  1845.  2^  édit.,  1851),  c'est- 
à-dire   des   derniers   physiocrates  allemands,    n'a   pas 


PHYSIOGRATIQUE  285 

trouvé  de  partisans  en  Angleterre.  Il  en  a  eu  quel- 
ques-uns de  second  ordre  dans  d'autres  pays  :  Stroj- 
nowski  en  Pologne,  le  prince  Galitzin  en  Russie  (1796) 
et  un  nombre  un  peu  plus  considérable  en  Allemagne 
et  en  Italie. 

Parmi  les  physiocrates  allemands,  nous  devons  signa- 
ler, en  dehors  de  Ftirstenau  et  de  Springer,  le  suisse  Isaac 
Iselin,  le  fondateur  du  périodique  Ephemeriden  der 
Menscheit  (1776-1782),  le  laborieux  J.  Aug.  Schlettwein 
(1731-1802),  auteur  d'un  résumé  [Grundfeste  der 
Staaten  oder  politische  Oekonomie,  1779),  Jacques 
Mauvillon  (1743-1794),  qui  le  dépasse  en  profondeur 
(Sammlung  von  Aufsatzen,  etc.,  1776.  2  volumes), 
et  enfin  le  margrave  Charles-Frédéric  de  Bade  (1728- 
1811),  l'auteur  d'une  espèce  de  table  synoptique  C-^na- 
lyse  abrégée  des  principeii  de  Véconomie  politique) 
insérée  àan^le^Ephéméridesdii  citoyen  [ilTi)  et  qu'on 
a  souvent  attribuée  (par  exemple  Daire)  à  Du  Pont, 
qui  l'a  reniée  tout  en  l'améliorant  trois  ans  plus  tard 
{Table  raisonnée  des  principes  de  l'économie  poli- 
tique, Carlsruhe,  1775).  Ce  prince  fit  l'expérience  de 
l'impôt  unique  dans  les  villages  de  Theningen  et  de 
Balingen  (1770-1776),  et  de  Dictlingen  (1770-1792). 
Mais  comme  l'a  démontré  Emminghaus,  l'insuccès 
d'un  système  mal  inauguré  (Schlettwein)  et  exécuté  à 
regret  (par  J.-J.  Schlosser)  sur  un  petit  territoire 
et  pendant  si  peu  de  temps,  ne  peut  pas  fournir  des 
éléments  certains  pour  un  jugement  fondé  sur  sa 
bonté  relative  ou  absolue. 

A.  Emminghaus,  Karl  Friedrich' s  von  Baden  Phy- 
siocratische  Verbindungen,  Bestrebiingen  nnd  Ver- 
suche  (In  Jahrbûcher  fur  Nat.  Oekon.  10"^  année 
1872,  pag.  1  et  suiv.) 

W.  Roscher,  Geschichte  der  Nat.  Oekonomik  in  Deuisch- 
land.  Mûnchen,  1874,  pp.  480-500. 


286  LE   SYSTÈME 

Cfr.  F.  von  Sivers,  dans  les  Jahrbùcher,  13=  année, 
1875,  pp.  1-15. 

K.  Knies,  C.  Fr.  v.  Baden  briefUcher  Verkehr  mit  Mira- 
beau and  Du  Pont.  Heidelberg,  1892.  Deux  vo- 
lumes. 

Il  est  certain  que  la  physiocratie  a  exercé  une  influence 
.sur  les  ministres  toscans,  promoteurs  des  réformes  de 
Léopold  (Tavanti,  Neri,  Gianni),  qui  firent  même  tra- 
duire quelques  livres  et  quelques  opuscules  français 
{Coyer,  Baudeau,  Bosnier  de  TOrme,  etc.  i,  dans  le  but 
de  rendre  populaire  les  idées  qu'ils  défendaient,  comme 
cela  résulte  des  travaux  de  Zobi  {Manuale  storico  délie 
massime  e  degli  ordinaraenti  economici  vigenti  in 
Toscana,  1847),  de  ceux  de  Montgomery  Stuart  [Storia. 
del  libero  scambio  in  Toscana,  1876),  et  mieux  encore 
de  la  consciencieuse  monographie  d'Abel  Morena  (Le- 
ri  formée  le  dottrine  economicJie  in  Toscana.  In  Ras- 
segna  nationale.  Firenze,  1886  et  suiv.).  Un  petit  nom- 
bre d'écrivains  ont  accepté,  sans  notables  changements, 
les  doctrines  de  l'école  de  Quesnay.  Parmi  eux  nous  men- 
tionnerons Melchior  Delfîco  (1788)  et  Nicolas  Fioren- 
tino  (1794)  ;  parmi  les  écrivains  annonaires,  en  dehors 
de  Xegri  déjà  cité  (1767^,  Scottoni  (1781),  Mario  Pagano 
(1789),  De  Gennaro  [Annona,  ossia  piano  econoniico 
di  publica  sussistenza,  1783;.  Scrofani  (3/eï7i07'ie  di 
econoniia  polltlca,  18'26  ;  parmi  les  écrivains  de 
finance,  Adam  Fabbroni,  rappelé  par  Balletti  (1778). 
Joseph  Gorani  (1771),  Jean  Paradisi  (1789)  et  particu- 
lièrement le  toscan  Joseph  Sarchiani  {Intorno  al  sis- 
tema  délie  pmhbliche  imptosizioni,  1791).  Beaucoup 
d'autres,  au  contraire,  acceptent  les  nouvelles  théories 
sans  abandonner  les  anciennes,  par  exemple,  Paoletti 
{Veri  mezzi  di  rendere  felici  le  société,  1772/  qui  est 
favorable  aux  lois  somptuaires;  Filangieri  (1752-1788), 
partisan  du  libre  échange  et  de   l'impôt  unique,   mais 


PHYSIOCRATIQUE  287 

lidèle  à  la  théorie  de  la  balance  mercantile;  Brio:anti, 
qui  admet  les  droits  compensateurs  et  insiste  sur  l'utilité 
du  commerce;  D'Arco,  d'abord  mercantiliste  (1771), 
plus  tard  (1775)  partisan  d'une  doctrine  éclectique  en  ce 
([ui  concerne  le  blé,  et  qui  finit  par  admettre,  sous  l'in- 
fluence des  idées  d'Ortes,  la  pleine  liberté  du  commerce 
(1788)  ;  enfm  Mengotti  [IlColbertismo.  Firenze,  1792), 
qui  indique  les  précautions  nécessaires  à  prendre  pour 
préparer  le  libre  échange. 

Gaet.  Filangieri,  Délie  leggi  jxiUdche  ed  economiche, 
1780.  Et  le  second  livre  de  la  Scienza  délia  legis- 
lazione  (Réimprimé  dans  la  Collection  de  CusLodi, 
Part.  Mod.  Vol.  32j. 

Filippo  Briganti,  Esame  economiro  del  sisiema  civile. 
Napoli,  1780.  (Et  dans  Custodi,  Part.  Mod.  Vol. 
28  et  29). 

Conte  Giov.  Batt.  Glierardo  D'Arco.  Opère,  Cremona, 
1785.  Vol.  I  et  m. 


§  5.  LES    CRITIQUES    DE    LA    PHYSIOGRATIE 

Userait  absolument  inutile  d'énumérer  les  nombreux 
écrivains  du  siècle  dernier  qui  ont  combattu,  en  toutou 
en  partie,  les  théories  physiocratiques  sans  être  d'au- 
cun secours  aux  progrès  de  la  science.  Quelques-uns 
veulent  ressusciter  le  mercantilisme  ;  il  semble  possible 
à  d'autres  de  combiner  les  principes  de  l'ancien  système 
avec  ceux  du  nouveau  ;  d'autres  s'essayent  à  réfuter 
certaines  propositions  exactes  des  physiocrates  et  les 
remplacent  par  des  propositions  fausses,  ou  bien  ils  ac- 
ceptent les  prémisses  (incidence  del'impôt  sur  le  produit 
net),  et  repoussent,  pour  de  simples  considérations  pra- 
tiques, leurs  conséquences  nécessaires  (impôt  unique), 
ou  enfin  ils  réfutent  les  doctrines  erronées  de  la  stérité 
de   l'industrie    et  du  commerce,    de  l'absolue  identité 


288  LE   SYSTÈME 

de  l'intérêt  particulier  avec  l'intérêt  général,  et  de  la 
répercussion  des  impôts,  et  ils  y  substituent  d^autres 
erreurs  manifestes  ou  tout  au  moins  des  assertions  non 
démontrées.  C'est  à  ces  catégories  de  critiques  qu'ap- 
partiennent quelques  uns  des  éclectiques  déjà  cités,  For- 
bonnais,  Steuart,  Justi  et  beaucoup  d'autres  écrivains, 
en  particulier  des  écrivains  allemands,  cités  par  Kautz 
et  plus  complètement  par  Roscher  {Geschichte,  etc., 
pp.  494-592).  Parmi  ceux-ci,  il  en  est  un,  bautement 
apprécié  en  Allemagne,  Justinus  Moser  (1720-1794),  qui, 
dans  une  série  d'écrits  politiques  {Patriotische  Phan- 
tasien,  1774),  combat  ladivision  du  travail,  la  grande  in- 
dustrie, le  libre  échange,  demande  des  restrictions  féo- 
dales à  la  propriété  et  défend  les  corporations  ;  c'est  en 
même  temps  un  ennemi  des  mesures  propres  à  favoriser 
l'augmentation  de  la  population  ;  il  est  partisan  des 
hauts  salaires,  de  la  liberté  illimitée  du  commerce  des 
blés  et  du  développement  du  crédit  agraire.  Nous 
devons  parler  encore  de  deux  autres  écrivains  éclecti- 
ques plus  connus,  même  hors  de  l'Allemagne,  Biish  et 
Herrenschwand.  Ils  font  grand  cas  des  doctrines  de 
Quesnay  et  de  Smith,  mais  ils  conservent,  en  grande 
partie,  les  préjugés  du  mercantilisme  et,  en  particulier, 
celui  de  l'importance  suprême  de  la  quantité  de  la  mon- 
naie et  des  phénomènes  de  la  circulation.  J.  Georges 
Busch  (1728-1800),  directeur  de  l'Académie  commer- 
ciale de  Hambourg,  s'est  occupé,  dans  ses  nombreux 
écrits,  de  la  partie  technique  des  théories  monétaires, 
bancaires,  et  en  général,  des  théories  commerciales, 
énonçant  çà  et  là  des  idées  saines  et  originales  en 
matière  de  rente,  de  systèmes  agraires,  de  crises  éco- 
miques  et  de  population.  Herrenschwand  a  particulière- 
ment insisté  sur  ce  dernier  sujet;  on  le  considère  en 
général  comme  un  des  nombreux  précurseurs  de  Mal- 
thus. 


PHYSIOGRATIQUE  289 

L.  Rupprecht,  Juslus  Mbsers  sociale  und  volkswirth- 
schaftliche  Anschauungen.  Stuttgart,  1892. 

J.  G.  Bûsch,  Kleine  Schriften  ûberdie  Handluyig,  1772. 
—  Abhandlung  von  Geldumlauf,  1780.  Deux  vol.— 
Theoretisch-prakiische  Darstelliing  der  Handlung, 
1792.  Deux  volumes. —  SammilicheSchrifien.Wien, 
1813-1818.  Seize  volumes. 

Herrenschwand,  De  l'économie  politique  moderne. 
Londres,  1786.  —  De  iécon.  pol.  et  morale  de 
Vespèce  humaine,  1796.  Deux  volumes.  —Du 
vrai  principe  actif  de  Vécon.poL,  1797. 

Nous  devons  nous  arrêter  plus  longtemps  surGaliani, 
Condillac,  Beccaria,  Verri,  Ortes,  qui  ont  étudié  avec 
originalité  les  problèmes  fondamentaux  de  la  science  et 
préparé  la  voie  à  ses  progrès  ultérieurs. 

Il  faut  être  reconnaissant  à  un  écrivain  contemporain 
(Macleod)  d'avoir  rappelé  l'attention  sur  l'importance 
théorique  de  Condillac,  qui  a  réfuté  l'erreur  des  phy- 
siocrates  sur  la  stérilité  des  manufactures  et  du  com- 
merce, et  donné  une  théorie  de  la  valeur.  Nous 
ne  pouvons  cependant  concéder  à  Macleod  qu'avec 
Condillac  commence  une  ère  nouvelle  ;  d'autres  écri- 
vains (Galiani,  Turgot,  Letrosne)  avaient  déjà,  en  effet, 
discuté  avec  talent  et  avec  autant  d'ampleur  le  même 
sujet.  Condillac  voit  dans  l'utilité  de  quantités  détermi- 
nées de  biens  le  fondement  de  la  valeur  ;  il  montre  les 
avantages  réciproques  que  les  échangistes  retirent  de 
l'échange,  parce  qu'ils  obtiennent  des  richesses  aux- 
quelles ils  attribuent  une  valeur  supérieure  à  celle  des 
valeurs  qu'ils  cèdent. 

Condillac,  Le  Commerce  et  le  gouvernement,  etc.  Vol.  I 
(volume  unique).  Amsterdam  et  Paris,  1776. 


19 


290  LE   SYSTÈME 


.^   6.  GALIANI,    BECCARIA,    VERIU,    OUTES. 

L'abbé  Ferdinand  Galiani  est  né  à  Naples  (1728- 
1787).  C'est  à  la  lois  un  économiste  et  un  jurisconsulte, 
et  toujours  un  écrivain  élégant.  11  traduisit,  à  Vàixe  de 
vingt  ans,  les  ouvrages  de  Locke  sur  la  monnaie,  qu'il 
utilisa  partiellement  pour  composer  son  traité  classi([ue 
(1750),  dont  nous  avons  déjà  parlé  (chap.  III,  §  2^  ;  il 
publia  plus  tard,  alors  qu'il  était  secrétaire  d'ambassade 
à  Paris,  ses  Dialogues  sur  le  commerce  des  blés,  qui 
le  firent  connaître  dans  toute  l'Europe  et  lui  attirèrent 
de  vives  réponses.  Dans  son  livre  sur  la  monnaie, 
bien  qu'il  s'inspire  des  principes  du  mercantilisme  et 
qu'il  soit  favorable,  dans  certaines  circonstances  (sur 
les  traces  de  Melon),  aux  altérations  de  valeur  de  la 
monnaie,  ses  doctrines  sont-  généralement  saines  et 
toujours  exposées  avec  beaucoup  de  clarté.  Il  faut  sur- 
tout louer  sa  défense  de  la  liberté  de  l'intérêt,  le  cba- 
pitre  sur  le  cours  des  changes,  et  spécialement  la  théorie 
de  la  valeur.  Cette  dernière  théorie  a  été  commentée 
avec  beaucoup  de  pénétration  par  Graziani  {Storla 
critica,  etc.,  1889,  pp.  99-107),  qui  a  montré  que 
Galiani  est  un  des  précurseurs  les  plus  importants  de 
la  doctrine  qui  l'onde  la  valeur  sur  l'utilité  concrète  de 
chaque  quantité  de  richesses  considérée  à  part,  utilité 
déterminée  selon  lui  par  l'intensité  différente  des 
besoins,  sans  oublier  l'influence  du  temps  sur  la  va- 
leur et  les  influences  réciproques  de  la  demande  sur 
la  valeur  et  de  la  valeur  sur  la  demande.  Dans  ses 
Dialogues,  où  il  montre  l'impossibilité  d'établir  un  sys- 
tème unique,  libéral  ou  restrictif,  de  politique  anno- 
naire.  l'auteur  se  montre  non  seulement  dialecticien 
puissant,  mais  il  devance,   en   un  certain  sens,   l'école 


PHYSIOCRATIQUE  291 

historique  moderne  en  combattant  les  théories  trop 
absolues  de  la  physiocratie  et  en  mettant  en  lumière, 
sauf  quelques  erreurs  dans  les  applications,  le  carac- 
tère relatif  des  institutions  économiques  et  la  nécessité 
de  les  adapter  aux  diverses  conditions  de  temps^  de  lieu 
et  de  civilisation. 

Dialogue  sur  le  commerce  des  blés.  Londres  (Paris), 
1770.  —  Nouvelle  édition  augmentée.  Berlin,  1795. 
Deux  volumes.  Traduits  en  allemand  par  Bar- 
khausen  (1777),  par  un  anonyme  (1778),  et  par 
Beicht  (1802). 

Cfr.  L.  Diodati,  Vita  delV  abaie  F.  Galiani..  Napoli, 
1788.  —  G.  Ugoni,  La  lelteraiura  ifaliana,  etc. 
Vol.  I  (Milano,  1856),  pp.  191-357.  —  F.  Fornari, 
Délie  teorie  economiche  nelle  provincle  napolc- 
tane,  etc.  Milano,  1888. 

Le  marquis  César  Beccaria  (1738-1794),  l'illustre  au- 
teur du  livre  Des  délits  et  des  peines  (1764),  a  publié 
une  Prolusione  (1769),  écrit  des  lezioni  di  economin 
(1769-1770)  restées  inédites  jusqu'en  1804,  et  contribué 
{avec  Verri  et  Carli)  à  d'importantes  réformes  dans 
l'administration  de  la  Lombardie,  notamment  de  l'an- 
nonne,  des  monnaies,  des  poids  et  des  mesures,  et  à 
l'abolition  des  corps  de  métiers  et  de  la  ferme  des  impôts. 
Ses  Elementi  d'economia  pitbblica,  trop  défavorable- 
ment jugés  par  Pascal  Duiwsit  {Revue  moderne,  18G5), 
sont  remarquables  pour  la  précision,  la  clarté  et  la 
rigueur  des  déductions,  qui  dénotent  un  auteur  familier 
avec  les  mathématiques  comme  le  prouve  son  Tenta- 
tive anfttitico  sui  contrabbandi  (In  Caffè.  Vol.  I, 
Brescia,  1765),  qui  inspira  au  sicilien  Guillaume  Silio 
(1792)  un  ouvrage  analogue.  Bien  qu'il  accepte  les 
doctrines  des  physiocrates  (avec  lesquels  il  entra  en 
relation  pendant  le  court  voyage  qu'il  fit  à  Paris  en 
1766),  il  ne  repousse  pas  cependant  tous  les  préceptes 


592  LE    SYSTÈME 

du  mercantilisme.  Il  attaque  les  corporations  et  n'ad- 
met pas  les  prohibitions  ;  il  est  éclectique  comme  Ga- 
liani,  partisan  décidé  de  la  liberté  annonaire,  mais 
cependant  il  défend  les  primes  à  l'exportation  (repous- 
sées par  Carli)  et  il  est  grand  partisan  des  droits  pro- 
tecteurs. Au  point  de  vue  théorique,  si  on  ne  peut  lui 
reconnaître  l'originalité  que  lui  attribuait  Say  dans 
l'analyse  de  la  fonction  des  capitaux  (qu'il  emprunte  à 
la  physiocratie),  ni  celle  que  voulait  lui  reconnaitre, 
avec  beaucoup  d'autres,  Pecchio,  au  sujet  de  la  divi- 
sion du  travail,  ni  même  celle  dont  parle  Ingram,  dans 
l'analyse  des  causes  déterminantes  de  la  diversité  des 
salaires  dans  les  différents  métiers  (énumérées  longtemps 
auparavant  par  Caritillon),  il  doit  être  loué  pour  ses 
idées  exactes  sur  la  population  (chap.  TII,  §1)  et  plus 
encore,  comme  le  remarque  Graziani  [op.  cit.  pp.  72-76) 
pour  sa  belle  analyse  de  la  loi  de  la  valeur  normale, 
dans  les  cas  de  libre  concurrence  et  dans  les  cas  de 
monopole. 

C.  Beccaria,  Elemenii  di  economia  pubblica  (1769). 
Dans  les  volumes  XI  et  XII.  Part.  Mod.  (1804)  de 
la  Collection  de  Custodi  et  vol  III  ;Torino,  1852) 
de  la  Biblioieca  dell'  Economista  de  Ferrara. 
Trad.  française.  Paris,  1852. 

Cfr.  les  notices  biographiques  données  par  C.  Cantù, 
Beccaria  e  il  diritto  pénale.  Firenze,  1862;  et  par 
A.  Amati  (et  A.  Buccellati),  C.  Beccaria  e  Vabo- 
lizione  délia  pena  di  morte.  Milano,  1872. 

Son  ami  et  collègue,  le  comte  Pierre  Verri,  né  à  Milan 
(1728-1797),  n'a  ni  son  talent  ni  sa  culture  scientifique 
et  littéraire,  mais  il  lui  est  de  beaucoup  supérieur  comme 
économiste  pour  la  quantité  et  pour  la  valeur  de  ses 
écrits,  dans  lesquels  il  s'émancipe  presque  complète- 
ment de  l'erreur  physiocratique  sur  la  non  productivité 
des  industries.  Bien  qu'il  partage  encore  quelques-uns 


PHYSIOGRATIQUE  293 

des  préjugés  du  mercantilisme,  notamment  dans  ses 
Elementi  ciel  cornmercio  {ilQo},  il  professe  des  idées 
nettement  libérales  dans  ses  Riflessioni  sulle  legi  vin- 
colcLTiti,  principEilmente  nel  commercio  dei  grani, 
écrites  en  1769  et  publiées  en  1796;  il  a,  également, 
remarquablement  analysé  les  causes  de  la  décadence 
de  l'industrie  et  du  commerce  de  la  Lombardie  sous 
la  domination  espagnole  dans  ses  Memorie  sulV  econo- 
mia  pubblica.  dello  Stcito  di  Milano  (1768),  publiées 
dans  la  Collection  de  Custodi  (vol.  XVII). 

Les  Meditazioni  sulV  economia  x>olitica  (1771),  plus 
complètes  et  plus  claires  que  les  Elementi  de  Beccaria, 
sont  le  meilleur  précis  publié  en  Italie  au  siècle  passé  et 
elles  seraient  même  supérieures  aux  abrégés  étrangers 
si  les  Réflexions  de  Turgot  ne  lui  étaient  pas  anté- 
rieures. Il  est  vrai  cependant  que  Verri  le  dépasse  tout 
au  moins  pour  avoir  fait  une  analyse  plus  exacte  et  plus 
compréhensive  de  la  production,  parce  qu'il  a  montré 
que,  dans  lagriculture  comme  dans  les  manufactures, 
l'homme  ne  peut  que  rapprocher  et  séparer,  mais'  qu'il 
ne  peut  jamais  créer  de  nouveaux  objets  (section  3")  ; 
il  se  trompe  cependant  sur  un  point,  car  il  considère 
les  commerçants  comme  de  simples  intermédiaires  entre 
les  producteurs  et  les  consommateurs.  Les  Meditazioni 
forment  un  système,  parcequ'elles  sont  un  examen  des 
différentes  causes  qui  permettent  ou  empêchent  qu'un 
pays  s'enrichisse  par  un  excédant  de  la  production  sur  la 
consommation,  et  qu'on  obtienne  ainsi  le  produit  maxi- 
mum d'où  dépend  l'augmentation  continue  de  la  popu- 
lation. C'est  pour  cela  que  Verri  (contrairement  à  Bec- 
caria) préfère  la  petite  à  la  grande  culture  et  combat  la 
concentration  excessive  des  propriétés,  comme  les  en- 
traves directes  à  la  liberté  industrielle  et  commerciale. 
Il  admet  cependant  (dans  l'impossibilité  du  libre  échange 
universel)   des  droits  protecteurs,    précurseur  en   cela 


294  LE    SYSTÈME 

(comme  le  remarque  Pierson)  de  la  théorie  du  fair-trade  ; 
il  les  accepte  aussi  parce  que,  combinés  avec  les  impôts 
directs,  ils  sont  nécessaires  au  point  de  vue  fiscal, 
le  système  de  l'impôt  territorial  unique  étant  prati- 
quement impossiiDle  et  scientifiquement  faux.  Enfin 
la  théorie  de  la  valeur  de  Yerri  est  très  importante, 
parce  que  le  premier  il  s'occupe  presque  uniquement 
de  la  valeur  courante,  déterminée  par  la  loi  de  l'offre 
et  de  la  demande,  qu'il  expose  cependant  en  termes  peu 
heureux,  parlant  toujours  du  nombre  des  acheteurs  et 
de  celui  des  vendeurs  ;  il  a  proposé  une  formule  qui  a 
été  enjjuite  discutée,  modifiée,  défendue  par  Frisi.  Gioja, 
Valeriani  et  Rossi  (Cfr.  Graziani,  op.  cit.,  pp.  1 13-J31;. 
Une  faute  d'impression  dans  le  Cours  d'économie  'po- 
litique de  Pellegrini  Rossi.  dont  personne  ne  s'est  jus- 
qu'ici aperçu,  a  introduit  dans  beaucoup  d'ouvrages 
italiens  et  étrangers  un  certain  Ferry  (Verri),  auquel  on 
attribue  la  formule  de  l'offre  et  de  la  demande  !.  . 

(P.  Verri)  Meditazioni  suW  economia  politica.  Li- 
vorno,  1771.  Ptéimprimé  plusieurs  fois  avec  des  adjonc- 
tions de  l'auteur  (et  quelquefois  avec  des  notes  sans  intérêt 
et  peu  bienveillantes  de  G.  R.  Carlil,  par  exemple,  dans 
la  Collection  de  Custodi  (vol.  XV)  et  dans  celle  de  Fer- 
rara  (vol.  III),  et  en  même  temps  que  ses  œuvres  philo- 
sophiques. On  en  a  fait  trois  traductions  françai.ses,  une 
anonyme  (1800),  l'autre  par  Mingard  (1773;  et  une  troi- 
sième par  Neale  (1823)  ;  deux  allemandes,  par  un  ano- 
nyme (1774),  et  par  L.  B.  M.  Schmidt  (1785);  une  hollan- 
daise (1801). 

Voir  aussi,  en  dehors  du  recueil  des  lettres  et  des 
œuvres  inédites  publié  par  Casati  :  Isid.  Bianchi,  Elogio 
storico  di  P.  Verri.  Cremona,  1803.  —  C.  Ugonij  La 
letteratura  italiana,  etc.  Vol.  11(1856),  pp.  35-128.  — 
Eug.  Bouvy,  Le  comte  P.  Verri.  Paris,  1889. 

Le  prêtre  Jean-Marie  Ortes  (1713-1790),  le  plus  illus- 


PHYSIOGRATIQUE  295 

tre  des  économistes  vénitiens  du  siècle  passé,  dont  nous 
avons  déjà  signalé  les  idées  exactes  sur  la  question  de 
la  population  (ch.  IIP,  .^  1),  est  un  esprit  original, 
mais  son  style  est  faible  ;  parfois  paradoxal,  il  est  un  peu 
étranger,  mais  moins  qu'il  ne  voudrait  le  faire  croire, 
au  mouvement  général  des  études  économiques  de 
son  temps.  Il  est  l'auteur  d'ouvrages  anonymes,  im- 
primés à  un  petit  nombre  d'exemplaires,  recueillis 
et  commentés  avec  grand  soin  par  Custodi,  Cicogna  et 
Lampertico.  Il  combat  le  mercantilisme  sans  adopter 
les  théories  de  la  physiocratie,  et  il  défend  le  libre 
échange  universel,  en  se  déclarant  en  même  temps 
partisan  des  biens  de  .mainmorte,  des  fidéicommis  et 
de  beaucoup  d'autres  restrictions  médiévales  au  droit 
de  propriété.  Son  système  part  d'un  principe  évidem- 
ment faux,  à  savoir  que  la  richesse  des  différents 
peuples  constitue  une  quantité  fixe,  rigoureusement 
proportionnelle  au  nombre  des  habitants  ;  c'est  donc 
une  tentative  vaine  que  d'essayer  de  Taccroitre,  parce 
qu'il  ne  faut  pas  confondre  la  distribution  des  richesses 
entre  les  individus  avec  celle  qui  se  fait  dans  l'économie 
nationale. 

Dell'  economia  nazionale.  Part,  I.  1774.  —  Erroripopo- 
lari  intorno  alV  economia  nazionale.  1771.  —  Bei 
fidecommessi,  elc.  —  V.  la  Collection  de  Custodi, 
vol.  XXI-XVII  etXLII.  —  Bibliot.  delC  Econom., 
vol.  III  (1852). 

Fed.  Lampertico,  Giammari^  Ories  e  la  scienza  eco- 
nomica  al  suo  tempo.  Venezia,  1865.  (Excellente 
monographie;. 

Pour  les  économistes  vénitiens,  contemporains 
d'Ortes,  on  peut  consulter,  en  dehors  de  l'ou- 
vrage déjà  cité  d'Alberti  sur  les  corporations  : 
Alb.  Errera,  Storia  delV  econ.  pol.  negli  Siati 
délia  Repubblica  Venefa.  Venezia,  1877;  et  J.  Facen, 
Mengotti  e  le  sue  opère.  (In  Bivista  Veneta.  IIP  an- 
née, 1875). 


296  LE    SYSTÈME    PHYSIOCRATIQUE 

Nous  ajouterons,  en  terminant,  que  les  autres  écono- 
mistes italiens  du  siècle  passé  se  sont  occupés  de 
l'annone  (Carli,  Caraccioli,  Cacherano,  Aleandri),  des 
impôts  (Palmieri,  Gianni,  Vergani,  Scola,  Marchesini, 
Foscarini)  et  des  monnaies.  Il  est  parlé  de  leurs  ouvrages 
dans  les  livres,  déjà  cités,  de  Cusumano,  de  Gobbi,  de 
Ricca-Salerno  et  dans  un  de  nos  essais  bibliographiques. 

L.  Cossa,  Snggio  di  bibliografia  délie  opère  econo- 
miche  italiane  sulla  moneta  et  sul  credito  anteriori 
al  -1849.  (In  Giornale  degli  Economisa.  Bologne, 

juillet  1892). 


CHAPITRE  VIII 
ADAM  SMITH  ET  SES  SUCCESSEURS  IMMÉDIATS 


L'économie  politique  qui  formait ,  .^râce  à  Quesnay, 
un  système  achevé  de  droit  économique,  dont  Turgot 
avait  dégagé  un  système  d'économie  sociale,  prend, 
peu  après,  dans  l'œuvre  immortelle  d'Adam  Smith,  le 
caractère  et  l'importance  d'une  science,  au  sens  le  plus 
large  du  mot,  qui  embrasse  non-seulement  l'économie 
rationnelle,  mais  aussi  l'économie  appliquée,  c'est-à- 
dire  la  politique  économique  et  financière.  Cette  œuvre 
est  aujourd'hui  encore  le  fondement  le  plus  sûr  des 
recherches  ultérieures  parce  que,  comme  l'a  excellem- 
ment remarqué  Roscher,  ce  qui  a  été  écrit  sur  ce  sujet 
avant  Adam  Smith  peut  être  considéré  comme  une 
préparation  à  ses  théories,  et  tout  ce  qu'on  a  écrit  de- 
puis comme  leur  complément. 

C'est  peut-être  pour  cela  que  nous  ne  possédons  pas 
jusqu'ici  un  bon  travail  critique  qui  établisse,  d'une 
façon  exacte  et  impartiale ,  le  mérite  de  Smith  à 
l'égcird  des  économistes  ses  prédécesseurs  et  ses  suc- 
cesseurs. 

On  ne  peut  pas ,  en  effet,  considérer  comme  répon- 
dant à  cette  fin  les  courts  essais  de  Blanqui  (1843),  de 
Cousin  (1850),  de  Kautz  (1851),  de  Lavergne  (1859),  de 
Du  Puynode  (1865),  d'Oncken  (1874),  de  Chevalier 
(1874),  de  Weisz  (1877),  de  Stôpel  (1878),  de  Walcker 
(1890),  ni  même  les  travaux  plus  étendus  et  plus  com- 
plets de  Laspeyres  (1865),   de   Held  (1867),   de  Cliffe 


298  ADAM    SMITH 

Leslie  (1870),  de  Bagehot,  d'Inama-Sterne^g,  de  Nasse, 
de  Luzzatti  et  de  Ricca-Salcrno  (1876),  de  Helferich 
(1877),  deNeurath(1884),etde  Courcelle-Seneuil(1888). 
Les  dix  monographies  suivantes  ne  remplissent  pas 
non  plus  cet  objet,  soit  qu'elles  manquent  d'impartialité 
(Rossler,  Skarzynski),  soit  qu'elles  ne  constituent  pas 
une  critique  approfondie  (Delatour  et  Haldane),  soit 
parce  qu'elles  s'occupent  seulement  dune  partie  du  su- 
jet (Léser,  Oncken,  Hasbach,  Zeyss,  Feilbogen  et  Jager). 

J.  F.  B.  Baert,  Adam  Snillh  en  zijn  onderzoek  naar 
den  rijkdom  der  volken.  Leiden,  1858.  (Quoique 
d'une  critique  insuffisante,  c'est  encore,  à  cer- 
tains points  de  vue.  le  meilleur  travail  sur  ce 
sujet). 

H.  Rossler,  Ueber  die  Grundlehren  der  von  Ad.  Smilli 
hegrûndeien  Volksivirthschaftstheorie.  Erlangen, 
1868.  2'  édit.,  1871. 

Em.  Léser,  Der  Begriff  des  Reichthiims  bei  Ad.  Smiili. 
Heidelberg,  1874. 

Aug.  Oncken,  Ad.  Smith  und  Immanuel  Kant,  etc. 
Leipzig,  1877. 

W.  von  Skarzynski,  Ad.  Smith  aïs  Moralphilosoph 
und  Schôpfer  der  Nationalœkonomie.  Berlin,  1878. 

Alb.  Delacour,  Ad.  Smith,  sa  vie,  ses  travaux  et  ses 
doctrines.  Paris,  1886- 

R.  B.  Haldane,  Life  of  Adam  Smith.  Londres,  1887. 
(Contient  aussi  une  riche  mais  incomplète  bi- 
bliographie). 

R.  Zeyss,  Ad.  Smith  rind  der  Eigennuiz.  Tïibingen, 
1889. 

W.  Hasbach,  Untersuchungen  ïiber  Adam  Smith,  etc. 
Leipzig,  1891. 

0.  Jiiger,  Den  moderne  Statsôkonomie  Grundlàggelse 
ved  Ad.  Smith.  Kristiania,  1893. 


§  L  LA  VIE  ET  LES  TRAVAUX  DE  SMITH, 

La  meilleure  biographie  de  Smith  e.st  celle  deDugald- 


ET    SES    SUCCESSEURS   IMMÉDIATS  299 

Stewart,  Account  ofthe  life  and  writiyigs  ofAcl.  Smith 
(in  Transactions  of  the  R.  Society  of  Edinburgli, 
vol.  III,  part.  I,  1793,  pp.  55-537,  Réimprimée  et  aup:- 
mentée  dans  le  second  volume  des  œuvres  de  Stewart, 
éditées  par  William  Hamilton,  1858).  On  trouve  quel- 
ques détails  complémentaires  intéressants  dans  l'es- 
quisse biographique  deJ.  R.  Mac  Culloch,  Treatises  and 
Essays,  etc.  Edinburgh,  1853,  pp.  443-462,  et  aussi 
dans  Em.  Léser,  Untersuchungen  zur  Geschichte  der 
Nationalœkonomie.  Jena,  1881,  pp;  3-46. 

Adam  Smith  est  né  à  Kirkaldy,  en  Ecosse,  le  5  juin 
1723.  C'est  là  qu'il  fit  ses  premières  études  ;  il  les  con- 
tinua à  Glasgow  (1737-1740),  où  il  eut  pour  maitre  Hut- 
cheson,  et  les  termina  à  Oxford  (1740-1746).  Il  apprit 
les  langues  classiques  et  les  langues  modernes,  les 
sciences  mathématiques,  naturelles  et  philosophiques; 
il  se  rendit,  vers  1748,  à  Edimbourg;  c'est  là  qu'il  fit, 
sous  le  patronage  de  lord  Kames,  des  leçons  de  rhéto- 
rique et  de  belles-lettres,  et  qu'il  se  lia  d'amitié  avec 
son  célèbre  compatriote  David  Hume.  En  1751,  il  fut 
nommé  professeur  de  logique;  et,  cette  même  année, 
il  obtint  la  chaire  de  philosophie  morale.  Comme  ses 
prédécesseurs,  il  comprenait  dans  la  philosophie  mo- 
rale la  théologie  naturelle,  l'éthique,  la  jurisprudence, 
les  institutions  politiques,  et,  dans  celles-ci,  l'économie 
})olitique.  Sa  grande  mémoire,  ses  tendances  naturelles, 
ses  relations  avec  des  commerçants  experts,  la  publica- 
tion des  Essais  de  Hume  (1752),  de  Cantillon  (1755),  de 
Harris  (1757),  et  d'autres  écrivains  anglais  et  français, 
et  même  la  réimpression,  faite  en  Ecosse,  d'un  grand 
nombre  d'ouvrages  des  meilleurs  économistes  anglais 
du  xv!!**  siècle,  contribuèrent  à  tourner  l'attention  de 
Smith  vers  les  problèmes  économiques,  et  en  particu- 
lier vers  ceux  du  commerce  international.  Il  lut,  en 
effet,  dans  la  Select  Society  d'Edimbourg,  une  étude 


300  ADAM    SMITH 

sur  les  effets  des  primes  à  l'exportation  des  blés  (1754) 
et,  dans  un  manuscrit  de  l'année  suivante,  signalé  par 
Dugald  Stewart,  il  défendit  (avant  les  physiocrates) 
les  principes  du  libre  échange.  En  1759,  il  publia  sa 
théorie  des  sentiments  moraux,  qui  est  un  excellent 
traité  de  morale,  assez  faible  dans  sa  partie  métaphy- 
sique, et  fondé  sur  les  principes  psychologiques  de  l'é- 
cole écossaise,  dont  Hutcheson  fut  le  chef,  et  dont  Reid 
et  Smith  ont  été,  avec  quelques  autres,  les  plus  illustres 
continuateurs. 

Ad.  Smith,  The  theory  of  moral  sentimenis .  London, 
1759.  Sixième  édition  (augmentée)  1790.  Deux 
volumes.  Plusieurs  traductions  françaises:  1764; 
1830.  (Cfr.  J.  A.  Farrer,  Adam  S?ni7/i.  London,  1881). 

Sur  la  demande,  qui  lui  fut  faite,  par  l'intermédiaire 
de  Charles  Townsend,  d'accompagner  dans  son  voyage 
le  tout  jeune  duc  de  Buccleugh,  il  quitta  sa  chaire  en 
1764,  visita  la  France  et  la  Suisse,  s'arrêta  quelques 
mois  à  Toulouse,  et  presque  une  année  (1766)  à  Paris, 
où  il  fit  la  connaissance  de  beaucoup  de  philosophes 
(Diderot,  d'Alembert)  et  d'économistes,  notamment  de 
Quesnay  et  de  Turgot,  les  plus  vaillants  champions  du 
système,  qu'il  combattit  plus  tard  en  le  considérant  ce- 
pendant comme  le  plus  proche  de  la  vérité.  Dans  les 
dix  années  qui  suivirent ,  Smith  vécut  retiré  dans  sa 
patrie,  faisant  cependant,  comme  Ta  démontré  Léser, 
de  fréquents  voyages  à  Londres,  tout  occupé  à  ré- 
diger son  livre  sur  la  Richesse  des  Nations,  terminé 
en  1775,  et  publié  dans  les  premiers  mois  de  1776. 

Ad.  Smith,  An  inquiry  into  the  nature  and  causes 
ofthe  wealthof  nations.  London,  1776.  Deux  volumes 
in-4;  troisième  édition  augmentée,  1784.  Parmi  les 
éditions  avec  commentaires,  citons  celles  de  Playfair 
(1805),  de  Buchanam(i8i4),  de  Wakefield  (1835-1839), 


ET    SES    SUCCESSEURS   IMMÉDIATS  301 

et  tout  particulièrement  celle  de  Mac  Gulloch  (Edim- 
bourg, 1828,  quatre  volumes),  réimprimée  plusieurs  fois 
avec  des  corrections  ultérieures,  en  1839,  1850,  1855, 
1863,  1870,  et  celle  de  Rogers  (1869,  1880).  Parmi  les 
éditions  courantes  les  plus  récentes,  il  faut  signaler 
celles  de  J.  S.  Nicholson  (1884  et  1887),  accompagnée 
d'une  bonne  introduction  et  de  notes  bibliographiques. 

La  Richesse  des  Nations  a  été  traduite  dans  les 
principales  langues  de  l'Europe,  par  exemple  en  danois 
(1779),  en  espagnol  (1794),  en  hollandais  (1796),  en 
russe  (1802),  en  polonais  (1812).  Parmi  les  nombreuses 
traductions  françaises,  la  meilleure  est  celle  de  Germain 
Garnier  (1805  ;  cinquième  édition,  1880);  parmi  les  édi- 
tions allemandes,  celle  de  C.  W.  Asher  (1861).  On  doit 
préférer  à.  la  première  édition  italienne  (Napoli,  1790), 
celle  qui  a  été  insérée  dans  la  Biblioteca  delV  Econo- 
inistcL  (vol.  II,  Torino,  1851). 

De  nombreux  extraits  ont  été  publiés  ;  rappelons 
ceux  de  Jérémie  Joyce  (Cambridge,  1797;  3^  édition, 
1821),  de  W.  P.  Emerton  [An  abridgement,  etc., 
Oxford,  1881),  et  de  F.  A.  B.  De  Wilson  {Analysis  of 
Ad  Smith's  Wealth  of  Nations  Books  1  and  2. 
Oxford,  1885). 

La  renommée  acquise  par  Smith  le  fît  nommer  com- 
missaire pour  les  douanes  à  Edimbourg,  où  il  se  rendit 
avec  sa  mère  et  sa  cousine  en  1778  ;  on  lui  donna  le 
titre  de  recteur  de  l'Université  de  Glascow  (1787).  Il 
mourut  le  17  juillet  1790. 


§  2.   —  L.-V.    RICHESSE    DES    NATIONS 

De  tout  ce  qui  précède,  il  résulte  qu'Adam  Smith  ne 
peut  être  considéré  ni  comme  le  créateur  des  différentes 
doctrines   économiques,  ni  comme  le  créateur  du  pre- 


302  ADAM    SMITH 

mier,  ni  même  d'un  traité  parlait  de  cette  science. 
Mais  s'il  a  trouvé  dans  les  œuvres  des  économistes 
anglais,  des  philosophes  écossais  et  des  physiocrates 
français^  de  précieux  matériaux,  des  doctrines  en  partie 
déjàdémontrées  et  quelques  essais  de  coordination;  s'il  a 
trouvé,  de  plus,  dans  les  progrès  des  industries  et  dans 
les  inconvénients  de  Tancienne  législation  restrictive, 
une  honne  occasion  pour  méditer  sur  la  nature  et  sur 
les  causes  de  la  richesse  et  sur  les  réformes  nécessaires 
à  son  accroissement,  il  n'en  est  pas  moins  vrai^  d'autre 
part,  que  lui  seul  avec  son  génie,  vivant  dans  un  milieu 
et  travaillant  avec  des  matériaux  qui  ont  été  accessi- 
bles non  seulement  à  des  bureaucrates  et  à  des  hommes 
d'alTaires.  comme  Melon  et  Forbonnais,  et  à  desérudits 
de  la  valeur  de  Genovesi,  de  Steuart,  de  Justi,  mais 
aussi  à  des  personnes  d'un  esprit  et  d'une  culture  peu 
communs  comme  Quesnay  et  Turgot,  posa  les  bases 
solides  d'une  science  nouvelle  et  de  ses  principales 
applications,  et  laissa  à  une  grande  distance  non  seu- 
lement les  inventeurs  de  recettes  empiriques  d'écono- 
mie politique  ou  de  combinaisons  mécaniques  de  doc- 
trines hétérogènes  et  souvent  contradictoires  entre  elles, 
mais  même  les  fondateurs  du  système  physiocratique, 
dans  lequel  se  mélangeaient,  avec  une  logique  irréfu- 
table, des  vérités  admirablement  pressenties,  des  er- 
reurs théoriques  très  graves  et  des  règles  qu'on  suppo- 
sait être  d'une  application  générale  et  qu'il  était  au 
contraire  impossible  de  mettre  en  pratique. 

L'œuvre  de  Smith  est  un  véritable  chef-d'œuvre, 
parce  qu'elle  a  été  écrite  par  un  homme  qui  possédait 
un  remarquable  esprit  philosophique,  une  instruction 
riche  et  variée,  une  profonde  érudition  historique  et  un 
remarquable  sens  pratique,  qui  lui  permirent  d'étudier 
les  différents  côtés  des  problèmes  qu'il  a  développés 
dans  leurs  détails,  en  appliquant  alternativement  le  rai- 


ET    SES    SUCCESSEURS    IMMÉDIATS  303 

sonnement  déduclif  et  le  raisonnement  inductif;  de 
plus,  son  style  est  élégant  et  accessible  à  tout  lecteur 
cultivé  et  attentif.  La  richesse  de  ses  illustrations 
historiques,  l'évidence  des  preuves  de  fait,  et  même 
les  digressions  dans  le  domaine  administratif  (justice, 
instruction,  armée),  que  quelques  écrivains  ont  si  vive- 
ment blâmées,  et  qui  rappellent  son  dessein  primitif 
d'écrire  une  encyclopédie  juridico -politique,  expliquent 
en  grande  partie  la  popularité  de  l'œuvre  et  son 
influence  sur  les  réformes  législatives  des  principaux 
États  modernes. 

On  a  souvent  fait  cette  remarque,  et  il  était  facile  de 
la  faire,  que  le  livre  de  Smith  n'est  pas  un  traité  au 
sens  étroit  du  mot,  comme  le  prouvent  le  peu  de  soin 
donné  aux  définitions,  et  souvent  leur  absence  voulue, 
et  le  manque  de  proportion  entre  les  différentes  parties 
de  l'œuvre;  d'autres  ont  ajouté,  et  c'est  une  opi- 
nion encore  dominante  (comme  on  peut  le  voir  dans 
Sidgwick),  que  Smith,  comme  Steuart,  considérait 
l'économie  politique  comme  un  art,  et  que  la  science 
n'était  pour  lui  qu'un  accessoire  ou  tout  au  plus  une 
simple  propédeutique,  et  enfin  que  toute  son  œuvre  est 
un  recueil  de  monographies  sans  lien  systématique. 
Mais,  tout  en  souscrivant  à  la  précieuse  critique  de  hàH- 
tahle  {Hermathena,  n"  12,  Dublin,  1886),  nous  remar- 
quons que  Smith  lui-même,  dans  un  passage  oublié 
par  ses  critiques  (livre  IV,  ch.  IX),  a  défini  d'une  ma- 
nière expresse  l'économie  par  la  formule  qui  se  trouve 
au  frontispice  de  ses  Recherches,  et  qu'il  s'est  préoc- 
cupé de  l'ordre  des  matières;  il  a  étudié  l'économie 
comme  science  dans  les  deux  premiers  livres,  This- 
toire  économique  dans  le  troisième,  les  systèmes  de  poli- 
tique économique  dans  le  quatrième,  et  la  politique 
financière  dans  le  cinquième;  il  a  donc,  et  c'est  notre 
conclusion,  adopté  une  classification  qui  ne  diffère   pas 


304  ADAM    SMITH 

en  substance  de  celle  qui  est  encore  souvent  adoptée 
dans  la  science  et  dans  l'enseignement. 

Dans  le  livre  premier,  Smith,  partant  de  ce  que.JL^.. 
travail  est  la  source  principale  de  la  richesse  natio- 
nale, recherche  les  causes  qui  en  augmentent  refïîcâ^ 
cite  productive,  et  il  s  arrête  en  particulier  suri  analyse 
de  la  division  du  travail,  dont  il  indique  Torigine,  les 
effets,  les  avantages  et  les  conditions  d'application, 
c'est-à-dire  l'accumulation  antérieure  du  capital  et  l'ex- 
tension du  marché.  Mais  comme  la  division  a  pour  con- 
séquence nécessaire  l'échange,  et  que  celui-ci  suppose 
la  valeur,  Smith  est  amené  à  parler  des  deux  formes  de 
la  valeur,  de  la  valeur  d'usage,  fondée  sur  l'utilité  des 
choses,  et  de  la  valeur  d'échange,  constituée  parleur 
puissance  d'achat.  Il  recherche  les  causes,  la  mesure, 
la  loi  de  la  valeur  d'échange  ;  cette  loi  est  différente 
suivant  qu'il  s'agit  de  la  valeur  naturelle  ou  de  la  valeur 
de  marché.  L'analyse  des  éléments  de  la  valeur  natu- 
relle l'amène  à  la  théorie  de  la  distribution,  qui  con- 
tient ses  célèbres  recherches  sur  les  causes  de  la  diver- 
sité des  salaires  et  des  profits,  et  ses  recherches  incom- 
plètes sur  la  nature  de  la  rente  et  sur  les  relations 
entre  les  différentes  espèces  de  rente,  et  il  arrive  à  cette 
conclusion  que  le  progrès  des  richesses  fait  augmenter 
la  rente  et  les  salaires  et  diminuer  les  profits.  Il  tire  de 
là  cette  conséquence  que  l'intérêt  des  propriétaires  et 
celui  des  ouvriers  coïncide  avec  l'intérêt  général,  beau- 
coup plus  que  l'intérêt  des  capitalistes.  Pour  Smith 
donc,  le  travail  humain  est  le  principe  générateur  de 
la  richesse,  qui  consiste  dans  l'ensemble  des  objets  ma- 
tériels qui  servent  aux  nécessités,  aux  commodités  et 
aux  plaisirs  de  la  vie.  La  production  des  richesses  se 
réduit  en  effet  à  ajouter  de  l'utilité  et  de  la  valeur  aux 
objets  échangeables  et  matériels.  Tous  les  travaux, 
utiles  ou  nécessaires,  ne  sont  pas  pour  cela  productifs 


ET   SES    SUCCESSEURS    IMMÉDIATS  305 

au  point  de  vue  économique.  Et  par  exemple,  les  ser- 
vices des  ecclésiastiques,  des  magistrats,  des  médecins, 
des  domestiques  ne  le  sont  pas,  parce  qu'ils  n'ont  pour 
résultat  direct  aucun  objet  matériel.  Le  système  de 
Smith  a  été  appelé  souvent  et  pendant  longtemps  un 
système  industriel,  parce  qu'il  part  du  concept  du  tra- 
vail, tandis  que  les  mercantilistes  partaient  de  celui 
de  la  monnaie  et  les  physiocrates  de  celui  de  la  terre, 
et  qu'ainsi  ils  ne  reconnaissaient  pas  la  productivité  de 
toutes  les  industries  matérielles. 

Dans  le  livre  second,  où  l'influence  physiocratique 
est  la  plus  notable,  Adam  Smith  distingue  le  fonds  de 
consommation  et  le  capital,  dont  il  énumère  les  diffé- 
rentes espèces,  en  insistant  sur  la  distinction  entre  le 
capital  fixe  et  le  capital  circulant,  entre  le  produit  brut 
et  le  produit  net;  il  indique  l'importance  de  l'épargne, 
qui  crée  le  capital  et  alimente  le  travail  productif,  tandis 
que  la  consommation  improductive  sert  d'aliment  à 
de  purs  services  qui  n'augmentent  pas  la  richesse. 
L'examen  des  différentes  formes  du  capital  l'amène  à 
parler  de  la  monnaie,  de  ses  fonctions,  de  ses  substi- 
tuts fiduciaires,  et  de  la  confusion,  déjà  critiquée  par 
d'autres,  entre  la  quantité  de  la  monnaie  et  le  taux  de 
l'intérêt,  qu'il  voudrait  voir  fixer  par  la  loi  un  peu 
au-dessus  du  taux  courant,  pour  empêcher  crue  le  capi- 
tal ne  soit  prêté  de  préférence  aux  prodigues  et  aux 
spéculateurs,  toujours  prêts  à  payer  un  intérêt  plus 
élevé.  Smith  pense  que  l'emploi  du  capital  dans  Tagri- 
culture  est  plus  productif  que  dans  les  autres  industries, 
parce  que  le  concours  gratuit  des  forces  naturelles  per- 
met de  payer  la  rente  au  propriétaire. 

Après  avoir,  dans  le  troisième  livre,  esquissé  une 
histoire  de  l'industrie^ et  étudié  plus  particulièrement 
les  causes  qui  ont  fait  prospérer  en  divers  temps  et  en 
différents  lieux  l'industrie  des  campagnes  et  celle  des 

20 


306  ADAM    SMITH 

villes,  Smith  fait,  dans  le  quatrième  livre,  un  examen 
détaillé  du  système  mercantile,  qu'il  combat  dans  son 
principe  fondamental  comme  dans  ses  différentes  appli- 
cations ;  et  il  passe  ensuite  à  l'examen  plus  rapide  et 
moins  approfondi  du  système  physiocratique,  dont  il 
met  en  évidence  les  erreurs,  mais  en  laissant  un  peu 
dans  l'ombre  ses  mérites.  La  critique  de  ces  deux  sys- 
tèmes lui  fournit  l'occasion  d'exposer  les  préceptes  de 
sa  politique  économique.  Smith  admet,  luiaus.si,  comme 
principe  supérieur  d'un  bon  gouvernement,  la  plus 
grande  liberté  dans  la  production  et  dans  la  circulation  ; 
il  combat,  comme  Que.snay ,  les  différents  expédients  des 
anciens  systèmes  restrictifs,  c'est-à-dire  l'esclavage, 
le  servage,  les  entraves  féodales  et  les  fidéicommis,  les 
monopoles,  les  corporations,  les  règlements,  la  fixation 
légale  des  prix  et  des  salaires,  le  système  colonial,  les 
primes,  les  prohibitions  et  les  droits  protecteurs  élevés, 
etc.  Il  faut  remarquer  cependant  que,  bien  qu'elle  .soit 
fondée  sur  le  principe  du  «  laissez  faire  »  et  du  «  lais- 
sez passer  «,  la  politique  économique  de  Smith  se  dis- 
tingue notablement  de  celle  des  physiocrates.  Avant 
tout,  la  démonstration  de  Smith  est  essentiellement  dé- 
duite de  raisQn.s  (Vopportuuité,  tandis  que  l'argument 
principal  de  Quesnay  et  de  Turgot  est  dans  le  concept 
juridique  du  droit  de  travailler.  De  plus,  le  principe  de 
l'identité  de  l'intérêt  individuel  et  de  l'intérêt  général 
n'est  pas  professé  d'une  façon  absolue  par  Smith,  bien 
qu'il  pense  que,  d'ordinaire,  le  bien-être  général  résulte 
de  la  lutte  des  intérêts  particuliers,  modérée  par  la 
concurrence.  Mais  ce  qu'il  importe  le  plus  de  remar- 
quer, c'est  que  Smith  défeml  la  liberté  économique  en 
se  préoccupant  surtout  de  l'intérêt  des  consommaTeùrs 
et  non  de  l'intérêt  exclusif  des  différentes  catégories 
dè^producteurs,  et  qu'il  considère  par  conséquent  le  bon 
marché  de  tous  les  produits  comme  l'idéal  du  progrès 


ET    SES    SUCCESSEURS   IMMÉDIATS  307 

économique.  Enfin,  qu'on  remarque  que,  guidé  en  cela 
par  un  sens  pratique  sûr,  Smith  ne  croit  ni  à  la  possibi- 
lité ni  à  l'utilité  d'une  application  immédiate  et  uni- 
verselle de  la  liberté  industrielle  et  commerciale,  et  que, 
étant  donné  même  un  stade  de  civilisation  très  avancé, 
ne  s'oppose  pas  à  ce  que,  pour  des  raisons  d'hygiène,  de 
moralité,  d'ordre  public  il  soit  fait  quelques  exceptions 
à  la  règle.  C'est  ce  que  prouvent  notamment  les  res- 
trictions qu'il  admet  à  la  circulation  des  billets  de 
banque,  et  à  la  liberté  du  commerce,  soit  en  temps  de 
guerre,  soit  pour  des  raisons  politiques  en  cas  de  repré- 
sailles avec  probabilité  de  succès,  et  enfin  le  droit  pro- 
tecteur à  l'exportation  de  la  laine  et  les  monopoles 
temporaires  à  des  compagnies  qui  font  des  entreprises 
aventureuses,  dont  on  peut  espérer  des  avantages  con- 
sidérables dans  l'avenir  ;  ces  restrictions  sont  mention- 
nées pour  la  première  fois  dans  l'édition  de  1784. 

Dans  le  cinquième  livre,  il  étudie  l'action  de  l'Elat. 
Smith  ne  lui  attribue  pas  seulement  les  fonctions  néga- 
tives delà  défense  des  personnes  et  des  proJDriétés  et  du 
niaintien  de  la  sécurité  intérieure  et  extérieure,  mais  il 
lui  assigne  aussi  de  larges  pouvoirs  en  matière  d'édu- 
c^t^oji.  d'instruction,  notamment  d'instruction  élémen- 
taire, et  il  pense  enfin  qu'il  doit  faire  toutes  les  œuvres 
de  grande  iitilité  pubHgue  qui  ne  peuvent  pas  donner 
une  rémunération  suffisante  à  l'industrie  privée.  Smith 
s'occupe  enfin  des  moyens  pécuniaires  indispensables 
pour  satisfaire  aux  besoins  de  la  vie  sociale,  et  il  expose 
les  règles  principales  de  rétablissement  des  impôt.?. 
Utilisant  ce  qui  avait  été  écrit  avant  lui  sur  les  finances, 
con.sidérées  spécialement  au  point  de  vue  politique  et 
fiscal,  il  fonde  le  système  des  impôts  sur  la  base  solide  de 
la  théorie  économique  de  la  distribution  des  biens  ;  il 
réfute  l'ancienne  doctrine  domaniale,  préconise  un  mé- 
lange rationnel  d'impôts  sur  la  consommation  et  sur  les 


308  ADAM    SMITH 

différentes  catégories  de  revenu,  et  met  en  lumière  les 
inconvénients  auxquels  donne  lieu  l'abus  du  crédi  t  public. 
Telle  est,  dans  ses  lignes  générales,  l'œuvre  de 
Smith.  Elle  a  déterminé  le  contenu,  les  limites,  le  ca- 
ractère et  la  méthode-de  la  science  moderne;  elle  ren- 
ferme des  germes  précieux  pour  le  développement  ulté- 
rieur de  certaines  théories  insuffisantes,  comme  celles 
de  la  population,  des  salaires,  des  profits,  et  pour  la 
correction  de  quelques  autres,  comme  celles  de  la  rente 
et  du  capital,  qui  contiennent  des  erreurs  et  des  con- 
tradictions, ou  d'autres  enfin  qui,  comme  celles  du  tra- 
vail productif  et  du  travail  improductif,  et  du  concours 
gratuit  de  la  nature  dans  l'industrie  territoriale,  se  res- 
sentent encore  de  l'erreur  fondamentale  du  système 
physiocratique  que  Smith  avait  réfutée. 

Si  Smith  a  subi,  sur  certains  points,  l'influence  de 
la  philosophie  dominante  à  son  époque,  s'il  a  une  idée 
un  peu  inexacte  sur  Tharmonie  de  l'intérêt  public  et  de 
l'intérêt  privé,  s'il  restreint  d'une  façon  trop  exclusive 
les  attributions  économiques  de  l'Etat  par  une  réaction 
excessive  contre  la  politique  économique  de  son  temps, 
s'il  ne  reconnaît  pas  suffisamment  le  caractère  essen- 
tiellement relatif  des  institutions  sociales  en  général ,  et 
du  problème  de  l'ingérence  gouvernementale  en  parti- 
culier, on  ne  peut  pas  souscrire  cependant  dans  toute 
leur  étendue  aux  accusations  d'individualisme,  de  ma- 
térialisme, d'absolutisme,  et  moins  encore  à  l'accusation 
d'idéalisme  excessif,  qui  ont  été  produites  contre  lui  par 
l'école  économique  maintenant  dominante  en  Alle- 
magne. 

S    3.    —   ADVERSAIRES,    DISCIPLES    ET    CRITIQUES 

L'œuvre  de  Smith,  dans  les  années   qui   ont  suivi 
immédiatement  sa  publication,  a   suscité  une  grande 


ET    SES    SUCCESSEURS   IMMÉDIATS  309 

quantité  d'ouvrages  qui  avaient  pour  but  d'éclaircir, 
d'ordonner,  de  résumer,  de  répandre  la  nouvelle  doc- 
trine, et  de  la  défendre  contre  les  objections,  emprun- 
tées le  plus  souvent  aux  théories  du  mercantilisme,  et 
quelquefois  aussi  de  la  corriger  et  d'exposer  d'une 
façon  plus  satisfaisante  certains  points  plus  ou  moins 
importants. 

Au  nombre  des  adversaires,  ceux  qui  se  présentent  à 
nous  avec  des  traits  caractéristiques,  quoique  différents, 
appartiennent  au  groupe  des  mercantilistes,  anglais  et 
français,  et  au  groupe  des  romantiques,  allemands  pour  la 
plupart.  Dans  le  premier  il  faut  citer  Pownall  ^Le^fe?'  to 
Adam  Smith,  1776),  Crawfurd  (Doclrine  of  equiva.- 
lents,  1794),  Gray  [The  essential pvincÂples  ofwcalth, 
1797)  et  Wakefield(A?i  essay  upon polltical  economy, 
1804)  ;  Cotteril  (1831),  et  plus  récemment  Alison  (1842) 
et  en  partie  aussi  G.  Atkinson  [Principles  of  social 
and  jiolitical  economy,  1858).  En  France,  Ferricr  (Du 
gouvernement  dans  ses  rapports  avec  le  commerce, 
1802)  essaye  de  réhabiliter  le  système  mercantile,  qui 
est  présenté  d'une  façon  modérée  par  deux  protection- 
nistes ingénieux,  l'érudit  Ganilh  [Des  systèmes  d'éco- 
nomie politique,  1809.  —  Traité  de  Véconomie  j^oli- 
tique,  1815.  —  Dictionnaire,  etc.,  1826)  et  Louis  Say 
Principjalcs  causes  de  la  richesse,  1818.—-  Traité  de  la 
richesse,  1827. —  Etudes,  etc.,  1836),et  portéauxconsé- 
quences  les  plus  absurdes  par  Saint-Chamans  {Nouvel 
essai  sur  la  richesse,  etc.,  1824)  ;  on  trouve  des  idées 
analogues  dans  Toeuvre  célèbre  de  J.  G.  Fichte  Der 
(jeschlossene  Handelsstaat,  1800),  sans  parler  des  ou- 
vrages de  Kaufmann  (1827  et  suiv.)  et  de  ceux  du  ministre 
russe  Cancrin  (1 845)  et  d'un  protectionniste  moins 
extrême,  l'autrichien  Frânzl  (1834).  L'école  que  Roscher 
a  appelée  l'école  romantique,  parce  qu'elle  voudrait 
ressusciter  avec  le  moyen-âge  politique  le  moyen -âge 


310  ADAM    SMITH 

économique,  a  son  précurseur  dans  Môser,  ses  plus  célè- 
bres partisans  sont  Gentz,  ami  de  Metternich  et  tra- 
ducteur de  Burke,  mais  elle  reconnaît  pour  chef  Adam 
MûUer  (1779-1829),  dont  les  théories  ont  été  adoptées 
plus  ou  moins  complètement  par  Haller,  Bodz-Raymond, 
Kosegarlen,  etc.  Dans  ses  différentes  œuvres,  Miiller 
{Elemente  cler  Staatskunst,  1809,  3  volumes.  —  Ver- 
sucJi  einer  neuen  Geldtheorie,  1816.  —  Nothwen- 
digkeit  einer  theologischen  Grundlage  der  Staats- 
wissenschaften,  1819),  se  déclare  l'adversaire  de  l'éco- 
nomie de  Smith,  qu'il  trouve  infectée  d'individualisme, 
et  de  sa  politique  économique,  libérale  et  cosmopolite. 
Il  y  oppose  une  théorie  qu'il  fonde  sur  la  morale  ;  il 
tient  un  grand  compte  des  conditions  historiques,  com- 
plète l'analyse  de  la  division  par  celle  de  l'associa- 
tion des  travaux,  étudie  l'influence  du  capital  intel- 
lectuel, et  défend  une  politique  nationale  et  restrictive, 
tendant  à  rétablir  les  entraves  féodales  à  la  propriété, 
et  les  corporations  d'arts  et  métiers.  Dans  les  œuvres 
de  Millier,  on  trouve  (comme  l'a  démontré  Hildebrand) 
quelques-uns  des  germes  des  théories  développées  plus 
tard  par  l'école  de  List.  Le  vicomte  Alban  de  Vil- 
leneuve-Bargemont  [Economie  politique  chrétienne. 
Paris,  1834,  3  volumes)  est  le  chef  d'une  école  d'éco- 
nomistes français  qui  ont  quelque  affinité  avec  les  théo- 
ries, ou  plutôt  avec  les  tendances,  des  romantiques 
allemands. 

L'adhésion  du  chef  de  l'école  utilitaire,  le  juriscon- 
sulte et  politique  radical  Jérémie  Bentham  (1749-1832), 
aux  théories  de  Smith,  contribua  à  la  répandre  en 
Angleterre.  Bentham  a  écrit  un  Manuel  d'économie 
joolitique,  publié  après  sa  mort  par  Dumont,  plusieurs 
monographies  sur  le  libre  échange  et  sur  la  dette  pu- 
blique et,  en  particulier,  une  Défense  of  usury  (1787) 
dans   laquelle  il    demande,    comme  Turgot  (1769),  la 


ET    SES    SUCCESSEURS   IMMÉDIATS  311 

pleine  liberté  de  l'intérêt  des  capitaux;  il  s'y  attaque  à 
une  exception  admise  par  Smith  qui  se  déclara  con- 
vaincu. H  ne  faut  pas  oublier  que  l'application  générale 
du  principe  de  l'intérêt  personnel,  acceptée  par  beaucoup 
d'économistes  (en  particulier  parles  deuxMill),  contra- 
riant les  règles  de  la  saine  morale,  a  provoqué  des  cri- 
tiques, souvent  fondées,  même  au  point  de  vue  pure- 
ment économique. 

Lord  James  Lauderdale  (1759-1839)  a  soumis  à  une 
critique  minutieuse  les  nouvelles  doctrines.  Il  a  fait  des 
observations  exactes  sur  les  différences  entre  la  richesse 
publique  et  la  richesse  privée,  sur  l'importance  de  l'uti- 
lité comme  fondement  de  la  valeur,  sur  l'impossibilité 
de  la  mesurer  d'une  façon  absolue,  sur  les  influences 
que  la  distribution  exerce  sur  la  production  ;  mais  il  est 
souvent  pédant  et  quelquefois  injuste,  comme  lorsqu'il 
met  en  doute  l'importance  de  l'épargne  et  de  la  division 
du  travail,  et  lorsqu'il  pense  que  le  commerce  n'est 
productif  que  médiatement. 

J.  Lauderdale,  Ayi  Inquiry  into  the  nature  and  ori- 
(jin  of  the  public  wealth.  Edinburgti,  1804.  2«  édit. 
1819,  trad.  franc.,  1808;  trad.  nll.,  1808. 

En  Allemagne,  les  doctrines  de  Smith,  dont  se  sont 
inspirés  beaucoup  d'hommes  d'Etat,  comme  Stein, 
Hardenberg,  et  d'autres  auteurs  des  réformes  adminis- 
tratives, effectuées  notamment  en  Prusse,  durent  néces- 
sairement transformer  entièrement,  sinon  dans  la  dis- 
tribution des  matières^  du  moins  dans  leur  contenu, 
l'ancienne  encyclopédie  économique  des  caméralistes. 
Parmi  les  meilleurs  auteurs  d'ouvrages  de  vulgarisation, 
nous  citerons  Weber  qui  importa  en  Allemagne  la 
locution  d'économie  politique  (Lehrhuch  der  politi- 
schen  Oehonomie,  1813),  Kraus,Sartorius,  Lûder,  qui, 
sans  s'éloigner  trop  de  leur  maitre,  mettent  mieux  en 


312  ADAM    SMITH 

évidence  les  facteurs  naturels  de  la  production,  les 
biens  immatériels,  la  valeur  d'usage  et  l'action  écono- 
mique de  l'Etat.  Christian  Jacques  Kraus  (S taaiswirt h- 
schaft,  1808-11)  insiste  sur  la  distinction  entre  l'éco- 
nomie pure  et  l'économie  appliquée  ;  Georges  Sartorius 
(Handbiich,  [l%.\Von  den  Elementen  des  National- 
reichtums,  1806-8)  abonde  en  illustrations  historiques, 
tandis  que  Auguste  Ferdinand  Liider  fUeber  National- 
industrie,  1800-04)  se  sertplutôt  delà  statistique,  et  plus 
tard  CDie  National'ôkonomie,  1820)  il  étudie  longue- 
ment le  prétendu  concours  gratuit  de  la  nature  dans  la 
production.  Le  comte  Jules  Soden  s'est  consacré,  avec 
plus  d'originalité,  à  la  détermination  plus  exacte  des 
concepts  fondamentaux  de  la  science.  C'est  un  auteur 
[Die  National'ôkonomie.  Leipzig,  1805-24,  9  volumes) 
obscur,  prolixe,  enclin  aux  discussions  purement  verba- 
les ;  G.  Hufeland  [Neue  Grundlegung  der  Staats- 
wirthschaftskunst.  Giessen,  1807-13)  a  exposé,  au 
contraire,  avec  beaucoup  de  pénétration  les  fonctions  de 
l'entrepreneur  et  les  notions  de  la  valeur,  du  prix,  du 
capital,  de  la  monnaie,  mais  il  est  inférieur  en  clarté  et 
en  profondeur  à  Jean  Frédéric  Eusèbe  Lotz  {Revision 
der  Grundbegriffe  der  Nationale irthschaftslehre. 
Coburg,  1811-14),  qui  a  composé  également  un  excellent 
manuel,  dans  lequel  il  défend  le  libre  échange  et  expose 
d'une  manière  diffuse  la  science  des  finances  [Handbuch 
der  Staatswirthschaftslehre.  Erlangen,  1821-22,3  vol. 
• —  2''édit.  1837-38).  Mais  c'est  le  manuel  plus  court  de 
Louis  Henri  von  Jakob  [Grunds'atze  der  Nationaloko- 
noniie.  Halle,  1805,  3''  édit.,  1825)  qui  a  été  surtout 
répandu  dans  les  écoles.  Jakob  a  traduit  Say  et  il  est 
l'auteur  d'un  manuel  très  bien  fait  de  science  finan- 
cière {Die  Staatsfinanzw issenschaft .  Halle,  1821.  2 
vol.  -  2''  édit.,  1837.  -  Trad.  franc,  de  Jouffroy,  1846). 


ET    SES    SUCCESSEURS    IMMÉDIATS  313 

§.    4.    MaLTHUS    ET    LE    PRINCIPE    DE    LA    POPULATION 

Une  place  importante  clans  l'histoire  de  la  science 
appartient  au  pasteur  protestant  Thomas  Robert  Mal- 
thus  (1766-1834),  professeur  d'histoire  et  d'économie 
au  collège  de  Haileybury.  Il  a  étudié  d'une  façon  vrai- 
ment magistrale  la  théorie  économique  de  la  population, 
dont  il  a  recherché  le  principe  fondamental  dans  ses 
applications  diverses  ;  il  a  posé  les  bases  d'une  doctrine 
qui,  dépouillée  de  son  enveloppe  pseudo-mathématique, 
et  formulée  avec  plus  de  précision  au  point  de  vue  psy- 
chologique et  au  point  de  vue  statistique,  résiste  encore 
victorieusement  aux  objections,  qui  reposent  en  grande 
partie  sur  des  équivoques,  et  aux  fausses  conséquences 
qu'en  ont  tirées  quelques  disciples  incompétents,  par- 
tisans des  restrictions  légales  au  mariage,  sans  parler 
des  partisans  du  système  immoral  du  préventive  in- 
tercouTse,  que  l'on  désigne  d'ordinaire  inexactement  du 
nom  de  néo-malthusiens. 

Malthus  a  été  élevé  par  son  père,  ami  et  correspon- 
dant de  Rousseau,  qui  croyait  à  la  théorie  du  progrès 
indéfini  (de  Condorcet),  et  à  celle  du  bonheur  illimité 
qu'aurait  donné  au  genre  humain  le  communisme 
défendu  par  William  Godwin  [Enquiry  concerning 
political  justice,  1793  —  The  enquirer,  1797).  Le 
jeune  Malthus  avait  sur  tous  ces  points  des  opinions 
différentes.  Il  publia,  sous  le  voile  de  l'anonyme  {An 
essay  on  the  principle  of  -population,  as  it  affects  the 
future  improvement  of  society,  1798),  un  opuscule 
dans  lequel  il  essayait  de  démontrer,  mais  avec  trop 
d'em.phase,  qu^aucune  réforme  économique  et  politique 
ne  pourrait  paralyser  les  maux  sociaux,  parce  qu'ils 
sont  une  conséquence  de  la  tendance  générale  et  cons- 
tante de  la  race  humaine  à   dépasser  les   moyens  de 


314  ADAM    SMITH 

subsistance,  nécessairement  limités  ;  ce  sont  ces  maux, 
la  souffrance,  la  misère  et  le  vice  qui  rétablissent,  en 
fait,  l'équilibre  entre  le  nombre  des  hommes  et  la  quan- 
tité des  éléments  nécessaires  à  leur  conservation.  Le 
pessimisme  du  premier  Essai  de  Malthus,  d'un  caractère 
nettement  polémique,  ne  se  justifie  pas,  mais  il  s'ex- 
plique, si  l'on  songe  qu'il  écrivait  aune  époque  dans  la- 
quelle la  succession  des  disettes,  les  maux  causés  par  les 
guerres,  la  concentration  des  entreprises,  le  relâchement 
dans  l'application  des  lois  sur  les  pauvres,  la  conces- 
sion faite  par  les  paroisses  de  suppléments  de  salaires 
(allowances),  l'augmentation  des  impôts  et  de  la  dette 
publique,  contribuaient  à  rendre  plus  nuisible  et  plus 
dangereux  le  contraste  entre  l'augmentation  croissante 
de  la  population  et  la  rareté  des  subsistances.  Après  de 
nouvelles  études,  mettant  à  profit  son  expérience  et  les 
renseignements  recueillis  dans  ses  voyages  en  France, 
en  Suisse,  en  Russie  et  dans  les  Etats  Scandinaves, 
Malthus  refit  complètement  son  premier  travail,  l'enri- 
chit d'abondantes  illustrations  historiques  et  statis- 
tiques, et  le  publia  sous  son  nom.  11  l'a  d'ailleurs 
corrigé  dans  les  éditions  ultérieures,  et  il  y  a  joint 
des  appendices  qui  ont  spécialement  pour  but  de 
répondre  aux  principales  objections  de  ses  adversaires. 

Th.  Rob.  Malthus,  .4»  esmy  on  ihe prinàple  of  popu- 
lation, or  a  view  of  i.t  pasi  and  présent  e/fects  on 
human  happiness,  etc.  1803.  2  vol.  —  6«  édition 
(de  l'auteur),  1826.  —  V°  Population  dans  le  Sup- 
plément à  VEnajclopaedia  Britannica  de  Macvey 
Napier  (1824). 

Cfr.  James  Bonar,  Malthus  and  his  work.  London. 
1885,  et.  Soetbeer,  Die  Stellung  der  Sozialisten 
zur  Malthus'  schen  Bcvôlkerungslehre.  Berlin,  1886. 

Dans  sa  forme  nouvelle,  l'œuvre  de  Malthus  a  le  ca- 
ractère, le  contenu,  les  proportions  d'une  œuvre  vrai- 


ET    SES    SUCCESSEURS    IMMÉDIATS  3J5 

ment  scientifique  et  originale.  Il  a  modéré  son  pessi- 
misme primitif,  et  supprimé  quelques  propositions 
risquées  ;  il  a  ajouté  une  analyse  ingénieuse  et  profonde 
des  effets  divers  qu'exercent  et  que  peuvent  exercer,  dans 
les  différents  stades  de  civilisation,  les  obstacles  posi- 
tifs et  préventifs  à  l'augmentation  de  la  population. 
Parmi  ceux-ci  il  comprend  le  moral  restraint,  qu'il 
considère  comme  le  seul  moyen  par  lequel  la  raison 
humaine,  victorieuse  de  l'instinct, 'peut  arrêter  l'excès  de 
population.  Il  enrichit  enfin  son  livre  de  la  critique 
minutieuse  des  effets  de  l'émigration  et  des  systèmes 
de  charité  légale  et  de  communisme,  dans  lesquels  il 
voit  des  excitants  à  l'augmentation  des  naissances  en 
dehors  des  limites  inexorablement  marquées  par  la 
quantité  des  aliments.  UEssai  de  Malthus  est  l'œuvre 
fondamentale  sur  le  sujet  économique  de  la  population  ; 
elle  n'a  pas  été  jusqu'ici  dépassée,  malgré  ses  défauts 
réels,  souvent  signalés,  parfois  avec  trop  de  subtilité. 
II  est  certain  que  Malthus  n'a  pas  méconnu,  mais 
qu'il  a  un  peu  atténué  (étant  donné  les  conditions  de 
son  temps),  Tinfluence  du  progrès  économique  et  en  par- 
ticulier celle  des  nouveaux  systèmes  de  culture,  d'amé- 
lioration des  communications,  du  libre  échange,  sur 
l'augmentation  des  subsistances,  et  celle  du  progrès 
intellectuel  sur  l'augmentation  des  naissances. 

Parmi  les  œuvres  moins  importantes  de  Malthus,  en 
dehors  de  son  ouvrage  sur  la  rente,  nous  devons  men- 
tionner ses  Définitions  in  political  econorny  (Lon- 
don,  1827),  trop  oubliées  maintenant.  Il  a  été  moins 
heureux  dans  ses  polémiques  avec  Say  sur  le  gênerai 
(jlut  et  avec  Ricardo  sur  la  valeur  et  les  droits  à  l'im- 
portation des  céréales.  Chose  étrange,  le  professeur 
Malthus,  esprit  pratique,  observateur  diligent  des  effets 
immédiats  des  institutions  économiques,  croyait  à  la 
po.ssibilité  d'un  excès  absolu   de  population  et  il  ad- 


316  ADAM    SMITH 

mettait  le  protectionnisme  agraire,  contrairement  à 
l'industriel  Say  et  au  banquier  Ricardo,  qui  négligeaient, 
comme  l'avoue  Ricardo  dans  ses  lettres,  les  conséquences 
transitoires  pour  rechercher  les  conséquences  défini- 
tives. 

Th.  Rob.  Malthus,  The  high  price  of  provisions,  iSOO. 

—  Observations  oniheeffecis  ofilie  corn  to?rs,1814. 

—  Grounds  of  an  opinion  on  the  poLicy  of  restric- 
iing  importation  of  foreign  corn,  1815.  —  Vrinciples 
of  political  eco7wmy,  1820.-2^  édi t.,  1836.  —  The 
nieasure  of  value,  1823.  (VoirBoaar,  op.  cit.). 


$    5.    J.-B.    SAY    ET    LA    THÉORIE    DES    DÉBOUCHÉS 

Parmi  les  contemporains  français  de  Malthus  et  de 
Ricardo,  quelques-uns  se  sont  proposés  d'éclaircir,  de 
résumer  et  de  répandre  les  principes  de  Smith,  sans 
aspirer  à  être  originaux.  Sans  parler  du  livre  prolixe, 
et  un  peu  antérieur,  d'Isnard  [Traité  des  richesses, 
1781  )  qui  s'arrête  encore  à  réfuter  les  physiocrates,  —  ce 
que  Mill  {Commerce  defended,  1808)  et  Torrens  [Eco- 
nomists  refuted)  firent  plus  tard  contre  Spence  (1807), 
—  ni  de  celui  de  Canard  {Principes  d'Economie  poli- 
tique, 1802),  l'auteur  d'une  théorie  excentrique  de  la 
répercussion  des  impôts,  ni  des  deux  volumes  de  Sis- 
mondi  (De  la,  richesse  commercicile ,  1803),  certaine- 
ment préférables  mais  bientôt  oubliés,  il  faut  mentionner 
le  petit  ouvrage  du  philosophe  comte  Destutt  de  Tracy 
[Traité  d'économie  politique,  1815),  clair  et  précis,  et 
celui  de  Joseph  Droz  {Economie  politiciue,  18'29, 
3*édit.,  1854),  qui  s'inspire  de  considérations  morales. 
Mais  ces  écrivains  ne  s'éloignent  pas,  au  fond,  des  doc- 
trines de  Say,  le  plus  illustre  des  économistes  français 
de  cette  période. 


ET    SES    SUCCESSEURS    IMMÉDIATS  317 

Jean-Baptiste  Say  (1767-1832)  est  né  à  Lyon.  Il  a  été 
commis  de  magasin,  journaliste,  puis  membre  du  tri- 
bunat,  plus  tard  directeur  d'une  filature  de  coton  et 
enfin  professeur  d'économie  industrielle  au  Conserva- 
toire des  arts  et  métiers,  et,  dans  la  dernière  partie  de 
sa  vie,  professeur  au  Collège  de  France.  Ayant  reçu, 
par  hasard,  deClavière,  qui  devint  plus  tard  ministre, 
un  exemplaire  du  livre  de  Smith,  il  s'enthousiasma  pour 
l'étude  de  l'économie  politique,  et  devint,  comme  on 
l'admet  généralement,  le  plus  grand  et  le  plus  heureux 
des  vulgarisateurs  ;  il  a  aussi,  ce  qu'on  n'admet  pas  tou- 
jours à  tort,  développé  avec  bonheur  l'œuvre  de  l'illustre 
écossais.  Dès  la  première  édition  de  son  Traité  (1803), 
qu'il  a  résumé  dans  son  Caie'c^isme  (1817),  et  enrichi 
de  développements  sur  l'économie  industrielle  dans  son 
Cours  complet  [iS^S],  qui  reproduit  les  leçons  faites 
au  Conservatoire  des  arts  et  métiers,  Say  donne  des 
preuves  de  ses  éminentes  qualités  dans  l'exposition 
claire  et  élégante  des  doctrines  purement  économiques, 
dont  il  a  donné  de  bonnes  définitions  et  qu'il  a  illustrées 
d'excellents  exemples  pratiques.  Il  a  ordonné  ses  ma- 
tières selon  sa  célèbre  division  tripartite,  et  il  les  a  ren- 
dues intelligibles  à  la  généralité  des  lecteurs,  qui  n'au- 
raient pu  aborder  les  digressions  historico-politiques 
de  Smith.  Le  Traité  de  Say  a  été  complètement  modifié 
à  sa  seconde  édition  (1814),  qu'il  ne  put  publier  sous 
l'Empire;  il  a  été  notablement  corrigé  et  complété  dans 
les  trois  éditions  postérieures.  Traduit  dans  presque 
toutes  les  langues,  il  est  devenu  un  livre  populaire, 
qui  a  permis  à  beaucoup  de  gens  de  connaître  des 
doctrines  qui  ne  leur  étaient  pas  accessibles  dans  leurs 
sources  originales.  Mais  l'ambition  qu'avait  l'auteur 
d'être  considéré  comme  le  premier  des  économistes 
de  son  temps,  et  son  manque  de  connaissances  his- 
toriques et  juridiques,  lui  firent  commettre  de  grosses 


318  ADAM    SMITH 

erreurs  sur  l'ingérence  de  l'Etat,  qu'il  veut  restreindre 
beaucoup  plus  que  ne  le  faisait  Smith,  sur  l'improduc- 
tivité des  dépenses  publiques,  et  sur  la  libre  frappe 
des  monnaies,  et  ne  lui  permirent  pas  de  tenir  un 
compte  suffisant  de  tous  les  progrès  que  la  science 
avait  faits,  notamment  en  Angleterre  et  grâce  à  Ri- 
cardo.  C'est  pour  cela  qu'il  n'a  pas  accepté  les  doctrine» 
de  ce  dernier  sur  la  valeur,  la  monnaie,  la  distribution 
et  l'incidence  des  impôts,  et  qu'il  a  ajouté  un  grand 
nombre  de  notes  critiques  à  la  traduction  française  des^ 
Principes  de  Ricardo  (1818)  faite  par  Constancio.  Il 
considère  comme  identiques  au  point  de  vue  social  les 
concepts  de  produit  brut  et  de  produit  net,  et  il  tombe 
dans  de  nombreuses  contradictions  dans  la  théorie  des 
produits  immatériels,  (Voir  ses  notes  à  une  réimpression 
non  autorisée  du  Cours  de  Storch,  1823);  il  discute 
sans  succès  contre  Gioja  sur  l'utilité  de  la  statistique, 
dont  il  n'apprécie  pas  le  caractère  scientifique.  Il  a  été 
plus  habile  dans  les  développements  qu'il  a  donnés  à 
une  partie  de  la  doctrine  des  consommations  privées  et 
dans  l'analyse  des  effets  de  l'épargne  et  de  la  consom- 
mation improductive  ;  il  a  enfin  admirablement  exposé 
la  théorie  des  débouchés,  qu'il  n'a  certes  pas  créée  de 
toutes  pièces,  parce  que,  comme  l'indique  Mac  Culloch, 
juge  d'ailleurs  trop  sévère,  elle  avait  été  déjà  entrevue 
par  Tucker,  par  Mengotti,  et  mieux  par  un  anonyme 
(Sketch  ofthe  aclv-dnce  and  décline  of  nations,  1795) 
mais  il  l'a  largement  développée,  notamment  dans  ses 
applications  à  la  doctrine  du  libre  échange  et  à  celle 
des  crises.  Au  sujet  de  celle-ci  il  soutint,  d'accord  en 
cela  avec  Ricardo,  une  polémique  heureuse  contre  Mal- 
ihus  et  Sismondi,  qui  croyaient  possible  un  encombre- 
ment général  et  permanent  des  marchandises,  sans  son- 
ger que,  tant  que  les  besoins  de  tous  ne  sont  pas 
satisfaits  (ce  qui  est  impossible),  les  encombrements  ne 


ET    SES    SUCCESSEURS   IMMÉDIATS  319 

peuvent  être  que  partiels,  parce  que,  au  point  de  vue 
général,  l'offre  et  la  demande  se  font  nécessairement 
équilibre.  Dans  ses  controverses  avec  Sismondi,  au 
sujet  du  régime  des  industries  en  général  et  des  ma- 
chines en  particulier,  Say  ne  sut  pas  réfuter  avec  des  ar- 
guments pleinement  persuasifs  1'  «  économie  à  rebours  » 
de  son  contradicteur  qui  avait  mis  à  nu  des  plaies  so- 
ciales, en  grande  partie  transitoires,  mais  dignes  ce- 
pendant d'être  prises  en  considération. 

J.  B.  Say,  Traité  cVéconomie  politique.  Paris,  1803. 
2  vol.,  5"  édit.,  1826.  -  S»  édit.  (par  A.  Clément), 
1876.  —  Catéchisme  d'économie  politique,  1817.  — 
Cours  complet  d'économie  politique  pratique.  Paris, 
1828-30.  6  vol.  —  Œuvres  complètes,  publiées  par 
H.  Say,  dans  les  vol.  IX-XII  de  la  Collection  des 
jjrincipaux  économistes.  Paris,  1841. 

Dans  l'attente  d'une  monographie  tout  à  fait  satisfai- 
sante sur  les  travaux  de  Say,  on  peut  consulter  l'étude 
excellente,  mais  un  peu  apologétique,  de  Franc.  Ferrara, 
publiée  dans  la  Dibliotecct  clelV  Economista,  série  I, 
vol.  VII,  (Torino,  1885),  pp.  V-CX  ;  et  aussi  G.  Du 
Puynode,  Etudes  sur  les  principaux  économistes, 
Paris,  1868,  pp.  336-410,  et  mieux  encore  Et,  Laspeyres, 
V"  Say  dans  Je  Deutsclies  Staaiswôrterbuch  de  Blunt- 
schli  et  Brater,  vol.  IX  (Stuttgart),  1865),  pp.  116-1-23. 

Au  nom  de  Say  se  rattache  celui  de  son  gendre, 
Charles  Comte  (m.  1837),  l'auteur  d'un  bon  livre  sur  la 
Propriété  (1834,  2  vol.)  et  d'un  Traité  de  législa- 
tion (Paris,  1827,  4  vol.)  resté  inachevé,  dans  lequel  il 
examine  à  fond  le  sujet  de  l'esclavage.  Il  faut  citer 
aussi  l'allemand  Henri  Storch,  né  à  Riga  (m.  1835), 
auteur  de  plusieurs  ouvrages,  dont  le  plus  connu, 
le  Cours  d'économie  j^olitique  (Saint-Pétersbourg, 
1815,  6  vol.)  écrit  pour  les  deux  grands  ducs  Nicolas 


320  ADAM    SMITH 

et  Michel  de  Russie,  ses  élèves,  est  peu  original  dans 
sa  partie  théorique,  mais  très  riche  au  contraire  de 
documents  sur  le  cours  forcé,  l'histoire  des  prix,  les 
banques,  etc.  Dans  son  ouvrage  le  plus  important,  les 
Considérations  sur  la  7i.ature  du  revenu  national 
(Paris,  1824),  qu'il  a  lui-même  traduit  en  allemand 
(Plalle,  1825),  il  corrige  et  complète,  devançant  Du- 
noyer,  la  théorie  des  produits  immatériels  de  Say.  et 
celle  de  la  rente,  développée  avec  plus  de  profondeur 
par  Hermann  (1832). 


§6.    RrCARDO    ET    LA    THÉORIE    DE    LA    DISTRIBUTION. 

La  science  a  fait  des  progrès  bien  plus  considérables 
grâce  aux  travaux  de  Ricardo,  le  plus  grand  des  éco- 
nomistes de  ce  siècle.  Comme  Malthus,  il  a  eu  la  male- 
chance  d'être  mal  apprécié,  et  par  beaucoup  d'admira- 
teurs enthousiastes,  et  par  un  nombre  plus  grand  encore 
d'adversaires,  anciens  ou  récents,  parmi  lesquels  nous 
regrettons  de  rencontrer  deux  écrivains  de  grande  va- 
leur, Jevons  et  Ferrara. 

David  Ricardo  est  né  en  1772  ;  il  est  le  fils  d'un  né- 
gociant juif,  d'origine  hollandaise,  qui  le  destina,  dès 
l'adolescence,  aux  affaires,  mais  qui  l'abandonna  bientôt 
parce  qu'il  désapprouva  sa  conversion  au  christianisme. 
Ricardo  devint  banquier  et  il  exerça  cette  profession 
avec  une  rare  intelligence  et  un  rare  succès  :  en  peu 
d'années  il  acquit  une  grande  fortune  ;  il  compléta  son 
instruction  en  étudiant  les  sciences  naturelles  ;  ayant 
trouvé,  par  hasard,  le  livre  de  Smith,  il  se  donna  tout 
entier  à  Téconomie  politique.  Il  fut  élu,  en  1819,  mem- 
bre du  Parlement,  où  on  fît  grand  cas  de  ses  opi- 
nions dans  les  questions  commerciales  et  financières  ;  il 
fut  l'un  des  fondateurs  du  Political  Economy   Club 


ET   SES    SUCCESSEURS    IMMÉDIATS  321 

(1821)  et  l'ami  des  plus  illustres  publicistes  de  son  temps, 
en  particulier  de  Bentham,  de  Mill  et  aussi  de  Malthus 
et  de  Say,  avec  lesquels  il  eut  des  polémiques  ardentes, 
mais  courtoises.  Il  mourut  en  18'23,  universellement 
regretté,  et  pour  les  qualités  de  son  intelligence,  et  pour 
celles  de  son  caractère,  loyal,  indépendant,  généreux. 
Pendant  sa  courte  carrière  scientifique  (1809-23),  Ri- 
cardo  publia  quelques  ouvrages  peu  volumineux,  mais 
de  grande  valeur,  dans  lesquels  il  discute  la  question 
monétaire,  et  surtout,  avec  des  réserves  et  des  tempé- 
raments souvent  oubliés  par  ses  disciples,  la  fameuse 
théorie  quantitative  de  la  monnaie,  acceptée  par  le 
Builion  Committee  de  1810,  combattue  par  Bosanquet, 
soutenue  par  la  Currency  school ,  inspiratrice  des 
Actes  bancaires  (1844-45)  de  Robert  Peel  ;  il  se  fit  le 
promoteur  d'une  banque  nationale  de  circulation  émet- 
tant des  billets  convertibles  en  lingots  d'or  ;  il  com- 
battit le  système  d'amortissement  de  la  dette  publique 
alors  en  vigueur  {sinking  fund)  ;  il  soutint  à  plusieurs 
reprises  (contre  Malthus)  la  libre  importation  des  cé- 
réales, avec  une  grande  profondeur  de  vue  et  une  pleine 
connaissance  des  faits,  notamment  dans  l'opuscule 
magistral  sur  la  Protection  de  l'agriculture. 

D.  Ricardo,  The  high  price  ofbidlion  a  proof  of  ihe 
dépréciation  of  bank  notes,  1810. -4«  édition,  1811. 
—  Reply  to  M.  Bosanquet,  1811.  —  Proposais  for 
an  economical  and  secure  currency,  1816.  —  Plaii 
for  the  establishment  of  a  national  bank,  1824  (Pos- 
thume). —  V°  Funding  System,  dans  la  6"  édition 
de  V Encyclopaedia  Britannica,  1820.  —  An  essay  on 
the  influence  of  a  loto  price  of  corn  on  ihe  profits  of 
stock,  1815.  —  On  protection  to  agricidture,  1822. 
Quatre  éditions. 

The  icorks  of  D.  Ricardo,  par  J.  R.  Mac  Culloch.  Lon- 
don,  1846  (réimprimées  en  1881). -Trad.  franc, 
par  A.  Fonteyraud.   Paris,  1847.  —  On  doit  y 

21 


322  ADAM    SMITIT 

joindre  les  lettres  publiées  dans  les  Mélanges  et 
correspondcmces  de  J.  B.  Say.  Paris,  1833  (et  dans 
les  Œuvres.  Paris,  1844)  et  les  88  lettres  plus  in- 
téressantes encore  adressées  à  Malthus  :  Letters 
of  D.  Bicardo,  etc.,  éditées  par  James  Bonar. 
Oxford,  1887. 

Sa  grande  renommée  lui  vient  surtout  de  ses  Prin- 
cipes cVécononiie  fjolitique  (1817).  C'est  une  œuvre 
originale  et  profonde  qui  fait  époque  dans  l'histoire  de  la 
science,  bien  qu'elle  n'ait  pas  tous  les  mérites  que  lui  ac- 
cordent ses  partisans  enthousiastes  (comme  Mac  Culloch 
et  De  Quincey)  et  qu'elle  présente  de  très  graves  dé- 
fauts qui  ne  peuvent  échapper  aux  critiques  conscien- 
cieux, mais  on  n'y  trouve  pas  les  fautes  signalées,  de 
mauvaise  foi  ou  d'une  manière  équivoque,  par  des  jugés 
légers  ou  incompétents.  Ricardo  ne  s'est  jamais  proposé 
d'écrire  un  traité  complet,  parce  que,  comme  cela  résulte 
de  nombreux  passages  de  ses  lettres,  il  connaissait,  et 
même  il  exagérait  par  modestie,  son  incapacité  à 
écrire  ;  il  était,  de  plus,  très  sceptique  sur  la  possibilité 
et  l'utilité  d'une  théorie  scientifique  de  la  production 
des  richesses.  Ses  Principes,  qui  n'étaient  pas,  à  l'ori- 
gine, destinés  à  la  publicité  et  qui  n'ont  été  imprimés 
que  sur  les  vives  instances  de  ses  amis,  et  spécialement 
de  James  Mill  (comme  cela  est  indiqué  dans  l'A iffo6io- 
graphie  de  son  fils,  J.  St.  Mill),  sont  comme  un  appen- 
dice à  l'œuvre  de  Smith,  dans  lequel  Ricardo,  utilisant 
les  recherches  de  quelques  écrivains  contemporains,  en 
particulier  de  Malthus,  Say  et  West,  qu'il  accepte,  rec- 
tifie ou  combat,  s'est  proposé  de  donner  une  nouvelle 
théorie  de  la  distribution  des  richesses.  C'est  là  pour  lui 
le  véritable  objet  de  l'économie  politique  ;  il  a  déduit 
cette  théorie  de  la  théorie  de  la  valeur,  et  il  y  a  ratta- 
ché ses  théories  non  moins  originales  et  profondes  sur 
les  échanges  internationaux  et  sur  l'incidence  des  im- 


ET   SES    SUCCESSEURS   IMMÉDIATS  323 

pots.  Tel  est  le  but  qu'il  se  propose  et  qu'il  a  rempli 
en  substance,  quoique  en  partie  seulement,  pour  des 
raisons  qui  se  découvrent  facilement,  si  on  veut  bien 
le  lire  avant  de  le  juger.  C'est,  d'abord,  parce  que 
Ricardo,  comme  cela  était  son  droit,  ne  s'est  occupé  que 
de  science  pure,  laissant  de  côté  les  applications;  il  a 
cherché,  comme  il  le  dit  (dans  ses  lettres  à  Malthus),  la 
vérité  et  non  l'utilité  de  ses  principes  ;  il  s'est  borné, 
même  dans  la  science  pure,  aux  déductions  tirées  d'un 
petit  nombre  de  prémisses  générales,  construisant  des 
cas  simples  ou,  selon  son  expression,  des  strong  cases, 
parce  qu'il  voulait  déterminer  les  effets  derniers  des 
lois  économiques,  étudiées  chacune  d'une  façon  indé- 
pendante, et  qu'il  a  négligé  complètement,  comme  on 
le  lui  a  reproché,  les  effets  prochains  et  transitoires, 
dont  son  émule,  observateur  plus  prudent,  plus  sa- 
vant, mais  moins  subtil  et  moins  profond,  se  préoccu- 
pait, de  son  côté,  d'une  façon  trop  exclusive. 

Etudiant,  par  exemple,  la  valeur,  Ricardo  n'ignore 
pas,  mais  il  n'apprécie  pas  à  sa  juste  valeur,  Timpor- 
tance  de  la  demande,  mais  il  exagère  celle  de  l'offre, 
représentée  par  le  coût,  tandis  qu'une  école  contem- 
poraine donne  trop  d'importance  à  la  demande,  repré 
sentéepar  l'utilité;  étudiant  d'une  façon  magistrale  la 
rente,  il  accentue  trop  l'influence  des  degrés  différents 
de  fertilité,  et  il  atténue  celle  de  la  distance  du  marché  ; 
il  ne  songe  pas  assez  à  l'influence  du  progrès,  qui 
neutralise  la  hausse  progressive  des  prix  des  denrées 
agricoles,  et,  fidèle  à  son  but  théorique  et  général,  il  ne 
tient  pas  compte  de  la  coutume,  de  la  sympathie  et  de 
l'ambition  politique,  qui  modifient  l'action  delà  concur- 
rence et  ne  permettent  pas  au  propriétaire  d'exiger 
dans  beaucoup  de  cas,  toute  la  rente  du  fermier  auquel 
il  est  personnellement  attaché  ou  qui  est  un  électeur  in- 
fluent. Ricardo  n'a  pas  voulu  s'occuper  de  toutes  les 


324  ADAM    SMITH 

théories  de  la  distribution,  et  son  élude  mérite  plus  d'un 
reproche,  par  suite  des  très  grands  défauts  de  son  expo- 
sition. Ce  sont  eux  qui  sont  la  cause  principale  des  équi- 
voques auxquelles  son  œuvre  a  donné  lieu,  des  déduc- 
tions fausses  qu'on  en  a  tirées  (les  novateurs  pessimistes} 
et  des  réfutations  erronées  qu'on  en  a  faites  (les  conserva- 
teurs optimistes).  Il  a  ainsi  laissé  une  tâche  difficile  aux 
savants  impartiaux  qui  se  proposent  de  formuler  ses 
théories  avec  plus  de  précision  et  de  clarté,  de  les  corri- 
ger, de  les  compléter,  et  d'en  déduire  des  applications 
plus  intéressantes  et  moins  éloignées  de  la  pratique.  Ri- 
cardo,  qu'on  accuse  à  tort  de  doctrinarisme,  parce  qu'il 
s'est  servi  de  la  seule  méthode  possible  pour  la  nature  des 
problèmes  qu'il  étudiait,  ne  l'a  pas  toujours  appliquée 
d'une  façon  absolue,  ainsi  que  le  reconnaissent  la  plupart 
de  ses  partisans  et  de  ses  adversaires,  unanimes  sur  ce 
point.  Ses  connaissances  historiques  et  philosophiques 
sont  moindres  que  celles  de  Smith  et  même  de  Mal- 
thus,  mais  il  a  comme  eux  et  comme  Say  la  même  con- 
naissance des  affaires  ;  si  son  exposition  est  moins  sys- 
tématique que  celle  de  Say,  et  s'il  a  accordé  à  ses  défi- 
nitions et  à  sa  terminologie  moins  de  soin  que  Malthus, 
Ricardo  les  dépasse  tous  en  profondeur  et  en  clarté.  Il 
n'eut  pas  la  précaution  d'indiquer  d'une  façon  explicite 
les  prémisses  de  ses  argumentations,  de  bien  déterminer 
les  limites  de  leur  champ  d'application  et  les  circons- 
tances principales  qui  peuvent  en  modifier  les  résul- 
tats. C'est  pour  cela  que,  tout  en  n'ignorant  pas  que 
l'utilité  est  le  fondement,  mais  non  la  mesure  de  la 
valeur,  il  formula  la  théorie  classique  du  coût  de  pro- 
duction et  celle  du  coût  comparatif  dans  les  échanges 
internationaux,  mais,  s'étant  servi  du  concept,  mal 
déterminé,  de  la  quantité  de  travail,  qui  s'identifiait 
pour  lui  avec  les  dépenses  de  production  (y  compris 
l'influence  du  capital),  on  en  a  tiré  la  théorie  socialiste 


I 


ET    SES   SUCCESSEURS    IMMÉDIATS  325 

pseudo-ricardienne     du    travail    cause    unique    de    la 
valeur  ;  il  a  réfuté  la  théorie  de  l'utilité  que  Say  oppo- 
sait à  celle  du  coût,   mais   il  ne  s'aperçut  pas   qu'une 
détermination  différente   et  plus  concrète  du   concept 
générique   de  l'utilité  pouvait    conduire  à  la   théorie 
de  l'utilité  finale,  qu'on  a  l'habitude  d'opposer    à  la 
théorie  qui  pourrait  être  appelée  du  coût  final,  dont  elle 
est,  au  contraire,   le  complément.   Qu'on  n'oublie  pas 
que  tout  ce  qu'il  y  a  d'incomplet  ou   de  mal  formulé 
dans  l'œuvre  de    Ricardo,  ne  peut  pas  lui  enlever  le 
mérite  insigne  d'avoir  enrichi  la  science  d'une  théorie 
originale  de  la  distribution  des  richesses,  qui  reste  la 
base  la  plus  sûre  des  corrections  et  des  adjonctions  qui 
ont  été  déjà  faites  et  que  Ton  fera  dans  l'avenir.   Nous 
devons,   par  conséquent,  repousser  d'une  façon  nette 
les  alïîrmations  de  ces  érudits  qui,   avec  des  citations 
exactes  seulement  en  apparence,   ont  mis  en  doute  le 
mérite  inventif  de  Ricardo.  Il  est  plus  original  encore 
que  Smith,  et  pour  des  raisons  à  peu  près    identiques. 
Presque  tous  les  éléments   de  sa  théorie  se  trouvent 
dans  des  ouvrages  antérieurs,   mais  ils  y  sont  énoncés 
incidemment,    ils   y    sont    isolés,  sans  lien  entre  eux 
et   mêlés   à  de   très   graves  erreurs.    Ricardo    doit   à 
Smith,  par  exemple,   quelques-unes   de    ses   proposi- 
tions fondamentales  sur  la  valeur,    mais   elles  étaient 
chez  Smith  exprimées  d'une  façon  obscure  et  accompa- 
gnées d'autres  propositions  absolument  contradictoires. 
La  théorie  des  débouchés  (Say)   devance,  sur  certains 
points,  la  théorie  beaucoup  plus  importante  des  échan- 
ges internationaux,  dont  Bastable  mettait  récemment 
en    lumière   la    profonde  simplicité  et  l'élégance.   La 
théorie  des  salaires  et  en   particulier  celle  des  profits, 
que  Ricardo  rattache  admirablement  à  la  théorie  des 
prix,  est  également  originale,  et  il  ne  faut  accuser  que 
la  négligence   de    l'exposé,    si   beaucoup  de  lecteurs, 


326  ADAM    SMITH 

inattentifs  OU  incapables,  ont  méconnu  le  sens  vérita- 
ble de  la  dépendance  du  taux  relatif  du  profit  et  du  coût 
du  travail  (et  non  du  salaire)  et  si  les  socialistes, 
comprenant  mal  la  notion  de  salaire  naturel,  déter- 
miné par  le  Standard  of  life,  qui  est,  pour  Ricardo, 
essentiellement  changeant,  lui  ont  attribué  la  loi  d'ai- 
rain du  salaire  irréductible  au  minimum  des  subsis- 
tances nécessaires  pour  faire  vivre  les  ouvriers  et  leur 
famille.  Même  en  ce  qui  concerne  la  rente,  l'orij^inalité 
de  Ricardo  est  pour  nous  hors  de  contestation.  Nous 
savons  qu'un  protectionniste  agraire  écossais,  James  An- 
derson,  contemporain  de  Smith  (m.  1808),  dans  quel- 
ques-uns de  ses  écrits  de  circonstance,  cités  par  Tedder 
(v"  Anderso7i  dans  le  Dictionary  of.  Pol.  Econ,  de 
Palgrave.  Part.  I,  1891,  p.  39),  mais  notamment  dans 
le  livre  An  inquiry  into  the  nature  of  the  corn  la\çs 
(Edinburgh,  1777),  découvert  par  Mac  Culloch  {Lite- 
rature  of  Pol.  Econ.,  pp.  68-70),  expose  d'une  façon 
claire,  dans  une  note,  le  principe  de  la  rente,  qu'il  déduit 
de  la  seule  considération  de  l'inégale  fertilité  des  terres 
et  que,  plus  tard,  deux  autres  écrivains,  indépen- 
damment d'Anderson,  ont  exposé,  en  même  temps  et 
expressément,  la  doctrine  de  la  rente  d'une  façon  ana- 
logue, mais  avec  des  différences  fondamentales,  qu'on 
n'a  pas  assez  remarquées.  L'un  d'eux,  Malthus  {An 
inquiry  into  the  nature  and  ^drogress  ofrent,  1815) 
pour  lequel  Bonar  et  plus  fortement  Léser  {Untersu- 
chungen  zur  Geschichte  der  Nationalœkonomie.  Jena, 
1881,  p.  47  et  suiv.)  revendiquent  la  priorité,  demeure 
encore  incertain  entre  la  vieille  théorie  de  la  rente 
(produit  net)  professée  par  les  physiocrates  et  accueillie 
partiellement  par  Smith  [en  faisant  seulement  une  excep- 
tion pour  les  mines)  et  la  nouvelle.  Il  admet,  en  effet, 
la  diversité  de  fécondité  des  terres  et  la  loi  des  revenus 
décroissants  comme   cause  de  la  rente,  mais   il  croit 


ET   SES    SUCCESSEURS    IMMÉDIATS  327 

qu'elle  dépend,  en  outre,  de  l'aptitude  de  la  terre  à 
donner  un  produit  supérieur  aux  dépenses  de  culture 
et  de  ce  caractère  particulier  des  céréales,  dont  la 
demande  ne  peut  jamais  diminuer  ;  et,  ce  qui  importe  da- 
vantage, il  insiste  sur  ces  deux  causes  supposées  dans  ses 
Principes  d'économie  politique,  postérieurs  à  ceux  de 
Ricardo.  L'autre  théoricien  de  la  rente,  sir  Edward  West 
[An  essay  on  the  application  of  capital  to  land,  1815) 
a  des  idées  plus  exactes  ;  il  est  complètement  débarrassé 
de  l'erreur  physiocratique  qui  voit  dans  la  rente  un 
effet  de  la  libéralité  de  la  nature  et  non  un  effet  de  la 
faible  production  de  la  terre.  Il  faut  remarquer, 
après  Gonner,  que  Ricardo  qui,  dans  son  Es.sai  de  1815, 
attribue  uniquement  à  Malthus  le  mérite  de  la  nouvelle 
théorie,  après  avoir  lu  l'opuscule  de  West,  cite  égale- 
ment cet  écrivain  dans  la  préface  de  son  Economie 
(1817),  dont  le  dernier  chapitre  est  consacre  à  la  réfu- 
tation des  erreurs  de  Malthus.  Malgré  cela,  la  supério- 
rité de  Ricardo,  même  sur  ce  sujet  de  la  rente,  consiste 
à  avoir  fait  des  propositions  qui  s'y  rapportent  une  des 
bases  de  là  théorie  de  la  distribution,  et  à  en  avoir  éli- 
miné pour  toujours  les  restes  du  système  de  Quesnay.  Il 
n'est  pas  nécessaire,  enfin,  étant  donné  l'honnêteté 
inattaquable  de  Malthus  et  de  Ricardo,  de  réfuter  l'aC' 
cusation,  démentie  par  les  faits,  mais  répétée  en  Alle- 
magne par  Held  (repoussée,  il  est  vrai,  par  Wagner  et 
par  Cohn),  et  en  Angleterre  par  Ingram,  d'après  la- 
quelle Ricardo,  par  sa  théorie  libérale  sur  les  céréales, 
soutenait,  dans  des  vues  égoïstes,  le  money^d  interest 
contre  le  landed  interest,  que  détendait  je  protec- 
tionniste agrarien  Malthus,  sans  songer  que  Malthus, 
dont  on  fait  le  patron  des  grands  propriétaires, 
était  un  ecclésiastique  qui  professait  dans  un  Col- 
lège entretenu  par  la  Compagnie  des  Indes,  tandis  que 
le  banquier  Ricardo  était  un  grand  propriétaire  foncier  ! 


3'28  ADAM    SMITH 

D.  Ricardo,  PrincipLes  of  political  economy  and  taxa- 
tion. London,  1817.  -  3"=  édil.  (1res  augmentée), 
1821.  -  Trad.  franc,  de  F.  S.  Conslancio  (avec 
des  noies  critiques  de  Say  ,  1818.  Deux  volumes. 
—  La  meilleure  édition  est  celle  de  E.  C.  K.  Gon- 
ner,  avec  une  introduction,  des  notes  et  des 
appendices.  London,  1891. 


La  meilleure  biographie  est  celle  de  Mac  Culloch 
(Ricardo' s  Works,  pp.  15-33).  Parmi  les  travaux  cri- 
tiques on  peut  consulter,  en  dehors  du  long  commen- 
taire de  Ed.  Baumstark  (Leipzig,  1838;  réimprimé, 
1877)  maintenant  un  peu  vieilli,  l'article  de  Et.  Las- 
peyres  dans  le  volume  III  (Stuttgart,  1864),  pp.  619- 
634,  du  Deutsches  StantsM-ôrterbuch  ;  celui  de  Em. 
Léser,  dans  les  Ja.hrbûcher  fur  Nat.  Oek.  de  Conrad, 
5887  ;  celui  de  N.  S.  Patten,  Malthns  and  Ricardo, 
Baltimore,  1889,  et  l'Introduction  de  P.  Beauregard 
à  l'édition  des  chapitres  sur  la  valeur,  la  rente,  les 
salaires  et  les  profits,  qui  forment  un  des  volumes 
(1890)  delà,  Petite  Bibliothèque  Économique  deGuil- 
laumin. 

Ricardo,  Malthus  et  Say  ferment  la  première  période 
classique  de  la  nouvelle  économie,  dont  les  résultats  se 
trouvent  résumés  dans  une  forme  rigoureusement  scien- 
tifique, mais  un  peu  aride,  par  le  publiciste  radical, 
élève  de  Bentham,  ami  intime  de  Ricardo,  James 
Mill  (1773-  1838),  l'illustre  historien  de  Vlndia  Britan- 
nica (181-1819),  qui,  le  premier,  a  formulé  d'une 
façon  explicite  la  théorie  du  fonds  des  salaires.  Ces 
résultats  ont  été  également  résumés,  .sous  forme  de 
dialogueet  de  roman,  par  Mistre.ss  Marcett,  Miss  Marti- 
neau  et  Mistress  Fawcett. 

James  Mill,   Eléments  of  political  economy.  London, 
S"  édit.,  1826.  -  Trad.  franc,  de  Parisot,  1824. 


ET   SES    SUCCESSEURS    IMMÉDIATS  329 

M.  Marcel,  Conversations  on  polilical  economy,  1817.  - 

Trad.  franc,.,  1824. 
H.  Martineau,  Illustrations  of  polilical  economy^  1832- 

1834.  Neuf  volumes.  Trad.  franc,  de  G.  de  Moli- 

nari,  1880.  2  vol. 
M.  G.  Faw^cett,  Taies  in  polilical  economy,  i%l^. 


CHAPITRE  IX 


L'ECONOMIE    POLITIQUE     EN     ANGLETERRE 


Les  progrès  de  réconomie  politique  dans  notre  siècle 
sont  dus  à  l'influence  toujours  plus  grande  qu'elle  a 
exercée  sur  les  réformes  législatives,  à  la  diffusion  et  à 
l'amélioration  des  moyens  d'échange,  de  transport,  de 
publicité  et  de  communication,  aux  modifications  fré- 
quentes du  système  monétaire,  à  la  multiplication  des 
établissements  de  crédit,  à  l'émancipation  de  l'agricul- 
ture et  de  la  propriété  foncière  des  derniers  vestiges 
des  entraves  féodales,  à  la  liberté  de  l'industrie  manu- 
facturière et  du  commerce  intérieur,  à  la  lutte  incessante 
entre  les  partisans  de  la  protection  et  ceux  du  libre 
échange,  et,  en  même  temps,  à  la  succession  rapide  des 
crises  commerciales,  monétaires,  bancaires,  et  à  la  né- 
cessité toujours  plus  grande  d'une  législation  tendant  à 
défendre  les  intérêts  des  classes  ouvrières^  insuffisam- 
ment protégées  par  les  caisses  d'épargne,  les  sociétés 
de  prévoyance,  les  coopératives,  et  par  le  patronage  des 
classes  aisées. 

D'un  autre  côté,  la  consolidation  du  système  repré- 
sentatif et  la  liberté  de  la  presse,  d'association,  de 
réunion,  qui  en  sont  les  conséquences,  augmentent 
toujours  davantage  le  cercle  des  personnes  qui  parti- 
cipent plus  ou  moins  directement  à  l'administration 
des  affaires  publiques,  et  qui  ont  ainsi  des  raisons 
spéciales    pour  s'intéresser   tout  particulièrement  aux 


332  l'économie  politique 

disciplines  qui  étudient  les  phénomènes  qui  sont  en 
relation  étroite  avec  la  prospérité  générale. 

Mais  toutes  ces  causes,  qui  donnent  une  poussée  salu- 
taire aux  études  économiques,  n'agissent  pas  partout 
avec  la  même  intensité  et  elles  n'ont  pas  partout  des 
résultats  également  importants.  L'Angleterre  a  conservé 
pendant  longtemps  la  première  place,  mais  cette 
position  éminente  lui  est  de  plus  en  plus  contestée,  en 
particulier  par  l'Allemagne,  qui  se  pose  depuis  une 
vingtaine  d^année  en  réformatrice  orgueilleuse  de  la 
science.  L'Allemagne  a  certainement  enrichi  la  science 
par  ses  nombreuses  recherches  historiques  et  statisti- 
ques et  elle  y  contribue  maintenant  par  de  très  impor- 
tants travaux,  dans  lesquels  elle  associe  à  la  puissance 
de  l'abstraction  et  à  son  exquis  sens  pratique  la  con- 
naissance des  résultats  des  travaux  étrangers,  qui  lui  a 
autrefois  manqué.  La  France,  au  contraire,  qui  jadis 
rivalisait  avec  l'Angleterre  et  qui  l'emportait  sur 
l'Allemagne,  perd  de  son  importance  théorique  par 
l'esprit  d'exclusivisme  de  l'école  qui  y  domine,  tandis 
•que  l'Autriche,  Tltalie  et  les  Pays-Bas,  et  plus  récem- 
ment les  Etats-Unis  et  la  Russie,  ont  utilisé  les  progrès 
réalisés  par  les  doctrines  anglaises  et  allemandes  tout 
en  évitant,  en  partie,  quelques  uns  des  défauts  de 
l'école  actuelle  de  l'économie  politique  allemande,  et 
elles  font  des  progrès  marqués  qui  laissent  à  une  dis- 
tance notable  les  petites  nationalités  d'origine  latine, 
Scandinave  et  slave. 

J.  Kautz,  Z)/e  geschichtliche  Entwickelung  der  National- 
okonomie  und  ihrer  Liieraiur.  Wien,  1860,  pag.  488 
et  suiv. 

J.  K.  Ingram,  Hislory  of  political  economy.  Edin- 
burgh,  1888,  pag.  138  et  suiv. 

En  Angleterre  l'économie  politique,  après  les  grandes 


EN    ANGLETERRE  333 

œuvres  de  Smith,  de  Mallhus  et  de  Ricardo,  devient 
pendant  longtemps  une  science  presque  populaire, 
enseignée  dans  les  établissements  d'instruction  supé- 
rieure aux  futurs  hommes  d'Etat  et  même  dans  quel- 
ques écoles  élémentaires  comme  un  antidote  salutaire 
contre  les  progrès  des  doctrines  socialistes,  qui  n'ont 
pas  trouvé  à  cause  de  cela  en  Angleterre  cet  accueil 
facile  qu'elles  ont  rencontré  en  France  et  dans  quel- 
ques uns  des  pays  d'Europe  et  d'Amérique.  La  vi- 
vacité de  l'opposition  faite  à  l'économie  dans  ces 
vingt  dernières  années  ne  lui  a  pas  été  dommageable 
parce  qu'elle  a  obligé  les  savants  à  faire  une  révision 
des  théories  professées  jusque-là,  et  préparé  sans  doute 
à  la  science  une  période  de  nouveaux  triomphes,  dont 
on  peut  signaler  déjà  des  présages  significatifs.  En 
Allemagne  et  en  Italie,  ce  sont  les  chaires  d'économie 
politique  qui  ont  une  influence  prépondérante  ;  en  An- 
gleterre l'instruction  économique  se  fait  par  les  nom- 
breuses revues  qui  appliquent  les  principes  de  la  science 
à  la  discussion  des  questions  d'actualité  pratique. 
Nous  signalons  principalement  la  Quarterly  et  YEdin- 
burgh  Review,  anciens  organes  des  tories  et  des 
whigs,  la  Westminster  Review,  organe  des  vieux 
radicaux,  la  Fortnightly,  la  Contempora'ry,  la  iVa- 
tional  Revie\v,\e  Nineteenth  Century,  qui  représen- 
tent les  nouvelles  tendances  libérales  ou  qui  occupent 
une  position  neutre  et  indépendante.  Parmi  les  publi- 
cations spéciales,  très  peu  nombreuses  jusqu'ici,  les 
périodiques  les  plus  célèbres  et  les  plus  anciens  sont 
le  journal  hebdomadaire  d'économie  polique,  The  Eco- 
nomist,  fondé  en  1843  et  qui  s'occupe  des  questions  com- 
merciales, monétaires  et  bancaires,  et  la  revue  trimes- 
trielle Journal  of  the  sta.tistlca.1  Society  de  Londres, 
qui  a  célébré  en  1885  le  cinquantième  anniversaire 
de  sa  fondation. 


334  'I/économie  politique 

La  ligue  de  Manchester,  fondée  par  Cobden  et  Briglit, 
grâce  à  la  persévérance  de  son  agitation  législative. et  au 
patronage  puissant  du  ministre  Peel  et  de  ses  succes- 
seurs Itussell  et  Gladstone,  a  réussi  à  faire  aboutir  les  ré- 
formes économiques  et  financières,  commencées  depuis 
longtemps  par  Huskisson.  Elle  a  obtenu  l'abolition 
des  corn-laws,  de  l'acte  de  navigation,  des  droits  pro- 
tecteurs de  l'industrie  manufacturière,  et  l'abolition  ou 
la  réduction  notable  de  nombreuses  accises.  D'autres 
mesures  ont  amélioré  d'une  façon  certaine  la  condition 
des  classes  ouvrières;  ce  sont  principalement:  la  liberté 
de  coalition,  la  reconnaissance  légale  des  «  trades- 
unions  »,  les  nombreux  «  factories  acts  »,  les  lois  sur 
les  «  friendly  »  et  sur  les  «  building  societies  »,  sur  les 
magasins  coopératifs,  etc.  On  a  aboli  aussi,  à  la  satisfac- 
tion générale,  un  grand  nombre  de  formes  d'ingérence 
gouvernementale,  vieillies  et  vexatoires  ;  mais  on  a 
aussi,  sans  trop  se  préoccuper  des  objections  exagérées 
de  quelques  doctrinaires  partisans  du  «  laissez  faire  », 
petit  à  petit  rendu  l'instruction  élémentaire  obligatoire, 
augmenté  les  ^Douvoirs  de  l'Etat  sur  les  banques 
d'émission  et  sur  les  chemins  de  fer,  créé  des  caisses 
d'épargne  postale  et  des  caisses  publiques  d'assurance 
sur  la  vie,  racheté  les  télégraphes  et  réformé  beaucoup 
d'autres  services  publics  plus  ou  moins  liés  au  bien-être 
économique  du  pays,  qui,  malgré  la  violence  de  nom- 
breuses crises  funestes,  est  allé  en  augmentant  graduel- 
lement, comme  le  démontrent  les  excellents  travaux 
statistiques  de  Levi,  de  Giffen,  etc. 

Arch.  Prentice,  Hisiory  of  ihe  anii-corn-law  league . 
Manchester,  1883.  Deux  volumes. 

Leone  Levi,  The  hisiory  of  commerce  and  of  ihe  éco- 
nomie progress  of  ihe  brilishnaiion{i 863-1878)^ 
London,  1880. 

Aug.  Mongredien,  Hisiory  of  ihe  free-irade  movement 
in  England.  London,  1881. 


EN    ANGLETERRE  335 

L.  Price,  A  short  hislory  of  polillcal  economy  in 
England  from  Ad.  Smith  to  A.  Toynbee.  London, 
1891.  (Bon  résumé  historico-cri tique  des  théories 
des  principaux  économistes  anglais,  non  com- 
pris les  économistes  actuels). 

Cannan,  .4  history  of  the  théories  of  •production  and 
distribution  in  english  political  economy  from  4776 
to  iSiS.  London,  1893  (Excellente  monographie). 


,§   J.  LE    DÉVELOPPEMENT    ULTÉRIEUR    DE    l'ÉCONOMIE 

CLASSIQUE 

L'écossais  Jean  Ramsay  Mac  Culloch  (1789- 15^64)^ 
est  un  écrivain  érudit  mais  partois  inexact,  ingénieux 
mais  quelquefois  superficiel  ;  il  est  l'auteur  d'un  grand 
nombre  d'ouvrages  économiques  et  financiers.  Il  a 
contribué  à  vulgariser  les  doctrines  de  Smith,  de  Mal- 
thus  et  de  Ricardo  par  ses  abrégés,  remarquables  par 
leur  clarté,  et  il  a  inauguré,  par  ses  travaux  biogra- 
phiques, ses  collections  d'anciens  économistes,  et  no- 
tamment par  sa  bibliographie,  les  recherches  historiques 
sur  la  science  économique,  qu'avant  lui  et  longtemps 
■encore  après  lui  on  a  complètement  négligées  ;  en  An- 
gleterre, son  Dictionnaire  du  commerce  [9^  édition  en 
1880)  est  un  répertoire  utile  de  renseignements  tech- 
niques et  statistiques. 

J.  R.  Mac  Culloch,  Principles  of  political  economy. 
Edinburgh,  l825.-7«  édit.,  1885,  trad.  franc,  sur 
la  4«  édit.  de  A.  Planche,  2«  édit.  2  vol.  —  A 
treatise  on  the  principles  and  praciical  influence  of 
taxation  and  the  fundin g  System.  Edmlmrgh,  1846. 
3*  édition,  1863.  —  The  literature  of  political  eco- 
nomy. London,  1845. 

Le  colonel  Robert  Torrens  (1780-1864)  lui  est  supé- 
rieur par  sa  pénétration  et  il  l'a  égalé  par  son  activité. 
11  est  l'auteur  de  nombreux  ouvrages  sur  la  production 


336  l'économie  politique 

des  richesses,  sur  les  salaires  et  les  coalitions,  mais  il 
est  surtout  connu  par  sa  théorie  des  échanges  interna- 
tionaux et  par  d'autres  opuscules  dans  lesquels  il 
défend  les  réformes  commerciales,  bancaires  et  finan- 
cières de  Robert  Peel. 

Rob .  Torrens,  An  essay  on  the  production  of  wealthy 
1821.  —  On  ivages  and  combinations.  1834.  —  An 
essay  on  the  influence  of  th9  external  corn  trade. 
4-^  édit.,  1827  (fort  apprécié  par  Ricardo).  —  The 
budget,  1844. 

L'archevêque  anglican  de  Dublin,  Richard  Whately 
(m.  1863),  professeur  à  Oxford,  est  l'auteur  de  bonnes 
leçons  d'introduction  à  l'économie  (1831)  ;  il  a  fondé 
une  chaire  à  Trinity  Collège,  qui  a  été  honorablement 
occupée  par  Longfîeld,  par  Lawson,  et  plus  tard  bril- 
lamment par  Cairnes,  et  maintenant  par  Bastable. 

Mais,  de  tous  les  économistes  anglais  qui  ont  écrit 
après  Ricardo  et  avant  Stuart  Mill,  la  première  place 
appartient  sans  conteste  à  Nassau  Guillaume  Senior 
(1790-186^.).  Il  a  été  professeur  à  Oxford  de  1826  à  1831 , 
et  plus  tard  en  1847.  C'est  un  économiste  sagace,  d'une 
large  et  solide  culture  ;  il  a  écrit,  dans  un  style  élégant, 
de  bonnes  monographies  sur  la  distribution  interna- 
tionale des  métaux  précieux  (1827-1828),  sur  la  popu- 
lation (1828-1829),  sur  la  valeur  de  la  monnaie  (1829), 
sur  la  mesure  des  salaires  (1830)  et  sur  la  législation 
des  fabriques  (1837).  Il  a  publié  également  des  leçons 
propédeutiques  (1826  et  1852)  et  un  précis  d'économie 
[An  outline  of  the  science  of  polit  ical  econoniy,  1836), 
inséré  d'abord  dans  V Encyclopaedia.  Metropoiitana, 
et  réimprimé  (6^  édit,  1872)  séparément.  Nous  devons 
à  Senior  une  analyse  ingénieuse  du  coût  de  production, 
dans  lequel  il  fait  entrer  la  rétribution  pour  la  formation 
du  capital,  appelée  par  lui    abstinence,  qui  a  soulevé 


EN    ANGLETERRE  337 

des  objections  fondées  en  grande  partie  sur  une  équi- 
voque. Il  a  fait  également  des  recherches  intéressantes 
sur  les  relations  entre  le  taux  des  salaires  et  celui  des 
profits  ;  il  a  été  un  des  premiers  en  Angleterre  à  s'oc- 
cuper de  la  terminologie  économique,  qu'il  a  cherché  à 
rendre  plus  correcte  et  plus  précise.  Senior  a,  en  outre, 
le  mérite  d'avoir  insisté  sur  le  caractère  scientifique 
de  l'économie  sociale  et  sur  son  caractère  de  neutralité 
à  l'égard  des  différents  systèmes  de  politique  écono- 
mique, qu'ils  soient  inspirés  par  le  principe  du  «  laissez 
faire  »  ou  par  celui  de  l'ingérence  goavernementale. 

C'est  une  grave  erreur,  répandue  notamment  en  Alle- 
magne, d'identifier  l'école  classique  anglaise  avec  l'école 
de  l'optimisme,  qui  est  représentée  par  Carey  et  par 
Bastiat,  et  de  la  désigner  sous  le  nom  d'école  de 
Manchester.  Il  n'y  a  qu'un  petit  nombre  d'écrivains 
de  second  ordre,  comme  Banfield  {Organisation  of 
iyidustrie  1844,  -  2''  édit.  1854)  et  Rickards  {Popula- 
tion and  capital,  1854),  qui  défendent  ces  opinions  on 
Angleterre.  Elles  ont  été  résumées  dans  le  Manuel  de 
Rogers  {Manuel  of  political  economy,  1868)  ;  mais  on 
n'en  fait  pas  même  mention  dans  d'autres  traités  qui 
ont  cependant  une  certaine  valeur,  et  que  nous  citons 
ci-dessous,  bien  que  quelques-uns  soient  de  date  plus 
récente. 

Th.  Chalmers,  The  Christian  and  civic  economy, 
1821 .  Deux  volumes.  —  On  political  economy-,  i®  édit, 
1832.  Il  donne  beaucoup  d'importance  au  principe 
moral  ;  c'est  un  pur  disciple  de  Malthus,  combattu  au 
contraire  par  Eisdell  (On  the  industry  of  nations,  1833). 
—  J.  P.  Stirling,  The  philosophy  oftrade,  1846,  a  fait 
de  bonnes  observations  sur  la  théorie  de  la  valeur.  — 
W.  L.  Sargant,  The  science  of  social  opulence,  1856. 
Sa  méthode  présente  quelque  analogie  éloignée  avec 
celle  de  Thunen.  —  W.   E.  Hearn,   Plutology,    186i. 

09 


338  l'économie  politique 

Réimprimé  en  1889  ;  il  contient  d'intéressants  dévelop- 
pements sur  la  production.  —  John  Macdonell,  Surveij 
ofpoliticsLl  economy,  1871.  —  John  L.  Schadwell, 
System  of  political  economy,  1877. 

.^'    2.    —   JOHN    STUART    MILL 

Les  Principes  d'économie  politique  de  cet  illustre 
philosophe,  publiciste  et  économiste,  dont  les  idées  ont 
exercé  une  influence  si  notable  sur  l'opinion  des  classes 
cultivées  en  Angleterre,  et  en  partie  aussi  sur  celle  de 
l'étranger,  nous  présentent  principalement  le  résumé, 
l'achèvement  et  l'exposé  le  meilleur  des  doctrines  de 
récole  classique  dans  leur  forme  la  plus  exacte  ;  à  un 
autre  point  de  vue,  au  contraire,  c'est  à  eux  que  se  rat- 
tachent les  théories  de  nombreux  adversaires  de  l'éco- 
nomie, notamment  des  socialistes,  et  ils  ouvrent  la  voie 
aux  perfectionnements  ultérieurs  de  l'école  critique 
contemporaine.  Pour  bien  comprendre  le  caractère,  et 
il  faut  bien  le  dire,  les  contradictions  nombreuses  de  ce 
livre  vraiment  singulier,  il  faut  pénétrer  dans  l'hi.stoire 
intime  de  la  vie  intellectuelle  et  morale  de  Mill,  qu'il  a 
lui-même  racontée  avec  une  admirable  sincérité. 

John  StuarL  Mill,  Auiobiography.  Lonclon,1873.  Trad. 

franc,  par  Gazelles,  Paris. 
W.  L.  Courtney,  Li/e  of  John  Stuart  Mill.   London, 

1889. 
F.  Faure,  v°  /.  S.  Mill  (in  Nouveau  Dictionnaire  (Céco- 

nomie  politique.  Paris,  1891.  Vol.  II    pp.  273-280). 
MinLo,  J.S.  Mill  (in  Encyclop.  Brit.  Vol.  XVI.  1883;. 

SluartMill  est  né  à  Londres  en  1806.  Son  père  le  .sou- 
mit à  un  régime  d'instruction  très  rigoureux,  soustrait  à 
tout  principe  religieux.  A  quatorze  ans  il  connais.sait 
admirablement  les  langues  et  les  littérature.';;  classiques. 


EN    ANGLETERRE  339 

Après  quelques  mois  passés  en  France  (1820),  où  il  fît 
la  connaissance  de  Say  et  de  Saint-Simon,  il  retourna 
dans  sa  patrie,  étudia  la  philosophie  et  le  droit,  et  se  lia 
alors  d'amitié  avec  Bentham,  Austin,  Grote,  Macaulay. 
Ilobtint  en  1823,  sous  l'autorité  immédiate  de  son  père, 
une  place  dans  l'administration  de  la  compagnie  des 
Indes,  qu'il  occupa  jusqu'en  1858.  Il  fut  député  de 
Westminster  (1865),  mais  il  ne  fut  pas  réélu  en  1868  à 
cause  de  l'indépendance  de  son  caractère  et  de  l'excen- 
tricité de  quelques  unes  de  ses  opinions.  Il  se  retira  à 
Avignon,  où  il  mourut  en  1873. 

Il  se  rattacha  d'abord  à  l'école  des  philosophes  radi- 
caux, dirigée  par  Bentham  et  représentée  par  la 
Westminster  Review  ;  mais,  dès  1826,  des  sentiments 
plus  nobles  et  plus  généreux  furent  éveillés  en  lui  par 
les  lettres  de  quelques  uns  de  ses  amis  (Marmontel, 
Condorcet,  Saint-Simon)  et  renforcés  par  l'amitié 
d'une  femme  de  grand  cœur  et  d'un  esprit  remar- 
quable (1831),  devenue  plus  tard  sa  femme  (1851),  dont 
il  a  fortement  dépeint  les  vertus,  et  à  laquelle  il  a  dédié 
sa  belle  monographie  sur  la  liberté  {On  liberty,  1859). 
Depuis,  disciple  dissident  de  Bentham  (voir  un  article 
de  1838  dans  la  revue  précitée),  il  apporte  d'importantes 
modifications  à  la  doctrine  de  l'utilité  [Utilitd.risni, 
1863)  ;  il  subit  plus  tard,  au  moins  partiellement, 
l'influence  de  Comte  {Auguste  Comte  and  positivism, 
1865),  avec  lequel  il  a  été  pendant  longtemps  en  cor- 
respondance (1841-1846).  Il  défendit  avec  beaucoup 
d'ardeur  les  réformes  agraires  de  l'Irlande  {England 
and  Irland,  1868),  la  représentation  des  minorités  par 
le  système  de  Hare  {On  représentative  government, 
1861)  et  les  droits  politiques  des  femmes  {On  the  sub- 
jection  of  Women,  1869). 

Ses   théories    économiques   sont    exposées  dans  ses 
•Essais  (1844),  dans  son  Système  de  logique  (1813), 


340  l'économie  politique 

dans  ses  Principes  d'économie  politique  (1848),  dans 
quelques  écrits  insérés  dans  le  recueil  de  ses  petits 
traités  (1867-1875)  et  dans  ses  fragments  posthumes  sur 
le  socialisme  (1879). 

John  Stuart  Mill,  Essays  on  sonie  unsettled  question  of 
poliiicaleconomy.  London,  1844.-2«édit.  1874.  — 
System  of  logic  7'aclocinative  and  inductioe.  1843. 
Deux  volumes.  7»  édit.,  1875.  Trad.  franc.,  par 
Peisse,  sur  la  6«  édit.  (plusieurs  éditions).  — 
Principles  of  poiitical  economy,  ivith  some  of  iheir 
applications  to  social  philosophy.  London,  1848. 
2  vol.-  7«  édit.,  1871.  Trad.  franc,  par  H.  Dus- 
saud  et  Courcelle-Seneuil  (plusieurs  éditions). — 
Dissertations  and  discussions.  2«  édit.,  1867-1875. 
Quatre  volumes.  —  Chapfers  on  socialism-  (in 
Fortnightly  Review,  1879).  Trad.  franc.,  in  Revue 
philosophique. 

Les  Essais  ont  été  écrits  en  1827  et  1830,  mais  ils 
sont  re.stés  inédits  (sauf  le  dernier)  jusqu'en  1844.  Ils 
contiennent  presque  toutes  les  contributions  vraiment 
originales  de  Mill  en  matière  d'économie  sociale.  Dans 
le  premier,  il  développe  la  théorie  du  commerce  inter- 
national de  Ricardo  et  formule  clairement  la  fameuse 
doctrine  des  valeurs  internationales,  qui  est  la  base  la 
plus  solide  des  argumentations  en  faveur  du  libre 
échange,  et  qu'il  a  enrichie  plus  tard  de  nombreux  exem- 
ples, dans  son  traité,  sous  l'appellation  d'équation  de  la 
demande  internationale.  Dans  le  second  essai,  il  étudie 
l'influence  de  la  consommation  sur  la  production,  et  il 
cherche  à  prouver  que  Vabsenteism  est  un  mal  pure- 
ment local,  et  que,  si  un  encombrement  général  et  per- 
manent des  produits  est  impossible,  un  encombrement 
général  et  temporaire  est  possible,  mais  qu'il  dépend 
du  manque  de  confiance  et  non  d'un  excès  de  pro- 
duction. Dans  le  troisième,  il  argumente  sur  l'emploi 


EN     ANGLETERRE  341 

des  mots  productif  et  improductif,  soit  au  point  de  vue 
du  travail,  soit  au  point  de  vue  de  la  consommation. 
Dans  le  quatrième,  consacré  au  profit  et  à  l'intérêt, 
Mill  défend  et  explique  la  théorie  de  Ricardo  sur  les 
rapports  entre  les  salaires  et  les  profits,  et  il  démontre 
que  ceux-ci  dépendent  du  coût  du  travail,  et  que,  par 
conséquent,  une  amélioration  dans  la  production  des 
objets  consommés  par  les  ouvriers  fait  augmenter  leur 
salaire  réel,  sans  c;ependant  diminuer  les  profits  des 
entrepreneurs.  Le  cinquième  et  dernier  essai  donne 
quelques  règles  de  méthodologie  économique,  qu'il  a 
développées  plus  complètement  et  avec  plus  de  maturité 
dans  le  sixième  livre  du  Système  de  logique.  Dans 
cette  œuvre,  il  admet,  avec  Comte,  une  sociologie  géné- 
rale, science  concrète  et  nécessairement  inductive,  et  il 
soutient,  d'un  façon  non  moins  explicite,  la  nécessité 
d'une  science  économique  séparée  quoique  non  indépen- 
dante, qu'il  distingue  magistralement  de  l'art.  Il  in- 
siste sur  son  caractère  abstrait  et  hypothétique,  qui 
nécessite,  par  conséquent,  non  pas  une  soi-disant  mé- 
thode métaphysique  et  intuitive  qu'il  repousse,  mais 
la  méthode  de  la  déduction,  qu'appliquent  également 
les  sciences  physiques  les  plus  avancées  ;  celles-ci  ont 
aussi  à  leurs  secours  l'aide  précieuse  de  l'observation 
expérimentale,  qui  est,  dans  sa  signification  rigoureuse, 
presque  complètement  inaccessible  aux  sciences  socia- 
les. C'est  là,  comme  on  l'a  vu  dans  la  première  partie, 
la  théorie  delà  méthode  qui,  grâce  aux  excellents  com- 
mentaires de  Cairnes  et  aux  récentes  rectifications  de 
Menger  et  de  Keynes,  constitue  la  base  la  plus  sûre  de 
l'économie  moderne. 

Mill  s'est  proposé  dans  ses  Principes  d'économie 
politique.,  qui  ont  été  considérés  sans  conteste  pendant 
longtemps,  et  à  certains  points  de  vue  de  nos  jours 
encore,  comme  le  meilleur  traité  anglais  sur  la  matière, 


342  l'économie  politique 

d'exposer  avec  une  ampleur  suffisante  les  doctrines  de 
l'économie  politique,  telle  qu'elle  a  été  constituée  par 
Ad.  Smith  et  complétée  par  Malthus  et  par  Ricardo, 
€n  tenant  compte  des  progrès  partiels  ultérieurs  dus  à 
Wakefîeld,  à  Babbage,  à  Rae,  à  Ghalmers,  etc.  ;  de 
joindre  aux  résultats  de  la  science  pure  leurs  applica- 
tions les  plus  importantes,  et  de  substituer  ainsi,  en 
utilisant  les  travaux  de  Jones,  de  Laing,  de  Thornton, 
aux  digressions,  parfois  trop  longues  et  vieillies  de 
Smith,  des  considérations  conformes  àl'étatactuel  de  la 
science  et  de  la  pratique,  et  pouvant  fournir  en  même 
temps  un  exemple  de  l'emploi  correct  de  la  méthode 
qu'il  avait  proposée.  Ce  but,  Mill  l'a  pleinement  atteint, 
parce  que  son  livre,  malgré  de  nombreux  défauts,  est 
devenu,  grâce  aussi  à  ses  mérites  particuliers  d'expo- 
sition claire,  ordonnée  et  attrayante,  la  source  principale 
à  laquelle  ont  puisé  les  économi.stes  contemporains, 
dont  beaucoup  ne  se  sont  plus  occupés  des  œuvres  des 
grands  maîtres, et  en  particulier  de  celles  de  Ricardo  et 
ds  Malthus,  parce  que  leurs  principes  étaient  exposés 
avec  plus  de  précision  par  Mill,  qui  s'est  préoccupé  d'en 
rendre  l'intelligence  plus  facile. 

Il  faut  notamment  prendre  en  considération,  dans 
les  Principes  de  Mill,  son  analyse  de  l'influence  du 
progrès  sur  la  population,  sur  les  prix  et  sur  la  distri- 
bution, ses  observations  sur  la  tendance  des  profits  à 
un  minimum,  sur  l'état  stationnaire,  et  l'antithèse  qu'il 
établit  entre  le  caractère  physique  des  lois  scientifiques 
de  la  production  et  le  caractère  social  de  celles  de  la  dis- 
tribution, sa  meilleure  contribution,  selon  lui,  à  l'écono- 
mie politique.  La  critique  moderne  pense,  au  contraire, 
que  son  mérite  principal  consiste  dans  l'exposition 
lumineuse  qu'il  a  faite  de  la  théorie  de  la  valeur  et  de 
celle  de  la  distribution,  et  dans  la  correction  de  quelques 
unes  des   erreurs  de  Ricardo,  bien  que  ces  corrections 


EN    ANGLETERRE  343 

restent  loin  de  la  perfection  qu'il  croyait  avoir  atteinte. 
Il  s'est  occupé,  en  effet,  de  la  valeur  courante  et  de  la, 
valeur  normale,  mais  plutôt  de  celle-ci  que  de  celle-là, 
sans  rechercher  d'une  manière  approfondie  leur 
influence  réciproque.  Dans  son  étude  de  la  valeur 
normale,  il  a  considéré,  comme  Ricardo,  le  phénomène 
par  rapport  au  vendeur,  et  il  a  un  peu  trop  insisté 
sur  le  coût  de  production  ;  il  y  a  plus  d'une  ambiguïté, 
comme  l'a  relevé  Cairnes,  dans  sa  détermination  de  ce 
coût.  Il  a  bien  indiqué  que  la  demande,  représentée 
par  l'utilité,  influe  sur  l'offre  et  par  conséquent  indirec- 
tement sur  le  coût,  mais  il  n'a  pas  su  mesurer  l'inten- 
sité de  cette  influence,  parce  qu'il  se  réfère  au  concept 
vague  de  Tutilité  totale  du  produit  (valeur  d'usage)  et, 
non  au  concept  précis  de  l'utilité  fmale(ou  marginale)en 
fonction  d'une  quantité  déterminée  ;  il  a  négligé  la 
notion  de  valeur  normale  considérée  au  point  de  vue 
de  l'acheteur,  qui,  dans  certains  cas,  modifie,  et,  dans 
d'autres,  exprime  la  valeur  normale  effective.  Il  a 
développé  d'une  façon  remarquable  la  théorie  des 
valeurs  internationales,  mais  il  ne  s'est  pas  aperçu, 
que  celle-ci  n'est  pas  complètement  séparée  ni  différente 
de  celle  des  valeurs  nationales,  mais  qu'elle  a  avec 
elle  de  nombreux  points  de  contact,  tandis  que  quelques 
unes  des  différences  apparentes  dépendent  de  l'expli- 
cation incomplète  et  inexacte  qu'il  a  donnée  de  la 
valeur  en  général.  Enfin,  Stuart  Mill  ne  s'est  pas 
préoccupé  d'appliquer  la  théorie  de  la  valeur,  qu'il 
considère  cependant  comme  fondamentale,  à  l'expli- 
cation des  lois  de  la  distribution,  soit  parce  que,  par 
erreur  de  système,  il  en  parle  (livre  2)  avant  l'échange 
{livre  3),  soit  parce  qu'il  a  été  trop  préoccupé  de  la 
différence  qu'il  y  a  entre  le  caractère  social  de  la  dis- 
tribution (c'est-à-dire  de  l'échange  des  produits  contre 
des  services  productifs)  et  le  caractère  pour  ainsi. dire 


3^4  l'économie  politique 

mécanique  de  la  circulation  (c'est-à-dire  de  l'échange 
des  produits  contre  d'autres  produits). 

Les  phases  de  la  vie  intellectuelle  et  morale  de  Mill 
nous  expliquent  les  nombreuses  contradictions  qu'il  y 
a  entre  les  différentes  parties  de  son  œuvre  capitale, 
c'est-à-dire  ses  plus  grands  défauts.  Nous  voulons 
parler  des  contradictions  réelles,  et  non  des  contra- 
dictions imaginées  par  quelques  critiques,  qui  lui  ont 
attribué  des  incohérences  de  méthode  dont  il  n'y  a  pas 
trace  dans  ses  ouvrages,  ou  des  discordances  entre 
les  doctrines  qu'il  enseigne  dans  le  domaine  de  la  science 
et  les  critères  dont  il  fait  usage  dans  les  applications, 
nécessairement  changeants  avec  les  variations  de  temps 
et  de  lieux  et  les  conditions  sociales. 

Plus  encore  que  l'influence  des  idées  philanthropiques, 
qui  lui  lont,  dans  les  éditions  ultérieures  de  ses  Prin- 
cApes  et  notamment  dans  la  troisième,  faire  des  pré- 
visions toujours  plus  favorables  à  l'avenir  de  la  classe 
ouvrière,  et  avouer  qu'il  croit  à  la  possibilité  d'une 
réalisation  éloignée  du  socialisme,  influence  qui  atteint 
son  apogée  dans  les  Chapitres  posthumes  consacrés  à  ce 
sujet;  plus  que  sa  proposition  de  restreindre  le  droit  de 
succession  en  ligne  collatérale;  plus  que  ses  sympathies 
pour  les  impôts  sur  les  transferts  de  propriété  à  titre 
onéreux,  qui  dans  les  dernières  années  de  sa  vie  abou- 
tissent au  fameux  projet  de  confiscation  de  la  rente 
future  des  terres,  on  doit  passer  sous  silence,  au  point 
de  vue  scientifique,  comme  contradictoires  entre  elles, 
la  combinaison  des  aspirations  socialistes  et  de  l'adhésion 
aux  théories  de  Malthus  ;  il  va  même  jusqu'à  proposer 
des  restrictions  légales  au  mariage.  Sa  sympathie 
pour  l'état  stationnaire,  qui  est  un  principe  de  déca- 
dence, est  en  contradiction  avec  sa  foi  inébranlable  au 
progrès  indéfini  ;  il  y  a  contradiction  aussi  entre  la  glo- 
rification du  système  des  petites  propriétés  paysannes, 


EN    ANGLETERRE  345 

qu'il  admire  avec  Laing,  et  spécialement  avec  Thornton 
{A  plea  for peasantprojjrietors,  [8^8,-2" édit.  1874), et 
l'apologie  de  la  grande  propriété  collective  dont  Mill  se 
fît  le  promoteur,  après  1870,  comme  président  de  la 
Land  tenure  refovin  association  [Dissertations  and 
discussions,  vol.  IV,  1875.  Papers  on  land  tenure)  ; 
il  y  a  contradiction  enfin  entre  les  idéals  du  véri- 
table socialisme,  ennemi  de  toute  concurrence,  et  l'apo- 
logie des  sociétés  coopératives  de  production,  qui  ne 
font  que  substituer  la  concurrence  des  entreprises  col- 
lectives d'ouvriers  à  la  concurrence  des  entreprises 
individuelles. 

A  la  gloire  de  Stuart  Mill  se  rattache  la  renommée 
moindre  d'Henri  Fawcett(  1833- 1884),  qui  a  été  profes- 
seur à  Cambridge,  membre  très  actif  de  la  Chambre  des 
Communes,  où  il  soutint  avec  beaucoup  de  chaleur  la 
réforme  financière  des  Indes  et  la  cause  de  la  coopéra- 
tion, sans  demander  cependant  une  ingérence  excessive 
de  l'Etat,  et  qui  devint,  en  1880,  Postmaster-general. 
En  dehors  des  recueils  d'un  grand  nombre  de  ses  arti- 
cles et  de  ses  discours,  on  peut  citer  ses  monographies 
remarquables,  bien  que  peu  originales,  sur  la  condition 
des  ouvriers  et  sur  le  libre  échange,  et  enfin  son  résumé 
des  Principes  de  Mill,  enrichi  de  renseignements  exacts 
et  de  développements  intéressants  sur  les  questions 
d'application,  en  particulier  sur  l'esclavage,  sur  les 
impôts  locaux,  sur  les  découvertes  des  nouvelles  mines' 
d'or,  sur  les  lois  des  pauvres,  sur  l'expropriation  des 
terres,  sur  les  «  trades-unions  » ,  sur  les  sociétés  coopé- 
ratives, etc.,  etc. 

H.  Fawcett,  The  économie  position  of  the  bristish  la- 
bourer. London,  1865.  —  Pauperism,  1871.  —  Free 
trade  and  protection^  1878.  -  6«  édit.,  1885.  —  Ma- 
tinal of  political  economy,  1863.  -  6"  édit.  1883.  — 
Essays  and  lectures  on  social  and  political  subjects, 


346  l'économie  politique 

1872.  (Cfr.  Leslie  Slephen,   TJfe  <>f  H.  Fain-etl, 
1885). 


§  3.  —    LES  MONOGRAPHIES. 

L'économie  politique  a  fait  également  des  progrès 
en  Angleterre  grâce  à  de  nombreux  travaux  qui  se 
sont  proposé  d'apprécier  certains  phénomènes,  d'en 
rechercher  les  causes,  d'en  prévoir  les  conséquences, 
de  défendre  ou  de  combattre  l'introduction  ou  l'abolition 
de  lois  et  d'institutions  nouvelles.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que  la  réforme  du  système  de  production,  due 
principalement  à  l'introduction  des  machines,  provoqua 
des  travaux,  les  uns  descriptifs,  les  autres  théoriques, 
comme  celui  du  mathématicien  Charles  Babbage  (On 
the  econoray  of  machinery  and  manufactures,  1832J 
qui  complètent  l'analyse  de  Smith  sur  les  avantages  de 
la  division  du  travail,  ou  des  écrits  techniques  apo- 
logétiques, comme  celui  de  Ure  [Philosojyhy  of  manu- 
factures, 1835.  Trad.  franc.,  Paris,  2  vol..  1836),  ou 
critico-philanthropiques  comme  ceux  de  Gaskell  {Arti- 
sans and  machinery,  1836),  deKay  [Social  condition 
of  the  people,  1852.)  et  de  Morrison  {An  essay  on 
the  relations  betxveen  labour  and  capital.  1854). 
La  question  coloniale  fut,  elle  aussi,  l'objet  de  nom- 
breuses études  ;  il  faut  citer  notamment  les  leçons  de 
H.  Merivale  {Lectures  on  colonisation,  1841-42),  et 
les  projets  hardis  de  E.  G.  Wakefield  (England  and 
America,  1843.  —  A  view  of  the  art  colonisation, \^\^). 
Sir  James  Caird  {English  agriculture.  2®  édit,  1852. 
—  The  landest  interest.  4'  édit.  1880)  a  écrit  avec  une 
grande  compétence  sur  l'économie  agraire  ;  sur  les  lois 
agraires  récentes,  il  faut  signaler  particulièrement  les 
monographies  de  Brodrick  {English  land  and  english 
landlords,  1881),  de  Schaw-Lefevre  {Freedom  of  land, 


EN    ANGLETERRE  3'l7 

1881.  — Agrarîan  tenures,  1893),  de  Kay  {Fr(3e-trade 
in  land.  9"  édit.  1885)  et  de  R.  M.  Garnier  [History  of 
the  english  landed  interest,  1893.  2  volumes).  L'apo- 
logie du  libre  échange  a  été  faite  par  Dunckley  {The 
charter  of  nations,  1854)  et  par  Farrer  {Free-trade 
versus  fair  trade,  1885)  ;  il  a  été  vivement  combattu 
par  Byles  {Sophisms  of  free-trade)  et  par  Alison  (Free- 
trade  and  protection ,  1842). 

La  question  monétaire  a  été  étudiée  par  un  groupe 
de  bons  écrivains  :  Lord  Liverpool  (A  treatise  on  the 
coins  of  the  reahn.  Oxford,  1805,  réimprimé  en  1880), 
W.  Stanley  Jevons  {Money  and  the  mecanlsm  of 
exchange.  1875.  4«  édit.  1878.  Trad.  franc..  Paris, 
1876),  J.  Sh.  Nicholson  {A  treatise  on  money.  Edin- 
burgh,  1888),  les  deux  premiers  partisans  du  mono- 
métallisme, le  dernier  du  bimétallisme,  qui  a  trouvé 
récemment  de  nouveaux  apologistes  dans  Seyd,  Bar- 
bour,  Hucks-Gibbs,  etc.  Plus  nombreuses  et,  dans 
l'ensemble,  plus  importantes  sont  les  monographies  sur 
la  question  des  banques;  elle  a  été  traitée  largement 
dans-  la  classique  Histoire  des  prix  de  Thomas 
Tooke,  continuée  par  Guillaume  Newmarch  (A  history 
of  priées  and  the  state  of  circulation  from  1192-1856. 
London,  1838-57.  Six  volumes.  Bonne  traduction  alle- 
mande, un  peu  abrégée,  par  .G.  W.  Asher,  Dresde, 
1858-59.  Deux  volumes)  et  dans  l'ouvrage  ingénieux, 
mais  souvent  paradoxal,  de  H.  D.  Macleod  [The  theory 
and  practice  of  banking .  5^  édit.  1892.  Deux  volumes)  ;, 
elle  «,  été  récemment  résumée  par  Courtey  dans  l'ar- 
ticle Banking  de  la  9^  édition  de  V Encyclopaedia  Bri- 
tannica. Sur  les  questions  pratiques,  méritent  d'être 
signalés  les  ouvrages  de  Gilbart,  de  Crump,  d'Hankey 
The  principles  of  hank,ing.  \8Q7)  et  celui  de  R.-H. - 
Inglis  Palgrave  {Bankrate  in  England,  France  and. 
Germany.  1844-78.  London,  1880),  en  grande  partie', 


348  l'égonomee  politique 

statistique.  Mais  l'œuvre  qui  présente  le  plus  grand 
intérêt  théorique  est  celle  de  Gosohen  {The  theory  of 
foreign  exchanges.  1861.  14"  édit.  1890.  Trad.  franc, 
par  L.  Say,  Paris,  4«  édit.,  1896,  sur  la  théorie  des 
paiements  internationaux,  et  l'ouvrage  élégant  de  Ba- 
gehot  (Lombard-Street,  a  description  of  the  w.oney 
markot,  1873.  -  7*^  édit.  1878.  Trad.  franc.  Paris,  187^i), 
qui  contient  un  résumé  très  clair  du  système  bancaire 
de  la  Grande-Bretagne.  Ont  enfin  une  non  moindre 
importance  les  ouvrages  de  polémique,  par  lesquels 
les  partisans  du  currency  pnnciple,  rattaché  aux  théo- 
ries monétaires  de  Ricardo,  ont  préparé  et  soutenu 
la  nouvelle  législation  bancaire  de  Robert  Peel,  Les 
partisans  du  banking  principle  ,  qui  professaient 
des  idées  plus  libérales  sur  l'émission  des  billets,  qu'ils 
considéraient  comme  essentiellement  identiques  aux 
autres  titres  fiduciaires  (lettres  de  changes,  chèques,  etc.), 
tandis  que  leurs  adversaires  les  assimilaient  à  la  mon- 
naie métallique,  ont  violemment  combattu  cette  légis- 
lation. Le  chef  de  la  première  école,  à  laquelle  appar- 
tiennent Torrens  et  Mac  CuUoch,  fut  le  fameux  banquier 
S.  Jones  Loyd  (plus  tard  Lord  Overstone),  auteur  de 
nombreux  travaux  réunis  sous  le  titre  de  :  Tracts  and 
otiier  publications  on  metallic  and  paper  currency, 
1858.  Le  chef  de  la  seconde  fut  Tooke,  qui  groupe  au- 
tour de  lui  Stuart  Mill,  Jacques  Wilson,  gendre  de  Ba- 
gchotet  son  prédécesseur  à  la  direction  de  VEcononiist 
[Capital  currency  and  banking,  1847),  et  notamment 
le  très  pénétrant  John  Fullarton  [On  the  régulation  of 
currency,  1844.  -  2*  édit.  1845). 

Les  réformes  financières  proposées ,  effectuées  ou 
combattues,  ont  été  discutées  longuement  dans  des 
ouvrages  de  circonstance,  dont  quelques-uns  sont  remar- 
quables même  au  point  de  vue  scientifique.  Je  citerai, 
parmi  les  plus  anciens,  ceux  de  Sir  John  Sinclair  [His- 


EN    ANGLETERRE  349 

tory  of  the  public  revenue.  3"  édit.  1803-4.  Trois  vol.), 
de  Robert  Hamilton  {Tfie  rise  and  progress,  the  ré- 
demption, etc.  of  the  national  debt.  3^  édit.  1818),  de 
Sir  Henri  Parnell  (On  financial  reform.  4®  édit.  188-2); 
les  ouvrages  historiques  de  Taylcr  [History  of  taxation 
of  En  gland,  1853),  d'Hubert  HaW  {History  of  the  eus- 
tom  revenue,  1885),  et  l'œuvre  grandiose  de  Stephan 
Dowell  (.4  history  of  taxation  in  England,  1884-85. 
Quatre  vol.  '2*  édit.  1888)  ;  les  ouvrages  sur  les  impôts, 
de  Sayer  (On  the  income  tax,  1831),  et  de  Buchanan 
[înquiry  into  the  taxation,  1844)  ;  les  ouvrages- 
plus  récents  de  Baxter  [Taxation  on  the  United  Klng- 
dom,  1869),  de  Noble  [The  Queen  taxes,  1870),  de 
Morton  Pelo,  de  Giffen  [Essay  on  finances.  2''  édit. 
1880),  de  Wilson  [The  national  budget,  1882)  ;  ceux 
dePalgrave(1871),  Goschen  (J872)  et  de  Probyn  (1875. 
2'  édit.  1885)  sur  les  impôts  locaux;  le  recueil  des  exposés 
financiers  de  Gladstone  [Financial  stateinents,  1 863-70. 
Trois  vol.)  et  les  belles  monographies  sur  la  dette  pu- 
blique de  Newmarch  [On  the  loans  raised  by  M.  Pltt, 
1855),  de  Capps  [The  national  debt  financially  consl- 
dered,  1859)  et  de  Baxter  {National  debts,  1871). 

Il  nous  faudrait  encore  mentionner,  si  la  place  ne 
nous  manquait,  les  publications  les  plus  importa'ntes 
sur  la  question  ouvrière  en  général  et  en  particulier  sur 
les  trades  unions,  notamment  l'ouvrage  deHowell  (The 
confticts  of  capital  and  labour.  2^  édit.  1890),  les  tra- 
vaux sur  les  sliding  scales  des  salaires,  dont  se  sont 
occupés  spécialement  Munro  etPnce{Industrial  peace, 
1887),  sur  l'arbitrage,  de  Cromnton  [Indus trial  con- 
ciliation, 1876),  et  sur  les  institutions  de  prévoyance  et 
les  coopératives.  Il  suffira  de  dire  que  les  salaires  en 
général  et  les  conditions  réelles  des  ouvriers  ont  été 
étudiés  à  plusieurs  reprises  par  Rogers,  Brassey,  Gif- 
fen, etc.;  que  les  caisses  d'épargne  et  les  sociétés  de  se- 


3b0  l'économie  politique 

cours  mutuels  l'ont  été  par  des  spécialistes  compétents, 
Ansell  (18351,  Neison  (1845),  Tidd  Pratt  (1830  et  suiv.), 
Scratchley  (1849  et  suiv.),  Lewins  (1866);  les  sociétés 
coopératives  de  consommation,  par  Holyoake  (The  his- 
tory  of  coopération  in  England,  1875-79.  Deux  vol.), 
les  sociétés  coopératives  rurales,  par  Pare  (1860),  et 
Stubbs  (1884);  les  coopératives  de  construction,  par 
Jones  (1803;)  les  caisses  ouvrières  en  général,  par  Hole 
[The  homes  of  the  worhing  classes,  1866)  ;  la  par- 
ticipation aux  bénéflces,  par  Taylor  [Profit  sharing, 
1884),  et  dernièrement  par  Lowry  Whittle,  et  par 
Rawson  {Profit  Sharing  précédents,  1891);  la  rému- 
nération du  travail  en  général,  par  Schloss  {Methods 
of  industrial  remunerati.on,  1892). 


§  4.  CRITIQUES    ET    ADVERSAIRES 

Dans  les  vingt  années  qui  ont  suivi  lapublication  des 
Principes  de  Stuart  Mill,  les  doctrines  de  l'école  clas- 
sique n'eurent  que  de  rares  adversaires,  et  ceux-ci 
même  ne  furent  que  peu  écoutés  dans  le  camp  des  éco- 
nomistes. Les  violentes  attaques  de  Carlyle,  de  Dillon, 
et  en  particulier  celles  de  Lalor  [Money  and  moral, 
1854).  de  John  Ruskin  (Wo?'/is,  1871-87),  dont  Geddes 
a  fait  récemment  l'apologie  {John  Ruskin  econoniist, 
Edinburgh,  1884),  ont  trouvé  un  écho  plutôt  parmi  les 
littérateurs  qu'auprès  des  économistes.  Même  les  ouvra- 
ges des  nouveaux  protectionnistes,  qui  ont  formé  la 
ligue  du  fair-trade,  dirigée  par  Eckroyd,  parmi  les- 
quels il  faut  citer  Sullivan,  ont  trouvé  un  certain  appui 
auprès  de  quelques  intéressés,  mais  ils  n'ont  pas  réussi 
à  persuaderles  hommes  d'étude.  On  peut  en  dire  autant 
des  articles  du  positiviste  Frédéric  Harrison  et  de 
quelques  autres  apologistes,  plus  ou  moins  exagérés, 


EN    ANGLETERRE  351 

des  trades-Linions.  Les  ouvrages  de  quelques  éminents 
philanthrophes,  Kingsley,  Denison  Maurice,  Hughes, 
ont  eu  un  peu  plus  d'influence.  C'est  inexactement  qu''on 
les  a  qualifiés  de  socialistes  chrétiens,  parce  que,  s'ils 
combattent  la  concurrence  individuelle  qu'ils  voudraient 
remplacer  par  la  coopération,  sur  laquelle  ils  fondent 
trop  d'espérances,  ils  ne  sont  pas,  comme  les  socialistes 
autoritaires,  des  ptirtisans  de  l'ingérence  excessive  de 
l'État,  pas  plus  que  ne  l'ont  été  Lord  Ashley  (plus  tard 
Lord  Shaftesbury)  et  beaucoup  d'autres  qui  ont  sou- 
tenu au  Parlement  les  factory  acts  et  d'autres  lois 
protectrices  des  intérêts  de  la  classe  ouvrière, 

Cfr.  L.  Brentano,  Die  christlich- sociale  Bewegung  in 

England.  Leipzig,  1883. 
Th.  Klrkup,  An  inqidry  inlo  socialism.  London,  1887. 
G.  Cohn,   Lord  Shaftesbury  {in  Deutsche  Rundschau. 

3"  fasc-,  1889). 

La  véritable  crise  de  l'économie  classique  anglaise, 
que  Ton  a  cru  quelquefois  avant-coureuse  de  son  nau- 
frage et  quelquefois  de  son  remplacement  par  une 
science  nouvelle,  tandis  qu'elle  a  conduit  au  contraire 
à  d'importantes  corrections  et  à  de  nouvelles  adjonc- 
tions à  la  science  ancienne,  date  de  l'année  1869.  Pour 
des  commodités  d'exposition,  nous  réduirons  à  trois 
groupes,  dont  le  premier  est  représenté  par  Thornton  et 
par  Toynbee,  le  second,  par  Cliffe  Leslie  et  Ingram,  et 
le  troisième,  par  Cairnes  et  par  Jevons,  tous  les  écri- 
vains de  ce  mouvement. 

On  peut  consulter  sur  ce  sujet,  en  dehors  des  histoires 
déjà  citées  d'Ingram  et  de  Price,  deux  articles  de  Fox- 
weli  et  de  Cohn,  juges  trop  sévères  d'ailleurs  des  éco- 
nomistes classiques. 

H.  S.  Foxwell',  The  économie -movemeni  in  England. 


352  l'économie  politique 

(in  Quarterly  Journal  of  Economies.  Boston,  oc- 
tobre 1887). 
G.  Cohn.  Die heutige  Nationalôkonomie  in  EnglawJ,etc. 
(in  Jahrbuch  fur  Gesetzgehung,   Verivaltung;  etc., 
de  G.  Schmoller.  Leipzig,  1889.  l"fasc.  pp.  1-46). 

Nous  avons  de  Guillaume  Thornton  (1813-1880)  une 
monographie  sur  la  population  {Overpopuîation  and 
itsreïnedy,  1846),  une  autre  sur  les  paysans-proprié- 
taires, déjà  citée,  et  une  autre  moins  connue  {Indian 
public  Works,  1875).  Dans  un  ouvrage,  dans  lequel  il 
se  fait  le  défenseur  des  trades  unions  {On  labour,  ils 
wrongful  daims  and  rightful  dues,  1869.  -  2^  édition, 
1870.  —  Trad.  ital.,  Firenze,  1875),  il  dirige  des 
objections  très  nettes  contre  la  théorie  de  la  valeur  et 
contre  celle  du  fonds  de  rétribution  des  salaires  iwage 
fund),  qui  était  exposée  dans  les  traités  de  Mill  et  de 
Fawcett  d'une  façon  explicite  mais  très  prudente,  tan- 
dis que  d'autres  écrivains  en  avaient  déduit  le  corol- 
laire de  la  stérilité  absolue  des  coalitions  et  des  grèves. 
Devant  les  arguments  de  Thornton,  qui  sont,  en  réalité, 
en  partie  faux  et  le  résultat  d'équivoques  sur  la  loi  do 
l'offre  et  delà  demande,  Stuart  Mill,  qui  ne  s'était  pas 
arrêté  aux  objections  dirigées  contre  la  théorie  du 
fonds  des  salaires  par  le  jurisconsulte  Longe  (A  réfu- 
tation of  the  wage-fund  theory,  1866)  et  par  Cliffe 
Leslie  {Fraser's  Magazine,  juillet  1868),  publia,  avec 
une  singulière  précipitation,  dans  la  Forlnightly 
Reciew  {mars  1869),  un  article,  réimprimé  dans  ses 
Dissertations  and  discussions  (vol.  IV,  pag.  43  et 
suiv.),  dans  lequel  il  répudiait  celte  doctrine,  en  rela- 
tion très  étroite  avec  cette  proposition  que  la  demande 
de  produits  n'est  pas  demande  de  travail.  Cette 
condescendance  irraisonnable  a  été  alors,  et  elle  est 
encore  aujourd'hui,  considérée  par  quelques  ennemis  de 
l'économie   comme   une  condamnation  de  la    science 


EN    ANGLETERHE  353 

économique,  eL  les  nombreuses  polémiques,  nées  en 
1876  à  roccasion  du  centenaire  de  la  Richesse  des 
nations,  citées  par  Laurence  Laughlin,  dans  son  édi- 
tion résumée  des  Principes  de  Mill  (New-York,  1888, 
pp.  36-37),  montrent  à  merveille  leurs  prévisions  peu 
favorables  à  l'avenir  de  l'économie  politique. 

Voir  sur  la  théorie  des  salaires  en  général,  et  sur 
celle  du  «  wage-fund  »  en  particulier  (en  alLen- 
dant  le  mémoire  annoncé  de  Slephan  Bauer), 
l'opuscule  de  W.  D.  Mac  Donnall,  A  hisiorv  mid 
criticisrn  of  Ihe  varions  théories  of  wages,  Dublin, 
1888,  plus  remarquable  par  sa  clarté  que  par  sa 
profondeur. 

On  cite  d'ordinaire,  notamment  en  Allemagne,  parmi 
les  adversaires  les  plus  récents  de  l'école  classique  en 
Angleterre,  un  jeune  homme  de  grand  talent,  Arnold 
Toynbee  (1852-1883).  Sa  fin  tragique  et  prématurée, 
son  amour  sincère  et  désintéressé  pour  les  classes 
ouvrières,  et  les  magnifiques  œuvres  de  charité  et  de 
patronage  qu'il  a  fondées,  et  que  continuent  sous  son 
nom  un  groupe  choisi  d'amis  et  de  disciples,  méritent 
de  retenir  l'attention  plus  que  ses  travaux  scientifiques, 
à  peine  commencés.  En  effet,  dans  ses  leçons  posthu- 
mes, fort  exactement  appréciées  par  Marshall  dans  sa 
belle  préface  à  Vlndustrial  pedce  de  Price  (1887).  on 
trouve  des  jugements  souvent  sensés,  quelquefois  témé- 
raires, sur  la  science' économique,  des  recherches  his- 
toriques intéressantes  et  de  sages  projets  de  législation 
sociale,  qui,  considérés  dans  leur  ensemble,  ne  sont  rien 
moins  que  favorables  à  une  excessive  ingérence  gou- 
vernementale, et  qui  sont  par  suite  en  contradiction 
flagrante  avec  son  étrange  prophétie,  selon  laquelle  à 
l'ère  de  la  liberté  des  échanges  succédera  celle  de  l'ad- 
ministration. Toynbee  se  déclare  radical  et  sccialiste, 

23 


354  l'économie  politique 

mais  il  demande  la  réalisation  de  la  justice,  il  exalte  le 
self  help,  la  coopération,  l'initiative  individuelle,  le 
respect  de  la  propriété  privée,  il  répudie  le  matéria- 
lisme, etc.  Ces  contradictions  dans  le  domaine  de  l'art 
économique  ne  doivent  pas  nous  surprendre  chez  un 
auteur  qui  appelle,  dans  une  de  ses  leçons,  l'école  de 
Ricardo  une  imposture  intellectuelle,  alors  que,  dans 
une  autre,  il  déclare  qu'elle  a  besoin  seulement  de 
quelques  corrections  et  d'une  forme  plus  rigoureuse- 
ment scientifique. 

A.  Toynbee,   Lectures  on  the  industrial  révolution  in 
England.  London,  1884.  -  2«  édit.,  1887. 

L'école  classique  a  trouvé  un  adversaire  beaucoup 
plus  compétent  dans  l'avocat  irlandais  Thomas  Edouard 
Cliffe  Leslie  (1827-1882).  Il  a  été  professeur  à  Belfast, 
mais  il  résidait  en  Angleterre,  C'est  un  écrivain  savant 
et  érudit,  auquel  on  doit  des  monographies  sur  l'éco- 
nomie appliquée,  dans  lesquelles  il  se  déclare  partisan 
de  profondes  réformes  financières,  notamment  de  la  ré- 
forme des  impôts  indirects,  et  de  l'émancipation  de  la 
propriété  foncière  des  entraves  féodales,  A  l'école  deSum- 
ner  Maine  et  dans  ses  fréquents  voyages,  Leslie  se  livra 
à  des  recherches  historico-économiques,  et  il  fut  le  plus 
chaud  et,  pendant  quelque  temps,  le  seul  partisan 
du  courant  suivi  en  Allemagne  par  Roscher  et  par 
Knies,  Il  ne  reste  de  lui  que  des  Essais,  publiés  dans 
plusieurs  revues,  le  manuscrit  d'une  œuvre  historique 
de  longue  haleine  ayant  été  perdu  en  1872,  Parmi  ces 
essais,  nous  devons  rappeler  ceux  qu'il  a  consacrés  à 
des  questions  agraires,  dans  lesquels,  comme  Mill  et 
Thornton,  il  défend  la  petite  propriété  et  même  la  petite 
culture,  et  ceux  qui  sont  consacrés  à  l'étude  de  la  dis- 
tribution des  métaux  précieux,  de  l'histoire  des  prix  et 


EN    ANGLETERRE  355 

des  variations  des  salaires  et  des  profits.  Les  théories 
générales  de  Leslie,   indiquées  dans   quelques  courts 
travaux  critiques  sur  les  œuvres  de  Smith,  Mill,  Cair- 
nes,  Bagehot,  sont  développées  dans  ses  Essais  sur  les 
relations  de  l'économie  et  de  la  statistique,  et  en  parti- 
culier dans  celui  qui  est  consacré  à  la  méthode  philo- 
sophique dans   l'économie    politique,    publié    d'abord 
dans  le  périodique  irlandais  HormR.thena(\o\.  II,  1876, 
réimprimé  dans  les  Essays  de  1888,  pp.   163-193).   Ce 
mémoire  a  spécialement  pour  but  de  combattre  la  mé- 
thode   déductive,  c'est-à-dire  l'étude  distincte    du  côté 
•économique  des  problèmes  sociaux,  de  nier  l'existence 
des  lois  générales  de  l'intérêt  et  du  profit,  et  finalement 
de  combattre,  comme  trop  indéterminé  et  trop  exclusif, 
le  concept  du  désir  de  la  richesse,  fondement  principal 
des  déductions  de  l'école  classique.  Des  objections  très 
analogues,  non  moins  absolues  et  exagérées,  contre,  la 
méthode  déductive,  avaient  déjà  été  faites  par  le  protec- 
tionniste David  Syme,  auteur  d'un  livre  très  fortement 
loué  par  Cohn  {Outline  of  an  industrial  science,  1874), 
<lans  un  article  inséré  dans  la  Westminster   Review, 
(vol.   96,    1871);    Lowe    (Lord  Sherbroocke),  dans  la 
Nineteenth  Century  (novembre  1878),  et  mieux  Sidg- 
wick,  dans  la  Fortnightly  Review  (vol.  31,  1879),  ont 
répondu  à  ces  deux  attaques. 

Des  opinions  très  analogues  à  celles  de  Leslie  sont  en 
<;e  moment  défendues  par  un  autre  éminent  économiste 
anglais,  John  Kells  Ingram,  qui  professe,  comme  Har- 
rison  et  Geddes,  les  doctrines  philosophiques  et  sociales 
d'Auguste  Comte,  qu'il  considère  comme  le  précurseur 
de  l'école  historique  allemande.  Il  a  reproché  à  la  théorie 
classique  d'être  trop  abstraite  et  trop  absolue,  dans  un 
discours  célèbre,  et  dans  son  Histoire  de  Véconomie 
politique,  déjà  plusieurs  ibis  citée,  qui  constituent 
avec  d'autres  excellents  articles  insérés  dans  la  9*  édi- 


356  l'économie  politique 

lion   de  V Eneyclopaedia  Britannica,   ses  principaux 
titres  scientifiques. 

Th.  Ed.  Cliffe  Leslie,  Lancl  Systems  and  industrial 
eronomy  of  Ireland,  England  and  conlinenlal  coun- 
tries,  1870.  —  Essays  in  poliiical  economy  and 
moral  philosophy.  Dublin,  1879.-2'"  édil.  (avec  sept 
nouveaux  essais  économiques  substitués  aux 
essais  purement  politiques),  1888. 

J.  K.  Ingram,  The  présent  position  and  prospects  of 
pohtlcal  rconomy.  Londres,  1878.  (Cfr.  E.  Naz- 
zani,  Saggl  di  economia  polilica.  Milano,  1881, 
pp.  17-21.) 

Mais  l'économie  politique  a  fait  beaucoup  plus  de 
progrès  grâce  aux  travaux  de  deux  hommes  éminents. 
qui  ne  se  sont  pas  contentés  de  la  critique  purement  né- 
gative et  qui  ont  apporté  des  corrections  essentielles  et 
d'utiles  compléments  aux  doctrimes  de  Stuart  Mill, 
dont  ils  ont  été  les  continuateurs  les  plus  illustres  en 
Angleterre.  Cairnes  et  Jevons.  bien  que  leurs  mé- 
thodes et  leurs  buis  soient  différents,  le  premier  se 
déclarant  disciple  de  Stuart  Mill,  qu'il  combat  avec 
énergie  sur  plusieurs  points,  tandis  que  le  second  a  cru 
substituer  des  doctrines  absolument  nouvelles  aux  doc- 
trines de  Ricardo,  qu'il  appelle  able  but  wong-headecl , 
et  de  son  admirateur  Mill,  alors  qu'en  réalité  sa  cri- 
tique, ne  conduit  pas  à  des  conséquences  au.ssi  étranges 
et  aussi  désatreuses. 

John  Elliot  Cairnes  (18"24- 1875),  irlandais  lui  ausî^i, 
condisciple  de  Cliffe  Leslie,  professeur  à  Dublin  en  1861 , 
puis,  pendant  quelque  temps  (186fi-187"2)  à  VUniver- 
sltij  Colk'de  de  Londres,  a  déployé  une  extraordinaire 
activité  scientifique,  notamment  dans  les  dix  dernières 
années  de  sa  vie,  que  troublait  une  très  douloureuse 
maladie.. En  dehors  de  son  ouvrage  sur"  la  méthode 
(1857),  plusieurs  fois  cité,  et  qui  a  été  pendant  plus  de 


EN    ANGLETERRE  357 

vingt  ans  le  meilleur  sur  ce  sujet,  Cairnes,  qui  avait 
une  aptitude  singulière  à  suivre  l'actioa  de  certaines 
causes  économiques  générales  à  travers  un  ensemble 
très  compliqué  de  faits,  a  publié  un  important  travail 
sur  l'esclavage  aux  Etats-Unis  {The  slav(3  power,  its 
character,  career  and  probabla designs,  1862.  -2''édit., 
1863)  dans  lequel  il  a  montré  les  principaux  inconvé- 
nients économiques  du  travail  servile,  fait  de  mauvaise 
grâce,  maladroit  et  uniforme.  Il  a  publié  en  outre,  dans 
différentes  revues,  quelques  essais  remarquables;  les  uns 
critiques,  comme  ceux  sur  Comte  et  Bastiat  ;  d'autres 
économico-historiques,  parmi  lesquels  il  faut  en 
signaler  quelques  uns  de  très  importants  sur  les  effets 
probables  de  l'augmentation  de  la  production  de  l'or, 
qu'il  développe  admirablement  en  analysant  le  pro- 
cessus de  renchérissement  des  prix,  variable  selon  que 
les  pays  sont  plus  ou  moins  directement  en  communica- 
tion d'affaires  avec  les  ré:^ions  métallifères,  et  selon  la 
nature  des  produits,  matières  premières  ou  objets  ma- 
nufacturés; d'autres,  enfin,  d'économie  appliquée,  et 
particulièrement  l'essai  sur  le  véritable  caractère  de 
ia  maxime  «  laissez- faire  ». 

A  la  veille  de  sa  mort  Cairnes  publia  son  œuvre 
principale,  sur  quelques  principes  fondamentaux  de 
l'économie,  qu'il  expose  avec  une  certaine  nouveauté 
de  vues.  Elle  comprend  trois  parties  :  la  valeur,  le  travail 
et  le  capital,  le  commerce  international.  Dans  la 
première,  utilisant  le  traité  do  Cherbuliez,  qu'il  a  fait 
connaître  aux  anglais,  il  préci.se  mieux  la  distinction 
entre  les  lois  de  la  valeur  courante  et  les  lois  de  la 
valeur  normale,  il  relève  quelques  inexactitudes  de 
Stuart  Mill  sur  le  coût  et  les  dépenses  nominales  de 
production,  en  excluant  du  premier  (comme  l'avait  déjà 
fait  Senior)  les  salaires  et  les  profits.  Par  sa  célèbre 
théorie   des   groupes  non   concurrents,  il   chercha   à 


358  l'économie  politique 

démonti:er  que,  même  dans  l'industrie  intérieure,  la  con- 
currence et  le  coût  n'expriment  pas  toujours  la  loi  de  la 
valeur,  qui  est  déterminée  par  la  demande  réciproque. 
Il  eut  cependant  le  tort    de   donner  une  importance 
exacrérée  à  cette  théorie,  qui  modifie  la  loi  de  Ricardo 
et  de  Stuart  Mill,  mais  ne  la  détruit  pas,  et  il  ne  saisit 
pas   le    véritable  sens    de   la    théorie   du   degré   final 
d'utilité,  qu'il  critiqua  trop  à  la  légère.  Dans  la  seconde 
partie  il    faut  surtout  relever  la  doctrine  du  fonds  de 
rétribution  des  salaires,  répudiée  par  Mill,  comme  nous 
l'avons  dit,   et  que  Cairnes  a   formulée   avec  plus  de 
précision,   mais  avec    des   observations    qui    en    atté- 
nuent Timportane.    Il    ramène    à    de    justes    propor- 
tions   l'influence  des   trades    unions  sur  le   taux   des 
salaires  et  il  se  montre  très  confiant  dans  l'avenir  de  la 
coopération  ;    il  réfute  d'une  façon  persuasive  la  loi  de 
Brassey   [On -work  and  wages,  1878)  sur  l'uniformité 
générale  du  coût  du  travail.  La    troisième  partie  n'est 
pas  moins  importante  ;  elle  contient  une  révision    mi- 
nutieuse  de  la   théorie  du   commerce  et   des  valeurs 
internationales  de  Ricardo  et  de  Mill  ;  il   substitue    à 
l'idée  de  la  balance  des  importations  et  des  exportations 
l'idée  plus  compréhensive  et  plus  exacte  de  la  balance 
des  dettes  et  des  créances  ;  sur    ce  point  (comme   le 
remarque  Bastable)  il  avait  été  précédé  par  J.  L.  Forster 
(An  essay  on  thej^rinçijjle  of  commercial  exchanges ^ 
1804),    que  Mac    Culloch   a   loué    pour  ses  idées    sur 
l'absentéisme.    Descendant    aux  applications,    Cairnes 
combat  les  principaux  arguments  des  protectionnistes, 
notamment  des  protectionnistes  américains  ;  il  est  très 
heureux,  comme  le  remarque  Ingram,  dans   sa  réfu- 
tation de  l'argument  qui  s'appuie  sur  la  concurrence 
que  le  high-payed  labour  de  ce  pays  fait  au  pauper 
labour  de  l'Europe,  il  est  moins  convaincant  au  con- 


EN    ANGLETERRE  359 

traire  dans  sa  critique  de  la  doctrine  de  Carey  sur 
l'utilité  de  la  multiplicité  des  industries,  et  de  celle  de  Mill 
sur  la  protection  des  industries  naissantes,  théorique- 
ment admissible,  comme  le  remarque  Sidgwick.  mais 
pratiquement  inopportune,  comme  l'a  démontré  en  quel- 
ques lignes  Bastable  (He7^?Tiai/iena,  n.  12.  Dublin,  1886). 

J.  E.  Calmes,  Essays  on  polilical  economy,theoreHca- 
and  applied.  Lonclon,  1873.  —  Some  leading  prin- 
r.iples  of  political  economy  neivly  expounded,  1874. 
—  Trad.  ital.  Firenze,  1877.  (Cfr.  surCairnes  l'ar- 
ticle de  Fawcett  dans  la  Fortnightly  Revieit\ 
l"  août  1875.) 

Guillaume  Stanley  Jevons  est  né  à  Liverpoolen  1835. 
Essayeur  à  l'hôtel  des  monnaies  de  Sidney  de  1854  à 
1859,  il  étudia  de  retour  en  Angleterre  les    sciences 
philosophiques    et    morales;    il    avait  antérieurement 
étudié  les  sciences  physiques  et  mathématiques.  Il  a  été 
professeur   de    logique    et  d'économie    à   Manchester 
(1 863-1878),  puis  à  VUniversity  Collège  de  Londres 
(1876-1881)  ;  il  s'est  noyé  à  Bexhill  en  1882.  Il   a  laissé 
des  travaux  importants  sur  des  sujets  très  divers,  mais 
il  n'a  pu  produire  tout  ce  qu'il  aurait  pu  donner  sans 
cette  mort  prématurée.  Il  fut  un  logicien  éminent,  un 
pénétrant   économiste,    un    bon  mathématicien,    et   il 
avait   une  aptitude    extraordinaire    pour    les  travaux 
statistiques.   Il  exposait   alternativement  les    résultats 
de  ses  études^  dans  une  forme  populaire,  comme  dans 
le  Primer  of  politicsil   economy  (1878)    et  dans  son 
volume  sur  la  monnaie  (1875),   ou  dans  le  langage  le 
plus  élevé  de  la  science  comme  dans  ses  Principles  of 
science  (1874,  deux  vol.),  non  sans  associer  quelquefois 
à  la  rigueur  de  l'argumentation  les  élans  de  la  fantaisie, 
auxquels  il  n'a  pas  résisté  dans  son  étude  sur  les  crises 
commerciales,  dont  il  rattache  la  périodicité  à  celle  des 


oCO  l'économie  politique 

récoltes  du  blé  et  indirectement  à  celle  des  taches 
solaires  {The  periodicity  of  coinrnercial  crises, 
1878-79.  Réimprimé  dans  ses  Investigations,  pag. 
221  et  siiiv.). 

Le  premier  travail  de  Jevons  qui  attira  l'attention  des 
savants  concernait  la  dépréciation  de  l'or  [A  serions 
fall  in  the  value  of  golcl,  1863,  réimprimé  dans  ses 
Investigations,  img.  13-118),  qu'il  a  étudiée  avec  une 
méthode  très  différente  de  celle  de  Cairnes;  il  publia 
ensuite  une  monographie,  dans  laquelle  il  se  préoccupe 
d'un  épuisement  possible,  quoique  éloigné,  de  la  houille 
{The  coal  question,  1865).  Parmi  ses  nombreux  tra- 
vaux économico-statistiques,  dans  lesquels  il  fit  grand 
usage  des  représentations  graphiques  et  des  moyennes 
géométriques,  dont  il  se  sert  plutôt  que  des  index  num- 
5e/'.s  de  Nevi^march,  souvent  employés  dans  r/?conomisf, 
il  faut  signaler  tout  particulièrement  ses  recherches  sur 
les  variations  des  prix,  ses  tentatives  ingénieuses  pour 
trouver  les  lois  des  oscillations  du  taux  de  Tescompte, 
de  la  circulation  et  des  réserves  métalliques  de  la 
Banque  d'Angleterre,  etc.  Dans  le  domaine  de  l'éco- 
nomie appliquée,  Jevons  a  étudié  à  plusieurs  reprises 
les  questions  de  la  lutte  des  types  monétaires  ;  il 
a  toujours  été  un  défenseur  convaincu  mais  modéré 
du  monométallisme  ;  sur  la  question  ouvrière,  il  est 
favorable  à  la  coopération  et  à  la  participation  aux 
bénéfices,  et  il  a  affirmé  la  nécessité  d'une  sage  législa- 
tion sociale  {The  State  in  relation  to  labour,  I8i^2). 

Au  point  de  vue  de  l'économie  rationnelle,  Jevons,  qui 
s'était  posé  en  réformateur  radical,  a  donné  des  essais, 
remarquables  sans  aucun  doute,  mais  qui  n'ont  pas 
restauré  la  science  ab  imis  fundamentis.  Un  peu 
sceptique  sur  l'unité  future  de  Téconomie  politique, 
comme  cela  résulte  d'une  de  ses  leçons  d'ouverture 
{Fortnightly   RevieWy  vol.   20,  décembre  1876),   il  a 


EN    ANGLETERRE  361 

déclaré,  dès  1862,  que  l'économie  comme  science  doit 
être  étudiée  avec  la  méthode  mathématique,  qu'il  croyoit 
capahle  de  donner  des  mesures  exactes  des  données 
psychologiques  sur  le  plaisir  et  la  douleur,  selon  lui  le 
point  cardinal  des  recherches  économiques  :  c'est  ce 
qu'il  a  essayé  de  faire  dans  un  fragment  encore  inédit 
■consacré  à  la  consommation.  En  précisant  le  concept 
de  l'utilité  finale,  Jevons,  qui  n'avait  pas  connu  les 
travaux  de  Gossen  (1854),  a  apporté  une  contrihution 
utile  à  la  théorie  de  la  valeur  et  complété  les  théories 
de  Ricardo.  tandis  qu'au  contraire  son  adhésion  aux 
idées  très  indéterminées  des  économistes  français  sur 
les  lois  du  salaire  n'a  point  aidé  aux  progrès  de  la 
science. 

W.  Stanley  Jevons,  7he  tlieori/  of  poliliml  economy. 
Londres,  1871.  -  2"  édit.,  1879.  -  Réimprimé  en 
1888.  Jrad.  ital.  dans  la  série  III,  vol.  II,  1875,  de 
la  Bihlioteca  delV  Economistn).  —  Meihods  of  so- 
cial ref'onn,  1883.  —  Jnvestigniions  in  currency  and 
finance,  1884,  publiées  avec  une  intéressante  in- 
troduction par  le  professeur  Foxvell  (pag.  xix 
et  suiv.) 

Voir  aussi  :  Lelters  and  Journal  of  W.  S.  Jevons, 
1886  (avec  une  bibliographie  complète),  et  W. 
Boehmert,  W.  S.  Jevons  und  seine  Bedeutung  l'ùt 
die  Théorie  der  Volksicirlhscliafislehi'e  (in  SchmoJ- 
1er,  Jahrb.  fur  Gesetzgehung,  Vericaliung,  etc. 
Leipzig,  1891.  3-^  fasc,  pp.  76-124). 


.§  5.  —  l'ét.\t  actuel 

Les  faits  ont  démenti  solennellement  les  pronostics 
des  sceptiques  et  les  craintes  des  pusillanimes  qui,  il 
y  a  quinze  ans.  croyaient  imminente  la  ruine  de  la 
science  économique  en  Angleterre.  Malgré  les  pertes 
importantes  occasionnées  par  la  mort  de  Cairnes,   de 


362  l'économie  politique 

Bageliot,  de  Cliffe  Leslie,  de  Jevons,  il  est  resté  encore 
un  solide  noyau  d'excellents  maîtres  et  un  groupe 
nombreux  de  disciples  zélés  qui,  mettant  à  profit  les 
progrès  réalisés  à  l'étranger,  ont  contribué  puissamment 
à  en  préparer  de  nouveaux  et  de  non  moins  signalés 
dans  la  terre  classique  de  ses  gloires  les  plus  grandes. 
Le  courant  historique  a  reçu  une  vigoureuse  impul- 
sion grâce  aux  travaux  et  à  l'enseignement  de  James 
Thorold  Rogers,  professeur  à  Oxford  (m.  1890),  qui  a 
écrit  l'histoire  de  l'agriculture  et  des  prix  au  moyen  âge 
et  dans  les  premiers  siècles  des  temps  modernes.  Il  a 
exposé  et  résumé  les  résultats  de  ses  travaux  dans  d'au- 
tres ouvrages  sur  les  salaires,  en  y  joignant  des  recher- 
ches patientes  et  originales,  que  Ton  peut  apprécier  aussi 
dans  la  monographie,  déjà  citée,  sur  les  premières  an- 
nées de  la  Banque  d'Angleterre.  11  a  été  moins  heureux 
dans  les  critiques  qu'il  a  faites  à  Ricardo  et,  en  général, 
aux  grands  maîtres  de  la  science  dans  ses  leçons  sur  Vin- 
terjorétation  économique  de  l'histoire.  Son  élève  W.  J. 
Ashley,  professeur  à  Ha \ra?'d  University  suit  la  même 
voie  et  avec  succès  ;  il  a  commencé  de  bons  travaux  sur 
l'histoire  économique  de  l'Angleterre. 

James.  E.  Thorold  Rogers,  Hislory  of  agriculture  and 
priées  (de  1259  à  1702).  London,  1866-1887.  Six 
volumes.  —  Six  centuries  of  icork  and  labour. 
1884.  Deux  volumes.  —  The  industrial  and  com- 
mercial historx]  of  England,  1891. 

W.  J.  Ashley,  The  early  history  of  the  englishivoollen 
industry.  Philadelphia,  1887.  —  An  introduction  lo 
english  économie  history  and  theory.  London,  1888; 
IP  Part.  1893. 

La  première  place  dans  le  champ  des  recherches  his- 
torico-économiques  appartient  au  très  érudit  professeur 
Guillaume  Cunningham,  qui  a  publié  une  histoire  uni- 
verselle du  commerce  et  de  l'industrie  anglaises  dans 


EN    ANGLETERRE  363 

leurs  relations  avec  les  institutions  et  les  doctrines,  qui 
pourra  remplacer  les  compilations  utiles  mais  vieillies 
d'Anderson(l790,  6  vol.)  et  deMacpherson  (1805,4  vol.). 
Tout  comme  Ashley  et  Foxwell,  Cunningham  adhère, 
en  grande  partie,  aux  idées  théoriques  de  l'école  histo- 
rique allemande. 

W.  Cunningham,  Polilics  and  économies.  London, 
1885.  —  The  (jrowlh  of  english  induslry  and  com- 
merce. Vol.  let  II.  Cambridge,  1890-1892. 

Parmi  les  travaux  historiques  spéciaux,  il  en  est  quel- 
ques-uns de  remarquables  sur  les  anciennes  Guildes  et, 
en  particulier,  sur  les  corporations  des  commerçants, 
qui  complètent  ou  rectifient,  sur  plusieurs  points,  les 
études  du  professeur  Brentano.  Le  principal  est  le  livre 
de  Charles  Gross  [The  OUd-Merchant,  1890),  qui  a 
publié  depuis  d'autres  travaux  intéressants. 

On  peut,  à  certains  points  de  vue,  considérer  comme 
un  complément  des  œuvres  historiques  les  recherches 
statistiques  et,  en  particulier,  les  recherches  sur  les 
conditions  des  classes  ouvrières,  publiées  récemment 
dans  des  monographies  séparées  ou  dans  le  célèbre  pé- 
riodique de  la  Société  royale  de  statistique  de  Londres, 
notamment  par  Levi,  Brassey,  Giffen,   Chisholm,  etc. 

Un  autre  indice  certain  des  progrès  que  les  étude» 
économiques  font  en  Angleterre  nous  est  fourni  parles 
importants  travaux  sur  l'histoire  de  la  science,  qui  avait 
été  autrefois  fort  négligée.  Tandis  que  le  professeur 
Foxwell,  qui  a  dignement  succédé  à  la  chaire  de  Je- 
vons,  dont  il  publie  des  œuvres  posthumes,  s'occupe  d'un 
travail  considérable  sur  la  bibliographie  de  l'économie 
politique,  spécialement  en  Angleterre,  destiné  à  rem- 
placer l'imparfaite  Littérature  de  Mac  Culloch,  l'érudit 
James  Bonar  a  commenté  les  doctrines  de  la  nouvellcj 
école  autrichienne  sur  la  valeur,  publié  un  important 


364  l'économie  politique 

travail  biographique  et  critique  sur  Malthus,  édité  des 
lettres  de  Malthus  :  Gonner  a  commenté  avec  talent 
Ricardo,  et  Smart  a  traduit  le  Capital  de  BOhm  Rawork. 
Les  monographies  historico-littéraires  de  H.  Higgs,  et 
celles  de  D.  G.  Ritchie,  dans  le  Dictiomiaire  de  Pal- 
grave,  méritent  aussi  d'être  mentionnées. 

Dans  la  sphère  plus  élevée  des  investigations*  écono- 
miques par  la  méthode  mathématique,  appliquée  égale- 
ment aux  études  statistiques  (poursuivies  avec  succès 
par  Rawson,  Mouat.  Hendriks,  Inglis  Palgrave,  Xews- 
holme,  Wynnard  Hooper,  etc.;,  il  faut  faire  une  place  à 
part  pour  F.  Y.  Edgeworth,  l'illustre  successeur  de 
Rogers  à  la  chaire  d'Oxford.  Il  faut  citer  aussi  A\'ick- 
steed,  qui  a  exposé,  d'une  façon  claire  et  élégante,  les 
théories  de  la  valeur  de  .levons.  Bonar  a  fort  bien 
montré  le  lien  qu'il  y  a  entre  les  théories  économiques 
et  les  théories  philosophiques. 

F.  G.  Edgeworth,  Maihemaiical  Psijchics,  1885.  — 
Ph.  H.  Wicksteed,  The  alphabet  of  économie  science. 
Part.  1, 1888.  —  J.  Bonar,  Philosophy  and  polilicai 
econoiiuj,  etc.  1893. 

Mais  la  première  place  parmi  les  économistes  anglais 
contemporains  appartient  sans  conteste  au  professeur 
Alfred  Marshall,  qui  a  .succédé,  en  1885,  à  Fawcett  à 
l'Université  de  Cambridge.  Par  son  enseignement  et 
par  ses  travaux,  il  a  donné  des  preuves  éclatantes  de 
son  esprit  pénétrant,  de  ses  connaissances  variées  et 
approfondies,  de  ses  idées  larges  et  exactes  sur  la  mé- 
thode, de  son  appréciation  exacte  des  théories  de  l'école 
classique,  qu'il  continue  dans  le  sens  de  Smith,  en 
combinant,  mais  avec  plus  de  modération,  l'usage  des 
mathématiques,  comme  Jevons,  aux  recherches  histo- 
riques, comme  Rogers  et  Cliffe  Leslie,  et  à  l'induction 
statistique,  comme  Giffen,  parce  que  comme  il  Ta  si- 


EN  ANGLETERRE  365 

gnaK'",  les  faits  bruts  sont  muets  et  ne  dispensent  pas 
de^^  déductions  théoriques.  Il  a  particulièrement  étudié 
fa  théorie  de  la  valeur,  sur  laquelle  il  a  écrit  d'intéres- 
sants mémoires  analytiques,  non  publiés.  Ce  n'est  qu'en 
1879  qu'il  s'est  décidé  à  résumer  le  résultat  de  ses 
études  dans  un  livre  élémentaire,  mais  très  remarquable, 
écrit  en  collaboration  avec  sa  femme,  Maria  Paley,  qui 
a  remplacé,  presque  complètement,  l'autre  précis  clas- 
sique, plus  facile  mais  moins  profond,  rédigé  par  Mis- 
tress  M.  G.  Fawcett  [PolUical  economy  for  beyinners, 
1870)  d'après  le  Manuel  de  son  mari.  Après  avoir 
exposé  ses  idées  sur  les  caractères  et  la  méthode  de  la 
science  dans  sa  leçon  d'ouverture  du  24  février  1885 
[Tlie  présent  position  of  économies),  il  a  publié, 
l'année  suivante,  le  premier  volume  de  son  œuvre 
principale.  On  a  également  de  lui  quelques  monogra- 
phies, parmi  lesquelles  il  nous  suffira  de  citer  la  der- 
nière, très  importante,  sur  le  sujet  si  controversé  main- 
tenant de  la  concurrence  {Some  aspects  of  compéti- 
tion, 189U). 

Alfr.  Marshal],  l'he  économies  of  industry.  London, 
1879.  -  2"  édit.  1882.  —  Principles  of  économies. 
Vol.  T,  1890-  2"  édil.,  1891.  (Cfr.  l'article  de  N. 
G.  Pierson  dans  la  revue  De  Economiste  mars 
1891.  pp.  177-207,  et  celui  de  A.  Wagner,  dans  le 
Quarlerly  Journal  of  Economies.  Boston,  avril 
1891). 

Le  but  que  Marshall  se  propose  dans  ses  Principes 
esta  peu  près  le  môme  que  celui  de  Stuart  Mill.  Il  u 
exposé  les  théories  de  l'école  classique,  revues  et  corri- 
C-ées  d'après  les  derniers  progrès  de  la  recherche  scien- 
ti tique,  et  enrichies  d'applications  correspondant  aux 
conditions  et  aux:  besoins  actuels.  Il  serait  inopportun 
de  vouloir  juger,  avant  l'achèvement  de  Tœuvre,  si 
Marshall  a,  ou  n'a  pas,  pleinement  atteint  son  but. 


366  l'économie  politique 

Il  est  cependant  certain  que  le  livre  de  l'illustre  pro- 
fesseur de  Cambridge,  supérieur,  à  certains  points  de 
yne,  à  celui  de  Mill  par  la  richesse  des  détails,  la  pleine 
connaissance  de  l'état  actuel  de  la  science,  pourra  diffi- 
cilement le  remplacer  comme  œuvre  didactique,  parce 
que  la  forme  de  l'exposition  et  la  subtilité  des  recherches 
le  rendent  accessible  à  un  plus  petit  nombre  de  lec- 
teurs, et  parce  que  l'ordre  qu'il  suit,  excellent  pour  la 
recherche,  Test  moins  pour  la  communication  des  ré- 
sultats. Ce  n'est  pas  là  cependant  un  défaut  pour  une 
ceuvrc  qui  est  en  grande  partie  originale,  bien  que 
l'auteur  déclare  modestement  qu'il  veut  présenter  seu- 
lement a  modem  version  of  old  doctrines.  La  vérité 
est  qu'il  expose,  d'une  façon  magistrale,  les  doctrines 
reçues,  qu'il  les  corrige,  qu'il  en  limite,  quand  cela  est 
nécessaire,  les  applications,  et  qu'il  continue  les  recher- 
ches de  ses  prédécesseurs,  souvent  interro^npucs  au 
moment  où  croissait  avec  la  difficulté  l'intérêt  pratique 
de  solutions  plus  concrètes.  Marshall  a  mis  à  profit  les 
travaux  antérieurs,  mais  il  n'est  pas  tombé  dans  les 
mêmes  erreurs.  Il  apprend,  par  exemple,  de  Cournot  à 
apprécier  le  principe  de  la  continuité  dans  les  phéno- 
mènes économiques,  sans  accepter  ses  déductions  erro- 
nées sur  le  commerce  international  ;  il  adopte  la  théorie 
de  Walker  sur  les  salaires,  mais  sur  beaucoup  de  points 
il  la  corrige  ;  il  analyse  les  effets  du  principe  de  l'inté- 
rêt personnel,  mais  il  ne  néglige  pas  les  modifications 
qu'il  subit  en  pratique  sous  l'influence  du  sentiment 
moral  ;  il  admet  et  il  explique  la  loi  des  revenus  décrois- 
sants dans  la  production  territoriale,  mais  il  ne  se  borne 
pas  à  de  simples  considérations  générales,  il  descend 
dans  l'examen  des  effets  qu'elle  produit  sur  les  différents 
.systèmes  et  sur  les  différentes  formes  de  culture  et  sur 
les  autres  emplois  du  sol.  Il  éclaircit,  en  particulier,  la 
loi  de  la  valeur  en  montrant  qu'elle  est  la  résultante  do 


EN    ANGLETERRE  3G7 

phénomènes  qui  doivent  être  étudiés  séparément,  et  par 
rapporta  l'offre,  qu'il  identifie  avec  la  production,  étu- 
diée par  lui  avec  beaucoup  de  soin  et  de  notables  pro- 
grès sur  Hearn  (le  meilleur  spécialiste  sur  ce  sujetl,  et 
par  rapport  à  la  demande,  c'est-à-dire  aux  conditions 
<lu marché,  dont  il  donne  une  analyse  qui  ajoute  à  l'ana- 
lyse déjà  si  remarquable  de  .levons.  Il  emprunte  à  celui- 
ci  la  théorie  du  degré  final  d'utilité,  ou,  comme  il  préfère 
s'exprimer,  de  l'utilité  marginale,  mais  il  s'empresse 
de  démontrer  qu'elle  éclaire  et  qu'elle  complète  en  partie 
mais  qu'elle  ne  remplace  pas  celle  du  coût  de  produc- 
tion. Au  sujet  de  la  valeur,  Marshall,  dépassant  les  limi- 
tes des  recherches  de  Mill,  démontre  que  l'échange  des 
produits  avec  les  servicesproductifs  (distribution)  est  gou- 
verné par  la  même  loi  que  l'échange  des  produits  avec 
les  produits  (circulation).  L'idée  de  la  continuité  des 
phénomènes  économiques  a  diminué  pour  l'auteur  l'in- 
térêt des  bonnes  définitions  ;  il  n'y  a  point  donné  le 
soin  qu'elles  réclament  (livre  second)  et  c'est  pour  cela 
peut-être  qu'il  n'a  pas  réussi  à  se  débarrasser  de  cer 
taines  erreurs  traditionnelles  chez  les  économistes 
anglais,  et  notamment  il  considère  comme  capital 
les  provisions  nécessaires  à  l'entretien  des  ouvriers  et 
de  leur  famille,  et  il  commet  cette  erreur  plus  grave 
encore  de  comprendre  dans  les  dépenses  de  production 
non  seulement  le  remplacement  du  capital  et  la  com- 
pensation des  efforts,  des  sacrifices  et  des  risques  inhé- 
rents à  la  production  même,  mais  aussi  le  revenu  de  la 
classe  ouvrière,  confondant  ainsi  le  point  de  vue  de  l'en- 
trepreneur, qui  est  celui  de  l'économie  privée,  avec  celui 
de  la  société,  qui  est  propre  à  l'économie  politique. 
Marshall  a  le  mérite  d'avoir  ajouté  à  la  loi  des  revenus 
décroissants  une  loi  des  revenus  croissants  [law  of 
increasing  return),  non  remarquée  par  Ricardo,  pnr 
Malthus  et  par  Stuart  Mill,  qui  se  vérifie  dans  les  cas  où 


368  l'économie  politique 

l'augmentation  de  la  demande  provoque  une  intensité 
plus  grande  dans  les  systèmes  de  production,  qui  rend 
possible  une  plus  large  division  du  travail  et  conduit 
(ce  qui  semble  à  première  vue  paradoxal)  à  une  diminu- 
tion du  coût  et  du  prix.  Mais  Marshall  exagère  beau- 
coup, comme  le  remarque  finement  Pierson,  le  champ 
d'application  de  cette  loi,  et  il  en  tire  des  conséquences 
très  optimistes  en  matière  d'augmentation  de  la  popu- 
lation, lorsqu'il  affirme  que  la  loi  des  revenus  croissants 
est  toujours  applicable  à  l'augmentation  de  capital  et  de 
travail  dans  la  production,  tandis  que  ia  nature  reste 
soumise  à  l'influence  de  la  loi  des  revenus  décroissants. 
L'optimisme  de  Marshall  n'a  d'ailleurs  rien  de  commun 
ni  avec  celui  des  physiocrates,  ni  avec  celui  de  Bastiat. 
Ses  vues  sur  la  question  ouvrière,  sur  la  diversité  des 
causes  qui  règlent  la  demande  de  tra\ail  et  la  demande 
de  produits,  et  sur  les  conditions  et  les  limites  de  l'inter- 
vention de  l'Etat  pour  protéger  les  intérêts  des  cla.sses 
moins  aisées,  sont,  à  tous  les  points  de  vue.  recomman- 
dables  et  également  éloignées  des  exagérations  du  so- 
cialisme et  de  celles  de  1  individualisme.  Ce  n  est  certes 
pas  chez  Mill,  Cairnes,  .levons  et  Marshall  qu'on  retrouve 
les  caractéristiques  de  convention  de  l'école  de  Man- 
chester, souvent  supposées,  pour  des  besoins  de  la  polé- 
mique, là  où  elles  n^existent  pas. 

Un  seul  écrivain,  éminent  à  beaucoup  d'égards  mais 
excentrique  souvent,  Spencer,  représente  en  Angle- 
terre les  théories  des  individualistes  doctrinaires  :  mitis 
il  ne  faut  pas  oui)licr  que  Spencer  The  man  versus 
the  state,  ISSôi  appuie  sa  protestation  ffo.v  clnmaiitis 
in  déserta  dit  spirituellement  Cohn  sur  des  arguments 
que  le  plus  grand  nombre  des  libéraux  ab.solus  ne 
voudraient  certes  pas  s'approprier,  notamment  sur  un 
argument  donné  dans  sa  Social  statics  (1850),  avant 
Darwin    par    conséquent,    exprimant    la   crainte   que 


EN    ANGLETERRE  369 

l'intervention  de  l'Etat  en  faveur  des  faibles  ne  trouble 
la  loi  du  progrès  qui  veut  le  triomphe  des  plus  habiles, 
c'est-à-dire  des  plus  forts  !  Il  faut  ajouter  qu'un  illustre 
savant  naturaliste,  Huxley,  a  répondu  à  Spencer  ;  il  a 
rectifié  l'idée  de  la  lutte  pour  l'existence  et  noblement 
protesté  contre  la  barbare  application  littérale  qui  en 
est  faite  aux  phénomènes  sociaux  {The  Nineteenth 
Century,  Février  1888). 

L'université  de  Cambridge  compte  encore  parmi  ses 
professeurs  un  éminent  philosophe,  Henri  Sidgwick.  11 
est  l'auteur  d'une  critique  très  appréciée  des  différents 
systèmes  de  morale  {The  methods  of  ethics,  187'i.- 
4*édit.,  1890)et  d'un  traité  d'économie  politique,  précédé 
d'une  belle  introduction  qui  contient  des  observations 
très  fines  sur  les  méthodes  ;  les  deux  premiers  livres 
sont  consacrés  à  la  science  et  le  dernier  à  Tart.  La  valeur 
des  deux  parties  de  l'œuvre  de  Sidgwick,  insuffisam- 
ment appréciée  par  Ingram  et  par  Gohn,  est  en  vérité 
un  peu  différente.  La  première  partie  contient  un 
exposé,  souvent  abstrus,  de  l'économie  théorique  ;  l'au- 
teur y  soumet  à  des  critiques,  dont  l'importance  n'égale 
pas  toujours  la  subtilité,  les  théories  communément 
acceptées.  Ainsi,  par  exemple,  ses  chapitres  sur  la 
valeur  et  les  échanges  internationaux  sont  obscurs,  et 
l'idée  qu'il  se  fait  de  la  richesse  et  en  particulier  de  la 
monnaie,  qu'il  étend  aux  titres  de  banque,  est  trop 
large  ;  il  a  fait  quelques  observations  ingénieuses  sur 
les  monopoles  et  consacré  un  bon  chapitre  aux  variations 
temporaires  et  locales  de  la  répartition  ;  il  a  distingué 
avec  raison,  mais  cela  n'a  pas  grande  importance,  la 
coutume  de  l'habitude.  La  partie  la  meilleure  du  traité 
de  Sidgwick  est  celie  qui  concerne  l'économie  appliquée 
(III*  livre).  Il  examine,  au  point  de  vue  moral  et  juri- 
dique, avec  une  grande  hauteur  de  vues,  une  méthode 
rigoureuse  et  une  sereine  impartialité,  les  questions 

24 


370  l'économie  politique 

d'intervention  de  l'Etat  dans  la  production  et  dans  la 
distribution  des  richesses.  On  y  trouve  une  critique 
impartiale  du  communisme  et  du  socialisme  contempo- 
rain et  un  bon  chapitre  sur  les  rapports  de  l'économie 
et  de  la  morale.  Sidgwick  a  repris  ces  sujets  dans  le 
savant  ouvrage  qu'il  a  récemment  publié  sur  la  théorie 
de  la  politique;  il  a  répété,  abrégé  ou  corrigé  ce  qu'il 
avait  écrit  antérieurement  sur  ce  sujet. 

H.  Sidgwick,  The  principles  of  poUtical  economy. 
London,  1883. -2«  édit.,  1887.  —  The  éléments  of 
poliiics,  1891. 

Les  récents  progrès  de  l'économie  politique  ont  trouvé 
des  vulgarisateurs  habiles  qui  ont  assumé  la  tâche  dif- 
ficile et  ingrate  d'en  exposer  les  principaux  résultats  dans 
des  œuvres  élémentaires.  C'est  ce  qu'ont  fait  E.Cannan 
[Elementary  poUtlcal  ecoûom.y,  1888),  J.  E.  Symes(A 
short  text-hooli  of  polituzal  ecoiomy,  1888),  et  E.  C.  K. 
donner  [PoUtical  economy,  1888). 

Les  deux  jeunes  professeurs,  Joseph  Shield  Nichol- 
son,  de  l'Université  d'Edimbourg,  et  François  Bastable, 
do  l'Université  de  Dublin,  collaborateurs  de  la  neuvième 
édition  de  V Encyclopaedia  Britannica,  ont  publié,  en 
dehors  des  ouvrages  déjà  cités,  quelques  monographies 
qui  montrent  leurs  aptitudes  scientifiques  et,  en  parti- 
culier, la  bonté  de  la  méthode,  la  sûreté  de  la  doctrine 
et  la  netteté  de  leur  style.  Bastable  est  spécialement 
connu  par  la  révision  soignée  qu'il  a  faite  de  la 
théorie  des  changes  internationaux  et  par  sa  savante 
Science  des  finances  ;  Nicholson,  par  ses  études  sur 
l'influence  des  machines  sur  les  salaires,  par  un  élé- 
gant petit  ouvrage  sur  la  question  agraire,  remar- 
quable par  ses  sagaces  observations  sur  les  limites 
d'application  de  la  théorie  de  la  rente,  et  enfin  par  un 


EN    ANGLETERRE  371 

grand  traité  d'économie,  riche  de  développements  his- 
toriques. 

G.  F.  Bastable,  The  iheory  of  international  trade. 
Dublin,  1887.  —  Public  finance,  1892. 

J.  S.  Nicholson,  The  effects  of  machiner  y  on  wages. 
Cambridge,  1878.-2*  édit.,  1892.  —  TenanVs  gain 
not  landlord's  loss,  Edinburgh,  1883.  —  Principles 
of'political  economy,  1893-94.  Deux  volumes. 

Ce  que  nous  avons  dit  suffît  à  démontrer  que,  dans 
ces  dernières  années,  les  économistes  anglais  ont 
donné  de  nouvelles  preuves  de  leur  valeur  théorique, 
de  leur  exquis  sens  pratique,  et  de  leur  sage  aversion 
pour  les  questions  purement  verbales,  et  qu'ils  ont 
également  cessé  de  ne  pas  tenir  compte,  selon  la  tra- 
dition, des  ouvrages  étrangers  ;  par  l'étude  des  meil- 
leurs auteurs  étrangers,  ils  ont  élargi  leur  horizon, 
par  des  recherches  historiques  et  statistiques,  ils  se  sont 
habitués  au  maniement  des  méthodes  les  plus  propres 
aux  diverses  parties  de  l'économie,  et  ils  ont  montré 
que,  pour  les  écrivains  vraiment  originaux,  la  diversité 
des  opinions  est  plus  apparente  que  réelle,  comme  cela 
résulte  de  la  méthodologie  de  Keynes. 

Pour  prouver  que  les  Anglais,  non  seulement  con- 
servent mais  accroissent  l'ancienne  renommée  de  leur 
primauté  économique,  nous  rapjjellerons  que,  dans 
l'année  1891,  de  laborieux  savants  ont  commencé  la 
publication  de  deux  revues  spéciales  et  d'un  excellent 
dictionnaire.  Les  revues  générales  déjà  citées  ne  suffi- 
saient plus,  et  il  fallait  un  autre  Dictionnaire  à  côté  de 
celui  de  Macleod  (Vol.  I,  London,  1863),  resté  inachevé 
et  consacré  presque  exclusivement  aux  questions  de 
crédit,  que  ce  savant  et  ingénieux  auteur,  comme  on  le 
.^ait,  a  traitées  dans  de  volumineux  ouvrages  et  résu- 


372 


L  ÉCONOMIE    POLITIQUE    EN    ANGLETERRE 


mées  dans  son  Economies  for  beginners,  1878.-2"  édit., 
1880. 

The  Economie  Review,  1891.  —  The  Economie  Journal 
^Dirigé  par  Edgeworth),  1891.  — R.  H.  Inglis  Pal- 
grave,  Diclionary  of  poUtical  economy,  1891  et 
suiv. 


CHAPITRE  X 
L'ÉCONOMIE  POLITIQUE  EN  FRANCE 


La  France  peut,  même  dans  ce  siècle,  se  glorifier 
d'avoir  eu  dans  Sismondi,  Cournot,  Dupuit,  Dunoyer, 
Bastiat,  Chevalier,  Cherbuliez,  Le  Play,  Courcelle-Se- 
neuil,  d'illustres  représentants  de  tous  les  courants 
théoriques  et  pratiques  de  l'économie  politique.  Elle  a 
encore  en  De  Parieu,  Block,  Levasseur,  Léon  Say,  Le- 
roy-Beaulieu,  de  Molinari,  Frédéric  Passy,  de  Foville, 
Gide,  Périn,  Brants,  Cheysson,  Jannet,  des  écono- 
mistes dignes,  à  plus  d'un  titre,  d'être  pris  en  grande 
considération.  Cependant  on  ne  peut  pas  nier  que  l'éco- 
nomie politique,  particulièrement  la  science  pure,  qui 
a  toujours  été  impopulaire  en  France  et  tenue  tout  au 
plus  pour  une  «  littérature  ennuyeuse  »,  n'a  plus  depuis 
longtemps  l'estime  des  savants,  et  qu'elle  se  trouve 
dans  des  conditions  peu  favorables,  si  on  la  compare  à 
la  position  élevée  qu'elle  conserve  en  Angleterre  et 
même  aux  progrès  qu'elle  a  faits  en  Allemagne^  et 
qu'elle  fait  en  Autriche,  en  Italie  et  aux  Etats-Unis. 

Plusieurs  causes  ont  contribué  à  cette  décadence 
intellectuelle,  et,  en  premier  lieu,  le  petit  nombre  de 
chaires  d'économie  politique.  Elle  n'est  enseignée,  en 
effet,  que  dans  quelques  écoles  spéciales,  au  Conserva- 
toire des  Arts-et-Métiers,  à  l'école  des  Ponts-et-Chaus- 
sées,  et  plus  récemment  à  l'école  des  hautes-  études 
commerciales,  à  l'école  libre  des  sciences  politiques,  ou, 
comme  matière   de  pur  luxe,   dans  un    établissement 


374  l'économie    politique 

comme  le  Collège  de  France  qui  ne  confère  pas  de 
grades  académiques  et  n'a  pas  d'auditoire  régulier  et 
constant,  mais  où,  cependant,  ont  professé  des  hommes 
de  grand  mérite,  comme  Say,  Rossi,  Chevalier,  Bau- 
drillart,  actuellement  Levasseur  et  Leroy- Beaulieu.  Ce 
n'est  que  tout  dernièrement  que  l'économie  est  deve- 
nue une  matière,  d'abord  libre,  puis  obligatoire,  dans 
les  Facultés  de  droit  (et  même  dans  les  Instituts  profes- 
sionnels) et  qu'elle  a  été  l'occasion  de  la  publication  de 
cours  et  de  résumés  par  Batbie,  Cauwès,  Beauregard, 
professeurs  à  la  Faculté  de  droit  de  Paris,  Alfred  Jour- 
dan,  professeur  à  Aix  et  à  Marseille,  et  par  Villey,  Rozy, 
Worms,  Rambaud,  etc. 

A.  Batbie,  Nouveau  cours  d'économie  politique.  Paris, 
1866.  2  vol.  —  P.  Cauwès,  Cours  d'économie  poli- 
tique, 3«  édit.,  1892-1893,  4  vol.  —  P.  Beauregard, 
Eléments  tC économie  politique,  1890.  — A.  Jourdan, 
Cours  analytique  d' économie  politique,  1885. -2«  édit., 
1893.  —  J.  Rambaud,  Traité  élémentaire  et  rai- 
sonné d'économie  politique,  1892. 

Le  progrès  et  la  diffusion  de  l'économie  ont  été  égale- 
ment empêchés  par  la  guerre  que  lui  firent  d'une  façon 
continue  les  industriels  protectionnistes,  appuyés  par 
l'opinion  publique,  les  sphères  gouvernementales  et  les 
majorités  des  assemblées  délibérantes,  et  même  par 
beaucoup  d^écrivains,  dont  quelques-uns  sont  des  hom- 
mes de  valeur  comme  Cauwès,  Gouraud  {Essai  sur  la 
liberté  du  commerce,  1854),  Richelot,  traducteur  de 
List  et  admirateur  de  Macleod  {Une  Révolution  en  éco- 
nomie politique),  Dumesnil-Marigny  (Les  libre-échan- 
gistes et  les  protectionistes  conciliés,  1860),  etc.  Les 
libre-échangistes  français,  il  faut  bien  le  dire,  s'appuient 
sur  des  arguments  trop  génériques  et  ils  n'ont  aucun 
.souci  des  précédents  historiques  et  des  conditions  locales, 


EN      FRANCE  6  lu 

dont  tiennent  justement  compte  leurs  principaux  adver- 
saires. 

Mais  la  cause  principale  de  la  décadence  des  études 
économiques,  dont  se  plaint  éloquemment  Léon  Say 
{Le  socialisme  d'état,  1884,  p.  208),  est  dans  le  dé- 
bordement des  doctrines  socialistes,  qui  trouvent  un 
accueil  facile  auprès  de  la  classe  ouvrière  et  un  terrain 
tout  préparé  par  les  tendances  usurpatrices  de  la 
bureaucratie  ;  l'opposition  qu'elles  rencontrent  dans 
l'individualisme  extrême  et  dans  l'optimisme  intransi- 
geant de  l'école  officielle,  qui  oppose  des  erreurs  théo- 
riques aux  propositions  inconsidérées  de  ses  adversaires, 
ne  suffît  pas  à  en  empêcher  la  diffusion.  Et,  en  effet, 
l'école  française  s'est  éloignée,  sauf  de  rares  exceptions, 
de  l'école  anglaise,  et  elle  a  sacrifié  la  science  à  l'art  ; 
elle  a  repoussé  les  théories  de  Malthus  et  de  Ricardo 
qui,  en  Angleterre,  avaient  été  corrigées  et  mieux  for- 
mulées, et  considéré  le  «  laissez-faire  »  comme  un 
dogme  rationnel  et  non  pas,  ce  qu'il  est  réellement, 
comme  une  règle  d'art  ;  elle  a  fait  de  la  science  la  gar- 
dienne intéressée  de  l'organisation  économique  exis- 
tante, et  s'est  opposée  non  seulement  à  l'ingérence 
bienfaisante  ou  dangereuse  de  l'Etat,  mais  même  aux 
plus  légitimes  manifestations  de  la  liberté,  lorsque 
celle-ci,  par  la  formation  de  groupes  sociaux  spontanés 
et  autonomes,  vient  en  aide  à  la  faiblesse  de  l'ouvrier 
isolé  et  sans  ressources  devant  la  force  débordante  de 
l'entrepreneur  capitaliste.  L'exclusivisme  de  cette  école, 
maîtresse  du.  Journal  des  économistes  {[8 'i^),  dirigé 
par  de  Molinari,  de  l'Economiste  français,  dirigé  par 
Leroy-Beaulieu  (1873),  et  du  M  onde  économique,  dirigé 
par  Beauregard  (1881),  largement  dotée  grâce  aux 
abondantes  ressources  que  l'Académie  des  sciences 
morales  et  politiques  peut  consacrer  aux  prix  qu'elle 
distribue  (les   sujets  étant  toujours  traités   d'après  les 


376  l'économie    politique 

opinions  bien  connues  des  juges),  et  soutenue  aussi 
par  les  réunions  mensueltes  de  la  Société  d'économie 
politiciue  et  par  les  publications  de  la  maison  Guil- 
laumin,  a  éié  décrit  par  le  meilleur  des  économistes 
dissidents ,  Gide ,  avec  des  couleurs  peut-être  trop 
vives  (comme  le  remarque  le  professeur  hollandais 
D'Aulnis),  mais  ne  s'éloignant  pas,  en  somme,  de  la 
vérité.  Nous  trouvons  donc  en  France  ce  type  d'éco- 
nomiste orthodoxe^  dont  Técole  aujourd'hui  domi- 
nante en  Allemagne  nous  esquisse  continuellement 
les  traits,  en  les  appliquant  à  tort  aux  écrivains  anglais 
et  en  oubliant  qu'elle  est  elle-même  d'un  exclusivisme 
non  moindre,  mais  dans  une  autre  direction. 

A.  de  Foville,  The  économie  movement  in  France  (in 
Quartcrly  Journal  of  Economies.  Boston,  janvier 
1890,  pag.  222-232).  —  Ch.  Gide,  The  économie 
schools,  etc.,  in  France  (in  Poliiieal  Science  Quar- 
tcrly. New-York,  1890.  Vol.  V,  pag.  603-635). 


^"  1.  —  l'école  classique 

Les  remarques  précédentes  sur  la  tendance  générale 
des  recherches  économiques  ne  sont  pas  contredites 
par  ce  fait  que  nous  trouvons  en  France  quelques  écono- 
mistes d'un  rare  mérite,  qui  ont  suivi  complètement  ou 
ne  se  sont  que  peu  écartés  des  doctrines  et  de  la  méthode 
des  économistes  anglais  ;  ils  constituent  une  minorité 
notable,  mais  rien  de  plus.  A  cette  minorité  appartien- 
nent Pellegrino  Rossi ,  Michel  Chevalier,  Antoine 
Elisée  Cherbuliez,  Joseph  Garnier,  et,  en  partie  seu- 
lement, Courcelle-Seneuil  et  Block  ;  trois  de  ces  auteurs 
seulement  sont  Français  de  naissance. 

Pellegrino  Rossi,  né  à  Carrara  en  1787  et  assassiné  à 
Rome  en  1848,  se  fît  connaître,  pendant  son  exil  en 


EN     FRANCE  377 

Suisse,  comme  criminaliste  ;  appelé  en  France  en  1833, 
il  succéda  à  Say  dan«  la  chaire  d'économie  politique, 
qu'il  occupa  très  brillamment,  pour  entrer  quelques 
années  plus  tard  dans  la  carrière  diplomatique.  Rossi 
contribua,  par  ses  leçons,  publiées  en  grande  partie  après 
sa  mort,  à  faire  connaître  les  doctrines  de  Malthus  et  de 
Ricardo,  qu'il  exposa  avec  beaucoup  de  compétence  et 
de  clarté,  mais  avec  peu  d'originalité  ;  il  a  cependant 
mis  en  lumière  l'importance  de  la  valeur  d'usage,  que 
les  anglais  avaient  un  peu  négligée,  et  la  distinction 
entre  la  science  et  l'art,  qu'il  avait  empruntée  à  Senior. 
Michel  Chevalier  (1806-1879)  lui  succéda  dans  sa 
chaire  en  1840.  Ancien  Saint-Simonien,  directeur  du 
Globe,  ingénieur  de  mérite,  brillant  écrivain,  très 
habile  dans  le  maniement  des  chiffres,  il  suivit  une 
direction  différente  de  Rossi,  parce  qu'il  s'occupa 
beaucoup  plus  de  l'économie  appliquée ,  que  des 
théorèmes  de  l'économie  rationnelle  ;  il  a  étudié  dans 
son  cours  les  moyens  de  transport,  et,  en  particu- 
lier, les  chemins  de  fer  (vol.  I  et  II),  dont  il  a  été  le 
promoteur  très  zélé,  et  mieux  encore  la  monnaie.  Il  a 
d'ailleurs  consacré  à  ce  dernier  sujet  d'autres  mono- 
graphies ;  il  avait  soutenu  contre  Léon  Faucher  que 
la  baisse  de  la  valeur  de  l'or,  provenant  de  la  décou- 
verte des  mines  de  la  Californie  et  des  placers  de 
l'Australie,  aurait  des  conséquences  beaucoup  plus 
graves  que  celles  qui  ont  eu  lieu  en  réalité  (De  la 
haïsse  probable  de  l'or,  1858).  Partisan  ardent  du  libre 
échange,  il  le  défendit  dans  son  Examen  du  système 
commercial  connu  sous  le  nom  de  système  protec- 
teur (2^  édit.,  1853),  et  il  fut,  avec  Cobden,  le  négocia- 
teur heureux  du  traité  de  commerce  de  1860.  Il  a  parlé 
impartialement  en  1848  des  questions  ouvrières,  tout  en 
attaquant,  dans  le  Joii7'?2ai  des  Débats,  le  socialisme  par 
ses  Lettres  sur  l'organisation  du  travail  ;  il  soutint 


378  l'économie    politique 

contre  son  émule  Louis  Wolowski  (1810-1876),  d'origine 
polonaise,  beau-frère  de  Faucher,  et  vaillant  défenseur 
du  bimétallisme  [L'or  et  Vargent,  1870)  et  de  l'unité 
d'émission  (La  question  des  banques,  1864),  l'étalon 
unique  d'or,  avec  De  Parieu  et  avec  Levasseur  (La 
question  de  L'or,  1858);  il  défendit  également  les 
théories  bancaires  de  l'école  de  Tooke  et  de  Fullarton. 
Partisan  des  expositions  internationales,  il  a  essayé  de 
créer,  mais  sans  résultats  notables,  à  l'occasion  de 
celle  de  Londres  de  :!862,  une  agitation  contre  les 
brevets  d'invention  ;  plus  tard  il  a  résumé  ses  arguments 
dans  un  opuscule  intitulé  Les  brevets  d'invention 
(1878).  lia  écrit  pour  l'exposition  de  1867  une  classique 
introduction  aux  rapports  des  jurys,  et,  presque  en 
même  temps,  un  mémoire  contre  l'octroi  {L'industrie 
et  Voctroi  de  Paris,  1867). 

P.  Rossi,  Cours  iVéconomie  politique.  Vol.  I-II.  Paris, 
1840-41.  Vol.  III-IV  {-posthumes)  1851-54.  —  Mé- 
langes d'économie  politique,  1857.  2  vol.  —  Œuvres 
complètes,  1865  et  suiv.  Dix  volumes.  —  Cfr.  L. 
Reybaud,  Economistes  modernes,  1862,  pp.  371-439. 

M.  Chevalier,  Cours  d'économie  politique.  Vol.  I-IIÏ. 
1842-1850.  3  vol.  -  2«  édit.,  1855-1866.  —  V.  l'ar- 
ticle de  P.  Leroy-Beaulieu  dans  le  Nouveau  Dic- 
tionnaire d'économie  politique.  Vol.  I,  1890,  pp.  410- 
416. 

C'est  sous  l'influence  presque  exclusive  de  Say, 
de  Rossi  et  de  Chevalier  que  Joseph  Garnier  (1813- 
1881)  a  écrit  en  1845  ses  Éléments  d'économie  poli- 
tique. Il  est  un  des  fondateurs,  et  .  il  a  été  pendant 
longtemps  le  rédacteur  en  chef  du  Journal  des  Econo- 
mistes, de  VJinnuaire  de  V économie  politique  \  il  est 
l'auteur  de  très  nombreux  travaux,  énumérés  avec  soin 
par  Lippert.  Dans  les  éditions  ultérieures  et  sous  le  nou- 
veau titre  de  Traité,  les  «  Éléments»  de  Garnier,  aux- 


EN     FRANGE  379 

quels  se  joignirent  d'autres  volumes  complémentaires 
sur  les  finances  et  sur  la  population,  devinrent  un  réper- 
toire très  érudit,  mais  peu  profond,  des  études  économi- 
ques, que  l'on  peut  mettre  en  parallèle  avec  le  Diction- 
naire  d'économie  politique  {[Sbi-iSo^, '2  \o\.),  édité  par 
Guillaumin  et  dirigé  par  Charles  Coquelin  [m.  1853), 
l'auteur  du  brillant  ouvrage  Du  crédit  et  des  banques 
(18 '18,  -3^édit.,  1875),  avec  la  collaboration  d'un  grand 
nombre  de  spécialistes,  dictionnaire  qui  a  été  pendant 
longtemps  un  modèle  incomparable  d'encyclopédie  éco- 
nomique. 

Jos.  Garnier,  Traité  d'économie  politique ,  1860. -9<=  édit., 
1889.  — Du  Principe  dépopulation,  1857.-2^  édit., 
1885.  —  Notes  et  petits  traités,  1858.-2«  édit.,  1865. 
—  Eléments  de  finances,  1862.  Puis  sous  le  titre 
de  Traité,  4«  édit.,  1882.  —  Cfr.  J.  .T.  Garnier,  Bio- 
graphie de  l'économiste  Jos.  Garnier.  Turin,  1881, 
et  l'article  de  Lippert  dans  le  Handworferhuch 
der  Staatswissenschaften.  Vol.  III.  Jena,  1891,  pp. 
699-702. 

Le  plus  illustre  parmi  ceux  qui  ont  étudié  la  science 
pure,  fidèle  aux  doctrines  de  l'école  cla.ssique,  a  été  le 
genevois  Antoine  Elisée  Cherbuliez  (1797-1869),  pro- 
fesseur de  droit  à  Genève  en  1833,  d'économie  en  1835, 
puis  membre  du  Grand  Conseil  jusqu'ert  1848.  Il  émi- 
gra  en  France  et  y  resta  jusqu'au  coup  d'État  ;  revenu 
dans  sa  patrie,  il  fut  professeur  en  1853  à  l'Académie  de 
Lausanne,  puis,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie, 
au  Politechnicon  de  Zurich.  Républicain  conservateur, 
il  est  l'auteur  de  deux  ouvrages  politiques  célèbres;  il 
a  écrit  plusieurs  articles  dans  la  Bibliothèque  univer- 
selle, dans  le  Journal  des  Economistes  et  dans  le  Dic- 
tionnaire de  Coquelin,  sur  des  questions  théoriques  et 
contre  le  socialisme,  une  monographie  sur  les  causes  de 
la  misère,  dans  laquelle  il  défend  chaleureusement  le 


380  l'économie    politique 

patronage,  et  enfin  un  traité  d'économie  qui  présente 
beaucoup  de  points  de  contact  avec  les  Principes  de 
Mill,  auxquels  il  est  supérieur,  sous  certains  rapports, 
pour  la  cohérence  des  principes,  pour  la  distinction 
rigoureuse  des  vérités  de  la  science  et  des  règles  de 
l'art,  pour  l'harmonie  des  différentes  parties  et  pour  la 
connaissance  plus  large  de  la  littérature  économique. 
Il  faut  remarquer,  comme  signe  des  temps,  que  le  nom 
de  Cherbuliez  et  celui  de  Cournot  ne  figurent  pas  dans 
\q  Nouveau  dictionnaire  d'économie  j^olitique  dirigé 
par  L.  Say  et  Joseph  Chailley  (Paris,  18!i0-i892, 
2  vol.),  et  que  le  traité  de  Cherbuliez,  que  nous  avons 
signalé  en  1876  comme  le  meilleur  de  tous  ceux  qui 
ont  été  écrits  en  français,  n'a  eu  qu'une  seule  édition  et 
n'a  été  traduit  qu'en  italien! 

A.  E.  CherbuHez,  Théorie  des  garanties  conslituiion- 
nelles.  Paris,  1838,  2  vol.  —  De  la  démocratie  en 
Suisse,  1843.  2  vol.  —  Simples  notions  de  l'ordre 
social,  1848.-2»  édit.,  1884.  —  Etudes  sur  les  causes 
de  la  misère,  1853.  —  Précis  de  lu  science  écono- 
mique et  de  ses  principales  applications.  Paris,  1862. 
2  vol.  —  Cfr.  E.  Rambert,  A.  E.  Cherbuliez  [Bi- 
bliothèque universelle.  Genève,  1870.  Tomes  38  et 
39). 

Parmi  les  économistes  qui  forment  pour  ainsi  dire  le 
passage  entre  l'école  classique  et  celle  des  optimistes,  il 
faut  signaler,  pour  leur  talent  et  leur  merveilleuse  acti- 
vité scientifique,  Courcelle-Seneuil  et  Block.  Léon  Say 
jouit  également  d'une  grande  autorité,  et  parce  qu'il 
porte  dignement  un  nom  illustre,  et  parce  qu'il  a  dirigé 
avec  habileté  et  prudence  une  des  plus  ardues  opéra- 
tions de  change  de  notre  temps,  le  payement  de  l'in- 
demnité de  cinq  milliards,  et  aussi  parce  qu'il  est  l'au- 
teur d'ouvrages  modérés  dans  le  fond  et  élégants  dans 
la  forme.  Il  a  traduit  la  Théorie  des  changes  étrangers 


,  EN      FRANGE  38 J 

de  Goschen  (2*  édit.  franc.  1875);  nous  mentionnerons 
uniquement,  en  dehors  de  son  volume  déjà  cité  sur 
le  Socialisme  cV Etat,  Les  solutions  démocratiques  de 
la  question  des  impôts  (1866)  et  le  grandiose  Dic- 
tionnaire des  finances  (1887  et  suiv.),  dont  il  dirige  la 
publication. 

Jean  Gustave  Courcelîe-Seneuil  (1813-1892  ,  négo- 
ciant, journaliste,  professeur  d'économie  à  Santiago 
(Chili),  de  1853  à  1863,  conseiller  d'Etat  en  1879,  a  écrit 
de  nombreux  ouvragés  de  philosophie,  de  droit,  de 
politique,  de  comptabilité,  de  mérite  divers,  mais  il  s'est 
occupé  plus  spécialement  d'économie  industrielle  et 
d'économie  politique,  et  en  particulier  des  banques  et 
du  socialisme.  Il  a  traduit  avec  Dussard  les  Principes 
de  Stuart  Mill,  et  publié,  en  suivant  en  grande  partie 
cet  ouvrage,  un  traité  qui  est  digne  de  beaucoup  d'élo- 
ges par  la  bonté  de  sa  méthode,  la  distinction  suffisam- 
ment exacte  entre  la  science  et  l'art,  le  parallèle  très 
soigné  entre  les  deux  systèmes  économiques  de  la  con- 
currence et  de  l'autorité,  par  ses  comparaisons  entre 
les  institutions  juridiques  et  les  phénomènes  économi- 
ques, et  pour  quelques  développements  intéressants  sur 
l'émigration  et  les  colonies,  considérées  spécialement 
dans  leurs  relations  avec  les  conditions  des  sociétés 
hispano-américaines. 

J.  G.  Courcelle-Seneuil,  Traité  théorique  et  pratique 
des  opérations  de  banque.  1853.  -  6"^  édit.,  1876. — 
La  banque  libre,  1867.  —  Liberté  et  socialisme, 
1868.  —  Traité  théorique  et  pratique  d'économie 
politique,  1858-1859.2  vol. -3"=  édit.,  1891.—  Traité 
sommaire  d'économie  politique,  1865. 

Maurice  Block  (né  en  1816  de  parents  allemands)  est 
l'auteur  de  nombreux  ouvrages  de  statistique  thi'orique 
et  appliquée,  directeur  du  Dictionnaire  général  de  la 


382  l'économie    politique 

politique  (1862-64),  du  Dictioîinaire  de  Vacbninistra- 
tion  française  (1855-1 856,- 3'' édit.,  1891),  collaborateur 
d'un  grand  nombre  de  revues,  même  de  revues  alle- 
mandes et  anglaises  ;  familier  avec  presque  toutes  les 
langues  de  l'Europe  et  la  littérature  économique  uni- 
verselle, dont  il  fait  des  compte-rendus,  depuis  plus  de 
quarante  ans,  dans  le  Journal  des  Economistes^  avec 
beaucoup  de  soin  et  avec  beaucoup  de  brio,  il  a  ainsi 
préparé  les  matériaux  qui  lui  ont  servi  pour  son  œuvre 
bistorico-critique  sur  les  Progrès  de  la  science  écono- 
mique depuis  Smith,  dans  laquelle  il  a  eu  de  multiples 
occasions  de  critiquer  l'école  allemande  moderne  et  de 
faire  l'éloge  de  Técole  autricliienne. 

M.  Block.  Les  progrès  df  la  science  économique  depuis 
Ad.  5OT///*.Paris,1890; -'inédit.,  1897.2 vol.  — Pe/<7 
manuel  d' économie  poli liq ne ,  1873. -8<=  édil.,  1880.  — 
Les  théoriciens  du  socialisme  en  Allemagne,  1873. 


,^    2.    LES    OPTIMISTES. 

Bien  qu'elle  ne  soit  pas  en  contradiction  ouverte  avec 
les  auteurs  indiqués  ci-dessus,  la  nombreuse  pbalange 
des  écrivains  qui  suit  les  idées  défendues  dans  l'ensei- 
gnement, dans  les  académies,  et  dans  les  principales 
revues,  professe  d'une  façon  plus  marquée  les  tbéories 
de  l'optimisme  en  matière  d'économie  sociale,  celles  de 
l'individualisme  à  l'égard  de  la  politique  économique,  et 
celles  du  quiétisme  au  sujet  delà  question  ouvrière.  Elle 
a  son  précurseur  dans  Dunoyer,  son  chef  dans  Bas- 
tiat,  et  elle  compte,  parmi  les  auteurs  vivants,  un  parti- 
san brillant  et  batailleur  dans  De  Molinari,  et  un  repré- 
sentant savant,  judicieux  et  modéré  dans  P.  Leroy- 
Beaulieu  ;  il  faut  mentionner  encore  Levasseur.  Fré- 
déric Passy  et  un  petit  nombre  d'autres  économistes. 


EN      FRANCE  383 

Charles  Dunoyer  (1786-1862),  journaliste  courai^reux 
pendant  la  Restauration,  préfet  et  plus  tard  conseiller 
d'État  sous  Louis-Philippe,  estundisciplefîdèle,  mais  un 
interprète  quelquefois  inexact  de  la  théorie  de  Malthus. 
Il  commença  en  1825  et  il  termina  en  1830,  sous  le 
titre  de  Nouveau  traité  d'économie  sociale,  une 
œuvre  dont  les  exemplaires  ont  été  détruits  par  un 
incendie,  qu'il  a  refaite  pour  la  troisième  fois,  avec  de 
plus  grands  développements,  en  1845,  et  dont  il  a 
résumé  les  principes  fondamentaux  dans  l'article  Pro- 
duction inséré  dans  le  Dictionnaire  de  Coquelin 
(vol.  IL  pp.  439-450).  Dunoyer  s'est  occupé  avec  beau- 
coup d'originalité  de  la  liberté  économique,  non  seule- 
ment dans  ses  applications  les  plus  variées,  mais  aussi 
dans  ses  relations  avec  tous  les  autres  facteurs  du  pro- 
grès économique,  intellectuel  et  moral.  Sa  classifica- 
tion des  industries,  acceptée  par  beaucoup  d'écono- 
mistes, et  sa  théorie  des  industries  personnelles,  dans 
laquelle  il  a  résumé  toute  la  théorie  des  produits  imma- 
tériels, déjà  exposée  en  partie  par  Say  et  par  Storch,  a 
servi,  plutôt  par  les  polémiques  auxquelles  elle  a  donné 
lieu  que  par  son  contenu  positif,  à  rectifier  quelques 
points  de  la  théorie  de  la  production.  Dunoyer  a  été 
moins  heureux  avec  sa  conception  du  travail  comme 
unique  facteur  productif,  et  avec  sa  théorie  du  concours 
gratuit  des  éléments  naturels,  qui  l'ont  amené  à  nier 
la  rente  territoriale,  devançant  ainsi  les  théories  soute- 
nues par  Carey  en  Amérique  et  plus  tard  par  Bastiat, 
(jui  s'est  reconnu  plus  ou  moins  explicitement  leur 
élève. 

Ch.  Dunoyer,  De  la  liberté  du  travail,  1845.  3  vol.  — 
Notices  d'économie  sociale,  1870.  —  Œinres,  1885- 
1886.  4  vol.  —  Cfr.  F.  Ferrara,  dans  le  vol.  VII, 
série  2''  de  la  Biblioleca  deW  economista.  Tarin, 
1859.  pp.  v-XLix.  , 


384  l'économie    politique 

Frédéric  Bastiat  est  né  à  Bayoïine  en  1801  ;  pro- 
priétaire foncier  à  Mugron,  il  s'est  occupé,  dans  le  silence 
de  son  domaine,  de  littérature,  de  beaux-arts  et  d'éco- 
nomie politique,  enlisant  les  ouvrages  de  Smith,  Say, 
et  en  particulier  ceux  de  Charles  Comte,  de  Dunoyer 
et  de  Carey.  Sa  carrière  scientifique  n'a  duré  que  de 
1844  à  1850  ;  il  est  mort  de  consomption  à  Rome  en  1850. 
Bastiat  a  été  un  philanthrope  sincère  et  un  ferme 
champion  de  la  liberté  économique,  qu'il  a  défendue 
contre  les  assauts  des  protectionnistes  et,  spécialement 
après  1848,  contre  ceux  des  socialistes,  notamment  dans 
ses  deux  célèbres  brochures  Capital  et  rente  (1849) 
et  Gratuité  du  crédit  (1850),  dirigées  contre  Prou- 
dhon  et  Chevé,  qui  défendaient  le  crédit  gratuit.  Ses  So- 
phismes  économiques  (l845-1847)sont  un  chef  d'œavre 
de  bon  sens  et  de  logique  ;  il  y  réduit  à  l'absurde, 
(par  exemple,  par  la  fameuse  pétition  des  marchands 
de  chandelles),  les  principaux  arguments  des  protec- 
tionnistes ;  il  montre  que  leurs  théories,  demandant  la 
spoliation  en  faveur  des  riches,  se  rattachent  à  celles 
des  socialistes  qui  la  demandent  à  l'avantage  des  pau- 
vres {Protectionnisme  et  communisme,  1849).  Sa  dé- 
monstration serait  inattaquable,  si  elle  ne  ressuscitait  la 
doctrine  physiocratique  du  droit  absolu  à  la  liberté  des 
échanges  et,  partant,  la  négation  des  fonctions  écono- 
miques de  ÏEtdit  {L'Etat,  etc.  1847)  et  s'il  n'oubliait  pas 
complètement  d'examiner  les  arguments  favorables  à 
la  protection  temporaire  des  industries  naissantes. 
Bastiat  a  traduit  les  principaux  discours  deCobden,  de 
Bright,  de  Fox  et  des  autres  chefs  de  la  Ligue  de  Man- 
chester, qu'il  a  publiés  en  y  joignant  une  magistrale 
introduction  (Cobden  et  la  ligue,  ou  V agitation 
anglaise  pour  la  liberté  des  échanges,  1845).  Il  a  été 
moins  heureux  sur  le  terrain  de  la  science  pure,  qu'il  a 
étudiée  sur  la  fin  de  sa  vie,  dans  le  but  de  briser  dans 


EN     FRANGE  385 

les  mains  des  socialistes    les    armes    qui    leur  étaient 
fournies  par  les  «  funestes  théories  »  de  Ricardo   et  de 
Malthus.  Ses  idés  sur  la  valeur,  la  rente,  la  population 
(Propriété  et  spolmtlon,  1848.  —  Harmonies  écono- 
miques, 1850,  -  2e  édit.    1851)  sont   déduites   de  l'idée 
physiocratique  de  l'ordre  naturel,  c'est-à-dire  de  l'idée 
préconçue  d'une  harmonie  fatale  entre  l'intérêt  privé, 
pourvu  qu'il  soit  libre,  et  l'intérêt  public,  qu'il  identifie 
avec  celui  du  consommateur,  et  qui  conduit  inévitable- 
ment au  progrès  indéfini,  cest-à-dire  à  l'augmentation 
continue  du  bien-être  général  et  à  la  diminution  gra- 
duelle  des   différences    entre  les  diverses  classes  so- 
ciales. Les  principales  bases  de  son  fragile  édifice  théo- 
rique sont:  l'explication  de  la  valeur  comme  le  rapport 
de  deux  services  échangés,  en  prenant  par  une  étrange 
équivoque  (signalée  par  A.  Clément,  FerraraetCairnes)  le 
mot  service,  tantôt  comme  équivalent  de  travail  effectué, 
tantôt  comme  synonyme  d'utilité,  ou  de  travail  épargné; 
la  théorie  (analogue  à  celle  de  Dunoyer  et  de  Carey) 
du  concours  gratuit  de  la  nature  dans  la  production,  et 
partant  la  négation  de   la    rente,  qui  se  confond  avec 
l'intérêt  du  capital  employé  à  préparer  et  à  améliorer 
la  terre  ;    enfin    l'hypothétique  loi   de   la  distribution 
(elle  aussi  énoncée  par  Carey),  en  vertu  de  laquelle,  avec 
le  progrès  de  l'industrie,  la  part  de  produit  qui  va   à 
l'ouvrier  augmente  d'une  façon  absolue  et  d'une  façon 
relative,    tandis  que  celle    qui   reste  à    l'entrepreneur 
capitaliste  augmente  bien  dans  sa  quantité  totale,  mais 
diminue  par  rapport  au  salaire  ;  enfin  ses  étranges  con- 
tradictions sur  la  population,  par  lesquelles  il  combat  à 
plusieurs  reprises  la  théorie  de  Malthus,  qu'il  accepte 
dans  d'autres  parties  de  son  volume  sur  les  Harmonies. 
Il  est  évident  que  la  hâte  extrême  avec  laquelle  Bastiat 
a  compilé  ses  Harmonies,  l'a  empêché  de  faire  l'ana- 
lyse de  certains  phénomènes  économiques  avec  la  pro- 

25 


386  l'économie    politique 

fondeur  dont  il  a  donné  des  preuves  dans  son  opuscule 
célèbre  Ce  que  Von  voit  et  ce  que  Von  ne  voitpas  .1850) 

Fréd.  Bastiat,  Œuvres  complètes,  2=  édiL.,  1862-1864 
(réimprimées  plusieurs  fois).  7  vol. 

Voiries  travaux  de  De  Fontenay,  Paillottet,  F.  Passy, 
De  Foville,  etc.,  mais  spécialement  l'essai  de 
François  Ferrara  dans  le  vol.  XII  de  la  Biblio- 
leca  delV  Economista  (1851),  pp.  v-glx,  et  celui 
de  J.  E.  Cairnes  dans  la  FoitnUjhtly  Revieic,  Oc- 
tobre 1860,  réimprimé  dans  ses  Essays  (1873j. 

L  influence  que  Bastiat  a  exercée  par  la  partie  saine  de 
ses  œuvres,  qui  contient  la  réfutation  des  sophismes 
des  protectionnistes  et  des  socialistes,  comme  par  la 
partie  évidemment  inexacte  sur  la  valeur  et  la  distri- 
bution des  richesses,  se  manifeste  moins  dans  las  ou- 
vrages de  ses  élèves  que  dans  la  tendance  qui  se 
retrouve  encore  aujourd'hui  chez  la  majorité  des  éco- 
nomistes français  et  chez  une  notable  minorité  d'alle- 
mands et  d'italiens.  L'influence  immédiate  de  Bastiat 
se  constate  chez  quelques  écrivains,  parmi  lesquels  il 
suffira  de  citer  Martinelli  {Harmonies  et  perturbations 
sociales,  1853),  Bénard  {Les  lois  économiques,  1862), 
R.  De  Fontenay  {Du  revenu  foncier,  1854),  qui  a  écrit 
plus  tard  d'autres  travaux  dans  lesquels  il  montre  une 
grande  vigueur  de  raisonnement  et,  enfin,  Frédéric 
Passy,  l'infatigable  champion  de  la  liberté  et  le  promo- 
teur ingénu  et  sympathique  de  la  paix  universelle 
{Leçons  d'économie  politique,  1861.  2  vol.  —  Mélanges 
économiques,  etc.). 

Gustave  de  Molinari  est  né  à  Liège  en  1819  ;  il  a  été 
directeur  de  V Economiste  belge  (1855  à  1868)  et  depuis 
1882  à\i  Journal  des  Economistes  ;  c'est  le  champion  le 
plus  estimé  de  l'individualisme  ;  écrivain  fécond,  parfois 
pénétrant,  souvent  excentrique  mais  toujours  brillant, 


EN     FRANGE  387 

il  s'est  occupé  de  questions  spéciales,  comme  de  la  pro- 
priété, de  l'esclavage,  du  commerce  des  grains,  de  la 
monnaie,  du  crédit,  des  poids  et  mesures,  et,  sous  diffé- 
rents points  de  vue  aussi,  de  l'ensemble  des  phénomènes 
économiques  ;  il  défend,  sur  l'incompétence  de  l'Etat 
en  matière  économique,  des  doctrines  que  des  juges 
non  suspects,  comme  par  exemple  de  Foville,  ont  juste- 
ment taxées  d'exagération, 

G.  De  Molinari,  Cours  iVéconomie  politique.  Paris, 
1855-1863.  2  vol.  —  Questions  cV économie  politique. 
Bru.xelles,  1861.  2  vol.  —  L'Evolution  économique 
au  XfX°  siècle.  Paris,  1881.  —  Les  lois  naturelles 
de  l'économie  politique,  1891.  —  Précis  d'économie 
politique  et  de  morale,  1893. 

Paul  Leroy-Beaulieu,  professeur  au  Collège  de 
France,  comme  son  beau-père  Michel  Chevalier, 
fort  compétent  en  matière  statistique,  a  débuté  par  de 
bonnes  monographies  sur  Yétat  intellectuel  et  moral 
des  ouvriers  (1868),  sur  la  question  ouvrière  (1872, 
'l"  édit.  1882),  sur  le  travail  des  femmes  (1873),  sur  la 
colonisation  (1874,-4"  édit.  1891),  auxquels  l'Aca- 
démie des  sciences  morales  et  politiques  a  décerné 
des  prix.  Cependant  ses  titres  scientifiques  les  plus 
sérieux  sont  le  Traité  de  la  science  des  finances,  le 
seul  traité  français  qui  rivalise,  à  certains  points  de  vue, 
avec  les  traités  allemands,  et  ses  trois  longues  études  sur 
la  répartition  des  richesses,  sur  le  collectivisme,  et 
sur  les  fonctions  de  l'Etat.  Il  ne  partage  pas  les 
opinions  extrêmes  de  Spencer  et  de  Molinari  ;  cepen- 
dant, c'est  un  j^artisan  du  quiétisme  économique,  qui  le 
conduit  à  des  solutions  imparfaites  et  quelquefois  fausses 
de  problèmes  théorico-pratiques  de  grande  importance. 
Par  exemple,  il  nie  l'importance  pratique  de  la  théorie 
de  la  rente  de  Ricardo  et  il  n'accepte  pas  la  théorie  de 


388  l'économie    politique 

Malthus,  parce  qu'elles  sont  contraires  à  sa  foi  dans 
l'augmentation  incessante  du  bien-être  des  classes 
ouvrières  ;  il  a  de  nombreux  doutes  sur  la  possibilité 
d'application  et  sur  les  avantages  de  la  participation 
aux  bénéfices  et  de  la  coopération.  Cela  ne  fait  pas 
qu'il  n'ait  fourni  quelques  utiles  contributions  aux 
progrès  de  la  science  par  ses  recherches  sur  le  taux 
de  l'intérêt,  par  ses  comparaisons  très  approfondies 
entre  les  entreprises  gouvernementales  et  celles  qui  sont 
constituées  par  les  sociétés  anonymes,  et  par  beaucoup 
de  bonnes  observations  sur  les  dangers  de  l'ingh^ence 
économique  de  l'Etat  lorsqu'il  se  fait  le  seul  défen- 
seur des  faibles  ;  s'il  exagère  ces  dangers,  ses  idées 
sont  cependant  une  digue  contre  les  théories  du"  socia- 
lisme d'Etat. 

P.  Leroy-Beaulieu,  Traité  de  la  science  des  finances. 
Paris,  1877.  2  vol.-o«  édit.,  1892.  —  Essai  sur  la 
répartition  des  richesses,  ISSl.-S'' édit.,  1888.  — 
Des  causes  qui  influent  sur  le  taux  de  l'intérêt  (in 
Mémoires  de  V Académie  des  sciences  morales  et  po- 
litiques. Tome  XI,  1885j.  —  Précis  d'économie 
politique,  1888.  —  L'Etat  moderne  et  ses  fonctions. 
1890.  —  Cfr.  l'article  de  Pierson  dans  De  E'-ono- 
mist  (septembre  1890,  pp.  608-615). 

Henri  Baudrillart  (1821-1892),  philosophe,  journa- 
liste, suppléant  de  Chevalier  dans  la  chaire  d'économie 
et  prédécesseur  de  Levasseur  dans  celle  d'histoire  de 
l'économie  au  Collège  de  France,  s'est  occupé  spéciale- 
ment des  rapports  des  phénomènes  économiques  et  des 
lois  de  la  morale.  Parmi  ses  nombreuses  publications  il 
faut  signaler,  en  dehors  d'un  bon  Manuel  et  d'autres  œu- 
vres déjà  citées,  sa  belle  histoire  du  luxe  et  ses  savants 
ouvrages  sur  l'état  de  l'agriculture  française,  publiés 
par  les  soins  de  l'Académie  des  sciences  morales  et 
politiques,  supérieurs  par  leur  importance  à  l'enquête 


aAI 


EN     FRANCE  389 

sur  les  conditions  des  manufactures  faite  par  Louis 
Reybaud,  romancier  et  économiste  (m.  1879),  le  très 
célèbre  historien  des  socialistes  modernes. 

H.    Bauclrillart,    Manuel   d'économie  polUiqiœ,    1857. 

5®  édit.,  1883.  —  Histoire  du  luxe  privé  el  public. 

1878-1880.  4  vol.  —  Les  populations  agricoles  de  la 

France,  1880-1885.  2  volumes. 
L.  Reybaud,   Eludes  sur  le  régime  des  manufactures., 

1859-1874.  4  vol. 

Emile  Levasseur  (né  en  1828)  est  l'auteur  d'excel- 
lentes monographies,  ô.\vi\pvécis  préférable  à  celui  de 
Baudrillart,  mais  surtout  de  très  savants  ouvrages 
économico-historiques  :  il  a  publié  un  certain  nombre 
d'ouvrages  de  géographie  et  de  statistique,  et  on  lui  doit 
une  œuvre  classique  sur  la  population  en  France. 

E.  Levasseur,  Précis  d'économie  politique^  1867.- 
4*  édil.,  1883.  —  Histoire  des  classes  ounrières  en 
France,  etc.,  jusqu'à  la  Révolution,  1859.  —  His- 
toire, etc.,  jusqu'à  nos  jours,  1867.  —  La  population 
française,  etc.  1889-1892.  Trois  volumes. 


§    3.    LES    ÉCOLES    DISSIDENTES 

Ces  écoles  ont  eu  et  ont  encore  en  France,  en  Belgi- 
que et  en  Suisse,  d'illustres  représentants,  mais  toutes 
n'ont  pas  un  nombre  important  de  disciples.  Sis- 
mondi,  Cournot,  Auguste  Comte,  Le  Play,  Périn,  et 
quelques  autres  ont  laissé,  comme  économistes  ou 
comme  critiques  de  Téconomie,  des  traces  profondes  de 
leur  passage  dans  le  sentier  de  la  science. 

On  peut  considérer  comme  des  dissidents,  sinon 
tous,  au  moins  quelques  uns  de  ceux  qui,  appliquant 
la  méthode  mathématique,   sont  arrivés  à  des  consé- 


390  l'économie    politique 

quences  divergentes  de  celles  de  l'école  classique  et  de 
celles    des     optimistes.    Nous     citerons     A.    Cournot 
(1801-1877),  philosophe  et  mathématicien,  qui  a  été  le 
premier  à  se  servir  de  cette  méthode  avec  compétence 
dans  ses  Recherches  sur   les  principes  de  la  théorie 
de  la  richesse  (1838).  Cournot  s'est  occupé  de  la  valeur 
et  de  la  rente,  notamment  dans  les  cas  de  monopole, 
et  il  a  étudié  l'influence  des  impôts  sur  les  prix,  et  il  est 
ainsi  arrivé  à  des  résultats   parfois   imprévus  dans  la 
théorie  des  échanges  internationaux.  Croyant  plus  tard 
que  l'usage  des  mathématiques  avait  nui   à  son  livre 
qui,   en     fait,    passa     inaperçu    pendant    plus    de    25 
ans,    il    y    renonça     complètement    dans    ses    Prin- 
cipes  de  la   théorie  des  richesses  (1863),   et,  dans  le 
résumé,  en  grande  partie  modifié,  qu'il  publia  peu  do 
temps   avant  sa  mort  {Revue  sommaire  de  la  science 
économique,  1877).  Juvénal  Dupuit,  inspecteur  géné- 
ral des  ponts  et  chaussées  (1804-1866),  s'éloigne  moins 
des  doctrines  courantes.   Dans  ses  mémoires  sur  les 
travaux  publics  il  a  parlé,  lui  aussi,  de  la  théorie  de  la 
valeur,  et  il  a  écrit  un  volume  intéressant  sur  la  liberté 
commerciale,  dans  lequel  il  démontre  que  les  pertur- 
bations momentanées  qu'elle  peut  amener  ne  diffèrent 
pas    de    celles    qui    sont  l'effet   de   l'introduction   des 
machines  ou   de  tout    autre    perfectionnement   indus- 
triel.   Parmi  ceux  qui   se  sont  servi    du    calcul   pour 
résoudre  des  questions  spéciales  nous  citerons  Fauvcau. 
Le  chef  de  l'école  mathématique  est   maintenant  Léon 
Walras,  professeur  à  l'Université  de  Lausanne. 

E.  J.  Dupuit,  De  la.  mesure  de  VulilUê  des  travaux 
publics  (in  Annales  des  fonis  et  chaussées,  2«  série. 
Tome  VIII,  1844).  —  De  l'influence  des  péages  sur 
l'ulililé  des  voies  de  communication.  {Ibidem,  1849^ 
—  La  liberté  commerciale,  son  principe,  ses  consé- 
quences, 1861. 


EN     FRANGE  391 

G.  Faaveau,  Considérations  mathématiques  sur  la 
théorie  de  Vimpôt,  1864!  —  Considérations  mathé- 
malhiques  sur  la  théorie  de  la  valeur  (in  Journal 
des  Economistes,  1867). 

L.  Walras,  Eléments  d'économie  politique  pure.  Lau- 
sanne et  Paris,  1874-1877.-20  édit.,  1889.  —  Théo- 
rie mathématique  de  la  richesse  sociale,  1883. 

L'école  positiviste  et  en  particulier  son  illustre  chef 
Auguste  Comte,  un  ancien  saint  simonien  (1797-1857), 
s'est  moins  occupée  de  la  réforme  de  l'économie  poli- 
tique que  de  sa  négation  comme  science  particulière  des 
phénomènes  économiques,  qu'elle  considère  comme 
indissolublement  unis  à  ceux  de  l'ordre  intellectuel, 
moral  et  politique.  C'est  à  cette  démonstration  que 
Comte  a  consacré  notamment  le  quatrième  volume  de 
son  Cours  de  j)hilosophie  positive,  remarquable  d'ail- 
leurs à  plus  d'un  titre.  Sa  classification  des  sciences 
en  physico- mathématiques,  biologiques  et  sociolo- 
giques, sa  détermination  des  trois  stades,  théologique, 
métaphysique  et  positif,  sa  distinction  de  la  statique  et 
delà  dynamique  sociales,  ses  vues  sur  la  considération 
du  caractère  continu  des  phénomènes  de  la  vie  sociale, 
ont  exercé  une  notable  influence  non  seulement  sur 
Harrison,  Geddes,  Ingram,  mais  aussi  sur  d'illustres 
économistes  qui,  comme  Mill,  Cairnes,  Marshall, 
reconnaissent  l'utilité  d'une  étude  séparée  des  phéno- 
mènes économiques. 

Aug.  Comte,  Cours  de  philosophie  positive.  Paris,  1830- 
1842.  6  vol.-4«  édit.,  1881.  —  Sys'ème  de  politique 
positive,  1851-1854.  6  vol. -Nouvelle  édition,  1880- 
1883. 

Littré,  Comte  et  la  philosophie  positive,  1863.  —  Cairnes, 
M.  Comte  and  political  economy.  (In  Forinightly 
Reviens  mai  1870,  et  dans  ses  Essays,  1873.  —  J. 
K.  Ingram,  Uistory  of  political  economy,  1888, 
pp.  196-200. 


392  l'économie    politique 

D'autres  philosophes  ont  fait  des  incursions  plus  ou 
moins  heureuses  dans  le  domaine  économique.  Am- 
broise  Clément  a  essayé  de  combiner,  avec  peu  de  succès 
d'ailleurs,  l'économie  avec  la  morale  et  la  politique 
[Essai  sur  la,  science  sociale,  1868.  2  vol.)  ;  Secrétan, 
professeur  à  Lausanne,  annonce  la  fin  du  salariat; 
Renouvier  admet  le  droit  au  travail  ;  Fouillée,  dans  son 
livre  La  propriété  sociale  et  la  démocratie,  critique 
le  caractère  trop  absolu  de  la  propriété  foncière,  et  enfin 
E.spinas  dans  son  Histoire  des  doctrines  économiques 
(1891)  fait  des  observations  ingénieuses  et  intéressantes, 
mais  quelquefois  inexactes,  sur  le  caractère  des  diffé- 
rentes époques  et  des  divers  systèmes,  sans  cependant 
faire  un  examen  minutieux  et  approfondi  des  théories, 
notamment  de  celles  des  auteurs  contemporains. 

Des  objections  plus  importantes  ont  été  faites  aux 
optimistes  par  quelques  écrivains  de  l'économie  appli- 
quée qui,  malgré  de  notables  différences  dans  la  ten- 
dance et  dans  les  détails,  sont  cependant  d'accord  pour 
combattre  l'individualisme  et  le  quiétisme  de  l'école 
dominante  et  pour  admettre  la  nécessité  d'une  réforme 
sociale.  Le  précurseur  de  ce  mouvement  a  été  Sis- 
mondi. 

Jean  Charles  Léonard  Sismonde  de  Sismondi  (1773- 
1842),  illustre  historien,  littérateur,  agronome,  a  dé- 
fendu les  doctrine."?  courantes  dans  ses  premières  œuvres 
(Tableau  de  l'agriculture  toscane.  Genève,  1801.  — 
De  la.  richesse  commerciale,  1803.  2  vol.).  mais  il  en 
a  fait  une  critique  sévère  dans  ses  Nouveaux  principes 
d'économie  poUticiue ,  Ôû  de  la  richesse  dans  ses 
rapports  avec  la  population  (Paris,  1819.  Deux  vol. 
2*^  édit.  1827),  et  aussi  dans  ses  Etudes  sur  réconomie 
politique  (1837-1838.  2  vol.).  Cedernier  ouvrage  e.st  un 
recueil  d'essais  sur  l'agriculture,  l'esclavage^Jes^ma- 
nufaotures,  le  commerce,  les  monnaies  et  le  crédit,  les 


EN     FRANGE  393 

colonies,  la  balance  entre  la  production  et  la  consomma- 
tion, etc.  Il  combat  quelques  unes  des  doctrines  de  Smith, 
de  Say  et  de  Ricardo,  et  oppose  à  leur  cbrématistique, 
qui  s'occupe  des  richesses  en  oubliant  l'homme  qui  les 
produit,   la  véritable   économie  politique,    qui   étudie 
l'intluence  de  la  production  et  de  la  distribution  sur  le 
bi^îT-êtreTTialériel  du  peuple.  Frappé  de  la  succession  ra- 
pide des^crises  dérivant  de  l'e-xcès  de  la  production,  qui, 
à  son  tour,  est  la  conséquence  de  la  division  du  travail, 
des  machines,  de  la  formation  des  grandes  entreprises 
et  en  particulier  de  la  concurrence  effrénée,  par  l'effet 
de  laquelle  les  riches  deviennent  toujours  plus  riches  et 
les  pauvres  plus  pauvres,  Sismondi  proclame  la  néces- 
.sité  de  retourner  à  la  petite  culture,  de  restaurer  la  pe- 
tite propriété  et  la  petite  industrie  ;  il  pense,  en  outre, 
que  l'entrepreneur  doit  garantir  la  subsi.stance  des  ou- 
vriers etque  l'Etatdoit  l'aider  dans  cette  tâche.  Sismondi , 
loin  de  combattre  la  liberté  du  commerce,  ou  de  récla- 
mer un   changement,    qu'il  croit  pernicieux ,   dans  le 
.système  de  répartition  des  produits,  s'arrête  à  la  critique 
négative  du  régime  industriel  moderne  et  il  se  déclare 
naïvement  incapable   d'en  proposer  un  meilleur.  Cela 
suffît  à  expliquer  son   influence  sur  des  écrivains  qui, 
tout  en  acceptant  ses  prémisses,  en  ont  tiré  les  consé- 
quences les  plus  diverses,  c'est-à-dire,  et  sur  les  socia- 
listes et  sur  les  partisans  des  réformes  partielles  dans  le 
système  actuel  de  production  et  de  distribution  des  ri- 
chesses. Ses  théories  eurent  un  savant  interprète  dans 
Théodore  Fix,  allemand  d'origine,  qui  fonda  la  Revue 
mensuelle  d'économie  j^olitique  11833-1836.  5  vol.), 
qui  publia   ensuite   d'intéressantes    Observations   sur 
Vétat    des  classes  ouvrières  {] S \(^)  :    elles   ont  inspiré 
de  nombreuses  enquêtes  privées  sur  lesl^onditions  des 
ouvriers^  et  en   particulier  sur  les    abus   dérivant   du 
travail  des  enfants,  parmi   lesquelles  nous  rappelons 


394  l'économie    politique 

celle  du  médecin  et  philanthrope  L.  R.  Villermé 
[Tableau  de  l'état  physique  et  moral  des  ouvriers, 
1840.  Deux  vol.),  et  les  brillants  essais  de  Léon  Faucher 
(m.  1855'  intitulés  Etudes  sur  VAngletcj're  (Paris, 
1845.  Deux  vol.)  ;  elles  onteu  aussi  une  influence  sur  les 
descriptions  très  exagérées  d'Eugène  Buret  (La  misère 
des  classes  laborieuses  en  Angleterre  et  en  France. 
Paris,  1842.  Deux  vol.).  Ai>x  travaux  de  l'école  de  Sis- 
mondi  se  rattachent,  au  moins  pour  partie,  ceux  de 
quelques  écrivains  que  Kautz  qualifie  assez  heureuse- 
ment de  demi-socialistes,  comme,  par  exemple,  Villiaumé 
[Nouveau  traité  d'économie  politique,  1857.  Deux 
Yol.)  et  Auguste  Ott,  un  disciple  érudit  de  Bûchez  [L'éco- 
noniie  j^olitique  coordonnée  au  jyoint  de  vue  du  pro- 
grès, 1851  ;  récemment  réimprimé). 

Cfr.  sur  les  doctrines  de   Sismondi,   H.  Eisenhart, 
Gescliichte  de)'  Naiionalôkonomie.  Jena,  1881,  pp.  99- 
117.  —  et  mieux  L.  Elster,    /.  Ch.  L.  S.  de  Sis- 
mondi,' in  Jahrbûcher  fur  Naiionalôkonomie.  Nou-  * 
velle  série,  vol.  XIV  (1887;,  pp.  321-382. 

Beaucoup  plus  utile  a  été  l'œuvre  de  Frédéric  Le 
Play  (1806-1882),  camarade  de  Chevalier  à  l'Ecole  po- 
lyteclmique,  inspecteur  général  des  mines ,  savant 
organisateur  de  plusieurs  Expositions  internationales, 
en  particulier  de  celle  de  1867.  Il  a  fait  de  nombreux  et 
périlleux  voyages  et  institué,  avec  une  singulière  abné- 
gation, des  enquêtes  personnelles  sur  le  budget  écono- 
mique et  sur  les  conditions. morales  des  familles^ ou- 
vrières choisies  par  lui  comme  typiques  dans  les 
différents  pays  et  dans  les  diverses  professions.  Il  a 
publié  les  résultats  de  ces  enquêtes  dans  deux  grandes 
œuvres,  continuées  par  de  zélés  disciples,  qui,  dans  les 
dissussions  de  la  Société  d'économ.ie  sociale  de  Paris,  et 
par  la  publication  de  La  Réforme  sociale  (1881  et  suiv.) 


EN      FRANCE  395 

et  de  la  Science  sociaie  (1876),  s'efforcent  de  répandre 
les  idées  du  maître.  Ennemi  de  lïndividualisme  exagéré, 
sans  combattre  cependant  la  libre  concurrence,  Le  Play 
veut  guérir  les  plaies  sociales  par  une  restauration  mo- 
rale de  Tautorité  du  père  dans  la  famille,   et  de  celle 
de  l'entrepreneur  dans  l'atelier,  sans  demander  cepen- 
dant le  retour  ni  aux  anciennes  corporations,  ni  au  ré- 
gime patriarcal,    auquel   il    oppose  ce  qu'il  appelle  la 
famille-souche,  qu'il  voudrait  rétablir  par  la  liberté  de 
tester  et  par  l'abolition  des  dispositions  qui  prescrivent 
la  division  des  terres  entre  les  cohéritiers.  Il  a  contribué 
aux  progrès  de  l'économie  pure  par  ses  recherches  sur 
la  consommation  et  les  différentes  habitudes  sociales, 
étudiées    par    la    méthode   monographique,    qui  peut 
être  un  utile  complément,   mais  qui  ne  peut  pas  cepen- 
dant (comme  on  le  dit  parfois)  se  substituer  aux  obser- 
vations   méthodiques  et   collectives   de   la  statistique. 
Parmi  ses  disciples  il  faut  signaler  Daire,  Focillon,  de 
Ribbe,  Guérin,   mais,   avant  tout,  l'éminent  ingénieur 
Emile   Cheysson,  professeur  à  l'Ecole  des  Mines  et  à 
riCcole  des  Sciences  politiques,  l'organisateur  de  la  sec- 
tion d'économie  sociale  à  l'Exposition  de  1889,  et  l'au- 
teur de  nombreuses  et  excellentes  monographies  éco- 
nomiques et  statistiques,  dans  lesquelles  il  discute,  avec 
une  rare  compétence,  les  questions  de  méthode. 

F.  Le  Play,  Les  ouvriers  européens.  Paris,  1855. 
2«  édit.,  18T7^'87p.  Six  volumes. '^^^Zes  ouvriers 
des  deux  mondes,  elc.  1858-1885.  f"  série.  Cinq 
vôllimésV  S^série,  1886-1893.  Trois  volumes.  — 
La  réforme  sociale  en  France  déduite  de  l'observa- 
tion comparée  des  peuples  européens,  1864.  Deux 
volumes  (7"  édit.,  1887.  Trois  volumes).  Son 
œuvre  théorique  est  résumée  dans  :  L'organim- 
tionda  travail,  1810.-5"  édit.,  1888,  et  dans  d'autres 
ouvrages  moins  étendus. 

Cl'r.    sur  Le  Play  les   appréciations   deV.  BranLs, 


396  l'économie    politique 

F.  Le  Play,  dans  la  Revue  catholique  de  Louvain 
(1882).  —  Ch.  de  Ribbe,  Le  Play,  d'après  sa  cor- 
respondance.  Paris,  1884.  —  A.  Jannet,  V Ecole 
de  Le  Play.  Genève,  J890.  —  H.  Higgs,F.  Le  Play, 
dans  le  Quarterly  Journal  of  Economies.  (Boston, 
juillet  1890,1. 

Tandis  que  le  Play,  qui  espérait  voir  se  réaliser  la 
paix. sociale  dans  tous  les  pays  de  confession  chrétienne, 
cite  seulement,  bien  que  fervent  catholique,  les  pré- 
ceptes du  Décalogue  et  ceux  de  l'Evangile  qui  en  sont 
le  complément,  il  était  bien  naturel  que  naquit  une 
école  qui,  faisant  un  appel  direct  à  la  doctrine  catholique, 
mettrait  en  évidence  le  côté  chrétien  de  l'économie 
appliquée,  et  demanderait  comme  un  complément 
nécessaire  de  la  liberté  économique  et  des  associations 
spontanées  d'ouvriers,  le  patronage  des  entrepreneurs 
sous  la  direction  plus  ou  moins  immédiate  de  l'autorité 
ecclésiastique.  Cette  école  a  son  siège  principal  en 
Belgique,  et  spécialement  à  l'Université  catholique  de 
Louvain,  qui  fait  antithèse  à  l'Université  libre  de 
Bruxelles  et  aux  Universités  gouvernementales  de  Liège 
et  de  Gand  ;  elle  a  aussi  actuellement  des  repré.sentants 
dans  les  facultés  libres  de  droit  de  Paris,  de  Lyon,  de 
Lille  et  d'Angers. 

Cette  école  est  représentée  en  Allemagne  par  le 
D'"  G.  Ratzinger  (Die  VolhsuùrtJLSchaft  in  ihren 
slttlichen  Gruyullagen,  1881J,  en  France  par  Charles 
Périn.  L'œuvre  principale  de  ce  dernier,  traduite  en 
\  plusieurs  langues,  est  intitulée  De  la,  richesse  dans  les 
'  sociétés  chrétiennes  (Paris,  1861.  Deux  vol.  -  3"  édit., 
1883);  il  a  également  publié  Les  lois  de  la  société 
chrétienîie  [181^-2"  édit.,  1876),  Le  socialisme  chré- 
tien (1878),  L'économie  politique  cVaprès  rEncycliciue 
(1891).  Il  a  aussi  écrit  une  histoire  de  l'économie 
moderne,   malheureusement  quelquefois  partiale   {Les 


EN     FRANGE  397 

doctrines  économiques  depuis  un  siècle,  1880).  Périn 
a  eu  un  digne  successeur  .  à  son  enseignement  dans 
un  esprit  égal  au  sien  mais  qui  lui  est  supérieur  par 
son  érudition  historique  et  par  sa  connaissance  technique 
des  différentes  doctrines,  VictorJBrants,  Excellent  pro- 
fesseur, il  a  poussé  ses  élèves  aux  études  qui  peuvent 
tendre  à  l'amélioration  de  la  condition  des  ouvriers.  Il  a_ 
débuté  par  un  érudit  Essai  historique  sur  la  condition 
des  classes ~ rurales  en~~Bêïgîque  (Louvain,  1880), 
anquéî"  se" rattache  un  bon  travail  de  Vanderkindere. 
Une  fois  nommé  professeur,  Brants  a  résumé,,  dans 
trois  précieux  petits  volumes,  les  doctrines  de  l'école 
catholique  :  Lois  et  méthodes  de  V économie  politique 
(Louvain,  1883. -S*"  édit.,  1887.),  La  lutte  pour  le  pain 
quotidien  (1885.-'îs  édit.,  1888),  La  circulation  des 
hommes  et  des  choses  (1880.-2^  édit.,  1892). 

De  bons  précis,  plus  courts,  sont  dus  à  De  Melz 
Noblat,Ze.y  lois  économiques,  1861.-  2"=  édit.,  1880. 
—  F.  Hervé-Bazin,  Trailé  élémentaire  d'économie 
politique,  1880.  —  Plus  faible  est  le  résumé  des 
doctrines  de  Le  Play  fait  par  Guillemenot,  Essai 
de  science  sociale,  etc.,  1884. 

Nous  devons  citer,  a  côté  de  Brants,  pour  la  valeur 
et  la  modération  de  ses  doctrines,  Claudio  Jannet, 
d'abord  magistrat,  puis  professeur  à  l'Institut  catho- 
lic[ue_dê__Paris.  Il  est  l'auteur  d'une  œuvre  remar- 
quable sur  les  États-Unis  [Les  États-Unis  contempo- 
rains. 4^  édit.,  1889.  Deux  vol.),  d'un  intéressant 
recueil  d'études  dans  lesquelles  il  combat  le  socialisme 
à'Y^idii  [Le  socialisme  cV  État  et  taré  forme  sociale,  {^Wj 
et  d'une  monographie  récente  {Le  capital,  la  spécu- 
lation et  la  finance,  1892).  Les  doctrines  de  ces  auteurs 
peuvent  se  glorifier,  en  ce  qui  concerne  leur  appli- 
cation aux  questions  ouvrières  modernes,  de  l'appro- 


398  l'économie    politique 

bation  implicite  du  chef  auguste  de  l'Église,  qui,  dans 
l'Encyclique  Rerum  novarurii  du  15  mai  1891,  a  dit 
son  opinion  toujours  autorisée,  quoiqu'elle  ne  soit 
obligatoire  qu'en  matière  de  dogme  et  de  morale  ;  on 
a  eu  quelquefois  le  tort  de  chercher  dans  l'^ncî/c/if^tie 
co  qui  ne  pouvait  ni  ne  devait  s'y  trouver,  un  traité 
d'économie  politique. 

Aux  écrivains  dont  nous  venons  de  parler  s'oppose, 
sinon  en  tout  du  moins  en  partie,  un  autre  groupe  de 
zélés  catholiques,  dont  quelques  uns  reçoivent  leurs 
inspirations  de  l'étranger  et  tendent  la  mam  à  l'école  des 
socialistes  catholiques,  dirigée  pendant  un  temps  par 
Monseigneur  Ketteler,  évêque  de  Mayence  (m,  J8771  et 
représentée  parles  Christlich-Sociale  B  Ihtter  {ISQS); 
d'autres  au  contraire  ont  reconnu  dans  le  cardinal 
Manning  un  chef  savant  et  laborieux,  favorable  à-UH-e 
large  intervention  de  l'Etat  dans  la  question  ouvrière, 
et  qui  avait  applaudi  au  fameux  manifeste  du  jeune 
empereur  d'Allemagne.  Un  dernier  groupe,  exclusive- 
ment français,  dont  le  chef  est  le  fougueux  orateur 
comte  de  Mun,  qui  a  pour  organe  V Association  catho- 
lique et  pour  champ  d'action  les  Cercles  catholiques 
cVouvriers,  demande  la  restauration  des  anciennes 
corporations^d'arts  et  métiers.  Le  plus  érudit  champion" 
de  ce  courant  extrême,  qui  voit  dans  Périn  un  ami 
trop  zélé  de  la  liberté,  et  qui  voudrait  rattacher,  même 
dans  la  science  pure,  l'économie  à  la  morale,  doit  être 

cherché  hors  de  France  : 

» 

Ch.  S.  Devas,    Grounckvork  of  Economies.   London, 

1883.  —  PolUical  economy,  1892. 

Une  dernière  catégorie  de  dissidents  de  l'école 
dominante,  dont  la  qualité  vaut  mieux  que  la  quantité, 
est  celle  qu'on  a  l'habitude  de  désigner  sous  le  nom 
d'école  nouvelle. 


EN     FRANCE  399 

Les  deux  représentants  les  plus  illustres  de  ce 
groupe,  dont  les  doctrines  et  les  tendances  sont 
d'ailleurs  différentes,  sont  le  belge  de  Laveleye  et  le 
français  Gide. 

Emile  de  Laveleye  (1822-1892),  professeur  à  Liège, 
littérateur  et  publisciste,  a  écrit  d'excellents  essais.  On 
lui  doit  de  bons  travaux  sur  l'économie  agraire  en 
Belgique,  en  Hollande,  en  Lombardie  et  en  Suisse,  et 
un  volume  sur  les  crises  commerciales  (Le  marché 
inonétdiire  et  les  crises,  1865);  il  a  été  un  défenseur 
infatigable  mais  exagéré  du  bimétallisme  (La  monnaie 
et  le  bimétallisme  international,  1891)  ;  il  a  collaboré 
aux  principales  revues  d'Europe  et  d'Amérique,  et  il  a 
acquis  une  renommée  mondiale.  Devenu  partisan  ardent 
des  nouvelles  doctrines  allemandes  {Les  tendances 
nouvelles  de  V économie  politique,  in  Revue  des  deux 
inondes,  1875),  il  a  résume  les  meilleures  monogra- 
phies anglaises  et  allemandes  sur  la  propriété  collective, 
dont  il  a  fait  jusqu'à  un  certain  point  l'apologie  (De  /<-i 
jyropriété  et  de  ses  formes  primitives.  187  1-1"=  édit., 
1891)  ;  enfin,  ses  Eléments  d'économie  politique 
(1882  d'édit.  1891)  montrent  son  peu  d'aptitude  à 
parler  des  principes  de  la  science  pure,  dont  il  ne 
connaissait  exactement  ni  l'objet,  ni  le  but,  ni  la 
méthode.  (Cfr.  notre  article  dans  le  Giornale  degli 
Economisti,  Bologne,  octobre  1891,et  Gobletd'Aviella, 
E.  de  Laveleye,  1895). 

Charles  Gide  (né  en  1847),  professeur  à  la  Faculté 
de  droit  de  Montpellier,  le  frère  du  regretté  juriscon- 
sulte Paul  Gide,  est  d'un  tout  autre  tempérament  scien- 
tifique. C'est  un  économiste  éminent  qui,  comme 
Cairnes  et  Jevons,  doit  être  jugé  moins  .sur  ce  qu'il 
voudrait  être  que  sur  ce  qu'il  est  en  réalité.  AJ^ersaire 
décidé  des  optimistes,  partisan  de  la  liberté  sans  être 
idolâtre  de  la  concurrence,  Gide,   si  on  ne  tient  pas 


400  l'économie    politique 

compte  de  quelques  propositions  peu  mesurées  sur  la 
propriété  foncière  et  de  quelques  prédictions  exagérées 
sur  l'avenir  des  coopératives  de  consommation,  qui 
préparent,  selon  lui,  le  terrain  aux  coopératives  de 
production,  doit  être  considéré  comme  un  économiste 
moins  éloigné  qu'il  ne  le  pense  de  l'école  classique, 
qu'il  attaque  souvent,  dailleurs  d'une  façon  vague. 
Son  traité  d'économie  politique  suffît  à  le  prouver  (le 
meilleur  précis  à  notre  avis,  comme  celui  de  Cherbuliez 
est  le  meilleur  traité)  ;  il  résume,  avec  compétence,  les 
doctrines  modernes  et  entre  autres  la  théorie  de  la 
valeur  de  Jevons,  qui  ne  diffère  pas  au  fond  de  celle  de 
l'école  austro-allemande.  Gide,  qui  n'arrive  à  définir 
la  nouvelle  école  (allemande)  que  par  une  phrase  à 
effet  en  la  qualifiant  d'école  de  la  solidarité  opposée 
à  celles  de  la  liberté,  de  l'autorité,  de  l'égalité,  a  le 
mérite  incontestable  d'avoir  créé  un  organe  indépen- 
dant de  la  pensée  économique,  qui  peut  compter  sur  un 
bel  avenir,  malgré  la  conspiration  du  silence  de  ses 
puissants  adversaires. 

Ch.  Gide,  Princii^es  d'écotiomie  politique.  Paris,  1884. 
5«  édit.,  1896.-Trad.  anglaise,  1892.  —  L'école 
nouvelle.  Genève,  1890.  —  Revue  d'économie  poli- 
tique. Paris,  1887  et  suiv. 


^    -i.    —    LES    MONOGRAPHIES 

S'il  y  a  décadence  dans  les  recherches  de  science 
pure,  le  progrès  fait  par  les  français  dans  l'étude  de 
l'histoire  peut  nous  servir  de  réconfort.  En  dehors  des 
œuvres  classiques  de  Thierry,  Taine,  de  Monteil,  Gué- 
rard,  Leber,  Mantellier,  Bourquelot,  notamment  sur 
les  conditions  et  les  institutions  médiévales,  nous  avons 
de  remarquables  monographies  deFagniez,  de  Frignet, 


EN     FRANGE  401 

la  belle  histoire  de  Pigeonneau  (1885-1889)  sur  le  com- 
merce, et  aussi  les  ouvrages  de  Poirson,  de  Ijoutaric, 
et  de  quelques  autres  sur  les  institutions  économiques 
de  certains  rois,  et,  enfin,  les  histoires  des  classes 
rurales  de  Delisle,  Doniol,  Dareste  de  la  Chavanne, 
Babeau  et  Villetard,  le  travail  de  Hanauer  sur  les  con- 
ditions économiques  de  TAlsace  et  celui  de  Mathieu 
sur  la  Lorraine.  Si  la  statistique  moderne  a  été  créée 
par  l'illustre  belge  Adolphe  Quetelet  (1796-1 874),  Guerry 
a  été  un  maître  dans  la  statistique  morale,  à  laquelle  Yver- 
nès  a  consacré  différents  travaux,  ainsi,  d'ailleurs,  qu'à  la 
démographie,  qu'ont  particulièrement  étudiée  Levasseur 
et  Bertillon.  La  statistique  économique  a  été  cultivée 
par  Moreau  de  Jonnès,  Legoyt,  et  maintenant  par  Block, 
déjà  cité,  et  par  l'éminent  Alfred  de  Foville,  l'auteur 
de  brillants  articles  sur  les  prix  et  de  deux  belles  mo- 
nographies sur  les  transports  (La  transformation  des 
moyens  de  transport,  1880)  et  sur  le  morcellement 
du  sol  (Le  morcellement,  1885),  qui  peut  servir  de 
complément  au  livre  de  A.  Legoyt,  1886. 

De  Franqueville  (Du  régime  des  travaux  piihlics, 
2°édit.,  1870.  Quatre  vol.),  Audiganne  {Les  chemins 
de  fer,  1858-1863.  Deux  vol.),  Picard  {Traité  des  che- 
mins de  fer,  1887.  Quatre  vol.),  ont  étudié,  au  point  de 
vue  historique  et  dans  leurs  détails  techniques,  les  tra- 
vaux publics  et  en  particulier  les  chemins  de  fer. 

Dans  l'économie  agraire,  en  dehors  de  Baudrillart, 
déjà  cité,  il  faut  mentionner  l'éminent  publiciste 
HippolytePassy  (1793-1880),  auteur  d'un  petit  volume, 
qui  n'a  pas  encore  été  dépassé,  sur  les  systèmes  de  cul. 
ture  (2'=édit.,  1852),  Léonce  de  Lavergne  (1809-1888), 
justement  loué  par  Cliffe  Leslie  {Fortnightly  Review, 
février  1881),  auquel  nous  devons  de  savantes  et  élé- 
gantes monographies.  Essai  sur  l'économie  rurale 
de  V Angleterre,  de  VEcosse  et  de  l'Irlande  (1854, 

26 


402  l'économie    politique 

5*  édit.,  1882);  L'Agriculture  et  la  jJOjDulation  (1857, 
2"  édit.,  1865);  Economie  rurale  de  la  France  {iSQi). 
4^  édit.,  1870),  et  enfin  le  belge  Piret  qui  a  commencé 
une  œuvre  considérable,  quoique  mal  proportionnée 
{Traité  d'économie  rurale,  1889  et  suiv,  j,  le  comte  de 
Tourdonnet  (Traité  joratic^ue  du  métayage,  1882) 
et  ReroUe  (Dit  colonage  partiaire,  1888)  qui  ont 
étudié  à  fond  le  métayage,  Cazeneuve  (1889)  ({ui 
s'est  occupé  de  la  participation  aux  bénéfices  dans  les 
entreprises  rurales,  et  un  grand  nombre  d'auteurs 
qui  ont  écrit  sur  le  crédit  foncier  et  sur  le  crédit 
agricole,  etc.,  etc. 

Sur  les  manufactures,  il  faut  consulter  les  ouvrages 
de  Léon  Faucher,  de  Verdeil,  du  belge  Ducpétiaux,  de 
Charles  Laboulaye,  le  frère  de Fillustre  Edouard  Labou- 
laye  ;  sur  le  crédit  et  sur  les  banques,  Wolowski,  Horn, 
Juglar,  l'auteur  d'un  beau  volume  sur  les  Crises  com- 
merciales (2"  édit.,  1889),  Courtois  fils,  qui  a  écrit 
l'histoire  de  la  banque  de  France;  parmi  les  nombreux 
ouvrages  sur  le  libre-échange,  rappelons  celui  d'Ame 
(Etude  sur  les  tarifs  des  douanes,  1876.  Deux  vol.)  ;  sur 
la  population,  Bertheau  (1892)  ;  sur  l'assistance,  qui  a 
été  étudiée  dans  un  grand  nombre  de  livres  remar- 
quables, l'ouvrage  classique  La  charité  légale,  ses 
causes  et  ses  effets  (1836),  bien  que  sa  critique  de  la 
charité  publique  soit  trop  absolue,  a  pour  auteur  le 
genevois  F.  Naville  (1784-1836)  ;  le  grand  ouvrage  de 
de  Gérando  [De  la  bienfaisance  jniblique,  1839.  4  vol.) 
étudie  surtout  les  questions  d'administration,  il  n'est 
vieilli  que  pour  certaines  de  ses  parties  (Cfr.  Ch.  Gra- 
nier.  Essai  de  bibliographie  charitable,  1891). 

Il  existe  également  un  grand  nombre  de  monogra- 
phies sur  les  salaires,  les  syndicats,  les  sociétés  de  pré- 
voyance, les  coopératives;  c'est  ce  que  prouvent  les  Qpu- 
vres  de  Simon,  Beauregard,  Crouzel,  L.  Smith,  Laurent, 


EN     FRANCE  403 

De  Malarce,  Lafitte,  Véron,  Penot,  Rouillet,  Abrial, 
Batbie,  Bûchez,  Feugiieray,  Lemercier,  Ch.  Plobert, 
Le  Rousseau,  Fougerousse,  Gibon,  etc.  dont  les  œuvres 
sont  indiquées  dans  nos  Primi  elementi  d'economia 
sociale  (lO^édit.,  1895;  trad.  franc.  Paris,  1889). 

Sur  les  finances,  (en  dehors  du  Traité  de  Leroy- 
Beaulieu  et  du  Dictionnaire  de  Léon  Say),  la  première 
place  appartient  au  savant  ouvrage  d'Esquirou  de  Pa- 
rieu  {Traité  des  impôts^  etc.  Paris,  1862-64.  Cinq  vol. 
2e  édit.,  1866-67),  qui  n'a  pas  d'égal  dans  la  littérature 
des  autres  pays.  On  doit  aussi  mentionner  sur  les  impôts, 
les  ouvrages  de  Vignes,  Guyot,  Denis,  professeur  à 
l'Université  de  Bruxelles,  et  au  point  de  vue  historique, 
de  bons  travaux  deClamageran,  Vuitry,  Stourm,  Four- 
nier  de  Flaix,  etc.,  etc.  Sur  les  emprunts,  rappelons 
seulement  les  travaux  de  .Juvigny,  Laffitte,  Labeyrie, 
Cucheval-Clarigny,  et  nous  renvoyons  pour  les  autres 
à  nos  Primi  elementi  di  scienza  délie  finanze,  (Tiédit. 
1890;  trad.  franc,  Paris,  1891). 


CHAPITRE  XI 
L'ECONOMIE  POLITIQUE  EN  ALLEMAGNE 


I 


Le  progTes  des  études  économiques  a  été,  dans  ce 
siècle,  certainement  très  notable  en  Allemagne,  et  les 
doutes  légers  et  imprudents  émis  par  quelques  écri- 
vains français  et  italiens  sur  la  réalité  de  ce  progrès  font 
peu  d'honneur  à  leur  perspicacité  et  à  leur  science.  On 
ne  peut  cependant  pas  admettre  l'idée  d'une  primauté 
germanique  dans  le  champ  entier  des  sciences  écono- 
miques, parallèle  à  celui  que  l'Allemagne  conserve  jus- 
qu'ici dans  les  sciences  philologiques,  philosophiques, 
historiques  et  juridiques.  Cette  prétention,  que  la 
grande  majorité  des  écrivains  de  ce  pays  répète  avec 
une  obstination  blâmée  d'ailleurs  par  des  hommes  aussi 
savants  qu'impartiaux  comme  Wagner,  trouve  très  fa- 
cilement accès  même  en  Italie  auprès  de  quelques 
jeunes  écrivains  par  trop  enthousiastes  ;  on  ne  peut 
réduire  cette  proposition  à  sa  juste  valeur  qu'en 
quittant  les  généralités  trop  vagues  et  trop  indéter- 
minées, pour  examiner  avec  soin  les  différentes 
branches  de  la  science  économique  cultivées  en  Alle- 
magne. 

La  part  très  large  faite  à  l'économie  politique 
dans  les  facultés  philosophiques,  juridiques  et  po- 
litico-administratives des  universités  allemandes  a 
contribué  non  seulement  à  la  diffusion  des  connais- 
sances, mais  aussi  à  déterminer  le  courant  donné  à 
cette  étude,  non  moins  que  la  qualité  des  arguments  et 


EN    ALLEMAGNE  405 

le  caractère  des  œuvres  publiées.  La  science  étant  sur- 
tout étudiée  par  des  professeurs,  cela  nous  explique  en 
outre  beaucoup  de  traits  caractéristiques  du  développe- 
ment des  études  économiques  en  Allemagne,  c'est-à- 
dire  le  manque  de  sens  pratique,  l'abondance  des  trai- 
tés, des  manuels,  des  précis,  les  discussions  tbéo- 
riques  d'une  subtilité  souvent  exagérée,  accompagnées 
d'un  luxe  inutile  d'incidents  purement  verbaux,  pour 
aboutir  (dans  les  vingt  dernières  années)  à  une  négli- 
gence blâmable  des  recherches  scientifiques.  On  s'est 
trop  souvent  borné  à  des  recherches  d'histoire  et  de 
statistique  économiques,  intéressantes,  mais  souvent 
trop  particulières  ;  on  veut  y  voir  la  base  inductive 
d'une  nouvelle  science  économique,  ou  d'une  sociolo- 
gie encore  plus  nouvelle,  devant  laquelle  l'économie 
actuelle  devrait  disparaître.  On  doit  cependant  considé- 
rer comme  une  excellente  conséquence  de  la  culture 
juridique  des  professeurs  allemands  l'idée  plus  exacte 
qu'ils  se  sont  faite  des  fonctions  économiques  de  l'Etat, 
qu'ils  ont  sa:\'amment  analy.sées  et  défendues  energique- 
ment  contre  les  objections  des  individualistes.  Cepen- 
dant ils  n'ont  pas  su  le  plus  souvent  éviter  l'erreur  théo- 
rique de  confondre  la  saine  liberté  économique,  défen- 
due par  1  école  classique,  avec  le  dogme  absolu  du 
«  laissez  faire  «,  professé  par  les  optimistes,  ni  l'erreur 
pratique  de  désirer  une  ingérence  nuisible  et  excessive 
de  l'Etat  ;  par  là  ils  se  .sont  rapprochés  des  funestes  uto- 
pies du  socialisme  bureaucratique  ou  révolutionnaire. 
Un  autre  mérite  incontestable  des  économistes  alle- 
mands, pour  lequel  on  peut  leur  reconnaître  dans  une 
certaine  mesure  une  véritable  prééminence,  consiste  à 
avoir,  fidèles  aux  traditions  de  l'ancienne  doctrine  camé- 
raliste,  maintenu  et  mieux  précisé  la  distinction  entre 
la  science  pure  et  ses  applications  ;  ils  ont,  en  effet, 
reconnu  à  côté  de  la  politique  financière  (science  des 


•406  l'égonomte  politique 

finances)  une  politique  économique,  et  étudié  dans  des 
vues  plus  larges  cette  branche  de  l'économie  afin  de 
constituer  la  science  de  l'administration,  qui  s'est  subs- 
tituée à  la  science  de  la  police,  trop  ancienne  et  trop 
étroite.  ]Mais  les  équivoques  sont  encore  nombreuses,  car 
la  distinction  entre  l'économie  pure  et  l'économie  appli- 
quée est  souvent  confondue  (et  quelques-uns  s'en  font 
un  titre  de  gloire,  comme  nous  l'avons  dit)  avec  celle 
de  réconomie  générale  et  de  l'économie  particulière, 
comme  s'il  y  avait  des  questions  scientifiques  de  carac- 
tère spécial  et  des  questions  d'application  de  caractère 
général  ! 

Quoiqu'il  en  soit,  il  est  certain  que  l'Allemagne  du 
xix^  siècle  possède  des  maîtres  éminents  dans  toutes  les 
branches  des  disciplines  économiques.  Des  hommes 
comme  v.  Thiinen,  Hermann  et  Mangoldt,  Stein, 
Schâftle,  Roscher,  Knies,  Wagner  ;  des  spécialistes 
comme  Xebenius,  Hanssen,  Helferich,  Nasse,  Soet- 
beer,  Schmoller,.Cohn^  etc.;  des  statisticiens  comme 
Engel,  Rilmelin,  Lexis,  Knapp,  Becker,  etc.,  peuvent 
être  comparés  aux  plus  illustres  savants  de  tous  les 
temps  et  de  tous  les  pays. 

W.  Roscher,  Geschichte  dur  National-Oekouomie  in 
Deutschland.  Munchen,  1874,  pp.  862-1048  (sa- 
vant, impartial,  élégant). 

V.  Cusuinano,  Le  scuole  economiche  délia  Germania, 
in  rapporio  alla  questione  sociale.  Napnji,  1875. 
(Extraits  abondants  des  œuvres  les  plus  récentes, 
qui  ont  été  souvent  copiés  sans  citation  de 
sources). 

K.  Walcker,  Geschichle  der  Nalionalùkonomie .  Leip- 
zig, 1884,  pp.  111-261.  (Singulier  mélange  de 
renseignements  biographiques  et  bibliogra- 
phiques quelquefois  inexacts  et  souvent  étran- 
gers au  sujet,  et  de  jugemsnts  le  plus  souvent 
faux  et  assez  souvent  blessants). 

M.  Meyer,  Die  neuere  Xational(Jkonomie,elc.  4*  édit., 


EN    ALLEMAGNE  407 

Munden   i.  W.,   1885.     (Compilation   améliorée 

dans  les  dernières  éditions). 

Cohn,     System    der   Xalionulôkonomie.    l"""    vol. 

Siultgart,  1885,  pp.  123-133,  157-173. 

V.  Scheel,  Die  poUUsclie  Oekonomie,  in  Handbuch 

(le  Schdnberg.   3«  édit.,  vol.  I.  Tubingen,  1890, 

pp.  94-106. 


§    1.    —    L''ÉCOLE    CLASSIQUE. 

Charles  Henri  Rau,  né  en  1792,  professeur  à  Erlan- 
gen  en  1818,  puis  à  Heidelbergen  1822,  où  il  mourut  en 
1870,  en  dehors  de  quelques  travaux  de  moindre  im- 
portance parmi  lesquels  il  faut  citer  ses  remarquables 
Ansichten  der  Volkswirthsrhaft  (Leipzig,  1821),  dans 
lesquels  il  indique  le  caractère  relatif  des  institutions 
économiques  et  l'influence  qu'exercent  sur  elles  les 
conditions  locales  de  sol  et  de  climat,  a  publié  un  cours 
complet  d'économie  politique  divisé,  comme  celui  de 
Jakob,  en  trois  parties  :  économie  sociale,  politique 
économique,  et  politique  financière,  qu'il  tint  pendant 
une  longue  série  d'années  au  courant  du  progrès  de  la 
science.  Si  cette  œuvre  ne  brille  pas  par  l'originalité 
des  vues  ni  par  la  profondeur  des  recherches,  elle  est 
cependant  très  remarquable  par  Tampleur  de  la  doc- 
trine, la  richesse  des  données  statistiques,  législatives 
et  bibliographiques,  la  modération  des  jugements,  l'har- 
monie des  parties,  la  clarté  de  Texposition,  son  sage 
éclectisme  théorique  et  son  exquis  sens  pratique.  Ces 
qualités  expliquent  pourquoi  le  livre  de  Rau  a  conservé 
pendant  si  longtemps,  dans  les  Universités  et  pour  les 
candidats  aux  carrières  administratives,  la  première 
place,  fait  oublier  les  manuels  antérieurs,  et  soutenu  la 
concurrence  contre  quelques  autres  manuels  postérieurs 
à  sa  première  édition,  par  exemple  ceux  de  Zachariœ 
(1832),  Rotteck(1835),  Bûlau  (1 835),  Riedel  (1836-1842), 


408  l'économie  politique 

Eiselen  (1843),  Schilz  (1813),    Glaser  (1858),    Rossler 
(1864),  Umpfenbach  (1867),  etc. 

K.  H.  Rau,  Lelirbiich  der  politisrhen  Oekonomie.  l^*" 
vol.,  Leipzig,  1826  (8«  édit.,  1868-69). -2«  vol., 
1828  (5e  édit.,  1862-63). -3«  vol.,  1832  (5"  édit., 
1864-G5). 

Nous  devon.s  signaler  à  côté  de  Rau,  parce  qu'ils  se 
rapprochent  de  lui  à  certains  points  de  vue,  trois 
hommes  d'Etat,  qui  se  sont  également  occupés  des 
questions  théoriques,  dans  un  esprit  et  avec  un  succès 
différents,  Malchus,  Hoffmann,  Xebenius. 

G.  A.  von  Malchus  ;1770-1840',  ancien  ministre  du 
Royaume  de  Westphalie,  a  étudié  spécialement  la 
science  des  finances  ;  nous  lui  devons  une  œuvre  de 
caractère  tout  à  fait  pratique  et  en  harmonie  avec  le 
système  français  des  impôts  [Hanclbuch  der  Finanz- 
'{çissenschaft.  Stuttgart,  1830.  Deux  volumes).  Jean 
Gottfried  Hoffmann  (1765-1847),  professeur  et  directeur 
de  rOfïïce  de  statistique  de  Berlin,  plus  pénétrant  mais 
moins  systématique,  a  fait,  au  contraire,  dans  ses  œu- 
vres économiques  et  financières,  Tapologie  des  institu- 
tions prussiennes  :  ses  opinions  ont,  d'ailleurs,  souvent 
varié,  notamment  sur  la  question  de  la  liberté  indus- 
trielle et  des  corporations.  En  dehors  de  plusieurs  re- 
cueils de  ses  travaux  moins  importants  on  a  de  lui  une 
théorie  de  la  monnaie  [Die  Lehre  vom  Gelde.  Berlin, 
1838.  —  Die  Zeichen  der  Zeit  im  d.eutschen  Miïnz- 
wesen,  1841),  dans  laquelle  il  recommande,  le  premier 
en  Allemagne  et  sans  donner  des  arguments  vraiment 
persuasifs,  l'adoption  de  l'étalon  monétaire  unique  d'or; 
cette  proposition  provoqua  une  réponse  beaucoup  plus 
savante  et  pratiquement  fondée  de  Hermann.  Dans  sa 
théorie  des  finances  {Die  Lehre  von  den  Steuern,  1840) 
ses  opinions  sont  moins  concluantes  encore  ;  il  combat 


EN   AI-LEMAGNE  409 

avec  des  arguments  trop  faibles  l'impôt  foncier  et 
'l'impôt  sur  la  rente,  et  il  n'a  pas  des  idées  exactes  sur  la 
répercussion  des  impôts. 

Charles  Frédéric  Nebenius  ,  17<S4-1857)  leur  a  été  cer- 
tainement de  beaucoup  supérieur;  il  est  un  de  ceux  qui 
ont  eu  une  part  intelligente  et  active  à  la  préparation  et  à 
la  formation  du  Zollverein  fZ)e?' deiitsc/ze  Zollverein, 
soin  System  iind  seine  Zukunft.  Carlsruhe.  1835;. 
Dans  le  domaine  scientifique,  il  a  ac-quis  une  renommée 
bien  méritée  par  ses  travaux  sur  la  théorie  du  crédit 
public,  qui,  malgré  les  progrès  ultérieurs,  notamment 
en  ce  qui  concerne  les  effets  économiques  des  emprunts 
(C.  Dietzel,  Wagner,  Nasse,  Schâffle)  conservent  encore 
une  très  grande  importance  pour  la  profondeur  des 
recherches,  la  rectitude  des  jugements  et  l'abondance 
des  renseignements  historiques. 

F.  Nebenius.  Di^r  offenlUche  Crédit.  Carlsruhe,  i820. 
2«  édit-,  vol.  I,  1829.  —  Ueber  die  Herabsetzwvj 
dnr  Zinsen  der  offentlichea  Schuldoi.  Stuttgart, 
1837. 

Thiinen,  Hermann  et  Mangoldt  se  sont  consacrés,  au 
contraire,  presque  exclusivement  aux  questions  géné- 
rales de  l'économie  sociale;  ces  trois  écrivains,  restés 
fidèles  à  l'esprit  de  l'école  classique,  ont  apporté  des 
contributions  utiles  et  originales  aux  progrès  de  la 
science  pure  ;  ils  occupent  sans  aucun  doute  une  place 
très  éminente. 

Le  comte  Jean  Henri  de  Thiinen  (1783-1850),  autodi- 
dacte, agronome  élevé  à  l'école  de  Thaer,  et  possesseur 
de  la  grande  propriété  de  Tellow  dans  le  Mecklenbourg, 
a  fait  faire  de  notables  progrès  à  la  science  économique  ; 
en  se  servant  du  calcul,  il  a  approfondi  par  la  méthode 
déductive  et  indépendamment  de  Ricardo,  la  théorie  de 
la  rente.  Il  s'est  occupé  spécialement  du  problème  de 


410  l'économie  politique 

la  rente  de  position,  que  ie  grand  économiste  anglais 
n'avait  étudiée  qu'incidemment  ;  il  a  consacré  de 
longs  développements,  dans  le  premier  volume  de  «on 
Etat  isolé,  aux  lois  qui  déterminent  la  distribution 
territoriale  des  systèmes  de  culture  d'après  la  distance 
du  marché.  Il  a  été  moins  heureux  dans  ses  recher- 
ches sur  le  salaire  naturel  (c'est-à-dire  sur  le  juste  sa- 
laire) ;  il  crut  avoir  déterminé  le  juste  salaire  dans  la 
formule  Vëip,  c'est-à-dire  racine  carrée  du  produit  que 
l'on  obtient  en  multipliant  la  somme  exprimant  la  va- 
leur des  choses  nécessaires  à  l'entretien  de  l'ouvrier  par 
celle  qui  indique  la  valeur  des  produits  obtenus  par 
son  travail,  mais  ses  prémisses  étaient  arbitraires  et  in- 
suffisantes. Pratiquement  il  pensait  se  rapprocher  de  la 
solution  du  problème  en  accordant  à  ses  paysans  une 
participation  aux  bénéfices  (Gfr.  Sedley  Taylor,  Profit- 
Sharing.  London,  1884).  La  critique  de  cette  formule 
a  été  l'objet  de  travaux  ingénieux,  mais  peu  concluants 
et  souvent  équivoques,  delà  part  de  Laspeyres  (1860), 
de  Knapp  (1865),  de  Brentano  (1867),  de  Schumacher 
(1869),  de  Falck  (1875)  et  enfin  d'une  réfutation  victo- 
rieuse de  Komorzynski  (1894). 

J.  H.  V.  Thiinen,  Der  isolirte  Slaat.  1"  vol.,  Ros- 
tock,  1826  (2''  édit.,  1842.  Trad.  franc,  de  Laver- 
rière,  1851). -2«  vol.,  1850-63  (Trad.  franc,  de  Wol- 
koft;  1857).-3«vol.,  1863. 

Cfr.  H.  Schumacher-Zarchlin, /.  H.  v.  Thùnen.  Ros- 
Lock,  1868.-2'=  édit.,  1883. 

M.  WolkofT,  Lectures  d'économie  politique  rolioimelle, 
1863. 

Frédéric  Benoit  Guillaume  Hermann  (1795-1868), 
professeur  et,  plus  tard,  directeur  de  l'Office  de  statis- 
tique de  Munich,  est  moins  original  que  Thiinen,  mais  il 
l'égale  pour  son  esprit  critique  et  il  a  une  connais- 


EN    ALLEMAGNE  411 

sance  plus  complète  de  la  littérature  économique. 
Comme  Hufeland,  Lotz,  Soden,  il  a  cherché  à  préciser 
les  théories  abstraites  de  la  productivité,  du  capital,  de 
la  valeur  et  du  prix,  de  la  rente,  de  l'intérêt  et  de  la 
consommation.  Dans  sa  théorie  du  capital,  qu'il  définit 
d'une  façon  trop  large,  parce  qu'il  y  comprend,  comme 
Say,  les-  capitaux  d'usage,  et  qu'il  étend  plus  encore 
par  son  analyse  des  capitaux  immatériels,  —  ce  quicon- 
•duit  logiquement  aux  idées  quelque  peu  étranges  de 
Charles  Dietzel  (Das  System  der  Staatsanleihen.  Hei- 
■delberg,  1855)  sur  les  emprunts  publics,  —  Hermann 
n'apasété,  sauf  quelques  bonnes  observations,  trop  heu- 
reux. Il  faut  le  louer  sincèrement  pour  les  quelques 
corrections  qu'il  a  faites  à  la  doctrine  du  fonds  des  sa- 
laires et  pour  sa  belle  exposition  de  la  théorie  de  la  va- 
leur et  du  prix  ;  dans  cette  étude  il  a  devancé  les  tra- 
vaux des  derniers  économistes  anglais,  en  considérant 
le  phénomène  au  double  point  de  vue  de  l'acheteur  et 
du  vendeur.  Mais  c'est  sa  théorie  du  revenu  qui  consti- 
tue le  principal  titre  de  sa  renommée  scientifique  ;  c'est 
pour  lui  un  concept  subjectif,  et  le  premier  il  Ta  déter- 
miné rigoureusement  en  le  distinguant  des  notions  ob- 
jectives de  produit  brut  et  de  produit  net,  avec  lesquels 
les  anglais  le  confondaient.  Il  a  ainsi  fourni  leur  point 
de  départ  aux  recherches  intéressantes,  mais  quelque- 
fois inexactes,  de  Bernhardi  (lSi8)  et  aux  travaux  plus 
approfondis  de  SchMûe  {M e ns ch  und  Gut,  1860)  et  de 
Schmoller  [Ziir  Lehre  vom  Einkommen,  1863).  —  Le 
professeur  K.  G.  Neumann,  l'éminent  collaborateur  du 
Manuel  de  Schonberg  et  l'auteur  de  bonnes  monogra- 
phies, qu'il  a  résumées  dans  ses  Grundlagen  der 
Volkswirthschaft.  (Tilbingen,  1<S89),  peut  être  consi- 
déré, dans  une  certaine  mesure  au  moins,  comme  un 
disciple  de  Hermann  ;  c'est  un  écrivain  érudit,  mais 
-quelquefois  trop  subtil. 


412  l'économie  politique 

F.  B.  W.  Hermann,  SUtatsicirthschafiliche  Unfersu- 
chungen.  Munchen,  1832.  —  La  seconde  éditioQ 
(posthume  ,  partiellement  améliorée,  mais  sans 
les  intéressantes  notices  historico-critiques  de 
la  première,  a  été  publiée  en  1870. 

L'éminent  économiste  saxon  Hans  von  Mangoldt 
(1824-1 868V,  professeur  à  Gôttingue.  puis  à  Eribourg, 
auteur  d'ouvrages  très  remarquables,  n'a  pas  suivi 
une  direction  très  différente  de  celle  de  Hermann.  Il  a 
débuté  par  une  dissertation  sur  les  caisses  d'épargne 
(1847);  il  a  publié  ensuite  quelques  intéressants 
articles  théoriques  et  biographiques  dans  le  Diction- 
naire de  Bluntschli  et  Brater,  une  bonne  monographie 
sur  la  doctrine  du  profit,  un  précis  déconomie,  qui  est 
encore  aujourd'hui  un  des  meilleurs,  et  un  traité  plus 
développé,  resté  inachevé  par  la  mort  prématurée  de 
l'auteur.  Les  parties  les  plus  originales  de  Mangoldt, 
concernent  l'analyse  exacte,  mais  trop  minutieuse,  du 
profit  de  l'entrepreneur,  qu'il  veut  séparer  complète- 
ment de  l'intérêt  et  du  salaire,  et  aussi  la  théorie  delà 
rente  foncière,  dont  il  montre  ingénieusement  les 
analogies  avec  les  revenus  de  monopole,  sans  indiquer 
les  différences.  Les  mêmes  idées  ont  été  exprimées, 
d'une  façon  tout  à  fait  indépendante ,  par  le  fran- 
çais P.  A.  Boutron  TJiéorie  de  la  rente  foncière 
Paris,  1867)  et  par  Schaffle  [Die  nationalôkonomiscJie 
Théorie  cler  ausschliessenden  Absatzverhiiltnisse. 
Tûbingen,  1867j. 

H.  v.  Mangoldt,  Die  Lchre  vom  Untemehmergewin . 
Leipzig,  1855.  —  Gruntlriss  (1er  VoUcswirthschafis- 
lehre.  Stuttgart,  1863.-2^  édit.  (augmentée  par 
F.  Kleinwâchter),  1871.  —  Volkswirtlischoftslehrf. 
1"  vol.,  Stuttgart,  1868  (traite  de  la  production, 
de  la  conservation  et  de  la  distribution  des  ri- 
chesses;. Cfr.  Ad.  Wagner,  Gedàchtnissreile  auf 
H.  V.  Mangoldt.  Freiburg  i.  Br.,  1870. 


EN    ALLEMAGNE  413 

Un  petit  groupe  d'éminents  spécialistes,  Baumstark, 
Laspeyres,  Helferich  s'écartent  peu  de  l'économie  clas- 
sique, ou  tout  au  moins  ils  n^ont  pas  pris  une  part  très 
active  aux  polémiques  entre  l'école  historique  et  l'école 
des  optimistes.  Helferich  a  écrit  sur  les  oscillations  de 
la  valeur  des  métaux  précieux  de  149'2  à  1830  (Niirn- 
bcrg,  i843)  ;  E.  Nasse  a  consacré  de  courtes  mais  excel- 
lentes monographies  à  la  monnaie,  au  crédit,  et  aux 
banques,  etc.  Le  plus  célèbre  est  Georges  Hanssen 
(1809  1894),  auquel  nous  devons  une  série  de  travaux 
classiques  qui  traitent,  spécialement  au  point  de  vue 
historique,  de  l'économie  agraire  de  l'Allemagne. 

G.  Hanssen,  Agrarhistorische  Ahhondlungen.  Leipzig, 
1880-84.  Deux  vol. 

Une  position  éminente,  bien  qu'isolée  à  certains 
points  de  vue,  a  été  occupée  pendant  longtemps,  parmi 
les  économistes  et  les  publicistes  allemands,  par  Lorenz 
Stein  (1815-1890),  professeur  à  Vienne,  historien 
profond  du  socialisme  français,  défenseur  de  réformes 
radicales  dans  l'enseignement  du  droit,  créateur  émi- 
nent  de  la  Science  de  Va.driiinisir(ition  (voir  p.  45-46), 
à  laquelle  il  a  donné  des  proportions  colossales  en  la 
substituant  à  l'ancienne  science  de  la  police.  Il  a  écrit 
aussi  un  petit  nombre  de  monographies  juridico-éco- 
nomiques, un  résumé  excessivement  métaphysique 
d'économie  politique,  et  un  traité  classique  de  la 
Science  des  finances,  qui  a  tous  les  mérites  et  tous  les 
défauts  de  sa  Science  de  V adininistvEition .  Après  le 
travail  de  Stein,  les  Manuels  de  Science  financière  se 
sont  multipliés.  Il  faut  signaler  comme  pleins  démérite: 
un  manuel  de  Umpfenbach,  qui  expose  les  notions  fon- 
damentales ;  un  autre  très  complet  et  encore  inachevé 
de  Wagner,  remarquable  pour  sa  doctrine,  la  perspica- 
cité, l'abondance  et  l'exactitude  de  ses  renseignements 


414  l'économie  politique 

statistiques  et  législatifs;  un  élégant  et  très  clair  résumé 
de  Roscher  ;  enfin  les  monographies  écrites  par  des  spé- 
cialistes compétents  pour  le  Manuel  de  Schonberg. 

L.  V.  Stein,  Lehrbuch  dor  yalionaWlwnomie.  Wien, 
1858.-3"  édit.,  i887.  —  Lehrbuch  der  Finaimcissen- 
srhafl,  1860.  -  5«  édit.,  (en  4  volumes),  1885-80. 

K.  Umpfenbactî,  Lehrbuch  der  Finanztvissenschaft. 
Erlangen,  1859-60.  -  2"  édit.,  1887. 

Ad.  Wagner,  Finanzwissenschaft.  Vol.  I.  Leipzig^ 
1871-1872.  -  3''  édit.,  1883.  -  Vol.  II,  1878-80.  - 
3^  édit.,  1890.  -  Vol.  III,  1886-89. 

W.  Roscher,  System  der  Finanzwissenschaft .  Stutt- 
gart, 1886,-3'=  édit.,  1889. 

G.  Schonberg,  Handbuch  der  politischen  Oekonomie. 
S"  édit.,  vol.  III.  Tubingen,  1890. 

Cfr.  K.  Th.  Eheberg,  Geschichte  der  Finanzwissen- 
schoft.  [Handivôrterbuch  der  Staatsicissenschaften 
de  Conrad,  Elster,  etc.  Vol.  III.  lena,  1891,  pp. 
487-505). 


S  2.  —  l'école  historique  et  ses  dérivations. 

Ce  serait  une  entreprise  trop  ardue,  et  fort  inutile^ 
que  de  vouloir  énumérer  tous  les  i^récurseurs  réels  ou 
prétendus  de  l'école  historique.  Il  suffît  de  dire  que 
Adam  Millier,  Alexandre  Hamilton,  Sismondi,  Schon 
{Xeue  Untersuchung  der  nationalôkonomie,  1835), 
Schmitthenner  [ZwOlf  Bâcher  vom  Staate,  i839), 
Auguste  Comte  et  d'autres  adversaires  de  l'économie 
classique  ont  exposé  des  idées  qui,  incontestablement, 
ont  exercé  une  grande  influence  sur  les  théories  de 
cette  école. 

L'importance  de  Li.st  (1789-1846)  est,  à  ce  point  de 
vue  et  à  d'autres,  encore  plus  grande.  Il  e.st  le  chef 
reconnu  des  protectionnLstes  allemands,  et  en  particu- 
lier de  ceux  de  l'Allemagne  méridionale  ;  il  a  été  le  pro- 


EN    ALLEMAGNE  /i  1  5 

moteur  du  Zollverein,  de  la  construction  rapide  de.s  che- 
mins de  fer  et  en  général  des  réformes  qui  avaient  pour 
but  d'unifier  la  législation  économique  et  fiscale.  Au 
point  de  vue  théorique,  sa  doctrine  de  la  protection  tem- 
poraire des  manufactures,  et  en  général  son  économie 
nationale  qu'il  opposait  à  l'économie  cosmopolite  des 
Universités,  est  fondée  sur  une  succession  uniforme  ima- 
ginaire des  stades  de  civilisation,  qui  ne  trouve  pas  dans 
l'histoire  une  démonstration  suffisante,  et  elle  est  déduite 
de  cette  idée,  qui  n'est  pas  complètement  inexacte,  d'un 
sacrifice  imposé  momentanément  aux  consommateurs 
pour  développer  les  forces  productives  de  la  nation  ; 
mais  cette  idée,  à  son  tour,  dérive  d'une  opposition,  qui 
n'est  nullement  nécessaire,  entre  les  forces  productives 
et  la  valeur  d'échange  des  marchandises. 

Fr.  List,  Bas  nationale  System  der  poliiischen  Oekono- 
mie.  l"vol.,  1841.  -  Trad.  franc,  par  Richelot, 
1851.-7°  édit.,  avec  une  introduction  intéressante 
(pp.  1-249)  de  K.  Th.  Eheberg.  Stuttgart,  1883.  — 
Gesammelte  Schriften  (édité  par  L.  Hatiser).  Stutt- 
gart, 1850.  Trois  volumes. 

Cfr.  pour  d'autres  indications,  l'article  de  Em.  Léser 
dans  VAUgemeine  deutsche  Biographie,  1883. 

Parmi  les  champions  de  l'école  historico-écono- 
mique.  qui,  comme  Ta  bien  démontré  Menger,  ne  peut 
pas  être  considérée  comme  étant  en  parfaite  harmonie 
avec  les  tendances  et  les  idées  de  l'école  historico-juri- 
dique  (Hugo,  Niebuhr,  Savigny,  Eichhorn),  mais  qui 
descend  au  contraire  en  ligne  droite  des  écoles  historico- 
politiques  de  Tubingue  et  de  Gottingue  (Spittler,  Dahl- 
mann,  Gervinus),  on  doit  compter  Hildebrand,  Knies 
et  Roscher. 

Bruno  Hildebrand  (1812-1878)  fonda  en  1863  à  Jena, 
oùils  était  professeur,  les  Jahr  bûcher  fur  Nationaloko- 
nomie   uncl  Statistik  ;  depuis     1873,  il  partagea  la 


416  l'économie  politique 

direction  avec  son  gendre,  le  professeur  Jean  Conrad, 
qui  lui  succéda  comme  directeur  en  1878.  Il  est  parti- 
culièrement connu  par  un  ouvrage  inachevé  Die 
Nationalohonoinle  der  Gegenwart  iind  Zukunft, 
i'^'"  vol.  Francfort.  1848),  dans  lequel  il  fit,  avec 
talent  et  élégance  plus  qu'avec  exactitude,  une  large 
critique  des  systèmes  modernes  d'économie  politique, 
exagérée  dans  les  objections  dirigées  contre  l'école 
classique,  mais  fort  exacte  dans  sa  réfutation  du  socia- 
lisme. 

Charler  Knies  (né  en  1821),  professeur  à  Heidelberg, 
défenseur  ingénieux  de  la  séparation  de  la  statistique 
descriptive  et  de  la  statistique  investigatrice  (il  a  .sur  ce 
point  pour  disciple  Rûmelin  et  Wagner),  est  inférieur 
à  Hildebrand  pour  son  style  enveloppé  et  bizarre,  mais 
supérieur  à  lui  par  son  activité  scientifique,  par  l'éten- 
due et  la  profondeur  de  ses  connaissances  économiques 
et  juridiques  ;  il  est  l'auteur  d'une  œuvre  dans  laquelle 
il  a  fait  connaître  les  normes  de  la  méthode  historique, 
qu'il  a  laissée  complètement  de  côté,  comme  nous  l'avons 
déjà  indiqué,  dans  ses  excellentes  monographies  sur  la 
valeur,  sur  les  transports,  et  en  particulier  dans  son 
(cuvre  classique  sur  la  monnaie  et  sur  le  crédit,  à  la- 
quelle manque  encore  la  partie  consacrée  aux  emprunts 
publics. 

K.  Kaies,  Die  Statistik  als  selbsiândige  Wissenschaft. 
Cassel,  1830.  —  Die  jwlitische  Oekonomie  vom 
Standpunkte  der  geschichtlichen  Méthode.  Braun- 
schweig,  1853.-2"  édit.  avec  d'importants  appen- 
dices), Berlin,  1881-83.  —  Die  Eisenbahnen  und 
ihre  Wirkungen,  1853.  —  Die  nationalôkonomische 
Lehre  vom  Werth  (in  Zeilschrift  fur  die  gesammte 
Staatsiciss.,  1855).  —  Der  Teiegraph  als  Verkehrs- 
mittel,  1857.  —  Geld  und  Crédit.  J"  vol.,  1873.  - 
2«  édit.,  1885;  -  2«  vol.,  1876-79. 


EN    ALLEMAGNE  417 

Guillaume  Rosclier  (181 7-1894),  professeur  à  Leipzig, 
a,  dès   1843,    esquissé  les  traits  caractéristiques  de  la 
méthode  historique,  d'après   laquelle  non  seulement  la 
politique   économique   mais  encore  l'économie  sociale 
aurait  son  fondement  dans  l'induction  historico-statis- 
tique.  Il  est  sans  aucun  doute  un  des  plus  illustres  éco- 
nomistes de  ce  siècle.  Si  nous  ne  pouvons  le  louer  pour 
avoir  défendu  cette  méthode,  déjà  critiquée  plus  haut, 
parce  qu'on  arriverait  ainsi  à  substituer  aux  lois  scienti- 
fiques de  réconomie  sociale  les  lois  de  développement 
des  faits  économiques  que  nous  feraient  connaître  les 
études  historiques,  géographiques  et  philosophiques  sur 
les  différents  stades  de  la  civilisation  chez  les  différents 
peuples,  il  nous  semble,  au  contraire,  mériter  un  éloge 
hans  réserves  pour  l'impulsion  vigoureuse  qu'il  a  don- 
née par  ses  œuvres,  remarquables  par  leur  profondeur, 
leur  érudition  extraordinaire,  par  la  connaissance  par- 
faite des  théories  de  l'école  classique,  qu'il  a  en  somme 
acceptées,  par  la  sereine  impartialité  de  la  critique,  par 
la  clarté  et   l'élégance  du   style,    soit  à   l'étude   dog- 
matique des   doctrines,  soit  à  l'histoire  de  leur  déve- 
loppement, et  aussi  parce  que,  seul  en  Allemagne,  il 
a  réussi  à  composer  un  traité  d'économie  dans  lequel  il 
a  conservé  aux  différentes  parties  leurs  proportions  né- 
cessaires, et  qu'il  a  su  éviter  les  digressions  philoso- 
phico-juridiques  et  l'excès  des  détails  technico-législa- 
tifs. 

W.  Roscher,  System  der  Volksiviiihscliaft.  l^f'vol., 
Stuttgart,  1854.-21«  édit.,  1894.  —  2-=  vol.,  1859. 
12«  édit.,  1888.  —  3=  vol.,  1881.-6"  édit.,  1892.  — 
4«vol.,  1886. -4«  édit.,  1894.  —  o«  vol.,  1894.  - 
Ansichien  der  Volksivirthschaft.  Leipzig,  1861. 
3' édit.,  1878.  Deux  volumes.  —  Ueber  Korniheue- 
rung  und  TheuerangspoUtik.  3*' édit.,  1852. — Kolo- 
nien,  Kolonialpolitik  und  Answanderung,  1856. 
3=  édit.,  1885. 

27 


418  l'économie  politique 

Cfr.,  sur  Roscher,  le  remarquable  essai  de  Schmoller 
dans  le  recueil  intitulé  Zur  Lille raturgeschkhte 
der  Slaats-und  Sozialiuissenschaflen.  Leipzig,  1888, 
pp.  147-171. 

C'est  à  Gustave  Schmoller  (né  en  1838 1,  actuellement 
professeur  à  Berlin,  que  revient  le  mérite  d'avoir  tenté 
l'application  de  la  méthode  historique  et  d'avoir  déduit 
des  prémisses  de  Floscher  et  de  Knies  les  conséquences 
qu'ils  n'en  avaientpas  eux-mêmes  tirées.  Nous  lui  devons 
un  grand  nombre  d'excellentes  monographies  sur  l'his- 
toire économique  de  l'Allemagne  et  en  particulier  sur 
la  petite  industrie,  sur  les  corporations,  sur  les  époques 
delà  politique  financière  prussienne,  et  sur  la  théorie 
des  entreprises  industrielles.  Une  partie  de  ces  études, 
et  beaucoup  d'autres  que  nous  ne  citons  pas  pour 
être  bref,  sont  insérées  dans  la  revue  qu'il  dirige  de- 
puis iSS\ ,  Jahrbuch  fur  Gesetzgebung,  Verwaltung 
und  Volkswirthschaft  (fondée  par  Holtzendorff  en 
1872,  qui  s'adjoignit  comme  collaborateur  Brentano  en 
1877)  ;  nous  devons  mentionner  également  les  mono- 
graphies rédigées  par  ses  meilleurs  disciples  et  réunies 
dans  le  recueil  intitulé  Staats-und  Socialwissen- 
schaftliche  Forschungen  (Berlin,  1878  et  suiv.),  qui 
présente  quelque  analogie  avec  une  autre  collection  de 
travaux  historico-économiques,  dirigée  par  le  profes- 
seur Conrad,  de  Halle.  Schmoller  partage  cette  grave 
erreur  de  croire  à  l'impossibilité  d'appliquer  utilement 
la  méthode  déductive  aux  recherches  de  la  science  éco- 
nomique, qui,  à  son  avis,  ne  pourra  se  constituer  tant 
que  l'on  n'aura  pas  de  matériaux  historiques  et  .statis- 
tiques complets  sur  les  conditions  économiques  de  tous 
les  temps  et  de  tous  les  lieux. 

G.  Schmoller,  Zur  Geschichte  der  deulschen  Rlein- 
(jewerhe  un  19  Jalirhundert.  Halle,  1870.  —  Ueber 


J 


EN    ALLEMAGNE  419 

einige  Grundfragen  des  Rechts  und  dei'  Volkwirih- 
schaft,  1875  (contre  Treilschke).  —  Die  Strassbur- 
ger  Tûcher-und  Weberzunft,  etc.,  1881.  —  DieEpo- 
chen  der  preussisclien  Finanz-PoUiik  (in  i"  vol. 
du  Jahrbuch,  etc.).  —  Die  geschichtliclie  Entwi- 
cklung  dcr  Unternehmung  {Jahrbuch,  etc.,  1890- 
1893).  —  Ziir  Social-und  Geiverbepoliiik  der  Ge- 
genwart.  Leipzig,  1890. 


Albert  Eberard  Frédéric  Schâffle  (né  en  1831),  jour- 
naliste, professeur  à  Tubingue  en  1861,  puis  à 
Vienne  en  1868,  et  pendant  quelque  temps  (1871) 
ministre  du  commerce  dans  le  cabinet  Hohenwart, 
diriii'e  maintenant  à  Stuttg-art  la  revue  trimestrielle 
Zeitschrift  far  die  gesanimte  Staatswissenschaft, 
fondée  en  1844  par  des  professeurs  de  la  Faculté 
d'administration  de  Tubingue  et  dirigée  par  eux  jus- 
qu'en 1875.  Il  a  débuté  par  un  bon  précis  d'économie 
politique,  qui  s'est  accru  et  s'est  amélioré  dans  ses 
éditions  successives  ;  il  y  étudie  avec  beaucoup  de 
compétence  la  théorie  des  entreprises,  celle  de  la  mon- 
naie, du  crédit,  des  moyens  de  transport,  et  il  y  expose 
les  critères  qui  permettent  de  distinguer  l'économie 
générale  des  économies  particulières.  Il  a  composé 
plus  tard  un  traité  plus  considérable  de  sociologie 
économique,  dans  lequel  il  a  exagéré  les  ressemblances 
entre  la  structure  et  les  fonctions  du  corps  humain 
et  du  corps  social  ;  il  a  ainsi  commis  de  graves 
erreurs  qui  ont  été  relevées  par  Krohn  et  par  d'autres 
critiques.  Il  a  trouvé  dans  de  Lilienfeld  {Gedanken 
ûbev  die  Socialwissenschaft  der  Zukunft,  1873  et 
suiv.)  un  représentant  d'idées  fort  analogues  aux 
siennes.  11  a  porté  plus  tard  un  jugement  très  bienveil- 
lant sur  le  socialisme,  dont  on  l'a  cru  souvent  un 
apologiste,  de  sorte  qu'il  a  été  amené  à  désapprouver 
les  tendances  de  la  démocratie   sociale.  Il  est  certain 


''iSO  l'économie  politique 

que  dans  beaucoup  de  ses  monographies  sur  le  système 
monétaire,  la  question  ouvrière,  les  problèmes  fiscaux, 
il  montre  une  confiance  exagérée  dans  les  avantages 
de  l'ingérence  économique  de  l'État. 

Alb.  Eb.  Fr.  Schaffle,  Die  Xalional'tJkonomie.  Ttihin- 
gen,  1861. -S^  édit.,  sous  le  titre  de  :  Bas  gesPÂl- 
schaftliche  System  der  menschlichen  Wirthsrhaf'ty 
1878.  Deux  volumes.  — Bau  und  Leben  des  sozialen 
Korpers,  1875-1878.  Quatre  volumes. -S*- édit.,  1881 
et  suiv.  —  Kapitalisnius  und  Sozialismus,  1870.  — 
DieQuiiitessenz  des  Sozialismus,  1874.  (Trad.  franc., 
par  Benoît  Malon,  1880.)-13«  édit.,  1891.  —  Z>/e 
Aussichislosigkeit  der  Sozialdemokratic ,  1885.- 
4^  édit.,  1893.  —  Die  internationale  Doppekv'ùhrung , 
1881.  —  Der  corporative  Hïdfskassenzivang,  1883.- 
2°  édit.,  1884.  —  Die  Grunds'àtze  der  Sieuerpolilik, 
1880.  —  Gesammelte  Aufsdtze,  1885-1886.  Deux 
volumes. 

H.  Bisclîof,  Grundzûge  eines  Systems  der  Nationalô- 
konomie.  Graz,  1876.  (C'est  un  résumé  du  traité 
de  Schaffle). 

§    3.    ÉCONOMISTES    LIBÉRAUX    ET    SOCIALISTES 

DE    LA    CHAIRE 

Le  groupe  de  libéraux,  pour  la  plupart  journa- 
listes et  avocats,  qui  forme  ce  que  les  adversaires 
ont  assez  inexactement  appelé  l'école  de  Manchester, 
a  étudié  l'économie  politique  dans  les  œuvres  des 
Français  et  spécialement  dans  Bastiat.  Il  a  fondé 
à  Berlin  une  société  d'économie  politique,  présidée 
par  Prince-Smith  (1809-1874),  écrivain  brillant  et 
facile  ;  il  a  organisé  des  congrès  annuels,  fondé  en 
1863  une  revue  (Vierteijahrsschrift  fïir  Volkswirth- 
schaft  uncl\Culturgeschichte )  et,  soutenu,  dans  les  pre- 
mières années  de  l'empire,  par  les  assemblées  délibé- 
rantes, il  a  préconisé  l'abolition  des  lois   restrictives 


EN    ALLEMAGNE  421 

de  la  liberté  du  travail,  de  l'association  et  du  domicile, 
il  a  demandé  l'abolition  de  la  prison  pour  dettes  et  celle 
des  lois  restrictives  de  l'intérêt  conventionnel  dans  le 
prêt,  l'unification  du  système  des  monnaies,  des  poids  et 
des  mesures,  l'organisation  des  banques,  la  réforme  des 
impôts  et  des  douanes,  etc.  Ermann  Schulze-Delitsch 
(1808-1879)  s'est  rendu  célèbre  parmi  les  économistes 
libéraux  moins  par  sa  culture,  quelque  peu   superfi- 
cielle, dont  s'est  moqué  àprement  Lassalle,  que  par  sa 
persévérance  et  son  remarquable  sens  pratique.  11  a  pu 
ainsi  organiser  et  répandre  les  banques  populaires  et 
d'autres  formes  de  sociétés  coopératives,  en  s'inspirant 
des  principes  de  la  mutualité  et  de   l'autonomie;  il  a 
été   fortement  aidé   dans  cette  œuvre  par  Schneider, 
Parisius,  Richter   et    quelques    autres    collaborateurs 
du  célèbre  périodique  Die  Inniing  cler  Zukunft  (Cfr. 
A.  Bern^tein.  Schulze-Delitsch,  etc.  Berlin,  1879).  A  ce 
groupe  appartiennent  Faucher  (mort  en  1878),  Michaelis, 
Rentzsch,  directeur  de  V Ilandwôrterbuch  cler  Volhs- 
wirthscha.ftsleJire  [Leipzig,  1865.  Réimprimé  en  1869), 
et  parmi  les  économistes  de  valeur  moindre,    Wollf, 
Braun,   Wyss,  etc.  Il  faut  tout  particulièrement  men- 
tionner,   au    contraire,   pour  la  modération    de    leurs 
doctrines  et  pour  leur  compétence  signalée  dans  quel- 
ques questions  spéciales,  Ad.  Soetbeer,  traducteur  de 
Mill,  secrétaire  de  la  Chambre  de  commerce  de  Ham- 
bourg et  actuellement  professeur  honoraire  à  Gôttingue, 
auteur  d'ouvrages  remarquables  sur  la  statistique  des 
métaux    précieux,    et  vaillant    promoteur    de    l'étalon 
unique  d'or,  que  défendent  également,  en  dehors  de 
Bamberger,   d'autres  économistes  (comme  Nasse)  qui 
appartiennent  d'ailleurs  à  des  écoles  très  différentes  ; 
A,  Emminghaus,  auquel  nous  devons  de  très  bonnes 
monographies,     notamment    sur    les    assurances.    Le 
camp    des  libéraux   a   été  abandonné   depuis  quelque 


422  l'éconojiie  politique 

temps  par  Maximilien  ^^'irth,  journaliste,  statisticien 
et  auteur  d'ouvrages  de  lecture  facile,  et  en  parti- 
culier d'un  manuel  d'économie,  peu  profond  et  nulle- 
ment systématique  [Grundzûge  der  National-Oeko- 
nomie,  1856-1870),  et  par  Victor  Bohmert,  directeur  du 
bureau  royal  ofliciel  de  la  statistique  de  Dresde,  rédac- 
teur de  VArbeiterfreund,et  défenseur  zélé  delà  par- 
ticipation des  ouvriers  aux  bénéfices. 

V.  BôhmerL,  Die  GcvAnnbetheiligung.  Leipzig,  1878. 
Traduction  italienne  par  P.  Manfredi.  Milano, 
1880.  Trad.  franc,  par  Albert  Trombert,  1888.  — 
(En  sens  contraire)  H.  Prommer,  Die  Gcirinnbe- 
theiligung.  Leipzig,  1886.  — (Impartial)  L.  Stein- 
brenner,  Die  BelheiUgung,  sic,  Heidelberg,  1892. 

Une  grande  partie  des  professeurs  allemands  qui, 
pour  les  questions  de  science  pure,  acceptent  presque 
tous  les  doctrines  de  l'école  historique  ou  celles  du  néo- 
historisme  de  Schmoller  et  de  la  sociologie  deSchaffle, 
ont  entrepris  vers  1870  une  lutte  vive  et,  à  certains 
points  de  vue,  justifiée  contre  les  exagérations  du  libé- 
ralisme et  du  quiétisme  absolu.  Appuyés  par  les  gou- 
vernements qui,  après  1879,  ont  suivi  la  politique 
économique  du  prince  de  Bismarck  et  sont  entrés  réso- 
lument dans  la  voie  de  la  protection  douanière  et  dans 
celle  de  la  législation  sociale,  ces  économistes  ont  fait 
tous  leurs  efforts  dans  leur  enseignement,  dans  les 
congrès,  dans  les  revues  et  dans  des  publications  spé- 
ciales pour  répandre  leurs  doctrines.  Ils  sont  partisans 
de  la  reconstitution  de  l'économie  sociale,  qu'ils  veu- 
lent fonder  sur  les  recherches  historiques  et  statistiques 
et  mettre  en  harmonie  avec  les  principes  de  Féthique  et 
du  droit  ;  ils  sont  également  favorables  à  une  réforme 
sociale  effectuée  par  l'œuvre  de  l'État,  également  éloi- 
gnée des  conservateurs  libéraux  et  des  socialistes  révo- 


EN    ALLEMAGNE  423 

lutionnaires(Cfr.  les  Schriften  des  Vereins  fur  social- 
polllUi.  Leipzig,  1872-189'2.  51  volumes).  Pour  toutes 
ces  raisons,  ces  professeurs  ont  été  qualifiés  de  l'appel- 
lation dédaigneuse,  qui  n'est  pas  exacte  pour  tous,  de  so- 
cialistes de  la  chaire,  ou,  comme  on  dit  plus  souvent 
maintenant,  de  socialistes  d'Etat.  Sans  entrer  dans  la  cri- 
tique du  système,  que  nous  avons  laite  à  grands  traits 
dans  la  Première  joartie  de  cet  ouvrage,,  nous  dirons 
qu'en  réalité  un  bon  nombre  de  ces  écrivains,  (Wagner, 
Scliâffle,  Samter,  Neumann,  von  Scheel,  etc.),  ont 
accepté  avec  trop  de  confiance  quelques-unes  des  pro- 
positions des  socialistes  sur  la  propriété  foncière,  le 
droit  d'héritage^  l'impôt  progressif,  l'assurance  ouvrière 
obligatoire  ;  certains  écrivains,  comme  le  savant  et  ingé- 
nieux Lange  (mort  en  1876)  partagent  même  presque 
toutes  leurs  opinions  (Die  A?'6ei^er/'ra^e,  1865.-4'"  édit. 
1879).  Ajoutons  que,  grâce  aux  influences  déjà  signalées 
et  au  système  de  nomination  des  professeurs  en  vigueur 
dans  les  Universités,  l'école  allemande,  par  sa  négation 
de  l'existence  de  lois  générales,  a  détourné  les  étudiants 
des  recherches  théoriques,  en  les  retenant  sur  les  ques- 
tions d'ordre  politique  ;  elle  mérite  donc  le  reproche 
d'exclusivisme  tout  autant  que  l'école  optimiste  fran- 
çaise, et  elle  a  nui  de  cette  façon  aux  progrès  de  la 
science  pure  qui,  dans  ces  vingt  dernières  années,  se 
sont  considérablement  ralentis  dans  la  patrie  de  Thil- 
nen  et  de  Hermann  par  le  fait  des  nouveaux  (Schmol- 
1er)  plus  que  par  celui  des  anciens  chefs  de  l'école  his- 
torique (Koscher  et  Knies),  car  ces  derniers  n'ont  pas 
confondu  les  théories  anglaises  avec  celles  de  l'opti- 
misme et  de  l'individualisme,  ni  mis  sur  le  même  rang 
Bastiat  et  Ricardo,  comme  cela  est  arrivé  notam- 
ment à  Held,  écrivain  excellent  à  certains  points  de 
vue  {Zwei  Biïcher  zur  socialen  Geschichte  Englands. 
Leipzig,  1881)  ;  ils  ont  également  commis  des  erreurs 


•^i24  l'économie  politique 

très  g-raves  dans  rinterprétalion  et  dans  la  critique  des 
doctrines  fondamentales  de  Smith,  (Rosier  par  exemple, 
Ueber  die  Grundlehren  der  von  Ad.  Smith  begriln- 
deten  \'olkswirthschaftsleJire.  Erlangen,  1868.-2"  édit. 
1871.  — Vorlesungen  der  Volkswirthschaft,   1878). 

Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que  toutes  les 
publications  récentes  des  économistes  allemands  n'ont 
aucune  valeur  théorique,  et  il  ne  faut  pas  oublier, 
d'autre  part,  que,  dans  le  domaine  de  l'histoire  et  de  la 
statistique  économiques,  TAllemagne  compte  des  écri- 
vains de  premier  ordre,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  et 
un  groupe  important  d'éminents  érudits  :  elle  a  de 
plus  fourni  de  remarquables  monographies  sur  la  légis- 
lation économique  nationale  et  comparée,  et  sur  la 
science  financière  (Vocke,  Neumann,  v.  Scheel,  Lehr, 
Léser,  Kaizl,  v.  Falck,  Wolff,  v.  Reitzenstein,  Ehe- 
berg,  etc),  à  laquelle  Schanz  a  consacré  une  revue 
spéciale  (G.  Schanz,  Fi nanz-Archiv.  Stuttgart,  1884  et 
suiv.).  11  faut  observer  enfin  que  l'Allemagne  possède 
de  nombreux  ouvrages  très  remarquables  sur  les  autres 
parties  du  savoir  économique,  qu'il  ne  nous  est  pas  pos- 
sible d"énumérer  ici.  Il  suffit  de  rappeler  ceux  de  Con- 
rad, Meitzen,  von  Miaskowski,  von  der  Golz  sur  la 
question  agraire,  ceux  de  Schonberg,  Klostermann, 
Kleinwaclitcr,  Brentano,  Hasbach,  et  de  beaucoup 
d'autres  sur  la  question  industrielle  et  sur  la  question 
ouvrière,  ceux  de  Lexis,  Schraut  sur  la  question  com- 
merciale, les  écrits  de  Nasse,  Arendt,  et  de  quelques 
autres  sur  le  système  monétaire  et  sur  le  système  ban- 
caire, les  monographies  de  Paasche  sur  les  prix,  de 
Mithoff  sur  la  distribution,  de  Pierstorff  sur  le  pro- 
fit, etc.,  etc. 

Deux  écrivains  qui,  tout  en  se  rattachant  à  l'école  du 
socialisme  delà  chaire,  s'en  écartent  sur  quelquespoints 
dignes  d'être  relevés,  méritent  une  mention  spéciale. 


EN    ALLEMAGNE  425 

Gustave  Cohn,  professeur  à  Riga,  à  Zurich  et  actuel- 
lement à  Gôttingue,  a  débuté  par  une  savante  mono- 
graphie sur  la  législation  des  chemins  de  fer  anglais  ; 
il  s'est  fait  connaître  ensuite  par  de  brillants  essais  sur 
des  sujets  très  variés  d'histoire  et  de  politique  écono- 
miques, et  il  a  commencé  enfin  avec  un  succès  relative- 
ment moindre  la  publication  d'un  manuel  d'économie 
politique,  riche  d'observations  pénétrantes  et  précieuses, 
mais  qui  manque  d'un  grand  nombre  des  qualités  né- 
cessaires dans  une  étude  systématique  d'une  science 
quelconque.  Il  faut  louer  Cohn  cependant  pour  sa  mo- 
dération, notamment  sur  les  questions  de  méthode,  et 
pour  la  pondération  avec  laquelle  il  juge  les  œuvres  des 
grands  maîtres  de  la  science. 

Gust.  Cohn,  Unter suchungen  ûber  die  englische  Eisen- 
bahnpoUtili.  Leipzig,  1874-1875,  1883.  Trois  vol. 
VolkswirihschaflLiche  Aufs'dize.  Stuttgart,  1882.  — 
Xationalukonomischen  Siudien,  1886.  — System  der 
National'okonomie.  Vol.  I  et  II.  Stuttgart,  1885-89. 

Les  titres  scientifiques  d'Adolphe  Wagner  (né  en 
1835)  sont  encore  plus  considérables  ;  fils  d'un  illustre 
physiologue,  frère  d'un  éminent  géographe,  professeur 
à  Vienne,  à  Hambourg,  à  Dorpat,  à  Fribourg,  et  depuis 
plus  de  vingt  ans  à  Berlin,  ^^'agner  est  avant  tout  un 
spécialiste  de  premier  ordre  en  matière  de  monnaie,  de 
banque,  de  cours  forcé  et  de  finance.  Il  s'est  fait  le 
défenseur  des  doctrines  bancaires  de  Tooke  et  de  Ful- 
larton,  dont  il  a  fait  une  savante  analy.se;  puis  il  s'est 
converti  peu  à  peu  aux  idées  restrictives  en  matière 
d'émission,  et  s'est  rapproché  du  système  de  la  banque 
d'Etat,  il  a  défendu  a,vec  Arendt,  Schaffle,  Lexis,  la  théo- 
rie du  bimétallisme  international  {Far  biraetallistiscJie 
Mûnzpolitik  Deutschlands]  ;  il  est  l'auteur  de  l'article 
Statistih  dans  le  vol.  X  du  Dictionnaire  de  Blunts- 


426  l'économie  politique 

chli  et  Brater  (18G7),  et  il  s'est  occupé  en  outre,  à  plu-^ 
sieurs  reprises,  de  la  réforme  du  système  monétaire 
autrichien.  En  Russie  il  a  publié  un  travail  classique 
sur  la  théorie  du  cours  forcé  du  papier  monnaie,  dans 
lequel  il  distingue  soigneusement  les  oscillations  de 
l'agio  de  la  dépréciation  dans  la  valeur  des  marchan- 
dises. Bien  qu'il  ait  défendu  la  propriété  foncière  contre^ 
les  assauts  du  socialisme  {Die  Abschaffung  des  priva- 
ten  GrundeigentJiinns,  1870)  il  a  proposé  aux  conseils, 
municipaux  des  grandes  villes  l'expropriation  des  pro- 
priétaires des  maisons  pour  résoudre  le  problème  du 
renchérissement  des  loyers,  ce  qui  a  provoqué  de  sages, 
critiques  de  RoscheretdeNasse.  Son  volumineux  Coiu'S 
d'économie  est  remarquable  par  la  profondeur  des  re- 
cherches, l'érudition,  l'abondance  des  exemples  histo- 
riques, statistiques,  législatifs,  la  précision  et  la  clarté 
de  la  langue,  mais  il  pèche  par  la  tendance  exagérée  de 
l'auteur  à  accepter  les  principes  du  socialisme  d'Etat, 
soit  dans  sa  politique  économique,  soit  dans  sa  politique 
financière.  Dans  son  Cours  comme  dans  le  Manuel  de 
Schonberg,  Wagner  a  traité  remarquablement  la  partie 
générale  et  quelques  chapitres  spéciaux' de  la  théorie 
des  impôts,  et  la  doctrine  des  emprunts  publics.  Il  ne 
pourra  cependant  pas,  même  avec  l'aide  d'éminents 
collaborateurs,  remplacer  comme  il  l'espère  le  traité  de 
Rau,  parce  que  la  disproportion  des  parties,  les  énormes 
digressions  philosophiques,  historiques  et  juridiques 
Ont  considérablement  augmenté  l'étendue  de  l'ouvrage 
et  en  ont  fait  presque  une  encyclopédie.  Dans  la  science 
pure,  Wagner  est  très  correct  quant  à  l'emploi  des  mé- 
thodes, et  il  s'écarte  fortement  de  Schmoller  ;  il  appré- 
cie avec  beaucoup  de  sagacité  et  d'impartialité  les 
grands  écrivains  anglais  (Smith,  Ricardo,  Malthus),  y 
compris  les  auteurs  contemporains,  et  il  s'émancipe,  à  ce 
point  de  vue,  des  préjugés  de  ses  compatriotes.  Il  ne 


EN    ALLEMAGNE  427 

faut  donc  pas  s'étonner  si  de  son  école  est  sorti  Henri 
Dietzel  (né  en  1857),  professeur  à  Bonn,  le  seul  écrivain 
de  l'Allemagne  proprement  dite  qui  ait  eu  le  courage 
de  porter  des  coups  vigoureux  à  l'exclusivisme  domi- 
nant ;  il  a  été  le  précurseur  de  l'école  autrichienne,  et 
il  a  démontré  la  nécessité  d'associer  aux  recherches  po- 
sitives les  investigations  théoriques. 

Ad.  Wagner,  Beilràge  zur  Lehre  von  den  Banken. 
Leipzig,  1857.  —  Die  Geld  und  Creditheorie  der 
PeeV  schen  Bankade.  Wien,  1862.  —  System  der 
deidschen  Zetlelbankyeselzgehunf).  Freiburg  i.  Br, 
1870  -  2«  édit.,  1873.  Deux  volumes.  —  Die  Ord- 
nung  des  ôsterreichischen  Staatshaushaltes.  Wien, 
1863.  —  Die  russiche  Papiericdhrung.  Riga,  1868. 
—  Lehrhuch  der  politischen  Oekonomie.  l'''"vol., 
Leipzig,  1876. -3«  édil.,  1892-1893.  -  5«  vol.,  1871. 
3«  édit.,  1883.  —  6'  vol.,  1880-  3«  édit.,  1890.  — 
7«  vol.,  1886-1889. 

H.  Dietzel,  Ueber  das  Verhallniss  der  Volkswirlh' 
schoftslehre  zur  Socialwirihschaf'tslehre.  Berlin, 
1882.  —  Der  Ausgangspunkt  der  Socialwirlhschafts- 
lehre,  etc.  (in  Zeitschr.  /".  die  ges.  Staafsivissen- 
schaft.  Tubingen,  1883).  —  Ueber  Weseji  und  Be- 
deiitung  der  Theilbaus  (Ibidem,  1884-85).  —  Bei- 
ir'dge  zur  Methodik  der  Wirlhschaftswissenschaft 
(in  Jahrbûcher  de  Conrad.  Jena,  1884). 

Quel  que  soit  le  jugement  qu'on  porte  sur  le  courant 
actuel  des  études  économiques  en  Allemagne,  il  est  hors 
de  doute  que  l'activité  scientifique  va  toujours  en 
augmentant.  On  en  trouverait  une  preuve  dans  le 
grand  nombre  de  revues  spéciales  que  nous  avons 
citées,  et  dans  celles  qui  ont  été  fondées  récemment, 
VArchiv  fiir  sociale  Gesetzgebung  (Tilibingen,  1888) 
dirigée  par  Braun,  VAUgemeines  stattstisches  Archlv, 
dirigée  par  von  Mayr  (1890-91),  et  dans  les  deux  colos- 
sales publications,  l'une  sous  forme  de  traité,  l'autre 
sous  forme  de  dictionnaire,  qui  sont  l'œuvre  collective 


4'28  l'économie  politique 

d'un  groupe  nombreux  d'éminents  spécialistes.  Ils  ont 
résumé  dans  ces  œuvres  tout  ce  quil  y  a  de  plus  inté- 
ressant dans  le  domaine  des  doctrines  économiques, 
administratives  et  financières,  en  les  illustrant  par  une 
ample  moisson  de  renseignements  historiques,  statis- 
tiques, législatifs,  et  il  ont  ainsi  achevé  deux  encyclo- 
pédies, Tune  systématique,  l'autre  alphabétique,  dont 
il  n'y  a  pas  d'égales  dans  la  littérature  d'aucun  autre 
pays.  Parmi  les  précis,  d'ordinaire  assez  courts,  il 
suffira  de  citer  le  Grundriss  de  A.  Held  ('2^  édit.  1878), 
le  Leitfadôn  de  A.  Adler  [i^  édit.,  1890),  le  résumé  de 
II.  Schober(4^  édit.,  1888),  qui  a  presque  toujours  suivi 
Roscher,  celui  de  Neurath  (2"  édit.,  1892)  et  enfin  celui 
de    Lehr. 

GusL.  Schônberg,  Handbuch  der  politischen.  Oekono- 
mie.  Tubingen,  1882.  Deux  volumes. -3*  édit., 
1890-91.  Trois  gros  volumes.  (Trad.  italienne 
dans  la  BibUoieca  dell'  Economista,  dirigée  par 
Boccardo). 

J.  Conrad,  L.  Elster,  W.  Lexis,  etc.,  Handwôrter- 
buch  der  Siaatsioissenschafl.  Jena,  1889-94.  Six 
volumes.  1"  supplément,  1895. 

J.  Lehr,  Politische  Oekonomie.  MuRchen,  1892  (2«  édi- 
tion). 


CHAPITRE  XII 

L'ÉCONOMIE  POLITIQUE  EN  AUTRICHE 

DANS     LES     PAYS-BAS,      EN     ESPAGNE 
ET    EN    PORTUGAL 


Nous  réunissons  dans  ce  chapitre,  par  manque  de 
place,  ce  qui  nous  semble  digne  d'être  noté  dans  les 
conditions  de  l'écononie  politique  chez  deux  peuples  de 
nationalité  germanique  et  deux  de  nationalité  latine, 
et  nous  constatons  tout  d'abord  que  l'importance  scien- 
tifique des  deux  premiers  dépasse  de  beaucoup  celle 
des  deux  seconds. 


§     1 .    —    l/ÉCCLE    AUSTRO-ALLEMANDE 

Bien  qu'il  n'ait  pas  antérieurement  manqué  à  l'Au- 
triche des  économistes  zélés  et  particulièrementdesstatis- 
ticiens  (v.  Czôrnig,  Ficker,  plus  tard  Neumann-Spallart, 
et  maintenant  Brachelli  et  le  bavarois  K.  Th.  v.  Inama- 
Sternegg,  éminent  historien  de  l'économie  allemande), 
cependant  elle  ne  pouvait  lutter  avec  les  autres  parties 
de  l'Allemagne,  même  si  Ton  tient  compte  des  nom- 
breuses publications  sur  les  questions  commerciales, 
monétaires  et  bancaires.  Sans  parler  des  prolixes  com- 
pilations du  professeur  Mischler  (senior)  de  Prague,  des 
savantes  œuvres  historiques  de  Béer,  des  monographies 
estimées  de  Plener,  de  Peez,  etc.,  des  bons  essais  de 
Neurath  et  de  quelques  travaux  ingénieux  de  Hertzka, 


430  l'économie  politique 

passé  récemment  au  socialisme,  nous  rappelerons 
seulement  les  excellents  précis  des  professeurs  viennois 
Kudler  (m.  1853)  et  Neumann-Spallart  (m.  1888),  le 
premier  protectionniste,  le  second  libre  écliani^iste,  et, 
d'une  façon  particulière,  les  œuvres  financières,  très  étu- 
diées et  très  élégantes  du  baron  Charles  de  Hock  (fê08- 
1869),  dans  lesquelles  nous  trouvons  des  observations 
originales  sur  la  répercussion  des  impôts  et  une  étude 
approfondie  des  impôts  de  consommation. 

Jos.  Kudler,  Die  Grundlehren  di'r  Volkswirlhschfi/ 1 . 
Wien,  1846.  Deux  volumes. -2«  édit.,  1856. 

F.  S.  Neumann,  Volkswirthschaftslehre  mit  beson- 
derer  Anwendiing  auf  Heertcesen,  etc.,  Wien,  1873. 

C.  V.  Hock,  Die  uffentiichen  Abgaben  und  Schulden. 
Stuilgart,  1863.  —  Die  Finanzverivaltung  FranU- 
reichs,  1857.  —  Die  Finanzen  und  die  Finanzge- 
schichte  der  vereinigten  Staatenvon  America,  1867. 

Dans  ces  dernières  années,  grâce  au  travail  diligent 
de  deux  éminents  professeurs,  Charles  Menger  et  Emile 
Sax,  dont  l'activité  scientifique  est  d'ailleurs  beaucoup 
plus  ancienne,  est  née  une  école  autrichienne,  ou  mieux 
austro-allemande,  qui  doit  être  hautement  louée  pour 
avoir  rappelé  Tattention  du  monde  savant  sur  les  pro- 
blèmes de  la  science  pure  et  en  particulier  sur  celui 
de  la  valeur,  et  sur  la  nécessité  d'appliquer  la  méthode 
déductive,  que  les  économistes  allemands  avaient 
abandonnée  pour  se  livrer  presque  tous  à  de  minutieuses 
recherches  historiques  et  statistiques. 

Emile  Sax  (né  en  1845),  professeur  à  l'Université 
allemande  de  Prague  et  député  au  Reichsrath,  a  écrit 
un  bon  travail  sur  les  maisons  ouvrières  ;  il  doit  sa 
réputation  d'éminent  économiste  à  sa  grande  monogra- 
phie (résumée  dans  le  Manuel  de  SchÔnberg)  sur  les 
moyens    de  tran.sport  et  de  communication,  dont  il  a 


EN    AUTRICHE,    ETC.  431 

montré  de  main  de  maître  le  caractère  public,  et  dont  il 
a  fait  une  analyse  objective  et  impartiale,  supérieure  à 
t;elles  de  Cohn  et  de  Wagner,  remarquables  sans  doute, 
mais  trop  subjectives.  Dans  les  polémiques  sur  la  mé- 
thode, il  a  défendu  la  méthode  déductive  et  soumis  à  un 
ingénieux  examen  le  principe  de  l'intérêt  personnel  et 
t;elui  delà  sympathie;  il  a  montré  la  nécessité  d'étudier 
l'action  de  l'Etat  même  dans  le  domaine  de  la  science 
pure.  Il  faut  signaler  encore  un  autre  travail  ori^-inal 
de  Sax.  dans  lequel  il  se  propose  de  déduire  toute  la 
théorie  financière,  dont  il  revendique  le  caractère 
scientifique,  de  la  théorie  de  la  valeur  ;  il  y  a  là  quelque 
^xgération,  qu'il  enveloppe,  d'ailleurs,  dans  un  style 
souvent  obscur. 

Em.  Sax,  D/e  Wohnunffszustûnde  der  urbcUenden  Klns- 
sen.  Wien,  1869.  —  Die  Verkehrsmillel  in  Volks- 
und  Slaatswirthschaft,  1878-1879.  Deux  volumes. 
—  Das  Wesen  und  die  Aufyabe  der  Naiionaloko- 
nomie,  1885.  —  Grundlegung  der  Iheorelischen 
Staalawirlhschaft,  1887.  —  Die  Progressivsleuer 
(in  Zeitschr.  fur  Volkswirihschafl.  n»  1,  1892). 

Charles  Manger  (né  en  J840),  professeur  à  Vienne,  a 
exercé  une  influence  plus  grande  encore  par  ses  ou- 
vrages, ses  vastes  connaissances  et  son  excellent  en- 
seignement. Son  frère  Anton  (professeur  de  droit)  et 
son  cousin  Maximiiien  se  sont  occupés  également  de 
quelques  questions  d'économie.  Dans  un  premier  travail, 
immédiatement  apprécié  mais  moins  qu'il  ne  le  méri- 
tait, et;  dans  ses  essais  postérieurs  sur  le  capital,  sur 
les  questions  de  monnaie,  Menger,  sans  faire  usage  du 
calcul,  est  arrivé  à  des  résultats  en  partie  analogues  à 
ceux  de  Jevons  et  en  partie  nouveaux  sur  la  doctrine 
de  la  valeur  subjective  des  biens  instrumentaires, 
définitifs  et  complémentaires,  et  à  quelques  applications 


432  l'économie  politique 

qui  ont  été  le  point  de  départ  d'une  série  d'articles  de  ses 
disciples,  v.  Wieser  (maintenant  professeur  à  Prague), 
Zuckerkandl  et  Komorzynski. 

C.  Menger,    Grimdsaize  der    Volhsîcirthschaflslehre. 

Wien,  1871.  —  Zur  Théorie  des  Kapiials  (in  Jahr- 

hùcher   fur   Naiional-Oekonomic .  Jena,    1889.)  — 

V°  Geld,  dans  Y Handioorierbuch  de  Conrad,  vol. 

III,   1892.  —    Der    Uebergang   zur    Goldwcihrung. 
■      Wien,  1892. 
Fr.  V.  Wieser,    Ueber  den  Ursprimg  und  die  Hawpl- 

gesetze  des  wirthschaftliches  Werlhes.  Wien,  1884. 

—  Der  natùrliche  Werth,  1889. 
R,.  Zuckerkandl,  Zur  Théorie  des  Preises.  Leipzig,  1889. 
Joh.   V.    Komorzynski,   Der   Werth   in  der  isoUrten 

Wirthschaft.  Wien,  1889. 
Cfr.  W.  'èmdiTi,  An  introduction  lo  ihe  iheorij  of  value 

on  the  Unes  of  Menger,  etc.  London,  1891. 

Le  signal  de  la  lutte  contre  le  courant  trop  exclusif 
de  l'école  historique  a  été  donné  par  Menger  dans  ses 
classiques  Untersuchungen,  qui  constituent  un  exposé 
profond  et  clair  des  préliminaires  d'une  méthodologie 
économique,  dont  Fauteur  s'occupe  depuis  de  longues 
années,  tout  en  dirigeant  en  même  temps  les  travaux 
préparatoires  d'une  hibliographie  générale  de  l'écono- 
mie politique.  Un  compte-rendu  acerbe  et  inexact  de 
Schmoller  provoqua  une  réponse  très  vive  et  trop  agres- 
sive de  Menger,  qui,  à  son  tour,  fut  suivie  d'articles  plus 
mesurés,  dans  lesquels  Wagner  et  Dietzel,  malgré 
quelques  réserves,  adhéraient  à  ses  opinions.  A  l'hon- 
neur de  Menger  il  faut  ajouter  que,  loin  de  mépriser  ou 
même  de  négliger  les  recherches  historiques  et  histo- 
rico-littéraires,  il  les  encourage,  comme  le  prouvent  les 
excellentes  thèses  de  ses  disciples  Bauer  et  Feilbogen, 
dont  nous  avons  déjà  parlé,  et  celle  de  Schullern,  dont 
nous  parlerons  plus  loin. 


EN    AUTRICHE,    ETC.  ^tdS 

C.  Menger,  Untersuchungen  ûber  die  Méthode  der  So- 
cialicissenschaflen  und  dn'  politischen  Oekonomre 
insbesoudere.  Leipzig,  1883.  —  Die  Irrihiimer  des 
Historimus.  Wien,  1884. 

Parmi  les  disciples  de  Menger  le  plus  éminent  est 
sans  aucun  doute  Eugène  von  Bohm-Bawerk,  profes- 
seur à  Innsbruck  et  maintenant  à  Vienne.  Il  a  com- 
mencé sa  carrière  par  une  remarquable  monographie, 
dans  laquelle  il  cherche  à  démontrer  que  les  simples 
rapports  de  droit  et  de  fait  ne  forment  pas  un  capital 
au  point  de  vue  de  l'économie  sociale,  bien  qu'ils  puis- 
sent former  une  partie  importante  du  patrimoine  indivi- 
duel. 11  a,  plus  tard,  avec  plus  de  largeur  que  ^^'iescr, 
développé  la  théorie  de  la  valeur,  déduite  de  l'utilité- 
limite,  d'après  la  doctrine  de  leur  maître  commun. 
L'œuvre  la  plus  importante  de  Bohm-Bawerk  e.st 
l'histoire  et  la  théorie  de  l'intérêt  du  capital  ;  il  l'expli- 
que par  la  différence  de  valeur  entre  les  biens  pré- 
sents et  les  biens  futurs,  qu'ils  soient  employés  dans 
la  consommation  ou  dans  la  production.  Ce  livre  est 
remarquable  par  la  profondeur  des  recherches,  par  sa 
critique  pénétrante  et  la  clarté  lumineuse  de  son  expo- 
sition, malgré  les  critiques  acerbes  que  quelques  auteurs 
ont  faites  sur  l'exactitude  et  Timportance  de  ses  conclu- 
sions. 

D'autres  élèves  de  Menger,  comme  Gross  et  particu- 
lièrement Mataja,  ont  étudié  le  profit  ;  Schullern  a  ana- 
lysé le  concept  de  la  rente  ;  Meyer  a  remarquablement 
exposé  la  théorie  de  la  justice  dans  la  répartition  des 
impôts,  et  il  a  soumis  à  une  révision  diligente  la  théorie 
de  la  rente  ;  Eugène  vonPhilippovich  est  l'auteur  d'une 
excellente  étude  sur  la  banque  d'Angleterre  dans  ses 
rapports  avec  les  finances  {Die  Bank  von  England^ 
Wien,  1885);  il  a  débuté  dans  la  chaire  de  Fribourg 
par  la  publication  d'une  judicieuse  leçon  d'ouverture 

28 


4o4  L  ECONOMIE    POLITIQUE 

[Ueber  Aufgabe  und  Méthode  der  politischen  Oeko^ 
nomie.  1886);  plus  tard,  il  a  publié  un  bon  pré- 
cis. Il  faut  ajouter  que  l'école  austro-allemande  n'a 
pas  oublié  les  questions  d'application  et  d'actualité, 
comme  le  prouvent  notamment  les  travaux  de  Mataja 
(Oa.s  Recht  des  Schadenersaizes,  1888)  et  ceux  de 
Seidler  sur  les  budgets  {Budget  und  Budgetrecht, 
1885)  et  sur  les  peines  pécuniaires  [Die  Geldstrafe, 
in  vol.  20  des  Jahrbïi.cher  fur  Xational-Oekonoinie, 
1890). 

Eug.  V.  Bôhm-Ba\verk,  Redite  und  Verhdltnisse  vom 
Slandpunkte  der  volksivirthschaftlichen  Gùlerlehre. 
Innsbruch,  1881.  —  Grundzûge  der  Théorie  des 
ivirthschaftlichen  Gùierirerths  (in  Jahrbûcher  de 
Conrad,  1886).  —  Kapiial  und  Kapiialzins.  Inns- 
bruch, 1884-1889.  Deux  volumes.  -  Trad.  angl. 
de  W.  Smart,  1890-1891. 

F.  Mataja,  Der  Unlernehmergewin.  Wien,  1884. 

G.  GTOSS,DieLehre  vom  Unternehniergeicinn,  Leipzig, 

1884.  —    Wirthschafisformen  und    Wirihschafts- 

prinzipien,  1888. 
H.  V.  Schullern,    Untersuchungen   ùber  Begriff  und 

Wesen  der  Grundrenie.  Leipzig,  1889. 
Rob .  Meyer,  Die  Principien  der  gerechten  Besteuerung . 

Berlin,  1884.  —  Bas  Wesen  des  Einkommens,  1887. 
Eug.  V.  Philippowich,  Grundriss  der  politischen  Oe- 

konomie.  Freiburg  i.  Br.,  1893.  Deux  volumes. 

Tout  en  étant  d'accord  avec  nos  illustres  collègues 
de  Vienne  et  de  Prague  sur  la  méthode  et  tout  aussi 
convaincu  qu'eux-mêmes  que  l'application  qu'en  a 
faite  Ricardo  n'est  pas  inattaquable,  nous  nous  per- 
mettons cependant  d'émettre  un  doute  sur  l'impor- 
tance qu'ils  attribuent  à  la  théorie  de  l'utilité-limite  et 
à  ses  dérivés.  Nous  l'acceptons  comme  un  complé- 
ment utile  et  comme  une  correction  partielle  à  la  théo- 
rie   de    la    valeur  courante,   mais  nous  ne    pouvons 


EN    AUTRICHE,    ETC.  435 

accorder  qu'elle  doive  remplacer  celle  de  la  valeur  nor- 
male et  devenir  le  centre  d'une  économie  nouvelle  sur 
une  base  purement  psychologique.  Les  réflexions  de 
Dietzel  et  de  Patten  [Jarhûcher  fur  Nationalôko- 
nomie,  1890-91),  nous  semblent  dignes  d'être  prises  en 
considération,  parce  qu'elles  ne  sont  pas,  comme  celles 
de  certains  adversaires,  de  grossières  équivoques.  Il  faut 
en  outre  souhaiter  moins  de  prolixité  et  plus  de  clarté. 

Cfr.  sur  l'école  aulro-allemande  :  James  Bonar, 
The  Austrian  Economists.  (in  Quarterly  Jour- 
nal of  Economies.  Boston,  octobre  1888).  —  Em. 
Sax,  Die  neueslen  Forlschrilte  der  naiionaloko- 
mischen  Théorie.  -  Trad.  ital.  de  A.  Graziani. 
Siena,  1889.  —  E.  v.  Bôhm-Bawerk,  The  Austrian 
Economists  (in  Annals  of  the  American  Academy,  etc. 
J'hiladelphia,  janvier  1891). 

Voir  aussi  la  nouvelle  revue  trimestrielle  Zeitsrhrift 
fur  Vollxswirthschaft,  Socialpolitik  und  Verical- 
twuj.  Wien,  1892. 


.^"  2.   l'économie  politique  dans    LES    PAYS-BAS 

L'état  des  études  économiques  dans  les  Pays-Bas 
peut  être  considéré  comme  florissant.  Elles  sont  repré- 
sentées dignement  dans  les  Universités  de  Leyde, 
d'Utrecht,  de  Groningueet  d'Amsterdam;  on  leur  ouvre 
les  revues  générales  [De  Gids)  et  elles  ont  leurs  revues 
spéciales  [De  Economiste  Vragen  der  Tijd.s).  Les 
Hollandais  sont  tout  à  fait  au  courant  de  l'état  actuel 
de  la  science  en  France,  en  Allemagne,  en  Angleterre  ; 
ils  sont  restés  fidèles  aux  traditions  de  l'école  classi- 
que, dont  ils  ont  perfectionné  les  résultats,  et  ils  ont  étu- 
dié dans  de  bonnes  thèses  de  doctorat  les  questions  de 
science  pure  et  de  science  appliquée.  Il  suffît  de  men- 
tionner le  mémoire  de  van  Houten  sur  la  valeur  (1859), 


436         •  l'écoîsOmie  politique 

ceux  des  éminents  professeurs  d'Aulnis  de  Bourouill 
(d'Utrecht)  sur  le  revenu  social  (1874),  d'accord  avec 
les  doctrines  de  Jevons,  et  de  Greven  (de  Leyde)  sur  la 
théorie  de  la  population  (1875),  étudiée  du  point  de  vue 
des  idées  des  évolutionnistes  Spencer,  Greg  et  Galton, 
et,  en  outre,  la  thèse  très  correcte  d'Heymans  sur  la  mé- 
thode (1880),  celles  de  Tasman  sur  la  répercussion,  et  de 
Cohen  Stuart  sur  l'impôt  progressif  (  1 889) ,  et  enfin ,  celles 
de  Falkenburg  sur  le  salaire,  de  Verrijn  Stuart  qui  réfute 
l'opinion  de  ceux  qui  voient  dans  les  théories  de  Marx 
une  suite  des  théorèmes  de  Ricardo  (1890),  de  von  der 
Schalk  sur  les  coalitions  industrielles  (1891),  et  de  Me- 
thorst  sur  les  maisons  de  travail  pour  les  pauvres  (1895) . 
Parmi  les  autres  professeurs,  nous  devons  citer  van 
Ress  (1825-1869),  auteur  de  très  savants  travaux  his- 
torico-littéraires,  Quack  qui  a  écrit  de  brillants  essais 
sur  le  socialisme,  Vissering  (1818-1888),  savant  auteur 
d'un  manuel  élégant  mais  peu  profond,  Cort  van  der 
Linden,  quia  écrit  dans  l'e.'^iDrit  de  l'école  allemande  un 
bon  précis  sur  les  finances.  Antoine  Beaujon  (1853-1890) 
leur  est  supérieur  à  tous  sous  beaucoup  de  rap- 
ports. Il  s'est  occupé  d'abord  de  travaux  statistiques, 
il  a  écrit  ensuite  en  anglais  son  œuvre  principale  sur  la 
pêche,  et  il  a  publié  enfin  une  monographie  précieuse  » 
dans  laquelle  il  a  déduit  correctement  de  la  théorie  des 
échanges   internationaux  le  corollaire  de  la  liberté  du 


commerce. 


H.  Q.  G.  Quack,  De  socialisten.  Personen  en  stelsels. 

Amsterdam,  1875-1879. 
Sim.  Vissering,  Handboek  van  praldische  Siaathuis- 

houdkuncle,  1860-65;  4«  édit.,  1878.  Deux  petits  vo- 

kimes. 
P.   W.  A.  Cort  van  Linden,   Leerboek  der  financien. 

1887. 
A.  Beaujon,  Hisiory  of  ihe  duich  sea  fisheries.  Ams- 


EN    AUTRICHE,    ETC.  437 

terdam,  1884.  — Handel  en  handeispoliiiek.  Haar- 
lem,  1888. 


Guillaume  Cornélius  Mees  (1813-1884),  président  de 
la  Banque  des  Pays-Bas,  a  été  un  savant  de  premier 
ordre.  Il  a  débuté  par  deux  mémoires,  le  premier  sur 
les  altérations  monétaires  [De  vi  mutcitae  monetae  in 
solutionein  pecuniae  debitae,  1838),  le  second  sur 
les  anciennes  banques  de  dépôt  ;  il  a  relevé  quelques 
erreurs  de  Steuart  et  de  Smith,  et  expliqué  la  véritable 
nature  des  opérations  de  la  banque  d'Amsterdam 
fProeve  eener  gesdiiedenis  va.n  het  bankwezen  in 
Nederland.  Rotterdam,  1838).  Il  écrivit  ensuite  une 
excellente  monographie  sur  le  travail  dans  les  établisse- 
ments d'assistance  (De  Werkinrigtinge7ivan  arnien, 
1844).  Il  publia  beaucoup  plus  tard  ses  travaux  de 
science  pure  ;  ils  sont  remarquables  par  la  profondeur 
de  la  pensée,  la  correction  un  peu  arido  de  la  forme,  et 
la  sobriété  de  l'érudition.  Dans  le  volume  intitulé 
OverzicJit  van  eenige  hoofdstukken  der  Staatshuis- 
houdkunde.  Amsterdam,  1886,  il  a  résumé,  avec  une 
simplicité  et  une  clarté  remarquables,  les  théories  de 
l'école  classique,  et,  en  particulier,  celles  de  Ricardoet 
de  Stuart  Mill  sur  la  production,  la  valeur,  la  distri- 
bution des  richesses,  sans  omettre  de  parlerdes  limites 
de  leur  champ  d'application.  11  faut  signaler  tout  par- 
ticulièrement sa  théorie  des  relations  entre  le  salaire  et 
la  rente  et  celle  des  échanges  internationaux,  qu'il  a 
enrichie  de  développements  intéressants.  Il  a  égale- 
ment publié  d'autres  mémoires  dans  les  Actes  de 
l'Académie  Royale  des  Sciences  d'Amsterdam,  qui  sont 
autant  d'essais  complémentaires,  également  très  impor- 
tants :  le  premier  porte  sur  le  système  monétaire,  dont 
Mees  avait  déjà  parlé  dans  une  monographie  spéciale 
(Het  niuntwezen  van  Nederlandsch  Indie.  Amster- 


438  l'économie  politique 

dam,  1851),  et  aussi,  à  plusieurs  reprises,  dans  de  remar- 
quables rapports  officiels  {De  muntstandaard  in  ver- 
hand  met  de  pogingen  tôt  invoering  van  eenheid 
VEin  munt,  188')).  Il  y  expose  avec  une  méthode  cor- 
recte la  théorie  du  bimétallisme  international,  et  il 
évite  les  exagérations  des  partisans  extrêmes  de  ce  sys- 
tème. Sur  cette  doctrine,  presque  généralement  accep- 
tée en  Hollande,  nous  possédons  des  travaux  de  Pier- 
son,  de  Van  den  Berg,  directeur  de  la  banque  de  Java, 
et  enfin  de  Boissevain  et  de  Rochussen  (1891);  les 
œuvres  de  ces  deux  derniers  écrivains  ont  été  couron- 
nées. Les  mémoires  de  Mees  sur  la  répartition  des 
impôts  (1874)  et  sur  les  concepts  fondamentaux  de  l'éco- 
nomie (1877)  sont  pleins  d'observations  pénétrantes. 

Parmi  les  économistes  hollandais  actuels,  la  première 
place  appartient  à  Nicolas  Pierson  (né  en  1839),  profes- 
seur d'économie  à  Amsterdam  (1877),  successeur  de 
Mees  à  la  présidence  de  la  Banque  néerlandaise  (1884), 
et,  depuis  août  1891,  ministre  des  finances.  Esprit 
pénétrant,  également  bien  doué  pour  les  recherches 
historiques,  scientifiques  et  les  travaux  d'application, 
Pierson  a  écrit  de  nombreux  mémoires  sur  la  monnaie, 
le  crédit,  la  valeur,  le  salaire,  la  rente,  l'impôt,  etc., 
presque  tous  insérés  dans  les  revues  déjà  citées,  De 
Gids  et  De  Economist.  Admirateur  des  économistes 
anglais  (en  particulier  de  Ricardo,  de  Mill,  de  Je  vous, 
de  Marshall),  il  persévère  dans  la  théorie  du  libre 
échange  sans  tomber  dans  l'optimisme;  il  admet  une 
intervention  modérée  de  l'Etat  dans  la  question 
ouvrière,  mais  repousse  énergiquement  les  théories  du 
socialisme. 

Parmi  les  monograpliies  qui  ont  fait  l'objet  de  publi- 
cations séparées,  nous  citerons  sa  traduction  du  livre  de 
Goschen  sur  le  cours  des  changes,  son  discours  sur  le 
concept  de  la  richesse  [Het  begrip  van  volksrykdom. 


EN    AUTRICHE,    ETC.  439 

'S.  Gravenhage,  1864)  ;  l'opuscule  Twee  adviezenover 
muntwezen  (1874)  et  enfin  ses  brillantes  et  érudites  dis- 
sertations historico-politiques  sur  le  gouvernement  des 
colonies  (Het  Kulhiur-stelsel,  1868.  totalement  re- 
fondues sous  le  titre  de  Koloniale  jjolitiek.  Amster- 
dam, 1877),  Le  chef-d'œuvre  de  Pierson  est  son 
traité  d'économie  politique,  dans  lequel,  abandonnant 
les  divisions  ordinaires  et  sans  aucun  appareil  d'éru- 
dition, il  explique,  avec  une  profondeur  qui  égale  celle 
de  Mees  mais  avec  une  toute  autre  vivacité  de  style,  les 
doctrines  de  l'économie  moderne.  Il  commence  par  la 
théorie  de  la  valeur  qui  le  conduit  aux  théories  de  la 
distribution  et  de  la  circulation;  il  continue,  après  avoir 
expliqué  lesproblèmes  financiers  même  au  pointdevue 
pratique,  par  les  théories  de  la  consommation,  de  la 
population  et  enfin  par  celle  de  la  production,  dont  il 
proclame  l'importance  capitale.  Le  livre  de  Pierson  est 
en  somme  un  des  meilleurs  exposés  de  l'état  actuel  de 
la  science. 

N.  G.  Pierson,  Leerboek  der  Staalhidshoudkunde . 
Haarlem,  1884-90.  Deux  vol.  —  Grondbeginselen 
der  Siaathuishoudkunde.  Haarlem,  1875-76.  -Nou- 
velle édition,  un  peu  modifiée,  1886. 


§    3.    l'économie    politique    en    ESPAGNE 

Cfr.  (en  dehors  de  mon  article  déjà  cité).  M.  H.  v. 
Heckel,  Zur  Entwickelung  und  Lage  der  neueren 
staatsivissenschaftlichen  LiUeratur  in  Spanien  (in 
Jahrbûcher  fur  Nationalùkonomie.  Jena,  1890.  Nou- 
velle série,  21«  vol.,  pp.  26-49). 

Le  peu  de  stabilité  des  gouvernements,  les  crises 
économiques  et  financières,  les  nombreux  obstacles  à 
la  diffusion  du  savoir,  le  peu  d'originalité  des  écrivains. 


440  l'économie  politique 

habituéi?  à  imiter  les  œuvres  étrangères  et  notamment 
les  œuvres  françaises,  suffisent  à  expliquer  le  peu 
d'importance  relative  des  économistes  espagnols  et 
portugais  contemporains;  dans  ces  dernières  années,  on 
peut  signaler  quelques  honorables  exceptions. 

Il  existe  en  Espagne  un  très  grand  nombre  de  livres 
élémentaires,  mais  on  ne  peut  louer  en  eux  ni  l'ampleur 
de  la  doctrine,  ni  la  pénétratioa  de  la  critique,  ni  la 
rigueur  de  la  méthode,  ce  qui  explique  le  besoin  de 
traduire  les  résumés  écrits  en  langue  étrangère.  On 
apprécia  pendant  longtemps  le  Curso  de  Economia 
-politico.  (!'■"  édit.  Londres,  1828.  Deux  vol.-7'=  édit. 
Oviedo,  185?.-trad.  franc,  de  L.  Galibert,  1833)  d'Al- 
varo  Florez  Estrada  (m.  1833),  qui  résume  avec  beau- 
coup d'habileté  dans  des  analyses  en  partie  originales 
les  théories  des  économistes  classiques.  Les  Principes 
d'économie  politique  du  protectionniste  A.  Borrego 
(1844)  sont  plus  connus  que  les  excellents  Eléments 
du  marquis  de  Valle  Santoro  (1829).  Les  idées  restric- 
tives ont  été  encore  plus  favorablement  défendues  par 
l'illustre  historien  et  publiciste  Manuel  Colmeiro  (Tra- 
ta,do  elementa.1  de  economia  j^olitica  eclectica.  Madrid, 
1845.  Deux  volumes),  qui,  converti  plus  tard  au  libre 
échange,  résuma  ses  leçons  dans  les  Principios  de 
economia  j^olitica  (Madrid,  1859.-4''  édit.,  1873). 
Benigno  Carballo  y  Wangûemert  (m.  1864)  professa 
des  idées  plus  conformes  aux  théories  reçues  dans  son 
Curso  de  economia  politica  (Madrid,  1855-56.  Deux 
vol.).  Plus  vaste  encore  est  l'œuvre  du  professeurs.  D. 
Madrazo,  de  l'Université  de  Madrid  (Lecciones  de  econ. 
polit.,  Madrid,  1874-75.  Trois  vol.),  disciple  de  Ba.stiat. 
Des  théories  analogues  étaient  professées  par  le  séna- 
teur Mariano  Carreras  y  Gonzales,  auteur  d'un  précis 
de  statistique  (i863),  et  d'un  traite  d'économie,  fort  en 
usage  dans  les  écoles  et  qui   porte  le  titre  caractéris- 


EN    AUTRICHE,    ETC.  441 

tique  de  F iloso fia  del  interès  Personal  (Madrid.  1865.- 
3*  édit.,  1881).  J.  M.  de  Olozaga  y  Bustamente , 
auteur  d'une  œuvre  érudite  (Tratado  de  econoinia, 
politica.  Madrid,  1885-86.  Deux  vol.),  très  répandue 
hors  d'Espagne,  n'est  pas  moins  optimiste. 

D'excellentes  monographies  ont  été  publiées  dans  la 
Gaceta,  economîsta  1I86O-68.  Douze  volumes),  dans  les 
Mémoires  de  la  Société  économique  de  Madrid  (1835- 
77)  et  dans  ceux  de  l'Académie  des  sciences  morales  et 
politiques  (1863-78)  ;  d'autres  ont  été  réunies  dans  les 
volumes  d'Essais  et  d'Etudes  publiés  par  Diaz  (1855), 
par  Duran  y  Bas  (1856)  et  parEscudero(1878y.  Le  libre 
échange  a  été  défendu  par  Figuerola,  Barzanellana,  de 
Bona  y  Ureta,  Ochoa,  Sanromâ,  etc.  ;  sur  le  crédit  en 
général  ont  écrit  Casasas  (1890);  sur  le  crédit  foncier, 
Oliver  (1874),  Isbert  y  Ouyas  (1876)  ;  sur  la  propriété, 
Santamaria  de  Paredes  (1874;  et  Martinez  (1876)  ;  sur  la 
population,  Oaballero,  qui  a  soulevé  une  vive  polémique 
(1873)  ;  sur  les  crises  industrielles,  Pastor  y  Rodri- 
guez  (1879)  ;  sur  la  question  sociale,  Arenal  1880  ,  Fer- 
ran,  Menendez  (1882;  ;  sur  les  caisses  d'épargne,  Ra- 
mirez  (1876);  sur  l'assistance,  Aranaz  (1859i,  Perez 
Molina  1868,  Montells  y  Bohigas  (1879)  et  quelques 
autres. 

Les  ouvrages  sur  la  science  des  finances  sont  très 
nombreux.  En  dehors  du  Diccionnario  de  liacienda 
de  Canga  Arguëllcs  Londres,  18'26,  -  2*^  édit.  Madrid, 
1834-40.  Trois  volumes)  et  des  livres  élémentaires  de 
Lopez  Narvaez  (Tratado  de  Hacienda,  etc.,  1856)  et 
de  Lozano  y  Montes  {Compendio,  etc.,  1878',  on  peut 
citer  l'œuvre  critique  de  Conte  [Examen,  etc.  Cadix, 
1854-55.  Quatre  vol.),  les  traités  systématiques  de  Pefia 
y  Aguayo  [Tratado  de  la  Hacienda,  etc.  Madrid,  1838), 
de  Toledano  [Curso  de  institue iones.  1859-60.  Deux 
vol.)  et  l'ouvrage  plus  récent  et  plus  accrédité  de  Pier- 


442  l'économie  politique 

nas  y  Hurtado  {Manual  de  instituciones  de  hacienda- 
publica  espanola.  Cordova,  1869.  -  4^  édit.,  Madrid^ 
1891),  riche  de  notices  sur  l'histoire  et  sur  la  législation 
financière  nationale.  11  faut  signaler  d'une  manière 
spéciale  L.  Maria  Pastor  (m.  1872),  auteur  de  trois 
excellents  travaux  sur  les  impôts  (La  Ciencia,  de  la. 
contribucion.  Madrid,  1856),  sur  le  crédit  privé  et. 
public  {Filosofla,  del  crédita,  1850.-2«  édit,  1858)  et 
sur  l'histoire  delà  dette  publique  (Hisioi'ia  de  ladeuda 
publica  espanola,  1853).  Les  impôts  ont  été  étudiés 
par  Heredia  (1813),  Lopez  de  Aedo  (1844),  Valdes-- 
pino  (1870),  etc.;  sur  le  crédit  public  il  existe  un 
traité  élémentaire  de  A.  Hermandez  Amores  (Murcie, 
1869). 

Parmi  les  travaux  d'histoire  économique  il  faut  faire 
une  mention  spéciale  pour  ceux  de  F.  Gallardo  Fer-- 
nandez  [Origen,  progvesos,  etc.  de  las  renias  de 
Espaiîa.  1806-32.  Sept  vol.),  pour  la  très  intéressante 
histoire  des  banques  espagnoles  de  R.  Santillan  [His- 
toria  sobre  los  bancos,  etc.  Madrid,  1865.  Deux  vol.) 
et  pour  l'excellent  Essai  sur  la  propriété  foncière  de  De- 
Cardenas  [Ensayo  sobre  la  historia  de  la  propriedad 
territorial  en  Espaiîa.  Madrid,  1873-75.  Deux  vol.) 

Les  doctrines  des  socialistes  de  la  chaire,  combattue;?, 
par  Rodriguez,  Sanromâ,  Carreras,  trouvent  des  parti- 
sans éminents  et  modérés  dans  F.  Giner  [Principios 
elementales  del  derecho,  1871),  G.  Azcàrate  [Estudios^ 
politicos  y  economicos,  1876),  Botello  (1889)  et  Sanz  y 
Escartin  (La  cuestion  economica,  1890).  Une  sage 
théorie  éclectique  est  défendue  par  Piernas  y  Hurtado, 
professeur  à  Madrid  [Vocabulario  de  la  economia, 
1877.-2^  édit.,  1882),  qui  a  récemment  publié  un  vo- 
lume d'Essais  [Estudios  economicos,  1889)  et  d'inté- 
ressantes conférences  sur  la  coopération  {El  movi- 
miento  cooperativo,  1890),  et  aussi  par  L.  de  Saralegui 


EN    AUTRICHE,    ETC.  4i3 

y  Médina  (Tratado  de  economia  fjôlitica.    ^6"  édit., 
1890). 


I.  F.  Da  Silva,  Diccionano  bibliographico  portu- 
guez,  etc.,  Lisboa,  1858-87.  Quatorze  volumes. 

J.  Fred.  Laranjo,  Economistas  poriuguezes  [0  Insii- 
iuto.  Vol.  XXIX  et  suiv.  Coimbra,  1882-1884). 

L'économie  politique  a  trouvé  dans  le  Portugal  des 
conditions  encore  moins  favorables  qu'en  Espagne.  Le 
premier  écrivain  de  quelque  importance  est  l'évêque  de 
Pernambuc  et  d'Elvas,  J.  J.  Cunha  d'Azéredo  Couti- 
nho  (1743-1821),  qui  a  publié  quelques  essais  sur  le  com- 
merce, les  mines,  la  monnaie,  l'esclavage.  Un  certain 
nombre  de  monographies  sur  les  questions  d'applica- 
tion ont  été  insérées  dans  les  Mémoires  de  l'Académie 
des  Sciences  (1789-1816).  L'excellent  jurisconsulte  et 
économiste  José  da  Silva  Lisboa  (1756-1835  a  le  mérite 
d'avoir  fait  connaître  en  Portugal  et  au  Brésil  les  théo- 
ries de  Smith  ;  il  a  résumé  ses  idées  dans  les  Estudos 
do  bem  comum  e  economia,  politica  (Rio  de  Ja- 
neiro, 1819-20.  Deux  vol.).  Nous  trouvons  des  écrivains 
éclectiques  ou  partisans  de  la  physiocralie,  comme  le 
professeur  de  Coïmbre,  J.  J.  Rodriguez  de  Brito  (1753- 
1831),  qui  a  écrit  des  Memorias  politicas  sobre  as  ver- 
dadeiras  bases  de  la  grandeza  das  naçoes,  Lisboa, 
1803-05)  ;  d'autres,  au  contraire,  se  sont  faits  les  défen- 
seurs d'un  protectionnisme  modéré,  comme  F.  S.  Cons- 
tancio,  traducteur  de  Malthus  et  de  Ricardo,  qui  a 
fondé  et  dirigé  à  Londres  les  Annaes  das  Sciencias 
(1818-22)  et  José  Accursio  das  Neves  (1766-1834),  un 
érudit  connaisseur  de  l'histoire  économique  portu- 
gaise {Variedades  sobre  objectos  relatlvos  as  artes, 


444  l'économie  politique 

commercio  e  manufacturas.  Lisboa,  1814-17,  Deux 
volumes). 

Le  premier  précis  d'économie  loolitique  écrit,  dans 
une  forme  un  peu  scolaslique,  par  le  prêtre  D.  Man- 
nuel  d'Almeida  Lisboa,  1822),  devait  servir  pour  la 
chaire  proposée  par  le  député  Rodriguez  da  Brito, 
mais  non  instituée  par  suite  de  l'opposition  des  parti- 
sans du  système  restrictif  inauguré  au  siècle  précédent 
par  le  ministre  Pombal.  Ont  paru  ensuite  les  Institui- 
çoes  (Lisboa,  1834)  de  José  Ferreira-Borges  (1780-1838), 
extraites  en  grande  partie  des  œuvres  de  ïracy  et  de 
Storch,  les  Preleçcocs  (Porto,  1837)  de  Ag.  Alb.  da  Sil- 
veira  Pinto  (1785-1852,  les  Xoroes  elementares  de 
Ant.  d'OliveiraMarreca  (Lisboa,  1838),  le  très  court  pré- 
cis de  Pinheiro-Ferreira  [Précis  cVun  cours  cléconoinie 
politique.  Paris,  1840)  elles  autres  plus  récents  de  F.  L. 
Gomes  [Essai  sur  la  théorie  de  l'économie  politique, 
etc.  Paris,  1807)  et  de  L.  Aug.  Rebello  da  Silva  [Com- 
2:>enclio  de  economia  politica,  rural,  industrial  e 
commercial  (Lisboa,  1868.  Trois  volumes). 

Une  chaire  d'économie  a  été  créée  à  l'Université  de 
Coïmbre  en  1830  et  confiée  à  Adrien  Pereira  Foriaz  de 
Sampajo.  qui  l'a  occupée  jusqu'en  1871.  Il  a  publié  un 
précis,  inspiré  dans  la  première  édition  1 1839)  par  le 
catéchisme  de  Say  et  dans  la  seconde  (1841)  par  le  traité 
de  Rau.  Augmentée  dans  les  réimpressions  ultérieures, 
et  notamment  dans  la  cinquième  [Novos  elementos  de 
economia  politica  e  estadistica.  Coïmbra,  1858-59. 
Trois  vol.),  corrigée  à  nouveau  et  un  peu  abrégée  dans 
la  sixième  (1867)  et  dans  la  septième  (1874.  Deux  vol.), 
cette  œuvre,  peu  profonde,  mais  remarquable  par 
l'ordre,  la  clarté  et  la  richesse  des  renseignements, 
remplaça  dans  les  écoles  les  compilations  précédentes. 

L'enseignement  de  la  science  des  finances  ayant  été 
introduit  dans  l'enseignement   de  l'Université  (1865\ 


EN    AUTRICHE,    ETC.  445 

conjointement  avec  le  droit  financier  national  comme 
en  Espagne,  Mendonça  Cortez  publia  des  Estudos  fhinn- 
çeiros,  résumées  (1873)  par  Ctirnido  de  Figuereido, 
auteur  d'une  Introduccao  a  sciencia  das  finanças 
(1874).  On  doit  lui  préférer  le  traité  du  professeur  An- 
tonio dos  Sanctos  Pereira  Jardim  (né  en  1821),  intitulé 
Princijnos  de  Finança  (Coimbra^  1869.-3eédit.,  1880). 

A  Tinfluence  des  idées  radicales,  voisines  du  socia- 
lisme, est  dû  le  petit  ouvrage  de  F.  M.  de  Sousa  Bran- 
dao  (0  tvahalho.  Lisboa,  1857).  Le  ministre  actuel  des 
finances,  Oliveira  Martins  (0  régime  das  riquezas, 
Lisboa,  1883)  et  J.  J.  Rodrigues  de  Freitas,  professeur 
à  TAcadémie  polytechnique  de  Oporto  {Principios  de 
Economia  politica.  Porto,  1883),  se  sont  in.spirés,  au 
contraire,  des  théories  de  l'école  historique  et  des  résul- 
tats de  la  sociologie. 

Parmi  les  monographies  nous  citerons  les  Principes 
de  la  science  des  finances  {Syntelologia)  de  Ferreira 
Borges  (Lisboa,  1834),  l'histoire  de  la  dette  publique 
de  Da  Silveira  Pinto  {Dividapubliraj^orlugueza,  Lon- 
dra,  1831),  les  ouvrages  de  Morato  Roma  sur  la  mon- 
naie (De  lamonnaie.  Libona,  1861),  de  Serzedello  sur 
les  banques  [Os  bancos,  1867)  et  du  professeur  Laranjo 
sur  l'émigration  et  les  colonies  (T/ieo)7a  gérai  da  emi- 
graçào.  Tome  I.  Coimbra,  1878). 


CHAPITRE  XIII 

L'ÉCONOMIE  POLITIQUE  DANS  LES  PAYS 

SCANDINAVES,  SLAVES  ET  MAGYARES 


Il  sutrira  de  donner  de  très  rapides  indications  sur  la 
littérature  Scandinave,  slave  et  magyare.  (Nous  nous 
sommes  particulièrement  servis  des  œuvres  et  des 
renseignements  fournis  par  les  professeurs  Falbe  Han- 
sen,  Scharling,  Petersen,  Hertzberg,  Rabenius,  Hamil- 
ton,  Lilienstrand.  Wreden,  Janschull,  Jahnson,  Loria, 
Kautz  et  Bêla  Foldes  .  Toutes  les  œuvres  ont  un  inté- 
rêt ou  historique  ou  purement  local,  ou  bien,  quoique 
remarquables^  elles  ne  s'éloignent  pas  de  celles  des 
meilleurs  économistes  anglais,  allemands,  français. 
Dans  les  vingt-cinq  dernières  années  cependant  les 
progrés  de  la  Russie  ont  pris  des  proportions  telles 
qu'ils  nous  permettent  d'espérer  en  un  avenir  scienti- 
lique  encore  plus  brillant. 


§    1.   PAYS   SCANDINAVES. 

A.  —  Dariemark. 

A  la  période  mercantiliste  appartiennent  le^s  œuvres 
très  importantes  de  Tévêque  Henri  Pontoppidan  ;  il  est 
l'auteur  d'une  description  statistique  du  Danemark 
(1763-81;  et  d'un  livre  intitulé  Oekonomik  Balance 
(1759;;  il  a  été  directeur  du  Danmarsk  og  Norges 
okonomisk  Magazin  (1757-68.  Huit  volumes).  A  cette 


DANS  LES  PAYS  SCANDINAVES,  ET(J.        447 

période  se  rattachent  également  les  travaux  de  Frédéric 
hïitken  {Oekonomiske  Tanker,  1755-61.  Neuf  volumes) 
et  les  œuvres  politiques  de  Andrée  Schylte  (1773-76), 
qui  s'est  fortement  imprégné  des  idées  de  Hume. 
Othon  D.  Liitken  a  répandu  des  idées  libérales  en  ma- 
tière de  monnaie  (1735)  et  devancé  Malthus,  dès  1758, 
dans  la  théorie  de  la  population  ;  on  lui  doit  un  des 
premiers  travaux  systématiques  [Undersogninger,  etc., 
1760). 

On  doit,  en  partie,  à  l'influence  physiocratique  les 
réformes  faites  par  le  ministre  Struensee  :  abolition 
de  la  servitude,  de  la  communauté  des  terres,  des  pres- 
tations féodales,  etc.  Le  tarif  douanier  relativement 
modéré  de  1797  est  postérieur  de  quelques  années  seu- 
lement à  la  traduction  de  Smith  (1772-80),  qui  a  été 
suivie,  beaucoup  plus  tard,  par  celle  des  ouvrages  de 
Say,  Sismondi,  Blanqui,  Ricardo,  Mac  Culloch,  Rau 
et  plus  tard  encore  par  celle  de  Bastiat  et  de  Faw- 
cett. 

Une  chaire  d'économie  ayant  été  créée  à  l'Université 
de  Copenhague,  le  professeur  C.  Olufsen  (1815-27)  pu- 
blia un  précis  {Grundtra.ek  af  denj^ra-ktiske  Stalsôko- 
nornie,  1815)  d'après  les  écrivains  allemands.  En  1848 
une  faculté  politico-administrative  spéciale  fut  créée  ; 
l'enseignement  fut  confié  au  célèbre  statisticien  David, 
-qui,  longtemps  auparavant,  avait  dirigé  le  StatsukonO' 
misk  Archiv  (1826-29,  continué  en  1841-43),  et  à  Berg- 
soe,  auteur  d'une  volumineuse  Statistique  du  Dane- 
mark (1844-53).  Un  peu  plus  tard  le  professeur  C.  J.  H. 
Kayser  publia  un  bon  précis,  dans  lequel  il  résume 
l'économie  classique,  notamment  d'après  Hermann  et 
Stuart  Mill  [On  arbeidets  Ordning .  1857.  Trad.  sué- 
doise, 1867).  Son  successeur  N.  C.  Frederiksen  (émigré 
«n  Amérique  en  1877)  se  rapproche  des  théories  des 
-optimistes  dans  trois  monographies  sur  la  libre  concur- 


448  L'ÉCONOiMIE    POLITIQUE 

rence  (1863),  le  développement  (1870)  et  sur  les  con- 
cepts fondamentaux  de  Téconomie  (1874).  Des  idées 
analoï^ues  sont  exposées  dans  le  manuel  populaire  de 
M.  Gad  [Det  almindelige  Velstands  natur  og  aarsager. 
2"  édit.  1879). 

Les  études  économiques  ont  reçu  en  Danemark 
une  nouvelle  impulsion  après  la  fondation  de  la  Société 
d'économie  politique  (1872)  et  la  publication  d'un^ 
revue  mensuelle  {NationalôJionomisk  Tidschrift , 
1873  et  suiv.)  à  laquelle  collaborent  l'éminent  statisticien 
professeur  H.  Westergaard  ,  les  professeurs  V.  Falbe- 
Hansen  et  W.  Scharling,  qui  ont  publié,  pour  un  con- 
cours en  1869,  deux  bonnes  monographies  sur  les 
variations  des  prix  après  la  découverte  de  l'Amérique. 
Falbe-Hansen  dirige  aussi  la  statistique  offîcielle  et  suit 
avec  beaucoup  de  modération  les  idées  de  l'école  alle- 
mande, à  laquelle  adhèrent  plus  complètement  le  privat- 
docent  Alexis  Petersen-Studnitz,  directeur  de  la  revue 
ci-dessus  mentionnée,  Krebs,  W.  Arntzen  et  H.  Ring^ 
auteurs d'unprécis  {Nationalukonomien,  1875),  et  enfin 
Cl.  Wilkens,  qui  a  écrit  un  essai  de  sociologie  (Sam- 
fundslegemets  Grundlove,  1881).  Scharling,  collabo- 
rateur de  plusieurs  périodiques  allemands,  auteur 
d'une  introduction  à  l'économie  [Inledning  Ht  den  jjo- 
litiska,  ôkonomi,  1868)  et  d'un  Programme  de  leçons 
[Grundrids  af  den  rené  Arbejdslaere,  1871)  suit  les 
doctrines  de  l'école  classique.  L'école  mathématique 
est  représentée  par  Westergaard  [Inledning  tit  stiidiet 
of  Natlonalôkonoinien,  1891),  F.  Bing,  M.  Rubin, 
Julius  Petersen  (Bestenimelse  af  den  rationelle  Ar- 
beidslôn  samt  nogle  Bemerkingen  von  Oekonomiens 
Méthode,  1873). 

L'importance  relative  du  socialisme,  très  répandu 
en  Danemark,  a  fait  naître  un  grand  nombre  d'ouvrages 
sur  la  question  ouvrière. 


DANS  LES  PAYS  SCANDINAVES,  ETC.        449 

Cfr.  R.  Meyer,  Der  Socialismus  in  Danemark.  Berlin, 

1874. 
G.   Martinet,  Le  Socialisme  en  Danemark,  1893. 

B.  —  Nbrivège. 

Plus  que  l'union  politique,  qui  a  duré  jusqu'à  la  (in 
de  1814,  la  communauté  des  langues  a  contribué  à  im- 
primer à  la  littérature  économique  de  la  Norwège  un 
caractère  peu  différent  de  celui  du  Danemark.  Depuis 
le  milieu  du  siècle  passé  il  a  été  publié  un  grand  nombre 
d'ouvrages  de  caractère  descriptif  ou  concernant  des 
intérêts  purement  locaux.  La  crise  économique,  les 
désordres  monétaires,  l'insolvabilité  des  banques  sont 
les  sujets  les  plus  souvents  traités.  Sur  la  question  ban- 
caire il  faut  citer  quelques  opuscules  du  capitaine  Ma- 
riboe  (1815-21),  mais  spécialement  une  bonne  monogra- 
phie du  professeur  Antoine  Martin  Schweigaard  {Om 
Norges  Bank  og  Pengevaesen,  1836).  Schweigaard  est 
aussi  l'auteur  d'une  célèJjre  Statistique  de  la  Norwège 
qu'il  n'a  pu  terminer  parce  qu'il  a  dépensé  son  activité 
comme  membre  du  Stortliing,  où  il  a  obtenu  l'abolition 
des  corporations,  des  monopoles,  des  droits  protecteurs  ; 
il  a  pris  également  une  part  active  dans  rétablissement 
des  chemins  de  fer. 

Voir  F.   Hertzberg,  Professor  Schweigaard.  Christia- 
nia, 1883. 

Au  moment  de  la  discussion  sur  la  question  moné- 
taire qui  se  termina  par  la  formation  de  la  ligue 
Scandinave  (1872-75)  parurent  plusieurs  ouvrages  de 
polémique  de  T.  H,  Aschehoug,  de  l'ex-ministre  0.  J. 
Broch  (1867),  du  banquier  Heftye  (1873)  et  de  Gam- 
borg  (1874).  Il  n'existe  pas  en  Norwège  de  traités  et  de 
précis  d'économie,  sauf  un  petit  ouvra'ge  populaire  de 
H.   Lehmann  {Velstandslecre,    1874)   qui  accepte  les 

29 


450  l'économie  politique 

doctrines  de  Bastiat.  Parmi  les  économistes  actuels,  en 
dehors  de  ceux  que  nous  avons  déjà  cités,  il  faut  men- 
tionner le  directeur  du  bureau  de  statistique,  A.  N. 
Kyaer,  qui  a  écrit  un  bon  ouvrage  sur  la  navigation 
{Biclnig  til  ùebjsnlngen  of  shibsfartens  oehonomiske 
forhold,  1877).  Un  concours  fut  ouvert  en  1876  pour 
une  seconde  chaire  d'économie  à  l'université  ;  on  choi- 
sit pour  sujet  le  crédit  et  les  banques.  A  ce  concours 
prirent  part  Gamborg  {Seddelbanken) ,  Kyaer  {Om 
seddelbariker)  et  Ebbe  Hertzberg  (qui  fut  nommé  ,  au- 
quel nous  devons  deux  travaux  très  remarquables, 
publiés  en  1877  sous  le  titre  de  :  En  kritisk  Frems- 
tilling  af  Griuidsaetmingerne  for  Seddelbankers,  et 
Uni  Kredi tiens  Begreb  og  Vaesen.  Gamborg  a  écrit  en 
outre  une  très  courte  dissertation  théorique  sur  Tintérêt 
[Om  renten  af  -penge^  1870),  Enfin,  parmi  les  auteurs 
les  plus  récents  nous  devons  signaler  Morgenstierne  et 
Jiiger,  auteur  d'une  monographie  déjà  citée  sur  les 
théories  du  capital  et  de  la  rente  dans  Adam  Smith. 

G.  —  Suède  et  Finlande. 

La  Suède  a,  elle  aussi,  une  littérature,  qui  remonte  au 
milieu  du  siècle  passé,  sur  l'organisation  des  manu- 
factures et  sur  des  sujets  généraux,  dont  les  auteurs  ont 
été  d'ordinaire  des  professeurs  de  sciences  camérales, 
qui  acceptaient  plus  ou  moins  explicitement  les  idées 
des  mercantilistes.  11  suffit  de  citer  parmi  eux  A.  Berch 
(m.  1771),  très  célèbre  en  son  temps  'De  fellcitate  pa- 
ir iae  j^er  Oeconomiam  proniovenda,  1731.  — Inled-^ 
ning  tilt  allmanna  Hushallningen,  1747).  Ils  sont 
tous  inférieurs  à  A.  Chydenius  (1729-1803),  auteur 
d'excellentes  monographies  qui  défendent  les  théories 
libérales,  développées  plus  tard  par  Smith  {Poliiiska 
Skrifter,  édités  par  E.  G.  Palmén,  1877-80).  Nous 
trouvons  plus  tard  à  Upsal  le  professeur  L.  G.  Rabe- 


DANS  LES  PAYS  SCANDINAVES,  ETC.       451 

nius,  protectionniste,  auteur  d'un  manuel  [L'àrehok  i 
National-Ekonomlen,  1829),  auquel  a  succédé,  quel- 
ques années  plus  tard,  son  fils  Théodore,  qui  a  écrit 
sur  les  dîmes  (1856),  la  liberté  industrielle  (1867),  le 
luxe  (1873),  et  qui  a  traduit  nos  Eléments  de  finances 
(1882).  Le  professeur  actuel  D.  Davidson  s'est  surtout 
occupé  de  science  ;  il  a  écrit  sur  la  formation  du 
capital,  sur  l'histoire  de  la  théorie  de  la  rente  [Bidrag 
till  Kapitabildningen,  1878.  —  Bidrag  till  joixWante- 
teoriens  historia,  1880).  La  chaire  de  l'Université  de 
Lund,  qui  est  plus  récente,  est  occupée  dignement  par 
le  comte  G.  K.  Hamilton,  auquel  nous  devons  quelques 
travaux  sur  le  concept  et  le  développement  de  l'éco- 
nomie C1858),  sur  la  physiocratie  (1864),  sur  la  monnaie 
et  le  crédit  [Ont  jjenningar  och  kredit.  IbBl),  sur  la 
question  ouvrière  {Om  arbetshlassen,  1865),  etc. 

Pour  des  raisons  pratiques,  on  a  beaucoup  discuté  en 
Suède  la  question  des  banques  et  celle  du  cours  forcé, 
sur  lesquelles  nous  possédons  d'excellents  travaux  de 
Nordstrom  (1853),  de  Skogman  (1845-46),  de  J.  M. 
Agardh  (1865),  de  Leffler  (1869),  de  Carlquist  (1870, 
et  aussi  le  très  remarquable  mémoire  de  Bergfalk  sur  les 
crises  commerciales  (1859).  La  science  des  finances  n'a 
pas  été  négligée;  nous  citerons  entre  autres  un  ouvrage 
de  CoUin  (A  fhandling  om  staisinkomsterna,  1816). 
On  peut  avoir  une  idée  exacte  des  conditions  de  la 
science  économique  en  Suède  d'après  le  précis  de 
G.  Westman  [Natioiialekonomiens  Grunddrag,  1881- 
1885),  destiné  à  l'enseignement  secondaire,  et  celui 
de  G.  A.  Leffler,  disciple  de  l'école  allemande,  pour 
l'enseignement  supérieur  (Grundlinier  LUI  National- 
ekonomiken,  1881). 

La  première  place  parmi  les  économistes  de  la  Fin- 
lande appartient  au  professeur  A.  Liljenstrand,  de 
l'Université  d'Helsingsfors,  qui,  en  dehors  de  quelques 


45"2  l'économie  politique 

ouvrages  moins  importants  (1851-57),  a  pulilié  deux 
monographies  sur  l'association  [System  a.f  Samfund- 
sehonoinins  Liiror,  1860)  et  sur  les  conditions  territo- 
riales de  sa  patrie  (Finlands  Jordnaturer,  etc..  1879). 


A.  —  Pologne  et  Bohême. 

Le  comte  Frédéric  Skarbek  (1792-1869),  profcs.seur  à 
Varsovie,  estl'auteur  de  bons  précis  d'économie  (18'20), 
d'administration  (18"21)  et  de  finance  (1824),  d'un  dic- 
tionnaire (1828)  et  de  deux  traités  d'économie  pure  et 
appliquée  (1859-60).  La  traduction  française  du  premier 
des  précis  indiqués  [Théorie  des  richesses  sociales, 
1829.  Deux  volumes)  est  souvent  citée  pour  sa  bonne 
analyse  du  phénomène  de  la  circulation.  Le  manuel  du 
négociant  Sigismond  Dangel  [Ogôlne  zasady  ekononiii 
politycznéi,  1862)  et  les  œuvres  économiques  et  sociales 
fort  appréciées  de  Joseph  Supinsky  (Lemberg,  1872. 
Cinq  volumes)  ne  sont  pas  connues  hors  de  la  Pologne. 
Nous  devons  à  Withol  Zaleski,  professeur  à  Varsovie, 
des  œuvres  statistiques  et  des  monographies  sur  les 
rapports  de  l'économie  et  de  la  morale  (1867),  sur  les 
sociétés  ouvrières  (1873),  etc.  Joseph  Oczapowski,  col- 
laborateur de  la  Reinie  d'économie  poliiiciue,  profes- 
seur à  Varsovie  et  ensuite  à  Cracovie,  a  écrit  quelques 
travaux  historiques,  critiques  et  dogmatiques,  d'après 
les  théories  de  l'école  allemande,  qu'il  a  réunis  dans  un 
volume  publié  en  1889.  Comme  partisan  de  cette  même 
école  nous  devons  signaler  le  laborieux  professeur 
de  Lemberg,  Léon  Bilinski  (né  en  1846),  quia  écrit,  en 
allemand,  sur  les  impôts  sur  le  luxe,  (1875,  sur  les 
tarifs  de  chemin  de  fer  (1875),  sur  la  réforme  des  finances 
communales  (1878)    et,   dans   sa  langue    maternelle, 


DANS  LES  PAYS  SCANDINAVES,  ETC.        453 

quelques  études  sur  l'impôt,  sur  la  rente  {Siudya  nad 
podatkieni  dochodowym,  1870),  un  manuel  de  science 
des  finances  [System  nauki  skarbowey ,  etc.,  1876) 
et  un  grand  traité  d'économie  [System  ekonornji  spo- 
lecznej,  1880-82.  Deux  vol.)  qui  a  remplacé  un  autre 
précis  du  même  auteur  publié  en  1873-74. 

Sur  l'économie  agraire  ont  écrit  Soldraczinski,  Rem- 
bowski,  Skarzinsky,  Stawisky  ;  sur  le  commerce  et  sur 
les  banques,  Falkenhagen-Zaleski  ;  sur  les  assurances, 
Mayzel  ;  sur  les  finances,  le  prince  Lubomirski,  Na- 
gôrny,  etc.  Les  œuvres  de  Tengoborski,  Cieszkowski, 
V.  Miaskowski,  Ochenkowski,  écrites  en  français  et  en 
allemand,  sont  généralement  connues. 

En  langue  bohème  nous  avons  un  précis  de  la 
science  des  finances  du  professeur  J.  Kaizl  [Financni 
vêda,  1888)  de  l'Université  de  Prague. 

B.  —  Russie. 

Si  on  ne  tient  pas  compte  du  Domstroi,  qui  est  une 
compilation  sur  l'économie  domestique  de  différents 
auteurs  du  xvi^  siècle  publiée  par  Golochwastow  (1849) 
et  commentée  par  Nekrassow  (1872)  et  par  Briickner 
(1874),  la  littérature  économique  russe  commence, 
dans  la  seconde  moitié  du  siècle  suivant,  avec  les  ou- 
vrages de  l'érudit  mercantiliste  serbe  Krishanitsch 
(commentée  par  Bodenstedt)  et  avec  le  curieux  ou- 
vrage intitulé  Pauvreté  et  Richesse  (1724)  de  Po.s- 
soschkow.  autodidacte,  paysan,  commerçant,  indu.s- 
triel,  mort  en  prison  en  1726,  qui  a  développé,  d'une 
façon  très  explicite,  les  idées  restrictives  qui  ont  in.spiré 
la  politique  économique  de  Pierre  le  Grand. 

A.  Briickner,  Iwaii  Possoschkoïc,  1878. 

L'économie  moderne  pénétraen  Paissie  avecles  leçons 
de  Tretjiikow  (1772;.  les  traductions  de  Smith  (1802)  et 


454  l'économie  politiquk 

de  Sartorius  (1812),  le  précis  de  Schlôtzer  (1805),  mais 
surtout  avec  les  œuvres  déjà  citées  de  Storch  qui  sont, 
dans  leur  ensemble,  préférables  aux  traités  de  Bu- 
towski  (1847),  de  Stepanow  et  de  Tschivilew  (1848),  de 
Kamensky  (1856)  et  au  court  précis  de  Vernadsky 
(1858).  Il  faut  louer,  sinon  pour  leur  originalité,  dû 
moins  pour  leur  précision  et  leur  clarté,  les  Principes 
d'économie  de  Gorlow  (1859),  auquel  nous  devons 
aussi  le  premier  traité  de  Science  des  finances  (1845). 
Mais  l'œuvre  la  plus  remarquable  de  cette  période  est 
certainement  la  belle  monographie  de  Turguenew  sur 
les  impôts  (Saint-Péterbourg,  1818.-2^  édit.  1819),  qui 
discute  à  fond  les  questions  les  plus  importantes  et  qui 
mériterait  d'être  traduite  dans  une  langue  plus  familière 
aux  économistes. 

Pour  avoir  une  idée  exacte  des  caractères,  de  la  ten- 
dance et  de  l'importance  des  travaux  d'économie  poli- 
tique publiés  en  Russie,  il  ne  faut  pas  oublier  que,  bien 
que  cette  science  soit  enseignée  dans  les  Universités  et 
qu'on  en  fasse  des  exposés  populaires  dans  beaucoup 
de  revues  (Journal  économique,  Messager  de  l'Europe, 
Messager  russe,  Journal  du  ministère  des  finances,  etc.) 
et  en  particulier  dans  le  Magazine  des  sciences  poli- 
tiques (1872  et  suiv.),  cependant  les  rigueurs  de  la 
censure  préventive,  notamment  dans  les  trente  années 
du  règne  de  Nicolas,  ont  empêché  beaucoup  d'esprits 
éminents  de  s'occuper  des  problèmes  de  théorie  pure 
et  d'un  grand  nombre  de  questions  d'application.  C'est 
ce  qui  explique  le  fait  singulier  de  l'abondance  des 
ouvrages  russes  sur  l'histoire  des  idées  et  des  faits,  sur 
la  statistique  et  sur  la  législation  comparée. 

Karatajew,  Bibliographie  des  finances,  du  commerce 
et  de  Vindustrie,  (1714-1879).  S'  Pétersbourg,  1880. 
ill  donne  les  titres  de  plus  de  six  mille  ou- 
vrages). 


DANS  LES  PAYS  SCANDINAVES,  ETC.       455 

Ed.  Berendts,  Volks-iind  Staatsivissenschafilichi'  Ans- 
chauungen  in  RusslancL,  etc.  Saint  Pétersbourg, 
1888. 

C'est  à  l'histoire  des  doctrines  économiques  que  sont 
consacrés  les  ouvrag-es  de  Balugjenski  (i806),  de 
Masslow(1820)  sur  les  systèmes  d'économie,  l'ouvrage 
un  peu  superficiel  de  Babst  sur  Law  (1852),  et  les 
ouvrages  iDeaucoup  meilleurs  de  Geissmann  sur  la 
physiocratie  (1849);  de  Muriaweff  sur  Turgot  (1858i,  de 
Zechanowsky  sur  Smith  (1859),  mais  notamment  les 
deux  volumes  de  Janschull  sur  l'Histoire  du  libre 
échange  en  Angleterre  (1876-78)  et  les  recherches 
intéressantes  de  Briezky  sur  la  théorie  des  impôts  en 
France  au  siècle  passé  (1888),  auxquelles  se  rattache  un 
mémoire  plus  ancien  d'Alexejenko  sur  les  théories  des 
impôts  de  Smith,  Say,  Ricardo,  Sismondi  et  Stuart 
Mill  (1870). 

Sur  les  faits  économiques  nous  avons  les  monogra- 
phies sur  l'histoire  des  finances  en  Russie  d'Hage- 
meister  (1833)  et  de  Tolstoi  (1842\  les  monographies 
fort  appréciées  d'Ossokin  sur  les  douanes  intérieures 
(1850)  et  sur  l'impôt  des  patentes  (1856  etc.  ;  sur  la 
législation  fiscale  comparée,  le  savant  travail  de  A.  Sa- 
blowski-Desatowski  sur  les  finances  prussiennes  (1871), 
l'ouvrage,  encore  inachevé,  de  Kowalewski  sur  l'an- 
cienne juridiction  des  impôts  en  France  (1870)  et  les 
essais  de  Ragosin  sur  l'impôt  du  tabac  (1870)  et  de 
Lwow  sur  l'impôt  des  patentes  (1879). 

Plus  nombreuses  et  non  moins  importantes  sont  les 
publications  de  statistique  économique,  dont  on  trouve 
un  compte  rendu  dans  une  savante  monographie  du 
professeur  Jahnson,  de  Saint-Pétersbourg,  qui  nous  l'a 
courtoisement  communiquée  (1880).  Sur  la  statistique 
russe  en  général,  en  dehors  de  deux  travaux  de  vulga- 
risation de  Buschen  (1867)  et  de  Livron  (1874)    nous 


456  l'économie  politique 

possédons  une  œuvre  érudite  et  consciencieuse  de 
Jahnson  {Statistique  comparée  de  ht  Russie  et  des 
Etats  del'Euro2)e  occidentale,  1878-80.  Trois  volumes). 
La  statistique  agraire  a  été  étudiée  par  Tchaslav^^ski, 
Orlow,  Kablukow,  ^^'ilson,  auteur  d'un  Atlas  très 
soigné  (1869),  et  surtout  par  Yermolow  [Mémoire  sur 
la  production  agricole  de  la  Russie,  1878).  Comme 
complément  aux  ouvrages  précédents  nous  pouvons 
citer  les  travaux  de  Werekha  sur  les  forêts  (1873),  de 
Borkowski  (1872),  de  Besobrasow(1870),  de  Jahnson  et 
d'Orbinsky  (1880)  et  de  Fedorow  (1888)  sur  le  commerce 
des  blés,  et  enfin  ceux  de  Skalkowski  etde  Besobrasow 
sur  l'industrie  des  mines.  On  n'a  pas  négligé  non  plus, 
malgré  les  difficultés  inhérentes  au  sujet,  la  statistique 
des  manufactures  et  du  commerce.  C'est  aux  manu- 
factures que  se  rapporte  un  excellent  recueil  de  mo- 
nographies (1862-65)  et  le  bel  Atlas  de  Timirilsew 
(1870.-2''  édit.,  1873);  le.=!  travaux  d'Aksakow  (1858)  et 
de  Besobrasow  (1865)  concernent  le  commerce  et  les 
foires. 

Un  réveil  notable  des  études  économiques  en  Russie 
peut  être  constaté  depuis  1865  ;  il  est  dû  en  partie  à 
l'abolition  du  servage  et  à  la  crise  qui  en  a  été 
la  conséquence  immédiate,  à  la  réforme  des  impôts, 
à  laquelle  on  a  déjà  consacré  d'importantes  études, 
à  la  multiplication  des  sociétés  anonymes,  en  parti- 
culier pour  la  construction  des  chemins  de  fer  à  la  fon- 
dation de  la  grande  Banque  d'Etat  et  à  l'augmenta- 
tion correspondante  du  papier  monnaie.  La  condition 
des  paysans  et  delà  propriété  commune  a  été  étudiée  par 
Kaw^elin^  Pasnikow,  Efïîmenko,  Trirogow',  Trylow, 
Skrebitzky,  Iwanikow,  ïhôrner,  Wassilitchikow  (1876), 
Sieber  (1883)  ;  le  crédit  agraire,  par  Besobrasow  (1861) 
et  Chodsky;  les  caisses  rurales  de  prêt,  par  Jakowleff, 
Koljupanow,  Luginin  ;  les  chemins  de  fer,  par  Zecha- 


DANS  LES  PAYS  SCANDINAVES,  ETC.        4o7 

nowesky,  Golowatschow,  Witto,  J.  S.  Bloch,  auteur 
d'un  ouvrage  statistique  érudit  mais  peu  critique 
(1878.  Cinq  volumes',  et  mieux  par  A.  Tschuprow  [Les 
chemins  de  fer.  Moscou,  1875-78).  disciple  fervent  de 
l'école  allemande  et  partisan  des  chemins  de  fer  d'Etat. 
Sur  les  sociétés  anonymes  nous  avons  les  ouvrages  de 
Tarassow  et  d'Issajew  ^1877)  et  la  monographie  de 
législation  comparée  de  Thorner  (1871)  ;  les  banques  et 
la  circulation  ont  été  étudiées  par  Lamansky,  Kulom- 
sins,  Wreden,  Schwaschenko  (1880),  Kaufmann,  qui  a 
écrit  également  sur  les  caisses  d'épargne  (1875). 

La  science  des  finances  est  cultivée  en  Russie  avec 
prédilection.  Les  leçons  lithographiées  de  Besobrasow 
et  de  Lebedew,  professeur  à  Saint-Pétersbourg  et 
auteur  d'une  œuvre  grandiose  sur  le  Droit  financier, 
celles  de  Miihlhausen,  professeur  à  Moscou,  beaucoup 
mieux  que  les  manuels  publiés  par  Lwow  et  par 
Patlaeffsky ,  ont  contribué  à  en  répandre  la  connaissance. 
Parmi  les  monographies  on  peut  consulter  les  tra- 
vaux très  savants  de  Janschull,  professeur  à  Moscou, 
dont  quelques  uns  ont  été  réunis  en  un  volume  (188 i), 
les  travaux  de  Lebedew  sur  les  impôts  locaux  1886, 
d'Aleksejenko  sur  les  impôts  directs  (1879  ,  de  Ptu- 
kowskv  sur  les  impôts  personnels  (I862i,  de  Tl^'irner 
sur  l'impôt  foncier  (1860).  de  Sodoffsky  sur  l'impôt  des 
maisons  (1892),  de  Subbotin  sur  l'impôt  sur  l'indus- 
trie (^1877)  et,  d'une  façon  particulière,  trois  dissertations 
de  Besobrasow  et  de  Bunge,  recommandables  pour  la 
profondeur  des  recherches  et  la  connaissance  parfaite 
de  la  législation  et  de  la  littérature  économique. 

W.  P.  Besobrasow,  Impôt  sur  les  actes,  1864.  —  Les 
revenus  publics  de  la  Russie,  1872  (in  Mémoires  de 
l'Académie  impériale  de  S'  Pétershourg). 

IV.  BuDge,  Théorie  du  cré'lit.  Kiew,  1852.  —  Le  cours 
forcé  en  Russie,  1871.  (Traduction  de  la  mono- 


458  l'économie  politique 

graphie  de  Wagner,  avec  une  introduction  et  de 
savantes  notes  complémentaires).  —  Cfr.  F.  De 
Rocca,  La  circolazione  moaetaria  ed  il  corzo  for- 
zoso  in  Russia.  Rome,  1881. 

Aux  controverses  sur  le  libre-échange  et  la  protection 
douanière  ont  pris  part  Bobrinsky,  Kalinowshy,  Wal- 
cker,  Thorner,  Bunge  et  Janschull  ;  sur  la  question 
ouvrière  il  y  a  des  travaux  de  Nowosselisky  (1881), 
d'Issajew  ;  sur  la  condition  des  paysans,  de  Nowitzky 
(1876),  Sokolowsky  (1878),  Umantz  (1884),  Gregoriew 
(1885)  et  Kabliikow  (1885). 

Parmi  les  monographies  qui  traitent  de  la  sience  pure 
nous  citerons  celles  de  Korsak  sur  les  formes  de  l'in- 
dustrie (1861),  et  de  Wreden  sur  la  théorie  des  entre- 
prises (1873)  ;  celles  de  Wolkoff  (1854)  et  de  Fucbs  sur 
la  rente  1871),  celle  de  Antonowicz  (1877)  et  le  travail 
plus  important  de  Zaleski  (1893)  sur  la  valeur  et  l'excel- 
lent travail  de  Sieber  sur  la  tbéorie  de  la  valeur  de 
Ricardo  et  de  Marx  (1885),  fort  loué  par  Loria.  Le 
domaine  entier  de  la  science  a  été  parcouru  dans  le 
grand  traité  d'Antonowicz  (1886)  et  dans  les  traités  de 
Wreden  (1874  ;  T  édit.  1880),  d'.hvanjkow(1885,-3''  édit. 
1891),  de  Tschuprow  (1892),  disciple  de  l'école  alle- 
mande. Il  faut  louer  les  précis  de  Liliew  (1860),  de 
Bunge  (1870),  de  L.  W.  Chodsky  (1884,-2«  édit.  1887), 
auxquels  nous  nous  permettrons  d'ajouter  l'excellente 
traduction  de  nos  Premiers  éléments  d'économie 
sociale  a\ec  un  appendice  biliographique  du  professeur 
Sokalsky  de  Charkow  (1886). 

Aux  provinces  de  la  Baltique  appartiennent  l'histo- 
rien Al.  Brilckner,  auteur  d'une  monographie  intéres- 
sante sur  la  monnaie  [Kupfergeldhrisen,  1867), 
l'illustre  auteur  de  la  statistique  morale,  Alexandre  v. 
Oettingen  (né  en  1827),  le  banquier  Goldmann,  qui 
a  étudié  le  papier  monnaie  (Dsls  russische  Pajnergeld, 


DANS  LES  PAYS  SCANDINAVES,  ETC.       459 

1866);  à  la  Courlande,  le  sociologue  P.  de  Lilienfeld  et 
Berens,  qui  a  écrit  sur  la  rente  (1868)  etc.,  etc. 


.^3.  —  HONGRIE. 

Le  défaut  de  place  et  l'existence  de  deux  bonnes 
histoires  particulières  nous  permettent  de  ne  donner 
que  de  rapides  indications  sur  la  littérature  magyare  et 
notamment  sur  son  ancienne  littérature. 

En  dehors  de  l'ouvrage  de  Kautz  (déjà  cité),  nous 
avons  pu  consulter;  grâce  à  l'amabilité  de  i'au- 
teur,  rexceliente  esquisse  historique  de  H.  J. 
Biclermann,  Das  Studlum  der  politischen  Oekono- 
mieund  ihrer  Hilfsivlssenschafien  in  Ungarn.  Ka- 
schau,  1859  (n'est  pas  dans  le  commerce). 

La  création  d'une  chaire  de  sciences  camérales  à  l'Uni- 
VersitédeTyrnau(l760),  transférée  ensuite  à  Pesth,  et  à 
l'Académie  deGranvaradino(1769),  d'Agram(1772),  etc., 
et  la  discussion  d'importants  projets  de  lois  dans  les 
assemblées  politiques,  auxquelles  prenaient  part  des 
membres  infkients  de  la  haute  aristocratie,  ont  réveillé 
l'intérêt  public  sur  les  questions  économiques,  malgré 
le  peu  de  préparation  scientifique  et  le  peu  de  rensei- 
gnements positifs,  par  suite  du  manque  de  bonnes  sta- 
tistiques. L'ouvrage  de  Sonnenfels,  traduit  en  latin  par 
Beke  (1807-1808),  a  été  obligatoire  dans  l'enseignement; 
les  excellents  ouvrages  deHuber  [Politia  civitatis,  1829) 
•et  de  Henfner  (Introductioin  oeconomiam  j)olitica.7n, 
1831),  qui  s'inspiraient  des  manuels  allemands  alors  en 
usage,  eurent  moins  de  succès. 

L'illustre  patriote  comte  Stephan  Széchenyi  a  donné 
\ine  forte  impulsion  aux  études  d'économie  appliquée. 
Il   est  l'auteur  de  quelques  brillantes  monographies, 


460  l'économie  politique 

écrites  dans  sa  langue  nationale  et  inspirées  parles 
doctrines  libérales,  intitulées  HitGl[Sur  le  crédit,  1830), 
Vilay  [Lumière,  1831),  Stadium  (1833),  A  ketet  népe 
[Le  peu-pie  oriental,  1841),  etc.,  qui  ont- provoqué  des 
polémiques  auxquelles  ont  pris  part  entre  autres  le 
comte  Joseph  Desewffy  i^conservateur),  auteur,  lui  aussi, 
d'une  monographie  sur  le  crédit  (A  Intel,  1831. -Tra- 
duction allemande.  Kaschau,  1831).  Par  son  influence 
et  sa  popularité,  Széchenyi  contribua  à  d'importantes 
réformes  :  abolition  des  entraves  féodales  et  des  mono- 
poles, amélioration  des  moyens  de  transport,  diffusion 
du  crédit,  etc.  Dans  le  même  ordre  d'idées  nous  pou- 
vons signaler  les  travaux  de  Csato  sur  l'économie  en 
général  (1835),  de  Gyôry  sur  l'influence  des  machines 
sur  les  salaires  (1834)  et  sur  les  moyens  de  communi- 
cation (1835)  ;  Srânyi  a  écrit  sur  la  dette  publique  et  sur 
le  papier  monnaie  (1834). 

La  période  suivante  est  remarquable  par  l'enthou- 
siasme soulevé  par  les  œuvres  de  Frédéric  List  et  par 
les  aspirations  vers  un  système  restrictif,  soutenues  par 
la  fameuse  Association  j)rotectrice  (Védegylet)  avec 
des  exagérations  telles  qu'elle  fut  blâmée  par  List  lui- 
même.  Ces  idées  ont  été  reprises  dans  les  ouvrages  de 
Fényes,  de  Pusstai,  Pulssky,  dans  les  dissertations  de 
Tréfort  sur  les  systèmes  d'économie  (1843)  et  avec  plus 
de  modération  dans  l'ouvrage  de  Erdélyi  intitulé  Notre 
économie  (Nerazeti  Iparunh,  1843)  et  dans  le  savant 
et  excellent  précis  de  politique  de  Aug.  Karvasy,  pro- 
fesseur à  Pesth,  qui  embrasse  aussi  l'économie  et  la 
science  des  finances  [A  politika  Tudoniànyok,  1843! 
Deux  vol.,  -  '2"  édit.  1845-47).  Nous  devons  aussi  à  Kar- 
vasy, une  étude  critique  sur  la  méthode  historique  dans, 
les  études  économiques  (1855).  On  doit  recommander  les 
monographies  de  Gorové.  de  Brunneck,  de  Micskey,  de 
Mészâros,  de  Korizmics,  etc.,  sur  la  propriété  foncière  ; 


DANS  LES  PAYS  SCANDINAVES  ETC. ,  /i61 

celles  de  Erdélyi  de  Szokolay,  de  Simon  ;  sur  l'indus- 
trie ,  les  corporations,  l'usure,  celles  de  Focrarasy, 
Janko,  Kôvats,  Farkas,  Csengery,  Mandello  sur  le  com- 
merce, le  crédit  et  les  banques;  celles  du  comte  Emile 
Deséwfly,  de  Kemény,  de  Fay,  de  Kritzbay,  etc.,  sur  la 
monnaie  et  les  finances  ;  du  baron  Eotwôs,  de  Dere- 
sényi  et  de  Karvasy  sur  le  socialisme. 

Parmi  les  contemporains  les  plus  remarquables  nous 
citerons  :  le  très  savant  professeur  Julius  Kautz  (né 
en  1829),  gouverneur  de  la  banque  austro-hongroise, 
élève  de  Roscher;  le  très  actif  professeur  Bêla  Fôldes 
(Weiss),  auteur  de  différents  mémoires,  écrits  en  alle- 
mand et  en  hongrois,  et  d'un  précis  d'économie  poli- 
tique (1881)  ;  Mariska  et  Matlekovits,  auxquels  nous 
devons  deux  traités  de  science  financière  ;  Lôniay  qui  a 
écrit  à  plusieurs  reprises  sur  la  question  des  banques  ; 
Gyorgy,  Hegedus,  etc.  Il  faut  louer  en  particulier  les 
œuvres  remarquables  et  très  connues  de  Matlekowits, 
la  plupart  écrites  en  langue  allemande  ;  on  connaît 
également  les  études  (publiées  en  France)  de  Horn,  sur 
les  banques. 

G.  Kautz,  Nemzetgazdasag  es  Pénzûgyian.  Budapest, 
1864.  Deux  vol.-5«  édit.,  1890.  —  D'aulres  mono- 
graphies sur  l'histoire  des  métaux  précieux 
(1877),  sur  la  question  monétaire  (1881),  etc. 

Bêla  Fôldes,  ^4  nemzetgazdasagtan  es  pénzûgyian  l,è- 
zikonye,  1881.-2'=  édit.,  1883. 

W.  Mariska,  Pénzûgyian,  1871.  —  A.  Matlekowits, 
Pénzûgyian,  1876. 


CHAPITRE   XIV 
L'ÉCONOMIE  POLITIQUE  AUX  ÉTATS-UNIS 


II  pourrait  sembler  à  première  vue  que  les  conditions 
physiques ,  sociales  et  politiques  des  Etats-Unis  de 
l'Amérique  du  Nord,  et  le  développement  colossal  de 
leur  richesse,  de  leur  culture  et  de  leur  puissance  ont 
amené  des  progrès  non  moins  signalés  dans  la  sphère  des 
investigalions  économiques.  L'immense  extension  du 
territoire  disponible,  le  rapide  accroissement  de  la  po- 
pulation et  du  capital,  le  taux  élevé  des  salaires  et  des 
profits,  le  développement  gigantesque  des  moyens  de 
communication,  les  changements  continuels  dans  le 
système  des  monnaies  et  clés  banques,  la  succession 
de  tarifs  plus  ou  moins  libéraux  ou  restrictifs,  les  ten- 
tatives de  tout  genre  en  matière  d'impôts,  l'augmenta- 
tion menaçante  de  la  dette  fédérale  et  la  rapidité  non 
moins  merveilleuse  de  son  extinction,  le  contraste  entre 
les  intérêts  manufacturiers  du  Nord,  adversaires  de 
l'esclavage  et  partisans  de  la  protection,  et  les  Etats 
agricoles  du  Sud,  favorables  au  travail  servile  et  à  la 
liberté  du  commerce,  sont  des  faits  de  grande  impor- 
tance qui  ont  été  Tobjet  d'excellents  travaux  historiques 
et  statistiques,  très  instructifs  même  pour  l'Europe. 

A.  S.  Bolles,  Indvstrial  history  of  ihe  United  States, 

3«  édit.,  Norwich,  1879. 
W.  G.  Sumner,  A  history  of  american  currency.  New 

York,  1878. 


AUX    ÉTATS-UNIS  463 

E.  J.  James,  S/wrfjV'H  ûberden  Amerikanischen  Zollia- 

rif.  Jena,  1877. 
W.  G.  Sumner,    Lectures  on  the  history   of  protec- 

tion,  etc.  New-York,  1877. 
A.  S.  Bolles,  The  financial  history  of  the  United  States 

from   411  i   la    4860.    New-YorA-,   1879-83.    Deux 

volumes. 
E.  G.  Bourne,  The  history  of  the  surplus  revenue  of 

4831.  New-York,  1885. 

Mais,  pour  de  multiples  raisons,  le  progrès  de  la 
science  n'a  pas  marché  d'un  pas  égal  à  celui  des  ri- 
chesses et  des  institutions  publiques  et  privées.  Les 
conditions  tout  à  fait  particulières  des  Etats-Unis  enle- 
vaient, tout  d'abord,  toute  apparence  de  fondement  au 
principe  de  l'universalité  des  lois  économiques,  pro- 
clamé par  l'école  classique.  L'excès  de  la  population,  la 
loi  des  revenus  décroissants,  la  théorie  de  la  rente,  le 
paupérisme,  étaient  des  phénomènes  auxquels  on  ne 
prêtait  généralement  aucune  foi,  et  que  certains  consi- 
déraient comme  possibles  mais  sans  importance  pra- 
tique. Les  questions  qui  s'agitèrent  à  plusieurs  reprises 
entre  les  partisans  et  les  adversaires  de  l'eslavage,  les 
protectionnistes  et  les  libres  échangistes,  les  monomé- 
tallistes  et  les  bimétallistes,  les  partisans  de  l'unité  et 
ceux  de  la  pluralité  des  banques,  les  défenseurs  et  les 
adversaires  du  cours  forcé,  des  impôts  directs  et  des 
impôts  indirects,  du  maintien  ou  de  l'extinction  des 
dettes,  ont  été  l'occasion  d'un  très  grand  nombre  d'ou- 
vrages, scientifiquement  sans  importance,  parceque  les 
raisons  économiques  étaient  subordonnées  aux  buts  des 
partis  politiques,  et  formaient  autant  d'armes  dont  se 
servaient  les  fédéralistes  et  les  antifédéralistes,  les  ré- 
publicains et  les  démocrates,  pour  se  disputer  le  pouvoir, 
tout  en  combattant  sans  conviction  profonde  les  opinion.s 
de  leurs  adversaires.  Daniel  ^^'ebster,  qui  se  déclarait 
l'ennemi  de  toute  théorie,  fut  d'abord  libre  échangiste^ 


464  l'économie  politique 

puis  protectionniste  afin  de  suivre,  en  sens  inverse,  les 
changements  de  son  adversaire  Calhoun.  On  sait  éçrale- 
ment  que  l'institution  des  banques  nationales,  due  à 
Chase,  contrôleur  de  la  trésorerie  au  moment  de  la 
guerre  civile,  fut  inspirée  avant  tout  par  des  raisons 
financières.  Cependant,  quelques  éminents  hommes 
d'Etat,  comme  Jefferson,  Madison,  Sherman,  Garfield, 
et  surtout  Ilamilton,  se  sont  occupés  sérieusement  des 
problèmes  économiques,  et  ont  montré  des  aptitudes 
remarquables  pour  les  résoudre.  Nous  devons  égale- 
ment à  des  fonctionnaires  instruits  et  zélés  d'excellents 
travaux  sur  d'importantes  questions  spéciales.  Il  suffira 
de  citer  ceux  de  Quincy  Adams,  Lee,  Gouge.  Gallatin, 
et  ceux  de  D.  A.  Wells  sur  les  réformes  fiscales  et 
douanières. 

John  Quincy  Adams,  Report  iipon  weights  ami  mea- 
surea  (1817).  Washington,  1821. 

H.  Lee,  Report  of  a  Committee,  etc.  Boston,  1827  (dé- 
fense du  libre  échange). 

W.  M.  Gouge,  A  short  history  of  paper  money  and 
bankhig,  etc.  Philadelphia,  1833. 

Alb.  Gallatin,  Considérations  onthe  currency  andhan- 
king  System,  1831,  et  d'autres  écrits  réunis  dans 
le  vol.  ni  de  ses  œuvres,  éditées  par  H.  Adams 
en  1879. 

L'enseignement  de  l'économie  dans  les  Collèges  et 
dans  les  Univer.sités,  qui  allaient  se  multipliant  grâce 
à  d'abondantes  donations  privées,  a  été  donné,  pendant 
plusieurs  décades  et  encore  aujourd'hui,  presque  exclu- 
sivement par  des  ministres  des  différentes  sectes  reli- 
gieuses, sans  l'aide  du  gouvernement  et  au  milieu  de 
l'indifférence  générale.  Il  n'existe  qu'unpetit  nombrede 
manuels,  sans  originalité,  qui  n'ont  pas  éveillé  l'atten- 
tention  des  savants  étrangers  qui,  jusque  il  y  a  quel- 
ques années,  admiraient  les  œuvres  juridiques  remar- 


AUX    ÉTATS-UNIS  465 

quables  de  Story  et  de  Kent,  mais  qui  ignoraient  que 
TAmérique  avait  des  économistes  en  dehors  de  Carey 
■et  de  George,  tous  deux  étrangers  à  l'enseignement  et 
qui  ne  sont  pas,  à  vrai  dire,  des  hommes  de  science. 

Nous  ne  croyons  donc  pas  inutile  de  donner  quelques 
indications  sur  les  sources  ;  nous  nous  servirons  des 
renseignements  que  nous  ont  donnés  White,  Dunbar, 
Walker,  Sumner,  Newcomb,  Laughlin,  Patten,  Clark, 
Ely,  Andrews  et  certains  autres  de  nos  éminents  collè- 
gues. 

Cfr.  S.  A.  Aliibone,  Critical  dictionanj  of  english 
iderature,etc.  Philadelphia,  1878.  Trois  volumes. 
Supplément  (de  G.  Forster  Kirk)  1891.  Deux 
volumes.  —  Ch.  F.  Dunbar,  Economie  science  in 
America  (in  North  American  Revieiu.  Vol.  CXII. 
Boston,  1876).  —  Th.  E.  Clifïe  Lesiie,  Poliiical 
Economy  in  the  United  States,  (in  ForlnightUj  Re- 
view,  n°  203,  octobre  1880). 

Nous  avons  largement  puisé  dans  l'excellent  travail 
manuscrit  intitulé  Studies  historical  and  critical  on 
the  development  of  the  économie  theory  in  America 
{Lipsia,  1890)  qui  nous  a  été  aimablement  prêté  par  son 
auteur,  le  D""  H.  F.  Furber,  de  Chicago;  il  manque  en- 
core à  ce  travail  deux  chapitres  sur  les  publications  de 
ces  dernières  années. 

§  1.  —  l'école   nationale  et  lecole   cosmopolite 

Benjamin  Franklin  (1706-1790),  l'auteur  de  la  Science 
du  bonhomme  Richard,  est  le  plus  ancien  économiste 
pratique  des  Etats-Unis  ;  nous  avons  déjà  cité  (p.  182) 
son  opuscule  sur  la  population.  Dans  d'autres  travaux 
il  a  combattu  l'esclavage,  défendu  le  papier  monnaie  ; 
il  voit  dans  le  travail  la  mesure  de  la  valeur,  etc.  Après 
lui  viennent  Dickinson  [Letters  to  a  gentleman,  1765), 

30 


■46G  l'économie  politique 

qui  a  des  idées  correctes  sur  le  commerce  et  sur  la  mon- 
naie, mais  surtout  Webster,  vigoureux  adversaire  du 
cours  forcé. 

B.  Franklin,  A  modest  inqviry  into  the  nalwe  ami 
necessity  of  a  paper  currency,  1729.  —  Principles 
of  Irade,  1774,  et  d'autres  travaux  réunis  dans 
le  second  volume  de  ses  œuvres  éditées  par  J. 
Sparks.  Boston,  1840.  (Cfr.  Rich.  Hildebrand, 
FranUUn  ah  Xationalôkonom.  (in  Jahrbûcher  fur 
NalionaVôkonomie .  Jena,  1863). 

Pelatiah  Webster,  PoUtical  essays  on  the  nature  and 
opérations  of  money.  Philadelphia,  1791. 

La  première  place  appartient,  parmi  les  publicistes 
américains  du  siècle  passé  et  peut-être  encore  de  notre 
siècle,  à  Tillustre  chef  du  parti  fédéraliste  Alexandre 
Hamilton  (1757- 1804),  auteur  de  rapports  officiels  mémo- 
rables sur  le  crédit  public,  les  banques  (1790),  les  mon- 
naies, les  manufactures  (1791),  dans  lesquels  il  défend 
le  bimétallisme,  la  création  d'une  banque  fédérale  uni- 
que de  circulation  et  la  nécessité  de  droits  protecteurs 
modérés  pour  les  industries  naissantes,  avec  des  argu- 
ments qui  diffèrent  peu  de  ceux  des  partisans  du  fair- 
ira.de,  et  sans  tomber  dans  les  exagérations  des  protec- 
tionniste.? ab.solus. 

A.  Hamilton,  Works.  Xew-York,  1855.  Quatre  vo- 
lumes. —  Cfr.  Shea,  Life  and  epoch  of  A.  Hamil' 
ton,  1879. 

Daniel  Raymond  {Thoughts  on  jjolitical  economy, 
1820,-2"  édit.,  1823)  est  le  premier  qui  ait  exposé  les 
théories  nationales  et  protectrices,  in.spirées  en  grande 
partie  par  la  haine  contre  l'Angleterre.  Il  défend  la 
liberté  économique  à  l'intérieur  mais  non  pas  à  l'exté- 
rieur,   en    s'appuyant  sur  la  célèbre  distinction   faite 


AUX    ÉTATS-UNIS  467 

par  Lauderdale  et  par  Ganilh  entre  l'économie  privée 
et  l'économie  publique.  Des  idées  analogues  se  retrou- 
vent dans  Phillips  {Manual  of  political  economy, 
1831)  et  dans  Simpson  [The  working  man's  manual, 
1831)  ;  ces  ouvrages  sont  pleins  d'invectives  contre  les 
Anglais,  et  Colton  (Public  economy  ofthe  United  Sta- 
tes, 1848)  va  même  jusqu'à  affirmer  que  Smith,  Ri- 
cardo  et  Malthus  étaient  payés  pour  ruiner  les  autres 
nations  par  le  libre  échange.  Une  certaine  notoriété 
s'est  attachée  à  Alexandre  Everett,  qui,  dans  ses  News 
ideas  on  population  (1833)  combat  Malthus  en  lui 
attribuant  d'étranges  erreurs  et  en  soutenant  que  l'aug- 
mentation de  la  demande  de  travail  et  du  taux  des  sa- 
laires est  parallèle  à  celle  de  la  population.  Les  idées 
restrictives  ont  été  défendues,  avec  beaucoup  plus  de 
sens,  par  John  Rae,  émigré  écossais  dans  le  Canada 
(Some  new  principles  on  the  subject  of  political  eco- 
nomy.  Boston,  1834),  qui  chercha  à  réfuter  la  théorie  de 
la  production  de  Smith,  et  qui  tît  cependant  de  bonnes 
observations,  acceptées  par  Stuart  Mill,  sur  l'accumu- 
lation du  capital.  Plus  récemment  le  professeur  F.  Bo- 
wen,  le  meilleur  écrivain  de  cette  école,  a  défendu  le 
hanking  principle  ;  il  n'admet  ni  le  fonds  des  salaires, 
ni  la  rente  ;  il  nie  la  valeur  pratique  des  doctrines  de 
Malthus,  parce  qu'en  Amérique  le  cultivateur  est  pro- 
priétaire et  l'ouvrier  capitaliste,  et  il  délend  un  protec- 
tionnisme modéré  pour  utiliser  les  richesses  minérales 
et  provoquer  la  naissance  d'industries  variées.  Le  protec- 
tionnisme trouve  encore  un  défenseur  dans  Stephan 
Colwell,  le  commentateur  de  List  (1856)  et  l'auteur 
d'une  analyse  pénétrante  du  mécanisme  des  paye- 
ments, dans  laquelle  il  combat  le  papier  monnaie  et 
demande  que  les  banques  ne  soient  pas  obligées  de 
rembourser  les  billets  avant  l'échéance  des  traites  es- 
comptées. 


468  l'économie  politique 

Francis  Bowen,  Principles  of  poUtical  économe/.  Bos- 
ton, 1856.  Refait  sous  le  titre  American  poli licaù 
economy,  1870.  —  S.  Colwell,  Ways  and  means  of 
paymerii.  Philadelphia,  1859. 

Dans  les  écoles,  ce  sont  les  doctrines  anglaises  qui 
dominent  :  importées  en  Amérique  grâce  à  de  nom- 
breuses réimpressions  de  Smith  (1789,  1811,  1818,  etc.) 
et  de  Ricardo  et  à  la  traduction  de  Say  faite  par  Biddle  ; 
commentées,  dans  le  sens  d'un  individualisme  extrême, 
dans  les  écrits  de  Thomas  Cooper  (loués  d'une  façon 
exagérée  par  Mac  CuUoch)  et  dans  ceux  de  François 
Wayland,  remarquables  pour  leur  clarté  mais  sans  ori- 
ginalité, et  encore  employés  dans  quelques  collèges, 
grâce  aux  utiles  corrections  de  Chapin.  Les  éléments 
de  Wilson  (1839)  et  les  traités  de  Potter  (1841)  et  de 
Opdyke  (1851),  tous  deux  anti-malthusiens,  eurent 
moins  de  succès.  On  a  également  déjà  oublié  le  traité 
de  Vethake  [Principles  of  political  economy,  1838, 
2^  édit.  1844),  plus  profond,  mais  obscur  et  prolixe,  qui 
admet,  en  cas  de  guerre,  quelques  exceptions  au  libre 
échange. 

Th.  Cooper,  Lectures  on  ihe  éléments  of  poUiical  eco- 
nomy. Colombia,  1826.-2«  édit.,  1829. 

Fr.  Wayland,  The  éléments  of  political  economy.  Bos- 
ton, 1837.  —  Recast  by  A.  L.  Chapin.  New-York, 
1881. 

A.  L.  Chapin,  First  principles  of  political  economy, 
1881. 


9     


OPTIMISME    RESTRICTIF    ET    OPTIMISME    LIBERAL 


Le  chef  de  ce  qu'on  appelle  l'école  de  Pensylvanie, 
qui  n'a  pas  simplement  nié  les  théories  anglaises 
mais  s'est  risquée  avec  beaucoup  d'audace  mais  peu 


AUX   ÉTATS-UNIS  469 

de  succès,  à  en  émettre  de  nouvelles,  est  le  célèbre 
Henri  Charles  Carey  (1793-1879).  C'est  un  écrivain  fé- 
cond, convaincu,  ingénieux,  et  en  partie  original,  mais 
prolixe,  et,  comme  tous  les  autodidactes  (y  compris 
George),  sans  aucune  connaissance  des  méthodes  scien- 
tifiques. Il  a  débuté  par  un  essai  sur  les  salaires  (1835) 
dans  lequel  il  combat  le  pessimisme  qu'il  croit  inhérent 
à  la  doctrine  du  fonds  des  salaires.  Dans  son  économie 
jyolitique  (1838)  il  expose  la  théorie  de  la  valeur  déter- 
minée par  le  coût  de  reproduction,  et  il  en  déduit  une  pré- 
tendue loi  de  la  distribution  des  richesses  par  laquelle 
il  oppose  à  l'augmentation  simplement  ab.solue  du  pro- 
fit l'augmentation  absolue  et  relative  des  salaires,  et 
par  conséquent  l'amélioration  nécessaire  et  continue  de 
la  condition  des  ouvriers.  Dans  son  Crédit  System 
(1838)  il  a  étudié  les  effets  de  la  rareté  de  l'argent; 
dans  Past,  présent  and  future  (1848)  il  abandonne  les 
idées  libérales,  qu'il  avait  d'«abord  professées,  combat 
avec  plus  d'énergie  Ricardo  et  Malthus  et,  partant  de  la 
fameuse  théorie  de  l'ordre  de  culture  des  terres,  il  en 
déduit  comme  corollaires  les  lois  fausses  des  revenus 
croissants  et  de  l'augmentation  plus  rapide  du  capital 
que  de  la  population.  Après  avoir  exposé  ses  idées  sous 
une  forme  populaire  {Harmony  of  interests,  1850),  il 
a  fait  une  exposition  plus  large  de  son  système  dans  la 
Science  sociale  (1858),  qui  est  son  œuvre  principale;  il 
y  a  affirmé  l'idée  de  l'identité  providentielle  des  lois 
cosmiques  et  des  lois  sociales,  qu'il  a  développée  plus 
complètenient.dans  une  autre  monographie  [Unity  of 
law,  1872).  pleine  d'erreurs  de  physique.  Les  théories 
de  Carey,  magistralement  réfutées  par  Lange  en  ce  qui 
concerne  la  méthode  (J.  Stuart  Mitl's  Ansicliten  ûber 
die  sociale  Frage,  1866)  et  rapprochées  du  mercanti- 
lisme par  Held,  ont  trouvé  dans  Diihring  un  défenseur 
sophistique  et  absolu  [DieVerkleinerer  Carey's,  1868)  ; 


470  l'économie  politique 

elles  ont  trouvé  des  apolog-istes  plus  modérés,  qui  les  ont 
acceptées  en  restant  fidèles  au  libre  échange,  dans  Fer- 
rara  {Introduzione  au  vol.  XIII,  série  1,  de  la  Blblio- 
teca  deir  Economista,  (1853)  et  dans  Wirth  (1863). 

H.  Carey,  Principles  of  poUtical  economy.  Philadel- 
phia,  1837-40.  Trois  volumes.  Trad  ital.  clans  le 
volume  cilé  de  la  Blblioteca  dell'  Economista.  — 
Principles  of  social  science,  1858-59.  Trois  volumes 
(résumés  par  Miss  K.  Mac  Kean,  sous  le  titre  de 
Manualof  social  science,  1864,  réimprimé  en  1879). 
Trad.  frann.,  par  Saint  Germain-Leduc  et  Aug. 
Planche,  1861.  —  Miscellaneous  Works,  éditées  par 
son  neveu  H.  Carey  Baird,  1880. 

Voir  sur  Carey  :  W.  Elder,  A  memoir  of  H.  C.  Carey, 
1880.  —  J.  W.  Jenks,  H.  C.  Carey  als  Xadonal'ùko- 
nom.  Jena,  1885,  et  l'article  deLexisdans  VUand- 
wôrterbuch  der  Staatswissenschaften.  Vol.  II,  pag. 
808. 

Evariste  Peshine  SmilTi  est  le  plus  original  des  dis- 
ciples de  Carey,  notamment  dans  sa  théorie  de  la  popu- 
lation qu'a  acceptée  le  maitre  ;  Elder  est  ingénieux  et 
brillant,  mais  parfois  inexact  et  infidèle  ;  Ellis  Thomp- 
son leur  est  supérieur  par  sa  connaissance  très  étendue 
de  la  littérature  ;  Horace  Greeley  (E-s^ays,  1869)  a  une 
valeur  moindre.  Hors  de  Pensylvanie,  W.  D.  Wilson 
'{First  principle.-^,  1875,  réimprimés  en  1879)  cherche  à 
combiner  les  théories  de  Carey  avec  celles  de  Malthus  ! 

E.  Peshine  Smith,  Manual  ofpolitical  economy.  New- 
York,  1853.  —  Trad.  franc,  de  C.  Baquet,  1854. 

W.  Elder,  Questions  of  the  day.  Philadelphia,  1871. 

Rob.  Ellis  Thompson,  Social  science  and  national  eco- 
nomy, 1875.  —  Eléments  of  polit ical  economy,  1882. 
—  Protection  to  home  industry,  1886. 

Les  professeurs  Ferry  et  Sturtevant  sont  plutôt  des 
disciples  de  Bastiat  que  de   Carey.  Libre-échangistes, 


AUX    ÉTATS-UNIS  471 

ils  sont  persuadés  que  la  concurrence  fait  les  prix 
justes,  et  ils  ne  croient  pas  à  une  augmentation  exces- 
sive de  la  population.  Perry  combine  les  doctrines  de 
Bastiat  avec  celles  de  Macleod  ;  il  appelle  l'économie  la 
science  de  la  valeur  ;  il  croit  que  le  concours  productif 
de  la  nature  est  gratuit  ;  il  n'admet  pas  la  rente,  bien 
qu'il  accepte  la  loi  des  revenus  décroissants.  Il  est,  en 
outre,  l'ennemi  des  banques  de  circulation,  et  il  est 
favorable  aux  droits  de  douanes  fiscaux,  pourvu  qu'ils 
soient  spécifiques  et  non  ad  valorem.  Sturtevant  expose 
des  doctrines  presque  identiques,  mais  il  est  moins  pro- 
lixe et  plus  concis  dans  ses  déOnitions. 

A.  Latham  Perry,  Eléments  of  politkal  economy. 
New-Vork,  1866. -20«  édit.  sous  le  titre  de  Prin- 
ciples,  1891.  —  Introduction  to  political  economy, 
1877.-3'=  édit..,  1882  (Ne  contient  que  les  théories 
les  plus  générales  sur  la  valeur,  la  production, 
le  commerce,  la  monnaie,  le  crédit  et  l'impôt). 

J.  R.  Sturtevant,  Economies  or  ihe  science  of  ivealih. 
New-York,  1877.  Réimprimé  en  1881. 


§  3.  —  l'école  classique 

Vers  le  milieu  du  siècle,  après  la  réforme  des  tarifs 
douaniers,  le  sub-treasure  bill  et  la  publication  du 
traité  d'économie  politique  de  Stuart  Mill,  l'école  clas- 
sique devient  prédominante  parce  que  les  vieilles  ques- 
tions, et  notamment  celle  de  l'esclavage,  ont  disparu 
depuis  la  fin  des  guerres  civiles.  Il  n'y  a  plus  à  lutter 
que  contre  les  partisans  de  Carey,  qui  veulent  perpétuer 
les  institutions  nées  des  nécessités  de  la  guerre,  c'est- 
à-dire  les  banques  nationales,  le  papier  monnaie  et  la 
dette  fédérale. 

Le  précis  d^économie  politique  du  professeur  Bascom 
a  joui  pendant  quelques  années  d'une  grande  faveur.  Il 


472  l'économie  politique 

suit  les  doctrines  de  Mill,  qu'il  a  exposées  avec  beau- 
coup de  clarté.  Il  est  partisan  du  monométallisme^ 
adversaire  des  banques  d'émission,  et  il  veut  rempla- 
cer les  billets  par  des  certiflcats  payables  en  or,  con- 
servé comme  réserve.  On  retrouve  ces  mêmes  doctrines 
exposées,  mais  avec  moins  de  netteté,  dans  la  Science 
de  la  richesse  de  Amasa  Walker,  qui  s'occupe  égale- 
ment des  questions  monétaires  et  fiscales.  Il  attaque, 
lui  aussi,  la  législation  des  banques  de  1863  et  les 
dépôts  permanents  auxquels  il  attribue  la  crise  de  1873, 
et  il  demande  l'extinction  rapide  de  la  dette  publique. 
A  la  différence  de  Bascom,  il  n'accepte  pas  la  doctrine 
de  Malthus. 

John  Bascom,  Political  economy.  Andover,  1860.  -  Ré- 
imprimé en  1874. 

A.  Walker,  The  science  of  ivealih.  Boston,  1866.- 
5«  édit.,  Philadelphia,  1872. 

Le  général  François  Amasa  Walker  (fils),  président 
de  rinstitut  polytechnique  de  Boston,  est  un  esprit 
beaucoup  plus  distingué.  lia  publié,  en  1874,  un  Atlas 
statistique  des  Etats-Unis,  et  il  a  dirigé  avec  compé- 
tence le  recensement  de  la  population  en  1870  et  en 
1880.  Il  est  l'auteur  d'un  grand  nombre  de  monogra- 
phies, dont  les  résultats  sont  condensés  dans  son  excel- 
lent traité  [Political  economy.  New- York,  1883-2''  édit. 
1887),  qu'il  a  lui-même  résumé  plus  tard  [A  brief  text- 
book,  1885)  et  réduit  enfin  à  des  proportions  encore 
moindres  {First  lassons,  1889).  Son  travail  spécial  le 
plus  important  est  celui  qu'il  a  consacré  au  salaire  [The 
wages  question,  1876.  Nouvelle  édit.,  1891).  Il  distingue 
nettement  l'entrepreneur  du  capitaliste,  il  décrit  leurs 
fonctions,  combat  la  doctrine  du  fonds  des  salaires,  et 
défend  ingénieusement  cette  thèse,  que  le  salaire,  bien 
qu'il  soit  quelquefois  anticipé,    est,   en  réalité,  le  ré- 


AUX    ÉTATS-UNIS  473- 

sidu  de  la  valeur  du  produit  d'où  l'on  a  déduit  les  inté- 
rêts et  les  profits.  Dans  son  œuvre  sur  la  monnaie 
{Money,  1878.  Nouv.  édit..  1891),  résumée  dans  Mojiey 
trade  and  iiidustry  (1879),  il  défend  le  bimétallisme 
international  ;  il  n'a  que  peu  de  sympathie  pour  la  cir- 
culation mixte.  Son  petit  volume  sur  la  rente  foncière 
{Land  and  its  rent.  Boston,  1883)  ne  s'éloigne  pas  des 
doctrines  reçues  ;  il  y  réfute  victorieusement  les  objec- 
tions de  Carey,  de  George,  de  Leroy-Beaulieu.  Dans  son 
traité  d'économie,  il  distingue  rigoureusement  la  science 
pure  de  la  science  appliquée  ;  il  fonde  la  valeur  des 
richesses  (y  compris  la  monnaie)  sur  l'offre  et  sur  la 
demande,  tout  en  reconnaissant  l' influence  du  coût  et 
celle  du  degré  final  d'utilité  ;  il  pense  que  le  proprié- 
taire de  mines  reçoit,  outre  la  rente,  une  compensation 
pour  l'épuisement  du  sol;  il  a  donné,  enfin,  d'utiles 
développements  sur  les  questions  de  commerce,  de 
monnaie,  de  banque,  sur  le  socialisme  et  la  condition 
des  ouvriers. 


§    4  .    —    HENRI    GEORGE 

Cet  ingénieux  écrivain,  universellement  connu,  mais 
apprécié  de  façon  très  opposée  par  des  juges  peu  com- 
pétents ou  passionnés,  est  né  à  Philadelphie,  en  1838  ; 
il  a  été  typographe  à  San-Francisco  en  1857,  et  il  a 
abandonné  à  plusieurs  reprises  cette  profession  pour 
devenir  marin,  mineur,  journaliste  et  fonctionnaire 
public,  jusqu'au  moment  où,  établi  à  New-York,  il  s'est 
enrichi  par  le  .succès  extraordinaire  de  ses  œuvres.  Il  a 
développé  dans  .son  livre  fameux  Progress  andpoverty 
(San  Francisco,  1879)  les  idées  ébauchées  dans  l'opus- 
cule Our  land  and  land  policy  (1871)  ;  il  en  a  fait  en- 
suite application  à  l'Irlande  [The  irish  land  question^ 


474  l'économie  politique 

1881);  ily  apeuajoutédanssesSociaZp?'o6Ze7?2s(1884)  ; 
il  a  défendu  habilement  le  libre-échance  {Protection 
and  free  trade,  1886),  et  il  a  enfin  publié  une  critique 
de  l'Encyclique  Rerum  novarutn  {The  condition  of 
labour,  1891.;! 

George  est  un  des  principaux  partisans  du  collecti- 
visme agraire,  que  combattent  vivement  les  écono- 
mistes et  les  autres  socialistes.  Il  reconnaît  la  produc- 
tivité du  capital  et.  en  particulier,  celle  des  machines  ;  il 
défend  l'intérêt  et  le  profit,  et  il  nie  qu'il  y  ait  conflit 
entre  le  capital  et  le  travail  ;  il  combat  cependant  la 
théorie  de  Malthus  et  la  loi  des  revenus  décroissants,  et 
il  accepte,  sans  s'apercevoir  de  la  contradiction ,  la 
théorie  de  la  rente  de  Ricardo  et  celle  du  salaire  de 
Walker,  dont  il  exagère  les  conséquences.  Ennemi  trop 
ardent  de  la  propriété  foncière,  qu  il  considère  comme 
attentatoire  au  droit  naturel  et  inaliénable  de  tous  les 
hommes  à  la  terre,  il  soutient  que  l'accroissement  de  la 
rente  et  le  monopole  des  propriétaires  sont  la  cause  des 
crises  industrielles,  de  la  baisse  des  intérêts  et  des 
salaires,  et  par  conséquent  du  paupérisme.  Il  repousse 
l'intervention  directe  de  l'Etat  pour  fournir  du  travail 
aux  ouvriers,  mais  il  propose  comme  remède  aux  maux 
actuels  la  confiscation  de  la  rente  {unearned  incré- 
ment) par  le  moyen  d'un  impôt  unique,  sans  aucune 
indemnité  pour  ceux  qui  resteraient  nominalement  pro- 
priétaires, et  il  ne  doute  pas  que  de  cette  façon  lEtat 
aurait  un  revenu  plus  que  suffisant  pour  venir  en  aide 
au  petit  nombre  de  pauvres  qui  subsisteraient  après 
que  la  hausse  des  salaires  et  des  profits,  conséquence  de 
l'abolition  de  la  rente,  aurait  assaini  les  plaies  sociales. 
La  sincérité  des  convictions,  le  tableau  exact  de  l'état 
des  pays  nouveaux  et,  en  particulier,  de  la  Californie,  la 
vivacité  du  style,  coloré  par  des  images  souvent  heu- 
reuses, expliquent  suffisamment  le  brillant  succès  de 


AUX    ÉTATS-UNIS  475 

"son  Progress  and  poverty,  plein  d'étranges  contra- 
dictions, d'erreurs  matérielles  et  de  faux  raisonnements, 
qui  révèlent  à  chaque  page  le  manque  d'une  instruction 
%scientifique. 

Cfr.  sur  George,  en  dehors  des  comptes  rendus  de 
Wagner  et  de  Schmoller,  et  des  critiques  som- 
maires de  Fawcett  [State  sorjalism,  1883),  de  Sa- 
muel Smith  [The  nationalisation  of  ihe  land,  1884), 
de  M.  L.  Scudder  [The  labor-value  falîacy.  Chi- 
cago, 1886)  :  H.  Rose,  Henry  George.  London, 
1884.  —  V.  H.  Mallock,  Property  and  progress,  1884. 

—  W.  Hanson,  Fallacies  in  Progress  and  Poverlij. 
New-York,  1884.  —  M.  J.  Pauw  van  Wieldrecht, 
Beoordeeling  van  H.  Qporge,  Voruitgang  en  Ar- 
moede.  Utrecht,  1885.  —  D'Aulnis'de  Bourouill,  Het 
hedendagsche  Socialisme,  1886,  pag.  182  et  suiv. 

—  A.  Sertorius  Freih.  von  Waltcrshausen,  Der 
moderne  Socialismus  in  den  Vereinigten  Staatrn. 
Berlin,  1890,  pag.  329  et  suiv.  —  S.  Cognetti  de 
Martiis,  Il  sociaiisnio  negli  Siaii  Uniti.  Torino, 
1891,  pag.  257  et  suiv.  —  John  Rae,  Contemporary 
socialism,  1891,  pag.  441  et  suiv.  —  A.  Menger, 
Das  Recht  an  den  vollen  Arbeitsertrag.  Stuttgart, 
1891,  pag.  147  et  suiv. 


§    5.   —  LES    MONOGRAPHIES. 

Parmi  les  nombreuses  monographies  sur  la  monnaie 
•et  les  banques,  citons  :  Condy  Raguet,  On  currency 
and  bcinking  (1839);  J.  S,  Gibbons,  The  banks  of  New 
Foî'fe  (1858);  H.  R.  Lindermann ,  Moîiey  and  légal 
tender  (1877);  G.  Mac  Adam,  An  alphabet  in  finance 
(1880);  J.  G.  Knox,  United  States  nofe.s(1884)  ;  et 
spécialement  l'ingénieuse  défense  du  bimétallisme, 
par  S.  Dana  Horton  (Sylver  and  gold.  Nouvelle  édi- 
tion, 1877.  The  Silver pound,  1888.  SilverinEuropa^ 
1890). 


476  l'économie  politique 

Parmi  les  proLectionnistes,  nous  mentionnerons  : 
ErasteB.  Bigelow,  Tariffquestion{\SQ'2),-Tariff2Dolicy 
(2''édit. ,  1877j;  G.  B.  Stebbin,  American  2)rotectionist 
inanudil  (1883).  Parmi  les  libre-échangistes  :  W.  M. 
Grosvenor,  Does  protection  protect?  (1876);  les  nom- 
breux opuscules  de  David  A.  Wells  {Practical  écono- 
mies, 1882);  J.  Butts,  Protection  and  freetrade  (1875), 
et  enfin  l'histoire  de  J.  D.  Goss  (History  of  the  tariff 
administration  in  the  United  States  1891).  qui  est 
également  l'auteur  d''une  bonne  monographie  sur  l'a- 
mortissement de  la  dette  publique  {Sinking  fiinds, 
1892). 

Nous  devons  un  manuel  pratique  de  statistique  à 
G.  V.  Pidgin  [Practicat  Statistics.  Boston,  1888)  et 
quelques  travaux  sur  la  question  agraire  à  Cox  {Free 
lancl  and  free  tracle,  1881],  à  Sato  {History  of  the  land 
question,  1886\  à  Allinson  et  à  Penrose  (Ground 
rents  in  Philadelphie,  1888J,  à  Cheyney,  ete.  Il  existe, 
sur  la  science  des  finances,  des  travaux  de  :  H.  White, 
qui  a  fait  des  adjonctions  précieuses  à  la  traduction  de 
nos  Premiers  Eléments  {Taxation.  New- York,  1888); 
F.  K.  Worthington,  H istorical  sketch  of  the  finances 
of  Pennsylvania  (1877)  et  J.  Chr.  Schwab,  History 
ofthe  New  York  property-tax  (1890). 

Les  publications  sur  la  question  ouvrière  sont,  comme 
cela  est  naturel,  très  abondantes.  Nous  nous  conten- 
terons de  citer  l'ouvrage  de  Mac  Neill ,  The  labor  mo- 
vement  (1887)  et  celui  de  G.  Gunton,  Principles  -of 
social  économies  inductively  considered  (New- York, 
1891),  dans  lequel  il  a  fondu  son  précédent  ouvrage, 
{WeaWi  and  progress).  Sur  le  travail  des  enfants, 
nous  avons  les  travaux  de  W.  F.  ^^'illoughby  et  Miss 
Clara  de  Graffenried  (1890);  sur  l'arbitrage  et  la  conci- 
liation, ceux  de  J.  D.  Week, Labor  différences  and 
their  settlement  (1886);  sur  la  coopération  :  Alb.  Shaw, 


AUX    ETATS-UNIS  477 

Coopération  in  a  western  city,  A.  G.  Warner,  Three 
fcLses  of  coopération  in  the  We.si(l887,.  E.  W.  Bemis, 
Coopération  in  New  England  (1886),  Ch.  Bernard, 
Coopération  as  a  business  {[881],  et  enfin  sur  la  parti- 
cipation :  N.  P.  Gilman,  Profit  sharing  (1889). 

La  littérature  sur  l'histoire  du  communisme  et  du 
socialisme  n'est  pas  moins  riche.  Au  point  de  vue  cri- 
tique, il  faut  recommander  le  livre  de  M.  Th.  D.  AVool- 
sey,  Cominunistn  and  Socialism  ;New-York,  1880;; 
sur  l'histoire  du  communisme  en  Amérique,  nous  pos- 
sédons les  travaux  de  Noyés  1 1870, ,  de  Nordhoff  (1876), 
et  de  H.  A  James  (1879),  etc.  Pour  connaître  la  condi- 
tion des  classes  ouvrières,  nous  pouvons  consulter  le 
rapport  de  M.  Young  (Labor  in  Europe  and  America^ 
1876),  et  les  rapports  ultérieurs  et  de  beaucoup  préfé- 
rables de  l'éminent  statisticien  Caroll  D.  A\'right,  di- 
recteur du  bureau  central  de  la  statistique  du  travail 
à  Washington. 


§  6.  —  l'état  actuel. 

G.  Cohn,  Die  heutige  NationaVùkonomie  in  England 
und  America  {in  Jahrbuc h  de  Schmoller.  13"  an- 
née, vol.  III,  1889,  pp.  1-36). 

L'augmentation  du  nombre  des  universités,  la  fon- 
dation de  nouvelles  chaires  d'économie  et  même  de 
facultés  distinctes  d'administration  (New- York  et  Phi- 
ladelphie, etc.),  la  création  de  V American  Economie 
Association  (1885),  la  publication  de  revues  spéciales 
{1886-1889),  les  recueils  d'excellentes  monographies, 
les  polémiques  suscitées  par  les  publications  de  beau- 
coup de  jeunes  professeurs  qui  ont  suivi  les  cours  des 
Universités  allemandes,  et  en  particulier  de  TUniversitc 


478  l'économie  politique 

de  Halle,  l'influence  de  professeurs  plus  expérimentés; 
parfaitement  au  courant  de  l'état  de  la  science  en 
Allemagne,  n'en  suivant  pas  aveuglément  le  courant 
en  ce  qu^il  a  de  trop  exclusif,  ce  sont  là  les  faits  prin-^ 
cipaux  qui  expliquent  les  progrès  que  l'économie  a 
faits  dans  ces  dix  dernières  années  en  Amérique  et 
la  naissance  d'un  noyau  d'éminents  écrivains  dont  le 
talent,  la  science  et  l'activité  peuvent  être  mis  en  pa- 
rallèle avec  ceux  des  meilleurs  savants  de  lEurope. 

Ce  qui  caractérise  l'école  que  nous  qualifierons  de 
germano-américaine ,  c'est  sa  division  réelle ,  bien 
qu'elle  n'ait  été  ni  reconnue,  ni  jusqu'ici  signalée,  en 
deux  groupes  très  différents  entre  eux.  Au  premier 
appartiennent  ceux  qui  accordent  la  plus  grande  im- 
portance à  la  méthode  inductive  ,  aux  recherches  histo- 
rico-  statistiques,  et  qui  laissent  de  côté,  comme  vieillies, 
les  recherches  de  la  science  pure.  Le  partisan  le  plus  net 
de  ce  courant  est  l'infatigable  professeur  Richard  T. 
Ely,  de  l'Université  de  Baltimore,  érudit  mais  quelque- 
fois négligent. 

Richard  T.  Ely,  Frenchand  german  socialism,  1883.  — 
2'he  past  and  présent  of  political  economy,  1884.  — 
Récent  american  socialism,  1885.  —  The  labor  mo- 
vement  in  America,  1886.  —  Froblems  of  to-day^ 
1888.  —  Taxation  in  American  States  and  Cities, 
1888.  —  An  introduction  to  political  economy,  1889> 
(Refait  sous  le  titre  :  Outlines  of  political  eco- 
nomy, 1893). 

Le  même  ordre  d'idées  est  suivi  par  le  professeur 
Edmond  J.  James  (Philadelphie),  qui  a  écrit  sur  le  mo- 
nopole du  gaz  (1887),  sur  les  chemins  de  fer  (The 
railway  question,  1887),  sur  la  question  monétaire 
(1888),  par  le  professeur  J.  W.  Jenks  iBloomington), 
critique  de  Carey,  auteur  de  quelques  monographies, 


AUX    ÉTATS-UNIS  479 

par  exemple,  sur  la  législation  des  routes  (1888);  Falk- 
ner  (Philadelphie) ,  traducteur  de  la  statistique  de 
Meitzen.  Un  peu  plus  modérés  sont  les  deux  profes- 
seurs de  l'Université  de  Colombie,  Edwin  R.  A.  Selig 
man,  qui  a  débuté  par  un  bon  travail  sur  les  corpo- 
rations médiévales  en  Angleterre  (1887),  pour  se 
consacrer  ensuite  avec  succès  à  la  théorie  des  impôts 
et  en  particulier  à  celle  de  l'incidence  et  de  la  pro- 
gression, et  R.  M.  Smith,  auteur  de  bons  mémoires  sur 
des  sujets  de  statistique  et  de  méthodologie. 

E.  R.  B.  Seligman,  Contimiity  of  économie  ihowjhf, 
1886.  —  Two  chapiers  on  ihe  medioeval  guilds  of 
England,  1887.  —  On  Ihe  shifiing  and  incidence  of 
taxation,  \S92.  —  Progressive  taxation,  etc.,  i89i. 

R.  Mayo  Smith,  Methods  of  investigation  in  political 
economg,  1886.  —  Statistics  and  Economies,  1888. 

Il  faut  enfin  mentionner  l'éminent  professeur  Henri 
Carter  Adams  (Anna  Arbor),  auteur  d'excellents  travaux 
économiques  et  financiers  sur  l'ingérence  de  l'Etat 
(Relation  of  the  state  to  industrial  action,  1887  ,  sur 
les  impôts  {Taxation  in  the  United  States,  1881)  et  sur 
les  emprunts  (Public  debts,  1887).  Carter  Adams 
marque  pour  ainsi  dire  le  passage  au  second  groupe 
par  son  Esquisse  de  leçons,  sur  le  type  du  Grundriss 
de  Held  (Outline  of  lectures  uj^on  political  eronomy, 
1881,-  2*"  édit..  1886).  L'organe  de  ce  groupe  est  la  Po- 
litical Science  Quarterlij,  édité  à  New- York  (1886). 

L'originalité  et  la  valeur  théorique  est  plus  grande 
chez  un  autre  groupe  d'écrivains  qui  cultivent  avec 
amour  la  science  pure,  comme  Patten  Philadelphie), 
Giddings  i  Bryn  MawTy  et  Clarck  (Northampton)  ;  ce 
dernier  est  arrivé  souvent  à  des  résultats  analogues  à 
ceux  de  l'école  austro-allemande.  Ils  ont  apporté  d'in- 
téressantes contributions  aux  théories  du  capital,  de  la 


480  l'économie  politique 

valeur  et  de  la  distribution  des  richesses.  Il  faut  égale- 
ment mentionner  A\'ood,  qui  a  exposé  une  théorie  du 
salaire,  Hawley,  qui  a  défendu  contre  Edouard  At- 
kinsoiifT/ie  Distribution  of  jpvoducts,  1885)  les  doc- 
trines de  Walker_,  et  enfin  Tuttlequi  a  écrit  sur  le  con- 
cept de  la  richesse  (1891). 

Le  plus  original  et  le  plus  actif  parmi  les  économistes 
que  nous  avons  avons  cités  c'est  certainement  Patten. 
Ecrivain  très  clair,  critique  pénétrant,  mais  quelquefois 
partial,  des  économistes  classiques,  il  a  mis  juste- 
ment en  évidence  l'importance  de  la  théorie  de  la  con- 
sommation, et  a  essayé  de  réhabiliter,  avec  des  argu- 
ments spécieux,  le  protectionnisme. 

Clarck  est  un  écrivain  moins  clair;  il  a  insisté  sur  le 
caractère  moral  de  certaines  questions  économiques, 
et  il  a  commenté,  comme  Giddings,  qui  est  souvent 
plus  ingénieux,  la  doctrine  de  la  distribution  des  ri- 
chesses. 

Simon  N.    Patten,   The  preniises  of  polUical  economy. 
Philadelphia,  1885.  —  The  siabilUy  of  priées,  1889. 

—  The  conaumpiion  of  ivealth,  1889.  —  The  funda- 
mental  idea  of  capital,  1889.  —  The  economical 
premises  of  proteciion,  1889.  —  The  iheory  of  dyna- 
mics  économies,  1892. 

Jolin  B.  Clark,  The  philosophy  of  xoealih.  Boston,  1886. 

—  Capital  and  his  earnings,  1888.  —  Possibility  of 
a  scientific  law  of  wages  (1889)  et  d'autres  articles 
sur  ces  mêmes  sujets  (1890-91).  —  Clark  and 
Giddings,  The  modem  distributive  process.  Boslon y 
1888. 

Franklin    H.   Giddings,   Sociology  and  polUical   eco- 

nomy,  1888. 
Stuart  Wood,  Theory  of  wages,  1888.  —  A  critique  of 

wages  théories,  1891. 

Des  polémiques  très  instructives   se  sont  élevées   à 
l'occasion  des  remarquables  travaux  de  F.  A.  Walker 


AUX    ÉTATS-UNIS  481 

sur  les  profits  et  sur  les  salaires  {TJie  source  of  busi- 
ness 2^>'ofits,  1887.  —  The  doctrine  of  vent  and  the 
residual  clahnant  theory  of  wages^  1891)  ;  Macvane 
(1887)^  Olerk  et  Hobson  (1891)  y  ont  pris  part  comme 
défenseurs  d'une  nouvelle  théorie  de  la  distribution,  dé- 
terminée par  la  rente,  qu'ils  comparent  aux  profits  et 
aux  intérêts.  Il  faut  prendre  en  particulière  considéra- 
tion le  petit  volume  intitulé  Science  économie  discus- 
sion (New-York,  1886),  qui  contient  quelques  essais  sur 
l'objet,  le  but  et  la  méthode  de  l'économie,  écrits  par 
des  partisans  de  l'école  allemande  (Adams,  Ely,  James, 
Patten,  Seligman,  Mayo  Smith)  et  par  des  disciples  de 
l'école  classique  (Hadley,  New^comb,  Taussig). 

Parmi  les  auteurs  qui  sont  restés  fidèles  à  l'école  clas- 
sique il  faut  citer  encore,  en  dehors  de  Walker, 
Charles  F.  Dunbar,  professeur  à  Harvard  University 
et  G.  Sumner,  professeur  à  Yale  Collège.  Dunbar  aune 
connaissance  approfondie  de  l'histoire  et  de  la  théorie 
économique  ;  il  dirige  habilement  le  Quarterly  Jour- 
nal of  Economies  (fondé  à  Boston  en  1880],  qui  est 
devenu  une  des  meilleures  revues,  dans  laquelle  il  a 
écrit  un  grand  nombre  d'articles,  et  notamment  un 
article  magistral  sur  les  différentes  écoles  économiques 
[The  reaction  in  political  economy),  inséré  dans  le 
premier  volume.  Très  compétent  sur  les  questions  de 
crédit,  Dunbar  a  publié  récemment  une  intéressante 
monographie  intitulée  Chapters  on  the  theory  and  his- 
tory  of  banking  (New-York,  189i2).  Parmi  ses  nom- 
breux élèves  il  faut  faire  une  mention  spéciale  pour 
Bourne,  et  notamment  pour  Laughlin  et  Taussig.  J. 
Laurence  Laughlin  est  l'auteur  d'un  petit  ouvrage  élé- 
mentaire {The  study  of  political  economy,  1885), 
d'une  réduction  des  Principes  de  Stuart  Mill  (3^  édit., 
188j),  enrichie  de  savantes  illustrations,  d'une  mono- 
graphie sur   les  systèmes  monétaires   [The  history  of 

31 


482  l'économie  politique 

bimetallisni  in  the  United  States,  1886),  d'un  bon  ])ré- 
iiis  {Eléments  ofjDollt i cal  economy.  New-York,  1887), 
qui  contient  quelques  développements  ingénieux  sur  la 
valeur.  F.  W.  Taussig  s'est  occupé  des  coalitions,  de 
la  question  monétaire  et  surtout  des  tarifs,  dans  quel- 
ques essais  réunis  ensuite  en  volume  {The  tariff  liis- 
tory  of  the  United  States,  1888);  il  démontre  notam- 
ment que  les  conditions  qui  pouvaient  justifier  une  pro- 
tection temporaire  ont  cessé  pour  l'Amérique. 

En  dehors  des  études  historico-critiques  déjà  citées 
sur  le  système  monétaire  et  sur  le  système  protecteur, 
nous  devons  à  William  Graham  Sumner  un  travail  de 
sociologie  intitulé  What  social  classes  owe  to  each 
other  (1883),  traduit  en  français,  et  quelques  essais 
contre  le  bimétallisme,  sur  les  salaires,  etc.  {Collected 
essays  in  iDolltical  and  social  science.  New-York, 
1885).  Défenseur  du  currency  principle,i>eu  favorable 
aux  coopératives,  et  libériste  radical,  Sumner  accepte 
en  partie  les  doctrines  des  optimistes. 

Parmi  les  partisans  de  l'école  classique,  Newcomb, 
Hadley,  Andrews  et  Macvane  occupent  également  une 
place  éminente.  L'illustre  astronome  Simon  Newcomb, 
auteur  de  quelques  monographies  et  d'excellents  arti- 
cles sur  la  méthode  {North  American  Review,  Octobre 
1875),  sur  l'organisation  du  travail  {Princeton  BevieM', 
Mai  1880)  et  sur  «  deux  écoles  d'économie  politique  » 
{Ibidem,  Novembre  1884),  a  publié  plus  tard  un  traité 
(Princlples  of  political  economy.  New- York,  1886:, 
remarquable  par  sa  précision  et  sa  clarté,  et  en  parti- 
culier par  une  bonne  analyse  du  mécanisme  de  la  cir- 
culation ;  mais  il  est  peu  explicite  sur  la  question  du 
type  monétaire,  et  peu  pratique  dans  les  chapitres  con- 
sacrés à  l'art  économique  et  en  particulier  au  système 
d'impôts.  Arthur  T.  Hadley,  disciple  de  Wagner,  a,  au 
contraire,  une  compétence  théorique  et  pratique  recon- 


AUX    ÉTATS-UNIS  483 

nue  ;  il  est  rauteur  d'une  monographie  classique  sur  les 
chemins  do  fer  [Railroad  transportation,  its  history 
and  lïis  laws.  New- York,  1884;,  à  laquelle  on  peut 
comparer  le  travail  de  Ch.  Fr.  Adams  {Railroads,  their 
orlgin  and  problems,  2'édit.,  1880).  Dans  cette  œuvre, 
comme  dans  d'autres  ouvrages  postérieurs  (1888  et 
suiv.),  Hadley  traite,  avec  beaucoup  de  profondeur,  le 
sujet  si  controversé  des  monopoles,  sur  lequel  nous 
avons  des  travaux  de  Clark,  Giddings,  Gunton, 
Jenks,  etc.  ;  il  mérite  d'être  cité  (pour  nfe  citer  qu'un 
exemple)  à  côté  de  la  dissertation  célèbre  de  F.  Klein- 
wiichter  {Die  Kar telle,  1883  . 

E.  B.  Andrews  (né  en  1844),  élève  de  Helferich  et 
président  de  la  Brown  University ,  associe  à  l'étendue 
des  connaissances  la  modération  du  jugement  et  la 
clarté  de  l'exposition,  dont  il  a  fait  preuve  dans  ses 
travaux  sur  le  problème  monétaire  (An  honest  dollar, 
1889)  et  sur  la  loi  économique  des  monopoles  (1890), 
mais  principalement  dans  un  excellent  résumé  d'éco- 
nomie politique,  dont  le  texte  précis  et  sobre  est  accom- 
pagné de  notes  explicatives  et  bibliographiques  pré- 
cieuses pour  les  maîtres  comme  pour  les  étudiants  des 
établissements  d'instruction  supérieure. 

E.  B.  Andrews,  Instiiutes  of  économies.  Boston,  1889. 

Le  précis  de  Macvane,  professeur  à  Harvard  Uni- 
versity., a  été  écrit  avec  une  méthode  tout  à  fait  autre. 
Sans  aucun  appareil  d'érudition,  il  expose  les  théories 
principales  de  l'économie  pure  et  quelques-unes  de 
leurs  applications,  d'une  façon  familière  et  avec  les 
exemples  nécessaires.  Bien  que  ces  deux  écrivains  appar- 
tiennent à  l'école  classique,  Macvane,  moins  porté  aux 
nouveautés,  se  tient  rigoureusement  à  Ricardo  et  à 
Stuart  Mill  ;  il  est  fidèle  à  la  théorie  du  coût  de  produc- 


484  L  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

tion  et  à  celle  du  fonds  des  salaires,  qu'il  a  défendue 
dans  quelques  articles  du  Quarterly  Journal  of  Eco- 
nomies, (1887  et  suiv.^,  dirigés  spécialement  contre  la 
théorie  de  l'utilité-limite  de  l'école  austro-allemande,  et 
contre  la  théorie  de  \A'alker  sur  les  profits  et  les  sa- 
laires. 

S.  M.  Macvane,  The  icorking  principles  of  poUtical 
economy.  New-York,  1890. 

Voir  aussi,  en  dehors  des  Bévues  déjà  citées,  les 
périodiques  :  A'orth  American  Review,  Neiv  Prin- 
ceton Remeic,  Yale  Review,  Scribner  Magazine, 
Popular  Science  Monthlij,  Social  Economiste  Inter- 
national Journal  of  Ethics,  et  en  particuHer  les 
Annals  of  the  American  Academy  of  PoUtical  and 
Social  Science.  Philadelphie,  1890  et  suiv.  —  La 
Cyclopaedia  of  PoUtical  Science,  PoUtical  Eco- 
nomy, etc.  (Chicago,  1881-84.  Trois  vol.),  dirigée 
par  John  L.  Lalor  (traducteur  de  Roscher),  con- 
tient de  bons  articles  originaux  de  Burchard, 
Ford,  Hadley,  James,  Knox,  Weeks,  Wliite,  etc., 
mais  elle  est,  au  fond,  une  traduction  du  Dic- 
tionnaire de  Coquelin. 


CHAPITRE  XV 
L'ÉCONOMIE  POLITIQUE  EN  ITALIE 


L'importance  relativement  moindre  des  économistes 
italiens  de  ce  siècle,  si  on  les  compare  à  ceux  du  siècle 
passé,  s'explique  suffisamment  par  les  grandes  difficul- 
tés contre  lesquelles  ils  durent  lutter,  particulièrement 
pendant  la  domination  et  la  prédominance  de  l'élément 
étranger.  Ils  eurent  contre  eux  la  défiance  des  gouver- 
nements, les  restrictions  à  la  liberté  de  la  presse,  le 
nombre  infime  des  chaires,  le  peu  de  liberté  des  pro- 
fesseurs, la  difficulté  des  communicalions  entre  les  dif- 
férentes parties  de  l'Italie,  et  entre  l'Italie  et  les  autres 
nations.  Les  progrès  faits  pendant  ces  vingt  dernières 
années,  c'est-à-dire  après  que  l'unité  et  l'indépendance 
nationales  ont  été  conquises,  nous  en  donnent  une 
preuve  consolante. 

L.  Cossa,  Sagrjio  di  Bibliografia  dei  trattati  e  com- 
pendii  di  economia  pollilca  scrilti  da  italiani  (in 
Giornale  degli  Economisti.  Septembre  1891  et 
janvier  1892). 


§   1.   —  DE   1800  à   1814. 

Quoiqu'à  l'époque  de  la  domination  française  le  vent 
ne  fût  pas  propice  aux  idéologues,  il  y  eut  toutefois  de 
bons  professeurs,  comme  Valeriani  à  Bologne,  Ca- 
gnazzi   à   Naples,    Balsamo    à    Palerme   et  Scuderi  à 


486  l'économie  politique 

Catane,  et  de  courageux  propagandistes  des  idées  libé- 
rales, tels  que  ce  même  Balsamo  et  Fabbroni,  et  aussi 
un  érudit  et  patient  commentateur  de  nos  anciens  éco- 
nomistes, le  baron  Pierre  Custodi  (17.72-1842),  auquel 
nous  devons  la  collection  que  nous  avons  souvent 
citée. 

Tandis  que  Raccbetti,  de  Crémone  (1802),  et  dans 
leurs  œuvres  sur  le  droit  public  Martignoni,  de  Côme 
(1805!,  Simoni,  de  Trente  (1807)  et  notamment  le  véni- 
tien Angelo  Ridolfi  Dirltto  sociale,  1808),  s'occupaient 
incidemment  d'économie,  Luca  de  Samuele  Cagnazzi 
de  Altamura  (1764-1852),  publiait  ses  Elementi  di  eco- 
nomla  politica  (1813),  dans  lesquels  il  expose  sans 
aucune  originalité-,  mais  avec  ordre  et  clarté,  les  théo- 
ries de  Smith  et  de  Say,  faisant  oublie/ les  essais  anté- 
rieurs, trop  courts,  de  iTamassia  1802),  de  Milizia  ^1803', 
de  Serafini  (1811),  où  trop  exclusivement  pratiques  de 
Azzariti  (1806),  ou  peu  propres  à  l'enseignement,  comme 
le  volume  de  Predaval    1807. 

A  cette  période  appartiennent  Jean  Fabbroni  (1752- 
1822),  défenseur  zélé  des  réformes  de  Léopold  et  spécia- 
lement du  libre  commerce  des  blés,  dont  il  a  parlé  dans 
plusieurs  articles  de  polémique  et  plus  amplement  dans 
son  livre  classique  Dei  provvedimenti  annonarii. 
1804  (2e  édition,  1817).  Gioja  Sul  commercio  dei  co- 
mestibili  e  il  caro  prezzo  dei  vitto.  Milano,  1802  , 
Scarpelli,  Palmeri-Salazar(1813^  et  plus  encore  l'illustre 
Victor  Fossombroni,  se  sont  montrés  favorables  à  la 
liberté  du  commerce  des  blés. 

Le  vénérable  patriote,  éminent  agronome  (élève  d'Ar- 
thur Young),  l'abbé  Paul  Balsamo  (1764-1816),  qui  suc- 
céda au  mercantiliste  Sergio  (1806)  dans  la  chaire 
d'économie,  a  propagé  en  Sicile  les  doctrines  de  Smith 
et  s'est  fait  le  promoteur  de  réformes  tendant  à  pro- 
téger l'agriculture  contre  les  charges  féodales. 


EN    ITALIE  487 

Raccolta   degli    economisti  toscani.   Firenze,  1847-49. 

Quatre  volumes  (Comprend  les  œuvres  de  Fab- 

broni  et  celles  de  Gianni). 
P.    Balsamo,    Memorie   economiche   ed  agrarie.    Pa- 

lermo,  1803.  —  Memorie  inédite  di  pubblica  econo- 

mia,  1845.  Deu.x  volumes. 

Le.s  études  économiques  ont  été  poursuivies  :  en  Pié- 
mont, par  Prosper  Balbo  et  Galeani  Napione  ;  en  Lom- 
bardie,  par  Jean-Baptiste  Giovio,  de  Côme  [Opuscoli, 
1804),  par  Nuytz  (1802)  et  Martinelli  (1808),  qui  ont 
écrit  sur  la  monnaie,  par  De  Carli,  qui  proposa  la  fon- 
dation d'une  banque  d'escompte  pour  le  commerce  de 
la  soie  (1813);  dans  l'Italie  centrale,  par  le  comte  Mario 
Fantuzzi,  de  Ravenne  (3/e?72orte,  1804),  par  le  protec- 
tionniste Colizzi-Miselli  [Sulla  lana  greggia,,  1802)  et 
parN.  M.  Nicolai  {Sulla  campagna  et  sulVannona  di 
Roma,  1803)  ;  dans  les  provinces  méridionales,  par 
Targioni, d'origine  to.scane  (1802),  qui,  ainsi  que  Marulli 
(1804)  et  De  Mattia  (1805),  s'est  occupé  de  l'assistance, 
et  sans  parler  d'autres  écrivains  (cités  dans  la  Storia  de 
G.  Albergo),  par  le  silicien  Antonin  Délia  Rovere,  auteur 
des  excellents  Memorie  sulla  moneta  bassa  di  Sicilia 
(Palermo,  1814). 


§  2.  —  DE  1815  A  1830 

L'enseignement  de  l'économie  politique  donné  d'or- 
dinaire par  des  professeurs  protectionnistes  (Païenne 
et  Catane),  remplacé  par  un  cours  de  «  sciences  et  lois 
politiques  »  (Pavie  et  Padoue,  1817),  suspendu  à  Naples 
(1820-1825)  et  définitivement  supprimé  à  Parme  (1820), 
à  Turin  (1821)  et  à  Bologne  (1828),  renaît  partiellement 
dans  les  revues,  c'est-à-dire  dans  la  Biblioteca  italiana 
(1816-1840),  dans  le  Conciliatore  (1818-1819),  dans  le 


488  l'économie  politique 

Giornale  Arcadlco  {]  S [9- \S10),  dans VAntologia  (1821- 
1832),  dans  le  Giornale  di  Scienze,  Lettere  ed  Arti 
pour  la  Sicile  (1823-18421  et  dans  les  Annali  Univer- 
sali  di  Statistica  (1824-1871),  fondées  à  Milan  par 
Custodi,  Gioja  et  Romagnosi  et  continuées  par  Sacchi. 

Se  succèdent  ensuite,  avec  des  succès  divers,  les  trai- 
tés d'économie  de  Ressi  (1817-1820),  d'Agazzini  '1822 
et  1827),  le  traité  quelque  peu  meilleur  de  Charles  Bo- 
sellini,  de  Modène  {Nuovo  esame  délie  sorgenti  délia 
privatae  dalla  pubblica  ricchezza,  1816-17,  deux  volu- 
mes), le  résumé  scolaire  de  Sanfîlippo,  de  Palerme 
[IstitiLzioni,  1824),  qui  marche  sur  les  traces  de  Say, 
et  celui  du  professeur  Scuderi,  de  Catane,  plus  ample, 
plus  réfléchi  et  adapté  aux  besoins  de  la  Sicile  (Prin' 
cipii  di  civile  economia,  1827.  Trois  vol.).  La  renom- 
mée de  ces  écrivains  a  été  éclipsée  par  celle  qu'eurent 
à  leur  époque  Valeriani  et  Gioja. 

Luigi  Molinari  Valeriani,  d'Imola  (1758- 1828),  phi- 
lologue, philosophe,  jurisconsulte,  fut  un  profes.-eur 
actif  et  un  écrivain  érudit,  mais  prolixe  et  obscur,  qui 
s'est  occupé  spécialement  des  rapports  de  l'économie 
et  du  droit;  il  a  étudié  avec  beaucoup  de  soin  les  théo- 
ries de  la  valeur,  du  prix,  du  change,  de  la  justice  dis- 
tributive,  etc. 

Del  prezzo,  etc.,  1806.  —  Discorsi,  1807.  —  Dei  cambi^ 
1823.  —  Opereilc,  1824.  —  Erotemi,  1825-28.  - 
(Cfr.  A.  Cavazzoni-Pederzini,  Iniorno  la  viia,  le 
opère  e  le  dottrine  di  L.  M.  Valeriani.  Modena, 
1859). 

Melchior  Gioja,  de  Plaisance  (1767-1829),  fut  une 
espèce  de  dictateur  ne  supportant  aucune  objection  ;  il 
a  cultivé  avec  succès  la  stati.stique  ;  on  lui  doit  un 
Nuovo  prospetto  délie  Scienze  econoiniche  (Série  I, 
Teo?'ie,  Milano,  1815-17.  Vol.  I-VI),  dans  lequel  il  voulait 


EN    ITALIE  489 

résumer  tout  ce  qu'on  avait  écrit  et  pensé  en  matière 
d'économie,  de  finance  et  d'administration,  et  substi- 
tuer une  grande  encyclopédie  systématique  à  la  collec- 
tion de  Custodi,  qu'il  avait  souvent  critiquée.  Travailleur 
ardent,  très  érudit,  puissant  analyste,  mais  pointilleux 
et  immodéré  dans  la  critique,  Gioja,  auquel  nous 
sommes  redevables  de  nombreuses  observations  très 
ingénieuses,  par  exemple,  dans  la  théorie  de  l'associa- 
tion des  travaux,  est  insupportable  par  le  pédan- 
tisme  de  ses  tableaux  statistiques  et  sa  manie  de 
rechercher  des  contradictions,  maintes  fois  imaginaires, 
dans  les  œuvres  de  Smith,  de  Say  et  d'autres  maîtres 
de  la  science,  qu'il  combat  trop  souvent  pour  rendre 
hommage  à  sa  thèse  favorite  de  la  priorité  des  écono- 
mistes italiens.  Gioja  est  un  partisan  exagéré  de  l'ingé- 
rence gouvernementale,  à  laquelle  il  a  consacré  une 
monographie  {Discorso  popolare  sulle  manifatture 
nazionale  e  tariffe  daziarie,  1819). 

François  Fuoco,  deNaples,  quoique  doué  d'une  grande 
aptitude  pour  les  recherches  économiques,  est  moins  cé- 
lèbre ;  il  a  vécu  dans  l'exil  pendant  de  longues  années  ; 
il  est  l'auteur  d'une  œuvre  plutôt  excentrique  {La  ma- 
gia  ciel  credito  snelata,  Napoli,  1824.  Deux  vol.),  écrite 
pour  défendre  les  projets  financiers  du  ministre  Medici, 
et  dont  il  laissa  (pressé  par  le  besoin  d'argent)  Joseph 
De  Welz,  de  Côme,  se  déclarer  l'auteur.  Ses  Saggi 
economici  ont  une  bien  plus  grande  valeur;  il  discute, 
dans  cet  ouvrage,  avec  beaucoup  de  finesse  la  théorie 
de  la  méthode,  celle  de  la  valeur  et  les  systèmes  indus- 
triels et  bancaires  ;  il  accorde  une  attention  particulière 
à  la  théorie  de  la  rente  de  Ricardo,  dont,  le  premier  en 
Italie,  il  reconnaît  l'importance,  tandis  que  Scuderi 
{Giornale  di  Scienze  e  Lettere  di  Palermo)  et  un  ano- 
nyme (Biblioteca  Itallana,  1824),  précurseurs  deCarey 
et  de  Bastiat,  en  niaient  la  valeur.  Les  Saggi  de  Fuoco 


490  l'économie  politique 

passèrent  presque  inaperçus  jusqu'à  ce  que  Scialoja 
(1840)  et  Mohl  (1844)  en  firent  l'éloge;  on  ne  tint  pas. 
davantage  compte  des  deux  excellentes  études  qu'il 
publia  postérieurement. 

Franc.  Fuoco,  Saggi  cconomici.  Prima  série.  Pisa, 
1825-27.  Deux  volumes.  —  Iniroduzione  alla, 
studio  deir  economia  industriaU .  Napoli,  1829.  — 
Le  hanche  e  Vindustria,  1834. 

Sans  parler  de  quelques  ouvrages  sur  le  cadastre  et 
sur  les  machines  (1823-1824),  on  peut  citer  dans  cette 
période  les  travaux  de  jeunesse  de  Bianchini  sur 
l'influence  de  l'administration  (1828)  et  sur  les  délits 
qui  portent  préjudice  à  l'industrie  (1830),  loués  par 
Romagnosi,  qui  écrivit,  en  1829,  un  essai  magistral  sur 
la  libre  concurrence.  Ce  sont  cependant  les  discussions 
sur  Tagriculture  et  la  question  annonaire  qui  occupent 
la  première  place.  Gautieri  s'occupe  des  forêts  (18J8),. 
Chiarini  étudie  l'économie  des  immeubles  (1822),  Dan- 
dolo  (1820)  et  Berra  (1825)  recherchent  les  causes  de  la 
baisse  des  céréales,  tandis  que  François  Gambini,  d'Asti, 
[Délie  leggi  frumentarie  in  Italia,  1819)  défend  la 
liberté  absolue,  qui  trouve  des  défenseurs  ardents  même 
dans  VAccademia  clei  Georgofili,  où  Capponi,  Ricci, 
Ridolfî,  etc.,  répondent  aux  objections  de  Paolini  et 
des  autres  partisans  des  droits  à  Timportation  (1824).  La 
liberté  économique,  en  général,  est  défendue  en  Sicile 
contre  les  protectionnistes  Calvi  (1825)  et  Viola  (1828), 
par  un  éminent  élève  de  Balsamo,  Nicolas  Palmeri  dans 
son  Saggio  délie  cause  e  délie  angustie  attuali  delV 
economia  agraria  délia  Sicilia  (Palermo,  1826). 

§3.  —DE  1831  A  1848 
Après   la  mort  de   Gioja,   la  fondation  de  VIstituto- 


EN    ITALIE  491 

d'incoraggiamento  di  Palermo  M 831),  la  conversion 
de  Sanfilippo  au  libre  échange,  la  création  du  Progressa 
de  Naples  (1832-1846),  où  écrivent  Bianchini,  Blanch, 
Mêle,  De  Aui^ustinis,  Mancini,  et  l'influence  toujours 
croissante  de  Romagnosi,  devenu  l'âme  des  Annali  di 
Statistica  et  l'inspirateur  de  jeunes  écrivains  de 
talent  (Cantù,  Correnti,  Marzucchi,  Blanchi,  iSacchi), 
les  idées  libérales  se  propagent  de  plus  en  plus  et,  avec 
elles,  les  caisses  d'épargne,  les  asiles  pour  l'enfance  et 
d'autres  institutions  de  bienfaisance,  sur  lesquelles  on 
discute  aussi  dans  les  neuf  Congressi  degli  scienziati 
(1839-1847).  Quelques  émigrés  comme  Marliani  en 
Espagne,  Chitti  et  Arrivabene  en  Belgique,  font  par 
leurs  travaux  respecter  les  malheurs  de  l'Italie.  Nous 
devons  à  Arrivabene  la  traduction  des  traités  de  Mill 
1830)  et  de  Senior  (1836),  publiée  en  Suisse  et  com- 
mentée.à  Milan  par  Poli;  il  fit  ainsi  mieux  connaî- 
tre en  Italie  les  théories  de  Malthus  et  de  Ricardo, 
popularisées  plus  tard  par  Pellegrino  Rossi  et  fort 
appréciées  dans  les  classiques  Principil  d'economia, 
sociale  (Naples,  1840.  -  Deuxième  édition,  1846.  Trad. 
française,  1844)  de  Antonio  Scialoja.  Appelé  à  la 
chaire  d'économie  rétablie  à  Turin  en  1846,  il  écrivit 
un  Trattato  elementaro  (1848)  qui  obtint  un  succès 
qui  fut  refusé,  au  contraire,  aux  excellents  travaux  dans 
lesquels  Francesco  Corbani,  professeur  à  Sienne  (de 
1842  à  1859)  démontre  l'importance  économique  de 
l'élément  religieux,  comme  l'a  fait  récemment  le 
R.  P.  Matteo  Liberatore  [Principii  d'economia  poli- 
tica.  Roma,  1889). 

Cfr.  Carlo  de  Cesarg,  La  vita,  i  tempi  e  h'  operti  di  A. 
Scialoja.  Rome,  1879. 

Jean  Dominique    Romagnosi    (1761-1835),   écrivain 
célèbre  en  matière  de  droit  public,  de  droit  privé  et  de 


492  l'économie  politique 

statistique,  s'occupa  toujours,  mais  avec  plus  de  suite 
dans  les  dernières  et  malheureuses  années  de  son  exis- 
tence, des  questions  économiques  ;  il  a  écrit  d'impor- 
tants mémoires  sur  des  questions  d'ordre  général  :  la 
définition,  la  dignité,  la  coordination  de  l'économie 
politique,  ses  relations  avec  les  autres  sciences  civiles 
et  en  particulier  avec  le  droit,  le  caractère,  les  avan- 
tages, les  limites  de  la  liberté  économique  (^agricole, 
industrielle,  commerciale);  il  a  commis  de  graves 
erreurs  dans  la  théorie  de  la  population,  qu'il  n'avait 
pas  approfondie. 

Voyez  la  bonne  monographie  de  G.  Valenli,  Le  idée 
economiche  di  Gian  Domenico  Roniagnosi.  Rom  a, 
1891. 

Très  inférieur  à  Romagnosi  pour  ses  connaissances 
juridiques  et  économiques,  Carlo  Cattaneo,  de  AÎilan,  le 
surpasse  de  beaucoup  par  la  puissance  et  la  vivacité  de 
son  style.  Il  a  étudié  avec  beaucoup  de  savoir  certai- 
nes questions  d'économie  appliquée.  Il  a  fait  l'apologie 
des  institutions  agraires  de  la  Lombardie  et,  fidèle  aux 
principes  du  maitre.  il  a  combattu  dans  ses  interdi- 
zioni  israelltiche,  dans  les  Annali  di  Statistica.  et 
dans  le  Politecnico,  qu'il  a  très  habilement  dirigé,  les 
sophismes  spécieux  de  Frédéric  List. 

C.  Cattaneo,  Scritli  di  economia  puhblica'\o\.  I  et  II. 
Genova,  1887-1888. 

La  défense  de  l'exportation  de  la  soie  grège  hors 
du  Piémont,  déjà  attaquée  par  Gambini  (1820)  et  Len- 
cisa  (1831),  provoque  une  chaleureuse  réfutation  du 
jurisconsulte  de  Novare,  Jacques  Giovanetti  (1834), 
adversaire  également  des  impôts  annonaires  (1833). 
Le  piémontais  Michelini  et  Meguscher,  de  Trente  (1836), 


EN    ITALIE  493 

ont  écrit  sur  les  forêts,  Gastaldi  (1840]  sur  le  commerce 
et  les  banques,  Eandi  (1844)  sur  les  caisses  d'épargne, 
llestelli  (1845)  sur  les  associations  industrielles  et  com- 
merciales, De  Rocchi  (1846)  sur  les  machines.  Mori- 
chini(1835),  Magenta  (1838,  Zennari,  Bernardi  (1845), 
et  Casarini  (1846),  se  sont  occupés  de  l'assistance,  et 
avec  plus  de  science,  le  comte  C.  llarione  Petitti,  de  Ro- 
reto  (1790-1850),  auteur  du  Saggio  ciel  biion  governo 
délia,  mendicità  (Torino,  1837.  2  volumes^  qui  peut 
soutenir  la  comparaison  avec  la  grande  œuvre  de 
Gérando,  qui  en  a  fait  de  grands  éloges.  Nous  devons 
à  Petitti  d'autres  travaux  sur  le  travail  des  enfants 
(1841).  sur  les  associations  douanières  (1844),  sur  les 
chemins  de  fer  italiens  (1845),  sur  la  réforme  des  im- 
pôts (1850)  et  une  œuvre  posthume  sur  le  jeu  du 
«  lotto  »  (1853). 

Ludovic  Bianchini,  auteur  des  Principii  del  credilo 
pit66h'co(1827,  -2^édit.,  1838)  défend  les  emprunts  amor- 
tissables ;  il  s'est  surtout  fait  connaitre  par  ses  compi- 
lations historiques  sur  les  finances  de  Naples  (1834- 
1836)  et  de  Sicile  (1841).  Les  controverses  économico- 
fiscales  sur  les  ports  francs,  sur  le  «  tavoliere  di 
Puglia  »,  sur  la  conversion  de  la  rente  etc.,  ont  pro- 
voqué une  multitude  d'articles  de  polémique  de  Bian- 
chini, de  Ceva-Grimaldi,  du  duc  de  Ventignano,  etc., 
de  Ferdinand  Lucchesi-Palli  et  de  Jacques  Savarese, 
auteur  d'un  traité  d'économie  qui  est  resté  inachevé 
(1848). 

Le  sicilien  François  Ferrara  (né  en  1810),  directeur 
du  Giornale  di  Statistica  (1836-1848),  où  il  eut  comme 
collaborateurs  :  Emerico  Amari,  Vito  d'Ondes  Reggio, 
François  Perez  et  Raphaël  Busacca,  auteur  de  bonnes 
études  sur  le  cours  forcé  (Firenze,  1870),  a  écrit  difïé- 
rentes  œuvres  statistiques,  historico-critiques  et  théori- 
ques ;  il  défend  énergiquement  la  liberté  commerciale  ; 


494  l'économie  politioue- 

il  a  fait,  à  propos  delà  polémique  sur  le  cabotage  entre 
Xaples  et  la  Sicile  (1837),  l'apologie  de  la  doctrine  de 
Malthus  (1841)  ;  il  soutient  que  les  Grecs  n'eurent  pas 
une  véritable  science  économique  (18'i6)  ;  il  donna,  déjà 
dans  ses  premiers  travaux,  des  preuves  certaines  de  la 
puissance  de  son  intelligence  et  de  la  vivacité  de  son 
style. 

Franc.  Ferrara,  Memorie  di  slaii.slica.  Rome,  1890. 


L'économie  politique  moderne  a  pénétré  en  Italie 
dans  une  première  période;  dans  une  deuxième  période 
elle  a  été  ob.scurcie  par  les  doctrines  restrictives  de 
Gioja  ;  de  nouveau  libérale  dans  la  troisième,  sous 
l'influence  salutaire  de  Romagnosi  et  grâce  aux  leçons 
de  Pellegrino  Rossi.  qui  propage  les  théories  de  l'école 
classique  (Smith,  Malthus,  Ricardo,  Senior),  elle  rede- 
vient exclusive,  mais  en  sens  opposé,  dans  la  quatrième 
période  avec  Françesco  Ferrara,  qui  succède  à  Scialoja 
dans  sa  chaire  de  Turin  (1849-1858),  et  propage,  dans 
ses  brillantes  leçons,  qui  circulent  lithographiées  dans 
toute  l'Italie,  les  doctrines  de  Carey,  qu'il  commente 
avec  une  grande  érudition  dans  les  Préfaces  de  la 
Diblioieca,  deW Economista,  éditées  plus  tard  séparé- 
ment. Sans  tomber  dans  les  amphibologies  de  Bastiat, 
Ferrara  se  déclare  partisan  de  la  théorie  du  coût  de 
reproduction  comme  fondement  unique  de  la  valeur, 
dont  il  cache  le  côté  faible  par  ses  fameux  succédanés, 
acceptés  par  Minghetti  ;  il  croit  à  l'augmentation  néces- 
saire et  fatale  des  salaires  ;  il  repousse  la  théorie  de  la 
rente;  il  professe  le  principe  absolu  du  « laissez-faire  », 
c'est-à-dire  l'optimisme  dans  la  science  et  l'indivi- 
dualisme extrême  dans  les  applications.  Ses  idées  bien 


EN    ITALIE  495 

tîonnues  sur  la  projjriété,  le.s  droits  d'auteur,  les  bre- 
vets industriels,  la  distribution  de  la  richesse  en  sont  la 
preuve,  etc.  Chercheur  infatigable  des  origines  et  des 
progrès  de  la  science  économique  en  Angleterre  et  en 
France,  critique  puissant,  mais  parfois  injuste,  il  a  écrit 
avec  beaucoup  de  soin  les  biographies  des  principaux 
économistes  ;  les  principes  qui  lui  servent  de  critère  lui 
font  estimer  outre  mesure  Say,  Dunoyer,  Chevalier,  et 
iïiéconnaître  les  mérites  de  Ricardo  et  diminuer  ceux  de 
-Rossi  et  de  Stuart  Mill. 

Fr.  Ferrara,  Importanza  delV  economia  poUlica.  To- 
rino,  1849.  Biblioieca  delV  Eronomlsia.  Série  I 
(Trattati  complesslvi.)  Série  II.  [Traitati  speciali). 
Torino,  1850-70.  Vingt-six  volumes.  —  Esame  sio- 
7'ico-criiico  di  fconomistl  c  doHriiu'  ccoiwniiche,  etc. 
Torino,  1889-1892.  Deux  volumes  (en  quatre  par- 
ties). 

Parmi  les  élèves  et  les  admirateurs  de  Ferrara,  nous 
rappelerons  Torrigiani,  qui  fut  professeur  à  Parme  et 
à  Pise  ;  Todde,  professeur  à  Modène,  actuellement  à 
Cagliari;  le  savoyard  Jean-Jacques  Reymond,  écrivain 
sage  et  tempéré,  trop  tôt  enlevé  à  la  science  par  une 
•cruelle  maladie.  Gérôme  Boccardo  (né  en  1829)  contri- 
bua puissamment  à  propager  en  Italie  les  doctrines  de 
Bastiat  ;  il  a  été  professeur  à  Gènes  ;  il  est  l'auteur 
merveilleusement  fécond  d'ouvrages  sur  des  sujets  très 
Variés  (collections,  encyclopédies,  traités,  manuels, 
•«ssais,  discours,  articles)  dont  les  plus  importants  sont 
-le  précis  d'économie,  dont  on  s'est  servi  pendant  de 
longues  années  dans  les  écoles  ,  le  dictionnaire  qu'il  a 
rédigé  d'après  celui  de  Coquelin,  mais  qu'il  a  enrichi 
(notamment  dans  la  seconde  édition)  de  notes  intéres- 
santes ,  la  troisième  série  de  la  Biblioteca  dell'Econo- 
mista,  moins  exclusive  que  les  séries  précédentes. 


496  l'économie  politique 

G.  Todde,  Note  mil' economia  poliiica.  Cagliari,  1885. 

J.  J.  Reymond,  Etudes  sur  V économie  sociale  et  in- 
ternationale. Turin,  1860-61.  Deux  volumes. 

G.  Boccardo,  Traitaio  ieorico-pratico  d'economia  poli- 
tica,  1853  (7^  édit.,  1885).  Trois  volumes.  —  Dizio- 
nario  universale  d'economia  politica  e  commercio . 
Torino,  1857.  Quatre  volumes. -2«  édil.  (en  deux 
volumes).  Milano,  1875-77. 

Biblioteca  delV  Economista.  Série  III.  Torino,  1875- 
1892.  Quinze  volumes. 


Les  tentatives  faites  par  Bianchini  et  par  Bruno 
pour  rattacher  l'économie  aux  autres  branches  de  la 
science  sociale,  bien  qu'elles  aient  été  fort  approuvées 
notamment  à  l'étranger,  exercèrent  peu  dinfluence. 
On  peut  en  dire  autant  de  l'excellent  abrégé  du  sicilien 
Placide  De  Luca,  professeur  à  Xaples.  Il  ne  s'est  pas 
tout  à  fait  débarrassé  des  préjugés  restrictifs,  mais  il  a 
le  mérite  d'avoir  écrit  le  premier  manuel  italien  de  la 
science  des  finances,  dans  lequel  il  suit  avec  trop  de 
fidélité  celui  de  Jakob  (d'après  la  traduction  française), 
déjà  vieilli  à  cette  époque.  D'autres  traités  eurent  moins 
de  succès  encore:  ils  sont,  ou  peu  connus,  comme  ceux 
deScopoli,  de  Vérone  (1850),  et  du  toscan  Trinci^  ad- 
versaire de  Malthus  (1858),  ou  sans  originalité,  comme 
celui  du  napolitain  Trinchera  (1853),  qui  copie  Rossi 
dans  la  partie  théorique  et  Bianchini  dans  la  partie  his- 
torique, ou  d'une  forme  abstruse,  comme  les  nombreux 
traités  de  Marescotti  (1853,  1861,  1878,  1880),  ou  trop 
courts,  comme  les  résumés  de  Meneghini  (1856) ,  de 
Rusconie  (1852)  et  de  De  Cesare  il862). 

Lod.  Bianchini,  Délia  scienza  e  del  ben  vivere  sociale  e 
délia  economia  degli  Stati.  Vol.  I,  Napoli,  1845. 
Vol.  II,  1855. 

Giov.  Bruno,  La  scienza  delV  ordinamenio  sociale, 
Palermo,  1859-62.  Deux  volumes. 


EN    ITALIE  497 

P.  De  Luca,  Principii  dementm'l  di  scienza  economica. 
Napoli,  1852.  —  La  scietiza  délie  Finanze,  1858. 

Dans  le  Piémont,  qui  devint,  grâce  au  séjour  de  nom- 
breux émigrés,  un  centre  d'études  non  moins  important 
que  ceux  qui  existaient  auparavant  à  Milan  et  à  Xaples, 
les  revues,  et  notamment  la  Contemporanefi  (1850- 
1870),  publièrent  de  bons  articles  d'économie;  il  faut 
également  citer  les  monographies  du  comte  11.  G.  de 
Salmour  sur  le  crédit  foncier  et  agricole  (184G)  et  son 
organisation  dans  les  Etats  Sardes  (1853)  et  en  Italie 
(1862).  En  Vénitie  se  distinguèrent  J.  B.  Zannini,  le 
courageux  auteur  du  Piano  di  ristorazione  economica 
délie  Provincie  Venete,  et  Valentin  Pasini,  de  Schio 
(mort  en  1864),  dont  se  sont  occupé  brièvement  Lam- 
pcrtico,  et  longuement  Bonglii.  L'économie  politi- 
que a  été  étudiée  également  à  Modène  par  Ludovic  Bosel- 
lini  et  Andréa  Cavazzoni-Pederzini  ;  à  Bologne,  par  les 
jurisconsultes  Borgatti  et  Martinelli  ;  en  Sicile,  par  Te 
deschi-Amato,  Biundi,  Rizzari,  l'émincnt  Salvatore 
Marche.'-e  (mort  en  1880)  et  par  Perni  (disciple  de  Bruno 
et  Intrigila,  des  statisticiens  éminents. 

L'économie  ne  fut  pas  négligée  dans  les  revues  mi- 
lanaises :  le  Giornale  délie  scienze  j^olitico-legali 
(1850-53)  contient  de  bons  articles  d'Antoine  Mora  ; 
Correnti,  De  Cristoforis,  Zanardelli,  Allievi,  Massarani 
et  Emile  Broglio,  auteur  d'élégantes  lettres  sur  l'impôt, 
sur  la  rente  (1856),  ont  été  collaborateurs  du  Crépus- 
colo  (1850-56). 

Il  faut  citer  spécialement  trois  écrivains,  qui  furent 
aussi  d' éminents  hommes  d'état  :  Stéphan  Jacini,  An- 
toine Scialoja  et  Marc  Minghetti. 

Stéphan  Jacini,  de  Casalbuttano  (1837-1891),  ne  s'est 
pas  occupé  de  science  pure,  mais  il  s'est  signalé  par 
ses  travaux  de  jeunesse   sur  l'économie   agraire,  aux- 

32 


4Ô8  l'économik  politique 

quels  il  revint  pour  les  compléter  dans  son  âge  mûr, 
alors  qu'il  était  président  et  rapporteur  de  l'enquête 
ag-raire(1817-1877).  Antoine  Scialoja  J817-1877),  ayant 
perdu  sa  chaire,  se  voua  à  la  profession  d'avocat;  il  écri- 
vit deux  brillants  opuscules  polémiques  sur  les  disettes 
et  sur  le  budget  de  Naples  ;  il  s'occupa  plus  tard, 
comme  écrivain  et  comme  ministre,  de  la  réforme  des 
impôts  directs  (Nuova  Antologia,  1067-1 868j  ;  il  a 
défendu  (contre  Minghetti,  Morpurgo  et  Allievi)  la  con- 
solidation de  l'impôt  foncier.  Marc  Minghetti,  de  Bolo- 
gne (18f8-1886i,  orateur  éloquent,  lettré  et  artiste,  est 
connu  dans  la  science  économique  par  son  ouvrage 
sur  les  rapports  entre  l'économie,  la  morale  et  le  droit, 
recommandable  sinon  pour  l'originalité,  du  moins  pour 
l'excellence  de  la  doctrime  et  pour  sa  forme  exquise. 

S.  Jacini,  La  proprirtà  fOndiaria  e  la popolazione  agrl' 
cola  lit  Lomhardia.  Milano,  1854.-3'=  édit.,  1857.  — 
Frammenti  delV  incliicsta  agraria.  Roma,  1883. 

A.  Scialoja,  Carostia  e  govcrno,  1853.  —  Il  hilancio 
degli  Staii  Sardi  ed  il  Nopoliiano.  Torino,  1858. 

M.  Minghetti,  Opuscoli  leiterarii  ed  économie i.  Fi- 
renze,  1872. 


La  période  de  notre  émancipation  politique  a  été  favo- 
rable à  la  diffusion  des  éléments  de  l'économie  grâce  au 
rétablissement  des  chaires  anciennes  (Bologne,  Pise, 
Parme,  Modène)  et  à  la  création  de  chaires  nouvelles 
dans  les  Universités  (Gênes,  Cagliari,  Messine,  Rome)  et 
dans  les  «  instituts  industriels  et  professionnels»  ;  cela  se 
fit  cependant  avec  une  hâte  qui  ne  permit  pas  de  choisir 
de  bons  professeurs.  En  même  temps,  le  développement 
des  manufactures  et  du  commerce,  la  liberté  de  dis- 


EN    ITALIE  499 

cussion,  la  liberté  de  la. presse,  et  la  nécessité  de 
résoudre  promptement  les  graves  questions  économi- 
ques et  financières  qui  surgissaient,  provoquèrent  des 
projets,  des  rapports,  des  discours,  des  opuscules  et  des 
enquêtes  officielles  et  parlementaires,  dans  lesquelles 
d'éminents  statisticiens  purent  se  signaler.  En  dehors 
de  ceux  que  nous  avons  déjà  nommés,  il  faut  citer  : 
Cavour,  Sella,  Luzzatti,  Lampertico  etc.  La  science 
pure  a  été  négligée,  et  parce  que  les  préoccupations  poli- 
tiques absorbaient  les  meilleurs  esprits  ,  et  parce 
que  l'école  pseudo-orthodoxe  était  prédominante.  La 
fondation  de  la  Xuova  Antologia,  (1866),  au  début 
encore  soumise  à  ces  influences,  apporta  quelque  amé- 
lioration à  cet  état  de  choses.  On  se  servit  dans  l'ensei- 
gnement supérieur  des  traités  inachevés  des  professeurs 
De  Rocchi  (de  Sienne),  Salvatore,  Majorana-Calatabiano, 
de  Casane  (1866)  et  Ippolito,  de  Naples  (1869)  et  de 
ceux  de  Ponsiglioni,  qui  succéda  à  De  Rocchi  et  ensuite 
à  Boccardo  (1870,-2'^  édit.  1880  ,  et  de  G.  E.  Garelli 
(1875-2*  édit.  1880).  i^armi  les  précis  écrits  pour  les 
instituts  techniques,  nous  citerons  ceux  de  Fornari(  1 868) , 
de  Rameri  (1864,  1868,  1876)  et  de  Lo  Savio  (1872;, 
qui  furent  les  précurseurs  d'un  courant  meilleur. 

Le  nestor  des  économistes  italiens,  Antonio  Ciccone 
(1808),  qui  a  succédé  en  1865  à  Jean  Manna,  (auteur 
de  bonnes  études  administratives)  dans  la  chaire  de 
Naples,  fut  un  disciple  modéré  de  l'école  dominante. 
Aux  Prmcipii  cVeconoraia.  sociale  (1866-68),  parvenus 
à  leur  troisième  édition (1882-83.  Trois  volumes;,  firent 
suite  les  remarquables  mémoires  complémentaires  sur 
les  lois  naturelles  de  l'économie  (1883),  sur  la  valeur, 
sur  le  salaire  (1888),  sur  les  pensions  pour  la  vieillesse 
(1882),  ainsi  que  d'autres  de  plus  grande  importance  sur 
Macleod,  sur  l'assistance  et  la  misère  (1874)  et  celui  qui 
obtint  un  prix  àMilan,  sur  la  question  sociale(1884);  ils 


500  l'économie  politique 

montrent  l'intelligence,  le  savoir  et  l'activité  de  l'au- 
teur. 

Quant  aux  mono,2:raphies,  nous  devons  signaler  dans 
le  Piémont  celles  d'Alessandro  Garelli  sur  les  banques, 
les  crises,  les  salaires,  instructives,  toutes  pleines  de 
faits,  et  la  Logica,  délie  imposte,  œuvre  pondérée  du 
jurisconsulte  Matteo  Pescatore  ;  en  Ligurie,  les  nom- 
breux écrits  économico-fiscaux  de  Camille  Pallavicino, 
de  Pierre  Sbarbaro,  de  Jacob  Virgilio  et  de  Paul  Bo- 
selli,  les  deux  derniers  très  compétents  dans  les  ques- 
tions commerciales  et  maritimes  ;  en  Lombardie,  les 
travaux  d'Allocchio  sur  la  liberté  des  échanges,  le  cré- 
dit foncier  et  les  caisses  d'épargne,  ceux  de  Fano  sur 
la  charité  préventive  (1868)  et  les  écrits  brillants  mais 
quelque  peu  paradoxaux  de  l'émigré  Henri  Cernuschi 
sur  le  mécanisme  des  échanges  et  le  bimétalisme  ;  dans 
la  Vénétie,  les  nombreuses  compilations  de  l'infati- 
guable  Albert  Errera,  les  travaux  de  Benvenuti  sur  les 
banques  et  les  finances  et  l'ouvrage  plus  pratique  de 
Cappellari  délia  Colomba  sur  les  douanes  (1867),  mais 
surtout  les  essais  économico-statistiques  et  financiers 
d'Emile  Morpurgo  (mort  en  1 885)  et  les  excellentes  études 
sur  le  crédit  foncier  (1868)  et  sur  les  banques  de  Venise 
(1869)  de  Elle  Lattes,  qui  acquit  une  renommée  encore 
plus  grande  par  ses  travaux  d'épigraphie  étrusque  ;  en 
Emilie,  les  grandes  recherches  sur  les  colonies  et  sur 
l'émigration  (1874)  de  Leone  Carpi  ;  en  Toscane,  les 
mémoires  économico-agraires  et  autres  travaux  de 
Ridolfî,  de  Corsi,  de  Rubieri,  de  Cini,  d'Andreucci,  de 
Franchetti,  de  Sidney  et  George  Sonnino,  etc.  ;  dans 
les  provinces  napolitaines,  Racioppi,  Nicolo  Miraglia, 
Tortora,  Faraglia,  etc.,  Auguste  Magliani  (1825-1891) 
et  Constantin  Baer,  tous  deux  très  compétents  dans 
les  questions  monétaires  et  fiscales  ;  enfin,  en  Sicile, 
le  professeur,  déjà  cité,  Jean  Bruno,  directeur  du  Gior- 


EN    ITALIE  501 

nale  cli  Statistica  (depuis  1848),  auteur  de  bonnes 
études  sur  les  caisses  d'épargne  (1852(,  sur  la  liberté  de 
la  boulangerie  et  sur  la  taxe  du  pain  (1855),  etc. 


,^6.  —  l'état  actuel 

Ang.  Bertolini,  Saggio  cli  bibliografia  economica  ita- 
liana  (1870-1890).  Bologna,  1892.  (in  Giornale  degli 
Economhti). 

H.  von  SchuUern-Schrattenhofen,  Die  theoretische 
Naiionalokonomie  Italiens  in  neuesier  Zeit.  Leip- 
zig, 1891.  (Monographie  savante  et  soignée). 

A.  Loria,  Economies  in  Italy  (Annats  of  the  American 
Academy,  etc.  Vol.  II,  n.  2.  Phiiadelphia,  1891). 

U.  Rabbeno,  The  présent  condition  of  polit ical  eco- 
nomy  in  Italy  [Political  Science  Quarterly.  Vol.  VI, 
n.  3.  New  York,  1891). 

La  fondation  de  chaires  nouvelles  à  Padoue  et  à  Pavie 
(1858)  et  renseignement  que  Ton  y  donnait  dans  une 
sereine  objectivité  scientifique,  dénuée  do  toute  ten- 
dance apologétique  ou  critique  des  conditions  actuelles, 
en  tenant  compte  des  progrès  faits  par  l'économie  spé- 
cialement en  Angleterre  et  en  Allemagne,  mis  à  profit 
par  de  bons  et  actifs  disciples,  devenus  ensuite  profes- 
seurs dans  les  principales  universités  du  royaume,  fut 
la  cause  principale  de  la  meilleure  direction  des  études 
et  des  publications  qui  ont  été  louées  par  des  juges 
étrangers  compétents. 

Le  mérite  principal  du  réveil  scientifique  actuel  est 
dû  à  trois  hommes,  illustres  à  différents  titres  :  Messe- 
daglia,  Nazzani  etLampertico,  et  aussi  à  Vito  Cusumano 
(né  à  Partanna  en  1843).  sorti  de  l'école  de  Pavie,  et 
devenu  plus  tard  à  Berlin  un  admirateur  passionné  des 
doctrines  allemandes,  qu'il  propagea  en  Italie  par  le 
savant  ouvrage  dont  nous  avons  déjà  parlé. 


502  l'économie  politique 

Angelo  Messedaglia  (né  à  Villafranca  de  Vérone  en 
1820),  a  été  professeur  à  Padoiie  (1858-1866),  puis  à 
Rome.  L'étendue  et  la  profondeur  de  ses  connaissances 
scientifiques  et  littéraires,  sa  possession  des  méthodes 
analytiques,  l'impartialité  de  ses  jugements,  en  font, 
sans  flatterie,  le  maître  de  «  ceux  qui  savent  ».  Il 
a  écrit  à  plusieurs  reprises  sur  la  méthodologie  statis- 
tique et  économique,  sur  la  monnaie,  sur  la  popula- 
tion, sur  les  impôts  directs  et  sur  le  crédit  public.  On 
peut  dire  que  les  défauts  de  ses  œuvres  tiennent  à 
leurs  qualités  éminentes.  Faisant  précéder  la  synthèse 
des  phénomènes  de  l'analyse  de  leurs  différents  aspects, 
dans  laquelle  il  est  maître,  Messedaglia  ne  sait  pas  évi- 
ter les  répétitions  qui  troublent  l'ordre  systématique 
de  ses  travaux  et  il  aime  à  s'arrêter  à  la  critique  minu- 
tieuse des  formules,  quelquefois  impropres  et  parfois 
inexactes  (comme  le  sont  les  progressions  de  Malthus), 
qui  résument  des  principes  de  grande  importance  théo- 
rico-pratique  :  c'est  ainsi  que  certains  disciples  peu  ex- 
perts ont  pu  avoir  la  conviction  erronée  que  les  obser- 
vations du  maître  pouvaient  ébranler  certaines  lois  de 
la  science.  En  outre,  une  juste  antipathie  pour  les  con- 
clusions trop  absolues  a  engendré  chez  Messadaglia, 
sinon  le  scepticisme,  du  moins  une  certaine  hésitation, 
qui  lui  a  fait  esquiver  les  questions  capitales  sur  la  dis- 
tribution de  la  richesse.  Toujours  peu  satisfait  de  son 
œuvre,  il  recommençait  toujours  (pour  les  corriger  et  les 
compléter)  les  premières  parties  de  ses  travaux,  mais  il  n'a 
jamais  terminé  les  dernières  parties.  Nous  laissons  de 
côté,  pour  ne  pas  sortir  de  notre  sujet,  ses  ch'ssiques 
monographies  statistiques  (préférées  par  l'auteur)  et 
nous  indiquons  seulement  ses  monographies  économi- 
ques, en  signalant,  comme  techniquement  parfaite,  son 
étude  sur  le  cadastre. 


EN    ITALIE  503 

A.  Messedaglia,  Dei  prrstiti  puhblici  e  tlel  miglior  sis- 
tema  tli  consolidazione.  Milano,  1850.  —  Délia 
•  teoria  délia  popolazione  priucipaimenie  solto  l'as- 
peito  del  nietodo.  Vol.  1.  Verona,  1858.  —  La 
moneta  e  il  sistema  mo)ielario.  La  sforia  e  la  sla- 
iisiica  dei  metalli  preziosi.  [Arcliivio  di  Slaiis- 
tico.  Anno  VI  e  VIT.  Roma,  1881-83).  —  Relnzione 
sut  TitoloI  del  Progetto  di  legge  suir  imposta  foit- 
diaria.  Roma,  1884.  —  Veconomia  poliiica  in  rela- 
zinne  alla  sociologia  e  quale  scienza  a  se.  Roma, 
1891. 

Emile  Nazzani  (né  à  Pavie  en  1832).  profes.seur  pen- 
dant vingt-cinq  ans  à  l'institut  technique  de  Forli,  doué 
d'une  intelligence  robuste  et  bien  équilibrée,  très  ins- 
truit ,    débuta    par  des  travaux  savants    sur    l'écono- 
mie appliquée,  dans  lesquels  il  défendait  la  liberté  des 
coalitions,  et  étudia  l'organisation  des  sociétés  coopéra- 
tives (in  Industriale  lioinagnolo,  1868-69)  ;  il  aborda 
ensuite  avec  une  profondeur  modestement  dissimulée 
les  thèmes  les  plus  ardus  de  l'économie  pure  :  la  rente 
(1872),  le  profit  (1878),  la  demande  de  travail  (1880),  la 
valeur  (1883),  et  résuma  enfin  avec  une  clarté  simple  et 
élégante,  dans  son  compendiode  meilleurprécis  italien), 
les  doctrines  de  l'école  classique;  il  a  réfuté,  dans  un  autre 
écrit,  les  critiques  des  adversaires  de  cette  école  (1879). 

E.  Nazzani,  Swito  di  economia  poliiica.  Forli,  1873- 
4°  édit.  Milano,  1886.  —  Saggi  di  economia  poli- 
iica. Milano,  1881.  —  Sulle  prime  cinque  sezioni 
del  capitolo  «  On  value  »  di  Ricardo  (in  Rendiconti 
del  R.  Istitulo  Lombardo  di  Scienze,  1883.). 

Fedele  Lampertico  (né  à  Yicenza  en  1833)  s'est  dis- 
tingué dans  les  belles  lettres,  l'histoire,  le  droit  et  la 
statistique.  Il  a  discuté  dans  de  nombreux  travaux  et 
dans  d'excellents  rapports  parlementaires  les  sujets 
les  plus  variés  :  l'isthme  de  Suez,  les  mines,  les  glar 


504  l'économie  politique 

ciers,  les  bois,  les  dîmes,  les  banques,  le  libre  échange^ 
le  papier  monnaie,  etc.,  et  il  entreprit  de  parcourir,  dans 
la  plus  importante  de  ses  œuvres,  le  champ  entier  des 
théories  économiques,  financières  et  administratives. 
S'il  ne  put,  comme  cela  était  à  prévoir,  terminer  ce  tra- 
vail, trop  grandement  conçu,  trop  irrégulier  dans  sa 
forme  et  peu  proportionné  dans  ses  parties,  il  nous  a 
donné  une  précieuse  collection  de  monographies  dans 
lesquelles  il  a  étudié,  avec  des  développements  en  par- 
tie nouveaux  et  intéressants,  quelques-uns  des  pro- 
blèmes les  plus  complexes  de  la  science. 

F.  Lampertico,  Ecomomia   del  ])opoli  e  degli  Siati. 
Vol.  I-V.  Milano,  1874-84. 

Aux  critiques  formulées  sur  un  ton  agressif  par  Cu- 
sumano  (1873)  répondit  avec  une  vivacité  encore  plus 
grande  Ferrara,  dans  la  Nuoi:a  Antoloyia  (août  1873)  ; 
il  dénonça  le  germanisme  et,  plus  tard  (1878),  l'américa- 
nisme économiques  comme  des  ennemis  de  la  liberté.  Le 
meilleur  élève  de  Messedaglia,  Luigi  Luzzatti  (né  à  Ve- 
nise en  18il)  répondit  avec  beaucoup  de  modération. 
C'est  un  écrivain  brillant,  qui  s'est  fait  en  Italie  l'apôtre 
des  banques  populaires   et  des  sociétés  coopératives. 
Sa    patrie    et   la   science  doivent   lui    être    reconnais- 
santes pour  ses  innombrables  articles  de  revues  et  de 
journaux  et  pour  l'activité  qu'il  a  déployée,  comme  dé- 
puté et  comme  ministre,  dans  les  conférences  moné- 
taires, dans  les  expositions  industrielles,  dans  la  con- 
clusion des  traités  de  commerce  et  finalement  par  ses 
essais  de  réorganisation  du  crédit  et  des  finances. 

Les  premières  escarmouches  furent  suivies  d'un  con- 
grès tenu  à  Milan  (1875),  de  la  création  de  sociétés  éphé- 
mères et  de  la  publication  d'articles  favorables  (E.  Mor- 
purgo,  L.    Miraglia,  P.   Del  Guidice,  etc.)   ou  défavo- 


EN    ITALIE  505 

rables  (Marescotti,  Bruno,  Torrigiani,  Scarabelli,  etc.), 
à  ce  que  l'on  a  appelé  inexactement  la  nouvelle  école  iau- 
toritaire),  tandis  qu'en  réalité  elle  comprenait  des  écri- 
vains de  tendances  très  opposées,  d'accord  seulement 
pour  combattre  l'optimisme  de  la  liberté  illimitée.  Les 
équivoques  nées  dans  la  chaleur  de  la  lutte  étant  main- 
tenant dissipées  pour  les  hommes  de  bonne  foi,  il  n'est 
pas  difficile  de  déterminer  avec  précision  les  tendances 
dominantes  des  différents  groupes  de  nos  économistes. 

Le  plus  ingénieux  parmi  les  individualistes ,  dont 
le  nombre  va  en  diminuant,  est  Domenico  Berardi. 
Il  a  combiné  les  doctrines  de  Ferrara  et  celles  de  Spen- 
cer et  il  déduit  résolument  les  dernières  conséquences 
du  principe  du  «  laissez  faire  »  (Le  funzioni  ciel  go- 
verno  nelU economia  sociale.  Firenze,  1887).  Les  mêmes 
idées  sont  défendues  par  Tullio  Martello  dans  son  vo- 
lume sur  la  monnaie  (1872),  et  mieux  encore  dans  un 
brillant  article  du  Giornale  clegli  Econoviisti,  dans 
lequel  un  anonyme  combat  avec  beaucoup  de  savoir  et 
une  fine  ironie  (mais  avec  de  regrettables  allusions  per- 
sonnelles) les  énormités  de  l'école  économico-zoolo- 
gique. Ponsiglioni,  Todde  et  Angelo  Bertolini,  dont  la 
jeune  activité  est  pleine  d'espérances,  sont  aussi  des 
partisans  modérés  de  l'individualisme. 

Dans  le  petit  nombre  des  partisans  du  socialisme  de 
la  chaire  nous  citerons  Forti,  directeur  de  la  première 
série  du  Giornale  clegli  Econoniisti  (1875-1878),  Du- 
cati,  Ousumano,  actuellement  plus  modéré,  Mortara, 
qui  est  partisan  d'une  forte  ingérence  de  l'Etat  dans  la 
propriété  foncière  (1888)  et  enfin  Camille  Supino,  auteur 
de  mémoires  éradits  sur  la  valeur  (1880-1889),  le 
capital  (1886-1891),  l'escompte  (1892),  et  d'essais  très  re- 
marquables sur  la  navigation  (1890). 

Les  professeurs  Toniolo,  de  Pise,  et  Ferraris,  de  Pa- 
doue  sont  moins  exclusifs.  Joseph  Toniolo  (né  en  1845) 


506  l'économie  politique 

a  été  avec  Auguste  Monlanari  fauteur  d'un  bon  ré- 
sumé) l'élève  et  pendant  quelque  temps  le  suppléant 
de  Messedaglia  ;  il  a  publié  des  mémoires  très  soignés 
sur  l'élément  éthique,  la  méthode  d'observation,  la 
petite  industrie,  la  rente,  le  salaire,  la  participation 
aux  bénénces,  etc.,  et  notamment  une  monographie 
sur  la  distribution  des  richesses  (1878).  Il  unit  à  l'exac- 
titude théorique  du  maître,  de  bonnes  recherches  his- 
toriques et  philosophiques;  ses  consciencieuses  leçons 
s'inspirent  de  hautes  idées  morales.  Charles  François 
Ferraris  (né  en  1850),  disciple  favori  de  Wagner,  s'est 
occupé  avec  talent  de  la  science  administrative  ;  il  est 
le  défenseur  ardent  des  chaires  de  statistique  (1891);  il 
s'est  beaucoup  occujié  de  la  question  monétaire  et  du 
cours  forcé  (1879)  ;  il  est  partisan  de  l'impôt  militaire  et 
de  l'assurance  ouvrière  obligatoire;  il  a  écrit  avec  une 
méthode  encore  plus  correcte  sur  le  crédit  privé  dans 
ses  Principii  di  scienza,  baricaria.  (Milano,  1892),  qui 
ont  remplacé  l'ouvrage  autrefois  excellent  mais  aujour 
d'hui  vieilli  de  Pierre  Rota  (1873). 

Joseph  Ricca  Salerno  (né  à  Sanfratello  en  1849)  est 
lui  aussi  un  disciple  de  Wagner.  Il  a  été  professeur  à 
Pavie,  à  Modène  et  à  Palerme.  Il  marque  la  transition 
entre  l'école  historique  et  l'école  classique.  Il  a  débuté 
par  de  savantes  monographies  sur  le  capital  !l877),  sur 
le  salaire  (1878)  et  les  emprunts  (1879),  souvent  un  peu 
obscures  ;  il  a  publié  ensuite  (et  c'est  son  meilleur 
travail)  l'histoire  des  théories  financières  en  Italie 
(1881),  et  de  bons  travaux  économiques  et  financiers 
(dans  des  revues  italiennes  et  étrangères)  ;  il  acquiert 
de  plus  en  plus  la  renommée  d'un  excellent  maitre  et 
d'un  critique  expert.  Il  a  accueilli  le  premier,  mais 
avec  quelques  modifications,  dans  un  excellent  article 
{Giornale  degli  Economisti,  1877)  et  dans  son  Manuale 
di  scienza  finanziaria   (Firenze,   1888),  la  théorie  de 


EN    ITALIE  507 

Sax,  qu'acceptent  aussi  ses  excellents  élèves  de  Modène, 
Auguste  Graziani,  professeur  à  Sienne,  auteur  de  bons 
travaux  sur  le  profit  (1887),  les  dépenses  publiques 
(1887),  les  opérations  de  bourse  (1890),  les  piachines 
■(1891),  et  Charles  Ange  Conigliani,  qui  a  écrit  un 
mémoire  ingénieux  sur  les  effets  économiques  des 
impôts  (1890);  il  doit  publier  prochainement  une 
histoire  critique  de  la  théorie  économique  de  la  monnaie 
•en  Italie,  que  ses  travaux  antérieurs  nous  font  vivement 
<iésirer. 

Maffeo  Pantaleoni  (né  à  Frascati  en  1857),  directeur 
de  l'Ecole  de  commerce  de  Bari,  auteur  d'excellents 
travaux  de  statistique  économique,  et  notamment  d'un 
mémoire  sur  l'importance  probable  de  la  richesse  privée 
•en  Italie  (1884),  a  débuté  par  une  savante  monographie 
sur  l'incidence  des  impôts;  il  a  donné  des  preuves  de 
son  aptitude  aux  recherches  exactes  dans  les  Principii 
di  econoynia  jjura.  (Firenze,  1889).  Dans  ce  livre,  qui 
«ut  l'honneur  rare  d'être  traduit  en  anglais,  il  expose 
la  théorie  de  la  valeur,  conformément  aux  doctrines  de 
Gossen,  de  Jevons  et  de  Wieser,  etc.;  il  y  fait  cependant 
des  critiques  parfois  injustes  à  quelques-uns  des  chefs 
de  récole  autrichienne. 

Le  problème  de  la  valeur  a  été  également  discuté 
par  Piperno,  qui  a  recherché  avec  soin  les  causes 
de  Vaggio  (1880),  par  Wollemborg  (1882),  l'infati- 
gable propagateur  des  caisses  rurales  de  prêt  (Raif- 
feisen),  par  Valenti  (1890),  éminent  spécialiste  en  éco- 
nomie agraire,  par  Alessio,  qui  a  écrit  aussi  une  bonne 
monographie  sur  le  système  fiscal  italien  (1883),  que 
l'on  peut  rapprocher  de  celle  de  Zorli  (1887),  et  enfin  par 
Blanchi  (1891),  qui  s'est  également  fait  connaître  par 
de  bonnes  recherches  sur  la  propriété  territoriale  (1890). 
<5uelques  économistes  acceptent,  non  sans  réserves, 
les  théories  de  l'école  austro-allemande  :  Ugo  Mazzola, 


508  l'économie  politique 

qui  a  savamment  parlé  de  l'assurance  ouvrière  en  Alle- 
magne (1886);  il  a  soutenu  la  théorie  des  produits 
immatériels,  et  fait  (1890'  quelques  objections  subtiles  à 
la  théorie  financière  de  Sax  ;  Emile  Cossa  s'est  occupé 
avec  sobriété  et  clarté  des  entreprises  industrielles 
(1888'i  et  des  formes  naturelles  de  l'économie  sociale  et 
de  l'économie  financière,  il  a  résumé,  en  les  séparant 
de  l'agronomie  et  de  l'économie  générale,  les  éléments 
de  l'économie  agraire  (1890),  et  il  a  également  écrit 
avec  une  louable  impartialité  sur  le  problème  ardu  de 
la  réduction  des  heures  de  travail  (1892). 

On  doit  grandement  apprécier,  à  cause  de  la  netteté 
de  la  doctrine  et  de  l'excellence  de  sa  méthode,  les 
œuvres  de  De  Yiti  De  Marco  et  de  Gobbi.  De  Viti  De 
Marco  (né  en  1858i  dirige  avec  Pantaleoni,  Mazzola  et 
Zorli  la  nouvelle  série  du  Giornale  degli  Economistî, 
dans  laquelle  il  défend  énergiquement  le  libre  échange, 
attaqué  théoriquementpar  Benini  (1883)  et  pratiquement 
par  Ellena,  Salandra,  Alexandre  et  Egiste  Rossi.  Il  est 
particulièrement  connu  par  son  étude  sur  la  monnaie 
et  les  prix  (1885),  dans  laquelle  il  défend,  avec  les  res- 
trictions nécessaires,  la  théorie  quantitative,  et  par  son 
travail  sur  le  caractère  théorique  de  l'économie  finan- 
cière (1888). 

U fisse  Gobbi  (né  en  1859),  a  étudié,  dans  un  .style 
moins  enveloppé  mais  plus  négligé,  l' organisation  des 
sociétés  coopératives  et  de  l'assurance  contre  les  acci- 
dents du  travail  ;  il  a  recherché  avec  compétence  l'in- 
fluence des  systèmes  de  rétribution  sur  la  productivité 
du  travail  (188)',  et,  dans  son  court  mais  très  utile  précis 
d'économie,  il  a  combiné  les  doctrines  de  l'école 
classique  avec  les  résultats  des  recherches  minutieuses 
réunies  dans  le  Manuel  de  Schonberg. 

Achille  Loria,  deMantoue  (né  en  1857),  n'est  inférieur 
à  aucun  en  intelligence,  et  il  est  supérieur  à  tous  par 


EN    ITALIE  509 

son  originalité,  et  à  beaucoup  par  ses  connaissances. 
Professeur  à  Sienne  et  actuellement  à  Padoue,  il  occupe 
une  place  éminente  dans  la  science,  bien  qu'on  puisse 
lui  reprocher  de  n'être  pas  assez  objectif  dans  la  critique 
des  doctrines  et  dans  le  choix  des  faits  qu'il  cite  à  l'appui 
de  ses  théories  personnelles.  Il  est  difficile  de  résumer 
le  système  d'un  auteur  dont  les  tendances  sont,  en 
apparence  du  moins,  les  plus  opposées.  Il  suit,  en  effet, 
Ricardo  dans  ses  théories  sur  la  valeur  et  sur  la  rente, 
tout  en  combattant  avec  àpreté  et  non  sans  équivoques 
{NuovcL  Antologia,  1890)  l'école  autrichienne,  mais  il 
n'accepte  pas  sa  théorie  de  la  monnaie  ;  il  est  partisan 
de  l'école  historique  et  tient  les  phénomènes  écono- 
miques pour  variables  et  partant  il  croit  que  les 
théorèmes  de  l'école  anglaise  ne  s'appliquent  qu'au 
système  capitaliste  ;  il  admire  Marx  (dont  il  a  parlé 
d'une  façon  magistrale)  et  croit,  avec  lui,  que  le  profit 
est  une  forme  transitoire,  mais  il  réfute  ses  sophismes 
sur  la  valeur  ;  il  se  rapproche  des  socialistes  dans  sa  cri- 
tique du  régime  économique  moderne,  mais  il  repousse 
leurs  projets  de  réforme  parce  qu'il  espère  que  les  plaies 
sociales  disparaîtront  naturellement  grâce  à  la  diffusion 
de  la  propriété  et  à  la  disparition  de  la  rente  ;  il  loue 
enfin  les  évolutionnistes,  mais  il  ne  leur  épargne  pas 
les  reproches  qu'ils  méritent.  Pour  bien  comprendre 
les  idées  de  Loria,  qu'il  a  résumées  dans  une  de  ses 
leçons  d'ouverture,  il  faut  avoir  présente  à  l'esprit 
l'importance  suprême  (et  à  notre  avis  exagérée)  qu'il 
attribue  au  problème  économique  dans  le  système 
social  et  politique,  et  au  problème  territorial  dans  le 
système  économique. 

A .  Loria,  La  rendila  fondiaria  e  la  sua  elisione  natu- 
rale.  Milano,  1880.  —  La  legge  di  popolazione  ed 
il  sistema  sociale.  Siena,  1882.  —  Carlo  Darwin  e 
Veconomia politica.  Milano,  188i.  —  Analisi  délia 


510  l'économie  politique 

proprietà  capitalistica.  Torino,  1889.  Deux  vo- 
lumes. (Cfr.  les  Appunii  de  Graziani  dans  le 
Giovnalc  degliEconomisti,  1890).—  Siudii  sul  valore- 
délia  moneia,  1891.  —  La  terra  ed  il  sistema  so- 
ciale. Padova,  1892. 


A  l'école  sociologique  appartiennent  Schiattarelia, 
Puviani,  Zorli,  Lo  Sa\io,  Jacopo  Luzzatto,  Angela 
Majorana,  et  en  partie  aussi  De  Johannis;  les  représen- 
tants les  plus  éminents  sont  Boccardo  qui  accepte  réso- 
lument ces  doctrines  dans  différentes  préfaces  de  la 
Biblioteca.  delV  Economista,  et  Cognetti  qui  étudie 
les  fonctions  économiques  chez  les  animaux  et  les  tribus, 
sauvages,  et  recherche  les  origines  du  socialisme  dans 
l'antiquité  et  en  particulier  en  Chine  et  en  Grèce  dans 
des  œuvres  connues  des  philologues  mais  négligées, 
par  les  économistes.  Il  professe  des  théories  analogues, 
à  celles  de  Ugo  Rabbeno,  auquel  nous  devons  des  étu- 
des consciencieuses  et  en  partie  originales  sur  la  coopé- 
ration et  sur  le  protectectionnisme.  Il  faut  signaler 
particulièrement,  pour  la  profondeur  de  ses  connais- 
sances et  la  modération  de  ses  jugements,  Icilio  Vanni, 
qui  ne  méconnaît  pas  l'état  embryonnaire,  les  difficul- 
tés et  les  dangers  de  la  nouvelle  science. 


G.  Boccardo,  La  sociologia.  Torino,  iSBO.  — ranimale 
e  l'uomo,  1881. 

S.  Cognetti  De  Martiis,  Le  forme  primitive  delV  evo-^ 
luzione  economica.  Torino,  1881.  —  Socialisma 
atitico,  1889. 

U.  Rabbeno,  TJ'evoluzione  del  lavoro.  Torino,  1883.  — 
La  cooperazione  in  Inghilterra  (Milano,  1880)  et  in 
Italia  (1886).  —  Le  società  coopérative  di  produ- 
zione,  1889.  —  Protezionismo  americano,  1893, 

IciUo  Vanni,  Studii  sulla  theoria  sociologica  délia 
popolazione.  Città  di  Castello,  1886.  —  Prime  linee 
d'un  programma  critico  di  sociologia.  Perugia,  1888, 


EN    ITALIE  '  5il 

Le  manque  de  place  ne  nous  permet  pas  d'indiquer 
de  très  nombreuses  monographies  comme  celles  de 
Giovanni  Rossi,  Antonelli,  et  quelques-unes  plus 
remarquables  de  Poreto  (sur  la  théorie  mathématique 
de  la  richesse),  et  d'autres  de  :  Maggiorino  Ferraris, 
Artom,  Amar  et  Bertini  dans  le  Piémont;  de  Buzzetti, 
Piola,  Xicolini.  Manfredi,  Romanelli,  Masé-Dari, 
Pizzamiglio,  Sartori,  Montemartini  en  Lombardie; 
Jacques  Luzzatti,  Salvioni,  Délia  Bona,  Bertagnolli, 
Stivanello.  D'Apel,  Minelli,  Kiriaki,  Zanon,  Ellero  en 
Vénétie;  de  Manara,  Malgarini,  Rava,  Mamiani  en 
Emilie  ;  de  Cambray-Digny  et  de  Fontanelli  en  Toscane; 
de  Villari,  Zammarano,  Martuscelli,  Fortunato, 
Codacci-Pisanelli,  Tammeo,  Tangorra,  Fiorese  dans  les 
provinces  napolitaines  ;  de  Vadalà-Papale,  Santangelo 
Spoto,  Gemmellaro-Russo,  Arcoleo,  Merenda  en  Sicile  ; 
de  Soro-Delitala,  Longiave-Berni,  Pmna-Ferrà  en  Sar- 
daigne. 

Nous  avons  déjà  cité  (pag.  30-31)  les  principaux  sta- 
tisticiens; on  peut  signaler  encore  Raseri,  Stringher, 
Rameri,  Sbroiavacica  et  Giuseppe  Majoranà  ;  nous  avons 
aussi  indiqué  quelques-uns  des  ouvrages  sur  l'his- 
toire de  l'économie  en  Italie,  dont  nous  avons  donné 
ailleurs  un  index  très  complet. 

L.  Cossa,  Saggio  bibliografico  sulla  storia  délie  teorie 
economiche  in  lialia  [Giornale  tlegli  Economisti, 
1892). 


CHAPITRE    XVI 
LE  SOCIALISME  THÉORIQUE  CONTEMPORAIN 


Par  le  mot,  étymologiquement  équivoque,  de  socia- 
lisme,  adopté  par  les  écoles  de  Owen  et  de  Leroux  et 
mis  en  vogue  par  Reybaud,  on  désigne,  d'ordinaire, 
les  systèmes  de  politique  économique  qui  attaquent  les 
bases  actuelles  de  la  société  civile. 

Mais  si  le  mot  socialisme,  au  point  de  vue  théorique, 
embrasse  un  ensemble  de  doctrines,  au  point  de  vue 
pratique  c'est  au  contraire  le  nom  d'un  parti  qui  com- 
prend des  groupes  divers,  nationaux  ou  cosmopolites, 
anarchistes  ou  autoritaires,  unitaires  ou  fédéralistes, 
révolutionnaires  ou  possibilistes,  d'après  leurs  buts, 
leurs  moyens  d'action,  leurs  modes  d'organisation. 

Comme  corps  de  doctrine,  le  socialisme  embrasse, 
dans  ses  diverses  écoles,  des  idées  économiques  qui  se 
trouvent  bien  souvent  combinées  avec  des  théories 
philosophiques,  religieuses  et  politiques  contradictoires 
entre  elles,  dont  quelques-unes  tendent  à  l'abolition  de 
l'Etat,  delà  religion  et  de  la  famille,  que  d'autres  vou- 
draient conserver  entièrement,  ou  seulement  modifier. 
Au  point  de  vue  philosophique,  on  parle  de  socialistes 
matérialistes  et  de  socialistes  spiritualistes  ;  au  point 
de  vue  religieux,  de  socialistes  athées  et  de  socialistes 
croyants,  et  souvent  même,  poursuivant  l'équivoque 
dans  les  faits  comme  dans  les  mots,  de  socialistes 
chrétiens,  sans  s'apercevoir  que  les  chrétiens  (qu'ils 
soient    catholiques    ou   protestants)   ne   peuvent   être 


LE    SOCIALISME    THÉORIQLE    CONTEMPORAIN  513 

socialistes,  parce  que,  si  le  christianisme  prescrit  d'une 
façon  absolue  la  chanté,  il  veut  qu'elle  soit  spontanée, 
et  partant  méritoire,  ce  qui  est  en  pleine  contradiction 
avec  le  socialisme,  qui  oppose  au  devoir  des  uns  le 
droit  civilement  coercitif  des  autres,  et  qui  fait  dispa- 
raître ainsi  en  même  temps  la  vertu  chez  le  bienfaiteur 
et  la  reconnaissance  chez  l'obligé.  Au  point  de  vue 
politique,  les  contradictions  sont  tout  aussi  fortes, 
parce  que  quelques-uns  se  servent  des  doctrines  socia- 
listes comme  moyeu  d'agitation  auprès  des  masses  pour 
aboutir  à  un  changement  de  la  forme  du  gouvernement, 
tandis  que  pour  d'autres  les  changements  politiques,  et 
en  particulier  le  suffrage  universel,  sont  un  simple 
moyen  pour  obtenir  les  réformes  sociales,  que  certains 
croient  compatibles  avec  les  formes  de  gouvernement 
les  plus  disparates.  C'est  ainsi  que  l'on  parle  souvent 
et  non  sans  équivoque  de  socialistes  conservateurs  et 
de  socialistes  démocrates,  de  socialistes  d'Etat  et  de 
socialistes  de  la  rue. 

Comme  nous  ne  donnons  que  quelques  indications 
très  rapides  sur  le  socialisme  théorique  considéré  au 
point  de  vue  purement  économique,  nous  ne  parlons  pas 
des  systèmes,  déjà  indiqués  en  partie,  que  l'on  pourrait 
appeler  anciens  et  que  d'autres  qualifient  d'utopiques, 
parce  que  ce  sont  des  romans  d'Etat,  qui  sont  inspirés  par 
des  idées  purement  littéraires,  ou  par  des  considérations 
morales  sur  les  dangers  de  l'oisiveté  des  riches,  résultat 
des  inégalités  économiques  (Morus,  Doni,  Campanella), 
ou  qu'ils  invoquent  au  contraire  des  arguments  essen- 
tiellement politiques  (Platon).  Nous  ne  parlerons  pas 
non  plus  des  systèmes  professés  dans  la  seconde  moitié 
du  siècle  passé  (Rousseau,  Mably,  Morelly,  Brissot  de 
Warville,  etc.),  que  Ton  peut  appeler  juridiques  parce 
qu'ils  sont  basés  presque  exclusivement  sur  un  prétendu 
droit  de  tous  à  l'usage  gratuit  des  richesses  naturelles. 

33 


51  t  LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN 

Considéré  de  près,  le  socialisme  théorique  moderne, 
qui  se  qualifie  pompeusement  de  scientifique,  non  pas 
tant  parce  qu'il  dérive  de  quelques  doctrines  (mal  inter- 
prétées) des  économistes  que  par  son  interprétation  ma- 
térialiste de  l'histoire,  serésoud,  au  contraire,  dans  une 
pure  négation  de  la  science  économique.  Il  méconnaît, 
en  effet,  l'existence  d'un  ordre  social  des  richesses,  et 
se  fonde  sur  cette  hypothèse  que  la  liherté  engendre 
nécessairement  l'injustice,  les  crises,  la  misère;  delà,  le 
socialisme  déduit  des  maximes  de  politique  économique 
qui  tendent  à  la  destruction  totale  ou  partielle  de  la 
propriété  privée  et  de  la  concurrence,  c'est-à-dire  des 
hases  du  système  économique  actuel. 

11  est  assez  difficile  de  donner  une  classification  des 
théories  des  socialistes,  disparates  entre  elles,  malgré 
l'identité  de  leurs  prémisses  négatives.  Les  fausses  dé- 
finitions qu'ils  donnent,  les  contradictions  fréquentes 
qu'on  trouve  dans  les  écrits  d'un  même  auteur,  et  enfin 
l'usage  incertain  des  mots  communisme,  socialisme, 
collectivisme,  anarchisme,  employés  tantôt  comme  des 
équivalents,  mais  plus  souvent  opposés  ou  subordonnés 
les  uns  aux  autres,  sans  parler  de  l'équivoque  entretenue 
par  les  individualistes  extrêmes  qui  qualifient  de  socia- 
liste et  qui  repoussent,  par  conséquent,  toute  reforme 
qui  implique  une  nouvelle  ingérence  de  l'Etat,  même  si 
elle  est  nécessitée  par  de  hautes  raisons  de  justice  et 
d'opportunité,  constituent  autant  de  difficultés. 

On  ne  peut  pas  considérer  comme  une  définition  pré- 
cise du  socialisme  celle  qui  l'identifie  avec  la  philo- 
sophie économique  des  classes  souffrantes,  ou  qui,  en 
d'autres  termes,  le  présente  comme  l'économie  ouvrière 
opposée  à  l'économie  bourgeoise,  c'est-à-dire  l'économie 
du  travail  opposée  à  l'économie  du  capital  ;  il  est  injuste, 
d'autre  part,  de  déclarer  que  tous  les  systèmes  (et  non 
pas  quelques-uns  seulement)  défendus  par  le  socialisme 


LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN  515 

se  résolvent,  ou  dans  l'anarchie,  ou  dans  le  despotisme; 
ce  sont  aussi  des  définitions  incomplètes  et  inexactes 
que  celles  qui  lont  consister  le  socialisme  dans  la  dis- 
tribution artificielle  des  richesses  (et  qui  oublient  les 
nombreuses  observations  qu'il  a  faites  sur  la  produc- 
tion, la  circulation  et  la  consommation),  ou  dans  l'abo- 
lition du  salaire  (compatible  avec  la  libre  concurrence", 
ou  dans  la  suppression  des  revenus  qui  ne  dérivent  pas 
du  travail  (rente,  intérêt,  profit),  parce  que  ces  propo- 
sitions concernent  seulement  quelques-uns  des  buts 
auxquels  tendent,  et  non  pas  d'une  façon  unanime,  les 
diverses  formes  du  socialisme. 

Nous  citerons  quelques  œuvres  générales,  dont  l'étude 
peut  fournir  des  données  suffisantes  pour  la  classifica- 
tion, la  connaissance  et  l'appréciation  des  principales 
théories  des  socialistes. 

Jos.  Slammhammer,  BlbUugtviphie  des  Socialismus 
und  Communismus.  Jena,  1893. 

L.  Reybaud,  Etudes  sur  les  ré  formateurs  ou  socialistes 
modernes.  Paris,  1840-43.  Deux  volumes.-?'^  édi- 
tion, 1864. 

L.  Stein,  Der  Sozialismus  und  Communismus  des  heu- 
liqen  Frankreichs.  Le\pz]g.  1847.-  2«  édit.,  1848.— 
Geschiehte  der  sozialen  Bewegung  in  Frankreich, 
Leipzig,  1850-51.  Trois  volumes.  -  Réimprimé  en 
1855. 

J.  J.  Thonissen,  Le  socialisme  depuis  l'antiquité. 
Louvain,  1852.  Deux  volumes. 

B.  Hildebrand,  Die  Nationalbkonomie  der  Gegenwart 
und  Zukunft.  Vol.  I.  Frankfurt  am  Main,  1848. 

E.  De  Laveleye,  Le  socialisme  contemporain.  Paris, 
1883.  -  6«  édit.,  1891. 

R.  T.  Ely,  French  and  german  socialism.  Xew-Yark, 
1883. 

John  Rae,  Contemporary  socialism.  London,  1884. 
-2«  édit.  (fort  augmentée),  1891. 

O.  Warschauer,  Geschichtlich  kritischer  Ueberblick  ûber 


516         LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN 

die  Système  des  Kovimunismus^  ete.  {Zeiischr.  f. 
die  ges.  Slaaiswissenschafi .  Tiibingen,  1890.) 

H.  vonScheel,  SocialixmusundKommunismus.  3^ édil. 
beaucoup  améliorée.  (Dans  le  vol.  I  de  VHand- 
hucli  de  Schonberg.  Tubingen,  1890). 

Eug.  d'Eichthal,  Socialisme,  communisme  et  collecti- 
visme. Paris,  1892. 

V.  Cathrein,  Der  Socialismus.  S""  édit.  Freiburg  im 
Br.,  1892;  trad.  franc,  par  Olivier  Feron,  1891. 

Th.   Kirkup,  A  history  of  socialisni,  1892. 

H.  Dielzel,  Beitedge  zur  Geschichte  des  Sozialismus 
iind  des  Kommunismus  (Zeitschr.  fur  Litteratvr 
und  Geschiehle  der  Staatsiviss.,  1893.) 


i^"    \  .    LE    COMMUNISME 

Dans  sa  signification  scientique,  le  communisme  tend 
à  substituer  à  la  propriété  privée  des  richesses  de  toute 
sorte  (instruments  de  production  et  objets  de  consom- 
mation) la  propriété  publique  (de  l'humanité,  de  l'Etat, 
de  la  commune,  ou  de  groupes  confédérés).  Les  condi- 
tions nécessaires  de  ce  système  sont  l'universalité  du 
travail,  l'égalité  de  la  jouissance  et  la  collectivité  de  la 
production  et  de  la  consommation  ;  l'abolition  du  ma- 
riage et  celle  de  la  famille,  que  demandent  quelques  com- 
munistes, ne  sont  pas  essentielles.  D'autre  part,  le  col- 
lectivisme de  la  production  et  de  la  consommation  ne 
suffît  pas  à  con.stituer  le  communisme,  parce  qu'il  est 
parfois  proposé  par  des  socialistes  (comme  par  exemple 
Fourier)  et  aussi  par  des  non  socialistes  pour  des  rai- 
sons de  pure  opportunité. 

Il  ne  faut  pas  voir  dans  le  communisme  une  commu- 
nion purement  négative,  comme  on  la  pratique  dans 
la  famille  et  consistant  dans  l'usage  en  commun  des 
biens  comme  dans  la  célèbre  phrase  de  Rousseau  qui 
<lcclare  (en  contradiction  avec  des  idées  exprimées  dans 


LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN  517 

d'autres  de  ses  œuvres)  que  la  terre  n'appartient  à  per- 
sonne et  que  les  fruits  sont  à  tous.  On  aboutirait  à 
la  négation  implicite  du  communisme  avec  la  division 
en  parties  égales,  soit  définitive,  soit  périodique, 
des  patrimoines,  car  c'est  là  un  expédient  qui,  bien 
qu'il  soit  révolutionnaire  et  absurde,  conserverait 
cependant,  d'ailleurs  sans  aucune  solide  garantie,  la 
propriété  privée,  que  le  communisme  veut  détruire. 

Le  communisme  est  un  système  de  gouvernement 
économique  qui,  associant  à  l'idée  d'égalité  de  droit, 
qui  est  la  base  du  régime  politique  moderne,  l'idée 
inexacte  d'une  égalité  naturelle  des  facultés  humaines, 
détruite  uniquement  par  la  diversité  d'éducation,  veut 
distribuer  le  travail  selon  les  aptitudes,  arriver  ainsi  à 
l'égalité  du  sacrifice  et  garantir  à  chacun  une  part 
de  produit  absolument  égale,  ou  proportionnée  aux 
besoins  raisonnables  reconnus  par  l'autorité.supérieure. 
Les  systèmes  communistes,  visant  à  l'égalité,  sont  en 
complète  opposition  avec  les  systèmes  socialistes,  au 
sens  étroit  du  mot,  qui  visent  à  une  distribution  des  pro-. 
duits  proportionnelle  aux  prestations,  et  partant  néces- . 
sairement  inégale. 

Cela  n'exclut  pas  cependant,  et  certains  écrivains 
(soit  incohérence,  soit  esprit  de  conciliation)  en  sont  un 
exemple,  la  possibilité  de  systèmes  intermédiaires  qui 
admettent  le  communisme  avec  le  droit  à  l'existence, 
c'est-à-dire  la  garantie  d'un  minimum  de  produit  en 
raison  des  besoins,  et  en  même  temps  le  socialisme, 
c'est-à-dire  la  division  de  l'excédant  d'après  les  presta- 
tions. 

C'est  précisément  le  droit  à  l'existence  et  le  droit 
au  produit  intégral  du  travail,  qui,  dans  l'esprit  de 
certains,  exprimeraient  les  droits  fondamentaux  de  la 
classe  ouvrière,  que  la  législation  moderne  ne  devrait 
plus  se  refuser  à  reconnaître.  Mais  (comme  l'a  démontré 


518         LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN 

Anton  Menger)  ces  prétendus  droits  primitifs  ou  fonda- 
mentaux sont  en  contradiction  absolue  entre  eux.  Il  y  a 
également  contradiction  entre  le  droit  au  travail  et  le 
droit  à  l'assistance,  que  réclament  certains  socialistes. 

A.  Menger,  Das  Redit  auf  den  vollen  ÂrhcUsertrag. 
Stuttgart,  1886.-2«édit.,  1891. 

Tandis  que  le  droit  à  l'existence,  partant  de  l'idée  de 
la  fraternité  et  de  celle  de  la  solidarité,  conduit  logique- 
ment à  l'égalité  des  biens,  le  droit  au  produit  intégral 
du  travail  implique  bien  l'abolition  de  la  propriété  pri- 
vée de  la  terre  et  du  capital,  mais  comme  il  s'inspire  du 
principe  de  l'intérêt  personnel,  il  n'est  pas  tout  à  fait 
incoanpatible  avec  la  liberté  et  il  cherche,  en  tout  cas,  à 
donner  satisfaction  à  l'équité,  puisqu'il  reconnaît  le  mé- 
rite individuel  et  par  conséquent  l'inégalité  de  fait. 

Le  droit  au  travail,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec 
la  faculté  de  chercher  une  occupation  (droit  de  travailler, 
•'liberté  du  travail),  ni  avec  le  simple  droit  à  l'assistance, 
est,  comme  ce  dernier,  un  droit  relatif,  conditionné, 
complémentaire,  à  côté  des  deux  droits  absolus  et  prin- 
cipaux, dont  nous  venons  de  parler.  Le  droit  au  tra- 
vail concerne,  évidemment,  tous  ceux  qui  sont  capables 
de  travailler,  et  se  résoud  en  un  salaire  payé  par  l'Etat 
dans  ses  ateliers  à  ceux  qui  n'ont  pas  pu  trouver  auprès 
d'un  entrepreneur  privé  \me  occupation  rétribuée. 
Le  droit  au  travail,  considéré  par  Fourier  et  par  Consi- 
dérant comme  un  substitut  de  prétendus  droits  primi- 
tifs (chasse,  pêche,  cueillette,  pâture),  a  été  reconnu 
dans  la  célèbre  proclamation  française  du  25  février 
1818  et  il  a  été  appliqué  dans  un  esprit  absolument  con- 
traire au  socialisme  dans  les  ateliers  nationaux,  pour  se 
transformer,  après  les  journées  de  juin,  en  une  simple 
reconnaissance  du  droit  à  l'assistance. 


LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN  519 

Le  droit  à  l'assistance  qui  est  en  vigueur  dans  les 
pays  qui  admettent  la  charité  légale,  ne  concerne  que 
les  pauvres,  et  elle  a  un  caractère  humiliant  même 
quand  il  prend  la  forme  d'un  salaire  accordé  à  un  tra- 
vail effectivement  fourni  dans  un  dépôt  de  mendicité  ou 
même  à  domicile. 

V.  Considérant,   Théorie  du  droit  de  propriété  et  du 

droit  au  travail,  1839.-3«  édit.,  1848. 
Proudhon,  Le  droit  au  travail  et  le  droit  de  propriélé. 

1848. 
Fr.  Stopel,  Das  Recht  aufArbeit,  1884. 
B.   Prochownik ,    Das  angebliche  Becht  auf  Arheit, 

1891. 
Cfr.  E.  Thomas,  Histoire  des  ateliers  nationaux.  Vtixis, 

1848. 

Dans  sa  forme  la  plus  absolue  et  la  plus  grossière,  le 
socialisme  a  pour  idéal  une  égalité  parfaite  entre  le 
travail  et  les  jouissances.  Ses  moyens  sont  Texpropria- 
tion  immédiate  des  biens  des  corporations  et  la  confis- 
cation graduelle  de  ceux  des  autres  propriétaires  après 
leur  mort.  Il  maintient  l'égalité  en  divisant  les  produits 
en  parties  égales.  Il  a  eu  pour  représentant  le  célèbre 
agitateur  François  (il  prit  le  nom  de  Gracchus)  Babœuf 
(1764-1797),  qui  a  rédigé  le  premier  journal  socialiste 
intitulé  :  Le  tribun  du  peuple  (1794-1796)  et  qui  est 
mort  à  la  suite  d'une  conspiration  ourdie  contre  le  di- 
rectoire; Buonarotti  a  fort  habilement,  et  avec  convic- 
tion, exposé  ses  idées. 

Ph.  Buonarotti,  Histoire  de  la  conjuration  pour  l'éga- 
lité, 1828.  Deux  volumes.-Réimprimé  à  Paris 
en  1869. 

P.  Janet,  Les  origines  du  socialisme  contemjmrain. 
Paris,  1883. 

V.  Ad  vielle,  Histoire  de  G.  Babeuf  et  du  babouvisme. 
Paris,  1884.  Deux  volumes. 


550         LE    SOCFALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN 

Le  célèbre  publiciste  William  Godwin  (1756-1836), 
adversaire  de  Malthus,  s'est  fïiit  le  défenseur  modéré, 
mais  illogique,  du  communisme.  Après  avoir  clairement 
disting'Lié  les  trois  systèmes  opposés  de  répartition  des 
biens  {degrees  of  property)  :  propriété  privée,  presta- 
tions, et  besoins,  il  se  déclare  partisan  de  ce  dernier 
système,  mais  il  propose  des  moyens  peu  propres  pour 
le  réaliser,  parce  qu'il  ne  veut  pas  du  concours  de  l'État 
et  se  déclare  anarchiste,  mais  finalement  il  se  contente 
(dans  la  dernière  de  ses  œuvres)  du  simple  droit  à  l'as- 
sistance. 

W.  God^vin,  An  enquiry  coucerning  }jolHicnl  justice. 
London,  1793.  Deux  volumes. -Réimprimé  plu- 
sieurs fois.  —  The  enquirer,  1797  (et  1821).  —  An 
enquiry  on  population,  1820. 

Les  systèmes  d'Owen,  de  Cabet,  de  Weitling  peuvent 
être  cités  comme  des  types  de  communisme  plus  claire- 
ment exposés  dans  leur  partie  théorique  et  suivis  d'essais 
d'application  partielle  (spécialement  aux  États-Unis). 

Robert  Owen  (1771-1858),  riche  industriel,  promo- 
teur d'institutions  philanthropiques  de  patronage  pour 
ses  ouvriers,  de  sociétés  coopératives  de  consommation 
et  de  production,  est  un  communiste  psychologue.  Athée, 
fataliste,  convaincu  de  l'irrespon.sabilité  humaine,  il 
n'admet  ni  peines  ni  récompenses  ;  ennemi  de  la  pro- 
duction en  grand  et  de  la  concurrence  il  veut  que  le 
travail,  distribué  d'après  les  différents  âges,  s'exerce  au 
service  de  petites  communautés  confédérées,  dirigées  par 
des  magistrats  électifs,  et  composées  d'au  moins  500  per- 
sonnes et  d'au  plus  2,000,  qui  reçoivent  la  même  édu- 
cation, contractent  des  mariages  non  indi.ssolubles  et 
qui,  sans  faire  aucun  usage  du  commerce  et  de  la  mon- 
naie, et  sans  connaître  ni  juges  ni  pri.sons,  jouissent  en 
nature  de  ce  qui  est  nécessaire  à  leurs  besoins. 


LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN  521 

Rob.  Owen,  News  views  of  society,  1812.  —  BiXik  of 
ihe  new  moral  ivorlcl,  1820.  —  Révolution  in  the 
mind,  1850. 

Cfr.  W.  L.  Sargant,  Rob.  Owen  and  his  social  philo- 
sophy.  London,  1886.  —  A.  J.  Booth,  Robert  Owen 
the  founder  of  socialism  in  England,  1869.  —  IJyod 
Jones,  The  Life,  times  and  labours  nf  R.  Owen, 
1890.  Vol.. T. 

Parmi  ses  disciples  il  faut  faire  une  mention  spéciale 
pour  l'irlandais  Guillaume  Thomp.son  (mort  en  1833) 
qui,  comme  l'a  démontré  Menger,  expose  avec  beaucoup 
de  clarté  la  théorie  de  la  plus-value,  attribuée  d'ordi- 
naire à  Rodbertus  et  à  Marx.  On  trouve  des  idées  ana- 
logues dans  les  écrits  de  John  Gray  (1831),  d'Edmonds 
(1828),  de  J.  F.  Bray  (1839)  et  de  Charles  Bray  (I8'il). 

W.  Thompson,  An  inquiry  into  ihe  principles  of  the 
distribution  of  wealth.  London,  1824.:Ht';imprimé 
en  1869. 

L'avocat  démocrate  Etienne  Cabet  (1788-1856),  après 
avoir  lu,  pendant  son  exil  en  Angleterre,  l'utopie  de 
Thomas  Morus,  écrivit  un  roman  social  communiste 
{Voyage  en Icarie,  1840).  Il  s'y  montre  l'adversaire  de 
la  propriété  et  partisan  de  la  famille.  Cet  ouvrage, 
plus  remarquable  par  la  beauté  de  la  forme  que  par 
l'originalité  des  idées,  est  devenu  plus  tard  le  code 
de  quelques  sociétés  d'émigrants  français  au  Texas  et 
dans  rillinois,  où  les  doctrines  d'un  maître  personnel- 
lement fort  peu  ascète  ont  été  expérimentées. 

Les  idées  du  cordonnier  Guillaume  Weitling  (1808- 
1871)  ne  sont  pas  très  différentes.  Agitateur  révolu- 
tionnaire convaincu  et  éloquent,  il  trouve  le  commu- 
nisme dans  le  Nouveau  Testament.  Il  voudrait  subs- 
tituer à  l'organisation  économique  actuelle  une  associa- 
tion de  familles  qui  embrasserait  tout  le  genre  humain  ; 


5'2*2         LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN 

elles  seraient  gouvernées  par  des  chefs  électifs,  nommés 
au  concours  et  chargés  de  distrihuer,  en  parties  égales, 
les  choses  nécessaires  et  utiles,  et  à  ceux-là  seulement 
qui  fourniraient  un  nombre  d'heures  de  travail  supé- 
rieur au  temps  ordinaire,  les  objets  agréables  et  de  luxe, 
avec  l'obligation  cependant  de  les  consommer  dans  un 
court  laps  de  temps  déterminé,  afin  que  l'accumulation 
et  la  transmission  héréditaire  ne  fassent  pas  renaître  les 
inégalités  économiques. 

W.  Weitling,  Z)/e  Welt  ivie  sie  ist  und  sein  sollie,i83S. 

—  Garantien  der  Harmonie  und  Frelheit,  1842. 
Cfr.  G.  Adler,  Geschichte  der  ersten  sozialpolitischen 

ArbeUerbewegiing  in  Deuischland.  Breslau,  1885. 


§    2.    LP]    SOCIALISME    PROPREMENT    DIT. 

Dans  son  sens  le  plus  étroit  le  socialisme  désigne  les 
systèmes  qui  veulent,  non  pas  abolir,  mais  assujettir  à 
des  restrictions  essentielles  la  propriété  privée  et  la 
concurrence,  et  qui  sont  en  même  temps  adversaires 
de  la  répartition  des  produits  par  tête,  ou  d'après  les 
besoins,  mais  partisans  de  leur  répartition  d'après  les 
prestations  de  chacun. 

Il  y  a  cependant  des  divergences  notables  sur  les  mo- 
des de  répartition  ;  les  uns  admettent  au  partage  les 
propriétaires  et  les  capitalistes,  les  autres  excluent  les 
revenus  qui  ne  proviennent  pas  du  travail. 

Il  faut  en  outre  distinguer  dans  le  socialisme  propre- 
ment dit  trois  formes  principales  :  lès  socialistes 
autoritaires,  qui  veulent  confier  à  un  pouvoir  suprême 
la  production  et  la  distribution  des  richesses  ;  les 
socialistes  libéraux,  qui  admettent  l'autonomie  des 
différents  groupes  de  travailleurs  ;  les  socialistes 
anarchiques ,    qui    ne    reconnaissent    la   nécessité    ni 


LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN         ^^^ 

des  sociétés  politiques  en  général,  ni  de  l'État  en  par- 
ticulier. L'espace  nous  manquant  pour  un  examen  dé- 
taillé de  chacune  des  écoles,  nous  nous  bornerons  à 
quelques  indications  sur  les  doctrines  économiques  de 
quatre  hommes  remarquables,  soit  par  l'influence  qu'ils 
ont  exercée,  soit  par  la  puissance  de  leur  esprit  et  par 
la  sincérité  de  leurs  convictions.  Nous  parlerons  de 
Saint-Simon,  de  Bazard,  de  Fourier  et  de  Proudhon. 

Le  comte  Claude  Henri  Kuuvray  de  Saint-Simon 
(1760-1825),  prétendu  fondateur  d'un  nouveau  chris- 
tianisme, a  esquissé  aussi  un  système  économique  (in- 
dustrialisme) sans  arrivera  des  conclusions  pratiques, 
mais  il  a  été  le  chef  d'une  école  à  laquelle  ont  appar- 
tenu, dans  leur  jeunesse,  des  hommes  remarquables 
comme  l'historien  Augustin  Thierry,  l'économiste  Mi- 
chel Chevalier,  le  philosophe  positiviste  Auguste  Comte, 
et  le  publiciste  Bûchez,  le  fondateur  des  premières 
sociétés  coopératives  françaises.  Frappé  des  effets  dé- 
sastreux de  la  répartition  inégale  et,  selon  lui,  arbi- 
traire des  richesses,  qui  provient  des  systèmes  légaux 
de  succession  héréditaire,  Saint-Simon  a  tracé  à  larges 
traits  dans  un  grand  nombre  d'opuscules,  pleins 
d'un  enthousiasme  que  n'ont  pu  vaincre  les  souffrances 
d'une  vie  agitée  et  aventureuse,  les  bases  d'une  nou- 
velle monarchie  industrielle,  dans  laquelle  le  pouvoir 
dont  avaient  joui  jusqu'ici  les  classes  oisives  (légistes, 
fonctionnaires  civils,  militaires,  etc.),  qui  ont  détruit  le 
féodalisme  et  l'aristocratie,  devait  passer  à  la  classe  in- 
dustrielle, composée  des  ouvriers,  des  entrepreneurs  et 
des  capitalistes.  Saint-Simon  arrive  à  ce  système  en 
déduisant  les  corollaires  sociaux  de  la  théorie  des  éco- 
nomistes qui  voyaient  dans  le  travail  la  cause  unique 
de  la  valeur,  identifiée  avec  la  richesse. 

C  H.  de  Saint-Simon,  Parabole  politique  (dans  la  revue 
L'Organisateur,  1819).  —  Catéchisme  des  industriels, 


524         LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN 

1823-1824.— .Vouyeau  Christianisme,  1825.—  Œuvres 
d<'  Saint-Simon  et  d' Enfant  in.  P.iris,  1865-1878 
(quarante  volumes).  {Œuvres  clmisies.  Bruxelles, 
1859.  Trois  volumes). 
Cfr.  H.  Fournel,  Bibliographie  Sainl-Sinnmienne.  Pa- 
ris, 1833.  —  G.  Hubbard,  Saint-Sinum.  sa  vie  et 
ses  travaux,  1857.  —  P.jJ.inel,  Saint-Sinn)n  et  le 
Saint-Simonisnie. 


Après  la  mort  de  Saint-Simon,  ses  doctrines,  expo- 
sées avec  peu  de  succès  dans  le  journal  le  Producteur 
(dirigé  par  Olinde  Rodrigues)  et  mieux  dans  le  Globe 
(1831-1832),  ont  trouvé  des  disciples  ardents  dans  Ba- 
zard  et  dans  Barthélémy  Prosper  Enfantin  (1798-1864). 
Ce  dernier,  devenu  le  père  suprême  de  la  nouvelle 
religion,  compromit  par  la  théorie  de  l'émancipation 
de  la  femme  et  par  celle  du  divorce  'que  Bazard 
n'accepta  pas)  les  petites  communautés  saint-simo- 
niennes,  qui  ont  pris  fin  après  la  farce  indécente  et  le 
célèbre  procès  de  Ménilmontant. 

Saint-Amand  Bazard  (1791-1832)  a  .sans  doute  le 
mérite  d'avoir  sérieusement  développé  la  partie  écono- 
mique du  système  saint-simonien.  dont  on  peut  le 
considérer  comme  le  fondateur.  Pour  combattre  ce 
qu'il  appelait  Texploitation  de  l'homme  par  l'homme, 
qui  était  autrefois  celle  du  maître  sur  l'esclave  et  sur  le 
.serf  et  maintenant  du  propriétaire  des  instruments  de 
travail  sur  l'ouvrier,  Bazard  préconisait  une  réforme 
économique,  mais  il  voulait  tout  d'abord  le  retour  à 
l'esprit  du  christianisme  primitif,  l'instruction  gratuite, 
universelle,  obligatoire.  Sa  réforme  consistait  dans  la 
distribution  du  travail  selon  les  aptitudes,  et  du  produit 
d'après  les  prestations,  selon  le  célèbre  aphorisme  :  de 
chacun  selon  sa  capacité,  à  chaque  capacité  selon  ses 
œuvres.  11  croyait  qu'on  aurait  pu  y  arriver  par  la 
substitution  de   la   possession    viagère   à   la  propriété 


LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN  525 

héréditaire,  en  chargeant  l'État  de  distribuer  gratuite- 
ment les  terres  et  les  capitaux  qui  devenaient  vacants 
par  la  mort  des  possesseurs  temporaires,  à  ceux  qui 
par  leurs  travaux  antérieurs  se  seraient  montrés  les 
plus  méritants.  Cette  opération,  faite  par  des  banques 
publiques,  dirigées  par  une  hiérarchie  de  prêtres  indus- 
triels, aurait  supprimé  les  graves  inconvénients  de  la 
répartition  actuelle  des  biens,  injustement  déterminée 
par  l'accident  de  la  naissance.  A  la  différence  de  Saint- 
Simon,  qui  considérait  les  industriels  dans  leur  ensem- 
ble et  les  opposait  aux  oisifs  (légistes,  fonctionnaires 
civils  et  militaires,  etc.),  Bazard  est  le  premier  socia- 
liste français  qui  montre,  d'une  façon  claire,  le  conflit 
qui  existe,  dans  le  sein  de  la  classe  industrielle,  entre 
l'entrepreneur  et  l'ouvrier  privé  des  instruments  de 
travail. 

Bazard,    Exposilioii    de  la   dorArhie   de   Saint-Simon, 

Paris,  1830-31. 
(.\nonyme  ,     Economie    politique   et    Politique,    1831 

(Articles  de  différents  auteurs,  extraits  du  Globe)- 
Fr.  W.  Carové,  Der  SaiHt-Simonism,U!i.  Leipzig,  1831. 
K.  G.  Bretschneider,  Der  Saint-Simonismus,  1832. 
A.  J.  Booth,   Saint-Simon  and  Saint-Simonis)n.  Lon- 

don,  1871. 

Comme  Saint-Simon,  Charles  Fourier  (1772-1837) 
s'est  tenu  éloigné  de  toute  agitation  révolutionnaire. 
C'est  un  penseur  original,  un  écrivain  prolixe  et  in- 
correct, doué  de  beaucoup  de  talent  et  d'une  imagina- 
tion effrénée.  Fourier  se  rapproche  de  Owen  par  ses 
prémisses  psychologiques  et  par  sa  sympathie  pour  le 
travail  collectif  et  la  consommation  collective,  mais  il 
s'en  éloigne  en  ce  que,  sauf  la  garantie  du  minimum 
nécessaire  à  l'existence,  il  n'admet  pas  la  répartition 
selon  les   besoins  ;  il  est  même  plus  modéré  que  les 


526         LE    SOCIALISME    TiîÉOUIQUE    CONTEMPORAIN 

saint-simoniens  en  ce  qui  concerne  riiéritage  et  il 
attribue  3/ ["2  des  fruits  de  la  production  au  travail 
i)itellectuel,  5/12  au  travail  manuel  et  4/12  au  capital. 
Il  part  de  ce  principe  que  l'attraction  gouverne  le 
inonde  moral  comme  le  monde  physique,  et  il  est 
persuadé  que  l'harmonieuse  satisfaction  des  passions, 
dont  il  a  fait  une  classification  bizarre,  en  oubliant 
l'inertie^  aboutit  par  la  volonté  de  Dieu  au  plus  grand 
bonheur  du  genre  humain;  aussi  propose-t-il  que  le 
travail,  devenu  attrayant  par  la  combinaison  de  la 
division  des  occupations  avec  leur  changement  con- 
tinuel, se  fasse  en  commun  au  sein  d'associations  de 
propriétaires,  de  capitalistes  et  d'ouvriers  d'environ 
1,800  personnes,  formant  une  phalange  (divisée  en 
séries,  subdivisées  en  groupes),  habitant  une  maison 
appelée  phalanstère,  dirigées  par  des  chefs  (unarques) 
et  réunies  graduellement  en  une  vaste  fédération  mon- 
diale, gouvernée  par  un  magistrat  suprême  (omniarque) 
résidant  à  Constantinople.  Fourier  a  une  préférence 
marquée  pour  l'agriculture  (et  en  particulier  pour 
Tarboriculture  et  l'horticulture)  exercée  en  grand, 
et  il  pense  que  les  manufactures  perdront  de  leur 
importance  avec  la  disparition  du  luxe;  il  a  une  anti- 
pathie pour  le  commerce  et  pour  les  intermédiaires, 
qu'il  voudrait  supprimer  par  la  consommation  collec- 
tive, qui  est  préférable  à  la  consommation  domestique, 
parce  qu'elle  est  moins  exposée  au  gaspillage  des  pro- 
duits, 11  faut  noter  enfin  que  Fourier,  qui  n'a  pas  sur 
ce  point  les  préjugés  des  autres  socialistes,  se  montre 
plus  profond  qu'eux  parce  qu'il  cherche  à  réformer  les 
méthodes  de  production  au  lieu  des  méthodes  de  distri- 
bution, car  il  attribue  le  malaise  social  non  pas  à  l'iné- 
galité mais  à  Tinsuffisance  des  richesses. 

Ch.  Fourier,  Tliéor'n;  des  quatre  mouvements.  Leipzig" 
(Lyon),  1808.-2'  édit.,  1841.  —  Traité  de  l'asst/cia- 


LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN  52^ 

iion  domestique  et  agricole,  1822.  Deux  volumes. - 
2'  édit.,  1838.  --  Le  nouveau  monde  industriel  et 
sociétaire,  1829.-3^  édit.,  1848.  —  La  fausse  indus- 
trie. 1835-36.  Deux  volumes.  —  Œuvres  choisies 
(avec  une  bonne  Introduction  par  Cii.  Gide). 
Paris,  1890. 

Dans  l'école  de  Fourier,  qui  eut  ses  organes  spéciaux, 
comme  la  Phalange,  la  Revue  du  Mouvement  social, 
la  Rénovation,  etc.,  il  faut  signaler,  en  premier  lieu, 
Considérant,  puis  Madame  Galti  de  Gamond,  Muiron, 
Transon,  Hippolyte  Renaud,  Lechevalier,  auteur  d'ou- 
vrages volumineux,  Brisbane,  en  Amérique,  et  en 
partie  aussi  l'entrepreneur  philanthrope  Godin-Lemaire, 
le  fondateur  du  familistère  de  Guise. 

V.  Considérant.  Destinée  sociale.  Paris,  1836-38.  Deux 
V01.-2'  édit.,  1847-49. 

Pierre  Joseph  Proudhon  (né  à  Besançon  en  1809, 
mort  à  Passy  en  1865),  qui  a  commenté  dans  un  de  ses 
premiers  travaux  {Qu'est-ce  que  la  propriété  ?  1840)  la 
célèbre  phrase  «  la  propriété  c'est  le  vol  »  déjà  employée 
par  Brissot  de  Warville  (1780),  occupe  une  place  émi- 
nente  dans  l'histoire  du  socialisme.  Doué  d'un  esprit 
subtil  et  paradoxal,  orné,  comme  tous  les  autodidactes, 
de  connaissances  variées  mais  un  peu  superficielles,  il 
se  complaît  dans  la  recherche  des  contradictions  réelles 
et  apparentes  qu'il  trouve  dans  la  succession  des  phé- 
nomènes économiques,  et  il  en  tire  argument  pour  atta- 
quer les  chefs  des  diverses  écoles  d'économistes  et  de 
socialistes  dans  des  polémiques  violentes  et  peu  cour- 
toises, en  se  servant  de  la  dialectique  hégélienne,  qu'il 
a  étudiée  superficiellement  sur  le  conseil  du  socialiste 
Charles  Griin  (1617-1887). 

P.  J.  Proudhon,  Système  des  contradictions  écono- 
miques ou  Philosophie  de  la  misère.  Paris,  1846. 
Deux  volumes. 


558         LE    SOCIALISME    THÉORIQUE    CONTEMPORAIN 

Contrairement  à  sa  devise  ambitieuse  destruam  et 
aedifîcabo,  Proudhon  se  montre  aussi  expert  dans  la 
critique  du  communisme  et  du  socialisme  spéculatif 
(Saint-Simon,  Fourier),  mystique  (Leroux)  et  autori- 
taire (Blanc),  que  pauvre  et  même  intérieur  à  ses  adver- 
saires eux-mêmes  dans  ses  projets.  La  ban([ue  d'échange 
(appelée  plus  tard  banque  du  peuple),  à  la  différence  de 
celle  d'Owen  [labour  exchange  banh,  1832-34)  et  de 
celle  qui  fut  essayée  à  Marseille  par  Mazel  (1830-45),  de- 
vait non  seulement  faciliter  les  échanges  en  nature  mais 
émettre  aussi  des  «  bons  de  circulation  ».  Ces  bons  que 
les  associés  et  les  adhérents  de  la  banque  s'obligeaient 
à  recevoir  comme  de  l'argent,  permettaient  aux  porteurs 
de  disposer  des  produits  et  des  services  évalués  en 
heures  de  travail.  De  cette  façon  Proudhon  croyait  ar- 
river au  crédit  gratuit,  qu'il  a  défendu  dans  sa  célèbre 
polémique  avec  Bastiat  [Intérêt  et  principal,  1850)  sans 
s'apercevoir  que  ses  bons,  tout  à  fait  incapables  de  pro- 
curer le  crédit  gratuit,  s'ils  étaient  émis  en  escomptant 
les  titres  de  personnes  solvables,  se  convertiraient  en 
papier-monnaie  de  la  plus  mauvaise  espèce  s'ils  étaient 
émis  en  grand  nombre  et  sans  les  garanties  nécessaires. 
On  trouve  aussi  comme  déjà  chez  les  saint-simonicns  et 
chez  les  écrivains  anglais  cités  ci-des.sus),  bien  qu'en 
d'autres  termes,  dans  les  Contradictions  de  Proudhon 
la  théorie  de  la  plus-value  produite  par  l'ouvrier  au 
profit  de  l'entrepreneur,  qui  constitue  le  point  de  départ 
du  socialisme  scientifique,  fondé,  d'après  quelques-uns, 
par  Rodbertus  (Wagner,  Rudolph  Meyer,  Adler,  etc) 
et,  selon  d'autres,  par  Marx  (Engels),  qui  s'en  disputent 
à  tort  la  paternité. 

Beaucoup  plus  ingénieuse  et  originale  est  la  tentative 
de  Proudhon,  bien  qu'elle  soit  irréalisable,  de  concilier 
l'antinomie  entre  la  liberté  et  l'égalité  par  l'anarchie, 
qui,    selon  lui,  n'est  pas  le   désordre,    mais  la  véri- 


LE   SOCIALISME    THÉORIQUE  CONTEMPORAIN  52& 

table  liberté  (égalité  des  conditions),  que  violent  tous 
les  gouvernements,  et  fort  inutilement  parce  que  la 
justice,  comme  la  vérité  scientifique,  n'a  pas  besoin  de 
la  sanction  de  la  force.  Ennemi  de  la  propriété  privée 
(exploitation  du  laible  par  le  fort  ,  il  voudrait  la  rem- 
placer, non  pas  par  la  propriété  commune  (exploitation 
du  fort  parle  faible),  mais  par  la  possession  (mal  définie) 
des  instruments  de  production  et  par  la  garantie^  don- 
née à  l'ouvrier,  du  produit  intégral  de  son  travail,  tout 
en  maintenant  léconomie  individuelle,  la  concurrence  et 
même  l'héritage ,  l^ien  qu'il  le  réduise  à  une  très  faible 
part.  La  meilleure  critique  de  l'utopie  de  Proudhon,  fon- 
dée sur  l'individualisme  le  plus  effréné,  est  dans  les 
interprétations  très  diverses  de  l'anarchie  données  par 
les  nihilistes  russes  (Bakunin,  Krapotkine)  et  par  les  so- 
cialistes révolutionnaires,  comme  Fieclus,Most  et  quel- 
ques autres,  et  même  dans  ce  fait  que  Proudhon  lui- 
même  le  remplaça  plus  tard  par  le  fédéralisme. 

P.  J.  Proudhon,  Œuvres  coniplcl^s.  Paris,  1873-86. 
Trente-sept  volumes.  —  Ccnespondcmct;  (1832- 
65j.  Paris,  1874-75.  Quatorze  volumes. 

Cfr.  Fr.  Hack,  P.J.  Proudhon.  (In  Zeitschr.fùr  die  ges. 
Slaatsiclss.,  27'  année,  1871,  pp.  363-386).  —  A. 
Sainte-Beuve,  P.  J.  Proudhon,  sa  vie,  sa  corres- 
pondance, 1875.  —  St.  Ganz  zu  Putlilz,  P.J.  Prou- 
dhon. Berlin,  i881.  —  G.  Adler,  v°  Anarchismus, 
in  Conrad  et  Lexis,  Handwurterhuch  der  Staais- 
tvissenschoften.  Vol.  I.  Jena,  1889,  pp.  252-270.  — 
K.  Diehi,  P.  J.  Proudhon.  Seine  Lehre  und  sein 
Leben.  Jena,  1888-1890.—  A.  Mulberger,  6Vu</<m 
ûher  Proudhon,  1891. 

Louis  Blanc  (1813-1882),  journaliste  radical,  disciple 
du  communiste  Buonarotti,  éminent  historien  et  très 
médiocre  économiste,  a  publié  dans  la  Revue  du  Pro- 
grès (1839)  la  première  esquisse  de  sa  célèbre  Orga- 
nisation du  travail  (1841),  à  laquelle  il  a  ajouté  quatre 

34 


530  LE    SOCIALISME   THÉORIQUE  CONTEMPORAIN 

chapitres  dans  la  neuvième  édition  (1850).  L.  Blanc  est 
un  socialiste  autoritaire  qui  accepte,  avec  le  droit  à 
la  vie,  quelques  unes  des  théories  des  communistes, 
sans  se  détacher  du  socialisme  «  par  groupes  »,  et  en 
demandant  même,  comme  président  de  la  commission 
du  Luxembourg,  le  droit  au  travail,  qu'il  a  défendu 
contre  Thiers  (Le  Socialisme.  Droit  au  travaii,  1848;. 
Persuadé  que  la  concurrence  engendre  le  monopole 
et  la  misère,  et  se  résout  dans  l'anarchie,  il  fait  appel  à 
l'initiative  de  l'État  pour  organiser  le  travail  sur  la  base 
des  principes  de  la  solidarité  et  de  la  fraternité.  Sans 
porter  atteinte  à  la  propriété  privée,  l'Etat  devrait,  par 
ses  puissants  moyens,  créer  des  «  ateliers  sociaux  »,  qui 
se  substitueraient  petit  à  petit  aux  entreprises  ordi- 
naires; gouvernés  d'abord  par  des  fonctionnaires,  ils 
seraient  ensuite  cédés  à  des  associations  ouvrières  et  se 
con.stitueraient  en  fédération  sous  une  autorité  centrale. 
L'État  ferait  l'avance  à  ces  associés,  unis  entre  eux 
par  une  assurance  mutuelle,  du  capital  nécessaire  dont 
il  prescrirait  l'amortissement  graduel  ;  il  se  réserve- 
rait également  une  grande  latitude  au  sujet  de  l'em- 
ploi des  profits.  Les  ateliers  seraient  accessibles  aussi 
aux  capitalistes,  qui  recevraient  un  intérêt  fixe  en 
dehors  de  la  rétribution  pour  le  travail  commun,  qui 
devrait  être  proportionnelle  aux  besoins  de  chacun 
dans  la  mesure  (;ompatible  avec  les  moyens  disponibles, 
car  c'est  en  cela  que  consiste  l'équité.  D'après  Louis 
Blanc,  ce  .système  ne  s'éloignerait  pas  beaucoup  de  la 
répartition  des  produits  d'après  les  prestations,  car  ile.st 
à  présumer  que  les  ouvriers  les  plus  intelligents  et  les 
plus  actifs  ont  des  besoins  plus  grands  et  plus  raffinés! 

L.  Blanc,  Questions  iV aujourd'hui  et  de  demain.  Vol.  IV 

et  V.  Paris,  1873-1884. 
Cfr.  Ch.  Robin,  L.  Blanc,  sa  vie  et  ses  œuvres,  1851. 
Hipp.  Castille,  L.  Blanc,  1858. 


LE    SOCIALISME  THÉORIQUE  CONTEMPORAIN  531 

Ferdinand  Lassalle  (1825-1864),  malgré  son  puissant 
génie,  sa  profonde  culture  philosophique  et  juridique 
et  une  connaissance  plus  que  suffisante  de  Téconomie 
poHtique,  n'occupe  pas  parmi  les  théoriciens  socialistes 
une  place  égale  à  celle  qu'il  occupe  dans  l'histoire  du 
socialisme  militant.  Aristocrate  par  nature,  démagogue 
par  ambition,  et  très  habile  connaisseur  des  passions 
populaires^  Lassalle,  quelque  peu  incertain  et  exagéré 
dans  ses  aspirations  définitives  autant  que  modéré  et 
précis  par  opportunisme  et  prudent  dans  ses  revendica- 
tions présentes,  de  plus,  écrivain  brillant  et  orateur 
éloquent,  doué  de  sympathiques  qualités  personnelles, 
possédait  la  vertu  et  les  vices  indispensables  pour 
créer  et  diriger  une  formidable  agitation  révolution- 
naire. Au  point  de  vue  théorique,  ses  doctrines  n'ont 
aucune  originalité,  parce  qu'il  s'approprie  les  prémisses 
de  Rodbertus  et  de  Marx  et  qu'il  reproduit,  avec  des 
variations  sans  importance,  les  propositions  de  Louis 
Blanc.  Pour  émanciper  les  ouvriers  allemands  de  la  loi 
d'airain  des  salaires  (attribuée  à  Ricardo)  et  pour  leur 
garantir  le  produit  intégral  du  travail,  confisqué  par  l'en- 
trepreneur capitaliste,  Lassalle  conseille  aux  ouvriers 
de  constituer  un  parti  solide,  qui,  après  avoir  conquis, 
par  le  suffrage  universel  direct,  une  forte  prépondérance 
politique,  fera  décréter  par  le  gouvernement  je  prêt 
gratuit  d'une  centaine  de  millions  de  thalers  à  de 
nombreuses  sociétés  coopératives  ouvrières,  constituées 
en  fédération,  qui,  en  possession  des  instruments  de 
production,  remplaceront  graduellement  les  entre- 
prises actuelles.  Ce  qu'il  y  a  de  caractéristique  dans  les 
écrits  de  Lassalle,  c'est  la  guerre  sans  merci  qu'il  a 
faite  à  Schulze-Delitsch.  Lassalle  l'attaque  dans  une 
polémique  injurieuse  et  triviale,  et  l'accable  de  son  éru- 
dition, qui  n'est  pas,  comme  il  l'affirme  avec  orgueil, 
toute  la  science  du  dix-neuvième  siècle,  mais  qui  est 


532  LE   SOCIALISME  THÉORIQUE   CONTEMPORAIN 

eependant  de  beaucoup  supérieure  aux  moyens  intel- 
lectuels dont  pouvait  disposer  son  adversaire. 

Ferd.  Lassalle,  Systo»  der  envorbenen  Rechte,  1861.- 
2"  édit.,  1880. —  0/f'enes  Antwortsclireiben,  etc., 
1863.  —  Die  indirekte  Sieuer  und  die  Loge  der  arbei- 
ienden  Klassen,  1863.  —  lierr  Basliat-Schnlze  von 
Deliizsch,  der  ôkonomische  Ju'ian,oder  Kapilal  und, 
Arbeil,  1864;  trad.  franc,  par  B.  Malon,  1880. 

Cfr.  E.  von  Plener,  Ferdinand  Lassalle.  Leipzig,  1884. 
—  W.  H.  Dawson,  German  socialism  ani  Ferd. 
Lassalle.  London,  1888-2^  édit.,  1891.—  G.  Brandes, 
Ferd. Lassalle,  Berlm,  1865.-2«  édit.,  Leipzig,  1889. 


§    3.    —    LE    COLLECTIVISME 

On  appelle,  d'un  mot  fort  employé  par  les  français, 
sollectivistes  les  théoriciens  socialistes  qui.  tout  en 
demandant  la  propriété  publique  des  instruments  de 
production  et  l'organisation  collective  du  travail,  ad- 
mettent la  propriété  privée  des  objets  de  consommation 
et  même  leur  transmission  héréditaire.  Mais  le  collec- 
tivisme intégral  (industriel)  ne  doit  pas  être  confondu 
avec  le  collectivisme  purement  partiel  (territorial}. 

E.  Jâger,  Der  moderne  Sozialismus.  Berlin,  1873. 

A.  E.  Fr.  QGhâ.ïi\e.,  Die  Quiniessenz  des  Socialimus,  1815. 

(traduit  en  italien  et  en  français), -13^  édit.,  1891. 
P.  Leroy-Beaulieu,  Le  collectivisme,  examen  critique 

du  nouveau  socialisme,  1884.-3^  édit.,  1893. 
M.  Block,  Le  socialisme  moderne,  1891. 
J.  Bourdeau,  Le  socialisme  allemand  et  le  nihilisme 

russe,  1892. 

Le  collectivisme  de  la  terre  qui  a  (dans  Paine  et 
mieux  dans  Ogilvie)  des  précurseurs  au  siècle  passé,  a 
trouvé,  en  dehors  de  Stuart  Mill  et  de  George,  dont 
.nous  avons  déjà  parlé,  de  nombreux  adhérents,  même 


LE    SOCIALISME    THÉORIQUE   CONTEMPORAIN  533 

chez  les  économistes  et  jusque  chez  quelques  écono- 
mistes de  l'école  classique  (James  Mill)  et  chez  d'autres 
enfin  qui  (comme  Walras)  ont  bien  peu  de  sympathie 
pour  le  socialisme.  Ces  écrivains  insistent  particuliè- 
rement sur  cette  idée,  qu'il  n'y  a  pas  pour  la  propriété 
privée  du  sol  toutes  les  raisons  économiques  et  juri- 
diques qui  militent  en  faveur  de  celle  du  capital  mobi- 
lier. Parmi  les  plus  modérés,  quelques  uns  demandent 
l'incorporation  du  crédit  hypothécaire  (Schaffle,  Stolp, 
Ruhland)  ;  d'autres  la  propriété  commune  de  la  terre 
mise  en  culture  Samter);  d'autres,  au  contraire,  celle 
des  maisons.  Beaucoup  de  collectivistes  pensent  que  la 
propriété  commune  doit  être  accompagnée  de  la  culture 
pour  le  compte  de  l'Etat;  un  petit  nombre,  au  contraire., 
voudrait  que  la  propriété  soit  commune  et  l'usage 
individuel  (Wallacci  par  la  location  des  terres,  en 
petits  lots,  aux  plus  offrants.  Il  y  a  des  divergences 
d'opinion  en(;ore  plus  importantes  sur  les  modes  de 
prise  de  possession  ;  les  uns  font  appel  à  la  confiscation 
(George),  d'autres  à  une  expropriation  avec  indemnité 
(Fliir.scheim;  soit  pour  tout  le  fonds,  soit  pour  toute  la 
rente,  soit  uniquement  pour  la  rente  future  Cunearned 


W.  Ogilvie,  An  essay  on  ihe  right  on  properly  in  land. 

1872.  Réimprimé  (sous  le  titre  :  Birlright  in  land\ 

par  D.  C.  Macdonald.  London,  1891. 
Herbert  Spencer,  Social  staiics.  1851. 
A.  E.  Fr.  Schaffle,  Inkorporaiion  des  Hypothekencredita. 

TQbingen,  1883. 
Ad.  Samiev,  Bas  Eigenfhum  in  seiner  sociale  Bedeu- 

tumj,  1878. 
A.  Russe!  Wallace,  Land  nalionalisalion ,  ils  necessiiy 

and  ils  nims,  1882.  (Nouvelle  édition,  1892.) 
S.  W.  Thackeray,    The    land    and    Ihe    community^ 

1889. 
M.  Fiiirscheim,  Der  emzige  Heliungsiceg,  1891. 


534  LE  SOCIALISME  THÉORIQUE  CONTEMPORAIN 

Hertzka,Z)ie  Gesetze  der  socialen  Entwicklung,  1886. 
W.  H.  Da\vson,  The  unearned  incrément,  1890, 
H.  Cox,  Land  nalionalisation,  1892. 
G.  Ricca-Salerno,  La  nazionalizzazione  délia  terra  (in 
Nuova  Antologia,  l'=''  décembre  1893). 

Le  collectivisme  intégral  est  la  formule  du  socialisme 
actuellement  dominant,  représenté  notamment  par 
AVinkelblech  et  Rodbertus  (complètement  étrangers  à 
toute  agitation  de  parti)  et  par  Marx,  Charles  Georges 
Winkelblech  (1810-1865),  professeur  de  chimie  et  de 
technologie,  a  publié,  sous  le  pseudonyme  de  Mario,  un 
savant  ouvrage  historico-critique  (demeuré  inachevé) 
sur  les  institutions  et  sur  les  théories  économiques,  qui 
devait  comprendre  aussi  un  plan  de  réforme  de  l'orga- 
nisation sociale  actuelle,  contraire,  selon  lui,  aux  prin- 
cipes du  droit  comme  à  l'intérêt  bien  entendu  des 
classes  productrices.  Bien  qu'il  ait  été  cité  par  Rau  et 
par  Roscher,  le  livre  de  Winkelblech  n'a  exercé  aucune 
influence  sur  ses  contemporains  jusqu'à  ce  que  l'apo- 
logie, un  peu  exagérée,  qu'en  a  faite  Schâffle  en  1870, 
en  fit  faire  une  réimpression  qui  appela  sur  cette  œuvre 
l'attention  de  quelques  spécialistes.  D'après  les  idées 
de  l'auteur,  à  la  domination  de  la  force  (monopolisme), 
antérieure  à  la  Révolution  française,  a  succédé  le  libé- 
ralisme, actuellement  dominant,  combattu  par  le  com- 
munisme, systèmes  opposés  et  excessifs  qu'il  voulait 
concilier.  Le  libéralisme,  infatué  de  l'idée  purement 
négative  de  la  concurrence  illimitée,  est  un  système 
atomiste  qui,  après  avoir  détruit  les  anciens  privilèges, 
a  engendré  la  ploutocratie,  c'est-à-dire  le  monopole 
des  grands  capitaux,  aussi  pernicieuse  aux  petits  entre- 
preneurs qu'aux  ouvriers  salariés.  A  son  tour  le  com- 
munisme, idolâtre  de  la  prétendue  égalité  de  fait,  est 
un  système  mécanique  qui,  par  la  distribution  des  pro- 
duits en  raison  des  besoins,  conduit  au  pire  des  mono- 


LE    SOCIALISME    THÉORIQUE  CONTEMPORAIN  535 

pôles,  à  celui  de  l'indolence.  L'unique  combinaison 
rationnelle  de  la  véritable  liberté  avec  la  véritable  éga- 
lité se  trouve  dans  le  système  que  l'auteur  appelle 
fédéral  (sans  aucun  rapport  avec  le  sens  politique 
de  ce  mot)  et  qui  se  résoud  dans  le  collectivisme 
absolu,  par  l'intermédiaire  des  sociétés  ouvrières,  or- 
ganisées par  l'Etat,  dans  lesquelles,  après  un  retranche- 
ment préalable  d'un  minimum  nécessaire  pour  garantir 
à  tous  l'existence,  le  produit  du  travail  commun  se  par- 
tage en  raison  des  prestations  de  chacun.  Il  faut  signaler 
dans  la  théorie  de  Winkelblech  la  complète  intelligence 
des  difficultés  que  toutes  les  formes  de  socialisme  ren- 
contrent dans  l'insuffisance  de  la  production,  dans 
l'excès  de  la  consommation  et  dans  le  stimulant  à 
l'augmentation  indéfinie  de  la  population,  mais  en 
même  temps  la  confiance  exagérée  dans  les  remèdes 
qu'il  propose  :  obligation  universelle  au  travail  et  lois 
restrictives  du  luxe  et  des  mariages. 

K.  Mario,  Untersuchungen  ûber  die  Organisation  dcr 
Arbeit  oder  der  System  der  Weliôkonomie.  Kassel. 
1850-59.-2«  édit.,  Tubingen,  1884-83.    4  volumes. 

Inexactement  interprêté  par  Dûhring  et  par  Eisenhart, 
combattu  par  Held,  trop  peu  estimé  par  Roscher,  porté 
aux  nues  par  Rudolph  Meyer  (et  par  d'autres  conserva- 
teurs sociaux)  et  surtout  par  Wagner  (et  par  d'autres 
socialistes  d'État),  Charles  Rodbertus  (1805-lb75),  dit 
Jagetzovv,  du  nom  d'une  de  ses  propriétés,  député  pen- 
dant quelques  années  et  pendant  quelques  jours  mi- 
nistre, a  été  un  socialiste  conservateur  au  point  de  vue 
politique  qui,  malgré  les  pressantes  instances  de  Las- 
.salle,  s'est  tenu  complètement  étranger  aux  agitations 
de  la  démocratie  sociale.  Dans  une  série  de  monogra- 
phies, remarquables  par  des  recherches  ingénieuses  et 
inédites,  notamment  sur  les   institutions  économiques 


53G  LE  SOCIALISME  THÉORIQUE  CONTEMPORAIN 

de  Rome,  mais  défectueuses  par  la  mauvaise  exposition, 
Rodbertus  a  tracé,  à  différentes  reprises,  une  philoso- 
phie de  l'histoire  économique   d'où  il  a  déduit  un  plan 
de  réformes  sociales  déjà  esquissé  dans  ses  traits  fonda- 
mentaux dans  un  ouvrage  {Die  Forderungen  dev  ar- 
beitenden  Klasse)  excellemment  analysé  par  Dietzel, 
qui  remonte   à   1837.  Il  est  extrêment   difficile  de   se 
retrouver  dans  le  labyrinthe  des  propositions  de  Rod- 
bertus, parce  qu'il  ne  sépare  pas  nettement  celles   qui 
appartiennent    au  collectivisme  absolu,   idéal  qui    ne 
pourra  d'après  lui   être  réalisé  que  dans  cinq  ou  six 
siècles,  de  celles  qui  pourraient  être  acceptées  et  appli- 
quées graduellement    par    des   mesures    immédiates. 
Parmi  les  réformes  proposées  par  R,odbertus,il  faut  dis- 
tinguer les  réformes  partielles    sur  le   crédit    foncier, 
(qu'il  veut  transformer  de  fond  en  comble  en  remplaçant 
par    le   payement  d'une  rente  perpétuelle  l'obligation 
de  rembourser    le    capital  ,  des  autres  réformes   plus 
générales  sur  l'organisme  de  la  production  et  la  condi- 
tion de  la  classe  ouvrière.    Ennemi  déclaré  de  l'indivi- 
dualisme, et  s'inspirant  de  la  théorie  organique  de  l'État 
de  Hegel  et  de  Schelling,  Rodbertus  confie  à  l'autorité 
publique  la  réalisation  des  réformes  économiques  qui 
doivent  être  conformes  à  l'intérêt  collectif,  parce  que, 
pour  lui,  l'individu  n'est  qu'un  organe  du  grand  corps 
social.  La  transition  loyale  à  un  système  qui  fera  cesser 
l'action  inexorable  de  la  loi  économique  par  laquelle, 
étant  donné  la  libre  concurrence,  la  part  proportionnelle 
de    produit  distribuée  aux  ouvriers  diminue  à  mesure 
que  le  meilleur  emploi  de  leur  travail    en   augmente 
la  productivité,   pourrait  être  effectuée  par  Tinterven- 
tion  de  l'État.  Celui-ci  devrait  établir  au  j^ro  rata  du  pro- 
duit total  de  l'industrie   la  part  à  assigner  aux  travail- 
leurs et  il  devrait  en  outre  fixer  la  durée  de  la  journée 
normale  de  travail  dans  chaque  industrie  et  la  quantité 


LE  SOCIALISME  THÉORIQUE  CONTEMPORAIN  537 

normale  de  produit  qui  correspond  à  chaque  journée. 
Sur  cette  base  il  fixerait  un  tarif,  continuellement 
variable,  du  prix  du  salaire  et  des  services  productifs 
et  remplacerait  petit  à  petit  la  monnaie  métallique  par 
des  bons  indiquant  les  journées  de  travail  et  émis  sous 
forme  de  prêt  aux  entrepreneurs,  qui  paieraient  avec 
eux  leurs  ouvriers,  et  avec  lesquels  ils  pourraient  pren- 
dre dans  les  entrepôts  gouvernementaux  la  quantité 
de  produits  dont  ils  auraient  besoin  en  raison  du  tra- 
vail utile  qu'ils  auraient  fourni. 

De  cette  façon  Rodbertus,  malgré  le  grand  appareil 
de  sa  philosophie  et  de  son  érudition,  partant  de  l'hy- 
pothèse d'une  loi  de  décroissance  progressive  du  salaire 
proportionnel,  aussi  fausse  que  celle  de  son  augmenta- 
tion fatale,  soutenue  par  Carey  et  par  Bastiat,  conclut 
par  des  propositions  très  analogues  à  celles  de  Owen  et 
de  Proudhon,  mais  plus  compliquées.  C'est  en  somme 
un  système  tyrannique  et  inefficace  de  taxation  offi- 
cielle des  prix  et  des  salaires,  qui  produirait  des  effets 
semblables  à  ceux  qu'on  a  obtenus  par  les  assignats  et 
le  maximum  sous  la  Révolution  française.  Aussi  trou- 
vons-nous excessif  l'enthousiasme  de  Wagner,  qui  a 
proclamé  Rodbertus  le  Ricardo  du  socialisme  ! 

Rodbertus,  Zur  Erkenntniss  unserer  siaatswirtltschoft- 
liclien  Zustdnde.  !«'  fascicule.  Neubrandenburg, 
1844.  —  Sociale  Briefe  an  V.  Kirchmann.  I-III. 
Berlin,  1850-51.  —  La  seconde  et  la  troisième 
lettre  réimprimées  sous  le  titre:  Zur  Beleuchiimg 
der  socialen  Frage,  1875.  —  Zur  Erklarung  und 
Abhùlfe  der  heuUgen  Krediinoihdes  Grundhesiizes. 
Jena,  1868-69.-2'  édit.,  1876.  —  Der  normale  Ar- 
beilsiag  (extrait  de  la  Berliner  Revue).  Berlin, 
1871.  Réimprimé  dans  la  Zeilschrift  fur  die  ges. 
Staalnirissencliaften.  34«  année,  1878,  pp.  322-367. 
— Briefe  undsozialpolitischeAufsàtze.BerWn,  1882. 
—  Das  Kapital.  Vierter  sociale  Brief  an  v.  Kirch- 
mann, 1884. 


538  LE  SOCIALISME  THÉORIQUE  CONTEMPORAIN 

Cfr.  Ad.  Wagner,  Einigcs  von  und  ïiber  Rodbertus 
(in  Zeilschrifl  f.  die  (/es.  Slaatswiss.  1878,  pp.  119- 
236.  —  Th.  Kozak,  liodhertus  Jagetzow's  socialpo- 
litische  Ansichien.  Jena,  1882.  —  G.  Adler,  Rodber- 
tus der  Berjrùnder  des  ivissenschafilichen  Soziali- 
mus.  Leipzig,  1884.  —  A.  Menger,  Das  Rechl  auf 
den  vollen  Arbeitserirag .  Edition  de  1886,  pp.  79- 
96.  —  H.  Dietzel,  Karl  Rodbertus.  Partie  I  et  II. 
Jena,  1886-88.  —  W.  H.  Dawson,  German  socia- 
lism,  etc.,London,  1891,  pp.  61-90. 

Karl  Marx  est  né  à  Trêves  en  i  818  ;  il  a  vécu  en  exil 
à  Paris,  puic  à  Bruxelles  et  finalement,  pendant  de  très 
longues  années,  à  Londres,  où  il  est  mort  en  1883  ;  il 
unit  au  plus  haut  degré  les  qualités  du  savant  et  celles 
du  sectaire. 

Doué  d'un  esprit  puissant,  connaissant  à  lond  l'an- 
cienne littérature  économique  et  en  particulier  la  litté- 
rature économique  anglaise,  armé  d'une  dialectique 
subtile  et  souvent  sophistique,  écrivain  toujours  obscur 
et  parfois  inintelligible,  il  a  étudié  d'ordinaire  les  pro- 
blèmes abstrus  de  la  science  pure  en  les  accompagnant 
de  citations  tirées  habilement  des  documents  officiels, 
qui  constituent  pour  ses  aveugles  adhérents  les  preuves 
irréfutables  de  ses  arJDitraircs  constructions  historiques 
et  de  ses  affirmations  doctrinales.  Faisant  abstraction 
de  toute  idée  religieuse  et  de  toute  considération  juri- 
dique, Marx  prétend  démontrer  que  l'évolution  écono- 
mique conduit  inévitablement  au  collectivisme,  sans 
qu'il  soit  besoin  des  moyens  révolutionnaires,  pour 
lesquels  il  se  dépensait  avec  tant  d'énergie  comme  agi- 
tateur populaire.  Sans  parler  de  quelques  écrits  de 
moindre  importance,  les  idées  économiques  de  Marx 
(empruntées  en  partie  aux  socialistes  anglais  déjà  cités 
et  en  partie  aussi  à  Proudhon)  se  trouvent  déjà  esquissées 
dans  une  polémique  acrimonieuse  contre  Proudhon 
(l8'i7),  et  elles  ont  été  plus  complètement  exposées  dans 


LE  SOCIALISME    THÉORIQUE  CONTEMPORAIN  539 

son  œuvre  principale,  dont  il  avait  déjà  publié,  sous 
une  autre  forme  et  avec  d'abondantes  notes  bibliogra- 
phiques, les  premiers  chapitres  en  1859. 

K.  Marx,  Misère  de  la  philosophie .  Réponse  à  la  Philo- 
sophie de  la  misère  de  M.  Proudhon.  Bruxelles, 
1847.  Réimprimé  en  1897.  Trad.  allemande  de 
Bernstein  et  Kautsky,  1885.  —  Zur  Rriiik  derpo- 
litischen  Oekonomie.  i'"'^  fascicule.  Berlin,  1859. 
—  Das  Kapital.  l^^"  vol.  Productions-process  des 
Kapiials.  Hamburg,  1867.  (4«  édit.  de  F.  Engels, 
1890);  Trad.  franc,  par  Roy.  -  2"  vol.  Circulaiions- 
process  des  Kapitals,  1885. 

Cfr.  G.  Gross,  Karl  Marx.  Leipzig,  1885.—  G.  Adler,  Die 
Grundlogen  der  Karl  Marxschcn  Kritik  der  be- 
slehenden  Volksivirthschaft.'îuh'nngen,  1887. — G.  A. 
Verrijn-SLuarC,  iî«carc/oen  il/arx,  1890.  (On  trouve 
un  bon  résumé  de  la  doctrine  de  Marx  dans  le  vo- 
lume déjà  cité  deCathrein,  Der  Sozialiinns.^"  éd\i. 
1892,  pp.  12-29.  Trad.  franc,  par  Olivier  Feron, 
S.J.,  1891.) 

Le  fondement  du  système  de  Marx,  c'est  la  philo.so- 
phie  matérialiste  et  purement  économique  de  l'histoire, 
avec  laquelle  il  explique  toutes  les  révolutions  poli- 
tiques en  les  ramenant  aux  incessants  changements 
dans  le  processus  de  la  production  et  de  la  circulation, 
dont  dépendent  à  leur  tour  les  transformations  corres- 
pondantes dans  les  systèmes  de  distribution  de  la  ri- 
chesse. Pour  connaître  la  loi  d'évolution  de  la  produc- 
tion et  de  la  vente,  il  faut  remonter  à  la  théorie  de  la 
valeur  et  à  celle  de  la  plus-value  (Mehrwerth)  qui  ré- 
vèle le  processus  de  formation  et  d'accumulation  du 
capital. 

La  théorie  de  la  valeur  de  Marx  (combattue  à  diffé- 
rents points  de  vue  par  Strassburger,  Knies,  Bohm- 
Bawerk,  Adler,  etc)  est,  comme  l'a  démontré  Verrijn- 
Stuart  bien  différente  de  celle  de  Kicardo  ;  elle  vient  de 


540  LE  SOCIALISME  THÉORIQUE   CONTEMPORAIN 

cette  proposition  de  Smith  que  la  cause  unique,  bien  plus, 
la  mesure,  de  la  valeur  de  tous  les  produits  est  la  quan- 
tité de  travail  nécessaire  pour  l'obtenir,  et  par  consé- 
quent, d'après  Marx,  le  travail  est  la  substance  qui  forme 
la  valeur  en  s'incorporant  d'une  certaine  manière  dans 
le  produit.  Or  l'entrepreneur  capitaliste,  en  achetant  à 
l'ouvrier,  privé  des  instruments  de  travail,  non  pas  le 
produit  mais  sa  force  de  travail  [Arbeitskraft),  se  trouve 
dans  la  possibilité  d'obtenir  des  prestations  supérieures 
à  celles  qui  sont  nécessaires  pour  produire  les  objets 
indispensables  à  la  vie  de  l'ouvrier,  et  de  cette  façon  il 
obtient  un  profit  et  réalise  une  Plusmacherei  impossible 
dans  les  échanges  ordinaires,  qui  ont  pour  base  la  di- 
versité d'espèce  et  l'idendité  do  valeur  des  produits 
échangés.  La  plus-value  empochée  par  l'entrepreneur 
constitue  le  capital,  qui  lui  fournit  le  moyen  de  nou- 
velles accumulations  qui,  parla  concurrence  des  entre- 
preneurs, amènent  la  concentration  de  la  production 
dans  un  nombre  rapidement  décroissant  de  grandes 
fabriques  qui,  grâce  à  la  division  du  travail  et  aux  ma- 
chines engendrent  le  prolétariat,  l'augmentation  de  la 
misère  et  la  formation  d'une  armée  de  réserve  d^ou- 
vriers  sans  travail,  qui  déprime  toujours  davantage 
le  salaire  des  autres  et  contribue  à  rendre  inévitables 
les  crises  qui  frappent  continuellement  1  industrie.  Mais 
le  progrès  de  la  production  capitaliste  porte  en  lui-même 
le  germe  de  sa  destruction.  Il  arrivera  nécessairement 
un  moment  où  les  masses  ouvrières,  formellement  libres 
mais  en  réalité  sous  l'oppression  de  la  misère,  briseront 
leurs  chaînes  et  exproprieront  à  leur  tour  les  expro- 
priateurs.  Alors,  la  production  se  fera  par  des  corpora- 
tions de  travailleurs,  constituant  un  état  organisé  dé- 
mocratiquement, et  le  produit  sera  en  partie  converti 
en  capital  et  en  partie  distribué  aux  ouvriers,  comme 
une  propriété   dont  ils   pourront  disposer   librement. 


il 


LE    SOCIALISME    THÉORIQUE   CONTEMPORAIN  541 

Dans  la  période  qui  suivra  iminédiatement  la  révolution, 
qui  émancipera  le  travail  de  la  tyrannie  du  capital,  la 
répartition  des  produits  se  fera  en  proportion  des  pres- 
tations individuelles,  évaluées  d'après  la  durée  du  tra- 
vail nécessaire  pour  l'aire  chaque  unité  de  produit.  Il 
reste  donc,  d'une  manière  transitoire,  malgré  Taboli- 
tion  de  toute  différence  de  classe  une  distribution 
inégale  des  biens.  Dans  une  période  ultérieure  et  défi- 
nitive, le  travail  ayant  cessé  d'être  une  peine  et  étant  de- 
venu une  nécessité,  toute  différence  entre  le  travail  intel- 
lectuel et  le  travail  musculaire  cessera  et  on  pourra  faire 
la  distribution  des  produits  conformément  à  la  justice 
absolue,  qui  demande  que  le  travail  soit  déterminé  par 
les  aptitudes  et  la  jouissance  proportionnée  aux  besoins. 
Comme  révolutionnaire  Marx  était  très  différent  de 
Lassalle.  Froid,  cynique,  inaccessible  au  sentiment  de 
l'amour  de  la  patrie,  plein  de  mépris  pour  un  grand 
nombre  de  ses  partisans,  il  commença  sa  carrière  en 
rédigeant  avec  Frédéric  Engels  le  fameux  programme 
du  parti  communiste.  11  fonda  en  1864  l'As.sociation 
internationale  des  travailleurs,  dont  il  fut  pendant  long- 
temps l'âme,  et  qui  survécut  de  fait  sinon  de  nom  à  la 
scission  provoquée  en  1872  par  le  nihiliste  anarchiste 
lîakunin.  La  Démocratie  sociale  moderne  allemande, 
dépassant  les  idées  relativement  modérées  des  partisans 
de  Lassalle,  accepta  au  Congrès  de  Gotha  (1875)  et 
encore  plus  explicitement  à  celui  d'Erfurt  (1891)  les 
théories  du  collectivisme  absolu,  qui  sont  maintenant 
les  plus  généralement  acceptées  en  Allemagne  (Engels, 
Liebknecht,  Bebel),  en  Belgique  (De  Pœpej,  dans  les 
Pays-Bas  (Nieuwenhuis),  en  France  (Guesde,  Lafargue 
et  avec  quelques  divergences  Malon),  en  Angleterre  et 
en  Amérique  (Hyndmann  et  Gronlund). 

Fr.  Engels,  Die  Enlwickelung  des  Sozialimus  von  der 
Utopie  zur  Wissenschaft,  1883  (S^  édit.). 


542  LE  SOCIALISME  THÉORIQUE  CONTEMPORAIN 

Liebknecht,   Was  die  Sozialdemokralen  swd  und  sein 

ivolien,  1891. 
A.  Bebel,  Unsere Ziele,  1875  (5^  édit.)  —  Die  Frau,  etc. 

1892  (14«  édit.)  trad.  ital.  ;  1892.  Trad.  franc,  par 

Rave,  1871. 
H.  M.  Hyndmann,  The  historical  basis  of  socialism  in 

England,  1883. 
L.  Gronlund,  The  coopérative  commonwealih.  4''  édit., 

1892. 
B.Malon,Ze  socialisme  intégral.2^  édit.  1892.  Deux  vol. 

—  Précis  historique  et  critique  du  socialisme,  1892. 

Il  n'y  a  pas  en  Italie^  malgré  les  agitations  d'un 
parti  dont  l'activité  se  manifeste  aussi  dans  la  presse 
périodique,  de  défenseurs  vraiment  compétents  du  so- 
cialisme théorique.  Il  y  a  cependant  des  littérateurs  et 
des  journalistes,  qui  font  des  conférences,  traduisent 
(souvent  du  français)  des  opuscules  et  des  articles  des 
socialistes  allemands,  et  qui  attaquent  vigoureusement 
les  représentants  des  pouvoirs  constitués  en  même  temps 
qu'ils  délivrent  des  diplômes  d'hommes  célèbres  à  leurs 
amis  personnels,  qui  militent  dans  les  rangs  du  radi- 
calisme politique,  ou  dans  les  rangs  encore  plus  hété- 
rogènes des  économistes  du  passé  et  des  crimina- 
listes  de  l'avenir. 

Il  faut  louer  Nitti  d'avoir  commencé  par  un  volume 
érudit  et  intéressant  une  critique  détaillée  des  diffé- 
rentes formes  du  socialisme. 

Franc.  S.  Nitti,  Il  socialismo  cattolico.  2®  édit.  Torino, 

1891.  Trad.  franc.,  Paris,  1894. 
Voir  A.  Bertolini,  Cenno  sut  socialismo  contemfornneo 
in  Italia,  1889. 


INDEX  DES  AUTEURS  CITÉS 


(1) 


Abbot  de  Bazinghen,  iSt]. 

Abeille,  275. 

Abrial,  403. 

Accursio  das  Neves,  443. 

Achenwall,  53. 

Adams,  481,  483. 

Adams  (Carter),  24.  479. 

Adams  (Quincy),  464. 

Adamson,  4. 

Adier,  428,  510,  522,  528,  529.  538, 

539. 
Advielle,  519. 
Agardh,  451. 
Agazzini,  ^88. 
Agricola,  184. 
Ahrens,  16. 
A.jello,  196. 
Aksakow,  456. 
Albergo,  139,  487. 
Albert-le-Grand,  161. 
Alberti,  (G.),  174,  234,295. 
Albcrti  (L.-B.),  174. 
Alciat,  184. 
Aieandri,  296. 
Alemanni,  169. 
-vAlembert,  272,  300. 
Alessio,  153,  507. 
.Vlexejenko,  455,  457. 
Ale.xi,  200. 


Alison,  209,  .347. 

Allibone,  465. 

Allievi,  497,  498. 

Allinson,  476. 

Allocchio,  500. 

Almeida  (d'),  444. 

Amabile,  192. 

Amar,  511. 

Amari,  493. 

Amati,  292. 

Amé,  402. 

Ampère,  49. 

Ancarano  (Pierre  de\  168. 

Anderson,  326,  363. 

Andreucci,  500. 

Andrews,  23,  465,  482,  483. 

Ansell,  350. 

Antonelli,  102,  511. 

.A.ntonovicz,  458. 

Apel  (d'),  511. 

Appolodore,  146. 

Aranaz,  441. 

Arco  (d'),  287. 

Arcoleo,  511. 

Arenal,  441. 

Arendt,  424,  425. 

Argelati,  188. 

Argenson  (D'),  262. 

Aristophane,  148. 

Aristote,  70,  97,  149,  156. 

Arnd,  284. 


(1)  Nous  avons  dans  cet  Index  redressé  quelques  erreurs  qui  se  sont  glissées  dans 
l'écriture  des  auteurs  cités  dans  l'ouvrage. 

(Noie  du  Iradticteur). 


544 


INDEX    DES    AUTEURS    CITÉS 


Arntzen,  448. 
Armstrong.  215. 
Arnberg,  137. 
Arrivabene.  491. 
Artom,  511 . 
Aschohoug,  449. 
Asgill,  254,  256. 
Asher,  301.  347. 
Ashley,  158,  351,332,333. 
Atkinson,  309.  480. 
Audiganne,  401. 
Augustinis  (de),  6S,  i91. 
Auspitz,  102,  103. 
Austin,  339. 
Azcàrate,  442. 
Azzariti,  486. 


Babbage,  44,  342,  346. 

Babeau,  401. 

Babœuf,  519. 

Babst,  455. 

Bacon,  49,  128,  232. 

Bade  (Chaiies-FrédLTic  de),  285. 

Baer,  500. 

Baert,  299. 

Bagehot,  27.  85,  298,  348,  .355. 

Bain,  83. 

Baird,  470. 

Bakunin.  529,  541. 

Balbo,  487. 

Balchcn.  1.35. 

Balducci-Pegolotti,  174. 

Ballerini,  178. 

Balletti,  139,  187,  247,  286. 

Balsamo,  485,  486,  490. 

Balugjenski,  455. 

Bam berger,  421. 

Bandini,  218,  230,  231,  2-32,  23S. 

Bandoli,  241. 

Banfield,  337. 

Barbeyrac,  258,  263, 


Barbon,  187,  255,  257,  258,  3i7, 

Barbour,  347. 

Bargemont.310. 

Barkausen,  291. 

Bariano,  168. 

Barnard,  240. 

Bartole,  184. 

Barzanellana,  441. 

Baseom,  471,  472. 

Bastable,  114,  210,  303,   -325, 

.359,  370,  371. 
Bastiat,  65,  99,  337,  357,  .-^73, 

383,    384,  386,  420,  423,  450, 

471,  489,  494.  495,  528,537. 
Batbie,  40,277,  374.  403. 
Bandeau,  274,  275,  278,  286. 
Baudrillart,   23,  35,  129,  205, 

207,  374,  388,  389,  401. 
Bauer,  44,  1.36,  210,  256,  260, 

272,  273,  353,  432. 
Baumann,  163. 

Baumstark,  244,  245,  328,  413. 
Baxter,  349. 
Bazard.  523,  524,  525. 
Beaujon,  105,  436. 
Beauregard,  328,  374.  375,  402 
Bebel.  541,  542. 
Beccaria,   68,    101,   182,    188, 

245,  289,  291,  292,  293. 
Béchaux,  40. 
Bêcher,  221,  234. 
Becker,  30,  406. 
Béer,  428. 
Beicht,  291. 
Beke,  459. 
Belloni,  222,223. 
Bénard,  386. 
Benini,  193,  508. 
Bemis,  477. 
Benoit  XIV,  178. 
Bensa,  155. 
Bentham,  310,  .321,  328,  339. 


336. 

.382' 
47(1, 


2C6, 
267, 


Idô, 


INDEX   DES   AUTEURS    CITÉS 


545 


Benvenuti.  500. 

Berardi,  505. 

Berch,  450. 

Berends,  455. 

Berens,  459. 

Berg  (Van  der),  438. 

Bergfalk,  451. 

Bergsoe,  447. 

Berkeley,  267. 

Bernard  (Ch.),  477. 

Bernardin  de  Busto.  169. 

Bernardin  de  Feltre,  168. 

Bernardin  (Saint),  166. 

Bernhardi,  411,  493. 

Bernouilli,  23,  101. 

Berastein,  421. 

Bcrnstein,  539. 

Berra  490. 

Bertagnolli,  511. 

Bertheau,  402. 

Bertillon,  30,  401. 

Berlini,  511. 

Bertolini,  501,  505,  542. 

Bertrand,  103. 

Besobrasov,  456,  457. 

Besold,  238. 

Bettange,  186. 

Bevan,  255. 

Blanchi  (G.),  507. 

Blanchi  (I),  294,  491. 

Bibiia,  195,  213. 

Biddle,  468. 

Bidermann,  198,  210,  459. 

Blanchini,  132,  141,  192,  249,  490- 

491,  493,  496. 
Biel  (Gabriel),  166. 
Bielfeld,  254. 
Biffi  Tolomei,  233. 
Bigelow,  476. 

Bigot  de  Sainte-Croix,  275. 
Bilinski,  132,  452. 
Bing, 448. 


Bischof,  420. 

Biundi,  497. 

Biaise,  169. 

Blanc,  528,  529,  530,  531. 

Blanc  (Le),  186. 

Blanch,  491. 

Blanqui,  129, 1-32,  laS.  141,  297,  44t. 

Bloch,  457. 

Block,  31,  57,  61,  83.  .373.  376,  380, 
381,  382,  401,  532. 

Bluntschli,  45,  .319. 

Bobrinsky,  458. 

Boccardo,  495,  490,  510. 

Bocchi,  195,  213. 

Bodenstedt,  453. 

Bodin,  97,  141,  181,  186,  188,  189, 
190,  205,  206,  217,  237,  242. 

Bodio,  .30. 

Bodz-Raymond,  310. 

Buhm-Bawerk,  84,  177,  178,  364, 
4a3,  434,  435,  5-39. 

Boeckh,  142. 

Boehmert,  422. 

Boisguilbert,    141,    22S,    229,   230, 
^32.  241. 

Boissevain,  438. 

Boizard,  186. 

Bolles,  106,  462,  463. 

Bona,  (Délia),  511. 

Bon  a  y  Ureta,  (de),  441. 

Bonar,  15,  263,  314,  326,  363,  364, 

435. 
Bonaventure  (S.),  ICI. 
Bonghi,  497. 
Bonnal,  207. 
Booth,  525. 
Borgatti,  497. 
Borghiai,  184. 
Borkowski,  456. 
Bornitz,  206,  238. 
Borrego,  440, 
Bosch  Kemper,  171. 

35 


546 


INDEX    DES    AUTEURS    CITÉS 


Boselli,  5CH). 

Bosellini,  497. 

Bosnier  de  l'Orme,  275,  2SG, 

Botello,  442. 

Botero,  141,180,  181,  19-3,  194,  20G, 

217,  2.37,  242. 
Boulainvillicrs,  2'j1. 
Bourdeau  ;J.  ,  532. 
Bourne,  463,  481. 
Bourouill,  876.  436,  475. 
-Bourquelot,  400. 
.'Boutaric,  401. 
Boutron,  412. 
Boutteroue,  18ô. 
Bouvy,  294. 
Bowen,  467,  468. 
Boxhorn,  206. 
Boyss.  184. 
Brachelli,  30.  31.  429. 
Brants.  15,  149,  15S.  1G5,  373,  ZOb, 

397. 
Brassey,  349,  .358,  363. 
B rater,  319. 
Bray  (J.  F.)  521. 
Bray,  'Charles),  521. 

Brandes,  (G),  532. 
Braun,  421,  427. 

Brenlano,  351,  3o.3,  410.  418,  424. 

Bretschneider.  525. 

Brietzky,  455. 

Briganti,  287. 

Bright,  334. 

Brisbane,  527. 

Briscoe,  200. 

Brissot,  513,  527. 

Brock.  449. 

Brodrick,  346. 

Broggia,  188,  209,  223,  242,  2i3. 

Broglio,  497. 

Brougham,  26S. 

Briickner,  453.  458, 

B.-udiT,  152,  153. 


Brugi,  38. 

Brunncck,  460. 

Bruno,  184.  496,  497,  500,  505, 

Buccellati,  292. 

Buccleugh,  300.  349. 

Buchanam,  300.  349. 

Bûchez,  69,  403,  523. 

Budée,  18i. 

Budelio,  184. 

Biilau,  407. 

Bunge,  457,458. 

Buonarotti,  519.  529. 

Buoninsegni  169. 

Burchard,  48  i. 

Buret,  394. 

Buridan,  164. 

Burke.  310. 

Burton,  268. 

Busacca,  493. 

Buschen,  455. 

Biish,  288,  289. 

Butowski,  45 i. 

Butts,  476. 

Buzzetti,  511. 

Byles,  347. 


Caballero,  441. 

Gabet,  520,  521. 

Cacherano,  296. 

Cadet,  229,  230. 

Cagnazzi,  485,  486. 

Caird,346. 

Cairnes,  2,  7,  57,  66,  76,  80,  84,  85. 

91,  102,  135,   267,    336,   3i0,  343. 

351.  355,  356,  357,   358,  -359,  368, 

385,  386.  .391,  399. 
Calhoun.  464. 
Calkoen.  151. 
Callicratides,  146. 
Calvi,  490. 
Calvin.  177. 


INDEX   DES    AUTEURS    CITÉS 


547 


Gambray-Digny,  511. 

Gampanella,  176,  192,  513. 

Canarrl,  101,  316. 

Gancrin,  309. 

Gangay  Argûelles,  441. 

Gannan,335,  370. 

Gantillon,  265,  266,  268,   270,  292, 
299. 

Gathrein,  35. 

Gantoni,  168. 

Gantù,  292.  491. 

Gappellari  della  Golomba,  50J. 

Gapellone,  169. 

Gapponi,  490. 

Gapps, 349. 

Gaputo,  237. 

Garaccioli,  296. 

Garafa,  172,  205. 

Garballo  y  Vangûemert,  132. 

Gardcnas  (De),  442. 

Garete  de  Paros,  146. 

Garey,  60,  134,  218,  a37,  3"j9,  383, 
384,  385,   465,   469,  470,  473,  477, 
478,489,494,537. 
Garey  Baird.  470. 
Garli,  188,  242,  291,  292,  294,  296. 
Garli  (De),  487. 
Gariquist,  451. 
Garlyle,121,350. 
ilarniichael.  264. 
Garové,  525. 
Garpi,500. 
Garrcras  y  Gonzales,  2,  7,  76,  132, 

440,742. 
Gary,  218. 
Gasali,  208. 
Gasarini,  493. 
Casasas,  441. 
Casati,  294. 
Gastanares,  213. 
Gastillc,  530. 
Gastracane,  168,  213. 


Gathrein,  32,  36,  516,  539. 

Gaton,  152. 

Gattaneo,  492. 

Gauwès,  .374. 

Gavazzoni-Pederzini,  488. 

Cavalà,  197,  198. 

Gavour,  499. 

Gazeneuve,  402. 

Gernuschi,  500. 

Gesare  (De),  496. 

Geva,  188. 

Geva-Grimaldi,  493. 

Ghailley  (Joseph),  ,380. 

Ghalmers,  337,  342. 

Ghamberlain,  200. 

Chapin,  468. 

Gharles  III,  242. 

Gharles  V  (le  sage),  165. 

Gh'arJes  VI,  241. 

Ghase,  464. 

Chastellux,  275. 

Gherbuliez,  20,  21,  24,  25,  62,  70, 

106,  357,  373,  376,  379,  380,  400. 
Ghevalier,  297,  373,  374,  376,  377, 

378,  387,  394,  495,  523. 
Chevé,  384. 
Gheyney,  476. 
Gheysson,  373,  395. 
Chiaramonti,  181,  206. 
Ghiarini,  490, 
Ghild,  220,  221,  234,  235,  240,  249, 

256. 
Ghisholm,363. 
Ghitti,  491. 
Ghodsky,  456,  458. 
Ghydenius,  450. 
Gibrario,  154. 
Giccone,  68,  499. 
Gicé,  277. 
Gicéron,  151. 
Gicogna,  295. 
Gieszkowski,  453. 


548 


INDEX   DES    AUTEURS    CITÉS 


Cini,500. 
Clamageran,  403. 
Clark,  465,  479,  480.  48.'}. 
Clavière.  .817. 

Clément  (A.),  34,  60,  .385.  392. 
Clément  (P.),  224. 
Clément,  VII,  208. 
Clicquot,  235. 
Cobden,  231,  334.  377,  384. 
Cobergher,  168. 
Cochut,  200. 
Codacci-Pisanelli,  511. 
Cognetti,  62,  96,  475,  510. 
Cohn,  84,  132.  225,  2.3(t,  327,  351 
352,  355,    368,  369,  406,  407,  425*, 
431,  477. 
Coke,  219,  234. 
Colbert,  221.  224,  227. 
Colizzi-Miselli,  487. 
Collin,  451. 
Colmeiro,  136,  1.37,  171.  2.39,   260, 

440. 
Colonna  (Egidio\  164. 
Col  ton,  467. 
Columelle,  152. 
Colwell,  467.  468. 
Comte,   49,    60,  61,  135,   3.39,  341, 
355,  357,  389,  391,  414.  523. 

Comte  (Charles),  319,384. 

Concina,  178- 

Condillac,  15,  236,    245.    266,   276, 
289. 

Condorcet,  275,  3.39. 

Conigliani,21,  185,186,  191,  507. 

Conrad,  4J6,  418,  424,  428. 

Conrig,  221. 

Considérant,  519,  527. 

Constancio,  443. 

Contarini,  197. 

Conte.  441 . 

Contzen,  157. 

Cooper,  468. 


Copernic,  185. 

Coquelin.  34.  57,  7.3,  379  383,   484, 

495. 
Corbani  491. 
Gormenin,  .38. 
Correnti,  491,  497. 
Corsi,  500. 
Corti,  184. 
Cossa  (E.),42.  511. 
Cossa,(L.)  ,  145.  162,245,  260,296, 

485,  508. 
Gosta-Rossetti.  32. 
Costantini,  222. 
Cotrugli,  173. 
Cotte  ri  1,309. 
Courcelle-Seneuil,  25,  42.  70,  132. 

298,  373,  376,  380,381. 
Cournot,    101,    102,    103,  105,  366. 

363,  380,  389,  390. 
Court  (Jean  de  la),  240. 
Court  (Pierre  de  la),  234. 
Gourtney,  338,  347. 
Courtois  (fils),  402. 
Cousin,  265,297, 
Go  ver.  286. 
Gox,  476,  534. 
Cradocke,  199,  2(X). 
Crawfurd  309. 
Cristoforis(Dc),497. 
Grompton,  349. 
Gromwell,  220,224. 
Grouzel,  402. 
Crump,  347. 

Csato,  460. 

Csengery,  461. 

Cucheval-Clarigny,  403. 

Gulpeper,  220,  221,  235,  256. 

Cumming,  106. 

Cuneo,  196. 

Cunha  d'Azéredo  Coutinho,  443. 

Gunningham,   155,   210,  217,  223, 
239,362,363. 


INDEX   DES    AUTEURS    CITÉS 


549 


Custodi,   137,   138,    192.    295,   486, 

488,  489. 
Cusumano,  139,  158,  174,  196,  207, 

238,  296,  406,  501,  505. 
Czornig,  429. 

D 
Dahlmann,  45,  41.^. 
Daire,  200,  229,  270.  895. 
Dameth,  2,  7,  35. 
Dandolo,  490. 
Dangel,  452. 
Dangeul,  235. 
Dankwardt,  39,  40. 
Dareste  de  la  Cliavaniie,  401. 
Dargun,  33. 
Darjes,  244,  269. 
Darwin,  368. 
Davanzati,  141.  187,  258. 
Davenant,  220,  221,  240. 
David,  447. 
Davidson,  451. 
Davies,  217. 
Davila,  238. 
Dawson,  532,  534,  538. 
Decker,  235,  239,  268 . 
Dei,  174. 
Delacour,  298. 
Delamare,  250. 
Delfico,  286. 
Delisle,  401. 
Denis,  284,  403. 
Desséwffy  (E.),  460,  461. 
Desséwffy  (.!.),  460. 
Deslutt  de  Tracy,  316. 
De  vas,  398. 
Diaz,  441. 
Dickinson,  405. 
Diderot,  272,  300. 
Diehl,  529. 
Dietzel,  33,  84,  122,  409,  411,  427, 

432,  4,35.  516,  536,  538. 
Digges,  217. 


Dillon,  116,  .350. 

Diodati,  291. 

Dithmar,  244. 

Dolfin,  235. 

Dominici,  174. 

Doni,  176,  513. 

Doniol,  401. 

Donnall,  353. 

Dormer,  260. 

Dowell,  .349 

Droz,  33,  316. 

Dubois,  164. 

Ducati,  505. 

Ducpétiaux,  402. 

Ducrocq,  38. 

Dufau,  83. 

Dufour,  38. 

Dugnani,  163. 

Dûhring,  3,>  132.  134,  141,  268,  469 

535. 
Dumesnil-Marigny,  374. 
Dumont,  310. 
Dumont  (Arsène),  121. 
Dumoulin,  177,  185. 
Dunbar,  196,  197,  199,  465,  481. 
Dunckley,  847. 
Dunoyer,  320,   372.   382,  333,  384, 

385.  495. 
Du  Pont,  274,  275,  276,  278,280,285 
Duprat  (Pascal),  291. 
Dupré  de  Saint-Maur,  186. 
Dupuit,  101,  103,  373,  390. 
Durand        de     Saint- Pourçain  ^ 

165. 
Duran  y  Bas,  441. 
Dureau  de  la  Malle,  142. 
Dussard,  840,  381. 
Dutens,  284. 
Dutôt,  201,  222. 
Duvai,  206,  207,241. 
Duverney,  201. 


550 


INDEX   DES   AUTEURS   CITÉS 


Eandi,  493. 

Eckroyd,  350. 

Edgeworth,  105,  364. 

Edmonds,  521. 

Effimenko,  450. 

Eheberg,  414,  415,  424. 

Ehrle.  171. 

Eichhorn,  415. 

Eichthal  (d'i,  516. 

Einert,  41. 

Eisdell,  337. 

Eiselen.  408. 

Eisenhart,   3,    132,   13i,    135,    141 

294,  535. 
Elder,  470. 
Ellena,  508. 
Ellero,  511. 
Elster,  394,  428. 
Emerton,  .301. 

Ely,  3,  8,  23,  465,  478,  481,  515. 
Emminghaus,  42,  285,  421. 
Endemann,  39,  40,  157. 
Enfantin,  524. 
Engel,  30,  31,  406. 
Engelbert,  163. 
Engels,  528,539,  541. 
Ebtwos,  461. 
Erdélyi,  460,  461. 
Errera,  295,  500. 
Eschine,  146. 
Escudero,  441. 
Espinas,  3,  1-32,  392. 
Eulner,  238. 
Evangelista,  168. 
Everett,  467. 

F 

Fabbrini,  258. 

Fabbroni,  232,  2.33,  286,  486,  487. 

Faber,  218. 

Fabricio,  173. 


Facen,  295. 
..Gagniez,  400. 

Falbe-Hansen,  446,  448. 

Falck,  410,  524. 

Falkenburg,  436. 

Falkenhagen-Zaleski,  453. 

Falkner,  479. 

Fallati,  30. 

Fano,  500. 

Fantuzzi,  487. 

Faraglia,  500. 

Farkas, 461 . 

Farmer,  191. 

Farnam,  2a3. 

Farrer,  300,  347. 

Faucher  (G.),  421. 

Faucher  (L),  377,  378,  394.  402. 

Faure,  338. 

Fauveau,  391. 

Favre,  185. 

Fawcett,  328,  329,  345,    352,    364, 

365,  475. 
Fay,  461. 
Fedorow,  456. 
Feilbogen,  248,  249,  268,  269,  277, 

298,  432. 
Fényes,  460. 
Ferguson,  264,  265. 
Ferran,  441. 
Ferrara,   114,  138,    193,  196,  231, 

249,  272,  319,  320,  383,  385,  386, 

470,  493,  494,  495,  504,  505. 
Ferrari,  168. 

Ferraris  (C.-F.),  506,  22, 38,  46. 
Ferraris  (M.).  511. 
Ferreira-Borges,  444,  445. 
Ferrier,  309. 
Ferroni,  101. 
Feugueray,  403 
Fiadoni,  163. 
Fichte,  309. 
Ficker,  429. 


INDEX   DES   AUTEURS    CITÉS 


551 


-^^ 


Figuerola,  441. 

Filangieri,  97,  286.  287. 

Filiucci,  159. 

Fiorentino,  286. 

Fiorese,  511. 

Fisher,  105. 

Fix,  393. 

Florez-Estrada,  23,  1.32. 

Flurscheim,  533. 

Focillon,  395. 

Fogarasy,  461. 

Foldes,  446,  461. 

Foncin,  276. 

Fontanelli,  511 . 

Fontenay,  386. 

Fonteyraud,  321. 

Fontpertuis,  149. 

Forbonnais,  201,222,  247,  218,  288, 

302. 
Ford,  484. 

Forjaz  daSampajo,  1.32. 
Fornari,  139,  172, 173.  193,  195,  242, 

291,  499. 
Forti.  5<J5. 
Fortroy,  219. 
Fortunato  (N),  250. 
Fortunato  (J.),  511. 
Foscarini,  296. 
Fossombroni,  2.32,  233,  486. 
Forter,  358, 
Foiigerousse,  403. 
Fouillée,  .392. 
Fourier,  523,  525,  526,  52S. 
Fournel,  524. 
Fournier  de  Flaix,  403. 
Foville,  .30,  373,  376,  386,  401. 
Foxwcll,  .351,  363. 
Franchetti,  500. 
Franchi,  243. 
Franklin,  182,  465.  466. 
Franqueville,  401. 
Frederiksen,  1-32,  447. 


Frignet,  4(J0. 

Frommer,  422. 

Fuchs,  458. 

Fullarton,  .348,  378,  425. 

Franckenstein,  2.38. 

Frank,  176,  189. 

Franzi,  258. 

Franzl,  309. 

Frédéric  Guillaume  I;  244. 

Frisi,  294. 

Froumenteau,  241. 

Funck-Brentano,  206. 

Funk,  159,  166,  169. 

Fuoco.  102,  489. 

Furber,  1.37,  465. 

Furnival,  192. 

Fûrstenau,  285. 

G 

Gabaglio,  28,  30,  31,  83. 

Gad,  448. 

Gaito,  167. 

Galitzin,  285. 

Galiani,  15.  188.  192,  258,  275,  289, 

290.292. 
Galiardo  Fernandez,  442. 
Gallalin,  464. 
Galton,  436. 
Gambini,  231,  490,  492. 
Gamborg,  449,  450. 
Ganilh,  309,  467. 
Garelli  (A.),  499. 
Garelli  (G.-E.),  500. 
Garfield,  464. 
Garnier  (Joseph,  23,  57,   71,   76, 

132,  272,  347,  376,  378. 
Garnier  ;J.  J.;,  379. 
Garnier  (Germain),  284,301. 
Garrati,  184. 
Garrault,  186. 
Gaskell.  346. 
Gasparino,  159. 


552 


INDEX    DES   AUTEURS   CITES 


Gasser,  244. 

Gastaldi,  493. 

Gaston  (Jean  .  232. 

Galti  de  Gamond,  527. 

Gautieri,  490. 

Geddes,350,  355,391. 

Gee,  219. 

Gehrke,  176. 

Geissmann,  455. 

Gemmelaro-Russo.  511. 

Gennaro,286. 

Genovesi,   68,  209,    218.   245,  247, 

249,  250,  269,302. 
Gentleman,  217. 
Gentz.  310. 
George.  532,  5.33. 
George,  465,  469,  473,  474,  475. 
Gérando  (De).  38.  183,  402,  493. 
Gerson,  165. 
Gerstner,  23. 
Gervinus,  415. 
Ghetti,  171. 

Gianni,  232.  23.3,  Î86.  296.  487. 
Gibbons,  475. 
Gibellini,  250. 
Gibon,   403. 

Giddings,  15,  479.  480,  483. 
Gide,  373,  376.  399.  400. 
Giffen,  a34, 349. 363.  364. 
Gibbart,  3i7. 
Giginta,  170. 
Giiman,477. 
Giner,  442, 
GJogalli,  260. 

Gioj  a,  23,.30.138. 294. 486, 488,489, 490 
Giovanetti,  492. 
Giovio,  487. 
Giudice  (Del).  504. 
Gladstone,  334,  349. 
Claser,  145,  150,  408. 
Gobbi,  139,  167,  173,  193,  195,  207, 
231,  250,  508. 


Godfrey,  199. 

Godwin,  313. 

Goldman,  458. 

Goldschmidt,  41. 

Golochwastow,  453,  457. 

Golz  (von  der),  424. 

Gomes,  444. 

Gomez,  212. 

Gonner327.  364.370. 

Gorani,  231,  286. 

Gorlow,  454. 

Gorové,  460. 

Gosohen,  348,  349,  381,438. 

Goss,  476. 

Gossen,  43.  101. 

Gottling,  149. 

Gouge,  464. 

Gould,  240.  < 

Gouraud,  374. 

Gournay,  248.256. 

Graffenried  'Dej,  476. 

Grammont,  189. 

Granier,  402. 

Graswinkel,  228. 

Graunt,  252. 

Gravenhage,  439. 

Graziani,   21,  257,   290,   292,    294, 

435,  507. 
Gray,  309,521. 
Greeley,  470. 
Greg,  436, 
Grégoire,  206. 
Grégoriew,  458. 
Grégoire  de  Rimini,  147. . 
Grenier,  183. 
Greppi,  198. 
Gresham,  185,  191.  192. 
Greven,  436. 
Grimaudet,  186. 
Gronlund,  541,  542. 
Gross.  363,  433,  539. 
Grosvenor,  476. 


INDEX    DES   AUTEURS    CITÉS 


55a 


Grote,  ."330. 

Grotius,  177.  258,2(3:!,  264.  27i». 
Griin,  527. 
Guarini,  173. 
Guérard,  400. 
Guérin,  395. 
Guerry.  .30.  401. 
Guesde,  541. 
Guicciardini,  174.  175. 
Guilbaiilt.42. 
Guillemenot,  397. 
Gujard,  70. 
Gunton,  476,  483. 
^  Guyot.  41 13. 
Gyorgy,  4(31 . 
Gyôry.  4(50. 

H 

llack,  529. 

Hadley,  481.  482,  483.  48 i. 

Hagemeister,  455. 

Hagen,  14(î. 

Hagenbuck,  199. 

Haldane,  298. 

Hahl,  214. 

Haies,  161,  191,  217. 

Hall,  349. 

Haller,  310. 

Halley,  252. 

Hamaker.  95,  96. 

Hamilton  '-\.),  414,  446.  464.  4(36. 

Hamilton  (G.-K.),  132,  451. 

Hamilton  ,R.;.  349. 

Hamilton  (W.),  299. 

Hanauer,  401. 

Hankey,  347. 

Hanson,  475. 

Hanssen,  406,  413. 

Hardenberg,  311. 

Hare,  339. 

Harrington.  176. 

Harris,  187,  266,  299. 


Ilarrison,  350,  355,  391. 

Hartmann,  41. 

Hasbach,  248,  26-3,  264,  298.  424. 

Haushofer,  .31,  42,  83. 

Hausser,  415. 

Hawiey,  480. 

Hearn,  70,  a37,  367. 

Heath,  199. 

Heckel,  439. 

Heftye,  449. 

Hegedus,  461. 

Hegel.  16,  49,  536. 

Held,  423,  428.  469,  479,  535. 

Helferich,  298,  406.  413,  483. 

Henckel,  189. 

Hendriks,  .364. 

Henfner,  252,  459. 

Heredia,  442. 

Henri  de  Gand,  163. 

Herbert  ((Jlaude),  230.  249. 

Hermann,  2,  11,  44,  100,  32ii,  406, 

4<j8.  4(39,  410,  411,  412,  423.  447. 
Hermandez  Amores,  442. 
Hérodote,  145. 
Herrenschwand,  288,  289. 
Hertzberg,  446,  449,  450. 
Hertzka.  429,  534. 
Hervé-Bazin,  397. 
Hewins,  210. 
H(  yd,  14,  18,  24,  151,  205,  2<l9,  297, 

327. 
Heyking,  214. 
Heymann,  200. 
Heymanns,  54,  84,  436. 
Higgs,  265,  267,  364,  396. 
Hildebrand,  95,  149,  415,  416,  466, 

515. 
Hobbes,  239,  255,  264. 
Hobson,  481. 
Hock,  430. 
Hoflmann,  38,  408. 
Hole.  .350. 


INDEX    DES   AUTEURS    CITES 


Holyoake,  350. 

Holtzendorf,  45. 

Hooke,  240. 

Hooper,  364. 

Horn,  '200,  229,  230,  402,  461. 

Hôrnigk,  221,  234. 

Horton  (Dana),  475. 

llorsley,  239. 

Houten,  66. 

Hoyta  ,de\  165. 

Howell,  349. 

Huber,  459. 

Hucks-Gibbs,  347. 

llufeland,  411. 

Hughes,  351. 

Hugo,  96,  415. 

Hume,  2,  182,  240,  247,  249, 

268,  269,  299,  447. 
Huskisson,  .334. 
Hutcheson,  70,  240,  264,  265, 

279,  299,  300. 

Huxley,  369. 
Hyndman,  541,  542. 

I 

léron, 146. 
Inaina-Sternegg,    135,    239, 

391,  429, 
Ingram,  3,  98,  102,  132,   134, 

248,  292.   316,  327,  332,  .351, 

.356,  369. 
Intieri,  192,  245. 
Inirigila,  497. 
Ippolito  (D"),  499. 
Isbert  y  Guyas,  441. 
Iselin,  285. 

Isernia,  (Andréa  d').  164. 
Issajew,  457,  458. 
Iwanikow,  456. 

J 
.lacini,  497,  498. 
.iHger,  298,  450,  532. 


265, 


268, 


298, 

214, 
355, 


.Tagetzo^v,  535. 

.lahnson,  446,  455,  456. 

Jakob,  19,  23,  312,  496. 

Jakowlefl,  456. 

James,  132,  463,  481,  484. 

.Tames  (H.-A.),  477. 

James  (E.  J.),478. 

Jandelli,  181. 

Janet,  519. 

Janko,  461. 

Jannet.  373,396,397. 

Janschull,  136,  214,  216.  446,  455, 
457,  458. 

Jardim  (dos  Sanctos  Pereira),459. 

Jefferson,  464. 

Jenks,  470,  478,  483. 

Jevons,  2,  4,  15,  24,  30,  43,  66,  70, 
76,  101,  102,  103,  iOi,  105,  186, 
265,  266,  267,  320,  347,  351,  356, 
.359,  361,  .364,  368,  399,  40<J,  436, 
438. 

Johannis  (De),  510. 

John,  30,  31. 

Jonchère,  241. 

Jones,  214,  342,  350. 

Joseph  II  d'Autriche,  224. 

Joubleau,  224. 

Jourdan.  24,  40,  374. 

Jourdain,  157,  163. 

Joyce,  301. 

Juglar,  30,  402. 

Justi,  179,  247,  250,  251,  288,  .302. 

Juvigny,  403. 

K 

Kablukow,  456,  458. 
Kaizl,  423.  453. 
Kalinowsky,  458. 
Kamensky,  454. 
Kames,  299. 
Kant,  16. 
Karatajew,  454. 


INDEX   DES    AUTEURS   CITÉS 


ooo 


Karvasy,  460,  461. 

Kaufmann  (Allemand),  3)9. 

Kaufmann  (Russe),  457. 

Kautz.   3,   7,    76.   95,  131,  1.32,  133. 

135,  137,  141,  152,  214,  230,  248, 

288,  297,  332,  394,  446.    459,  461, 
Kawelin,  456. 
Kay,  346,  347. 
Kayser,  447. 
Kautsky,  539. 
Kellner,  271. 
Kemény,  461. 
Kent,  465. 
Kerseboom,  252. 
Ketteler,  398. 
Keymor,  217. 
Keynes,  2,  4,  8,  76,  84,  90.  104,  1Û5, 

3il,  371. 
King,  219. 
Kingsley,  351. 
Kirk,  465. 
Kiriaki,  511. 
Kirkup,  351.  510. 
Kleinw'acMcr,  18.  176,  412,  424. 
Klock,  205,  2.38. 
Klosterman,  424. 
Knapp,  30.  406,  410. 
Knies,  41,61,  95,  131,  175.  286,  .354, 

406,  415,  416,  423,  539. 
Knox,  475,  484. 
Kolb,  :30,  31. 
Koljupanow,  456. 
Komorzynski,  410,  432. 
Knrizmics,  460. 
Korsak,  458. 
Kosegarten.  310. 
Kôsats.  461. 
Kowalewski,  455. 
Kozak,  538. 
Krapotkine,  529. 
Kraus,  23.  311,  312. 
Krause,  16. 


Krebs,  448. 
Kritzbay,  461. 
Krishanitsch,  453. 
Krohn.  419. 
Kubel,  144. 
Kudier,  430 
Kulomsins,  457. 
Kuppener,  166. 
Kwan-Tsze,  144. 
Kvaer,  450. 


Lacroix,  260. 

Labeyrie,  403. 

Laboulaye  (Charles),  44,  402. 

Laboulaye  (Edouard',  402. 

Lafargue,  541. 

Laffemas,  207,  213. 

Laferrière,  38. 

Laffitte  (B.),403. 

Laffltte  (P.),  213. 

Laing.  342,  345. 

Lalor,  .350,  484. 

Lamansky,  457. 

Lambe,  199,  200. 

Lamond,  191. 

Lampertico,  3,  7,  295.  497,  499,  501, 

503.  504. 
Lamprecht,  155. 
Lange,  423. 
Lansdowne,  217. 
Laranjo,  443,  445. 
Laspeyres,  137,  234,  235,  284,  297' 

319,  328,  410,  413. 
Lassalle,  421,  531,   532,  5.35,   539, 

541. 
Lastri,  182. 
Latimer,  189. 
Latini,  174. 

Lattes,  155,  196,  197,  198,  500. 
Lauderdale,  311,  467. 


556 


INDEX   DES    AUTEURS   GITES 


Laughlin  (Laurenct-),  3,  8,  24,  132, 

353,  465,  481. 
Launhard,  102. 
Laurent,  402. 
Laveleye  (De),  399,  515. 
Lavergne  (De),  272,  297,  401. 
Laverrière,  410. 
Law,  199,   200.  211.  222,  205,    277, 

455. 
Lawson,  33o. 
Lebedew,  457. 
Lechevalier,  527. 
Ledesma  y  Palacios,  4. 
Lee,  464. 
Leffler,  132.  451 . 
Legoyt,  401. 
Lehinann,  449. 
Lehr,  424,  428. 
Leib,  238. 
Lemercier,  403. 
Lencisa,  492. 
Lenzi,  174. 

Léopold,  230,  232.  235. 
Le  Play, 29, 373,  389, 394, 395, 396,. S97 
Le  Rousseau,  403. 
Lerou.x,  512.  528. 
Leroy-Beaulieu,  2i,  373,  374,   375, 

378,  3S2,  387,  388.  403,  473,  532. 
Laser,  214,  239,  29s,   299,  300,  326, 

328,  415,  424. 
Leslie  (CliJre),  95,  96,  100,  298,  351. 

352,  35i,  355,  356,  364,  401,  465. 
Leslie-Stephen,  346. 
Letrosne,  275,  276,  280,  289. 
"-Levasseur,  30,  200,  233,   373,    374. 

378,  382,  388,-389,401, 
Levi,  3.34,  363.  ^ 

Levy,  95. 
Levvins,  350. 
Lewis  (Cornewald),  83. 
Lewis  (M,},  199.  2œ. 
Lewis  (R.).  21. 


Lexis,  14;  30,  406,  424,  425,  428,  470- 

Liberatore,  491. 

Lieben,  102,  103. 

Liebknecht,  541,  542. 

Lilienfeld,58,  419,  459. 

Liliew,  458. 

Liljenstrand,  451. 

Linden  (Cort  van  der),  436. 

Lindermann.  475. 

Lippert,  378,  379. 

List,  69,  96,  1.34,  310.  374,  414.  415, 

460.  467,  492. 
Lith  (Vonder),  239. 
Littrû.  391. 
Liverpooi,  347. 
Livron,  455. 
Lloyd.  101. 
Lobero.  196. 
Locke.  186.  188.  218.  247.  254,  255, 

256,  258,  264.  265.  270.  281,  290. 
Longe.  352. 
Longtield.  .•«6. 
Longiave-Berni,  511. 
Lôniay.  461. 
Llining.  38. 
Lopez  de  Aedo.  442. 
Lopez  Narvaes.  441. 
Loria,  28,  257,  446.  458,  501.508. 
Lo  Savio,  499,  510. 
Lotz,  132,  186,  3J2.  411. 
Lowe.  355. 
Lowndes.  255. 
Loyd,  348. 

Lozano  y  Montes.  441. 
Lubomirski,  453. 
Luca  (De).  168,  209,  496.  497. 
Lucchesi-Palli,  493. 
Lûder,  311.  312. 
Ludwig,  238. 
Luginin,  456, 
Lumbroso,  144. 
Lunetti.  195,  198,  213. 


INDEX    DES   AUTEURS    CITÉS 


5o7 


Lupi.  242. 

Lupo,  159. 

Luther,  177. 

Lutken  (F.),  447. 

Lutken  (Otlron.  D.).  447. 

Luzerne,  178. 

Luzzatti,  298,  49:>.  504.  Td!!. 

Luzzatto,  510. 

Lwow,  455,  457. 

Lyon-Caen,  41. 

M 

Mably,  513. 

Mac  Adam,  475. 

Macaulay,  199,  339, 

Mac  CuUoch,  23,  24,  75,  199,  240, 

258,  299,  301,  818,  321,  322,  328, 

335,  348,  358,  363,  447,  408. 
^lachiavel,  174,  175,  181. 
Macdonell  (J.),  338. 
Mac  Donne!  (C),  53:3. 
Mac  Kean.  470. 
Macleod,    70,    289,    3i7.    :;71,  374, 

471,499. 
Mac  Neill,  476. 
Macpherson,  363. 
Macvane,    15.   113,  481,    482,    483, 

484. 
Madison,  464. 
Madrazo,  440, 
Mafrei,178. 
Magenta,  493. 
Magliani,  500. 
Maizières  (De),  165. 
Majorana-Galatabrano,  499. 
Majorana  (.\.),  510. 
Majorana  (G.',  511. 
Malarce,  403. 
Mal  chu  s,  408. 
Malebranche,  279. 
Malestroit,  189. 
Malgarini  511. 


Mallock,  475. 

Malon,  420,  541,  542. 

.Malthus,  2,  7,  76,  80.  88,  K/J,  128, 
134,  135,  182,  288,  313,  314,  315, 
316,  320,  321,  322,  324,  326,  327, 
.328,  .3.33,  a35,  337,  342,  354,  .364, 
.375,  .377,  383,  385,  42ô,  443,  4G7, 
469,  470,  472,  474,  491,  494,  i96, 
520. 

Mal  y  nés,  216. 

Mamiani,  511. 

Manara. 

.Mancini  (El se),  206. 

Manfredi,  422,511. 

Mangoldt,  23,  84,  90,  100. 

Manna,  499. 

Manara,  511. 

Mandello,  461. 

Manfredi,  422,511. 

Mangoldt,  406,  409,  412. 

Manning,  398. 

Mansi,  173. 

Manuel-d'.\lmei(la,  444. 

Mantellier,  400. 

Manzoni,  118. 

Marachio,  236. 

Marcett,  328,  329. 

Marchese,  497. 

.Marchesini,  250,  296. 

Marchet,  251. 

Marescotti,  496,  505. 

Marghieri,  41. 

Mariana,  185,  206. 

Mariboe,  449. 

Mariska,  461. 

Marliani,  491. 

Mario,  132.  534,  535. 

Marmontel,  .3.39. 

Marogna,  236. 

Marshall,  15,  24,  61,  62,  70,  84,  lu4, 
132,  353,  364,  365,  .366,  367,  368, 
391,  438. 


r)58 


INDEX    DES    AUTEURS    CITES 


MartcUo,  505. 

Martignoni.  4S<3. 

Martineau,  328,  320. 

Mai-tinelli  (I).  386. 

Martin elli  (M.),  487,  407. 

Martinet,  449. 

Marti  aez,  441. 

Martuscelli,  511. 

MaruUi.  487. 

Marx,   43(5,  458.  531,  534,   538.  530, 

541. 
Marzucchi,  401. 
Masc-Dari,  511. 
Massarani,  497. 
Massie,  239. 
Masslow,  455. 
Mastier,  277. 
Mastrofini,  178. 
Mataja,433.  434. 
Mathieu,  401. 
Matthew.  192. 
Matlekovits.  461. 
Mattia  (Ue),  487. 
Maurice  (Denison;,  351. 
Mauvillon  (De),  26o,  285. 
Mayr.  (G.  v.),  31,  427. 
Mayzel,  453, 
Mazel,  528. 
Mazzei.  174. 
Mazzola,  507,  508. 
Medici,489. 
Mees(Juvior),  102. 
Mees,  2.  437,  438,  439. 
Meguscher,  492. 
Meitzen,  30,    424,  470. 
Melanchton,  180. 
Mêle,  401. 
Melon,  201,  222,  230,  247,  248,  240, 

200.  .302. 
Mendonça-Cortoz,  445. 
Meneghini,  406. 
Menendez,  441. 


Menger  (G.;.  3,7. 15, 54, 58, 7G.  84, 00 . 
104,  137,  341,  415,  430,  431,  432. 
4.33,  518,  521. 

Menger  (A. -H.),  475,  5.38. 

Menger  (M.),  431. 

Mengotti,  210,  287,  318. 

Mengozzi,  107. 

Mercier  de  la  Rivière,  275,  278. 

r^Ierello,  107,  108. 

Merenda,  167,  511. 

Merivale,  346. 

Messedaglia,  .30,  54,  96,  08,  102, 
103,  105,  501.  502,  503,504,  50G. 

Mészaros,  46tJ. 

Methorst,  436. 

Melz-Noblat  De^  307. 

Meunier  (Francis  >  165. 

Meyer,  38,  135,  406,  433,   434.   528. 

Mcyer  (R.),  449,  535, 

Miaskowski,  424,  453. 

Michaelis,  421. 

Michelini.  492. 

Micskey,  463. 

Milizia,  486. 

Mill  (James),  328,  533. 
'Mill  (Stuart),  2,  7,  15,24,  25,  51,  66, 
76,  80,  89,  91,  93,  102,  316,  321, 
322,  .336,  338.  340,  341,  .342,  343- 
344,  345,  348,  350,  .352,  354,  355, 
356,  357,  .358,  259,  366,  .367,  368, 
380,  391,  421,  4.37.  447.  448,  455, 
467,  471,  472.  481,  483,  491,  495,' 
532. 

Milles,  216.  217. 

Minelli,  511. 

Mingard,  294. 

Minghetti,  35,  40,  68,  497,  498. 

Minorita  (Paul;,  163. 

Minto,  338. 

Mirabeau.  266.  273,  278.  279. 

Miraglia.  16,  5(X),  504, 

Miro,  241. 


INDEX   DES    AUTEURS    CITÉS 


559 


Mischlor.  429. 

Misselden,  216,  218. 

Mithofl",  424. 

Modest.v.  177. 

Molh,  22.  88,  45,  131.  148.  179.  490. 

Molinari  .le,,  35,  37-3.  375,  382.  360, 

387,  488. 
Molster.  135. 
Moncada,  2.  12. 
Mone,  30. 
Mongredien,  .334. 
Montaigne,  232. 
Montanari  ;A),  173,  185,  257.  2.58, 

506. 
Montanari  (G.),  188,  258. 
Montchrétien,  70,  141,  206,  207. 
Monteii   de),  400. 
Montemartini,  511. 
Montcs.iuiei],97,247.  254,  25G.  267, 
MoonueistrT,  4. 
Mora.  497. 
Morato  Roma,  445. 
r\loreaii  do  Jonnrs.  4m1. 
Moroliet.  24S.  275,  217. 
Morclly.  513. 
Morena.  139.  232,  28G. 
Morgenticrne,  450. 
Morhof,  244. 
Morichini.  493. 
Morpurgo  498,  5rj0,  504; 
Morrisson.  346. 
Mortara,  505. 
Mortimer.  240. 
Morus.  176.  513.  521. 
Muser,  288.  310. 
Most.  529. 
Mouat,  364. 
Mugnai.  138. 
Miihlliausen,  457. 
Muiroa,  527. 
.Miilber.i;er,  529. 
Millier,  clO,  414. 


Mun.  141,  257,  218.  219. 
M  un  (de),  398. 
Munro,  349. 
Munster,  176. 
Miinzer,  176. 
Muratori,  182,  223. 
Muria\Yefl',  455. 
Mussafla,  164. 

N  ' 

Nagorny,  453. 

Xapione,  242,  426. 

Nardi,  174. 

Nas?e,  192.  298,  405,  409,  413.  421, 

424,  426. 
N a veau,  241. 
Naville,  402. 

Nazzani  23,  61,  194.  501,  503. 
Neale,  294. 

Nebenius,  406,  403.  409. 
Nckrassow,  453. 
Newcomb,  465,  481,  482. 
Negri,  286. 
Neison.  350. 
Neri,   153,  188,  2.32,  2;i3.  242,  243, 

286. 
Neuman,  18.  76.  95.  411,  423.  12  i, 

430.* 
Neumann-Spallart,  31,  429. 
Neurath,  298,  429,  448. 
Nevvmarch,  347,  349. 
Ncwsholme,  .364. 
Newton,  187. 
Neymark,  225,  277, 
Nicholson.  24,  25,  89.  106,  331,  347, 

370,  371. 
Nicolai,  487. 
Nicolini,  511. 
Niebuhr,  96,  415. 
Nieu\venhuis,  541. 
Nifo,  184. 
Nisco,  196. 


500 


INDEX    DES    AUTEURS    CITES 


Nitti,  542. 
Noble,  349. 
Norbis,  lUS. 
Nordhofl",  477. 
Nordstrom,  451. 
No^vitzky,  458. 
No\vosselisky,  458. 
North,  2G1. 
Noyés,  477. 
Nuytz,  487. 


Obrecht.  205. 

Ochenkowski,  259,  453. 

Ochoa  441. 

Oczapowski,  452. 

Oertmann.  153. 

Oeltingen.  30,  458. 

Ogilvie.  532,  5a3. 

Olivares,  212. 

OUveira  (D')  Marreca,  4i4. 

Oliveira  Martins,  445. 

Oliver,  441. 

Olivler-Feron,  539. 

Olozaga  y  Bustamente.  441. 

Olufsen.  447. 

Ondes  Reggio  (Vito  d').  493. 

Oncken  (A.),  Î30, 236,  247,  262,  297, 

298. 
Oncken  AV.),  150. 
Opdyke.  468. 
Oresme,  165. 
Orbinsky,  456. 
Orlando,  38.  155. 
Orlow.  456. 
<3rtes,  69.    182,  212,   287,  289.   294 

295. 
Ortiz,  212. 
Ossa,  205. 
Ossokin,  455. 
Ostie  (Henri  d'),  168. 


OU,  69,  .394. 

Overstone,  348. 

Owen.  512.  520.  521.  525.  528.  5.37. 


Paasche,  424. 

Paepe  De;.  541. 

l^agano,  286. 

Pagnini,  188. 

Paillottet.  386. 

Paine,  532. 

Paley  (Marie),  365. 

Palgrave.  .347,  349,  .304.  372. 

Pallavicino,  5<Xi. 

Palmén,  45<J. 

Palmeri  (N.),  490. 

Palmeri-Salazar,  48C. 

Palmieri,  174,  296. 

Palumbo,  164. 

Pantaleoni.  102.  105,507. 

Paoletti,  '186. 

Paolini,  2a3,  490. 

Paradisi,  245,  285. 

Pare,  350. 

Pareto,  102,  103. 

Parieu  (De;.  45.  373,  378,  403. 

Parisius,  421. 

Parker,  318. 

Parnell,  349. 

Paruta,  177. 

Pascoli,  218,  2.30,  241. 

Pasini,  497. 

Pasnikow,  456. 

Passy  (Frédéric),  373,  382,  386. 

Passy  (Hypolyte,  401. 

Pastor  (L.-M.),  442. 

Pastor  y  Rodriguez,  441, 

PatlaetTsky,  457. 

Patrizii,  173. 

Patten,  106,  328,  435,  465.  479,  48 

481. 
Pattcrson,  199. 


INDEX    DES   AUTEURS   CITÉS 


561 


Paul,  152. 
Pauli,  205. 
Pecchio,  68,  135,  !38,  192,292. 

Pederzini,  497. 

Peel,  321,  a34,  836,  348. 

Peez,  429. 

Peisse,  340. 

Pena  y  Aguayo,  441. 

Penrose,  476. 

Penot,  403. 

Pereira,  222. 

Pereira  Foriaz,  444. 

Perez,  493. 

Perez  Molina,  441. 

Péri,  167. 

Périn,  373,  389.  396,  398. 

Pernambuc,  443. 

Perni,  497. 

Perozzo,  30. 

Perry,  132,  470,  471. 

Pescatore,  500. 

Petersen  (G.).  448. 

Petersen-Studnitz,  446. 

Petitti,  183,  493. 

Petrarca,  164. 
Peto,  349. 
Petroni,  196. 

Petty,  141,  186,  240,  252,  25i.  256. 
258,  265,  270. 

Philippe  d'Orléans,  200. 

Philippi,  209. 

Pliilippovich.  33,  54.  84,   199,  433, 

434. 
Philipps,  467. 
Platon.  513. 
Play lair,  300. 
Plener,  429,  53:3. 
Picard. 401. 
Piccolomiui,  196,  197. 
Pickford.  2,  7. 
Pidgin,  476. 
Piemonte,  247. 


Pie  VI,  23U. 

Piernas  yHurtado,  442. 

Pierre  le  Grand,  224. 

Pierson.  24,  1.32,  138,  193,  220.  242, 
28i,  294.  388.  438,  439. 

Pierstofl",  424. 

Pigeonneau,  14.  401. 

Pinna-Ferra,  511. 

Pinheiro  Ferrara,  444. 

Pinto,  240. 

Piola.  511. 

Piperno, 507. 

Piret,  402. 

Pitt,  224. 

Pizzamaglio,  511. 

Platon,  147,  148,  176, 187. 

Playfair,  300. 

Plener,  429,  532. 

Pline,  151. 

Poirson,  401. 

Polhmann,  148.  260. 

Pollexfen,  219. 

Poli,  491. 

Pombal,  444. 
Ponsiglioni,  505. 
Pontano,  172, 173. 
Pontoppidan,  446. 

Posnett.  95,  96. 

Possoschkow.  453. 

Postletiiwayt.  266. 

Potter,  200,  468. 

Poullain,186. 

Po\vnall,309. 

Pozl,  38. 

Pratisuoli,  187. 

Pratt,  350. 

Predaval,  486. 

Prentice.  334. 

Pries,  240,  335,  349,  35L 

Price  Bonamy,  55.  199. 

Probyn,  349. 

Prochownik.  519, 

36 


562 


INDEX   DES    AUTEURS    CITES 


Proudhon,  384.  523.  oiT,  628.  52?. 

537.  538. 
Prouteaux.  j2. 
Puflendorf.  258.  263.  279. 
Pulssky.  -iCO. 
Pusstai.  460. 
Putlitz.  529. 
Puviani,  510. 
Puynode. 'Du),  297.310. 

Q 

Quack,  436. 

Quesnay,  2,  139,  141,  253,  265,  266. 
270,  272,  273,  275,  276,  279,  280, 
281.  282,  283,  284,  286,  288,  297, 
300,  .302,  306,  327. 

Quételet,  30,  401. 

Quincey  (De),  322. 


Rabbeno.  501,  510. 

Rabenius,  446,  451. 

Racchetti,  486. 

Racioppi,  250.  500. 

Rae,  342.  467. 

Rae  (Jolin),  475.  515. 

Ragosin,  455. 

Raguet,  475. 

Rahola,  171. 

Raleigh,  217. 

Rambaud,  374. 

Rambert,  380. 

Rameri,  499,  511. 

Ram  irez,  441, 

Raseri,  511. 

Ralzinger.  3%. 

Rau,  19.  23,  25,  132,  145,  242,  407, 

408,  444,  447,  536. 
Rava,  206, 2.37,  511. 
Rave,  542. 
Rawson,  350.  364. 
Raymond,  466. 


Rebello  da  Silva,  444. 

Reclus.  529. 

Rees  (Van).  137.  234,  235.  436. 

Reid.  30(J. 

Reimarus.  209. 

Reitzenstein,  424. 

Rembowski,  453. 

Renaud,  527. 

Renault,  41. 

Renouvier,  35,  492. 

Rentzsch,  421. 

Rerolle,  402. 

Ressi,  488. 

Restelli,  493. 

Reybaud,  378.  389,  512,  515. 

Reymond.  68.  495,  496. 

Ribbe,  395,  396. 

Ricardo,  2, 15,18,  80,  100,  134,  135. 
315,  316.  318,  320,  321,  322, 
323,  324.  325,  326,  327,  328,  333. 
335.  336,  340,  341,  342,  343.  348. 
354,  356,  358,  361,  362,  364,  375' 
377,  385,  387,  .393,  409,  423,  426. 
434,  436,  437,  4.38,  443,  447,  455, 
458,  467,  468,  469,  474,  483,  489' 
491,  494.  508,531,  539. 

Ricca-Salcrno,  21, 139,  172,173,238. 
2.39,  242,  259,   296,  298,  506,  534. 

Ricci  (L.),  182.  183. 

Ricci,  222,  490. 

Richelieu,  190. 

Richelot,  374. 

Rickards.  337. 

Richter,  421. 

Ridoifi  (A.).  486. 

Ridom(G  \  490.  SCO. 

Riedel.  23,  407. 

Ring,  448. 

Ritchie.  150.  364. 

Rivet,  40. 

Rizzari.  497. 

Robert.  217. 


INDEX  DES  AUTEURS   CITES 


503 


^ 


Robert  (Gh.),  403. 

Robin,  530. 

Rocca  (De).  458. 

Rocchi  (De),  493,  499. 

Rocco,  196. 

Rodbertus,  521,  531.  534,  5:35. 

Rodrigues.  524. 

Rodriguez.   442. 

Rodriguez  de  Brito,  443.  444. 

Rodrigues  de  Freitas,  445. 

Rogers,  28,  154,  199,  301,  3.37. 

362,  364. 
Romagnosi,  12,  .30.40, 138.  488. 

491,  494. 
Romanelli,  511. 
Rondelet,  35. 
Rooy  (De),  135. 
Roscher,  23,  45,  95,  9G,  98.  99. 

130.  1:33,  135,  1.37,  145.  15^, 

172,   186,  205,  214,  2:38.   244, 

261,  285,  288,  297,  309.  354, 

414,  415,  417,  423.  426,  428. 

534,  535. 
Roschussen,  438. 
Rose.  475. 
Rosellis  (De),  169. 
Rossi(-\.),  508. 
Rossi  (E.),  508. 
Rossi  (G.),  511. 
Rossi  (P.),  24,  40,  65.  75,  102, 

294,  374,  376,   377,  378,   491, 

495,  496. 
Rossier,  298.  299,  408,  424. 
Rouiliet,  403. 
■Rousseau,  112.  118.  279.  313. 

516. 

Rousseau  (Le),  403. 
Roy,  539. 
Rotteck,  407. 
Rovere  (Délia),  487, 
Rozy,  374. 
Rubieri,  500. 


536. 

349. 

490, 


100, 
165, 
246. 
406. 
461, 


129, 
494, 


51c 


Rubin,  448. 
Ruhland.  533. 
Rukowsky,  457. 
Rûmelin,  23,  30.  406.  416. 
Rupprecht,  289. 
Rusconi.  496. 
Ruskin,  .350. 
Russell,  a34. 


Sablowski-Desatouwski,  455. 
Sacchi,  491. 
Sagredo,  235. 
Sainte-Beuve,  529. 
Saint-Chamans,  309. 
Saint-Péravy,  274. 
Saint-Pierre,  241. 
Saint-Simon,  3-39.  523,  528.     ■ 
Salandra,  508. 
Salfi,  192. 
Salmour,  497. 
Salvatore,  499. 
Salvioli,  185. 
Salvioni.  148.511. 
Samter,  423.  533. 
Sanfllippo,  491. 
Sanfilippo,  488. 
Sanromà,  441,  442. 
Santamaria  de  Paredes,  441. 
Santangelo  Spoto,  511. 
Santillan,  442. 

Santis  (De),  193,  194.  195.  213. 
Sanz  y  Escartin,  442. 
Sappetti,  223. 

Saralegui  y  Médina  De',  443. 
Sarchiani,  235.  286. 
Sargant,  337,  521. 
Sartori,  511. 
Sartorius,  311,  312. 
Sa'ssetti,  260. 
Sato.  476. 
Saumaise.  177. 


564 


INDEX    DES    AUTEURS    CITES 


Savarese.  493. 

Savigny,  41.  96,  415. 

Savonarole,  171. 

Say  (J.  B),  22.   23,  24,  57,  69.   73. 

132,  248,  277,  292,   314,  315,  317, 

319,  320,  321,  322,  325.  328,  339, 

374,  377,  378,  383,  384.  393,  411, 

444,  447,   455,  468,  486,  488,   489, 

495. 
Say  (H.^  319. 

Say  (Léon),  348,  373.  375,  380.  403. 
Say  (Louis),  309. 
Sayer,  349. 
Sax,  11,  18,  21,  41.  43,  58.  430.  431, 

507,  508. 
Sbarbaro,  500. 
Sbroiavacca,  511. 
Scaccia.  167. 
Scarabelli.  505- 
Scarpelli.  486. 
Soaruffi,  141,  187. 
Schadwell,  24,  58,  114.  132,  338. 
Schàifle,  11,  60,  406.  409.  411,  412. 

419,  420.  422.  423.   425.  532.  533. 

534. 
Schalk  (von  der.  436. 
Scharling.  446,  448. 
Schanz,  214,  424. 
Schaw-Lefèvre,  346. 
Scheel,  132.  135,  152,  153.  277.  407. 

423,  424,  516. 
Schelle,  236,  272,  274. 
ScheJling,  536. 
Schiattarella,  96.  510. 
Schlettwein.  285. 
Schloss.  350. 
Schlosser,  285. 
Schnialz,  284. 
Schmidt.  294. 
Schmitthenner.  414. 
Schmoller,  98,  99,    172.   4U6,   411. 

418,  422.  475. 


Schneider,  421. 

Schober,  428. 

Sclion.  414. 

Schonberg.   19,  23.   61,    411.   414, 

424.  426,  428.  508. 
Schraut.  424. 
Schroder,  221,  234. 
Schullern,  432.  433.  434. 
SchuUern  -  Schrattenhofen.    501 . 
Schulze-Delitsh,  421,  531. 
Scliumacher,  410. 
Schûz,  23,  408. 
Schwab,  476. 
Schwaschenko,  457. 
Schweigaard,  449. 
Schyite,  447. 

Scialoja,    36,    68,    490.    491.    494. 

497.  498. 
Scola,  296. 
Scopoli,  496. 
Scottoni,  286. 
Scratchley.  350. 
Scrofani.  286. 
Scudder,  475. 
Scuderi.  485,  488,  489. 
Seckendorff,  221,  234.  238. 
Secrétan,  392. 
Segni,  174,  209. 
Seidler,  434. 
Seligman.  479,  481. 
Sella,  499. 
Sénèque,  151. 
Senior,  2,  7,  24.  75,    85.   113,  336. 

337,  491.  494. 
Serafini,  486. 
Ser  Cambi,  205. 
Sergio.  245,  486. 
Serra,  141,  191.  192,  193.  194.  195. 

196,  206,  213. 
Serres  (De;.  207. 
Serzedello.  445. 
Settembrini.  242. 


INDEX   DES   AUTEURS    CITÉS 


565 


Setti,  183. 

Sévin,  40. 

Seyd,  347. 

Shakspeare,  191. 

Schaw,  477. 

Shea,  466. 

Sherman,  464. 

Sidgwick,  2,  24,  25,  34.  45,  61,  72, 
84,  90,  114,  303,  .369,  .370. 

Sidney,  500. 

Sieber,  456,  458. 

Sigwart,  83. 

Silio.  101,  291. 

Silva  (Da),  443. 

Silveira  Pinto,  444,  445. 

Simon,  461. 

Simon  (J.),  402. 

Simoni  (De),  486. 

Simpson,  467. 

Sinclair,  348. 

Sinigagiia,  179. 

Sismondi,  70,   133,  185,  318,   .373^ 
389,392,393,414,447,455. 

Sivers,  277,  286. 

Skalkowski,  456. 

Skarbek,  452. 

Skarzynsky,  230,  268,  298,  453. 

Skogman,  451. 

Skrebitzky,  456. 

Smart,  364,  432. 
>-  Smith,  2,  15.  70,  79,  100,  128.  133, 
139,  14J,  211.  218,  236,  248,  249 
253,  264,  265,  266,  268,  275,  279, 
282.  288,  299.  300,  302,  303,  304, 
305,  307,  310,  311,  317,  322,  .324, 
325,  333,  335,  342,  346.  355.  364. 
384.  393,  424,  426,  437.  443.  447. 
450,  455,  467,  468,  486,  489,  494. 
539. 
Smith  (L.),  402. 
Smith  (Mayo),  479.  481. 
Smith  (Peshine),  470. 


Smith  (Prince),  420. 

Smith  (Samuel),  475. 

Socrate,  146. 

Soden,  312,  411. 

Sodoffsky,  457. 

Soetbeer,  188.  406.  421. 

Sokalsky.  458. 

Sokolowsky,  458. 

Sola.  185. 

Soldraczinsky,  453. 

Sonnenfels,  179.  247,  251.  252.  254, 
459. 

Sonnino  (G.),  500. 

Sonnino  ^P.),  500. 

Sonnleithner,  198. 

Soresina,  196,  197. 

Soro-Delitala,  511. 

Soto,  170. 

Sousa  Brandao  (De).  445. 

Sparks,  466. 

Spencer,  49,  54,  61,  368,   369,  387. 
436,  505,  533. 

Spittler,  415. 

Springer,  285. 

Srànyi,  460. 

Stafford.  141.  191,  217. 

Stammhammer.  515. 

Stawisky,  453. 

Stebbin,  476. 

Stein,  22,  45, 146, 205.  311,  406,  413, 

414. 
Steinbrenner,  422. 
Stepanow,  453. 
Steuart,  70,  182,  247.  248.  249.  2  5 

254.  269,  288,  303.  437. 
Stephen,  346. 
Stengel,  38, 

Stewart  (Dugald),  254.  299. 
Stirling,  337. 
Stivanello,  511. 
Stolp.  533. 
Stopel,  297.  519. 


583 


INDEX    DES    AUTEURS    CITÉS 


Storch.  318,  319.  383.  444. 

Story,  465. 

Stourm,  403. 

Strassbûrger,  539. 

Stringher,  511. 

Strojnowski,  285. 

Stongoli,  250. 

Struensee,  447. 

Stuart  (Cohen),  102.  436. 

Stuart  (Montgomery),  286. 

Stubbs,  350. 

Struzzi,  260. 

Sturtewant,  470,  471. 

Subbotin,  457. 

Sullivan,.  350. 

Sully,  207. 

Summenhart  de  Calw.  166. 

Sumner  Maine,  462,  463,  465.  481. 

Supino,  76,  139,  177,  505. 

Supinsky,  452. 

Siissmilch,  180,  252. 

Syme,  .355,  370. 

Széchenyi,  459,  460. 

Szokolay,  461. 


Tackeray,  533. 
Taine,  400. 
Talamo,  146. 
Tamassia,  486. 
Tammeo,  511. 
Tangorra,  511. 
Tapia,  209. 
Tarassow,  457. 
Targioni,  487. 
Tasman,  436. 
Taussig,  481. 
Tavanti,  286. 
Tayler,  349. 
Taylor,  350,  410. 
Tchaslawski,  4' 6. 
Tedeschi-Amalo.  40i 


Tedder.  326. 

Temple.  220,  221,  249. 

Tengoborski,  453. 

Tenzel.  238. 

Terrasson,  277. 

Tesauro,  185. 

Théodore,  451. 

Thierry,  400,  523, 

Thiers,  200,  530. 

Thomas,  519. 

Thomasius,  238,  244. 

Thompson  (Ellis),  132.  470. 

Thompson,  (W.),  521. 

Thonissen,  515. 

Thorner,  456,  457,  458. 

Thornton,  342,  345,  .351,  352,  354. 

Thucydide,  145. 

Thûnen,  2,    15,    89,   100.  337,  406, 

409,  410,  423, 
Tirimasew,  456. 
Tissot,  277. 

Thomas  d'Aquin,  161, 162. 
Todde,  495,  496,  505. 
Todeschi,  250. 
Toledano,  441. 
Tolomei,  233. 
Tolstoi,  455. 
Toniolo,  172,  174,  505. 
Tooke,  347,  348,  378,  425. 
Torrens,  334,  348. 
Torri,  236. 
Torrigiani,  495,  505. 
Tortora,  196,  500. 
Tourdonnet,  402. 
Townsend,  182,  300. 
Toynbee,  351,  353.  354. 
Tracy,  444. 
Transon,  527. 

Travers-Twiss,  132,  133.  141.  192. 
Tréfort,  460. 
Trevisan,  197,  198. 
Trinchera,  132,  496. 


INDEX    DES    AUTEURS    CITÉS 


567 


Trinci.  490. 
Tretjakow,  453. 
Trirogow,  450. 
Trombert,  422. 
Trylow,  456 , 
Tsehiviiew,  454. 
Tschuprow,  457,  458. 
Turbolo,  188.  213. 
Tucker,  235,  268,  318. 
Turgot,  2,   24,   235,  236.  268.  269, 
^    274,   275,  276,  278,   279,  280,  281, 

289,  293,  297,  300,  302,  306,  310, 

455. 
Turguenew.  454. 
Turri,  167. 
Tuttle,  480. 
Tydeman,  152, 153. 

U 

Ugoni,  291,  294. 

UUoa,  221,  222,  247,  249. 

Umantz,  458. 

Umpfenbach,  408,  413,  414. 

Unger,  209. 

Ure,  346. 

Ustariz,  221,  222,  247,  249. 

Uzzano,  174,  209. 

V 

Vadalà-Papale,  511. 
Valclespino,  442. 
Valenti,  492,  507. 
Valeriani,  40,  294,  485. 
Valle  Santoro,  440. 
Valleroux,  233. 
Vanderlint.  258,  259.  281. 
Vanni,  61. 
Vanno,  510. 
Varchi,  17't. 
Varron,  152. 
Vasco,  188,  230. 
^  Vauban.  229,231.  241.  242. 
Ventignano  (duc  de),  493. 


Yenturi,  250. 
Venusti,  159. 
Verdeil,  44.  402. 
Vergani,  296. 
Verger,  217. 

Vernadsky,  135.  138.  454. 
Véron,  403. 

Verri  (A.),  188. 

Verri  (P.),  70, 100, 188, 235,  289.  291 , 

292,  293,  294. 
Verrijn-Stuart.  436.  5.39. 
Vethake,468. 
Vidari,  41. 
Vignes,  403. 
Villani,  174. 
Villari,  175.  511. 
Villeneuve-Bargemont,    132,    133, 

141. 
Villermé,  394, 
Villetard,  401. 
Villey,  24,  374. 
Villiaumé,  394. 
Vincent,  235. 
Viola,  490, 
Virgilii,  31. 
Virgilio,  500. 
Vissering,  436. 

Viti  (De)  De  Marco,  193,  195,  508. 
Vivante,  41. 
Vives,  176. 
Vivien,  38. 
Vivorio,  236. 
Vocke,  424. 
Voltaire, 
Vroil  (De),  236. 
Vuitry,  403. 

W 

Wagner,  U,  19,  30,  327,  404,  406, 
409,  412.  413.  4U,  416,   4?3,  425, 


568 


INDEX   DES  AUTEURS  CITES 


426,  427,  431.  432,   475,  482.  506, 
528,  L35,  537,  538. 
Waitz.  45, 

WakePield.  3(X),  309,  342,  .346. 
Walcknaër.  268. 

Walcker,  3, 15.  23,  24,  113.  297.  366, 
406,  458,   465,  472.  474,  480.  481. 
Wallace,  5:3. 
Walpole,  224,  239. 
Walras,  24,  101,  102,  103,  104,  105, 

390,  391,  533. 
Wappaiis,  30. 
Wassilitchikow,  456. 
Wautrain-Cavagnari,  45,  46. 
Wayland,  468. 
Walthershausen.  475. 
Warschauer.  515. 
Warner,  477. 
Weber,  311. 
Webster,  463,  466. 
Week,  476. 

Weeks,  484. 

Weiss,  35,  36. 

Weisz,  297. 

Weithing,  520,  521,  522. 

Wells,  464,  476. 

Welz  (de),  489. 

Werekha.  456. 

Wesembeck,  238. 

West,  322. 

Westergaard,30,  31.  448. 

Whately,  2,  7,  70.  76.  114.  336. 

Wheeler,  217. 

Whewell.  101. 

White.  465.476.  484. 

Whittle.  350. 

Wicksteed,  102,  364. 

Whorthington,  476. 
Wicldrecht,  475. 
Wieser,  432. 
Willoughby,  476. 
Wilson,  301,  348,  349. 


Winkelblech.  534,  Kj5. 
Wilkens.  448. 
Wilson,  .348,  456.  468,  470. 
Wirminghaus,  222. 
Wirth,  132,  422,  470. 
Wiskemann,  172. 
Wisniewski,  196. 
Wissering,  144. 
Witt  (Jean  de),  234. 
Wltte,  457. 
Wolff,  244,  263. 
WolkofF,  410,  458. 

WoUemborg,  507. 

Wolowski,  95,  185,  207,  378,  402. 

Woolsey,  45,  477. 

Wollf,  421,  424. 

Wood.  480. 

Worms,  374. 

Wreden,  132,  446,  457.  458. 

Wright  (Caroll),  457. 

Wundt,  83. 

Wynnard,  364. 

Wyss.  421. 


Xénophon,  147.  148,  151. 
Y 


Yermoiow,  456. 
Young.  477. 
Y'vernès,  401. 


Zachariffi,  407. 
Zaleski.  452,  458. 
Zanardelli.  497. 
Zannini.  497. 

non.  246,  250,  511. 
Zammarano,  51t. 
Zechanowsky,  455,  457. 
Zecchi,  181,  197,     8. 


INDEX    DES   AUTEURS   GITES 


569 


Zeller.  149. 
Zennari.  493. 
Zobi,  286. 
Zorli.  507.  508.  510. 


Zeyss,  298. 
Zuccolo,  181,231,  286. 
Zuckerkandl.  257,  432. 
Zwingle,  189. 


TABLE  DES  MATIERES 


Pages 

Préface i 

Notions  préliminaires 1 

Bibliographie  de  la  propédeutiquo  économique 7 

PREMIÈRE  PARTIE.  —  Théorie. 

Chapitre  I.  —  Objet  et  limites  de  l'économie  politique  ....  11 

Chapitre  II.  —  Divisions  de  l'économie  politique 17 

Chapitre   III.   —  Rapports   de    l'économie   politique   et    des 

autres  sciences 26 

§  1.  —  L'histoire  économique 26 

§  2.  —  Statistique  économique 28 

§  3.  —  Morale  économique 31 

§  4.  —  Droit  économique 36 

§  5.  —  Economie  privée 41 

g  6.  —  Disciplines  auxiliaires 42 

A.  —  Psychologie 43 

B.  —  Technologie 43 

C.  —  Politique 44 

Chapitre  IV.  —  Caractères  de  l'économie  politique 47 

§  1.  —  Caractères  de  la  science 47 

§  2.  —  Caractères  de  l'économie  sociale 54 

§  3.  —  Caractères  de  la  politique  économique 62 

Chapitre  V.  —  Dénominations  et  définitions  de  l'économie 

politique 67 

§  1.  —  Dénominations 67 

§  2.  —  Définitions 71 

Chapitre  VI.  —  Des  méthodes  dans  l'économie  politique  ...  77 

§  1.  —  Des  méthodes  scientifiques  en  général 80 

g  2.  —  Des  méthodes  dans  l'économie  politique 83 

§  3.  —  La  méthode  historique 95 

§  4.  —  La  méthode  mathématique 101 

Chapitre  VII.  —  Importance  de  l'économie  politique 106 

Chapitre  VIII.  —  Réponse  à  quelques  objections 114 


572  TABLE 

DEUXIÈME  PARTIE.  —  Histoire. 

Pages 

Chapitre  I.  —  L'histoire  de  l'économie  politique 127 

Chapitre  II.  —  L'époque  fragmentaire 141 

§  1.  —  L'économie  politique  dans  l'antiquité 142 

A.  —  Orient 143 

B.  —  Grèce 144 

C.  —  Rome 151 

§  2.  —  L'économie  politique  des  scolastiques 153 

A.  —  xiir  siècle 162 

B.  —  xive  siècle 163 

C.  —  XV'  siècle 166 

D.  —  xvi"  siècle  et  xvii*  siècle 167 

§  3.  —  L'économie  politique  des  Humanistes 171 

A.  —  XV'  siècle 172 

B.  —  XVI'  siècle 174 

C.  —  Les  utopistes  du  xvi»  et  du  xviic  siècle 175 

D.  —  La  légitimité  de  l'intérêt '. 177 

Chapitre  III.  —  Les  monographies 179 

§  1.  —  La  population  et  l'assistance 180 

§  2.  —  La  monnaie 183 

§  3.  —  L'enchérissement  des  prix 189 

§  4.  —  Les  paiements  internationaux 192 

§  5.  —  Les  banques  de  dépôt  et  de  circulation 196 

Chapitre  IV.  —  Les  systèmes  empiriques 203 

§  1.  —  Le  système  annonaire 207 

■  Jk   §  2.  —  Le  système  mercantile 209 

A.  —  La  prohibition  de  l'exportation  de  la  monnaie.  212 

B.  —  La  balance  des  contrats 213 

C.  —  La  balance  du  commerce 217 

Chapitre  "V.  —  La  réaction  libérale  et  l'éclectisme 227 

§  1.  —  Le  protectionnisme  agraire 227 

g  2.  —  La  liberté  industrielle 233 

§  3.  —  Les  théories  et  les  réformes  financières 237 

§  4.  —  Chaires,  journaux,  académies 243 

§  5.  —  L'éclectisme  bureaucratique  et  l'éclectisme  de  la 

chaire 247 

Chapitre  VI.  —  Les  précurseurs  de  la  science 253 

§  1.  —  La  production  et  la  distribution 254 

§  2.  —  La  valeur  et  l'impôt 257 

§  3.  —  La  liberté  absolue  du  commerce 259 

§  4.  —  L'école  écossaise 262 

§  5.  —  Les  précurseurs  immédiats 265 

Chapitre  VII.  —  Le  système  physiocratique 271 

§  1.  —  L'école  de  Quesnay 272 


TABLE  573 

Pages 

§  2.  —  Turgot 276 

§  3.  —  Les  bases  du  système 279 

§  4.  —  La  Physiocratie  à  l'étranger 284 

§  5.  —  Les  critiques  de  la  Physiocratie 287 

§  6.  —  Galiani,  Beccaria,  Verri,  Ortes 290 

Chapitre  VIIL  —  Adam  Smith  et  ses  successeurs  immédiats.  297 

g  1.  —  La  vie  et  les  travaux  de  Smith 298 

§  2.  —  La  richesse  des  nations.   . 301 

§  3.  —  Adversaires,  disciples  et  critiques 308 

§  4.  —  Malthus  et  le  principe  de  population 313 

§  5.  —  J.-B.  Say  et  la  théorie  des  débouchés 316 

§  /î.  —  Ricardo  et  la  théorie  de  la  distribution 320 

Chapitre  IX.  —  L'économie  politique  en  Angleterre .331 

S  1.  —  Ledéveloppement  ultérieur  de  l'économie  classique  335 

§  2.  —  John  Stuart  Mill 338 

§  3.  —  Les  monographies 346 

§  4.  —  Critiques  et  adversaires 350 

§  5.  —  L'état  actuel 361 

Chapitre  X.  —L'économie  politique  en  France 373 

§  1.  —  L'école  classique 376 

§  2.  —  Les  optimistes 382 

§  3.  —  Les  écoles  dissidentes 389 

§  4.  —  Les  monographies 400 

Chapitre  XL  —  L'économie  politique  en  Allemagne 404 

§  1.  —  L'école  classique 407 

S  2.  —  L'école  historique  et  ses  dérivations 414 

§  3.  —  Économistes  libéraux  et  socialistes  de  la  chaire.   .  420 

Chapitre  XII.  —  L'économie  politique  en  Autriche,  dans  les 

Pays-Bas,  en  Espagne  et  en  Portugal 429 

§  1.  —  L'école  austro-allemande 429 

§  2.  —  L'économie  politique  dans  les  Pays-Bas 435 

§  3.  —  L'économie  politiq  le  en  Espagne 439 

S  4.  —  L'économie  politique  dans  le  Portugal 443 

Chapitre  XIII.  —  L'économie  politique  dans  les  pays  Scandi- 
naves, slaves  et  magyars 446 

g  1.  —  Pays  Scandinaves 

A.  —  Danemark 446 

B.  —  Norwège 449 

C.  —  Suède  et  Finlande 450 

§  2.  —  Pays   slaves 

A.  —  Pologne  et  Bohème 452 

B.  —  Russie 453 

§  3.  —  Hongrie 459 

Chapitre  XIV.  —  L'économie  politique  aux  États-Unis.   .   .   .  462 

§  1.  —  L'école  nationale  et  l'école  cosmopolite 465 

S  2.  —  Optimisme  restrictif  et  optimisme  libéral 468 


Oii  TABLE 

Pages 

§  3.  —  L  école  classique 471 

§  4.  —  Henri   George 473 

§  5.  —  Les  monographies 475 

§  6.  —  L'état  actuel 477 

Chapitre  XV.  —  L'économie  politique  en  Italie 485 

§  1.  —  De  1800  à  18U 485 

§  2.  —  De  1815  à  1830 487 

§  8.  —  De  1831  cà  1848 490 

§  4.  —  De  1849  à  1861 494 

§  5.  —  De  1862  à  1871 498 

§  6.  —  L'état  actuel 501 

Chapitre  XVI.  —  Le  socialisme  théorique  contemporain.  .  .  512 

§  1.  —  Le  communisme 516 

§  2,  —  Le  socialisme  proprement  dit 522 

§  3.  —  Le  collectivisme 532 

Index  des  auteurs  cités 543 


(Traduit  par  Alfred  BONNET). 


i.V 


]tAô, 


Beauvais.  —  linpr.  rroressionnelle,  i,  rue  Mcolas-Godin 


Bibliothèques 

Université  d'Ottawa 

Echéance 


Libraries 
University  of  Ottâ 
Date  Due 


PIETES 

2  ^  DEC.  m\ 
MORfSSET 

1^  M.  mi 


^u 


wm  iiiii 


f^'m    00>^.&i280b