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BIBLIOTHÈQUE INTERNATIONALE D'ÉCONOMIE POLITIQUE
publiée sous la difeclion de Alfred BONNET
mSTOII^E
DES
DOCTRINES ÉCONOMIQUES
PAR
LuiGi COSSA
Trofesseur à l'Université ie Pavic
AVEC UNE PREFACE
DE A. DESCHAMPS
Professeur aurégc'
à la Faculté de droit de l'Université de Paris
PARIS
Y. GIARD & E. BRIÈRE
/ LIBRAIRES-ÉDITEURS
16, rue Soufflot, 16
1899
PRÉFACE
II paraît être dans la destinée des ouvrages du pro-
fesseur Louis Gossa d'obtenir les honneurs de la tra-
duction en langues de tous pays. Pour des œuvres
qui veulent être de vulgarisation, rien ne saurait être
plus flatteur, si rien ne peut mieux montrer que le
but visé a été atteint.
Le livre dont M. Bonnet offre aujourd'hui la tra-
duction au public français est, depuis assez long-
temps déjà, apprécié comme il le mérite, non-seule-
ment en Italie, son pays d'origine, mais aussi en
Espagne, en pays de langue allemande et en pays
de langue anglaise, où des traductions l'ont répandu.
Celle que nous donne le traducteur français est
d'ailleurs préférable aux traductions espagnole, alle-
mande et anglaise; car elle est prise de la troisième
édition italienne 1892). Et, en lisant les Notions pré-
lù/imaires écniespav L. Gossa lui-même en tête de
cette troisième édition,, on verra en quoi elle ne peut
qu'être supérieure aux deux premières. L'ouvrage a
été si sérieusement remanié, que l'auteur a cru
devoir marquer la transformation par un signe exté-
rieur, par une légère modification du titre : le Guida
allô studio dell' Economia polilicaest dexenuV Inlivdu-
zione allô studio dell' Economia yolitira.
11 convient d'ajouter que cette traduction française
Il PRÉFACE
a été faite sur le manuscrit de la 3"= édition révisé
p.'ir L. Gossa postérieurement à sa publicnlion, et
mis à la disposition du traducteur par le fils de l'au-
teur, le professeur Emile Gossa. Les quelques adjonc-
tions ou suppressions qu'on pourra relever si l'on
rapproche de la présente traduction le texte italien
de la3° édition ne devront donc pas être imputées à
la fantaisie ou à la négligence du traducteur, dont
nous avons pu suivre les scrupuleux efforts et à la
probité scientifique duquel nous nous plaisons à
rendre hommage.
La création récente, dans nos Facultés de Droit,
d'un doctorat ès-sciences politiques et économiques,
dont le programme comporte l'étude historique des
doctrines économiques, fait vivement sentir le
besoin d'ouvrages tels que celui dont M. Bonnet
nous donne la traduction. V Histoire de V Economie
politique d'Adolphe Blanqui, déjà ancienne 1837,
V éd. , et qui est autant, sinon plus, une histoire
des faits qu'une histoire des doctrines, YHistoire de
^Economie politique de M. Ingram traduction
française par MM. H. de Varigny et E. Bonne-
maison, 1893 , l'Histoire des doctrines économiques
de M. A. Espinas, YHistoire des systèmes économiques
et socialistes de M. H. Denis ;1897\, ouvrages fort
estimables, donnent déjà, dans une large mesure,
et par la diversité même de leurs caractères, un
commencement de satisfaction à ce besoin. La
traduction du livre de L. Gossa vient puissamment
augmenter les ressources de l'étudiant français. Nul
doute que, d^ici à quelques années, ces ressources ne
PREFACE II [
s'accroissent de publications dues à ceux de nos
collègues des Facultés de Droit qui enseignent
l'histoire des doctrines économiques. Nous en avons
déjà les prémisses dans l'élégante et instructive
Histoire des doctrines économiques dans la Grèce
anticjue de M. A. Souchon.
Les bonnes volontés peuvent se mettre à l'œuvre.
De longtemps il n'y en aura trop. Le besoin auquel
il s'agit de satisfaire est un de ceux qui demandent
du temps poursecréerunorganeparfaitement adapté.
En parlant ainsi, nous avons en vue, que cela
soit bien entendu, le besoin d'ouvrages de vulgari-
sation. Nous n'avons à aucun degré la pensée de
diminuer les mérites des ouvrages jusqu'ici parus.
La science des auteurs n'est point en cause : elle est
assurément fort au-dessus de la notre, n'y en eût-il
que cette raison — qui n'est point la seule — que
l'acquisition des connaissances historiques exige de
longues années. Et si nous ne citons pas ici telles ou
telles importantes histoires des doctrines écono-
miques publiées en Allemagne, en Hongrie, en An-
gleterre, en Russie, etc., ce n'est point que nous
ne les estimions à leur juste et grande valeur scien-
tifique, mais simplement parce que, pour la plupart,
elles sont plutôt des matériaux pour l'ouvrage de
vulgarisation à écrire, et qu'ainsi, par leur érudition
même, elles sont moins proches du but que nous
avons en vue que les ouvrages dont nous avons
donné les titres.
Ce but, — qui n'est point le seul assurément, ni
peut-être le plus élevé que puisse viser un historien
des doctrines, mais qu'il est naturel qu'un profes-
IV PREFACE
seur chargé de cet enseignement considère avec
sollicitude, — c'est TefTet utile de l'histoire publiée.
Or, pour que l'effet en soit utile, force est bien de
prendre en considération la réceptivité, si l'on nous
permet cette expression, des lecteurs auxquels elle
s'adresse. En France, actuellement, la grosse clien-
tèle de l'historien des doctrines, ce sont nos
candidats au doctorat es- sciences politiques et
économiques, — par conséquent des jeunes gens,
qui sont moins des spécialistes que des candidats-
spécialistes, et qu'il s'agit de former par une com-
plète instruction économique. Et, précisément, la
difficulté, pour l'historien des doctrines, vient de ce
qu'il s'adresse à des lecteurs dontrinstruction dogma-
tique devrait être déjà forte et solide, mais ne l'est pas
d'ordinaire comme il serait désirable qu'elle le fût.
La faute en est-elle à eux? Il serait injuste de le
prétendre. A l'époque où ils commencent l'étude
historique des doctrines, ils ont, en grand nombre,
oublié les notions d'économie politique générale qui
leur ont été données dans leur première année de
licence. Deux ans, trois ans même, voire quatre ans.
si le service militaire est venu interrompre leurs
études, se sont passés depuis lors. Que leur reste-t-il
de leurs connaissances dogmatiques? Ce sont des
novices, à qui l'on va parler comme à des vétérans.
Voilà une première source d'embarras. Elle est
d'ordre universitaire et pédagogique et peut donc
être tarie. L'historien des doctrines, lui, n'y peut
rien; mais, tant qu'elle subsistera, il sera comme
paralysé dans ses efforts.
Même en supposant des lecteurs pourvus d'une
PREFACE V
suffisante instruction dogmatique, il reste qu'une
liistoire utile des doctrines économiques est œuvre
difficile à réaliser. Il faut bien se dire, en effet,
que l'immense majorité de ceux qui liront l'ouvrage
ne seront pas ni n'auront l'ambition de devenir des
érudits ès-connaissances économiques^ ce dont on
ne saurait les blâmer. Ce qu'il leur faut, et qu'il
est désirable qu'ils aient, parce qu'à cela seul ils
s'intéresseront et de cela seul ils tireront profit,
c'est une histoire qui, lue avec elfort d'attention,
laisse dans l'esprit le sentiment d'un acquis réel,
simple, coordonné, constitué par des idées plus que
par des noms d'auteurs et des titres d'ouvrages, par
des impressions nettes plus que par des analyses
détaillées désoeuvrés. Ce livre existe-il ? C'est à ceux
qui en ont éprouvé le besoin, et qui ont cherché aie
satisfaire, de répondre. Que si leur réponse compor-
tait des réserves, nous nous permettrions de leur
dire que la faute assurément n'en est pas à ceux
qui se sont mis à la tâche, mais à l'extrême difficulté
de la tache elle-même, — difficulté dont on ne peut
prendre, croyons-nous, pleinement conscience qu'à
la condition de s'y être heurté, de s'être, à chaque
instant, débattu contre elle et surtout d'avoir été
témoin de l'état d'esprit des jeunes gens — j'entends
des plus studieux — qui désirent sincèrement s'ini-
tier à ces études et en tirer profit.
Quoi qu'il en soit, la première qualité d'une
œuvre de ce genre, c'est d'être, comme l'on dit,
aussi « objective •> que possible. Et, à ce titre, sans
en compter beaucoup d'autres, le livre du professeur
L. Gossa est éminemment recommandable. Il n'y a
V[ PREFACE
qu'un point sur lequel il se montre intransigeant,
— et, sur ce point, qui d'ailleurs est plutôt question
de conception des études économiques elles-mêmes
qu'alYaire d'histoire des doctrines, nous sommes
volontiers intransigeant comme lui, — c'est celui
de la distinction de la science économique et de
l'art politique ou social. Encore ceux qui repoussent
cette distinction ne sauraient-ils en faire grief à
riiistorien, puisque ce n'est point dans la partie
historique de son livre, mais dans sa partie théo-
rique, qu'il traite cette question brûlante, bien que
déjà ancienne.
A ce propos, disons quelques mots de l'économie
de l'ouvrage et de sa division en deux parties. Pour-
quoi cette Partie théorique, en 124 pages, par laquelle
débute un livre connu surtout comme histoire des
doctrines?
C'est que l'intention première de L. Cossa fut
d'écrire un Guide ^jour l'étude de CEconomie poli-
tique [Guida alto studio delCeconomia politicaj. Non
pas un guide pour débutants : nous ne croyons pas
méconnaître la pensée ni trahir les espérances de
l'auteur, en disant que des débutants dans l'Eco-
nomie politique ne tireraient presqu'aucun profit
de la lecture de son livre, parce qu'ils ne le compren-
draient vraiment pas, si éminentes que soient ses
qualités de méthode et de clarté ; mais un guide pour
ceux qui veulent entreprendre l'étude « appro-
fondie » [studio approfondito^ p. 1) de notre science
et qui, par conséquent, en possèdent déjà les
éléments.
PREFACE VII
Dès lors, cette première partie, qu'il appelle
Partie théorique, n'est nullement un exposé, ni
même un résumé de la dogmatique économique
dans son état présent. C'est un exposé magistral, et
d'une parfaite netteté, de la conception même de
l'Economie politique, de son objet, de ses caractères
et de sa méthode. L'histoire des doctrines peut faire
courir à des esprits encore insuffisamment préparés
un risque grave, qui est de leur donner à croire que
ce qu'on leur a jusqu'alors présenté comme une
science susceptible de systématisation n'est peut-
être qu'un ensemble plus ou moins artificiellement
coordonné d'opinions successives, de manières de
voir et de penser individuelles et subjectives, qu'il
n'y a que des doctrines et pas de science écono-
mique, un désir scientifique, mais pas d'acquis ni
peut-être même pas de possibilité d'acquis scienti-
fique. C'est alors la déroute pour l'esprit, la désillu-
sion, voisine du découragement, sinon du dédain.
La centaine de pages que L. Gossa consacre à
ramasser et exposer avec fermeté ses idées à ce
sujet sont un excellent cordial, un précieux viatique
pour l'étude historique qui suivra. Les jeunes
gens qui s'en seront nourris iront plus allègrement
jusqu'au bout de la tâche, et si, malgré tout, ils
éprouvent des défaillances après avoir lu tout
l'ouvrage, qu'avant de le fermer ils reviennent à
ce début, pour le relire et le méditer. Qu'ils se
disent bien que, si un savant comme le professeur
L. Cossa, qui connaît mieux qu'eux l'histoire des
doctrines, loin d'en être troublé dans sa conviction
scientifique, y a puisé au contraire une conviction
VIII PllÉFACE
plus forte, c'est qu'il s'en trouve sans doute des
raisons dans l'histoire même des doctrines, ([ui ne
leur apparaît à eux, pour le moment, que comme
uin' raison de douter. Un peu de science nuit aux
convictions économiques, beaucoup de science y
ramène.
Cette Partie théorique présente un autre cai-Mctère
et une autre utilité : elle peut être donnée comme
une histoire des doctrines actuelles (si ces deux
expressions ne jurent pas d'être accouplées sur la
conception môme de l'Economie politique. Les
divergences et discussions à ce sujet ne se prêtent
guère à un exposé proprement historique, parce
qu elles sont assez récentes, et qu'elles durent, si
encore elles ne sont pas plus vives aujourd'hui que
jamais. La question de méthode y trouve naturelle-
ment sa place, question dont la portée a été étrange-
ment surfaite de nos jours, au point que des écoles
ennemies en sont nées, s'excommuniant les unes
les autres avec un esprit d'exclusivisme qui n'est
pas sans ridicule lorsqu'on voit leurs adeptes, une
fois sortis des discussions théoriques et trop sou-
vent verbales, se mettre à l'œuvre cl publier des
onvi'agps : si le drapeau de l'école n'était déployé
dans la préface, on n'aurait souvent aucune raison
de le reconnaître à la lecture du livre. Et
comment aussi retenir un sourire, lorsque ces
écoles rivales revendiquent à l'envi — comme on
voit plusieurs communes réclamer l'honneur d'être
le berceau d'un même homme illustre — tel grand
nom de l'Economie politique, qui n'a pas éprouvé
le besoin de nous avertir de sa méthode et auquel
PREFACE IX
on peut ainsi en attribuer de différentes. Les uns
disent qu'Adam Stnith est un déductif, et ils ont
raison; les autres, qu'il est un enquêteur, un « his-
toriste », un inductif, et ils n'ont pas tort; Stanley
levons estime que les raisonnements de Smith sont
mathématiques, et l'on peut l'estimer avec lui, bien
qu'il soit très vrai aussi, et nullement contradic-
toire, de lui attribuer une méthode psychologique.
Ne ferait-on pas mieux de convenir que la bonne
méthode est celle qui use de tous les moyens suivant
l'objet, suivant le côté de la vérité qu'on veut
découvrir, suivant les circonstances et les diffi-
cultés, contrôlant le résultat des uns par le résultat
des autres, usant de toutes les ressources de l'intel-
ligence et n'en excluant aucune, comme si Ton en
avait trop! Le professeur L. Gossa met au point,
avec infiniment de justesse et de bons sens, ces
controverses sur la méthode. Puisse, dans l'intérêt
de la science économique, se faire l'apaisement et
la conciliation entre les professionnels sur ces
questions d'école, trop stériles pour la place qu'elles
ont tenue? Nous espérons que la récente brochure
de M. Emile Levasseur [De la méthode dans les
sciences économiques. Paris, 1898) contribuera lar-
gement à cet apaisement, au moins chez ceux qui
ont plus le souci des progrès de la science que
celui de leur propre personnalité.
La seconde partie de l'ouvrage de L. Cossa^ qui
forme en réalité le corps du volume, est l'histoire
des doctrines économiques. Elle représente assuré-
ment un travail énorme, et cependant l'auteur nous
X PREFACE
dit modestemont qu'elle n'est qu'un « résumé
d'histoire externe des théories économiques »
(p. 139). Chacun sait qu'un résumé demande plus de
temps et d'efforts qu'une œuvre développée, puis-
qu'à tout le travail nécessaire pour être en mesure
de faire œuvre développée, doit s'ajouter le travail
de condensation raisonnée et de choix éclairé. Ce
n'est du moins qu'à ces conditions qu'un résumé est
œuvre scientifique. Résumer l'œuvre développée
d'aulrui ne sera jamais qu'un travail de qualité très
intérieure. Tel n'est pas le cas du professeur
L. Gossa.
Mais qu'entend-t-il par Ihistoire externe dos
doctrines, et à quoi par là fait-il opposition ?
« L'histoire externe, nous dit-il lui-même (p. \'2i)\
« est celle qui étudie l'origine et le développement
« des théories et des systèmes, considérés dans leur
« ensemble et dans leurs parties principales, sans
« descendre aux menus détails. » Elle diffère «de
« l'histoire interne, en ce que celle-ci recherche la
« formation et les progrès des différentes théories
<c particulières, celles, par exemple, de la valeur, de
« la monnaie, de la rente, des impôts, et dont on
« fait souvent précéder ou suivre leur exposé doc-
« trinal. » Cette déhnition. ou plutôt cette concep-
tion de l'histoire interne, s'applique en quelque sorte
littéralement, parmi les ouvrages de langue fran-
çaise, au précieux ouvrage de M. Maurice Bloek :
Le.v pro'jrès de la Science économique depuis Adam
Smitli; révision des doctrines économiques (2 vol.,
Paris, 2« éd. 1897.)
Si nous voyons bien la différence entre ces deux
PREFACE XI
types d'ouvrages historiques, celui de L. Gossa et
celui de M. Maurice Block, nous concevons moins
bien le principe de distinction entre l'histoire
externe et l'histoire interne tel que le pose L, Gossa.
VHisloire des systèmes économiques et socialistes de
M. Hector Denis répond assurément à la définition
donnée par L. Gossa de l'histoire externe des
doctrines, et cependant elle donne au plus haut
point l'impression d'une histoire interne des sys-
tèmes, sans que cependant elle ressemble en rien
ni à la définition de Gossa sur ce type d'histoire ni
à l'ouvrage de M. Maurice Block. A notre sens, s'il
y a lieu de distinguer entre l'histoire externe et
l'histoire interne, le principe de la distinction ne
saurait être dans le degré de minutie des détails ni
dans ce que l'une étudie les systèmes dans leur
ensemble et l'autre les différentes théories particu-
lières. L'étude historique d'une théorie particulière,
par exemple de celle de la valeur, pourrait aussi
bien revêtir le caractère interne, et, d'autre part, la
quantité des détails ne ferait rien à la chose, leur
nature seule importerait. Nous reconnaîtrions
l'histoire interne à ce qu'elle serait principalement
une histoire des idées et l'histoire externe à co
qu'elle serait une notation précise de la date d'appa-
rition de ces idées, des pays où elles sont nées, de
ceux où elles se sont répandues, de la forme sous
laquelle elles se sont propagées (écrits, enseigne-
ment, traités, polémiques), des noms des auteurs, et
de leur priorité quand on les prétend novateurs, de
leur valeur scientifique et de leur nombre quand on
les représente comme des adeptes.
XII PREFACE
Et, dans la réalité, c'est bien cette histoire externe
que nous donne L. Gossa.
Mais dans quelle mesure ces deux types d'histoire
peuvent-ils être séparés sans inconvénient? L'his-
toire externe manquera de vie et se perdra dans les
détails biographiques et bibliographiques, si This-
loire des idées ne reste point sa base et sa justifica-
tion, si elle n'en est point l'âme. Et l'histoire des
idées, sans une certaine dose d'histoire externe, ne
fera-t-elle point, à l'inverse, l'effet d'une àme sans
corps? L'historien ne risquera-t-il pas de paraître
se substituer aux écrivains et aux œuvres dont il
dit faire l'histoire, et écrire un exposé de ses ima-
ginations historiques?
La vérité est qu'il y a là une question de dosage,
une difficulté de titre et d'alliage, très délicate à
résoudre au gré du lecteur. Dans l'ouvrage du
professeur L. Gossa, l'histoire externe est assuré-
ment l'élément prédominant. Mais l'auteur était
trop expérimenté pour n'y point allier l'histoire
interne dans la proportion indispensable.
L'histoire des idées, pour être exacte, suppose
chez ceux qui l'entreprennent une connaissance
très complète de l'histoire externe. Le professeur
L. Gossa a mis à notre disposition sa grande érudi-
tion, éclairée par une science économique très sûre.
Son ouvrage est, si l'on peut dire, un outillage per-
fectionné offert à tous ceux que préoccupe l'histoire
des doctrines économiques.
A. Deschamps.
NOTIONS PRÉLIMINAIRES
Il semble naturel et raisonnable de commencer
l'étude approfondie d'une science par des recherches
propédeutiques sur son objet, son rôle et son but, sur
les limites qui la séparent des disciplines voisines et sur
leurs relations réciproques, sur la meilleure division
des matières qu'elle comprend, sur les méthodes d'in-
vestigation qui lui sont propres, sur les difficultés
qu'elle présente et sur l'importance théorique et pra-
tique de leur solution. Ces préliminaires théoriques
doivent être suivis d'un exposé des origines, des pro-
grès et des transformations subies par la discipline elle-
même dans le cours des temps, pour expliquer ainsi son
état actuel, qui se reflète dans les controverses agitées
par les représentants les plus autorisés des différentes
écoles et en partie aussi dans les critiques de ceux de
ses adversaires qui ne sont pas trop incompétents.
Cette nécessité n'a été que bien rarement ressentie
par les hommes de génie auxquels nous devons les
progrès les plus importants des sciences physiques et
des sciences morales. Ils n'ont pas, d'ordinaire, écrit
des œuvres didactiques, et si leur esprit inventif leur a
inspiré des œuvres magistrales, ils ne se sont nullement
préoccupés de faire connaître aux lecteurs les prémisses
2 NOTIONS PRÉLOUNAIHES
qui leur servaient de point de départ, les buts auxquels
ils tendaient, les voies qu'ils avaient choisies pour arriver
plus rapidement à leur fin.
L'économie politique nous fournit une preuve cu-
rieuse et manifeste de cette observation dans les œuvres
de ses grands maîtres: Quesnay, Turgot, Smith, Ricar-
do, et même dans celles de beaucoup de leurs illustres
continuateurs, Thiinen, Hermann, Mees, etc., qui n'ont
jamais exposé, ou qui n'ont indiqué qu'en passant, les
fondements rationnels de leurs théories.
Vers 1830, quelques écrivains anglais, sur ce point
encore des précurseurs, ont jugé bon de s'occuper,
dans des monographies spéciales, des définitions (Mal-
thus) et de la méthode (Stuart Mill) de l'économie poli-
tique, tandis que d'autres (Whately, Senior et d'une
façon plus complète Cairnes) en firent l'objet de cours
spéciaux. Les résultats les plus certains de ces recherches
se trouvent résumés et formulés avec une rigoureuse
circonspection et illustrés ptir de nombreux exemples
dans le livre récemment publié par Keynes, dont on
doit hautement apprécier la doctrine, la modération, la
précision et la clarté. C'est là un témoignage remar-
quable de l'union féconde de l'économie et de la philo-
sophie, qui caractérise traditionnellement les meilleurs
écrivains de la Grande-Bretagne depuis Hume et Smith
jusqu'à Jevons et Sidgwick.
L'exemple des Anglais a été suivi, et d'autres ouvrages
propédeutiques ont été depuis publiés en Allemagne
par Pickford, en France par Dameth, en Espagne par
Carreras y Gonzales et, parmi les auteurs vivants, par
NOTIONS PRÉLIMINAIRES 3
l'érudit M. Kautz, par le pénétrant M. Lampertico, par
le profond M. Menger, et par les jeunes et laborieux
professeurs MM. Laurence Laughlin et Ely.
J'ai tenté l'entreprise, il y a quinze ans, en publiant
mon Guida allô studio delV economia fjolitica. J'ai
résume dans ce livre les préliminaires théoriques de
l'économie en y ajoutant un aperçu historico-critique,
fruit d'études patientes, d'après les sources et en utili-
sant les meilleures monographies. Je désirais suppléer
ainsi à l'absence de notices historiques dans les œuvres
citées ci-dessus, si l'on fait exception de celle de Kautz,
déjà alors ancienne et criticable pour ses jugements
incertains, son ordre défectueux, et d'infinis détails
d'utilité douteuse, mais que n'ont pas encore rendue
inutile les excellentes histoires publiées depuis par
Duhring. Eisenhart, Ingram, Espinas. Ces écrivains,
en effet, ou bien n'ont pas tenu compte des derniers
résultats des recherches spéciales , dispersées dans
des livres, des opuscules, des articles difïîciles à se
procurer (Duhring, Eisenhart et Espinas), ou bien ils
ne les ont utilisés qu'en partie (Ingram), ou bien ils ont
entassé, sans choix et sans ordre, des données biogra-
phiques et bibliographiques étrangères au sujet (Wal-
cker), ou bien ils ont fait des principaux auteurs une
critique pénétrante mais trop subjective (Eisenhart et
Ingram) et quelquefois même sans observer la cour-
toisie la plus élémentaire (Duhring et Walcker).
L'accueil favorable fait à mon petit ouvrage et le
rapide succès de deux éditions italiennes, de deux édi-
tions espagnoles, d'une édition allemande augmentée
4 NOTIONS PRÉLIMINAIRES
dénotes utiles par Moormeister, et d'une édition an-
glaise (enrichie d'une préface de Jevons et très répan-
due même dans les Universités des États-Unis), ne
suffirent pas à m'en cacher les lacunes et les défauts
nombreux de fonds et de forme, même si on compare cet
ouvrage à quelques-uns de mes travaux, dans lesquels
l'ordre, les proportions, la brièveté et la clarté sont
observés avec un soin beaucoup plus grand.
On pouvait en effet me reprocher mon silence sur les
systèmes des socialistes scientifiques et sur les écrivains
Scandinaves, slaves, hongrois, les indications absolu-
ment insuffisantes sur les économistes américains^
l'ordre trop rigoureusement chronologique suivi dans la
partie historique, les critères parfois inexacts dans la
critique des différentes écoles, les citations d^écrivains
de peu d'importance (notamment des écrivains italiens),
la réfutation trop minutieuse des objections faites à
l'économie et quelques inexactitudes sur quelques autres
points de la partie théorique.
Pour remédier de mon mieux à ces défauts, qui ne
m'ont été signalés qu'en partie par les observations de
quelques écrivains compétents et bienveillants (je dois
citer principalement Adamson, professeur à Manchester,
et Keynes, professeur à Cambridge), et aussi pour céder
aux instances de l'éditeur anglais et du traducteur
espagnol (Ledesma y Palacios, professeur à Valladolid)
et de l'excellent éditeur italien, Ulrico Hoepli, j'ai
refait mon travail. J'ai modifié le titre, l'ordre des ma-
tières et en grande partie le contenu, tout en conservant
à l'ouvrasre son caractère de livre élémentaire, écrit
NOTIONS PRÉLIMINAIRES 5
avant tout pour mes auditeurs, afin qu'ils puissent ap-
prendre seuls les notions propédeutiques que le nombre
croissant des congés scolaires ne me permet plus de
développer suffisamment dans mes cours oraux. J'ose
espérer que cette compilation, dans sa forme nouvelle,
répondra au but modeste qu'elle se propose, et qu'elle
reprendra la place que l'indulgence des lecteurs lui
avait donnée dans les années qui ont suivi sa première
édition.
Pauie, 30 avril 1891.
L. G.
^
BIBLIOGRAPHIE
DE LA
PROPÉDEUTIQUE ÉCONOMIQUE
Th. Rob. Malthus, The définitions in political economy. Lon-
don, 1827 (réimprimé en 1853).
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on the method of investigation proper to it. (1830). Dans
ses : Essays on some unsettled questions, etc. London, 1844
(2«édit., 1874).
Rich. Whately, Introductory lectures on political economy.
London, 1831 (5*= édit., 1855).
N. W. Senior, Four introductory lectures on political economy
(1847). London, 1852.
J. E. Cairnes, The character and logical method of political
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1888).
D. Julius Kautz, Théorie und Geschichte der National-Oeko-
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E. Pickford, Einleitung in die Wissenschaft der politischen
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H. Dameth, Introduction à l'étude de l'économie politique.
Paris, 1865(2" édit., 1878).
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M. Carreras y Gonzales, Philosophie de la science économique .
Madrid et Paris, 1881.
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8 BIBLIOGRAPHIE
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York, 188.".
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York, 1889 (réimprimé sous le titre de : Ouilines of écono-
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J. N. Keynes, Tke scope and metliod of polUical economy.
London, 1891.
PREMIERE PARTIE
THÉORIE
m
CHAPITRE PREMIER
OBJET ET LIMITES DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE
Si on considère les actions de Thomme, (qu'on l'ima-
gine dans un état d'isolement ou qu'on l'étudié dans la
société domestique, civile et politique), on voit qu'elles
ont en grande partie pour but de lui procurer, directe-
ment par la production ou indirectement par l'échange,
l'ensemble des biens matériels nécessaires à sa conser-
vation et à son perfectionnement.
L'étude des phénomènes qui sont le résultat de cette
activité forme l'objet de deux disciplines, dont le but est
entièrement différent et que quelques écrivains (Her-
mann, Schâffle, Wagner, Sax) ont essayé de détermi-
ner avec plus ou moins de précision. Ce sont la tech-
nologie, qui étudie les richesses au point de vue
physique et objectif et qui, en utilisant les vérités
enseignées par les sciences mathématiques et naturelles,
indique les procédés à suivre pour obtenir des produits
tout à fait conformes au but auquel ils doivent servir,
et l'économie, qui étudie les richesses au point de vue
moral et subjectif, c'est-à-dire dans leurs relations avec
le réseau complexe des intérêts publics et privés qui
naissent de la lutte incessante que l'homme, stimulé par
des besoins susceptibles d'une augmentation indéfinie,
doit soutenir contre la nature, limitée dans les matières
comme dans les forces qui la constituent. L'agriculteur
12 OBJET ET LIMITES
qui défriche un terrain, qui Tensemence, qui le cultive
pour en recueillir les fruits, s'inspire de critères tech-
niques quand il se procure les semences, les machines,
les instruments appropiés à l'obtention des produits
qu'il désire ; il s'inspire au contraire de critères écono-
miques, quand il prépare et exécute les travaux agri-
coles de façon à obtenir la plus grande utilité avec la
moindre somme d'efforts, de sacrifices et de risques.
D'ailleurs l'économie, ou selon une autre expression la
science économique, ne forme pas une discipline unique ;
elle constitue un groupe de disciplines qui ont un objet
commun, mais qui se distinguent nettement entre elles
par les rôles qu'elles jouent et par les buts qu'elles .se
proposent.
La plus importante de ces disciplines c'est, à plus
d'un titre, l'économie politique, que nous définissons
(en complétant la notion qu'en a donnée Romagnosi) :
la théorie de l'ordre social des richesses, étudié dans
son essence, dans ses causes, dans ses lois ration-
nelles et dans ses rapports avec la prospérité pu-
blique.
L'économie politique a pour objet non pas la richesse,
c'est-à-dire l'ensemble des biens échangeables et ma-
tériels, mais l'activité humaine, activité qu'elle étudie
sous un point de vue particulier, celui de l'intérêt géné-
ral. Par l'expression ordre social des richesses on
indique précisément que les phénomènes étudiés par
l'économie politique constituent un ordre, c'est-à-dire
une unité dans la variété, et que cet ordre sappelle
social parce qu'il concerne des relations existant entre
les hommes vivant dans la société civile, c'est-à-dire
dans la société constituée en État, qui est un être mo-
ral indispensable à la conservation et au perfectionne-
ment des individus qui la composent. La société civile
peut d'ailleurs être considérée comme un organisme
DE l'économie politique 13
doué d'une vie propre et de fonctions spéciales, qui,
maliïré des différences substantielles trop souvent
oubliées par les sociologues, présente quelques analo-
gies avec les organismes étudiés par les sciences biolo-
giques.
L'économie politique, comme l'indique notre défini-
tion, a deux rôles distincts :
1° Elle étudie dans l'ordre social des richesses ce
qu'il y a de typique, d'essentiel, de permanent, soit dans
la coexistence, soit dans la succession des phénomènes:
elle recherche les causes dont ils dépendent, et elle en
mesure, quand cela est possible, l'intensité ; enfin elle
recherche le mode d'action de ces causes, c'est-à-dire
les lois rationnelles auxquelles elles obéissent ;
2'' Elle fournit des principes pour bien diriger les
attributions économiques des autorités politiques.
Le but ultime, auquel tend l'économie politique, .satis-
faisant ainsi à .sa double fonction, c'est de procurer le
bien-être général.
Cette définition, c'est-à-dire la détermination de
l'objet, du rôle, du but de l'économie politique, nous
donne les critères nécessaires qui nous permettent de
ne pas la confondre avec les autres branches des disci-
plines économiques.
L'économie politique se distingue d'abord de l'éco-
nomie privée, qui étudie les phénomènes de la richesse
au point de vue de l'intérêt particulier de l'administra-
tion des affaires domestiques et industrielles. De là
la subdivision de l'économie privée en économie domes-
tique, qui donne les règles de la constitution et de l'ad-
mini.stration du patrimoine de la famille, et en
économie industrielle, qui fournit les normes de la
con.stitution et de l'admini-stration des différentes entre-
prises.
En second lieu l'économie politique se distingue des
14 OBJET ET LIMITES
disciplines économiques historico - descriptives , qui
étudient les phénomènes de la richesse dans leurs mani-
festations concrètes et variables, dans le temps et dans
l'espace, en ce qu'elle étudie, au contraire, les rela-
tions abstraites et constantes, et les caractères typiques
et essentiels de ces phénomènes. Partant l'économie
politique diffère d'une façon substantielle de l'histoire
et de la statistique économiques.
L'histoire économique raconte les faits particuliers
concernant la richesse et elle s'occupe principalement
des institutions publiques et privées qui les concernent ;.
elle en expose les origines, les progrès, la décadence,
la renaissance, et recherche, par l'induction qualita-
tive, les causes concrètes qui les ont produites et les
effets immédiats qui en sont dérivés, sans en rechercher
les causes premières permanentes et absolues. Autre
chose est écrire l'histoire du commerce du moyen âge,
comme l'a fait magistralement Heyd. ou l'histoire spé-
ciale du commerce français fort bien racontée par Pi-
geonneau, autre chose expliquer dans son essence
intime la fonction universelle du commerce, comme l'a
si bien fait Lexis.
La statistique économique décrit les faits qui con-
cernent la richesse et les industries; elle les dispose avec
une exactitude arithmétique en groupes d'éléments
quantitatifs homogènes et en séries réelles successives,
formant ainsi des cadres qu'elle rend souvent plus ins-
tructifs par l'étude comparée, et qu'elle porte à un degré
encore plus élevé d'utilité quand, par l'induction quan-
titative, elle découvre, dans la coexistence et la succes-
sion des faits observés, certaines régularités empiriques
intéressantes, qu'il ne faut pas confondre avec les lois
scientifiques, parce qu'elles sont liées à des conditions
déterminées de temps et d'espace. Autre chose est la
statistique des prix sur les marchés de Hambourg et de
DE l'Économie politique 15
Londres dans les trente dernières années, autre chose
la théorie générale de la valeur et du prix que l'on
trouve dans les œuvres de Galiani, de Condillac, de
Ricardo, de Mill, de Jevons, de Menger.
Il ne faut pas, en troisième lieu, confondre l'écono-
mie politique avec la morale économique, qui étudie
les modes légitimes d'acquisition et d'emploi des ri-
chesses à propos des devoirs de l'homme, en les consi-
dérant comme un moyen utile ou comme un obstacle
dangereux pour l'exercice de la vertu, qui est le but
auquel elle tend. Autre chose est la recherche du juste
salaire dont s'occupent les moralistes (théologiens et
philosophes) et quelques économistes (par exemple
Brants, et avec une méthode et pour une fin différentes
Thilnen), autre chose la théorie uniquement et scienti-
fiquement économique du salaire, qu'ont élaborée
Smith, Ricardo, et à laquelle se rattachent les contro-
verses, vives encore en Angleterre et en Amérique,
pour nous en tenir à quelques auteurs, entre Walker,
Marshall, Bonar, Macvane, Giddings.
Il faut enfin soigneusement distinguer l'économie po-
litique du droit économique, philosophique et positif,
qui pourrait embrasser la plus grande partie du droit
privé (tout le droit commercial et la plus grande partie
du droit civil), une partie considérable du droit admi-
nistratif et quelques théories du droit pénal. Le droit
économique a pour objet les droits et les devoirs publics
et privés qui naissent des faits économiques et des
institutions qui s'y rapportent, et les sanctions aux-
quelles ils donnent lieu ; il règle la sphère de com-
pétence externe des personnes physiques et morales
dans les relations qui dérivent de leur activité dirigée
vers l'acquisition, la possession et l'usage des richesses ;
l'économie, au contraire, nous le répétons, recherche
les lois rationnelles des faits économiques et donne des
J6 OBJET ET LIMITES
principes directeurs pour le bon gouvernement des
affaires publiques. Autre chose est. par exemple, re-
chercher avec Kant, Hegel, Krause, Ahrens, Miraglia le
fondement juridique de la propriété privée dans le droit
philosophique, ou rechercher avec d'autres écrivains
l'organisation du droit positif, autre chose est au con-
traire déterminer les fonctions économiques, les avan-
tages et les limites dans lesquelles son exercice doit
être contenu dans l'intérêt bien entendu, présent et
futur, de la vie sociale.
CHAPITRE II
DIVISIONS DE L^ÉCONOMIE POLITIQUE
Les doctrines comprises dans Téconomie politique
peuvent être classées et ordonnées selon des critères
matériels ( 1) et formels dont l'importance est déterminée
par les buts, scientifiques ou purement didactiques,
auxquels elles doivent servir.
Une première distinction a son fondement dans k
double rôle de l'économie politique ; elle comprend :
1° L'économie pure, rationnelle (ou comme on l'ap-
pelle aussi, théorique), qui constitue une science, au
sens rigoureux du mot, parce qu'elle explique les phé-
nomènes qui constituent l'ordre social des richesses ;
2' L'économie appliquée (ou comme on l'appelle
aussi, pratique), qui constitue un art, parce qu'elle
fournit les principes qui permettent de diriger les fonc-
tions économiques des sociétés politiques.
Malheureusement cette distinction qui est d'une im-
portance capitale n'est pas comprise de la même façon
par les écrivains qui l'ont adoptée. Quelques-uns font
entrer dans l'économie appliquée jusqu'aux règles de
l'économie privée, alors que d'autres n'y comprennent
que l'examen de certaines institutions dues à l'initiative
individuelle, par exemple, les sociétés ouvrières de ré-
(i) Le mot matériel, ici et dans la suite du chapitre, s'oppose à
formel.
18 DivrsiONS
sistance, de prévoyance, les sociétés coopératives.
D'autres, au contraire, pensent queréconomie appliquée,
qu'ils appellent concrète, s'occupe non pas de la solu-
tion des questions pratiques générales, mais de l'expli-
cation des phénomènes spéciaux, subordonnés à cer-
taines lois secondaires ou dérivées dont ne s'occupe pas
l'économie pure, qu'ils appellent abstraite. Tels seraient
les détails du système monétaire, du système bancaire,
du système financier, etc. Il ne faut pas oublier non
plus que tandis que beaucoup d'économistes estiment
que l'économie rationnelle étudie les phénomènes en
eux-mêmes et pour eux-mêmes, en dehors de toute in-
gérence de l'autorité publique, d'autres au contraire
pensent que, si l'économie pure doit s'abstenir de sug-
gérer les principes directeurs de l'action économique
de l'État, elle ne peut pas cependant se refuser à étudier
les influences que cette action exerce sur la produc-
tion comme sur la distribution des richesses. C'est ce
qu'ont montré récemment et très justement Sax et
d'autres économistes ; nous ne pouvons néanmoins
nous rallier à leur manière de voir lorsque, par suite
d'une grave erreur de fait, ils en font un argument
critique contre les meilleurs écrivains de l'école clas-
sique anglaise qui, tout au contraire, sur les traces de
Ricardo, ont étudié avec le plus grand soin les phéno-
mènes concernant l'incidence et la répercussion des
impôts dans des œuvres strictement scientifiques.
Une autre distinction, que quelques économistes,
pour la plupart allemands, substituent à la précédente,
tandis que d'autres au contraire la considèrent comme
lui étant subordonnée, et que d'autres enfin (comme
Held, Neumann, Kleinwâchter) confondent totalement
avec elle, s'appuie sur la différence qui existe entre
l'économie générale et l'économie spéciale, c'est-à-dire
l'économie relative aux différentes branches de l'indus-
DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 19
trie. D'après nous cette distinction, si elle peut utile-
ment servir de base à l'étude de sujets séparés ou de
monographies complètes (d'économie rurale, forestière,
minière, commerciale, etc.), ne constitue pas un critère
propre à une subdivision des matières de l'économie
pure et appliquée, parce que, même en faisant abs-
traction de cet inconvénient, peu grave en vérité, de
donner lieu à des répétitions inévitables, elle amène
aussi, insensiblement, à introduire dans l'économie po-
litique des digressions peu opportunes sur l'économie
privée (et particulièrement sur l'économie industrielle)
€t parfois même sur la technologie, comme cela est
arrivé fréquemment à Rau, à Wagner et à Schônberg.
Un autre défaut grave de cette division c'est d'amener
à considérer par rapport à une industrie particulière
certaines questions qui se réfèrent à toutes, comme par
exemple la question des grandes et des petites exploi-
tations rurales, qui forme un côté spécial du problème
complexe des grandes et des petites entreprises. Xous
ne pouvons pas comprendre, d'ailleurs, comment cer-
tains économistes s'obstinent à considérer comme iden-
tiques, d'un côté, l'économie pure et l'économie géné-
rale et, d'un autre côté, l'économie appliquée et
l'économie spéciale, comme si la généralité était un trait
caractéristique de toutes les vérités de la science qui
s'opposerait nécessairement à la spécialité, qu'on sup-
pose, d'autre part, inhérente à tous les principes de l'art
et à ceux-ci seulement.
Une troisième distinction que l'on peut considérer
comme identique au fond avec celle qui comprend
l'économie pure et l'économie appliquée, mais qui a
l'avantage d'éliminer les équivoques qui y sont inhé-
rentes, nous vient également d'Allemagne, où Jakob et
Rau, qui l'introduisirent les premiers, purent la faire
accepter d'une façon presque générale, et qui, par
20 DIVISIONS
influence directe ou indirecte, fut adoptée aussi par un
petit nombre d'économistes des autres pays. Je fais
allusion à cette classification qui distingue entre :
1° L'économie sociale (ou, comme on l'appelle aussi,
civile, nationale, ou simplement Féconomique), c'est-
à-dire l'économie pure dans le sens que nous donnons à
cette expression :
2" La politique économique, lato sensu, ou la légis-
lation économique (comme l'appelle Cherbuliez), ou
l'économie de l'Etat, qui cependant s'occupe aussi des
fonctions économiques des sociétés politiques inférieures,
et se confond avec l'économie appliquée telle que nous
l'avons définie. Mais, comme ces fonctions concernent
l'ingérence de l'autorité publique dans les richesses
privées, et l'administration des richesses appartenant
aux sociétés politiques, il en découle une subdivision
de la politique économique en deux parties, c'est-
à-dire :
a) La politique économique, stricto sensu, qui four-
nit aux pouvoirs publics les principes directeurs de leur
ingérence dans les richesses privées ;
bj La politique financière, ou, comme on rai)pelle
généralement, la science des finances, c'est-à-dire la
doctrine du patrimoine public, qui fournit les principes
directeurs pour la constitution, l'administration et
l'emploi du patrimoine propre de l'Etat, de la Province
et de la Commune.
Il faut remarquer cependant que la science des
finances, par suite de l'importance de ses principes, et
de la nécessité de les subordonner ou de les coordonner
avec d'autres principes d'ordre moral, juridique, et pour
des raisons de haute convenance politique dont doivent
s'inspirer le législateur et l'administrateur dans le do-
maine des applications, et aussi par une tradition aca-
démique qui (en Allemagne) remonte à la première
DE i/égonomie politique 21
moitié de notre siècle, est maintenant d'ordinaire
considérée comme une discipline complètement distincte
de l'économie politique et, par suite, elle est ensei-
gnée, depuis quelque temps même en France et plus
encore en Italie et aux États-Unis, dans des œuvres et
dans des cours spéciaux. Récemment un éminent
professeur allemand Sax (Gnmdlegung der theoretis-
chen Sta,atswirthschaft,Wien 1887), et en Italie, avec
quelques réserves, Ricca-Salerno, Graziani et Conigliani,
ont insisté avec beaucoup de force sur le caractère pure-
ment économique de quelques-unes des théories finan-
cières, déduites de la doctrine économique de la valeur
subjective. Il ne faut pourtant pas oublier que les ana-
logies ingénieuses établies par Sax entre la distribution
des richesses privées et la destination d'une partie de
ces richesses à des buts publics ne sont pas toutes
exactes et acceptables et que, de toute façon, les prin-
cipes de l'art financier constituent la matière principale
de Tune des branches les plus importantes de la poli-
tique administrative, abstraction faite bien entendu de
la théorie de l'incidence des impôts, qui. comme nous
l'avons déjà dit, est vraiment scientifique et pourrait
ainsi (comme plus d'un l'a fait) être considérée comme
partie intégrante de l'économie sociale.
La politique économique, stricto sensu, qui devrait
rigoureusement fournir à l'homme d'État des prin-
cipes exclusivement déduits de l'idée de l'utile, au
sens donné par l'économie (principes que. presque
seul, Cherbuliez a développés), s'achemine, elle aussi,
à grands pas à une transformation, déjà presque
accomplie dans la politique financière, et par laquelle,
cessant d'être la partie politique de l'Economie, elle
deviendrait plutôt la partie économique de la Poli-
tique, et spécialement de la politique administra-
tive, c'est-à-dire de la science de l'administration.
99
DIVISIONS
De cette façon la théorie des fonctions économiques
des sociétés politiques serait illuminée par des
principes plus larges, dans lesquels on ferait la
place qui leur appartient à ces critères de morale, de
droit, d'hygiène, d'esthétique et de haute politique qui
doivent pour partie être associés aux critères purement
économiques et pour partie les dominer. C'est là une
évolution qui s'est depuis longtemps accomplie en Alle-
magne, lorsque deux hommes éminents, Mohl et Stein,
substituèrent à la science delà police exclusivement em-
pirique des vieux Caméralistes la science de l'adminis-
tration, développée avec une large et profonde érudi-
tion et avec une connaissance parfaite des besoins de
notre époque, et devenue un corps imposant et autonome
de doctrine qui a raison de se détacher du Droit admi-
nistratif. Cette séparation, dont quelques publicistes
allemands ont essayé, avec plus ou moins de succès^
de préciser les bases, fait ses débuts même en Italie,
spécialement grâce à Carlo F. Ferraris et à quelques
autres, et elle devra, tôt ou tard, s'effectuer également
dans la science comme dans l'enseignement, lorsqu'elle
aura triomphé des obstacles qu'elle trouve dans l'oppo-
sition de beaucoup de juristes de la vieille école.
Une bonne distinction des matières contenues dans
l'économie politique, pure et appliquée, a son fonde-
ment dans le caractère même des relations qui for-
ment Tordre social des richesses. Elle distingue les
différents stades ou moments dans la succession na-
turelle des phénomènes économiques. J.-B. Say a
proposé, dans ce but, la division célèbre en produc-
tion, distribution et consommation des richesses, qu'il
énonçait dans sa définition delà science et qu'il donnait
même pour titre à son Traité (1803). c'est-à-dire à son
œuvre principale. Cette distinction a été pendant long-
temps presque généralement acceptée, comme en font
DE l'Économie politique 23
foi les œuvres de Gioja, Kraus, Jakob, Rau, Riedel,
Schûz et Mac Culloch.
D'autres écrivains plus modernes, et ils forment peut-
être la majorité, ont ajouté une quatrième partie con-
cernant la circulation ou, selon l'expression anglaise
courante, l'échange, phénomène de première impor-
tance qui mérite une étude séparée, aussitôt après
celle de la production, plutôt que d'être comprise
dans le chapitre de la production (Say) ou dans celui
de la distribution (Rau, Mac Culloch). Nous citerons
comme exemple les œuvres de FIorez-Estrada, Garnier,
Baudrillart, Nazzani, Mangoldt, Schônberg, Walker,
Andrews, Ely.
Une petite variante dans l'ordre des matières a été
adoptée d'abord par James Mill, puis par Kudler et par
beaucoup d'écrivains français (Levasseur, Jourdan,
Laveleye, Leroy-Beaulieu, Beauregard) ; ces auteurs
font précéder la distribution par la circulation. Un petit
nombre, au contraire, parle delà consommation aussitôt
après la production (Chapin) ou après la production et
la circulation, comme Gide.
L'innovation de Roscher, qui voulait ajouter aux
quatre parties que nous venons d'énumérer une cin-
quième concernant la population, n'a pas été adoptée.
Il ne s'aperçut pas qu'une étude complète de ce sujet
(au point de vue statistique, économique et législatif)
peut former l'objet, ou d'une science (la Démographie,
ou mieux la Démologie), ou de monographies spéciales ;
c'est ce qu'ont essayé déjà, avec plus ou moins de
succès, Bernouilli, Riimelin, Gerstnei% et quelques
autres. L'économie politique ne s'occupe de la popula-
tion que pour étudier les influences de sa quantité, de
sa densité, de sa composition et de son accroissement
sur les différentes phases de la richesse. On peut donc
en faire l'objet d'une étude complémentaire soit dans
24 DIVISIONS
la partie consacrée à la production (Mac Culloch), soit
dans celle qui est consacrée à la distribution (Jourdan)
ou à la consommation (Walker, Leroy-Beaulieu).
D'autres innovations tendent au contraire à simpli-
fier ou à modifier différemment la division tripartite de
Say. Ainsi, par exemple. Turgot (déjà au siècle dernier),
Senior, Stuart Mill, dans un premier Essai déjà cité,
et Rossi n'admettent pas une théorie économique de la
consommation (c est-à-dire de l'usage des richesses),
parce que, selon eux, elle appartient à la morale, à
l'économie domestique et aux finances. Ils sont ainsi en
désaccord complet sur ce point a^ec d'autres écrivains
plus récents qui font précéder toutes les autres théories
par la théorie de la consommation, en la faisant entrer
dans celle de l'utilité (Jevons, Walras, Pierson), ou
dans celle de la demande (Marshall;. Cette opinion est
également partagée par certains écrivains qui considè-
rent la doctrine de la consommation comme constituant
un préliminaire nécessaire à l'économie, mais non pas
une de ses parties principales.
Un dernier groupe d'écrivains maintenant , avec
Senior et Rossi, la suppression de la partie consacrée à
la consommation, consacre toute une partie à la
circulation (ou à l'échange, comme l'appellent les
Anglais, ou au trafic, selon l'expression de Held), dont
ils s'occupent, ou après la production (Cherbulliez,
Villey, Sidgwick, Carter- Adams, Laurence Laughlin,
Nicholson), ou après la distribution, comme Stuart Mill
(dans ses Principes) et Shadwell.
Sans songer à nier l'importance didactique de ces
controverses, il nous faut dire, en terminant, que ce
sont plutôt des questions d'ordre que d'importance, et
que toute classification des phénomènes économiques
renferme inévitablement en elle-même quelque chose
d'inexact et d'arbitraire, parce qu'elle est une décompo-
DE L ECONOMIE POLITIQUE Zt>
i
sition artificielle d'un tout organique en éléments qui
sont reliés entre eux par une série très variée d'actions
et de réactions. La science peut certainement les étudier
isolément, pour des raisons de méthode ou pour des né-
cessités d'exposition, mais ils sont, en réalité, essentiel-
lement connexes. C'est ainsi que la production implique
nécessairement la consommation productive et suppose
réchange, qui donne naissance à la valeur, qui se trouve
en étroite corrélation avec le coût, qui nécessite pour
être analysé l'étude de quelques uns des facteurs de la
distribution. Et, d'un autre côté, il est évident que la
qualité des objets consommés détermine nécessairement
celle des richesses produites, tandis que les systèmes
mêmes de distribution réagissent, et sur l'énergie du
travail, agent de la production, et sur les divers aspects
de la consommation. Il ne faut pas oublier, non plus,
que les divergences signalées ci-dessus ont quelquefois
un caractère purement nominal. Ainsi, par exemple,
quelques-uns des écrivains qui ne consacrent pas un
titre séparé à la consommation, en font l'objet d'un
appendice à une division principale de la matière. Il
nous suffît de citer Mill, Sidgwick, Rau, Courcelle-
Seneuil, Cherbulliez et Nicholson.
26 RAPPORTS
CHAPITRE III
RAPPORTS DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE
ET DES AUTRES SCIENCES
Les différences substantielles, qui séparent l'économie
politique des disciplines connexes dont l'objet est tota-
lement ou partiellement commun, n'excluent pas la
possibilité de relations plus ou moins étroites et n'em-
pêchent pas que l'économie n'emprunte d'utiles notions
à d'autres disciplines qui lui sont simplement auxi-
liaires.
Les disciplines connexes à l'économie politique sont :
l'histoire, la statistique et la morale économiques, le
droit économique et l'économie privée.
Les disciplines auxiliaires sont : la psychologie, la
technologie et la politique.
§ l*"". — l'histoire économique.
Il y a de nombreux points de contact entre l'histoire
économique, qui raconte les faits concernant l'ordre
social des richesses et qui en recherche le lien causal
concret et immédiat, et l'économie politique qui étudie
les caractères essentiels, les causes premières et les lois
rationnelles.
L'histoire économique, et en particulier l'histoire
moderne, peut fournir des éléments très utiles pour
DE l'économie politique 27
démontrer la vérité des doctrines auxquelles on arrive
par le simple raisonnement. Il faut pour cela supposer
qu'on a pu trouver des analogies réelles et suffisantes
dans les conditions sociales et matérielles qui doivent
fournir les faits qui serviront à expliquer des faits
d'autres temps et d'autres lieux. Sans une grande con-
naissance du sujet et sans les plus grandes précautions
dans l'interprétation, on arrive, comme les dilettanti
de l'histoire et de l'économie (et même de la statistique),
à invoquer avec une sereine témérité l'éloquence des
faits (et des chiffres) pour appuyer de purs sophismes,
2:)0st hoc (ou cum hoc) ergo projeter hoc. Des esprits
prudents et sûrs ont pu, par l'histoire des assignats
français, des bank-notes autrichiens et des green-backs
américains, éclaircir admirablement la théorie du cours
forcé du papier monnaie.
En second lieu, l'histoire économique peut servir
davantage encore à l'économie politique en déterminant
mieux le caractère limité et purement relatif de cer-
taines lois économiques dérivées, qui changent avec le
changement des conditions sociales qui en sont la
condition nécessaire. C'est ce qu'a démontré admirable-
ment Bagehot et les économistes allemands de l'école
historique; cependant ceux-ci, par une réaction exces-
sive, sont tombés dans l'erreur très grave de ne pas
admettre ou de méconnaitre l'importance d'autres lois
économiques, certainement universelles et constantes.
D'un autre côté, l'économie politique fournit à l'his-
toire économique les critères théoriques qui lui sont
indispensables pour le choix, la coordination et l'appré-
ciation des faits, des conditions et des institutions qui
en forment la matière. Il faut faire observer ici cepen-
dant que l'histoire ne tirera aucun profit ni des théories
insuffisamment sûres, ni des théories exactes mais
insuffisantes pour expliquer des faits qui dépendent
28 RAPPORTS
aussi de causes différentes et quelquefois plus impor-
tantes que les causes d'ordre économique. C est dire
que l'interprétation économique de l'histoire n'est pas
moins utile, mais qu'elle est tout aussi difficile que in-
terprétation historique de l'économie et qu'il faut éviter
ces deux dangers opposés : faire servir certaines données
historiques (ou données statistiques), arbitrairement
recueillies, comme preuves de théories préconçues, ou
vouloir expliquer certains faits passés (ou certaines con-
ditions présentes, sociales ou politiques), et par consé-
quent de caractère évidemment complexe, à l'aide de
critères purement économiques.
C'est ce que n'ont pas toujours su éviter des auteurs
d'une compétence généralement reconnue, et auxquels
nous devons des œuvres par plus d'un point remar-
quables.
J. E. Thorold Rogers, The économie interprétation of
history. London, 1888. Traduction française, Paris,
1892.
A. Loria, La teoria economica délia costituzione poli -
iica. Torino, 1886. 2« édition (française) aug-
mentée, Paris. 1893.
î^ 2. STATISTIQUE ÉCONOMIQUE
11 y a entre la statistique économique et l'économie
politique des relations de même nature, mais plus in-
times encore. La statistique économique forme une
partie notable de l'économie politique appliquée. Elle
s'occupe des faits concrets de la richesse; elle les décrit,
et elle recherche les régularités qui existent dans leur
coexistence et dans leur succession, dans certaines
limites de temps et d'espace.
La statistique (comme l'a dit excellemment Gabaglio)
emprunte à l'économie politique les notions qui lui sont
DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 29
nécessaires pour le choix et pour l'analyse des faits
économiques, pour la critique, la comparaison et l'ar-
rangement des données qu'ils fournissent. A cela,
nous ajouterons que cette aide est d'autant plus néces-
saire que la statistique économique, qui, sans doute, a
fait des progrès grâce à d'illustres spécialistes, se trouve
cependant dans un état peu satisfaisant par suite de
l'opposition qu'elle rencontre chez les industriels et les
commerçants qui craignent que les données recueillies
puissent nuire à leur crédit ou faciliter l'introduction
de nouvelles charges fiscales.
Mais la statistique, bien employée, rend, à son tour,
d'éminents services à l'économie politique. Elle lui
fournit des matériaux empiric[ues précieux pour éclair-
cir. beaucoup mieux que par des exemples hypo-
thétiques, la vérité de quelques propositions établies
par voie déductive. Il ne faudrait pas croire qu'il puis-
sent suffire pour cela des résultats de l'observation in-
dividuelle, ou de ceux que fournissent les enquêtes
publiques ou privées, ou les monographies, seraient-
elles aussi bien faites que le sont celles que nous devons
à Le Play et à ses meilleurs disciples et continuateurs.
C'est, en effet, seulement par l'observation systéma-
tique et quantitative qu'on arrive à découvrir dans les
faits sociaux, qui, pris individuellement, semblent
coexister sans ordre, une merveilleuse régularité, lors-
qu'on élimine indirectement et par voie de compensa-
tion l'influence des causes perturbatrices. Dans quelques
sciences physiques, ce résultat peut, au contraire, être
obtenu directement par l'expérimentation, à laquelle
l'économiste ne peut avoir recours que rarement et
d'une façon bien imparfaite.
Il faut remarquer que les lois empiriques révélées
par la statistique ne sont pas toujours un obstacle
pour la découverte de lois scientifiques, elles constituent
30 II APPORTS
(luelquefois des points de départ pour des déductions
ultérieures, qui ont déjà conduit, ou pourront conduire
dans la suite à découvrir, par d'autres moyens, de
nouvelles lois vraiment scientifiques. Ainsi, par exemple,
l'observation statistique de nombreuses données sur les
crises commerciales et leur périodicité ont fourni à
Je vous, à Juglar et à d'autres spécialistes la matière
propre à des recherches plus approfondies sur la nature
et les causes de ces funestes perturbations écono-
miques.
L'économie politique a tiré un grand secours des
progrès récents de la statistique, dus à l'illustre Qué-
telet (mort en 1874) et remarquablement continués
par Engel, Wappaus, Knapp, Lexis, Becker, Oettin-
gen, Guerry, Bertillon, Levasseur, de Foville, etc. Et
j'espère que l'Italie, (qu'ont illustrée autrefois les travaux
de Gioja et de Romagnosi, et qui se trouve aujour-
d'hui encore au premier rang et pour ses statistiques
ofTicielles, dirigées avec une compétence généralement
reconnue et avec une énergie et une activité prodigieuses
par Bodio, et au point de vue scientifique et méthodo-
logique, parce qu'elle compte d'illustres savants comme,
pour nous en tenir à quelques noms, Messedaglia,
Perozzo, Gabaglio), conservera à cette discipline la place
qui lui appartient dans renseignement supérieur.
Parmi les œuvres de propédeutique et d'histoire de
la statistique nous mentionnerons, en dehors des livres
déjà anciens de Mone, de Fallati et de Wappaus, l'ou-
vrage encore inachevé de John. La méthodologie a été
approfondie par Rûmelin et Westergaard ; l'histoire
de la méthodologie, par Wagner et Meitzen, pour ne
citer que quelques-uns des meilleurs, et avec plus de
profondeur par Gabaglio. Pour la statistique descriptive
générale on peut consulter les ouvrages de Kolb et
ceux de Brachelli ; en matière de statistique écono-
DE l'économie politique 31
mique, et spécialement de statistique commerciale,
la première place appartient à Engel, à Neumann-
Spallart et à quelques autres. Les meilleurs manuels de
statistique sont dus à Mayr, à Haushofer et à Block. Les
commençants liront avec un grand profit le petit ouvrage
de Virgilii.
V. John, Geschichte der Staiistik, 1'''= partie. Stutt-
gart, 1884.
H. Weslergaard, Die Grundzùge der Théorie der Sta-
iistik. Jena, 1890.
A.- Meitzen, Geschichte, Théorie und Technik der Sta-
iistik. Berlin, 1886 (traduit en anglais).
Ant. Gabaglio, Teoria générale délia statislica. 2« édi-
tion entièrement refaite. Milano, 1888. 2 vol.
G. F. Kolb, Handbuch der vergleichenden Siatistik.
Leipzig, 1857. 8« édit., 1879 (un supplément
en 1883).
H. F. Brachelli, Die Staaten Europa's. 4" édit.
Briinn, 1883-1884.
F. X. V. Neumann-Spallart, Uebersichten der Welt-
wirthschaft. Stuttgart, 1887 (continué par F. v.
Juraschek. Berlin, 1890).
G. V. Mayr, Die Gesetzm'àssigkeit im Gesellschaftslebcn .
Miinchen, 1877. (Excellemment traduit en italien
et complété par G. B. Salvioni. Torino, 1886,
2*= édit.)
M. Haushofer, Lehr und Handbuch der Siatistik.
2" édit., Wien, 1882.
M. Block, Traité théorique et pratique de statistique.
2« édit. Paris, 1886.
F. Virgilii, Manuale di Siaiistica. Milano, 1891.
§ 3. MORALE économique
Il nous faut préciser, pour éviter d'étranges et dan-
gereuses équivoques, les rapports de Téconomie poli-
tique, qui étudie l'ordre social des richesses, et de la mo-
32 RAPPORTS
raie économique, publique et privée. Celle-ci a pour
but, étant donnés certains idéals, de fournir des pré-
ceptes sur les devoirs des bommes au sujet de l'acqui-
sition et de l'usage des richesses, préceptes qu'elle
déduit des principes suprêmes du juste et de l'équi-
table qui lui sont suggérés par la raison (morale philo-
sophique) ou révélés par la religion (morale théologique).
Il faut; tout d'abord, remarquer que l'économie pure
est indépendante de la morale, parce qu'elle explique
des phénomènes qu'elle ne peut ni créer ni modifier.
Les propositions de la science économique, au sens
étroit du mot, peuvent par conséquent être vraies ou
fausses, dans leur essence ou dans leur forme, mais
elles ne peuvent jamais être bonnes ou mauvaises,
utiles ou dangereuses. Aussi, cette fameuse iniportation
de l'élément éthique, dont s'enorgueillit une nombreu.se
école d'économistes contemporains, n'est pas (pour
l'économie pure, nous le répétons) une découverte qui
l'ennoblit, mais une absurdité qui la bouleverse. Ainsi,
par exemple, l'économie rationnelle explique la raison ^
les éléments, les fonctions, les limites de l'intérêt du
capital prêté, mais elle est tout à fait incompétente pour
juger du mérite des lois positives, civiles ou commer-
ciales, qui prohibent ou restreignent l'intérêt conven-
tionnel du prêt à intérêt, ou qui le laissent libre avec
ou sans la sanction de lois pénales contre l'usure.
Je ne veux pas par là nier la nécessité théorique et
pratique de la morale économique (et particulièrement
de la religion) comme norme de conduite pour les
honnêtes gens, et, pour ma part, j'applaudis à ces théo-
logiens qui, comme Co.sta-Rossetti, Cathrein et quel-
ques autres, s'occupent de l'économie politique comme
d'une doctrine auxiliaire de la théologie morale; je
pense cependant qu'il n'est pas logiquement correct
de confondre les théories de la science avec les pré-
DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 33
ceptes de l'art. Nous admettons, nous aussi, que dans
la partie concrète de l'économie rationnelle ou. en
d'autres termes, pour l'explication des faits individuels
il faut tenir compte des idées morales, qui tempèrent
souvent et de façon variée l'action de l'intérêt person-
nel, qui est le moteur principal des phénomènes éco-
nomiques. Nous ne partageons cependant nullement
l'opinion de ceux qui, comme Dargun, préconisent la
construction d'une nouvelle science économique, dé-
duite du principe de la sympathie, ou amour du pro-
chain, sans remarquer l'inutilité, bien plus l'impossibi-
lité de cette entreprise, comme l'ont démontré finement
Dietzel et Philippovich.
Dargun, Egoismus und Altruismus in der Nailonal-
ùkonomie. Leipzig, 1885.
On ne doit pas s'étonner, en y réfléchissant, que les
vérités de l'économie rationnelle puissent servir aux
moralistes, et il faut par conséquent approuver la cé-
lèbre phrase de Droz (un orthodoxe dans ces deux dis-
ciplines) : l'économie politique est le plus puissant
auxiliaire de la morale. En démontrant, en effet, les
avantages même matériels qui résultent de l'exercice de
certaines vertus (activité, prévoyance, épargne) et les
dangers économiques qui résultent des vices contraires
(paresse, imprévoyance, prodigalité), elle fournit des
arguments d'une très grande efTicacité pratique sur l'es-
prit de ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas appré-
cier pour elles-mêmes les maximss de l'éthique ration-
nelle ou positive.
L'économie politique sert en outre à rectifier les
assertions de quelques écrivains, qui, dans leurs juge-
ments sur certains actes moralement blâmables, ne
savent pas mesurer le degré véritable de culpabilité,
3
34 RAPPORTS
parce qu'ils sont fourvoyés par desconcepts économiques
erronés. Ainsi, par exemple, on dit couramment que
l'avarice est un vice pire que la prodigalité, parce que
celle-ci peut, en partie, trouver son excuse dans les bons
effets qu'elle a pour les ouvriers, tandis que, au con-
traire, étant donné les conséquences purement éco-
nomiques de ces deux vices, on doit dire que le non
usage temporaire de certains biens produit un mal
moindre que celui de leur destruction. L'économie
contribue par conséquent à formuler avec plus de pré-
cision et de prudence certains préceptes moraux, le pré-
cepte sacro-saint de l'aumône par exemple, en montrant
les graves inconvénients qui proviennent des largesses
faites sans discernement aux plus importuns et non aux
plus besoigneux.
On peut consulter sur ce sujet : A. Clément, dans le
Dictionnaire de V Économie politique de Coquelin,
Paris 1853, Introduction, pp. xxiii-xxiv, et le dernier
chapitre de Sigdwick, Principles of Poliiical Eco-
nomy, 2* édit. Londres 1887.
L'économie politique est, au contraire, hiérarchique-
ment inférieure à la morale dans sa partie appliquée,
parce que les préceptes de l'éthique ne doivent jamais
être transgressés pour retirer un avantage purement
économique, les richesses étant un simple moyen pour
atteindre le but de la conservation des hommes et celui
de leur perfectionnement. Si donc il y a des conflits
partiels entre les raisons de l'éthique et celles de l'éco-
nomie, les premières doivent toujours l'emporter. Ainsi,
par exemple, en ce qui concerne le travail des enfants
dans les ateliers, de hautes considérations d'ordre mo-
ral justifieraient l'intervention modératrice du pouvoir
social, même s'il n'y avait des motifs impérieux d'une
autre nature qui conseillent cette ingérence.
Nous avons intentionnellement parlé de conflits par-
DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 35
tiels entre la morale et l'économie, sachant Lien qu'il
est absurde d'imaginer des conflits généraux, et cela
grâce à cette harmonie flnale consolante de l'utile et du
juste dont parlent les philosophes de toutes les écoles,
si on fait exception, bien évidemment, des pessimistes.
Il résulte de là que, dans les questions d'application ,
on doit tenir compte de l'élément éthique qui est com-
plètement étranger à l'économie rationnelle abstraite,
et sur lequel insistent, justement dans ce sens, les écri-
vains auxquels nous avons fait allusion ci-dessus. Mais
il ne faut pas oublier que cet élément ne domine souve-
rainement pas même dans l'économie appliquée, car il
faut bien souvent faire appela des vues juridiques et
politiques pour déterminer jusqu'à quel point les idéals
de réthique peuvent être convertis en préceptes appuyés
sur une sanction légale extérieure, et peuvent, d'autre
part, tendre à des buts pratiquement réalisables.
Cette question très délicate des rapports entre l'éeo-
nomie appliquée et la morale a été l'objet de nombreuses
monographies de la part des économistes philosophes,
utilitaires ou spiritualistes, notamment en France, et
elle a conduit par suite à des résultats opposés. On
peut consulter sur ce point les ouvrages de Dameth,
de Rondelet (1859), de Renouvier (1869), de Molinari
(1888). Il faut faire une place à part aux travaux de Min-
ghetti et de Baudrillart, remarquables aussi par l'élé-
gance de la forme. Parmi les écrivains de théologie
morale, qui se sont occupés d'économie politique, il
suffira de rappeler Cathrein.et Weiss.
M. MingheLti, Dell'economia publica e délie sue atti-
nenze colla morale e col diritlo. Firenze, 1859;
2^ édit., 1868; traduit en français par Saint-Ger-
main Leduc : Des rapports de l'économie publique
avec la morale et le droit. Paris, 18G3.
H. Baudrillart, Des rapports de la morale et de Véco-
36 RAPPORTS
oiomie politique. Paris, 1860; 2« édit., sous le
litre de : Philosophie de Véconomie poUiiquc.
Paris, 1883.
V. Calhrein, S. J., Morolphilosophie, 2"= vol. Freiburg
im Br. 1891.
A. M. Weiss, Sociale Froge und sociale Ordmmg,
ibidem, 1892.
§ ■^ . — DROIT ÉCONOMIQUE
Malgré les différences déjà signalées entre récono-
mie politiqae et la science du droit, qui détermine la
sphère de compétence des individus dans l'ordre de la
justice, les relations sont très étroites entre l'économie
politique et les différentes parties du droit public et
du droit privé, rationnel ou positif.
I. Droit international public. — L'économie poli-
tique confirme par des arguments positifs les théories
juridiques relatives à l'équitable organisation des re-
lations entre les différents États, en temps de paix, de
guerre et en cas de neutralité. Elle démontre, en effet,
les bienfaisants effets économiques de la paix, les dan-
gers des guerres politiques et commerciales, et propose,
pour les cas où elles sont malheureusement inévitables,
de sages tempéraments pour en adoucir les tristes con-
séquences, en proclamant, elle aussi, le principe du
respect de la propriété privée des peuples belligérants,
reconnu presque généralement dans les théories et
même, dans une certaine mesure, admis dans le droit
international moderne. Et les démonstrations écono-
miques ont une telle force persuasive que Scialojaacru
pouvoir prédire dans son optimisme ingénu qu'un temps
viendra où la justice internationale sera l'effet d'un
calcul économique.
II. Droit constitutionnel et droit administratif. —
Ces deux branches du droit public interne, qui ne peu-
DE l'économie politique 37
vent être distinguées l'une de Tautre avec une parfaite
rigueur, parce qu'elles font toutes deux, en partie au
moins, la théorie de la hiérarchie des autorités publiques,
et qu'elles se confondent souvent, spécialement en Italie,
avec les matières de la Politique constitutionnelle et
administrative, se rattachent, elles aussi, à l'économie
politique ; une bonne constitution et une bonne adminis-
tration, en effet, même étudiées au point de vue juri-
dique, intéressent directement et indirectement l'ordre
social des richesses. Il est facile, en effet, de démontrer,
d'un côté, les bons effets économiques d'une constitu-
tion qui répond complètement aux besoins de la nation,
et ceux d'une bonne administration, sans laquelle toute
organisation constitutionnelle demeure lettre morte,
bien que savamment construite, et d'un autre côté, les
conséquences politiques avantageuses d'un bon système
économique. Nous trouvons une conflrmation de cela
dans ce fait que souvent les idées subversives, politiques
et économiques, sont dans une alliance étroite, qui ne
peut être détruite que par la diffusion rapide des sages
principes de ces deux disciplines.
Il faut remarquer, cependant, que bien que l'écono-
mie fournisse des critères plus utiles pour l'adminis-
tration déjà organisée que pour l'administration à or-
ganiser, il est cependant évident que les écrivains de
droit public administratif peuvent tirer de précieux
enseignements de la science économique. Nous n'en-
tendons pas justifier la pratique de certains auteurs qui,
oubliant le caractère de la doctrine qu^ils professent,
ont l'habitude de remplir leurs traités de digressions
économiques sans utilité et presque toujours sans va-
leur, soit pour faire montre de leur érudition, soit pour
cacher leur manque de connaissances juridiques.
Il faut recommander, même à ce point de vue, les
auteurs classiques de droit administratif français (De
38 RAPPORTS
Gérancio, Cormenin, Vivien, Dufour, Laferrière, Du-
crocq, etc.) et quelques récents auteurs allemands
cVouvrages sur le droit administratif général (Meyer,
Loning) , sans oublier leurs illustres prédécesseurs,
Robert V. Mobl, Pozl et plusieurs autres bons auteurs
qui ont écrit sur le droit administratif des différents
États de l'Allemagne.
Les limites qui séparent le droit administratif do la
science de l'administration (dont se sont occupé en Ita-
lie Ferraris, Orlando, Brugi, etc.) ont été nettement
indiquées d'abord par Hoffmann, puis par Stengel, Der
Begriff, Umfang und System des Verwaltungsrechts
(in Tuh'mger Zeitschrift fiïr die ges. Staatswissen-
schaft, 1882, pp. 219-261) et elles sont rigoureusement
observées dans l'excellent Diciio?inai?'e dont il dirige la
publication.
K. Freih. v. Slengel, Worierbuch des deutschen Ver-
xcaltungsrechis . Freiburg in Br. 1889-1893. Deux
volumes et deux suppléments.
III. Droit Pénal et Procédure civile. — Même ces
deux branches spéciales du Droit Public qui semblent,
à première vue, complètement étrangères aux matières
économiques, se rattachent par quelques points à notre
discipline, qui a contribué à d'importantes réformes de
ces deux codes. Pour le droit pénal on peut signaler
les distinctions plus exactes des incriminations et les
graduations plus rationnelles des peines qui ont été
introduites ou qui pourraient l'être dans les disposi-
tions qui concernent la falsification des monnaies, com-
parée aux altérations et aux simples contrefaçons.
Rappelons aussi les peines , supprimées ou autre-
ment motivées, pour les délits de coalition ou de
grève ou pour les faits réellement incriminables
DE l'économie politique 39
auxquels les grèves peuvent donner lieu. Pour la
Procédure, il suffira de signaler l'influence bonne ou
mauvaise que peuvent exercer sur le crédit privé les
lois qui concernent la vente forcée, l'expropriation des
biens des débiteurs récalcitrants, quelle que soit la
place qu'elles peuvent occuper dans les systèmes de
codification des divers États.
IV. Droit Civil. — On saisit immédiatement le lien
qui unit le droit civil à l'économie, quand on pense
qu'une grande partie des doctrines comprises dans le
premier se rapportent à des institutions essentiellement
économiques, comme la propriété et les autres droits
réels, les successions, les contrats à titre onéreux, etc.
Le droit civil apprend à l'économie les relations
juridiques auxquelles donnent lieu les transactions
économiques et leurs différences extrinsèques, et il
apprend, à son tour, de l'économie le caractère et la
fonction essentielle de beaucoup de ses institutions.
Ainsi, par exemple, le véritable caractère de l'échange
et de l'achat-vente se comprend mieux quand on
remarque que ces contrats, où le jurisconsulte voit
d'importantes différences de forme, sont, au fond,
compris économiquement dans un genre plus com-
plexe, l'échange. Nous ne prétendons cependant pas
justifier quelques écrivains récents qui, pal' une réaction
excessive contre le formalisme des juristes de la vieille
école, ont commis de graves erreurs historiques dans
des interprétations osées, purement ou principalement
économiques, de certaines institutions civiles. Dank-
wardt, par exemple, s'est trompé dans son commentaire
ingénieux, mais téméraire, de quelques fragments du
droit romain, et le professeur Endemann n'est pas sans
encourir le même reproche pour ce qui concerne le
Droit Commercial.
40 RAPPORTS
H. Dankwardt, Naiionalùkonomie und Jurisprudenz .
RosLock, 1857 et suiv.
W. Endemann, Bas deuische Handelsrecht. Heidel-
berg, 1865; 4« édit., 1887.
Les doctrines économiques ont exercé une influence
notable sur la réforme de quelques-unes des dispositions
des codes civils modernes. Il nous suffira de citer
l'abolition des lois limitant l'intérêt conventionnel dans
le prêt à intérêt, les nombreuses innovations du système
hypothécaire et du droit successoral, les changements
radicaux dans le contrat d'emphytéose, etc., etc.
L'étude des relations qu'il y a entre la législation
et l'économie politique a été, dans ce siècle, l'objet de
recherches variées, auxquelles ont contribué d'émi-
nents écrivains italiens, comme par exemple Valeriani,
Romagnosi et plus encore Minghetti, dans une œuvre
déjà citée. En France, dès 1838, Pellegrino Rossi fit la
critique économique du Code civil napoléonien, mar-
quant la voie à Batbie et à Sévin qui reprirent ce
sujet en 1865 en y joignant des propositions concrètes
de réforme.
Ces relations ont été longuement étudiées par Rivet
et, avec plus de compétence économique, par Jourdan
et par Béchaux. Les travaux de ces deux auteurs ont
été couronnés par l'Académie des Sciences Morales et
Politiques en 1880.
F. Rival, Des rapports du droit et de la législation avec
iéconomie politique. Paris, 1864.
A. Jourdan, Des ixipports entre le droit et l'économie
politique. Paris, 1884.
A. Béchaux, Le droit et les faits économiques. Paris,
1889.
V. Droit Commercial. — Les rapports sont plus
étroits encore entre l'économie et le droit commercial.
DE l'économie politique 41
qui s'occupe d'institutions exclusivement économiques
(sociétés, monnaie, titres et institutions de crédit,
transports, assurances, faillites, etc.), que l'on ne peut
évidemment juger sans en connaître la véritable nature.
C'est ainsi que les progrès récents des théories écono-
miques ont facilité les progrès des théories juridiques
correspondantes, et quelquefois même ont conduit à de
profondes réformes législatives. Et, par exemple, les
travaux d'Einert, qui déduit la théorie juridique delà
lettre de change de l'étude de ses fonctions écono-
miques actuelles, ont été, au moins en partie, la base de
la loi allemande sur le change de 1848, qui a commencé
la réforme, accomplie presque partout aujourd'hui, de
cette branche très importante du droit commercial.
Au point de vue purement scientifique, les recherches
modernes sur la théorie de la monnaie suffisent à
démontrer les immenses services rendus par les études
économiques à Savigny et à Hartmann et particulière-
ment à Goldschmidt, le plus célèbre des écrivains alle-
mands de droit commercial, et par les études juridiques
à Knies.
Les ouvrages récents de Lyon-Caen et Renault, de
Vivante, de Marghieri et spécialement le grand traité de
Vidari, sont d'honorables témoignages de l'heureuse
combinaison des études économiques et du droit com-
mercial.
L. Goldschmith, Handbuch des Handelsrechts. Erlan-
gen, 1864, 3^ édit., 1894 et suiv. — System des Han-
delsrechts, 3" édit., Stuttgart, 1892.
E. Vidari, Corso di DiriUo Commerciale. Milano 1877-
1887, neuf volumes — 4'= édit,, 1893 et suiv.
§ 5. — ÉCONOMIE PRIVÉE
Bien que l'économie politique étudie les phénomènes
42 RAPPORTS
de la richesse au point de vue de l'intérêt général, et
C{ue l'économie privée se place au point de vue de l'inté-
rêt particulier de l'administration familiale et indus-
trielle, on ne doit pas oublier que certains critères
généraux de l'administration privée peuvent aussi être
appliqués, dans certaines limites et avec certaines mo-
difications inévitables, aux administrations publiques
dont s'occupe l'économie politique appliquée.
D'un autre côté, la connaissance des lois rationnelles
de l'économie sociale est indispensable même à l'éco-
nomie industrielle, afin de suppléer à ce qu'il y a de
nécessairement incomplet dans le point de vue pure-
ment individuel des faits économiques.
C'est dans ce but que quelques écrivains récents se
sont occupés intentionnellement de ces parties des doc-
trines économiques qui se rattachent étroitement aux
principes directeurs de l'organisation administrative
des entreprises industrielles.
G. Courcelle-Seneuil, Manuel des affaires, i" édit.,
Paris, 1883.
C. Ad. Guilbault, Traité d^ économie industrielle . Paris,
1877.
A. Prouteaux, Principes d'économie industrielle. Paris,
1888.
Em. Cossa, Primi elementi di economia agraria. Mi-
lano, 1890.
A. Emminghaus, Allgemeine Geicerkslehre . Berlin,
1868.
M. Haushofer, Der Industriebetrieb. Stuttgart, 1874.
§ 6. — DISCIPLINES AUXILIAIRES.
On peut considérer comme des auxiliaires de récono-
mie politique, rationnelle ou appliquée, parce qu'elles lui
fournissent des notions nécessaires ou utiles, les théo-
DE l'économie politique 43
ries les plus générales de la psychologie, de la techno-
logie et de la politique.
A. Psychologie. — Bien que l'économie politique
ne puisse pas être considérée comme une Psychologie
appliquée, et qu'elle puisse moins encore être réduite à
un simple calcul du plaisir et de la douleur, comme
l'ont cru Gossen, Jevons et comme l'enseignent Sax
et ses disciples, par cette raison quelle n'est pas une
doctrine éthique (stricto sensu) qui étudie l'homme au
point de vue individuel, mais parce qu'elle est au con-
traire une discipline sociale qui l'étudié en tant que
membre des groupes sociaux, et partant dans les rela-
tions variées qui en résultent, on ne peut pas nier que
l'économie politique doit utiliser la psychologie pour
bien déterminer la nature de quelques-uns des principes
qui constituent les moteurs principaux des actions
humaines concernant l'ordre social des richesses, comme,
par exemple, la loi du moindre effort, qui nous con-
duit, toutes circonstances égales, à préférer le gain le
plus grand au gain moindre.
B. Technologie. — Malgré la différence radicale
qu'il y a entre les règles concernant les procédés de
fabrication des différents produits, que la technologie
(physique, chimique et mécanique) établit en s'appuyant
sur les résultats des sciences mathématiques et natu-
relles, et les vérités et les principes d'ordre social, dont
s'occupe l'économie politique, il est certain que l'éco-
nomie rationnelle, en tant qu'elle explique le mécanisme
de la production et de la circulation, dans son étude
du travail, des machines, de la monnaie, du crédit, des
banques, des moyens de transport et de communica-
tion, etc., peut retirer quelque avantage de la connais-
sance, au moins élémentaire, des principes qui dirigent
44 RAPPORTS
la technique générale et spéciale des phénomènes
qu'elle étudie à son point de vue particulier.
Bauer, Ueber die Unierscheidung der Technil, von der
Wirthschaft. (la Faucher, Vierieljahrsclirift fur
Volksivirthschaft, 1864, pp. 33-50;.
Si donc les économistes peuvent consulter avec pro-
fit les ouvrages qui, sous le titre générique d'économie
rurale, forestière, minière, commerciale, traitent de
ces industries spéciales, soit au point de vue technique,
soit au point de vue de l'économie privée, ils peuvent
retirer un avantage encore plus grand des œuvres qui
étudient la technique générale dans ses relations avec
l'économie politiqu*^.
Il faut faire une mention spéciale pour les trois mo-
nographies suivantes, de contenu et de tendances di-
vers d'ailleurs :
Ch. Babbage, Economy of machmenj and vianufac-
tures, 1831. (Réimprimé plusieurs fois et traduit
en plusieurs langues; traduit en français par Ed.
Biot : Tmiié sur l'économie des machines et des
manufactures. Paris, 1834). Augmenté et en partie
modifié par Charles Laboulaye, Economie des
machines et des manufactures. Paris, 1880.
Verdeil, L'industrie moderne. Paris, 1861.
E. Herrmann, Technische Fragen und Problème der
modernen Volksicirthschaft. Leipzig, 1891.
C. Politlriue. — C'est, stricto sensu, la doctrine du
bon gouvernement selon les principes de l'utilité sociale.
Dans sa partie générale elle est une di.scipline auxi-
liaire de l'économie politique, parce qu'elle lui fournil
des notions indispensables sur la nature et les fonctions
des différentes sociétés politiques. Dans le sens plus
large de science et d'art du gouvernement dans ses
relations multiples, elle tend à absorl>er, dans sa partie
DE l'Économie politique 45
spéciale et, d'une façon plus précise, dans la politique
administrative (science de l'administration publique),
toute l'économie appliquée, qui, rigoureusement, de-
vrait se limiter, comme nous l'avons déjà dit, à fournir
les critères du bon gouvernement économique et finan-
cier, déduits de l'unique principe de l'utile et parlant
très restreints et nécessairement incomplets.
Pour la politique générale, en dehors de l'ouvrage
classique de Dahlmann (1835), de la remarquable
esquisse de Waitz(1862), et des Principes d'Holzen-
dorf (S*" édit. 1879), on peut consulter les œuvres de De
Parieu et de Bluntschli, et surtout les savants traités
de L. Woolsey, de Sidgwick et de Roscher.
E. de Parieu, Principes de la science poliiiqne. Paris,
1870; 2«édit., 1875.
J. C. von Bluntschli, Poliiik als Wissenschaft. Stutt-
gart, 1876 (Traduit en français par A. de Ried-
matten : La Politique. Paris, 1879.
Tlieod. D. Woolsey, Political Science, or the State
iheoretically and practically considered. 1878, 2 vol.
H. Sidgwick, The éléments of poliiics. 1891.
W. Roscher, Politik, elc. Stuttgart, 1892.
Pour la science de l'administration, les deux princi-
paux ouvrages sont ceux de Mohl et de Stein. En
Italie, nous devons de bons Essais à Ferraris, qui pré-
pare un Traité ; il faut mentionner aussi Wautrain-Ca-
vagnari, l'auteur du premier livre élémentaire sur cette
discipline.
Rob. von Mohl, Die Polizeivissenschaft. 3' édition,
Tubingen, 1866, 3 volumes. (Ouvrage devenu
ancien pour une partie seulement, mais remar-
quable par la profondeur, l'ordre, la clarté et
l'excellence de la méthode).
L. von Stein, Die Verivaliungslehre. Stuttgart, 1865
et suiv., 8 parties en 10 volumes. (OEuvre gran-
46 RAPPORTS
diose et très importante, malgré les lourdes
divisions hégéliennes tripartites, les construc-
tions métaphysiques arbitraires et les graves et
trop fréquentes inexactitudes dans les rensei-
gnements législatifs.)
— Handbuch dcr VenvaUungslehre. Stuttgart, 1870;
2« édit., 1887-8H. 3 volumes. (Très utile résumé
de l'ouvrage précédent).
C. F. Ferraris, Saggi di economia, staiisiica e scienza
delV amminisirazione . Torino, 1880.
V, Wautrain-Cavagnari, Elemenii di scienza delV am-
minisirazione. Firenze, 1890.
CHAPITRE IV
CARACTÈRES DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE
Les controverses toujours vives sur le caractère de
l'économie politique sont souvent purement nominales ;
souvent aussi elles dérivent de l'incompétence philoso-
phique de beaucoup des économistes qui s'en sont
occupés, alors qu'ils ne possédaient même pas les élé-
ments de la méthodique scientifique ; elles dépendent
aussi de ce fait que, sous le nom d'économie politique,
on réunit d'ordinaire et quelquefois même on confond
deux disciplines étroitement liées par l'identité de
Tobjet, mais cependant essentiellement différentes par
la nature de leur rôle et de leur but.
Pour éviter toute équivoque il est nécessaire de donner
ici quelques notions sommaires sur les caractères de la
science et sur les meilleurs critères pour la classification
de ses différentes branches.
§ 1"". CARACTÈRES DE LA SCIENCE
Dans sa signification la plus large on entend par
science un système de vérités générales sur un ordre
donné de phénomènes. Et, en effet, la découverte d'un
lien qui unit des phénomènes en apparence hétérogènes
change en connaissance scientifique la simple notion
empirique des faits particuliers et séparés.
Bien que l'on doive admettre l'unité finale de la
science, qui est le reflet de l'unité du vrai, on ne peut
pas cependant nier que le grand arbre du savoir humain
48 CARACTERES
comprend les ramifications les plus variées et donne
lieu à la formation de groupes multiples de disciplines,
qui vont toujours se divisant et se subdivisant davan-
tage. On ne méconnaît pas ainsi, d'ailleurs, la possibi-
lité et la nécessité idéale d'une science des sciences, ou,
comme on disait autrefois, d'une science des raisons
dernières, qui explique l'enchaînement des principes
fondamentaux des disciplines particulières.
Une opinion aussi courante que superficielle subor-
donne la classification des sciences à un critère pure-
ment subjectif, à la faiblesse de l'esprit humain, qui, ne
pouvant embrasser l'ensemble detoutle savoir, est forcé
de n'en parcourir qu'une partie, plus ou moins considé-
rable, en allant graduellement du facile au difificile et
se contentant même de l'ensemble de connaissances
nécessaires ou utiles à l'exercice des professions choi-
sies par chacun. C'est ainsi que celui qui se destine à
l'industrie étudie de préférence les sciences mathéma-
tiques, physiques et naturelles, que les fonctionnaires
publics étudient les sciences juridiques et politiques,
que les ecclésiastiques étudient les sciences sacrées, etc.
On oublie ainsi qu'en dehors de ces critères exclusive-
ment subjectifs et extrinsèques, il en est d'autres qui
ont un caractère intrinsèque et objectif, et que par
suite, en supposant même pour un moment que
l'homme eût la possibilité de saisir tout le savoir, il
faudrait encore reconnaître l'existence de disciplines
essentiellement distinctes par la qualité de leur objet,
ou par celle de leur rôle, ou par celle de leur but. C'est
là la justification de deux systèmes de classification
objective des sciences, dont l'un a son fondement dans
un critère matériel, très généralement et très aisément
admis, tandis que l'autre dépend d'un critère formel,
lui aussi très important, mais trop souvent mal inter-
prété.
DE L ÉCONOMIE POLITIQUE • 49
Il n'est pas besoin d'une culture très développée pour
comprendre qu'il ne faut pas confondre entre elles, par
suite de la très grande diversité des objets qu'elles étu-
dient, les sciences sacrées et les sciences profanes, les
sciences physiques et les sciences morales, les sciences
philosophiques et les sciences naturelles, quelque opi-
nion que l'on puisse avoir sur les essais, plus ou
moins heureux, de classification scientifique que l'on
trouve dans les œuvres de Bacon, de Hegel, d^Ampère,
de Comte, de Spencer, etc. Peut-on ne pas admettre
que la théologie, l'astronomie, la mécanique, la chimie,
l'esthétique, la physiologie, la technologie, la chirur-
gie et la politique diffèrent radicalement entre elles
par le caractère tout à fait différent du domaine propre
de leurs recherches ?
Beaucoup de gens, au contraire, sont tout à fait sur-
pris de cette affirmation que, sous certains aspects
théoriquement et pratiquement très importants, la dis-
tance est plus grande entre la mécanique rationnelle et
la technologie, l'astronomie et l'art nautique, la phy-
siologie et la chirurgie, que la distance, infranchis-
sable semble-t-il, qui sépare la mécanique et l'astro-
nomie de la physiologie, la technologie de la chirur-
gie et de la politique ! Il faut, il est vrai, une étude
attentive des principes concernant la classification for-
melle des sciences pour être pleinement convaincu de
la vérité inébranlable de cette proposition en apparence
paradoxale. Cette étude a pour base la distinction capi-
tale, souvent combattue et plus souvent mal comprise,
entre deux catégories de doctrines, qui sont en com-
plète antithèse entre elles, même quand elles s'occupent
du même ordre de phénomènes. Je fais allusion à la
distinction, que tout le monde connaît mais dont on
n'est pas très généralement pénétré, entre la science et
l'art.
50 CARACTÈRES
On appelle sciences, au sens étroit du mot, les disci-
plines (qualifiées par les uns de rationnelles, par
d'autres, et moins correctement, de théoriques) qui ont
pour rôle d'expliquer les relations qui lient certains
phénomènes homogènes, et dans le but purement spé-
culatif d'en faciliter la pleine connaissance. L'algèbre,
la géométrie, l'anatomie, la physiologie, la pathologie, la
chimie, la psychologie, l'histoire, la statistique consti-
tuent des sciences, parce qu'elles nous donnent la con-
naissance de certains faits, physiques ou moraux,
externes ou internes, abstraits ou concrets, sans s'occu-
per d'une façon directe de la pratique.
On appelle arts, au contraire, les disciplines (quali-
fiées par les uns de appliquées, par d'autres, et moins
correctement, de pratiques), qui ont pour rôle de sug-
gérer des normes, des régies, des maximes ou, sous
quelque nom qu'on les désigne, les moyens les mieux
appropriés pour atteindre certaines fins. Il faut com-
prendre sous le nom d'arts, au sens étroit du mot, non
seulement les beaux arts et les arts mécaniques, mais
en général la technologie, l'hygiène, la thérapeutique,
la chirurgie, la morale, la politique, parce qu'elles ont
toutes pour but de fournir des normes de conduite,
naturellement très disparates, selon qu'il s'agit
d'exercer une industrie, de conserver ou de rétablir la
santé, d'arriver à la vertu ou de bien gouverner
rÉtat.
La science recherche ce qui est; elle interprète les
phénomènes, explique leur essence, décrit leurs carac-
tères, elle les classe; elle recherche les régularités em-
piriques, les causes , et, en déterminant leur manière
d'agir, elle arrive à la connaissance des lois, absolues
ou relatives , de coexistence et de succession des phéno-
mènes étudiés. La science s'occupe des faits concrets
et variables, passés ou présents, ou elle se propose
DE l'économie politique 51
certains idéals, ou elle prévoit, dans certaines limites,
les faits futurs, ou elle s'occupe d'une manière abstraite
de ce qui est typique, universel, constant et commun,
par suite, au passé, au présent et à l'avenir.
L'art, au contraire, ne découvre pas la vérité, mais
il la suppose; il n'explique pas des théorèmes, mais il
résout des problèmes généraux; il a un but pratique
et non spéculatif; il ne découvre pas des lois, mais il
indique les règles qui permettent d'éclairer la pratique.
Une erreur tout aussi grave , que partagent même
beaucoup de ceux qui distinguent de quelque façon la
science et l'art, consiste dans la confusion qu'ils font
entre la science et la théorie, l'art et la pratique, tandis
qu'il résulte de ce que nous avons dit que la science
qui nous apprend à connaître comme l'art qui nous
apprend à faire constituent la théorie, qui s'oppose à la
pratique, c'est-à-dire à l'action, qui tend à la réalisation
de buts déterminés. S'il est donc exact de dire, avec
Mill, que la science est à l'art comme le mode indicatif
est au mode impératif, il est certainement faux d'ajouter
que l'un est à l'autre comme l'intelligence est à la vo-
lonté; il est manifeste que la pratique seule fait appel
à la volonté, tandis que l'art qui tend à guider l'action
ne s'identifie pas avec elle, mais la précède. En résumé,
on peut dire que la science explique et expose, que
l'art dirige (il impose des préceptes ou il propose des
conseils), la pratique exécute et dispose.
Il n'est pas davantage admissible que la pratique
puisse tenir lieu de théorie, comme l'affirme un préjugé
courant, et de même on ne peut pas accepter l'opinion
de ces écrivains allemands contemporains qui con-
fondent de nouveau la science et l'art ou répudient ce
dernier, parce qu'il ne serait qu'une pure casuistique et
un simple recueil de recettes, théoriquement incom-
plet et pratiquement inutile. 11 faut remarquer, d'ail-
52 CARACTÈRES
leurs, que ]a science, l'art et la pratique s'intègrent
réciproquement et se prêtent un concours absolument
indispensable.
Dans l'ordre logique, la science, expliquant les phé-
nomènes du monde physique et ceux du monde moral,
précède l'art qui, d'après les vérités découvertes par la
science, indique les règles pour modifier les phéno-
mènes eux-mêmes, et- l'art, à son tour, précède la
pratique qui, en se servant des vérités de la science
et des règles île l'art, utilise les enseignements de
l'expérience spécifique , individuelle ou collective ,
pour appliquer les unes et les autres aux cas concrets,
extrêmement complexes et variables. S'il est vrai que
sans connaitre l'anatomie, la physiologie, la pathologie
et la thérapeutique, on ne peut traiter rationnellement
les maladies, il n'est pas moins vrai que la connaissance
de ces disciplines et de toutes les autres disciplines
complémentaires ne suffit pas à former un bon clini-
cien.
Dans l'ordre historique, au contraire, les choses se
passent en sens inverse, parce que, à une pratique
aveugle, et pour ainsi dire instinctive , succède un art
grossièrement empirique, que suit beaucoup plus tard
la science, qui fournit des connaissances solides, grâce
auxquelles on peut refaire tout le processus d'inves-
tigation et d'exécution. On a fait des vers, on a joué
des instruments, on a construit des maisons, on a soi-
gné des malades, on a gouverné des peuples, bien
avant que l'on connût l'art poétique, la musique, l'es-
thétique, l'architecture et les diverses branches de la
médecine et des doctrines juridiques et politiques.
Il est une autre division très importante , formelle
elle aussi, des sciences proprement dites, tirée du
critère de l'état plus ou moins élevé auquel s'arrête la
recherche de l'enchaînement des divers phénomènes
DE l'Économie politique 53
dont s'occupent les sciences. Il en résulte les trois
groupes suivants :
1° Les sciences descriptives ou desimpie classification
des phénomènes, divisés et subdivisés selon le temps
et l'espace, ou distribués en séries, catégories, genres,
espèces, d'après leurs caractères analogiques. Ces
sciences deviennent des sciences morphologiques quand
elles arrivent à déterminer, d'une façon rigoureuse,
les caractères essentiels qui distinguent les différents
groupes. Telles sont, par exemple, la botanique, la
zoologie, dans leur partie systématique, la chrono-
logie, la géographie et même la statistique, au sens où
l'entendaient Achcnwall et ses disciples.
2° Les sciences qui recherchent les régularités empi-
riques dans la succession et dans la coexistence des
phénomènes. On les a appelées quelquefois des lois de
fait, parce qu'elles sont liées à d'étroites limites d'es-
pace et de temps. Elles peuvent s'en tenir à de simples
notions qualitatives (comme, par exemple, l'histoire, le
droit positif et la philosophie de l'histoire et la philo-
sophie du droit), ou, au contraire, s'élever à des déter-
minations quantitatives (comme la météorologie et la
statistique, au sens où l'entendent les statisticiens les
plus autorisés).
3° Les sciences étiologiques, qui recherchent le
lien causal qui unit les phénomènes, physiques ou
moraux, externes ou internes, concrets ou abstraits,
le mode d'action des causes découvertes, c'est-à-dire
les lois scientifiques , universelles ou particulières ,
absolues ou relatives, primitives ou dérivées, dont
dépendent les phénomènes eux-mêmes. Telles sont,
par exemple, l'astronomie, la physique, la chimie ; telle
devrait être la philosophie de l'histoire, si elle pouvait
devenir une science.
II faut enfin remarquer, pour éviter de dangereux
54 CARACTERES
malentendus au sujet des rapports des sciences et des
arts, qu'il n'y a pas de science qui serve à un art
seulement, de même qu'il n'y a pas d'art qui ait son
fondement dans une seule science. Ainsi, par exemple,
la physique, la chimie et la mathématique rationnelle
servent à plusieurs branches de la technologie, la
psychologie est utile à toutes les sciences sociales ; de
son côté, l'agronomie est un art qui puise à plusieurs
sciences et, par exemple, à la météorologie, à la phy-
sique, à la chimie, à la mécanique, à la botanique, à la
zoologie, etc.
Etant données ces notions générales sur les caractères
des différentes sciences et sur les critères logiques de
leur classification, il sera moins difficile de déterminer
les caractères de l'économie politique ou, mieux, des
deux disciplines formellement hétérogènes qu'on a
l'habitude de comprendre, très généralement mais
très inexactement, sous cette unique dénomination,
assez peu heureuse d'ailleurs.
Herbert Speocer, The classification ofthe sciences, 1869.
Trad. franc, par Réthoré. 6«édit. Paris, 1897.
A. Messedaglia, Lascienza nelV ctà nostra. Padova,
1874.
Ger. Heymans, Karakter en Méthode des Staathuishoud-
kunde. Leiden, 1880. (Chap. I, p. 8 et suiv.)
Eug. von Philippowich, Ueber Aufgabe und Méthode
der politischen Œkonomie. Freiburg i. Br. 1886.
C. Menger, Grundziige einer Klassification der Wirth-
schaftsicissenschaften. Jena, 1889.
§ 2. — CARACTÈRES DE l'ÉCONOMIE SOCIALE
L'économie sociale est une science, au sens le plus
large du mot, parce qu'elle comprend un système de
vérités générales sur l'ordre social des richesses ; cet
ordre résulte d'un ensemble de phénomènes étroitement
DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 55
connexes entre eux qui, par leur importance, méri-
tent une recherche théorique. C'est une science qui a
fait de notables progrès, non pas à la vérité aussi mar-
quants que ceux de quelques autres disciplines, comme
la physique par exemple, mais plus que suffisants pour
donner un démenti à ceux qui lui refusent cette quali-
fication par des démonstrations qui ne peuvent que dé-
montrer leur incapacité à comprendre le véritable carac-
tère de la doctrine qu'ils combattent et que, par une
singulière contradiction, ils sont parfois chargés d'en-
seigner.
BonamyPrice, Chapters on practical poliiical economy.
London, 1878.
On dit, par exemple, que les faits économiques sont,
par leur nature, extrêmement complexes parce qu'ils
dépendent pour partie des conditions très variées du
territoire et du climat, et pour partie de la volonté de
l'homme, modifiée par la tradition, l'éducation, l'ins-
truction, toutes choses que l'on ne peut juger avec une
précision scientifique parce qu'elles sont sujettes à d'in-
cessantes transformations.
On répond à cela que la complication et la variabilité
des faits sociaux et en particulier des faits économiques
ne leur enlèvent pas leurs caractères généraux et n'em-
pêche pas la persistance de certains effets qui dépendent
delà constance des causes qui les produisent. Pour des
raisons semblables, l'anatomie , la physiologie et la
pathologie ne sont pas réduites à l'impuissance par le
fait des inégalités physiques des individus et par le fait
de la complexité des formes pathologiques des mala-
dies. Il ne faut donc pas s'étonner si, dans l'ordre
social des richesses, la variation des cas individuels est
compatible avec l'existence des lois générales de la
valeur, du prix, du salaire et du profit.
56 CARACTÈRES
D'ailleurs même les changements et les perturba-
tions de l'ordre économique présentent, malgré leurs
irrégularités apparentes , quelque chose de normal qui
dépend de lois particulières. Si donc, dans le domaine
des sciences médicales, en dehors de l'anatomie nor-
male et de la physiologie, nous avons des doctrines
spéciales qui décrivent les organes et les fonctions du
corps humain à l'état pathologique, de même, en éco-
nomie politique, nous avons une théorie des perturba-
tions ou des crises (annonaires, monétaires, bancaires,
commerciales, etc.), qui est le complément nécessaire
de la théorie des fonctions économiques normales.
L'économie sociale est de plus une science, même au
sens le plus étroit du mot, parce qu'elle se propose
d'expliquer les phénomènes sans se préoccuper des
moyens les plus propres pour obtenir d'utiles modifica-
tions dans leurs manifestations.
Au point de vue formel, c'est-à-dire eu égard à son
rôle, l'économie sociale n'est ni une science purement
descriptive ou systématique, ni une science qui recherche
simplement des régularités empiriques. C'est une science
morphologique et étiologique tout à la fois ; morpholo-
gique, parce qu'elle détermine l'essence des faits écono-
miques, considérés dans leurs caractères typiques;
étiologique, parce qu'elle en recherche les causes pre-
mières, qui consistent en certaines forces constantes ec
irréductibles d'ordre physique ou psychique, et qu'elle
recherche, enfin, leur mode d'action, c'est-à-dire qu'elle
en détermine les lois scientifiques.
Au point de vue matériel, c'est-à-dire eu égard à son
objet, l'économie sociale fait partie des sciences morales,
c'est à-dire des sciences qui étudient l'homme en tant
qu'être capable de sentir, de penser et de vouloir, et
elle appartient à ce groupe de sciences qualifiées de
sociales, parce qu'elle se propose, non pas l'étude de
DE l'économib politique 57
l'homme considéré individuellement dans ses facultés
psychiques, mais celle de riiomme, considéré collecti-
vement, comme membre de la société civile.
L'économie sociale étudie les richesses au point de
vue moral et non au point de vue physique (comme la
technologie), au point de vue social et non au point de
vue individuel (comme l'économie privée) ; elle les étu-
die en analysant les phénomènes auxquels donnent lieu
les relations spontanées des différentes économies parti-
culières, associées ou en concurrence^ en faisant abs-
traction, mais seulement d'une façon préliminaire, des
influences que l'action de l'Etat et celle des autres so-
ciétés politiques inférieures exercent sur ces rapports.
Nous ne pouvons, par conséquent, accepter les doc-
trines de ceux qui considèrent Téconomie sociale comme
une science physique (dans un sens large), ou comme
une science biologique, ou comme une science qui a des
traits communs avec les sciences physiques et avec les
sciences morales, ou comme une science psychique, ou
comme une science éthique (morale, au sens étroit du
mot), ou comme une science historique, ou finalement
comme une science non autonome, condamnée à devenir
un chapitre, totalement remanié, de la sociologie. Nous
allons brièvement exposer nos critiques en reprenant
pour partie ce que nous avons dit au sujet des limites
et des rapports de l'économie politique en général.
L'économie sociale a été considérée par quelques-uns
comme une science physique, ou, comme l'a dit Coque-
lin, comme une partie de l'histoire naturelle de l'homme,
et, par un grand nombre d'écrivains, même contempo-
rains, (Say, Garnier, Cairnes, Block, etc.), comme une
science qui occupe une place intermédiaire entre les
sciences physiques et les sciences morales, et cela parce
qu'elle doit s'occuper de certains phénomènes physiques
comme, par exemple, la limitation du sol et la loi des
Ob CARACTERES
revenus décroissants. On répond à cela que l'économie
politique n'explique pas directement ces principes qu'elle
emprunte à d'autres disciplines (à l'agronomie) pour en
faire les prémisses de ses très importantes déductions.
D'autres affirment que l'économie est une science
biologique, soit à cause de certaines analogies qu'il y a
entre l'organisme animal et l'organisme social, sur les-
quelles ils insistent longuement (comme le font ScliPeffle,
Lilienfeld et leurs faciles imitateurs) sans apercevoir les
différences substantielles (fort bien notées par Krohn et
par Menger pour ne citer que ces deux noms), .soit par
suite de l'importance qu'a, dans l'analyse économique,
la tendance de l'homme à conserver et à propager
l'espèce , tendance commune à toutes les races ani -
maies et qu'étudie la biologie.
Pour d'autres, l'économie sociale est en train de deve-
nir une science psychique ou, comme le dit Sax, une
application de la psychologie, ou, comme d'autres l'ont
dit. une mécanique de l'intérêt per.sonnel. Sans nier
l'importance du principe édonistique comme postulat
de l'économie, et en reconnaissant volontiers les secours
qu^on peut tirer de certaines données, d'ailleurs très
simples, de la psychologie pour éclaircir quelques
points de la théorie de l'utilité et de la valeur, et en
admettant enfin que certains phénomènes économiques
se retrouvent_, pour ainsi dire en germe, même dans la
vie d'un Robinson isolé du reste du monde, nous
sommes cependant per.suadé qu'il ne faut pas confondre
les points de départ d'un raisonnement avec le raison-
nement lui-même. Nous croyons de plus que la théorie
de l'utilité et celle de la valeur, comme on l'appelle
d'ordinaire, subjective, n'est pas toute l'économie, ni le
pivot de cette science. Nous croyons enfin que le pivot
de l'économie sociale consiste dans l'analyse po.sitive des
phénomènes qui naissent de la dépendance réciproque
DE l'économie politique 59
des différents groupes de producteurs et de consomma-
teurs, constitués par des hommes vivant dans un monde
réel, et que par suite notre science ne doit devenir ni
une branche de la biologie, ni une branche de la philo-
sophie rationnelle comme le demandent deux écoles,
opposées d'ailleurs, qui comptent même en Italie des
partisans pleins de talent et de bonne foi, mais, à notre
avis, pas assez impartiaux.
Un autre groupe d'écrivains non contents de faire de
l'économie sociale, comme nous le faisons nous-même,
une partie des sciences morales, l'identifie sans hésita-
tion avec l'éthique (la morale, au sens étroit), c'est-à-dire
avec la doctrine des devoirs de l'homme en général, ou
avec l'éthique économique, c'est-à-dire avec la doctrine
des droits sur l'acquisition et l'usage des richesses. Ils
oublient ainsi que la morale est un art et que l'économie
sociale est une science qui étudie, d'une manière indé-
pendante de l'éthique, la nature, les causes et les lois
des phénomènes économiques, en tant qu'ils dépendent
du principe de l'intérêt personnel. Ce principe, elle ne
juge pas, mais elle le considère, ce qu'il est en fait,
comme le moteur principal des actions humaines concer-
nant l'ordre social des richesses, sans négliger, comme
nous l'avons déjà indiqué, de tenir compte de cer-
taines modifications du principe purement utilitaire qui
résultent de l'influence du sentiment moral.
Une autre école, elle aussi nombreuse et puissante,
dont nous parlerons en traitant de la méthode, soutient
que l'économie est une science historique qui doit tra-
cer à larges traits les différentes phases de la civilisa-
tion économique et trouver la loi de son évolution.
On change ainsi complètement l'objet et le rôle de
l'économie sociale qui, comme nous l'avons déjà dit,
est une science abstraite qui considère l'ordre écono-
m.ique non pas dans ses manifestations concrètes et
60 CARACTÈRES
individuelles, comme c'est la tâche de l'histoire et de
la statistique, mais dans ses caractères typiques et gé-
néraux, c'est-à-dire en recherchant dans les phéno-
mènes passés et présents ce qu'il y a d'essentiel et de
permanent et non ce qu'il y a d'accidentel et de variahle.
Nous nous séparons enfin de l'école sociologique qui
professe en grande partie, avec son maitre Auguste
Comte, les doctrines philosophiques des positivistes
et qui tenant, comme Scha?ffle et beaucoup d'autres', la
sociologie pour une discipline voisine des sciences bio-
logiques, se rapproche ainsi d'un autre groupe d'écri-
vains dont nous avons parlé ci-dessus, en ce qu'ils s'ac-
cordent tous à nier à l'économie sociale la qualité de
discipline autonome.
Il faut remarquer tout d'abord que bien que l'économie
sociale entre dans le groupe des sciences morales, que la
nature de leur objet fait appeler sociales, elle ne peut pas
cependant être considérée comme la science sociale,
comme le pensaient Carey, Clément et beaucoup d'au-
tres, et cela pour cette raison très manifeste qu'elle ne
considère les phénomènes de la société civile qu'au
point de vue des intérêts économiques, qui ne sont ni les
seuls, ni les plus importants si on les compare à ceux
qui ont un caractère religieux, moral, intellectuel et
politique. Il n'est donc pas douteux que s'il pouvait
se constituer une science sociale achevée qui, par
une profonde synthèse , arriverait à découvrir les
lois générales de la vie sociale, considérée dans son
universalité, l'économie sociale aurait perdu toute
raison d'être indépendante. Mais comme nous sommes
loin, et pour quel temps encore ! de cet heureux
événement, puisque cette discipline, que Comte, en
adoptant un hybridisme que beaucoup ont critiqué,
a baptisée du nom de sociologie, se trouve encore à
l'état embryonnaire, on ne tiendra pas, nous l'espérons,
DE l'économie politique 61
pour une trop grande hardiesse de repousser nettement
les propositions d'abdication que quelques positivistes,
reprochant à l'économie sa soi-disant stérilité et ses abs-
tractions, voudraient nous imposer témérairement.
Nous sommes loin d'accepter, sans hésitation, la pro-
phétie de Block qui affirmait récemment (Progrès de
la science économique, Vol. F'', page 51 ) que la socio-
logie ne pourra jamais acquérir le caractère d'une vraie
science; nous accordons volontiers un grand prix aux
travaux propédeutiques et morphologiques de Comte,
de Spencer et de quelques-uns de leurs disciples,
parmi lesquels je citerai Vanni, dont il faut louer le
talent, la doctrine et la modération ; mais nous ne
pouvons cependant oublier qu'il manque à la sociologie
moderne, qui se glorifie plus que de toute autre chose de
ses comparaisons physiologiques incertaines et stériles,
ces garanties de consentement_, de continuité et de
sûre prévision de l'avenir, que les positivistes eux-
mêmes affirment être les caractéristiques des véritables
sciences. Et même, comme le suggérait finement
Sidgwick, si nous interrogions les trois lumières de la
nouvelle science sur l'avenir de la société humaine,
nous aurions des réponses aussi étranges que contra-
dictoires. Dans cet état des choses, il nous semble que
nous sommes d'accord, non seulement avec ^Marshall
et les meilleurs économistes anglais, mais même avec
Knies et Schbnberg, peu suspects de tendresse pour
les doctrines de l'école classique, pour penser qu'il
n'est pas du tout prudent d'abandonner, comme le dit
excellemment Mazzani, les trésors que nous possédons
pour la prévision audacieuse de conquêtes nouvelles. Il
ne sufïît pas, pour nous persuader du contraire, de
nous rappeler l'influence bien connue qu'exercent sur
les faits économiques d'autres faits sociaux de di-
verse nature, et même, nous ne devons pas roublier.
62 CARACTERES
les phénomènes physiques, parce que de cet enchaî-
nement des faits réels on ne peut pas déduire qu'il
n'est ni possible ni opportun de faire une étude sé-
parée des différentes causes dont les faits dépendent
alors que, comme le remarque (Jherbuliez, la tendance
du progrès intellectuel nous porte non pas à confondre
mais à diviser et à subdiviser les différentes sciences,
pour pouvoir mieux les étudier avec des méthodes mieux
appropriées.
C'est ce que nous répondrons à Ingram, qui soutient
brillamment la thèse contraire, et aussi à Cognetti
qui reproduit les mêmes idées avec des arguments ana-
logues et qui le fait (au dire de Philippovich) avec
beaucoup de chaleur mais peu de succès.
J. K. Ingram, The présent position and prospects of
poiitical economy. London, 1876 (traduit en alle-
mand par V. Scheel. Jena, 1879 et en français dans
le Journ. des Écon., mars 1877).
S. Cognetti de Martiis, L'economia corne scienza auio-
noma. Torino 1886.
A. Ma.TshSiU, The présent position ofecoiwmics. London,
1885.
S 3. — CARACTÈRES DE LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE
Il nous reste peu de choses à dire sur la politique
économique pour ne pas répéter des choses déjà dites
et parce qu'il s'agit de propositions moins controversées.
La politique économique qui fournit au législateur et
à l'administrateur des principes directeurs pour le bon
exercice des attributions économiques de l'État, de la
province et de la commune, n'est pas, comme l'écono-
mie pure, une science comprise dans les sciences so-
ciales, mais un art qui, s' occupant de matières étroite-
ment unies à la doctrine du gouvernement, forme
DE l'économie politique 63
partie intégrante des disciplines politiques ; elle est,
comme nous l'avons dit déjà, une branche de la
Politique administrative (science de l'administration)
qui, pour sa partie financière, a déjà conquis une auto-
nomie propre soit à l'égard de la Politique, soit à
l'égard de l'Économie, tandis que, pour la partie éco-
nomique (au sens étroit) cette séparation n'est pas encore
accomplie.
Le mélange et la confusion de l'économie sociale et
de la politique économique, qu'on a longtemps et très
généralement considérées — opinion aujourd'hui en
core très répandue — comme une seule discipline, a
été en fait très nuisible aux progrès de l'une et de
l'autre , parce que, en ne distinguant pas nettement les
vérités de la science des règles de l'art, on devait
nécessairement sacrifier les premières aux secondes ou
celles-ci à celles-là.
En désignant les unes et les autres par le terme
équivoque de principes, ou, ce qui est pis encore, par la
dénomination générique de lois, on ne donnait pas
une attention suffisante à la double signification de ce
dernier mot, qui, au sens juridico-politico-moral,
indique un précepte d'une autorité compétente, renforcé
par une sanction externe ou interne, tandis qu'au con-
traire, au sens strictement scientifique, il indique le
mode d'action de certaines forces qui tendent à pro-
duire constamment les mêmes effets. De là découlent
de regrettables conséquences que nous résumons
brièvement :
1° On n'a pas réussi à déterminer avec précision la
sphère d'action de l'économie politique, ce qui du reste
était inévitable. La science économique a besoin que son
domaine soit rigoureusement circonscrit, condition né-
cessaire d'une étude adéquate et approfondie, tandis que
l'art ne réussira jamais à formuler des règles qui aient
64 CARACTÈRES
une action sur la pratique,' s'il s'imagine pouvoir les
déduire d'une seule science, quelque rapport étroit
qu'elle ait avec son propre objet.
2° La confusion de la science et de l'art enlève à la
première le caractère de l'impartialité, car son devoir
est de rechercher la vérité pour elle-même, sans se
préoccuper des applications vertueuses ou vicieuses,
utiles ou nuisibles qu'on en peut faire. C'est ainsi que
la chimie pharmaceutique apprend à préparer l'arsenic
au médecin qui se propose de guérir les malades
comme au scélérat qui veut empoisonner sa victime ;
de même l'économie sociale doit s'occuper de la con-
nexion des phénomènes qu'elle étudie, en conservant
une entière neutralité entre les intérêts opposés de
classe et les différents systèmes de gouvernemeut.
Quand au contraire la seience n'est pas bien distincte
de l'art, on tombe insensiblement dans cette erreur
dangereuse de considérer la vérité non pas comme un
but, mais comme un moyen propre à défendre ou à
combattre un système déterminé. La confusion de l'é-
conomie sociale et de la politique économique a conduit
beaucoup de pseudo-économistes à considérer la science
comme un arsenal d'armes propres à défendre l'appli-
cation inconditionnée et universelle du libre échange ;
elle a suggéré àd'autres, des optimistes et des quiétistes,
de rechercher dans la science des arguments pour faire
l'apologie de lalibre concurrence, pour démontrer l'har-
monie universelle des intérêts, pour nier la possibilité
de tout conflit, même partiel, entre le capital et le tra-
vail, entre l'entrepreneur et l'ouvrier; d'autres au con-
traire, des pessimistes et des révolutionnaires, ont
voulu trouver dans cette même science des arguments
pour défendre des réformes plus ou moins radicales,
pour supprimer l'anarchie qu'ils croient être une ton-
séquence inévitable de la propriété privée et de la
DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 65
concurrence, que leurs adversaires considèrent au
contraire comme les pivots de la distribution naturelle
des richesses, d'après eux la seule admissible.
3° L^emploi ambigu du mot loi appliqué aux propo-
sitions de la science, qui tend à la connaissance, comme
aux règles de l'art, pour lequel les connaissances sont
un moyen pour diriger l'action, conduit à deux erreurs
opposées et très regrettables. D'un côté, on décore du
nom pompeux de lois scientifiques, et partant appli-
cables à tous les cas, de simples règles essentiellement
changeantes et nécessairement soumises à de nom-
breuses exceptions. Ainsi, par exemple, on appela loi
de la science le « laisser faire » et on en réclama (les
disciples de Bastiat et ceux de l'école de Manchester)
l'application immédiate sans tenir compte ni de la
variété des conditions, ni de l'influence des précédents,
ni même, dans l'hypothèse la plus favorable, de la
nécessité de prudentes dispositions transitoires. On
oublia que même le sacro-saint précepte de ne pas tuer
ne peut pas être considéré comme ayant une valeur
absolue, parce qu'il souffre une exception au sas où la
mort de l'injuste agresseur est nécessaire pour sauver
la vie de l'innocenie victime. Inversement quelques
écrivains récents ont refusé aux lois scientifiques le
caractère d'universalité et ils ont créé ce concept hybride
de lois sujettes à des exceptions, tandis que, au contraire,
même pour les phénomènes complexes sur lesquels des
causes diverses agissent simultanément, le résultat en
apparence exceptionnel fournit la preuve de l'action
des différentes lois concourantes. Pourrait-on soutenir
que l'ascension du mercure dans le tube thermomé-
tique ou l'ascension des ballons aérostatiques sont une
exception à la loi de la pesanteur? Un exemple typique
de cette confusion entre la loi scientifique et la règle
d'application nous est fourni parRossiqui, recherchant
66 CARACTÈRES
la loi de la valeur, préfère la formule de coût de pro-
duction à celle de l'offre et de la demande, parce que
cette dernière, dil-il. est plus vraie mais moins utile.
De tout ce qui précède il résulte qu'il est désirable,
aussi bien dans l'intérêt de l'économie sociale que de
la politique économique, qu'on en fasse une étude dis-
tincte et selon des critères correspondant à leur carac-
tère formel opposé, afin que, d'un côté, on conserve à
la science son caractère général et son indépendance
de tout but purement pratique, en la dépouillant en
niême temps de toute prétention à une traduction
immédiate de ses vérités en règles d'application instan-
tanée et universelle, et que l'on conserve, d'autre part,
à l'art le précieux concours des vérités qui lui sont four-
nies par les différentes .sciences pour arriver à des pré-
ceptes dénature relative etsu.sceptibles de modifications
profondes.
En soutenant, comme nous le fai,sons, la nécessité
d'une séparation de la politique économique et de l'éco-
nomie sociale, nous ne voulons point critiquer les éco-
nomistes qui (comme Mill, Cairnes, Jevons, pour nous
en tenir à quelques noms illustres) ont traité des ques-
tions de législation économique. Nous reconnaissons
même, d'une façon explicite, qu'il est très désirable
qu'on continue dans cette voie, spécialement pour les
problèmes (comme la monnaie, le crédit, les banques,
le commerce, les tarifs douaniers, etc.) pour lesquels le
critère économique est évidemment le plus important.
Il faut simplement remarquer que, lorsque les écono-
mistes s'occupent de ces questions, ils ne doivent pas
oublier qu'ils abandonnent pour un moment leurs
recherches scientifitjues habituelles et qu'ils doivent par
conséquent s'inspirer de critères absolument différents.
S. van Houlen, De Staathuishoudkunde als Wetens-
chap en Kunst. TTroningen, 1866.
CHAPITRE V
DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS
DE ^ÉCONOMIE POLITIQUE
Sans attribuer une importance excessive aux discus-
sions, jamais éteintes, au sujet des dénominations et des
définitions de l'économie politique, et en reconnais-
sant même que leur énumération minutieuse, sans
jamais être complète, se réduirait à un déploiement
inutile d'érudition facile , nous pensons cependant
qu'une critique sommaire des principales dénomina-
tions et définitions peut être utile pour rendre plus
clair ce que nous avons dit dans les chapitres précé-
dents.
§ i"'". — DÉNOMINATIONS
Dans le langage courant, le mot économie équivaut
à parcimonie, épargne, ou bien il indique (économie de
l'univers, du corps humain, etc.) un tout systématique,
rappelant, dans tous les cas, les idées de proportion,
d'ordre, d'harmonie.
Si on s'en tient à l'étymologie (de oixo; maison et
vôao; loi), économie signifie loi de la maison, gouverne-
ment de la famille, ou, au sens que l'école appelle
subjectif, discipline qui s'occupe, ou du gouvernement de
la maison, ou de cet objet plus restreint, le gouvernement
des biens matériels appartenant à la famille. La combi-
naison du substantif économie et de l'adjectif politique
(de TTOAi;, cité ou État) indique le gouvernement de l'État,
68 DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS
OU, ici aussi dans un sens plus étroit, gouvernement de
ses biens, et l'économie politique s'oppose ainsi, par un
étrange pléonasme, à ce qu'on appelle l'économie do-
mestique. Au point de vue subjectif, l'économie politique
serait la doctrine du gouvernement ou bien des finances
publiques.
Il résulte de là que la signification courante, comme
son sens étymologique, ne correspondent nullement au
sens scientifique conventionnel de l'expression économie
politique. C'est alors une discipline qui, d'un côté, ne
prend en considération qu'une petite partie des attribu-
tions de l'État, de l'autre, au contraire, ne s'occupe pas
uniquement des richesses de l'Etat et pourrait même
subsister et conserver toute son importance si l'État
n'existait pas, c'est-à-dire dans cet état d'anarchie qui
est pour le plus grand nombre symbole de terreur et
pour quelques-uns idéal de perfection. Il ne faut donc
pas s'étonner si on a quelquefois propo.sé de remplacer
l'expression d'économie politique par une autre qui
réponde mieux au véritable caractère de cette discipline.
Les uns voudraient remettre en honneur l'expression
d'économie civile, qui remonte à Genovesi ; d'autres, en
plus grand nombre, préfèrent l'expression d'économie
publique (Beccaria, Verri, Pecchio, Minghetti;; d'autres,
cnfin^ en très grand nombre en Allemagne, voudraient
imposer le mot d'économie d'État, sans s'apercevoir que
toutes ces expressions ont le défaut commun d'être
ambiguës comme celle qu'ils combattent.
Un autre groupe d'écrivains, pour la plupart Français
et Italiéiis (comme Scialoja, De Augustinis, Reymond,
Ciccone), emploient l'expression d'économie sociale
(dont nous nous sommes servi pour désigner unique-
ment l'économie rationnelle), soit pour lui donner pour
champ d'observation toute la science sociale, soit, au
contraire, en évitant cette usurpation, soit, enfin, pour
I
DE l'économie politique 69
indiquer (comme le fit Ott, disciple du socialiste Bûchez)
les réformes que les économistes devaient, selon lui,
défendre.
La dénomination d'économie du peuple et la déno-
mination équivalente d'économie nationale (adoptée, dès
1774, par Ortes) ont un plus grand nombre de partisans.
Celle-ci est la plus courante en Allemagne, parce que,
dans l'opinion de l'école dominante, l'expression écono-
mie nationale exprime clairement le système de la pro-
tection douanière que les disciples de List opposent à
celui du libre échange, qu'ils considèrent comme un
corrollaire de l'économie cosmopolite anglaise. Même
en faisant abstraction de cette question, qui concerne non
pas la science mais plutôt ses applications, nous sommes
nettement adversaires des locutions d'économie du
peuple et d'économie nationale, parce qu'elles impli-
quent une erreur fondamentale ; elles rapportent les
phénomènes de la science pure aux soi-disant person-
nalités économiques de la nation et du peuple, tandis
que, au contraire, elle doit étudier, comme nous l'avons
déjà dit, les faits multiples et réels auxquels donnent
lieu les relations spontanées du trafic entre les diffé-
rentes économies individuelles ou collectives, associées
ou en concurrence, même en dehors de toute influence
ethnique ou politique.
Pour d'autres raisons, nous ne pouvons accepter la
dénomination d'économie industrielle, qui constitue
pour nous une branche de l'économie privée. C'est le
titre qu'a porté la chaire créée, en 1819, pour J.-B. Say
au Conservatoire des Arts et Métiers, dans le but trop
manifeste d'éviter une expression qui pouvait, prise ù
la lettre, porter ombragea un gouvernement peu disposé
à laisser se répandre des doctrines qui se rapportaient,
d'une manière quelconque, à l'administration publique.
N'espérant pas porter remède par d'autres adjectifs
70 DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS
aux défauts inhérents à la locution depuis longtemps
déjà adoptée, quelques économistes ont proposé d'y
renoncer, et se sont servis (par exemple Cherbuliez) de
l'expression de science économique, ou même d'écono-
mie, ou d'économique (Garnier, Jevons, Macleod, Mar-
shall, etc.), remettant en usage le langage des philoso-
phes grecs, accepté par Hutcheson (1748), sans voir
cependant que, conformément au sens étymologique,
les Grecs désignaient par ce mot l'économie domestique,
et qu'à notre époque, au contraire, cette dénomination
générique peut comprendre aussi bien l'économie poli-
tique que l'économie privée.
Il y eut, enfin, des écrivains qui, sans abandonner le
vocabulaire grec, ont proposé de recourir à une dénomi-
nation tout à fait différente, en empruntant à la Poli-
tique d'Aristote le mot chrématistique (employé dans
un sens péjoratif par Sismondi), ou en formant le mot
chrysologie, ou ploutonomie (Robert Gujard), ou plou-
tologie et ergonomie (Courcelle-Seneuil et Hearn), ou
catallactique (Whately), qui sont tous des néologismes
non acceptés ou inacceptables, parce qu'ils désignent
la richesse et non les actions humaines qui s'y rappor-
tent; parce que, en outre, ils considèrent la richesse
d'une façon trop générale et trop indéterminée, et que
le mot catallactique indique l'échange, phénomène sans
doute très important pour l'économie, mais qui cepen-
dant no l'embrasse pas tout entière.
Faute d'expression meilleure, il nous semble bon de
conserver celle d'économie politique, qui sert de titre
au livre publié, en 1615, par Montchrétien de Vatteville,
et qui a été adoptée par Steuart (1767), par Verri (1771),
par Smith (1776), et qui depuis, sur son exemple, a été
et est encore la plus employée, notamment en Angle-
terre, en France, en Italie, en Amérique, dans la science
et dans l'enseignement.
J
DE L ECONOMIE POLITIQUE / 1
Il ne faudrait pas s'imaginer que les économistes
seuls n'ont pas réussi à se forger une dénomination
correcte pour la discipline qu'ils cultivent. Les physi-
ciens, les chimistes, les métaphysiciens ne sont-ils pas
dans une situation pire, puisqu'ils sont forcés d'indi-
quer l'objet de leurs études par des mots qui, pris dans
leur sens étymologique, ne l'expriment en aucune ma-
nière, ou ne le font qae d'une manière vague et quel-
quefois inexacte? Quel inconvénient y a-t-il pour les
physiciens et les physiologues, ou pour les géographes
et les géologues, à se servir de mots dont les sens sont
analogues pour indiquer des disciplines séparées,
comme tout le monde le sait, par des limites que la
recherche moderne a établies avec une exactitude suffi-
sante ?
Jos. Garnier, De l'origine et de la filiation du motéco-
r.omie politique. (In Journal des Économistes,
1852. Tome 32% pp. 300-316; tome 33"= pp. 11-23).
S l. DEFINITIONS
Les définitions ont une tout autre importance que
les dénominations parce qu'elles servent à indiquer
l'objet, le rôle et le but de chacune des disciplines.
Bien qu'elles se trouvent d'ordinaire, pour la commo-
dité de l'exposition, au début des traités scientifiques,
les définitions, souvent négligées par des écrivains de
grand mérite, n'arrivent que tard, parce qu'elles sup-
posent un état assez avancé de la recherche et consti-
tuent non pas ses premiers, mais ses derniers résultats.
Loin d'être dangereuses et de n'être, comme on l'af-
firme quelquefois, que d'oiseuses et stériles questions
de mots, les définitions, pourvu qu'elles satisfassent à
ces trois conditions, d'être précises, claires et brèves,
7*2 DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS
sont un moyen nécessaire pour éviter les sophismes
dans lesquels on tombe, en se servant de termes mal
définis et auxquels on attribue involontairement des
significations différentes dans le même raisonnement.
Mais il ne faut pas oublier que les définitions ont un
caractère purement provisoire, parce que les progrès
continus dos sciences nécessitent des changements
correspondants ec parce que, de plus, toute définition a
le défaut inévitable d'être quelque chose d'arbitraire,
en tant qu'elle établit des lignes absolues de séparation
entre des phénomènes qui se relient entre eux sans une
véritable solution de continuité. Il convient, par consé-
quent, sans renoncer au précieux secours des défini-
tions, de faire connaître, au besoin, les cas limites
auxquels les définitions elles-mêmes ne peuvent pas
parfaitement s"adapter. Enfin, il faut noter que, malgré
l'extrême difficulté et parfois même l'impossibilité de
trouver une formule satisfaisant aux conditions indi-
quées, il n'en résulte pas que le temps employé pour
arriver, avec plus ou moins de succès, à cette fin a été
perdu. Comme le remarque avec sa finesse accoutumée
Sidgwick, la valeur des définitions ne se mesure pns
aux mots qui la composent, mais bien aux discussions
qui s'y rapportent: celles-ci impliquent toujours l'ana-
lyse de faits concrets, la distinction des points essen-
tiels, des points purement accidentels, et constituent
par suite la base sûre de jugements et de classifications
d'importance capitale.
Cela étant admis, et rappelant ce que nous avons dit
sur le concept, les relations, les caractères de la dualité
des doctrines comprises dans l'économie politique, il
ne nous semble pas difficile de tenter une critique
résumée des définitions courantes, en signalant leurs
défauts soit au point de vue matériel et spécifique, soit
au point de vue logique et général.
DE l'Économie politique 78
Sans nous attarder à relever le défaut trop manifeste
de clarté et de brièveté de beaucoup de définitions (et
aussi pour ne pas en faire un examen détaillé) nous fe-
rons remarquer que presque toutes les définitions pèchent
contre l'exactitude, et cela parce qu'elles assignent à
réconomie un objet trop vaste ou trop étroit, ou parce
qu'eHes en expriment imparfaitement le rôle et le but,
ou qu'elles en changent essentiellement les caractères.
On attribue à l'économie politique un objet trop
vaste lorsqu'on la définit la doctrine de la civilisation,
de l'intérêt personnel, de l'utile, du commode, des
besoins et de leur satisfaction, ou lorsqu'on en fait la
théorie du bien-être physique, ou même seulement celle
du bien-être matériel, parce que ces locutions se rap-
portent d'une façon manifeste même à des intérêts non
économiques.
On commet une erreur analogue lorsque, confondant
le champ de recherche de l'économie politique avec
celui de toutes les disciplines économiques et même
des disciplines te(;hnologiques, en définit l'économie,
la science (ou la philosophie, ou la métaphysique) de la
richesse. On commetalors une erreur grave, parce qu'on
prend pour objet de l'économie les richesses, c'est-
à-dire l'ensemble des biens matériels échangeables, et
non pas les actions humaines qui concernent l'ordre
social des richesses. On évite, en partie, cette erreur
lorsqu'avec Coquelin on assigne comme but à l'éco-
nomie politique l'étude de Tindustrie, ou, comme on le
dit aussi, du travail et de sa rétribution.
Il nous faut repousser, à un autre point de vue, mais
toujours parce qu'elles élargissent d'une façon exces-
sive le champ de recherche de l'économie politique,
les définitions de ceux qui, comme Say (dans son
Cours), la confondent avec la science sociale et lui don-
nent par conséquent pour rôle de résoudre, de son
74 DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS
point de vue nécessairement circonscrit, tous les pro-
blèmes qui se rattachent à la vie civile, dépassant ainsi
sa sphère naturelle de compétence.
Nous devons au contraire repousser comme trop
restrictives, au point de vue 'matériel, les définitions
qui font de l'économie politique la doctrine de l'échange,
du commerce, de la valeur, de la propriété, matières
très importantes sans doute, mais qui ne concernent
pas l'activité économique tout entière, mais seulement
celle qui se réfère à la circulation ou à la distribution
des richesses.
On restreint trop, au point de vue formel, le cercle
d'investigation de l'économie politique lorsque, ne
tenant compte que de ses applications, on la confond
avec l'art de s'enrichir (économie privée), ou avec celui
de protéger et de favoriser la richesse privée comme la
richesse publique (politique économique), ou lorsque, se
limitant au contraire à la science seule, on lui assigne
pour rôle d'expliquer les phénomènes de la richesse
sociale, mais non pas celui d'indiquer les meilleurs
moyens pour la conserver et pour l'augmenter.
Il faut ajouter, pour compléter et rectifier ce que nous
avons dit, que la plupart des formules que nous avons
combattues, soit parce c[u'elles sont trop larges, soit
parce qu'elles sont trop étroites, ont les unes et les
autres ce défaut, parce qu'elles attribuent à l'économie
politique un objet trop vaste (civilisation, bien-être,
intérêt personnel, richesse), et en même temps un rôle
circonscrit uniquement à la science ou a l'art.
On ne peut pas davantage admettre d'autres défini-
tions qui changent complètement le caractère de l'éco-
nomie politique pour en faire une science historique
qui étudie les lois de développement et non les lois
rationnelles des phénomènes économiques, ou une
doctrine morale qui recherche des idéals pour une équi-
DE L ECONOMIE POLITIQUE / .)
table répartition des biens matériels, ou un art en tout
et pour tout subordonné aux critères juridiques et politi-
ques, ou pour la réduire, au contraire, à une science
purement étiologique selon quelques-uns, ou unique-
ment morphologique, selon d'autres. Nous ne pouvons,
enfin, accepter l'opinion de ceux qui considèrent
comme complètement étrangères à l'économie sociale
les lois empiriques fournies par la statistique écono-
mique, et cela parce que, dans certains cas, il n'est pas
possible d'aller plus loin, tandis que dans d'autres,
comme nous l'avons noté, les lois empiriques ont été ou
peuvent devenir plus tard une aide pour la découverte
des véritables lois scientifiques.
Le dissentiment des économistes au sujet des défini-
tions, qui ne peut certes pas contribuer à leur assurer
le respect et la sympathie des profanes, est toujours
déploré et il le fut, en d'autres temps, par Peilegrino
Rossi qui reproduisit, avec vivacité, les lamentations
de Ssnior et de Mac Culloch. Il nous semble que ces
controverses, plus souvent app-jrentes que réelles,
parce qu'elles sont agitées par des auteurs qui, s'ils
sont en désaccord sur les définitions, s'accordent sur
la qualité des matières comprises dans l'économie et
quelquefois même sur la façon de les traiter, ne suf-
fisent à justifier ni les invectives des adversaires, ni
les cris de douleur des écrivains timides de notre dis-
cipline.
Qu'on remarque, tout d'abord, que ces disputes exis-
tent avec autant d'acharnement et d'insistauv^e pour
d'autres sciences que l'on qualifie cependant de posi-
tives et d'exactes ; qu'on remarque, ensuite, que la diver-
gence entre les définitions proposées par des auteurs par-
venus justement à une grande renommée, à des époques
différentes, est, non seulement naturelle, mais désirable
aussi, parce qu'elle atteste les progrès que la scienc^e a
76 DÉNOMINATIONS ET DÉFINITIONS
déjà faits; qu'on remarque enfin que les variétés sont
plus fréquentes clans les définitions des écrivains incom-
pétents ou médiocres, et qu'elles n'ont alors aucune
importance et s'expliquent facilement, quand on songe
que celui qui ne peut apporter d'utiles découvertes à la
science, cherche précisément, dans les controverses de
pure forme, le moyen aussi facile que peu enviable
d'acquérir auprès du commun des lecteurs la renoih-
mée d'écrivain original.
Quelques auteurs de logique, qui ont été au.ssi d'émi-
nents économistes, se sont occupés expressément des
définitions dans l'économie politique (Wately, Stuart
Mill. .levons). On peut con.sulter aussi les monographies
suivantes :
Th, Rob. Mallhus, The définitions of poUiical economy.
London, )8J7.
J. E. Calmes, The character and logical method of po-
Uiical economy. London, 1870, pp. 134-148.
Fr. Jul. Neumann, Grundhegriffeder Yolksicirlhschafts-
lehre, in Hanlbuch der polit. Oekon., de G. Schôn-
berg. 3« édit., vol.] (Tubingen, 1890), pp. 133-174.
C. Menger, Untersuchungen, etc. Leipzig, 1883.
J. N. Keynes, The scope and method of political eco-
nomy. London, 1891, pp. 146-163.
On trouve dans les œuvres suivantes un bon noml^re
de définitions de l'économie politique : elles ont été
recueillies avec beaucoup de soin, mais elles ne sont
pas toujours jugées avec assez d'exactitude.
J. Kautz, Die Xational-Oekonomie als Wissenschaft.
Wien, 1858, pp. 286-291.
Jos. Garnier, But et limites de Vécon. polit., dans ses
Notes et Petits Traités, etc. Paris, 1865, p. 83 et suiv.
M. Carreras y Gonzalez, Philosophie de la science éco-
nomique. Paris. 1881, pp. 20-27.
C. Supino, La drfinizione delV economia polit ica. Mi-
lano, 1883.
CHAPITRE VI
DES MÉTHODES DANS L'ÉCONOMIE POLITIQUE
Ces dissentiments au sujet des caractères de l'écono-
mie politique en entraînent d'autres, non moins persis-
tants, sur les méthodes, parce qu'on ne peut être
d'accord sur les moyens quand on est en désaccord sur
les fins. Si, en effet, la logique fournit des règles gé-
nérales sur l'art de raisonner, il est incontestable,
d'autre part, que chaque discipline a une méthode
propre appropriée à l'objet, au rôle, aux buts qui la dis-
tinguent des autres. On ne peut pas suivre les mêmes
routes pour découvrir des idéals, des règles de conduite,
des lois historiques, des régularités empiriques, des lois
scientifiques. Aussi la méthode de l'économie sera-t-elle
absolument différente suivant qu'on la confond avec
l'éthique, ou qu'on lui assigne un but historico-des-
criptif, qu'on en fait une science ou qu'on la réduit à un
art. Si nous faisons abstraction des erreurs commises
au sujet des caractères de l'économie politique et en la
considérant, ce qu''elle est aujourd'hui, comme une
science et comme un art, il en résulte qu'il n'est pas
exact d'imaginer une méthode unique pour atteindre
des buts si disparates.
La recherche des . méthodes de l'économie , déjà
assez malaisée par elle-même, est rendue plus difficile
encore, pour ne pas dire impossible, quand elle est faite
par des personnes auxquelles manque la préparation
philosophique nécessaire, c'est-à-dire, qui n'ont pas des
idées correctes et précises sur la nature et les rôles de
78 DES MÉTHODES
la méthode en général et sur la meilleure façon de
trouver celle des disciplines particulières.
Certains, par exemple, croyant combattre la méthode
déductive, attaquent la méthode métaphysique, qui part
d'hypothèses arbitraires pour arriver nécessairement à
des conséquences erronées, ignorant ou feignant d'igno-
rer qu'une jjareille méthode, qui répond à l'enfance de
quelques-unes des sciences physiques, n'a jamais été
adoptée par aucun écrivain sérieux des sciences sociales,
et n'a, en tous cas, rien de commun avec la méthode
déductive qui, comme la méthode inductive, dont elle
est l'opposé, est fondée sur l'observation.
D'autres, au contraire, affirment avec force que
l'économie est une science inductive, ou même une
science expérimentale, ou que, du moins, elle doit em-
ployer cette méthode si elle veut faire des progrès et
abandonner les stériles déductions, alors que l'histoire
des sciences A'éritablement inductives et expérimentales
nous apprend qu'elles atteignent le plus haut degré de
perfection possible quand elles arrivent au stade dé-
ductif.
D'autres enfin, tout en évitant ces erreurs, se con-
tentent d'affirmer, par un éclectisme facile, que l'éco-
nomie politique se sert de la méthode inductive non
moins que de la méthode déductive, de l'observation et
du raisonnement, comme s'il était possible d'imaginer
une discipline positive qui procède autrement. Ils ne
voient pas que le nœud de la question consiste précisé-
ment à savoir dans quel ordre, dans quelles proportions
et pour quels buts se combinent et alternent le proces-
sus inductif et le processus déductif ; si l'un et l'autre,
ou l'un ou l'autre seulement, fournissent les prémisses
et les conclusions ; si et dans quelle mesure ils peu-
vent aider à l'invention, ou seulement à la démonstra-
tion et à la vérification ; s'ils peuvent conduire à la
DANS l'économie l'OLITIQUE 79
découverte de lois scientifiques véritables et quels sont,
en cas d'affirmation, les degrés de leur certitude et les
limites de leur application ; si, enfin, l'importance rela-
tive de l'induction et de la déduction est toujours la
même, pour les diverses parties d'une même science,
aux différents stades de ses investigations, et aux di-
verses périodes historiques qui marquent les progrès de
chaque discipline.
Une dernière équivoque, tout aussi regrettable que
les autres, dans la question qui nous occupe, dépend de
ce fait que la plupart des écrivains se sont inutilement
appliqués à combattre ou à concilier entre elles les dif-
férentes théories énoncées sur la méthode, comme si
l'on devait, toujours à nouveau, rechercher dans le vide
une méthode nouvelle et correcte et l'opposer aux
vieilles et fausses méthodes des écrivains antérieurs,
tandis qu'au contraire la seule recherche vraiment po-
sitive et utile consiste dans la recherche des méthodes
qui nous ont réellement conquis notre patrimoine scien-
tifique actuel en fait d'économie politique. Si on avait
toujours suivi cette voie on aurait vu que les grands
maîtres de la science, souvent en désaccord sur la théorie
de la méthode, ont été merveilleusement d'accord pour
se servir de celles qui sont les plus propres à l'explica-
tion des phénomènes et à l'étude des questions d'écono-
mie pure ou appliquée dont ils s'occupaient.
Adam Smith, qui est pour quelques-uns le prototype
de la méthode déductive, pour d'autres le maître de
la méthode inductive, et pour d'autres encore le pré-
curseur de la méthode historique, se sert en réalité
du processus déductif et du processus inductif tout en
recourant parfois à l'analyse psychologique et parfois
aux faits historiques. Dans la doctrine des salaires, par
exemple, il recherche déductivement la loi générale et
il cherche inductivement les causes de leurs variations
80 DES MÉTHODES
dans les diverses professions. On peut dire la môme
chose de Ricardo et de Malthus, qui sont souvent con-
dérés comme les représentants de deux méthodes
opposées. S'il est vrai, d'un côté, que Malthus. par la
nature même du problème de la population, l'a étudié
en se servant de l'induction historique et statistique,
d'après les matériaux dont il disposait; s'il est vrai,
d'un autre côté, que Ricardo employa de préférence la
déduction , pour résoudre les problèmes les plus
2'énéraux de la circulation et de la distribution des
richesses , il n'en est pas moins vrai que Malthus
s'est servi lui aussi de la déduction dans sa polé-
mique avec Ricardo sur la théorie de la valeur ,
tandis que Ricardo étudia, avec une entière connais-
sance des faits concrets, les notions concernant la
monnaie et le crédit public et privé dans quelques-unes
de ses monographies. DemêmeMill etCairnes, brillants
défenseurs de la méthode déductive pour la science
pure, se sont servis de Tinduction, lorsque, s'occupant
des questions d'application, ils eurent à étudier les
paysans propriétaires (Mill], le travail des esclaves,
l'influence de l'augmentation de la production de l'or
sur les prix (Cairnes).
Ceci étant donné, nous exposerons notre manière de
voir sur les méthodes de l'économie sociale et de la poli-
tique économique, en les faisant précéder de quelques
notions de méthodologie générale.
Ji 1*'. DES MÉTHODES SCIENTIFIQUES EN GÉNÉRAL
On entend par méthode le processus logique par
lequel on découvre ou on démontre la viîrité. Elle a
donc un double rôle, inventif et didactique. On dis-
tingue, d'après leur point de départ, la méthode déduc-
tive, qui va du général au particulier et la méthode
DANS l'économie POLITIQUE 81
inductive qui va, au contraire, du particulier au
général,
La méthode déductive (synthétique, rationnelle, a
priori) part, en effet, de principes évidents par eux-
mêmes ou fondés sur Tobservation, et elle en tire, par
le seul raisonnement, sans le secours des moyens
extérieurs, les conséquences qu''ils renferment. C'est une
méthode rigoureuse qui donne des résultats certains
lorsque les prémisses sont exactes et les déductions
correctes. On appelle déductives ou exactes, au sens
étroit du mot, les sciences qui, comme la philosophie
pure et les mathématiques abstraites, ont leur fonde-
ment dans la méthode déductive.
La méthode inductive (analytique, empirique, a
posteriori) part, au contraire, de l'observation des faits
particuliers, pour remonter, par des raisonnements
fondés sur l'expérience , à certaines lois dérivées
faxiomata ynediaj et ensuite aux lois primitives des
phénomènes étudiés. C'est une méthode moins sûre,
surtout si on l'applique à l'explication des faits com-
plexes et continuellement variables. On appelle induc-
tives certaines sciences physiques, qui se trouvent
encore, et malgré de notables progrès, dans un état
purement empirique, comme, par exemple, la géo-
logie et la météorologie, et, parmi les sciences so-
ciales, la statistique, qu'elle soit purement descriptive
ou qu'elle recherche des régularités de fait.
D'autres sciences, au contraire, sont appelées posi-
tives ou exactes, au sens le plus large du mot, parce
qu'elles se servent alternativement du processus inductif
et du processus déductif. Telles sont, par exemple, la
mécanique, l'astronomie, la physique, la chimie, qui,
après avoir découvert par l'induction quelques lois
générales , purent en découvrir d'autres et tirer les
conséquences des premières comme des secondes, en
6
82 DES MÉTHODES
arrivant au stade de la déduction, rendue bien plus par-
faite par le précieux secours du calcul.
Comme l'observation est un procédé qui sert à toutes
les méthodes, soit pour établir les prémisses, soit pour
trouver les lois, les démontrer, en vérifier les résul-
tats, ou en déterminer les limites, il est nécessaire
d'ajouter, pour éviter toute équivoque, quelques notions
sommaires sur les différentes formes qu'elle peut
revêtir.
Au point de vue de la nature des phénomènes, on
distingue l'observation interne des faits psychiques,,
sujette à de multiples causes d'erreur par le caractère
changeant, la délicatesse des phénomènes mêmes et la
partialité fréquente de l'observateur, de l'observation
externe, applicable aux faits physiques comme aux faits
sociaux.
Au point de vue de la qualité du processus employé,
on distingue l'observation naturelle et l'observation
artificielle.
L'observation naturelle, c'est-à-dire l'observation des
phénomènes tels qu'ils se présentent, s'élève à des
degrés différents d'exactitude suivant qu'elle se fait :
1° Au moyen des sens (internes et externes), et elle
est pour cela sujette à de nombreuses erreurs qui
dépendent des imperfections des organes sensitifs ou de
^a nature des objets, trop petits ou trop éloignés, ou de
celle des faits extraordinairement complexes ;
2" Au moyen d'instruments de précision, accom-
modés à la nature des phénomènes qu'on étudie,
comme le télescope, le microscope, le thermomètre, le
baromètre, employés par l'astronome, l'histologiste, le
naturaliste, le physicien, le météorologiste, etc.
L'observation artificielle, Texpérimentation, atteint le
plus haut degré de perfection parce qu'elle reproduit les
phénomènes en variant à volonté les conditions :
DANS L'ÉCONOMIE POLITIQUE 83
1" Par rélimination réelle et alternative des différents
éléments perturbateurs des phénomènes concrets, qui
sont de cette façon réduits à leurs formes les plus
simples, et partant les plus propres à l'étude de l'inten-
sité de chacune des forces ;
2° En mettant certains phénomènes complexes ,
comme, par exemple, les phénomènes organiques, qui
ne peuvent pas être réduits à leurs éléments, en contact
avec d'autres phénomènes, dans le but de déterminer
avec une précision quantitative les différentes actions
et réactions qui en résultent.
Aussi appelle-t-on expérimentales, au sens exact du
mot, uniquement ces disciplines inductives qui, comme
la physique, la chimie et quelques disciplines biolo-
giques, peuvent faire de véritables expériences.
Sur la méthode en général et sur l'observation appli-
quée aux faits sociaux on peut consulter, en dehors des
auteurs déjà cités, les traités de logique générale
(Sigwart, Wundt, Bain), les traités de statistique
(Haushofer, Block, Gabaglio) et en particulier les mono-
graphies suivantes :
C. Cornewall Lewis, A trealiseon the methods of obser-
vation and reasoning in politics. 1852 ; 2 vol.
(Ouvrage très savant).
P. A. Dufau, De la méthode d'observation dans les
sciences morales et politiques. Paris 1866.
S 2. — DES MÉTHODES DANS i/ÉCONOMIE POLITIQUE
En nous servant des observations faites et en nous
rappelant le caractère relatif de la question posée,
nous allons exposer avec la plus grande clarté et la
plus grande précision possible quelles sont les méthodes
les mieux appropriées aux investigations économiques,
04 DES METHODES
en résumant, avec les modifications nécessaires, ce
qu'ont enseigné sur ce sujet d'autres écrivains qui en
ont parlé brièvement, mais avec science (Mangoldt,
Bôhm-Bawerk, Cohn, Philippovich, Sidgwick, Mar-
shall) et d'autres qui s'en sont spécialement occupés
(Cairnes, Heymans. Menger, Dietzel, Keynes) dans leurs
excellents traités de logique économique.
Remarquons, tout d'abord, que toute controverse sur
la méthode de la politique économique nous semble
oiseuse pour ne pas dire impossible, parce que, devant
suggérer au législateur les critères généraux du bon
gouvernement économique et financier, qui convien-
nent aux différentes conditions de temps, de lieu et de
civilisation, elle doit nécessairement se servir de l'in-
duction^ qualitative et quantitative, en puisant dans
les nombreuses observations données par l'histoire et
par la statistique économique. La politique économique
est donc une discipline principalement inductive ; c'est
également de l'induction, et en particulier de l'induc-
tion individuelle, fondée sur sa propre exj)érience que
doit se servir l'administrateur qui applique ces critères
à chaque cas concret.
Remarquons, en second lieu, en nous contentant de
parler de l'économie sociale, et en nous en tenant,
comme il convient, à la méthode effectivement suivie
par les plus profonds économistes, que ces auteurs
ont fondé sur Tobservation de certains faits psychiques
(internes) et de certains faits physiques (externes) de
caractère élémentaire quelques prémis.ses, pour arriver
ensuite, au moyen de déductions suivies, à la connais-
sance des lois générales de la circulation et de la
distribution des richesses, c'est-à-dire aux théories les
plus difficiles et les plus importantes de l'économie
sociale.
Ces prémisses, clairement énoncées par quelques
DANS L ÉCONOMIE POLITIQUE bO
écrivains, spécialement par des écrivains anglais (Senior,
Cairnes, Bagehot), ne peuvent pas en vérité être déter-
minées a priori, parce que leur nombre varie continuel-
lement, soit par la nature des phénomènes qu'on étu-
die, soit par le degré plus ou moins grand d'exacti-
tude auquel on veut pousser la recherche. Il est
évident qu'il faut commencer par un petit nombre de
prémisses afin de simplifier le raisonnement, et en
prendre successivement d'autres afin de s'approcher le
plus possible de la réalité, courant ainsi le danger de
rendre l'argumentation plus compliquée et les erreurs
plus faciles.
Bien qu'il soit impossible de faire une énumération
complète des prémisses de l'économie déductive, nous
pensons qu'il est possible et nécessaire d'énoncer les
prémisses les plus générales qui sont le fondement
implicite ou explicite des théories les plus importantes
de la science pure ; nous n'ignorons pas d'ailleurs
quelle difficulté il y a à les formuler de façon à éviter
toutes les objections :
1" Dans Tordre économique le moteur principal et
ordinaire des actions humaines est l'intérêt personnel,
qui nous pousse à rechercher le gain le plus grand avec
la moindre somme d'efforts, de sacrifices et de risques
possible (loi du moindre effort).
2" La terre nécessaire à l'homme pour vivre et pour
travailler est limitée non seulement dans son étendue,
mais aussi dans sa fécondité parce que, dans des cir-
constances données, il arrive tôt ou tard un moment où
les nouvelles applications du capital et du travail à une
quantité donnée de terrain donnent un produit moins
que proportionnel aux moyens de culture (loi des reve-
nus décroissants).
3° La tendance physico-psychique de la race humaine
à se multiplier est constamment supérieure à la possibi-
86 DES MÉTHODES
lité d'augmenter les moyens de subsistance qui lui sont
indispensables (loi de la population).
Etant données ces prémisses et l'hypothèse de la
libre concurrence, c'est-à-dire de la pleine liberté con-
tractuelle (excluant la violence et la fraude) et la pleine
connaissance du marché (excluant l'ignorance et l'er-
reur), les économistes classiques ont déduit la théorie
de la valeur et celles de la circulation et de la distribu-
tion des richesses, qui en sont le corollaire.
Si, pour juger de la solidité de ces déductions scien-
tifiques, nous examinons le degré de certitude des pré-
misses sur lesquelles elles s'appuient, nous trouvons
qu'elles se résolvent en faits évidents par eux-mêmes,
ou démontrés empiriquement par d'autres disciplines
(psychologie, agronomie, physiologie) et qu'elles sont
par conséquent fondées sur l'observation. L'écono-
mie sociale est ainsi une doctrine non moins positive
que beaucoup de sciences physiques, qui ont trouvé
leurs prémisses grâce à des inductions beaucoup plus
laborieuses, et elle est non moins exacte que la mathé-
matique pure déduite d'axiomes et de définitions hypo-
thétiques.
Si, au contraire, nous comparons les résultats du rai-
sonnement déductif avec les faits réels, nous trouvons
que ceux-ci diffèrent d'une façon plus ou moins e.'sen-
tielle de ceux-là, parce qu'il est bien naturel que les
phénomènes sur lesquels influent non seulement les
causes principales et constantes, qui constituent les
bases de la déduction scientifique, mais aussi d'autres
causes accidentelles et variables, ne peuvent pas cadrer
avec les résultats prévus i^ar les seules causes considé-
rées. Il arrive, en effet, très souvent que l'amour (de la
famille, du prochain, de la patrie), la vanité, Tapathie,
l'ignorance, l'erreur, empêchent que le principe de
l'intérêt personnel ait son plein effet ; il arrive aussi, et
DANS L'ÉCONOMIE POLITIQUE 87
heureusement assez souvent, que les inventions et les
perfectionnements agraires retardent l'action de la loi
des revenus décroissants ; il arrive en outre que l'amour
paternel, la prévoyance, l'égoïsme mettent un frein à
l'énergie du principe de la population ; il arrive finale-
ment que non seulement la violence et la fraude, mais
aussi la loi positive, la coutume, l'habitude, l'opinion
mettent des bornes aux pleins effets de la libre concur-
rence. Il suffira de rappeler les lois scientifiques de la
valeur, du salaire, de la rente, du profit, pour avoir des
exemples importants des discordances entre les faits
prévus et les faits réels. Il est bien vrai que ces
divergences, très fortes pour les cas individuels, s'atté-
nuent beaucoup et souvent même disparaissent si on
substitue l'observation collective et systématique à l'ob-
servation particulière, et cela parce que les effets des
causes accidentelles, étant donné un nombre considérable
de cas observés, s'éliminent par compensation, mais cela
ne supprime pas la possibilité et même la nécessité de
faire quelques compléments ou quelques correctifs aux
déductions originaires.
C'est pour ces raisons que l'économie sociale est
souvent appelée une science hypothétique, parce que
les lois qu'elle découvre ne sont pas toutes immua-
bles dans le temps, ni universelles dans l'espace, mais
qu'elles expriment seulement la tendance de certaines
causes à produire des effets donnés qui, dans la
réalité, sont modifiés par l'intervention d'autres causes
perturbatrices. Aussi faut-il formuler avec la plus
grande prudence les lois économiques, et faire con
naitre exactement leur caractère. On devra dire, par
exemple, que l'augmentation de la demande tend à
produire une augmentation du prix et que l'auûmen-
tation de l'offre tend à produire une diminution de
ce môme prix, et non que le prix s'élève avec l'aug-
88 DES MÉTHODES
mentation de la demande et baisse avecraugmentation
de l'offre, ce qui est faux, ces deux effets pouvant être
modifiés par le concours de causes qui agissent en sens
inverse .
Mais il faut aussi faire remarquer que le caractère
hypothétique des lois économiques, comme de beau-
coup de lois physiques, n'enlève rien à leur valeur
scientifique, parce que les tendances exprimées parles
lois elles-mêmes sont universelles et constantes et se
révèlent même dans ces faits réels qui nous donnent
des résultats différents des résultats prévus. Il est
évident que le phénomène complexe, bien que modifié
par des causes perturbatrices, se ressent en même temps
de faction des causes prises en considération par le
raisonnement déductif. C'est une erreur énorme de
logique d'apporter un fait réel, sujet à l'action de diffé-
rentes causes, comme une preuve concluante de la faus-
seté d'une loi exprimant* les tendances de quelques-
unes d'entre elles idéalement isolées. De même que le
mouvement d'une locomotive sur les rails ne prouve
pas que le frottement n'existe pas, de même que le vol
d'une plume dans l'air n'est pas une démonstration de
l'inexistence de la loi de la pesanteur, de même l'aug-
mentation de la production agraire dans un pays donné
ou la diminution de la population dans un autre ne
peuvent servir à prouver la fausseté de la loi des
revenus décroissants, qui suppose l'état stationnaire de
l'agronomie, ou celle du principe de Malthus qui indique
une tendance qui peut être neutralisée par de multiples
obstacles préventifs ou répressifs que cet auteur a,
d'ailleurs, minutieusement analysés.
Pour corriger les défauts des déductions les plus
générales de l'économie, fondées sur un nombre trop
restreint de prémisses, on peut suivre deux voies diffé-
rentes, apporter des perfectionnements ultérieurs au
DANS l'économie POLITIQUE 89
processus déductif, ou recourir au procédé inductif.
On perfectionne les déductions primitives appliquées
aux cas artificiellement simplifiés, en ajoutant de nou-
velles prémisses et en étudiant de cette façon des cas plus
complexes, et parlant plus voisins de la réalité. Ainsi,
par exemple, Thûnen, qui s'était proposé de rechercher
l'influence du marché sur la distribution des systèmes
de culture, et plus tard Nicholson, qui a étudié dans
deux belles monographies l'influence de la quantité de
la monnaie sur les prix et celle des machines sur les
salaires, ont choisi pour point de départ des cas très
simples pour s'approcher de la réalité en prenant suc-
cessivement un nombre toujours plus grand de pré-
misses, et arriver ainsi à des conclusions scientifique-
ment exactes, bien qu'elles ne concordent pas complè-
tement avec la multiplicité indéfinie des phénomè-
nes concrets. C'est par une méthode identique que
Mi 11 commence sa théorie classique des valeurs inter-
nationales, en supposant l'existence de deux Etats
voisins qui échangent entre eux directement (sans
emploi de la monnaie) et librement (sans taxes même
fiscales) le seul genre de produit qu'ils obtiennent res-
pectivement, et continue ses recherches en supprimant,
l'une après l'autre, ces limitations, pour arriver enfin à
une hypothèse plus complexe, qui se rapproche presque
complètement du système des échanges internationaux
effectivement pratiqué.
On peut, d'une autre manière encore, apporter des
corrections aux imperfections des déductions originaires
sans renoncer à la précision inhérente à cette méthode.
On peut étudier alternativement les modifications qu'une
même cause subit lorsqu'elle agit dans des conditions
différentes, qu'on étudie, elles aussi, à part, l'une après
l'autre, et, s'il le faut, en les combinant diversement
entre elles. Si, en procédant ainsi, on tient compte de
90 DES MÉTHODES
toutes les conditions pratiquement importantes, on arri-
vera à une solution générale du problème qui pourra,
avec de légères modifications suggérées par l'expérience,
suffire à la juste interprétation des phénomènes réels.
Keynes illustre cette méthode par un excellent exemple.
Il étudie les effets probables et lointains d'une grève ou-
vrière terminée par une augmentation de salaires, en
étudiant ce phénomène dans les trois cas qui peuvent
se présenter : l'augmentation des salaires détermine, ou
une augmentation des produits sans porter préjudice
à personne, ou une élévation de prix au détriment des
consommateurs, ou une diminution de profit aux dépens
des entrepreneurs ; il faut ajouter, dans ces deux der-
niers cas, l'une et l'autre de ces deux hypothèses alter-
natives : les profits et les salaires sont ou ne sont pas
au-dessous du taux normal, et évaluer enfin, dans ces
diverses hypothèses, les effets de la concurrence que
se feront entre eux les entrepreneurs et les ouvriers
occupés dans la même industrie ou même dans des pro-
fessions différentes.
Il faut, au contraire, et très souvent, avoir recours
à la méthode inductive non pas. comme on se l'imagine
quelquefois, pour obtenir une preuve directe de la vé-
rité des lois découvertes déductivement, mais plutôt
pour vérifier l'existence des causes perturbatrices, pour
en mesurer l'intensité, ou pour découvrir au moins les
lois empiriques de leurs variations.
Ce n'est que dans un nombre restreint de cas, ou,
pour mieux dire, dans certaines parties de la théorie de
la production, de la consommation et de la population,
comme l'a remarqué d'abord Mangoldt (dans son dernier
travail dans le Dictionnaire de Bluntschli et Brater)
et plus tard Sidgwick et Keynes, que la méthode induc-
tive peut servir à la détermination des prémisses et à
la vérification des résultats et aussi, mais non pas d'une
DANS l'ÉCONOxMIE POLITIQUE 91
façon exclusive, à rexplication directe de certains
phénomènes, comme, par exemple, les causes qui in-
fluent sur l'énergie du travail, la valeur économique
des difl'érentes formes d'entreprises, grandes et petites,
individuelles et collectives, etc., que l'on peut expliquer
par de simples arguments empiriques.
Si l'on fait abstraction de ces problèmes, Mill et
Cairnes ont eu complètement raison. Ils ont démontré
d'une façon victorieuse que la complexité des phéno-
mènes sociaux, dans lesquels les effets peuvent dériver
de causes complètement opposées, et où en même temps
les causes peuvent produire des effets extrêmement va-
riables par suite du changement des conditions dans
lesquelles elles opèrent, empêche d'arriver directement
par l'observation et par l'expérience spécifique à la dé-
termination des causes réelles des faits observés. Et cela
est d'autant plus vrai qu'il s'agit de forces qui sont
entre elles en relations mutuelles et qui, d'ailleurs, ne
produisent leurs conséquences qu'à de grands inter-
valles de temps. Supposons qu'une myriade d'érudits,
triomphant de toutes les difficultés, arrive à nous donner
la connaissance complète de tous les salaires payés dans
tous les temps, dans tous les lieux et pour chaque caté-
gorie d'ouvriers; il serait tout à fait impossible de cons-
truire par ce moyen une théorie générale du salaire
qui se substituerait à toutes les autres théories si im-
parfaites et si peu concordantes qu'elles soient, qui
sont le résultat des recherches déductives des écono-
mistes.
L'impossibilité de découvrir par la méthode purement
inductive les lois scientiQques de la circulation et de la
distribution des richesses, se comprend mieux lorsqu'on
se rend un compte exact de l'imperfection des méthodes
d'observation dont l'économie est forcée de se servir.
L'observation collective et systématique de grandes
92 DES MÉTHODES
masses de phénomènes homogènes et l'induction quan-
titative ou statistique qui la prend comme base, sont
certainement des instruments précieux ; elles nous
donnent la connaissance d'intéressantes régularités
empiriques qui confirment parfois les résultats des dé-
ductions antérieures et quelquefois permettent des dé-
ductions ultérieures ; elles sont cependant tout à fait
impuissantes à nous révéler les causes premières des
phénomènes observés.
L'observation des phénomènes réels est non moins
imparfaite, parce que cette observation est purement
naturelle, qu'elle ne peut se servir ni des instru-
ments de précision, ni de l'expérimentation, c'est-à-dire,
de la reproduction des phénomènes dans des conditions
continuellement variées, qui permettent au chimiste,
au physicien, au physiologue de mesurer avec précision
l'importance spécifique de chacune des forces concou-
rantes.
L'économiste doit, en effet, observer uniquement avec
ses sens externes et internes, sujets à de multiples causes
d'erreurs, des phénomènes qui résultent d'éléments
psychiques qui ne sont pas toujours susceptibles de
détermination rigoureuse, et il doit les observer à me-
sure qu'ils se présentent. On ne peut pas voir de véri-
tables expériences dans ces essais de législation sug-
gestive, c'est-à-dire provisoire et ne s'élendant qu'à
certaines parties du territoire de l'État, parce que la
nature de l'objet en limite nécessairement l'application,
et aussi parce que ces soi-disant expériences législatives
ne peuvent pas se faire dans des conditions créées vo-
lontairement, mais dans des conditions naturellement
déterminées. On ne peut pas certainement non plus
appliquer à l'économie sociale la méthode de diffé-
rence, pas même la méthode de concordance et des
variations concomitantes, si bien analysées dans la
DANS L'ÉCONOMIE POLITIQUE 93
Logique de Mill. S'il s'agit, par exemple, de la méthode
de différence, la plus importante ici, il faut remarcfuer
qu'il est impossible d'imaginer deux territoires qui
soient dans les mêmes conditions physiques, géogra-
phiques, ethnographiques, économiques et politiques, à
l'exception d'une seule condition, celle dont on veut
mesurer l'influence. Les argumentations que certains
auteurs apportent, soit pour, soit contre le système pro-
tecteur, en comparant les conditions des deux colonies
anglaises de Victoria et de la Nouvelle-Galles du Sud,
011 sont en contradiction l'une avec l'autre, ou ne peu-
vent conduire à des résultats satisfaisants, à moins
de recourir à des arguments d'une autre nature, ob-
tenus par la méthode déductive. Des exemples très
nombreux des sophismes qui dérivent de l'abus de la
méthode de différence nous sont fournis et par les
. libre-échangistes qui invoquent la prospérité de l'Angle-
terre, et par les protectionnistes qui invoquent celle des
États-Unis, comme des preuves irréfragables de la bonté
du système que chacun d'eux défend.
Les résultats de notre recherche, nécessairement
aride et abstruse, peuvent être résumés dans les propo-
sitions suivantes :
1" L'économie sociale est une science d'observation
qui se sert de la méthode déductive et delà méthode in-
ductive dans chacune de ses parties ; l'ordre d'emploi
de ces méthodes peut d'ailleurs être différent et leurs
fonctions d'importance variée ;
2" Les économistes emploient plus particulièrement,
mais non pas exclusivement, la méthode inductive j^our
exposer la théorie, en grande partie descriptive, de la
production, de la consommation et certaines parties de
celle de la population, en ayant recours, cependant, à
•la déduction, soit comme moyen de vérification, soit
comme instrument pour mieux préciser les conclusions
94 DES MÉTHODES
inductives et pour en tirer des conséquences ulté-
rieures ;
3" Les écononistes se servent plus particulièrement,
mais non pas exclusivement, de la méthode déductive
pour formuler les théories de la circulation et de la dis-
tribution. Partant d'un petit nombre de prémisses psy-
chiques, physiques et physiologiques, fondées sur l'ob-
servation interne et externe, ils arrivent à découvrir
les lois scientifiques des f)hénomènes. Ces lois ne pré-
voient pas des faits qui doivent nécessairement arriver,
mais ils expriment seulement la tendance universelle
et constante de certaines causes à produire des effets
donnés, dans des conditions déterminées et dans l'hy-
pothèse de l'absence d'éléments perturbateurs ;
•'i° Pour diminuer la divergence entre les résultats de
leurs déductions premières et les phénomènes réels,
qui se réalisent dans des conditions très variées et sont
sujets à des influences perturbatrices multiples, les
économistes ont recours à deux expédients :
a) Ils font successivement de nouvelles hypothèses
que leur suggère l'observation ; ils les associent aux
prémisses primitives, et étudient ainsi, avec des difïi-
cultés croissantes, des cas plus complexes mais plus
voisins de la réalité ;
b) Ils se servent de l'induction qualitative et de l'in-
duction quantitative pour découvrir les causes secon-
daires, en mesurer l'intensité, ou pour trouver au moins
les lois empiriques qui conduisent parfois à la décou-
verte déductive de véritables lois scientifiques.
5° La politique économique se sert plus particulière-
ment, mais non pas exclusivement, de la méthode in-
ductive, et spécialement de l'induction historique et de
la statistique pour fournir au légistateur les normes gé-
nérales du bon gouvernement économique et financier,
tandis que, de son côté, l'administrateur se sert de l'ex-
DANS l'économie POLITIQUE 95
périence spécifique et de l'induction individuelle pour
appliquer ces normes aux cas concrets.
Fr. Jul.'Seuma.nn, Nafurgeseiz und Wirihschaftsgesetz
(in Zeitschrift fur die gesammte Staatswissenschaf t ,
fasc. 3,1892).
§ 3. LA MÉTHODE HISTORIQUE
L'importance méthodologique de l'histoire, notam-
ment pour la politique économique, est reconnue par
tous les écrivains, mais elle a été considérablement
exagérée, depuis un demi-siècle, par une école célèbre.
Contrairement à l'école dominante (philosophique ou
classique) elle soutient énergiquement que l'économie
politique ne peut découvrir de vérités absolues, cons-
tantes, universelles, mais seulement des principes rela-
tifs, variables, particuliers, et partant liés aux diffé-
rentes conditions de temps, de lieu et de civilisation.
L'illustre Guillaume Roscher a été le précurseur de
cette nouvelle école dont il a formulé le programme à
plusieurs reprises. C'est ce programme qu'adopta Bruno
Hildebrand (1848), mais il ne l'a développé qu'en partie
et avec beaucoup d'emphase. Karl Knies l'a développé
dans tous ses détails, avec plus de précision et en s'ap-
puyant sur de fortes études juridiques, dans une très
bonne monographie (1853). Ces chefs d'école ont eu des
disciples même hors de l'Allemagne ; il nous suffira de
citer parmi beaucoup d'autres, AVolowski en France,
Clifîe Leslie et Posnett en Angleterre, Kautz en Hon-
grie, Hamaker et Levy dans les Pays-Bas, Cognetti et
Schiattarella en Italie.
Karl Knies, Die politische Oekonomie vom Standpimkfe
der geschichtlichen Méthode. Braunschweig, 1853.
(2eédit. Berlin, 1881-83).
9G DES MÉTHODES
S. CogneLli de'Marliis, Belle atlinenze tra Veconomia
sociale e la sioria. Firenze, 18G5.
H. J. Hamaker, De hisionsche School in de Siaaihuis-
houdkunde. Leiden, 1870.
R. Schialtarella, Del nieiodo in economia sociale. Na-
poli, 1873.
H. M. Posnelt, The historical niethod in ethics, juris-
prudence and political economy. London, 1882.
Th. E. ClifleLeslie, EssaysinpoUtical economy. 2"= édit.
London, 1888.
Les doctrines de lécole historique, que nous allons
résumer, ont été jugées, il y a longtemps déjà, briève-
ment mais excellemment par Me.s.sedaglia, et plus ré-
cemment, dans l'œuvre classique de Menger, qui les a
discutées longuement et qui en a fait une critique fine
et pénétrante.
De même que pour le droit l'école historique de Hugo.
Niebuhr , Savigny , dont cependant les disciples de
Roscher se séparent sur des points essentiels, ne recon-
naît pas de principes rationnels ayant une valeur abso-
lue et universelle (philosophique), et ne reconnaît que
le droit positif, produit organique de la conscience
nationale, de même pour l'économie l'école de Roscher
nie TeKistence de vérités absolues et de types idéaux
pour le bon gouvernement des États. Elle reconnaît
seulement une économie nationale qu'elle oppose (d'ac-
cord en cela avec List) à l'économie cosmopolite, et qui
est propre à chaque peuple et à chaque époque. Les
prétendus principes généraux sont le résultat de l'abs-
traction erronée ou incomplète de l'état de fait du pays
auquel appartient l'auteur. L'économiste doit se borner
à la description des caractères des différentes époques
de la civilisation économique, et indiquer les maxi-
mes de gouvernement qui conviennent à chacune
d'elles.
DANS l'Économie politique 97
Mais il faut, à notre avis, se rappeler tout au con-
traire :
1" Qu'il ne faut pas confondre les vérités de la science
avec les règles de l'art; les premières sont, en partie au
moins, absolues et universelles ; les autres sont tou-
jours relatives et changeantes, parce que, pour les
appliquer aux cas concrets, il faut précisément prendre
en considération non seulement les différentes condi-
tions de temps, sur lesquelles insistent avec raison les
disciples de l'école historique, mais aussi les conditions
géographiques et ethnographiques, dont ont toujours
tenu compte d'ailleurs les meilleurs écrivains de poli-
tique générale, anciens ou modernes, lorsqu'ils ont
parlé de la bonté relative des lois. 11 suffît de rappeler
Aristote, Bodin, Montesquieu, Filangieri. Tous les dé-
fenseurs du libre échange ne se refusent pas, par
exemple, à admettre les tem.péraments nécessaires à la
sage application de ce système aux pays depuis long-
temps soumis au régime de la protection douanière.
2" Que si les conditions de civilisation sont de leur
nature variables, il ne faut pas oublier cependant que
les lois du monde physique, les qualités psychiques des
individus et certaines tendances des corps sociaux ont
été, sont et seront toujours les mêmes, et que partant
les faits économiques, qui en résultent, ne pourront
jamais changer dans leur essence. Qui soutiendra, par
exemple, que le principe de l'intérêt, l'influence de la
rareté sur la valeur et celle du prix des denrées sur la
rente ont une importance purement provisoire ou lo-
cale ?
3° Que réduire l'économie politique à un but simple-
ment pratique et descriptif cela équivaut à détruire la
science et à stériliser l'art, en les déclarant incapables
de fournir des critères généraux pour juger et diriger le
progrès. On invoque souvent à l'appui des nouvelles
7
98 DES MÉTHODES
doctrines les sciences naturelles ; mais l'analogie est
sans valeur, car la nature organique, tout comme la
nature inorganique, a ses lois générales. Roscher faisait
remarquer que la nourriture de l'enfant ne convient pas
à l'homme adulte ; Messedaglia répondait que la fonc-
tion alimentaire est chez tous les deux la même et que
c'est à la physiologie à en déterminer les lois.
4" Que la substitution de la méthode historique à la
méthode inductive. si elle se faisait jamais, marquerait
un regrès, parce qu'elle conduirait à méconnaître l'im-
portance de l'observation individuelle et celle de l'in-
duction quantitative, et qu'elle impliquerait, de plus,
une contradiction étrange avec le principe'de la relati-
vité des institutions économiques, puisqu'elle propose de
tirer des faits imparfaitement connus du passé des cri-
tères pour réformer la législation économique du pré-
sent.
5" Que déclarer, comme le font les partisans d'un
courant historique plus exclusif encore (Schmoller, In-
gram, etc) que tout essai de construction d'une science
économique est prématuré et qu'il faut attendre le mo-
ment où on possédera des matériaux historico-descriptifs
complets sur les conditions de tous les temps et de tous
les lieux, révèle une illusion étrange sur la valeur théo-
rique de ces matériaux et la possibilité de les recueillir,
et une ignorance non moins singulière du caractère
complexe des phénomènes économiques. En tout cas il
s'agirait non pas d'un changement de méthode, mais
d'un changement radical du rôle et des buts de l'écono-
mie politique, qui deviendrait une discipline historique
ou historico-philosophique.
Malgré les très graves erreurs dans lesquelles est
tombée la nouvelle école, elle mérite, à d'autres points
de vue, de grands éloges et elle a rendu d'importants
services à la science. Elle a été le point de départ d'une
DANS l'Économie politique 99
réaction salutaire, quoique excessive, contre les idéa-
listes purs, ou, comme on les appelle d'ordinaire, contre
les doctrinaires. Sous l'influence d'une erreur non moins
grave, ceux-ci voulaient traduire, sans plus, en lois
positives les principes de l'art économique qui n'ont
rien d'absolu ni de général. Elle a réagi utilement aussi
contre les optimistes (l'école de Bastiat) et les indivi-
dualistes qui, bercés dans la foi commode des harmo-
nies économiques, ne se préoccupent pas des maux
sociaux et repoussent, comme contraire au dogme du
laisser faire, toute ingérence, même tempérée et oppor-
tune, de l'État pour les diminuer.
L'école historique, et en particulier son illustre chef
Roscher, a de plus enrichi la science de très utiles con-
naissances historiques et géographiques et d'une ana-
lyse comparative, fort ingénieuse sans être toujours
irréprochable, des caractéristiques des différentes pé-
riodes de la civilisation économique ; elle n'a pu d'ail-
leurs arriver à la philosophie de l'histoire économique,
c'est-à-dire à la détermination rigoureuse des lois de
développement, qu'elle considère à tort comme l'unique
objet de la recherche scientifique et que beaucoup de
ses disciples confondent avec les lois de raison. Nous
devons, aussi, et c'est son plus grand mérite, aux dif-
férentes fractions de cette école un nombre considé-
rable de savantes et utiles monographies, soit sur l'his-
toire de la science, illustrée admirablement dans les
œuvres d'une forme achevée de Roscher, soit sur l'his-
toire des institutions et des conditions de fait, comme
les travaux, également très remarquables, de Schmol-
1er, dans le but très louable de nous instruire sur le
passé, en rendant ainsi plus profonde la connaissance
du présent et moins difficile la préparation d'un avenir
meilleur. Et, qu'il nous soit permis de le dire, il y a
eu aussi en Italie des élèves de Roscher qui, adversaires
JÛO DES MÉTHODES
déclarés des théories méthodoloi^iques du maître, ont
essayé de propa^^er, dans les limites de leurs modestes
forces intellectuelles, Tamour des recherches histori-
ques.
En terminant ces notes critiques nous remarquerons
que l'école historique a été indirectement utile à la
science en provoquant des études sur l'histoire écono-
mique, mais qu'elle n'a fait aucune innovation utile
dans les principes fondamentaux de l'économie sociale^
et que même quelques-uns de ses partisans les plus
exagérés ont fait œuvre dangereuse en écartant les
jeunes de l'étude, selon eux infructueuse, de la science
pure. Il y a donc une grande illusion dans le jugement
que l'école historique porte d'ordinaire sur elle-même.
Il suffît, en effet, de comparer les quatre volumes du
Système de Roscher, qui accepte d'ailleurs les princi-
pales doctrines de Smith, de Malthus et de Ricardo,
avec les livres des meilleurs partisans allemands de
l'école classique (par exemple Thilnen, Hermann. Man-
goldt) pour .se convaincre que, jusqu'ici au moins, les
économistes historiens n'ont apporté aucune modifica-
tion essentielle aux principes théoriques professés anté-
rieurement. Et de même, en Angleterre, lorsque Cliffe
Leslie, qui avait déployé avec enthousiasme le même
drapeau, étudie dans le volume cité ci-dessus les échan-
ges internationaux ou les relations entre le taux des
profits et celui des intérêts, il se sert, dans l'impossi-
bilité d'agir autrement, de la méthode déductive. Ivnies
lui-même, l'auteur d'un code de la nouvelle méthode
historique, a publié plus tard des monographies excel-
lentes sur la théorie de la valeur, de la monnaie et du
crédit dans lesquelles il se sert de la méthode déductive ;
il est d'ailleurs si subtil et son style est si confus, au
dire même de ses compatriotes, que tout le monde ne
peut pas se servir de ses ouvrages, à beaucoup d'égards
DANS l'économie POLITIQUE 101
d'ailleurs parmi les meilleurs que nous possédions sur
ces sujets.
S 4. LA MÉTHODE MATHÉMATIQUE
Il est une question de méthode qui se lie étroitement
aux questions précédentes , c'est celle qui concerne
l'application de l'analyse mathématique et des figures
géométriques aux raisonnements économiques. Elle a
donné lieu à de nombreuses équivoques , facilement
explicables d'ailleurs, .si l'on songé à l'influence des pré-
jugés, à la façon inexacte dont le problème a été formulé,
sans parler du peu de compétence des mathématiciens
en économie et des économistes en mathématiques.
Après quelques renseignements de fait nous nous
limiterons à quelques observations générales, dégagées,
nous l'espérons, de toute exagération. Nous étudierons
la possibilité et les limites d'application de la méthode
mathématique, les buts qu'elle peut remplir, les avan-
tages qui en dérivent, et l'opportunité didactique de
son emploi.
Déjà au siècle dernier on avait essayé, en Italie plus
qu'ailleurs et plus tôt, d'appliquer, par des procédés
simples et imparfaits, les symboles algébriques et les
figures géométriques aux questions de monnaie (Ceva),
d'intérêt (D. Bernouilli), de prix (Verri, Ferroni, Lloyd) et
des marchandises de contrebande (Beccaria, Gilio). On
lit plus tard des applications plus larges, les unes très
malheureuses (Canard) et les autres incertaines et con-
tradictoires (Whewell) à des problèmes plus généraux.
Cournot (1838) et Dupuit (1844 et suiv.) ont traité à l'aide
du calcul la théorie de la valeur, spécialement dans les
cas de monopole. Plus tard encore Gos.sen (1854), puis
levons (1862 et suiv.) et Walras (1873), tous trois d'une
façon indépendante, sont arrivés à des conclusions im-
lOC DES MÉTHODES
portantes et identiques au fond sur la théorie de l'utilité
et de l'échange, et ils ont fait quelques applications à
la doctrine de la distribution. Les fruits de leurs études
ont été ensuite réunis, commentés et répandus par
Launhard, et mieux par Auspitz et Lieben en Allema-
gne, par D'Aulnis de Borouill, par Cohen Stuart et par
Mees (junior) en Hollande, par Wicksteed en Angle-
terre, par Antonelli, Rossi, Pareto et Pantaleoni en
Italie. Les uns se sont contentés d'appliquer les élé-
ments de la géométrie synthétique et analytique, ou
ceux de l'algèbre, tandis que d'autres (Cournot, Jevons,
Walras, etc.) font intervenir la théorie des fonctions et
d'autres théories du calcul différentiel et du calcul inté-
gral.
Il n'est pas douteux que la méthode mathématique
est applicable à l'économie déductive, puisqu'il s'agit
là de questions (comme l'a dit excellement Messedaglia)
de plus et de moins, de maxima et de minima, de pro-
portions et de limites en quantité et en mesure, et qu'il
faut, par conséquent, repousser l'opinion de Mill, de
Cairnes, de Ingram et de beaucoup d'autres, qui se refu-
sent à reconnaître le caractère mathématique de l'éco-
nomie en se fondant sur l'impossibilité d'assujettir ses
prémisses à une détermination arithmétique exacte.
Cette objection a été réfutée, à l'avance, par Fuoco(Sag^i
Economici, tome II. Pisa, 1827, pag. 75 etsuiv.) et plus
lard par Cournot, qui. dans la Préface de son premier
travail d'économie politique {Principes mathématiques
de la théorie des richesses, Paris 1838), rappelait que
l'analyse mathématique n'a pas seulement pour objet
de calculer les nombres, mais aussi celui de trouver des
relations entre les grandeurs qui ne peuvent pas être
évaluées numériquement, et entre les fonctions dont la
loi ne peut pas être exprimée par des symboles algé-
briques.
DANS l'économie POLITIQUE 103
Il faut, cependant, se garder de demander aux mathé-
matiques plus qu'elles ne peuvent donner. Elles sont
un précieux instrument d'investigation et elles fournis-
sent un langage précis, clair, élégant, de beaucoup
préférable au langage courant, et partant, un excellent
moyen de démonstration ; mais elles ne peuvent fournir
ni les prémisses du raisonnement, ni les matériaux sur
lesquels il se fonde, et elles garantissent moins encore
l'infaillibilité des résultats. Il suffit, pour s'en convaincre,
de se rappeler les controverses qui se sont élevées entre
les mathématiciens. Ainsi, par exemple, Bertrand a
critiqué [Bulletin des sciences mathématiques et
Journal des Savants, 1883; pag. i99-508) les méthodes
de Cournot et de Walras ; ce dernier a, lui-même, re-
proché [Eléments d'écon. jpol. pure, S'^édit. Lausanne,
1889, pag. 504) de graves erreurs à Dupuit, tandis que
sa théorie des prix a été contestée par les savants alle-
mands Auspitz et Lieben. (Cette polémique a été très
exactement résumée par Pareto dans le Giornale degli
Economisti, mars 1892). .levons, lui-même, dans un
passage remarquable de sa Logique [Principles of
Science, London, 1874^ liv. VI, ch. XXXI, II), cité ré-
cemment par Messedaglia, déclare que certaines équa-
tions , auxquelles devrait avoir recours l'économie
mathématique, seraient tellement complexes qu'elles
dépasseraient toute possibilité d'analyse, affirmation
étrange dans la bouche d'un écrivain qui avait répété à
plusieurs reprises que l'économie ne peut être qu'une
science mathématique. Dans une de ses monographies
(Mémoires de la société des ingénieurs civils, janvier
1891), Walras déclare avec plus de confiance encore
qu'il ne connaît que deux écoles d'économistes, les ma-
thématiciens qui cherchent à démontrer, et les littéra-
teurs qui ne démontrent rien !
Dans les limites de leur véritable champ d'application,
104 DES MÉTHODES
lusage des symboles mathématiques et graphiques
a. d'ailleurs, de grands avantages. Il substitue des for-
mules brèves et élégantes aux exemples arithmétiques
prolixes et ennuyeux dont se servent d'ordinaire les
économistes. Il présente une série de raisonnements
dont on découvre, à vue d'œil, l'enchaînement et les
erreurs qui ont pu s'y glisser ; il oblige à formuler avec
beaucoup de précaution et de précision les prémisses
du raisonnement, à apprécier, dans leur signification vé-
ritable, l'élément de la continuité et celui de la ré-
ciprocité d'influence des différents phénomènes, et il
permet d'éviter l'erreur dans laquelle tombent les éco-
nomistes non mathématiciens, qui considèrent souvent
comme constantes des données variables, comme le
sont, par exemple, la, demande et l'offre, le coût de pro-
duction.
Il ne faut pas croire que la méthode que nous discu-
tons ne puisse servir qu'à la démonstration et n'ait
aucun rôle dans la découverte ; l'on sait que beaucoup
de résultats, théoriquement importants, ont été obtenus
à l'aide des mathématiques. Citons, comme exemple,
certaines propositions sur la théorie de la valeur dues
à l'illustre Marshall. Certains exemples nous prouvent
aussi, d'autre part, qu'on peut arriver avec le langage
courant et sans le secours des moyens analytiques à
des théories quantitatives exactes et clairement expri-
mées. De cette façon, Menger est arrivé, dans la théorie
de la valeur, à des conclusions presque égales à celles
de Jevons et, comme nous le croyons (cela est reconnu
maintenant en France, ^^'alras, op. cit., pag. 19, et en
Angleterre, Keynes, Scope and Methocl, pag. 250), in-
dépendamment de lui, ce qui, par parenthèse, l'absout
de l'accusation de plagiat qui lui a été faite quelquefois
en Italie.
Quant à l'utilité didactique du langage mathéma-
DANS l'économie POLITIQUE 105
tique, il faut remarquer qu'elle dépend en grande partie
de la qualité et de la culture des lecteurs pour lesquels
on écrit. Rappelons, à ce propos, que Cournot, dégoûté
du silence des économistes, avait renoncé à l'usage du
calcul dans ses derniers ouvrages. Il ne faut pas oublier
non plus que, quand il s'agit de démonstrations très
simples, un des avantages du langage mathématique,
qui est d'éviter les circonlocutions, disparaît, et il peut
même arriver (et ^^'alras en fournit plus d'un exemple)
qu'il faut plusieurs pages pour arriver par l'analyse à des
résultats qu'on aurait pu atteindre par un chemin moins
aride et pku court. Concluons donc par cette pensée
très sage d'un savant économiste mathématicien (Edge-
worth) : « La parcimonie des symboles, dit-il, est sou-
vent une élégance pour le physicien, elle est une néces-
sité pour l'économiste, »
W. St. Jevons, Tke Hieory of political economy. 2- édit.
London, 1879 (bibliographie incomplète, riche
d'ailleurs).
F. Y. Edgeworth, Matheniatical Psychics, etc., 1881.
F. Y, Edgewortli, On ihe applications of mathemaiics
io political economy (in Journal of the statistical
Society, London, décembre 1889).
A. Beaujon, Wishunde in de économie (in Economist,
Amsterdam, octobre 1889).
M. Pantaleoni, Principii di economia pura. Firenze,
1889.
J. N. Keyaes, The scope and method of political economy .
London, 1891, ch. VIII, pp. 236-251.
A. Messedaglia. L'economia poliiica, etc. Discorso
inaugurale. Rom a, 1891.
T. Fisher, Malhematical investigations m the theory of
value and priées. New Havcn, 1892.
106 IMPORTANCE
CHAPITRE VII
IMPORTANCE DE L'ÉGOxNOMÏE POLITIQUE
Ce que nous avons dit dans les chapitres précédents
sur le concept, les limites, les divisions, les relations,
le caractère, les dénominations, les définitions et les
méthodes de l'économie politique nous en a fait pres-
sentir l'importance ; nous allons l'étudier d'une façon
particulière en la déduisant de l'objet, des rôles et du
but de notre discipline.
Elle a de l'importance au point de vue théorique et
au point de vue pratique, selon qu'il s'agit des avan-
tages qu'on peut retirer des vérités de l'économie
rationnelle, ou des avantages non moins considérables
qui dérivent des normes fournies par l'économie appli-
quée, c'est-à-dire par l'art économique.
A. E. Cherbuliez, Précis de la science économique, Pa-
ris, 1862, vol. I, ch. IV, pp. 3n-48.
A. S. BoUes, Polit ical economy, ils meaning, meihod,
etc. (in Bankefs magazine, Ne^v-Yo^k, janvier
1878).
J. S. Nicholson, Political economy as a branch of édu-
cation. Edimburgh, 1881.
A. N. Cumming, On the value of political economy to
mankind. Glasgow, 1881.
S. N. Patten, The educational value of political economy .
Baltimore, 1891.
Au point de vuede la sciencepure, l'économie politique
a une grande utilité générale. Elle forme une partie im-
DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 107
portante de toute culture étendue, car elle donne la con-
naissance des lois de l'ordre social des richesses. La
série complexe et intéressante des phénomènes qui for-
ment un des aspects les plus notables de la vie sociale,
ne doit pas passer complètement inaperçue, ou n'être
connue qu'imparfaitement, par tous ceux qui aspirent
au titre de personne instruite. Cette connaissance, tou-
jours très utile, devient de nos jours presque indispen-
sable par suite de la forme actuelle de nos organisa-
tions politiques, des grandes transformations qu'ont
subies les institutions sociales, et spécialement de la pré-
pondérance de l'élément économique, devenu mainte-
nant le fondement principal du pouvoir politique, si on
le compare à dautres éléments, autrefois, en partie au
moins, indépendants de la richesse.
Aussi l'économie politique devrait-elle faire partie
des matières de l'enseignement supérieur et de l'ensei-
gnement secondaire et ne pas être enseignée seulement
dans les établissements d'instruction industrielle, dans
lesquels elle est étudiée dans un but purement pro-
fessionnel. On ne peut pas comprendre pourquoi les
jeunes gens auxquels on enseigne les langues classiques,
les théorèmes des mathématiques, les lois de la phy-
sique, de la chimie et de l'histoire naturelle doivent
ignorer complètement les lois de la vie sociale et en
particulier celles de l'économie.
Ceux qui étudient les sciences historiques, juridiques
«t politiques ont des raisons spéciales pour étudier à
fond l'économie politique qui leur fournit les critères
indispensables pour le choix, l'organisation et la criti-
que des faits, comme nous l'avons indiqué déjà en par-
lant des relations de l'économie politique et des autres
disciplines.
Au point de vue des applications, l'étude de l'écono-
mie politique a une grande importance pratique, gêné-
1 08 IMPORTANCE
raie et particulière, pour la vie politique et pour la vie
privée.
Il faut remarquer, en premier lieu, que les lois éco-
nomiques exercent une influence aussi universelle
qu'irrésistible sur tous les hommes, considérés comme
membres de la société civile. Ils ont intérêt à en faire
une étude au moins élémentaire soit pour se procurer
les avantages qui résultent de leur connaissance, soit
pour éviter les inconvénients qui résultent de leur igno-
rance.
L'économie politique sert, en outre, à éclairer le
peuple sur les véritables causes de beaucoup de per-
turbations économiques, et dissipe ainsi des préjugés
qui renaissent de temps à autre et qui peuvent devenir
très dangereux pour la tranquillité publique. Il suffira
de rappeler les crises annonaires, monétaires et ban-
caires, pour se souvenir en même temps des préjugés
couramment acceptés sur l'influence que les négociants
en grain, les boulangers, les banquiers exercent sur
ces phénomènes.
Dans la vie privée, c'est surtout aux entrepreneurs,
aux capitalistes et même aux ouvriers que l'étude de
l'économie politique est le plus profitable.
Les entrepreneurs, tout comme les capitalistes, doi-
vent en effet posséder non seulement les connaissances
techniques nécessaires à l'exercice des industries qu'ils
dirigent ou dans lesquelles ils emploient leurs capitaux,,
mais aussi un large courant de connaissances écono-
nomiques afin de bien diriger leurs entreprises et ne
pas succomber dans la lutte devant des concurrents
plus expérimentés et plus instruits. La pleine connais-
sance des besoins du marché, la coordination et l'ap-
plication sage des instruments productifs, l'achat des
matières premières, la vente de ses propres produits,
effectuée dans les meilleures conditions, sont des fonc-
DE L ÉCONOMIE POLITIQUE 1 09
tiens très délicates des entrej3reneurs ; l'étude de l'éco-
nomie industrielle, qui a son complément nécessaire
dans l'économie politique, peut leur être d'un grand
secours.
Cette étude, même élémentaire, sera de plus très
utile même aux ouvriers qui apprendront ainsi la véri-
table Yiature de leurs intérêts et les moyens les plus pro-
pres à les faire valoir, tout en respectant les droits
d'autrui. L'économie politique leur enseignera la néces-
sité du capital et sa véritable l'onction économique, les
avantages de répargne, les dangers de l'oisiveté, les
dommages qui résultent des grèves, l'utilité des insti-
tutions de prévoyance et de coopération, etc. L'ensei-
gnement de l'économie politique donné, sous forme
populaire, à la classe ouvrière, en dehors des avantages
déjà énumérés, procure aussi à la société l'avantage
incalculable de la préserver de beaucoup de périls,
parce qu'elle met une digue à l'extension des doctrines
subversives, qui trouvent un terrain propice dans les
esprits incultes et dans les imaginations facilement
excitables des ouvriers.
A ce propos, il faut remarquer que la diffusion des
doctrines funestes du socialisme est relativement moin-
dre en Angleterre qu'en France, précisément parce que
dans le premier de ces pays les notions de l'économie
sont plus largement répandues que dans le second, grâce
notamment à certaines écoles accessibles même aux ou-
vriers, qui y sont instituées depuis longtemps, mais qui
n'ont pas cependant le gros chiffre d'élèves que sou-
vent on leur a donné.
Au point de vue de la vie publique, il est évident que
l'économie politique doit être étudiée par tous ceux qui
y prennent une part plus ou moins active, et cela spé-
cialement si l'on songe .aux formes politiques qui do-
minent aujourd'hui chez les nations les plus civilisées.
110 IMPORTANCE
L'étude de l'économie politique est particulièrement
nécessaire à toutes les personnes qui entrent dans les
assemblées délibérantes et dans les corps consultatifs de
l'État, de la province^ delà commune, sénateurs, dépu-
tés, conseillers provinciaux et communaux, conseillers
d'État, membres des conseils municipaux, des com-
missions léi^islatives et autres corps analogues qui
aident les ministres dans la préparation des projets de
loi à soumettre à la discussion de la représentation na-
tionale. Comme les lois et les mesures auxquelles ces
corps ont part concernent presque toujours, au moins
indirectement, les intérêts économiques de l'État et
ceux des particuliers, on comprend que leurs auteurs
ne doivent pas ignorer les principes de l'économie pu-
blique. Ne doit-on pas penser que la prodigalité de
certaines administrations publiques, qui défie de nos
jours tout blâme possible, peut, au moins en partie^
être attribuée à une fausse conception des phénomènes
économiques, qui dérive du manque de préparation
scientifique nécessaire?
Même les fonctionnaires du pouvoir exécutif chargés
de veiller à la bonne application des lois fiscales,,
administratives, judiciaires, etc., ont intérêt à étu-
dier l'économie politique, parce qu'ils sont appe-
lés à administrer ou à protéger les entreprises publi
ques ou privées, à trancher des controverses dans les-
quelles est presque toujours impliqué quelque intérêt
d'ordre économique.
Il faut enfin remarquer que dans les États libres l'opi-
nion publique, qui trouve ses légitimes manifesta-
tions dans la presse et dans l'exercice des droits d'as-
sociation, de réunion et de pétition, exerce une
influence si considérable sur les affaires politiques et
administratives qu'il n'y a presque pas de personne ins-
truite et soucieuse des intérêts de son pays qui ne par-
DE l'Économie politique 111
ticipe directement ou indirectement au gouvernement
général ou local et qui puisse par conséquent négliger
des études qui sont nécessaires pour que cette influence
soit véritablement utile à la prospérité publique et
privée.
L'importance de l'étude scientifique de l'économie
politique paraît plus grande encore si on tient compte
de quelques-uns des obstacles contre lesquels elle
doit lutter et qui peuvent être ramenés aux trois sui-
vants :
1° L'intrusion des dilettanti, qui tranchent en ma-
tière économique, sans aucune préparation, ou seule-
ment après une étude unilatérale des problèmes contro-
versés, sans tenir compte de la nature extrêmement
complexe des phénomènes.
2° L'imperfection delà terminologie économique, qui
attribue un sens plus précis et quelquefois complète-
ment différent aux mots employés dans le langage cou-
rant.
3° La résistance des classes intéressées à certains
abus, que l'économie politique combat, et celle des uto-
pistes, qui rêvent des réformes dont elle montre l'im-
possibilité.
En ce qui concerne le premier point il faut regretter
que l'économie soit dans des conditions tout à fait
opposées à celles de l'astronomie et de la chimie, déjà
débarrassées depuis des siècles du contact fâcheux des
astrologues et des alchimistes. Les dilettanti, et parti-
culièrement les journalistes, les littérateurs, etc. , qui
se déclarent, avec une modestie réelle ou supposée, des
profanes lorsqu'on discute des questions de philoso-
phie, de calcul, d'obstétrique, ne peuvent pas se per-
suader que tout le monde est nécessairement incompé-
tent dans toutes les matières qu'il n'a pas étudiées et
qu'il n'y a pas de raison pour faire une exception en
112 IMPORTANCE
faveur des sciences sociales et en particulier de l'écono-
mie politique. Oubliant la vérité de cette phrase tant
répétée de Rousseau, qu'il faut beaucoup de philosophie
pour se rendre compte des phénomènes que nous avons
tous les jours sous les yeux, les dilettanti entrent en
lice à chaque instant pour défendre ou pour combattre,
dans le Parlement ou dans les réunions populaires, ou
par la presse, les mesures économiques et financières
les plus difiiciles et les plus complexes, et ils ne crai-
gnent pas d'attaquer les doctrines enseignées par les
maîtres les plus éminents d'une science dont ils ignorent
absolument l'objet, le but et les caractères. Par suite do
l'habitude de discuter avec légèreté de ces problèmes,
il devient de plus en plus difficile de déraciner les pré-
jugés les plus vulgaires. Si celui qui étudie la physique,
la chimie, la géologie a tout à apprendre, celui qui
étudie l'économie, comme le remarque subtilement
Macvane, se trouve dans une condition pire, car il a
aussi beaucoup à oublier.
Sur le second point il faut remarquer que, tandis que
dans d'autres sciences on forge des termes techniques
appropriés, dont on donne d'exactes définitions de con-
vention, en économie politique, au contraire, même
lorsqu'on a eu grand soin de définir le sens attribué aux
mots richesse, utilité, valeur, capital, rente, il faut tou-
jours craindre que, par négligence, ces mots soient
employés dans le sens différent qu'ils ont dans le lan-
gage courant, et qu'il en résulte des raisonnements
viciés par l'emploi alternatif d'un même terme tech-
nique, ce qui permet des interprétations ambiguës
ou contradictoires.
Sur le troisième point enfin, l'étroite connexion qu'il
y a entre l'économie appliquée et la politique, dont la
première est une partie, provoque contre elle la vive
opposition de ceux qui trouvent leur intérêt dans cer-
DE l/ÉCONOMIE POLITIQUE 113
tains monopoles, ou dans certains privilèges, ou dans
telles autres institutions qu'elle combat, et l'opposi-
tion plus acharnée encore de ceux qui croient possibles
des mesures inconsidérées qu'elle combat dans l'inté-
rêt du progrès social bien entendu. Whately a dit avec
raison que les théorèmes d'Euclide n'auraient jamais
reçu l'assentiment unanime des savants, s'ils avaient
une relation immédiate avec la richesse et avec le bien-
être individuel.
N. W. Senior^ Four introductory lectures, etc. London,
1852, pp. 12-17.
F. A. Walker , PolUicaL economy. 2" édit. New-
York, 1887, pp. 29-31.
S. M. Macvane, The icorking principles of poliiical
economy. New-Yoïk, 1890, pp. 12-16.
CHAPITRE VIII
RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS
Tout le monde ne reconnaît pas l'importance de l'é-
tude de l'économie politique, parce qu'on n'apprécie
pas toujours avec justesse les raisons que nous avons
données dans le chapitre précédent. On mène, au con-
traire, contre elle une campaj^ne assez vive. Certains
prétendent que c'est une doctrine absolument impos-
sible ; d'autres la tiennent au moins pour inutile ;
d'autres enfin la condamnent comme très dangereuse.
Ces objections continuellement répétées doivent être
écartées parce qu'elles dérivent, ou bien de fausses
présuppositions de fait, ou de l'ignorance du caractère
véritable de l'économie, ou d'erreurs manifestes de
logique.
Rich. Whately, Iniroduciory lectures on polilical eco-
nomy (1831), 5"^ édit. London, 18j5.
F. Ferrara, Imporianza delV economia poUtica. Torino,
1849.
Jul. Kautz, Die National-Oekonomik als Wissenscha/L
Wien, 1858, pp. 423-42, et les auteurs cités.
J. L. Shadweli, A systejn of political e':onoiny. Lon-
don, 1877, pp. 1-8.
C. F. Bastable, An examinaiion of soins corrent objec-
tions to ihe sludy of political economy. Dublin, 1884.
H. Sidgwick, Scope and rnethod of political economy.
Aberdeen, 1885.
Les uns refusent à l'économie politique le caractère
de science, et ils invoquent comme preuve:
RÉPONSK A QUELQUES OBJECTIONS 115
1" Les hypothèses sur lesquelles elle se fonde ;
2° Les ahstractions dont elle se sert ;
3° Les prohlèmes qu'elle ne résout pas ;
4" Les discussions auxquelles elle ne parvient pas à
mettre fin.
Au sujet des hypothèses il faut remarquer, en pre-
mier lieu, que les prémisses de l'économie sociale ne
sont pas hypothétiques en elles-mêmes, puisqu'elles
sont fondées sur l'ohservation ; elles le sont seulement
en ce qu'elles sont isolées par la pensée d'autres causes
peri-urhatrices, dont on fait ahstraction. Remarquons,
en outre, que les hypothèses non contredites par les
faits ont été souvent l'instrument de précieuses dé-
couvertes scientifiques, et que les hypothèses purement
arhitraires doivent être imputées non pas à la science,
mais à quelques déhutants sans expérience. D'ail-
lours, l'histoire des sciences physiques et mathématiques
nous apprend que quelques-uns de leurs théorèmes ont,
<iux aussi, une base purement hypothétique et que cer-
taines de leurs propositions, que l'on tenait autrefois
pour des axiomes, ont un caractère tout à fait empi-
rique.
Sans abstraction (analytique ou synthétique) il n'y
a pas de science, mais seulement une connaissance .sté-
rile de phénomènes individuels. La grammaire, la
logique, l'algèbre, le droit procèdent eux aussi par abs-
tractions ; elles sont non seulement utiles, mais néces-
saires. Si on peut, comme de tout d'ailleurs, abuser de
l'abstraction en économie, cela ne suffît pas pour re-
fuser à celle-ci le caractère de science.
Il y a, certes, en économie politique des problèmes
non ré.solus, comme il y en a dans toutes les branches du
savoir. Quelques-uns sont insolubles (comme la quadra-
ture du cercle, la trisection de l'angle, le mouvement
perpétuel, etc.), mais il en est d'autres qui pourront être
116 RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS
résolus avec les progrès ultérieurs de la recherche
scientifique,
11 est absurde enfin de nier à l'économie politique
le caractère de science parce qu'il existe des contro-
verses sur sa nomenclature et sur ses principes. Un écri-
vain irlandais, sans parler des autres, a fait de cette
objection une critique acerbe dans un livre peu connu
en Italie.
W. Dillon,-r/(e disinal science. [DubUn, 1882.
A propos des discussions sans fin on peut remarquer :
!• Qu'elles sont souvent plus apparentes que réelles ;
qu'elles tiennent à la forme plus qu'à la substance et
qu'elles pourraient en partie cesser si les adversaires,
qu'on doit supposer de bonne foi, cessaient d'équivo-
quer ;
2" Ces discussions portent souvent sur des points
d'importance secondaire et qui concernent, d'ordinaire,
non pas la science, mais ses applications, et cela est
inévitable si on songe à la résistance de beaucoup d'in-
térêts en lutte, dans lesquels l'art économique voudrait
apporter l'ordre et la conciliation ;
3" L'économie ne peut pas être responsable de ce que
quelques-uns de ceux qui l'étudient, s'obstinent à re-
mettre en question des problèmes depuis longtemps
résolus ;
4" Enfin, les discussions sérieuses et objectives et le
doute raisonné, qu'il ne faut pas contondre avec le
scepticisme systématique, prouvent, d'une part, l'imper-
fection d'une discipline, mais elles sont, d'autre part,
un moyen très utile qui pourra conduire à des décou-
vertes fécondes.
Un autre groupe d'adversaires nie l'utilité de l'éco-
à
RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS 117
nomie politique, soit parce que, suivant les uns, elle ne
donne aucun résultat important, soit parce que, sui-
vant d'autres, les quelques résultats importants aux-
quels elle conduit sont tout indiqués par le sens commun
et mis en pratique par chacun.
La stérilité des résultats de l'économie politique se
déduit :
]° du peu d'importance de son objet ;
2° de la simplicité de ses notions fondamentales ;
3° du caractère négatif de ses conclusions.
Quant à la prétendue infériorité de l'objet, il faut
remarquer que les lois qui président aux phénomènes
économiques sont dignes de Tattention du savant comme
celles qui gouvernent le monde physique. L'impor-
tance de la recherche devient évidente lorsqu'on songe
à l'étroite relation qu'il y a entre le bien-être matériel
et le bien-être moral. La misère, c'est-à-dire la plus
grande plaie économique, n'est-elle pas une calamité
qui souvent produit et souvent accompagne et rend plus
aiguës les deux plus grandes plaies intellectuelles et
morales, l'ignorance et le crime ?
Partir de notions simples (besoin, utilité, valeur,
capital, etc.) pour arriver à des notions plus complexes,
c'est là une condition logiquement nécessaire de toute
recherche scientifique. Qui donc reprochera à la géo-
métrie ses définitions (du point, de la ligne, de la sur-
face) et ses axiomes, d'où on déduit des théorèmes inté-
ressants et fort utiles? Ferrari a très finement remarqué
que l'économie peut tirer gloire d'avoir déduit de pré-
misses si élémentaires des conséquences d'imporlance
fondamentale pour le bien-être général. De même que
les concepts de liberté, de souveraineté, de nationalité,
différemment interprétés, ont été la cause de discus-
sions, de guerres, de révolutions dans l'ordre politique,
de même l'idée de valeur et celle de travail, mal unies
118 RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS
entre elles, ont été Torif^ine des théories célèbres du so-
cialisme scientifique. Manzoni a merveilleusement
démontré, dans le Dialogue de V invention, que les
idées simples de Rousseau ont logiquement conduit aux
terribles applications de Robespierre.
II est tout aussi faux de déduire la prétendue inuti-
lité de l'économie du caractère négatif de ses conclu-
sions, que beaucoup réduisent, même parmi ceux qui
ne sont pas des adversaires, à la formule du laisser- faire.
On oublie ainsi que l'économie sociale recherche des
lois et ne donne pas de principes ; on oublie, de plus,
{[ue les principes, ou mieux, que les normes de la po-
litique économique ne sont pas tous négatifs ; que
beaucoup de ces normes négatives ne sont pas pour cela
moins importantes ; qu'enfin le laisser-faire n'est pas
un dogme scientifique, mais une hypothèse de l'éco-
nomie sociale, et une règle de l'art économique sujette,
par cela même, à de notables exceptions.
Quant k opposer à la théorie, comme on le fait quel-
quefois, le sens commun et la pratique individuelle
comme des sources plus limpides pour arriver aux
mêmes vérités et aux mêmes normes, c'est là un
sophisme séculaire et vulgaire que l'on rencontre,
pour ainsi dire, sur le seuil de toute investigation
scientifique.
Si l'on compare à la théorie le sens commun, c'est-
à-dire l'aptitude ordinaire à faire ou à comprendre une
chose, et la pratique individuelle, c'est-à-dire l'expé-
rience qu'on acquiert en refaisant et en voyant refaire
par d'autres certaines choses, et si l'on considère que
la pratique suppose un certain nombre de connaissan-
ces empiriques, il faut conclure que la théorie et la
pratique, fondées toutes deux sur l'observation et sur le
raisonnement, diffèrent cependantessentiellement en ce
<]ue la théorie est le résultat systématique de la pratique
RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS ] 19
séculaire, qu'elle est le fruit, selon une autre expression,
de l'esprit des nations, tandis qu'au contraire la prati-
que part d'observations nécessairement moins nom-
breuses et moins exactes et opère avec des raisonne-
ments moins parfaits et moins rigoureux. Opposer la
pratique à la théorie, c'est presque dire que le moins
équivaut au plus ou que la partie est plus grande que le
tout. En fait, la contestation est entre le plus et le moins
d'étude, entre la doctrine entière et la demi-doctrine,
car celle-ci tyrannise — et beaucoup — l'esprit des soi-
disant hommes pratiques qui se croient émancipés de
toute influence théorique.
Mais si, d'un côté, la pratique des affaires ne peut pas
remplacer la doctrine, il n'en est pas moins vrai que
celle-ci a besoin de celle-là pour résoudre les questions
concrètes. Les doctrinaires qui repoussent le secours de
la pratique ont tout aussi tort que les empiriques qui
s'obstinent à refuser les lumières de la théorie.
Les études économiques rencontrent encore de plus
nombreux adversaires parmi ceux qui, sans se soucier
de la solidité scientifique de l'économie, déclarent
qu'elle est moralement ou politiquement dangereuse.
Pour démontrer que l'économie politique est dange-
reuse au point de vue de la morale (religieuse ou phi-
losophique), on invoque :
1° la nature matérielle de son objet, la richesse;
2° le caractère utilitaire de sa prémisse la plus impor-
tante, l'intérêt;
3° les opinions critiquables de certains économistes ;
4" l'immoralité prétendue des théories de l'intérêt du
capital, de la population, de l'assistance, etc.
Ces accusations, souvent lancées avec une parfaite
bonne foi et dans les meilleures intentions, peuvent être
facilement réfutées, parce qu'elles proviennent d'une
120 RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS
connaissance insuffisante des caractères de l'économie.
Quant à la nature matérielle de l'objet, qui n'est
pas d'ailleurs la richesse, mais les actions humaines qui
s'y rapportent, nous remarquons que l'économie poli-
tique étudie les phénomènes sociaux sous un seul
aspect, et elle le fait parce que le progrès scientifique
exige une division et une subdivision toujours plus
grandes de la recherche. Qui donc mettrait en doute
la valeur théorique de l'histoire naturelle et de la phy-
sique, parce que ces deux diciplines ont un objet bien
plus circonscrit que la physique d'Aristote, l'histoire
naturelle de Pline, la science de Thaïes ?
La limitation du champ de la recherche d'une science
n'impliqueni le mépris, ni la négation des autres sciences.
Appellera-t- on athées le mathématicien, le physiologue,
le technologue, par cela seul que dans leurs livres il
n'y a pas un mot qui rappelle l'existence de Dieu et les
devoirs de l'homme? Il faudrait certes condamner
l'économiste qui enseignerait que l'acquisition des
richesses est la fin unique, ou même seulement la fin
principale, soit pour l'individu, soit pour la société,
mais ces propositions absurdes n'ont rien à voir avec
l'économie. Pour les mêmes raisons, celui qui affirme-
rait que l'homme est né pour manger, ou que l'idéal de
la vie sociale, c'est la guerre, formulerait des principes
contraires à la morale, mais on ne pourrait les imputer
à la physiologie ou à la stratégie.
L'accusation d'immoralité qu'on lance contre l'éco-
nomie politique, parce qu'elle part du principe de l'in-
térêt, est tout aussi fausse, et pour plus d'une raison.
C'est là l'argument principal dont s'est servi, avec beau-
coup d'habileté littéraire, mais fort peu de compétence
scientifique, Técole de Carlyle et de Ruskin, qui a encore,
par suite de la juste célébrité de ces écrivains, de nom-
breux disciples, notamment en Angleterre. C'est au
RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS 121
premier qu'est due la célèbre épithète de science lugubre
(dismal science) appliquée à Téconomie.
Th. Carlyle, Past andpre sent. London, 1843.
Arsène Dumont, Dépopulation et civilisation. Paris,
1892.
Remarquons, d'abord, que le principe de l'intérêt n'est
pas une règle de la politique économique, mais une
hypothèse dont se sert l'économie sociale pour expli-
quer les phénomènes de la richesse, en les déduisant de
la cause principale d'où ils dérivent. Il faut remarquer,
en second lieu, que l'économie ne crée pas l'intérêt, ne
le juge pas, mais qu'elle en étudie l'action, de la même
manière que le physiologue étudie les lois de la nutri-
tion. On ne peut pas nier, d'ailleurs, la puissance de ce
principe qui pousse l'homme à rechercher le maximum
d'effet utile avec le minimum de dépense de force.
De plus, il ne faut pas oublier que le principe de l'in-
térêt, tel qu'il est étudié par l'économie, est un simple
fait psychique et non un fait moral, car il n'y a pas de
relation nécessaire entre la loi du moinde effort et la
question morale de l'emploi des richesses. Dietzel, qui
a plus que tout autre approfondi ce sujet, remarque
très justement que le maximum de prix pour les mar-
chandises qu'il vend et le minimum de prix pour celles
qu'il achète sont recherchés aussi bien par celui qui pro"
digue son revenu en débauches et en libertinage que
par celui qui l'emploie à fonder des maisons d'instruc-
tion ou d'assistance.
Il faut ajouter que l'intérêt privé ne se confond pas
avec l'intérêt purement individuel (qui exclut toute préoc-
cupation de famille) et moins encore avec légoïsme qui
demande qu'on fasse valoir ses avantages propres aux
dépens des droits d'autrui. On ne doit pas s'imaginer
122 RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS
enfin que le principe utilitaire de l'intérêt est nécessai-
rement blâmable ; il est, nous le répétons, moralement
indifférent, pour ne pas dire irrépréhensible, lorsque,
dans l'ordre économique, il diriii^e le choix entre plu-
sieurs façons d'agir, toutes équitables et justes. Ce prin-
cipe devient non seulement perturbateur mais encore
absolument immoral et (comme l'a excellemment dé-
montré ]Manzoni) impossible à suivre pratiquement,
quand on veut en faire (avec Bentham et son école) le
régulateur suprême de l'activité humaine. Mais cette
erreur n'a rien de commun avec l'économie sociale qui
ne s'occupe pas de ces questions ; comme on l'a dit
déjà, l'économie apppliquée combat, au point de vue
purement utilitaire, l'oisiveté, l'imprévoyance, la pro-
digalité qui sont, en même temps, des actions blâma-
bles au point de vue moral,
H. Dietzel, Beitrage zur Methodik der Wirthschafts-
wissenschaft ijn Jahrbûcher fur Nationalokonomie,
etc., vol. IX. Jena, 1884).
On ne peut pas non plus tirer un argument solide
contre notre science de certaines opinions critiquables
émises par quelques économistes connus, qui n'expri-
ment alors que des vues individuelles, étrangères à
l'économie comme science. Cela explique comment le
spiritualiste Turgot , le déiste Smith, l'incrédule Say,
le luthérien Roscher, le calviniste Cherbuliez, le ca-
tholique Droz ont pu enseigner les mêmes vérités éco-
nomiques. On pourrait supprimer dans les œuvres de
Say, de Stuart Mill, de Garnier et de beaucoup d'au-
tres, toutes les affirmations fausses au point de vue re-
ligieux et moral, sans changer leurs doctrines écono-
miques.
Quant à l'immoralité prétendue des théories sur l'in-
RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS 123
térêt, la population et l'assistance, il suffira de remar
quer que l'économie politique :
[° Peut démontrer l'inopportunité et l'inefficacité des
lois prohibitives et restrictives de l'intérêt conventionnel
dans le prêt, sans pour cela approuver l'usure, ànon droit
réprouvée par la morale et; punie par la loi positive;
"2" Elle peut montrer les dangers d'un excès partiel
de population et conseiller la prévoyance, sans pour
cela envahir le domaine de la morale et porter atteinte
à ses raisons suprêmes ;
3" Elle peut montrer les inconvénients de certaines
formes d'assistance, sans pour cela méconnaître le pré-
cepte divin de la charité, ou les avantages même écono-
miques de l'assistance, et en particulier de l'assis-
tance privée, quand elle tend à combattre les causes
et non pas seulement à diminuer les effets de l'indi-
gence et de la misère.
Un dernier groupe d'adversaires de l'économie poli-
tique, qui se partage en deux branches opposées, la
déclare politiquement dangereuse parce qu'elle est :
1" anarchique, c'est-à-dire ennemie du principe d'au-
torité et créatrice du nihilisme administratif;
2" réactionnaire, c'est-à-dire ennemie de 1 égalité et
du progrès.
Aux uns et aux autres on peut tout d'abord répondre
que leurs objections ne peuvent atteindre la science
économique, qui ne défend ni n'attaque aucun principe
de gouvernement, quelque bon ou quelque mauvais
qu'il soit, mais se borne à expliquer les phénomènes,
et que par conséquent ses doctrines peuvent être vraies
ou fausses, mais non utiles ou dangereuses.
Si ces attaques concernent la politique économique,
il faut la défendre par deux réponses distinctes.
A ceux qui reprochent à l'économie politique d'être
124 RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS
l'ennemie du principe d'autorité, nous répondrons que
la limitation des attributions économiques des pouvoirs
publics ne tend pas à affaiblir mais à renforcer le prin-
cipe d'autorité, parce qu'il le met à sa véritable place
et lui assigne ses limites de raison. D'ailleurs^ aujour-
d'hui plus que jamais, cette limitation n'est pas deman-
dée d'une façon absolue, car il faut évidemment tenir
compte des conditions de temps et de lieu, de civili-
sation et de précédents de tout genre.
A ceux qui attaquent l'économie politique parce qu'elle
est réactionnaire et hostile au progrès et à l'égalité,
nous répondrons :
1" Que la politique économique, telle qu'elle est gé-
néralement professée, a toujours été favorable aux sages
r( ''formes et qu'elle n'a jamais été hostile qu'à celles
qui détruiraient la civiliîi.ation et qui sont la négation
du progrès ;
2° Que l'économie politique ne peut pas être cause
des inégalités naturelles qu'il y a entre les hommes,
parce qu'elles sont les conséquences inévitables de leurs
qualités intellectuelles et morales différentes et qu'elles
doivent être considérées comme un facteur éminem-
ment favorable au progrès social ;
3" Que la politique a toujours combattu les inégalités
artificielles, filles du privilège et des institutions gou-
vernementales vicieuses, et l'on ne doit pas oublier
qu'elle a, pour une grande partie, contribué aux ré-
formes qui les ont fait disparaître.
Pour toutes ces raisons, il semble que nous pouvons
conclure que l'antipathie qu'ont pour l'économie poli-
tique les représentants des opinions extrêmes, empiri-
ques ou doctrinaires, individualistes ou socialistes, réac-
tionnaires ou utopistes, peut être considérée comme
une preuve indirecte de l'utilité théorique et pratique
de ses enseignements.
DEUXIÈME PARTIE
HISTOIRE
CHAPITRE PREMIER
L'HISTOIRE DE L^ÉCONOMIE POLITIQUE
L'histoire de l'économie politique, est Texposition
raisonnée de l'origine et des progrès des théories éco-
nomiques, considérées dans leurs relations avec les
conditions, les idées et les institutions sociales.
L'histoire ainsi entendue n'est pas un simple exposé
chronologique des doctrines, mais elle comporte des
appréciations critiques sur leur bonté absolue et rela-
tive. Elle recherche les germes des différentes théories
dans leurs manifestations isolées, accidentelles et frag-
mentaires, et elle montre comment elles ont pu cons-
tituer, plus tard, un corps de doctrine distinct et plus
ou moins systématiquement coordonné.
Il faut, au sujet des liens qui unissent les théories
économiques aux faits dont elles s'occupent, mettre en
lumière deux ordres de rapports.
Les écrivains ressentent presque toujours, avec plus
ou moins de force, l'influence des conditions, des idées
et des institutions spéciales du pays et de l'époque aux-
quels ils appartiennent ou qui a plus particulièrement
attiré leur attention. Cette influence est très grande,
bien qu'elle passe inaperçue et qu'elle soit même niée
par ceux qui la subissent et qui proclament, en même
temps, leur indépendance philosophique. Ils se mettent
ainsi en contradiction avec la vérité ou, mieux^ avec la
nature même des choses. Si l'on s'attache à Tessence
des différentes théories, dépouillées des particularités
128 HISTOIRE DE l'ÉGONOMIE POLITIQUE
purement accidentelles, il est souvent facile de décou-
vrir qu'elles ont pour base une apologie de certaines
institutions économiques données, que l'auteur approuve
et idéalise pour ainsi dire, ou une opposition à certaines
institutions économiques que l'auteur combat résolu-
ment. On peut donc appliquer aussi aux économistes le
reproche célèbre que Bacon (aisait à certains philo-
sophes, qui tamqua'in e vinculis ratiocinantur.
D'un autre côté, les écrivains exercent, ou du moins
quelques-uns et dans une mesure fort inégale, une in-
fluence notable sur les opinions de leurs contemporains
et sur leur postérité, influence qui, souvent, a préparé
des réformes législatives et administratives de grande
importance. C'est ainsi que les ouvrages des physio-
crates ont inspiré quelques unes des lois flnancières des
premières années de la République française : Adam
Smith a donné, par ses doctrines, une grande impul-
sion à la réforme du système économique de plusieurs
États de l'Europe ; c'est au livre de Malthus que sont
dues les importantes modifications introduites en 1834
dans la loi des pauvres en Angleterre. Inversement,
le travail des esclaves dans l'antiquité et la prédomi-
nance des prêts de consommation au moyen âge expli-
quent à n'en pas douter le mépris de certains philo-
sophes anciens pour le travail manuel et l'hostilité à
l'égard de l'intérêt qui trouve son expression concor-
dante à la fois dans les ouvrages des théologiens, des
canonistes et des civilistes du moyen âge.
Cependant si, dans l'histoire des théories écono-
miques, on étudie l'influence des institutions, on ne doit
pas, pour cela, confondre l'histoire des théories écono-
miques avec l'histoire des institutions ; ce sont deux
ordres de recherche absolument différents parleur objet,
bien qu'on les conçoive comme devant former partie
intégrante dans une histoire complète de l'économie.
HISTOIRE DE l'ÉGONOMIE POLITIQUE 129
entendue dans son sens le plus large. Blanqui, et ceux
qui ont suivi ses traces, se sont donc trompés en
déduisant l'antiquité des doctrines de celle des ins-
titutions et des faits, car ils ont ainsi confondu la
science avec les objets qu'elle étudie. Affirmer, comme
ils le font, que là où il y a des richesses, des échanges,
des monnaies et des impôts, on doit trouver aussi une
science économique, cela équivaut à dire que l'astrono-
mie et la physiologie sont une conséquence nécessaire
du mouvement des astres et des phénomènes de la
vie végétale et animale.
P. Rossi, Introduction à l'histoire des doctrines écono-
miques, in Journal des Economistes. T. II (Paris,
1842), pp. 201-223.
H. Baudrillart, De l'histoire de l'économie politique.
Ibidem. T. V {3" série, 1867;, pp. 57-75.
L'histoire des doctrines économiques comprend :
1° L'histoire externe, qui étudie l'origine et le déve-
loppement des théories et des systèmes, considérés
dans leur ensemble et dans leurs parties principales,
sans descendre aux menus détails. Elle est générale, si
elle embrasse tous les temps et tous les lieux ; spéciale,
si elle se limite à une époque, à une nation, à un sys-
tème, à un ou à quelques écrivains, etc ;
2" L'histoire interne (ou, comme on dit en Alle-
magne, dogmatique], qui recherche la formation et les
progrès des différentes théories particulières (celles,
par exemple, de la valeur, de la monnaie, de la rente,
des impôts) et dont on fait souvent précéder ou suivre
leur exposé doctrinal. Les matériaux de l'histoire in-
terne de l'économie sont dispersés dans une multitude
de monographies. Parmi les auteurs d'ouvrages géné-
raux et systématiques qui ont, dans les limites de leur
9
i30 HISTOIRE DE l'ÉCONOMIE POLITIQUE
.sujet, recueilli des données très abondantes sur l'his-
toire interne de l'économie politique, la première place
appartient, sans conteste, à notre vénéré maitre Guil-
laume Roscher.
W. Roscher, System der Volksivirthschaft. Stuttgart,
1854-1880. 4 volumes (réimprimés plusieurs fois
séparément;. Le premier volume a paru en
français sous le titre : Principes iVéconomie
politique, traduction française par Wolowski.
Paris, 1857, 2 vol. ; le second, sous le titre de
Traité d'économie politique rurale, traduction
française par Vogel. Paris, 1888.
Les critères dont il faut s'inspirer dans l'étude de
l'histoire (externe et interne) de l'économie sont les
suivants :
1° Le choix des matériaux doit être judicieux, et,
par conséquent, on ne doit enregistrer ni toutes les
œuvres, ni tous les auteurs, mais ceux-là seulement qui
sont remarquables par leur valeur intrinsèque , leur
originalité, leur influence.
2" L'exposition des faits intrinsèques (livres, doc-
trines, enseignements) et extrinsèques (conditions indi-
viduelles et sociales) doit être claire, sobre et fidèle.
3" La critique des théories doit être large et impar-
tiale, mettre en relief leur originalité, les influences
qu'elles ont subies ou exercées et leur valeur réelle,
tant par rapport au temps où elles sont nées, que par
rapport à l'état dernier de la science.
L'histoire des disciplines économiques ne peut pas
remplacer leur étude dogmatique, mais elle en est un
complément nécessaire. Pourvu qu'elle soit éclairée par
la critique, elle ne peut donner naissance ni au scep-
ticisme systématique, ni à un éclectisme inconsidéré,
ni à l'apologie posthume de doctrines et d'institutions
i
HISTOIRE DE l'ÉCCNOMIE POLITIQUE 131
vieillies. Elle peut, au contraire, contribuer à l'histoire
de la civilisation, en mettant en lumière l'influence des
économistes sur les réformes sociales déjà effectuées,
et en préparant le lerrain pour d'autres réformes qui
pourront être réalisées dans l'avenir. Elle servira, en
outre, à mieux connaître la valeur des théories, parce
qu'on les aura étudiées dans leurs origines et dans les
modifications qu'elles ont successivement subies'.
Comme il est impossible de recourir toujours à
toutes les sources, il faudra bien souvent nous servir
des œuvres générales ou spéciales qui en résument, au
moins partiellement, le contenu. Il nous faut donc in-
diquer, en y joignant quelques notes critiques, les
œuvres principales qui se rapportent à l'histoire géné-
rale externe de l'économie politique; nous parlerons
plus loin des œuvres spéciales.
On trouve une indication sommaire des histoires de
l'économie politique dans :
R. v. MohI, Die Schriften liber die Geschichiederpoli-
iischen Œkonomie, in Geschichte und Literalur der
Slaatswissenchaften. T. III (Erlangen, 1858), p. 291
et suiv.
Jul. Kautz, op. cit., pp. 34-50.
K. Knies, Bie politische Œkonomie, etc. B^aunsch^veig,
1881-83, pp. 9-22 et 521-533.
Les notices historiques, d'ordinaire assez courtes et
exclusivement bibliographiques, que l'on trouve, comme
introduction ou comme appendice, dans beaucoup do
traités, ne suffisent pas pour donner une connaissance
suffisante du développement graduel de cette disci-
pline. 11 faut en dire autant des articles, remarquables
souvent, que l'on trouve dans certains Dictionnaires et
dans les meilleures Encyclopédies. Citons, par exemple,
les traités d'économie politique publiés, en Angleterre,
132 HISTOIRE DE L ÉCONOMIE POLITIQUE
par Mac-Culloch, Shadwell, Marshall; en France, par
Say, Garnier, Courcelle-Seneuil; en Allemagne, par
Lotz, Rau, Wirth, parle socialiste Mario (Winkelblech),
par Cohn, et spécialement par von Scheel (dans le
Manuel de Schonberg) ; en Italie, par Bianchini, et sur
ses traces par Trinchera; en Hollande, par Pierson; en
Espagne, par Florez Estrada, Carballo y Vanguemert,
Carreras y Gonzalez ; par Forjaz da Sampajo, en Por-
tugal ; par Wreden, en Russie ; par Bilinski, en Pologne :
en Suède, par Hamilton et par Leffler; en Danemark,
par Frederiksen ; aux Etats-Unis d'Amérique, par Perry .
Ellis Thompson, Laughlin, James [dans V Encyclopédie
de Lalor), etc.
Parmi les ouvrages exclusivement consacrés à l'his-
toire générale de l'économie politique, il faut faire une
mention spéciale pour :
Ad. Blanqui, Histoire de V économie politique en Eu-
7'ope, etc., suivie d'une bibliographie, eic. Paris,
1837-38, 2 vol., 4« édit. (par les soins de M. A. Oit),
Paris, 1860; Iraduile en anglais par E.-J. Léonard.
London, 1880.
Alb. de Villeneuve-Bargemont, Histoire de l'économie
politique. Paris, 1841. 2 vol.
Travers-Twiss, Vieiv of the progress of poUtical eco-
nomy in Europe, etc. London, 1847.
Jul. Kautz, Die geschichtliche EntwicUelung der Naiio-
nal-Oekonomie undihrer Literatur. Wien, 1860.
Eug. Duhring, Krilische Geschichte der Nationalokono-
mieund des Socialismus. Berlin, 1871 (3* édit., 1879'.
H. Eisenharl, Geschichte der Nationalokonomil., Jena,
1881 i2<= édit. 1891).
J. K. Ingram, A history of pclitical economy. Edin-
burgh, 1888 (trad. allemande de E. Roschlau,
Tubingen, 1890; trad. italienne de Debarbieri,
Torino, 1892; trad. irançaise de Henry de Vari-
gny et E. Bonnemaison, Paris, 1893).
A. Espinas, Histoire des doctrines économiques. Paris,
1892.
HISTOIRE DE l'ÉCONOMIE POLITIQUE 133
On peut reprocher aux compilations de Blanqui et
de Villeneuve-Bargemont leur manque de méthode,
d'ordre, de critique, l'insufTisance et l'inexactitude des
renseignements, rarement puisés aux sources, et l'igno-
rance presque complète des œuvres qui n'ont pas été
écrites ou traduites en français. L'histoire de Villeneuve-
Bargemont, qui se place au point de vue d'une éco-
nomie politique chrétienne qu'il oppose à celle de
Smith, a été rapidement oubliée, tandis que celle do
Blanqui, remarquable par l'élégance de la forme, a eu
un grand succès, en l'absenced'une œuvre meilleure et
facilement accessible à la généralité des lecteurs. Les
jugements de Blanqui, qui a subi pour partie l'in-
iluence de Sismondi, ont leur point de départ dans
l'idée d'une économie politique française, généreuse et
philanthropique, qu'il opposait à l'économie anglaise,
selon lui trop mesquine et trop exclusive.
Travers-Tviss n'a étudié que quelques auteurs anglais,
français, italiens, et il n'a pas toujours fait une étude
suffisante des sources; mais son ouvrage a plus de
valeur que les deux précédents, bien qu'il ne donne
qu'un simple tableau historique depuis le xvi^ .siècle.
11 faut louer chez lui certaines de ses appréciations
et le grand soin qu'il a mis à distinguer Ihistoire des
doctrines de celle des institutions.
L'ouvrage du professeur hongrois, Jules Kautz, dis-
ciple de Roscher et partisan des doctrines de l'école
historique, quilui ont fourni le critère de ses jugements,
a plus de valeur que les histoires précédentes et souvent
au.ssi que celles que nous mentionnerons plus loin. Les
renseignements sont abondants, les recherches appro-
fondies, et la connaissance des histoires particulières
et des monographies très étendue. Cependant, ses juge-
ments, néce.s.sairement peu objectifs, sont souvent
incertains et même superficiels. Il faut noter encore que
134 HISTOIRE DE l'ÉGONOMIE POLITIQUE
son style ampoulé, ses impropriétés de termes, la mau-
vaise distribution des matières et l'absence d'une table
des auteurs, ont enlevé, dès sa publication, à cette
œuvre, d'ailleurs très savante, une notable partie de
l'utilité qu'elle aurait pu avoir. De plus, les études
faites dans ces dernières années sur les différentes par-
parties de l'histoire de l'économie et le progrès ulté-
rieur de la science ont fait vieillir une grande partie de
de cette œuvre.
Les histoires de Diihring et d'Eisenhart ont des
mérites et des défauts différents. Elles sont remar-
quables par l'ordre, la sobriété, la juste place donnée
aux principaux auteurs ; mais elles sont absolument
insuffisantes pour la partie bibliographique. Ces deux
auteurs se sont peu préoccupés des œuvres secondaires,
mais relativement importantes, et en général des mono-
graphies. Eisenhart, en particulier, ne donne qu'une
esquisse historique trop succincte; il n'est pas toujours
impartial et il partage avec Duhring ce préjugé de con-
sidérer comme absolument moderne l'origine de notre
science. Diihring, qui s'est occupé très longuement des
théories de List, de Carey et de quelques socialistes,
est trop entiché du protectionnisme américain, et tout à
fait injuste dans les jugements qu'il porte sur certains
grands auteurs (par exemple, Malthus et Ricardo), et il
est en même temps trivial dans l'appréciation de
l'œuvre scientifique de certains de ses illustres compa-
triotes, sans parler de sa prétention d'avoir découvert
une économie nouvelle, qui résoud les controverses
entre l'économie ancienne et les formes du socialisme
qu'il combat.
Sans aucun doute, et pour plus d'une raison, il faut
mettre au-dessus des travaux dont nous venons de
parler, l'histoire de l'irlandais Ingram, un savant et
élégant disciple de Técole d'Auguste Comte, et qui était
HISTOIRE DE LEGONOMIE POLITIQUE 135
déjà connu par son discours contre l'école classique.
Si elle est moins riche de renseignements, compa-
rée à l'œuvre de Kautz, sur les auteurs étrangers et
les auteurs secondaires, elle fournit cependant (après
Roscher, Eisenhart, von Scheel, Meyer, Pecchio et
notre Guide) des données suffisantes et exactes sur le
développement de l'économie en Allemagne et en Italie,
tout en insistant davantage sur les auteurs anglais et
même sur les auteurs français, généralement étudiés
aux sources. Toutefois, si on peut accepter presque
toujours, dans le volume d'Ingram, ses exposés de doc-
trine, ce n'est qu'avec une grande réserve qu'il faut
accepter ses jugements sur des écrivains, même de pre-
mier ordre, comme Malthus, Ricardo, Cairnes et
quelques autres, qui n'appartiennent pas à l'école
historique allemande et à la sociologie, auxquelles
l'auteur emprunte ses critères pour juger le passé de
la science et pour prévoir l'avenir.
Il n'est pas nécessaire de nous étendre sur le mérite
de certains résumés historiques de l'économie, qui ne
s'élèvent pas au-dessus de la compilation mécanique et
vulgaire. Parmi les auteurs étrangers nous signalerons,
parce qu'ils contiennent certains renseignements,
d'ailleurs absolument incomplets, sur la littérature de
leur propre pays, les manuels des hollandais Molster et
De Rooy, du suédois Balchen, et celui, un peu supé-
rieur, du professeur russe Vernadsky.
J. A. Molster. De Geschicdenis der Staathuishoudkunde.
Amsterdam, 1851.
E. W. de Rooy, Geschicdenis der Staathuishoudkunde
in Europa. Amsterdam, 1851.
Iwan Vernadsky, Résumé historique de l'économie po-
litique (en russe). Saint-Pétersbourg, 1858.
Alex. R. Balchen, Grunddrarjen of den Poliliska Eko-
nomiens historia. Stockolm, 1869. (Très rapide
esquisse).
136 HISTOIRE DE l'ÉCONOMIE POLITIQUE
On peut tirer un plus LTand profit de certains travaux
sur l'histoire spéciale de l'économie politique dans les
différents pays et dans les différents temps, et d'un
nombre encore plus considérable de monographies,
écrites d'après les sources, sur les différentes écoles et
sur certains écrivains dignes, pour telle ou telle raison,
d'être pris en plus grande considération. Les maté-
riaux ainsi recueillis sont si abondants qu'il est très
difficile de s'en rendre maitre, mais ils permettent de
résumer mieux qu'on ne l'a fait jusqu'ici les résultats
les plus importants et les plus sûrs des recherches
historiques particulières.
Ce qu'il nous faut le plus regretter, c'est l'absence
d'une histoire de l'économie politique en France avant
les physiocrates, et en Angleterre avant Smith. On peut y
suppléer, mais en partie seulement, par quelques mono-
graphies et notamment par deux volumes, malheureu-
sement écrits en russe, du professeur Janschull sur
l'histoire du free tracle, et par un remarquable Essai de
Roscher, qui n'a cependant pas connu tous les auteurs,
et qui n'a pas toujours pu les consulter de première
main. Un élève distingué de Menger, le docteur Etienne
Bauer, privât dozent à Vienne, auquel nous devons
quelques bons Essais, prépare une histoire de l'éco-
nomie politique avant Adam Smith, pour laquelle il a
déjà, dans ses voyages à Londres et à Paris, recueilli
de précieux matériaux.
Pour l'histoire de l'économie politique en Allemagne,
il n'y a presque rien à glaner après le travail colossal
de Ptoscher. qui est un modèle d'exactitude et pour le
fond et pour la forme ; on ne peut faire que cette objec-
tion, c'est que l'importance du sujet est très inférieure
aux soins infatigables qui ont été dépensés.
Il faut encore citer l'histoire de l'économie politique
en Espagne de Colmeiro, et celle des Pays-Bas de Las-
HISTOIRE DE l'ÉGONOMTE POLITIQUE 137
peyres, qui a été roccasion d'un autre travail plus pro-
fond du professeur van Kees, malheureusement resté
inachevé par suite de la mort de l'auteur. Colmeiro et
van Ress ont étudié avec grand soin le lien qu'il y a
entre les théories, les conditions de fait et les institu-
tions. Il faut louer encore les Essais moins développés
d'Arnberg pour la Suède, et de Kautz pour la Hongrie,
Une histoire des théories économiques aux Etats-Unis,
et notamment pour les dernières décades, rendrait de
très grands services. Espérons que le jeune savant doc-
teur Furber, de Chicago, pourra bientôt nous la donner;
sur les conseils de Menger, il nous a communiqué le
manuscrit de la première partie de son travail, qui nous
a paru remarquable par sa sobriété et sa clarté.
W. Rosctier, Geschichte der Naiional-Œkonoynik in
Deiitschland. Mïmchen, 1874.
M. Cohneiro, Historia de la cconomia polifica en Ës-
pana. Madrid, 1863. Deux volumes (elle s'arrête
au xviii° siècle). Elle se trouve complétée par
l'ouvrage suivant du même auteur : Biblioteca
de los economistas espanoles de los siglos '16, il
y 18. Madrid 1861. Réimprimé en 1880.
Et. Laspeyres, Geschichte der volkswirthschaftlichen
Anchauungen der N iederlmider, elc. Leipzig, 1863.
(Elle ne contient que le xvu« et le xvin" siècles. 1
0. van liées, Geschicdenis der Staaihuishoudkunde in
Nederland, etc. Utrecht, 1865-68. Deux volumes.
J. W. Arnberg, Anteckningar om frihetsUdens poli-
tiska ekonomi . I. Upsala, 1868. (Elle comprend la
période de 1719 à 1772.)
Jul. Kautz, Entwickelungs-Geschichie der volkswirih-
schaftlichen Ideen in Ungarn, etc. Budapest, 1876.
(Traduction abrégée de l'œuvre originale, en
hongrois, éditée en 1868.)
L'Italie a eu, grâce au baron P. Custodi, la première
collection, incomplète d'ailleurs, de ses économistes,
138 HISTOIRE DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE
accompagnée de biographies. Elle doit à Joseph Pecchiô
un essai historique sur ces auteurs, qui a été très ré-
pandu en Italie, grâce à la prohibition qu'en avait faite
la censure autrichienne, et à l'étranger, grâce à une
traduction française. C'est alors que naquit et s'accré-
dita pour longtemps l'opinion de la prééminence absolue
(Gioja et Mugnai ou de la prééminence temporaire (Ro-
magnosi) des Italiens en économie. Cette thèse, en-
core aujourd'hui très répandue, a été attaquée avec vi-
gueur par Ferrara CBiblioteca, delV Economista,, série I,
vol. III. Torino, 1852), et après lui, avec autant d'acri-
monie, par un anonyme (dans VEconomista. Milano,
1858). Des recherches récentes et l'étude d'ouvrages
importants qui avaient échappé au baron Custodi. ont
permis de conclure que l'Italie, aux xiii% xv% xvi^ siècles
et dans la première moitié du xvii^, a eu des écrivains de
premier ordre, notamment en ce qui concerne la mon-
naie, et que, dans la seconde moitié du xviii% elle a
fourni sa contribution à la constitution de la science.
La collection de Custodi a servi de base à deux es-
quisses historiques. La première, de Vernadsky, en
russe, et l'autre, plus savante et plus profonde, de l'il-
lustre N. G. Pierson, en hollandais.
Scnttori classici di economia politica. Milano, 1802-
1816. 50 volumes.
Gius. Pecchio, Storia delU economia pubblica in Italia.
Lugano, 1829. Plusieurs fois réimprimé ; la der-
nière réimpression est de 1852, Turin. Traduc-
tion française de L. Gallois. Paris, 1830.
Ivan Vernadsky, Recherches hlsiorico-critiques sur les
économistes italiens. Moscou, 18i9. (Thèse de doc-
torat.)
N. G. Pierson, Bijdrage toi de geschicdenis der ccono-
m.ische studien in Italie, etc. Amsterdam, 1866.
(Traduction allemande, sans le nom de l'auteur,
par un certain Schwarzkopf. Strasbourg, 1872.',
HISTOIRE DE l'ÉCONOMIE POLITIQUE 139
D'excellentes monographies sur l'histoire de l'éco-
nomie politique en Italie ont été publiées dans ces vingt
dernières années par Ricca-Salerno, Cusumano, Gobbi,
Fornari, Morena, Supino, Graziani, Montanari, Balletti,
Alberti, etc. Nous faisons des vœux pour que Toniolo,
Conigliani, Graziani, Morena et Balletti terminent
bientôt d'autres monographies depuis longtemps pro-
mises. Albergo a publié, avant l'impulsion donnée à ces
études depuis 1870, une bonne étude sur la Sicile.
Nous travaillons nous-mêmes à une bibliographie, si
possible complète, des économistes italiens jusqu'à
1848 ; mais c'est là un travail ingrat que nous n'espé-
rons guère pouvoir publier.
Giulio Albergo, Sloria delV Economia poliiica in Sici-
lia. Palermo, 1855.
Notre présent travail n'étant qu'un résumé d'histoire
externe des théories économiques, accompagné cepen-
dant des indications nécessaires pour des études plus
larges et plus approfondies, nous les diviserons, pour
faciliter l'exposition, dans les périodes suivantes :
l** La période que nous appelerons fragmentaire,
qui comprend l'antiquité, le moyen âge et qui se pro-
longe, par quelques écrivains, jusqu'au xvii" siècle ;
2° La période que nous appellerons des monogra-
phies et des systèmes em,piriques, qui va du xvi*
siècle jusqu'à la moitié du xviii'' ;
3" La période des systèmes scientifiques (de Quesnay
et de Smith), qui ont des précurseurs jusque dans le
xvii®, mais qui se développent et se perfectionnent dans
la seconde moitié du siècle suivant et au commence-
ment du nôtre ;
14b HISTOIRE DE l'ÉGONOMIE POLITIQUE
A" La période critique contemporaine, dans laquelle,
du contraste des diverses écoles et de la discussion des
bases mêmes de la science, se font jour de multiples
tentatives pouréliminerleséquivoques, perfectionner les
méthodes, recueillir des matériaux plus nombreux et
mieux élaborer les fruits de l'observation, pour rendre
plus complètes et plus exactes les conclusions de l'éco-
nomie rationnelle et formuler avec plus de prudeiice
les règles de l'économie appliquée.
CHAPITRE II
L'ÉPOQUE FRAGMENTAIRE
Les opinions sont très diverses parmi les historiens
au sujet des origines de Téconomie politique ; pour les
uns, c'est une science très ancienne, pour d'autres, elle
est tout à fait moderne. De Villeneuve-Bargemont en
trouve les origines dans le paradis terrestre, Kautz en
Orient, Blanqui en Grèce, Biancliini commence son
histoire à la chute de l'empire romain d'Occident, Twiss
au XV i" siècle, Eisenhart au système mercantile, que
Duhring tient pour de la préhistoire. Dilhring, avec
beaucoup d'autres, commence par Quesnay, tandis que
d'autres commencent par Smith. Il faut dire aussi que
certains écrivains attribuent la paternité de l'économie
politique à tels ou tels écrivains italiens, français, an-
glais du xvi^ ou du xvii^ siècle, par exemple à Davan-
zanti, àScarulTi, à Botero, à Serra, à Bodin, à Mont-
chrétien, à Boisguilbert, à Stafford, àMun, à Petty, etc.
Toute équivoque, en tant du moins qu'elle ne serait
pas alimentée par des préjugés nationaux, serait bien
vite dissipée, pour peu qu'on veille à ne pas confondre,
d'une part, les opinions vulgaires sur les phénomènes
économiques et, d'autre part, les concepts doctrinaux
qui s'efforcent de les expliquer, soit incidemment dans
des œuvres consacrées principalement à d'autres
sciences, soit en s'en occupant ex professa dans des
monographies, soit, entîn, en mêlant les règles de l'art
et les vérités de la science dans un corps de doctrine
142 l'époque fragmentaire
indépendant, formant un tout empirique (une collection
de monographies), ou un système vraiment scientifique
(c'est-à-dire logiquement coordonné).
Ceci posé, nous admettrons, que les systèmes auto-
nomes d'économie politique, ayant un champ de re-
cherche suffisamment déterminé susceptihle d'être ex-
ploré avec des méthodes appropriées, ne remontent pas
au delà du siècle passé (Quesnay et Smith) ; mais nous
reconnaissons aussi, contrairement à Diihring. àEisen-
hart, à Cohn, et à beaucoup d'autres, que d'importantes
notions scientifiques nous ont été transmises, sous forme
de fragments, dans les œuvres de philosophie appliquée,
de droit et de théologie, qui constituent la partie la
plus notable du patrimoine intellectuel de l'antiquité et
du moyen âge.
Du Mesnil-Marigny, Histoire de l'économie 'politique
des anciens peuples. Paris, 1872.2 vol. (3« édit.»
1878. 3 volumes). (Apologie rétrospective du
protectionnisme).
Franc. Trinchera, Storia criiica delV economia pubblica.
T. I. Epoca aniica. Napoli, 1873. (Mauvaise com-
pilation).
Bûchsenschïitz, Die HauptstUtteji des Gewerbfleisses
im Idasslschen Alterthum. Leipzig, 1869.
H. Wiskemann, Die antike Landiriiihschaft, etc.
Leipzig, 1859.
A. Boeckh, Die Staatshaushaltung der Athener. Ber-
lin, 1817, 2« édit., 1851. 3 volumes. Traduction
française : Economie politique des Athéniens, par
A. Laligant. Paris, 1828. 2 volumes.
Bureau de la Malle, Economie politique des Romains.
Paris, 1840. 2 volumes.
§ 1. — l'économie politique dans l'antiquité
Les conditions sociales, le régime politique, les opi-
nions religieuses et philosophiques, la persuasion que
l'époque fragmentaire 143
toute l'activité des citoyens, y compris l'activité écono-
mique, doit être exercée dans l'État et par l'État, tou-
jours omnipotent, quelques diverses qu'aient été les
formes de sa constitution, n'ont pas permis aux penseurs
de l'antiquité de s'élever à l'idée de lois rationnelles
de l'ordre social des richesses, idées qui sont la base
nécessaire de toute doctrine économique achevée, indé-
pendante.
Notre science trouva comme obstacle à sa constitu-
tion, dans le monde ancien, le caractère même de l'or-
ganisation sociale, viciée par le régime de l'esclavage,
qui corrompait et avilissait la richesse dans ses sources;
l'esprit de conquête et de guerre, qui ne permettait pas
aux peuples les plus forts et les plus puissants de se
livrer aux luttes pacifiques et fécondes de l'industrie;
enfin la constitution politique elle-même. En fait, en
Grèce comme à Rome, tous les soins des citoyens étaient
tournés vers les affaires publiques. De la liberté si admi-
rée on n'avait pas une idée exacte ; on la croyait réalisée
pai* une large participation aux fonctions de l'État que
l'on voulait tout puissant et qui, par là même, était
appelé à étouffer toute autonomie de l'individu comme
des sociétés politiques inférieures. Comme obstacle à la
naissance de l'économie politique, nous trouvons enfin
les doctrines religieuses du paganisme, qui, d'accord
avec les théories des philosophes, condamnaient les
arts industriels, à l'exception de l'agriculture, parce
qu'ils les considéraient comme dangereux pour la
santé du corps, la culture de l'esprit et l'exercice des
vertus domestiques et civiles.
A) Orient. — Les idées économiques des peuples de
l'ancien Orient, telles qu'on les trouve dans leurs livres
sacrés, n'offrent qu'un faible intérêt si on les étudie à
la lumière de la science moderne. Elles peuvent se résu-
144 l'époque fragmentaire
mer dans quelques préceptes moraux sur la vertu du
travail, de la tempérance et de l'épargne, et sur le
devoir de ne pas désirer les richesses, si ce n'est pour
les employer à des objets de culte ou au secours des
malades et des indigents. L'exercice des arts et du
commerce est, en général, tenu pour vil, tandis que
l'af^riculture est très estimée ; celle-ci atteignit, notam-
ment aux Indes et en Egypte, un haut degré de pros-
périté. La division du travail, au lieu de produire les
miracles qu'elle doit à la liberté, se cristallisa dans le
.système des castes héréditaires qui ont imprimé à la civi-
lisation orientale .son caractère d'immobilité, et coupé
les ailes à tout progrès raisonnable. Seuls quelques éru-
dits et quelques hommes d'État delà Chine apprécièrent
à peu près exactement la fonction du commerce et
eurent une idée suffisamment exacte de la nature de la
monnaie et de celle de ses substituts fiduciaires, devan-
çant ainsi (comme le démontrent un fragment de Kvv'an-
tsze, du septième siècle de l'ère vulgaire, et les œuvres
de deux autres savants qui ont vécu au xi" siècle) par
leurs préceptes beaucoup de pratiques , les unes
recommandables, les autres mauvaises, de l'économie
monétaire moderne.
. Eb. Kiibel, Die soziah^ xind volks/i'irthschafiliche
Geseizgebiwg des Alten Testamentes, elc, Wiesba-
den^ 1870.
Giac. Lumbroso, Rpçherches sur Véconomie politique de
VEgypte sous les Lagides. Turin, 1870.
W. Wissering, On chinese currency. Coin and paper
money. Leiden, 1877.
B) Grèce. — Pusieurs des États de la Grèce ancienne,
favorisés par la nature et par leur excellente situation
maritime, ont atteint un haut degré de puissance com-
merciale et politique ; et quelque.s-uns de leurs éminents
l'époque fragmentaire 145
penseurs auraient dû être amenés à en rechercher les
causes. Cependant, et par les raisons déjà développées et
par la prédominance déjà signalée des intérêts stricte-
ment politiques, les recherches théoriques des Grecs sur
les phénomènes économiques furent toujours subor-
données aux études de la philosophie pratique (ou mo-
rale, au sens large), qui, pour les Grecs, se subdivisait en
trois branches : l'économie (domestique), l'éthique au
sens étroit, c'est-à-dire la doctrine des devoirs, la poli-
tique, c'est-à-dire l'art du gouvernement.
K. H. Rau, Ansichten der Volksivirihschaft. Leipzig,
1821.
W. Roscher, Ueber das Verhàltniss der Naiional-Œ-
komie zum klassischen Alterihum (1849). Réim-
primé dans les Ansichten der Volksivirihschaft
Leipzig, 1861. pp. 3-46.
J. G. Glaser, Die Entwiclielwuj der Wirlhschaftsvcr-
h'dltnisse bei den Griechrn. Berlin, 1865.
L. Cessa, Di alcuni studii storici suite teorie economiche
dei Grcci, in Saggi di economia polilica. Milano,
1878, pp. 3-1'j. (Notes critico-bibliographiques.
Parmi les historiens, on peut consulter Hérodote,
bien qu'il soit inférieur à Thucydide, lequel a su mettre
en évidence, avec une grande perspicacité, l'élément
économique et en particulier l'importance de l'échange
et son influence sur les faits politiques et sociaux, au
point de provoquer l'enthousiasme, peut-être excessif,
de Roscher, qui, dès l(S^i2, lui avait consacré une sa-
vante biographie.
G. Roscher, Disputaiio prima de doctrina œcûnomiro-
polUicx npud Grœcos primor(tiis. Lipsis^, 1866.
Avant Platon, plusieurs éciivains se sont occupés,
dans des œuvres .spéciales, de l'économie domestique
et de quelques branches de la technologie, en parti-
culier de la chasse, des mines et de l'agronomie. Nous
10
146 l'époole fragmentaire
avons perdu, par exemple, les œuvres de léron et de
Callicratides sur l'économie domestique, celles d'Apol-
lodore de Lemnos sur les mines, et de Carete de Paros
sur l'agriculture. Et si, peut-être, on disputa, comme
l'a conjecturé Stein, sur certains points spéciaux de la
chrématistique (science de la richesse, auxiliaire de
l'éthique) et en particulier sur la distinction de la
richesse et de la monnaie, il est hors de doute que la
question économique et politique de l'esclavage fut
l'ohjet de discussions dont nous retrouvons l'écho dans
les œuvres d'Aristote.
Salv. Talamo, Il concetto délia schiavitù seconda Aris-
lotile. Roma, 1881. (In Aiti delV Accad. di S. Tom-
maso d'Aquino. Tome I.)
L. Slein, Die staatsirisscinrhaftUche llieorie der Grie-
clien voi' Arisloteles und Platon. (In Zeitschr.
fur die ges. Staaiswisenschaft, 1853. Tubingen,
pp. 115-182. ■
On peut faire une moisson plus abondante de rensei-
gnements au sujet des vues économiques des Grecs sur
les richesses sociales dans les œuvres des philosophes et
particulièrement chez ceux de l'école de Socrate (m. 399.
av. J. C), qui donna une direction pratique aux recher-
ches spéculatives. Cependant, ils n'ont con.sidéré les biens
économiques que comme un moyen pour atteindre les
buts les plus élevés de la vie. de sorte qu'ils se sont
occupés d'éthique économique et non d'économie poli-
tique, et ils se sont proposé surtout de démontrer que
le bonheur véritable ne consiste pas dans la richesse.
C'est, parmi beaucoup d'autres, la pensée de l'auteur,
stoïque ou socratique, d'un dialogue intitulé Eryxias.
que l'on trouve parmi les dialogues de Platon et qui
fut pendant longtemps attribué à Eschine.
C. H. Hagen, Observationum œcononiico-polUiraniin iu
Œsrhinis Dialogunu etc. Regiomonli. 1822.
l'époque fragmentaire 147
La pensée économique des philosophes Grecs est plus
largement et plus fidèlement reproduite dans les écrits
de Platon, de Xénophon et en particulier dans ceux
d'Aristote.
Platon (429-348. av. J. C), dans sa République, es-
quisse le plan d'un État gouverné par des philosophes.
Pour eux et pour la classe des guerriers existe le système
de la communauté des biens et leur mariage est sévè-
rement réglementé. Le travail des esclaves et des
étrangers pourvoit aux besoins de toute la population.
Dans son ouvrage sur les Lois, Platon modère un peu
son culte de l'idéal et il cherche à adapter son système
politique et économique aux conditions réelles des temps.
Il appelle riches ceux qui possèdent plus que les autres ;
il distingue les biens humains (santé, force, beauté,
richesse) des biens divins (sagesse, vertu, tempérance),
et ceux qui servent à la jouissance et au luxe, des biens
qui procurent un gain. 11 avait su apprécier dans la
République l'importance du travail et celle de sa divi-
sion, sans en prévoir les développements postérieurs ;
il analyse dans les Lois les usages de la monnaie,
instrument et signe de l'échange, et aussi les avan-
tages du commerce. Cependant, il pense que, dans
l'intérêt de l'Etat, il convient de défendre l'usage de la
monnaie et le prêt, d'exercer une surveillance étroite
sur les manufactures, de restreindre le commerce, nui-
sible aux mœurs et à l'agriculture. Celle-ci a toutes ses
préférences et il donne un grand nombre de préceptes
pour arriver à une bonne exploitation. Bien qu'il ne
méconnaisse pas les tendances des hommes à la pro-
priété individuelle, il incline cependant vers le système
de la plus grande égalité possible des biens, qui ne
doivent pas dépasser un certain maximum; il propose
un communisme tempéré. Le communisme absolu,
qu'il considère comme l'idéal de la justice, avait trouvé
148 l/ÉPOOUE FRAGMENTAIRE
un critique spirituel dans Y Assemblée des femmes
d'Aristophane, et devait être plus tard complètement
réfuté dans le second livre de la Politique d'Aristote.
Rob. von Molli, Die Siaafsromane. In Geschic/de iind
Lileraiur lier SlaalsiiHssenscha/ïen, vol. I. Erlangen,
1855. pp. 171-176.
G. B. Salvioni, // Comimi&mo nella Grecin antica. Pa-
dova, 1883.
Rob. Pôlhmaiin, Gesrliicldc des aiitil.en Kommunis-
* mus uitilSozialismus. Munchen, 1893-94. 2 vol.
Xénophon (4ii-354. av. J. C.) est moins profond, mais
plus positif que Platon. 11 est l'auteur de quelques
œuvres liistoriques et de petits traités sur l'économie
domestique, la chasse, les revenus de l'Attique, etc.
Pour lui, la richesse consiste dans l'excédant des biens
sur les besoins ; il appelle biens les choses utiles à la
vie, et il reconnaît comme éléments productifs la
nature, qui fournit les matériaux que le travail trans-
forme. 11 apprécie, comme Platon, l'avantai^e qui
dérive de la division des profussions, et il a des idées
jl)lus exactes sur les arts manufacturiers et le commerce,
tout en accordant la première })lace à l'ag-ricultLire,
qui lui semble fournir l'occupation la plus propre à
fortifier le corps et l'âme, et à augmenter les richesses.
11 décrit, dans ce but, les conditions du sol et du climat,
et les méthodes d'organisation du travail qui lui pa-
raissent les plus propres au progrès de Part agraire; il
est, dans une certaine mesure, un précurseur éloigné
de la théorie moderne des limites de la production ter-
ritoriale. 11 croit à la nécessité de l'esclavage ; il recom-
mande, toutefois, de traiter les esclaves avec humanité.
11 exprime, enlin, des idées originales sur la monnaie et
sur le prix, mais^ en parlant de la valeur des métaux
précieux, il commet une grave erreur sur la valeur de
l'époque fragmentaire 149
l'argent, qu'il croit constante et complètement indépen-
dante des changements dans les quantités produites.
B. Hildebrancl, Xenopkontis el Aristotelis de œconomia
publica doairinœ illuslrantur. Particula I (seule
parue). Marburg, 184.").
Ad. Frout de Fontpertuis, Filiation des idées écono-
miques dans Vantiquilé, etc. (in Journal des Eco-
nomistes, septembre 1871 et ss.)
Victor Brants, Xénophon économiste (in Revue catho-
lique de Louvain, 1881).
Aristote (384-322. av. J. C.),lcplus éminent des savants
grecs, occupe également la première place en économie.
Observateur patient, profond, pratique, il a non seule-
ment poussé plus avant les recherches spéculatives sur
la richesse, mais il a résumé tout le savoir économique
de l'antiquité en traçant, en partie du moins, les
limites des recherches faites sur ce sujet par les plus
illustres penseurs du moyen âge. Ses théories écono-
miques sont contenues dans l'Ethique h Nicomaque
et dans la Politique ; son Economie est une compila-
tion d'écrivains postérieurs, basée cependant pour le
second livre sur la Politique (d'après Zeller) et pour le
premier (d'après Gottling) sur d'autres ouvrages d'Aris-
tote.
Il comprend dans le patrimoine les biens destinés
à la con.sommation et ceux qui sont destinés au gain ;
en distinguant les biens qui servent directement au pro-
priétaire de ceux qui servent à l'échange, il pose les
premières bases de la distinction- célèbre de la valeur
d'usage et de la valeur d'échange, de l'économie natu-
relle et de l'économie monétaire, qui forment l'objet
de différentes branches d'activité auxquelles corres-
pondent des disciplines théoriques. Malgré ses préfé-
rences morales pour l'économie naturelle,, il recon-
150 l'époque fragmenta [RE
naît que l'économie monétaire caractérise les peuples
qui, par suite d'une large division des travaux, sont par-
venus à un degré déjà élevé de civilisation. Il assigne
à la monnaie les deux fonctions principales, d^être
mesure commune des valeurs et instrument nécessaire
pour faciliter l'échange. Il ne confond pas la monnaie
avec la richesse, et démontre, au contraire, en rappe-
lant la fable de Midas, qu'on peut mourir de faim au
milieu de la plus grande abondance de métaux ;
il ignore cependant que la monnaie peut aussi être un
capital et il déduit de sa stérilité .supposée la condam -
nation de l'intérêt. Il divise la population en quatre
classes : les agriculteurs, les artisans, les commerçants
et les professions libérales (prêtres, guerriers, magis-
trats, etc.) ; il exclut de la participation au gouverne-
ment de la chose publique ceux qui se vouent aux
arts tendant à augmenter le patrimoine et, partant,
indignes d'hommes vraiment libres. Il admet l'es-
clavage, et même il le défend ; il affirme sa néces-
sité économique, qui correspond à l'infériorité des
esclaves en intelligence, et il reconnaît seulement que
cette nécessité disparaîtrait s'il arrivait jamais un temps
où la cithare jouerait d'elle-même et où la navette
courrait seule. Il veut que la population soit propor-
tionnée au territoire, parce que, si elle était faible, elle
compromettrait Tindépendance de l'État; si elle était,
au contraire, surabondante, la tranquilité, l'ordre, la
sécurité feraient défaut.
J. C. Glaser, De Arisiolelis docirina de dwitiis. Regio-
monti, 1850 (Insuffisant).
W. Oncken, Die Staatslehre des Aristoteles. Leipzig,
1870-75. 2 volumes.
D. G. Ritchie, v°. Aristotile, in Diciionary of polit ical
economy de R. H. Inglis Palgrave, P'' partie^
1891.
l'époque fragmentaire 151
C) Rome. — Les écrivains classiques romains, et en
particulier les philosophes, ne se sont pas occupés des
questions économiques avec le même soin que les Grecs,
qui furent, en cette matière encore, les sources aux-
quelles ils puisèrent de préférence.
F. B. G. Hermann, Disserlatio exhibens sententiasRo-
manorum ad rpconomiam universam sive nalionnlem
periinentes. Erlangse, 1823 (superficiel).
Nous ne donnerons que quelques brèves indications
sur Cicéron, Sénèque, Pline l'ancien, les écrivains d'a-
gronomie et ceux de jurisprudence. Cicéron traduisit,
dans sa jeunesse, \' Fxonoinlque de Xénophon, et fit
connaître, à plusieurs reprises (notamment dans le
De Officiis I, 42), ses opinions favorables à l'agriculture
et hostiles aux manufactures et au petit commerce. On
trouve également, dans ses œuvres de rhétorique, de
philosophie et de politique, d'autres observations éco-
nomiques dignes d'être notées, qui ont été recueillie."?
avec beaucoup de soin par l'érudit hollandais Calkoen.
Calkoen, Over eenige staathnishoudkundige gevoelens
en sieilinfien in de geschriften van Cicero, etc.
(In Bi/dragen tôt. Regsgel en Wetgeving de van
Hall, 1831-32. Tome VI, pages 413 et suiv.)
Ennemi de l'avarice , comme de la dissipation et du
luxe, des conquêtes et des guerres, adversaire de l'es-
clavage et favorable à la frugalité , à la tempérance et
au travail, Sénèque a parlé de l'éthique économique en
«'inspirant des idées de la philosophie stoïque.
Dans son histoire naturelle, Pline reconnaît la pro-
ductivité plus forte de la grande culture; il déplore
les maux qui résultent des « latifundia » cultivés par des
mains serviles ; il se montre même adversaire du luxe,
[h'2 l'époque fragmentaire
comme aussi de l'exportation des monnaies et de l'im-
portation des marchandises étrangères , et il donne
aussi quelques indications sur la valeur, sur ses causes
et sur ses mouvements.
Plus importantes encore sont les œuvres des agro-
nomes (scriptoves vei rusticcej, qu'il ne faut pas con-
fondre avec les agrimensoros (scrlptores reiagrainae),
et notamment celles de Caton , Varron , Columelle.
Vivant à une époque de décadence économique et mo-
rale, ils voudraient restaurer des conditions agraires
plus saines et plus heureuses. Leurs préceptes tech-
niques se proposent de rendre l'agriculture plus ration-
nelle, d'introduire les pratiques rurales d'autres peuples,
et en particulier des Carthaginois ; ils veulent, déplus,
réveiller l'amour de la vie des champs, en excitant les
propriétaires à cultiver eux-mêmes leurs terres, et en
déconseillant la constitution de tenures trop vastes
abandonnées au travail servile.
Les théories économiques des jurisconsultes, qui sont
conservées notamment dans le Digeste, ont une em-
preinte romaine plus nette et plus originale. Il ne faut
pas cependant rapprocher arbitrairement des fragments
d'auteurs, qui ont écrit à des siècles de distance, pour
en tirer, à grand' peine, une sorte de compendium d'é-
conomie politique , arrangé à la manière moderne,
comme l'a fait le hollandais Tydeman, qu'a suivi, en
cela, Kautz. D'autres écrivains plus récents, comme
Scheel. Bruder, avec un sens historique plus exact, se
sont proposé d'illustrer quelques passages remarquables
du Corpus juris et ils ont indiqué le lien qui unit au
droit romain classique un grand nombre de mesures
économiques de la législation moderne. Il y a plus long-
temps encore, certains fragments, et en particulier celui
de Paul (loi I, Dig. de contr. empt., XVIII, 1) sur l'ori-
gine et les fonctions de la monnaie, ont exercé l'esprit
l'époque fragmextaihe 153
d'analyse de quelques écrivains, et notamment de quel-
ques écrivains italiens. Certains économistes érudits
(comme Carli et plus encore Néri) ont déduit, en s'ap-
puyant sur des preuves parfois un peu faibles, que les
idées romaines, au lieu d'être contraires (comme le sou-
tenait entre autres Pagnini) aux Ihéories monétaires
des économistes modernes, y étaient entièrement con-
formes.
P. Neri, Osservazioni sul prezzo légale délie Dioncie.
Milano, 1751, pages 105 et suiv.
G. G. Tydeman. Disquisiiio de yEconomix Politicœ
notionibus in Corpore Juris rivilis Justinianeo .
Lugduni-Batavorum, 1838.
H. von Scheel, Die wirihsrhaftlichen Grundoegriffe ira
Corpore Juris civilis (in Jahrhûcher fùrnal . Oekon.
de B. Hildebrand. Jena, 1866).
Ad. Bruder, Zur œkonomischen Charakteristik des
rUmischen Rechies [inZeilschrift fur dieges. Staals-
wissenschaft de Tubingen ; année 32-35, 1876-
1879.
G. Alesio, Alcune riflessioni. iniorno ai concetti del va-
lore nell. aniichità rlasslca (in Archivio juridico.
Vol. XLII. Bologna, 1889). .
P. OErtmann, Die Volksivirthschaftslehre des Corpus
Juris Civilis. Berlin, 1891.
Le moyen âge est une période de lutte très ardente
entre le monde ancien, où dominent les idées païennes,
et le monde moderne, que le souffle régénérateur du
christianisme a totalement transformé. Celui-ci pro-
clame, en effet, l'unité de la race humaine et le prin-
cipe de l'égalité, il condamne l'esclavage et le servage
et en prépare l'abolition graduelle ; il reconstitue la
famille, en élevant la situation morale et civile de la
154 l'époque fragmentaire
femme, en adoucissant la rigueur de la puissance pater-
nelle et en réformant le système des successions ; il
crée et il généralise les établissements de bienfaisance ;
il prêcbe aux riches les devoirs de la justice et de la
charité, aux pauvres, ceux du travail et de la résigna-
tion, aux uns et aux autres la foi et le sacrifice. On
établit ainsi les bases d'une organisation meilleure de la
production et de la distribution des richesses et on dimi-
nue les souffrances économiques et morales des classes
les moins aisées.
Mais cette œuvre féconde et réparatrice rencontra
dans les idées, dans les préjugés, dans les mœurs et
dans les lois, tant et tant de rési.stances, qu'elles retar-
dèrent de plusieurs siècles le plein effet de ces réformes.
Et en effet, l'époque antérieure aux croisades, troublée
par des luttes incessantes entre le Saint-Siège et l'Em-
pire, qui se disputent la suprématie politique de l'Eu-
rope chrétienne, et parles guerres, plus modestes mais
non moins incessantes et acharnées, des seigneurs féo-
daux, n'était point favorable au développement des ma-
nufactures et du commerce. Dans cette suite incessante
de batailles, de rapines et de violences de toute sorte, les
industries manquaient des garanties nécessaires d'ordre
et de liberté, et couraient de graves dangers, par suite de
l'absence de sécurité dans les moyens d'échange, de
transport et de communication, tandis que l'agriculture
languissait, chargée de poids insupportables et exténuée
par la condition misérable des colons, .serfs de la glèbe
et opprimés par les exactions du système féodal.
L. Cibrario, Délia economia politica nel medio evo, libri
ire. Torino, 1839. 2 volumes. 5' édit. 1861. Trad.
franc, par Barneaud, avec introduction par Wo-
lowski, Paris, 1854.
J.-E. Th. Rogers, A history of agriculture and priées
in England. London, 18G6 et suiv. 6 volumes.
l'époque fragmentaire 155
K. V. Inama- Sternegg, Deutsche WirthschafUge-
schichte. Vol. I et II. Leipzig, 1879, 1891.
K. Lamprecht, Deulsches Wirthschaftsleben inMiitel-
alter. Leipsig, 1885-1886. 4 volumes.
W. Cunningham, The groivthof englisch industry and
commerce. Vol. I. Cambridge, 1890.
Ce n'est que dans la seconde partie du moyen âge
que les manufactures et le commerce reçurent une
impulsion vigoureuse par l'émancipation des communes,
par la formation de la bourgeoisie et par les impor-
tantes routes nouvelles ouvertes au commerce par les
Croisades. Organisées en un fort régime corporatif
autonome, nécessaire pour résister à la toute puissance
des barons féodaux, qui concentraient dans leurs mains
la puissance territoriale, elles devinrent rapidement,
notamment dans les florissantes républiques italiennes,
et plus tard dans les Flandres et dans la Hanse teuto-
nique, un puissant élément de prospérité matérielle et
de progrès civil.
C'est vers l'an mille que naquirent en Italie ces nou-
velles institutions économiques qui, de nos jours encore,
éveillent notre admiration. Elles trouvèrent de solides
appuis dans les statuts et dans les coutumes relatives au
droit commercial, au droit maritime et au change, sanc-
tionnées en grande partie par les ordonnances et par les
lois des premiers siècles de l'époque moderne, qui ont
préparé, pour notre siècle, les Codes en vigueur.
A. Lattes, Il diriito commerciale nella legislazione sta-
tutaria délie città italiane. Milano, 1883.
E. Bensa, Il contralto di ossicurazionenel medio\evo. Ge-
nova, 1884. Traduction française parJ.Valery: ZTjs-
toire du Contrat d'assurance au moyen âgr. : Paris, 1897.
V. E. Orlando, Délie fratellanze artigiane in Italia.
Firenze, 1884.
Mais la renaissance des études économiques ne date
15C l'époque fuagmkntaiue
que du xiii'' siècle ; elle est due notamment à l'étude de
l'Ethique et de la Politique d'Aristote, dont les doc-
trines sur la richesse furent paraphrasées par un grand
nombre de commentateurs des traductions latines de ces
deux œuvres. Avant cette époque, il n'y avait que des dis-
sertations morales sur les dangers de la richesse, sur les
maux causés par Tavarice et par le luxe, sur le devoir
de charité, etc. Cela s'explique aisément si l'on songe à
l'influence, alors prépondérante, des idées religieuses,
à la réaction vigoureuse contre le matérialisme de l'anti-
quité païenne, à la prépondérance de l'économie natu-
relle, au peu d'importance du trafic, notamment du
trafic international, à la décadence des sciences pro-
fanes, aux tendances métaphysiques et mystiques des
penseurs les plus vigoureux. Lorsque, plus tard, les
conditions de l'industrie furent améliorées , que la
sécurité publique fut mieux assurée, que les com-
munications furent rendues moins difficiles , que
Tamour du savoir eut augmenté, que la jurisprudence
fut renouvelée par l'œuvre d'écoles célèbres, que la sco-
lastique fut arrivée à son apogée, les écrivains les plus
sagaces de la philosophie appliquée ne dédaignèrent
pas de s'occuper des phénomènes économiques, et ils en
étudièrent les relations avec la doctrine des devoirs et
avec celle du gouvernement de. la chose publique.
Ceux qui connaissent l'histoire des sciences au moyen
âge ne seront pas étonnés que parmi les fragments
économiques, qui sont dispersés dans les œuvres des
théologiens, des philosophes, des jurisconsultes et des
politiques, ceux que nous devons aux théologiens
occupent la première place. Tandis que les philoso-
phes, la plupart ecclésiastiques, commentent, plus ou
moins à la lettre, les théories économiques d'Aristote,
en les corrigeant à l'aide des principes du Christia-
nisme, les écrivains de théologie morale, dans leurs
l'épûoue fragmentaire 157
traités, dans leurs questions, dans leurs sommes, dans
leurs décisions, dans leurs réponses, dans leurs ser-
mons, dans leurs monographies sur le sacrement delà
pénitence, ayant à s'occuper de la restitution de l'indu
et du thème plus général de la justice dans les con-
trats, se trouvent nécessairement amenés à rechercher
la nature du commerce, de ses formes et de ses opéra-
tions variées, afin de distinguer les contrats licites et
innocents des contrats illicites et criminels.' Et c'est
ainsi qu'à la morale économique des Grecs, fondée sur
la philosophie, succède celle des scolastiques basée
sur la théologie, qui était à cette époque la science
souveraine, la science des sciences.
L'exposé des théories économiques du moyen âge,
(îomplètement négligé ou puisé à des sources secon-
daires dans les histoires générales de l'économie poli-
tique, devient maintenant plus facile, grâce à quelques
bonnes monographies, dues soit à des compilateurs dili-
gents, soit à des spécialistes de la civilisation de cette
époque. Il n'y a pas jusqu'ici d'œuvre impartiale qui
expose les modifications graduelles des théories et qui
soit dégagée de toute tendance d'opposition systéma-
tique ou d'apologie extrême.
\V. Endemann, Die nationalôkonomischen Gnnulsaize
lier canonhlischen Lehre. Jena, 1863.
\V. Endemann, SliuUen in der wmanisch-hanonts-
lischen Wirthschafts und Recktdehre. Berlin, 1874
1883. 2 volumes.
Cil. Jourdain, Méiroire sur les cominen cément s de l'é-
conomie politique dans les écoles du moyen-âge
il869), in Mémoires de l'Acad. des Inscr. et Belles-
Lettres. Tome XXVIII. Paris. 1874, p. p. 1-51.
H. Contzen, Geschichte der volksuirthschaftlichen Lite-
raturinder Mittelalter. Leipzig. 1869. 2« édition
(augmentée;, Berlin, 1872. OEuvre un peu su-
perficielle, y
158 l'époqle fragmemtaire
V. Cusumano, DelV economia poUtica nel Medio Evo.
Bologna, 1876. Réimprimé dans les Saggi di Eco-
nomia politica, etc. Palerrao, 1887. (Il s'occupe
spécialement des écrivains politiques).
V. Brants, Coup d'œil sur les débuts de la science
économique dans les écoles françaises, etc. Lou-
vain, 1881.
W. Roscher, Geschichte der National-Oekonomik in
Deutschland. Miinchen, 1874, p. p. 1-31.
W^. J. Ashley, An inlroduction to english économie his-
tory and theory. The middle âges. London, 1888.
Chapitre III, pag. 124 etsuiv., 2*= partie, 1893.
Chapitre VI, pag. 377 et suiv.
Les théories fondamentales de réconomie scolastique
sont celles du juste prix et de l'usure; celle-ci est le
fondement de la prohibition de l'intérêt dans le prêt
d'argent et des autres choses fongibles.
La doctrine du juste prix, exposée dans les œuvres de
théologie morale, dans les ouvrages sur l'usure, sur
les contrats et dans quelques monographies, contient
les germes des théories modernes sur la valeur, puis-
qu'on y donne, comme éléments du prix, les besoins,
l'utilité, la rareté, le coût de production, comme l'ont
remarqué les rares écrivains qui, comme Agazzini (dès
1834)^ Gobbi, Graziani, Montanari, sont remontés aux
sources. On distinguait le prix légitime et indivisible,
fixé par l'autorité, pour les denrées de première néces-
sité, et cela pour des motifs de fait faciles à compren-
dre, et un prix naturel, déterminé par les usages et
par la concurrence. Celui-ci était variable et compor-
tait, suivant les cas, trois degrés, minimum, moyen
et maximum, avec une latitude plus grande pour les
objets rares, et moindre pour les marchandises d'usage
général, quoique non absolument nécessaires. 11 faut
remarquer cependant que le prix légitime devait être
établi par l'autorité d'après des critères tirés du prix
l'époque FlîAGMENTAIRE 159
naturel, et qu'il perdait sou efficacité et devait céder le
pas au prix naturel, quand le changement des condi-
tions de fait pouvait le rendre injuste.
Parmi les théologiens qui se sont occupés de la valeur
et du prix, rappelons Vcnusti, Lupo, Filiucci, et en
particulier Gasparino ; les deux premiers appartien-
nent au xvi^ et les autres au xvrl^
BasL. Gasparino, De legiiimo et naturali reriim vcna-
lium pretio, etc., Forolivii, 1634.
Une grande importance pratique pour le développe-
ment de beaucoup d'institutions économiques et juri-
diques et de grand intérêt théorique pour les dis-
cussions qui en sont dérivées doit être attribuée à la
doctrine canonique de l'usure et à la prohibition de
l'intérêt. Pour avoir une idée exacte de ces contro-
verses, il faut corriger les riches informations que Ende-
mann a empruntées aux abrégés théoriques du xvi^ et
du xvii*^ siècle, à l'aide d'autres renseignements fournis
par Funk et par Bôhm-Bawerk, qui ont consulté presque
toujours les sources les plus directes.
F. X. Funk, Geschichte des kirchlichen Zinsverbotes.
Tubingen, 1876.
E. V. Bohm-Bawerk. Geschichte und Kritik der Kapi-
ialzins-Theorieen. Innsbruck, 1884.
La condamnation explicite et inconditionnée de l'u-
sure, c'est-à-dire de l'intérêt {quodcumque sorti acce-
dii) dans le prêt d'argent, est prononcée par les Pères de
r Egli.se d'après des raisons déduites de passages connus
de la Sainte Ecriture et du précepte général de la charité.
Elle amena la prohibition canonique de Tintérêt, cir-
conscrite aux seuls ecclésiastiques dans les huit pre-
miers siècles de l'Église (et pour l'Église grecque même
160 l'épooue fragmentaire
plus tard), elle fut étendue ensuite dans l'Eglise latine
même aux laïques par les prescriptions d'un grand
nombre de conciles œcuméniques et nationaux. Ces
prescriptions des lois ecclésiastiques, qui trouvèrent
une incessante résistance dans les besoins du com-
merce, furent appuyées, à partir de Charlemagne, par
des lois prohibitives analogues dues à l'autorité civile,
avec quelques exceptions, partielles et temporaires, en
faveur des banquiers juifs et des lombards, auxquels
les princes laïques et ecclésiastiques eux-mêmes durent
souvent recourir dans leurs moments de gêne. Ces pro-
hibitions civiles furent ensuite, dans les Etats protes-
tants d'abord, remplacées (depuis le milieu du xvl^siècle)
par des fixations de maximum imposé à l'intérêt con-
ventionnel. Il s'en suivit un adoucissement toujours
plus grand dans l'application de la défense ecclésias-
tique, qui cessa en fait après que plusieurs décisions du
Saint Office (de 1822 à 1838) ordonnèrent aux confes-
seurs de ne pas inquiéter leurs pénitents et d'attendre
une solution définitive.
De grossières erreurs, répandues surtout parles écri-
vains protestants, sont répétées aujourd'hui encore sur
la nature véritable delà proliition canonique de l'intérêt,
sur les limites et les conditions de cette prohibition. Il
n'est pas exact que les scolastiques aient tous cru, comme
Aristote, à la stérilité delà monnaie, et qu'ils aient ignoré
que l'argent pouvait être une occasion de gain pour
l'emprunteur. Ils croyaient seulement que ce gain était
dû au travail du débiteur, et que le créancier qui, sans
aucun préjudice, prêtait de l'argent, n'avait pas droit à
un dédommagement, en dehors de la restitution. Si
nous consultons, en effet, les œuvres des grands sco-
lastiques du xiii*-' siècle, qui se sont les premiers occu-
pés de ce sujet au point de vue philosophico-juridique,
nous voyons qu'ils soutiennent leur thèse avec des
l'époque fragmentaire 161
arguments différents de ceux des théologiens qui les
ont précédés. Le franciscain Alexandre d'Halos
(m. 12 4.')), le premier, Saint Bonaventure (m. 1274j et le
grand dominicain Albert le Grand (1193-1280), et
son disciple, plus illustre encore, S. Thomas d'Aquin
(1225-1274), invoquent l'autorité de la Bible, celle des
saints Pères et des Conciles, mais ils s'appuient surtout
sur ce fait, que, pour les choses fongibles et, partant,
pour l'argent. Tusage ne peut être indépendant de leur
propriété comme pour les choses non fongibles (terres,
maisons, outils); le prêteur ne peut donc pas, en plus delà
restitution pure et simple, prétendre à un dédommage-
ment pour l'usage, qui appartient de droit à l'emprun-
teur, qui est devenu propriétaire ; il ne peut pas non plus
prétendre à un dédommagement pour le temps écoulé
entre le moment du prêt et celui de la restitution,
parce que le temps appartient à Dieu et ne peut pas
être vendu. C'est donc le prêt, explicite ou déguisé (sous
les formes d'antichrèse, de vente à crédit, etc.), et non
pas l'argent, qui est esseniiellement gratuit. Bien plus,
on peut tirer profit de l'argent de plus d'une manière,
et, dans les siècles qui suivirent, on admit successive-
ment bien des exceptions qui soulevèrent, d'ailleurs,
de vives controverses entre les théologiens rigoristes,
amis de la logique, et les théologiens qui cherchaient à
satisfaire aux multiples besoins du commerce. La né-
cessité s'imposait d'une application moins rigide des
prescriptions qui étaient nées à une époque où l'écono-
mie naturelle et les prêts de consommation, consentis
souvent par des usuriers, étaient la règle, et qui deve-
naient insupportables avec la multiplication des emplois
productifs du capital, facilités par la multiplication des
établissements de crédit.
C'est pourquoi, tout en maintenant la prohibition de
l'intérêt (lucruin ex vmtuoj, on reconnut successivc-
li
J62 l'époque fragmentaire
ment certains titres qui donnaient le droit d'exiger une
compensation ou un intérêt fid quod interestj. Ce
furent, notamment, le damnuin emergens (admis déjà
par saint Thomas quand le dommage était prouvé) ;
le lucrum cessans, combattu vigoureusement tout
d'abord et graduellement admis ensuite sur des preuves
toujours moins rigoureuses, et même plus tard sur
de simples présomptions lorsqu'il s'agissait de com-
merçants ; la peine conventionnelle, etc. On admit éga-
lement, comme réparation de certains risques particu-
liers (dans le change maritime, plus tard dans le
triple contrat) et aussi pour d'autres motifs que nous
ne pouvons rappeler ici, d'autres titres de profit dans
les censives réelles et personnelles et dans d'autres
formes de contrat qui, pour les canonistes les moins
rigoureux, présentaient des différences substantielles
avec le prêt, nécessairement gratuit.
Dans l'impossibilité de faire une revue complète de
la littérature économique du moyen âge, nous nous
bornerons à la simple énumération de quelques-uns des
écrivains les plus remarquables. Des monographies ont
été écrites sur un grand nombre d'entre eux ; nous en
avons parlé dans un travail spécial.
L. Cossa, Di alcuni studii recenii sulle teorie econo-
michenel Medlo-Evo, 1876. Et aussi dans les Saggi
di economia poliiica. Milano, 1878, pp. 15-38.
-4) xirre siècle :
Saint Thomas d^Aquin. l'ange de l'école, le prince
des théologiens et des philosophes, est aussi l'écri-
vain le plus remarquable de son siècle sur les ma-
tières d'économie et de politique. Ses œuvres principales
sont: laSumma Theologica. [Il, II); laSumma philo-
sofica adversus gentiles; les Commenti ad Aristotlle
l'époque fragmentaire 1G3
ot l'opuscule Deregimine Judeorum ; le De usiiris est
apocryphe. Saint Thomas a également écrit le livre I et
les 4 premiers chapitres du livre 11 du De regimine
principum, qu'a continué son disciple, le moine Tho-
lomée Fiadoni de Lucques. évêque de Torcello. Ses
doctrines sur l'usure, ses opinions sur la richesse et
ses sages maximes de politique monétaire et fiscale ont
été reproduites par quelques biographes, critiques et his-
toriens de l'économie politique, sans qu'ils aient tou-
jours pris soin de séparer ses écrits véritables des
ouvrages apocryphes. Le meilleur ouvrage à consulter:
J. J. Baumann, Bie SinaisLehre des h. Thomas von
Aquino. Leipzig, 1893 (particulièrement pp. 190-
203),
Parmi les écrivains scolastiques minores, Jourdain
<;ite Henri d.e Gand, qui a, mieux que ses contempo-
rains, dans une œuvre arrivée jusqu'à nous, De mercl-
moniis et negotlatlonlbus, apprécié l'utilité et les
fonctions du commerce.
D) XIV® siècle.
Parmi les nombreux auteurs d'ouvrages De regi-
mine, institutione, eruditione principum (pour la
plupart s'inspirant de saint Thomas), nous citerons :
1" Engelbert, abbé d'Admont en Styrie (m. 1331) qui
a écrit un De regimine principum en 7 livres, men-
tionné par Contzen.
'2"^ Le moine Paul Minorita (probablement de Venise)
<jui. entre 1313 et 1315, a écrit un De regimine recto-
'/■/'.s, divisé en 3 livres, dans lequel il s'occupe du gou-
v(nncment moral, du gouvernement de la famille et du
gouvernement de la cité, etc. L'élégance et la conci-
sion de son style et d'autres mérites encore ont amené
164 l'époque fragmentaire
l'illustre Adolphe Mussafia à le publier et à l'annoter
(Vienne, 1868).
3° Eo-idio Colon na, augustin, élève de saint Thomas
et précepteur peu influent de Philippe le Bel (1247-13J6)
a écrit également un De regimine princijnun (antérieur
à celui du moine Paul) dans lequel, se séparant en cela
du maitre. il déclare le consentement du peuple néces-
saire pour la levée d'impôts extraordinaires.
4° François Petrarca (1304-1374), dans son livre De
repuhliccL opthne a.dininistr8.nda , réclame également
la justice et la modération des impôts et la punition des
abus des publicains ; dans ses lettres familières il
donne de bons préceptes d'économie agraire.
Parmi les juriconsultes il faut faire mention du napo-
litain Andréa d'Isernia (1220-1316), cité par Fornari et
commenté par Palumbo. Il faut surtout noter ses opi-
nions sur l'aliénabilité du domaine public et sur les
avantages de la ferme des impôts.
(av. L. Palumbo, Andréa d'Isernia. Napoli, 1886.
Plus important encore est un groupe de philosophes
et d'hommes d'État français qui ont donné à leurs sou-
verains d'excelleîits conseils de politique économique et
financière. Il faut citer :
1° Philippe Dubois, qui, dans sa Summct brevis
(1300) et dans son livre De reciq^eratione sanctde terrœ
(1306), reprochait à Philippe le Bel ses altérations de la
monnaie et lui en montrait les dangers (Cfr. A. Vuitry,
in Journal des Économistes, décembre 1880. pp. 447-
459).
2° Jean Buridan, recteur de l'Université de Paris en
1327, qui a donné dans ses Questions sur l'éthique
d'Aristote, comme le remarque Jourdain, un court
traité sur les rôles économiques de la monnaie.
li
l'époque fragmentaire 165
3° Durand de Saint-Pourçain, dominicain, évêque de
Meauxen J326, et Philippe de Maizières. conseiller de
Charles V le Sage, qui écrivit, en 1389, le Songe du
vieil pèlerin. Ils proposaient des banques de prêt sur
gage, grâce auxquelles l'Etat pourrait venir au secours
des pauvres et les soustraire aux fortes usures des juifs.
(Voir V. Brants. Philippe de Maizières, in Revue ca-
tholique de Louvain, 1880). Mais la première place
appartient à :
4° Nicolas Oresme, évêque de Lisieux (m. 1382), qui
a écrit en latin et ensuite traduit en français, à l'usage
de son élève Charles V, un petit traité De origine,
natura, jure etinutationibus monetaruni. dans lequel
il résume méthodiquement dans un style simple et
clair la théorie de la monnaie. Il est un adversaire
vigoureux des altérations des monnaies. Les mérites de
ce petit ouvrage, que tous les écrivains spécialistes des
siècles suivants ont connu, ont été mis en lumière par
Roscher; Wolowski a publié, en 1864, le texte latin
et le texte français dans une très belle édition.
Francis Meunier, Essai sur la vie et les ouvrages de
Xicole Oresme. Paris, 1857.
G. Roscher, Un grand économiste français du xiY^ siècle
(In Compte rendu de l'Académie des sciences morales
et politiques. Paris, 1862, pag. 435 et suiv.)
N. Oresme, Traictie de la première invention des mon-
noies, etc., par M. L. Wolowski. Paris, 1864.
Sans parler d'autres écrivains scolastiques d'impor-
tance moindre, comme les professeurs de la faculté de
théologie de Vienne, Henri de Langenstein (Henricus
de AssiaJ et Henri de Hoyta, fort loués par Roscher,
nous citerons le chancelier Jean Gerson, élève du pre-
mier de ces écrivains, qui, comme Buridan, s'est occupé,
dans ses tractatus diversi, de la théorie du prix, mais
166 l'époque fRx^g?.ientaire
({ui, seul parmi les théologiens, a soutenu que les lois
civiles pouvaient, afin d'éviter un plus grand mal.
tolérer l'intérêt (usura' que les lois ecclésiastiques
condamnent.
C) w" siècle :
Parmi les scokistiques de la première moitié du xv''
siècle se sont illustrés par leur science et leur connais-
saissance des besoins du commerce le dominicain saint
Antonin, archevêque de Florence (1389-1455) et le fran-
ciscain saint Bernardin de Sienne. Ils se sont occupés,
au point de vue de la théologie morale, le premier dans
sa Summa. theologica (Opéra omnia. Firenze, 1741).
le second dans ses Sermones {Opéra omnia. Venezia,
1745. 5 volumes), de quelques-unes des questions
concernant la théorie de la circulation et de la distribu-
tion des richesses et notamment de la valeur, du com-
merce, du crédit ; ils ont admis que quelquefois l'ar-
gent liahet quamdani seminalem rationem lucrosi,
qiiain communiter capitale vocamus (saint Bernar-
din), et justifié ainsi l'intérêt des emprunts de la ville
de Florence et le trafic des titres qui les représentaient
(saint Antonin).
R. H. Funk, Uebev die ôkonomischen Anschauungen
der miUelalterlichen Theologen (In Zeitschr. /". die
Stuatsiviss., 1869, pp. 125-175;.
Kn Allemagne, en dehors de Kuppener et de Sum-
mcnhart de Cahv, il faut citer le philosophe et théo-
logien Gabriel Biel (m. 1495), qu'on a appelé le dernier
des scolastiques, notamment pour le petit ouvrage (ins-
piré d'Oresme) qu'il a écrit sous le titre de :
De monelarunx pot esta ie sinad et xdilitate lihellus (Ma-
gonza, 1541).
l'époque fragmentaire 167
D) xvi^ et xvii" siècles :
Les profondes transformations économiques qui
s'accomplissent, modèrent la rigueur des doctrines
scolastiques ; elles ne sont plus défendues dans leur
forme primitive que par un très petit nombre d'écri-
vains; on admet, avec une facilité toujours plus grande,
les nouveaux établissements de crédit et les titres qui
permettent de tirer un profit de l'emploi productif de la
monnaie.
Les opinions relativement libérales sont représentées
par les écrivains de droit commercial, par Stracca et
mieux encore par Scaccia et par Délia Torre ; elles sont
également défendues par le jurisconsulte D. Gaito (1626)
et par un autre génois, le négociant G. Domenico Péri,
et attaquées, au nom de la logique, par le professeur
de Pavie, Antoine Merenda.
U. Gobbi, L'eronomia poUtica negli scrUtori ilaliani del
secoloXVJ-XVlI. Milano, 1889, pp. 52-57, 269-302.
Sig. Scaccia, De commerças et cambio. RomiE, 1619.
Raph. de Turri, De cambiis. Genuœ, 1641.
Ant. Merenda, De cambio nundinali. Papiœ, 1645.
Giov. Dom. Péri, IL negoziante, etc. Venezia, 1672.
Nous citerons, à titre d'exemple, les controverses
auxquelles ont donné lieu les emprunts publics, les
monts de piété, les lettres de change et la répression
du vagabondage.
Les emprunts de Venise, de Florence, de Gênes, la
constitution des créanciers en sociétés (Montij, leur droit
à un intérêt, notamment dans le cas de prêt forcé, la
légitimité de la vente des titres (luoghi di monte),
combattue d'abord énergiquement, notamment par les
augustins (Guy de Bello Regaldo et Grégoire de Ri-
mini), et admise avec plus ou moins de réticences par
d'autres théologiens et jurisconsultes (Pierre de Anca-
168 l'époque fragmentaire
rano, Jean Andréa, le cardinal Henri d'Ostie), trou-
vent enfin une pleine justification dans la multiplica-
tion des banques de dépôt à Venise, à Gênes, en Sicile
et a Naples. Dans les premières années du xvii' siècle
on publie à Milan quelques ouvrages d'Alexandre de
Rho (1603), et des pères Ferrari (1623), Cantoni (1625),
et Dugnani (1027), qui ont pour but de démontrer la
légitimité de l'intérêt dans les emprunts faits par la
ville à la banque de saint Ambroise.
Ona compilé surles luoghidi monte, \cica.h\es et non
vacables, et sur les sociétés pour l'acbat de charges à
la Curie Romaine Csocietates ufficii) de nombreux trui-
tes économico-juridiques dont n'ont pas tenu un compte
suffisant les historiens de l'économie.
Frjnr. Castracane, Tractaius de societalibus qiui' fiant
super uflicUs Romanx Curix. Rom a, 1609.
Card. Joh. Bapt. De Luca, Be locis moniium^ etc. (Dans
son Theatrumveritatisetjustiiix). Roma, 1669.
Fabr. Evangelista, I)e locis moniium cauKralium non
vacabilium. Roma, 1767.
Beaucoup plus vives furent les controverses sur les
monts de piété, très répandus en Italie dans la seconde
moitié du xv^ siècle et introduits ensuite au siècle sui-
vant dans les Pays-Bas (Scarini, Oobergher), pour faire
des prêts sur gage aux pauvres et les soustraire aux
lourdes usures des banques privées et, en particulier,
des juifs. Les donations des fidèles ne sufTisant pas
à leur fournir les sommes nécessaires, ces établis-
sements, qui prêtaient d^abord gratuitement, deman-
dèrent, sur les conseils de Bernadin de Feltre, un
intérêt pour couvrir les dépenses d'administration.
Cette pratique fut réprouvée par le moine auguslin
Nicolas Barianno (Tractatusde inonte impietatis. Cre-
mona, 1 496), par le dominicain Thomas De Vio, nommé
l'époque fragmentaire 169
cardinal (Gaétan) en 1498, et défendue par le franciscain
Bernardin de Biisto [DefenHorium montispietatis. Mi-
lano, 1497), par De Rosellis et par d'autres, et obtint
ensuite l'approbation de Léon X, au cinquième concile
de Latran.
Ad. Biaise, Des mnnts de piété, 2« édit. Paris, 1856. 2
volumes.
F. X. Funk, Op. cit., pp 51-53.
Les lettres de change furent l'objet de polémiques
non moins subtiles. Grâce à ces titres de crédit, on pou-
vait effectuer des paiements dans des lieux éloignés et
éviter les dépenses et les risques du transport de l'ar-
gent. Le profit du change était légitime, d'après les
canonistes, quand le change était réel et non fictif
ou sec (c'est-à-dire fait pour cacher un prêt) parce que
le profit provenait non propter tempus, sed propter
loci distantiam. Il y eut plus tard de nouvelles polé-
miques entre les partisans et les adversaires des lettres
de change créées pour faire des paiements dans les
foires et ceux qui discutaient la légitimité du change
de retour (canihio colla ricorsa). Le premier traité
De cambiis est celui de Thomas De Vio (1499). Parmi
les nombreux traités publiés depuis, nous citerons
celui de Thomas Buoninsegni de Sienne, d'abord mar-
chand, puis moine (Dei cambii. Firenze, 1573); le
traité plus complet du P. Fabien Clavario de Gênes
{Trantatus de cambiis. Genu?p, 1568); l'abrégé, remar-
quable par son ordre et sa clarté, du P. Romualdo
Go\i {Trattato dei cambii. Lucca, 1612); les polé-
miques entre le P. Bernard Giustiniani (1610) et le
P. Ortensius Capellone (1621) qui combattent, et les
pères Ant. de iS. Salvatore et Basile Alemanni (1623)
qui défendent le change de retour.
170 l'époque fragmentaire
Plus connue des économistes, parce qu'elle est insérée
dans le premier volume de la collection de Custodi, est
la Brève notizia clei cambii (1581), dans laquelle Ber-
nard Davanzati (15!?9-1606) décrit, avec une élégance,
une simplicité et une clarté remarquables, le mécanisme
de la lettre de change ; il signale aussi l'utilité de la
spéculation et quelques-unes des causes des paiements
internationaux.
La prohibition de la mendicité, décrétée au commen-
cement du xvi® siècle par quelques villes des Pays-Bas
et d'Espagne, donne matière à une intéressante polé-
mique théologico-économique, à laquelle prirent part
beaucoup d'écrivains, et notamment quelques francis-
cains, qui la justifiaient d'une façon plus ou moins expli-
cite, et quelques dominicains, qui la combattaient; on
a ainsi discuté quelques-uns des problèmes de l'assis-
tance. Parmi les nombreux travaux (rappelés par Col-
meiro, par Rahola et plus complètement par De Bosch
Kemper) consacrés à ce sujet il suffira de citer celui
de Ludovic \'ives {De subventione joauperuni. Brugge,
1526), qui demande une forte organisation laïque de
l'assistance publique, ceux du P. Dominique Soto (De-
liberacion en la causa de los j^obres. Salamanca, 1545)
et du moine augustin L. Villavicentius (De oeconomia
sacra circa pauperum curam, etc. Antvverpiae, 1564),
adversaires énergiques de toute restriction au vagabon-
dage ; ceux du jurisconsulte C. Cellaris [Oratio contra
menclicitatem. Antverpijie, 1531), du franciscain Jean
de Médine [De la orden cpae en algunos paeblos de
Espana sehapjuesto en la limosna, etc. Salamanca,
1545) et du chancelier de Bruges, Egidius Witsius (De
continendis et alendis doini pauperibus, etc., 1562),
qui préconisent des maisons de travail obligatoires, et,
enfin, les ouvrages du P. Michel Giginta, qui défend
une opinion moyenne, favorable à la fondation de mai-
l'époque fragmentaire 171
sons de travail facultatives {Tratado de remédia de
pobres. Coimbra, 1575).
M.Colmeiro, Historiade laEcon. Polit. enEspana.Yol. I.
Madrid, 1862.
Fed. Rahola, Economistas espanoles de los siglos XVI
y XVII. Barcelona, 1887.
J. de Bosch Kemper, Overzigt van de letterkunde om-
irent het Armwezen in da zestiende eeuiv. (In Ne-
derlandsche Jaartweken voor Regsgeleerdheid, elc
Deel XII, SlLik 3, 1850).
F. Ehrle, Bcitruge mr Geschichte, elc. der Armenpflege.
Friburg im Br., 1881, pp. 27-59.
§ 3. — l'économie politique des humanistes
A l'époque de la Renaissance, l'étude des cla.ssiques
g'recsetlatins;lecultede Platon, qui dominait notamment
en Toscane sous l'influence de Marsilio Ficino ; l'apolo-
gie de la civilisation païenne et de ses institutions,
qui s'opposent aux institutions sociales et économiques
du moyen âge, arrivées à leur perfection au xv*" et xvi®
siècles grâce aux créations florissantes de l'économie mo-
nétaire et du crédit, qui a succédé à l'économie pure-
ment naturelle que les humanistes préféraient ; l'éman-
cipation de la pensée des lisières de l'aristotélisme, en
décadence d'ailleurs, exercèrent leur influence sur
les philosophes,, les historiens et les politiques même
dans l'ordre des recherches économiques et de la légi.s-
lation. Les finances de Florence nous offrent un tableau
de la pratique alternée des différents systèmes d'im-
pôts : impôt sur les immeubles, l'idéal de Savonarole,
le réformateur chrétien; décimes proportionnels ou en
échelle, dont Guicciardini a fait une étude comparée :
projet d'impôt unique de Ludovic Ghetti ; d'autre part
les auteurs de ce temps ont demandé la formation de
172 l'époque fragmentaire
trésors de guerre^ ou condamné le trafic de la part du
Prince, la régie ou l'adjudication des impôts, et fait
une opposition persistante aux altérations monétaires.
Dans les monographies historiques déjà citées de Gobbi,
de Fornari. de Ricca-Salerno et dans un discours acadé-
mique récent de Toniolo, on peut trouver un exposé du
développement de ces théories en Italie ; les ouvrages
de Schnioller et de Wiskemann (résumés dans l'Histoire
de Roscher) font connaître le mouvement analogue des
doctrines des humanistes et des réformateurs en Alle-
magne II nous suffira d'indiquer quelques écrivains,
et notamment les écrivains italiens.
G. Ricca-Salerno, Sforia délie dottrine finanziarie in
Italia. Roma, 1881, pag. 27 et suiv.
T. Fornari, Délie teoine economiche nelle Provincie Ja-
poletane. Vol. I. Milano, 1882, pp. 117-194.
G. Toniolo, Scolastica ed Umanismo nelle dottrine eco-
nomiche, etc. Pisa, 1887.
G. SchmoUer, Zur Geschichte dernaiionalbkon. Ansich-
ten in Beutschland, wàhrend der Reformations-Pé-
riode \\r\ Zeitschr.f. diges. Staatsu'iss. Tubingen,
1860).
H. Wiskemann. Darsfellung der in Deidschland zur Zeil
der Reformation herrschenden nationalôkon. Ansicli-
ten. Leipzig, 1861.
W. Roscher, Geschichte der Nat. Œk. in Deidschland.
Mïinchen, 1874, pag. 32 et suiv.
A) xv^ siècle:
Trois publicistes et hommes d'État. .lean Gioviano
Pontano (né à Cerreto en Ombrie), Benoit Crotugli ;né
àRaguse), Diomède Carafa comte de Maddaloni, le plus
illustre des trois, contribuèrent par leurs conseils et
par leurs actes^ dans les charges qu'ils occupent auprès
des rois d'Aragon, à de sages réformes économiques et
financières dans le royaume de Xaples.
l'époque fragmentaire 173
Pontano (1426-1503) donne de bons préceptes fiscaux
et d'excellents conseils de morale économique [Opéra.
omnia. Napoli, 1505-1508. 2 volumes).
Cotrugli écrit vers le milieu du siècle son petit
ouvrage Délia Mercatura. e ciel Mercante perfetto
(édité à Venise en 1573, traduit en français en 1582 et
réimprimé à Brescia en 1602) ; Genovesi et Zanon en
ont fait de grands éloges. Il s'occupe spécialement delà
valeur, du prix, de l'échange et des contrats commer-
ciaux. (Voir l'article de A. Montanari dans Vltalia,
Centrale. Reggio, 25 décembre 1890).
Carafa (qu"ont étudié admirablement, d'abord Cusu-
mano, puis Ricca, Fornari et Gobbi) est supérieur à tous
ses contemporains qui ont écrit sur les finances. Son
petit traité De régis et boni pvincipis offîcio a été écrit
en langue vulgaire entre 1469 et 1482 sur les instances
d'Eléonore d'Aragon, duchesse de Favière, qui en com-
manda une traduction latine à J.-B. Guarini (publiée à
Naples en 1668 et plus tard par Mansi, qui la crut
inédite, en appendice à la Biblioteca latlna de J. Alb.
Fabricio. (Padova, 175'i). Dans cet opuscule, Carafa
(m. 1487) expose des idées en partie nouvellles sur
l'utilité du commerce, sur l'harmonie entre les recettes
et les dépenses publiques, sur les avantages de la ferme
des impôts, et il énonce, le premier, l'idée des impôts
sur les revenus certains, développée ensuite par Bo-
tero et devenue plus tard le fondement du système fis-
cal de Broggia.
V. Cusumano, Diomede Carafa, economista e finanziere
italiano. {InArchivio Giuridico. Bologna, 1871. Vol.
VI, et plus tard dans ses Saggi di Econ. Pol. Pa-
lermo, 1887, pp. 134-145.
On peyt placer encore parmi les humanistes, François
Patrizii (né à Sienne), évêque de Gaëte (1412-1494). Il a
i74 l'époque fragmentaire
écrit deux ouvrages : De rcgno et régis instltutlone
(Parisiis, 1567) et De institutione reipuhlicœ {^ibidem .,
1564), dans lesquels il demande la création de do-
maines fiscaux, dont Tadministration doit être cepen-
dant placée sous le régime de la location perpétuelle.
Dans ce siècle, et en partie dans les deux siècles pré-
cédents, il faut signaler, à Florence, le littérateur Bru-
netto Latini et d'autres auteurs d'ouvrages encyclopé-
diques, Beato Dominici (m. 1420) et Léon Baptiste
Alberti, qui ont étudié le gouvernement économique de
la famille, les chroniqueurs Jean et Mathieu Villani.
Benoit Dei, le notaire Ser Lapo Mazzei, qui ont ouvert
la voie aux érudits historiens Segni, Nardi et \'archi ;
le blatier Dominique Lenzi dans son Speccliio umH.no
(13'20-1335) s'occupe des disettes, et les deux banquier.;
François Balducci-Pegolotti et Jean de Uzzano écrivent,
au XIV'' et au xv^, des manuels pratiques à l'usage des
commerçants ; quelques-uns de ces ouvrages ont été
réimprimés par V agnini [Dellct deciiUcL^ etc. Firenze,
1765-66).
G. Toniolo, Scolastlca ed Umanismo. Pisa, 1887.
B) xxi" siècle :
Les fruits les plus mûrs de la Renaissance se trouvent
dans les œuvres historiques et politiques de Palmieri,
de Machiavel, de Guicciardini, et de quelques autres,
la plupart italiens, auxquels, du reste, on ne peut attri-
buer de notables progrès dans les recherches écono-
miques.
Mathieu Palmieri {Délia vita civile. Firenze, 1529)
s'occupe de politique économique ; il consacre la der-
nière partie de son livre à « l'utile, c'est-à-dire aux
questions de commodités, ornements, largeur, beauté
de notre vie, aux facultés, aux richesses, à l'abondance
l'époque fragmentaire 175
de toutes les choses qui sont dans l'usage des hommes »
et il défend l'impôt proportionnel, que combattaient les
démagogues florentins.
Nicolas Machiavelli (1469-1527), le prince des poli-
tiques italiens, n'était pas porté à étudier à fond le côté
économique des problèmes politiques ; il reconnaît lui-
même qu'il est peu au courant des questions « de laine ^
et de soie « , et il ne possédait pas pour cette étude les /
aptitudes nécessaires, parce qu'il était trop grand admi-
rateur de la civilisation païenne et qu'il avait une pré-
dilection pour l'économie naturelle, dont il constatait
les restes chez les populations germaniques et qu'il a
tlécrits avec une grande admiration. Ce fut donc une
tentative vaine, comme cela résulte aussi de l'œuvre
remarquable de Villari, que d'essayer de glaner les
idées économiques originales dans les écrits du secré-
taire florentin, comme l'a fait Knies dans une œuvre
patiente et pleine d'érudition.
Karl Knies, iY/c. Machiavelli, ah volksicirthschaftUcher
Schriftsteller (in Zeitschrift fur die ges. Stoais-
wiss. Tubingen, 1852, vol. VIII).
Pasquale Villari, Nicolà Machiavelli e i suoi tempi. Fi-
renze, 1877-1882. Trois volumes.
Nous trouvons un plus grand nombre d'observations
économiques, sinon dans les ceuvres historiques de
Fran(,"ois Guicciardini (l'i80-1540) qui sont purement
politiques, du moins dans ses écrits minores.
Franc. Guicciardini, Opet^e inédite, illustraie da G.
CanesirirJ. Firenze, 1857-67. Deux volumes.
C) Les utopistes du xvi« et du xvii*^ siècles : /
L'étude de Platon, un dégoût profond de la corrup-
tion des temps, la dépre.ssion économique, les guerres
176 l'épouue fragmentaire
et les révolutions politiques et religieuses continuelles
etc., nous expliquent surabondamment l'apparition
d'un grand nombre d'ouvrages dans lesquels la com-
munauté des biens est considérée comme un type de
réforme désirable (Frank, Munster) ; elle est défendue par
les armes par quelques sectaires (Mûnzer). Cette recons-
truction sociale est inspirée par des idées morales,
comme dans l'Utopie de Thomas Morus, chancelier
d'Angleterre [De optime re'qoufdicse statu deque nova,
insida Ufopia. 1516) et dans l'opuscule beaucoup
moins connu du philantrope espagnol Ludovic Vives
[Ds coniunione reriun, 1635); elle est la conséquence
d'une imagination déréglée chez le florentin Antoine
François Doni dans ses Mondi celesti, terrestri ed in-
fernali. Firenze, 185'2-53. 2 volumes.
Il faut remarquer que dans V Utopie de Morus, la
communauté des biens se combine avec la mono-
gamie tandis que dans la Ciuitas solis du domi-
nicain calabrais Thomas Campanella (écrite avant
1607) et dans VOceana du républicain anglais Thomas
Harrington (1656), l'ennemi farouche de la grande pro-
priété foncière, on propose, comme Platon, la commu-
nauté des femmes, car on ne peut détruire rationnelle-
ment la propriété privée .si on conserve la famille.
En dehors des ouvrages déjà cités de Mohl et de
Kleinwachter. on peut consulter l'intéressant opuscule
de:
A. Gehrke, Communisiische Idealstaaten (Plalo, Morus,
Campanella, Cabetj. Bremen, 1878.
Les utopies ont provoqué, à ce moment comme tou-
jours, des réfutations, c'est-à-dire des défenses de la
propriété privée. Il nous suffira de citer Fouvrage d'un
célèbre politique, adversaire cependant d'une trop
grande concentration des biens.
l'époque fragmentaire 177
Paola Paruta, Délia perfettione délia vita politica. Ye-
nezia, 1599 (Cfr C. Supino, La scienza economica
in lialia, etc. Torino, 1888, pag. 89).
D) La. légitimité de Vintérêt :
A côté des écrivains catholiques qui essayent de con-
cilier les besoins du commerce avec la théorie cano-
nique de l'illégitimité du prêt à intérêt, quelques écri-
vains, protestants ou suspects d'hérésie, s'élèvent, se
séparant en cela de leurs coreligionnaires (par exemple
de Lutherj, contre les doctrines théologiques et juri-
diques dominantes. Il faut rappeler au xvi* sièle Calvin
et le jurisconsulte Charles Dumoulin {Tractatus con-
tractuura et usurarum, 1546) ; au xyii", Claude Sau-
maise, qui s'est occupé de ce sujet à plusieurs reprises
et avec profondeur {De usuris, 1638. — De modo usu-
rariun, 1639. — De fœnoretrapezitico, 1640) et après
lui, non sans réserves et sans contradictions, l'illustre
publiciste hollandais Ugo de Groot (Grotius) dans le
livre II, chap. XII, de son grand ouvrage De jure pacis
ac belli.
Tous ces écrivains, qui, d'après certains économistes,
auraient résolu toutes les questions soulevées par ce
sujet, n'ont pas réussi, au contraire, comme l'a montré
Bohm-Bawerk, à expliquer le fait économique de la
productivité du capital, et ils ne sont pas arrivés,
d'autre part, à trouver des arguments acceptables pour
étayer le principe juridique de la légitimité de l'inté-
rêt, qui trouve encore de nos jours (sans parler des so-
cialistes) des adversaires acharnés.
On peut lire, par exemple, le curieux ouvrage de
Victor Modeste, Le préi à intérêt, dernière forme de
V esclavage. Paris, 1889.
Au xviii'' et au xix« siècles la controverse a été reprise
sans arguments nouveaux chez les théologiens, par
J2
178 l'époque fragmentaire
exemple par lillustrc polyjçraplie Scipion Maffci (DelV
hnpiego ciel clenaro. Roma, 174 4\ qui a provoqué
les critiques de Balleriiii et de Concilia et ensuite
Tencyclique Vix 'per\:enit de Benoit XIV (1745), et,
enfin, par labbé Marc Mastrofini, dont l'ouvrage Le
usure (Roma, 1831, plusieurs fois réimprimé] a été
l'occasion d'une nouvelle polémique. Mais les écono-
mistes, comme tels, n'ont pas' besoin des 4 petits
volumes, d'ailleurs bien faits, du cardinal de la Luzerne
{Dissertation sur le j^rêt de commerce. Dijon, 1823)
pour savoir qu'on peut tirer un profit de l'emploi de
l'argent (ce qu'aucun théologien n'a jamais contesté), et
ils ne sont pas disposés à accorder à Mastrofini que la
prohibition de l'intérêt ne s'adresse qu'aux débiteurs
pauvres ce qui est faux historiquement), et finalement
ils n'apprennent rien des rigoristes, qui ne cessent de
répéter que le prêt est par lui-même (c'est-à-dire dans
des conditions qui ne se réalisent pas dans la vie mo-
derne) essentiellement gratuit.
E. v. Bohm-Bawerk, Geschichte urtd Kriiik der Kapi-
talzins-Tlieorteen. Innsbruck, 1884, pp. 27-46, 65-
69 et passim.
CHAPITRE III
LES MONOGRAPHIES
Dans la seconde période historique de l'économie po-
litique, qui comprend les xvi" et xvii'" siècles et la
première moitié du xviii'', les modifications profondes
subies par le système de la production, de l'échange,
du transport, du crédit et des impôts, forment l'objet
d''Lm grand nombre de monographies théoriques et d'ou-
vrages de circonstance, dans lesquels l'examen de
chaque question est inspiré, timidement d'abord et plus
nettement ensuite, par des critères économiques, de plus
en plus indépendants de ceux que l'on empruntait aux
autres sciences, auxquelles l'économie politique était
subordonnée dans la période précédente.
Les ouvrages de polémique, inspirés par l'intérêt
exclusif des producteurs et des consommateurs, pren-
nent petit à petit un caractère plus déterminé et plus
exclusif, et se transforment en systèmes empiriques de
politique économique et financière; puis vers le milieu
du siècle passé on trouve quelques tentatives de conci-
liation pratique, dues à des précurseurs et défenseurs
des réformes économiques et fiscales, et aussi quelques
essais de coordination théorique imparfaite dus à un cer-
tain nombre d'écrivains éclectiques, plus remarquables
par leur érudition que par leur puissance intellectuelle,
qui publient des traités ou font des leçons dans les
chaires qui ont été expressément créées ou transfor-
mées dans les différents pays de l'Europe.
180 LES MONOGRAPHIES
Il nous paraît donc conforme au développement réel
de l'économie politique de parler, dans ce chapitre et
dans le chapitre suivant, des principales monographies,
des systèmes de politique économique et financière, de
l'éclectisme bureaucratique et de Téclectisme de la
chaire.
§ 1. — LA POPULATION ET l'ASSISTANGE.
On sait que le plus grand nombre des écrivains de po-
litique et d'économie, convaincus de l'importance d'une
population nombreuse au point de vue de la sécurité,
de la puissance, de la richesse privée et de la richesse
publique, se sont occupés presque exclusivement de re-
chercher les causes de son accroissement et de suggérer
les moyens les plus propres à le faciliter. Bien plus, vers
le milieu du xvrif siècle, des auteurs à bon droit
estimés, comme le grand statisticien J. Pierre Siiss-
milch (1707-1767) et, après lui, les très érudits profes-
seurs de sciences camérales, Justi et Sonnenfels, ont
pensé que l'augmentation de la population était le
but principal que l'État devait se proposer pour réaliser
le bien-être du peuple.
Rob. von Molli, Geschiclite und Lileraiur der Staais-
wissenschaften^ 3"^ vol. (Erlangen, 1858), pag. 409
et suiv.
Ach. Sinigaglia, La teoria economica délia popolazione
in Italia. Bologna, 1881. (Extrait de VArchivio Giu-
ridico).
C'est un des titres de gloire du meilleur des écono-
mistes italiens du xvi® siècle, Jean Botero, d'avoir étudié,
presque ex professa, le- sujet de la population avec
une méthode vraiment scientifique dans son opuscule
classique Délie cause délia grandezza e magnifîcenza
LES MONOGRAPHIES 181
délie città (Roma, 1588. Trad. anglaise de R. Peter-
son. Londres, 1606), supérieur en ceci à Machiavelli,
qui avait entrevu [Discorsi, liv. I, ch. I) qu"il y avait
une cause physique (la productivité du sol) à la limita-
tion de l'augmentation indéfinie de l'espèce humaine,
qui naturellement augmente là où les substances abon-
dent ; supérieur à Chiaramonti, à Zecchi, à Zuccolo et
à d'autres politiques du xvri^ siècle, qui avaient entrevu,
sans l'approfondir, cette vérité que l'augmentation de
la population dépend de celle des subsistances ; supé-
rieur enfin à tous les écrivains qui, jusque vers le
milieu du siècle passé, se sont occupés de ce sujet.
Tandis que le grand publiciste Jean Bodin, auquel
Botero est redevable d'un grand nombre de maximes
de politique économique et financière, enseignait (La
République, 1576, liv. V, ch. II) que c'était une erreur
de craindre une disette future par suite de l'augmenta-
tion de la population, Botero, qui considérait cependant
l'augmentation de la population comme un élément de
la prospérité publique et qui suggérait (dans la Ragione
di Stato. 1589) les moyens d'y pourvoir, énumère d'une
façon vraiment magistrale les obstacles à l'accroisse-
ment indéfini du nombre des hommes. Ce sont pour
lui moins les disettes, les pestes et les guerres, que le
défaut d'équilibre entre la vertu génératrice des hommes
et la vertu nutritive des villes, c'est-à-dire la difficulté
d'avoir tout près les subsistances nécessaires et la dif-
ficulté de les faire venir de loin. Il est ainsi amené
à se préoccuper des excès de population, et il consi-
dère les colonies comme utiles quand elles servent à
absorber la partie exubérante de la population, c'est-à-
dire, quand elles enlèvent le sang superflu et corrompu,
et non quand elles prennent la partie saine.
G. JandelH, Il precursore di Malthus. (in Filosofia délie
182 LES MONOGRAPHIES
Scuole iialiane. Vol. XXllI. Roma, 1881, pp. 147-
160.)
Dans la série nombreuse des précurseurs de Malthus
(dont beaucoup, comme Hume, Steuart, Townsend, etc.,
ont été cités par lui dans la préface de ses Essais), il
faut signaler Franklin, Beccaria, Ortes et Ricci.
B. Franklin, Observations concerning ihe increase of
mankind. Philadelphia, 1751. (Cfr. Mac Culloch,
The literature of pol. econ. London, 1844, pp. 253-
257.)
C. Beccaria, Elementi di economia poliiica (1769). Im-
primé dans les vol. XI et XII de la Collection de
Custodi. Milano, 1803.
G. Ortes, Riflessioni sulla popolazione délie nazioni per
rapporto alV economia nazionale. 1790. (Cfr. Fed.
Lampertico, G. Ortes e la scienza economica al suo
tempo. Venezia, 1865.)
Lod. Ricci, Riforma degli istiiuli pli délia cilla di Mo-
dena. Modena, 1787.
Franklin indique , brièvement et clairement , les
causes qui déterminent l'augmentation et la diminution
de la population ; Beccaria consacre un des meilleurs
chapitres de ses Leçons à ce sujet, et il fait allusion à la
loi des revenus décroissants de la production territoriale.
Plus profonde est la monographie d'Ortes qui contient
en germe la partie substantielle de la théorie de la popu-
lation ; mais on n'y trouve ni données historiques ni don-
nées statistiques, pour lesquelles il aurait pu utiliser
les indications précieuses fournies par le mémoire de
l'abbé Marc Lastri (Ricerche suJV antica, e nioderna
popolsizione délia, cittk di Firenze, 1775), ni applica-
tions pratiques. Si l'illustre Ludovic Antoine Muratori
avait déjà discuté, incidemment et dans un livre ascé-
tique, quelques points de la théorie économique de l'as-
.sistance (Délia caritk cristiana, 1723), c'est à Ludovic
LES MONOGRAPHIES 183
Ricci que revient la gloire d'avoir trouvé dans le prin-
cipe de la population les prémisses d'où il déduit de
sages maximes sur l'organisation de la charité publique,
pour qu'elle serve à alléger et non à amener l'indi-
gence et la misère.
A. Setli, Lodooico Ricci e la beneficenza pubblica net
secolo scorso (Nuova Antologia, 1880).
11 nous est impossible de nous occuper des nombreux
travaux qui ont été écrits sur le côté économico-admi-
nistratif de l'assistance ; nous nous contenterons de
renvoyer aux œuvres suivantes qui donnent d'abon-
dants renseignements historiques et bibliographiques.
C. I. Pelitli, Saggio sul buon governo delta mendicilà,
etc. Torino, 1827. 2 volumes.
De Gérando, De la bienfaisance publique. Paris 1839.
4 volumes,
(irenier, Essai de bibliographie charitable. Paris, 1891.
§ 2. LA MONNAIE
Les grands événements qui séparent le moyen âge do
l'état moderne, c'est-à-dire la chute de l'empire romain
d'Orient, les grandes découvertes géographiques, l'in-
vention de la poudre et celle de l'imprimerie, la renais-
sance des études classiques, la décadence de la féoda-
lité, la constitution des monarchies, le schisme religieux,
etc., etc., et les autres faits de caractère plus purement
économique, comme les nouvelles directions des routes
commerciales et les transformations des rapports com-
merciaux entre l'Occident et l'Orient, les altérations
monétaires continues et, en iriême temps, l'afflux en
Europe des métaux précieux venant des riches mines
découvertes en Amérique, la prépondérance toujours
184 LES MONOGRAPHIES
plus grande de l'économie monétaire sm' l'économie natu-
relle, qui caractérise le moyen âge, et la multiplication
des établissements de crédit ; la confiscation des biens des
corporations religieuses dans les pays protestants et
l'augmentation de l'indigence, l'excès de la population,
la fondation des colonies, l'émigration et les relations
économiques avec les pays d'origine qui en furent
la conséquence ; l'institution des armées permanentes,
l'augmentation progressive des dépenses publiques, et
le besoin toujours plus grand de nouvelles recettes fis-
cales, appellent, au x\f siècle et dans les siècles sui-
vants, lattention des penseurs sur les problèmes qui
concernent la circulation et les finances.
Les écrivains de minéralogie, dans leurs études sur
les métaux précieux, s'occupent aussi de la monnaie ;
ils effleurent souvent les questions économiques et quel-
quefois même^ comme le célèbre Jules Agricola dans
son livre De re metallica (lùdD), il les approfondissent.
Les antiquaires et les numismates en parlent aussi dans
leurs études sur les monnaies anciennes (Budée, Alciat,
etc.i, sur les monnaies modernes (Borghini, pour les
monnaies de Florence) ; c'est un objet d'étude pour quel-
ques moralistes, comme l'aristotélicien Auguste Nifo, de
Sienne, dans son o^îuscule De divitiis (1531). Les juris-
consultes s'en occupent longuement, spécialement dans
le but de déterminer les conséquences légales des alté-
rations, faites par les princes, du poids, du titre, et des
rapports de valeur des monnaies. Bartole de Sassofe-
rato '1313-J359) et ses nombreux élèves parlent de la
monnaie dans des œuvres générales ; il existe aussi de
courts traités spéciaux par Martin Garrati (de Lodi)
(1438), François Corti (de Pavie, 1482), Albert Bruno
(d'Asli, 1506) et quelques autres dont les travaux ont été
réunis dans les collections De monetis faites par les
écrivains allemands Mathieu Boyss(1574), Reinero Bu-
LES MONOGRAPHIES 185
delio (1591) et par le piémontais Gaspard Tesauro(1609).
Les ouvrages plus récents d'Antoine Sola (1541), d'An-
toine Favre (1609) et plus encore, les ouvrages sur le
Cliangenient des monnaies deChar\esDumou\in{Opera
omnia. Paris, 1638) et du jésuite espagnol Mariana,
(Toledo 1599), ont une valeur plus grande. Tous ces
écrivains, qui savaient en quoi consiste la bonitas in-
trinseca des monnaies et qui ont dépeint parfois avec de
vives couleurs les dangers économiques des altérations,
les ont déconseillées aux princes ; mais, partant de cette
maxime que la valor impositus constituait l'essence
de la monnaie, ils ont soutenu que les altérations des
monnaies étaient, dans certains cas, légitimes.
Giuseppe Salvioli, Il diritto monetario italiano. Milano,
1889 {'mEnciclopedia giirridica. Vol. X. P'" II l, eh.
XetXI.)
G. A. Conigliani, Noie storiche sulla qiiestione giuridica
dei pagamenîi moneiari. Modena, 1891.
Il faut attribuer une grande importance à quelques
écrivains qui étudient ce sujet sous son aspect purement
économique. Le plus ancien est le célèbre astronome
Nicolas Copernic, qui, vers 1526, écrivit, sur la de-
mande de Sigismond l", roi de Pologne, un petit
traité De monetae cudendae ratione, resté inédit
jusqu'en 1816, réimprimé et traduit en français par
Wolowski (1864). Copernic expose clairement les fonc-
tions de la monnaie, il critique les altérations et le sei-
gneuriage, dont il montre les dangers, il est partisan
de l'alliage, entrevoit le théorème de Gresham et pré-
conise la concentration et la simplification du régime
monétaire; il a surtout en vue la condition des pro-
vinces prussiennes, alors sujettes de la Pologne.
A. Montanari, Aicolô Copernico, etc. Padova, 1873. (2'-"
édit. 1877.)
186 LES MONOGRAPHIES
Presque à la même époque un anonyme [Gemeine
Stlmmen von der MLlntze, 1530. — Apologie, etc.,
1531), dans sa défense de la bonne politique monétaire
des princes saxons de la branche albertine (contrecarrée
par les partisans de la branche ernestine), expose des
idées fort exactes sur le caractère de la richesse, du com-
merce et de la monnaie.
W. Roscber, Ueber die Bliithe deutscher Naiionalu-
konomik im Zeitalter der Reformation Berichie der
sàchsischen Gesellschaft der Wiss. Phil. hist. Classe.
1862, pag. 145 et su iv.)
W. Lotz, Die Drei Flugsc/iriften iiber den Mûnzstrcit,
etc. Leipzig-, 1893.
Dans la longue série des ouvrages français sur la mon-
naie, dont quelques-uns sont relativement anciens et
n'ontpas encore été étudiésde près, comme, parexemple.
ceux de Grimaudet, Garrault (1586), PouUain (1621),
Boutteroue (1666), Le Blanc (1690), Boizard (1692),
Dupréde Saint-Maur (1746), Bettange (1760) et Abbot
de Bazinghen (1764), nous rappelons seulement celui
de Jean Bodin ^ 1530-1596] qui, dans son ouvrage De In
République (1576), propose la suppression de Talliagc,
la fixation de la valeur relative de Tor et de l'argent à
12 pour 1. la frappe de monnaies d'or et d'argent de
poids égal et de valeur proportionnelle, l'unité des
hôtels de monnaies, etc.
C. A. Conigliani, Le dottrine moneiarie in Francia du-
rante il média evo. Modena, 1890.
Les anglais possèdent aussi une série nombreuse
d'écrivains monétaires remarquables, dont on trouvera
la liste dans Jevons, Investigations in Currency and
Finance. London, 1884, p. 363 et suiv. Parmi les plus
importants il faut citer W. Petty (1682), J. Locke
LES MONOGRAPHIES 187
(1682-95), N. Barbon (1606), le fameux Rej^ort (1717)
crisaac Newton et, enfin, le traité de Joseph Harris
[An essay on money and coins. London, 1757-58),
récemment réimprimé.
Une place éminente, parmi les écrivains monétaires,
appartient, sans aucun doute, aux italiens, comme cela
est généralement reconnu par les écrivains étrangers.
Et cela deviendrait plus évident encore si un de nos
jeunes économistes s'occupait, avec le soin nécessaire,
de ce sujet si intéressant.
Au xvi" siècle, en dehors de la courte et très élégante
Lezione délie monete (1588) de Bernard Davanzati
{Scrittori classici italiani di Economia, politica. Parte
Antica. T. II. Milano, 1804, p. 17) qui résume les idées
fondamentales, il faut signaler, avant tous les autres,
Gaspard Scarufïî, de Reggio en Emilie (1519-1584),
négociant, banquier, quelque temps essayeur et ensuite
adjudicataire de l'Hôtel des monnaies, l'auteur de YAli-
tinonfo (c'est-à-dire la véritable lumière), écrit de 1575
à 1579, édité à Reggio en 1582, commenté par Prati-
suoli avant 1587 (Reggio, 1604) et réimprimé dans un
des volumes de la Collection de Custodi. Il expose avec
beaucoup de profondeur et de compétence, mais avec
une prolixité excessive, les fonctions de la monnaie ;
il en déplore les désordres et propose comme remède
un système monétaire unique, basé sur le rapport fixe de
valeur de 12 à 1, qu'il considère comme excellent et qui
a été, d'ailleurs, conseillé par le divin Platon, et qui
est à peu près conforme au rapport réel de cette époque ;
il ajoute, enfin, que les dépenses de fabrication doivent
être payées par celui qui fait frapper les monnaies, l'Etat
devant d'ailleurs prendre sur lui une partie de ces dé-
penses.
Andréa Balletti, G. Scaruffi e la quesiione monelarla
nel secolo XVI. Modena, 1882 (Bon travail, très
188 LES MONOGRAPHIES
soigné dans sa partie biographique et dans son
exposition).
Au xvri^ siècle, il faut rappeler, en dehors des Discorsi
de JeanDonato Turboli, meilleur directeur d'Hôtel des
monnaies qu'économiste (1616-29), deux œuvres écrites
vers 1680 par le savant modénais Geminiano Montanari
(1633-1687), professeur à l'Université de Padoue,
imprimées soixante-dix ans après dans la Raccolta di
opère sulle monete d'Argelati (et ensuite reproduites
dans la Collection de Custodi), dans lesquelles on
retrouve, à chaque pas, l'influence de Bodin.
Enfin, au xviii^ siècle, qui fournit le plus grand
nombre de monographies sur ce sujet, il faut citer en
dehors des volumes diffus et érudits du comte G. R.
Carli, de la traduction et des commentaires des œuvres
de Locke, dues au florentin Pagnin.i, des écrits de Brog-
gia (1743) et de Vasco (1772), les opuscules popu-
laires de Eeccaria et ceux de Pierre et d'Alexandre
Verri :
Joannes Ceva, De re nummaria quoad fieri potuit geo-
metrice pertractata. Mantuae, 1711. (Opuscule que
nous avons communiqué à Nicolini qui l'a com-
menté dans le Giornale degli Economisti.\o\. VIII.
Padova, 1878 — et signalé ensuite à Jevons, qui
l'a cité dans sa Bibliographie des économistes ma-
thématiciens).
Ferdinando Galiani, Délia Moneia. Napoli, 1750 (Pu-
blié sans nom d'auteur dans sa jeunesse et réim-
primé en 1780 sous son nom et avec de nom-
breuses notes). — C'est le meilleur traité italien;
sa forme est également remarquable.
V ov!\\i&o 'i^ev'i , Osserimzioni sut prezzo légale délie mo-
nete. Milano, 1751, in-4. (Œuvre extrêmement
remarquable.)
Cr. Ad. Soetbeer, Literaturnachweis ûber Geld und
Mïinzwesen. Berlin, 1892.
LES MONOGRAPHIES 189
§ 3. — l'enghérissement des prix
L'enchérissement des prix a été étudié incidemment
par les auteurs que nous venons de citer, parce que
c'est un sujet étroitement lié à celui de la monnaie. La
hausse des prix faisait sentir ses effets perturbateurs
tout particulièrement sur ceux qui avaient des revenus
fixes en argent ou des créances résultant de contrats à
longs termes. Si quelques écrivains, comme l'évêque
Ugo Latimer, dans ses Sermons (1549), attribuaient ce
fait à l'avarice des propriétaires qui haussaient arbitrai-
rement la rente, et si d'autres (comme Frank, Zwingle,
Melanchton, Henckel) y voyaient l'effet des monopoles
des commerçants et des spéculations des usuriers, il ne
manque pas d'écrivains, en France et en Angleterre, qui
ont expliqué cette grande révolution économique d'une
façon moins exclusive et plus conforme à la vérité.
Tandis que le seigneur de Malestroit {Paradoxes sur
le fait des monnaies. Paris, 1566) affirmait que ren-
chérissement des prix était seulement apparent , parce que
il avait pour cause les altérations des monnaies — si,
disait-il, contre une même quantité de marchandise,
il faut donner un plus grand nombre de pièces dimi-
nuées, c'est qu'il en faut ce nombre pour faire la même
quantité de métal fin que par le passé — , Jean Bodin
réfutait cette affirmation dans deux opuscules, qu'il a
ensuite résumés dans sa République.
J. Bodin, Réponse aux Paradoxes de M. de Malestroit
touchant renchérissement de toutes les choses^ etc.
Paris, 1568.
— Discours sur le rehaussement et la diminution des
monnaies. Paris, 1578.
L'anonyme, Discours sur les causes de l extrême cherté,
etc. Paris, 1574 (réimprimé dans les Archives
190 LES MONOGRAPHIES
curieuses de l'histoire de France, etc. Vol. VI,
série I. Paris, 1835), donne un résumé de Bodin
avec des notes sans valeur.
Bodin démontre que le.s causes principales de ren-
chérissement des pri.\ sont l'abondance de la monnaie,
résultat de l'augmentation de la production des métaux
précieux et en particulier de l'argent, de l'importance
acquise par le commerce extérieur et par les capitaux
qu'attirait la banque de Lyon. Il reconnai.s.sait encore
comme causes importantes le luxe des riches, la libre
exportation du blé, les monopoles, le mauvais état des
monnaies. Il voulait porter remède à tout cela par des
réformes monétaires et fiscales qui tendraient à protéger
l'industrie nationale par des droits élevés d'importa-
tion, etc.
Une opinion contraire à celle de Malestroit et en
apparence seulement différente de celle de Bodin est
défendue par un autre économiste français, François
de Grammont, seigneur de Saint-Germain, secrétaire
de Louis XIII. Il est l'auteur d'un ouvrage curieux et
peu connu, écrit, semble-t-il, sur l'ordre de Richelieu.
Il cherche à prouver combien sont injustes les plaintes
des contribuables français sur l'augmentation des im-
pôts, qu'il ne croit qu'apparente, puisque le trésor
l'oyal ne peut pas avec l'argent reçu acquérir plus de
richesses qu'il ne le faisait avec les anciennes contribu-
tions nominalement plus faibles. Il soutenait (contre Ma-
lestroit) que la quantité de l'argent a augmenté effecti-
vement, et qu'il faut en donner davantage pour obtenir la
môme quantité de marchandises, mais il objecte à Bodin
que, bien queTunité de valeur de la monnaie ait réelle-
ment diminué, sa valeur totale est demeurée la même.
Scip. de Grammont, Le denier royal, traité curieux de
l'vret de l'argent, etc. Paris, 1620 XXII-299 pag.).
LES MONOGRAPHIES 191
C. A. Conigliani, L'aumento apparen'e délie spesr puh-
hliclie e il Denier royal, etc. Milano, 1890 (in
Filangieri, XV« année, lasc. V;.
Nous devons citer encore un Dialogue anglais entre
un propriétaire, un fermier, un commerçant, un fabri-
cant de bonnets et un docteur en droit, qui diri,2:e la
discussion. Ce dialog-ue est remarquable par l'abon-
dance des faits recueillis par une observation directe et
par la vivacité avec laquelle est exposée la diversité des
opinions sur les causes, les effets et les remèdes de la
révolution des prix. Les plaintes, les explications et les
propositions sont naturellement différentes et souvent
contradictoires. Ce dialogue, édité en 1581. par A\'. S.
(William Stafford. d'après Farmer). réimprimé en 1751
(et attribué à Shak.speare), puis de nouveau dans le
volume IX de la Harleian MisceLlany, a été finalement
reproduit par l'excellente Slialispeare Society. Il ré-
sulte des reclu-rcbes approfondies d'Elisabetli Lamond
{Engllsli Hisi.orical Review, avril 1891) que ce dia-
logue, écrit dès 1549 et probablement par John Haies
(mort en 157'2j, a été publié par Stafford avec quel-
ques omissions (dont l'une expo.se nettement ce qu'on
appelle la loi de Gresham) et quelques adjonctions,
dont la plus remarquable est celle où Stafford (après
Hodin) indique la great store and plenty of treasure
comme une des causes de renchérissement des prix.
Haies voit, au contraire, la cause du renchérissement
dans les altérations monétaires et dans la transforma-
tion des terres cultivées en blé, en prairies pour l'éle-
vage des brebis. Il croit pouvoir remédier aux dan-
gers qui en résultent par quelques mesures douanières
et eu particulier par des droits élevés à l'exportation de
la laine et par la libre exportation des céréales.
W. S., A conipendious or briefe examinalion of cer-
192 LES MONOGRAPHIES
tayne onlinary complaints, etc. London, 1581
fréimprimé avec une introduction de J. D. Mat-
thew et avec des notes de F. J. Furnivall. Lon-
doii; 1876).
E. Nasse, Ueber eine volksicirthschaftliche Sclwift aus
(ter Zeit cler Preisrevolution, etc. (in Zeitschr. fur
die ges. Staatswiss. 1863, pp. 369-391).
Thomas Gresham, Information touching the fall of
ihe exchainge, 1558 (réimprimé par E. de Lave-
leye dans les Jahrh. f. Xat.Oelc de B. Hildebrand.,
1882, vol. IV. pp. 117-119).
§ 4. LES PAIEMENTS INTERNATIONAUX.
De tous les économistes de la première moitié du xvii*
siècle, la première place appartient, à plus d'un titre, à
Antoine Serra qui écrivit dans les prisons de la F/ca-
ria, où il était enfermé, non pas comme complice de
Campanella (comme l'a imaginé Salfi), mais comme
accusé de faux monnayage (comme l'a démontré Ama-
bile), son Brève trattato délie cause che j)Ossono fare
abbondare li regni d'oro e d'argento dove non sono
minière. (Napoli, 1613j.
Ce petit ouvrage eut une destinée curieuse. Oublié
par les contemporains, trouvé par hasard par Intieri,
qui en donna une copie à Galiani, il fut porté aux nues
par celui-ci dans la seconde édition de son traité Délia
moneta. (1780). Il fut ensuite réimprimé par Custodi et
signalé avec des éloges hyperboliques par Peccliio. par
Bianchini et par presque tous les historiens de l'éco-
nomie politique, qui ne se sont pas souciés de le lire en
entier, etc'estlàcequi explique comment Serra est, pour
quelques-uns, le fondateur de l'économie, pour d'autres,
le créateur ou un défenseur, et pour d'autres enfin
un adversaire du système mercantile, dont on ne peut
même pas avec certitude le déclarer partisan. Travers
LES MONOGRAPHIES 193
Twiss {View of the jorogress,. etc. London, 1847, pp. 8-
10, 32-33, 51, 75, 163), Ferrara {Biblioteca cleW Eco-
nomista, série I, vol. III, Torino, 1852, pp. xLviir-Lv),
et Pierson (Bijdrage tôt de geschiedenis, etc. Ams-
terdam, 1866, pp. 8-13, 29-30), sont les seuls qui se
soient efforcés, avec beaucoup de soin, sinon avec un
plein succès, de porter un jugement exact sur cette œuvre
si importante.
Depuis l'analyse très soignée de la polémique entre
De Santis et Serra publiée par Fornari, Gobbi a étudié
attentivement le Brève trattato et il a exposé, avec
beaucoup de perspicacité, mais en partie seulement,
son contenu. Enfin, De Viti, un éminent spécialiste
en matière de monnaie et de change, nous a donné un
excellent commentaire (auxquel Benini a joint quel-
ques gloses), qui pourra faciliter la comparaison du
mérite de Serra avec celui de ses contemporains et de
ses prédécesseurs.
Tommaso Fornari, Studii sopra Antonio Serra e Marc'
Antonio De Santis. Pavia, 1879.
U. Gobbi, La concorrenza estera, etc. Milano, 1884,
pag. 49 et suiv.
— Veconomia poliiica negli scrittori italiani. Milano,
1889, pag. 176 et suiv.
A. De Viti De Marco, Le teorie economiche iVAnt.
Serra. Milano, 1890 (In Memorie del R. Instituto
Lombardo di Scienze, série III, vol. IX, pp. 103-130).
Comme cela résulte du titre du Traité et de ses affir-
mations souvent répétées. Serra, en discutant un sujet
nouveau et de caractère scientifique, ne se préoccupe
pas (comme l'avait fait Bottero) des causes de la richesse,
mais seulement de celles qui amènent l'abondance de la
monnaie. Il n'a pas étudié légèrement un problème
trop vaste ; il a étudié correctement et avec des idées
larges un problème restreint et il l'a fait avec une mé-
13
194 LES MONOGRAPHIES
thode excellente et sans digressions, mais cependant
avec beaucoup de répétitions qui s'expliquent, en partie,
parla circonstance qui l'avait amené à écrire. Sans dis-
cuter la question de l'échange international, étrangère
à son sujet et pour laquelle il eût été d'ailleurs incom-
pétent, car il ignorait la théorie quantitative de la valeur
de la monnaie et celle du coût comparatif, et en s'abste-
nant aussi de parler du change réel, Serra donne une
explication exacte du phénomène des paiements interna-
tionaux en monnaie. Il montre que Tabondanee de la
monnaie, dont l'importance est, pour lui, un axiome,
dépend de causes naturelles (les mines) et de causes
artificielles; ces dernières se subdivisent en accidents
propres (qui ne peuvent pas être créés), ce sont l'excé-
dent des produits de la terre sur les besoins de la con-
sommation indigène et une position géographique
favorable au commerce, et en accidents communs (que
l'on peut chercher à réaliser), ce sont le nombre des
industries (manufactures), la qualité de la population, le
grand trafic et l'aide du gouvernement. On voit la grande
analogie qu'il y a entre les causes de la richesse indiquées
par Botero, que Serra avait sans doute consulté, et les
causes de l'abondance de l'argent dont ce dernier
donne une meilleure classification, supérieur ici encore
à son prédécesseur en ce que, tout en préférant lui aussi
les manufactures à l'agriculture, il parle (comme Ta
remarqué le premier Nazzani dans son Saggio sulla.
vendita, fondlaria, 1872) de la loi limitative de la pro-
duction agraire. Quanta la politique économique, Serra
demande la liberté d'exportation de la monnaie et celle
du change, que son adversaire Marc-Antoine De Santis
deNocera, dans ses Discorsi (1605), voulait empêcher
et restreindre par des défenses d'exportation et par des
tarifs légaux. Il croyait que ces expédients pouvaient
faire entrer de la monnaie dans l'Etat, mais il se fondait
LES MONOGRAPHIES 195
sur une théorie absolument inexacte de la valeur de lu
monnaie et sur cette hypothèse fausse que le change
défavorable est la cause et non l'effet de la rareté de la
monnaie, tandis qu'il dépend de la faible importance de
l'industrie manufacturière, de l'absentéisme d'un grand
nombre de citoyens riches, et du grand nombre de
négociants étrangers. Serra n'indique, d'une façon
explicite, aucun remède, se réservant de parler « dès
que le maitre l'aura ordonné ». Mais le gouvernement,
qui accueillait les opinions des empiristes et qui édictait
des Pragmatiques inspirées par De Santis, ayant fait
interroger en 1617 Serra, le renvoya aussitôt en prison,
parce que, d'après un chroniqueur cité par Fornari
(pag. 262), il n'y avait dans ses conclusions que du
verbiage.
Le mérite des travaux de Biblia 'Discorso sopra l'ag-
giustamento dellamoneta e cainhr'i ciel Regno, 1621)
semble disparaître à côté de celui de Serra. Il considère
comme fixe le rapport de valeur entre l'or et l'argent et
il veut, lui aussi, que la loi fixe le taux légal du change
avec Tétranger. Il faut citer aussi les ouvrages de Vic-
tor Lunetti {Politica mercantile. Napoli, 1630; Pds-
tretto de' tesori, etc., 1640), qui demande la prohibition
de l'exportation de la monnaie et l'abolition des douanes.
Il est, au contraire, un autre ouvrage qui mériterait
d'être l'objet de quelque travail (et De Viti nous l'a
promis), c'est l'œuvre économico-juridique du bolognais
Romeo Bocchi ; mettant à profit les fruits de ses lec-
tures, de ses expériences et de ses nombreux voyages,
il s'efforce d'expliquer le mécanisme des paiements et,
en particulier, des paiements par compensation pen-
dant les foires,
Romeo Bocchi, Délia giusta unlversale misura e suo
iipo. Tome I : Anima délia moneta. Tome II : Corpo
délia moneia. Venezia, 1621. (Gobbi, VEconomia
196 LES MONOGRAPHIES
polUica, etc. Milano, 1889, pp. 164-175. en a
donné un bon extrait.)
,^ 5 . LES BANQUES DE DÉPÔT ET DE ClRCULATrON
Les banques publiques de dépôt sont nées au xv^
siècle (Barcelone, Valence, Saragosse), au xvi'" siècle
(Trapani, Gênes, Palerme, Messine, Naples, Venise,
Milan) et au xvii'' siècle (Amsterdam, Rotterdam, Ham-
bourg, Nuremberg) sur la ruine des banques privées,
en général tombées en faillite. Elles avaient pour but
de faire des prêts à un intérêt modéré (Naples', de sim-
plifier les paiements entre commerçants en les rempla-
çant par de simples virements de compte (Gênes, Ve-
nise, Sicile), de créer une valeur idéale de banque
ramenée à une quantité fixe d'argent, et partant sous-
traite aux périls de la multiplicité et de l'altération des
monnaies (Amsterdam 1609, Hambourg 1619), et fina-
lement aussi de consolider et d'amortir la dette de
l'Etat (Gênes) ou celle de la commune (^Milan) par le
recouvrement d'impôts cédés à la Banque elle-même.
On a écrit sur ces banques, non seulement des mono-
graphies historiques pour faire connaître (en attendant
une histoire générale du crédit) chacun des établisse-
ments, mais aussi quelques ouvrages théoriques, qui
sont les débuts de la littérature bancaire.
Parmi les nombreux ouvrages historiques sur les
banques de Gênes (Serra, Lobero, Cuneo, Wisnievvski),
de Naples (Rocco, Ni.sco, Petroni, Ajello, Tortora), de
Venise (Lattes, Ferrara), je n indiquerai que les travaux
récents et très remarquables de Cusumano, Piccolo-
mini, Soresina, Dunbar, qui ont éclairci sur certains
points l'histoire d'un grand nombre de banques italiennes.
V. Cusumano, 67or/a dei banchi di Sicilia. Vol. I:
LES MONOGRAPHIES 197
I banchi privaii. Roma, 1887. Vol. Il: I banchi
piiblici, 1892.
Narc. Mengozzi, Il monte dei Paschi. Siena, 1891.
Nie. Piccolomini, Il monte dei Paschi, etc. Vol. I-IV.
Siena, 1891-93.
Am. Soresina, Il banco giro di Venezia. 1889.
Ch. Dunbar, The bank of Venise ( In Quartely Journal
of économies. Vol. VI. Boston, 1892).
La constitution du Banco di Rialto à Venise (1587) et
de celui de Saint- Aynbrogio , à Milan (1598) ont été
l'occasion d'intéressants ouvrages théoriques ; le Banco
de Gênes et le Banco Giro (1619) de Venise ont suscité
des ouvrages purement descriptifs (Merello), des ou-
vrages d'histoire (Trevisan) et de comptabilité (Cavalà).
Elie Lattes a réimprimé deux célèbres discours, abso-
lument contraires, attribués au sénateur Thomas Con-
tarini, et prononcés en 1584, au moment de la fonda-
tion du Banco di Rialto. Celui qui est favorable aux
banques publiques rappelle les abus multiples, les
opérations imprudentes, les faillites des banques pri-
vées. En sens contraire, le second discours fait remar-
quer que l'Etat ne doit pas de se faire marchand ; que
l'obligation de payer en valeur de banque pourrait être
dans certains cas très lourde ; que dans les moments de
crise financière, la tentation de se servir de l'argent
déposé deviendrait trop forte ; que, finalement, la fail-
lite de la banque publique aurait des conséquences
beaucoup plus graves que celle des banques privées.
Le négociant milanais Jean Antoine Zerbi, qui avait
étudié, dans ses voyages, les banques espagnoles, sici-
liennes et en particulier celle de Saint-Georges, recom-
mande fortement de fonder une banque semblable, en
recueillant l'argent nécessaire au moyen de luoghi
(actions), de dépôts de cartularlo et de molteplici
(actions augmentées de l'intérêt composé) ; il décrit les
198 LES MOxNOGRAPIIIES
opéi'ations de la banque et énumère les avantages
économiques et fiscaux qui en résulteraient. Les résul-
tats furent bien dillérents de ceux qu'on avait prévus;
la banque, créancière et fermière des impôts delà ville,
fut sur le point do tomber en faillite en 1G30, et, trans-
formée plus tard en Monts-de-piété de Saint-Charles,
de Sainte-Thérèse, Napoléon et Lombardo-\'énitien,
elle devint une simple administration de la dette pu-
blique.
E. Lattes, La Libéria délie banche a Venezia. Milano,
1869, pp. 118-160.
C. A. Zerbi, Dialogo del banco di S. Ambrosio. Milano,
1593. — Del banco di S. Ambrosio, 1597. — JJis-
corso in forma di dialogo iniorno al banco di S.
Ambrosio, 1599 fCfr. Em. Greppi, Il banco di S.
Ambrosio. Milano, 1882).
Mich. Merello, Brève dichiarazione delV instituzione
délia campera di S. Giorgio, etc. Genova, 1607.
Bern. Trevisan, Inf'ormazione per il banco del GirOy
écrite après 1680 (Dans la traduction de la
Science dit commerce de J. Sonnleithner, faite en
italien par F. Viganô. 3" édition, Milano, 1863,
pp. 293-299,
G. Cavalà Pasini, La scuola in pratica del banco
giro, etc. Venezia, 1741.
Il faut ajouter que V. Lunetti (cité dans le ,§ précé-
dent) fit, en 1630, au gouvernement napolitain la pro-
position de créer une Tavola délia R. Corte, privilé-
giée pour le paiement des commerçants, qui devait
céder une part de ses bénéfices au fisc (pour éteindre
ses dettes), et un Offîciodell' aboyidanza. Il ne faut pas
oublier non plus un abbé Norbis (un italien), cité par le
professeur Bidermann {Die Wiener Stadt-Bank. Wien,
1859) qui émit l'idée de fonder à Vienne un Banco-
giro, qui eut une très courte durée.
La littérature anglaise sur les banques de circulation
LES MONOGRAPHIES 199
e.st plus récente, plus abondante et plus intéressante.
Elle commence par une série ininterrompue de projets
et de polémiques, qui précédèrent et accompagnèrent
la fondation de Téphémère Land-Bank et celle de la
Banque d'Angleterre, créée en 1694 par l'écossais Guil-
laume Pattersonj Con/ere?îce on the public debts, 1695)
et dirigée par Michel Godfroy (A short account ofthe
Bank of England. 1695), qui prêta à l'État son capital
et mit en circulation des billets qui rapportaient
d'abord environ 3 pour cent, et qui cessèrent d'être pro-
ductifs d'intérêt après 1700.
J. R. Mac Culloch, The UUerainre of political eco-
nomy. London, 1945, pag. 155 et suiv. (Pas tou-
jours exact ni impartial dans ses jugements).
Lord Macaulay, Hisiory of England, vol. IV.
Eug. V. Philippovich, Lie Bank von England. "Wien,
1885.
J. E. Tti. Rogers, The firsc nine years of the bank of
England. Oxford, 188".
Clî. F. Dunbar, Xotes on earbj banking schemes (in
Quarterly Journal of Economies, vol. II. Boston,
1888, pp. 482-490.
Priée (Handbook of London Bankers, pag. 142 et
145) raconte qu'un certain Hagenbuck, qui se disait
italien, fit, dès 1584, la proposition de créer une banque
publique à l'imitation de celle que l'on voulait fonder
à Venise et que, en [Q'2'2. une proposition semblable fut
faite par un certain FLobert Heatii. D'autres projets se
succédèrent sans interruption dans la seconde moitié
duxvii^ siècle et dans la première moitié duxviii"^. Les
uns proposaient des banques de dépôt sur le type hol-
landais, comme Lambe , d'autres, sur le type vénitien,
comme Lewis. Pother et Cradocke proposèrent au Par-
lement anglais, comme plus tard Law au Parlement
écossais, l'institution d'une banque territoriale^ qui,
200 LES MONOGRAPHIES
prêtant son capital à l'Etat, ferait ensuite des prêts à
la propriété, en se procurant les moyens nécessaires
par rémission de billets à vue et au porteur, munis
d'une simple garantie hypothécaire. Le plus absurde
de ces projets, celui d'Ugo Chamberlain et John Briscoe
(1690) aboutit à la Land-Bank .
S. Lambe, Seasonable observations, etc., 165<.>.
M. Lewis, Proposais io increase trade, 1G77. — Pro-
posais io ihe Kinrj, 1678. — A short ntodel of
banli, etc.
W. Potier, Key io iceallh, 1651. — Humble i>roposals.
1651. — Tradesrnan's Jeicell, 1661.
F. Cradocke, An expédient to make aicay ail impo-
sitions, 1660. — Weallh discovered, 1659.
John Law, Money and trade considered. etc., 1705;
traduit par l'auteur, sous le titre de : Considéra-
tions sur le numéraire et le commerce, 1720.
Du billet de banque garanti par la propriété fon-
cière imaginé par Law, il est facile de passer au billet
inconvertible, expérimenté sous la régence de Philippe
d'Orléans. L'histoire critique du système de Law a été
faite d'abord par Thiers (1826), qui a été un juge trop
bienveillant, puis par Daire (1843), qui a été trop .sé-
vère ; Cochut a fait connaître les anecdotes et les satires
de l'époque (1853); Horn (1858) et Alexi (1885) se
sont également occupés de cette question. Il faut con-
sulter de préférence :
Em. Levasseur, Recherches historiques sur Le système
de Law. Paris, 1854. (Travail très soigné.)
J. Heymann, Law und sein System. Miinchen, 1853.
(Examine spécialement les doctrines).
Au système se rattachent un grand nombre d'ou-
vrages d'auteurs contemporains, adversaires impla-
LES MONOGRAPHIES 201
cables (Paris Duverncy), partisans plus ou moins dé-
clarés (Melon, Dutot), historiens impartiaux, comme
Forbonnais (Recherches et considérations sur les
finances en France, vol. V, Liège, 1758), sur lesquels
il n'est pas utile de donner des indications plus détail-
lées.
CHAPITRE IV
LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
Les Etats modernes, issus des ruines du féodalisme,
avaient besoin de revenus toujours plus grands pour
subvenir aux dépenses de la nouvelle organisation
militaire, politique et administrative, aux dépenses de
guerre et au luxe des cours. Les anciens expédients
financiers, revenus domaniaux, confiscations, contri-
butions de guerre, ne pouvaient plus suffire, même
en y joignant les expédients nouveaux, dons gratuits,
régies fiscales, vente des charges, des monopoles indus-
triels et commerciaux, concédés à des individus ou à de
grandes compagnies. La transformation de l'ancienne
économie, — reposant sur l'échange en nature, caracté-
ristique del'époque féodale, en économie monétaire, con-
séquence nécessaire de la naissance des manufactures
et du commerce et aussi de l'importance toujours
croissante de la richesse mobilière des villes, — attirait
toujours davantage l'attention des gouvernements, qui
commençaient à se persuader que la prospérité de TEtat
a son fondement principal dans le bien-être écono-
mique du peuple. Il en résulta une série de disposi-
tions législatives qui vinrent confirmer, modifier ou
changer les lois de la période précédente ; celles-ci
s'inspiraient d'idées indéterminées et contradictoires,
ou tendaient à procurer des revenus au fisc ou aux
favoris du prince sans se soucier de l'utilité géné-
rale.
204 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
C'est ainsi que la législation économique de quelques
Etats, tout en conservant son caractère empirique,
gagne en unité et s'inspire de critères généraux. Ceux-
ci varient nécessairement avec les conditions des diffé-
rents pays, suivant qu'ils sont principalement agricoles,
qu'ils possèdent déjà ou cherchent à posséder des
manufactures, qu'ils cherchent à s'enrichir par la navi-
gation et le commerce, spécialement par le commerce
international. Nous ne devons donc pas nous étonner
de la coexistence ou de la succession de systèmes
absolument opposés, puisque tous aspirent à assurer
l'autonomie et quelquefois la prépondérance aux Etats
qui les adoptent et qu'ils partent de conceptions abso-
lument différentes suivant qu'ils tendent à favoriser
l'agriculture, les manufactures, le commerce dans
l'intérêt des classes dominantes, ou qu^ils cherchent
à préserver la nation de certains dangers moraux, réels
ou supposés, par de rigoureu.ses lois somptuaires, des
défenses absolues d'importation des marchandises
étrangères, ou qu'ils A'eulent préserver les con.som-
mateurs des disettes et amener l'abondance de la mon-
naie. La lutte des différentes classes, représentant des
intérêts opposés, et plus tard la louable intention des
gouvernements d'assurer le bien-être de la nation en
accueillant les demandes légitimes et en repoussant
les prétentions injustes sont l'origine des sy.stèmes em-
piriques de politique économique. Nous trouvons dans
les œuvres auxquelles ils ont donné naissance des germes
théoriques précieux qui deviennent, dans la période
suivante, des éléments plus ou moins importants de
systèmes vraiment scientifiques.
Avant de nous occuper des systèmes empiriques,
dont les meilleurs représentants sont fournis par un
nombre considérable d'écrivains du xvii^ et de la pre-
mière moitié du xyiii*^ siècle, nous devons mentionner
LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 205
quelques publicistes, dont quelques uns très anciens,
qui ont écrit des ouvrages de politique générale ou de
politique économique, où se trouvent résumées la pra-
tique courante et les idées dominantes de leur temps.
Ce sont : au xiv^ siècle, Jean Ser Cambi, historien et
politique et, au xv^, un poème anonyme sur la politique
anglaise (1436), qui défendent le système protecteur et
sont ainsi en opposition nette avec les idées relativement
libérales de Diomède Carafa; au xvi'' et au commence-
ment du wïi", Melchior Ossa et Georges Obrecht, dont
les œuvres (résumées par Roscher) laissent dans l'ombre
celles du plagiaire Gaspard Klock (De contributionibus,
1634 — Deaerario, 1651), auquel Held et, il y a quelques
années, Stein ont prodigué des éloges immérités.
Joannes Ser Cambii, Monila Guinisiis {\n Miscellanea
de Baluzio. Lucca, 1764, tome IV, pag. 81).
— The Libell of Enylish Policye (1436), édité par R.
Pauli. Lipsia, 1878.
Parmi les écrivains politiques qui se sont occupés
plus spécialement de questions économiques et finan-
cières et en général des questions d'administration, la
première place appartient sans conteste à Jean Bodin
(1530-1596). Dans le sixième livre de son œuvre prin-
cipale [De la, République, 1576), développée dans la
traduction latine (1584), il tient compte de l'influence
du climat et du sol et donne un système complet de
politique économique et financière ; il réclame la libre
importation des denrées alimentaires et des matières
premières, des droits élevés à l'importation des produits
étrangers et la défense d'exportation des céréales et des
matières premières. Cela ne l'empêche pas d'ailleurs de
déclarer que le commerce doit être franc et libre.
H. Baudrillart, Jean Bodin et son temps. Paris, 1853.
206 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
La seconde place appartient à Jean Botero (1540-
1G17), qui reproduit les idées économiques de Bodin;
il préfère seulement la prohibition aux droits élevés sur
les marchandises étrangères. Il est incompétent en
matière de monnaie et de crédit, mais il développe et
perfectionne dans certaines parties la théorie de limpot,
qu'il considère comme la source ordinaire des revenus
de l'État [Délia, ragion cli Stato. Roma, 1589).
Parmi les politiques de moindre valeur il nous suf-
fira de citer le jésuite espagnol Mariana [De rege et
régis institutlone, 1599), le compilateur érudit, mais
indigeste, Grégoire de Toulouse (De RejDubUca, 1597),
Celse Mancini de Ravenne, auteur du livre De juribus
jjr.inclpatiun (1596), commenté par Rava (1888), Sci-
pion Chiaramonti de Cesena {Delta ragione di Stato,
1635), disciple de Botero, qui a sur le commerce des
idées plus larges, et enfin Jacques Bornitz [De nummis,
1608 — De rerum sufficientia in republica, 1625),
compilateur d'ouvrages spéciaux sur la politique éco-
nomique. Tous ces écrivains sont d'ailleurs inférieurs
par plus dun point au hollandais Boxhorn qui a écrit
des Institutiones politicœ (Amsterdolami, 1643) qui
ont été très répandues même en Ualie.
Le poète normand Antoine de Montchrétien, qui a
été porté aux nues par Duval et plus encore par Funck-
Brentano qui le proclame fondateur de l'économie
politique, est un contemporain de Serra, mais il lui est
inférieur et pour le fond et pour la forme. Il dédia au
roi Louis XIII et à la reine régente Marie de Médicis
un Traité, dans lequel il expose sans beaucoup d'ordre
ses idées et ses propositions, de caractère restrictif sur les
manufactures et le commerce terrestre et maritime, mê-
lant, comme l'a remarqué impartialement Baudrillart,
à beaucoup d'erreurs de doctrine et de fait quelques
bonnes observations sur le travail et la concurrence.
LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 207
Nous ajoutons qu'il faut tenir compte à Montchrétien
d'avoir demandé une protection égale pour les manu-
factures et pour l'agriculture ; on se rappelle le dissen-
timent qui existait sur ce point entre Henri IV (qui sui-
vait les avis d'Olivier de Serres et de Laffemas) et Sully;
le roi introduisait en France la culture du mûrier et
l'industrie de la soie, tandis que son austère ministre
protégeait exclusivement l'agriculture.
Jules Duval, Mémoire sur Antoine de Montchrétien, elc.
Paris, 1868.
Ant. de Montchrétien, Traicté de V Economie ^wUtiqne
dédié en 46io au hoy et à la Reyne mère du Roi/,
avec une introduction et notes par Th. Funck-
Brentano. Paris, 1889.
H. Baudrillart, v" Montchrétien, in Xouoeau Diction-
naire d'Economie politique, vol. Il, Paris, 1891,
pp. 325-328.
L. Wolowski, Henri IV économiste. Paris, 1855.
E. Bonnal, Sully économiste. Paris, 1872.
S 1. LE SYSTÈME ANXONAIRE
V. Cusumano, La teoria del commercio dei grani in
Italia. Bologna, 1877.
U. Gobbi, La concorrenza estera e gli economisti ita-
liani. Milano, 1884.
La crainte des disettes, le peu de confiance que l'on
avait dans les commerçants en blé que l'on tenait
poiir des spéculateurs malhonnêtes s'enrichissant au
préjudice des agriculteurs et du peuple, et enfin des
considérations juridiques et politiques sur l'impor-
tance des approvisionnements ont été les causes prin-
cipales de l'ancienne législation annonaire, qui se pro-
posait d'assurer aux consommateurs la quantité de blé
nécessaire. Les gouvernements espéraient y pourvoir
508 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
par rétablissement de « greniers d'abondance » admi-
nistrés par des fonctionnaires publics ; par des défenses
d'exportation, des franchises et des primes à l'importa-
tion des blés étrangers ; par la fixation légale du prix
du pain, et par des obstacles de tous genres à la libre
circulation du blé à l'intérieur, consistant soit dans
l'obligation pour le propriétaire de déclarer la quantité
de blé produite excédant sa consommation, soit dans
l'obligation de porter son blé à la ville pour le vendre
sous la surveillance de l'autorité, soit dans la prohibition
de faire du pain chez soi, d'employer le blé à des usages
industriels, etc. On croyait par ces dispositions protéger
les consommateurs nationaux contre la concurrence des
consommateurs étrangers et contre les fraudes des acca-
pareurs, en soustrayant le commerce des denrées au
droit commun pour le soumettre à l'administration pu-
blique. C'est en Italie que l'on trouve les premiers théo-
riciens de ce système et les premiers adversaires des
exceptions temporaires que quelques gouvernements
faisaient à la rigueur des mesures annonaires en per-
mettant les « traites » lorsque le blé excédait les besoins
du pays ou lorsque les prix étaient tellement bas, qu'ils
portaient atteinte aux intérêts des propriétaires et des
agriculteurs. Au xvi® siècle tous les politiques approu-
vent plus ou moins complètement ce système, et un
avocat romain, Casali, proteste même contre une cons-
titution de Clément VII qui, suivant l'exemple de ce
qui se faisait à Florence depuis 1427, avait autorisé
les « traites ».
Bapt. Casali, In legcm agrariam. Romae, 1524.
Vers la fin du xvi'' siècle et au commencement du
xvii^ un grand nombre de jurisconsultes s'occupent de
ce sujet et commentent les lois positives. Les causes
LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 209
(les disettes et les mesures par lesquelles on peut y
porter remède sont l'objet de deux monographies.
Celle de Segni^ chanoine de Bologne, est une apologie
du système annonaire le plus rigoureux : elle invoque
surtout des considérations morales ; celle de Tapia,
magistrat napolitain, est plus modérée et s'inspire
davantage des besoins de la pratique.
Gio. Batt. Segni, Traltalo sopra la carestia e famé. Bolo-
gna, 1602.
Carlo Tapia march. di Belmonle, Tratiato delVahhon-
danza. Napoli, 1638 (écrit longtemps avant).
Le changement des conditions du commerce, les
progrès théoriques, la réaction des classes agraires,
frappées dans leurs intérêts, les exigences du fisc, qui
ne veut pas renoncer au revenu des droits sur les cé-
réales, amènent petit à petit la décadence du système.
En Italie De Luca ne l'accepte qu'avec beaucoup de tem-
péraments (1680), Broggia le défend faiblement (1743)
€t Genovesi (1765) le repousse. En Allemagne il trouve
encore un partisan dans Unger, mais il est combattu
par Philippi, partisan du protectionnisme agraire et par
Reimarus, qui défend résolument le libre échange.
F. Unger, Von dcr Ordnung der Friichlpreise, elc. Got-
tingen, 1752.
L. A. Philippi, Jier vertheidigte Kornjude. Berlin, 1765.
H. Reimarus, D/eF/r//ie(7 des Getreidehandels. 2° édit.
Hamburg, 1790.
§ 2. — LE SYSTÈME MERCANTILE
Ad. Held, Carey'sSociahvissenschafl und das Merkaniil-
sijstem. Wurzburg, 1866. (Ne remonte pas toujours
aux sources).
14
210 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
H. .T. Bidermann, Ueher den Mcrkanlilismus. Inns-
bruck, 1870.
W. Cunningham, The growth of english mdustry and
commerce. Vol. II. London, 1892.
C. F. Bastable, The Iheory of inieDialkmal irade. Du-
blin, 1877.
S. Bauer, V-' Balance oftrade, in Dictionary ofPolilical
Economy de R. H. Inglis Palgrave. Part. I. Lon-
don, 1891, pp. 85-88 (court, mais très substantiel).
W. A. S. B.ewm'S,, English Irade and finance, etc, 1892.
^ Le système mercantile a eu une importance plus
grande encore. Il a pendant plusieurs siècles exercé
une influence sur la législation et, par conséquent, sur
les conditions économiques d'un grand nombre d'Etats;
il a laissé des traces visibles dans les systèmes de protec-
tion douanière qui dominent encore aujourd'hui dans
la plupart des pays d'Europe et d'Amérique. On Ta
appelé quelquefois système restrictif, mais cette expres-
sion est trop générique ; certains auteurs, sur les
traces de Mengotti, l'ont dénommé le Colbertisme, lui
donnant ainsi le nom de l'homme d'Etat qui, sans en
être le créateur, en a tait l'expérience la plus large, la
plus intelligente dans le gouvernement d'un grand
pays.
Les mercantilistes partaient de cette idée, vérité
d'évidence dans l'économie privée, que la possession de
l'argent permet Tacquisition de toutes les autres
richesses ; ils voyaient, en outre, que la puissance com-
merciale et politique se concentrait chez les nations
qui, occupant la première place pour leurs manu-
factures et leur commerce, spécialement pour le com-
merce maritime, facilité par la possession de grandes
colonies, disposaient d'une grande quantité de métaux
monnayés, qui provenaient de leurs mines de métaux
précieux(Espagne, Portugal), ou qu'ils attiraientparleur
commerce (Italie, Flandre. Flollande et, plus tard, Angle-
LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 211
terre et France). De tout cela les mercantilistes con-
cluaient que le bien-être économique d'une nation est
proportionnel à la quantité de monnaie en circula-
tion et ils en tiraient comme corollaire la règle fonda-
mentale de leur politique économique : conserver et
augmenter l'argent existant dans le pays. Il est abso-
lument contraire à la vérité d'attribuer aux partisans
de ce système cette opinion étrange que la monnaie est
l'unique richesse, tandis qu'au contraire il n'est pas
rare de rencontrer chez les partisans du mercantilisme
cette erreur absolument opposée, que la monnaie a une
valeur de pure convention, complètement indépen-
dante de la matière dont elle est composée, erreur qui
atteint son apogée avec Law et ses disciples, partisans
du papier-monnaie. Ce jugement erronné sur le prin-
cipe fondamental des mercantilistes vient en grande
partie de ce qu'ils emploient parfois le mot monnaie
(comme les Romains le mot « pecunia w) pour parler
de la richesse. (3n ne peut pas nier d'ailleurs, comme l'a
fort bien remarqué Smith, que beaucoup d'écrivains
déclarent dès l'abord que la monnaie n'est pas l'unique
richesse, mais leur argumentation laisse ensuite sup-
poser qu'ils sont d'un avis opposé.
S'ils sont unanimes à croire à l'importance écono-
mique et fi.scale d'une grande quantité de monnaie,
ou, selon l'expression anglaise, d'un trésor [treasure).
les opinions sont très divergentes au sujet des moyens
propres à atteindre ce but. Tout en reconnaissant qu'il
est tout à fait impossible, par suite de l'absence de
recherches historiques exactes sur l'économie politi-
que, notamment en Angleterre et en France, de classer
correctement les différents écrivains, même en s'en
tenant aux plus importants, il nous semble que nous
avons trouvé un fil conducteur dans le labyrinthe de
la littérature du système mercantile. Nous distinguons
"212 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
trois phases suffisamment caractérisées dans l'ensemble,
bien que quelques écrivains ne puissent, par suite de
l'incohérence de leurs principes ou du peu de clarté de
leurscxposés, être assignés avec certitude à l'une d'entre
elles.
A) La prohibition de V exportation de la monnaie.
Les formes les plus anciennes du mercantilisme sont :
la prohibition de l'exportation des monnaies, les altéra-
tions des monnaies désignées par l'étrange euphémisme
d'augmentation, et la fixation légale du cours des
changes. Par les défenses à l'exportation on appliquait
aux monnaies le système adopté pour le blé, et on
oubliait que la sortie de l'argent, qui, selon l'expression
du poète, per medios ire satellites amat, est la con-
séquence nécessaire de conditions économiques déter-
minées. Par les altérations et par le tarif officiel du
change on croyait pouvoir amener directement ou indi-
rectement une augmentation de la monnaie en cir-
culation.
Parmi les partisans de ces expédients, adoptés par un
grand nombre de gouvernements, il suffira de signaler
une série d'écrivains espagnols et portugais qui
réclament la prohibition des marchandises étrangères
ou des droits élevés comme un autre moyen efficace
pour conserver l'or et l'argent qui venait des colonies
d'outre-mer.
L. Ortiz, Mémorial al Rey para prohibir la salida de
l'oro, 1588.
Sancho de Moncada, Restauracion politica de Espana.
Madrid, 1619.
Damian de Ohvares, Mémorial para prohibir la enlrada
de los generos estrangeros. Madrid, 1621.
Duarte Gomez, Discursos sobre el commercio de lasdoi
Jndias. Lisboa, 1622, p. 218.
LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 213
Juan de Castanares, Sistema sobre prohibir la enlrada
de los generos eslrangeiros . Lisboa, 1626.
Parmi les écrivains monétaires italiens dont nous
avons parlé dans le chapitre précédent, De Santis et
Lunetti sont des partisans décidés de la défense d'ex-
portation des monnaies ; Biblia ne l'admet que pour les
monnaies nationales ; Bocchi l'approuve mais ne la
croit pas praticable ; Serra et Turbolo la repoussent
absolument.
Nous pouvons constater un progrès notable, quoique
relatif, chez quelques écrivains qui s'aperçoivent que
ces expédients ne permettent pas de conserver la mon-
naie, parce qu'ils s'arrêtent à certains symptômes de la
situation monétaire, mais ne tiennent pas compte des
véritables causes qui seules peuvent amener l'abondance
de l'or et de l'argent. Nous citerons Laffemas, contem-
porain de Serra et de Montchrétien, contrôleur général
du commerce sous Henri IV, qui, dans un des nombreux
opuscules cités par Lafïîtte, combat directement les dé-
fenses d'exportation de l'argent.
Barthélémy Lafïemas, Comme l'on doit permetlre la
liberté du transport de Vqr et de Vargent hors du
royaume, et par tel moyen conserver le nostre et at-
tirer celui des estranqers. Paris, 1602.
P. Lai^Rlle, Notice sur B. Laffemas. Paris, 1876.
B) La balance des contrats.
La seconde phase du système mercantile mérite
d'être étudiée de près. Elle s'est développée pratiquement
en Angleterre depuis les derniers siècles du moyen âge
et elle a eu de nombreux partisans ou adversaires théori-
ques vers la fin du xvi^ et au commencement du xvii«
siècles, quand le changement des conditions du com-
merce rendirent la continuation du système impossible.
214 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
Nous rencontrons pour la, première fois dans This-
toire de l'économie une polémique qui a provoqué de
très nombreux ouvrages... Ils ont été négligés dans les
meilleures histoires générales de l'économie (même par
Kautz et par Ingram) et même par des écrivains qui,
comme Roscher [Zur Geschichte der englischen
Volkswh'thschaftslehre. Leipzig, 1851-1852) et Ochen-
kowsky [Englands wirthschaftliche Entwickelung
am Ausgange des Mittelalters. Jena, 1879), se sont
occupés avec beaucoup de soin des anciens économistes
anglais.
Rich. Jones, Primitive political Economy of England{m
Edinhurgh Review, april 1847). Réimprimé dans
ses Literary Remains edited by W. Wheweli. Lon-
don, 1859, pp. 291-335.
J. Janschull, Le free-lrade anglais. Part, I. La période
du mercantilisme . Moscou, 1876(en russe).
Edm. V. lleyking, Zur Geschichte der Handelsbilanz-
theorie. l'-Ttieil. Berlin, 1880.
G. Schanz, Englische Handehpolilik gegen Ende de'i
Mittelalters. Leipzig, 1881. Deux volumes.
Em. Léser, Denksckrift ûber die englische WoUenin-
dustrie (1622). 1887.
Alb. Hahl, Zur Geschichte der Volksivirthschaft lichen
Ideen in England, etc. 1893.
Le système dont nous parlons a été appelé par
Jones, d'une expression heureuse, le système de la
balance des contrats (balance of bargains), parce que
c'était, en effet, un ensemble de mesures tendant à
surveiller les contrats entre commerçants anglais et
commerçants étrangers, afin qu'il en résultât une
augmentation de la monnaie en circulation dans l'Etat.
En plus de la défense de l'exportation de l'or et de
l'argent, les lois imposaient aux commerçants anglais,
qui vendaient leurs marchandises dans les villes
LES SYSTEMES EMPIRIQUES 21 O
(Bruges, Anvers et particulièrement Calais) qui avaient
le monopole de l'exportation des objets manufacturés
[staple towns), l'obligation de reporter dans leur patrie
en espèces sonnantes une partie déterminée du prix reçu
des étrangers. D'autres statuts {Statutes of em-
ployment] imposaient aux marchands étrangers, qui
vendaient leurs marchandises en Angleterre, le devoir
d'employer Targent reçu en achats de produits anglais.
Pour assurer l'exécution de ces prescriptions, les com-
merçants étaient soumis à une surveillance spéciale de
la part des fonctionnaires [customers] chargés de
la perception des droits dans les staple towns ; ils
devaient faire changer en monnaies anglaises, par
Tintermédiaire d'un autre fonctionnaire public {royal
exc/ianger), les monnaies étrangères dont ils étaient
détenteurs.
Avec le temps, différentes circonstances, la reprise de
Calais par les Français, les altérations monétaires
d'Henri VIII et le fréquent usage des lettres de change
dans les paiements des dettes commerciales, rendirent
toujours plus difficile l'exécution rigoureuse de ces
mesures. Finalement l'importance acquise dans le
commerce international par la fameuse compagnie des
merchcint adventurers, qui luttaient avec succès contre
le monopole des anciens centres du commerce d'expor-
tation, contribua à ruiner presque totalement le
système et à donner naissance à la dernière phase du
mercantilisme.
Les ouvrages théoriques qui défendent le système de
la balance des contrats sont très rares au xvi^ siècle,
mais ils se multiplient dans les premières décades du
siècle suivant.
Clément Armstong, A irealise conceming ihe staple
and the commodities of Um reaime. Vers 1530.
Édité par R. Pauli avec deux mémoires anony-
2i6 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
mes adressés au comte d'Essen, Drel volksivivth-
schaflliche Denkschriflen aus cler zeit Heinrichs
VIII. Gôllingen, 1878.
Dans ses ouvrages de polémique Thomas Milles,
employé aux douanes, exprime quelques idées générales
sur les impôts, combat les compagnies privilégiées et
propose le retour au système de la balance des contrats.
Plus intéressante est la controverse (commentée par
Janschull) entre le hollandais Gérard Malynes, qui
déplore les ruses des banquiers, causes principales de
la sortie de l'argent, et qui demande le rétablissement
de l'office de changeur royal, et Edouard Misselden,
qui se déclare l'ennemi des anciennes restrictions et le
défenseur du free-trade, c'est-à-dire du commerce libre,
débarrassé des monopoles des individus ou des villes
et soumis aux seules restrictions nécessitées par l'intérêt
général. Misselden est'certainement (s'il n'est pas le pre-
mier comme le croit Janschull) un des meilleurs écono-
mistes de son temps.
Th. Milles, The customcrs apologie. London, 1604. —
The cuslomers replie, 1604. — The mislery of ini-
quity, 1609. — An abstract almost Verbatim of Ihe
cuslomers apologie, 1622.
G. Malynes, A trealise of the canker of EnglaniVs
commomvealth, msivs 1601. — St. George for En-
gland allegorically descrihed, mai 1601. — En-
glands iviews in the unmasking of tivo paradoxes,
1603. — 2'he maintenance of free trade, 1622. —
The center of the circle of commerce, 1623. — Lex
mercatoria, 1622.
Ed. Misselden, Free trade or meanes to make trade
flourisli . London, 1622. 2" édit. — The circle of com-
merce or the balance of tirade in défense of free
trade. London, 1623.
Dès cette époque le public anglais commence à pren-
dre part aux controverses économiques, et les ouvrages
LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 217
deviennent si nombreux que, vers le milieu du siècle
passé, Massie avait recueilli près de mille cinq cents
ouvrages ou opuscules dont on conserve le catalogue
au Musée Britannique (Mss. Lansdowne 1049, cité par
Cunningham, The Economie Journsil, n" 1. London,
1891, pag. 81;. Dans ces controverses chacun des
intérêts de classe trouve des défenseurs. C'est ainsi,
par exemple, queKeymor, Gentleman, Davies sont des
défenseurs de la pêche, Wheeler, agent des mer chant
adventurers (combattu par Milles) défend, comme
Misselden, les intérêts du commerce d'exportation,
tandis que Raleigh, Verger, Digges etc., défendent le
commerce colonial, et un anonyme les manufactures.
J. Keymor, On Ihe dutch fishing, 1601.
T. Gentleman, The icay lo icin weailh, 1614.
W. Jotin Wheeler, A ireaiise of commerce, 1601.
W. Raleigh, Observations touching Iradeand commerce,
1614.
Sir Duflley Digges, The defence of trade, 1615.
A true discovery of Ihe decay of trade, 1622 (Edité par
Léser, op. cil).
C) La. balance du commerce.
Un examen plus attentif des fonctions du commerce
amène quelques écrivains, relativement libéraux, à se
persuader toujours davantage du peu d'efficacité du
système qui prétendait surveiller chaque contrat afin
d'obtenir une augmentation de la circulation monétaire,
système auprès duquel les ouvrages de Bodin (1576),
d'Haies et de Stafford (1549 et 1581) et ceux de Botero
(1589) marquent déjà un progrès notable. Nous citerons,
parmi beaucoup d'autres, Lewis Robert {The treasure
oftraffike, 1641) et .John Parker (0/" a free i7'ade, lti48).
Mais le négociant Thomas Mun est l'auteur qui
donne aux idées nouvelles une forme vraiment systéma-
218 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
tique. Dans son Discourse oftra.de, publié en 1621 (et
non en 1609 comme le dit Mac CuUocli), et dans une
Pétition au Parlement (1628) il défend lui aussi la
Compagnie des Indes Orientales en démontrant, sans
attaquer du reste les statutes of employaient, qu'elle
provoque par son commerce une importation de mon-
naie de beaucoup supérieure à Texportation. Mais dans
un autre de ses ouvrages, beaucoup plus important,
écrit entre 1641 et 1651, publié après sa mort par son
fils en 1664 sous le titre significatif de EnglancVs
treasure by forraign trade, il fait un exposé complet
de la théorie du commerce internationnal, mieux éla-
borée que celle de Misselden, sans tomber dans les
exagérations de beaucoup de mercanlilistes postérieurs.
Ce livre a eu en Angleterre et à l'étranger une grande
autorité. Il nous suffira de rappeler que Genovesi, en
1764, le fit traduire en appendice à l'édition napolitaine
de Cary et qu'Adam Smith se réfère principalement à
Locke et à Mun pour réfuter le mercantilisme.
Mun se propose de démontrer que l'unique moyen
de s'enrichir consiste pour un Etat à diriger l'ensemble
de ses opérations commerciales de telle sorte que la
valeur des marchandises exportées dépasse celle des
marchandises importées, et obtenir ainsi un « résidu»
actif (balance) que l'on doit, sans vexations, faire payer
en argent. Ce résidu permet seul au prince d^augmenter
son « trésor ». Dans ce but il demande des lois somp-
tuaires, la fondation de colonies, des encouragements
à la marine et au commerce de transit, des droits
d'entrée élevés (mais non prohibitifs) sur les marchan-
dises étrangères, des facilités pour les exportations des
nationaux et pour l'importation des matières premières
que l'on peut travailler dans le pays et en particulier
pour celles qui viennent des Indes. Pour montrer que
cette importation de matières premières ne peut pas
LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 219
être nuisible, il cite l'exemple du paysan auquel le sol
restitue au centuple les semences qu'on lui a confiées.
Mun n'ignore pas que le mouvement de la monnaie ne
dépend pas seulement de celui des marchandises, mais
qu'il dépend aussi d'autres causes. Il sait également
qu'une très grande quantité de monnaie renchérit no-
minalement la valeur des marchandises et empêche
leur exportation, il n'ignore pas enfin les imperfections
des tableaux de douane qui servent de base pour
calculer si la balance est ou non favorable.
T. M. A discourse of trade from Emjland into the East
Indies. London, 1621.
Thomas Mun, EnglanWs treasureby forraign trade, or
the ballance of our forraign trade is the rule of
ourtreasure. London, 1664. (Réimprimé par Mac
Culloch clans la très rare Select collection of early
english tracts on commerce. London, 1856, pag. 1
et suiv., 116 et suiv.)
Parmi les partisans anglais de la balance du com-
merce, il y a deux tendances absolument opposées, au
point de vue pratique comme au point de vue spéculatif.
Les pessimistes se lamentent sur la décadence de l'An-
gleterre qu'ils attribuent au commerce « passif » avec
les Indes et avec la France et à la concurrence ruineuse
■de l'Irlande pour Tindustrie de la laine.
Sam. Fortrey, England's interest and improcement,
1629.
Roger Coke, A discourse on trade, 1670; et divers tra-
vaux écrits de 1671 à 1696.
(Anonyme) Britannia languens, 1680.
John Pollexfen, England and East India inconsitent in
their manufactures, 1697.
Ch. King, British merchant or commerce preserved,
1721.
Jos. Gee, Trade and navigation ofGreat Britain, 1729.
220 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
Les mercantilistes les plus modérés, admirateurs
de la politique économique de la Hollande, portent un
jugement bien différent sur les conditions économiques
de l'Angleterre. Il nous faut mentionner, en dehors d'un
anonyme fort libéral (E?7(jf/a?id'sgreaf hajojJiness, 1677),
trois écrivains qui, au siècle passé, ont été fort appréciés,
même en Italie^ Temple, Child et Davenant.
On doit à Guillaume Temple, qui fut longtemps am-
bassadeur d'Angleterre dans les Pays-Bas, d'excellentes
observations sur le travail, l'épargne, le luxe et les
rapports de la production et de la consommation. Josias
Child mérite davantage encore de retenir l'attention
pour ses jugements exacts sur les caractères de la mon-
naie, pour ses idées modérées sur la population, pour
son hostilité contre les monopoles et les autres entraves
mises au commerce intérieur, et surtout parce qu'il
considère la balance du commerce non comme une
cause, mais comme un effet des bonnes conditions du
commerce et en particulier du commerce maritime. Il a
cependant des idées étroites sur lés rapports de la mère
patrie avec les colonies ; avec Culpeper il demande la
réduction légale du taux de l'intérêt et il attribue à l'in-
fériorité de son taux de l'intérêt la prospérité de la
Hollande. Les œuvres économiques, financières et sta-
tistiques de Charles Davenant marquent un progrès
encore plus important. Très peu convaincu (dans ses
dernières œuvres) de l'exactitude des calculs basés sur
l'importation et l'exportation, il est (comme l'a remar-
qué Pierson) plutôt mercantiliste de nom que de fait ; il
demeure cependant partisan des compagnies privilégiées
et du système colonial le plus rigoureux ; il admire
l'acte de navigation de Cromwell, que Child (comme plus
tard Smith) n'approuve que pour des raisons politiques ;
il est enfin un adversaire déclaré des emprunts pu-
blics.
LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 221
W. Temple, Obseroations iipon the uniled Provinces of
Nelherlands, 1672. — Essay on the (rade of Ireland,
1673.
Jos. Chil.i, Observations concerning trade ond interesl of
money, 1668. — A new discourse on trade, 1690, 2«
édil., 1694.
(Sir Thomas Culpeper), /l tract against usurie^ 1640.
Usefiil remarks on high interest, 1641.
Ch. Davenant, Essay on the Easl India trade, 1696-97.
— Essay on the probable means of making apeoplc
gainers in the balance of trade, 1699. — Discourses
on the public revenues and on the trade of England,
1698. — Essay upon loans, 1710.
Les mercantilistes allemand.s et espagnols de cette
période, de même que les mercantilistes français et
italiens, sont de beaucoup inférieurs aux mercantilistes
anglais, bien qu'ils aient été beaucoup appréciés à leur
époque.
J. J. Bêcher [Politischer Disciu's, 1668, 6® édit.
1759), Ph. W. von Hôrnigk, son beau-frère, tout puis-
sant dans le monde officiel {Oesterreich ûber Ailes,
1684), et le baron Guillaume de Schroder [Fûrstliche
Schatz-iind Rentkaminer , 1686), l'un des plus anciens
partisans des emprunts publics, demandent Tapplication
à l'Autriche d'un système restrictif rigoureux. Une
opinion plus modérée est représentée par Seckendorff,
l'auteur d'un traité de politique spécialement finan-
cière, adapté aux conditions des petits états allemands
{Der deutsche Fûrsterstaat, 1655) et plus encore par
l'illustre polygraphe Hermann Conring (1606-1681),
célèbre dans l'histoire de la statistique, et l'auteur
d'essais remarquables sur les impôts.
La série des mercantilistes minores se clôt en
Espagne avec Jérôme Ustariz et Bernard Ulloa, tous
deux admirateurs de Colbert. Leurs œuvres, traduites
en plusieurs langues, exercèrent une notable influence
922 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
sur plusieurs écrivains italiens et allemands du siècle
passé.
G. Ustariz, Teorka y practica de comercic y de marina.
Madrid, 1724, 3« édit., 1757. Traduction libre par
Forbonnais. Paris, 1753. Trad. italienne., Rome,
1793.
B. Ulloa, Restableclmienio de las fabricas y comercia
espaiwl. Madrid, 1740. Deux volumes. Trad. franc .
Amsterdam, 1753.
Cfr. A. Wirminghaus, Zziei spanische Jlercaniilisteyi.
Jena, 1886.
L'ouvrage de Jean François Melon (Essai politique
aur le Commerce. Amsterdam, 173 't. Nouvelle édit..
J754) est le résumé le plus autorisé des doctrines pro-
fessées sur l'économie ou, comme on le disait alors, sur
le commerce. La célébrité et la diffusion de son livre
ont été très grandes, moins pour son mérite théorique,,
qui est très faible, mais pour sa brièveté et sa clarté.
Melon préconise la liberté du commerce, entendue,
cependant, dans le sens d'un échange du superflu
contre le nécessaire ; il admet de nombreuses restric-
tions à l'importation et à l'exportation ; il est favorable
aux compagnies privilégiées, aux emprunts publics,
qu'il appelle des dettes de la main droite à la main
L^auche et, dans certaines limites, même aux altérations
monétaires. Sur ce dernier point il trouve un contra-
dicteur dans Dutôt, le caissier de Law {Réflexions
politiques sur le commerce et les finances. Amster-
dam, 1738 . L'écho de ces controverses est allé juscju'en
Italie, où elles ont été résumées par Gérùme Costan-
tini (1754;. Les doctrines de Melon ont fait école et elles
ont été exposées par le banquier romain Gérôme Bel-
loni dans un discours qui a eu un grand succès, et
plus coip.plètement par Joseph Antoine Costantini, par
Ricci (1755) et par le père G. P. Pereira, d'origine por-
LES SYSTEMES EMPIRIQUES 223
tugaise (1757). Broggia {Dei tributi, 1743) et Muratori
[Délia publica félicita. Modena, 1749) sont des dis-
ciples de Melon, mais leur doctrine sur le commerce
des blés est moins libérale.
March. G. Belloni, Del commercio, dissertazione.
Roma, 1750. 2« édit. 1757).
Giov. Sappelti cosentino (Guiseppe Antonio Costan-
Uni , Eleinenii di commercio . Genova, 1762 (l'''=édit.
1749).
Dans la première moitié du siècle passé, le système
mercantile s'est, petit à petit, transformé en système
protecteur. La balance du commerce, le cours des
changes passent au second plan ; ils ne sont plus le but,
mais le symptôme de la prospérité économique. Ce qui
importe, avant tout, c'est Taugmentation de la densité
de la population, le développement du commerce, de la
navigation et, en particulier, des manufactures, qui
donnent les profits les plus élevés, occupent un plus
grand nombre de personnes, etc. Tandis que, à l'origine,
le système mercantile, comme l'a démontré Heyking
(Op. cit., pag. 24-43) unissait l'idée de l'équilibre éco-
mique à celle de l'équilibre politique (ce que Justi con-
sidère comme une chimère), plus tard, son caractère
national devient plus marqué, et il cherche à donner à
l'Etat non seulement l'indépendance, mais la supré-
matie et, partant, il recherche la puissance politique
plus que l'augmentation de la richesse. C'est un point
que Cunningham a mis en lumière pour les écono-
mistes anglais et que beaucoup de critiques oublient
trop souvent.
W. Cunningham, Adam Synith und die Merkantilisien
(in Zeitschr. fur die ges. Staatsitnss, pp. 41-64). —
The progress of économie doctrine in England, etc.
(in The Economie Journal. Voll. 1891, pp. 73-94).
224 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
Pour juger le système mercantile dans son ensemble,
il faut le juger en se tenant également éloigné d'un
rationalisme superficiel et des réhabilitions intempes-
tives. Par ses manifestations pratiques les plus pures
et les plus grandioses et en même temps les plus tem-
pérées, c'est-à-dire dans l'acte de navigation de Crom-
well (1651) et dans les réformes économiques et fiscales
de Colbert (1661-1683), le mercantilisme a contribué à
la création de la marine anglaise et à celle des manu-
factures françaises. Le génie de Colbert conçut une
œuvre grandiose et il eut la volonté ferme de l'atteindre;
il ne s'en tint pas aux expédients mesquins de ses pré-
décesseurs, que beaucoup de ses successeurs ont repris,
et il n'aboutit pas, comme on l'a cru quelquefois, à des
conséquences absurdes. Il supprima un grand nombre
de restrictions au commerce intérieur, améliora les
moyens de transport et de communication, unifia les
poids et les mesures, etc. S'il multiplia, sans nécessité
véritable, les règlements de fabrique, il établit en 1634
un tarif, qui a été élevé en 1667 par représailles contre la
Hollande, mais qui est encore libéral, si on le compare
à ceux du protectionisme moderne. Il ne faut pas ou-
blier que Colbert a déclaré, à plusieurs reprises, que les
mesures adoptées par lui avaient un caractère purement
provisoire. Et il est facile de comprendre pourquoi Wal-
pole et Pitt (senior) en Angleterre, Frédéric Guillaume T""
et Frédéric II de Prusse, Joseph II d'Autriche, Pierre le
Grand en Russie, ont essayé, rarement avec la même
habileté et par suite avec un succès varié, de suivre les
traces de Colbert.
F. Joubleau, Éludes sur Colherl. Paris, 1856. Deux vo-
lumes.
P. Clément, Histoire de Colbert et de son administration.
2^ édit. Paris, 1875. Deux volumes (E.xcelleDt ou-
vrage).
LES SYSTÈMES EMPIRIQUES 225
Neymarck, Colbert et son tenais. Paris, 1877. Deux vo-
lumes.
G. Cohn, Colbert vornehmlich in staatstvisihschafl-
licher Hinsichl. In Zeitsclmft de Tubingue. Vol.
25 et 26, 1869-1870, pp. 369-434, 390-454 (Monogra-
phie soignée avec une bonne indication des
sources).
Considéré au point de vue théorique, le système mer-
cantile, dans ses phases de la balance du commerce et
de la protection douanière, se présente comme une pre-
mière tentative d'explication des différents moments de
la circulation des richesses. C'e.st un essai nécessaire-
ment imparfait, parce que le phénomène de la produc-
tion n'était pas encore expliqué ; on n'avait pas une
notion exacte du capital, que l'on confondait avec l'ar-
gent, dans lequel on voyait la forme de richesse la plus
durable et la plus facile à être accumulée. Sans doute,
les mercantilistes ont exagéré l'importance de la mon-
naie, parce qu'ils ne voyaient pas nettement qu'elle
n'est essentiellement qu'un instrument ; tous ne s'aper-
cevaient pas qu'il était impossible d'acheter sans vendre ;
quelques-uns proposaient des moyens qui n'étaient
nullement propres à atteindre les résultats cherchés.
Ils avaient raison de voir dans l'argent une marchan-
dise siii generis et de déplorer les inconvénients
qu'entraîne sa pénurie, mais ils ne s'apercevaient pas
qu'une quantité excessive pouvait avoir des inconvé-
nients, parce qu'elle élevait les prix et rendait toujours
plus difficiles les exportations. Ils ignoraient que l'uti-
lité de la monnaie dépendait, non seulement de sa
masse, mais aussi de la rapidité de son cours; ils
ne comprenaient pas que la balance du commerce
et la balance des créances et des dettes ne sont pas tou-
jours la même chose, et qu'il était possible, pour une
nation, d'importer des marchandises d'une valeur supé-
15
226 LES SYSTÈMES EMPIRIQUES
rieure à celle des marchandises exportées, sans, pour
cela, épuiser son stock métallique, parce que tous les
paiements ne se font pas en monnaie et parce qu'il
est possible de compenser l'excédent de valeur des
produits venus de l'étranger par des créances sur
l'étranger. Les mercantilistes croyaient, à tort égale-
ment, qu'il était possible d'avoir une balance toujours
favorable, et ils ne parvenaient pas à comprendre qu'un
sophisme se cache dans le principe de la réciprocité,
qui était l'idéal des traités de commerce, parce que
refuser les marchandises étrangères à raison du refus
que l'étranger fait de nos produits, c'est refuser un
avantage parce que un autre se le refuse.
Au lieu de se persuader que les peuples comme les
individus ne peuvent s'enrichir s'ils ne produisent plus
qu'ils ne consomment, les mercantilistes, ne tenant
compte que du commerce extérieur et des marîufac-
tures qui en formaient le principal aliment, ensei-
gnaient qu'il faut exporter plus que ce que l'on importe,
et confondaient ainsi l'importation avec la consomma-
tion et l'exportation avec la production, par suite de
cette fausse supposition que l'intérêt général de la nation
s'identifie avec l'intérêt des commerçants. Cette erreur et
les conséquences funestes qui résultèrent des rivalités et
des guerres des Anglais, des Français et des Hollandais,
qui se disputèrent à coups de tarif l'hégémonie écono-
mique, ne se trouvent certainement pas justifiées, mais
elles s'expliquent et s'atténuent, si l'on pense à l'impor-
tance exceptionnelle du commerce et de la monnaie à
cette époque et chez ces nations qui virent naître les
premiers penseurs qui se préoccupèrent des causes et
des mouvements de la richesse nationale.
CHAPITRE V
LA RÉACTION LIBÉRALE ET L ÉCLECTISME
La décadenco de l'agriculture, opprimée par les exac-
tions féodales et par le poids d'impôts excessifs et mal
répartis, le nombre croissant des pauvres, les tristes
conséquences du régime de tutelle rigoureuse auquel
étaient soumises les manufactures, enchaînées dans les
corporations, perverties par l'esprit de monopole et de-
venues, sous les successeurs inhabiles de Colbert, des
instruments dociles de fiscalité et de police, toutes ces
causes firent naitre dans l'esprit de certains philan-
tropes et de certains magistrats, zélés pour le bien
public et désireux de remédier aux maux qui oppri-
maient la classe la moins aisée et spécialement les
cultivateurs, le désir de réformes économiques et fis-
cales, qu'ils ont soigneusement indiquées et défendues
avec fermeté. Ces projets concernent en particulier le
commerce des grains, la réorganisation du système des
impôts, les abus des corporations ; ils ont amené, vers
la fin du xviL^ siècle et dans la première moitié du xviii",
d'importants changements dans la politique économique
de beaucoup d'Etats, et ils ont fourni en même temps
de nouveaux matériaux à la recherche scientifique.
§ I. — Le prgtegtionisme agraire.
Les partisans de ce système devaient soutenir une
double lutte, et contre les partisans des anciennes me-
228 LA RÉACTION LIBÉRALE
sures annonaires, qui avaient pour objet de protéger le
public contre les dangers des famines, spécialement par
la défense d'exportation des grains, et contre les mer-
cantilistes et les protectionnistes industriels, qui re-
doutaient l'exportation de la monnaie et désiraient
que le prix des céréales fût peu élevé parce qu'ils
espéraient obtenir ainsi la diminution des salaires et
l'augmentation des profits. Ils répétaient, au contraire,
après Sully, que l'agriculture et le pâturage sont les
deux mamelles de l'Etat, et ils proposaient des mesures
douanières qui avaient pour but de garantir aux cultiva-
teurs et aux propriétaires des prix rémunérateurs, qui les
amèneraient à ne pas négliger et même à améliorer
leurs terres.
Le premier partisan du protectionisme agraire est un
homme politique hollandais, Graswinkel (1651), dont
la renommée ne dépassa pas les frontières de son pays.
Boisguilbert eut, au contraire, une plus grande célé-
brité; il est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages,
qui ont exercé une influence notable sur les italiens
Pascoli et Bandini. Ces écrivains, et d'autres de moin-
dre importance, pouvaient invoquer à l'appui de leurs
opinions, l'exemple delà législation annonaire anglaise.
Par deux actes célèbres elle avait introduit, en 1670,
une échelle mobile qui réglait les droits à l'importa-
tion d'après les prix du blé à l'intérieur du royaume,
et elle accordait par le bounty act de 1689 des primes
à l'exportation des céréales.
Rich. Faber, Die Entstehung des Agrarschuizes in En-
gland. Strasburg, 1888.
Tandis que, quelques années auparavant, la plupart
des économistes anglais recommandaient l'imitation du
régime commercial de la Hollande, nous avons main-
ET l'éclectisme 229
tenant une série d'économistes français , d'écrivains
allemands et spécialement d'écrivains italiens, qui de-
mandent l'adoption de la législation agraire de l'Angle-
terre. Le premier dans l'ordre des temps, et aussi par
sa pratique administrative, par la large base théorique
de ses arguments, par le zèle qu'il déploie en faveur
des classes rurales auxquelles il voudrait assurer un
sort meilleur, est un illustre magistrat normand, Pierre
le Pesant de Boisguilbert, C'est un adversaire éner-
gique du colbertisme, un ennemi des privilèges accordés
aux manufactures. Il demande de profondes réformes
fiscales, l'abolition des douanes intérieures et la liberté
absolue d'exportation des céréales ; mais il est en même
temps persuadé de la nécessité d'empêcher par des droits
élevés à l'importation la concurrence ruineuse des mar-
chandises étrangères. Il a exposé ses idées dans un cer-
tain nombre d'écrits, d'un style pénible, sans beaucoup
d'ordre et quelquefois peu clair. Le Détail de la, France
( 1 697) et le Factuin de la France ( 1 707) ont un caractère
plus particulièrement statistique. Ses autres ouvrages
sont théorico-pratiques : le Traité de la nature^ cul-
ture, commerce et intérêt des grains (1704), la Dis-
sertation sur la nature des richesses, de l'argent et des
i7'^6^t^s, etc. Ces deux derniers ouvrages ont été réunis,
deux ans avant la mort de l'auteur, sous le titre inexact
de Testament politique de M. de Fau5an(1712). Quel-
ques biographes de Boisguilbert (Daire, Horn, Cadet),
s'appuyant sur certaines de ses phrases {laissez faire la
nature et la liberté) et sur l'emphase avec laquelle il
combat l'importance excessive donnée à la monnaie,
qui devrait être le « valet » et non le « tyran » du com-
merce, ont voulu faire de Boisguilbert un libre échan-
giste absolu, et ils ont qualifié de contradictions ses
propositions restrictives. On pourrait, par ce procédé,
porter sur Colbert le même jugement, puisqu'il répète
230 LA RÉACTION LIBÉRALE
dans un grand nombre de documents officiels que le
commerce doit être « extrêmement libre ».
J.C. Horn, V économie politique avant les Physiocrales.
Paris, 1867.
P. Cadet, Pierre de Boisguilbert, précurseur des écono-
mistes. Paris, 1870.
W. von Sl^arzynsky, P. de Boisguilbert und seine
Beziehungen zur neueren Volksicirthschaftslehre.
Berlin, 1873.
Gust. Cohn, Boisguilbert, {Zeilschrift fur die ges.
Staalsu-iss. Vol. XXV, 1869, pag. 369). Excellent
essai.
Aug. Oncken, Die Maxime laissez faire et laissez
passer, etc. Bern, 1886, p. 49-55.
Il nous suffira de mentionner parmi les autres protec-
tionnistes agraires français, Claude Herbert, que Kautz
rattache à tort à la physiocratie; il est l'auteur d'un livre
connu même en Italie, où il fut traduit par l'ordre du
gouvernement napolitain, en 1764, et parut précédé
d'une préface de Genovesi.
Cl. Herbert, Essai sur la police générale des bleds
Londres, 1754. — Xouv. édit. Berlin, 1757.
Boisguilbert a eu, en Italie, plus d'influence que
Melon. Son école y est représentée par deux précur-
seurs notables des réformes qui furent tentées à Rome
par Pie VI et réalisées à Florence par Pierre Léopold :
l'abbé Léon Pascoli, de Pérouse. trop vite oublié, et
l'archidiacre Salluste Antoine Bandini. de Sienne ,
beaucoup plus connu, mais qui n'a pas toujours été jugé
équitablement.
Léon Pascoli accepte les théories de Boisguilbert (il
lui emprunte le titre de son principal ouvrage), mais il
ne répudie cependant pas le mercantilisme. Il est par-
tisan de l'abolition des douanes intérieures, de la libre
ET l'éclectisme 231
exportation des grains (sauf en temps de disette), mais il
demande au contraire la prohibition de l'exportation
des matières premières et de l'introduction des objets
manufacturés, comme cela se pratique en Angleterre.
Teatamento poiilico d'un accademico fiorenii.no. Colonia
(Perugia) 1733 i^écriL en 1728). —Voir aussi sa
préface à son autre ouvrage (avec le nom de l'au-
teur) IL Tevere navigato e navigabile. Roma,
1740.
Bandini (1677-1760) est un disciple plus résolu de
Boisguilbert, dont il a reproduit de nombreux passages
(comme l'a démontré Gobbi) ; il s'est aussi assimilé son
système et en partie aussi celui de Vauban, et il en a
fait application aux conditions des Maremmes de Sienne,
ruinées par le mauvais gouvernement des Médicis.
Dans son Discorso (1737), il proposait une réforme
économique complète : l'abolition des mesures an-
nonnaires, et une réforme fiscale, à savoir un sys-
tème d'impôts qui, tout en conservant les droits
à l'importation, consistait essentiellement dans une
dime sur les terres, d'après les déclarations des pro-
priétaires, payée en argent, pour laquelle on tiendrait
compte des variations de prix des denrées et qui
serait perçue et répartie par les communes, qui en pren-
draient la ferme. C'est une erreur étrange (relevée
d'abord en 1819 par Gambini, et réfutée en 1852 par
Ferrara) de voir dans Bandini un libre échangiste
absolu (comme l'ont fait, après Gorani, presque tous
les historiens de l'économie politique) et même un
ancêtre de Cobden, comme le croient, avec Zobi, un
très grand nombre de spéciah.stes toscans, qui oublient
que Bandini non seulement admet les défenses d'im-
portation des céréales, mais qu'il n'est pas toujours
débarassé de toute crainte au sujet de la sortie de la
232
LA REACTION LIBÉRALE
monnaie et qu'il a encore quelques préjugés (que lui a
reprochés Paoletti) sur les « magasins d'abondance ».
S. A. Ba.nd\n\. Discorso Economico, elc.Firenze, 1775"
Réimprimé en 1803 (in Raccolla de Custodi. P.
Mod. Tom I) et plusieurs fois à Sienne. La meil-
leure édition est celle de 1877. — (V. les très
intéressants Ricordi de Bandini Piccolomini.
Siena, 1880).
Pour conclure sur la valeur des protectionnistes
agraires, soit au point de vue théorique, soit au point
de vue pratique, nous remarquerons qu'ils ne furent ni
les fondateurs de la science économique, ni les précur-
seurs directs du système physiocratique, ni les inspira-
teurs immédiats des réformes économiques et fiscales.
D'autre part, il est certain que Boisguilbert, par sa cri-
tique du colbertisme, par sa théorie de la solidarité des
intérêts, en opposition complète avec le pessimisme de
Montaigne et de Bacon, mais spécialement par l'apolo-
gie du haut prix des denrées agricoles et par l'identifi-
cation de l'intérêt des classes rurales avec celui de la
nation, a suggéré à la physiocratie un de ses principes
fondamentaux. Quant à Bandini, qui ne peut aspirer à
aucune importance théorique, il a le mérite d'avoir
par ses sages conseils, méprisés des ignares minis-
tres de Jean Gaston, préparé la voie aux réformes de
Léopold, beaucoup plus radicales comme on le sait,
mais qui (comme cela sera démontré par le savant
professeur Morèna dans un volume qui contient ses ar-
ticles publiés dans la Rassegna, nationale) ne furent
pas seulement inspirées et défendues par des libres
échangistes absolus (Neri, Fabbroni, Fossombroni),
mais qui ont été soutenues par d'autres (Gianni, etc.)
qui n'allaient pas au delà des idées de Bandini, sans
parler de ceux qui demandaient, comme Biffî Tolo-
ET l'éclectisme 233
mei, la défense d'exportation des matières premières et
faisaient rétrograder la science jusqu'à Pascoli.
PompeoNeri, Discorso sopra la materia frumentaria,
1767 (Publié en appendice au livre de Fabbroni,
Dei provvedhnenU annonarii. Firenze, 1804).
Les œuvres de Gianni et de Fabbroni, incomplètes,
forment la RaccoUa degli Economisti toscani. (Fi-
renze, 1847-49. Quatre volumes).
Les œuvres très intéressantes de Fossombroni, en
grande partie inédites, seront prochainement pu-
bliées par Morena.
Aldobr. G. B. Paolini, Dclla legittima liber là ciel com-
mercio.Yol I et IL Firenze, 1785 et suiv.
Matteo BifTi Tolomei, Sentimento im'parziale per la Tos-
cami, 1791. — Esame del commercio attivo toscano,
1792. — Confronta délia ricchezza dei paesi che
godono libertà nel commercio friimentario, etc., 2«
édit. 1795.
S 2. LA LIBERTÉ INDUSTRIELLE
De nombreux et vaillants écrivains anglais et spéciale-
ment des écrivains français, prédécesseurs ou contem-
porains des pliysiocrates, se sont efforcés de démolir la
partie la plus vulnérable des mesures de Colbert, c'est-
à-dire les obstacles mis à la liberté de l'industrie et du
commerce intérieur par les corporations privilégiées et
les règlements de fabrication.
Em. Levasseur, Histoire des classes ouvrières en France
jusqu'à la Révolution. Paris, 1859. Deux volumes.
H.. W. Farnam, Die innere franz'ôsische Gewerbepo-
lilik von Colbert bis Turcjot. Leipzig, 1878.
Hubert Valleroux, Les corporations d'arts et métiers.
Paris, 1885.
23^
LA REACTION LIBERALE
G.AlberLi,Ze corponizione d'arti e mesiieri e la libertà
ciel commercio inierno, etc. Milano, 1888.
La guerre contre les corps de métier est, en vérité,
beaucoup plus ancienne ; dès le xvi"^ siècle, Bodin
(1568 et 1576) et avant lui Haies, dans un ouvrage pu-
blié par Stafford en 1581 , condamnaient leurs tendances
au monopole et demandaient qu'elles fussent ouvertes
à tous, y compris les étrangers. Au siècle suivant les
maîtrises trouvèrent des adversaires encore plus réso-
lus dans le triumvirat, alors fameux, des mercanli-
listes autrichiens, Bêcher (1668), v. Hornigk (1684) et
Schroder (1686), en cela d'accord avec Seckendorff
{Additiones à la troisième édition de son Deutscher
Fûrstenstasit, 1665). Mais ces adversaires n'avaient pas
d'autre objet que de remplacer les règlements des cor-
porations privilégiées et en partie encore autonomes
par des règlements beaucoup plus rigoureux édictés
par rÉtat, comme, par exemple, l'inspection officielle
et la marque obligatoire des produits. On trouve aussi
à cette époque des adversaires relativement plus libé-
raux^ comme, par exemple, Child (Observation concer-
ning trade, 1668^, Coke {Enghind's improvement
1675) et un écrivain plus éminent, Pierre De la Court
(1618-1685). le plus illustre des anciens économistes
hollandais, qui a étudié la structure intime des corpo-
rations dont il a fait une critique très vive et demandé,
sans être écouté, la réforme radicale. Ses doctrines ont
été exposées par Laspeyres et par van Rees dans leurs
Histoires (citées au chapitre I") et dans divers ou-
vrages spéciaux.
Het Welicaeren der Stad Leyden, 1659. — Inierest van
Holland, 1662 (trad. parue sous le litre : Mémoires
de Jean de Wilt. Ratisbonne, 1709). — Aamvysing
der heilsame poliiike Gronden, etc. Leyden, 1669
(trad. allemande, 1672).
ET L^ÉGLEGTISME 235
Et. Laspeyres, Miitheilungen aus P. de la CourVs
Schrlfien (m Zeitschr. fur die ges. Staatswissen-
schaft,i862, p. 330-374).
0. van Rees, Het Wel>vaeren, etc. Utrecht, 1851.
L'abolition des maîtrises a été en vain suggérée en
1752 au Sénat de Venise par Dolfîn (Ag. Sagredo,
Sulle consorterie délie arti edifica,tive. Venezia 1857,
page 190) ; elle a été effectuée, en 1770, en Toscane par
Pierre Léopold, avec la collaboration de Sarchiani
{Ragioname7ito sut commercio, etc. 1781. — Meinorie
economico-politiche 1783), en France par Turgot et
par la Constituante (1776, 1791) et en 1787 en Lombar-
die, grâce à Beccaria et à Verri, aux ouvrages de
Decker (1744), de Tucker (1750) et de Plumart de
Dangeul {Remarques sur les avantages et les désavan-
tages de la France et de la Grande-Bretagne, 1754.
Traduction italienne, Venezia, 1758). Plus explicite
encore est l'excellente monographie de Simon Clicquot
de Blervâche (1723-1796), inspecteur général des ma-
nufactures. En réponse à une demande de l'Académie
d'Amiens, il exposait avec une grande compétence théo-
rique et pratique les inconvénients du régime corpo-
ratif et il indiquait les moyens de les faire disparaître ;
il a étudié aussi le difficile problème du remboursement
des dettes des corporations, que Turgot a négligé. Parmi
les plus zélés inspirateurs des réformes tendant à éman-
ciper le commerce intérieur de la France il faut rappe-
ler aussi Jean Claude Marie Vincent (seigneur de
Gournay), intendant du commerce (1712-1759), traduc-
teur de Culpeper et de Child (1754), auquel on attribue
la célèbre maxime laissez passer, et que l'on considère,
depuis V Eloge qu'en a fait Turgot, — et c'est une de ces
fables convenues si fréquentes dans l'histoire de l'é-
conomie — comme le second fondateur du système
physiocratique. Pour se convaincre du contraire on
236 ■ LA RÉACTION LIBÉRALE
pourra lire la monographie du professeur Auguste
Oncken qui, dans un autre ouvrage déjà cité {Die
Maxime laissez faire, etc., Bern, 1886, pag. 108
et suiv.) a déjà fourni des éclaircissements sur ce
sujet.
Cfr. Tarticle de G. Schelle, in Nouveau Dictionnaire
d'Economie politique. Yo\. 1. Paris, 1891. pag. 1105.
Anonyme (Clicquot). Considérations sur le commerce
et en particulier sur les compagnies, sociétés et
maîtrises. Amsterdam, 1758. Publié aussi à La
Haye (sous le pseudonyme de M. Delisle), 1758.
Trad. ital. (de A. N. Talierj. Venezia, 1769.
Jules de Vroil, Etude sur Clicquol-Blervâche , Paris,
1870.
En Italie le sujet a été traité avec peu d'originalité et
relativement tard. Les élèves de Melon et ceux de Geno-
vesi (à l'exception de Sergio) défendent, plus ou moins
complètement, les entraves au commerce intérieur.
Lorsque, vers la fin du siècle, l'Académie d'agriculture,
des arts et du commerce de Vérone mit au concours
le sujet des corporations, celles-ci trouvèrent un apo-
logiste exagéré dans Marachio (1794) et des défenseurs
plus modérés dans Marogna (1791) et dans Torri (1793),
qui voulaient réformer les abus. Elles ont été combat-
tues énergiquement par l'abbé Augustin Vivorio (1744-
1822) et, avec plus de compétence, par le laborieux éco-
nomiste piémontais, abbé Jean-Baptiste Vasco (1733-
1796). Mais tous ces écrivains connaissaient et citaient
les œuvres de Turgot, de Condillac et de Smith !
Ag. Vidorio, Sopra i corpi délie arti, etc. Verona, 1792.
G. Wàsco, Délie Università délie Arti e Mestieri. Milano,
1793. (Réimprimé dans la Collection de GusLodi.
P. Mod.Vol. XXXIII).
ET l'éclectisme 237
§ 3. LES THÉORIES ET LES RÉFORMES FINANCIERES
Les problèmes financiers ont attiré, après les pro-
blèmes monétaires et en même temps que les questions
de commerce et de change, l'attention d'un grand
nombre d'écrivains, qui ont mêlé plus ou moins heu-
reusement des considérations théoriques à l'examen des
conditions et des lois de leur pays et quelqviefois à
des propositions de réforme. D'abord se développèrent
des doctrines qui remontent en partie à Aristote, qui
(comme l'a excellement démontré Neumann) pense que
la répartition des dépenses publiques selon les facultés
est la seule qui corresponde à la justice distributive; en
partie elles viennent des canonistes, qui recherchent
dans les im^DÔts la cause juste, la forme convenable et
l'autorité légitimej^en partie elles sont une suite de la
théorie de Bodin et de Botero^qui distinguent les impôts
personnels et les impôts réels, approuA'ent ces derniers
et demandent qu'ils frappent plutôt les terres, sans
exclure les impôts sur les objets de luxe et de consom-
mation générale, mais bien les objets de première
nécessité. Un bon nombre de politiques, comme par
exemple Caputo (De regimine reipublicae, 1621) et,
avant eux, un groupe de jurisconsultes, dont Verreti
(1547), cité par Rava, dans leurs traités de subsi-
diis, de collectis, de tributis, de vectigalibus, s'ef-
forcent d'établir avec une grande précision les principes
d'équité qui doivent présider à la perception des im-
pôts, que beaucoup considèrent encore au xvii^ s. comme
des revenus extraordinaires de l'État, à côté des reve-
nus domaniaux et des droits régaliens qui forment les
revenus ordinaires. Le principe de la généralité de
l'impôt s'affirme d'abord timidement, puis avec plus de
fermeté, à rencontre des privilèges de l'aristocratie et
238
LA REACTION LIBERALE
du clergé, dont le candide Bandini (1737) attend la
renonciation volontaire. La raison géométrique de
l'impôt, c'est-à-dire la proportionnalité, est admise par
tous (en dehors du père Davilla, espagnol, qui demande
une capitation progressive, 1651); quelques-uns cepen-
dant réclament l'exemption d'un revenu minimum,
déjà exprimée par un jurisconsulte allemand, Mathieu
Wesembeck {Cynosura liturgica. de subsidiis, 1645),
oublié par Roscher et commenté par Gusumano {Ar-
chioio di Statistica, Roma, 1880). C'est en Alle-
magne que les théories financières sont exposées dans
des œuvres systématiques spéciales, dans des ouvrages
d'érudition (Bornitz, Besold, Klock), ou pour préparer
les fonctionnaires des magistratures financières [Cham-
bres). L'ouvrage de Seckendorf, dont nous avons déjà
parlé, devient le vade meciun, et, plus tard, il fournira
le plan des leçons faites par quelques professeurs de droit,
comme, par exemple, Thomasius et Ludv^^ig à Halle
[xevs 172'2), Franckenstein à Leipzig, etc.
G. Ricca-Salerno, Sioria délie doitrine finanziarie in
Italia. Roma, 1881. (Travail très soigné, très jus-
tement loué par Stein et par Wagner.)
Les exigences toujours croissantes des gouverne-
ments allemands, obligés de réparer les pertes occa-
sionnées par des guerres prolongées et désastreuses,
firent naître une vive controverse qui commença à la
fin du xvii^ siècle et se prolongea jusqu'au milieu du
xviii''. Les uns, comme Tenzel [Entdeckte Goldgrube
in de)' Accise, 1685) montraient les avantages d'une
accise générale, tandis que d''autres, comme Leib (1708)
et Eulner (1721), voulaient la circonscrire aux villes,
et d'autres enfin, la repoussaient parce qu'elle était con-
traire à l'équité, et inapplicable. La controverse se clôt
ET l'éclectisme 239
avec un ouvrage modéré et judicieux de von der Lith
{Politische Betrachtungen ûber die verschiedenen
Arten der Steuern. Breslau, 1751), qui démontre la
nécessité de combiner les impôts directs et les impôts
indirects. Une discussion du même genre s'éleva en
Angleterre quand, vers 1733, le tout puissant ministre
Walpole essaya de faire voter par le Parlement une
accise sur le vin et sur le tabac, extrêmement impopu-
laire, ce fut l'occasion d'une douzaine de libelles. Peu
de temps après, Matteo Decker [Serions considérations
on tlie several high duties, 1744), par son projet d'im-
pôt unique sur les maisons, suscita des écrits favorables
(Horsley), et d'autres défavorables, et en particulier
ceux de G. Massie (1756-57), économiste récemment loué
par Cunningham. On ne doit pas oublier les nombreux
faiseurs de projets {arbitristas) espagnols, auxquels
Colmeiro a consacré une monographie et un chapitre
de son histoire.
K. Th. V. Inama-Sternegg, Der Acchenstreit deutscher
Finanziheoretiker. [Zeitschrift fur die ges Siaais-
wiss. vol. 21. Tubingen, 1865, pp. 516-546).
Em. Léser, Ein Accisenstreit in England. Heidelberg,
1879.
G. Ricca-Salerno. Le dollrine finanziarie in Inghillerra,
etc. {Giornale degli economisli. Bologna, 1888).
M. Colmeiro. Ilisloria de la Economia polilica en Es-
pana. Vol. II. Madrid, 1863.
Plus que dans ces ouvrages de circonstance, la capa-
cité financière des Anglais s'est révélée dans quelques
œuvres scientifiques, dans lesquelles quelques écrivains
de grande valeur, discutant sur les critères généraux de
l'impôt, ont donné la préférence aux impôts indirects
en invoquant principalement des raisons d'équité.
Hobbes (1642) enseigne que l'impôt (emtae pacis pre~
240
LA REACTION LIBERALE
tiiun) doit être proportionnel aux services reçus de l'Etat,
dont la somme est, selon lui, mesurée par les consom-
mations de chacun. Cette doctrine fut acceptée par
Child, Davenant et d'autres écrivains anglais, et notam-
ment par Petty (1662). Le Hollandais Jean De La Court
arrive aux mêmes conclusions, tout en invoquant des
raisons quelque peu différentes.
L'originalité des Anglais* est, pour des raisons d'évi-
dence, encore plus grande dans la théorie et dans la
pratique du crédit public. Au xviii® siècle, ils possèdent
déjà quelques ouvrages et quelques opuscules qui s'oc-
cupent des détails de ce sujet, à peine effleuré ailleurs.
Archibald Hutcheson(^A collection oftreati.sesrelciting
to na^tional clebt, 1721) propo.se la conversion de la
dette publique en dette privée des propriétaires fonciers.
Xataniel Gould (combattu par Pulteney) propose, long-
temps avant Price, la création d'une caisse d'amortisse-
ment fA?i essay on the national clebt, 1726), tandis
que Barnard '^Considérations on the proposai for re-
clucing the interest, etc., 1750) propose la conversion
et Hocke {An essay, etc., 1750) la transformation de la
dette perpétuelle en tontines de 99 ans. Plus tard,
Mortimer CElernents of commerce and finances, 1774).
non content de défendre les emprunts publics, combat-
tus par Hume, en fait une apologie exagérée, et réclame
la priorité à l'encontre du livr^e célèbre du Juif portugais
Pinlo (Traité de la circulation et du crédit, 1773J.
J. R. Mac Culloch, The littérature ofpolUical economy.
London, 1845, pag. 318 et suiv.
Parmi les partisans des réformes dans le système de
la répartition et de -la perception des impôts, nous
devons signaler dans cette période^les écrivains français
qui demandent l'abolition des privilèges de classe, la
ET l'éclectisme 241
suppression des lourds impôts de consommation, une
équitable réorganisation des impôts directs, la substi-
tution de la régie à la ferme, etc. On trouve un certain
nombre de projets excentriques, comme celui de Jon-
chère (1720) ; d'autres, notamment ceux de l'abbé de
Saint-Pierre (1717-1723) et de Boulainvilliers (1727),
bien qu'ils soient inspirés par des vues philanthropiques,
ont spécialement en vue, comme on l'a trop oublié, les
intérêts des classes dominantes. Certains auteurs, enfin,
se font les défenseurs de la classe taillable et corvéable
à merci, qui faisait entendre, dès la fin du xvi^ siècle,
ses lamentations (Fromenteau, le Secret des finances de
la. France, 1581), et s'occupent spécialement de la
misérable condition des paysans. Ainsi, par exemple,
Boisguilbert, et après lui, Pa.scoli et Bandini. Dans son
Projet d'une dîme royale (1707), Vauban ne s'est pas
débarrassé des théories des mercantilistes et il est par-
tisan de la concentration et de l'ingérance gouverne-
mentale. Il faut remarquer encore qu'aucun de ces
écrivains n'est partisan de l'impôt unique, au sens
physiocratique, bien que tous aient préféré les impôts
directs aux impôts indirects et qu'ils aient donné la
première place à l'impôt territorial. Nous ne devons pas
être étonné si, à côté des novateurs, nous trouvons des
défenseurs, plus ou moins modérés, des systèmes en
vigueur, comme Duval (Eléments de finance, 1736jet
Naveau (le Financier citoyen, 1757J. Il y a aussi des
quiétistes qui, comme l'anonyme dont les Mémoires de
Ti^évoux font l'éloge (l'Ami de la paix, 1761), deman-
daient de laisser faire au Roi !
L'Italie peut se glorifier, dans cette période, de la
grande œuvre du recensement milanais, c'est-à-dire du
cadastre parcellaire géométrique commencé sous le
règne de Charles VI par une première commission
présidée par Miro (1718 à 1733) et continué et refait
16
242 LA RÉACTION LIBÉRALE
par une seconde commission. Celle-ci a été présidée, sous
le règne de Marie-Thérèse, par l'illustre économiste flo-
rentin Pompeo Neri (1749-1758), qui a fait Thistoire de
ses travaux dans un \o\umineux Rapport (1750), ré-
sumé et complété par Jean Rinaldo Carli (1776).
C. Lupi, Sioria de^principii, délie masshne e regole
seguite nella f'onnazione del catasio prediale, etc.
Milano, 1825.
Dans l'ordre théorique, il faut reconnaître une grande
importance à l'ouvrage de Broggia. C'est le premier
traité méthodique des impôts ; il est de beaucoup supé-
rieur aux travaux des caméralistes ses contemporains.
Cette importance a été pressentie par Galeani Napione,
signalée, en passant, par Rau ; elle a échappé à Pierson ;
nous l'avons démontrée en 1876, et elle a été mise en
pleine lumière par Ricca-Salerno (Storia, etc., pp. 105-
111), et elle ressort aussi du résumé exact qu'en a fait
Fornari.
Charles Antoine Broggia, négociant napolitain (ou
vénitien demeurant à Naples, comme le prétend Set-
tembrini) a, mieux que Bodin et Bottero, fait la théorie
des impôts réels. Il prend, comme point de départ, le
système fiscal napolitain et, en particulier, la réforme
de l'impôt territorial ordonnée par Charles III, en 1741,
et esquisse un système complet d'impôts. Il propose une
combinaison rationnelle des impôts directs et indirects,
et s'occupe aussi de quelques questions spéciales,
comme celle des ports francs, qu'il combat, et celle
de la taxation des maisons habitées par leurs proprié-
taires. Ennemi des privilèges, des adjudications, des
emprunts et de la taxation directe des industries
(admise par Vauban), Broggia fonde son système sur
deux bases, celle de l'impôt sur les terres, sur les mai-
sons et sur les capitaux prêtés ''dîmes sur les revenus
ET L ÉCLECTISME 243
certains), à percevoir grâce à lin cadastre (établi d'après
les déclarations des contribuables) et celle des impôts sur
la consommation intérieure (gabelles) et sur la consom-
mation extérieure (droits de douanes). Ce n'est qu'en
cas de besoins extraordinaires qu'il admet les contribu-
tions volontaires, l'augmentation des dîmes et, dans
certaines limites étroites, la capitation. La monographie
de Broggia qui, comme on vient de le voir, accepte les
théories des mercantilistes, s'occupait aussi (avec peu
d'originalité) des monnaies, et faisait partie d'un grand
ouvrage qu'il s'était proposé d'écrire sur la science de la
vie civile économique.
C. A. Broggia, Dei tributi, délie monete e del fjooerno
polilico délia sanità. Napoli, 1743. (Réimprimé dans
la Collection de Custodi. Part, antiq., vol. IV.)
Dans un ouvrage postérieur, qui le fit exiler, Broggia
proposait à la Commission pour le rachat des fermes
(cession de certains impôts aux créanciers de l'Etat)
créée en 1751, le rachat de celles-ci au prix courant,
inférieur au prix originaire. Cette opération, que nous
appellerions aujourd'hui une conversion de rente,
proposée quelques années auparavant en Toscane
(Pompeo Neri), était combattue par les juristes de la
vieille école, favorables aux cessionnaires, qui trouvè-
rent à Naples un savant défenseur dans l'avocat Charles
Tranchi, l'auteur d'un Mémoire qui l'emporte^ pour la
forme, sur celui de Broggia.
C. A. Broggia, Memoria ad oggetto di varie politiche ed
economiche ragioni, etc. Napoli, 1754.
§ 4. — CHAIRES, JOURNAUX, ACADÉMIES
Il est hors de doute que la création de chaires univer-
244 LA RÉACTION LIBÉRALE
sitaires spéciales pour les sciences camérales, propo-
sées par Morhof, Wolff et ensuite par Thomasius
(Roscher, Geschichte, etc., pag. 344 et suiv.) et effec-
tuée en 1727 par le roi Frédéric Guillaume I de
Prusse, qui en confia l'enseignement à un jurisconsulte,
Gasser (Halle), et à un historien, Dithmar (Francfort sur
l'Oder), exerça une grande influence sur l'organisation
systématique des disciplines économiques (toujours sui-
vie en Allemagne), et plus tard même sur les progrès des
théories financières. Les sciences camérales, destinées
aux futurs employés de l'Etat, formaient, sous le nom
d'économie et de commerce, un étrange mélange de
notions agronomiques, technologiques et d'économie
privée, dont on avait besoin pour l'administration des
terres, des bois, des mines, des industries fiscales, qui
formaient la partie principale des revenus de l'État.
Sous le nom de police, elles contenaient en germe les
théories qui forment maintenant la science de l'admi-
nistration, notamment de l'administration économique;
sous le nom de science des finances, elles s'occupaient
de théories qui différaient des théories modernes, no-
tamment en ce qu'elles n'avaient pas la solide base de la
science économique actuelle, ne considéraient pas avec
une ampleur suffisante la matière des impôts et ne
disaient rien, ou peu de chose, de la répercussion des
impôts, et des emprunts publics.
Les chaires de sciences camérales se multiplièrent en
Allemagne, en Autriche, en Hongrie, etc. Le précis de
Darjes peut donner une idée des doctrines qu'on y
enseignait ; celui de Baumstark, qui appartient à
l'économie moderne, en donne une bibliographie com-
plète.
J. G. Darjes, Erste Grûnde der Camerahvissenschafien.
Jena, 1756. 2« édit., Leipzig, 1768.
ET l'éclectisme 245
Ed. Baumstark, Kameralistische Encyclopcidie . Leip-
zig, 1835).
On créa également en Italie, peu de temps après, des
chaires spéciales dans lesquelles on enseignait unique-
ment l'économie politique. La première, celle de
Naples, fondée en 1754, par Barthélémy Intieri, pour
l'abbé Antoine Genovesi, qui l'occupa avec grand succès
jusqu'en 1769, porta d'abord le titre de chaire de méca-
nique et de (commerce. César Beccaria occupa quelque
temps (1769-1770), à Milan, la chaire de sciences camé-
raies, et Auguste Paradisi fit à Modène (1772-1780) des
leçons d'économie civile, restées inédites, auxquelles il
substitua, dans les dernières années, le livre de Condillac
(1776). A Païenne, Vincent Emanuel Sergio enseigna
les doctrines de Genovesi (1779-1806).
L. Cossa, Suite prime cattedre di economia in Italia
(1873). {In Saggi di economia politica. Milano, 1878,
pp. 65-95.
Vers le milieu du siècle, les journaux scientifiques et
littéraires qui rendaient compte des ouvrages nouveaux,
comme, par exemple le Journal des Savants, les Acta
Eruditoram de Leipzig, les Novelle Letterarie de
Venise et mieux celles de Florence (1740-1769), le
Magazzino toscano (1754 et suiv.), les Giornali dei
Letterati de Modène, de Florence et celui de Pise (1771-
1795) et plus tard le Giornale Encicloijedico et le
Giornale d' Italia (à Venise), la Biblioteca Oltrajnon-
tana et les Ozii letterarii de Turin, commencèrent à
renseigner leurs lecteurs sur les ouvrages d'économie,
de jour en jour plus nombreux. En Allemagne et en
France on sentit bientôt le besoin de publications spé-
ciales, qui réunirent dans un mélange bizarre des
articles de technologie, d'économie privée et d'écono-
246 LA RÉACTION LIBÉRALE
mie publique. La première revue française est le Jour-
nal Œconomique (Paris, 1751-1762, 49 volumes), puis
parut le Journal du Commerce (Bruxelles, 1759-1762,
24 volumes) ; les premiers périodiques allemands sont :
VŒkonomische Fama, (1729), le Leipziger Sammlun-
gen de Zincke (1742) et d'autres, mentionnés par Ros-
cher (Geschichte, pag. 430 et suiv.). Il y aurait quelque
intérêt à étudier l'influence scientifique des revues éco-
nomiques françaises et allemandes.
Les académies ou sociétés agricoles et quelques
sociétés scientifiques et littéraires contribuèrent aussi à
fixer l'attention sur les problèmes économiques. Elles
publièrent des monographies de leurs membres, elles
organisèrent des concours et donnèrent des prix sur des
sujets intéressants et controversés. On doit citer les
sociétés d'encouragement de Dublin ( j 736) et de Londres
(1754), l'Académie d'Amiens, celles de Rennes (1756),
de Bordeaux, de Vienne dans le Dauplliné, de Leipzig,
de Saint-Pétersbourg, de Zurich, et plus particulière-
ment la célèbre Académie de Berne (1758). En Italie, où
fut fondée la fameuse Accademia dei Georgofîli (1753),
il faut louer l'initiative prise par le gouvernement vé-
nitien (1768), qui créa un grand nombre d'Académies
agricoles (Udine, Vérone, Vicence, Belluno, Cone-
gliano, Trevise). Les Académies scientifiques et litté-
raires de Mantoue, de Padoue, de Turin mirent plus
d'une fois au concours, rivalisant avec celle des Georgo-
phili. des questions concernant l'annone, l'assistance, les
corps de métiers, la liberté du commerce, etc. Il ne faut
pas oublier que les doctrines physiocratiques et même
celle de Smith exercèrent leur influence sur le choix de
ces sujets et sur l'esprit dans lequel ils furent traités.
A. Zanon, DeW ulilità morale, economica c polilica délie
accademie d'agricoltura, arii e commercio. Udine,
1771. Et dans ses Opère. Udine, 1828-31.)
ET l'éclectisme 247
Aug. Oncken, Der altère Mirabeau imd die œkonomische
Gesellsehaft in Bern, 1886.
Léon. Piemonte, Antonio Zonon. Padova, 1891, pp.
67-80.
A. Balletti, L'economia poliiica nelle Accademie e nei
Congressi degliscienziati (1750-1850;. Modena, 1891.
(Monographie consciencieuse et intéressante).
§ 5. — l'éclectisme bureaucratique
ET l'éclectisme DE LA CHAIRE
A. une époque où déjà on avait tant discuté sur la
population, l'agriculture, les manufactures, le com-
merce, les monnaies, les banques, l'annone, les impôts,
les emprunts, et après les travaux des publicistes et des
philosophes, comme Locke, Hume, Montesquieu, il était
bien naturel que beaucoup de savants eussent le désir
de résumer, plus complètement que Melon, Ustariz,
Ulloa, etc., la cormnv.nis ojjinio sur la science du
commerce, que l'on appela bientôt économie d'État,
économie civile, économie publique, économie politique,
économie nationale. Forbonnais en France, Steuart en
Angleterre, Justi en Allemagne, Sonnenfels en Autriche,
Gejiovesi en Italie, l'ont fait avec un certain succès. Ces
œuvres ont été cependant, avec raison, oubliées, parce
que, au moment même où paraissaient ces travaux
de compilation, qui sont une preuve du talent et de
l'érudition de leurs auteurs, des hommes d'un tout
autre mérite, s'appuyant sur leurs propres observations
et sur celles d'autrui, avaient créé un système scienti-
fique qui, rectifié en certaines de ses parties, complété
sur d'autres, appuyé sur des bases plus solides et dé-
pouillé des éléments hétérogènes, a formé ensuite l'éco-
nomie moderne.
Le premier dans l'ordre des temps, mais non du
248
LA REACTION LIBERALE
mérite, est Forbonnais (1 722- 1800), l'historien des
finances françaises. 11 laisse dans l'ombre Melon, mais
il est encore partisan de la balance du commerce, des
monopoles et des prohibitions qu'il défend, comme
intendant du commerce, dans la fameuse controverse
sur les toiles peintes, avec Vincent de Gournay, et qui
provoqua un brillant écrit de Morellet (1758). Il loue en
même temps le libre commerce et ne méconnaît pas les
abus des corporations, mais il s'occupe, avant tout, de
l'importance économique du luxe, de la rapidité de la
circulation et de l'augmentation de la population.
Éléments du commerce. 1754. Réimprimé plusieurs
fois. Entièrement refondu dans les Principes et
observations économiques, 1767.
L'écossais sir James Steuart lui est de beaucoup supé-
rieur, et pour l'étendue de ses recherches, et pour son
érudition. Il expose en deux gros volumes les théories
du mercantilisme. L'œuvre de Steuart, d'abord bien
accueillie en Angleterre, fut complètement oubliée
après la publication de celle de Smith. Ce n'est que plus
tard qu'elle a été louée avec exagération par quelques
allemands (d'abord par Hufeland en 1807, et enfin par
Hasbach en 1891), qui ont fait de Steuart un précur-
seur de la nouvelle science, dont il est bien plutôt la
négation. Steuart a été plus exactement apprécié par
Say, Kautz, Ingram, et il a trouvé dans Feilbogen un
critique pénétrant et impartial, qui nous permet de nous
dispenser de la lecture ingrate de son traité. Il a, il est
vrai, quelques bonnes idées sur la population, sur les
impôts, sur les machines, sur l'influence du marché,
sur la distribution des systèmes de culture, etc., mais
elles sont mêlées aux erreurs les plus étranges, et
délayées dans des di.s.sertations fort ennuyeuses, comme
la dissertation d'une centaine de pages sur la fabrication
ET l'éclectisme 249
des monnaies. Quel étrange précurseur de Smith !
C^est un apologiste de l'omnipotence économique de
l'Etat ; il veut concilier la concurrence avec les corpo-
rations, et il est partisan de la liberté des banques
pourvu qu'elles émettent des billets inconvertibles. Il
faut une bonne dose de pédantisme pour comparer les
physiocrates et Smith avec un écrivain qui ne sait pas
distinguer l'argent du capital, la valeur du prix, le
salaire du profit.
J. Steuart, An inquiry into the principles of political
economy, elc. London, 1767. Deux volumes. Trad.
en français (1789) et en allemand (1769-1772).
S. Feilbogen, James Steuart uud Adam Smith (In
Zeitschr. fur die ges. Staatstuiss., 1889.).
L'abbé Antoine Genovesi (1712-1760) eut plus de
succès, parce que ses leçons lui firent en Italie un bon
nombre de disciples. D'une grande érudition, s'il est
inférieur à Steuart pour sa connaissance du système
monétaire et du systène financier, il lui est supérieur
par la conciliation qu'il tenta entre les vieilles théories
de Child, de Temple, de Melon, d'Ustariz, d'Ulloa et
les théories plus récentes et plus libérales de Herbert et
de Hume. Les Leçons de Genovesi forment plutôt une
collection de monographies qu'un véritable traité, et les
sujets sont rapprochés par le voisinage des pages plus
que par celui des idées, comme l'a dit excellement
Ferrara. Ses opinons, ajoute cet auteur, étaient vieilles
dès leur naissance, et si c'est là un jugement un peu
sévère, il est plus proche de la vérité que celui de
Bianchini qui compare Genovesi à Smith. Il est vrai
cependant que Genovesi est le plus illustre et le plus
modéré des mercantilistes italiens. Il a su mieux que
les autres combiner le protectionisme industriel avec le
protectionisme agraire ; le commerce est pour lui, non
250 LA RÉACTION LIBÉRALE
seulement un but, mais aussi un moyen, pour la vente
des produits des autres industries ; il distingue le com-
merce utile (extraction des denrées et des objets manu-
facturés et introduction des matières premières), du
commerce nuisible (exportation des matières premières
et importation des marchandises étrangères) et il prouve
que le premier a besoin de la liberté plus que de la
protection et que le second doit être prohibé ou forte-
ment enchaîné.
Ant. Genovesi, Délie lezioni di commercio ossia d'eco-
nomia civile. Napoli, 1765. Deux volumes. 2* édit.
1768-1770. Traduit en allemand (1776) et en espa-
gnol (1785). Résumé par Tomaso Gibellini, Ele-
menli di ecoiiomia civile. Tormo, 1805). (Voir aussi
G. Racioppi, Antonio Genovesi. Napoli, 1871).
A l'école de Genovesi (cfr. Gobbi, La concorrenza.
estera, 1884, pag. 139 et suiv.) appartiennent les napo-
litains Fortunato (1760), Strongoli (1783), Yenturi
(1798), Zanon d'Udine (Lettere, 1756-1767), Todeschi
de Ferrare {Opère, 1784) et Marcello Marchesini, [Sag-
gio cVéconomia. politica,. Napoli 1793).
Le plus important des caméralistes allemands,
Jean Henri Justi (m. 1771), professeur au Theresœum
de Vienne (1750-1752) et ensuite à Gœttingue, a en-
seigné, lui aussi, les doctrimes du mercantilisme et, à
ce point de vue, on doit le mettre un peu au-dessous de
Genovesi et de Steuart. Son mérite principal est
d'avoir groupé ses théories dans un ordre systématique,
d'avoir distingué l'économie et le commerce de la
science de la police (ou de l'administration), dont il est
le père ; il a fait des recherches personnelles et il a
mieux élaboré les matériaux déjà recueillis en partie
dans le Dictionnaire de la. police de Delamare (1526).
Il a composé le premier traité des finances qui contienne
ET l'éclectisme 251
une classification rationnelle des dépenses publiques,
une théorie des revenus (trè.s complète pour les domaines
et les régies), absolument insuffisante pour les emprunts
publics, et un essai de coordination des principes fon-
damentaux des impôts, avec certains développements
sur les impôts directs (impôt territorial, industriel et
personnel par classes) et sur les impôts indirects, et en
particulier sur les droits dédouanes, qui sont pour lui,
au point de vue économique, les brides dont se sertie
gouvernement pour guider les industries de la façon
la plus conforme au bonheur des peuples.
Joh. H. G. von Justi, Staatsicirthschaft, odor systema-
tische Abhandiuny aller Oekonomischen und Came-
ral-Wissenschaften. Leipzig, 1755. Deux volumes.
2* édit. 1758. — System des Finanzwesens. Halle,
il66.—Polizei-Wissenschaft,il6D. (Cfr. Deutsch.
J. H. G. von Justi, in Zeiischr. fur die ges. Staats-
ifiss, Tiibingen, 1889 ; et en parLiculier G. Mar-
chât, Studien ïiber die Eniwickelung der Vcrical-
tungslehre in Deutschland. Munchen, 1885.
Le baron Joseph de Sonnenfels (1733-1817) occupe
en Autriche une position analogue à celle de Justi en
Allemagne. 11 est, lui aussi, un mercantiliste ; il est
plus libéral que Justi dans ses attaques contre les en-
traves annonaires et féodales, mais il n'a pas su comme
lui présenter ses théories dans un ordre systématique.
Il a sur la question de la population une théorie ori-
ginale ; il y voit le grand principe de la politique écono-
mique et financière, et ainsi l'ancienne règle de la
balance du commerce se trouve complètement modi-
fiée, parce que Sonnenfels ne défend pas la balance
numérique (qui se règle en argent) mais la balance
des profits, qui permet d'occuper dans l'industrie le
plus grand nombre d'individus.
Vingt-cinq ans avant Sonnenfels, Jean Pierre Siiss-
252 LA RÉACTION LIBÉRALE ET l'ÉCLEGTISME
milch, qui avait, en se servant des travaux des arithmé-
ticiens politiques (Graunt, Petty, Halley, Kerseboom,
etc.) fondé la théorie statistique de la population, pro-
fessait les mêmes principes sur la politique économique
{Die gôttliche Ordnung in den Veranderungen des
menschlichen Geschlechts. .1742. 2^ édit., 1761.) Le
livre de Sonnenfels fut prescrit comme ouvrage obliga-
toire dans les universités autrichiennes jusqu'en 1846,
et un professeur d'Agram a même considéré comme
nécessaire de réfuter en 1831 l'antique principe de la
population.
Jos. V. Sonnenfels, Grundz'àize der Polizel, der Hand-
lung und der Finanz. Wien, 1765. Trois volumes.
Huitième édition, 1819-1822.
Joh. Henfner, Iniroductio in œconomiam nationalein.
Agram, 1831.
CHAPITRE VI
LES PRÉCURSEURS DE LA SCIENCE
Les auteurs dont nous avons parlé dans le chapitre
précédent ne s'élèvent pas au-dessus du niveau des
opinions courantes ; ils se contentent de les ordonner
en sections et en chapitres dans des œuvres qui n'ont
que l'apparence scientifique, et qui ne sont que l'ex-
pression de la législation économique et financière en
vigueur. Cependant, d'autres auteurs contemporains,
ou même plus anciens, ont déjà découvert les germes
plus ou moins développés des théories nouvelles qui
vont se fondre dans le système de Quesnay ou qui four-
niront des matériaux précieux à la science de Smith.
Ces éléments, de valeur très inégale, sont dus à des
économistes, à des jurisconsultes, à des politiques et à
des philosophes, pour la plupart écossais , anglais et
français. Ils se rapportent, en général, à la théorie de
la production et de la distribution des richesses, mais
ils se rattachent aussi parfois aux principes fondamen-
taux de la science et de l'art économiques. Les anciennes
théories du commerce, de la circulation, de la politique
agraire et industrielle, commerciale et financière, ont
été ainsi augmentées, corrigées et en partie aussi dé-
molies.
Nous allons essayer, vestigia deserere awsi, de les
classer et de faire une critique sommaire des doctrines
de ces précurseurs de la science ; ils sont beaucoup
254 LES PRÉCURSEURS
ignorés et souvent aussi appréciés avec peu d'impartia-
lité et d'exactitude.
.Ç 1. — LA PRODUCTION ET LA DISTRIBUTION.
On discutait depuis des siècles sur l'importance ab-
solue et relative des différentes industries, et on pro-
posait des moyens pour les protéger toutes ou pour en
favoriser quelques-unes aux dépens des autres, mais
on ne s'élevait pas d'ordinaire, si ce n'est incidemment,
à l'idée de l'unité de l'industrie et on ne recherchait pas
les éléments dç la production ; personne n'avait énuméré
les causes de ses progrès et tous ignoraient les formes
que revêt son organisme. On avait cependant quelque-
fois, mais de façon superficielle, parlé des avantages
de la concurrence, même les écrivains les plus résolu-
ment favorables aux restrictions de toute sorte les
avaient quelquefois signalés ; l'antiquité même avait
reconnu ceux de la division du travail ; la littérature
scolastique du xv^ siècle avait entrevu la théorie du
capital ; quelques écrivains du xvi^ et du xvii* siècle
ont entrevu la loi des revenus décroissants; enfin,
au xviii^ siècle, on trouve des adversaires (Montesquieu,
Sonnenfels) et des partisans (Bielfeld, Steuart) de l'em-
ploi des machines.
La recherche fondamentale des éléments de la pro-
duction a ses premiers et ses meilleurs représentants en
Angleterre; ce sont deux écrivains justement célèbres,
à ce titre et à d'autres plus importants encore (Petty et
Locke), et un écrivain plus obscur (Asgill), déterré pour
ainsi dire par Dugald Stewart et par quelques autres
érudits de notre époque.
William Petty (16231687) est un des plus illustres
précurseurs de la statistique investigatrice, et un ad-
versaire de la plupart des doctrines des mercantilistes,
DE LA SCIENCE 255
sinon de toutes. Il a été, avec Locke, un des premiers
partisans du type monétaire unique et un des plus an-
ciens adversaires des lois restrictives de l'intérêt. Il a
professé que le travail est le père, c'est-à-dire le principe
actif, et la terre, la mère de la richesse ; il a distingué
dans la population deux classes : la classe productive
et la classe improductive, selon qu'elles contribuent
ou non à la production des objets utiles et matériels ;
il a défini, enfin, la rente comme l'excédent du prix
des denrées agricoles sur leur coût de production.
Quantulumcumque or atract conccrning money, 1682. —
Political anaioiny of Ireland. 1691. — A ircatise on
taxes and contributions. 1662. Dernière édition,
1769. — Several essays in political arithmetick, 1699.
Cfr. W. L. Bevan, sir William Petly. Canterbury, 1893.
Le célèbre philosophe et politique Jean Locke (1632-
1704) doit être considéré comme un mercantiliste ; il a
même donné une forme systématique aux erreurs de
ce système, mais il a le mérite d'avoir perfectionné
quelques doctrines spéciales, comme celle de la pro-
priété, qu'il fait dériver du travail, celle de la monnaie,
dont il combat (contre Lowndes et Barbon) les altéra-
tions , bien qu'il exagère l'importance de la quantité
de la monnaie et qu'il n'apprécie pas avec exactitude
les causes de sa valeur. Il insiste sur la puissance pro-
ductive du travail, alors que Hobbes, longtemps aupa-
ravant, avait compté, parmi les éléments de la produc-
tion même, la terre et l'épargne.
John Locke, Two treaiises on government. 1690.— Some
considérations of the conséquences of the lowering
ofinterest, etc., 1691. — Further considérations, etc.
1698. Trad. ital. (de G. Fr. Pagnini). Firenze,
1751. Deux vol. — Woi-ks, 1835. Neuf volumes.
Thom. Hobbes. De cive, 1642. — Leviathan, 1651.
256 LES PRÉCURSEURS
Enfin le dernier des écrivains cités, qui est un parti-
san des banques territoriales, parle clairement de la
terre comme de l'unique source de toute richesse.
John Asgill, Several assertions -proved in order to create
anothtr species ofmoney, etc. 1698.
Il faut noter que presque tous les écrivains consi-
dèrent que l'augmentation de la population est, dans
tous les cas. désirable ; que les salaires tendent à se
rapprocher du prix des denrées indispensables à l'entre-
tien des ouvriers et qu'ils ne peuvent par conséquent
supporter le poids des impôts directs ; que l'augmenta-
tion de la rente territoriale et la diminution du taux de
l'intérêt sont des symptômes de progrès économique. Il
existe cependant sur ce dernier point d'importantes
divergences entre les écrivains, selon qu'ils confondent
ou non l'argent avec le capital.
Le plus grand nombre des partisans du mercanti-
lisme, et parmi eux quelques-uns des plus modérés,
comme Culpeper (1641) et Child (1668), pensaient que
le taux peu élevé de l'intérêt est la cause de l'abon-
dance de la monnaie et ils en demandaient la réduc-
tion. Ils invoquaient surtout la prospérité de la Hol-
lande. D'autres, au contraire, soutenaient (Petty, Locke
et même Montesquieu et Vincent de Gournay), que le
faible taux de l'intérêt est l'effet et non la cause de
l'abondance de la monnaie ; aussi étaient-ils des adver-
saires de la fixation légale de l'intérêt. Le premier qui
soutint cette opinion, c'est l'auteur anonyme d'un inté-
ressant opuscule intitulé Interest of money mistaken
(1668). D'autres écrivains enfin, après avoir réfuté l'opi-
nion générale qui confondait le capital avec la monnaie,
démontrèrent que le taux de l'intérêt est complètement
indépendant de la quantité de la monnaie. Bauer a dé-
DE LA SCIENCE 257
montré que le mérite de cette démonstration appartient
à Nicolas Barbon (.4 discourse of tracle, 1690) et non
à Massie {Essay on the governing causes of the na-
tural rate of inter est, 1750) ni à Hume (1755), auxquels
on attribue d'ordinaire cette théorie.
Stepli. Bauer, Xicholas Barbon lin Jahrbûchcr fiir Xaf.
Oek. N. F. Ban cl XXI, 1890).
§ ?. LA VALEUR ET l'iMPÔT.
La théorie de la valeur avait été étudiée par les sco-
lastiques qui se proposaient de déterminer le juste prix,
et plus tard, incidemment, par tous les écrivains qui
se sont occupés de la monnaie. Vers le milieu du siècle
passé, elle était arrivée à un tel degré de développe-
ment que, dans les œuvres de quelques-uns des meil-
leurs économistes, nous trouvons déjà exposées, d'une
façon plus ou moins concise, les théories de l'utilité,
du coût de production, de l'offre et de la demande, et
leurs diverses modifications et combinaisons. Nous in-
diquerons quelques-uns des représentants de chacune
de ces théories et nous renverrons pour des renseigne-
ments plus complets aux excellentes monographies de
Loria, de Graziani, de Montanari et de Zuckerkandl.
Ach.'Loria, La ieoria ciel valore negli economisli ita-
liani. (In Archivio giuridico, Bologna, 1882).
Aug. Graziani, Sioria critica délia ieoria ciel valore ir
Italia. Milano, 1889.
A. Montanari, Coniribulo alla sioria ciel valore negli
scriitori italiani. Milano, 1889.
R. Zuckerkandl, Zur Théorie des Preises, etc. Leipzig,
1889.
L'influence de la rareté sur la valeur avait été notée
17
258 LES PRÉCURSEURS
par Davanzati et mieux encore par Geminiano Monta-
nari. Barbon (1690) en a fait une analyse plus correcte ;
on peut le considérer, avec Galiani [Delta, moneta, 1750),
qui est encore plus explicite, comme un précurseur de
la théorie moderne de l'utilité finale ou de l'utililé-
limite. Dans la même année, un anonyme toscan (Fab-
brini), qui a été commenté par Montanari et copié par
Franzi (1769), considérait comme éléments de la valeur
l'utilité des choses et la difïiculté de se les procurer
[DelU indole e qualitk naturali e civili délia moneta.
Rome, 1750). Petty, au contraire, enseitçnait dans son
traité des impôts (1662) que la valeur d'une chose dé-
pend du travail dépensé dans sa production et qu'elle
est mesurée par la durée de ce travail, tandis que Locke
(1690), qui voit, lui aussi, dans le travail le fondement
de la valeur, le détermine en ayant éiçard plutôt à sa
quantité qu'à sa durée. Enfin Grotius, Puffendorf, WollT.
Barbeirac, et quelques autres, estiment c|ue les dépenses
de production sont le point auquel tend la valeur nor-
male, vers lequel gravite la valeur courarxte qui sul)it
des oscillations continues d'après le changement des
conditions du marché.
L'étude des phénomènes de l'incidence et de la
répercussion des impôts, corollaires de la loi delà valeur,
mais aussi critérium essentiel d'un bon système d'im-
pôts, a été un autre élément de progrès pour l'écono-
mie. Tout le mérite de ces recherches revient aux éco-
nomistes anglais, c'est-à-dire à l'auteur anonyme de
l'opuscule intitulé : Reasons fora llniited exportation
of wool (1677), que Mac Culloch a retrouvé, et plus en-
core à Locke (1691) et à Vanderlint, qui sont d'accord
pour penser que tous les impôts se répercutent sur la
rente territoriale.
Locke enseigne que, dans un état essentiellement
agricole, presque tout le poids des impôts pèse sur les
DE LA SCIENCE 259
propriétaires et il en déduit la nécessité d un impôt uni-
que sur les terres, qui sera avantageux aux contribua-
bles eux-mêmes en épargnant les dépenses de percep-
tion. Il est complètement inutile d'essayer de faire con-
courir aux charges de l'État les commerçants, qui
augmenteraient les prix, les locataires, qui diminue-
raient les loyers dûs au propriétaire, et les ouvriers,
qui obtiendraient une augmentation correspondante de
leurs salaires.
W. vonOclienkowski, John Loche ah XationalœUonom.
In Jahrbûcher fur National Oekonomie. 18" année,
1880, pp. i3i-476.
Une théorie identique a été exposée avec plus de
profondeur par Jacques Vanderlint(iUone7/ a,ns\vers ail
fliings. London, 1734 , qui est partisan de l'impôt uni-
que, parce que la terre est la source unique des
richesses.
G. Ricca-Salerno, Le doitrine finanziarie in Inghiltcnn .
Bologna, 1888, pag. 23 et suiv.
,§ 3. L-V LIBERTÉ ABSOLUE DU COMMERCE
Les théories restrictives, qui ont dominé pendant
des siècles la politique économique, avaient déjà subi
de profondes modifications grâce à l'introduction d'un
régime de liberté partielle appliqué au commerce des
grains sous l'influence des idées de Boisguilbert, et à la
disparition graduelle des monopoles et des autres en-
traves au libre exercice des industries à l'intérieur.
D'autres écrivains portaient des coups plus décisifs
au système mercantile et au système protecteur, qui lui
avait succédé, en s'en prenant à leurs principes fonda-
260 LES PRÉCURSEURS
mentaux et en proclamant la liberté absolue du com-
merce intérieur et du commerce extérieur.
Il ne s'agit ni des applications partielles des princi-
pes du libre échange, dont on a des exemples remar-
quables, quoique temporaires, dans la politique écono-
mique de Florence au cours de la dernière partie du
moyen âge, ni des tentatives pour l'instaurer à ^'enise,
ni du système relativement libéral des Pays-Bas, réfor-
mes qui trouvent au xvi*" et au xvii" siècles des défenseurs
théoriques dans Sassetti, Giogalli, Pierre de la Court
(ch. V,§ 2), qui tous s'inspirent de considérations fondées
sur l'intérêt exclusif de la classe commerçante.
Pohlmann, Die Wirthschaftspolilik der floreniiner Re-
naissance, und das Princip der Verkehrsfreiheit .
Leipzig, 1878.
Filippo Sassetti, Ragionamento sopra il coinmercio fra
i Toscani e i Levaniini, 1577. (Publié dans ses
Lettere. édite ed inédite. Firenze, 1855.)
Scrittura inedita'di Simone GiogaUi, negozianLe ve-
neto del secoloXVII. Venezia, 1856.
Il ne s'agit pas non plus des glorifications indétermi-
nées du libre échange, comme celles de Emeric de
Ld.croix [Le nouveau Cy née, 1623), ni de propositions
inspirées par l'intérêt de régions spéciales, comme
celles de Albert Struzzi {Dialogo sobre el comercio de
ostos reynos de Castilla, 1622, page 17) et de Diego
Joseph Dormer {Discursos historicos politicos, 1684)
cités par Colmeiro, ni d'autres projets partiels, cir-
conscrits, par exemple, à l'introduction de ports
francs, demandés en Angleterre, comme l'atteste un
écrit anonyme cité par Bauer [Free ports, the nature
and necessitie of them stated, 1652).
L. Cessa, Lateoria del libero scambio nel secolo decimo-
settiino, 1873. (Aussi in Saggi di Economia poli-
tica. Milano, 1878, pp. 39-64).
DE LA SCIENCE 261
Les discussions qui eurent lieu au sujet de l'acte de
navigation de 1651, combattu par quelques mercanti-
listes, et notamment par l'auteur anonyme de Britannia
languens (1680), et défendu au contraire, pour des
raisons politiques, par des écrivains très libéraux,
comme l'était l'auteur des très importantes Considéra-
tions on the East India trade (1702), conduisirent à
un examen plus approfondi de tout le système restrictif.
Ce système fut réfuté dans ses bases théoriques par
Nicolas Barbon (A discourse of trade, 1690), qui dé-
montre que l'importation des marchandises étrangères
provoque nécessairement l'exportation des produits na-
tionaux, théorie qui étonne chez un auteur favorable non
seulement aux droits compensateurs, mais même à la
fixation légale de l'intérêt et aux altérations monétaires.
La démonstration explicite des avantages du libre
échange est due à un économiste anglais et à un écono-
miste français qui ont écrit à un demi siècle d'inter-
valle l'un de l'autre et qui ont étudié ce problème non
plus à un point de vue particulier et national, mais au
point de vue général et cosmopolite.
Sir Dudley North, dont l'importance a été signalée
par Roscher et plus encore par Janschull (Le libre
échange anglais, vol. I, Moscou, 1876, pp. 97-112),
qualifie le mercantilisme d^aberration politique. Il
part de cette idée que la monnaie est une marchandise
qui se distribue naturellement entre les différentes
nations selon leurs besoins respectifs, manifestés par
le mouvement des prix, et il s'appuie en outre sur
la solidarité des intérêts entre les différentes classes
sociales, comme entre lés différents États, pour procla-
mer que la liberté industrielle et commerciale absolue
est l'unique moyen d'arriver à la richesse.
Sir Dudley North, Discourses upon trade. London, 1691 •
262 LES précurseurs]
(Réimprimé à un petit nombre d'exemplaires à
Edimbourg, 1822 et à Londres, 1846 .
Une importance éji^ale doit être attribuée au paladin
franc-ais de la liberté économique, le marquis Fiené Voyer
d'Argenson (1094-1757). Il est l'auteur d'ouvrages poli-
tiques et d'écrits économiques, inédits pendant plus
d'un siècle, et d'un très important article publié en
1751 dans le Journal Œconomique pour réfuter la
Dissertazione sul coinmercio de Belloni, que défen-
daient les rédacteurs de ce journal. D'Argenson. dont
les doctrines ont été récemment exposées par Oncken
ÇDie Maxime laissez faire, etc. Bern, 1886, pp. 55-80)
est l'auteur de la maxime ne pas trop gouverner et
du fameux laissez faire, considéré comme le grand
principe de la politique économique. Pour lui le pas-
sage des marchandises d'un Etat dans un autre devrait
être libre, comme Tair et l'eau ; toute l'Europe ne de-
vrait être qu'une seule foire ; laliberté constitue Téqua-
tion, la police, la balance du commerce ; laissez faire,
rnorhleUj laissez faire !
Anonyme, Lettre à l'auteur (Belloni . In Journal (Eco-
nomique. Avril 1751. Réimprimé avec la réponse
dans la Collection de Custodi. P. Nov, tom. II
pp. 133-153 .
Mémoires et Journal inédit du marquis d'Argcnson, etc.
Paris, J858,
,^' 4. — l'école écossaise
Un autre groupe d écrivains a contribué, d'une
façon différente et jusqu'ici peu remarquée, aux pro-
grès de l'économie, moins par la qualité des doctrines
qu'ils ont professées que par la façon dont ils les ont
enchaînées, en les introduisant dans l'enseignement
DE LA. SCIENCE 263
d'une science qui avait déjà plus d'un siècle d'exis-
tence. On doit à ces écrivains la première tentative de
réduire en système les principes de la circulation et
en partie aussi ceux de la distribution des richesses.
C'est un point sur lequel nous avions appelé l'attention
dès 1876 et qui a été éclairci par Hasbach dans deux
excellentes et érudites monographies, et par Bonar
dans un ouvrage magistral.
W. Hasbach. Die philosophischen Grundlagen der von
F. Quesnay uvd Ad Smiih begrùndelen polUischen
Oekonomie. Leipzig, 1890. — Uittersuclumfjenûber
Adam Smith und die Entwicklung der poUlischen
■ Oekonomie. Leipzig, 1891.
James Bonar, Philosophy and polilical economy, etc,
1893.
Tandis que dans les écoles on maintenait la division
de la philosophie pratique (faite nar les anciens Grecs),
en trois parties, l'éthique, la politique et l'économie,
entendue dans le sens d'économie privée, (que Morhof,
Thomasius et d'autres en Allemagne désiraient voir
enseignée par des professeurs spéciaux), les créateurs de
la nouvelle science du droit naturel, c'est-à-dire Gro-
tius (De jure belliac pacis, 1638), Puffendorf (De offi-
cio hominis etcivis, 1672. Trad. en français par Bar-
beyrac, 1728) et leur prolixe continuateur Wolff f Jus
naturx, 1741-49. — Institutiones, etc., 1750) dévelop-
paient dans un ou deux chapitres de leurs œuvres les
théories de la valeur, du prix, de la monnaie, des sa-
laires et de l'intérêt, dont ils s'occupaient à l'occasion de
la recherche des principes de l'égalité et de la jus-
tice dans les contrats. 11 faut remarquer cependant que
l'étude économico-juridique de la valeur, de la mon-
naie et des contrats, ce que Hasbach n'a pas formelle-
ment indiqué, commence avec les théologiens et Iss
264 LES PRÉCURSEURS
canonistes du moyen-âge ; ils se sont occupés, en effet,
du juste prix et de l'équité contractuelle et ils ont dis-
tingué les pactes licites des pactes viciés par l'usura-
ricipravitas. Aussi serait-il fort intéressant de rechercher
dans les théologiens précurseurs de Grotius, que con-
naissent bien les historiens du droit, les modifications
que la doctrine de la justice absolue dans les contrats
devait subir en devenant une partie du droit naturel.
Ces théories encore imparfaites et professées (cela est
important à relever) par des écrivains allemands imbus
des maximes du système mercantile n'auraient pu être
d'aucune utilité pour notre science si elles n'avaient été
transportées dans l'atmosphère, économiquement plus
respirable, d'un pays, où, petit à petit, des hommes
d'une toute autre envergure que les caméralistes alle-
mands avaient déjà développé et ordonné beaucoup
mieux ce système encore embryonnaire. Ce lut la tâche
de l'école de la philosophie écossaise dont le chef,
François Hutcheson, qui professa, de 1730 à 1746, la
philosophie morale à l'Université de Glasgow, eut pour
élève Adam Smith. Hutcheson utilisa pour son ensei-
gnement l'ouvrage de Puffendorf, qui avait été traduit
en anglais par son prédécesseur Carmichsel (1718). Il
conserve, mais en lui faisant une place plus large avec
des matériaux anglais, la partie économique, et il cor-
rige la philosophie avec les principes de Schaftesbury,
et la politique avec les doctrines libérales de Locke,
qu'il substitue à l'absolutisme de Hobbes. Hutcheson
divisait son cours (comme plus tard Smith) en théologie
naturelle, éthique, jurisprudence (qui comprenait l'é-
conomie) et politique. Longtemps après, Adam Fer-
guson, professeur à Edimbourg, qui survécut à Smith,
modifia l'ordre des matières, en séparant l'économie
de la jurisprudence, et en subdivisant la politique en
political law, qui traite des national institutions, et
D"E LA SCIENCE 265
en public opconomy, qui s'occupe des national re-
sources (people, wealth, revenue).
F. Hutcheson, Philosophiae moralis inslitutio compen-
diaria, etc. Rotterdam, 1745. — System of moral
philosophy, 1755 (posthume).
Ad. Ferguson, Institutes of moral philosophy. 2<= édit.
Edinburgh,1773. — Principles of poUtlcal and mo-
ral sciences, 1792.
Hutcheson, malgré ses idées sur la liberté naturelle
et les droits innés, est un partisan décidé du mercanti-
lisme. Ce qui est digne d'être noté, c'est la façon systé-
matique dont il a traité des théories de la valeur, du
prix, du commerce, des monnaies et de l'intérêt, sans
parler de ses idées sur le travail comme principal
élément productif, et sur la mesure de la valeur ; sur
ces derniers points il avait pour prédécesseurs Petty et
Locke. L'influence que Hutcheson a exercée sur
Smith a été devinée par Cousin, et il est facile de le
constater si l'on compare la façon dont tous deux com-
mencent l'analyse des phénomènes économiques.
§ 5. — LES PRÉCURSEURS IMMÉDIATS
Les vérités fondamentales de la science et les règles
de l'art économique ont été très convenablement éla-
borées par deux écrivains dont le premier (Cantillon)
doit être étudié en relation avec Quesnay, et le second
(Hume) en relation avec Smith.
Richard Cantillon, dont se sont occupés récemment
Jcvons et Higgs, fut un banquier très expert. H est né
en Angleterre d'une famille irlandaise ; il a longterafps
vécu à Paris où il a été en relation d'affaires avec haw.
Il est mort assassiné à Londres en 1734. Son Essai sur
266 LES PRÉCURSEURS
la nature du commerce a été composé après 1730; il
n'a été publié qu'en 1755. Il a circulé en manuscrit et il
a été connu par Mirabeau, qui s'en est servi largement
pour le premier volume de son Ami des homynes (1756).
Il a été loué par Quesnay, Smith, Condillac, copié
presque à la lettre par M. Postlethwayt (Great Bri-
tain's true System, etc., 1757) et suivi fidèlement dans
la première partie du livre de Harris [Essay upon mo-
ncy and coins. London, 1757-1758), qui ne le cite pas
davantage.
Essai sur la nature du commerce en général. Traduit
de Tanglais (traduction supposée). Londres (Pa-
ris) 1755. Réimprimé dans le 3" volume de la
traduction française des Discours 'politiques de
Hume faite par De Mauvillon (Amsterdam, 1755).
Traduit et mutilé, sous le faux nom de Philippe
Cantillon, sous le Wlve Analy sis of trade (London,
1759). Traduction italienne. Venise, 1767. (Le textfr
français a été réimprimé avec soin par le pro-
fesseur Dunbar. Boston, 1892).
U Essai de Cantillon, que Jevons considère comme le
premier traité systématique, le berceau véritable de l'é-
conomie politique, est divisé en trois parties. Dans la pre-
mière il parle du travail et de la terre, comme éléments de
la production, et de leur proportion (d'après Petty) ; de
la théorie de la valeur normale et de la valeur cou-
rante, de la population, des métaux précieux, consi-
dérés comme la meilleure matière monétaire ; ses dé-
monstrations sont faites avec une précision et une
clarté remarquables. Dans les chapitres VII et VIII on
trouve en germe la doctrine de Smith sur les causes delà
différence des salaires dans les différentes profe.ssions,
et dans le chapitre XII celle de Quesnay sur la dépen-
dance qu'il y a entre les différentes classes sociales et
les propriétaires. Dans la seconde partie, qui est un
DE LA SCIENCE 267
petit traité sur la monnaie, il faut signaler particulière-
ment son étude sur les causes de la différence des prix
dans les grandes villes et dans les campagnes, et son
étude des effets que produit sur les salaires et sur le prix
des marchandises la découverte de nouvelles mines
d'or et d'argent (ce sujet a été étudié de nos jours par
Cairnes dans deux excellents essais). La troisième con-
tient une théorie des paiements internationaux et une
analyse des spéculations sur le cours des changes, qui,
au dire de .levons, pourrait sembler être un extrait de
l'œuvre classique de Goschen.
W. S. Jevons, R. Coniilloa and ihe naiionalily of Po-
liiiral Economy (In Contemporary Beview. Janvier,
1881).
H. Higgs. R. C'intillon iThe Economie Journal. Vol. l.
juin 1891).
St. Bauer, v° Contillon (dans la 2« parLie du Dictianon/
(if poltticni Economy de R. H. Inglis Palgrave.
London, I892j.
H. Higgs, CantiUon's place in économies (In Quarierty
Journal of économies. Boston, juillet 1892).
Les questions économiques, étudiées d'ordinaire
dans des opuscules de circonstance ou dans des ouvrages
sur les sciences philo.sophiques et juridiques, commen-
cèrent, vers le milieu du xviii^ siècle, à éveiller un inté-
rêt beaucoup plus grand et plus général après que quel-
ques écrivains les eurent considérées au point de vue
politique, comme le fît Montesquieu [Esprit des lois,
17'i8-i9), qui étudia les institutions financières dans
leurs relations avec les formes de gouvernement, ou dans
leurs rapports avec le progrès de la civilisation. Bien
que ces écrivains ne soient pas tous dégagés de la théorie
mercantiliste, ils lui portèrent de rudes coups. Le préjugé
vulgaire de la .suprématie de l'argent a été combattu par
le philosophe Berkeley [The Querist, 1735-1 737), à l'aide
268 LES PRÉCURSEURS
de quelques questions habilement posées, mais il est
grand partisan du papier monnaie ; par Mathieu Decker
{An essay on the décline of the foreign trade, 1744)
et mieux encore par Josias Tucker (m. 1799) dans plu-
sieurs écrits sur des sujets spéciaux C-^dvsintages and
disadvantages of France and Great Britain 1750.
— Four tracts, 1754). dont un {Reflections on the na-
turalisation of foreign 'protestants, 1755) a été traduit
par Turgot sous un autre titre. Mais c'est David Hume
{1711-1756) qui attira plus que tous les autres, par sa
célébrité comme historien et comme philosophe, par
l'exquise élégance de son style, l'attention publique sur
les controverses de l'économie politique. Il a été tenu
en haute estime par Adam Smith qui, déjà initié aux
recherches économiques par Hutcheson, dut subir l'in-
fluence des idées plus avancées de son ami lorsqu'il fut
chargé de l'enseignement de la philosophie morale.
Il est assez difficile de porter un jugement exact sur
la place qui revient à Hume. Certainement il n'a pas
fonde l'économie politique, comme l'ont prétendu ses
biographes Walckenaër et Burton. Quelques criti-
ques peu impartiaux l'ont préféré à Smith (lord Brou-
gham, Skarzinski), d'autres (Diihring) l'ont mis sur la
même ligne ; Feilbogen a montré ses erreurs dans un
excellent travail, le meilleur qui ait été écrit sur ce su-
jet. Si on les compare au petit ouvrage, systématique et
techniquement profond, de Cantillon, les Essais de
Hume, publiés sous le titre significatif de Political
Discourses en 1752, et complétés en 1753, manquent
évidemment d'unité et de cohérence ; ils parlent des
théories de la population, du luxe, de la circulation
(commerce, monnaie, intérêt, balance du commerce,
jalousie dans le trafic) et des finances (impôts et dette pu-
blique), mais ils ne disent rien du capital, de la valeur, du
salaire, etc. Ils sont inspirés par des principes libéraux,
DE LA SCIENCE 269
par un amour ardent du progrès, mais ils énoncent,
souvent sous une forme dubitative et mêlées à quelques
paradoxes, des vérités déjà démontrées par d'autres et
d'une façon plus satisfaisante à l'aide d'arguments pure-
ment économiques, tandis que l'objet principal de Hume
est évidemment de combattre les préjugés populaires
et de démontrer l'influence du commerce sur la civili-
sation. Il faut noter que les Essais de Hume, connus et
exaltés même par les économistes de profession, ne suf-
firent pas à les persuader de leurs erreurs, qui ne leur
parurent pas réfutées par des arguments assez persua-
sifs. L'allemand Darjes, l'italien Genovesi, l'écossais
Steuart, étudient Hume et restent mercantilistes. Tur-
got, lui-même, admire Hume, mais il croit le commerce
stérile.
D. Hume, Political discourses. London, 1752. — Essays
and Ireaiises on several subiects. 1753. (Traduits à
plusieurs reprises en français, en italien, en al-
lemand, etc.).
S. Feilbogen, Smith und Hume (In Zeitschrift fur
die ges. Siaalsiviss. 26" année. 1890. pp. 695-716).
CHAPITRE VII
LE SYSTÈME PHYSIOGRATIQUE
Le mérite insigne d'avoir créé un système scienti-
fique d'économie politique, ou mieux de droit philoso-
phique social, considéré principalement au point de vue
économique, c'est-à-dire un système déduit d'un petit
nombre de principes et parfaitement homogène, qui em-
brasse l'économie pure et la politique économique et
financière, appartient, sans .doute aucun, à un homme
de génie, François Quesnay, le chef de l'école qui sest
appelée d'abord, par antonomase, l'école des économistes
et qui, après 1768, prit le nom de physiocratique parce-
qu'elle croyait à l'empire des lois naturelles. Ce sys-
tème, bien qu'il ait été esquissé en partie par Cantillon
et qu'il soit composé d'éléments fournis par Boisguil-
bert, Petty, Locke, Vanderlint, doit être considéré
comme nouveau, parce que son auteur aélhninéde nom-
breuses contradictions et l'a enrichi d'analyses origi-
nales sur le capital, le produit brut et le produit net, et
sur les rapports entre la population et les subsistances.
L'histoire de la physiucratie, et celle des nombreux
ouvrages dans lesquels ce système se trouve exposé,
commenté, combattu et défendu, présente par consé-
quent un grand intérêt. Elle a été faite, pour partie, dans
plusieurs monographies, qui ne sont pas toujours im-
partiales et qui ne donnent pas une connaissance suffi-
santes des sources, dont beaucoup sont encore iné-
dites.
272 LE SYSTÈME
Notice abrégée des différents écrits modernes sur la
science de l'économie politique. In Ephémérides du
citoyen, eic. Paris, 1769 (Matériaux abondants,
mais pas toujours sûrs).
Un choix des meilleurs ouvrages de l'école physio-
cratique a été fait par E. Daire dans la Collection des
principaux économistes (Paris, 1846, 2 volumes), et
par F. Ferrara dans la Biblioteca aelV Economista,
(vol. I. Torino, 1850), avec de bonnes notes biogra-
phiques et critiques. Daire est toutefois un juge trop
bienveillant, et Ferrara un juge trop sévère.
G. Kellner, Zur Geschichte des Physiocraiismus. Gôttin-
gen, 1847.
Jos. Garnier, W Physiocrates, dans le vol. II. (1853)
du Dictionnaire de r Economie politique de Coque-
lin.
L. de Lavergne, Les économistes français du xvni^
siècle. Paris, 1870 (Élégantes biographies).
G. Schelle, Du Pont de Nemours et l'école physiocra-
tique. Paris, 1888. (Contient beaucoup de notices
intéressantes sur l'histoire externe du système).
§ 1. — L'école de Quesnay.
François Quesnay (1694-1774) était le fils d^un avocat
propriétaire foncier, et il fut lui-même un agriculteur
passionné. Il exerça. la médecine et écrivit une œuvre
remarquée sur la physiologie ; appelé à Versailles, il
devint le médecin de Louis XV et de madame de Pompa-
dour, qui le protégea particulièrement. Etranger aux
intrigues de cour et tout entier à l'étude, il écrivit pour
V Encyclopédie de Diderot et d'Alembert les deux ar-
ticles fermiers (1756) et grains (1757), qui contiennent
les germes de son système, et il en composa d'autres,
hommes (récemment découvert par Bauer), intérêt de
PHYSIOGRATIQUE 273
Vargent et impôts jusqu'ici inédits, qu'il avait repris
lorsque V Encyclopédie , prohibée parle gouvernement,
était devenue une publication clandestine. Le fameux
Tableau économique a été imprimé mais non publié
en 1758. Dans sa première comme dans sa seconde
édition, fort modifiée, de trois exemplaires seulement
(dont un a été découvert également par Bauer), il contient
un tableau numérique qui décrit la circulation et la dis-
tribution des richesses entre les différentes classes socia-
les, accompagné de quelques commentaires (Extrait
des Economies royales de M. de Sully), qui ont été
ensuite développés sous le titre de Maximes générales
du gouvernement économique cVun royaume agricole
et insérés dans la Philosophie rurale de Mirabeau
(1763). Il écrivit aussi d'autres opuscules, le Problème
économiciue et le Second problème économique, le
Droit naturel {il^S), qui fait connaître ses idées philo-
sophico-juridiques^ et enfin les Dialogues sur le com-
merce et les travaux des artisans, dans lesquels il dé-
fend ses doctrines et fait mieux connaître sa méthode.
Phijsiocratie, etc, recueil publié par Du Pont. Leyde et
Paris, 1767-1768. 2 volumes. (Réimprimé à Yver-
don, 1768. 6 volumes.)
Fr. Quesnay. Œuvres économiques et philosophiques
avec une introduction et des notes par Auguste
Oncken. FrankfurL a M., 1888 (Edition préléra-
ble à celles de Du Pont et de Daire et enrichie de
notes). — D'aulres ouvrages et des lettres de
Quesnay seront prochainement publiées par
Bauer, qui en a publié un compte rendu dans les
Jahrbùcher fur Nat. Oekonomie . N. F. vol. XXI.
août 1890.
Le plus ancien et le plus fervent disciple de Quesnay
a été le marquis Victor de Mirabeau, auteur de nom-
breux ouvrages, écrits dans un style prolixe et dccla-
18
274 LE SYSTÈME
matoire. Dans les premières parties de son Ami des
hommes ou traité de la jjopulation (Avignon, 1756),
il soutenait l'ancienne doctrine sur la population et
faisait l'apologie de la petite culture, qui occupe un plus
grand nombre de paysans. Converti à la pliysiocratie,
il publia d'autres volumes, commenta le sybillin Ta-
bleau économique {il QO), dont Bandeau (1770) donna
plus tard une meilleure explication ; il écrivit ensuite
la Théorie de Vimpôt (1760), qui fournit, avec un mé-
moire de Saint-Péravy [Mémoires sur les effets de
l'impôt indirect, 1768), un bon résumé des doctrines
financières du maître ; plus tard les Economiques (1769)
et enfin la Philosophie rurale ou économie générale
et politique de l'agriculture (1763), qui est son meil-
leur ouvrage.
Après lui, par l'ancienneté et par son zèle à faire
connaître le système , vient Pierre Samuel Du Pont
(1739-1817), le dernier survivant de l'école, qu'il dé-
fendit contre Say qui, comme Smith et beaucoup d'autres
(y compris Turgot), l'appelait une secte à cause de
l'inflexibilité avec laquelle les élèves défendaient les
opinions du maître. Du Pont a le mérite d'avoir com-
battu, (il y fallait un certain courage), les assignats et
d'avoir contribué aux sages réformes financières de
l'Assemblée constituante, dans laquelle on lui donna
le nom de Nemours pour le distinguer d'un homonyme.
Ami de Turgot, il l'a soutenu dans ses réformes ; il fut
collaborateur et directeur des deux revues physiocra-
tiques, \eJournalde l'agriculture, du commerce et des
finances (1765-1766), et les Ephémérides du citoyen
(1766 etsuiv.). dans lesquelles il publia un très grand
nombre d'articles, écrits parfois un peu à la légère.
Schelle a parlé de ses œuvres dans la monographie
que nous avons citée plus haut.
Les meilleurs interprètes de la pliysiocratie ont été.
PHYSIOCRATIQUE 275
sans aucun doute, Mercier de la Rivière, Baudeau et
Letrosne, sans parler des disciples de moindre impor-
tance, Abeille, Condorcet, Bosnier de FOrme, Bigot de
Sainte-Croix, Chastellux, l'abbé Morellet, c|ui (avec
Mercier et Baudeau) délendit contre Galiani la liberté
absolue du commerce des blés, etc., etc.
Mercier de la Rivière, intendant à la Martinique, est
l'auteur d'un ouvrage que Smith (il est inexact que ce
.soit, comme il le dit, un petit ouvrage), considère
comme le meilleur exposé de la physiocratie. En réalité,
si on le lit en entier dans ses quarante-quatre chapitres
(et non dans les dix-huit reproduits par Daire) on y
trouve une analyse fidèle de la partie philo.sophique du
système et un exposé des idées politiques de ceux de
ses partisans qui créèrent la fameuse doctrine du des-
potisme légal, que d'autres (comme Turgot et Du Pont)
ont nettement repou.ssée .
Mercier de la Rivière. V ordre naturel et essenliei des
sociétés politiques, l'aris, 1767. A été l'occasion de
la fameuse satire de Voltaire (qui d'ailleurs avait
beaucoup de respect pour Quesnay et admirait
Turgot) intitulée : Llwmme aux quarante écus.
Nous devons à l'abbé Beaudeau, d'abord adversaire,
puis un partisan ardent de la physiocratie, beaucoup
d'articles intéressants dans les Ephémérides du ci-
toyen et un résumé des doctrines de Quesnay, préférable
à ceux de Mirabeau, de Du Pont et de Mercier, pour sa
clarté, sa méthode et quelques développements origi-
naux.
Abbé N. Baudeau, Première introduction à la philoso-
phie économique ou analyse des états policés. Paris,
1771.
Il faut citer encore Letro,sne, l'auteur d'une réponse
276 LE SYSTÈME
quelquefois peu heureuse, à l'œuvre mémorable (1776)
dans laquelle Condillac réfutait la doctrine de l'impro-
ductivité des manufactures et du commerce. Dans le livre
de Letrosne (De l'ordre social, 1777), il faut signaler la
seconde partie (Z>e ri72feréisoc/aZ), qui contient quelques
bonnes observations sur la monnaie et sur la circula-
tion.
^' '>
— TURGOT
Anne-Robert-Jacques Turgot, baron de l'Aulne,
(1727-1781), longtemps intendant à Limoges et, pen-
dant près de deux ans (1774-1776), ministre de
Louis XVI, est aussi célèbre pour ses ouvrages que pour
ses sages réformes. Il s'efforça de réorganiser les finan-
ces et de débarrasser l'agriculture, les manufactures
et le commerce des entraves séculaires qui les oppri-
maient ; ces réformes furent bientôt après rapportées.
Le ministre tomba, victime de la faiblesse du roi, des
intrigues de la cour, de l'opposition des classes privi-
légiées et en partie aussi parce qu'il s'était trop hâté et
qu'il avait imprudemment négligé les tempéraments
nécessaires à l'introduction sans secousses d'un nouvel
ordre de choses (Foncin, Essai sur le ministère de
Turgot. Paris, 1887).
Comme économiste, Turgot mérite une place- à part
pour la variété et la solidité de ses connaissances et
pour la multiplicité des sujets qu'il a discutés dans ses
œuvres et dans ses mémoires officiels. Ses œuvres ont
été recueillis par Du Pont [Œuvres de Turgot 1809-
1811, 9 volumes) et par Eug. Daire(1844, 2 volumes). La
sobriété, l'ordre et la clarté de son exposition, Texcel-
lence de sa méthode, sa répugnance à suivre en tout
et pour tout les opinions du maître, ne permettent pas
de ne voir dans Turgot qu'un disciple de Quesnay,
PHYSIOGRATIQUE 277
bien qu'il professe au fond les mêmes doctrines, et qu'il
ne se soit pas dégagé (comme on l'a parfois prétendu à
tort) des erreurs de l'école, dont il ne voulait pas être
considéré comme un partisan. L'étude de ses œuvres
est facilitée par de nombreuses monographies, de va-
leur différente, écrites parfois dans des vues apologé-
tiques.
'A. Batbie, Turgot philosophe, économiste et administra-
teur. Paris, 1861.
A. Mastier, Turgot, sa vie et sa doctrine. Paris, 1861.
Tissot, Turgot, sa vie, son administration et ses ou-
vrages. Paris, 1862.
H. v. Scheel, Turgot als Nationcdœkonom (In Zeitchr.
fur die ges. Staatswiss. de Tubingen, 24" année.
1868, pp. 243-270).
Fr. v. Sivers, TurgoVs Stellung in der Geschichie der
Nationalôkonomie {InJahrb. fur Nat. Œk. d'Hiide-
debrand. Jena, 1874, pp. 145-208j.
A. Neymarck, Turgot et ses doctrines. Paris, 1885. 2
volumes.
L. Say, Turgot. Paris, 1887.
P. Feilbogen, Smith und Turgot. Wien, 1893.
Parmi ses travaux sur des sujets spéciaux, il faut
citer sa lettre à l'abbé Cicé sur le papier monnaie (1749)
dans laquelle, à peine âgé de 20 ans, il combat les
sophismes de Terrasson, disciple de Law ; le fragment
valeur et monnaies (1770), destiné au. Dictionnaire du
commerce de son ami Morellet; le très célèbre mémoire
sur les -prêts d'argent (1769) ; son mémoire sur les
mines et carrières (1770) ; ses lettres brillantes sur
la liberté du commerce des grains (1770), qui sont
un véritable chef d'œuvre ; enfin ses nombreux écrits
sur V impôt, et ses rapports officiels sur la perception
de la taille, qui lui donnèrent l'oecasion de parler du
capital, des salaires, de la rente, des emprunts
publics, etc.
278 LE SYSTÈME
Les Réflexions sur la formation et la distribution
des richesses, écrites en 1766, et publiées à la fin de
l'année 1769, dans les Ephéinérides du citoyen avec des
modifications arbitraires de Du Pont, supprimées seu-
lement dans quelques unes des éditions postérieures,
doivent être considérées comme une explication claire
et élégante des doctrines des physiocrates, mais elles
marquent aussi un progrès notable dans l'histoire de
la science, parce que Turgot a su séparer l'étude de
l'économie de celle du droit, séparation qui n'existe pas
dans les ouvrages de Mirabeau, de Mercier, de Beau-
deau, etc. ; il a ainsi composé le premier traité scien-
tifique d'économie sociale et il a adopté, comme l'indique
le titre, la classification qui a été plus tard adoptée.
Il recherche la genèse historique et rationnelle des
faits économiques, et il voit dans la distribution inégale
de la propriété foncière la cause principale du progrès
économique. En mettant en contact par l'échange les
diverses économies individuelles, elle oblige ceux qui ne
possèdent pas de terre à vendre des produits et à rendre
des services aux propriétaires dont ils cultivent les fonds,
et cela en parcourant les cinq stades de l'esclavage, de
la servitude, du vasselage, du colonat et du fermage.
La nécessité de l'échange est l'origine de la valeur
estimative et objective, mesurée par la monnaie, c'est-
à-dire par la forme la plus commune du capital, dont il
examine les diverses fonctions dans leurs rapports avec
l'industrie. 11 explique les rapports économiques entre
les propriétaires, les cultivateurs, les artisans, les com-
merçants et les protessions libérales, en appréciant
leurs services, directs et indirects, et en déterminant
les parts qu'ils reçoivent dans la distribution. Il s'arrête
spécialement à rechercher la nature de l'intérêt du
capital ; il est partisan de la liberté de l'intérêt et il la
justifie par cette raison que l'emprunteur, avec la
PHYSIOCRATIQUE 279
somme prêtée, peut acheter un fond qui peut lui donner
un profit, qu'il doit partager avec le prêteur. Ces fines
analyses purement économiques et leur enchaînement
.savant marquent le passage de Quesnay à Smith et
constituent le mérite principal de Turgot qui, cepen-
dant, est inférieur à Tun et à l'autre en orisfinalité.
§ 3. LES BASES DU SYSTEME
Les théories des physiocrates forment un système de
droit public économique, combiné avec une analyse de
la production et de la distribution des richesses, d'où ils
déduisent, avec une logique parfaite, quelques pré-
ceptes de politique économique et financière.
Le droit économique de Quesnay a son fondement
dans le concept d'un ordre naturel, qui se rattache,
bien que d'une façon un peu extrinsèque, à la philo-
sophie de Malebranche [Traité de la. morale, i6(S4),cité
comme une autorité dans la préface de la Philosophie
rurale de Mirabeau, et il est en pleine harmonie avec
les théories alors courantes sur la félicité de l'état de
nature, plus tard vicié par les institutions humaines.
Par là, Quesnay donne la main à Rousseau, sans ac-
cepter cependant la doctrine du contrat social et celle
de la souveraineté du peuple. D'ailleurs, le système de
Quesnay diffère de celui de Grotius, Puffendorf et Hut-
cheson, ([ui développent leurs idées économiques dans
un ou deux chapitres de la théorie des contrats synal-
lagmatiques, comprise dans le droit privé, tandis que les
physiocrates étudient le droit de propriété et la liberté
du travail et du commerce presque toujours dans leurs
rapports avec le droit public. L'ordre naturel est, pour
l'école de Quesnay, un complexus de lois (au sens juri-
dique du mot) qui, par la volonté divine, gouvernent
280
LE SYSTEME
le monde et forment une espèce de code éternel et uni-
versel, dont les dispositions sont gravées, d'une façon
(''vidente, dans la conscience de chacun, et doivent
être respectées par les lois positives qui, selon Du Pont,
ne sont que de simples actes déclaratifs des lois natu-
relles, conséquences nécessaires des besoins de
l'homme, de la diversité de leurs aptitudes et de la né-
cessité d'appliquer les capitaux à la terre.
L'analyse de la production (territoriale) qui se ratta-
che à la théorie de la distribution du produit net
(expliquée avec des chiffres hypothétiques dans le
Tableau économique), débute par une classification
originale des capitaux, qui comprennent les « avances
primitives », c'est-à-dire le capital fixe (outils, bestiaux),
et les « avances annuelles », c'est-à-dire le capital cir-
culant (semences, engrais) du cultivateur. Le résidu
qu'on obtient en déduisant du produit brut les dépenses
de culture (reprises), qui comprennent aussi les gains
des producteurs (fermiers, métayers, salariés), constitue
le « produit net », c'est-à-dire l'augmentation annuelle
de la richesse nationale, qui sert aux besoins de l'Etat et
à l'augmentation du capital. Au point de vue écono-
mique, la société se compose de trois classes, celle des
producteurs, qui exercent, pour leur compte ou celui
d'autrui, l'industrie territoriale (agraire ou extractive) ;
la classe stérile (que Turgot appelle la classe stipendiée),
constituée par les commerçants qui transportent, et par
les artisans qui transforment la richesse, mais n'en aug-
mentent pas la quantité (Letrosne), et par les professions
libérales, qui rendent elles aussi des services utiles et
quelquefois nécessaires, mais n'accroissent pas le pro-
duit net (Quesnay et Turgot), parce que la valeur
ajoutée aux matières premières correspond à celle qui
est consommée (outils, matières auxiliaires, salaires)
dans la production ; enfin la classe des propriétaires
1
PHYSrOCRATrOUE 281
(appelée la classe disponible par Turgot), qui vit sans
travailler et reçoit le produit net comme compensation
des capitaux incorporés dans le sol.
La politique économique des physiocrates est très
simple et de caractère négatif, parce qu'elle se résume
dans l'aphorisme laissez faire, laissez X)àsser, c'est-à-
dire dans la liberté illimitée, qui est conforme à l'ordre
naturel ; grâce à elle chaque producteur, guidé par son
intérêt personnel, contribue à la prospérité générale sans
qu'il soit besoin d'aucune ingérence gouvernementale.
Mais l'école de Quesnay, quand elle veut montrer les
avantages économiques de la liberté industrielle et com-
merciale, se sert d'arguments bien différents de ceux
des libre-échangistes modernes. Elle invoque la liberté
parce qu'elle espère que, grâce à la concurrence, les dé-
penses delà classe productive diminueront et que le pro-
duit net augmentera : elle désire le bon marché des mar-
chandises, mais cependant le haut prix des denrées agri-
coles. L'action de l'Etat étant réduite uniquement à la
défense sociale, on comprend que la question de la forme
du gouvernement fût secondaire pour les physiocrates , et
on comprend aussi pourquoi beaucoup d'entre eux ont
préféré le gouvernement puissant d'un seul à celui d'une
assemblée, parce qu'ils le croyaient plus indépendant et
plus porté aux réformes nécessaires pour émanciper
l'industrie des entraves qui l'enserraient.
Ils ont accepté et développé les doctrines de Locke et
de Vanderlint quant à l'incidence finale des impôts sur la
rente foncière, ou comme ils disaient sur le produit net,
parce qu'ils croyaient que la concurrence avait pour
effet nécessaire la réduction des salaires et des profits
à un minimum non imposable. De ce point de départ
ils concluaient logiquement que la substitution d'un
impôt unique et direct sur le produit net aux impôts
multiples était conforme à l'intérêt général et à l'intérêt
282 LE SYSTÈME
des contribuables eux-mêmes. On aurait pu ainsi
diminuer les dépenses de perception et même sup-
primer les inconvénients de répercussions onéreuses et
inévitables .
Le système physiocratique, considéré par rapport aux
théories empiriques auxquelles il succédait, présente
un tel mélange d'erreurs et de vérités, de mérites et de
défauts, qu'il a rendu malaisé un jugement équitable,
même pour ceux qui l'ont examiné objectivement. Il a,
d'ailleurs, été condamné quelquefois comme une uto-
pie absurde ; on l'a aussi identiflé en tout et pour tout
avec le système de Smith, qui n'y aurait apporté que
des modifications sans importance.
Il nous semble qu'on ne peut refuser à l'école de
Quesnay-le mérite d'une analyse ingénieuse, quoique
pour partie fausse, des phénomènes de la production et
de la distribution en général, et des fonctions du capi-
tal, bien distinctes de celles de la monnaie, en particu-
lier, et aussi celui d'avoir mis en lumière l'importance
fondamentale de l'agriculture et d'avoir porté le der-
nier coup à la théorie de la toute puissance économique
de l'Etat, en demandant la liberté du travail et du com-
merce et la réforme radicale des mauvais systèmes d'im-
pôts alors en vigueur. Il est vrai cependant que le sys-
tème, irréprochable au point de vue logique, est fondé
sur des bases juridiques et économiques en partie
fausses et en partie inexactes, et sur un petit reste du
mercantilisme qu'il combat si vigoureusement. L'idée
d'un ordre de nature, en dehors duquel aucune économie
scientifique n'est possible, était transformée par les
physiocrates dans l'hypothèse, aussi arbitraire qu'ab-
surde, de l'existence de lois applicables à tous les temps
et à tous les lieux, sans tenir compte des précédents
historiques et du degré de civilisation. L'origine du
produit net était attribuée à la libéralité de la nature,
PHYSIOGRATIQUE 283
alors qu'elle est un effet de la limitation et des inégalités
dans la fertilité et dans la situation des terres. La dis-
tinction en travail productif et travail improductif, et
■entrelâ rente originaire et la rente dérivée aurait fait
grand honneur à l'école de Quesnay, si elle ne
l'avait mal appliquée dans sa théorie de la stérilité des
manufactures et du commerce. Cette dernière théorie
■était, pour quelques-uns, une suite de cette erreur phy-
sique qui leur faisait croire que la terre est productive
■d'objets nouveaux, et, pour d'autres, de cette erreur éco-
nomique de l'identité, affirmée mais non démontrée,
■des valeurs produites et des valeurs consommées dans
la production, pour d'autres enfin de cette idée, juste en
«Ile-même, de la dépendance de l'industrie manufactu-
rière et commerciale vis-à-vis de l'industrie agricole, mais
viciée par Tignorance de la réciprocité de cette dépen-
dance. La cause principale, et insuffisamment remarquée,
<le leur erreur fondamentale consiste à avoir identifié
l'intérêt général avec l'intérêt particulier des différentes
-classes, et à avoir par conséquent étudié les phénomènes
■économiques au point de vue des intérêts des produc-
teurs (réduits pour eux aux cultivateurs) et non à celui
des consommateurs, sans s'apercevoir, par exemple,
que le bon marché des denrées agricoles est tout aussi
désirable que celui des autres marchandises et qu'il
ne fallait pas comprendre dans les dépenses de produc-
tion (au point de vue social) les salaires, les profits, les
intérêts, qui sont au contraire une partie de la rente,
■d'où peut dériver, non moins que de la rente foncière,
le produit net, parce que la réduction supposée au
minimum indispensable à l'entretien des travailleurs ne'
ne se fait pas toujours. Les disciples de Quesnay se
trompent gravement quand ils font du laisser faire un
■dogme scientifique, tandis que ce n'est qu'une règle
pratique, sujette à de nombreuses exceptions, néces-
284 LE SYSTÈME
saires pour éliminer les collisions très fréquentes entre
les intérêts particuliers et l'intérêt général. Les physio-
crates se trompent enfin, même en faisant abstraction
de son impossibilité d'application, lorsqu'ils demandent
l'impôt territorial unique, corollaire légitime de leur
théorie de la répercussion des impôts, fondée sur
riiypotbèse fausse de l'impossibilité de frapper les
salaires et les profits. Pour conclure, nous ferons remar-
quer que l'école de Quesnay, qui a bien mérité de la
science et de la pratique pour la guerre qu'elle a soute-
nue contre les sophi^mes du mercantilisme et les excès
du despotisme économique, est tombée dans un grand
nombre d'erreurs, que professent de nos jours encore
les optimistes, et que l'on s'obstine parfois à considérer
comme indissolublement unies aux théories de l'école
de Quesnay.
Et. Laspeyres, Quesnay, Turgot und die Physiokra-
ien (In Deutsches Staaiswôrierbuch de Bluntschli
etBraler. Volume viii, 1864, pp. 445-455j.
N. G. Pierson, Het Physiocmtisme (In De Economist,
1880). Excellent essai critique.
H. Denis, Des origines et de l'évolution du droit écono-
mique. La Physiocratie. (In Philosophie pjsilive de
Littré, 1880).
§ 4. LA PHYSIOCRATIE A l'ÉTRANGER
Le système de Quesnay, qui eut en France ses der-
niers représentants dans le marquis Germain Garnier
CAbrégé élémentaire des j^rincipes de l'économie
jDolitique, 1796) et dans Dutens (Philosophie de Véco-
nomie j)olitique, 1835), contemporains de Théodore
Schmalz (1760-1841) et de Charles Arnd (Die naturge-
mUsse Volkswirthschaft, 1845. 2^ édit., 1851), c'est-
à-dire des derniers physiocrates allemands, n'a pas
PHYSIOGRATIQUE 285
trouvé de partisans en Angleterre. Il en a eu quel-
ques-uns de second ordre dans d'autres pays : Stroj-
nowski en Pologne, le prince Galitzin en Russie (1796)
et un nombre un peu plus considérable en Allemagne
et en Italie.
Parmi les physiocrates allemands, nous devons signa-
ler, en dehors de Ftirstenau et de Springer, le suisse Isaac
Iselin, le fondateur du périodique Ephemeriden der
Menscheit (1776-1782), le laborieux J. Aug. Schlettwein
(1731-1802), auteur d'un résumé [Grundfeste der
Staaten oder politische Oekonomie, 1779), Jacques
Mauvillon (1743-1794), qui le dépasse en profondeur
(Sammlung von Aufsatzen, etc., 1776. 2 volumes),
et enfin le margrave Charles-Frédéric de Bade (1728-
1811), l'auteur d'une espèce de table synoptique C-^na-
lyse abrégée des principeii de Véconomie politique)
insérée àan^le^Ephéméridesdii citoyen [ilTi) et qu'on
a souvent attribuée (par exemple Daire) à Du Pont,
qui l'a reniée tout en l'améliorant trois ans plus tard
{Table raisonnée des principes de l'économie poli-
tique, Carlsruhe, 1775). Ce prince fit l'expérience de
l'impôt unique dans les villages de Theningen et de
Balingen (1770-1776), et de Dictlingen (1770-1792).
Mais comme l'a démontré Emminghaus, l'insuccès
d'un système mal inauguré (Schlettwein) et exécuté à
regret (par J.-J. Schlosser) sur un petit territoire
et pendant si peu de temps, ne peut pas fournir des
éléments certains pour un jugement fondé sur sa
bonté relative ou absolue.
A. Emminghaus, Karl Friedrich' s von Baden Phy-
siocratische Verbindungen, Bestrebiingen nnd Ver-
suche (In Jahrbûcher fur Nat. Oekon. 10"^ année
1872, pag. 1 et suiv.)
W. Roscher, Geschichte der Nat. Oekonomik in Deuisch-
land. Mûnchen, 1874, pp. 480-500.
286 LE SYSTÈME
Cfr. F. von Sivers, dans les Jahrbùcher, 13= année,
1875, pp. 1-15.
K. Knies, C. Fr. v. Baden briefUcher Verkehr mit Mira-
beau and Du Pont. Heidelberg, 1892. Deux vo-
lumes.
Il est certain que la physiocratie a exercé une influence
.sur les ministres toscans, promoteurs des réformes de
Léopold (Tavanti, Neri, Gianni), qui firent même tra-
duire quelques livres et quelques opuscules français
{Coyer, Baudeau, Bosnier de TOrme, etc. i, dans le but
de rendre populaire les idées qu'ils défendaient, comme
cela résulte des travaux de Zobi {Manuale storico délie
massime e degli ordinaraenti economici vigenti in
Toscana, 1847), de ceux de Montgomery Stuart [Storia.
del libero scambio in Toscana, 1876), et mieux encore
de la consciencieuse monographie d'Abel Morena (Le-
ri formée le dottrine economicJie in Toscana. In Ras-
segna nationale. Firenze, 1886 et suiv.). Un petit nom-
bre d'écrivains ont accepté, sans notables changements,
les doctrines de l'école de Quesnay. Parmi eux nous men-
tionnerons Melchior Delfîco (1788) et Nicolas Fioren-
tino (1794) ; parmi les écrivains annonaires, en dehors
de Xegri déjà cité (1767^, Scottoni (1781), Mario Pagano
(1789), De Gennaro [Annona, ossia piano econoniico
di publica sussistenza, 1783;. Scrofani (3/eï7i07'ie di
econoniia polltlca, 18'26 ; parmi les écrivains de
finance, Adam Fabbroni, rappelé par Balletti (1778).
Joseph Gorani (1771), Jean Paradisi (1789) et particu-
lièrement le toscan Joseph Sarchiani {Intorno al sis-
tema délie pmhbliche imptosizioni, 1791). Beaucoup
d'autres, au contraire, acceptent les nouvelles théories
sans abandonner les anciennes, par exemple, Paoletti
{Veri mezzi di rendere felici le société, 1772/ qui est
favorable aux lois somptuaires; Filangieri (1752-1788),
partisan du libre échange et de l'impôt unique, mais
PHYSIOCRATIQUE 287
lidèle à la théorie de la balance mercantile; Brio:anti,
qui admet les droits compensateurs et insiste sur l'utilité
du commerce; D'Arco, d'abord mercantiliste (1771),
plus tard (1775) partisan d'une doctrine éclectique en ce
([ui concerne le blé, et qui finit par admettre, sous l'in-
fluence des idées d'Ortes, la pleine liberté du commerce
(1788) ; enfm Mengotti [IlColbertismo. Firenze, 1792),
qui indique les précautions nécessaires à prendre pour
préparer le libre échange.
Gaet. Filangieri, Délie leggi jxiUdche ed economiche,
1780. Et le second livre de la Scienza délia legis-
lazione (Réimprimé dans la Collection de CusLodi,
Part. Mod. Vol. 32j.
Filippo Briganti, Esame economiro del sisiema civile.
Napoli, 1780. (Et dans Custodi, Part. Mod. Vol.
28 et 29).
Conte Giov. Batt. Glierardo D'Arco. Opère, Cremona,
1785. Vol. I et m.
§ 5. LES CRITIQUES DE LA PHYSIOGRATIE
Userait absolument inutile d'énumérer les nombreux
écrivains du siècle dernier qui ont combattu, en toutou
en partie, les théories physiocratiques sans être d'au-
cun secours aux progrès de la science. Quelques-uns
veulent ressusciter le mercantilisme ; il semble possible
à d'autres de combiner les principes de l'ancien système
avec ceux du nouveau ; d'autres s'essayent à réfuter
certaines propositions exactes des physiocrates et les
remplacent par des propositions fausses, ou bien ils ac-
ceptent les prémisses (incidence del'impôt sur le produit
net), et repoussent, pour de simples considérations pra-
tiques, leurs conséquences nécessaires (impôt unique),
ou enfin ils réfutent les doctrines erronées de la stérité
de l'industrie et du commerce, de l'absolue identité
288 LE SYSTÈME
de l'intérêt particulier avec l'intérêt général, et de la
répercussion des impôts, et ils y substituent d^autres
erreurs manifestes ou tout au moins des assertions non
démontrées. C'est à ces catégories de critiques qu'ap-
partiennent quelques uns des éclectiques déjà cités, For-
bonnais, Steuart, Justi et beaucoup d'autres écrivains,
en particulier des écrivains allemands, cités par Kautz
et plus complètement par Roscher {Geschichte, etc.,
pp. 494-592). Parmi ceux-ci, il en est un, bautement
apprécié en Allemagne, Justinus Moser (1720-1794), qui,
dans une série d'écrits politiques {Patriotische Phan-
tasien, 1774), combat ladivision du travail, la grande in-
dustrie, le libre échange, demande des restrictions féo-
dales à la propriété et défend les corporations ; c'est en
même temps un ennemi des mesures propres à favoriser
l'augmentation de la population ; il est partisan des
hauts salaires, de la liberté illimitée du commerce des
blés et du développement du crédit agraire. Nous
devons parler encore de deux autres écrivains éclecti-
ques plus connus, même hors de l'Allemagne, Biish et
Herrenschwand. Ils font grand cas des doctrines de
Quesnay et de Smith, mais ils conservent, en grande
partie, les préjugés du mercantilisme et, en particulier,
celui de l'importance suprême de la quantité de la mon-
naie et des phénomènes de la circulation. J. Georges
Busch (1728-1800), directeur de l'Académie commer-
ciale de Hambourg, s'est occupé, dans ses nombreux
écrits, de la partie technique des théories monétaires,
bancaires, et en général, des théories commerciales,
énonçant çà et là des idées saines et originales en
matière de rente, de systèmes agraires, de crises éco-
miques et de population. Herrenschwand a particulière-
ment insisté sur ce dernier sujet; on le considère en
général comme un des nombreux précurseurs de Mal-
thus.
PHYSIOGRATIQUE 289
L. Rupprecht, Juslus Mbsers sociale und volkswirth-
schaftliche Anschauungen. Stuttgart, 1892.
J. G. Bûsch, Kleine Schriften ûberdie Handluyig, 1772.
— Abhandlung von Geldumlauf, 1780. Deux vol.—
Theoretisch-prakiische Darstelliing der Handlung,
1792. Deux volumes. — SammilicheSchrifien.Wien,
1813-1818. Seize volumes.
Herrenschwand, De l'économie politique moderne.
Londres, 1786. — De iécon. pol. et morale de
Vespèce humaine, 1796. Deux volumes. —Du
vrai principe actif de Vécon.poL, 1797.
Nous devons nous arrêter plus longtemps surGaliani,
Condillac, Beccaria, Verri, Ortes, qui ont étudié avec
originalité les problèmes fondamentaux de la science et
préparé la voie à ses progrès ultérieurs.
Il faut être reconnaissant à un écrivain contemporain
(Macleod) d'avoir rappelé l'attention sur l'importance
théorique de Condillac, qui a réfuté l'erreur des phy-
siocrates sur la stérilité des manufactures et du com-
merce, et donné une théorie de la valeur. Nous
ne pouvons cependant concéder à Macleod qu'avec
Condillac commence une ère nouvelle ; d'autres écri-
vains (Galiani, Turgot, Letrosne) avaient déjà, en effet,
discuté avec talent et avec autant d'ampleur le même
sujet. Condillac voit dans l'utilité de quantités détermi-
nées de biens le fondement de la valeur ; il montre les
avantages réciproques que les échangistes retirent de
l'échange, parce qu'ils obtiennent des richesses aux-
quelles ils attribuent une valeur supérieure à celle des
valeurs qu'ils cèdent.
Condillac, Le Commerce et le gouvernement, etc. Vol. I
(volume unique). Amsterdam et Paris, 1776.
19
290 LE SYSTÈME
.^ 6. GALIANI, BECCARIA, VERIU, OUTES.
L'abbé Ferdinand Galiani est né à Naples (1728-
1787). C'est à la lois un économiste et un jurisconsulte,
et toujours un écrivain élégant. 11 traduisit, à Vàixe de
vingt ans, les ouvrages de Locke sur la monnaie, qu'il
utilisa partiellement pour composer son traité classi([ue
(1750), dont nous avons déjà parlé (chap. III, § 2^ ; il
publia plus tard, alors qu'il était secrétaire d'ambassade
à Paris, ses Dialogues sur le commerce des blés, qui
le firent connaître dans toute l'Europe et lui attirèrent
de vives réponses. Dans son livre sur la monnaie,
bien qu'il s'inspire des principes du mercantilisme et
qu'il soit favorable, dans certaines circonstances (sur
les traces de Melon), aux altérations de valeur de la
monnaie, ses doctrines sont- généralement saines et
toujours exposées avec beaucoup de clarté. Il faut sur-
tout louer sa défense de la liberté de l'intérêt, le cba-
pitre sur le cours des changes, et spécialement la théorie
de la valeur. Cette dernière théorie a été commentée
avec beaucoup de pénétration par Graziani {Storla
critica, etc., 1889, pp. 99-107), qui a montré que
Galiani est un des précurseurs les plus importants de
la doctrine qui l'onde la valeur sur l'utilité concrète de
chaque quantité de richesses considérée à part, utilité
déterminée selon lui par l'intensité différente des
besoins, sans oublier l'influence du temps sur la va-
leur et les influences réciproques de la demande sur
la valeur et de la valeur sur la demande. Dans ses
Dialogues, où il montre l'impossibilité d'établir un sys-
tème unique, libéral ou restrictif, de politique anno-
naire. l'auteur se montre non seulement dialecticien
puissant, mais il devance, en un certain sens, l'école
PHYSIOCRATIQUE 291
historique moderne en combattant les théories trop
absolues de la physiocratie et en mettant en lumière,
sauf quelques erreurs dans les applications, le carac-
tère relatif des institutions économiques et la nécessité
de les adapter aux diverses conditions de temps^ de lieu
et de civilisation.
Dialogue sur le commerce des blés. Londres (Paris),
1770. — Nouvelle édition augmentée. Berlin, 1795.
Deux volumes. Traduits en allemand par Bar-
khausen (1777), par un anonyme (1778), et par
Beicht (1802).
Cfr. L. Diodati, Vita delV abaie F. Galiani.. Napoli,
1788. — G. Ugoni, La lelteraiura ifaliana, etc.
Vol. I (Milano, 1856), pp. 191-357. — F. Fornari,
Délie teorie economiche nelle provincle napolc-
tane, etc. Milano, 1888.
Le marquis César Beccaria (1738-1794), l'illustre au-
teur du livre Des délits et des peines (1764), a publié
une Prolusione (1769), écrit des lezioni di economin
(1769-1770) restées inédites jusqu'en 1804, et contribué
{avec Verri et Carli) à d'importantes réformes dans
l'administration de la Lombardie, notamment de l'an-
nonne, des monnaies, des poids et des mesures, et à
l'abolition des corps de métiers et de la ferme des impôts.
Ses Elementi d'economia pitbblica, trop défavorable-
ment jugés par Pascal Duiwsit {Revue moderne, 18G5),
sont remarquables pour la précision, la clarté et la
rigueur des déductions, qui dénotent un auteur familier
avec les mathématiques comme le prouve son Tenta-
tive anfttitico sui contrabbandi (In Caffè. Vol. I,
Brescia, 1765), qui inspira au sicilien Guillaume Silio
(1792) un ouvrage analogue. Bien qu'il accepte les
doctrines des physiocrates (avec lesquels il entra en
relation pendant le court voyage qu'il fit à Paris en
1766), il ne repousse pas cependant tous les préceptes
592 LE SYSTÈME
du mercantilisme. Il attaque les corporations et n'ad-
met pas les prohibitions ; il est éclectique comme Ga-
liani, partisan décidé de la liberté annonaire, mais
cependant il défend les primes à l'exportation (repous-
sées par Carli) et il est grand partisan des droits pro-
tecteurs. Au point de vue théorique, si on ne peut lui
reconnaître l'originalité que lui attribuait Say dans
l'analyse de la fonction des capitaux (qu'il emprunte à
la physiocratie), ni celle que voulait lui reconnaitre,
avec beaucoup d'autres, Pecchio, au sujet de la divi-
sion du travail, ni même celle dont parle Ingram, dans
l'analyse des causes déterminantes de la diversité des
salaires dans les différents métiers (énumérées longtemps
auparavant par Caritillon), il doit être loué pour ses
idées exactes sur la population (chap. TII, §1) et plus
encore, comme le remarque Graziani [op. cit. pp. 72-76)
pour sa belle analyse de la loi de la valeur normale,
dans les cas de libre concurrence et dans les cas de
monopole.
C. Beccaria, Elemenii di economia pubblica (1769).
Dans les volumes XI et XII. Part. Mod. (1804) de
la Collection de Custodi et vol III ;Torino, 1852)
de la Biblioieca dell' Economista de Ferrara.
Trad. française. Paris, 1852.
Cfr. les notices biographiques données par C. Cantù,
Beccaria e il diritto pénale. Firenze, 1862; et par
A. Amati (et A. Buccellati), C. Beccaria e Vabo-
lizione délia pena di morte. Milano, 1872.
Son ami et collègue, le comte Pierre Verri, né à Milan
(1728-1797), n'a ni son talent ni sa culture scientifique
et littéraire, mais il lui est de beaucoup supérieur comme
économiste pour la quantité et pour la valeur de ses
écrits, dans lesquels il s'émancipe presque complète-
ment de l'erreur physiocratique sur la non productivité
des industries. Bien qu'il partage encore quelques-uns
PHYSIOGRATIQUE 293
des préjugés du mercantilisme, notamment dans ses
Elementi ciel cornmercio {ilQo}, il professe des idées
nettement libérales dans ses Riflessioni sulle legi vin-
colcLTiti, principEilmente nel commercio dei grani,
écrites en 1769 et publiées en 1796; il a, également,
remarquablement analysé les causes de la décadence
de l'industrie et du commerce de la Lombardie sous
la domination espagnole dans ses Memorie sulV econo-
mia pubblica. dello Stcito di Milano (1768), publiées
dans la Collection de Custodi (vol. XVII).
Les Meditazioni sulV economia x>olitica (1771), plus
complètes et plus claires que les Elementi de Beccaria,
sont le meilleur précis publié en Italie au siècle passé et
elles seraient même supérieures aux abrégés étrangers
si les Réflexions de Turgot ne lui étaient pas anté-
rieures. Il est vrai cependant que Verri le dépasse tout
au moins pour avoir fait une analyse plus exacte et plus
compréhensive de la production, parce qu'il a montré
que, dans lagriculture comme dans les manufactures,
l'homme ne peut que rapprocher et séparer, mais' qu'il
ne peut jamais créer de nouveaux objets (section 3") ;
il se trompe cependant sur un point, car il considère
les commerçants comme de simples intermédiaires entre
les producteurs et les consommateurs. Les Meditazioni
forment un système, parcequ'elles sont un examen des
différentes causes qui permettent ou empêchent qu'un
pays s'enrichisse par un excédant de la production sur la
consommation, et qu'on obtienne ainsi le produit maxi-
mum d'où dépend l'augmentation continue de la popu-
lation. C'est pour cela que Verri (contrairement à Bec-
caria) préfère la petite à la grande culture et combat la
concentration excessive des propriétés, comme les en-
traves directes à la liberté industrielle et commerciale.
Il admet cependant (dans l'impossibilité du libre échange
universel) des droits protecteurs, précurseur en cela
294 LE SYSTÈME
(comme le remarque Pierson) de la théorie du fair-trade ;
il les accepte aussi parce que, combinés avec les impôts
directs, ils sont nécessaires au point de vue fiscal,
le système de l'impôt territorial unique étant prati-
quement impossiiDle et scientifiquement faux. Enfin
la théorie de la valeur de Yerri est très importante,
parce que le premier il s'occupe presque uniquement
de la valeur courante, déterminée par la loi de l'offre
et de la demande, qu'il expose cependant en termes peu
heureux, parlant toujours du nombre des acheteurs et
de celui des vendeurs ; il a proposé une formule qui a
été enjjuite discutée, modifiée, défendue par Frisi. Gioja,
Valeriani et Rossi (Cfr. Graziani, op. cit., pp. 1 13-J31;.
Une faute d'impression dans le Cours d'économie 'po-
litique de Pellegrini Rossi. dont personne ne s'est jus-
qu'ici aperçu, a introduit dans beaucoup d'ouvrages
italiens et étrangers un certain Ferry (Verri), auquel on
attribue la formule de l'offre et de la demande !. .
(P. Verri) Meditazioni suW economia politica. Li-
vorno, 1771. Ptéimprimé plusieurs fois avec des adjonc-
tions de l'auteur (et quelquefois avec des notes sans intérêt
et peu bienveillantes de G. R. Carlil, par exemple, dans
la Collection de Custodi (vol. XV) et dans celle de Fer-
rara (vol. III), et en même temps que ses œuvres philo-
sophiques. On en a fait trois traductions françai.ses, une
anonyme (1800), l'autre par Mingard (1773; et une troi-
sième par Neale (1823) ; deux allemandes, par un ano-
nyme (1774), et par L. B. M. Schmidt (1785); une hollan-
daise (1801).
Voir aussi, en dehors du recueil des lettres et des
œuvres inédites publié par Casati : Isid. Bianchi, Elogio
storico di P. Verri. Cremona, 1803. — C. Ugonij La
letteratura italiana, etc. Vol. 11(1856), pp. 35-128. —
Eug. Bouvy, Le comte P. Verri. Paris, 1889.
Le prêtre Jean-Marie Ortes (1713-1790), le plus illus-
PHYSIOGRATIQUE 295
tre des économistes vénitiens du siècle passé, dont nous
avons déjà signalé les idées exactes sur la question de
la population (ch. IIP, .^ 1), est un esprit original,
mais son style est faible ; parfois paradoxal, il est un peu
étranger, mais moins qu'il ne voudrait le faire croire,
au mouvement général des études économiques de
son temps. Il est l'auteur d'ouvrages anonymes, im-
primés à un petit nombre d'exemplaires, recueillis
et commentés avec grand soin par Custodi, Cicogna et
Lampertico. Il combat le mercantilisme sans adopter
les théories de la physiocratie, et il défend le libre
échange universel, en se déclarant en même temps
partisan des biens de .mainmorte, des fidéicommis et
de beaucoup d'autres restrictions médiévales au droit
de propriété. Son système part d'un principe évidem-
ment faux, à savoir que la richesse des différents
peuples constitue une quantité fixe, rigoureusement
proportionnelle au nombre des habitants ; c'est donc
une tentative vaine que d'essayer de Taccroitre, parce
qu'il ne faut pas confondre la distribution des richesses
entre les individus avec celle qui se fait dans l'économie
nationale.
Dell' economia nazionale. Part, I. 1774. — Erroripopo-
lari intorno alV economia nazionale. 1771. — Bei
fidecommessi, elc. — V. la Collection de Custodi,
vol. XXI-XVII etXLII. — Bibliot. delC Econom.,
vol. III (1852).
Fed. Lampertico, Giammari^ Ories e la scienza eco-
nomica al suo tempo. Venezia, 1865. (Excellente
monographie;.
Pour les économistes vénitiens, contemporains
d'Ortes, on peut consulter, en dehors de l'ou-
vrage déjà cité d'Alberti sur les corporations :
Alb. Errera, Storia delV econ. pol. negli Siati
délia Repubblica Venefa. Venezia, 1877; et J. Facen,
Mengotti e le sue opère. (In Bivista Veneta. IIP an-
née, 1875).
296 LE SYSTÈME PHYSIOCRATIQUE
Nous ajouterons, en terminant, que les autres écono-
mistes italiens du siècle passé se sont occupés de
l'annone (Carli, Caraccioli, Cacherano, Aleandri), des
impôts (Palmieri, Gianni, Vergani, Scola, Marchesini,
Foscarini) et des monnaies. Il est parlé de leurs ouvrages
dans les livres, déjà cités, de Cusumano, de Gobbi, de
Ricca-Salerno et dans un de nos essais bibliographiques.
L. Cossa, Snggio di bibliografia délie opère econo-
miche italiane sulla moneta et sul credito anteriori
al -1849. (In Giornale degli Economisa. Bologne,
juillet 1892).
CHAPITRE VIII
ADAM SMITH ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS
L'économie politique qui formait , .^râce à Quesnay,
un système achevé de droit économique, dont Turgot
avait dégagé un système d'économie sociale, prend,
peu après, dans l'œuvre immortelle d'Adam Smith, le
caractère et l'importance d'une science, au sens le plus
large du mot, qui embrasse non-seulement l'économie
rationnelle, mais aussi l'économie appliquée, c'est-à-
dire la politique économique et financière. Cette œuvre
est aujourd'hui encore le fondement le plus sûr des
recherches ultérieures parce que, comme l'a excellem-
ment remarqué Roscher, ce qui a été écrit sur ce sujet
avant Adam Smith peut être considéré comme une
préparation à ses théories, et tout ce qu'on a écrit de-
puis comme leur complément.
C'est peut-être pour cela que nous ne possédons pas
jusqu'ici un bon travail critique qui établisse, d'une
façon exacte et impartiale , le mérite de Smith à
l'égcird des économistes ses prédécesseurs et ses suc-
cesseurs.
On ne peut pas , en effet, considérer comme répon-
dant à cette fin les courts essais de Blanqui (1843), de
Cousin (1850), de Kautz (1851), de Lavergne (1859), de
Du Puynode (1865), d'Oncken (1874), de Chevalier
(1874), de Weisz (1877), de Stôpel (1878), de Walcker
(1890), ni même les travaux plus étendus et plus com-
plets de Laspeyres (1865), de Held (1867), de Cliffe
298 ADAM SMITH
Leslie (1870), de Bagehot, d'Inama-Sterne^g, de Nasse,
de Luzzatti et de Ricca-Salcrno (1876), de Helferich
(1877), deNeurath(1884),etde Courcelle-Seneuil(1888).
Les dix monographies suivantes ne remplissent pas
non plus cet objet, soit qu'elles manquent d'impartialité
(Rossler, Skarzynski), soit qu'elles ne constituent pas
une critique approfondie (Delatour et Haldane), soit
parce qu'elles s'occupent seulement dune partie du su-
jet (Léser, Oncken, Hasbach, Zeyss, Feilbogen et Jager).
J. F. B. Baert, Adam Snillh en zijn onderzoek naar
den rijkdom der volken. Leiden, 1858. (Quoique
d'une critique insuffisante, c'est encore, à cer-
tains points de vue. le meilleur travail sur ce
sujet).
H. Rossler, Ueber die Grundlehren der von Ad. Smilli
hegrûndeien Volksivirthschaftstheorie. Erlangen,
1868. 2' édit., 1871.
Em. Léser, Der Begriff des Reichthiims bei Ad. Smiili.
Heidelberg, 1874.
Aug. Oncken, Ad. Smith und Immanuel Kant, etc.
Leipzig, 1877.
W. von Skarzynski, Ad. Smith aïs Moralphilosoph
und Schôpfer der Nationalœkonomie. Berlin, 1878.
Alb. Delacour, Ad. Smith, sa vie, ses travaux et ses
doctrines. Paris, 1886-
R. B. Haldane, Life of Adam Smith. Londres, 1887.
(Contient aussi une riche mais incomplète bi-
bliographie).
R. Zeyss, Ad. Smith rind der Eigennuiz. Tïibingen,
1889.
W. Hasbach, Untersuchungen ïiber Adam Smith, etc.
Leipzig, 1891.
0. Jiiger, Den moderne Statsôkonomie Grundlàggelse
ved Ad. Smith. Kristiania, 1893.
§ L LA VIE ET LES TRAVAUX DE SMITH,
La meilleure biographie de Smith e.st celle deDugald-
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 299
Stewart, Account ofthe life and writiyigs ofAcl. Smith
(in Transactions of the R. Society of Edinburgli,
vol. III, part. I, 1793, pp. 55-537, Réimprimée et aup:-
mentée dans le second volume des œuvres de Stewart,
éditées par William Hamilton, 1858). On trouve quel-
ques détails complémentaires intéressants dans l'es-
quisse biographique deJ. R. Mac Culloch, Treatises and
Essays, etc. Edinburgh, 1853, pp. 443-462, et aussi
dans Em. Léser, Untersuchungen zur Geschichte der
Nationalœkonomie. Jena, 1881, pp; 3-46.
Adam Smith est né à Kirkaldy, en Ecosse, le 5 juin
1723. C'est là qu'il fit ses premières études ; il les con-
tinua à Glasgow (1737-1740), où il eut pour maitre Hut-
cheson, et les termina à Oxford (1740-1746). Il apprit
les langues classiques et les langues modernes, les
sciences mathématiques, naturelles et philosophiques;
il se rendit, vers 1748, à Edimbourg; c'est là qu'il fit,
sous le patronage de lord Kames, des leçons de rhéto-
rique et de belles-lettres, et qu'il se lia d'amitié avec
son célèbre compatriote David Hume. En 1751, il fut
nommé professeur de logique; et, cette même année,
il obtint la chaire de philosophie morale. Comme ses
prédécesseurs, il comprenait dans la philosophie mo-
rale la théologie naturelle, l'éthique, la jurisprudence,
les institutions politiques, et, dans celles-ci, l'économie
})olitique. Sa grande mémoire, ses tendances naturelles,
ses relations avec des commerçants experts, la publica-
tion des Essais de Hume (1752), de Cantillon (1755), de
Harris (1757), et d'autres écrivains anglais et français,
et même la réimpression, faite en Ecosse, d'un grand
nombre d'ouvrages des meilleurs économistes anglais
du xv!!** siècle, contribuèrent à tourner l'attention de
Smith vers les problèmes économiques, et en particu-
lier vers ceux du commerce international. Il lut, en
effet, dans la Select Society d'Edimbourg, une étude
300 ADAM SMITH
sur les effets des primes à l'exportation des blés (1754)
et, dans un manuscrit de l'année suivante, signalé par
Dugald Stewart, il défendit (avant les physiocrates)
les principes du libre échange. En 1759, il publia sa
théorie des sentiments moraux, qui est un excellent
traité de morale, assez faible dans sa partie métaphy-
sique, et fondé sur les principes psychologiques de l'é-
cole écossaise, dont Hutcheson fut le chef, et dont Reid
et Smith ont été, avec quelques autres, les plus illustres
continuateurs.
Ad. Smith, The theory of moral sentimenis . London,
1759. Sixième édition (augmentée) 1790. Deux
volumes. Plusieurs traductions françaises: 1764;
1830. (Cfr. J. A. Farrer, Adam S?ni7/i. London, 1881).
Sur la demande, qui lui fut faite, par l'intermédiaire
de Charles Townsend, d'accompagner dans son voyage
le tout jeune duc de Buccleugh, il quitta sa chaire en
1764, visita la France et la Suisse, s'arrêta quelques
mois à Toulouse, et presque une année (1766) à Paris,
où il fit la connaissance de beaucoup de philosophes
(Diderot, d'Alembert) et d'économistes, notamment de
Quesnay et de Turgot, les plus vaillants champions du
système, qu'il combattit plus tard en le considérant ce-
pendant comme le plus proche de la vérité. Dans les
dix années qui suivirent , Smith vécut retiré dans sa
patrie, faisant cependant, comme Ta démontré Léser,
de fréquents voyages à Londres, tout occupé à ré-
diger son livre sur la Richesse des Nations, terminé
en 1775, et publié dans les premiers mois de 1776.
Ad. Smith, An inquiry into the nature and causes
ofthe wealthof nations. London, 1776. Deux volumes
in-4; troisième édition augmentée, 1784. Parmi les
éditions avec commentaires, citons celles de Playfair
(1805), de Buchanam(i8i4), de Wakefield (1835-1839),
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 301
et tout particulièrement celle de Mac Gulloch (Edim-
bourg, 1828, quatre volumes), réimprimée plusieurs fois
avec des corrections ultérieures, en 1839, 1850, 1855,
1863, 1870, et celle de Rogers (1869, 1880). Parmi les
éditions courantes les plus récentes, il faut signaler
celles de J. S. Nicholson (1884 et 1887), accompagnée
d'une bonne introduction et de notes bibliographiques.
La Richesse des Nations a été traduite dans les
principales langues de l'Europe, par exemple en danois
(1779), en espagnol (1794), en hollandais (1796), en
russe (1802), en polonais (1812). Parmi les nombreuses
traductions françaises, la meilleure est celle de Germain
Garnier (1805 ; cinquième édition, 1880); parmi les édi-
tions allemandes, celle de C. W. Asher (1861). On doit
préférer à. la première édition italienne (Napoli, 1790),
celle qui a été insérée dans la Biblioteca delV Econo-
inistcL (vol. II, Torino, 1851).
De nombreux extraits ont été publiés ; rappelons
ceux de Jérémie Joyce (Cambridge, 1797; 3^ édition,
1821), de W. P. Emerton [An abridgement, etc.,
Oxford, 1881), et de F. A. B. De Wilson {Analysis of
Ad Smith's Wealth of Nations Books 1 and 2.
Oxford, 1885).
La renommée acquise par Smith le fît nommer com-
missaire pour les douanes à Edimbourg, où il se rendit
avec sa mère et sa cousine en 1778 ; on lui donna le
titre de recteur de l'Université de Glascow (1787). Il
mourut le 17 juillet 1790.
§ 2. — L.-V. RICHESSE DES NATIONS
De tout ce qui précède, il résulte qu'Adam Smith ne
peut être considéré ni comme le créateur des différentes
doctrines économiques, ni comme le créateur du pre-
302 ADAM SMITH
mier, ni même d'un traité parlait de cette science.
Mais s'il a trouvé dans les œuvres des économistes
anglais, des philosophes écossais et des physiocrates
français^ de précieux matériaux, des doctrines en partie
déjàdémontrées et quelques essais de coordination; s'il a
trouvé, de plus, dans les progrès des industries et dans
les inconvénients de Tancienne législation restrictive,
une honne occasion pour méditer sur la nature et sur
les causes de la richesse et sur les réformes nécessaires
à son accroissement, il n'en est pas moins vrai^ d'autre
part, que lui seul avec son génie, vivant dans un milieu
et travaillant avec des matériaux qui ont été accessi-
bles non seulement à des bureaucrates et à des hommes
d'alTaires. comme Melon et Forbonnais, et à desérudits
de la valeur de Genovesi, de Steuart, de Justi, mais
aussi à des personnes d'un esprit et d'une culture peu
communs comme Quesnay et Turgot, posa les bases
solides d'une science nouvelle et de ses principales
applications, et laissa à une grande distance non seu-
lement les inventeurs de recettes empiriques d'écono-
mie politique ou de combinaisons mécaniques de doc-
trines hétérogènes et souvent contradictoires entre elles,
mais même les fondateurs du système physiocratique,
dans lequel se mélangeaient, avec une logique irréfu-
table, des vérités admirablement pressenties, des er-
reurs théoriques très graves et des règles qu'on suppo-
sait être d'une application générale et qu'il était au
contraire impossible de mettre en pratique.
L'œuvre de Smith est un véritable chef-d'œuvre,
parce qu'elle a été écrite par un homme qui possédait
un remarquable esprit philosophique, une instruction
riche et variée, une profonde érudition historique et un
remarquable sens pratique, qui lui permirent d'étudier
les différents côtés des problèmes qu'il a développés
dans leurs détails, en appliquant alternativement le rai-
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 303
sonnement déduclif et le raisonnement inductif; de
plus, son style est élégant et accessible à tout lecteur
cultivé et attentif. La richesse de ses illustrations
historiques, l'évidence des preuves de fait, et même
les digressions dans le domaine administratif (justice,
instruction, armée), que quelques écrivains ont si vive-
ment blâmées, et qui rappellent son dessein primitif
d'écrire une encyclopédie juridico -politique, expliquent
en grande partie la popularité de l'œuvre et son
influence sur les réformes législatives des principaux
États modernes.
On a souvent fait cette remarque, et il était facile de
la faire, que le livre de Smith n'est pas un traité au
sens étroit du mot, comme le prouvent le peu de soin
donné aux définitions, et souvent leur absence voulue,
et le manque de proportion entre les différentes parties
de l'œuvre; d'autres ont ajouté, et c'est une opi-
nion encore dominante (comme on peut le voir dans
Sidgwick), que Smith, comme Steuart, considérait
l'économie politique comme un art, et que la science
n'était pour lui qu'un accessoire ou tout au plus une
simple propédeutique, et enfin que toute son œuvre est
un recueil de monographies sans lien systématique.
Mais, tout en souscrivant à la précieuse critique de hàH-
tahle {Hermathena, n" 12, Dublin, 1886), nous remar-
quons que Smith lui-même, dans un passage oublié
par ses critiques (livre IV, ch. IX), a défini d'une ma-
nière expresse l'économie par la formule qui se trouve
au frontispice de ses Recherches, et qu'il s'est préoc-
cupé de l'ordre des matières; il a étudié l'économie
comme science dans les deux premiers livres, This-
toire économique dans le troisième, les systèmes de poli-
tique économique dans le quatrième, et la politique
financière dans le cinquième; il a donc, et c'est notre
conclusion, adopté une classification qui ne diffère pas
304 ADAM SMITH
en substance de celle qui est encore souvent adoptée
dans la science et dans l'enseignement.
Dans le livre premier, Smith, partant de ce que.JL^..
travail est la source principale de la richesse natio-
nale, recherche les causes qui en augmentent refïîcâ^
cite productive, et il s arrête en particulier suri analyse
de la division du travail, dont il indique Torigine, les
effets, les avantages et les conditions d'application,
c'est-à-dire l'accumulation antérieure du capital et l'ex-
tension du marché. Mais comme la division a pour con-
séquence nécessaire l'échange, et que celui-ci suppose
la valeur, Smith est amené à parler des deux formes de
la valeur, de la valeur d'usage, fondée sur l'utilité des
choses, et de la valeur d'échange, constituée parleur
puissance d'achat. Il recherche les causes, la mesure,
la loi de la valeur d'échange ; cette loi est différente
suivant qu'il s'agit de la valeur naturelle ou de la valeur
de marché. L'analyse des éléments de la valeur natu-
relle l'amène à la théorie de la distribution, qui con-
tient ses célèbres recherches sur les causes de la diver-
sité des salaires et des profits, et ses recherches incom-
plètes sur la nature de la rente et sur les relations
entre les différentes espèces de rente, et il arrive à cette
conclusion que le progrès des richesses fait augmenter
la rente et les salaires et diminuer les profits. Il tire de
là cette conséquence que l'intérêt des propriétaires et
celui des ouvriers coïncide avec l'intérêt général, beau-
coup plus que l'intérêt des capitalistes. Pour Smith
donc, le travail humain est le principe générateur de
la richesse, qui consiste dans l'ensemble des objets ma-
tériels qui servent aux nécessités, aux commodités et
aux plaisirs de la vie. La production des richesses se
réduit en effet à ajouter de l'utilité et de la valeur aux
objets échangeables et matériels. Tous les travaux,
utiles ou nécessaires, ne sont pas pour cela productifs
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 305
au point de vue économique. Et par exemple, les ser-
vices des ecclésiastiques, des magistrats, des médecins,
des domestiques ne le sont pas, parce qu'ils n'ont pour
résultat direct aucun objet matériel. Le système de
Smith a été appelé souvent et pendant longtemps un
système industriel, parce qu'il part du concept du tra-
vail, tandis que les mercantilistes partaient de celui
de la monnaie et les physiocrates de celui de la terre,
et qu'ainsi ils ne reconnaissaient pas la productivité de
toutes les industries matérielles.
Dans le livre second, où l'influence physiocratique
est la plus notable, Adam Smith distingue le fonds de
consommation et le capital, dont il énumère les diffé-
rentes espèces, en insistant sur la distinction entre le
capital fixe et le capital circulant, entre le produit brut
et le produit net; il indique l'importance de l'épargne,
qui crée le capital et alimente le travail productif, tandis
que la consommation improductive sert d'aliment à
de purs services qui n'augmentent pas la richesse.
L'examen des différentes formes du capital l'amène à
parler de la monnaie, de ses fonctions, de ses substi-
tuts fiduciaires, et de la confusion, déjà critiquée par
d'autres, entre la quantité de la monnaie et le taux de
l'intérêt, qu'il voudrait voir fixer par la loi un peu
au-dessus du taux courant, pour empêcher crue le capi-
tal ne soit prêté de préférence aux prodigues et aux
spéculateurs, toujours prêts à payer un intérêt plus
élevé. Smith pense que l'emploi du capital dans Tagri-
culture est plus productif que dans les autres industries,
parce que le concours gratuit des forces naturelles per-
met de payer la rente au propriétaire.
Après avoir, dans le troisième livre, esquissé une
histoire de l'industrie^ et étudié plus particulièrement
les causes qui ont fait prospérer en divers temps et en
différents lieux l'industrie des campagnes et celle des
20
306 ADAM SMITH
villes, Smith fait, dans le quatrième livre, un examen
détaillé du système mercantile, qu'il combat dans son
principe fondamental comme dans ses différentes appli-
cations ; et il passe ensuite à l'examen plus rapide et
moins approfondi du système physiocratique, dont il
met en évidence les erreurs, mais en laissant un peu
dans l'ombre ses mérites. La critique de ces deux sys-
tèmes lui fournit l'occasion d'exposer les préceptes de
sa politique économique. Smith admet, luiaus.si, comme
principe supérieur d'un bon gouvernement, la plus
grande liberté dans la production et dans la circulation ;
il combat, comme Que.snay , les différents expédients des
anciens systèmes restrictifs, c'est-à-dire l'esclavage,
le servage, les entraves féodales et les fidéicommis, les
monopoles, les corporations, les règlements, la fixation
légale des prix et des salaires, le système colonial, les
primes, les prohibitions et les droits protecteurs élevés,
etc. Il faut remarquer cependant que, bien qu'elle .soit
fondée sur le principe du « laissez faire » et du « lais-
sez passer «, la politique économique de Smith se dis-
tingue notablement de celle des physiocrates. Avant
tout, la démonstration de Smith est essentiellement dé-
duite de raisQn.s (Vopportuuité, tandis que l'argument
principal de Quesnay et de Turgot est dans le concept
juridique du droit de travailler. De plus, le principe de
l'identité de l'intérêt individuel et de l'intérêt général
n'est pas professé d'une façon absolue par Smith, bien
qu'il pense que, d'ordinaire, le bien-être général résulte
de la lutte des intérêts particuliers, modérée par la
concurrence. Mais ce qu'il importe le plus de remar-
quer, c'est que Smith défeml la liberté économique en
se préoccupant surtout de l'intérêt des consommaTeùrs
et non de l'intérêt exclusif des différentes catégories
dè^producteurs, et qu'il considère par conséquent le bon
marché de tous les produits comme l'idéal du progrès
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 307
économique. Enfin, qu'on remarque que, guidé en cela
par un sens pratique sûr, Smith ne croit ni à la possibi-
lité ni à l'utilité d'une application immédiate et uni-
verselle de la liberté industrielle et commerciale, et que,
étant donné même un stade de civilisation très avancé,
ne s'oppose pas à ce que, pour des raisons d'hygiène, de
moralité, d'ordre public il soit fait quelques exceptions
à la règle. C'est ce que prouvent notamment les res-
trictions qu'il admet à la circulation des billets de
banque, et à la liberté du commerce, soit en temps de
guerre, soit pour des raisons politiques en cas de repré-
sailles avec probabilité de succès, et enfin le droit pro-
tecteur à l'exportation de la laine et les monopoles
temporaires à des compagnies qui font des entreprises
aventureuses, dont on peut espérer des avantages con-
sidérables dans l'avenir ; ces restrictions sont mention-
nées pour la première fois dans l'édition de 1784.
Dans le cinquième livre, il étudie l'action de l'Elat.
Smith ne lui attribue pas seulement les fonctions néga-
tives delà défense des personnes et des proJDriétés et du
niaintien de la sécurité intérieure et extérieure, mais il
lui assigne aussi de larges pouvoirs en matière d'édu-
c^t^oji. d'instruction, notamment d'instruction élémen-
taire, et il pense enfin qu'il doit faire toutes les œuvres
de grande iitilité pubHgue qui ne peuvent pas donner
une rémunération suffisante à l'industrie privée. Smith
s'occupe enfin des moyens pécuniaires indispensables
pour satisfaire aux besoins de la vie sociale, et il expose
les règles principales de rétablissement des impôt.?.
Utilisant ce qui avait été écrit avant lui sur les finances,
con.sidérées spécialement au point de vue politique et
fiscal, il fonde le système des impôts sur la base solide de
la théorie économique de la distribution des biens ; il
réfute l'ancienne doctrine domaniale, préconise un mé-
lange rationnel d'impôts sur la consommation et sur les
308 ADAM SMITH
différentes catégories de revenu, et met en lumière les
inconvénients auxquels donne lieu l'abus du crédi t public.
Telle est, dans ses lignes générales, l'œuvre de
Smith. Elle a déterminé le contenu, les limites, le ca-
ractère et la méthode-de la science moderne; elle ren-
ferme des germes précieux pour le développement ulté-
rieur de certaines théories insuffisantes, comme celles
de la population, des salaires, des profits, et pour la
correction de quelques autres, comme celles de la rente
et du capital, qui contiennent des erreurs et des con-
tradictions, ou d'autres enfin qui, comme celles du tra-
vail productif et du travail improductif, et du concours
gratuit de la nature dans l'industrie territoriale, se res-
sentent encore de l'erreur fondamentale du système
physiocratique que Smith avait réfutée.
Si Smith a subi, sur certains points, l'influence de
la philosophie dominante à son époque, s'il a une idée
un peu inexacte sur Tharmonie de l'intérêt public et de
l'intérêt privé, s'il restreint d'une façon trop exclusive
les attributions économiques de l'Etat par une réaction
excessive contre la politique économique de son temps,
s'il ne reconnaît pas suffisamment le caractère essen-
tiellement relatif des institutions sociales en général , et
du problème de l'ingérence gouvernementale en parti-
culier, on ne peut pas souscrire cependant dans toute
leur étendue aux accusations d'individualisme, de ma-
térialisme, d'absolutisme, et moins encore à l'accusation
d'idéalisme excessif, qui ont été produites contre lui par
l'école économique maintenant dominante en Alle-
magne.
S 3. — ADVERSAIRES, DISCIPLES ET CRITIQUES
L'œuvre de Smith, dans les années qui ont suivi
immédiatement sa publication, a suscité une grande
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 309
quantité d'ouvrages qui avaient pour but d'éclaircir,
d'ordonner, de résumer, de répandre la nouvelle doc-
trine, et de la défendre contre les objections, emprun-
tées le plus souvent aux théories du mercantilisme, et
quelquefois aussi de la corriger et d'exposer d'une
façon plus satisfaisante certains points plus ou moins
importants.
Au nombre des adversaires, ceux qui se présentent à
nous avec des traits caractéristiques, quoique différents,
appartiennent au groupe des mercantilistes, anglais et
français, et au groupe des romantiques, allemands pour la
plupart. Dans le premier il faut citer Pownall ^Le^fe?' to
Adam Smith, 1776), Crawfurd (Doclrine of equiva.-
lents, 1794), Gray [The essential pvincÂples ofwcalth,
1797) et Wakefield(A?i essay upon polltical economy,
1804) ; Cotteril (1831), et plus récemment Alison (1842)
et en partie aussi G. Atkinson [Principles of social
and jiolitical economy, 1858). En France, Ferricr (Du
gouvernement dans ses rapports avec le commerce,
1802) essaye de réhabiliter le système mercantile, qui
est présenté d'une façon modérée par deux protection-
nistes ingénieux, l'érudit Ganilh [Des systèmes d'éco-
nomie politique, 1809. — Traité de Véconomie j^oli-
tique, 1815. — Dictionnaire, etc., 1826) et Louis Say
Principjalcs causes de la richesse, 1818.—- Traité de la
richesse, 1827. — Etudes, etc., 1836),et portéauxconsé-
quences les plus absurdes par Saint-Chamans {Nouvel
essai sur la richesse, etc., 1824) ; on trouve des idées
analogues dans Toeuvre célèbre de J. G. Fichte Der
(jeschlossene Handelsstaat, 1800), sans parler des ou-
vrages de Kaufmann (1827 et suiv.) et de ceux du ministre
russe Cancrin (1 845) et d'un protectionniste moins
extrême, l'autrichien Frânzl (1834). L'école que Roscher
a appelée l'école romantique, parce qu'elle voudrait
ressusciter avec le moyen-âge politique le moyen -âge
310 ADAM SMITH
économique, a son précurseur dans Môser, ses plus célè-
bres partisans sont Gentz, ami de Metternich et tra-
ducteur de Burke, mais elle reconnaît pour chef Adam
MûUer (1779-1829), dont les théories ont été adoptées
plus ou moins complètement par Haller, Bodz-Raymond,
Kosegarlen, etc. Dans ses différentes œuvres, Miiller
{Elemente cler Staatskunst, 1809, 3 volumes. — Ver-
sucJi einer neuen Geldtheorie, 1816. — Nothwen-
digkeit einer theologischen Grundlage der Staats-
wissenschaften, 1819), se déclare l'adversaire de l'éco-
nomie de Smith, qu'il trouve infectée d'individualisme,
et de sa politique économique, libérale et cosmopolite.
Il y oppose une théorie qu'il fonde sur la morale ; il
tient un grand compte des conditions historiques, com-
plète l'analyse de la division par celle de l'associa-
tion des travaux, étudie l'influence du capital intel-
lectuel, et défend une politique nationale et restrictive,
tendant à rétablir les entraves féodales à la propriété,
et les corporations d'arts et métiers. Dans les œuvres
de Millier, on trouve (comme l'a démontré Hildebrand)
quelques-uns des germes des théories développées plus
tard par l'école de List. Le vicomte Alban de Vil-
leneuve-Bargemont [Economie politique chrétienne.
Paris, 1834, 3 volumes) est le chef d'une école d'éco-
nomistes français qui ont quelque affinité avec les théo-
ries, ou plutôt avec les tendances, des romantiques
allemands.
L'adhésion du chef de l'école utilitaire, le juriscon-
sulte et politique radical Jérémie Bentham (1749-1832),
aux théories de Smith, contribua à la répandre en
Angleterre. Bentham a écrit un Manuel d'économie
joolitique, publié après sa mort par Dumont, plusieurs
monographies sur le libre échange et sur la dette pu-
blique et, en particulier, une Défense of usury (1787)
dans laquelle il demande, comme Turgot (1769), la
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 311
pleine liberté de l'intérêt des capitaux; il s'y attaque à
une exception admise par Smith qui se déclara con-
vaincu. H ne faut pas oublier que l'application générale
du principe de l'intérêt personnel, acceptée par beaucoup
d'économistes (en particulier parles deuxMill), contra-
riant les règles de la saine morale, a provoqué des cri-
tiques, souvent fondées, même au point de vue pure-
ment économique.
Lord James Lauderdale (1759-1839) a soumis à une
critique minutieuse les nouvelles doctrines. Il a fait des
observations exactes sur les différences entre la richesse
publique et la richesse privée, sur l'importance de l'uti-
lité comme fondement de la valeur, sur l'impossibilité
de la mesurer d'une façon absolue, sur les influences
que la distribution exerce sur la production ; mais il est
souvent pédant et quelquefois injuste, comme lorsqu'il
met en doute l'importance de l'épargne et de la division
du travail, et lorsqu'il pense que le commerce n'est
productif que médiatement.
J. Lauderdale, Ayi Inquiry into the nature and ori-
(jin of the public wealth. Edinburgti, 1804. 2« édit.
1819, trad. franc., 1808; trad. nll., 1808.
En Allemagne, les doctrines de Smith, dont se sont
inspirés beaucoup d'hommes d'Etat, comme Stein,
Hardenberg, et d'autres auteurs des réformes adminis-
tratives, effectuées notamment en Prusse, durent néces-
sairement transformer entièrement, sinon dans la dis-
tribution des matières^ du moins dans leur contenu,
l'ancienne encyclopédie économique des caméralistes.
Parmi les meilleurs auteurs d'ouvrages de vulgarisation,
nous citerons Weber qui importa en Allemagne la
locution d'économie politique (Lehrhuch der politi-
schen Oehonomie, 1813), Kraus,Sartorius, Lûder, qui,
sans s'éloigner trop de leur maitre, mettent mieux en
312 ADAM SMITH
évidence les facteurs naturels de la production, les
biens immatériels, la valeur d'usage et l'action écono-
mique de l'Etat. Christian Jacques Kraus (S taaiswirt h-
schaft, 1808-11) insiste sur la distinction entre l'éco-
nomie pure et l'économie appliquée ; Georges Sartorius
(Handbiich, [l%.\Von den Elementen des National-
reichtums, 1806-8) abonde en illustrations historiques,
tandis que Auguste Ferdinand Liider fUeber National-
industrie, 1800-04) se sertplutôt delà statistique, et plus
tard CDie National'ôkonomie, 1820) il étudie longue-
ment le prétendu concours gratuit de la nature dans la
production. Le comte Jules Soden s'est consacré, avec
plus d'originalité, à la détermination plus exacte des
concepts fondamentaux de la science. C'est un auteur
[Die National'ôkonomie. Leipzig, 1805-24, 9 volumes)
obscur, prolixe, enclin aux discussions purement verba-
les ; G. Hufeland [Neue Grundlegung der Staats-
wirthschaftskunst. Giessen, 1807-13) a exposé, au
contraire, avec beaucoup de pénétration les fonctions de
l'entrepreneur et les notions de la valeur, du prix, du
capital, de la monnaie, mais il est inférieur en clarté et
en profondeur à Jean Frédéric Eusèbe Lotz {Revision
der Grundbegriffe der Nationale irthschaftslehre.
Coburg, 1811-14), qui a composé également un excellent
manuel, dans lequel il défend le libre échange et expose
d'une manière diffuse la science des finances [Handbuch
der Staatswirthschaftslehre. Erlangen, 1821-22,3 vol.
• — 2''édit. 1837-38). Mais c'est le manuel plus court de
Louis Henri von Jakob [Grunds'atze der Nationaloko-
noniie. Halle, 1805, 3'' édit., 1825) qui a été surtout
répandu dans les écoles. Jakob a traduit Say et il est
l'auteur d'un manuel très bien fait de science finan-
cière {Die Staatsfinanzw issenschaft . Halle, 1821. 2
vol. - 2'' édit., 1837. - Trad. franc, de Jouffroy, 1846).
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 313
§. 4. MaLTHUS ET LE PRINCIPE DE LA POPULATION
Une place importante clans l'histoire de la science
appartient au pasteur protestant Thomas Robert Mal-
thus (1766-1834), professeur d'histoire et d'économie
au collège de Haileybury. Il a étudié d'une façon vrai-
ment magistrale la théorie économique de la population,
dont il a recherché le principe fondamental dans ses
applications diverses ; il a posé les bases d'une doctrine
qui, dépouillée de son enveloppe pseudo-mathématique,
et formulée avec plus de précision au point de vue psy-
chologique et au point de vue statistique, résiste encore
victorieusement aux objections, qui reposent en grande
partie sur des équivoques, et aux fausses conséquences
qu'en ont tirées quelques disciples incompétents, par-
tisans des restrictions légales au mariage, sans parler
des partisans du système immoral du préventive in-
tercouTse, que l'on désigne d'ordinaire inexactement du
nom de néo-malthusiens.
Malthus a été élevé par son père, ami et correspon-
dant de Rousseau, qui croyait à la théorie du progrès
indéfini (de Condorcet), et à celle du bonheur illimité
qu'aurait donné au genre humain le communisme
défendu par William Godwin [Enquiry concerning
political justice, 1793 — The enquirer, 1797). Le
jeune Malthus avait sur tous ces points des opinions
différentes. Il publia, sous le voile de l'anonyme {An
essay on the principle of -population, as it affects the
future improvement of society, 1798), un opuscule
dans lequel il essayait de démontrer, mais avec trop
d'em.phase, qu^aucune réforme économique et politique
ne pourrait paralyser les maux sociaux, parce qu'ils
sont une conséquence de la tendance générale et cons-
tante de la race humaine à dépasser les moyens de
314 ADAM SMITH
subsistance, nécessairement limités ; ce sont ces maux,
la souffrance, la misère et le vice qui rétablissent, en
fait, l'équilibre entre le nombre des hommes et la quan-
tité des éléments nécessaires à leur conservation. Le
pessimisme du premier Essai de Malthus, d'un caractère
nettement polémique, ne se justifie pas, mais il s'ex-
plique, si l'on songe qu'il écrivait aune époque dans la-
quelle la succession des disettes, les maux causés par les
guerres, la concentration des entreprises, le relâchement
dans l'application des lois sur les pauvres, la conces-
sion faite par les paroisses de suppléments de salaires
(allowances), l'augmentation des impôts et de la dette
publique, contribuaient à rendre plus nuisible et plus
dangereux le contraste entre l'augmentation croissante
de la population et la rareté des subsistances. Après de
nouvelles études, mettant à profit son expérience et les
renseignements recueillis dans ses voyages en France,
en Suisse, en Russie et dans les Etats Scandinaves,
Malthus refit complètement son premier travail, l'enri-
chit d'abondantes illustrations historiques et statis-
tiques, et le publia sous son nom. 11 l'a d'ailleurs
corrigé dans les éditions ultérieures, et il y a joint
des appendices qui ont spécialement pour but de
répondre aux principales objections de ses adversaires.
Th. Rob. Malthus, .4» esmy on ihe prinàple of popu-
lation, or a view of i.t pasi and présent e/fects on
human happiness, etc. 1803. 2 vol. — 6« édition
(de l'auteur), 1826. — V° Population dans le Sup-
plément à VEnajclopaedia Britannica de Macvey
Napier (1824).
Cfr. James Bonar, Malthus and his work. London.
1885, et. Soetbeer, Die Stellung der Sozialisten
zur Malthus' schen Bcvôlkerungslehre. Berlin, 1886.
Dans sa forme nouvelle, l'œuvre de Malthus a le ca-
ractère, le contenu, les proportions d'une œuvre vrai-
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 3J5
ment scientifique et originale. Il a modéré son pessi-
misme primitif, et supprimé quelques propositions
risquées ; il a ajouté une analyse ingénieuse et profonde
des effets divers qu'exercent et que peuvent exercer, dans
les différents stades de civilisation, les obstacles posi-
tifs et préventifs à l'augmentation de la population.
Parmi ceux-ci il comprend le moral restraint, qu'il
considère comme le seul moyen par lequel la raison
humaine, victorieuse de l'instinct, 'peut arrêter l'excès de
population. Il enrichit enfin son livre de la critique
minutieuse des effets de l'émigration et des systèmes
de charité légale et de communisme, dans lesquels il
voit des excitants à l'augmentation des naissances en
dehors des limites inexorablement marquées par la
quantité des aliments. UEssai de Malthus est l'œuvre
fondamentale sur le sujet économique de la population ;
elle n'a pas été jusqu'ici dépassée, malgré ses défauts
réels, souvent signalés, parfois avec trop de subtilité.
II est certain que Malthus n'a pas méconnu, mais
qu'il a un peu atténué (étant donné les conditions de
son temps), Tinfluence du progrès économique et en par-
ticulier celle des nouveaux systèmes de culture, d'amé-
lioration des communications, du libre échange, sur
l'augmentation des subsistances, et celle du progrès
intellectuel sur l'augmentation des naissances.
Parmi les œuvres moins importantes de Malthus, en
dehors de son ouvrage sur la rente, nous devons men-
tionner ses Définitions in political econorny (Lon-
don, 1827), trop oubliées maintenant. Il a été moins
heureux dans ses polémiques avec Say sur le gênerai
(jlut et avec Ricardo sur la valeur et les droits à l'im-
portation des céréales. Chose étrange, le professeur
Malthus, esprit pratique, observateur diligent des effets
immédiats des institutions économiques, croyait à la
po.ssibilité d'un excès absolu de population et il ad-
316 ADAM SMITH
mettait le protectionnisme agraire, contrairement à
l'industriel Say et au banquier Ricardo, qui négligeaient,
comme l'avoue Ricardo dans ses lettres, les conséquences
transitoires pour rechercher les conséquences défini-
tives.
Th. Rob. Malthus, The high price of provisions, iSOO.
— Observations oniheeffecis ofilie corn to?rs,1814.
— Grounds of an opinion on the poLicy of restric-
iing importation of foreign corn, 1815. — Vrinciples
of political eco7wmy, 1820.-2^ édi t., 1836. — The
nieasure of value, 1823. (VoirBoaar, op. cit.).
$ 5. J.-B. SAY ET LA THÉORIE DES DÉBOUCHÉS
Parmi les contemporains français de Malthus et de
Ricardo, quelques-uns se sont proposés d'éclaircir, de
résumer et de répandre les principes de Smith, sans
aspirer à être originaux. Sans parler du livre prolixe,
et un peu antérieur, d'Isnard [Traité des richesses,
1781 ) qui s'arrête encore à réfuter les physiocrates, — ce
que Mill {Commerce defended, 1808) et Torrens [Eco-
nomists refuted) firent plus tard contre Spence (1807),
— ni de celui de Canard {Principes d'Economie poli-
tique, 1802), l'auteur d'une théorie excentrique de la
répercussion des impôts, ni des deux volumes de Sis-
mondi (De la, richesse commercicile , 1803), certaine-
ment préférables mais bientôt oubliés, il faut mentionner
le petit ouvrage du philosophe comte Destutt de Tracy
[Traité d'économie politique, 1815), clair et précis, et
celui de Joseph Droz {Economie politiciue, 18'29,
3*édit., 1854), qui s'inspire de considérations morales.
Mais ces écrivains ne s'éloignent pas, au fond, des doc-
trines de Say, le plus illustre des économistes français
de cette période.
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 317
Jean-Baptiste Say (1767-1832) est né à Lyon. Il a été
commis de magasin, journaliste, puis membre du tri-
bunat, plus tard directeur d'une filature de coton et
enfin professeur d'économie industrielle au Conserva-
toire des arts et métiers, et, dans la dernière partie de
sa vie, professeur au Collège de France. Ayant reçu,
par hasard, deClavière, qui devint plus tard ministre,
un exemplaire du livre de Smith, il s'enthousiasma pour
l'étude de l'économie politique, et devint, comme on
l'admet généralement, le plus grand et le plus heureux
des vulgarisateurs ; il a aussi, ce qu'on n'admet pas tou-
jours à tort, développé avec bonheur l'œuvre de l'illustre
écossais. Dès la première édition de son Traité (1803),
qu'il a résumé dans son Caie'c^isme (1817), et enrichi
de développements sur l'économie industrielle dans son
Cours complet [iS^S], qui reproduit les leçons faites
au Conservatoire des arts et métiers, Say donne des
preuves de ses éminentes qualités dans l'exposition
claire et élégante des doctrines purement économiques,
dont il a donné de bonnes définitions et qu'il a illustrées
d'excellents exemples pratiques. Il a ordonné ses ma-
tières selon sa célèbre division tripartite, et il les a ren-
dues intelligibles à la généralité des lecteurs, qui n'au-
raient pu aborder les digressions historico-politiques
de Smith. Le Traité de Say a été complètement modifié
à sa seconde édition (1814), qu'il ne put publier sous
l'Empire; il a été notablement corrigé et complété dans
les trois éditions postérieures. Traduit dans presque
toutes les langues, il est devenu un livre populaire,
qui a permis à beaucoup de gens de connaître des
doctrines qui ne leur étaient pas accessibles dans leurs
sources originales. Mais l'ambition qu'avait l'auteur
d'être considéré comme le premier des économistes
de son temps, et son manque de connaissances his-
toriques et juridiques, lui firent commettre de grosses
318 ADAM SMITH
erreurs sur l'ingérence de l'Etat, qu'il veut restreindre
beaucoup plus que ne le faisait Smith, sur l'improduc-
tivité des dépenses publiques, et sur la libre frappe
des monnaies, et ne lui permirent pas de tenir un
compte suffisant de tous les progrès que la science
avait faits, notamment en Angleterre et grâce à Ri-
cardo. C'est pour cela qu'il n'a pas accepté les doctrine»
de ce dernier sur la valeur, la monnaie, la distribution
et l'incidence des impôts, et qu'il a ajouté un grand
nombre de notes critiques à la traduction française des^
Principes de Ricardo (1818) faite par Constancio. Il
considère comme identiques au point de vue social les
concepts de produit brut et de produit net, et il tombe
dans de nombreuses contradictions dans la théorie des
produits immatériels, (Voir ses notes à une réimpression
non autorisée du Cours de Storch, 1823); il discute
sans succès contre Gioja sur l'utilité de la statistique,
dont il n'apprécie pas le caractère scientifique. Il a été
plus habile dans les développements qu'il a donnés à
une partie de la doctrine des consommations privées et
dans l'analyse des effets de l'épargne et de la consom-
mation improductive ; il a enfin admirablement exposé
la théorie des débouchés, qu'il n'a certes pas créée de
toutes pièces, parce que, comme l'indique Mac Culloch,
juge d'ailleurs trop sévère, elle avait été déjà entrevue
par Tucker, par Mengotti, et mieux par un anonyme
(Sketch ofthe aclv-dnce and décline of nations, 1795)
mais il l'a largement développée, notamment dans ses
applications à la doctrine du libre échange et à celle
des crises. Au sujet de celle-ci il soutint, d'accord en
cela avec Ricardo, une polémique heureuse contre Mal-
ihus et Sismondi, qui croyaient possible un encombre-
ment général et permanent des marchandises, sans son-
ger que, tant que les besoins de tous ne sont pas
satisfaits (ce qui est impossible), les encombrements ne
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 319
peuvent être que partiels, parce que, au point de vue
général, l'offre et la demande se font nécessairement
équilibre. Dans ses controverses avec Sismondi, au
sujet du régime des industries en général et des ma-
chines en particulier, Say ne sut pas réfuter avec des ar-
guments pleinement persuasifs 1' « économie à rebours »
de son contradicteur qui avait mis à nu des plaies so-
ciales, en grande partie transitoires, mais dignes ce-
pendant d'être prises en considération.
J. B. Say, Traité cVéconomie politique. Paris, 1803.
2 vol., 5" édit., 1826. - S» édit. (par A. Clément),
1876. — Catéchisme d'économie politique, 1817. —
Cours complet d'économie politique pratique. Paris,
1828-30. 6 vol. — Œuvres complètes, publiées par
H. Say, dans les vol. IX-XII de la Collection des
jjrincipaux économistes. Paris, 1841.
Dans l'attente d'une monographie tout à fait satisfai-
sante sur les travaux de Say, on peut consulter l'étude
excellente, mais un peu apologétique, de Franc. Ferrara,
publiée dans la Dibliotecct clelV Economista, série I,
vol. VII, (Torino, 1885), pp. V-CX ; et aussi G. Du
Puynode, Etudes sur les principaux économistes,
Paris, 1868, pp. 336-410, et mieux encore Et, Laspeyres,
V" Say dans Je Deutsclies Staaiswôrterbuch de Blunt-
schli et Brater, vol. IX (Stuttgart), 1865), pp. 116-1-23.
Au nom de Say se rattache celui de son gendre,
Charles Comte (m. 1837), l'auteur d'un bon livre sur la
Propriété (1834, 2 vol.) et d'un Traité de législa-
tion (Paris, 1827, 4 vol.) resté inachevé, dans lequel il
examine à fond le sujet de l'esclavage. Il faut citer
aussi l'allemand Henri Storch, né à Riga (m. 1835),
auteur de plusieurs ouvrages, dont le plus connu,
le Cours d'économie j^olitique (Saint-Pétersbourg,
1815, 6 vol.) écrit pour les deux grands ducs Nicolas
320 ADAM SMITH
et Michel de Russie, ses élèves, est peu original dans
sa partie théorique, mais très riche au contraire de
documents sur le cours forcé, l'histoire des prix, les
banques, etc. Dans son ouvrage le plus important, les
Considérations sur la 7i.ature du revenu national
(Paris, 1824), qu'il a lui-même traduit en allemand
(Plalle, 1825), il corrige et complète, devançant Du-
noyer, la théorie des produits immatériels de Say. et
celle de la rente, développée avec plus de profondeur
par Hermann (1832).
§6. RrCARDO ET LA THÉORIE DE LA DISTRIBUTION.
La science a fait des progrès bien plus considérables
grâce aux travaux de Ricardo, le plus grand des éco-
nomistes de ce siècle. Comme Malthus, il a eu la male-
chance d'être mal apprécié, et par beaucoup d'admira-
teurs enthousiastes, et par un nombre plus grand encore
d'adversaires, anciens ou récents, parmi lesquels nous
regrettons de rencontrer deux écrivains de grande va-
leur, Jevons et Ferrara.
David Ricardo est né en 1772 ; il est le fils d'un né-
gociant juif, d'origine hollandaise, qui le destina, dès
l'adolescence, aux affaires, mais qui l'abandonna bientôt
parce qu'il désapprouva sa conversion au christianisme.
Ricardo devint banquier et il exerça cette profession
avec une rare intelligence et un rare succès : en peu
d'années il acquit une grande fortune ; il compléta son
instruction en étudiant les sciences naturelles ; ayant
trouvé, par hasard, le livre de Smith, il se donna tout
entier à Téconomie politique. Il fut élu, en 1819, mem-
bre du Parlement, où on fît grand cas de ses opi-
nions dans les questions commerciales et financières ; il
fut l'un des fondateurs du Political Economy Club
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 321
(1821) et l'ami des plus illustres publicistes de son temps,
en particulier de Bentham, de Mill et aussi de Malthus
et de Say, avec lesquels il eut des polémiques ardentes,
mais courtoises. Il mourut en 18'23, universellement
regretté, et pour les qualités de son intelligence, et pour
celles de son caractère, loyal, indépendant, généreux.
Pendant sa courte carrière scientifique (1809-23), Ri-
cardo publia quelques ouvrages peu volumineux, mais
de grande valeur, dans lesquels il discute la question
monétaire, et surtout, avec des réserves et des tempé-
raments souvent oubliés par ses disciples, la fameuse
théorie quantitative de la monnaie, acceptée par le
Builion Committee de 1810, combattue par Bosanquet,
soutenue par la Currency school , inspiratrice des
Actes bancaires (1844-45) de Robert Peel ; il se fit le
promoteur d'une banque nationale de circulation émet-
tant des billets convertibles en lingots d'or ; il com-
battit le système d'amortissement de la dette publique
alors en vigueur {sinking fund) ; il soutint à plusieurs
reprises (contre Malthus) la libre importation des cé-
réales, avec une grande profondeur de vue et une pleine
connaissance des faits, notamment dans l'opuscule
magistral sur la Protection de l'agriculture.
D. Ricardo, The high price ofbidlion a proof of ihe
dépréciation of bank notes, 1810. -4« édition, 1811.
— Reply to M. Bosanquet, 1811. — Proposais for
an economical and secure currency, 1816. — Plaii
for the establishment of a national bank, 1824 (Pos-
thume). — V° Funding System, dans la 6" édition
de V Encyclopaedia Britannica, 1820. — An essay on
the influence of a loto price of corn on ihe profits of
stock, 1815. — On protection to agricidture, 1822.
Quatre éditions.
The icorks of D. Ricardo, par J. R. Mac Culloch. Lon-
don, 1846 (réimprimées en 1881). -Trad. franc,
par A. Fonteyraud. Paris, 1847. — On doit y
21
322 ADAM SMITIT
joindre les lettres publiées dans les Mélanges et
correspondcmces de J. B. Say. Paris, 1833 (et dans
les Œuvres. Paris, 1844) et les 88 lettres plus in-
téressantes encore adressées à Malthus : Letters
of D. Bicardo, etc., éditées par James Bonar.
Oxford, 1887.
Sa grande renommée lui vient surtout de ses Prin-
cipes cVécononiie fjolitique (1817). C'est une œuvre
originale et profonde qui fait époque dans l'histoire de la
science, bien qu'elle n'ait pas tous les mérites que lui ac-
cordent ses partisans enthousiastes (comme Mac Culloch
et De Quincey) et qu'elle présente de très graves dé-
fauts qui ne peuvent échapper aux critiques conscien-
cieux, mais on n'y trouve pas les fautes signalées, de
mauvaise foi ou d'une manière équivoque, par des jugés
légers ou incompétents. Ricardo ne s'est jamais proposé
d'écrire un traité complet, parce que, comme cela résulte
de nombreux passages de ses lettres, il connaissait, et
même il exagérait par modestie, son incapacité à
écrire ; il était, de plus, très sceptique sur la possibilité
et l'utilité d'une théorie scientifique de la production
des richesses. Ses Principes, qui n'étaient pas, à l'ori-
gine, destinés à la publicité et qui n'ont été imprimés
que sur les vives instances de ses amis, et spécialement
de James Mill (comme cela est indiqué dans l'A iffo6io-
graphie de son fils, J. St. Mill), sont comme un appen-
dice à l'œuvre de Smith, dans lequel Ricardo, utilisant
les recherches de quelques écrivains contemporains, en
particulier de Malthus, Say et West, qu'il accepte, rec-
tifie ou combat, s'est proposé de donner une nouvelle
théorie de la distribution des richesses. C'est là pour lui
le véritable objet de l'économie politique ; il a déduit
cette théorie de la théorie de la valeur, et il y a ratta-
ché ses théories non moins originales et profondes sur
les échanges internationaux et sur l'incidence des im-
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 323
pots. Tel est le but qu'il se propose et qu'il a rempli
en substance, quoique en partie seulement, pour des
raisons qui se découvrent facilement, si on veut bien
le lire avant de le juger. C'est, d'abord, parce que
Ricardo, comme cela était son droit, ne s'est occupé que
de science pure, laissant de côté les applications; il a
cherché, comme il le dit (dans ses lettres à Malthus), la
vérité et non l'utilité de ses principes ; il s'est borné,
même dans la science pure, aux déductions tirées d'un
petit nombre de prémisses générales, construisant des
cas simples ou, selon son expression, des strong cases,
parce qu'il voulait déterminer les effets derniers des
lois économiques, étudiées chacune d'une façon indé-
pendante, et qu'il a négligé complètement, comme on
le lui a reproché, les effets prochains et transitoires,
dont son émule, observateur plus prudent, plus sa-
vant, mais moins subtil et moins profond, se préoccu-
pait, de son côté, d'une façon trop exclusive.
Etudiant, par exemple, la valeur, Ricardo n'ignore
pas, mais il n'apprécie pas à sa juste valeur, Timpor-
tance de la demande, mais il exagère celle de l'offre,
représentée par le coût, tandis qu'une école contem-
poraine donne trop d'importance à la demande, repré
sentéepar l'utilité; étudiant d'une façon magistrale la
rente, il accentue trop l'influence des degrés différents
de fertilité, et il atténue celle de la distance du marché ;
il ne songe pas assez à l'influence du progrès, qui
neutralise la hausse progressive des prix des denrées
agricoles, et, fidèle à son but théorique et général, il ne
tient pas compte de la coutume, de la sympathie et de
l'ambition politique, qui modifient l'action delà concur-
rence et ne permettent pas au propriétaire d'exiger
dans beaucoup de cas, toute la rente du fermier auquel
il est personnellement attaché ou qui est un électeur in-
fluent. Ricardo n'a pas voulu s'occuper de toutes les
324 ADAM SMITH
théories de la distribution, et son élude mérite plus d'un
reproche, par suite des très grands défauts de son expo-
sition. Ce sont eux qui sont la cause principale des équi-
voques auxquelles son œuvre a donné lieu, des déduc-
tions fausses qu'on en a tirées (les novateurs pessimistes}
et des réfutations erronées qu'on en a faites (les conserva-
teurs optimistes). Il a ainsi laissé une tâche difficile aux
savants impartiaux qui se proposent de formuler ses
théories avec plus de précision et de clarté, de les corri-
ger, de les compléter, et d'en déduire des applications
plus intéressantes et moins éloignées de la pratique. Ri-
cardo, qu'on accuse à tort de doctrinarisme, parce qu'il
s'est servi de la seule méthode possible pour la nature des
problèmes qu'il étudiait, ne l'a pas toujours appliquée
d'une façon absolue, ainsi que le reconnaissent la plupart
de ses partisans et de ses adversaires, unanimes sur ce
point. Ses connaissances historiques et philosophiques
sont moindres que celles de Smith et même de Mal-
thus, mais il a comme eux et comme Say la même con-
naissance des affaires ; si son exposition est moins sys-
tématique que celle de Say, et s'il a accordé à ses défi-
nitions et à sa terminologie moins de soin que Malthus,
Ricardo les dépasse tous en profondeur et en clarté. Il
n'eut pas la précaution d'indiquer d'une façon explicite
les prémisses de ses argumentations, de bien déterminer
les limites de leur champ d'application et les circons-
tances principales qui peuvent en modifier les résul-
tats. C'est pour cela que, tout en n'ignorant pas que
l'utilité est le fondement, mais non la mesure de la
valeur, il formula la théorie classique du coût de pro-
duction et celle du coût comparatif dans les échanges
internationaux, mais, s'étant servi du concept, mal
déterminé, de la quantité de travail, qui s'identifiait
pour lui avec les dépenses de production (y compris
l'influence du capital), on en a tiré la théorie socialiste
I
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 325
pseudo-ricardienne du travail cause unique de la
valeur ; il a réfuté la théorie de l'utilité que Say oppo-
sait à celle du coût, mais il ne s'aperçut pas qu'une
détermination différente et plus concrète du concept
générique de l'utilité pouvait conduire à la théorie
de l'utilité finale, qu'on a l'habitude d'opposer à la
théorie qui pourrait être appelée du coût final, dont elle
est, au contraire, le complément. Qu'on n'oublie pas
que tout ce qu'il y a d'incomplet ou de mal formulé
dans l'œuvre de Ricardo, ne peut pas lui enlever le
mérite insigne d'avoir enrichi la science d'une théorie
originale de la distribution des richesses, qui reste la
base la plus sûre des corrections et des adjonctions qui
ont été déjà faites et que Ton fera dans l'avenir. Nous
devons, par conséquent, repousser d'une façon nette
les alïîrmations de ces érudits qui, avec des citations
exactes seulement en apparence, ont mis en doute le
mérite inventif de Ricardo. Il est plus original encore
que Smith, et pour des raisons à peu près identiques.
Presque tous les éléments de sa théorie se trouvent
dans des ouvrages antérieurs, mais ils y sont énoncés
incidemment, ils y sont isolés, sans lien entre eux
et mêlés à de très graves erreurs. Ricardo doit à
Smith, par exemple, quelques-unes de ses proposi-
tions fondamentales sur la valeur, mais elles étaient
chez Smith exprimées d'une façon obscure et accompa-
gnées d'autres propositions absolument contradictoires.
La théorie des débouchés (Say) devance, sur certains
points, la théorie beaucoup plus importante des échan-
ges internationaux, dont Bastable mettait récemment
en lumière la profonde simplicité et l'élégance. La
théorie des salaires et en particulier celle des profits,
que Ricardo rattache admirablement à la théorie des
prix, est également originale, et il ne faut accuser que
la négligence de l'exposé, si beaucoup de lecteurs,
326 ADAM SMITH
inattentifs OU incapables, ont méconnu le sens vérita-
ble de la dépendance du taux relatif du profit et du coût
du travail (et non du salaire) et si les socialistes,
comprenant mal la notion de salaire naturel, déter-
miné par le Standard of life, qui est, pour Ricardo,
essentiellement changeant, lui ont attribué la loi d'ai-
rain du salaire irréductible au minimum des subsis-
tances nécessaires pour faire vivre les ouvriers et leur
famille. Même en ce qui concerne la rente, l'orij^inalité
de Ricardo est pour nous hors de contestation. Nous
savons qu'un protectionniste agraire écossais, James An-
derson, contemporain de Smith (m. 1808), dans quel-
ques-uns de ses écrits de circonstance, cités par Tedder
(v" Anderso7i dans le Dictionary of. Pol. Econ, de
Palgrave. Part. I, 1891, p. 39), mais notamment dans
le livre An inquiry into the nature of the corn la\çs
(Edinburgh, 1777), découvert par Mac Culloch {Lite-
rature of Pol. Econ., pp. 68-70), expose d'une façon
claire, dans une note, le principe de la rente, qu'il déduit
de la seule considération de l'inégale fertilité des terres
et que, plus tard, deux autres écrivains, indépen-
damment d'Anderson, ont exposé, en même temps et
expressément, la doctrine de la rente d'une façon ana-
logue, mais avec des différences fondamentales, qu'on
n'a pas assez remarquées. L'un d'eux, Malthus {An
inquiry into the nature and ^drogress ofrent, 1815)
pour lequel Bonar et plus fortement Léser {Untersu-
chungen zur Geschichte der Nationalœkonomie. Jena,
1881, p. 47 et suiv.) revendiquent la priorité, demeure
encore incertain entre la vieille théorie de la rente
(produit net) professée par les physiocrates et accueillie
partiellement par Smith [en faisant seulement une excep-
tion pour les mines) et la nouvelle. Il admet, en effet,
la diversité de fécondité des terres et la loi des revenus
décroissants comme cause de la rente, mais il croit
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 327
qu'elle dépend, en outre, de l'aptitude de la terre à
donner un produit supérieur aux dépenses de culture
et de ce caractère particulier des céréales, dont la
demande ne peut jamais diminuer ; et, ce qui importe da-
vantage, il insiste sur ces deux causes supposées dans ses
Principes d'économie politique, postérieurs à ceux de
Ricardo. L'autre théoricien de la rente, sir Edward West
[An essay on the application of capital to land, 1815)
a des idées plus exactes ; il est complètement débarrassé
de l'erreur physiocratique qui voit dans la rente un
effet de la libéralité de la nature et non un effet de la
faible production de la terre. Il faut remarquer,
après Gonner, que Ricardo qui, dans son Es.sai de 1815,
attribue uniquement à Malthus le mérite de la nouvelle
théorie, après avoir lu l'opuscule de West, cite égale-
ment cet écrivain dans la préface de son Economie
(1817), dont le dernier chapitre est consacre à la réfu-
tation des erreurs de Malthus. Malgré cela, la supério-
rité de Ricardo, même sur ce sujet de la rente, consiste
à avoir fait des propositions qui s'y rapportent une des
bases de là théorie de la distribution, et à en avoir éli-
miné pour toujours les restes du système de Quesnay. Il
n'est pas nécessaire, enfin, étant donné l'honnêteté
inattaquable de Malthus et de Ricardo, de réfuter l'aC'
cusation, démentie par les faits, mais répétée en Alle-
magne par Held (repoussée, il est vrai, par Wagner et
par Cohn), et en Angleterre par Ingram, d'après la-
quelle Ricardo, par sa théorie libérale sur les céréales,
soutenait, dans des vues égoïstes, le money^d interest
contre le landed interest, que détendait je protec-
tionniste agrarien Malthus, sans songer que Malthus,
dont on fait le patron des grands propriétaires,
était un ecclésiastique qui professait dans un Col-
lège entretenu par la Compagnie des Indes, tandis que
le banquier Ricardo était un grand propriétaire foncier !
3'28 ADAM SMITH
D. Ricardo, PrincipLes of political economy and taxa-
tion. London, 1817. - 3"= édil. (1res augmentée),
1821. - Trad. franc, de F. S. Conslancio (avec
des noies critiques de Say , 1818. Deux volumes.
— La meilleure édition est celle de E. C. K. Gon-
ner, avec une introduction, des notes et des
appendices. London, 1891.
La meilleure biographie est celle de Mac Culloch
(Ricardo' s Works, pp. 15-33). Parmi les travaux cri-
tiques on peut consulter, en dehors du long commen-
taire de Ed. Baumstark (Leipzig, 1838; réimprimé,
1877) maintenant un peu vieilli, l'article de Et. Las-
peyres dans le volume III (Stuttgart, 1864), pp. 619-
634, du Deutsches StantsM-ôrterbuch ; celui de Em.
Léser, dans les Ja.hrbûcher fur Nat. Oek. de Conrad,
5887 ; celui de N. S. Patten, Malthns and Ricardo,
Baltimore, 1889, et l'Introduction de P. Beauregard
à l'édition des chapitres sur la valeur, la rente, les
salaires et les profits, qui forment un des volumes
(1890) delà, Petite Bibliothèque Économique deGuil-
laumin.
Ricardo, Malthus et Say ferment la première période
classique de la nouvelle économie, dont les résultats se
trouvent résumés dans une forme rigoureusement scien-
tifique, mais un peu aride, par le publiciste radical,
élève de Bentham, ami intime de Ricardo, James
Mill (1773- 1838), l'illustre historien de Vlndia Britan-
nica (181-1819), qui, le premier, a formulé d'une
façon explicite la théorie du fonds des salaires. Ces
résultats ont été également résumés, .sous forme de
dialogueet de roman, par Mistre.ss Marcett, Miss Marti-
neau et Mistress Fawcett.
James Mill, Eléments of political economy. London,
S" édit., 1826. - Trad. franc, de Parisot, 1824.
ET SES SUCCESSEURS IMMÉDIATS 329
M. Marcel, Conversations on polilical economy, 1817. -
Trad. franc,., 1824.
H. Martineau, Illustrations of polilical economy^ 1832-
1834. Neuf volumes. Trad. franc, de G. de Moli-
nari, 1880. 2 vol.
M. G. Faw^cett, Taies in polilical economy, i%l^.
CHAPITRE IX
L'ECONOMIE POLITIQUE EN ANGLETERRE
Les progrès de réconomie politique dans notre siècle
sont dus à l'influence toujours plus grande qu'elle a
exercée sur les réformes législatives, à la diffusion et à
l'amélioration des moyens d'échange, de transport, de
publicité et de communication, aux modifications fré-
quentes du système monétaire, à la multiplication des
établissements de crédit, à l'émancipation de l'agricul-
ture et de la propriété foncière des derniers vestiges
des entraves féodales, à la liberté de l'industrie manu-
facturière et du commerce intérieur, à la lutte incessante
entre les partisans de la protection et ceux du libre
échange, et, en même temps, à la succession rapide des
crises commerciales, monétaires, bancaires, et à la né-
cessité toujours plus grande d'une législation tendant à
défendre les intérêts des classes ouvrières^ insuffisam-
ment protégées par les caisses d'épargne, les sociétés
de prévoyance, les coopératives, et par le patronage des
classes aisées.
D'un autre côté, la consolidation du système repré-
sentatif et la liberté de la presse, d'association, de
réunion, qui en sont les conséquences, augmentent
toujours davantage le cercle des personnes qui parti-
cipent plus ou moins directement à l'administration
des affaires publiques, et qui ont ainsi des raisons
spéciales pour s'intéresser tout particulièrement aux
332 l'économie politique
disciplines qui étudient les phénomènes qui sont en
relation étroite avec la prospérité générale.
Mais toutes ces causes, qui donnent une poussée salu-
taire aux études économiques, n'agissent pas partout
avec la même intensité et elles n'ont pas partout des
résultats également importants. L'Angleterre a conservé
pendant longtemps la première place, mais cette
position éminente lui est de plus en plus contestée, en
particulier par l'Allemagne, qui se pose depuis une
vingtaine d^année en réformatrice orgueilleuse de la
science. L'Allemagne a certainement enrichi la science
par ses nombreuses recherches historiques et statisti-
ques et elle y contribue maintenant par de très impor-
tants travaux, dans lesquels elle associe à la puissance
de l'abstraction et à son exquis sens pratique la con-
naissance des résultats des travaux étrangers, qui lui a
autrefois manqué. La France, au contraire, qui jadis
rivalisait avec l'Angleterre et qui l'emportait sur
l'Allemagne, perd de son importance théorique par
l'esprit d'exclusivisme de l'école qui y domine, tandis
•que l'Autriche, Tltalie et les Pays-Bas, et plus récem-
ment les Etats-Unis et la Russie, ont utilisé les progrès
réalisés par les doctrines anglaises et allemandes tout
en évitant, en partie, quelques uns des défauts de
l'école actuelle de l'économie politique allemande, et
elles font des progrès marqués qui laissent à une dis-
tance notable les petites nationalités d'origine latine,
Scandinave et slave.
J. Kautz, Z)/e geschichtliche Entwickelung der National-
okonomie und ihrer Liieraiur. Wien, 1860, pag. 488
et suiv.
J. K. Ingram, Hislory of political economy. Edin-
burgh, 1888, pag. 138 et suiv.
En Angleterre l'économie politique, après les grandes
EN ANGLETERRE 333
œuvres de Smith, de Mallhus et de Ricardo, devient
pendant longtemps une science presque populaire,
enseignée dans les établissements d'instruction supé-
rieure aux futurs hommes d'Etat et même dans quel-
ques écoles élémentaires comme un antidote salutaire
contre les progrès des doctrines socialistes, qui n'ont
pas trouvé à cause de cela en Angleterre cet accueil
facile qu'elles ont rencontré en France et dans quel-
ques uns des pays d'Europe et d'Amérique. La vi-
vacité de l'opposition faite à l'économie dans ces
vingt dernières années ne lui a pas été dommageable
parce qu'elle a obligé les savants à faire une révision
des théories professées jusque-là, et préparé sans doute
à la science une période de nouveaux triomphes, dont
on peut signaler déjà des présages significatifs. En
Allemagne et en Italie, ce sont les chaires d'économie
politique qui ont une influence prépondérante ; en An-
gleterre l'instruction économique se fait par les nom-
breuses revues qui appliquent les principes de la science
à la discussion des questions d'actualité pratique.
Nous signalons principalement la Quarterly et YEdin-
burgh Review, anciens organes des tories et des
whigs, la Westminster Review, organe des vieux
radicaux, la Fortnightly, la Contempora'ry, la iVa-
tional Revie\v,\e Nineteenth Century, qui représen-
tent les nouvelles tendances libérales ou qui occupent
une position neutre et indépendante. Parmi les publi-
cations spéciales, très peu nombreuses jusqu'ici, les
périodiques les plus célèbres et les plus anciens sont
le journal hebdomadaire d'économie polique, The Eco-
nomist, fondé en 1843 et qui s'occupe des questions com-
merciales, monétaires et bancaires, et la revue trimes-
trielle Journal of the sta.tistlca.1 Society de Londres,
qui a célébré en 1885 le cinquantième anniversaire
de sa fondation.
334 'I/économie politique
La ligue de Manchester, fondée par Cobden et Briglit,
grâce à la persévérance de son agitation législative. et au
patronage puissant du ministre Peel et de ses succes-
seurs Itussell et Gladstone, a réussi à faire aboutir les ré-
formes économiques et financières, commencées depuis
longtemps par Huskisson. Elle a obtenu l'abolition
des corn-laws, de l'acte de navigation, des droits pro-
tecteurs de l'industrie manufacturière, et l'abolition ou
la réduction notable de nombreuses accises. D'autres
mesures ont amélioré d'une façon certaine la condition
des classes ouvrières; ce sont principalement: la liberté
de coalition, la reconnaissance légale des « trades-
unions », les nombreux « factories acts », les lois sur
les « friendly » et sur les « building societies », sur les
magasins coopératifs, etc. On a aboli aussi, à la satisfac-
tion générale, un grand nombre de formes d'ingérence
gouvernementale, vieillies et vexatoires ; mais on a
aussi, sans trop se préoccuper des objections exagérées
de quelques doctrinaires partisans du « laissez faire »,
petit à petit rendu l'instruction élémentaire obligatoire,
augmenté les ^Douvoirs de l'Etat sur les banques
d'émission et sur les chemins de fer, créé des caisses
d'épargne postale et des caisses publiques d'assurance
sur la vie, racheté les télégraphes et réformé beaucoup
d'autres services publics plus ou moins liés au bien-être
économique du pays, qui, malgré la violence de nom-
breuses crises funestes, est allé en augmentant graduel-
lement, comme le démontrent les excellents travaux
statistiques de Levi, de Giffen, etc.
Arch. Prentice, Hisiory of ihe anii-corn-law league .
Manchester, 1883. Deux volumes.
Leone Levi, The hisiory of commerce and of ihe éco-
nomie progress of ihe brilishnaiion{i 863-1878)^
London, 1880.
Aug. Mongredien, Hisiory of ihe free-irade movement
in England. London, 1881.
EN ANGLETERRE 335
L. Price, A short hislory of polillcal economy in
England from Ad. Smith to A. Toynbee. London,
1891. (Bon résumé historico-cri tique des théories
des principaux économistes anglais, non com-
pris les économistes actuels).
Cannan, .4 history of the théories of •production and
distribution in english political economy from 4776
to iSiS. London, 1893 (Excellente monographie).
,§ J. LE DÉVELOPPEMENT ULTÉRIEUR DE l'ÉCONOMIE
CLASSIQUE
L'écossais Jean Ramsay Mac Culloch (1789- 15^64)^
est un écrivain érudit mais partois inexact, ingénieux
mais quelquefois superficiel ; il est l'auteur d'un grand
nombre d'ouvrages économiques et financiers. Il a
contribué à vulgariser les doctrines de Smith, de Mal-
thus et de Ricardo par ses abrégés, remarquables par
leur clarté, et il a inauguré, par ses travaux biogra-
phiques, ses collections d'anciens économistes, et no-
tamment par sa bibliographie, les recherches historiques
sur la science économique, qu'avant lui et longtemps
■encore après lui on a complètement négligées ; en An-
gleterre, son Dictionnaire du commerce [9^ édition en
1880) est un répertoire utile de renseignements tech-
niques et statistiques.
J. R. Mac Culloch, Principles of political economy.
Edinburgh, l825.-7« édit., 1885, trad. franc, sur
la 4« édit. de A. Planche, 2« édit. 2 vol. — A
treatise on the principles and praciical influence of
taxation and the fundin g System. Edmlmrgh, 1846.
3* édition, 1863. — The literature of political eco-
nomy. London, 1845.
Le colonel Robert Torrens (1780-1864) lui est supé-
rieur par sa pénétration et il l'a égalé par son activité.
11 est l'auteur de nombreux ouvrages sur la production
336 l'économie politique
des richesses, sur les salaires et les coalitions, mais il
est surtout connu par sa théorie des échanges interna-
tionaux et par d'autres opuscules dans lesquels il
défend les réformes commerciales, bancaires et finan-
cières de Robert Peel.
Rob . Torrens, An essay on the production of wealthy
1821. — On ivages and combinations. 1834. — An
essay on the influence of th9 external corn trade.
4-^ édit., 1827 (fort apprécié par Ricardo). — The
budget, 1844.
L'archevêque anglican de Dublin, Richard Whately
(m. 1863), professeur à Oxford, est l'auteur de bonnes
leçons d'introduction à l'économie (1831) ; il a fondé
une chaire à Trinity Collège, qui a été honorablement
occupée par Longfîeld, par Lawson, et plus tard bril-
lamment par Cairnes, et maintenant par Bastable.
Mais, de tous les économistes anglais qui ont écrit
après Ricardo et avant Stuart Mill, la première place
appartient sans conteste à Nassau Guillaume Senior
(1790-186^.). Il a été professeur à Oxford de 1826 à 1831 ,
et plus tard en 1847. C'est un économiste sagace, d'une
large et solide culture ; il a écrit, dans un style élégant,
de bonnes monographies sur la distribution interna-
tionale des métaux précieux (1827-1828), sur la popu-
lation (1828-1829), sur la valeur de la monnaie (1829),
sur la mesure des salaires (1830) et sur la législation
des fabriques (1837). Il a publié également des leçons
propédeutiques (1826 et 1852) et un précis d'économie
[An outline of the science of polit ical econoniy, 1836),
inséré d'abord dans V Encyclopaedia. Metropoiitana,
et réimprimé (6^ édit, 1872) séparément. Nous devons
à Senior une analyse ingénieuse du coût de production,
dans lequel il fait entrer la rétribution pour la formation
du capital, appelée par lui abstinence, qui a soulevé
EN ANGLETERRE 337
des objections fondées en grande partie sur une équi-
voque. Il a fait également des recherches intéressantes
sur les relations entre le taux des salaires et celui des
profits ; il a été un des premiers en Angleterre à s'oc-
cuper de la terminologie économique, qu'il a cherché à
rendre plus correcte et plus précise. Senior a, en outre,
le mérite d'avoir insisté sur le caractère scientifique
de l'économie sociale et sur son caractère de neutralité
à l'égard des différents systèmes de politique écono-
mique, qu'ils soient inspirés par le principe du « laissez
faire » ou par celui de l'ingérence goavernementale.
C'est une grave erreur, répandue notamment en Alle-
magne, d'identifier l'école classique anglaise avec l'école
de l'optimisme, qui est représentée par Carey et par
Bastiat, et de la désigner sous le nom d'école de
Manchester. Il n'y a qu'un petit nombre d'écrivains
de second ordre, comme Banfield {Organisation of
iyidustrie 1844, - 2'' édit. 1854) et Rickards {Popula-
tion and capital, 1854), qui défendent ces opinions on
Angleterre. Elles ont été résumées dans le Manuel de
Rogers {Manuel of political economy, 1868) ; mais on
n'en fait pas même mention dans d'autres traités qui
ont cependant une certaine valeur, et que nous citons
ci-dessous, bien que quelques-uns soient de date plus
récente.
Th. Chalmers, The Christian and civic economy,
1821 . Deux volumes. — On political economy-, i® édit,
1832. Il donne beaucoup d'importance au principe
moral ; c'est un pur disciple de Malthus, combattu au
contraire par Eisdell (On the industry of nations, 1833).
— J. P. Stirling, The philosophy oftrade, 1846, a fait
de bonnes observations sur la théorie de la valeur. —
W. L. Sargant, The science of social opulence, 1856.
Sa méthode présente quelque analogie éloignée avec
celle de Thunen. — W. E. Hearn, Plutology, 186i.
09
338 l'économie politique
Réimprimé en 1889 ; il contient d'intéressants dévelop-
pements sur la production. — John Macdonell, Surveij
ofpoliticsLl economy, 1871. — John L. Schadwell,
System of political economy, 1877.
.^' 2. — JOHN STUART MILL
Les Principes d'économie politique de cet illustre
philosophe, publiciste et économiste, dont les idées ont
exercé une influence si notable sur l'opinion des classes
cultivées en Angleterre, et en partie aussi sur celle de
l'étranger, nous présentent principalement le résumé,
l'achèvement et l'exposé le meilleur des doctrines de
récole classique dans leur forme la plus exacte ; à un
autre point de vue, au contraire, c'est à eux que se rat-
tachent les théories de nombreux adversaires de l'éco-
nomie, notamment des socialistes, et ils ouvrent la voie
aux perfectionnements ultérieurs de l'école critique
contemporaine. Pour bien comprendre le caractère, et
il faut bien le dire, les contradictions nombreuses de ce
livre vraiment singulier, il faut pénétrer dans l'hi.stoire
intime de la vie intellectuelle et morale de Mill, qu'il a
lui-même racontée avec une admirable sincérité.
John StuarL Mill, Auiobiography. Lonclon,1873. Trad.
franc, par Gazelles, Paris.
W. L. Courtney, Li/e of John Stuart Mill. London,
1889.
F. Faure, v° /. S. Mill (in Nouveau Dictionnaire (Céco-
nomie politique. Paris, 1891. Vol. II pp. 273-280).
MinLo, J.S. Mill (in Encyclop. Brit. Vol. XVI. 1883;.
SluartMill est né à Londres en 1806. Son père le .sou-
mit à un régime d'instruction très rigoureux, soustrait à
tout principe religieux. A quatorze ans il connais.sait
admirablement les langues et les littérature.';; classiques.
EN ANGLETERRE 339
Après quelques mois passés en France (1820), où il fît
la connaissance de Say et de Saint-Simon, il retourna
dans sa patrie, étudia la philosophie et le droit, et se lia
alors d'amitié avec Bentham, Austin, Grote, Macaulay.
Ilobtint en 1823, sous l'autorité immédiate de son père,
une place dans l'administration de la compagnie des
Indes, qu'il occupa jusqu'en 1858. Il fut député de
Westminster (1865), mais il ne fut pas réélu en 1868 à
cause de l'indépendance de son caractère et de l'excen-
tricité de quelques unes de ses opinions. Il se retira à
Avignon, où il mourut en 1873.
Il se rattacha d'abord à l'école des philosophes radi-
caux, dirigée par Bentham et représentée par la
Westminster Review ; mais, dès 1826, des sentiments
plus nobles et plus généreux furent éveillés en lui par
les lettres de quelques uns de ses amis (Marmontel,
Condorcet, Saint-Simon) et renforcés par l'amitié
d'une femme de grand cœur et d'un esprit remar-
quable (1831), devenue plus tard sa femme (1851), dont
il a fortement dépeint les vertus, et à laquelle il a dédié
sa belle monographie sur la liberté {On liberty, 1859).
Depuis, disciple dissident de Bentham (voir un article
de 1838 dans la revue précitée), il apporte d'importantes
modifications à la doctrine de l'utilité [Utilitd.risni,
1863) ; il subit plus tard, au moins partiellement,
l'influence de Comte {Auguste Comte and positivism,
1865), avec lequel il a été pendant longtemps en cor-
respondance (1841-1846). Il défendit avec beaucoup
d'ardeur les réformes agraires de l'Irlande {England
and Irland, 1868), la représentation des minorités par
le système de Hare {On représentative government,
1861) et les droits politiques des femmes {On the sub-
jection of Women, 1869).
Ses théories économiques sont exposées dans ses
•Essais (1844), dans son Système de logique (1813),
340 l'économie politique
dans ses Principes d'économie politique (1848), dans
quelques écrits insérés dans le recueil de ses petits
traités (1867-1875) et dans ses fragments posthumes sur
le socialisme (1879).
John Stuart Mill, Essays on sonie unsettled question of
poliiicaleconomy. London, 1844.-2«édit. 1874. —
System of logic 7'aclocinative and inductioe. 1843.
Deux volumes. 7» édit., 1875. Trad. franc., par
Peisse, sur la 6« édit. (plusieurs éditions). —
Principles of poiitical economy, ivith some of iheir
applications to social philosophy. London, 1848.
2 vol.- 7« édit., 1871. Trad. franc, par H. Dus-
saud et Courcelle-Seneuil (plusieurs éditions). —
Dissertations and discussions. 2« édit., 1867-1875.
Quatre volumes. — Chapfers on socialism- (in
Fortnightly Review, 1879). Trad. franc., in Revue
philosophique.
Les Essais ont été écrits en 1827 et 1830, mais ils
sont re.stés inédits (sauf le dernier) jusqu'en 1844. Ils
contiennent presque toutes les contributions vraiment
originales de Mill en matière d'économie sociale. Dans
le premier, il développe la théorie du commerce inter-
national de Ricardo et formule clairement la fameuse
doctrine des valeurs internationales, qui est la base la
plus solide des argumentations en faveur du libre
échange, et qu'il a enrichie plus tard de nombreux exem-
ples, dans son traité, sous l'appellation d'équation de la
demande internationale. Dans le second essai, il étudie
l'influence de la consommation sur la production, et il
cherche à prouver que Vabsenteism est un mal pure-
ment local, et que, si un encombrement général et per-
manent des produits est impossible, un encombrement
général et temporaire est possible, mais qu'il dépend
du manque de confiance et non d'un excès de pro-
duction. Dans le troisième, il argumente sur l'emploi
EN ANGLETERRE 341
des mots productif et improductif, soit au point de vue
du travail, soit au point de vue de la consommation.
Dans le quatrième, consacré au profit et à l'intérêt,
Mill défend et explique la théorie de Ricardo sur les
rapports entre les salaires et les profits, et il démontre
que ceux-ci dépendent du coût du travail, et que, par
conséquent, une amélioration dans la production des
objets consommés par les ouvriers fait augmenter leur
salaire réel, sans c;ependant diminuer les profits des
entrepreneurs. Le cinquième et dernier essai donne
quelques règles de méthodologie économique, qu'il a
développées plus complètement et avec plus de maturité
dans le sixième livre du Système de logique. Dans
cette œuvre, il admet, avec Comte, une sociologie géné-
rale, science concrète et nécessairement inductive, et il
soutient, d'un façon non moins explicite, la nécessité
d'une science économique séparée quoique non indépen-
dante, qu'il distingue magistralement de l'art. Il in-
siste sur son caractère abstrait et hypothétique, qui
nécessite, par conséquent, non pas une soi-disant mé-
thode métaphysique et intuitive qu'il repousse, mais
la méthode de la déduction, qu'appliquent également
les sciences physiques les plus avancées ; celles-ci ont
aussi à leurs secours l'aide précieuse de l'observation
expérimentale, qui est, dans sa signification rigoureuse,
presque complètement inaccessible aux sciences socia-
les. C'est là, comme on l'a vu dans la première partie,
la théorie delà méthode qui, grâce aux excellents com-
mentaires de Cairnes et aux récentes rectifications de
Menger et de Keynes, constitue la base la plus sûre de
l'économie moderne.
Mill s'est proposé dans ses Principes d'économie
politique., qui ont été considérés sans conteste pendant
longtemps, et à certains points de vue de nos jours
encore, comme le meilleur traité anglais sur la matière,
342 l'économie politique
d'exposer avec une ampleur suffisante les doctrines de
l'économie politique, telle qu'elle a été constituée par
Ad. Smith et complétée par Malthus et par Ricardo,
€n tenant compte des progrès partiels ultérieurs dus à
Wakefîeld, à Babbage, à Rae, à Ghalmers, etc. ; de
joindre aux résultats de la science pure leurs applica-
tions les plus importantes, et de substituer ainsi, en
utilisant les travaux de Jones, de Laing, de Thornton,
aux digressions, parfois trop longues et vieillies de
Smith, des considérations conformes àl'étatactuel de la
science et de la pratique, et pouvant fournir en même
temps un exemple de l'emploi correct de la méthode
qu'il avait proposée. Ce but, Mill l'a pleinement atteint,
parce que son livre, malgré de nombreux défauts, est
devenu, grâce aussi à ses mérites particuliers d'expo-
sition claire, ordonnée et attrayante, la source principale
à laquelle ont puisé les économi.stes contemporains,
dont beaucoup ne se sont plus occupés des œuvres des
grands maîtres, et en particulier de celles de Ricardo et
ds Malthus, parce que leurs principes étaient exposés
avec plus de précision par Mill, qui s'est préoccupé d'en
rendre l'intelligence plus facile.
Il faut notamment prendre en considération, dans
les Principes de Mill, son analyse de l'influence du
progrès sur la population, sur les prix et sur la distri-
bution, ses observations sur la tendance des profits à
un minimum, sur l'état stationnaire, et l'antithèse qu'il
établit entre le caractère physique des lois scientifiques
de la production et le caractère social de celles de la dis-
tribution, sa meilleure contribution, selon lui, à l'écono-
mie politique. La critique moderne pense, au contraire,
que son mérite principal consiste dans l'exposition
lumineuse qu'il a faite de la théorie de la valeur et de
celle de la distribution, et dans la correction de quelques
unes des erreurs de Ricardo, bien que ces corrections
EN ANGLETERRE 343
restent loin de la perfection qu'il croyait avoir atteinte.
Il s'est occupé, en effet, de la valeur courante et de la,
valeur normale, mais plutôt de celle-ci que de celle-là,
sans rechercher d'une manière approfondie leur
influence réciproque. Dans son étude de la valeur
normale, il a considéré, comme Ricardo, le phénomène
par rapport au vendeur, et il a un peu trop insisté
sur le coût de production ; il y a plus d'une ambiguïté,
comme l'a relevé Cairnes, dans sa détermination de ce
coût. Il a bien indiqué que la demande, représentée
par l'utilité, influe sur l'offre et par conséquent indirec-
tement sur le coût, mais il n'a pas su mesurer l'inten-
sité de cette influence, parce qu'il se réfère au concept
vague de Tutilité totale du produit (valeur d'usage) et,
non au concept précis de l'utilité fmale(ou marginale)en
fonction d'une quantité déterminée ; il a négligé la
notion de valeur normale considérée au point de vue
de l'acheteur, qui, dans certains cas, modifie, et, dans
d'autres, exprime la valeur normale effective. Il a
développé d'une façon remarquable la théorie des
valeurs internationales, mais il ne s'est pas aperçu,
que celle-ci n'est pas complètement séparée ni différente
de celle des valeurs nationales, mais qu'elle a avec
elle de nombreux points de contact, tandis que quelques
unes des différences apparentes dépendent de l'expli-
cation incomplète et inexacte qu'il a donnée de la
valeur en général. Enfin, Stuart Mill ne s'est pas
préoccupé d'appliquer la théorie de la valeur, qu'il
considère cependant comme fondamentale, à l'expli-
cation des lois de la distribution, soit parce que, par
erreur de système, il en parle (livre 2) avant l'échange
{livre 3), soit parce qu'il a été trop préoccupé de la
différence qu'il y a entre le caractère social de la dis-
tribution (c'est-à-dire de l'échange des produits contre
des services productifs) et le caractère pour ainsi. dire
3^4 l'économie politique
mécanique de la circulation (c'est-à-dire de l'échange
des produits contre d'autres produits).
Les phases de la vie intellectuelle et morale de Mill
nous expliquent les nombreuses contradictions qu'il y
a entre les différentes parties de son œuvre capitale,
c'est-à-dire ses plus grands défauts. Nous voulons
parler des contradictions réelles, et non des contra-
dictions imaginées par quelques critiques, qui lui ont
attribué des incohérences de méthode dont il n'y a pas
trace dans ses ouvrages, ou des discordances entre
les doctrines qu'il enseigne dans le domaine de la science
et les critères dont il fait usage dans les applications,
nécessairement changeants avec les variations de temps
et de lieux et les conditions sociales.
Plus encore que l'influence des idées philanthropiques,
qui lui lont, dans les éditions ultérieures de ses Prin-
cApes et notamment dans la troisième, faire des pré-
visions toujours plus favorables à l'avenir de la classe
ouvrière, et avouer qu'il croit à la possibilité d'une
réalisation éloignée du socialisme, influence qui atteint
son apogée dans les Chapitres posthumes consacrés à ce
sujet; plus que sa proposition de restreindre le droit de
succession en ligne collatérale; plus que ses sympathies
pour les impôts sur les transferts de propriété à titre
onéreux, qui dans les dernières années de sa vie abou-
tissent au fameux projet de confiscation de la rente
future des terres, on doit passer sous silence, au point
de vue scientifique, comme contradictoires entre elles,
la combinaison des aspirations socialistes et de l'adhésion
aux théories de Malthus ; il va même jusqu'à proposer
des restrictions légales au mariage. Sa sympathie
pour l'état stationnaire, qui est un principe de déca-
dence, est en contradiction avec sa foi inébranlable au
progrès indéfini ; il y a contradiction aussi entre la glo-
rification du système des petites propriétés paysannes,
EN ANGLETERRE 345
qu'il admire avec Laing, et spécialement avec Thornton
{A plea for peasantprojjrietors, [8^8,-2" édit. 1874), et
l'apologie de la grande propriété collective dont Mill se
fît le promoteur, après 1870, comme président de la
Land tenure refovin association [Dissertations and
discussions, vol. IV, 1875. Papers on land tenure) ;
il y a contradiction enfin entre les idéals du véri-
table socialisme, ennemi de toute concurrence, et l'apo-
logie des sociétés coopératives de production, qui ne
font que substituer la concurrence des entreprises col-
lectives d'ouvriers à la concurrence des entreprises
individuelles.
A la gloire de Stuart Mill se rattache la renommée
moindre d'Henri Fawcett( 1833- 1884), qui a été profes-
seur à Cambridge, membre très actif de la Chambre des
Communes, où il soutint avec beaucoup de chaleur la
réforme financière des Indes et la cause de la coopéra-
tion, sans demander cependant une ingérence excessive
de l'Etat, et qui devint, en 1880, Postmaster-general.
En dehors des recueils d'un grand nombre de ses arti-
cles et de ses discours, on peut citer ses monographies
remarquables, bien que peu originales, sur la condition
des ouvriers et sur le libre échange, et enfin son résumé
des Principes de Mill, enrichi de renseignements exacts
et de développements intéressants sur les questions
d'application, en particulier sur l'esclavage, sur les
impôts locaux, sur les découvertes des nouvelles mines'
d'or, sur les lois des pauvres, sur l'expropriation des
terres, sur les « trades-unions » , sur les sociétés coopé-
ratives, etc., etc.
H. Fawcett, The économie position of the bristish la-
bourer. London, 1865. — Pauperism, 1871. — Free
trade and protection^ 1878. - 6« édit., 1885. — Ma-
tinal of political economy, 1863. - 6" édit. 1883. —
Essays and lectures on social and political subjects,
346 l'économie politique
1872. (Cfr. Leslie Slephen, TJfe <>f H. Fain-etl,
1885).
§ 3. — LES MONOGRAPHIES.
L'économie politique a fait également des progrès
en Angleterre grâce à de nombreux travaux qui se
sont proposé d'apprécier certains phénomènes, d'en
rechercher les causes, d'en prévoir les conséquences,
de défendre ou de combattre l'introduction ou l'abolition
de lois et d'institutions nouvelles. C'est ainsi, par
exemple, que la réforme du système de production, due
principalement à l'introduction des machines, provoqua
des travaux, les uns descriptifs, les autres théoriques,
comme celui du mathématicien Charles Babbage (On
the econoray of machinery and manufactures, 1832J
qui complètent l'analyse de Smith sur les avantages de
la division du travail, ou des écrits techniques apo-
logétiques, comme celui de Ure [Philosojyhy of manu-
factures, 1835. Trad. franc., Paris, 2 vol.. 1836), ou
critico-philanthropiques comme ceux de Gaskell {Arti-
sans and machinery, 1836), deKay [Social condition
of the people, 1852.) et de Morrison {An essay on
the relations betxveen labour and capital. 1854).
La question coloniale fut, elle aussi, l'objet de nom-
breuses études ; il faut citer notamment les leçons de
H. Merivale {Lectures on colonisation, 1841-42), et
les projets hardis de E. G. Wakefield (England and
America, 1843. — A view of the art colonisation, \^\^).
Sir James Caird {English agriculture. 2® édit, 1852.
— The landest interest. 4' édit. 1880) a écrit avec une
grande compétence sur l'économie agraire ; sur les lois
agraires récentes, il faut signaler particulièrement les
monographies de Brodrick {English land and english
landlords, 1881), de Schaw-Lefevre {Freedom of land,
EN ANGLETERRE 3'l7
1881. — Agrarîan tenures, 1893), de Kay {Fr(3e-trade
in land. 9" édit. 1885) et de R. M. Garnier [History of
the english landed interest, 1893. 2 volumes). L'apo-
logie du libre échange a été faite par Dunckley {The
charter of nations, 1854) et par Farrer {Free-trade
versus fair trade, 1885) ; il a été vivement combattu
par Byles {Sophisms of free-trade) et par Alison (Free-
trade and protection , 1842).
La question monétaire a été étudiée par un groupe
de bons écrivains : Lord Liverpool (A treatise on the
coins of the reahn. Oxford, 1805, réimprimé en 1880),
W. Stanley Jevons {Money and the mecanlsm of
exchange. 1875. 4« édit. 1878. Trad. franc.. Paris,
1876), J. Sh. Nicholson {A treatise on money. Edin-
burgh, 1888), les deux premiers partisans du mono-
métallisme, le dernier du bimétallisme, qui a trouvé
récemment de nouveaux apologistes dans Seyd, Bar-
bour, Hucks-Gibbs, etc. Plus nombreuses et, dans
l'ensemble, plus importantes sont les monographies sur
la question des banques; elle a été traitée largement
dans- la classique Histoire des prix de Thomas
Tooke, continuée par Guillaume Newmarch (A history
of priées and the state of circulation from 1192-1856.
London, 1838-57. Six volumes. Bonne traduction alle-
mande, un peu abrégée, par .G. W. Asher, Dresde,
1858-59. Deux volumes) et dans l'ouvrage ingénieux,
mais souvent paradoxal, de H. D. Macleod [The theory
and practice of banking . 5^ édit. 1892. Deux volumes) ;,
elle «, été récemment résumée par Courtey dans l'ar-
ticle Banking de la 9^ édition de V Encyclopaedia Bri-
tannica. Sur les questions pratiques, méritent d'être
signalés les ouvrages de Gilbart, de Crump, d'Hankey
The principles of hank,ing. \8Q7) et celui de R.-H. -
Inglis Palgrave {Bankrate in England, France and.
Germany. 1844-78. London, 1880), en grande partie',
348 l'égonomee politique
statistique. Mais l'œuvre qui présente le plus grand
intérêt théorique est celle de Gosohen {The theory of
foreign exchanges. 1861. 14" édit. 1890. Trad. franc,
par L. Say, Paris, 4« édit., 1896, sur la théorie des
paiements internationaux, et l'ouvrage élégant de Ba-
gehot (Lombard-Street, a description of the w.oney
markot, 1873. - 7*^ édit. 1878. Trad. franc. Paris, 187^i),
qui contient un résumé très clair du système bancaire
de la Grande-Bretagne. Ont enfin une non moindre
importance les ouvrages de polémique, par lesquels
les partisans du currency pnnciple, rattaché aux théo-
ries monétaires de Ricardo, ont préparé et soutenu
la nouvelle législation bancaire de Robert Peel, Les
partisans du banking principle , qui professaient
des idées plus libérales sur l'émission des billets, qu'ils
considéraient comme essentiellement identiques aux
autres titres fiduciaires (lettres de changes, chèques, etc.),
tandis que leurs adversaires les assimilaient à la mon-
naie métallique, ont violemment combattu cette légis-
lation. Le chef de la première école, à laquelle appar-
tiennent Torrens et Mac CuUoch, fut le fameux banquier
S. Jones Loyd (plus tard Lord Overstone), auteur de
nombreux travaux réunis sous le titre de : Tracts and
otiier publications on metallic and paper currency,
1858. Le chef de la seconde fut Tooke, qui groupe au-
tour de lui Stuart Mill, Jacques Wilson, gendre de Ba-
gchotet son prédécesseur à la direction de VEcononiist
[Capital currency and banking, 1847), et notamment
le très pénétrant John Fullarton [On the régulation of
currency, 1844. - 2* édit. 1845).
Les réformes financières proposées , effectuées ou
combattues, ont été discutées longuement dans des
ouvrages de circonstance, dont quelques-uns sont remar-
quables même au point de vue scientifique. Je citerai,
parmi les plus anciens, ceux de Sir John Sinclair [His-
EN ANGLETERRE 349
tory of the public revenue. 3" édit. 1803-4. Trois vol.),
de Robert Hamilton {Tfie rise and progress, the ré-
demption, etc. of the national debt. 3^ édit. 1818), de
Sir Henri Parnell (On financial reform. 4® édit. 188-2);
les ouvrages historiques de Taylcr [History of taxation
of En gland, 1853), d'Hubert HaW {History of the eus-
tom revenue, 1885), et l'œuvre grandiose de Stephan
Dowell (.4 history of taxation in England, 1884-85.
Quatre vol. '2* édit. 1888) ; les ouvrages sur les impôts,
de Sayer (On the income tax, 1831), et de Buchanan
[înquiry into the taxation, 1844) ; les ouvrages-
plus récents de Baxter [Taxation on the United Klng-
dom, 1869), de Noble [The Queen taxes, 1870), de
Morton Pelo, de Giffen [Essay on finances. 2'' édit.
1880), de Wilson [The national budget, 1882) ; ceux
dePalgrave(1871), Goschen (J872) et de Probyn (1875.
2' édit. 1885) sur les impôts locaux; le recueil des exposés
financiers de Gladstone [Financial stateinents, 1 863-70.
Trois vol.) et les belles monographies sur la dette pu-
blique de Newmarch [On the loans raised by M. Pltt,
1855), de Capps [The national debt financially consl-
dered, 1859) et de Baxter {National debts, 1871).
Il nous faudrait encore mentionner, si la place ne
nous manquait, les publications les plus importa'ntes
sur la question ouvrière en général et en particulier sur
les trades unions, notamment l'ouvrage deHowell (The
confticts of capital and labour. 2^ édit. 1890), les tra-
vaux sur les sliding scales des salaires, dont se sont
occupés spécialement Munro etPnce{Industrial peace,
1887), sur l'arbitrage, de Cromnton [Indus trial con-
ciliation, 1876), et sur les institutions de prévoyance et
les coopératives. Il suffira de dire que les salaires en
général et les conditions réelles des ouvriers ont été
étudiés à plusieurs reprises par Rogers, Brassey, Gif-
fen, etc.; que les caisses d'épargne et les sociétés de se-
3b0 l'économie politique
cours mutuels l'ont été par des spécialistes compétents,
Ansell (18351, Neison (1845), Tidd Pratt (1830 et suiv.),
Scratchley (1849 et suiv.), Lewins (1866); les sociétés
coopératives de consommation, par Holyoake (The his-
tory of coopération in England, 1875-79. Deux vol.),
les sociétés coopératives rurales, par Pare (1860), et
Stubbs (1884); les coopératives de construction, par
Jones (1803;) les caisses ouvrières en général, par Hole
[The homes of the worhing classes, 1866) ; la par-
ticipation aux bénéflces, par Taylor [Profit sharing,
1884), et dernièrement par Lowry Whittle, et par
Rawson {Profit Sharing précédents, 1891); la rému-
nération du travail en général, par Schloss {Methods
of industrial remunerati.on, 1892).
§ 4. CRITIQUES ET ADVERSAIRES
Dans les vingt années qui ont suivi lapublication des
Principes de Stuart Mill, les doctrines de l'école clas-
sique n'eurent que de rares adversaires, et ceux-ci
même ne furent que peu écoutés dans le camp des éco-
nomistes. Les violentes attaques de Carlyle, de Dillon,
et en particulier celles de Lalor [Money and moral,
1854). de John Ruskin (Wo?'/is, 1871-87), dont Geddes
a fait récemment l'apologie {John Ruskin econoniist,
Edinburgh, 1884), ont trouvé un écho plutôt parmi les
littérateurs qu'auprès des économistes. Même les ouvra-
ges des nouveaux protectionnistes, qui ont formé la
ligue du fair-trade, dirigée par Eckroyd, parmi les-
quels il faut citer Sullivan, ont trouvé un certain appui
auprès de quelques intéressés, mais ils n'ont pas réussi
à persuaderles hommes d'étude. On peut en dire autant
des articles du positiviste Frédéric Harrison et de
quelques autres apologistes, plus ou moins exagérés,
EN ANGLETERRE 351
des trades-Linions. Les ouvrages de quelques éminents
philanthrophes, Kingsley, Denison Maurice, Hughes,
ont eu un peu plus d'influence. C'est inexactement qu''on
les a qualifiés de socialistes chrétiens, parce que, s'ils
combattent la concurrence individuelle qu'ils voudraient
remplacer par la coopération, sur laquelle ils fondent
trop d'espérances, ils ne sont pas, comme les socialistes
autoritaires, des ptirtisans de l'ingérence excessive de
l'État, pas plus que ne l'ont été Lord Ashley (plus tard
Lord Shaftesbury) et beaucoup d'autres qui ont sou-
tenu au Parlement les factory acts et d'autres lois
protectrices des intérêts de la classe ouvrière,
Cfr. L. Brentano, Die christlich- sociale Bewegung in
England. Leipzig, 1883.
Th. Klrkup, An inqidry inlo socialism. London, 1887.
G. Cohn, Lord Shaftesbury {in Deutsche Rundschau.
3" fasc-, 1889).
La véritable crise de l'économie classique anglaise,
que Ton a cru quelquefois avant-coureuse de son nau-
frage et quelquefois de son remplacement par une
science nouvelle, tandis qu'elle a conduit au contraire
à d'importantes corrections et à de nouvelles adjonc-
tions à la science ancienne, date de l'année 1869. Pour
des commodités d'exposition, nous réduirons à trois
groupes, dont le premier est représenté par Thornton et
par Toynbee, le second, par Cliffe Leslie et Ingram, et
le troisième, par Cairnes et par Jevons, tous les écri-
vains de ce mouvement.
On peut consulter sur ce sujet, en dehors des histoires
déjà citées d'Ingram et de Price, deux articles de Fox-
weli et de Cohn, juges trop sévères d'ailleurs des éco-
nomistes classiques.
H. S. Foxwell', The économie -movemeni in England.
352 l'économie politique
(in Quarterly Journal of Economies. Boston, oc-
tobre 1887).
G. Cohn. Die heutige Nationalôkonomie in EnglawJ,etc.
(in Jahrbuch fur Gesetzgehung, Verivaltung; etc.,
de G. Schmoller. Leipzig, 1889. l"fasc. pp. 1-46).
Nous avons de Guillaume Thornton (1813-1880) une
monographie sur la population {Overpopuîation and
itsreïnedy, 1846), une autre sur les paysans-proprié-
taires, déjà citée, et une autre moins connue {Indian
public Works, 1875). Dans un ouvrage, dans lequel il
se fait le défenseur des trades unions {On labour, ils
wrongful daims and rightful dues, 1869. - 2^ édition,
1870. — Trad. ital., Firenze, 1875), il dirige des
objections très nettes contre la théorie de la valeur et
contre celle du fonds de rétribution des salaires iwage
fund), qui était exposée dans les traités de Mill et de
Fawcett d'une façon explicite mais très prudente, tan-
dis que d'autres écrivains en avaient déduit le corol-
laire de la stérilité absolue des coalitions et des grèves.
Devant les arguments de Thornton, qui sont, en réalité,
en partie faux et le résultat d'équivoques sur la loi do
l'offre et delà demande, Stuart Mill, qui ne s'était pas
arrêté aux objections dirigées contre la théorie du
fonds des salaires par le jurisconsulte Longe (A réfu-
tation of the wage-fund theory, 1866) et par Cliffe
Leslie {Fraser's Magazine, juillet 1868), publia, avec
une singulière précipitation, dans la Forlnightly
Reciew {mars 1869), un article, réimprimé dans ses
Dissertations and discussions (vol. IV, pag. 43 et
suiv.), dans lequel il répudiait celte doctrine, en rela-
tion très étroite avec cette proposition que la demande
de produits n'est pas demande de travail. Cette
condescendance irraisonnable a été alors, et elle est
encore aujourd'hui, considérée par quelques ennemis de
l'économie comme une condamnation de la science
EN ANGLETERHE 353
économique, eL les nombreuses polémiques, nées en
1876 à roccasion du centenaire de la Richesse des
nations, citées par Laurence Laughlin, dans son édi-
tion résumée des Principes de Mill (New-York, 1888,
pp. 36-37), montrent à merveille leurs prévisions peu
favorables à l'avenir de l'économie politique.
Voir sur la théorie des salaires en général, et sur
celle du « wage-fund » en particulier (en alLen-
dant le mémoire annoncé de Slephan Bauer),
l'opuscule de W. D. Mac Donnall, A hisiorv mid
criticisrn of Ihe varions théories of wages, Dublin,
1888, plus remarquable par sa clarté que par sa
profondeur.
On cite d'ordinaire, notamment en Allemagne, parmi
les adversaires les plus récents de l'école classique en
Angleterre, un jeune homme de grand talent, Arnold
Toynbee (1852-1883). Sa fin tragique et prématurée,
son amour sincère et désintéressé pour les classes
ouvrières, et les magnifiques œuvres de charité et de
patronage qu'il a fondées, et que continuent sous son
nom un groupe choisi d'amis et de disciples, méritent
de retenir l'attention plus que ses travaux scientifiques,
à peine commencés. En effet, dans ses leçons posthu-
mes, fort exactement appréciées par Marshall dans sa
belle préface à Vlndustrial pedce de Price (1887). on
trouve des jugements souvent sensés, quelquefois témé-
raires, sur la science' économique, des recherches his-
toriques intéressantes et de sages projets de législation
sociale, qui, considérés dans leur ensemble, ne sont rien
moins que favorables à une excessive ingérence gou-
vernementale, et qui sont par suite en contradiction
flagrante avec son étrange prophétie, selon laquelle à
l'ère de la liberté des échanges succédera celle de l'ad-
ministration. Toynbee se déclare radical et sccialiste,
23
354 l'économie politique
mais il demande la réalisation de la justice, il exalte le
self help, la coopération, l'initiative individuelle, le
respect de la propriété privée, il répudie le matéria-
lisme, etc. Ces contradictions dans le domaine de l'art
économique ne doivent pas nous surprendre chez un
auteur qui appelle, dans une de ses leçons, l'école de
Ricardo une imposture intellectuelle, alors que, dans
une autre, il déclare qu'elle a besoin seulement de
quelques corrections et d'une forme plus rigoureuse-
ment scientifique.
A. Toynbee, Lectures on the industrial révolution in
England. London, 1884. - 2« édit., 1887.
L'école classique a trouvé un adversaire beaucoup
plus compétent dans l'avocat irlandais Thomas Edouard
Cliffe Leslie (1827-1882). Il a été professeur à Belfast,
mais il résidait en Angleterre, C'est un écrivain savant
et érudit, auquel on doit des monographies sur l'éco-
nomie appliquée, dans lesquelles il se déclare partisan
de profondes réformes financières, notamment de la ré-
forme des impôts indirects, et de l'émancipation de la
propriété foncière des entraves féodales, A l'école deSum-
ner Maine et dans ses fréquents voyages, Leslie se livra
à des recherches historico-économiques, et il fut le plus
chaud et, pendant quelque temps, le seul partisan
du courant suivi en Allemagne par Roscher et par
Knies, Il ne reste de lui que des Essais, publiés dans
plusieurs revues, le manuscrit d'une œuvre historique
de longue haleine ayant été perdu en 1872, Parmi ces
essais, nous devons rappeler ceux qu'il a consacrés à
des questions agraires, dans lesquels, comme Mill et
Thornton, il défend la petite propriété et même la petite
culture, et ceux qui sont consacrés à l'étude de la dis-
tribution des métaux précieux, de l'histoire des prix et
EN ANGLETERRE 355
des variations des salaires et des profits. Les théories
générales de Leslie, indiquées dans quelques courts
travaux critiques sur les œuvres de Smith, Mill, Cair-
nes, Bagehot, sont développées dans ses Essais sur les
relations de l'économie et de la statistique, et en parti-
culier dans celui qui est consacré à la méthode philo-
sophique dans l'économie politique, publié d'abord
dans le périodique irlandais HormR.thena(\o\. II, 1876,
réimprimé dans les Essays de 1888, pp. 163-193). Ce
mémoire a spécialement pour but de combattre la mé-
thode déductive, c'est-à-dire l'étude distincte du côté
•économique des problèmes sociaux, de nier l'existence
des lois générales de l'intérêt et du profit, et finalement
de combattre, comme trop indéterminé et trop exclusif,
le concept du désir de la richesse, fondement principal
des déductions de l'école classique. Des objections très
analogues, non moins absolues et exagérées, contre, la
méthode déductive, avaient déjà été faites par le protec-
tionniste David Syme, auteur d'un livre très fortement
loué par Cohn {Outline of an industrial science, 1874),
<lans un article inséré dans la Westminster Review,
(vol. 96, 1871); Lowe (Lord Sherbroocke), dans la
Nineteenth Century (novembre 1878), et mieux Sidg-
wick, dans la Fortnightly Review (vol. 31, 1879), ont
répondu à ces deux attaques.
Des opinions très analogues à celles de Leslie sont en
<;e moment défendues par un autre éminent économiste
anglais, John Kells Ingram, qui professe, comme Har-
rison et Geddes, les doctrines philosophiques et sociales
d'Auguste Comte, qu'il considère comme le précurseur
de l'école historique allemande. Il a reproché à la théorie
classique d'être trop abstraite et trop absolue, dans un
discours célèbre, et dans son Histoire de Véconomie
politique, déjà plusieurs ibis citée, qui constituent
avec d'autres excellents articles insérés dans la 9* édi-
356 l'économie politique
lion de V Eneyclopaedia Britannica, ses principaux
titres scientifiques.
Th. Ed. Cliffe Leslie, Lancl Systems and industrial
eronomy of Ireland, England and conlinenlal coun-
tries, 1870. — Essays in poliiical economy and
moral philosophy. Dublin, 1879.-2'" édil. (avec sept
nouveaux essais économiques substitués aux
essais purement politiques), 1888.
J. K. Ingram, The présent position and prospects of
pohtlcal rconomy. Londres, 1878. (Cfr. E. Naz-
zani, Saggl di economia polilica. Milano, 1881,
pp. 17-21.)
Mais l'économie politique a fait beaucoup plus de
progrès grâce aux travaux de deux hommes éminents.
qui ne se sont pas contentés de la critique purement né-
gative et qui ont apporté des corrections essentielles et
d'utiles compléments aux doctrimes de Stuart Mill,
dont ils ont été les continuateurs les plus illustres en
Angleterre. Cairnes et Jevons. bien que leurs mé-
thodes et leurs buis soient différents, le premier se
déclarant disciple de Stuart Mill, qu'il combat avec
énergie sur plusieurs points, tandis que le second a cru
substituer des doctrines absolument nouvelles aux doc-
trines de Ricardo, qu'il appelle able but wong-headecl ,
et de son admirateur Mill, alors qu'en réalité sa cri-
tique, ne conduit pas à des conséquences au.ssi étranges
et aussi désatreuses.
John Elliot Cairnes (18"24- 1875), irlandais lui ausî^i,
condisciple de Cliffe Leslie, professeur à Dublin en 1861 ,
puis, pendant quelque temps (186fi-187"2) à VUniver-
sltij Colk'de de Londres, a déployé une extraordinaire
activité scientifique, notamment dans les dix dernières
années de sa vie, que troublait une très douloureuse
maladie.. En dehors de son ouvrage sur" la méthode
(1857), plusieurs fois cité, et qui a été pendant plus de
EN ANGLETERRE 357
vingt ans le meilleur sur ce sujet, Cairnes, qui avait
une aptitude singulière à suivre l'actioa de certaines
causes économiques générales à travers un ensemble
très compliqué de faits, a publié un important travail
sur l'esclavage aux Etats-Unis {The slav(3 power, its
character, career and probabla designs, 1862. -2''édit.,
1863) dans lequel il a montré les principaux inconvé-
nients économiques du travail servile, fait de mauvaise
grâce, maladroit et uniforme. Il a publié en outre, dans
différentes revues, quelques essais remarquables; les uns
critiques, comme ceux sur Comte et Bastiat ; d'autres
économico-historiques, parmi lesquels il faut en
signaler quelques uns de très importants sur les effets
probables de l'augmentation de la production de l'or,
qu'il développe admirablement en analysant le pro-
cessus de renchérissement des prix, variable selon que
les pays sont plus ou moins directement en communica-
tion d'affaires avec les ré:^ions métallifères, et selon la
nature des produits, matières premières ou objets ma-
nufacturés; d'autres, enfin, d'économie appliquée, et
particulièrement l'essai sur le véritable caractère de
ia maxime « laissez- faire ».
A la veille de sa mort Cairnes publia son œuvre
principale, sur quelques principes fondamentaux de
l'économie, qu'il expose avec une certaine nouveauté
de vues. Elle comprend trois parties : la valeur, le travail
et le capital, le commerce international. Dans la
première, utilisant le traité do Cherbuliez, qu'il a fait
connaître aux anglais, il préci.se mieux la distinction
entre les lois de la valeur courante et les lois de la
valeur normale, il relève quelques inexactitudes de
Stuart Mill sur le coût et les dépenses nominales de
production, en excluant du premier (comme l'avait déjà
fait Senior) les salaires et les profits. Par sa célèbre
théorie des groupes non concurrents, il chercha à
358 l'économie politique
démonti:er que, même dans l'industrie intérieure, la con-
currence et le coût n'expriment pas toujours la loi de la
valeur, qui est déterminée par la demande réciproque.
Il eut cependant le tort de donner une importance
exacrérée à cette théorie, qui modifie la loi de Ricardo
et de Stuart Mill, mais ne la détruit pas, et il ne saisit
pas le véritable sens de la théorie du degré final
d'utilité, qu'il critiqua trop à la légère. Dans la seconde
partie il faut surtout relever la doctrine du fonds de
rétribution des salaires, répudiée par Mill, comme nous
l'avons dit, et que Cairnes a formulée avec plus de
précision, mais avec des observations qui en atté-
nuent Timportane. Il ramène à de justes propor-
tions l'influence des trades unions sur le taux des
salaires et il se montre très confiant dans l'avenir de la
coopération ; il réfute d'une façon persuasive la loi de
Brassey [On -work and wages, 1878) sur l'uniformité
générale du coût du travail. La troisième partie n'est
pas moins importante ; elle contient une révision mi-
nutieuse de la théorie du commerce et des valeurs
internationales de Ricardo et de Mill ; il substitue à
l'idée de la balance des importations et des exportations
l'idée plus compréhensive et plus exacte de la balance
des dettes et des créances ; sur ce point (comme le
remarque Bastable) il avait été précédé par J. L. Forster
(An essay on thej^rinçijjle of commercial exchanges ^
1804), que Mac Culloch a loué pour ses idées sur
l'absentéisme. Descendant aux applications, Cairnes
combat les principaux arguments des protectionnistes,
notamment des protectionnistes américains ; il est très
heureux, comme le remarque Ingram, dans sa réfu-
tation de l'argument qui s'appuie sur la concurrence
que le high-payed labour de ce pays fait au pauper
labour de l'Europe, il est moins convaincant au con-
EN ANGLETERRE 359
traire dans sa critique de la doctrine de Carey sur
l'utilité de la multiplicité des industries, et de celle de Mill
sur la protection des industries naissantes, théorique-
ment admissible, comme le remarque Sidgwick. mais
pratiquement inopportune, comme l'a démontré en quel-
ques lignes Bastable (He7^?Tiai/iena, n. 12. Dublin, 1886).
J. E. Calmes, Essays on polilical economy,theoreHca-
and applied. Lonclon, 1873. — Some leading prin-
r.iples of political economy neivly expounded, 1874.
— Trad. ital. Firenze, 1877. (Cfr. surCairnes l'ar-
ticle de Fawcett dans la Fortnightly Revieit\
l" août 1875.)
Guillaume Stanley Jevons est né à Liverpoolen 1835.
Essayeur à l'hôtel des monnaies de Sidney de 1854 à
1859, il étudia de retour en Angleterre les sciences
philosophiques et morales; il avait antérieurement
étudié les sciences physiques et mathématiques. Il a été
professeur de logique et d'économie à Manchester
(1 863-1878), puis à VUniversity Collège de Londres
(1876-1881) ; il s'est noyé à Bexhill en 1882. Il a laissé
des travaux importants sur des sujets très divers, mais
il n'a pu produire tout ce qu'il aurait pu donner sans
cette mort prématurée. Il fut un logicien éminent, un
pénétrant économiste, un bon mathématicien, et il
avait une aptitude extraordinaire pour les travaux
statistiques. Il exposait alternativement les résultats
de ses études^ dans une forme populaire, comme dans
le Primer of politicsil economy (1878) et dans son
volume sur la monnaie (1875), ou dans le langage le
plus élevé de la science comme dans ses Principles of
science (1874, deux vol.), non sans associer quelquefois
à la rigueur de l'argumentation les élans de la fantaisie,
auxquels il n'a pas résisté dans son étude sur les crises
commerciales, dont il rattache la périodicité à celle des
oCO l'économie politique
récoltes du blé et indirectement à celle des taches
solaires {The periodicity of coinrnercial crises,
1878-79. Réimprimé dans ses Investigations, pag.
221 et siiiv.).
Le premier travail de Jevons qui attira l'attention des
savants concernait la dépréciation de l'or [A serions
fall in the value of golcl, 1863, réimprimé dans ses
Investigations, img. 13-118), qu'il a étudiée avec une
méthode très différente de celle de Cairnes; il publia
ensuite une monographie, dans laquelle il se préoccupe
d'un épuisement possible, quoique éloigné, de la houille
{The coal question, 1865). Parmi ses nombreux tra-
vaux économico-statistiques, dans lesquels il fit grand
usage des représentations graphiques et des moyennes
géométriques, dont il se sert plutôt que des index num-
5e/'.s de Nevi^march, souvent employés dans r/?conomisf,
il faut signaler tout particulièrement ses recherches sur
les variations des prix, ses tentatives ingénieuses pour
trouver les lois des oscillations du taux de Tescompte,
de la circulation et des réserves métalliques de la
Banque d'Angleterre, etc. Dans le domaine de l'éco-
nomie appliquée, Jevons a étudié à plusieurs reprises
les questions de la lutte des types monétaires ; il
a toujours été un défenseur convaincu mais modéré
du monométallisme ; sur la question ouvrière, il est
favorable à la coopération et à la participation aux
bénéfices, et il a affirmé la nécessité d'une sage législa-
tion sociale {The State in relation to labour, I8i^2).
Au point de vue de l'économie rationnelle, Jevons, qui
s'était posé en réformateur radical, a donné des essais,
remarquables sans aucun doute, mais qui n'ont pas
restauré la science ab imis fundamentis. Un peu
sceptique sur l'unité future de Téconomie politique,
comme cela résulte d'une de ses leçons d'ouverture
{Fortnightly RevieWy vol. 20, décembre 1876), il a
EN ANGLETERRE 361
déclaré, dès 1862, que l'économie comme science doit
être étudiée avec la méthode mathématique, qu'il croyoit
capahle de donner des mesures exactes des données
psychologiques sur le plaisir et la douleur, selon lui le
point cardinal des recherches économiques : c'est ce
qu'il a essayé de faire dans un fragment encore inédit
■consacré à la consommation. En précisant le concept
de l'utilité finale, Jevons, qui n'avait pas connu les
travaux de Gossen (1854), a apporté une contrihution
utile à la théorie de la valeur et complété les théories
de Ricardo. tandis qu'au contraire son adhésion aux
idées très indéterminées des économistes français sur
les lois du salaire n'a point aidé aux progrès de la
science.
W. Stanley Jevons, 7he tlieori/ of poliliml economy.
Londres, 1871. - 2" édit., 1879. - Réimprimé en
1888. Jrad. ital. dans la série III, vol. II, 1875, de
la Bihlioteca delV Economistn). — Meihods of so-
cial ref'onn, 1883. — Jnvestigniions in currency and
finance, 1884, publiées avec une intéressante in-
troduction par le professeur Foxvell (pag. xix
et suiv.)
Voir aussi : Lelters and Journal of W. S. Jevons,
1886 (avec une bibliographie complète), et W.
Boehmert, W. S. Jevons und seine Bedeutung l'ùt
die Théorie der Volksicirlhscliafislehi'e (in SchmoJ-
1er, Jahrb. fur Gesetzgehung, Vericaliung, etc.
Leipzig, 1891. 3-^ fasc, pp. 76-124).
.§ 5. — l'ét.\t actuel
Les faits ont démenti solennellement les pronostics
des sceptiques et les craintes des pusillanimes qui, il
y a quinze ans. croyaient imminente la ruine de la
science économique en Angleterre. Malgré les pertes
importantes occasionnées par la mort de Cairnes, de
362 l'économie politique
Bageliot, de Cliffe Leslie, de Jevons, il est resté encore
un solide noyau d'excellents maîtres et un groupe
nombreux de disciples zélés qui, mettant à profit les
progrès réalisés à l'étranger, ont contribué puissamment
à en préparer de nouveaux et de non moins signalés
dans la terre classique de ses gloires les plus grandes.
Le courant historique a reçu une vigoureuse impul-
sion grâce aux travaux et à l'enseignement de James
Thorold Rogers, professeur à Oxford (m. 1890), qui a
écrit l'histoire de l'agriculture et des prix au moyen âge
et dans les premiers siècles des temps modernes. Il a
exposé et résumé les résultats de ses travaux dans d'au-
tres ouvrages sur les salaires, en y joignant des recher-
ches patientes et originales, que Ton peut apprécier aussi
dans la monographie, déjà citée, sur les premières an-
nées de la Banque d'Angleterre. 11 a été moins heureux
dans les critiques qu'il a faites à Ricardo et, en général,
aux grands maîtres de la science dans ses leçons sur Vin-
terjorétation économique de l'histoire. Son élève W. J.
Ashley, professeur à Ha \ra?'d University suit la même
voie et avec succès ; il a commencé de bons travaux sur
l'histoire économique de l'Angleterre.
James. E. Thorold Rogers, Hislory of agriculture and
priées (de 1259 à 1702). London, 1866-1887. Six
volumes. — Six centuries of icork and labour.
1884. Deux volumes. — The industrial and com-
mercial historx] of England, 1891.
W. J. Ashley, The early history of the englishivoollen
industry. Philadelphia, 1887. — An introduction lo
english économie history and theory. London, 1888;
IP Part. 1893.
La première place dans le champ des recherches his-
torico-économiques appartient au très érudit professeur
Guillaume Cunningham, qui a publié une histoire uni-
verselle du commerce et de l'industrie anglaises dans
EN ANGLETERRE 363
leurs relations avec les institutions et les doctrines, qui
pourra remplacer les compilations utiles mais vieillies
d'Anderson(l790, 6 vol.) et deMacpherson (1805,4 vol.).
Tout comme Ashley et Foxwell, Cunningham adhère,
en grande partie, aux idées théoriques de l'école histo-
rique allemande.
W. Cunningham, Polilics and économies. London,
1885. — The (jrowlh of english induslry and com-
merce. Vol. let II. Cambridge, 1890-1892.
Parmi les travaux historiques spéciaux, il en est quel-
ques-uns de remarquables sur les anciennes Guildes et,
en particulier, sur les corporations des commerçants,
qui complètent ou rectifient, sur plusieurs points, les
études du professeur Brentano. Le principal est le livre
de Charles Gross [The OUd-Merchant, 1890), qui a
publié depuis d'autres travaux intéressants.
On peut, à certains points de vue, considérer comme
un complément des œuvres historiques les recherches
statistiques et, en particulier, les recherches sur les
conditions des classes ouvrières, publiées récemment
dans des monographies séparées ou dans le célèbre pé-
riodique de la Société royale de statistique de Londres,
notamment par Levi, Brassey, Giffen, Chisholm, etc.
Un autre indice certain des progrès que les étude»
économiques font en Angleterre nous est fourni parles
importants travaux sur l'histoire de la science, qui avait
été autrefois fort négligée. Tandis que le professeur
Foxwell, qui a dignement succédé à la chaire de Je-
vons, dont il publie des œuvres posthumes, s'occupe d'un
travail considérable sur la bibliographie de l'économie
politique, spécialement en Angleterre, destiné à rem-
placer l'imparfaite Littérature de Mac Culloch, l'érudit
James Bonar a commenté les doctrines de la nouvellcj
école autrichienne sur la valeur, publié un important
364 l'économie politique
travail biographique et critique sur Malthus, édité des
lettres de Malthus : Gonner a commenté avec talent
Ricardo, et Smart a traduit le Capital de BOhm Rawork.
Les monographies historico-littéraires de H. Higgs, et
celles de D. G. Ritchie, dans le Dictiomiaire de Pal-
grave, méritent aussi d'être mentionnées.
Dans la sphère plus élevée des investigations* écono-
miques par la méthode mathématique, appliquée égale-
ment aux études statistiques (poursuivies avec succès
par Rawson, Mouat. Hendriks, Inglis Palgrave, Xews-
holme, Wynnard Hooper, etc.;, il faut faire une place à
part pour F. Y. Edgeworth, l'illustre successeur de
Rogers à la chaire d'Oxford. Il faut citer aussi A\'ick-
steed, qui a exposé, d'une façon claire et élégante, les
théories de la valeur de .levons. Bonar a fort bien
montré le lien qu'il y a entre les théories économiques
et les théories philosophiques.
F. G. Edgeworth, Maihemaiical Psijchics, 1885. —
Ph. H. Wicksteed, The alphabet of économie science.
Part. 1, 1888. — J. Bonar, Philosophy and polilicai
econoiiuj, etc. 1893.
Mais la première place parmi les économistes anglais
contemporains appartient sans conteste au professeur
Alfred Marshall, qui a .succédé, en 1885, à Fawcett à
l'Université de Cambridge. Par son enseignement et
par ses travaux, il a donné des preuves éclatantes de
son esprit pénétrant, de ses connaissances variées et
approfondies, de ses idées larges et exactes sur la mé-
thode, de son appréciation exacte des théories de l'école
classique, qu'il continue dans le sens de Smith, en
combinant, mais avec plus de modération, l'usage des
mathématiques, comme Jevons, aux recherches histo-
riques, comme Rogers et Cliffe Leslie, et à l'induction
statistique, comme Giffen, parce que comme il Ta si-
EN ANGLETERRE 365
gnaK'", les faits bruts sont muets et ne dispensent pas
de^^ déductions théoriques. Il a particulièrement étudié
fa théorie de la valeur, sur laquelle il a écrit d'intéres-
sants mémoires analytiques, non publiés. Ce n'est qu'en
1879 qu'il s'est décidé à résumer le résultat de ses
études dans un livre élémentaire, mais très remarquable,
écrit en collaboration avec sa femme, Maria Paley, qui
a remplacé, presque complètement, l'autre précis clas-
sique, plus facile mais moins profond, rédigé par Mis-
tress M. G. Fawcett [PolUical economy for beyinners,
1870) d'après le Manuel de son mari. Après avoir
exposé ses idées sur les caractères et la méthode de la
science dans sa leçon d'ouverture du 24 février 1885
[Tlie présent position of économies), il a publié,
l'année suivante, le premier volume de son œuvre
principale. On a également de lui quelques monogra-
phies, parmi lesquelles il nous suffira de citer la der-
nière, très importante, sur le sujet si controversé main-
tenant de la concurrence {Some aspects of compéti-
tion, 189U).
Alfr. Marshal], l'he économies of industry. London,
1879. - 2" édit. 1882. — Principles of économies.
Vol. T, 1890- 2" édil., 1891. (Cfr. l'article de N.
G. Pierson dans la revue De Economiste mars
1891. pp. 177-207, et celui de A. Wagner, dans le
Quarlerly Journal of Economies. Boston, avril
1891).
Le but que Marshall se propose dans ses Principes
esta peu près le môme que celui de Stuart Mill. Il u
exposé les théories de l'école classique, revues et corri-
C-ées d'après les derniers progrès de la recherche scien-
ti tique, et enrichies d'applications correspondant aux
conditions et aux: besoins actuels. Il serait inopportun
de vouloir juger, avant l'achèvement de Tœuvre, si
Marshall a, ou n'a pas, pleinement atteint son but.
366 l'économie politique
Il est cependant certain que le livre de l'illustre pro-
fesseur de Cambridge, supérieur, à certains points de
yne, à celui de Mill par la richesse des détails, la pleine
connaissance de l'état actuel de la science, pourra diffi-
cilement le remplacer comme œuvre didactique, parce
que la forme de l'exposition et la subtilité des recherches
le rendent accessible à un plus petit nombre de lec-
teurs, et parce que l'ordre qu'il suit, excellent pour la
recherche, Test moins pour la communication des ré-
sultats. Ce n'est pas là cependant un défaut pour une
ceuvrc qui est en grande partie originale, bien que
l'auteur déclare modestement qu'il veut présenter seu-
lement a modem version of old doctrines. La vérité
est qu'il expose, d'une façon magistrale, les doctrines
reçues, qu'il les corrige, qu'il en limite, quand cela est
nécessaire, les applications, et qu'il continue les recher-
ches de ses prédécesseurs, souvent interro^npucs au
moment où croissait avec la difficulté l'intérêt pratique
de solutions plus concrètes. Marshall a mis à profit les
travaux antérieurs, mais il n'est pas tombé dans les
mêmes erreurs. Il apprend, par exemple, de Cournot à
apprécier le principe de la continuité dans les phéno-
mènes économiques, sans accepter ses déductions erro-
nées sur le commerce international ; il adopte la théorie
de Walker sur les salaires, mais sur beaucoup de points
il la corrige ; il analyse les effets du principe de l'inté-
rêt personnel, mais il ne néglige pas les modifications
qu'il subit en pratique sous l'influence du sentiment
moral ; il admet et il explique la loi des revenus décrois-
sants dans la production territoriale, mais il ne se borne
pas à de simples considérations générales, il descend
dans l'examen des effets qu'elle produit sur les différents
.systèmes et sur les différentes formes de culture et sur
les autres emplois du sol. Il éclaircit, en particulier, la
loi de la valeur en montrant qu'elle est la résultante do
EN ANGLETERRE 3G7
phénomènes qui doivent être étudiés séparément, et par
rapporta l'offre, qu'il identifie avec la production, étu-
diée par lui avec beaucoup de soin et de notables pro-
grès sur Hearn (le meilleur spécialiste sur ce sujetl, et
par rapport à la demande, c'est-à-dire aux conditions
<lu marché, dont il donne une analyse qui ajoute à l'ana-
lyse déjà si remarquable de .levons. Il emprunte à celui-
ci la théorie du degré final d'utilité, ou, comme il préfère
s'exprimer, de l'utilité marginale, mais il s'empresse
de démontrer qu'elle éclaire et qu'elle complète en partie
mais qu'elle ne remplace pas celle du coût de produc-
tion. Au sujet de la valeur, Marshall, dépassant les limi-
tes des recherches de Mill, démontre que l'échange des
produits avec les servicesproductifs (distribution) est gou-
verné par la même loi que l'échange des produits avec
les produits (circulation). L'idée de la continuité des
phénomènes économiques a diminué pour l'auteur l'in-
térêt des bonnes définitions ; il n'y a point donné le
soin qu'elles réclament (livre second) et c'est pour cela
peut-être qu'il n'a pas réussi à se débarrasser de cer
taines erreurs traditionnelles chez les économistes
anglais, et notamment il considère comme capital
les provisions nécessaires à l'entretien des ouvriers et
de leur famille, et il commet cette erreur plus grave
encore de comprendre dans les dépenses de production
non seulement le remplacement du capital et la com-
pensation des efforts, des sacrifices et des risques inhé-
rents à la production même, mais aussi le revenu de la
classe ouvrière, confondant ainsi le point de vue de l'en-
trepreneur, qui est celui de l'économie privée, avec celui
de la société, qui est propre à l'économie politique.
Marshall a le mérite d'avoir ajouté à la loi des revenus
décroissants une loi des revenus croissants [law of
increasing return), non remarquée par Ricardo, pnr
Malthus et par Stuart Mill, qui se vérifie dans les cas où
368 l'économie politique
l'augmentation de la demande provoque une intensité
plus grande dans les systèmes de production, qui rend
possible une plus large division du travail et conduit
(ce qui semble à première vue paradoxal) à une diminu-
tion du coût et du prix. Mais Marshall exagère beau-
coup, comme le remarque finement Pierson, le champ
d'application de cette loi, et il en tire des conséquences
très optimistes en matière d'augmentation de la popu-
lation, lorsqu'il affirme que la loi des revenus croissants
est toujours applicable à l'augmentation de capital et de
travail dans la production, tandis que ia nature reste
soumise à l'influence de la loi des revenus décroissants.
L'optimisme de Marshall n'a d'ailleurs rien de commun
ni avec celui des physiocrates, ni avec celui de Bastiat.
Ses vues sur la question ouvrière, sur la diversité des
causes qui règlent la demande de tra\ail et la demande
de produits, et sur les conditions et les limites de l'inter-
vention de l'Etat pour protéger les intérêts des cla.sses
moins aisées, sont, à tous les points de vue. recomman-
dables et également éloignées des exagérations du so-
cialisme et de celles de 1 individualisme. Ce n est certes
pas chez Mill, Cairnes, .levons et Marshall qu'on retrouve
les caractéristiques de convention de l'école de Man-
chester, souvent supposées, pour des besoins de la polé-
mique, là où elles n^existent pas.
Un seul écrivain, éminent à beaucoup d'égards mais
excentrique souvent, Spencer, représente en Angle-
terre les théories des individualistes doctrinaires : mitis
il ne faut pas oui)licr que Spencer The man versus
the state, ISSôi appuie sa protestation ffo.v clnmaiitis
in déserta dit spirituellement Cohn sur des arguments
que le plus grand nombre des libéraux ab.solus ne
voudraient certes pas s'approprier, notamment sur un
argument donné dans sa Social statics (1850), avant
Darwin par conséquent, exprimant la crainte que
EN ANGLETERRE 369
l'intervention de l'Etat en faveur des faibles ne trouble
la loi du progrès qui veut le triomphe des plus habiles,
c'est-à-dire des plus forts ! Il faut ajouter qu'un illustre
savant naturaliste, Huxley, a répondu à Spencer ; il a
rectifié l'idée de la lutte pour l'existence et noblement
protesté contre la barbare application littérale qui en
est faite aux phénomènes sociaux {The Nineteenth
Century, Février 1888).
L'université de Cambridge compte encore parmi ses
professeurs un éminent philosophe, Henri Sidgwick. 11
est l'auteur d'une critique très appréciée des différents
systèmes de morale {The methods of ethics, 187'i.-
4*édit., 1890)et d'un traité d'économie politique, précédé
d'une belle introduction qui contient des observations
très fines sur les méthodes ; les deux premiers livres
sont consacrés à la science et le dernier à Tart. La valeur
des deux parties de l'œuvre de Sidgwick, insuffisam-
ment appréciée par Ingram et par Gohn, est en vérité
un peu différente. La première partie contient un
exposé, souvent abstrus, de l'économie théorique ; l'au-
teur y soumet à des critiques, dont l'importance n'égale
pas toujours la subtilité, les théories communément
acceptées. Ainsi, par exemple, ses chapitres sur la
valeur et les échanges internationaux sont obscurs, et
l'idée qu'il se fait de la richesse et en particulier de la
monnaie, qu'il étend aux titres de banque, est trop
large ; il a fait quelques observations ingénieuses sur
les monopoles et consacré un bon chapitre aux variations
temporaires et locales de la répartition ; il a distingué
avec raison, mais cela n'a pas grande importance, la
coutume de l'habitude. La partie la meilleure du traité
de Sidgwick est celie qui concerne l'économie appliquée
(III* livre). Il examine, au point de vue moral et juri-
dique, avec une grande hauteur de vues, une méthode
rigoureuse et une sereine impartialité, les questions
24
370 l'économie politique
d'intervention de l'Etat dans la production et dans la
distribution des richesses. On y trouve une critique
impartiale du communisme et du socialisme contempo-
rain et un bon chapitre sur les rapports de l'économie
et de la morale. Sidgwick a repris ces sujets dans le
savant ouvrage qu'il a récemment publié sur la théorie
de la politique; il a répété, abrégé ou corrigé ce qu'il
avait écrit antérieurement sur ce sujet.
H. Sidgwick, The principles of poUtical economy.
London, 1883. -2« édit., 1887. — The éléments of
poliiics, 1891.
Les récents progrès de l'économie politique ont trouvé
des vulgarisateurs habiles qui ont assumé la tâche dif-
ficile et ingrate d'en exposer les principaux résultats dans
des œuvres élémentaires. C'est ce qu'ont fait E.Cannan
[Elementary poUtlcal ecoûom.y, 1888), J. E. Symes(A
short text-hooli of polituzal ecoiomy, 1888), et E. C. K.
donner [PoUtical economy, 1888).
Les deux jeunes professeurs, Joseph Shield Nichol-
son, de l'Université d'Edimbourg, et François Bastable,
do l'Université de Dublin, collaborateurs de la neuvième
édition de V Encyclopaedia Britannica, ont publié, en
dehors des ouvrages déjà cités, quelques monographies
qui montrent leurs aptitudes scientifiques et, en parti-
culier, la bonté de la méthode, la sûreté de la doctrine
et la netteté de leur style. Bastable est spécialement
connu par la révision soignée qu'il a faite de la
théorie des changes internationaux et par sa savante
Science des finances ; Nicholson, par ses études sur
l'influence des machines sur les salaires, par un élé-
gant petit ouvrage sur la question agraire, remar-
quable par ses sagaces observations sur les limites
d'application de la théorie de la rente, et enfin par un
EN ANGLETERRE 371
grand traité d'économie, riche de développements his-
toriques.
G. F. Bastable, The iheory of international trade.
Dublin, 1887. — Public finance, 1892.
J. S. Nicholson, The effects of machiner y on wages.
Cambridge, 1878.-2* édit., 1892. — TenanVs gain
not landlord's loss, Edinburgh, 1883. — Principles
of'political economy, 1893-94. Deux volumes.
Ce que nous avons dit suffît à démontrer que, dans
ces dernières années, les économistes anglais ont
donné de nouvelles preuves de leur valeur théorique,
de leur exquis sens pratique, et de leur sage aversion
pour les questions purement verbales, et qu'ils ont
également cessé de ne pas tenir compte, selon la tra-
dition, des ouvrages étrangers ; par l'étude des meil-
leurs auteurs étrangers, ils ont élargi leur horizon,
par des recherches historiques et statistiques, ils se sont
habitués au maniement des méthodes les plus propres
aux diverses parties de l'économie, et ils ont montré
que, pour les écrivains vraiment originaux, la diversité
des opinions est plus apparente que réelle, comme cela
résulte de la méthodologie de Keynes.
Pour prouver que les Anglais, non seulement con-
servent mais accroissent l'ancienne renommée de leur
primauté économique, nous rapjjellerons que, dans
l'année 1891, de laborieux savants ont commencé la
publication de deux revues spéciales et d'un excellent
dictionnaire. Les revues générales déjà citées ne suffi-
saient plus, et il fallait un autre Dictionnaire à côté de
celui de Macleod (Vol. I, London, 1863), resté inachevé
et consacré presque exclusivement aux questions de
crédit, que ce savant et ingénieux auteur, comme on le
.^ait, a traitées dans de volumineux ouvrages et résu-
372
L ÉCONOMIE POLITIQUE EN ANGLETERRE
mées dans son Economies for beginners, 1878.-2" édit.,
1880.
The Economie Review, 1891. — The Economie Journal
^Dirigé par Edgeworth), 1891. — R. H. Inglis Pal-
grave, Diclionary of poUtical economy, 1891 et
suiv.
CHAPITRE X
L'ÉCONOMIE POLITIQUE EN FRANCE
La France peut, même dans ce siècle, se glorifier
d'avoir eu dans Sismondi, Cournot, Dupuit, Dunoyer,
Bastiat, Chevalier, Cherbuliez, Le Play, Courcelle-Se-
neuil, d'illustres représentants de tous les courants
théoriques et pratiques de l'économie politique. Elle a
encore en De Parieu, Block, Levasseur, Léon Say, Le-
roy-Beaulieu, de Molinari, Frédéric Passy, de Foville,
Gide, Périn, Brants, Cheysson, Jannet, des écono-
mistes dignes, à plus d'un titre, d'être pris en grande
considération. Cependant on ne peut pas nier que l'éco-
nomie politique, particulièrement la science pure, qui
a toujours été impopulaire en France et tenue tout au
plus pour une « littérature ennuyeuse », n'a plus depuis
longtemps l'estime des savants, et qu'elle se trouve
dans des conditions peu favorables, si on la compare à
la position élevée qu'elle conserve en Angleterre et
même aux progrès qu'elle a faits en Allemagne^ et
qu'elle fait en Autriche, en Italie et aux Etats-Unis.
Plusieurs causes ont contribué à cette décadence
intellectuelle, et, en premier lieu, le petit nombre de
chaires d'économie politique. Elle n'est enseignée, en
effet, que dans quelques écoles spéciales, au Conserva-
toire des Arts-et-Métiers, à l'école des Ponts-et-Chaus-
sées, et plus récemment à l'école des hautes- études
commerciales, à l'école libre des sciences politiques, ou,
comme matière de pur luxe, dans un établissement
374 l'économie politique
comme le Collège de France qui ne confère pas de
grades académiques et n'a pas d'auditoire régulier et
constant, mais où, cependant, ont professé des hommes
de grand mérite, comme Say, Rossi, Chevalier, Bau-
drillart, actuellement Levasseur et Leroy- Beaulieu. Ce
n'est que tout dernièrement que l'économie est deve-
nue une matière, d'abord libre, puis obligatoire, dans
les Facultés de droit (et même dans les Instituts profes-
sionnels) et qu'elle a été l'occasion de la publication de
cours et de résumés par Batbie, Cauwès, Beauregard,
professeurs à la Faculté de droit de Paris, Alfred Jour-
dan, professeur à Aix et à Marseille, et par Villey, Rozy,
Worms, Rambaud, etc.
A. Batbie, Nouveau cours d'économie politique. Paris,
1866. 2 vol. — P. Cauwès, Cours d'économie poli-
tique, 3« édit., 1892-1893, 4 vol. — P. Beauregard,
Eléments tC économie politique, 1890. — A. Jourdan,
Cours analytique d' économie politique, 1885. -2« édit.,
1893. — J. Rambaud, Traité élémentaire et rai-
sonné d'économie politique, 1892.
Le progrès et la diffusion de l'économie ont été égale-
ment empêchés par la guerre que lui firent d'une façon
continue les industriels protectionnistes, appuyés par
l'opinion publique, les sphères gouvernementales et les
majorités des assemblées délibérantes, et même par
beaucoup d^écrivains, dont quelques-uns sont des hom-
mes de valeur comme Cauwès, Gouraud {Essai sur la
liberté du commerce, 1854), Richelot, traducteur de
List et admirateur de Macleod {Une Révolution en éco-
nomie politique), Dumesnil-Marigny (Les libre-échan-
gistes et les protectionistes conciliés, 1860), etc. Les
libre-échangistes français, il faut bien le dire, s'appuient
sur des arguments trop génériques et ils n'ont aucun
.souci des précédents historiques et des conditions locales,
EN FRANCE 6 lu
dont tiennent justement compte leurs principaux adver-
saires.
Mais la cause principale de la décadence des études
économiques, dont se plaint éloquemment Léon Say
{Le socialisme d'état, 1884, p. 208), est dans le dé-
bordement des doctrines socialistes, qui trouvent un
accueil facile auprès de la classe ouvrière et un terrain
tout préparé par les tendances usurpatrices de la
bureaucratie ; l'opposition qu'elles rencontrent dans
l'individualisme extrême et dans l'optimisme intransi-
geant de l'école officielle, qui oppose des erreurs théo-
riques aux propositions inconsidérées de ses adversaires,
ne suffît pas à en empêcher la diffusion. Et, en effet,
l'école française s'est éloignée, sauf de rares exceptions,
de l'école anglaise, et elle a sacrifié la science à l'art ;
elle a repoussé les théories de Malthus et de Ricardo
qui, en Angleterre, avaient été corrigées et mieux for-
mulées, et considéré le « laissez-faire » comme un
dogme rationnel et non pas, ce qu'il est réellement,
comme une règle d'art ; elle a fait de la science la gar-
dienne intéressée de l'organisation économique exis-
tante, et s'est opposée non seulement à l'ingérence
bienfaisante ou dangereuse de l'Etat, mais même aux
plus légitimes manifestations de la liberté, lorsque
celle-ci, par la formation de groupes sociaux spontanés
et autonomes, vient en aide à la faiblesse de l'ouvrier
isolé et sans ressources devant la force débordante de
l'entrepreneur capitaliste. L'exclusivisme de cette école,
maîtresse du. Journal des économistes {[8 'i^), dirigé
par de Molinari, de l'Economiste français, dirigé par
Leroy-Beaulieu (1873), et du M onde économique, dirigé
par Beauregard (1881), largement dotée grâce aux
abondantes ressources que l'Académie des sciences
morales et politiques peut consacrer aux prix qu'elle
distribue (les sujets étant toujours traités d'après les
376 l'économie politique
opinions bien connues des juges), et soutenue aussi
par les réunions mensueltes de la Société d'économie
politiciue et par les publications de la maison Guil-
laumin, a éié décrit par le meilleur des économistes
dissidents , Gide , avec des couleurs peut-être trop
vives (comme le remarque le professeur hollandais
D'Aulnis), mais ne s'éloignant pas, en somme, de la
vérité. Nous trouvons donc en France ce type d'éco-
nomiste orthodoxe^ dont Técole aujourd'hui domi-
nante en Allemagne nous esquisse continuellement
les traits, en les appliquant à tort aux écrivains anglais
et en oubliant qu'elle est elle-même d'un exclusivisme
non moindre, mais dans une autre direction.
A. de Foville, The économie movement in France (in
Quartcrly Journal of Economies. Boston, janvier
1890, pag. 222-232). — Ch. Gide, The économie
schools, etc., in France (in Poliiieal Science Quar-
tcrly. New-York, 1890. Vol. V, pag. 603-635).
^" 1. — l'école classique
Les remarques précédentes sur la tendance générale
des recherches économiques ne sont pas contredites
par ce fait que nous trouvons en France quelques écono-
mistes d'un rare mérite, qui ont suivi complètement ou
ne se sont que peu écartés des doctrines et de la méthode
des économistes anglais ; ils constituent une minorité
notable, mais rien de plus. A cette minorité appartien-
nent Pellegrino Rossi , Michel Chevalier, Antoine
Elisée Cherbuliez, Joseph Garnier, et, en partie seu-
lement, Courcelle-Seneuil et Block ; trois de ces auteurs
seulement sont Français de naissance.
Pellegrino Rossi, né à Carrara en 1787 et assassiné à
Rome en 1848, se fît connaître, pendant son exil en
EN FRANCE 377
Suisse, comme criminaliste ; appelé en France en 1833,
il succéda à Say dan« la chaire d'économie politique,
qu'il occupa très brillamment, pour entrer quelques
années plus tard dans la carrière diplomatique. Rossi
contribua, par ses leçons, publiées en grande partie après
sa mort, à faire connaître les doctrines de Malthus et de
Ricardo, qu'il exposa avec beaucoup de compétence et
de clarté, mais avec peu d'originalité ; il a cependant
mis en lumière l'importance de la valeur d'usage, que
les anglais avaient un peu négligée, et la distinction
entre la science et l'art, qu'il avait empruntée à Senior.
Michel Chevalier (1806-1879) lui succéda dans sa
chaire en 1840. Ancien Saint-Simonien, directeur du
Globe, ingénieur de mérite, brillant écrivain, très
habile dans le maniement des chiffres, il suivit une
direction différente de Rossi, parce qu'il s'occupa
beaucoup plus de l'économie appliquée , que des
théorèmes de l'économie rationnelle ; il a étudié dans
son cours les moyens de transport, et, en particu-
lier, les chemins de fer (vol. I et II), dont il a été le
promoteur très zélé, et mieux encore la monnaie. Il a
d'ailleurs consacré à ce dernier sujet d'autres mono-
graphies ; il avait soutenu contre Léon Faucher que
la baisse de la valeur de l'or, provenant de la décou-
verte des mines de la Californie et des placers de
l'Australie, aurait des conséquences beaucoup plus
graves que celles qui ont eu lieu en réalité (De la
haïsse probable de l'or, 1858). Partisan ardent du libre
échange, il le défendit dans son Examen du système
commercial connu sous le nom de système protec-
teur (2^ édit., 1853), et il fut, avec Cobden, le négocia-
teur heureux du traité de commerce de 1860. Il a parlé
impartialement en 1848 des questions ouvrières, tout en
attaquant, dans le Joii7'?2ai des Débats, le socialisme par
ses Lettres sur l'organisation du travail ; il soutint
378 l'économie politique
contre son émule Louis Wolowski (1810-1876), d'origine
polonaise, beau-frère de Faucher, et vaillant défenseur
du bimétallisme [L'or et Vargent, 1870) et de l'unité
d'émission (La question des banques, 1864), l'étalon
unique d'or, avec De Parieu et avec Levasseur (La
question de L'or, 1858); il défendit également les
théories bancaires de l'école de Tooke et de Fullarton.
Partisan des expositions internationales, il a essayé de
créer, mais sans résultats notables, à l'occasion de
celle de Londres de :!862, une agitation contre les
brevets d'invention ; plus tard il a résumé ses arguments
dans un opuscule intitulé Les brevets d'invention
(1878). lia écrit pour l'exposition de 1867 une classique
introduction aux rapports des jurys, et, presque en
même temps, un mémoire contre l'octroi {L'industrie
et Voctroi de Paris, 1867).
P. Rossi, Cours iVéconomie politique. Vol. I-II. Paris,
1840-41. Vol. III-IV {-posthumes) 1851-54. — Mé-
langes d'économie politique, 1857. 2 vol. — Œuvres
complètes, 1865 et suiv. Dix volumes. — Cfr. L.
Reybaud, Economistes modernes, 1862, pp. 371-439.
M. Chevalier, Cours d'économie politique. Vol. I-IIÏ.
1842-1850. 3 vol. - 2« édit., 1855-1866. — V. l'ar-
ticle de P. Leroy-Beaulieu dans le Nouveau Dic-
tionnaire d'économie politique. Vol. I, 1890, pp. 410-
416.
C'est sous l'influence presque exclusive de Say,
de Rossi et de Chevalier que Joseph Garnier (1813-
1881) a écrit en 1845 ses Éléments d'économie poli-
tique. Il est un des fondateurs, et . il a été pendant
longtemps le rédacteur en chef du Journal des Econo-
mistes, de VJinnuaire de V économie politique \ il est
l'auteur de très nombreux travaux, énumérés avec soin
par Lippert. Dans les éditions ultérieures et sous le nou-
veau titre de Traité, les « Éléments» de Garnier, aux-
EN FRANGE 379
quels se joignirent d'autres volumes complémentaires
sur les finances et sur la population, devinrent un réper-
toire très érudit, mais peu profond, des études économi-
ques, que l'on peut mettre en parallèle avec le Diction-
naire d'économie politique {[Sbi-iSo^, '2 \o\.), édité par
Guillaumin et dirigé par Charles Coquelin [m. 1853),
l'auteur du brillant ouvrage Du crédit et des banques
(18 '18, -3^édit., 1875), avec la collaboration d'un grand
nombre de spécialistes, dictionnaire qui a été pendant
longtemps un modèle incomparable d'encyclopédie éco-
nomique.
Jos. Garnier, Traité d'économie politique , 1860. -9<= édit.,
1889. — Du Principe dépopulation, 1857.-2^ édit.,
1885. — Notes et petits traités, 1858.-2« édit., 1865.
— Eléments de finances, 1862. Puis sous le titre
de Traité, 4« édit., 1882. — Cfr. J. .T. Garnier, Bio-
graphie de l'économiste Jos. Garnier. Turin, 1881,
et l'article de Lippert dans le Handworferhuch
der Staatswissenschaften. Vol. III. Jena, 1891, pp.
699-702.
Le plus illustre parmi ceux qui ont étudié la science
pure, fidèle aux doctrines de l'école cla.ssique, a été le
genevois Antoine Elisée Cherbuliez (1797-1869), pro-
fesseur de droit à Genève en 1833, d'économie en 1835,
puis membre du Grand Conseil jusqu'ert 1848. Il émi-
gra en France et y resta jusqu'au coup d'État ; revenu
dans sa patrie, il fut professeur en 1853 à l'Académie de
Lausanne, puis, dans les dernières années de sa vie,
au Politechnicon de Zurich. Républicain conservateur,
il est l'auteur de deux ouvrages politiques célèbres; il
a écrit plusieurs articles dans la Bibliothèque univer-
selle, dans le Journal des Economistes et dans le Dic-
tionnaire de Coquelin, sur des questions théoriques et
contre le socialisme, une monographie sur les causes de
la misère, dans laquelle il défend chaleureusement le
380 l'économie politique
patronage, et enfin un traité d'économie qui présente
beaucoup de points de contact avec les Principes de
Mill, auxquels il est supérieur, sous certains rapports,
pour la cohérence des principes, pour la distinction
rigoureuse des vérités de la science et des règles de
l'art, pour l'harmonie des différentes parties et pour la
connaissance plus large de la littérature économique.
Il faut remarquer, comme signe des temps, que le nom
de Cherbuliez et celui de Cournot ne figurent pas dans
\q Nouveau dictionnaire d'économie j^olitique dirigé
par L. Say et Joseph Chailley (Paris, 18!i0-i892,
2 vol.), et que le traité de Cherbuliez, que nous avons
signalé en 1876 comme le meilleur de tous ceux qui
ont été écrits en français, n'a eu qu'une seule édition et
n'a été traduit qu'en italien!
A. E. CherbuHez, Théorie des garanties conslituiion-
nelles. Paris, 1838, 2 vol. — De la démocratie en
Suisse, 1843. 2 vol. — Simples notions de l'ordre
social, 1848.-2» édit., 1884. — Etudes sur les causes
de la misère, 1853. — Précis de lu science écono-
mique et de ses principales applications. Paris, 1862.
2 vol. — Cfr. E. Rambert, A. E. Cherbuliez [Bi-
bliothèque universelle. Genève, 1870. Tomes 38 et
39).
Parmi les économistes qui forment pour ainsi dire le
passage entre l'école classique et celle des optimistes, il
faut signaler, pour leur talent et leur merveilleuse acti-
vité scientifique, Courcelle-Seneuil et Block. Léon Say
jouit également d'une grande autorité, et parce qu'il
porte dignement un nom illustre, et parce qu'il a dirigé
avec habileté et prudence une des plus ardues opéra-
tions de change de notre temps, le payement de l'in-
demnité de cinq milliards, et aussi parce qu'il est l'au-
teur d'ouvrages modérés dans le fond et élégants dans
la forme. Il a traduit la Théorie des changes étrangers
, EN FRANGE 38 J
de Goschen (2* édit. franc. 1875); nous mentionnerons
uniquement, en dehors de son volume déjà cité sur
le Socialisme cV Etat, Les solutions démocratiques de
la question des impôts (1866) et le grandiose Dic-
tionnaire des finances (1887 et suiv.), dont il dirige la
publication.
Jean Gustave Courcelîe-Seneuil (1813-1892 , négo-
ciant, journaliste, professeur d'économie à Santiago
(Chili), de 1853 à 1863, conseiller d'Etat en 1879, a écrit
de nombreux ouvragés de philosophie, de droit, de
politique, de comptabilité, de mérite divers, mais il s'est
occupé plus spécialement d'économie industrielle et
d'économie politique, et en particulier des banques et
du socialisme. Il a traduit avec Dussard les Principes
de Stuart Mill, et publié, en suivant en grande partie
cet ouvrage, un traité qui est digne de beaucoup d'élo-
ges par la bonté de sa méthode, la distinction suffisam-
ment exacte entre la science et l'art, le parallèle très
soigné entre les deux systèmes économiques de la con-
currence et de l'autorité, par ses comparaisons entre
les institutions juridiques et les phénomènes économi-
ques, et pour quelques développements intéressants sur
l'émigration et les colonies, considérées spécialement
dans leurs relations avec les conditions des sociétés
hispano-américaines.
J. G. Courcelle-Seneuil, Traité théorique et pratique
des opérations de banque. 1853. - 6"^ édit., 1876. —
La banque libre, 1867. — Liberté et socialisme,
1868. — Traité théorique et pratique d'économie
politique, 1858-1859.2 vol. -3"= édit., 1891.— Traité
sommaire d'économie politique, 1865.
Maurice Block (né en 1816 de parents allemands) est
l'auteur de nombreux ouvrages de statistique thi'orique
et appliquée, directeur du Dictionnaire général de la
382 l'économie politique
politique (1862-64), du Dictioîinaire de Vacbninistra-
tion française (1855-1 856,- 3'' édit., 1891), collaborateur
d'un grand nombre de revues, même de revues alle-
mandes et anglaises ; familier avec presque toutes les
langues de l'Europe et la littérature économique uni-
verselle, dont il fait des compte-rendus, depuis plus de
quarante ans, dans le Journal des Economistes^ avec
beaucoup de soin et avec beaucoup de brio, il a ainsi
préparé les matériaux qui lui ont servi pour son œuvre
bistorico-critique sur les Progrès de la science écono-
mique depuis Smith, dans laquelle il a eu de multiples
occasions de critiquer l'école allemande moderne et de
faire l'éloge de Técole autricliienne.
M. Block. Les progrès df la science économique depuis
Ad. 5OT///*.Paris,1890; -'inédit., 1897.2 vol. — Pe/<7
manuel d' économie poli liq ne , 1873. -8<= édil., 1880. —
Les théoriciens du socialisme en Allemagne, 1873.
,^ 2. LES OPTIMISTES.
Bien qu'elle ne soit pas en contradiction ouverte avec
les auteurs indiqués ci-dessus, la nombreuse pbalange
des écrivains qui suit les idées défendues dans l'ensei-
gnement, dans les académies, et dans les principales
revues, professe d'une façon plus marquée les tbéories
de l'optimisme en matière d'économie sociale, celles de
l'individualisme à l'égard de la politique économique, et
celles du quiétisme au sujet delà question ouvrière. Elle
a son précurseur dans Dunoyer, son chef dans Bas-
tiat, et elle compte, parmi les auteurs vivants, un parti-
san brillant et batailleur dans De Molinari, et un repré-
sentant savant, judicieux et modéré dans P. Leroy-
Beaulieu ; il faut mentionner encore Levasseur. Fré-
déric Passy et un petit nombre d'autres économistes.
EN FRANCE 383
Charles Dunoyer (1786-1862), journaliste courai^reux
pendant la Restauration, préfet et plus tard conseiller
d'État sous Louis-Philippe, estundisciplefîdèle, mais un
interprète quelquefois inexact de la théorie de Malthus.
Il commença en 1825 et il termina en 1830, sous le
titre de Nouveau traité d'économie sociale, une
œuvre dont les exemplaires ont été détruits par un
incendie, qu'il a refaite pour la troisième fois, avec de
plus grands développements, en 1845, et dont il a
résumé les principes fondamentaux dans l'article Pro-
duction inséré dans le Dictionnaire de Coquelin
(vol. IL pp. 439-450). Dunoyer s'est occupé avec beau-
coup d'originalité de la liberté économique, non seule-
ment dans ses applications les plus variées, mais aussi
dans ses relations avec tous les autres facteurs du pro-
grès économique, intellectuel et moral. Sa classifica-
tion des industries, acceptée par beaucoup d'écono-
mistes, et sa théorie des industries personnelles, dans
laquelle il a résumé toute la théorie des produits imma-
tériels, déjà exposée en partie par Say et par Storch, a
servi, plutôt par les polémiques auxquelles elle a donné
lieu que par son contenu positif, à rectifier quelques
points de la théorie de la production. Dunoyer a été
moins heureux avec sa conception du travail comme
unique facteur productif, et avec sa théorie du concours
gratuit des éléments naturels, qui l'ont amené à nier
la rente territoriale, devançant ainsi les théories soute-
nues par Carey en Amérique et plus tard par Bastiat,
(jui s'est reconnu plus ou moins explicitement leur
élève.
Ch. Dunoyer, De la liberté du travail, 1845. 3 vol. —
Notices d'économie sociale, 1870. — Œinres, 1885-
1886. 4 vol. — Cfr. F. Ferrara, dans le vol. VII,
série 2'' de la Biblioleca deW economista. Tarin,
1859. pp. v-XLix. ,
384 l'économie politique
Frédéric Bastiat est né à Bayoïine en 1801 ; pro-
priétaire foncier à Mugron, il s'est occupé, dans le silence
de son domaine, de littérature, de beaux-arts et d'éco-
nomie politique, enlisant les ouvrages de Smith, Say,
et en particulier ceux de Charles Comte, de Dunoyer
et de Carey. Sa carrière scientifique n'a duré que de
1844 à 1850 ; il est mort de consomption à Rome en 1850.
Bastiat a été un philanthrope sincère et un ferme
champion de la liberté économique, qu'il a défendue
contre les assauts des protectionnistes et, spécialement
après 1848, contre ceux des socialistes, notamment dans
ses deux célèbres brochures Capital et rente (1849)
et Gratuité du crédit (1850), dirigées contre Prou-
dhon et Chevé, qui défendaient le crédit gratuit. Ses So-
phismes économiques (l845-1847)sont un chef d'œavre
de bon sens et de logique ; il y réduit à l'absurde,
(par exemple, par la fameuse pétition des marchands
de chandelles), les principaux arguments des protec-
tionnistes ; il montre que leurs théories, demandant la
spoliation en faveur des riches, se rattachent à celles
des socialistes qui la demandent à l'avantage des pau-
vres {Protectionnisme et communisme, 1849). Sa dé-
monstration serait inattaquable, si elle ne ressuscitait la
doctrine physiocratique du droit absolu à la liberté des
échanges et, partant, la négation des fonctions écono-
miques de ÏEtdit {L'Etat, etc. 1847) et s'il n'oubliait pas
complètement d'examiner les arguments favorables à
la protection temporaire des industries naissantes.
Bastiat a traduit les principaux discours deCobden, de
Bright, de Fox et des autres chefs de la Ligue de Man-
chester, qu'il a publiés en y joignant une magistrale
introduction (Cobden et la ligue, ou V agitation
anglaise pour la liberté des échanges, 1845). Il a été
moins heureux sur le terrain de la science pure, qu'il a
étudiée sur la fin de sa vie, dans le but de briser dans
EN FRANGE 385
les mains des socialistes les armes qui leur étaient
fournies par les « funestes théories » de Ricardo et de
Malthus. Ses idés sur la valeur, la rente, la population
(Propriété et spolmtlon, 1848. — Harmonies écono-
miques, 1850, - 2e édit. 1851) sont déduites de l'idée
physiocratique de l'ordre naturel, c'est-à-dire de l'idée
préconçue d'une harmonie fatale entre l'intérêt privé,
pourvu qu'il soit libre, et l'intérêt public, qu'il identifie
avec celui du consommateur, et qui conduit inévitable-
ment au progrès indéfini, cest-à-dire à l'augmentation
continue du bien-être général et à la diminution gra-
duelle des différences entre les diverses classes so-
ciales. Les principales bases de son fragile édifice théo-
rique sont: l'explication de la valeur comme le rapport
de deux services échangés, en prenant par une étrange
équivoque (signalée par A. Clément, FerraraetCairnes) le
mot service, tantôt comme équivalent de travail effectué,
tantôt comme synonyme d'utilité, ou de travail épargné;
la théorie (analogue à celle de Dunoyer et de Carey)
du concours gratuit de la nature dans la production, et
partant la négation de la rente, qui se confond avec
l'intérêt du capital employé à préparer et à améliorer
la terre ; enfin l'hypothétique loi de la distribution
(elle aussi énoncée par Carey), en vertu de laquelle, avec
le progrès de l'industrie, la part de produit qui va à
l'ouvrier augmente d'une façon absolue et d'une façon
relative, tandis que celle qui reste à l'entrepreneur
capitaliste augmente bien dans sa quantité totale, mais
diminue par rapport au salaire ; enfin ses étranges con-
tradictions sur la population, par lesquelles il combat à
plusieurs reprises la théorie de Malthus, qu'il accepte
dans d'autres parties de son volume sur les Harmonies.
Il est évident que la hâte extrême avec laquelle Bastiat
a compilé ses Harmonies, l'a empêché de faire l'ana-
lyse de certains phénomènes économiques avec la pro-
25
386 l'économie politique
fondeur dont il a donné des preuves dans son opuscule
célèbre Ce que Von voit et ce que Von ne voitpas .1850)
Fréd. Bastiat, Œuvres complètes, 2= édiL., 1862-1864
(réimprimées plusieurs fois). 7 vol.
Voiries travaux de De Fontenay, Paillottet, F. Passy,
De Foville, etc., mais spécialement l'essai de
François Ferrara dans le vol. XII de la Biblio-
leca delV Economista (1851), pp. v-glx, et celui
de J. E. Cairnes dans la FoitnUjhtly Revieic, Oc-
tobre 1860, réimprimé dans ses Essays (1873j.
L influence que Bastiat a exercée par la partie saine de
ses œuvres, qui contient la réfutation des sophismes
des protectionnistes et des socialistes, comme par la
partie évidemment inexacte sur la valeur et la distri-
bution des richesses, se manifeste moins dans las ou-
vrages de ses élèves que dans la tendance qui se
retrouve encore aujourd'hui chez la majorité des éco-
nomistes français et chez une notable minorité d'alle-
mands et d'italiens. L'influence immédiate de Bastiat
se constate chez quelques écrivains, parmi lesquels il
suffira de citer Martinelli {Harmonies et perturbations
sociales, 1853), Bénard {Les lois économiques, 1862),
R. De Fontenay {Du revenu foncier, 1854), qui a écrit
plus tard d'autres travaux dans lesquels il montre une
grande vigueur de raisonnement et, enfin, Frédéric
Passy, l'infatigable champion de la liberté et le promo-
teur ingénu et sympathique de la paix universelle
{Leçons d'économie politique, 1861. 2 vol. — Mélanges
économiques, etc.).
Gustave de Molinari est né à Liège en 1819 ; il a été
directeur de V Economiste belge (1855 à 1868) et depuis
1882 à\i Journal des Economistes ; c'est le champion le
plus estimé de l'individualisme ; écrivain fécond, parfois
pénétrant, souvent excentrique mais toujours brillant,
EN FRANGE 387
il s'est occupé de questions spéciales, comme de la pro-
priété, de l'esclavage, du commerce des grains, de la
monnaie, du crédit, des poids et mesures, et, sous diffé-
rents points de vue aussi, de l'ensemble des phénomènes
économiques ; il défend, sur l'incompétence de l'Etat
en matière économique, des doctrines que des juges
non suspects, comme par exemple de Foville, ont juste-
ment taxées d'exagération,
G. De Molinari, Cours iVéconomie politique. Paris,
1855-1863. 2 vol. — Questions cV économie politique.
Bru.xelles, 1861. 2 vol. — L'Evolution économique
au XfX° siècle. Paris, 1881. — Les lois naturelles
de l'économie politique, 1891. — Précis d'économie
politique et de morale, 1893.
Paul Leroy-Beaulieu, professeur au Collège de
France, comme son beau-père Michel Chevalier,
fort compétent en matière statistique, a débuté par de
bonnes monographies sur Yétat intellectuel et moral
des ouvriers (1868), sur la question ouvrière (1872,
'l" édit. 1882), sur le travail des femmes (1873), sur la
colonisation (1874,-4" édit. 1891), auxquels l'Aca-
démie des sciences morales et politiques a décerné
des prix. Cependant ses titres scientifiques les plus
sérieux sont le Traité de la science des finances, le
seul traité français qui rivalise, à certains points de vue,
avec les traités allemands, et ses trois longues études sur
la répartition des richesses, sur le collectivisme, et
sur les fonctions de l'Etat. Il ne partage pas les
opinions extrêmes de Spencer et de Molinari ; cepen-
dant, c'est un j^artisan du quiétisme économique, qui le
conduit à des solutions imparfaites et quelquefois fausses
de problèmes théorico-pratiques de grande importance.
Par exemple, il nie l'importance pratique de la théorie
de la rente de Ricardo et il n'accepte pas la théorie de
388 l'économie politique
Malthus, parce qu'elles sont contraires à sa foi dans
l'augmentation incessante du bien-être des classes
ouvrières ; il a de nombreux doutes sur la possibilité
d'application et sur les avantages de la participation
aux bénéfices et de la coopération. Cela ne fait pas
qu'il n'ait fourni quelques utiles contributions aux
progrès de la science par ses recherches sur le taux
de l'intérêt, par ses comparaisons très approfondies
entre les entreprises gouvernementales et celles qui sont
constituées par les sociétés anonymes, et par beaucoup
de bonnes observations sur les dangers de l'ingh^ence
économique de l'Etat lorsqu'il se fait le seul défen-
seur des faibles ; s'il exagère ces dangers, ses idées
sont cependant une digue contre les théories du" socia-
lisme d'Etat.
P. Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances.
Paris, 1877. 2 vol.-o« édit., 1892. — Essai sur la
répartition des richesses, ISSl.-S'' édit., 1888. —
Des causes qui influent sur le taux de l'intérêt (in
Mémoires de V Académie des sciences morales et po-
litiques. Tome XI, 1885j. — Précis d'économie
politique, 1888. — L'Etat moderne et ses fonctions.
1890. — Cfr. l'article de Pierson dans De E'-ono-
mist (septembre 1890, pp. 608-615).
Henri Baudrillart (1821-1892), philosophe, journa-
liste, suppléant de Chevalier dans la chaire d'économie
et prédécesseur de Levasseur dans celle d'histoire de
l'économie au Collège de France, s'est occupé spéciale-
ment des rapports des phénomènes économiques et des
lois de la morale. Parmi ses nombreuses publications il
faut signaler, en dehors d'un bon Manuel et d'autres œu-
vres déjà citées, sa belle histoire du luxe et ses savants
ouvrages sur l'état de l'agriculture française, publiés
par les soins de l'Académie des sciences morales et
politiques, supérieurs par leur importance à l'enquête
aAI
EN FRANCE 389
sur les conditions des manufactures faite par Louis
Reybaud, romancier et économiste (m. 1879), le très
célèbre historien des socialistes modernes.
H. Bauclrillart, Manuel d'économie polUiqiœ, 1857.
5® édit., 1883. — Histoire du luxe privé el public.
1878-1880. 4 vol. — Les populations agricoles de la
France, 1880-1885. 2 volumes.
L. Reybaud, Eludes sur le régime des manufactures.,
1859-1874. 4 vol.
Emile Levasseur (né en 1828) est l'auteur d'excel-
lentes monographies, ô.\vi\pvécis préférable à celui de
Baudrillart, mais surtout de très savants ouvrages
économico-historiques : il a publié un certain nombre
d'ouvrages de géographie et de statistique, et on lui doit
une œuvre classique sur la population en France.
E. Levasseur, Précis d'économie politique^ 1867.-
4* édil., 1883. — Histoire des classes ounrières en
France, etc., jusqu'à la Révolution, 1859. — His-
toire, etc., jusqu'à nos jours, 1867. — La population
française, etc. 1889-1892. Trois volumes.
§ 3. LES ÉCOLES DISSIDENTES
Ces écoles ont eu et ont encore en France, en Belgi-
que et en Suisse, d'illustres représentants, mais toutes
n'ont pas un nombre important de disciples. Sis-
mondi, Cournot, Auguste Comte, Le Play, Périn, et
quelques autres ont laissé, comme économistes ou
comme critiques de Téconomie, des traces profondes de
leur passage dans le sentier de la science.
On peut considérer comme des dissidents, sinon
tous, au moins quelques uns de ceux qui, appliquant
la méthode mathématique, sont arrivés à des consé-
390 l'économie politique
quences divergentes de celles de l'école classique et de
celles des optimistes. Nous citerons A. Cournot
(1801-1877), philosophe et mathématicien, qui a été le
premier à se servir de cette méthode avec compétence
dans ses Recherches sur les principes de la théorie
de la richesse (1838). Cournot s'est occupé de la valeur
et de la rente, notamment dans les cas de monopole,
et il a étudié l'influence des impôts sur les prix, et il est
ainsi arrivé à des résultats parfois imprévus dans la
théorie des échanges internationaux. Croyant plus tard
que l'usage des mathématiques avait nui à son livre
qui, en fait, passa inaperçu pendant plus de 25
ans, il y renonça complètement dans ses Prin-
cipes de la théorie des richesses (1863), et, dans le
résumé, en grande partie modifié, qu'il publia peu do
temps avant sa mort {Revue sommaire de la science
économique, 1877). Juvénal Dupuit, inspecteur géné-
ral des ponts et chaussées (1804-1866), s'éloigne moins
des doctrines courantes. Dans ses mémoires sur les
travaux publics il a parlé, lui aussi, de la théorie de la
valeur, et il a écrit un volume intéressant sur la liberté
commerciale, dans lequel il démontre que les pertur-
bations momentanées qu'elle peut amener ne diffèrent
pas de celles qui sont l'effet de l'introduction des
machines ou de tout autre perfectionnement indus-
triel. Parmi ceux qui se sont servi du calcul pour
résoudre des questions spéciales nous citerons Fauvcau.
Le chef de l'école mathématique est maintenant Léon
Walras, professeur à l'Université de Lausanne.
E. J. Dupuit, De la. mesure de VulilUê des travaux
publics (in Annales des fonis et chaussées, 2« série.
Tome VIII, 1844). — De l'influence des péages sur
l'ulililé des voies de communication. {Ibidem, 1849^
— La liberté commerciale, son principe, ses consé-
quences, 1861.
EN FRANGE 391
G. Faaveau, Considérations mathématiques sur la
théorie de Vimpôt, 1864! — Considérations mathé-
malhiques sur la théorie de la valeur (in Journal
des Economistes, 1867).
L. Walras, Eléments d'économie politique pure. Lau-
sanne et Paris, 1874-1877.-20 édit., 1889. — Théo-
rie mathématique de la richesse sociale, 1883.
L'école positiviste et en particulier son illustre chef
Auguste Comte, un ancien saint simonien (1797-1857),
s'est moins occupée de la réforme de l'économie poli-
tique que de sa négation comme science particulière des
phénomènes économiques, qu'elle considère comme
indissolublement unis à ceux de l'ordre intellectuel,
moral et politique. C'est à cette démonstration que
Comte a consacré notamment le quatrième volume de
son Cours de j)hilosophie positive, remarquable d'ail-
leurs à plus d'un titre. Sa classification des sciences
en physico- mathématiques, biologiques et sociolo-
giques, sa détermination des trois stades, théologique,
métaphysique et positif, sa distinction de la statique et
delà dynamique sociales, ses vues sur la considération
du caractère continu des phénomènes de la vie sociale,
ont exercé une notable influence non seulement sur
Harrison, Geddes, Ingram, mais aussi sur d'illustres
économistes qui, comme Mill, Cairnes, Marshall,
reconnaissent l'utilité d'une étude séparée des phéno-
mènes économiques.
Aug. Comte, Cours de philosophie positive. Paris, 1830-
1842. 6 vol.-4« édit., 1881. — Sys'ème de politique
positive, 1851-1854. 6 vol. -Nouvelle édition, 1880-
1883.
Littré, Comte et la philosophie positive, 1863. — Cairnes,
M. Comte and political economy. (In Forinightly
Reviens mai 1870, et dans ses Essays, 1873. — J.
K. Ingram, Uistory of political economy, 1888,
pp. 196-200.
392 l'économie politique
D'autres philosophes ont fait des incursions plus ou
moins heureuses dans le domaine économique. Am-
broise Clément a essayé de combiner, avec peu de succès
d'ailleurs, l'économie avec la morale et la politique
[Essai sur la, science sociale, 1868. 2 vol.) ; Secrétan,
professeur à Lausanne, annonce la fin du salariat;
Renouvier admet le droit au travail ; Fouillée, dans son
livre La propriété sociale et la démocratie, critique
le caractère trop absolu de la propriété foncière, et enfin
E.spinas dans son Histoire des doctrines économiques
(1891) fait des observations ingénieuses et intéressantes,
mais quelquefois inexactes, sur le caractère des diffé-
rentes époques et des divers systèmes, sans cependant
faire un examen minutieux et approfondi des théories,
notamment de celles des auteurs contemporains.
Des objections plus importantes ont été faites aux
optimistes par quelques écrivains de l'économie appli-
quée qui, malgré de notables différences dans la ten-
dance et dans les détails, sont cependant d'accord pour
combattre l'individualisme et le quiétisme de l'école
dominante et pour admettre la nécessité d'une réforme
sociale. Le précurseur de ce mouvement a été Sis-
mondi.
Jean Charles Léonard Sismonde de Sismondi (1773-
1842), illustre historien, littérateur, agronome, a dé-
fendu les doctrine."? courantes dans ses premières œuvres
(Tableau de l'agriculture toscane. Genève, 1801. —
De la. richesse commerciale, 1803. 2 vol.). mais il en
a fait une critique sévère dans ses Nouveaux principes
d'économie poUticiue , Ôû de la richesse dans ses
rapports avec la population (Paris, 1819. Deux vol.
2*^ édit. 1827), et aussi dans ses Etudes sur réconomie
politique (1837-1838. 2 vol.). Cedernier ouvrage e.st un
recueil d'essais sur l'agriculture, l'esclavage^Jes^ma-
nufaotures, le commerce, les monnaies et le crédit, les
EN FRANGE 393
colonies, la balance entre la production et la consomma-
tion, etc. Il combat quelques unes des doctrines de Smith,
de Say et de Ricardo, et oppose à leur cbrématistique,
qui s'occupe des richesses en oubliant l'homme qui les
produit, la véritable économie politique, qui étudie
l'intluence de la production et de la distribution sur le
bi^îT-êtreTTialériel du peuple. Frappé de la succession ra-
pide des^crises dérivant de l'e-xcès de la production, qui,
à son tour, est la conséquence de la division du travail,
des machines, de la formation des grandes entreprises
et en particulier de la concurrence effrénée, par l'effet
de laquelle les riches deviennent toujours plus riches et
les pauvres plus pauvres, Sismondi proclame la néces-
.sité de retourner à la petite culture, de restaurer la pe-
tite propriété et la petite industrie ; il pense, en outre,
que l'entrepreneur doit garantir la subsi.stance des ou-
vriers etque l'Etatdoit l'aider dans cette tâche. Sismondi ,
loin de combattre la liberté du commerce, ou de récla-
mer un changement, qu'il croit pernicieux , dans le
.système de répartition des produits, s'arrête à la critique
négative du régime industriel moderne et il se déclare
naïvement incapable d'en proposer un meilleur. Cela
suffît à expliquer son influence sur des écrivains qui,
tout en acceptant ses prémisses, en ont tiré les consé-
quences les plus diverses, c'est-à-dire, et sur les socia-
listes et sur les partisans des réformes partielles dans le
système actuel de production et de distribution des ri-
chesses. Ses théories eurent un savant interprète dans
Théodore Fix, allemand d'origine, qui fonda la Revue
mensuelle d'économie j^olitique 11833-1836. 5 vol.),
qui publia ensuite d'intéressantes Observations sur
Vétat des classes ouvrières {] S \(^) : elles ont inspiré
de nombreuses enquêtes privées sur lesl^onditions des
ouvriers^ et en particulier sur les abus dérivant du
travail des enfants, parmi lesquelles nous rappelons
394 l'économie politique
celle du médecin et philanthrope L. R. Villermé
[Tableau de l'état physique et moral des ouvriers,
1840. Deux vol.), et les brillants essais de Léon Faucher
(m. 1855' intitulés Etudes sur VAngletcj're (Paris,
1845. Deux vol.) ; elles onteu aussi une influence sur les
descriptions très exagérées d'Eugène Buret (La misère
des classes laborieuses en Angleterre et en France.
Paris, 1842. Deux vol.). Ai>x travaux de l'école de Sis-
mondi se rattachent, au moins pour partie, ceux de
quelques écrivains que Kautz qualifie assez heureuse-
ment de demi-socialistes, comme, par exemple, Villiaumé
[Nouveau traité d'économie politique, 1857. Deux
Yol.) et Auguste Ott, un disciple érudit de Bûchez [L'éco-
noniie j^olitique coordonnée au jyoint de vue du pro-
grès, 1851 ; récemment réimprimé).
Cfr. sur les doctrines de Sismondi, H. Eisenhart,
Gescliichte de)' Naiionalôkonomie. Jena, 1881, pp. 99-
117. — et mieux L. Elster, /. Ch. L. S. de Sis-
mondi,' in Jahrbûcher fur Naiionalôkonomie. Nou- *
velle série, vol. XIV (1887;, pp. 321-382.
Beaucoup plus utile a été l'œuvre de Frédéric Le
Play (1806-1882), camarade de Chevalier à l'Ecole po-
lyteclmique, inspecteur général des mines , savant
organisateur de plusieurs Expositions internationales,
en particulier de celle de 1867. Il a fait de nombreux et
périlleux voyages et institué, avec une singulière abné-
gation, des enquêtes personnelles sur le budget écono-
mique et sur les conditions. morales des familles^ ou-
vrières choisies par lui comme typiques dans les
différents pays et dans les diverses professions. Il a
publié les résultats de ces enquêtes dans deux grandes
œuvres, continuées par de zélés disciples, qui, dans les
dissussions de la Société d'économ.ie sociale de Paris, et
par la publication de La Réforme sociale (1881 et suiv.)
EN FRANCE 395
et de la Science sociaie (1876), s'efforcent de répandre
les idées du maître. Ennemi de lïndividualisme exagéré,
sans combattre cependant la libre concurrence, Le Play
veut guérir les plaies sociales par une restauration mo-
rale de Tautorité du père dans la famille, et de celle
de l'entrepreneur dans l'atelier, sans demander cepen-
dant le retour ni aux anciennes corporations, ni au ré-
gime patriarcal, auquel il oppose ce qu'il appelle la
famille-souche, qu'il voudrait rétablir par la liberté de
tester et par l'abolition des dispositions qui prescrivent
la division des terres entre les cohéritiers. Il a contribué
aux progrès de l'économie pure par ses recherches sur
la consommation et les différentes habitudes sociales,
étudiées par la méthode monographique, qui peut
être un utile complément, mais qui ne peut pas cepen-
dant (comme on le dit parfois) se substituer aux obser-
vations méthodiques et collectives de la statistique.
Parmi ses disciples il faut signaler Daire, Focillon, de
Ribbe, Guérin, mais, avant tout, l'éminent ingénieur
Emile Cheysson, professeur à l'Ecole des Mines et à
riCcole des Sciences politiques, l'organisateur de la sec-
tion d'économie sociale à l'Exposition de 1889, et l'au-
teur de nombreuses et excellentes monographies éco-
nomiques et statistiques, dans lesquelles il discute, avec
une rare compétence, les questions de méthode.
F. Le Play, Les ouvriers européens. Paris, 1855.
2« édit., 18T7^'87p. Six volumes. '^^^Zes ouvriers
des deux mondes, elc. 1858-1885. f" série. Cinq
vôllimésV S^série, 1886-1893. Trois volumes. —
La réforme sociale en France déduite de l'observa-
tion comparée des peuples européens, 1864. Deux
volumes (7" édit., 1887. Trois volumes). Son
œuvre théorique est résumée dans : L'organim-
tionda travail, 1810.-5" édit., 1888, et dans d'autres
ouvrages moins étendus.
Cl'r. sur Le Play les appréciations deV. BranLs,
396 l'économie politique
F. Le Play, dans la Revue catholique de Louvain
(1882). — Ch. de Ribbe, Le Play, d'après sa cor-
respondance. Paris, 1884. — A. Jannet, V Ecole
de Le Play. Genève, J890. — H. Higgs,F. Le Play,
dans le Quarterly Journal of Economies. (Boston,
juillet 1890,1.
Tandis que le Play, qui espérait voir se réaliser la
paix. sociale dans tous les pays de confession chrétienne,
cite seulement, bien que fervent catholique, les pré-
ceptes du Décalogue et ceux de l'Evangile qui en sont
le complément, il était bien naturel que naquit une
école qui, faisant un appel direct à la doctrine catholique,
mettrait en évidence le côté chrétien de l'économie
appliquée, et demanderait comme un complément
nécessaire de la liberté économique et des associations
spontanées d'ouvriers, le patronage des entrepreneurs
sous la direction plus ou moins immédiate de l'autorité
ecclésiastique. Cette école a son siège principal en
Belgique, et spécialement à l'Université catholique de
Louvain, qui fait antithèse à l'Université libre de
Bruxelles et aux Universités gouvernementales de Liège
et de Gand ; elle a aussi actuellement des repré.sentants
dans les facultés libres de droit de Paris, de Lyon, de
Lille et d'Angers.
Cette école est représentée en Allemagne par le
D'" G. Ratzinger (Die VolhsuùrtJLSchaft in ihren
slttlichen Gruyullagen, 1881J, en France par Charles
Périn. L'œuvre principale de ce dernier, traduite en
\ plusieurs langues, est intitulée De la, richesse dans les
' sociétés chrétiennes (Paris, 1861. Deux vol. - 3" édit.,
1883); il a également publié Les lois de la société
chrétienîie [181^-2" édit., 1876), Le socialisme chré-
tien (1878), L'économie politique cVaprès rEncycliciue
(1891). Il a aussi écrit une histoire de l'économie
moderne, malheureusement quelquefois partiale {Les
EN FRANGE 397
doctrines économiques depuis un siècle, 1880). Périn
a eu un digne successeur . à son enseignement dans
un esprit égal au sien mais qui lui est supérieur par
son érudition historique et par sa connaissance technique
des différentes doctrines, VictorJBrants, Excellent pro-
fesseur, il a poussé ses élèves aux études qui peuvent
tendre à l'amélioration de la condition des ouvriers. Il a_
débuté par un érudit Essai historique sur la condition
des classes ~ rurales en~~Bêïgîque (Louvain, 1880),
anquéî" se" rattache un bon travail de Vanderkindere.
Une fois nommé professeur, Brants a résumé,, dans
trois précieux petits volumes, les doctrines de l'école
catholique : Lois et méthodes de V économie politique
(Louvain, 1883. -S*" édit., 1887.), La lutte pour le pain
quotidien (1885.-'îs édit., 1888), La circulation des
hommes et des choses (1880.-2^ édit., 1892).
De bons précis, plus courts, sont dus à De Melz
Noblat,Ze.y lois économiques, 1861.- 2"= édit., 1880.
— F. Hervé-Bazin, Trailé élémentaire d'économie
politique, 1880. — Plus faible est le résumé des
doctrines de Le Play fait par Guillemenot, Essai
de science sociale, etc., 1884.
Nous devons citer, a côté de Brants, pour la valeur
et la modération de ses doctrines, Claudio Jannet,
d'abord magistrat, puis professeur à l'Institut catho-
lic[ue_dê__Paris. Il est l'auteur d'une œuvre remar-
quable sur les États-Unis [Les États-Unis contempo-
rains. 4^ édit., 1889. Deux vol.), d'un intéressant
recueil d'études dans lesquelles il combat le socialisme
à'Y^idii [Le socialisme cV État et taré forme sociale, {^Wj
et d'une monographie récente {Le capital, la spécu-
lation et la finance, 1892). Les doctrines de ces auteurs
peuvent se glorifier, en ce qui concerne leur appli-
cation aux questions ouvrières modernes, de l'appro-
398 l'économie politique
bation implicite du chef auguste de l'Église, qui, dans
l'Encyclique Rerum novarurii du 15 mai 1891, a dit
son opinion toujours autorisée, quoiqu'elle ne soit
obligatoire qu'en matière de dogme et de morale ; on
a eu quelquefois le tort de chercher dans l'^ncî/c/if^tie
co qui ne pouvait ni ne devait s'y trouver, un traité
d'économie politique.
Aux écrivains dont nous venons de parler s'oppose,
sinon en tout du moins en partie, un autre groupe de
zélés catholiques, dont quelques uns reçoivent leurs
inspirations de l'étranger et tendent la mam à l'école des
socialistes catholiques, dirigée pendant un temps par
Monseigneur Ketteler, évêque de Mayence (m, J8771 et
représentée parles Christlich-Sociale B Ihtter {ISQS);
d'autres au contraire ont reconnu dans le cardinal
Manning un chef savant et laborieux, favorable à-UH-e
large intervention de l'Etat dans la question ouvrière,
et qui avait applaudi au fameux manifeste du jeune
empereur d'Allemagne. Un dernier groupe, exclusive-
ment français, dont le chef est le fougueux orateur
comte de Mun, qui a pour organe V Association catho-
lique et pour champ d'action les Cercles catholiques
cVouvriers, demande la restauration des anciennes
corporations^d'arts et métiers. Le plus érudit champion"
de ce courant extrême, qui voit dans Périn un ami
trop zélé de la liberté, et qui voudrait rattacher, même
dans la science pure, l'économie à la morale, doit être
cherché hors de France :
»
Ch. S. Devas, Grounckvork of Economies. London,
1883. — PolUical economy, 1892.
Une dernière catégorie de dissidents de l'école
dominante, dont la qualité vaut mieux que la quantité,
est celle qu'on a l'habitude de désigner sous le nom
d'école nouvelle.
EN FRANCE 399
Les deux représentants les plus illustres de ce
groupe, dont les doctrines et les tendances sont
d'ailleurs différentes, sont le belge de Laveleye et le
français Gide.
Emile de Laveleye (1822-1892), professeur à Liège,
littérateur et publisciste, a écrit d'excellents essais. On
lui doit de bons travaux sur l'économie agraire en
Belgique, en Hollande, en Lombardie et en Suisse, et
un volume sur les crises commerciales (Le marché
inonétdiire et les crises, 1865); il a été un défenseur
infatigable mais exagéré du bimétallisme (La monnaie
et le bimétallisme international, 1891) ; il a collaboré
aux principales revues d'Europe et d'Amérique, et il a
acquis une renommée mondiale. Devenu partisan ardent
des nouvelles doctrines allemandes {Les tendances
nouvelles de V économie politique, in Revue des deux
inondes, 1875), il a résume les meilleures monogra-
phies anglaises et allemandes sur la propriété collective,
dont il a fait jusqu'à un certain point l'apologie (De /<-i
jyropriété et de ses formes primitives. 187 1-1"= édit.,
1891) ; enfin, ses Eléments d'économie politique
(1882 d'édit. 1891) montrent son peu d'aptitude à
parler des principes de la science pure, dont il ne
connaissait exactement ni l'objet, ni le but, ni la
méthode. (Cfr. notre article dans le Giornale degli
Economisti, Bologne, octobre 1891,et Gobletd'Aviella,
E. de Laveleye, 1895).
Charles Gide (né en 1847), professeur à la Faculté
de droit de Montpellier, le frère du regretté juriscon-
sulte Paul Gide, est d'un tout autre tempérament scien-
tifique. C'est un économiste éminent qui, comme
Cairnes et Jevons, doit être jugé moins .sur ce qu'il
voudrait être que sur ce qu'il est en réalité. AJ^ersaire
décidé des optimistes, partisan de la liberté sans être
idolâtre de la concurrence, Gide, si on ne tient pas
400 l'économie politique
compte de quelques propositions peu mesurées sur la
propriété foncière et de quelques prédictions exagérées
sur l'avenir des coopératives de consommation, qui
préparent, selon lui, le terrain aux coopératives de
production, doit être considéré comme un économiste
moins éloigné qu'il ne le pense de l'école classique,
qu'il attaque souvent, dailleurs d'une façon vague.
Son traité d'économie politique suffît à le prouver (le
meilleur précis à notre avis, comme celui de Cherbuliez
est le meilleur traité) ; il résume, avec compétence, les
doctrines modernes et entre autres la théorie de la
valeur de Jevons, qui ne diffère pas au fond de celle de
l'école austro-allemande. Gide, qui n'arrive à définir
la nouvelle école (allemande) que par une phrase à
effet en la qualifiant d'école de la solidarité opposée
à celles de la liberté, de l'autorité, de l'égalité, a le
mérite incontestable d'avoir créé un organe indépen-
dant de la pensée économique, qui peut compter sur un
bel avenir, malgré la conspiration du silence de ses
puissants adversaires.
Ch. Gide, Princii^es d'écotiomie politique. Paris, 1884.
5« édit., 1896.-Trad. anglaise, 1892. — L'école
nouvelle. Genève, 1890. — Revue d'économie poli-
tique. Paris, 1887 et suiv.
^ -i. — LES MONOGRAPHIES
S'il y a décadence dans les recherches de science
pure, le progrès fait par les français dans l'étude de
l'histoire peut nous servir de réconfort. En dehors des
œuvres classiques de Thierry, Taine, de Monteil, Gué-
rard, Leber, Mantellier, Bourquelot, notamment sur
les conditions et les institutions médiévales, nous avons
de remarquables monographies deFagniez, de Frignet,
EN FRANGE 401
la belle histoire de Pigeonneau (1885-1889) sur le com-
merce, et aussi les ouvrages de Poirson, de Ijoutaric,
et de quelques autres sur les institutions économiques
de certains rois, et, enfin, les histoires des classes
rurales de Delisle, Doniol, Dareste de la Chavanne,
Babeau et Villetard, le travail de Hanauer sur les con-
ditions économiques de TAlsace et celui de Mathieu
sur la Lorraine. Si la statistique moderne a été créée
par l'illustre belge Adolphe Quetelet (1796-1 874), Guerry
a été un maître dans la statistique morale, à laquelle Yver-
nès a consacré différents travaux, ainsi, d'ailleurs, qu'à la
démographie, qu'ont particulièrement étudiée Levasseur
et Bertillon. La statistique économique a été cultivée
par Moreau de Jonnès, Legoyt, et maintenant par Block,
déjà cité, et par l'éminent Alfred de Foville, l'auteur
de brillants articles sur les prix et de deux belles mo-
nographies sur les transports (La transformation des
moyens de transport, 1880) et sur le morcellement
du sol (Le morcellement, 1885), qui peut servir de
complément au livre de A. Legoyt, 1886.
De Franqueville (Du régime des travaux piihlics,
2°édit., 1870. Quatre vol.), Audiganne {Les chemins
de fer, 1858-1863. Deux vol.), Picard {Traité des che-
mins de fer, 1887. Quatre vol.), ont étudié, au point de
vue historique et dans leurs détails techniques, les tra-
vaux publics et en particulier les chemins de fer.
Dans l'économie agraire, en dehors de Baudrillart,
déjà cité, il faut mentionner l'éminent publiciste
HippolytePassy (1793-1880), auteur d'un petit volume,
qui n'a pas encore été dépassé, sur les systèmes de cul.
ture (2'=édit., 1852), Léonce de Lavergne (1809-1888),
justement loué par Cliffe Leslie {Fortnightly Review,
février 1881), auquel nous devons de savantes et élé-
gantes monographies. Essai sur l'économie rurale
de V Angleterre, de VEcosse et de l'Irlande (1854,
26
402 l'économie politique
5* édit., 1882); L'Agriculture et la jJOjDulation (1857,
2" édit., 1865); Economie rurale de la France {iSQi).
4^ édit., 1870), et enfin le belge Piret qui a commencé
une œuvre considérable, quoique mal proportionnée
{Traité d'économie rurale, 1889 et suiv, j, le comte de
Tourdonnet (Traité joratic^ue du métayage, 1882)
et ReroUe (Dit colonage partiaire, 1888) qui ont
étudié à fond le métayage, Cazeneuve (1889) ({ui
s'est occupé de la participation aux bénéfices dans les
entreprises rurales, et un grand nombre d'auteurs
qui ont écrit sur le crédit foncier et sur le crédit
agricole, etc., etc.
Sur les manufactures, il faut consulter les ouvrages
de Léon Faucher, de Verdeil, du belge Ducpétiaux, de
Charles Laboulaye, le frère de Fillustre Edouard Labou-
laye ; sur le crédit et sur les banques, Wolowski, Horn,
Juglar, l'auteur d'un beau volume sur les Crises com-
merciales (2" édit., 1889), Courtois fils, qui a écrit
l'histoire de la banque de France; parmi les nombreux
ouvrages sur le libre-échange, rappelons celui d'Ame
(Etude sur les tarifs des douanes, 1876. Deux vol.) ; sur
la population, Bertheau (1892) ; sur l'assistance, qui a
été étudiée dans un grand nombre de livres remar-
quables, l'ouvrage classique La charité légale, ses
causes et ses effets (1836), bien que sa critique de la
charité publique soit trop absolue, a pour auteur le
genevois F. Naville (1784-1836) ; le grand ouvrage de
de Gérando [De la bienfaisance jniblique, 1839. 4 vol.)
étudie surtout les questions d'administration, il n'est
vieilli que pour certaines de ses parties (Cfr. Ch. Gra-
nier. Essai de bibliographie charitable, 1891).
Il existe également un grand nombre de monogra-
phies sur les salaires, les syndicats, les sociétés de pré-
voyance, les coopératives; c'est ce que prouvent les Qpu-
vres de Simon, Beauregard, Crouzel, L. Smith, Laurent,
EN FRANCE 403
De Malarce, Lafitte, Véron, Penot, Rouillet, Abrial,
Batbie, Bûchez, Feugiieray, Lemercier, Ch. Plobert,
Le Rousseau, Fougerousse, Gibon, etc. dont les œuvres
sont indiquées dans nos Primi elementi d'economia
sociale (lO^édit., 1895; trad. franc. Paris, 1889).
Sur les finances, (en dehors du Traité de Leroy-
Beaulieu et du Dictionnaire de Léon Say), la première
place appartient au savant ouvrage d'Esquirou de Pa-
rieu {Traité des impôts^ etc. Paris, 1862-64. Cinq vol.
2e édit., 1866-67), qui n'a pas d'égal dans la littérature
des autres pays. On doit aussi mentionner sur les impôts,
les ouvrages de Vignes, Guyot, Denis, professeur à
l'Université de Bruxelles, et au point de vue historique,
de bons travaux deClamageran, Vuitry, Stourm, Four-
nier de Flaix, etc., etc. Sur les emprunts, rappelons
seulement les travaux de .Juvigny, Laffitte, Labeyrie,
Cucheval-Clarigny, et nous renvoyons pour les autres
à nos Primi elementi di scienza délie finanze, (Tiédit.
1890; trad. franc, Paris, 1891).
CHAPITRE XI
L'ECONOMIE POLITIQUE EN ALLEMAGNE
I
Le progTes des études économiques a été, dans ce
siècle, certainement très notable en Allemagne, et les
doutes légers et imprudents émis par quelques écri-
vains français et italiens sur la réalité de ce progrès font
peu d'honneur à leur perspicacité et à leur science. On
ne peut cependant pas admettre l'idée d'une primauté
germanique dans le champ entier des sciences écono-
miques, parallèle à celui que l'Allemagne conserve jus-
qu'ici dans les sciences philologiques, philosophiques,
historiques et juridiques. Cette prétention, que la
grande majorité des écrivains de ce pays répète avec
une obstination blâmée d'ailleurs par des hommes aussi
savants qu'impartiaux comme Wagner, trouve très fa-
cilement accès même en Italie auprès de quelques
jeunes écrivains par trop enthousiastes ; on ne peut
réduire cette proposition à sa juste valeur qu'en
quittant les généralités trop vagues et trop indéter-
minées, pour examiner avec soin les différentes
branches de la science économique cultivées en Alle-
magne.
La part très large faite à l'économie politique
dans les facultés philosophiques, juridiques et po-
litico-administratives des universités allemandes a
contribué non seulement à la diffusion des connais-
sances, mais aussi à déterminer le courant donné à
cette étude, non moins que la qualité des arguments et
EN ALLEMAGNE 405
le caractère des œuvres publiées. La science étant sur-
tout étudiée par des professeurs, cela nous explique en
outre beaucoup de traits caractéristiques du développe-
ment des études économiques en Allemagne, c'est-à-
dire le manque de sens pratique, l'abondance des trai-
tés, des manuels, des précis, les discussions tbéo-
riques d'une subtilité souvent exagérée, accompagnées
d'un luxe inutile d'incidents purement verbaux, pour
aboutir (dans les vingt dernières années) à une négli-
gence blâmable des recherches scientifiques. On s'est
trop souvent borné à des recherches d'histoire et de
statistique économiques, intéressantes, mais souvent
trop particulières ; on veut y voir la base inductive
d'une nouvelle science économique, ou d'une sociolo-
gie encore plus nouvelle, devant laquelle l'économie
actuelle devrait disparaître. On doit cependant considé-
rer comme une excellente conséquence de la culture
juridique des professeurs allemands l'idée plus exacte
qu'ils se sont faite des fonctions économiques de l'Etat,
qu'ils ont sa:\'amment analy.sées et défendues energique-
ment contre les objections des individualistes. Cepen-
dant ils n'ont pas su le plus souvent éviter l'erreur théo-
rique de confondre la saine liberté économique, défen-
due par 1 école classique, avec le dogme absolu du
« laissez faire «, professé par les optimistes, ni l'erreur
pratique de désirer une ingérence nuisible et excessive
de l'Etat ; par là ils se .sont rapprochés des funestes uto-
pies du socialisme bureaucratique ou révolutionnaire.
Un autre mérite incontestable des économistes alle-
mands, pour lequel on peut leur reconnaître dans une
certaine mesure une véritable prééminence, consiste à
avoir, fidèles aux traditions de l'ancienne doctrine camé-
raliste, maintenu et mieux précisé la distinction entre
la science pure et ses applications ; ils ont, en effet,
reconnu à côté de la politique financière (science des
•406 l'égonomte politique
finances) une politique économique, et étudié dans des
vues plus larges cette branche de l'économie afin de
constituer la science de l'administration, qui s'est subs-
tituée à la science de la police, trop ancienne et trop
étroite. ]Mais les équivoques sont encore nombreuses, car
la distinction entre l'économie pure et l'économie appli-
quée est souvent confondue (et quelques-uns s'en font
un titre de gloire, comme nous l'avons dit) avec celle
de réconomie générale et de l'économie particulière,
comme s'il y avait des questions scientifiques de carac-
tère spécial et des questions d'application de caractère
général !
Quoiqu'il en soit, il est certain que l'Allemagne du
xix^ siècle possède des maîtres éminents dans toutes les
branches des disciplines économiques. Des hommes
comme v. Thiinen, Hermann et Mangoldt, Stein,
Schâftle, Roscher, Knies, Wagner ; des spécialistes
comme Xebenius, Hanssen, Helferich, Nasse, Soet-
beer, Schmoller,.Cohn^ etc.; des statisticiens comme
Engel, Rilmelin, Lexis, Knapp, Becker, etc., peuvent
être comparés aux plus illustres savants de tous les
temps et de tous les pays.
W. Roscher, Geschichte dur National-Oekouomie in
Deutschland. Munchen, 1874, pp. 862-1048 (sa-
vant, impartial, élégant).
V. Cusuinano, Le scuole economiche délia Germania,
in rapporio alla questione sociale. Napnji, 1875.
(Extraits abondants des œuvres les plus récentes,
qui ont été souvent copiés sans citation de
sources).
K. Walcker, Geschichle der Nalionalùkonomie . Leip-
zig, 1884, pp. 111-261. (Singulier mélange de
renseignements biographiques et bibliogra-
phiques quelquefois inexacts et souvent étran-
gers au sujet, et de jugemsnts le plus souvent
faux et assez souvent blessants).
M. Meyer, Die neuere Xational(Jkonomie,elc. 4* édit.,
EN ALLEMAGNE 407
Munden i. W., 1885. (Compilation améliorée
dans les dernières éditions).
Cohn, System der Xalionulôkonomie. l""" vol.
Siultgart, 1885, pp. 123-133, 157-173.
V. Scheel, Die poUUsclie Oekonomie, in Handbuch
(le Schdnberg. 3« édit., vol. I. Tubingen, 1890,
pp. 94-106.
§ 1. — L''ÉCOLE CLASSIQUE.
Charles Henri Rau, né en 1792, professeur à Erlan-
gen en 1818, puis à Heidelbergen 1822, où il mourut en
1870, en dehors de quelques travaux de moindre im-
portance parmi lesquels il faut citer ses remarquables
Ansichten der Volkswirthsrhaft (Leipzig, 1821), dans
lesquels il indique le caractère relatif des institutions
économiques et l'influence qu'exercent sur elles les
conditions locales de sol et de climat, a publié un cours
complet d'économie politique divisé, comme celui de
Jakob, en trois parties : économie sociale, politique
économique, et politique financière, qu'il tint pendant
une longue série d'années au courant du progrès de la
science. Si cette œuvre ne brille pas par l'originalité
des vues ni par la profondeur des recherches, elle est
cependant très remarquable par Tampleur de la doc-
trine, la richesse des données statistiques, législatives
et bibliographiques, la modération des jugements, l'har-
monie des parties, la clarté de Texposition, son sage
éclectisme théorique et son exquis sens pratique. Ces
qualités expliquent pourquoi le livre de Rau a conservé
pendant si longtemps, dans les Universités et pour les
candidats aux carrières administratives, la première
place, fait oublier les manuels antérieurs, et soutenu la
concurrence contre quelques autres manuels postérieurs
à sa première édition, par exemple ceux de Zachariœ
(1832), Rotteck(1835), Bûlau (1 835), Riedel (1836-1842),
408 l'économie politique
Eiselen (1843), Schilz (1813), Glaser (1858), Rossler
(1864), Umpfenbach (1867), etc.
K. H. Rau, Lelirbiich der politisrhen Oekonomie. l^*"
vol., Leipzig, 1826 (8« édit., 1868-69). -2« vol.,
1828 (5e édit., 1862-63). -3« vol., 1832 (5" édit.,
1864-G5).
Nous devon.s signaler à côté de Rau, parce qu'ils se
rapprochent de lui à certains points de vue, trois
hommes d'Etat, qui se sont également occupés des
questions théoriques, dans un esprit et avec un succès
différents, Malchus, Hoffmann, Xebenius.
G. A. von Malchus ;1770-1840', ancien ministre du
Royaume de Westphalie, a étudié spécialement la
science des finances ; nous lui devons une œuvre de
caractère tout à fait pratique et en harmonie avec le
système français des impôts [Hanclbuch der Finanz-
'{çissenschaft. Stuttgart, 1830. Deux volumes). Jean
Gottfried Hoffmann (1765-1847), professeur et directeur
de rOfïïce de statistique de Berlin, plus pénétrant mais
moins systématique, a fait, au contraire, dans ses œu-
vres économiques et financières, Tapologie des institu-
tions prussiennes : ses opinions ont, d'ailleurs, souvent
varié, notamment sur la question de la liberté indus-
trielle et des corporations. En dehors de plusieurs re-
cueils de ses travaux moins importants on a de lui une
théorie de la monnaie [Die Lehre vom Gelde. Berlin,
1838. — Die Zeichen der Zeit im d.eutschen Miïnz-
wesen, 1841), dans laquelle il recommande, le premier
en Allemagne et sans donner des arguments vraiment
persuasifs, l'adoption de l'étalon monétaire unique d'or;
cette proposition provoqua une réponse beaucoup plus
savante et pratiquement fondée de Hermann. Dans sa
théorie des finances {Die Lehre von den Steuern, 1840)
ses opinions sont moins concluantes encore ; il combat
EN AI-LEMAGNE 409
avec des arguments trop faibles l'impôt foncier et
'l'impôt sur la rente, et il n'a pas des idées exactes sur la
répercussion des impôts.
Charles Frédéric Nebenius , 17<S4-1857) leur a été cer-
tainement de beaucoup supérieur; il est un de ceux qui
ont eu une part intelligente et active à la préparation et à
la formation du Zollverein fZ)e?' deiitsc/ze Zollverein,
soin System iind seine Zukunft. Carlsruhe. 1835;.
Dans le domaine scientifique, il a ac-quis une renommée
bien méritée par ses travaux sur la théorie du crédit
public, qui, malgré les progrès ultérieurs, notamment
en ce qui concerne les effets économiques des emprunts
(C. Dietzel, Wagner, Nasse, Schâffle) conservent encore
une très grande importance pour la profondeur des
recherches, la rectitude des jugements et l'abondance
des renseignements historiques.
F. Nebenius. Di^r offenlUche Crédit. Carlsruhe, i820.
2« édit-, vol. I, 1829. — Ueber die Herabsetzwvj
dnr Zinsen der offentlichea Schuldoi. Stuttgart,
1837.
Thiinen, Hermann et Mangoldt se sont consacrés, au
contraire, presque exclusivement aux questions géné-
rales de l'économie sociale; ces trois écrivains, restés
fidèles à l'esprit de l'école classique, ont apporté des
contributions utiles et originales aux progrès de la
science pure ; ils occupent sans aucun doute une place
très éminente.
Le comte Jean Henri de Thiinen (1783-1850), autodi-
dacte, agronome élevé à l'école de Thaer, et possesseur
de la grande propriété de Tellow dans le Mecklenbourg,
a fait faire de notables progrès à la science économique ;
en se servant du calcul, il a approfondi par la méthode
déductive et indépendamment de Ricardo, la théorie de
la rente. Il s'est occupé spécialement du problème de
410 l'économie politique
la rente de position, que ie grand économiste anglais
n'avait étudiée qu'incidemment ; il a consacré de
longs développements, dans le premier volume de «on
Etat isolé, aux lois qui déterminent la distribution
territoriale des systèmes de culture d'après la distance
du marché. Il a été moins heureux dans ses recher-
ches sur le salaire naturel (c'est-à-dire sur le juste sa-
laire) ; il crut avoir déterminé le juste salaire dans la
formule Vëip, c'est-à-dire racine carrée du produit que
l'on obtient en multipliant la somme exprimant la va-
leur des choses nécessaires à l'entretien de l'ouvrier par
celle qui indique la valeur des produits obtenus par
son travail, mais ses prémisses étaient arbitraires et in-
suffisantes. Pratiquement il pensait se rapprocher de la
solution du problème en accordant à ses paysans une
participation aux bénéfices (Gfr. Sedley Taylor, Profit-
Sharing. London, 1884). La critique de cette formule
a été l'objet de travaux ingénieux, mais peu concluants
et souvent équivoques, delà part de Laspeyres (1860),
de Knapp (1865), de Brentano (1867), de Schumacher
(1869), de Falck (1875) et enfin d'une réfutation victo-
rieuse de Komorzynski (1894).
J. H. V. Thiinen, Der isolirte Slaat. 1" vol., Ros-
tock, 1826 (2'' édit., 1842. Trad. franc, de Laver-
rière, 1851). -2« vol., 1850-63 (Trad. franc, de Wol-
koft; 1857).-3«vol., 1863.
Cfr. H. Schumacher-Zarchlin, /. H. v. Thùnen. Ros-
Lock, 1868.-2'= édit., 1883.
M. WolkofT, Lectures d'économie politique rolioimelle,
1863.
Frédéric Benoit Guillaume Hermann (1795-1868),
professeur et, plus tard, directeur de l'Office de statis-
tique de Munich, est moins original que Thiinen, mais il
l'égale pour son esprit critique et il a une connais-
EN ALLEMAGNE 411
sance plus complète de la littérature économique.
Comme Hufeland, Lotz, Soden, il a cherché à préciser
les théories abstraites de la productivité, du capital, de
la valeur et du prix, de la rente, de l'intérêt et de la
consommation. Dans sa théorie du capital, qu'il définit
d'une façon trop large, parce qu'il y comprend, comme
Say, les- capitaux d'usage, et qu'il étend plus encore
par son analyse des capitaux immatériels, — ce quicon-
•duit logiquement aux idées quelque peu étranges de
Charles Dietzel (Das System der Staatsanleihen. Hei-
■delberg, 1855) sur les emprunts publics, — Hermann
n'apasété, sauf quelques bonnes observations, trop heu-
reux. Il faut le louer sincèrement pour les quelques
corrections qu'il a faites à la doctrine du fonds des sa-
laires et pour sa belle exposition de la théorie de la va-
leur et du prix ; dans cette étude il a devancé les tra-
vaux des derniers économistes anglais, en considérant
le phénomène au double point de vue de l'acheteur et
du vendeur. Mais c'est sa théorie du revenu qui consti-
tue le principal titre de sa renommée scientifique ; c'est
pour lui un concept subjectif, et le premier il Ta déter-
miné rigoureusement en le distinguant des notions ob-
jectives de produit brut et de produit net, avec lesquels
les anglais le confondaient. Il a ainsi fourni leur point
de départ aux recherches intéressantes, mais quelque-
fois inexactes, de Bernhardi (lSi8) et aux travaux plus
approfondis de SchMûe {M e ns ch und Gut, 1860) et de
Schmoller [Ziir Lehre vom Einkommen, 1863). — Le
professeur K. G. Neumann, l'éminent collaborateur du
Manuel de Schonberg et l'auteur de bonnes monogra-
phies, qu'il a résumées dans ses Grundlagen der
Volkswirthschaft. (Tilbingen, 1<S89), peut être consi-
déré, dans une certaine mesure au moins, comme un
disciple de Hermann ; c'est un écrivain érudit, mais
-quelquefois trop subtil.
412 l'économie politique
F. B. W. Hermann, SUtatsicirthschafiliche Unfersu-
chungen. Munchen, 1832. — La seconde éditioQ
(posthume , partiellement améliorée, mais sans
les intéressantes notices historico-critiques de
la première, a été publiée en 1870.
L'éminent économiste saxon Hans von Mangoldt
(1824-1 868V, professeur à Gôttingue. puis à Eribourg,
auteur d'ouvrages très remarquables, n'a pas suivi
une direction très différente de celle de Hermann. Il a
débuté par une dissertation sur les caisses d'épargne
(1847); il a publié ensuite quelques intéressants
articles théoriques et biographiques dans le Diction-
naire de Bluntschli et Brater, une bonne monographie
sur la doctrine du profit, un précis déconomie, qui est
encore aujourd'hui un des meilleurs, et un traité plus
développé, resté inachevé par la mort prématurée de
l'auteur. Les parties les plus originales de Mangoldt,
concernent l'analyse exacte, mais trop minutieuse, du
profit de l'entrepreneur, qu'il veut séparer complète-
ment de l'intérêt et du salaire, et aussi la théorie delà
rente foncière, dont il montre ingénieusement les
analogies avec les revenus de monopole, sans indiquer
les différences. Les mêmes idées ont été exprimées,
d'une façon tout à fait indépendante , par le fran-
çais P. A. Boutron TJiéorie de la rente foncière
Paris, 1867) et par Schaffle [Die nationalôkonomiscJie
Théorie cler ausschliessenden Absatzverhiiltnisse.
Tûbingen, 1867j.
H. v. Mangoldt, Die Lchre vom Untemehmergewin .
Leipzig, 1855. — Gruntlriss (1er VoUcswirthschafis-
lehre. Stuttgart, 1863.-2^ édit. (augmentée par
F. Kleinwâchter), 1871. — Volkswirtlischoftslehrf.
1" vol., Stuttgart, 1868 (traite de la production,
de la conservation et de la distribution des ri-
chesses;. Cfr. Ad. Wagner, Gedàchtnissreile auf
H. V. Mangoldt. Freiburg i. Br., 1870.
EN ALLEMAGNE 413
Un petit groupe d'éminents spécialistes, Baumstark,
Laspeyres, Helferich s'écartent peu de l'économie clas-
sique, ou tout au moins ils n^ont pas pris une part très
active aux polémiques entre l'école historique et l'école
des optimistes. Helferich a écrit sur les oscillations de
la valeur des métaux précieux de 149'2 à 1830 (Niirn-
bcrg, i843) ; E. Nasse a consacré de courtes mais excel-
lentes monographies à la monnaie, au crédit, et aux
banques, etc. Le plus célèbre est Georges Hanssen
(1809 1894), auquel nous devons une série de travaux
classiques qui traitent, spécialement au point de vue
historique, de l'économie agraire de l'Allemagne.
G. Hanssen, Agrarhistorische Ahhondlungen. Leipzig,
1880-84. Deux vol.
Une position éminente, bien qu'isolée à certains
points de vue, a été occupée pendant longtemps, parmi
les économistes et les publicistes allemands, par Lorenz
Stein (1815-1890), professeur à Vienne, historien
profond du socialisme français, défenseur de réformes
radicales dans l'enseignement du droit, créateur émi-
nent de la Science de Va.driiinisir(ition (voir p. 45-46),
à laquelle il a donné des proportions colossales en la
substituant à l'ancienne science de la police. Il a écrit
aussi un petit nombre de monographies juridico-éco-
nomiques, un résumé excessivement métaphysique
d'économie politique, et un traité classique de la
Science des finances, qui a tous les mérites et tous les
défauts de sa Science de V adininistvEition . Après le
travail de Stein, les Manuels de Science financière se
sont multipliés. Il faut signaler comme pleins démérite:
un manuel de Umpfenbach, qui expose les notions fon-
damentales ; un autre très complet et encore inachevé
de Wagner, remarquable pour sa doctrine, la perspica-
cité, l'abondance et l'exactitude de ses renseignements
414 l'économie politique
statistiques et législatifs; un élégant et très clair résumé
de Roscher ; enfin les monographies écrites par des spé-
cialistes compétents pour le Manuel de Schonberg.
L. V. Stein, Lehrbuch dor yalionaWlwnomie. Wien,
1858.-3" édit., i887. — Lehrbuch der Finaimcissen-
srhafl, 1860. - 5« édit., (en 4 volumes), 1885-80.
K. Umpfenbactî, Lehrbuch der Finanztvissenschaft.
Erlangen, 1859-60. - 2" édit., 1887.
Ad. Wagner, Finanzwissenschaft. Vol. I. Leipzig^
1871-1872. - 3'' édit., 1883. - Vol. II, 1878-80. -
3^ édit., 1890. - Vol. III, 1886-89.
W. Roscher, System der Finanzwissenschaft . Stutt-
gart, 1886,-3'= édit., 1889.
G. Schonberg, Handbuch der politischen Oekonomie.
S" édit., vol. III. Tubingen, 1890.
Cfr. K. Th. Eheberg, Geschichte der Finanzwissen-
schoft. [Handivôrterbuch der Staatsicissenschaften
de Conrad, Elster, etc. Vol. III. lena, 1891, pp.
487-505).
S 2. — l'école historique et ses dérivations.
Ce serait une entreprise trop ardue, et fort inutile^
que de vouloir énumérer tous les i^récurseurs réels ou
prétendus de l'école historique. Il suffît de dire que
Adam Millier, Alexandre Hamilton, Sismondi, Schon
{Xeue Untersuchung der nationalôkonomie, 1835),
Schmitthenner [ZwOlf Bâcher vom Staate, i839),
Auguste Comte et d'autres adversaires de l'économie
classique ont exposé des idées qui, incontestablement,
ont exercé une grande influence sur les théories de
cette école.
L'importance de Li.st (1789-1846) est, à ce point de
vue et à d'autres, encore plus grande. Il e.st le chef
reconnu des protectionnLstes allemands, et en particu-
lier de ceux de l'Allemagne méridionale ; il a été le pro-
EN ALLEMAGNE /i 1 5
moteur du Zollverein, de la construction rapide de.s che-
mins de fer et en général des réformes qui avaient pour
but d'unifier la législation économique et fiscale. Au
point de vue théorique, sa doctrine de la protection tem-
poraire des manufactures, et en général son économie
nationale qu'il opposait à l'économie cosmopolite des
Universités, est fondée sur une succession uniforme ima-
ginaire des stades de civilisation, qui ne trouve pas dans
l'histoire une démonstration suffisante, et elle est déduite
de cette idée, qui n'est pas complètement inexacte, d'un
sacrifice imposé momentanément aux consommateurs
pour développer les forces productives de la nation ;
mais cette idée, à son tour, dérive d'une opposition, qui
n'est nullement nécessaire, entre les forces productives
et la valeur d'échange des marchandises.
Fr. List, Bas nationale System der poliiischen Oekono-
mie. l"vol., 1841. - Trad. franc, par Richelot,
1851.-7° édit., avec une introduction intéressante
(pp. 1-249) de K. Th. Eheberg. Stuttgart, 1883. —
Gesammelte Schriften (édité par L. Hatiser). Stutt-
gart, 1850. Trois volumes.
Cfr. pour d'autres indications, l'article de Em. Léser
dans VAUgemeine deutsche Biographie, 1883.
Parmi les champions de l'école historico-écono-
mique. qui, comme Ta bien démontré Menger, ne peut
pas être considérée comme étant en parfaite harmonie
avec les tendances et les idées de l'école historico-juri-
dique (Hugo, Niebuhr, Savigny, Eichhorn), mais qui
descend au contraire en ligne droite des écoles historico-
politiques de Tubingue et de Gottingue (Spittler, Dahl-
mann, Gervinus), on doit compter Hildebrand, Knies
et Roscher.
Bruno Hildebrand (1812-1878) fonda en 1863 à Jena,
oùils était professeur, les Jahr bûcher fur Nationaloko-
nomie uncl Statistik ; depuis 1873, il partagea la
416 l'économie politique
direction avec son gendre, le professeur Jean Conrad,
qui lui succéda comme directeur en 1878. Il est parti-
culièrement connu par un ouvrage inachevé Die
Nationalohonoinle der Gegenwart iind Zukunft,
i'^'" vol. Francfort. 1848), dans lequel il fit, avec
talent et élégance plus qu'avec exactitude, une large
critique des systèmes modernes d'économie politique,
exagérée dans les objections dirigées contre l'école
classique, mais fort exacte dans sa réfutation du socia-
lisme.
Charler Knies (né en 1821), professeur à Heidelberg,
défenseur ingénieux de la séparation de la statistique
descriptive et de la statistique investigatrice (il a .sur ce
point pour disciple Rûmelin et Wagner), est inférieur
à Hildebrand pour son style enveloppé et bizarre, mais
supérieur à lui par son activité scientifique, par l'éten-
due et la profondeur de ses connaissances économiques
et juridiques ; il est l'auteur d'une œuvre dans laquelle
il a fait connaître les normes de la méthode historique,
qu'il a laissée complètement de côté, comme nous l'avons
déjà indiqué, dans ses excellentes monographies sur la
valeur, sur les transports, et en particulier dans son
(cuvre classique sur la monnaie et sur le crédit, à la-
quelle manque encore la partie consacrée aux emprunts
publics.
K. Kaies, Die Statistik als selbsiândige Wissenschaft.
Cassel, 1830. — Die jwlitische Oekonomie vom
Standpunkte der geschichtlichen Méthode. Braun-
schweig, 1853.-2" édit. avec d'importants appen-
dices), Berlin, 1881-83. — Die Eisenbahnen und
ihre Wirkungen, 1853. — Die nationalôkonomische
Lehre vom Werth (in Zeilschrift fur die gesammte
Staatsiciss., 1855). — Der Teiegraph als Verkehrs-
mittel, 1857. — Geld und Crédit. J" vol., 1873. -
2« édit., 1885; - 2« vol., 1876-79.
EN ALLEMAGNE 417
Guillaume Rosclier (181 7-1894), professeur à Leipzig,
a, dès 1843, esquissé les traits caractéristiques de la
méthode historique, d'après laquelle non seulement la
politique économique mais encore l'économie sociale
aurait son fondement dans l'induction historico-statis-
tique. Il est sans aucun doute un des plus illustres éco-
nomistes de ce siècle. Si nous ne pouvons le louer pour
avoir défendu cette méthode, déjà critiquée plus haut,
parce qu'on arriverait ainsi à substituer aux lois scienti-
fiques de réconomie sociale les lois de développement
des faits économiques que nous feraient connaître les
études historiques, géographiques et philosophiques sur
les différents stades de la civilisation chez les différents
peuples, il nous semble, au contraire, mériter un éloge
hans réserves pour l'impulsion vigoureuse qu'il a don-
née par ses œuvres, remarquables par leur profondeur,
leur érudition extraordinaire, par la connaissance par-
faite des théories de l'école classique, qu'il a en somme
acceptées, par la sereine impartialité de la critique, par
la clarté et l'élégance du style, soit à l'étude dog-
matique des doctrines, soit à l'histoire de leur déve-
loppement, et aussi parce que, seul en Allemagne, il
a réussi à composer un traité d'économie dans lequel il
a conservé aux différentes parties leurs proportions né-
cessaires, et qu'il a su éviter les digressions philoso-
phico-juridiques et l'excès des détails technico-législa-
tifs.
W. Roscher, System der Volksiviiihscliaft. l^f'vol.,
Stuttgart, 1854.-21« édit., 1894. — 2-= vol., 1859.
12« édit., 1888. — 3= vol., 1881.-6" édit., 1892. —
4«vol., 1886. -4« édit., 1894. — o« vol., 1894. -
Ansichien der Volksivirthschaft. Leipzig, 1861.
3' édit., 1878. Deux volumes. — Ueber Korniheue-
rung und TheuerangspoUtik. 3*' édit., 1852. — Kolo-
nien, Kolonialpolitik und Answanderung, 1856.
3= édit., 1885.
27
418 l'économie politique
Cfr., sur Roscher, le remarquable essai de Schmoller
dans le recueil intitulé Zur Lille raturgeschkhte
der Slaats-und Sozialiuissenschaflen. Leipzig, 1888,
pp. 147-171.
C'est à Gustave Schmoller (né en 1838 1, actuellement
professeur à Berlin, que revient le mérite d'avoir tenté
l'application de la méthode historique et d'avoir déduit
des prémisses de Floscher et de Knies les conséquences
qu'ils n'en avaientpas eux-mêmes tirées. Nous lui devons
un grand nombre d'excellentes monographies sur l'his-
toire économique de l'Allemagne et en particulier sur
la petite industrie, sur les corporations, sur les époques
delà politique financière prussienne, et sur la théorie
des entreprises industrielles. Une partie de ces études,
et beaucoup d'autres que nous ne citons pas pour
être bref, sont insérées dans la revue qu'il dirige de-
puis iSS\ , Jahrbuch fur Gesetzgebung, Verwaltung
und Volkswirthschaft (fondée par Holtzendorff en
1872, qui s'adjoignit comme collaborateur Brentano en
1877) ; nous devons mentionner également les mono-
graphies rédigées par ses meilleurs disciples et réunies
dans le recueil intitulé Staats-und Socialwissen-
schaftliche Forschungen (Berlin, 1878 et suiv.), qui
présente quelque analogie avec une autre collection de
travaux historico-économiques, dirigée par le profes-
seur Conrad, de Halle. Schmoller partage cette grave
erreur de croire à l'impossibilité d'appliquer utilement
la méthode déductive aux recherches de la science éco-
nomique, qui, à son avis, ne pourra se constituer tant
que l'on n'aura pas de matériaux historiques et .statis-
tiques complets sur les conditions économiques de tous
les temps et de tous les lieux.
G. Schmoller, Zur Geschichte der deulschen Rlein-
(jewerhe un 19 Jalirhundert. Halle, 1870. — Ueber
J
EN ALLEMAGNE 419
einige Grundfragen des Rechts und dei' Volkwirih-
schaft, 1875 (contre Treilschke). — Die Strassbur-
ger Tûcher-und Weberzunft, etc., 1881. — DieEpo-
chen der preussisclien Finanz-PoUiik (in i" vol.
du Jahrbuch, etc.). — Die geschichtliclie Entwi-
cklung dcr Unternehmung {Jahrbuch, etc., 1890-
1893). — Ziir Social-und Geiverbepoliiik der Ge-
genwart. Leipzig, 1890.
Albert Eberard Frédéric Schâffle (né en 1831), jour-
naliste, professeur à Tubingue en 1861, puis à
Vienne en 1868, et pendant quelque temps (1871)
ministre du commerce dans le cabinet Hohenwart,
diriii'e maintenant à Stuttg-art la revue trimestrielle
Zeitschrift far die gesanimte Staatswissenschaft,
fondée en 1844 par des professeurs de la Faculté
d'administration de Tubingue et dirigée par eux jus-
qu'en 1875. Il a débuté par un bon précis d'économie
politique, qui s'est accru et s'est amélioré dans ses
éditions successives ; il y étudie avec beaucoup de
compétence la théorie des entreprises, celle de la mon-
naie, du crédit, des moyens de transport, et il y expose
les critères qui permettent de distinguer l'économie
générale des économies particulières. Il a composé
plus tard un traité plus considérable de sociologie
économique, dans lequel il a exagéré les ressemblances
entre la structure et les fonctions du corps humain
et du corps social ; il a ainsi commis de graves
erreurs qui ont été relevées par Krohn et par d'autres
critiques. Il a trouvé dans de Lilienfeld {Gedanken
ûbev die Socialwissenschaft der Zukunft, 1873 et
suiv.) un représentant d'idées fort analogues aux
siennes. 11 a porté plus tard un jugement très bienveil-
lant sur le socialisme, dont on l'a cru souvent un
apologiste, de sorte qu'il a été amené à désapprouver
les tendances de la démocratie sociale. Il est certain
''iSO l'économie politique
que dans beaucoup de ses monographies sur le système
monétaire, la question ouvrière, les problèmes fiscaux,
il montre une confiance exagérée dans les avantages
de l'ingérence économique de l'État.
Alb. Eb. Fr. Schaffle, Die Xalional'tJkonomie. Ttihin-
gen, 1861. -S^ édit., sous le titre de : Bas gesPÂl-
schaftliche System der menschlichen Wirthsrhaf'ty
1878. Deux volumes. — Bau und Leben des sozialen
Korpers, 1875-1878. Quatre volumes. -S*- édit., 1881
et suiv. — Kapitalisnius und Sozialismus, 1870. —
DieQuiiitessenz des Sozialismus, 1874. (Trad. franc.,
par Benoît Malon, 1880.)-13« édit., 1891. — Z>/e
Aussichislosigkeit der Sozialdemokratic , 1885.-
4^ édit., 1893. — Die internationale Doppekv'ùhrung ,
1881. — Der corporative Hïdfskassenzivang, 1883.-
2° édit., 1884. — Die Grunds'àtze der Sieuerpolilik,
1880. — Gesammelte Aufsdtze, 1885-1886. Deux
volumes.
H. Bisclîof, Grundzûge eines Systems der Nationalô-
konomie. Graz, 1876. (C'est un résumé du traité
de Schaffle).
§ 3. ÉCONOMISTES LIBÉRAUX ET SOCIALISTES
DE LA CHAIRE
Le groupe de libéraux, pour la plupart journa-
listes et avocats, qui forme ce que les adversaires
ont assez inexactement appelé l'école de Manchester,
a étudié l'économie politique dans les œuvres des
Français et spécialement dans Bastiat. Il a fondé
à Berlin une société d'économie politique, présidée
par Prince-Smith (1809-1874), écrivain brillant et
facile ; il a organisé des congrès annuels, fondé en
1863 une revue (Vierteijahrsschrift fïir Volkswirth-
schaft uncl\Culturgeschichte ) et, soutenu, dans les pre-
mières années de l'empire, par les assemblées délibé-
rantes, il a préconisé l'abolition des lois restrictives
EN ALLEMAGNE 421
de la liberté du travail, de l'association et du domicile,
il a demandé l'abolition de la prison pour dettes et celle
des lois restrictives de l'intérêt conventionnel dans le
prêt, l'unification du système des monnaies, des poids et
des mesures, l'organisation des banques, la réforme des
impôts et des douanes, etc. Ermann Schulze-Delitsch
(1808-1879) s'est rendu célèbre parmi les économistes
libéraux moins par sa culture, quelque peu superfi-
cielle, dont s'est moqué àprement Lassalle, que par sa
persévérance et son remarquable sens pratique. 11 a pu
ainsi organiser et répandre les banques populaires et
d'autres formes de sociétés coopératives, en s'inspirant
des principes de la mutualité et de l'autonomie; il a
été fortement aidé dans cette œuvre par Schneider,
Parisius, Richter et quelques autres collaborateurs
du célèbre périodique Die Inniing cler Zukunft (Cfr.
A. Bern^tein. Schulze-Delitsch, etc. Berlin, 1879). A ce
groupe appartiennent Faucher (mort en 1878), Michaelis,
Rentzsch, directeur de V Ilandwôrterbuch cler Volhs-
wirthscha.ftsleJire [Leipzig, 1865. Réimprimé en 1869),
et parmi les économistes de valeur moindre, Wollf,
Braun, Wyss, etc. Il faut tout particulièrement men-
tionner, au contraire, pour la modération de leurs
doctrines et pour leur compétence signalée dans quel-
ques questions spéciales, Ad. Soetbeer, traducteur de
Mill, secrétaire de la Chambre de commerce de Ham-
bourg et actuellement professeur honoraire à Gôttingue,
auteur d'ouvrages remarquables sur la statistique des
métaux précieux, et vaillant promoteur de l'étalon
unique d'or, que défendent également, en dehors de
Bamberger, d'autres économistes (comme Nasse) qui
appartiennent d'ailleurs à des écoles très différentes ;
A, Emminghaus, auquel nous devons de très bonnes
monographies, notamment sur les assurances. Le
camp des libéraux a été abandonné depuis quelque
422 l'éconojiie politique
temps par Maximilien ^^'irth, journaliste, statisticien
et auteur d'ouvrages de lecture facile, et en parti-
culier d'un manuel d'économie, peu profond et nulle-
ment systématique [Grundzûge der National-Oeko-
nomie, 1856-1870), et par Victor Bohmert, directeur du
bureau royal ofliciel de la statistique de Dresde, rédac-
teur de VArbeiterfreund,et défenseur zélé delà par-
ticipation des ouvriers aux bénéfices.
V. BôhmerL, Die GcvAnnbetheiligung. Leipzig, 1878.
Traduction italienne par P. Manfredi. Milano,
1880. Trad. franc, par Albert Trombert, 1888. —
(En sens contraire) H. Prommer, Die Gcirinnbe-
theiligung. Leipzig, 1886. — (Impartial) L. Stein-
brenner, Die BelheiUgung, sic, Heidelberg, 1892.
Une grande partie des professeurs allemands qui,
pour les questions de science pure, acceptent presque
tous les doctrines de l'école historique ou celles du néo-
historisme de Schmoller et de la sociologie deSchaffle,
ont entrepris vers 1870 une lutte vive et, à certains
points de vue, justifiée contre les exagérations du libé-
ralisme et du quiétisme absolu. Appuyés par les gou-
vernements qui, après 1879, ont suivi la politique
économique du prince de Bismarck et sont entrés réso-
lument dans la voie de la protection douanière et dans
celle de la législation sociale, ces économistes ont fait
tous leurs efforts dans leur enseignement, dans les
congrès, dans les revues et dans des publications spé-
ciales pour répandre leurs doctrines. Ils sont partisans
de la reconstitution de l'économie sociale, qu'ils veu-
lent fonder sur les recherches historiques et statistiques
et mettre en harmonie avec les principes de Féthique et
du droit ; ils sont également favorables à une réforme
sociale effectuée par l'œuvre de l'État, également éloi-
gnée des conservateurs libéraux et des socialistes révo-
EN ALLEMAGNE 423
lutionnaires(Cfr. les Schriften des Vereins fur social-
polllUi. Leipzig, 1872-189'2. 51 volumes). Pour toutes
ces raisons, ces professeurs ont été qualifiés de l'appel-
lation dédaigneuse, qui n'est pas exacte pour tous, de so-
cialistes de la chaire, ou, comme on dit plus souvent
maintenant, de socialistes d'Etat. Sans entrer dans la cri-
tique du système, que nous avons laite à grands traits
dans la Première joartie de cet ouvrage,, nous dirons
qu'en réalité un bon nombre de ces écrivains, (Wagner,
Scliâffle, Samter, Neumann, von Scheel, etc.), ont
accepté avec trop de confiance quelques-unes des pro-
positions des socialistes sur la propriété foncière, le
droit d'héritage^ l'impôt progressif, l'assurance ouvrière
obligatoire ; certains écrivains, comme le savant et ingé-
nieux Lange (mort en 1876) partagent même presque
toutes leurs opinions (Die A?'6ei^er/'ra^e, 1865.-4'" édit.
1879). Ajoutons que, grâce aux influences déjà signalées
et au système de nomination des professeurs en vigueur
dans les Universités, l'école allemande, par sa négation
de l'existence de lois générales, a détourné les étudiants
des recherches théoriques, en les retenant sur les ques-
tions d'ordre politique ; elle mérite donc le reproche
d'exclusivisme tout autant que l'école optimiste fran-
çaise, et elle a nui de cette façon aux progrès de la
science pure qui, dans ces vingt dernières années, se
sont considérablement ralentis dans la patrie de Thil-
nen et de Hermann par le fait des nouveaux (Schmol-
1er) plus que par celui des anciens chefs de l'école his-
torique (Koscher et Knies), car ces derniers n'ont pas
confondu les théories anglaises avec celles de l'opti-
misme et de l'individualisme, ni mis sur le même rang
Bastiat et Ricardo, comme cela est arrivé notam-
ment à Held, écrivain excellent à certains points de
vue {Zwei Biïcher zur socialen Geschichte Englands.
Leipzig, 1881) ; ils ont également commis des erreurs
•^i24 l'économie politique
très g-raves dans rinterprétalion et dans la critique des
doctrines fondamentales de Smith, (Rosier par exemple,
Ueber die Grundlehren der von Ad. Smith begriln-
deten \'olkswirthschaftsleJire. Erlangen, 1868.-2" édit.
1871. — Vorlesungen der Volkswirthschaft, 1878).
Il ne faudrait pas croire cependant que toutes les
publications récentes des économistes allemands n'ont
aucune valeur théorique, et il ne faut pas oublier,
d'autre part, que, dans le domaine de l'histoire et de la
statistique économiques, TAllemagne compte des écri-
vains de premier ordre, dont nous avons déjà parlé, et
un groupe important d'éminents érudits : elle a de
plus fourni de remarquables monographies sur la légis-
lation économique nationale et comparée, et sur la
science financière (Vocke, Neumann, v. Scheel, Lehr,
Léser, Kaizl, v. Falck, Wolff, v. Reitzenstein, Ehe-
berg, etc), à laquelle Schanz a consacré une revue
spéciale (G. Schanz, Fi nanz-Archiv. Stuttgart, 1884 et
suiv.). 11 faut observer enfin que l'Allemagne possède
de nombreux ouvrages très remarquables sur les autres
parties du savoir économique, qu'il ne nous est pas pos-
sible d"énumérer ici. Il suffit de rappeler ceux de Con-
rad, Meitzen, von Miaskowski, von der Golz sur la
question agraire, ceux de Schonberg, Klostermann,
Kleinwaclitcr, Brentano, Hasbach, et de beaucoup
d'autres sur la question industrielle et sur la question
ouvrière, ceux de Lexis, Schraut sur la question com-
merciale, les écrits de Nasse, Arendt, et de quelques
autres sur le système monétaire et sur le système ban-
caire, les monographies de Paasche sur les prix, de
Mithoff sur la distribution, de Pierstorff sur le pro-
fit, etc., etc.
Deux écrivains qui, tout en se rattachant à l'école du
socialisme delà chaire, s'en écartent sur quelquespoints
dignes d'être relevés, méritent une mention spéciale.
EN ALLEMAGNE 425
Gustave Cohn, professeur à Riga, à Zurich et actuel-
lement à Gôttingue, a débuté par une savante mono-
graphie sur la législation des chemins de fer anglais ;
il s'est fait connaître ensuite par de brillants essais sur
des sujets très variés d'histoire et de politique écono-
miques, et il a commencé enfin avec un succès relative-
ment moindre la publication d'un manuel d'économie
politique, riche d'observations pénétrantes et précieuses,
mais qui manque d'un grand nombre des qualités né-
cessaires dans une étude systématique d'une science
quelconque. Il faut louer Cohn cependant pour sa mo-
dération, notamment sur les questions de méthode, et
pour la pondération avec laquelle il juge les œuvres des
grands maîtres de la science.
Gust. Cohn, Unter suchungen ûber die englische Eisen-
bahnpoUtili. Leipzig, 1874-1875, 1883. Trois vol.
VolkswirihschaflLiche Aufs'dize. Stuttgart, 1882. —
Xationalukonomischen Siudien, 1886. — System der
National'okonomie. Vol. I et II. Stuttgart, 1885-89.
Les titres scientifiques d'Adolphe Wagner (né en
1835) sont encore plus considérables ; fils d'un illustre
physiologue, frère d'un éminent géographe, professeur
à Vienne, à Hambourg, à Dorpat, à Fribourg, et depuis
plus de vingt ans à Berlin, ^^'agner est avant tout un
spécialiste de premier ordre en matière de monnaie, de
banque, de cours forcé et de finance. Il s'est fait le
défenseur des doctrines bancaires de Tooke et de Ful-
larton, dont il a fait une savante analy.se; puis il s'est
converti peu à peu aux idées restrictives en matière
d'émission, et s'est rapproché du système de la banque
d'Etat, il a défendu a,vec Arendt, Schaffle, Lexis, la théo-
rie du bimétallisme international {Far biraetallistiscJie
Mûnzpolitik Deutschlands] ; il est l'auteur de l'article
Statistih dans le vol. X du Dictionnaire de Blunts-
426 l'économie politique
chli et Brater (18G7), et il s'est occupé en outre, à plu-^
sieurs reprises, de la réforme du système monétaire
autrichien. En Russie il a publié un travail classique
sur la théorie du cours forcé du papier monnaie, dans
lequel il distingue soigneusement les oscillations de
l'agio de la dépréciation dans la valeur des marchan-
dises. Bien qu'il ait défendu la propriété foncière contre^
les assauts du socialisme {Die Abschaffung des priva-
ten GrundeigentJiinns, 1870) il a proposé aux conseils,
municipaux des grandes villes l'expropriation des pro-
priétaires des maisons pour résoudre le problème du
renchérissement des loyers, ce qui a provoqué de sages,
critiques de RoscheretdeNasse. Son volumineux Coiu'S
d'économie est remarquable par la profondeur des re-
cherches, l'érudition, l'abondance des exemples histo-
riques, statistiques, législatifs, la précision et la clarté
de la langue, mais il pèche par la tendance exagérée de
l'auteur à accepter les principes du socialisme d'Etat,
soit dans sa politique économique, soit dans sa politique
financière. Dans son Cours comme dans le Manuel de
Schonberg, Wagner a traité remarquablement la partie
générale et quelques chapitres spéciaux' de la théorie
des impôts, et la doctrine des emprunts publics. Il ne
pourra cependant pas, même avec l'aide d'éminents
collaborateurs, remplacer comme il l'espère le traité de
Rau, parce que la disproportion des parties, les énormes
digressions philosophiques, historiques et juridiques
Ont considérablement augmenté l'étendue de l'ouvrage
et en ont fait presque une encyclopédie. Dans la science
pure, Wagner est très correct quant à l'emploi des mé-
thodes, et il s'écarte fortement de Schmoller ; il appré-
cie avec beaucoup de sagacité et d'impartialité les
grands écrivains anglais (Smith, Ricardo, Malthus), y
compris les auteurs contemporains, et il s'émancipe, à ce
point de vue, des préjugés de ses compatriotes. Il ne
EN ALLEMAGNE 427
faut donc pas s'étonner si de son école est sorti Henri
Dietzel (né en 1857), professeur à Bonn, le seul écrivain
de l'Allemagne proprement dite qui ait eu le courage
de porter des coups vigoureux à l'exclusivisme domi-
nant ; il a été le précurseur de l'école autrichienne, et
il a démontré la nécessité d'associer aux recherches po-
sitives les investigations théoriques.
Ad. Wagner, Beilràge zur Lehre von den Banken.
Leipzig, 1857. — Die Geld und Creditheorie der
PeeV schen Bankade. Wien, 1862. — System der
deidschen Zetlelbankyeselzgehunf). Freiburg i. Br,
1870 - 2« édit., 1873. Deux volumes. — Die Ord-
nung des ôsterreichischen Staatshaushaltes. Wien,
1863. — Die russiche Papiericdhrung. Riga, 1868.
— Lehrhuch der politischen Oekonomie. l'''"vol.,
Leipzig, 1876. -3« édil., 1892-1893. - 5« vol., 1871.
3« édit., 1883. — 6' vol., 1880- 3« édit., 1890. —
7« vol., 1886-1889.
H. Dietzel, Ueber das Verhallniss der Volkswirlh'
schoftslehre zur Socialwirihschaf'tslehre. Berlin,
1882. — Der Ausgangspunkt der Socialwirlhschafts-
lehre, etc. (in Zeitschr. /". die ges. Staafsivissen-
schaft. Tubingen, 1883). — Ueber Weseji und Be-
deiitung der Theilbaus (Ibidem, 1884-85). — Bei-
ir'dge zur Methodik der Wirlhschaftswissenschaft
(in Jahrbûcher de Conrad. Jena, 1884).
Quel que soit le jugement qu'on porte sur le courant
actuel des études économiques en Allemagne, il est hors
de doute que l'activité scientifique va toujours en
augmentant. On en trouverait une preuve dans le
grand nombre de revues spéciales que nous avons
citées, et dans celles qui ont été fondées récemment,
VArchiv fiir sociale Gesetzgebung (Tilibingen, 1888)
dirigée par Braun, VAUgemeines stattstisches Archlv,
dirigée par von Mayr (1890-91), et dans les deux colos-
sales publications, l'une sous forme de traité, l'autre
sous forme de dictionnaire, qui sont l'œuvre collective
4'28 l'économie politique
d'un groupe nombreux d'éminents spécialistes. Ils ont
résumé dans ces œuvres tout ce quil y a de plus inté-
ressant dans le domaine des doctrines économiques,
administratives et financières, en les illustrant par une
ample moisson de renseignements historiques, statis-
tiques, législatifs, et il ont ainsi achevé deux encyclo-
pédies, Tune systématique, l'autre alphabétique, dont
il n'y a pas d'égales dans la littérature d'aucun autre
pays. Parmi les précis, d'ordinaire assez courts, il
suffira de citer le Grundriss de A. Held ('2^ édit. 1878),
le Leitfadôn de A. Adler [i^ édit., 1890), le résumé de
II. Schober(4^ édit., 1888), qui a presque toujours suivi
Roscher, celui de Neurath (2" édit., 1892) et enfin celui
de Lehr.
GusL. Schônberg, Handbuch der politischen. Oekono-
mie. Tubingen, 1882. Deux volumes. -3* édit.,
1890-91. Trois gros volumes. (Trad. italienne
dans la BibUoieca dell' Economista, dirigée par
Boccardo).
J. Conrad, L. Elster, W. Lexis, etc., Handwôrter-
buch der Siaatsioissenschafl. Jena, 1889-94. Six
volumes. 1" supplément, 1895.
J. Lehr, Politische Oekonomie. MuRchen, 1892 (2« édi-
tion).
CHAPITRE XII
L'ÉCONOMIE POLITIQUE EN AUTRICHE
DANS LES PAYS-BAS, EN ESPAGNE
ET EN PORTUGAL
Nous réunissons dans ce chapitre, par manque de
place, ce qui nous semble digne d'être noté dans les
conditions de l'écononie politique chez deux peuples de
nationalité germanique et deux de nationalité latine,
et nous constatons tout d'abord que l'importance scien-
tifique des deux premiers dépasse de beaucoup celle
des deux seconds.
§ 1 . — l/ÉCCLE AUSTRO-ALLEMANDE
Bien qu'il n'ait pas antérieurement manqué à l'Au-
triche des économistes zélés et particulièrementdesstatis-
ticiens (v. Czôrnig, Ficker, plus tard Neumann-Spallart,
et maintenant Brachelli et le bavarois K. Th. v. Inama-
Sternegg, éminent historien de l'économie allemande),
cependant elle ne pouvait lutter avec les autres parties
de l'Allemagne, même si Ton tient compte des nom-
breuses publications sur les questions commerciales,
monétaires et bancaires. Sans parler des prolixes com-
pilations du professeur Mischler (senior) de Prague, des
savantes œuvres historiques de Béer, des monographies
estimées de Plener, de Peez, etc., des bons essais de
Neurath et de quelques travaux ingénieux de Hertzka,
430 l'économie politique
passé récemment au socialisme, nous rappelerons
seulement les excellents précis des professeurs viennois
Kudler (m. 1853) et Neumann-Spallart (m. 1888), le
premier protectionniste, le second libre écliani^iste, et,
d'une façon particulière, les œuvres financières, très étu-
diées et très élégantes du baron Charles de Hock (fê08-
1869), dans lesquelles nous trouvons des observations
originales sur la répercussion des impôts et une étude
approfondie des impôts de consommation.
Jos. Kudler, Die Grundlehren di'r Volkswirlhschfi/ 1 .
Wien, 1846. Deux volumes. -2« édit., 1856.
F. S. Neumann, Volkswirthschaftslehre mit beson-
derer Anwendiing auf Heertcesen, etc., Wien, 1873.
C. V. Hock, Die uffentiichen Abgaben und Schulden.
Stuilgart, 1863. — Die Finanzverivaltung FranU-
reichs, 1857. — Die Finanzen und die Finanzge-
schichte der vereinigten Staatenvon America, 1867.
Dans ces dernières années, grâce au travail diligent
de deux éminents professeurs, Charles Menger et Emile
Sax, dont l'activité scientifique est d'ailleurs beaucoup
plus ancienne, est née une école autrichienne, ou mieux
austro-allemande, qui doit être hautement louée pour
avoir rappelé Tattention du monde savant sur les pro-
blèmes de la science pure et en particulier sur celui
de la valeur, et sur la nécessité d'appliquer la méthode
déductive, que les économistes allemands avaient
abandonnée pour se livrer presque tous à de minutieuses
recherches historiques et statistiques.
Emile Sax (né en 1845), professeur à l'Université
allemande de Prague et député au Reichsrath, a écrit
un bon travail sur les maisons ouvrières ; il doit sa
réputation d'éminent économiste à sa grande monogra-
phie (résumée dans le Manuel de SchÔnberg) sur les
moyens de tran.sport et de communication, dont il a
EN AUTRICHE, ETC. 431
montré de main de maître le caractère public, et dont il
a fait une analyse objective et impartiale, supérieure à
t;elles de Cohn et de Wagner, remarquables sans doute,
mais trop subjectives. Dans les polémiques sur la mé-
thode, il a défendu la méthode déductive et soumis à un
ingénieux examen le principe de l'intérêt personnel et
t;elui delà sympathie; il a montré la nécessité d'étudier
l'action de l'Etat même dans le domaine de la science
pure. Il faut signaler encore un autre travail ori^-inal
de Sax. dans lequel il se propose de déduire toute la
théorie financière, dont il revendique le caractère
scientifique, de la théorie de la valeur ; il y a là quelque
^xgération, qu'il enveloppe, d'ailleurs, dans un style
souvent obscur.
Em. Sax, D/e Wohnunffszustûnde der urbcUenden Klns-
sen. Wien, 1869. — Die Verkehrsmillel in Volks-
und Slaatswirthschaft, 1878-1879. Deux volumes.
— Das Wesen und die Aufyabe der Naiionaloko-
nomie, 1885. — Grundlegung der Iheorelischen
Staalawirlhschaft, 1887. — Die Progressivsleuer
(in Zeitschr. fur Volkswirihschafl. n» 1, 1892).
Charles Manger (né en J840), professeur à Vienne, a
exercé une influence plus grande encore par ses ou-
vrages, ses vastes connaissances et son excellent en-
seignement. Son frère Anton (professeur de droit) et
son cousin Maximiiien se sont occupés également de
quelques questions d'économie. Dans un premier travail,
immédiatement apprécié mais moins qu'il ne le méri-
tait, et; dans ses essais postérieurs sur le capital, sur
les questions de monnaie, Menger, sans faire usage du
calcul, est arrivé à des résultats en partie analogues à
ceux de Jevons et en partie nouveaux sur la doctrine
de la valeur subjective des biens instrumentaires,
définitifs et complémentaires, et à quelques applications
432 l'économie politique
qui ont été le point de départ d'une série d'articles de ses
disciples, v. Wieser (maintenant professeur à Prague),
Zuckerkandl et Komorzynski.
C. Menger, Grimdsaize der Volhsîcirthschaflslehre.
Wien, 1871. — Zur Théorie des Kapiials (in Jahr-
hùcher fur Naiional-Oekonomic . Jena, 1889.) —
V° Geld, dans Y Handioorierbuch de Conrad, vol.
III, 1892. — Der Uebergang zur Goldwcihrung.
■ Wien, 1892.
Fr. V. Wieser, Ueber den Ursprimg und die Hawpl-
gesetze des wirthschaftliches Werlhes. Wien, 1884.
— Der natùrliche Werth, 1889.
R,. Zuckerkandl, Zur Théorie des Preises. Leipzig, 1889.
Joh. V. Komorzynski, Der Werth in der isoUrten
Wirthschaft. Wien, 1889.
Cfr. W. 'èmdiTi, An introduction lo ihe iheorij of value
on the Unes of Menger, etc. London, 1891.
Le signal de la lutte contre le courant trop exclusif
de l'école historique a été donné par Menger dans ses
classiques Untersuchungen, qui constituent un exposé
profond et clair des préliminaires d'une méthodologie
économique, dont Fauteur s'occupe depuis de longues
années, tout en dirigeant en même temps les travaux
préparatoires d'une hibliographie générale de l'écono-
mie politique. Un compte-rendu acerbe et inexact de
Schmoller provoqua une réponse très vive et trop agres-
sive de Menger, qui, à son tour, fut suivie d'articles plus
mesurés, dans lesquels Wagner et Dietzel, malgré
quelques réserves, adhéraient à ses opinions. A l'hon-
neur de Menger il faut ajouter que, loin de mépriser ou
même de négliger les recherches historiques et histo-
rico-littéraires, il les encourage, comme le prouvent les
excellentes thèses de ses disciples Bauer et Feilbogen,
dont nous avons déjà parlé, et celle de Schullern, dont
nous parlerons plus loin.
EN AUTRICHE, ETC. ^tdS
C. Menger, Untersuchungen ûber die Méthode der So-
cialicissenschaflen und dn' politischen Oekonomre
insbesoudere. Leipzig, 1883. — Die Irrihiimer des
Historimus. Wien, 1884.
Parmi les disciples de Menger le plus éminent est
sans aucun doute Eugène von Bohm-Bawerk, profes-
seur à Innsbruck et maintenant à Vienne. Il a com-
mencé sa carrière par une remarquable monographie,
dans laquelle il cherche à démontrer que les simples
rapports de droit et de fait ne forment pas un capital
au point de vue de l'économie sociale, bien qu'ils puis-
sent former une partie importante du patrimoine indivi-
duel. 11 a, plus tard, avec plus de largeur que ^^'iescr,
développé la théorie de la valeur, déduite de l'utilité-
limite, d'après la doctrine de leur maître commun.
L'œuvre la plus importante de Bohm-Bawerk e.st
l'histoire et la théorie de l'intérêt du capital ; il l'expli-
que par la différence de valeur entre les biens pré-
sents et les biens futurs, qu'ils soient employés dans
la consommation ou dans la production. Ce livre est
remarquable par la profondeur des recherches, par sa
critique pénétrante et la clarté lumineuse de son expo-
sition, malgré les critiques acerbes que quelques auteurs
ont faites sur l'exactitude et Timportance de ses conclu-
sions.
D'autres élèves de Menger, comme Gross et particu-
lièrement Mataja, ont étudié le profit ; Schullern a ana-
lysé le concept de la rente ; Meyer a remarquablement
exposé la théorie de la justice dans la répartition des
impôts, et il a soumis à une révision diligente la théorie
de la rente ; Eugène vonPhilippovich est l'auteur d'une
excellente étude sur la banque d'Angleterre dans ses
rapports avec les finances {Die Bank von England^
Wien, 1885); il a débuté dans la chaire de Fribourg
par la publication d'une judicieuse leçon d'ouverture
28
4o4 L ECONOMIE POLITIQUE
[Ueber Aufgabe und Méthode der politischen Oeko^
nomie. 1886); plus tard, il a publié un bon pré-
cis. Il faut ajouter que l'école austro-allemande n'a
pas oublié les questions d'application et d'actualité,
comme le prouvent notamment les travaux de Mataja
(Oa.s Recht des Schadenersaizes, 1888) et ceux de
Seidler sur les budgets {Budget und Budgetrecht,
1885) et sur les peines pécuniaires [Die Geldstrafe,
in vol. 20 des Jahrbïi.cher fur Xational-Oekonoinie,
1890).
Eug. V. Bôhm-Ba\verk, Redite und Verhdltnisse vom
Slandpunkte der volksivirthschaftlichen Gùlerlehre.
Innsbruch, 1881. — Grundzûge der Théorie des
ivirthschaftlichen Gùierirerths (in Jahrbûcher de
Conrad, 1886). — Kapiial und Kapiialzins. Inns-
bruch, 1884-1889. Deux volumes. - Trad. angl.
de W. Smart, 1890-1891.
F. Mataja, Der Unlernehmergewin. Wien, 1884.
G. GTOSS,DieLehre vom Unternehniergeicinn, Leipzig,
1884. — Wirthschafisformen und Wirihschafts-
prinzipien, 1888.
H. V. Schullern, Untersuchungen ùber Begriff und
Wesen der Grundrenie. Leipzig, 1889.
Rob . Meyer, Die Principien der gerechten Besteuerung .
Berlin, 1884. — Bas Wesen des Einkommens, 1887.
Eug. V. Philippowich, Grundriss der politischen Oe-
konomie. Freiburg i. Br., 1893. Deux volumes.
Tout en étant d'accord avec nos illustres collègues
de Vienne et de Prague sur la méthode et tout aussi
convaincu qu'eux-mêmes que l'application qu'en a
faite Ricardo n'est pas inattaquable, nous nous per-
mettons cependant d'émettre un doute sur l'impor-
tance qu'ils attribuent à la théorie de l'utilité-limite et
à ses dérivés. Nous l'acceptons comme un complé-
ment utile et comme une correction partielle à la théo-
rie de la valeur courante, mais nous ne pouvons
EN AUTRICHE, ETC. 435
accorder qu'elle doive remplacer celle de la valeur nor-
male et devenir le centre d'une économie nouvelle sur
une base purement psychologique. Les réflexions de
Dietzel et de Patten [Jarhûcher fur Nationalôko-
nomie, 1890-91), nous semblent dignes d'être prises en
considération, parce qu'elles ne sont pas, comme celles
de certains adversaires, de grossières équivoques. Il faut
en outre souhaiter moins de prolixité et plus de clarté.
Cfr. sur l'école aulro-allemande : James Bonar,
The Austrian Economists. (in Quarterly Jour-
nal of Economies. Boston, octobre 1888). — Em.
Sax, Die neueslen Forlschrilte der naiionaloko-
mischen Théorie. - Trad. ital. de A. Graziani.
Siena, 1889. — E. v. Bôhm-Bawerk, The Austrian
Economists (in Annals of the American Academy, etc.
J'hiladelphia, janvier 1891).
Voir aussi la nouvelle revue trimestrielle Zeitsrhrift
fur Vollxswirthschaft, Socialpolitik und Verical-
twuj. Wien, 1892.
.^" 2. l'économie politique dans LES PAYS-BAS
L'état des études économiques dans les Pays-Bas
peut être considéré comme florissant. Elles sont repré-
sentées dignement dans les Universités de Leyde,
d'Utrecht, de Groningueet d'Amsterdam; on leur ouvre
les revues générales [De Gids) et elles ont leurs revues
spéciales [De Economiste Vragen der Tijd.s). Les
Hollandais sont tout à fait au courant de l'état actuel
de la science en France, en Allemagne, en Angleterre ;
ils sont restés fidèles aux traditions de l'école classi-
que, dont ils ont perfectionné les résultats, et ils ont étu-
dié dans de bonnes thèses de doctorat les questions de
science pure et de science appliquée. Il suffît de men-
tionner le mémoire de van Houten sur la valeur (1859),
436 • l'écoîsOmie politique
ceux des éminents professeurs d'Aulnis de Bourouill
(d'Utrecht) sur le revenu social (1874), d'accord avec
les doctrines de Jevons, et de Greven (de Leyde) sur la
théorie de la population (1875), étudiée du point de vue
des idées des évolutionnistes Spencer, Greg et Galton,
et, en outre, la thèse très correcte d'Heymans sur la mé-
thode (1880), celles de Tasman sur la répercussion, et de
Cohen Stuart sur l'impôt progressif ( 1 889) , et enfin , celles
de Falkenburg sur le salaire, de Verrijn Stuart qui réfute
l'opinion de ceux qui voient dans les théories de Marx
une suite des théorèmes de Ricardo (1890), de von der
Schalk sur les coalitions industrielles (1891), et de Me-
thorst sur les maisons de travail pour les pauvres (1895) .
Parmi les autres professeurs, nous devons citer van
Ress (1825-1869), auteur de très savants travaux his-
torico-littéraires, Quack qui a écrit de brillants essais
sur le socialisme, Vissering (1818-1888), savant auteur
d'un manuel élégant mais peu profond, Cort van der
Linden, quia écrit dans l'e.'^iDrit de l'école allemande un
bon précis sur les finances. Antoine Beaujon (1853-1890)
leur est supérieur à tous sous beaucoup de rap-
ports. Il s'est occupé d'abord de travaux statistiques,
il a écrit ensuite en anglais son œuvre principale sur la
pêche, et il a publié enfin une monographie précieuse »
dans laquelle il a déduit correctement de la théorie des
échanges internationaux le corollaire de la liberté du
commerce.
H. Q. G. Quack, De socialisten. Personen en stelsels.
Amsterdam, 1875-1879.
Sim. Vissering, Handboek van praldische Siaathuis-
houdkuncle, 1860-65; 4« édit., 1878. Deux petits vo-
kimes.
P. W. A. Cort van Linden, Leerboek der financien.
1887.
A. Beaujon, Hisiory of ihe duich sea fisheries. Ams-
EN AUTRICHE, ETC. 437
terdam, 1884. — Handel en handeispoliiiek. Haar-
lem, 1888.
Guillaume Cornélius Mees (1813-1884), président de
la Banque des Pays-Bas, a été un savant de premier
ordre. Il a débuté par deux mémoires, le premier sur
les altérations monétaires [De vi mutcitae monetae in
solutionein pecuniae debitae, 1838), le second sur
les anciennes banques de dépôt ; il a relevé quelques
erreurs de Steuart et de Smith, et expliqué la véritable
nature des opérations de la banque d'Amsterdam
fProeve eener gesdiiedenis va.n het bankwezen in
Nederland. Rotterdam, 1838). Il écrivit ensuite une
excellente monographie sur le travail dans les établisse-
ments d'assistance (De Werkinrigtinge7ivan arnien,
1844). Il publia beaucoup plus tard ses travaux de
science pure ; ils sont remarquables par la profondeur
de la pensée, la correction un peu arido de la forme, et
la sobriété de l'érudition. Dans le volume intitulé
OverzicJit van eenige hoofdstukken der Staatshuis-
houdkunde. Amsterdam, 1886, il a résumé, avec une
simplicité et une clarté remarquables, les théories de
l'école classique, et, en particulier, celles de Ricardoet
de Stuart Mill sur la production, la valeur, la distri-
bution des richesses, sans omettre de parlerdes limites
de leur champ d'application. 11 faut signaler tout par-
ticulièrement sa théorie des relations entre le salaire et
la rente et celle des échanges internationaux, qu'il a
enrichie de développements intéressants. Il a égale-
ment publié d'autres mémoires dans les Actes de
l'Académie Royale des Sciences d'Amsterdam, qui sont
autant d'essais complémentaires, également très impor-
tants : le premier porte sur le système monétaire, dont
Mees avait déjà parlé dans une monographie spéciale
(Het niuntwezen van Nederlandsch Indie. Amster-
438 l'économie politique
dam, 1851), et aussi, à plusieurs reprises, dans de remar-
quables rapports officiels {De muntstandaard in ver-
hand met de pogingen tôt invoering van eenheid
VEin munt, 188')). Il y expose avec une méthode cor-
recte la théorie du bimétallisme international, et il
évite les exagérations des partisans extrêmes de ce sys-
tème. Sur cette doctrine, presque généralement accep-
tée en Hollande, nous possédons des travaux de Pier-
son, de Van den Berg, directeur de la banque de Java,
et enfin de Boissevain et de Rochussen (1891); les
œuvres de ces deux derniers écrivains ont été couron-
nées. Les mémoires de Mees sur la répartition des
impôts (1874) et sur les concepts fondamentaux de l'éco-
nomie (1877) sont pleins d'observations pénétrantes.
Parmi les économistes hollandais actuels, la première
place appartient à Nicolas Pierson (né en 1839), profes-
seur d'économie à Amsterdam (1877), successeur de
Mees à la présidence de la Banque néerlandaise (1884),
et, depuis août 1891, ministre des finances. Esprit
pénétrant, également bien doué pour les recherches
historiques, scientifiques et les travaux d'application,
Pierson a écrit de nombreux mémoires sur la monnaie,
le crédit, la valeur, le salaire, la rente, l'impôt, etc.,
presque tous insérés dans les revues déjà citées, De
Gids et De Economist. Admirateur des économistes
anglais (en particulier de Ricardo, de Mill, de Je vous,
de Marshall), il persévère dans la théorie du libre
échange sans tomber dans l'optimisme; il admet une
intervention modérée de l'Etat dans la question
ouvrière, mais repousse énergiquement les théories du
socialisme.
Parmi les monograpliies qui ont fait l'objet de publi-
cations séparées, nous citerons sa traduction du livre de
Goschen sur le cours des changes, son discours sur le
concept de la richesse [Het begrip van volksrykdom.
EN AUTRICHE, ETC. 439
'S. Gravenhage, 1864) ; l'opuscule Twee adviezenover
muntwezen (1874) et enfin ses brillantes et érudites dis-
sertations historico-politiques sur le gouvernement des
colonies (Het Kulhiur-stelsel, 1868. totalement re-
fondues sous le titre de Koloniale jjolitiek. Amster-
dam, 1877), Le chef-d'œuvre de Pierson est son
traité d'économie politique, dans lequel, abandonnant
les divisions ordinaires et sans aucun appareil d'éru-
dition, il explique, avec une profondeur qui égale celle
de Mees mais avec une toute autre vivacité de style, les
doctrines de l'économie moderne. Il commence par la
théorie de la valeur qui le conduit aux théories de la
distribution et de la circulation; il continue, après avoir
expliqué lesproblèmes financiers même au pointdevue
pratique, par les théories de la consommation, de la
population et enfin par celle de la production, dont il
proclame l'importance capitale. Le livre de Pierson est
en somme un des meilleurs exposés de l'état actuel de
la science.
N. G. Pierson, Leerboek der Staalhidshoudkunde .
Haarlem, 1884-90. Deux vol. — Grondbeginselen
der Siaathuishoudkunde. Haarlem, 1875-76. -Nou-
velle édition, un peu modifiée, 1886.
§ 3. l'économie politique en ESPAGNE
Cfr. (en dehors de mon article déjà cité). M. H. v.
Heckel, Zur Entwickelung und Lage der neueren
staatsivissenschaftlichen LiUeratur in Spanien (in
Jahrbûcher fur Nationalùkonomie. Jena, 1890. Nou-
velle série, 21« vol., pp. 26-49).
Le peu de stabilité des gouvernements, les crises
économiques et financières, les nombreux obstacles à
la diffusion du savoir, le peu d'originalité des écrivains.
440 l'économie politique
habituéi? à imiter les œuvres étrangères et notamment
les œuvres françaises, suffisent à expliquer le peu
d'importance relative des économistes espagnols et
portugais contemporains; dans ces dernières années, on
peut signaler quelques honorables exceptions.
Il existe en Espagne un très grand nombre de livres
élémentaires, mais on ne peut louer en eux ni l'ampleur
de la doctrine, ni la pénétratioa de la critique, ni la
rigueur de la méthode, ce qui explique le besoin de
traduire les résumés écrits en langue étrangère. On
apprécia pendant longtemps le Curso de Economia
-politico. (!'■" édit. Londres, 1828. Deux vol.-7'= édit.
Oviedo, 185?.-trad. franc, de L. Galibert, 1833) d'Al-
varo Florez Estrada (m. 1833), qui résume avec beau-
coup d'habileté dans des analyses en partie originales
les théories des économistes classiques. Les Principes
d'économie politique du protectionniste A. Borrego
(1844) sont plus connus que les excellents Eléments
du marquis de Valle Santoro (1829). Les idées restric-
tives ont été encore plus favorablement défendues par
l'illustre historien et publiciste Manuel Colmeiro (Tra-
ta,do elementa.1 de economia j^olitica eclectica. Madrid,
1845. Deux volumes), qui, converti plus tard au libre
échange, résuma ses leçons dans les Principios de
economia j^olitica (Madrid, 1859.-4'' édit., 1873).
Benigno Carballo y Wangûemert (m. 1864) professa
des idées plus conformes aux théories reçues dans son
Curso de economia politica (Madrid, 1855-56. Deux
vol.). Plus vaste encore est l'œuvre du professeurs. D.
Madrazo, de l'Université de Madrid (Lecciones de econ.
polit., Madrid, 1874-75. Trois vol.), disciple de Ba.stiat.
Des théories analogues étaient professées par le séna-
teur Mariano Carreras y Gonzales, auteur d'un précis
de statistique (i863), et d'un traite d'économie, fort en
usage dans les écoles et qui porte le titre caractéris-
EN AUTRICHE, ETC. 441
tique de F iloso fia del interès Personal (Madrid. 1865.-
3* édit., 1881). J. M. de Olozaga y Bustamente ,
auteur d'une œuvre érudite (Tratado de econoinia,
politica. Madrid, 1885-86. Deux vol.), très répandue
hors d'Espagne, n'est pas moins optimiste.
D'excellentes monographies ont été publiées dans la
Gaceta, economîsta 1I86O-68. Douze volumes), dans les
Mémoires de la Société économique de Madrid (1835-
77) et dans ceux de l'Académie des sciences morales et
politiques (1863-78) ; d'autres ont été réunies dans les
volumes d'Essais et d'Etudes publiés par Diaz (1855),
par Duran y Bas (1856) et parEscudero(1878y. Le libre
échange a été défendu par Figuerola, Barzanellana, de
Bona y Ureta, Ochoa, Sanromâ, etc. ; sur le crédit en
général ont écrit Casasas (1890); sur le crédit foncier,
Oliver (1874), Isbert y Ouyas (1876) ; sur la propriété,
Santamaria de Paredes (1874; et Martinez (1876) ; sur la
population, Oaballero, qui a soulevé une vive polémique
(1873) ; sur les crises industrielles, Pastor y Rodri-
guez (1879) ; sur la question sociale, Arenal 1880 , Fer-
ran, Menendez (1882; ; sur les caisses d'épargne, Ra-
mirez (1876); sur l'assistance, Aranaz (1859i, Perez
Molina 1868, Montells y Bohigas (1879) et quelques
autres.
Les ouvrages sur la science des finances sont très
nombreux. En dehors du Diccionnario de liacienda
de Canga Arguëllcs Londres, 18'26, - 2*^ édit. Madrid,
1834-40. Trois volumes) et des livres élémentaires de
Lopez Narvaez (Tratado de Hacienda, etc., 1856) et
de Lozano y Montes {Compendio, etc., 1878', on peut
citer l'œuvre critique de Conte [Examen, etc. Cadix,
1854-55. Quatre vol.), les traités systématiques de Pefia
y Aguayo [Tratado de la Hacienda, etc. Madrid, 1838),
de Toledano [Curso de institue iones. 1859-60. Deux
vol.) et l'ouvrage plus récent et plus accrédité de Pier-
442 l'économie politique
nas y Hurtado {Manual de instituciones de hacienda-
publica espanola. Cordova, 1869. - 4^ édit., Madrid^
1891), riche de notices sur l'histoire et sur la législation
financière nationale. 11 faut signaler d'une manière
spéciale L. Maria Pastor (m. 1872), auteur de trois
excellents travaux sur les impôts (La Ciencia, de la.
contribucion. Madrid, 1856), sur le crédit privé et.
public {Filosofla, del crédita, 1850.-2« édit, 1858) et
sur l'histoire delà dette publique (Hisioi'ia de ladeuda
publica espanola, 1853). Les impôts ont été étudiés
par Heredia (1813), Lopez de Aedo (1844), Valdes--
pino (1870), etc.; sur le crédit public il existe un
traité élémentaire de A. Hermandez Amores (Murcie,
1869).
Parmi les travaux d'histoire économique il faut faire
une mention spéciale pour ceux de F. Gallardo Fer--
nandez [Origen, progvesos, etc. de las renias de
Espaiîa. 1806-32. Sept vol.), pour la très intéressante
histoire des banques espagnoles de R. Santillan [His-
toria sobre los bancos, etc. Madrid, 1865. Deux vol.)
et pour l'excellent Essai sur la propriété foncière de De-
Cardenas [Ensayo sobre la historia de la propriedad
territorial en Espaiîa. Madrid, 1873-75. Deux vol.)
Les doctrines des socialistes de la chaire, combattue;?,
par Rodriguez, Sanromâ, Carreras, trouvent des parti-
sans éminents et modérés dans F. Giner [Principios
elementales del derecho, 1871), G. Azcàrate [Estudios^
politicos y economicos, 1876), Botello (1889) et Sanz y
Escartin (La cuestion economica, 1890). Une sage
théorie éclectique est défendue par Piernas y Hurtado,
professeur à Madrid [Vocabulario de la economia,
1877.-2^ édit., 1882), qui a récemment publié un vo-
lume d'Essais [Estudios economicos, 1889) et d'inté-
ressantes conférences sur la coopération {El movi-
miento cooperativo, 1890), et aussi par L. de Saralegui
EN AUTRICHE, ETC. 4i3
y Médina (Tratado de economia fjôlitica. ^6" édit.,
1890).
I. F. Da Silva, Diccionano bibliographico portu-
guez, etc., Lisboa, 1858-87. Quatorze volumes.
J. Fred. Laranjo, Economistas poriuguezes [0 Insii-
iuto. Vol. XXIX et suiv. Coimbra, 1882-1884).
L'économie politique a trouvé dans le Portugal des
conditions encore moins favorables qu'en Espagne. Le
premier écrivain de quelque importance est l'évêque de
Pernambuc et d'Elvas, J. J. Cunha d'Azéredo Couti-
nho (1743-1821), qui a publié quelques essais sur le com-
merce, les mines, la monnaie, l'esclavage. Un certain
nombre de monographies sur les questions d'applica-
tion ont été insérées dans les Mémoires de l'Académie
des Sciences (1789-1816). L'excellent jurisconsulte et
économiste José da Silva Lisboa (1756-1835 a le mérite
d'avoir fait connaître en Portugal et au Brésil les théo-
ries de Smith ; il a résumé ses idées dans les Estudos
do bem comum e economia, politica (Rio de Ja-
neiro, 1819-20. Deux vol.). Nous trouvons des écrivains
éclectiques ou partisans de la physiocralie, comme le
professeur de Coïmbre, J. J. Rodriguez de Brito (1753-
1831), qui a écrit des Memorias politicas sobre as ver-
dadeiras bases de la grandeza das naçoes, Lisboa,
1803-05) ; d'autres, au contraire, se sont faits les défen-
seurs d'un protectionnisme modéré, comme F. S. Cons-
tancio, traducteur de Malthus et de Ricardo, qui a
fondé et dirigé à Londres les Annaes das Sciencias
(1818-22) et José Accursio das Neves (1766-1834), un
érudit connaisseur de l'histoire économique portu-
gaise {Variedades sobre objectos relatlvos as artes,
444 l'économie politique
commercio e manufacturas. Lisboa, 1814-17, Deux
volumes).
Le premier précis d'économie loolitique écrit, dans
une forme un peu scolaslique, par le prêtre D. Man-
nuel d'Almeida Lisboa, 1822), devait servir pour la
chaire proposée par le député Rodriguez da Brito,
mais non instituée par suite de l'opposition des parti-
sans du système restrictif inauguré au siècle précédent
par le ministre Pombal. Ont paru ensuite les Institui-
çoes (Lisboa, 1834) de José Ferreira-Borges (1780-1838),
extraites en grande partie des œuvres de ïracy et de
Storch, les Preleçcocs (Porto, 1837) de Ag. Alb. da Sil-
veira Pinto (1785-1852, les Xoroes elementares de
Ant. d'OliveiraMarreca (Lisboa, 1838), le très court pré-
cis de Pinheiro-Ferreira [Précis cVun cours cléconoinie
politique. Paris, 1840) elles autres plus récents de F. L.
Gomes [Essai sur la théorie de l'économie politique,
etc. Paris, 1807) et de L. Aug. Rebello da Silva [Com-
2:>enclio de economia politica, rural, industrial e
commercial (Lisboa, 1868. Trois volumes).
Une chaire d'économie a été créée à l'Université de
Coïmbre en 1830 et confiée à Adrien Pereira Foriaz de
Sampajo. qui l'a occupée jusqu'en 1871. Il a publié un
précis, inspiré dans la première édition 1 1839) par le
catéchisme de Say et dans la seconde (1841) par le traité
de Rau. Augmentée dans les réimpressions ultérieures,
et notamment dans la cinquième [Novos elementos de
economia politica e estadistica. Coïmbra, 1858-59.
Trois vol.), corrigée à nouveau et un peu abrégée dans
la sixième (1867) et dans la septième (1874. Deux vol.),
cette œuvre, peu profonde, mais remarquable par
l'ordre, la clarté et la richesse des renseignements,
remplaça dans les écoles les compilations précédentes.
L'enseignement de la science des finances ayant été
introduit dans l'enseignement de l'Université (1865\
EN AUTRICHE, ETC. 445
conjointement avec le droit financier national comme
en Espagne, Mendonça Cortez publia des Estudos fhinn-
çeiros, résumées (1873) par Ctirnido de Figuereido,
auteur d'une Introduccao a sciencia das finanças
(1874). On doit lui préférer le traité du professeur An-
tonio dos Sanctos Pereira Jardim (né en 1821), intitulé
Princijnos de Finança (Coimbra^ 1869.-3eédit., 1880).
A Tinfluence des idées radicales, voisines du socia-
lisme, est dû le petit ouvrage de F. M. de Sousa Bran-
dao (0 tvahalho. Lisboa, 1857). Le ministre actuel des
finances, Oliveira Martins (0 régime das riquezas,
Lisboa, 1883) et J. J. Rodrigues de Freitas, professeur
à TAcadémie polytechnique de Oporto {Principios de
Economia politica. Porto, 1883), se sont in.spirés, au
contraire, des théories de l'école historique et des résul-
tats de la sociologie.
Parmi les monographies nous citerons les Principes
de la science des finances {Syntelologia) de Ferreira
Borges (Lisboa, 1834), l'histoire de la dette publique
de Da Silveira Pinto {Dividapubliraj^orlugueza, Lon-
dra, 1831), les ouvrages de Morato Roma sur la mon-
naie (De lamonnaie. Libona, 1861), de Serzedello sur
les banques [Os bancos, 1867) et du professeur Laranjo
sur l'émigration et les colonies (T/ieo)7a gérai da emi-
graçào. Tome I. Coimbra, 1878).
CHAPITRE XIII
L'ÉCONOMIE POLITIQUE DANS LES PAYS
SCANDINAVES, SLAVES ET MAGYARES
Il sutrira de donner de très rapides indications sur la
littérature Scandinave, slave et magyare. (Nous nous
sommes particulièrement servis des œuvres et des
renseignements fournis par les professeurs Falbe Han-
sen, Scharling, Petersen, Hertzberg, Rabenius, Hamil-
ton, Lilienstrand. Wreden, Janschull, Jahnson, Loria,
Kautz et Bêla Foldes . Toutes les œuvres ont un inté-
rêt ou historique ou purement local, ou bien, quoique
remarquables^ elles ne s'éloignent pas de celles des
meilleurs économistes anglais, allemands, français.
Dans les vingt-cinq dernières années cependant les
progrés de la Russie ont pris des proportions telles
qu'ils nous permettent d'espérer en un avenir scienti-
lique encore plus brillant.
§ 1. PAYS SCANDINAVES.
A. — Dariemark.
A la période mercantiliste appartiennent le^s œuvres
très importantes de Tévêque Henri Pontoppidan ; il est
l'auteur d'une description statistique du Danemark
(1763-81; et d'un livre intitulé Oekonomik Balance
(1759;; il a été directeur du Danmarsk og Norges
okonomisk Magazin (1757-68. Huit volumes). A cette
DANS LES PAYS SCANDINAVES, ET(J. 447
période se rattachent également les travaux de Frédéric
hïitken {Oekonomiske Tanker, 1755-61. Neuf volumes)
et les œuvres politiques de Andrée Schylte (1773-76),
qui s'est fortement imprégné des idées de Hume.
Othon D. Liitken a répandu des idées libérales en ma-
tière de monnaie (1735) et devancé Malthus, dès 1758,
dans la théorie de la population ; on lui doit un des
premiers travaux systématiques [Undersogninger, etc.,
1760).
On doit, en partie, à l'influence physiocratique les
réformes faites par le ministre Struensee : abolition
de la servitude, de la communauté des terres, des pres-
tations féodales, etc. Le tarif douanier relativement
modéré de 1797 est postérieur de quelques années seu-
lement à la traduction de Smith (1772-80), qui a été
suivie, beaucoup plus tard, par celle des ouvrages de
Say, Sismondi, Blanqui, Ricardo, Mac Culloch, Rau
et plus tard encore par celle de Bastiat et de Faw-
cett.
Une chaire d'économie ayant été créée à l'Université
de Copenhague, le professeur C. Olufsen (1815-27) pu-
blia un précis {Grundtra.ek af denj^ra-ktiske Stalsôko-
nornie, 1815) d'après les écrivains allemands. En 1848
une faculté politico-administrative spéciale fut créée ;
l'enseignement fut confié au célèbre statisticien David,
-qui, longtemps auparavant, avait dirigé le StatsukonO'
misk Archiv (1826-29, continué en 1841-43), et à Berg-
soe, auteur d'une volumineuse Statistique du Dane-
mark (1844-53). Un peu plus tard le professeur C. J. H.
Kayser publia un bon précis, dans lequel il résume
l'économie classique, notamment d'après Hermann et
Stuart Mill [On arbeidets Ordning . 1857. Trad. sué-
doise, 1867). Son successeur N. C. Frederiksen (émigré
«n Amérique en 1877) se rapproche des théories des
-optimistes dans trois monographies sur la libre concur-
448 L'ÉCONOiMIE POLITIQUE
rence (1863), le développement (1870) et sur les con-
cepts fondamentaux de Téconomie (1874). Des idées
analoï^ues sont exposées dans le manuel populaire de
M. Gad [Det almindelige Velstands natur og aarsager.
2" édit. 1879).
Les études économiques ont reçu en Danemark
une nouvelle impulsion après la fondation de la Société
d'économie politique (1872) et la publication d'un^
revue mensuelle {NationalôJionomisk Tidschrift ,
1873 et suiv.) à laquelle collaborent l'éminent statisticien
professeur H. Westergaard , les professeurs V. Falbe-
Hansen et W. Scharling, qui ont publié, pour un con-
cours en 1869, deux bonnes monographies sur les
variations des prix après la découverte de l'Amérique.
Falbe-Hansen dirige aussi la statistique offîcielle et suit
avec beaucoup de modération les idées de l'école alle-
mande, à laquelle adhèrent plus complètement le privat-
docent Alexis Petersen-Studnitz, directeur de la revue
ci-dessus mentionnée, Krebs, W. Arntzen et H. Ring^
auteurs d'unprécis {Nationalukonomien, 1875), et enfin
Cl. Wilkens, qui a écrit un essai de sociologie (Sam-
fundslegemets Grundlove, 1881). Scharling, collabo-
rateur de plusieurs périodiques allemands, auteur
d'une introduction à l'économie [Inledning Ht den jjo-
litiska, ôkonomi, 1868) et d'un Programme de leçons
[Grundrids af den rené Arbejdslaere, 1871) suit les
doctrines de l'école classique. L'école mathématique
est représentée par Westergaard [Inledning tit stiidiet
of Natlonalôkonoinien, 1891), F. Bing, M. Rubin,
Julius Petersen (Bestenimelse af den rationelle Ar-
beidslôn samt nogle Bemerkingen von Oekonomiens
Méthode, 1873).
L'importance relative du socialisme, très répandu
en Danemark, a fait naître un grand nombre d'ouvrages
sur la question ouvrière.
DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 449
Cfr. R. Meyer, Der Socialismus in Danemark. Berlin,
1874.
G. Martinet, Le Socialisme en Danemark, 1893.
B. — Nbrivège.
Plus que l'union politique, qui a duré jusqu'à la (in
de 1814, la communauté des langues a contribué à im-
primer à la littérature économique de la Norwège un
caractère peu différent de celui du Danemark. Depuis
le milieu du siècle passé il a été publié un grand nombre
d'ouvrages de caractère descriptif ou concernant des
intérêts purement locaux. La crise économique, les
désordres monétaires, l'insolvabilité des banques sont
les sujets les plus souvents traités. Sur la question ban-
caire il faut citer quelques opuscules du capitaine Ma-
riboe (1815-21), mais spécialement une bonne monogra-
phie du professeur Antoine Martin Schweigaard {Om
Norges Bank og Pengevaesen, 1836). Schweigaard est
aussi l'auteur d'une célèJjre Statistique de la Norwège
qu'il n'a pu terminer parce qu'il a dépensé son activité
comme membre du Stortliing, où il a obtenu l'abolition
des corporations, des monopoles, des droits protecteurs ;
il a pris également une part active dans rétablissement
des chemins de fer.
Voir F. Hertzberg, Professor Schweigaard. Christia-
nia, 1883.
Au moment de la discussion sur la question moné-
taire qui se termina par la formation de la ligue
Scandinave (1872-75) parurent plusieurs ouvrages de
polémique de T. H, Aschehoug, de l'ex-ministre 0. J.
Broch (1867), du banquier Heftye (1873) et de Gam-
borg (1874). Il n'existe pas en Norwège de traités et de
précis d'économie, sauf un petit ouvra'ge populaire de
H. Lehmann {Velstandslecre, 1874) qui accepte les
29
450 l'économie politique
doctrines de Bastiat. Parmi les économistes actuels, en
dehors de ceux que nous avons déjà cités, il faut men-
tionner le directeur du bureau de statistique, A. N.
Kyaer, qui a écrit un bon ouvrage sur la navigation
{Biclnig til ùebjsnlngen of shibsfartens oehonomiske
forhold, 1877). Un concours fut ouvert en 1876 pour
une seconde chaire d'économie à l'université ; on choi-
sit pour sujet le crédit et les banques. A ce concours
prirent part Gamborg {Seddelbanken) , Kyaer {Om
seddelbariker) et Ebbe Hertzberg (qui fut nommé , au-
quel nous devons deux travaux très remarquables,
publiés en 1877 sous le titre de : En kritisk Frems-
tilling af Griuidsaetmingerne for Seddelbankers, et
Uni Kredi tiens Begreb og Vaesen. Gamborg a écrit en
outre une très courte dissertation théorique sur Tintérêt
[Om renten af -penge^ 1870), Enfin, parmi les auteurs
les plus récents nous devons signaler Morgenstierne et
Jiiger, auteur d'une monographie déjà citée sur les
théories du capital et de la rente dans Adam Smith.
G. — Suède et Finlande.
La Suède a, elle aussi, une littérature, qui remonte au
milieu du siècle passé, sur l'organisation des manu-
factures et sur des sujets généraux, dont les auteurs ont
été d'ordinaire des professeurs de sciences camérales,
qui acceptaient plus ou moins explicitement les idées
des mercantilistes. 11 suffit de citer parmi eux A. Berch
(m. 1771), très célèbre en son temps 'De fellcitate pa-
ir iae j^er Oeconomiam proniovenda, 1731. — Inled-^
ning tilt allmanna Hushallningen, 1747). Ils sont
tous inférieurs à A. Chydenius (1729-1803), auteur
d'excellentes monographies qui défendent les théories
libérales, développées plus tard par Smith {Poliiiska
Skrifter, édités par E. G. Palmén, 1877-80). Nous
trouvons plus tard à Upsal le professeur L. G. Rabe-
DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 451
nius, protectionniste, auteur d'un manuel [L'àrehok i
National-Ekonomlen, 1829), auquel a succédé, quel-
ques années plus tard, son fils Théodore, qui a écrit
sur les dîmes (1856), la liberté industrielle (1867), le
luxe (1873), et qui a traduit nos Eléments de finances
(1882). Le professeur actuel D. Davidson s'est surtout
occupé de science ; il a écrit sur la formation du
capital, sur l'histoire de la théorie de la rente [Bidrag
till Kapitabildningen, 1878. — Bidrag till joixWante-
teoriens historia, 1880). La chaire de l'Université de
Lund, qui est plus récente, est occupée dignement par
le comte G. K. Hamilton, auquel nous devons quelques
travaux sur le concept et le développement de l'éco-
nomie C1858), sur la physiocratie (1864), sur la monnaie
et le crédit [Ont jjenningar och kredit. IbBl), sur la
question ouvrière {Om arbetshlassen, 1865), etc.
Pour des raisons pratiques, on a beaucoup discuté en
Suède la question des banques et celle du cours forcé,
sur lesquelles nous possédons d'excellents travaux de
Nordstrom (1853), de Skogman (1845-46), de J. M.
Agardh (1865), de Leffler (1869), de Carlquist (1870,
et aussi le très remarquable mémoire de Bergfalk sur les
crises commerciales (1859). La science des finances n'a
pas été négligée; nous citerons entre autres un ouvrage
de CoUin (A fhandling om staisinkomsterna, 1816).
On peut avoir une idée exacte des conditions de la
science économique en Suède d'après le précis de
G. Westman [Natioiialekonomiens Grunddrag, 1881-
1885), destiné à l'enseignement secondaire, et celui
de G. A. Leffler, disciple de l'école allemande, pour
l'enseignement supérieur (Grundlinier LUI National-
ekonomiken, 1881).
La première place parmi les économistes de la Fin-
lande appartient au professeur A. Liljenstrand, de
l'Université d'Helsingsfors, qui, en dehors de quelques
45"2 l'économie politique
ouvrages moins importants (1851-57), a pulilié deux
monographies sur l'association [System a.f Samfund-
sehonoinins Liiror, 1860) et sur les conditions territo-
riales de sa patrie (Finlands Jordnaturer, etc.. 1879).
A. — Pologne et Bohême.
Le comte Frédéric Skarbek (1792-1869), profcs.seur à
Varsovie, estl'auteur de bons précis d'économie (18'20),
d'administration (18"21) et de finance (1824), d'un dic-
tionnaire (1828) et de deux traités d'économie pure et
appliquée (1859-60). La traduction française du premier
des précis indiqués [Théorie des richesses sociales,
1829. Deux volumes) est souvent citée pour sa bonne
analyse du phénomène de la circulation. Le manuel du
négociant Sigismond Dangel [Ogôlne zasady ekononiii
politycznéi, 1862) et les œuvres économiques et sociales
fort appréciées de Joseph Supinsky (Lemberg, 1872.
Cinq volumes) ne sont pas connues hors de la Pologne.
Nous devons à Withol Zaleski, professeur à Varsovie,
des œuvres statistiques et des monographies sur les
rapports de l'économie et de la morale (1867), sur les
sociétés ouvrières (1873), etc. Joseph Oczapowski, col-
laborateur de la Reinie d'économie poliiiciue, profes-
seur à Varsovie et ensuite à Cracovie, a écrit quelques
travaux historiques, critiques et dogmatiques, d'après
les théories de l'école allemande, qu'il a réunis dans un
volume publié en 1889. Comme partisan de cette même
école nous devons signaler le laborieux professeur
de Lemberg, Léon Bilinski (né en 1846), quia écrit, en
allemand, sur les impôts sur le luxe, (1875, sur les
tarifs de chemin de fer (1875), sur la réforme des finances
communales (1878) et, dans sa langue maternelle,
DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 453
quelques études sur l'impôt, sur la rente {Siudya nad
podatkieni dochodowym, 1870), un manuel de science
des finances [System nauki skarbowey , etc., 1876)
et un grand traité d'économie [System ekonornji spo-
lecznej, 1880-82. Deux vol.) qui a remplacé un autre
précis du même auteur publié en 1873-74.
Sur l'économie agraire ont écrit Soldraczinski, Rem-
bowski, Skarzinsky, Stawisky ; sur le commerce et sur
les banques, Falkenhagen-Zaleski ; sur les assurances,
Mayzel ; sur les finances, le prince Lubomirski, Na-
gôrny, etc. Les œuvres de Tengoborski, Cieszkowski,
V. Miaskowski, Ochenkowski, écrites en français et en
allemand, sont généralement connues.
En langue bohème nous avons un précis de la
science des finances du professeur J. Kaizl [Financni
vêda, 1888) de l'Université de Prague.
B. — Russie.
Si on ne tient pas compte du Domstroi, qui est une
compilation sur l'économie domestique de différents
auteurs du xvi^ siècle publiée par Golochwastow (1849)
et commentée par Nekrassow (1872) et par Briickner
(1874), la littérature économique russe commence,
dans la seconde moitié du siècle suivant, avec les ou-
vrages de l'érudit mercantiliste serbe Krishanitsch
(commentée par Bodenstedt) et avec le curieux ou-
vrage intitulé Pauvreté et Richesse (1724) de Po.s-
soschkow. autodidacte, paysan, commerçant, indu.s-
triel, mort en prison en 1726, qui a développé, d'une
façon très explicite, les idées restrictives qui ont in.spiré
la politique économique de Pierre le Grand.
A. Briickner, Iwaii Possoschkoïc, 1878.
L'économie moderne pénétraen Paissie avecles leçons
de Tretjiikow (1772;. les traductions de Smith (1802) et
454 l'économie politiquk
de Sartorius (1812), le précis de Schlôtzer (1805), mais
surtout avec les œuvres déjà citées de Storch qui sont,
dans leur ensemble, préférables aux traités de Bu-
towski (1847), de Stepanow et de Tschivilew (1848), de
Kamensky (1856) et au court précis de Vernadsky
(1858). Il faut louer, sinon pour leur originalité, dû
moins pour leur précision et leur clarté, les Principes
d'économie de Gorlow (1859), auquel nous devons
aussi le premier traité de Science des finances (1845).
Mais l'œuvre la plus remarquable de cette période est
certainement la belle monographie de Turguenew sur
les impôts (Saint-Péterbourg, 1818.-2^ édit. 1819), qui
discute à fond les questions les plus importantes et qui
mériterait d'être traduite dans une langue plus familière
aux économistes.
Pour avoir une idée exacte des caractères, de la ten-
dance et de l'importance des travaux d'économie poli-
tique publiés en Russie, il ne faut pas oublier que, bien
que cette science soit enseignée dans les Universités et
qu'on en fasse des exposés populaires dans beaucoup
de revues (Journal économique, Messager de l'Europe,
Messager russe, Journal du ministère des finances, etc.)
et en particulier dans le Magazine des sciences poli-
tiques (1872 et suiv.), cependant les rigueurs de la
censure préventive, notamment dans les trente années
du règne de Nicolas, ont empêché beaucoup d'esprits
éminents de s'occuper des problèmes de théorie pure
et d'un grand nombre de questions d'application. C'est
ce qui explique le fait singulier de l'abondance des
ouvrages russes sur l'histoire des idées et des faits, sur
la statistique et sur la législation comparée.
Karatajew, Bibliographie des finances, du commerce
et de Vindustrie, (1714-1879). S' Pétersbourg, 1880.
ill donne les titres de plus de six mille ou-
vrages).
DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 455
Ed. Berendts, Volks-iind Staatsivissenschafilichi' Ans-
chauungen in RusslancL, etc. Saint Pétersbourg,
1888.
C'est à l'histoire des doctrines économiques que sont
consacrés les ouvrag-es de Balugjenski (i806), de
Masslow(1820) sur les systèmes d'économie, l'ouvrage
un peu superficiel de Babst sur Law (1852), et les
ouvrages iDeaucoup meilleurs de Geissmann sur la
physiocratie (1849); de Muriaweff sur Turgot (1858i, de
Zechanowsky sur Smith (1859), mais notamment les
deux volumes de Janschull sur l'Histoire du libre
échange en Angleterre (1876-78) et les recherches
intéressantes de Briezky sur la théorie des impôts en
France au siècle passé (1888), auxquelles se rattache un
mémoire plus ancien d'Alexejenko sur les théories des
impôts de Smith, Say, Ricardo, Sismondi et Stuart
Mill (1870).
Sur les faits économiques nous avons les monogra-
phies sur l'histoire des finances en Russie d'Hage-
meister (1833) et de Tolstoi (1842\ les monographies
fort appréciées d'Ossokin sur les douanes intérieures
(1850) et sur l'impôt des patentes (1856 etc. ; sur la
législation fiscale comparée, le savant travail de A. Sa-
blowski-Desatowski sur les finances prussiennes (1871),
l'ouvrage, encore inachevé, de Kowalewski sur l'an-
cienne juridiction des impôts en France (1870) et les
essais de Ragosin sur l'impôt du tabac (1870) et de
Lwow sur l'impôt des patentes (1879).
Plus nombreuses et non moins importantes sont les
publications de statistique économique, dont on trouve
un compte rendu dans une savante monographie du
professeur Jahnson, de Saint-Pétersbourg, qui nous l'a
courtoisement communiquée (1880). Sur la statistique
russe en général, en dehors de deux travaux de vulga-
risation de Buschen (1867) et de Livron (1874) nous
456 l'économie politique
possédons une œuvre érudite et consciencieuse de
Jahnson {Statistique comparée de ht Russie et des
Etats del'Euro2)e occidentale, 1878-80. Trois volumes).
La statistique agraire a été étudiée par Tchaslav^^ski,
Orlow, Kablukow, ^^'ilson, auteur d'un Atlas très
soigné (1869), et surtout par Yermolow [Mémoire sur
la production agricole de la Russie, 1878). Comme
complément aux ouvrages précédents nous pouvons
citer les travaux de Werekha sur les forêts (1873), de
Borkowski (1872), de Besobrasow(1870), de Jahnson et
d'Orbinsky (1880) et de Fedorow (1888) sur le commerce
des blés, et enfin ceux de Skalkowski etde Besobrasow
sur l'industrie des mines. On n'a pas négligé non plus,
malgré les difficultés inhérentes au sujet, la statistique
des manufactures et du commerce. C'est aux manu-
factures que se rapporte un excellent recueil de mo-
nographies (1862-65) et le bel Atlas de Timirilsew
(1870.-2'' édit., 1873); le.=! travaux d'Aksakow (1858) et
de Besobrasow (1865) concernent le commerce et les
foires.
Un réveil notable des études économiques en Russie
peut être constaté depuis 1865 ; il est dû en partie à
l'abolition du servage et à la crise qui en a été
la conséquence immédiate, à la réforme des impôts,
à laquelle on a déjà consacré d'importantes études,
à la multiplication des sociétés anonymes, en parti-
culier pour la construction des chemins de fer à la fon-
dation de la grande Banque d'Etat et à l'augmenta-
tion correspondante du papier monnaie. La condition
des paysans et delà propriété commune a été étudiée par
Kaw^elin^ Pasnikow, Efïîmenko, Trirogow', Trylow,
Skrebitzky, Iwanikow, ïhôrner, Wassilitchikow (1876),
Sieber (1883) ; le crédit agraire, par Besobrasow (1861)
et Chodsky; les caisses rurales de prêt, par Jakowleff,
Koljupanow, Luginin ; les chemins de fer, par Zecha-
DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 4o7
nowesky, Golowatschow, Witto, J. S. Bloch, auteur
d'un ouvrage statistique érudit mais peu critique
(1878. Cinq volumes', et mieux par A. Tschuprow [Les
chemins de fer. Moscou, 1875-78). disciple fervent de
l'école allemande et partisan des chemins de fer d'Etat.
Sur les sociétés anonymes nous avons les ouvrages de
Tarassow et d'Issajew ^1877) et la monographie de
législation comparée de Thorner (1871) ; les banques et
la circulation ont été étudiées par Lamansky, Kulom-
sins, Wreden, Schwaschenko (1880), Kaufmann, qui a
écrit également sur les caisses d'épargne (1875).
La science des finances est cultivée en Russie avec
prédilection. Les leçons lithographiées de Besobrasow
et de Lebedew, professeur à Saint-Pétersbourg et
auteur d'une œuvre grandiose sur le Droit financier,
celles de Miihlhausen, professeur à Moscou, beaucoup
mieux que les manuels publiés par Lwow et par
Patlaeffsky , ont contribué à en répandre la connaissance.
Parmi les monographies on peut consulter les tra-
vaux très savants de Janschull, professeur à Moscou,
dont quelques uns ont été réunis en un volume (188 i),
les travaux de Lebedew sur les impôts locaux 1886,
d'Aleksejenko sur les impôts directs (1879 , de Ptu-
kowskv sur les impôts personnels (I862i, de Tl^'irner
sur l'impôt foncier (1860). de Sodoffsky sur l'impôt des
maisons (1892), de Subbotin sur l'impôt sur l'indus-
trie (^1877) et, d'une façon particulière, trois dissertations
de Besobrasow et de Bunge, recommandables pour la
profondeur des recherches et la connaissance parfaite
de la législation et de la littérature économique.
W. P. Besobrasow, Impôt sur les actes, 1864. — Les
revenus publics de la Russie, 1872 (in Mémoires de
l'Académie impériale de S' Pétershourg).
IV. BuDge, Théorie du cré'lit. Kiew, 1852. — Le cours
forcé en Russie, 1871. (Traduction de la mono-
458 l'économie politique
graphie de Wagner, avec une introduction et de
savantes notes complémentaires). — Cfr. F. De
Rocca, La circolazione moaetaria ed il corzo for-
zoso in Russia. Rome, 1881.
Aux controverses sur le libre-échange et la protection
douanière ont pris part Bobrinsky, Kalinowshy, Wal-
cker, Thorner, Bunge et Janschull ; sur la question
ouvrière il y a des travaux de Nowosselisky (1881),
d'Issajew ; sur la condition des paysans, de Nowitzky
(1876), Sokolowsky (1878), Umantz (1884), Gregoriew
(1885) et Kabliikow (1885).
Parmi les monographies qui traitent de la sience pure
nous citerons celles de Korsak sur les formes de l'in-
dustrie (1861), et de Wreden sur la théorie des entre-
prises (1873) ; celles de Wolkoff (1854) et de Fucbs sur
la rente 1871), celle de Antonowicz (1877) et le travail
plus important de Zaleski (1893) sur la valeur et l'excel-
lent travail de Sieber sur la tbéorie de la valeur de
Ricardo et de Marx (1885), fort loué par Loria. Le
domaine entier de la science a été parcouru dans le
grand traité d'Antonowicz (1886) et dans les traités de
Wreden (1874 ; T édit. 1880), d'.hvanjkow(1885,-3'' édit.
1891), de Tschuprow (1892), disciple de l'école alle-
mande. Il faut louer les précis de Liliew (1860), de
Bunge (1870), de L. W. Chodsky (1884,-2« édit. 1887),
auxquels nous nous permettrons d'ajouter l'excellente
traduction de nos Premiers éléments d'économie
sociale a\ec un appendice biliographique du professeur
Sokalsky de Charkow (1886).
Aux provinces de la Baltique appartiennent l'histo-
rien Al. Brilckner, auteur d'une monographie intéres-
sante sur la monnaie [Kupfergeldhrisen, 1867),
l'illustre auteur de la statistique morale, Alexandre v.
Oettingen (né en 1827), le banquier Goldmann, qui
a étudié le papier monnaie (Dsls russische Pajnergeld,
DANS LES PAYS SCANDINAVES, ETC. 459
1866); à la Courlande, le sociologue P. de Lilienfeld et
Berens, qui a écrit sur la rente (1868) etc., etc.
.^3. — HONGRIE.
Le défaut de place et l'existence de deux bonnes
histoires particulières nous permettent de ne donner
que de rapides indications sur la littérature magyare et
notamment sur son ancienne littérature.
En dehors de l'ouvrage de Kautz (déjà cité), nous
avons pu consulter; grâce à l'amabilité de i'au-
teur, rexceliente esquisse historique de H. J.
Biclermann, Das Studlum der politischen Oekono-
mieund ihrer Hilfsivlssenschafien in Ungarn. Ka-
schau, 1859 (n'est pas dans le commerce).
La création d'une chaire de sciences camérales à l'Uni-
VersitédeTyrnau(l760), transférée ensuite à Pesth, et à
l'Académie deGranvaradino(1769), d'Agram(1772), etc.,
et la discussion d'importants projets de lois dans les
assemblées politiques, auxquelles prenaient part des
membres infkients de la haute aristocratie, ont réveillé
l'intérêt public sur les questions économiques, malgré
le peu de préparation scientifique et le peu de rensei-
gnements positifs, par suite du manque de bonnes sta-
tistiques. L'ouvrage de Sonnenfels, traduit en latin par
Beke (1807-1808), a été obligatoire dans l'enseignement;
les excellents ouvrages deHuber [Politia civitatis, 1829)
•et de Henfner (Introductioin oeconomiam j)olitica.7n,
1831), qui s'inspiraient des manuels allemands alors en
usage, eurent moins de succès.
L'illustre patriote comte Stephan Széchenyi a donné
\ine forte impulsion aux études d'économie appliquée.
Il est l'auteur de quelques brillantes monographies,
460 l'économie politique
écrites dans sa langue nationale et inspirées parles
doctrines libérales, intitulées HitGl[Sur le crédit, 1830),
Vilay [Lumière, 1831), Stadium (1833), A ketet népe
[Le peu-pie oriental, 1841), etc., qui ont- provoqué des
polémiques auxquelles ont pris part entre autres le
comte Joseph Desewffy i^conservateur), auteur, lui aussi,
d'une monographie sur le crédit (A Intel, 1831. -Tra-
duction allemande. Kaschau, 1831). Par son influence
et sa popularité, Széchenyi contribua à d'importantes
réformes : abolition des entraves féodales et des mono-
poles, amélioration des moyens de transport, diffusion
du crédit, etc. Dans le même ordre d'idées nous pou-
vons signaler les travaux de Csato sur l'économie en
général (1835), de Gyôry sur l'influence des machines
sur les salaires (1834) et sur les moyens de communi-
cation (1835) ; Srânyi a écrit sur la dette publique et sur
le papier monnaie (1834).
La période suivante est remarquable par l'enthou-
siasme soulevé par les œuvres de Frédéric List et par
les aspirations vers un système restrictif, soutenues par
la fameuse Association j)rotectrice (Védegylet) avec
des exagérations telles qu'elle fut blâmée par List lui-
même. Ces idées ont été reprises dans les ouvrages de
Fényes, de Pusstai, Pulssky, dans les dissertations de
Tréfort sur les systèmes d'économie (1843) et avec plus
de modération dans l'ouvrage de Erdélyi intitulé Notre
économie (Nerazeti Iparunh, 1843) et dans le savant
et excellent précis de politique de Aug. Karvasy, pro-
fesseur à Pesth, qui embrasse aussi l'économie et la
science des finances [A politika Tudoniànyok, 1843!
Deux vol., - '2" édit. 1845-47). Nous devons aussi à Kar-
vasy, une étude critique sur la méthode historique dans,
les études économiques (1855). On doit recommander les
monographies de Gorové. de Brunneck, de Micskey, de
Mészâros, de Korizmics, etc., sur la propriété foncière ;
DANS LES PAYS SCANDINAVES ETC. , /i61
celles de Erdélyi de Szokolay, de Simon ; sur l'indus-
trie , les corporations, l'usure, celles de Focrarasy,
Janko, Kôvats, Farkas, Csengery, Mandello sur le com-
merce, le crédit et les banques; celles du comte Emile
Deséwfly, de Kemény, de Fay, de Kritzbay, etc., sur la
monnaie et les finances ; du baron Eotwôs, de Dere-
sényi et de Karvasy sur le socialisme.
Parmi les contemporains les plus remarquables nous
citerons : le très savant professeur Julius Kautz (né
en 1829), gouverneur de la banque austro-hongroise,
élève de Roscher; le très actif professeur Bêla Fôldes
(Weiss), auteur de différents mémoires, écrits en alle-
mand et en hongrois, et d'un précis d'économie poli-
tique (1881) ; Mariska et Matlekovits, auxquels nous
devons deux traités de science financière ; Lôniay qui a
écrit à plusieurs reprises sur la question des banques ;
Gyorgy, Hegedus, etc. Il faut louer en particulier les
œuvres remarquables et très connues de Matlekowits,
la plupart écrites en langue allemande ; on connaît
également les études (publiées en France) de Horn, sur
les banques.
G. Kautz, Nemzetgazdasag es Pénzûgyian. Budapest,
1864. Deux vol.-5« édit., 1890. — D'aulres mono-
graphies sur l'histoire des métaux précieux
(1877), sur la question monétaire (1881), etc.
Bêla Fôldes, ^4 nemzetgazdasagtan es pénzûgyian l,è-
zikonye, 1881.-2'= édit., 1883.
W. Mariska, Pénzûgyian, 1871. — A. Matlekowits,
Pénzûgyian, 1876.
CHAPITRE XIV
L'ÉCONOMIE POLITIQUE AUX ÉTATS-UNIS
II pourrait sembler à première vue que les conditions
physiques , sociales et politiques des Etats-Unis de
l'Amérique du Nord, et le développement colossal de
leur richesse, de leur culture et de leur puissance ont
amené des progrès non moins signalés dans la sphère des
investigalions économiques. L'immense extension du
territoire disponible, le rapide accroissement de la po-
pulation et du capital, le taux élevé des salaires et des
profits, le développement gigantesque des moyens de
communication, les changements continuels dans le
système des monnaies et clés banques, la succession
de tarifs plus ou moins libéraux ou restrictifs, les ten-
tatives de tout genre en matière d'impôts, l'augmenta-
tion menaçante de la dette fédérale et la rapidité non
moins merveilleuse de son extinction, le contraste entre
les intérêts manufacturiers du Nord, adversaires de
l'esclavage et partisans de la protection, et les Etats
agricoles du Sud, favorables au travail servile et à la
liberté du commerce, sont des faits de grande impor-
tance qui ont été Tobjet d'excellents travaux historiques
et statistiques, très instructifs même pour l'Europe.
A. S. Bolles, Indvstrial history of ihe United States,
3« édit., Norwich, 1879.
W. G. Sumner, A history of american currency. New
York, 1878.
AUX ÉTATS-UNIS 463
E. J. James, S/wrfjV'H ûberden Amerikanischen Zollia-
rif. Jena, 1877.
W. G. Sumner, Lectures on the history of protec-
tion, etc. New-York, 1877.
A. S. Bolles, The financial history of the United States
from 411 i la 4860. New-YorA-, 1879-83. Deux
volumes.
E. G. Bourne, The history of the surplus revenue of
4831. New-York, 1885.
Mais, pour de multiples raisons, le progrès de la
science n'a pas marché d'un pas égal à celui des ri-
chesses et des institutions publiques et privées. Les
conditions tout à fait particulières des Etats-Unis enle-
vaient, tout d'abord, toute apparence de fondement au
principe de l'universalité des lois économiques, pro-
clamé par l'école classique. L'excès de la population, la
loi des revenus décroissants, la théorie de la rente, le
paupérisme, étaient des phénomènes auxquels on ne
prêtait généralement aucune foi, et que certains consi-
déraient comme possibles mais sans importance pra-
tique. Les questions qui s'agitèrent à plusieurs reprises
entre les partisans et les adversaires de l'eslavage, les
protectionnistes et les libres échangistes, les monomé-
tallistes et les bimétallistes, les partisans de l'unité et
ceux de la pluralité des banques, les défenseurs et les
adversaires du cours forcé, des impôts directs et des
impôts indirects, du maintien ou de l'extinction des
dettes, ont été l'occasion d'un très grand nombre d'ou-
vrages, scientifiquement sans importance, parceque les
raisons économiques étaient subordonnées aux buts des
partis politiques, et formaient autant d'armes dont se
servaient les fédéralistes et les antifédéralistes, les ré-
publicains et les démocrates, pour se disputer le pouvoir,
tout en combattant sans conviction profonde les opinion.s
de leurs adversaires. Daniel ^^'ebster, qui se déclarait
l'ennemi de toute théorie, fut d'abord libre échangiste^
464 l'économie politique
puis protectionniste afin de suivre, en sens inverse, les
changements de son adversaire Calhoun. On sait éçrale-
ment que l'institution des banques nationales, due à
Chase, contrôleur de la trésorerie au moment de la
guerre civile, fut inspirée avant tout par des raisons
financières. Cependant, quelques éminents hommes
d'Etat, comme Jefferson, Madison, Sherman, Garfield,
et surtout Ilamilton, se sont occupés sérieusement des
problèmes économiques, et ont montré des aptitudes
remarquables pour les résoudre. Nous devons égale-
ment à des fonctionnaires instruits et zélés d'excellents
travaux sur d'importantes questions spéciales. Il suffira
de citer ceux de Quincy Adams, Lee, Gouge. Gallatin,
et ceux de D. A. Wells sur les réformes fiscales et
douanières.
John Quincy Adams, Report iipon weights ami mea-
surea (1817). Washington, 1821.
H. Lee, Report of a Committee, etc. Boston, 1827 (dé-
fense du libre échange).
W. M. Gouge, A short history of paper money and
bankhig, etc. Philadelphia, 1833.
Alb. Gallatin, Considérations onthe currency andhan-
king System, 1831, et d'autres écrits réunis dans
le vol. ni de ses œuvres, éditées par H. Adams
en 1879.
L'enseignement de l'économie dans les Collèges et
dans les Univer.sités, qui allaient se multipliant grâce
à d'abondantes donations privées, a été donné, pendant
plusieurs décades et encore aujourd'hui, presque exclu-
sivement par des ministres des différentes sectes reli-
gieuses, sans l'aide du gouvernement et au milieu de
l'indifférence générale. Il n'existe qu'unpetit nombrede
manuels, sans originalité, qui n'ont pas éveillé l'atten-
tention des savants étrangers qui, jusque il y a quel-
ques années, admiraient les œuvres juridiques remar-
AUX ÉTATS-UNIS 465
quables de Story et de Kent, mais qui ignoraient que
TAmérique avait des économistes en dehors de Carey
■et de George, tous deux étrangers à l'enseignement et
qui ne sont pas, à vrai dire, des hommes de science.
Nous ne croyons donc pas inutile de donner quelques
indications sur les sources ; nous nous servirons des
renseignements que nous ont donnés White, Dunbar,
Walker, Sumner, Newcomb, Laughlin, Patten, Clark,
Ely, Andrews et certains autres de nos éminents collè-
gues.
Cfr. S. A. Aliibone, Critical dictionanj of english
iderature,etc. Philadelphia, 1878. Trois volumes.
Supplément (de G. Forster Kirk) 1891. Deux
volumes. — Ch. F. Dunbar, Economie science in
America (in North American Revieiu. Vol. CXII.
Boston, 1876). — Th. E. Clifïe Lesiie, Poliiical
Economy in the United States, (in ForlnightUj Re-
view, n° 203, octobre 1880).
Nous avons largement puisé dans l'excellent travail
manuscrit intitulé Studies historical and critical on
the development of the économie theory in America
{Lipsia, 1890) qui nous a été aimablement prêté par son
auteur, le D"" H. F. Furber, de Chicago; il manque en-
core à ce travail deux chapitres sur les publications de
ces dernières années.
§ 1. — l'école nationale et lecole cosmopolite
Benjamin Franklin (1706-1790), l'auteur de la Science
du bonhomme Richard, est le plus ancien économiste
pratique des Etats-Unis ; nous avons déjà cité (p. 182)
son opuscule sur la population. Dans d'autres travaux
il a combattu l'esclavage, défendu le papier monnaie ;
il voit dans le travail la mesure de la valeur, etc. Après
lui viennent Dickinson [Letters to a gentleman, 1765),
30
■46G l'économie politique
qui a des idées correctes sur le commerce et sur la mon-
naie, mais surtout Webster, vigoureux adversaire du
cours forcé.
B. Franklin, A modest inqviry into the nalwe ami
necessity of a paper currency, 1729. — Principles
of Irade, 1774, et d'autres travaux réunis dans
le second volume de ses œuvres éditées par J.
Sparks. Boston, 1840. (Cfr. Rich. Hildebrand,
FranUUn ah Xationalôkonom. (in Jahrbûcher fur
NalionaVôkonomie . Jena, 1863).
Pelatiah Webster, PoUtical essays on the nature and
opérations of money. Philadelphia, 1791.
La première place appartient, parmi les publicistes
américains du siècle passé et peut-être encore de notre
siècle, à Tillustre chef du parti fédéraliste Alexandre
Hamilton (1757- 1804), auteur de rapports officiels mémo-
rables sur le crédit public, les banques (1790), les mon-
naies, les manufactures (1791), dans lesquels il défend
le bimétallisme, la création d'une banque fédérale uni-
que de circulation et la nécessité de droits protecteurs
modérés pour les industries naissantes, avec des argu-
ments qui diffèrent peu de ceux des partisans du fair-
ira.de, et sans tomber dans les exagérations des protec-
tionniste.? ab.solus.
A. Hamilton, Works. Xew-York, 1855. Quatre vo-
lumes. — Cfr. Shea, Life and epoch of A. Hamil'
ton, 1879.
Daniel Raymond {Thoughts on jjolitical economy,
1820,-2" édit., 1823) est le premier qui ait exposé les
théories nationales et protectrices, in.spirées en grande
partie par la haine contre l'Angleterre. Il défend la
liberté économique à l'intérieur mais non pas à l'exté-
rieur, en s'appuyant sur la célèbre distinction faite
AUX ÉTATS-UNIS 467
par Lauderdale et par Ganilh entre l'économie privée
et l'économie publique. Des idées analogues se retrou-
vent dans Phillips {Manual of political economy,
1831) et dans Simpson [The working man's manual,
1831) ; ces ouvrages sont pleins d'invectives contre les
Anglais, et Colton (Public economy ofthe United Sta-
tes, 1848) va même jusqu'à affirmer que Smith, Ri-
cardo et Malthus étaient payés pour ruiner les autres
nations par le libre échange. Une certaine notoriété
s'est attachée à Alexandre Everett, qui, dans ses News
ideas on population (1833) combat Malthus en lui
attribuant d'étranges erreurs et en soutenant que l'aug-
mentation de la demande de travail et du taux des sa-
laires est parallèle à celle de la population. Les idées
restrictives ont été défendues, avec beaucoup plus de
sens, par John Rae, émigré écossais dans le Canada
(Some new principles on the subject of political eco-
nomy. Boston, 1834), qui chercha à réfuter la théorie de
la production de Smith, et qui tît cependant de bonnes
observations, acceptées par Stuart Mill, sur l'accumu-
lation du capital. Plus récemment le professeur F. Bo-
wen, le meilleur écrivain de cette école, a défendu le
hanking principle ; il n'admet ni le fonds des salaires,
ni la rente ; il nie la valeur pratique des doctrines de
Malthus, parce qu'en Amérique le cultivateur est pro-
priétaire et l'ouvrier capitaliste, et il délend un protec-
tionnisme modéré pour utiliser les richesses minérales
et provoquer la naissance d'industries variées. Le protec-
tionnisme trouve encore un défenseur dans Stephan
Colwell, le commentateur de List (1856) et l'auteur
d'une analyse pénétrante du mécanisme des paye-
ments, dans laquelle il combat le papier monnaie et
demande que les banques ne soient pas obligées de
rembourser les billets avant l'échéance des traites es-
comptées.
468 l'économie politique
Francis Bowen, Principles of poUtical économe/. Bos-
ton, 1856. Refait sous le titre American poli licaù
economy, 1870. — S. Colwell, Ways and means of
paymerii. Philadelphia, 1859.
Dans les écoles, ce sont les doctrines anglaises qui
dominent : importées en Amérique grâce à de nom-
breuses réimpressions de Smith (1789, 1811, 1818, etc.)
et de Ricardo et à la traduction de Say faite par Biddle ;
commentées, dans le sens d'un individualisme extrême,
dans les écrits de Thomas Cooper (loués d'une façon
exagérée par Mac CuUoch) et dans ceux de François
Wayland, remarquables pour leur clarté mais sans ori-
ginalité, et encore employés dans quelques collèges,
grâce aux utiles corrections de Chapin. Les éléments
de Wilson (1839) et les traités de Potter (1841) et de
Opdyke (1851), tous deux anti-malthusiens, eurent
moins de succès. On a également déjà oublié le traité
de Vethake [Principles of political economy, 1838,
2^ édit. 1844), plus profond, mais obscur et prolixe, qui
admet, en cas de guerre, quelques exceptions au libre
échange.
Th. Cooper, Lectures on ihe éléments of poUiical eco-
nomy. Colombia, 1826.-2« édit., 1829.
Fr. Wayland, The éléments of political economy. Bos-
ton, 1837. — Recast by A. L. Chapin. New-York,
1881.
A. L. Chapin, First principles of political economy,
1881.
9
OPTIMISME RESTRICTIF ET OPTIMISME LIBERAL
Le chef de ce qu'on appelle l'école de Pensylvanie,
qui n'a pas simplement nié les théories anglaises
mais s'est risquée avec beaucoup d'audace mais peu
AUX ÉTATS-UNIS 469
de succès, à en émettre de nouvelles, est le célèbre
Henri Charles Carey (1793-1879). C'est un écrivain fé-
cond, convaincu, ingénieux, et en partie original, mais
prolixe, et, comme tous les autodidactes (y compris
George), sans aucune connaissance des méthodes scien-
tifiques. Il a débuté par un essai sur les salaires (1835)
dans lequel il combat le pessimisme qu'il croit inhérent
à la doctrine du fonds des salaires. Dans son économie
jyolitique (1838) il expose la théorie de la valeur déter-
minée par le coût de reproduction, et il en déduit une pré-
tendue loi de la distribution des richesses par laquelle
il oppose à l'augmentation simplement ab.solue du pro-
fit l'augmentation absolue et relative des salaires, et
par conséquent l'amélioration nécessaire et continue de
la condition des ouvriers. Dans son Crédit System
(1838) il a étudié les effets de la rareté de l'argent;
dans Past, présent and future (1848) il abandonne les
idées libérales, qu'il avait d'«abord professées, combat
avec plus d'énergie Ricardo et Malthus et, partant de la
fameuse théorie de l'ordre de culture des terres, il en
déduit comme corollaires les lois fausses des revenus
croissants et de l'augmentation plus rapide du capital
que de la population. Après avoir exposé ses idées sous
une forme populaire {Harmony of interests, 1850), il
a fait une exposition plus large de son système dans la
Science sociale (1858), qui est son œuvre principale; il
y a affirmé l'idée de l'identité providentielle des lois
cosmiques et des lois sociales, qu'il a développée plus
complètenient.dans une autre monographie [Unity of
law, 1872). pleine d'erreurs de physique. Les théories
de Carey, magistralement réfutées par Lange en ce qui
concerne la méthode (J. Stuart Mitl's Ansicliten ûber
die sociale Frage, 1866) et rapprochées du mercanti-
lisme par Held, ont trouvé dans Diihring un défenseur
sophistique et absolu [DieVerkleinerer Carey's, 1868) ;
470 l'économie politique
elles ont trouvé des apolog-istes plus modérés, qui les ont
acceptées en restant fidèles au libre échange, dans Fer-
rara {Introduzione au vol. XIII, série 1, de la Blblio-
teca deir Economista, (1853) et dans Wirth (1863).
H. Carey, Principles of poUtical economy. Philadel-
phia, 1837-40. Trois volumes. Trad ital. clans le
volume cilé de la Blblioteca dell' Economista. —
Principles of social science, 1858-59. Trois volumes
(résumés par Miss K. Mac Kean, sous le titre de
Manualof social science, 1864, réimprimé en 1879).
Trad. frann., par Saint Germain-Leduc et Aug.
Planche, 1861. — Miscellaneous Works, éditées par
son neveu H. Carey Baird, 1880.
Voir sur Carey : W. Elder, A memoir of H. C. Carey,
1880. — J. W. Jenks, H. C. Carey als Xadonal'ùko-
nom. Jena, 1885, et l'article deLexisdans VUand-
wôrterbuch der Staatswissenschaften. Vol. II, pag.
808.
Evariste Peshine SmilTi est le plus original des dis-
ciples de Carey, notamment dans sa théorie de la popu-
lation qu'a acceptée le maitre ; Elder est ingénieux et
brillant, mais parfois inexact et infidèle ; Ellis Thomp-
son leur est supérieur par sa connaissance très étendue
de la littérature ; Horace Greeley (E-s^ays, 1869) a une
valeur moindre. Hors de Pensylvanie, W. D. Wilson
'{First principle.-^, 1875, réimprimés en 1879) cherche à
combiner les théories de Carey avec celles de Malthus !
E. Peshine Smith, Manual ofpolitical economy. New-
York, 1853. — Trad. franc, de C. Baquet, 1854.
W. Elder, Questions of the day. Philadelphia, 1871.
Rob. Ellis Thompson, Social science and national eco-
nomy, 1875. — Eléments of polit ical economy, 1882.
— Protection to home industry, 1886.
Les professeurs Ferry et Sturtevant sont plutôt des
disciples de Bastiat que de Carey. Libre-échangistes,
AUX ÉTATS-UNIS 471
ils sont persuadés que la concurrence fait les prix
justes, et ils ne croient pas à une augmentation exces-
sive de la population. Perry combine les doctrines de
Bastiat avec celles de Macleod ; il appelle l'économie la
science de la valeur ; il croit que le concours productif
de la nature est gratuit ; il n'admet pas la rente, bien
qu'il accepte la loi des revenus décroissants. Il est, en
outre, l'ennemi des banques de circulation, et il est
favorable aux droits de douanes fiscaux, pourvu qu'ils
soient spécifiques et non ad valorem. Sturtevant expose
des doctrines presque identiques, mais il est moins pro-
lixe et plus concis dans ses déOnitions.
A. Latham Perry, Eléments of politkal economy.
New-Vork, 1866. -20« édit. sous le titre de Prin-
ciples, 1891. — Introduction to political economy,
1877.-3'= édit.., 1882 (Ne contient que les théories
les plus générales sur la valeur, la production,
le commerce, la monnaie, le crédit et l'impôt).
J. R. Sturtevant, Economies or ihe science of ivealih.
New-York, 1877. Réimprimé en 1881.
§ 3. — l'école classique
Vers le milieu du siècle, après la réforme des tarifs
douaniers, le sub-treasure bill et la publication du
traité d'économie politique de Stuart Mill, l'école clas-
sique devient prédominante parce que les vieilles ques-
tions, et notamment celle de l'esclavage, ont disparu
depuis la fin des guerres civiles. Il n'y a plus à lutter
que contre les partisans de Carey, qui veulent perpétuer
les institutions nées des nécessités de la guerre, c'est-
à-dire les banques nationales, le papier monnaie et la
dette fédérale.
Le précis d^économie politique du professeur Bascom
a joui pendant quelques années d'une grande faveur. Il
472 l'économie politique
suit les doctrines de Mill, qu'il a exposées avec beau-
coup de clarté. Il est partisan du monométallisme^
adversaire des banques d'émission, et il veut rempla-
cer les billets par des certiflcats payables en or, con-
servé comme réserve. On retrouve ces mêmes doctrines
exposées, mais avec moins de netteté, dans la Science
de la richesse de Amasa Walker, qui s'occupe égale-
ment des questions monétaires et fiscales. Il attaque,
lui aussi, la législation des banques de 1863 et les
dépôts permanents auxquels il attribue la crise de 1873,
et il demande l'extinction rapide de la dette publique.
A la différence de Bascom, il n'accepte pas la doctrine
de Malthus.
John Bascom, Political economy. Andover, 1860. - Ré-
imprimé en 1874.
A. Walker, The science of ivealih. Boston, 1866.-
5« édit., Philadelphia, 1872.
Le général François Amasa Walker (fils), président
de rinstitut polytechnique de Boston, est un esprit
beaucoup plus distingué. lia publié, en 1874, un Atlas
statistique des Etats-Unis, et il a dirigé avec compé-
tence le recensement de la population en 1870 et en
1880. Il est l'auteur d'un grand nombre de monogra-
phies, dont les résultats sont condensés dans son excel-
lent traité [Political economy. New- York, 1883-2'' édit.
1887), qu'il a lui-même résumé plus tard [A brief text-
book, 1885) et réduit enfin à des proportions encore
moindres {First lassons, 1889). Son travail spécial le
plus important est celui qu'il a consacré au salaire [The
wages question, 1876. Nouvelle édit., 1891). Il distingue
nettement l'entrepreneur du capitaliste, il décrit leurs
fonctions, combat la doctrine du fonds des salaires, et
défend ingénieusement cette thèse, que le salaire, bien
qu'il soit quelquefois anticipé, est, en réalité, le ré-
AUX ÉTATS-UNIS 473-
sidu de la valeur du produit d'où l'on a déduit les inté-
rêts et les profits. Dans son œuvre sur la monnaie
{Money, 1878. Nouv. édit.. 1891), résumée dans Mojiey
trade and iiidustry (1879), il défend le bimétallisme
international ; il n'a que peu de sympathie pour la cir-
culation mixte. Son petit volume sur la rente foncière
{Land and its rent. Boston, 1883) ne s'éloigne pas des
doctrines reçues ; il y réfute victorieusement les objec-
tions de Carey, de George, de Leroy-Beaulieu. Dans son
traité d'économie, il distingue rigoureusement la science
pure de la science appliquée ; il fonde la valeur des
richesses (y compris la monnaie) sur l'offre et sur la
demande, tout en reconnaissant l' influence du coût et
celle du degré final d'utilité ; il pense que le proprié-
taire de mines reçoit, outre la rente, une compensation
pour l'épuisement du sol; il a donné, enfin, d'utiles
développements sur les questions de commerce, de
monnaie, de banque, sur le socialisme et la condition
des ouvriers.
§ 4 . — HENRI GEORGE
Cet ingénieux écrivain, universellement connu, mais
apprécié de façon très opposée par des juges peu com-
pétents ou passionnés, est né à Philadelphie, en 1838 ;
il a été typographe à San-Francisco en 1857, et il a
abandonné à plusieurs reprises cette profession pour
devenir marin, mineur, journaliste et fonctionnaire
public, jusqu'au moment où, établi à New-York, il s'est
enrichi par le .succès extraordinaire de ses œuvres. Il a
développé dans .son livre fameux Progress andpoverty
(San Francisco, 1879) les idées ébauchées dans l'opus-
cule Our land and land policy (1871) ; il en a fait en-
suite application à l'Irlande [The irish land question^
474 l'économie politique
1881); ily apeuajoutédanssesSociaZp?'o6Ze7?2s(1884) ;
il a défendu habilement le libre-échance {Protection
and free trade, 1886), et il a enfin publié une critique
de l'Encyclique Rerum novarutn {The condition of
labour, 1891.;!
George est un des principaux partisans du collecti-
visme agraire, que combattent vivement les écono-
mistes et les autres socialistes. Il reconnaît la produc-
tivité du capital et. en particulier, celle des machines ; il
défend l'intérêt et le profit, et il nie qu'il y ait conflit
entre le capital et le travail ; il combat cependant la
théorie de Malthus et la loi des revenus décroissants, et
il accepte, sans s'apercevoir de la contradiction , la
théorie de la rente de Ricardo et celle du salaire de
Walker, dont il exagère les conséquences. Ennemi trop
ardent de la propriété foncière, qu il considère comme
attentatoire au droit naturel et inaliénable de tous les
hommes à la terre, il soutient que l'accroissement de la
rente et le monopole des propriétaires sont la cause des
crises industrielles, de la baisse des intérêts et des
salaires, et par conséquent du paupérisme. Il repousse
l'intervention directe de l'Etat pour fournir du travail
aux ouvriers, mais il propose comme remède aux maux
actuels la confiscation de la rente {unearned incré-
ment) par le moyen d'un impôt unique, sans aucune
indemnité pour ceux qui resteraient nominalement pro-
priétaires, et il ne doute pas que de cette façon lEtat
aurait un revenu plus que suffisant pour venir en aide
au petit nombre de pauvres qui subsisteraient après
que la hausse des salaires et des profits, conséquence de
l'abolition de la rente, aurait assaini les plaies sociales.
La sincérité des convictions, le tableau exact de l'état
des pays nouveaux et, en particulier, de la Californie, la
vivacité du style, coloré par des images souvent heu-
reuses, expliquent suffisamment le brillant succès de
AUX ÉTATS-UNIS 475
"son Progress and poverty, plein d'étranges contra-
dictions, d'erreurs matérielles et de faux raisonnements,
qui révèlent à chaque page le manque d'une instruction
%scientifique.
Cfr. sur George, en dehors des comptes rendus de
Wagner et de Schmoller, et des critiques som-
maires de Fawcett [State sorjalism, 1883), de Sa-
muel Smith [The nationalisation of ihe land, 1884),
de M. L. Scudder [The labor-value falîacy. Chi-
cago, 1886) : H. Rose, Henry George. London,
1884. — V. H. Mallock, Property and progress, 1884.
— W. Hanson, Fallacies in Progress and Poverlij.
New-York, 1884. — M. J. Pauw van Wieldrecht,
Beoordeeling van H. Qporge, Voruitgang en Ar-
moede. Utrecht, 1885. — D'Aulnis'de Bourouill, Het
hedendagsche Socialisme, 1886, pag. 182 et suiv.
— A. Sertorius Freih. von Waltcrshausen, Der
moderne Socialismus in den Vereinigten Staatrn.
Berlin, 1890, pag. 329 et suiv. — S. Cognetti de
Martiis, Il sociaiisnio negli Siaii Uniti. Torino,
1891, pag. 257 et suiv. — John Rae, Contemporary
socialism, 1891, pag. 441 et suiv. — A. Menger,
Das Recht an den vollen Arbeitsertrag. Stuttgart,
1891, pag. 147 et suiv.
§ 5. — LES MONOGRAPHIES.
Parmi les nombreuses monographies sur la monnaie
•et les banques, citons : Condy Raguet, On currency
and bcinking (1839); J. S, Gibbons, The banks of New
Foî'fe (1858); H. R. Lindermann , Moîiey and légal
tender (1877); G. Mac Adam, An alphabet in finance
(1880); J. G. Knox, United States nofe.s(1884) ; et
spécialement l'ingénieuse défense du bimétallisme,
par S. Dana Horton (Sylver and gold. Nouvelle édi-
tion, 1877. The Silver pound, 1888. SilverinEuropa^
1890).
476 l'économie politique
Parmi les proLectionnistes, nous mentionnerons :
ErasteB. Bigelow, Tariffquestion{\SQ'2),-Tariff2Dolicy
(2''édit. , 1877j; G. B. Stebbin, American 2)rotectionist
inanudil (1883). Parmi les libre-échangistes : W. M.
Grosvenor, Does protection protect? (1876); les nom-
breux opuscules de David A. Wells {Practical écono-
mies, 1882); J. Butts, Protection and freetrade (1875),
et enfin l'histoire de J. D. Goss (History of the tariff
administration in the United States 1891). qui est
également l'auteur d''une bonne monographie sur l'a-
mortissement de la dette publique {Sinking fiinds,
1892).
Nous devons un manuel pratique de statistique à
G. V. Pidgin [Practicat Statistics. Boston, 1888) et
quelques travaux sur la question agraire à Cox {Free
lancl and free tracle, 1881], à Sato {History of the land
question, 1886\ à Allinson et à Penrose (Ground
rents in Philadelphie, 1888J, à Cheyney, ete. Il existe,
sur la science des finances, des travaux de : H. White,
qui a fait des adjonctions précieuses à la traduction de
nos Premiers Eléments {Taxation. New- York, 1888);
F. K. Worthington, H istorical sketch of the finances
of Pennsylvania (1877) et J. Chr. Schwab, History
ofthe New York property-tax (1890).
Les publications sur la question ouvrière sont, comme
cela est naturel, très abondantes. Nous nous conten-
terons de citer l'ouvrage de Mac Neill , The labor mo-
vement (1887) et celui de G. Gunton, Principles -of
social économies inductively considered (New- York,
1891), dans lequel il a fondu son précédent ouvrage,
{WeaWi and progress). Sur le travail des enfants,
nous avons les travaux de W. F. ^^'illoughby et Miss
Clara de Graffenried (1890); sur l'arbitrage et la conci-
liation, ceux de J. D. Week, Labor différences and
their settlement (1886); sur la coopération : Alb. Shaw,
AUX ETATS-UNIS 477
Coopération in a western city, A. G. Warner, Three
fcLses of coopération in the We.si(l887,. E. W. Bemis,
Coopération in New England (1886), Ch. Bernard,
Coopération as a business {[881], et enfin sur la parti-
cipation : N. P. Gilman, Profit sharing (1889).
La littérature sur l'histoire du communisme et du
socialisme n'est pas moins riche. Au point de vue cri-
tique, il faut recommander le livre de M. Th. D. AVool-
sey, Cominunistn and Socialism ;New-York, 1880;;
sur l'histoire du communisme en Amérique, nous pos-
sédons les travaux de Noyés 1 1870, , de Nordhoff (1876),
et de H. A James (1879), etc. Pour connaître la condi-
tion des classes ouvrières, nous pouvons consulter le
rapport de M. Young (Labor in Europe and America^
1876), et les rapports ultérieurs et de beaucoup préfé-
rables de l'éminent statisticien Caroll D. A\'right, di-
recteur du bureau central de la statistique du travail
à Washington.
§ 6. — l'état actuel.
G. Cohn, Die heutige NationaVùkonomie in England
und America {in Jahrbuc h de Schmoller. 13" an-
née, vol. III, 1889, pp. 1-36).
L'augmentation du nombre des universités, la fon-
dation de nouvelles chaires d'économie et même de
facultés distinctes d'administration (New- York et Phi-
ladelphie, etc.), la création de V American Economie
Association (1885), la publication de revues spéciales
{1886-1889), les recueils d'excellentes monographies,
les polémiques suscitées par les publications de beau-
coup de jeunes professeurs qui ont suivi les cours des
Universités allemandes, et en particulier de TUniversitc
478 l'économie politique
de Halle, l'influence de professeurs plus expérimentés;
parfaitement au courant de l'état de la science en
Allemagne, n'en suivant pas aveuglément le courant
en ce qu^il a de trop exclusif, ce sont là les faits prin-^
cipaux qui expliquent les progrès que l'économie a
faits dans ces dix dernières années en Amérique et
la naissance d'un noyau d'éminents écrivains dont le
talent, la science et l'activité peuvent être mis en pa-
rallèle avec ceux des meilleurs savants de lEurope.
Ce qui caractérise l'école que nous qualifierons de
germano-américaine , c'est sa division réelle , bien
qu'elle n'ait été ni reconnue, ni jusqu'ici signalée, en
deux groupes très différents entre eux. Au premier
appartiennent ceux qui accordent la plus grande im-
portance à la méthode inductive , aux recherches histo-
rico- statistiques, et qui laissent de côté, comme vieillies,
les recherches de la science pure. Le partisan le plus net
de ce courant est l'infatigable professeur Richard T.
Ely, de l'Université de Baltimore, érudit mais quelque-
fois négligent.
Richard T. Ely, Frenchand german socialism, 1883. —
2'he past and présent of political economy, 1884. —
Récent american socialism, 1885. — The labor mo-
vement in America, 1886. — Froblems of to-day^
1888. — Taxation in American States and Cities,
1888. — An introduction to political economy, 1889>
(Refait sous le titre : Outlines of political eco-
nomy, 1893).
Le même ordre d'idées est suivi par le professeur
Edmond J. James (Philadelphie), qui a écrit sur le mo-
nopole du gaz (1887), sur les chemins de fer (The
railway question, 1887), sur la question monétaire
(1888), par le professeur J. W. Jenks iBloomington),
critique de Carey, auteur de quelques monographies,
AUX ÉTATS-UNIS 479
par exemple, sur la législation des routes (1888); Falk-
ner (Philadelphie) , traducteur de la statistique de
Meitzen. Un peu plus modérés sont les deux profes-
seurs de l'Université de Colombie, Edwin R. A. Selig
man, qui a débuté par un bon travail sur les corpo-
rations médiévales en Angleterre (1887), pour se
consacrer ensuite avec succès à la théorie des impôts
et en particulier à celle de l'incidence et de la pro-
gression, et R. M. Smith, auteur de bons mémoires sur
des sujets de statistique et de méthodologie.
E. R. B. Seligman, Contimiity of économie ihowjhf,
1886. — Two chapiers on ihe medioeval guilds of
England, 1887. — On Ihe shifiing and incidence of
taxation, \S92. — Progressive taxation, etc., i89i.
R. Mayo Smith, Methods of investigation in political
economg, 1886. — Statistics and Economies, 1888.
Il faut enfin mentionner l'éminent professeur Henri
Carter Adams (Anna Arbor), auteur d'excellents travaux
économiques et financiers sur l'ingérence de l'Etat
(Relation of the state to industrial action, 1887 , sur
les impôts {Taxation in the United States, 1881) et sur
les emprunts (Public debts, 1887). Carter Adams
marque pour ainsi dire le passage au second groupe
par son Esquisse de leçons, sur le type du Grundriss
de Held (Outline of lectures uj^on political eronomy,
1881,- 2*" édit.. 1886). L'organe de ce groupe est la Po-
litical Science Quarterlij, édité à New- York (1886).
L'originalité et la valeur théorique est plus grande
chez un autre groupe d'écrivains qui cultivent avec
amour la science pure, comme Patten Philadelphie),
Giddings i Bryn MawTy et Clarck (Northampton) ; ce
dernier est arrivé souvent à des résultats analogues à
ceux de l'école austro-allemande. Ils ont apporté d'in-
téressantes contributions aux théories du capital, de la
480 l'économie politique
valeur et de la distribution des richesses. Il faut égale-
ment mentionner A\'ood, qui a exposé une théorie du
salaire, Hawley, qui a défendu contre Edouard At-
kinsoiifT/ie Distribution of jpvoducts, 1885) les doc-
trines de Walker_, et enfin Tuttlequi a écrit sur le con-
cept de la richesse (1891).
Le plus original et le plus actif parmi les économistes
que nous avons avons cités c'est certainement Patten.
Ecrivain très clair, critique pénétrant, mais quelquefois
partial, des économistes classiques, il a mis juste-
ment en évidence l'importance de la théorie de la con-
sommation, et a essayé de réhabiliter, avec des argu-
ments spécieux, le protectionnisme.
Clarck est un écrivain moins clair; il a insisté sur le
caractère moral de certaines questions économiques,
et il a commenté, comme Giddings, qui est souvent
plus ingénieux, la doctrine de la distribution des ri-
chesses.
Simon N. Patten, The preniises of polUical economy.
Philadelphia, 1885. — The siabilUy of priées, 1889.
— The conaumpiion of ivealth, 1889. — The funda-
mental idea of capital, 1889. — The economical
premises of proteciion, 1889. — The iheory of dyna-
mics économies, 1892.
Jolin B. Clark, The philosophy of xoealih. Boston, 1886.
— Capital and his earnings, 1888. — Possibility of
a scientific law of wages (1889) et d'autres articles
sur ces mêmes sujets (1890-91). — Clark and
Giddings, The modem distributive process. Boslon y
1888.
Franklin H. Giddings, Sociology and polUical eco-
nomy, 1888.
Stuart Wood, Theory of wages, 1888. — A critique of
wages théories, 1891.
Des polémiques très instructives se sont élevées à
l'occasion des remarquables travaux de F. A. Walker
AUX ÉTATS-UNIS 481
sur les profits et sur les salaires {TJie source of busi-
ness 2^>'ofits, 1887. — The doctrine of vent and the
residual clahnant theory of wages^ 1891) ; Macvane
(1887)^ Olerk et Hobson (1891) y ont pris part comme
défenseurs d'une nouvelle théorie de la distribution, dé-
terminée par la rente, qu'ils comparent aux profits et
aux intérêts. Il faut prendre en particulière considéra-
tion le petit volume intitulé Science économie discus-
sion (New-York, 1886), qui contient quelques essais sur
l'objet, le but et la méthode de l'économie, écrits par
des partisans de l'école allemande (Adams, Ely, James,
Patten, Seligman, Mayo Smith) et par des disciples de
l'école classique (Hadley, New^comb, Taussig).
Parmi les auteurs qui sont restés fidèles à l'école clas-
sique il faut citer encore, en dehors de Walker,
Charles F. Dunbar, professeur à Harvard University
et G. Sumner, professeur à Yale Collège. Dunbar aune
connaissance approfondie de l'histoire et de la théorie
économique ; il dirige habilement le Quarterly Jour-
nal of Economies (fondé à Boston en 1880], qui est
devenu une des meilleures revues, dans laquelle il a
écrit un grand nombre d'articles, et notamment un
article magistral sur les différentes écoles économiques
[The reaction in political economy), inséré dans le
premier volume. Très compétent sur les questions de
crédit, Dunbar a publié récemment une intéressante
monographie intitulée Chapters on the theory and his-
tory of banking (New-York, 189i2). Parmi ses nom-
breux élèves il faut faire une mention spéciale pour
Bourne, et notamment pour Laughlin et Taussig. J.
Laurence Laughlin est l'auteur d'un petit ouvrage élé-
mentaire {The study of political economy, 1885),
d'une réduction des Principes de Stuart Mill (3^ édit.,
188j), enrichie de savantes illustrations, d'une mono-
graphie sur les systèmes monétaires [The history of
31
482 l'économie politique
bimetallisni in the United States, 1886), d'un bon ])ré-
iiis {Eléments ofjDollt i cal economy. New-York, 1887),
qui contient quelques développements ingénieux sur la
valeur. F. W. Taussig s'est occupé des coalitions, de
la question monétaire et surtout des tarifs, dans quel-
ques essais réunis ensuite en volume {The tariff liis-
tory of the United States, 1888); il démontre notam-
ment que les conditions qui pouvaient justifier une pro-
tection temporaire ont cessé pour l'Amérique.
En dehors des études historico-critiques déjà citées
sur le système monétaire et sur le système protecteur,
nous devons à William Graham Sumner un travail de
sociologie intitulé What social classes owe to each
other (1883), traduit en français, et quelques essais
contre le bimétallisme, sur les salaires, etc. {Collected
essays in iDolltical and social science. New-York,
1885). Défenseur du currency principle,i>eu favorable
aux coopératives, et libériste radical, Sumner accepte
en partie les doctrines des optimistes.
Parmi les partisans de l'école classique, Newcomb,
Hadley, Andrews et Macvane occupent également une
place éminente. L'illustre astronome Simon Newcomb,
auteur de quelques monographies et d'excellents arti-
cles sur la méthode {North American Review, Octobre
1875), sur l'organisation du travail {Princeton BevieM',
Mai 1880) et sur « deux écoles d'économie politique »
{Ibidem, Novembre 1884), a publié plus tard un traité
(Princlples of political economy. New- York, 1886:,
remarquable par sa précision et sa clarté, et en parti-
culier par une bonne analyse du mécanisme de la cir-
culation ; mais il est peu explicite sur la question du
type monétaire, et peu pratique dans les chapitres con-
sacrés à l'art économique et en particulier au système
d'impôts. Arthur T. Hadley, disciple de Wagner, a, au
contraire, une compétence théorique et pratique recon-
AUX ÉTATS-UNIS 483
nue ; il est rauteur d'une monographie classique sur les
chemins do fer [Railroad transportation, its history
and lïis laws. New- York, 1884;, à laquelle on peut
comparer le travail de Ch. Fr. Adams {Railroads, their
orlgin and problems, 2'édit., 1880). Dans cette œuvre,
comme dans d'autres ouvrages postérieurs (1888 et
suiv.), Hadley traite, avec beaucoup de profondeur, le
sujet si controversé des monopoles, sur lequel nous
avons des travaux de Clark, Giddings, Gunton,
Jenks, etc. ; il mérite d'être cité (pour nfe citer qu'un
exemple) à côté de la dissertation célèbre de F. Klein-
wiichter {Die Kar telle, 1883 .
E. B. Andrews (né en 1844), élève de Helferich et
président de la Brown University , associe à l'étendue
des connaissances la modération du jugement et la
clarté de l'exposition, dont il a fait preuve dans ses
travaux sur le problème monétaire (An honest dollar,
1889) et sur la loi économique des monopoles (1890),
mais principalement dans un excellent résumé d'éco-
nomie politique, dont le texte précis et sobre est accom-
pagné de notes explicatives et bibliographiques pré-
cieuses pour les maîtres comme pour les étudiants des
établissements d'instruction supérieure.
E. B. Andrews, Instiiutes of économies. Boston, 1889.
Le précis de Macvane, professeur à Harvard Uni-
versity., a été écrit avec une méthode tout à fait autre.
Sans aucun appareil d'érudition, il expose les théories
principales de l'économie pure et quelques-unes de
leurs applications, d'une façon familière et avec les
exemples nécessaires. Bien que ces deux écrivains appar-
tiennent à l'école classique, Macvane, moins porté aux
nouveautés, se tient rigoureusement à Ricardo et à
Stuart Mill ; il est fidèle à la théorie du coût de produc-
484 L ÉCONOMIE POLITIQUE
tion et à celle du fonds des salaires, qu'il a défendue
dans quelques articles du Quarterly Journal of Eco-
nomies, (1887 et suiv.^, dirigés spécialement contre la
théorie de l'utilité-limite de l'école austro-allemande, et
contre la théorie de \A'alker sur les profits et les sa-
laires.
S. M. Macvane, The icorking principles of poUtical
economy. New-York, 1890.
Voir aussi, en dehors des Bévues déjà citées, les
périodiques : A'orth American Review, Neiv Prin-
ceton Remeic, Yale Review, Scribner Magazine,
Popular Science Monthlij, Social Economiste Inter-
national Journal of Ethics, et en particuHer les
Annals of the American Academy of PoUtical and
Social Science. Philadelphie, 1890 et suiv. — La
Cyclopaedia of PoUtical Science, PoUtical Eco-
nomy, etc. (Chicago, 1881-84. Trois vol.), dirigée
par John L. Lalor (traducteur de Roscher), con-
tient de bons articles originaux de Burchard,
Ford, Hadley, James, Knox, Weeks, Wliite, etc.,
mais elle est, au fond, une traduction du Dic-
tionnaire de Coquelin.
CHAPITRE XV
L'ÉCONOMIE POLITIQUE EN ITALIE
L'importance relativement moindre des économistes
italiens de ce siècle, si on les compare à ceux du siècle
passé, s'explique suffisamment par les grandes difficul-
tés contre lesquelles ils durent lutter, particulièrement
pendant la domination et la prédominance de l'élément
étranger. Ils eurent contre eux la défiance des gouver-
nements, les restrictions à la liberté de la presse, le
nombre infime des chaires, le peu de liberté des pro-
fesseurs, la difficulté des communicalions entre les dif-
férentes parties de l'Italie, et entre l'Italie et les autres
nations. Les progrès faits pendant ces vingt dernières
années, c'est-à-dire après que l'unité et l'indépendance
nationales ont été conquises, nous en donnent une
preuve consolante.
L. Cossa, Sagrjio di Bibliografia dei trattati e com-
pendii di economia pollilca scrilti da italiani (in
Giornale degli Economisti. Septembre 1891 et
janvier 1892).
§ 1. — DE 1800 à 1814.
Quoiqu'à l'époque de la domination française le vent
ne fût pas propice aux idéologues, il y eut toutefois de
bons professeurs, comme Valeriani à Bologne, Ca-
gnazzi à Naples, Balsamo à Palerme et Scuderi à
486 l'économie politique
Catane, et de courageux propagandistes des idées libé-
rales, tels que ce même Balsamo et Fabbroni, et aussi
un érudit et patient commentateur de nos anciens éco-
nomistes, le baron Pierre Custodi (17.72-1842), auquel
nous devons la collection que nous avons souvent
citée.
Tandis que Raccbetti, de Crémone (1802), et dans
leurs œuvres sur le droit public Martignoni, de Côme
(1805!, Simoni, de Trente (1807) et notamment le véni-
tien Angelo Ridolfi Dirltto sociale, 1808), s'occupaient
incidemment d'économie, Luca de Samuele Cagnazzi
de Altamura (1764-1852), publiait ses Elementi di eco-
nomla politica (1813), dans lesquels il expose sans
aucune originalité-, mais avec ordre et clarté, les théo-
ries de Smith et de Say, faisant oublie/ les essais anté-
rieurs, trop courts, de iTamassia 1802), de Milizia ^1803',
de Serafini (1811), où trop exclusivement pratiques de
Azzariti (1806), ou peu propres à l'enseignement, comme
le volume de Predaval 1807.
A cette période appartiennent Jean Fabbroni (1752-
1822), défenseur zélé des réformes de Léopold et spécia-
lement du libre commerce des blés, dont il a parlé dans
plusieurs articles de polémique et plus amplement dans
son livre classique Dei provvedimenti annonarii.
1804 (2e édition, 1817). Gioja Sul commercio dei co-
mestibili e il caro prezzo dei vitto. Milano, 1802 ,
Scarpelli, Palmeri-Salazar(1813^ et plus encore l'illustre
Victor Fossombroni, se sont montrés favorables à la
liberté du commerce des blés.
Le vénérable patriote, éminent agronome (élève d'Ar-
thur Young), l'abbé Paul Balsamo (1764-1816), qui suc-
céda au mercantiliste Sergio (1806) dans la chaire
d'économie, a propagé en Sicile les doctrines de Smith
et s'est fait le promoteur de réformes tendant à pro-
téger l'agriculture contre les charges féodales.
EN ITALIE 487
Raccolta degli economisti toscani. Firenze, 1847-49.
Quatre volumes (Comprend les œuvres de Fab-
broni et celles de Gianni).
P. Balsamo, Memorie economiche ed agrarie. Pa-
lermo, 1803. — Memorie inédite di pubblica econo-
mia, 1845. Deu.x volumes.
Le.s études économiques ont été poursuivies : en Pié-
mont, par Prosper Balbo et Galeani Napione ; en Lom-
bardie, par Jean-Baptiste Giovio, de Côme [Opuscoli,
1804), par Nuytz (1802) et Martinelli (1808), qui ont
écrit sur la monnaie, par De Carli, qui proposa la fon-
dation d'une banque d'escompte pour le commerce de
la soie (1813); dans l'Italie centrale, par le comte Mario
Fantuzzi, de Ravenne (3/e?72orte, 1804), par le protec-
tionniste Colizzi-Miselli [Sulla lana greggia,, 1802) et
parN. M. Nicolai {Sulla campagna et sulVannona di
Roma, 1803) ; dans les provinces méridionales, par
Targioni, d'origine to.scane (1802), qui, ainsi que Marulli
(1804) et De Mattia (1805), s'est occupé de l'assistance,
et sans parler d'autres écrivains (cités dans la Storia de
G. Albergo), par le silicien Antonin Délia Rovere, auteur
des excellents Memorie sulla moneta bassa di Sicilia
(Palermo, 1814).
§ 2. — DE 1815 A 1830
L'enseignement de l'économie politique donné d'or-
dinaire par des professeurs protectionnistes (Païenne
et Catane), remplacé par un cours de « sciences et lois
politiques » (Pavie et Padoue, 1817), suspendu à Naples
(1820-1825) et définitivement supprimé à Parme (1820),
à Turin (1821) et à Bologne (1828), renaît partiellement
dans les revues, c'est-à-dire dans la Biblioteca italiana
(1816-1840), dans le Conciliatore (1818-1819), dans le
488 l'économie politique
Giornale Arcadlco {] S [9- \S10), dans VAntologia (1821-
1832), dans le Giornale di Scienze, Lettere ed Arti
pour la Sicile (1823-18421 et dans les Annali Univer-
sali di Statistica (1824-1871), fondées à Milan par
Custodi, Gioja et Romagnosi et continuées par Sacchi.
Se succèdent ensuite, avec des succès divers, les trai-
tés d'économie de Ressi (1817-1820), d'Agazzini '1822
et 1827), le traité quelque peu meilleur de Charles Bo-
sellini, de Modène {Nuovo esame délie sorgenti délia
privatae dalla pubblica ricchezza, 1816-17, deux volu-
mes), le résumé scolaire de Sanfîlippo, de Palerme
[IstitiLzioni, 1824), qui marche sur les traces de Say,
et celui du professeur Scuderi, de Catane, plus ample,
plus réfléchi et adapté aux besoins de la Sicile (Prin'
cipii di civile economia, 1827. Trois vol.). La renom-
mée de ces écrivains a été éclipsée par celle qu'eurent
à leur époque Valeriani et Gioja.
Luigi Molinari Valeriani, d'Imola (1758- 1828), phi-
lologue, philosophe, jurisconsulte, fut un profes.-eur
actif et un écrivain érudit, mais prolixe et obscur, qui
s'est occupé spécialement des rapports de l'économie
et du droit; il a étudié avec beaucoup de soin les théo-
ries de la valeur, du prix, du change, de la justice dis-
tributive, etc.
Del prezzo, etc., 1806. — Discorsi, 1807. — Dei cambi^
1823. — Opereilc, 1824. — Erotemi, 1825-28. -
(Cfr. A. Cavazzoni-Pederzini, Iniorno la viia, le
opère e le dottrine di L. M. Valeriani. Modena,
1859).
Melchior Gioja, de Plaisance (1767-1829), fut une
espèce de dictateur ne supportant aucune objection ; il
a cultivé avec succès la stati.stique ; on lui doit un
Nuovo prospetto délie Scienze econoiniche (Série I,
Teo?'ie, Milano, 1815-17. Vol. I-VI), dans lequel il voulait
EN ITALIE 489
résumer tout ce qu'on avait écrit et pensé en matière
d'économie, de finance et d'administration, et substi-
tuer une grande encyclopédie systématique à la collec-
tion de Custodi, qu'il avait souvent critiquée. Travailleur
ardent, très érudit, puissant analyste, mais pointilleux
et immodéré dans la critique, Gioja, auquel nous
sommes redevables de nombreuses observations très
ingénieuses, par exemple, dans la théorie de l'associa-
tion des travaux, est insupportable par le pédan-
tisme de ses tableaux statistiques et sa manie de
rechercher des contradictions, maintes fois imaginaires,
dans les œuvres de Smith, de Say et d'autres maîtres
de la science, qu'il combat trop souvent pour rendre
hommage à sa thèse favorite de la priorité des écono-
mistes italiens. Gioja est un partisan exagéré de l'ingé-
rence gouvernementale, à laquelle il a consacré une
monographie {Discorso popolare sulle manifatture
nazionale e tariffe daziarie, 1819).
François Fuoco, deNaples, quoique doué d'une grande
aptitude pour les recherches économiques, est moins cé-
lèbre ; il a vécu dans l'exil pendant de longues années ;
il est l'auteur d'une œuvre plutôt excentrique {La ma-
gia ciel credito snelata, Napoli, 1824. Deux vol.), écrite
pour défendre les projets financiers du ministre Medici,
et dont il laissa (pressé par le besoin d'argent) Joseph
De Welz, de Côme, se déclarer l'auteur. Ses Saggi
economici ont une bien plus grande valeur; il discute,
dans cet ouvrage, avec beaucoup de finesse la théorie
de la méthode, celle de la valeur et les systèmes indus-
triels et bancaires ; il accorde une attention particulière
à la théorie de la rente de Ricardo, dont, le premier en
Italie, il reconnaît l'importance, tandis que Scuderi
{Giornale di Scienze e Lettere di Palermo) et un ano-
nyme (Biblioteca Itallana, 1824), précurseurs deCarey
et de Bastiat, en niaient la valeur. Les Saggi de Fuoco
490 l'économie politique
passèrent presque inaperçus jusqu'à ce que Scialoja
(1840) et Mohl (1844) en firent l'éloge; on ne tint pas.
davantage compte des deux excellentes études qu'il
publia postérieurement.
Franc. Fuoco, Saggi cconomici. Prima série. Pisa,
1825-27. Deux volumes. — Iniroduzione alla,
studio deir economia industriaU . Napoli, 1829. —
Le hanche e Vindustria, 1834.
Sans parler de quelques ouvrages sur le cadastre et
sur les machines (1823-1824), on peut citer dans cette
période les travaux de jeunesse de Bianchini sur
l'influence de l'administration (1828) et sur les délits
qui portent préjudice à l'industrie (1830), loués par
Romagnosi, qui écrivit, en 1829, un essai magistral sur
la libre concurrence. Ce sont cependant les discussions
sur Tagriculture et la question annonaire qui occupent
la première place. Gautieri s'occupe des forêts (18J8),.
Chiarini étudie l'économie des immeubles (1822), Dan-
dolo (1820) et Berra (1825) recherchent les causes de la
baisse des céréales, tandis que François Gambini, d'Asti,
[Délie leggi frumentarie in Italia, 1819) défend la
liberté absolue, qui trouve des défenseurs ardents même
dans VAccademia clei Georgofili, où Capponi, Ricci,
Ridolfî, etc., répondent aux objections de Paolini et
des autres partisans des droits à Timportation (1824). La
liberté économique, en général, est défendue en Sicile
contre les protectionnistes Calvi (1825) et Viola (1828),
par un éminent élève de Balsamo, Nicolas Palmeri dans
son Saggio délie cause e délie angustie attuali delV
economia agraria délia Sicilia (Palermo, 1826).
§3. —DE 1831 A 1848
Après la mort de Gioja, la fondation de VIstituto-
EN ITALIE 491
d'incoraggiamento di Palermo M 831), la conversion
de Sanfilippo au libre échange, la création du Progressa
de Naples (1832-1846), où écrivent Bianchini, Blanch,
Mêle, De Aui^ustinis, Mancini, et l'influence toujours
croissante de Romagnosi, devenu l'âme des Annali di
Statistica et l'inspirateur de jeunes écrivains de
talent (Cantù, Correnti, Marzucchi, Blanchi, iSacchi),
les idées libérales se propagent de plus en plus et, avec
elles, les caisses d'épargne, les asiles pour l'enfance et
d'autres institutions de bienfaisance, sur lesquelles on
discute aussi dans les neuf Congressi degli scienziati
(1839-1847). Quelques émigrés comme Marliani en
Espagne, Chitti et Arrivabene en Belgique, font par
leurs travaux respecter les malheurs de l'Italie. Nous
devons à Arrivabene la traduction des traités de Mill
1830) et de Senior (1836), publiée en Suisse et com-
mentée.à Milan par Poli; il fit ainsi mieux connaî-
tre en Italie les théories de Malthus et de Ricardo,
popularisées plus tard par Pellegrino Rossi et fort
appréciées dans les classiques Principil d'economia,
sociale (Naples, 1840. - Deuxième édition, 1846. Trad.
française, 1844) de Antonio Scialoja. Appelé à la
chaire d'économie rétablie à Turin en 1846, il écrivit
un Trattato elementaro (1848) qui obtint un succès
qui fut refusé, au contraire, aux excellents travaux dans
lesquels Francesco Corbani, professeur à Sienne (de
1842 à 1859) démontre l'importance économique de
l'élément religieux, comme l'a fait récemment le
R. P. Matteo Liberatore [Principii d'economia poli-
tica. Roma, 1889).
Cfr. Carlo de Cesarg, La vita, i tempi e h' operti di A.
Scialoja. Rome, 1879.
Jean Dominique Romagnosi (1761-1835), écrivain
célèbre en matière de droit public, de droit privé et de
492 l'économie politique
statistique, s'occupa toujours, mais avec plus de suite
dans les dernières et malheureuses années de son exis-
tence, des questions économiques ; il a écrit d'impor-
tants mémoires sur des questions d'ordre général : la
définition, la dignité, la coordination de l'économie
politique, ses relations avec les autres sciences civiles
et en particulier avec le droit, le caractère, les avan-
tages, les limites de la liberté économique (^agricole,
industrielle, commerciale); il a commis de graves
erreurs dans la théorie de la population, qu'il n'avait
pas approfondie.
Voyez la bonne monographie de G. Valenli, Le idée
economiche di Gian Domenico Roniagnosi. Rom a,
1891.
Très inférieur à Romagnosi pour ses connaissances
juridiques et économiques, Carlo Cattaneo, de AÎilan, le
surpasse de beaucoup par la puissance et la vivacité de
son style. Il a étudié avec beaucoup de savoir certai-
nes questions d'économie appliquée. Il a fait l'apologie
des institutions agraires de la Lombardie et, fidèle aux
principes du maitre. il a combattu dans ses interdi-
zioni israelltiche, dans les Annali di Statistica. et
dans le Politecnico, qu'il a très habilement dirigé, les
sophismes spécieux de Frédéric List.
C. Cattaneo, Scritli di economia puhblica'\o\. I et II.
Genova, 1887-1888.
La défense de l'exportation de la soie grège hors
du Piémont, déjà attaquée par Gambini (1820) et Len-
cisa (1831), provoque une chaleureuse réfutation du
jurisconsulte de Novare, Jacques Giovanetti (1834),
adversaire également des impôts annonaires (1833).
Le piémontais Michelini et Meguscher, de Trente (1836),
EN ITALIE 493
ont écrit sur les forêts, Gastaldi (1840] sur le commerce
et les banques, Eandi (1844) sur les caisses d'épargne,
llestelli (1845) sur les associations industrielles et com-
merciales, De Rocchi (1846) sur les machines. Mori-
chini(1835), Magenta (1838, Zennari, Bernardi (1845),
et Casarini (1846), se sont occupés de l'assistance, et
avec plus de science, le comte C. llarione Petitti, de Ro-
reto (1790-1850), auteur du Saggio ciel biion governo
délia, mendicità (Torino, 1837. 2 volumes^ qui peut
soutenir la comparaison avec la grande œuvre de
Gérando, qui en a fait de grands éloges. Nous devons
à Petitti d'autres travaux sur le travail des enfants
(1841). sur les associations douanières (1844), sur les
chemins de fer italiens (1845), sur la réforme des im-
pôts (1850) et une œuvre posthume sur le jeu du
« lotto » (1853).
Ludovic Bianchini, auteur des Principii del credilo
pit66h'co(1827, -2^édit., 1838) défend les emprunts amor-
tissables ; il s'est surtout fait connaitre par ses compi-
lations historiques sur les finances de Naples (1834-
1836) et de Sicile (1841). Les controverses économico-
fiscales sur les ports francs, sur le « tavoliere di
Puglia », sur la conversion de la rente etc., ont pro-
voqué une multitude d'articles de polémique de Bian-
chini, de Ceva-Grimaldi, du duc de Ventignano, etc.,
de Ferdinand Lucchesi-Palli et de Jacques Savarese,
auteur d'un traité d'économie qui est resté inachevé
(1848).
Le sicilien François Ferrara (né en 1810), directeur
du Giornale di Statistica (1836-1848), où il eut comme
collaborateurs : Emerico Amari, Vito d'Ondes Reggio,
François Perez et Raphaël Busacca, auteur de bonnes
études sur le cours forcé (Firenze, 1870), a écrit difïé-
rentes œuvres statistiques, historico-critiques et théori-
ques ; il défend énergiquement la liberté commerciale ;
494 l'économie politioue-
il a fait, à propos delà polémique sur le cabotage entre
Xaples et la Sicile (1837), l'apologie de la doctrine de
Malthus (1841) ; il soutient que les Grecs n'eurent pas
une véritable science économique (18'i6) ; il donna, déjà
dans ses premiers travaux, des preuves certaines de la
puissance de son intelligence et de la vivacité de son
style.
Franc. Ferrara, Memorie di slaii.slica. Rome, 1890.
L'économie politique moderne a pénétré en Italie
dans une première période; dans une deuxième période
elle a été ob.scurcie par les doctrines restrictives de
Gioja ; de nouveau libérale dans la troisième, sous
l'influence salutaire de Romagnosi et grâce aux leçons
de Pellegrino Rossi. qui propage les théories de l'école
classique (Smith, Malthus, Ricardo, Senior), elle rede-
vient exclusive, mais en sens opposé, dans la quatrième
période avec Françesco Ferrara, qui succède à Scialoja
dans sa chaire de Turin (1849-1858), et propage, dans
ses brillantes leçons, qui circulent lithographiées dans
toute l'Italie, les doctrines de Carey, qu'il commente
avec une grande érudition dans les Préfaces de la
Diblioieca, deW Economista, éditées plus tard séparé-
ment. Sans tomber dans les amphibologies de Bastiat,
Ferrara se déclare partisan de la théorie du coût de
reproduction comme fondement unique de la valeur,
dont il cache le côté faible par ses fameux succédanés,
acceptés par Minghetti ; il croit à l'augmentation néces-
saire et fatale des salaires ; il repousse la théorie de la
rente; il professe le principe absolu du « laissez-faire »,
c'est-à-dire l'optimisme dans la science et l'indivi-
dualisme extrême dans les applications. Ses idées bien
EN ITALIE 495
tîonnues sur la projjriété, le.s droits d'auteur, les bre-
vets industriels, la distribution de la richesse en sont la
preuve, etc. Chercheur infatigable des origines et des
progrès de la science économique en Angleterre et en
France, critique puissant, mais parfois injuste, il a écrit
avec beaucoup de soin les biographies des principaux
économistes ; les principes qui lui servent de critère lui
font estimer outre mesure Say, Dunoyer, Chevalier, et
iïiéconnaître les mérites de Ricardo et diminuer ceux de
-Rossi et de Stuart Mill.
Fr. Ferrara, Importanza delV economia poUlica. To-
rino, 1849. Biblioieca delV Eronomlsia. Série I
(Trattati complesslvi.) Série II. [Traitati speciali).
Torino, 1850-70. Vingt-six volumes. — Esame sio-
7'ico-criiico di fconomistl c doHriiu' ccoiwniiche, etc.
Torino, 1889-1892. Deux volumes (en quatre par-
ties).
Parmi les élèves et les admirateurs de Ferrara, nous
rappelerons Torrigiani, qui fut professeur à Parme et
à Pise ; Todde, professeur à Modène, actuellement à
Cagliari; le savoyard Jean-Jacques Reymond, écrivain
sage et tempéré, trop tôt enlevé à la science par une
•cruelle maladie. Gérôme Boccardo (né en 1829) contri-
bua puissamment à propager en Italie les doctrines de
Bastiat ; il a été professeur à Gènes ; il est l'auteur
merveilleusement fécond d'ouvrages sur des sujets très
Variés (collections, encyclopédies, traités, manuels,
•«ssais, discours, articles) dont les plus importants sont
-le précis d'économie, dont on s'est servi pendant de
longues années dans les écoles , le dictionnaire qu'il a
rédigé d'après celui de Coquelin, mais qu'il a enrichi
(notamment dans la seconde édition) de notes intéres-
santes , la troisième série de la Biblioteca dell'Econo-
mista, moins exclusive que les séries précédentes.
496 l'économie politique
G. Todde, Note mil' economia poliiica. Cagliari, 1885.
J. J. Reymond, Etudes sur V économie sociale et in-
ternationale. Turin, 1860-61. Deux volumes.
G. Boccardo, Traitaio ieorico-pratico d'economia poli-
tica, 1853 (7^ édit., 1885). Trois volumes. — Dizio-
nario universale d'economia politica e commercio .
Torino, 1857. Quatre volumes. -2« édil. (en deux
volumes). Milano, 1875-77.
Biblioteca delV Economista. Série III. Torino, 1875-
1892. Quinze volumes.
Les tentatives faites par Bianchini et par Bruno
pour rattacher l'économie aux autres branches de la
science sociale, bien qu'elles aient été fort approuvées
notamment à l'étranger, exercèrent peu dinfluence.
On peut en dire autant de l'excellent abrégé du sicilien
Placide De Luca, professeur à Xaples. Il ne s'est pas
tout à fait débarrassé des préjugés restrictifs, mais il a
le mérite d'avoir écrit le premier manuel italien de la
science des finances, dans lequel il suit avec trop de
fidélité celui de Jakob (d'après la traduction française),
déjà vieilli à cette époque. D'autres traités eurent moins
de succès encore: ils sont, ou peu connus, comme ceux
deScopoli, de Vérone (1850), et du toscan Trinci^ ad-
versaire de Malthus (1858), ou sans originalité, comme
celui du napolitain Trinchera (1853), qui copie Rossi
dans la partie théorique et Bianchini dans la partie his-
torique, ou d'une forme abstruse, comme les nombreux
traités de Marescotti (1853, 1861, 1878, 1880), ou trop
courts, comme les résumés de Meneghini (1856) , de
Rusconie (1852) et de De Cesare il862).
Lod. Bianchini, Délia scienza e del ben vivere sociale e
délia economia degli Stati. Vol. I, Napoli, 1845.
Vol. II, 1855.
Giov. Bruno, La scienza delV ordinamenio sociale,
Palermo, 1859-62. Deux volumes.
EN ITALIE 497
P. De Luca, Principii dementm'l di scienza economica.
Napoli, 1852. — La scietiza délie Finanze, 1858.
Dans le Piémont, qui devint, grâce au séjour de nom-
breux émigrés, un centre d'études non moins important
que ceux qui existaient auparavant à Milan et à Xaples,
les revues, et notamment la Contemporanefi (1850-
1870), publièrent de bons articles d'économie; il faut
également citer les monographies du comte 11. G. de
Salmour sur le crédit foncier et agricole (184G) et son
organisation dans les Etats Sardes (1853) et en Italie
(1862). En Vénitie se distinguèrent J. B. Zannini, le
courageux auteur du Piano di ristorazione economica
délie Provincie Venete, et Valentin Pasini, de Schio
(mort en 1864), dont se sont occupé brièvement Lam-
pcrtico, et longuement Bonglii. L'économie politi-
que a été étudiée également à Modène par Ludovic Bosel-
lini et Andréa Cavazzoni-Pederzini ; à Bologne, par les
jurisconsultes Borgatti et Martinelli ; en Sicile, par Te
deschi-Amato, Biundi, Rizzari, l'émincnt Salvatore
Marche.'-e (mort en 1880) et par Perni (disciple de Bruno
et Intrigila, des statisticiens éminents.
L'économie ne fut pas négligée dans les revues mi-
lanaises : le Giornale délie scienze j^olitico-legali
(1850-53) contient de bons articles d'Antoine Mora ;
Correnti, De Cristoforis, Zanardelli, Allievi, Massarani
et Emile Broglio, auteur d'élégantes lettres sur l'impôt,
sur la rente (1856), ont été collaborateurs du Crépus-
colo (1850-56).
Il faut citer spécialement trois écrivains, qui furent
aussi d' éminents hommes d'état : Stéphan Jacini, An-
toine Scialoja et Marc Minghetti.
Stéphan Jacini, de Casalbuttano (1837-1891), ne s'est
pas occupé de science pure, mais il s'est signalé par
ses travaux de jeunesse sur l'économie agraire, aux-
32
4Ô8 l'économik politique
quels il revint pour les compléter dans son âge mûr,
alors qu'il était président et rapporteur de l'enquête
ag-raire(1817-1877). Antoine Scialoja J817-1877), ayant
perdu sa chaire, se voua à la profession d'avocat; il écri-
vit deux brillants opuscules polémiques sur les disettes
et sur le budget de Naples ; il s'occupa plus tard,
comme écrivain et comme ministre, de la réforme des
impôts directs (Nuova Antologia, 1067-1 868j ; il a
défendu (contre Minghetti, Morpurgo et Allievi) la con-
solidation de l'impôt foncier. Marc Minghetti, de Bolo-
gne (18f8-1886i, orateur éloquent, lettré et artiste, est
connu dans la science économique par son ouvrage
sur les rapports entre l'économie, la morale et le droit,
recommandable sinon pour l'originalité, du moins pour
l'excellence de la doctrime et pour sa forme exquise.
S. Jacini, La proprirtà fOndiaria e la popolazione agrl'
cola lit Lomhardia. Milano, 1854.-3'= édit., 1857. —
Frammenti delV incliicsta agraria. Roma, 1883.
A. Scialoja, Carostia e govcrno, 1853. — Il hilancio
degli Staii Sardi ed il Nopoliiano. Torino, 1858.
M. Minghetti, Opuscoli leiterarii ed économie i. Fi-
renze, 1872.
La période de notre émancipation politique a été favo-
rable à la diffusion des éléments de l'économie grâce au
rétablissement des chaires anciennes (Bologne, Pise,
Parme, Modène) et à la création de chaires nouvelles
dans les Universités (Gênes, Cagliari, Messine, Rome) et
dans les « instituts industriels et professionnels» ; cela se
fit cependant avec une hâte qui ne permit pas de choisir
de bons professeurs. En même temps, le développement
des manufactures et du commerce, la liberté de dis-
EN ITALIE 499
cussion, la liberté de la. presse, et la nécessité de
résoudre promptement les graves questions économi-
ques et financières qui surgissaient, provoquèrent des
projets, des rapports, des discours, des opuscules et des
enquêtes officielles et parlementaires, dans lesquelles
d'éminents statisticiens purent se signaler. En dehors
de ceux que nous avons déjà nommés, il faut citer :
Cavour, Sella, Luzzatti, Lampertico etc. La science
pure a été négligée, et parce que les préoccupations poli-
tiques absorbaient les meilleurs esprits , et parce
que l'école pseudo-orthodoxe était prédominante. La
fondation de la Xuova Antologia, (1866), au début
encore soumise à ces influences, apporta quelque amé-
lioration à cet état de choses. On se servit dans l'ensei-
gnement supérieur des traités inachevés des professeurs
De Rocchi (de Sienne), Salvatore, Majorana-Calatabiano,
de Casane (1866) et Ippolito, de Naples (1869) et de
ceux de Ponsiglioni, qui succéda à De Rocchi et ensuite
à Boccardo (1870,-2'^ édit. 1880 , et de G. E. Garelli
(1875-2* édit. 1880). i^armi les précis écrits pour les
instituts techniques, nous citerons ceux de Fornari( 1 868) ,
de Rameri (1864, 1868, 1876) et de Lo Savio (1872;,
qui furent les précurseurs d'un courant meilleur.
Le nestor des économistes italiens, Antonio Ciccone
(1808), qui a succédé en 1865 à Jean Manna, (auteur
de bonnes études administratives) dans la chaire de
Naples, fut un disciple modéré de l'école dominante.
Aux Prmcipii cVeconoraia. sociale (1866-68), parvenus
à leur troisième édition (1882-83. Trois volumes;, firent
suite les remarquables mémoires complémentaires sur
les lois naturelles de l'économie (1883), sur la valeur,
sur le salaire (1888), sur les pensions pour la vieillesse
(1882), ainsi que d'autres de plus grande importance sur
Macleod, sur l'assistance et la misère (1874) et celui qui
obtint un prix àMilan, sur la question sociale(1884); ils
500 l'économie politique
montrent l'intelligence, le savoir et l'activité de l'au-
teur.
Quant aux mono,2:raphies, nous devons signaler dans
le Piémont celles d'Alessandro Garelli sur les banques,
les crises, les salaires, instructives, toutes pleines de
faits, et la Logica, délie imposte, œuvre pondérée du
jurisconsulte Matteo Pescatore ; en Ligurie, les nom-
breux écrits économico-fiscaux de Camille Pallavicino,
de Pierre Sbarbaro, de Jacob Virgilio et de Paul Bo-
selli, les deux derniers très compétents dans les ques-
tions commerciales et maritimes ; en Lombardie, les
travaux d'Allocchio sur la liberté des échanges, le cré-
dit foncier et les caisses d'épargne, ceux de Fano sur
la charité préventive (1868) et les écrits brillants mais
quelque peu paradoxaux de l'émigré Henri Cernuschi
sur le mécanisme des échanges et le bimétalisme ; dans
la Vénétie, les nombreuses compilations de l'infati-
guable Albert Errera, les travaux de Benvenuti sur les
banques et les finances et l'ouvrage plus pratique de
Cappellari délia Colomba sur les douanes (1867), mais
surtout les essais économico-statistiques et financiers
d'Emile Morpurgo (mort en 1 885) et les excellentes études
sur le crédit foncier (1868) et sur les banques de Venise
(1869) de Elle Lattes, qui acquit une renommée encore
plus grande par ses travaux d'épigraphie étrusque ; en
Emilie, les grandes recherches sur les colonies et sur
l'émigration (1874) de Leone Carpi ; en Toscane, les
mémoires économico-agraires et autres travaux de
Ridolfî, de Corsi, de Rubieri, de Cini, d'Andreucci, de
Franchetti, de Sidney et George Sonnino, etc. ; dans
les provinces napolitaines, Racioppi, Nicolo Miraglia,
Tortora, Faraglia, etc., Auguste Magliani (1825-1891)
et Constantin Baer, tous deux très compétents dans
les questions monétaires et fiscales ; enfin, en Sicile,
le professeur, déjà cité, Jean Bruno, directeur du Gior-
EN ITALIE 501
nale cli Statistica (depuis 1848), auteur de bonnes
études sur les caisses d'épargne (1852(, sur la liberté de
la boulangerie et sur la taxe du pain (1855), etc.
,^6. — l'état actuel
Ang. Bertolini, Saggio cli bibliografia economica ita-
liana (1870-1890). Bologna, 1892. (in Giornale degli
Economhti).
H. von SchuUern-Schrattenhofen, Die theoretische
Naiionalokonomie Italiens in neuesier Zeit. Leip-
zig, 1891. (Monographie savante et soignée).
A. Loria, Economies in Italy (Annats of the American
Academy, etc. Vol. II, n. 2. Phiiadelphia, 1891).
U. Rabbeno, The présent condition of polit ical eco-
nomy in Italy [Political Science Quarterly. Vol. VI,
n. 3. New York, 1891).
La fondation de chaires nouvelles à Padoue et à Pavie
(1858) et renseignement que Ton y donnait dans une
sereine objectivité scientifique, dénuée do toute ten-
dance apologétique ou critique des conditions actuelles,
en tenant compte des progrès faits par l'économie spé-
cialement en Angleterre et en Allemagne, mis à profit
par de bons et actifs disciples, devenus ensuite profes-
seurs dans les principales universités du royaume, fut
la cause principale de la meilleure direction des études
et des publications qui ont été louées par des juges
étrangers compétents.
Le mérite principal du réveil scientifique actuel est
dû à trois hommes, illustres à différents titres : Messe-
daglia, Nazzani etLampertico, et aussi à Vito Cusumano
(né à Partanna en 1843). sorti de l'école de Pavie, et
devenu plus tard à Berlin un admirateur passionné des
doctrines allemandes, qu'il propagea en Italie par le
savant ouvrage dont nous avons déjà parlé.
502 l'économie politique
Angelo Messedaglia (né à Villafranca de Vérone en
1820), a été professeur à Padoiie (1858-1866), puis à
Rome. L'étendue et la profondeur de ses connaissances
scientifiques et littéraires, sa possession des méthodes
analytiques, l'impartialité de ses jugements, en font,
sans flatterie, le maître de « ceux qui savent ». Il
a écrit à plusieurs reprises sur la méthodologie statis-
tique et économique, sur la monnaie, sur la popula-
tion, sur les impôts directs et sur le crédit public. On
peut dire que les défauts de ses œuvres tiennent à
leurs qualités éminentes. Faisant précéder la synthèse
des phénomènes de l'analyse de leurs différents aspects,
dans laquelle il est maître, Messedaglia ne sait pas évi-
ter les répétitions qui troublent l'ordre systématique
de ses travaux et il aime à s'arrêter à la critique minu-
tieuse des formules, quelquefois impropres et parfois
inexactes (comme le sont les progressions de Malthus),
qui résument des principes de grande importance théo-
rico-pratique : c'est ainsi que certains disciples peu ex-
perts ont pu avoir la conviction erronée que les obser-
vations du maître pouvaient ébranler certaines lois de
la science. En outre, une juste antipathie pour les con-
clusions trop absolues a engendré chez Messadaglia,
sinon le scepticisme, du moins une certaine hésitation,
qui lui a fait esquiver les questions capitales sur la dis-
tribution de la richesse. Toujours peu satisfait de son
œuvre, il recommençait toujours (pour les corriger et les
compléter) les premières parties de ses travaux, mais il n'a
jamais terminé les dernières parties. Nous laissons de
côté, pour ne pas sortir de notre sujet, ses ch'ssiques
monographies statistiques (préférées par l'auteur) et
nous indiquons seulement ses monographies économi-
ques, en signalant, comme techniquement parfaite, son
étude sur le cadastre.
EN ITALIE 503
A. Messedaglia, Dei prrstiti puhblici e tlel miglior sis-
tema tli consolidazione. Milano, 1850. — Délia
• teoria délia popolazione priucipaimenie solto l'as-
peito del nietodo. Vol. 1. Verona, 1858. — La
moneta e il sistema mo)ielario. La sforia e la sla-
iisiica dei metalli preziosi. [Arcliivio di Slaiis-
tico. Anno VI e VIT. Roma, 1881-83). — Relnzione
sut TitoloI del Progetto di legge suir imposta foit-
diaria. Roma, 1884. — Veconomia poliiica in rela-
zinne alla sociologia e quale scienza a se. Roma,
1891.
Emile Nazzani (né à Pavie en 1832). profes.seur pen-
dant vingt-cinq ans à l'institut technique de Forli, doué
d'une intelligence robuste et bien équilibrée, très ins-
truit , débuta par des travaux savants sur l'écono-
mie appliquée, dans lesquels il défendait la liberté des
coalitions, et étudia l'organisation des sociétés coopéra-
tives (in Industriale lioinagnolo, 1868-69) ; il aborda
ensuite avec une profondeur modestement dissimulée
les thèmes les plus ardus de l'économie pure : la rente
(1872), le profit (1878), la demande de travail (1880), la
valeur (1883), et résuma enfin avec une clarté simple et
élégante, dans son compendiode meilleurprécis italien),
les doctrines de l'école classique; il a réfuté, dans un autre
écrit, les critiques des adversaires de cette école (1879).
E. Nazzani, Swito di economia poliiica. Forli, 1873-
4° édit. Milano, 1886. — Saggi di economia poli-
iica. Milano, 1881. — Sulle prime cinque sezioni
del capitolo « On value » di Ricardo (in Rendiconti
del R. Istitulo Lombardo di Scienze, 1883.).
Fedele Lampertico (né à Yicenza en 1833) s'est dis-
tingué dans les belles lettres, l'histoire, le droit et la
statistique. Il a discuté dans de nombreux travaux et
dans d'excellents rapports parlementaires les sujets
les plus variés : l'isthme de Suez, les mines, les glar
504 l'économie politique
ciers, les bois, les dîmes, les banques, le libre échange^
le papier monnaie, etc., et il entreprit de parcourir, dans
la plus importante de ses œuvres, le champ entier des
théories économiques, financières et administratives.
S'il ne put, comme cela était à prévoir, terminer ce tra-
vail, trop grandement conçu, trop irrégulier dans sa
forme et peu proportionné dans ses parties, il nous a
donné une précieuse collection de monographies dans
lesquelles il a étudié, avec des développements en par-
tie nouveaux et intéressants, quelques-uns des pro-
blèmes les plus complexes de la science.
F. Lampertico, Ecomomia del ])opoli e degli Siati.
Vol. I-V. Milano, 1874-84.
Aux critiques formulées sur un ton agressif par Cu-
sumano (1873) répondit avec une vivacité encore plus
grande Ferrara, dans la Nuoi:a Antoloyia (août 1873) ;
il dénonça le germanisme et, plus tard (1878), l'américa-
nisme économiques comme des ennemis de la liberté. Le
meilleur élève de Messedaglia, Luigi Luzzatti (né à Ve-
nise en 18il) répondit avec beaucoup de modération.
C'est un écrivain brillant, qui s'est fait en Italie l'apôtre
des banques populaires et des sociétés coopératives.
Sa patrie et la science doivent lui être reconnais-
santes pour ses innombrables articles de revues et de
journaux et pour l'activité qu'il a déployée, comme dé-
puté et comme ministre, dans les conférences moné-
taires, dans les expositions industrielles, dans la con-
clusion des traités de commerce et finalement par ses
essais de réorganisation du crédit et des finances.
Les premières escarmouches furent suivies d'un con-
grès tenu à Milan (1875), de la création de sociétés éphé-
mères et de la publication d'articles favorables (E. Mor-
purgo, L. Miraglia, P. Del Guidice, etc.) ou défavo-
EN ITALIE 505
rables (Marescotti, Bruno, Torrigiani, Scarabelli, etc.),
à ce que l'on a appelé inexactement la nouvelle école iau-
toritaire), tandis qu'en réalité elle comprenait des écri-
vains de tendances très opposées, d'accord seulement
pour combattre l'optimisme de la liberté illimitée. Les
équivoques nées dans la chaleur de la lutte étant main-
tenant dissipées pour les hommes de bonne foi, il n'est
pas difficile de déterminer avec précision les tendances
dominantes des différents groupes de nos économistes.
Le plus ingénieux parmi les individualistes , dont
le nombre va en diminuant, est Domenico Berardi.
Il a combiné les doctrines de Ferrara et celles de Spen-
cer et il déduit résolument les dernières conséquences
du principe du « laissez faire » (Le funzioni ciel go-
verno nelU economia sociale. Firenze, 1887). Les mêmes
idées sont défendues par Tullio Martello dans son vo-
lume sur la monnaie (1872), et mieux encore dans un
brillant article du Giornale clegli Econoviisti, dans
lequel un anonyme combat avec beaucoup de savoir et
une fine ironie (mais avec de regrettables allusions per-
sonnelles) les énormités de l'école économico-zoolo-
gique. Ponsiglioni, Todde et Angelo Bertolini, dont la
jeune activité est pleine d'espérances, sont aussi des
partisans modérés de l'individualisme.
Dans le petit nombre des partisans du socialisme de
la chaire nous citerons Forti, directeur de la première
série du Giornale clegli Econoniisti (1875-1878), Du-
cati, Ousumano, actuellement plus modéré, Mortara,
qui est partisan d'une forte ingérence de l'Etat dans la
propriété foncière (1888) et enfin Camille Supino, auteur
de mémoires éradits sur la valeur (1880-1889), le
capital (1886-1891), l'escompte (1892), et d'essais très re-
marquables sur la navigation (1890).
Les professeurs Toniolo, de Pise, et Ferraris, de Pa-
doue sont moins exclusifs. Joseph Toniolo (né en 1845)
506 l'économie politique
a été avec Auguste Monlanari fauteur d'un bon ré-
sumé) l'élève et pendant quelque temps le suppléant
de Messedaglia ; il a publié des mémoires très soignés
sur l'élément éthique, la méthode d'observation, la
petite industrie, la rente, le salaire, la participation
aux bénénces, etc., et notamment une monographie
sur la distribution des richesses (1878). Il unit à l'exac-
titude théorique du maître, de bonnes recherches his-
toriques et philosophiques; ses consciencieuses leçons
s'inspirent de hautes idées morales. Charles François
Ferraris (né en 1850), disciple favori de Wagner, s'est
occupé avec talent de la science administrative ; il est
le défenseur ardent des chaires de statistique (1891); il
s'est beaucoup occujié de la question monétaire et du
cours forcé (1879) ; il est partisan de l'impôt militaire et
de l'assurance ouvrière obligatoire; il a écrit avec une
méthode encore plus correcte sur le crédit privé dans
ses Principii di scienza, baricaria. (Milano, 1892), qui
ont remplacé l'ouvrage autrefois excellent mais aujour
d'hui vieilli de Pierre Rota (1873).
Joseph Ricca Salerno (né à Sanfratello en 1849) est
lui aussi un disciple de Wagner. Il a été professeur à
Pavie, à Modène et à Palerme. Il marque la transition
entre l'école historique et l'école classique. Il a débuté
par de savantes monographies sur le capital !l877), sur
le salaire (1878) et les emprunts (1879), souvent un peu
obscures ; il a publié ensuite (et c'est son meilleur
travail) l'histoire des théories financières en Italie
(1881), et de bons travaux économiques et financiers
(dans des revues italiennes et étrangères) ; il acquiert
de plus en plus la renommée d'un excellent maitre et
d'un critique expert. Il a accueilli le premier, mais
avec quelques modifications, dans un excellent article
{Giornale degli Economisti, 1877) et dans son Manuale
di scienza finanziaria (Firenze, 1888), la théorie de
EN ITALIE 507
Sax, qu'acceptent aussi ses excellents élèves de Modène,
Auguste Graziani, professeur à Sienne, auteur de bons
travaux sur le profit (1887), les dépenses publiques
(1887), les opérations de bourse (1890), les piachines
■(1891), et Charles Ange Conigliani, qui a écrit un
mémoire ingénieux sur les effets économiques des
impôts (1890); il doit publier prochainement une
histoire critique de la théorie économique de la monnaie
•en Italie, que ses travaux antérieurs nous font vivement
<iésirer.
Maffeo Pantaleoni (né à Frascati en 1857), directeur
de l'Ecole de commerce de Bari, auteur d'excellents
travaux de statistique économique, et notamment d'un
mémoire sur l'importance probable de la richesse privée
•en Italie (1884), a débuté par une savante monographie
sur l'incidence des impôts; il a donné des preuves de
son aptitude aux recherches exactes dans les Principii
di econoynia jjura. (Firenze, 1889). Dans ce livre, qui
«ut l'honneur rare d'être traduit en anglais, il expose
la théorie de la valeur, conformément aux doctrines de
Gossen, de Jevons et de Wieser, etc.; il y fait cependant
des critiques parfois injustes à quelques-uns des chefs
de récole autrichienne.
Le problème de la valeur a été également discuté
par Piperno, qui a recherché avec soin les causes
de Vaggio (1880), par Wollemborg (1882), l'infati-
gable propagateur des caisses rurales de prêt (Raif-
feisen), par Valenti (1890), éminent spécialiste en éco-
nomie agraire, par Alessio, qui a écrit aussi une bonne
monographie sur le système fiscal italien (1883), que
l'on peut rapprocher de celle de Zorli (1887), et enfin par
Blanchi (1891), qui s'est également fait connaître par
de bonnes recherches sur la propriété territoriale (1890).
<5uelques économistes acceptent, non sans réserves,
les théories de l'école austro-allemande : Ugo Mazzola,
508 l'économie politique
qui a savamment parlé de l'assurance ouvrière en Alle-
magne (1886); il a soutenu la théorie des produits
immatériels, et fait (1890' quelques objections subtiles à
la théorie financière de Sax ; Emile Cossa s'est occupé
avec sobriété et clarté des entreprises industrielles
(1888'i et des formes naturelles de l'économie sociale et
de l'économie financière, il a résumé, en les séparant
de l'agronomie et de l'économie générale, les éléments
de l'économie agraire (1890), et il a également écrit
avec une louable impartialité sur le problème ardu de
la réduction des heures de travail (1892).
On doit grandement apprécier, à cause de la netteté
de la doctrine et de l'excellence de sa méthode, les
œuvres de De Yiti De Marco et de Gobbi. De Viti De
Marco (né en 1858i dirige avec Pantaleoni, Mazzola et
Zorli la nouvelle série du Giornale degli Economistî,
dans laquelle il défend énergiquement le libre échange,
attaqué théoriquementpar Benini (1883) et pratiquement
par Ellena, Salandra, Alexandre et Egiste Rossi. Il est
particulièrement connu par son étude sur la monnaie
et les prix (1885), dans laquelle il défend, avec les res-
trictions nécessaires, la théorie quantitative, et par son
travail sur le caractère théorique de l'économie finan-
cière (1888).
U fisse Gobbi (né en 1859), a étudié, dans un .style
moins enveloppé mais plus négligé, l' organisation des
sociétés coopératives et de l'assurance contre les acci-
dents du travail ; il a recherché avec compétence l'in-
fluence des systèmes de rétribution sur la productivité
du travail (188)', et, dans son court mais très utile précis
d'économie, il a combiné les doctrines de l'école
classique avec les résultats des recherches minutieuses
réunies dans le Manuel de Schonberg.
Achille Loria, deMantoue (né en 1857), n'est inférieur
à aucun en intelligence, et il est supérieur à tous par
EN ITALIE 509
son originalité, et à beaucoup par ses connaissances.
Professeur à Sienne et actuellement à Padoue, il occupe
une place éminente dans la science, bien qu'on puisse
lui reprocher de n'être pas assez objectif dans la critique
des doctrines et dans le choix des faits qu'il cite à l'appui
de ses théories personnelles. Il est difficile de résumer
le système d'un auteur dont les tendances sont, en
apparence du moins, les plus opposées. Il suit, en effet,
Ricardo dans ses théories sur la valeur et sur la rente,
tout en combattant avec àpreté et non sans équivoques
{NuovcL Antologia, 1890) l'école autrichienne, mais il
n'accepte pas sa théorie de la monnaie ; il est partisan
de l'école historique et tient les phénomènes écono-
miques pour variables et partant il croit que les
théorèmes de l'école anglaise ne s'appliquent qu'au
système capitaliste ; il admire Marx (dont il a parlé
d'une façon magistrale) et croit, avec lui, que le profit
est une forme transitoire, mais il réfute ses sophismes
sur la valeur ; il se rapproche des socialistes dans sa cri-
tique du régime économique moderne, mais il repousse
leurs projets de réforme parce qu'il espère que les plaies
sociales disparaîtront naturellement grâce à la diffusion
de la propriété et à la disparition de la rente ; il loue
enfin les évolutionnistes, mais il ne leur épargne pas
les reproches qu'ils méritent. Pour bien comprendre
les idées de Loria, qu'il a résumées dans une de ses
leçons d'ouverture, il faut avoir présente à l'esprit
l'importance suprême (et à notre avis exagérée) qu'il
attribue au problème économique dans le système
social et politique, et au problème territorial dans le
système économique.
A . Loria, La rendila fondiaria e la sua elisione natu-
rale. Milano, 1880. — La legge di popolazione ed
il sistema sociale. Siena, 1882. — Carlo Darwin e
Veconomia politica. Milano, 188i. — Analisi délia
510 l'économie politique
proprietà capitalistica. Torino, 1889. Deux vo-
lumes. (Cfr. les Appunii de Graziani dans le
Giovnalc degliEconomisti, 1890).— Siudii sul valore-
délia moneia, 1891. — La terra ed il sistema so-
ciale. Padova, 1892.
A l'école sociologique appartiennent Schiattarelia,
Puviani, Zorli, Lo Sa\io, Jacopo Luzzatto, Angela
Majorana, et en partie aussi De Johannis; les représen-
tants les plus éminents sont Boccardo qui accepte réso-
lument ces doctrines dans différentes préfaces de la
Biblioteca. delV Economista, et Cognetti qui étudie
les fonctions économiques chez les animaux et les tribus,
sauvages, et recherche les origines du socialisme dans
l'antiquité et en particulier en Chine et en Grèce dans
des œuvres connues des philologues mais négligées,
par les économistes. Il professe des théories analogues,
à celles de Ugo Rabbeno, auquel nous devons des étu-
des consciencieuses et en partie originales sur la coopé-
ration et sur le protectectionnisme. Il faut signaler
particulièrement, pour la profondeur de ses connais-
sances et la modération de ses jugements, Icilio Vanni,
qui ne méconnaît pas l'état embryonnaire, les difficul-
tés et les dangers de la nouvelle science.
G. Boccardo, La sociologia. Torino, iSBO. — ranimale
e l'uomo, 1881.
S. Cognetti De Martiis, Le forme primitive delV evo-^
luzione economica. Torino, 1881. — Socialisma
atitico, 1889.
U. Rabbeno, TJ'evoluzione del lavoro. Torino, 1883. —
La cooperazione in Inghilterra (Milano, 1880) et in
Italia (1886). — Le società coopérative di produ-
zione, 1889. — Protezionismo americano, 1893,
IciUo Vanni, Studii sulla theoria sociologica délia
popolazione. Città di Castello, 1886. — Prime linee
d'un programma critico di sociologia. Perugia, 1888,
EN ITALIE ' 5il
Le manque de place ne nous permet pas d'indiquer
de très nombreuses monographies comme celles de
Giovanni Rossi, Antonelli, et quelques-unes plus
remarquables de Poreto (sur la théorie mathématique
de la richesse), et d'autres de : Maggiorino Ferraris,
Artom, Amar et Bertini dans le Piémont; de Buzzetti,
Piola, Xicolini. Manfredi, Romanelli, Masé-Dari,
Pizzamiglio, Sartori, Montemartini en Lombardie;
Jacques Luzzatti, Salvioni, Délia Bona, Bertagnolli,
Stivanello. D'Apel, Minelli, Kiriaki, Zanon, Ellero en
Vénétie; de Manara, Malgarini, Rava, Mamiani en
Emilie ; de Cambray-Digny et de Fontanelli en Toscane;
de Villari, Zammarano, Martuscelli, Fortunato,
Codacci-Pisanelli, Tammeo, Tangorra, Fiorese dans les
provinces napolitaines ; de Vadalà-Papale, Santangelo
Spoto, Gemmellaro-Russo, Arcoleo, Merenda en Sicile ;
de Soro-Delitala, Longiave-Berni, Pmna-Ferrà en Sar-
daigne.
Nous avons déjà cité (pag. 30-31) les principaux sta-
tisticiens; on peut signaler encore Raseri, Stringher,
Rameri, Sbroiavacica et Giuseppe Majoranà ; nous avons
aussi indiqué quelques-uns des ouvrages sur l'his-
toire de l'économie en Italie, dont nous avons donné
ailleurs un index très complet.
L. Cossa, Saggio bibliografico sulla storia délie teorie
economiche in lialia [Giornale tlegli Economisti,
1892).
CHAPITRE XVI
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
Par le mot, étymologiquement équivoque, de socia-
lisme, adopté par les écoles de Owen et de Leroux et
mis en vogue par Reybaud, on désigne, d'ordinaire,
les systèmes de politique économique qui attaquent les
bases actuelles de la société civile.
Mais si le mot socialisme, au point de vue théorique,
embrasse un ensemble de doctrines, au point de vue
pratique c'est au contraire le nom d'un parti qui com-
prend des groupes divers, nationaux ou cosmopolites,
anarchistes ou autoritaires, unitaires ou fédéralistes,
révolutionnaires ou possibilistes, d'après leurs buts,
leurs moyens d'action, leurs modes d'organisation.
Comme corps de doctrine, le socialisme embrasse,
dans ses diverses écoles, des idées économiques qui se
trouvent bien souvent combinées avec des théories
philosophiques, religieuses et politiques contradictoires
entre elles, dont quelques-unes tendent à l'abolition de
l'Etat, delà religion et de la famille, que d'autres vou-
draient conserver entièrement, ou seulement modifier.
Au point de vue philosophique, on parle de socialistes
matérialistes et de socialistes spiritualistes ; au point
de vue religieux, de socialistes athées et de socialistes
croyants, et souvent même, poursuivant l'équivoque
dans les faits comme dans les mots, de socialistes
chrétiens, sans s'apercevoir que les chrétiens (qu'ils
soient catholiques ou protestants) ne peuvent être
LE SOCIALISME THÉORIQLE CONTEMPORAIN 513
socialistes, parce que, si le christianisme prescrit d'une
façon absolue la chanté, il veut qu'elle soit spontanée,
et partant méritoire, ce qui est en pleine contradiction
avec le socialisme, qui oppose au devoir des uns le
droit civilement coercitif des autres, et qui fait dispa-
raître ainsi en même temps la vertu chez le bienfaiteur
et la reconnaissance chez l'obligé. Au point de vue
politique, les contradictions sont tout aussi fortes,
parce que quelques-uns se servent des doctrines socia-
listes comme moyeu d'agitation auprès des masses pour
aboutir à un changement de la forme du gouvernement,
tandis que pour d'autres les changements politiques, et
en particulier le suffrage universel, sont un simple
moyen pour obtenir les réformes sociales, que certains
croient compatibles avec les formes de gouvernement
les plus disparates. C'est ainsi que l'on parle souvent
et non sans équivoque de socialistes conservateurs et
de socialistes démocrates, de socialistes d'Etat et de
socialistes de la rue.
Comme nous ne donnons que quelques indications
très rapides sur le socialisme théorique considéré au
point de vue purement économique, nous ne parlons pas
des systèmes, déjà indiqués en partie, que l'on pourrait
appeler anciens et que d'autres qualifient d'utopiques,
parce que ce sont des romans d'Etat, qui sont inspirés par
des idées purement littéraires, ou par des considérations
morales sur les dangers de l'oisiveté des riches, résultat
des inégalités économiques (Morus, Doni, Campanella),
ou qu'ils invoquent au contraire des arguments essen-
tiellement politiques (Platon). Nous ne parlerons pas
non plus des systèmes professés dans la seconde moitié
du siècle passé (Rousseau, Mably, Morelly, Brissot de
Warville, etc.), que Ton peut appeler juridiques parce
qu'ils sont basés presque exclusivement sur un prétendu
droit de tous à l'usage gratuit des richesses naturelles.
33
51 t LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
Considéré de près, le socialisme théorique moderne,
qui se qualifie pompeusement de scientifique, non pas
tant parce qu'il dérive de quelques doctrines (mal inter-
prétées) des économistes que par son interprétation ma-
térialiste de l'histoire, serésoud, au contraire, dans une
pure négation de la science économique. Il méconnaît,
en effet, l'existence d'un ordre social des richesses, et
se fonde sur cette hypothèse que la liherté engendre
nécessairement l'injustice, les crises, la misère; delà, le
socialisme déduit des maximes de politique économique
qui tendent à la destruction totale ou partielle de la
propriété privée et de la concurrence, c'est-à-dire des
hases du système économique actuel.
11 est assez difficile de donner une classification des
théories des socialistes, disparates entre elles, malgré
l'identité de leurs prémisses négatives. Les fausses dé-
finitions qu'ils donnent, les contradictions fréquentes
qu'on trouve dans les écrits d'un même auteur, et enfin
l'usage incertain des mots communisme, socialisme,
collectivisme, anarchisme, employés tantôt comme des
équivalents, mais plus souvent opposés ou subordonnés
les uns aux autres, sans parler de l'équivoque entretenue
par les individualistes extrêmes qui qualifient de socia-
liste et qui repoussent, par conséquent, toute reforme
qui implique une nouvelle ingérence de l'Etat, même si
elle est nécessitée par de hautes raisons de justice et
d'opportunité, constituent autant de difficultés.
On ne peut pas considérer comme une définition pré-
cise du socialisme celle qui l'identifie avec la philo-
sophie économique des classes souffrantes, ou qui, en
d'autres termes, le présente comme l'économie ouvrière
opposée à l'économie bourgeoise, c'est-à-dire l'économie
du travail opposée à l'économie du capital ; il est injuste,
d'autre part, de déclarer que tous les systèmes (et non
pas quelques-uns seulement) défendus par le socialisme
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 515
se résolvent, ou dans l'anarchie, ou dans le despotisme;
ce sont aussi des définitions incomplètes et inexactes
que celles qui lont consister le socialisme dans la dis-
tribution artificielle des richesses (et qui oublient les
nombreuses observations qu'il a faites sur la produc-
tion, la circulation et la consommation), ou dans l'abo-
lition du salaire (compatible avec la libre concurrence",
ou dans la suppression des revenus qui ne dérivent pas
du travail (rente, intérêt, profit), parce que ces propo-
sitions concernent seulement quelques-uns des buts
auxquels tendent, et non pas d'une façon unanime, les
diverses formes du socialisme.
Nous citerons quelques œuvres générales, dont l'étude
peut fournir des données suffisantes pour la classifica-
tion, la connaissance et l'appréciation des principales
théories des socialistes.
Jos. Slammhammer, BlbUugtviphie des Socialismus
und Communismus. Jena, 1893.
L. Reybaud, Etudes sur les ré formateurs ou socialistes
modernes. Paris, 1840-43. Deux volumes.-?'^ édi-
tion, 1864.
L. Stein, Der Sozialismus und Communismus des heu-
liqen Frankreichs. Le\pz]g. 1847.- 2« édit., 1848.—
Geschiehte der sozialen Bewegung in Frankreich,
Leipzig, 1850-51. Trois volumes. - Réimprimé en
1855.
J. J. Thonissen, Le socialisme depuis l'antiquité.
Louvain, 1852. Deux volumes.
B. Hildebrand, Die Nationalbkonomie der Gegenwart
und Zukunft. Vol. I. Frankfurt am Main, 1848.
E. De Laveleye, Le socialisme contemporain. Paris,
1883. - 6« édit., 1891.
R. T. Ely, French and german socialism. Xew-Yark,
1883.
John Rae, Contemporary socialism. London, 1884.
-2« édit. (fort augmentée), 1891.
O. Warschauer, Geschichtlich kritischer Ueberblick ûber
516 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
die Système des Kovimunismus^ ete. {Zeiischr. f.
die ges. Slaaiswissenschafi . Tiibingen, 1890.)
H. vonScheel, SocialixmusundKommunismus. 3^ édil.
beaucoup améliorée. (Dans le vol. I de VHand-
hucli de Schonberg. Tubingen, 1890).
Eug. d'Eichthal, Socialisme, communisme et collecti-
visme. Paris, 1892.
V. Cathrein, Der Socialismus. S"" édit. Freiburg im
Br., 1892; trad. franc, par Olivier Feron, 1891.
Th. Kirkup, A history of socialisni, 1892.
H. Dielzel, Beitedge zur Geschichte des Sozialismus
iind des Kommunismus (Zeitschr. fur Litteratvr
und Geschiehle der Staatsiviss., 1893.)
i^" \ . LE COMMUNISME
Dans sa signification scientique, le communisme tend
à substituer à la propriété privée des richesses de toute
sorte (instruments de production et objets de consom-
mation) la propriété publique (de l'humanité, de l'Etat,
de la commune, ou de groupes confédérés). Les condi-
tions nécessaires de ce système sont l'universalité du
travail, l'égalité de la jouissance et la collectivité de la
production et de la consommation ; l'abolition du ma-
riage et celle de la famille, que demandent quelques com-
munistes, ne sont pas essentielles. D'autre part, le col-
lectivisme de la production et de la consommation ne
suffît pas à con.stituer le communisme, parce qu'il est
parfois proposé par des socialistes (comme par exemple
Fourier) et aussi par des non socialistes pour des rai-
sons de pure opportunité.
Il ne faut pas voir dans le communisme une commu-
nion purement négative, comme on la pratique dans
la famille et consistant dans l'usage en commun des
biens comme dans la célèbre phrase de Rousseau qui
<lcclare (en contradiction avec des idées exprimées dans
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 517
d'autres de ses œuvres) que la terre n'appartient à per-
sonne et que les fruits sont à tous. On aboutirait à
la négation implicite du communisme avec la division
en parties égales, soit définitive, soit périodique,
des patrimoines, car c'est là un expédient qui, bien
qu'il soit révolutionnaire et absurde, conserverait
cependant, d'ailleurs sans aucune solide garantie, la
propriété privée, que le communisme veut détruire.
Le communisme est un système de gouvernement
économique qui, associant à l'idée d'égalité de droit,
qui est la base du régime politique moderne, l'idée
inexacte d'une égalité naturelle des facultés humaines,
détruite uniquement par la diversité d'éducation, veut
distribuer le travail selon les aptitudes, arriver ainsi à
l'égalité du sacrifice et garantir à chacun une part
de produit absolument égale, ou proportionnée aux
besoins raisonnables reconnus par l'autorité.supérieure.
Les systèmes communistes, visant à l'égalité, sont en
complète opposition avec les systèmes socialistes, au
sens étroit du mot, qui visent à une distribution des pro-.
duits proportionnelle aux prestations, et partant néces- .
sairement inégale.
Cela n'exclut pas cependant, et certains écrivains
(soit incohérence, soit esprit de conciliation) en sont un
exemple, la possibilité de systèmes intermédiaires qui
admettent le communisme avec le droit à l'existence,
c'est-à-dire la garantie d'un minimum de produit en
raison des besoins, et en même temps le socialisme,
c'est-à-dire la division de l'excédant d'après les presta-
tions.
C'est précisément le droit à l'existence et le droit
au produit intégral du travail, qui, dans l'esprit de
certains, exprimeraient les droits fondamentaux de la
classe ouvrière, que la législation moderne ne devrait
plus se refuser à reconnaître. Mais (comme l'a démontré
518 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
Anton Menger) ces prétendus droits primitifs ou fonda-
mentaux sont en contradiction absolue entre eux. Il y a
également contradiction entre le droit au travail et le
droit à l'assistance, que réclament certains socialistes.
A. Menger, Das Redit auf den vollen ÂrhcUsertrag.
Stuttgart, 1886.-2«édit., 1891.
Tandis que le droit à l'existence, partant de l'idée de
la fraternité et de celle de la solidarité, conduit logique-
ment à l'égalité des biens, le droit au produit intégral
du travail implique bien l'abolition de la propriété pri-
vée de la terre et du capital, mais comme il s'inspire du
principe de l'intérêt personnel, il n'est pas tout à fait
incoanpatible avec la liberté et il cherche, en tout cas, à
donner satisfaction à l'équité, puisqu'il reconnaît le mé-
rite individuel et par conséquent l'inégalité de fait.
Le droit au travail, qu'il ne faut pas confondre avec
la faculté de chercher une occupation (droit de travailler,
•'liberté du travail), ni avec le simple droit à l'assistance,
est, comme ce dernier, un droit relatif, conditionné,
complémentaire, à côté des deux droits absolus et prin-
cipaux, dont nous venons de parler. Le droit au tra-
vail concerne, évidemment, tous ceux qui sont capables
de travailler, et se résoud en un salaire payé par l'Etat
dans ses ateliers à ceux qui n'ont pas pu trouver auprès
d'un entrepreneur privé \me occupation rétribuée.
Le droit au travail, considéré par Fourier et par Consi-
dérant comme un substitut de prétendus droits primi-
tifs (chasse, pêche, cueillette, pâture), a été reconnu
dans la célèbre proclamation française du 25 février
1818 et il a été appliqué dans un esprit absolument con-
traire au socialisme dans les ateliers nationaux, pour se
transformer, après les journées de juin, en une simple
reconnaissance du droit à l'assistance.
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 519
Le droit à l'assistance qui est en vigueur dans les
pays qui admettent la charité légale, ne concerne que
les pauvres, et elle a un caractère humiliant même
quand il prend la forme d'un salaire accordé à un tra-
vail effectivement fourni dans un dépôt de mendicité ou
même à domicile.
V. Considérant, Théorie du droit de propriété et du
droit au travail, 1839.-3« édit., 1848.
Proudhon, Le droit au travail et le droit de propriélé.
1848.
Fr. Stopel, Das Recht aufArbeit, 1884.
B. Prochownik , Das angebliche Becht auf Arheit,
1891.
Cfr. E. Thomas, Histoire des ateliers nationaux. Vtixis,
1848.
Dans sa forme la plus absolue et la plus grossière, le
socialisme a pour idéal une égalité parfaite entre le
travail et les jouissances. Ses moyens sont Texpropria-
tion immédiate des biens des corporations et la confis-
cation graduelle de ceux des autres propriétaires après
leur mort. Il maintient l'égalité en divisant les produits
en parties égales. Il a eu pour représentant le célèbre
agitateur François (il prit le nom de Gracchus) Babœuf
(1764-1797), qui a rédigé le premier journal socialiste
intitulé : Le tribun du peuple (1794-1796) et qui est
mort à la suite d'une conspiration ourdie contre le di-
rectoire; Buonarotti a fort habilement, et avec convic-
tion, exposé ses idées.
Ph. Buonarotti, Histoire de la conjuration pour l'éga-
lité, 1828. Deux volumes.-Réimprimé à Paris
en 1869.
P. Janet, Les origines du socialisme contemjmrain.
Paris, 1883.
V. Ad vielle, Histoire de G. Babeuf et du babouvisme.
Paris, 1884. Deux volumes.
550 LE SOCFALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
Le célèbre publiciste William Godwin (1756-1836),
adversaire de Malthus, s'est fïiit le défenseur modéré,
mais illogique, du communisme. Après avoir clairement
disting'Lié les trois systèmes opposés de répartition des
biens {degrees of property) : propriété privée, presta-
tions, et besoins, il se déclare partisan de ce dernier
système, mais il propose des moyens peu propres pour
le réaliser, parce qu'il ne veut pas du concours de l'État
et se déclare anarchiste, mais finalement il se contente
(dans la dernière de ses œuvres) du simple droit à l'as-
sistance.
W. God^vin, An enquiry coucerning }jolHicnl justice.
London, 1793. Deux volumes. -Réimprimé plu-
sieurs fois. — The enquirer, 1797 (et 1821). — An
enquiry on population, 1820.
Les systèmes d'Owen, de Cabet, de Weitling peuvent
être cités comme des types de communisme plus claire-
ment exposés dans leur partie théorique et suivis d'essais
d'application partielle (spécialement aux États-Unis).
Robert Owen (1771-1858), riche industriel, promo-
teur d'institutions philanthropiques de patronage pour
ses ouvriers, de sociétés coopératives de consommation
et de production, est un communiste psychologue. Athée,
fataliste, convaincu de l'irrespon.sabilité humaine, il
n'admet ni peines ni récompenses ; ennemi de la pro-
duction en grand et de la concurrence il veut que le
travail, distribué d'après les différents âges, s'exerce au
service de petites communautés confédérées, dirigées par
des magistrats électifs, et composées d'au moins 500 per-
sonnes et d'au plus 2,000, qui reçoivent la même édu-
cation, contractent des mariages non indi.ssolubles et
qui, sans faire aucun usage du commerce et de la mon-
naie, et sans connaître ni juges ni pri.sons, jouissent en
nature de ce qui est nécessaire à leurs besoins.
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 521
Rob. Owen, News views of society, 1812. — BiXik of
ihe new moral ivorlcl, 1820. — Révolution in the
mind, 1850.
Cfr. W. L. Sargant, Rob. Owen and his social philo-
sophy. London, 1886. — A. J. Booth, Robert Owen
the founder of socialism in England, 1869. — IJyod
Jones, The Life, times and labours nf R. Owen,
1890. Vol.. T.
Parmi ses disciples il faut faire une mention spéciale
pour l'irlandais Guillaume Thomp.son (mort en 1833)
qui, comme l'a démontré Menger, expose avec beaucoup
de clarté la théorie de la plus-value, attribuée d'ordi-
naire à Rodbertus et à Marx. On trouve des idées ana-
logues dans les écrits de John Gray (1831), d'Edmonds
(1828), de J. F. Bray (1839) et de Charles Bray (I8'il).
W. Thompson, An inquiry into ihe principles of the
distribution of wealth. London, 1824.:Ht';imprimé
en 1869.
L'avocat démocrate Etienne Cabet (1788-1856), après
avoir lu, pendant son exil en Angleterre, l'utopie de
Thomas Morus, écrivit un roman social communiste
{Voyage en Icarie, 1840). Il s'y montre l'adversaire de
la propriété et partisan de la famille. Cet ouvrage,
plus remarquable par la beauté de la forme que par
l'originalité des idées, est devenu plus tard le code
de quelques sociétés d'émigrants français au Texas et
dans rillinois, où les doctrines d'un maître personnel-
lement fort peu ascète ont été expérimentées.
Les idées du cordonnier Guillaume Weitling (1808-
1871) ne sont pas très différentes. Agitateur révolu-
tionnaire convaincu et éloquent, il trouve le commu-
nisme dans le Nouveau Testament. Il voudrait subs-
tituer à l'organisation économique actuelle une associa-
tion de familles qui embrasserait tout le genre humain ;
5'2*2 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
elles seraient gouvernées par des chefs électifs, nommés
au concours et chargés de distrihuer, en parties égales,
les choses nécessaires et utiles, et à ceux-là seulement
qui fourniraient un nombre d'heures de travail supé-
rieur au temps ordinaire, les objets agréables et de luxe,
avec l'obligation cependant de les consommer dans un
court laps de temps déterminé, afin que l'accumulation
et la transmission héréditaire ne fassent pas renaître les
inégalités économiques.
W. Weitling, Z)/e Welt ivie sie ist und sein sollie,i83S.
— Garantien der Harmonie und Frelheit, 1842.
Cfr. G. Adler, Geschichte der ersten sozialpolitischen
ArbeUerbewegiing in Deuischland. Breslau, 1885.
§ 2. LP] SOCIALISME PROPREMENT DIT.
Dans son sens le plus étroit le socialisme désigne les
systèmes qui veulent, non pas abolir, mais assujettir à
des restrictions essentielles la propriété privée et la
concurrence, et qui sont en même temps adversaires
de la répartition des produits par tête, ou d'après les
besoins, mais partisans de leur répartition d'après les
prestations de chacun.
Il y a cependant des divergences notables sur les mo-
des de répartition ; les uns admettent au partage les
propriétaires et les capitalistes, les autres excluent les
revenus qui ne proviennent pas du travail.
Il faut en outre distinguer dans le socialisme propre-
ment dit trois formes principales : lès socialistes
autoritaires, qui veulent confier à un pouvoir suprême
la production et la distribution des richesses ; les
socialistes libéraux, qui admettent l'autonomie des
différents groupes de travailleurs ; les socialistes
anarchiques , qui ne reconnaissent la nécessité ni
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN ^^^
des sociétés politiques en général, ni de l'État en par-
ticulier. L'espace nous manquant pour un examen dé-
taillé de chacune des écoles, nous nous bornerons à
quelques indications sur les doctrines économiques de
quatre hommes remarquables, soit par l'influence qu'ils
ont exercée, soit par la puissance de leur esprit et par
la sincérité de leurs convictions. Nous parlerons de
Saint-Simon, de Bazard, de Fourier et de Proudhon.
Le comte Claude Henri Kuuvray de Saint-Simon
(1760-1825), prétendu fondateur d'un nouveau chris-
tianisme, a esquissé aussi un système économique (in-
dustrialisme) sans arrivera des conclusions pratiques,
mais il a été le chef d'une école à laquelle ont appar-
tenu, dans leur jeunesse, des hommes remarquables
comme l'historien Augustin Thierry, l'économiste Mi-
chel Chevalier, le philosophe positiviste Auguste Comte,
et le publiciste Bûchez, le fondateur des premières
sociétés coopératives françaises. Frappé des effets dé-
sastreux de la répartition inégale et, selon lui, arbi-
traire des richesses, qui provient des systèmes légaux
de succession héréditaire, Saint-Simon a tracé à larges
traits dans un grand nombre d'opuscules, pleins
d'un enthousiasme que n'ont pu vaincre les souffrances
d'une vie agitée et aventureuse, les bases d'une nou-
velle monarchie industrielle, dans laquelle le pouvoir
dont avaient joui jusqu'ici les classes oisives (légistes,
fonctionnaires civils, militaires, etc.), qui ont détruit le
féodalisme et l'aristocratie, devait passer à la classe in-
dustrielle, composée des ouvriers, des entrepreneurs et
des capitalistes. Saint-Simon arrive à ce système en
déduisant les corollaires sociaux de la théorie des éco-
nomistes qui voyaient dans le travail la cause unique
de la valeur, identifiée avec la richesse.
C H. de Saint-Simon, Parabole politique (dans la revue
L'Organisateur, 1819). — Catéchisme des industriels,
524 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
1823-1824.— .Vouyeau Christianisme, 1825.— Œuvres
d<' Saint-Simon et d' Enfant in. P.iris, 1865-1878
(quarante volumes). {Œuvres clmisies. Bruxelles,
1859. Trois volumes).
Cfr. H. Fournel, Bibliographie Sainl-Sinnmienne. Pa-
ris, 1833. — G. Hubbard, Saint-Sinum. sa vie et
ses travaux, 1857. — P.jJ.inel, Saint-Sinn)n et le
Saint-Simonisnie.
Après la mort de Saint-Simon, ses doctrines, expo-
sées avec peu de succès dans le journal le Producteur
(dirigé par Olinde Rodrigues) et mieux dans le Globe
(1831-1832), ont trouvé des disciples ardents dans Ba-
zard et dans Barthélémy Prosper Enfantin (1798-1864).
Ce dernier, devenu le père suprême de la nouvelle
religion, compromit par la théorie de l'émancipation
de la femme et par celle du divorce 'que Bazard
n'accepta pas) les petites communautés saint-simo-
niennes, qui ont pris fin après la farce indécente et le
célèbre procès de Ménilmontant.
Saint-Amand Bazard (1791-1832) a .sans doute le
mérite d'avoir sérieusement développé la partie écono-
mique du système saint-simonien. dont on peut le
considérer comme le fondateur. Pour combattre ce
qu'il appelait Texploitation de l'homme par l'homme,
qui était autrefois celle du maître sur l'esclave et sur le
.serf et maintenant du propriétaire des instruments de
travail sur l'ouvrier, Bazard préconisait une réforme
économique, mais il voulait tout d'abord le retour à
l'esprit du christianisme primitif, l'instruction gratuite,
universelle, obligatoire. Sa réforme consistait dans la
distribution du travail selon les aptitudes, et du produit
d'après les prestations, selon le célèbre aphorisme : de
chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses
œuvres. 11 croyait qu'on aurait pu y arriver par la
substitution de la possession viagère à la propriété
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 525
héréditaire, en chargeant l'État de distribuer gratuite-
ment les terres et les capitaux qui devenaient vacants
par la mort des possesseurs temporaires, à ceux qui
par leurs travaux antérieurs se seraient montrés les
plus méritants. Cette opération, faite par des banques
publiques, dirigées par une hiérarchie de prêtres indus-
triels, aurait supprimé les graves inconvénients de la
répartition actuelle des biens, injustement déterminée
par l'accident de la naissance. A la différence de Saint-
Simon, qui considérait les industriels dans leur ensem-
ble et les opposait aux oisifs (légistes, fonctionnaires
civils et militaires, etc.), Bazard est le premier socia-
liste français qui montre, d'une façon claire, le conflit
qui existe, dans le sein de la classe industrielle, entre
l'entrepreneur et l'ouvrier privé des instruments de
travail.
Bazard, Exposilioii de la dorArhie de Saint-Simon,
Paris, 1830-31.
(.\nonyme , Economie politique et Politique, 1831
(Articles de différents auteurs, extraits du Globe)-
Fr. W. Carové, Der SaiHt-Simonism,U!i. Leipzig, 1831.
K. G. Bretschneider, Der Saint-Simonismus, 1832.
A. J. Booth, Saint-Simon and Saint-Simonis)n. Lon-
don, 1871.
Comme Saint-Simon, Charles Fourier (1772-1837)
s'est tenu éloigné de toute agitation révolutionnaire.
C'est un penseur original, un écrivain prolixe et in-
correct, doué de beaucoup de talent et d'une imagina-
tion effrénée. Fourier se rapproche de Owen par ses
prémisses psychologiques et par sa sympathie pour le
travail collectif et la consommation collective, mais il
s'en éloigne en ce que, sauf la garantie du minimum
nécessaire à l'existence, il n'admet pas la répartition
selon les besoins ; il est même plus modéré que les
526 LE SOCIALISME TiîÉOUIQUE CONTEMPORAIN
saint-simoniens en ce qui concerne riiéritage et il
attribue 3/ ["2 des fruits de la production au travail
i)itellectuel, 5/12 au travail manuel et 4/12 au capital.
Il part de ce principe que l'attraction gouverne le
inonde moral comme le monde physique, et il est
persuadé que l'harmonieuse satisfaction des passions,
dont il a fait une classification bizarre, en oubliant
l'inertie^ aboutit par la volonté de Dieu au plus grand
bonheur du genre humain; aussi propose-t-il que le
travail, devenu attrayant par la combinaison de la
division des occupations avec leur changement con-
tinuel, se fasse en commun au sein d'associations de
propriétaires, de capitalistes et d'ouvriers d'environ
1,800 personnes, formant une phalange (divisée en
séries, subdivisées en groupes), habitant une maison
appelée phalanstère, dirigées par des chefs (unarques)
et réunies graduellement en une vaste fédération mon-
diale, gouvernée par un magistrat suprême (omniarque)
résidant à Constantinople. Fourier a une préférence
marquée pour l'agriculture (et en particulier pour
Tarboriculture et l'horticulture) exercée en grand,
et il pense que les manufactures perdront de leur
importance avec la disparition du luxe; il a une anti-
pathie pour le commerce et pour les intermédiaires,
qu'il voudrait supprimer par la consommation collec-
tive, qui est préférable à la consommation domestique,
parce qu'elle est moins exposée au gaspillage des pro-
duits, 11 faut noter enfin que Fourier, qui n'a pas sur
ce point les préjugés des autres socialistes, se montre
plus profond qu'eux parce qu'il cherche à réformer les
méthodes de production au lieu des méthodes de distri-
bution, car il attribue le malaise social non pas à l'iné-
galité mais à Tinsuffisance des richesses.
Ch. Fourier, Tliéor'n; des quatre mouvements. Leipzig"
(Lyon), 1808.-2' édit., 1841. — Traité de l'asst/cia-
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 52^
iion domestique et agricole, 1822. Deux volumes. -
2' édit., 1838. -- Le nouveau monde industriel et
sociétaire, 1829.-3^ édit., 1848. — La fausse indus-
trie. 1835-36. Deux volumes. — Œuvres choisies
(avec une bonne Introduction par Cii. Gide).
Paris, 1890.
Dans l'école de Fourier, qui eut ses organes spéciaux,
comme la Phalange, la Revue du Mouvement social,
la Rénovation, etc., il faut signaler, en premier lieu,
Considérant, puis Madame Galti de Gamond, Muiron,
Transon, Hippolyte Renaud, Lechevalier, auteur d'ou-
vrages volumineux, Brisbane, en Amérique, et en
partie aussi l'entrepreneur philanthrope Godin-Lemaire,
le fondateur du familistère de Guise.
V. Considérant. Destinée sociale. Paris, 1836-38. Deux
V01.-2' édit., 1847-49.
Pierre Joseph Proudhon (né à Besançon en 1809,
mort à Passy en 1865), qui a commenté dans un de ses
premiers travaux {Qu'est-ce que la propriété ? 1840) la
célèbre phrase « la propriété c'est le vol » déjà employée
par Brissot de Warville (1780), occupe une place émi-
nente dans l'histoire du socialisme. Doué d'un esprit
subtil et paradoxal, orné, comme tous les autodidactes,
de connaissances variées mais un peu superficielles, il
se complaît dans la recherche des contradictions réelles
et apparentes qu'il trouve dans la succession des phé-
nomènes économiques, et il en tire argument pour atta-
quer les chefs des diverses écoles d'économistes et de
socialistes dans des polémiques violentes et peu cour-
toises, en se servant de la dialectique hégélienne, qu'il
a étudiée superficiellement sur le conseil du socialiste
Charles Griin (1617-1887).
P. J. Proudhon, Système des contradictions écono-
miques ou Philosophie de la misère. Paris, 1846.
Deux volumes.
558 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
Contrairement à sa devise ambitieuse destruam et
aedifîcabo, Proudhon se montre aussi expert dans la
critique du communisme et du socialisme spéculatif
(Saint-Simon, Fourier), mystique (Leroux) et autori-
taire (Blanc), que pauvre et même intérieur à ses adver-
saires eux-mêmes dans ses projets. La ban([ue d'échange
(appelée plus tard banque du peuple), à la différence de
celle d'Owen [labour exchange banh, 1832-34) et de
celle qui fut essayée à Marseille par Mazel (1830-45), de-
vait non seulement faciliter les échanges en nature mais
émettre aussi des « bons de circulation ». Ces bons que
les associés et les adhérents de la banque s'obligeaient
à recevoir comme de l'argent, permettaient aux porteurs
de disposer des produits et des services évalués en
heures de travail. De cette façon Proudhon croyait ar-
river au crédit gratuit, qu'il a défendu dans sa célèbre
polémique avec Bastiat [Intérêt et principal, 1850) sans
s'apercevoir que ses bons, tout à fait incapables de pro-
curer le crédit gratuit, s'ils étaient émis en escomptant
les titres de personnes solvables, se convertiraient en
papier-monnaie de la plus mauvaise espèce s'ils étaient
émis en grand nombre et sans les garanties nécessaires.
On trouve aussi comme déjà chez les saint-simonicns et
chez les écrivains anglais cités ci-des.sus), bien qu'en
d'autres termes, dans les Contradictions de Proudhon
la théorie de la plus-value produite par l'ouvrier au
profit de l'entrepreneur, qui constitue le point de départ
du socialisme scientifique, fondé, d'après quelques-uns,
par Rodbertus (Wagner, Rudolph Meyer, Adler, etc)
et, selon d'autres, par Marx (Engels), qui s'en disputent
à tort la paternité.
Beaucoup plus ingénieuse et originale est la tentative
de Proudhon, bien qu'elle soit irréalisable, de concilier
l'antinomie entre la liberté et l'égalité par l'anarchie,
qui, selon lui, n'est pas le désordre, mais la véri-
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 52&
table liberté (égalité des conditions), que violent tous
les gouvernements, et fort inutilement parce que la
justice, comme la vérité scientifique, n'a pas besoin de
la sanction de la force. Ennemi de la propriété privée
(exploitation du laible par le fort , il voudrait la rem-
placer, non pas par la propriété commune (exploitation
du fort parle faible), mais par la possession (mal définie)
des instruments de production et par la garantie^ don-
née à l'ouvrier, du produit intégral de son travail, tout
en maintenant léconomie individuelle, la concurrence et
même l'héritage , l^ien qu'il le réduise à une très faible
part. La meilleure critique de l'utopie de Proudhon, fon-
dée sur l'individualisme le plus effréné, est dans les
interprétations très diverses de l'anarchie données par
les nihilistes russes (Bakunin, Krapotkine) et par les so-
cialistes révolutionnaires, comme Fieclus,Most et quel-
ques autres, et même dans ce fait que Proudhon lui-
même le remplaça plus tard par le fédéralisme.
P. J. Proudhon, Œuvres coniplcl^s. Paris, 1873-86.
Trente-sept volumes. — Ccnespondcmct; (1832-
65j. Paris, 1874-75. Quatorze volumes.
Cfr. Fr. Hack, P.J. Proudhon. (In Zeitschr.fùr die ges.
Slaatsiclss., 27' année, 1871, pp. 363-386). — A.
Sainte-Beuve, P. J. Proudhon, sa vie, sa corres-
pondance, 1875. — St. Ganz zu Putlilz, P.J. Prou-
dhon. Berlin, i881. — G. Adler, v° Anarchismus,
in Conrad et Lexis, Handwurterhuch der Staais-
tvissenschoften. Vol. I. Jena, 1889, pp. 252-270. —
K. Diehi, P. J. Proudhon. Seine Lehre und sein
Leben. Jena, 1888-1890.— A. Mulberger, 6Vu</<m
ûher Proudhon, 1891.
Louis Blanc (1813-1882), journaliste radical, disciple
du communiste Buonarotti, éminent historien et très
médiocre économiste, a publié dans la Revue du Pro-
grès (1839) la première esquisse de sa célèbre Orga-
nisation du travail (1841), à laquelle il a ajouté quatre
34
530 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
chapitres dans la neuvième édition (1850). L. Blanc est
un socialiste autoritaire qui accepte, avec le droit à
la vie, quelques unes des théories des communistes,
sans se détacher du socialisme « par groupes », et en
demandant même, comme président de la commission
du Luxembourg, le droit au travail, qu'il a défendu
contre Thiers (Le Socialisme. Droit au travaii, 1848;.
Persuadé que la concurrence engendre le monopole
et la misère, et se résout dans l'anarchie, il fait appel à
l'initiative de l'État pour organiser le travail sur la base
des principes de la solidarité et de la fraternité. Sans
porter atteinte à la propriété privée, l'Etat devrait, par
ses puissants moyens, créer des « ateliers sociaux », qui
se substitueraient petit à petit aux entreprises ordi-
naires; gouvernés d'abord par des fonctionnaires, ils
seraient ensuite cédés à des associations ouvrières et se
con.stitueraient en fédération sous une autorité centrale.
L'État ferait l'avance à ces associés, unis entre eux
par une assurance mutuelle, du capital nécessaire dont
il prescrirait l'amortissement graduel ; il se réserve-
rait également une grande latitude au sujet de l'em-
ploi des profits. Les ateliers seraient accessibles aussi
aux capitalistes, qui recevraient un intérêt fixe en
dehors de la rétribution pour le travail commun, qui
devrait être proportionnelle aux besoins de chacun
dans la mesure (;ompatible avec les moyens disponibles,
car c'est en cela que consiste l'équité. D'après Louis
Blanc, ce .système ne s'éloignerait pas beaucoup de la
répartition des produits d'après les prestations, car ile.st
à présumer que les ouvriers les plus intelligents et les
plus actifs ont des besoins plus grands et plus raffinés!
L. Blanc, Questions iV aujourd'hui et de demain. Vol. IV
et V. Paris, 1873-1884.
Cfr. Ch. Robin, L. Blanc, sa vie et ses œuvres, 1851.
Hipp. Castille, L. Blanc, 1858.
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 531
Ferdinand Lassalle (1825-1864), malgré son puissant
génie, sa profonde culture philosophique et juridique
et une connaissance plus que suffisante de Téconomie
poHtique, n'occupe pas parmi les théoriciens socialistes
une place égale à celle qu'il occupe dans l'histoire du
socialisme militant. Aristocrate par nature, démagogue
par ambition, et très habile connaisseur des passions
populaires^ Lassalle, quelque peu incertain et exagéré
dans ses aspirations définitives autant que modéré et
précis par opportunisme et prudent dans ses revendica-
tions présentes, de plus, écrivain brillant et orateur
éloquent, doué de sympathiques qualités personnelles,
possédait la vertu et les vices indispensables pour
créer et diriger une formidable agitation révolution-
naire. Au point de vue théorique, ses doctrines n'ont
aucune originalité, parce qu'il s'approprie les prémisses
de Rodbertus et de Marx et qu'il reproduit, avec des
variations sans importance, les propositions de Louis
Blanc. Pour émanciper les ouvriers allemands de la loi
d'airain des salaires (attribuée à Ricardo) et pour leur
garantir le produit intégral du travail, confisqué par l'en-
trepreneur capitaliste, Lassalle conseille aux ouvriers
de constituer un parti solide, qui, après avoir conquis,
par le suffrage universel direct, une forte prépondérance
politique, fera décréter par le gouvernement je prêt
gratuit d'une centaine de millions de thalers à de
nombreuses sociétés coopératives ouvrières, constituées
en fédération, qui, en possession des instruments de
production, remplaceront graduellement les entre-
prises actuelles. Ce qu'il y a de caractéristique dans les
écrits de Lassalle, c'est la guerre sans merci qu'il a
faite à Schulze-Delitsch. Lassalle l'attaque dans une
polémique injurieuse et triviale, et l'accable de son éru-
dition, qui n'est pas, comme il l'affirme avec orgueil,
toute la science du dix-neuvième siècle, mais qui est
532 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
eependant de beaucoup supérieure aux moyens intel-
lectuels dont pouvait disposer son adversaire.
Ferd. Lassalle, Systo» der envorbenen Rechte, 1861.-
2" édit., 1880. — 0/f'enes Antwortsclireiben, etc.,
1863. — Die indirekte Sieuer und die Loge der arbei-
ienden Klassen, 1863. — lierr Basliat-Schnlze von
Deliizsch, der ôkonomische Ju'ian,oder Kapilal und,
Arbeil, 1864; trad. franc, par B. Malon, 1880.
Cfr. E. von Plener, Ferdinand Lassalle. Leipzig, 1884.
— W. H. Dawson, German socialism ani Ferd.
Lassalle. London, 1888-2^ édit., 1891.— G. Brandes,
Ferd. Lassalle, Berlm, 1865.-2« édit., Leipzig, 1889.
§ 3. — LE COLLECTIVISME
On appelle, d'un mot fort employé par les français,
sollectivistes les théoriciens socialistes qui. tout en
demandant la propriété publique des instruments de
production et l'organisation collective du travail, ad-
mettent la propriété privée des objets de consommation
et même leur transmission héréditaire. Mais le collec-
tivisme intégral (industriel) ne doit pas être confondu
avec le collectivisme purement partiel (territorial}.
E. Jâger, Der moderne Sozialismus. Berlin, 1873.
A. E. Fr. QGhâ.ïi\e., Die Quiniessenz des Socialimus, 1815.
(traduit en italien et en français), -13^ édit., 1891.
P. Leroy-Beaulieu, Le collectivisme, examen critique
du nouveau socialisme, 1884.-3^ édit., 1893.
M. Block, Le socialisme moderne, 1891.
J. Bourdeau, Le socialisme allemand et le nihilisme
russe, 1892.
Le collectivisme de la terre qui a (dans Paine et
mieux dans Ogilvie) des précurseurs au siècle passé, a
trouvé, en dehors de Stuart Mill et de George, dont
.nous avons déjà parlé, de nombreux adhérents, même
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 533
chez les économistes et jusque chez quelques écono-
mistes de l'école classique (James Mill) et chez d'autres
enfin qui (comme Walras) ont bien peu de sympathie
pour le socialisme. Ces écrivains insistent particuliè-
rement sur cette idée, qu'il n'y a pas pour la propriété
privée du sol toutes les raisons économiques et juri-
diques qui militent en faveur de celle du capital mobi-
lier. Parmi les plus modérés, quelques uns demandent
l'incorporation du crédit hypothécaire (Schaffle, Stolp,
Ruhland) ; d'autres la propriété commune de la terre
mise en culture Samter); d'autres, au contraire, celle
des maisons. Beaucoup de collectivistes pensent que la
propriété commune doit être accompagnée de la culture
pour le compte de l'Etat; un petit nombre, au contraire.,
voudrait que la propriété soit commune et l'usage
individuel (Wallacci par la location des terres, en
petits lots, aux plus offrants. Il y a des divergences
d'opinion en(;ore plus importantes sur les modes de
prise de possession ; les uns font appel à la confiscation
(George), d'autres à une expropriation avec indemnité
(Fliir.scheim; soit pour tout le fonds, soit pour toute la
rente, soit uniquement pour la rente future Cunearned
W. Ogilvie, An essay on ihe right on properly in land.
1872. Réimprimé (sous le titre : Birlright in land\
par D. C. Macdonald. London, 1891.
Herbert Spencer, Social staiics. 1851.
A. E. Fr. Schaffle, Inkorporaiion des Hypothekencredita.
TQbingen, 1883.
Ad. Samiev, Bas Eigenfhum in seiner sociale Bedeu-
tumj, 1878.
A. Russe! Wallace, Land nalionalisalion , ils necessiiy
and ils nims, 1882. (Nouvelle édition, 1892.)
S. W. Thackeray, The land and Ihe community^
1889.
M. Fiiirscheim, Der emzige Heliungsiceg, 1891.
534 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
Hertzka,Z)ie Gesetze der socialen Entwicklung, 1886.
W. H. Da\vson, The unearned incrément, 1890,
H. Cox, Land nalionalisation, 1892.
G. Ricca-Salerno, La nazionalizzazione délia terra (in
Nuova Antologia, l'='' décembre 1893).
Le collectivisme intégral est la formule du socialisme
actuellement dominant, représenté notamment par
AVinkelblech et Rodbertus (complètement étrangers à
toute agitation de parti) et par Marx, Charles Georges
Winkelblech (1810-1865), professeur de chimie et de
technologie, a publié, sous le pseudonyme de Mario, un
savant ouvrage historico-critique (demeuré inachevé)
sur les institutions et sur les théories économiques, qui
devait comprendre aussi un plan de réforme de l'orga-
nisation sociale actuelle, contraire, selon lui, aux prin-
cipes du droit comme à l'intérêt bien entendu des
classes productrices. Bien qu'il ait été cité par Rau et
par Roscher, le livre de Winkelblech n'a exercé aucune
influence sur ses contemporains jusqu'à ce que l'apo-
logie, un peu exagérée, qu'en a faite Schâffle en 1870,
en fit faire une réimpression qui appela sur cette œuvre
l'attention de quelques spécialistes. D'après les idées
de l'auteur, à la domination de la force (monopolisme),
antérieure à la Révolution française, a succédé le libé-
ralisme, actuellement dominant, combattu par le com-
munisme, systèmes opposés et excessifs qu'il voulait
concilier. Le libéralisme, infatué de l'idée purement
négative de la concurrence illimitée, est un système
atomiste qui, après avoir détruit les anciens privilèges,
a engendré la ploutocratie, c'est-à-dire le monopole
des grands capitaux, aussi pernicieuse aux petits entre-
preneurs qu'aux ouvriers salariés. A son tour le com-
munisme, idolâtre de la prétendue égalité de fait, est
un système mécanique qui, par la distribution des pro-
duits en raison des besoins, conduit au pire des mono-
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 535
pôles, à celui de l'indolence. L'unique combinaison
rationnelle de la véritable liberté avec la véritable éga-
lité se trouve dans le système que l'auteur appelle
fédéral (sans aucun rapport avec le sens politique
de ce mot) et qui se résoud dans le collectivisme
absolu, par l'intermédiaire des sociétés ouvrières, or-
ganisées par l'Etat, dans lesquelles, après un retranche-
ment préalable d'un minimum nécessaire pour garantir
à tous l'existence, le produit du travail commun se par-
tage en raison des prestations de chacun. Il faut signaler
dans la théorie de Winkelblech la complète intelligence
des difficultés que toutes les formes de socialisme ren-
contrent dans l'insuffisance de la production, dans
l'excès de la consommation et dans le stimulant à
l'augmentation indéfinie de la population, mais en
même temps la confiance exagérée dans les remèdes
qu'il propose : obligation universelle au travail et lois
restrictives du luxe et des mariages.
K. Mario, Untersuchungen ûber die Organisation dcr
Arbeit oder der System der Weliôkonomie. Kassel.
1850-59.-2« édit., Tubingen, 1884-83. 4 volumes.
Inexactement interprêté par Dûhring et par Eisenhart,
combattu par Held, trop peu estimé par Roscher, porté
aux nues par Rudolph Meyer (et par d'autres conserva-
teurs sociaux) et surtout par Wagner (et par d'autres
socialistes d'État), Charles Rodbertus (1805-lb75), dit
Jagetzovv, du nom d'une de ses propriétés, député pen-
dant quelques années et pendant quelques jours mi-
nistre, a été un socialiste conservateur au point de vue
politique qui, malgré les pressantes instances de Las-
.salle, s'est tenu complètement étranger aux agitations
de la démocratie sociale. Dans une série de monogra-
phies, remarquables par des recherches ingénieuses et
inédites, notamment sur les institutions économiques
53G LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
de Rome, mais défectueuses par la mauvaise exposition,
Rodbertus a tracé, à différentes reprises, une philoso-
phie de l'histoire économique d'où il a déduit un plan
de réformes sociales déjà esquissé dans ses traits fonda-
mentaux dans un ouvrage {Die Forderungen dev ar-
beitenden Klasse) excellemment analysé par Dietzel,
qui remonte à 1837. Il est extrêment difficile de se
retrouver dans le labyrinthe des propositions de Rod-
bertus, parce qu'il ne sépare pas nettement celles qui
appartiennent au collectivisme absolu, idéal qui ne
pourra d'après lui être réalisé que dans cinq ou six
siècles, de celles qui pourraient être acceptées et appli-
quées graduellement par des mesures immédiates.
Parmi les réformes proposées par R,odbertus,il faut dis-
tinguer les réformes partielles sur le crédit foncier,
(qu'il veut transformer de fond en comble en remplaçant
par le payement d'une rente perpétuelle l'obligation
de rembourser le capital , des autres réformes plus
générales sur l'organisme de la production et la condi-
tion de la classe ouvrière. Ennemi déclaré de l'indivi-
dualisme, et s'inspirant de la théorie organique de l'État
de Hegel et de Schelling, Rodbertus confie à l'autorité
publique la réalisation des réformes économiques qui
doivent être conformes à l'intérêt collectif, parce que,
pour lui, l'individu n'est qu'un organe du grand corps
social. La transition loyale à un système qui fera cesser
l'action inexorable de la loi économique par laquelle,
étant donné la libre concurrence, la part proportionnelle
de produit distribuée aux ouvriers diminue à mesure
que le meilleur emploi de leur travail en augmente
la productivité, pourrait être effectuée par Tinterven-
tion de l'État. Celui-ci devrait établir au j^ro rata du pro-
duit total de l'industrie la part à assigner aux travail-
leurs et il devrait en outre fixer la durée de la journée
normale de travail dans chaque industrie et la quantité
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 537
normale de produit qui correspond à chaque journée.
Sur cette base il fixerait un tarif, continuellement
variable, du prix du salaire et des services productifs
et remplacerait petit à petit la monnaie métallique par
des bons indiquant les journées de travail et émis sous
forme de prêt aux entrepreneurs, qui paieraient avec
eux leurs ouvriers, et avec lesquels ils pourraient pren-
dre dans les entrepôts gouvernementaux la quantité
de produits dont ils auraient besoin en raison du tra-
vail utile qu'ils auraient fourni.
De cette façon Rodbertus, malgré le grand appareil
de sa philosophie et de son érudition, partant de l'hy-
pothèse d'une loi de décroissance progressive du salaire
proportionnel, aussi fausse que celle de son augmenta-
tion fatale, soutenue par Carey et par Bastiat, conclut
par des propositions très analogues à celles de Owen et
de Proudhon, mais plus compliquées. C'est en somme
un système tyrannique et inefficace de taxation offi-
cielle des prix et des salaires, qui produirait des effets
semblables à ceux qu'on a obtenus par les assignats et
le maximum sous la Révolution française. Aussi trou-
vons-nous excessif l'enthousiasme de Wagner, qui a
proclamé Rodbertus le Ricardo du socialisme !
Rodbertus, Zur Erkenntniss unserer siaatswirtltschoft-
liclien Zustdnde. !«' fascicule. Neubrandenburg,
1844. — Sociale Briefe an V. Kirchmann. I-III.
Berlin, 1850-51. — La seconde et la troisième
lettre réimprimées sous le titre: Zur Beleuchiimg
der socialen Frage, 1875. — Zur Erklarung und
Abhùlfe der heuUgen Krediinoihdes Grundhesiizes.
Jena, 1868-69.-2' édit., 1876. — Der normale Ar-
beilsiag (extrait de la Berliner Revue). Berlin,
1871. Réimprimé dans la Zeilschrift fur die ges.
Staalnirissencliaften. 34« année, 1878, pp. 322-367.
— Briefe undsozialpolitischeAufsàtze.BerWn, 1882.
— Das Kapital. Vierter sociale Brief an v. Kirch-
mann, 1884.
538 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
Cfr. Ad. Wagner, Einigcs von und ïiber Rodbertus
(in Zeilschrifl f. die (/es. Slaatswiss. 1878, pp. 119-
236. — Th. Kozak, liodhertus Jagetzow's socialpo-
litische Ansichien. Jena, 1882. — G. Adler, Rodber-
tus der Berjrùnder des ivissenschafilichen Soziali-
mus. Leipzig, 1884. — A. Menger, Das Rechl auf
den vollen Arbeitserirag . Edition de 1886, pp. 79-
96. — H. Dietzel, Karl Rodbertus. Partie I et II.
Jena, 1886-88. — W. H. Dawson, German socia-
lism, etc.,London, 1891, pp. 61-90.
Karl Marx est né à Trêves en i 818 ; il a vécu en exil
à Paris, puic à Bruxelles et finalement, pendant de très
longues années, à Londres, où il est mort en 1883 ; il
unit au plus haut degré les qualités du savant et celles
du sectaire.
Doué d'un esprit puissant, connaissant à lond l'an-
cienne littérature économique et en particulier la litté-
rature économique anglaise, armé d'une dialectique
subtile et souvent sophistique, écrivain toujours obscur
et parfois inintelligible, il a étudié d'ordinaire les pro-
blèmes abstrus de la science pure en les accompagnant
de citations tirées habilement des documents officiels,
qui constituent pour ses aveugles adhérents les preuves
irréfutables de ses arJDitraircs constructions historiques
et de ses affirmations doctrinales. Faisant abstraction
de toute idée religieuse et de toute considération juri-
dique, Marx prétend démontrer que l'évolution écono-
mique conduit inévitablement au collectivisme, sans
qu'il soit besoin des moyens révolutionnaires, pour
lesquels il se dépensait avec tant d'énergie comme agi-
tateur populaire. Sans parler de quelques écrits de
moindre importance, les idées économiques de Marx
(empruntées en partie aux socialistes anglais déjà cités
et en partie aussi à Proudhon) se trouvent déjà esquissées
dans une polémique acrimonieuse contre Proudhon
(l8'i7), et elles ont été plus complètement exposées dans
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 539
son œuvre principale, dont il avait déjà publié, sous
une autre forme et avec d'abondantes notes bibliogra-
phiques, les premiers chapitres en 1859.
K. Marx, Misère de la philosophie . Réponse à la Philo-
sophie de la misère de M. Proudhon. Bruxelles,
1847. Réimprimé en 1897. Trad. allemande de
Bernstein et Kautsky, 1885. — Zur Rriiik derpo-
litischen Oekonomie. i'"'^ fascicule. Berlin, 1859.
— Das Kapital. l^^" vol. Productions-process des
Kapiials. Hamburg, 1867. (4« édit. de F. Engels,
1890); Trad. franc, par Roy. - 2" vol. Circulaiions-
process des Kapitals, 1885.
Cfr. G. Gross, Karl Marx. Leipzig, 1885.— G. Adler, Die
Grundlogen der Karl Marxschcn Kritik der be-
slehenden Volksivirthschaft.'îuh'nngen, 1887. — G. A.
Verrijn-SLuarC, iî«carc/oen il/arx, 1890. (On trouve
un bon résumé de la doctrine de Marx dans le vo-
lume déjà cité deCathrein, Der Sozialiinns.^" éd\i.
1892, pp. 12-29. Trad. franc, par Olivier Feron,
S.J., 1891.)
Le fondement du système de Marx, c'est la philo.so-
phie matérialiste et purement économique de l'histoire,
avec laquelle il explique toutes les révolutions poli-
tiques en les ramenant aux incessants changements
dans le processus de la production et de la circulation,
dont dépendent à leur tour les transformations corres-
pondantes dans les systèmes de distribution de la ri-
chesse. Pour connaître la loi d'évolution de la produc-
tion et de la vente, il faut remonter à la théorie de la
valeur et à celle de la plus-value (Mehrwerth) qui ré-
vèle le processus de formation et d'accumulation du
capital.
La théorie de la valeur de Marx (combattue à diffé-
rents points de vue par Strassburger, Knies, Bohm-
Bawerk, Adler, etc) est, comme l'a démontré Verrijn-
Stuart bien différente de celle de Kicardo ; elle vient de
540 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
cette proposition de Smith que la cause unique, bien plus,
la mesure, de la valeur de tous les produits est la quan-
tité de travail nécessaire pour l'obtenir, et par consé-
quent, d'après Marx, le travail est la substance qui forme
la valeur en s'incorporant d'une certaine manière dans
le produit. Or l'entrepreneur capitaliste, en achetant à
l'ouvrier, privé des instruments de travail, non pas le
produit mais sa force de travail [Arbeitskraft), se trouve
dans la possibilité d'obtenir des prestations supérieures
à celles qui sont nécessaires pour produire les objets
indispensables à la vie de l'ouvrier, et de cette façon il
obtient un profit et réalise une Plusmacherei impossible
dans les échanges ordinaires, qui ont pour base la di-
versité d'espèce et l'idendité do valeur des produits
échangés. La plus-value empochée par l'entrepreneur
constitue le capital, qui lui fournit le moyen de nou-
velles accumulations qui, parla concurrence des entre-
preneurs, amènent la concentration de la production
dans un nombre rapidement décroissant de grandes
fabriques qui, grâce à la division du travail et aux ma-
chines engendrent le prolétariat, l'augmentation de la
misère et la formation d'une armée de réserve d^ou-
vriers sans travail, qui déprime toujours davantage
le salaire des autres et contribue à rendre inévitables
les crises qui frappent continuellement 1 industrie. Mais
le progrès de la production capitaliste porte en lui-même
le germe de sa destruction. Il arrivera nécessairement
un moment où les masses ouvrières, formellement libres
mais en réalité sous l'oppression de la misère, briseront
leurs chaînes et exproprieront à leur tour les expro-
priateurs. Alors, la production se fera par des corpora-
tions de travailleurs, constituant un état organisé dé-
mocratiquement, et le produit sera en partie converti
en capital et en partie distribué aux ouvriers, comme
une propriété dont ils pourront disposer librement.
il
LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN 541
Dans la période qui suivra iminédiatement la révolution,
qui émancipera le travail de la tyrannie du capital, la
répartition des produits se fera en proportion des pres-
tations individuelles, évaluées d'après la durée du tra-
vail nécessaire pour l'aire chaque unité de produit. Il
reste donc, d'une manière transitoire, malgré Taboli-
tion de toute différence de classe une distribution
inégale des biens. Dans une période ultérieure et défi-
nitive, le travail ayant cessé d'être une peine et étant de-
venu une nécessité, toute différence entre le travail intel-
lectuel et le travail musculaire cessera et on pourra faire
la distribution des produits conformément à la justice
absolue, qui demande que le travail soit déterminé par
les aptitudes et la jouissance proportionnée aux besoins.
Comme révolutionnaire Marx était très différent de
Lassalle. Froid, cynique, inaccessible au sentiment de
l'amour de la patrie, plein de mépris pour un grand
nombre de ses partisans, il commença sa carrière en
rédigeant avec Frédéric Engels le fameux programme
du parti communiste. 11 fonda en 1864 l'As.sociation
internationale des travailleurs, dont il fut pendant long-
temps l'âme, et qui survécut de fait sinon de nom à la
scission provoquée en 1872 par le nihiliste anarchiste
lîakunin. La Démocratie sociale moderne allemande,
dépassant les idées relativement modérées des partisans
de Lassalle, accepta au Congrès de Gotha (1875) et
encore plus explicitement à celui d'Erfurt (1891) les
théories du collectivisme absolu, qui sont maintenant
les plus généralement acceptées en Allemagne (Engels,
Liebknecht, Bebel), en Belgique (De Pœpej, dans les
Pays-Bas (Nieuwenhuis), en France (Guesde, Lafargue
et avec quelques divergences Malon), en Angleterre et
en Amérique (Hyndmann et Gronlund).
Fr. Engels, Die Enlwickelung des Sozialimus von der
Utopie zur Wissenschaft, 1883 (S^ édit.).
542 LE SOCIALISME THÉORIQUE CONTEMPORAIN
Liebknecht, Was die Sozialdemokralen swd und sein
ivolien, 1891.
A. Bebel, Unsere Ziele, 1875 (5^ édit.) — Die Frau, etc.
1892 (14« édit.) trad. ital. ; 1892. Trad. franc, par
Rave, 1871.
H. M. Hyndmann, The historical basis of socialism in
England, 1883.
L. Gronlund, The coopérative commonwealih. 4'' édit.,
1892.
B.Malon,Ze socialisme intégral.2^ édit. 1892. Deux vol.
— Précis historique et critique du socialisme, 1892.
Il n'y a pas en Italie^ malgré les agitations d'un
parti dont l'activité se manifeste aussi dans la presse
périodique, de défenseurs vraiment compétents du so-
cialisme théorique. Il y a cependant des littérateurs et
des journalistes, qui font des conférences, traduisent
(souvent du français) des opuscules et des articles des
socialistes allemands, et qui attaquent vigoureusement
les représentants des pouvoirs constitués en même temps
qu'ils délivrent des diplômes d'hommes célèbres à leurs
amis personnels, qui militent dans les rangs du radi-
calisme politique, ou dans les rangs encore plus hété-
rogènes des économistes du passé et des crimina-
listes de l'avenir.
Il faut louer Nitti d'avoir commencé par un volume
érudit et intéressant une critique détaillée des diffé-
rentes formes du socialisme.
Franc. S. Nitti, Il socialismo cattolico. 2® édit. Torino,
1891. Trad. franc., Paris, 1894.
Voir A. Bertolini, Cenno sut socialismo contemfornneo
in Italia, 1889.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
(1)
Abbot de Bazinghen, iSt].
Abeille, 275.
Abrial, 403.
Accursio das Neves, 443.
Achenwall, 53.
Adams, 481, 483.
Adams (Carter), 24. 479.
Adams (Quincy), 464.
Adamson, 4.
Adier, 428, 510, 522, 528, 529. 538,
539.
Advielle, 519.
Agardh, 451.
Agazzini, ^88.
Agricola, 184.
Ahrens, 16.
A.jello, 196.
Aksakow, 456.
Albergo, 139, 487.
Albert-le-Grand, 161.
Alberti, (G.), 174, 234,295.
Albcrti (L.-B.), 174.
Alciat, 184.
Aieandri, 296.
Alemanni, 169.
-vAlembert, 272, 300.
Alessio, 153, 507.
.Vlexejenko, 455, 457.
Ale.xi, 200.
Alison, 209, .347.
Allibone, 465.
Allievi, 497, 498.
Allinson, 476.
Allocchio, 500.
Almeida (d'), 444.
Amabile, 192.
Amar, 511.
Amari, 493.
Amati, 292.
Amé, 402.
Ampère, 49.
Ancarano (Pierre de\ 168.
Anderson, 326, 363.
Andreucci, 500.
Andrews, 23, 465, 482, 483.
Ansell, 350.
Antonelli, 102, 511.
.A.ntonovicz, 458.
Apel (d'), 511.
Appolodore, 146.
Aranaz, 441.
Arco (d'), 287.
Arcoleo, 511.
Arenal, 441.
Arendt, 424, 425.
Argelati, 188.
Argenson (D'), 262.
Aristophane, 148.
Aristote, 70, 97, 149, 156.
Arnd, 284.
(1) Nous avons dans cet Index redressé quelques erreurs qui se sont glissées dans
l'écriture des auteurs cités dans l'ouvrage.
(Noie du Iradticteur).
544
INDEX DES AUTEURS CITÉS
Arntzen, 448.
Armstrong. 215.
Arnberg, 137.
Arrivabene. 491.
Artom, 511 .
Aschohoug, 449.
Asgill, 254, 256.
Asher, 301. 347.
Ashley, 158, 351,332,333.
Atkinson, 309. 480.
Audiganne, 401.
Augustinis (de), 6S, i91.
Auspitz, 102, 103.
Austin, 339.
Azcàrate, 442.
Azzariti, 486.
Babbage, 44, 342, 346.
Babeau, 401.
Babœuf, 519.
Babst, 455.
Bacon, 49, 128, 232.
Bade (Chaiies-FrédLTic de), 285.
Baer, 500.
Baert, 299.
Bagehot, 27. 85, 298, 348, .355.
Bain, 83.
Baird, 470.
Bakunin. 529, 541.
Balbo, 487.
Balchcn. 1.35.
Balducci-Pegolotti, 174.
Ballerini, 178.
Balletti, 139, 187, 247, 286.
Balsamo, 485, 486, 490.
Balugjenski, 455.
Bam berger, 421.
Bandini, 218, 230, 231, 2-32, 23S.
Bandoli, 241.
Banfield, 337.
Barbeyrac, 258, 263,
Barbon, 187, 255, 257, 258, 3i7,
Barbour, 347.
Bargemont.310.
Barkausen, 291.
Bariano, 168.
Barnard, 240.
Bartole, 184.
Barzanellana, 441.
Baseom, 471, 472.
Bastable, 114, 210, 303, -325,
.359, 370, 371.
Bastiat, 65, 99, 337, 357, .-^73,
383, 384, 386, 420, 423, 450,
471, 489, 494. 495, 528,537.
Batbie, 40,277, 374. 403.
Bandeau, 274, 275, 278, 286.
Baudrillart, 23, 35, 129, 205,
207, 374, 388, 389, 401.
Bauer, 44, 1.36, 210, 256, 260,
272, 273, 353, 432.
Baumann, 163.
Baumstark, 244, 245, 328, 413.
Baxter, 349.
Bazard. 523, 524, 525.
Beaujon, 105, 436.
Beauregard, 328, 374. 375, 402
Bebel. 541, 542.
Beccaria, 68, 101, 182, 188,
245, 289, 291, 292, 293.
Béchaux, 40.
Bêcher, 221, 234.
Becker, 30, 406.
Béer, 428.
Beicht, 291.
Beke, 459.
Belloni, 222,223.
Bénard, 386.
Benini, 193, 508.
Bemis, 477.
Benoit XIV, 178.
Bensa, 155.
Bentham, 310, .321, 328, 339.
336.
.382'
47(1,
2C6,
267,
Idô,
INDEX DES AUTEURS CITÉS
545
Benvenuti. 500.
Berardi, 505.
Berch, 450.
Berends, 455.
Berens, 459.
Berg (Van der), 438.
Bergfalk, 451.
Bergsoe, 447.
Berkeley, 267.
Bernard (Ch.), 477.
Bernardin de Busto. 169.
Bernardin de Feltre, 168.
Bernardin (Saint), 166.
Bernhardi, 411, 493.
Bernouilli, 23, 101.
Berastein, 421.
Bcrnstein, 539.
Berra 490.
Bertagnolli, 511.
Bertheau, 402.
Bertillon, 30, 401.
Berlini, 511.
Bertolini, 501, 505, 542.
Bertrand, 103.
Besobrasov, 456, 457.
Besold, 238.
Bettange, 186.
Bevan, 255.
Blanchi (G.), 507.
Blanchi (I), 294, 491.
Bibiia, 195, 213.
Biddle, 468.
Bidermann, 198, 210, 459.
Blanchini, 132, 141, 192, 249, 490-
491, 493, 496.
Biel (Gabriel), 166.
Bielfeld, 254.
Biffi Tolomei, 233.
Bigelow, 476.
Bigot de Sainte-Croix, 275.
Bilinski, 132, 452.
Bing, 448.
Bischof, 420.
Biundi, 497.
Biaise, 169.
Blanc, 528, 529, 530, 531.
Blanc (Le), 186.
Blanch, 491.
Blanqui, 129, 1-32, laS. 141, 297, 44t.
Bloch, 457.
Block, 31, 57, 61, 83. .373. 376, 380,
381, 382, 401, 532.
Bluntschli, 45, .319.
Bobrinsky, 458.
Boccardo, 495, 490, 510.
Bocchi, 195, 213.
Bodenstedt, 453.
Bodin, 97, 141, 181, 186, 188, 189,
190, 205, 206, 217, 237, 242.
Bodio, .30.
Bodz-Raymond, 310.
Buhm-Bawerk, 84, 177, 178, 364,
4a3, 434, 435, 5-39.
Boeckh, 142.
Boehmert, 422.
Boisguilbert, 141, 22S, 229, 230,
^32. 241.
Boissevain, 438.
Boizard, 186.
Bolles, 106, 462, 463.
Bona, (Délia), 511.
Bon a y Ureta, (de), 441.
Bonar, 15, 263, 314, 326, 363, 364,
435.
Bonaventure (S.), ICI.
Bonghi, 497.
Bonnal, 207.
Booth, 525.
Borgatti, 497.
Borghiai, 184.
Borkowski, 456.
Bornitz, 206, 238.
Borrego, 440,
Bosch Kemper, 171.
35
546
INDEX DES AUTEURS CITÉS
Boselli, 5CH).
Bosellini, 497.
Bosnier de l'Orme, 275, 2SG,
Botello, 442.
Botero, 141,180, 181, 19-3, 194, 20G,
217, 2.37, 242.
Boulainvillicrs, 2'j1.
Bourdeau ;J. , 532.
Bourne, 463, 481.
Bourouill, 876. 436, 475.
-Bourquelot, 400.
.'Boutaric, 401.
Boutron, 412.
Boutteroue, 18ô.
Bouvy, 294.
Bowen, 467, 468.
Boxhorn, 206.
Boyss. 184.
Brachelli, 30. 31. 429.
Brants. 15, 149, 15S. 1G5, 373, ZOb,
397.
Brassey, 349, .358, 363.
B rater, 319.
Bray (J. F.) 521.
Bray, 'Charles), 521.
Brandes, (G), 532.
Braun, 421, 427.
Brenlano, 351, 3o.3, 410. 418, 424.
Bretschneider. 525.
Brietzky, 455.
Briganti, 287.
Bright, 334.
Brisbane, 527.
Briscoe, 200.
Brissot, 513, 527.
Brock. 449.
Brodrick, 346.
Broggia, 188, 209, 223, 242, 2i3.
Broglio, 497.
Brougham, 26S.
Briickner, 453. 458,
B.-udiT, 152, 153.
Brugi, 38.
Brunncck, 460.
Bruno, 184. 496, 497, 500, 505,
Buccellati, 292.
Buccleugh, 300. 349.
Buchanam, 300. 349.
Bûchez, 69, 403, 523.
Budée, 18i.
Budelio, 184.
Biilau, 407.
Bunge, 457,458.
Buonarotti, 519. 529.
Buoninsegni 169.
Burchard, 48 i.
Buret, 394.
Buridan, 164.
Burke. 310.
Burton, 268.
Busacca, 493.
Buschen, 455.
Biish, 288, 289.
Butowski, 45 i.
Butts, 476.
Buzzetti, 511.
Byles, 347.
Caballero, 441.
Gabet, 520, 521.
Cacherano, 296.
Cadet, 229, 230.
Cagnazzi, 485, 486.
Caird,346.
Cairnes, 2, 7, 57, 66, 76, 80, 84, 85.
91, 102, 135, 267, 336, 3i0, 343.
351. 355, 356, 357, 358, -359, 368,
385, 386. .391, 399.
Calhoun. 464.
Calkoen. 151.
Callicratides, 146.
Calvi, 490.
Calvin. 177.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
547
Gambray-Digny, 511.
Gampanella, 176, 192, 513.
Canarrl, 101, 316.
Gancrin, 309.
Gangay Argûelles, 441.
Gannan,335, 370.
Gantillon, 265, 266, 268, 270, 292,
299.
Gathrein, 35.
Gantoni, 168.
Gantù, 292. 491.
Gappellari della Golomba, 50J.
Gapellone, 169.
Gapponi, 490.
Gapps, 349.
Gaputo, 237.
Garaccioli, 296.
Garafa, 172, 205.
Garballo y Vangûemert, 132.
Gardcnas (De), 442.
Garete de Paros, 146.
Garey, 60, 134, 218, a37, 3"j9, 383,
384, 385, 465, 469, 470, 473, 477,
478,489,494,537.
Garey Baird. 470.
Garli, 188, 242, 291, 292, 294, 296.
Garli (De), 487.
Gariquist, 451.
Garlyle,121,350.
ilarniichael. 264.
Garové, 525.
Garpi,500.
Garrcras y Gonzales, 2, 7, 76, 132,
440,742.
Gary, 218.
Gasali, 208.
Gasarini, 493.
Casasas, 441.
Casati, 294.
Gastanares, 213.
Gastillc, 530.
Gastracane, 168, 213.
Gathrein, 32, 36, 516, 539.
Gaton, 152.
Gattaneo, 492.
Gauwès, .374.
Gavazzoni-Pederzini, 488.
Cavalà, 197, 198.
Gavour, 499.
Gazeneuve, 402.
Gernuschi, 500.
Gesare (De), 496.
Geva, 188.
Geva-Grimaldi, 493.
Ghailley (Joseph), ,380.
Ghalmers, 337, 342.
Ghamberlain, 200.
Chapin, 468.
Gharles III, 242.
Gharles V (le sage), 165.
Gh'arJes VI, 241.
Ghase, 464.
Chastellux, 275.
Gherbuliez, 20, 21, 24, 25, 62, 70,
106, 357, 373, 376, 379, 380, 400.
Ghevalier, 297, 373, 374, 376, 377,
378, 387, 394, 495, 523.
Chevé, 384.
Gheyney, 476.
Gheysson, 373, 395.
Chiaramonti, 181, 206.
Ghiarini, 490,
Ghild, 220, 221, 234, 235, 240, 249,
256.
Ghisholm,363.
Ghitti, 491.
Ghodsky, 456, 458.
Ghydenius, 450.
Gibrario, 154.
Giccone, 68, 499.
Gicé, 277.
Gicéron, 151.
Gicogna, 295.
Gieszkowski, 453.
548
INDEX DES AUTEURS CITÉS
Cini,500.
Clamageran, 403.
Clark, 465, 479, 480. 48.'}.
Clavière. .817.
Clément (A.), 34, 60, .385. 392.
Clément (P.), 224.
Clément, VII, 208.
Clicquot, 235.
Cobden, 231, 334. 377, 384.
Cobergher, 168.
Cochut, 200.
Codacci-Pisanelli, 511.
Cognetti, 62, 96, 475, 510.
Cohn, 84, 132. 225, 2.3(t, 327, 351
352, 355, 368, 369, 406, 407, 425*,
431, 477.
Coke, 219, 234.
Colbert, 221. 224, 227.
Colizzi-Miselli, 487.
Collin, 451.
Colmeiro, 136, 1.37, 171. 2.39, 260,
440.
Colonna (Egidio\ 164.
Col ton, 467.
Columelle, 152.
Colwell, 467. 468.
Comte, 49, 60, 61, 135, 3.39, 341,
355, 357, 389, 391, 414. 523.
Comte (Charles), 319,384.
Concina, 178-
Condillac, 15, 236, 245. 266, 276,
289.
Condorcet, 275, 3.39.
Conigliani,21, 185,186, 191, 507.
Conrad, 4J6, 418, 424, 428.
Conrig, 221.
Considérant, 519, 527.
Constancio, 443.
Contarini, 197.
Conte. 441 .
Contzen, 157.
Cooper, 468.
Copernic, 185.
Coquelin. 34. 57, 7.3, 379 383, 484,
495.
Corbani 491.
Gormenin, .38.
Correnti, 491, 497.
Corsi, 500.
Corti, 184.
Cossa (E.),42. 511.
Cossa,(L.) , 145. 162,245, 260,296,
485, 508.
Gosta-Rossetti. 32.
Costantini, 222.
Cotrugli, 173.
Cotte ri 1,309.
Courcelle-Seneuil, 25, 42. 70, 132.
298, 373, 376, 380,381.
Cournot, 101, 102, 103, 105, 366.
363, 380, 389, 390.
Court (Jean de la), 240.
Court (Pierre de la), 234.
Gourtney, 338, 347.
Courtois (fils), 402.
Cousin, 265,297,
Go ver. 286.
Gox, 476, 534.
Cradocke, 199, 2(X).
Crawfurd 309.
Cristoforis(Dc),497.
Grompton, 349.
Gromwell, 220,224.
Grouzel, 402.
Crump, 347.
Csato, 460.
Csengery, 461.
Cucheval-Clarigny, 403.
Gulpeper, 220, 221, 235, 256.
Cumming, 106.
Cuneo, 196.
Cunha d'Azéredo Coutinho, 443.
Gunningham, 155, 210, 217, 223,
239,362,363.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
549
Custodi, 137, 138, 192. 295, 486,
488, 489.
Cusumano, 139, 158, 174, 196, 207,
238, 296, 406, 501, 505.
Czornig, 429.
D
Dahlmann, 45, 41.^.
Daire, 200, 229, 270. 895.
Dameth, 2, 7, 35.
Dandolo, 490.
Dangel, 452.
Dangeul, 235.
Dankwardt, 39, 40.
Dareste de la Cliavaniie, 401.
Dargun, 33.
Darjes, 244, 269.
Darwin, 368.
Davanzati, 141. 187, 258.
Davenant, 220, 221, 240.
David, 447.
Davidson, 451.
Davies, 217.
Davila, 238.
Dawson, 532, 534, 538.
Decker, 235, 239, 268 .
Dei, 174.
Delacour, 298.
Delamare, 250.
Delfico, 286.
Delisle, 401.
Denis, 284, 403.
Desséwffy (E.), 460, 461.
Desséwffy (.!.), 460.
Deslutt de Tracy, 316.
De vas, 398.
Diaz, 441.
Dickinson, 405.
Diderot, 272, 300.
Diehl, 529.
Dietzel, 33, 84, 122, 409, 411, 427,
432, 4,35. 516, 536, 538.
Digges, 217.
Dillon, 116, .350.
Diodati, 291.
Dithmar, 244.
Dolfin, 235.
Dominici, 174.
Doni, 176, 513.
Doniol, 401.
Donnall, 353.
Dormer, 260.
Dowell, .349
Droz, 33, 316.
Dubois, 164.
Ducati, 505.
Ducpétiaux, 402.
Ducrocq, 38.
Dufau, 83.
Dufour, 38.
Dugnani, 163.
Dûhring, 3,> 132. 134, 141, 268, 469
535.
Dumesnil-Marigny, 374.
Dumont, 310.
Dumont (Arsène), 121.
Dumoulin, 177, 185.
Dunbar, 196, 197, 199, 465, 481.
Dunckley, 847.
Dunoyer, 320, 372. 382, 333, 384,
385. 495.
Du Pont, 274, 275, 276, 278,280,285
Duprat (Pascal), 291.
Dupré de Saint-Maur, 186.
Dupuit, 101, 103, 373, 390.
Durand de Saint- Pourçain ^
165.
Duran y Bas, 441.
Dureau de la Malle, 142.
Dussard, 840, 381.
Dutens, 284.
Dutôt, 201, 222.
Duvai, 206, 207,241.
Duverney, 201.
550
INDEX DES AUTEURS CITÉS
Eandi, 493.
Eckroyd, 350.
Edgeworth, 105, 364.
Edmonds, 521.
Effimenko, 450.
Eheberg, 414, 415, 424.
Ehrle. 171.
Eichhorn, 415.
Eichthal (d'i, 516.
Einert, 41.
Eisdell, 337.
Eiselen. 408.
Eisenhart, 3, 132, 13i, 135, 141
294, 535.
Elder, 470.
Ellena, 508.
Ellero, 511.
Elster, 394, 428.
Emerton, .301.
Ely, 3, 8, 23, 465, 478, 481, 515.
Emminghaus, 42, 285, 421.
Endemann, 39, 40, 157.
Enfantin, 524.
Engel, 30, 31, 406.
Engelbert, 163.
Engels, 528,539, 541.
Ebtwos, 461.
Erdélyi, 460, 461.
Errera, 295, 500.
Eschine, 146.
Escudero, 441.
Espinas, 3, 1-32, 392.
Eulner, 238.
Evangelista, 168.
Everett, 467.
F
Fabbrini, 258.
Fabbroni, 232, 2.33, 286, 486, 487.
Faber, 218.
Fabricio, 173.
Facen, 295.
..Gagniez, 400.
Falbe-Hansen, 446, 448.
Falck, 410, 524.
Falkenburg, 436.
Falkenhagen-Zaleski, 453.
Falkner, 479.
Fallati, 30.
Fano, 500.
Fantuzzi, 487.
Faraglia, 500.
Farkas, 461 .
Farmer, 191.
Farnam, 2a3.
Farrer, 300, 347.
Faucher (G.), 421.
Faucher (L), 377, 378, 394. 402.
Faure, 338.
Fauveau, 391.
Favre, 185.
Fawcett, 328, 329, 345, 352, 364,
365, 475.
Fay, 461.
Fedorow, 456.
Feilbogen, 248, 249, 268, 269, 277,
298, 432.
Fényes, 460.
Ferguson, 264, 265.
Ferran, 441.
Ferrara, 114, 138, 193, 196, 231,
249, 272, 319, 320, 383, 385, 386,
470, 493, 494, 495, 504, 505.
Ferrari, 168.
Ferraris (C.-F.), 506, 22, 38, 46.
Ferraris (M.). 511.
Ferreira-Borges, 444, 445.
Ferrier, 309.
Ferroni, 101.
Feugueray, 403
Fiadoni, 163.
Fichte, 309.
Ficker, 429.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
551
-^^
Figuerola, 441.
Filangieri, 97, 286. 287.
Filiucci, 159.
Fiorentino, 286.
Fiorese, 511.
Fisher, 105.
Fix, 393.
Florez-Estrada, 23, 1.32.
Flurscheim, 533.
Focillon, 395.
Fogarasy, 461.
Foldes, 446, 461.
Foncin, 276.
Fontanelli, 511 .
Fontenay, 386.
Fonteyraud, 321.
Fontpertuis, 149.
Forbonnais, 201,222, 247, 218, 288,
302.
Ford, 484.
Forjaz daSampajo, 1.32.
Fornari, 139, 172, 173. 193, 195, 242,
291, 499.
Forti. 5<J5.
Fortroy, 219.
Fortunato (N), 250.
Fortunato (J.), 511.
Foscarini, 296.
Fossombroni, 2.32, 233, 486.
Forter, 358,
Foiigerousse, 403.
Fouillée, .392.
Fourier, 523, 525, 526, 52S.
Fournel, 524.
Fournier de Flaix, 403.
Foville, .30, 373, 376, 386, 401.
Foxwcll, .351, 363.
Franchetti, 500.
Franchi, 243.
Franklin, 182, 465. 466.
Franqueville, 401.
Frederiksen, 1-32, 447.
Frignet, 4(J0.
Frommer, 422.
Fuchs, 458.
Fullarton, .348, 378, 425.
Franckenstein, 2.38.
Frank, 176, 189.
Franzi, 258.
Franzl, 309.
Frédéric Guillaume I; 244.
Frisi, 294.
Froumenteau, 241.
Funck-Brentano, 206.
Funk, 159, 166, 169.
Fuoco. 102, 489.
Furber, 1.37, 465.
Furnival, 192.
Fûrstenau, 285.
G
Gabaglio, 28, 30, 31, 83.
Gad, 448.
Gaito, 167.
Galitzin, 285.
Galiani, 15. 188. 192, 258, 275, 289,
290.292.
Galiardo Fernandez, 442.
Gallalin, 464.
Galton, 436.
Gambini, 231, 490, 492.
Gamborg, 449, 450.
Ganilh, 309, 467.
Garelli (A.), 499.
Garelli (G.-E.), 500.
Garfield, 464.
Garnier (Joseph, 23, 57, 71, 76,
132, 272, 347, 376, 378.
Garnier ;J. J.;, 379.
Garnier (Germain), 284,301.
Garrati, 184.
Garrault, 186.
Gaskell. 346.
Gasparino, 159.
552
INDEX DES AUTEURS CITES
Gasser, 244.
Gastaldi, 493.
Gaston (Jean . 232.
Galti de Gamond, 527.
Gautieri, 490.
Geddes,350, 355,391.
Gee, 219.
Gehrke, 176.
Geissmann, 455.
Gemmelaro-Russo. 511.
Gennaro,286.
Genovesi, 68, 209, 218. 245, 247,
249, 250, 269,302.
Gentleman, 217.
Gentz. 310.
George. 532, 5.33.
George, 465, 469, 473, 474, 475.
Gérando (De). 38. 183, 402, 493.
Gerson, 165.
Gerstner, 23.
Gervinus, 415.
Ghetti, 171.
Gianni, 232. 23.3, Î86. 296. 487.
Gibbons, 475.
Gibellini, 250.
Gibon, 403.
Giddings, 15, 479. 480, 483.
Gide, 373, 376. 399. 400.
Giffen, a34, 349. 363. 364.
Gibbart, 3i7.
Giginta, 170.
Giiman,477.
Giner, 442,
GJogalli, 260.
Gioj a, 23,.30.138. 294. 486, 488,489, 490
Giovanetti, 492.
Giovio, 487.
Giudice (Del). 504.
Gladstone, 334, 349.
Claser, 145, 150, 408.
Gobbi, 139, 167, 173, 193, 195, 207,
231, 250, 508.
Godfrey, 199.
Godwin, 313.
Goldman, 458.
Goldschmidt, 41.
Golochwastow, 453, 457.
Golz (von der), 424.
Gomes, 444.
Gomez, 212.
Gonner327. 364.370.
Gorani, 231, 286.
Gorlow, 454.
Gorové, 460.
Gosohen, 348, 349, 381,438.
Goss, 476.
Gossen, 43. 101.
Gottling, 149.
Gouge, 464.
Gould, 240. <
Gouraud, 374.
Gournay, 248.256.
Graffenried 'Dej, 476.
Grammont, 189.
Granier, 402.
Graswinkel, 228.
Graunt, 252.
Gravenhage, 439.
Graziani, 21, 257, 290, 292, 294,
435, 507.
Gray, 309,521.
Greeley, 470.
Greg, 436,
Grégoire, 206.
Grégoriew, 458.
Grégoire de Rimini, 147. .
Grenier, 183.
Greppi, 198.
Gresham, 185, 191. 192.
Greven, 436.
Grimaudet, 186.
Gronlund, 541, 542.
Gross. 363, 433, 539.
Grosvenor, 476.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
55a
Grote, ."330.
Grotius, 177. 258,2(3:!, 264. 27i».
Griin, 527.
Guarini, 173.
Guérard, 400.
Guérin, 395.
Guerry. .30. 401.
Guesde, 541.
Guicciardini, 174. 175.
Guilbaiilt.42.
Guillemenot, 397.
Gujard, 70.
Gunton, 476, 483.
^ Guyot. 41 13.
Gyorgy, 4(31 .
Gyôry. 4(50.
H
llack, 529.
Hadley, 481. 482, 483. 48 i.
Hagemeister, 455.
Hagen, 14(î.
Hagenbuck, 199.
Haldane, 298.
Hahl, 214.
Haies, 161, 191, 217.
Hall, 349.
Haller, 310.
Halley, 252.
Hamaker. 95, 96.
Hamilton '-\.), 414, 446. 464. 4(36.
Hamilton (G.-K.), 132, 451.
Hamilton ,R.;. 349.
Hamilton (W.), 299.
Hanauer, 401.
Hankey, 347.
Hanson, 475.
Hanssen, 406, 413.
Hardenberg, 311.
Hare, 339.
Harrington. 176.
Harris, 187, 266, 299.
Ilarrison, 350, 355, 391.
Hartmann, 41.
Hasbach, 248, 26-3, 264, 298. 424.
Haushofer, .31, 42, 83.
Hausser, 415.
Hawiey, 480.
Hearn, 70, a37, 367.
Heath, 199.
Heckel, 439.
Heftye, 449.
Hegedus, 461.
Hegel. 16, 49, 536.
Held, 423, 428. 469, 479, 535.
Helferich, 298, 406. 413, 483.
Henckel, 189.
Hendriks, .364.
Henfner, 252, 459.
Heredia, 442.
Henri de Gand, 163.
Herbert ((Jlaude), 230. 249.
Hermann, 2, 11, 44, 100, 32ii, 406,
4<j8. 4(39, 410, 411, 412, 423. 447.
Hermandez Amores, 442.
Hérodote, 145.
Herrenschwand, 288, 289.
Hertzberg, 446, 449, 450.
Hertzka. 429, 534.
Hervé-Bazin, 397.
Hewins, 210.
H( yd, 14, 18, 24, 151, 205, 2<l9, 297,
327.
Heyking, 214.
Heymann, 200.
Heymanns, 54, 84, 436.
Higgs, 265, 267, 364, 396.
Hildebrand, 95, 149, 415, 416, 466,
515.
Hobbes, 239, 255, 264.
Hobson, 481.
Hock, 430.
Hoflmann, 38, 408.
Hole. .350.
INDEX DES AUTEURS CITES
Holyoake, 350.
Holtzendorf, 45.
Hooke, 240.
Hooper, 364.
Horn, '200, 229, 230, 402, 461.
Hôrnigk, 221, 234.
Horton (Dana), 475.
llorsley, 239.
Houten, 66.
Hoyta ,de\ 165.
Howell, 349.
Huber, 459.
Hucks-Gibbs, 347.
llufeland, 411.
Hughes, 351.
Hugo, 96, 415.
Hume, 2, 182, 240, 247, 249,
268, 269, 299, 447.
Huskisson, .334.
Hutcheson, 70, 240, 264, 265,
279, 299, 300.
Huxley, 369.
Hyndman, 541, 542.
I
léron, 146.
Inaina-Sternegg, 135, 239,
391, 429,
Ingram, 3, 98, 102, 132, 134,
248, 292. 316, 327, 332, .351,
.356, 369.
Intieri, 192, 245.
Inirigila, 497.
Ippolito (D"), 499.
Isbert y Guyas, 441.
Iselin, 285.
Isernia, (Andréa d'). 164.
Issajew, 457, 458.
Iwanikow, 456.
J
.lacini, 497, 498.
.iHger, 298, 450, 532.
265,
268,
298,
214,
355,
.Tagetzo^v, 535.
.lahnson, 446, 455, 456.
Jakob, 19, 23, 312, 496.
Jakowlefl, 456.
James, 132, 463, 481, 484.
.Tames (H.-A.), 477.
James (E. J.),478.
Jandelli, 181.
Janet, 519.
Janko, 461.
Jannet. 373,396,397.
Janschull, 136, 214, 216. 446, 455,
457, 458.
Jardim (dos Sanctos Pereira),459.
Jefferson, 464.
Jenks, 470, 478, 483.
Jevons, 2, 4, 15, 24, 30, 43, 66, 70,
76, 101, 102, 103, iOi, 105, 186,
265, 266, 267, 320, 347, 351, 356,
.359, 361, .364, 368, 399, 40<J, 436,
438.
Johannis (De), 510.
John, 30, 31.
Jonchère, 241.
Jones, 214, 342, 350.
Joseph II d'Autriche, 224.
Joubleau, 224.
Jourdan. 24, 40, 374.
Jourdain, 157, 163.
Joyce, 301.
Juglar, 30, 402.
Justi, 179, 247, 250, 251, 288, .302.
Juvigny, 403.
K
Kablukow, 456, 458.
Kaizl, 423. 453.
Kalinowsky, 458.
Kamensky, 454.
Kames, 299.
Kant, 16.
Karatajew, 454.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
ooo
Karvasy, 460, 461.
Kaufmann (Allemand), 3)9.
Kaufmann (Russe), 457.
Kautz. 3, 7, 76. 95, 131, 1.32, 133.
135, 137, 141, 152, 214, 230, 248,
288, 297, 332, 394, 446. 459, 461,
Kawelin, 456.
Kay, 346, 347.
Kayser, 447.
Kautsky, 539.
Kellner, 271.
Kemény, 461.
Kent, 465.
Kerseboom, 252.
Ketteler, 398.
Keymor, 217.
Keynes, 2, 4, 8, 76, 84, 90. 104, 1Û5,
3il, 371.
King, 219.
Kingsley, 351.
Kirk, 465.
Kiriaki, 511.
Kirkup, 351. 510.
Kleinw'acMcr, 18. 176, 412, 424.
Klock, 205, 2.38.
Klosterman, 424.
Knapp, 30. 406, 410.
Knies, 41,61, 95, 131, 175. 286, .354,
406, 415, 416, 423, 539.
Knox, 475, 484.
Kolb, :30, 31.
Koljupanow, 456.
Komorzynski, 410, 432.
Knrizmics, 460.
Korsak, 458.
Kosegarten. 310.
Kôsats. 461.
Kowalewski, 455.
Kozak, 538.
Krapotkine, 529.
Kraus, 23. 311, 312.
Krause, 16.
Krebs, 448.
Kritzbay, 461.
Krishanitsch, 453.
Krohn. 419.
Kubel, 144.
Kudier, 430
Kulomsins, 457.
Kuppener, 166.
Kwan-Tsze, 144.
Kvaer, 450.
Lacroix, 260.
Labeyrie, 403.
Laboulaye (Charles), 44, 402.
Laboulaye (Edouard', 402.
Lafargue, 541.
Laffemas, 207, 213.
Laferrière, 38.
Laffitte (B.),403.
Laffltte (P.), 213.
Laing. 342, 345.
Lalor, .350, 484.
Lamansky, 457.
Lambe, 199, 200.
Lamond, 191.
Lampertico, 3, 7, 295. 497, 499, 501,
503. 504.
Lamprecht, 155.
Lange, 423.
Lansdowne, 217.
Laranjo, 443, 445.
Laspeyres, 137, 234, 235, 284, 297'
319, 328, 410, 413.
Lassalle, 421, 531, 532, 5.35, 539,
541.
Lastri, 182.
Latimer, 189.
Latini, 174.
Lattes, 155, 196, 197, 198, 500.
Lauderdale, 311, 467.
556
INDEX DES AUTEURS GITES
Laughlin (Laurenct-), 3, 8, 24, 132,
353, 465, 481.
Launhard, 102.
Laurent, 402.
Laveleye (De), 399, 515.
Lavergne (De), 272, 297, 401.
Laverrière, 410.
Law, 199, 200. 211. 222, 205, 277,
455.
Lawson, 33o.
Lebedew, 457.
Lechevalier, 527.
Ledesma y Palacios, 4.
Lee, 464.
Leffler, 132. 451 .
Legoyt, 401.
Lehinann, 449.
Lehr, 424, 428.
Leib, 238.
Lemercier, 403.
Lencisa, 492.
Lenzi, 174.
Léopold, 230, 232. 235.
Le Play, 29, 373, 389, 394, 395, 396,. S97
Le Rousseau, 403.
Lerou.x, 512. 528.
Leroy-Beaulieu, 2i, 373, 374, 375,
378, 3S2, 387, 388. 403, 473, 532.
Laser, 214, 239, 29s, 299, 300, 326,
328, 415, 424.
Leslie (CliJre), 95, 96, 100, 298, 351.
352, 35i, 355, 356, 364, 401, 465.
Leslie-Stephen, 346.
Letrosne, 275, 276, 280, 289.
"-Levasseur, 30, 200, 233, 373, 374.
378, 382, 388,-389,401,
Levi, 3.34, 363. ^
Levy, 95.
Levvins, 350.
Lewis (Cornewald), 83.
Lewis (M,}, 199. 2œ.
Lewis (R.). 21.
Lexis, 14; 30, 406, 424, 425, 428, 470-
Liberatore, 491.
Lieben, 102, 103.
Liebknecht, 541, 542.
Lilienfeld,58, 419, 459.
Liliew, 458.
Liljenstrand, 451.
Linden (Cort van der), 436.
Lindermann. 475.
Lippert, 378, 379.
List, 69, 96, 1.34, 310. 374, 414. 415,
460. 467, 492.
Lith (Vonder), 239.
Littrû. 391.
Liverpooi, 347.
Livron, 455.
Lloyd. 101.
Lobero. 196.
Locke. 186. 188. 218. 247. 254, 255,
256, 258, 264. 265. 270. 281, 290.
Longe. 352.
Longtield. .•«6.
Longiave-Berni, 511.
Lôniay. 461.
Llining. 38.
Lopez de Aedo. 442.
Lopez Narvaes. 441.
Loria, 28, 257, 446. 458, 501.508.
Lo Savio, 499, 510.
Lotz, 132, 186, 3J2. 411.
Lowe. 355.
Lowndes. 255.
Loyd, 348.
Lozano y Montes. 441.
Lubomirski, 453.
Luca (De). 168, 209, 496. 497.
Lucchesi-Palli, 493.
Lûder, 311. 312.
Ludwig, 238.
Luginin, 456,
Lumbroso, 144.
Lunetti. 195, 198, 213.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
5o7
Lupi. 242.
Lupo, 159.
Luther, 177.
Lutken (F.), 447.
Lutken (Otlron. D.). 447.
Luzerne, 178.
Luzzatti, 298, 49:>. 504. Td!!.
Luzzatto, 510.
Lwow, 455, 457.
Lyon-Caen, 41.
M
Mably, 513.
Mac Adam, 475.
Macaulay, 199, 339,
Mac CuUoch, 23, 24, 75, 199, 240,
258, 299, 301, 818, 321, 322, 328,
335, 348, 358, 363, 447, 408.
^lachiavel, 174, 175, 181.
Macdonell (J.), 338.
Mac Donne! (C), 53:3.
Mac Kean. 470.
Macleod, 70, 289, 3i7. :;71, 374,
471,499.
Mac Neill, 476.
Macpherson, 363.
Macvane, 15. 113, 481, 482, 483,
484.
Madison, 464.
Madrazo, 440,
Mafrei,178.
Magenta, 493.
Magliani, 500.
Maizières (De), 165.
Majorana-Galatabrano, 499.
Majorana (.\.), 510.
Majorana (G.', 511.
Malarce, 403.
Mal chu s, 408.
Malebranche, 279.
Malestroit, 189.
Malgarini 511.
Mallock, 475.
Malon, 420, 541, 542.
.Malthus, 2, 7, 76, 80. 88, K/J, 128,
134, 135, 182, 288, 313, 314, 315,
316, 320, 321, 322, 324, 326, 327,
.328, .3.33, a35, 337, 342, 354, .364,
.375, .377, 383, 385, 42ô, 443, 4G7,
469, 470, 472, 474, 491, 494, i96,
520.
Mal y nés, 216.
Mamiani, 511.
Manara.
.Mancini (El se), 206.
Manfredi, 422,511.
Mangoldt, 23, 84, 90, 100.
Manna, 499.
Manara, 511.
Mandello, 461.
Manfredi, 422,511.
Mangoldt, 406, 409, 412.
Manning, 398.
Mansi, 173.
Manuel-d'.\lmei(la, 444.
Mantellier, 400.
Manzoni, 118.
Marachio, 236.
Marcett, 328, 329.
Marchese, 497.
.Marchesini, 250, 296.
Marchet, 251.
Marescotti, 496, 505.
Marghieri, 41.
Mariana, 185, 206.
Mariboe, 449.
Mariska, 461.
Marliani, 491.
Mario, 132. 534, 535.
Marmontel, .3.39.
Marogna, 236.
Marshall, 15, 24, 61, 62, 70, 84, lu4,
132, 353, 364, 365, .366, 367, 368,
391, 438.
r)58
INDEX DES AUTEURS CITES
MartcUo, 505.
Martignoni. 4S<3.
Martineau, 328, 320.
Mai-tinelli (I). 386.
Martin elli (M.), 487, 407.
Martinet, 449.
Marti aez, 441.
Martuscelli, 511.
MaruUi. 487.
Marx, 43(5, 458. 531, 534, 538. 530,
541.
Marzucchi, 401.
Masc-Dari, 511.
Massarani, 497.
Massie, 239.
Masslow, 455.
Mastier, 277.
Mastrofini, 178.
Mataja,433. 434.
Mathieu, 401.
Matthew. 192.
Matlekovits. 461.
Mattia (Ue), 487.
Maurice (Denison;, 351.
Mauvillon (De), 26o, 285.
Mayr. (G. v.), 31, 427.
Mayzel, 453,
Mazel, 528.
Mazzei. 174.
Mazzola, 507, 508.
Medici,489.
Mees(Juvior), 102.
Mees, 2. 437, 438, 439.
Meguscher, 492.
Meitzen, 30, 424, 470.
Melanchton, 180.
Mêle, 401.
Melon, 201, 222, 230, 247, 248, 240,
200. .302.
Mendonça-Cortoz, 445.
Meneghini, 406.
Menendez, 441.
Menger (G.;. 3,7. 15, 54, 58, 7G. 84, 00 .
104, 137, 341, 415, 430, 431, 432.
4.33, 518, 521.
Menger (A. -H.), 475, 5.38.
Menger (M.), 431.
Mengotti, 210, 287, 318.
Mengozzi, 107.
Mercier de la Rivière, 275, 278.
r^Ierello, 107, 108.
Merenda, 167, 511.
Merivale, 346.
Messedaglia, .30, 54, 96, 08, 102,
103, 105, 501. 502, 503,504, 50G.
Mészaros, 46tJ.
Methorst, 436.
Melz-Noblat De^ 307.
Meunier (Francis > 165.
Meyer, 38, 135, 406, 433, 434. 528.
Mcyer (R.), 449, 535,
Miaskowski, 424, 453.
Michaelis, 421.
Michelini. 492.
Micskey, 463.
Milizia, 486.
Mill (James), 328, 533.
'Mill (Stuart), 2, 7, 15,24, 25, 51, 66,
76, 80, 89, 91, 93, 102, 316, 321,
322, .336, 338. 340, 341, .342, 343-
344, 345, 348, 350, .352, 354, 355,
356, 357, .358, 259, 366, .367, 368,
380, 391, 421, 4.37. 447. 448, 455,
467, 471, 472. 481, 483, 491, 495,'
532.
Milles, 216. 217.
Minelli, 511.
Mingard, 294.
Minghetti, 35, 40, 68, 497, 498.
Minorita (Paul;, 163.
Minto, 338.
Mirabeau. 266. 273, 278. 279.
Miraglia. 16, 5(X), 504,
Miro, 241.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
559
Mischlor. 429.
Misselden, 216, 218.
Mithofl", 424.
Modest.v. 177.
Molh, 22. 88, 45, 131. 148. 179. 490.
Molinari .le,, 35, 37-3. 375, 382. 360,
387, 488.
Molster. 135.
Moncada, 2. 12.
Mone, 30.
Mongredien, .334.
Montaigne, 232.
Montanari ;A), 173, 185, 257. 2.58,
506.
Montanari (G.), 188, 258.
Montchrétien, 70, 141, 206, 207.
Monteii de), 400.
Montemartini, 511.
Montcs.iuiei],97,247. 254, 25G. 267,
MoonueistrT, 4.
Mora. 497.
Morato Roma, 445.
r\loreaii do Jonnrs. 4m1.
Moroliet. 24S. 275, 217.
Morclly. 513.
Morena. 139. 232, 28G.
Morgenticrne, 450.
Morhof, 244.
Morichini. 493.
Morpurgo 498, 5rj0, 504;
Morrisson. 346.
Mortara, 505.
Mortimer. 240.
Morus. 176. 513. 521.
Muser, 288. 310.
Most. 529.
Mouat, 364.
Mugnai. 138.
Miihlliausen, 457.
Muiroa, 527.
.Miilber.i;er, 529.
Millier, clO, 414.
Mun. 141, 257, 218. 219.
M un (de), 398.
Munro, 349.
Munster, 176.
Miinzer, 176.
Muratori, 182, 223.
Muria\Yefl', 455.
Mussafla, 164.
N '
Nagorny, 453.
Xapione, 242, 426.
Nardi, 174.
Nas?e, 192. 298, 405, 409, 413. 421,
424, 426.
N a veau, 241.
Naville, 402.
Nazzani 23, 61, 194. 501, 503.
Neale, 294.
Nebenius, 406, 403. 409.
Nckrassow, 453.
Newcomb, 465, 481, 482.
Negri, 286.
Neison. 350.
Neri, 153, 188, 2.32, 2;i3. 242, 243,
286.
Neuman, 18. 76. 95. 411, 423. 12 i,
430.*
Neumann-Spallart, 31, 429.
Neurath, 298, 429, 448.
Nevvmarch, 347, 349.
Ncwsholme, .364.
Newton, 187.
Neymark, 225, 277,
Nicholson. 24, 25, 89. 106, 331, 347,
370, 371.
Nicolai, 487.
Nicolini, 511.
Niebuhr, 96, 415.
Nieu\venhuis, 541.
Nifo, 184.
Nisco, 196.
500
INDEX DES AUTEURS CITES
Nitti, 542.
Noble, 349.
Norbis, lUS.
Nordhofl", 477.
Nordstrom, 451.
No^vitzky, 458.
No\vosselisky, 458.
North, 2G1.
Noyés, 477.
Nuytz, 487.
Obrecht. 205.
Ochenkowski, 259, 453.
Ochoa 441.
Oczapowski, 452.
Oertmann. 153.
Oeltingen. 30, 458.
Ogilvie. 532, 5a3.
Olivares, 212.
OUveira (D') Marreca, 4i4.
Oliveira Martins, 445.
Oliver, 441.
Olivler-Feron, 539.
Olozaga y Bustamente. 441.
Olufsen. 447.
Ondes Reggio (Vito d'). 493.
Oncken (A.), Î30, 236, 247, 262, 297,
298.
Oncken AV.), 150.
Opdyke. 468.
Oresme, 165.
Orbinsky, 456.
Orlando, 38. 155.
Orlow. 456.
<3rtes, 69. 182, 212, 287, 289. 294
295.
Ortiz, 212.
Ossa, 205.
Ossokin, 455.
Ostie (Henri d'), 168.
OU, 69, .394.
Overstone, 348.
Owen. 512. 520. 521. 525. 528. 5.37.
Paasche, 424.
Paepe De;. 541.
l^agano, 286.
Pagnini, 188.
Paillottet. 386.
Paine, 532.
Paley (Marie), 365.
Palgrave. .347, 349, .304. 372.
Pallavicino, 5<Xi.
Palmén, 45<J.
Palmeri (N.), 490.
Palmeri-Salazar, 48C.
Palmieri, 174, 296.
Palumbo, 164.
Pantaleoni. 102. 105,507.
Paoletti, '186.
Paolini, 2a3, 490.
Paradisi, 245, 285.
Pare, 350.
Pareto, 102, 103.
Parieu (De;. 45. 373, 378, 403.
Parisius, 421.
Parker, 318.
Parnell, 349.
Paruta, 177.
Pascoli, 218, 2.30, 241.
Pasini, 497.
Pasnikow, 456.
Passy (Frédéric), 373, 382, 386.
Passy (Hypolyte, 401.
Pastor (L.-M.), 442.
Pastor y Rodriguez, 441,
PatlaetTsky, 457.
Patrizii, 173.
Patten, 106, 328, 435, 465. 479, 48
481.
Pattcrson, 199.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
561
Paul, 152.
Pauli, 205.
Pecchio, 68, 135, !38, 192,292.
Pederzini, 497.
Peel, 321, a34, 836, 348.
Peez, 429.
Peisse, 340.
Pena y Aguayo, 441.
Penrose, 476.
Penot, 403.
Pereira, 222.
Pereira Foriaz, 444.
Perez, 493.
Perez Molina, 441.
Péri, 167.
Périn, 373, 389. 396, 398.
Pernambuc, 443.
Perni, 497.
Perozzo, 30.
Perry, 132, 470, 471.
Pescatore, 500.
Petersen (G.). 448.
Petersen-Studnitz, 446.
Petitti, 183, 493.
Petrarca, 164.
Peto, 349.
Petroni, 196.
Petty, 141, 186, 240, 252, 25i. 256.
258, 265, 270.
Philippe d'Orléans, 200.
Philippi, 209.
Pliilippovich. 33, 54. 84, 199, 433,
434.
Philipps, 467.
Platon. 513.
Play lair, 300.
Plener, 429, 53:3.
Picard. 401.
Piccolomiui, 196, 197.
Pickford. 2, 7.
Pidgin, 476.
Piemonte, 247.
Pie VI, 23U.
Piernas yHurtado, 442.
Pierre le Grand, 224.
Pierson. 24, 1.32, 138, 193, 220. 242,
28i, 294. 388. 438, 439.
Pierstofl", 424.
Pigeonneau, 14. 401.
Pinna-Ferra, 511.
Pinheiro Ferrara, 444.
Pinto, 240.
Piola. 511.
Piperno, 507.
Piret, 402.
Pitt, 224.
Pizzamaglio, 511.
Platon, 147, 148, 176, 187.
Playfair, 300.
Plener, 429, 532.
Pline, 151.
Poirson, 401.
Polhmann, 148. 260.
Pollexfen, 219.
Poli, 491.
Pombal, 444.
Ponsiglioni, 505.
Pontano, 172, 173.
Pontoppidan, 446.
Posnett. 95, 96.
Possoschkow. 453.
Postletiiwayt. 266.
Potter, 200, 468.
Poullain,186.
Po\vnall,309.
Pozl, 38.
Pratisuoli, 187.
Pratt, 350.
Predaval, 486.
Prentice. 334.
Pries, 240, 335, 349, 35L
Price Bonamy, 55. 199.
Probyn, 349.
Prochownik. 519,
36
562
INDEX DES AUTEURS CITES
Proudhon, 384. 523. oiT, 628. 52?.
537. 538.
Prouteaux. j2.
Puflendorf. 258. 263. 279.
Pulssky. -iCO.
Pusstai. 460.
Putlitz. 529.
Puviani, 510.
Puynode. 'Du), 297.310.
Q
Quack, 436.
Quesnay, 2, 139, 141, 253, 265, 266.
270, 272, 273, 275, 276, 279, 280,
281. 282, 283, 284, 286, 288, 297,
300, .302, 306, 327.
Quételet, 30, 401.
Quincey (De), 322.
Rabbeno. 501, 510.
Rabenius, 446, 451.
Racchetti, 486.
Racioppi, 250. 500.
Rae, 342. 467.
Rae (Jolin), 475. 515.
Ragosin, 455.
Raguet, 475.
Rahola, 171.
Raleigh, 217.
Rambaud, 374.
Rambert, 380.
Rameri, 499, 511.
Ram irez, 441,
Raseri, 511.
Ralzinger. 3%.
Rau, 19. 23, 25, 132, 145, 242, 407,
408, 444, 447, 536.
Rava, 206, 2.37, 511.
Rave, 542.
Rawson, 350. 364.
Raymond, 466.
Rebello da Silva, 444.
Reclus. 529.
Rees (Van). 137. 234, 235. 436.
Reid. 30(J.
Reimarus. 209.
Reitzenstein, 424.
Rembowski, 453.
Renaud, 527.
Renault, 41.
Renouvier, 35, 492.
Rentzsch, 421.
Rerolle, 402.
Ressi, 488.
Restelli, 493.
Reybaud, 378. 389, 512, 515.
Reymond. 68. 495, 496.
Ribbe, 395, 396.
Ricardo, 2, 15,18, 80, 100, 134, 135.
315, 316. 318, 320, 321, 322,
323, 324. 325, 326, 327, 328, 333.
335. 336, 340, 341, 342, 343. 348.
354, 356, 358, 361, 362, 364, 375'
377, 385, 387, .393, 409, 423, 426.
434, 436, 437, 4.38, 443, 447, 455,
458, 467, 468, 469, 474, 483, 489'
491, 494. 508,531, 539.
Ricca-Salcrno, 21, 139, 172,173,238.
2.39, 242, 259, 296, 298, 506, 534.
Ricci (L.), 182. 183.
Ricci, 222, 490.
Richelieu, 190.
Richelot, 374.
Rickards. 337.
Richter, 421.
Ridoifi (A.). 486.
Ridom(G \ 490. SCO.
Riedel. 23, 407.
Ring, 448.
Ritchie. 150. 364.
Rivet, 40.
Rizzari. 497.
Robert. 217.
INDEX DES AUTEURS CITES
503
^
Robert (Gh.), 403.
Robin, 530.
Rocca (De). 458.
Rocchi (De), 493, 499.
Rocco, 196.
Rodbertus, 521, 531. 534, 5:35.
Rodrigues. 524.
Rodriguez. 442.
Rodriguez de Brito, 443. 444.
Rodrigues de Freitas, 445.
Rogers, 28, 154, 199, 301, 3.37.
362, 364.
Romagnosi, 12, .30.40, 138. 488.
491, 494.
Romanelli, 511.
Rondelet, 35.
Rooy (De), 135.
Roscher, 23, 45, 95, 9G, 98. 99.
130. 1:33, 135, 1.37, 145. 15^,
172, 186, 205, 214, 2:38. 244,
261, 285, 288, 297, 309. 354,
414, 415, 417, 423. 426, 428.
534, 535.
Roschussen, 438.
Rose. 475.
Rosellis (De), 169.
Rossi(-\.), 508.
Rossi (E.), 508.
Rossi (G.), 511.
Rossi (P.), 24, 40, 65. 75, 102,
294, 374, 376, 377, 378, 491,
495, 496.
Rossier, 298. 299, 408, 424.
Rouiliet, 403.
■Rousseau, 112. 118. 279. 313.
516.
Rousseau (Le), 403.
Roy, 539.
Rotteck, 407.
Rovere (Délia), 487,
Rozy, 374.
Rubieri, 500.
536.
349.
490,
100,
165,
246.
406.
461,
129,
494,
51c
Rubin, 448.
Ruhland. 533.
Rukowsky, 457.
Rûmelin, 23, 30. 406. 416.
Rupprecht, 289.
Rusconi. 496.
Ruskin, .350.
Russell, a34.
Sablowski-Desatouwski, 455.
Sacchi, 491.
Sagredo, 235.
Sainte-Beuve, 529.
Saint-Chamans, 309.
Saint-Péravy, 274.
Saint-Pierre, 241.
Saint-Simon, 3-39. 523, 528. ■
Salandra, 508.
Salfi, 192.
Salmour, 497.
Salvatore, 499.
Salvioli, 185.
Salvioni. 148.511.
Samter, 423. 533.
Sanfllippo, 491.
Sanfilippo, 488.
Sanromà, 441, 442.
Santamaria de Paredes, 441.
Santangelo Spoto, 511.
Santillan, 442.
Santis (De), 193, 194. 195. 213.
Sanz y Escartin, 442.
Sappetti, 223.
Saralegui y Médina De', 443.
Sarchiani, 235. 286.
Sargant, 337, 521.
Sartori, 511.
Sartorius, 311, 312.
Sa'ssetti, 260.
Sato. 476.
Saumaise. 177.
564
INDEX DES AUTEURS CITES
Savarese. 493.
Savigny, 41. 96, 415.
Savonarole, 171.
Say (J. B), 22. 23, 24, 57, 69. 73.
132, 248, 277, 292, 314, 315, 317,
319, 320, 321, 322, 325. 328, 339,
374, 377, 378, 383, 384. 393, 411,
444, 447, 455, 468, 486, 488, 489,
495.
Say (H.^ 319.
Say (Léon), 348, 373. 375, 380. 403.
Say (Louis), 309.
Sayer, 349.
Sax, 11, 18, 21, 41. 43, 58. 430. 431,
507, 508.
Sbarbaro, 500.
Sbroiavacca, 511.
Scaccia. 167.
Scarabelli. 505-
Scarpelli. 486.
Soaruffi, 141, 187.
Schadwell, 24, 58, 114. 132, 338.
Schàifle, 11, 60, 406. 409. 411, 412.
419, 420. 422. 423. 425. 532. 533.
534.
Schalk (von der. 436.
Scharling. 446, 448.
Schanz, 214, 424.
Schaw-Lefèvre, 346.
Scheel, 132. 135, 152, 153. 277. 407.
423, 424, 516.
Schelle, 236, 272, 274.
ScheJling, 536.
Schiattarella, 96. 510.
Schlettwein. 285.
Schloss. 350.
Schlosser, 285.
Schnialz, 284.
Schmidt. 294.
Schmitthenner. 414.
Schmoller, 98, 99, 172. 4U6, 411.
418, 422. 475.
Schneider, 421.
Schober, 428.
Sclion. 414.
Schonberg. 19, 23. 61, 411. 414,
424. 426, 428. 508.
Schraut. 424.
Schroder, 221, 234.
Schullern, 432. 433. 434.
SchuUern - Schrattenhofen. 501 .
Schulze-Delitsh, 421, 531.
Scliumacher, 410.
Schûz, 23, 408.
Schwab, 476.
Schwaschenko, 457.
Schweigaard, 449.
Schyite, 447.
Scialoja, 36, 68, 490. 491. 494.
497. 498.
Scola, 296.
Scopoli, 496.
Scottoni, 286.
Scratchley. 350.
Scrofani. 286.
Scudder, 475.
Scuderi. 485, 488, 489.
Seckendorff, 221, 234. 238.
Secrétan, 392.
Segni, 174, 209.
Seidler, 434.
Seligman. 479, 481.
Sella, 499.
Sénèque, 151.
Senior, 2, 7, 24. 75, 85. 113, 336.
337, 491. 494.
Serafini, 486.
Ser Cambi, 205.
Sergio. 245, 486.
Serra, 141, 191. 192, 193. 194. 195.
196, 206, 213.
Serres (De;. 207.
Serzedello. 445.
Settembrini. 242.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
565
Setti, 183.
Sévin, 40.
Seyd, 347.
Shakspeare, 191.
Schaw, 477.
Shea, 466.
Sherman, 464.
Sidgwick, 2, 24, 25, 34. 45, 61, 72,
84, 90, 114, 303, .369, .370.
Sidney, 500.
Sieber, 456, 458.
Sigwart, 83.
Silio. 101, 291.
Silva (Da), 443.
Silveira Pinto, 444, 445.
Simon, 461.
Simon (J.), 402.
Simoni (De), 486.
Simpson, 467.
Sinclair, 348.
Sinigagiia, 179.
Sismondi, 70, 133, 185, 318, .373^
389,392,393,414,447,455.
Sivers, 277, 286.
Skalkowski, 456.
Skarbek, 452.
Skarzynsky, 230, 268, 298, 453.
Skogman, 451.
Skrebitzky, 456.
Smart, 364, 432.
>- Smith, 2, 15. 70, 79, 100, 128. 133,
139, 14J, 211. 218, 236, 248, 249
253, 264, 265, 266, 268, 275, 279,
282. 288, 299. 300, 302, 303, 304,
305, 307, 310, 311, 317, 322, .324,
325, 333, 335, 342, 346. 355. 364.
384. 393, 424, 426, 437. 443. 447.
450, 455, 467, 468, 486, 489, 494.
539.
Smith (L.), 402.
Smith (Mayo), 479. 481.
Smith (Peshine), 470.
Smith (Prince), 420.
Smith (Samuel), 475.
Socrate, 146.
Soden, 312, 411.
Sodoffsky, 457.
Soetbeer, 188. 406. 421.
Sokalsky. 458.
Sokolowsky, 458.
Sola. 185.
Soldraczinsky, 453.
Sonnenfels, 179. 247, 251. 252. 254,
459.
Sonnino (G.), 500.
Sonnino ^P.), 500.
Sonnleithner, 198.
Soresina, 196, 197.
Soro-Delitala, 511.
Soto, 170.
Sousa Brandao (De). 445.
Sparks, 466.
Spencer, 49, 54, 61, 368, 369, 387.
436, 505, 533.
Spittler, 415.
Springer, 285.
Srànyi, 460.
Stafford. 141. 191, 217.
Stammhammer. 515.
Stawisky, 453.
Stebbin, 476.
Stein, 22, 45, 146, 205. 311, 406, 413,
414.
Steinbrenner, 422.
Stepanow, 453.
Steuart, 70, 182, 247. 248. 249. 2 5
254. 269, 288, 303. 437.
Stephen, 346.
Stengel, 38,
Stewart (Dugald), 254. 299.
Stirling, 337.
Stivanello, 511.
Stolp. 533.
Stopel, 297. 519.
583
INDEX DES AUTEURS CITÉS
Storch. 318, 319. 383. 444.
Story, 465.
Stourm, 403.
Strassbûrger, 539.
Stringher, 511.
Strojnowski, 285.
Stongoli, 250.
Struensee, 447.
Stuart (Cohen), 102. 436.
Stuart (Montgomery), 286.
Stubbs, 350.
Struzzi, 260.
Sturtewant, 470, 471.
Subbotin, 457.
Sullivan,. 350.
Sully, 207.
Summenhart de Calw. 166.
Sumner Maine, 462, 463, 465. 481.
Supino, 76, 139, 177, 505.
Supinsky, 452.
Siissmilch, 180, 252.
Syme, .355, 370.
Széchenyi, 459, 460.
Szokolay, 461.
Tackeray, 533.
Taine, 400.
Talamo, 146.
Tamassia, 486.
Tammeo, 511.
Tangorra, 511.
Tapia, 209.
Tarassow, 457.
Targioni, 487.
Tasman, 436.
Taussig, 481.
Tavanti, 286.
Tayler, 349.
Taylor, 350, 410.
Tchaslawski, 4' 6.
Tedeschi-Amalo. 40i
Tedder. 326.
Temple. 220, 221, 249.
Tengoborski, 453.
Tenzel. 238.
Terrasson, 277.
Tesauro, 185.
Théodore, 451.
Thierry, 400, 523,
Thiers, 200, 530.
Thomas, 519.
Thomasius, 238, 244.
Thompson (Ellis), 132. 470.
Thompson, (W.), 521.
Thonissen, 515.
Thorner, 456, 457, 458.
Thornton, 342, 345, .351, 352, 354.
Thucydide, 145.
Thûnen, 2, 15, 89, 100. 337, 406,
409, 410, 423,
Tirimasew, 456.
Tissot, 277.
Thomas d'Aquin, 161, 162.
Todde, 495, 496, 505.
Todeschi, 250.
Toledano, 441.
Tolomei, 233.
Tolstoi, 455.
Toniolo, 172, 174, 505.
Tooke, 347, 348, 378, 425.
Torrens, 334, 348.
Torri, 236.
Torrigiani, 495, 505.
Tortora, 196, 500.
Tourdonnet, 402.
Townsend, 182, 300.
Toynbee, 351, 353. 354.
Tracy, 444.
Transon, 527.
Travers-Twiss, 132, 133. 141. 192.
Tréfort, 460.
Trevisan, 197, 198.
Trinchera, 132, 496.
INDEX DES AUTEURS CITÉS
567
Trinci. 490.
Tretjakow, 453.
Trirogow, 450.
Trombert, 422.
Trylow, 456 ,
Tsehiviiew, 454.
Tschuprow, 457, 458.
Turbolo, 188. 213.
Tucker, 235, 268, 318.
Turgot, 2, 24, 235, 236. 268. 269,
^ 274, 275, 276, 278, 279, 280, 281,
289, 293, 297, 300, 302, 306, 310,
455.
Turguenew. 454.
Turri, 167.
Tuttle, 480.
Tydeman, 152, 153.
U
Ugoni, 291, 294.
UUoa, 221, 222, 247, 249.
Umantz, 458.
Umpfenbach, 408, 413, 414.
Unger, 209.
Ure, 346.
Ustariz, 221, 222, 247, 249.
Uzzano, 174, 209.
V
Vadalà-Papale, 511.
Valclespino, 442.
Valenti, 492, 507.
Valeriani, 40, 294, 485.
Valle Santoro, 440.
Valleroux, 233.
Vanderlint. 258, 259. 281.
Vanni, 61.
Vanno, 510.
Varchi, 17't.
Varron, 152.
Vasco, 188, 230.
^ Vauban. 229,231. 241. 242.
Ventignano (duc de), 493.
Yenturi, 250.
Venusti, 159.
Verdeil, 44. 402.
Vergani, 296.
Verger, 217.
Vernadsky, 135. 138. 454.
Véron, 403.
Verri (A.), 188.
Verri (P.), 70, 100, 188, 235, 289. 291 ,
292, 293, 294.
Verrijn-Stuart. 436. 5.39.
Vethake,468.
Vidari, 41.
Vignes, 403.
Villani, 174.
Villari, 175. 511.
Villeneuve-Bargemont, 132, 133,
141.
Villermé, 394,
Villetard, 401.
Villey, 24, 374.
Villiaumé, 394.
Vincent, 235.
Viola, 490,
Virgilii, 31.
Virgilio, 500.
Vissering, 436.
Viti (De) De Marco, 193, 195, 508.
Vivante, 41.
Vives, 176.
Vivien, 38.
Vivorio, 236.
Vocke, 424.
Voltaire,
Vroil (De), 236.
Vuitry, 403.
W
Wagner, U, 19, 30, 327, 404, 406,
409, 412. 413. 4U, 416, 4?3, 425,
568
INDEX DES AUTEURS CITES
426, 427, 431. 432, 475, 482. 506,
528, L35, 537, 538.
Waitz. 45,
WakePield. 3(X), 309, 342, .346.
Walcknaër. 268.
Walcker, 3, 15. 23, 24, 113. 297. 366,
406, 458, 465, 472. 474, 480. 481.
Wallace, 5:3.
Walpole, 224, 239.
Walras, 24, 101, 102, 103, 104, 105,
390, 391, 533.
Wappaiis, 30.
Wassilitchikow, 456.
Wautrain-Cavagnari, 45, 46.
Wayland, 468.
Walthershausen. 475.
Warschauer. 515.
Warner, 477.
Weber, 311.
Webster, 463, 466.
Week, 476.
Weeks, 484.
Weiss, 35, 36.
Weisz, 297.
Weithing, 520, 521, 522.
Wells, 464, 476.
Welz (de), 489.
Werekha. 456.
Wesembeck, 238.
West, 322.
Westergaard,30, 31. 448.
Whately, 2, 7, 70. 76. 114. 336.
Wheeler, 217.
Whewell. 101.
White. 465.476. 484.
Whittle. 350.
Wicksteed, 102, 364.
Whorthington, 476.
Wicldrecht, 475.
Wieser, 432.
Willoughby, 476.
Wilson, 301, 348, 349.
Winkelblech. 534, Kj5.
Wilkens. 448.
Wilson, .348, 456. 468, 470.
Wirminghaus, 222.
Wirth, 132, 422, 470.
Wiskemann, 172.
Wisniewski, 196.
Wissering, 144.
Witt (Jean de), 234.
Wltte, 457.
Wolff, 244, 263.
WolkofF, 410, 458.
WoUemborg, 507.
Wolowski, 95, 185, 207, 378, 402.
Woolsey, 45, 477.
Wollf, 421, 424.
Wood. 480.
Worms, 374.
Wreden, 132, 446, 457. 458.
Wright (Caroll), 457.
Wundt, 83.
Wynnard, 364.
Wyss. 421.
Xénophon, 147. 148, 151.
Y
Yermoiow, 456.
Young. 477.
Y'vernès, 401.
Zachariffi, 407.
Zaleski. 452, 458.
Zanardelli. 497.
Zannini. 497.
non. 246, 250, 511.
Zammarano, 51t.
Zechanowsky, 455, 457.
Zecchi, 181, 197, 8.
INDEX DES AUTEURS GITES
569
Zeller. 149.
Zennari. 493.
Zobi, 286.
Zorli. 507. 508. 510.
Zeyss, 298.
Zuccolo, 181,231, 286.
Zuckerkandl. 257, 432.
Zwingle, 189.
TABLE DES MATIERES
Pages
Préface i
Notions préliminaires 1
Bibliographie de la propédeutiquo économique 7
PREMIÈRE PARTIE. — Théorie.
Chapitre I. — Objet et limites de l'économie politique .... 11
Chapitre II. — Divisions de l'économie politique 17
Chapitre III. — Rapports de l'économie politique et des
autres sciences 26
§ 1. — L'histoire économique 26
§ 2. — Statistique économique 28
§ 3. — Morale économique 31
§ 4. — Droit économique 36
§ 5. — Economie privée 41
g 6. — Disciplines auxiliaires 42
A. — Psychologie 43
B. — Technologie 43
C. — Politique 44
Chapitre IV. — Caractères de l'économie politique 47
§ 1. — Caractères de la science 47
§ 2. — Caractères de l'économie sociale 54
§ 3. — Caractères de la politique économique 62
Chapitre V. — Dénominations et définitions de l'économie
politique 67
§ 1. — Dénominations 67
§ 2. — Définitions 71
Chapitre VI. — Des méthodes dans l'économie politique ... 77
§ 1. — Des méthodes scientifiques en général 80
g 2. — Des méthodes dans l'économie politique 83
§ 3. — La méthode historique 95
§ 4. — La méthode mathématique 101
Chapitre VII. — Importance de l'économie politique 106
Chapitre VIII. — Réponse à quelques objections 114
572 TABLE
DEUXIÈME PARTIE. — Histoire.
Pages
Chapitre I. — L'histoire de l'économie politique 127
Chapitre II. — L'époque fragmentaire 141
§ 1. — L'économie politique dans l'antiquité 142
A. — Orient 143
B. — Grèce 144
C. — Rome 151
§ 2. — L'économie politique des scolastiques 153
A. — xiir siècle 162
B. — xive siècle 163
C. — XV' siècle 166
D. — xvi" siècle et xvii* siècle 167
§ 3. — L'économie politique des Humanistes 171
A. — XV' siècle 172
B. — XVI' siècle 174
C. — Les utopistes du xvi» et du xviic siècle 175
D. — La légitimité de l'intérêt '. 177
Chapitre III. — Les monographies 179
§ 1. — La population et l'assistance 180
§ 2. — La monnaie 183
§ 3. — L'enchérissement des prix 189
§ 4. — Les paiements internationaux 192
§ 5. — Les banques de dépôt et de circulation 196
Chapitre IV. — Les systèmes empiriques 203
§ 1. — Le système annonaire 207
■ Jk § 2. — Le système mercantile 209
A. — La prohibition de l'exportation de la monnaie. 212
B. — La balance des contrats 213
C. — La balance du commerce 217
Chapitre "V. — La réaction libérale et l'éclectisme 227
§ 1. — Le protectionnisme agraire 227
g 2. — La liberté industrielle 233
§ 3. — Les théories et les réformes financières 237
§ 4. — Chaires, journaux, académies 243
§ 5. — L'éclectisme bureaucratique et l'éclectisme de la
chaire 247
Chapitre VI. — Les précurseurs de la science 253
§ 1. — La production et la distribution 254
§ 2. — La valeur et l'impôt 257
§ 3. — La liberté absolue du commerce 259
§ 4. — L'école écossaise 262
§ 5. — Les précurseurs immédiats 265
Chapitre VII. — Le système physiocratique 271
§ 1. — L'école de Quesnay 272
TABLE 573
Pages
§ 2. — Turgot 276
§ 3. — Les bases du système 279
§ 4. — La Physiocratie à l'étranger 284
§ 5. — Les critiques de la Physiocratie 287
§ 6. — Galiani, Beccaria, Verri, Ortes 290
Chapitre VIIL — Adam Smith et ses successeurs immédiats. 297
g 1. — La vie et les travaux de Smith 298
§ 2. — La richesse des nations. . 301
§ 3. — Adversaires, disciples et critiques 308
§ 4. — Malthus et le principe de population 313
§ 5. — J.-B. Say et la théorie des débouchés 316
§ /î. — Ricardo et la théorie de la distribution 320
Chapitre IX. — L'économie politique en Angleterre .331
S 1. — Ledéveloppement ultérieur de l'économie classique 335
§ 2. — John Stuart Mill 338
§ 3. — Les monographies 346
§ 4. — Critiques et adversaires 350
§ 5. — L'état actuel 361
Chapitre X. —L'économie politique en France 373
§ 1. — L'école classique 376
§ 2. — Les optimistes 382
§ 3. — Les écoles dissidentes 389
§ 4. — Les monographies 400
Chapitre XL — L'économie politique en Allemagne 404
§ 1. — L'école classique 407
S 2. — L'école historique et ses dérivations 414
§ 3. — Économistes libéraux et socialistes de la chaire. . 420
Chapitre XII. — L'économie politique en Autriche, dans les
Pays-Bas, en Espagne et en Portugal 429
§ 1. — L'école austro-allemande 429
§ 2. — L'économie politique dans les Pays-Bas 435
§ 3. — L'économie politiq le en Espagne 439
S 4. — L'économie politique dans le Portugal 443
Chapitre XIII. — L'économie politique dans les pays Scandi-
naves, slaves et magyars 446
g 1. — Pays Scandinaves
A. — Danemark 446
B. — Norwège 449
C. — Suède et Finlande 450
§ 2. — Pays slaves
A. — Pologne et Bohème 452
B. — Russie 453
§ 3. — Hongrie 459
Chapitre XIV. — L'économie politique aux États-Unis. . . . 462
§ 1. — L'école nationale et l'école cosmopolite 465
S 2. — Optimisme restrictif et optimisme libéral 468
Oii TABLE
Pages
§ 3. — L école classique 471
§ 4. — Henri George 473
§ 5. — Les monographies 475
§ 6. — L'état actuel 477
Chapitre XV. — L'économie politique en Italie 485
§ 1. — De 1800 à 18U 485
§ 2. — De 1815 à 1830 487
§ 8. — De 1831 cà 1848 490
§ 4. — De 1849 à 1861 494
§ 5. — De 1862 à 1871 498
§ 6. — L'état actuel 501
Chapitre XVI. — Le socialisme théorique contemporain. . . 512
§ 1. — Le communisme 516
§ 2, — Le socialisme proprement dit 522
§ 3. — Le collectivisme 532
Index des auteurs cités 543
(Traduit par Alfred BONNET).
i.V
]tAô,
Beauvais. — linpr. rroressionnelle, i, rue Mcolas-Godin
Bibliothèques
Université d'Ottawa
Echéance
Libraries
University of Ottâ
Date Due
PIETES
2 ^ DEC. m\
MORfSSET
1^ M. mi
^u
wm iiiii
f^'m 00>^.&i280b