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Full text of "La Diplomatie au temps de Machiavel"

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LA  DIPLOMATIE  AU  TEMPS  DE  MACHIAVEL 


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LA 


DIPLOMATIE 


AU  TEMPS  DE  MACHIAVEL 


PAR 


M.   DE  MAULDE-LA-CLAVIÈRE 


TOME    II 


BIBLOTHÈQUES  C 


paris        c^3ss^c 

ERNEST   LEROUX,   ÉDITEUR  ^wtvtfl*^ 


28,   KUIi  BONAPARTE,  28 

1892 


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CHAPITRE  IV 


TRAITEMENTS   DES    AMBASSADEURS 


La  question  du  traitement,  ou  prest  ',  attribué  aux  am- 
bassadeurs est  une  question  très  brûlante  dans  la  diplo- 
matie. Les  dépèches  retentissent  sans  cesse  de  plaintes,  de 
réclamations,  de  représentations  à  ce  sujet.  A  les  en  croire, 
tous  les  ambassadeurs  se  ruinent  :  leurs  appointements  ne 
suffisent  pas  ;'i  couvrir  leurs  dépenses.  Il  y  a,  sur  ce  point, 
une  plainte  immémoriale  et,  autant  qu'on  en  peut  juger,  una- 
nime. 

Cette  question  a  fort  préoccupé  les  jurisconsultes  ;  Martin 
de  Lodi  tente  d'y  introduire  quelques  règles.  Suivant  lui,  le 
traitement  est  un  gage  journalier,  personnel  et  à  forfait.  Jour- 
nalier, c'est-à-dire  compté  jour  pour  jour,  y  compris  le  jour  du 
retour  !  :  mais  si  l'ambassadeur,  sans  motif  sérieux,  a  allongé 
sa  mission  en  ne  prenant  pas  la  route  la  plus  directe,  on  peut 
déduire  le  montant  du  retard  survenu  par  sa  faute  '.  Person^ 
nel,  c'est-à-dire  que  le  salaire  d'un  ambassadeur  court  pen- 
dant sa  maladie  ;  qu'après  sa  mort  ses  ayants-droit  héritent 
des  salaires  échus  *  ;  que  la  mort  d'un  ambassadeur  n'accroit 
pas  le  salaire  de  ses  compagnons,  comme  si  ce  salaire  était 
attaché  à  l'ambassade  in  globo*.  A  forfait,   c'est-à-dire  que 

1)  Ms.  fr.  20590,  n°  53. 

2)  De  legatis,  q.  15. 

3)  là.,  q.  26. 

4)  Id.,  q.  36,37. 

5)  Id.,  q.  23. 


2  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

l'ambassadeur  ne  peut  rien  réclamer  au-delà1,  sauf  des 
dépenses  exceptionnelles  de  maladie  2,  ou  encore  le  rembour- 
sement de  bagages  perdus  par  force  majeure,  si  ces  bagages 
font  vraiment  partie  de  l'ambassade  et  ne  présentent  aucun 
caractère  commercial 3. 

D'autre  part,  l'ambassadeur  sans  fortune  a  positivement 
droit  à  un  traitement  *. 

Outre  ces  règles  générales,  le  jurisconsulte  pose  en  prin- 
cipe quelques  privilèges  civils  pour  l'ambassadeur  :  l'am- 
bassade comporte  un  congé  de  droit  de  toutes  les  autres 
charges  %  exemption  de  la  tutelle  c,  droit  d'opposition  à  tout 
jugement,  môme  contradictoire  7,  faculté  d'agir  par  procureur 
en  toute  matière,  si  l'ambassadeur  le  juge  bon  8.  En  prati- 
que, l'ambassadeur  obtient  du  roi  des  recommandations  au 
parlement  pour  ses  affaires  9. 

Relativement  à  sa  charge,  l'ambassadeur,  malgré  la  forme 
quasi-civile  de  mandat  donnée  à  ses  pouvoirs,  n'est  tenu 
d'aucune  responsabilité  civile  envers  le  gouvernement  ;  il 
accomplit  un  service  public  ,0.  Il   doit  les  impôts  non  per- 

4)  7<i.,q.3. 

2)  M.,  q.  1,36. 

3)  ld.,  q.  6.  Thomas  Reatin,  ambassadeur  de  Milan  revenant  de  France, dé- 
valisé près  deCeva,  estime  sa  perte  à  400  ducats  d'or  et  les  réclame.  On  lui  a 
pris  des  chevaux,  des  bagages,  de  l'or,  de  l'argent  (1 454.  Lettres  de  Louis  XI, 
I,  p.  253). 

4)  ld.,  q.  9. 

5)  W.,q.  24,29. 

6)  ld.,  q.  32. 

7)  Id.,q.  30. 

8)  ld.,  q.  28. 

9;  Recommandation  du  roi  Charles  VIII  au  parlement,  pour  GuilledeCa- 
iaman,  vice-roi  de  Cordagne,  ambassadeur  en  Espagne  (Lyon,  12  janvier, 
1496 ?.\'a  3'Hi,  159).  Lettres  de  surséance  par  Henri,  roi  de  France  et  d'An- 
gleterre, pour  tous  les  procès  et  affaires  du  O-  de  Mortain,  qui  a  longtemps 
été  par  ses  ordres  au  concile  de  Baie  et  qui  est  revenu  ensuite  en  Angleterre 
pour  en  référer  (  2  avril  1434,  avant  Pâques.  Orig.,  ms.  fr.  20978,  f°  187). 

10)  Martini  Laudensis,  De  legatis,  q.  20. 


TRAITEMENTS  DES  AMBASSADEURS  3 

sonncls  du  pays  où  il  se  trouve  '.  Quand  il  rencontre  une  mai- 
sou  a  sa  convenance,  il  peul  expulser  sans  indemnité  un  loca- 
taire de  basse  condition  pour  assurer  le  logement  de  l'am- 
bassade 8. 

Les  traitements  des  ambassadeurs  varient;  ils  sont  «  taxés  » 
par  le  conseil  du  roi  à  chaque  commission)  en  tenant  compte, 
à  parité  de  situation,  des  précédents  acquis  pour  la  même 
ambassade  \  Avis  en  est  aussitôt  donné  au  service  financier 
chargé  du  paiement  *. 

Quelquefois,  mais  rarement,  on  paie  à  l'ambassadeur, 
avant  son  départ,  une  somme  à  forfait  pour  son  ambas- 
sade :  par  exemple,  cinq  cents  francs  pour  une  ambassade 
en  Bretagne  '.  D'ordinaire,  on  fait  d'urgence  remettre  à 
l'ambassade,  en  la  dépeschanl,  une  certaine  somme  en  a- 
compte  sur  les  frais  de  voyage,  qu'on  appelle  aussi  prêt  ;  cette 
somme  est  prise   où   l'on    peut,  souvent  sur    les  aides   de 

1)  W,,q.  lti. 
i)  Id.,  q.  2. 

:S)  Hand.  do  Louis  d'Orléans,  1397  (Circourt  et  van  Wervecke,  Documents 
luxembourgeois,  n°  lo).  Ordre  que  Benoit  Adam,  conseiller,  «  sera  mis  au 
roole  des  ambassadeurs  qui  sont  ordonnez  pour  aller  à  Romme»;  il  aura 
même  a|>|>ninlement  qu'a  eu  Me  Claude  Chauvreux,  conseiller  (23  oct.  1484. 
Reg.  (lu  conseil  de  Charles  VIII,  p.  142). 

4)  Avis  de  l'envoi  en  ambassade  du  Cle  de  Sarrebrûck,  donné  aux  géné- 
raux des  aides  (6  lévrier  1377-78.  Ms.  fr.  20976,  f«  lia). 

i>!  Mandement  de  payer  à  forfait  500  IV.  à  A.  deCraon,  chambellan,  envoyé 
à  «  notre  très  cher  et  très  amé  lils  le  duc  de  Bretagne,  »  pour  tous  ses  frais 
et  dépens  12  août  1  HO.  Orig.,  ms.  fr.  20.Ï90,  n»49).  A.  deCraonétait  accom- 
pagné du  chevaucheur  Jean  Pastoureau  (id..  n°  52 1,  à  qui  on  donne 80  francs. 
Cf.  Id.,  n>  l.'i,  orig.,  1  i  août  1436.  Mandement  du  roi  aux  Comptes,  de  payer 
m  conseiller  Jean  d'Asnières  200  liv.  taxées  pour  aller  en  Languedoc.  — 
Londres,  6  juillet  1434.  Mandement  de  Henri,  roi  de  France  et  d'Angleterre, 
aux  généraux  des  finances,  notifiant  que,  sur  l'avis  du  régent  Bedford,  il  en- 
I  David,  archidiacre  de  Coutances,  licencié  in  utroque,    en  son 

nom  et  au  nom  du  royaume  de  France,  au  concile  de  Baie  avec  les  autres 
ambassadeurs.  Le  roi  lui  donne  à  cette  fin  100  liv.  une  fois  versées  (Ms.  IV. 
20978,  fo  187,  orig.). 


4  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

guerre  ',  représentée  même  au  besoin,  dans  un  cas  de  presse, 
par  de  la  vaisselle  d'argent  2  ;  elle  peut  être  de  cinq  cents, 
de  six  cents  livres  environ  pour  des  ambassades  lointaines  3, 
ou  davantage  *.  Nous  voyons  donner  deux  cents  francs  d'or 
comme  provision  d'une  ambassade  en  Espagne  et  en  Portu- 
gal, quatre  cents  francs  d'or  pour  aller  en  Espagne  6,  cent- 
vingt  francs  d'or  pour  aller  à  Avignon  6.  L'à-compte  normal 
consiste  dans  le  versement  anticipé  du  montant  des  gages 
pendant  quarante  jours  7.  Il  en  est  de  même  pour  les  agents 
spéciaux  plus  ou  moins  olficieux8. 

1)  Ms.  fr.  20590,  passim.  Ordre  de  rembourser  l'argent  prêté  au  roi  par 
le  receveur  des  aides  (500  1.),  pour  le  despeschement  de  Girard  le  Bouclier, 
maitre  des  requêtes  de  l'hôtel,  et  Ynego  Daroco,  écuyer,  boursier  d'Espagne, 
envoyés  en  Castille  (Argentan,  "20  mai  1450.  Sign.  au  t.  :  Charles.  Fr.  20977, 
f»  236*,  orig.). 

2)  500  liv.  lourn.,  valant  610  liv.  par.,  données  en  «  vaisselle  d'argent, 
tant  vérée  comme  blanche  »,  à  Hue  Bournel,  sgr  de  Thicuberonne,  chambel- 
lan, envoyé  «  hâtivement»  au  royaume  d'Ecosse  vers  le  duc  d'Albanie,  gou- 
verneur de  ce  royaume,  et  vers  plusieurs  autres  seigneurs,  pour  grosses  6e- 
songnes  (Ms.  fr.  6748.  Compte  de  l'hôtel,  de  juin  1412). 

3)  Mandement  de  200  florins  d'or  francs,  pour  Simon  de  Laingres,  maître 
de  l'ordre  des  frères  prêcheurs, que  le  roi  envoie  au  pape  pour  grosses  affaires 
(28  oct.  1364.  Fr.  20977,  f<>236*,  orig.).  Mandat  de  paiement  de  200  liv.  à 
l'huissier  d'armes  Jean  de  Lizac,  écuyer,  que  le  roi  envoie  en  Castille  pour 
ses  grandes  affaires  (7  avril  1440.  Ms.  fr.  20590,  2). 

4)  Quittance  par  l'évêque  d'Aleth,  de  700  liv.  tourn.,  à  lui  ordonnées  piêça 
par  le  roi,  pour  aller  à  Rome  en  «  ambaxade  »  devers  Notre  S1  Père  le  pape, 
avec  Messieurs  le  patriarche  d'Antioche,  évêque  de  Poitiers  lors  archevêque 
de  Reims,  «  Tanguy  du  Chaslel,  Jacques  Cuer  »  et  autres,  pour  rendre  l'o- 
béissance (obédience)  (28déc.  1451.  Ms.  fr.  20978,  i'°  1188,  orig.). 

5)  Ces  deux  allocations, en  janvier  1377,  ahc.  st.(Ms.  fr.  20590,  fos  63,  57). 

6)  A  un  secrétaire  du  roi,  payé  par  les  aides  de  la  guerre  (19  juillet  1384. 
Mandement,  reçu  et  attache,  fr.  20590,  f°s  7,8,9). 

7)  Ambassade  près  le  roi  d'Aragon,  21  janvier  1350,  anc.  st.  (fr.  20590, 
fo  43). 

8)  Reçu  par  Jean  Tabari,  secrétaire  du  roi,  du  receveur  général  des  aides 
de  la  guerre,  de  100  francs  d'or,  pour  voyage  hâtif  où  on  l'envoie  à  Bruges 
avec  ses  gens,  devers  les  messagers  du  pape,  et  pour  l'aider  à  acheter  les  che- 
vaux nécessaires  (29  nov.  1377.  Ms.  fr.  20590,  nos  5  et  6). 


TRAITEMENTS    DES    AMBASSADEURS  5 

Les  appointements  ne  sont  qu'exceptionnellement  fixés  par 
mois.  Enl390,  le  chambellan  Pierre  de  Craon  reçoit  ainsi  (outre 
ses  autres  appointements)  quatre  cents  francs  d'or  par  mois  (soit 
environ  treize  francs  par  jour),  pour  aller  près  du  pape  d'Avi- 
gnon etdu  duc  de  Milan '.Dans  l'administration  intérieure,  on 
payait  les  indemnités  de  déplacement  au  jour.  Les  gens  des 
comptes  en  mission  intérieure  recevaient  deux  écus  d'or 
(cent-vingt  sous)  par  jour  d'indemnité  spéciale.  On  fait  de 
même,  pour  les  ambassadeurs,  sauf  que  le  tarif  varie  ex- 
trêmement, suivant  le  genre  de  l'ambassade,  et  la  qualité  de 
l'ambassadeur8.  Nous  trouvons  des  ambassadeurs  payés 
depuis  soixante  sous  ou  trois  livres  3,  jusqu'à  vingt  francs 
d'or  par  jour*.  Quatre  francs5,  six  francs  d'or6  par  jour, 
conviennent  à  des  ambassadeurs  ordinaires  :  huit  francs 
supposent   une  ambassade   d'apparat 7,    quinze   francs   d'or 

1)  Mandement  du  il  avril  1390,  après  Pâques.  Fr.  20590,  n»  12. 

2)  Au  XIII«  siècle,  les  Statuts  de  la  République  d'Avignon  stipulent  qu'un 
ambassadeur  n'emmènera  pas  plus  de  deux  animaux  (chevaux  ou  mulets)  à 
son  service  :  l'ambassadeur  recevra  cinq  sous  par  jour,  en  tout  (dix  sous,  s'il 
a  deux  chevaux).  S'il  va  dans  un  pays  où  la  monnaie  courante  vaut  plus  du 
double  de  celle  d'Avignon,  il  recevra  sept  sous  {Coutumes  et  Règlements  de  la 
lïépubl.  d'Avignon,  p.   13i>. 

3)  Guill«  Durant,  envoyé  en  ambassade  au  roi  d'Aragon,  en  1351,  reçoit 
120  Hv.  ayant  de  partir,  c'est-à-dire  le  montant  de  quarante  jours  (fr.  20590, 
nos  .42*,  .43). 

4)  A 1  evêque  de  Langres,  envoyé  par  Charles  VI  a  l'évoque  de  Foix,  avec 
Jean  de  Ryé  (K.  53  A.  (Jter). 

5)  Baudet  de  Vauvilliers,  huissier  d'armes  envoyé  en  Bretagne  (21  novem- 
bre 1377.  Ms.  fr.  20590.  n<>  44,  orig.). 

6)  Jean  de  Blai/.y,  chevalier,  envoyé  en  Bretagne  et  à  La  Rochelle,  en  1387 
(IV.  20590,  n°47)". 

7)  En  1397,  le  duc  d'Orléans  taxe  à  8  francs  par  jour  de  prêt  le  chef  de 
son  ambassade.  Jean  de  Saquainville,  à  3  francs  seulement  un  de  ses  am- 
bassadeurs, P,-e  Beaublé,  et  à  3  francs  le  secrétaire.  Il  leur  verse  avant  leur 
départ  une  provision  de  soixante  jours  (CM  de  Circourl  cl  van  Wervecke,  Do- 
cuments luxembourgeois,  n°s  20,  21,  25.  Cf.  paiement  de  lOOliv.  et  de  500 
liv.  à  Nie.  Le  Dur,  envoyé  en  ambassade  circulaire,  1404;  ibid.,  n°  178).  En 


6  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

représentent  un  très  gros  gage  '.  Les  secrétaires  de  grandes 
ambassades  reçoivent  cinq  francs 2.  Raoul  de  Rayneval, 
l'évêque  de  Laon,  le  comte  de  Braine  et  autres  membres 
d'une  grande  ambassade  circulaire  à  Rome,  Florence  et 
ailleurs,  en  1378,  ont  douze  francs  d'or  par  jour,  cha- 
cun3, et  Pierre  de  Gorbie,  secrétaire,  cinq  francs  *.  Raoul 
de  Rayneval  reçoit  une  provision  de  1440  francs  s,  Pierre  de 
Gorbie  deux  provisions  de  600  6  et  200  francs  d'or 7. 
La  provision  sert  à   couvrir   les  dépenses  d'équipement 


1405,  le  duc  taxe  à  10  francs  d'or  par  jour  un  ambassadeur  en  Allemagne 
(ibid.,  n°  232.  Cf.  fr.  nouv.  acq.  3640,  471,  ord«  de  taxe),  et  lui  donne  un 
prêt  de  deux  mois.  Mais  il  ne  fait  allouer  en  1406  à  Arch.  de  Villars  qu'un 
prêt  de  112  liv.  10  sous  pour  la  même  ambassade,  soit  moins  de  2  liv.  par 
jour  (ibid.,  n°  246).  Quittance  par  le  chambellan  Raoul  de  Rénovai,  de  partie 
de  ses  gages  de  8  fr.  d'or  par  jour  ordonnés  par  le  roi,  pour  le  voyage  de 
Boulogne,  avec  l'évêque  de  Baveux,  le  Cte  de  Sl-Pol  et  autres  gens  du  conseil, 
pour  la  paix  avec  «  son  adversaire  d'Engleterre  »  (2  juill.  1390.  Ms.  fr. 
20590,  nu  21,  orig.).  Cf.  les  autres  quittances  du  mémo  pour  le  même  motif, 
du  1er  juin  1390  (îd.,  n0>  24,  25).  —  Quittances  de  Jean  La  Personne,  vi- 
comte d'Acy,  envoyé  à  raison  de  huit  francs  par  jour  (ou  240  francs  par 
mois)  au  comte  de  Boulogne,  pour  le  mariage  du  duc  de  Uerry  avec  la  fille 
du  comte  (12  avril  1390.  Id.,  no»  29-36). 

l)L'amiral  Jean  de  Vienne,  ambassadeur  vers  le  roi  de  Castille  en  1377,  a 
15  fr.  d'or  par  jour  (Pat.  de  Melun,  25  septembre  1377.  Orig.,ms.  fr.  20977, 
fo236s).  Fr.  20590,  n°  56,  10  francs  :  no  61, 16  flor.  d'or  à  Aiinery  deRoche- 
fort,  pour  voyage  près  du  comte  de  Foix  (15  janv.  1359-60). 

2)  Ms.  fr.  20590,  no  53.  600  fr.  pour  «  prest  »  et  paiement  de  4  mois,  à  5 
fr.  par  jour,  à  Thib.  Hocie,  chanoine  de  Paris,  secrétaire  du  roi.  envoyé  au 
roi  de  Castille  et  Léon  avec  deux  autres  ambassadeurs  (février  1390,  anc.st.). 
—  Id.,  no*  54,  57.  Le  même  touche  500  fr.  pour  un  précédent  voyage  (même 
date  ;  comme  à  compte  sur  ses  frais  précédents).  Id.,  n°  55,  5  francs  d'or  par. 
jour,  taxés  au  secrétaire  de  l'ambassade  en  Castille  et  Léon  (nov.  1383). 

3)  Mandement  orig.  aux  généraux  des  aides,  pour  Réneval  (Rayneval)  et 
le  comte  de  Braine,  4  février  1377,  anc.  st.  (fr.  20978,  f»  118'). 

4)  Mandement,  fr.  20978,  fo  H8». 

5)  Quittance  orig.,  8  février  1377,  anc.  st.  (fr.  20978,  fo  U8S). 

6)  Quittance  orig.,  deCorbie,  7  février  1377-78  (fr.  20978,  fo  118*). 

7)  Quittance  outre  ses  gages  ordinaires,  du  1er  juin  1378,  orig.  (id.,  f° 
148»). 


TRAITEMENTS  DES  AMBASSADEURS  7 

et  de  voyage.  Sous  Louis  XII,  le  roi  paie  le  fret  des  na- 
vires chargés  de  transporter  les  ambassadeurs  en  Ecosse,  et 
ce  fret  est  assez  dispendieux  ;  en  1507,  le  simple  passage  d'un 
ambassadeur  et  d'un  ehevaucheur,  d'Ecosse  en  Franco,  s'élève 
à  350  livres  à  cause  des  risques  du  voyage  près  des  cotes 
d'Angleterre  \  En  1512,  le  fret  d'un  transport  spécial  de 
France  en  Ecosse  ne  revient  pas  à  moins  de  1510  livres'. 
Nous  voyons  mémo,  en  1514,  dans  un  moment  de  presse,  le 
roi  commander  à  ses  frais  un  bateau  spécial  pour  transporter 
de  Boulogne  un  agent  en  Angleterre  \ 

Une  fois  rendus  à  leur  poste,  les  ambassadeurs  reçoivent 
quelquefois  leur  traitement  par  mensualités  *,  ou  plus  sou- 
vent par  un  nouvel  à-compte 3.  Au  cours  de  son  am- 
bassade pris  le  roi  des  Romains,  le  prince  d'Orange  reçoit 
un  second  à-compte  de  3.000  livres,  égal  au  premier  a. 
En  général,  on  ne  règle  les  comptes  d'une  ambassade  spé- 
ciale qu'au  retour  ;  quant  aux  résidents  ou  aux  agents  fixes 
de  Home,  procureur,  protecteur  en  cour  de  Rome,  ils  per- 
çoivent des  traitementsréguliers7.  Mais  les  paiements  ne  par- 
viennent pas  toujours  exactement.  Aussi,  quand  l'ambassade 
se  prolonge,  les  ambassadeurs  se  heurtent  à  mille  soucis,  à 
des  difficultés  qui  les  réduisentà  un  vrai  désespoir.  En  1511,  le 
président  de  Bourgogne,  ambassadeur  des  Pays  Bas  en  Espa- 
gne, finit  par  déserter  son  poste,  faute  d'argent 8.  En  1496,  l'é- 

1)  Ordre  de  paiement,  du  14  déc.  1507  (fr.  20436,  t'o  39). 

2)  Fr.  20616,  no  86,  pat.  du  8  déc.  15tf. 

3)  Fr.  2934,  f*  '■>■ 

4|  Fr.  20590,  nos  29-36,  paiements  à  Jean  La  Personne  (1390). 

5)  On  leur  remet  aussi  des  lettres  de  crédit  (V.  Mas  Latrie,  Histoire  de  Chy- 
pre, III,  753). 

6)  Fr.  20977,  f"  187  (13  juillet  1493). 

7)  Fr.  20978,  t'o  1 18®  :  Delaborde,  Expédition  de  Charles  VIII,  p.  174. 

8)  Lettres  de  Louis  XII,  II,  230. 


8  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

vêque  d'Aix,  envoyé  de  France  à  Florence,  criblé  de  dettes,  se 
voit  réduit  à  des  expédients  dont  glosent  les  chancelleries. 
Ses  rapports  sont  interceptés  à  Milan,  il  n'ose  plus  écrire  ;  il 
n'ose  pas  partir  ignominieusement  sans  payer  ses  dettes,  il  est 
au  désespoir  '. 

On  paie  donc  les  ambassadeurs  au  retour,  sur  taxe  '  ;  et 
même  (surtout  s'il  s'agit  d'une  forte  somme)  par  à-comptes, 
et  le  règlement  définitif  intervient  longtemps  après.  L'abbé  de 
Fécamp,  ambassadeur  franco-anglais  à  Rome  en  1422,  char- 
gé d'une  mission  en  Angleterre  en  1424,  ne  touche  le  reste  de 
ce  qui  lui  est  dû,  que  le  7  février  1429  3.  Il  y  a  là  de  véri- 

1)  Dép.  deFoscari,  dans  Y  A  rchivio  storico  italiano,  p.  867. 

2)  Le  montant  des  gages,  y  compris  les  cadeaux  qu'il  a  fallu  faire,  est 
remboursé  au  retour  par  mandement  (Mand.  du  duc  d'Orléans,  1391.  Cir- 
court  et  Wervecke,  Documents  luxembourgeois,  n°  94),  soit  sur  serment  de 
l'ambassadeur  (id.,  1405.  Ibid.,  n°  232),  soit  sur  le  compte  dressé  par  un 
agent  spécial  attaché  à  l'ambassade  dans  ce  but,  sommelier  d'échansonnerie  ou 
autre,  soit  par  le  secrétaire,  soit  par  un  des  ambassadeurs.  Nous  voyons  ces 
trois  comptes  fournis  simultanément  au  duc  d'Orléans  pour  une  seule  ambas- 
sade, en  1398(t'&td.,n°s31,  32,  33).  -  Ms.  fr.  20590,  nos  44,  48.  —  Mandat 
de  paiement  par  P"  de  Bourbon,  de  200  livres,  somme  taxée  à  Guillaume  de 
Caraman  et  de  Périlleux,  v*e  de  Roddes,  etc.,  pour  un  voyage  fait  près  le 
roi  et  la  reine  d'Espagne  (Moulins,  14  août  1495. Orig.,îd.,n<>  62). — Ordredu 
roi  Henri,  roi  de  France  et  d'Angleterre,  de  payer  à  Guillaume  Erard,  docteur 
en  théologie,  le  reste  de  ce  qui  lui  est  dû  pour  son  voyage  en  Angleterre  et  à 
Arras,  avec  «  nos  autres  ambassadeurs  de  France  et  d'Angleterre  »  (Paris,  8 
mars  1435,  a.  st.  Orig.,  fr.  20976,  fo  149). 

3)  Mandement  d'Henri,  roi  de  France  et  d'Angleterre,  de  450  1.  à  l'abbé  de 
Fécamp,  reste  de  ses  gages  taxés,  pour  1»  une  ambassade  de  Rouen  à  Rome, 
avec  les  évoques  de  Coutances  et  Senlis,  le  sire  de  Vézelay,  Gauthier  de 
Ruppes,  le  sire  de  Rouville,  chevaliers,  maître  Jean  de  Almans,  Pierre  Mû- 
risse, Nicole  Davy,  de  la  Si  Jean  1422  à  la  vigile  Ste  Catherine  ;  2°  pour  un 
voyage  en  Angleterre,  de  la  vigile  S1  Simon  S*  Jude  1423  au  20  mars  sui- 
vant (7  février  1428,  anc.  st..  Fr.  20590,  no  22).  M.  Vœsen  (Catal.  du  fonds 
Bourré,  n°  213)  indique  un  paiement  de  450  livres  dû  à  Bertrand  Briçonnet, 
secrétaire  de  Louis  XI,  pour  deux  voyages,  l'un  en  Angleterre  en  1462  pour 
conclure  une  trêve,  l'autre  en  Ecosse  pour  négocier  une  alliance,  voyage  qui 
a  duré  huit  mois  environ.  Ordre  de  Louis  XI  de  verser  au  cardinal  d'Albi 
(Jean  Joff roy)  1 375  li v .,  pour  partie  de  3 .000  écus  à  lui  ordonnés  pour  son  am- 


TRAITEMENTS  DES  AMBASSADEURS  9 

tables   abus1,  contre  lesquels  un  ambassadeur  doit  se  pré- 
munir*. 

S'il  ne  s'agit  que  d'une  simple  mission  à  la  frontière, ou  à  peu 
près,  on  se  borne  à  rembourser  les  dépenses.  Ainsi,  le  premier 
écuyer  du  roi  reçoit,  en  1383,  soixante  francs  d'or  pourles  frais 
d'une  mission  en  Brabant  et  en  Hainaut,  près  du  duc  de  Luxem- 
bourg etduduc  Aubertde  Bavière  s.  Le  sénéchal  de  Beaucaire, 
délégué  à  Avignon  près  du  pape,  du  lcrau  9  décembre  1340, 
avec  un  avocat  et  un  autre  personnage,  pour  entretenir  Sa 
Sainteté  des  affaires  du  royaume,  ne  reçoit  pas  pour  ce  petitdé- 
placement  de  traitement  spécial;  on  lui  rembourse  les  frais  de 
voyage.  Son  mémoire,  qui  existe  encore,  prouve  en  faveur  de 
la  sobriété  des  ambassades  à  cette  époque;  les  dépenses  jour- 

bassade  en  Castille  et  Léon  (Amboise,  42  janvier  1469.  Ms.  lat.  17021,fo  102). 
4)  Les  Etats  de  Flandre  votent  15,459  livres  aux  ambassadeurs  qui  ont 
négocié  la  paix  avec  la  France.  L'archiduc  en  prend  4.000  pour  lui-même  et 
répartit  ainsi  le  reste  : 

Le  comte  de  Nassau 800 

M.  de  Maigny,  chancelier 319 

Le  sr  de  Chièvres 1 .700 

L'évêque  d' Arras 1 .  100 

A  ces  deux  derniers,   pour  remboursement  de 
sommes  qu"ils  ont  dû  verser  à  divers  seigneurs 

d'Allemagne 5.600 

Le  sire  d'Orbais,  chancelier  de  Brabant 200 

Le  trésorier  des  finances 200 

Le  receveur  général 200 

Jean  de  Courleville 300 

LesrdeBeyne 200 

Le  receveur  général,  pour  distributions  anonymes  360 

Phil.  Haneton,  1er  secrétaire  et  audiencier 120 

Dépenses  diverses,  gages  et  salaires  d'officiers. .  360 

[1501.  Le  Glay,  Négociations,  I,  66,  67). 
2)Parmi  les  engagements  secrets,  Capitulata  privata,  imposés  en  conclave 
à  un  futur  pape,  figure  celui  de  faire  payer  aux  cardinaux  tout  ce  qui  leur  est 
dû  par  les  papes  précédents  pour  voyages,  légations  ou  autrement,  de  leur 
faire  rendre  les  chevaux,  bijoux  ou  autres  objets  donnés  en  gage  à  des  prê- 
teurs (Archives  du  Vatican,  3  LV,  f°  485  et  s.). 
3)  K.  53,  21. 


10  LA   DIPLOMATIE   AD    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

nalières  de  l'ambassade  (pain,  vin,  légumes,  chandelle,  foin 
et  avoine,  ferrage  des  chevaux)...  se  montent  de  six  à 
neuf  livres  '. 

Pour  apprécier  la  valeur  des  traitements  alloués  aux  am- 
bassadeurs, il  faut  les  rapporter  au  prix  réel  des  choses,  et  à 
ce  que  coûtait  ordinairement  un  voyage.  Or,  nous  voyons  qu'en 
mai  1390,  le  roi  ayant  jugé  bon,  par  grande  courtoisie,  de 
faire  conduire  à  ses  frais  jusqu'à  Gênes,  par  son  sergent 
d'armes  Pelourde,  le  fils  du  duc  de  Lancastre,  qui  allait  com- 
battre en  Barbarie,  les  frais  de  ce  voyage  princier,  rembour- 
sés à  Pelourde",  s'élèvent  à  quarante  francs  d'or*.  En 
1495,  un  notaire-secrétaire  du  roi  Richard  Le  Moyne  reçoit 
cent  livres  pour  un  voyage  en  Espagne  et  un  voyage  en  Ita- 
lie *  ;  et  de  moins  grands  personnages  dépensaient  bien 
moins  \  Les  ambassadeurs  trouvaient  donc  réellement  dans 
leur  prêt  une  large  indemnité,  d'autant  plus  que  le  prêt  se 
cumulait  avec  les  autres  appointements  personnels.  Il  faut 
aussi  remarquer  l'usage  constant  de  rémunérer  les  ambas- 
sades généreusement,  en  tenant  compte  des  circonstances, 
par  le  don  d'une  somme  ronde  '.    Tel  ambassadeur   a  fait 

1)  Rôle  original.  Fr.  20978,  fo  118». 

2)  Fr.  20590,  n°  10. 

3)  Raymond  de  Nueremont,  envoyé  à  Avignon  après  le  décès  de  G.  de  Les- 
trange,  pour  ses  dépens  d'aller  et  venir,  reçoit  40  fr.  {Inventaire...  des  biens 
de  Guill.  de  Lestrange,  p.  113). 

4)  Fr.  20590,  20. 

5)  En  1405,  un  chevalier  reçoit  20  liv.  pour  porter  des  lettres  en  Alle- 
magne, sur  les  bords  du  Rhin  (Circourt  et  van  Wervecke,  Documents  luxem- 
bourgeois, no  221).  En  1497,  le  duc  d'Orléans  donne  100  écus  pour  un 
voyage  en  Italie  (fr.  26105,  pièce  1235). 

6)  Dans  le  règlement  des  frais  d'une  ambassade  à  Rome  et  au  roi  de  Sicile 
en  1309,  nous  voyons  compter  307  liv.  15  s.  pour  robes,  chevaux,  harnais, 
argent  de  poche  ;  87  liv.  10  s.  pour  les  dépens  du  voyage  ;  140  liv.  21  s.  de 
supplément,  au  total  1036  liv.  6  s.  p.  (Moranvillé,  Bibliothèque  de  l'Ecole  des 
Chartes,  1890,  p.  70,  71). 


TRAITEMENTS    DES    AMBASSADEURS  41 

naufrage  :  4.000  écus  d'or  '.  Tel  autre  a  accompli  une  mis- 
sion difficile  :  2.000  écus  *.  On  déclare  que  l'envoyé  a  eu  delà 
peine  *,  qu'il  a  fait  des  dépenses  imprévues  *,  ou  bien  on 
règle  ses  émoluments  à  titre  de  don  B,  à  titre  même  de 
secours  vis-à-vis  d'un  simple  agent  secret  '.  Les  envoyés 
financiers  du  roi  à  Gènes,  en  1415,  ont  passé  cinq  mois  en 
route,  ils  ont  fait  à  Gènes  des  dépenses  de  trompettes  et  de 
ménestrels  ;  ils  ont  ramené  d'Aiguës  Mortes  à  Paris  six  com- 
pagnies d'arbalétriers,  dont  ils  ont  souvent  reçu  à  diner  les 

1)  Fr.  20977,  i'o  201.  Patentes  de  Charles  VII,  de  S1  l'iïest  en  Dauphiné,  26 
mars  1436  anc.  st.,  sur  la  requête  de  Guillaume  de  Menipeny,  eh**!  set  de 
Concressault,  envoyé  jadis  en  Ecosse  pour  de  grandes  affaires  :  «  naufragé 
au  retour  sur  les  côtes  d'Angleterre,  t'ait  prisonnier  par  nos  anciens  ennemis, 
Menipeny  a  dû  donner  tout  son  bien  et  des  otaiges  pour  le  reste  de  sa  rançon. 
11  est  juste  d'aider  nos  serviteurs  » Le  roi  lui  alloue  4.000  écus  d'or. 

2)  Charles  VIII  donne  8.000  liv.  a  Du  Bouchage,  pour  son  ambassade  en 
Allemagne  (1498.  Mandrot,  Ymbert  de  Batarnay,  p.  196).  Le  prince  d'Orange 
rcçoit6.000  liv.,  Tristan  de  Sala/art  3.000,  pour  leur  ambassade  de  1493-1494 
dans  le  môme  pays  (fr.  20977,  fl>  187). 

3)  Mandement  royal  de  payer  au  panetier  Jean  île  Jambes,  écuyer,  300 
1.  t.,  taxées  pour  peine,  salaires  et  dépens,  pour  trois  voyages  vers  nous 
,,7jam\  1435-36.  Orig.,  fr.  20590). 

4)  Quittance  par  l'archevôque  de  Toulouse  de  1200  moulons  d'or,  que  le 
roi.  le  7  juillet,  lui  aordonnés,  pour  le  paiement  de  son  voyage  l'an  passé,  avec 
d'autres,  vers  le  roi  de  Castille  et  Léon  pendant  six  mois  entiers,  «  à  très 
grands  frais  et  dépens.  »  —  (20  nov.  1435.  Fr.  20977,  1°  273).  Mandement 
de  3.000  francs  d'or  au  duc  de  IJerry  pour  ses  négociations  (16  juillet  1384. 
Fr.  20590.no  19). 

5)  Fr.  20978,  fo  1181.  Mandement  du  roi  (Meung-sur-Sèvres,  29  nov.  14|5, 
orig.),  de  don  de  100  livres  à  Jean  Manequin,  trésorier  de  l'église  de 
l.aon.pour  frais  et  dépens  d'un  voyage  à  Home  vers  le  pape,  avec  d'autres  nos 
gens  et  serviteurs,  pour  le  fait  du  royaume.  —  Mandement  (Montpellier, 
23  avril  1437,  orig.)  de  don  de' 500  liv.  à  Simon  Charles, chevalier,  pour  frais 
de  ses  «  voyages  et  ambaxades  »  dernièrement  faits,  «tant  devers  Notre  Saint 
l'ère  le  pape  que  en  la  ville  de  Baale,  devers  aucuns  noz  conseillers  et  autres 
gens  y  estans  tenans  le  saint  concile  ». 

6)  Ordre  de  Louis  XII  de  payer  810  15 liv.  tournois,  soit  100  écus  d'or,  à  Je- 
ronymo  de  Portugal,  à  titre  de  secours,  et  comme  frais  d'un  voyage  fait 
pour  le  roi  en  Italie  (11  mai  1498.  Fr.  20590,  no  14). 


12  LA    D1PL0MATIK   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

capitaines.  Par  ces  motifs,  en  sus  de  leur  provision  initiale  de 
quatre  cents  livres,  ils  s'adjugent  (l'un  était  conseiller  des 
aides,  l'autre  clerc  de  la  Chambre  des  comptes),  à  chacun, 
six  cents  livres,  soit  mille  livres  pour  cinq  mois,  outre  leurs 
gages  ordinaires  d'offices1. 

Enfin,  aux  appointements  directs  de  l'ambassade,  il  faut 
ajouter  les  profits  indirects  qui  en  résultent  et  qui  constituent 
le  vrai  paiement2.  Souvent  employé  en  missions  par  le  duc  de 
Bourgogne,  dont  il  était  en  même  temps  maître  d'hôtel  et  ca- 
pitaine, le  célèbre  Obvier  de  la  Marche  est  comblé  de  dons 
et  de  présents 3.  De  même,  Commines  avoue  que  Louis  XI 
sait  reconnaître  bien  les  services  \  En  effet,  Louis  XI  le  com- 
ble ;  ainsi,  au  moment  de  son  mariage,  il  lui  donne  22.000  écus 
d'or  et  paie  sa  terre  d'Argenton3.  Il  en  va  de  même  pour  le 
sire  du  Bouchage  et  pour  tous  les  personnages  marquants 
qui  passentpar  les  ambassades.  Les  avantages  indirects  qu'on 
peut  tirer  du  roi  pour  un  bon  service  présentent  une  telle  va- 
riété, que  nous  ne  chercherons  pas  à  les  dénombrer  ;  ils  ne 
s'appliquent  pas  spécialement  d'ailleurs  à  la  diplomatie.  Com- 
mines, Etienne  de  Vesc  reçoivent  en  cadeau  de  Charles  VIII, 
à  Naples,  un  navire  G...  Le  sire  de  Guéménée,  ambassadeur 
de  la  duchesse  de  Bretagne  en  1490,  reçoit  des  bris  de  na- 
vires 7...  Louis  XI  confère  à  son  favori  Olivier  le  Roux,  mai- 

1)  Compte  orig.,  ms.  lat.  5414  A,  f°59. 

2)  Parfois,  on  met  officiellement  à  la  charge  du  commerce  partie  des  frais 
d'une  ambassade  spéciale  pour  négociations  commerciales.  Bembo,  envoyé 
vénitien  en  Angleterre,  en  1409,  reçoit  à  forfait  pour  sa  mission  400  ducats, 
soit  100  comme  ambassadeur,  le  reste  à  la  charge  du  commerce  et  des  arma- 
teurs de  Venise  (Reumont,  Diplomazia  italiana,  232).  D'autres  fois,  l'am- 
bassadeur perçoit  2  à  3  0/0  sur  les  affaires  privées  (Nys,  Les  origines  de  la 
diplomatie,  p.  12). 

3)  V.  la  liste,  Beaune  et  d'Arbaumont,  Olivier  de  In  Marche,  p.  Lxxri. 

4)  Liv.  vi,  c.  v. 

5)  23  déc.  1472  (Vaesen.  Catal.  du  fonds  Bourré,  no  796). 

6)  Boislisle,  Et.  de  Vesc,  p.  133. 

7)Ms.dedomMorice,  à  la  Bibliothèque  de  Nantes,  ms.  1801,  p.  117. 


TRAITEMENTS    DES    AMBASSADEURS  13 

tre  des  comptes,  une  pension  de  cinq  cents  livres  pendant  dix 
ans,  à  raison  de  ses  services,  notamment  de  ses  ambassades1. 
Le  sire  de  Chatelart,  pour  avoir  négocié  une  alliance  du  Valais 
avec  la  France,  obtient  de  Louis  XII  une  pension  de  deux 
cent  quarante  livres  *.  Tristan  de  Salazart,  ambassadeur  en 
Allemagne,  est  pensionnaire  de  six  cents  livres  3. 

Une  ambassade  se  prête  fort,  par  ellc-numie,  à  l'avancement 
personnel*  :  Obvier  de  la  Marcbe,  lorsqu'il  va  en  1478négocier 
le  mariage  de  Marie  de  Uourgogne  avec  l'archiduc,  profite  de 
l'occasion,  dit-il  lui-même,  pour  faire  «  tellement  ses  appro- 
ches »  qu'il  est  nommé  grand  maître  d'hôtel  de  l'archiduc  5. 
Les  ambassades,  encore  peu  importantes,  remplies  par  Claude 
de  Seyssel,  sont  expressément  visées  dans  les  patentes  qui 
l'appellent  à  faire  partie  du  grand  conseil  de  Louis  XII  6. 

On  paie  aussi  les  ambassades,  comme  les  autres  services, 
par  des  bénéfices  ecclésiastiques.  Ferry  Carondelet,  am- 
bassadeur de  la  régente  des  Pays-Bas  à  Rome,  lui  demande 

1)  Patentes  d'Amboise,  15  février  1472,  a.  st.  Ms.  fr.  20590,  n°  43. 

2)  C'e  de  1510,  publié  dans  noire  édition  de  Jean  d'Auton,  II,  388. 

3)  Tit.  orig.  Salazart,  no  118(1496). 

4)  Au  retour  de  sa  légation  en  Espagne,  Guicliardin  devient  à  Florence  un 
des  VIII  de  Guardia  et  Balia  (C'es  P.  et  L.  Guicciardini,  Opère  inédite  de 
Fr.  Guicciardini,  VII,  p.  v).  Le  roi  d'Angleterre  fait  chevalier  un  ambassa- 
deur qu'il  envoie  en  Espagne  (J.  Gairdner,  Hisla  régis  Henrici  seplimi, 
p.  200). 

5)  Beaune  et  d'Arbaumont,  Olivier  de  la  Marche,  p.  lxx. 

6)  Blois,  27  janvier  1506.  Patentes  nommant  Claude  de  Seyssel  conseiller 
au  grand  conseil,  en  remplacement  de  Hugues  deBauza,  évêque  d'Angoulémc, 
décédé.  «  Ayans  bonne  souvenance  des  bons  et  agréables  services  que 
nous  a  faiz  par  cy  devant  nostre  amé  et  féal  conseiller  en  nostre  sénat  de 
Millan  maistre  Claude  de  Seyssel,  tant  en  plusieurs  grans  ambaxades  et  au- 
tres charges  concernans  noz  principaulx  affaires,  comme  aussi  à  la  conduicte 
et  exercice  de  nostre  justice  en  nostre  duché  de  Millan  et  auparavant  à  la  con- 
queste  d'icelluy  en  nostre  grand  conseil,  auqucl.il  s'est  bien  et  honorablement 
acquitté  par  plusieurs  années  »; . ..  désirant,  pour  ces  motifs,  et  vu  notre  con- 
fiance de  ses  sens,  etc.  le  rapprocher  de  nous,  nous  lui  rendons  ce  titre 
(K.  78,  H). 


4  4  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

très  humblement  «  une  petite  abbaye  »  vacante  en  Franche- 
Comté  '.  Jules  II  cherche  jusqu'en  Yénétie  des  bénéfices  pour 
payer  une  légation  en  Hongrie  \  Bonino  de  Boninis,  agent 
secret  de  Venise  en  France,  adresse  de  Lyon,  le  24  juillet 
1501,  une  requête  à  la  Seigneurie,  pour  réclamer  deux 
cents  ducats  de  bénéfices  qu'on  lui  a  promis.  Il  rappelle 
qu  il  a  couru  dix  sept  postes  de  Lyon  a  Turin  et  deux  jusqu'à 
Venise,  avec  peines,  périls  et  dépenses;  tout  le  carême  der- 
nier, il  a  couru  aussi  la  France,  à  cheval,  de  côté  et  d'autre,  sur 
l'ordre  de  l'ambassadeur  3...  A  la  fin  du  Moyen  Age,  les  rému- 
nérations directes  des  services  publics  ne  sont  rien  à  côté  de 
ces  rémunérations  indirectes. 

De  plus,  les  ambassadeurs  trouvent  dans  leur  mission 
au  dehors  du  royaume,  une  source  de  profits,  de  pro- 
lits publics,  honorables,  consacrés  par  l'usage,  qui  ne  sont 
pas  à  dédaigner.  Soit  sur  leur  route,  soit  à  la  cour  où  ils  se 
rendent,  ils  sont  souvent  *  défrayés  de  toutes  dépenses  de 
bouche  et  de  loyer  s.  Les   dépenses   de   l'ambassadeur  de 

1)  1511.  Lettres  de  Louis  XII,  III,  76. 

2)  Sanuto,  V,  310. 

3)  Arcli.  de  Venise,  Dispacci,  I.  L'ambassadeur  Foscari  appuie  vivement 
sa  demande,  par  une  dépêche  du  30  avril  1501  (A.  de  Venise). 

4)  Il  était  môme  de  doctrine  que  les  légats  avaient  droit  à  se  faire  défrayer 
par  les  autorités  ecclésiastiques.  Grégoire  VII  avait  introduit  dans  la  formule 
du  serment  prêté  par  les  archevêques  en  recevant  le  pallium  rengagement 
précis  de  traiter  avec  honneur  les  légats  «  eundo  et  redeundo  »,  —  «  et  in  ne- 
cessitatihus  suis  adjuvabo  ».  Cet  aide  fut  interprété  comme  une  obligation  de 
pourvoir  à  la  nourriture  et  à  l'entretien.  Les  Hongrois,  au  commencement  du 
XII«  siècle,  ayant  refusé  à  un  légat  du  pape  son  entretien,  Pascal  II  les  rap- 
pela à  l'ordre  en  termes  très  vifs,  en  leur  citant  l'exemple  d'autres  nations 
(la  Saxe  et  le  Danemark),  et  le  serment  des  primats;  et  son  légat,  dépourvu 
de  moyens  d'existence,  vécut  aux  dépens  du  pays,  c'est-à-dire  de  contribu- 
tions plus  ou  moins  régulières  (Baronius,  XVIII,  p.  143,  144  notes).  Le  légat 
doit  être  reçu  gratis  par  les  évèqucs,  religieux  et  clercs,  mais  il  aura  égard  à 
la  richesse  de  son  hôte,  dit  Villadiego  (De  legato,  q.  6). 

5)  En  Russie,  de  temps  immémorial,  on  défrayait  les  ambassadeurs  :  en 


TRAITEMENTS    DES    AMBASSADEURS  15 

France  à  Florence  en  1478,  par  exemple,  payées  par  Florence, 
se  montent  environ  à  douze  ducats  par  jour  '.  Venise  attribue 
en  li9o  à  l'ambassade  allemande  dix  ducats,  par  jour,  d'en- 
tretien *  ;  en  1501,  à  Jean  Lascaris,  ambassadeur  de  France, 
elle  donne  le  logement  et  cent  ducats  par  mois  *.  On  pousse 
la  prévenance  jusqu'à  envoyer  un  médecin,  si  quelqu'un  de 
la  suite  de  l'ambassadeur  est  malade  *.  Ce  défrai,  comme  on 
peut  penser,  s'ajoute  fort  utilement  au  traitement.  Le  béraut 
Montjoye,  nous  dit  Lemaire  de  Belges,  rapporta  en  1 499  de 
son  ambassade  à  Constantinople  «  honneur  et  prouffit*.  »  Et, 
plus  tard,  Brantôme  représente  l'ambassade  de  Constanti- 
nople comme  fort  recherchée,  parce  qu'on  y  est  défrayé  de 
tout,  jusqu'à  l'avoine,  et  très  largement,  si  bien  que  l'am- 


France,  on  ne  les  défrayait  qu'exceptionnellement,  et  jamais  les  résidents 
Ayant  reçu  à  Madon  les  ambassadeurs  de  l'archiduc,  le  roi  leur  mande  qu'il 
a  expédié  son  maréchal  des  logis  à  Blois  taire  leur  logis,  et  qu'ils  y  envoient 
leur  fourrier,  ce  qu'ils  t'ont  (1503.  Lettres  de  Louis  Xlf,  I,  28).  Cf.  le  défrai 
de  l'ambassade  d'Espagne  en  1505  (Desjardins,  I,  139).  A  Milan,  à  Venise,  à 
Florence,  on  défrayait  constamment.  Ainsi,  en  1468,  les  ambassadeurs  envoyés 
pour  les  condoléances  de  la  mort  delà  duchesse  de  Milan  sont  tous  défrayés 
par  le  duc{Arch°  stor°  lombardo,  1890,  p.  149).  Depuis  1504,  des  rapports 
constants  et  officiels  s'étant  établis  avec  les  Turcs,  Venise  fournit  régulière- 
ment aux  envoyés  turcs  maison  et  dépenses.  Le  pape  défraie  très  rarement. 
Cependant,  le  samedi  saint  1511,  à  Bologne,  Jules  II  envoie  à  l'ambassadeur 
d'Allemagne,  qui  vient  négocier  la  paix,  25  veaux,  50  formes  de  fromage  de 
Plaisance,  23  chevreaux,  quatre  charges  (stiuige)  de  poulets,  2000  œufs  <Sa- 
nuto,  XII,  148).  Plus  tard,  ces  usages  s'unifièrent.  On  défraya  partout  les  am- 
bassadeurs jusqu'à  leur  première  audience.  Seul,  le  Czar  continua  à  les  dé- 
frayer pendant  la  durée  de  leur  séjour,  et  on  fit  de  môme  pour  les  siens  (Wic- 
quefort,  Mémoires...,  p.  446). 

1)  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  III,  "25. 

2)  Sanuto,  Spedizione,  219. 

3)  Sanuto,  VI,  101.  En  1500,  le  roi  de  Hongrie  donne  à  un  ambassadeur 
turc  qui  a  120  chevaux,  50  ducats  par  jour  pour  sa  dépense  (Sanuto,  III, 
235). 

4   Ambassadeur  turc  à  Bude,  en  1500  (Sanuto,  III,  12G7). 

5)  Le  Maire  de  Belges,  Le  sauf  conduit  donné  par  le  Souldan. .. 


16  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

bassadeur  n'a  rien  à  donner  aux  Turcs,    «  ce  sont  eux  qui 
nous  donnent1.  » 

Ajoutons  que,  dans  certaines  circonstances  spéciales  ou  so- 
lennelles, les  ambassadeurs  sont  plus  que  défrayés,  ils  sont 
fêtés  avec  luxe  \  Le  sire  des  Aubus,  chargé  par  Louis  XI  de 
recevoir  et  de  conduire,  aux  frais  du  roi,  deux  ambassadeurs 
d'Aragon,  ne  dépense  pas  moins  de  544  livres  pour  le  trajet  de 
Lyon  à  Paris  ;  un  simple  dîner  à  Lyon  lui  coûte  près  de  cinq 
livres  8.  En  1422,  un  ambassadeur  du  pape,  défrayé  à  Senlis, 
dépense  de  sept  à  huit  livres  par  jour  ;  une  grande  ambassade 
bretonne,  comprenant  deux  évêques,  deux  grands  seigneurs, 
cinq  chevaliers,  quatre  conseillers..,  en  tout  soixante-seize 
personnes,  consomme  pour  plus  de  soixante  dix  livres  par 
jour  *.  Le  plus  beau  résultat  sous  ce  rapport  fut  acquis  par  une 
ambassade  anglaise  sous  Charles  VI,  l'ambassade  de  1415, 
composée  de  deux  évêques,  et  de  sept  autres  ambassadeurs, 
avec  une  suite  nombreuse,  qui,  «  estans  en  ce  Royaume,  aux 
despens  du  Roy  »,  dépensa,  en  soixante-dix-sept  jours,  plus 
de  seize  mille  six  cents  livres B. 


1)  Tome  V,  50. 

2)  De  Bologne  à  Rome,  le  pape  fait  offrir  dans  chaque  ville  1,000  ducats 
d'or  au  cardinal  de  Gùrck  (1512.  Guicciardini,  Opère  inédite,  VI,  147).  A 
l'arrivée  de  l'ambassade  française  de  1512,  en  Egypte,  le  Soudan  lui  envoie 
des  moutons,  de  la  volaille,  du  riz,  du  sucre,  etc.  (Schefer,  Le  voyage  d'ou- 
tremer de  Jean  Thenaud,  p.  43).  Le  lendemain  de  son  arrivée  au  Caire,  l'am- 
bassadeur vénitien,  en  1512,  reçoit,  de  la  part  du  Soudan,  44  pains  de  sucre, 
5  pots  de  miel  de  l'Inde,  2  pots  de  graisse,  40  moulons,  50  paires  de  poulets, 
20  oies,  2  sacs  de  riz  (id.,  p.  182).  —  César  Borgia,  en  attendant  sa  première 
audience,  fait  remettre  à  un  ambassadeur  un  grand  sac  d'orge,  un  fût  de  vin, 
un  mouton,  huit  paires  de  chapons  et  des  poules,  deux  torches,  deux  paquets 
de  chandelle,  deux  boites  de  confitures  (Gregorovius,  Lucrèce  Borgia,  édon 
fraise, '1,298). 

3)Fr.  20980,  fo  91. 

4)  D'après  les  chiffres  donnés  par  Douet  d'Arcq,  Comptes  de  l'Hôtel,  284-285. 

5)  Compte  de  l'Hôtel,  du  1er  avril  1415  (fr.  6748,  fo  49). 


TRAITEMENTS    DES    AMBASSADEURS  17 

Enfin,  il  est  admis  que  les  ambassadeurs  peuvent  recevoir 
des  cadeaux,  et,  comme  nous  le  verrons,  l'usage  veut  qu'on 
leur  en  fasse.  Non  sans  quelque  hésitation,  les  jurisconsultes 
admettent,  en  droit,  que  l'ambassadeur  ne  doit  pas  compte 
de  ces  cadeaux  à  son  gouvernement,  et  qu'ils  lui  appartien- 
nent '.  Les  jurisconsultes  affectent  de  considérer  l'usage  des 
cadeaux  comme  un  acte  de  courtoisie,  qui  dérive  nécessaire- 
ment de  la  libéralité  des  princes  J.  Dans  les  temps  primitifs, 
les  légats  pontificaux  ne  se  croyaient  pas  en  droit  d'accepter 
des  cadeaux  ;   un  légat  repousse  avec  horreur,  à  Milan,  un 
vase  d'argent  que  veut  lui  donner  un  abbé,  il  n'accepte  qu'avec 
beaucoup  de  peine  deux  étoles  offertes  par  l'archevêque  \ 
Mais  cette  pureté  ombrageuse  ne  fit  pas  école.  Dans  une  lettre 
à  Eugène  III,  saint  Bernard  va  jusqu'à  accuser  les  légats  de 
piller  les  églises.  Les  ambassadeurs  doivent  seulement  rece- 
voir les  cadeaux  publiquement,  et  affecter  de  n'y  attacher  qu'un 
prix  tout  honorifique.  Les  ambassadeurs  de  Marguerite  d'Au- 
triche pour  son  hommage  à  Louis  XII,  en  1509,  écrivent  qu'ils 
ont  reçu   «  vins  et  viande,    »  et  qu'avant  leur  départ,  le  roi 
leur  a  fait  remettre,  en  leur  logis,  «bons,  grans  et  honnorables 
présens,  tant  en  vaisselle  d'argent,  chaîne  d'or,  et  autrement 
en  deniers,  jusques  au  moindre  de  vos  messagiers  ;  de  quoy, 
Madame,  disent-ils,  vous  avertissons  en  toute  humilité,  [et  de 
cet]  *  honneur  que  avons  receu  vous  remercions  s...  » 

Les  simples  diplomaties  seigneuriales,  autrefois,  se  trou- 
vaient naturellement  dans  une  situation  moins  prospère,  sous 


l)jtoart.  Laudensis,De  legatis,q.l,q.  22,  q.  35.  A  Venise,  les  décisions  variè- 
rent à  cet  égard. 

2)  Joan.  Hedin,  De  Majestaie  principis. 

3)  Année  1059(Baronius,  XVII,  p.  167). 

4)  Le  texte  imprimé  porte  :  «  De  ce  et  ». 

5)  Dépêche  à  Marg.  d'Autriche  (Lettres  de  Louis  XII,  1, 156). 

2 


18  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

ce  rapport,  que  la  diplomatie  royale,  sauf  la  diplomatie  bour- 
guignonne !.  «  Mon  ambaxadeur  m'aportoit  ung  harnoys  de 
par  le  duc  de  Milan,  mes  il  l'a  lessé  en  gaige  de  XX  escus  à 
Genepve,  »  écrit  en  1460  le  dauphin  Louis2.  Leduc  d'Or- 
léans paie  quatre-vingts  livres  une  ambassade  de  deux  mois, 
accomplie  en  Bretagne,  avec  «  grans  fraiz  et  despens  3  »  ;  il 
envoie  un  à-compte  de  quarante  livres  à  son  ambassadeur  à 
Nantes  *.  La  trésorerie  du  duc  d'Orléans  remet  deux  cent  cin- 
quante livres  de  provision  pour  un  ambassadeur  en  Savoie  et 
en  Montferrat5;  elle  ne  donne  que  deux  écus(ou  soixante-quatre 
sôus  deux  deniers)  à  un  serviteur  du  comte  de  Castres,  Bertrand 
de  Lupiac,  pour  porter  une  lettre  au  pape6.  François  de  Roche- 
chouart,  seigneur  de  Ghampdeniers,  reçoit  deux  cents  écus 
d'or,  pour  une  mission  de  sept  mois  sept  jours  à  la  suite  du 
roi  Charles  VIII,  soit  moins  d'un  écu  par  jour  7.  Hubert 
de  Grouches,  seigneur  de  Griboval,  maître  d'hôtel  du  duc 
d'Orléans  a,  en  1485,  treize  sous  et  demi  par  jour  pour  une 
mission  près  du  maréchal  des  Querdcs8,  et  Raoul  du  Refuge, 
simple  échanson,   dix  sous  seulement  pour  une  mission  di- 


1)  Jean  de  Vcrgy,  envoyé  en  1396  par  le  duc  de  Bourgogne  à  Bajazet  pour  la 
délivrance  du  comte  de  Nevers,  reçoit,  pour  cette  mission  pénible  et  périlleuse, 
8  francs  de  gage  par  jour  (soit  pour  ISO  jours,  20  janvier-18  juin,  1200  t'r. 
Delaville  Le  Houlx,  La  France  en  Orient,  II,  30).  Un  cordelier  quia  été  en  Tur- 
quie chercher  des  nouvelles  du  comte,  ne  reçoit  que  112  IV.  («/.,  29).C'est  l'ar- 
gentier, à  la  cour  de  Bourgogne,  qui  est  chargé  des  dons  pour  ambassades  et 
voyages  (Olivier  de  la  Marche,  IV,  p.  10). 

2)  Lettres  de  Louis  XI,  1,  n°  6. 

3)  Far  Mathurin  Brachet,  s6>'  de  Montagu-le-Blanc  (1483.  Tit.  Orléans, 
824). 

4)  Gilbert   Bertrand,  sgr  de  Lys   S'-Georges   (1483.  Tit.  Orléans,    824). 

5)  Ant.  de  la  Tour,  dit  Truquet  (1484.  Tit.  Orléans,  844  ;  De  la  Tour, 
8,9,10). 

6)  Tit.  Orléans,  XII,  834. 

7)  Pat.  d'Asti,  5  juin  1493  (ms.  fr.  26104,  1074). 

8)  Fr.  26099,  82. 


TRAITEMENTS    DES    AMBASSADEURS  19 

plomatique  près  du  duc  d'Alençon,  au  cours  de  laquelle  il 
est  pris  par  «des  brigans  '  ».  Le  secrétaire  Jean  Hervoet, 
envoyé  en  mission  près  du  roi  pendant  l'expédition  de  1495, 
reçoit  cent  livres,  plus  une  indemnité  spéciale  de  quatre  vingt 
dix  livres,  parce  qu'il  a  été  détroussé  '. 

Il  faut  donc,  de  toute  nécessité,  dans  la  diplomatie  fran- 
çaise, que  l'ambassadeur  possède  une  fortune  personnelle  qui 
lui  permette  d'attendre  le  règlement  de  son  traitement  et  les 
avantages  éventuels  de  son  ambassade.  Cette  nécessité  s'im- 
pose encore  plus  dans  les  autres  diplomaties.  L'empereur 
Maximilien,  par  économie,  a  pour  résident  en  France  le  ré- 
sident de  sa  fille  Marguerite  d'Autriche,  lequel  reçoit,  en 
principe,  un  traitement  de  cinq  ducats  par  jour  pour  ce  dou- 
ble service.  Malheureusement,  ce  traitement  n'est  payé  qu'à 
de  longs  intervalles.  Le  malheureux  résident,  dépourvu  de 
fortune,  passe  sa  vie  dans  un  véritable  désespoir;  ses  dépê- 
ches débordent  d'indignation  et  d'amertume.  Il  écrit,  le  2  sep- 
tembre loi 0,  pour  remercier  Marguerite  d'Autriche  de  cinq 
cents  florins  rapportés  par  son  secrétaire,  qu'il  avait  envoyé 
expressément  chercher  de  l'argent  :  autrement,  il  ne  savait  plus 
que  faire.  Depuis  deux  ans  et  trois  mois,  il  a  dépensé  pour  le 
service  1700  ducats.  Il  dépenserait  bien,  dit-il,  sa  fortune, 
mais  il  n'en  a  pas.  Il  jure  que  d'ici  à  une  vingtaine  de  jours 
il  se  trouvera  sans  un  blanc,  réduit,  ou  à  s'en  aller  sous  un 
prétexte  quelconque   pour  essayer  de  tirer  quelque  chose  de 


1)  Fr.  26099,112. 

2)  Ms.  fr.  26104,  pat.  du  28  juin  1495.  Pour  la  mission  accomplie  par  Wil- 
helm  de  Berchen,  curé,  notaire  et  tabellion  public,  pour  Marie  de  Clèves,  cet 

ut  reçoit  20  florins  d'honoraires,  tous  frais  payés  .Le  duc  de  Bretagne  paie 
200  écus  pour  une  ambassade  de  deux  personnes  ;'i  Avignon  en    1*0 «î  [métn. 

Bretagne,  II,  731),  le  duc  de  Lorraine  100  florins  vieux  du  Rhin  à  Henri  de 
la  Tour  pour  une  mission  près  du  duc  de  Bourgogne  (TU.  De  la  Tour,  6.  19 
déc.  1434).... 


20  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

l'empereur,  ou  à  emprunter,  ce  qui  serait  peu  honorable.  Sans 
doute,  en  disant  un  mot  au  roi  de  France,  il  en  obtiendrait 
des  subsides,  mais  il  aimerait  mieux  mourir...  Il  a  fait  dres- 
ser le  compte  de  ses  dépenses  par  son  secrétaire  :  com- 
ment habiller  lui  et  ses  gens  sur  son  traitement  de  cinq  du- 
cats par  jour,  son  unique  fortune  ?  Une  peut  plus  renvoyer  son 
secrétaire,  dont  il  a  d'ailleurs  besoin.  Il  expose  avec  amer- 
tume que  les  autres  ambassadeurs  reçoivent  leur  traitement 
et  le  remboursement  de  tout  l'extraordinaire,  sans  avoir  besoin 
de  réclamer.  Il  insiste  avec  désespoir  '.  Les  plaintes  succè- 
dent aux  plaintes.  Le  19  septembre,  il  va  être  déshonoré,  il 
va  être  obligé  de  trahir  les  embarras  de  sa  maîtresse,  il  va, 
à  sa  grande  honte,  emprunter  deux  écus  au  bâtard  de  Clèves 
et  à  l'ambassadeur  d'Espagne,  et  s'en  aller  '...  On  lui  envoie 
deux  cents  écus.  Il  s'indigne  :  que  faire  de  cette  somme  déri- 
soire ?  Il  n'a  seulement  pas  de  quoi  s'habiller.  Il  lui  faut  une 
robe  de  soie,  qui  à  elle  seule  absorbera  la  majeure  partie  de 
l'envoi.  Et  habiller  ses  gens  ?  et  payer  ses  dettes  ? 

En  1511,  ses  plaintes  prennent  un  tour  violent.  Il  est  tou- 
jours sous  le  coup  du  déshonneur.  Il  ne  peut  cependant  pas 
partir  sans  payer  ses  dettes.  Quelle  existence  que  de  mendier 
toujours  !  «  Le  grand  diable  a  voulu  que  la  paix  ne  s'a  faicte, 
afin  de  m' entretenir  pendu  comme  je  suis.  »  Il  écrit  en  même 
temps  deux  lettres  intimes  à  des  conseillers  de  l'archidu- 
chesse, pour  direqu'  «  il  n'en  peut  plus  »,  et  leur  demander 
au  moins  un  prêt  \  Il  veut  partir  *...  Du  reste,  Ferry  CaroU- 
delet,  envoyé  à  Bologne,  écrit  aussi  pour  réclamer  six  mois 


1)  Lettres  de  Louis  XII,  H,  14  et  s. 

2)  21  sept.  1510.  Lettres  de  Louis  XII,  II,  34,  3?. 

3)  Lettres  de  Louis  XII,  II,  212,  214-215. 

4)  Id.,  II,  230. 


TRAITEMENTS   DES    AMBASSADEURS  21 

de  gages  arriérés,  sans  lesquels  il  ne  pourrait  montrer  tout 
son  dévouement  \ 

En  1512,  «  nous  n'avons  plus  que  frire,  synonsur  Credo,  » 
écrit  le  chargé  d'affaires  3.  André  de  Burgo  sollicite  instam- 
ment l'envoi  d'une  lettre  de  change  à  son  créancier,  l'ambas- 
sadeur florentin,...  de  quoi  simplement  payer  ses  dettes  :  il 
invoque  l'empereur3,...  lequel  ne  paie  pas,  mais  exhorte  sa 
fille  à  payer  *. 

Les  préoccupations  incessantes  d'argent  troublent  profon- 
dément les  ambassadeurs.  La  pénurie  était  un  obstacle  na- 
turel et  matériel  au  succès  des  négociations.  En  revenant  de 
Rome  avec  l'ambassadeur  de  France,  mêlé  à  des  négociations 
de  première  importance  pour  l'Europe  entière,  André  de 
Burgo  envoie  d'Inspriick  un  émissaire  spécial  à  Bruxelles  ré- 
clamer six  mois  d'appointements;  couvert  de  dettes  en  France 
où  il  a  laissé  en  gage  sa  vaisselle  d'argent,  il  n'a  plus  de  quoi 
continuer  sa  route  s.  Une  autre  fois,  à  Lyon,  la  poste  lui  de- 
mande quatre  écus pour expédierses dépêches  :  où  les  prendre? 
Il  est  «  aussi  bas  »  que  s'il  sortait  d'une  longue  maladie.  Il 
a  dépensé  plus  de  1100  ducats  de  son  bien,  et  on  refuse  de 
les  lui  rembourser,  bien  que  ce  soit  «  sueur  de  son  corps  et 
peinne  de  son  sang.  »  —  «  Madame,  je  n'en  puis  plus,  et  vous 

1)  Id.,  II,  246.  Mercurin  de  Gattinara  écrit  à  Marguerite  d'Autriche  que, 
si  on  ne  lui  envoie  point  d'argent,  il  va  faire  faillite.  Il  va  être  obligé  défaire 
fondre  sa  cliaine  (1509.  Le  Glay,  Négociations,  I,  268,  294).  Naturelli  écrit 
de  Rome  à  Maximilien  qu'il  ne  vit  que  d'emprunts  :  «  les  postes  me  coustent 
beaucop  plus  que  mon  ordinaire  »  (1506.  Id.,  I,  125,  122).  Il  demande  son 
rappel.  La  pénurie  des  ambassadeurs  impériaux  était  tellement  connue  qu'en 
1506  un  escroc  cherche  à  se  faire  passer  à  Rome  pour  un  envoyé  de  Maxi- 
milien à  Xaples,  afin  de  pouvoir  emprunter  (id.,  I,  130). 

2)  Lettre  du  chargé  d'affaires  Leveau  à  Marg.  d'Autriche  (février  1512.  Let- 
tres de  Louis  XII,  III,  175.  Cf.  Le  Glay,  Négociations,  I,  503). 

3)  Mai  1512  (Lettres  de  Louis  XII,  III,  257). 

4)  Id.,  III,  203. 

K)  Février  1512  (Lettres  de  Louis  XII,  III,  159,  165). 


22  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

advertys  qu'il  m'est  impossible  vous  escripre  si  je  n'ay  le 
moyen,  car  il  me  fault  vivre,  et  j'ay  honte  pour  estre  ambas- 
sadeur de  l'Empire  d'escripre  qu'il  le  me  fault  oster  hors  de 
ma  bouche...  »  L'empereur  lui  adresse  une  lettre  «  mytié 
doulce  etaigre,  »  pour  lui  dire  de  n'être  «  si  hardi  »  de  quitter 
son  poste1.  Mais  comment  faire,  répondle  malheureux  Burgo, 
et  comment  payer  mes  créanciers  2  ? 

L'Allemagne  et  les  Pays  Bas  profitaient  de  leur  parenté 
pour  réaliser,  comme  on  voit,  des  économies  d'ambassade. 
En  même  temps  que  Maximilien  se  servait  ainsi  cumula- 
tivement  en  France  de  l'agent  de  Marguerite  d'Autriche, 
Marguerite  use,  pour  le  concile  de  Pise,  de  l'agent  de 
son  père  :  «  A  dire  vérité,  en  donne-t-elle  pour  motif,  les 
finances  de  par  deçà  sont  si  courtes  qu'on  ne  scauroit 
trouver  ung  denier  pour  faire  la  despesche  \  »  Parfois,  Maxi- 
milien et  Marguerite  se  rejettent  l'un  à  l'autre  la  charge  de 
l'ambassade  à  envoyer  :  c'est  ainsi  qu'ils  apprennent,  à  leur 
grande  colère,  en  1514,  le  mariage  de  la  fiancée  de  Charles 
d'Autriche,  Marie  d'Angleterre,  avec  Louis  XII.  Ils  n'avaient 
pu  se  mettre  d'accord  pour  l'envoi  d'un  ambassadeur  en  An- 
gleterre :  Maximilien  avait  prié  sa  fille  d'en  envoyer  un  :  Mar- 
guerite avait  répondu  qu'elle  trouverait  «  difficilement  per- 
sonnage qui  ait  voulu  em prendre  ladite  charge,  et  aussy  ce 
qui  estoit  nécessaire  pour  le  despécher,  »  mais  qu'elle  avait 
près  d'elle  deux  ambassadeurs  anglais  *... 

Nous  n'avons,  pour  les  ambassades  italiennes,  qu'à  répéter 
ce  que  nous  avons  dit  des   ambassades   françaises  et  alle- 

1)  En  1506,  un  ambassadeur  d'Allemagne   en   France  avait  déjà  déserté, 
faute  d'argent  (Le  Glay,  Négociations,  I,  143). 

2)  6  juin  1511.  Lettres  de  Louis  XII,  II,  266,  271. 
3>  1511.  Lettres  de  Louis  XII,  III,  90. 

4)  Lettres  de  Louis  XII,  IV,  296. 


TRAITEMENTS    DES    AMBASSADEURS  23 

mandes.  Là  aussi,  les  gouvernements  regardent  beaucoup  à 
envoyer  des  ambassades  et  à  les  payer.  Eu  1501,  la  ville  de 
Pistoia  refuse  de  se  charger  du  traitement  de  l'ambassadeur 
Corso  ;  il  faut  que  Florence  le  supporte  '.  L'ambassade  vé- 
nitienne envoyée  à  Worms  en  140  i  dépense  cinq  cents  du- 
cats par  mois,  et  pourtant  elle  n'obtient  rien  du  roi  des 
Romains  !  Cette  dépense  inutile  excite  fort  la  bile  des  Véni- 
tiens8. 

11  y  a  en  Italie  trois  et  même  quatre  manières  de  rémuné- 
rer les  ambassades  :  1°  paiement  d'une  somme  à  forfait,  sys- 
tème extrêmement  rare  et  exceptionnel  *;  2°  paiement  sur 
facture  de  toutes  les  dépenses.  Les  ambassades  dans  ces  con- 
ditions sont  fort  recherchées  :  ce  sont  les  ambassades  d'appa- 
rat, dont  on  ne  peut  estimer  d'avance  la  dépense  *  ;  3°  paie- 
ment par  mois,  limité  ou  demi-limité.  Pour  le  paiement  limi- 
té, on  fixe  à  tant  par  mois  les  honoraires,  et  on  fixe  aussi  le 
train  imposé  à  l'ambassadeur.  Le  paiement  demi-limité  est 
un  système  mixte.  Ainsi,  en  décembre  1510,  on  propose,  à 
Venise,  de  donner  à  un  ambassadeur  deux  cents  ducats  par 
mois,  avec  obligation  de  justifier  de  la  moitié,  plus  quatre  du- 
cats par  bouche.  L'avis  prévaut  de  lui  donner  par  mois  cent 
cinquante  ducats  nets,  à  ses  risques  et  périls,  avec  une  suite  de 

1)  Oct.  ioOl.  Commission  à  Pistoja,  dans  les  Œuvres  de  Machiavel. 

2)  Sanuto,  Spedizione,  290. 

3)  Le  sénat  de  Venise,  le  1er  avril  1477,  alloue  à  Gradenigo  une  somme 
considérable  pour  son  voyage,  800  ducats,  et  le  condamne  à  une  amende  de 
500  ducats  s'il  n'a  pas  quitté  Venise  le  9  avril  (Perret,  Ihbl.de  l'Ec.  desChar- 
tes,  LI,  p.  122). 

4)  Ambassade  vénitienne  pefur  l'avènement  du  nouveau  duc  de  Ferrare 
(Sanuto,  VI,  1-27  (.Quelquefois  le  système  se  modifie.  I  ne  ambassade  vénitienne 
de  ce  genre,  composée  de  six  membres, envoyée  à  Home  en  1509,  perd  de  suite 
un  de  ses  membres  :  quatre  autres  reviennent  en  mars  l.'HO,  un  seul  reste  à 
Home,  comme  résident  (Sanuto,  X,  34).  fie  dernier,  qui  a  été  jusque-là  aux 
dépenses  avec  les  autres,  aura  désormais  120  ducats  par  mois,  et  tiendra  dix 
chevaux  (id.,  42). 


24  LA    DIPLOMATIE   AD    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

douze  personnes,  y  compris  le  secrétaire  et  les  gens  '.  A 
Venise,  c'est  sur  la  question  des  traitements  limités  que 
s'engage  une  vraie  bataille.  Personne  ne  veut  les  accepter  '. 
Marc  Dandolo,  élu  ambassadeur  à  Rome,  réclame  comme 
condition  sine  qua  non  une  augmentation  du  traitement  ; 
on  refuse,  il  refuse  s.  Fr.  Foscari,  désigné  pour  la  France, 
déclare  qu'il  ne  peut  s'y  rendre  pour  dépenser  son  bien  \ 
Z.  Badoer,  revenant  de  Hongrie,  estime  y  avoir  laissé  plus 
de  jnille  ducats  de  son  patrimoine  \  Nous  ne  connaissons 
guère  d'ambassadeurs  qui  se  déclarent  au-dessous  des  dé- 
penses prévues  6  :  d'après  le  compte  de  Paul  Capello,  am- 
bassadeur à  Rome  en  1500,  cet  agent  avait  dépensé,  en 
seize  mois  et  vingt  et  un  jours  de  mission,  2900  ducats, 
soit  environ  six  ducats  et  demi  par  jour,  près  de  deux  cents 
ducats  par  mois,  y  compris  cent  cinquante  ducats  de  loyer, 
et  quelques  dépenses  extraordinaires,  mais  néanmoins  nor- 
males :  cent  trente  ducats  de  médecine  et  de  pharmacie, 
trente  trois  pour  menus  présents,  soixante  pour  des  Hvrées 
qui  restaient  à  l'ambassade 7. . .  Or,  Venise  n'accordait  deux 
cents  ducats  par  mois  qu'à  l'ambassade  en  Hongrie8,  et  à  une 
ambassade  près  le  soudan  d'Egypte,  avec  douze  gens  et  un 
secrétaire  9.  Les  autres  recevaient  cent  ducats  par  mois.  On 
proposa,  en  1505,  d'élever  à  cent  vingt  ducats  l'ambassade  de 

1)  Dec.  4510.  Sanuto,  XI,  665. 

2)  3  août  1501.  Sanuto,  III,  90. 

3)  28  janvier  1502.  Sanuto,  IV,  214. 

4)  Sept.  1500.  Sanuto,  III,  757. 

5)  1504.  Sanuto,  V,  823. 

6)  L'orateur  vénitien  envoie  de  Nantes,  le  21  octobre  1500,  une  lettre  sur 
ses  comptes.  Il  dit  être  resté  de  750  ducats  en  deçà  de  ce  qu'il  pouvait  dépen- 
ser (Sanuto,  III,  1050). 

7)  Reu.nont,  Délia  diplomazia  italiana,  p.  232. 

8)  Janv.  1501.  Sanuto,  III,  1252. 

9)  Sanuto,  IV,  286.  Domenico  Trevisan,  partant  en  ambassade  en  Egypte, 
emporte  500  ducats  (1512.  Schefer,  Le  voyage  d'outremer,  p.  247). 


TRAITEMENTS    DES    AMBASSADEURS  25 

Rome,  à  cause  du  prix  des  vivres  ;  la  motion  ne  réussit  pas  ', 
C'est  en  1506  seulement  que,  dans  l'impossibilité  de  trouver 
des  ambassadeurs,  le  conseil  de  Venise  dut  fixer  à  cent  vingt 
ducats  le  salaire  mensuel  fixe  ',  ou  à  cent  cinquante,  moyen- 
nant une  reddition  de  compte  s.  Vainement  on  proposa  d'é- 
lever à  cent  quarante  ducats  fixes  l'ambassade  de  Rome  *. 
On  envoie  à  Londres  un  ambassadeur  à  cent  vingt  ducats,  avec 
l'obbgation  de  mener  huit  chevaux  5.  Dès  1503,  Dandolo 
avait  obtenu,  en  France,  cent  cinquante  ducats,  en  démon- 
trant qu'il  dépensait  sa  fortune6.  Son  successeur  de  1506, 
Mocenigo,  ramené  à  cent  vingt  ducats,  proteste  avec  une 
extrême  énergie,  au  nom  des  précédents,  au  nom  des  dépenses 
ordinaires  et  extraordinaires,  si  considérables,  si  variées, 
qu'impose  l'obligation  de  garder  «  el  decoro,  »  au  nom  de 
l'égalité,  au  nom  de  l'intérêt  de  l'Etat,  des  promesses  qu'on 
lui  a  faites  7. 

A  Florence,  il  en  était  de  même.  Boccace,  envoyé  à  Avi- 
gnon, en  1365,  recevait  deux  florins  par  jour;  à  la  fin  du 
XIVe  siècle,  le  salaire  monte  à  quatre  ou  cinq  florins  par  jour8. 
On  tâtonna  beaucoup  pour  concilier  les  intérêts  de  l'Etat  et  ceux 
des  ambassadeurs,  sans  y  arriver  :  en  1408,  on  divisa  les  am- 
bassadeurs en  deux  classes,  l'une  pouvait  dépenser  jusqu'à 

1)  5  mai  1505.  Sanuto,  VI,  460. 

2)  Salaire  aussi  des  provéditeurs,  qui  refusaient  également  (Arch.  de  Ve- 
nise, Secreto  41,  194). 

3)  17déc.  1506.  Sanuto,  VI,  511. 

4)  21  déc.  1506.  Sanuto,  VI,  514. 

5)  Janv.  1510.  Sanuto,  IX,  468. 

6)  22  déc.  1503.  Sanuto,  V,  591. 

7)  Dépêche  de  Blois,  3  mars  1506  (Arch.  de  Venise).  A  Venise,  les  testa- 
ments portent  souvent  un  legs  au  service  des  ambassades,  pour  soutenir 
l'honneur  de  la  république  (communication  du-Commr  Stefani,  l'éminent 
directeur  des  Archives  de  Venise). 

8)  Salviati,  avec  sept  chevaux,  à  Rome,  reçoit,  en  1401,  4  florins  ;  en  France, 
en  1404,  il  reçoit  5  florins  (Reumont,  p.  231). 


26  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

cinq  florins  par  jour,  avec  dix  chevaux,  l'autre  jusqu'à  quatre 
florins,  avec  huit  chevaux  ;  et  encore  sous  réserve  de  rendre 
compte.  Pour  un  couronnement,  on  fournissait  des  vête- 
ments d'apparat  à  l'ambassadeur,  mais  il  devait  les  restituer 
au  retour  \  En  1430,  on  décida  même  d'attacher  aux  am- 
bassades un  massier  chargé  de  tenir  les  comptes.  Au  retour, 
un  mois  après  la  production  de  ces  comptes,  on  allouait  un 
salaire  maximum  d'un  florin  par  jour  à  l'ambassadeur  de 
première  classe,  d'un  demi  florin  aux  autres,  pourvu  que  le 
chiffre  des  dépenses  et  le  salaire  additionnés  ne  dépassassent 
pas  cinq  ou  quatre  florins,  suivant  les  cas  2.  Aussi  c'était  à 
qui  n'accepterait  pas  d'ambassade. 

Au  temps  de  Machiavel, on  suit  un  système  différent. 

Machiavel  reçoit  dix  livres  par  jour,  y  compris  ses  gages 
de  deuxième  secrétaire,  ou  cinq  livres,  sans  les  comprendre. 
En  1510,  pour  son  séjour  en  France,  son  traitement  fut 
élevé  de  dix  livres  à  douze  8.  Aussi  les  dépêches  de  Machiavel 
sont  remplies  de  demandes  d'argent,  de  plaintes,  d'objurga- 
tions, d'impatiences,  aussi  vives  que  celles  d'André  de  Bur- 
go,  quoique  plus  châtiées  en  la  forme.  En  1500,  comme  pro- 
vision de  départ,  on  ne  lui  a  donné  que  quatre  vingts  ducats*. 
«  La  modicité  de  notre  traitement,  les  dépenses  qui  nous 
incombent,  le  peu  d'espérance  de  recevoir  de  nouveaux  se- 

1)  En  1502,  pour  le  mariage  d'Alphonse  d'Esté  avec  Lucrèce  Borgia,  les 
deux  envoyés  vénitiens  reçurent  chacun  un  manteau  de  velours  cramoisi, 
fourré,  tout  neuf,  qu'ils  essayèrent  à  Venise  devant  4.000  personnes  :  après 
s'être  présentés  à  Ferrare  avec  ce  manteau,  ils  l'ôtôrent  et  l'offrirent  à  la  du- 
chesse en  cadeau  de  noces  au  nom  de  la  République,  ce  qui  parut  un  trait 
d'économie  fort  plaisant  (Gregorovius,  Lucrèce  Borgia,  tradon  Regnauld,  II, 
58). 

2)  Décision  citée  par  Canestrini,  Scritti  inediti...,  u,  lu. 

3)  Id.,  p.  L1II-LV. 

4) D'après  la  commission,  il  recevait  20  gros  florins  par  mois,  outre  son  trai- 
tement, et  son  compagnon  François  Délia  Casa  8  petits  florins  par  jour,  soit 
le  double. 


TRAITEMENTS    DES    AMBASSADEURS  27 

cours  nous  mettent  dans  un  grand  embarras,  »  écrit-il  de  la 
cour  de  France,  dès  sa  seconde  lettre  l.  Dans  la  troisième,  il 
demande  une  avance  pour  les  frais  de  courriers,  n'ayant  «  ni 
argent  ni  crédit.  »  Dans  la  quatrième,  il  réclame  son  rap- 
pel ;  dans  la  cinquième,  il  annonce  que  l'argent  remis  par 
Florence  représente  les  deux  tiers  des  dépenses,  et  qu'il  faut 
envoyer  les  courriers  sur  la  bourse  personnelle  des  ambassa- 
deurs. Dans  la  huitième,  il  insiste  vivement  sur  la  disparité 
des  traitements  des  deux  ambassadeurs.  Dans  la  treizième,  il 
demande  un  envoi  d'argent,  «  notre  fortune  et  notre  crédit  ne 
nous  permettant  pas,  comme  à  beaucoup  d'ambassadeurs,  de 
vivre  ici  plusieurs  mois,  ni  même  plusieurs  semaines,  à  nos 
dépens.  »  Dans  la  lettre  suivante,  il  dit  qu'il  va  falloir  renon- 
cer à  la  mission.  Dans  la  seizième,  il  est  heureux  d'économi- 
ser trente  cinq  écus  sur  un  courrier.  Le  1  1  octobre  1500,  il  écrit 
par  la  poste,  faute,  dit-il,  de  pouvoir  payer  un  courrier. 
Dans  ses  dépêches  du  18  décembre  1502  près  du  duc  de  Ya- 
lentinois,  dans  la  dépêche  de  Vettori  du  8  février  1508,  près 
de  l'empereur,  dans  la  dépêche  du  12  décembre  1509  à  Man- 
toue,  nous  trouvons  des  plaintes  semblables.  Machiavel  con- 
sacre à  Rome,  le  22  novembre  1503,  une  dépêche  à  l'établis- 
sement de  ses  comptes.  Il  avait  reçu  au  départ  trente  trois 
ducats  ;  les  frais  de  poste  en  ont  absorbé  treize,  l'achat  d'une 
mule  dix  huit,  l'achat  d'habits  trente  neuf,  en  tout  soixante 
dix  :  le  séjour  à  l'auberge  coûte  dix  carlins  par  jour.  Il  sol- 
licite au  moins  le  remboursement  des  frais  de  route,  comme, 
dit-il,  cela  s'est  toujours  pratiqué. 

Les  ambassadeurs  vénitiens  ne  se  plaignent  pas  moins  *  ; 

1)  Dép.  du  8  oct.  1500. 

2)  L'ambassadeur  vénitien  à  Londres,  en  1509,  se  plaint  de  ne  pouvoir, 
faute  d'argent,  faire  honneur  à  la  Seigneurie  (Sanuto,  VIII,  281)  :  il  a  «  im- 
peguato  li  argenti,  per  non  trovar  danari  a  cambio  »  (Nov.  1SQ9,  pendant  la 
guerre  de  Venise  avec  la  France  et  l'Allemagne.  Sanuto,  IX,  418). 


28  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

on  trouve  exactement  les  mêmes  réclamations  dans  la  diplo- 
matie milanaise  !.  Toutes  les  diplomaties  se  ressemblent  sur 
ce  point. 

En  réalité,  quand  les  ambassadeurs  justifiaient  d'impé- 
rieuses nécessités,  les  gouvernements  devaient  bien  céder. 
L'ambassadeur  italien  en  France,  outre  sa  provision  du  dé- 
part, touchait  d'ordinaire  une  somme  à  son  arrivée  à  Lyon  ; 
de  plus,  son  prédécesseur  lui  remettait,  s'il  y  avait  lieu,  l'en- 
caisse de  l'ambassade.  L'ambassadeur  cherchait  à  rejeter  sur 
la  Seigneurie  le  poids  des  dépenses  extraordinaires  ou  des 
avances  de  fonds  :  expédiait-il  un  courrier,  il  le  payait  (quand 
il  pouvait)  par  une  lettre  de  change  sur  son  gouvernement. 

Ant.  Giustinian,  ambassadeur  de  Venise  à  Rome  depuis 
deux  ans,  écrit  qu'il  n'a  jamais  eu  qu'un  cheval,  maintenant 
hors  d'état  et  qui  ne  peut  plus  se  monter  convenablement.  Il 
prie  son  gouvernement  de  l'autoriser  à  en  acheter  un  autre  ;  il 
donnera  le  vieux  à  un  de  ses  serviteurs,  qui  avait  prêté  le  sien 
à  un  courrier,  expédié  pour  porter  la  nouvelle  de  la  mort  du 
pape  Alexandre,  et  auquel  des  gens  d'armes  l'ont  volé.  Gius- 
tinian ajoute  qu'il  achètera  le  cheval  à  aussi  bon  compte  que 
possible,  et  il  voudrait  le  payer  en  une  lettre  de  change  sur 
Venise  2.  L'ambassadeur  de  Venise  à  Londres,  tout  en  récla- 
mant de  l'argent,  demande  qu'on  donne  passage  à  sa  femme 
sur  les  galères  de  l'Etat  pour  venir  le  rejoindre,  avec  son  gen- 
dre comme  capitaine.  Il  écrit  à  sa  femme  de  faire  diverses  dé- 
penses, et  prie  la  Seigneurie  d'octroyer  quatre  cents  ducats 
pour  les  rembourser'.  Diverses  autres   dépêches  montrent 


1)  Dépêches  des  ambassadeurs  de  Galeas  Maria  Sforza  (Gingins  la  Sarraz, 
Dépêches...,  I,  V). 

2)  6  févr.  1505.  Dispacci  di  Giustinian,  III,  403. 

3)  Sept.  1510.  Sanuto,  XI,  Ô90. 


TRAITEMENTS    DES    AMBASSADEURS  29 

qu'en  définitive  les  ambassadeurs  vénitiens  obtenaient  des 
suppléments  sur  justification  '. 

D'après  la  Relation  vénitienne  de  Marino  Cavalli.  en  1546, 
les  ambassadeurs  des  diverses  puissances  recevaient  d'ordi- 
naire huit  à  dix  ducats  3  ou  écus  par  jour  ;  de  plus,  certains 
ambassadeurs  touchaient  2  ou  3  0/0  sur  les  affaires  des  parti- 
culiers. Cavalli  cite  un  ambassadeur  allemand  qui  gagna 
3.000  écus  de  ce  dernier  chef.  Il  était  d'usage  aussi  qu'une 
ambassade  valût  la  collation  de  bénéfices  ecclésiastiques  plus 
ou  moins  opimes. 

Les  envoyés  vénitiens  ne  recevaient  que  cinq  ducats  8. 

Un  ambassadeur  ne  peut  accroître  ses  ressources  par  des 
actes  d'industrie  personnelle  :  ouvrir  un  cabinet  d'avo- 
cat, de  médecin,  faire  le  négoce...  Tout  au  plus  lui  per- 
met-on de  donner  des  conseils  gratuits,  à  titre  amical.  Il  doit 
compte  à  l'État  de  tout  son  temps  et  de  tous  ses  efforts  *.  Il 
déroge  bien  rarement  à  cette  règle.  Cependant,  en  1499,  deux 

1)  Foscari  écrit  de  Lyon,  le  16  septembre  1501  :  «  II  y  aura  le  24  un  an 
que  je  suis  en  cette  légation.  J'ai  touché  en  tout  1400  ducats,  soit  200  au  dé- 
part, 200  à  Lyon,  1000  remis  par  mon  prédécesseur.  Les  courriers  et  autres 
semblables  dépenses  m'ont  coûté  140  ducats,  compris  les  deux  courriers  qui 
m'accompagnèrent  en  France, que  j'eus  pendant  deux  mois  «à  mes  épaules», 
et  dont  je  dus  payer  le  retour.  J'espère  que,  quoique  je  sois  toujours  en  mou- 
vement et  depuis  six  mois  en  Bourgogne  ou  ici,  où  règne  une  grande  pénurie 
de  vivres,  Y»  Seigneurie  approuvera  mes  dépenses,  laites  avec  toute  la  parci- 
monie possible  »  (Archives  de  Venise).  Il  écrit  de  Lyon,  le  22  octobre  1500  : 
«  On  ne  m'a  donné  au  départ  que  1200  ducats;  Bened.  Trevisan  devait  m'en 
faire  donner  1000.  Il  est  en  Bretagne  avec  le  roi,  et  ne  peut  faire  ouvrir  ce 
crédit  en  son  absence.  Heureusement,  j'ai  trouvé  personnellement  du  crédit. 
Le  voyage  est  long,  en  Bretagne  ;  il  y  aura  le  25  un  mois  que  j'ai  quitté  Ve- 
nise. Avant  de  partir,  j'ai  donné. des  salaires  à  ma  famiglia,  et  fait  les  autres 
dépenses  ordinaires  et  extraordinaires  en  carriazzi.  carrozze  et  autres.  Il 
me  faut  de  T'argent,  car  200  ducats  n'ont  pu  me  mener  loin  »  (Mêmes  ar- 
chives) . 

2)  Le  ducat  valait  alors  7  à  8  livres. 

3)  Tommaseo,  Relations  des  ambassadeurs  vénitiens,  I,  361. 

4)  Martinus  Laudensis,  De  legatis,  q.  35. 


30  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE    MACHIAVEL 

ambassadeurs  de  Russie  viennent  à  Venise,  suivis  d'un  mar- 
chand, qui  offre  avec  eux  des  fourrures  au  doge,  et  leur  suite 
vend  une  quantité  de  fourrures1.  Il  est  évident  qu'on  pour- 
rait refuser  à  un  commerce  de  ce  genre  le  bénéfice  de  l'im- 
munité diplomatique.  Mais  une  ambassade  uniquement  en- 
voyée pour  des  achats  trouve  très  bon  accueil  dans  les  répu- 
bliques commerçantes  *. 

L'ambassadeur  espagnol  Puebla  tient  à  Londres  un  cabinet 
d'avocat  et  rançonne  ses  compatriotes  :  sur  les  plaintes  qui 
s'élèvent,  le  gouvernement  espagnol  prescrit  une  enquête  en 
1198;  mais,  comme  Puebla  a  l'oreille  du  gouvernement  an- 
glais, l'enquête  n'aboutit  qu'à  lui  faire  adjoindre  un  autre 
ambassadeur,  l'évêque  don  Pedro  de  Avala,  qui  revenait 
d'Ecosse  3. 

1)  Sanuto.  III,  61. 

2)  Ambassade  du  voivode  de  Moldavie  envoyée  à  Venise  pour  acheter  des 
joyaux  et  des  étoffes,  avec  des  lettres  de  créance  et  des  présents  de  fourrures 
(1506.  Sanuto,  VI,  291). 

3)  Bergenroth,  Calendar  of  letters;  de.iputr.hes...,  preseroed  in  the  archives 
of  Simancas,  p.  xvm,  164  et  s. 


CHAPITRE  V 

IMMUNITÉS 

La  diplomatie  repose  essentiellement  sur  le  droit  d'aller  et 
venir  librement.  Toute  personne,  régulièrement  munie  d'une 
commission  d'envoyé,  a  le  droit,  ipso  facto,  de  circuler,  parmi 
les  ennemis  comme  parmi  les  amis,  sous  la  sauvegarde  du 
droit  naturel  et  divin.  De  tout  temps,  la  personne  de  l'ambas- 
sadeur a  été  revêtue  d'un  caractère  sacré  :  c'est  un  principe 
absolu,  universellement  proclamé  en  droit  romain1  aussi  bien 
qu'en  Grèce,  conservé  par  une  longue  et  inviolable  pratique  ", 
et  imposé  par  lanécessité3.  «  [Oratoribus|  etiam  ad  bostes  ipsos 
per  omnia  quasi  secula  tutus  aditus  esse  consuevit,  ipsumque 
legati  nomen  apud  omnes  sanctissimum  est  *.  »  L'envoyé  part 
«  au  nom  de  Dieu,  au  nom  de  l'Esprit  Saint,  de  la  Vierge 5  », 
et  sous  cette  égide,  quel  qu'il  soit,  ambassadeur  ou   simple 

t)  «  Sic  enim  sentio  jus  legatorum...  etiam  divinojure  esse  vallatum»  (Ci- 
céron,  De  Ituruspiciis,  c.  16):  «  Sancta  sunt  corpora  legatorum  »  (Varron, 
De  lingua  latina,  1.  m)  etc.  Etienne  Dolet,  dans  son  traité  De  officio  legati, 
§  De  immunitate  legatorum,  imprimé  à  Lyon,  en  1541,  cite  Tite-Live,  Quinte 
Curce,  Thucydide,  etc.,  etc.  Y.  Sulï  inviolabililà  degli  agenli  diplomatici, 
par  le  prof.  L.  Olivi,  Modena,  1883,  p.  8. 

2)  Conradi  Bruni,  De  leyationibus  libri  quinque,  1548  :  lib.  îv. 

3)  «  Legati  habent  immunitatem  a  lege,  ut  possint  ire  secure  etiam  ad 
hostes  »  (Martini  Laudensis,  De  legalis,  q.  18). 

4)  Lettre  du  duc  de  Milan,  29  mai  1454  (Lettres  de  Louis  XI,  I,  p.  253). 

5)  «  Cum  el  nome  de  Dio  :  »  «  Innumine  Domini.  »  Presque  toutes  les  ins- 
tructions vénitiennes  portent  cette  mention,  à  laquelle  on  ajoute  quelquefois 
celle  de  St  Marc.  V.  nul.  Instructions  vénitiennes,  du  5  mai  1509,  du  17  mai 
1509  (A.  de  Veuise,  Secreto  41,  171,  180  *o):  ±±  déc.  1512  (mêmes  Archives)  : 
26  sept.  1499  (mêmes  Archives,  Secreto  37,  128). 


32  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

trompette  parlementaire,  il  ira  jusqu'au  milieu  d'une  armée 
ennemie. 

Il  a  pour  bouclier  toutes  les  lois  divines,  naturelles  et 
positives,  son  assimilation  à  la  personne  même  du  prince  qu'il 
représente  ',  les  vieilles  lois  romaines  *,  surtout  les  lois  cano- 
niques \  «  De  droit  escript,  dit  Honoré  Bonet,  les  ambassa- 
deurs ou  les  légats  vont  tout  seurement  par  les  champs.  Et... 
nuls  ne  les  doit  empeschier  ne  destourber  ne  faire  injure  *.  » 
L'injure  contre  eux  constitue  un  sacrilège  5,tout  obstacle  à  leur 
mission  comporte  une  excommunication  de  plein  droit 6,  sans 
préjudice  de  la  peine  criminelle.  Conrad  Briinn  les  compare 
à  des  anges  du  ciel,  aux  apôtres  du  Christ,  au  Christ  lui-même, 
type  suprême  du  légat,  de  l'ambassadeur  de  Dieu 7  ;  le  Décret 
de  Gratien  les  assimile,  «  cum  suis  rébus  »,  aux  choses  sa- 
crées 8  :  aux  églises,  aux  pauvres,  aux  femmes,  aux  gens  sans 
armes,  aux  clercs  :  quiconque  leur  porte  préjudice,  encourt, 
par  le  fait  même,  anathème,  jusqu'à  complète  expiation  B. 

i)  L'injure  à  lui  faite  est  faite  au  prince  (Martinus  Laudensis,  De  legatis, 
q.  19). 

2)  Lex  Julia,  de  vi  publica  :  Mart.  Laudensis,  q.  5,  12,  18. 

3)  V.  le  savant  mémoire  de  M.  Nys,  Les  origines  de  la  diplomatie,  pages  33 
et  suivantes.  Dans  l'ancienne  diplomatie  russe,  l'inviolabilité  des  envoyés  était 
stipulée  par  les  traités  (Serge  de  Westman,  Revue  d'Histoire  Diplomatique). 

4)  L'arbre  des  batailles,  cxcvi. 

5)  M.  Laudensis,  q.  38. 

6)  Id.,  q.  12.  —  «  Legati  dicuntur  sancti  »  (id.,  q.  31 1. 

7)  De  legationibus,  lib.  iv. 

8)  <(  Dans  la  diplomatie  russe  du  Moyen-Age,  dit  M.  de  Westman  (loc.  cit.), 
le  meurtre  d'un  ambassadeur  était  considéré  comme  un  crime  exceptionnelle- 
ment grave.  Mais  ceux  des  Polovetz,  et  dans  la  suite  les  ambassadeurs  des 
Fatars,  n'étaient  pas  toujours  assurés  de  leur  inviolabilité.  Souvent  les  am- 
bassadeurs d'un  prince  apanage  étaient  retenus  comme  otages  par  un  autre. 
Une  offense  contre  eux  était  punie  comme  envers  un  prêtre  ou  un  des  plus  illus- 
tres personnages.  L'amende  pour  une  telle  offense  était  portée  au  double  de  la 
somme  ordinaire.  » 

9)'  Decretum  Gratiani,  Secunda  pars,  causa  xxiv,  quest.  m,c.  24,  25  (édon 
Friedberg,  I,  c.  997). 


IMMUNITÉS  33 

Rien  ne  peut  donc  arrêter  une  mission  diplomatique.  Avant 
la  bataille  de  Fornoue,  Charles  VIII  envoie  un  trompette  au 
camp  italien,  proposer  des  négociations.  Le  provéditeur  vé- 
nitien répond  que,,  si  un  second  parlementaire  se  présente,  il 
sera  massacré.  Un  second  trompette  arrive  ;  le  provéditeur 
se  borne  à  «  l'envoyer  au  diable  »,  et,  du  reste,  un  autre  pro- 
véditeur accepte  les  propositions  '.  Le  fait  même  qu'un  am- 
bassadeur vient  d'un  pays  contaminé  par  la  peste  ne  fournit 
pas  un  motif  suffisant,  à  ce  qu'il  semble,  pour  retarder  sa 
mission  '. 

Il  est  évident  toutefois  que  l'immunité  nécessite  la  produc- 
tion de  pouvoirs  réguliers.  Ainsi  elle  est  assurée  aux  ambassa- 
deurs résidents  ou  temporaires,  aux  ambassadeurs  d'apparat, 
aux  hérauts  et  trompettes  en  mission,  aux  ambassades  secrètes 
régulièrement  accréditées,  mais  l'agent  officieux  non  accré- 
dité n'a  droit  à  aucune  sauvegarde. 

Quant  aux  consuls,  malgré  leur  caractère  public  et  leur 
rôle  fréquent  de  sous-agents  politiques,  ils  sont  seulement 
chefs  d'une  colonie  marchande,  et  ne  peuvent  se  prévaloir  de 
l'immunité  diplomatique  3.  Si  la  personne  dont  ils  ont  à  se 

1)  Sanuto,  Spcdizione,  4S4-4oo.  x 

2)  Sanuto,  III,  893. 

3)  Cela  résulte  de  leurs  rapports  eux-mêmes.  V.  un  rapport  de  Damas* 
constatant  que  le  consul  de  Venise  a  été  battu  (21  février  1501.  Sanuto,  IV, 
6).  Des  marchands  vénitiens  ayant  été  mis  en  prison  au  Caire,  le  consul  de 
Damas  arrive  faire  une  réclamation.  Le  Soudan  le  reçoit  fort  mal  :  il  l'accusé 
d'avoir  donné  à  des  envoyés  du  Sophi  à  Venise  une  lettre  de  recomman- 
dation :  il  le  traite  non  de  consul,  mais  d'espion,  et  le  fait  mettre  aux  fers. 
Le  consul  d'Alexandrie  vient  réclamer  ;  comme  il  ignore  les  faits,  on  le  laisse 
en  liberté,  maison  arrête  ses  marchands  (mars  1511.  Sanuto,  XII,  207,  210 
et  s.)  :  les  marchands  vénitiens  emprisonnés  avec  leur  consul  de  Damas,  au 
Caire,  écrivent  pour  demander  l'envoi  d'un  ambassadeur  (mai  1511.  Sanuto, 
XII,  21  i)  ;  l'ambassadeur  vénitien  envoyé  au  Caire  désavoue  pleinement  le 
consul  en  cas  de  faute,  et  déclare  que  la  Seigneurie  n'y  est  pour  rien,  qu'elle 
fera  justice  :  il  attache  lui-même  la  chaîne  au  cou  du  consul.  Il  obtient  ainsi; 

3 


34  LA   DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

plaindre   est  un  de  leurs    nationaux,  ils  peuvent  déférer  la 
poursuite  à  leur  gouvernement !. 

Une  personne  qui  obtiendrait  une  fausse  mission  diploma- 
tique pour  traverser  sûrement  un  pays,  commettrait  un  acte 
fort  repréhensible  et  de  mauvaise  foi  2. 

L'ambassadeur  a  un  caractère  sacré,  non  seulement  dans  le 
pays  où  il  est  destiné,  mais  dans  ceux  qu'il  traverse.  Cepen- 
dant, en  fait,  certains  gouvernements  italiens  ont  souvent 
donné  l'exemple  d'arrêter,  au  moins,  des  courriers.  Le  roi 
Louis  XII  reconnaît  le  principe  du  respect  dû  aux  ambassa- 
deurs ou  aux  courriers  étrangers  qui  traversent  la  France  :  la 
question  se  présentait  pour  l'Espagne  3.  Les  Anglais  ne  re- 
connaissent point  d'immunité  diplomatique  aux  ambassa- 
deurs, ni  même  aux  princes  voyageurs,  qu'une  tempête  jette 
sur  leurs  côtes  ;  ils  appliquent  strictement  le  droit  de  prise,  au 
point  qu'on  vit  le  roi  d'Angleterre  faire  prisonnier  l'archiduc 
Philippe,  jeté  sur  les  eûtes  au  commencement  du  XVIe  siè- 
cle a  son  retour  d'Espagne  en  Flandre  ;  mesure,  d'ailleurs, 
jugée  contraire  au  droit  international. 

En  1458,  Charles  VII  fait  payer  la  rançon  (4.000  écus  d'or) 
de  Guillaume  Menipeny,  seigneur  de  Concressault,  envoyé  en 
ambassade  près  le  roi  d'Ecosse,  et  naufragé  en  Angleterre   : 

après  des  explications  orageuses,  la  permission  de  l'emmener  enchaîné  (Ch. 
Schefer,  Le  voyage  d'outremer,  p.  194-196,  i.xxxi),  mais  il  n'excipe  d'aucun 
principe  d'immunité  diplomatique. 

1)  Rapport  du  consul  vénitien  à  Londres,  constatant  qu'un  vénitien  l'a 
frappé  sur  la  gala.  Un  autre  national  écrit  pour  défendre  celui  qui  a  frappé. 
L'affaire  est  renvoyée  aux  avogadori  (Venise,  janv.  1504.  Sanulo,  V,  7;-!0). 

2)  Le  traité  de  Louis  XII  avec  l'archiduc,  (pie  te  roi  d'Espagne  refusa  de  ra- 
tifier, fut  considéré  comme  un  mauvais  artifice  de  l'archiduc  pour  traverser 
sûrement  la  France,  à  ce  qu'assure  Wicquefort,  Mémoires...,  p.  56i. 

3)  Ordre  de  délivrer  un  sauf  conduit  à  un  envoyé  de  l'archiduc  en  Espagne 
[fr.  2928,  f"  '().  Par  une  lettre  du  13  mars  1506,  Maximilicn  demande  au 
cardinal  d'Amboise  un  sauf  conduit  pour  les  ambassadeurs  qu'il  envoie  en 
Oastille  (fr.  2756,  f»  261). 


IMMUNITÉS  35 

le  navire  s'était  perdu  corps  et  biens,  Menipeny  et  ses  gens 
«  furent  prins  et  emprisonnés  par  noz  anciens  ennemis  et  ad- 
versaires les  Englois*.  »  Les  Suisses,  en  paix  avec  la  France, 
violent  de  même  le  droit  des  irons  en  1483  ;  ils  arrêtent  An- 
toine Loivdan.  envoyé  en  ambassade  de  Venise  en  France,  et 
ne  lui  rendent  la  liberté  que  sur  sa  parole  de  ne  rien  négo- 
cier contre  le  pape  '". 

Jusqu'à  quel  point  s'étend  la  sauvegarde  due  aux  personnes 
et  aux  cboses  d'une  ambassade  qui  traverse  le  territoire? 
doit-ou  à  l'envoyé  une  liberté  sans  limites  ?  L'ambassadeur 
aura-t-il  toute  licence  de  parler  à  qui  bon  lui  semble,  de  se 
concerter,  de  recevoir  des  visites  ?  Non.  Le  gouvernement 
peut  mettre  sous  bonne  garde  la  maison  où  il  séjourne  et  ré- 
gler ses  rapports  dans  le  pays  3. 

Jusqu'où  s'étend  l'immunité  diplomatique,  proprement  dite? 
On  distingue.  Pour  les  faits  antérieurs  à  la  mission,  pas  de 
doute  :  l'immunité  civile  et  pénale  est  absolue.  L'effet  des  lois 
se  trouve  suspendu.  On  ne  peut  opposera  l'envoyé  ni  droit 
de  marque,  de  représaille  ou  d'entrecours  \  ni  poursuite 
pour  dette,  rupture  de  ban  ou  bannissement  ''.  Un  banni  ren- 
trera librement,  s'il  est  revêtu  d'un  caractère  diplomatique  6, 

1 1  Calaloyue  de  Documents..,  Eugène  Charavay,  novembre  1885  :  Document 
i.  —  Paiement  à  un  capitaine  de  navire  chargé  d'amener  d'Ecosse  Robert 
Coqueborne,  aumônier  du  roi,  el  un  chcvauclieur  du  roi.  Le  navire  ayant  t'ait 
naufrage,  Coqueborne  avait  été  retenu  prisonnier  (1507.  Kr.  20436,  fo  39). 
■2\  1483.  Dclaborde,  Expédition  de  Charles  VIII,  p.  150. 
.'.    Des  ambassadeurs  turcs  se  rendant  en  France  sont  mis  à  Venise  sous 
bonne  garde  et  on  ne  permet  aux-  ambassadeurs  de  Rhodes  de  conférer  avec 
eux  qu'en  présence  de  personnages  vénitiens  (Sanuto,  III,  571-572). 

i  h  Non  possunt  oapi  pro  represaliis  »  (Martin  de  Lodi,  citant  Angé- 
lus et  Bariole,  De  légat is,  q.  31). 

-  tut'  conduit  de  1  iOl  Kymer.  IV,  1,  4).  G.  de-Villadiego,  De  legntn,  q.  5. 
I1        -  \  go,  un  ambassadeur  près  du  pape,  sous  le  coup  d'une  ex- 

iimuuicalion  antérieure]  doit  être  relevé  de  cette  excommunication. 
*j)  Légation  du  cardinal  Balue,  en  1485. 


36  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

mais,  bien  entendu,  un  motif  de  convenance  '  doit  empê- 
cher une  telle  mission.  S'agit-il  au  contraire  d'une  responsa- 
bilité personnelle,  encourue  dans  le  cours  même  de  la  mis- 
sion, la  question  est  controversée.  Honoré  Bonet  croit  qu'on 
peut  poursuivre,  criminellement  et  civilement,  un  ambassa- 
deur, «  pour  les  choses  qu'il  auroit  faictes  sur  le  chemin  '.  » 

Cette  doctrine  ne  prévaut  pas  en  fait.  Il  est  très  fréquent 
qu'un  ambassadeur  s'endette,  qu'il  se  trouve  réduit  aux  ex- 
pédients ;  il  peut  s'en  désoler,  mais  il  ne  craint  que  l'effet  moral 
résultant  de  son  insolvabilité  :  il  est  assuré  de  l'impunité  3. 
Pour  en  citer  un  seul  exemple,  l'ambassadeur  de  Charles  VIII 
à  Florence  écrit  que,  faute  d'envoi  d'argent,  il  a  dû  con- 
tracter des  dettes  considérables,  qu'il  est  à  bout,  qu'il  ne  lui 
reste  qu'à  partir.  Et  il  fait  remarquer,  avec  raison,  combien 
la  disparition  d'un  ambassadeur  dans  de  telles  conditions 
nuirait  au  prestige  de  la  France. 

De  même  pour  les  lois  pénales.  Appuyés  sur  le  droit  ro- 
main qui  considère  le  legatus  (à  un  tout  autre  point  de  vue) 
comme  emportant  partout  avec  lui  la  loi  romaine  que  les 
jurisconsultes  de  Rome  estimaient  la  loi  de  l'univers,  les  juris- 

1)  Nie.  Michiel,  élu  orateur  de  Veniseen  Hongrie,  expose  que,  depuis  trente- 
quatre  ans,  il  est  au  service  de  la  république,  qu'il  ira  où  on  voudra,  mais 
qu'en  Hongrie  il  est  condamné  a  mort  par  contumace,  pour  avoir  fait,  en 
•1472,  assassiner  un  capitaine  par  ordre  de  la  république.  On  admet  son  ex- 
cuse (16  déc.  1500.Sanuto,  III,  c.  1176). 

2)  «  Se  ung  légat  sur  son  chemin  commettoit  aucun  délit,  il  seroit  bien 
tenu  pour  celui  de  respondre  en  jugement  »  (Hé  Bonet,  L'arbre  des  batailles, 
c.  xcvi.  Cf.  J.J.  a  Canibus,  De  liepresaliis,  dans  le  Rec.  de  Ziletti,  XII,  p. 
278,  no  44). 

3)  Sauf  conduit  de  1401.  Cependant  l'ambassadeur  espagnol  à  Londres 
Puebla  prétend  que  son  collègue  d'Allemagne  vient  d'être  saisi  pour  dettes  et 
«  a  failli  »  être  jeté  en  prison  (Bergenroth,  Calendar  of  letters,  despatches... 
preserved  in  the  archives  at  Simancas,  i,  xxix).  Les  Siete  Partidas  d'Al- 
phonse X  autorisent  en  Castille  les  poursuites  contre  des  ambassadeurs  pour 
dettes  contractées  durant  leur  séjour  (Nys,  Les  Siete  partidas  et  le  droit  dé 
la  guerre. 


IMMUNITÉS  37 

consultes  du  Moyen  Age  ont  imaginé  cette  fiction  de  l'exter- 
ritorialité, en  vertu  de  laquelle  l'ambassadeur  emporte  par- 
tout sa  loi  personnelle,  lui  reste  exclusivement  soumis1  et 
même  est  censé  ne  pas  quitter  le  sol  de  son  pays  s.  Conrad 
Brilnn  insiste  fort  sur  ce  principe  d'exterritorialité,  au  point 
de  vue  civil  :  il  n'aborde  pas  le  point  de  vue  pénal,  mais 
comme  ses  successeurs  ne  font  aucune  distinction,  nous  pou- 
vons suppléer  à  son  silence  en  supposant  que  lui-même  n'en 
faisait  pas  davantage. 

Cette  fiction  pourtant  ne  passe  pas  sans  susciter  quelques 
réserves  '  :  et  surtout  elle  se  beurte  à  des  contradictions.  Ne 
parlons  même  pas  de  la  bizarrerie  de  la  situation  qui  parait 
en  résulter  pour  les  ambassadeurs  non  nationaux,  si  nom- 
breux alors  :  par  exemple,  de  la  situation  du  cardinal  d'Am- 
boise,  ministre  en  France,  et  légat  a  latere  du  pape  dans  le 
même  pays...  On  admet  que  l'ambassadeur,  pendant  sa 
mission,  échappe  en  partie  aux  lois  de  son  pays  d'origine  ; 
que  son  éloignement  constitue  un  cas  d'absence  légale  *. 
Par  contre,  on  le  reconnaît  tenu  de  se  conformer  à  certains 
règlements  du  pays  de  sa  résidence,  ne  fût-ce  qu'aux  usages 
de  police  5.  Et  d'autre  part,  certains  auteurs  lui  attribuent 

1)  Les  Romanistes  déclarent,  d'après  les  lois  romaines,  que  les  ambassa- 
deurs à  l'étranger  peuvent  tester  selon  le  droit  romain,  c'est-à-dire  selon 
les  lois  de  leur  pays   Martini  Laudensis,  De  legntis,  q.  21). 

2)  C.  Brùnn,  De  legatiouibus,  IV,  c.  3  ;  Paschalii,  Legalus,  clxxiii.  Cf. 
Nys,  Les  origines  de  la  diplomatie,  p.  41 . 

3)  Nous  venons  de  citer  un  ambassadeur  vénitien,  condamné  par  coutu- 
mace  en  Hongrie,  pour  avoir  fait  assassiner  un  capitaine  par  ordre  de  son 
gouvernement. 

4)  Comme  nous  l'avons  dit,  une  ambassade  dispense  légalement  de  la  tu- 
telle (.Martini  Laudensis,  De  legalis,  q.  32).  L'ambassadeur  n'est  pas  tenu  de 
constituer  procureur  dans  ses  procès  en  cours,  s'il  doit  bientôt  revenir  (id.,  q. 
28).  Un  jugement  rendu  contre  un  ambassadeur  absent  et  non  représenté  ou 
mal  représenté,  sera  déclaré  nul,  à  moins  que  le.  juge  n'ait  connu  l'absence 
(ici.,  q.  30).  Cf.  ci-dessus,  page  2. 

5)  Quand  on  voyage,  on  doit  vivre,  dit  Vincent  Rigault,  selon  l'usage  du 


38  LA   DIPLOMATIE   AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

même  une  juridiction  personnelle.  Villadiego  enseigne  que  le 
légat  pontifical,  en  cas  d'injure  ou  d'empêchement  notoire, 
peut  se  faire  justice  à  lui-même  et  frapper  les  coupables  de  la 
peine  d'interdit  :  mais  s'il  faut  une  instruction  pour  éclaircir 
les  faits  délictueux,  le  légat  ouvrira-t-il  une  enquête  ?  la  ques- 
tion est  discutée,  répond  Villadiego  \  Elle  était,  en  effet,  dis- 
cutée en  droit  romain,  et  les  textes  du  Digeste  sont  contra- 
dictoires. D'après  un  paragraphe  de  la  loi  7  De  legationibus, 
en  cas  d'attentat  contre  le  légat,  on  devait  livrer  le  coupable 
au  gouvernement  du  légat  :  ce  principe,  si  contraire  aux  no- 
tions fondamentales  de  la  justice  et  de  la  nationalité,  prit  fa- 
veur, dans  certains  pays,  vers  la  fin  du  XVIe  siècle  2,  mais  à 
la  fin  du  Moyen  Age,  il  n'est  pas  admis.  Frapper,  violenter, 
injurier  3  un  ambassadeur  constitue  le  crime  de  violence 
publique4,  crime  mixti  fori,  c'est-à-dire  qui  relève  à  la  fois 
des  tribunaux  ecclésiastiques,  comme  contraire  aux  constitu- 
tions apostoliques,  et  des  tribunaux  criminels  locaux,  en  vertu 
d'un  second  texte  du  Digeste  Ad  legem  Juliam  de  vi  publicà  5. 
En  fait,  lorsqu'un  attentat  s'estproduit,  le  gouvernement  local 
le  poursuit  d'office  et  s'empresse  de  le  réparer  6.  Le  conseil 

pays  où  l'on  se  trouve  (Allcgationes  Vincentii,  Paris,  1812,  faxxvi  v°).  L'am- 
bassadeur doit  les  impôts  de  droit  commun  pour  ce  qui  n'est  pas  de  son  usage 
personnel,  selon  Martin  de  Lodi  (De  legatis,  q.  16). 

t)  De  legato,  q.  6.  Par  la  suite,  on  poussa  plus  loin  cette  doctrine,  en 
attribuant  aux  ambassadeurs  des  grandes  puissances  une  juridiction  positive, 
bornée  seulement  par  les  limites  d'un  quartier  déterminé. 

2)  Ern.  Lehr,  Manuel  théorique  et  pratique  des  agents  diplomatiques, 
p.  221. 

3)  Le  pape  se  montre  fort  mécontent  que  la  présence  d'une  ambassade  alle- 
mande à  Rome,  en  4464,  donne  lieu  à  des  manifestations  hostiles, avec  les  cris 
de  Austria  (lettre  de  l'archevêque  de  Milan,  citée  par  Pastor,  Hist.  des  papes, 
t.  IV,  p.  47,  n.  i,  de  l'édition  française). 

4)  Allegationes  Vincentii,  f°  xxvi  v°. 

5)  Mart.  Laudensis,  q.  5. 

6)  V.  un  intéressant  travail  de  M.  Eugène  Jarry,  dans  la  Revue  d'His- 
toire Diplomatique  (année  1892,  p.  173etsuiv.),  sur  un  coup  demain  auda- 


IMMUNITÉS  39 

des  Dix  do  Venise  ordonne,  avant  le  départ  d'une  ambassade 
russe,  de  lui  faire1  remettre  Une  pièce  d'étoffe,  semblable  à 
une  autre  qui  lui  avait  été  volée  \  M.  de  Gramont,  ambassa- 
deur à  Rome,  attaqué  et  pillé  à  Viterbe  par  des  brigands,  re- 
çoit une  indemnité  de  1300  ducats  :  les  voleurs  sont  immé- 
diatement pendus  et  exposés  au  pout  S1  Ange  ».  En  novembre 
1500,  dans  une  rue  de  Tours,  le  sire  de  la  Marck  se  rendait  àla 
cour,  lorsqu'un  page  de  l'ambassade  allemande  lui  donne  sur 
le  pied  un  coup  assez  violent  ;  La  Marck  répond  par  un  coup  de 
canne.  Surviennent  les  ambassadeurs  :  le  second  ambassadeur, 
qui  était  chevalier,  s'écrie  :  «  Monseigneur,  c'est  assez,  ne  frap- 
pez plus  le  page.  —  Toi  aussi,  riposte  La  Marck  irrité,  gare 
i\  toi  !  —  Comment  !  dit  l'ambassadeur,  nous  ambassadeur  de 
l'Empire  !  »  et  il  se  précipite  sur  La  Marck,  saisit  sa  canne  et 
l'arrête...  Louis  XII,  à  cette  nouvelle,  fit  fermer  les  portes  de 
la  ville  et  donner  des  ordres  de  justice  :  il  laissa  aux  ambas- 
sadeurs le  rôle  de  solliciter  la  grâce  de  La  Marck  8. 

L'ambassadeur  ne  peut  jouir  de  l'immunité  que  dans  les 
limites  de  sa  fonction  ;  s'il  les  excède,  il  perd  le  droit  au  res- 
pect*. Il  en  sortirait  s'il  se  mêlait  subrepticement  à  la  politique 
intérieure  du  pays  où  il  réside.  On  cite  ce  fait  qu'en  1510 
Jules  II,  outré  de  la  présomption  d'un  ambassadeur  de  Savoie 
qui  lui  offrait  sa  médiation  pour  apaiser  les  difficultés  de  l'uni- 
vers catbolique,  le  traita  d'espion,  le  fit  arrêter  et  mettre  à  la 
question.  En  1507,  le  bruit  court,  et  il  semble  tout  naturel,  que 

cieux  du  duc  de  Bourgogne,  qui  lit,  en  1415,  enlever  sur  le  territoire  du  duché 
de  Bar  une  ambassade  française  destinée  au  concile  de  Bâlc.  Cet  attentat  pro- 
voqua une  véritable  stupeur  ;  le  duc  de  Bar  lui-même  se  chargea  de  le  venger 
les  armes  à  la  main. 

1)  avril  1500.  Sanuto,  III,  c.  272. 

2)  1500.  Sanuto.  III,  c.  403. 

3)  Sanuto,  III,  1204. 

4)  Petrini  Belli,  Albensis,...  De  re  militari  et  bello  (Venise,    1563,  4°), 
p.  n,  t.  IX. 


40  LA    DIPLOMATIE   AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

le  roi  des  Romains  va  faire  arrêter  un  ambassadeur  de  France 
qui  suborne  des  membres  de  la  diète,  parce  que  cet  ambassa- 
deur se  livre  ainsi  à  des  actes  d'agent  secret  :  le  roi  des  Ro- 
mains prétendait  en  avoir  acquis  la  certitude  en  interceptant 
un  courrier  de  France  ' . 

Aussi,  un  gouvernement  peut  faire  surveiller  de  près  les  am- 
bassadeurs, dùt-il  laisser  dire  qu'il  les  traite  en  quasi-prison- 
niers*. En  août  1511,  le  roi  d'Angleterre  fait  espionner  un  am- 
bassadeur du  pape  et  constate  qu'il  a  la  nuit,  dans  des  con- 
ditions très  secrètes,  «  derrière  certains  murs  »,des  commu- 
nications avec  l'ambassadeur  de  France.  Il  le  fait  arrêter  et 
le  menace  de  la  torture.  L'ambassadeur  avoue,  mais  il  dé- 
clare avoir  agi  selon  les  instructions  du  cardinal  de  Pavie,  lé- 
gat et  confident  du  pape.  Le  roi  écrit  de  suite  au  pape,  pour 
se  plaindre  de  cet  abus  3...  L'ambassadeur  doit  donc  se  tenir 
strictement  dans  son  rôle  de  représentant  d'un  gouvernement 
près  d'un  autre  gouvernement,  sans  se  mêler  de  pratiques  se- 
crètes, sinon  il  risquerait  de  perdre  son  immunité. 

Quant  à  l'agent  secret,  bien  entendu  il  n'a  droit  à  aucune 
immunité  :  le  gouvernement  peut  le  faire  arrêter,  et  mettre 
obstacle  à  sa  mission  *. 

L'immunité  cesse  également  de  plein  droit  en  cas  de  trahi- 
son volontaire  ou  involontaire.  Ce  point  ressort  d'un  fait  assez 
curieux.  Un  courrier  de  France,  venant  de  Venise,  en  décembre 

1)  1507.  Sanuto  VII,  95. 

2)  Wicquefort,  Mémoires...,  p.  281,  560,  540. 

3)  Sanuto,  XII,  333. 

4)  Un  agent  secret  vénitien  fut  envoyé  à  Lisbonne,  en  1504,  sous  prétexte 
d'affaires  commerciales,  en  réalité  pour  surveiller  le  commerce  avec  les  Indes. 
Prévenu  de  son  arrivée  par  un  florentin,  le  roi  Emanuel  le  fit  arrêter  le  len- 
demain de  son  arrivée,  comparaitre  devant  lui  et  envoyer  en  prison.  Après 
plusieurs  interrogatoires,  il  le  fit  relâcher.  L'agent  resta  jusqu'en  1506  et  ré- 
digea un  long  mémoire  (Heyd,  Hist.  du  commerce  dans  le  Levant,  édition 
française,  II,  p.  525). 


IMMUNITÉS  41 

1500,  voyage  avec  un  milanais,  titulaire  d'un  sauf  conduit  vé- 
nitien. A  Gambaro.  sur  le  territoire  de  Venise,  assaillis  par 
quatre  hommes  masqués,  ils  sont  tous  deux  saisis  et  menés 
dans  une  possession  du  marquis  de  Mantoue.  Le  lendemain, 
on  retient  le  milanais,  et  on  relâche  le  courrier.  Le  courrier 
se  plaint  à  l'ambassadeur,  l'ambassadeur  à  la  Seigneurie,  la 
Seigneurie  au  marquis  de  Mantoue.  Ce  dernier  répond  que  le 
courrier  voyageait  avec  un  milanais,  Martin  de  Casai,  ennemi 
du  roi  de  France  et  qui  le  trahit  '.  Sur  l'annonce  d'un  soulè- 
vement de  Forb.  Jules  II  fait  aussi  arrêter  et  mettre  au  châ- 
teau S1  Ange  les  deux  ambassadeurs  de  cette  ville  5  :  il  est 
vrai  que  Forli  faisant  partie  des  états  pontificaux,  Jules  II 
traitait  les  ambassadeurs  en  sujets. 

La  suite  des  ambassadeurs  participe  à  l'immunité  diploma- 
tique ;  l'immunité  s'étend  à  toutes  les  personnes  et  à  toutes 
les  choses  de  l'ambassade  ;  à  la  femme,  aux  fils,  aux  neveux 
de  l'ambassadeur,  à  ses  agents,  à  ses  courriers,  à  ses  bagages. 
Hommes  et  choses  doivent  passer,  non  seulement  avec  sécu- 
rité, mais  en  franchise  des  droits  de  péage  et  de  douane.  Ce 
privilège  prête  à  de  grands  abus,  que  nous  aurons  l'occasion 
de  signaler 3  ;  il  n'est  pas  encore  bien  précisé,  il  n'a  pas  donné 

1)  Sanuto,  III,  1203,  1207,  t2l9.  A  la  suite  de  la  capture  du  marquis  de 
Mantoue  par  les  Vénitiens,  Louis  XII  propose  même  à  Jules  II  de  mettre  en 
prison,  sans  autre  forme  de  procès,  les  ambassadeurs  vénitiens  à  Rome, 
comme  otages,  pour  le  fait  de  leur  gouvernement  (lo09.  Desjardins,  Né- 
gociations, II,  407). 

2)  1504.  Disp.  di  Giustinian,  III,  49. 

3)  La  suite  d'un  ambassadeur  comprenait  des  volontaires  non  commis- 
sionnés,  désireux  de  faire  le  voyage  pour  un  motif  ou  pour  un  autre,  souvent 
pour  un  motif  commercial.  Le  cordelier  Thenaud,  chargé  par  Louise  de  Savoie 
d'aller  en  Egypte,  puis  à  Jérusalem,  aux  Indes..,  se  joint  en  1512  à  l'ambas- 
sade d'André  Le  Roy,  auquel  il  présente  simplement  une  lettre  de  recom- 
mandation de  sa  maîtresse  (Le  voyage  d'outremer,  publié  par  Ch.  Schefer, 
p.  '.'>  :  le  navire  de  l'ambassadeur  porte  deux  cent  cinquante  personnes,  tant 
du  personnel  de  l'ambassade,  que  marins,  pèlerins  et  marchands  (p.  7).  Un 
peintre  se  joint  la  môme  année  à  l'ambassade  vénitienne  en  Egypte  (id.,  p. 
lxxxv). 


42  I.A    DIPLOMATIE   AD   TEMPS    DE    MACHIAVEL 

lieu  à  toutes  les  discussions  subtiles  qu'il  inspirera  au 
XVIIe  siècle  '.  Cependant  Honoré  Bonet  enseigne  que  l'im- 
munité ne  doit  pas  couvrir  des  abus  :  on  ne  peut  pas  arguer 
d'un  sauf  conduit  pour  transporter  gratuitement  des  choses 
inutiles,  pour  introduire  quelque  ennemi  *.  L'ambassadeur 
est  tenu  des  impôts  de  droit  commun  pour  tout  ce  qui  n'est 
pas  de  son  usage  personnel 3.  Il  ne  peut  pas,  sous  prétexte  de 
suite,  amener  avec  lui  un  homme  d'armes  ennemi  \  ni  plus 
fort  que  lui.  Le  roi  d'Angleterre,  par  exemple,  ne  pourrait 
voyager  sous  le  sauf  conduit  de  son  ambassadeur  5. 

L'immunité  diplomatique  rend  inviolable  la  demeure  de 
l'ambassadeur  :  lui  confère-t-elle  un  droit  d'asile  ?  Certaine- 
ment oui  ;  cette  théorie  a  inspiré  notamment  les  capitulations 
conclues  en  Orient  et  elle  est  encore  hautement  professée  au 
XYIP  siècle.  En  résultera-t-il  donc  que  l'ambassadeur  ait 
lui-même  juridiction  sur  le  personnel  étranger  ou  indigène 
qu'il  amène  ou  qu'il  emploie  ?  Logiquement,  les  juriscon- 
sultes répondent  par  l'affirmative  6,  tout  en  observant  que 
l'ambassadeur,  en  réalité,  ne  dispose  que  de  moyens  de  coer- 
cition domestique.  Cependant,  il  faut  tenir  compte  des  cir- 
constances. En  Suisse,  par  exemple,  le  pays  alors  le  plusré- 
fractaire  aux  principes  d'immunité  diplomatique,  les  ambas- 
sadeurs doivent  s'astreindre  aune  réserve  excessive.  En  1512, 
les  six  ambassadeurs  de  France  à  Lucerne  habitent  séparé- 
ment et  n'osent  se  parler  ;  ils  sont  sur  un  qui-vive  perpétuel. 
Un   archer    de  l'un  des  ambassadeurs,    de  M.   de   la  Tré- 

1)  Notamment  à  Rome  en  1688,  à  propos  des  affaires  du  M»s  de  Lavardin. 
V.  Moroni,  Dizionario,  t.  34,  p.  34. 

2)  C.  xcvi. 

3)  Mart.  Laudensis,  De  legatis,  q.  46. 

4)  Christine  de  Pisan,  Le  livre  des  fais  d'armes... 

5)  H.  Bonet,  L'arbre  des  batailles,  clviii. 

6)  Car.  Taschalii,  Legatus,  c.  lxxvi,  f.  350. 


IMMUNITÉS  43 

moille.  s'oublie,  dans  son  impatience,  jusqu'à  frapper  de  sa 
javeline  un  écusson  de  Berne  ;  on  L'arrête  et  on  le  conduit 
devant  M.  de  la  Trémoïlle,  en  disant  que  «  le  sauf  conduit 
était  rompu.  »  M.  de  la  Trémoïlle  répond  qu'il  ne  veut 
advouer  «  cet  homme,  et  qu'on  le  punisse,  s'il  l'a  mé- 
rite :  on  lui  fait  couper  la  tète  '. 

Malgré  la  rigueur  des  principes  que  nous  venons  d'exposer, 
les  missions  diplomatiques  comportent  des  risques  entre  na- 
tions hostiles2,  spécialement  entre  Turcs  et  chrétiens  \  et  les 
chrétiens  n'ont  pas  toujours  le  plus  beau  rôle.  Un  ambassa- 
deur envoyé  par  le  sophi  de  Perse  au  roi  de  Hongrie  est  dé- 
couvert et  arrêté  par  les  Turcs,  mené  à  Constantinople  et  «  mis 
en  pièces  \  »  Cette  cruauté  s'explique  parce  que  le  sophi  de 
Perse  était  un  insurgé.  Mais  que  dire  d'un  seigneur  valaque, 


t  Lett.  de  Louis  A'//,  IV.  5B.  Des  gardes  de  sûreté  arrêtent,  comme 
complice  de  meurtre,  un  serviteur  de  l'ambassade  d'Espagne  en  Angleterre: 
vainement  l'ambassadeur  réclame  ce  serviteur  qu'il  dit  indispensable  à  sa 
maison,  et  demande  sa  liberté  sous  caution  ;  l'individu  est  mis  en  prison 
(Bernard i  Andréa?  Annules  Henri  VII,  p.   103). 

2  >  L'amiral  de  Graville  écrit  à  Du  Bouchage  :  «  Touchant  vostre  voiage  d'Al- 
maigne,  par  la  foy  de  mon  corps,  ce  fut  la  plus  verte  commission  que  je  veiz 
jamais  prandre  à  jeune  homme  ;  toutesfois,  sy  vous  fctistes  demouré  là  encore 
huit  jours,  je  vous  aroye  envoiay  Picardie  et  autres  gens,  qu'ils  vous  eussent 
dit  la  manière  de  vous  retyrer  malgré  lui  et  tout  son  barnage  »  (28  juin 
1 1  '.'..  Ms.  fr.  2916.  t'"  12).  Après  Fornoue,  Commines  et  S1  Malo  sont  char- 
dé  pourparlers.  Mais  S'  Malo  refuse  de  se  rendre  au  camp  ennemi,  crai- 
gnant quelque  risque  (Benedetti,  Fatto  d'arme,  1.  lo)  ;  un  trompette  fran- 
çais va  porter  un  sauf  conduit  au  camp  italien,  pour  ouvrir  des  négociations. 
Les  Italiens  n'acceptent  qu'un  rendez-vous  à  moitié  chemin  entre  les  deux 
armées  (Delaborde,  Expédition  de  Charles  17//.  p. 653). —  Cf.  ms.  fr.  20616, 
n°  12  :  1384,  le  sire  de  Bueil,  messager  du  roi,  est  fait  prisonnier  à  Baguse. 

.i  l  h  passage  de  Joinville  (chap.  lxxi,  cité  par  M.  Nys,  Les  origines  de  la 
diplomatie,  p.  35-36)  montre  qu'au  xm<-  siècle  l'inviolabilité  des  ambassades 
entre  musulmans  et  chrétiens  ne  reposait  pas  encore  sur  un  principe  de  droit 
public  mais  seulement  sur  la  parole  donnée.  Si  le  prince  qui  avait  donné  sa 
parole  mourait,  les  ambassadeurs  devenaient  des  prisonniers. 

il  Le  Maire  de  Belges,  L'histoire  moderne  du  prince  Syach  Ysmail. 


44  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

qui,  recevant  un  envoyé  du  sultan  pour  une  réclamation  in- 
signifiante, lui  fait  couper  le  nez  et  arracher  les  yeux?  Le 
Grand  Seigneur  répond  à  cette  atrocité  par  un  cartel  très 
digne,  en  turc,  au  nom  de  Dieu  '. 

En  cas  d'attentat,  quel  sera  le  recours  ?  Il  n'en  existe  pas 
d'autre  qu'une  réclamation  formelle  près  du  gouvernement 
de  l'agresseur  2.  La  diplomatie  française,  en  pareil  cas,  ré- 
clame surtout  la  tête  des  coupables,  sans  mention  d'indem- 
nité s.  Les  gouvernements  italiens  réclament  d'abord  une  res- 
titution équitable  en  argent  *,  des  dommages-intérêts  5. 

Deux  ambassadeurs  de  Navarre,  en  janvier  1365,  venant  à 
Avignon,  sous  l'arbitrage  du  pape,  négocier  la  paix  avec  le 
roi  de  France,  sont  dépouillés  par  des  officiers  français,  à  la 
tête  du  pont  d'Avignon,  de  686  pièces  d'or,  leur  provision  de 
voyage.  Le  pape  Urbain  V  aussitôt,  —  au  nom  du  Siège 
Apostolique,  —  réclame  réparation  au  duc  d'Anjou,   lieute- 

1)  4501.  Sanulo,  III,  1627. 

2j  Lettre  de  Gilbert  de  Montpensier  à  Ludovic  Sforza,  le  24  septembre 
(1495):  un  trompette  envoyé  la  veille  au  duc  de  Milan  a  été  détroussé;  Gilbert 
prie  d'en  «  faire  faire  la  raison  »  (Calai,  d'autographes,  vente  du  10  mai  1886, 
Eug.  Charavay,  ri»  177). 

3)  Le  12  mai  1500,  M.  de  Gramont,  quoiqu'il  reçoive  une  indemnité,  ré- 
clame seulement  la  punition  des  brigands  qui  l'ont  attaqué.  Quinze  de  ces 
brigands  lurent  arrêtés  et  envoyés  à  Rome,  où  treize  furent  pendus  quel- 
ques jours  plus  tard,  le  27  mai  (Burckard,  III,  39,  45). 

4) Thomas  Reatin,  ambassadeurdeMilan  en  France,  est  attaqué  au  retour  par 
des  brigands  près  deÇeva.  On  le  dépouille,  lui  et  sa  familia,de  tout,  «equis, 
bestiis,  impedimentis,  auro,  argento,  ceterisque  bonis  que  secumin  hac  ejus 
legatione  adduxerat».  Le  dommage  est  de  plus  de  4.000  ducats  d'or.  Le  chef 
des  voleurs  se  dit  serviteur  du  dauphin,  et  se  vante  d'agir  pour  lui,  «  quod 
mihi  omnino  absurdum  videtur,...  »  Le  duc  de  Milan  demande  la  restitution, 
ce  qui  est  «  juri  et  equitati  »,  en  même  temps  qu'un  acte  d'amitié,  ou  bien  le 
désaveu  du  voleur  (Lettre  du  duc  de  Milan  au  dauphin,  29  mai  1454. 
Lettres  de  Louis  XI,  I,  p.  253). 

5)  Un  agent  de  l'ambassade  vénitienne  est  massacré  par  les  gens  d'Hon- 
fleur.  Le  sénat  de  Venise  réclame  une  indemnité  et  le  châtiment  des  meur- 
triers (1486.  Perret,  Notice.. sur.. Gr avilie,  p.  78). 


IMMUNITÉS  45 

nant  général  du  roi  de  France,  «  cui  hoc  displicere  puta- 
mus  '.  » 

Faute  de  satisfaction,  un  attentat,  fôt-il  de  médiocre  impor- 
tance, donne  lieu  à  des  représailles  étendues,  à  des  hostilités, 
à  la  guerre.  Un  valet  du  roi  de  France,  envoyé  par  les  postes 
à  Jules  II  avec  un  cavallaire  de  Ferrare,  est  arrêté  et  enlevé 
dans  la  forêt  de  Bavano,  par  cinq  hommes  masqués.  Le  ca- 
vallaire seul,  attaché  à  un  arhrc,  réussit  à  s'évader.  Le  pape 
apprend  ce  fait  avec  une  extrême  indignation,  et  en  accuse  les 
Vénitiens  avec  la  connivence  des  Espagnols.  L'ambassadeur 
vénitien  rejette  la  responsabilité  sur  les  Espagnols,  parce  que, 
depuis  quelque  temps,  on  a  arrêté  et  dépouillé  plusieurs  cour- 
riers venant  d'Espagne  '.  Jules  II,  aussitôt,  fait  arrêter  un  in- 
dividu suspect  ;  il  met  à  Civita  Vecchia  l'embargo  sur  un  na- 
vire espagnol  chargé  d'armes.  L'ambassadeur  vénitien  se 
remue  pour  prouver  l'innocence  de  son  gouvernement.  Il 
écrit  au  consul  à  Naples  pour  savoir  si  l'on  a  des  détails  8... 
Ce  sont  en  effet  des  injures  qui  ne  se  lavent  que  dans  le  sang. 
En  1514,  l'évêque  deGurck,  ministre  de  l'empereur,  fait  arrê- 
ter à  Corne,  contrairement  au  droit  des  gens,  un  agent  véni- 
tien, le  secrétaire  Stella,  revenant  de  Suisse  avec  des  saufs 
conduits  suisse  et  milanais.  Cet  agent  est  conduit  à  Vérone, 
puis  dirigé  sur  Insprûck.  Aussitôt  la  Seigneurie  avise  du  fait 
son  ambassadeur  en  France  et  réclame  la  guerre  immé- 
diate *. 

En  1510,  un  ambassadeur  turc,  venant  en  Hongrie,  est  as- 
sailli près  de  Belgrade  par  des  Hongrois,  qui  lui  enlèvent  ses 
bagages  et  massacrent  sa  suite  :  lui-même,  blessé,  s'enfuit  à 

1)  M.  Prou,  Relations  politiques  du  pape  Urbain  V,  p.  122. 

2)  12  déc.  1504.  Dispacci  di  Giustinian,  III,"  332. 

3)  Id.,  339-341. 

4)  Dépêche  à  l'orateur,  du  7  sept.  1514  (Arch.  de  Venise). 


46  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

Belgrade.  Par  représailles,  le  sandjak  voisiu  fait  arrêter  tous 
les  marchands  hongrois  venus  pour  une  foire  et  saisit  leurs 
biens.  Le  ban  de  Jassy  veut  par  un  coup  de  main  délivrer  ces 
marchands,  et  envoie  une  colonne  de  mille  hommes  : 
celte  colonne  tombe  dans  une  embuscade  et  est  anéantie  *. 

Un  meurtre  d'ambassadeur  entraînerait  la  guerre  sans 
phrases  2.  On  ne  trouve  plus  d'exemple  de  faits  de  ce  genre 
entre  nations  chrétiennes. 

Citons  cependant,  comme  exception,  une  incroyable  lettre 
au  vice -roi  de  Naples,  du  22  mai  1308,  où  Ferdinand  le  Ca- 
tholique s'exprime  avec  emportement  au  sujet  d'une  notifica- 
tion, apportée  au  vice-roi  par  un  courrier  du  pape,  et  qu'il 
considère  comme  lésive  de  ses  droits.  Cette  lettre  reproche 
violemment  au  vice-roi  dé  n'avoir  pas  fait  pendre  l'envoyé 
du  pape.  Bien  plus,  le  roi  donne  l'ordre  formel  de  recher- 
cher ee  malheureux  courrier  et,  si  on  peut  l'arrêter,  de  lui 
faire  signer  une  rétractation  formelle,  puis...  de  le  pendre  : 
d'arrêter  les  gens  qui  l'ont  assisté,  de  leur  faire  signer  une 
rétractation  semblable,  puis  de  les  incarcérer  au  Casfel  Nuovo, 
de  telle  sorte  qu'on  n'entende  plus  parler  d'eux  ;  de  faire  ar- 
rêter et  mettre  au  secret  le  commissaire  du  pape  à  Naples. 
11  défend  d'ailleurs  au  vice-roi  de  faire  aucune  réponse  (celle- 
là  suffisait),  et  il  lui  ordonne,  s'il  a  envoyé  des  ambassadeurs, 
de  les  rappeler,  sans  môme  qu'ils  parlent  au  pape3...  Voilà 
une  lettre  ab  irato,  à  laquelle  nous  pensons  que  le  vice-roi 
put  se  juger  dispensé  d'obéir. 

Une  ambassade  n'a  pas  besoin  de  sauf  conduit  ni  île  passe- 

1)  1510.  SanutoX,  22. 

2)  Charles  V  ayant  envoyé  en  Angleterre  des  «  amhaxadeurs  »,  qui 
furent  tués,  ctsus  belli,  dit  Christine  de  Pisan  (Le  livre  des  fais  d'armes 
et  de  chevalerie). 

3)  Lettres  de  Louis  Xll,  1 ,  111. 


IMMUNITÉS  47 

poil  :  ses  pouvoirs  lui  en  tiennent  lieu.  En  avril  1512,  le  roi 
d'Angleterre  l'ait  proposer  à  Louis  XII  d'autoriser  le  com- 
merce entre  les  deux  pays  pendant  deux  mois:  Louis  XII 
répond  que,  puisqu'on  n'est  pas  on  état  de  guerre,  il  n'y  a 
nul  besoin  d'autorisation  ni  de  sauf  conduit  \  A  plus  forte 
raison,  pour  une  ambassade.  Aussi,  en  général,  n'en  de- 
mande-t-on  point  en  pays  ami.  (/est  une  véritable  imperti- 
nence (pie  d'excuser  le  retard  d'une  ambassade  par  l'absence 
de  sauf  conduit,  comme  le  fait  le  duc  de  Bourgogne  en  1445, 
et  d'en  demander  un  *  ;  c'est  marquer  une  défiance  qui  sent 
la  guerre.  Gommines raconte  lui-même  qu'il  quitta  le  service 
du  due  de  Bourgogne  par  suite  d'une  question  de  sauf  con- 
duit. Envoyé  à  Calais,  où  il  allait  souvent,  on  lui  réclame  un 
sauf  conduit  ;  aussitôt,  il  prend  peur,  il  écrit  ses  craintes  au 
due,  qui  lui  envoie  «  une  verge  qu'il  porfoit  au  doigt  pour  en- 
seigne ;  et  lui  ordonne  de  passer  oultre.  »  Gommines,  fort 
peu  prétentieux  en  matière  de  bravoure,  trouve  l'épreuve 
trop  forte  et  se  promet  de  ne  plus  recommencer  3. 

Le  sauf  conduit  est  surtout  usité  pour  les  négociations  en 
temps  de  guerre  ou  d'hostilité  avouée  *  :  on  le  trouve  d'un 
emploi  constant  entre  la  France  et  l'Angleterre,  à  l'époque 
de  leurs  luttes  3.  En  1447,  le  duc  d'Orléans,  en  mauvais  rap- 


1)  Lettres  de  Louis  XII,  III.  243, 
•2)  Ms.  fr.  3884,  fo  181. 

3)  Mémoires,  1,  253. 

4)  Sauf  conduit  pour  négociations  en  temps  de  guerre  aux  provéditeurs 
vénitiens  (4309.  Desjardins,  Négociations,  II.  338). 

o)  Et  même  par  la  suite.  Y.  Kymer,  V,  p.  1 7^- 173,  Westminster,  27  janvier 
(1470  n.  st.).  Sauf  conduit  du  roi  d'Angleterre  pour  trois  ambassadeurs  fran- 
çais, dont  le  principal  estGuillauiiiede  Menipeny,  avec  une  suite  de  soixante 
personnes  et  tous  biens,  joyaux,  etc. —  Sauf  conduit  de  Louis  XI, roi  de  France, 
à  Tha«  Wagham,  ambassadeur  d'Angleterre  (Bordeaux,  -Si)  mars.  Copie,  ms. 
fr.  20980,  f°23).  Le  général  de  Normandie  reste  à  Boulogne,  pour  attendre  un 
sauf  conduit  anglais  (1509.  Desjardins,  Négociations,  II,  621). 


48  LA  DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

ports  avec  François  Sforza,  obtient  de  lui  un  sauf  conduit  pour 
une  ambassade  '  :  le  roi  des  Romains  demande,  en  4492, 
«  ung  sauf  conduyt  pour  envoyer  de  ses  ambassadeurs  *.  » 
Des  ambassades  envoyées  en  médiation  entre  deux  armées 
doivent  se  munir  d'un  sauf  conduit  3. 

Quand  un  souverain  ne  s'est  pas  montré  suffisamment  res- 
pectueux du  droit  des  gens,  il  s'expose  aussi  à  des  demandes 
de  saufs  conduits.  On  demande  des  saufs  conduits  aux  Suisses 
en  1514  *.  En  1512,  l'évcque  de  Gùrck  refuse  de  se  rendre 
près  du  pape  sans  sauf  conduit s.  Claude  de  Seyssel,  évêque 
de  Marseille,  membre  d'une  ambassade  de  France  maltraitée 
par  les  Suisses,  fait  exposer  à  Léon  X  qu'il  ne  peut  se  rendre 
à  Rome  sans  un  sauf  conduit  et  sans  des  garanties  de  sûreté 
pour  son  passage  par  la  Suisse  et  le  Milanais.  Léon  X  lui 
envoie  aussitôt  le  sauf  conduit  réclamé  sous  forme  de  bref,  et 
lui  donne  des  brefs  de  recommandation  pour  les  Suisses  et  le 
due  de  Milan.  Nous  transcrivons  en  note  le  texte  même  de 
cet  acte  curieux  6. 

1)  Faucon,  Rapport  de  deux  missions,  p.  34. 

2)  Perret,  L.  Malet  de  Graville,  p. 255. —  L'ambassadeur  envoyé  à  l'empe- 
reur, d'urgence,  doit  demander  à  l'évêque  de  Trente  un  sauf  conduit,  et,  s'il 
ne  l'a  pas,  rester  à  Trente  et  envoyer  à  l'empereur  le  prieur  de  la  Trinité,  avec 
teneur  de  ses  instructions  (Instro»  vénitienne  du  23  mai  1509.  Arch.  de  Ve- 
nise, Secreto  41,  189). 

3)  Ambassade  anglaise  de  médiation  entre  la  France  et  la  Bretagne  en  1488, 
munie  de  saufs  conduits  français  et  bretons  (Dupuy,  Hist.  de  la  réunion  de  la 
Bret.,  II,  132).  Les  envoyés  du  pape,  pour  médiation,  que  la  cour  d'Angle- 
terre refuse  de  recevoir,  envoient  deux  sous-agents  sans  caractère  officiel, 
pour  lesquels  ils  obtiennent  un  sauf  conduit,  «  avec  leurs  lévriers  et  leurs  ar- 
mes »,  comme  pour  de  simples  gentilbommes(14  septembre  1372.  llymer,  III, 
p.  II,  p.  206).  Saufs  conduits  du  roi  d'Angleterre,  pour  un  séjour  de  l'abbé 
de  Citeaux  et  de  divers  prélats  écossais  en  Angleterre  (11  avril,  7  juillet 
1486.  W.  Campbell,  Materials  for  a  kistory  oj  ths  rcign  of  Henry  VII,  I, 
413,  488).  Sauf  conduit  pour  les  ambassadeurs  de  Maximilien  en  Angleterre, 
1486  (id.,  II,  p.  75.  Cf.  p.  284). 

4)  Lettres  de  Louis  XII,  IV,  299. 

5)  1512.  Lettres  de  Louis  XII,  III,  298. 

6)  «  Léo  papa  X.  Dilecte  fili,   salutem  et  apostolicam  bënèdictiohëm.  Di- 


IMMUNITÉS  49 

L'on  a  le  droit  de  réclamer  un  sauf  conduit  pour  traverser 
un  pays  intermédiaire  en  hostilité  avec  l'une  ou  l'autre  des 
parties.  «  L'ambassadeur  qui  est  envoyé  à  un  prince  neutre 
ou  qui,  estant  envoyé  à  un  prince  amy,  est  obligé  de  passer 
par  un  pays  ennemy  à  l'égard  de  celuy  à  qui  0  est  envoyé, 
fera  toujours  fort  bien  de  se  munir  de  bons  passeports,  »  dit 
encore  Wicquefort  au  XYI10  siècle  '.  En  janvier  1510,  Venise, 
officiellement  en  guerre  avec  l'Allemagne,  mais  qui  vient 
d'ouvrir  des  négociations  de  paix,  demande  un  sauf  conduit 
pour  le  passage  d'une  ambassade  destinée  à  l'Angleterre  '. 

Si  les  puissances  intermédiaires  sont  amies,  le  sauf  con- 
duit est  mutile,  ou  bien  on  consacre  l'ambassade  en  l'accré- 
ditant près  des  diverses  cours  par  le  caractère  circulaire. 

La  demande  de  sauf  conduit  présente  un  caractère  pacifi- 


lecti  filii  nostri  Roberti,  tituli  sancte  Suzanne  Sancte  Romane  ecclesie  pres- 
biteri  cardinalis  Nannetensis,  et  dilecti  filii  Johannis  Lascaris  relatione  in- 
telleximus  Devolionem  Tuam  a  carissimo  in  Christo  filio  nostro  Ludovico, 
Francorum  Rege  christianissimo,  ad  Nos  etSanctam  Sedem  apostolicam  ora- 
torem  designatum  esse  seque  jam  itineri  accinxisse,  quod  profectonobis  gra- 
tissimum  fuit.  Sed  quia  forte  a  militibus  et  ceteris  stipendiariis  incolisve  In- 
subria  et  ejus  finibus  aut  aliis  Italie  locis  constitutis  te  injuria  lacessitum 
iri  dubitas  et  iler  ceptum,  ob  iminentia  discrimina  bellorum,  continuare 
formidas  ;  idcirco,  tibi  paterne  consulentes,  ad  principes  et  potentatus 
per  quorum  dominia  tibi  faciendum  est  iter  scribimus  ut  te,  cum  familia  et  ré- 
bus tuis  omnibus,  tute  et  libère  transirepermittant,nec  a  suis  stipendiariis  vel 
subditis  in  persona  vel  in  bonis  patiantur  quovisquesito  colore  tibi  injuriam 
urogari.  Quare  eamdem  Devolionem  Tuam  hortamur  in  Domino  ut  iter  cep- 
tum prosequi  quantum  tuto  et  commode  potes  pergas.  Datum  Rome,  apud 
sanctum  Petrum,  sub  annulo  piscatoris,  die  quinta  julii  M°  D.  XIII°,  pont, 
nostri  anno  primo.  la.  Sadoletus.  Dilecto  filio  Claudio  de  Sejsello,  electo 
Massiliensi.  »  Suit  la  copie  des  brefs,  adressés,  le  o  juillet,  à  Maximilien,  duc 
de  Milan  ;  le  6,  aux  Suisses  des  douze  cantons  de  l'Allemagne  supérieure, 
«  ecclesiastice  libertatis  defensoribus,  confederatis  nostris  »  ;  ces  brefsannon- 
cent  le  passage  de  Seyssel  et  recommandent  vivement  de  le  garantir  contre 
tout  préjudice  et  toute  attaque  (Copies  anciennes.  Ms.  Dupuy  28,  fo  33). 

1)  Mémoires,  p.  "296. 

2)Sanuto,  IX,  468. 


50  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

que,  quand  elle  constitue  une  première  démarche  en  faveur 
de  la  paix.  Elle  accentue  le  désir  * . 

L'offre,  ou  l'envoi  d'office,  de  saufs  conduits  marqueun  sen- 
timent de  franchise  et  de  faveur. 

Dans  tous  les  cas,  avec  ou  sans  saufs  conduits,  l'ambassade 
doit  toujours  s'entourer  des  précautions  convenables  et  agir 
avec  prudence  2. 

Un  gouvernement  peut-il  refuser  un  sauf  conduit  qu'on  lui 
demande,  ne  fût-ce  que  pour  traverser  son  territoire  ?  Assu- 
rément \  Un  ambassadeur  ne  peut  passer  une  frontière  sans 
l'agrément  du  gouvernement  ;  on  peut  toujours  la  lui  inter- 
dire. Mais  alors  c'est  un  cas  de  rupture  ouverte  *,  excepté  à 
l'égard  des  légats  du  pape,  pour  la  réception  desquels  il  existe 
des  règles  particulières 

Le  sauf  conduit  diplomatique  ne  représente,  en  somme, 
qu'une  simple  formalité.  Il  ne  confère  aucune  prérogative 
spéciale,  il  ne  fait  qu'appliquer  concrètement  le  droit  com- 


1)  Lettre  du  12  août  1484  (Reg.  du  conseil  de  Charles  VIII,  p.  45). 

2)  Instruction  vénitienne  de  mai  1509  (A.  de  Venise,  Secreto  41,  171, 
180  v°). 

3)  Dépêche  du  6  novembre  1514  à  Dandolo  (Archives  de  Venise).  Le  duc 
d'Albanie,  écossais  au  service  de  la  France,  demande  au  pape  une  entrevue. 
Jules  II  refuse  d'abord,  ne  voulant  pas  parler  aux  Français.  Enfin,  il  lui  accorde 
un  sauf  conduit  avec  30  chevaux.  Le  duc  en  demande  (50  (févr.  1511.  Sanuto, 
XII,  65). 

4)  Défense  signifiée  à  l'ambassadeur  napolitain  Pandone,  en  1493,  à  Lyon, 
de  passer  outre.  Pandone  quitte  la  France,  en  déclarant  que  son  maître  se 
vengera  (Boislisle,  Et.  de  Vesc,  p.  76)  :  refus  de  sauf  conduit  par  Jules  II  à 
l'ambassadeur  de  France  à  Florence  (Dép.  du  25  mai  1512  à  l'orateur  à  Rome. 
Arch.  de  Venise).  Les  Suisses  n'admettent  MM.  de  la  Trémoillc  et  Trivulce 
qu'à  condition  qu'il  seront  sans  caractère  officiel  ;  les  deux  envoyés  se  voient 
forcés  d'habiter  séparément  à  Lucerne,  et  même  de  ne  pas  se  parler  etc. 
Louis  XI  invite  l'ambassadeur  milanais  à  faire  refuser  un  sauf  conduit  au 
grand-bâtard  de  Bourgogne,  qui  va  en  Italie  contracter  un  emprunt  pour 
Charles  le  Téméraire  (1475.  Gingins  la  Sarraz,  Dépêches  des  ambassadeurs 
milanais,  I,  29). 


IMMUNITÉS  Si 

mun  •  :  son  seul  avantage,  réel  d'ailleurs,  consiste  à  remettre 
un  titre  précis  dans  les  mains  de  l'ambassadeur.  On  peut  dé- 
léguer à  une  ambassade  le  droit  de  décerner  des  saufs  con- 
duits pour  les  besoins  de  la  négociation  *. 

Quant  à  sa  forme,  le  sauf  conduit 3  consiste  en  un  mande- 
ment royal,  décerné  en  grand  conseil,  suivant  le  formulaire 
solennel  des  actes  d'administration  intérieure,  c'est-à-dire  en 
français,  sur  parchemin,  scellé  du  grand  sceau,  en  cire  jaune, 
sur  simple  queue.  C'est  un  ordre  donné  à  tous  les  gouver- 
neurs, capitaines, baillis,  prévôts,  maieurs,  jurés,  échevins,  ou 
gardes  de  villes,  cités,  châteaux,  forteresses,  ponts,  passages, 
juridictions  et  détroits,  et  à  tous  officiers  et  sujets  quelcon- 
ques, de  laisser  librement  circuler  tels  et  tels  envoyés  *.  Le 
mot  sauf  conduit  y  est  prononcé.  Le  sauf  conduit  est,  quant 
aux  lieux,  général  ou  particulier  ;  il  a  une  durée  bmitée  ou 
illimitée,  suivant  spécification  5.  Il  fixe  le  nombre  des  ambas- 
sadeurs, des  chevaux  admis  à  leur  suite,  de  leurs  bagages  a  : 
ou  bien  il  est  général,  et  admet  les  ambassadeurs  «  avecques 
touz  leurz  chevalx,  joialx,  et  autres  biens  quelconques,  jus- 
ques  à  cel  temps  et  tel  nombre  come  il  leur  plaira  7.  »  Selon 

1)  C'est-à-dire  suspendre,  d'une  manière  précise,  l'effet  de  toutes  les  diffi- 
cultés opposables  à  un  étranger  :  marque,  représailles,  entrecours,  condam- 
nations pour  dettes,  en  bannissement,  ou  pour  rupture  de  ban  (Sauf  conduit 
du  roi  d'Angleterre,  21  juin  1401.  Rymer,  IV,  I,  4). 

2)  «  Pourrait  estre  que  lesdiz  messages  de  France  ne  voudraient  mie  assem- 
bler avec  nosditz  gentz  sans  avoir  d'eulx  lettres  deseur  et  sauf  conduit»  (Pat. 
de  Richard  d'Angleterre,  1er  avril  1401.  Rymer,IV,  I,  1). 

3)  En  latin  salvus  conductus,  ou,  dans  le  langage  du  droit,  securitas  {Alleg. 
Vincentii  Rigault). 

4)  Sauf  conduit  français  pour  les  plénipotentiaires  de  la  paix  d'Arras 
(orig.  ms.  Moreau  1424,  n«  68). 

5)  Allegationes  Vincentii,  fo  xxvr  v°. 

15  nov.   1447.  Sauf  conduit  par  François  Sforza  pour  trois  mois,  à  tous 
orateurs  ou  mandataires  du  duc  d'Orléans,  pour,  avec  12  cavaliers  ou  hommes 
de  pied,  venir  d'Asti  vers  lui,  puis  près  du  pape,  et  revenir  à  Asti   (Faucon, 
Rapport  de  deux  missions,  p.  34). 
7)  Sauf  conduit  franco-anglais  du  1er  avril  1401  (Rymer,  VI,  I,  1). 


52  LA   DIPLOMATIE   AU   TEMPS    DE    MACHIAVEL 

Guichardin,  il  doit  être  contresigné  d'un  secrétaire,  à  peine 
de  nullité  ;  mais  cette  règle  ne  nous  parait  pas  exacte.  Un  ca- 
pitaine d'armée  ',  un  podestat,  à  Venise  un  provéditeur,  con- 
fèrent des  saufs  conduits  parfaitement  valables  pour  l'étendue 
de  leur  juridiction  2.  Un  ambassadeur  se  croit  le  droit  de  ga- 
rantir la  sécurité  d'un  tiers,  même  par  sa  simple  parole. 
Transporté  à  la  frontière  pour  être  remis  dans  les  mains  des 
Français,  le  cardinal  Ascagne  Sforza,  demande  qu'on  l'assure 
de  sa  vie.  L'ambassadeur  de  France  lui  répond  :  «  Je  vous 
assure  jusqu'au  roi.  »  Ascagne  est  un  prisonnier  et  non  un 
diplomate  :  nous  ne  citons  cette  parole  que  comme  exemple 
de  ce  que  peut  la  parole  d'un  ambassadeur 8. 

De  même,  le  sauf  conduit  ne  doit  pas  s'interpréter  dans  le 
sens  restrictif  ou  strictement  littéral  :  si,  par  exemple,  il  porte 
sécurité  «  pour  aller  trouver  telle  personne  »,  il  faut  sous-en- 
tendre  la  clause  de  retour  *. 

On  confond  à  tort  les  saufs  conduits  avec  deux  autres  instru- 
ments diplomatiques  de  sécurité,  les  passeports  et  les  recom- 
mandations. Le  sauf  conduit  consiste  en  un  ordre  donné  par 
un  souverain  sur  son  propre  territoire  en  faveur  d'étrangers. 
Les  passeports  et  les  recommandations  sont  des  actes  destinés, 

1)  Mise  en  demeure  de  se  rendre,  signifiée  par  un  commandant  d'armée 
allemand,  le  27  août  1511,  sous  forme  d'avis,  en  latin,  de  l'envoi  d'un 
trompette,  porteur  de  l'ultimatum.  Cet  avis  porte  sauf  conduit  pour  les 
envoyés  qui  seraient  adressés  dans  les  vingt-quatre  heures.  Passé  ce  délai,  le 
commandant  dénonce  l'emploi  du  fer  et  du  feu  et  du  dernier  supplice 
(Sanuto,  XII,  419). 

2)  Un  capitaine  de  gens  d'armes  ne  peut  donner  sauf  conduit  à  plus  fort 
que  lui  (Christine  de  Pisan,  Le  livre  des  fais  d'armes...).  Cependant,  en  Italie, 
le  gouverneur  de  Milan  se  réserve  de  donner,  au  nom  de  Louis  XII,  des 
saufs  conduits  politiques.  Ni  l'amiral  français  ni  le  gouverneur  de  Gènes  ne 
se  croient  autorisés  à  les  signer  (Rapp.   de  Rochechouart.  Fr.  2928,  fo  29). 

3)  6  mai  1500  (Sanuto,  III,  295). 

4)  H.  Bonet,  L'arbre  des  batailles^  c.  mi.  Christine  de  Pisan,  Le  livre 
des  fais  d'armes. 


IMMUNITÉS  53 

au  contraire,  à  l'extérieur,  et  décernés  par  le  souverain  en- 
voyeur. 

1°  Le  passeport,  appelé  «  lettres  de  passage  ',  »  en  italien 
lettere  di  passo,  a  pour  but  d'établir  l'identité  d'un  person- 
nage et  de  le  protéger  dans  les  pays  intermédiaires  que  son 
itinéraire  l'oblige  à  traverser.  Il  est  décerné  sous  forme  de 
patentes  ou  lettre  ouverte,  et  constitue  un  acte  diplomatique, 
écrit  en  latin  ou  dans  la  langue  des  pays  à  traverser.  Il  est 
général  ou  spécial,  selon  qu'il  s'adresse  à  tous  les  amis  et  al- 
liés de  l'État,  ou  à  telles  autorités  étrangères,  qu'il  fixe  un 
délai  ou  un  nombre  de  personnes.  Il  est  presque  toujours 
mixte,  c'est-à-dire  qu'il  s'adresse  également  aux  fonction- 
naires du  pays  envoyeur  2. 

i\ous  analysons,  en  note,  un  passeport  émané  d'une  chan- 
cellerie pompeuse,  celle  des  ducs  de  Bourgogne  3,  en  faveur 
d'un  particulier. 

1)  1396.  Ogier  d'Anglure  rencontrant  à  Venise  H.  de  Bar  et  le  sire  de 
Coucy,  ambassadeur  de  France  en  Hongrie,  ceux-ci  lui  donnent  «  leurs 
lettres  de  passage  pour  retourner  en  France  »  (Bonnardot  et  Longnon, 
Le  saint  voyage  de  Jhérusalem,  Paris,  1878.  p.  98). 

2)  Passeport  pour  Gueherie.  secrétaire  du  roi,  envoyé  au  pape  à  Avignon 
le  17  septembre  13511,  consistant  en  un  ordre  du  roi,  «  universis  justiciariis 
nostris,  portuumque  et  passagiorum  regni  nostri  eustodibt»s  vel  corum  lo- 

calenentibus  »,  de  le  laisser  transire  à  l'aller  et  au  retour,  avec  famille,  gens, 
monnaie,  cbevaux,  joyaux  et  autres  biens  (ms.  fr.  20976,  f«  160,orig.).  Pas- 
seport florentin  pour  Nicolas  Machiavel,  envoyé  à  Monaco  (11  mai  1511. 
Œuvres  de  Machiavel,  Mission  de  Monaco  :  Saige,  Documents,  II,  105),  consis- 
tant en  une  lettre  ouverte,  adressée  par  les  Dix  de  liberté  à  tous  amis,  confé- 
dérés et  recommandés  de  la  république,  avec  prière  de  prêter  aide  et  faveur  à 
N.  Machiavel,  envoyé  pour  ses  affaires  à  Monaco  (en  italien).  Passeport  du  roi 
René  d'Anjou  à  Lambert  Grimaldi,  seigneur  de  Monaco,  son  envoyé  près  du 
roi  de  France  :  patentes,  en  français,  aux  sénéchaux,  baillis,  etc.,  du  pape, 
du  roi,  de  lui-même,  et  de  ses  amis  et  bienveillants,  avec  prière  de  laisser 
passer  l'envoyé,  avec  une  compagnie  de  six  personnes,  pendant  un  an,  et 
mandement  en  latin  à  ses  ofticiers  de  Provence,  leur  faisant  les  mêmes 
prescriptions  (8  septembre  1461.  Saige,  I,  314,  315). 

3)  Passeport  mixte  avec  recommandation,  pour  Hugues  de  Lannoy,  che- 


54  LA    DIPLOMATIE   AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

A  vrai  dire,  les  passeports  délivrés  par  le  pape  comportent 
seuls  une  sanction,  celle  des  peines  canoniques  *. 

2°  Les  lettres  de  recommandation  ou  de  protection  sont 
des  lettres  personnelles,  sous  forme  rogatoire,  pour  l'ex- 
térieur. Elles  ont  pour  but  d'assurer  au  bénéficiaire,  ou- 
tre la  sécurité,   une   bonne  réception  s,  une  protection  spé- 

valier  de  la  Toison  d'Or;  Bruges,  3  avril  1443  (en  latin):  «  Philippus,  Dei 
gracia dux Burgundie,  etc. ..  Universis  dominis  cardinalibus,  patriarchis, archi- 
episcopis  et  ecclesiarum  seu  provinciarum  prelatis,  regibus,  principibus,  du- 
cibus,  marchionibus,  comitibus,  baronibus,  militibus,  scutifferis,  et  nobilibus, 
connestabulariis,  marescallis,  admiraldis,  vice  admiraldis,  cappitaneis,  et 
gencium  armorum,  in  mari,  terra  vel  fluminibus,  conductoribus,  ceterisque 
guerram  frequentantibus,  communitatibus,  dominacionibus,  seneschallis,  pre- 
sidibusque,  potestatibus,  baillivis,  prepositis,  majoribus,  scabinis,  rectori- 
bus,  gubernatoribus,  capittaneis  et  locatenentibus  regionum,  principatuum, 
provinciarum,  civitatum,  opidorum,  villarum,  castrorum,  fortaliciorum,  pon- 
tium,  portuum,  pedagiorum,  passagiorum  ac  districtuum  custodibus,  justicia- 
riis,  bulletariis,  officiai ibus  et  officiatoribus,  subdictis,  amicis,  confederatis  et 
benivolis  domini  mei  Régis  ac  nostris  ceterisque  quibuslibet  tam  ecclesiasticis 
quam  secularibus  personis,  quibus  nostre  présentes  ostense  fuerint  littere,  et 
eorum  cuilibet  in  solidum,  salutem  et  sincerum  dilectionis  augmentum.  » 
Suit  un  éloge  pompeux  de  la  personne,  des  services,  des  aïeux  d'H.  de  Lan- 
noy,  qui,  «  de  nostris  scitu  et  licencia  speciali  »,  va  visiter  «  peregre  »  des 
lieux  éloignés,  «  sacra  et  devota  ».  —  «  Vobis omnibus  et  singulis  subditis  et 
servitoribus  nostris  districte  precipiendo,  mandamus,  alios  vere  requirimus 
et  rogamus,  recommissum  suscipere  ac  favorabiliter  et  bénigne  nostri 
amoreet  contemplatione  tractare  velitis  »,  avec  dix  personnes  de  «familia  », 
et  autant  de  chevaux  au  moins,  et  leur  or,  argent,  joyaux,  valises,  armes,  vê- 
tements, etc.,  de  le  laisser  «pertransire»,jouret  nuit,  par  mer  et  par  terre,  à 
pied  ou  à  cheval,  avec  ou  sans  armes,  rester  ou  partir,  sans  trouble,  sans 
péage,  ni  gabelle  :  de  lui  fournir  vivres  et  aliments,  à  prix  raisonnable  ;  de 
le  traiter  «  quantum  pro  vobis  ipsis  aut  vestris  in  simili  nos  optaretis  esse 
facturos,  ad  quod  nos  pro  inde  reddetis  corde  sincero  paratos.  »  Ces  lettres 
valent  pour  cinq  ans  (ms.  fr.  1278,  fo  78,   copie  ancienne). 

1)  Lors  de  la  levée  de  l'excommunication  de  Venise,  en  mars  1510,  le  pape 
bénit  les  orateurs  de  Venise.  Il  écrit  l'absolution  au  patriarche.  Il  envoie  à 
Venise  des  brefs  destinés  à  l'empereur,  aux  électeurs  et  villes  libres  de 
l'Empire,  aux  rois  de  Hongrie,  de  Pologne,  etc.,  avec  des  patentes  pour  le 
libre-passage  des  courriers  de  la  Seigneurie  qui  les  porteront  (Sanuto,  X.  5). 

2)  Lettre  de  recommandation  d'Anne  de  France,duchesse  de  Bourbon, à  Mar- 
guerite d'Autriche,  en  faveur  de  Colin  Legrant,  qu'elle  avait  retenu  à  son  ser- 


IMMUNITÉS  05 

ciale  l.  La  recommandation  peut  s'adresser  au  souverain,  ou  à 
un  ambassadeur  accrédité  près  de  lui*.  Elle  ne  sert  guère  que 
pour  des  particuliers  notables  '  :  en  matière  d'ambassade,  on 
l'emploie  très  rarement*.  Bien  entendu,  les  recommandations 
ne  présentent  pas  de  caractère  obligatoire  '  ni  juridique  :  ce  sont 
de  simples  lettres  officieuses,  qui  valent  ce  qu'elles  valent, 


vice  et  dont  elle  a  été  très  satisfaite.  Anne  prie  sa  nièce  de  le  bien  recevoir  «et 
ne  luy  savoir  maulgré  si  s'est  inys  en  mon  service  »  (La  Chaussière,  18  dé- 
cembre, —  1509,  en  forme  de  missive.  Orig.  appart.  à  l'auteur). 

1)  L'ambassadeur  de  France  à  Venise  présente  au  doge  un  écuyer  du  roi, 
muni  d'une  lettre  de  recommandation,  qui  va  à  Jérusalem.  Le  doge  lui  serre 
la  main,  et  on  lui  t'ait  bonne  chère  (29  mai  1500.  Sanuto,  III,  354).  Lettre  de 
recommandation,  en  latin,  de  Louis,  dauphin,  pour  un  de  ses échansons,  qui 
entreprend  un  long  voyage,  adressée  au  duc  de  Milan,  «  ut  operam  detis  a 
(Lett.  de  Loui..  XI,  I,  n"  xliv).  Lettre  de  recommandation  de  Charles  VIII 
au  duc  de  Milan,  en  faveur  de  Nicolas  Guarnerii,  frère  de  Théodore  Pavie 
homme  d'armes  de  la  compagnie  Des  Querdes,  que  son  capitaine  envoie  à  Ve- 
nise (Tours,  16  sept.  Archives  de  Milan). 

•J  L'orateur  de  France  à  Venise  demande  à  la  Seigneurie  une  lettre  de 
passe,  pour  une  personne  qu'il  veut  envoyer  en  Pouille  à  Louis  d'Ars,  notifier 
les  trêves.  Cette  lettre  est  adressée  a  l'orateur  vénitien  en  cour  de  Rome 
(16  mars  1504.  Sanuto,  V,  990). 

3)  Patentes  latines  du  30  mars  1507,  du  doge  Léonard  Loredan,  pour  la 
reine  Isabelle,  veuve  de  Frédéric  deNaples  :  «  la  reine  a  avisé  de  son  passage, 
par  un  messager,  et  a  été  recommandée  par  lettres  spéciales  du  roi  de  France. 
Elle  passera  par  le  Mantouan  et  le  Crémonais  :  nous  désirons  qu'elle  et  sa 
suite,  cum  filiis,  familia  et  universa  comiiiva  tua,  eqius,  capsis,  valisiis  (suit 
une  longue  énumération  analogue),  soit  bien  reçue:  nous  le  demandons  à 
nos  amis,  et  le  mandons  à  nos  sujets,  —  par  terre,  par  mer,  à  cheval,  à 
pied,  etc.,  —  librement,  sûrement,  honorablement,  sans  paiement  d'aucun 
péage,  sans  aucun  obstacle  ni  ennui  (ms.  nouv.  acq.  lat.   "2120,  n°  2,  orig.). 

4)  Créance-recommandation  de  la  S''«  de  Florence  au  gouverneur  de 
Gènes,  le  13  mai  1511  (Saigé,  Documents,  II,  108),  en  faveur  de  Machiavel 
qu'elle  envoie  à  Monaco,  dans  le  sens  de  la  politique  du  roi  :  prière  de  lui 
donner  aide  et  faveur  pour  y  aller  «  salvamente  »  et  lui  prêter  pleine  foi  pour 
ce  qu'il  dira  (en  italien,  sous  forme  de  lettre).  Lettre  de  Louis  XII  à  la  S"e 
de  Bologne,  l'invitant  à  laisser  passer  l'ambassade  d'obédience  qu'il  envoie 
au  pape  (Paris,  1er  février.  Archives  de  Bologne). 

.'>>  In  orateur  turc  vient  de  la  part  du  roi  des  Romains  demander  le  passage 
à  Feltre  ;  le  podestat  a  refusé  (août  1500.  Sanuto,  III,  582). 


56  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

auxquelles  il  peut  être  dangereux  de  se  fier  outre  mesure  ', 
même  quand  le  souverain  qui  les  décerne  se  croit  le  droit 
d'y  insérer  une  formule  impérative  vis  à  vis  de  princes  infé- 
rieurs s. 

On  appelle  encore  saufs  conduits  les  lettres  de  sauvegarde, 
par  lesquelles  le  roi  prend  sous  sa  protection  et  sa  sauvegarde 
un  prince  ou  un  seigneur  étranger  '. 

Si  les  saufs  conduits  servent  peu  aux  ambassades,  ils  n'en 
sont  pas  moins  très  usités  et  répondent  à  des  besoins  fort  réels 
pour  les  particuliers,  chaque  fois  qu'il  s'agit  d'aller  en  pays 
ennemi,  ou  simplement  étranger.  Un  des  plus  curieux  est 
celui  de  Charles  Savoisy,  chevalier  français,  et  d'Hec- 
tor de  Pontbriant,  écuyer,  qui  se  rendent,  en  1400,  à 
un  combat  singulier  \  Les  saufs  conduits  donnés  à  un  par- 

1)  Jean  Grimaldi  se  rendant  à  Rome,  son  beau-père  le  doge  de  Gênes 
adresse  une  lettre  de  recommandation  au  pape  Nicolas  V,  pour  le  prier  «  meo 
intuitu  »  de  laisser  à  Jean  libre  accès  (30  novembre  1450.  Saige,  Documents, 
I,  216).  Jean  n'en  fut  pas  moins  arrêté  à  Rome. 

2)  Certificat,  en  latin,  que  Robert  James,  qui  part  en  Bretagne  conduire  la 
reine,  a  des  lettres  du  roi  «  de  protectione  »  avec  la  clause  volumus,  pour  4 
ans.  «  Teste  rege,  apud  Westmonasterium,  »  etc. (10  nov.  1402.  Mémoires  de 
Bret.,  III,  721  :  Rymer,  VIII,  280). 

3)  En  1476,  après  Morat,  la  duchesse  de  Savoie  demande  un  sauf  conduit 
à  Louis  XI,  à  la  grande  colère  du  duc  de  Bourgogne  (Gingins  la  Sarraz,  II, 
303)  ;  en  1484,  les  seigneurs  bretons  insurgés,  dont  le  duc  saisissait  les  biens, 
demandent  au  parlement  de  Paris  un  sauf  conduit  pour  eux  et  leurs  biens 
(Dupuy,  Hist.  de  la  réunion  de  la  Bretagne,  II,  49).  Patentes  de  Louis  XII, 
levant  tout  empêchement  sur  la  personne  de  Lucien  Grimaldi,  sf  de  Monaco, 
du  6  mars  1508-9  (Saige,  Documents,  II,  95)  ;  elles  constatent  que  Lucien  a 
juré  d'être  loyal  serviteur,  ami  des  amis,  etc.,  et,  s'il  y  avait  une  contestation 
de  péage  avec  les  sujets  du  roi,  d'accepter  la  juridiction  du  chancelier  de 
France. 

4)  Patentes  du  roi  d'Angleterre  du  27  avril  (1400),  en  latin.  «  Sciatis  quod 
suscepimus  in  protectionem  et  defensionem  nostras  spéciales,  necnon  in  sal- 
vum  et  securum  conductum  nostrum,  Karolum  Savoisy,  chivaler,  et  Ectorem 
de  Pontbirant  (sic),  armigerum  »,  en  tous  lieux  du  royaume,  même  dans  les 
villes  fermées,  avec  cent  personnes  à  son  choix  «  in  comitiva  sua  »,  —  «  ad 
certa  facta  armorum  infra  idem  regnum  nostrum  facienda,  veniendo,  ibidem 


IMMUNITÉS  57 

ticulier  en  cas  de  guerre  comportent  l'obligation,  pour  celui 
qui  en  bénéficie,  de  ne  se  livrer  à  aucun  acte  d'agent  secret 
ou  d'espion  '. 

Le  sauf  conduit  accordé  à  des  particuliers  est  essentielle- 
ment spécial  et  temporaire  :  il  ne  confère  aucun  privilège 
d'exterritorialité,  il  a  pour  effet,  au  contraire,  de  territoriali- 
ser  les  bénéficiaires,  qui  s'engagent,  explicitement  ou  non,  à 
se  soumettre  à  toutes  les  lois  du  pays.  Mais  il  constitue  une 
sûreté  formelle,  absolue,  irrévocable  *.  Il  vaut  pour  la  durée 
stipulée  ;  peu  importe  un  changement  de  règne,  une  destitu- 
tion de  l'officier  qui  l'a  donné...  Vainement,  alléguerait-on 
contre  le  porteur  de  sauf  conduit  un  droit  de  marque,  un  état 
de  guerre  :  «  Ce  qui  ne  se  peult  ne  doit  faire,  pourceque  celluy 
qui  prent  le  sauf  conduit  est  ton  ennemy,  et,  si  n'estoit  pas  ton 
ennemy,  il  n'acbetteroit  pas  ton  sauf  conduit  et  ne  viendroit 
pas  à  toy.  s'il  n'estoit  asseuré.  S'il  avoit  tué  ton  père  et  ta 
mère  et  toy  meismes,  et  tu  estoies  retourné  en  vie  comme 
devant,  si  ne  lui  pourroyes  tu  riens  demander  par  raison  ne 
par  justice  depuis  que  tu  luy  as  donné  seurté  s.  »  On  peut 
seulement  vérifier  la  régularité  des  saufs  conduits,  et  arrêter 
les  gens  qui  se  prévaudraient  d'un  sauf  conduit  irrégulier  *. 

morando  et  exinde  ad  propria  redeundo».  Les  deux  chevaliers  devront  prêter 
serment  de  ne  contrevenir  en  rien  aux  lois  du  royaume,  d'exhiber  à  toute  en- 
trée de  ville  leur  sauf  conduit,  de  n'introduire  aucun  traitre  ni  banni  (Rymer, 
t.  III). 

1)  Louis  deBueil,  titulaire  d'un  sauf  conduit  pour  négocier  sa  rançon,  doit, 
d'après  ce  sauf  conduit,  ne  rien  faire  en  secret  ou  en  public  contre  le  roi  d'An- 
gleterre, n'entrer  dans  aucune  ville,  forteresseou  château  du  roi  (1444.  Favre 
et  Lecestre,  Le  Jouvencel,  II,  322;. 

2)  A  une  demande  du  roi  Edouard  d'Angleterre,  le  roi  de  France  répond  :  «  Au 
regard  des  saufs  conduits,  il  ne  pouvoit  honnêtement  révoqués  ceux  qui  étoient 
ja  donnés  pour  cette  année.mais  il  défendroit  à  M.  l'Amiral  qu'il  n'en  donnât 
nuls  nouveaux  à  nuls  d'iceux  qui  tenoient  le  parti  contraire  dudit  Roi  Henry  » 
(Duclos,  Hist.  de  Louis  XI,  IV,  245). 

3)  Le  Jouvencel,  t.  II,  p.  28  et  s. 

4)  Décret  du  doge  de  Venise,  du  3  juin  1502,  contre  les  bannis  pour  crime 


38  LA    DIPLOMATIE    AD    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Le  sauf  conduit  pour  particuliers  est  semblable,  dans  sa 
forme,  au  sauf  conduit  diplomatique.  En  pratique,  la  chan- 
cellerie confond  les  saufs  conduits  et  les  passeports  ;  elle 
délivre  des  passeports  :  1°  à  un  étranger,  pour  entrer  et 
sortir,  en  guise  de  sauf  conduit  provisoire  ;  2°  à  un  français 
pour  sortir.  Un 'formulaire  du  temps  du  Charles  VI1  nous 
donne  les  formules  de  l'une  et  de  l'autre  rédaction.  Tou- 
tes deux  sont  libellées  en  patentes,  latines  :  la  première, 
adressée  aux  sénéchaux,  baillis,  prévôts,  gardes  des  ports  et 
passages,  et  autres  justiciers  ou  leurs  serviteurs,  leur  enjoint 
de  laisser  passer  paisiblement  le  titulaire,  avec  chevaux, 
or,  argent,  marchandises  et  objets  non  prohibés8  :  allant  à 
tel  endroit  et  revenant,  moyennant  le  paiement  des  droits 
accoutumés  :  de  lui  fournir  «  salvum  conductum  »  à  ses 
frais,  si  l'on  en  est  requis.  La  seconde  aux  capitaines  et 
gardes  des  ports  et  passages,  les  informant  que  X***  (par 
exemple,  JeanBriet,  chanoine  de  Bayeux  et  de  Lincoln),  va... 
(en  Angleterre) pour...  (prendre  possession  de  son  canonicat)  : 
et  que  le  roi  lui  donne  licence  de  passer,  «  quatenus  in  nobis 
est  »,  par  ses  juridictions,  passages,  etc.,  avec  (deux  chevaux, 
sa  suite)  et  le  nécessaire,  à  la  faveur  du  sauf  conduit,  pour  al- 
ler et  venir,  «  guerrisnon  obstantibus.  » 

Les  particuliers  demandent  des  passeports  ou  des  saufs  con- 

qui  reviennent  indûment,  avec  des  saufs  conduits  irréguliers.  Vérifier  les  saufs 
conduits,  appréhender  ceux  qui  seraient  en  défaut  (ms.  lat.  10142,  f°  non 
marqué). 

•1)  Ms.  lat.  4641,  fo  v. 

2)  Le  sauf  conduit  précise  le  chiffre  de  la  suite,  pédestre  ou  équestre,  armée 
ou  non  armée  ;  il  entre  dans  toutes  les  spécifications  possibles  :  «  per  terram, 
aquam  dulcem,  et  per  mare,...  de  die  et denocte,...  aurum,  argentum,  mo- 
netam,  jocalia,  robas,  manticas,  bogeas,  fardella,  litteras,  memoranda,  scrip- 
turas  et  alia  bona  licita  quecumque  secum  portantes  vel  non  portantes,  usque 
ad.. ..  pro....  et  exinde —  absque  impetitione,  perturbatione,  seu  impedi- 
mento  quocumque  redeundo  »  (1444.  Favre et  Lecestre, Le  Jouvencel,U,  322). 


IMMUNITÉS  59 

duits  pour  des  motifs  naturellement  bien  variables  '.  Le  gou- 
vernement peut,  s'il  croit  devoir  les  accorder,  en  surveiller 
strictement  l'exécution  *.  On  peut  même  accorder  des  sûretés 
secrètes,  à  des  agents  secrets  s  surtout  en  temps  de  guerre. 
Les  saufs  conduits  sont  d'usage  assez  restreint  pour  les 
voyages  de  princes  ou  de  grands  seigneurs  *.  On  les  double 

1)  Bulle  de  Clément  VII  donnant  un  sauf  conduit  à  Raymond  de  Turenne, 
avec  vingt  personnes,  avec  ou  sans  armes,  pour  venir  deux  mois  dans  ses  ter- 
res d'Avignon,  atin  d'assurer  sa«plena  securitas. tam  inaccedendo,morando, 
quam  eciam  redeundo  »  ;  avec  la  formule  finale  des  bulles  d'exécration  (P. 
1388*.  cote  39  bis  :  31  mars  1389). 

2)  En  1477,  des  gens  d'Arras  demandent  un  sauf  conduit  pour  aller  voir  le 
roi.  On  trouve  la  demande  singulière  et  on  les  fait  surveiller.  Ils  se  servent 
en  effet  de  ce  sauf  conduit  pour  se  rendre  près  de  Mlle  de  Bourgogne  :  mais 
on  les  arrête  en  route,  on  les  amène  à  Louis  XI,  et  ils  sont  décapités  pour  tra- 
hison Jean  de  Roye).  En  1385,  le  pape  refuse  un  sauf  conduit  à  des  gens 
d'Aix,  qui  veulent  aller  trouver  le  roi  de  France.  Le  sénéchal  de  Provence 
aussi.  Le  sénéchal  (royal)  de  Beaucaire  envoie  des  gens  les  quérir  à  ses  risques 
et  périls  (Douet  d'Arcq,  Choix  de  pièces,  I,  p.  67). 

3)  Lettre  de  Charles  VIII  à  Bourré.de  Chàteaubriant,  le  28  août  (1483),  por- 
tant l'ordre  de  délivrer  Jean  Thiercelin,  s?r  de  la  Brosse,  détenu  à  Angers, 
qui  a  fait  produire  par  sa  femme  des  lettres  de  sûreté  données  par  MM.  de 
S'  André  et  deChampéroux  (ms.  fr.  20432,  407). 

1  Cependant,  c'est  une  bonne  précaution.  Sanuto  nous  raconte  une  histoire 
d'enlèvement,  qui  fit  un  bruit  énorme.  La  femme  du  napolitain  Caracciolo,  con- 
dottiere au  service  de  Venise,  grande  dame  par  conséquent,  fut  enlevée,  à  son 
passage  en  Romagne.  par  vingt  cinq  cavaliers,  des  troupes  de  César  Borgia. 
L'émotion  fut  immense  à  Venise.  Le  soir  même  de  la  nouvelle,  un  secrétaire 
part  pour  voir  César,  et  «  sans  autre  salutation  »  réclamer  énergiquement. 
L'ambassadeur  de  France,  officiellement  avisé  le  lendemain,  s'indigne  et  offre 
d'y  aller  aussi  en  personne.  On  accepte  (Sanuto,  III,  1434).  On  écrit  aussi  à 
l'orateur  à  Rome,  de  se  plaindre  au  pape  (id.,  1436'.  Borgia  proteste  qu'il 
n'est  pour  rien  dans  l'affaire  ;  c'est  un  capitaine  espagnol,  d'accord  avec 
la  dame,  qui  l'a  enlevée,  parce  qu'il  en  était  amoureux,  et  la  dame  avait  en- 
couragé sa  flamme  en  lui  envoyant  des  chemises  brodées.  Il  en  fera  justice,  s'il 
peut  ;  du  reste,  dit-il,  la  dame  ne  lui  avait  demandé  aucun  sauf  conduit  (id., 
14i)0).  Le  pape  fait  une  réponse  analogue  (c.  1476)  :  le  mari  remue  ciel  et 
terre  pour  retrouver  sa  femme  infidèle  (c.  1477). Le  pape  écritun  bref  àCésar 
Borgia  contre  l'enlèvement,  tout  en  excusant  César  'c.  1484)  ;  maison  ne 
retrouve  ni  la  dame  ni  l'espagnol  (c.  1490).  On  croit  savoir  que  la  dame 
a  d'abord  été  menée  à  Forli,  puis  à  Imola  (c.  1496).  AccurseMainieret  Yves 


60  LA   DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

généralement,  en  pareil  cas,  de  l'envoi  d'un  chambellan,  por- 
teur d'une  lettre  telle  que  la  suivante  : 

«  Monsr.  de  Boisy.  j'ay  donné  une  seureté  à  Jehan  Monsr.  de 
Clèves,  à  la  requeste  de  Monsr.  de  Nevers,pour  s'en  aler  de 
Besançon,  où,  il  est  en  son  pays,  et  qu'il  puisse  passer  seure- 
ment  par  tous  les  pays  de  mon  obéissance,  lui  et  ceulx  de  sa 
compaignie.  Et  pour  ce  que  je  désire  qu'il  passe  seurement, 
je  vous  prie  que,  incontinent  ces  lettres  veues,  vous  vous  en 
alez  devers  lui  et  les  conduysés  et  lui  faictes  fere  bonne 
chère.  Escript  en  la  cité  d'Arras,  le  XXX0  jour  de  mars. 

(Aut.)  Loys  l. 

De  Chaumont  *.  » 

Nous  dirons  des  saufs  conduits  des  princes  ce  que  nous  avons 
dit  des  saufs  conduits  d'ambassades.  C'est  un  procédé  presque 
désobligeant  que  d'en  demander  3  ;  la  délivrance  officielle  de 
saufs  conduits  indique  une  tension,  dont  la  teneur  de  l'acte 


d'Alêgre,  dit  le  pape,  excusent  eux-mêmes  César  (c.  1512),  et  le  pape  adresse 
un  bref  à  son  légat  à  Venise  pour  justifier  son  fils  (c.  1528).  L'affaire  traîne 
en  longueur  :  cependant  on  dit  à  Forli,  à  Imola,  que  Venise  ne  la  laissera  pas 
impunie  (c.  1530)  :  un  espion  annonce  que  la  dame  est  avec  son  espagnol  au 
château  de  Forli,  où  il  y  a  aussi  deux  vieilles  dames  et  deux  jolies,  fort  «  ca- 
ressées »  de  César  (c.  1533)  ;  ce  dire  se  confirme  (c.  1571,  1577,  1587),  et  l'am- 
bassadeur de  France  à  Venise  montre  une  lettre  de  d'Alègre,  justifiant  en  effet 
César  (c.  1560)  :  le  mari  écrit  à  Venise  une  lettre  désespérée  (c.  1566)  ; 
Louis  XII  blâme  fort  le  fait  ;  c'est  la  fable  de  la  cour  de  France  (c.  1569). 

1)  Louis  XI. 

2)  «  A  nostreamé  et  féal  conseiller  et  chambellan  le  sire  de  Boysy  »  (Orig. 
sur  papier,  ms.  fr.  20855,  n°  48J. 

3)  Louis  de  Savoie,  seigneur  de  Cavour,  demande  un  sauf  conduit  au  duc 
de  Milan,  pour  aller  à  Gênes  pour  affaires  particulières  (1475.  Gingins  la 
Sarraz,  1,55).  En  1502,  Vladislas,  roi  de  Bohême  et  de  Hongrie,  en  annonçant 
son  mariage  à  l'empereur  Maximilien,  lui  demande  un  sauf  conduit  pour  Anne 
de  Candale,  avec  sa  suite,  voyageant  avec  les  ambassadeurs  de  Hongrie  :  un 
sauf  conduit  par  lettres  patentes,  et  «  quidemduplicatis»,  non  que  Vladislas 
doute  de  l'amitié  de  Maximilien,  dit-il,  «  sed  majoris  securitatis  atque. . .  ma- 
joris  commoditatis  causa  »  pour  la  reine  (Pray,  Epistolœ  procerum,  p.  20). 


IMMUNITÉS  61 

lui-même  peut  d'ailleurs  porter  la  trace  !.  Mais,  en  cas  de 
guerre,  un  prince  réclame  un  sauf  conduit  pour  se  commettre 
parmi  des  ennemis  \ 

Les  saufs  conduits  sont  principalement  usités  pour  la  sûreté 
du  commerce  maritime  ou  terrestre,  entre  pays  neutres,  et 
alors  ils  se  vendent  '  :  ils  sont  délivrés  par  patentes  royales 
de  chancellerie  ou  par  l'amiral  de  France  *,  dont  ils  forment 
le  grand  revenu. 

Tous  les  saufs  conduits  doivent  être  rigoureusement  obser- 
vés, même  ceux  des  marchands  :  «  Car  le  marchant  a  bien 

1)  La  ville  de  Nice,  ayant  ou  croyant  avoir  un  recours  à  exercer  contre  Jean 
Grinialdi,  lui  envoie  un  sauf  conduit  «  amplissimus,...  pro  persona  et  rébus.» 
Jean  vient  et  se  défend.  Le  juge  de  Nice  le  condamne,  et  ordonne  l'exécution 
à  jour  dit.  A  défaut  de  cette  exécution,  Jean  Grimaldi  est  expulsé  et  ses  biens 
de  Nice  sont  saisis.  Il  recourt  au  duc  de  Savoie,  pour  cause  de  rupture  du 
sauf  conduit  de  Nice  et  de  celui  du  duc  de  Savoie,  dont  il  avait  eu  soin  de  se 
munir  (1433.  Saige,  Documents,  I,  97).  Sauf  conduit  des  Génois  à  Jean  Gri- 
maldi pour  venir  à  Gènes  malgré  ses  dettes,  malgré  les  dommages  faits  à 
beaucoup  de  particuliers.  Ce  sauf  conduit,  en  latin,  au  nom  du  doge  et  des 
anciens,  pour  un  mois,  et  restreint,  débute  ainsi  :  «  Harum  litterarum  aucto- 
ritate  damus  et  concedimus  amplissimum,  tutissimum  et  generalissimum 
salvum  conductum»...  (28  juin  1427.  Saige,  Documents,  I,  60).  Sa.uf  conduit 
du  roi  de  Naples  à  Jean  Grimaldi  (l«r  mars  4445.  Saige,  Documents,  I,  162), 
en  latin,  sous  forme  de  déclaration,  avec  injonction  finale  à  tous  ses  capi- 
taines et  sujets  :  signé,  scellé  :  pour  huit  mois  (délai  indiqué  dans  la  for- 
mule finale).  «  In  nostra  regia  bona  fide  guidamus,  affidamus,  et  plenarie.  as- 
sicuramus  »,  pour  aller  et  venir  vers  nous  à  Naples,  avec  ses  bateaux,  biens, 
marchandises,  «  salve,  tute,  secure,  sine  damno,  noxia,  novitate,  injuria  vel 
offensa  » . 

2)  Ludovic  Sforza,  en  1500,  à  Novare,  sur  la  foi  d'un  sauf  conduit,  ne 
craint  pas  d'aller  avec  deux  capitaines  français  au  camp  français,  traiter  de 
la  capitulation  (Jean  d'Aulon,  I,  255).  Le  roi  Frédéric  de  Naples,  en  capitu- 
lant (aoùtloOl),  reçoit  «  un  sauf  conduit  pour  s'en  aller  en  France. . .  rendre 
au  roy. . .»  (Jean  d'Auton,  II,  90). 

3)  Capitulation  de  Bordeaux,  8  octobre  1453.  Les  saufs  conduits  seront  dé- 
livrés aux  assiégés  anglais,  «  sans  paier  l'émolument  des  seaulx,  en  paiant 
seulement  les  secrétaires  et  clercs  de  leurs  salaires  raisonnablement  »  (Le 
Jouvencel,  II,  36a). 

4)  Commission  d'amiral  publiée  par  Perret,  Notice....  sur  L.  Malet  de 
GraviLle,  no  20. 


62  LA    DIPLOMATIE  AU   TEMPS    DE    MACHIAVEL 

et  loyaulment  achetté  le  sauf  conduit,  et  y  aura  mis  par 
advcnture  la  pluspart  de  son  vaillant  ou  le  tout,  cuydant, 
soulz  la  seureté  ou  l'honneur  du  Roy  ou  de  ses  commis  ou 
ses  députés,  guigner  sa  vie.  »  Tous  ont  pour  sauvegarde 
l'honneur  du  roi  et  pour  sanction  l'excommunication1.  Louis 
XI 1  blâme  le  sauf  conduit  accordé  par  ses  lieutenants  au  roi 
Frédéric  de  Naples  :  néanmoins,  il  l'observe  *.  En  1510,  en 
pleine  guerre,  des  Vénitiens  traversent  tranquillement  la 
France  entière  avec  un  sauf  conduit  '. 

Par  malheur,  tout  le  inonde  n'imite  pas  ce  noble  exemple. 
En  1504,  Gonsalve  de  Cardoue  accorde  un  sauf  conduit  à  Cé- 
sar Borgïa.  César  vient  à  JNaples.  Gonsalve  le  reçoit  à  mer- 
veille, l'embrasse,  puis  le  fait  arrêter  à  sa  sortie  et  envoyer 
dans  une  forteresse  d'Espagne.  11  fait  reprendre  chez  César 
le  sauf  conduit.  Pour  excuser  son  manque  de  foi,  il  dit  que 
sa  volonté  a  dû  céder  devant  les  ordres  de  ses  maîtres,  que 
d'ailleurs  il  rend  service  à  César  Borgïa*  !  Il  aurait  pu  allé- 
guer plus  justement  l'exemple  de  manques  de  foi  donné  par 
César  lui-même  5. 

Au  XIY°  siècle,  Christine  de  Pisan  se  demandait  si  un  sauf 
conduit  accordé  à  un  sarrazin  était  bien  valable  :  et  elle  ré- 
pondait hardiment  :  Non,  pour  cause  d'utilité  publique  6.  Des 
traces  de  cette  hostilité  intransigeante  subsistent  encore  à  la 
fin  du  XV0.  En  1490,  une  ambassade  turque,  composée  d'un 
turc  et  d'un  grec,  entrait  à  Gaëte,  occupée  par  les  Français  et 

1)  Le  Jouveneel,  t.  II,  p.  28,  29,  30. 

2)  Instruction  à  Ed.  Bullio,  publ.  par  M.  de  Boislisle. 

3)  Sanuto,  X,  459. 

4)  Guichardin,  liv.  vi,  ch.  m. 

5)  «  L'acte  îr  s'esmerveille,  veu  la  petite  foy  qui  au  monde  court,  comment 
personne  se  o  ;e  tier  en  ses  sauf  eonduitz  »  (Christine  de  Pisan,  Le  livre  des 
fais  d'armes  et  de  chevalerie). 

6)  Le  livre  des  fais  d'armes  et  de  chevalerie. 


IMMUNITÉS  63 

assiégée  par  les  Napolitains.  Etienne  de  Vesc,  ne  voulant  pas 
prendre  sur  lui  de  répondre,  en  référa  au  roi  et  donna  un 
sauf  conduit.  Néanmoins,  les  soldats  français  saisirent  les  am- 
bassadeurs ;  le  grec  se  racheta,  le  turc  disparut '...  Au  com- 
mencement du  XYI*  siècle,  la  validité  des  saufs  conduits  n'est 
contestée  ni  de  part  ni  d'autre,  mais  une  ambassade  chré- 
tienne ne  se  rendrait  pas  à  Constantinople  sans  sauf  conduit  *. 
Par  malheur,  les  saufs  conduits  et  le  caractère  diplomatique 
n'empêchent  point  les  pirates  barbaresques  d'infester  la  Mé- 
diterranée et  de  prendre  ce  qu'ils  trouvent  3. 

En  cas  d'infraction  au  sauf  conduit,  il  y  a  lieu  à  réclama- 
tion diplomatique  *. 

Très  souvent,  des  ambassadeurs  envoyés  en  mission  s'ar- 
rangent, dans  un  but  de  sûreté  et  de  commodité,  pour  partir 
avec  les  ambassadeurs  de  la  puissance  où  ils  sont  adressés. 
Ainsi,  le  marquis  de  Finale,  envoyé  par  Jules  II  à  Louis  XII 
en  réponse  à  une  ambassade  d'Edouard  Bullion,  part  avec 
Bullion  qui  rentre  en  France  5.  De  même,  une  bonne  pré- 
caution, usuelle  et  facile,  pour  traverser,  en  temps  de  guerre, 
des  lignes  ennemies  et  faire  reconnaître  des  envoyés,  con- 

1)  Sanudo,  Spedizione. 

2)  1S00.  Sanuto,  DI,  c.  338:  c.  179  et  s. 

3)  Arch.du  Ministère  des  aff.  Etrangères,  Gênes  1,  fo  68,  v°.16  sept.i50f. 
«  Quod  redimatur  orator  régis  Tuneti,  qui  fuit  captus  non  longe  a  littore 
At'rice,  in  navi  Aug.  Gropalli.  et  perductus  Trepanum,  in  qua  navi  una  cum 
d»  oratore  erat  Gaspar  Sifranas  Donatus,  orator  destinatus  ad  dum  regem  ». 

4)  Par  une  lettre  du  11  mai  (1495),  à  Ludovic  Sforza,  Charles  VIII  se  plaint 
que  son  maître  d'hôtel,  Mathieu  Coppola,  ancien  trésorier  de  Naples,  ait  été 
arrêté  et  incarcéré  à  Milan,  en  revenant  de  Rome.  Clérieux  certifiait  que  Cop- 
pola avait  un  sauf  conduit  (Archiv.  deMilan,  Pot.  Est.,  Francta,  Corrispon- 
denza). 

5)  Mai  1504  (Disp.  di  Giustinian,  III,  90).  Des  ambassadeurs  viennent  en 
France  avec  les  hérauts  du  roi  qui  y  retournent  1500.  Sanuto,  III,  571-72)  : 
l'ambassadeur  du  soudan  d'Egypte  repart  pour  l'Egypte,  avec  le  consul  vé- 
nitien qui  y  retourne  (1507.  Id..  VII.  128)  :  Andréa  Gritti,  envoyé  à  Constan- 
tinople, part  avec  l'ambassadeur  turc  (1502.  Id.,  V,  449). 


64  LA   DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

siste  à  prendre  un  héraut  ou  un  trompette  '  comme  escorte. 
En  cas  de  voyage  princier,  le  prince  qui  reçoit  peut  envoyer, 
par  courtoisie,  une  ambassade  pour  escorter  son  hôte  s. 

On  n'exige  des  otages  pour  assurer  la  sécurité  d'une  am- 
bassade, qu'à  titre  extrêmement  exceptionnel 8. 

En  dehors  des  sûretés  diplomatiques  ou  quasi-diplomati- 
ques que  nous  venons  de  citer,  c'est-à-dire  des  immunités 
d'agents  diplomatiques,  avec  ou  sans  saufs  conduits,  et  des 
saufs  conduits  spéciaux  à  des  personnes  déterminées,  il  existe 
encore  des  immunités  internationales,  nécessaires  à  mention- 
ner. Nous  les  diviserons  en  deux  catégories  :  les  immunités 
proprement  canoniques,  et  les  immunités  commerciales. 

Le  Décret  de  Gratien,  qui  a  si  remarquablement  posé  les 
principes  du  droit  de  guerre,  d'après  S'  Grégoire  et  S'  Augus- 
tin *,  qui  sauvegarde  la  paix  et  la  civilisation  dans  la  mesure 
du  possible  par  l'institution  de  la  Trêve  de  Dieu,  commise  aux 
archevêques  dans  chaque  province  5,  prend   aussi,  d'accord 

1)  Un  trompette  de  la  duchesse  de  Savoie  accompagne  ses  ambassadeurs, 
pour  traverser  le  camp  devant  Novare  :  ceux-ci  peuvent  ainsi  communiquer 
avec  Novare  (lettre  du  4  juillet,  Pernate.  Arch.  de  Milan,  Militare,  Guerre, 
1495).  Lettre  des  ambassadeurs  de  la  ville  de  Milan,  remise  au  trompette  qui 
a  escorté  leur  retour  (14  avril  1500.  Archives  de  M.  le  duc  de  la  Trémoille); 
Retour  à  Venise  d'un  secrétaire  du  conseil  des  X,  revenant  d'Andrinople  près 
du  Grand  Turc,  avec  un  stratiote  très  fidèle  (Venise,  avril  1500.  Sanuto,  III, 
179).  Des  Querdes  envoie  à  Lille  son  héraut  chercher  les  députés  de  la  ville 
qui  veulent  traiter  (Histoire  des  guerres  de  Flandre,  Corpus  chronic.  Flan- 
driœ,  IV,  562). 

2)  Pierre  de  Médicis  envoie  à  Charles  VIII  des  trompettes,  pour  lui  deman- 
der un  sauf  conduit  pour  l'aller  voir.  Vingt  quatre  heures  se  passent  ;  il  croit 
que  ses  trompettes  ont  été  pendus,  lorsqu'arrive  un  héraut  du  roi,  et  bientôt 
après  deux  ambassadeurs  chargés  d'accompagner  Pierre  (Delaborde,  Expé- 
dition de  Charles  VIII,  p.  436). 

3)  Jean  Bentivoglio  envoie  le  protonotaire  son  fils  à  Imola,  négocier  avec 
César  Borgia,  après  que  César  lui  eût  remis  quelques  personnes  en  otage 
(1502.  Guichardin,  liv.  v,  ch.iv). 

i)Decretï  secunda  pars,  causa  xxm,  quest.  i  (édit.  Friedberg,  t.  I). 
5)  Id.,  c.  25. 


IMMUNITÉS  65 

avec  les  autres  textes  du  droit  canon,  sous  sa  sauvegarde  spé- 
ciale les  gens  faibles  ou  désarmés.  Au  nom  de  la  justice,  il 
défend,  par  les  armes  de  l'excommunication,  l'ambassadeur, 
le  marchand,  le  voyageur  pauvre,  le  pèlerin  \  l'ecclésiasti- 
que. Ces  prescriptions  passent  dans  le  droit  de  toutes  les  na- 
tions chrétiennes*. 

11  en  résulte  que  les  ecclésiastiques  et  les  pèlerins  3  ont  un 
sauf  conduit  de  plein  droit,  sans  avoir  besoin  de  le  deman- 
der :  «  Droit  le  leur  donne  '.,.  En  quelque  contrée  qu'ils 
soient,  [ils]  sont  en  la  sauvegarde  du  saint  père  de  Romme... 
Tous  chrestiens  qui  sur  pèlerins  mettent  la  main,  commet* 
tent  et  font  péchié  de  désobédience.  » 

Le  droit  de  marque  ne  vaut  point  contre  eux  3. 

1)  Causa  xxiv.  quest.  m,  c.  23  et  suiv.  (c.  996-97).  Un  canon  du  concile 
de  Latran,  sous  Alexandre  III,  inséré  dans  les  Décrétâtes  de  Grégoire  IX 
(lib.  i,  lit.  xxxiv,  c.  2),  accorde  aux  clercs,  moines  et  convers,  aux  pè- 
lerins et  marchands,  aux  cultivateurs,  à  leurs  animaux  de  trait  et  à  leurs 
grains  de  semence,  un  sauf  conduit  absolu,  en  temps  de  guerre. 

2)  Petrini  Belli,  Albensis,  De  re  militari  et  bello,  p.  n,  t.  îx.  Mais,  par 
contre,  les  clercs  ne  peuvent  porter  les  armes  (Id.,  p.  i,  t.  vint),  à  moins 
qu'ils  n'aient  charge  de  gouvernement,  auquel  cas  ils  peuvent  défendre,  les 
armes  à  la  main,  leurs  sujets  et  leurs  biens  :  encore  discute-t-on  même 
à  cet  égard  (Lopez,  De  confederationc  principum,  édon  de  1511,  f09  59  v°> 
61  r»,  62  r<>). 

3)  On  discute  si  ce  sauf  conduit  s'étend  aux  étudiants.  En  pratique,  on  ne 
parait  pas  en  être  assuré,  car  le  dauphin  Louis  écrit  au  duc  de  Milan,  le  31 
décembre  1460,  que  Jacques  deValperga  voudrait  aller  à  Pavieavec  son  fds, 
pour  achever  les  études  de  celui-ci:  «  Vos  immense  precamur  »,  dit  le  dau- 
phin, de  leur  donner,  à  tous  deux,  «  tutum  salvum  conductum  pro  tempore 
necessario  ».. .  {Lettres  de  Louis  XI,  I,  n°  en). 

4)  Ils  peuvent  se  munir  d'un  passeport,  qui,  dans  ce  cas,  vaut  sauf  con- 
duit. V.  un  passeport  de  ce  genre,  sous  forme  solennelle,  de  la  chancellerie 
d'Angleterre,  pour  un  nommé  Christophe,  aumônier  du  roi,  se  rendant  à 
Rome  en  pèlerinage  (en  latin, .sous  forme  de  diplôme  :  4  févr.  1486.  Camp- 
bell, Memorials  for  a  history  ofthe  reign  of  Henry  VU,  I,  p.  273  et  s.).  Passe- 
port d'Henri  VII  d'Angleterre  au  commandant  de  Calais,  pour  lui  permettre 
de  sortir  du  territoire,  en  vue  d'un  pèlerinage  à  Rome  (2o  avril  1486.  Ibid., 
415). 

o)  H.  Bonet,   L'arbre  des   batailles,  c.    xcvm,   c.  xcix,   c.  Cf.,   dans  lé 

5 


66  LA    DIPLOMATIE    AD    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

Chaque  année,  le  jeudi  saint,  selon  un  vieil  et  solennel 
usage,  le  pape  lance  l'excommunication  contre  un  certain 
nombre  de  personnes  ;  c'est  ce  qu'on  appelle  la  Bulla  cène. 
Au  nombre  des  personnes  anathématisécs, figurent  les  pirates1 
et  écumeurs  de  mer,  et  quiconque  frappe  ou  détient  un  pré- 
lat, un  pèlerin  2. 

Le  25  février  1499,  à  l'occasion  du  jubilé  de  1500,  Alexan- 
dre VI  fit  aussi  publier  et  afficher  à  S'  Jean  de  Latran  unmotu 
proprio  spécial,  qui  ordonnait  de  recevoir  partout  les  pèlerins 
du  jubilé  et  frappait  de  peines  ecclésiastiques  toute  attaque 
contre  eux  3. 

C'est  par  suite  de  ces  privilèges  que,  comme  nous  l'avons 
dit,  pèlerins,  prêtres,  moines,  circulent  aisément  *,  et  qu'ils 
abusent  de  cette  facilité.  De  pseudo-pélerins  servent  de  cour- 
riers, d'espions5.  Le  8  septembre  1505,  Isabelle  d'Aragon  pro- 
met à  frère  «  Louis  del  Abathia  »,  chevalier  de  Jérusalem, 
bailli  de  Sla  Eufemia  dans  la  Calabre,  une  récompense  de 


même  sens.  Joannes  Jacobus  a  Canibus  (citant  Bartole  et  nombre  d'autres 
textes),  De  represaiiis  (dans  le  Recueil  deZiletti,  XII,  p.  278,  n°  44).  Ce  ju- 
risconsulte estime  que  les  ecclésiastiques  et  les  pèlerins  ne  peuvent  souffrir 
d'aucune  lettre  de  marque  ;  mais,  pour  les  étudiants,  la  question  lui  parait 
douteuse. 

1)  Les  pirates  sont,  en  conséquence,  hors  la  loi.  Tout  le  monde  a  le  droit 
et  le  devoir  de  leur  courir  sus.  sans  aucune  déclaration  préalable  (Petrini 
Belli.  op.  cit.,  p.  n,  t.  xi).  On  n'est  pas  tenu  de  garder  sa  parole  à  leurégard 
(ibid.,  t.  xiv). 

2)  Bulla  Cène,  d'Alexandre  VI  (reg.  874,  Archives  du  Vatican). 

3)  Même  registre.  f'°»  32  v«,  33  v°. 

4)  Lettre  des  habitants  d'Avignon,  se  plaignant  au  pape  qu*on  ait  arrêté 
au  pont  de  Sorgués  et  amené  à  Avignon  «  Mons>"  d'Aix  »  (ment.  ms.  fr. 
2928,  f°  29).  Cf.  Calai,  de  vente  Eug.  Charavay,  27  mai  1887,  n<>  7  (privi- 
lège de  Philippe  d'Alsace  aux  moines  de  Bohéries). 

5)  Les  pèlerinages  sont  souvent  des  exils  temporaires  déguisés.  Ainsi  le 
sire  de  Quintin,  battu  par  le  duc  de  Bretagne,  reçoit    de  lui    un    passeport 

'  pour  aller  en  pèlerinage  à  S1  Antoine,  à  Padoue  (Dupuy,  tlist.  de  la  réunion 
de  la  Bretagne,  II,  128). 


IMMUNITÉS  67 

100  000  ducats,  s'il  lui  ramène  son  fîls,  retenu  en  France  par 
Louis  XII,  qui  l'avait  fait  moine  '  ;  détail  singulier,  l'ordre 
de  S'  Jean  de  Jérusalem,  auquel  appartenait  cet  agent  secret, 
avait    pour   grand    maître  un  français,  Aimery  d'Amboise... 

C'était  l'amer  chagrin  des  chrétiens  que  la  même  sau- 
vegarde ne  couvrit  pas  les  pèlerins  jusqu'à  Jérusalem.  Cepen- 
dant les  récits  de  voyage  nous  montrent  que  le  plus  grand  obs- 
tacle de  ce  pèlerinage  venait  des  maladies  et  de  la  fatigue  '  : 
et  le  doge  de  Venise  n'était  probablement  pas  fort  sincère 
lorsque,  le  2  juin  1500,  recevant  deux  pèlerins  recommandés 
par  le  roi  de  France  et  présentés  par  l'ambassadeur,  il  les 
exhortait  à  ne  pas  poursuivre  leur  voyage  vers  Jérusalem  '. 
Nous  avons  déjà  dit  que  le  Soudan  accorda  à  Louis  XII  la  pro- 
tection des  Lieux  Saints  et  lui  donna  un  sauf  conduit  perma- 
nent pour  les  Français  se  rendant  en  Terre  Sainte. 

Telle  est  l'immunité  générale  que  nous  appelons  propre- 
ment canonique. 

L'immunité  de  commerce  résulte  des  privilèges  des  grandes 
foires.  Celle-ci  dérive  entièrement  de  la  volonté  du  prince. 
11  n'est  cependant  pas  libre  de  la  retirer,  quand  il  l'a 
donnée  *. 

Quant  aux  commerçants  étrangers  fixés  dans  le  pays,   leur 


1)  K.  78,  8  bis. 

2)  Robert  de  SanSeverino,  faisant  un  voyage  à  Jérusalem,  ne  rencontre 
d'autre  obstacle  que  la  maladie  d'un  homme  de  sa  suite,  qui  est  resté  à 
Rhodes  et  qu'il  ne  veut  pas  laisser  en  route,  ce  qui  prolonge  son  séjour  à 
Jérusalem  (leltre  de  Mathieu  Buligella  au  duc  de  Milan,  Jérusalem,  30  juin 
1 158.  Arch.  Sforzesco). 

3)Sanuto,  III,  868. 

legationes  Vincenlii  (Ilig'aulU,  Paris,  1512,  f°  xxvi  v°  :  «  Quedam  est 
securitas  dejure  geutium,  prout  illa  que  datur  legatis  et  ambassiatoribus,  et 
neino  potest  illos  offendere.  Alla  est  securitas  civilis,  ut  vadens  ad  nundinas 
non  possit  inquietari.  Et  ista  non  porrigitur  ad  hostes  ;  sed  si  detur, . . .  est 
servanda  fides.  •» 


68  LA   DIPLOMATIE   AD    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

donner  des  saufs  conduits  indique  un  état  ouvert  d'hostilité. 
Louis  XI  dénonce  le  duc  de  Bourgogne  comme  faisant  acte 
de  guerre  parce  qu'il  a  donné  chez  lui  des  saufs  conduits  aux 
Français  et  invité  les  «  sujets  »  de  Bourgogne  en  France  à 
prendre  un  sauf  conduit  pour  un  an  '. 

1)  1er  décembre  1470  (ms.  fr.  3884,  f»  280). 


CHAPITRE  VI 


LANGUE     DIPLOMATIQUE 


Le  latin  était  la  vieille  langue  universelle,  et  par  consé- 
quent la  langue  internationale  et  diplomatique,  consacrée, 
d'ailleurs,  par  la  science,  par  le  droit  canon,  par  le  droit  écrit; 
cette  vieille  faveur  laissait  beaucoup  de  traces  :  en  France, 
dans  les  contrées  de  droit  écrit,  les  procédures  criminelles 
avaient  encore  lieu  en  latin,  avant  l'ordonnance  de  juin 
1510  '  ;  a  Venise,  on  conservait  l'habitude  de  prononcer  en 
latin  les  discours  solennels  s. 

A  la  fin  du  XVe  siècle,  l'essor  des  études  classiques  vient 
donner  au  latin  un  regain  de  jeunesse,  dont  il  commençait  à 
avoir  besoin,  car,  depuis  le  milieu  du  XIVe  siècle,  les  idiomes 
locaux  pénétraient  de  plus  en  plus  dans  les  actes  de  la  vie  pu- 
blique, et  au  XV8  siècle  ils  y  tiennent  la  plus  grande  place. 

Comme  les  usages  internationaux  se  modifient  difficilement, 
c'est  là  que  le  latin  restait  le  plus  tenace  ;  son  emploi  est  de 
règle  pour  les  actes  officiels  de  la  vie  internationale.  Tout 
acte  destiné  à  une  élaboration  commune,  môme  à  une  simple 
communication  officielle,  doit  être  écrit  en  latin.  On  n'emploie 
que  pour  les  autres  le  langage  national.  De  là,  une  classifi- 
cation des  actes  diplomatiques  très  apparente  et  utile  à  ob- 
server, parce  qu'elle  indique  de  suite  la  portée  d'un  acte. 

1)  Art.  47.  Ordonnances,  XXI,  p.  431. 

2)  Reumont,  Délia  diplomazïa  italiana,  p.  141. 


70  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Ainsi,  tons  les  protocoles  officiels  \  traités,  alliances,  actes 
d 'entrecours !  et  patentes  de  ratifications  3,  devront  être 
écrits  en  latin,fût-ce  entre  puissances  de  même  langue,  comme 
aussi  tous  les  actes  extérieursde  la  diplomatie  :  saufs  conduits  *, 
lettres  de  créance  5,  pouvoirs  6.  Quant  aux  missives  directes 
internationales,  elles  appartiennent  à  un  genre  mixte  :  latines, 
quand  elles  ont  le  caractère  tout  à  fait  officiel1,  elles  peuvent 
être  écrites  dans  le  langage  national,  si  l'on  veut  leur  donner 
un  sens  moins  accentué  ou  plus  affectueux. 

1)  Au  traité  d'Arras,  note  des  offres  faites  par  la  France,  en  français: 
amende  honorable  (déclaration)  de  Jean  Tudert,  en  français,  «,perlegit  in  gal- 
lico  »  :  procès-verbal  en  latin  (ms.  Moreau  1452,  nos  129,  -130). 

2)  Traité  de  paix,  8  mai  1463,  entre  Louis  XI  et  le  roi  de  Gastille  Henri  IV 
(K.  1638,  d.  2)  ;  ligue  de  Louis,  dauphin,  futur  roi,  et  du  duc  de  Milan, 
(1er  juin  1461.  Archivio  Sforzesco)  :  acte  du  traitéde  1493,  patentes  de  Fer- 
dinand et  Isabelle  (la  proclamation  seule  est  en  espagnol.  K.  1638,  d.  2)  : 
traité  de  Trente,  1501,  en  latin  ;  projet  de  serment  de  Louis  XII,  en  français, 
comme  acte  très  personnel  (K.  1639,  d.  3)  :  instruction  diplomatique  prépa- 
rée en  patentes  latines,  qu'on  envoie  à  signer  en  Castille  (XIV«  siècle.  .1.  915, 
B)  :  Reg.  du  conseil  de  Charles  VIII,  p.  91  :  Saige,  I,  47  :  etc. 

3)  Patentes  en  latin,  de  François  Sforza,  ratifiant  la  ligue,  du  6  octobre 
1461  :  procès-verbal  en  latin  du  renouvellement  de  la  ligue  du  roi  de  France 
et  de  Milan,  22  déc.  1463  (Arch.  Sforzesco). 

4)  Sauf  conduit  anglais  à  deux  chevaliers  français,  pour  venir  à  un  défi 
(1400.  Rymer,  111)  :  sauf  conduit  du  duc  de  Bourgogne (1443.  Fr.1278,  f<>76): 
sauf  conduit  du  doge  de  Venise,  en  latin,  pour  l'ex-reine  Isabelle  de  Naples 
(1507.  N.  acq.  lat.  2120,  n»  2). 

5)  Créance  de  Louis  XII,  le  23  nov.  1501,  à  ses  envoyés  près  de  l'empe- 
reur: pouvoir  aux  mêmes,  en  latin  (fr.  16074,  n°  27)  :  créance  des  Floren- 
tins pour  Donato  Accaiuoli,  1475  (fr.  3882,  f°  55)  :  créance  de  Louis,  dau- 
phin, au  duc  de  Milan,  12  déc.  1460  (Lettres  de  Louis  XI,  I,  n°  xcxix)  :  Cf. 
Sanuto,  V,  539  etc. 

6)  Pouvoirs  du  roi  d'Angleterre  à  ses  envoyés  en  France  (Rymer,III,  p. 
200),  du  roi  de  France  à  ses  envovés  à  Milan  (Ghinzoni,  Gai.  Maria  è  Luigi 
XI,  p.  8). 

7)  Manifeste  de  Charles  VIII  à  la  diète  germanique,  pour  revendiquer 
Gênes  (11  août  1496.  Sanuto,  I,  285):  circulaire  de  Venise  aux  puissances, 
du  5  sept.  1500  (id.,  III,  750)  :  le  gonfalonier  et  les  prieurs  de  Fano  écrivent 
à  Venise  «  latine  »  (Sanuto,  III,  1589)  :  lettres  de  J.-J.  Trivulce  aux  Véni- 
tiens, annonçant  la  prise  du  More  (1500.  Sanuto,  III,  225)  ;  de  Louis  XI  au 
roi  de  Naples  et  du  roi  de  Naples  à  Louis  XI  (fr.  3884). 


LANGUE   DIPLOMATIQUE  71 

Les  instructions1,  dépêches,  rapports,  relations,  notes '.., 
sont  en  général  écrits  dans  le  langage  national,  parce  qu'ils 
représentent,  si  Ton  peut  ainsi  dire,  le  for  intérieur  de  la  di- 
plomatie 8. 

Il  est  donc  indispensable  à  un  ambassadeur  de  savoir  bien 
parler  le  latin  *  ;  et  c'est  là  une  des  causes  de  la  supériorité 
des  gens  d'église  et  des  Italiens  :  en  Italie,  la  culture  du 
latin  était  répandue  jusque  parmi  les  femmes  du  plus  haut 
rang. 

Mais  le  latin  ne  suffit  pas.  Il  faut  savoir  les  langues  étran- 
gères :  Lucrèce  Borgia,  duchesse  de  Ferrare,  «  parloit  espai- 
gnol.  grec,  ytalien,  françois,  et  quelque  peu  très  bon  latin,  et 
composoit  en  toutes  ces  langues  5  ;  »  tout  italien  bien  élevé 
connaissait  le  français  et  l'espagnol  '.  Un  souverain  a  besoin 

1)  Cependant  on  rédige  les  instructions  en  latin,  quand  on  leur  donne  la 
destination  ofticielle  d'être  communiquées.  V.  lesinstructionsà  des  ambassa- 
deurs en  Castillo,  du  roi  Jean,  l'une  rédigée  en  latin,  l'autre  en  français  (J.  915 
Bi  :  instruction  de  Catalan  Grimaldi  à  Ant.  Grimaldi.  son  envoyé  en  Savoie, 
et  près  du  dauphin (1454.  Saige, Documents,  I,  248,  2.">l).Au  XVe  siècle,  elles 
sont  en  latin  dans  certaines  chancelleries  (Instruction  du  roi  des  Romains  à  son 
orateur,  lescolastique  de  Sarrebourg.  J.  995).  V.  plus  loin,  chapitre  VIII. 

2)  Saut'  la  même  observation  que  pour  les  instructions.  V.  une  note  di- 
plomatique rédigée  en  double  par  la  chancellerie  anglaise,  la  première  en 
latin,  sèche  et  hautaine,  la  seconde  en  français,  plus  conciliante  (ms.  Moreau 
1425,  n°  97).  V.  des  notes  diplomatiques  latines,  ou  cellules,  par  les  ambas- 
sadeurs espagnols,  le  20  mars  1484-85  (K.  1482),  par  des  ambassadeurs  an- 
glais à  Troyes  en  l't"20(ms.  Moreau  1452,  n°102).  Cf.  plus  loin,  chapitre  XIV. 

:>  (Juaml  il  y  a  lieu  de  prêter  un  serment,  on  le  prête  toujours  dans  sa 
langue.  V.  les  serments  de  Louis  XI  au  duc  de  Bretagne  ms.  t'r.  lo.'i38,  n°31t, 
i'r.  20855,  n°  50)  :  le  serment  que  Louis  XI  veut  faire  approuver  par  le  pape 
et  jurer  par  l'évêque  de  Verdun  (fr.  1001,  f°  7:2). 

4)  Dans  le  Songe  du  vieil  •pèlerin,  Philippe  de  Maizières  (au  XIVe  siècle) 
recommande  au  roi  d'avoir  toujours  dix  ambassadeurs  sachant  bien  parler 
latin  (Hisl.  de  l'Ac.  des  inscriptions  et  belles-lettres,  t.  XVII,  p.  506,  cité  par 
Ern.  Nys,  Les  théories  politiques  et  le  droit  international  en  France,  p.  15). 

5)  Chronique  du  loyal  serviteur,  ch.  xliv. 

6)  Bald.  Castiglione. 


72  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE    MACHIAVEL 

de  savoir,  fût-ce  superficiellement,  les  principales  langues 
étrangères,  ou  au  moins  de  paraître  les  comprendre  et  d'en  dire 
quelques  mots1:  lorsqu'une  grande  ambassade  française  se 
présente  en  1445  au  roi  d'Angleterre,  on  l'avertit  que  le  roi 
comprend  le  français,  mais  qu'il  le  parle  mal,  de  sorte  que 
l'ambassade  parle  français  ;  de  temps  en  temps,  le  roi 
lui  dit  :  «  S1  Jehan,  grant  merci  »,  et  s'exprime  en  anglais 
pour  le  reste  *,  Malheureusement,  en  France,  la  connais- 
sance des  langues  est  fort  rare  3  ;  on  note  comme  un  fait  his- 
torique, que  Gaston  de  Foix  puisse  demander,  en  italien,  de 
ses  nouvelles  au  comte  de  Carpi  et  soutenir  avec  lui  quelque 
conversation  \  Lorsque  Charles  VIII  accepte  en  principe  les 
capitoli  avec  Florence,  Savonarole  est  député  pour  obtenir  sa 
signature.  Le  roi  le  reçoit  bien  :  «  Il  me  fit,  raconte  Savona- 
role, redire  les  chapitres  par  trois  fois,  en  latin,  en  italien  et 
moitié  italien  et  moitié  français  pour  ceux  qui  n'entendent  pas 
notre  langue.  Tout  étant  ainsi  arrêté,  le  roi  sortit  et  l'on  dé- 
posa les  armes  B.  »  Charles  VIII  ne  savait  pas  l'italien. 
Louis  XII  le  comprenait  difficilement. 

L'agent  diplomatique  qui  possède  bien  une  langue  trouve 
de  suite  de  grands  avantages.  Louis  de  Halwin,  seigneur  de 
Piennes,  flamand  d'origine,  et  souvent  ambassadeur,  réussit  en 
Allemagne,  parce  qu'il  sait  l'allemand  ;  il  est  ambassadeur 
en  1501  près  de  Maximilien.  Au  commencement  du  XVe  siè- 
cle, lorsque  Louis  Ier  d'Orléans  nourrit  sur  l'Allemagne  de  vas- 
tes projets,  il  prend  à  son  service  un  ancien  secrétaire  du  duc 
de  Gueldre,  Pierre  de  Mérode,  parce  qu'il  sait  l'allemand0. 

1)  Cf.  ci-après,  p.  74. 
2)Ms.  fr.  3884,  fo  186. 

3)  A  Nicopolis,  en  1396,  il  n'y  avait  dans  toute  l'armée  que  deux  cheva- 
liers sachant  le  turc. 

4)  Chr.  du  loyal  serviteur,  ch.  xlvii. 

5)  Perrens,  Vie  de  Savonarole,  3e  éd.,  p.  114. 

6)  Circourt  et  van  Wervecke,  Documents  luxembourgeois,   p.  S7.  Guill. 


LANGUE    DIPLOMATIQUE  73 

En  1501,  l'ambassadeur  de  Venise  en  France  signale  la  pré- 
sence à  Lyon  d'un  commerçant  sachant  le  hongrois  et  le  slave, 
qui  propose  d'aller  en  ambassade  en  Hongrie  pour  la  Sei- 
gneurie '. 

Les  envoyés  italiens  en  France  savent  tous  le  français  ;  ils 
rapportent  dans  leurs  dépêches  leurs  conversations  avec  les  per- 
sonnages de  la  cour.  Les  uns,  comme  Dominique  Trevisan, 
accrédité  par  Venise  en  1495,  le  parlent  parfaitement  *,  d'au- 
tres ne  font  pas  leurs  débuts  sans  difficultés.  Pirovano,  envoyé 
milanais  près  de  Charles  VIII  en  1493,  avoue  qu'à  sa  pre- 
mière entrevue  il  comprit  le  roi  avec  bien  de  la  peine  s  ; 
à  la  réception  d'Antoine  Giustinian,  envoyé  vénitien,  en 
1512,  Louis  XII  offre  ou  de  parler  français  ou  de  faire 
parler  italien  :  Giustinian  se  met  aux  ordres  du  roi,  mais  il 
avoue  qu'il  comprendrait  mieux  l'italien  ;  alors,  le  secrétaire 
Robertet  prend  la  parole  en  italien,  et  Louis  XII  se  contente 
d'approuver,  en  disant  que  Robertet  traduit  bien  sa  pensée  *. 
A  Venise,  un  des  secrétaires  du  conseil,  Gaspard  di  la  Ve- 
doa,  qui  savait  le  français  et  l'espagnol,  était  officiellement 
chargé  de  la  traduction  des  actes  diplomatiques  5. 

Le  résident  de  France  en  1500,  Accurse  Maiuier,  savait  le 

de  Diesbach,  avoyer  de  Berne,  écrit  au  roi  (1490),  pour  lui  dire  qu'il  s'oc- 
cupe de  ses  affaires  et  le  prier  d'envoyer  «  quelque  bon  grant  personnage  de 
par  deçà  •...,  nommément  le  marquis  de  Rothelin,  «  qui  scet  le  langage  et 
parler  aux  communes  »  (fr.  15541,  110). 

1)  Dépèche  de  Foscari,  de  Lyon,  18  août  1501 . 

2)Sanudo,  Spedizione,  294.  En  1475,  l'ambassadeur  milanais  prononce  en 
français  son  discours  de  créance  au  duc  de  Bourgogne  (Gingins  la  Sarraz,  Dêp. 
des  ambass.  milanais,  I,  76-77). 

3)  Rapport  de  Pirovano  (Romanin,  Storia  Documentata  di  Venezia,  t.  V, 
p.  29  et  suiv.). 

4)  Relation  de  Giustinian,  mentionnée  dans  une  dépêche  de  la  Seigneurie 
à  son  ambassadeur  à  Rome,  du  1S  octobre  1512. 

5)  Sanuto,  passim,  not.  IV,  468.  André  Badoer  interprète  l'anglais  à  Ve- 
nise (1502.  Sanuto,  IV,  518). 


74  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE    MACHIAVEL 

dialecte  vénitien  :  chargé  de  remettre  une  lettre  du  roi,  un 
jour  que  le  secrétaire  pour  le  français  ne  se  trouvait  pas  là,  il 
put  en  faire  lui-même  le  résumé  '. 

Pourtant  rien  ne  remplace,  comme  commodité  et  comme 
sûreté,  le  latin  ;  dans  les  pays  les  plus  excentriques,  cette 
langue  fournit  l'intermédiaire  naturel.  Une  ambassade  de 
Louis  Ier  d'Anjou  en  1378  près  du  Juge  d'Arborée,  en  Sar- 
daigne,  parle  français,  on  lui  parle  sarde;  pour  s'entendre,  il 
faut  traduire  en  latin  le  sarde  et  le  français  ".  Aussi  voit-on 
recourir  au  latin,  même  dans  les  cas  où  l'usage  de  la  langue  na- 
tionale serait  parfaitement  admis.  Maximilien,  pour  adresser 
directement  à  un  ambassadeur  de  Venise  un  avis  aigre-doux 
sous  la  forme  la  plus  officielle,  lui  envoie  un  billet  person- 
nel en  latin  3.  Chose  plus  singulière,  certains  ambassadeurs 
recourent  au  latin  dans  leurs  relations  avec  leur  propre  gou- 
vernement :  en  1419,  les  ambassadeurs  anglais  à  Rome  écri- 
vent leur  rapport  en  latin  *.  Ce  fait  est  rare  ;  cependant 
nous  le  voyons  se  reproduire  à  la  cour  de  France  dans  des 
circonstances  bizarres.  André  de  Burgo,  ambassadeur  de 
Marguerite  d'Autriche  près  de  Louis  XII,  savait  mal  le 
français,  et  un  seul  de  ses  secrétaires  le  savait,  l'autre  étant 
italien  comme  l'ambassadeur.  Privé  de  soh  secrétaire  pour  le 
français  par  suite  d'une  maladie,  Burgo  se  met  à  libeller  ses 

1)  2  déc.  1500  (Sanuto,  III,  1124). 

2)  Ms.  fr.  3884,  fo  68  et  s. 

3)  Dépèches  de  Foscari . 

4)  4  déc.  1419  (Quicherat,  Th.  Bazin,  IV,  277).  Le  rapport  de  l'ambassade 
des  envoyés  de  l'archiduc  en  France  (1474),  publié  par  Chmel  (Monumenta 
Habsburgica,  I,  261),  est  en  latin:  il  cite  les  mois  dits  en  allemand  ;  par 
exemple,  le  prévôt  de  Munster  «  dixit  in  vulgari  alamannico  :  Er  laesst  in  hun- 
gen  als  er  hangt,  »  ce  qui  semble  indiquer  que  les  ambassadeurs  parlèrent 
latin.  —  Au  commencement  du  XIV0  siècle,  tout  est  en  latin  (compte 
journalier  de  dépenses  de  la  mission  du  sénéchal  de  Beaucaire  à  Avignon, 
en  1340.  Ms.  fr.  20978,  fo  H83). 


LANGUE   DIPLOMATIQUE  75 

dépêches  en  italien  ;  or.  on  ne  comprenait  pas  l'italien  à  la 
cour  des  Pays  Bas,  où  l'on  ne  parlait  que  français  '.  Burgo, 
en  apprenant  qu'on  fait  traduire  ses  dépêches,  se  décide  à 
écrire  en  latin5. 

Faute  de  latin  ou  de  langue  indigène,  on  se  trouvera  ohligé 
de  recourir  à  des  interprètes  ou  «  truchcmans  '  »,  ce  qui  n'est 
pas  sans  inconvénients.  Lorsque  le  cardinal  d'Amboise  se  rend 
solennellement  près  de  Maximilien  en  1505,1e  roi  des  Romains 
charge  courtoisement  un  gentilhomme  bohémien  de  sa  mai- 
son, Balthazar  de  Dobenhurgk,  de  l'accompagner,  de  lui  ser- 
vir de  «  truchement,  durant  ledit  véaige  \  »  mais  seulement 
pondant  le  voyage.  Pourtant  certains  ambassadeurs  se  font 
une  sorte  de  point  d'honneur  de  prononcer  leurs  discours  de 
créance  dans  leur  propre  langue,  par  interprètes  5,  en  quoi 
ils  se  trompent  «.  Il  faut  laisser  cette  pratique  à  ceux  qui  igno- 
rent tout  à  la  fois  le  latin  et  la  langue  du  pays  :  par  exemple, 

1  )  Il  écrit,  le  31  mai    1510  :   «  Per  esser  el  secretario,  quale  scrive  in  lin- 
gua francesa,  indisposto,  scriveio  in  iialiano  »,  et  sa  dépêche  est  en  italien 
t.  de  Louis  XII,  I.  -237).  Philibert  Naturelli,  ambassadeur  du  roi  des  Ro- 
main à  Rome,  en  1499,  lui  écrit  en  italien  (Jean  d'Anton,  pièces,  I,  p.  328). 

2)  11  écril  à  Marguerite  d'Autriche  le  21  juillet  1510:  «  Ouando  ego  An- 
dréas reces^i  a  Serenitate  Vestra,  dixit  mihi  quod,  quando  non  haberem  qui 
scriberet  in  lingua  gallica,  scriberem  in  lingua  italica  ;  et  ita  feci  sepe.  Nunc 
monilus  fui  quod  ipsa  fecit  traduci  aliquas  litteras  meas  in  linguam  gallican), 
etideo  quousque  revertetur  secretarius  meus,  scribemus  in  latino  »  (I.ett. 
de  Louis  XII,  I,  255).  V.  mie  dépêche  d'ambassadeur  en  latin  à  Jean  Gri- 
inaldi  (1451.  Saige,  Documents,  1,  219). 

3)  Circourt  et  van  Verwecke.  oucr.  cite,  n°  207.  Les  ambassadeurs  du  duc 
d'Orléans  en  Allemagne,  en  1397,  ne  sachant  pas  l'allemand,  embauchent  à 
Mouson  des  truchmans  pour  les  escorter,  à  raison  de  12  sous  p.  par  jour, 
tout  compris  (?'</.,  n°  34).  Un  truchman  de  Bohème  accompagne  des  envoyés 
allemands  en  France  (  1397.  Jd.,  n"  12). 

Ms.  Clairamb,  16,  p.  1053. 

">)  Ambassadeur  anglais,  de  passage  à  Venise,  en  1S02  (quoique  docteur 
et  prêtre.  Sanulo,  IV,  518)  ;  ambassadeur  espagnol  à  Venise  en  1502  (id. ,  IV, 
468). 

6)  V. ci-dessous,  page  218. 


76  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS     DE   MACHIAVEL 

aux  envoyés  de  Russie,  de  Serbie,  de  Moldavie  à  Venise. 
Or,  même  à  Venise,  où  l'on  ne  s'étonne  pas  facilement,  on 
veut  bien  admettre  que  le  frère  du  despote  de  Serbie  ne 
sache  pas  le  latin  '  :  un  envoyé  moldave  rachète  aussi  son 
ignorance,  en  faisant  dire  par  interprète  que  son  maitre  est 
ennemi  des  Turcs,  et  en  présentant  une  lettre,  en  latin,  du 
voïvode  Etienne  s  ;  mais  on  sourit  du  costume  des  ambas- 
sadeurs de  Russie  en  1499  et  de  leur  langage  «  quasi 
turco  3.  » 

Les  inconvénients  de  recourir  à  des  interprètes  se  compren- 
nent aisément.  Nous  avons  déjà  montré  le  duc  de  Bourgogne, 
dans  une  entrevue  avec  l'empereur,  à  la  merci  d'un  grand 
seigneur,  qui  lui  sert  d'interprète  *.  Brantôme  raconte,  dans 
le  même  ordre  d'idées,  une  bien  mauvaise  plaisanterie.  La 
reine  Anne  de  Bretagne  avait,  dans  sa  suite,  un  certain  Jean 
de  Talleyrand,  seigneur  de  Grignols,  qui,  ayant  été  plusieurs 
fois  ambassadeur,  savait  plusieurs  langues  et  se  chargeait 
de  fournir  à  la  reine  une  ou  deux  phrases  pour  chaque  ré- 
ception d'ambassade.  La  reine  lui  demanda  un  jour  une  ré- 
ponse pour  l'ambassadeur  d'Espagne.  Grignols,  personnage 
très  facétieux,  trouva  bien  amusant  de  lui  donner  «  quelque 
petite  sallauderie,  »  que  la  reine  répète  et  apprend  bien 
consciencieusement.  Le  lendemain,  avant  l'audience,  Gri- 
gnols va  raconter  la  plaisanterie  à  Louis  XII,  qui  en  rit  à  gorge 
déployée,  mais  qui  heureusement  prévint  la  reine.  Anne 
prit  la  chose  fort  mal,  voulut  chasser  Grignols,  et  n'accepta 
que  très  difficilement  ses  excuses  quelque  temps  après  5. 

t)  1502.  Sanuto,  IV,  457. 

2)  Sanuto,  IV,  579. 

3)  Sanuto,  III,  61. 

4)  Tome  I,  p.  260. 

5)  Brantôme,  édit.  Lalanne,  VII,  316. 


LANGUE   DIPLOMATIQUE  77 

Le  mieux  est  donc  de  s'en  tenir  au  latin,  et,  si  on  l'ignore, 
le  mal  est  sans  remède.  Le  sire  de  Lautrec,  chargé  à  Fontara- 
bie,  en  1513,  de  négocier  une  simple  trêve  avec  l'évoque  de 
Lerida,  se  voit  obligé,  faute  de  savoir  le  latin,  de  requérir 
pour  négocier  un  docteur  de  Bayonne,  très  peu  diplomate, 
qui  a  le  talent  de  rendre  obscures  les  choses  claires  *.  En 
avril  1397,  par  suite  de  la  folie  de  Charles  VI,  une  ambas- 
sade florentine  attend  quatre  mois  son  audience  initiale,  puis 
un  des  ambassadeurs  expose  la  créance  en  latin.  Ne  recevant 
aucune  réponse  précise,  Pitti,  le  chef  de  l'ambassade,  soup- 
çonne que  le  discours  a  été  mal  traduit  au  roi;  ni  Charles  VI 
ni  les  ducs  régents  ne  savaient  le  latin,  sauf  le  duc  d'Orléans, 
qui  ne  se  souciait  pas  de  transmettre  l'avis  des  Florentins.  En 
effet,  à  l'audience  suivante,  le  roi  demande  à  voir  l'acte  du 
traité  dont  on  réclame  l'exécution,  et  se  montre  fort  étonné. 
Il  le  voit,  dit-il,  pour  la  première  fois  \ 

En  Orient,  l'usage  international  du  latin  n'est  pas  admis  s. 
Bien  que  nous  possédions  une  lettre  de  Bajazet  II  au  grand 
maitre  de  Bhodes,  de  1484,  en  latin  *,  on  refuse  même  de  par- 
ler latin.  Un  envoyé  turc  à  Venise  en  1500,  bien  que  sachant 
le  latin,  tient  à  ne  parler  que  grec,  et  s'exprime  par  in- 
terprète *.  Tamerlan,  vainqueur  de  Bajazet  Ier,  fait  parvenir 
à  Charles  VI  une  lettre  en  persan  :  Charles  VI  lui  répond  en 
latin,  le  15  juin  1403  a. 

En  1503,  un  ambassadeur  turc  apporte  à  Venise  un  projet 

1)  Dép.  de  l'évêque  de  Lérida  (2  avril  1513.  K.  1482). 

2)  Jarry,  Vie  de  Louis  de  France,  p.  215. 

3)  Bembo  dit  que  les  Turcs  ne  se  croient  pas  tenus  par  ce  qui  n'est  pas 
écrit  en  turc. 

4)  Ms.  ital.  898. 

5)  Sanuto,  HI,  192. 

6)  Flassan,  Diplomatie  française,  I,  189. 


78  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

de  traité,  écrit  en  turc  et  en  grec  '  ;  en  1504,  un  autre  ambas- 
sadeur apporte  une  lettre  du  Grand  Seigneur  en  grec  2.  Le 
Soudan  d'Egypte  écrit  en  arabe  :  mais  ses  lettres  sont  tra- 
duites au  consulat  vénitien  d'Alexandrie,  et  transmises  à  Ve- 
nise avec  la  traduction  3. 

Les  nécessités  des  rapports  avec  l'Orient  ont  amené  à  doter 
les  ambassades  et  les  consulats  des  drogmans  dont  nous 
avons  déjà  parlé  et  dont  le  rôle  est  de  grande  importance  : 
non  seulement  le  drogrnan  manie  toutes  les  affaires,  mais 
c'est  quelquefois  lui  qui  les  mène.  En  1511,  le  consul  vé- 
nitien, jeté  aux  fers  au  Caire,  passe  pour  avoir  été  trahi 
par  le  drogrnan  du  consulat  ;  le  consul  catalan,  au  con- 
traire, reste  libre,  il  va  où  il  lui  plaît,  il  parle  lui-même  au 
Soudan,  car  il  sait  le  turc  et  l'arabe,  aussi  son  influence  est 
extrême  '. 

Les  traités  avec  l'Afrique  septentrionale  sont  consacrés  par 
un  instrument  arabe,  puis  par  une  charte  chrétienne,  qui  en 
donne  une  sorte  de  traduction  exégétique,  avec  un  formulaire 
différent.  M.  Amari  a  contesté  la  valeur  critique  de  ces  chartes 
chrétiennes  :  M.  le  comte  de  Mas  Latrie  a  démontré,  au  con- 
traire, qu'elles  présentent  un  caractère  authentique  5. 

En  Occident,  la  langue  française  hérite  manifestement  des 
pertes  que  subit  le  latin,  et  tend  à  devenir  avec  lui  la  langue 
diplomatique.  Machiavel,  non  sans  exagération,  représente 
les  Français  comme  «  ennemis  de  la  langue  des  Romains  et  de 


i)Sanuto,  V,  27. 

2)Sanuto,  V,  1001. 

3)  Sanuto,  V,  887-890. 

4)Sanuto,  V,  991  :  XII,  210-213. 

5)  Ctc  de  Mas  Latrie,  Relations  et  commerce  de  l'Afrique  septentrionale,  ou 
Magreb,  avec  les  nations  chrétiennes  du  Moyen-âge,  Paris,  Didot,  1886, 
p.  471. 


LANGUE    DIPLOMATIQUE  79 

leur  renommée  1  ;  »  Balthazar  Castiglione  met  le  français  au 
premier  rang  des  Langues  donl  la  connaissance  s'impose  dans 
une  cour  italienne  :.  Le  français  était,  au  XVe  siècle,  la  langue 
diplomatique  des  pays  secondaires  de  la  France  3  :  des  ducs 
d'Orléans  *,  dos  ducs  de  Lorraine  5,  de  Bourgogne,  de  Bre- 
tagne 6,  des  consuls  d'Avignon  7...,  et  le  travail  incessant  de 
de  ces  diplomaties  contribua  sans  doute  à  le  répandre.  A  la 
fin  de  ce  siècle,  le  français  est  toujours  la  langue  des  cours  de 
Savoie  8  et  des  Pays  Bas.  En  1513,  les  envoyés  des  Pays  Bas 
se  présentent  avec  l'ambassadeur  d'Allemagne  devant  le  con- 

1)  Dit  naturel  des  Français. 

I)  Bal  th.  de  Gastillon,  Le  parfait  courtisan,  trad.  Chapuis,  p.  238. 

3)  Les  lettres  du  roi  de  Sicile,  du  dauphin,  sont  en  français.  Le  sei- 
gneur  de  Monaco  écrit  en  italien  en  Italie,  en  français  en  France,  en  italien  en 
Savoie  (Saige,  not.  I,  310).  Les  correspondances  des  états  italiens  avec  lui 
sont  en  italien. 

4)  La  diplomatie  si  active  du  duc  Louis  1er  d'Orléans  en  Allemagne  ne  se 
sert  que  de  la  langue  française.  V.  Circourt  et  van  Werwecke,  Documents 
luxembourgeois,  not.  nos  239.  ~2">'-'>.  2.'>(>.  -210. 

.'ii  V.  Preuves  de  l'hist.  de  Lorraine,  t.  VI,  col.  ccxxxvu,  promesse  du 
duc  de  Bourgogne  à  l'évoque  de  Metz  (1473)  ;  col.  ccxxxix,  instruction 
lorraine  de  1473-74;  col.  cclxviu,  accord  de  1478  entre  le  duc  de  Lor- 
raine, les  princes  de  la  Haute-Allemagne  et  Maximilien;  col.  ccxciu,  traité 
du  29  mai  1493  entre  Metz  et  le  duc  de  Lorraine;  col.  ccclxi,  traité  entre 
Maximilien,  le  duc  de  Lorraine  et  l'évêque  de  Metz  (1316),  etc. 

-  rment  du  duc  de  Bretagne  envers  Louis  XI,  sur  la  croix  de  S'  Laud, 
le  13  août  i  470  :  procès-verbal  en  latin  des  chanoines  (fr.  15338,  n«  302). 
Serments  réciproques  de  Louis  XI  et  du  duc  de  Bretagne  (Nantes,  22  août 
1477.  Fr.  2811,  182,  183).  Pouvoir  breton  pour  une  ambassade  en  Angle- 
gleterrc,  instruction  pour  une  ambassade  en  Bourgogne  (1408.  Mém.  de 
Bretagne,  II,  827,  815)  :  créance  bretonne  (fr.  2811,  198). .. 

7)  Lettre  des  consuls  d'Avignon  au  sire  du  Bouchage;  recommandation 
instante  pour  un  courrier  qu'ils  envoient  au  roi  (Mandrot,  Ymbert  de  Batar- 
nay,  p.  320). 

8)  Mas  Latrie,  Hist.  de  Chypre..  III.  passim  :  instruction  des  nobles  de  Sa- 
voie à  Guill.  deLornay  (Guichenon,  Hist.  deBresse,  preuves,  p. 27)  :  créance 
du  duc  de  Savoie,  du  31  mai  1  i.'j.ï  (fr.  2811,  34)  :  patentes  de  Charles  VIII, 
pour  désigner  des  arbitres  dont  lechoix  lui  revient  (avec  la  Savoie)  (fr.  2919, 
f»  9  bis;. 


80  LA   DIPLOMATIE  AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

seil  helvétique,  et  prononcent  un  discours  en  français,  selon 
leur  usage.  Les  Suisses  demandent  qu'on  parle  latin,  ce  que 
font  les  ambassadeurs  :  mais  comme  les  Suisses  ne  comprennent 
guère,  l'ambassadeur  impérial  sert  d'interprète,  et  c'est  à 
lui  qu'on  adresse  la  réponse,  en  lui  disant  de  la  traduire  plus 
tard  :  il  la  traduit  verbalement  après  le  retour  à  l'auberge  *. 

Le  français  est  la  langue  usuelle  de  la  cour  d'Allemagne. 
Non  seulement  l'empereur  emploie  cette  langue  pour  écrire 
à  Louis  XII a,  mais  c'est  aussi  celle  de  sa  correspondance  per- 
sonnelle avec  Marguerite  d'Autriche,  avec  Philippe  le  Beau  \ 
Lorsqu'il  adresse,  en  1495,  aux  roi  et  reine  d'Espagne  une 
lettre  pompeuse  et  solennelle  contre  les  Français,  il  l'écrit 
en  latin,  mais  il  signe  en  français  :  «  Vostre  bon  frère,  Max*.  » 
Remarquons  môme  qu'en  1508,  pour  le  traité  de  Cambrai, 
les  pouvoirs  de  Maximilien  sont  en  français,  ceux  de  Louis  XII 
également 5,  au  lieu  d'être  en  latin,  selon  le  style.  Les  pa- 
tentes de  ratification  pour  Louis  XII  sont  en  latin  6. 

La  chancellerie  anglaise,  très  fidèle  au  latin,  n'emploie  que 
le  français  dans  tous  les  actes  relatifs  à  la  France  \  Le  roi 
d'Angleterre  écrit  en  français  au  roi  de  France  8;  ses  ambas- 
sadeurs s'expriment  en  français  9.  D'après  Du  Tillet,  en  1403, 

1)  Lett.  de  Louis  XII,  IV,  225. 

2)  Lettre  de  Maximilien  à  Louis  Xll,  31  mai  1510,  signée:  «Maximilianus» 
(Lett.  de  Louis  XII,  I,  233). 

3)  Lettres  de  Louis  XII.  Gachard,  Voyages  des  souverains,  I,  appendices. 
Le  Glay,  Négociations. 

4)  Boislisle,  Et.  de  Vesc,  p.  256.  Hors  d'Allemagne,  l'empereur  n'écrit 
cju'en  latin  ou  en  français. 

5)  Ms.  Moreau  418,  fo»  1-47. 

6)  Bourges,  14  mars  1508,  anc.  style  (ibid.  ) 

7)  Rymer,  III. 

8)  Lettre  de  Henri  VI  à  Charles  VII,  28  juillet  1447  (Quicherat,  Th.  Bazin, 
ÎV.p.286). 

9)  Discours  de  l'ambassadeur  d'Edouard  d'Angleterre  au  duc  de  Bourgo- 
gne (fr.  1278,  fo  64).—  V.  Engagement  du  duc  de  Clarence,  en  français,  sous 


LANGUE    DIPLOMATIQUE  81 

les  ambassadeurs  de  France,  clans  les  conférences  avec  les 
envoyés  anglais,  n'acceptèrent  que  sous  les  plus  expresses 
réserves  communication  clos  instructions  anglaises  écrites  en 
latin  :  ils  protestèrent  que,  s'ils  avaient  parlé  ou  écrit  en  la- 
tin, cela  ne  devait  pas  tirer  à  conséquence,  ni  créer  un  pré- 
cédent contraire  à  la  pratique,  jusque-là  constante,  dans 
les  conférences  anglo-françaises,  de  tout  écrire  en  fran- 
çais ;  ils  ne  consentaient,  cette  fois,  à  user  du  latin,  que  par 
exception,  pour  en  finir  et  ne  pas  ajourner  la  conférence,  ce 
qui  deviendrait  nécessaire,  si  le  roi  leur  ordonnait  de  se  con- 
former à  l'ancien  usage  '.  C'est  pourquoi  la  grande  ambassade 
de  144o,  dont  aucun  membre,  d'ailleurs,  ne  savait  l'anglais, 
tient  à  parler  français  au  roi  d'Angleterre  et  s'assure  d'a- 
vance qu'elle  pourra  le  faire  2.  Avec  le  temps,  la  ténacité  an- 
glaise finit  cependant  par  l'emporter  ;  plus  tard,  dans  le  cou* 
rant  du  XVI0  siècle,  les  instruments  anglo-français  seront 
écrits  en  latin;  en  1514,  lors  du  mariage  de  Marie  d'Angle- 
terre avec  Louis  XII,  Jean  de  Selve  parle,  au  nom  de  l'am- 

forme  de  cédule,  d'être  vrai  et  bon  parent,  frère,  compagnon  d'armes  et  ami 
entons  cas  du  duc  d'Orléans,  de  le  servir,  aider,  conseiller,  etc.,  sauf  contre 
le  roi  (14  nov.  1412;  sur  parchemin,  autogr.,  scellé  de  rouge  sur  double 
queue.  Douet  d'Arcq,  Choix  de  pièces,  I,  359)  ;  mandement,  en  français,  à 
l'Université  d'Oxford  d'examiner  la  question  de  ce  qui  est  dû  à  la  reine  (12 
nov.  1400.  Rymer,  III,  p.  191). 

1)  Ms.  fr.  23393. 

2)  «  Pour  ce  que  avoit  esté  conclut  ainsi  entre  culs  et  avoient  sceu  que  le 
roy  d'Angleterre  l'cntendoit  bien,  et  aussi  l'avoit  ainsi  conseillé  le  comte  de 
Suffork»  (ms.  fr.  3884,  f°  176)  :  le  roi  fait  répondre  en  latin  par  le  chancelier. 
On  lui  répond  en  français.  A  la  fin,  pour  donnet4  une  marque  d'amitié,  le  roi 
dit  trois  fois:  «S.  Jehan,  grant  merci».  Dans  une  seconde  audience,  plus  privée, 
tout  est  en  français,  M.  de  Suffolk  répondant.  Mais  le  roi  ne  parle  pas  ;  il 
retient  seulement  les  ambassadeurs,  quand  ils  veulent  partir,  en  disant:  Merci. 
Il  dit  encore  :  S.  Jean,  oui,  mais  il  parle  anglais.  Les  ambassadeurs  ne  sa- 
chant pas  l'anglais,  le  roi,  devant  eux,  échange  des  réflexions  avec  les  sei- 
gneurs de  sa  cour  (f»<  179  et  suiv.). 

6 


82  LA   DIPLOMATIE   AU   TEMPS   DE    MACHIAVEL 

bassade  de  France,    en  latin  d'abord,    puis  en  français  *. 

La  diplomatie  suisse  parle  français  en  France.  Les  ambas- 
deurs  de  Berne  et  de  Fribourg  adressent,  en  1488,  une  com- 
munication en  français  au  sire  du  Bouchage  2.  Le  protocole 
à' appointements  du  20  août  1487,  sur  les  affaires  de  Saluées, 
contresigné  des  ambassadeurs  de  Savoie,  de  Suisse  et  de  Mi- 
lan, est  rédigé  en  français,  et  les  ambassadeurs  signent  en 
français  :  seul,  l'ambassadeur  de  Milan  écrit  son  nom  sous  la 
forme  latine. 

Divers  indices  nous  montrent  d'ailleurs  combien  était  ré- 
pandue la  connaissance  de  la  langue  française.  On  a  observé 
notamment  que  les  compositions  originales  des  anciens  poètes 
écossais  fourmillent  de  phrases  littéralement  traduites  du 
français,  probablement  à  cause  des  perpétuelles  relations  de 
la  France  et  de  l'Ecosse  *.  Frédéric  d'Aragon,  roi  de  Naples 
de  1496  à  1501,  élevé  à  la  cour  de  Bourgogne,  avait  vécu 
aussi  en  France,  où  il  s'était  fait  des  amis,  et  sa  fille  ne  quitta 
jamais  la  cour  de  France.  11  écrivait  à  merveille  en  français  5. 
Le  cardinal  de  Bénévent  adresse  à  Charles  VIII  un  lettre  en 
excellent  français  \ 

La  diplomatie  française  donne  donc  le  signal  de  l'attaque 
contre  les  antiques  privilèges  du  latin,  et  elle  les  respecte  le 
moins  possible.  Il  va  sans  dire  que  ses  actes  intérieurs,  ins- 
tructions, correspondances,  mémoires,  sont  en  français  *.  Na- 


1)  Rymer,  VI,  72. 

2)  Mandrot,  Ymbert  de  Batarnay,  p.  246. 

3)  Ibid.,  p.  342. 

4)  SkeUon,  Blackwoods-Magazine,  nr.  dcccxc,  p.  793,  cité  par  Philippson, 
Revue  historique,  1891.  p.  4t33. 

5)  Lettre  amicale  à  Du  Bouchage  ;Mandrot,    Ymbert  de  Batarnay,  p.  322). 
6)Ms.  fr.  15338,  a"  255. 

7)  Instruction   au  cardinal  d'Amboise  envoyé  près  le  roi  des  Romains,  en 
1501  (l'r.  29G4,  f»  89)  :  à  Renier  Pot    (1419.  Ms.  Moreau  1425,  n»  90):  aux 


LANGUE    DIPLOMATIQUE  83 

turellement,  vis-à-vis  des  pays  vassaux,  la  Bourgogne,  le 
Dauphiné,  les  communes  flamandes  ',  etc.,  la  France  affectera 
de  ne  parler  que  français,  pour  conserver  à  son  action  le  ca- 
ractère  intérieur  :  de  même  aussi,  quand  il  accordera  au  sire 
de  Monaco  des  lettres  de  sauvegarde,  le  grand  conseil  de 
Charles  VI II  les  fera  délivrer  en  chancellerie,  sans  même  la 
signature  du  roi,  en  français,  comme  un  acte  d'ordre  pure- 
ment intérieur*.  Mais  on  va  bien  plus  loin.  Le  roi  de  France 
adresse  ses  missives  au  dehors  en  français  8;  il  donne  des 
pouvoirs  *,  des  lettres  de  créance  en  français  5.  Bien  plus,  le 
sire  de  Havenstein,  comme  gouverneur  de  Gênes,  adresse  en 
1501  une  lettre  en  français  à  la  Seigneurie  de  Venise  6...  C'est 
ainsi  que  des  causes  très  diverses  accroissaient  chaque  jour 
l'empire  de  la  langue  française. 

Le  français  n'a  qu'un  rival  :  l'espagnol  ;  rival  encore  peu 
redoutable  au  commencement  du  XVIe  siècle,  puisque  Phi- 
lippe le  Beau,  devenu  roi  de  Castille,  continue  à  écrire  et  à 
parler  en  français.  Cependant  l'Espagne,  unifiée  depuis  peu, 

envoyés  à  Gènes  (portef.  Fontanieu  146,  p.  106)  :  rapport  de  l'ambassade  à 
Rome  de  Rocliechouart  et  Rabot  (1-48 1.  Pr.  15870,  no  3),  etc. 

i  i  Négociations  avec  le  dauphin  (1456.  Pr.  23330,  f°s  1-23).  Lettre  directe 
de  Louis  XII  aux  Gantois,  déclarant  que,  s'ils  se  conduisent  comme  de  vrais 
sujets,  il  les  défendra,  mais  que,  s'ils  prennent  parti  pour  l'Angleterre,  il  les 
traitera  en  ennemis  :  en  français,  sous  forme  de  lettre  missive  (1512.  Lett. 
de  Louis  XII,  IV,  I21J.  Lettre  directe  de  Louis  XII  à  la  ville  d'Arras,  pour 
l'inviter  à  ne  pas  reconnaître  l'empereur  comme  mainbourg  (tuteur)  des 
princes  de  Castille  (juill.  1507.  Lett.  de  Louis  XII,  I,  105). 

2)  Saige,  I,  629. 

3)Not.  12  juillet  1500  (Sanuto,  III,  c.  480). 

I  Pouvoirs  pour  la  Castille  (1396.  K.  1638,  d.  2)  :  pour  Liège  (21  avril 
Fr.  20977,  fo  597). 

5)  Nous  avons  cité,  précédemment,  le  fait  très  remarqué  à  Rome  que  la 
créance  pour  l'obédience  à  Jules  II  était  en  français. 

6)  L'ambassadeur  de  France  remet  à  la  Seigneurie  une  lettre,  en  français, 
de  Ravenstein,  cherchant  à  apaiser  Venise.  Il  en  communique  une  autre 
(mars  «501.  Sanuto,  III,  1498). 


84  LA   DIPLOMATIE   AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

tient  à  sa  langue,  et  cherche  à  la  faire  passer  dans  la  diplo- 
matie. Elle  ne  réussit  pas  à  l'y  répandre.  Ferdinand  et  Isabelle 
donnent  des  pouvoirs,  des  créances,  en  espagnol  '  ;  l'Espa- 
gne obtient,  pour  ce  qui  la  concerne,  des  rédactions  de  trêves 
et  de  traités  en  espagnol  *,  mais  son  action  ne  s'étend  pas 
plus  loin. 

En  Italie,  quoique  Machiavel,  peu  humaniste,  et  même  mé- 
diocrement artiste,  préfère  toujours  l'italien  au  latin,  la  situa- 
tion est  différente  ;  là,  on  ne  considère  pas  le  latin  comme  une 
langue  étrangère,  mais  comme  la  vraie  langue  nationale,  plus 
nationale  peut  être  que  les  divers  dialectes.  On  mêlera  donc 
constamment  le  latin  et  l'italien  ;  il  y  a  peu  de  lettres  ita- 
liennes dont  la  suscription  et  la  souscription,  pour  le  moins, 
ne  soient  en  latin  3.  On  met  une  certaine  coquetterie  à  con- 
server le  latin  dans  les  actes  et  dans  les  manifestations  d'ap- 
parat. Cependant  l'italien  sert  couramment  pour  les  rapports 
des  états  italiens  entre  eux;  le  gouvernement  français  de  Gênes 
écrit  en  italien  l>.  Les  notes  diplomatiques  sont  rédigées  en 
italien  \ 

A  Rome,  tout  reste  latin. 

Quant  à  la  chronologie,  chaque  chancellerie  garde  son 
style.   Ainsi,  le  pouvoir  de  Louis  XII  à  son  ambassadeur 

1)  6  juillet  1492  (K.  1638,  d.  2)  :  créance  pour  l'ambassadeur  d'Espagne 
à  Venise  (15  juillet  1502.  Sanuto,  IV,  469). 

2)  Trêve  :  J.  915  B,  22.  —  Accord  entre  la  France  et  Jean  1er,  roi  de  Cas- 
tille,  de  Léon  et  de  Portugal,  contre  l'Angleterre,  en  castillan  ;  il  reproduit  le 
pouvoir  en  français,  promulgué  en  France  par  patentes  françaises  (K. 
1638,  d.  2). 

3)  Par  exemple,  lettre  des  Doria,  publ.  dans  Thomas  Bazin,  IV,  361.  Les 
orateurs  de  Rimini  à  Venise,  en  1503,  portent  une  créance  latine  ;  ils  font 
leurs  discours  en  italien  avec  citations  latines,  ils  disent  qu'ils  viennent  se 
mettre  sous  l'ombre  de  S1  Marc  (Sanuto,  V,  539). 

4)  Lettres  du  gouverneur  de  Gênes,  Jean  de  Rochechouart,  à  la  Seigneurie 
de  Florence  (17  avril  1511,  30  mai  1511.  Saige,  Documentt,  II,  102,  112). 

5;  Note  du  duc  de  Milan  (12  nov.  1461,  Archivio  Sforzesco). 


LANGUE   DIPLOMATIQUE  85 

près  de  Maximilien,  en  1502,  quoique  rédigé  en  latin,  dans 
la  forme  la  plus  officielle,  suit  le  style  gallican,  et  non  le 
style  romain;  il  est  daté  du  9  février  1501  '.  Dans  les  né- 
gociations de  Troyes  en  1420,  les  Anglais  suivent  le  style  an- 
glais s.  Le  Grand  Seigneur,  le  soudan  d'Egypte  datent  de  l'hé- 
gire :  toutefois,  dans  ses  communications  avec  les  chrétiens, 
le  Grand  Seigneurajoute,  quelquefois,  par  courtoisie,  une  men- 
tion du  comput  chrétien. 

1)  Ms.  fr.  16071,  no  27. 

2)  «  Secundum  computacionem  ecclesie  anglicane  »  (cédule  anglaise.  Ms. 
Moreau  1452,  n°102). 


CHAPITRE  VII 


POUVOIRS    ET   CRÉANCES 


Pouvoirs 

Le  pouvoir  est  un  acte,  portant  procuration  du  chef  de 
l'Etat  à  ses  ambassadeurs,  et  fixant  l'étendue  de  cette  procu- 
ration. L'instrument  s'appelle  en  français  povoi?',  ou  pouvoir', 
en  latin  posse,  et  le  droit  qui  en  résulte  potestas*,  en  français 
puissance. 

Le  pouvoir  n'est  autre  chose  que  le  mandat  de  droit  com- 
mun, régi  parles  lois  romaines.  Ainsi,  c'est  un  acte  de  droit 
strict,  qu'on  ne  peut  interpréter  ni  étendre,  et  qui  n'est  sus- 
ceptible que  d'exécution  littérale. 

La  signature  d'un  ambassadeur  ne  peut  donc  engager  son 
souverain  qu'à  condition  de  justifier  d'un  mandat  régulier, 
c'est-à-dire  d'un  acte:l°  émanant  du  souverain,  2°  légale- 
ment formulé,  3°  comportant  puissance  spéciale  pour  l'acte  à 
passer. 

Le  pouvoir  joue,  pour  la  forme,  un  grand  rôle  dans  la  di- 
plomatie ;  en  réalité,  il  ne  présente  qu'un  intérêt  restreint.  Il 
n'y  a  pas  là,  comme  en  matière  de  droit  civil,  des  tribunaux 
pour  vérifier  la  légalité  du  contrat,  pour  en  maintenir  l'exé- 
cution, et  démêler  les  responsabilités.   C'est  un  pur   forma- 

1)  Pouvoir  anglais,  de  1400  (Douet  d'Arcq,  Choix  de  pièces,  I,  168  ; 
Rymer,  III,  p.  200):  «  legaliter  suum  posse  deferendi...,  potestatem  sul'licien- 
tem  super  premissis  ».  Au  xme  siècle,  on  dit  «  de  bonnes  chartes  »  (Ville- 
hardouin,  cité  par  Nys,  Les  origines  de  la  diplomatie,  p.  15). 


POUVOIRS    ET    CRÉANCES  87 

hsrne  :  on  voit  des  ambassadeurs  rappelés,  comme  Alberto  da 
Garpi,  pour  des  actes  contraires  aux  intentions  du  prince 
et  néanmoins  compris  dans  les  limites  juridiques  des  pou- 
voirs ;  comme  aussi  on  voit,  quoique  très  rarement,  des 
agents  couverts  par  le  prince  après  s'être  risqués  d'une 
manière  heureuse. 

1°  La  signature  des  pouvoirs  n'appartient  qu'au  roi'.  Le 
chancelier  soumet  au  roi,  en  grand  conseil,  les  pouvoirs 
d'ambassadeurs  préparés  par  ses  soins,  tout  prêts  à  expédier. 
Le  roi  n'a  qu'à  commander  les  noms  pour  remplir  les  blancs  *, 
et  à  signer,  lui  et  le  secrétaire  de  service  3.  Le  pouvoir  est 
remis  à  l'ambassadeur,  aussitôt  après  les  instructions,  ou  en- 
voyé, selon  le  cas  *.  On  y  joint,  s'il  y  a  lieu,  une  lettre  close 
portant  l'ordre  de  partir  ;  pour  éviter  trop  de  sécheresse, 
on  peut  la  formuler  avec  quelques  mots  de  confiance  ou 
d'affaires,  ou  aviser  qu'on  fait  expédier  l'argent  nécessaire, 
les  chevaux 5...  En  cas  d'urgence,  nous  voyons  même  Louis  XI 
adresser  au  sire  de  la  Rousière  (son  ambassadeur  à  la  fron- 
tière pour  une  trêve  avec  l'Angleterre)  un  pouvoir,  où  il  a 
laissé  «  espace  »  pour  les  noms  de  l'ambassade,  qu'il  remet 

1)  On  remarqua  fort  à  Rome  le  pouvoir  pour  l'obédience  de  Gènes  à 
Jules  11  donné  sous  forme  d'une  patente  de  Ravenstein,  le  gouverneur  de 
Gènes.  En  cas  de  minorité,  les  pouvoirs  sont  donnés  par  le  tuteur  (pouvoir 
du  li  oct.  1507,  par  Maximilien,  pour  son  petit-fils .  Dumont,  t.  IV,  p.  i, 
p.  107). 

2)  Dans  le  pouvoir  de  Louis  XI,  du  19  juillet  1477  (fr.  15538,  5),  les  noms 
des  envoyés  ont  été  ajoutés  après  coup,  d'une  autre  encre,  sur  une  ligne  en 
blanc  ménagée  dans  le  texte.  On  a  apporté  le  texte  évidemment  ainsi  préparé 
au  conseil.   Il  est  contresigné  :  «  Par  le  Roy  en  son  conseil,  Disomme  ». 

3)  Lettre  du  chancelier  Guill.  de  Rochefort(fr.  15538,  48). 

4)  Pat.  de  Louis  XI  commettant  Pbil.  de  Commines,  chevalier,  seigneur 
d'Argenton,  sénéchal  de  Poitou,  chambellan,  pour  recevoir  de  Jean  Galéas 
M»  Sforza  l'hommage  de  Gène:;  et  Savone  (13  juillet  1468.  Ms.  Moreau  734, 
fo  80). 

5)  1494.  F.  Calvi,  Bianca  M*  Sforza- Visconti,  p.  72. 


88  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

à  La  Rousière  le  soin  de  compléter  sur  place,  selon  les  indi- 
cations qu'il  lui  donne  '. 

Dans  des  circonstances  fort  exceptionnelles,  un  souverain 
peut  donner  pouvoir  de  traiter  une  trêve  non  seulement  en  son 
nom,  mais  comme  se  portant  fort  de  souverains  alliés,  ou  de 
ses  propres  enfants  *.  Mais  un  souverain  peut,  pour  les  affaires 
d'un  sujet,  donner,  d'accord  avec  lui,  des  pouvoirs  spéciaux  à 
un  ambassadeur  3. 

En  revanche,  un  ambassadeur  n'a  aucun  titre  pour  interve- 
nir dans  les  négociations  d'autres  pays  et  ne  peut  agir  en  fa- 
veur d'autres  souverains  qu'à  titre  purement  officieux.  C'est 
à  ce  titre  officieux  que  l'ambassadeur  de  France  à  Venise  pré- 
sente, en  1502,  à  la  Seigneurie,  une  supplique  de  commer- 
çants florentins  pour  une  exemption  de  représailles  4  ;  que 
l'ambassadeur  d'Angleterre  en  France  mande,  en  1506,  au 
lieutenant  général  des  Pays-Bas  ce  qu'il  a  négocié  pour  l'ar- 
chiduc roi  de  Castille  6. 

Il  y  a  des  circonstances  urgentes  où  l'on  ne  refuse  pourtant 
pas  de  négocier,  sous  toutes  réserves,  avec  des  représentants 
sans  mandat  régulier  6.  En  juillet  1384,  le  duc  de  Berry 
prend  sur  lui  de  s'aboucher  pour  la  paix  avec  le  duc  de  Lan- 


1)  Ms.  fr.  20855,  no  55. 

2)  Pouvoirs  de  Ferdinand,  en  son  nom,  et  se  portant  fort  de  Maximilien, 
d'Henri  VIII  et  de  sa  fille  Catherine  (J.  915  B,  27). 

3)  Paiement  d'Ant.  de  la  Tour,  accrédité  à  Milan  «  de  par  le  roy  et  par 
nostre  ordonnance  (du  duc  d'Orléans)».  Paris,  23  août  1484  (Tit.orig.  De  la 
Tour,  8). 

4)  On  l'accorde  (25  oct.  1502.  Sanuto,  IV,  385). 

5)  1506.  Lett.  de  Louis  XII,  I,  87. 

6)  En  novembre  1499,  un  ambassadeur  français  débarque  sur  la  côte 
hongroise,  à  Zeng,  mais  il  tombe  malade  et  meurt  :  il  charge  son  neveu  de 
remettre  ses  documents  à  la  cour  hongroise,  mais  le  neveu  ne  se  croit  pas 
autorisé  à  entamer  des  négociations  (Fraknoï,  Revue  d' Histoire  diplomatique, 
année  1889,  p.  236). 


POUVOIRS   ET   CRÉANCES  89 

castre  :  un  mandement  royal  ratifie  et  avoue,  après  coup,  sa 
démarche  '.  En  décembre  1487,  les  gens  de  Lille  et  de  Douai 
concluent  séparément  avec  le  maréchal  desQuerdes  un  traité 
de  paix  et  de  neutralité.  Ils  se  font  fort  d'en  obtenir  la  ratifica- 
tion par  le  roi  des  Romains  et  l'archiduc  :  Des  Querdes  garantit 
de  même  la  ratification  par  la  France,  avant  le  2  février.  Des 
Querdes  n'a  pu  consulter  que  son  conseil  de  guerre  *. 

2°  Les  pouvoirs  doivent  être  légalement  formulés. 

Le  mandat  civil  résulte  de  la  volonté  du  mandant  expres- 
sément déclarée  :  la  déclaration  peut  avoir  lieu  par  acte 
authentique  ou  par  simple  cédule. 

De  même,  en  matière  diplomatique,  le  mandat  résulte,  ou 
d'une  procuration  dressée  par  des  notaires  impériaux  et  apos- 
toliques, ou  d'un  simple  brevet  ayant  un  caractère  public, 
c'est-à-dire  de  lettres  patentes. 

Bien  que  la  forme  notariée  tombe  manifestement  en  désué- 
tude, on  la  rencontre  encore  pour  des  procurations  de  droit 
strict.  La  reine  Catherine  de  Navarre  reconnaît  par  un  acte 
notarié  latin,  passé  par  deux  notaires  apostoliques  et  royaux, 
ses  secrétaires,  qu'elle  doit  hommage  à  Louis  XII  pour  les 
comtés  de  Foix,  de  Bigorre  et  autres  terres,  et  constitue  pour 
son  procureur  à  fin  de  cet  hommage  son  illustrissime  seigneur 
et  mari,  le  roi  Jean  de  Navarre.  L'acte  contient  les  formules 
habituelles,  les  promesses  usuelles  de  ratification  et  le  nom 
des  témoins  assez  nombreux  :  l'expédition  est  dressée  sur  par- 
chemin, sans  signature  royale  ni  trace  de  sceau,  sous  le  para- 
phe des  notaires  3.  Il  est  vrai  qu'il  s'agissait  ici  de  l'accom- 
plissement d'un  devoir  personnel  de  vassalle,  plutôt  que 
d'une  mission  diplomatique.  Un  autre  pouvoir  du  roi  de  Cas- 

1)  Mand.  royal  du  16  juillet  1384  (ms.  fr.  20590,  n°  19). 

2)  Hisl.  des  guerres  de  Flandre,    Corp.  Chronic.  Flandrix,  IV,  562. 

3)  Orig.  J.  619,  no  27. 


90  LA   DIPLOMATIE    AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

tille,  en  1380,  sous  forme  de  procès-verbal  latin  de  notaires 
impériaux  et  apostoliques,  passé  dans  la  chambre  du  roi 
«  personaliter  constitutus,  »  porte  seulement,  au  lieu  de  la 
signature  des  notaires,  celle  du  roi  (latine  et  espagnole)  : 
«  Nos  el  Rey  »,  et  le  contreseing  d'un  notaire,  en  latin  '. 

Les  pouvoirs  notariés  ne  sont  guère  d'usage  qu'en  vue  des 
actes  vraiment  personnels,  mariage,  prestation  d'hommage 
etc.  ',  ou  dans  les  diplomaties  secondaires  3,  plutôt  seigneu- 
riales que  politiques.  Les  pouvoirs  apparaissent  plus  géné- 
ralement établis  en  lettres  patentes,  conformes  d'ailleurs, 
comme  formule,  aux  cédilles  civiles  du  mandat.  Ces  patentes, 
exclusivement  destinées  à  une  production  internationale,  de- 
vraient être  écrites  en  latin.  On  les  rédige  donc,  en  latin,  sur 
de  très  grandes  feuilles  de  parchemin,  avec  une  forme  exté- 
rieure très  soignée  et  pompeuse,  lorsqu'on  veut  leur  donner 
un  caractère  particulièrement  solennel. 

Elles  portent  la  signature  autographe  du  prince  *,   la  con- 

1)  Pouvoir  du  roi  de  Castille  du  18  déc.  1380  (Douet  d'Arcq,  Choix  de 
Pièces,  I,  p.  16). 

2)  Pouvoir  de  Lucien  Grimaldi  à  Pierre  Grimaldi,  pour  conclure  le  traité 
de  mariage  avec  Claude  de  Savoie,  fille  naturelle  de  Philippe  (31  mai  1509. 
Saige,  Documents,  II,  97)  ;  en  forme  de  procuration  notariée,  pour  contracter 
avec  les  solennités  requises,  stipuler  la  dot,  etc.  Pouvoir  pour  reprendre  des 
bijoux,  donnés  en  vue  d'un  mariage  qui  est  rompu,  par  Jean  II  Grimaldi 
(20  juillet  1504.  Saige,  If,  32),  en  forme  de  procuration  notariée.  Pouvoir 
d'Augustin  Grimaldi,  évêquede  Grasse,  pour  traiter  de  la  mise  en  liberté  de 
Lucien  Grimaldi,  seigneur  de  Monaco,  son  frère,  prisonnier  de  Louis  XII 
(31  mars  1508.  Saige,  II,  89),  constituant  «  suos  veros,  certos,  legitimos  et 
indubitatos  procuratores  »;  en  forme  de  procuration,  passée  par  un  notaire 
apostolique.  Pouvoir  pour  recevoir  un  ordre  de  chevalerie,  par  Jean  II 
Grimaldi,  en  forme  de  procuration,  passée  par  notaire  impérial  apostolique 
(14  juillet  1494.  Saige,  11,8). 

3)  Pouvoir,  en  forme  d'acte  notarié,  latin,  du  marquis  de  Final  (5  juin 
1444.  Saige,  Documents,  I,  14).  Pouvoir  de  Pomelline  Fregoso  pour  traiter 
avec  Gênes  (8  février  1440.  Saige,  I,  126),  en  forme  de  procuration  notariée. 

4)  «  Habet  ad  hec  siil'ficiens  mandatum,  manu  propria  ipsius  M^Dui  ducis 
suscriptum  »  (Lettres  de  Louis  XI,  I,  p.  326,  lettre  du  6oct.  1460). 


POUVOIRS   ET   CRÉANCES  91 

tresignature,  par  ordre,  du  secrétaire  ;  elles  sont  scellées  du 
grand  sceau,  en  cire  rouge,  pendant  sur  double  queue  ',  ou 
sur  lacs  de  soie  rouge  et  jaune.  Elles  admettent  de  larges  con- 
sidérants, et  toutes  les  formules  du  mandat  \  Dans  ce  genre 
d'actes,  on  n'épargne  pas  et  on  n'abrège  pas  les  superlatifs  '  : 
on  fait  intervenir  aussi  les  grandes  clauses  de  style  :  Union 
contre  les  Turcs,  fraternité  des  princes  chrétiens,  république 
chrétienne,  désir  immense  de  paix  *. 

i)  Pouvoir  de  Charles  d'Orléans,  du  20  mai  1452  (J.  545,  II). 

2)  Pouvoir  de  Ferdinand  et  d'Isabelle  à  leur  résident,  pour  traiter  avec 
Charles  VIII,  sur  un  immense  parchemin  ;  traces  de  sceau  pendant  sur  lacet 
rouge  et  jaune  ;  signatures  autographes  :  yo  el  rey,  yo  la  reyna.  Ce  pou- 
voir porte  en  substance  :  «  Nous  désirons  vivement  la  paix,  surtout  con- 
tre les  infidèles.  Nous  déploronsles  guerres  intestines  d'Italie,  entre  Alexan- 
dre VI,  pape,  envers  qui  nous  sommes  tenus  au  dévouement,  Alph.  de  Na- 
ples,  notre  neveu,  d'une  part  —  et  de  l'autre  Charles  VIII,  notre  frère  et 
confédéré.  Nous  donnons  «  potestatem,  vobis,  Alfonso  de  Silva  »,  notre 
conseiller,  orateur  résident  à  la  cour  de  France,  de  faire  la  paix  si  possi- 
ble. Confiant  dans  votre  prudence,  nous  vous  nommons  spécialement  envoyé 
à  ce  sujet,  «  in  procuratorem  nostrum  certum  et  specialem,  et  ad  infra- 
scripta  generalem  »,  en  forme  de  mandat  civil,  pour  faire  la  paix,  la  concorde, 
signer,  faire  jurer  les  stipulations  intervenues.  »  Contresigné  par  un  secré- 
taire royal,  Mel  Perez  Dalmaçan  (il  octobre  1494.  K.  1368,  d.  2). 

3)  C'est  ce  qu'on  appelle  «  Mandatum  juridicum  et  amplum  »  (Dép.  d'A. 
Gritti,  1er  déc.  1512.  Arch.  de  Venise). 

4)  Pouvoir  de  Maximilien  au  roi  catholique,  de  traiter  pour  lui  avec  Louis 
XII,  sur  grand  parchemin,  signé  Max.,  contresigné  d'un  secrétaire  :  «Ad 
mandatum  Caes.Ma1'8  ».  Ce  pouvoir  est  sous  une  forme  particulière:  «  Maxi- 
milianus,  etc..  recognoscimus  et  tenore  presencium  protitemur  quod,  cum 
aliquo.  nunc  tempore  internos  et  ser"mm  principem,  Ferdinandum,  Arrago- 
num,  utriusque  Sicilie  et  Hierusalem  Regem  Catholicum.  ex  una  parte,  et 
Sermu">  Principem  D.  Ludovicum,  Regem  Francise  (sic),  fratres  et  con- 
sanguineos  nostros  charissimos,  atque  inter  nonnullos  alios  Principes  chris- 
tianos.  nonnulle  différenciée,  discordiae  et  sévi  bellorum  motus  hinc  inde  fue- 
îint  versati,  non  absque  gravi  incommoditate,  jactura  et  periculo,  non  tam 
nostrorum  omnium  quam  tocins  reipublice  christiane,  »  le  roi  catholique, 
«  sanctis-mno  atque  rectissimo  zelo  motus  »,  pour  concilier  nos  esprits,  «  et 
ad  fraternam  unionem  reducere  »,  cherche  à  faire  la  paix.  Il  ne  peut  la  vou- 
loir qu'honorable  pour  nous  et  nos  descendants.  Nous  n'avons  jamais  désiré 
autre  chose.   Inclinés  à  ses  instantissimes   prières,   et  par  égard  pour  lui, 


92  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Les  deux  formes  solennelles  que  nous  venons  d'indiquer, 
brevet  notarié  et  patentes  internationales,  sont  peu  usitées, 
parce  qu'elles  ont  pour  effet  de  conférer  des  pleins  pouvoirs, 
chose  antipathique  au  génie  de  la  diplomatie.  On  se  borne  en 

pour  son  antique  dévouement,  nous  le  constituons  solennellement,  etc.  notre 
«  verum,  certum,  et  legittimum  procuratorem,  negociorum  gestorem  seu 
mandatarium  »,  pour  traiter  tous  paix,  alliances,  mariages,  etc.,  avec  tous 
princes  ou  «  nunciis  et  procuratoribus  »,  ayant  mandat  plein  et  suffisant, 
pour  se  substituer  tel  mandataire  qu'il  jugera  bon,  et  obliger,  hypothéquer 
nos  biens  en  garantie,  nous  obliger  «  censuris  etiam  ecclesiasticis  ».  Maxi- 
milien  avait  donné  un  pouvoir  identique  à  Ferdinand,  daté  de  Gmund,  le  29 
juillet  1514  (orig.  signé,  même  cote).  —  Pouvoir  latin  de  Ferdinand  à  l'évê- 
que  de  Tripoli,  et  à  Gabriel  de  Horti,  son  chapelain  (Valladolid,  12  août  1514. 
K.  1639,  d.  3,  copie  ancienne).  Confiant  en  leur  prudence,  etc.,  il  leur  délègue 
les  pouvoirs  qu'il  a  reçus  de  l'empereur  avec  faculté  de  délégation  :  Pou- 
voir, en  forme  ordinaire,  en  son  nom  et  celui  de  Jeanne,  pour  traiter  la  paix 
«strictissimam  »,  perpétuelle,  indissoluble,  entre  «  Sacratissimum  »  Maximi- 
lien,  la  Sérénissime  reine  de  Castille,  notre  fille,  et  l'Illustrissime  Charles, 
archiduc  d'Autriche,  notre  neveu  et  fils,  et  Louis  XII  ;  arrêter  tous  chapitres, 
etc.,  tous  pactes,  etc.,  prêter  ou  recevoir  serment,  donner  ou  recevoir  sécu- 
rités. Comme  il  a  été  traité,  pour  sécurité,  queLéonor,  infante  de  Castille,  notre 
nièce  et  fille,  fille  de  notre  fille  la  reine  de  Castille  et  de  Philippe,  roi  de  Cas- 
tille, son  mari,  «  contrahat  matrimonium»  avec  Louis  XII,  nous  voulons  ce 
mariage.  Nous  vous  donnons  tous  pouvoirs  pour  passer  toutes  promesses  à  ce 
sujet  (formule  ordinaire),  les  recevoir  du  roi,  fixer  la  dot,  le  douaire,  le  trous- 
seau, les  pierres  précieuses. . .  Il  a  été  arrêté  aussi  que  Ferdinand  de  Cas- 
tille, deuxième  fils  de  Jeanne  et  de  feu  Philippe,  épouserait  «  Renea  » ,  deuxième 
fille  du  roi  et  d'Anne  ;  mêmes  pouvoirs  à  cet  effet.  Formules  de  pleins  pou- 
voirs. Transcription  du  pouvoir  de  Maximilien,  de  Gmund,  29  juillet  1514.  — 
Fr.  16074,  n°  27.  Blois,  23  novembre  1501.  Pouvoir  (patentes  en  latin)  de 
Louis  XII.  Préambule  assez  pompeux  ;  désir  d'assurer  la  paix  du  monde  et 
l'amitié  traditionnelle  de  l'Empire  et  du  roi.  Louis  accrédite  près  de  l'empe- 
reur Louis  de  Hallewjn,  sieur  de  Piennes,  chani  Geoffroy  Caries,  prési- 
dent du  parlement  de  Dauphiné,  Ch.  de  Haultbois,  maître  des  requêtes  or- 
dinaires de  l'hôtel,  Jean  Guérin,  également  maître  des  requêtes,  pour  renou- 
veler fraternité  et  amitié.  A  ces  patentes  est  jointe  une  cédule  en  latin,  de 
Blois,  24  novembre  1501,  par  laquelle  Louis  XII  donne  pouvoir  spéciale 
L.  de  Hallewin  de  recevoir  l'investiture  pour  Milan,  et  de  prêter  hommage, 
le  nomme  procureur  et  mandataire  spécial  à  cette  fin,  avec  promesse,  sous 
parole  de  roi  et  hypothèque  des  biens,  de  tenir  pour  bons  ses  actes  et  de  les 
observer  fidèlement,  perpétuellement.  Paris,  9  février  1501,  anc.  st.  ;  nou- 
velle cédule,  pour  L.  de  Hallewin,  identique  (K.  1639,  d.  3.  lnsprùck,  17 
déc  1514}. 


POUVOIRS    ET   CRÉANCES  93 

général  à  remettre  aux  ambassadeurs  un  pouvoir  spécial, 
plus  ou  moins  étendu,  sous  formes  de  lettres  patentes  écrites 
dans  la  langue  nationale,  où  le  souverain  promet  de  ratifier 
l'issue  de  la  négociation,  mais  où  il  se  réserve  cette  ratifica- 
tion. Nous  indiquerons  plus  loin  les  formalités  des  ratifica- 
tions. Il  peut  arriver  que  la  ratification,  tout  en  terminant 
une  négociation,  en  ouvre  une  seconde,  que  Ton  conservera 
à  l'ambassade  qui  a  réussi  la  première  ;  il  s'agit,  par  exemple, 
de  conclure  une  paix  laborieuse,  et  l'on  a  conclu  une  trêve  et 
même  un  mariage.  Dans  ce  cas,  le  souverain  enverra  des 
pouvoirs  mixtes  à  son  ambassade  :  pouvoir  de  ratifier  définiti- 
vement en  son  nom  l'acte  intervenu  ;  pouvoir,  plus  ou  moins 
large,  pour  ouvrir  une  négociation.  On  recourra,  dans  ce  cas, 
aux  patentes  latines,  avec  considérants  généraux,  à  cause  du 
caractère  absolu  de  la  ratification  '. 


1)  K.  1639,  d.  3.  Copie  ancienne  du  pouvoir(en  latin)de  Ferdinand  àPre 
"3e  Quintana,  daté  du  4  mars  1514  :  pouvoir  spécial  (formule  ordinaire),  t  ci- 
tra  les  pouvoirs  déjà  par  nous  donnés,  —  en  notre  nom  et  celui  de  notre 
fille  Jeanne,  reine  de  Castille,  dont  nous  avons  l'administration,  —  pour 
traiter  paix,  union  et  confédération  très  stricte,  perpétuelle,  indissoluble, 
avec  les  commissaires  quelconques,  procureurs,  «  nunciis,  oratoribus  »  du  roi 
de  France,  passer  toutes  stipulations,  faire  serment...  Comme  garantie,  on  a 
traité  le  mariage  de  Léonor,  infante  de  Castille,  avec  le  roi  Louis  très  chré- 
tien :  pleins  pouvoirs,  etc.,  pour  stipulation,  promesses,  dot,  etc.  :  de  même, 
pour  le  mariage  de  Ferdinand,  infant  de  Castille,  deuxième  fils  de  Jeanne, 
avec  «  Renea  »,  deuxième  fille  du  roi  »  (pouvoir  développé,  mais  de  pure  for- 
mule). Cf.  le  pouvoir  anglais  de  1400  (Douet  d'Arcq,  I,  167.  Rymer,  III, 
200),  en  forme  de  patentes  :  <■  Omnibus  Chrisli  fidelibus.  »  A  la  louange  de 
Dieu,  etc.  «  Régis  Magestatis  officium  »  est  de  chercher  la  paix  et  de  pour- 
voir aux  maux  de  la  guerre.  Dernièrement,  «  destinavimus  ambassiatores  ad 
partes  Francise  »,  Walter,  évoque  de  Durliam,  etc.,  pour  affirmer  les  trêves 
arrêtées  sous  notre  prédécesseur,  «  quod  nonnulli  propter  mutationes  puta- 
bant  expediens  »,  pour  en  contracter  de  nouvelles  s'il  le  fallait  et  arrêter  di- 
vers articles  pour  la  paix  de  nos  royaumes.  Nos  ambassadeurs  avec  ceux  de 
France  se  sont  rencontrés  plusieurs  fois  à  Lenlygham,  en  Picardie,  et  ont 
conclu  de  se  réunir  au  même  lieu  le  lundi  de  la.Pentecôte,  «  iidem  vel  alii  », 
avec  pouvoirs  suffisants,  selon   les  lettres  des  ambassadeurs  et  «  appuncta- 


94  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

Pour  les  ambassades  d'obédience  qui  présentent  un  carac- 
tère non  moins  absolu,  le  latin  est  de  rigueur.  Pour  l'obé- 
dience à  Jules  II,  tous  les  pouvoirs  sont  en  latin,  sauf  ceux  de 
Louis  XII  et  d'Anne  de  Bretagne,  ce  qu'on  remarque  fort  à 
Rome  :  le  pape  affecte  de  faire  lire  et  traduire  le  pouvoir  de 
Louis  XII  en  plein  consistoire  \ 

Louis  XI,  encore  daupbiu,  dans  des  patentes  latines  où  il 
ratifie  lui-même  un  traité  d'alliance  avec  le  duc  de  Milan, 
donne  pleins  pouvoirs  à  un  agent,  pour  aller  à  Milan  recevoir 
la  ratification  et  le  serinent  du  duc  2  C'est  un  procédé  fort 
incorrect,  car  rétablissement  d'un  mandat  exige  toujours 
un  acte  spécial  et  précis,  avec  les  formules  juridiques  consa- 
crées :  mais  la  diplomatie  du  daupbin  Louis  ne  peut  servir  de 
type  et  dans  cet  acte  particulièrement  les  incorrections  abon- 
dent. 

Les  patentes  de  pouvoir,  en  français,  sont  conformes 
aux  patentes  ordinaires.  Elles  confèrent  aux  personnages  spé- 
cifiés pouvoir,  autorité  et  mandat,  pour  une  suite  d'ob- 
jets également  spécifiés,  et  pour  leurs  circonstances  et  dé- 
pendances. Elles  indiquent  parfois  que  l'ambassadeur 
agira  «  comme  nous  en  personne  ».  La  clause  essentielle, 
spéciale,  indispensable,  est  celle  de  «  parole  de  roi  ».  En 
effet,  ces  patentes,  forcément  privées  des  sanctions  du  droit 
civil,  y  substituent  un  simple  engagement  d'honneur  ;  elles 


mentis  concordatis  ».  Nous,  «  sincero  corde  procedere  intendentes  »,  donnons 
pouvoir,  etc.  Suit  un  pouvoir  détaillé,  pour  traiter,  interpréter  l'ambigu,  ajou- 
ter, faire  proclamer  les  trêves,  en  faire  de  nouvelles,  «  amicitias  »,  etc.,  fixer 
les  secours  et  subsides  et  leurs  modalités,  faire  communicationes  secure 
pour  les  marchandises,  répondre  et  traiter  sur  telle  et  telle  question  spéci- 
fiée, enfin  arrêter  et  jurer  le  tout  «  in  animam  nostram  ». 

i)  Burckard,  Diarium,  111,  385. 

2)  «  Deputimus  vigore  presentium,  loco  nostri,  nobilem  Gastonum  du 
Lion  »,  avec  tout  pouvoir  (6  oct.  1460.  Lett.  de  Louis  XI,  I,  326  et  s.) . 


POUVOIRS   ET   CRÉANCES  95 

passent  donc  plus  légèrement  sur  les  clauses  civiles  ha- 
bituelles du  mandat,  sur  toute  la  phraséologie  qui  en  découle, 
notamment  sur  la  garantie,  un  peu  illusoire,  d'une  hypothè- 
que sur  les  biens  du  mandant,  pour  arriver  à  la  clause  de  Pa- 
role, ainsi  formulée  :  «  Et  promettons  (ou  promectans),  en 
bonne  foyet  parolle  de  Roy,  avoir  et  tenir  ferme  et  aggréa- 
ble...  »  ou  «  avoir  agréable  et  ratiffier...  »  Elles  finissent  par 
les  formules  habituelles  :  «  En  tesmoing  de  ce...,  donné  à...  », 
la  signature  du  roi  ou  du  secrétaire,  ou  même  le  simple 
certificat  d'un  secrétaire  constatant  l'extrait  conforme  de  la 
délibération  du  grand  conseil,  «  Par  le  roi  enson  conseil...  »  ', 
car  elles  sont  arrêtées  en  conseil. 

Elles  sont  scellées  en  cire  rouge  *  du  grand  sceau,  pendant 
sur  lacs  jaune  et  rouge,  ou  sur  simple  ou  double  queue  de 
parchemin  . 

Les  patentes  françaises  sont  écrites  d'une  belle  main,  sur 
un  parchemin  beau  et  fin,  très  ample  3.  Elles  admettent  des 
considérants,  bien  moins  développés  et  moins  pompeux  tou- 
tefois que  ceux  des  patentes  latines.  Ces  considérants  visent 
la  politique  générale  '  :  on  y  voit  même  apparaître  les  formu- 
les du  désir  de  paix  et  d'effroi  du  Turc.  Dans  les  pouvoirs  à 
OdetdeFoix,  sire  de  Lautrec,  du  8  février  1512-1513,  pour 
une  trêve  avec  l'Espagne,  la  chancellerie  de  Louis  XII  croit 
pouvoir  alléguer,  les  maux  des  guerres,  le  «  retardement  »  de 
la  sainte  union  de  l'Eglise,  et  «  par  conséquent  de  l'expédicion 

1)  Pouvoirsde  1400  (Douet  d'Arcq,  Choix  de  Pièces,  I,  171),  du  8  février 
151213  (orig.,  K.  1639.  d»  3),  du  24  mars  1475  (Mandrot,  Ymbert  de 
Batarnay,  p.  301) 

2)  Parfois,  en  cire  blanche.  Pouvoirs  de  Jacques  d'Ecosse,  8  oct.  1501  ; 
au  duc  de  Longueville  pour  la  paix  de  la  France  avec  l'Angleterre  (26  juil- 
let 1314),  pour  le  mariage  de  Louis  XII  (29  juillet  1514),  dans  Dumont. 

3)  Pouvoirs  du  13  février  1396  (K.  1638,  d.  2),  du  19  juillet  1477 
(fr.  15538,  5). 

i)  Pouvoir  de  Louis  XI,  du  19  juill.  1477  (fr.  15538,  5). 


96  LA   DIPLOMATIE   AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

neccessère  contre  les  infidelles  ennemys  de  nostre  saincte 
foy  catholicque...  '  »  En  guise  de  considérants,  on  insère  par- 
fois un  résumé  sommaire  de  l'état  de  l'affaire  à  traiter.  Après 
ce  préambule,  intervient  le  dispositif:  «  Savoir  faisons...  «Ici 
se  place  habituellement  une  formule  de  confiance  dans  l'am- 
bassadeur: «  Confians...  ». 

3°  Le  mandat  porte  spécification  expresse  des'pouvoirs 2.  Le 
h  plain  pouvoir  »,  en  latin  «  liberummandatùm 3  »,  si  général 
qu'il  soit,  a  toujours  un  but  spécifié,  tel  que  faire  une  trêve,  la 
jurer...*.  Les  pouvoirs  ne  se  présument  pas  :  de  règle,  un 
pouvoirgénéralne  comprendpaslescasde  compétence  royale5; 
il  faut  une  délégation  spéciale.  C'est  ainsi  que  le  gouverne- 
ment hongrois  ne  considéra  pas  comme  suffisants  les  pleins 
pouvoirs  généraux  de  l'ambassade  française  en  Hongrie  pour 
le  traité  d'alliance  de  1500.  D'après  l'article  1er,  le  traité  de 
Bude,  du  14  juillet  1500,  n'est  signé  qu 'ad  référendum  en  ce 
qui  concerne  la  France  :  le  roi  de  Hongrie  devra  envoyer  une 


1)  K.  1639,  d'3. 

2)  On  ne  peut  agir,  dit  Villadiego,  qu'en  vertu  d'un  mandat  préexistant. 
Un  acte  irrégulier  quant  aux  pouvoirs  ne  peut  être  ratifié.  L'ambassadeur  doit 
agir  selon  le  terme  du  pouvoir,  par  exemple  comme  procurator  (et  non 
nuntius)  ou  vice  versa  :  le  procurator  parle  au  nom  du  maître,  le  nuncius  en 
son  propre  nom  (De  legato,  p.  ni,  q.  1).  Toutefois  cette  distinction  du  juris- 
consulte ne  nous  parait  point  passer  dans  la  pratique. 

3)  Hotman,  Traitté  de  l'ambassadeur,  III,  §  4. 

4)  Pouvoir  de  Louis  XI  à  Du  Bouchage  pour  traiter  avec  le  roi  d'Aragon 
(24  mars  1475.  Mandrot,  Ymberl  de  Batamay,  p.  301)  :  résumé  sommaire  de 
l'état  de  l'affaire  :  une  trêve  a  été  conclue,  pour  essayer  d'arriver  à  la  paix. — 
Il  faut  donc  «  commettre  et  députer  aucun  personnage  à  nous  seur  et  féable  ». 
Nous  confiant  entièrement  dans  «  ses  sens,  souffisances,  loiauté  et  preudhom- 
mie  et  bonne  diligence,. . .  n'ayant  treuvé  personne  de  nostre  Royaume  quy 
nous  ait  en  nos  plus  secrètes  et  importantes  affaires  mieux  et  plus  fidèlement 
servi  »,  nous  commettons  Du  Bouchage,  avec  plein  pouvoir,  etc.,  pour  faire 
une  trêve...,  la  jurer...,  Promettant  etc. —  Autre  pouvoir  de  1494  (ibid.i 
p.  180).  Pouvoir  cité  du  8  février  1513,  etc. 

5)  Martini  Laudensis,  De  legatis,  q.  39. 


POUVOIRS    ET   CRÉANCES  97 

ambassade  spéciale  en  France  pour  le  faire  ratifier,  modifié 
ou  non,  par  Louis  XII  ;  et,  en  effet,  le  roi  Vladislas,  par  pou- 
voir en  forme  de  patentes  latines  du  16  septembre  1501,  revê- 
tues du  grand  sceau  rouge  pendant  sur  lacs  jaunes  et  rouges, 
conféra  à  Nicolas  de  Bacbka.  évèque  de  Nyitrye,et  àEtienne 
Thelegdi  pleins  pouvoirs  spéciaux  pour  signer  et  ratifier  une 
alliance  avec  Louis  XII,  quelles  qu'en  fussent  les  stipu- 
lations \  Les  ambassadeurs  vinrent  en  France  et  dressè- 
rent procès-verbal  officiel  de  la  ratification  réciproque  du 
traité  V 

Les  pouvoirs  utiles  et  précis  présentent  donc  un  aspect 
plus  ou  moins  sensible  de  restriction  :  l'ambassadeur  va  rece- 
voir telle  réponse,  requérir  telle  et  telle  chose  indiquée  par 
sa  commission3,  prêter  tel  hommage  4,  recevoir  tel  serment s, 
consigner  telle  ou  telle  ville  aux  commissaires  de  tel  prince  *, 
bref  remplir  les  missions  les  plus  diverses,  ou,  s'il  s'agit  de 
négociations  à  suivre,  négocier  sur  l'exécution  de  tel  traité  7, 

1)  J.  43-2.  25. 

2)  J.  432,  26. 

3)  Pouvoir  de  1400  (Douet  d'Arcq,  I,  471). 

4)  Pouvoir  du  8juin  1509  au  cardinal  d'Amboise  (fr.  12802,  fo  77).  Pouvoirs 
au  sire  de  Pienncs,  du  23  novembre  1501,  du  9  février  1501,  anc.  st.  (t'd.j 
fos  52  v°,  55).  Le  premier  de  ces  pouvoirs,  spécial  pour  rendre  hommage, 
est  distinct  d'un  pouvoir  du  même  jour,  aux  deux  ambassadeurs  Geoffroy 
Caries  et  Piennes,  pour  faire  la  paix  (id.,  f°51). 

5)  Ms.  Moreau  1452,  n»  108.  Copie  ancienne  du  pouvoir  de  Charles  VI  au 
duc  de  Bourgogne  pour  recevoir  le  serment  que  le  duc  de  Lorraine  devait 
faire  pour  reconnaître  la  paix  de  Troyes  et,  après  le  décès  de  Charles,  être 
«  loyal  homme  lige  et  vrai  sujet  du  roi  d'Angleterre  »  (24  mars  1421,  avant 
Pâques). 

6)  Commission  de  Louis  XI  à  ses  délégués  chargés  de  remettre  aux 
mains  des  commissaires  du  duc  de  Bourgogne  Amiens,  Abbeville,  Montreuil, 
etc.  (15  octobre  1465.  Ms.  Moreau  1426,  n°  165). 

7)  Pouvoir  pour  l'ambassade  (J.  de  Selve,  Pierre  de  la  Guiche),  envoyée  à 
Londres  négocier  sur  le  traité  du  7  août  1514  (23  mars  1514-1515.  J.  920, 
no  1). 

7 


98  LA   DIPLOMATIE   AU   TEMPS   DE  MACHIAVEL 

renouveler  tel  pacte  d'alliance1,  intervenir  dans  telles  négo- 
ciations sous  telles  conditions  *. 

Cette  rigueur  des  pouvoirs  devient,  pour  les  ambassadeurs, 
suivant  les  cas,  un  embarras  ou  une  force.  On  s'en  plaint  sou- 
vent8. Pour  obviera  l'embarras,  la  chancellerie  du  duc  d'Or- 
léans, dans  une  circonstance  délicate,  recourt  à  un  subterfuge  : 
elle  donne  aux  ambassadeurs  deux  pouvoirs  de  même  date, 
tous  deux  en  latin,  parfaitement  réguliers  :  l'un,  pour  prêter 
hommage  à  l'empereur  et  recevoir  au  nom  du  duc  d'Orléans 
l'investiture  du  duebé  de  Milan  tout  entier  *  ;  l'autre  pareil, 
mais  restreint  à  Asti,  avec  ses  dépendances  nominativement 
désignées,  «  et  quelques  autres  possessions  enLombardie  »  5. 
Charles  d'Orléans  possédait  Asti,  pour  lequel  l'empereur  ne 
pouvait  lui  refuser  l'investiture  ;  il  prétendait  au  duché  de 
Milan,  et  sur  ce  point  la  réponse  impériale  faisait  doute.  On 
voit  l'intérêt  du  double  pouvoir;  les  ambassadeurs  devaient 
produire  le  premier,  et  s'y  retrancher,  puis,  en  cas  d'échec,  le 
second,  car  il  fallait  en  finir.  Il  est  plus  habituel  et  plus  cor- 
rect de  commencer  une  négociation  avec  des  pouvoirs  res- 

1)  Pouvoir  de  Charles  VI  à  Simon,  patriarche  d'Alexandrie,  Colart  de 
Colleville,  chambellan,  Gille  des  Champs,  maître  en  théologie,  Me  Thiebaut 
Horie,  secrétaire, pour  renouveler  avec  notre  frère  le  roi  de  Castille  les  con- 
fédérations et  alliance  (en  français.  Au  dos,  note  de  la  chancellerie  espa- 
gnole :  Poder,  etc.  15  février  1395,  a.  st.  K.  1638,  d.  1). 

2)  Plein  pouvoir  pour  intervenir  au  traité  entre  le  duc  de  Lancastre  et 
le  roi  de  Castille,  notre  allié,  pourvu  que  les  traités  et  alliances  entre  la 
Castille  et  la  France  restent  intacts:  en  forme  de  patentes,  délibéré  en  conseil, 
en  français  (il  septembre  1386.  Douetd'Arcq,  I,  74). 

3)  Jacques  Tyrell,  gouverneur  de  Guines,  écrit  à  (maries  VIII  qu'il  fau- 
drait pour  la  paix  que  les  ambassadeurs  eussentplus  large  commission  ;  «car 
en  temps  passéla  commission  a  esté  si  foible  pouf  les  embassadeurs  de  vostre 
part  qu'ilz  ont  reffusé  ce  qu'ilz  ont  dit  »  (Guines,  16  juin.  Fr.  15841.    174). 

4)  K.  69,  n»  6,  orig.,  en  double  exemplaire. 

5)  J.  543,  II,  orig.  Celui  ci  porte  la  mention  des  membres  du  conseil. 


Pouvoirs  et  créances  99 

treints  et  d'envoyer  ensuite,  s'il  le  faut,  des  pouvoirs  supplé- 
mentaires '. 

Le  pouvoir  est  essentiellement  personnel  ;  lorsque  l'ambas- 
s:t  le  comprend  plusieurs  membres,  il  autorise  à  traiter  sans 
être  au  complet,  pourvu  que  tel  ambassadeur  (le  chef  de  l'am- 
bassade |  s'y  trouve  :  ainsi  le  plein  pouvoir  donné  par 
Louis  XI  en  grand  conseil  à  Thierry  de  Lénoncourt  et  trois 
autres  ambassadeurs,  le  19  juillet  1477,  pour  renouveler  des 
alliances  «  ou  en  faire  de  nouvelles  »,  autorise  à  traiter  et 
jurer  à  quatre,  à  trois  ou  à  deux,  pourvu  que  Th.  de  Lénon- 
court en  soit  2  :  le  pouvoir  de  1418  à  Bertrand  Campion  et  à 
l'amiral  Robin  de  Bracquemont,  que  le  roi  envoie  en  Castille 
près  de  ses  précédents  ambassadeurs,  Jean  d'Angennes  et 
Guillaume  de  Guiefdeville,  pour  demander  avec  eux  des  se- 
cours maritimes,  autorise  à  traiter  à  trois  ou  à  deux,  dont 
Campion  doit  être  l'un.  Campion,  chef  de  la  nouvelle  ambas- 
sade, avait  en  effet  la  préséance  sur  Jean  d'Angennes  '.  Cette 
clause  présente  surtout  son  utilité  en  cas  de  maladie  et  de  mort 
des  ambassadeurs.  Lors  de  l'obédience  de  Louis  XII  à  Jules 
II,  pourtant  d'une  expédition  rapide,  sur  six  ambassadeurs 
nommés  dans  le  pouvoir  du  mois  de  février  1505,  deux 
étaient   déjà  morts,  s'il  faut  en  croire    Burckard,  quand,  le 


t)  Lettre  de  Louis  XI  au  sire  de  la  Rousière,  lui  disant  qu'il  a  pouvoir  de 
prolonger  la  trêve  avec  l'Angleterre  :  e  pour  ce  que  la  chose  sera  de  plus 
grant  auctorité  »,  le  roi  lui  envoie  un  autre  pouvoir  où  il  a  t'ait  laisser 
«  espace  pour  mestre  un  évesque  ou  deux,  et  ung  chevalier  ou  ung  évesque, 
levalier  et  ung  clerc  des  marches  de  par  delà...  Si  advisez  quelx 
gens  vous  y  pourrez  meetre  ».  Le  roi  y  joint  de  nouvelles  lettres  de  créance. 
(S'I'ourçain,  "29  mai;  papier  avec  ratures,  signé  :  Loys.  Bourre.  Fr.  20835, 
n°  :>o) 

2)  Ms.  fr.  !.'i.v)38.  Cf.  pouvoir  anglais  de  1400,  Douet  d'Arcq,  I,  167. 

'■'))  Pouvoir  relaté  dans  l'acte  passé  à   Ségovie  le  28  juin   1419  (fr.  20977). 


100  LA    DIPLOMATIE    AD    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

21  avril  ',  l'ambassade  prêta  son  obédience.  La  clause  de  4, 
2,  3,  est  remplacée  parfois  par  une  faculté  de  subdélégation2. 
Ce  que  nous  venons  de  dire  des  pouvoirs  français  s'applique 
aux  pouvoirs  des  autres  chancelleries.  Le  duc  de  Bretagne, 
envoyant  en  Angleterre  Armel  de  Chateaugïron  prêter,  en 
son  nom,  hommage  pour  le  comté  de  Richemond,  lui  donne 
des  pouvoirs  en  forme  de  patentes,  en  français  8.  Le  pou- 
voir de  Ferdinand  et  d'Isabelle  à  leur  ambassade  en 
France,  le  6  juillet  1492,  écrit  en  espagnol,  sur  grand  par- 
chemin, signé  «  Yo  el  Rey  —  Yo  la  Reyna  »,  contresigné 
d'un  secrétaire,  avec  sceau  rouge  pendant  sur  lac  jaune  et 
rouge,  ressemble  fort  aux  pouvoirs  français.  Il  porte  un 
considérant  de  paix,  basé  sur  les  paroles  du  Christ  et  sur  l'a- 
mitié des  rois  de  France,  il  spécifie  les  pleins  pouvoirs  \ 

Le  pouvoir  de  Maximilien  à  son  fils  l'archiduc  Philippe  ou 
à  ses  délégués,  le  3  novembre  1501,  signé  :  «Max.  »,  et  écrit  en 
français,  avec  un  sceau  rouge  pendant  sur  double  queue,  est 
conçu  dans  le  même  style  :  désir  inné  de  la  paix  (Maximilien 
avait   envahi   la  Bourgogne  peu  auparavant  et  ne   cessait 

1)  Diarium,  III,  385. 

2)  Surtout,  dans  des  cas  exceptionnels  (par  exemple,  résultant  d'un  extrême 
éloignement),  et  pour  un  ambassadeur  unique,  cet  ambassadeur  est  autorisé, 
au  besoin,  à  subdéléguer  son  pouvoir.  V.  Patentes  du  20  mars  1433,  parlés- 
quelles  le  cardinal  de  Chypre  substitue  les  évoques  de  Rennes  et  d'Uzès  à  la 
procuration  qu'il  avait  reçue  du  roi  Jean  de  Chypre  pour  aller  au  concile  de 
Baie  (Mas  Latrie,  Histoire  de  Chypre,  III,  11). 

3)  Mém..  de  Bretagne,  II,  827.  Cf.  Pouvoir  de  l'archiduc  à  ses  ambassa- 
deurs en  France,  pour  le  mariage  de  son  fils;  eh  français,  en  forme  de  pa- 
tentes, «  donnant  plain  povoir,  auctorité  et  mandement  espécial  »  (1504.  Le 
Glay,  Négociations,  I,  73). 

4)  Par  la  présente,  nous  constituons  nos  procureurs  et  mandataires  «  el 
devoto  padre  fray  Juan  de  Mauleon  »,  de  l'ordre  de  Saint  François,  maitre  en 
théologie,  Juan  de  Coloma,  chevalier,  secrétaire,  Juan  d'Albion,  chevalier  : 
confiants  en  leur  loyauté,  nous  leur  donnons  plein  pouvoir  de  pratiquer, 
concorder,  arrêter,  jurer  tous  actes  et  confédération,  avec  l'évéque  d'Albi, 
accrédité  par  le  roi,  ou  tous  autres,  et  d'engager  la  couronne,  de  donner  toutes 


POUVOIRS    ET   CRÉANCES  101 

de  réclamer  des  subsides  de  guerre  à  la  diète  germanique), 
spécification  dos  pouvoirs,  subdélégation  éventuelle  des 
ambassadeurs  dont  les  noms  sont  spécifiés.  Tout  pouvoir  du 
roi  des  Romains  commence  par  une  énumération  de 
titres  qui  occupe  les  trois  premières  lignes,  lorsque  le  par- 
cbemin  est  fort  large  '. 

En  Italie,  les  pouvoirs,  constamment  en  latin,  sous  forme 
de  patentes,  s'appellent  «  mandatum  *,  spéciale  mandatum  », 
et  à  Gênes,  à  Venise,  «  baylia,  syndicatus  ». 

Les  pouvoirs   milanais  affectaient  la  pompe,   l'enflure  ha- 

sécurités,  souscrire  toutes  obligations  possibles,  que  nous  nous  engageons  à 
ratifier,  etc.  (K.  1638,  d.  2). 

1)  Cf.  Pouvoir  de  Maximilien  à  ses  ambassadeurs  de  France  ;  en  forme  de 
patentes  latines,  développées  ;  il  les  institue  «  veros,  legitimos,  certos  et  in- 
dubitatos  commissarios,  actores,  t'adores,  negociorum  infrascriptorum  ges- 
tores,  deputatos  nostros  spéciales,  et  quicquid  magis  aut  melius  dici,  con- 
ferri  et  esse  potest  »  (1504.  Le  Çlay,  Négociations,  I,  69).  Voici  le  résumé 
d'un  pouvoir  :  «  Désir  de  paix  universelle,  depuis  notre  avènement.  Nous 
avons  envoyé  dans  ce  but  des  gens  par  tout  l'univers.  Très  révérend  père  en 
Dieu,  notre  très  cber  et  très  amé  cousin,  le  cardinal  d'Amboise,notre  très  af- 
fectionné, est  venu  nous  trouver.  Louis  XII  a  de  l'amitié  pour  nous  ;  notre  fils 
l'archiduc,  qui  descend  par  ligne  maternelle  «  de  l'ostel  et  maison  royal  de 
France  »,  et  qui  en  tient  «  de  très  baultes,  nobles  et  puissantes  terres  et  sei- 
gneuries »,  est  ainsi  conjoint  et  allié  à  la  France.  De  notre  consentement  et  de 
celui  de  la  reine  de  France,  Philippe  a  jadis  conclu  le  mariage  de  Claude  de 
France  avec  son  fils  Charles,  «  ainsi  que  avons  avisé  avec  nostredit  cousin  le 
cardinal  d'Amboisele  mariage  d'entre  le  dauphin  de  France,  présent  ou  avenir, 
et  de  l'une  des  filles  de  nostredit  filz  Philippe  ».  Philippe  nous  a  demandé 
l'oubli  du  passé,  labonneentente  avec  la  France,  etun  pouvoir  à  cette  fin.  Nous 
le  commettons  et  dépuions,  comme  notre  «  commis,  procureur  et  certain 
messaigé  cspécial  »,  pour  nous  et  le  Saint  Empire  ;  et,  en  son  absence, 
l'archevêque  de  Besançon,  l'évoque  de  Cambrai,  chancelier  de  la  Toison  d'or, 
les  sieurs  de  Berghcs,  maître  d'hôtel  de  notre  fils,  de  Chièvres,  notre  cousin 
et  grand  bailli  de  Hainaut,  Guillaume  de  Vergy,  maréchal  de  Bourgogne, 
Nicolas  deRitter,  prévôt  de  Louvain,  maître  des  requêtes  de  l'hôtel  de  notre 
fils,  de  Cicon,  chambellan,  Jean  de  Courteville,  bailli  de  Lille,  maitre  d'hôtel, 
pour  pacifier  et  appointer  les  différents,  faire  bonnes  et  mutuelles  intelli- 
gences, amitiés,  confédérations.  Promettant,  en  parole  de  Roy,  etc.»  (J.  915, 
B,  23,orig.). 

2)  «  Ad  hoc  spéciale  mandatum  habens,  ut  constat  ex  patentibus  » 
(Protocole  du  1"  juin.  Archivio  Sforzesco). 


102  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

bituelles  à  cette  chancellerie.  Dans  son  pouvoir  à  Prosper 
Camulio  pour  une  ligue  avec  le  dauphin,  François  Sforza 
mentionnera  un  sentiment  d'amitié  profonde  ;  il  met  «  sa  per- 
sonne et  ses  biens  absolument  aux  ordres  du  dauphin  '  »  ;  il 
parle,  dans  un  pouvoir  de  1463,  des  «  usages  et  établisse- 
ments de  ses  ancêtres  »  ;  son  ambassadeur  a  pouvoir  de  dé- 
voiler les  secrets  de  son  cœur  à  l'éminentissime  roi  s.  Dans 
un  autre  pouvoir,  relatif  à  l'hommage  pour  Gênes,  François 
Sforza  se  déclare,  à  tout  prix,  vassal  «  d'un  si  grand,  si  su- 
blime prince  »  (le  roi  de  France)  \ 

A  Venise,  les  pouvoirs,  donnés  sous  forme  d'une  patente 
latine  du  doge,  participent  du  grand  style  avec  plus  de  goût 
et  de  mesure  *. 

Tous  les  pouvoirs,  cpiels  qu'ils  soient,  constituent  un  instru- 
ment essentiellement  destiné  à  la  production  officielle 6  ;  leur 

1)  Pouvoir  du  26  août  1460,  5  août  1461  (lat.  10133,  fos  21,  22). 

2)  Pouvoir  à  Alberico  Malleta,  du  25  août  1463  (ibid). 

3)  Ibid.,  to  31. 

4)  Pouvoirs  vénitiens,  dans  Lùnig,  Codex Italiœ  diplomaticus,  t.  IV,  p.  1843, 
1847,  1850.  Pouvoir  à  l'orateur  à  Rome  pour  le  concile  de  Latran  (10  avril 
1512),  avec  une  lettre  d'envoi  du  25  mai.  Exposé  des  faits  :  «  Demandamus 
nobilietsapientissimo  patritio  Veneto,  Francisco  Foscaro,equiti,  oratori  nostro 
Rome  agenti,  ut  sacrosancto  concilio  Lateranensi  nostro  nomine  intersit, 
assistât,  et  ea  omnia  prjestet,  et  peragat,  quae  a  nobis  quoquo  modo  exhiberi 
possint  aut  incumberent  »  pour  la  gloire  du  pape,  de  l'église,  du  concile  ; 
il  a  tout  pouvoir,  avec  les  conseils  à  lui  impartis,  «  in  tam  pio,  religioso  et 
salutari  negotio  »,  de  tout  faire,  traiter,  promettre,  jurer,  produire,  faire 
exécuter,  accomplir,  en  ce  qui  peut  nous  appartenir,  et  nous  le  ratifierons  et 
approuverons.  —  Pouvoir,  joint  à  la  commission  des  six  ambassadeurs 
envoyés  au  pape,  le  20  juin  1509  :  «Constituimus,  creavimus,  ordinavimus  et 
deputavimus  in  nostros  legitimos  procuratores,  adores,  factures,  syndicos  et 
negociorum  gestores,  seu  quocumque  alio  nomine  melius  appellari  possunt», 
pour  pratiquer,  traiter,  conclure,  sceller  une  ligue,  un  traité  avec  le  pape, 
ou  ses  mandataires.  Us  ont  «  omnem  facultatem  et  potestatem».  Mention  d'un 
autre  syndicatus,  pareil,  pour  traiter  avec  Maximilien.  — Pouvoir  du  26  sept. 
1499(Arch.  de  Venise). 

5)  Chaque  ambassadeur  doit   réciproquement  les  produire  et  les  faire 


POUVOIRS  ET  CRÉANCES  103 

langage  est  donc  purement  officiel,  et  n'a,  comme  valeur  criti- 
que pour  l'histoire,  qu'une  importance  fort  relative.  Plus  le 
pouvoir  est  pompeux',  moins  il  mérite  qu'on  s'attache  à  ses  ex- 
pressions. Louis  XI  donne  <l  son  ambassade  pour  Milan,  Flo- 
renceet  Homo,  des  pouvoirs  tirs  pompeux.  «Ayant,  dit-il,  réta- 
bli la  tranquillité  dans  son  royaume,  il  veut  maintenant  le  bien 
de  la  chrétienté,  etc.  Il  provoquera  un  concile  général,  il  in- 
vite les  puissances  à  se  joindre  à  lui.  »  En  réalité,  il  voulait 
forcer  la  main  au  pape  pour  obtenir  seulement  la  dégrada- 
tion de  Balue  et  de  l'évêque  de  Verdun.  Les  rapports  des 
ambassadeurs  milanais  mettaient  leur  gouvernement  au  cou- 
rant de  la  comédie,  et  rapportaient  même  les  menaces  et 
jusqu'aux  jurements  du  roi1. 

Quelquefois,  le  pouvoir  résulte  d'une  simple  commission, 
c'est-à-dire  d'une  lettre  adressée  aux  ambassadeurs  eux-mê- 
mes. La  chancellerie  romaine  donne  ainsi  ses  pouvoirs  sous 
forme  de  brefs  aux  nonces  2.  Quant  aux  légats,  leurs  pouvoirs 
résultent  de  la  bulle  qui  les  institue. 

Dans  les  autres  cours,  les  pouvoirs  donnés  sous  forme  de 
commission  ou  de  lettre  nous  paraissent  présenter  un  carac- 
tère un  peu  spécial,  plus  secret,  plus  confidentiel,  plus 
embarrassé  ou  moins  officiel3.  C'est  sous  cette  forme  que  Louis 
XI  donne  pouvoir,  le  21  avril  1465,  à  une   ambassade    qu'il 


vérifier;  il  peut  prendre  copie  authentique  des  «  mandemens  de  la  puis- 
sance »  des  ambassadeurs  avec  lesquels  il  traite  ['Instron  de  1480:  évêque 
de  Munster,  duc  de  Gueldre,  etc.  Fr.  3884,  f°  31 1  yo  . 

1)  Ghinzoni,  Galeazzo  Maria  e  Luigi  XI,  p.  8. 

■2  Bref  d'Alexandre  VI,  au  protonotairc-camérier  envoyé  à  Imola,  lui 
donnant  pouvoir  de  ratifier  les  conventions  passées  entre  César  Borgia  et 
Paul  Orsini(4  nov.  1502.  Impr.  duns  les  Œuvres  de  Machiavel).  —  Bref  de 
Jules  II  à  son  nonce  en  France  et  à  l'ambassadeur  d'Ecosse  (médiateur),  leur 
envoyant  ses  instructions  et  promettant  de  ratifie!-  tout  ce  qu'ils  feront 
conjointement  pour  la  paix  (2o  sept.  loll.  Letl.'de  Louis  XII,  III,  48). 

3)  En  France,  la  commission  n'est  guère  usitée  que  pour  des  envois  d'ordre 


iOi  LA    DIPLOMATIE   AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

adresse  aux  Liégeois  '  ;  que  Ferdinand  et  Isabelle  envoient, 
le  29  juin  1502,  à  leur  résident  en  France,  un  pouvoir  spécial  et 
solennel,  en  latin,  pour  provoquer  un  arbitrage  de  Maximi- 
lien  entre  l'Espagne  et  la  France  '.  Dans  ce  dernier  cas,  la 
commission  n'est  qu'une  variante  du  pouvoir  ordinaire. 

En  Italie,  on  se  borne  souvent  à  remettre  aux  ambassa- 
deurs, pour  tout  pouvoir,  une  commission ,  qui  sert  en  même 
temps  d'instruction.  Elle  s'appelle  «  commissio  »  ou  bien 
«  mandatum  et  instructio  »,    en  italien  «   commissione  »  8. 


à  peine  diplomatique.  V.  la  commission  de  Charles  VIII  à  Antoine  de  Gimel, 
chargé  de  conduire  à  Rome  Djem  (fr.  15541,  177). 

1)  Pouvoir  de  Louis  XI  à  ses  conseillers  et  chambellans  le  sieur  de  Chas- 
tillon,  Aymar  de  Poysieu,  dit  Gadoret,  bailli  de  Mantes,  me  Jean  du  Molin 
(nom  biffé  et  remplacé  par  Vergier),  conseiller,  et  Jacques  de  la  Royère,  se- 
crétaire, sous  forme  d'une  lettre  en  français,  à  eux  adressée.  —  A  cause  de 
/ancienne  amitié  de  ses  prédécesseurs  avec  «  ses  très  chers  et  grans  amys,  » 
les  maîtres,  jurés,  conseil  et  université  de  Liège,  «  et  pour  la  grande  con- 
fiance que  nous  avons  auxdits  de  Liège  »,  nous  avons  résolu,  dit  le  roi,  de 
leur  envoyer  une  ambassade  notable  pour  leur  communiquer  de  nos  affaires 
et  des  choses  nouvellement  survenues  au  royaume,  et  pour  leur  dire  «  aucu- 
nes choses  »  sur  «  l'advertissement  qui  nous  a  esté  fait  des  durs  et  estranges 
termes  que  le  frère  du  duc  de  Bourbon,  soy  disant  leur  évesque,  leur  a 
tenuz  »...  Nous  confiant,  etc.  Nous  vous  donnons  pouvoir  de  leur  parler  am- 
plement, faire  tous  appointements...,  promettant  par  parole  de  roi  de  les  rati- 
fier (Orig.  parch.  :  lettre  en  conseil.  Sceau  enlevé.  Ms.  fr.  20977,  f°  597). 

2)  Commission  et  pouvoir  de  Machiavel,  pour  sa  première  légation  en 
France  ;  commission  du  22  oct.  1503,  au  même(Canestrini,  Scrilti  inediti..., 
p.  lui)  :  commissions  et  instructions  vénitiennes  des  23  mai  1509,  17  mai 
1509,  3  juillet  et  22  décembre  1512  (Arch.  de  Venise)  :  commission  génoise, 
citée  par  Delaville  le  Roulx,  La  France  en  Orient,  II,  172  :  instruction  à 
Mino  di  Rossi  (Arch.  de  Bologne)  :  commission  en  forme  de  bref  à  l'évoque 
de  Tivoli,  envoyé  à  Venise,  du  4  mai  1500  (Archives  du  Vatican,  5  lv, 
fo  340). 

3)  V.  la  commission  très  précise,  très  développée,  du  31  déc.  1511,  pour 
Domenico  Trevisan,  ambassadeur  vénitien  en  Egypte,  publiée  par  M.  Schefer, 
Le  'voyage  d'outremer,  p.  237.  Cette  commission,  portant  instruction,  et 
destinée  par  conséquent  à  être,  éventuellement,  produite  en  Orient,  est 
encadrée  et  ornée  de  dessins. 


POUVOIRS    ET   CRÉANCES  105 

L'ambassadeur  reçoit  un  simple  extrait  du  procès-verbal  de 
la  séance  de  la  Seigneurie,  qui  le  désigne  et  qui  fixe  ses  ap- 
pointements. Il  peut  trouver  dans  la  commission  l'autorisation 
de  payer  une  somme,  même  de  donner  une  signature  '. 

Des  ambassadeurs,  sans  pouvoirs  authentiques  et  certains, 
munis  d'une  simple  commission,  ne  peuvent  que  développer, 
à  titre  de  renseignements,  les  instructions  qu'ils  apportent. 
Ils  communiquent  ces  instructions,  et  on  leur  donne  de  même 
des  réponses  par  écrit,  sous  forme  de  notes  '. 

Les  résidents,  dont  le  rôle  principal  consiste  à  observer 
et  à  correspondre,  reçoivent  une  simple  commission.  En  cas 
de  besoin,  on  leur  adresse  des  pouvoirs  spéciaux.  Nous  avons 
cité,  dans  les  notes  des  pages  précédentes,  plusieurs  pouvoirs 
envoyés  ainsi  à  des  résidents  pour  signer  un  acte  \ 

Les  envoyés  turcs  ne  produisent  pas  de  pouvoirs.  Ils  se  bor- 
nent à  présenter  une  lettre  du  Grand  Seigneur,  un  projet  de 
traité,  sans  intervenir  personnellement  *. 

Outre  les  pouvoirs,  le  souverain  peut  remettre  ou  envoyer 


1)  Pouvoir  spécial,  avec  signatures  autographes,  à  «  vos  Michaelem 
Joannem  Galla,  consiliarium  et  oratorem  noslrum  residentem  in  curia 
predicti  Ser^i  et  Potentissimi  Francorum  Régis,  fratris  nostri  ».  Pouvoir 
en  forme  ordinaire.  Long  préambule,  rappelant  qu'il  y  a  eu  des  conven- 
tions de  partage  du  royaume  de  Sicile  entre  la  France  et  l'Espagne,  avec 
confirmation  et  investiture  du  pape,  à  laquelle  nous  nous  référons.  Pour 
maintenir  la  paix  et  l'amitié,  étouffer  les  difficultés  nées  ou  à  naître  à  ce 
propos,  sachant  l'amitié  de  l'empereur  pour  la  France  et  pour  nous,  et  que 
«  tanquam  reclus  acjustus  judex  SerenitasSuauniquique  nostrum  dabitquod 
suum  est  juxta  dictas  concordiam,  confirmacionem  et  investituras  »,  et  qu'il 
veut  se  réunir  à  nous  contre  les  Turcs,  —  Nous  vous  déléguons  «  negociorum 
gestor  et  procurator,  ad  compromittendum  »  sur  les  questions  litigieuses  et 
constituer  arbitre  l'empereur  (Orig.,  grand  parchemin,  sceau  autrefois  pen- 
dant sur  lacs  verts  de  soie.  K.  1639,  d.  3). 

2)  loli.  Lettres  de  Louis  XII,  III,  51. 

3)  Not.  à  Alf.  da  Silva,  résident  d'Espagne  (K.  1368,  dr  2). 

4)  Not.  Sanuto,  III,  492-193  ;  V,  27. 


106  LA   DIPLOMATIE   AO    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

à  son  représentant  des  blancs  seings  en  lui  laissant  le  soin  de 
les  remplir  *. 

Pour  les  nominations  d'arbitres,  on  procède  par  des  pa- 
tentes de  désignation  '. 

Créances 

Un  agent  diplomatique  peut  donc  se  passer  de  pouvoirs 
généraux  ou  spéciaux,  et  arriver  avec  une  simple  commission, 
comme  par  exemple  les  résidents  ;  mais,  à  défaut  de  pouvoir3, 
personne  n'est  admis  comme  agent  diplomatique  sans 
créance  4. 

La  créance  est  une  lettre  missive  qui  indique  le  nom  et  les 
titres  de  l'ambassadeur,  et  qui  prie  d'ajouter  foi  pleine  et  en- 
tière à  ce  qu'il  pourra  dire  comme  représentant  de  son  gouver- 
nement. 

Elle    est  personnelle   quant  au  destinataire 5.   Une  seule 


1)  Le  vice-chancelier  de  Bretagne,  ambassadeur  en  1464,  avait  des  «  blancs 
signez  »  de  son  maître,  dont  il  usait,  dit  Gommines  (c.  n).  Cf.  ms.  fr.  2928, 
f°  2,  une  lettre  de  Louis  XII  à  Du  Bouchage,  Pontlevoy,  2  avril.  Louis  XII en- 
voie en  hâte  quinze  lettres  en  blanc  «  pour  le  fait  d'oscun  »  au  comte  de  Ne- 
vers,  qui  les  remplira,  pour  ie  bien  de  sa  charge  ;  et  «  pour  ce  que  vous 
pourriez  faire  difficulté  de  les  cacheter  »,  je  vous  prie  d'y  faire  diligence,  dit- 
il  à  Du  Bouchage  (lettre  de  1505,  reproduite  sous  la  date  erronée  de  1490  dans 
les  portefeuilles  Fontanieu). 

2)  Patentes  de  Charles  VIII,  orig.,  parchemin,  en  français  (ms.  fr.  2919, 
f°9  bis). 

3)  D'après  Villadiego,  la  créance  est  le  seul  titre  essentiel,  celui  qui 
constitue  l'ambassadeur  ;  on  ne  doit  pas  admettre  d'envoyé  sans  créance,  à 
moins  d'affaire  minime  et  notoire.  Et  ce  titre  suffit  :  «  Litterarum  credentiae 
latori  sinejuramento  creditur  »(De  legalo,  pars  m,  q.  1). 

4)  La  lettre  de  créance  est  de  règle  pour  les  résidents.  V.  ms.fr.  2928,  f°  31. 
Ferrare,  10  juin  1511,  Créance  d'Alphonse,  duc  de  Ferrare,  pour  Alph.  Aco- 
riostro  nommé  ambassadeur  près  du  roi  très  chrétien,  à  la  place  de  Mess. 
Adrobandino,  qui  a  demandé  à  être  rapatrié. 

5)  Cependant,  le  jour  même  de  la  mort  de  Louis  XII,  François  1er   reçoit 


POUVOIRS    ET   CBÉANCES  407 

créance  suffit  donc  pour  une  ambassade  multiple,  mais,  pour 
une  ambassade  circulaire,  il  faut  une  lettre  spéciale  à  cha- 
que destination  \ 

La  créance  s'appelle  en  latin  «credencia»,  «  littere  cre- 
denciales  »,  en  italien  «  lettera  di  credenza  »  '.  Elle  est  géné- 
ralement très  brève  3,  très  simple  ;  on  peut  cependant  la 
faire  précéder  d'une  formule  d'envoi,  relatant  les  noms  de 
l'envoyeur  et  du  destinataire  avec  tous  leurs  titres  \ 

La  créance,  en  soi,  n'a  pas  un  caractère  exclusivement 
diplomatique:  c'est  une  lettre  fiduciaire,  applicable  à  toute 
mission 5,  mais  qui  trouve  nécessairement  son  emploi 
dans  les  missions  diplomatiques.  Elle  ne  présente  donc  rien 

(«  familièrement  »,  c'est-à-dire  officieusement)  de  Philippe  Dalles,  envoyé 
des  Pays-Bas, les  lettres  de  «  crédence  »  qu'il  apportait  et  n'avait  pu  présen- 
ter au  feu  roi  (Le  Glay,  Négociations,  I,  594). 

I)  Rapport  florentin  de  1421  (Saige,  Documents,  I,  22). 

2)Saige,  Documents,  I,  38  :  en  latin  vénitien,  «  credulitas  ». 

3)  Voici,  comme  spécimen  de  la  forme  courante,  une  créance  de  Charles  VIII 
pour  le  duc  de  Bourbon,  en  1495:  «  Mon  frère,  j'envoye  par  delà  maistre 
Henry  Bohier  pour  mes  affaires,  ainsi  qu'il  vous  dira  et  que  luy  ay  baillé  par 
mémoire.  Je  luy  ay  chargé  passer  par  mon  cousin  le  duc  de  Milan  et  par  Ast, 
pour  parler  à  mon  frère  d'Orléans,  et  sur  ce  vous  dire  aucunes  choses  pour 
y  pourveoir.Si  vous  prye  que  le  vueillez  croyre.  et  souvent  me  fere  savoir  des 
nouvelles  de  mon  Royaume.  Et  adieu,  mon  frère.  Escript  à  Rome,  le  XXVII" 
jour  de  janvier.  Charles.  Robertet.  (Au  dos)  A  mon  frère  le  ducdeBourbonnois 
et  d'Auvergne  ».  La  phrase  :  Et  souvent,  etc.,  n'a  pas  lieu  dans  les  créances 
diplomatiques  (Autogr.  de  S1  Pétersbourg  (I),  I,  n°  31  ;  copie  de  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris). 

4    Ivan  le  grand,  duc  de  Moscovie,  intitule  une  créance  au  doge  de  Venise, 

en  1498  :  «  Jean,   par  la  grâce  de  Dieu,  seigneur  de  toute  la  Russie,  grand 

comte  de  Valodimeria,  Moscovie,  Novogorod,  Pscovia,  Tueriael  de  Hongrie, 

kescluu,  Permia,  et  Bulgarie,  au  très  honorable  et  illustrissime  comte 

Barbarigo.  vénitien  »  (Sanuto,  III.  135-136). 

.'.  louis  XI,  envoyant  au  sire  de  Bressuire  un  ordre  très  dur,  de  saisir  et 
arrêter  des  gens  du  roi  de  Sicile,  ajoute  :  «  Je  vous  envoyé  aussi  unes  petites 
lettres  de  créance,  que  j'escripsà  mons.  le  bastard  du  Maine.  Vous  lui  mons- 
trez  tout,  affin  qu'il  vous  ayde  à  jouer  le  personnage  en  la  meilleure  façon  que 
saurez  aviser  vous  deulx  »  (fr.  13538,  n°  341,  copie  ancienne). 


108  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

de  sacramentel  ;  on  peut  la  varier  à  l'infini,  pourvu  qu'elle 
porte  la  clause  essentielle  de  confiance  et  le  nom  de  l'ambas- 
sadeur. 

La  clause  de  confiance  se  produit  sous  deux  formes  :  un 
simple  avis  de  croire  l'ambassadeur,  ou  bien  un  avis  de  croire 
en  lui  «  comme  à  nous  même  '  ;  »  cette  seconde  forme  est  des 
plus  fréquentes. 

La  créance,  régulièrement,  doit  être  signée  du  souverain, 
contresignée  d'un  secrétaire  2.  Parfois,  elle  ne  porte  que  l'une 
ou  l'autre  de  ces  signatures.  Elle  est  datée  comme  les  lettres 
missives,  c'est-à-dire  en  France  du  mois  et  du  jour,  en  Italie 
de  la  date  complète.  Elle  est  adressée  au  souverain,  et,  dans 
les  républiques,  au  chef  du  pouvoir  exécutif;  par  exemple, 
au  doge,  pour  Venise. 

Rien  ne  s'oppose  à  ce  qu'on  donne  une  créance  à  une  am- 
bassade pour  une  conférence  avec  d'autres  ambassades,  mais 
ce  n'est  pas  l'usage,  et  cette  précaution  serait  l'indice  d'une 
situation  peu  nette  :  les  membres  d'un  congrès  arrivent  d'or- 
dinaire avec  des  pouvoirs  ;  la  conférence  sur  simples  créances 
suppose  des  négociations  en  même  temps  vagues  et  peu  ami- 
cales. Ainsi,  par  exemple,  si  l'on  a  lieu  de  penser  qu'une  am- 
bassade qui  s'annonce  n'est  pas  sérieuse,  qu'elle  vient  mas- 
quer d'autres  desseins,  le  chancelier  lui  enverra  une  contre- 

1)  Créance  espagnole  à  Venise  (1502.  Sanuto,  IV,  469),  en  espagnol,  signée 
d'un  secrétaire,  avec  la  clause  :  «  entera  fey,  creentia,  como  a  nostras  mis- 
mas  personas.  » 

2)  Ou  du  représentant  du  roi,  ayant  droit  d'ambassade.  V.  Lettres  de 
créance  à  une  ambassade  importante  pour  Venise,  signées  par  le  cardinal 
d'Amboise  à  Milan,  le  23  avril  1500  (Boislisle,  Etienne  de  Vesc,  p.  191).  Les 
créances  des  républiques,  comme  Raguse,  sont  données  par  le  «  Recteur  et 
Conseil  »,  c'est-à-dire  par  le  pouvoir  exécutif  (Sanuto,  X,  609).  Un  envoyé  de 
Crémone  apportant  à  Venise,  en  décembre  1500,  une  créance  donnée  par  la 
commune,  et  non  par  les  recteurs,  on  décide  d'écrire  à  Crémone  avant  de  lui 
répondre  (td.,  IU,  1158). 


POUVOIRS   ET   CRÉANCES  109 

ambassade,  avec  une  créance  d'une  courtoisie  exquise  :  cette 
créance,  adressée  «  aux  Magnifiques  orateurs  du  sérénissime 
Roi  de.. .  »,  indique  que  les  contre-ambassadeurs  s'empressent 
d'aller  au-devant  de  l'ambassade  dans  le  but  de  hâter  les  né- 
gociations ;  ils  ont  prêté  serment  du  plus  profond  secret,  ils  peu- 
vent recevoir  et  comprendre  tout  ce  qu'on  a  à  dire1,  on  prie  de 
leur  parler  sans  aucune  réticence...  L'évêque  de  Liège,  avisé 
par  un  chevaucheur  royal  de  l'arrivée  d'une  ambassade  de 
Louis  XI,  promet  d'envoyer  le  lendemain  «  des  gens  »  à  lui 
«  bien  seurs  et  féables  »  pour  recevoir  leurs  communications. 
Sa  créance  est  motivée  sur  la  réquisition  qu'on  lui  a  faite  '.  Ce 
sont  là  des  exceptions. 

On  n'adresse  de  créance  écrite  qu'à  un  pouvoir  reconnu. 
Charles  YHne  donne  qu'une  créance  orale  à  l'ambassade  qu'il 
envoie  à  son  fils  le  dauphin  en  1460  8.  Louis  XI,  en  1466,  fait 
adresser  au  comte  de  Charolais  des  reproches  purement  ver- 
baux ;  le  comte  s'en  montre  très  offensé,  et  bien  à  tort  :  Je 
n'écrirai  pas  au  roi,  ne  sachant  que  lui  écrire,  dit-il  dans  un 
message  plein  de  colère  aux  ambassadeurs,  «  veu  que  de  luy 
ne  m'avez  aporté  aucunes  lettres  *.  » 

La  lettre  de  créance,  dans  les  temps  anciens,  était  toujours 
en  latin,  et  au  XVe  siècle  cette  tradition  se  continue,  sauf  en 
France  et  en  Espagne5.  A  la  fin  du  XIVe  siècle,  la  chancellerie 

1)  «  A  Christianissimo  domino  nostro,  domino  Francorum  rege  »  (Lettre  du 
chancelier  de  Milan,  5  janvier  1470.  Ghinzoni,  Galeazzo  Maria  Visconti  e 
Luigi  XI,  p.  10). 

2)  Créance  à  l'évêque  de  Langres  et  Antoine  de  Dammartin,  pour  divers 
de  ses  conseillers.  Signée  :  «Loys  de  Bourbon,  évesque  de  Liège,  duc  de 
Buillon,  comte  de  Loz,  tout  vostre  (autogr.)  Loys,  »  et  contresignée» d'un  se- 
crétaire (fr.  2811,  102). 

3)  Lettre  du  dauphin,  29  janv.  1460  [Lettres  de  Louis  XI,  I,  xc). 

4)  Gachard,  Analectes,  cxxiu. 

5)  On  peut  également  citer  des  exceptions  dans  d'autres  chancelleries, 
quoique  le  latin  y  soit  la  règle.  V.  une  créance  "de  Maximilien  à  Louis  XII; 


HO  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS     DE    MACHIAVEL 

française  conservait  encore  pour  les  créances  l'emploi  du  la- 
tin, parallèlement  à  celui  du  français,  avec  une  nuance  de  so- 
lennité. En  1400,  Charles  VI  adresse  des  créances  en  latin  au 
roi  et  à  la  reine  d'Ecosse,  en  français  à  sa  fille  Isabelle, 
reine  d'Angleterre  '.  Au  XV  siècle,  l'usage  du  français  de- 
vient la  règle  générale  de  la  chancellerie  française,  même  pour 
les  créances*. 

Diverses  circonstances  influent  sur  le  style  des  créances. 
Nous  allons  indiquer  les  principales. 

La  première  est  la  disparité  de  situation.  Les  créances, 
étant  rédigées  en  forme  de  missives,  doivent  se  conformer 
aux  habitudes  reçues  de  politesse,  de  déférence  ou  de  res- 
pect 3.  Un  sujet,  un  vassal  qui  adresse  au  roi  une  lettre  de 
créance  devra  donc  y  insérer  une  clause  d'humilité  pour  lui  et 
de  bon  plaisir  pour  le  roi  ;  il  la  rédigera  sous  forme  rogatoire. 

pour  le  sire  de  Berghes,  en  français  (17  juin  1512.   Ms.  fr.  2756,   fo  271). 
Créance  vénitienne  au  Grand  Turc,  en  1503,  sous  forme  de  lettre  en  italien 
(Sanuto,  V,  42),  Créance  des  Génois  à  Louis  XII,  pour  Guirardo  Bonconte, 
sous  forme  de  lettre  motivée,  en  italien  (fr.  2960,  n*  5). 
l)Douetd'Arcq,  1,187,  192. 

2)  Créances  pour  Du  Bouchage,  Lyon,  10  avril  (1494),  pour  Pli.  de  Com- 
mines,  Verceil,  28  sept.  (1495.  Archives  de  Milan).  Cependant  les  créances 
de  Louis  XI  au  duc  de  Milan  sont  quelquefois  en  latin  (Lett.  de  Louis  XI, 
III,  219).  V.  la  créance,  en  latin,  de  Louis  XI  au  duc  de  Milan,  pour  MM.  de 
Chaumont,  de  Beauvau  et  Rover  «  circa  hec  ad  plénum  instructos  et  omni- 
moda  potestate  fulcitos  ».  Prière  de  croire  à  leurs  «  relatibus,  velut  nostris  » 
et  de  les  expédier  promptement  (1462.  Id.,  II,  57). 

3)  Créance  du  vicomte  de  Lomagne  Jean  au  roi  :  sur  papier,  la  signature 
seule  autographe.  Le  vicomte  est,  dit-il,  venu  ici  pour  sa  maladie,  pour  les  af- 
faires de  son  père,  et  «  aussi  pour  fère  haster  l'ambaxade  que  mondil  seigneur 
et  père  a  délivéré  envoier  devers  vous  pour  ses  besoignes  et  affaires.  »  Lettre 
d'affaires,  très  respectueuse  :  elle  finit  en  annonçant  l'envoi  de  l'écu  ver  Lasne. 
«  Pourquoy,  mon  très  redoubté  et  souverain  seigneur,  je  vous  supplie  qu'il 
vous  plaise  ouyr  et  bénignement  escouter  ledit  Asne  et  à  son  rappourt  et  à 
tout  ce  que  vjus  dira  de  par  moy  donner  foy  et  ajouster  pleine  créance 
comme  vous  plairoit  fère  à  moy,  se  en  personne  le  vous  disoye  »  (Aulbin,  27 
avril.  Ms.  fr.  2811  ;  24). 


POUVOIRS    KT    CRÉANCES  411 

Le  dauphin  Louis  ',  à  l'égard  du  roi  son  père,  signera  «  vostre 
très  humble  et  très  obéissant  tils  »,  avec  prière  de  le  tenir 
«  en  vostre  bonne  grâce,  ensemble  me  mander  et  commander 
voz  bons  plaisirs  *,  »  comme  dans  les  missives.  Il  s'étendra 
sur  son  dévouement  filial  bien  connu  ;  il  dira  :  «  Se  c'est  le 
bon  plaisir  du  Roi,  M  sera  content  de  faire  ce  qui  s'en- 
suit*... »  Le  comte  de  Charolais,  dans  ses  créances  au  roi, 
n'appellera  pas  ses  envoyés  des  ambassadeurs,  mais  les  «  por- 
teurs de  cestes  »  ;  il  les  recommande  «  en  toute  humilité,  » 
en  priant  qu'il  «  vous  plaise,  de  vostre  grâce,  adjouster 
plaine  foy  et  crédence  comme  à.  moy  meismes,  et  prendre 
mon  petit  advis  *.  »  Les  vassaux  écriront  dans  le  même  style s. 

1)  Saut'  les  cas  d'emportement  ou  de  brouille.  V.  ms.  fr.  2811,  26.  une 
créance  de  Louis  dauphin  au  roi  (1452),  très  sans  façon  et  sans  phrases.  — 
[</.,  27  :  une  autre  créance  correcte. 

2)  1  i.'ili,  14S1  :  Lettres  de  Louis  XI,  I,  lv  :  Duclos,  Hist.  de  Louis  XI,  IV, 
p.  99  :  signée  Loys,  sans  secrétaire. 

3)  Duclos,  IV,  161-163  (instruction,  sous  forme  de  note). 

4)  lojanv.  146.'>-66.  Créance  du  comte  de  Charolais  au  sire  des  Querdes, 
chambellan,  Guiot  Dusye, écujfer d'écurie,  Guill.Hugonet,  maître  des  requêtes 
(Gachard,  Analectes,  cxxn).— 8  avril  1 167,  créance  au  sire  de  Formelles,  con- 
seiller et  chambellan,  età  Bfe  Guillaume  Hugonet,  maître  des  requêtes  de  l'hôtel 
[ibid.,  cxxvi).  —  Créance  dû  même,  datée  de  Bruges,  le  novembre  (.sic), 
avec  mention,  au  dos,  qu'elle  a  été  reçue  àBourges,  le  28janvier  (468, anc. 
st..  En  suivant  ce  que  je  vous  ai  écrit  par  vos  «  ambaxadeurs  »,  le  bailli  de 
Chartres  ctGuill.  Compaing,  puis  par  Guyot  du  Fier,  bailli  de  S1  Quentin, 
mon  maître  d'holel,  je  vous  envoie  le  maréchal  de  Bourgogne  et  mes  conseil- 
lers et  maître  des  requêtes  Ferry  de  Chagny  et  Jean  Carondelet,  à  qui,  avec 
Du  Fier,  «  j'ay  baillier  charge  et  povoir  de  besoigner  en  la  matière  que  savez 
et  la  conclure,  si  s'est  vostre  plaisir. ..  Si  vous  supplie,  en  toute  humilité,  » 

croire  en  ce  qu'ils  vous  diront  et  supplieront  (pas  de  mention  comme  moi- 
même.  Ms.  fr.  2811,  7S). 

.'ii  Par  exemple,  le  duc  François  II  de  Bretagne.  Créance  à  son  chancelier 
i Nantes.  21  février),  en  forme  de  lettre  ordinaire,  sur  papier,  signature 
seule  autographe:  «  Vous  plaise  savoir  que  j'envoie  présentement  par  de- 
vers vous  mon  chancelier  pour  aucunes  matières  que  lui  ay  chargé  bien 
amplement  vous  dire  et  exposer.  Si  votas"  suplie,  mou  très  redoublé  seigneur, 
qu'il  vous  plaise  sur  tout  l'oyr  et  fcablement  croire  comme  moy  mesmes,  et 
tousjours  me  mander  et  faire  savoir  tous  voz   bons  plaisirs,  pour  lesacom- 


112  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Ce  formulaire,  si  conforme  à  l'esprit  respectueux  et  hiérar- 
chique du  Moyen  Age,  s'affirme  même  à  travers  les  frontières. 
Une  créance  du  duc  de  Saxe  à  Louis  XII  sera  rédigée  en  la- 
tin, avec  une  forme  cérémonieuse,  respectueuse  etrogatoire1. 
Florence,  qui  affecte  de  traiter  Louis  XI  de  protecteur,  le 
qualifiera  de  «  Père  de  Florence  2,  »  en  termes  d'affectueux 
respect  3.  De  même,  Bologne. 

En  matière  d'amitié  ou  d'alliance,  la  créance  sera  elle-même 
de  forme  cordiale  et  affectionnée  *,  résultat  qui  s'obtient  en 
insérant  le  mot   «  affectueusement s  »   ou  tout  au  moins  le 

plir  de  mon    povoir.    En  priant   Dieu »    (ms.   fr.  2811,   108).  Autre 

créance  du  même  style  (fr.  20855,  f°  78). 

i)  20  nov.  1514 (Lettres  de  Louis  XII,  IV,  379). 

2)  Créance  à  Donato  Accaiarolo  (sic),  «  legatum  nostrum  »  remplaçant 
comme  résident  Francesco  Novi(dern.  lévrier  1474,  anc.  st.).  «  Non  possu- 
mus  non  polliceri  nobis  omnia  de  tua  caritate  deque  tuaclementiaflorentinum 
populum  ».  Formule  finale  :  «  Vale,  rex  »  ;  initiale  :  «  Serenissime  ac  cliris- 
tianissime  Rex,  beneficiosissimepater  urbis  et  populi  nostri  »  (fr.  3882,  f°  55; 
copie). 

3)  Les  créances  de  Savoie  sont  souvent  froides. V.  (ms.  fr.  2811,  25),  créance 
de  Louis,  duc  de  Savoie,  au  roi,  pour  «  son  cher  et  bien  améet  féal  chance- 
lier »  Jacques  delà  Tour,  «  porteur  de  cestes  ».  Créance  comme  à  moi-même. 
«  J'envoye  présentement  par  devers  vostre  très  haul  te  majesté...  »  (datée  de 
Genève,  18  sept.  1452  ;  sur  papier,  signature  non  autographe:  «  Le  tout  vos^ 
tre  très  humble,  Loys,  duc  de  Savoye,  etc.  »,  puis  (autogr.  ajouté)  «  Loys  », 
(id.)  «  Fabri».  — Créance  du  duc  de  Savoie  au  roi,  pour  mess.  Jehan  de  Saix, 
sgr  de  Bannefs,  chambellan,  maitre  Jean  Michel,  prévôt  de  Verceil,  conseil- 
ler, Pierre  Dannessy,  secrétaire.  — J'envoye  devers  vous...  pour  exposer  de 

ma  part Les  croire  féablement  (sans  la  clause  comme  moi-même).  Cham- 

béry,  31  mai  145£,  signature  (autogr.)  «  Loys  »  (fr.  2811,  34). 

4)  «  In  forma  cordiali  et  affectionata  »  (mémorandum  de  1476.  Gingins  la 
Sarraz,  Dépêches  des  amb.  milanais,  II,  202). 

5)  Une  créance  précédente  (20  février)  du  dauphin  au  duc  de  Milan,  étant 
peu  correcte,  le  dauphin  en  libelle  une  autre  (le  15  mars),  basée  sur  une  nou- 
velle communication  :  celle-ci  de  pure  chancellerie.  Elle  est  intitulée  :  «  Dal- 
phinus  Viennensis,  »  et  adressée:  «  Illustris  consanguinee  carissime...  »  Il 
prie  le  duc  d'ajouter  «  affectuose  »  foi  à  ce  que  dira  l'envoyé,  «  uti  nobis  »> 
de  répondre  par  lui  en  toute  confiance.  A  la  fin  :  «  Omnipotens  vos  conservet. 
Scriptum  .  . .  etc.  »  (Lettres  de  Louis  XI,  I,  n°L).  Créance  développée  etami- 


POUVOIRS    ET   CRÉANCES  113 

terme  de  «  grâce  \  »  ou  par  une  offre  de  services  *.  Dans 
des  circonstances  spéciales  d'intimité,  la  créance  se  prête 
même  à  un  tour  de  lettre  tout  personnel  et  en  quelque  sorte 
privé  '. 

Il  y  a,  au  contraire,  des  créances  comminatoires,  qui  con- 
tiennent une  sommation  plus  ou  moins  déguisée.  Charles  VII 
écrit,  en  substance,  à  François  Sforza  :  «  Nous  vous  avons 
demandé  de  soutenir  à  Gênes  notre  neveu  de  Calabre  :  vous 
soutenez  au  contraire  les  Adorno  et  les  Fregoso.  Je  vous  en- 
voie à  ce  sujet  le  bailli  de  Sens  *  »  (Renaud  du  Dresnay,  un 
capitaine  peu  diplomate).  Charles  VIII  adresse,  en  1491,  au 
duc  de  Milan  une  créance  encore  plus  énergique,  à  propos  de 
ses  attaques  contre  le  duc  d'Orléans  :  «  On  m'engage  à  ne 
plus  vous  écrire.  Cependant,  je  vous  envoie  le  sire  de  Cha- 
lençon,  en  faisant  appel  à  votre  conscience  et  à  votre  hon* 
neur:i.  » 

Vis-à-vis  d'un  pouvoir  qu'on  juge  inférieurau  sien,  ou  pour 

cale  de  Louis  XI  à  Galéas  Sforza,  pour  le  sire  de  Chateauneuf  (1466.  Id., 

m,  27). 

1)  Créance  de  Maximilien  pour  l'évêque  de  Brescia  et  Conrad  de  Bucchen, 
jurisconsulte  et  chevalier,  à  Ludovic  Sforza  (Worms,  23  avril  1495.  Ms.  fr. 
16074,  no  27,  f"  26).  «  Mittimus  ad  te...,  consiliarios,  oratores,  mandatarios 
nostros,  et  imperii  sacri  devotos  atque  fidèles,  dilectos  »  :  prière  d'ajouter  foi 
à  leur  parole  comme  à  la  notre  :  «  quod  profecto  nobis  gratumerit  et  singu- 
lari  gratia  agnoscendo.  » 

2)  «  Vous  signiffiant  que,  s'il  est  chose  que  je  puisse,  faictes  le  moy  savoir, 
et  je  le  feray  de  bon  cueur  »  (créance  de  Louis  XI  à  Milan,  en  français, 
27  mars  1466.  Archivio  Sforzesco). 

3)  Lettre  d'Isabelle  de  Bavière  au  duc  de  Bourgogne,  Troyes,  23  octobre 
(1449.  Ms.  Moreau  1425,  n°  88,  Orig.  sur  papier).  La  reine  assure  le  duc 
qu'elle  se  porte  bien  et  elle  fait  le  même  vœu  pour  lui.  Elle  lui  mande 
«de  ses  gens  »,  auxquels  elle  le  prie  d'ajouter  créance,  sur  le  fait  des 
finances  ou  autres.  Elle  le  prie  de  hâter  sa  venue,  ou,  au  moins,  d'adres- 
ser de  suite  «  deux  ou  trois  de  voz  plus  principaulx  gens  et  à  qui  vous  vous 
fyez  plus,  comme...»  etc.  (suivent  des  noms).  Créance  «à  nostre  très 
cher  et  très  amé  filz  le  duc  de  Bretagne  »  (1410.  Ms.  fr.  20590,  no  49). 

4)  Copie  italienne  (Arch.    de  Milan,  Pot.  Est.  Francia,  Corrispondenza). 

5)  Montils  les  Tours,  17  sept.  (Archives  de  Milan).  Cf.,  dans  les  Lettres  de 

8 


114  LA   DIPLOMATIE   AU   TEMPS    DE    MACHIAVEL 

une  affaire  peu  importante,  la  créance  est  extrêmement  brève. 

En  Italie,  les  créances  sont  toujours  des  plus  concises,  de 
tournure  officielle,  sans  phrases  '. 

Quelquefois,  la  créance  contient  une  clause  de  recomman- 
dation plus  ou  moins  instante  2.  Il  est  rare  pourtant  qu'elle 
spécifie  exactement  l'objet  de  la  mission  '  :  elle  se  tient  inten- 
tionnellement dans  des  données  très  vagues*.  Il  arrive  même 
qu'elle  parait  mettre  sur  la  voie  d'un  objet  contraire  à  l'objet 
réel,  qu'elle  parle  de  remerciements  quand  il  s'agit  de  récla- 
mations5. 

Louis  XI,  II,  32,  une  créance  motivée  de  Louis  XI  aux  Etats  de  Catalogne 
pour  le  viguicr  de  Narbonne.  Créance  très  vive  du  duc  de  Bretagne  à  Louis 
XI,  sur  le  bruit  de  projets  d'attaque  contre  la  Bretagne.  «  Je  ne  puis  le 
croire  :  cependant,  le  bruit  persistant,  je  vous  envoie  mon  secrétaire  Pierre 
Coline. . .  »  (ms.  nouv.  acq.  fr.  1231,  69). 

I)  Créance  de  Florence  à  Lucien  Grimaldi  (12  mai  luit.  Saige,  Docu- 
ments, II,  107),  de  six  lignes  en  italien,  pour  Antonio,  et  pour  N°  Ma- 
chiavelli,  notre  secrétaire,  «  per  dare  expeditione  ».  Créance  de  Lucien 
Grimaldi  à  la  Seigneurie  de  Florence  (il  avril  1  T> i  1.  Ibid.,  101)  ;  simple 
lettre,  en  italien,  nommant  le  porteur;  prière  de  le  recevoir  et  d'avoir 
foi.  Créance  pour  Machiavel  à  Catherine  Sforza  (12  juillet  1499),  au  sei- 
gneur de  Piombino  (18  mai  1507).  Créance  de  Catherine  Sforza  à  messer 
Joanni  (3  août  1499),  dans  les  Œuvres  de  Machiavel.  Créances  de  François 
Sforza  (ms.  lat.  10133,  f°  28,  ft>  30  v«)  :  créances  pour  Mino  de  Itossi  et 
Ann.  Bentivoglio,  du  23  sept.  1499  (Archives  de  Bologne),  et  autres. 

2) Créance  de  Louis  dauphin  pour  Cinotin  de  Nores  au  duc  de  Milan  (20 
fév.  1433.  Lettres  de  Louis  Xt,  1,  n°  xlix).  Elle  indique  l'objet  :  Ginotin 
est  porteur  d'avis  très  confidentiels:  «Cujus  relatibus  fidem  indubiam  velitis 
adhibere,  uti  nobis,  ac  si  illa  propria  affaremur  in  persona.  »  Suit  une 
phrase  de  vive  recommandation  sur  l'importance  delà  mission. 

3)  Château-Renaud,  21  nov.  1458.  Créance  au  duc  de  Milan,  pour  Angelino 
Toran;  spécifiant  que  l'envoyé  est  adressé  pour  les  affaires  de  Gènes  qu'il 
s'agit  de  réduire  à  l'obéissance  (copie  en  italien,  sans  indication  d'année.  Ar- 
chivio  Sforzesco). 

4)  «  Littere  credentiales,  que,  licet  générales  sint  ut  res  secretior  sit, 
tamen  mens  est  illmi  il.  Ludovici  ut...  (lat.  10133,  f°  480). 

3)  Champollion,  Mélanges,  IV,  382.  Créance  de  Louis  XII  aux  Suisses,  de 
Lyon,  21  avril  (1300),  pour  l'archevêque  de  Sens,  et  le  secrétaire  Jacques 
d'Asnières,  afin  de  les  remercier  de  leur  bon  appui.  «  Le  roi  n'a  pu  encore, 
dit-il,  leur  écrire  depuis  la  capture  de  Ludovic.  »  —  Il  s'agissait  de  récla- 
mer contre  le  pillage  du  Milanais  et  la  prise  de  Bellinzona. 


POUVOIRS    ET    CRÉANCES  M 5 

En  dehors  de  ces  catégories  usuelles,  nous  ne  chercherons 
pas  à  dénombrer  les  circonstances  diverses  qui  peuvent  trou- 
ver un  écho  plus  ou  moins  atténué  dans  les  lettres  de  créance. 
La  créance  contiendra,  par  exemple,  un  avis  de  réception 
d'ambassade  \  une  notification  '...  Quand  un  ambassadeur 
n'a  pas  bien  réussi,  qu'il  a  éveillé  des  susceptibilités,  qu'il  a 
laissé  un  incident  se  produire  en  travers  de  la  négociation,  il 
est  délicat  de  le  renvoyer  une  seconde  fois.  En  pareil  cas,  nous 
voyons  Charles  le  Téméraire  lui-même  écrire  à  Louis  XI  une 
longue  lettre  autographe,  de  nouvelle  créance  pour  un  am- 
bassadeur, le  sire  de  Contay,  qu'il  renvoie  :  dans  cette  lettre, 
le  duc  cherche  à  expliquer  plus  ou  moins  clairement  les  choses, 
à  replâtrer  la  négociation 3. 

La  créance  peut  accréditer  certains  membres  de  l'ambas- 
sade en  première  ligne  *• 

Une  ambassade  collective  emporte  une  créance  de  chaque 
gouvernement 5. 

L'ambassadeur,  qui  reçoit  exceptionnellement  des  pouvoirs 


i)  Créance  de  François  Sforza  (pour  Prosper  Gamulio,  au  dauphin,  27 
août  1460.  Lettres  de  Louis  XI,  I,  323). 

2i  Lettre  de  notification  par  Charles  le  Téméraire  de  la  mort  de  son  père, 
annonçant  l'envoi  à  la  reine  du  sire  du  Fay(l(5  juin  1467.  Gachard, /l nalectes, 
cxxvi). 

3)  Kervyn  de  Lettenhove,  Lettres  et  négociations,  I,  127. 

4)  Lat.  10133,  454.  Créance  au  duc  de  Milan.  Moulins,  21  janvier(1491), 
pour  Stuart  d'Aubigny.  Ch.  de  la  Vernade,  maître  des  requêtes  de  l'hôtel,  et. 
aveceux,  Jean  Rouy  de  Visques,  chevalier,  des  comtes  de  S1  Martin,  cham- 
bellan, Théodore  de  Pavie,  médecin  ordinaire  du  roi,  Jacques  Dodieu,  se- 
crétaire. 

<-éance  de  Louis  dauphin  pour  le>  ambassadeurs  de  Bourgogne,  qu'il 
charge  de  parler  (6  fév.  1457.  Autre  lettre  aux  gens  du  grand  conseil,  de 
même.  —  Lettres  de  Louis  XI.  I,  lxiv.  lxv).  Ant.  deCraon,  «  ambaxadeur  », 
avait  à  porter  à  la  reine  de  Sicile,  au  duc  de  Bretagne  et  aux  barons  bretons, 
des  lettres  closes  et  patentes  du  roi,  et  des  roi  de  Navarre,  duc  deGuyenne  el 
dur  de  Bourgogne  itiUJ.  Ms.  f'r.  20590,  no  50  . 


116  LA   DIPLOMATIE    AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

en  blanc,  peut,  par  précaution,  recevoir  aussi  des  créances 
pour  s'en  servir  '. 

La  créance  n'est  pas  obligatoire  pour  les  envoyés  de  la 
cour  de  Rome.  Les  légats  sont  porteurs  d'une  bulle,  qui  vaut 
pouvoir  :  en  France,  cette  bulle  doit  être  préalablement  véri- 
fiée et  enregistrée  au  parlement,  mais  en  aucun  cas  le  légat 
n'est  appelé  à  la  produire  lui-même,  comme  un  ambassadeur 
produit  son  pouvoir.  La  notoriété  de  sa  mission  lui  tient  par- 
tout lieu  de  créance  2  :  ses  pouvoirs  même  se  présument 3.  De 
même  pourles  nonces  ;  les  instructions  pontificales  prescrivent, 
au  lieu  de  la  remise  delà  créance,  la  bénédiction  pontificale  : 
«  Post  datam  benedictionem...  ».  Cependant  on  trouve  des 
créances  pontificales  en  forme  de  brefs,  même  pour  des  légats*. 

1)  Lettre  citée  de  Louis  XI  au  sieur  de  la  Rousière  (fr.  20855,  n»  55).  On 
peut  égalementlui  en  envoyer.  Jean  Guérin  écrit  à  Charles  VIII  qu'il  a  reçu 
l'ordre  d'aller  chercher  le  duc  d'Autriche,  et  de  présenter  les  lettres  «  dont 
m'avés  anvoié  ung  blanc  signé  de  vostre  main,  et  luy  dire  les  plus  belles  pa- 
rollesqueje  pense».  Il  va  s'y  rendre  (Francfort,  19  octobre.  Fr.  15541,  171). 

2)  «  Creditur  legato  a  latere  sine  litteris  »  (Martini  Laudensis,  De  legatis, 
q.  34). 

3)  Ses  actes  sont  présumés  réguliers  :  si  ses  lettres  ont  été  égarées,  on  peut 
en  justifier  par  enquête  (Villadiego,  De  legato,  q.  6). 

4)  5  déc.  1503  (Sanuto,  V,  478).  22  fév.  1504.  Bref  d'Alexandre  VI,  en- 
voyant comme  nonce  à  Maximilien,  pour  des  choses  urgentes  relatives  à  la 
paix  de  l'Italie,  Mariano  Bartolini,  auditeur  de  rote  (  De  Perugini,  Memorie 
ùtoriche,  publ.  parMariotti,  p.  47-48).  Créance  du  pape  au  doge  de  Venise, 
pour  le  légat  se  rendant  en  Hongrie  (18  novembre  1500.  Sanuto,  III,  1174), 
en  forme  de  bref.  Le  légat  a  l'ordre  de  passer  par  Venise.  Objet  :  contre  le 
Turc.  Prière  de  «  tanquam  nostra  propriœ  personœ  fidem  adhibere.  »  Signé: 
Hadrianus.  Créance  d'Alexandre  VI  pour  César  Borgia  et  le  légat  Borgia, 
chargés  de  saluer  Louis  XII  à  Milan,  en  1499  (minute,  s.  d.,  aux  Archives  de 
Venise,  Atti  délia  curia  Romana,  busta  XXVI,  no  233  ).  Le  bref  d'Alexandre  VI, 
de  créance  pour  son  envoyé  Buzardo  près  du  sultan  Bajazet, n'est  qu'une  lettre 
de  créance  pure  et  simple,  en  latin,  sans  aucune  des  formules  de  la  chancellerie 
romaine.  Il  appelle  le  sultan  «MajestasTua,  TuaSolemnitas.»  Le  sultan  répond 
par  une  lettre  longue,  mais  très  simple,  contenant  son  serment  «  sur  le  vrai 
Dieu,  qui  gouverne  le  ciel  et  la  terre.  »  Il  appelle  le  pape:  Votre  Grandeur, 
Votre  Puissance  (1494.  Sanudo,  Spedizione,  p.  45-47). 


POUVOIRS   ET  CRÉANCES  117 

La  créance  pontificale  est  très  courte1.  Elle  emprunte  sou- 
vent la  forme  de  recommandation  '. 

Le  voïvode  de  Yalachie,  le  despote  de  Serbie  rédigent 
leurs  créances  en  latin,  très  correctement 3.  Le  duc  de  Mos- 
covie  écrit  en  russe,  et  date  de  la  création  du  monde  ;  outre 
la  clause  de  créance,  il  prie  qu'on  entretienne  ses  ambassa- 
deurs et  promet  la  réciprocité  *. 

Les  créances  de  Bajazet  II  sont  en  forme  de  lettre  ou  de 
notification  très  précise.  Elles  indiquent  strictement  l'objet  de 
la  mission  :  c'est  une  créance,  un  pouvoir,  et  une  instruc- 
tion 3.  Elles  sont  datées  à  la  fois  de  l'hégire  et  de  l'ère  chré- 
tienne. Sa  créance  de  1502  pour  Haly,  ambassadeur  à  Venise, 
porte  en  substance  :  «  J'ai  juré,  selon  mon  mode,  les  articles 

1)  «  Hortamur  igitur  ut  eum  bénigne  [recipere]  audireque  velis  et  plenam 
ejus  vernis  fidem  praestare  »  (créance  pontiiicale  du  17  nov.  1503.  Sanuto, 
V,  480). 

2)  Dans  un  bref  de  créance  au  duc  de  Bourgogne,  le  pape  Urbain  V  recom- 
mande l'ambassadeur  :  «  latorem  presentium  »,  comme  un  homme  sage,  «  ho- 
noris tue  domus  régie  zelatorem  »,  pour  des  affaires  intéressant  l'honneur, 
t'élal  et  le  repos  de  la  maison  de  Bourgogne  et  du  Si  Siège.  «Tuam  igitur 
Nobilitatem  affectuosc  rogamus,  quatinus  eidem  abbati  in  exponendis  cis- 
dem  tanquam  tibi  salubribus  credas  indubie,  ac  annuere  non  omittas  »  (24 
janv.  1364.  Prou,  Relations  politiques  du  pape  Urbain  V,  p.  109).  Bref  de 
Jules  II  à  Louis  XII,  pour  lui  présenter  les  ambassadeurs  et  leurs  instructions 
et  lui  faire  remarquer  toutee  qu'il  fait  pour  la  paix  (loi  1 .  Lettres  de  Louis 
XII,  49).  Créance  très  chaleureuse,  très  instante,  d'Alexandre  VI,  en  faveur 
de  César  Borgia,  plusieurs  fois  publiée,  not.  par  Reumont,  Diplomazia  ita- 
liana,  p.  160. 

3)  Février  1501  (Sanuto,  III,  1467).  —  Créance  du  despote  de  Serbie,  aux 
Vénitiens, en  latin,  sous  forme  de  lettre,  portant  prière  «  ut...  attendere  et 
acceptare  dignemini  confidenter  »  (septembre  1502.  Sanuto,  IV,  458). 

4)  Moscou,  le  20  fév.  1498,  ou  de  la  création  du  monde  7006,  mois  VI» 
(Sanuto,  111,13b). 

51  Créance  de  Bajazet,  sous  forme  de  lettre  à  la  Seigneurie  de  Venise,  datée 
de  l'ère  chrétienne  (29  octobre  1503.  Sanuto,  V,  762,  915),  en  grec.  Il  an- 
nonce l'arrivée  de  son  esclave  Mustal'a,  chargé  de  lui  ramener  tous  les  es- 
claves de  S'e  Maure.  Il  en  envoie  le  compte.  Il-invite  à  faire  rechercher  sur 
les  terres  de  Venise  tous  ses  esclaves,  hommes,  femmes,  et  enfants. 


H  8  LA   DIPLOMATIE   AD   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

de  paix  arrêtés  avec  votre  ambassadeur.  Je  vous  envoie  mon 
esclave  Haly  :  si  vous  acceptez  les  articles,  faites-en  copie  où 
pas  un  mot  ne  manque,  et  jurez-les  devant  lui,  sur  les  Evan- 
giles. Alors  la  paix  sera  ferme.  Si  Haly  dit  un  mot  de  plus 
que  les  articles,  ne  le  croyez  pas.  J'ai  donné  à  mon  esclave 
soixante  jours  pour  revenir  '.  » 

l)1502.Sanuto,V,  41. 


CHAPITRE  VIII 


INSTRUCTIONS 


L'instruction  diplomatique  est  une  note,  remise  à  l'ambas- 
sadeur, qui  dicte  sa  conduite  et  résume  le  langage  à  tenir 
au  nom  de  son  gouvernement. 

De  tous  les  instruments  spéciaux  de  l'histoire  diplomatique, 
il  n'en  est  pas  de  plus  souvent  invoqué  et  de  plus  utilisé  par 
l'histoire  générale.  Celui-ci,  en  effet,  a  l'avantage  de  présen- 
ter une  esquisse  toute  prête,  un  groupement  raisonné  de  des- 
sins, de  vues,  de  motifs  ;  on  y  trouve  l'indication  d'une  ten- 
dance, la  marque  de  l'esprit  d'un  gouvernement  ;  on  croit  y  dé- 
couvrir le  germe  qui  mûrira  par  la  suite  de  la  négociation  ; 
faute  de  s'y  référer,  l'historien  devrait  s'orienter  lui-même, 
se  livrer  en  personne  au  travail  d'une  vérification  habituel- 
lement très  minutieuse  et  pénible.  Malheureusement,  la  con- 
naissance même  des  instructions  ne  doit  pas,  en  réalité,  dis- 
penser de  ce  travail;  on  s'égarerait  souvent  en  se  laissant 
guider  par  elles.  Nul  acte  n'appelle  un  examen  critique  plus 
sérieux  et  plus  difficile  :  c'est  l'acte  le  plus  subtil  de  la  diplo- 
matie du  Moyen  Age,  qui  est  la  subtilité  même. 

Une  ambassade  a  généralement  pour  but  d'obtenir  le  plus 
possible  et  de  donner  le  moins  possible  ;  l'idéal  consiste  à 
payer  des  réalités  par  de  belles,  gracieuses  et  aimables  pa- 
roles :  quelles  qu'elles  soient,  les  instructions  partiront  de  ce 
principe  supérieur.  Elles  sont  censées  exposer  nettement  l'ob- 
jet cherché,  et  indiquer   à  l'ambassadeur  jusqu'à  quel  point 


420  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

lui-même  peut  aller  ;  en  réalité,  elles  n'envisagent  souvent 
que  certaines  faces  du  but  vrai,  c'est-à-dire  qu'elles  sont  rare- 
ment complètes,  et  plus  rarement  encore  bien  sincères.  Les 
belles  paroles  y  occupent,  toujours,  la  première  place. 

La  diplomatie  du  Moyen  Age  agit  habituellement  en  par- 
tie double.  C'est  son  procédé.  Elle  a  une  partie  publique,  et 
une  partie  secrète  :  ce  qui  ne  suppose  pas  une  antinomie  né- 
cessaire entre  ces  deux  parties  ;  les  discours  publics  peuvent 
marcher  de  pair  avec  les  discours  secrets.  Ils  convergent 
vers  le  même  but,  mais  par  des  voies  diverses  ;  on  parle  dans 
le  même  sens,  sans  dire  les  mêmes  choses.  Il  en  est  ainsi  des 
instructions.  Il  y  a  deux  grandes  catégories  d'instructions  :  les 
instructions  montrables,  qui  correspondent  au  discours  que 
tiendra  l'ambassadeur,  en  audience  publique,  pour  la  remise 
publique  de  sa  créance  ;  les  instructions  qui  correspondent  au 
langage  à  tenir  dans  l'audience  secrète,  et  que  nous  appelle- 
rons non-montrables,  quoiqu'on  les  montre  quelquefois. 

Lorsqu'il  existe  de  bons  rapports  diplomatiques,  l'usage 
veut  que,  par  courtoisie,  par  affectation  de  franchise,  l'ambas- 
sadeur, lors  de  la  remise  de  sa  créance,  communique  ses  ins- 
tructions. Il  est  fort  rare  que  l'exposition  de  la  créance  reste 
purement  verbale,  et  dès  que  l'affaire  présente  quelque  im- 
portance, on  peut  demander  à  l'ambassadeur  de  «  bailler  sa 
charge  par  écrit  '  ».  D'ordinaire,  l'ambassadeur  présente  spon- 
tanément son   instruction,  lors  de  l'audience  publique.  Au 


i)  Gachard,  Deuxième  voyage  de  Philippe  le  Beau,  p.  399.  —  Instruction 
de  Jean  Galéas  Visconti,  ainsi  intitulée  :  «  Infra  sunt  capitula  ambaxiate  im- 
posite  per  Illum  et  Excum  Dnum  comitem  Virtutum,  exposite  Ser<n°  principi  et 
rjno,  Duo  Régi  Francorum  »  (Archiv.  du  Loiret,  A.  2193).  Note,  adressée  par 
Albert,  roi  des  Romains,  au  scolastique  de  Sarrebourg,  de  ce  qu'il,  aura  à 
dire  comme  orateur  près  du  roi  de  France.  A  la  fin  :  «  Hec  sunt  que  Scolas- 
ticus  Sareburgensis,  Dni  Régis  Romanorum  nuncius,  proposuit,  vive  vocis 
oraculo,  D^o...  (sic)  Régi  Francorum  »  (J.  995). 


INSTRUCTIONS  121 

XIVe  siècle,  il  la  paraphrasait  volontiers  dans  un  long  dis- 
cours, compendieux  et  touffu  ;  a  mesure  que  la  mode  dispa- 
rait de  ces  discours,  et  qu'on  arrive  au  langage  «  court  et  bon  » 
de  la  fin  du  XVe  siècle,  l'ambassadeur  s'épargne  des  déve- 
loppementsinutiles,  en  présentant  l'instruction.  Ainsi,  en  1500, 
l'ambassadeur  de  France  à  Rome  remet  au  pape  son  instruc- 
tion, qui  est  aussitôt  lue  en  consistoire1.  L'instruction  est  tel- 
lement publique  qu'en  1479,  avant  l'arrivée  de  l'ambassade 
de  Louis  XI  à  Rome,  on  avait  répandu  dans  la  ville  une  faus- 
se instruction,  soi-disant  donnée  à  cette  ambassade  !.  Ma- 
chiavel, dans  sa  correspondance,  fait  allusion  au  caractère 
public  des  instructions.  Dans  une  dépêche,  il  réclame  un 
prompt  envoi  d'instruction  à  l'ambassadeur  pour  lui  donner 
l'autorité  d'agir  3.  Plaidant  avec  beaucoup  de  chaleur  la 
cause  des  Florentins  contre  César  Rorgia,  il  finit  par  émou- 
voir le  cardinal  d'Amboise,  en  invoquant  les  preuves  du  dé- 
vouement de  Florence  :  «  Le  cardinal,  écrit-il,  se  borna  à  me 
dire  :  Ecrivez  à  votre  ambassadeur  d'arriver  promptement  et  de 
vous  faire  passer  sa  commission  pour  que  nous  connaissions 
l'esprit  de  votre  gouvernement.  Nous  ne  manquerons  pas  alors 
de  suivre  à  son  égard  la  route  que  le  devoir  nous  indiquera  i  » . 
C'est  ainsi  qu'on  trouve  souvent,  en  copie  ou  en  traduc- 
tion, dans  les  archives  d'un  pays,  des   instructions  aux  am- 

i)  Sanuto,  III,  309. 

2)  En  janvier  1479,  les  ambassadeurs  de  France  à  Rome,  avant  leur  au- 
dience du  pape,  communiquent  leur  instruction  au  cardinal  St  Pierre  aux 
liens.  Celui-ci  leur  déclare  qu'on  a  «  forgé  »,  répandu  dans  Rome  et  montré 
au  pape  des  instructions  qui  «  n'estoient  pas  honnestes  » .  Il  est  heu- 
reux de  voir  qu'elles  étaient  '  fausses.  Le  pape  accorde  aux  ambassadeurs, 
avant  l'audience  publique,  une  andience  secrète,  où  le  chef  de  l'ambas- 
sade déclare  énergiquement  la  fausseté  de  l'instruction  répandue  dans 
Rome(lat.  11802). 

3)  Dép.  du  9  août  1510. 

4)  Dép.  de  Machiavel,  du  4  nov.  1500. 


122  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

bassadeurs  accrédités  dans  ce  pays  (résultat  manifeste  de  la 
communication  officielle)  -,  ou  bien  des  instructions  latines, 
avec  une  mention  de  chancellerie,  en  tête  ou  en  bas  de  la  co- 
pie, indiquant  que  l'instruction  résume  bien  le  langage  tenu 
par  l'ambassadeur.  Dans  cette  condition,  l'instruction,  assez 
développée  ressemble  extrêmement  à  la  note  diplomatique  re- 
mise à  l'appui  dune  communication  verbale.  Ainsi  communi- 
quée et  faite  pour  être  communiquée2,  ou  même  pour  être  re- 
mise, elle  s'appelle  une  crédence  (créance)  baillée  par  écrit  '  ; 
on  y  répond  par  une  note  *  ou  mémoire,  calqué  sur  elle, 
avec  des  paragraphes  ou  des  articles  parallèles 5.  Bornons- 
nous  à  citer,  comme  exemple  de  cette  pratique  si  fréquente, 
l'instruction  remise  par  Charles  VIII  à  ses  ambassadeurs  pour 

t)  Par  exemple,  le  texte  italien  (avec  date,  en  caractères  arabes)  de  l'ins- 
truction du  roi  de  France  à  Jean  de  Manzi,  «  scudero,  consigliero  del  dicto 
Sre  »,  envoyé  à  F0  Sforza,  à  la  suite  de  la  mort  du  roi  d'Aragon  :  instruction 
relative  à  Naples,  datée  de  Vendôme,  le  2  septembre  1458  (Archivio  Sfor- 
zesco).  Instruction  de  Louis  XI  à  Gaston  de  Lion,  sénéchal  de  Saintonge,  et 
au  président  des  comptes  de  Grenoble,  envoyés  à  Milan,  le  26  mars  1465, 
datée,  en  italien  (copie  évidemment  remise  à  Milan)  :  compliments  de  condo- 
léance et  d'amitié,  offre  de  renvoyer  les  gens  d'armes  milanais  employés  en 
Dauphiné  (Archivio  Sforzesco). 

2)  Une  instruction  de  1352  (les  premières  lignes  en  latin),  pour  le  ma- 
riage du  prince  Jean  de  France  avec  la  princesse  Blanche,  est  inscrite  en 
forme  de  rôle  :  au  verso  du  rôle  se  trouve  la  mention  des  réponses.  Ainsi 
l'instruction  ne  fut  communiquée  que  verbalement  et  il  y  fut  fait  une  ré- 
ponse également  verbale.  Elle  put  être  montrée,  mais  elle  ne  fut  pas  lais- 
sée et  les  ambassadeurs  la  rapportèrent  (J.  915,  6  a.). 

3)  Communiquer  son  instruction,  s'appelle  «  bailler  ses  articles  »  (instruc- 
tion de  Charles  VI  à  G.  de  la  Trémoïlle,  Saquet  de  Blaru  et  consorts,  art.  29. 
Le  duc  d'Orléans,  frère  de  Charles  VI,  par  M.  le  comte  de  Circourt,  II,  p. 
78).  Il  y  a  des  mentions  expresses  de  la  communication  des  articles  (men- 
tion de  ce  genre,  ibid.,  p.  12  note). 

4)  «  Responsio  factainstructionibusdatis  perSanctissimumdominum  nos- 
trum,  Reverendo  in  Christo  patri  Dno  Andreae,  episc°  Moraviensi,  oratori  sere- 
niss'  et  potenti  Régis  Scotiae  ad  Christianissimum  Regem  »  (1511.  Lett.  de 
Louis  XII,  III,  51). 

5)  LeL.  de  Louis  XII,  1,  37. 


INSTRUCTIONS  123 

Milan,  le  21  janvier  1491,  relativement  à.  l'hommage  de  Gê- 
nes et  de  Savoie.  Cette  instruction  traite  la  matière  en  sept 
articles.  Elle  est  remise  par  l'ambassade,  et  le  gouvernement 
de  Milan  remet,  à  son  tour,  le  11  avril  1491,  la  réponse  point 
par  point.  Il  répond  oui  aux  articles  1,  5,  6,  7,  il  accepte  l'ar- 
ticle 3  ;  il  pose  des  conditions  sur  l'article  4,  il  répond  non  à 
l'article  2  -,  Ludovic  Sforza,  comme  régent,  remet  de  son 
côté,  le  même  jour,  une  réponse  personnelle  semblable  '. 

Outre  cette  communication  directe,  on  juge  souvent  con- 
venable de  communiquer  l'instruction  à  des  alliés3,  soit  avant 
le  départ  de  l'ambassadeur, soit  aprèsla remise  de  sa  créance, 
ou  bien  on  adresse  simultanément  une  copie  à  une  cour  amie*. 
Ces  procédés,  assez  rares  en  France,  sont  au  contraire 
en  Itabe  de  l'usage  le  plus  commun  ;  il  est  facile  d'en  citer 
des  exemples  :  à  Venise,  en  1500,  on  communique  aux  am- 
bassades de  France  et  du  pape  la  teneur  des  instructions  don- 
nées à  l'ambassade  en  Allemagne 5  ;  André  de  Burgo,  ambas- 
sadeur d'Allemagne  en  1512,  trouve  mauvais  que  le  gouver- 
nement français  ne  lui  communique  pas  l'instruction  qu'il  va 
donner  à  une  ambassade  pour  l'Allemagne  6  ;  en  route  pour 
la  Hongrie,  un  légat  du  pape  montre  à  Venise  son  instruction1  ; 
Louis  XI  écrit  au  duc  de  Milan  que  son  ambassade  circulaire 
en  Itabe  lui  communiquera  son  instruction  du  20  novembre 

1)  Ms.  lat.  10133,  fw  454,  435. 

2)  Id.,  fo  456. 

3)  Les  articles  peuvent  être  communiqués  aussi  en  copie  à  une  ambassade 
envoyée  sur  un  autre  point  (Cte  de  Circourt,  Le  duc  Louis  d'Orléans,  II,  77, 
art.  26). 

4)  Les  cours  communiquent  aussi  les  copies  d'instructions  tierces.  En 
1464,  Louis  XI,  comme  marque  d'amitié,  communique  au  duc  d'Orléans  le 
duplicata  d'une  instruction  du  duc  de  Bretagne  (Lettres  de  Louis  XI,  II,  205). 

5)  Sanuto,  III,  1291,  et  passim. 

6)  Lett.  de  Louis  XII,  III,  212. 

7)  Sanuto,  III,  c.  298. 


124  LA    DIPLOMATIE    AD   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

1478,  afin  que  «  puissiez  amander,  adjouster  et  diminuer, 
ainsi  que  verrez  estre  à  faire  »  (il  est  bien  entendu  qu'en  réa- 
lité, Louis XI  entend  ne  rien  y  changer ');  Charles  VIII  or- 
donne au  sire  de  Citain,  son  ambassadeur  à  Venise,  de  s'ar- 
rêter à  Milan  pour  communiquer  également  son  instruction'. 

Quant  aux  communications  ultérieures,  rien  de  plus  fré- 
quent ni  de  plus  simple  ;  à  Venise,  on  va  plus  loin,  on  com- 
munique aux  ambassadeurs  amis  non-seulement  l'instruction, 
mais  la  correspondance,  celle-ci,  il  estvrai,  «  castiga  ta  prima 
in  alcunilochi3  ».  Machiavel,  dans  la  première  dépêche  de 
sa  légation  de  1506  près  de  Jules  II.  nous  fournit  un  exemple 
typique  de  ces  communications;  il  arrive  près  du  pape  à  Nepi, 
il  prononce  le  discours  de  créance  analysé  dans  sa  dépêche  : 
«  Après  ce  discours,  dit-il,  j'ai  tiré  de  mon  sein  les  instruc- 
tions, et  je  les  lui  ai  lues  de  verbo  adverbum.  Sa  Sainteté  a 
écouté  mon  discours  et  les  instructions  avec  attention  et  m'a 
répondu...  etc.  »,  puis  Elle  a  appelé  l'ambassadeur  de  France, 
«  et  lui  a  fait  exhiber  les  instructions  qu'il  a  apportées  ;  Elle 
m'a  fait  voir  la  signature  du  roi,  et  m'en  a  lu  Elle-même  deux 
articles  relatifs  à  l'entreprise  de  Bologne...  *  ». 

Les  communications  simultanées  naissent  de  causes  très 
variées.  En  1495,  Ludovic  Sforza,  comme  allié,  communi- 
que à  Maximilien  ses  instructions  à  l'envoyé  François  de  Ca- 
sate,  et  Maximilien  les  approuve5.  A  un  autre  point  de  vue,  le 


1)  Lat.  11802. 

2)  Arch.  de  Milan,  Potenze  Estere,  F'»,  Corrispondenza  ;  lettres  de  Charles 
VIII,  de  Lyon,  le  U  avril. 

3)  Sanuto,  III,  227. 

4)  Dans  une  lettre  à  Yves  d'Alègre,  commandant  des  troupes  françaises,  la 
Seigneurie  de  Bologne  lui  oppose  les  volontés  de   Louis  XII,  d'après  l'ins- 
truction  de  M.  de  Trans,  ambassadeur  de  France,  que  celui-ci  a  communi 
quée  (Lettre  du  21  janvier  1501.  Archives  de  Bologne,  Lttterarum). 

5)  Calvi,  Bianca-Maria  Sforza  Visconti,  p.  22. 


INSTRUCTIONS  125 

duc  de  Bretagne,  négociant  en  1486  une  trêve  marchande  avec 
l'Angleterre,  envoie  au  roi  de  France  copie  de  l'instruction 
donnée  à  ses  ambassadeurs,  afin  de  bien  montrer  qu'il  ne 
poursuit  point  un  but  politique,  et  de  calmer  les  suscepti- 
bilités françaises,  alors  si  vives  à  l'égard  de  l'Angleterre. 
Charles  VIII  se  hâte  de  le  remercier  de  ce  bon  procédé  '. 

Enfin,  au  cours  môme  d'une  négociation  moins  amicale,  un 
ambassadeur  peut  tirer  bon  parti  de  la  production  brusque 
d'instructions  jusque  là  réservées. 

Par  ces  divers  motifs,  il  peut  y  avoir  un  intérêt  véritable  à 
ce  que  les  instructions  ne  disent  rien,  ou  du  moins  peu  de 
chose.  En  tout  cas,  elles  indiquent  simplement  le  langage  of- 
ficiel'. Sous  Louis  XI,  l'importance  des  instructions  françaises 
parait,  d'ordinaire,  en  raison  inverse  de  l'importance  de  l'ob- 
jet. Une  instruction  détaillée,  précise,  étendue,  indique  une 
matière  de  faible  importance,  sur  laquelle  on  peut  écrire;  si 
elle  est  courte  et  insignifiante,  on  a  le  droit  de  conclure  à  une 
grosse  affaire. 

On  supplée  donc  à  la  discrétion  nécessaire  des  instructions 
montrables  par  les  explications  verbales  données  à  l'ambas- 
sade ou  par  de  secondes  instructions  non  montrables.  Celles- 
ci  sont  complémentaires  ou  secrètes,  et  remises  soit  à  l'am- 
bassade entière  comme  les  premières,  soit  à  un  membre  seul 
de  l'ambassade. 

Louis  XI,  accusé  du  meurtre  de  son  frère  le  duc  de  Guyenne, 
envoie  en  Bretagne  une  ambassade  solennelle  pour  se  dis- 

I)  Dupuy,  Histoire  de  la  réunion  de  la  Bretagne,  II,  83. 

■2)  Machiavel,  chargé  d'affaires  à  Rome,  écrit  à  Florence  l'exégèse  de  l'ins- 
truction donnée  à  l'évêque  de  Raguse,  que  le  pape  envoie  à  Florence.  Le 
cardinal  Soderini  a  été  chargé  d'écrire  cette  instruction.  Il  avertit  Machiavel 
qu'elle  recommande  à  l'envoyé  pontifical  une  extrême  prudence,  mais  qu'en 
réalité,  d'après  les  instructions  verbales,  celui-ci  doit  s'entendre  avec  Klo- 
renoe  (dépèche  du  23  novembre  1503). 


126  LA    DIPLOMATIE    AD    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

culper.  Cette  ambassade,  conduite  par  l'archevêque  de  Tours 
(métropolitain  de  Bretagne)  et  par  un  prélat  f  ort  avisé,  l'évêque 
de  Lombez,  présente  naturellement  un  caractère  nettement 
judiciaire  ;  les  trois  autres  ambassadeurs  sont  des  magistrats, 
les  présidents  des  parlements  de  Paris,  de  Toulouse  et  du  Dau- 
phiné.  Le  roi,  dans  son  instruction  officielle,  réclame  une 
ë&qtlêtê  et  fait  observer  que  tous  ses  ambassadeurs  ont  qua- 
lité pour  la  suivre,  au  titre  canonique  ou  civil1.  Dans  l'ins- 
truction complémentaire,  il  invite  les  ambassadeurs  à  pour- 
suivre énergiquement  la  réclamation  d'enquête  ;  ils  mèneront, 
dans  leur  suite,  en  grand  secret,  deux  notaires  apostoliques, 
pour  faire  un  Utdimus  authentique  de  la  réclamation,  et  pour 
dresser  secrètement  procès-verbal,  si  le  duc  de  Bretagne  re- 
fusait ou  retardait  l'enquête".  De  même,  lorsqu'il  envoie  Jean 
d'Arson  pour  détacher  le  roi  de  Naples  de  l'alliance  de  la 
Bourgogne,  Louis  XI  lui  donne  une  instruction  confiden- 
tielle très  détaillée  3  La  Seigneurie  de  Venise  remet  à  ses 
ambassadeurs  près  de  Louis  XII,  en  1499,  une  instruction  com- 
plémentaire également  très  détaillée,  sur  ce  qu'ils  devront 
faire  et  dire  à  l'audience  secrète  du  roi*,  après  l'audience  so- 
lennelle de  réception5. 

Les  instructions  complémentaires,  données  à  toute  l'ambas- 
sade, ne  font  qu'ajouter  aux  instructions  officielles  les  détails 

1)  22  novembre  1473  (ms.  fr.  3884,  fos  293  et  s.). 

2)  Id.,  [o  306. 

3)  Ms.  fr.  10238,  fos  5  et  s. 

4)  26  sept.  1499  (Archiv.  de  Venise,  Secreto  37,  fo  131  v<>). 

5)  V.  dans  les  Œuvres  de  Machiavel,  l'instruction  qui  lui  est  personnelle- 
ment donnée  par  le  gonfalonier  P.  Soderini,  pour  sa  troisième  légation  en 
France,  en  outre  de  l'instruction  officielle  (1510).  Supplément  d'instruction, 
motivé  par  l'annonce  de  faits  nouveaux,  envoyé  sous  forme  de  lettre  à  un  am- 
bassadeur encore  en  route,  en  y  joignant  une  lettre  directe  pour  le 
souverain  (lettres  du  3  juillet  1466,  à  l'évêque  de  Gahors,  ambassadeur  en- 
voyé de  France  à  Rome  el  au  pape.  Leit.  de  Louis  XI,  II,  p.  67  et  65). 


INSTRUCTIONS  127 

qui  leur  manquent.  Les  instructions  secrètes,  confiées  à  un 
seul  ambassadeur,  s'en  séparent  plus  nettement.  Nous  avons 
eu  occasion  de  citer  une  instruction  verbale  donnée  par  Anne 
de  Beaujeu  au  secrétaire  Ami,  membre  d'une  ambassade  à 
Rome  '.  En  1500,  l'archiduc  Philippe  le  Beau  envoie  en  am- 
bassade près  de  Louis  Xll  le  chambellan  Amé  de  Viry  et  le 
secrétaire  Ph.  Ilaneton.  Dans  l'instruction  qu'il  leur  don- 
ne, il  expose  brièvement  que  le  roi,  son  père  (Maximilien), 
désire  la  paix  avec  la  France,  et  il  demande  les  conditions  de 
Louis  XII  *.  Dans  l'instruction  confidentielle  pour  Hane- 
ton  seul,  Philippe  le  charge  de  dire  à  Louis  XII,  en  secret, 
que  Maximilien  ne  veut  aucunement  la  paix,  et  qu'on  a  eu 
beaucoup  de  peine  à  lui  faire  entendre  raison;  il  indique 
les  vues  de  Maximilien,  qui  entrerait  volontiers  avec  la  France 
dans  une  guerre  contre  les  Italiens  ;  il  aborde  diverses  affaires 
spéciales  ;  il  propose  une  continuation  provisoire  de  la  trêve. 
Bref,  c'est  la  véritable  instruction  \  D'autres  fois,  c'est 
au  chef  seul  de  l'ambassade  qu'on  donne  les  instructions  de 
ce  genre,  à  l'exclusion  des  autres  ambassadeurs  et  du  rési- 
dent *.  Envoyé  en  France,  en  1511,  Machiavel  a  l'ordre  de 
passer  par  Milan,  pour  y  voir  le  vice-roi  français  et  le  rési- 
dent florentin  ;  il  communiquera  au  vice-roi  l'instruction 
écrite  pour  la  circonstance,  et  il  aura  bien  soin  d'ajouter 
que  la  Seigneurie  de  Florence  tient  extrêmement  à  ce  que 
Son  Excellence  connaisse  le  but  de  l'ambassade...  Machiavel 
pourra  au  contraire  communiquer  à  son  collègue  de  Milan 
les  instructions  verbales  qui  lui  ont  été  données,  et  l'avertir 

1    Procédures  politiques  du  régne  de  Louis  Xll,  p.  1050. 

2)  Le  Glay,  Xégociations  entre  la  France  et  l'Autriche,  t.  I,  p.  19. 

3)  Id.,  p.  21,  22. 

4)  Note  des  archives  de    Milan,  1492,    citée  par   Delaborde,   Expédition 
de  Charles  VIII,  p.  237,  n.2. 


128  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

du  but  véritable  de  sa  mission,  but  que  le  vice-roi  doit  ignorer 
pour  le  moment  '. 

Les  instructions  secrètes  doivent,  bien  entendu,  être  défen- 
dues contre  toute  indiscrétion  des  tiers.  Saisi  et  fouillé  lors 
de  son  passage  par  la  Lombardie  en  1507,  Machiavel  déchire 
tous  ses  papiers,  se  rend  en  Allemagne  par  la  Savoie  et  la 
Suisse,  et  communique  là  verbalement  ses  instructions  au  ré- 
sident florentin  \ 

Mais  les  instructions  secrètes  peuvent  parfois  être  communi- 
quées en  audience  secrète  ou  aux  commissaires  délégués  3. 

En  résumé,  les  instructions  non  montrables  sont  souvent 
verbales  \  Toute  instruction  écrite  suppose  la  possibilité  d'une 
communication,  et  on  doit  ne  la  consulter  qu'avec  réserve. 
Toutefois,  l'instruction  non  montrable  a  une  valeur,  que  ne 
possède  pas  l'instruction  montrable. 

Quand  on  rencontre,  dans  les  Archives,  une  instruction, 
on  peut  partir  de  la  présomption  qu'elle  est  montrable  ;  cette 
présomption  se  réalise  le  plus  souvent.  Mais  à  quels  signes 
distinguer  son  véritable  caractère  ? 

1)  Instruction  du  10  septembre  1511. 

2)  Dép.   de  Francesco  Vettori,  17  janvier  1507-8. 

3)  A  leur  audience  secrète,  les  ambassadeurs  de  Louis  XI  à  Rome,  en  1479, 
présentent  leur  instruction  secrète,  écrite  en  latin,  dans  la  même  forme  que 
l'autre  (lat.  11802). 

4)  Ou  adressées  avec  beaucoup  de  précaution.  Le  pape  Grégoire  XI,  informé 
de  l'entrevue  de  l'empereur  et  du  roi  à  Paris,  en  1378,  écrit  en  toute  hâte  à 
Guillaume  de  Lestrange,  archevêque  de  Rouen,  de  s'y  trouver;  sa  mission 
sera  la  suivante;  «  Quod  aliquis  cautus,  prudenset  diligens  indagator  illic 
existeret,  et  quicquid  fieret  vel  forte  jam  faclum  est,  tam  in  communi  quam 
in  privato  et  secretis  consiliis,  solicitus  exploraret,  et  confestim,  quod 
sentireposset,  nobis  nuntiare  studeret.  »  Pour  cette  mission  confidentielle, 
nul  titre,  nul  pouvoir,  nulle  autre  instruction  :  Grégoire  XI  ajoute  seule- 
ment, en  finissant!  «  Nonnulla  etiam  tibi  scribit  decanus,  germanus  tuus,  de 
nostri  conscientia,  quibus  credas  »  (Bref  du  12 janvier  1378.  Inventaire... 
des  biens  de  Quill.de  Lestrange,  Paris,  1888,  p.  154-155.  Lestrange  était 
envoyé  du  pape  avec  l'archevêque   de  Ravenne,   depuis  1372). 


INSTRUCTIONS  129 

Il  y  a  d'abord  des  signes  matériels.  L'instruction  qui 
porte,  qu'après  avoir  salué  le  chef  de  l'Etat,  l'ambassadeur  lui 
dira  telle  et  telle  chose,  est  montrable,  puisqu'elle  a  traita 
l'audience  publique1. 

L'instruction  écrite  en  latin,  au  XVe  siècle,  sera  presque 
toujours  montrable. 

L'instruction  secrète  porte  que  l'ambassadeur  tiendra 
tel  ou  tel  langage,  à  l'audience  secrète,  ou  près  du  roi  seul. 
Parfois,  elle  contient  l'ordre  à  l'ambassadeur  de  la  con- 
server, et  de  la  restituer  au  retour*. 

Les  deux  instructions  sont  généralement  écrites  sur  des 
feuilles  séparées.  On  trouve  aussi  des  instructions  com- 
plémentaires réunies  à  l'instruction  montrable,  dans  une 
seule  rédaction. 

Si  les  signes  matériels  ne  suffisent  pas,  on  pourra  chercher 
des  données  dans  l'examen  intrinsèque  du  texte,  donnéesdou- 
teuses,  mais  que  le  développement  ultérieur  de  la  négociation 
viendra  confirmer.  L'instruction  de  Charles  VIII  pour  sa 
grande  ambassade  à  Rome,  composée  des  évêques  de  Fréjus 
et  de  Lodève,  de  l'abbé  de  S1  Ouen,  du  sire  de  S'  Mauris, 
porte,  par  exemple,  le  caractère  montrable.  Elle  est  relative 
au  projet  de  la  conquête  de  Naples,  et  elle  explique  que  l'ex- 
pédition a  pour  but  de  chasser  les  Turcs  de  Constantinople  3. 
Alexandre  VI,  dans  son  bref  de  réponse,  exhorte  poliment 
Charles  VIII  à  renoncera  ses  grands  projets  *.  Dans  son  ins- 

1)  Montrables,  les  «  Instructions  baillées  à...  par  manière  de  mémoire,  dé 
dire  au  pape  les  choses  qui  s'ensuivent,  de  par  le  Roy,  par  vertu  des  lettres 
de  créance  à  luy  envoyés  »  ;  sans  date,  signées  Loys (le  régent  duc  d'Anjou. 
Douet  d'Arcq,  Choix  de  Pièces,  I,  4). 

2)  Dans  son  instruction  àEm.  de  Jacopo,  du  27  mai  1 463,  le  duc  de  Mi- 
lan lui  prescrit  de  restituer,  au  retour,  celte  instruction  (Archivio  Sforzesco): 

3)  Février  1494  (K.  1710). 

4)  Mars  1494  (id.). 

9 


130  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

truction  à  ses  nonces  en  France  en  14981,  Alexandre  VI,  à 
son  tour,  développe  en  détail  et  point  par  point  toute  une  poli- 
tique ;  il  proteste  énergiquement  contre  l'injure  qu'on  lui 
fait  de  lui  supposer  des  relations  avec  les  Turcs  ;  il  insiste 
vivement,  au  contraire,  four  la  paix  et  l'union  des  princes  chré- 
tiens en  vue  d'une  croisade,  œuvre  fondamentale  de  son 
pontificat.  Il  omet  la  seule  chose  qui  l'intéresse,  l'avenir  de 
son  fils.  Sur  les  divers  points  traités,  sa  politique  fut  le  con- 
traire de  ce  qu'il  annonçait.  Encore  une  instruction  montra- 
ble. 

Voici  une  autre  variété  d'instructions,  essentiellement  mon- 
trables :  les  ambassadeurs  de  France  en  Castille  pour  le  ma- 
riage du  roi  de  France  Jean  avec  la  princesse  Blanche  empor- 
tent un  projet  de  lettre  tout  rédige,  où  la  date  seule  reste 
en  blanc,  à  faire  signer  et  sceller  par  le  roi  de  Castille.  Le 
mariage  a  été  réglé  par  les  ambassadeurs  précédents,  Alvarez 
Garcia  de  Albornos,  et  l'évêqiie  de  Burgos,  pour  la  Castille, 
l'archevêque  de  Rouen,  l'évêque  de  Chalon,le  sire  de  Revel 
pour  la  France.  Les  ambassadeurs  nouveaux  veilleront  à 
ce  qu'il  ne  soit  pas  modifié  un  seul  mot  au  projet  de  lettre, 
ils  vérifieront  les  sceaux  et  la  couleur  de  la  cire  5. 

Montrable  encore  l'instruction  détaillée  donnée  au  cardinal 
de  Gurck,  légat  du  S1  Siège  près  de  la  diète  germanique,  en 
1500;  instruction  vive  et  insistante  pour  le  projet  de>croisade, 
évidemment  faite  en  vue  de  la  production.  Elle  n'ajoute  rien 
aux  idées  personnelles,  bien  connues,  du  légat,  rien  si  ce 
n'est  qu'elle  retrace    à   grands  traits  les  efforts    personnels 

1)  Procédures  poiiiiq.  du  règne  de  Louis  XII,  p.  1106  et  suiv. 

2)  «  Nuncii  dn>  Régis  Francie  debent  reportare  litteram  Régis  Castelle, 
sub  forma  que  sequitur  :  Petrus  Dei  gracia  Castelle,  Legionum...  »  etc. 
(projet  de  lettre  ;  sur  parchemin).  «  C'est  ce  que  ont  à  faire  les  messages  que 
eRov  envoie  pour  la  besoigne  touchant  lui  et  le  Roy  d'iîspaigne  »  (instruc- 
tion   particulière  sur  le  collationnement  à  opérer.  J.  915  B). 


INSlKll.TlONS  131 

d'Alexandre  VI  pour  procurer  la  paix  de  l'Europe  et  l'union 
«les  princes.  Le  pape  insistai!  aussi  sur  son  accord  parfait  et 
absolu  à  Ce  sujet  avec  L'unanimité  des  cardinaux  ,  unani- 
mité utile  à  affirmer,  carie  cardinal  de  Giïrck  lui-même  s'était 
plus  d'une  fois  montré    l'adversaire  résolu  d'Alexandre. 

Instructions  montrables  encore,  celle  de  Charles  VIII  à 
Jean  Rabot  et  autres,  envoyés  à  Home  en  1491;  avant  d'abor- 
der diverses  allaires,  le  roi  les  charge  de  rappeler  les  bons 
rapports  séculaires  de  la  France  avec  Rome,  la  grandeur  de 
l'Université  de  Paris,  l'argent  envoyé  à  Rome,  les  con- 
cordats passés  entre  Louis  XI  et  Sixte  IV,  qu'on  n'observe  pas 
et  sur  lesquels  on  peut  reprendre  des  négociations....*  ;  les 
instructions  d'Innocent  VIII  à  l'évêque  de  Tréguier  et  à  An- 
tonio Flores,  au  frère  Baldassar  en  1489....  \ 

Enfin,  à  l'instruction  montrable  on  ajoute  quelquefois 
une  rumeur,  répandue,  au  dehors,  dans  le  grand  public, 
contraire  même  à  l'instruction  officielle.  En  1492,  on  annonce 
que  Perron  de  Bascher  va  en  Italie  pour  des  achats  de  che- 
vaux *. 

Les  instructions  s'appellent  en  France  «  instructions  5  »  , 
ou  ((instruction»,  en  Italie  «  instructions  »  ou  «  commission.» 
Elles  constituent  un  acte  essentiellement  régalien  et  por- 
tent la  signature  autographe  du  roi.  Elles  sont  délibérées  et 
arrêtées  en  conseil  du  roi",  sur  une  minute  préparée  par  un 

1)  Archives  du  Vatican,  reg.  3  LV,  fo  321  et  suiv. 

2)  Ms.  fr.  15870,  o°l-    Burckard,  I,  430. 

3)  Ms.  Dupuy594,foi  91,103. 

i    Boislisle,  Et.  de  Vesc,  p.  54. 

5)  L'intitulé  habituel  est  :  «  Instructions  baillées  de  par  le  Roy  à...,  les- 
que  z  il  envoie  devers...,  des  choses  qu'ilz auront  à  l'aire  devers  ledit...  (com- 
te)'. En  chancellerie,  on  les  qualilie  plus  brièvement  par  la  destination  :  on 
les  appelle,  par  exemple  :  «  Instructions  de  Pavie  et  d'Avignon  >>  (Jarry, 
,  ■/-•  Louis  ilr  France,  p.  4J0). 

lij    Bernier,  liegistre...,  p.  45-46.  Instruction    de!385,  en  conseil  (Douet 


132  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

secrétaire  de  chancellerie,  ou  par  un  membre  du  conseil.  La 
minute  est  revue  et  raturée  en  tant  que  de  besoin. 

En  France,  elles  sont  transcrites  indifféremment  sur  pa- 
pier ou  sur  parchemin,  en  forme  de  notes,  et  datées  le  plus 
souvent  du  jour  et  du  mois,  sans  indication  d'année,  comme 
les  lettres  missives.  La  signature  du  roi  est  suivie  de  celle 
d'un  secrétaire.  Le  sceau  est  de  cire  rouge  et  plaqué;  mais 
la  plupart  des  instructions  n'ont  pas  de  sceau;  elles  ne  com- 
portent en  effet  ni  garantie  ni  engagement  '.  Leur  intitulé  ne 

d'Arcq,  Choix  de  pièces,  I,  60  et  suiv.).  Lorsqu'il  s'agit  d'affaires  communes, 
les  instructions  ne  sont  arrêtées  qu'après  une  première  négociation  entre  les 
intéressés.  C'est  l'habileté  de  l'ambassadeur  de  présenter  adroitement 
celles  qu'il  désire,  pour  les  faire  accepter.  Une  clause  spéciale  à  ce  genre 
d'instructions  est  :«  Addatur  et  mutetur,  secundum  voluntatem  domino- 
rum  confœderatorum  »  (Rapp.  d'un  ambass.  milanais,  1478.  Kervyn  de 
Lettenhove,  Lettres  et  négociations,  111,  33). 

1)  Citons,  à  titre  de  variétés,  par  exemple  :  «  Instructions  pour  mess.  Re- 
nier Pot,  chevalier,  sr  de  la  Prugne,  de  ce  qu'il  aura  à  dire  de  par  la  Royne 
à  mons.  le  duc  de  Bourgogne  ».  Il  doit  dire  que  le  duc  «  trouvera  la  Royne 
bonne  dame  et  mère  et  autant  que  s'il  estoit  son  propre  filz  »;  sur  papier 
in-fo,  sceau  plaqué  rouge  de  la  reine;  signée  Ysabel  ;  datée  :  «  Fait  à  Troyes, 
le  XVII*  jour  de  décembre  l'an  mil  CCCC  et  dix  neuf  »,  contresignée  du  secré- 
taire (ms.  Moreau  1425,  n<>  90,  orig.).  Instruction  baillée  par  le  roi  et 
son  conseil  à.l'évêque  de  Langres  et  Jean  de  Ryé,  ambassadeurs  à  Foix  ; 
sur  parchemin,  sans  aucune  date  ni  formule  que  le  titre;  signée  Loys,  sans 
nulle  indication  (K.  53  A,  6  bis.  :  id.,  8  ter.  Instruction  à  l'évêque  de 
Langres,  envoyé  au  pape  dans  les  mêmes  conditions).  Instruction  à 
l'ambassade  près  du  pape,  30  mai  1376  :  «  Instructions  baillées  par  le  Roy 
nostre  sire  à. . .,  envoyez  par  lui  devers. . .,  sur  cequ'ilz  ont  à  faire  à  cause 
de  leurdite  messagerie.  Premièrement,...  »;  datée  du  lieu,  du  jour,  du 
mois,  de  l'année,  du  règne,  avec  signature  autographe  du  roi,  sans 
secrétaire:  traces  de  sceau  plaqué,  parchemin  (Jarry,  Vie...  de  Louis  de 
France,  p.  385  et  suiv.).  Instruction  aux  ambassadeurs  envoyés  à  Avignon, 
24janv.  1393,  datée,  signée  du  roi  (Douet  d'Arcq,  Choixde  Pièces,  I,  p.  112 
et  s.).  Instruction  à  des  ambassadeurs,  datée  des  lieu,  date,  jour,  mois, 
année,  signée  «  de  Reilhac  »  (secrétaire  du  roi),  sans  signature  du  roi  (6 
avril  1459.  Quicherat,  Th.  Bazin,  IV,  357).  Instruction  du  16  mars  1478,  da- 
tée, signée  de  Boffile  de  Juge  «  ex  mandato  Régis  »  :  du  20  novembre 
1478,  datée,  signée:  Loys  et  Courtin  (ms.  lat.  11802)  ;  diverses  instructions 
réunies  dans  le  ms.  fr.  3884,  etc. 


INSTRUCTIONS  133 

mentionne  pas  toujours  le  nom  des  ambassadeurs  :  ce  nom  est 
quelquefois  remplacé  par  un  blanc,  qu'on  n'a  pas  pris  soin  de 
remplir.  Il  se  peut,  en  eiïet,  que  l'ambassade  soit  nommée  ou 
complétée  après  la  rédaction  de  l'instruction.  Il  arrive  aussi 
qu'on  désigne  pour  une  ambassade  des  personnages  éloi- 
gnés de  Paris,  sauf  à  les  aviser  par  lettre  close  ou  sous  forme 
de  mandement:  dans  ce  cas,  on  ne  peut  remettre  l'instruction 
à  tous  les  membres  de  l'ambassade  en  bloc. 

Les  instructions  françaises  sont  rédigées  d'un  style  très 
bref,  découpées  en  menus  alinéas,  qui  sont  marqués  unifor- 
mément par  le  mot  Item.  On  emploie  rarement  un  numérota- 
ge, si  ce  n'est  la  mention  Primo  pour  le  premier  alinéa  '.  Ces 
alinéas  se  nomment  articles.  Sous  Charles  VI,  les  instructions 
portent  la  mention  du  conseil 2. 

Les  instructions  se  bornent  à  un  simple  exposé,  une  fois 
fait;  très  rarement,  elle  comportent  une  seconde  partie  «par 
mémoire  de  réplicacion,  si  besoing  est 3.  » 

1)  Instruction  du  30  mai  1376,  à  Réneval,  Boite!,  Morgeset  Corbie, 
«  messages  »,  numérotée  en  chancellerie (J.  458,  n°  9  bis).  L'expédition 
originale  ne  porte  pas  de  numéros  (id.,  n«  9).  La  minute  de  chancellerie, 
sans  signature,  est  écrite  sur  deux  feuillets  de  papier  in-f°  cousus  l'un  à 
l'autre  dans  le  sens  de  la  longueur,  le  numérotage  ajouté  en  marge  :  l'expé- 
dition sur  un  grand  parchemin,  en  forme  de  rôle,  avec  trace  de  sceau  pla- 
qué rouge. 

2)  «  Instruccion  pour  les  messages  du  Roy  pour  assembler  avecques  ceulx 
d'Angleterre,  bailliée  le...  »  :  en  conseil,  sans  date,  signée  d'un  secrétaire 
(instruction  du  29  nov.  1401.  Douet  d'Arcq,  Choix  de  Pièces,  I,  215).  Ins- 
truction à  des  envoyés  près  du  pape,  contresignée  du  conseil  ;  26  juin 
1388  (ibid.,  94).  «  Instruction  pour...,  envoiez  de  par  le  Roy  devers...,  des 
choses  qu'ilz  auront  à  faire  par  delà  »,  d'août  1401.  Par  articles  :  datée, 
signée,  du  roi  (autogr.)  :  «  Veue  par  les  ducs  de  Berry,  d'Orléans  et  de 
Bourbon,  et  paravant  avisée  par  leur  commandement  par  les  gens  du  grant 
conseil,  où...  »  etc.,  et  signée  du  secrétaire  (id.,  I,  204  et  suiv.).  «  Instruc- 
tion baillée  de  par  le  Roy  à...,  envoiez  de  par  lui  en  Angleterre  :  »  rédigée 
et  signée  de  même,  avec  visa  du  grand  conseil,  et  date  de  ce  visa  (6  sept. 
1400.  Id.,  1, 193). 

3)  «  Instructions  baillées  par  le  Roy  et  son  conseil  à...,  sur  le  fait  de  leur 


134  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Enfin,  il  y  a  des  cas  pressants  et  exceptionnels  où  l'instruc- 
tion s'écarte,  par  force  majeure,  des  règles  habituelles.  Telles 
les  «  instructions  pour  Henry  de  Chauffour,  escuier,  maistres 
Jehan  Milet  et  George  d'Ostemde,  secrétaires  du  Roy  nos- 
tre  sire,  et  pour  maistre  Henry  de  Monstereul,  bourgois  de 
Paris,  envoiez  par  devers  monseigneur  de  Bourgogne  et  par 
Monsieur  de  Saint  Pol,  le  conseil  du  Roy  estant  à  Paris,  et 
les  prévost  des  marchans,  eschevins,  bourgois  et  habitans 
de  la  ville  de  Paris...  »  Cette  instruction,  qui  ne  pouvait  por- 
ter la  signature  du  roi,  y  supplée,  autant  que  possible,  par 
des  mentions  solennelles  :  «  Par  le  Roy,  à  la  relation  du 
grant  conseil,  tenu  par  Monsieur  le  conte  de  Saint  Pol,  lieu- 
tenant du  Roy  par  deçà.  Ouquel  Vous,  le  grant  maistre  d'os- 
tel,  le  mareschal  de  Chasteluz  et  plusieurs  autres.  Donné  à 
Paris,  le  XXIIe  jour  d'octobre,  l'an  mil  CCCC  et  dix  neuf. 
Philippe.  Oger  »,  et  elle  porte  le  sceau  rouge,  plaqué,  du 
comte  de  Saint  Pol1. 

Les   minutes    d'instruction    n'ont  ni  date  ni  signature*. 

Ces  minutes,  parfois  multiples,  restent  à  la  chancel- 
lerie. Elles  se  distinguent  facilement  de  la  transcription 
définitive  par  l'écriture,  par  les  ratures  et  par  diverses 
mentions.  Une  minute  originale  d'instruction  du  duc  de 
Bourgogne,  en  1419,  porte,  dans  l'intitulé,  la  mention  sui- 
vante :  «  De  par  Monsr  de  Bourgogne,  à  telz  pour  aler  devers 
le  Roy  et  la  Reyne  »  :  telz  pour  aler  est  raturé  et  remplacé 
par  :  «  A  mess.Lourdin.  Sr  de  Saligny,  Henry  de  Chaufour 
et  maistre  George  d'Ostende,  qui  vont8  ». 

légation,  toichant. ..  »,  par  articles,  sans  date  ;  signée  du  régent,  en  deux 
parties  ;  la  seconde  est  par  «  mémoire  de  réplicacion,  si  besoing  est  » 
(Douet  d'Arcq,  Choix  de  Pièces,  I,  6). 

1)  Orig.  parch.  Ms.  Moreau  1425,  no  87. 

S)  Ms.  fr.  2964,  f°  89. 

3)  Cette   instruction  ne  porte  que  des   protestations  de  dévouement.   Les 


INSTRUCTIONS  135 

La  comparaison  des  minutes  des  instructions  avec  le  texte 
définitif  constitue  un  moyen  très  important,  quand  on  peut 
l'opérer,  d'interpréter  la  valeur  des  instructions  dont  ellesfor- 
ment  le  commentaire  naturel.  Nous  avons  trouvé  jusqu'à 
trois  minutes  de  la  même  instruction,  étudiées,  corrigées 
et  fort  diverses  '  :  d'autres  fois,  on  rencontre  une  simple  mi- 
nute, semblable  à  l'acte  définitif8. 

On  fait  aussi  des  copies  des  instructions  pour  le  service  de 
la  chancellerie8  :  ou,  tout  au  moins,  on  garde  en  note  la  subs- 
tance, «  Summarium  »*,  de  l'instruction. 

Quand  les  instructions  ne  portent  ni  dans  le  texte,  ni  dans 
les  annotations  de  chancellerie  aucune  mention  d'année,  il  est 
souvent  difficile  de  les  dater  exactement.  On  peut  y  arri- 
ver par  la  date  des  pouvoirs,  ou  par  la  date  de  la  trêve,  du 
traité,  de  l'hommage...,  bref  de  l'acte  principal  de  la  mis- 
sion. Il  vaut  mieux  ordinairement  ne  pas  se  fier  à  l'examen 
intrinsèque  de  la  pièce  pour  essayer  d'en  tirer  une    donnée 


véritables  instructions  se  trouvent  dans  les  «  Instructions  à  la  Reyne  pour  les 
dessus  dits  »  :  montrer  le  péril  de  Paris,  par  conséquent  de  tous  les  pays 
du  roi;  dire  que  l'adversaire  veut  traiter  avec  l'Angleterre,  etc.  (orig.  pap. 
avec  ratures,  ms.  Moreau  1425,  n<>  95).  Cf.  l'instruction  de  Louis  XI  pour 
un  ambassadeur  à  Venise,  minute  sur  papier,  «  à  tel  »  (fr.  10238,  f°  12). 
1  )  Histoire  de  Louis  XI f.  t.  III. 

2)  Instructions  de  Louis  XII  au  sire  de  Dourrier,  ambassadeur  en  Angle- 
terre (lôOi),  au  premier  président  de  Normandie  envoyé  de  même  en  Angle- 
terre(1514),  (ms.  fr.  15870,  nos  4^  42):  minutes  de  ces  instructions  (ms.  fr. 
17840,  fos  131-136,  et  fcs  137-140).  Minute  de  l'instruction  donnée  au  cardi- 
nal d'Amboise  envoyé  au  roi  des  Romains  (1501.  Ms.  fr.  2964,  f°  89). 

3)  Lettre  de  Jean  le  Prévost  au  roi.  Il  lui  envoie,  selon  ses  ordres,  le 
double  des  instructions  adressées  «  aux  ambassadeurs  ordonnez  par  les  trois 
estatz  »,  eten  remet  un  exemplaire  au  chancelier,  qui  adresse  également 
un  rapport  au  roi  (ms.  fr.  2811,  68). 

Summarium  instructionis  dn>  Ludovici  (Sl'orza)  fact.e  Ambrosio 
Biucardo...»  (ms.  fr.  2927,  fos  94-97;  publiée  dans  Corio,  Hisloria  di  Mi- 
lano,  p.  VII,  p.  498  et  s.  de  l'édition,  in-4°  de  Venise,  1554). 


136  LA   DIPLOMATIE   AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

chronologique,  à  cause  de  l'élasticité  voulue  des  affirmations, 
qui  a  égaré  parfois  les  meilleurs  juges1. 

Dans  les  républiques,  les  instructions  sont  arrêtées  par 
le  conseil  dirigeant,  ou  Seigneurie  :  à  Florence,  par  les  Dix  : 
à  Venise  également,  ou  même  par  le  conseil  général  de  tous 
les  savii*. 

Dans  les  pays  d'Etats,  nous  voyons,  en  quelques  cas  excep- 
tionnels, les  Etats  Généraux  délibérer  eux-mêmes  sur  les  ins- 
tructions, etles  arrêter:  ce  qui  constitue  un  empiétement  in- 
discutable sur  les  fonctions  du  pouvoir  exécutif3. 

Outre   l'instruction,  on   remet  parfois  un   mémoire*,  un 

1)  Exemple  :  Dans  la  très  savante  et  très  consciencieuse  publication  :  Docu- 
ments luxembourgeois  à  Paris,  concernant  le  gouvernement  du  duc  Louis  d'Or- 
léans, copiés  et  rassemblés  par  M.  Albert  de  Gircourt,  mis  en  ordre  et  pu- 
bliés par  le  Dr  N.  van  Wervecke  (Luxembourg,  1886),  le  texte  des  «  Ins- 
tructions à  M.  deGaucourt  parle  duc  d'Orléans  »,  publié  page  93,  et  minu- 
tieusement étudié,  donne  à  penser  qu'on  doit  le  dater  de  1442.  La  date  exac- 
te ne  peut  être  donnée  que  par  celle  de  l'hommage  que  devait  prêter  et  que 
prêtale  sire  de  Gaucourt  à  l'empereur,  le  23  juillet  1444  (K.  68,  n<>  4). 

2)  Sanuto,  III,  1320. 

3)  Instructions  «  commandées  et  conclûtes  »  par  les  trois  Etats  de  tous 
les  pays  de  M"e  la  duchesse  de  Bourgogne  et  Brabant,  assemblés  à  Gand, 
a  du  sceu,  bon  plaisir  et  consentement  de  madite  damoiselle  »  (le  28  fé- 
vrier 1476,  a.  st.  Gachard,  Analectes,  ccclxxv).  Instruction  aux  ambas- 
sadeurs envoyés  de  Bretagne  en  Bourgogne,  le  14  décembre  1408;  datée, 
donnée  en  assemblée  générale  des  Etats  de  Bretagne;  en  français  (Mém.  de 
Bret.,  11,815). 

4)  «  Mémoire  pour  faire  l'instruction  de  ceulx  qui  vont  à  Jennes.  Premiè- 
rement, qu'ilz  soient  bien  informez  comment...  »  etc.  :  mémoire,  en  fran- 
çais, contenant  l'historique  de  la  question,  par  articles  (1398.  Archives 
du  Loiret,  A.  2193).  Instruction  de  Maximilien  à  ses  envoyés  près  de 
Louis  XII,  nov.  1509,  en  latin,  très  développée  et  très  importante  ;  mé- 
moire étendu  sur  les  actes  à  arrêter  en  commun  pour  la  campagne  contre 
Venise.  Elle  débute:  «  Maximilianus,  divina  favente  clementia,  electus 
Romanorum  imperator  semper  augustus.  —  Instructio  de  hiis  que  agere 
et  tractare  debent  nostro  nomine...  »  Elle  s'achève  par  l'ordre  de  la  com- 
muniquer au  cardinal  d'Amboise.  Il  y  est  ajouté,  en  appendice,  des  articles 
vLe  Glay,  Négociations,  I,  277-291). 


INSTRUCTIONS  137 

mémorial  '  ou  mémorandum  \  ou  une  simple  note  *  à  l'ambas- 
sadeur sur  l'affaire  spéciale  qu'il  devra  traiter.  Ce  mémoire 
forme,  en  quelque  sorte,  un  chapitre  détaché  de  l'instruction  \ 
Nous  avons  précédemment  cité  l'exemple  d'une  princesse, 
faisant  fonctions  d'agent  officieux,  qui,  par  décorum,  ne  re- 
çoit pas  d'instruction,  mais  simplement  un  «Memoriàle  »*. 

On  peut  aussi  leur  remettre,  sous  forme  d'Articles,  le  pre- 
mier projet  de  traité,  qu'on  appelle  «  le  premier  traité  ».  Ce 
document,  dont  nous  parlerons  plus  loin,  a  pour  but  de  fixer 
la  discussion.  Il  est  toujours  excessif,  afin  de  faciliter  les  tran- 
sactions. S'il  n'est  pas  destiné  à  être  montré,  un  signe  quelcon- 
que ou  une  glose  peut  indiquer  les  points  sur  lesquels  on  cé- 
dera en  première  ou  dernière  ligne  6. 

Observons  enfin  que  les  instructions  présentent  un  carac- 
tère essentiellement  temporaire    et  peuvent    toujours    être 

1)  J.  915  A,  n°  11.  «  C'est  le  mémorial  as  messagiers  qui  iront  en  Espai- 
gne  »  (Instruction  ancienne,  sur  rouleau  de  parchemin). 

2)  L'instruction  florentine  à  Machiavel,  en  1511  (Saige,  Documents, 
II,  106)  forme  un  simple  mémorandum  (en  italien)  :  «  Li  effetti  délia  con- 
ventione  che  si  ha  a  fare  con  Luciano  Grimaldi,  signore  di  Monaco,  son 
questi,  cioè...  »  etc. 

3)  Pièces  publ.  par  Reumont,  Délia  diplomazia  italiana,  p.  140  :  «  Nota 
data  ambaxiatoribus  de  agendis  in...  »  :  p.  142,  «  Brève  ricordo  ed  informa- 
zione  »  :  p.  154,  «  Ricordo  »  (ou  instruction  secrète)  :  p.  144,  «  Jstruzione 
data...  Nota  e  informazionea  te...  » 

4)  Une  instruction  de  1505  est  même  intitulée:  «  Mémoire  et  instruc- 
tion à  vous. ..  pour  moy,  Lucian  de  Grimault,  seigneur  de  Monigue,  en 
court  de. . .  »  (Saige,  Documents,  II,  36  et  41). 

5)  Parfois  ce  mémoire  se  confond  avec  l'instruction.  V.  Instruction  de 
l'archiduc,  en  français  :  «  Mémoire  à..,  de  ce  qu'il  exposera  et  remonstrera 
à  monsr  le  Roy  très  chrestien  de  nostre  part  »  ;  sous  forme  narrative,  sans 
Items  (1512.  Le  Glay,  Négociations,  I,  516)..  Instruction  milanaise,  du  10 
février  1470,  à  Alex.  Spinola,  envoyé  en  France,  signée  de  Cicco  Simo- 
netta;  mémoire  très  étendu  sur  les  questions  à  traiter,  en  italien  (Chmel,  No- 
tizenblatt,  1856). 

6)  Articles  demandés  parle  roi  d'Angleterre  au  roi  de  France  (1308. 
Ms.  fr.  4054,  f«S). 


{38  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

modifiées.  Ilapu  arriver,  d'abord,  que,  dans  un  moment  d'ur- 
gence, louait  fait  partir  un  ambassadeur  sans  ses  instruc- 
tions définitives,  quitte  à  les  lui  expédier  par  la  suite.  Ainsi 
les  Seize  de  Bologne  font  partir,  le  15  septembre  1502,  Vin- 
cent Budriolo  qu'ils  envoient  à  Louis  XII  ;  l'instruction 
est  rédigée  seulement  le  17  et  expédiée  le  même  jour.  La 
Seigneurie  avait  voulu  attendre  l'arrivée  d'un  ambassadeur 
français  Claude  de  Seyssel,  dont  le  roi  avait  refusé  d'indiquer 
d'avance  la  mission  :  les  instructions  consistent  donc  dans 
le  récit,  point  par  point,  d'une  longue  et  importante  confé- 
rence, où  l'on  a  juridiquement  discuté  avec  Seyssel  la  situa- 
tion de  Bologne  à  l'égard  du  pape:  les  objections  de  Seys- 
sel, les  réponses  de  la  Seigneurie  sont  reproduites  pour 
servir  d'enseignement  à  l'ambassadeur,  qui  aura  à  traiter 
la  même  question  ;  jusque-là,  l'agent  ignorait  évidemment 
le  but  précis  de  sa  mission  \  Dans  le  cours  d'une  négocia- 
tion, des  objections  ou  des  événements  se  produisent  qui 
peuvent  donner  lieu  à  une  nouvelle  instruction3. 

1)  Archives  de  Bologne. 

2)  Ce  genre  d'instruction  ne  diffère  guère  des  dépêches  par  la  forme. 
V.  la  lettre  du  duc  de  Savoie  à  ses  ambassadeurs  pour  Chypre,  du  27  mai 
1432  (comte  de  Mas  Latrie,  Hist.  de  Chypre,  III,  805).  Instruction  du  9 
juillet  1498  du  sénat  de  Venise  au  secrétaire  en  mission  à  Gênes,  portant 
que,  le  28  juin,  Gênes  a  envoyé  une  note  sur  les  affaires  de  Pise,  en  deman- 
dant :  1"  Qu'on  rétablisse  la  paix  entre  Pise  et  Florence:  2°  Que  Venise  re- 
tire ses  troupes  qui  défendent  Pise;  3°  Que  les  puissances  de  la  ligue  se  por- 
tent garantes  de  Pise,  par  des  troupes  ou  par  de  l'argent.  En  général,  dit 
l'instruction,  nous  avons  toujours  soutenu  l'indépendance  de  Pise.  Le  1° 
répond  à  notre  désir,  mais  le  2°  serait  livrer  Gênes  sans  défense  ;  et  il  dé- 
pend du  1°.  L'important  est  d'arriver  à  un  arrangement  qui  garantisse 
efficacement  la  liberté  de  Pise;  nous  y  souscrirons  très  volontiers,  car  nous 
désirons  sa  liberté,  non  son  occupation.  On  pourra  alors  s'arranger  pour 
les  troupes.  Quant  au  3°,  on  devine  ce  que  serait  une  occupation  mixte  de 
Pise.  Quant  à  un  paiement  de  troupes  en  commun,  nous  ne  refusons 
pas,  car  nous  ne  voulons  que  la  liberté  de  Pise  (Arch.  de  Venise,  Secreto 
37).  Nouvelle  instruction  par  lettre  des  X  de  Florence  à  Guichardin,  du  24 


INSTRrr.TlONS  139 

Ce  qui  est  tout  à  fait  irrégulier,  c'est  le  fait  relaté  dans 
une  dépêche  des  nonces  envoyés  en  France  par  Alexandre  VI. 
en  1498.  Ces  nonces,  munis  d'instructions  régulières,  sont 
solennellement  reçus  à  Crémone  par  Ludovic  Sforza,  duc  de 
Milan.  Ludovic  leur  remet  un  bref  daté  dul4juin  (on  était  le 
24  .  qui  les  charge  de  prendre  en  main  à  la  cour  de  France  la 
défense   de  ses  propres  intérêts  \ 

Outre  leurs  instructions  générales,  les  ambassadeurs  floren- 
tins reçoivent  toujours  l'ordre  de  recueillir  du  résident 
ou  de  leurs  prédécesseurs,  en  arrivant  à.  la  cour,  un  com- 
plément d'instructions  verbales  sur  les  détails  pratiques 
de  conduite.  Nous  pouvons  apprécier  ces  instructions  ver- 
bales par  l'une  d'elles,  que  les  circonstances  obligèrent 
d'écrire  ;  celle  que,  en  1500,  François  délia  Casa  et  Machia- 
vel, envoyés  à  la  cour  de  France,  reçurent  de  leurs  prédéces- 
seurs, ou  plutôt  d'un  de  leurs  prédécesseurs,  Laurent  Lenzi, 
car  l'autre  ambassadeur,  Gualterofti,  était  déjà  parti.  C'est  une 
instruction  pratique,  fort  développée,  donnée  sous  la  forme 
de  «  conseils  et  renseignements  »,  dans  laquelle  l'auteur  exa- 
mine les  affaires  pendantes,  indique  les  personnes  sur  les- 
quelles on  peut  compter,  celles  qu'il  faut  voir,  et  donne  di- 
verses indications  de  conduite. 

Enfin,  au  cours  de  l'ambassade,  les  instructions  primitives 
sont  tenues  à  jour  ou  modifiées  par  la  correspondance,  au  be- 
soin par  de  nouvelles  notes  en  forme  d'instruction3.  En  sep- 
tembre 1503,  la  Seigneurie  de  Venise  envoie  à  son  ambassa- 

sept.  1512,  d'après  les  circonstances  nouvelles  (Guicciardini,  Opère  inédite, 
VI,  p.  Ht). 

t)  Dépêche  de  Crémone,  25  juin' 1498  ;  àla  Bibl.  Marciana,  à  Venise,  cod. 
cukxvii  (Ejj/sMa?  lllustr.  virorum,  cl.  X),  i'o40. 

2i  Instructions  vénitiennes  au  secrétaire  chargé  d'affaires  à  Gênes, 9  juil- 
let 1498  ;  à  l'ambassadeur  en  Angleterre,  14  septembre  1509  (Arch.  de 
Venise,  Secreto  37  et  4^). 


140  LA   DIPLOMATIE    AU   TEMPS    DE    MACHIAVEL 

deur  à  Rome  une  lettre  à  présenter  au  collège  des  cardi- 
naux sur  l'élection  du  nouveau  pape.  Dans  cette  lettre,  en 
latin,  de  forme  solennelle,  elle  déclare  s'en  référer  au  Saint 
Esprit,  n'appuyer  personne  et  désirer  seulement  un  pape 
saint  et  utile.  Une  instruction  confidentielle  y  est  jointe, 
où  la  Seigneurie  déclare  à  son  ambassadeur  que  le  candidat 
le  plus  digne  lui  parait  être  le  cardinal  de  Naples,  lequel  a 
dû  se  reconnaître  dans  le  portrait  tracé  par  la  lettre  officiel- 
le1. Mais,  habituellement,  les  nouvelles  instructions  sont  por- 
tées par  une  nouvelle  ambassade,  qui  les  communique  à  la 
précédente  *.  Charles  VI  écrit  à  son  ambassade  en  Espagne, 
composée  de  l'évêque  de  Saint  Flour,  Hermite  de  la  Faye, 
Pierre  Trousseau  et  Jean  Luce,  secrétaire,  que,  par  suite  de 
«  très  mauvaises  etdéshonnourables  »  lettres  reçues  de  Pierre 
de  Lune  (Benoit  XIII),  il  envoie  en  Castille  deux  conseillers 
(non  nommés)  :  il  défend  absolument  jusqu'à  leur  arrivée  et 
leurs  explications,  de  parler  «  des  articles  ou  article  »  tou- 
chant l'église  qui  sont  dans  l'instruction  \  Charles  VIII, 
lors  des  difficiles  affaires  de  Saluées,  en  réponse  aux  récla- 
mations directes  du  duc  de  Savoie,  envoie  un  nouvel  ambas- 
sadeur, son  maître  d'hôtel,  Antoine  de  Mortillon,  et  en  pré- 
vient par  lettre  les  précédents  ambassadeurs,  le  comte  de 
Bres'se  et  Du  Bouchage.  Mortillon  a  même  l'ordre  de  «  se  tirer 
par  devers  nostredit  oncle  (le  comte  de  Bresse)  et  monstrer  à 
lui  et  à  vous  son   instruction  pour  y  estre  changé  ouadjousté 

1)  Sept.  1503  (Villari,  DispaccidiA.  Giustintan,  11,460  et  s.).  Cf.  2931, 
fo  3.  Instruction  de  François  Ier  à  un  agent  secret  du  pape  pour  faire 
nommer  Charles  V  curateur  de  Jeanne  la  Folle,  et  protester  contre  son 
titre   de  roi  d'Espagne. 

2)  Machiavel  apporte  à  Valori  des  instructions (dép.  de  Valori,  du  29  jan- 
vier 1503-4):  Machiavel  en  porte,  en  passant  à  Milan,  à  Pandolfini  (ins- 
truction de  la  quatrième  légation  en  France). 

3)  J.  915  B.  Paris,  24  mai  (lettre  close). 


INSTRUCTIONS  141 

ce  que  à  nostredit  oncle  et  à  vous  semblera  convenable  et 
prouffitable  à  ladicte  matière  ».  Charles  VIII  prie  Du  Bou- 
chage d'y  réfléchir  et  d'instruire  Mortillon  de  tout  ce  qui  peut 
lui  servir  en  cette  matière1.  Charles  VIII  envoya  aussi  dans 
le  même  but  l'archevêque  de  Narbonne.  Sa  correspondance 
avec  Du  Bouchage  modifie  sans  cesse  ou  complète  ses  instruc- 
tions '. 

Le  style  des  instructions  varie  extrêmement  (comme  le  ton 
de  toute  la  diplomatie)  selon  les  circonstances,  et  selon  les 
personnes  avec  qui  l'on  traite.  Il  admet  pourtant  certainsprin- 
cipes  généraux  que  nous  allons  essayer  de  dégager. 

Une  instruction  complète  règle  :  le  voyage  de  l'ambassa- 
deur et  ses  visites  officielles  sur  la  route,  son  entrée,  lare- 
mise  de  sa  créance,  les  compliments  qu'il  formulera,  l'objet  à 
exposer  dans  son  premier  discours,  les  visites  à  faire.  Les 
deux  premiers  articles  et  le  dernier  sont  facultatifs  :  il  n'en 
est  pas  de  même  des  stipulations  relatives  à  la  créance, 
aux  compliments,  au  discours;  celles-ci  forment  le  noyau  de 
toute  instruction. 

L'instruction  montrable  commence,  au  moins,  par  cette 
clause  de  style  :  «  Premièrement,  ses  lettres  présentées  et 
recommandations  accoustumées  faictes,  luy  dira  s...  »  Cette 
clause,  le  plus  souvent  sèche  dans  la  chancellerie  française, 
prête,  au  contraire,  dans  les  chancelleries  italiennes,  à  des  va- 
riations infinies,  qui  atteignent,  parfois  en  un  très  grand  style, 
à  la  pompe  et  à  l'exaltation.  Cependant,  dans  l'ancienne  di- 
plomatie française,  quand  le  roi  s'adressait  à  des  «  princes  de 
son  sang,  »  il  affectait,  par  Un  étalage  de  cordialité,  de  les 

1)  Laval,  7  mai  (ras,  (ï.  2923,  f>>  9):  d'autre  part,  le  roi  tient  à  être  averti 
de    tout  ce  qui  surviendrait  (lettre  du  10  avril.  Fr.  2923,  f°  24). 

2)  Porte!.  Fontanieu  146,  p.  100,  147-48.  Fr.  2922,  fo»  49,  27. 

3)  Lett.  de  Louis  XII,  I,  34  .  Reg.  du  ComtiUe  Charles  VIII,  p.  46,  etc\ 


142  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

considérer  toujours  comme  parties  de  sa  couronne  '.  Dans  une 
instruction  pour  un  envoi  à  la  cour  de  Hourgogne,  Louis 
XI  «  désire  avoir  bonne  et  parfaite  amour  avec  tous  les 
princes  de  son  sang  »,  et  surtout,  bien  entendu,  avec  le  duc 
de  Bourgogne  2.  Pour  le  duc  de  Bretagne,  il  annoncera  une 
amitié  unique,  «  comme  à  son  prouchain  parent,  à  celuy  qu'il 
ayme,  veult  et  désire  aymer,à  celuy  où  il  a  sa  singulière  con- 
fiance et  qui,  entre  les  autres  princes  et  seigneurs  de  son 
sang,  plus  le  peut  servir3.    » 

S  il  s'agit  de  traiter  un  mariage,  l'instruction  insiste  sur 
le  chapitre  des  compliments  :  elle  recommandera  une  grande 
amabilité,  beaucoup  de  ménagements:  on  rappellera  discrè- 
tement qu'on  préfère  le  parti  en  vue  à  tous  les  plus  grands: 
on  tâchera,  pour  une  fille,  de  fairefixer  le  douaire  et  de  le  re- 
cevoir. Le  prince  auquel  on  s'adresse  est  le  plus  vertueux  du 
monde:  s'il  y  a  quelques  difficultés  d'Age  (la  jeune  fille,  par 
exemple,  a  quinze  ans,  et  le  futur  cinq),  cela  ne  prouve  que 
davantage   le   désir  qu'on   éprouve*. 

Cotte  partie  des  compliments  arrêtée,  on  aborde,  par  arti- 
cles, l'exposé  du  discours  à  tenir. 

La  règle  générale,  ici,  est  d'affecter  une  grande  clarté. 
C'est  pourquoi,  même  en  cas  d'obscurité  voulue,  on  mul- 
tiplie les  alinéas,  les  Item,  on  exprime  sa  pensée  dans  des 
phrases  brèves  et  d'allures  précises.  C'est  une  grande  faute 
diplomatique,   de  s'écarter  de  cette  règle. 

En  1511,  Louis  XII  répond  très  fermement  à  l'ambassa- 
deur de  Jules  II  qu'il  ne  veut  pas    abandonner  l'empereur  ; 


i)Ms.  fr.  3884,  f  277. 

2)  ta.,  fo  276. 

3)  Instruction  àl'évêque  de  Langres,    Crussol,  Doriole,  Le  Boulanger  (fr. 
38*+,  l'o276). 

4)  Instruction  de  Louis  XI  ù  Jean  d'Arson  (iris.  fr.  3884,  fo  285 et  s.). 


instructions  143 

que  «  les  articles  du  Traicté  de  Cambray  sont  si  clers  que 
riens  plus,  et  ne  les  fault  point  gloser...  »  ;  si  Jules  II  veut 
négocier,  «  qu'il  ne  pense  plus  avec  pratiques  de  habuser  et 
destruire  les  choses  de  l'empereur,  mais...  envoyer  articles 
et  choses  cleres,  et  non  générales,  touttes  confuses,  com- 
me sont  ceulx  que  a  apporté  de  présent  ledit  ambassadeur  '.  » 
Sous  cette  réserve  générale,  nous  distinguons  plusieurs 
espèces  d'instructions  importantes  :  l'espèce  juridique,  où 
l'on  se  représente  comme  le  scrupuleux  observateur  des 
traités  outrageusement  violés  par  l'adversaire  ;  on  énumère 
scientifiquement  les  casus  belli  dont  celui-ci  s'est  rendu  cou- 
pable ;  on  peut  alléguer  un  avis  du  conseil,  des  informations 
prises  sérieusement,  s  ou  même  se  livrer  à  une  véritable  dé- 
monstration de  son  droit  '.  Le  désir  de  la  paix  est  une  clause 
de  style,  dans  cette  espèce  peu  pacifique  *.  On  peut  aussi 
toucher  avec  légèreté  à  l'argument  d'honneur  et  de  bonne 
foi.  Dans  leur  instruction  à  Fantucci,  qu'ils  envoient  à  Milan 
solliciter  pour  leur  ville  le  maintien  du  protectorat  de  la 
France,  les  Seize  de  Bologne  consacrent  aux  compliments 
les  trois  quarts  de  l'acte  :  dans  le  dernier  quart,  ils  rappel- 
lent les  engagements  de  protection  pris  par  Louis  XII  : 
«  Quiconque  entreprendrait  contre  cette  protection  ne  saurait 
être  vrai  ami  ni  devoto  de  Sa  .Majesté,  car  ce  serait  essayer  de 
Lui  faire  manquer  à  l'honneur  et  à  la  foi  donnée.  Ce  n'est  pas 
le  Roi  très  chrétien  qui  y  manquera  jamais.  Aussi..,  etc.  5.  » 


1)  Lett.  de  Louis  XII,  III,  8. 

2)  Instruction    de  Louis  XI,   pour  la  Bretagne  (1470.  Fr.  3884,   f<>280), 
et  autres. 

3)  Instruction  de  Louis  XI,  après  la  mort  du  roi  René,  sur  ses  droits  au 
duché  de  Bar  :  à  un  ambassadeur;!  Venise  (IV.  10238,  f°  12). 

4)  Lett.  de  Louis  XII,  I,  34, 

istruction  du  15  juillet  1501  (Archives  de  Bologne,  Comune,  Liltera- 
rum,  1500  ad  1505,  c.  89  ro). 


144  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

L'espèce  solennelle  appartient  plus  particulièrement  a  la 
diplomatie  de  Venise.  Elle  comporte  d'amples  développe- 
ments, un  beau  style,  quelque  chose  de  vaste  dans  les  pé- 
riodes. Cette  solennité  s'applique  surtout  à  la  partie  des 
compliments.  Elle  s'efface  dans  la  partie  des  affaires  *. 

L'espèce  onctueuse,  très  diplomatique  et  très  romaine, 
apparaît  avec  succès.  Elle  comporte  l'avis  d'employer  des 
moyens  dilatoires.  Dans  son  instruction  du  14  mars  1504  à 
l'évêque  d'Arezzo,  nonce  en  Espagne,  Jules  II  lui-même  en- 
veloppe un  plan  très  net,  très  énergique,  sous  des  formes 
onctueuses  et  habiles  ;  car  il  s'agissait  d'une  bien  difficile 
mission,  celle  de  réconcilier  la  France  et  l'Espagne  en  vue 
d'une  guerre  contre  Venise  !  Jules  II  ne  se  faisait  aucune 
illusion  sur  des  difficultés,  qu'il  vainquit,  d'ailleurs,  à  force 
de  patience,  par  le  travail  persévérant  de  plusieurs  années. 
Il  prescrit  donc  à  son  nonce  de  se  satisfaire,  pour  le  moment, 
de  ce  qu'on  pourra  obtenir,  fût-ce  une  simple  déclara- 
tion de  neutralité  à  l'égard  du  S1  Siège.  Le  nonce  ira,  en 
passant,  à  Florence,  dire  des  paroles  affectueuses,  à  la  cour 
de  France  voir  avec  beaucoup  d'égards  le  cardinal  d'Am- 
boise  ;  il  parlera  chaudement  au  roi  d'un  projet  d'alliance  ; 
il  verra  la  reine  en  particulier,  et  fera  appel  à  ses  sentiments 
de  piété  :  en  Espagne,  enfin,  il  tiendra  un  langage  analo- 
gue. Là,  si  on  lui  parle  de  la  dispense  qu'on  demande  pour  le 
mariage  de  la  fille  du  roi  avec  le  fils  du  roi  d'Angleterre,  il 
répondra  simplement,  vaguement,  qu'il  n'a  pas  d'instruction, 
que  l'affaire  sera  traitée  avec  maturité.  Si,  par  hasard,  il  réus- 
sissait à  un  accord,  il  devrait  immédiatement  revenir2. 

Pour  l'espèce  énergique,  la  palme  revient  à  Venise.  Il  y  a 

1)  Instructions  vénitiennes  aux  ambassadeurs  près  de  Louis  XII,  le  28 
sept.  1499,  près  du  pape  le  20  juin  1509  (Arch.  de  Venise). 

2)  Archives  du  Vaticau,  reg.  |3lv,  f°»  420  v»-433  r«. 


INSTRUCTIONS  145 

certainement  des  instructions  énergiques  et  chaudes  dans  les 
autres  diplomaties  ;  par  exemple,  l'instruction  d'Alexandre  VI 
au  légat  envoyé  en  Hongrie  pour  prêcher  la  croisade  de 
l'>00  :  le  légat  devait  jouer  un  rôle  considérahle,  voirie  roi, 
provoquer  une  réunion  des  magnats,  vérifier  lui-même  l'or- 
ganisation militaire  :  l'instruction  respire  donc  un  souffle  tout 
belliqueux.  Alexandre  VI  annonce  qu'il  se  mettra  lui-même 
à  la  tête  de  la  flotte...  «  Nous  partirons  en  personne,  avec 
les  cardinaux,  quoique  bien  peu  expérimentés  des  choses  de 
la  guerre,  nous  qui  avons  fait  profession  sacrée,  qui  sacra 
secutl  sunius,  »  chute  de  phrase  très  naturelle,  mais  qui  pour- 
tant affaiblit  l'effet '.. . 

Dans  certaines  instructions  de  Venise,  à  l'époque  surtout 
où  ce  petit  Etat  fait  face  à  presque  toute  l'Europe,  lorsqu'il 
lutte  pour  l'existence,  éclate  une  incomparable  énergie  : 
vraie,  profonde, simple,  maîtresse  d'elle-même,  clairvoyante; 
et  en  même  temps  éloquente,  fougueuse.  «  La  Hongrie  elle- 
même  nous  attaque  comme  des  ennemis  du  nom  chrétien, 
nous  qui  avons  versé  tant  de  sang  pour  lui,  et  nous  n'avons 
donné  aucun  grief  aux  Hongrois  !  Mais,  Dieu,  nous  l'espé- 
rons, ne  nous  abandonnera  pas  !  Exposez  au  roi  (d'Angle- 
terre) la  situation  :  il  est  notre  espérance  ;  lui  seul  est  en  état 
de  sauver  la  république  chrétienne  parmi  tant  de  périls  ! 
Notre  alliance  maritime,  si  la  paix  se  rétablit,  peut  lui  être 
très  utile.  Qu'il  agisse  sur  l'empereur  !  Qu'il  marche  contre 
la  France,  sa  mortelle  ennemie!  Quelle  plus  belle  occasion? 
les  forces  françaises  sont  retenues  en  Italie,  les  peuples  tyran- 
nisés ne  demandent  qu'à  se  soulever...  s  »,  etc. 

Il  y  a  enfin,  dans  les  instructions,  une  clause  qui  doit  appeler 

1)  Archives  du  Vatican. 

i)  .Nous  analysons  simplement  un  fragment  de  cette  belle  instruction,  du 
i4  septembre  1509  (Arch.  de  Venise,  Secreto  42;  60). 

10 


146  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE    MACHIAVEL 

l'attention,  et  que  nous  appellerons  :  La  clause  de  confiance. 
Elle  consiste  dans  la  mention  de  la  confiance  spéciale  que 
l'envoyé  inspire  au  souverain,  et  dans  des  conseils  géné- 
raux de  prudence  \  Cette  clause  n'est  pas  banale,  et,  pour 
le  dire  en  passant,  nous  ne  la  rencontrons  guère  clans  les  ins- 
tructions remises  à  Machiavel  Elle  donne  de  suite  à  la  né- 
gociation un  caractère  pratique  :  elle  suppose  des  pouvoirs 
étendus,  elle  indique  le  désir  d'une  conclusion.  Louis  XI,  en 
envoyant  des  ambassadeurs  sonder  le  duc  de  Gueldre  sur  un 
projet  d'alliance  contre  la  Bourgogne,  leur  donne  une  ins- 
truction assez  large  et  vague,  avec  ordre  d'agir  «  en  la 
meilleur  forme  et  manière  qu'ils  pourront  '.  »  La  clause  de 
confiance  ne  supprime  pas  l'invitation  habituelle,  d'écrire  très 
souvent 3.  Le  contraire  de  cette  clause  ressort  de  la  minutie 
extrême  de  certaines  instructions,  qui  veulent  tout  prévoir,  jus- 
qu'aux moindres  incidents  de  la  route  *,  ou  qui  interdisent  de 
s'aventurer  jusqu'à  un   engagement    quelconque5.    D'après 

1)  Instruction  de  1480  (h.  3884,  fo  311  v»). 

2)  Instruction  à  Joaquin  de  Velours,  Sk>"  de  la  Chapelle,  Jean  de  Nyve- 
nen,  huissier  d'armes  (l'r.  3884,  1'°  270).  A  la  mort  du  roi  d'AragOD,  Charles 
VII  envoie  un  ambassadeur  au  pape  et  au  collège  des  cardinaux,  pour  taire 
valoir  ses  droits  au  royaume  de  Naples  et  ceux  du  roi  René,  «  l'are  tutto  quel- 
loche  diricto  et  rasone  vole  »  (instruction  de  Charles  VII  à  J.  de  «  Manzi  », 
3  sept.  1458.  Archivio  Slbrzesco).  «  Il  y  a  beaucoup  d'autres  sujets  très  im- 
portants à  aborder  :  nous  ne  vous  donnons  aucune  règle  ;  votre  sagesse 
choisira  le  lieu  et  le  moment,,  »  porte  l'instruction  de  la  Seigneurie  de  Ve- 
nise à  ses  ambassadeurs  près  de  Jules  II,  le  20  juin  1509.  Clause  de  con- 
fiance, dans  l'instruction  bolonaise  à  Mino  di  Kussi,  du  19  décembre  1500 
(Archives   «le  Bologne,  Comune,  Litterarum,  1500  ad  1505,  c.  42  r°). 

3)  Instruction  de  Louis  XI  de  1480  (fr.  3884.  fo  315).  «  Eritis  autem 
diligentissimi  in  scribendo  et  minutissime  significando  omnia  occurrentia  de 
die  in  diem  »  (commission  vénitienne,  du  10  juillet  1498.  aux  ambassadeurs 
en  France). 

4)  Instruction  à  Galéas  Sforza  allant  en  France  pour  son  mariage  (2. 
mars   1466.  Archivio  Sl'orzesco;. 

5)  Instruction  de  Charles  VIII  à  Du  Bouchage  et  au  général  île  Langue- 
doc. Ne  pas  s'engager  à  fond,  ne  pas  laisser  «  cheoir  ladite  matière  en  romp- 


INSTRUCTIONS  147 

relies  ci.  L 'ambassadeur  doit  s'en  tenir  strictement  à  la  lettre 
de  L'instruction,  et,  si  on  le  presse,  répondre  qu'il  n'a  pas  de 
mandat,  que  l'affaire  n  est  pas  mûre,  cpie  les  circonstances  et 
la  volonté  même  du  souverain  peuvent  changer,  et,  en  der- 
nière analyse,  annoncer,  s" il  le  faut,  l'arrivée  d'un  autre 
ambassadeur  :  l'ambassadeur,  en  ce  cas,  doit  déployer  sur- 
tout de  la  discrétion,  et  observer  avec  sagacité  '. 

Ce  que  nous  venons  d'indiquer  nous  dispense  de  nous  éten- 
dre sur  le  style  des  diverses  chancelleries,  pour  les  instruc- 
tions. 

Les  instructions  françaises  sont  toujours  écrites  en  français*, 
par  alinéas  courts,  en  style  condensé,  comme  une  sorte  de  co- 
de, présentant  les  propositions  ou  les  réponses  du  roi  3  sous 

ture  »  ;  demander  aux  gens  du  duc  de  Savoie  ce  qu'il  y  a  à  faire.  Le  général 
reviendra  alors  àjGrenoble  avec  le  sire  du  Bouchage,  qui  y  attendra  la  per- 
sonne qu'enverra  le  roi  pour  terminer  la  négociation.  Le  roi  les  autorise  à 
maintenir  d'abord  le  statu  quo  jusqu'à...  (date  en   blanc)  :  orig.  sur  papier, 
i  -:  Charles  ;  date  en  toutes  lettres  (30  novembre  1487.  Ms.  fr.  2922,  l'o  1). 
1)  Instruction  de  Fr.  Sl'orza  à  son  ambassadeur  en  France  (27  mai   1463. 
Arcbivio  Sforzesco). 
■2)  Cf.  ci-dessus,  pages  69  et  suiv. 

3)  Instruction  de  Charles   VI,    publiée    par  .M.    le   comte    de    Circourt, 
Le  duc  Louis  d'Orléans,  t.  II,  p.  74.   Instruction   de   Louis  XII    à  son  am- 
-ade  d'obédience,  le  4  février  (t500),   ms.  fr.  2930,  f°  1,  publ.par  Thuas- 
Diariutn  de  Burckard,    t.  II,  p.  513.  —  L'original  de  ce  second    texte 
sente  une  particularité  assez  fréquente  :  au-dessus  de  la  signature  autogra- 
phe du  roi,  la  date  porte  :  «  Fait  à  Loches,  le  IVe jour  de  février,    l'an    mil 
idllIXX   dix  neuf.  »  Les  mots  Van,  etc.,  sont  ajoutés  par  une   écriture 
tempérai  ne.  —  Autres  instructions  :  Lettres  de  Louis   XL  III,    178,    en 
1 168,  aux  envoyés  près  le  duc  de  Bourbon,  en  français,  par  Item,  datées  d'an 
et  de  jour   :   fr.   2964,   f°  89,   fr.  2923,  f°   49  (copie   ancienne,  avec  date 
fausse  :   Amiens  pour  Ancenis)  :  fr.   10237,  fo  115,  ms.  Dupuy  751,    l'o   145  ; 
ms.  fr.  388i-,  l'os  269,  s.  d.,  à  Joachiu  de  Velor,  et  Jean  de   Nyvenen  pour 
A  loiphe,  duc  de  Gueldre,  à  propos  d'alliance  contre  la  Bourgogne  ;  fo  270, 
1er  déc.  1470,  à  l'évêque  de  Langres,  de  Crussol,  Pierre  Doriole,  Jean  le  Bou- 
-  ier,  pour  le  duc  de  Bretagne  (sur   le  traité  de  Péronne)  ;  fo  286,  s.   d., 
an  d'Arson,  pour  le  roi  de  Naples,  sur  le  mariage  du  dauphin  ;    F»  292, 
1  173,  a  l'ambassade  en  Bretagne,  à  propos  de  la  mort  du  duc  de  Guyenne  ; 


148  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

une  forme  sententieuse  et  un  peu  raide.  Quelques  instruc- 
tions de  Louis  XI  sont  rédigées  à  la  mode  italienne,  c'est-à- 
dire  qu'elles  reproduisent  les  raisonnements  eux-mêmes  sous 
forme  d'un  résumé  des  discours  à  tenir  '. 

fo  310,  janvier  1479,  pour  Metz,  à  propos  de  ligue  contre  Maximilien, 
etc.,  etc. 

1)  Voici  l'analyse  d'une  instruction  de  cette  manière  (fr.  10238,  fo  5  et 
s.):  instruction  confidentielle  de  Louis  XI  à  Jean  d'Arson,  son  ambassa- 
deur près  du  roi  de  Sicile,  Ferdinand  (en  dehors  de  la  commission  officiel- 
le). Le  but  est  d'empêcher  le  roi  de  s'allier  au  duc  de  Bourgogne.  Louis  XI 
aime,  estime  Ferdinand  comme  un  frère  ;  grand  éloge  de  lui.  Louis  XI 
est  mécontent  du  comte  du  Maine,  qui  pratique  avec  le  roi  René,  quoiqu'il 
doive  tout  au  roi  ou  à  son  père  et  n'ait  «  ung  seul  pié  de  terre  »  qu'il  ne  leur 
doive.  Le  duc  de  Bourgogne  a  offert  son  appui  au  roi  René  contre  tous 
adversaires,  donc  contre  le  roi  de  Sicile  :  il  a  pris  alliance  avec  le  feu  duc 
Nicolas,  dit  duc  de  Calabre,  fils  du  roi  René,  et  a  voulu  lui  donner  sa  fille  ; 
donc  il  est  ennemi  du  roi  de  Sicile.  Louis  XI  oifre,  pour  prouver  son  ami- 
tié, de  céder  à  Ferdinand  tous  ses  droits  éventuels  sur  le  royaume  de  Si- 
cile. Bien  plus,  il  «  veult  faire  descouvrir  ung  secret,  qui  jusques  cy  n'a 
point  esté  descouvert,  »  c'est  que  le  roi  a  plus  de  droit  que  la  maison 
d'Anjou.  Le  frère  du  roi  S1  Louis  a  reçu  ce  fief  en  apanage  de  l'église,  et 
«  promist  à  son  frère  le  tenir  en  apanage.  »  Or,  à  défaut  d'hoirs  mâles, 
après  la  mort  de  la  reine  Joannelle,  le  royaume  eût  dû  revenir  à  la  cou- 
ronne, qui,  jamais,  ne  l'a  donné  à  la  maison  d'Anjou.  En  outre,  Louis  XI  est 
fils  de  Marie  d'Anjou,  et  a  ses  droits  ;  bien  plus,  le  comte  du  Maine,  rece- 
vant en  partage  le  comté  du  Maine,  Château  du  Loir,  etc.,  a  cédé  ses  droits 
sur  Naples  au  feu  roi  par  bonne  et  valable  quittance.  Louis  XI  offre  donc  une 
grande  concession.  Il  insiste  (question  délicate)  sur  l'affection  que  lui  inspire 
Ferdinand,  «  de  ce  qu'il  est  seul  filz  du  bon  et  vertueux  Roy  don  Allons, 
que  Dieu  absoille,  dont  les  bonnes  et  louables  vertuz  sont  par  succession  et 
imitacion  naturelle  descenduz  et  demourez  en  lui  »  (Ferdinand  était  fils  na- 
turel).Protestations  extrêmes  d'affection.  Louis  XI  voudrait  lui  voir  tout 
l'Aragon,  et  la  Castille.  Le  roi  de  Castille  n'est  pas  légitime,  mais  fils  natu- 
rel, parce  que  le  second  mariage  de  son  père  n'était  pas  valable.  Louis  XI 
ne  demande  que  le  Roussillon  et  la  Cerdagne,  il  est  prêt  à  aider  énergique- 
ment  Ferdinand  :  il  ne  peut  abandonner  Perpignan  sans  déshonneur.  Louis 
XI  offre  de  marier  Béatrix,  fille  de  Ferdinand,  au  dauphin  son  fils  aîné,  et 
propose  d'envoyer  une  ambassade  solennelle.  Ferdinand  sera  libre  de 
rompre  ouvertement  ou  non  avec  la  Bourgogne,  par  écrit  ou  sans  écrit. 
Louis  XI  n'a  pas  de  frère  d'armes  :  il  serait  heureux  d'avoir  Ferdinand 
pour  frère  d'armes,  comme  ils  seront  bientôt  frères  par  le  mariage  de  leurs 
enfants.   Ii  lui  offre  son  ordre  ;  il  ne  veut  pas  croire  que  Ferdinand   accepte 


INSTRUCTIONS  149 

Les  chancelleries  d'Angleterre  '  et  des  Pays  Bas  écrivent 
leurs  instructions  également  en  français,  dans  un  style  analo- 
gue à  celui  de  la  chancellerie  française,  même  après  l'avène- 
ment de  l'archiduc  Philippe  le  Beau  au  trône  de  Castille  s. 
La  chancellerie  allemande  procède  du  môme  faire,  mais  en 
latin  '  :  ses  instructions  sont  adressées  à  l'ambassadeur,  ou 
aux  ambassadeurs,  au  lieu  de  la  forme  de  notes  à  la  troisième 
personne,  cultivée  parla  chancellerie  française  \ 

En  Suisse,  on  a  le  faire  germanique  des  instructions  en 
latin,  par  articles,  à  la  seconde  personne,  d'un  style  très  net 
qui  confine  à  une  franchise  un  peu  rude  5. 

En  Portugal,  en  Espagne,  les  instructions  sont  adressées 
aux  ambassadeurs,  dans  la  langue  nationale  6.Le  roi,  comme 

la  Toison  d'or  de  Bourgogne,  comme  on  le  dit,  d'un  simple  duc  sujet  du 
roi  !  et  traitre  à  son  roi  !  Il  y  a  un  intérêt  majeur  pour  tous  les  rois  à  ne  pas 
aider  des  sujets  rebelles.  Le  duc  de  Bourgogne  est  ligué  avec  le  roi  René. 
D'ailleurs,  futur  père  d'une  reine  de  France,  Ferdinand  ne  peut  accepter. 

1)  L'instruction  d'Henri  VII  d'Angleterre  à  son  envoyé  près  de  Louis  XII, 
en  1506,  commence  par  :  «  Premièrement,  après  qu'il  aura  fait  les  très  af- 
fectueuses et  très  cordialles  recommandations  du  Roy  à  son  dit  bon  frère  et 
cousin,  et  fait  présentation  de  ses  lettres...  »  (Lett.  de  Louis  XII,  I,  78). 

2)  «  Instruction  de  par  le  Roy  (Philippe  le  Beau,  roi  de  Castille)  à..., 
de  ce  qu'ils  diront  au  Roy  Très  Chrestien,  après  qu'ils  luy  auront  fait  ses 
très  affectueuses  recommandations  et  présenté  ses  lettres  de  crédence  » 
(1505.  Lett.  de  Louis  XII,  I,  7,  37). 

3)  1509.  Lett.  de  Louis  XII,  I,  180. 

4)  J.  995.  «  Proponatur  d"°...  (sic.)  régi  Francorum  per  vos,  dne  Sco- 
lastice,  qualiter...  (sic.)  Romanorum  Bex...,  etc.  » 

5)  Instruction  des  Bernois,  pour  un  ambassadeur  en  France  :  «  In  regem 
instructio,  parte  dominorum  Bernensium,  Reverendo  patri...  etc.,  sub  uni- 
versali  et  particulari  nomine  crédita...  »  «  Item  dicetis  lucidissime  quod 
domini  de  Liga  incontentissimi  sint  de  predictis...  »  —  «  In  hiis  agite  au- 
gendo  vel  minuendo  ut  libet  et  res  expostulat,  ita  ut  singula  mox  expedian- 
tur.  Datum  sub  sigillo  Urbis .  Bernensis,  XVI  novembris  LXXV.  Exécuta 
coram  sculteto...,  post  prandium  Veneris,  vigilia  Martini,  LXXV  »  (B.  de 
Mand rot,  Relations  de  Charles  VII  et  de  Louis  XI,  avec  les  cantons  suis- 
ses, p.  194  et  suiv.). 

6)  Mendes  Leal,  Corpo  Diplomatico  Porlugnez,  I,  1-5. 


450  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

on  sait,   dans   ces   deux  pays,   signe  Le  Roi,  et  non  pas  de 
son  prénom. 

Les  instructions  vénitiennes  affectent  la  forme  de  com- 
mission; elles  s'appellent  souvent  Commissio,  et  débutent  par 
le  mot  «  Committimus  tibi  »...  Elles  portent  l'intitulation  du 
doge,  et  la  signature  Per  Collegiiwi.Ellcs  sont  écrites  en  latin1, 
et  fort  minutieuses.  Après  l'ordre  de  partir  rapidement,  elles 
tracent  l'itinéraire,  elles  indiquent  les  visites  à  faire,  le  lan- 
gage à  tenir  ;  elles  détaillent  les  affaires  pendantes  et  ajoutent 
au  besoin  quelques  directions  d'ordre  général.  A  ces  instruc- 
tions, sont  jointes  telles  copies  de  délibérations  du  Sénat,  tels 
dossiers  se  rapportant  aux  affaires  à  traiter,  ou  même  telle 
copie  des  instructions  adressées  â  l'ambassade  précédente 
ou  à  une  autre  ambassade  2.  Aucune  chancellerie  n'est  plus 
soupçonneuse.  Il  faut  que  les  agents  écrivent  sans  cesse, 
qu'on  voie  par  leurs  yeux,  qu'on  parle  par  leur  bouche. 
Les  instructions  sont  adressées  à  l'agent  :  «  Ser...,  oratori 
uostro,  ad  partes...  » 

Les  instructions  florentines  ne  sont  relatives  qu'à  l'arrivée 
et  aux  premières  démarches  de  l'ambassadeur  :  elles  indi- 
quent les  cours  où  il  faut  officiellement  s'arrêter  en  route  ; 
elles  prescrivent  de  communiquer  la  commission  au  pré- 
décesseur, de  s'entendre  avec  lui  et  de  prendre  auprès  de 
lui  des  renseignements  :  elles  donnent  la  substance  du  dis- 
cours pour  l'audience  de  réception  et,  s'il  y  a  lieu,  les 
propositions    pour    l'audience   secrète,    elles   indiquent   les 


1)  Les  commissions  officielles.  L'instruction  est  préparée  en  italien  : 
«  Instructio  danda  Magnifico  dn°  Bartholomeo  Firmiano,  captivo,  profîcis- 
centi  ad  Cesaream  Majestatem  »  (5  nov.  1509.  Arch.  de  Venise,  Secreto  42, 
77  vo). 

2)  Instruction  placée  en  tête  du  recueil  des  Dispacci  di  Ant.  Giustinian, 
par  M,  Villari, 


INSTRDCTIONS  151 

visites  à  faire  en  arrivant.  L'ambassadeur  ne  peut  rien 
poursuivre  au-delà  sans  en  référer  ;\  la  Seigneurie.  Quel- 
quefois, lorsque  la  mission  a  un  objet  très  principal,  l'ins- 
truction commence  par  exposer  cet  objet  avec  quelques  déve- 
loppements. La  clause  de  confiance  est  rare  '.  En  cas  d'ur- 
gence, on  invite  les  ambassadeurs  à  se  rendre  à  leur  poste 
au  plus  vite,  par  le  chemin  le  plus  court,  ou  par  le  chemin 
qu'ils  préféreront.  Lorsqu'un  des  ambassadeurs  se  trouve 
dans  l'impossibilité  physique  de  se  hAter,  les  instructions 
invitent,  en  cas  d'urgence  absolue,  l'un  des  ambassadeurs  à 
se  détacher  et  à  aller  seul  en  avant. 

Toutes  les  instructions  florentines  de  l'époque  de  Louis  XII 
sont  écrites  en  italien.  Elles  sont  adressées  directement  à 
l'ambassadeur,  sous  cette  forme,  plus  ou  moins  adoucie 
selon  la  qualité  du  personnage  :  «  X..  (ici  le  seul  prénom), 
tu  iras..  *.»  Quand  on  s'adresse  à  un  simple  secrétaire,  tel  que 
Machiavel,  la  formule  est  brève  :  «  iNicolas,  tu  monteras  à 
chevalet3...  »,  ou  bien  :«  Nicolas,  tu  partiras  en  poste...  *  » 

1)  Instruction  du  20  avril  1500  (Desjardins,  II,  31).  Commission  à  Gual- 
terotli  et  Salviati,  pourNaples,  1506  (Razzi,  Vita  di  Piero  Soderini,  p.  187). 
La  commission  du  23  janvier  1511-12  à  Guichardin,  pour  l'Espagne,  est 
beaucoup  plus  large,  à  cause  de  l'impossibilité  de  préciser.  Cependant,  elle 
détermine  le  voyage  etc.  (Guicciardini,  Opère  inédite,  VI,  3). 

2)  Instructions,  publiées  par  Desjardins,  t.  II,  p.  15,  24,  31,  43,  51,  56, 
63,  72,  79,  85,  90,  248,  297,  522,  578,  608  (de  1498,  1499,  1500,  1501,  1502, 
1503,  1505,  1507,  1510,  1512,  1514).  Commission  florentine  de  1423  à  Rin. 
Albizzi  et  Al.  Bencivenni,  envoyés  à  Venise  :  «  Nota  ed  inl'ormazione  a  voi.., 
di  quello  che  avete  a  fare  a  Venezia  e  altrove  ;  fatta  e  deliberata  per...  »,  etc. 
—  «  Andrete  a  Venezia,  e  subito...  »,  etc.  (Reumont,  Diplomazia  ita- 
liana,  351). 

3)  Cette  formule  est  employée  aussi  à  Milan.  C'est,  du  reste,  la  même 
que  pour  les  missions  administratives  ou  militaires  à  l'intérieur.  V.  Ins- 
truction à  Bartholomeo  da  Chalco,  envoyé  à  Plaisance  pour  une  révolte 
(Milan,  28  novembre  1466.  Arch.  Sforzesco). 

4)  L'instruction  à  Machiavel,  envoyé  à  Monaco,  le  13  mai  1511  (Saige, 
Documents,  II,  108),  est  môme  sous  forme  de  lettre,  avec  la  formule  finale  ; 
«  Bene  vale.  » 


452  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

Un  prélat  seul  a  les  honneurs  du  Vous.  «  Vous,  Monsi- 
gnore,  et  toi  '...  » 

Presque  toutes  les  instructions  florentines  prescrivent  d'é- 
crire souvent. 

Les  instructions  milanaises  pour  un  envoyé  spécial,  en  ita- 
lien 5,  avec  tutoiement,  après  un  préambule  qui  résume  la 
question,  prescrivent  de  se  mettre  en  chemin  le  plus  rapide- 
ment possible,  de  voir  en  arrivant  l'ambassadeur  résident, 
de  lui  communiquer  la  commission  et  d'obtenir  par  lui  l'au- 
dience. Elles  tracent  ensuite  le  langage  à  tenir,  près  du  roi  et 
près  de  la  reine. 

Parfois  on  y  ajoute  des  instructions  communes  pour  les 
deux  ambassadeurs,  le  spécial  et  le  résident 3. 

Les  instructions  milanaises  excellent  dans  les  démonstra- 
tions de  dévouement  et  les  compliments  :  la  moindre  dé- 
monstration d'amitié  consiste  à  offrir,  de  la  part  du  duc  de 
Milan,  «son état,  sa  personne,  ses  biens,  tout  ce  qu'il  possède 
au  monde  .  *» 

1)  Desjardins,  II,  15,  63. 

2)  Au  XIVe  siècle,  on  emploie  souvent  le  latin  et  la  forme  d'articles  (ins- 
truction de  ce  genre,  Arch.  du  Loiret,  A.  2193). 

3)  Instruction  à  Maf.  Pirovano  (1494.  F.  Calvi,  Bianca-Ma  Sforza- 
Visconti,  p.  74  etsuiv.). 

4)  Instructions  des  26  et  27  août  1460  (Archivio  Sforzesco).  Instruction 
du  duc  de  Milan  à  son  ambassadeur  près  le  roi  de  France  (sans  nom),  en 
1458  :  «  Tu  andaray  da  la  M*a  del  de  Franza  e  a  quella,  dopo  le  débite  reve- 
rentie  et  recomandatione...  »  ;  à  la  fin  :  «  Tandem  offerirsegi  Noy  e  nostri 
figlioli,  e  stato,  e  i'aculta,  quali  sarano  sempre  promptissimi  a  li  piaceri, 
honori  e  comodi  di  quella  che  sempre  como  soy  devotissimi  saremo,  in 
ogni  cosa  obsequentissimi,  quanto  lo  honornostro  se  permettera  poter  l'are  » 
(id.).  Instruction  du  duc  de  Milan  à  Prospero  Camulio,  envoyé  au  dauphin  ; 
date  en  latin  :  «  Mediolani,  die  XXVII  augusti  MCCCCLX  »  :  titre  : 
«  Instructio  Prosperi  de  Camulio,  ituri  ad...  »,  texte  en  italien,  par  articles  : 
«  Prospero,  volimo  che  te  transferisse  allô  serenm°  et  excellm0  sre  monsi- 
gnore  Delphino  de  Vienna,  primogenito  del  christianissimo  re  de  Franza, 
etc.,  et  poy  la  visitacione  et  commendacione  gli  faray  per  nostra  parte,  gli 


INSTRUCTIONS  153 

Los  instructions  bolonaises  affectent  une  forme  narrative  '  ; 
les  instructions  génoises,  au  inoins  sous  le  règne  de  Louis  XII, 
constituent  moins  des  instructions  que  de  véritables  mémoi- 
res remis  aux  envoyés  '. 

Quant  aux  instructions  pontificales,  naturellement  rédigées 
en  latin,  ce  sont  des  instructions  d'affaires,  les  plus  larges  de 
toutes.  Elles  n'ont  pas  Tétroitesse  des  instructions  françaises, 
strictement  attachées  à  la  formule  exacte  des  propositions, 
ni  l'étroitesse  plus  grande  encore  des  instructions  florenti- 
nes et  vénitiennes  qui  se  bornent  à  régler  minutieusement 
les  premiers  actes  de  l'ambassade,  en  attendant  une  corres- 
pondance ultérieure.  L'instruction  romaine  passe  en  revue 
les  affaires  pendantes  et  donne  sur  chacune  à  l'envoyé  une 
direction  générale.  Elle  prescrit  quelquefois  d'écrire  3.  La 
clause  de  confiance  y  est  fort  rare  *.  Néanmoins,  ce  sont 
les  seules  qui  laissent  au  diplomate  la  possibilité  de  se  mou- 
voir librement,  et  qui  le  guident,  sans  prétendre  lui  dicter 
ses  paroles.  Elles  sont  quelquefois  libellées  en  commission, 
sous  forme  de  bref  adressé  à  l'ambassadeur  s. 

diray  la  nostra  optima  disposicione  verso  la  Excellentia  Soa,  offerendo  lo 
stato,  persona,  facultate  et  quello  habiamo  al  mondo  tanto  largamente  et  con 
quella  reverentia  che  se  rechiede  et  che  tu  say  è  nostra  intencione  etc.. 
Deinde  diray  che  la  pratica...  »  A  la  fin  :  «  Vogli  li  capituli  et  contracte) 
sia  facto  per  mano  de  notaro  et  possa  sottoscripti  per  man  propria  de  mon- 
signore  Delphino.etc,  et  retornalo  che  saray  et  facta  la  relacion  ad  boca,  la 
faray  ancora  sub  compendio  in  scritto,  et  quella  una  con  questa  instructione 
et  l'altre  scripture  daray  ad  Cicho,  nostro  secretario.  »  Elle  est  signée 
seulement  de  Cichus  (Cicco  Simonetta).  (Lettres  de  Louis  XI,  I,  p.  325  : 
autre,  p.  341,  avec  la  même  signature). 

1)  Archives  de  Bologne,  Comune,  Lilterarum,  1500  ad  1505. 

2)  Instructions  du  3  mars  1500,  du  4  mai,  du  14  juin  1500,  etc.,  elc. 
(Archives  de  Gènes,  Istruzioni  e  relazioni  diplomaliche,  filza3). 

3)  Instructions  diverses  aux  Archives  du  Vatican,  à  la  Marciana  (papiers 
de  Podocataro),  ms.  Dupuy  594,  f°s  91,  103,  760,  80,  etc. 

4)  Instruction  d'Innocent  VIII  à  frère  Baldassar  (ms.  Dupuy  594,  f°  103). 

5)  Commission,  contresignée  de  Podocataro,  à  l'évêque  de  Tivoli,  du 
4  mai  1500  (Archives  du  Vatican,  reg.  |3LV,  fà  340). 


154  LA    DIPLOMATIE  AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Un  trait  commun  aux  instructions  italiennes  et  romaines, 
c'est  le  soin  extrême  de  la  forme.  Les  instructions  romaines, 
sorties  de  la  plume  de  connaisseurs  en  beau  langage  et  en 
belles  manières,  et  souvent  d'écrivains  excellents  eux-mêmes, 
comme  Bibbiena  ou  Podocataro,  trahissent  leur  origine  par 
un  noble  tour,  un  accent,  une  largeur,  une  pureté  de  langage 
toutes  classiques.  On  peut  en  dire  autant  des  autres  chancelle- 
ries italiennes,  où  des  écrivains  du  premier  mérite  et  d'un 
goût  raffiné  savaient  revêtir  un  canevas  aride  et  banal  des 
grandes  formes  de  la  tradition  diplomatique.  Les  dépêches 
les  plus  admirées  de  Machiavel  ne  sont  pas  supérieures  à 
beaucoup  d'autres  actes  diplomatiques  italiens  de  cette 
époque,  œuvres  d'un  art  consommé,  qui  mériteraient  aussi 
bien  de  rester  classiques  pour  la  diplomatie  que  les  glorieu- 
ses œuvres  des  contemporains  pour  les  autres  branches  des 
arts  '. 

1)  Nous  n'avons  pas  parlé  des  instructions  des  chancelleries  françaises, 
de  Bourgogne,  de  Bretagne,  d'Orléans..,  qui  n'existent  plus  du  temps  de 
Louis  XII.  Celles-ci  suivent  le  style  français  (V.  l'instruction  du  duc  d'Or- 
léans  à  M.  de  Gaucourt,  publ.  par  MM.  le  comte  de  Circourt  et  van 
Wervecke,  Documents  luxembourgeois,  p.  93,  en  français,  par  articles, 
très  longue  et  développée,  sans  aucune  date,  signée  Charles,  sans  mention 
de  secrétaire).  Cf.  Instruction  de  Lucien  Grimaldi,  seigneur  de  Monaco,  à. 
son  cousin  Pierre  Grimaldi,  publiée  par  M.  Saige,  II,  36-38:  en  français, 
signée  Monygue  (Monaco). 


CHAPITRE  IX 

VOYAGE  ET  ENTKÉE  DES  AMBASSADEURS 

L'ambassadeur  désigné  reçoit  souvent  Tordre  de  partir  im- 
médiatement, c'est-à-dire  le  Lendemain  ou  même  sur  l'heure', 
lui  réalité,  il  l'ait  plus  ou  moins  hâtivement  ses  préparatifs, 
suivant  le  genre  de  mission  qu'il  va  remplir.  Le  président  de 
Rouen,  désigné  comme  ambassadeur  en  Angleterre  dans  une 
séance  du  grand  conseil  où  avaient  été  convoqués  les  quatre 
présidents  de  Paris,  devait  partir  le  19  juillet  loi 4  ;  il  part 
en  réalité  le  22*.  Si  l'ambassadeur  n'est  pas  à  la  cour,  il  re- 
çoit sa  commission,  avec  ordre  de  départ,  sous  forme  de  let- 
tre ou  de  mandement  * 

Souvent  comme  nous  l'avons  dit4,  il  profite  du  départ  d'un 
ambassadeur  de  la  puissance  près  de  laquelle  il  se  rend  pour 

I  Machiavel  reçoit,  le  22  octobre  1803,  l'ordre  de  se  rendre  à  Rome  pour 
quinze  jours,  il  part  le  24  ;  le  12  janvier  1504,  il  est  envoyé  en  France,  son 
Instruction  est  du  14;  il  est  envoyé  à  Rome  en  1806,  son  instruction  est  du 
2.')  août,  sa  première  dépêche  du  28.  Le  20  juin  1310,  il  est  envoyé  en  France  : 
sa  première  dépèche  est  du  1»'  juillet  (Canestrini,  Scriiti  inediti  di  Nie. 
Macchiavelli,  p.  liii-i.v).  Les  ambassadeurs  florentins  partent  souvent  le  jour 
même.  A  Florence,  leurs  noms  et  prénoms,  avec  la  date  de  l'élection  et  celle 
du  départ,  sont  inscrits  sur  un  registre  spécial  (Archives  de  Florence,  Lega- 
zioni  e  comm.,  reg.  4,  f«s  l-(i,  31-3(3,  liste  des  ambassadeurs  de  1505  à  1512. 
Registre  in-4°  de  papier,  donné  par  M.  le  marquis  Ginori). 

S)  Dépèches  de  Dandolo,  18,  23  juillet  1514  (Arch.  de  Venise). 

g)  Instruction  du  22  novembre  1473  (fr.  3884,  M  293  et  s.). 

4)  J.  Gairdner,  Hista  régis  Henrici  seplimi,  p.  211,  222.  En  1495,  l'am- 
bassade anglaise  pour  l'Espagne  et  le  Portugal  part  avec  l'ambassade  d'Es- 
pagne en  Angleterre.  Elles  vont  par  mer,  sur  deux  vaisseaux  espagnols.  Obli- 
gées de  relâcher  à  plusieurs  reprises  sur  la  côte  anglaise,  elles  sont  logées 
chez  les  notables  (ibid.,  p.  158). 


156  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

voyager  avec  lui.  A  Venise,  il  part,  quand  il  y  a  lieu,  sur  les 
galères  de  la  République1. 

Certaines  instructions,  surtout  d'apparat,  prescrivent  à 
l'ambassadeur,  non  seulement  de  partir  de  suite,  «  subito  », 
mais  de  se  hâter  «  ou  plutôt  de  voler2.  » 

A  Florence,  les  ambassadeurs  remplissent  les  mêmes  for- 
malités que  les  commissaires  ordinaires  de  la  République  ;  ils 
prêtent  serment 3.  Ils  font  constater  par  notaire  le  jour  et 
l'heure  de  leur  départ 4. 

A  Rome,  le  départ  d'un  légat  donne  lieu  à  un  cérémonial 

1)20  mai  1503.Sanuto,  V,  36. 

2)  Instruction  vénitienne  de  1499,  pour  un  envoi  à  Milan,  près  de  Louis  XII. 

3)  Ce  serment  est  enregistré,  à  sa  date,  dans  un  registre  de  chancellerie, 
tenu  et  certitié  par  un  notaire  de  la  Seigneurie,  sous  ce  titre  :  «  Liber  amba- 
siatorum  communis  et  populli  civitatis  Florencie.  »  Les  Archives  de  Florence 
possèdent  un  registre  de  ce  genre  pour  le  xive  siècle,  sur  papier  :  «  Hic  est 
liber  continens  in  se  omnia  nomina  et  pronomina  ambasiatorum  ellectorum 
pro  communi  Fiorentino  ad  infrascriptas  partes,  ut  patet  in  infrascripto  libro 
mei  Guillermi  notarii  infrascripti...  »  (Legazioni  e  comm.,  reg.  2). 

4)  Nombre  de  ces  certificats  sont  réunis  dans  un  recueil  factice  des  Archives 
de  Florence  (Legazioni,  reg.  4).  Rédigés  par  un  notaire,  deux  notaires  ou  un 
chancelier,  sur  une  feuille  de  papier  ordinaire  (généralement  in-quarto),  ils 
n'ont  pas  de  style  rigoureux.  Ils  débutent  habituellement  par  la  formule  «  Fit 
iides  per  me  notarium  infrascriptum  qualiter  die...  »  Ils  constatent  que  l'am- 
bassadeur est  sorti  «  exivit  »,  ou  «  se  presentavit  extra  portam...,  iter  captu- 
rus.  »  Le  certificat  de  départ  de  Carducci,  à  Florence,  le  22  avril  1512,  cons- 
tate que  le  départ  a  lieu  «  summo  marie  »  (fo  167).  Le  certificat  de  sortie  de 
Pandolfini,  à  Florence  le  23  avril  1505,  est  rédigé  par  un  notaire  impérial 
(fo  66).  Le  certificat  du  7  juillet  1512  constate  que  le  même  jour  où  Jean- 
Victor  Soderini  part  en  ambassade  près  de  l'Empereur,  partent  aussi  son 
chancelier  et  sa  suite,  «  domicelli  et  familia  »  (f°  35).  Voici  un  spécimen  de 
certificat  :  «  Magncus  vir  Thomas  Soderinus,  orator  florentinus,  iturus  ad 
illustr'"»1»'  principcm  dnum  Herculem  Estensem,  ducem  Ferrarie,  egressus  est 
in  suam  legationem  porta  si  Galli  die  XXIII  januarii  MDI,  Me  Damiano  nota- 
rio  infrascripto  vidente,  et  testibus  ibidem  presentibus,  Petro  Matthei  Stozza 
et  Andréa  Daldanze  Nerii,  spectantibus  et  cognosccntibus.  In  cujus  rei  fidem 
hanc  rogatus  eodem  loco  et  tempore  scripsi  et  annotavi.  Datum  Florentie,  ad 
portam  S'  Galli,  die  XXIII  januarii  MCCCGCI.  Ego,  Damianus  Blasii  Manthi, 
notarius,  scripsi  »  (fo  5). 


VOVAGE   ET   ENTRÉE     DES    AMBASSADEURS  157 

tout  spécial.  Le  Légal  s'agenouille,  en  consistoire,  devant  le 
pape  ;  à  la  sortie,  tout  le  sacré  collège  le  reconduit  proces- 
sionnellenient  chez  lui  :  «  Fu  cosa  bella  a  vedere  »,  écrit  un 
ambassadeur1,  et  non  sans  raison,  car,  à  la  cour  de  Rome,  on 
excelle  dans  le  cérémonial,  on  sait  relever  le  prix  des  choses. 
Le  jour  de  son  départ ',  tous  les  cardinaux,  leurs  maisons,  les 
prélats  de  la  cour  font  solennellement  escorte  au  légat,  soit 
de  son  palais,  soit  du  Vatican,  jusqu'à  la  porte  de  la  ville  par 
laquelle  il  sort  :  le  cortège  traverse  la  porte,  et  au  seuil  ex- 
térieur prend  congé  de  lui  in  nomme  Domini\  tous  les  car- 
dinaux l'embrassent,  on  chante  :  In  viam  pacis 3.  Il  arrive  sou- 
vent que  le  légat  s'arrête  dans  un  couvent  voisin,  d'où  il  part 
véritablement  quand  il  lui  convient*.  Le  légat  pour  la  Hon- 
grie, en  1500,  rentre  même  secrètement  à  Rome,  et  trois 
jours  après  va  voir  le  pape,  à  cheval,  en  cape  rouge,  avec 
une  suite  de  six  ou  sept  personnes,  et  quitte  ensuite  la 
ville5.  Les  honneurs  ne  sont  dus  qu'à  un  légat  partant  pour 
une  ambassade  ;  celui  qui  va  gouverner  une  ville  ou 
une  province,  Rologne  par  exemple,  n'y  a  pas  droit6. 
Ajoutons  de  suite  qu'à  son  retour  à  Rome,  le  légat  est  reçu 
avec  le  même  cérémonial.  Jules  II  va  en  personne  à  l'avance 
du  cardinal  de  Giïrck,  revenant,  en  1504,  de  la  légation  d'Al- 


1)  A  propos  d'une  conduite  au  jeune  cardinal  Jean  de  Médicis,  nommé 
légat  (15  avril  1492.  Ro.scoc  Vie  de  Léon  X,  pièce  xxiv). 

2)  Il  n*y  a  aucune  solennité  pour  les  départs  de  nonces.  Cependant,  nous 
voyons  en  1498  les  ambassadeurs  milanais  escorter  bénévolement  les  nonces 
envoyés  en  France,  lors  de  leur  départ  (dépêcbc  des  nonces,  Sienne,  10  juin 
1498  :  à  la  Marciana,  à  Venise,  clxxvii,  f°  119). 

3)  Sanuto,  XII,  69. 

4)  Départ,  en  1500,  du  cardinal  de  Gùrck,  légat  en  Allemagne;  en  1503,  du 
cardinal  légat  d'Amboise  (Burckard,  III,  83  :  Sanuto,  V,  545),  du  cardinal 
de  Salerne,  légat  en  France,  en  1500  (Burckard,  III,  82,  83,  85,  86.  Cf.  117). 

5]  Burckard,  III,  85. 
6)  Burckard,  III,  425. 


138  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DÉ    MACHIAVEL 

lemagne  ;  tous  les  cardinaux  attendent  à  la  porte  de/  Po- 
j.olo  :  Gùrck  se  rend  ;ui  Vatican,  où  il  est  reçu  en  consistoire 
publie,  et  admis  au  baiser  des  cardinaux  ;  il  prend  sa  place, 
rend  compte  de  sa  mission,  et  est  admis  à  baiser  la  mule.  Il 
dépose  ensuite  ses  ornements  dans  la  salle  du  Papayallo  ; 
dans  ses  congratulations  avec  les  cardinaux,  les  uns  et  les 
autres  se  dispensent  de  visites,  dispense  dont  ils  ne  tiendront 
pas  compte  ;  puis  le  sacré  collège  le  reconduit  chez  lui1. 

L'ambassadeur  doit,  en  principe,  suivre  les  voies  les  plus 
courtes  et  les  plus  rapides2,  et  de  préférence  les  voies  de 
terre3.  Mais,  bien  entendu,  il  se  conformera  avant  tout  pour 
l'itinéraire  aux  ordres  du  souverain1.  Quelques  ambassadeurs 
évitent  do  voyager  le  dimanche  5. 

L'ambassadeur  peut  et  même  doit  prendre  pour  sa  sûreté 
les  précautions  usitées6. 

Les  voyages  sont  souvent  pénibles,  et  nous  pourrions  citer 
bien  des  exemples  d'ambassadeurs  arrêtés  en  route  par  la 
maladie  ou  par  la  mort 7.  Les  longues  étapes  à  cheval  sufli- 

4)  20,  22  octobre  1504  (Burckard). 

2)  Martini  Laudensis,  De  legatis,  q.  6. 

3)  A  moins  de  motif  spécial  :  les  ambassadeurs  de  France  en  Allemagne, 
pour  gagner  du  temps,  au  contraire,  et  recevoir  des  instructions  du  roi,  vont 
de  Vérone  passer  trois  jours  à  Venise.  Ils  y  sont  reçus  avec  honneur,  logés 
et  défrayés  :  on  leur  montre  ce  qu'on  peut  montrer  (mars  4502.  Sanuto,  IV, 
248).  Des  ambassadeurs  envoyés  de  Venise  à  Rome  écrivent  de  Rimini  qu'ils 
passent  par  Urbino,  parce  que  la  peste  est  à  Pesaro  (avril  4505.  Sanuto, 
IV,  loi). 

4)  Bibl.  de  l'Institut,  ms.  Godefroy  255,  f°  6. 

5)  «  Le  dimanche  je  ne  vois  pas  voulentiers  par  pays  »  (Rapp.  de  4469. 
Ms.  fr.  3884,  f°492). 

6)  S'il  se  rend  en  Angleterre,  il  peut  attendre,  selon  l'usage,  à  Calais,  le 
sauf  conduit  que  lui  apportera  un  héraut  d'armes  anglais  (Rapport  de  Dan- 
dolo,  25  mai  4544.  Arch.  de  Venise). 

7)  L'ambassadeur  Contarini,  revenant  de  Conslantinople,  est  arrêté  en  route 
par  la  fatigue  du  "voyage  à  cheval  et  par  des  fièvres  intermittentes  (4507.  Sa- 
nuto, VII,  5).  Le  chef  de  l'ambassade  allemande  envoyée  à  Venise,  en  1506, 


VOYAGE    ET    ENTKÉE    DES    AMBASSADEURS  1  'J9 

raient  à  fatiguer  des  personnages  qui  n'en  ont  pas  ou  qui  n'en 
ont  plus  l'habitude '.  Il  l'a  ut  braver  les  épidémies  ',  1rs  ri- 
gueurs îles  saisons.  Vv.  Morexini,  ambassadeur  de  Venise  en 
France,  écrit  de  Turin,  au  mois  de  janvier  1506,  'ju'il  vient 

de  traverser  les  Alpes  au  milieu  de  bourrasques  de  pluie  et 
de  neige;  plusieurs  gens  de  sa  suite  oui  péri  de  froid  dans 
cet  affreux  passage.  11  donne  ces  détails,  non  pour  se  plain- 
dre, dit-il,  mais  pour  avertir  les  autres  ambassadeurs  '.  En 
février  147-3,  Panigarola,  envoyé  milanais  prés  du  due  de 
Bourgogne,  traverse  à  cheval  les  Alpes  et  le  Jura,  malgré 
les  rigueurs  d'un  hiver  exceptionnel  :  après  s'être  reposé  quel- 
ques jours  à  Besançon,  il  va,  au  travers  d'un  pays  infesté  de 
bandes  armées,  joindre  le  duc,  alors  occupé  au  siège  de  Neuss/, 
et  ne  le  quitte  pas  de  toute  la  campagne  \  Rien  de  plus  cu- 
rieux que  l'odyssée  des  ambassadeurs  de  Louis  d'Anjou  en 
Sardaigne,  au  mois  d'août  1378  :  rien  n'y  manque,  ni  les  ri- 
gueursde  la  tempête,  ni  la  longueur  de  la  traversée,  ni  les  pri- 
vations, ni  une  réception  insultante  \  Pour  aller  en  Ecosse,  les 
ambassadeurs  peuvent  fréter  un  vaisseau,  aux  frais  du  roiG, 
mais,  pour  en  revenir,  s'ils  n'ont  pas  de  vaisseau  sous  la 
main,  il  faut  passer  par  l'Angleterre,  chose  délicate  "' .  En 
allant  rejoindre  l'empereur,  on  navigue  sur  le   Rhin,  on  s'in- 

reste  malade  en  route  (Sanuto.  IV,  i(H).  Sur  trois  ambassadeurs  du  voïvode 
de  Moldavie  envoyés  à  Venise,  en  1506,  un  meurt  en  route  (Sanuto,  VI,  '291). 

I)  Il  faut  faire  des  traites  de  huit  à  dix  lieues  par  jour,  et  quelquefois,  en 
Espagne,  mal  loger  dans  de  petites  hôtelleries,  avec  des  hôtesses  rébarba- 
tives, dit  le  héraut  Machado  (Macliado's  Journal*,  dans  (iairdner,  Hista  régis 
Henrici  septimi,  p.  168),  affronter  de  longues  traversées,  des  tempêtes  «à 
crier  à  Dieu  et  à  tous  les  Sains  de  Paradis  »  (id.,  p.  102). 

■2)  V.  Lettre  de  Machiavel  du  .'>  août  loOO. 

3)  Sanuto,  VI,  -28:; . 

•i)  Gingins  la  Sarraz,  Dépêches...  I,  xm. 
Ms.  fr.3884,  f°  68  et  suiv. 

6)  Ms.fr.  201177.  ff>  223. 

7)  Ms.  fr.  20437,  f»  67. 


160  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

forme  où  est  la  cour  et  on  s'y  rend  à  cheval  '.  Machiavel,  pas- 
sant parla  Savoie  etla  Suisse,  en  décembre  1507,  trouve  laroute 
longue,  les  chemins  affreux,  les  chevaux  médiocres,  les  intem- 
péries rudes  et  sa  bourse  légère 2.  En  novembre  1500,  l'ambas- 
sadeur vénitien  en  Espagne  arrive  à  son  poste,  absolument  dé- 
couragé. Il  a  fallu  aller  jusqu'à  Grenade  ;  il  y  parvient  brisé 
de  fatigue  et  de  mauvais  chemins,  apeuré  de  la  perpétuelle 
menace  des  Maures  ;  faute  de  gite  où  s'arrêter  sur  la  route 
escarpée  de  Jaén,  il  ne  peut  annoncer  son  arrivée,  il  entre 
le  jour  même  pour  coucher  :  aussi  personne  ne  vient  à  son 
avance,  sauf  deux  évêques  ;  peu  à  peu  d'autres  seigneurs  se 
présentent,  il  les  remercie  en  latin.  On  lui  donne  la  plus  belle 
maison  de  Grenade,  mais  tristissima,  quoique,  contrairement 
à  l'usage,  on  l'ait  tendue  de  quelques  tapisseries  3. 

Enfin,  quand  les  ambassadeurs  ne  traversent  pas  des  pays 
amis,  ils  risquent  bien  des  mésaventures.  Les  ambassadeurs 
turcs  pour  la  France  sont  mis  sous  bonne  garde,  presque 
sous  clef,  à  leur  passage  à  Venise,  en  1500*.  En  1495,  les  Mi- 
lanais apprennent  la  nouvelle  d'un  accord  entre  Florence  et 
la  France  par  un  ambassadeur  florentin  qu'ils  arrêtent  sans 
façon 5.  Trois  ambassadeurs  allemands  arrivent  en  armes  à 
Trévise,  en  1506  :  ce  fait  produit  une  véritable  sensation  ;  on 
l'excuse  en  disant  qu'ils  craignaient  les  troupes  allemandes, 
dont  la  solde  est  en  retard6.  Un  véritable  tumulte  populaire 
se  produit  à  Amiens  en  1514,  lors  de  l'arrivée  des  ambassa- 
deurs anglais  :  Louis  XII  se  hâte  de  donner  l'ordre  secret  au 
gouverneur  de  Boulogne  d'arrêter  leurs  courriers,  jusqu'à  ce 

1)  K.  70,  42.  Rapport  du  28  mai  1467. 

2)  Dép.  du  17  janvier  1508. 
3)Sanuto,  III,  1182. 

4)  Sanuto,  III,  577. 

5)  Benedetti,  Il  fatto  d'arme,  édit.  1863,  p.  197. 

6)  1506.  Sanuto,  IV,  404,  405. 


VOYAGE  ET  ENTRÉE  DES  AMBASSADEURS  161 

qu'il  ait  pu  arranger  l'affaire,  afin  qu'on  n'en  sache  rien  en  An- 
gleterre. Par  contre,  dans  les  pays  amis  ouneutres,  les  ambas- 
sadeurs d(>s  mandes  puissances  reçoivent  beaucoup  d'hon- 
neurs1. Les  ambassadeurs  de  Louis  XI  à  Rome  en  1469  trou- 
vent partout  des  réceptions  merveilleuses  :  au  pied  des 
Alpes,  des  ambassadeurs  de  Milan  et  de  Montferrat  les  atten- 
dent, pour  solliciter  leur  visite  ;  le  marquis  de  Montferrat  se 
présente  à  leur  avance,  avec  une  grande  escorte*...  Le  duc 
de  Milan,  sous  prétexte  de  chasse,  va  au-devant  de  Com- 
mines,  qui  revenait  de  Venise  en  1495,  le  reçoit  au  château  de 
Vigevano,  et  à  son  départ  le  reconduit  lui-même  pendant  une 
lieue,  «  car  ils  sont  ainsi  honorables  aux  ambassadeurs'.  » 
Ludovic  Sforza  ordonne  de  traiter  et  d'escorter  avec  d'infinis 
égards  le  sire  du  Bouchage,  envoyé  de  France  en  Allema- 
gne *.  Un  commissaire  ducal  retient  à  Parme,  le  18  juin 
1498,  les  nonces  du  pape  en  France,  parce  que  le  duc  de  Mi- 
lan veut  leur  faire  une  réception  solennelle  :  en  effet,  après 
quatre  jours  d'attente,  ils  partent  pour  Crémone,  où  le  duc, 
avec  sa  cour,  les  reçoit  somptueusement 5  ;  déjà  à  Sienne,  ils 
avaient  trouvé  un  accueil  non  moins  brillant6.  On  offre  aux 
ambassadeurs  de  passage  un  gîte  et  des  vivres,  on  leur  assure 
des  moyens  de  transport.  Le  duc  de  Milan  adresse  mille  ex- 
cuses à  Commines,  ambassadeur  de  France  à  Venise  en  1495, 

l)Dcs  grands  seigneurs  viennent  au-devant  des  ambassadeurs  en  toutes 
circonstances,  les  escortent  et  les  reconduisent.  On  leur  montre  les  monu- 
ments, les  curiosités  locales  (Rapp.  de  144o.Fr.  3884). 

2)  Rapport  de  1469.  Fr.  3884. 

3)  Commines,  1.  vin,  ch.  xix.  En  1493,  les  deux  ambassadeurs  de  Venise 
en  Espagne  passent  par  Milan,  et  partent  avec  deux  ambassadeurs  milanais. 
Le  duc  de  Milan  les  conduit  jusqu'en  dehors  des  portes  de  la  ville  (Sanudo, 
Spedizione,  375). 

4)  Milan,  13  nov.  1494  (fr.  2928,  f°  3). 

5)  Dépèche  du  25  juin  1498,  à  la  Marciana  de  Venise,  cod.  clxxvii,  f°  40. 

6)  Dépêche  du  10  juin  (ibid.,  fo  119). 

11 


162  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

de  ce  qu'un  navire  commandé  à  Pavie  pour  sa  navigation 
n'était  pas  prêt  :  Commines  répond  poliment  qu'il  regrette  le 
déplaisir  du  duc1.  Les  comptes  de  la  ville  de  Bologne  nous 
fournissent  le   menu  des  dépenses  des  divers  ambassadeurs 
en  passage  et  de  leurs  suites  ;  c'est  ainsi  qu'on  héberge   au 
Grand  Hôtel  de  l'Echelle,  en  novembre  liiOO,  la  suite  du  car- 
dinal-légat de    Giirck.   Edouard    Bullion,   simple    valet    de 
chambre  de  Louis  XII,  en  mission  à  Naples,  est  logé,  non  au 
palais2,  mais  à  l'hôtel  du  Mouton.  On  loge  au  même  hôtel  la 
suite  d'Etienne  de  Vesc.  Au  moment  du  mariage  de  Lucrèce 
Borgia,  la  ville  de   Bologne  offre  l'hospitalité   au   cardinal 
d'Esté,  et  à  sa  suite,  qui  vont  à  Rome  chercher  la  fiancée;  puis 
aux  mules  portant  les  bagages  ;  puis  à  Ferdinand,  à  Sigismond 
et  à  Hercule  d'Esté,  avec  leurs  suites,  se  rendant  à  Rome  ;  puis 
à  Lucrèce  Borgia,  elle-même,  avec  tout  son  cortège,  quand 
elle  vient  à  Fcrrare  ;  puis  à  l'ambassadeur  florentin,  à  l'aller 
et  retour  de  Ferrare,  pour  le  même  mariage  3...  C'est  à  Ve- 
nise surtout  que  s'exerce  largement  l'hospitalité  internatio- 
nale :  depuis  leur  entrée  sur  le  territoire,  on  nourrit  les  am- 
bassadeurs amis  '"  ;  dans  la  ville,  ils  trouvent  un  palais,  pré- 
paré   spécialement    dès    qu'on    sait   leur    approche  '   :   des 
patriciens  désignés  par  le  doge  vont  leur  rendre  visite  6.  On 
les  défraie,  ou  bien  on  leur  offre  une  somme  d'argent7. 

1)  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  III,  101. 

2)  Les  ambassadeurs  sont  logés  au  palais.  De  mâme  à  Ferrare  {Diario 
Ferrarese,  23  mai  1495,  28  mars  1500,  dans  Muratori,  t.  XXIV). 

3)  Archives  de  Bologne,  Partitorum,  années  1501-1502. 

4)  Les  ambassadeurs  de  France  revenant  de  Hongrie  passent  à  Vegia  :  le 
provéditeur  vénitien  leur  fait  remettre  des  vivres  (8  août  1500.  Sanuto,  III,  c. 
606). 

5)  Ambassadeurs  d'Espagne  allant  de  Rome  en  Hongrie  (6  oct.  1499.  Sa- 
nuto, 1,21). 

6)  Août  1500.  Sanuto,  III,  c.  607. 

7)  Un  ambassadeur  de  Hongrie,  se  rendant  à  Rome  avec  dix  chevaux,  arrive 


VOYAGE    ET    KMIIÉE    DES    AMBASSADEURS  163 

Quant  aux  légats,  leur  voyage  comporte  des  règles  toutes 
spéciales,  lui  dehors  même  de  sa  légation,  le  légat  exerce 
une  juridiction  véritable1.  Il  a  Le  droit  de  voyager  armé  et 
d'armer  toute  sa  suite-,  lia  rang  souverain.  Il  correspond 
avec  les  souverains  et  chefs  d'Etat,  en  les  traitant  d'  «  ami  » 
et  de  »  frère3.  »  On  le  reçoit  avec  les  honneurs  royaux.  Lors- 
que le  légat  pour  la  Hongrie  passe  par  Venise  en  1500,  le 
doge  l'attend  au  bas  de  l'escalier  du  palais  ducal  ;  la  salle  du 
conseil  est  tendue  de  draperies  d'or  et  pleine  de  monde4. 
Naturellement,  on  défraie  largement  un  légat.  Le  légat  de 
Hongrie  a  soixante  dix  personnes  de  suite  ;  Venise  paie  toutes 
ses  dépenses  le  premier  jour;  on  lui  alloue  ensuite  vingt  du- 
cats par  jour  3,  comme  moyen  indirect  de  régler  les  dépenses 
d'un  tel  personnage,  qui  effrayaient  un  peu  l'économe  sei- 
gneurie. Le  14  août  1507,  un  légat  arrive  à  Sienne,  avec 
cent  dix  cavaliers,   trente  à  quarante    mulets    de  transport 


à  Venise.  On  va  au-devant  île  lui  à  Margera,  le  7  mars  1508  ;  on  le  loge  à  S1 
Georges  Majeur,  sans  lui  payer  de  dépenses,  maison  lui  t'aitun  cadeau  d'argent. 
Il  amène  une  bel  le  sui  te  ornée  de  grands  panaches  (Sanuto,  Vil,  3  44).  Le  8,  il  a  une 
audience  publique,  où  il  est  mené  par  deux  patriciens,  et  réclame  une  somme 
duc  à  son  roi (id.).  Le  11,  des  patriciens  l'amènent  au  conseil  ;  il  reçoit  la 
réponse,  il  dit  qu'il  en  écrira  à  son  roi,  et  part  le  lendemain  (id.,  346).  Cons- 
tantin Arniti,  (envoyé  du  pape  en  Allemagne)  et  «  nostro  gentliilomo  », 
voyage  incognito,  et  arrive  à  Venise  :  on  envoie  deux  patriciens  lui  deman- 
der s'il  veut  venir  au  conseil.  Il  répond  qu'il  est  trop  tard  et  qu'il  ira  le  len- 
demain. En  effet,  il  y  va  seevete,  par  l'appartement  du  doge,  parle  en  termes 
chaleureux  de  Venise  et  annonce  qu'il  partira  le  soir  môme.  On  lui  fait 
mille  grâces.  Deux  saeij  le  reconduisent  à  S1  Georges,  où  il  est  descendu, 
et  on  lui  offre  300  ducats,  afin  qu'il  parte  «  bien  édifié  »  (juillet  iolO.  Sa- 
nuto,  XI,  820,  822,  828). 

1)  Bruneau,  concl.  xxv.  Hors  de  sa  légation,  le  légat  exerce  «  ea  que  sunt 
voluntariae  jurisdictionis.  » 

2i  Andre;c  Barbatia,  De  cardinalibus  legatis  a  latere. 

3)Sanuto,  III,  1622,  1628,  1231. 

4)  Id.,  III,  1290.  CI.  V,  H.'),  réception  du  légat  venant  de  Hongrie. 
/■/..  III,  1167. 


164  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

et  quarante  gens  à  pied  :  on  remarque  fort  qu'il  paie  partout 
sa  dépense.  Après  quelques  hésitations,  la  ville  se  décide  à 
le  laisser  lui-même  assurer  sa  subsistance,  et  à  lui  faire  un 
présent  de  comestibles  comme  à  tous  les  ambassadeurs,  un 
large  présent  qui  coûte  deux  cents  ducats  '. 

Le  légat  en  voyage  marche  précédé  d'une  grande  croix 
processionnelle,  ou  au  moins  de  massiers*.  Il  bénit  tout 
le  long  du  chemin,  avec  le  signe  de  la  croix.  Son  premier 
acte,  partout,  sur  son  passage,  avant  de  se  rendre  à  l'hôtel, 
est  d'entrer  dans  l'église  principale,  escorté  de  tout  le 
clergé  du  pays;  il  monte  au  grand  autel,  donne  la  béné- 
diction papale,  et  des  indulgences  jusqu'à  concurrence  de 
quarante  jours 8. 

Nous  ne  pouvons  mieux  faire  connaître  cette  matière  spé- 
ciale du  voyage  des  légats  qu'en  résumant  brièvement  un  fort 
curieux  journal  du  cardinal  de  Sainte  Praxède*,  envoyé 
comme  légat  à  l'entrevue  de  Savone  entre  Louis  XII  et  le  roi 
d'Aragon,  en  1507  \ 

Le  mercredi  5  mai  1507,  en  consistoire,  le  cardinal  est  élu 

1)  Ce  présent  se  composait  de  deux  veaux  et  six  moutons  tout  écorchés, 
13  sacs  d'avoine,  9  corbeilles  de  pain,  12  paniers  de  vin  de  chacun  12  bou- 
teilles, 18  paires  de  poulets,  18  paires  d'oies,  15  paires  de  pigeons,  14  plats 
de  poisson,  des  mûres,  des  melons,  des  massepains,  12  paires  de  torches  et 
60  livres  de  bougie  (Dép.  de  Machiavel,  14août  1507). 

2)  Sanuto  III,  1167.  V.  dans  l'édition  illustrée  du  Sexle,  donnée  à  Venise  en 
1514  par  Giunta  de  Florence,  fo  lxxxii  v°,  la  vignette  représentant  la 
marche  du  légat,  précédé  de  deux  prélats  et  de  la  croix,  donnant  sa  béné- 
diction, sa  queue  portée  par  un  clerc,  suivi  de  deux  évoques. 

3)  Sanuto,  III,  1170.  Villadiego,  De  legato,  q.  6.  J.  Collart,  Journal  de  la 
paix  d'Arras,  p.  12. 

4)  Antoine  Pallavicini,  évêquede  Prencste,  cardinal  du  titre  de  Ste  Praxède, 
génois  d'origine,  protecteur  de  Savoie  en  cour  de  Rome  (Paris  de  Grassis. 
Lat.  5164,  f»  332,  362). 

5)  Ce  journal,  rédigé  par  le  maître  des  cérémonies  attaché  à  la  mission 
(Baldassar  Nicolaï,  de  Viterbe),  se  trouve  transcrit  dans  le  registre  Pio61, 
fo»  i|7  y>et  suiv.,  aux  Archives  du  Vatican. 


VOYAGE  ET  ENTRÉE  DES  AMBASSADEURS  165 

légat  à  l'unanimité  \  Le  12,  Jules  II  lui  donne  un  maître  des 
cérémonies,  qui  reçoit  du  légat  quatre  domestiques.  Le  17, 
en  consistoire  secret,  le  cardinal  prend  à  genoux  congé 
du  pape,  on  chante:  Inmampacis.  On  lui  fait  cortège  pour  sa 
pseudo-sortie,  et  il  rentre  chez  lui  '.  Le  lendemain,  mardi  18, 
après  une  messe  matinale,  il  monte  à  cheval  avec  une  foule 
d'amis,  qui  l'escortent  jusqu'à  S'  Paul  hors  les  murs,  où  l'at- 
tendent des  galères.  L'ambassade  s'installe,  assez  mal,  sur 
la  galère  principale,  savoir  :  le  légat,  ses  domestiques,  trois 
prélats,  le  maitre  des  cérémonies  et  quatre  domestiques.  Le 
mercredi,  à  l'aube,  la  galère  entre  en  mer,  avec  beaucoup  de 
difficulté,  faute  d'eau;  il  faut  s'arrêter,  décharger  les  baga- 
ges dans  des  barques...;  enfin,  on  vogue  vers  midi,  on  dîne, 
puis  légat  et  prélats  deviennent  la  proie  d'affreux  vomissements, 
«  usque  ad  sanguinem  inclusive.  »  A  force  de  rames,  on  arrive 
à  souper  dans  le  port  de  Civita  Vecchia,  où  l'on  produit  pour 
la  première  fois  la  croix  de  légation.  Le  jeudi,  le  vendredi,  on 
avance  ainsi  péniblement,  en  touchant  terre  çà  et  là  pour  se 
reposer,  avec  les  angoisses  du  mal  de  mer,  les  difficultés  d'une 
mer  houleuse  et  des  nuits  sans  sommeil.  Le  samedi  22,  veille 
de  la  Pentecôte,  les  membres  de  la  légation  n'en  peuvent 
plus.  Cependant  le  légat,  enrochet  et  mosette,  lacroix  en  avant, 
descend  près  de  Porto  Venere,  au  monastère  de  Monte-Oliveto  ; 
il  y  couche  et  y  passe  la  fête  du  lendemain.  Nous  omettons  le 

i)  Paris  de  Grassis  donne  sur  ce  consistoire  des  détails  assez  précis.  Le 
tribunal  de  Rote  fut  brusquement  suspendu  pour  sa  tenue.  Grassis  blâme  le 
légat  d'avoir  baisé  en  public  le  pied  et  la  main  du  pape  ;  suivant  lui,  cet 
hommage  eût  sufti  en  audience  particulière.  Les  prélats  et  le  maitre  des  cé- 
rémonies attaché  au  voyage  vinrent  au  baiser  de  la  mule  ;  puis  tous  les  car- 
dinaux tirent  la  conduite  suivant  l'usage  et  embrassèrent  le  légat  (lat. 
5165,  lo:{29). 

2)  «  Et  non  i'uerunt  lecti  super  ipsum  versiculi  et  orationes  in  consistorio 
secreto,  sed  associatus  a  collegio  viginti  cardinalium,  ut  moris  est,  usque  ad 
domum  habitationis  suae  «(Paris de  Grassis.  Lat.  5165,  fo  323). 


166  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

minutieux  détail  de  sa  réception  et  des  cérémonies.  Le  soir, 
malgré  la  fête,  on  repart,  on  voyage  toute  la  nuit,  on  ren- 
contre une  caraque  de  quatre  envoyés  génois,  qui  viennent  au- 
devant  du  légat.  Les  lundi,  mardi  et  mercredi  se  passent  en 
débarquements  et  en  cérémonies  dans  des  couvents  sur  les 
bords  de  la  mer.  Chaque  fois,  une  foule  compacte,  précédée 
des  moines,  attend  sur  la  plage  et  conduit  processionnellement 
le  légat  à  l'église,  où  il  donne  la  bénédiction  et  officie  pon- 
tificalement.  Le  jeudi  27  mai,  au  milieu  d'une  foule  immense, 
le  légat  fait  à  Gênes  une  entrée  solennelle,  réglée  par  son 
maître  des  cérémonies  :  il  se  rend  à  pied  à  la  cathédrale,  parce 
que  les  rues  de  Gênes  ne  permettent  pas  de  circuler  à  che- 
val. Il  en  repart  le  2  juin,  pour  Milan,  après  avoir  passé  ces 
quelques  jours  en  cérémonies  d'apparat,   et  en  processions 
avec  le  gouvernement  et  les  Anciens.  Sur  sa  route,  il  trouve 
partout  la  population,  le  clergé  et  les  confréries  :  des  messes, 
des    saluts,    des    processions.    Il    entre    dans    chaque   ville 
sous  un  baldaquin,  qui  est  offert  par  les   citoyens,    et  qui 
reste  la  propriété  de  ses  palefreniers  '.  Il  séjourne  à  Milan 
du  6  au  14  juin,  et  part  pour  Savone  avec  le  même  cérémo- 
nial. En  route,  se  produisent  quelques  incidents.  Le  jeudi  17, 
à  Felizzano,  il  officie,  sans  le  savoir,  dans  une   église  inter- 
dite, ce  qui  le  contrarie  beaucoup  quand  on  le  lui  apprend  3. 
Ce  même  jour,  le  maître  des  cérémonies  se  rend  à  Asti,  près 


{)  A  Tortona,  on  avait  pris  pour  faire  ce  baldaquin  un  devant  d'autel  : 
a  Quod  parafrenarii  contra  omne  debitum  abstuleruut,  quia  baldacchinum 
non  débet  capi,  nisi  sit  de  novo  factum  per  cives.  Clcrici  non  tenentur  facere 
baldacchinum,  sed  cives.  Clerici  honorant  papam  et  legatum  processione, 
cives  baldacchino  »  (ms.  cité,  f°  127). 

2)  Peut-il  bénir  dans  des  lieux  interdits?  se  demande  Villadiego:  oui,  pour 
la  bénédiction  non  solennelle;  pour  la  bénédiction  solennelle,  «  Sit  mmen 
Domine  benedictum  »,  il  y  a  doute  et  mieux  vaut  s'abstenir  (De  lugato, 
q.  6). 


VOYAGE  ET  ENTRÉE  DES  AMRASSADEORS  167 

de  Louis  XII,  pour  préparer  l'entrée  :  on  lui  répond  que  le 
roi  partira  dès  le  lendemain  pour  Savone  attendre  le  roi  d'A- 
ragon et  qu'on  croit  bon  d'éviter  au  légat  un  dérangement... 
Le  légat  continue  donc  vers  Savone  ;  mais  comme  il  ne  con- 
vient pas  qu'il  entre  dans  cette  ville  avant  le  roi,  il  attend 
pendant  plus  de  trois  jours  dans  un  château  des  environs, 
domaine  du  protonotaire  Scarampa.  Pendant  l'entrevue  des 
deux  rois,  le  légat,  discrètement  tenu  à  l'écart  des  confé- 
rences,officie  sans  se  lasser,  avec  beaucoup  de  pompe.  Enfin, 
le  8  juillet,  sa  mission  officielle  terminée,  très  fatigué,  très 
souffrant,  il  va  passer  une  semaine  dans  une  villa  qui  lui  ap- 
partient, puis  dans  le  palais  personnel  du  pape  à  Gênes,  d'où 
il  ne  sort  pas.  Après  cette  retraite  bien  gagnée,  il  se  rem- 
barque le  mardi  3  août  pour  Rome  ;  le  18,  il  est  solennelle- 
ment reçu  à  la  porte  del  Popolo*;  le  24,  il  va  rendre  visite  à 
tous  les  cardinaux,  selcn  l'usage.  Ajoutons  que,  le  10  septem- 
bre, il  meurt  de  la  fièvre  prise  dans  son  voyage,  et  qu'il  est 
enterré  à  S1  Pierre  '. 

L'ambassadeur  ordinaire  même  ne  peut  guère  s'attendre  à 
voyager  incognito.  Il  devra  donc  se  présenter  ouvertement, 
avec  un  train  convenable*,  en  profitantdes  relais  que  son  prédé- 
cesseur a  pu  lui  ménager  sur  la  route  \  Il  conservera  une 
grande  discrétion,  et  il  aura  soin,  bien  entendu,  de  ne  parler 


1)  Paris  de  Grassis  donne  au  consistoire  de  réception  la  date  du  11  août. 
Vingt  cardinaux  escortèrent  le  légat  de  S'«  Marie-du-Peuple  au  palais.  Après 
son  introduction,  les  cardinaux  l'embrassèrent.  Sa  maison  lui  baisa  les  pieds 
et  tout  le  cortège  le  conduisit  jusque  chez  lui  (lat.  5165,  f°  351-355). 

■1  Paris  de  Grassis.  Lat.  5165,  fo»  362-364. 

3)  1499.  Arrivée  à  Liège  de  l'évoque  d'Evreux  et  du  sire  de  «  Gymmel  », 
avec  trente  chevaux  d'escorte,  pour  traiter  la  paix  entre  le  roi  des  Romains 
et  le  duc  de  Gueldre  [Joli,  de  Los  Chronicon,  p.  114). 

4)  Le  nouvel  ambassadeur  de  Venise  à  Rome  s'y  rend  par  Rimini,  où  son 
prédécesseur  a  laissé  ses  chevaux  (1507.  Sanuto,  VII,  28). 


168  LA    DIPLOMATIE   AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

de  sa  mission  qu'à  bon  escient1.  Il  éprouve  la  tentation,  pour 
mieux  faire  valoir  son  talent,  d'envoyer  en  route  des  rapports3  ; 
comme  il  voyage  à  petites  journées,  il  recueille,  en  effet,  des 
renseignements  ;  mais  il  fera  bien  de  n'envoyer  que  ceux 
qui  ont  un  caractère  officiel  3.  Giustinian,  ambassadeur 
de  Venise  à  Rome,  se  rend,  en  mai  1502,  à  Pesaro,  où  ses 
bagages  le  rejoignent  par  eau  ;  il  les  fait  charger  à  mu- 
lets, et  vient  coucher  à  Fano  le  26  mai.  Le  1er  juin,  il  arrive 
à  Castelnuovo,  à  quatre  milles  de  Rome,  sans  autre  incident 
que  la  rencontre  d'un  ambassadeur  de  Camerino,  qui  venait 
solliciter  sa  visite  clans  cette  ville  et  demander  la  protection  de 
Venise  :  Giustinian  a  remercié  en  termes  affectueux  et  il  a 
transmis  à  Venise  la  lettre  de  créance  de  cet  ambasadeur, 
avec  un  rapport.  De  Pesaro  à  Castelnuovo,  il  a  mis  ainsi  huit 
jours  et  a  écrit  deux  rapports  *. 

Dès  que  l'ambassadeur  pose  le  pied  sur  le  territoire  du  pays 
où  il  est  accrédité,  son  rôle  change.  Les  ambassadeurs  français 
en  Angleterre,  avant  d'aborder,  demandent  un  sauf  conduit  ;  un 
héraut  d'armes  ou  des  délégués  officiels  de  la  cour  viennent 
les  recevoir  au  débarquement,  pour  les  conduire  près  du  roi 9, 

1)  Ms.  fr.  2933,  f°  70,  note  sur  Philibert  Naturel. 

2)  L'ambassadeur  vénitien  en  Espagne  envoie  des  rapports  pendant  son 
voyage.  Près  de  Barcelone,  il  écrit  à  cheval  son  premier  rapport  sur  l'Es- 
pagne (oct.  1500.  Sanuto,  III,  1030). 

3)Villari,  Dispacci  di  A.  Giustinian,  I,  9  et  suiv.  En  route  pour  l'Es- 
pagne, Guichardin  écrit  de  Plaisance,  le  5  février  1511-12  (deux  lettres), 
d'Avignon  le  23  et  le  26  (deux  lettres),  de  Narbonne  le  29  (Opère  inédite, 
VI,  p.  10,  18)  :  mais  ce  sont  de  simples  avis  sur  son  voyage  et  de  menues 
nouvelles. 

4)  Allant  en  légation  près  de  l'empereur,  Machiavel  couche  quatre  fois  en 
Suisse  et  envoie  à  Florence  une  dissertation  sur  l'état  de  la  Suisse  (Dép.  de 
Machiavel,  du  17  janvier  1507-8).  Gabriel  Moro,  envoyé  ambassadeur  de  Ve- 
nise en  Espagne,  écrit  de  Savoie  des  nouvelles  fausses  et  ridicules,  qui  ex- 
citent un  immense  éclat  de  rire  au  conseil  des  Pregadi,  qui  en  a  d'autres 
(1506.  Sanuto,  VI,  376). 

5)  Pour  la  réception  solennelle  de  1445  (ms.  fr.  3884),  le  roi  d'Angleterre  en- 


VOYAGE  ET  ENTRÉE  DES  AMBASSADEURS  169 

de  sorte  que  leur  ambassade  commence,  a  proprement  par- 
ler, à  l'instant  où  ils  débarquent  sur  le  solde  l'Angleterre  '. 
Rappelons  qu'en  France,  un  légat,  avant  de  pénétrer  sur  le 
territoire,  doit  envoyer  ses  bulles  :  il  n'a  droit  à  aucune  récep- 
tion officielle  jusqu'à  leur  enregistrement  V 

En  Espagne',  en  Hongrie,  le  roi  envoie  volontiers  une  escorte 
importante  chercher  au  loin  les  ambassades  ;  nous  voyons  un 
ambassadeur  vénitien  se  morfondre  à  Agram  dans  l'attente  de 
l'escorte  annoncée,  qui  se  compose  de  trente  chevaux  com- 
mandés par  un  magnat,  porteur  d'une  créance  latine  régu- 
lière*. En  France,  le  roi  envoie  souvent  un  chambellan,  un 
maître  d'hôtel...,  recevoir  plus  ou  moins  loin  les  ambassa- 
des 5.  En  Allemagne  également  6.  Lorsque  le  cardinal  d'Am- 

voie  sur  la  route  des  gens  chargés  de  veiller  à  tout,  le  héraut  Jarretière  va  jus- 
qu'à Calais  au-devant  des  ambassadeurs.  Le  roi  d'Angleterre  leur  fait  dire  qu'il 
veut  les  recevoir  avec  solennité,  qu'il  convoque  les  princes  et  seigneurs.  On 
presse  les  apprêts.  Ils  attendent.  Suffolk  leur  écrit  que  le  roi  les  recevra  le  jeudi 
à  Londres,  que  tout  ira  bien,  «  niais  qu'il  ne  teinst  àculx  et  qu'ils  n'eussent 
pas  la  bouche  si  close  comme  avoient  acoustumé  ».  Réception  très  solennelle 
à  Londres,  par  une  foule  de  seigneurs,  le  maire,  les  échevins,  les  métiers. 

1)  L'ambassadeur  envoyé  par  Louis  XII  en  Angleterre  ne  trouve  pas  les 
orateurs  anglais  à  son  débarquement,  contrairement  à  l'usage.  Survient  un 
héraut  du  roi  d'Angleterre,  qui  déclare  inutile  d'aller  plus  loin,  parce  que 
le  roi  envoie  en  France  deux  orateurs  pour  savoir  les  communications  de 
Louis  (janvier  1510.  Sanuto,  IX,  530). 

■1    V.  tome  I,  p.  330.  Cf.  Villadiego,  De  legnto,  q.  6. 

S)\.Maehado's  Journal, dans  Gairdner,  llista régis  Henrici  septimi,  p.  169. 
L'ambassade  de  Louis  XI  en  Castille,  en  1462,  est  reçue  à  la  frontière  de 
Castille  et  convoyée  jusqu'à  hc,our(Lett.  de  Louis  XI,  II,  378).  Avisé  de 
l'arrivée  à  Burgos  d'une  ambassade  anglaise,  h;  roi  d'Espagne  envoie  un  haut 
fonctionnaire  l'y  prendre  pour  la  conduire  (1508.  Machado's  Journal,  p.  166). 

4)  Sanuto,  X,  268. 

5)  Jean  Thiercelin  est  charge  par  Louis  XI  de  voir  les  ambassadeurs  de 
Milan  à  Lyon  en  1473  (J.  496)  :  réception  de  l'ambassade  d'Aragon,  en  1473 
(fr.  20980,  fo  91).  Le  sire  delà  Gruthuze  écrit  au  roi,  de  Paris,  21  mars,  que 
suivant  ses  ordres  il  va  au-devant  des  ambassadeurs  d'Angleterre  pour  les 
escorter  jusqu'à  Orléans  (fr.  15541,  132). 

6)  Rapport  de  Pévèque  de  Paris (Bibl.  de  l'Institut,  ms.  Godefroy  255,  f°6). 


170  LA  DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

boise  se  rend,  en  1505,  à  Haguenau,près  de  l'empereur,  trois 
capitaines  allemands  de  Trêves  l'escortent  de  Trêves  à  Hague- 
nau  avec  douze  hommesd'armes,  «  pour  laseurté  des  chemyns, 
qui  estoient  dangereux.  »  On  joignit  même  à  son  escorte 
«  ung  nombre  de  gens  de  guerre  »,  commandés  par  le  bâtard 
de  Bisse  f. 

Ces  escortes  d'honneur  ou  de  sûreté  ont  l'indéniable  avan- 
tage de  permettre  de  surveiller  la  conduite  de  l'ambassa- 
deur *.  L'ambassadeur  trouvera,  en  effet,  sur  sa  route  des 
particuliers  amis  de  son  pays,  qui  lui  offriront  l'hospitalité. 
Un  ambassadeur  de  Venise,  en  passant  à  Barcelone,  descend 
chez  le  fils  de  l'ambassadeur  d'Espagne  à  Venise,  magistrat 
dans  cette  ville  \  Les  rapports  de  ce  genre  peuvent  exciter  de 
vives  susceptibilités.  En  1494,  un  ambassadeur  français,  qui 
arrive  en  Toscane,  au  lieu  de  descendre  dans  une  auberge 
préparée  par  la  Seigneurie,  reçoit  l'hospitalité  dans  une  villa, 
chez  Lorenzino  et  Jean  di  Pierfrancesco  de  Médicis.  Le  chef 
du  gouvernement,  Pierre  de  Médicis,  s'en  émeut  :  les  deux  jeu- 

1)  Ms.  Clairamb.  46,  p.  1053.  En  1397,  l'ambassade  du  duc  d'Orléans  est 
escortée  de  ville  en  ville,  d'Arlon  à  Luxembourg,  àTrèves,  à  Mayence  età 
Francfort,  par  un  écuyer  local,  avec  des  gens  d'armes.  Ces  gens  d'armes  re- 
fusant toute  rétribution,  on  leur  donne  de  larges  pourboires  (6  écus  par  jour 
pour  la  troupe).  Avant  d'entrer  en  Allemagne,  cliaque  ambassadeur  prend  à 
Blouson  un  truehman,  pour  les  guider,  commander  les  logis,  etc.,  qui  est 
payé,  suivant  marché,  12  sous  parisis  par  jour  (Circourt  et  van  Wervecke, 
Documents  luxembourgeois,  n°  34). 

2)  Le  maréchal  des  Querdes  écrit  au  roi,  d'Orléans,  le  23  mars,  pour  lui 
rendre  compte  de  la  réception  faite  à  l'ambassade  d'Angleterre,  des  conver- 
sations des  ambassadeurs,  de  leur  entrée  à  Orléans.  L'évêque  de  Winches- 
ter se  loue,  dit-il,  du  héraut  Montjoye.  M.  de  Blorvilliers  qui  l'escortait  «  loua 
semblablement  Jaretière  »  (fr.  15541,  133).  Cf.  lettre  de  Ludovic  Sforza  au 
commissaire  de  Novare,  l'informant  qu'un  ambassadeur  d'Espagne  vient 
d'arriver  à  Coni,  qu'on  ne  sait  pas  par  où  il  passera,  et  lui  ordonnant  de 
veiller  sur  lui  (8  mai  1495.  Archives  de  Milan,  Blilitare,  Guerre,  1495, 
Congiura  di  Novara). 

3)  1508.  Sanuto,  VII,  355. 


VOYAGE  ET  ENTRÉE  PES  AMBASSADEURS  171 

nés  gens  répondent  qu'ils  ont  le  droit  et  le  devoir  de  recevoir 
l'ambassadeur,  coin  nie  pensionnaires  de  la  France  pour  2.000 
écus.  Pierre  les  fait  arrêter,  et  traduire  devant  les  LXX,  qui  les 
condamnent,  pour  complot  avec  l'étranger,  à  la  confiscation  et  à 
la  prison  perpétuelle.  Les  condamnés  persistent  dans  leur  atti- 
tude énergique.  Cependant,  les  ambassadeurs  français  n'a- 
vaient pas  rebroussé  chemin  ;  dociles  aux  conseils  de  Ludovic 
Sforza,  ils  attendaient  sur  le  territoire  voisin  l'issue  de  l'inci- 
dent. Pierre  de  Rfédicls  comprit  la  nécessité  d'y  mettre  fin. 
Sous  prétexte  de  parenté,  il  fit  donner  aux  condamnés  leur 
grAce,  moyennant  un  exil  à  dix  milles  de  Florence  ;  il  alla  les 
chercher  lui-même  à  la  prison  et  les  amena  chez  lui.  Les  am- 
bassadeurs français  arrivèrent  alors  '. 

Le  diplomate  doit  se  présenter  avec  pompe  ',  de  manière 
à  se  faire  discrètement  valoir  au  plus  haut  prix  ;  il  se  mon- 
trera accessible,  avenant,  mais  imposant  par  ses  valets  et  ses 
discours.  Dans  chaque  ville  où  il  passe,  on  le  loge  aux  frais 
de  la  ville,  dans  un  hôtel.  On  lui  présente  le  vin  d'honneur, 
des  dragées,  des  fruits  confits,  de  la  volaille,  des  viandes  s  ; 
dans  les  cas  les  plus  solennels,  les  corps  constitués  vont  le  sa- 
luer *.  On  lui  fait  les  honneurs  de  la  ville,  on  lui   montre  les 

1)  Dclaborde,  Expédition  de  Charles  VIII,  p.  363-364. 

2)  Les  ambassadeurs  de  Hongrie,  solennellement  reçus  à  Angers  en  1489 
par  ordre  du  roi,  arrivent  vêtus  de  robes  d'or,  coiffés  de  drap  d'or  «  comme 
femmes  »  :  ils  sont  précédés  de  tambourins  et  de  hérauts  magnifiquement  mon- 
té-. Deux  cents  cavaliers  leur  t'ont  escorte,  parmi  lesquels  lès  évoques  du 
Mans  et  de  Limoges.  Les  corps  constitués  d'Angers  vont  les  attendre  jusqu'à 
Balr'e.  et  les  accueillent  par  une  harangue  latine.  La  ville  leur  offre  un  grand 
banquet  et  les  loge.  La  dépense  se  monta  à  environ  11!)  livres  (A.  Joubert, 
Les  passages  des  ambassadeurs.. .  à  Angers,  dans  la  Revue  d'Histoire  Diplo- 
matique, 1898). 

3)  Y.  l'intéressant  travail  de  M.  Doinel.  Réceptions  d'ambassadeurs  â 
Orléans  (Revue  d'Histoire  Diplomatique,  1891,  p.  102). 

4)  Le  3  juillet  1479,  une  ambassade  d'Espagne  conduite  par  l'évêque  de 
Lombez,   est  reçue  «  aux  champs  »  par  le  corps  municipal  et  les  états  de 


172  LA   DIPLOMATIE   AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

curiosités,  les  reliques  insignes  *.  L'évêquede  Gûrck,  Mathieu 
Lang,  ambassadeur  en  France,  prend  la  Loire  à  Nevers  pour 

Paris.  Elle  est  fêtée  à  Saint-Denis  par  l'évoque  de  Lombez  (Jean  de  Roye). 
Les  ambassadeurs  de  l'Empire  sont  escortés  par  les  baillis  de  Gisors  et 
d'Amiens,  qui  veillent  à  leurs  réceptions.  Le  19  décembre  1500,  le  Bureau  de 
ville  de  Paris  décide  de  les  recevoir,  selon  les  ordres  du  roi,  solennellement. 
Ils  seront  festoyés  aussi  largement  que  possible,  défrayés  de  tout.  Le  prévôt 
et  les  échevins  iront  au  devant  d'eux,  on  leur  donnera  un  bon  logis,  on  leur 
fera  des  dons  de  «  torches,  ypocras  et  espices  »,  de  «  vins  et  viandes  ».  Le 
20  en  effet,  on  alla  les  recevoir  au  delà  de  N.  D.  des  Champs,  avec  les 
officiers  et  une  foule  de  bourgeois.  On  les  escorta  jusqu'à  l'hôtel  de  l'Ange, 
rue  de  la  Huchette,  affecté  en  général  à  ces  logements  diplomatiques.  On  leur 
remet  les  présents.  Le  lendemain,  on  retourne  leur  faire  la  révérence,  et  un 
docteur  en  théologie  les  harangue  en  latin  (Bonnardot,  Registre  des  délibé- 
rations du  bureau  de  la  ville  de  Paris,  t.  I,  p.  51-52.  Cf.  p.  214,  p.  67). 
L'ambassade  solennelle  de  Venise,  en  1498,  est  reçue  à  la  porte  de  Paris  par 
M.  de  Ligny  et  800  chevaux  (Rcumont,  Diplomazia  italiana,  173).  C'est  sur- 
tout eu  Espagne  qu'on  se  prodigue  pour  les  ambassades  :  les  grands  sei- 
gneurs offrent  l'hospitalité  aux  ambassadeurs  qui  passent;  mais  jamais  une 
femme  ne  dine  avec  des  étrangers  (Gairdner,  Hist*  régis  Henrici  seplimi, 
p.  186).  En  avant  de  Burgos,  des  marchands  viennent  au-devant  d'une  am- 
bassade anglaise  et  leur  offrent  des  gites.  L'ambassade,  ne  voulant  pas  se 
séparer,  descend  chez  un  d'entre  eux.  qui  donne  le  gite  et  le  couvert. 
(1489.  Machado's  Journal*,  ibid.,  p.  165)  :  on  lui  fait  grande  chère.  La 
ville  lui  offre  des  vins  et  des  friandises  de  tout  genre  (p.  166),  le  conseil 
local  vient  lui  faire  la  révérence  (p.  167)  ;  au  départ,  les  marchands  lui  font 
escorte  (ibid.).  En  Portugal,  on  est  très  démonstratif  sur  le  passage  des  am- 
bassadeurs ;  on  va  au-devant  d'eux,  on  les  loge,  on  leur  offre  du  vin,  des 
fruits,  des  confitures,  etc.  ;  on  leur  donne  des  divertissements  variés,  des 
danses,  des  courses,  on  tire  le  canon.  Grand  nombre  de  personnages  vont  à 
leur  avance,  à  leur  arrivée,  avec  un  orchestre  et  des  trompettes  (Gairdner, 
ouvr.  cité,  p.  187  et  suiv.). 

l)V.dans  les  copies  de  Gaignières  (ms.fr.  20980,  f<>  125)  un  certificat  du  1er 
juin  1493,  de  deux  chapelains  de  la  Sainte  Chapelle,  constatant  qu'ils  ont 
ouvert  les  châsses  contenant  les  reliques  de  la  Passion,  en  présence  de  Du 
Plessis  Bourré  et  du  président  des  Comptes,  qui  a  remis  les  clefs  :  les  reliques 
ont  été  apportées  par  le  sire  du  Bouchage,  par  ordre  du  roi,  et  montrées  aux 
ambassadeurs  de  l'empereur,  puis  remises,  en  présence  de  MM.  du  Bouchage, 
d'Orval  et  de  l'évêque  de  Luçon,  qui  conduisaient  les  ambassadeurs,  et  qui  ont 
certifié  la  volonté  du  roi  qu'on  leur  montrât  les  reliques.  —  Ibid.,  f°  167. 
En  1450,  Jacq.  Juvénal  des  Ursins,  archevêque  de  Reims,  reçoit  100  liv.  pour 
être  venu  de  Reims  à  Paris  montrer  les  reliques  de  la  Sainte  Chapelle  aux 
ambassadeurs  d'Ecosse. 


VOYAGE    ET   ENTRÉE    DES   AMBASSADEURS  173 

se  rendre  à  Tours;  en  avant  de  Blois,  le  duc  d'Albanie 
vient  l'accoster  au  nom  du  roi,  le  fait  débarquer  et  l'ac- 
compagne ;  à  Blois,  la  reine  lui  envoie  quatre  grands  lux, 
deux  foursi ères,  des  huîtres,  un  panier  de  marée,  trois  barils 
de  vieux  vin,  trois  flacons  de  vin  nouveau,  et  du  pain  de  bou- 
che, avec  tous  ses  regrets  de  ne  pas  le  recevoir  à  Blois;  à  Am- 
boise,  le  corps  municipal  attendait  sur  le  quai  :  Lang  coucha  à 
terre  ;  la  comtesse  d'Angoulème,  habitante  du  château,  lui 
adressa  du  vin,  avec  ses  excuses  de  n'avoir  pas  été  prévenue 
à  temps  pour  envoyer  à  son  avance.  Le  lendemain,  Lang 
alla  à  Montlouis.  Le  surlendemain,  il  entra  à  Tours,  par 
eau.  Au  départ  de  Montlouis,  il  reçut  les  ambassadeurs  de 
Ferrare  et  de  Mantoue,  et,  à  moitié  route,  cinq  évêques  et  di- 
vers magistrats;  un  des  évêques  lui  adressa  un  discours; 
dans  les  faubourgs  de  Tours,  les  princes  du  sang  l'attendaient, 
pour  l'escorter  au  château  des  Montils,  où  le  roi  lui  donne 
l'hospitalité.  Séance  tenante,  Lang,  en  tenue  de  voyage,  fit  sa 
révérence  au  roi,  qui  le  reçut  très  cordialement,  sans  céré- 
monie, et  l'engagea  à  venir  le  voir  privément  tant  qu'il  vou- 
drait \ 

Quand  un  prince  voyage  en  personne  ou  fait  fonction  d'am- 
bassadeur, il  a  naturellement  droit  aux  honneurs  des  récep- 
tions avec  plus  d'apparat.  En  1476,  le  roi  de  Portugal  re- 
çoit à  Tours  l'hospitalité  de  la  cour  ;  à  Orléans,  on  lui  offre  des 
danses  ;  à  Paris,  les  autorités  l'attendent  officiellement,  hors 
de  la  porte  S1  Jacques  *.  Le  duc  de  Milan,  dans  son  instruc- 
tion à  son  fils  Galéas  pour  un  voyage  en  France,  prévoit  des 
réceptions  àla  mode  italienne,  oùl'on  offre  «tous  ses  biens  »; 
le  duc  de  Bourbon,  lui  dit-il,  offrira  sans  doute  ses  châteaux  ; 

t)  Oct.  1510.  Lettres  de  Louis  XII,  II,  40-41.  Nous  reviendrons  plus  loin 
sur  le  détail  des  entrées. 
2)  Jean  de  Roye  :  Doinel,  toc.  cit. 


174  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

à  Bourges,  le  gouverneurofîrira  la  ville  ;  le  duc  invite  son  fils 
à  décliner  courtoisement  ces  offres,  dans  les  termes  qu'il  lui 
indique  :  Galéas  devra  faire  fête  aux  personnes  de  la  cour  qui 
viendront  à  son  avance  et  ne  pas  épargner  les  protestations 
d'affection  et  d'estime  pour  les  gagner.  Un  jour  avant  son  arri- 
vée près  du  roi,  il  mandera  l'habile  résident  milanais  Paniga- 
rola,  il  le  recevra  avec  amitié  et  s'informera,  près  de  lui,  des 
habitudes  du  roi,  de  la  conduite  à  tenir  '. 

Un  ambassadeur  arrive  achevai  ;  jamais  parla  poste2,  sauf 
dans  des  circonstances  spéciales.  Envoyé  d'urgence  près  de 
César  Borgia  en  1502,  Machiavel  se  trouve  si  mal  de  l'équit  ition 
qu'il  laisse  en  route  chevaux  et  domestiques,  prend  la  poste 
et  se  présente  en  habits  de  voyage  à  César,  qui  lui  fait  l'ac- 
cueil le  plus  gracieux  3.  Un  envoyé  du  pape,  arrive  à  Ve- 
nise en  s'afeta,  et  repart  de  même  en  1501  4.  Ce  sont  des  ex- 
ceptions. 

Exception  aussi,  l'ordre  donné  par  Venise  à  son  agent 
Caroldi,  en  1509,  de  traverser  le  territoire  de  Ferrare  avec 
courrier  travesti,  comme  dans  les  opéras  comiques 5. 

Il  est  d'usage  que  l'ambassadeur  s'arrête  à  quelque  dis- 
tance avant  son  entrée  dans  la  ville  où  siège  le  gouvernement, 
et  qu'il  envoie,  de  là,  prévenir  de  son  arrivée.  L'ambassade 
du  cardinal  d'Amboise  à  Venise,  en  1500,  s'arrête  à  Brescia,  le 
26  avril,  dépêche,  le  27,  un  exprès  et  arrive  le  29  *.  Accurse 
Mainier  dépêche  de  Ferrare  un  exprès,  tout  en  continuant  sa 


1)  2  mars  1466  (Archivio  Sforzesco). 

2)  Dép.  de  Machiavel,  du  25  juillet  1  500. 
3!Dép.  du  7  octobre  1502. 

4)  Parti  de  Rome  le  2  mars,  il  ne  se  présente  pourtant  que  le  13  (Sanuto. 
III,  1549). 
o)  Instruction  du  19  mai  1509  (Arch.  de  Venise). 
6)  Boislisle,  Etienne  de  Vesc,  p.  190-191. 


VOYAGE    ET    ENTRÉE     DES    AMBASSADEURS  475 

route  '.  En  niai  1800,  un  ambassadeur  turc  arrive  à  Venise 
sans  en  avoir  demandé  congé  et  sans  apparat,  à  cause  des  cir- 
constances !.  Mais,  en  1504,  Jean  Lascaris  manque  aux  conve- 
nances en  voyageant  incognito  :  le  podestat  de  Vicence  ap- 
prend sa  présence  dans  un  hôtel  de  la  ville,  et  en  avise  im- 
médiatement Venise  où  l'on  prépare  la  réception  8. 

En  France,  comme  à  Rome,  l'avis  d'arrivée  se  produit  sous 
forme  de  demande  d'audience  ;  s'il  y  a  à  la  cour  un  résident 
ou  un  autre  ambassadeur  delà  même  nation,  c'est  à  lui  que 
s'adresse  le  nouvel  ambassadeur  pour  demander  ce  qu'il  doit 
faire.  Il  reçoit  aussitôt  un  programme  arrêté,  qui  fixe  l'heure 
de  l'entrée  *.  Parfois,  en  cas  do  difficultés,  la  réponse  se  fait 
attendre,  ou  même  elle  peut  être  négative  :  Jules  II  fait  dire 
à  l'évêque  de  Paris,  ambassadeur  de  France,  qu'il  le  recevra 
seulement  comme  particulier  ;  dans  ces  conditions,  l'ambas- 
sadeur ne  continue  pas  sa  route3.  Mais,  d'ordinaire,  on  prend 
des  moyens  plus  détournés.  L'ambassade  d'Allemagne  en 
France,  au  mois  d'octobre  1474,  envoie,  de  Meaux,  demander 
une  audience  :  le  messager  attend  six  jours  et  revient  enfin  dire 
que  le  roi  l'accorde  à  ChAteau-Thierry.  L'ambassade  se  rend 
dans  cette  ville,  et,  après  huit  nouveaux  jours  d'attente,  deux 
émissaires  de  Louis  XI  viennent  lui  demander  par  écrit  l'objet 
de  sa  mission  :  on  leur  remet  une  note  volontairement  incom- 
plète. Le  roi  renvoie  l'audience  à  son  retour  à  Paris,  et  ce 
n'est  encore  qu'après  une  longue  attente  qu'il  reçoit  enfin 
l'ambassade  pendant  quelques  instants  *.  Ou  bien  on  t'ait  par- 


ti Sanuto,  III,  222.  Cf.  Sanuto,  V,  947. 

2)  «  Senza  licentia  »  (Sanuta,  III,  315>. 

3)  Nov.  1504.  Sanuto,  VI,  101. 

4)  Dispacci  di  Giustinian ,  I,  9  et  s. 

5)  Fév.  1511.  Sanuto,  XII,  88. 

6)  Kapport,  publ.  par  Chine),  Monumenta  Habtburgwa,  I,  261. 


176  LA  DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

tir  de  la  cour,  comme  ambassadeur  pour  le  pays  de  l'ambas- 
sade, un  personnage  que  celle-ci  peut  supposer  son  ami  ;  ce 
personnage  rencontrera  l'ambassade,  lui  parlera  de  sa  propre 
misssion,  et  embrouillera  si  bien  les  choses  que  l'ambassade 
ne  saura  plus  si  elle  doit  avancer  ou  reculer  '. 

Rarement,  très-rarement,  c'est  l'ambassadeur  qui  se  fait 
attendre  8. 

Un  roi  ne  va  jamais  au  devant  d'une  ambassade,  à  moins 
qu'il  n'ait  un  motif  pour  la  recevoir  à  la  fois  solennellement 
et  honteusement  dans  une  ville  de  province  3. 

Près  de  la  capitale  ou  de  la  résidence  royale,  l'ambassade 
s'est  donc  arrêtée  *  pour  régler  une  affaire  très  importante  :  le 
cérémonial  de  son  entrée.  La  solennité  de  l'entrée  passe  pour 
essentielle3,  car  c'est  un  hommage  rendu  en  même  temps  à 
la  puissance   qui  reçoit  et  à  celle  qui  envoie  6  ;  elle  s'appelle 

1)  Envoi  de  Dunois  en  Bretagne,  3  oct.  1484  (lieg.  du  conseil  de 
Charles  VIII,  p.  116). 

2)  Lettre  du  duc  de  Savoie,  alarmé  de  ne  pas  voir  arriver  Du  Bouchage  ; 
il  lui  écrit  pour  s'en  plaindre,  pour  protester  de  son  dévouement  au  roi  et  lui 
envoyer  son  chancelier  ;  le  duc  signe  :  «  bien  vostrc,  Charles  »  (ms.  fr. 
2923,  f»  32). 

3)  Réception  solennelle  d'un  ambassadeur  turc,  à  Aversa,  par  le  roi  de 
Naples,  en  1500  (Sanuto,  III,  1029). 

4)  L'ambassade  vénitienne  à  Rome,  en  1505,  fait  halte  près  de  la  porte  dii 
Verger,  dans  la  maison  d'un  certain  Falcone,  que  le  résident  vénitien 
Giustinian  avait  fait  garnir  de  tentures  et  de  tapis  (Paris  de  Grassis.  Lat. 
5164,  fo  173). 

5)  On  peut  en  tirer  un  parti  politique  :  par  exemple,  affirmer  une  ligue 
par  une  entrée  collective  de  tous  les  ambassadeurs  (Proposition  de  Ludovic 
Sforza  pour  l'entrée  à  Rome  des  ambassadeurs  de  Milan,  Naples  et  Florence, 
en  1493).  La  solennité  résulte  à  Rome,  d'après  les  maîtres  des  cérémonies,  de 
leur  présence  et  de  l'organisation  de  l'entrée  par  leurs  soins.  En  1505,  le 
résident  florentin  à  Rome  organise  à  l'ambassadeur  florentin  une  entrée 
solennelle  ;  «  cum  pompa  et  sine  pompa  »,  dit  Paris  de  Grassis  :  «  cum 
pompa  »,  parce  qu'il  y  avait  beaucoup  de  monde,  «  sine  pompa  »,  parce  que 
nous  n'y  étions  pas  (ms.  lat.  2164,  fo  265  v°). 

6)  Les  honneurs  ne  sont  dus  qu'à  une  ambassade  de  souverain.  On  se 
demande  en  1504,  à  Rome,  s'il  convient  d'aller  au  devant  des  ambassadeurs 


VOYAGE  ET  ENTRÉE  DES  AMBASSADEURS  177 

«  entrée  avec  le  triomphe  ».  On  y  tient  de  part  et  d'autre. 
L'évêque  de  Giirck,  envoyé  impérial  près  du  pape,  en 
1511,  cherche  à  s'y  soustraire  :  c'est  Jules  II  qui  l'exige, 
pour  hien  afficher  la  réception  '.  A  l'inverse,  Ludovic  Sforza 
veut  pour  ses  ambassadeurs  en  France  des  entrées  très  solen- 
nelles, afin  de  se  bien  poser  en  Europe*.  Ce  cérémonial,  de 
pure  forme ,  d'ailleurs ,  ne  prouve  rien ,  quant  au  fond  des  choses, 
et  se  concilie  très  bien  avec  l'accueil  le  plus  froid.  Serré  de  près 
à  Bologne  et  dans  la  situation  la  plus  critique,  Jules  Ilfaitre- 
cevoir  des  ambassadeurs  vénitiens  avec  le  cérémonial  habi- 
tuel, par  sa  garde  et  sa  maison,  et  par  les  maisons  des  cardi- 
naux :  à  peine  arrivés,  les  ambassadeurs  trouvent  une  con- 
vocation du  pape  :  ils  s'y  rendent  vers  huit  heures  du  soir  : 
Jules  II  les  reçoit  durement  et  les  accable  de  reproches  8. 
Un  ambassadeur  du  sophi  de  Perse,  adversaire  du  sultan, 
arrive  à  Constantinople  avec  une  suite  de  cent  chevaux  et  re- 
çoit les  plus  grands  honneurs  ;  peu  après,  il  n'échappe  que 
par  la  fuite  à  une  émeute  de  la  population  *.  Le  23  mars 
1506,  le  nonce  du  pape  envoyé  à  Venise,  en  mission  spéciale, 
trouve  la  réception  réglementaire,  et  il  part  le  31,  emportant 
un  refus  6.  Ainsi  la  réception  n'est  qu'une  formalité  honora- 
ble. A  Milan,  elle  était  organisée  par  un  introducteur  des  am- 
bassadeurs, dont  la  domination  française  respecta  l'institu- 
tion6 :  à  Rome,  par  un  des  maîtres  des  cérémonies.  En  France, 

de  Rhodes,  parce  que  le  grand  maître  de  Rhodes  n'est  ni  roi,  ni  prince,  ni 
chef  de  république,  ni  seigneur,  mais  général  d'un  ordre  soumis  au  pape.  On 
se  décide,  d'après  les  précédents,  à  envoyer  une  escorte  de  second  ordre, 
sans  tambourin  ni  canon  (Paris  de  Grassis.  Lat.  5164,  f<"  39,  93). 

1)  Lettres  de  Louis  XII,  II,  loi. 

2)  1492.  Delaborde,  Expédition  de  Charles  V1U,  p.  239. 

3)  Oct.  1310.  Sanuto,  XI,  353. 

4)  Sept.  1505.  Sanuto.  VI,  221. 
'■>)  Sanuto,  VI,  318,  323. 

6)  Jérôme  Vincimala,  «  qui  a  la  charge  de  toutes  les  ambassades  venaris  à 

12 


178  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

nous  ne  trouvons  que  dans  le  courant  du  XVIe  siècle  un  intro- 
ducteur des  ambassadeurs  ;  l'historien  Jacques  Gohori,  an- 
cien secrétaire  d*ambassade  à  Rome,  nous  apprend  lui-même 
qu'il  était  chargé  de  faire  les  honneurs  de  Paris  aux  ambassa- 
deurs étrangers1.  Au  commencement  du  XVIe  siècle,  le  roi 
désigne  un  ou  plusieurs  personnages  pour  conduire  et  diriger 
chaque  ambassade  a  :  quand  il  y  a  un  résident,  c'est  lui  qui 
fait  les  démarches  à  la  cour. 

En  matière  de  cérémonial,  on  peut  poser  des  règles  géné- 
rales; mais,  au  Moyen  Age,  ces  règles  ne  sont  jamais  absolues. 
«  Avant  tout,  dit  le  règlement  milanais  de  1468,  il  faut  avoir 
égard  aux  exigences  du  moment,  à  l'importance  de  l'objet 
annoncé  de  l'ambassade,  à  la  condition  des  personnes8.  »  Nous 
allons  donc  voir  quel  est  le  cérémonial  classique  d'une  récep- 
tion, puis  indiquer  les  principales  modifications  qu'on  peut  y 
apporter. 

Tout  d'abord,  lejour  de  l'entrée  est  fixé  par  le  souverain, 
d'accord  avec  l'ambassadeur.  L'entrée  d'apparat  ne  corres- 
pond pas  nécessairement  à  l'entrée  réelle.  L'entrée  à  Lyon 
de  Galéas  de  San  Severino,  ambassadeur  de  Milan,  était 
fixée  au  16  avril  1494  ;  mais  les  astrologues  milanais  dé- 
signant le  15  comme  un  jour  de  conjonction  favorable  des 
astres,  Galéas  fit,  ce  jour  là,  une  première  entrée  non  offi- 
cielle, avec  quatre  hommes  seulement,  en  habit  allemand,  et 

Milan  »,  va  en  commission  et«  faict  à  ses  despens  plusieurs  autres  services  », 
moyennant  une  pension  annuelle  de  200  livres  (Cte  de  lotO,  publié  dans 
notre  édition  de  Jean  d'Auton,  II,  384). 

1)  Ms.  lat.  5972,  fo  21-21  v°. 

2)  En  1494,  Charles  VIII  envoie  Georges  Thiercelin,  son  valet  de  chambre, 
au  devant  de  Galéas  de  San  Severino  (lettre  du  27  février.  Archives  de  Milan). 
En  1493,  à  Verceil,  le  maréchal  de  Gié  est  chargé  avec  Higault d'Oreille  de 
recevoir  et  festoyer  les  ambassadeurs  vénitiens  (Godefroy,  Hïst.  d»  Charles 
VHI,  p.  227). 

3)  A>ch°  storo  lombardo,  1890,  p.  150. 


VOYAGE    ET    ENTRÉE    DES    AMBASSADEDRS  179 

rendit  visite  au  roi.  Le  lendemain, il  entra  avecun  apparat  sans 
exemple.  La  garde  du  roi  et  nombre  des  plus  grands  seigneurs 
allèrent  au  devant  de  lui  jusque  dans  la  campagne  ;  on  le 
conduisit  directement  au  logis  du  roi.  Le  roi  mena,  lui- 
même,  Galéas  chez  la  reine,  et  l'audience  secrète  eut  lieu  im- 
médiatement après '.  Un  ambassadeur  d'Allemagne  entre  à 
Mantoue  ;  après  cet  acte  d'apparat,  peu  soucieux  de  res- 
ter près  du  marquis,  il  retourne  hors  de  la  ville,  à  un  couvent 
de  Slc  Marie  des  Grâces,  où  logeait  aussi  un  ambassadeur  de 
France  !  d  salue  son  collègue  en  arrivant,  et  n'a  pas  d'autres 
rapports  avec  lui  !. 

Rome  est  la  patrie  du  cérémonial.  C'est  incontestablement 
là  que  nous  devons  chercher  le  type  de  la  réception  correcte 
des  ambassades  ;  c'est  là  qu'on  excelle  à  déployer,  quand  il 
convient,  une  pompe  extraordinaire.  La  plus  belle  des  récep- 
tions diplomatiques  sous  Alexandre  VI  eut  lieu  le  23  décem- 
bre 1501,  pour  l'arrivée  du  cardinal  d'Esté,  qui  venait  cher- 
cher Lucrèce  Borgia  pour  la  conduire  à  son  nouvel  époux. 
Tous  les  cardinaux,  toutes  les  autorités  de  Rome,  le  corps  di- 
plomatique, les  personnes  de  la  cour  et  des  chancelleries  apos- 
toliques y  prirent  part 8. 

Les  ambassadeurs  entrent  ordinairement  à  Rome  par  les 
jardins  du  pape  'porta  del  Yiridario  *)  ou  par  la  porte  del 
Popolo.  Dans  le  premier  cas,  c'est  à  un   petit  pont  nommé 

1)  Delabordc,  Expédition  de  Charles  VIII.  p.  344. 

î  Mars  1511.  Sanuto,  XII,  70.  L'évoque  de  Gùrck,  ambassadeur  d'Alle- 
magne, écrit  qu'il  est  entré  incognito  à  Bologne,  et  qu'il  a  eu  de  suite  une 
audience  du  pape.  Mais,  malgré  ses  instances,  le  pape  a  tenu  à  ce  qu'il  fit 
une  entrée  solennelle.  L'ambassadeur  a  donc  dû  sortir  de  Bologne  en 
cachette,  puis  on  a  été  au  devant  de  lui  en  grand  appareil  (Lettres  de 
Louis  XII,  II,  140). 

3)  Burckard.  III,  174. 

'h  Appelée  quelquefois  au.ssi  Porta  S.  Pietro  (Sanuto,  VI,  160  ;  Burckard, 
11.  o.'iT 


180  LA   DIPLOMATIE   AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

ponticello,  dans  le  second  cas,  en  avant  du  pont  sur  le  Tibre 
(Ponte  Milvio,  actuellement  Ponte  Molle)*,  à  trois  ou  quatre 
milles  de  Rome,  qu'ils  trouvent  la  maison  (familia)  du  pape,  et 
les  maisons  de  tous  les  cardinaux,  sous  la  direction  du  gou- 
verneur de  Rome,  parfois  du  préfet 2  ;  il  y  a  toujours  un  mai- 
tre  des  cérémonies  3.  A  cette  escorte  officielle,  se  joignent  des 
ambassadeurs  de  pays  amis,  des  compatriotes,  des  amis,  des 
ennemis,  des  rivaux  *. 

L'habitude  du  corps  diplomatique  d'aller  au  devant  des 
nouveaux  arrivants  existe  dans  toutes  les  capitales  et  consti- 
tue un  pur  acte  de  courtoisie.  Cependant  les  amis  présen- 
tent l'accompagnement  comme  une  marque  d'amitié,  et  chez 
des  adversaires  trop  déclarés  il  pourrait  sembler  une  imperti- 
nence ou  tout  au  moins  un  acte  déplacé  ;  dans  ce  cas,  mieux 
vaut  s'abstenir.  En  1511,  Mathieu  Lang  trouve  à  son 
avance  l'ambassadeur  de  Venise  :  il  lui  dit  qu'il  est  étonné  de 
voir  là  un  ambassadeur  ennemi.  En  1491,  lorsqu'un  am- 
bassadeur turc  fait  son  entrée  à  Trajetto,  l'ambassadeur 
vénitien  parait  seul,  avec  la  cour  deNaples5.  En  1500,  au 
contraire,  Venise  et  les  Turcs  sont  brouillés  ;  une  ambas- 
sade vénitienne,  entrant  à  Rude,  le  2  avril,  passe  sous  les  fe- 
nêtres de  l'ambassade  ottomane,  qui  naturellement  ne  se  dé- 
range pas  "   (il  serait   d'ailleurs  difficile  à  un  ambassadeur 

\)  En  1505,  à  l'entrée  des  ambassadeurs  de  France,  le  cortège  traverse,  à 
tort,  le  pont.  De  plus,  le  torrent  avait  débordé,  en  sorte  qu'on  se  tint  quelque 
temps  dans  l'eau  (Paris  de  Grassis.  Lat.  5164,  f»  168). 

2)  Le  sénateur  ne  va  pas  au  devant  des  ambassadeurs  :  cependant,  par 
ordre  du  pape,  il  va  en  1505  recevoir  les  ambassadeurs  de  France,  et  il 
marche  avant  eux,  ce  que  critique  Paris  de  Grassis  (lat.  5164,  f°  168). 

3)  Burckard,  passim,  et  not.  III,  225. 

4)  L'ambassadeur  de  France  va  audevant  de  l'ambassade  d'Angleterre,  quoi- 
qu'appelé  à  protester  contre  elle  (Burckard,  III,  354). 

5)  Sanudo,  Spedizione,  120. 

6)  Sanuto,  H,  235. 


VOYAGE  ET  ENTRÉE  DES  AMBASSADEURS  181 

turc  de  se  manifester  dans  une  cérémonie  de  ce  genre).  De 
même,  aussitôt  après  l'arrivée  à  Rome  d'un  ambassadeur  an- 
glais en  1509, 1rs  ambassadeurs  de  Venise  envoient  leur  secré- 
taire les  excuser  de  ne  pas  avoir  osé  aller  à  son  avance  à 
cause  du  pape  :  L'ambassadeur  reçoit  ce  secrétaire  fort  aima- 
blement \  Bref,  des  scrupules  de  tact,  inspirés  parla  situation 
locale,  ou  d'autres  motifs8,  peuvent  dissuader  de  prendre  part 
au  cortège  de  réception.  L'ambassadeur  arrivant  doit,  cepen- 
dant, s'attendre  à  trouver  les  amis  de  son  pays,  ou  les  am- 
bassadeurs des  puissances  amies.  Deux  ambassadeurs  de 
France  arrivent  à  Bude,  le  15  mai  1500  :  au  devant  d'eux  se 
présentent  les  délégués  du  roi  de  Hongrie,  avec  cinq  cents 
chevaux,  et  les  ambassadeurs  de  Venise,  qui,  tout  en  causant, 
donnent  de  suite  à  l'ambassade  de  France  d'importants  ren- 
seignements \  A  Blois,  en  juin  1504,  le  nouveau  résident 
de  Venise  trouve  à  son  avance  x\ccurse  Mainier,  ancien  am- 
bassadeur à  Venise  et  ami  très  dévoué  de  la  Seigneurie  *. 
Il  convient,  si  l'on  ne  peut  aller  au  devant  d'un  ambassa- 
deur, de  s'en  excuser.  En  février  1495,  les  ambassadeurs  d'Al- 
lemagne à  Venise  trouvent  à  leur  avance  l'ambassadeur  de 
Naples,et  la  maison  du  légat,  qui  était  indisposé  ;  dès  leur  arri- 
vée au  logis,  ils  reçoivent  la  visite  et  les  excuses  des  ambassa- 
deurs de  Milan  et  de  Mantoue,  et  une  nouvelle  visite  du  Napo- 
litain. L'ambassadeur  de  France  s'abstient5.  L'entrée,  assez 
bizarre,  de  Louis  de  Trans,  ambassadeur  de  France  à  Rome, 


1)  24-25  nov.  1509  (Sanuto,  XI,  372). 

2)  Les  ambassadeurs  de  Bologne  et  d'Espagne  à  Rome  ne  vont  pas  au  de- 
vant de  l'ambassade  de  Pologne,  le  premier,  dit-il.  parce  qu'il  n'en  a  pas  reçu 
Yintimation,  le  second  à  cause  de  la  nouvelle  de  la  mort  de  sa  souveraine 
(Paris  de  Grassis.  Lat.  516i,  fo  135  v°). 

3)  Sanuto,  III,  356. 

4)  Sanuto,  VI,  37. 

o)  Sanudo,  Spedizione,  218. 


182 


LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 


le  23  août  1500,  se  signale  par  un  incident  tout  spécial  et  as- 
sez romanesque  :  Trans  s'arrête  à  quelque  distance  de  la 
porte  du  Verger,  dans  un  cabaret,  et  là  un  cavalier  masqué 
arrive,  l'embrasse  sans  quitter  son  masque,  et  repart  ;  alors 
Trans  remonte  à  cheval  et  fait  son  entrée.  Les  commentaires 
aussitôt  d'aller  leur  train  ;  on  supposa,  en  général,  que  le  per- 
sonnage masqué  était  César  Borgia  ' . 

L'ambassadeur  ne  doit  rien  négliger  pour  produire  bon 
effet  à  son  entrée  ;  sa  tenue  personnelle,  son  train  de  maison 
seront  irréprochables,  car  la  ville  et  la  cour  vont  en  noter  les 
moindres  particularités'.  Le  15  avril  1505,  Jules  II  refuse 
toute  audience,  afin  d'aller  au  château  S1  Ange  voir  passer 
l'ambassade  française  d'obédience.  Cette  ambassade  com- 
prend un  évêque,  un  chevalier  et  un  docteur  (Michel  Riz) 
qui  fera  le  discours,  plus  un  secrétaire,  soit  à  peine  cin- 
quante chevaux;  il  n'y  a  que  onze  chariots.  Jules  II  s'en 
montre  peu  satisfait.  Le  lendemain,  il  demande  à  l'ambassa- 
deur de  Venise  quand  arrivera  l'ambassade  vénitienne  :  ce- 
lui-ci, qui  comprend  l'apologue,  se  hâte  de  répondre  «  qu'elle 
va  arriver,  qu'elle  sera  très  honorable,  en  rapport  avec  la 
puissance  de  la  République  3  »  (cependant,  Venise,  par  es- 
prit d'économie,  a  défendu  aux  ambassadeurs  d'emmener 
chacun  plus  de  cinq  gentilshommes*),  qu'elle  sera  superbe  5. 

1)  Burckard,  III,  74. 

2)  Certains  ambassadeurs,  venant  de  loin,  obtiennent  un  succès  de  curio- 
sité :  lorsqu'arrive  le  prévôt  de  Vilna,  envoyé  de  Lithuanie,  on  s'attend  à 
des  détails  pittoresques  ;  en  effet,  il  était  escorté  de  douze  écuyers  et  de  douze 
petits  enfants,  tous  en  noir  et  blanc  et  en  longues  robes.  Le  pape  lui-même 
voulut  assister  à  leur  arrivée  :  mais  il  y  assista  incognito,  à  une  fenêtre,  der- 
rière une  jalousie  (Burckard,  III,  121).  Cf.  les  curieux  détails  donnés  par 
Paris  de  Grassis(ms.  lat.  5164,  fo  129  v°). 

3)  Dispacci  di  Giustinian,  III,  48S-487. 

4)  Sanuto,  VI,  140.  Les  frais  de  l'ambassade  d'obédience  étaient  à  la 
charge  du  gouvernement. 

5)  Paris  de  Grassis  dépeint  son  entrée.   Deux  des  ambassadeurs  étaient 


VOYAGE  ET  ENTKÉE  DES  AMBASSADEURS  183 

Les  ambassades  orientales  déployent  toujours  beaucoup  de 
pompe  '.  En  1442,  on  remarque  fort  à  la  cour  de  Bourgogne 
les  costumes  grégeois  de  l'ambassade  de  l'empereur  chrétien 
de  (loustantinople  '  :  à  son  entrée  à  Budc  en  1500,  l'ambas- 
sadeur turc  amène  cent  vingt  chevaux  '.  En  général,  la  di- 
plomatie française,  au  contraire,  néglige  trop  le  cérémonial. 
Roger  de  Gramont  arrive  à  Home  en  1500,  avec  treize  chevaux 
seulement  \  Le  25  novembre  1504,  M.  de  Gimel,  bien  qu'es- 
corté de  dix  huit  chevaux  seulement,  entend  mieux  son  entrée 
àlnspriiek,  près  de  Maximilien  :  deux  chevaux,  caparaçonnés 
de  velours  noir  et  conduits  à  la  main,  portent  avec  ostentation 
divers  présents;  l'ambassadeur  lui-même,  en  long  costume 
trainant  de  velours  fourré  de  zibelines,  avec  une  énorme 
chaîne  autour  du  cou,  produit  bonne  impression  5.  Ort  attache 
beaucoup  d'importance  aux  chaînes  d'or  6,  et  aussi  au  port  de 
la  barbe.  Au  XVe  siècle,  on  se  rase  entièrement,  et  une  longue 
barbe,  indice  certain  d'une  origine  exotique,  produit  mauvais 
effet.  Sous  Louis  XII,  au  contraire,  la  barbe  entière  prend 
faveur7,   et  devient  la  mode  nouvelle.  Une  belle  prestance 


en  habits  d'or.  Mais  une  pluie  battante  empêcha  l'ambassade  de  revêtir  les 
beaux  habits  qu'elle  avait  apportés  (ms.  lat.  5164,  f°  P3). 

i)  L'ambassade  de  Portugal  à  Rome,  en  1505,  veut  faire  sonner  ses  trom- 
pettes, ce  qui  est  sans  précédent;  elle  en  reçoit  l'autorisation  du  pape.  Mais 
on  obtient  que  ces  trompettes  sonnent  avec  ceux  du  gouverneur  d<;  la  ville  et 
marchent  dans  le  cortège,  non  en  avant  (Paris  de  Grassis.  Lat.  5164, f°  192). 

2)  Livre  des  faits  de  mess.  Jacques  de  Lalaing,  ch.  vil. 

3j  Sanuto,  III,  235. 

4)  Burckard,  III,  39. 

5)  Sanuto,  VI,  H0. 

6)  Sanuto,  passim,  not.  Y,  511. 

7)  Cependant  le  concile  d'Hispala,  en  1512,  défend  encore  de  laisser 
croître  pendant  plus  de  deux  mois  sa  barbe  et  ses  cheveux  en  signe  de  deuil, 
pour  ne  pas  ressembler  aux  Mahométans  (Labbe,  XIX,  645). 


184  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

produit  aussi  un  heureux  effet  \  Enfin,  l'ambassadeur  doit 
porter  un  riche  costume  \ 

L'ambassadeur  d'Allemagne  près  du  pape,  à  Bologne,  en 
1511,  fait  son  entrée  avec  trois  cents  cavaliers,  allemands  de 
marque  ou  émigrés  de  Padoue  et  de  Vicence,  tous  pompeux, 
en  habits  de  soie,  avec  des  chaînes  d'or.  Les  maisons  du  pape 
et  des  cardinaux,  tous  les  ambassadeurs  vont  au  devant  de 
lui,  ce  qui  produit  un  bel  ensemble  de  quinze  cents  chevaux. 
Et  pourtant  à  Bologne,  écrit  l'ambassadeur,  la  pompe  n'est 
guère  de  mise,  «  il  faut  la  laisser  à  l'hôtel  3.  » 

L'ambassadeur  doit  aussi  s'assurer,  avant  l'entrée,  qu'il 
trouvera  les  honneurs  *  qui  lui  sont  dûs.  L'ambassade  solen- 
nelle hongroise,  de  sept  ambassadeurs  et  de  quatre  cents  che- 
vaux, venue  à  Venise  en  1504  chercher  la  nouvelle  reine  de 
Hongrie,  trouve  une  réception  superbe  :  on  lui  envoie,  au 
loin,  sept  barques  montées  par  des  gentilshommes  vêtus  d'é- 
carlate,  et  cinquante  barques  pour  son  service.  Mais  les  am- 


1)  Arrivée  d'un  nontio  des  Suisses  à  Rome  ;  allemand,  bel  homme,  avec 
une  chaîne  d'or  au  cou  (nov.  1509.  Sanulo,  IX,  321).  Louis  XII  envoie  au 
Grand  Turc  deux  hérauts  ;  le  premier  est  Montjoye,  son  premier  héraut,  déjà 
âgé,  mais  homme  de  bien  et  portant  toute  sa  barbe  (Sanuto,  III,  358)  :  deux 
ambassadeurs  de  Raguse  présentent  à  Venise  leurs  lettres  de  créance  :  ri- 
chement vêtus,  sans  barbe  (Sanuto,  X,  609). 

2)  V.  toutes  les  descriptions  de  Paris  de  Grassis.  Pour  son  entrée  à  Rome, 
un  prélat  ambassadeur  doit  être  en  rochet  et  chapeau  épiscopal,  mais  il  ne 
doit  point  avoir  de  capuce  (Paris  de  Grassis.  Lat.  5164,  f°  129  v<>),  ni  même 
de  manteau  de  cérémonies,  bref,  rien  sur  les  épaules.  Cependant  Burckard 
tolère  le  manteau  (récit  d'une  vive  discussion  sur  ce  point,  lbid.,  f°»  326 
v°,  327). 

3)  H  avril  1541.  Sanuto,  XII,  127. 

4)  Les  ambassadeurs  d'Espagne  à  Rome  pour  obédience,  en  1507,  «  ii  omnes 
satis  bene  hispano  more  ordinati  et  vestiti  »,  refusent  l'itinéraire  qu'on  leur 
propose,  ils  veulent  entrer  par  la  porte  du  Verger,  et  arrivent  en  retard.  Le 
maître  des  cérémonies  donne  à  l'escorte  un  état  de  l'ordre  à  suivre,  mais  on 
le  suit  mal  :  «  familiae  cruciabantur  sub  sole  »,  en  attendant  (Paris  de 
Grassis.  Lat.  5165,  fo  311). 


VOYAGE  ET  ENTRÉE  DES  AMBASSADEURS  185 

bassadeurs  refusent  de  poursuivre  leur  entrée,  parce  qu'on 
leur  dit  que  leur  logis  est  prêt  à  l'hôpital  S'  Antoine,  une 
grande  construction  neuve,  encore  inutilisée  :  le  mot  d'hô- 
pital les  offusque,  ils  le  considèrent  comme  injurieux.  Ils  ne 
se  décident  à  poursuivre  qu'après  bien  des  négociations, 
lorsqu'on  leur  eût  assuré  un  palais  '. 

Ces  questions  préalables  réglées,  il  n'y  a  plus  qu'à  procé- 
der à  l'entrée  proprement  dite.  En  bonne  règle,  on  attend 
l'ambassadeur  à  l'endroit  indiqué,  et  c'est  un  manque  d'é- 
gards de  le  laisser  arriver  le  premier.  Lui-même  doit  paraître 
strictement  à  l'heure.  Le  comte  de  Caïazzo,  à  qui  on  veut 
faire  à  Rome  une  réception  diplomatique,  comme  lieutenant 
du  roi  de  France,  le  28  juin  1501,  mais  qui  n'est  pas  diplo- 
mate, arrive  un  peu  en  avance,  et  les  gens  du  pape  sont  un 
peu  en  retard  ;  de  là  un  désordre  déploré  par  le  maître  des 
cérémonies;  ce  dernier,  un  peu  en  retard  lui-même,  reçoit 
Caïazzo  avec  quelques  maisons  de  cardinaux  et  les  ambassa- 
deurs anglais,  vénitiens,  florentins  ;  mais  il  lui  faut,  chose 
fâcheuse,  remanier  le  cortège2.  L'ambassadeur  est  quelquefois 
arrivé  la  veille  et  ne  se  montre  qu'à  l'heure  dite3  ;  c'est 
même  le  procédé  le  plus  correct  pour  ne  pas  faire  attendre 
l'escorte.  A  Rome,  dès  que  l'ambassadeur  parait,  toutle  monde 
descend  de  cheval  ou  de  mule,  pour  le  saluer;  il  répond  aux 
souhaits  et  offres  de  service  du  gouverneur  de  Rome,  aux 
compliments  de  la  maison  du  pape.  S'il   est  persona  grata, 


1)  Juillet  150-2.  Sanuto,  IV,  283. 

2)Burckard,  III,  148. 

3)  L"entrée  a  lieu  le  matin,  parfois  de  fort  bonne  heure.  Lorsque  deux  am- 
bassadeurs vénitiens  viennent  saluer  Jules  II  à  Bologne,  le  pape  ordonne  de 
leur  faire  une  entrée  comme  pour  les  ambassadeurs  d'obédience.  Ils  entrent 
vers  la  nuit  tombante,  ce  dont  les  prélats  envoyés  à  leur  avance  s'étonnent  ; 
les  ambassadeurs  s'excusent,  en  disant  qu'ils  ignoraient  qu'on  voulût  venir 
au  devant  d'eux  (Frati,  Le  due  spedizioni  militari  di  Giulio  II,  199). 


186  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

le  maître  des  cérémonies  s'empresse  jusqu'à  lui  fournir  des 
réponses  toutes  faites  '.  Les  ambassadeurs  étrangers  le  saluent 
de  même.  Le  23  août  1500,  les  ambassadeurs  d'Espagne  et  de 
Naples,  hostiles  à  la  France,  viennent  au  devant  du  nouvel 
ambassadeur  de  France,  Louis  de  Trans,  et  lui  disent  : 
«  Soyez  le  bienvenu.  »  Le  maître  des  cérémonies  leur  sug- 
gère d'ajouter  quelques  mots  moins  secs  ;  ils  refusent.  Alors 
Trans  pousse  son  cheval,  en  disant  :  «  C'est  qu'ils  ne  veulent 
pas  de  réponse  -.  » 

Le  cortège  se  met  en  marche,  précédé  de  trois  massiers 
du  pape  (avec  le  héraut,  s'il  y  en  a  un)  3,  et  des  gens  de  ser- 
vice \  le  chef  de  l'ambassade  en  tête,  ayant  à  sa  droite  le 
gouverneur  (ou  le  préfet)  et  à  gauche  ordinairement  un  ar- 
chevêque5. Le  reste  suit  deux  par  deux.  Le  maître  des  cérémo- 
nies a  fort  à  faire  d'organiser  ce  cortège  conformément  aux 
préséances  6.  Si  l'ambassade  comprend  plusieurs  membres, 
chacun  de  ces  membres  doit  successivement  s'accoupler 
avec  les  personnages  de  l'escorte,  ambassadeurs  ou  prélats, 

1)  Burckard,  111,  340.  Paris  de  Grassis  déclare  «  avec  stupéfaction  »  que 
non  seulement  il  n'a  point  de  réponses  à  fournir  au  chef  de  l'ambassade  de 
Venise  en  1505,  mais  que  celui-ci  répond  avec  un  à-propos  et  un  esprit  mer- 
veilleux (lat.  5164,  fol73  vo). 

-2)  Burckard,  III,  74-75. 

3)  Paris  de  Grassis.  Lat.  5164,  fo  168  v<>. 

4)  A  son  entrée  à  Bologne,  en  1511,  l'ambassade  allemande  (dirigée  par 
Mathieu  Lang)  entre  à  l'allemande  et  non  à  l'italienne,  c'est-à-dire  sans  baga- 
ges, et  les  gens  de  service,  les  famille  par  derrière  au  lieu  d'être  en  avant 
(Frati,  Le  due  spedizioni  militari  di  Giulio  H,  263). 

5)  En  juillet  1505,  le  duc  d'Urbin  étant  allé  au  devant  d'un  ambassadeur 
de  Venise,  le  maître  des  cérémonies  met  l'orateur  entre  le  duc  et  le  préfet, 
au  lieu  du  gouverneur  et  d'un  archevêque  (Burckard,  III,  396). 

6)  Paris  de  Grassis  raconte  que,  pour  l'entrée  des  ambassadeurs  de  Savoie, 
il  eut,  sur  place,  trois  violentes  discussions  avec  Burckard,  premier  maître 
des  cérémonies  :  la  première  pour  le  costume  d'un  ambassadeur,  la  seconde 
pour  le  rang  d'un  autre,  la  troisième  pour  le  rang  à  assigner  au  duc  d'Alba- 
nie dans  l'escorte  (lat.  5164,  f°s  326  v°-327  v<>). 


VOYAGE  ET  ENTRÉE  DES  AMBASSADEURS  187 

suivant  l'ordre  de  préséance  !.  On  pénétre  ainsi  dans  la  ville, 
au  bruit  du  canon  et  des  trompettes  J,  et  Ton  conduit  l'ambas- 
sadeur jusqu'à  son  logis,  où  il  met  pied  à  terre  devant  la  porte 
et  prend  congé  en  adressant  à  chaque  personne  un  remercie- 
ment individuel  '.  Comme  à  Rome,  les  ambassades  ne  reçoi- 
vent ni  logement  ni  défrai,  certaines  ont  un  lieu  de  descente 
attitré  :  les  Vénitiens  descendent  volontiers  au  palais  de  Ve- 
nise, chez  le  cardinal  vénitien  Grimani  '.  Les  autres  vont  au 
logis  qu'on  leur  a  retenu  :  Trans  va  habiter  place  des  Saints 
Apôtres5;  l'ambassadeur  florentin,  en  1501,  descend  au  pa- 
lais de  l'archevêque  de  Tarente  6... 

Quant  aux  menus  incidents  de  l'entrée,  Giustinian,  par 
exemple,  simple  résident  de  Venise  à  Rome,  et  conséquent  - 
ment  reçu  de  la  manière  la  plus  simple  et  la  moins  stricte, 
nous  en  a  laissé  un  récit  dans  sa  première  dépêche7.  Giusti- 

1)  Les  ambassadeurs  sont  placés  dans  l'ordre  réglé  parleurs  pouvoirs,  re- 
produit par  l'intimation  du  pape  :  le  résident  passe  le  dernier.  Il  peut  y 
avoir  à  ce  sujet  des  difficultés  (entrée  de  l'ambassade  d'obédience  d'Ecosse 
en  1504.  Paris  de  Grassis,  ms.  cité,  fo  13). 

2)  Not.  Paris  de  Grassis.  Lat.  5164,  fo  168  v°. 

3  L'ambassadeur  donne  une  gratification  au  maître  des  cérémonies.  L'am- 
bassadeur d'Ecosse,  en  1504,  donne 40  ducats  (Paris  de  Grassis.  Ms.  lat. 1514, 
fo  13  vo),  l'ambassadeur  d'Angleterre,  50  ducats  [Mil.,  f°  19:  :  ce  dernier 
donne  en  outre  20  ducats  aux  seize  huissiers  du  pape,  20  aux  vingt  et  un  mas- 
siers,  20  aux  trente  palefreniers,  25  aux  dix  neuf  courriers,  et,  en  route,  des 
menus  pourboires  de  6  et  2  ducats,  en  tout  145  ducats  ;  l'ambassade  de 
France  n'en  donne  que  cent  :  l'ambassade  de  Pologne  moins,  elle  s'excuse  sur 
la  richesse  des  présents  qu'elle  offre  au  pape:  les  ambassades  de  Portugal,  de 
Venise,  donnent  comme  l'ambassade  d'Ecosse  (id.,  fo  19  vo). 

4)  Burckard,  III,  75. 

5)  Burckard,  III,  74-75. 

6)  Burckard,  III,  1 19. 

7)  Cf.  dans  Burckard,  le  récit  d'entrées  d'orateurs  à  Rome  ;  savoir  :  Fer- 
rare,  7  déc.  1503  ;  Lucques,  9  déc.  1503  ;  Sienne,  9  janvier  1504;  Florence, 
6  janvier  1804  ;  Gènes.  29  février  1504;  Savone,  13  mars  1504  :  Angleterre, 
mai  1504  ;  S1  Jean  de  Jérusalem,  3  octobre  1504  ;  Pologne,  28  février  (mars) 
1505;  France,  15  avril  1505;  entrée  de  princes,  4  janv.  1505;  Venise,  28 


188  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

nian  envoie  d'abord  un  agent  à  son  prédécesseur  pour  tout 
régler.  LY  agent  revient,  avec  ordre  du  pape  d'attendre  le 
lendemain,  pour  laisser  faire  les  préparatifs. 

Le  2  juin,  l'ambassadeur  se  lève  tard  et  vient  tranquille- 
ment, à  un  mille  de  Rome,  jusqu'à  un  palais  (tout  est  palais), 
où  son  prédécesseur  avait  fort  courtoisement  commandé  un 
diner.  Peu  après,  le  prédécesseur  arrive,  avec  une  foule  de 
prélats  vénitiens,  qui  font  fête  au  nouveau  venu.  On  dine  en- 
semble, et  l'on  attend  que  les  maisons  (famiglie^)  de  cardi- 
naux sortent  de  la  porte  de  Rome.  Dès  qu'elles  commencent  à 
déboucher,  on  monte  achevai.  A  un  jet  d'arc,  on  rencontre 
une  première  escouade  de  prélats,  qui  se  confondent  en  salu- 
tations. Quelques  pas  plus  loin,  un  évêque,  à  la  tête  d'une 
maison  de  cardinal,  salue  au  nom  de  son  maître,  et  offre  à 
l'ambassadeur,  en  l'honneur  de  son  Etat,  les  biens  et  la  per- 
sonne du  cardinal  (c'est  le  compliment  d'usage)  :  l'ambassa- 
deur répond  par  un  petit  discours,  puis  continue  et  trouve 
d'autres  maisons,  avec  lesquelles  il  échange  les  mêmes 
discours  ;  chacune  d'elles  se  range  pour  laisser  passer 
l'ambassadeur  et  grossit  l'escorte.  Un  peu  en  avant  de 
la  porte,  on  rencontre  l'ambassadeur  de  Ferrare,  un  ambas- 
sadeur de  France.  Ce  dernier  excuse  fort  son  collègue,  qu'une 


avril  1505  ;  Portugal,  1er  juin  1505  ;  Florence,  25  novembre  1505  ;  Savoie,  13 
avril  1506  :  les  obédiences,  en  1504,  des  18  janvier,  15  janvier,  28  février, 
20  mai,  24  juin,  5  juillet,  14  octobre  ;  des  10  mars,  21  avril,  5  mai, 
4  juin  1505. 

1)  La  famiglia  d'un  cardinal  comprend  au  moins  quatre  gentilshommes  de 
cape  et  d  epée,  un  maître  de  chambre,  un  écuyer,  un  auditeur,  un  secré- 
taire, un  théologal,  un  caudataire,  un  chapelain,  deux  valets  de  chambre,  un 
barbier-massier,  douze  estafiers,  deux  cochers,  un  postillon,  deux  valets  d'é- 
curie, sa  mule,  deux  chevaux  de  selle,  quatre  chevaux  de  prix,  et  sept  che- 
vaux pour  le  carrosse  de  campagne,  d'après  un  Traité  ms.  de  1638,  dédié  au 
cardinal  de  Richelieu  (Ms.  fr.  17227,  f»s  22  et  suiv.).  Cf.  le  chapitre  De  fami- 
lia  cardinalis,  dans  Pauli  Cortesii,  De  Cardinalatu,  fo  lv  et  suiv. 


VOYAGE    ET   ENTRÉE    DES    AMBASSADEURS  189 

indisposition  a  privé  de  venir;  on  échange  mille  compliments  : 
L'ambassadeur  de  France  prend  le  côté  de  l'ambassadeur  de 
Venise  et  marche,  en  causant  avec  lui  des  nouvelles  politi- 
ques. A  la  porte,  attend  la  maison  du  pape  :  nouveaux  com- 
pliments et  nouveaux  discours,  Bref,  un  cortège  d'environ 
cinq  cents  personnes  à  cheval  conduit  l'ambassadeur  jusqu'à 
sa  maison,  où  tout  le  monde  prend  congé.  Là,  son  prédé- 
cesseur lui  annonce  qu'il  a  obtenu  audience  du  pape  pour  le 
lendemain  '. 

Dans  toute  l'Italie  et  dans  toute  l'Europe,  on  reçoit  les  am- 
bassadeurs, avec  moins  de  pompe  et  de  correction,  mais  d'une 
manière  analogue.  Des  seigneurs  de  la  cour  vont  à  l'avance 
du  nouveau  venu,  avec  le  corps  diplomatique*.  A  Venise, 
lorsqu'il  s'agit  d'une  ambassade  importante3,  dix  à  vingt  pa- 
triciens l'attendent  à  Margera*.  Côme  de  Médicis,  envoyé  à 
Venise,  en  1433,  comme  ambassadeur,  écrit  qu'il  a  été  reçu 
superbement'.  A  Florence,  la  population  elle-même  se  porte 
en  foule  au  devant  des  nouveaux  venus  6.  Mais  c'est  à  Milan 

1)  Villari,  Dispacci...,  1,9  et  suiv. 

2)  L'ambassadeur  du  pape  arrive  à  Bude,  le  12  juillet  1500.  Les  ambassa- 
deurs français,  deux  envoyés  du  roi  et  quelques  chevaux  vont  au  devant  de 
lui  (Sanuto,  III,  566).  L'orateur  turc,  récemment  venu  à  Bude,  y  fait  son  entrée 
devant  tous  les  ambassadeurs  chrétiens  envoyés  pour  une  ligue  contre  lui 
(mai  1500.  Sanuto,  III,  c.  356). 

3)  Un  orateur  de  Hongrie  :  on  va  au  devant  de  lui  jusqu'à  Margera  (23 
sept.  1508.  Sanuto,  Vil,  641)...  L'orateur  du  pape  arrive  :  des  gentilshom- 
mes vont  au  devant.  Il  est  logé  à  S1  Georges  (24  mai  1500.  Sanuto,  III,  341). 

4)  Actuellement  Malghera,  dernier  point  de  terre  ferme  entre  Mestre  et 
Venise. 

5)  «  Corne  ambasciadore,...  con  tanto  onore  e  tanta  carità,  che  non  si  po- 
trcbbe  dire,...  otferendo  la  signoria,  la  città,  l'entrata  loro.  »  On  le  loge, on 
le  défraie  superbement  (Rapport,  publ.  par  Roscoë,  Vie  de  Laurent  de  Mé- 
dicis, édition  française,  I,  373). 

6)  Rapp.  de  1469  (ms.  fr.  3884).  L'ambassadeur  de  France  arrivant  à  Flo- 
rence en  1478,  Laurent  de  Médicis,  une  foule  de  bourgeois,  nombre  d'ambas- 
sadeurs, et  tin  grand  cortège  de  gens  d'armes  vont  au  devant  de  lui  (Ker- 
vyn,  Lettres  et  négociations,  III,  11). 


190  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

qu'on  déploie  en  pareil  cas  le  plus  de  faste;  en  1469,  une 
grande  ambassade  de  France  est  reçue  par  l'archevêque, 
quatre  évêques,  tout  le  conseil  ducal,  et  six  cents  chevaux  l. 

Parfois,  on  pousse  la  courtoisie  jusqu'à  adresser,  sur  la 
route  même,  un  discours  latin  à  l'ambassade  arrivante  *. 

En  Orient,  l'étiquette  est  grande,  et  l'apparat  de  rigueur3. 
Un  simple  consul  de  Venise  à  Alexandrie  écrit  qu'il  a  été  reçu 
avec  honneur  par  les  Maures,  «  honoré  et  caressé*.  »  Alvise 
Manenti,  envoyé  vénitien  près  du  sultan,  va  à  Patras,  puis  à 
Andrinople,  avec  une  escorte  de  hauts  fonctionnaires  otto- 
mans3. A  l'arrivée  à  Constantinople  de  Gritti,  ambassadeur 
de  Venise,  en  1502,  le  port  est  encombré  d'une  foule  de  cu- 
rieux de  tous  les  pays.  Gritti,  pourtant,  était  bien  connu  : 
c'était  un  ancien  marchand  de  Pera.  Deux  envoyés  du  Grand 
Soigneur  l'attendent,  avec  environ  cent  chevaux  :  l'ambassa- 
deur douve  un  cheval  de  l'écurie  du  Grand  Seigneur  à  sa  dis- 
position. Le  soir,  suivant  l'usage,  le  Grand  Seigneur  lui  en- 
voie des  comestibles  :  le  grand  vizir  également6. 

En  France,  les  réceptions  présentent  généralement  un  ca- 
ractère assez  simple.  Le  vénitien  Mocenigo  est  reçu  à  Blois,  en 

i)Rapp.  de  1469  (ms.  fr.  3884). 

2)  Les  de\\\  ambassadeurs  de  Venise  arrivant  à  Bude  le  2  avril  1500,  sont 
reçus  par  deux  conseillers  du  roi,  600  chevaux  et  leur  secrétaire,  et  en  grand 
honneur.  Sur  la  route,  à  cheval,  on  leur  adresse  un  discours  latin,  et  ils  y  ré- 
pondent. Le  5,  ils  ont  audience  du  roi,  puis  audience  secrète.  Ils  sont  dé- 
frayés de  leurs  dépenses  parle  roi  (mais  moins  largement  que  l'ambassadeur 
turc).  Sanuto,  III,  236. 

3)  En  1512,  l'ambassadeur  vénitien  en  Egypte  emmène  des  trompettes 
très-richement  vêtus,  qui  l'escortent  à  la  première  audience  en  sonnant  (Gh. 
Schet'er,  Le  voyage  d'outremer,  p.  186). 

4)  Oct.  1507.  Sanuto,  VII,  182. 

5)  Sanuto.  III,  179  et  suiv. 

6)  Sanuto.  V.  456.  Cf.  le  récit  de  la  réception  de  l'ambassade  de  France  au 
Caire  en  1512,  par  Jean  Thenaud,  Le  voyage  d'outremer,  puhl.  par  Ch.  Sche- 
i'er,  p.  42  et  suiv.,  et  de  l'ambassade  de  Venise,  id.,  p.  182  et  suiv. 


VOYAGE  ET  EN 1UEE  DES  AMBASSADEURS  191 

1505,  par  l'évèque  de  Nevers  et  un  certain  nombre  de  gen- 
tilshommes '.  Fne  g-rande  ambassade,  celle  de  Maximilien  et 
de  Marguerite  (l'Autriche,  après  le  traité  de  Cambrai,  écrit 
qu'à  son  arrivée  à  Bourges,  le  10  mars  1509,  vers  cinq  heures 
du  soir,  elle  a  trouvé  à  son  avance  deux  grands  seigneurs, 
MM.  de  Foix  et  le  duc  d'Albanie,  deux  évoques,  les  ambassa- 
deurs de  Ferrate,  de  Mantoue,  de  Florence,  qui  lui  ont  fait 
escorte  jusqu'au  logis.  A  peine  arrivé  et  avant  souper,  visite 
de  l'évèque  de  Paris  et  du  comte  de  Carpi  :  après  souper, 
avis  que  le  roi  accorde  son  audience  pour  le  lendemain 
dimanche,  à  une  heure  après  midi».  Le  26  janvier  1504,  à 
Lyon,  on  fait  au  cardinal  de  la  Rovère,  neveu  de  Jules  II, 
une  entrée  diplomatique  :  la  garde  du  roi,  le  cardinal  de 
S'  Malo  et  tous  les  ambassadeurs,  sauf  celui  d'Espagne,  vont 
au-devant  de  lui  :  il  s'avance  entre  le  cardinal  de  S1  Malo  et 
l'ambassadeur  de  Venise3.  C'est  la  présence  du  corps  diplo- 
matique qui  donne  surtout  du  relief  à  ces  entrées  \ 

En  Suisse,  le  cérémonial  se  réduit  à  sa  plus  simple  expres- 
sion. Un  envoyé  milanais  arrive  à  Berne  :  tout  se  borne  aune 
visite  que  l'avoyer  de  Berne  vient  lui  faire  à  l'hôtel 5,  fort 
courtoisement. 

Les  entrées  solennelles  plaisent  peu  aux  ambassadeurs 
qui  en  sont  l'objet,  et  encore  moins  aux  figurants.  En  1500, 
sur  seize  patriciens  désignés  à  Venise  pour  se  rendre  au  de- 
vant d'une  ambassade  de  France,  quatre  seulement  accom- 
plissent cette  mission.  Les  autres  sont  condamnés,  pour  le 
principe,  à  une  amende  de  dix  ducats,  mais  en  réalité  on  ad- 


1)  Sanuto,  VI,  262. 

2)  Lett.  de  Louis  XII,  I,  146  et  suiv. 

3)  Sanuto,  V,  667. 

ii  Ppsjftrdips,  Négociations,  11.  9g,  117,  139,  i'X',. 

•>    1475.  Gingins  la  Sarraz,  Dép.  des  amb.  milanais,  1,  50. 


492  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

met  leurs  excuses  '.  Deux  ambassadeurs  anglais  arrivent  à 
Blois  en  juillet  1510  :  le  roi  envoie  à  leur  avance,  à  quatre 
lieues,  le  bailli  d'Amiens  et  le  maréchal  des  logis  Darisoles  ; 
à  leur  entrée,  ils  trouvent  les  frères  du  duc  de  Savoie,  du  duc 
de  Lorraine,  du  marquis  de  Saluées,  beaucoup  d'évêques  et 
de  grands  seigneurs,  sauf  M.  d'Angoulême  qui  reste  chez  lui. 
Les  ambassadeurs  du  pape,  d'Allemagne,  d'Aragon,  se  bor- 
nent à  leur  faire  une  visite  dès  leur  arrivée,  n'ayant  pas  pu 
trouver  le  temps,  disent-ils,  de  prendre  part  à  la  cérémonie  : 
«  Je  suis  à  demi-mort  de  fatigue,  »  écrit  l'ambassadeur  d'Al- 
lemagne 2.  C'est  surtout  à  Rome,  au  moment  de  l'arrivée  de 
multiples  ambassades  d'obédience,  que  ces  honneurs  devien- 
nent tout  à  fait  accablants. 

Cependant  on  voit  d'un  mauvais  œil  que  l'ambassadeur, 
à  son  arrivée,  veuille  se  soustraire  à  l'entrée  solennelle  ;  les 
diplomates  italiens  l'affrontent  toujours  sans  difficulté,  mais, 
pour  un  motif  ou  pour  un  autre,  les  Français,  les  Allemands, 
laissent  voir  qu'ils  s'en  passeraient  volontiers  :  cette  réserve 
parait  une  sorte  de  manque  d'égards.  Trois  ambassadeurs  d'Al*= 
lemagne  arrivent  à  Venise  le  28  août,  à  deux  heures  de  nuit. 
Ils  demandent  à  être  reçus  en  audience  le  soir  même  :  on  leur 
répond  que  c'est  contraire  aux  usages,  et  leur  réception, 
fixée  au  30,  est  même  remise  au  31,  sous  prétexte  de  la  pluie 
et  d'une  bourrasque 8.  M.  de  Gramont,  de  mauvaise  humeur 
parce  qu'il  a  été  dévalisé  par  des  brigands,  entre  à  Rome 
sans  aucune  formalité,  fie  qui  produit  fort  mauvais  effet*. 
Le   5  juillet  1501,  M.    de  Gimel,   ambassadeur  de  France, 

1)  Sanuto,  III,  191. 

2)  Lett.  de  Louis  XII,  I,  263. 

3)  Sanuto,  VI,  404. 

4)  Burckard,  III,  29.  Villari,  Dispacei  di  A.  Giustinian,  II,  43.  Burckard, 
III,  127. 


Y0YAGE   ET    ENTRÉE    DES   AMBASSADEURS  193 

vient  à  Venise,  en  simple  mission  ;  il  arrive  en  poste  et  ne 
veut  pas  attendre  de  patriciens  à  son  avance.  Il  est  pressé,  et 
repart  dix  jours  après  pour  Vérone.  On  se  moque  doucement 
de  lui  ;  on  remarque  qu'il  est  petit,  qu'il  porte  sur  la  tête  une 
barrette  rouge  '.  L'arrivée  sans  apparat  n'est  possible  que 
si  elle  s'impose  ou  si  elle  s'excuse  par  des  faits  majeurs  ;  et 
encore  faut-il  l'éviter  autant  que  possible. 

A  sa  sortie  de  Rome,  en  1495,  Charles  VIII  est  rejoint,  sur 
la  route  même  de  Naples,  par  des  ambassadeurs  espagnols, 
qui  l'abordent  séance  tenante,  et  le  somment  de  s'arrêter, 
sous  peine  de  guerre  sur  terre  et  sur  mer,  à  moins  qu'il  n'ac- 
cepte leur  médiation.  Charles  VIII  ne  répond  qu'à  son  arrivée 
à  Velletri,  et  par  une  fin  de  non-recevoir  courtoise.  Les  am- 
bassadeurs suivent  et  insistent,  mais  sans  succès  ;  ils  partent 
enfin.  Cette  démarche,  vraiment  inconsidérée,  excita,  nous 
dit  Paul  Jove,  les  plus  vives  plaisanteries  des  Français  '  ;  elle 
ne  pouvait  servir  à  rien. 

L'incognito,  au  contraire,  s'impose  naturellement  pour  les 
missions  secrètes*,  ou  pour  l'ambassadeur  d'une  puissance 
non  souveraine*. 

Dans  certains  cas  difficiles,  on  s'accorde  à  supprimer  l'en- 
trée. Ainsi,  à  Rome,  le  14  janvier  1499,  personne  ne  va  au- 
devant  de  l'ambassadeur  de  Naples,  parce  qu'on  sait  le  roi  de 
Naples  à  la  veille  de  perdre  son  trône  5  :  on  n'ose  point  faire 
d'entrée,  en  1500,  à  l'ambassadeur  turc,  qui  cependant  se 
rend  à  cheval  au  Vatican,  accompagné  de  l'ambassadeur  vé- 


1)  Sanuto,  IV,  73. 

2)  Paul  Jove.  Cf.  Sanudo,  Spedizione...,  p.  205. 

3)  Not.  Sanuto,  VI,  276,  626. 

4)  Jules  II  fait  faire,  contre  l'usage,  une  réception  aux  ambassadeurs  de  Sa- 
vone,  1504  (Sanuto,  V,  1031). 

o)  Burckard,  d  la  date. 

13 


194  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE    MACHIAVEL 

nitien1.   Le  marquis  de  Mantoue  étant  prisonnier  des  Véni- 
tiens, un  secrétaire  de  la  marquise  vient  à  Venise  avec  des 
lettres  de  créance  de  la  propre   main  de  la  marquise,  et  se 
présente  au   conseil,  sans  cérémonial2.  Ou  Lien,  encore,  un 
ambassadeur  arrive  mourant  \  Ou  bien  il  est  personnelle- 
ment trop  décrié  :  Landriano,  qu'on  avait  connu  à   Venise 
peu  auparavant,   proscrit  et  fugitif,  y  revient   ambassadeur 
d'Allemagne,  en  1508,  à  la  stupéfaction  générale  :  il  entre 
incognito  *t  et  repart  sans  délai.  Un  ambassadeur  de  Gênes, 
du  parti  populaire,  ancien  marchand  à  Venise,  arrive  à  Ve- 
nise en  février  1508,  sans  aucun  apparat  ;  il  descend  à  l'hôtel 
et  les  marchands  génois  seuls  lui  font  escorte9.  A  un  autre 
point  de  vue,  lorsque  Venise  envoie  à  Rome  six  ambassa- 
deurs pour  se  faire  relever  de  l'excommunication  de  Jules  II, 
ses  envoyés  entrent  de  nuit,  en  habits  fort  modestes,  sans  per- 
sonne à  leur  avance  :  le  pape  ne  leur  accorde  audience  que 
pour  leur  absolution.  Hoir,  des  cas  de  ce   genre,  l'ambassa- 
deur doit  tenir  à  la  réception  réglementaire.  Au  retour  d'une 
ambassade  à  Milan  en  1470,  l'évèque  de  Montauban  se  plaint 
à  Louis  XI  de  n'avoir  trouvé  personne  à  son   avance  ;  les 
ambassadeurs  de  Milan  à  la  cour  de  France  excusent  de  leur 
mieux  leur  gouvernement r'.    On    peut,    cependant,    en  cas 
de  froideur  accentuée,  diminuer  légèrement  l'apparat.  Ainsi, 
en  1500,  l'ambassadeur  de  Venise  en  Allemagne  trouve  à  son 
avance  un  seul  officier,  et,  quoique  Maximilien  refuse  de  le 

l)Burckard,  III,  16. 

2)  1510.  Sanuto,  X,  138. 

3;  L'orateur  de  Ferrare  arrive  à  Venise  malade  et  meurt  avant  d'avoir  au- 
dience. Son  corps  est  transporté  à  Ferrare  (2  mai  1505.  Satnito,  VI,  159).  Un 
ambassadeur  demande  en  vain  à  entrer  sans  cérémonie  à  cause  de  sa  santé 
(l)ép.  de  Machiavel.  !>ti  ocl.  1506). 

4)  Sanuto,  VII,  251. 

5)  Févr.  1507.  Sanuto,  VI,  542. 

6)  Kervvn,  Lettres  et  négociations,  111,  77. 


VOYAGE  ET  ENTHÉE  DES  AMBASSADEURS  195 

recevoir,  l'officier  l'entretient  courtoisement,  le  mène  au  lo- 
gis désigné  ;  mais  le  logis  est  gardé  militairement,  pour  qu'on 
ne  parle  pas  à  l'ambassadeur1.  L'ambassadeur  d'Espagne  à 
Rome  en  1498  ne  trouve  que  la  seule  maison  du  pape  '.  Le 
procédé  le  plus  correct  et  le  plus  diplomatique  en  cas  de  ten- 
sion consiste  à  recevoir  l'ambassadeur  honorablement,  avec 
les  honneurs  qui  lui  sont  dus,  mais  froidement.  C'est  ce  qui 
arriva  à  Philippe  de  Commines  à  Venise,  en  1495  '. 

Les  entrées  ne  sont  dues  qu'aux  ambassades  impor- 
tantes. Un  simple  secrétaire  envoyé  en  mission  n'y  a  pas 
droit  *.  En  principe,  on  ne  les  doit  pas  à  un  résident5,  ni 
même  à  une  ambassade  spéciale,  dépendant  du  résident6.  Si 
l'on  appliquait  ces  règles,  le  nombre  des  entrées  solennelles 
diminuerait  beaucoup  ;  mais  ces  distinctions  sont  souvent  si 
délicates  qu'on  préfère  ne  pas  s'y  attacher  strictement.  A 
Rome,  où  on  pouvait  plus  qu'ailleurs  les  appliquer,  à  cause 
du  nombre  îles  ambassades,  et  de  leu» classification  naturelle 
en  ambassades  solennelles  d'obédience  et  en  menues  ambas- 
sades d'affaires  courantes,  comme  il  s'en  présentait  constam- 
ment, on  déclarait  bien  ne  devoir  d'entrée  qu'aux  ambassades 
d'obédience7;   en  fait,  on  l'accordait   à  peu  près  à  toutes  8. 

1)  Sanuto,  III,  564. 

2)  19  déc.  1498  (Burckard,  II,  500). 

3)  L.  vin.  eh.  xix. 

4)  Un  secrétaire  de  Venise  arrive  à  Milan,  et  va,  aussitôt  descendu  à  l'hô- 
tellerie, porter  à  l'évoque  de  Luçon  ses  lettres  de  créance  :  celui-ci  le  garde 
à  diner.  Ensuite,  on  parle  d'affaires  (15  juillet  1500.  Sanuto,  III,  527).  Cf.  la 
dépêche  de  Machiavel,  racontant  son  arrivée  à  la  cour  de  France  en  1511, 
sans  aucune  cérémonie . 

..    Arrivée  du  résident  vénitien  à  Blois  ("juin  150k  Sanuto,  VI,  37). 

6)  Une  ambassade  spéciale  (MM.  de  Beaucaire  et  Montoison),  envoyée  à  Ve- 
nise pour  réclamer  tscagne  Sforza,  doit  loger  chez  le  résident.  Le  résident 
va  au  conseil  des  \  annoncer  son  arrivée  (Sanuto,  III,  c.  268). 

7)  Burckard.  Diàriùm,  II,  532. 

8)  Louis  de  Villeneuve,  baron  de  Trans,  -chambellan,  ambassadeur  de 
France,  reçu  par  toute  les  famiglie,  «  more  consueto  oratorum  ad  prestandam 


196  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

Vainement,  en  1505,  Jules  II  essaya  de  réagir,  et,  dans  un 
moment  où  l'on  était  vraiment  excédé  d'obédiences, il  ordonna 
de  ne  plus  faire  de  réception  aux  ambassades  courantes.  Sa 
volonté  ne  prévalut  pas  contre  ces  usages  d'amour-propre  '. 

Enfin,  au  contraire,  pour  certaines  ambassades  d'un 
intérêt  exceptionnel,  on  peut  accentuer  l'apparat  de  l'entrée 
ordinaire  par  des  démarches  exceptionnelles.  Pour  des  am- 
bassadeurs d'Allemagne,  en  1506,  la  seigneurie  de  Venise, 
dès  qu'on  apprend  leur  arrivée  à  Trévise,  expédie  un  grand 
nombre  de  patriciens  à  Margera  :  à  l'audience  de  créance, 
elle  les  fait  escorter  par  vingt  quatre  patriciens  vêtus  d'é- 
carlate'.  L'ambassade  française  qui  arriva  à  Bude  le  15  mai 
fut  reçue,  dès  la  frontière  de  la  Hongrie,  par  quatre  magnats 
délégués  du  roi,  à  la  tête  de  cinq  cents  cavaliers  \ 

Lorsque  l'ambassadeur  est  un  personnage  de  famille  sou- 
veraine, on  rend,  à  son  entrée,  des  honneurs  plutôt  princiers 
que  diplomatiques.  Le  grand  bâtard  de  Bourgogne  arrivant  à 
Milan  en  mars  1475,  les  fils  du  duc  de  Milan  et  tout  le  conseil  du- 
cal, avec  une  escorte  de  trompettes  et  pifferi,  vont  l'attendre 

obedientiam...  venientium  »,  quoique  ambassadeur  ordinaire  (Burckard,  II, 
493). 

1)  Burckard,  III,  396.  A  l'arrivée  d'Accaiuoli,  ambassadeur  florentin  à 
Rome,  en  -1507,  les  famiglie  des  cardinaux  vont  au  devant  de  lui  (mais  non  la 
(amiglia  du  pape),  ce  que  blâme  Paris  de  Grassis.  Trois  ou  quatre  famiglie 
suffiraient,  «  ex  quo  non  veniebat  pro  prœstanda  obedientia  nec  pro  aliqua  re 
ardua,  sed  simpliciter  pfo  ordinario  »  (Paris  de  Grassis.  Lat.  5165,  f°  327, 
Cf.  f°  431).  De  même,  on  ne  doit  pas  de  réception  aux  ambassades  entrant 
à  titre  privé;  cependant,  par  courtoisie,  on  fait  tirer  les  bombardes  (Paris  de 
Grassis.  Lat.  5164,  fo  197). 

2)  Sanuto,  VI,  404.  L'ambassade  allemande  à  Venise,  en  février  1495,  est 
reçue  dans  chaque  ville  par  le  podestat  ou  le  recteur.  Le  dimanche  de  son 
arrivée,  on  remet  la  séance  hebdomadaire  du  grand  conseil  :  soixante  dix 
patriciens  vont  au  devant  d'elle  à  Margera.  Un  docteur  lui  adresse  un  dis» 
cours  de  bienvenue,  on  l'escorte  jusqu'à  un  superbe  appartement  (Sanudo, 
Spedizione,  218). 

3)  Fraknoï,  ouvr .  cité. 


VOYAGE  ET  ENTRÉE  DES  AMBASSADEURS  197 

à  trois  milles  ;  les  fils  du  duc  montent  sur  son  bateau,  et  on 
l'escorte  jusqu'à  sa  maison  en  grand  honneur'.  Dans  une 
lettre  à  son  mari  Ludovic  Sforza,  du  27  mai  1493  ',  la  du- 
chesse de  Bari  raconte  sa  réception  à  Venise  sur  le  Bucen- 
taure,  elle  décrit  les  députations  venues  au  devant  d'elle,  les 
compliments  échangés,  les  coups  de  canon  tirés,  la  foule  des 
gondoles  pavoisées  et  remplies  de  personnes  des  deux  sexes. 
Près  de  S'  Clément,  le  doge  l'attendait  sous  un  pavillon  d'or, 
escorté  d'une  suite  de  cent  trente  demoiselles  couvertes  de 
bijoux.  La  duchesse  leur  tend  la  main  à  toutes,  après  les 
compliments  de  bienvenue.  Une  représentation  mythologique 
a  lieu  sur  une  galère  richement  ornée  ;  elle  signifiait  que  la 
Paix  conserve  les  Etats  :  ensuite  commence  une  fête  splen- 
dide,  avec  mille  gondoles.  Le  doge  fait  à  la  duchesse  les 
honneurs  du  grand  canal  :  Isabelle  loge  au  palais  ;  le  doge 
la  conduit  jusqu'à  sa  chambre,  ornée  de  tapisseries  et 
d'armoiries  de  Venise  et  de  Milan,  avec  de  belles  tentures 
à  la  Sforzescha.  Le  soir,  trois  gentilhommes  viennent  la  sa- 
luer au  nom  de  la  Seigneurie  etlui  faire  toutes  les  offres  pos- 
sibles de  service.  Quand  Jean  de  Médicis  arrive  à  Rome  le 
23  mars  1492,  tous  les  cardinaux,  et  la  cour  presque  entière 
l'escortent,  sous  une  grande  pluie,  de  la  porte  del  Popolo  au 
Vatican 3. 

Réglementairement,  un  souverain  ne  s'avance  jamais  en  per- 
sonne au  devant  d'un  autre  souverain,  ni  par  conséquent  d'un 
ambassadeur.  Cependant,  dans  les  petits  Etats  italiens,  il 
n'était  pas  rare  de  voir  le  chef  de  l'Etat  participer  à  la" 
réception.  Le  doge  de  Venise  va  sur  le  Bucentaure, 
en  1506,  au  devant  de  l'ambassade    allemande,  à   laquelle 

i)  Gingins  la  Sarraz,  Dép.  des  ambass.  milanais,  I,  65. 

2)  Archivio  Sforzesco. 

3)  Roscoë,  Vie  de  Léon  X,  pièce  xvn. 


198  LA   DIPLOMATIE   AD    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

il  a  fait  élever  cinq  arcs  de  triomphe1;  le  marquis  de 
Mantoue  se  présente  au  devant  d'une  ambassade  alle- 
mande, en  1511,  avec  bon  nombre  de  chevaux5.  A  Milan, 
c'est  la  règle  que  le  duc  reçoive  en  personne  les  ambassades 
importantes.  Dans  une  circulaire  du  11  février  1466  à  ses 
agents,  François  Sforza  notifie  l'arrivée  d'une  grande  ambas- 
sade française,  entrée  à  Milan  la  veille  :  il  déclare  qu'il  l'a 
reçue  hors  de  la  ville,  comme  c'était  son  devoir  3.  Le  règle- 
ment de  cérémonial  milanais  de  1468  stipule  que  le  duc  de 
Milan  se  rend  en  personne  au  devant  des  envoyés  du  pape, 
de  l'empereur  et  de  la  France,  et  au  devant  des  cardinaux, 
des  électeurs  de  l'Empire,  du  marquis  de  Mantoue  :  il  envoie 
ses  frères  au  devant  des  autres  ambassadeurs,  sauf  excep- 
tion *. 

Des  règles  spéciales  président  à  la  réception  d'un  légat,  qui 
a  droit  aux  mêmes  honneurs  que  le  pape.  On  peut  laisser  les 
magasins  ouverts  et  le  travail  libre  le  jour  de  son  entrée, 
mais  la  population  doit  se  porter  elle-même  au  devant  de 
lui,  précédée  d'une  procession  solennelle  du  clergé,  et  crier 
Vivat6.  Le  légat  envoie  d'avance  son  sénéchal  régler  ses  en- 
trées et  ses  séjours.  A  Venise,  le  doge  va  au  devant  de  lui 
sur  le  Bucentaure,  avec  le  patriarche,  le  corps  diplomatique 
et  les  patriciens6.  Le  cardinal  de  S'  Pierre  aux  Liens,  légat, 
arrive  à  Paris  le  lundi  4  septembre  1480.  Reçu  par  tous  les 
états  à  la  porte  S' Jacques,  il  était  accompagné  du  cardinal  de 

l)Sanuto,  VI,  436. 

2)  Mars  1511.  Sanuto,  XII,  6i. 

3)  Archivio  Sforzesco. 

4)  Archivio  storico  lombarde*,  1890,  p.  148.  Cf.  le  récit  de  Commines  sur 
sa  réception  à  Vigevano  en  1496. 

5)  Villadiego,  De  legato,  q.  6.  Cf.  Compliment  en  vers  latins  adressé  au 
légat  du  pape  en  Angleterre  (1487),  dans  BerriAndreae  Vita  Henrici  septimi, 
éd.  by  Gairdner,  p.  54. 

6)  Sanuto,  III,  1161,  1167. 


VOYAGE    ET    ENTRÉE    DES   AMBASSADEUR  199 

Bourbon.  Il  alla  à  Notre-Dame  faire  sa  prière,  puis  à  son  logis, 
à  travers  les  rues  tendues  de  tapisseries.  Le  logis  lui  était 
ordonné  au  collège  de  S1  Denis,  près  des  Augustins.  Il  resta 
à  Paris  du  4  au  13  septembre.  Olivier  le  Daim  lui  offrit,  le 
o,  un  banquet  de  grand  apparat,  suivi  d'une  belle  chasse  aux 
daims  dans  le  bois  de  Yincennes.  Il  officia  pontificalement  à 
Notre  Dame,  au  milieu  d'une  grande  foule.  Le  cardinal  de 
Bourbon,  l'évoque  de  Lombez  à  S'  Denis,  donnèrent  en  son 
honneur  de  superbes  festins1. 

En  1484,  l'entrée  du  légat  Balue  provoqua  de  longs 
pourparlers,  parce  qu'on  ne  se  souciait  pas  de  le  recevoir. 
Balue  offrit  d'entrer,  de  suite,  le  soir,  avec  le  cardinal  de 
Foix,  sans  cérémonie,  ou  le  lendemain  avec  le  cérémonial 
habituel,  si  on  préférait  :  il  avait  envoyé  au  roi  et  aux 
princes  du  sang  ses  bulles  de  légation,  et  même  des  pouvoirs, 
que  l'évoque  de  Coutances  lut  au  conseil  du  roi  ;  il  avait 
donné  son  scella  de  n'user  de  censures  ni  «  facultés  quel- 
conques, fors  selon  le  bon  plaisir  du  roy,  »  et  il  se  disait 
bien  résolu  à  tenir  parole  ;  il  ne  venait  pas  «  évacuer  la 
pécune  »,  «  mais  y  faire  le  proffit  et  honneur  du  roi  et  bien 
de  son  royaume  ;  »  il  avait  même  fait  dire  qu'il  était  pressé 
de  retourner  à  Rome  et  qu'il  s'agissait  de  prendre  congé.  Par 
égard  pour  le  pape,  pour  le  duc  de  Bretagne,  pour  les  pro- 
messes du  légat,  le  conseil  du  roi  décida  de  recevoir  Balue 
comme  ayant  le  titre  honorifique  de  légat,  sans  pouvoirs  ;  on 
aviserait  les  présidents  du  parlement  de  ces  conditions,  pour 
éviter  tout  tumulte,  et  on  étudierait  le  cérémonial  avec  le 
parlement,  en  prenant  pour  base  la  réception  autrefois  faite 
au  cardinal  de  S'  Pierre -aux  Liens2.  Le  parlement  se  réunit 
neuf  jours  après,  le  14  août,  pour  protester  contre  ce  projet 

1) Jean  de  Roye. 

2)  5  août  1484.  Reg.  du  conseil  de  Charles  VIII,  p.  19-20. 


200  LA   DIPLOMATIE  AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

d'entrée  solennelle,  son  arrêt  ne  fut  promulgué  que  le  17, 
mais  on  le  fit  crier  à  son  de  trompette  et  signifier  à  Balue 
lui-même,  qui  avait  fini  par  entrer  incognito  ;  le  roi  se  donna 
des  airs  de  générosité  en  maintenant  à  Balue,  par  ordre 
spécial,  le  droit  à  la  croix  et  à  la  bénédiction  * . 

En  1502,  le  cardinal  d'Amboise  entra  à  Paris  comme  lé- 
gat avec  un  cérémonial  tout  à  fait  royal.  Le  lendemain  de 
son  arrivée,  il  alla  faire  au  parlement  une  visite  très  solen- 
nelle ;  il  prononça  un  discours  latin,  auquel  le  premier  pré- 
sident répondit  par  une  longue  harangue,  également  enlatin, 
où  il  exaltait  le  cardinal  en  termes  pompeux5. 

Vis  à  vis  du  souverain,  un  légat,  lors  de  son  entrée,  doit  se 
conduire  en  souverain.  En  1501,  le  cardinal  d'Amboise  ar- 
rive à  Trente  avant  le  roi  des  Romains  ;  à  l'entrée  du  roi,  le 
12  octobre,  il  envoie  au  roi  sa  maison  et  un  magistrat  qui  pro- 
nonce un  beau  discours  latin,  mais  il  ne  se  présente  pas  lui- 
même,  sous  prétexte  que  le  roi  devait  entrer  à  trois  heures  de 
lanuit.  Uvale  lendemain  seulement  au  château,  avec  une  suite 
de  deux  mille  personnes,  parmi  lesquelles  le  marquis  de  Sa- 
luées, l'ambassadeur  de  Venise  et  cinquante  barons  ;  il  est 
salué  par  des  décharges  d'artillerie.  Sa  suite  était  somp- 
tueuse :  ses  barons  portaient  des  chaînes  d'or  au  cou.  Le 
cardinal  et  le  roi  se  serrèrent  la  main  très  affectueusement, 
et  s'assirent  tous  deux,  la  barrette  à  la  main  :  puis  le  cardinal 
de  Giïrck  se  leva  et  fit  un  grand  discours  ;  au  bout  de  deux 
heures,  le  roi  se  leva  et  se  retira.  Le  cardinal  de  Giïrck  re- 
conduisit d'Amboise  jusque  chez  lui  et  l'orateur  de  Venise 
reconduisit  Giïrck*. 


1)  Bulletin  de  la  Soc.  de  l'Hist.  de  Paris,  1884:  F.  Delaborde,  La  légation 
du  cardinal  Balue  en  1484. 

2)  Cérémonial  françois,  II,  818  et  suiv.  Jean  d'Auton,  t.  II,  p.  218. 

3)  Sanuto,  IV,  1S0-152. 


VOYAGE  ET  ENTRÉE  DES  AMBASSADEURS  201 

De  même,  dans  un  congrès,  un  légat  traite  d'égal  à  égal 
avec  un  souverain  ou  un  régent  :  aux  conférences  de  Cam- 
brai, en  1508,  Marguerite  d'Autriche,  duchesse  de  Savoie, 
arrive  avec  cinq  cents  chevaux  :  de  son  côté,  le  cardinal 
d'Amboise  se  fait  accompagner  par  MM.  de  Graville,  de 
Piennes.  et  par  toute  l'armée  de  Picardie  jusqu'à  la  frontière  ; 
et  il  emmène  cinquante  hommes  d'armes  de  choix  pour  sa 
suite.  A  son  entrée  à  Cambrai,  il  est  reçu  par  le  clergé  avec 
la  croix  et  le  cérémonial  habituel,  et  accompagné  à  la  cathé- 
drale où  il  préside  aux  vêpres.  Puis  il  va  rendre  visite  à  la 
duchesse  *. 

Les  ambassadeurs  font  leur  entrée  après  le  souverain.  Par 
exception,  l'ambassade  de  France  près  de  la  diète  germani- 
que, en  1489,  chargée  d'empêcher  le  vote  des  fonds  de  guerre 
demandés  par  Maximilien,  affecte  de  faire  son  entrée  à  Franc- 
fort en  même  temps  que  Maximilien  lui-même,  par  un  motif 
facile  à  saisir*. 

Dans  les  pays  ou  les  ambassadeurs  sont  défrayés,  on  les 
prévient  dès  leur  arrivée  de  la  somme  qui  leur  est  allouée. 
Assez  souvent  aussi,  le  gouvernement  remet  cette  notification 
au  lendemain,  et  paie  simplement  les  dépenses  de  la  pre- 
mière soirée,  à  quelque  chiffre  qu'elles  s'élèvent3. 

Les  ambassadeurs  n'écrivent  en  général  les  détails  de  leur 
entrée  qu'après  l'audience  de  créance. 

Dans  la  diplomatie  florentine,  le  secrétaire  ou  notaire  cons- 
tate par  un  procès-verbal  l'entrée  de  l'ambassade,  suivant  les 
formes  convenables  :  mais  ce  certificat  n'est  adressé,  comme 
nous  le  dirons  plus  loin,  qu'après  l'audience. 

i)  Sanuto,  VII,  692. 

2)  Dupuy,  Hist.  de  la  réunion  de  la  Bretagne,  II,  18S. 

3J  Not.  Sanuto,  VI,  436. 


CHAPITRE  X 

AUDIENCES  DE  CRÉANCE 

L'ambassadeur  aura  eu  soin,  avant  son  arrivée,  de  sol- 
liciter une  audience  du  chef  de  l'Etat,  car  tel  est  le  but  de  sa 
mission1.  C'est  manquer  à  tous  ses  devoirs  que  d'agir  comme 
l'ambassade  de  France,  envoyée  en  Allemagne  pour  proposer 
un  concile  général,  en  janvier  1470,  qui,  arrêtéeparles  rigueurs 
de  l'hiver,  dépêche  à  l'empereur  un  chevaucheur  avec  ses 
«  lettres  (créances)  et  instructions  »  :  l'empereur  ne  fait  à  cet 
étrange  envoi  qu'une  réponse  «  générale  »,  comme  on  devait 
s'y  attendre,  et  communique  au  pape  copie  des  lettres  qu'on 
lui  a  adressées  5.  L'ambassadeur  doit  rejoindre  le  souverain, 
quels  que  soient  les  dangers  résultant  de  la  fatigue,  de  la 
température,  des  épidémies.  En  janvier  1509,  Louis  XII  ex- 
pédie en  Hongrie  Edouard  Bullion  :  une  peste  épouvantable 
ravage  le  pays,  et  Bude  est  abandonné  par  la  cour,  par  le  roi 
de  Hongrie  lui-même,  qui  s'est  réfugié  en  Bohême  :  l'agent 
se  rend  néanmoins  à  Bude3.  Du  reste,  un  ambassadeur  n'est 
pas  tenu  de  braver  des  dangers  inutiles  ;  il  va  où  se  trouve 

1)  A  quelques  milles  de  Burgos,  à  Ibeas,  Guichardin  écrit  au  roi  de  Cas-, 
tille,  le  25  mars  1512,  une  lettre  de  recommandation  pour  annoncer  son  ar- 
rivée, et,  suivant  l'usage  de  la  cour  d'Espagne,  il  attend  qu'on  fixe  son  loge- 
ment. Arrêté  le  23,  il  n'entre  à  Burgos  que  le  27  (Guicciardini,  Opère  inédite, 
p.  18,  19).  Il  est  reçu  en  audience  dès  le  lendemain  (id.,  p.  19)  :  l'audience 
secrète  n'a  lieu  que  deux  jours  après,  parce  que  le  roi  va  à  la  chasse  (id., 
p.  19). 

2)  Ghinzoni,  Galeazzo  Maria  Sforza  e  LuigiXI,  p.  14. 

3)  Fraknoï,  ouv.  cité. 


APD1ENCES    DE    CRÉANCE  203 

le  souverain.  Jules  Une  veut  pas  recevoir  l'ambassadeur  d'Al- 
lemagne à  Ravenne,  à  cause  de  la  peste  et  de  la  disette  ;  il 
se  rend  à  Bologne,  pour  le  recevoir  '. 

L'ambassadeur  n'a  d'audience  le  jour  même  de  l'arrivée 
que  dans  des  cas  tout  à  fait  exceptionnels.  S'il  s'agit  d'un  très 
grand  personnage,  on  le  conduit  directement  au  château  ou 
au  palais,  et,  après  une  courte  audience  pour  la  forme,  on  le 
mène  chez  lui  avec  le  même  cérémonial s.  On  mène  directe- 
ment à  leur  logis  les  ambassadeurs  :  de  là,  ils  peuvent  rece- 
voir leur  audience  pour  le  jour  même,  en  cas  d'urgence,  ou  si 
cela  convient  au  souverain.  Les  ambassadeurs  que  la  du- 
chesse de  Milan  envoie  à  Rome  aussitôt  après  la  mort  de  son 
mari,  en  1466,  sont  reçus  au  Vatican  le  soir  même  de  leur  ar- 
rivée, pendant  deux  heures;  ils  exposent  au  pape  une  situa- 
tion critique  et  lui  demandent  d'intervenir  pour  la  paix, 
comme  «  chef  de  la  ligue  italienne  et  père  de  la  paix  *.  »  Le 
jour  même  de  l'arrivée  de  Zorzi,  envoyé  de  Venise,  on  ap- 
prend la  perte  de  Modon,  pris  par  les  Turcs  :  aussitôt  le  nou- 
vel ambassadeur  se  rend,  avec  son  prédécesseur,  au  Vatican, 
où  il  est  reçu  d'urgence  *. 

1)  Bref  de  Jules  II  au  légat  (1er  avril  loti.  Sanuto,  XII,  131). 

2)  Entrée  de  Jean  de  Médicis,  le  23  mars  1492  ;  il  est  conduit  au  Vatican 
d'abord,  puis  chez  lui  au  Campo  di  Fiore(Roscoë,  Vie  de  Léon  X,  pièce  xvn). 
Entrée  de  Stuart  d'Aubigny,  le  23  juin  loOi.  Il  est  reçu,  suivant  l'usage,  par 
les  gens  du  pape  et  des  cardinaux  ;  entré  entre  deux  évèques,  il  va  droit  au 
Vatican,  où  il  trouve  le  pape  avec- quatre  cardinaux,  qui  le  reçoit  séance 
tenante,  lui  et  dix  ou  douze  de  ses  compagnons.  Ce  n'est  qu'après  l'audience 
qu'on  le  conduitchez  lui.  Présents,  l'évêque  de  Tréguier  et  l'orateur  de  France, 
les  orateurs  d'Angleterre,  Savoie,  Venise,  Florence  (Burckard,  III,  147-148  . 
Henri  IV  de  Castille,  en  1462,  invite  les  ambassadeurs  de  France  à  lui  re- 
mettre leur  créance  lejour  mêrrie  de  leur  arrivée,  pour  marquer  de  l'empres- 
sement. L'audience  de  créance  a  lieu  le  lendemain  et  l'audience  secrète  en- 
suite (Lelt.  de  Louis  XI,  II,  378-379). 

3)  Dép.  des  ambassadeurs  milanais,  du  28  mars  1466  (Archivio  Sfor- 
zesco) . 

4)  Diarium,  III,  76. 


204  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

A  Rome,  l'audience  officielle  s'accorde  généralement  pour  le 
lendemain  de  l'arrivée,  à  moins  que  ce  ne  soit  un  dimanche  ou  un 
jour  de  fête1.  Dans  les  autres  pays,  on  reçoit  fort  bien  le  diman- 
che s.  L'audience  de  créance  et  ce  qui  s'en  suit  s'appelle  «  rece- 
voir, ouyret  despescher  »  une  ambassade  3.  Elle  peut  n'avoir 
lieu  que  le  surlendemain  de  l'arrivée  sans  inconvénient*. 
Mais  un  retard  plus  long  donnerait  l'éveil8,  si  on  ne  le  rachetait 
par  quelques  politesses,  telles  qu'un  diner  offert  à  l'am- 
bassade de  la  part  du  souverain  6.  Le  renvoi  de  l'audience 
à  une  date  plus  ou  moins  indéterminée  comporte  une  froideur 
fort  accentuée7. 

L'audience  de  créance  a  lieu  par  tous  pays  en  grand  appa- 
rat. Les  ambassadeurs  revêtent  naturellement  leur  plus  beau 
costume  :  ainsi  les  ambassadeurs  vénitiens  près  de  Louis  XII, 


1)111,119. 

2)  Lettres  de  Louis  XII,  I,  146.  Lascaris  présente  sa  créance  un  dimanche 
matin,  à  Venise  (1504.  Sanuto,  VI,  101). 

3)  Les  ambassades  sont  «  receues,  ouyes  et  despeschées  »(Jean  d'Auton,  I, 
314,  316,  317). 

4)  Audience,  le  surlendemain,  aux  ambassadeurs  de  France  à  Bude,  le  17 
mai  1500  (Sanuto,  III,  356). 

5)  Machiavel  vérifie  qu'un  rhume  du  roi,  allégué  pour  relarder  son  au- 
dience, est  bien  réel  (Dép.  du  29  janvier  1504). 

6)  Des  ambassadeurs  milanais  d'apparat  arrivent  près  du  duc  de  Bourgo- 
gne, alors  au  camp  de  Granson.  Leduc  ne  peut  leur  donner  audience  que  le 
troisième  jour,  mais  il  leur  envoie  la  veille  un  chevalier  de  la  Toison  d'Or 
pour  les  amener;  ils  sont  reçus  par  deux^  autres  chevaliers,  ils  trouvent  prêt 
un  somptueux  diner,  après  lequel  ils  ont  leur  audience.  A  leur  discours  ré- 
pond Guillaume  de  Rochefort,  par  des  généralités  gracieuses.  Puis  le  duc  les 
traite  avec  beaucoup  de  cordialité  et  de  familiarité.  Le  résident  leur  cherche 
un  logement  au  camp  (1471.  Gingins  la  Sarraz,  Dép.  des  ambass.  milanais, 
I,  304).  Les  ambassadeurs  de  l'empereur  sont  reçus  à  diner  par  le  cardinal 
d'Amboise,  le  roi,  avant  l'audience,  voulant  connaître  leur  mission,  pour 
conserver  sa  dignité  (Dép.  de  N.  Valori,  30  janv.  1503-4). 

7)  ALyon,  du  6  au  8  février  1390,  le  roi  reçoit  la  demande  d'audience  de 
deux  ambassadeurs  florentins.  On  répond  qu'on  leur  donnera  audience  à  Paris 
(Jarry,  Vie.. .  de  Louis  de  France,  p.  65). 


AUDIENCES  DE   CRÉANCE  205 

en  1507,  portent  les  robes  d'or  classiques1,  et  même  on  se 
moque  fort,  à  Rome,  de  l'ambassade  française  d'obédience,  en 
1505,  qui,  pour  faire  nombre  à  l'audience  consistoriale,  a  fait 
habiller  des  gens  quelconques  et  leur  a  mis  au  cou  une  chaîne 
de  laiton1.  Le  luxe  déployé  dans  cette  circonstance  par  l'am- 
bassade passe  pour  un  acte  de  déférence.  Quand  des  envoyés 
de  Crémone  se  présentent  à  la  Seigneurie  de  Venise,  c'est  en 
beaux  costumes  de  soie,  de  velours,  avec  des  colliers  d'or, 
suivis  d'une  belle  compagnie  et  en  bon  ordre  ;  cette  marque 
de  politesse  et  de  sujétion  produit  bon  effet8. 

Quelquefois,  l'ambassadeur*  se  fait  accompagner  à  l'au- 
dience de  créance  par  un  ambassadeur  allié,  afin  de  donner 
plus  de  poids  à  cette  première  démarche 5.  L'ambassadeur 
spécial  est  accompagné  et  présenté  par  le  résident 8. 

Dans  tous  les  pays,  divers  personnages  viennent  chercher 
l'ambassadeur  à  son  logis  pour  l'escorter  et  l'introduire  à  l'au- 
dience de  créance  ;  le  nombre  de  ces  introducteurs  varie  sui- 
vant les  cas.  En  1501,  un  grand  seigneur  vient  chercher  chez 
eux  les  nouveaux  ambassadeurs  vénitiens  à  Blois  7.  La  grande 

1)  Sanuto,  VII,  86. 

2)  Dispacci  di  Giustinian,  III,  495. 

3)  13  oct.  1499  (Sanuto,  III,  31)  ;  24  avril  1503  [id.,  V,  24). 

4)  Ou  les  ambassadeurs.  Nous  employons  le  singulier  pour  plus  de  sim- 
plicité. 

5)  En  1513,  les  ambassadeurs  de  Flandre  se  présentent  au  conseil  de 
Suisse  avec  l'ambassadeur  impérial.  Un  envoyé  hongrois,  arrivant  à  Rome  en 
janvier  1503,  va  voir  l'ambassadeur  vénitien  et  s'entend  pour  se  rendre  avec 
lui  au  palais  (Disp.  di  Giustinian,  I,  344). 

6)  Sanuto,  III,  c.  277  ;  VII,  123.  Péron  de  Bascher,  envoyé  extraordinaire 
de  France,  est  présenté  au  pape  par  le  cardinal  de  S'  Denis,  ambassadeur  or- 
dinaire (Sanudo,  Spedizione,  33). 

7)  Un  «  monsignor  »  (Sanuto,' IV,  186).  A  l'audience  de  créance,  en  Es- 
pagne, les  ambassadeurs  se  rendent  avec  une  escorte  de  grands  personnages, 
chacun  accouplé  à  un  de  ces  personnages  ;  en  avant,  marche  leur  roi  d'ar- 
mes, richement  vêtu,  escorté  lui-même  par  un  chevalier  [Machado's  Jour- 
nals,  dans  Gairdner,  Hist*  régis  Henrici  septimi,  p.  170). 


206  LA    DIPLOMATIE    AD    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

ambassade  de  Marguerite  d'Autriche,  arrivée  le  10  mars  1509, 
est  prise  à  son  logis,  le  dimanche  11,  à  l'heure  indiquée  d'a- 
vance, par  le  duc  d'Albanie,  le  comte  de  Carpi,  un  évêque 
et  des  gens  de  robe  longue  '  :  le  duc  d'Albanie  était  un 
Stuart,  de  la  maison  royale  d'Ecosse,  Alberto  Pio,  comte  de 
Carpi,  un  grand  seigneur  italien.  C'est,  en  effet,  un  usage 
presque  constant  à  la  cour  de  France  d'employer  des  grands 
seigneurs  étrangers  dans  les  rapports  d'apparat  avec  les  am- 
bassades. 

A  Venise,  l'ambassadeur,  turc  ou  chrétien,  se  présente  tou- 
jours à  la  première  audience  avec  une  escorte  plus  ou  moins 
nombreuse  de  patriciens  qui  ont  été  le  prendre  chez  lui  et  lui 
adresser  des  compliments,  même  lorsqu'il  n'y  a  pas  eu  lieu  à 
entrée  solennelle  \  ou  lorsque  l'envoyé  est  présenté  par  son 
résident3.  Quatre  savii  vont  en  barque,  le  3  avril  1500,  cher- 
cher un  simple  chargé  d'affaires  turc  pour  l'amener  à  l'au- 
dience *  :  un  agent  turc  se  présente  en  1503  avec  un  bon  ac- 
compagnement de  patriciens5.  En  1504,  un  ambassadeur  turc, 
grave,  important,  musulman,  spahi,  ancien  ambassadeur  en 
Hongrie,  somptueusement  vêtu,  arrive  à  l'audience  solen- 
nelle avec  son  drogman  et  plus  de  vingt  patriciens  véni- 
tiens 6. 

Un  ambassadeur  ne  peut  refuser  les  honneurs  d'une  telle 

1)  Leltr.  de  Louis  XII,  l,  146. 

2)  Ambassadeur  français,  en  avril  1500  (Sanuto,  III,  223). 

3)  Des  ambassadeurs  français,  envoyés  en  Hongrie,  reçus  par  le  conseil 
du  prince,  sont  amenés  par  dix  patriciens,  et  présentés  par  le  résident  de 
France  (1506.  Sanuto,  IV,  445).  L'orateur  résident  vient  au  conseil  des  X 
annoncer  pour  le  lendemain  la  visite  des  envoyés  extraordinaires.  Le  con- 
seil nomme  des  Sages  pour  aller  les  voir  d'abord  (avril  1500.  Sanuto,  III, 
c.  272). 

4)  Sanuto.  III,  192. 

5)  Sauuto,  V,  27. 

6)  Sanuto,  V,  991. 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  207 

escorte.  Nous  voyons  le  célèbre  liembo,  envoyé  de  Léon  X  à 
Venise,  en  1514,  les  décliner1  :  mais  liembo  était  vénitien  ; 
arrivé  incognito,  il  descendit  cbez  son  père,  et  il  demanda  à  se 
présenter  comme  un  médiateur  privé  *. 

A  Rome,  au  contraire,  c'est  l'ambassadeur  qui  organise  sa 
suite  pour  l'audience  de  créance  ;  à  ses  gens,  iljoint  ses  com- 
patriotes, ses  amis,  les  maisons  des  cardinaux  amis,  et  il  doit 
s'appliquer  à  rendre  la  présentation  aussi  brillante  que  possible. 
Ainsi,  l'ambassadeur  de  Lithuanie  se  rend  au  Vatican,  le  30 
mars  l  QO 1 ,  à  l'heure  du  consistoire,  avec  sa  suite  dans  laquelle 
on  remarquait  douze  gens  habillés  à  la  mode  de  son  pays,  et 
avec  les  maisons  des  cardinaux  Corsini  et  de  Gapoue  \ 

L'audience  de  créance  est  essentiellement  une  audience  pu- 
blique \  Le  souverain  la  donne  souvent  entouré  d'une  cour 
nombreuse5.  Les  ambassadeurs  des  autres  puissances  y  assis- 
tent 6.  Une  ambassade  allemande  en  France,  par  exemple, 
est  reçue  le  23  novembre  1500,  par  Louis  XII,  en  présence, 
naturellement,  du  cardinal  d'Amboise  et  du  chancelier,  et  de 
divers  membres  du  conseil,  devant  les  ambassadeurs  de 
Rome,  d'Espagne,  de  Florence,  de  Venise  et  trois  ou  quatre 
gentilshommes  italiens  7.  A  Bude,  la  même  année,  les  en- 
voyés de  Pologne,  de  Naples,  de  Venise,  assistent  à   l'au- 

i)  Lettre  du  7  déc.  1514,  du  conseil  des  X,  à  l'ambassadeur  à  Rome  (Arch. 
de  Venise). 

2)  Il  est  évident  qu'en  cas  de  presse  ces  honneurs  aussi  sont  omis.  En 
1502,  Machiavel  se  présente  à  César  Borgia  au  débotté,  en  habit  de  voyage 
(dép.  du  7  oct.  1502),  en  1306  au  pape  qu'il  trouve  à  table,  a  l'issue  de  son 
diner  (dép.  du  28  août  1506). 

3)  Burckard,  111,121. 

4)  13  déc.  1303,  àBlois  (Sanuto,  VI,  262)  ;  23  nov.  1504,  à  Insprùck  (Sa- 
nuto,  VI,  110). 

5)  Une  soixantaine  de  courtisans  assistent  à  la  réception  de  Fr.  délia  Casa, 
envoyé  florentin  en  France  (1493.  Boislisle,  Et.  de  Vesc,  p.  92,  93). 

6)  Gingins  la  Sarraz,  Dép.  des  amb.  milanais,  I,  76-77  (1475). 

7)  Dép.  de  Machiavel,  du  24  nov.  1500. 


208  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

dience  des  ambassadeurs  de  France  ' .  Cette  règle  est  gé- 
nérale. 

En  1500,  Machiavel  remarque  malicieusement  que  la  com- 
tesse de  Forli  le  reçoit  en  présence  du  seul  ambassadeur  de 
Milan  ». 

Il  y  a  aussi  une  classe  d'audiences  spéciales,  les  audien- 
ces sans-façon,  qui  témoignent  d'une  grande  intimité,  mais 
qui  ne  sont  de  mise  qu'à  titre  absolument  exceptionnel. 
Emmanuel  de  Jacoppo,  ambassadeur  de  Milan,  rejoint 
Louis  XI  à  Pontoise  et  passe  par  hasard  devant  la  maison  du 
roi.  Louis  XI,  qui  l'aperçoit,  le  fait  aussitôt  entrer  sans  céré- 
monie '.  Par  un  motif  différent,  pour  s'éloigner  des  indiscrets 
et  des  importuns,  Charles  VIII  reçoit  à  cheval,  au  moment 
où  il  se  mettait  en  chasse,  le  3  août  1493,  le  nouvel  ambas- 
sadeur de  Milan.  Le  prince  de  Salerne  sert  d'interprète.  Le 
roi  s'éloigne  pour  être  seul.  Le  duc  d'Orléans  vient  annoncer 
que  le  gibier  est  levé  ;  le  roi  s'éloigne  un  peu  plus*.  Dans  ce 
second  cas,  l'audience  sans  façon  devient  plutôt  une  audience 
secrète. 

La  publicité  avait,  évidemment,  pour  mobile  une  préten- 
tion apparente  d'agir   ouvertement,    en  présence  des  amis 

1)  Sanuto,  III,  356.  Le  10  janvier  1479,  à  Florence,  les  ambassadeurs  de 
Venise,  Ferrare,  Milan,  assistent  à  l'audience  de  l'ambassade  française  (lat. 
11802). 

2)  Le  seul  ambassadeur  accrédité  près  d'elle,  et  qui  passait,  en  outre, 
pour  son  amant  (Dép.  du  17  juill.  1500). 

3)  Dép.  du  9  sept.  1463  (Archivio  Sforzesco). 

4)  Dépêche  de  l'ambassadeur,  du  même  jour  (Arch.  de  Milan,  Pot.  Este, 
Francia).  Cf.  Romanin,  Sloriu  Documentata,  V,  p.  36-39.  AEtampes,  Louis 
XII  reçoit  en  1498  dans  une  salle  d'auberge  l'ambassade  solennelle  de  Ve- 
nise, parce  qu'Anne  de  Bretagne  occupait  le  château.  Les  Vénitiens  s'en  mon- 
trent assez  formalisés  :  «  On  pourrait  dire  qu'un  grand  roi  ne  donne  pas 
audience  à  l'auberge,  mais  ici  les  auberges  sont  ce  qu'il  y  a  de  mieux.  » 
Pourtant  la  salle  était  tendue  de  velours  et  ornée,  et  lé  roi  fort  aimable 
(Reumont,  Diplomazia  italiana,  173;. 


audiemc.es  de  créance  209 

comme  dos  adversaires1.  Maison  savait  à  quoi  s'en  tenir  et 
l'on  s'exprimait  en  conséquence.  C'est  «loue  par  un  scrupule 
un  peu  naïf  que  des  ambassadeurs  inexpérimentés  ont  quelque- 
fois demandé  des  restrictions  à  cette  publicité.  Ainsi,  en  1476, 
Venise  étant  liée  avec  le  duc  de  Milan  à  la  triple  alliance,  son 
ambassadeur  à  Rome  refuse  d'exposer  sa  créance  devant  l'am- 
bassadeur de  Naples1  :  précaution  bien  ridicule,  pour  un  acte 
nécessairement  public!  En  1510 aussi,  à  Bude,  les  ambassa- 
deurs de  France  réclament  l'absence  de  l'ambassadeur  de  Ve- 
nise à  leur  audience  :  l'ambassadeur  vénitien  n'y  vient  pas, 
mais  il  y  envoie  son  secrétaire3. 

La  première  audience  solennelle  est  présidée  par  le  sou- 
verain, le  souverain  n'est  présent  là  que  pour  la  forme,  l'af- 
faire sera  ensuite  renvoyée  et  traitée  au  conseil,  où  s'enga- 
gera la  vraie  négociation.  En  France,  c'est  le  grand  conseil  qui 
est  régulièrement  saisi  de  toute  affaire  internationale*  et  qui 

1)  Le  duc  de  Savoie  écrit  à  Du  Bouchage  qu'il  ne  veut  entendre  le  premier 
les  ambassadeurs  du  Piémont,  que  si  le  roi  l'ordonne  :  dans  ce  cas,  il  de» 
mande  qu'on  lui  envoie  un  homme  qui  soit  présent  à  l'audience  (11  juin.  Ms. 
fr.  2923,  f°  M). 

2)  Gingins  la  Sarraz,  Dép.  des  amb.  milanais,  I,  281.  En  4419,  les  ambas- 
sadeurs du  dauphin,  venus  à  Rome  pour  justifier  leur  maître  de  la  mort  dtl 
duc  de  Bourgogne,  présentent  leur  créance  devant  les  ambassadeurs  anglais, 
qui  se  hâtent  d'écrire  à  leur  cour  les  incidents  de  l'audience,  les  termes  du 
discours,  les  dispositions  du  pape.  Aussi  supplient-ils  le  pape  et  les  cardinaux 
«  ut  propter  honorem  régis  et  regrii  ac  coronae  regalis  ista  materia  non  de- 
duoeretur  in  publicum.  »  Ils  insistent  :  les  ambassadeurs  du  dauphin  offrent 
leur  obédience  s'ils  ont  satisfaction,  sinon  ils  resteront  avec  Pierre  de  Luna 
(Rapport  des  ambassadeurs  anglais.  Quicherat,  Th.  Bazin,  IV,  281). 

3)  Lamansky,  Secrets  d'Etats  de  Venise,  p.  308.  L'ambassade  de  France, 
arrivée  à  Rome  le  19  mai  1495,  reçoit  audience  le  20.  Le  cardinal  de  Giirck 
émet  la  prétention  d'entrer  avec  elle,  comme  ayant  suivi  les  négociations 
pour  le  roi.  De  là,  une  discussion  :  finalement,  le  cardinal  n'entre  pas,  et 
ce  relus  le  rend  ennemi  du  roi;  toutes  les  autres  ambassades  notent  le  l'ait 
(Sanudo,  Spedtzione,  347). 

4)  «  L'affaire  dos  ambaxades...  fut  pareillement  la  mys  en  conceil  »  (Jean 
d'Auton,  I.  314,  310,  317'. 

14 


210  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

assiste  le  roi  à  l'audience  de  créance.  Les  ambassadeurs  de 
France  en  Bourgogne  remettent  leur  créance  devant  le  con- 
seil de  Bourgogne  '  ;  le  roi  reçoit  les  ambassadeurs  de  Venise, 
en  1502,  avec  six  membres  de  son  conseil8...  Parfois  même, 
lorsque  le  roi,  pour  un  motif  ou  pour  un  autre,  ne  peut  ou  ne 
veut  pas  recevoir  des  ambassadeurs,  il  les  renvoie  directe- 
ment au  grand  conseil.  Le  cardinal  de  S1  Marc,  envoyé  du 
pape  en  1418,  expose  sa  créance  au  grand  conseil 8  ;  le  roi 
renvoie  au  grand  conseil  l'ambassadeur  du  comte  de  Charo- 
lais  *.  En  mai  1421,  la  reine  de  Sicile,  qui  seprêtaitpeu  aux 
cérémonies,  reçoit  les  ambassadeurs  florentins  dans  une 
église,  au  moment  où  le  prêtre  montait  à  l'autel  pour  dire  la 
messe.  Les  discours  commencent  :  mais  Michel  de  Pazzi,  qui 
connaissait  les  habitudes  de  sa  souveraine,  les  interrompt  en 
disant  à  la  reine  :  «  Nous  allons  emmener  les  ambassadeurs, 
nous  pratiquerons  avec  eux,  puis  nous  reviendrons  vers  Votre 
Majesté5.  » 

Dans  les  républiques  italiennes,  c'est  la  Signoria,  en  latin 
Colleyium,  qui  reçoit  les  ambassadeurs,  c'est-à-dire  le  con- 
seil exécutif.  A  Venise  ce  conseil  se  composait  de  vingt  six 
membres 6.  En  Suisse,  c'est  la  diète  fédérale  elle  même  qui 
donne  audience  7,  ou  en  son  absence  le  conseil  des  Etats.  Une 
députation  de  ce  conseil  vient  à  l'auberge  de  l'ambassadeur, 
recevoir  l'exposé  de  sa  créance.  Si  l'affaire  est  importante,  la 

1)  Duclos,  Histoire  de  Louis  XI,  185. 

2)  Sanuto,  IV,  445. 

3)  Douct  d'Arcq,  Choix  de  pièces,  I,  397. 

4)  Duclos,  Hisl.  de  Louis  XI,  IV,  230. 

5)  Rapp.  de  li2i.  Saige,  Documents,  1,29. 

6)  Le  doge,  cinq  conseillers,  trois  chefs  de  laquârantie  criminelle,  six  sages 
du  conseil,  cinq  sages  de  terre  ferme,  cinq  sages  aux  ordres.  Introduits  dans 
la  salle  de  l'Anti-Collège,  les  ambassadeurs  étaient  reçus  dans  la  grande  salle 
du  Collège,  l'incomparable  salle  décorée,  depuis  lors,  par  Tintoret  et  Paul 
Veronese. 

7)  Jean  d'Auton,  I,  p.  347. 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  211 

députation  déclare  quelle  en  référera  aux  confédérés,  et  en- 

->■  l'ambassadeur  à  prendre  patience,  à  faire  bonne 
chère  "... 

A  Rome,  l'audience  est  publique  ou  privée,  au  gré  du  pape. 
L'audience  publique  est  généralement  réservée  aux  démar- 
ches d'apparat,  telles  que  l'obédience,  qui  est  toujours  pu- 
blique, ou  aux  notifications  d'actes  importants  et  publics, 
comme  la  conclusion  d'une  paix  ;  mais  il  n'y  a  pas  de  distinc- 
tion bien  absolue  entre  les  audiences  publiques  ou  privées, 
parce  que  ni  les  unes  ni  les  autres  n'ont  un  caractère  stricte- 
ment public  ni  strictement  privé.  La  publicité  peut  s'improvi- 
ser ;  elle  résulte  du  nombre  et  du  caractère  des  assis- 
tants '. 

La  solennité  véritable  consiste  dans  la  réception  en  consis- 
toire public  3,  c'est-à-dire  dans  une  exposition  de  l'affaire  de- 
vant tous  les  cardinaux  réunis  en  grand  conseil  du  pape.  Les 
ambassadeurs  peuvent  réclamer  une  audience  en  consistoire, 
mais  le  pape  est  libre  de  la  refuser,  et  il  la  refuse  pour  les 
mêmes  motifs  que  les  ambassadeurs  la  sollicitent,  c'est-à-dire 
en  vue  de  la  démonstration  *.  Quelquefois  des  négociations 
s'engagent  sur  cette  question  prékminaire  et  n'aboutissent 
qu'au  bout  de  quelques  jours5. 

Il  n'y  a  pas  lieu  à  audience  en  consistoire  pour  la  récep- 

1)  147o.  Gingins   la  Sarraz,  Dép.  des  amb.  milanais,  I. 

2)  Villari,  Dispacci  di  A.  Giustinian,  II,  1. 

3)  Villari,  Dispacci...,  I,  14. 

1  Burckard,  III,  [21  :  instruction  française  de  1494,  K.  1710.  Les 
ambassadeurs  d'Espagne  arrivés  à  Rome  le  19  déc.  1498,  demandent  à 
être  re^us  en  consistoire  ;  le  pape  refuse  opiniâtrement,  il  leur  accorde  enfin 
audience  dans  la  chambre  du  Papegai,  le  1G  janvier  1499,  devant  six  cardi- 
naux. Après  un  long  discours  des  ambassadeurs,  la  discussion  devient  ora- 
geuse et  presque  injurieuse.  Les  ambassadeurs  demandent  l'introduction 
d'un  notaire  pour  enregistrer  leurs  protestations  ;  le  pape  leur  répond  de 
protester  où  ils  voudront  (Burckard,  II,  oUti-o07). 

5)  Delaborde,  Un  épisode  des  rapports  d'Alexandre  VI,  p.  12. 


212  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

tion  d'un  ambassadeur  adjoint  à  une  ambassade  préexistante, 
ni  pour  l'arrivée  d'un  simple  résident,  que  son  prédécesseur 
présente  au  pape  '. 

Le  roi  de  France  attend  les  ambassadeurs,  assis  sur  une 
estrade  élevée,  dans  la  grande  salle  d'honneur  du  château, 
garnie  de  tapis  et  de  tapisseries.  Il  aura  à  sa  droite,  par 
exemple,  des  cardinaux,  à  sa  gauche  des  princes  du  sang  et 
les  membres  du  grand  conseil  :  derrière  lui,  des  grands  sei- 
gneurs français  ou  étrangers  et  des  personnages  de  la  cour*, 
debout,  appuyés  sur  le  fauteuil  du  roi  selon  l'usage  fran- 
çais 3.  En  144-3,  le  roi  d'Angleterre,  vêtu  d'or,  reçoit  amica- 
lement l'ambassadeur  de  France,  dans  une  chambre  «  sans 
lit  »,  richement  décorée.  La  tapisserie  qui  couvre  le  dossier 
du  baldaquin  derrière  le  trône  représente  des  dames  of- 
frant l'écu  de  France  à.  un  prince,  allusion  plus  que  transpa- 
rente aux  prétentions  du  roi  sur  la  couronne  de  France  :  les 
ambassadeurs  font  semblant  de  ne  pas  s'en  apercevoir  et  no 
tent  dans  leur  relation  que  la  tapisserie  représente  l'offre  des 
armes  de  France  «  à  ung  seigneur  *.  »  Quand  on  se  trouve 
au  camp,  on  fait  préparer  comme  on  peut  une  chambre  pour 
l'audience  6. 

1)  V.  le  détail  d'une  audience  publique  du  pape  aux  ambassadeurs  (15  11), 
dans  Frali,  Le  due  spedizioni  militari  di  Giulio  II,  265. 

2)  A  Venise,  tout  le  conseil  serevôt  exceptionnellement  d'écarlate,  pour  re- 
cevoir un  orateur  turc  ;  «  fo  bel  veder  »  (15  mars  1505.  Sanuto,  V,  990). 

3)  Audiences  de  1501,  de  1509  (Sanuto,  IV,  186.  Lettres  de  Louis  XII,  l, 
146). 

4)Ms.  fr.  3884,  fo  175  vo. 

5)  Camp  devant  Neuss,  1475  (Ginginsla  Sarraz,  Dépêches...  I,  76).  En  Es- 
pagne, si  l'audience  de  créance  a  lieu  le  soir,  on  se  sert  de  torches  (Macha- 
do's  Journals,  dans  Gairdner,  Hista  régis  Henrici  septimi,  p.  170).  Le  roi  et 
la  reine  d'Espagne  reçoivent  les  ambassades,  somptueusement  velus  d'or  et 
de  diamants,  entourés  d'une  cour  étincelante  (ibid.,  p.  170-171).  Le  roi  et  la 
reine  reçoivent  ensemble,  et  on  leur  remet  à  chacun  une  lettre  de  créance^ 
après  leur  avoir  baisé  la  main  (ibid,,  p.  172). 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  213 

Pontanus  recommande  au  prince,  dans  ses  audiences,  d'a- 
voir l'air  aimable  et  avenant,  l'accueil  doux,  facile,  de  laisser 
une  impression  d'honnêteté  el  de  justice,  de  parer  ce  qu'il 
donne,  de  ne  jamais  opposer  un  refus  net,  mais  de  se  re- 
trancher dans  une  objection  d'inutilité,  d'impossibilité1.  Son 
costume  doit  concourir  à  sa  majesté  :  il  sera  sérieux,  ap- 
proprié aux  circonstances,  il  ne  tombera  pas  dans  les  excès  de 
la  mode  :  «  maintenant,  ajoute  Pontanus,  c'est  à  qui  changera 
le  plus  souvent  de  costume,  on  ne  vaut  rien  quand  on  n'a 
pas  son  tailleur  ou  sa  modiste  en  France  s  :  un  prince  ne  sau- 
rait donner  dans  ce  ridicule  ;  c'est  à  lui  de  choisir  :  on  ne 
comprendrait  pas  qu'il  suivit  toutes  les  plaisanteries  des 
modes  actuelles;  cheveux  tordus,  eontortos  in  annulum,  et 
retombant  sur  les  épaules,  longue  barbe  descendant  sur  la 
poitrine,  soieries  débordantes  autour  du  cou  et  des  poignets. 
Que  les  femmes  cherchent  de  semblables  parures,  soit  !  Mais 
un  homme,  un  italien,  doit  conserver  un  caractère  grave  et 
ne  pas  se  laisser  pénétrer  par  toutes  les  excentricités  étran- 
gères \»  Les  rois  sont  donc  condamnés  à  se  raser  comme  par 
le  passé,  et  à  ne  figurer  dans  les  audiences  que  «  vêtus  à  la 
longue  »,  avec  des  chaînes  d'or  ou  de  diamants*. 

Les  ambassadeurs  entrent  et  font  leur  révérence3  :  Louis  XII 
se  lève  en  souriant,  ôte  sa  barrette  et  fait  mine  de  descendre  ; 
mais  les  ambassadeurs  se  précipitent,  et  il  leur  serre  la  main. 
Les  ambassadeurs  remettent  au  roi  leur  créance,  saluent  les 
cardinaux,  puis,  sur  l'invitation  du  chancelier,  prennent  place 
sur  un  banc  en  face   du  roi,  le  chef  de  l'ambassade  au  mi- 

i)  De  principe. 

1)  Pontanus  était  napolitain. 

3)  De  principe,  édit.  de  Lyon,  1514  :  hij. 

4)  Roi  des  Romains  (25  nov.  1504.  Sanuto,  VI,  110). 

sne  représentée  par  VittoreCarpaccio  dansJ'un  des  admirables  tableaux 
de  la  Vie  de  Sainte  Ursule  (réception  des  ambassadeurs),  à  l'Académie  de 
Venise. 


214  LA   DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

lieu  i.  Le  roi  remet  la  créance  au  chancelier,  qui  la  fait  lire, 
ou  bien  à  un  secrétaire,  à  un  membre  du  conseil,  qui  en 
donne  lecture  '.  On  constate  ainsi  qu'elle  est  en  forme3. 

Laurent  de  Médicis,  en  envoyant  à  Rome  son  fds  Pierre,  lui 
recommande,  lorsqu'il  se  présentera  à  Sa  Sainteté,  après 
s'être  bien  informé  de  tous  les  détails  du  cérémonial,  de  por- 
ter à  ses  lèvres  la  lettre  de  créance  de  son  père,  de  la  re- 
mettre en  suppliant  le  pape  de  daigner  la  lire,  puis  de  dire 
qu'il  met  son  père  aux  pieds  de  Sa  Béatitude  4.  Ces  pratiques 
ne  sont  point  d'usage  ;  cependant,  on  accompagne  la  remise 
matérielle  de  la  créance  par  quelques  premières  paroles  de 
salutation  ou  de  «  recommandation  » ,  auxquelles  le  souverain 
peut  répondre  de  même  s,  mais  très  brièvement 6.  Les  en- 
voyés russes  demandent  des  nouvelles  de  la  santé  du  chef  de 
l'Etat,  et  en  fournissent  de  la  santé  de  leur  souverain 7.  Un 
ambassadeur  pontifical  donne  la  bénédiction  pontificale 8. 
Charles  VIII  ne  répondait  pas,  même  à  des  «  recommanda- 
tions »,  sans  conférer  avec   un  membre  du  grand   conseil9. 

1)  Audiences  citées  de  4501  et  1509.  Cf.  Sanuto,  VII,  86.  Lorsque  l'am- 
bassade comprend  un  héraut,  le  héraut  prend  part  à  l'audience,  mais  il  reste 
debout,  derrière  l'ambassade  assise  (J.  Gairdner ,  Bist* régis  Renrici  septïmi, 
p.  172). 

2)  Id.,  Desjardins,  I,  224. 

3)  «  Letlera  in  forma  »  (1503.  Sanuto,  V,  179). 

4J  Roscoë,  Vie  de  Laurent  de  Médicis,  pièce  lix.  La  jeune  Anne  de  Bre- 
tagne embrasse  un  ambassadeur  anglais,  à  sa  réception  en  1490  (J'.  Gaird- 
ner, Hista  régis  Hcnrici  septimi,  219). 

5)  Charles  VII  ne  répond  pas  à  l'ambassadeur  du  dauphin  (Duclos,  Hist. 
de  Louis  XI,  IV,  161J. 

6)  24  janv.  1460.  Audience  du  conseil  de  Florence  à  l'envoyé  du  dau- 
phin, Baude  Meurin.  Compliments  habituels  de  part  et  d'autre,  en  com- 
mençant l'exposé,  après  avoir  montré  les  lettres  de  légation  :  Pierre  Corne 
de  Médicis,  vexillifer  justitise,  répond  (Lettres  de  Louis  X  1,1,  p.  344). 

7)  S.  de  Westman,  art.  cité.  Sanuto. 

8)  «  Nomine  pontificis  »  (16  juin  1300.  Sanuto,  III,  398). 

9)  Audience  de  F.  délia  Casa  (Desjardins,  I,  224). 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  215 

A  Rome,  le  cérémonial  de  la  première  partie  de  l'audience 
dilïére  de  celui  que  nous  venons  d'indiquer  :  il  est  beaucoup 
plus  strict.  Les  ambassadeurs  ont  habituellement  leur  au- 
dience à  l'issue  d'un  consistoire  ;  ils  sont  reçus  dans  une 
des. grandes  salles,  celles  du  Paramento,  du  Papagallo,  ou 
celle  du  consistoire.  Après  une  courte  attente  dans  une  salle 
voisine  ou  dans  un  appartement,  l'ambassadeur  suit  les 
membres  de  la  haute  prélature  qui  viennent  le  chercher.  In- 
troduit, il  s'approche,  s'agenouille,  baise  la  mule  et  la  main 
du  pape  (le  baisement  de  main  est  contesté)  ;  parfois  le  pape 
l'embrasse.  Se  mettant  à  genoux,  l'envoyé  présente  sa  lettre 
de  créance,  que  le  pape  remet  à  un  secrétaire,  puis,  guidé 
par  le  maître  des  cérémonies,  il  retourne  vers  la  porte  d'en- 
trée, et  attend  là,  à  genoux,  que  le  secrétaire,  agenouillé  à 
gauche  du  pape,  ait  donné  lecture  de  la  créance  ;  ensuite, 
toujours  à  genoux,  il  prononce  son  discours.  Ainsi  l'ambassa- 
deur de  Lithuanie,  entré  à  Rome  le  11  mars  1501,  reçoit  son 
audience  pour  le  30.  Il  attend  dans  l'appartement  du  cardi- 
nal de  Capoue.  Le  consistoire  fini,  le  gouverneur  de  Rome  et 
sept  prélats  viennent  l'y  prendre  et  l'introduisent1. 

Le  roi  d'Angleterre,  en  voyant  entrer  une  grande  ambas- 
sade, descend  de  sa  chaire,  et  se  tient,  tout  droit,  au  bas  des 
marches.  Il  tend  la  main  aux  ambassadeurs  et  ôte  un  peu 
son  chaperon  au  chef  de  l'ambassade  *. 

A  Venise,  le  doge  se  lève  et  va  au  bout  du  mastabe,  c'est- 
à-dire  au  milieu  de  la  salle,  en  avant  de  l'ambassadeur  à  qui 
il  serre  la  main  ;  l'ambassadeur  peut  serrer  également  la 
main  aux  membres  du  conseil,  puis  il  s'assied,  et,  assis,  pré- 
sente ses  lettres  de  créance,  et  enfin  prononce  son  discours'. 

l)Burckard,  III,  121. 
2)Rapp.  de  [445.  Ms.  fr.  3884. 

3)Sanuto,  IV,  468.  Accurse  Mainicr,  en  loOO,  présente  incorrectement  sa 
créance  après  son  discours  (id.,  III,  227). 


216  LA    DIPLOMATIE   AU   TEMPS    DE    MACHIAVEL 

Les  lettres  de  créance  sont  lues  par  un  secrétaire,  et  traduites 
séance  tenante,  s'il  y  a  lieu.  Dans  ces  premiers  saluts,  on 
échange  quelques  compliments  plus  ou  moins  banaux.  Lors- 
que Commines  revient  à  l'ambassade  de  Venise,  après  la 
guerre  de  1495,  le  doge  lui  dit  :  «  Monseigneur,  comme  vous 
voilà  maigre  !  »  —  c'était  la  vérité.  —  «  Sérénissime  prince, 
repartit  Commines,  ce  sont  les  fatigues  de  la  guerre,  et  le 
changement  de  régime,  après  que  vous  m'aviez  fait  faire  ici 
si  bonne  chère.  »  Puis  il  commença  son  discours  sur  l'amour 
de  son  roi  pour  Venise,  etc.1. 

Après  ce  préambule,  a  lieu,  en  effet,  l'exposé  de  la 
créance  ;  un  des  ambassadeurs  se  lève  et  prononce  debout 
un  discours.  C'est  ce  qu'on  appelle  couramment  «  dire  sa 
créance 2,  dire  sa  charge3»,  ou,  plus  rarement,  «  exposer 
sa  créance,  les  causes  et  manière  de  sa  légacion  *.  »  Les  dis- 
cours officiels  indiqueront  sans  doute,  par  des  allusions  plus 
ou  moins  sensibles,  le  terrain  général  des  négociations,  comme 
les  détails  de  la  cérémonie  elle-même  refléteront  des  nuan- 
ces plus  ou  moins  caractérisées  de  cordialité.  Mais  le  but 
principal  de  cet  ensemble  consiste  à  agir  avec  honneur  et  dé- 
corum, «  con  onor  è  decoro  »,  et  non  à  obtenir  des  résultats. 
Les  affaires  viendront  par  la  suite,  à  une  audience  secrète  5. 

1)  Sanudo,  Spedizione,  651. 

2)  Instr.  de  janv.  1393  (Douet  d'Arcq,  Choix  de  pièces,  I,  p.  113). 

3)  Jean  d'Auton,  I,  p.  347.  t 

4)  Douet  d'Arcq,  Choix...,  I,  397. 

5)  Villari,  Dispacci  di  Giustinian,  II,  i.  A  l'audience  solennelle,  «  pour  ce 
qu'il  y  avoit  bcaucop  gens,  nous  parlasmes  seulement  de  la  matière  des  al- 
liances et  autres  poins  généraulx.  »  Le  roi  répondit  de  même,  et  commit 
plusieurs  conseillers  pour  suivre  la  négociation.  «  Nous  dismes  à  part  audit 
s?r  Roy  de  Castelle  que  nous  avions  autres  choses  à  luy  dire  de  par  vous, 
quant  son  plaisir  seroit.  Sur  quoy,  ver,  il  nous  oit  à  part,  et  luy  dismes  bien 
au  long  ce  qu'il  vous  avoit  pieu  nous  charger  parvoz  instruccions. . .  »  (Rap- 
port de  l'ambassadeur  de  France  en  Castille,  1462.  Lett.  de  Louis  XI,  II,  378). 


AUDIENCES    DE   CRÉANCE  217 

Ainsi,  l'on  doit  prêter  la  plus  grande  attention  aux  moindres 
détails  de  la  réception. 

Le  discours  public  de  créance1,  est  le  plus  souvent  prononcé 
par  un  ambassadeur  de  robe  longue,  qui  n'est  pas  nécessai- 
rement le  cbef  de  l'ambassade.  En  1445,  M.  de  Vendôme, cbef 
de  l'ambassade  de  France  en  Angleterre,  laisse  l'archevêque 
de  Reims  faire  le  discours  ;  il  se  borne  à  ajouter  quelques 
mots,  plus  chevaleresques  que  diplomatiques,  sur  la  sympa- 
thie du  roi  de  France  pour  son  neveu  le  roi  d'Angleterre  ; 
«  et  puisqu'ils  estoient  si  amis,  maudit  fust  il  qui  leur  con- 
seilleroit  avoir  guerre  ensemble.  »  —  «  Et  chascun  qui  la  es- 
toit  dit  :  Amen s.  » 

Le  discours  n'a  aucun  caractère  d'improvisation  ;  c'est 
une  œuvre  de  rhétorique  et  de  beau  langage,  calquée  sur  la 
teneur  des  instructions  qu'il  développe  et  amplifie8.  L'am- 
bassadeur novice,  ému  de  l'honneur  qui  lui  échoit,  le  pré- 
pare depuis  le  jour  de  son  départ,  le  soigne,  l'apprend  par 
cœur  et  le  débite  enfin  de  son  mieux.  De  là,  le  désappointe- 
ment de  deux  ambassadeurs  de  Louis  XI  à  Milan  en  1469, 
qui,  conformément  aux  instructions  du  roi,  allèguent  la  vo- 
lonté d'un  prince,  mort  depuis  leur  départ  et  dont  tout  le 
monde  (excepté  eux)  connaissait  la  mort.  Les  désagréments 
de  ce  genre  pourraient  s'étendre  aux  historiens  qui  feraient 
trop  de  fonds  sur  ces  discours  et  n'y  démêleraient  pas  suffi- 
samment la  part  du  convenu.  C'est  ainsi  qu'un  savant  fran- 

1)  Ce  discours  est  appelé,  dans  des  textes  anciens,  Harenga,  Sermo  de  am- 
baxiata:  «cSequitur  harenga  l'acta  coramd»°  nostro  Fraûcorum  Kege  Karolo, 
YIIm°  hujus  nominis,  pro  parte  régis  Humgarie  Laudilavo,apudTuronis(Ms. 
lat.  11414,  fo  23-24,  discours  en  latin,  assez  serré,  sans  liés  grandes  phrases, 
avec  des  compliments,  de  style  moderne).»  Sermo  de  amhaxiata  »,  dans  un 
recueil  des  lettres  de  Philippe  de  Maizières,  vers  1366  (article  de  M.  Jorga, 
dans  la  Revue  Historique,  mai-juin  1892,  p.  i'J). 

2)  Fr.  3884,  i°  180. 

3)  Instruction  vénitienne,  du  17  mai  1509,  à  l'ambassadeur  en  Allemagne. 


218  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

çais,  ayant  découvert  dans  la  Bibliothèque  de  Saintes,  par 
hasard,  le  texte  de  ce  discours  officiel  de  1469,  a  cru  à  sa 
sincérité  et  a  laborieusement  échafaudé  à  ce  sujet  un  roman 
historique1.  Le  langage  de  l'envoyé  lui  est  presque  toujours 
dicté  par  une  instruction  minutieuse.  Ainsi,  le  fils  môme  de 
François  Sforza,  Galéas,  reçoit  de  son  père  l'instruction  de 
«  se  présenter  avec  l'humilité  et  l'extrême  révérence  d'un 
serviteur  envers  son  seigneur,  surtout  envers  un  si  grand 
roi  »  ;  son  père  lui  trace  le  discours  à  tenir  point  par  point. 
Galéas  demandera,  en  substance,  à  être  traité  non  comme 
un  étranger,  mais  comme  quelqu'un  de  la  maison;  il  re- 
commandera toute  sa  famille,  il  remerciera  le  roi  de  la 
peine  qu'il  a  prise  d'envoyer  dos  ambassades,  il  parlera  des 
grandes  et  infinies  obligations  de  son  père,  que  cent  ans  ne 
suffiraient  pas  à  acquitter  :  il  garantira  au  roi  le  dévouement 
profond  du  roi  de  Naples  :  il  protestera  lui-même  d'un  dé- 
vouement sans  bornes,  il  se  dira  prêt  à  obéir  au  roi  plutôt 
qu'à  son  père  ;  il  priera  le  roi  de  lui  indiquer  ou  de  lui  faire 
indiquer  qui  il  doit  voir  ou  recevoir  à  la  cour  s. 

Le  discours  est  généralement  prononcé  en  latin  ',  ce  qui 
explique  qu'il  offre  souvent  peu  d'intérêt  pour  les  personnes  de 
la  cour.  A  Rome,  bien  entendu,  le  latin  est  de  règle  abso- 
lue* :  dans  le  reste  de  l'Italie  également s,  et  l'on  est  scanda- 

1)  Ghinzoni.  Galeazzo  Maria  Sforza  et  Luigi  XI,  p.   16. 

2)  Instruction  du  "2  mars  1466  (Archivio  Sforzesco).  Cf.  «Summarium  ins- 
tructions cl»'  Ludovici  facto  Ambrosio  Biucardo  et  Martino  de  Cazali»...,  dans 
Corio,  Historiadi  Milano,  p.  vu,  p.  498  (relit,  de  Ui.'ii)  etc. 

3)  San  Severino,  ambassadeur  milanais  à  Lyon,  écrit,  le  16  avril  4494, 
qu'il  a  été  reçu  le  matin  par  le  roi,  en  audience  solennelle,  réglée  la  veille 
par  l'évèque  de  S1  Malo  et  Etienne  de  Yesc.  Le  roi  lui  demande  s'il  entend  le 
français  :  «  Un  peu  »,  répond  S"  Severino.  Et  alors  ils  échangent  des  com- 
pliments dans  cette  langue  (Arch.  de  Milan,  Pot.  est.,  Franc ia,  1494-95). 

4)  Villari,  Dispacci...,l,  14.  Burckard.  III,  121. 

5)  V.  pour  Venise,  Sanuto,  III,  227  ;  VII,  103;  en  Hongrie  également,  id., 
III,  356,  1170  ;  en  Allemagne  aussi. 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  219 

lise  à  Venise  de  voir  un  ambassadeur  «le  Crémone  faire  son 
discours  en  italien  ;  on  décide,  avant  d'y  répondre,  d'écrire 
à  Crémone  pour  s'informer  sur  le  compte  île  l'ambassadeur1. 
Les  ambassadeurs  qui  ne  savent  pas  le  latin  sont  réduits  à 
parler  par  interprètes*. 

Nous  retrouvons  ici  l'usage  du  français,  de  la  part  de  la 
diplomatie  anglaise  accréditée  en  France  3.  et  de  la  diplo- 
matie des  Pays  Bas  \  En  Suisse,  une  ambassade  des  Pays 
Bas  se  croit  autorisée  à  faire  son  discours  en  français  ;  mais 
les  Suisses  veulent  du  latin;  les  ambassadeurs  suisses  en 
Allemagne  parlent  «  en  leur  allemand  »  '.  Certains  ambassa- 
deurs italiens  en  France  sont  en  état  de  faire  leur  discours 
en  français6.  L'ambassade  circulaire  française  de  1478-79 
en  Italie  prononce  son  discours  en  français  à  Milan,  comme 
témoignage  d'intimité,  et  en  latin  à  Florence,  à  Borne  "'. 

Le  discours  est  écouté  dans  un  profond  silence,  que  le 
roi  lui-même  ne  doit  pas  interrompre.  Lors  du  discours  de 
l'ambassadeur  vénitien,  en  1509,  Louis  XII  interrompit  deux 
fois  l'orateur  pour  lui  dire  de  s'asseoir  ;  l'ambassadeur  af- 
fecta de  ne  pas  entendre8.  En  août  1509,  un  ambassadeur 

t)Samito,  III,  1158. 

■2)  Ambassades  de  Russie,  d'Angleterre,  d'Espagne  à  Venise  :  Sanuto,  III, 
61,  IV,  468,  518. 

3)  Discours  des  ambassadeurs  du  roi  Edouard  d'Angleterre  au  duc  de 
Bourgogne.  On  lui  dit  :  «  Très  inclit  et  noble  prince  ...  Votre  Excellence. . . 
cheuxqui  par  office  de  légation  vous  approchoient.  . .»  L'exorde  est  insi- 
nuant, et  procède  par  louanges;  voici  les  qualificatifs  :  «  Nostre  très  pai- 
sible et  très  rhrestien  seigneur  Édouart,  Roy  de  France  et  de  Engleterre... 
Vostre  excellente  personne. ..,  mes  très  espéciauix  et  précellens  compain- 
gnons  en  légation. . .»  (ms.  fr.  1278,  f°  64). 

4   LeGIay,  Négociations,  I.'  21. 

5)  I.e  Glay.  Négociations,  I,  210. 

6)  1475.  Gingins  la  Sarra/.,  Dép.  des  ambass.  milanais,  I,  76,  77. 

A.  11802. 
8)  Sanuto,  IV,  186. 


220  LA    DIPLOMATIE   AU   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

de  France  présente  sa  créance  au  roi  d'Angleterre.  Dans  son 
discours,  il  dit  que  Louis  XII  l'envoie,  en  réponse  à  une  let- 
tre d'amitié  et  de  paix.  Le  roi  l'interrompt  et,  se  tournant  vers 
sa  cour  :  «  Qui  a  écrit  cette  lettre  ?  moi,  j'ai  demandé  la  paix 
au  roi  de  France  !  »  Il  se  lève  et  ne  veut  rien  entendre  de 
plus1. 

Le  discours  de  créance  s'ouvre  par  une  formule  ou  de  re- 
commandation ou  de  salutation  ;  la  seconde  est  la  plus 
simple  et  la  plus  digne.  Parfois  même,  l'orateur  se  borne  à 
présenter  chaque  membre  de  l'ambassade,  sans  se  nommer, 
et  sans  aborder  aucune  question.  C'est  la  simple  salutation  s. 
La  recommandation  suppose  une  nuance  d'infériorité3.  Le  dis- 
cours de  créance  peut  aussi  se  borner  à  une  recommandation. 
Les  deux  ambassadeurs  de  l'archiduc,  en  audience  publi- 
que, recommandent  au  roi  son  très  obéissant  parent,  cousin, 
vassal  et  sujet  :  ils  déclarent  qu'ils  diront  autre  chose  en  au- 
dience secrète  *.  Cette  forme,  dans  sa  simplicité  et  sa  modes- 
tie, peut  fournir  une  habile  diversion.  Les  ambassadeurs  du 
dauphin  de  France  à  Rome,  en  1419,  après  le  meurtre  de 
Jean  sans  Peur,  s'en  servent  pour  prononcer  un  discours  fort 
diplomatique.  Ils  appellent  le  duc  de  Bourgogne  «  cousin  du 
dauphin  »  :  ils  offrent  au  pape  «  les  personnes  du  roi  et  du 
dauphin,  le  royaume,  les  châteaux,  les  pays»  (on  ne  peut  aller 
plus  loin  dans  ce  style),  mais  ils  ne  parlent  pas  de  la  restitu- 
tion d'obédience  :    ils  se  tiennent  sur   l'expectative  5.  Pres- 

4)  Sanuto,  IX,  149.  Pendant  que  François  Becchi,  évoque  d'Arezzo,  ambas- 
sadeur de  Florence,  prononce  un  beau  discours,  Charles  VIII  se  permet  de 
dire  en  riant  qu'il  n'a  jamais  entendu  si  bon  bec  (Desjardins,  Négociations, 
1,338). 

2)  Rapp.  de  1445.  Fr.  3884,  f«  176. 

3)  Burckard,  III,  367. 

4)  8 juillet  1500.  Sanuto,  III,  525. 

5J  Dépêche  des  ambassadeurs  anglais,  publiée  par  Quicherat,  Th.  Bazin, 
IV,  281. 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  221 

que  toujours  le  discours  affecte  une  portée  plus  marquée. 
A  Venise,  à  Home,  ce  que  les  fins  connaisseurs  du  pays  ap- 
pellent un  bon  discours,  c'est  un  discours  bref  et  qui  se  tient 
dans  les  généralités  .'«  Trop  long  !  »  s'écrie  Burckard*,  après 
un  discours  de  créance  :  celui-là  est  «  bref  et  très  bien,  court 
et  bon'»,  dit-il  après  d'autres  audiences*.  Ainsi  Macé  Toustain, 
homme  de  robe  longue  et  second  ambassadeur,  fait  à  Venise, 
le  3  avril  l.'iOO,  un  bon  discours  latin,  avec  des  protestations 
d'affection,  des  généralités,  et  il  conclut  en  demandant  qu'on 
désigne  des  conseillers  pour  l'entendre  en  particulier s.  Un 
ecclésiastique  de  l'ambassade  anglaise  à  Paris,  le  13  septem- 
bre 1514,  expose  en  bons  termes  la  créance  ;  il  vante  sim- 
plement la  paix  et  le  projet  de  mariage  qui  la  consacre  6.  Ma- 
chiavel rend  un  compte  favorable  du  discours  de  l'ambassade 
allemande  à  Tours,  le  23  novembre  1500.  Philippe  de  Nas- 
sau, chef  de  l'ambassade,  a  simplement  exposé  la  nécessité 
classique  de  l'armement  contre  les  Turcs,  et  il  a  ajouté  briè- 

1)  Ces  appréciations  sur  le  caractère  d'un  discours  diplomatique  s'appli- 
quent à  la  fois  aux  discours  de  créance  et  aux  discours  d'obédience. 

2)  Les  ambassadeurs  florentins  à  Gênes,  en  1421,  remercient  d'abord  le 
doge  de  la  libération  de  certains  navires  et  lui  parlent  avec  une  extrême  cor- 
dialité (Rapp.  de  1421.  Saige,  Documents,  I,  23).  A  Kabello  Grimaldi,  ils 
rappellent  l'antique  amitié,  ils  parlent  très  cordialement  (là,.,  15).  Mais  à  la 
reine  de  Sicile,  ils  t'ont  la  «  débita  reverentia»,  ils  recommandent  la  Seigneu- 
rie et  la  commune  à  Sa  Majesté,  «  et  quella  oflérta  con  largliezza  di  parole, 
ricordandole  la  divotione  avulasempre  questa  Comunità  alla  Maestà  Reale  et 
a  tutti  quelli  délia  sacratissima  reale  stirpe.  »  Les  Florentins  ont  toujours 
été  traités  par  elle,  disent-ils,  avec  une  extrême  bienveillance  (Id.,  p.  28).  Ils 
observent  ainsi  une  nuance  importante,  selon  qu'ils  s'adressent  à  une  autre 
république  ou  à  un  souverain. 

3)  Discours  de  créance  des  ambassadeurs  de  l'archiduc,  en  français,  court 
et  bon  :  se  terminant  parla  demande  de  députés,  et  d'une  brève  expédition, 
et  le  désir  que  le  roi  se  trouve  aux  conférences  (1501.  Le  Glav,  Négociations, 
l„U). 

4)  Burckard,  III,  355.  Cf.  Etienne  Dolet,  De  offlcio  legati,  I,  24. 

5)  Sanuto,  III,  192. 

6)  Dép.  de  Dandolo^  du  14  sept.  1514. 


222  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

vemcnt  qu'il  est  envoyé  en  vue  de  conclure  ta  paix  entre 
l'empereur  et  la  France,  condition  nécessaire  pour  une  résis- 
tance effective  de  la  chrétienté.  On  parle  ainsi  en  bons  ter- 
mes et  dans  les  formes  consacrées,  sans  faire  allusion  à  au- 
cun objet  irritant1.  Robert  Guibé,  évêque  de  Tréguier,  chargé 
de  porter  à  Innocent  VIII  l'obédience  de  Bretagne,  obtint 
un  succès  qui  lui  valut  par  la  suite  la  plus  brillante  carrière. 
Son  discours  est  très  habilement  conçu  ;  il  est  fort  bref  :  une 
phrase  sur  la  grandeur  du  S'  Siège  et  des  cardinaux,  une 
phrase  de  modestie,  puis  tout  le  reste  consacré  à  un  dithy- 
rambe lyrique  en  l'honneur  de  la  personne  du  pape,  de  sa 
noblesse,  de  ses  vertus,  qu'il  exalte  sans  une  ombre  et  qui 
sont  venues  «  jusqu'au  bout  du  monde  »  remplir  la  Bretagne  ! 
Guibé  salue  le  Souverain  Pontife,  «  totius  christiane  reipu- 
blice  principem,  patrem  et  ducem  »,  élu  «  summo  totius 
eorum  ordinis  consensu  et  christiani  populi  plausu  atque  lae- 
ticia  »,  il  le  salue,  selon  sa  charge,  au  nom  du  duc,  hérédi- 
tairement dévoué,  qui  met  sa  personne  et  ses  biens  à  la  dis- 
position de  Sa  Sainteté  el  lui  démande  de  tout  son  cœur  de 
daigner  l'avoir  pour  très  recommandé.  «  Dixi,  pater  beatis- 
sime  *.  »  Voilà  un  vrai  langage  diplomatique  3. 

L'ancienne  forme  pompeuse  *,  ampoulée,  compassée,  pa- 
raît démodée  5.  Nous  voyons  dans  les  Facéties  de  Pogge  com- 

i)  Dcp.  de  Machiavel,  du  24nov.  1500. 

2)  Robevti  Guibé,  Britani,  episcopi  Trecorensis,  ad  Innocentium  octavum, 
ponlificem  maximum,  legati  Illustrissimi  ac  invictissimi  Francisci  Ducis  Bri- 
tannin,  oratio  in  obedientia  prœslanda,  plaq.  goth.  in-4  de  2  ff.  s.  1.  a.  d. 

3)  Pour  les  compliments  d'avènement,  on  doit  exprimer  d'amers  regrets 
du  défunt,  en  faire  un  éloge  exquis  :  ajouter  «  non  tam  ejus  morte  tristatos 
essequara  assumptione  sua. . .  Ifetatos  »,  et  développer  fortement  cette  der- 
nière pensée  (Instruction  d'Alexandre  VI,  Procédures  politiques,  p.  1107). 
Sur  les  discours  d'obédience  à  Paul  111,  V.  Paslor,  Histoire  des  papes,  édit. 
française,  t.  IV,  p.  16  et  note  S. 

4)  Fr.  3884,  f"  178,  180,  182. 

5)  Un  exemple  de  cette  vieille  forme  se  trouve  dans  le  discours  de  créance 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  223 

bien  de  son  temps  <>n  se  moquait  déjà  dos  lourds  et  empâtés 
discours  de  créance.  Urbain  V.  malade  et  au  lit,  reçoit  des 
ambassadeurs  de  Pérouse,  et  subit  un  long  discours,  récité 
par  le  principal  ambassadeur.  Le  pape,  avec  sa  courtoisie 
habituelle,  demande  aux  autres  s'ils  ont  quelque  chose  à 
ajouter.  «  Très  Saint  Père,  dit  en  riant  l'un  d'eux,  homme 
d'esprit,  nous  avons  l'ordre,  si  vous  n'accordez  pas  nos  de- 
mandes, do  recommencer  notre  discours.  »  Le  pape  sourit 
doucement  et  les  fait  expédier1.  Un  autre  ambassadeur  s'en- 
lise, devant  le  conseil  de  Florence,  dans  ce  texte  de  l'Ecri- 
ture :  «  Donnez-nous  do  votre  huile  »,  qu'il  se  proposait  de  dé- 
velopper. L'huile  excite  une  hilarité  universelle,  le  malheureux 
ne  peut  même  pas  achever*.  En  1 445,  le  comte  de  Suffolk  dit  ami- 
calement aux  ambassadeurs  de  France  en  Angleterre  «  que  ilsse- 
roient  le  lendemain  ouys  et  qu'il  luy  sembloit  qu'il  ne  falloit 
ja  user  de  grandes  solennitez  de  proposition,  mais  que  pri- 
véement  et  familiairoinent  ils  dcissent  ce  que  le  jour  précé- 
dant avoient  dit  en  bref.  »  Et,  en  effet,  l'archevêque  de  Reims 
tient  un  discours,  très  court,  qu'il  divise  en  deux  parties  : 
1°  protestations  d'amour,  et  paroles  de  politesse.  «  On  vient 
chercher  dosnouvellesdu  roi...,  etc.»;  2°  désir  de  paix,  sobre- 
ment indiqué.  L'orateur  parle  de  Dieu,  de  Moïse,  des  apôtres, 
de  la  parenté  des  rois  ;  il  formule  des  protestations  de 
loyauté,  de  franchise,  sans  rien  articuler.  Il  exprime  l'inten- 
tion commune  «  de  besongner  plainement  et  privéement,  et 
non  pas  par  grandes  sollempnitez  ne  estrangetez  ainsi  que 
autresfois  on  a  accoustumé  de  faire,  dont  venoient  de  grandes 
longueurs  et  obscurtez  es  matières.  » 

de  Philippe  de  Maizières  à  Venise,  vers  1366,  analysé  par  M.  Jorga,  Revue 
Historique,  mai-juin  1892,  p.  49. 

1)  Facétie  cxxv,  éd°»>  Liseux,  II,  il, 

2)  Facétie  cxxiv,  éd"»  Lisenx,  11,  9. 


224  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

Cependant,  le  langage  compendieux,  pompeux,  la  fade 
amplification  de  rhétorique  présente  aux  ambassadeurs  une 
tentation  à  laquelle  ils  n'ont  pas  toujours  le  bon  goût  de  ré- 
sister, et  ce  verbiage  parait  d'autant  plus  lourd  et  insuppor- 
table que  l'ambassadeur,  obligé  de  ne  rien  dire  de  sérieux, 
se  maintient  forcément  dans  les  limites  de  la  plus  pure  ba- 
nalité. Le  discours  de  l'ambassadeur  vénitien  Donati  à 
Maximilien  «  pro  re  christiana  »,  c'est-à-dire  en  vue  d'une 
union  de  l'Allemagne  avec  Venise  contre  les  Turcs,  n'est,  par 
exemple,  qu'une  longue  suite  de  phrases  cicéronniennes  sur  un 
thème  extrêmement  usé  '.  Il  nous  reste  un  grand  nombre  de  dis- 
cours conçus  dans  ce  style  :  en  général,  ils  appartiennent  à  des 
gens  d'église.  Le  prélat,  habitué,  dans  la  chaire,  à  raisonner  lon- 
guement, à  citer  des  textes  et  des  «  exemples  notables»,  suc- 
combe plus  qu'un  autre  àla  tentation  de  prononcer  sa  harangue 
en  forme  de  sermon,  dans  un  latin  «  bien  orné.  »  L'un,  l'en- 
voyé du  pape,  en  1418,  prend  pour  texte  la  parole  :  «  Pax 
huic  domui 2  »  ;  un  autre  emploiera  des  métaphores  poéti- 
ques ou  religieuses.  «  Les  paroles  du  roi  de  France,  dit  le 
cardinal  d'Yorck,  ne  sont  pas  de  lui,  c'est  le  verbe  même  de 
l'Auteur  de  la  paix,  transmis  par  lui  comme  par  un  ange  de 
paix3.  »  Un  des  types  les  plus  accentués  de  ce  genre  de 
rhétorique  se  trouve  dans  l'œuvre  diplomatique  du  car- 
dinal Jean  Jouffroy,  abbé  de  S'  Denis,  qui  jouit,  dans 
le  milieu  du  XV  siècle,  d'une  immense  réputation  d'é- 
loquence et  de  savoir,  et  qui  occupa  les  plus  hauts  postes. 
Jouffroy  adressa,  notamment,  deux  discours,  en  1448  à  Ni- 

1)  Hieronymi  Donati  dignissimi  oro torts  Veneli  ad  Csesarem  pro  re  Chris- 
tiana Uratïo.  Plaq.  in-4»,  contemp.  (impressum  Venetiis  per  Bernardinum 
Venetum  de  Vitalibus,  anno  Uomini  MCCCCCI,  die  primo  rnensis  junii). 

2)  Douet  d'Arcq,  Choix  de  Pièces,  I,  397. 

3)  «  Non  creduntur  sue,  sed  potins  abeo  tanqtfam  angelo  pacis  verba  ipsius 
Auctoris  pacis  dicta  »  (fr.  3884,  t'°  184). 


AUDIENCES    DE    CKÉANCË  225 

colas  V,  en  août  14o9  à  Pie  II,  au  nom  du  duc  de  Bourgo- 
gne, excellents  monuments  de  compendiosité  colossale,  de 
compilation  classique,  de  lourdeur  :  l'auteur  parle  on  homme 
sûr  de  l'admiration  de  son  auditoire.  Le  discours  de  14o9, 
publié  par  M.  Ivervyn  de  Lettenhove,  n'occupe  pas  moins  de 
(piatre  vingt  dix  pages  in-quarto  du  texte  le  plus  serré  '.  Un 
autre  genre  de  pompe  encore  plus  fade  résulte  de  l'abus  des 
superlatifs,  auxquels  certaines  chancelleries  ne  conviaient 
que  trop  leurs  envoyés  :  on  paraissait  croire  que  le  meilleur 
moyen  de  faire  admettre  des  affirmations  de  dévouement 
contredites  par  les  faits,  était  de  les  présenter  sous  la  forme 
du  superlatif1.  C'est  là  un  simple  travers  ;  une  erreur  bien 
plus  grave  et  qui  trahit  une  complète  inexpérience  diploma- 
tique, consiste  à  aborder  nettement,  dès  la  première  audience 
publique,   un  terrain  brûlant.  La   diplomatie   française,  un 

1)  Cf.  les  discours  de  créance,  ms.  fr.  1278,  fr.  23330,  f°  1-23,  etc. 

2)  Arch.  de  Venise,  Secreto  27.  Commission  du  10  juillet  1498  aux  orateurs 
(non  nommés)  partant  pour  la  France  «  ad  Christianissimam  Majestatem 
Francorum». —  Nous  vous  avons  tracé  votre  conduite  jusqu'aux  Alpes.  Après 
les  Alpes,  à  Moulins,  voir  les  duc  et  duchesse  de  Bourbon  et  leur  présenter  des 
compliments  de  condoléance.  Puis  aller  au  roi,  demander  une  audience,  s'y 
présenter  «reverenter  »,  remettre  les  lettres  de  créance,  dire  qu'à  la  nouvelle 
de  «  felicissime  successionis  ipsius  Majcstatis  ad  illud  nobilissimum  et  am- 
plissimum  Regnum,  incredibiliter  sane  i'uimus  oblectati,  usque  adeo  ut  ma- 
gnitudincm  gaudiinostri  explicarc  non  valeamus  »  :  rappeler  notre  singulière 
et  o  vetustissima  (!)  bcnivolentia  et  observantia  »  envers  la  maison  d'Orléans, 
et  surtout  Sa  Majesté,  «  ob  suas  rarissimas  et  admirandas  animi  et  corporis 
dotes  ».  Dès  la  première  nouvelle,  nous  lui  envoyâmes  notre  secrétaire  Jean 
Pierre  Stella.  Sitôt  la  nouvelle  Confirmée  et  ses  lettres  de  notification  reçues, 
notre  joie  fut  «  usque  ad  extremum  cumulum  adauctum.  »  Pour  montrer 
notre  joie  à.  tout  l'univers,  nous  vous  envoyons  aussitôt  porter  nos  félicita- 
lions  a  Sa  Majesté  :  «  facietis  commendaliones  ac  oblationes  status  ac  rerum 
nostrarum,  générales,  verum  amplissimas.affecluosas,  reverentes,  difl'undendo 
vos  in  qualibet  parte;  et  amplilicando  precipue  devotionem  nostram  erga 
Majestatem  prefatam,  gaudiumque  et  Icliciam  a  nobis  susccplam, ...  »  :  plus 
vous  vous  étendrez,  plus  vous  ferez  bien.  Telle  est  la  summa  de  ce  que  vous 
aurez  à  exposera  votre  premier  discours  public. 

lî> 


226  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

peu  portée  par  tempérament  au  langage  comminatoire,  est 
sujette  à  ce  défaut.  M.  de  Citain,  chevalier,  le  3  mai  1494, 
demande,  en  présentant  sa  créance  à  Venise,  l'appui  de  la 
Seigneurie  pour  l'expédition  projetée  par  Charles  VIII,  ou  au 
moins  le  passage  libre  sur  les  terres  de  la  République1.  En 
1504,  à  Venise  encore,  dans  son  discours  de  créance,  Lasca- 
ris,  littérateur  grec,  attaque  l'Espagne  qu'il  traite  de  dé- 
loyale s.  Louis  Hélien,  poète  italien,  dans  son  discours  à 
Maximilien,  en  1510,  attaque  les  Vénitiens  avec  une  extrême 
violence  3  ;  mais  il  faut  dire  qu'il  parlait  devant  la  diète,  et 
que,  par  conséquent,  ce  discours  sort  un  peu  de  la  tradition 
diplomatique  proprement  dite  pour  entrer  dans  la  tradition 
parlementaire,  qui  admet  certaines  vivacités  *.  Guillaume  Bri- 
çonnet,  évêque  de  Lodève,  bénéficie  d'une  excuse  analogue 
pour  le  long,  l'immense  plaidoyer  qu'il  prononça  en  1507  à 
Rome,  en  consistoire,  contre  Jules  II  :  il  jugea  évidemment 
utile  de  débuter  par  un  manifeste  retentissant,  de  nature  à 
influencer  le  collège  des  cardinaux  et  même  à  le  compromet- 

1)  Arch.  de  Venise,  Secreto  35,  5  v°. 

2)  Sanuto,  VI,  10:2.  Cf.  le  discours  de  créance  de  Giustinian,  envoyé  vé- 
nitien près  de  Maximilien,  en  1509,  réclamant  le  secours  de  l'Allemagne  (Lù- 
nig,  Codex ltalisB diplomaticus,  II,  1099). 

3)  l'asqualigo,  ambassadeur  de  Venise,  en  apprenant  ce  langage,  se  rend 
devant  l'empereur  pour  protester.  Maximilien  lui  répond  :  «  Du«  orator,  non 
curetis  oratorem  gallicum,  quia  f'atuus  est  »  (Sanuto). 

4)  Il  appelle  Venise  une  «  vipère  toujours  renaissante»,  les  Vénitiens  des 
Cyclopes  et  Polyphonies,  monstres  des  mers.  bandits(«  pi  alloues»),  mangeurs 
de  chair  humaine.  Ce  discours  est  resté  laineux.  11  fut  lu  à  Ausbourg  en  l.'ilO, 
et  imprimé  de  suite.  II  a  été  plusieurs  l'ois  republié,  par  Freher,  Rerum  Ger- 
manie. Scriptores  (Argent.  1717;  II,  522  et  s.),  dans  l'ouvrage  attribué  à  AN 
fonso  délia  Cueva  :  Lo  Squitinio  délia  Libéria  originaria  di  Venezia,  con  un 
discorso  di  L.  Helian,  Ambasciatore  di  Francia,  contro  i  Veneziani,  trad.  dal 
latino  e  con  note  storiche,  Cologne,  1681,  dans  l'Examen  de  la  liberté  origi- 
naire de  Venise,  trad.  de  l'italien,  avec  une  harangue  de  Louis  llélian,  am- 
bassadeur de  France,  contre  les  Vénitiens,  trad.  du  latin  (in-1 2,  Ratisbonne, 
1678).  Copie,  ms.  fr.  20773,  fo  47. 


AUDIENCES   DE   CRÉANCE  227 

tre  *.  Un  ambassadeur  turc,  en  1494,  offire,  dès  les  premiers 
mots,  au  roi  de  Naples  un  appui  contre  la  France2.  A  Venise, 
en  1507,  un  ambassadeur  allemand  déclare  que  l'empereur 
va  arriver  en  Italie  contre  la  France  ;  en  I0O6,  un  ambassa- 
deur écossais  annonce  que  son  roi  veut  aller  à  Jérusalem. et 
demande  des  galères...  :  à  des  déclarations  de  ce  genre,  le 
doge  répond  vaguement;  par  des  généralités,  ou  bien  il  ré- 
pond seulement  sur  les  autres  points  du  discours  de  créance, 
et  se  contente  de  faire  «  bonne  chère  »  à  l'ambassadeur,  de 
lui  serrer  la  main3. 

L'orateur  doit  aussi  soigner  son  débit,  s'il  tient  au  succès  : 

1)  Dans  cette  longue  harangue  en  «  beau  »  style,  il  rappelle,  au  nom  du 
roi,  la  haine  du   roi  des  Romains  contre  la   France.  Après  avoir  guerroyé 
contre  Louis  et  Charles,  ses  prédécesseurs,  «  ne  c'est  peu  toutesfoys  contenir 
qu'il  ne  l'ait  continuée  à  rencontre  de  luy,  en  luy  faisant  deux  moys  après  son 
sacre  et  coronation,  sans  offense,  cause  ne  raison,  la  guerre,  de  laquelle  l'yssue 
fut  selon  su  querelle  ;  et  par  expérience  congneut  hayne  sans  juste  querelle  et 
povoir  n'estre  de  grant  effecl.  »  Puis,  jaloux  de  la  prospéritédu  roi  etdésarmé, 
il  t'a  attaqué  indirectement  «  par  nouvelle  façon  de  guerre,. . .  c'est  assavoir 
par  opprobres,  injures  et  libelles  diffamatoires,  en  le  voulant  descrier  envers 
les    électeurs   de  l'empire  et    princes    d'Almaigne,   en  l'appelant    par  ses 
lcctivs  publicques  mises  en  mousle  infracteur  de  foy,  tirant,  lasche,  envielly 
et  couard.  »  Le  roi  sait  que  le  roi  des  Romains  a  écrit  aux  cardinaux  qu'il 
venait   défendre  l'Italie  contre  le  roi  de  France  qui  voulait  usurper  l'empire 
d'Italie,    «  retirer    le   papal   en  France,  pour  avoir   temporel   et  spirituel  à 
son  plaisir,  et  que   tout  ce  procédoit  par  l'exortacion  de  très  révérend  père 
en  Dieu  monsr  le  cardinal  d'Amboise,  légat  en  France,  lequel  vouloit  estre 
pape,  toy  non  seullement  vivant,  mais  pour  à  ce  parvenir  te  en  degecter  et 
desappoincter,  ce  que  ledit  seigneur  eust  facilement  fait  pour  la  grant  armée 
qu'il  avoit  assemblée,  n'eust  esté  la  paour  qu'il  a  eue  de  luy  et  de  sadite  venue 
en  Italie.  »  Briçonnet  réfute  publiquement  ces  accusations  publiques.  Il  révèle 
que  le  roi  des  Romains  a  plusieurs  fois  offert  à  Louis  XII  l'empire  d'Italie  et 
que  celui-ci  a  refusé.  Le  roi  veut   seulement  garder    ce  qui  lui   appartient... 
Le  reste  du  discours  n'est  qu'amplification.  Le  roi  tient  à  son  titre  de  très 
chrétien...  etc.,  etc.  (traduetfon  française  contemporaine,  ms.  fr.  5105:  pu- 
bliée par  le  bibl.  Jacob,  à  la  suite  de  son  édition  de  Jean    d'Auton,  t.  IV,  p. 
et  suiv.). 

-  inudo,  Spedizione,  120. 
3)  Sanuto.  VI.  102,  513;  VII,  103. 


228  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

il  s'appliquera  à  faire  bien  valoir  le  style  et  l'accent  du  dis- 
cours '. 

Le  discours  de  créance  est  prononcé  au  nom  du  souverain 
qui  accrédite  \  Il  est  généralement  disposé  par  points,  de 
manière  à  avoir  les  apparences  de  la  clarté,  bien  qu'on  ne 
lui  en  donne  presque  jamais  la  réalité. 

Dans  le  début,  on  place  toute  la  partie  encombrante,  sail- 
lante :  protestation  d'affection,  de  dévouement,  de  loyauté. 
L'ambassadeur  ne  vient  que  pour  rendre  des  services,  pour 
offrir  des  troupes  ;  son  maître  est  prêt  à  se  sacrifier.  Que  dé- 
sire-t-on?  le  voilà. 

Le  dernier  ou  l'avant-dernier  article  est  bref,  modeste, 
d'apparence  très  douce.  C'est  dans  celui-là  que  l'orateurglisse 
ce  qu'il  réclamera.  On  dirait  un  détail:  simple  détail,  impos- 
sible à  refuser  à  quelqu'un  qui  apporte  d'ailleurs  tant  d'au- 
tres choses. 

Cette  sorte  de  composition,  plus  ou  moins  naïve  dans  son  ex- 
pression, appelle  des  formules  sérieuses  et  nettes  :  des  excuses, 
des  compliments3,  tout  ce  qu'on  peut  trouver  de  liant.  Très 
fréquemment,  l'ambassadeur  emprunte  son  préambule  à  l'his- 
toire; il  rappelle  d'antiques  relations  d'amitié.  Près  du  pape,  il 
parle  de  la  dévotion  de  la  France,  delà  faveur  de  l'Eglise.  La 
France  a  plusieurs  fois  remis  le  pape  à  Home,  et  «  l'Eglise  en 
paix  et  union...,  pour  quoy  l'Egbse  s'est  tousjours  plus  tenue 
obligiée  aux  roys  de  France  que  ànulz  autres  princes  dumon- 

i)  Burckard,  III,  121. 

2)  Comme  dépêche  incorrecte,  citons  celle  de  Barthélémy  et  Antoine  Gri- 
maldi  à  Jean  Grimaldi  (27  mars  1451.  Saige,  Documents,  I,  210/.  Dans  cette 
dépêche  d'un  ton  familier,  ils  appellent  Jean  :  «Magnifiée  et  potens  miles»,  et,  à 
la  fin,  ils  disent  mille  souvenirs  à  sa  femme.  Ils  ont  remis,  disent-ils,  sa  lettre 
au  duc  de  Savoie,  tout  en  parlant  «  ultra  quod  non  scripsistis  »,  en  spécifiant 
bien  qu'ils  parlaient  de  leur  chef. 

3)  Discours  de  Communes  (Kervyn,  Lettrée  et  négociations,  II,  111). 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  229 

de.»'  En  France,  Venise  parle  de  la  «  très  antique  bienveillance 
des  rois...'  »  Si  l'onsort  d'une  guerre,  l'évocation  historique 
présente  quelques  épines  ;  on  peut  pourtant  l'affronter;  l'am- 
bassadeur français  chargé  de  négocier  la  paix  après  la  guerre 
si  justement  nommée  de  Cent  ans,  expose  au  roi  d'Angleterre 
«  l'amour  que  le  Roy  avoit  à  luy.  et,  durant  la  guerre  mesme, 
comment  ilfaisoithonnorablement  traiter  sesgens  quelquepart 
qu'il  les  trouvast,  fust  en  prenant  villes,  ou  quant  ils  venoient 
prisonniers,  par  sauf  conduit  ou  autrement,  en  leslaissant  ve- 
nir jusques  à  sa  personne'  ». 

Commines,  envoyé  aux  coalisés  italiens  après  Fornoue, 
commence  par  les  louer  excessivement  :  «  ils  se  sont  battus 
contre  les  meilleurs  soldats  du  monde,  des  soldats  invin- 
cibles* ». 

Le  rapport  de  la  grande  ambassade  circulaire  de  1479,  en 
Italie,  nous  montre  divers  degrés  de  discours  de  créance. 
Cette  ambassade  sacrifie  peu  à  l'apparat,  elle  tient  un  lan- 
gage d'affaires,  mais  elle  en  modifie  l'expression  suivant  les 
cours.  À  Milan,  elle  prononce  un  discours  de  tournure 
intime,  en  quatre  points  :  1°  salutation  ;  2°  protestations 
d'affection  ;  3°  nouvelles  du  roi  de  France,  et  communi- 
cation des  instructions  ;  4°  demande  de  concours.  A  Flo- 
rence, son  discours,  identique  au  début,  ajoute  quelques 
faits  :  elle  expose  le  programme  du  roi,  c'est-à-dire  son  vœu 
d'un  concile,  et  comme  il  faut  d'abord  mettre  en  demeure 
le  pape,  elle  déclare  se  rendre  à  Rome.  Arrivée  à  Rome  le 
24  janvier,  et  reçue  le  26,  elle  proteste  contre  certains  bruits 


1)  Instruction  pour  les   ambassadeurs  à  Avignon  (25  janv.  1393.  Douet 
d'Arcq,  Choix  de  Pièces,  I,  p.  112). 

2)  14o9.  Perret,  L'ambassade  de  Jean  de  Chambesà  Venise,  p.  3. 

3)  Rapport  de  144o  (fr.  3884,  fo  179). 

4)  Sanudo,  Spedizione. 


230  LA    DIPLOMATIE    AD    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

répandus  à  son  égard.  Le  27,  elle  a  audience  solennelle  en 
consistoire,  et  prononce  un  discours  de  créance  très  nourri, 
où  elle  établit  d'abord  le  droit  du  roi  d'intervenir  ;  elle  repro- 
duit les  raisonnements  tenus  à  Florence  et  formule  six  con- 
clusions1. Ce  discours  s'achève  par  une  adresse  aux  cardi- 
naux :  l'ambassade  prie  Leurs  Paternités  d'opiner  dans  le 
même  sens  '. 

L'envoyé  d'Imola  près  d'Alexandre  VI,  au  contraire,  ne 
traite  que  deux  points  :  le  passé,  le  présent.  Le  passé 
était  infernal,  le  présent  (le  règne  d'Alexandre  VI)  est  ad- 
mirable 3. 

Lorsque  Charles  VII  envoie  des  ambassadeurs  au  duc  de 
Bourgogne,  pour  son  fils  révolté,  les   discours  de  créance 

1)  Elle  est  envoyée,  dit-elle,  pour:  1°  exposer  à  Votre  Sainteté  la  question  ; 
2°  offrir  tout  «  onus  et  laborem  possibilem  »  ;  3"  supplier  Sa  Sainteté  de 
déposer  les  armes;  4°  demander  un  concile  général  pour  s'entendre  contre  le 
Turc  ;  S"  prier  Sa  Sainteté  de  se  mettre  au-dessus  des  passions  d'un  mo- 
ment: et  6°  d'avoir  le  royaume  de  France  pour  recommandé. 

2)  Lat.  11802. 

3  Jacobi  Mezamici  jurisconsulti  reipublice  Immolensis  legati  ad  Alex.  VI 
pontificem  maximum  (Oratio),  in-4°,  imprimé,  6  ff.,  s.  1.  n.  d.  ni  signa- 
ture d'imprimeur.  L'ambassadeur  déclare,  dans  les  termes  les  plus  humbles, 
se  prosterner  aux  pieds  du  pape.  Imolaseradévouée.Imolaaunpasséglorieux: 
elle  fut  jadis  un  boulevard  pour  l'Italie  «  laceratam,  jacentem,  afflictam.  ». 
Elle  a  fourni  beaucoup  de  grands  hommes.  Sa  situation  est  belle,  le  pays  fer- 
tile et  charmant. . .  Vive  César,  «  nepos  Unis»,  qui  a  toutes  les  vertus  :  huma- 
nité, générosité,  audace,  prudence,  travail,  courage,  activité,  adresse,  tout  ce 
qu'il  faut  pour  porter  ad  sidéra  l'antique  nom  de  Borgia  !  Vous  nous  avez  reti- 
rés tous  de  la  condition  la  plus  misérable.  Les  citoyens,  quelles  que  fussent  leur 
noblesse  et  leur  innocence,  étaient  comme  fauchés,  sans  distinction  de  vertu, 
de  foi,  de  dignité  ou  de  sexe  :  «  Alios  laqueo  appendere.  aliis  capita  truncare, 
alios  in  plateis  et  in  triviis  dilaniari  ferro...,  alios  in  teterrimo  carecre  de- 
trusos  inlerimere,  alios  in  ferratos  puteos  dare  précipites,  et  in  eosdem,  quod 
relatu  execrandum,  pleno  utero  pudicissimas  malronas,  collo  etiam  applicatis 
jnfantibus,  atrocissime  prostrathas  :  alios  in  turris  profundo  egerrime  animam 
exalare  ob  recusatam  de  suis  beneficiis  renunciationem.  Difficile  mihi  nempe 
esse  sentio  hac  querula  voce  mestoque  animo  tôt  feda,  tôt  spurca  et  tôt 
abhorrenda  percurrere  flagitia.  »  C'est  Dieu  qui  vous  envoie — 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  231 

prennent  une  teinte  onctueuse  et  paternelle.  En  1459,  la 
créance  se  divise  en  trois  points  :  1°  bonté  du  roi  ;  2°  affaires 
pendantes  ;  3°  une  péroraison  onctueuse,  nourrie  de  l'Ecri- 
ture Sainte,  sur  la  qualité  de  père.  On  peut  même  arriver, 
dans  ce  cas,  très  spécial,  au  genre  pathétique,  à  évoquer  des 
sentiments  filiaux,  le  salut  de  l'Ame,  le  bien  de  la  chose 
publique,  la  joie  éventuelle  des  princes  de  la  maison  de 
France  '. 

Les  discours  de  créance  subsistent  en  très  grand  nombre. 
Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin,  ici,  l'examen  de  leur  rhé- 
torique variable.  Constatons  simplement  (pie,  malgré  la 
règle  générale  de  brièveté,  on  peut  trouver  avantage,  quand 
il  s'agil  de  parer  avec  pompe  l'art  de  ne  rien  dire,  à  s'étendre 
en  un  vaste  discours  érudit.  Les  gens  d'église  ont  cela  de  pré- 
cieux, que  leur  appareil  d'érudition  masque  bien  l'inanité 
du  fond.  Le  chevalier  est  porté  à  frapper  dès  l'abord  un 
grand  coup,  le  magistrat  plaide  et  cherche  à  établir  une  appa- 
rence de  logique.  L'homme  d'église  est  le  seul  qui  excelle  à 
parler  pour  parler,  à  éblouir  et  à  accabler  l'auditeur  sous  le 
poids  d'un  beau  langage,  à  le  cribler  de  citations  qui  tombent 
comme  la  grêle  sans  laisser  le  temps  de  respirer  et  sans  que 
personne  puisse  s'en  défendre. 

Dans  les  cas,  tout  exceptionnels,  où  il  n'y  a  pas  audience, 
il  n'y  a  pas  discours  de  créance.  A  Pontoise,  en  1463,  quand 
Louis  XI  reçoit  sans  façon  le  nouvel  amhassadeur  mila- 
nais, il  lui  prend  sa  lettre  de  créance,  la  lit  et  de- 
mande cordialement  des  nouvelles  du  duc,  de  la  duchesse, 
du  comte  Galéas,  de  Mme  Hippolyte,  de  tous  les  enfants, 
sans  autre  apparat.  Après  quelques  instants  de  conversa- 
tion,  comme  il  pleuvait,  le  roi  charge  un  de  ses  valets  de 

1)  Fr.  23330  fo  1-23  :  Duclos,  Hùt.  de  Louis  XI,  IV,  185. 


232  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

chambre  de  faire  bien  loger  l'ambassadeur1.  Bembo,  au 
contraire,  tout  en  se  présentant  à  Venise  comme  un  vé- 
nitien, lit  un  long  écrit,  qui  contient  sa  commission,  rédigé 
par  lui,  dit-il,  pour  mieux  traduire  les  intentions  du  pape*, 
et  y  ajoute  un  long  discours. 

Les  ambassadeurs  turcs  remettent  un  écrit,  en  ajoutant  à 
peine  quelques  mots  ;  mais  ils  font  des  présents,  tels  que 
des  pièces  de  soie  brochée,  des  étoffes  de  plus  ou  moins  de 
prix  s.  Les  ambassadeurs  russes  agissent  de  même  ;  ils  for- 
mulent quelques  phrases  banales  et  offrent  des  fourrures  4  : 
les  envoyés  de  Moldavie  également 5. 

Un  ambassadeur  de  passage,  qui  n'a  pas  de  négociation  à 
suivre,  mais  simplement  un  document  à  communiquer,  aborde 
sur  le  champ  l'objet  de  sa  communication,  et  remet  la  pièce 
dès  la  première  audience 6. 

Les  présents  ne  sont  guère  d'usage  en  Occident.  Cependant 
nous  voyons  les  ambassadeurs  de  la  duchesse  d'Orléans  of- 


l)Dép.  d'Em.  de  Jacoppo,  9  septembre  1463  (Archivio  Sforzesco). 

2)  Lettres  du  7  déc.  1514,  aux  ambassadeurs  à  Rome  et  en  France. 

3)  L'ambassadeur  dit  peu  de  chose  et  présente  une  lettre  du  Turc,  sans  sa- 
voir, dit-il,  ce  qu'elle  contenait.  Il  avait  quatre  turcs,  restés  à  la  porte,  qu'on  fit 
entrer  :  il  expliqua  la  lettre.  On  remit  la  réponse  au  lendemain.  Il  dit  qu'il  ne 
pouvait  parler,  ayant  mangé  du  pain  de  la  Seigneurie  et  craignant  son  maître 
(3  avril  1500.  Sanuto,  III,  192-193).  Il  se  borne  à  articuler  que  le  Grand  Sei- 
gneur désire  la  paix.  Il  offre  au  doge  quelques  pièces  de  soie  turque,  sans 
grande  valeur,  que  le  doge  fait  remettre  à  Saint  Marc  pour  en  confectionner 
des  devants  d'autel  :  puis  il  se  retire  avec  le  même  accompagnement  (28  avril 
1503.  Sanuto,  V,  27).  L'ambassadeur  de  1504  adresse  quelques  compliments 
généraux  d'amitié,  des  vœux  de  bonne  santé  ;  il  remet  une  lettre  du  Grand 
Seigneur,  et  on  lui  prend  des  mains  ses  présents  qui  sont  de  médiocre  valeur; 
ce  sont  des  broderies  d'or  et  d'argent  de  Brousse,  et  des  soieries  (Sanuto. 
V,  993). 

4)  Sanuto,  III,  61 . 

5)  Sanuto,  VI,  291. 

6)  Sanuto,  111,626. 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  233 

frir  à  l'empereur,  en  1467,  un  objet  d'art,  à  l'occasion  d'une 
négociation  difficile  '.  En  Orient,  au  contraire,  ils  sont  de  ri- 
gueur 2.  L'envoyé  vénitien  en  Turquie,  en  1500,  ne  peut  ob- 
tenir d'audience  du  Grand  Seigneur,  parce  qu'il  n'apporte 
pas  de  présents  :  il  est  seulement  reçu  par  trois  pachas  5. 
C'est  même  agir  habilement  que  d'apporter  des  présents  ma- 
gnifiques et  de  les  faire  porter  avec  ostentation  par  une  suite 
nombreuse  *. 

Le  moindre  envoyé  oriental  doit  de  même  apporter  en  Oc- 
cident de  somptueux  présents*.  En  1500,  au  moment  où  leroi 

de  Hongrie  veut  reprendre  la  guerre  contre  les  Turcs,  l'en- 

i 

1)  K.  TO,  no  42. 

2)  Môme  sur  la  route.  Ainsi,  l'ambassadeur  de  Venise  en  Egypte,  en  1512, 
est  solennellement  reçu  à  Alexandrie  par  l'amiral,  à  qui  il  remet  une  lettre  de 
créance  (Ch.  Schefer,  Le  voyage  d'outremer,  p.  472).  L'amiral  lui  envoie  le 
lendemain  des  provisions(p.  173),  et  l'ambassadeur  lui  adresse  un  magnifique 
cadeau  (p.  176).  Des  gratifications  sont,  de  part  et  d'autre,  données  aux  por- 
teurs. A  Rosette,  l'ambassadeur  reçoit  des  cadeaux  du  gouverneur  (p.  178). 
Un  ambassadeur  du  sophi  entre  au  Caire,  vêtu  de  drap  d'or,  avec  un  chapeau 
à  plumes,  suivi  de  130  cavaliers  persans.  Il  offre  avant  son  audience  trente-six 
corbeilles  pleines  de  draps,  de  tapis,  de  harnais,  et  huit  léopards  (Ch.  Schefer, 
Le  voyage  d'outremer,  p.  199-200). 

3anuto,'ni,  179. 
4)  Présents  offerts  au  soudan  d'Egypte  par  l'ambassadeur  vénitien,  au 
Caire,  en  avril  1303  (Sanuto,  V.  50):  6  habits  d'or,  10  de  velours  de  diverses 
couleurs,  14  de  rasi  et  damaschtni,  30  d'écarlate  et  paonazi,  120  zibelines, 
3.000  vairs.  40  formazi  veze  :  présent  magnifique,  porté  par  plus  de  cent  dix 
hommes.  Unorateur  d'Ali.  s?rdePerse,  vientàConstantinople  demander  aide 
contre  le  sophi.  Il  offre  au  Grand  Seigneur  un  joyau  estimé  36.000  ducats 
(1304.  Sanuto,  VI,  37).  L'ambassadeur  vénitien  au  Caire,  en  1312,  avant  sa 
première  audience,  envoie  au  Soudan  8  robes  de  drap  d'or, 14  de  velours,  26  de 
satin,  2  de  damas,  30  de  soie  et  or,  42  de  drap  ccarlate,  8  de  drap  violet,  120 
peaux  de  zibeline,  4.300  peaux  de  vair,  400  peaux  d'hermine,  30  fromages 
de  Plaisance  pesant  chacun  80  livres  (Ch.  Schefer,  Le  voyage  d'outremer, 
p.  186-187).  11  envoie  dix  robes  à  la  sultane  et  de  magnifiques  cadeaux  aux 
grands  officiers  (p.  191,  192)  :  aussi  réussit-il  à  merveille  dans  sa  mission 
contre  l'ambassade  de  France,  laquelle  n'offre  au  soudan  que  pour  2,000 
ducats  d'étoffes  et  de  vaisselle  d'argent  (id.,  p.  43). 

3)  En  octobre  1493,  vient  à  Venise  un  orateur  du  pacha  de  la  Valona,vétu 


234  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

voyéturc  arrive  ;\  Bude  avec  huit  chariots  de  présents.  Le  roi 
juge  ces  présents  mesquins  et  les  reçoit  mal1. 

Après  la  harangue  de  l'ambassadeur,  le  chef  du  pouvoir 
répond  quelques  mots,  généralement  aimables,  bienveillants, 
vagues8.  A  Rome,  le  pape  ne  dit  presque  rien.  En  1501,  il 
formule,  pour  l'ambassadeur  de  Pologne,  quelques  éloges  per- 
sonnels et  déclare  l'élever  séance  tenante  au  rang  de  proto- 
notaire3. A  Venise,  le  doge  reprend  point  par  point  le  discours 
de  l'ambassadeur  et  y  répond,  avec  beaucoup  de  mesure,  par 
des  généralités  *.  Sa  réponse,  par  exemple,  à  l'ambassadeur 
de  France,  en  1495,  lors  de  la  reprise  des  rapports  diplomati- 
ques, est  un  modèle  exquis  du  langage  mesuré  ;  il  parle  d'a- 
bord du  «  respect  «  qu'il  a  toujours  eu  pour  le  roi:  «  Nous 
nous  sommes  toujours  fait  un  usage  et  comme  une  loi  natu- 
relle d'accueillir  avec  empressement  et  bonheur  les  envoyés 
de  S.  M.  et  les  marques  de  sa  bienveillance  envers  nous.  »  Il 
ajoute  ensuite  de  courtoises  paroles  pour  la  personne  de  l'am- 
bassadeur, et  répond  ensuite  point  par  point  aux  ques- 
tions abordées  dans  le  discours5.  L'empereur  répond  lui- 
même6,  et  d'une  façon  souvent  brusque.  En  1489,  il  reçoit 
les  ambassadeurs  de  France  avec  des  plaintes  amer  es, 
«  et  usa  de    grosses  paroles  que  les  Allemands  sont  assez 

à  la  stratiote.  Il  offre  trois  beaux  chevaux  harnachés  et  une  balle  de  tapis.  Les 
chevaux  valent  cent  ducats  pièce.  La 'Seigneurie  en  fait  présent  à  ses  généraux 
(Sanudo,  Spedizione,  p.  G46). 

1)  Sanuto,  III,  77,  117. 

2)  Langage  de  la  reine  de  Sicile  (1421 .  Saige,  Documents,  I,  29). 

3)  Burckard,  III,  124. 

4)  Sanuto,  passirn. 

5)7  nov.  1495(Kervyn,  Lettres  et  négociations,  III,  235). 

6)  En  1493,  le  roi  des  Romains,  qui  vient  de  se  marier,  donnant  audience 
aux  ambassadeurs  de  Monticrrat  devant  les  ambassadeurs  de  .Milan,  demande 
à  ces  derniers  leur  avis  sur  la  réponse  qu'il  doit  taire.  C'est  une  marque  offi- 
cielle d'amitié  et  d'intimité  sans  exemple  (F.  Gajvi,  Bianca-MaSforza-Visconti, 
p.  62). 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  235 

coutumiers  de  tenir1.  »  Il  répond  à  une  ambassade  de  France, 
en  liTi.  par  l'apologue  de  la  peau  de  l'ours,  sans  autre  ex- 
plication5. 

En  France,  le  roi  fait  généralement  répondre3,  à  moins 
qu'il  ne  s'agisse  d'une  mission  sans  grande  importance. 
Ainsi,  en  1506,  il  répond  à  Machiavel,  en  le  tutoyant4 .  En 
1507,  il  fait  répondre  aux  envoyés  vénitiens  parle  président  de 
Provence'.  Ces  réponses  sont  toujours  extrêmement  brèves  et 
simples.  Cependant,  là  aussi,  l'école  pompeuse  s'était  autrefois 
introduite.  Jean  Jouffroy,  dont  nous  avonsparlé,  ce  foudre  d'élo- 
quence, répondit  ainsi,  au  nom  du  dauphin  Louis,  à  une  am- 
bassade de  Charles  VII,  par  un  long  sermon,  tout  débordant 
de  l'Ecriture  sainte,  à  laquelle  se  mêlaient  des  souvenirs  clas- 
siques. Il  s'étendit  notamment  sur  la  fleur  de  lys,  dans  la- 
quelle il  trouva  quatre  vertus  ;  Noblesse,  Richesse,  Ancien- 
neté, Bonne  renommée.  Il  rappela  l'histoire  de  Joseph,  il  cita 
Diogène  et  S1  Jean  Chrysostome,  Quintilien  et  les  Prophètes  ; 
il  rappela  les  trois  lumières  du  roi,  Puissance,  Justice,  Sa- 
gesse. Il  compara  le  dauphin  à  Job.  Il  signala  en  lui  trois 
vertus,  Pudeur,  Compassion,  Prudence,  et  s'étendit  naturel- 
lement sur  cette  trilogie,  à  laquelle  en  succéda  une  autre  : 
Veni,  Vidi,  Vici.  Arrivé  à  ce  point  de  son  discours,  il  parât 

1)  Dupuy,  Hist.  de  la  réunion  de  la  Bretagne,  II,  185. 

■1\  Cet  ours  était  le  duc  de  Bourgogne  (Commines,  liv.  iv,  c.  m). 

3)  Après  le  discours  de  l'ambassadeur,  ses  collègues  se  lèvent.  Alors,  le  roi, 
es  cardinaux,  le  chancelier  se  lèvent  aussi  :  le  chancelier  résume  en  français 
le  discours,  on  se  congratule.  Puis  tout  le  monde  s'assied.  Le  roi  ordonne  de 
répondre,  et  le  chancelier  prononce  un  discours  latin  (Réception  des  ambas- 
sadeurs vénitiens,  à  Blois.  4  déc.  l.'iOl.  Sanuto,  IV,  186). 

4)  Son  discours  rapporté  dans  la  dépêche  de  Machiavel,  de  Civila  Castel- 
lana.  28  août  1506. 

inuto,  VII,  86.  En  Hongrie,  Thomas  Erdocdi,  primat  de  Hongrie,  ar- 
chevêque d'Esztergom  (Gran),  répond  à  l'ambassade  française  de  1300 
(Fraknoi). 


236  LA    DIPLOMATIE    AD    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

en  recommencer  un  second,  et  l'on  vit  encore  longuement  dé- 
filer Joseph  et  Chrysostome  et  lsaie,  mêlés  au  panégyrique 
du  dauphin1.  Ce  système  a  disparu  delà  diplomatie. 

En  1509,  après  la  harangue  des  ambassadeurs  de  Marguerite 
d'Autriche,  Louis  XII  marque  beaucoup  de  joie  ;  il  con- 
fère brièvement  avec  le  cardinal  d'Amboise  et  le  chance- 
lier, et  fait  répondre  par  le  chancelier.  Cette  réponse,  après 
de  cordiaux  compliments  de  bienvenue,  aborde  d'une  ma- 
nière assez  nette  les  questions  négociées,  c'est-à-dire  la  ratifi- 
cation du  traité  de  Cambrai,  déjà  accomplie  par  l'empereur, 
et  que  Louis  XII  annonce  également  pour  sa  part.  Après  ces 
belles  paroles,  on  déclare  aux  ambassadeurs  que  le  roi  leur 
donnera  et  députera  gens  pour  communiquer  et  «  besoigner  » 
avec  eux,  et  l'audience  prend  fin*. 

A  Rome,  l'ambassadeur  resté  à  genoux  pendant  la  réponse 
du  pape,  se  relève  8,  et  se  place  debout  à  gauche  du  trône, 
pendant  que  toute  sa  suite  vient  baiser  la  mule,  puis  l'au- 
dience est  levée4. 

Un  discours  de  créance  devient  bientôt  un  événement,  dont 
le  monde  politique  et  littéraire  retentit.  Chacun  dit  son  mot. 
L'ambassadeur  vénitien  à  Bude,  en  1500,  écrit,  modestement, 


l)Duclos,  Hist.  de  Louis  XI,  p.  185-215. 

2)  Lelt.  de  Louis  Xlî,  I,  146  et  suïv. 

3)  L'orateur  de  Lithuanie,  fait  protonotaire,  reçoit  ses  insignes  séance  te- 
nante. Le  maitre  des  cérémonies  s'approche  de  lui,  et  lui  ôleson  vêtement  de 
dessus,  vêtement  qui  doit  être  le  profit  du  maitre;  mais  comme  ce  haut  fonc- 
tionnaire, dans  la  circonstance,  s'attend  à  une  meilleure  gratification,  il 
affecte  de  ne  pas  le  garder  et  le  remet  à  un  des  gens  de  la  suite.  Alors  le  pape, 
en  présence  de  tous  les  cardinaux,  passe  à  l'orateur  les  insignes  du  protono- 
tariat, en  le  déclarant  protonotaire.  Puis  l'orateur  se  relève,  dépose  ses 
insignes  et  se  retire,  suivi  des  gens  du  cardinal  de  Capoue.  Dix-neuf  cardinaux 
étaient  présents  (Burckard,  III,  121). 

4)  L'ambassadeur  retourne  à  sa  maison  avec  le  même  cérémonial  (Bur- 
ckard, III,  122). 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  237 

qu'il  vient  d'entendre  le  discours  de  l'ambassadeur  de  France, 
et  qu'  ((  on  »  le  trouve  inférieur  au  discours  récemment  pro- 
noncé par  l'ambassade  vénitienne  '. 

Los  ambassadeurs  présents  à  l'audience  échangent  leurs  im- 
pressions, leurs  critiques,  leurs  louanges,  et  les  transmettent 
à  leurs  gouvernements.  L'ambassadeur  d'Allemagne  en 
France,  à  la  sortie  de  l'audience  de  créance  des  ambassadeurs 
d'Angleterre,  écrit  qu'il  était  impossible  de  faire  un 
meilleur  discours  :  l'orateur  a  représenté  son  roi  comme  ai- 
mant le  roi  de  France  plus  que  tout  autre,  comme  voulant  tou- 
jours rester  son  bon  fils.  Louis  XII  a  fait  aussi  très  bien  ré- 
pondre*. A  la  cour  aussi,  les  commentaires  suivent.  Burckard, 
d'ordinaire  peu  bienveillant,  note,  par  exemple,  dans  son 
journal  la  réception  d'obédience  de  Bretagne,  le  11  mars 
1499,  en  consistoire  public,  où  tout  se  passa  à  merveille.  Les 
trois  ambassadeurs  furent  introduits  un  à  un,  chacun  entre 
deux  prélats  ;  leur  créance  (écrite  en  français)  avait  été  tra- 
duite d'avance  :  le  pape  répondit  au  discours,  habilement,  en 
termes  généraux,  très  élégamment 3.  La  harangue  du  comte 
Belgiojoso,  ambassadeur  de  Milan  près  de  Charles  VIII,  qui 
abordait  ouvertement  la  question  d'une  descente  en  Italie, 
aussitôt  divulguée  en  France,  y  produit  des  effets  très  divers  *. 

La  divulgation  ne  manque  jamais  :  en  effet,  note  est  aussitôt 
prise,  pour  l'usage  de  la  chancellerie,  des  paroles  échangées5, 

1)  Sanuto,  III,  356. 

2)  Juillet  1510  (Lett.  de  Louis  XII,  I,  264).  L'ambassadeur  de  Florence  en 
France  écrit  à  Laurent  de  Médicis,  en  1487  :  «  Vous  aurez  su  que  les  ambas- 
sadeurs du  pape  se  sont  tirés  à  leur  honneur  de  leur  harangue,  et  que  l'évoque 
en  a  été  grandement  loué  »  (Kervyn,  Lettres  et  négociations,  II,  63). 

3)  A  la  date. 

4)  Ms.  fr.  17519,  f°  77  \«  (Hist.  manusc.  de  Charles  VIII). 

5)  Procès-verbal  du  discours  tenu  par  les  ambassadeurs  de  Chypre,  et  de  la 
réponse  de  la  S^  de  Florence  (3  oct.  1461.  Mas  Latrie,  Hist.  de  Chypre, 
III.  loi  et  s.)  Relation  de  la  réception  des  ambassadeurs  du  roi,  par  le  duc 


238  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

et  de  très  bonne  heure  môme,  l'usage  s'introduisit  en  Ita- 
lie de  faire  imprimer  les  discours  de  créance  et  d'obédience, 
en  plaquettes  in-quarto,  qui  nous  restent  en  grand  nombre  '. 
Ce  sont  de  simples  feuilles,  la  plupart  sans  mention  de  lieu 
ni  date  d'impression,  parfois  ornées  d'initiales  gravées  sur 
bois.  Les  discours  prononcés  à  Rome  sous  Innocent  VIII  et 
Alexandre  VI  furent  ainsi  imprimés  2.  On  imprimait  aussi 
à  Rome  et  à  Venise  les  discours  prononcés  par  les  ambassa- 
deurs à  l'étranger.  En  France,  on  ne  parait  avoir  suivi  cet 
exemple  que  pour  les  harangues  importantes.  Ainsi  le  long  dis- 
cours de  l'évoque  de  Lodève,  en  1507,  fut  aussitôt  imprimé 
officiellement  à  Paris  et  à  Lyon  3. 

Les  auteurs,  de  leur  côté,  prenaient  soin  de  répandre  leur 

de  Bourgogne  :  en  forme  de  mémento  des  paroles  échangées,  sur  papier, 
sans  signature  (6  nov.  1  i04.  Fr.  1278,  i'°*  217-219  v°). 

1)  Le  discours  d'obédience  de  Guibé,  sous  Innocent  VIII,  cité  plus  haut 
eut  deux  éditions  (Iluin,  nos  8154,  8135)  ;  Je  discours  de  Jean  François  Mir- 
liano,  pour  Milan,  deux  également  (id.,  n*8  17T4-75)  ;  llain  cite  jusqu'à  cinq 
éditions  du  discours  d'obédience  deJason  del  Maino  (pour  Milan)  à  Alexandre 
VI,  en  1 192  (id.,  n»s  101)71,  10975-78). 

2)  llain  [Repertorium,  n»s  10526.  10527  cite  même  l'impression  de  trois 
discours  d'Accurse  Mainier  à  Venise:  deux  imprimés  ensemble  sous  la  date 
de  1499,  un  autre  sans  date. 

3)  «Connu  Julio  secundo,  maximo  pontifice,  sacroque  cardineocollegio,  pro 
christianissinio  Francorum  regeLudovico  XII  adversus  impudenlcmet  parum 
consultum  caluinniatorem  appologia,  per  reverendissinuun  d.  d.  Gulielmum 
Briconnetum,  Lodoviensem  meritissimum  antistitem,Romae  habita  mc.ccccvii, 
cum  privilegio  »  (armes  royales,  entourées  du  collier  de  l'ordre,  avec  un 
S1  Michel  et  un  porc-épic,  le  tout  encadré  de  deux  tiges  naturelles  de  fleur 
de  lys  :  pet.  in-4°  carré  de  20  ffto)  ;  à  la  fin  :  «  lnipressuni  Lugduni  iinpensis 
Vincentii  de  I'ortonariis  de  Tridino  de  Monteferrato.  Anno  domini  Mcccccvir, 
die  xii  mensis  octobris  ».  Le  même  discours  a  été  imprimé  à  Paris  pour  Denis 
Roce,  sous  ce  titre:  «  Apud  Iuliuui  secundum,  ponliticein  maximum,  sacrum- 
quecardineum  collegium,  pro  christianissimoFVancorum  rege  LudovicoXII, 
per  reverendum  D.  d.  Gulielmum  Briconnoluin,  Lodoviensem  meritissimum 
antistitem,  oratorem  regium,  Romœ  habita  apologetica  oratio  mccccgvii.  »A 
la  première  page,  la  marque  de  Denis  Roce,  et  «  Venundantur  Parisius  invico 
sancti  Jacobi  sub  sancti  Martini  inlersignio  »  ;  petit  in-q«  long,  de  9  ftlB. 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  239 

œuvre.  La  traduction  française  du  discours  de  l'évêque  deLo- 
dève  existe  encoreà  l'état  de  manuscrit  original,  offert  au  roi, 
très  probablement  par  l'ambassadeur1.  Un  ambassadeur  de  Ri- 

mini  envoie  en  présent  à  Marino  Sanuto  le  texte  de  son  dis- 
cours '.  Nous  voyons  imprimer  à  Leipzig  un  discours  pro- 
noncé à  Rome  en  1511,  et  adressé  par  l'auteur  à  l'un  de  ses 
amis  '. 

Aussitôt  après  l'audience,  si  elle  est  importante,  le  gouver- 
nement en  envoie  le  résumé,  ou  par  circulaire  sommaire 
à  tous  ses  représentants  à  l'étranger  \  ou  par  dépèches  dé- 
taillées à  certains  d'entre  eux  5,  pour  communication  aux 
gouvernements  respectifs  6. 

1)  Ms.  tï.  5105,  petit  in-fû,  orig.,  de  "27  ff«,  dont  24  utiles,  sans  titre  :  la 
première  page  esl  encadrée  d'une  bande  de  fleurs  de  lys  sans  nombre  sur 
champ  d'azur,  avec  les  armes  du  roi  et  de  la  reine. 

■2)  Sanuto,  V,  G8k 

:ii  Sous  ce  titre:  Oralio  sanctissinri  federis  initi  inter  pontificem  et  hispa- 
num  i-t  Venetos,  habita  Rhome  tertio nonas  octobris  announdecimo, pet.  in-i°, 
impression  de  Leipzig,  s.  d.,  avec  marque  du  libraire.  Au  verso  du  titre,  une 
note,  ainsi  intitulée  :  «  Prcstantissimo  viro,  il"»  Gunthero  de  Gunan,  protho- 
notario  apostolico  et  decano  NeumbergeUsi,  etc.  Doctor  Scheurlus  »,  avise 
que  l'impression  est  laite  pour  assurer  la  publicité  de  l'œuvre. 

4)  Circulaire  du  duc  de  Milan  (11  février  1466.  Archivio  Sforzesco), avisant 
qu'il  a  donné,  le  matin  même,  audience  aux  ambassadeurs  de  France.  Ils 
ont  fait  l'éloge  de  la  maison  de  France,  puis  le  nôtre,  malgré  notre  indignité, 
dit-il.  Le  but  de  cette  ambassade  est  de  :  1<>  nous  remercier  de  notre  appui  ; 
*2°  nous  offrir  celui  de  la  France;  3«  nous  exhorter  très  instamment  à  envoyer 
quelqu'un  pour  conclure  le  mariage  de  la  sœur  de  la  reine  avec  notre  fils  Ga- 
léas.  Nous  avons  répondu  comme  il  convenait  et  accepté  le  §  3.  Nous  en- 
voyons Albéric  Malleta.  «  Delche  darete  immédiate  notitia  adquella  Illuslris- 
sima  Signoria  ». 

5)  Dépêches  de  Venise  aux  ambassadeurs  en  France  et  à  Rome,  du  8  dcc. 
1514  (ce>  deux  dépêches  racontent  la  même  audience  sous  des  formes 
différent' 

6)  Le  duc  de  Milan  communique  à  Venise  par  son  ambassadeur  la  harangue 
de  créance  de  l'ambassadeur  de  France  et  la  réponse  qu'il  y  a  faite  (février 
1495.  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  II.  167).  Le  9  déc.  1514,  te  conseil 
des  X  de  Venise,  sur  une  interpellation  directe  d'Antoine  Trivulce,  évêque 
d'Asti,  orateur  de  France,  à  propos  de  la  harangue  de  Pierre  Benibo  et  du  bref 


240  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

C'est  aussi  après  l'audience  de  créance  que  les  ambassa- 
deurs adressent  eux-mêmes1  à  leur  gouvernement  une  dépê- 
che détaillée,  où  ils  rendent  compte  de  leur  arrivée,  de  leur 
entrée  s,  où  ils  analysent  leur  discours  de  créance  et  la  ré- 
ponse officielle  3.  Nous  trouvons  à  Bologne  des  lettres,  où, 
répondant  à  cette  dépêche,  la  Seigneurie  analyse  de  nouveau 
à  son  tour  le  langage  tenu  par  l'ambassadeur  pour  l'approu- 
ver et  lui  donner  ainsi  plus  de  force.  Elle  écrit  le  4  novembre 
1500  àAnt.  Saxigliono,  son  envoyé  en  France  :  «  Excellent  et 
très  cher,  nous  avons  reçu  ta  dépêche  du  22  octobre  dernier, 
datée  de  Nantes  en  Bretagne  ;  elle  n^us  a  été  fort  agréable,  et 
nous  avons  eu  grand  plaisir  à  être  avisé  par  toi  des  choses 
que  tu  nous  écris.  Entre  autres,  nous  apprenons  par  cette 
dépêche  comment,  après  avoir  dûment  fait  en  notre  nom  la 
révérence  au  très  chrétien  seigneur  roi,  tu  lui  as,  avec  la 
plus  grande  habileté,  recommandé  nos  affaires,  attendu  la 
présence  d'une  armée  de  Bomagne  *  »  etc. 

Dans  les  ambassades  florentines,  le  notaire-secrétaire  de 

de  Léon  X,  décide  de  dire  que  la  république  a  évité  de  répondre  catégori- 
quement pour  gagner  du  temps,  qu'il  ne  faut  pas  croire  à  la  réponse  faite  à 
Bembo;  aucune  menace  ne  peut  ébranler  l'alliance  avec  la  France.  «C'est 
une  réponse  provisoire,  nous  en  avons  annoncé  une  seconde,  et  Bembo  ne 
l'aura  pas  de  sitôt.»  Le  conseil  décide  aussi  d'écrire  directement  dans  le  même 
sens  à  l'ambassadeur  en  France. 

i)  Lorsqu'une  ambassade  spéciale  est  présentée  par  un  résident,  le  résident, 
de  son  côté,  rend  compte  de  l'audience.  Ainsi  Villiers  de  la  Groslaie,  am- 
bassadeur à  Rome,  écrit  au  roi  que  son  envoyé  spécial,  l'écuyer  Perron  de 
Bascher  (« lias  Bascbi,  dans  les  textes  italiens,  ou  Bascbé)  est  arrivé,  qu'il  a 
été  reçu  par  le  pape,  et  bien  (fr.  15541,  f°  200). 

2)  L'ambassadeur  de  la  duebesse  de  Milan  à  Rome,  après  la  mort  dé 
François  Sforza,  écrit  qu'il  est  entré  la  veille  à  Rome,  reçu  par  toutes  les 
familles  des  cardinaux  ;  pas  un  ambassadeur  ni  un  prélat  n'a  manqué. 
Démonstration  sans  exemple  depuis  longtemps  (28  mars  1466.  Archivio 
Sforzesco). 

3)  Dépécbes  diverses  de  Machiavel,  not.  du  17  juillet  -1500. 

4)  Arcb.  de  Bologne,  Liltcrarum. 


AUDIENCES    DK    CRÉANCE  241 

l'ambassade  rédige  un  certificat  latin  constatant  rentrée  de 
l'ambassade  et  sa  réception  et  il  adresse  cette  pièce  par  la 
poste,  sous  pli  cacheté,  au  premier  chancelier  ou  secrétaire 
de  la  Seigneurie  \ 

A  partir  de  ce  moment,  le  terrain  se  trouve  préparé  pour 
la  négociation  et,  la  période  d'apparat  terminée,  la  négo- 
ciation proprement  dite  va  s'ouvrir.  Quelquefois,  à  l'is- 
sue de  l'audience,  on  offre  à  l'ambassadeur  de  lui  faire 
voir  les  curiosités  de  la  ville  '.  On  le   festoie  3,  même  lorsque 

1)  Archives  de  Florence,  Legazioni  e  comm.,  reg.  4.  certificats  originaux. 
Voici  le  texte  de  l'un  d'eux  (l'o  96)  :  «  Fit  fides  per  me  notariuni  et  secretarium 
infrascriptnm  qualiterdie  XI»  decembri  anni  millesimi  quingentesimi  secundi, 
et  inoppido  Loces,  partium  Francie,  .Magcns  vir  AlexandcrFrancisci  de  Nasis, 
ex  oratoribus  Florentinis  ad  Christianissimum  Regcni  Francie,  se  cum  ejus 
collcgis  presentavil  ad  priniam  audientiam,  et  expositionern  eorum  commis- 
sionis  coram  ejus  Chr'»°  .M,e  aliaque  omnia  t'ecit  que  et  ad  que  tenebatur  se- 
cumluin  ordiuamentum  communis  Florentie,  ut  moris  est.  In  cujus  rei  fidem 
ban»  lieri  et  me  suscribi...  Ego  Octavianus  Pepe,  notarius  et  secretarius  ora- 
torum  Florcntinorum,  intérim,  predictumque  jussus  scriberc  scripsi  et  me  ut 
supra  suscripsi.»  — (F«  48).  Certificat  du  notaire-secrétaire, que  Nicolas  Valori, 
ambassadeur  en  France,  «  se  personaliter  presentavit  et  primum  ingressum 
et  audientiam  liabuit  a  prefato  rege  chr"1"  die  XYIIIa  januarii  »,  1303.  (F"  -49). 
Semblable  certificat  de  la  première  audience  de  Donato  Accaiuoli,  ambassa- 
deur près  du  pape,  le  8  mai  1507.  (F°  50).  Semblable  certificat,  du  25  no- 
vembre 1505.  pour  Alex,  de  Nasi.  ambassadeur  à  Rome  (avec  deux  témoins, 
marchands  florentins),  constatant  son  entrée  à  Rome  «  cum  solita  pompa  et 
sufficienli  comitiva  »  et  sa  première  audience  le  26.  (Fooo).  Certificat  du  28 
mai  1505,  que  François,  fils  l'eu  Pierre  Philippe  Pandoliini  «  una  cum  débita 
et  requisita  comitiva  scu  numéro  servorum,  se  representavit  coram  suprascripto 
cln-'uo  Hegi  eique  publicas  litteras  presentavit,  ut  moris  est,  in  eivitatcBlesis.» 
(Envoyé  par  la  poste  sous  pli  cacheté  à  «D»»  Marcello  Vergilio  secretario».  F0 
65.  Même  certificat,  avec  môme  envoi.  F0  66).  Certificat  de  l'entrée  à  Rome 
de  Pierre  Accaiuoli,  «  novus  orator  florentinus,....  moram  trneturus  apud 
Summum  Pontiticem  ».  (F»  97).  Certificat  de  la  première  audience  de  Nasi 
près  de  Loin-  XII.  le  11  décemcre  1502.  (F0  166).  Certificat  de  première 
audience  de  Bald.  Carducci, ambassadeur  florentin  près  Raymond  de  Cardone, 
vice  roi  de  Xaples  et  capitaine  général  de  la  ligue,  par  un  secrétaire  «  pênes  » 
le  vice-mi  (23  août  1512). 

2)  Sanulo,  \.  99t. 

3)  Après  leur  réception  solennelle  en  consistoire,  les  ambassadeurs  polonais 

16 


242  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

le  ton  de  l'ambassade  ne  présage  pas  des  négociations  très 
faciles  *. 

En  Orient,  la  présentation  de  créance  par  les  ambassadeurs 
donne  lieu  à  un  déploiement  de  faste  tout  particulier. 

En  septembre  1505,  l'ambassadeur  musulman  du  sophi  de 
Perse  offre  à  Constantin ople  de  magniiiques  présents,  no- 
tamment quatre  éléphants  :  néanmoins,  le  sultan  lui  refuse  le 
baise-main,  sous  prétexte  que  le  sophi  a  fait  manger  du  porc  à 
l'ambassadeur  turc,  et  l'envoyé  se  montre  fort  blessé  de  ce 
traitement  \ 

André  Gritti,  envoyé  à  Constantinople  en  1502,  part,  avec 
l'ambassadeur  turc,  sur  les  galères  de  la  république.  A  la 
bouche  de  Streto,  l'orateur  turc  descend  à  terre,  pour  rece- 
voir des  présents  du  sandjack  selon  l'usage  :  de  même,  à  Gal- 
lipoli  :  Gritti  en  reçoit  également. 

A  son  arrivée  à  Constantinople,  Gritti  est  attendu,  par 
l'agha  et  les  principaux  fonctionnaires,  et  logé  à  la  mai- 
son de  l'ancien  baile  vénitien,  maison  donnée,  depuis  la 
guerre,  au  sandjack  de  Gallipoli.  Des  sentinelles,  placées  à 
la  porte,  empêchent  toute  communication  avec  le  dehors. 
L'ambassadeur  envoie  ses  présents  au  Grand  Seigneur  et 
aux  pachas  :  lui  ettoutson  personnel  sontreçus  à  dîner  pardes 
pachas  8.  L'audience  du  sultan  est  fixée  au  dimanche,  un  des 
quatre  jours  d'audience  ordinaire.  L'ambassadeur  descend 
de  cheval  à  la  deuxième  cour  du  sérail,  au  milieu  de  3,000 
janissaires,  de  1500  spahis,  d'une  foule  de  pachas   et   d'offi- 


sont  retenus  à  diner  par  le  cardinal  Regino  (mars  1505.  Dùp.  di  Giustinian> 
111,448). 

i)  Août  1505  :   Deuxième  voyage  de  Philippe  le  beau,  publié  par  Gachard, 
p.  398-399. 

2)  Sanuto,  VI,  ±1[. 

3)  Sanuto,  V,  449. 


AUDIENCES    DE    CREANCE  243 

ciers  '...  Le  sultan  se  lève  pour  recevoir  l'ambassadeur,  et  le 
fait  asseoir.  D'ordinaire,  on  baisait  la  main  du  Grand  Sei- 
gneur, mais  Bajazet  II  ne  voulait  pas  montrer  sa  main  qui 
était  malade:  il  refuse  donc  le  baise-main5.  En  présence  des 
pachas,  restés  debout,  l'ambassadeur  présente  sa  lettre  de 
créance.  Par  l'intermédiaire  d'un  drogman  du  sultan  et  d'un 
drogman  de  l'ambassade,  le  sultan  demande  des  nouvelles 
de  l'ambassadeur  et  du  doge  ;  l'ambassadeur  répond,  fait  ses 
salutations,  et  donne  le  projet  de  paix,  juré  à  Venise,  en 
priant  d'accepter  les  modifications.  Le  sultan  passe  ce  docu- 
ment aux  pachas.  Puis  on  parle  de  diverses  affaires,  le  sultan 
se  retire,  et  l'ambassadeur  revient  chez  lui,  escorté  jusqu'à  la 
porte  par  les  pachas,  et  jusqu'à  sa  maison  par  l'agha.  Il  écrit 
à  Venise  que  le  sultan  lui  a  paru  gauche  et  timide  3. 

Il  est  curieux  de  rapprocher  de  cette  description  le  récit  de 
l'audience  de  l'ambassadeur  vénitien,  Dominique  Trevisan, 
par  le  soudan  du  Caire,  le  10  mai  1512,  dont  le  souvenir  est 
consacré  par  un  tableau  de  l'école  de  Gentile  Bellini*.  La  ré- 
ception a  lieu  dans  une  cour  de  la  citadelle  du  Caire,  à  la  porte 
d'une  salle  qui  existe  encore  sous  le  nom  de  Diwan  el  Ghoury. 
Le  soudan  Cansou  Ghoury  est  assis,  et  l'ambassadeur  debout, 
avec  sa  suite. 

Une  longue  dépêche  du  secrétaire  de  l'ambassade  véni- 
tienne au  Caire  du  24  avril  1503 5,  rend  un  compte  fort  détaillé 
de  la  première  audience  de  son  ambassadeur.   Dès  l'aube, 


1)  Sanuto,  V,  456  et  suiv. 

2)  A  l'ambassadeur  de  Perse,  en  1508,  il  fait  baiser  son  genou  (  Sanuto,  II, 
631). 

3)  1502.  Sanuto,  Y,  449450. 

4)  Musée  du  Louvre,  n°  60.  Sa  relation  manuscrite,  due  à  Zaccaria  Pagani 
de  Bellune,  appartient  à  M.  Charles  Schefer,  membre  de  l'Institut,  adminis- 
trateur de  l'Ecole  des  langues  orientales. 

5)  Sanuto,  V,  49. 


244  LA     DIPLOMATIE    AU  TEMPS    DE   MACHIAV3L 

l'ambassadeur  monte  à  cheval  et  se  rend  au  château,  avec  une 
grande  escorte  de  pachas  et  de  mamelucks.  Sa  familia  le 
suit  sur  des  ânes.  On  met  pied  à  terre  au  bas  d'un  grand  esca- 
lier, et  l'on  entre  au  château  entre  deux  haies  de  mamelucks 
blancs,  rangés  en  silence  et  en  respect,  comme  des  ob- 
servantins  de  S1  François.  Après  la  grande  porte  de  fer,  on 
traverse  encore  onze  portes  :  à  la  dernière,  se  trouvent  des  eu- 
nuques noirs  ou  blancs.  Trois  ou  quatre,  d'une  prestance  su- 
perbe, sont  majestueusement  assis.  A  chaque  porte,  se  tient 
une  haie  de  cent  mamelucks.  L'ambassade  reprend  haleine, 
après  avoir  parcouru  près  d'un  mille  à  travers  toutes  ces 
portes,  puis  elle  pénètre  par  la  onzième  porte,  gardée  par 
des  eunuques  et  des  mamelucks.  Là, se  trouve  une  place  six 
fois  grande  comme  la  place  S1  Marc,  avec  6,000  mamelucks 
blancs  rangés  en  bataille,  toujours  dans  plus  le  profond  silence. 
Au  fond,  une  superbe  tente,  avec  un  grand  tapis  :  le  Soudan 
y  était  assis  à  l'arabe,  entouré  d'une  brillante  cour;  l'ora- 
teur entre,  avec  force  révérences,  en  faisant  mine,  lui  et 
sa  suite,  de  baiser  la  terre:  à  huit  pas  du  Soudan,  il 
donne  sa  créance,  et  dit  quelques  mots  que  traduit  le  drog- 
man  («  el  magnifico  turcimano  »).  Puis  on  retourne  dans  le 
même  appareil.  Mais  comme  c'était  jour  d'audience  et  qu'il  y 
avait  sur  la  place  un  millier  d'Arabes,  le  gouverneur  du  châ- 
teau avertit  l'ambassadeur  que  ces  gens  pourraient  bien  lui 
faire  un  mauvais  parti  et  donne  une  escorte  de  dix  ma- 
melucks, qui  repoussent  la  foule  à  grands  coups  de  bâton, 
comme  un  troupeau. 

Revenu  chez  lui  avec  le  même  cérémonial,  l'ambassadeur 
envoie  au  soudan  de  riches  présents  ;  puis  il  a  une  audience 
secrète,  le  lendemain. 

En  cas  de  brouille  complète,  le  souverain  peut  refuser  toute 


AUDIENCES 'DE   CRÉANCE  245 

audience  ;m\  ambassadeurs  ' ,  ou  n'accorder  qu'une  audience 
[•etc.  Dans  ce  second  cas,  l'ambasssadeur  voit  sans  aucun  ap- 
parat Me  roi  ou  bien  seulement  un  membre  du  conseil  délégué 
pour  le  recevoir  s.  La  première  audience  peut  demeurer  se- 
crète aussi  pour  des  causes  toutes  différentes,  dont  le  souve- 
rain reste  juge  *. 

Dans  le  cas,  très  rare,  où  L'ambassade  a  pour  but  une  sim- 
ple notification,  la  première  audience  publique  suffira,  et  le 
souverain  se    borne    à  annoncer   qu'il    fera   remettre    plus 

1)  Louis  XII  refuse  toute  audience  aux  ambassadeurs  napolitains  en  1500 
et  en  1501  (Sanuto,  III,  K>:i2.  IV,  8).  Jules  II  ne  veut  pas  recevoir,  pour  la 
première  entrée,  l'évêque  de  Paris  comme  ambassadeur  de  France,  mais 
comme évêque,  et  promet  de  lui  faire  bonne  chère,  loti  {Lelt.  de  Louis  XII, 
II,  199). 

2)  L'ambassadeur  de  Venise  en  Allemagne  obtient  difficilement  une 
audience:  la  reine  ne  voulait  pas  qu'on  la  lui  donnât.  Enfin,  on  la  lui  accorde, 
secrète  :  il  s'y  rend  par  un  jardin,  et  remet  sa  créance,  avec  lediscours  habituel, 
devant  trois  ou  quatre  personnes  (juillet  1500.  Sanuto,  III,  564).  Des  ambas- 
sadeurs milanais  écrivent  qu'ils  n'ont  pu  être  reçus  du  roi  que  grâce  à  Philippe 
de  Commines.  Le  roi  les  reçoit  dansun  petit  cabinet,  brusquement  et  familiè- 
rement: «  C'est  vous  qui  êtes  l'homme  du  chic  de  Milan»?,  dit-il  au  premier. 
11  les  congédie,  sous  prétexted'uneoccupation  urgente,  et  leurdonne  audience 
pour  le  lendemain.  Mais  le  lendemain  il  part  pour  la  chasse.  Commines  dit 
aux  ambassadeurs  que  le  roi  a  vu  leurs  papiers,  qu'il  répondra  une  bonne 
lettre  au  duc  de  Milan  et  qu'ils  n'ont  plus  qu'à  prendre  congé  (Kervyn, 
Lettres  et  négociations,  III,  9). 

3)  Le  roi  des  Romains  envoie  incognito  à  Venise  un  de  ses  conseillers,  H. 
Hauber.  comme  nontio  pour  des  ouvertures  de  paix.  Le  conseil  charge  un  de 
ses  membres  de  le  voir(4  sept.  1508.  Sanuto,  VI,  626). 

il  Un  orateur  hongrois  est  expédié  très  secrètement  par  Maximilien,  qui  le 
voit  seul  (17  déc.I50G.  Sanuto,  VI,  276). En  1493,  Pirovano, l'envoyé  milanais, 
reçoit  avis  d'attendre  le  roi  à  la  porte  du  château  (à  Melun)  etdelui  présenter 
à  cheval  ses  lettres  de  créance,  ses  recommandations,  et  d'exposer  quand  il 
seraiten  rase  campagne  ses  propositions.  A  peine  en  selle  avec  son  secrétaire, 
le  roi  parut  et  s'approcha.  Pirovano  mit  pied  à  terre  par  respect  et  offrit  ses 
lettres.  Le  roi  les  prit,  les  lut,  écouta  Pirovano,  le  pria  de  le  suivre;  ils  s'éloi- 
gnèrent, suivis  à  cinquante  pas  d'un  simple  archer  écossais. et  l'entretien  dura 
plus  d'une  demi-heure.  Le  roi  ne  parlait  que  français:  Pirovano  le  comprenait 
avec  une  certaine  peine  (Rapport  de  Pirovano.  Romanin,  Storia  documentala 
di  Venezia,  t.  V,  p.  29  et  s,). 


246  LA   DIPLOMATIE    AD    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

tard  sa  réponse  '.  Cette  méthode  suffit  aussi  pour  entamer 
une  négociation,  lorsque  l'ambassadeur  a  jugé  bon  d'at- 
taquer ouvertement  les  questions  d'affaires  dès  son  discours 
de  créance  ;  mais  on  comprend  qu'une  négociation  sous  cette 
forme  revêt  de  suite  une  couleur  plus  spécialement  officielle 
et  comminatoire. 

Selon  la  pratique  habituelle,  l'ambassadeur  demande  à  l'is- 
sue de  l'audience  publique  une  audience  secrète s  ;  il  est  sou- 
vent fait  allusion  expresse  à  cette  audience  dans  le  discours  de 
créance  ou  dans  la  réponse  du  souverain.  L'audience  secrète 
se  produit  sous  deux  formes  :  1°  comme  véritable  audience  du 
souverain,  ou  tout  au  moins  du  grand  conseil  ;  2°  comme 
conférence  avec  une  commission  spéciale  du  grand  conseil. 
Quant  au  résident,  envoyé  sans  aucun  mandat  spécial,  son 
œuvre  diplomatique  peut  commencer  par  de  simples  visites. 
Ainsi,  nous  distinguons  quatre  procédés  pour  suivre  une 
négociation  ;  1°  réponse  du  chef  de  l'Etat  ;  2°  audience  se- 
crète, 3°  conférence  avec  des  délégués,  4°  visites.  Nous  allons 
les  passer  en  revue. 

1°  Réponse  du  chef  de  l'État.  —  Cette  réponse  consiste  dans 
une  déclaration  aux  ambassadeurs,  qui  met  fin  à  la  négocia- 
tion. 

La  déclaration  peut  être  verbale  \  et  dans  ce  cas  elle  com- 

1)  Il  peut  même  répondre  séance  tenante,  mais  le  cas  se  produit  très 
rarement,  et  ne  suppose  pas  de  ménagements  à  garder.  Venise  étant  très 
mal  avec  Florence,  le  doge  répond  dès  la  première  audience  aux  envoyés 
florentins  (Buonnaccorsi,  Diario,  p.  8). 

2)  Rapport  d'un  ambassadeur  anglais,  1419  ;  Quicherat,  Thomas  Bazin, 
IV,  278.  Sanuto,  III,  87,  etc. 

3)  Réponse  verbale  (mais  gardée  par  écrit)  du  roi  (Charles  VII)  à  Ouaste 
et  Levrault,  envoyés  de  son  fils:  «  C'est  la  responce  que  le  Roy  de  sa  bouche 
afaicte...  »,  en  forme  plutôt  paternelle  que  royale  (fr.  28H,  50).  Lettre  du 
duc  de  Milan  à  Louis  dauphin,  31  juin  1461  {Lettres  de  Louis  XI,  1, 
p.  352).  Rien  qu'ayant  déjà  écrit  le  20,   sur  l'arrivée  des  ambassadeurs, 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  247 

porte  souvent  une  recréance,  comme  nous  le  dirons  plus  loin. 
Mais  la  réciprocité  est  la  règle  des  négociations  diplomati- 
ques. Si  donc  l'ambassadeur  a  présenté  une  lettre  de  son  sou- 
verain, on  lui  remettra  une  lettre  *  ;  s'il  a  communiqué  ses  ins- 
tructions, on  lui  remettra  une  note  écrite  en  réponse  aux  ar- 
ticles. 

Dans  les  cas  même  ou  l'on  n'a  pas  à  donner  de  vraie  ré- 
ponse, la  courtoisie  de  mise  entre  souverains  amis  veut  qu'on 
réponde  à  la  lettre  de  créance  apportée  par  l'ambassadeur, 
par  une  lettre  directe,  où  l'on  remercie  plus  ou  moins  chaleu- 
reusement des  protestations  d'amitié  formulée  par  l'ambas- 
sade 3.  Dans  tous  les  cas,  la  réponse  est  délibérée  en  grand 
conseil,  et  l'on  en  donne  habituellement  lecture  '  à  l'ambas- 
sadeur, mandé  dans  ce  but  *.  Elle  est  écrite  en  latin,   par   ar- 

le  duc  adresse  une  nouvelle  lettre  de  congratulation, très  vive,  avec  l'éloge  des 
ambassadeurs,  qui  diront  au  dauphin  tout  son  dévouement.  —  Autre  créance 
avec  grand  éloge  du  secrétaire  chargé  d'affaires,  du  13  juillet  1461  (Id., 
p.  3u3).  V.  plus  loin. 

1)  Sanuto,  III,  194. 

2)  Desjardins,  II,  519.  Ms.lat.  10133  (Recueil  de  Simonetta),  f°  428.  Lettre 
d'Henri  VII  d'Angleterre  au  duc  de  Milan,  Westminster,  18  février  1480.  II 
a  reçu  avec  grande  joie  les  protestations  d'affection  apportées  par  les  ambassa- 
deurs, il  proteste  de  sa  sympathie.  .Même  lettre,  f°  481, sous  date  de  1489.  — 
Ms.  Moreau  734,  f°  119.  Gènes  envoie  à  Louis  XI  des  ambassadeurs,  le  2  oct. 
1479.  Plessis-les-Tours,  27  novembre,  Réponse  de  Louis  XI  :  il  a  reçu  les  am- 
bassadeurs ;  il  traitera  les  affaires  des  Génois  de  manière  à  les  contenter.  — 
Sanuto,  III,  1622.  Le  légat  du  pape  en  Hongrie  (pour  la  croisade)  a  délégué 
un  nonce  au  roi  de  Pologne.  Lettre  du  roi  au  légat,  accusant  réception 
(en  latin.  Intitulation  :  Amice  honorande);  mars  1301. —  Lettredu  duc  de  Sa- 
voie au  roi,  très  humble,  accusant  réception  de  sa  lettre.  Dès  qu'il  aura  oui 
l'ambassade,  il  fera  «telle  response  que  aurez  cause  vous  contanter  ».  Signée: 
«  Vostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur,  le  duc  de  Savoye,  Charles  », 
adressée  :  «  A  mon  très  redoubté  seigneur,  Monsr  le  Roy  »  (fr.  2923,  f«  27). 

3)  «  De  more.  »  Sanuto.vu,  108. 

4)  K.  78,  13.  —  Lettre  (en  français)  de  Maximilien  aux  ambassadeurs  de 
France.  Vous  nous  ave/,  p  irlé,  dit-il,  à  Loben  (Leoben)  delà  partdeLouisXH: 
nous  avons  (b'iaijé  de  vous  répondre.  Nous  avons  assemblé  «  ceulx  de  nostre 
Saint  Empire  et  sommes  en  consultation  avec  eulx  ».  Nous  pourrons   vous 


248  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

ticles,  calquée  sur  les  instructions  et  dans  le  même  style  '. 
Cette  communication  se  fait  attendre  trois  ou  quatre  jours, 
souvent  davantage  2,  et  ne  procure  pas  toujours  un  moment 
agréable  s.  Lorsqu'elle  a  véritablement  l'importance  d'un  acte 
diplomatique,  on  cherche  à  lui  retirer  le  caractère  purement 
verbal,  et  à  la  transformer  en  notes  écrites,  dans  un  intérêt  ré- 
ciproque *.    Si  elle   doit  présenter  un   caractère  commina- 

répondre  dès  votre  arrivée.  Venez  le  plus  tôt  possible  à  Schaffouse.  J'envoie  à 
vous,  M.  de  Ghampdeniers,la  ramure  du  cerf  que  vous  avez  désirée  (Haguenau, 
7  mars  1506).  —  En  1506,  le  doge  de  Venise  va  en  personne  à  l'auberge  des 
ambassadeurs  d'Allemagne,  leur  porter  la  réponse  du  conseil  (Sanuto,  VI,  494). 
4)  Réponse  écrite  du  duc  et  de  la  duchesse  de  Milan,  en  latin,  divisée  en 
deux  parties,  signée  du  duc  et  delà  duchesse  :1°  pour  l'affaire  principale.  Fé- 
licitations, remerciements,  compliments,  dévouement  aux  ambassadeurs  et  au 
roi.  Vertu,  sagesse,  religion  de  l'immortel  roi  et  de  ses  félicissimes  et  chris- 
tianissimes  prédécesseurs.  Ses  avis  sont  portés  «  usque  ad  cœlum  ».  Mais  on 
ne  peut  rien  traiter  sans  les  Florentins. La  conduite  du  pape  est  peu  digne  du 
vicaire  du  Christ  ;  2°  pour  Gènes.  Grâces  immortelles  au  roi.  Nous  tiendrons 
Gênes  en  hommage  de  lui.  Mais  il  n'est  pas  facile  de  la  prendre.  A  Rome, 
dites  donc  à  Urbain  de  Flisco,  évêque  de  Fréjus,  de  tenir  ce  qu'il  a  promis  au 
roi  à  ce  sujet  pour  sa  famille  (Signé).  —  Note  analogue  des  Florentins 
(ms.  lat.  11802). 

2)  En  Suisse,  la  diète  fédérale  indique  le  jour  de  la  réponse  (Jean  d'Auton, 
I,  p.  347):  mais,  hors  de  ses  sessions,  on  attend  souvent  une  quinzaine  de 
jours  (1475.  Ginginsla  Sarraz,  Dép.  des  ambass.  milanais,  t.  I);  en  1495, 
Commines  attend  à  Venise  quinze  jours  la  réponse  (Kervyn,  Lettres  et  négo- 
ciations, III,  235). 

3)  Au  bout  de  quatre  jours,  Charles  VII  mande  Courcillon,  envoyé  du  dau- 
phin, pour  la  réponse.  Le  chancelier  répond  que  «  la  chose  a  trop  duré,  et  en 
veut  le  Roi  voir  la  fin,  et  en,  effet  est  délibéré  de  n'en  souffrir  plus.»  Le  chan- 
celier ajoute  :  «  Messire  Guillaume,  prenez  congé  du  Roi,  vous  estes  expédié.  » 
Guillaume  se  jette  aux  genoux  et  supplie  le  chancelier  d'ajouter  quel- 
que chose  :  le  roi  dit  que  non.  Guillaume  alors  dit  :  «  ifesseigneurs,  je  ne  suis 
point  clerc,  et  je  tuis  de  gros  entendement.  Je  vous  prie,  baillez  moi  cette  ré- 
ponse par  écrit.  »  Le  chancelier  répond  que  ce  n'est  pas  la  coutume  (Duclos, 
Hist.  de  Louis  XI,  IV,  161-163). 

4)  «  La  vint  mondit  s""  de  S1  Pol,  et  récita  la  cause  qu'il  avoit  de  par  Mgr 
de  Cliarolois,  comme  il  disoit...  Sur  laquelle  créance,  fut  délibéré  et  conclu 
en  la  présence  du  Roi...  »  M.  de  St  Pol  n'ayant  rien  apporté  par  écrit,  on  ré- 
solut de  ne  lui  donner  aucune  écriture  «  signée  de  secrétaire  »,  mais  de 
le  laisser   libre  d'écrire  lui-même   la    réponse,   s'il  le    voulait,  pour  sa 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  249 

toire  dangereux,  on  préfère  attendre  ;  on  trouve  des  excu- 
ses pour  ce  retard  :  absence  de  certains  conseillers,  désir  de 
consulter  le  royaume,  nécessité  de  l'agrément  préliminaire 
d'une  autre  puissance  '... 

A  Venise,  la  Seigneurie  en  référait  au  sénat  des  communi- 
cations des  ambassadeurs,  par  une  note  détaillée  et  très  pré- 
cise, intitulée  :«  Summarium  expositionis  magnif  d"'...,  ora- 
toris...  »  Le  sénat  délibérait  sur  la  réponse  à  faire,  quelquefois 
au  bout  de  plusieurs  jours.  Cette  réponse,  arrêtée  à  la  plura- 
lité des  voix,  était  verbalement  communiquée  en  italien  par  le 
doge  à  l'ambassadeur,  en  séance  du  conseil.  Outre  le  carac- 
tère verbal,  la  réponse  présentait,  dans  les  cas  difficiles,  une 
rédaction  soigneusement  ambiguë  qui,  dans  une  lecture  ra- 
pide, pouvait  donner  le  change  à  un  ambassadeur,  même  ex- 
périmenté. A  M.  de  Citain,  venu,  le  3  mai  1494,  proposer 
nettement,  au  nom  de  Charles  VIII,  une  action  armée  com- 
mune contre  Naples,  le  sénat  vote,  le  9  mai,  après  de  longs 
débats,  une  réponse  de  ce  genre  :il  promet  de  faire  ce  que  doi- 
vent «  de  bons  amis  »  '.  En  1493,  Perron  de  liascher  rapporte 

gouverne.  Quelque  temps  après,  un  homme  apporta  des  lettres  du  C'e  deCha- 
rolais  et  de  M.  de  S'  Pol,  demandant  l'interprétation  de  quelques  paroles  de 
la  première  réponse,  qui  «  lui  sembloient  troubles  et  obscures.  »  On  ré- 
pondit par  lettres  (Duclos,  llist.  de  Louis  XI,  IV,  p.  230-235).  En  1505,  l'ar- 
chiduc fait  aux  ambassadeurs  français  réponse  qu'il  s'ébahit  d'une  «  si  brève 
sommation.  »  L'empereur,  présent  à  la  réponse,  parle  beaucoup  plus 
vertement.  Après  le  départ  des  ambassadeurs,  on  fait  courir  après  eux,  pour 
leur  demander  leur  charge  par  écrit,  afin  de  savoir  si  le  roi  «  les  advoieroit.  » 
Ils  la  donnent,  mais  en  termes  très  adoucis  (Gachard,  Deux  voyages  de  Phi- 
lippe le  beau,  p.  398-99).  «  C'est  la  cause  que  Messires  Jean  de  Croy  et  Simon 
de  Làïlain,  chevaliers,  Me  Jean  de  Clugny  et  Toison  d'Or,  conseillers  de  M* 
le  duc  de  Bourgogne,  ont  proposé  devant  le  Roi  par  ledit  Me  Jean  de  Clugny 
le  samedi  2Te  jour  de  novembre  1456...  et  aujourd'hui  5e  jour  de  décem- 
bre. . .  l'ont  baillée  par  écrit  »  (Longue  note.  Duclos,  Hist.  de  Louis  XI,  IV, 
p.  153).  Cf.  Réponse  de  Charles  Vil  aux  ambassadeurs  d'Espagne,  lat.  5956 
A,  nos  27.42,  f»  188. 

i)  1310.  Fraknoi,  ouvr.  cité- 

%)  Arch.  de  Venise,  Secreto35,  p.  5  v«. 


250  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

à  Charles  VIII,  après  une  réponse  très  polie,  qu'on  peut  comp- 
ter sur  Venise  :  Charles  VIII  écrit  en  conséquence  et  Venise 
se  demande  s'il  faut  lui  ouvrir  les  yeux  par  une  ambassade 
verbale,  ou  par  un  écrit  :  ce  dernier  système  prévaut  comme 
plus  sûr  ! . 

2°  Audience  secrète.  —  L'audience  secrète  est  accordée 
par  le  chef  de  l'Etat  à  son  gré.  Parfois,  elle  a  lieu  séance  te- 
nante ;  il  suffit  d'évacuer  la  salle,  et  l'audience  s'achève  en 
présence  des  mêmes  conseillers  \  En  général,  l'audience  est 
fixée  aulendemain  de  la  première  ou  au  surlendemain  *. 

L'audience  secrète  ne  parait  pas  tout  d'abord,  pour  un  his- 
torien, se  distinguer  bien  nettement  de  l'audience  de  réponse  ; 
pourtant,  elle  en  diffère  profondément.  L'audience  de  réponse 
suppose  que  les  ambassadeurs,  à  moins  d'ordres  nouveaux, 
ont  épuisé  leur  mission  dès  la  première  audience  :  l'audience 
secrète,  au  contraire,  marque  la  première  étape  d'une  négo- 
ciation, et  elle  comporte  encore  un  certain  apparat  :  on  peut, 
si  l'on  veut  plaire  particulièrement  à  un  ambassadeur,  lui 
faire  une  escorte,  comme  la  première  fois*.  Cette  audience 
complète  en  tout  la  première.  Si,  par  un  hasard  quelconque, 
l'ambassadeur  s'était  borné,  dans  son  audience  publique, 
à  une  rapide   salutation  sans  présenter  sa  créance,  il  peut  la 


1)  Perret,  Bibl.  del'Ec.  des  Chartes,  LU,  livr.  3,  p.  28o  et  s,  L Ambas- 
sade de  Jean  de  Chambes,  pièce  I. 

2)  Sanuto,  III,  237,  1170;  X,  504.  En  1502,  à  Rome,  pour  un  simple  chan- 
gement de  résident  vénitien,  la  conversation  s'engage  de  suite  entre  le  pape 
et  le  nouveau  résident,  sans  autre  formalité(Villari,  Dispacci  diA .  Giustinian, 
l,  14).  Les  ambassadeurs  suisses  ont  de  Maximilien  leur  audience  de  créance 
avant  la  messe  (Le  Glay,  Négociations,  I,  210),  et  leur  audience  privée  après 
diner  (id.,  212). 

3)  Sanuto,  YII,  86;  V,  1001.  Roscoë,  Vie  de  Léon  X,  pièce  xvn. 

4)  Ambassadeur  turc  à  Venise  en  1504  (Sanuto,  Y,  1001).  A  chaque  au- 
dience, en  Espagne,  une  escorte  va  prendre  chez  eux  les  ambassadeurs  (Guic- 
ciardini,  Opère  inédite,  VI,  21). 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  251 

présentera  celle-ci  '.  Il  peut  réserver  aussi  pour  la  seconde 
audience  la  présentation  d'une  lettre  '  ou  même  l'offre  de 
ses  présenta  3.  Mais  ce  qu'il  réserve  le  plus  volontiers,  c'est 
l'exposé  véritable  de  la  négociation. 

L'audience  secrète  a  lieu  dans  une  chambre  du  palais,  par 
exemple  dans  le  retrait  ou  cabinet  du  roi  ;  le  roi  est  simple- 
ment vêtu  *,  le  dialogue  y  prend  une  tournure  privée  et,  au 
besoin,  atïectueuse  "\  On  abandonne  le  latin  officiel  6. 

Il  n'y  a  point  d'ordre  régulier  à  suivre.  L'ambassadeur  peut 
prendre  la  parole  et  exposer  ce  qu'il  doit  dire  7,  ou  bien  l'au- 
dience s'engage  sous  forme  de  conversation.  Dans  une  dé- 
pêche du  9  septembre  1463 8,  le  milanais  Em.  de  Jacoppo  ra- 
conte une  audience  secrète  de  Louis  XI,  type  accompli  du 
genre  famdier  et  du  parti  à  en  tirer.  Louis  XI  voulait  : 
1°  donner  une  haute  idée  de  son  indépendance  et  de  sa  puis- 
sance ;  2°  s'attacher  le  duc  de  Milan  ;  deux  objets  fort  ration- 

1  )  L'ambassade  solennelle  de  LUS,  en  Angleterre,  prononce  un  premier 
discours  de  simple  présentation  et  salutation  :  après  la  réponse  du  chancelier, 
les  ambassadeurs  s'agenouillent,  et  protestent  de  l'amitié  du  roi  de  France 
pour  le  roi  d'Angleterre  et  de  son  désir  profond  de  paix.  Ils  se  déclarents  prêts 
à  exposer  leur  créance  :  puis  se  retirent.  La  créance  n'est  exposée  que  dans 
une  seconde  audience,  privée  (fr.  .'1884,  fo  177  et  s.). 

2)Sanuto,  V,  1001. 

3)  L'envoyé  de  Lithuanie  offre  au  pape  en  audience  particulière  de  magni- 
fiques fourrures,  de  zibeline,  de  martre,  d'hermine  et  autres,  50  peaux  très 
belles  de  zibeline  et  deux  tasses  d'or,  qui  plaisent  fort  au  pape  (1501.  Burc- 
kard,  III,  123). 

4)U4,'i.  Ms.  fr.  3884,  f°  177  et  s... 

5)  Hoscoé.  Vie  de  Léon  X,  pièce  xvn. 

6)  Sanulo,  III,  1170.  Le  roi  et  la  reine  d'Espagne  donnent  eux-mêmes  l'au- 
dience privée  aux  ambassadeurs  d'Angleterre,  entourés  d'anciens  ambassa- 
deurs en  Angleterre:  l'audience  dure  plus  d'une  heure  (J.  Gairdner,  Hisloria 
régis  Henrici  scutimi,  p.  173). 

7)  C'e  de  CÎircourt,  Le  duc  Louis  d'Orléans,  II,  33  :  Boislisle,  Et.  de  V&ç, 
p.  190-191.  Dans  ce  cas,  l'exposition  est  faite,  —  irrégulièrement,  —  par  le 
résident. 

8)  Archivio  Sforzesco. 


252  LA    DIPLOMATIE   AD    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

nels.  A  cet  effet  :  1°  le  roi,  sur  un  ton  de  conversation,  passe 
en  revue  ses  relations  avec  ses  voisins,  pour  prouver  qu'elles 
sont  bonnes  et  qu'il  n'a  rien  à  craindre.  Les  Barcelonais, 
dit  il,  lui  ont  envoyé,  pour  la  seconde  fois,  des  ambassadeurs, 
afin  de  se  donner  à  la  France,  ainsi  que  les  Roussillonnais  ; 
il  a  refusé,  par  respect  pour  sa  parole  envers  le  roi  d'Ara- 
gon. Il  déclare  aussi  qu'il  tient  à  sa  discrétion  le  duc  d'Or- 
léans. 2°  L'ambassadeur  insinue  qu'on  craint  des  désordres  à 
Gênes.  Louis  XI  répond  par  des  serments  de  dévouement  au 
duc  de  Milan1.  Puis  on  s'embrasse,  on  se  congratule;  à  la 
faveur  d'un  moment  de  silence,  Louis  XI  pose  discrètement 
des  questions  sur  quelques  points  délicats,  puis  on  se  sépare 
très  affectueusement.  Louis  XI  tutoie  l'ambassadeur,  lequel 
s'incline  jusqu'à  terre. 

Pour  les  audiences  moins  intimes,  l'ambassadeur  est  muni 
d'instructions  détaillées.  Certaines  instructions  visent  nom- 
mément cette  audience  après  l'audience  publique.  Ainsi,  une 
instruction  de  1498  prescrit  aux  envoyés  vénitiens  en  France 
de  reprendre,  en  audience  privée,  la  thèse  du  dévouement 
de  la  République  pour  le  roi,  qu'ils  développeront  large- 
ment :  puis,  d'exposer  le  vif  désir  d'une  alliance.  Si  le  roi 
parait  indiquer  que  tel  est  également  son  vœu,  il  faudra  in- 
sister de  suite  dans  ce  sens.  Les  ambassadeurs  devront,  «  avec 
toute  la  dextérité  possible,  chercher  à  pénétrer  et  à  com- 
prendre toute  résolution  intime  et  formelle  du  roi  en  cette 
matière,  et  donner  avis  très  rapide,  très  minutieux,  de  toutes 
choses,  pour  qu'on  puisse  y  répondre  '.  » 

1)  Le  roi  lui  dit  :  «  Manuel,  jo  te  giuro  per  mia  conscientia  che  o  piu  gran 
voglia  de  havere  bona  intelligentia  con  luy  (ton  maître)  che  con  tutto  el  resto 
de  li  signori  de  tutta  la  X'a.  » 

2)  10  juillet  1498  (Secreto,  37).  Cf.  l'instruction  vénitienne  du  20  juin  1509 
aux  ambassadeurs  à  Rome  (A.  de  Venise). 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  253 

La  relation  de  l'ambassade  circulaire  française  de  1478-1479, 
en  Italie  l,  suffit  à  nous  ni  outrer  la  valeur  et  la  place  de  l'au- 
dience  secrète  dans  une  négociation.  Le  27  décembre  1478,  en 
audience  publique,  à  Milan,  les  ambassadeurs  ont  formulé 
leurs  propositions  et  communiqué  leurs  instructions.  Le  duc 
et  la  duchesse  de  Milan  avaient  déclaré  qu'ils  répondraient 
après  conférence  en  conseil  :  ils  remettent  leur  réponse  écrite, 
le  31  décembre.  Le  11  janvier,  même  procédure  à  Florence  : 
la  réponse,  libellée  le  15,  est  remise  le  16  aux  ambassadeurs. 
A  Rome,  les  ambassadeurs  prononcent  leur  créance  le 27  jan- 
vier. Le  pape  confère,  après  leur  départ,  avec  les  cardinaux  ; 
puis  il  rappelle  les  ambassadeurs  et  leur  demande,  sur  l'avis 
des  cardinaux,  de  remettre  leur  discours  par  écrit,  à  cause  de 
son  importance.  Les  ambassadeurs  le  déposent  le  jour  même, 
en  latin.  Le  30  janvier,  les  ambassadeurs  demandent  et  ob- 
tiennent pour  le  lendemain  audience  secrète.  Là,  ils  commu- 
niquent leurs  instructions  particulières,  et  sur  cette  base 
s'engagent  les  négociations,  qui  dureront  jusqu'au  2  juin. 

3°  Conférence  avec  des  délégués.  —  A  l'issue  de  l'audience 
publique,  le  chef  de  l'Etat  désigne  un  ou  plusieurs  membres 
de  son  conseil  pour  recevoir  les  ambassadeurs  et  suivre  avec 
eux  les  négociations.  Ce  système  est  le  plus  pratique  et  le  plus 
expéditif  pour  mener  à  bien  une  négociation  :  en  France, 
c'est  le  système  usuel.  Un  ambassadeur  ne  saurait  se  refuser 
a  l'emploi  de  ce  procédé  que  s'il  était  porteur  d'un  ultimatum 
et  qu'il  refusât  de  négocier*.  Tout  ce  que  pourrait  faire  un 

i)  Lat.  11802. 

2)  Mathieu  Lang,  évoque  de  Gùrck,  ambassadeur  d'Allemagne  pour  la  paix 
avec  Jules  II,  arrivé  à  Bologne,  voit  quatre  fois  le  pape.  Après  les  premiers 
pourparlers,  Jules  II  veut  renvoyer  la  question  à  trois  cardinaux  :  Lang,  à 
qui  cela  est  interdit  par  ses  instructions,  prend  congé  et  part  à  l'instant  pour 
Modène...  Au  fond,  on  sait  que  la  chose  s'arrangera.  Il  emmène  l'ambas- 
sadeur d'Espagne.  —  Lang  n'a  pas  voulu  aller  à  la  chapelle  du  pape:  il  a 


254  LA  DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

ambassadeur  maladroit,  serait  de  demander  le  changement 
ou  le  retranchement  d'un  délégué,  qu'il  supposerait  mal  in- 
tentionné. Adressé  par  Charles  YIII  à  une  commission 
de  six  conseillers,  le  florentin  François  délia  Casa,  en  1493, 
obtient  le  retranchement  d'un  des  conseillers,  le  prince  de 
Salerne,  qu'il  blesse  ainsi  sans  aucun  profit1. 

Le  roi  désigne  pour  cette  commission  au  moins  deux  mem- 
bres de  son  conseil  *,  et  souvent  cinq  ou  six.  Il  choisit  toujours 
des  personnes  de  sa  plus  entière  confiance  :  Guillaume  Bri- 
çonnet,  sous  Charles  VIII,  le  cardinal  d'Amboise  sous 
Louis  XII,  reçoivent  les  ambassades,  pour  peu  qu'elles  aient 
une  importance.  Le  chancelier,  et,  pendant  les  premières  an- 
nées de  Louis  XII,  le  maréchal  de  Gié  figurent  dans  ces  com- 
missions. On  leur  adjoint  volontiers  des  conseillers  spéciale- 
ment au  courant  des  affaires  dont  on  va  traiter,  ou  anciens 
ambassadeurs  dans  le  pays  \  Les  délégués  étudient  soigneu- 
sement I*  affaire  et  les  ambassadeurs  trouvent  ainsi  à  qui  uti- 

amené  d'Allemagne  une  chapelle,  et  fait  célébrer  l'office  dans  sa  maison.  Et 
tout  le  monde  crie  :  Imperio,  Franza,  Siega,  Siega  (siegen,  paix)  (avril  1511. 
Sanuto,  XII,   148). 

1)  Boislisle,  Et.  de  Vesc,  62. 

2)  1502.  Sanuto,  IV,  44o.Buonnaccorsi,  Diario,  p.  129:  «  Deux  ambassa- 
deurs de  Florence,  près  Louis  XII,  pratiquent  pour  Pise,  avec  les  deux  audi- 
teurs qu'on  leur  a  donnés»  (le  C'e  de  S.  Severino  et  un  secrétaire  du  roi  très 
influent). 

3)  Pour  traiter  etconclurele  mariage  d'Anne  de  Foix  avec  les  ambassa- 
deurs de  Hongrie,  Louis  XII  délègue  le  cardinal  d'Amboise,  le  chancelier  de 
France,  le  maréchal  de  Gié  et  Valérien  de  Sains  (ce  dernier  ancien  ambassa- 
deur en  Hongrie.  Jean  d'Auton,  II,  217).  «  Aussitôt  sortis  de  cette  première 
audience,  Sa  Majesté  nomma,  pour  traiter  avec  eux  (les  ambassadeurs  d'Alle- 
magne) de  la  paix,  le  cardinal  d'Amboise,  le  grand  chancelier,  Mgr  de 
Bourbon  et  le  maréchal  de  Gié.  Cette  négociation  doit  être  terminée  dans  la 
semaine.  On  dit  que  ce  prince  partira  ensuite  pour  Blois;  mais  on  ne  parle 
pasdu  voyage  de  Lyon»  (Dépèche  de  Machiavel,  de  Tours,  24  novembre  1500. 
Ire  Lég«»  de  France,  lettre  xxvn).  Vesc,  Ligny  l'évêque  de  Périgueux,  le  chan- 
celier, G«s  d'Amboise,  sont  chargés  par  Louis  Xll  de  recevoir  l'ambassade 
vénitienne  de  1498  (Boislisle,  Et.de  Vesc,  p.  185). 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  255 

lemont  parler  ;  à  Madon,  en  1505,  dès  l'après  dluée  de  l'au- 
dience  de  créance,  l'ambassade  de  Philippe  le  Beau,  se  met- 
tant au  travail  avec  le  chancelier  et  lés  conseillers  députés, 
trouve  les  conseillers  «  garnis  et  fournis  de  grans  enseigne- 
mens  et  largement  ;  et  nous,  au  contraire,  écrivent  les  am- 
bassadeurs, nous  sommes  trouvez  très  mal  instruis  et  furnys;» 
n'étant  pas  en  état  de  répondre,  ils  réclament  la  fixation 
dune  journée  pour  produire  les  pièces1. 

Ce  procédé  est  d'un  usage  général5  (sauf  en  Italie  où  l'on 
parait  répugner  à  l'adopter  ;  cependant,  quand  des  ambassa- 
deurs demandent  une  commission  spéciale,  on  la  leur  donne)". 
Il  a  l'inconvénient  que  le  succès  de  la  négociation  dépend 
beaucoup  de  l'habileté,  de  la  discrétion,  de  la  probité  des 
délégués.  L'ambassadeur  de  Bourgogne,  chargé,  en  1475, 
de  suivre  une  négociation  avec  deux  conseillers  du  roi  de 
France,  entend,  à  travers  un  paravent,  ses  commissaires  se 
moquer  de  son  maître,  auquel  il  rapporte  immédiatement 
leurs  paroles  *. 

En  1493,  l'ambassadeur  florentin,  tout  en  allant  rendre  vi- 
site individuellement  à  chaque  membre  de  la  commission, 
s'indigne,  et  non  sans  motifs,  que  Charles  VIII  reste  étranger 
à  ses  affaires,  et  laisse  tout  diriger  par  des  conseillers  à.  la 
solde  de  Milan5. 

1)  Lett.  de  Louis  XII,  I,  1"),  22. 

2)  Le  roi  d'Angleterre  désigne  trois  conseillers  poursuivre  les  négociations 
avec  l'ambassade  de  France  (fr.  3884,  fo  180)  ;  le  roi  de  Hongrie  quatre  con- 
seillers, pour  négocier  avec  les  envoyés  de  France  et  de  Venise  (1500.  Frak- 
nôï,  ouvr.  cité). 

3)  Sur  la  demande  des  ambassadeurs  de  France,  le  doge  désigne  un  con- 
seiller, un  sage  du  conseil,  un  sage  de  terre  ferme,  pour  les  voir  et  savoir  ce 
qu'ils  veulent  (3  avril  1500.  Sanuto,  III,  192)  :  Cf.  Kervyn,  Lrllrcs  et  négo- 
ciations, II,  111-114. 

4)Commincs,  Mt-moires,  1,  359. 

•'.  Eu  réalité,  Charles  VIII  aimait  mieux  se  débarrasser  de  lui  (Desjaidius, 
Négociations,  p.  224  et  s.:  Boislisle,  p.  62,  63). 


256  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

4°  Visites.  —  Dans  tous  les  cas,  l'ambassadeur,  ou  spécial, 
ou  résident,  commencera  sa  négociation  par  des  visites.  Après 
l'audience  du  roi,  il  verra  la  reine  et  les  ministres.  Il  ira  voir 
les  princes  du  sang,  et  les  personnages  de  la  cour  les  plus  in- 
fluents près  du  roi.  Les  instructions  désignent  souvent  cer- 
tains personnages  à  visiter;  mais  l'indication  n'est  jamais 
complète  ni  absolue.  C'est  à  l'ambassadeur  d'apprécier  qui  il 
doit  voir,  en  dehors  des  visites  rigoureusement  officielles  ;  il 
se  fera  guider  par  les  conseils  du  résident  ou  de  son  prédéces- 
seur, il  s'inspirera  des  circonstances  ;  avant  tout,  il  ne  fera 
que  des  visites  qui  ne  puissent  pas  déplaire  au  souverain  ;  s'il 
lui  faut  sortir  de  cette  règle,  il  devra  alors  cacher  soigneuse- 
ment sa  démarche. 

En  résumé,  l'ambassadeur  fera  des  visites  de  quatre  caté- 
gories : 

1°  Visites  dues,  c'est-à-dire  à  la  reine  et  aux  ministres.  Nous 
en  parlerons  plus  loin. 

2°  Visites  officielles,  aux  princes  du  sang  et  personnages 
désignés  par  leur  rang  :  le  duc  et  la  duchesse  de  Bourbon, 
sous  Charles  VIII  le  duc  d'Orléans,  sous  Louis  XII  le  comte 
d'Angoulême..,  etc.  Ces  visites,  de  pure  déférence,  n'indi- 
quent aucune  relation  spéciale.  Les  princes  du  sang,  rare- 
ment bien  vus,  représentent  d'ailleurs  habituellement  une  co- 
terie d'opposition1. 

3°  Visites  à  des  personnages  que  désignent  leurs  hautes 
fonctions  à  la  cour  et  leur  faveur  près  du  roi. 

\)  Le  duc  d'Orléans,  absent  de  Paris  lors  de  la  réception  des  ambassadeurs 
milanais,  revient  un  mois  après. Les  ambassadeurs  vont  aussitôt  le  voir  (quoi- 
que ses  adversaires  naturels.  —  Delaborde,  Expédition  de  Charles  VIII, 
p.  246).  Après  l'audience  privée,  les  ambassadeurs  en  Espagne  demandent 
à  baiser  la  main  des  infants  et  infantes,  que  le  roi  fait  venir  :  de  même  en 
Portugal  (J.  Gairdner,  Hisloria  regis  Henrici  septimi,  p.  173,  p.  192). 


AUDIENCES    DE    CKÉANCK  257 

4°  Visites  à  des  personnages  dont  l'appui  est  spécialement 
acquis  à  l'ambassadeur. 

Pour  donner  plus  de  poids  aux  démarches,  on  remet  à 
l'ambassadeur  des  lettres  de  créance  pour  ces  diverses  per- 
sonnes. Ces  créances  sont  ordinairement  semblables,  de  tout 
point,  aux  créances  pour  le  chef  de  l'Etat  '  :  ou  bien  elles 
prennent  une  forme  plus  intime  de  recommandation2,  demis- 


1)  Ms.  fr.  292-2,  f"  42,  orig.,  sur  papier  :  «  Mons.  du  Boscliage,  je  me  re- 
commande a  vous.  J'envoye  devers  le  Roy  messire  George  de  Menthon,  lequel 
vous  prie  croire  sur  ce  qu'il  vous  dira  de  ma  part  comme  moy  mesmes. 
Priant  Dieu  qu'il  vous  doint  ce  que  desirez.  Escript  a  Chasteau  Renault,  le 
xvin«  jour  de  septembre.  Le  duc  de  Savoye,  (signé)  :  Charles,  vostre.  Ga- 
voret.  »  —  Billet  du  duc  de  Savoie  au  même  du  Bouchage,  accréditant  près 
de  lui  le  sire  de  la  Forest  envoyé  près  du  roi  (fr.  2923,  f°  27: 
orig.  pap.,  signé  «  Vostre,  Charles  »).  Lettre  du  dauphin  Louis  à  un 
seigneur  de  Bourgogne,  pour  l'aviser  de  l'arrivée  d'un  ambassadeur  mi- 
lanais (déc.  1460.  Lettres  de  Louis  XI,  I,  c.)  —  Créances  du  duc  de 
Milan  pour  son  chancelier  près  du  duc  et  la  duchesse  de  Bourbon  (23  février 
1495.  Archiv.  de  Milan).  Créance  du  doge  de  Venise  Lorédan,  pour  ses  «so- 
lennes  oratores  »  Seb.  Giustinian  et  Pierre  Pasqualigo,  au  grand  maitre 
de  Boisy  (sous  François  Ierj,  sur  grand  parchemin,  en  cinq  lignes,  sans  dé- 
tail :  «  écoutez-les  comme  nous-mêmes  »  (K.  79,  18).  Créance  de  François 
Sforza  pour  Emel  de  Jacoppo,  son  ambassadeur  en  France,  au  maréchal  de 
Bourgogne:  28  mai  1463  (lat.  10133,  f°  27  y0).  Créance  pour  Soderini  au 
cardinal  d'Amboise  (1504.  S.  Razzi,  Vita  di  Piero  Soderini,  Padova,  1737, 
f°:  p.  87).  Créances  pour  HucBournel  à  divers  seigneurs  d'Ecosse(1412.Fr. 
6748). 

2)  Lettre  du  chancelier  de  Milan  recommandant  à  Phil.  deCommines  l'am- 
bassadeur envoyé  en  France,  en  le  priant  de  continuer  comme  par  le  passé  à 
s'occuper  des  affaires  de  Milan  (1478.  Citée  par  Kervyn,  Lettres  et  négocia- 
tions, I,  226).  Lettre  de  Louis  XII,  du  13  mars,  recommandant  Accurse  Mai- 
nier  à  Const.  Priuli,  citée  par  Baschet,  Archives  de  Venise,  p.  «>00  note.  En 
1476,  reprenant  les  rapports  diplomatiques  avec  la  France,  le  duc  de  Milan 
fait  écrire  par  son  chancelier  une  lettre  de  recommandation  à  Philippe  de 
Commines.  Commines,  absent  de  la  cour  lors  de  l'arrivée  de  l'ambassa- 
deur, écrit  à  celui-ci  pour  s'excuser,  pour  lui  dire  de  ne  se  préoccuper  de 
rien  et  de  ne  parler  de  ses  affaires  à  personne  avant  que  Commines  ne  soit 
là,  c'est-à-dire  avant  trois  ou  quatre  jours  (Kervyn,  Lettres  et  négociations j 
L143). 

17 


258  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

sive  !,  de  compliment*,  d'affaires*,  suivant  le  rang  du  per- 
sonnage et  la  nature  de  son  dévouement.  11  y  en  a  d'entière- 
ment autographes  *,  et  même  de  chiffrées s.  Nous  revien- 
drons plus  loin  sur  ce  point. 

Les  créances  privées,  qui  ont  le  caractère  personnel,  por- 
tent naturellement  l'adresse  du  destinataire  6.  Quant  aux 
créances  courantes,  l'ambassadeur  les  reçoit  souvent  en  blanc 
et  garnit  l'adresse  suivant  les  besoins 7. 

1)  Lettres  closes  de  Louis  XI,  au  sire  de  Lescun,  dans  la  négociation  de 
1473.  Ms.  fr.  3884,  f»i  293  et  suiv. 

2)  Ms.  fr.  2919,  f°  7  ;  lettre  de  François  II  de  Bretagne  à  Du  Bouchage,  de 
Nantes,  4  mars.  Orig.  sur  papier,  dans  la  forme  habituelle  des  missives  : 
portant  créance  auprès  de  lui  pour  «  Morteraye,  mon  serviteur  »...  Au  début: 
«  Je  vous  tiens  tant  mon  amy  que  tousjours  vouldriez  faire  quelque  chose 
pour  moy...;»  prière  de  vous  employer.  Vous  me  connaîtrez  «  vostre  bon 
amy.  Le  vostre,  (signé)  Francoys.  Gukguen.  » 

3)  Longue  lettre  à  Commines,  en  1495,  du  conseil  de  Florence,  le  priant 
de  solliciter  une  affaire  qu'ils  lui  expliquent  longuement.  Ils  annoncent  l'ar- 
rivée de  deux  ambassadeurs  dans  ce  but:  «Nous  prions  Votre  Seigneurie  d'a- 
jouter une  pleine  foi  à  ce  que  lui  exposera  ledit  Thomas  Spinelli  »  (Kervyn, 
Lettres  et  négociations,  II,  21-1). 

4)  Ms.  fr.  2919,  f"  9,  orig.  sur  papier.  Lettre  autographe  du  marquis  de 
Montferrat  à  Du  Bouchage  (sans  mention  de  secrétaire), portant  en  substance: 
J'envoie  au  roi  mon  serviteur  Jeannin  Dagle.  Prière  de  vous  y  employer.  Si  je 
puis  faire  quelque  chose  pour  vous,  je  le  ferai. 

5J  Lettre  chiffrée  «  pour  les  cittadyns  de  Florance,  affectionnés  au  service 
du  Boy  et  de  toutte  la  chosse  publicque  de  Florance.  Premier,  A  Bobert 
Azaiuoly.  ANicolao  Valory.  A  AlfonsoStrozzy.  A  Nicolao  Cappony.  A  mess. 
Gyovanny  Victorio  Soderyny  »  (fr.  2961,  fo  43). 

6)  Les  ambassadeurs  ilorentins  déclarent, dans  leur  relation  de  1421,  n'avoir 
pas  remis  leur  lettre  de  créance  pour  Nicolô  de'  Grimaldi,  à  Gènes,  parce  qu'il 
n'y  a  personne  de  ce  nom.  On  aura  voulu  dire  Antonio  (Saige,  Documents, 
1,38). 

7)  «  Les  messages  du  Boy  emportent  plusieurs  lettres  closes  de  créance 
du  Boy  sans  superscripeion,  pour  les  adrécer  aux  prélas,  nobles  et  bonnes 
villes  du  pais  »  (Instruction  de  1385.  Douet  d'Arcq,  Choix  de  Pièces,  I, 
60).  L'instruction  vénitienne  du  10  juillet  1198,  pour  les  ambassadeurs  en 
France,  leur  prescrit  de  visiter  «  sub  litteris  nostris  credentialibus  »  le  duc 
de  Lorraine  «  et  omnes  alios  dominos  et  barones  qui  vobis  videbuntur,  et  gra- 
tos    intellexeretis  Chrme  Majestati, utendo  erga  omnes  verbis  amicabilibus, 


AUDIENCES    DE    CRÉANCE  259 

En  règle  générale,  c'est  l'ambassadeur  arrivant  qui  doit 
faire  le  premier  la  visite.  Quand  la  visite  s'adresse  à  un  grand 
personnage,  il  demandera  d'abord  une  audience  '.  A  chacun, 
il  parlera  selon  la  qualité  du  personnage  et  les  indications 
du  résident5.  11  peut  arriver  cependant,  par  exception,  que  la 
créance  s'adresse  à  des  amis  assez  sûrs  et  d'assez  mince  im- 
portance pour  que  l'ambassadeur  les  mande  à  son  auberge  et 
les  charge  de  préparer  l'audience  de  créance  3.  L'ambassa- 
deur vi ut  assez  souvent,  dès  le  début,  quelque  notable,  an- 
cien ambassadeur  dans  son  pays,  qui,  s'il  ne  lui  a  pas  fait 
escorte  à  son  entrée,  lui  rend  au  moins  visite  \ 

Le  système  des  créances  particulières  est  tellement  usité 
en  Italie  que  les  ambassadeurs  en  emportent  même  à  utiliser 
sur  la  route.  Le  système  oligarchique  de  la  plupart  des  états 
italiens  donne,  en  effet,  à  beaucoup  de  citoyens  notables  une 
part  d'action  dans  les  affaires  publiques.  L'ambassadeur  re- 
çoit même  des  instructions  sur  le  langage  à  leur  tenir5. 

gravibus  et  accommodatis,  et  tenendo  eos  ac  eorum  quemlibet  optime  edifi- 
catuin  et  disposilumerga  statuai  nostrum  »  (Arch.  de  Vcaise).  Le  Summarium 
de  l'instruction  de  Ludovic  Sforza  à  ses  envoyés  près  du  Grand  Turc,  porte 
«  quod  fecit  prefatus  dnus  Ludovicus  sex  litteras  crcdenciales,  unas  Magno 
Tbecro,  alias  quinque  sine  nomine,  ut  postea  possint  apponi  nomina  et  dirigi 
quibus  melius  eis  videbitur  »  (publ.  dans  l'éd.  de  Corio,  de  Venise,  1554,  p. 
VII.  p.  498:  ms.  fr.  2927,  f>  94).  Cf.  Desjardins,  Négociations,  II,  49. 

1)  Le  nouvel  ambassadeur  de  Venise  à  Rome  ne  peut  obtenir  d'audience  du 
duc  de  Valentinois,  qui  les  refuse  toutes. Le  pape  lui-même,  très  occupé,  n'en 
accorde  que  fort  difficilement  (juin  1502.  Dispacci  di  Giuslinian,  I,  23). 

2)  Commission  vénitienne  du  3  juillet  1515,  à  Fr.  Capello  (Archives  de 
Venise).  Desjardins,  II,  580. 

Z)  Ambassade  florentine  à  Gènes,  en  1421.  Le  génois,  ainsi  mandé,  se 
dit,  «  per  cierto,...  bueno  fiorentino  »  (Saige,  Documents,  I,  22). 

il  Visite  d'André  Gritti  à  l'ambassadeur  turc  (Sanuto,  V,  991). 

.')  Envoyant  à  Rome  son  fils  Pierre,  Laurent  de  Médicis  lui  donne  pour 
instructions,  le  26  novembre  1484,  de  passer  par  Sienne  et  de  remettre  trois 
lettres  de  créance  à  trois  des  principaux  citoyens,  avec  toute  sorte  de  com- 
pliments.  Il  ira  chez  eux,  se  recommandera  à  «  Leurs  Magnificences  »  ;  il 
leur  dira  que,  sachant  l'affection  et  le  respect  de  Laurent  pour  eux,  qu'il  con- 


260  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

Aucune  visite  n'est  faite  avant  la  remise  de  la  créance, 
sauf  à  quelque  haut  personnage,  dont  l'intervention  serait  né- 
cessaire pour  préparer  cette  audience  '. 

sidère  comme  des  pères,  il  a  voulu  lui-même  se  présenter  comme  leur  fils  ; 
qu'il  est,  comme  Laurent,  à  leurs  ordres  en  tout  temps  et  en  tout  lieu,  qu'il 
leur  obéira  toujours  comme  Laurent,  dont  les  biens,  l'Etat  et  la  famille  sont 
à  leur  disposition,  qu'il  se  présente  comme  «  leur  cbosc,  »  dont  ils  peuvent 
disposer  à  leur  bon  plaisir.  Pierre  devra  exprimer  ses  sentiments  dans  un 
langage  convenable,  naturel,  sans  rien  d'affecté,  sans  prendre  des  airs  de 
savant;  il  parlera  avec  amabilité,  douceur  et  gravité,  là  et  toujours.  Bien 
plus,  il  emporte  une  liste  de  citoyens  de  Sienne,  qu'il  ira  voir  également 
(Roscoé,  pièce  ux). 

1)  Le  25  janvier  1 579.  lendemain  de  leur  arrivée  à  Borne,  les  ambassadeurs 
de  Louis  XI  vont  présenter  une  créance  au  cardinal  de  S1  Pierre  aux  liens  et 
lui  communiquent  leurs  internions  (Iat.  11802).  Ils  l'assurent  de  la  fiance  du 
roi;  celui-ci  répond  qu'il  est  tout  dévoue...  11  va  voir  le  pape,  et  le  soir 
même  répond  que  le  pape  désire  voir  les  ambassadeurs  avant  l'audience  pu- 
blique. 


CHAPITRE  XI 

MANIÈRE    D*ÊTKE   ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS 

L'ambassadeur  n'a  pas  mieux  à  faire,  en  général,  que  de 
se  conduire,  tout  simplement,  en  homme  intelligent  et  bien 
élevé.  Tout  ce  qui  sent  la  profession,  l'apprêt,  l'habileté,  la 
morgue,  détonne  et  nuit;  il  faut  qu'on  sente  un  homme  du 
monde,  sans  pédantisme,  à  l'accueil  engageant  et  aimable1. 
La  première  règle,  une  règle  absolue  de  la  diplomatie,  est  de 
se  présenter,  à  l'arrivée,  comme  un  personnage  sage,  mo- 
déré, moyen;  l'ambassadeur  est  un  intermédiaire,  qui  va 
pratiquer',  moyen?ier  3,  traiter*,  manéger*,  attendre  son  ex- 
pédition s  ;  il  va  écouter,  chercher  à  faire  parler  (en  italien, 
sotlraher)1.  Toute  allure  personnelle,  ou  trop  en  dehors,  ou 
trop  couverte,  échoue  ;  il  faut  dès  le  début  se  déclarer  passif. 

Les  ambassadeurs  permanents,  et  même  les  ambassadeurs 
spéciaux  si  leur  envoi  se  répète,  doivent  s'attendre  à  être  mal 
vus  dans  les  cours  :  «  ce  n'est  pas  chose  trop  seure  de  tant 
d'allées  et  venues  d'ambassades,  car  bien  souvent  se  traitent 

i)  Discours  du  cardinal  Commendone  à  Girol.  Savorniani  (ms.  ital.  635). 
Cf.  fr.  3296,  f°»  1,13. 

2)  «  Praticare  »  en  italien,  terme  courant. 

3)  Janv.  1483;  les  ambassadeurs  de  Flandre,  qui  avaient  moyenne  la  paix 
par  le  mariage  du  dauphin  et  de  Marguerite  d'Autriche  (Jean  de  Roye). 

4)  «  Tractatus,  tractatus  pacis  »  (1421.  Ms.  Moreau  1452,  n»  1(12). 

5)  «  Maneggio  délia  pace  »(Benedetti,  H  falto  d'.arme,  éd<"'  1863,  p.  211). 

6)  «  Tractare  et  expedire  articulos  »  (Pouvoir  anglais  de  1400.  Douet 
d'Arcq,  Choix  de  pièces,  I,  168).  En  France,  un  ambassadeur  «  attend  son 
expédition.  » 

7)  Dép.  deDandolo,  18  déc.  1513 (Arch.  de  Venise). 


262  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

de  mauvaises  choses  '.  »  Sans  doute,  s'ils  représentent  un 
ami  vrai,  indubitable,  on  ne  saurait  leur  faire  trop  «  bonne 
chère  »,  mais  l'ami  vrai  ne  se  rencontre  pas  souvent.  «  En  nul 
temps,  dit  Commines,  il  n'y  a  grant  seureté,  selon  mon  ad- 
vis.»  En  France,  on  tient  les  ambassadeurs  un  peu  à  l'écart, on 
les  fait  surveiller  doucement 2. 

L'ambassadeur  a  donc  à  se  faire  bien  venir,  et  il  lui  faut, 
pour  y  réussir,  une  connaissance  approfondie  de  la  cour  et  de 
ses  usages.  Il  doit,  en  premier  lieu,  s'acclimater  à  la  cour, 
et  en  prendre  l'esprit. 

Le  diplomate  italien  qui  arrive  à  la  cour  de  France  s'y 
trouve  dépaysé  ;  cette  monarchie  absolue  est  plus  libre  d'al- 
lures que  les  républiques  italiennes.  Chaque  seigneur  y  tient 
sa  place,  et  affecte  vis  à  vis  du  roi  une  sorte  de  sans-gêne, 
de  familiarité  *,  fort  ancrée  dans  les  mœurs,  qui  scandalise 
un  italien.  Les  seigneurs  sont  riches,  entreprenants,  hardis  4  ; 
ils  se  piquent  peu  de  littérature,  ils  aiment  à  paraître  :  «  fous 
en  habillements  et  en  paroles.  »  Un  homme  qui  a  treize  li- 
vres de  rente,  dit  :  «  Parlez  à  mes  gens  »,  comme  un  grand 

i)  Commines,  Mémoires,  I,  264. 

2)  «  On  les  doibt  bien  traicter  et  honnorablement  recueillir  :  comme  en- 
voyer au  devant  d'eulx,  et  les  faire  bien  logier,  et  ordonner  gens  seures  et 
saiges  pour  les  accompaigner,  qui  est  chose  honneste  et  seure  ;  car  par  la  on 
sait  ceulx  qui  vont  vers  eulx,  et  garde  l'on  gens  légiers  et  mécontens  de  leur 
porter  nouvelles.  Je  les  vouldroye  tost  ouyr  et  despescher,  car  ce  me  semble 
très  mauvaise  chose  que  de  tenir  ses  ennemys  chez  soy  ;  de  les  faire  festoyer, 
deffrayer,  faire  présens,  cela  n'est  que  honneste.  Et  me  semble  qu'on  doibt 
ouyr  tous  messaigés,  et  faire  faire  bon  guet  quels  gens  iroient  parler  à  eulx, 
tant  de  jour  que  de  nuit,  mais  le  plus  secreltement  que  l'on  peult.  Et  pour 
ung  ambassadeur  qu'ils  m'envoyeroient,  je  leur  en  envoyeroye  deux,  car  vous 
ne  scauriez  envoyer  espie  (espion)  si  bonne  ne  si  seure  »  (/<<.,  264). 

3)  «  Una  certa  libertâ  et  domestichezza  »  (Balth.  de  Castillon,  Le  parfait 
courtisan,  liv.  II,  trad°n  de  Chapuis,  1592,  p.  200). 

4)  «  La  couronne  et  le  roi  de  France  sent  aujourd'hui  plus  entreprenants, 
plus  riches,  plus  puissants  qu'ils  ne  l'ont  jamais  été  »  (Machiavel,  Ritratti 
délie  cese  di  Francia). 


MANIÈRE    D'ÊTRE    ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  263 

seigneur*.  Dans  un  tel  milieu,  les  affaires  se  traitent  un  peu 
à  bâtons  rompus  '.  L'italien  ne  trouve  plus,  au  premier  abord, 
l'amabilité  extérieure,  les  formes  obséquieuses,  la  grâce  de 
son  pays  ;  tout  lui  parait  froid,  et  le  met  mal  à  l'aise.  Mais  si, 
soutenu  par  un  bon  guide,  il  surmonte  cette  première  im- 
pression et  s'acclimate,  il  change  promptement  d'avis;  il  subit 
le  charme,  il  prend  les  habitudes  du  pays;  le  monde  lui  pa- 
rait plus  grave  et  plus  réservé,  mais  il  y  découvre  un  art  ex- 
quis de  conversation  '. 

2°  L'ambassadeur  doit  apprécier  exactement  dans  quelle 
mesure  les  traditions  locales  lui  permettent  de  se  mêler  aux 
choses  de  la  cour  et  du  pays. 

Il  peut  circuler  comme  bon  lui  semble,  pourvu  qu'il  con- 
serve une  grande  réserve  dans  ce  qui  ressemblerait  à  des 
investigations.  Ainsi,  il  est  de  règle  que  personne,  même  avec 
sauf  conduit,  ne  peut  entrer  dans  une  place  forte  sans  autori- 
sation particulière  *.  Si  Alvise  Manenti,  envoyé  vénitien  en 
Turquie  en  1500,  entre  librement  dans  les  églises  grecques, 
pour  y  prier,  et  si  les  prêtres  lui  donnent  secrètement  des  avis 
sur  les  préparatifs  du  Grand  Seigneur,  c'est  que  les  Turcs 
eux-mêmes  affectent  de  lui  montrer  tout  le  déploiement  ter- 
rifiant de  leurs  préparatifs  6. 

1)  Commines,  ex. 

2)  «  A  bâtons  rompus,  comme  on  traite  toutes  les  affaires  ici  »  (Dépêche  de 
N.  Valori,  du  7  février  1503-4). 

3)  Rapport  d'un  amb.  milanais,  1479  (Kervyn,  Lettres  et  négociations, 
III,  52). 

4)  «  Pour  ce  dit  on  aux  sauf  conduiz  qu'ilz  n'entreront  en  ville  ne  en 
cliastcaulx  sans  avoir  congé  des  personnes  ad  ce  ayans  povoir  »  (Le  Jou- 
vencel,  II,  11). 

5)  Son  impression  est  que  c'en  est  fait  delà  chrétienté  !  LesTurcs,  se  mon- 
Irenl  dit-il,  d'ailleurs  bienveillants;  les  pires  ennemis  de  Venise  en  Turquie.ce 
sont  les  autres  italiens.  Un  pacha  lui  dit  qu'on  a  reçu  des  lettres  du  grand 
Maître  de  Rhodes,  d'un  cardinal  résident  à  Home,  d'un  prince  italien,  contre 
Venise.  Il  y  a  à  Raguse  des  ambassadeurs  d'Allemagne  et  de  Milan  qui  vien- 


264  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

L'ambassadeur  doit  suivre  partout  le  roi,  notamment  en 
campagne,  sans  aucun  souci  de  la  fatigue  ni  des  épidémies1, 
et  se  rendre  au  lieu  qu'il  ordonne1.  Si  le  prince  est  malade, 
raison  de  plus  pour  ne  pas  s'éloigner5. 

En  général,  à  la  cour  de  France,  on  se  tient  sur  la  ré- 
serve à  l'égard  des  ambassadeurs  :  on  leur  donne  des  fê- 
tes4, les  principaux  personnages  leur  offrent  de  grands  dî- 
ners de  cérémonie  s,  parfois  même  des  dîners  amicaux,  si 
les  rapports  le  comportent  *  ;  mais  l'intimité  ne  franchit 
guère  ces  limites.  Chaque  matin,  le  roi  de  France  va  à  la 
messe  ;  c'est  à  l'issue  de  cette  cérémonie  qu'on  peut  le  ren- 


nent  négocier  :  on  annonce  l'arrivée  de  hérauts  de  France...  De  toutes  parts, 
les  troupes  s'ébranlent  (Sanuto,  III,  179  et  s.,  419). 

1)  Cependant  une  ambassade  de  France,  logée  à  Ala,  où  règne  une  épidé- 
mie dont  viennent  de  mourir  le  chevaucheur  et  un  serviteur,  demande  à 
être  logée  à  Inspruck.  (1501,  Le  Glay,  Négociations,  I,  43). 

"2)  Desjardins,  Négociations,  II,  238,  306,  320,  323.  Le  Glay,  Négociations, 
I,  206-207.  Nys,  Les  origines  de  la  diplomatie,  p.  9. 

3)  Quand  le  roi  est  malade,  chacun  tire  de  son  côté,  et  s'agite,  et  pense  à 
l'avenir.  Les  ambassadeurs  sont  parfois  embarrassés  (1506.  Lettre  de  Louis 
XII,  I,  69). 

4)  Les  principaux  personnages  de  la  cour  de  France  donnent  des  dîners 
chaque  jour  en  l'honneur  des  ambassadeurs  d'Angleterre.  Pour  mieux  les 
honorer,  le  roi  fait  donner  pour  eux  une  passe  de  lances,  où  courent  M.  d'An- 
goulême,  le  frère  du  duc  de  Savoie,  divers  princes  et  le  roi  en  personne 
(juill.  1510.  Lelt.  de  Louis  XII,  I,  270). 

5)  Diners  offerts  aux  ambassadeurs  par  le  cardinal  d'Amboise,  par  Tri- 
vulce  (Sanuto,  VII,  95,  94)  :  banquet,  du  prix  de  376  liv.  14  s.  4  den.,  offert 
par  le  roi  à  l'ambassade  d'Espagne,  le  19  janvier  1493  (Portef.  Fontanieu, 
149-150)  :  diner  offert  en  1487  à  l'ambassade  de  Hongrie  chez  l'amiral  de 
Graville,  qui  fait  réparer  à  ce  propos  une  tapisserie  déchirée  (Perret,  L.  Ma- 
let de  Graville,p.91).En  1483,  le  cardinal  de  Bourbon  offre  à  l'ambassade  fla- 
mande une  moralité,  dans  sa  cour  tendue  de  superbes  tapisseries.  Malheu- 
reusement il  pleut  à  verse  sur  ces  tapisseries  (Jean  de  Royej. 

6)  «  Expédiant  la  poste,  M.  le  Chancelier  m'a  envoyé  quérir  pour  disner 
avec  luy.et  me  dire  et  communiquerce  qu'il  avoit  eu  du  Roy.»  L'ambassadeur 
lui  montre  des  dépêches  (Lettre  de  l'amb.  d'Allemagne  en  France,  24  avril 
1511.  Lett.  de  Louis  XII,  II,  181). 


MANIÈRE   D'ÊTRE   ET    CONDUITE   DES    AMBASSADEURS  265 

contrer  et  lui  parler  le  plus  facilement  '  ;  la  on  cause,  on 
apprend  des  nouvelles,  on  voit  le  roi  sans  avoir  l'air  de  le 
chercher.  Les  ambassadeurs  vont  donc  «  à  la  messe  du 
rov  \  »  Dans  une  circonstance  solennelle,  on  les  y  invite. 
Nicolas  Valori,  ambassadeur  florentin  en  France,  écrit,  le 
22  septembre  1504,  qu'il  a  été  invité,  de  très  bon  matin,  à  la 
messe  du  roi.  C'était  dans  la  chapelle  du  jardin  du  château, 
à  Blois.  Il  se  rend  d'abord  chez  le  légat,  par  respect,  et  l'ac- 
compagne à  la  messe.  Le  roi  vient,  avec  le  chancelier  et  une 
cour  nombreuse.  Tous  les  ambassadeurs  arrivent  successive- 
ment. Après  la  messe,  le  roi  entretient  une  demi-heure  les 
ambassadeurs  d'Allemagne  et  jure  sur  l'évangile,  tenu  par  le 
cardinal  d'Amboise,  l'observation  des  articles  conclus  avec 
l'archiduc3...  Louis  XI  aimait  fort  peu  à  rencontrer  les  am- 
bassadeurs, et  il  assistait  à  la  messe  derrière  une  grille  d'où 
il  voyait  sans  être  vu.  C'est  ainsi  qu'apercevant  un  jour  l'am- 
bassadeur de  Milan,  il  lui  fait  communiquer  par  Commines 
une  lettre  de  nouvelles  qui  venait  de  lui  arriver  *. 

En  France,  le  corps  diplomatique  n'est  pas  appelé  aux 
grandes  cérémonies  nationales  :  sacres,  couronnements,  ma- 
riages des  princes,  enterrements  des  rois  et  reines.  Au  sacre 
de  Louis  XI,  opéré  en  grande  pompe,  assistent  beaucoup  de 
seigneurs  étrangers  mêlés  aux  français  ;  le  légat  du  pape, 
des  prélats  étrangers  siègent  parmi  les  membres  du  clergé, 
mais  aucun  ambassadeur  n'a  rang   comme  ambassadeur  5. 

f)  Lett.  de  Louis  XII,  I,  191. 

2)  Lett.  de  Louis  XII,  II,  08.  Sanuto,  IV,  535,  849,  138o,  etc. 

3)  Publ.  par  Villari,  Dispncci  di  A.  Giusttnian,  III,  533. 

4)  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  III,  55.  Le  Pogge  raconte  que  Martin  V 
ne  put.  un  jour,  échapper  aux  importunités  d'un  ambassadeur  milanais  qu'en 
s'écriant  :  «  Ah,  que  j'ai  mal  aux  dents  !  »  et  en  fermant  brusquement  la 
porte (Facét ies,  ccxvm  ;  édition  Liseux,  II,  147). 

Ms.  fr.  4316. 


266  LA  DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Les  vassaux  remplissent  un  devoir  strict  en  assistant  person- 
nellement au  sacre  ou  en  s'y  faisant  représenter  :  le  duc  de 
Lorraine  vient  ainsi,  de  mauvaise  humeur,  à  celui  deLouis 
XII  ',  et  l'archiduc  d'Autriche  s'y  fait  représenter,  comme 
comte  de  Flandre,  par  un  mandataire  formel  et  spécial3.  De 
même,  pour  le  couronnement  d'une  reine  (que  l'on  oint,  elle 
aussi,  de  l'huile  sainte  sur  la  tête  et  à  la  poitrine 3,  et  à  qui 
le  prélat  remet  un  sceptre,  puis  la  couronne),  le  corps  di- 
plomatique n'a  pas  non  plus  à  figurer.  Le  résident  vénitien 
Dandolo  écrit,  le  7  novembre  1514,  qu'il  vient  d'assister  à 
l'onction  et  au  couronnement  de  la  reine  \  mais  sans  dire  s'il 
y  a  assisté  officiellement;  ce  qui  serait  une  innovation.6  Le 
18  mai  1514,  aucun  ambassadeur  ne  paraît  au  mariage  de 
Claude  de  France  avec  le  comte  d'Angoulême,  célébré  d'ail- 
leurs sans  apparat,  à  cause  du  deuil  de  la  cour  6.  Aucun  am- 

1)  La  légende  des  Flamens.   Belleforcst,  p.  1338. 

2)  Lettre  de  l'archiduc  Philippe  le  Beau  au  sire  de  Bavenstein,  21  mai 
(1498)  :  «  Beau  cousin,  nous  avons  t'ait  dosposeher  no/,  lettres  de  procuracion 
sur  vous,  pour,  au  prochain  sacre  cl  couronnement  de  monseigneur  le  roy, 
faire,  en  nostrenom,  les  devoirs  acoustumez  et  par  nous  deus,  comme  perde 
France,  à  cause  de  nostre  conté  de  Flandres.  Sy  vous  requérons  et  néan- 
moins ordonnons  bien  à  certes  que  ausdis  sacre  et  couronnement  veullez 
faire  lesdis  devoirs,  y  gardant  nostre  honneur,  ensemble  nostre  droit,  ainsi 
que  bien  faire  saurez,  et  que  en  vous  en  avons  la  iiance.  Et  a  tant,  beau  cou- 
sin, Nostre  Seigneur  soit  garde  de  vous.  Escript  en  nostre  ville  de  Gand,  le 
XXIe  jour  de  may.  Haneton.  Phelippe  (publ.  par  Gachard,  Analectes, 
cccxxxvn). 

3)  Fr.  17909,  fo  187  v<>. 

4)  Arch.  de  Venise. 

o)  Celte  innovation  ne  tarda  pas  à  passer  en  usage.  En  1590,  les  ambas- 
sadeurs assistent  au  couronnement  de  la  reine  Marie  de  Médicis(Favyn,ffw<.de 
Navarre;^.  1261).  En  Castille,  on  ahVeta,  par  politique,  de  rendre  les  ambas- 
sadeurs témoins  du  serment  prêté  au  nouveau  roi  Philippe  le  Beau.  L'am- 
bassadeur de  France  envoie  à  ce  sujet  un  rapport  détaillé  et  assez  caustique: 
«  Sire,  dit-il,  je  fuz  appelle  à  veoir  tout  ce  triumphe  ...  L'on  ne  vouloit  point 
desrober  ces  sermens  »  etc.  (IV.  2927,  i'«  130  et  suiv.). 

6)  Dép.de  Dandolo, 13 et  18  mai  1314  (//m/.). En  1310,  tous  les  ambassadeurs 
assistent  nu  baptême  deBenée  de  France  (Le  Ghy,  Négociations,  1,368,  note). 


MANIÈRE    D'ÊTRE  ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  267 

bassadeur  n'es!  admis  aux  obsèques  de  Charles  V,  de 
Charles  VI.  de  Charles  Vil,  de  Marie  d'Anjou,  de  Louis  XI, 
de  Charles  VIII.  d'Anne  de  Bretagne  ni  de  Louis  XII1. 

Les  ambassadeurs  ne  prennent  pas  part  davantage  aux  en- 
trées solennelles  des  rois  et  des  reines.  C'est  par  exception 
que  les  envoyés  de  Venise  et  d'Espagne,  lors  de  la  première 
entrée  de  Louis  XII  a  Tours,  en  novembre  1500.  escortent 
le  roi  à  la  cathédrale,  puis  à  son  logis  '  :  ce  procédé  n'eût  pas 
été  de  mise  à  Paris.  Dans  tous  ses  rapports  avec  la  nation,  un 
roi  de  France  ne  doit  rencontrer  que  la  nation  ou  ses  repré- 
sentants. Qu'un  étranger,  résidant  dans  le  pays,  concoure  à 
rendre  au  roi  des  honneurs  particuliers,  comme  preuve  de  sa 
reconnaissance  pour  l'hospitalité  qu'il  reçoit,  rien  de  mieux, 
mais  il  agit  alors  en  vertu  de  son  établissement  dans  le 
pays  3.  En  Bourgogne  au  contraire,  le  duc  aimait  à  se  voir 
entouré  d'ambassadeurs;  il  portait  «  fort  grand  honneur  aux 
ambassadeurs  et  gens  estrangers  »,  et  les  festoyait  fort4;  il 
aimait  à  les  rendre  témoins  de  sa  puissance  b. 

1)  Ms.  fr.  4340,  Ht 92,  4317  :  Dupuy  324,  fo  26,  etc. 

2)  Sanuto.  III,  1202. 

3)  Ms.  fr.  3887,  fo  4.  Lors  de  l'entrée  à  Bruges  de  Philippe  le  Bon  et  de 
Mme  de  Bourbon,  sa  sœur,  à  carême  prenant  \'i62,  il  n'est  pas  fait  mention 
d'ambassadeurs  ;  «  mais  plusieurs  des  nacions  aultresque  des  pais  de  mondit 
sr  demeurans  audit  Bruges»  vont  au  devant  de  lui  en  bateaux  richement  déco- 
rés. Les  Florentins  ont  deux  bateaux  couverts  d'or,  à  leurs  couleurs,  avec  leurs 
armes  et  leurs  bannières  ;  de  même  les  Ostrelins  (drap  rouge),  les  Portuga- 
loiz  (violet  et  vert),  les  Espaignoz  (pers  et  vert),  les  Escoussois  leurs  armes 
et  bannière,  les  Genevois  (Génois  dans  un  bateau  blanc  à  croix  rouges, 
avec  un  homme  armé,  représentant  Saint  Georges  ;  ce  bateau  est  monté  par 
des  hommes  vêtus  de  chemises  blanches,  semées  de  croix  rouges.  Tous  les 
bateaux  jetaient  des  fusées  de  feu. 

Commines,  1.  v,  c.  ix, 
■  i  1 169.  Il  les  fait  assister  à  la  soumission  et  à  l'humiliation  des  délégués 
de  Gand  (Beaune  et  d'Arbaumont,  Olivier  de  la  Marche,  p.  L).  A  la  cour, 
les  ambassadeurs  passent  immédiatement  après  les  princes  du  sang.  Ils  as- 
sistent aux  audiences  publiques  de  justice  (Olivier  de  la  Marche,  IV, 
P-  5;. 


268  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

Mais  le  corps  diplomatique  assiste  aux  noces  simplement 
princières  *  ou  à  des  obsèques  de  personnages  politiques. 
Adam  Moleyns,  doyen  de  Salisbury,  ambassadeur  d'Angle- 
terre à  Tours  en  1446,  officie  même  à  l'enterrement  de  Louis 
de  Bueil 3,  avec  lequel  il  négociait.  Tous  les  ambassadeurs  se 
rendent,  le  28  mai  1510,  aux  obsèques  du  cardinal  d'Am- 
boise.  Les  cordons  du  catafalque  étaient  portés  par  les  en- 
voyés d'Aragon,  de  Florence,  du  pape  et  des  Pays  Bas  ou 
Allemagne  ;  ces  agents  expriment  au  roi,  qui  se  montre  très 
affligé,  les  condoléances  de  leurs  souverains  s. 

En  Espagne  *,  en  Angleterre5,  en  Allemagne,  les  choses 
se  passent  un  peu  comme  en  France.  Maximilien  aime  médio- 
crement à  recevoir  les  ambassadeurs.  Cependant,  il  leur  offre 
des  fêtes  ;  au  carnaval  de  1501,  après  des  joutes  à  Insprùck, 
en  présence  du  seul  ambassadeur  de  Venise,  il  va  à  Ala, 
donner  aux  envoyés  de  France,  d'Espagne,  de  Flandre, 
un  bal  masqué.  Le  13  février,  premier  jour  du  carême, 
ces  fêtes  se  terminent  par  un  tournoi  à  Insprùck,  où  deux 
ambassadeurs  de  Flandre  et  un  héraut  de  France  figu- 
rent parmi  les  juges6.  Mais,  en  1504,  un  jour  que  l'ambassa- 

1)  En  1509,  les  ambassadeurs  assistent  aux  noces  de  M.  d'Alençon  et  de 
M1Ie  d'Angoulême,  sur  l'invitation  de  la  reine,  qu'ils  accompagnent.  Il  y  a 
une  querelle  de  préséance  entre  les  ambassadeurs  d'Allemagne  et  ceux  d'A- 
ragon :  ces  derniers  demandaient  qu'après  un  ambassadeur  allemand  vint  un 
ambassadeur  espagnol,  et  ainsi  de  suite.  Les  ambassadeurs  allemands  résis- 
tent avec  énergie  :  ce  serait  aller,  disent-ils,  «  per  à  per  et  compagnon  »  et  il 
n'y  a  «  nulle  comparaison  de  l'Empereur  à  leur  Roy  »...  Ils  offrent  qu'un 
seul  d'entre  eux  vienne  au  diner  ;  mais  on  reconnaît  leur  droit  (Lett.  de 
Louis  XII,  I,  306). 

2)  Escouchy,  III,  114. 

3)  Lett.  de  Louis  XII,  1,  238,  240. 

4)  Le  roi  reçoit  à  la  messe.  Sanuto,  III,  1385. 

5)  L'orateur  vénitien  est  bien  vu  en  Angleterre.  Le  roi  l'invite  à  diner  et 
lui  t'ait  des  amabilités  (lévrier  1510.  Sanuto,  X,  7)  ;  —  peu  après,  on  apprend 
la  ligue  de  l'Angleterre  avec  la  France,  contre  Venise. 

6)  Sanuto,  IV,  %\1. 


MANIÈRE    D'ÊTRE    ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  269 

deur  de  Venise  désire  lui  parler,  Maximilien  répond  simple- 
mont  qu'il  est  occupé  ;  il  faut  que  l'ambassadeur  l'accom- 
pagne dans  une  promenade  ',  et  Maximilien  ne  s'arrête 
même  pas  pour  le  recevoir  ». 

lui  Hongrie,  au  contraire,  les  ambassadeurs  font  bien 
d'assister  aux  cérémonies  nationales,  entrée  solennelle  de  la 
reine  ',  baptême  de  la  fille  du  roi  *,  obsèques  de  la  reine5,  cou- 
ronnement du  roi  6,  remise  d'un  chapeau  cardinalice  7.  Le 
jour  de  Pâques,  le  roi  de  Hongrie  se  rend  à,  la  messe  en  grand 
apparat  ;  les  ambassadeurs  se  mêlent  au  cortège  8.  Mais 
aucune  de  ces  assistances  n'est  obligatoire  ni  officielle. 

En  Italie,  les  ambassadeurs  sont  de  toutes  les  cérémonies 
et  de  toutes  les  fêtes  ;  bien  plus,  ils  y  tiennent  le  premier 
rang.   On  les  associe  aux  deuils,  aux  pompes  de  la  cour9. 

A  l'investiture  du  duc  de  Milan,  en  1495,  les  ambassadeurs 
impériaux  jouent  naturellement  le  premier  rôle  ;  ils  sont 
pompeusement  escortés.  A  côté  du  duc  de  Milan,  viennent  les 


1)  Sanuto,  V,  958. 

2)  Mais  l'orateur  de  Venise  assiste  à  l'investiture  du  nouvel  électeur  de 
Cologne,  par  l'empereur  (1507.  Sanuto,  VII,  36). 

3)  Id.,  IV,  348. 

4)  Id.,  V,  72. 

5)  Id.,  VI,  410. 

6)  ld.t  VII,  560. 

7)  Id.,  XI,  849. 

8)  Id.,  III,  288. 

9)  M.  P°  Magistretti.dans  YArch*  storicolombardo,  de  1879,  p.  685  et  suiv., 
a  donné  de  curieux  détails  sur  le  deuil  et  les  fûtes  delà  cour  de  Naples  en  1494, 
d'après  les  rapports  de  l'ambassadeur  milanais  (ennemi  de  Naples  et  cepen- 
dant présent  à  toutes  ces  fêtes).  Cf.  une  dépêche  de  l'ambassadeur  de  Milan 
à  Naples,  du  20  mars  1466, sur  la  mort  de  Fr"i»  Sforza.  «  La  cour  de  Naples 
est  tout  en  noir  et  l'ordre  est  donné  de  faire  un  service  solennel.  Hier,  jour 
où  arriva  la  nouvelle,  le  roi  n'est  pas  sorti  du  Castelnuovo,  afin  de  témoigner 
de  sa  douleur  et  de  donner  des  ordres.  Aujourd'hui,  à  la  20<*  heure,  Sa  Majesté 
avec  la  cour  entière  est  venu  faire  une  visite  de  condoléance  à  l'Illme  duchesse 
votre  fille  »  (Archivio  Sforzesco). 


270  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

ambassadeurs  d'Espagne  et  deNapleg,  et  à  coté  de  la  duchesse, 
les  deux  ambassadeurs  de  Venise  ».  Ludovic  Sforza  se  plai- 
sait même,  par  parade,  à  montrer  aux  ambassadeurs  son 
trésor  2. 

Louis  XII,  comme  duc  de  Milan,  crut  devoir  se  conformer 
à  ces  traditions.  En  1499  3,  il  fit  son  entrée  à  Milan,  escorté 
du  légat  du  pape,  des  ducs  de  Savoie  et  de  Ferrare,  des  mar- 
quis de  Mantoue  et  de  Montferrat,  et  des  ambassades  de  toute 
l'Italie,  éblouissantes  de  luxe  et  de  faste.  La  plupart  de  ces 
ambassades  avaient  cent  ou  cent  cinquante  chevaux  d'escorte. 
Les  ambassadeurs  de  Venise  marchaient  en  tête,  récoltant 
les  démonstrations  hostiles  delà  population,  puis  venaient 
les  ambassadeurs  de  Sienne,  de  Lucques,  de  Pise.  A  l'entrée 
de  1502  prirent  part,  avec  le  roi  de  Naples,  les  souverains 
de  Ferrare  et  de  Mantoue,  deux  légats,  et  toutes  les  ambas- 
sades*. 

Venise  est  la  terre  promise  des  ambassadeurs  :  à  toutes  les 
fêtes  religieuses,  ou  civiles,  le  doge  se  rend  à  S'  Marc  en 
grand  gala,  entouré  des  ambassadeurs,  le  matin  à  la  messe, 
le  soir  au\  vêpres  B  :  le  jour  de  l'an  6,  le  jour  de  la  Saint  Marc, 

1)  Sanuto,  Spedhione,  353. 

2)  Composé  de  vases  d'or  et  d'argent  estimés  -1,500,000  ducats,  sans 
compter  les  pierreries  (Guichardin,  liv.  îv,  ch.  iv).  En  France,  la  reine  Isa- 
beau  de  Bavière  avait  confié  à  Louis  de  Bavière,  en  1405,  ses  joyaux  pour 
emprunter  75,000  liv.  (J.  42(i,  n<>  28)  ;  en  1571,  les  joyaux  de  la  couronne 
n'étaient  estimés  que  567.882  liv.  (J.  947).  L'ambassadeur  de  Venise  va  voir 
les  bijoux  de  la  reine,  chez  le  roi  (lévrier  1504.  Sanuto,  V,  906). 

3)  Jean  d' Au  ton,  I,  101,  n<>  2.  Prato.  Burckard,  II,  567.  Chron.  manus- 
crite de  Léonard  Sfrenati,  à  la  Bibliothèque  de  Parme,  f°  51  t*. 

4)  Sanuto,  IV,  296. 

5)  Le  16  avril  1503,  jour  de  Pâques,  il  n'y  a  pas  de  prédicalions  a  Venise, 
à  cause  delà  peste.  Cependant  les  ambassadeurs  vont  à  l'office  avec  le  doge 
(Sanuto,  V,  17). 

6)  Bien  que  l'année  civile  commence  à  Venise  le  1er  mars,  le  premier  jour 
de  l'an  est  le  1"  janvier,  comme  en  France.  On  va  à  la  messe,  etc.  'Sanuto, 
VI,  118). 


MANIÈRE    D'ÊTRE   ET   CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  271 

aux  processions  du  Corpus  Domini,  de  San  Sydro,  à  la  Chan- 
deleur, tous  les  vendredis  de  mars,  le  1er  mai,  la  veille  et 
le  jour  delà  Sensa  (1"  juin),  quand  le  doge  va  épouser  la 
mer,  le  lîi  août,  le  8  septembre,  le  1er  novembre,  le  jour  de 
ÏW1,  les  2G  et  27  décembre,  le  jour  anniversaire  de  l'élec- 
tion du  doge,  les  ambassadeurs  entourent  le  doge,  et  mar- 
chent avant  les  patriciens.  Avec  lui,  les  ambassadeurs  pren- 
nent part  au  carnaval  '.  Chaque  année,  la  Seigneurie  de 
Venise  donne,  le  2G  février,  une  fête,  à  laquelle  assistent  les 
ambassadeurs'. 

A  ces  fêtes  réglementaires  s'ajoutent  les  grands  dîners  of- 
ferts par  le  doge  a,  ou  par  des  personnages*,  des  concerts, 
des  représentations...,  les  fêtes  extraordinaires  s,  les  enterre- 
ments6. On  choie  les  ambassadeurs,  non  seulement  en  les 
défrayant  de  tout,  mais  par  les  témoignages  de  sympathie 
personnelle  les  plus  variés  7  ;  on  affecte,  de  part  et  d'autre, 

1)  Sanuto,  VII,  751. 

2)  Kervyn,  Lettres  cl  négociations,  II,  165. 

3;  Le  doge  invite  à  diner  l'ambassadeur  de  Fiance,  avec  l'archevêque  de 
Spalato  el  des  patriciens,  "le  27  avril  1505.  L'ambassadeur  d'Espagne  s'abs- 
tient d'aller  au  conseil,  pour  ne  pas  rencontrer  l'ambassadeur  de  France 
(Sanuto  VI,  157)  :  le  27  décembre,  la  messe  est  suivie  d'un  diner  chez  le 
doge.  Diner  diplomatique  donné  par  le  doge  le  27  janvier  1507  (Sanuto, 
VI,  517). 

4)  Le  commandeur  de  Chypre  donne,  à  Venise,  un  grand  diner  à  l'orateur 
du  soudan.  Le  diner  est  suivi  d'un  concert  :  le  soir,  on  représente  une  églo- 
gue  pastorale  (1506.  Sanuto,  VI,  430). 

o)  Nov.  149o.  Les  ambassadeurs  de  tous  les  princes  d'Italie,  d'Espagne, 
d'Allemagne,  assistent,  avec  la  Sri«,  aux  grandes  fuies  de  triomphe  sur  le  Bu- 
centaure  données  en  l'honneur  du  marquis  de  Gonzague,  à  Venise  (Benedetti, 
Ilfatto  d'arme,  édon  4863,  p.  241). 

6)  Enterrement  du  professeur  M.  Ant.  Sabcllico,  à  Venise,  20  avril  1506, 
auquel  assistent  les  orateurs  de  France  et  d'Espagne  (Sanuto,  VI,  329). 

7)  Accurse  Mainier,  ambassadeur  de  France  a  Venise,  étant  grave- 
ment mala  le,  les  membres  du  gouvernement  de  Venise  vont  le  voir,  la  Sei- 
gneurie lui  envoie  des  médecins  (Sanuto,  III,  41)  :  il  devait  quilter  Venise  le 
2  janvier  1501,  pour  aller  voir  sou  pure  malade:  obligé  de  rester,  il  prie  la 
Seigneurie  d'écrire  à  son  père  une  lettre  pour  le  réconforter  (Id.,  III,  1244). 


272  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

une  grande  intimité  '.  C'est  un  assaut,  sans  trêve,  de  cordia- 
lité, de  gaieté,  de  somptuosité;  impossible  de  s'en  abstraire. 
'Le  2  octobre  1502,  à  la  messe  pour  l'anniversaire  de  l'élection 
du  doge,  l'ambassadeur  de  France  se  montre  extrêmement 
joyeux  ;  or,  il  avait  reçu,  la  veille,  la  nouvelle  de  la  mort  de 
son  père  et  avait  passé  sa  journée  dans  le  deuil1...  Le  jour  de 
Pâques  1500,  parmi  les  ambassadeurs  de  France,  de  Naples, 
de  Ferrare,  d'Urbin,  de  Rimini,  l'ambassadeur  de  Naples  se 
fait  remarquer  par  un  magnifique  costume,  tout  en  or  ;  son 
roi  allait  être  détrôné,  avec  la  connivence  de  Venise3...  Si 
un  ambassadeur  s'abstient  à  une  cérémonie,  on  se  demande 
aussitôt  pourquoi  \ 

A  Rome,  la  présence  des  ambassadeurs  forme  la  base  es- 
sentielle des  cérémonies  ;  car  Rome  appartient  à  tout  le 
monde  :  le  peuple  romain  disparait  en  quelque  sorte,  Rome 
semble  un  composé,  une  quintessence  de  toutes  les  nations, 
et  chaque  ambassadeur  représente  le  chef  d'une  nation  qui  a 
droit  de  cité  dans  la  Rome  chrétienne.  Et  puis  Rome  est, 
par  excellence,  l'école  et  pour  ainsi  dire  l'académie  de  la  di- 
plomatie. Cette  cour  si  haut  placée,  en  relations  pacifiques 
avec  tout  l'univers  connu,  cette  cour,  si  puissante  sans  ar- 
mée, si  traditionnelle,  si  immuable,  qui  gouverne  par  des 
armes  intellectuelles  ou  religieuses,  a  acquis  une  perfection 

1)  En  cas  de  bonne  nouvelle,  les  orateurs  viennent  successivement,  ail 
conseil,  protester  de  leur  joie  (Sanuto,  III,  1278). 

2)  Sanuto,  IV,  334. 

3)  Sanuto,  III,  c.  239. 

4)  L'orateur  de  France,  courroucé,  on  ne  sait  pour  quel  motif,  ne  vient  pas 
avec  le  doge  à  l'office  de  Noël  (1500).  On  lui  envoie  le  secrétaire  qui  parle 
français,  pour  le  prier  de  venir.  Il  refuse.  Le  doge  tient  alors  conseil,  et  lui 
députe  deux  patriciens,  l'un  procureur,  l'autre  simple  chevalier,  mais  vêtu 
d'or;  enfin,  l'ambassadeur  vient  avec  eux.  La  procession  part.  Après  l'office, 
le  doge  interroge  doucement  l'ambassadeur,  et  celui-ci  répond  par  quelques 
plaintes  (Sanuto,  III,  1215). 


MANIÈRE    d'ÈTKE    ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  '21',i 

d'étiquette,  un  raffinement,  une  dignité,  une  délicatesse,  un 
art  consommé  de  mise  en  scène,  une  science  des  cérémonies, 
qui  ne  se  rencontrent  nulle  part  et  que  les  autres  cours,  en 
vérité,  ne  paraissent  même  pas  soupçonner  '. 

Au  commencement  du  XVIe  siècle,  la  cour  de  Rome, 
comme  cour,  tient  incontestablement  le  premier  rang  ; 
c'est  là  qu'on  possède  le  secret  des  belles  réceptions  et  des 
beaux  dîners  diplomatiques  '.  Aucun  souverain  ne  saurait  non 
plus  se  comparer  à  Alexandre  VI  ou  à  Jules  II 3  (en  tant  que 
princes  temporels),  pour  la  puissance  intellectuelle,  la  hau- 
teur de  vues,  la  compréhension  de  tout  ce  qui  élève  l'esprit 
humain.  Ces  papes  sont  des  princes  brillants,  qui  aiment 
la  chasse,  la  pêche,  qui  adorent  l'art  sous  toutes  ses  faces  : 
Jules  II,  plein  d'une  fougue  et  d'une  énergie  entraînantes; 
Alexandre  VI,  très  calme  au  contraire,  resté  gai  et  jeune  en 
dépit  des  années.  Alexandre  a  la  passion  du  théâtre  :  au  car- 
naval de  1503,  il  fait  donner  une  comédie  publique,  à  laquelle 
assistent  beaucoup  de  cardinaux,  les  uns  en  soutane  rouge,  les 
autres  masqués;  des  femmes  entourent  le  pape,  l'une  même 
s'assied  à  ses  pieds  :  plusieurs  ambassadeurs  sont  de  la 
fête  ;  l'un  d'eux,  l'ambassadeur  de  France,  aborde  le  pape 

1)  Les  ambassadeurs  à  Rome  sont  obligés  de  connaître  à  fond  la  science  du 
cérémonial.  Paris  de  Grassis,  sous  Jules  II,  offre  au  cardinal  de  Narbonneun 
petit  compendium  de  cérémonial  de  sa  composition,  sur  les  messes  pontifi- 
cales et  cardinalices  (lat.  1004.  petit  in-4°,  31  ffs). 

2)  Le  jour  de  S'  Pierre  aux  liens  1510,  un  provéditeur  de  l'armée  véni- 
tienne, de  passage  à  Rome,  l'orateur  vénitien,  beaucoup  de  cardinaux  dinent 
chez  le  pape  (Sanuto,  XI,  Si,  52)  :  l'orateur  de  Venise  étant  à  table  avec 
Jules  11,  arrive  la  nouvelle  de  la  mort  du  Ssr  de  Pesaro.  On  la  commente 
(id.,  12).  L'ambassadeur  de  Venise  raconte  les  propos  tenus  la  veille  à  un 
grand  dincr  donné  au  Vatican  par  le  trésorier  pontifical  ;  les  uns  se  louent 
delà  ligue  contre  Venise,  d'autres  y  voient  l'esclavage  de  l'Italie  (oct.  I50i. 
Disp.  di  Giuslinian,  III,  277),  etc. 

3)  Jules  II  va  en  mer  pécher  (Sanuto,  VIII,  23).  Le  pape  revient  de  la 
chasse  (18  août  1502.  Dispacci  di  Giustinian,l,  94),  etc. 

18 


274  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

à  la  sortie  pour  lui  communiquer  une  lettre  désagréable  du 
roi:  «  co?ifetto,  qui  parut  peu  goûté  '.»  Au  carnaval  de  1501, 
l'ambassadeur  de  Venise,  seul  sur  un  balcon  avec  le  pape  qui 
regarde  passer  les  masques,  en  profite  pour  causer  *  ;  Alexan- 
dre consacre  la  journée  du  17  février  1501  à  assister  à  des  co- 
médies 3.  La  cour  de  Rome  présente  donc  un  caractère  de 
gai  té,  de  splendeur,  de  magnificence  sans  égale. 

Cependant,  à  Rome,  les  nouvelles  se  recueillent  particu- 
lièrement aux  cérémonies,  aux  services,  aux  fonctions  de  cha- 
pelle. Les  ambassadeurs  d'Allemagne  et  de  Venise  se  ren- 
contrent à  la  messe  à  Sant'Agostino,  et  échangent  des  nou- 
velles*... L'ambassadeur  de  Venise  rend  compte  d'une  im- 
portante conversation  qu'il  a  eue  avec  Jules  Orsini,  dans  l'é- 
glise de  S1  Pierre5...  On  apprend  une  nouvelle  à  un  enterre- 
ment de  cardinal 6... 

On  voit  le  pa'pe,  comme  le  roi  en  France,  au  sortir  de  sa 
messe  T. 

Les  ambassadeurs  assistent  à  toutes  les  cérémonies,  et 
certes,  elles  sont  nombreuses  !  ils  se  dédoublent  pour  y 
faire  face...  Ils  assistent  aux  grands  enterrements8,   notam- 


1)  Disp.  di  Giustinian,  I,  404. 

2)  Sanuto,  III,  1098,  1472. 

3)  Sanuto,  III,  1473. 

4)  Disp.  di  Giustinian,  III,  268. 

5)  Oct.  1503.  Villari,  Dispacci  di  Giustinian,  II,  270. 

6)  Dispacci  di  Giustinian,  I,  86. 

7)  L'ambassadeur  de  Venise  attendant  au  Vatican  le  pape,  au  sortir  de  la 
messe,  un  des  serviteurs  du  pape  le  tire  à  part  et  lui  raconte  que,  pendant  la 
nuit,  est  arrivée  une  dépêche  entièrement  chiffrée  du  légat  à  Venise,  qui  a 
été  immédiatement  déchiffrée.  II  lui  en  résume  le  contenu  (15  déc.  1504. 
Disp.  di  Giustinian,  III,  337). 

8)  Burckard,  III,  39,  133  :  le  2  mars  1501,  à  l'enterrement  du  comte  de 
la  Mirandole,  l'ambassadeur  d'Allemagne  occupe  la  place  d'honneur  (id. , 
III,  119). 


MAMÈRK    DÊTRK   ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  275 

ment  à  ceux  des  cardinaux',  lesquels  se  font  en  pompe*  :  ils 
prennent  part,  en  1506,  comme  les  cardinaux,  aux  fêtes  du 
mariage  de  la  nièce  de  Jules  II  avec  Marc  Antoine  Colonna', 
célébrées  au  Vatican'.  Au  couronnement  du  pape,  ils  jouent 
un  rôle  majeur;  c'est  eux  qui  portent  le  baldaquin,  sous 
lequel  le  pape  entre  dans  S1  Pierre  \  Le  jour  de  Pâques  1495, 
c'est  un  ambassadeur  vénitien  qui  a  l'honneur  de  tenir  la 
queue  du  pape,  à  la  sortie  du  Vatican  6.  Nous  voyons  les 
ambassadeurs  assister  à  la  fête  annuelle  du  20  avril,  en  l'hon- 
neur de  la  fondation  de  Rome,  fête  qui  consiste  en  une  messe 
et  une  représentation  théâtrale,  et  qui  donne  lieu  à  une 
grande  production  de  poètes  lauréats 7.  Si  un  personnage 
marquant  quitte  Rome  ou  y  arrive,  les  ambassadeurs  se  mê- 
lent au  cortège  des  cardinaux,  prélats,  protonotaires  ..  Le 
26  février  1500.  Alexandre  VI  fait  inviter  les  cardinaux  à  en- 
voyer leurs  maisons  au  devant  de  César  Rorgia  qui  devait 

t)  Not.  Burckard,  III,  119. 

2)  Présence  des  orateurs  à  l'enterrement  du  cardinal  deCapoue(16  août  1501. 
Burckard,  III,  160  .  Ils  étaient  invités  parle  pape;  voici  le  billet  de  faire-part: 
«  De  niandato  S.  S.  D.  N.  Pape  intimetur  singulis  RRmis  DD.  cardinalibus, 
magistro  domus  Sanctitatis  sue,  oratoribus,  et  prelatis  Romanam  curiam  se- 
quentibus,  quod,  die  crastina,  que  erit  16  presentis  mensis,  circa  horam 
duodecimam,  in  capella  b.  Marie  de  Febribus  basilice  Si  Pétri,  fient  exequie 
bone  memorie  cardinalis  Gapuani.  R^us  D.  Cardinalis  S.  Crucis  faciet  offi- 
cium,  et.  post  missam,  orationem  magister  Titus  de  Sutrio,  familiaris  cardi- 
nalis defuncti  »  (Id.,  III,  158). 

3)  Sanuto,  VI,  384. 

4)  Tout  le  corps  diplomatique  assiste  au  baptême  du  fils  de  Lucrèce  Bor- 
gia  (novembre  1499.  Burckard.  II,  576;.  Les  ambassadeurs  assistent  au  ma- 
riage de  Lucrèce  Borgia  (Gregorovius.  Lucrèce  Borgia,  édition  française,  I, 
120),  d'Angela  Lançol,  cousine  du  pape  (id..  215),  au  mariage  de  Lucrèce 
Borgia  avec  Alphonse  de  Ferrare  (p.  395). 

5)  Villari,  Dispacci  di  A.  Giuslinian,  II,  313.  Sanuto,  V,  470.  A  la  proces- 
sion de  Latran  pour  la  prise  de  possession  d'un  nouveau  pape,  les  ambassa- 
deurs portentle  dais  (Reumont.résumant  Burckard, Oiplomaùa  »Ya/ùma,i95). 

6)  Sanuto,  Spedizione,  368. 

7)  Burckard,  III,  131,  132. 


276  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

entrer  le  soir,  et  tous  les  ambassadeurs  ou  fonctionnaires  de 
la  cour  et  de  la  ville  à  s'y  rendre  en  personne.  Les  ambassa- 
deurs vont  attendre  à  cheval,  en  avant  du  pont  Milvio,  à 
environ  quatre  milles  de  Rome.  Borgia  arrivait  magnifique- 
ment, à  la  tête  de  son  armée,  entouré  d'une  foule  d'estaffiers 
et  de  trompettes.  Le  cortège  diplomatique  se  mit  en  ordre  se- 
lon l'usage,  accouplé  avec  des  prélats  :  en  tête  du  cortège, 
marchaient  le  duc  de  Bisceglie  et  le  prince  de  Squillacc,  puis 
César  entouré  de  cardinaux  ;  puis  l'archevêque  de  Raguse, 
et  l'ambassadeur  de  France  (évêque  de  Tréguier),  l'évê- 
que  de  Zamora  et  l'ambassadeur  d'Espagne,  etc.  La  discus- 
sion habituelle  de  pi'éséance  éclata  entre  les  deux  ambas- 
sadeurs de  Navarre  et  ceux  d'Angleterre  et  de  Naples. 
Vaincus,  les  envoyés  de  Navarre  quittèrent  le  cortège'... 
Les  ambassadeurs  prennent  part  aux  grands  offices  de  S' 
Pierre,  ou  de  la  chapelle  pontificale  ;  par  exemple  le  jour  de 
l'Assomption2,  au  baisementde  la  croix,  le  vendredi  saint..., 
dans  la  chapelle3,  le  samedi  saint  à  la  distribution  des 
AgnusK...  Ils  reçoivent  des  cierges0,  ils  portent  le  dais  du 

•1)  Burckard,  III,  21.  Paris  de  d'assis,  lat.  5164,  f°  86.  À  l'entrée  du  duc 
d'Urbin  en  1505,  les  ambassadeurs  font  partie  du  cortège  (Paris  de  Grassis, 
lat.  5164,  f°  112  v<>). 

2)  Burckard,  III,  399. 

3)  Id.,  111,201. 

4)  Le  13  avril  1504,  à  la  distribution  des  AgnusDei  par  le  pape,  l'orateur 
vénitien  s'étant  avancé  pour  recevoir  le  sien  sur  le  même  rang  que  le  con- 
servateur de  la  Chambre  de  Rome,  reçut  de  celui-ci  une  poussée  si  forte,  qu'il 
serait  tombé  des  marches  sans  l'intervention  du  maitredes  cérémonies.  L'am- 
bassadeur s'en  alla  sans  agnus  :  le  pape,  mis  au  courant  de  l'incident,  le  lit 
de  suite  rappeler  :  il  refusa  de  revenir,  et  dit,  assez  grossièrement,  qu'il  ne 
se  souciait  point  de  cette  cire  ;  elle  venait  de  Venise  où  il  y  en  avait  bien 
d'autres...  Le  pape  destitua  le  conservateur,  ce  qui  fit  beaucoup  de  bruit 
(Burckard,  III,  350). 

5)  A  la  messe  du  9  février  1511,  les  ambassadeurs  portent  des  cierges  : 
ceux  d'Espagne  et  de  Venise  ont  les  deux  gros,  l'envoyé  de  Florence  versé 
l'eau  (Frati,  Le  due  spedizioni  militari  di  Giulio  II,  234).  A  la  Purification 


MANIÈRE    D'ÊTRE   ET    CONDUITE    DES   AMBASSADEURS  277 

pape  '.  A  S'  Pierre,  dans  les  grandes  cérémonies, ils  ont,  avec 
les  prélats  de  la  cour,  des  sièges  spéciaux  dans  la  nef,  hors 
de  la  chapelle  2. 

Certains  jours  de  grande  fête, à  la  messe  anniversaire  du  cou- 
ronnement3, a  la  Saint  Pierre,  le  jeudi  saint,  à  Pâques,  à  Noël, 
aux  Hameaux,  le  mercredi  des  cendres,  à  la  Chandeleur,  il 
est  d'usage  que  des  personnes  de  haute  distinction  aient  l'hon- 
neur, à  la  messe  solennelle,  de  verser  de  l'eau  sur  les  mains 
du  pape;  quatre  personnes  à  la  S1  Pierre,  au  couronne- 
ment, à  Noël  et  à  Pâques,  une  seule  aux  autres  fêtes.  A 
Noël  de  l'année  1500  (1499),  par  exemple,  le  nouvel  ambas- 
sadeur d'Espagne  à  Home,  deux  français  de  passage  à  Rome 
(Louis  de  Bourbon,  comte  de  Vendôme,  et  M.  du  Bouchage), 
et  Alphonse  d'Aragon,  duc  de  Bisceglie,  reçoivent  cet  hon- 
neur* :  le  mercredi  des  cendres,  l.'iOO,  le  nouvel  ambassa- 
deur de  Naples  y  est  admis  s  ;  le  dimanche  des  rameaux, 
c'est  l'ambassadeur  de  Florence  G;  le  jour  de  Pâques,  un 
grec,  un  polonais,  un  hongrois,  un  ambassadeur  de  Naples, 
un  ambassadeur  d'Espagne7  :  à  Pâques  1501,  Carlo  Orsini, 
et  les  ambassadeurs  de  Florence,  de  Venise,  d'Espagne  :  aux 

en  1507,  à  Bologne,  les  ambassadeurs  d'Espagne,  de  France,  de  Savoie,  de 
Florence,  portent  des  cierges,  l'ambassadeur  de  France  présente  l'eau  (Frati, 
Le  due  spedizioni  militari  di  Giulio  II,  137.  138). 

1)  A  l'office  du  11  nov.  loOO,  un  ambassadeur  de  France,  d'Espagne,  de 
Venise,  et  les  trois  ambassassadeurs  d'Allemagne  portent  le  baldaquin  du 
pape,  puis  l'ambassadeur  de  Florence,  de  hauts  fonctionnaires  et  des 
princes  (Frati,  Le  due  spedizioni  militari  di  Giulio  H,  91).  Les  ambassadeurs 
de  France,  d'Espagne  et  de  Venise  portent  le  baldaquin  à  l'entrée  de 
Jules  II  à  Bologne  (tV/.). 

2)  1506.  Paris  de  Grassis,  lat.  5164,  fo  280. 

3)  Frati,  Le  due  spedizioni  militari  di  Giulio  H,  105. 

4)  Burckard,  III,  2.  Charles  VIII  l'avait  eu. 

5)  III,  23. 

6)  III,  33. 

7)  III,  37 


278  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Rameaux  de  1502,  l'ambassadeur  de  Ferrare,  à  Pâques  l'ora- 
teur de  Venise,  le  sénateur  de  Rome,  l'infant  de  Navarre,  le 
duc  de  Valentinois  :  au  couronnement  de  Pie  III  ',  les  ambas- 
sadeurs d'Allemagne  et  de  Venise...  En  1503,  à  Noël, 
quatre  ambassadeurs,  de  Lucques,  de  Ferrare,  de  Venise, 
d'Allemagne  présentent  l'eau  à  Jules  II:  l'ablution  prend  cette 
fois  une  couleur  politique.  On  varie  beaucoup  :  aux  Rameaux 
de  1504,  c'est  l'orateur  de  Venise  ;  le  jeudi  saint,  le  pre- 
mier orateur  de  Savone  :  à  Pâques,  les  orateurs  de  Venise, 
du  roi  des  Romains  et  deux  personnages  :  le  samedi  in  albis, 
l'orateur  de  Lorraine  :  à  la  Chandeleur  1505,  l'ambassadeur 
de  Venise  :  à  Pâques  1506,  les  orateurs  de  Florence,  de  Ve- 
nise, de  Pologne5:  à  la  saint  Pierre,  l'orateur  de  Portugal:  aux 
Rameaux  1506,  l'orateur  vénitien...  Cela  s'appelle  «  donner  au 
pape  la  première  eau,  la  seconde  eau...»  ou  encore  :  «  avoir  l'a- 
blution8». Sur  cette  cérémonie,  comme  sur  toute  autre,  se  gref- 
fent naturellement  les  querelles  de  préséance  *. 

Quant  aux  ambassadeurs  ecclésiastiques  *,  ils  officient  eux- 
mêmes.  Après  la  mort  d'Innocent  VIII,  un  ambassadeur  d'Es- 
pagne, évêque,  prononce  un  sermon  sur  l'élection  du  pape  c; 
le  2  novembre  1498,  le  cardinal  de  S1  Denis  officie  à  la  cha- 
pelle pontificale  et  donne  l'absoute7. 

Il  y  a  aussi  des  fêtes  relatives  aux  cardinaux,  qu'il  ne  faut 
pas  négliger.  Il  est  courtois  de  se  rendre  à  la  fête  patronale 


i)  III,  323. 

2)  Paris  de  Grassis,  lat.  5164,  f°  159  v». 

3;  Burckard,  III,  283. 

4)  III,  362. 

5)  Un  ambassadeur  ecclésiastique  ne  porte  pas  la  queue  du  pape  (Paris  de 
Grassis,  lat.  5165,  fo  316  v»), 

6)  Martène  et  Durand,  Thésaurus,  II,  c.  1768. 

7)  Burckard,  II,  499. 


MANIÈRE    D'ÊTRE    ET   CONDUITE   DES   AMBASSADEUHS  279 

de  l'église  dont  un  cardinal  porte  le  titre.  Les  ambassadeurs 
de  France  et  d'Allemagne  assistent  a  la  fête  de  S1  Vital,  par 
égards  pour  le  cardinal  do  Gtïrck,   cardinal  de  ce  titre1. 

On  va,  lorsqu'il  y  a  lieu,  au  devant  d'un  cardinal  qui  fait  son 
entrée.  A  l'arrivée  du  cardinal  d'Esté  à  Rome,  en  décembre 
1501,  Alexandre  VI,  qui  avait  plus  d'un  motif  de  désirer  lui 
être  agréable  et  plus  d'un  souvenir  à  effacer,  fit  adresser  aux 
cardinaux,  aux  ambassadeurs,  à  tous  les  personnages  ayant 
rang,  l'invitation  d'aller  à  l'avance.  La  réception  eut  lieu, 
en  effet,  devant  la  porte  du  Peuple,  avec  l'apparat  réservé 
aux  grandes  cérémonies  romaines.  Le  cardinal  entra,  ayant 
à  sa  gauebe  le  duc  de  Valentinois,  entouré  de  la  maison  du 
pape,  suivi  de  deux  de  ses  frères  :  puis  venaient  les  ambassa- 
deurs laïques  de  France  et  d'Espagne, le  gouverneur  de  Rome  et 
l'évoque  d'Andria,  les  ambassadeurs  d'Angleterre,  de  l'archi- 
duc,  de  Venise...  Toute  cette  escorte  marchait  selon  l'ha- 
bitude deux  par  deux,   un  des  personnages  venus  de  Rome 
accouplé  à  un  de  ceux  qui  accompagnaient  le  cardinal,  par 
ordre  de  préséance.  Le  cortège  se  déploya  magnifiquement 
dans  Rome.  A  la  porte  du  Vatican,  où  il  se  rendait,  le  car- 
dinal prit  congé,  en  remerciant  individuellement  chacun,  se- 
lon l'usage*. 

Enfin,  il  y  a  un  bon  nombre  de  fêtes  nationales  ou  politi- 
ques. Ces  fêtes  ont  souvent  un  caractère  officiel,  public  3. 

Le  2  mai  1498,  le  pape  fit  célébrer  un  service  funèbre  pour 
Charles  VIII  et  donna  lui-même  l'absoute,  en  présence  de 
dix  huit  cardinaux*  ;  quelques  jours  après,  le  10,  les  Français 


1)  Burckard,  II,  527. 

2)  Dianum,  III,  175,  476. 

3)  Le  24  août  1501,  le  mariage  de  Claude  de  France  est  annoncé  par  ban 
dans  Rome  (Burckard,  III,  160). 

4)  Burckard,  II,  460. 


280  LA    DIPLOMATIE    AD    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

célébrèrent  un  service  solennel,  dans  l'église  de  leur  hôpi- 
tal ;  cinq  cardinaux  y  assistèrent,  avec  des  torches  ;  un  peu 
au  dessous  de  leur  banc,  sur  le  banc  diplomatique,  prirent 
place  les  trois  ambassadeurs  d'Allemagne,  de  France,  de 
Savoie,  avec  des  cierges  :  le  vicaire  d'Ara  Cceli,  français, 
prononça  l'oraison  funèbre  ;  le  cardinal  de  S1  Denis  offrit 
ensuite  un  dîner  aux  membres  présents  de  la  cour  ponti- 
ficale l. 

Chaque  nation  possède  un  hôpital, avec  une  église  nationale*. 
En  mars  1500,  l'ambassadeur  d'Allemagne,  à  la  nouvelle 
de  la  naissance  de  Charles  d'Autriche  (le  futur  Charles  Quint), 
fait  orner  l'église  de  l'hôpital  des  Allemands  et  célébrer  une 
messe.  Le  26  février  1505,  est  célébré  à  l'église  de  l'hôpital 
des  Espagnols  un  service  extrêmement  somptueux  pour  le 
repos  de  l'âme  d'Isabelle  d'Espagne 3  :  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne conduisait  le  deuil,  avec  une  suite  de  vingt  personnes, 
en  longs  manteaux  de  deuil  ;  dix  neuf  cardinaux  y  assistèrent, 
ainsi  que  plusieurs  grands  personnages  et  les  ambassadeurs 
d'Allemagne,  de  Lucques,  de  Venise,  de  Florence.  L'ambas- 
sadeur d'Allemagne,  qui  était  évêque,  devait  même  pronon- 
cer l'oraison  funèbre,  mais  il  s'excusa  au  dernier  moment  sous 
un  prétexte  de  santé.  Les  archevêques  de  Florence,  de  Ra- 
guse,  de  Bari  et  de  Tarente  donnèrent  l'absoute4. 

La  fête  de  chaque  saint  national  provoque  aussi  une  ma- 
nifestation nationale.  L'ambassadeur  de  France,  évêque  de 

1)  Id.,  461. 

2)  La  Savoie  n'a  pas  d'établissement  spécial  ;  elle  est  considérée  comme 
une  partie  de  la  France  ;  elle  a  ses  cérémonies  à  l'église  française  et  agit  en 
tout  à  la  mode  française  (id.,  III,  152). 

3)  A  la  nouvelle  de  cette  mort,  l'orateur  d'Espagne  fit  inviter  tous  les  car- 
dinaux espagnols  à  revêtir  des  chappes  violettes,  ce  qu'ils  firent  (id.,  III, 
373). 

4)  Id.,  III,  378. 


MANIÈRE    D'ÊTRE    ET   CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  281 

Tréguier,  se  fait  un  devoir  d'assister  aux  offices  de  la  fête  de 
saint  Yves,  patron  de  la  Bretagne  ',  et  il  y  tient  la  place  d'hon- 
neur '.  Le  jour  de  la  saint  Louis,  on  célèbre  à  l'église  de  l'hô- 
pital des  Français  un  office  solennel, auquel  assistent  bon  nom- 
bre de  cardinaux5.  Le  7  décembre,  a  lieu  à  l'église  de  l'hôpi- 
tal des  Lombards  la  fête  de  saint  Ambroise:  le  cardinal  de  San 
Severinos'y  rend,  comme  lombard*.  Le  jour  de  saint  Jacques, 
1508,  le  pape  offre  aux  ambassadeurs  de  Castille  une  messe 
solennelle,  puis  les  invite  à  diner  avec  les  cardinaux  pa- 
latins 5. 

L'ambassadeur  a  soin  de  rehausser  par  son  concours  les 
distinctions  accordées  à  ses  nationaux.  Quand  le  célèbre  Bur- 
ckard,  nommé  évêque,  se  rend  officiellement  au  Vatican, 
pour  remercier  Jules  II,  il  chevauche,  ayant  à  sa  droite  l'am- 
bassadeur allemand,  à  gauche  l'évêque  de  Castres;  cinq  évo- 
ques, les  orateurs  de  Bamberg,  et  une  troupe  d'amis  l'escor- 
tent6. Lorsque  le  cardinal  d'Albret  vient  recevoir  la  pourpre 
(mars  1502),  l'évêque  de  Tréguier,  ambassadeur  de  France, 
et  l'ambassadeur  laïque  vont  au  devant  de  lui  jusqu'au  pont 
Milvio.  le  terme  classique  '. 

Il  y  a  enfin  des  cérémonies  solennelles,  d'ordre  à  la  fois 
religieux  et  politique,  où  les  ambassadeurs  jouent  un  rôle  ma- 
jeur 8.  Ces  cérémonies  ont  trait  surtout  aux  questions  de  croi- 

t)  Les  22  et  23  mai  1499,  l'évêque  de  Tréguier,  encore  ambassadeur  spé- 
cial de  la  reine,  officie  pontificalement  à  l'église  S1  Yves,  de  l'hôpital  de 
Bretagne.  L'ambassadeur  de  France,  le  cardinal  de  Gùrck,  plusieurs  autres  y 
assistent  (id.,  II,  531). 

2)  H.,  137. 

3)  En  1501,  14.  Burckard,  III,  161. 

4)  III,  224, 

5)  Sanuto,  VII,  599. 

6)  Burckard,  III.  310. 

7)  Diavium,  III,  198. 

8)  Jules  II  rehaussa  par  un  cérémonial  un  peu  théâtral  la  levée  de  l'ex- 
communication contre  Venise.  C'est  à  S1  Pierre,  au  milieu  des  cardinaux  et 


282  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

sade.  Chaque  année,  le  3  mai,  les  cardinaux  et  les  ambassa- 
deurs assistent  à  la  fête  de  la  Sainte  Croix,  dans  l'église  Sainte 
Croix  de  Jérusalem1.  Le  jour  de  la  Pentecôte  1501,  à  l'office 
pontifical  solennel,  l'évêque  de  Césène  monte  en  chaire  et 
prononce  un  discours  pour  annoncer  l'alliance  conclue  entre 
le  pape,  Venise  et  la  Hongrie  contre  les  Turcs.  On  chante  en- 
suite le  Te  Deum,  et  le  pape  dit  les  oraisons  prévues  par  le 
rituel  pour  cette  circonstance  *  :  le  soir,  la  grande  cloche  du 
Capitole  sonne,  des  feux  s'allument  dans  les  carrefours;  puis, 
on  proclame  une  amnistie  pour  les  criminels 8.  A  l'office  pon- 
tifical des  vigiles  de  l'Ascension  en  1502,  on  prêche  sur  la 
guerre  contre  le  roi  de  Perse  \ 

En  1505,  sur  la  nouvelle  de  la  prise  de  Mers-el-Kébir  par 
l'Espagne,  l'ambassadeur  et  les  cardinaux  espagnols  deman- 
dent au  pape  un  Te  Deum  et  une  messe  solennelle  :  mais, 


d'une  foule  considérable,  que  le  pape,  assis  sur  une  estrade  élevée  pour  la 
circonstance,  admit  les  ambassadeurs  au  baisement  des  pieds,  après  deux 
agenouillements.  Les  ambassadeurs  étant  toujours  à  genoux,  l'un  d'eux,  en 
bons  termes,  sollicita  l'absolution  et  la  bénédiction  du  pape  :  puis  un  secré- 
taire du  pape  lut,  à  voix  très  basse,  le  texte  de  l'accord  passé  avec  Venise. 
Après  cette  lecture  qui  dura  plus  d'une,  heure,  les  ambassadeurs  jurèrent 
l'observation  du  traité,  avec  quelques  paroles  de  circonstance,  reçurent  la 
bénédiction  et  baisèrent  le  pied  et  la  main  du  pontife.  Ensuite,  on  les  fit 
passer  dans  le  local  du  pénitencier,  d'où,  après  quelques  dévolions,  ils  vin- 
rent dans  lachapelle  dite  du  pape  Sixte  (Sixtine),  où  ils  entendirent  une  messe 
solennelle.  Pendant  ce  temps,  Jules  II,  selon  son  usage  de  ne  jamais  assister 
aux  longs  offices,  rentrait  dans  ses  appartements.  Après  la  messe,  les  ambas- 
sadeurs retrouvèrent  leurs  chevaux  au  pied  de  l'escalier  de  S'  Pierre,  et  toute 
la  maison  du  pape  leur  fit  un  pompeux  cortège,  ainsi  qu'un  grand  nombre 
de  cardinaux.  Le  peuple  romain,  toujours  enthousiaste,  témoigna  son  allé- 
gresse. Comme  œuvre  de  pénitence,  les  ambassadeurs  durent  visiter  plu- 
sieurs églises  (24  février  1510.  Sanuto,  X,  9-11). 

1)  Burckard,  II,  529. 

2)  Diarium,  III,  141, 

3)  141. 

4)  III,  205. 


MANIÈRE   D'ÊTRE   ET   CONDUITE   DES   AMBASSADEURS  283 

comme  cette  prise  avait  peu  d'importance,  on  se  contente  d'un 
Te  Deimi  et  d'une  procession1. 

Les  cérémonies,  surfout  à  Rome,  engendrent  une  plaie  ;  les 
querelles  incessantes  de  préséance,  qui  naissent  à.  tout  pro- 
pos, sous  toutes  les  formes,  dans  les  questions  les  plus  clai- 
res .  Les  préséances  constituent  la  plus  grosse  préoccupation 
des  petites  légations. 

A  l'entrée  de  l'ambassade  d'obédience  du  Portugal,  le  1" 
juin  1505,  l'ambassadeur  ordinaire  de  Portugal,  qui  doit  cé- 
der le  pas  aux  nouveaux  ambassadeurs,  s'obstine  à  ne  le  cé- 
der qu'au  ebef  de  la  nouveDe  ambassade  et  à  passer  le  se- 
cond :  il  allègue  la  volonté  du  roi  de  Portugal...  Au  même 
moment,  une  dispute  éclate  entre  deux  ambassadeurs  fran- 
çais, Guibé  et  Michel  Riz,  et  le  chef  de  l'ambassade  espa- 
gnole :  à  Rome,  la  France  passe  immédiatement  après  l'em- 
pire, mais  l'espagnol  ne  voulait,  ici,  céder  le  pas  qu'au  chef 
de  l'ambassade  française.  L'ambassadeur  espagnol  était  fort 
peu  aimé  :  des  deux  maîtres  des  cérémonies,  l'un  se  fait  un 
mabn  plaisir  de  le  laisser  s'engager,  l'autre  perd  la  tête  et 
court  au  château  S'  Ange  raconter  l'aventure  à  Jules  II,  qui 
éclate  de  colère.  Pendant  ce  temps,  les  ambassadeurs  en  vien- 
nent aux  mains  ;  ils  se  frappent  de  leurs  chapeaux  ;  ils  allaient 
tirer  leurs  armes,  quand  le  duc  d'Urbin  réussit  à  les  séparer. 
On  s'arrange  en  plaçant  sur  le  même  rang  les  ambassadeurs 
ordinaires  de  France  et  l'ambassadeur  d'Espagne  '-,  contraire- 
ment à  toutes  les  règles. 
En  décembre  1501 ,  les  ambassadeurs  de  Venise  et  de  Savoie, 


i)  Quelques  cardinaux  espagnols  y  étant  venus  en  violet  (en  deuil),  le 
pape  les  en  reprit  (id.,  III,  403.  Cf.  Paris  de  Grassis,  lat.  5164,  N  254-255). 
Cf.  Messe  pour  la  victoire  du  roi  de  Portugal  contre  les  Maures  (déc.  1507. 
Paris  de  Grassis,  lat.  5165,  f°  399). 

2)  Burckard.  Paris  de  Grassis. 


284  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

qui  se  rencontrent  dans  une  commune  attente  d'audience  du 
pape,  se  disputent  à  qui  passera  le  premier  et  en  viennent 
aux  gros  mots.  L'ambassadeur  vénitien  s'exclame  contre  ce 
réprésentant  d'un  duché  de  fraîche  date  qui  ne  veut  pas  lui 
céder  le  pas,  à  lui  représentant  du  800°  duc  (ou  doge)  de  Ve- 
nise !  Le  pape  leur  fait  dire  de  revenir  chacun  un  jour  diffé- 
rent, et  donne  tort  à  l'ambassadeur  de  Savoie  '. 

En  1504,  un  ambassadeur  de  Ferrare,  protonotaire,  cause 
mille  embarras  ;  ses  prétentions  sont  le  casse-tête  des  maîtres 
des  cérémonies  *. 

Les  questions  de  préséances  et  de  droits  prennent  souvent 
le  caractère  le  plus  futile,  surtout  chez  des  ambassadeurs  peu 
rompus  aux  usages.  Ainsi  l'envoyé  lithuanien  à  Rome,  en 
1501,  reçu  avec  honneur  par  le  pape  qui  l'embrasse  et  le  fait 
protonotaire,  arrive  à  la  chapelle  papale,  en  grand  costume, sa 
queue  portée  par  des  prélats,  et  réclame  contre  le  rang 
qu'on  lui  attribue  :  bien  plus,  il  se  met  en  colère,  parce  qu'on 
ne  permet  pas  à  son  groom,  âgé  de  douze  ans,  de  s'asseoir  à 
ses  pieds  pendant  la  fonction  s.  A  Venise,  les  ambassadeurs 
de  Russie  prétendent  le  pas  sur  l'ambassade  de  France,  à  la 
procession  du  1er  mai  1500  :  on  ne  les  invite  pas v.  Malgré  tous 
les  soins  possibles,  on  ne  saurait  éviter  tous  les  froissements. 

A  un  dîner  offert  par  le  maréchal  ïrivulce  à  Milan  en  1507, 
on  dit  au  duc  de  Savoie  que  les  ambassadeurs  de  Venise  ré- 
clament la  préséance  sur  lui  :  aussitôt  il  part,  et  les  ambassa- 
deurs aussi 5. 

L'ambassadeur  de  France  est  invité  à  Westminster  au  jeu 


4)  Burckard,  111,474,  472:  cf.  447-148. 

2)  Burckard. 

3)  Burckard. 

4)  Sanuto,  III,  278. 

5)  Sanuto,  VU,  95. 


MANIÈRE   D'ÊTRE   ET   CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  285 

de  Vanneau  ;  comme  on  ne  lui  a  pas  gardé  de  place,  il  prend 
congé  en  courroux.  Le  roi  lui  fait  donner  un  coussin  pour  s'as- 
seoir !. 

Los  préséances  résultent,  avant  tout,  de  l'usage  et  de  la 
possession.  Les  jurisconsultes  prétendent  les  fixer  par  la  qua- 
lité du  pays;  d'après  eux,  l'ambassadeur  d'un  grand  prince 
précéderait  celui  d'une  inoindre  puissance  ',  mais  on  ne  voit 
pas  comment  une  telle  théorie  s'appliquerait.  En  pratique,  la 
préséance  ne  tient  ni  à  la  puissance  des  Etats,  ni  à  la  person- 
nalité des  ambassadeurs,  mais  au  fait  acquis,  ou,  si  l'on  veut 
un  principe  plus  élevé,  à  l'ancienneté  des  royaumes  3.  Les  am- 
bassadeurs marchent  au  premier  rang,  aussitôt  après  le  sou- 
verain* ;  ils  se  placent  à  droite,  puis  à  gauche,  alternative- 
ment. La  première  place  à  gauche  est  plus  honorable  que  la 
seconde  à  droite 5;  cependant,  quand  on  est  assis,  dans  un  ban- 
quet par  exemple,  Olivier  de  la  Marche  estime  qu'il  convient 
de  placer  tous  les  ambassadeurs,  à  une  table  à  part,  à  droite 
du  souverain  6.  Les  membres  d'une  même  ambassade  se  pla- 
cent par  rang  d'âge,  mais  une  ambassade  est  indivisible, 
parce  que  chacun  de  ses  membres  représente  la  personne  du 
souverain7.  Ainsi  le  chef  de  l'ambassade  classée  la  seconde 
passe  après  le  dernier  membre  de  la  première  8;  maislesmem- 

1)  Août  1509.  Sanuto.IX,  149. 

2)  Martini  Laudensis,  De  legatis  maxime  principum,  q.  27,  citant  des 
gloses. 

3)  .Kneas  Silvius,  De  gestis  Basil,  concilii,  lib.  n:  «  Namque  istum  (ortli- 
nem)  neque  nobilitas,  neque  majoritas,  sed  tempus  peperit.  Quia  ut  quaeque 
natio  verbum  Dei  prius  suscepit,  sic  prior  babetur  »  (cité  ms.  lat.  9809). 

4)  Olivier  de  la  Marche,  IV,  162,  184,  186,  189. 

5)  Jacq.  deValdes,  De  dignitate  Regum  Hispanix  et  honnorutiori  loco  ei$ 
debito,  cap.  3,  no  3. 

6)  IV,  175. 

7)  Lett.  de  Louis  XII,  I,  206. 

8)  En  1505,  à  l'entrée  de  l'ambassade  de  Portugal,  l'ambassadeur  espagnol 
veut  se  placer  après  le  premier  ambassadeur  français,  avant  les  deux  autres 


286  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

bres  de  l'ambassade  en  honneur  ont  seuls  droit  à  un  rang  ». 
Les  ambassadeurs  n'admettent  avec  eux  dans  un  cortège 
que  les  princes  du  sang  2  ;  toutefois,  ils  laissent  le  pas  aux  car- 
dinaux 3.  Une  question  plus  délicate  se  présente  pour  les  pré- 
séances, entre  un  ambassadeur  et  un  prince  présent  en  per- 
sonne. On  a  discuté  sur  ce  cas*:  en  fait,  il  n'y  a  point  de 
doute  ;  qu'un  prince  soit  présent  dans  sa  personne  ou  dans  la 
personne  de  ses  ambassadeurs,  la  préséance  ne  change  pas, 

français.  Il  s'en  suit  un  tumulte,  un  scandale:  sans  l'intervention  énergique  du 
duc  d'Urbin,  on  en  venait  aux  armes.  Burckard  finit  par  négocier  un  arran- 
gement. Le  premier  ambassadeur  d'Espagne  marche  au  second  rang,  avec  les 
deux  autres  français  et  à  leur  droite:  arrangement  que  tout  le  monde  blâme 
(Paris  de  Grassis,  lat.8164,  f»  193). 

1)  Les  anciens  ambassadeurs  qui  vont  au-devant  des  nouveaux  ambassa- 
deurs de  leur  pays  n'ont  pas  droit  à  un  rang  spécial ,  selon  Paris  de  Grassis 
(1511.  Prati,  Le  due  spedizioni  militari di  Giulio  II,  264). 

2)  Cependant  cette  étiquette  cède  quelquefois.  En  décembre  1499,  le  pape 
fait  placer  le  comte  de  Vendôme  et  le  sire  du  Bouchage,  l'un  parent,  l'autre 
conseiller  intime  de  Louis  XII,  entre  lui  et  les  cardinaux  :  chose  fort  peu 
convenable,  mais  que  les  cardinaux  comprirent  à  merveille  (Burckard,  II, 
581).  Au  concile  de  Latran,  le  sénateur  de  Borne  passe  entre  les  ambassa- 
deurs de  l'empire  et  ceux  de  France  (15i3.Labbe,  Concilia,  XIX,  862).  L'en- 
trée des  ambassadeurs  de  France  en  1505  donne  lieu  à  mille  difficultés  de 
préséances.  Burckard  place  à  tort  le  sénateur  de  Borne  avant  eux;  au  lieu  de 
mettre  le  prince  de  Salerne  à  droite  d'un  des  ambassadeurs,  avec  un  prélat 
à  gauche,  Burckard  le  met  en  avant,  avec  le  sénateur:  le  prince  offensé  quitte 
le  cortège.  Burckard  chasse  à  tort  de  leur  place  les  ambassadeurs  de  Rhodes 
à  qui  le  pape  a  donné  rang.  Le  héraut  français  refuse  de  se  joindre  aux  mas- 
siers,  et  marche  seul  après  eux.  L'évêque  de  Redon,  assistant  pontifical  et 
ancien  ambassadeur,  n'est  classé  que  second  dans  les  pouvoirs.  Il  déclare 
qu'il  passera  seulement  le  troisième.  Le  maître  des  cérémonies  interpelle  les 
autres  ambassadeurs,  qui  sont  d'avis  de  lui  maintenir  le  second  rang  (Paris  de 
Grassis,  lat.  5164,  fos  167  v°,  168  v<>).  Sur  la  difficulté  perpétuelle  de  pré- 
séance entre  le  sénateur  et  les  ambassadeurs,  V.  Reumont,  Diplomazia  ita- 
liana,  198. 

3)  Sanuto,  VII,  83.  Au  consistoire  ad  osculum  pape  et  cardinalium  des 
nouveaux  cardinaux,  l'évoque  de  Redon,  l'un  d'eux,  prétend  passer  le  pre- 
mier comme  ambassadeur  de  France,  mais  on  ne  le  lui  permet  pas  (12  déc. 
1505.  Paris  de  Grassis,  lat.  5164,  fo  219). 

4)  Vanherden,  Grundveste  des  heiligen  Rœmischen  Reichs,  p.  u,  ch.  5. 


MANIÈRE    D'ÊTHE    ET   CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  287 

parce  qu'elle  n'est  pas  personnelle  '.  Quant  aux  hérauts  qui 
accompagnent  une  ambassade,  on  leur  donne  rang  avec  les 
massiers,  malgré  leurs  réclamations  *. 

L'ambassadeur  du  pape  passe  partout  le  premier,  puis 
vient  l'empire  ',  puis  la  France  *,  puis  l'Espagne  5.  Parmi 
les  ambassades  italiennes,  Venise  prend  toujours  le  premier 
rang  6,  en  dépit  des  ardentes  disputes  de  la  Savoie  et  de  Flo- 
rence 8  :  Naples  prétend  aussi  à    la  primauté.  A    l'entrée   de 

1)  Entrées  de  Louis  XII  à  Milan. 

S)  A  l'obédience  de  l'ambassade  de  France  à  Jules  II  en  1505,  le  maitre 
des  cérémonies  place  un  massier  du  pape  à  droite  du  héraut  de  l'ambassade, 
et  les  deux  autres  massiers  derrière:  le  héraut  n'est  pas  satisfait,  «  sed  audivi 
a  peritisquod  sic  faciendum  esset  »  (Paris  de  Grassis,  lat.  5164,  f°  169).  On 
place  de  même  un  héraut  attaché  à  l'ambassade  de  Portugal  (irf.,  fJ  192). 

3)  Cependant  à  Bude,  en  t.'>09,  lors  de  l'ambassade  d'Hélien,  les  envoyés 
impériaux  cédèrent  le  pas  aux  Français,  selon  M.  le  docteur  Fraknoï  (oavr. 
cité).  Les  ambassadeurs  de  France  passent  avant  les  impériaux  agissant 
comme  tuteurs  de  l'archiduc    Paris  de  Grassis,  lat.  5165,  f"  606,  619). 

4)  En  1513-1515,  au  concile  de  Latran,  Louis  Forbin,  seigneur  de  Soliers, 
conseiller  au  parlement  de  Provence,  ambassadeur  de  Louis  XII,  précède  les 
ambassadeurs  d'Espagne.  Le  12  mars  1514,  à  l'entrée  solennelle  à  Rome  des 
ambassadeurs  d'Emanuel,  roi  de  Portugal,  pour  l'obédience  à  Léon  X,  l'am- 
bassadeur de  l'empereur  marche  au  deuxième  rang,  celui  de  Louis  XII  au 
troisième.  Cf.  Jean  d'Aulon,  t.  I,  101  n.  -2.  Sanuto,  VU,  498,  47,  III,  632,  etc. 

5)  Lorsque  Philippe  le  Beau  devient  roi  de  Castille  et  de  Léon, on  se  demande 
à  Rome  si  ses  ambassadeurs  auront  ou  non  le  pas  sur  ceux  d'Aragon.  Le  pape 
consulté  n'émet  pas  d'avis  et  déclare  s'en  rapporter  à  l'usage.  Le  maitre  des 
cérémonies  décide  de  donner  le  pas  à  la  Castille;  mais,  par  bonheur,  les  am. 
bassadeurs  se  sont  entendus  entre  eux  (Paris  de  Grassis,  lat.  5164,  fo  362). 

6;  A  Rome,  on  fait,  en  chapelle,  une  distinction  entre  les  ambassadeurs 
royaux  et  non  royaux.  Les  hauts  fonctionnaires  de  Rome  prétendent  passer 
avant  ces  derniers  (notamment  avant  l'envoyé  vénitien).  11  se  produit  à  ce 
sujet  un  scandale  la  veille  de  la  Toussaint  1505  (Paris  de  Grassis,  lat. 
5164,  fo  256). 

7;  Les  discussions  de  préséance  entre  ambassades  italiennes  sont  perpé- 
tuelles. V.  la  discussion  entre  les  ambassadeurs  de  Bologne  et  de  Lucques 
(Frati,  Le  due  spedizioni  militari  di  Giulio  II,  211),  de  Venise  et  de  Savoie 
(id.,  137),  de  Sienne  et  de  Bologne  Paris  de  Grassis,  lat.  5165,  P>«  399,  411)  : 
à  une  cérémonie  en  1507,  «  orator  ducis  Ferrariae  protonotharius  voluit 
oralores  Januenses  pra'cedere,  sed  illi  recesserunt  et  bene,  ne  indebite  irent  » 
(Paris  de  Grassis,  lat.  5165,  f»  317). 


288  LA  DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Louis  XII  à  Milan  en  1499,  l'ambassade  de  Florence  s'abs- 
tient de  paraître,  parce  qu'on  lui  a  assigné  sa  place  après 
Gênes  '.  A  Milan,  pour  le  mariage  de  Galéas  Sforza,  en  1489, 
le  duc  de  Milan  prend  place  au  milieu  du  chœur,  entre  deux 
tribunes  :  dans  la  tribune  de  droite,  se  trouvent  les  ambas- 
sadeurs du  pape,  de  Venise,  de  Ferrare,  et  Ludovic  Sforza; 
à  gauche,  les  ambassadeurs  de  Hongrie,  de  Florence,,  Phi- 
lippe Sforza  Visconti,  le  marquis  Hermès  Sforza  ;  ce  qui  re- 
vient à  l'ordre  suivant  :  Le  pape,  la  Hongrie,  Venise,  Fer- 
rare,  puis  les  membres  de  la  famille  ducale  s. 

Quelquefois  les  questions  de  proséance  se  greffent  sur  de 
délicates  questions  politiques.  En  1499,  les  ambassadeurs 
d'obédience  envoyés  spécialement  à  Rome  pour  la  Bretagne 
par  la  reine  Anne  de  Bretagne,  causèrent  un  grave  embarras. 
On  décida  de  les  placer  immédiatement  après  les  ambassa- 
deurs de  France.  On  les  faisait  ainsi  passer  avant  les  ambas- 
sadeurs d'Espagne  et  d'Angleterre.  L'ambassadeur  d'Espagne 
refusa  de  se  soumettre  à  leur  préséance  ;  il  quitta  bruyam- 
ment la  première  cérémonie  où  la  question  se  posa  s  et  refusa 
de  se  rendre  aux  autres*.  Deux  mois  plus  tard,  en  mai,  l'é- 
vêque  de  Tréguier,  pour  mettre  fin  aune  situation  un  peu 
fausse,  accepta,  dans  une  cérémonie,  de  passer  après  l'am- 
bassadeur d'Angleterre.  Le  pape  s'en  aperçut  et,  à  la  sor- 
tie, ordonna  que  le  fait  ne  se  reproduisit  pas  3.  Louis  XII  ré- 
gla cette  délicate  situation  en  instituant  l'évêque  de  Tré- 
guier ambassadeur  de  France,  et  l'ambassade  bretonne  dis- 
parut ainsi  :  l'évêque  de  Tréguier,  avec  le  titre  de  procureur 

1)  Chroniq.  inédite  de  Léonard  Sfrenali,  à   la  Bibl.de  Parme,  f°  51  r°.  Cf. 
Prato. 

2)  Rel.  contemporaine  (Archivio  Sforzesco). 
3)Burckard,  II,  510,511,513. 

i)Id.,  519. 
5)  ld.,  531. 


MANIÈRE    DÈTRE    ET   CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  289 

du  roi  en  cour  de  Rome, fut  agrégé  à  l'ambassade  d'obédience 
du  roi  en  février  loOO,  et  lit,  depuis  lors,  fonction  de  premier 
ambassadeur  '. 

Des  difficultés  analogues  se  présentèrent  à  Rome  pour  les 
ambassades  de  Rbodes  et  de  Rologne,  toutes  deux  sujettes  du 
pape  s. 

A  Rome,  le  règlement  des  cérémonies  et  des  préséances  ap- 
partient aux  maîtres  des  cérémonies3,  et  fait  l'objet  d'une 
science  approfondie  '.  Mais  la  première  science  d'un  ambassa- 
deur, là  comme  partout,  consiste  à  esquiver  prudemment  les 
difficultés,  et  à  se  rendre  agréable  ;  la  matière  de  préséance 
se  résume  dans  la  nécessité  de  beaucoup  de  prudence  en 
même  temps  que  de  fermeté. 

1)  II,  514  n.  2.  Cf.  II,  53.  Cependant  il  ne  tarda  pas  à  être  réduit  au  rôlede 
2«  ambassadeur,  au  nouvel  élonnement  de  Rome.  Il  s'en  tira  en  demandant 
à  ne  passer  que  le  troisième  à  l'obédience  de  Jules  II,  par  déférence  envers 
un  ambassadeur  laïque  qu'il  laisserait  passer  le  second  (Paris  de  Grassis,  lat. 
5164,  fo  169). 

2)  Pie  III  autorisa  finalement  et  Jules  II  décida  que  l'envoyé  du  Grand 
maitre  de  Rhodes  prendrait  place  après  les  autres  ambassadeurs  laïques 
(1506.  Burckard,  III,  419  :  Paris  de  Grassis,  lat.  5164,  fes  39,  51  vo,  75  vo; 
cf.  fr  93).  Il  y  eut  à  cet  égard  une  démarche  des  cardinaux,  et  une  invocation 
des  précédents.  L'orateur  de  Bologne  obtint  de  prendre  place  après  celui  de 
Rhodes  (Paris  de  Grassis,  fos  78,  94  V). 

3)  Paris  de  Grassis  s'irrite  de  voir  de  nouveaux  ambassadeurs  prendre 
spontanément  place  à  la  chapelle,  sans  lui  en  avoir  référé.  Cependant  il  leur 
faitbon  visage,  et  leur  offre  même  l'encens  et  la  Paix(1519.  Frati,Le  due  spe- 
dizioni  militari  di  Giulioll,  219).  A  la  messe  de  l'Ascension  1507,  Paris  de 
Grassis,  voyant  arriver  le  nouvel  ambassadeur  de  Bologne  dont  le  pape  ne  lui 
a  pas  parlé,  le  prie  de  se  retirer  :  celui-ci  riposte  qu'il  s'en  ira  bien  volon- 
tiers (Paris  de  Grassis,  lat.  5165,  f°325). 

4)  Il  y  a  un  Liber  ceremoniarum,  dont  certains  cardinaux  indiquent  prèsde 
Pie  III  le  titre  De  Ordine  sedendi,  en  faveur  des  ambassadeurs  de  Rhodes  (Pa- 
ris de  Grassis,  lat.  5164,  fo  75  vo).  Chaque  maitre  des  cérémonies  est  tenu, 
en  outre,  de  rédiger,  jour  par  jour,  un  Diaùe  ou  registre  de  tout  ce  qui  se 
fait  (id.,  fo  1  v°):  c'est  ainsi  que  nous  avons  les  Diaires  de  Burckard  et  de 
•Jrassis  (Cf.  ms.  ital.  143). 

19 


290  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

3°  L'ambassadeur  doit  donner  à  sa  maison  un  caractère 
particulier:  sans  déployer  un  luxe  choquant,  il  veillera  sur  sa 
tenue  et  celle  de  ses  gens  ;  c'est  faire  acte  de  convenance*. 
A  une  réception  du  doge  de  Venise,  le  27  décembre  1500,  on 
remarque  fort  le  costume  de  l'ambassadeur  de  Naples  :  un 
très  beau  manteau  d'or  avec  des  agrafes  de  diamant  *.  Le 
28  décembre  1502,  l'ambassadeur  d'Espagne  vient  au  con- 
seil de  Venise  en  habit  à  la  mode,  c'est-à-dire  à  la  fran- 
çaise. Le  doge  rit,  et  lui  dit  :  «  Magnifique  orateur,  vous  voilà 
habillé  à  la  française  ?  —  Certes,  riposte  l'ambassadeur,  je  ne 
garde  rien  de  français  à  l'intérieur,  tout  est  en  dehors  ».  Il  de- 
mande s'il  y  a  quelque  nouvelle,  et  disparait  aussitôt 3. 

L'ambassadeur  choisira  de  préférence  son  logement  dans 
la  maison  d'un  national  ou  d'un  ami  '*,  et  il  y  tiendra  table 
ouverte  5.  Il  aura  soin  de  se  montrer  homme  de  goût,  littéra- 
teur, artiste.  La  plupart  du  temps,  rien  de  plus  facile,  et  l'am- 
bassadeur trouve  un  avantage  inappréciable  à  se  reposer  de 
ses  soucis  dans  d'agréables  occupations0.  La  réputation  de  con- 
naisseur lui  assurera,  de  suite  d'utiles  amitiés  même  auprès 

1)  Allegationes  Vincentïi  (Rigault),  Paris,  1512,  fo  xxvi  v°.  «  Non  débet 
aliquis  princeps  mittere  aliquem  ad  alium  cum  veste  ignominiosa,  secun- 
dum  Bartolum,  In  Lege  Julia,  §  de  vi  publica.  » 

2)  Sanuto,  III,  c.  1227. 
3)Sanuto,  IV,  571. 

4)  Jules  Orsini.  et  l'archevêque  de  Nicosie,  filleul  du  comte  Pitigliano,  of- 
frent à  l'ambassadeur  vénitien  leurs  maisons  de  Monte  Giordano,  pour  loger 
l'ambassade  vénitienne  d'obédience  qui  est  annoncée  (mars  1H05.  Disp.  di 
Giustinian,  III,  448).  Il  n'en  est  pas  toujours  ainsi.  L'ambassadeur  d'Espagne 
à  Londres,  en  1498,  vivait,  pour  deux  pence  par  jour,  dans  une  auberge  mi- 
sérable, où  il  partageait  ses  repas  avec  des  femmes  de  mauvaise  vie  et  des 
maçons  (Nys,  Les  origines  de  la  diplomatie,  p.  24).  Un  décret  florentin,  du 
9  mars  1430  anc.  st.,  défend  aux  ambassadeurs  de  vivre  parcimonieusement, 
pour  économiser  leur  traitement,  et  s'élève  contre  les  citoyens  qui  briguent  les 
charges  publiques  par  amour  de  l'argent  (Arcb.  de  Florence,  Legazioni  e 
Gommissarie,  reg.  1). 

5)  Dépêche  citée  par  M.  Nys,  p.  12. 

(i)  V.  plus  haut,  ce  que  nous  avons  dit  du  Choix  des  ambassadeurs. 


MANIÈRE    D'ÊTRE    ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS     .         291 

des  hommes  politiques.    L'ambassadeur  vénitien  en  France 
Condolmeri,   ayant  besoin  d'importants  renseignements,  va 
droit   chez  lé  chancelier,    «  avec  lequel,  dit-il.  j'ai  été,  dès 
mon   arrivée,   en  termes  de    bonne  amitié,   parce  qu'il  aime 
beaucoup  les  études  d'humanités  studii  de  humanità)  »  '.  A 
pins  forte  raison,  l'ambassadeur  devra  se  lier  avec  les  artistes, 
surtout  avec  les    écrivains  en    état  d'influer  sur  l'opinion  pu- 
blique. Nous  avons,  par  exemple,  une  jolie  épitre  latine  de 
Georges  Mérula,  un  traducteur  de  Juvénal,  à  Jacques  Trotto, 
ambassadeur  du  duc  de  Ferrare,  datée  du  20  février  1489. Mé- 
rula parle  de  Juvénal,  de  ses  travaux  littéraires  :  il  plaisante  les 
gens  qui  croient  aux  démons,  à  la  magie,  aux  oracles,  aux  es- 
prits familiers,  comme  «cethomme  de  Ferrare, à  qui  un  démon 
attaché  à  son  service  obéissait,  et  fournissait  des  réponses  en 
cas  de  difficulté  »  *...  L'ambassadeur  de  France  à  Venise  pré- 
sente au  conseil  un  savant  romain,  qui  fait  des  vers  latins  3. 
Celui-ci  oil're  un  grand  livre  de  vers  en  l'honneur  du  doge  et 
de  la  république  \ 

Aucun  luxe  n'assure  mieux  le  relief  d'une  ambassade  que 
celui  de  l'art  :  une  œuvre  d'art  l'emporte  sur  toutes  les  dé- 
monstrations de  faste. 

Jean  de  Mabuse  accompagne  en  Italie  l'ambassadeur  de 
Maximilien,  en  1503  ;  Dominique  Trévisan  emmène  au  Caire, 
en  1512.  un  peintre  qui  retrace  sa  réception  5.  Palmieri,  am- 

t)  Dép.  de  Bourges,  29  février  ioOT-1308. 

2)  Arcliivio  Sfor/.esco.  Cf.  les  lettres  d'Ange  Politienà  Laurent  de  Médicis, 
de  M.  Bosso,  au  même,  lui  envoyant  un  dialogue  De  salut ari bus  animi  gau- 
<fm  (Roscoé,  Vie  lie  Laurent  de  Médicis,  pièces  uni!,  lxix). 

3)  Très  probablement  le  poète  latin  connu  sous  le  pseudonyme  de  Nagonius, 
auteur  de  vers  ultra-louangeurs  à  Louis  XII  et  au  duc  de  Bourbon. 

4)  15  janv.  Ib03.  Sanuto,  IV,  616. 

5)  Tableau  du  Musée  du  Louvre,  jadis  attribué  à  Gentile  Bellini,  n°  60  du 
Catalogue  de  M.  de  Tauzia.  M.  Ch.  Sebefer  poss'ède  la  Relation  manuscrite  de 
cette  ambassade,  par  Zacch.  Pagani. 


292  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

bassadeur  de  Florence  à  Rome,  se  fait  peindre  par  Botticelli, 
et  sans  doute  son  intervention  valut  à  Botticelli  l'honneur  de 
figurer  dans  la  chapelle  Sixtine  '. 

C'est,  on  le  sait,  au  cardinal  de  S'  Denis,  Villiers  de  la 
Groslaie,  ambassadeur  de  France,  que  l'on  doit  l'incompara- 
ble Pietà  de  Michel-Ange.  En  1504,  l'archevêque  d'Embrun, 
autre  ambassadeur  de  France  à  Rome,  fait  élever  un  monu- 
ment à  son  frère  Giraud  d'Ancezune  2... 

L'histoire  italienne  est  pleine  de  missions  artistiques  con- 
fiées à  des  ambassadeurs  s.  Dans  les  petites  cours,  les  ambas- 
sadeurs n'avaient  qu'à  mener  quelques  menues  intrigues,  età 
suivre  les  artistes,  à  savoir  les  nouvelles  littéraires,  à  débau- 
cher habilement  quelque  grand  peintre,  architecte  ou  sculp- 
teur.Passionné  pour  les  œuvres  de  Jean  Bellini, le  roi  de  France 
se  les  procurait  par  le  sire  de  Montjeu,  son  ambassadeur  à  Ve- 
nise. Jean  Leveau,  chargé  d'affaires  de  Marguerite  d'Autriche 
en  France,  reçoit  la  mission  de  prier  Jean  Perréal,  dit  de  Paris, 
et  Jean  Lemaire  de  s'occuper  des  affaires  de  l'église  de  Brou  : 
Leveau  vales  voir,  et  leur  remet  des  lettres  directes  de  la  du- 
chesse, et  ils  envoient,  le  jour  même,  un  homme  à  Tours  ré- 
clamer les  maquettes  au  sculpteur  *. 

Dans  les  trois  dernières  années  de  sa  vie,  Raphaël  subit  de 
la  part  du  duc  de  Ferrare  une  véritable  persécution  '.  Dans  le 
cours  de  cette  longue  négociation,  qui  ne  garda  pas  toujours  le 
caractère  diplomatique, «  tantôt,  ditM. Rio, nous  voyonsRaphaël 

1)  Rio,  L'Art  chrétien,  éJon  de  1874,  II,  397. 

2)  Boislisle,  Et.  de  Vesc,  p.  191,  n.3. 

3)  V.,  pour  Léonard  de  Vinci,  Desjardins,  Négociations,  II.  211,213,  220, 

4)  Blois,  28  lévrier  1512.  Lett.  de  Louis XII,  III,  180. 

5)  L'Arioste,  deux  fois  ambassadeur  de  Ferrare  à  Rome, sous  Jules  II,  don- 
nait des  conseils  à  Raphaël  pour  la  Dispute  du  Saint-Sacrement  (Muntz,  Ra- 
phaël, p.  293). 


MANIÈRE    D'ÊTRE    ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  293 

avec  la  conscience  des  hautes  prérogatives  que  lui  confère  son 
génie,  traiter  de  puissance  à  puissance  avec  le  chef  de  la  mai- 
son d'Esté,  et  se  rendre  d'un  accès  difficile  au  négociateur  of- 
ficiel qui  parle  en  son  nom,  tantôt  nous  le  surprenons,  recou- 
rant,comme  nu  débiteur  insolvable,  à  des  subterfuges  indignes 
delui,  pour  éluder  les  poursuites  de  son  créancier.  Le  tableau 
que  voulait  le  duc  Alphonse  devait  représenter  son    sujet  de 
prédilection,    le   Triomphe  de  Bacchus  dans  les  Indes.    Pour 
calmer  son  impatience,  Raphaël   lui   expédiait,   en    échange 
d'un    acompte"  de  cinquante  ducats,  des  cartons  qu'il  avait 
dessinés  de  sa  propre  main...  Mais  ce  n'était  pas  pour  un  saint 
Michel  que  le  petit  potentat  envoyait  sesducats  et  ses  somma- 
tions, c'était  pour  un  Bacchus,  et  surtout  pour  son  cortège  de 
Bacchantes  dont  il   savourait  d'avance  les   attitudes  et  les 
nudités.   Ce  tableau,   écrivait-il   à   son   secrétaire   Pauluzzi, 
chargé  de  poursuivre  la  négociation,  ce  tableau  nous  fait  hien 
défaut  pour  compléter  notre  cabinet.  »  Raphaël  longtemps  se 
dérobe.  «Enfin,  le  négociateur  obtint  une  audience,  mais  ce 
fut  pour  être  éconduit  par  son  interlocuteur,  qui   se   montra 
plus  versé  que  lui  dans  les  circonlocutions  diplomatiques  '.   » 
Mauroceno,  ambassadeur  vénitien  à   Paris,  écrit  à  la  Sei- 
gneurie, le  18  novembre  1504:  «  Ici  se  trouve  un  frère   Gio- 
condo,  de  Vérone,  aux  gages  de  la  ville,    homme  de    grande 
valeur.  Il  touche  l'argent  delà  ville,    pour  lui   avoir  fourni 
les  plans  d'un  pont  sur  la  Seine,  fort   remarquable,  et  il  en 
touche  du  roi,  pour  avoir  conduit  de  l'eau  dans  ses  jardins  de 
Blois,  ce  qui  sera  aussi  une  jolie  chose.    Il  vous  serait   utile 
pour  diriger  l'artillerie  :  pratiqué  par  Palmario,  il  a  répondu 
qu'il  se  contenterait  d'im  modeste  bénéfice  de  cent  vingt  ou 
cent  cinquante  ducats,  pour  pouvoir  vivre,  et  qu'il  aban- 

i)  Rio,  L'Art  chrétien,  IV,  p.  478-479. 


294  LA    DIPLOMATIE   AU   TEMPS   DE    MACHIAVEL 

donnerait  volontiers  ses  pensions  pour  rentrer  à  Venise  et  y 
rester,  en  bon  sujet  et  serviteur...  Fra  Giocondo  a  été  secré- 
taire de  Philibert  ',  auquel,  pour  se  reposer  de  mathémati- 
ques, de  génie  militaire,  d'architecture,  il  lisait  Vitruve.  Phi- 
libert a  pour  fra  Giocondo  la  plus  haute  estime...  »  A  ce  que 
raconte  l'ambassadeur,  fra  Giocondo  lui  a  promis,  dans  l'ave- 
nir, de  servir  utilement  les  intérêts  vénitiens  et,  pour  le  mo- 
ment, il  lui  communique  des  secrets  d'Etat  très  importants 
qu'il  aurait  surpris  ;  il  lui  expose  les  projets  d'alliance  qui 
commençaient  effectivement  à  s'élaborer  dans  le  plus  grand 
secret  contre  Venise  ;  il  a  copié,  un  jour,  par  surprise,  une 
dépêche  chiffrée  du  pape,  qu'il  avait  trouvé  Robertet  en  train 
de  déchiffrer  et  sur  laquelle  Robertet  lui  avait  fait  pro- 
mettre le  plus  absolu  oubli  *.  Ce  curieux  détail  montre  bien 
la  faveur  dont  jouissaient  les  savants  ou  artistes,  et  combien 
leur  amitié  pouvait  devenir  précieuse  aux  ambassadeurs. 

4°  Quant  à  sa  conduite  générale  et  à  son  langage,  l'ambas- 
sadeur ne  doit  jamais  perdre  de  vue  qu'il  n'est  pas  homme 
d'Etat,  mais  simplement  intermédiaire  :  que  son  action  im- 
porte fort  à  l'Etat.  «  Avec  habilletés  qui  procèdent  de  grant 
sens,  dit  Commines,on  évite  de  grans  périls  et  de  grans  dom- 
maiges  et  pertes  »  \  Reste  à  savoir,  et  c'est  là  le  point  dé- 
licat, jusqu'où  il  faut  pousser  l'habileté. 

Pour  l'habileté  active,  le  droit  canon  a  établi  une  théorie 
des  procédés  diplomatiques,  par  ses  préceptes  sur  le  serment, 
sur  le  mensonge.  Le  Décret  de  Gratien  enseigne  qu'on  ne  doit 
tromper  personne,  mais  que  tous  les  mensonges  ne  présen- 
tent pas  la  même  gravité.  On  ne  peut  pas  mentir  pour  sauver 
sa  vie, ni  même  celle  des  autres  ;  mais  ce  n'est  pas  mentir  que 

1)  Naturelli,  ambassadeur  d'Allemagne. 

2)  Arch.  de  Venise. 

3)  Mémoires,  1, 137. 


MANIÈRE    D*ÊTRE    ET   CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  295 

parler  par  manière  de  plaisanterie,  et  dans  les  matières  sé- 
rieuses, cela  est  permis,  recommandé  même.  L'utilité  de 
la  dissimulation  résulte  des  exemples  des  Livres  Saints:  Abra- 
ham, présentant  Sarah  comme  sa  sœur,  «  a  fait  ce  qu'il  a  pu  »  ; 
il  a  caché  la  vérité,  mais  il  n'a  pas  commis  un  mensonge  ir- 
rémissible, puisque  Sarah  se  trouvait  à  la  fois  sa  femme  et  sa 
nièce  ;  or  une  nièce  peut  passer  pour  une  sœur  '. 

En  matière  de  serment  aussi,  il  faut  distinguer  :  l'on  n'est 
pas  tenu  par  les  serments  qui  obligeraient  à  un  acte  mauvais, 
car  de  deux  maux  il  faut  choisir  le  moindre,  ni  par  un  ser- 
ment illicite,  ou  contraire  aux  divins  préceptes  3. 

En  pratique,  on  ne  discute  guère  sur  ces  distinctions  théori- 
ques. Il  existe,  au  commencement  du  XVIe  siècle,  une  école 
de  politique  transcendante,  l'école  française,  qui  considère 
l'art  des  affaires  publiques  comme  l'art  le  plus  élevé  de  tous, 
comme  une  sorte  de  magistrature  destinée  à  faire  prévaloir 
les  habitudes  de  probité,  les  idées  d'honneur  et  de  bonne  foi, 
par  lesquelles  se  soutiennent,  s'élèvent,  se  civilisent  les  peu- 
ples.Dans  cette  doctrine, on  se  pique  de  franchise,  onse  déclare 
esclave  des  traités.  Le  roi  (de  France)  «ne  veult  enfreindre  sa 
promesse,  ce  qu'il  n'a  pas  de  coustume8  ». 

La  bonne  foi  présente  certainement  un  caractère  utile. 
Le  grand  défaut  diplomatique  de  Louis  XI  fut  d'en  manquer 
trop  ouvertement.  Il  se  rendit  suspect  à  tous,  il  resta  isolé, 
sans  ami  ',  et  ne  gagna  jamais  l'opinion,  d'autant  plus  qu'il 

i)  Decveti  secunda  pars,  causa  xxn,  quest.  il,  c.  12  à  22  :  édon  Friedberg, 
I,  r.  871-874. 

2)  Ibid..  quest.  iv,  c.  1  à  22  :  c.  875-880. 

3)  Instr°n  du  roi  d'Angleterre.  1506  (Lctt.  de  Louis  XII,  I,  82).  «  Consi- 
déré la  bonne  faîne  et  grande  renommée  dudit  S'"  Roy  (Louis  XII)  d'avoir 
tousjours  esté  vray  observateur  de  ses  promesses  et  seellez  »  (Instruction 
de  Philippe  le  Beau.  1505.  ld.,  I,  13). 

4)  Gingins  la  Sarraz,  Dép.  des  ambassadeurs  milanais,  I,p.  ix. 


296  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

aggravait  son  défaut  par  le  culte  du  secret,  par  une  affecta- 
tion de  mystère  excessive  et  maladroite  l.  D'autre  part,  il 
faut  avouer  que  la  bonne  foi  de  Louis  XII  le  rendit  constam- 
ment dupe. 

Pour  l'école  italienne,  la  diplomatie  constitue  une  sorte  de 
négoce,  de  marchandage,  de  maquignonnage,  au  jour  le  jour, 
en  vue  du  lucre  immédiat  :  c'est,  dit  Gommines,  l'art  de  pra- 
tiquer des  marchés  au  dehors,  sous  «quelque  bonne  couleur 
et  ung  peu  apparente*  ».  Commines,  fonctionnaire  vénal  et 
sans  conviction,  Machiavel,  simple  secrétaire  de  carrière  avec 
peu  de  fortune,  ami  du  jeu,  du  plaisir,  du  monde,  des  fem- 
mes, du  luxe,  harcelé  à  toute  heure  par  le  besoin  de  jouir  de 
la  vie  et  de  courir  désespérément  après  le  succès  immédiat, 
voilà  les  professeurs  de  cette  doctrine.  Commines  exerce(nous 
dit-il)  un  métier,  qui  consiste  à  tout  pratiquer,  c'est-à-dire  à 
intriguer  en  tout  sens,  souterrainement.  Deux  termes  se 
retrouvent  sans  cesse  sous  sa  plume,  pratique  et  marché  ; 
lun  représente  le  travail  qui  consiste  à  débaucher  sous  main 
les  serviteurs,  les  capitaines,  les  villes  d'autrui  3...  :  l'autre 
l'acte  qui  conclut  et  couronne  les  négociations*.  Quant  aux  ac- 
tes provisoires  qui  interviennent  comme  des  étapes,  les  trêves 
par  exemple,  ce  sont  pour  lui  des  «  dissimulations  »  5. 

Machiavel,    mettant    en    balance    les    avantages    de    la 

1)  On  lui  reprochait  aussi  d'être  extrême  dans  ses  mesures,  quand  il  se 
croyait  le  plus  fort,et  de  laisser  ainsi  des  blessures  inguérissables.L'ambassa- 
deur  milanais, fort  hostile  à  la  maison  d'Orléans,  témoigneen  lilo que  c'était 
l'opinion  générale  du  monde  politique  que  Louis  XI  allait  trop  loin  contre 
elle,  parce  que  le  jeune  duc  n'avait  que  treize  ans,  que  dans  quelques  années 
le  premier  soin  de  celui-ci  serait  de  s'allier  à  la  Bourgogne  ou  à  la  Bretagne 
(Dépêches  des  amb.  milanais,  I,  38). 

2)  Commines,  Mémoires,  I,  208. 
3)1,  213,226,399,  etc. 

4)  I,  209,  215,  etc. 

5)  I,  121.  «Le  Roy  praticquoit  fortleduc  (de  Bourgogne)  par  plusieurs  mar- 
chés...» (I,  122). 


MANIÈRE    DÊTRE   ET   CONDUITE    DES    AMBASSADEDRS  297 

loyauté  et  de  la  tromperie,  n'hésite  pas  à  les  concilier.  Il 
estime  indispensables,  pour  un  diplomate,  les  dehors  de  la 
loyauté,  de  la  franchise.  L'ambassadeur,  qui  arrive  dans  un 
pays  nouveau  et  inconnu,  doit  commencer  par  faire  lui-même 
sa  réputation  :  il  se  montrera  «  homme  de  bien  »,  c'est-à-dire 
généreux  et  vrai  ;  c'est  là  un  point  essentiel  ;  faute  de  formes 
ouvertes. bien  des  diplomates,  pourtant  sagaces,  ont  échoué. 
Si  l'on  dissimule,  il  faut  que  cela  ne  paraisse  pas,  ou  que,  si 
l'on  est  découvert,  la  défense  soit  préparée  et  soudaine. 
Alexandre  Xasi  reçut  en  France  un  grand  honneur,  à  cause 
de  sa  parfaite  réputation  de  franchise  *.  Un  langage  net,  un 
langage  «  de  soldat  »  rend  des  services,  et  on  peut  le  tenir, 
d'ailleurs,  sans  être  soldat.  Ainsi,  un  ambassadeur  milanais, 
Antoine  d'Applano,  rendant  compte  à  sa  cour  d'un  entretien 
avec  le  marquis  de  Montf errât,  écrit  :  «  Je  lui  dis  que  j'allais 
lui  déclarer  ma  façon  dépenser,  ouvertement,  en  soldat;  que 
ces  ambassades  contre  le  pape  ne  me  déplaisaient  pas...  etc.  », 
ces  ambassades  lui  déplaisaient,  mais  Antoine  d'Applano  vou- 
lait en  savoir  plus  long  \  La  nécessité  de  la  franchise  une  fois 
admise,  ajoutons  qu'il  faut  s'en  tenir  à  l'apparence.  «  Chacun 
sait  combien  il  est  louable  pour  un  prince  de  niaintenir  sa  foi, 
de  vivre  avec  intégrité,  sans  astuce  »,  dit  Machiavel,  mais 
«  par  expérience  de  notre  temps  »,  ajoute-t-il,  il  y  a  des 
princes  qui  ont  réussi,  en  manquant  à  leur  parole,  en  em- 
barrassant par  leur  astuce,  «  ils  ont  à  la  fin  vaincu  ceux  qui 
avaient  fait  fonds  sur  la  loyauté  ».  —  «  Il  y  a  deux  manières 
de  combattre:  avec  les  lois,  ou  avec  la   force.   La  première 


i)  Machiavel,  Instructions  à  Raph.  Girolami. 

2)  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  1,1 74.  Le  prince  d'Orange,  ambassadeur 
de  France  en  Bretagne,  trahit  et  fait  les  affaires  du  duc  d'Orléans.  Le  duc 
de  Bourbon,  indigné,  lui  écrit  que  sa  conduite  «  fait  rêver.  »  Dunois  proteste 
énergiquement  (1487.  Dupuy,  Hist.  de  la  réunion  de  la  Bretagne,  II,  98). 


298  LA    DIPLOMATIE    AC    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

est  celle  de  l'homme,  la  seconde  celle  de  la  bête.  Comme  la 
première  souvent  ne  suffit  pas,  il  arrive  qu'on  recourt  à  la  se- 
conde ;  ainsi  il  est  nécessaire  qu'un  prince  sache  bien  être  la 
bête  et  l'homme  ».  Machiavel  enseigne  donc  qu'une  parole 
n'oblige  pas  lorsque  l'effet  doit  se  retourner  contre  vous, 
car  vous  pouvez  supposer  que  votre  co- contractant  ne  s'en 
croirait  pas  plus  tenu,  le  cas  échéant.  Bien  plus,  un  prince  «  se 
voit  souvent  obligé  d'agir  contrairement  à  la  foi  promise,  à 
la  charité,  à  l'humanité,  à  la  religion  »  ;  il  se  bornera  à  sau- 
ver les  apparences,  qui  comptent  seules  aux  yeux  du  vul- 
gaire. Qu'il  frappe  l'opinion  du  plus  grand  nombre  par  les 
dehors  de  la  clémence,  de  la  fidélité,  de  l'humanité,  de  la 
religion  :  «  le  vulgaire  marche  toujours  avec  ce  qui  parait, 
et  avec  le  fait  accompli  ;  or  le  monde  n'est  encore  que  le 
vulgaire.  Le  petit  nombre  ne  peut  rien  où  le  grand  nombre 
n'a  pas  de  quoi  s'appuyer.  »  Quant  aux  prétextes  pour  colorer 
les  manques  de  foi,  il  ne  manquent  jamais  :  «  celui  qui  trompe 
trouvera  toujours  qui  se  laissera  tromper...  »  ' 

On  ne  se  fait  donc  point  scrupule  de  mentir,  '  en  diploma- 
tie s,  et  un  mensonge  artistiquement  présenté  flatte  les    con- 

1)  Le  Prince,  ch.  xvni. 

2)  L'orateur  espagnol  vient  à  la  Seigneurie,  à  Venise,  demander  s'il  y  a 
des  nouvelles  de  France.  On  lui  dit  non  (cependant  on  en  a).  (Janv.  1504.  Sa- 
nuto,  V,  734J.  L'ambassadeur  de  Naples  montre  une  lettre  par  laquelle  le  roi 
de  Naples  propose  à  Venise  une  ligue  contre  le  Turc.  La  Seigneurie  répond 
par  de  bonnes  paroles  (10  juillet  1500.  Id.,  111,  473).  Traitant  avec  le  dau- 
phin de  France,  rebelle  et  rcx  [uturus.à  Genepe  en  Brabant,  le  duc  de  Milan 
affirme  qu'il  est  inspiré  par  son  affection,  «  eam  quam  erga  serm"m  atque 
Christ"""1!  doum  linum  Carolum,  présentent  Francorum  regem,  gerimus  »  et 
envers  le  dauphin.  «  Ejus  sublimitati  tantum  debere  fateamur  quantum  per- 
solvi  humanaope  vix  possit  »  (Pat.  du  2't  juillet  1461.  Archo  Stbr/.esco).  Le 
dauphin  demande  au  roi  la  permission  d'aller  à  la  croisade  avec  le  duc  de 
Bourgogne,  —  sur  la  requête  du  pape  et  comme  gonfalonier  de  l'Eglise. 
Il  ajoute  qu'il  part  près  du  duc  de  Bourgogne  dans  ce  but  (31  mars  !4o6. 
Lettres  de  Louis  XI,  I,  n°  lvh). 

3)  Dunois  écrit  au  duc  d'Orléans  de  Lyon,  le  10  septembre  (1463),   que 


MANIÈRE    D'ÊTRE    ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  299 

naisseurs1.  En  1494,  les  ambassadeurs  de  Milan,  soi-disant 
amis  et  dévoués  de  la  France,  rassurent  ("ommines,  ambassa- 
deur de  France  à  Venise,  sur  les  rumeurs  dune  ligue  contre 
la  France.  Cette  ligue,  disaient-ils,  ne  se  peut  pas  sans  notre 
coopération  :  n'en  croyez  rien,  messire,  »  —  «  agissant,  dit 
Sanuto.  comme  doivent  agir  les  gens  sages  en  affaires  d'Etat, 
qui  assurent  à  leurs  ennemis  vouloir  faire  une  chose,  et  en 
font  ensuite  une  autre  »  (et  même  faisant  Vautre  en  même 
temps3).  L'habitude  du  mensonge  crée  un  scepticisme  \  que 
l'ambassadeur  étend  à  tout,  même  à  son  propre  gouverne- 
ment. André  de  Burgo.  ambassadeur  de  Marguerite  d'Autri- 
che et  de  son  père,  écrit  naïvement  à  Marguerite,  à  propos 
d'une  bonne  nouvelle  qui  vient  de  se  vérifier  :  «  L'empereur 
(père  de  Marguerite)  le  me  escrivit  ja  sont  aucuns  jours, 
mais  je  cuydoye  estre  quelque  fiction  à  son  propos  »  *. 

Pour  sonder  un  ambassadeur,  on  le  regarde  en  face  5,  au 


François  Sforza  envoie  au  roi  un  ambassadeur  porter  des  assurances  dont 
aucune  n'est  vraie  (K.  72,  8). 

li  Mais  il  faut  se  souvenir  que  le  trompeur  trompé  prête  à  la  plaisanterie. 
Louis  XII,  ayant  trompé  Ferdinand  le  Catholique,  se  moque  de  lui  :  «  Je  lui 
demanderai,  dit-il  à  l'ambassadeur  florentin,  de  m'indiquer  une  excuse  à 
l'espagnole  »(15t4.  Desjardins,  Négociations,  II,  656). 

2)  Spedizione,  285-86. 

3)  Le  prince,  et  par  suite  l'ambassadeur,  doivent  être  soupçonneux,  sans  le 
paraître.  «  Quant  à  estre  soupeçonneux,  dit  Commines,  tous  grans  princes  le 
sont,  et  par  espécial  les  saiges...  C'est  grante  honte  d'estre  trompé  et  de 
perdre  par  sa  faulte:  toutesfois  les  suspections  se  doivent  prendre  par  moyen; 
car  l'estre  trop,  n'est  pas  bon  »  {Mémoires,  I,  242;  II,  224). 

3  oct.  1511  {Letl.  de  Louis  XII,  111,64). 
5)  On  peut  toujours  contredire  une  parole  par  des  jeux  de  physionomie 
«  Lorsque  le  représentant  de  Charles  VIII  vint  demander  au  pontife  s'il 
était  disposé...,  Alexandre  VI  lui  répondit  par  des  défaites...  :  »  néanmoins, 
des  yeux,  delà  bouche,  de  toute  la  physionomie,  le  pape,  bien  qu'il  ne  le  dit 
pas.  me  fusait  signe,  rapporte  l'ambassadeur,  que  le  roi  devait  tenter  l'en- 
treprise (Delaborde,  Un  épisode  des  rapports  d'Alexandre  VI  avec  Charles 
VIII,  p.  6). 


300  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

moment  où  il  multiplie  les  protestations,  et  on  lui  dit  qu'on 
croit  à  leur  sincérité.  Si  cela  ne  suffit  pas,  on  peut  aller  jus- 
qu'à répéter  doucement  quelques  insinuations  venant  du  de- 
hors. La  duchesse  régente  de  Savoie  répète  à  l'ambassadeur 
de  Milan  que  Louis  XI  dit  qu'elle  n'est  qu'une  femme,  qu'elle 
ne  comprend  pas  l'art  du  duc  de  Milan,  etc  *... 

Ainsi,  1°  l'ambassadeur  ne  se  croira  pas  toujours  tenu  de 
dire  la  vérité,  2°  il  aura  soin  d'envelopper,  autant  que  pos- 
sible, ses  paroles,  de  témoignages  d'affection  et  de  confiance. 
César  Borgia  était  un  diplomate  émérite,  qui  maniait  les  né- 
gociations avec  beaucoup  de  dextérité  ;  habile,  d'abord  à  té- 
moigner de  la  confiance,  puis  à  tenir  les  discours  les  plus 
flatteurs  ;  il  possédait  souverainement  l'art  de  pénétrer  ensuite 
avec  beaucoup  d'esprit  et  de  feu  :  il  excellait  à  exposer  une 
question  sous  les  dehors  qui  lui  plaisaient,  à  persuader  de  sa 
confiance,  de  son  dévouement'. 

Il  ne  faut  pas  craindre  d'appuyer  sur  les  termes  affectueux 
ou  sur  les  compliments.  Le  grand  bâtard  de  Bourgogne  dit  à 
l'ambassadeur  milanais,  en  1475,  que,  penser  à  rompre  l'a- 
mitié de  la  Bourgogne  et  de  Milan,  ce  serait  vouloir  «  re- 
monter l'eau  vers  sa  source  »  3. 

En  ouvrant  les  négociations  après  Fornoue,  où  35,000  mer- 
cenaires de  l'armée  italienne  avaient  laissé  passer  8,000  fran- 
çais, Commines  commence  par  rendre,  de  la  bravoure  de 
l'armée  italienne,  un  éclatant  hommage,  tandis  que  les  prové- 
diteurs  se  montrent  arrogants  et  de  mauvaise  humeur  *. 

1)  Mars  1475  (Dépêches  des  ambassadeurs  milanais,  I,  86,  89). 

2)  Guichardin,  liv.  v,  ch.  iv. 

3)  Dépêches  des  ambassadeurs  milanais,  I,  47. 

4)  Benedetti,  //  fatto  d'arme,  1.  1°.  Cf.  Desjardins,  II,  74.  On  donne  pour 
motifs  d'une  ligue,  l'affection  réciproque  (Louis  dauphin  et  le  duc  de  Milan, 
i«r  juin  1461.  Àrchivio  Sforzesco).  Dans  une  alliance,  si  on  offre  3.000 
chevaux  et  1.000  fantassins  et  qu'on  en  demande  4.000  et  2.000,  l'orateur 


MANIÈRE    D'ÊTRE    ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  301 

En  matière  de  louange,  il  ne  faut  même  pas  craindre  la 
fadeur. 

3°  L'ambassadeur,  cela  va  sans  dire,  donnera  à  toute 
proposition  une  couleur  d'intérêt,  ou,  faute  de  mieux,  il  en 
appellera  à  de  nobles  sentiments.  Parle-t-il  d'une  alliance,  il 
affirme  que  l'intérêt  de  la  chrétienté  seul  le  fait  agir,  que  les 
Turcs  menacent  de  tout  engloutir. 

Inutile  de  négocier,  si  l'on  parait  rechercher  ce  qu'on  dé- 
sire. «  S'est  bien  fait  de  donner  à  cognoistre  qu'on  veult  la 
paix,  écrit  le  cardinal  d'Amboise  à  Louis  XII  :  mais  aussi  de 
donnera  entendre  qu'on  a  crainte  de  luy  (le  roi  des  Romains), 
je  ne  le  trouveroys  pas  bon,  par  quoy  ne  fault  rien  promectre 
audit  des  Romains  particulièrement  :  mais,  quand  ce  viendra 
qu'il  se  vouldra  mectre  à  la  raison,  on  luy  donnera  à  cognoistre 
que  vostre  amytié  luy  est  bonne  •.  » 

Enfin,  un  des  premiers  devoirs  de  la  diplomatie  consiste  à 
saper  la  concorde.  Louis  XI,  dit  Commines,  «  a  mieulx  sceu 
entendre  cet  art  de  séparer  les  gens  que  nul  aultre  prince  que 
j'aye  jamais  veu  ne  congneu  \  » 


dira  que,  ce  nombre,  <c  lavemo  posto  per  honore  et  gloria  de  la  Ser'a  soa, 
perche  el  facto  suo  non  lia  comparatione  con  lo  nostro.  »  S'il  le  faut,  nous 
nous  résoudrons  à  rendre  l'apport  égal,  «  corne  vuoleel  comanda  la  Signoria 
soa  »  (lnstron  du  duc  de  Milan  à  Pr°  Camulio,  envoyé  au  dauphin,  25  août 
1460.  Arch°  Sibrzesco).  Dans  une  négociation  difficile  et  importante,  on 
doit  parler  «  cum  tute  quelle  suasive  parole  vi  sarà  possibile  et  cum  tute  le 
forze  vostre  sollicitando. . . ,  cum  quella  perô  dexterita  et  modestia  che  se 
conviene,  per  modo  che  sentiano  quel  fructo  de  questa  légation  vostra  che 
habiamo  sperà»;  il  faudra  parler  au  roi  et  aux  principaux  seigneurs,  mettre 
en  campagne,  «  imprimis  l'opéra  del  amico  nostro  »  (Instr.  du  sénat  de  Ve- 
nise en  Angleterre,  14  sept.  1509.  Arcli.  de  Venise,  Secreto  42,  60). 

1)  3  août  1501  (Boislisle,  Et.  de  Vesc,  p.  203).  Louis  XII  ne  trouve  pas  le 
moment  venu  de  traiter,  «  car,  dit-il,  ung  homme  reculé  ne  fait  jamais  ap- 
poinctement  à  son  prouffit,  et  que,  si  l'on  veult  faire  bon  appoinctement,  il 
la  fault  fere  la  lance  sur  la  cuysse  »  (déc.  1509.    Lelt.  Je  Louis  XII,  I,  218). 

2)  Mémoires,  I,  116. 


302  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

François  Sforza  disait  :  «  Quand  on  a  trois  ennemis,  on  fait 
la  paix  avec  le  premier,  une  trêve  avec  le  second,  on  attaque 
le  troisième  '.  » 

En  1495,  devant  Novare,  les  plénipotentiaires  français  ont 
avec  Ludovic  Sforza  des  conférences  particulières  et  secrètes, 
qui  excitent  fort  la  suspicion  des  Vénitiens  alliés  de  Ludo- 
vic '  ;  et  non  sans  raison,  puisqu'on  réussit  à  séparer  d'eux 
Ludovic  3. 

L'ambassadeur  se  propose  le  but  d'échanger  des  objets  de 
valeur  (concessions  politiques,  renseignements  importants...), 
contre  des  objets  sans  valeur  (amitié,  familiarité,  louanges). 
Il  paie  de  sa  personne,  et  perçoit  pour  son  gouvernement.  Il 
doit  plaire  et  tromper. 

Dans  ce  difficile  métier,  la  qualité  maitresse  est  la  pa- 
tience, c'est-à-dire  l'habileté  passive,  qui  est  la  première  ha- 
bileté du  diplomate. 

Il  faut  s'armer  de  longanimité  et  de  sang-froid,  caresser 
et  plier,  en  vertu  du  fameux  axiome  de  Machiavel  :  «  Les 
hommes  doivent  être  caressés  ou  détruits.  Ils  se  vengent 
des  offenses  légères.  Ils  ne  peuvent  se  venger  des  offenses 
graves.  L'offense  qu'on  fait  à  l'homme  doit  être  telle  qu'on  ne 
craigne  pas  sa  vengeance  »  :  la  guerre  détruit,  la  diplomatie 
caresse.  S? une  chose  ne  plaît  pas.  il  suffît  de  répondre  froi- 
dement et  gracieusement  «  qu'elle  est  bien  dite,  mais  qu'on 
veut  y  penser  *.  »  Reçoit-on  un  reproche,  très  justifié,  mais 
pour  lequel  on  ne  veut  rien  faire,  on  répond  poliment  et 
aussi  brièvement  que  possible5. 


1)  Cité  par  Cantù,  Gli  Sforza  e  Carlo  VIII,  p.  4,  n°  1. 

2)  Benedetti,  Il  fatto  d'arme,  édon  1803,  p.  22i. 

3)  ld.,  p.  230. 

4)  Dépêches  des  ambass.  milanais,  I,  36o. 

5)  Uép.  de  l'amb.  milanais,  41  mars  1176 (M.,  I,  351). 


MANIÈRE   D'ÊTRE    ET   CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  303 

On  parle  «  par  forme  Je  devises,  non  par  résolution  », 
des  sujets  sur  lesquels  il  convient  de  glisser1.  Il  faut  se  mon- 
trer conciliant,  et  savoir  accepter  ce  qu'on  ne  peut  empêcher1. 
Toute  négociation  comporte  une  certaine  lenteur.  Heureux  les 
soldats,  improvisés  diplomates,  qui,  à  la  guerre,  traitent  une 
capitulation  en  siv.  ou  sept  heures  8  !  Dans  les  cours,  tout 
marche  lentement  :  «  l'on  est  hien  disposé,  mais  l'on  ne  peut 
encore  répondre  *.  »  La  lenteur  est  le  grand  procédé  ita- 
lien :  à  la  cour  de  Rome,  elle  est  systématique  et  proverbiale: 
«  On  ne  se  hAte  jamais  ici 5  »  ;  sans  cesse,  les  cardinaux  se 
trouvent  retardés  par  une  fête,  par  une  tenue  de  consis- 
toire, etc.  6...  Le  roi  de  Hongrie  dit  aux  ambassadeurs  alle- 
mands, en  1511,  tantôt  qu'il  attend  l'arrivée  de  son  chance- 
lier, ou  de  ses  conseillers,  tantôt  qu'il  veut  en  référer  à  son 
frère  le  roi  de  Pologne  ;  ensuite,  il  trouve  peu  clair  le  texte 
qu'on  lui  propose  ;  des  objections  surgissent,  dit-il,  chez  les 
magnats...  etc  \  Lorsqu'il  s'agit  de  questions  majeures,  que 
d'angoisses  les  pratiques  de  ce  genre  valent  à  l'ambassadeur  ! 
«  Robertet  dit  que  c'est  fini...  Je  suis  à  la  torture,  cruciato, 
de  ces  retards  qui  m'empêchent  de   dormir,   écrit  l'ambassa- 

1)  Lettr.  de  Louis  XII,  III,  204. 

2)  Dép.  de  Lyon,  16  sept.  1501,  de  Foscari.  Il  accepte  une  somme  infé- 
rieure à  celle  qu'on  lui  doit,  pour  éviter  des  difficultés  (Arch.  de  Venise). 
Abandonné  par  le  roi  René,  Fr.  Sforza  avise  par  son  secrétaire  Nicodème 
Jean  de  Calabr<\à  Florence,  qu'il  va  s'allier  à  Alphonse  de  Naples  :  «  respose 
chel  intendeva  tanto  dele  conditione  de  Italia  clie  li  pareva  che  nuy  non  have- 
semo  torto  a  prendere  questi  partit!  cum  lo  Re  Àlfons  »  (Réponse  de  Frc 
Sforza  à  Louis  XI,  12  nov.  1461.  Archivio  Sforz0). 

3)  Hist.  des  guerres  de  Flandre,  Corp.  Chronic.  Flandriœ,  IV,  562;  capi- 
tulation de  Lille,  14  décembre.  1487. 

4)  Instron  du  Li  août  I  '.07.  .1.  503,  4'e>-. 

5)  Dép.  de  l'ami),  milanais  à  Rome,  4  mai  1 163  (Archivio  Sforzesco)  :  «  Le 
cose  non  se  fanno  qui  troppo  in  fréta.  » 

6)Mém.  de  1468.  Fr.  3884,  f«  201  v°. 
7)  Fraknoï. 


304  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

deur  vénitien  en  France  Dandolo...  Soyez  sûrs  que  je  pousse 
de  toutes  mes  forces  à  la  solution.  Voilà  seize  mois  que  je 
passe  dans  d'atroces  angoisses  '.  »  Des  ambassadeurs  mila- 
nais, trouvant  Louis  XI  un  peu  tiède  pour  leurs  intérêts,  s'at- 
tachent à  ses  pas,  afin  d'arriver  à  lui  parler  ;  ils  sollicitent 
enfin  une  audience  :  après  les  avoir  remis  au  lendemain,  le 
roi  les  reçoit  fort  bien,  devant  un  grand  nombre  de  per- 
sonnes, cause  chasse,  et  même  politique,  avec  sa  verdeur  ha- 
bituelle, pendant  plus  de  deux  heures, et  les  ambassadeurs  ne 
peuvent  placer  un  mot.  Ils  demandent  en  partant  à  lui  par- 
ler à  leur  tour,  quand  il  lui  plaira.  Il  les  remet  de  nouveau  au 
lendemain2. 

Un  ambassadeur  ne  doit  pas  craindre  les  discussions  ;  il 
présentera  ses  arguments  avec  calme  et  douceur.  César  Bor- 
gia  se  montre  fort  mécontent  que  les  Florentins  refusent  un 
sauf  conduit  pour  lui  et  ses  troupes  :  Machiavel  lui  expose  dou- 
cement qu'on  n'a  pas  précisément  refusé  ce  sauf  conduit, 
mais  qu'on  voudrait  savoir  sur  quel  pied  on  se  trouve, 
qu'on  préférerait  conclure  une  alliance  comme  il  convient 
entre  deux  États  pleins  de  franchise  et  de  fidélité  :  que  Flo- 
rence n'a  pas  l'habitude  d'agir  avec  précipitation,  qu'il  se- 
rait utile  d'y  envoyer  une  personne  de  confiance,  qui  ob- 
tiendrait sûrement  satisfaction.  César,  calmé,  répond  qu'il 
est  pressé  ;  Machiavel  dit  qu'il  va  écrire  à  l'instant,  que  pen- 
dant ce  temps  l'envoyé  arrivera  à  Florence,  qu'il  négociera 
heureusement...  César  parait  satisfait.  Mais  il  ajoute  que,  si 
l'on  n'agit  pas  franchement  avec  lui,  il  négociera  avec  n'im- 
porte qui,  fût-ce  avec  le  diable3... 

Claude  de  Seyssel  reçoit  de  Louis  XII,  qui  avait  accepté 

1)  Dép.  de  Poissy,  26  juillet  1514. 

2)  1478.  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  1,  232. 

3)  Machiavel,  Dép.  de  Rome,  18  novembre  1503. 


MANIÈRE   D'ÊTRE    ET   CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  305 

le  protectorat  de  Bologne,  la  difficile  mission  d'aller,  en  sep- 
tembre 1502,  expliquer  à  la  Seigneurie  de  Bologne  qu'on  va 
la  remettre  au  pape.  Cette  mission  nécessite  des  précautions; 
Louis  XII  l'annonce  préalablement  à  l'envoyé  bolonais,  mais 
il  refuse  d'en  spécifier  le  but,  il  se  borne  à  dire  que  l'on  sera 
satisfait.  Seyssel  arrive  ;  il  expose  que  le  roi  veut  la  liberté  de 
Bologne,  que  le  meilleur  moyen  d'assurer  cette  liberté  con- 
siste dans  l'envoi  d'un  bon  légat,  avec  une  forte  garnison 
pour  maintenir  l'indépendance  ;  le  roi  est,  du  reste,  obligé  de 
reconnaître  les  droits  de  l'Eglise,  car  le  protectorat  assumé 
par  lui  contient  la  clause  «  sauf  les  droits  de  l'Eglise  »,  ces 
droits  sont  établis  par  d'anciennes  bulles  qui  garantissent  la 
liberté  de  Bologne  ;  et  le  roi  lui-même  est  feudataire  de 
l'Eglise  pour  le  royaume  de  Naples...,  toutes  allégations  de 
forme  auxquelles  la  Seigneurie  de  Bologne  ne  trouve  pas  ma- 
laisément une  réponse  '. . . 

Un  bon  ambassadeur  sait  accepter  les  plus  mauvaises  rai- 
sons, et  écouter  une  allégation  inexacte  sans  sourciller.  Un 
ambassadeur  de  Venise  demande  à  Jules  II  de  lever  l'interdit 
sur  trois  villes  du  Frioul.  Jules  II  répond  très  gravement  que 
cet  interdit  résulte  d'une  décision  de  la  Rota,  et  il  fait  un 
long  discours  sur  la  nécessité  d'observer  ce  qui  est  arrêté  in 
Rota  *. 

«  Quant  aux  mensonges  des  gens  de  Carpi,  écrit  Machiavel 
à  Guichardin,  je  suis  en  mesure  de  leur  tenir  tête  ;  il  y  a 
longtemps  queje  me  suis  fait  docteur  en  ce  genre...  Depuis 
un  certain  temps  jusqu'à  ce  moment-ci,  je  ne  dis  jamais  ce 
que  je  pense...,  et  si  quelquefois  on  me  dit  la  vérité,  je  la  ca- 
che, de  façon  qu'il  est  impossible  de  la  retrouver3.  »  C'est  une 

1)  Longue  dépêche-instruction  des  Seize  de  Bologne  à  Vinc.  Budriolo,  il 
sept.  1502.  Arch.  de  Bologne,  Comiine,  Litterarum,  l.'>00-1505,  c.  140  v°. 

2)  Mars  1504.  Sanuto,  V,  1014. 

3)  Cité  par  Artaud,  Machiavel,  II,  80.  20 


306  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

plaisanterie,  mais  elle  peint  la  lassitude  du  diplomate  vieilli 
sous  le  harnais1.  Le  vrai  ambassadeur  ne  s'étonne  de  rien'. 
Constantin  Lascaris,  ambassadeur  de  Venise  près  du  sophi  de 
Perse,  écrit  avec  éloge  qu'avant  de  quitter  la  Perse,  le  sophi, 
pour  supprimer  toute  opposition,  a  fait  arrêter  et  exécuter  qua- 
tre-vingt-dix notables  et  leurs  familles8.  Ce  qui  se  pardonne  le 
moins,  en  diplomatie,  c'est  le  défaut  de  sang-froid.  A  Rome, 
paraître  toujours  souriant  est  la  règle  absolue  *;  les  ambas- 
sadeurs notent  l'habileté  d'Alexandre  VI  à  «  se  montrer  gail- 
lard »  quand  il  lui  arrive  une  mauvaise  nouvelle1.  Commines 
se  rendit  pour  jamais  ridicule  par  une  mémorable  absence  de 
sang-froid,  dont  il  donna  l'exemple  à  Venise  en  1495,  au 
moment  d'une  catastrophe.  Lorsque,  après  s'être  longtemps 
joué  de  lui,  le  doge,  un  jour,  lui  annonça  en  conseil,  avec  la 
mesure  habituelle,  qu'au  nom  du  saint  Esprit,  de  la  Vierge  et 
de  saint  Marc,  la  république  venait  de  conclure  avec  toutes 

1)  Le  sire  du  Bouchage  étant  envoyé  près  de  Maximilien  pour  la  mission  la 
plus  impossible  à  réaliser,  Ludovic  le  More,  qui  agit  contre  lui,  lui  écrit,  le 
13  novembre  1494,  que  Thomas  Bohier  vient  d'apporter  ses  instructions, qu'il 
s'agit  d'une  affaire  de  premier  ordre,  qu'il  le  recommande  à  son  oralor  près 
le  roi  des  Romains  et  l'engage  à  partir.  Lettre  en  latin  de  grand  style  :  Ludo- 
vic lui  dit  «  Vos», et  le  qualifie  :  «Magnifiée  amice  noster  charissime  :  »  signée 
de  Ludovic.  Lettre  de  recommandation  annexée,  pour  Erasme  Brasca,du  même 
jour,  en  italien  :  Ludovic  recommande  à  son  ambassadeur  en  Allemagne 
de  faire  honneur  et  bonne  compagnie  à  Du  Bouchage  et  d'aider  la  grosse  af- 
faire. Mais  il  se  borne  à  cela,  et  mentionne  sans  aucun  détail  «  la  pratica  che 
vui  sapeti  »  :  signée  d'un  secrétaire  (Man'drot,  Ymbert  de  Batarnay,  p.  359, 
360). 

2)  11  est  très  nécessaire  de  savoir  dissimuler,  professe  Et.  Dolet  (De  officio 
legati,{%). 

3)  1502.  Sanuto,  IV,  353-354. 

4)11  est  de  notoriété  que  le  pape  Alexandre  VI  médite  un  coup  de  force 
contre  les  Orsini  ;  cependant  le  cardinal  Orsini  ne  cesse  d'aller  au  palais,  et 
spem  vultu  simulât  (1503.  Dispacci  di  A.  Giuslinian,  1,  46).  «  Spem  vultu  si- 
mulant, sed  premunt  altum  corde  dolorem  »  (Dép.  d'Albert  Pio  da  Carpi, 
11  mars  1513  :  citée  par  Petrucelli  délia  Gattina,  Hisl.  des  conclaves,  I,  495;. 

o)  Dispacci  di  Giustinian,  I,  175. 


MANIÈRE    D'ÊTRE    ET   CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  307 

les  autres  puissances  une  ligue,  bien  entendu  «  défensive  », 
contre  la  France,  il  perdit  contenance  :  «  Que  fera  mon  roi!  » 
s'écria-t-il,  hors  de  tout  propos.  Puis,  sans  même  écouter  les 
explications  lénitives  du  doge,  sans  faire  les  saluts  d'usage,  il 
sort.  En  descendant  l'escalier,  ne  voyant  plus  clair,  se  croyant 
la  victime  d'un  cauchemar,  il  demande  un  secrétaire  de  la 
Seigneurie  et  se  fait  répéter  les  paroles  du  doge.  Il  saute  en 
gondole,  jette  par  terre  son  bonnet,  se  fait  ramener  chez  lui, 
consigne  sa  porte  en  se  disant  malade.  Réellement,  il  se  met 
au  lit.  On  devine  quelle  hilarité  souleva  un  pareil  écart.  «  Une 
sut  pas  feindre, comme  on  doit  faire  dans  des  cas  semblables1.» 

La  nouvelle  de  la  prise  de  Ludovic  le  More  par  les  Fran- 
çais arrive  à  Venise  le  jour  des  rameaux  1500,  pendant  la 
messe  solennelle  à  laquelle  assistaient  le  doge  et  les  ambas- 
sadeurs. L'ambassadeur  de  France  témoigne  une  extrême 
joie,  c'était  son  droit  ;  les  envoyés  de  Naples  et  de  Ferrare 
perdent  contenance  et  paraissent  aterrés3,  mais  l'ambassa- 
deur de  Naples  comprit  aussitôt  sa  faute  ;  il  revint  le  jour 
même  à  vêpres,  très  élégamment  vêtu,  et  fit  bon  visage  '. 

L'ambassadeur  a  le  devoir  impérieux  de  veiller  sur  sapropre 
conduite  et  celle  de  son  entourage,  d'empêcher  tout  scandale, 
ce  à  quoi  il  ne  réussit  pas  toujours  4,  d'éviter,  pour  lui  et  les 
siens,  tout  ce  qui  peut  donner  prise  à  la  critique. 

1)  1495.  Commines,  II,  422  :  Sanuto,  Spedizione.  .,285-86. 

2)  Sanuto,  III,  2U. 
3)Id,  215. 

4)  Le  29  juin  1504,  après  la  double  présentation  de  haquenées  pour  le 
royaume  de  Naples  par  la  France  et  l'Espagne,  on  ne  peut  empêcher  les 
suites  des  deux  ambassadeurs  d'en  venir  aux  injures,  puis  aux  coups.  La 
le  papale  doit  intervenir  pour  les  séparer,  mais  il  y  a  plusieurs  blessés. 
(Disp.di  Giuslinian,  III,  loi).  Un  jour,  à  Rimini,  les  deux  orateurs  d'Aragon, 
tous  deux  originaires  de  Girone,  se  prennent  de  querelle,  se  provoquent  en 
duel,  puis,  encore  irrités,  réclament  l'arbitrage  (Lu  s-'''  de  Rimini.  Sigismond 
s'amuse  à  les  réconcilier  dans  une  fête  solennelle,  où  l'on  joue  leur  querelle 


308  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

Machiavel,  dans  ses  légations,  se  montre  constamment  plein 
de  politesse,  d'égards,  de  circonspection  ;  et  cependant  il 
professe  théoriquement  des  principes  différents.  «  Je  pense, 
moi,  qu'il  est  mieux  d'être  impétueux  que  circonspect  ;  la 
fortune  est  femme  ;  il  est  nécessaire,  si  on  veut  la  dominer, 
de  la  heurter  et  de  la  battre...  Elle  est  amie  des  hommes 
jeunes  qui  sont  moins  circonspects,  plus  fiers,  et  qui  com- 
mandent avec  plus  d'audace '.  »  Il  le  dit,  mais  ne  le  pense 
pas,  et  il  a  raison  :  cette  manière  n'est  pas  la  bonne.  Ainsi, 
parmi  les  ambassades  à  Rome  en  1500,  les  deux  plus  gran- 
des, celles  de  France  et  d'Espagne,  ne  savent  pas  tirer  parti 
de  leur  situation.  On  reproche  à  l'ambassadeur  d'Espagne 
un  caractère  altier  et  susceptible.  L'ambassade  de  France 
a  pour  chef  un  babile,  Robert  Guibé  ;  mais,  sauf  lui  elle 
ne  se  compose  que  de  seigneurs  incapables  de  dissimuler 
un  moment  de  mauvaise  humeur.  M.  de  Trans,  en  parti- 
culier, prête  à  la  plaisanterie.  S'il  court  une  fausse  nou- 
velle, on  la  lui  attribue  de  suite  2...  En  1500,  la  Seigneu- 
rie de  Venise  fait  part  à  Àccurse  Mainier,  déjà  nommé, 
des  hésitations  du  pape  relativement  aux  projets  de  croi- 
sade, hésitations  que  le  pape  attribue  à  la  France  :  Mai- 
nier, éclate  en  termes  virulents  ;  il  dit  que  le  roi  est  bon 
et  le  pape  méchant,  il  montre  une  lettre  qu'il  écrit  au 
roi,  «  lettre  excellente  :  s'il  était  vénitien,  il  n'écrirait  pas 
mieux  »,  dit-on  à  Venise,  et  on  rit3. 

Les  diplomates  italiens,  tout  en  estimant  Conimines  le  plus 
habile  diplomate  de  France,  le  jugent  un  agité,  un  ambitieux, 

et  leur  défi  ;  puis  la  réconciliation  est  notariée  et  scellée  par  lui   (Yriarte, 
Rimini,  p.  337). 

1)  Machiavel,  Le  Prince,  ch.  xxv. 

2)  «  Ottimo  maestro  de  simil  trame  »  (150ÎÏ.  Villari,  Diêpacci  diA.  Giusti- 
nian,  II.  73). 

3)  Oct.  1500  (Sanuto,  III,  885). 


MANIÈRE   D'ÊTRE    ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  309 

qui  se  donne  énormément  de  peine  pour  obtenir  un  peu  de 
crédit  et  le  faire  valoir,  et  ils  se  jouent  constamment  de  lui  i. 
Commines  y  prête.  Ainsi  il  s'agite  au  point  que,  le  28  août,  à 
minuit,  il  expédie  à  Milan  un  billet  pour  annoncer  à  Antoine 
de  Médicis  la  mort  de  la  duchesse  de  Savoie,  laquelle  mourut 
seulement  le  lendemain  '. 

M.  de  Trans,  que  nous  venons  de  nommer,  passe  de  même 
pour  un  faiseur.  Il  dit  au  pape  que  les  Vénitiens  sont  «  fran- 
çais »,  aux  Vénitiens  que  le  pape  est  «  espagnol  »...  Dans 
le  subtil   monde  du  Vatican  et  de  la  diplomatie  italienne, 
ces  façons  ne  réussissent  guère.  Le  pape  en   rit  dans  l'in- 
timité avec  l'ambassadeur  de  Venise   et  surnomme  M.  de 
Trans  :  Monsieur  «  délie  Trame3 .  »  Un  ambassadeur  d'Espa- 
gne, arrivant  à  Milan  en  1513,  débute  par  mille  bonnes  pa- 
roles; mais,  «  à  son  aspect,  semble  personnage  fort  couvert  » , 
il  ne  sort  pas  de  chez  lui  et  ne  voit  personne.  On  dirait  qu'il 
apporte  quelque  chose  d' «  obscur  »  et  de  «  clandestin,»;  on 
se  méfie  de  lui  *.  Dans  les  cours,  il  faut  agir  sobrement,  au 
moins  en  apparence,  prendre  sans  cesse  sur  soi  et  écouter 
«  tous  vens  venter,  sans  murmure  5.  »  Les  bonnes  façons, 
l'extérieur  agréable,   l'instruction  solide,  sans  rien  d'affecté, 
les  connaissances  en  musique,  en  peinture,  la  réputation  de 
bon  cavalier,  l'art  excellent  de  plaire  aux  femmes  6,   consti- 
tuent les  qualités  de  second  rang. 

Les  bons  ambassadeurs  poussent  la  réserve  à  l'extrême. 

l)Benoist,  Lettres  de  Phil.  de  Commines  aux  Archives  de  Florence,  p.  6-7. 

2)  Id.,  p.  9-10. 

3)  Dispacci  di  A.  Giustinian,  H,  82. 

4)  Lett.  de  Louis  XII,  IV,  248. 

5)  «  La  Court  aprend  à  se  vestir  honnestement,  parler  distinctement,  ryre 
sobrement,  dormir  légièrement,  vivre  chastement  et  escouter  tous  vens  ven- 
ter sans  murmure  ;  mais  le  tout  est  faict  par  vaine  gloire,  ambicion  ou  ypo- 
crisie  »  (Pane'gyric  du  chevalier  sans  reproche,  ch.  v). 

6)  Balth .  de  Castillon,  Le  parfait  courtisan. 


310  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Certains  d'entre  eux,  avant  d'agir,  consultent  leur  astrolo- 
gue.- D'après  Etienne  Dolet,  le  diplomate  doit  aussi  s'entourer 
de  domestiques  taciturnes  et  d'espions.  Un  décret  du  sénat  de 
Venise,  en  1480,  interdit  formellement  à  ses  ambassadeurs 
de  parler  d'affaires,  verbalement  ou  par  écrit,  avec  des  tiers  J. 

Quand  il  parle,  l'ambassadeur  doit  peser  ses  paroles  \ 
Dans  une  négociation  difficile  et  dangereuse,  son  premier 
soin  est  d'  «  adoucir  »  les  matières,  d'  «  eschapper  et  évader 
les  scandalles».  D'autre  côté,  les  commissaires  chargés  de 
l'entendre  déclarent,  qu'ils  vont  en  référer  au  roi,  qu'ils 
s'emploieront  à  chercher  «  bonne  fin  »  *. 

Un  ambassadeur  a  même  le  droit,  le  devoir,  d'adoucir 
autant  que  possible,  dans  l'exécution,  les  ordres  violents  qu'on 
lui  donne.  En  1464,  le  chancelier  de  Morvilliers,  ambassa- 
deur de  France  en  Bourgogne,  fit  la  faute  de  prononcer  devant 
le  comte  de  Charolais  une  sorte  de  réquisitoire s  :  retenu  par 
son  père,  le  comte  ne  répliqua  que  le  lendemain  et  en  termes 
convenables,  mais  il  jura  de  se  venger,  et  se  vengea.  L'am- 
bassadeur ne  doit  tenir  un  langage  comminatoire  qu'en  cas 
d'une  mission  spéciale  à  cet  effet  :  et  dans  cette  circonstance 
on  lui  adjoint  des  notaires  chargés  d'instrumenter.  Sur  les 
plaintes  des  ambassadeurs  de  Louis  XII,  Philippe  le  Beau 
fait  répondre  «  en  toute    amiableté  et  douceur  »,    qu'il   va 

l)Nys,  Les  origines  de  la  diplomatie,  p.  39, 

2)  Ibid.,  p.  10.  Par  contre,  un  décret  de  1481  punit  du  bannissement  et 
de 2,000 ducats  d'amende  quiconque  parlerai  un  ambassadeur  étranger  des 
affaires  du  pays.  Un  décret  florentin,  du  *2'.\  janvier  1496  anc.  st.,  stipule  les 
peines  les  plus  sévères  contre  quiconque  enfreint  les  secrets  diplomatiques 
(Arch.  de  Florence,  Coslituzione  per  gli  ambasciadori  :  Legaiioni,  rcg.  I). 

3)  Le  Pogge  raconte  la  plaisante  histoire  d'ambassadeurs  florentins,  qui 
rebroussent  chemin  pour  s'expliquer  près  du  duc  de  Milan,  parce  qu'ils  lui 
avaient  dit:  «  Nous  sommes  citoyens  et  envoyés  de  Florence,  s'il  vousplait.» 
Ce  «  s'il  vous  plait  »  leur  pesait.  Le  duc  ne  pût  s'empêcher  de  sourire  (Facé- 
tie cxxvi  ;  édition  Liseux,  II,  13). 

4)  1505.  Lett.  de  Louis  XII,  1,  28. 

5)  Jean  de  Roye. 


MANIÈRE    n'ÈTRE    ET    CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  311 

envoyer  une  ambassade  au  roi,  pour  le  satisfaire.  Les  ambas- 
sadeurs, suivant  leurs  instructions,  refusent  et  le  somment 
deux  fois  de  s'exécuter;  la  troisième  fois,  ils  dressent  procès- 
verbal  du  refus  «  devant  notaires  et  tesmoings  qu'ils 
avoient  ammenez  tout  propre  de  Paris  ».  Philippe  réclame 
contre  cette  injonction,  «  moult  esbaby  et  desplaisant  »  '. 

La  plus  grande  épreuve  de  l'ambassadeur,  celle  qui  excite 
le  plus  sa  patience,  vient  de  ses  rapports  avec  son  propre 
gouvernement.  Officiellement  ou  non,  l'ambassadeur  est  par- 
fois desservi  près  de  ses  chefs  ;  on  lui  reproche  trop  de  rai- 
deur ou  trop  de  souplesse,  on  l'accuse  de  trahir  leurs  inten- 
tions *.  Les  Français  ont  particulièrement  la  réputation  de 
peu  soutenir  leurs  ambassadeurs s.  C'est  en  pareil  cas,  sur- 
tout, que  l'ambassadeur  ne  doit  rien  laisser  paraître.  Accurse 
Mainier,  ambassadeur  de  France  à  Venise  en  1504,  agit 
pitoyablement  ;  gravement  accusé  en  France  et  non  sans 
motifs,  il  vient  remercier  la  Seigneurie  d'une  lettre  qu'on  a 
écrite  en  France  pour  le  disculper  d'imputations  fausses.  Il 
est  tout  ému  :  «  le  cardinal  d'Amboise  va,  dit-il,  retrouver  le 

1)  1505.  Lettres  de  Louis  XII,  I,  13. 

2)  Edouard  Bullion,  envoyé  en  mission  à  Naples,  écrit  aux  ambassa- 
deurs de  France  à  Rome,  pour  les  prier  de  faire  des  démarches  près  du 
pape,  pour  modifier  la  conduite  de  l'ambassadeur  pontifical  à  Naples 
(1502.  Sanuto,  IV,  422).  Le  pape,  pour  nuire  à  l'ambassadeur  d'Angleterre, 
envoie  directement  la  rose  d'or  au  roi  d'Angleterre.  Les  ambassadeurs  de 
France  disent  au  Saint  Père,  en  1468,  que  son  ambassadeur  en  France, 
Falco  de  Sinibaldi  (qui  les  accompagnait)  «  esloit  devenu  si  fort  françois 
que  nous  doutions  qu'il  ne  l'eust  doresenavant  en  souppesson  »  ;  le  pape 
répond  qu'il  ne  l'aura  pas  pour  ce  motif  en  soupçon,  car  lui-même  a  l'inten- 
tion de  se  montrer  si  bon  français  qu'il  blâmerait  Falco  de  ne  l'être  pas 
(fr.  3884,  f°  189), 

3)  «  Ils  estiment  leurs  hommes  en  beaucoup  d'occasions  d'une  manière 
peu  délicate,  dit  Machiavel  :  ce  qui  n'est  pas  conforme  à  la  conduite  des  sei- 
gneurs italiens;  c'est  ainsi  qu'ils  tinrent  peu  de  compte  d'avoir  envoyé  à 
Sienne  réclamer  Montepulciano  et  de  n'avoir  pas  été  obéis  »  (Du  naturel  des 
françus). 


312  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DÉ    MACHIAVEL 

roi  et  il  est  prévenu  contre  lui  »  :  Accurse  voit  déjà  sa  vie  en 
jeu.  Le  doge  le  réconforte  et  lui  dit  qu'il  n'en  sera  rien1. 
Mercurin  de  Gattinara,  ambassadeur  de  Marguerite  d'Autriche 
en  France,  nous  donne  aussi  le  spectacle   d'un  manque   de 
tenue,  qui,  au  moins,  ne  se  trahit  pas  en  dehors  de  sa  cor- 
respondance.  Il  écrit  à  Marguerite  pour  excuser  une  lettre 
qu'il  lui  a  adressée  dans  un  accès  d'emportement.    «  lime 
sembloit  que  vous  eussiez  si  petite  confidence  en  moy  et  que 
vous  me  teinssiez  si  meschant  que  de  vouloir  consentir  et 
entendre  à  chose  qui  fust  contre  l'honneur  de  l'Empereur  ny 
de  vous  »  et  contre  mon  honneur  ;   «  lequel  je  me  souis  con- 
tinuellement efforcé  de  bien  garder,  et  le  vouldroye  garder 
pour  l'advenir  plus  que  tous  les  biens  que  vous  ny  autre  prince 
ne  sçauriez  faire,  car  les  biens,  l'on  les  me  pourroit  oster 
maulgré  moy,  mais  de  mon  honneur  il  ne   seroit  en  pou- 
voir ny  de  vous,  ny  de  Prince  du  monde  le  moy  oster  sans 
mon  consentement  ;  et  pour  ce  je  m'efforceroy,  tant  que  la  vie 
durera,  de  garder  cette  pièce  autant  que  le  plus  grand  trésor 
du  monde 5.  »  Dans  cette  longue  dépêche,  il  ajoute  encore  que 
Marguerite  perdra  ses  serviteurs  si  elle  leur  témoigne  tant  de 
défiance,   et  qu'elle  n'en  retrouvera  point  de  si  sûrs,  de  si 
expérimentés,  de  si  loyaux  :  «  je  vous  dis,  Madame,  en  toute 
humilité,  que  ne  seriez  pas  digne  d'avoir  tels  serviteurs  '.  » 
Il  revient  encore,  à  la  fin,  sur  ce  sujet.  Marguerite  se  laisse 
égarer  par  de  mauvais  soupçons,  elle  reconnaîtra  son  inno- 
cence. «  Et  à  vous  dire  la  vérité,,  Madame,  combien  que  ce  que 
dessus  ne   soit  pas  escript  en  chaulde   colère,  mais  à  sang 
rassis,  néantmoins  le  grand  regret  que  j'ay  eu  de  vos  lettres 
et  de  la  diffidence  qu'avez  monstre  avoir  de  moy  et  de  vos 

1)  4janv.  1504  (Sanuto,  V,  651). 

2)  Oct.  1509.  Lett.  de  Louis  XII,  I,  185. 

3)  Id.,  196. 


MANIÈRE    DÊrRE    ET   CONDUITE    DES    AMBASSADEURS  343 

aultres  bons  serviteurs  a  fait  passer  ma  plume  ung  peu  plus 
avant  pour  vous  donner  mieux  à  cognoistre  la  vérité  de  ces 
choses  '.  » 

En  résumé,  le  diplomate,  simple  intermédiaire,  doit  s'appli- 
quer à  rester  effacé,  de  manière  à  pouvoir, en  cas  d'échec,  reje- 
ter la  responsabilité  sur  «  le  grand  diable8  »  ;  il  doit  accepter 
toutes  les  missions,  bonnes  ou  mauvaises.  Machiavel,  déjà 
avancé  dans  sa  carrière,  reçoit  en  1521,  après  une  longue  dis- 
grâce, l'ordre  de  se  rendre  au  couvent  de  Carpi,  pour  négo- 
cier une  affaires  de  moines.  Il  y  part  aussitôt.  Guichardin  lui 
écrit  à  ce  sujet  des  lettres  très  plaisantes,  mêlées  de  réflexions 
sérieuses  :  «  Quand  je  lis  vos  titres  d'ambassadeur  de  répu- 
blique chez  des  moines  et  que  je  considère  avec  combien  de 
rois,  de  ducs  et  de  princes  vous  avez  autrefois  négocié,  je  me 
rappelle  Lysandre...  etc.  »  Machiavel  répond  sur  le  même 
ton  :  «  J'ai  reçu  votre  lettre  sul  cesso  (au  cabinet  d'aisance)  \  » 

A  côté  des  préceptes  généraux  sur  l'art  de  se  conduire,  il 
faut  connaître  les  difficultés  spéciales,  inhérentes  à  chaque 
négociation  ou  à  chaque  pays.  En  France,  les  ambassadeurs 
rencontrent  deux  difficultés  spéciales  :  1°  un  esprit  trop 
exclusivement  militaire  *,  et  un  dédain  trop  prononcé  pour  les 
moyens  diplomatiques  ou  politiques  5. 

Un  jour,  à  Nantes,  raconte  Machiavel,  «  le  cardinal  de 
Rouen  me    disait  que  les  Italiens  n'entendaient  rien  à   la 


OW.,199. 

2)  «  Semble  que  le  Grand  Diable  ait  tenu  la  main  à  interrompre  la  ditte 
veue  »  (Dép.  d'A.  de  Burgo.  Lett.  de  Louis  XII,  1, 176). 

3)  Artaud,  Machiavel,  II,.  79  et  s. 

4)  Balth.  de  Caslillon,  Le  parfait  courtisan,  trad.  Chapuis,  p.  112.  «  Les 
Français  préfèrent  les  armes  aux  lettres...  » 

o)  «  Les  Français  sont  plutôt  taquins  que  prudents.  Ils  ne  s'embarrassent  pas 
beaucoup  de  ce  qu'on  écrit  et  de  ce  que  l'on  dit  d'eux  »  (Machiavel,  Du  na- 
turel des  Français). 


3H  LA     DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

guerre,  et  je  lui  répondis  que  les  Français  n'entendaient  rien 
aux  affaires  d'Etat,  parce  que,  s'ils  s'y  entendaient,  ils  ne  lais- 
seraient pas  arriver  l'Eglise  à  une  telle  grandeur  »  '. 

2°  Le  caractère  des  Français  est  essentiellement  changeant; 
leurs  dispositions  varient  d'un  jour  à  l'autre,  et  l'on  ne  peut 
jamais  compter  sur  elles  \ 

Machiavel  a  mis  en  relief  ces  deux  difficultés  dans  un  pas- 
sage célèbre  :  Les  Français  dit-il,  «  ne  sont  libéraux  que  dans 
les  audiences.  Les  premiers  accords  sont  avec  eux  toujours 
les  meilleurs.  A  qui  veut  conduire  une  chose  en  cour,  il  faut 
beaucoup  d'argent,  une  grande  promptitude  et  une  fortune 
favorable.  Ils  sont  variables  et  légers  ;  ils  ont  la  foi  du  vain- 
queur. »  En  France,  le  meilleur  moyen  d'être  bien  vu  du  roi, 
c'est  de  réussir3. 

Quant  aux  Anglais,  on  les  trouvait  aussi,  en  diplomatie, 
des  gens  trop  gros,  trop  gras,  aimant  à  boire,  colères,  naïfs, 
francs,  hardis  ;  en  somme,  vrais  soldats  et  peu  diplomates, 
laissant  les  traités  contrebalancer  leurs  victoires  :  «  Ils  ne 
sont  pas,  dit  Philippe  de  Commines  (grand  admirateur  pour- 
tant de  la  constitution  anglaise),  si  subtils  en  traictés  et  en 
appointements  comme  sont  les  François,  et  quelque  chose 
que  l'on  en  die,  ils  vont  assez  grossement  en  besongne  ; 
mais  il  fault  avoir  ung  peu  de  patience  et  ne  débattre  point 
coléricquement  avec  eulx  *  » . 


1)  Il  s'agissait  de  l'expédition  de  César  Borgia  en  Romagne  :  Machia- 
vel jugeait  que  le  roi  de  France  se  repentirait  d'avoir  tenu  au  pape  sa  parole 
(Le  Prince,  en.  m). 

2)  «  In  Francia,  secondo  la  natura  loro,  non  so  corne  si  possa  tare  fonda- 
mento  »  (Dépêche  de  Laurent  de  Médicis  à  son  ambeur  à  Rome,  17  oct. 
1-489.  Roscoë,  Vie  de  L.  de  Mèdicù,  trad.  Thurot,  II,  399). 

3)  Machiavel,  Du  naturel  des  Finançais. 
-    4)  Mémoires,  I,  344,  369. 


MANIÈRE    DÊTRE    ET   CONDUITE   DES    ÀMRASSADEURS  315 

On  peut  rendre  un  témoignage  analogue  aux  Allemands. 
Quant  aux  Pays  Bas,  couverts  de  grandes  villes  industrielles 
en  pleine  prospérité,  on  n'y  rêve  que  luxe  et  fêtes  '. 

La  diplomatie  française  a  un  rôle  pénible  en  Suisse,  contrée 
encore  rude,  où  le  pape  seul  exerce  uneinfluence  :  au  contraire, 
elle  ne  trouve  que  des  amis  en  Hongrie  et  en  Portugal 3  :  ce 
dernier  pays,  où  règne  une  dynastie  qui  se  rattache  à  la  pre- 
mière maison  de  Bourgogne,  du  XP  siècle,  est  même  consi- 
déré comme  quasi-français.  En  Espagne  et  en  Italie,  condam- 
née à  lutter. de  finesse,  la  diplomatie  française  a  presque  tou- 
jours le  dessous.  Rome,  Florence,  Venise,  représentent  les 
académies  de  la  diplomatie.  En  mars  1502,  Venise  entretient 
des  ambassades  résidentes  à  Rome,  en  Allemagne,  en 
France,  en  Angleterre,  en  Espagne,  en  Portugal,  en  Hongrie, 
en  Pologne,  à  Rhodes,  et  un  chargé  d'affaires  à  Milan  3.  Quant 
au  caractère  florentin,  il  semble,  au  Moyen  âge,  incarner  le 
génie  diplomatique  :  intelligent,  spirituel,  caustique,  scepti- 
que, très  actif,  quelque  peu  mercantile,  et  cependant  ouvert, 
par  delà  toute  expression,  au  sentiment  de  l'art,  plein  d'une 
distinction  native,  raffiné  par  la  culture  intellectuelle,  rompu 
en  même  temps  à  la  pratique  la  plus  intelligente  des  affai- 
res de  banque.  On  raconte  cette  anecdote  que  Boniface  VIII, 
à  l'époque   du  fameux  jubilé  qui  attirait  à   Rome,   au    mi- 

1)  Alberi,  Relazioni  degli  ambasciatori  Yeneti,  ser.  I,  A,  VI,  p.  1-30,  Rela- 
tion de  Quirini  (InOG  . 

2)  Cf.  Seyssel,  Hist.  du  roy  Louys  A7/'"«,  p.  66  v°. 

3)  Sanuto,  IY,  S40.  Cf.  E.  Gebhart,  Etudes  méridionales,  Machiavel  (Pans, 
1887).  «  Florence  détestait  en  Venise  un  État  dédaigneux  de  la  démocratie, 
une  puissance  marchande,  industrielle  et  financière,  qui  gênait  ses  comptoirs 
et  ses  banques.  On  ne  tenait  pas  compte  du  don  éminenl  de  Venise  qui  pou- 
vait être  employé  pour  le  bien  de  toute  l'Italie,  le  grand  art  de  la  diploma- 
tie, la  science  consommée  de  la  politique  extérieure.  »  M.  Gebhart  reproche 
aux  quatre  papes  de  ce  temps  «  une  diplomatie  indécise  et  brouillonne  »  et 
des  alliances  contradictoires,  une  direction  personnelle  et  incertaine. . . 


346  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

lieu  d'une  foule  immense,  le  florentin  Arnolfo,  le  florentin 
Giotto,  le  florentin  Dante,  donnant  audience  aux  envoyés 
de  France,  d'Angleterre,  d'Allemagne;  de  Bohême,  de  Ra- 
guse,  de  Vérone,  de  Naples,  de  Sicile,  de  Pise,  de  Camerino, 
des  chevaliers  de  Saint  Jean  et  du  khan  des  Tartares,  apprit 
avec  étonnement  qu'ils  étaient  tous  florentins. 


CHAPITRE  XII 


MOYENS   D  ACTION    DIPLOMATIQUES. 


Toute  ambassade  a  pour  mission  essentielle  de  savoir  ce 
qui  se  passe  :  l'ambassade  spéciale  a,  en  outre,  pour  but  de 
négocier  une  affaire.  L'un  et  l'autre  résultat  ne  s'obtiennent 
qu'à  condition  de  posséder  des  amis  bien  placés  et  influents. 
L'art  essentiel  de  la  diplomatie  consiste  donc  à  gagner  des 
amis  et  à  les  entretenir.  C'était  la  constante  préoccupation  de 
Louis  XI,  de  «  pratiquer  à  gagner  des  hommes  ».  11  n'épargnait 
rien  pour  se  les  concilier,  pour  les  soudoyer,  pour  acheter 
leurs  services;  argent,  fonctions,  il  promettait  et  donnait  libé- 
ralement1. De  ses  ambassadeurs  en  Bourgogne,  ditCommines, 
«  les  uns  alloient  et  venoient  pour  sçavoir  nouvelles, les  aultres 
pour  soubstraire  gens  et  pour  toutes  mauvaises  marchan- 
dises, soubs  umbre  de  bonne  foy*.   » 

Recevoir,  héberger,  soudoyer  des  émigrés,  des  fugitifs, 
des  gens  compromis,  constitue  l'action  naturelle  de  toute 
puissance  voisine.  Louis  XI  entretient  une  foule  d'émigrés 
bretons,  Charles  VIII,  des  émigrés  napolitains;  le  roi  d'An- 
gleterre retient  à  son  service,  pour  1,000  couronnes  de  pen- 

1)  Commincs,  Mémoires,  I,  83,  84. 

2)  Mémoires,  I,  III,  8  novembre  1509.  Cf.  Lettre  du  sénat  de  Venise  aux 
ambassadeurs  à  Rome,  «Oratoribus  nostris  in  Curia.»  Remercier  affectueuse- 
ment Prospero  Colonna  de  ce  qu'il  a  dit  au  pape.  Il  sera  l'instrument  de  la  li- 
bération de  l'Italie  des  mains  des  barbares  ;  le  pape  commence  à  voir  l'arro- 
ganceet  la  perfidie  des  Français.  Il  est  d'intérêt  majeur  que  le  pape  s'éloigne 
de  la  France.  Persuader  Prospero  Colonna  de  continuer.  Tacher  de  le  faire 
entrer  au  service  de  Venise  (Arch.  de  Venise,  Secreto  42,81). 


318  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

sion,  le  procureur  général  de  Bretagne  Olivier  Coetlogon, obli- 
gé de  s'expatrier  '. 

A  plus  forte  raison  trouve-t-on  naturel,  surtout  en  Italie, 
d'engager  des  condottieri.  Charles  VIII  marchande  à  deux 
reprises  les  services  du  marquis  de  Mantoue,  qui,  dans  l'in- 
tervalle, commande  contre  lui  l'armée  italienne  à  Fornoue. 
Le  milanais  Trivulce  passe  de  l'armée  napolitaine  à  l'armée 
française,  lors  de  la  campagne  de  Charles  VIII  :  en  1498, 
Venise  l'embauche  et  il  demande  au  roi  l'autorisatioD  de  pas- 
ser à  ce  nouveau  service... 

On  va  plus  loin.  On  paie  à  un  capitaine  la  reddition  d'une 
place'.  Le  capitaine  Benedetto  Crivello  devient,  en  1512,  pa- 
tricien de  Venise,  et  riche,  pour  avoir  trahi  son  devoir  de 
soldat3. 

\)  3  déc.  1492.  Champollion-Figeac,  Lettres  des  rois,  II.  504. 
'  2)  Ms.  Moreau  1452,  n"  126.  19  mai  1435.  Engagement  du  duc  de  Bour- 
gogne à  Etienne  de  Vignolles,  dit  La  Hire,  de  lui  payer  4200  saluts  d'or  pour 
la  reddition  de  Breteuil.  ld.,  n°  128.  4  juillet  1435.  Reçu  par  Lahire  de  cette 
somme;  il  promet  «  en  bonne  foy  et  sur  mon  honneur  »  de  s'en  tenir  pour 
bien  payé:  signé  «  Lahire   » 

3)  11  septembre  1512.  Dépêche  vénitienne,  à  l'orateur  à  Rome:  «  Renzo  da 
Ccve  a  corrompu  par  de  l'argent  Benedetto  Crivello,  capitaine  d'Italiens,  pour 
la  France  à  Crema,  et  sa  compagnie,  à  condition  d'un  sauf  conduit  du  pape, 
de  l'évèque  de  Sion  et  du  gouverneur  de  Milan,  pour  M.  de  Duras,  le  capi- 
taine français  de  la  place  avec  tous  ses  gens,  pour  retourner  sûrement  en 
France,  moyennant  quoi  il  rendrait  Crema.  On  a  donné  en  otage  un  fils  de 
Duras.  Prière  de  faire  expédier  de  suite  les  saufs  conduits  :  que  le  gouver- 
neur de  Milan  envoie  un  commissaire  pour  escorter  Duras.  Tout  va  bien 
contre  les  Français  ».  14  sept.  1512.  Lettre  au  capitaine  d'infanterie  (devant 
Crema).  «  Reçu  votre  projet  de  convention,  apporté  par  les  nuntii de  Crivello. 
Nous  l'approuvons  et  envoyons  les  patentes  confirmatoires.  Pour  la  promesse 
de  noblesse,  nous  faisons  Crivello  gentilhomme  vénitien  héréditaire:  on  lui 
expédiera  le  diplôme.  Nous  confirmons  les  promesses  particulières  de  200 
fantassins  à  Jean  Antonio  da  Piasenza,  de  150  à  Bassan  da  Lodi,  avec  300 
ducats  une  fois  donnés  pour  le  passé,  et  six  ducats  par  mois;  au  capitaine  de 
bandiera,  deux  ducats  par  mois  ».  —  Avis  conforme  aux  provéditeurs.  —  Pa- 
tentes du  doge,  confirmant  le  pacte  entre  Laurent  de  Anguilaria,  capitaine- 
général  d'infanterie,  et  Crivello, capitaine  pour  la  France  ;  comportant:  l°un 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  319 

Mais  tout  cela  n'est  rien  à  côté  du  travail  souterrain 
auquel  se  livre  perpétuellement  la  diplomatie  pour  se  pro- 
curerdes  amis  et  des  alliés  jusque  dans  les  conseils  du  souve- 
rain. D'après  Commin.es,  Louis  XI  connaissait  tous  les  gens  de 
valeur  ou  Influents  en  Angleterre,  en  Espagne,  en  Portugal, 
en  Italie,  en  Bourgogne,  en  Bretagne,  aussi  bien  qu'en 
France1,  et,  grâce  à  des  études  de  ce  genre,  le  héraut  Mont- 
joye  ne  craignait  pas  de  dire  que  Louis  XII  était  plus  puis- 
sant en  Allemagne  que  Maximilien*. 

Même  en  matière  diplomatique,  môme  pour  sauver  l'État, 
on  ne  peut  pourtant  pas  approuver  tous  les  moyens  contre 
des  ennemis.  On  a  souvent  accusé  le  gouvernement  français 
de  recourir  à  l'incendie  ou  au  poison,  car,  à  la  fin  du  XV' 
siècle,  les  accusations  de  ce  genre  se  retrouvent  sans  cesse. 
Ainsi,  en  149o,  on  croit  à  une  conspiration  contre  la  vie  du 
roi  Henri  VII  et  on  la  suppose  aidée  par  la  France  s.  Un 

revenu  de  1,000  durais  en  biens  de  rebelles;  2°  une  maison  à  Padoue; 
3°  800  ducats  en  bénéfices  ecclésiastiques,  pour  un  neveu  ;  A°  maintien  de  sa 
compagnie  de  oOO  gens  de  pied  à  la  mode  de  France,  payés  par  ses  mains, 
avec  100  ducats  pour  lui  ;  o°  une  gratification  extraordinaire  de  1300  ducats 
pour  la  compagnie,  comptant  ;  6°  une  paie  extraordinaire  d'un  mois,  de 
même  ;  7°  un  don  de  7,000  ducats  d'or,  larges,  payés  à  lui  avant  la  remise 
de  la  porte  ;  8°  tout  le  sel  actuellement  à  Crema,  venant  de  la  gabelle  fran- 
çaise :  9°  autorisation  d'amnistier,  à  son  choix, deux  gentilshommes  rebelles 
de  Crema,  avec  tous  leurs  biens  et  leurs  familles  ;  10°  don  de  tous  les  biens 
meubles,  immeubles,  du  mobilier,  de  la  personne,  de  la  famille  de  Guido 
Pace,  de  Crema,  rebelle  manifeste,  iï  septembre  1512.— Même  jour.  Patentes 
d'anoblissement  pour  Benedetto  Crivello,qui  est  inscrit  au  nombredes  patrices 
du  conseil  majeur.  16  avril  loi!!.  Sur  la  réclamation  de  Bened.  Crivello,  qui 
n'est  pas  satisfait  de  la  maison  et  des  biens  qu'on  lui  a  donnés  à  I'adoue,etqui 
en  demande  d'autres,  on  ajoute  un  bois  voisin;  ou  le  dispense  des  dettes  qui 
grevaient  les  biens  à  lui  attribués  (biens  de  Arluso  ctAn/olo  Conte,  à  Creda  ou 
Criola,  maison  de  feu  Bertu/.i  Bagarolo  à  Padoue),  l'État  les  paiera  (Archives 
de  Venise,  Conseil  des  X). 

1)  Chap.  x. 

-2)  Sanuto.  \  III,  9b. 

3)  Champollion-Figeac,  Lettres  des  rois,  II,  p.  bOb.  Tous  les  gouvernements 


320  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

auteur  moderne,  assez  peu  informé,  il  est  vrai,  M.  Lamans- 
ky,  suppose  encore  l'intervention  de  Louis  XII  dans  l'incendie 
de  l'arsenal  de  Venise  en  1509  '.  Ces  hypothèses  ne  reposent 
sur  rien.  Le  9  février  1503,  l'ambassadeur  de  France  à  Ve- 
nise, à  propos  de  l'arrivée  d'un  envoyé  de  Mantoue,  s'indi- 
gne que  le  marquis  de  Mantoue  accuse  le  roi  de  vouloir 
l'empoisonner.  «  Ce  n'est  pas,  dit-il,  l'usage  des  rois  de 
France.  Louis  XII  garde  chez  lui  sains  et  saufs  trois  enne- 
mis, Ludovic  et  Ascagne  Sforza,  le  roi  Frédéric  de  Naples, 
et  même  il  a  rendu  la  liberté  à  Hermès  Sforza  *  ». 

Venise,  au  contraire,  du  XVe  au  XVIII0  siècle,  a  constam- 
ment et  authentiquement  fait  appel  à  l'assassinat  et  au  poison 
en  matière  internationale.  Elle  accorda  des  primes  pour 
assassiner  François  Sforza,  Mahomet  II,  Bajazet,  César  Bor- 
gia,  Maximilien,  Charles  VIII,  Louis  XII...,  sans  d'ailleurs 
qu'aucun  de  ces  princes  ait  succombé  3.  Dans  la  correspon- 
dance avec  l'ambassadeur  à  Rome,  nous  trouvons  en  toutes 
lettres  des  arrêts  d'assassinat;  une  dépêche  du  10  mai 
1513  prescrit  à  l'ambassadeur  de  voir,  dans  le  plus  profond 
secret,  un  exilé  vénitien, Marc  da  Leze,  qui,  pour  rentrer  dans 
son  pays,  se  chargerait,  croit-on,  d'assassiner  Janus  Cyprio  : 
l'ambassadeur  lui  promettra  pour  cet  assassinat  un  sauf 
conduit  d'un  siècle*.  Le  3  avril  1514,  sur  une  lettre  anonyme 

ont,  du  reste,  subi  des  accusations  semblables.  Ainsi  un  anglais,  Jean  Bon, 
pensionné  par  Louis  XI,  qui  avait  des  bontés  pour  sa  femme,  conspira  l'em- 
poisonnement du  dauphin,  à  la  suggestion,  disait-on,  du  duc  de  Bourgogne. 
Condamné  à  mort,  il  obtint  d'avoir  seulement  les  yeux  crevés,  au  grand 
avantage  du  roi,  et  le  roi  continua  directement  la  pension  à  sa  femme  (1476. 
Jean  de  Roye). 

1)  Secrets  d'État  de  Venise,  p.  421. 

2)  Sanuto,  IV,  711. 

3)  Lamansky,  p.  1-154,  documents  de  1415  à  1768:  p.  818-819,  il  compte, 
de  1 450  à  1 474,  des  ordres  d'empoisonnement  contre  cinq  personnes,  quelques- 
uns  réitérés  ;  de  1475  à  1479  neuf,  de  1300  à  1521  dix  sept. 

4)  Misto  38.  «  Lcgatis,  solis,  solis.  » 


moyens  d'action   DIPLOMATIQUES  .'Î2I 

qui  signale  des  menées  de  Janus  Cyprio  contre  Venise  malgré 
les  conférences  pour  la  paix,  nouvelle  dépèche  qui  ordonne, 
très  secrètement,  ;;  l'ambassadeur  de  s'entendre  avec  un 
confident  de  Janus.  Heraldo,  et  de  lui  offrir  mille  ducats  pour 
tuer  son  ami1. 

L'on  a  accusé  les  gouvernements  milanais  et  napolitain  de 
crimes  analogues,  mais  sans  preuves  bien  péremptoires.  Il 
est  malheureusement  certain  que  l'emploi  du  poison  fleurit  à. 
cette  époque  en  Italie5,  mais  il  est  non  moins  certain  qu'on 
en  a  fort  exagéré  les  effets.  Le  jurisconsulte  français  Rigault, 
dans  ses  études  sur  le  droit  de  la  guerre,  flétrit  vivement  ce 
procédé,  qu'il  traite  d'italien,  et  dont  il  exhorte  les  Français 
à  se  garer.  Selon  lui,  les  Italiens  usent  personnellement  du 
poison  pour  se  venger  des  assiduités  des  Français  près  de 
leurs  femmes;  en  quoi,  ils  ont  tort;  car,  dit-il,  si  les  Fran- 
çais aiment  la  société  des  femmes,  c'est  affaire  d'éducation, 
mais  ils  agissent  en  tout  bien,  tout  honneur3. 

N'insistons  pas  sur  ces  moyens  exceptionnels,  extra-diplo- 
matiques. 

Le  système  diplomatique  ordinaire  consiste  simplement  à 
se  procurer  des  amis  pour  des  services  diplomatiques. 

Les  amis  s'acquièrent  ou  se  mettent  en  mouvement  :  1°  par 
des  procédés  de  courtoisie  ;  2°  par  des  rattachements  honori- 
fiques; 3°  par  des  promesses,  de  l'argent,  ou  la  mise  en  œuvre 
de  passions,  d'intérêts  privés. 

Les  amis  se  subdivisent  en  deux  classes  :  les  amis  régu- 
liers, qui  font  un  service  continu,  et  les  amis  d'occasion  qui 


4)  U. 

2)  Lamansky,p.  157,  163. 

:i)  Allegationcs  Vincentii  (Rigault),  juge  do  Crives,  super  Bello  Ylalico, 
Paris,  à  la  Caigc,  chez  Jean  Frellon,  rue  des  Mathurins,  23  déc.  1512  ;  P>« 
VI  r°,  MIr°. 

21 


322  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

rendent  un  service  de  circonstance  et  envers  qui  l'on  est  quitte 
par  une  prestation  également  de  circonstance. 

Il  y  a  enfin  des  catégories  spéciales  d'amis  :  les  femmes, 
les  cardinaux. 

1°  Procédés  de  courtoisie.  Ce  moyen,  de  beaucoup  le  plus 
faible,   sert  d'appoint  aux  autres.  De  bonnes  relations  de 
courtoisie  sembleront  toujours  appréciables  à  un  ambassa- 
deur judicieux  ;  il  les  cultivera,  et  elles  lui  serviront  tôt  ou 
tard1.  Le  résident  vénitien  Dandolo  rend  compte,  le  15  dé- 
cembre 1513,  d'une  conversation  avec  le  cardinal  de  Luxem- 
bourg, personnage  des  plus  considérés,  âgé  de  75  ans,  qu'il 
avait  connu  à  la  cour  douze  ans  auparavant.  Luxembourg  lui 
témoigne  beaucoup  d'affection  et  lui  donne,  en  confidence, 
des  nouvelles  politiques,  et  son  appréciation,  peu  favorable 
d'ailleurs,  sur  la  politique  de  Louis  XII2.  Le  même  Dandolo 
profite  très  adroitement  des  dissentiments  qui  se  produisent 
entre  l'héritier  du  trône  et  le  roi  pour  faire  à  cet  héritier,  le 
comte  d'Angoulême,  une  cour  assidue.  Sa  correspondance  de 
1514  nous  le  montre  en  rapports  incessants  et  fructueux  avec 
le  prince  qui  représente  l'avenir.    Le  comte  d'Angoulême  le 
reçoit  le  matin,  en  déshabillé  intime,  et  cause  longuement  avec 
lui.  Un  jour,  le  comte  lui  explique  les  paroles  du  roi,  et  pro- 
teste pour  Venise  de  sympathie  et  d'attachement  \  Dandolo 
lui  communique  des  dépêches  qu'il  s'est  fait  adresser  de  Ve- 
nise  et   qui    sont   flatteuses   pour  le   comte*  :  «  j'ai  été  ce 
matin  voir  Angoulême,  écrit-il  le  8  mai  1514;  il  m'a  confirmé 
l'inclusion  du  duc  de  Milan  dans  les  trêves  et  m'a  fait  donner 

1)  Prospère  Colonna  vient  à  Rome  voir  un  ambassadeur  d'Espagne,  dont 
il  a  reçu  un  accueil  très  honorable  dans  un  voyage  en  Espagne  (1508. 
Sanuto,  Vil,  591). 

2)  Arch.  de  Venise. 

3)  Dép.du  18  avril  1514. 

4)  Dépêche  du  24  avril  1514. 


MOYENS    DICTION    DIPLOMATIQUES  323 

par  son  secrétaire  la  copie  ci-jointe  ».  Le  prince  lui  commu- 
nique les  dépêches  de  Home  ;  il  lui  confie,  sous  Le  sceau  du 
secret,  le  langage  tenu  la  veille  au  roi  par  les  ambassadeurs 
d'Espagne  l.  Le  comte,  tout  à  ses  projets  d'avenir,  cultivée 
levers,  comme  on  voit,  l'amitié  des  Vénitiens;  on  comprend 
le  soin  du  résident  vénitien  à  tirer  parti  d'une  si  excellente 
aubaine.  Sa  politesse,  sa  prévenance  envers  le  prince  ne  con- 
naissent pas  de  bornes;  il  s'applique  aussi  à  ne  pas  le  com- 
promettre, l'n  jour,  il  attend  le  comte,  au  retour  d'un  pèle- 
rinage, el  se  promène  avec  lui*;  une  autre  fois,  il  profite  d'une 
promenade  en  barque  avec  le  roi,  pour  continuer  avec  le 
comte,  qui  lui  dit  :  «  Mon  mariage  est  consommé  :  réjouissez- 
vous-en,  comme  de  parfaits  amis.  Je  veux  avoir  avec  vous 
une  amitié  plus  intime  qu'avec  personne,  être  votre  excellent 
ami,  votre  ami  de  cœur.  Réjouisses- vous  aussi  de  ce  que 
maintenant  je  suis  au  courant  de  tout...  Je  pourrai  parler  plus 
franchement  au  roi  que  je  ne  l'ai  encore  fait.  »  Le  résident 
promet  le  plus  cordial  attachement  de  la  République,  otlre 
mille  vœux*.  Le  futur  François  Ie'  déclare,  avec  satisfaction, 
qu'il  aura  désormais  un  héritage  assuré  de  5,000  ducats  de 
rente4....  Voilà  une  bonne  relation. 

2°  Les  rattachements  honorifiques  ont  été  fort  en  honneur 
au  Moyen  Age  pour  acquérir  chevaleresquement  des  amis, 
sans  bourse  délier  Au  commencement  du  XVIe  siècle,  leur 
astre  a  singulièrement  pâli,  en  ce  sens  qu'on  ne  les  considère 
plus  comme  un  lien  bien  étroit,  mais  on  en  est  toujours 
friand. 

L'ordre  de  chevalerie,  dans  sa  pureté,  consiste  en  une  affi- 

1)  Dépêche  du  8  mai. 

2)  Dépèche  du  VI  mai  1  o  1 4 . 
;    Dépêche  du  20  mai  1514. 

i)  Dépêche  du  1er  juillet  1514. 


324  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

liation  d'un  nombre  fixe  de  personnes,  qui  se  réunissent 
périodiquement  en  chapitres.  La  simple  décoration,  sans 
nombre  limité,  sans  affiliation  ni  chapitres,  s'appelle  une 
devise.  Ainsi  l'Angleterre  a  un  ordre  :  la  Jarretière,  et  une 
devise  :  la  Rose  l. 

L'ordre  ou  affiliation  chevaleresque  constitue  une  sorte  de 
puissance.  Toison,  roi  d'armes  de  l'ordre  bourguignon  de  la 
Toison  d'or,  lorsqu'il  apporte  l'ordre  à  Charles  VII  en  1456, 
présente  au  roi  une  véritable  lettre  de  créance,  dans  la  forme 
ordinaire,  au  nom  des  chevaliers  de  la  Toison  en  même 
temps  que  du  duc  de  Bourgogne  2.  Olivier  de  la  Marche  va 
jusqu'à  dire  que  l'ordre  de  la  Toison  d'or  est  pour  la  maison 
de  Bourgogne  le  «  principal  parement  »,  car  il  procure 
«  plusieurs  grans  et  notables  aliances  fraternelles,  comme 
Empereurs,  Roys,  duez,  contes,  barons  et  chevaliers  de  haulte 
et  grande  renommée  s  ».  Accepter  un  ordre,  est  faire  acte 
de  fraternité  publique/.  La  nouvelle  se  répand  à  Paris,  en 
1470,  qu'on  a  vu  à  Gand  le  duc  de  Bourgogne,  portant  à  une 
jambe  la  jarretière  et  sur  lui  la  croix  rouge,  et  se  déclarant 
ainsi  tout  anglais9.  Louis  XI  dénonce  le  duc  comme  ayant 
«  pris  la  jarretière  et  la  croix  rouge,  qui  est  l'ordre  de  l'an- 
cien ennemy  et  adversaire  du  Roy,  en  quoi  il  s'est  manifeste- 
ment déclaré  contre  le  Roy  6.   » 

En  bonne  règle,  on  ne  doit  accepter  l'ordre  d'un  souverain, 


1)  Olivier  de  la  Marche,  IV,  161. 

2)  Gachard,  Analectes,  lui. 

3)  P.  159. 

4)  La  veille  et  le  jour  de  la  Saint  Georges,  le  duc  de  Bourgogne  assiste  à 
des  messes  solennelles,  fait  des  visites  avec  l'habit  de  la  Jarretière  (avril  1476. 
Gingins  la  Sarraz,  Dép.  des  ambass.  milanais,  II,  90). 

5)  Jean  de  Roye. 

6)  Instr.  de  Louis  XI  pour  la  Bretagne  (fr,  3884,  fo  2T9); 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  325 

que  lorsqu'on  peut  garantir  ses  bons  offices  '.  Si  une  circons- 
tance place  le  chevalier  parmi  les  adversaires  du  chef  de 
l'ordre,  il  doit  refuser  les  insignes  s'il  en  est  temps5,  ou  les 
renvoyer,  s'il  les  possède  déjà3;  sinon,  il  s'expose  à  une  ra- 
diation*. 

Au  commencement  du  XVe  siècle,  un  prince  se  croirait  des- 
honoré s'il  ne  disposait  d'un  ordre,  ou  tout  au  moins  d'une 
devise  quelconque.  Les  ducs  d'Orléans  confèrent  la  devise  du 
camail  ou  porc-épic,  qui  ne  put  jamais  devenir  un  ordre  *  et 
qui  tomba  en  discrédit6. 

1)  Le  duc  de  Guyenne  déclare  ne  pouvoir  accepter  la  Toison  d'Or,  étant  lié 
déjà  par  l'ordre  de  Saint  Michel  (1 469.  Dom  Plancher,  Histoire  de  Bourgogne, 
IV,  377).  Le  duc  de  Bretagne,  en  1469,  refuse  le  collier  de  Saint  Michel,  sous 
prétexte  que  les  chevaliers  sont  de  trop  petit  état  pour  lui.  Le  roi  lui  donne 
jusqu'au  lo  février  pour  se  décider.  Peu  après,  le  duc  sollicite  le  collier 
(Favre,  Introduction  du  Joucencel,  p.  cci.xxvi). 

2)  L'ambassadeur  du  roi  d'Angleterre  arrive  à  Milan  :  reçu  le  13  septembre 
en  audience,  il  propose  au  duc  de  recevoir  l'ordre  de  Saint  Georges  etd'en  ju- 
rer les  statuts.  Réponse  courtoise  du  duc,  mais  prudemment  négative.  Il  rend 
d'immenses  grâces,  il  se  met  au  service  du  roi,  mais  il  ne  peut  en  ce  moment 
accepter.de  peur  de  se  rendre  suspect  au  roi  de  France  avant  le  règlement  des 
affaires  de  Sicile  (13  sept.  1453.  Arch°  Sforzesco).  Le  roi  de  Portugal  célèbre 
solennellement  la  fête  de  Saint  Georges, avec  des  offices  religieux  et  des  danses, 
comme  chevalier  de  la  Jarrelière.cn  présence  des  ambassadeurs  anglais  (1489. 
Gairdner,  Hist.  régis  Henrtci  septimi,  193). 

3)  K.  1482.  Naples,  3  septembre  1512.  Lettre  du  prince  de  Lusignan,  du 
prince  de  Melfc,  du  duc  â'Hatri,  du  comte  de  Matalen,  à  Louis  XII  (en  ita- 
lien) ;  très  courtoise  :  Nous  sommes  vassaux  et  liges  du  roi  catholique,  disent- 
ils.  Notre  loyauté  et  le  souci  de  notre  bonne  renommée  de  chevaliers  nous 
obligent  à  vous  renvoyer  le  collier  de  l'ordre  de  Saint  Michel.  —  Nous  en 
fumes  heureux  jadis,  nous  en  avons  observé  les  statuts.  Nous  renvoyons  les 
insignes  par  Castiglia,  roi  d'armes  du  roi  catholique. 

4)  En  1481,  Philippe  Pot  et  leV  d'Esquerdes  sont  rayés  de  la  Toison  d'Or, 
comme  ayant  pris  du  service  en  France  (Olivier  de  la  Marche,  IV,  148,  149). 

.">  Olivier  de  la  Marche  (IV,  162,  184  et  suiv.)  dit  que  le  quamail,  du  duc 
Charles  d'Orléans,  fut  porté  par  beaucoup  de  gens  de  bien,  mais  il  n'eut 
jamais  de  nombre  fixe  ni  de  chapitres,  «  et  pour  ce  je  diz  que  ce  n'estoit  que 
une  devise  et  non  pas  ordre.» 

6)  Mss.  fr.  22289,  fo  2  ;  fr.  3910.  f»  89  ;  Paradin,  Devises  héroïques  ;  Arch. 
du  Collège  Héraldique,  n°s  645,  646,  etc. 


326  LA   DIPLOMATIE   AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

En  1415,  le  duc  de  Bourbon  forme  avec  seize  chevaliers  et 
écuyers  une  association  de  pure  chevalerie  et  de  piété  pour 
deux  ans,  laquelle  a  pour  insigne  un  fer  de  prisonnier,  on  or 
ou  en  argent,  qu'on  porte  le  dimanche  à  la  jambe  gauche  '... 

L'inanité  pratique  de  ces  associations  devait  en  amener  la 
chute  :  aux  noces  de  Charles  d'Orléans,  en  mars  1407,  on  avait 
vu  les  ducs  d'Orléans  et  de  Bourgogne  multiplier  les  marques 
d'amitié  réciproque,  se  passer  réciproquement  au  cou  le  col- 
lier de  leurs  ordres,  le  conférera  beaucoup  de  leurs  officiers2  ; 
et  peu  après,  le  duc  d'Orléans  tombe  assassiné  par  le  duc  de 
Bourgogne. 

A  la  fin  du  XY°  siècle,  les  ordres,  de  moyens  d'action  poli- 
tiques, deviennent  de  simples  moyens  d'action  diplomatiques, 
de  simples  décorations,  plus  ou  moins  recherchées.  En  l.')04, 
le  duc  d'Urbin  hérite  de  l'ordre  de  la  Jarretière  qui  avait  été 
conféré  à  son  père  en  1474.  «  Cette  décoration,  écrit  un  peu 
ironiquement  le  résident  vénitien,  consiste  dans  une  sorte  de 
bande  dorée  qu'on  porte  sous  le  genou,  et  qui  passe  pour 
une  chose  excessivement  honorable8  ».  On  cherche  à  relever 
le  prestige  des  ordres  par  leur  caractère  de  distinction  : 
Louis  XI  autorise  ses  ambassadeurs  à  faire  demander  par  le 
duc  de  Gueldre  l'ordre  de  Saint  Michel,  «  lequel  est  aujour- 
duy  le  plus  digne  et  le  plus  noble  des  crestiens 4  » .  L'ordre 
de  Saint  Michel,  le  seul  que  confère  la  France  5,  reste  très 

1)  Douet  d'Arcq,  Clioix  de  pièces,  I,  370. 

2)  Monstrelet,  1, 130. 

3)  Dispacci  di  Giustinian,  III,  30. 

4)  Ms.  fr.  3884,  fo  272. 

5)  Il  n'est  plus  question  dune  devise  bizarre,  «  le  collier  de  noslre  ordre  de 
la  Cosse  de  Genestre  »,  à  porter  «  en  tous  lieux  et  par  toutes  places,  lestes  et 
compaignies  qu'il  lui  plaira  »,  que  conférait  Charles  VI  (7  mars  1  't0(i.  Douet 
d'Arcq,  Choix  de  Pièces,  I,  287).  Cf.  Patentes  du  24  septembre  1396,  accor- 
dant à  François,  seigneur  de  Mantoue,  sa  femme,  sa  sœur,  son  fils,  ses  deux 
fils,  son  fils  bâtard  et  six  chevaliers  à  son   choix,  «  l'ordre  et  devise  »  de 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  327 

estimé,  comme  facteur  de  négociations  *.  Les  ordres  de  Mi- 
lan, de  Naples  sont  envoyés  à  de  simples  courtisans',  et  sans 
grand  apparat9  :  pour  en  rehausser  le  prix,  on  ne  craint  pas 
de  les  accompagner  de  quelques  présents  plus  matériels4. 

Un  petit  moyeu,  non  dispendieux,  et  assez  utile  au  cours 
d'une  négociation,  est  une  bonne  lettre  princière  à  quelque 
personnage  ;  une  lettre  affectueuse,  où  on  l'appellera  «  mon 
cher  frère  »5,  où  Ton  traitera  de  «  cousin  »  un  noble  bAtard", 
ou  bien  une  grande  lettre  de  haute  politesse  pour  remercier 
de  quelques  bonnes  paroles7. 

Enfin,  un  rattachement  honorifique  très  rare,  très  haut  prisé, 
consiste  dans  la  concession  des  armoiries.  Par  des  patentes  de 
mai  1 499,  Louis  XII  donne  à  César  Borgia  le  nom  de  «  de 
France  »   et  le  droit  de  porter  l'écu  de  France  écartelé  avec 

France,  en  reconnaissance  du  bon  accueil  fait  à  des  Français  sur  le  territoire  v 
de  Mantoue  (Archives  de  Mantoue,  D.  IX,  I). 

1)  Deux  cardinaux,  pour  réconcilier  le  pape  et  le  roi,  négocient  secrètement 
l'envoi  de  l'ordre  de  Saint  Michel,  pour  le  frère  du  pape,  Julien  de  Médicis 
(1512.  Lett.  de  Louis  XII,  IV,  105). 

_'  Le  roi  de  Naples  envoie  à  des  courtisans  français  l'ordre  de  l'Hermine 
(1492.  Delaborde,  Expéd.  de  Charles  VIII,  p.  237). 

3)  Procuration  de  Jean  II  Grimaldi  pour  recevoir  du  duc  de  Bari  «  l'ordre 
ou  dignité  militaire  »  (sans  spécifier.  Ujuillet  1494.  Saige,  Documents,  II,  8). 

4)  Lettre  de  Stangha.  1491  (Saige,  Documents,  I,  63i).  Un  émissaire  napo- 
litain à  Gènes  donne  à  Lambert  Grimaldi  cinq  cannes  et  demi  de  brocart  d'or, 
200  ducats,  et  le  collier  du  Griffon,  qui  se  porte  le  2.vi  août,  avec  le  diplôme 
de  la  confrérie  du  collier  et  la  bande  blanche  qui  se  porte  tous  les  samedis. 

5)  Laurent  de  Médicis  écrit  à  Albino,  secrétaire  du  duc  de  Calabre  (18  mai 
1 48 1  )  :  «  Albino  mio  caro  quanto  buon  fratello  »  (Roscoë,  Vie  de  Laurent  de 
Médicis,  éd»u  frans«,  I,  462).  Lucien  Grimaldi  écrit  au  grand  écuyer  de  Sa- 
voie, en  1506  :  a  .Mon  très  honoré  seigneur  et  frère  »  (Saige,  Documents, 
U,  52J. 

6)  Lettres  de  Phil.  de  Savoie  au  maire  de  Bordeaux  (ms.  fr.  2811,  93),  au 
bâtard  de  Comminges  (id.,  9i)  :  «  A  Mons.  de  Comminges,  mon  cousin  »  ; 
signature  autographe  :  «  Vostre  cousin,  Ph.  de  Savoye.  » 

7)  Ludovic  le  More  à  l'amiral  de  Graville  :  Personne  ne  trouvera  «  majore 
ne  pin  vera  correspondent  al  bono  animo  suo  quanto  ha  da  me  »  (19  juin 
1492.  l'erret,  Notice  sur  Graville,  n°  12). 


328  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

celui  de  sa  famille1.  Ce  privilège  fut  très  apprécié  surtout 
dans  le  temps  où  florissaient  les  ordres.  Florence5,  Ferrarc3, 
obtinrent  les  armes  de  France.  Galéas  Marie  Sforza1,  plus 
tard  Ludovic  Sforza 8  jouirent  du  même  privilège.  En  janvier 
1387,  Galéas  Visconti  avait  reçu  «  avec  respect  et  reconnais- 
sance »  la  permission  de  porter  un  simple  quartier  ;  il  obtint 
plus  tard  tout  l'écu  de  France  avec  bordure  endentée6.  Pour 
que  la  concession  d'écartèlement  soit  complète,  iï  nesuffitpas 
de  donner  un  quartier  des  armes  de  France  ou  même  les 
armes  brisées  ;  ce  serait  un  acte  de  pure  courtoisie.  L'adoption 
résulte  de  la  concession  dos  armes  elles-mêmes,  que  le  béné- 
ficiaire porte  en  premier  et  quatrième  quartiers,  comme  fit 
Jean  Galéas  Visconti,  à  partir  de  13947. 

La  cour  de  Rome,  toujours  traditionnelle,  ne  céda  pas  à 
l'engouement  des  ordres.  Elle  excelle  partout  dans  la  mise  en 
scène  des  moyens  diplomatiques  honorifiques.  Ses  moyens 
sont  la  rose  d'or,  l'épée  de  Noël,  les  bénédictions,  les  indul- 
gences, les  formules  de  compliments. 

La  rose  d'or  est  une  petite  rose,  en  or,  que  chaque  année, 
au  dimanche  lœtare,  c'est-à-dire  dans  le  courant  de  mars,  le 
pape  bénit,  et  qu'il  offre  au  personnage  qu'il  désire  honorer. 

Avant  de  la  conférer,  le  pape  fait  mine,  pour  la  forme,    de 

1)  Il  lui  donna  en  outre  dévastes  domaines  et  une  femme...  {Ordonnances, 
t.  XXI.  ]).  227,  213,  210,  129,114). 

2)  Patentes  de  Louis  XI,  en  français,  concédant  aux  Médicis  le  droit  de 
porter  les  armes  de  France  (mai  1465  :  publ.  par  Roscoé,  Vie  de  Laurent  de 
Médicis,  I,  403). 

3)  J.  508,  I.  1431.  Sur  la  demande  du  marquis  de  Ferrare,  le  roi  de  France 
l'autorise  à  porter  de  France  écartelé  ;  le  marquis  promet  d'être  dévoilé. 

4)  Fat.  en  français,  de  Chartres,  5  novembre  1467  (lat.  10133,  43  v<>). 

5)  Ms.  fr.  6983,  P  185.  Permission  de  Louis  XI  à  Ludovic  M»  Sforza, 
lieutenant  général  de  la  duckié  de  Milan,  de  porter  les  armes  de  France. 

6)  Pat.  en  français,  de  janvier  1387  (Jarry,  Vie  de  Louis  de  France,  p. 
391,  p.  110). 

7)  C'e  de  Gircourt,  Le  duc  Louis  d'Orléans,  III,  p.  9. 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  329 

consulter  les  cardinaux  ;  en  réalité,  il  no  demande  pas  leur 
avis1.  On  ne  saurait  s'imaginer  l'importance  de  cette  distinc- 
tion' :  en  li)08,  le  duc  de  Ferrare  recevant  la  rose  d'or,  le 
grave  annaliste  Sanuto  écrit  :  «  En  ce  jour,  le  duc  de  Ferrare 
eut  deux  joies,  la  naissance  d'un  tils,  l'obtention  de  la  rose  ; 
chose  assez  remarquable3.  »  A  Home,  il  y  a  un  grand  murmure 
onlo04,parceque  Jules  II  donne  la  rose  àSienne,  qu'on  trouve 
une  puissance  peu  qualifiée  pour  un  tel  honneur*...  La  remise 
a  heu  en  grand  apparat.  Le  pape  bénit  la  rose  hors  de  sa  cha- 
pelle, la  porte  à  la  messe,  la  rapporte,  et  la  donne  dans  une 
chambre  du  Vatican".  En  général,  il  la  remet,  séance  tenante, 
aux  ambassadeurs  de  la  puissance  à  qui  il  la  destine6.  Les 
ambassadeurs  restent  ensuite  à  dîner  chez  le  pape7,  ou  bien 
ils  rentrent  triomphalement  chez  eux,  escortés  par  la  garde 
pontificale  et  par  leurs  collègues  du  corps  diplomatique8.  Le 
pape  n'envoie  directement  la  rose  au  destinataire  que  s'il 
veut  marquer  une  disgrâce  à  l'ambassadeur9. 

•1)  Disp.  di  Giuslinian,  III,  25  :  Sanuto,  V,  1031. 
■1)  Disp.  di  Giuslinian,  111,25. 

3)  VII,  385. 

4)  Alexandre  VI  la  donne  à  César  Borgia,  en  1500  et  1501  (Burckard,  III, 
26,  30,  31.  131  n.2,i. 

5)  Burckard,  1506.  On  trouvera  dans  Paris  de  Grassis  un  récit  détaillé 
du  cérémonial  pour  la  bénédiction  et  la  dation  de  la  Rose  d'Or,  à  propos  de 
celle  de  1505  (Paris  de  Grassis,  lat.  5164,  f*»  161  v°  —  163)  et  de  celle  de 
1507  conférée  à  l'Espagne  (lat.  5165,  f"  316-317). 

6)  Portugal  1306,  Portugal  1507,  Ferrare  1508...  (Burckard,  III,  419  : 
Sanuto,  VII,  71,  385).  «  Hodie  papa  dédit  rosam  absenti  régi  Polonie,  cujus 
noniine  oratoressui  illam  boc  modo  acceperunt  »  (Paris  de  Grassis, lat.  5164, 
f°  161  v°).  En  1504,  le  pape  donne  la  rose  d'or  à  César  Borgia  en  personne, 
avec  le  cérémonial  habituel.  Les  cardinaux  reconduisent  César  (Burckard, 
III.  30,  31  :  Paris  de  Grassis,  lat.  5164,  fo  84  \o). 

7)  1504.  Ambassade  de  Sienne  (Sanuto,  V,  1031  :  Disp.  di  Giuslinian, 
III,  25). 

8)  1505.  Ambassade  de  Pologne  (Disp.  di  Giuslinian,  III,  461  ;  Burckard, 
III,  383.  1508.  Paris  de  Grassis,  lat.  5165,  fo  434'. 

9y  Un  envoyé  du  pape  apporte  la  rose  d'or  au  roi  d'Angleterre  et  dit  au  roi 


3  30  LA    DIPLOMATIE    AU  TEMPS   DE   MACHIAVEL 

En  1500,  il  la  remet  à  l'envoyé  de  Portugal,  pour  le  car- 
dinal de  Lisbonne.  L'ambassadeur  escorte  le  cardinal  jusque 
chez  lui,  à  cheval,  le  premier,  portant  la  rose  dans  la  main  : 
cérémonial  nouveau,  qui  excite,  par  conséquent,  la  vive  indi- 
gnation de  Paris  de  Grassis,  le  maître  des  cérémonies. 

L'épée  bénie  à  Noël,  ordinairement  accompagnée  d'un  cha- 
peau', est  un  peu  moins  honorifique,  elle  rappelle  les  ordres  ; 
aussi  ne  la  décerne -t-on  pas  tous  les  ans3.  Le  pape  la  don- 
nera au  duc  de  Ferrare",  au  marquis  de  Mantoue*,  à  l'ar- 
chiduc Philippe  le  Beau 3  ;  il  l'offre  à  Louis  XI  pour  son  fils,  avec 
le  titre  de  gonfalonier  de  l'Eglise  G.  Alexandre  YI  la  donne  à 
Louis  XII  à  son  avènement,  lorsqu'il  lui  recommande  César 
Borgia  ;  Jules  II  la  lui  envoie  en  1505  par  une  ambassade, 
chargée  de  solliciter  pour  son  neveu  divers  bénéfices7.  L'épée 

que  son  ambassadeur  est  «  français  »  (juin  1510.  Sanuto,  X,  786).  Bref  de 
Jules  II  à  l'archevêque  de  Cantorbéry  pour  lui  envoyer  la  rose  d'or  qu'il  le  prie 
de  remettre  solennellement  au  roi  Henri  VIII  (S  avril  4510.  Labbe,  Sacros.  Con- 
cilia, t.  XIX,  c.  5  à  3).  Cependant  le  pape  l'avait  remise  d'abord  à  l'ambas- 
sadeur d'Angleterre,  que  la  garde  du  pape,  les  ambassadeurs  de  France, 
de  Venise,  de  Florence,  de  Ferrarc,  avaient  reconduit  triomphalement  chez 
lui  (Sanuto,  X,  114).  Lettre  de  St.  ïabernà  à  Ludovic  Sforza,  de  Rome,  9 
mars  1494,  portant  que  le  pape  a  béni  la  rose  ce  matin  et  l'a  portée  au  roi  de 
France  (Arch.  de  Milan,  Pot.  Est.,  Francia,  1494-95). 

1)  L'épée  à  bénir  est  portée  à  la  messe  du  pape.  En  principe,  le  pape 
demande  pour  son  attribution  l'avis  des  cardinaux.  Il  la  donne,  soit  le  jour 
de  Noël,  ou  le  27  décembre,  ou  à  la  Circoncision,  à  l'Epiphanie  (Frati,  Le  due 
spedizioni  militari  di  Giulio  II,  127). 

2)  En  1500,  il  n'en  est  pas  béni  (Burckard).  Cependant  on  l'apprécie  aussi. 
Innocent  VIII  envoie  à  Henri  VII  d'Angleterre,  en  1488,  l'épée  et  le  chapeau, 
«  egregia  munera  »,  dit  le  chroniqueur  Bernard  André  :  «  Gladium  justitiae, 
galerum  vero  longanimilatis  ac  perseverantiae  »,...  «  totius  rei  Christianae 
monarchiam  adversus  militantis  ecclesiae  hostes  truculentissimos  defensu- 
rum  »  (Bemardi  kndreœ  Vita  Henrici  V7/,edited  by  James  Gairdner,  p.  46). 

3)  1501.  Sanuto,  IV,  226. 
4)1510.  Sanuto,  XI,  702. 

.1)  1508.  Burckard,  III,  323. 

6)  Mémoire  de  MM.  de  Rochechouart  et  Rabot,  fr.  15870,  n«  3. 

7)  Sanuto,  VI,  279. 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMAT1QUBS  334 

de  Noël  rentre  donodansla  catégorie  des  moyens  auxiliaires 
d'une  ambassade. 

La  diplomatie  pontificale  dispose  surtout  d'une  foule  de 
faveurs  spirituelles  ;  titre  de  notaire  apostolique  pour  un  jeune 
clerc  de  grande  maison1  ;  droit  d'autel  portatif  et  d'assister 
aux  offices  à  huis  clos1  ;  privilège  à  des  souverains  dénommer 
à  des  bénéfices',  de  donner  des  dispenses  de  mariage  jusqu'au 
quatrième  degré  et  d'absoudre  les  mariages  putatifs4,  défaire 
célébrer  les  offices  dans  des  lieux  frappés  d'interdit5^'  avoir  des 
médecins  clercs  ',  dispenses  de  maigre7,  etc.,  etc.  Ce  ne  sont 
pas  là  de  médiocres  faveurs.  Elles  donnent  lieu  à  des  négocia- 
tions.En  L 466, la  duchesse  douairière  de  .Milan  ne  voulant  plus 
manger  de  viande  depuis  la  mort  de  son  mari,  l'ambassadeur 
milanais  demande  au  pape,  delà  part  du  duc,  de  lui  comman- 
der d'en  imiuiïevsub pena  obedientie.  Le  pape  accorde  un  bref, 
tout  en  disant  qu'un  conseil  doit  suffire.  Le  bref  est  l'ait,  mais 
l'ambassadeur  éprouve  beaucoup  de  peine  à  l'obtenir,  malgré 
ses  démarchi 

Sans  même  parler  de>  grands  moyens  politiques  de  Rome  : 
grandes  excommunications,  grandes  concessions  d'indulgen- 
ces et  de  dimes  pour  croisades  ;  sans  sortir  de  la  sphère  des 
négociations  courantes,  la  diplomatie  pontificale  possède  un 
arsenal  sans  pareil.  Selon  Commines,  un  légat  donne  habi- 

I)  Amanieu  d'Albret,  âge  de  18  ans  :  1495.  Areh.  du   Vatican,  reg.    873, 
f»  311). 
■1)  A  Anne  de  Bretagne,  à  Lucrèce  Borgia... 

3)  Espagne,  G  kal.dec.  io03  (Arch.  du  Vatican,  reg.  !)84,  f°  15).  Ecosse.:') 
non.  jul.  1504  (td.,  f°73v<>). 

4)  Ecosse,  5  non.  jul.  1504  (id.,  f°«  72  v<>-73). 
.",,  Pologne,  I505(id.,f»  97). 

6)  Pologne,  1505  (id.,  f"  lut  . 

7)  !  id.,  fo  97  v»). 

8)  4  mai  1466  :  dépêche  de  l'ambassadeur  4e  Milan  à  Rome  (Archivio 
Sfor/.i 


332  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

facilement  des  indulgences  pour  la  conclusion  d'une  ligue. 
L'indulgence  est  le  seul  moyen  diplomatique  qu'on  puisse 
mettre  en  balance  avec  l'effet  d'un  bon  subside  '  ;  les  plus 
simples  excitent  bien  des  convoitises  ".  Le  cardinal  d'Am- 
boise  obtient  des  indulgences  pour  un  hôpital  de  Rouen, 
dénué  de  ressources,  afin  d'y  attirer  des  aumônes3. 

En  1477,  la  duchesse  de  Milan,  peu  rassurée  sur  le  salut  de 
l'âme  de  son  mari  Galéas,  charge  un  chanoine  de  Saint  Jean 
de  Latran  d'impétrer  une  indulgence  qui  le  retire  du  pur- 
gatoire. Elle  confesse  que  Galéas  peut  se  reprocher  bien 
des  guerres  licites  et  illicites,  avec  des  pillages,  voleries  et 
autres  conséquences  de  la  guerre,  bien  des  exactions,  des 
négligences  de  justice  ou  même  des  injustices  patentes,  des 
impôts  nouveaux,  même  sur  les  clercs,  des  vices  charnels,  des 
simonies  notoires  et  scandaleuses,  et  d'autres  variés  et  innom- 
brables péchés  ;  mais  elle  ajoute  qu'il  les  connaissait,  qu'il 
donnait  des  signes  de  repentir,  qu'à  chaque  fête  il  sollicitait 
des  indulgences4... 

Quant  aux  dons  de  reliques,  la  cour  de  Rome  en  est  fort 
avare,  et  n'en  fait  guère  qu'à  titre  exceptionnel5. 

Enfin,  la  cour  de  Rome  possède  encore  un  moyen  d'action 
spécial,  mais  bien  fragile,  qui  consiste  à  faire  appel  aux  sen- 

1)  «  Pontificisnunliiet  oratores  Elvetiamgentem.quos  Suicerosappellamus, 
in  lines  nostros  ad  quatuordecim  usque  millia  hominum  promissionibus 
Paradisi  et  seternae  salutis  irritarunt  et  suscitarunt  »  (Ms.  lat.  11802). 

2)  L'église  Sa  Ma  Mater  Domini,  à  Venise,  très  vieille,  menace  ruine  :  l'am- 
bassadeur vénitien  à  Rome  lui  fait  avoir  des  indulgences  pour  la  relever 
(févr   1503.  Sanuto,  IV,  725). 

3)  L'hôpital  de  Sainte  Marie  Madeleine  (16  kal.  nov.  1502.  Arch.  du 
Vatican,  Reg.  Vatic.  868,  f°  159).  Bref  en  faveur  de  Saint  Denis,  sur  la  de- 
mande du  cardinal  de  la  Groslaie,  son  abbé  (1497.  Vidimus  de  1532,  Archi- 
ves nationales,  L.  327). 

4)  Lettre  de  la  duchesse  (Archivio  Sforzesco,). 

5)  Le  légat  offre  à  Louis  XI  des  reliques  précieuses,  en  1483  (Delaborde, 
p.  150). 


MOYENS   D'ACTION    DIPLOMATIQUES  333 

timents  des  membres  d'un  clergé  national,  pour  aider  à  un 
arrangement  qu'elle  désire1. 

Quelquefois  la  cour  de  Rome  essaie  de  présenter  aux  prin- 
ces comme  une  grande  faveur  le  titre  de  gonfalonier,  mais 
cela  réussit  peu5. 

3°  L'argent,  ou  les  promesses  d'argent.  Voilà  le  vrai  nerf 
d'une  négociation  diplomatique.  C'est  un  fait  admis  qu'on 
n'avance  une  négociation  dans  les  cours  que  moyennant 
finance.  «  Ici  comme  dans  les  autres  cours,  écrivait  de  France 
l'ambassadeur  tlorentin  Francesco  délia  Casa,  on  se  soutient 
mal  sans  argent3.  »  L'ambassadeur  lucquois  reçoit  le  meilleur 
accueil,  écrit  Machiavel  :  il  a  su  «  se  faire  des  amis  avec  le 
Mammon  de  l'iniquité,  tandis  que  vous,  vous  croyez  à  votre 
bon  droit  *...  » 

«  Monseigneur,  se  ilz  font  pour  vous,  il  fault  que  vous 
faciez  pour  eux,  »  disait  le  cardinal  d'Estou  te  ville  au  duc  de 
Savoie,  dans  une  négociation  avec  les  sires  de  Bueil  et  de 
Chabannes.  représentants  du  roi.  Et  :  «  Certes,  mon  cousin, 
vous  savez,  en  toutes  cours,  faut  il  moyens,  »  ripostait  le 
duc  5.  On  accusait  fort  les  Français  de  ne  pas  recourir  assez 


i)  Bref  de  Jules  II  à  l'évêque  de  Paris.le  priant  d'user  de  son  influence  pour 
la  paix  entre  Rome  et  la  France  :  «  consequens  ob  hoc  a  Deo  praemium,  ab 
liominibus  laudem  et  nobis  et  Sede  predicta  commendationem  et  gratiam  » 
(1311.  Lett  de  Louis  XII,  III,  30). 

2)  Bulle  d'excommunication  contre  le  duc  de  Ferrare,  lui  reprochant  son 
ingratitude  :  le  pape  lui  avait  donné  le  titre  de  gonfalonier,  «  demandé  cepen- 
dant par  Louis  XII  »  (3  des  ides  d'août,  1310.  Arch.  du  Vatican,  reg.  984, 
fba  137  Vo.  146  ro). 

3)  «  L'argent,  écrit  dans  un  rapport  de  1587  l'ambassadeur  vénitien  Lo- 
renzo  Bernardo,  est  comme  le  vin;  les  médecins  le  recommandent  également 
à  l'homme  bien  portant  et  au  malade.  Il  faut  donner  des  cadeaux  au  Turc 
lorsque  nos  relations  avec  lui  sont  bonnes;  il  faut  en  donner  encore  lors- 
qu'elles sont  en  souffrance  »  (Nys,  Les  origines  de  la  diplomatie,  p.  28). 

',)  Dép.  du  26  août  1300. 

5)1432.  Favre,  Introduction  au  Jouvencel,  p.  clxxxvi. 


334  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

à  ce  procédé,  d'être  aussi  «  pingres  »  pour  les  autres  que 
pour  eux  mêmes,  de  débourser  peu  volontiers  *.  L'accusa- 
tion est  excessive.  Il  est  certain  pourtant  que  les  grands  États 
du  Nord,  France,  Angleterre,  Allemagne,  aiment  mieux  re- 
cevoir que  donner  ;  les  Etats  qui  donnent,  ce  sont  les  États 
italiens,  parce  qu'ils  sont  faibles,  ambitieux,  extrêmement 
ricbes,  et  que,  gouvernés  par  des  banquiers,  sans  véri- 
table armée  indigène,  ils  traitent  la  politique  comme  une 
affaire,  comme  une  spéculation.  Aussi  les  négociations  avec 
eux  dégénèrent  en  véritable  exploitation'.  Louis  XI  tira  des 
Sforza  des  subventions  incessantes.  Il  se  fit  payer  par  Galéas 
l'investiture  de  (lênes  50.000  ducats  3,  dont  Commines  se 
vante  d'avoir  gardé  30.000.  Quand  Ludovic  Sforza  se  tourna 
vers  l'Allemagne,  l'alliance  allemande  lui  coûta  un  prix 
énorme.  Les  difficultés  internationales  se  règlent  par  la  guerre 
ou  par  l'argent  :  c'est  aux  gouvernements  intéressés  à  appré- 
cier le  procédé  le  plus  économique.  On  a  même  vu,  bien  que 
rarement,  l'argent  combiné  avec  la  guerre.  Le  duc  d'Orléans 
fit,  par  l'argent,  sa  campagne  contre  Gênes,  en  mars  139Î.  Il 
commença  par  acquérir,  moyennant  finance,  la  fidélité  et 
l'hommage  des  marquis  de  Carretto  \  puis  il  se  livra  à  un 
véritable  «  investissement  diplomatique  »  des  places  fortes  du 

4)  Conversation  de  l'ambassadeur  d'Espagne  avec  l'ambassadeur  de  Venise, 
à  Tours,  novembre  1500.  Sanuto,  III,  1202. 

2)  V.  fr.  2928,  on  pourrait  tirer  «  deux  cens  mille  escutz  »  de  «  ceulx  de 
Médicis,  quant  l'on  pourrait  les  remectre  en  estât  dans  Florence.  Et  croy 
que  quant  l'on  y  vouldra  entendre,  que  encoures  donneroyent  il;  plus  lar- 
gement. » 

3)  Proces-verbal  de  trois  notaires,  à  Lyon,  dans  la  maison  des  Médicis,  le 
18   janvier   1473,    constatant  que  Louis  XI'  avait  demande  à   Galéas  Ma 
Sforza  G0. 000  ducats.  Galéas  en  a  accordé  50.000,  qui  sont  versés  entre  les  ' 
mains  de  Michel  Gaillard,  fondé  de  pouvoirs  spécial  du   roi  (ms.  lat.  10133, 

f°  389)  :  lettre  autographe  de  Louis  XI  à  Galéas,  remerciant  de   ce  verse- 
ment (copie,  même  ms.,  f°  392  v°). 

4)  Jarry,  Vie  de  Louis  de  France,  p.  142. 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  335 

pays.  La  plupart  do  ses  agents,  en  missions  publiques  ou  sc- 
crètes,  étaient  des  italiens1.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les 
Fieschi,  les  Dorîa,  les  Grimaldi,  les  Spinola,  les  marquis  de 
Ceva,  avec  qui  on  traite  et  dont  le  dévouement  se  trouve 
chiffré  dans  les  comptes  ducaux  =  :  la  ville  de  Savone  se  ren- 
dit, moyennant  une  subvention  mensuelle  de  5.000  florins  '. 
Les  expéditions  d'or  de  France  ne  suffisant  plus,  le  duc  d'Or- 
léans emprunte  à  sou  beau-père,  engage  sa  vaisselle  et  ses 
bijoux.  Tout  à  coup,  au  moment  où  il  ne  restait  plus  qu'à 
traiter  avec  Gênes,  et  où  l'affaire  devenait  bonne,  le  roi  de 
France  intervient,  déclare  la  prendre  pour  lui,  et  la  paie  à 
son  frère,  à  forfait.  300.000  francs.  Cette  opération  peut  res- 
ter comme  un  cbef  d'oeuvre  de  diplomatie  secrète,  si 
bien  exécuté,  qu'il  en  resta  peu  de  traces;  on  retrouve  bien 
la  mention  d'une  quantité  d'allées  et  venues  secrètes,  mais  il 
faut  en  deviner  plus  encore  *. 

L'action  par  l'argent  se  divise  en  trois  branches  princi- 
pales :  A.  acquisition  de  foi  et  hommage  ;  15.  pensions  fixes; 
C.  subventions  irrégulières. 

A.  La  forme  d'hommage-lige  est  très  florissante  à  la  fin  du 
XIVe  siècle  :  après  avoir  acquis  sous  cette  forme  les  environs 
de  Gènes,  le  duc  d'Orléans  achète,  de  même,  la  fidélité  d'un 
très  grand  nombre  de  princes  allemands  3.  Le  taux  de  ces 
achats  varie  extrêmement,  comme  aussi  leur  forme  :  le  duc 

h  M.,  p.  146,  147. 

•2)  Les  actes  d'adhérence,  obtenus  dans  la  Rivière  de  Gênes  en  1395  par 
le  duc  d'Orléans,  à  prix  d'argent,  consistaient,  soit  dans  une  cession  de  do- 
maine pure  et  simple,  soit  dans  l'obligation  de  prêter  hommage,  soit  dans 
rengagement  de  prêter  un  appui  militaire  (Cle  de  Circourt,  Le  duc  Louis 
d'Orléans.  III,  -29). 

3)  ld.,  p.  151. 

I  ld.,  p.  151-157. 

5)  Le  comte  de  Circourt,  Documents  luxembourgeois  relatifs  au  duc  Louis 
d'Orléans,  n"  35,  43,  73.  15,  50,  51,  98,  99. . . 


336  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE    MACHIAVEL 

de  Gueldre  coûte  50.000  écus  une  fois  donnés,  le  comte 
Adolphe  de  Clèves  une  pension  de  1.000  livres,  le  sire  de 
Neuchâtel  simplement  200  livres  '.  Cette  consécration  solen- 
nelle et,  si  j'ose  ainsi  dire,  chevaleresque,  tombe  en  complet 
discrédit  au  XVe  siècle,  et  les  quelques  exemples  qu'on  en 
trouve  encore  çà  et  là  ne  reproduisent  plus  la  forme  très  nette 
du  marché  primitif2. 

B.  La  pension  prend,  au  contraire,  de  plus  en  plus  faveur  à 
l'égard  des  princes  et  des  personnages  très  marquants.  En 
Suisse  et  en  Italie,  les  pensions  aux  princes,  chefs  d'Etat  ou 
gens  du  gouvernement  se  confondent  avec  le  condotticrisme  ; 
elles  engendrent  des  obligations  mixtes,  souvent  militaires,  et 
font  l'objet  d'un  pacte  régulier  '.  On  les  constate  par  un  ser- 
ment ou  par  une  simple  cédule.  L'écrit  passé  dans  ces  condi- 
tions est  fort  modeste  ;  il  affecte  une  forme  privée.  Le  prix 
stipulé  n'y  ligure  pas.  On  paie,  et  on  reçoit  l'engagement  de 
service  ;.  Ainsi,  l'engagement  par  René  de  Lorraine  de  servir 

1)  Jarry,  Vie  de  Louis  de  France,  p.  198. 

2)  Gornichem,  10  sept.  1464.  Acte  par  lequel  le  duc  de  Clèves  promet 
d'être  bon  et  loyal  au  comte  de  Charolais,  nul  excepté,  sauf  le  duc  de  Bour- 
gogne, son  père  (Gachard,  Analectes,  cccxxx,  d'après  une  minute  des  Ar- 
chives de  Dùsseldorf).  Cf.  formule  du  serment  à  prêter  par  le  duc  de  Savoie 
à  l'empereur  comme  vassal,  en  1506  (Bianchi,  Materie  politiche,  p.  199).  Pat. 
du  2  avril  1440,  de  Gérard,  duc  de  Juliers  et  comte  de  Ravenstein,  que,  sui- 
vant la  politique  de  ses  aïeux,  toute  sa  vie,  il  travaillera  à  soutenir  la  per- 
sonne, les  intérêts,  etc.,  du  roi  et  de  son  fils,  ayant  ses  vassaux  pour  amis, 
ses  ennemis  pour  ennemis  (ms.  Moreau,  1452,  n<>  149).  Serment  de  fidélité  de 
Nicolas  III,  marquis  d'Esté,  à  Charles  VIII  (Musée  des  Archives  nationales  : 
10  mai  1432). 

3)  Portef.  Fontanicu,  147-148.  12  juin  1494,  Milan,  au  palais  de  Galéas 
San  Severino.  Par  suite  de  l'accord  de  Ludovic  Sforza  et  de  Charles  VIII, 
Galéas  de  la  Mirandole,  Jean  François  Raoul  de  Gonzague,  marquis,  fils  de 
Louis  de  Mantoue,  Jean  François  de  San  Severino,  comte  de  Caïazzo,  s'en- 
gagent à  servir  le  roi  et  prêtent  serment  solennel  dans  les  mains  du  sire 
du  Bouchage,  lo  juin  1494  :  Garantie  par  Ludovic  Sforza  de  la  fidélité,  de 
R.  de  Gonzague. 

4)  Ms.  fr.  loo38.   13.  Phil.   de  Hochberg.  maréchal  de  Bourgogne,  pro- 


MOYENS    D'ACTION    DU'I.OMATInl  ES  337 

M.  et  M'"  de  Beaujeu,du  30  septembre  148i,est  écril  sur  par- 
chemin, d'une  formule  très  simple.  Le  prince  dit 7e  au  lieu  de 
Nous;  mais,  à  la  lin,  une  affirmation  d'indépendance  se  glisse  : 
il  écrit  :  «  Donné  en  ma  ville  de  Bar...  »  (qui  lui  était  contes- 
ter ,  et  il  signe  simplement  :  «  René1.  » 

domine  on  craignait  les  attaques  sur  mer  du  seigneur  de 
Monaco,  ce  seigneur  se  faisait  d'assez  beaux  revenus  en  louant 
sou  industrie  aux  diverses  puissances  pour  escorter  leurs 
navires  5. 

met  à  Louis  XI,  par  cédule,  île  lui  garder  le  château  de  Joux,  envers  et 
contre  tous,  môme  coude  Maximilien  et  sa  femme  (28  avril  1480,  promesse 
signée,  scellée,  sur  parchemin  en  forme  ordinaire  des  cédules)  :  Id.,  22. 
Certificat  d'un  secrétaire  du  roi.  Parent,  sur  papier,  que,  le  27  juin  1481, 
111  de  Salins,  I'""0  de  Mcssey,  gentilshommes  bourguignons,  ont  fait  leserment 
de  bien  et  loyalement  servir  le  roi  envers  et  contre  tous,  devant  Du  Bou- 
chage et  Pévêque  d'Albi  :  à  Garennes. 

1)  Ms.  fr.  l.')o38,  91  (En  échange,  on  lui  faisait  épouser  Philippe  de 
Gueldre,  et  on  lui  promettait  de  l'aider  à  conquérir  Naples). 

2)  Soumission  de  Jean  Grimaldi,  Si,'1'  de  Monaco,  pour  dix  ans,  à  la  répu- 
blique de  Florence;  il  se  met  à  son  service,  par  terre  et  par  mer,  avec  ses 
forces,  c<  ad  nudam  el  simplicem  requisitionem  »,  moyennant  2,000  florins 
par  an.  Cédule  notariée  en  forme  de  stipulation  solennelle,  passée  à  Gènes 
dans  une  boutique,  entre  les  fondés  de  pouvoirs  respectifs,  en  latin  (16  avril 
1421 .  Saige.  Documents,  I,  18).  Jean  Grimaldi  se  met  aussi  au  service  de  la 
reine  de  Sicile  pour  1,000  fi.  par  an.  moyennant  l'engagement  de  ne  pas  lé- 
ser un  de  ses  sujets  et  de  ne  recevoir  personne  qui  les  ait  lésés.  Constaté  par 
simple  note  latine  :  «  Infrascripti  sunt  capituli. . .  »,  revêtue  du  placet  royal 
et  de  la  simple  signature  d'un  secrétaire  royal  sur  papier,  scellée  du  sceau 
secret  de  cire  rouge  plaqué  (26-29  juillet  1422.  Saige,  I,  39).  En  1432, 
Jean  Grimaldi  se  met  avec  une  galère  au  service  des  Niçois,  moyennant  40 
florins;  il  arme  à  Nice,  pour  débarrasser  la  mer  des  pirates,  en  s'engageant 
à  attaquer  quiconque  attaquera  un  Niçois,  plus  les  Sarrazins.  L'apparition  de 
la  galère  fait  évanouir  tous  les  corsaires.  La  mer  étant  libre,  Jean  Grimaldi 
se  met  au  service  de  l'empereur  comme  corsaire,  contre  les  Pisans  avec  qui 
l'empereur  est  en  guerre.  II.  prend  un  bateau  catalan,  non  ennemi  des 
Niçois,  mais  ami  des  Pisans.  En  avait-il  le  droit?  Oui,  dit  un  arbitre,  puisqu'il 
a  accompli  sa  promesse  envers  Nice  iSaige,  I,  96  et  s.).  Jean  Grimaldi  entre 
à  la  solde  du  pape,  avec  ses  navires,  moyennant  de  bons  gages;  le  contrat  est 
passé  à  Menton  devant  un  notaire  apostolique,  par  un  serviteur  du  cainérier 
du  pape,  se  portant  fort  delà  ratification  «  subypotheca  bonorum  suorum.  » 

22 


338  LA    DIPLOMATIE    AD   TEMPS   DE   MACHIAVEL 

Quant  aux  Suisses,  on  connaît  assez  leur  profession  d'en- 
trer à  la  solde  d'autrui.  En  1495,  par  un  «  appointemcnt  » 
passé  à  Chieri,  Charles  VIII  s'engage  envers  eux  à  une  pen- 
sion de  20.000  livres,  et  on  lui  promet  15.000  hommes  '. 
Louis  XII  leur  assure,  dès  le  déhutdeson  règne,  une  pension 
de  25.000  livres  *,  sans  arriver  à  les  satisfaire.  Il  convenait, 
vis  à  vis  des  Suisses,  de  surenchérir,  d'ajouter  spontanément 
à  la  pension  convenue  '  ;  et  les  ambassadeurs  n'avaient  à 
traiter  près  d'eux  qu'une  pure  question  d'argent  *.  Les  Suisses 


12  déc.  1445  (Saige,  1, 153).  Pat.  de  François  Sforza,  attestant,  en  raison  du 
dévouement  de  Lambert  Grimaldi,  qu'il  l'a  pris  «  sub  obedientia  et  fidelitate 
et  sub  protectione  et  deffensione  »  (3  mars  1464.  Saige,  I,  323).  Lucien  Gri- 
maldi, sr  de  Monaco,  demande  au  duc  de  Savoie  tous  les  prisonniers  con- 
damnés à  mort  ou  à  une  peine  corporelle,  pour  ses  galères,  qui  seront  tou- 
jours au  service  du  duc.  1505  (Saige,  II,  38). 

1)  Ms.  fr.  3924,  lettre  du  25  août. 

2)  Ms.  fr.  25718,33.  Monlils  lès  Blois,  1er  mai  1499.  Mandat  de  payer 
6840  liv.  sur  41,860  1.  t.  dues  à  Guy  Boutenant,  commis  à  tenir  les 
comptes  des  pensions  générales  et  particulières  «  à  ceuix  des  villes  et  quantons 
des  anciennes  ligues  des  haultes  Almaignes,  appeliez  Souysses.»  — Fr.  26107, 
311.  Mandat  de  3101.,  sur  10,600  liv.,  sur  25,000  liv.,  dont  Guy  Boutenant, 
notaire  et  secrétaire  du  roi,  par  lui  commis  à  tenir  le  compte  et  faire  le  paie- 
ment des  pensions  générales  et  particulières  allouées  à  «  ceulx  des  villes  et 
quantons  des  anciennes  ligues  des  haultes  Almaignes  et  autres  officiers  et 
particuliers  d'iceulx  »  est  appoineté  sur  plus  grande  somme  pour  cette 
présente  année.  —  31  déc.  1501.  Id.,  312.  Mandats  en  blanc,  sur  des  gre- 
niers à  sel.  Id.,  313.  Mandat  à  blanc  rempli,  sur  le  grenier  de  Caudebec. 

3)  Chmel,  Notizenblatt  de  l'Académie  des  sciences  de  Vienne.  Leduc  de 
Milan  ajoute  aux  arguments  ci-dessus  :  «  Nous  aimons  tant  Messg'"  de  Berne 
que,  outre  la  pension  publique  que  nous  leur  avons  promise,  de  500  ducats 
d'or  par  an,  il  ne  nous  paraîtra  pas  absurde  d'ajouter  200  ducats  de  plus, 
comptant  bien  que  nous  n'obligeons  pas  des  ingrats. —  /</..  n°79;  19 mars  1496. 
Dépèche  de  l'ambassadeur  à  Lucerne  de  Ludovic,  Giov.  Morcsini.  J'ai  versé 
le  supplément  des  200  ducats  demandés.  Je  fais  tous  mes  efforts  pour  empê- 
cher la  ligue  qu'ils  paraissent  décidés  à  faire  avec  la  France.  Il  y  a  eu  hier 
séance  :  je  ne  sais  encore  le  résultat. 

4)  Zuan  Dolce  et  Franc»  délia  Zueca,  secrétaires  vénitiens,  annoncent  qu'ils 
ont  débauché,  a  forza de danari,  une  compagnie  de  Suisses,  qui  va  abandon- 
ner Charles  VIII  (4  août  1495.  Malipiero,  Annali  Veneti,  p.  378). 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  339 

ne  s'ébranlaient  pas  sans  qu'on  se  demandât  qui  pouvait  les 
payer1.  lien  était  de  même  drs  Grisons  et  des  Valaisans, 
Leurs  voisins,  souvent  leurs  rivaux5. 

La  plupart  du  temps,  la  pension  est  purement  et  simple- 
ment soldée  sans  contrat  ;,  sauf  à  la  supprimer  en  cas  de  mé- 
contentement. Malgré  les  reproches  d'avarice  qu'on  lui 
adresse,  la  France  pensionne  largement  et  d'une  manière  à 
peu  près  permanente  la  maison  de  Savoie  :  le  duc  de  Savoie 
reçoit,  eu  1501,  40.000  livres  de  pension  \  20.000  en  1512  »  ; 
le  bâtard  de  Savoie  (René,  comte  de  Tende)  reçoit  des  pen- 
sions de  i. 000  livres,  de  G. 000  livres,  sans  compter  des  faveurs 
très  considérables,  le  gouvernement  de  Provence,  une  com- 
pagnie de  cent  lances  "...  On  pensionnait  le  roi  de  Navarre 7... 
Les  députés  des  cantons  suisses  à  la  diète  fédérale  acceptaient 


1)  M.  do  Gingins  soutient  que  la  guerre  des  Suisses  contre  Charles  le 
Téméraire  eut  pour  origine,  non  les  provocations  de  Charles,  mais  les  in- 
trigues de  Louis  M  (Mémoires  de  la  Société  d'kistoire  de  la  Suisse  ro- 
mande.  I.  VIII). 

-1  En  1509  et  lolO,  les  cantons  de  la  Ligue  grise  touchaient  une  pension 
annuelle  de  9,000  liv.  sur  le  budget  du  Milanais,  et  les  Valaisans  2,200  liv. 
Six  écoliers  de  la  Ligue  grise  étaient  entretenus  à  Paris  aux  frais  du  roi  (C'e 
de  1510,  publ.  dans  Jean  d'Autan,  II,  387,  388).  — 16  juin  1512.  Ordre  du 
conseil  des  Dix  au  provéditeur  Capello,sans  blesser  le  cardinal  de  Sion  (dont 
la  République  avait  à  se  plaindre),  de  remercier  très  vivement  de  ses  offres 
de  -ervice  le  capitaine  de  Suiz  ou  de  Zurich,  par  Bernardin  Moresino,  et  de 
le  prier  amicalement  de  continuer  (Archiv.  de  Venise). 

3)  Ms.  IV.  K).j:!8,  \.  Pat.  de  Louis  XI  accordant  6,000  liv.  de  pension  à 
Henri,  C'e  de  Montbéliard,  fils  du  comte  LIric  de  Wurtemberg,  en  considé- 
ration de  ce  que  son  prie  et  lui  ont  pris  parti  pour  le  roi  «  contre  nos  re- 
belles et  désobéissants  »,  et  surtout  parce  que  Henri  a  l'ait  promettre  et  as- 
surer  de  venir  de  sa  personne  près  du  roi.  Le  Plessis,  a  nov.  1477.  —  ld., 
noll. 

i)  K.  77,  n«  li. 

I  it.  ony.  Savoie,  29. 

h    TU.  orig.  Savoie,  25,  20,  30  et  suiv. 

7)  Us.  Clairambault  193,  fe  319.  U91  :  Jean,  roi  de  A'avarre,  9,000  1.  de 
pension. 


340  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

fort  bien  de  petites  pensions  individuelles  \  Les  principaux 
seigneurs  français  ne  font  nulle  difficulté  de  recevoir  des  pen- 
sions, de  toute  main  2. 

Le  danger  des  pensions  est  qu'on  en  prend  l'habitude  et 
qu'on  arrive  à  les  considérer  comme  un  bien  familial  c-t 
presque  héréditaire  3,  comme  une  dette  ;  on  ne  se  met  plus 
assez  en  peine  de  les  gagner  :  et,  au  contraire,  qu'une  guerre, 
qu'une  crise  financière  ou  un  événement  quelconque  amène 
une  diminution4,  un  retard  de  paiement  :i,  voilà  aussitôt  un 
ennemi  mortel  ;  l'ex-pensionnaire  se  croit  tout  permis  G.  Bien 
plus,  si  on  demande  au  pensionnaire  un  acte  effectif  de  fidé- 

1)  !<"'  juin  IMS.  Maximilien  Sforza,  duc  de  Milan,  accorde  une  pen- 
sion mensuelle  de  40  écus  à  12  députés  des  cantons  suisses  (fr.  3897,  f. 
70,71). 

2)  Guy  VI  de  la  Trémoïlle  (mort  en  1397)  recevait  des  pensions,  non  seu- 
lement du  roi  de  France,  mais  du  pape  Benoit  (1,800  1.)  ;  des  ducs  de  Bour- 
gogne (5,000  1.,  un  don  de  8,000  1.),  d'Orléans  (un  grenier  à  sel),  de  Berry 
(1,000  1.),  de  Milan,  du  duc  Aubert  de  Bavière  (400  fr.),  delà  duchesse  de 
Brabant  (1,100  vieux  écus) —  V.  L.  de  la  Trémoïlle,  Guy  de  la  Trémoïlle  et 
Marie  de  Sully,  p.  21,  22,  23,  33,  118. ..  Confirmation  par  Bonne  de  Savoie 
à  Guy  VI  de  la  Trémoïlle  d'un  don  de  10.000  livres  et  d'une  pension  de  500 
liv.,  par  Amédée  VII  (4  mai  1393.  Id.,  p.  191;.  Patentes  de  Jean  Galéas 
Visconti,  accordant  à  Guy  VI  de  La  Trémoïlle  une  pension  d£  1,000  florins 
d'or  en  retour  d'un  acte  de  toi  et  d'hommage.  Elles  contiennent  l'engage- 
ment de  Guy  d'être  son  homme  lige  (13  avril  1382.  Id.,  p.  168;. 

3)  Lettre  de  Robert  de  la  Marck,  sollicitant  deMmc  de  Beaujeu  la  pension 
de  3,000  1.  que  recevait  son  père,  tué  au  service  du  roi,  21  avril  (1487). 
Ms.  fr.  15538,  no  111. 

4)  Protestation  du  duc  de  Savoie  contre  la  privation  de  10,000  ducats 
(moitié  de  sa  pension),  alloués  depuis  1500  sur  le  duché  de  Milan  (1507. 
Bianchi,  Malerie  politiche,  p.  193,  113). 

5)  Lettre  de  Jean,  c,e  de  Nevers  et  de  Rethel,  au  roi.  Il  se  plaint  que, 
sur  ses  8,000  liv.  de  pension,  cette  année,  les  gens  de  finances  du  roi  ne 
veuillent  lui  en  assigner  que  six  (Nevers,  10  octobre).  Ms.  fr.  2911,  197. 

6)  Le  capitaine  de  Monaco  menace,  si  on  ne  lui  paie  pas  sa  pension,  de  sai- 
sir des  navires  marseillais.  Ordre  du  roi  de  Sicile  de  payer  exactement  cette 
pension  (Saige,  Documents,  \,  10).  Jean  Grimaldi,  pour  excuser  ses  prises 
de  navires  florentins,  allègue  qu'il  a  eu  besoin  d'argent  ;  il  en  réclame  à  Flo- 
rence, qui  lui  donnait  autrefois  une  pension  (Rapp.  de  1421.  Id.,  I,  33). 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  341 

lité,  il  prendra  texte  de  sa  pension  même  pour  réclamer  une 
augmentation  '.  Bref,  le  roi  ne  peut  guère  compter  sur  la 
Fidélité  d'un  pensionnaire  quia  ses  intérêts  hors  du  royaume  : 

toute  garantie  à  ce  sujet  est  illusoire  '-.  Aussi  le  gouverne- 
ment royal,  ennemi  né  des  possessions  étrangères  pour,  les 
princes  du  sang,  favorise  au  contraire  la  possession  de  fiefs 
français  par  des  personnages  étrangers,  afin  d'avoir  un 
gage  ;.  ('.'est  ainsi  qu'il  donne  à  Trivulce  la  seigneurie  de 
Château  du  Loir,  au  sire  de  la  Gruthuze,  le  comté  de  Guines 
et  la  seigneurie  de  Oèvecœur  \  qu'Engilbert  de  (-lèves  est 
comte  de  Nevers  et  pair  de  France  \  que  Frédéric  d'Aragon, 
prince  de  Tarente,  et,  depuis,  roi  de  Naples,  était  comte  de 
Villefranche  en  Rouergue,  avec   12.000  livres  de  pension  ". 

\)  Le  duc  d'Autriche  veut  bien  abandonner  le  duc  de  Bourgogne,  s'allier 
avec  les  Ligues  contre  lui,  mais  il  demande  une  augmentation  de  la  pension 
de  10,000  francs  que  le  roi  vient  de  lui  donner.  Le  marchandage  dure 
longtemps.  Les  ambassadeurs  disent  que  l'archiduc  a  déjà  un  engagement 
du  roi,  par  son  ambassade,  que  celle  pension  durerait  un  certain  nombre 
d'années.  Le  roi  en  a  référé  au  chancelier,  qui  dit  ne  se  souvenir  de  rien. 
Oct.-déc.  1474  (ChmeL  Monumenta  Habsburgica,  I,  261). 

2)  Promesse  de  Ludovic  Sforza  que  le  c,(>  Caïazzo,  engagé  par  Charles  VIII 
pour  l'expédition  de  Naples,  le  servira  loyalement  et  fidèlement,  «quanquam 
ea  sit  ipsius  Comitis  fuies  ut  minime  dubitandum  sit  quin  re  ipsa  fideliter 
prestel  que  promisit»  (cédule  en  latin,  sur  parchemin,  signée,  sceau  pla- 
que. Ms.  fr.  2922,  !'■»  1  '.  . 

3)  En  France,  il  n'y  a  point,  dans  l'intérieur  du  pays,  de  pensions  don- 
!  par  des  souverains  étrangers,  comme  en  Allemagne.  Machiavel   fait  ob- 

server  combien  h' système  social  delà  France  semblait,  en  apparence,  pré- 
senter à  l'étranger  une  proie  facile,  et  combien  en  réalité  il  rendait  la  con- 
quête impossible,  à  cause  du  grand  nombre  d'éléments  indépendants  dont  se 
composait  la  nation.  M.  Funck  Brentano  estime  au  contraire  que  cette 
diversité  d'éléments  paralysait  la  défense  de  la  France  (Traiclé  de  l'Œ- 
conomie  politique. ..,  par  Antoyne  de  Montchréticn,  Paris,  1889.  Introduc- 
tion). 

4)  Pat.  du  30  mai  1304  (Ordonnances,  XXI,  p.  308). 
Ordonnances,  XXI,  328. 

0)  1481,  1483.  Ms.  Clairamb.  222,  f»  203.  Louis  XII  donne  à  l'archiduc 
les  gabelles  de  Chàteau-Cbinon  (1501.  LeGlay,  Négociations  avec  l'Autriche, 
I,  34). 


342  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Un  rattachement  plus  direct  et  extrêmement  fréquent  consiste 
à  prendre  un  étranger  au  service  direct  du  roi,  comme  cham- 
bellan \  lieutenant  -  général  ',  capitaine  de  compagnie3... 
Les  exemples  de  ce  genre  abondent.  Bornons-nous  à  citer  le 
duc  d'Albany,  Jean  Stuart,  pensionnaire  du  roi  pour  1500, 
pour  2.000  livres,  ensuite  comte  de  la  Marche  et  de  Lisleman, 
capitaine  de  cinquante,  de  cent  lauces,  ambassadeur  ;. 

C.  Somme  toute,  l'emploi  irrégulier  de  l'argent  et  des  pro- 
messes, au  fur  et  à  mesure  des  besoins,  constitue  le  moyen 
le  plus  pratique,  le  plus  sûr,  de  mener  à  bien  des  intrigues, 
des  négociations.  Comme  il  n'y  a  rien  de  fixe,  personne  ne 
peut  rien  exiger  et  tout  le  monde  peut  tout  espérer,  en  sorte 
que,  souvent,  le  seul  espoir  de  se  faire  bien  venir  d'un  ambas- 
sadeur et  de  se  montrer  ami  de  son  gouvernement,  amènera 
des  concours  inattendus.  C'est  par  un  procédé  analogue  que 
le  duc  de  Bourgogne  5,  le  duc  de  Bretagne, ayant  une  fille  pour 
héritière,  promettaient  sa  main  à  tous  les  princes  capables  de 
les  servir. 

En  Allemagne,  il  est  admis  que  l'empereur  fait  payer  ses 

1)  Patentes  de  Louis  XII,  nommant  chambellan  Jean  de  Gonzague,  frère 
du  marquis  de  Mantoue,  et  lui  allouant  une  pension  de  2,000  livres  ("20  et 
22  octobre  1499.  Archives  de  Mantoue,  B.  XXIII,  8).  Le  marquis  reçoit  le  11 
octobre  1499  50  lances  et  12,000  liv.  de  pension  (Mi.,  D.  IX,  5).  Jean  Gri- 
maldi,  sgr  de  Monaco,  est  chambellan  du  dauphin  en  1451.  Lambert,  cham- 
bellan du  duc  de  Savoie,  est  nommé  chambellan  du  roi  de  Sicile  en  1481 
(Saige,  Documents,  I,  568).  Grandes  réjouissances  en  1488,  parce  que  Lam- 
bert Grimaldi  a  obtenu  la  protection  de  la  France,  le  titre  de  chambellan, 
100  fr.  par  mois  de  pension,  rentrée  de  10,000  mines  de  froment  (R, 
622-623). 

9)  Arch.  de  Lyon,  BB.  10,  11  (Actes  consulaires)  :  le  c'c  Galéas  Sforza,  fils 
du  duc  de  Milan,  lieutenant  général  du  roi  en  Lyonnais  etDauphiné. 

3)  20  juillet  1504.  Quittance,  par  Guillaume,  marquis  de  Montferfât, 
chevalier  de  l'ordre,  capitaine  de  50  lances,  de  150  1.  comme  gages  de  ca- 
pitaine (TU.  orig.  Savoie,  n»  27)  :  n°  28.  9  octobre  1504;  même  quittance. 

4)  TU.  orig.  Stuart,  nos  5.9. 

5)  Commines,  l.jn,  c.  m. 


MOYENS   D'ACTION    DIPLOMATIQUES  343 

faveurs  à  haut  prix.  En  1 167,  il  fait  offrir  à  Galéas  Sforza  l'in- 
vestiture officielle  du  .Milanais,  «  moyennant  la  somme  d'ar- 
genl  habituelle  '  ».  Grâce  à  L'appui  de  la  France,  Galéas  s'en 
passe  et  reste  un  simple  fils  d'usurpateurs.  En  1495  seulement, 
sousle  coup  de  la  nécessité,  il  consent  à  payer  la  forte  somme, 
ce  qui  n'empêche  pas  Maximilien  de  recevoir  de  la  France, 
en  1505,  une  nouvelle  somme  de  100,000  livres,  en  échange 
d'une  pareille  investiture  s.  Quand  le  cardinal  d'Amboise  va, 
au  nom  de  Louis  XII,  recevoir  cette  investiture,  il  emporte 
un  acompte  d'environ  25,000  livres  pour  l'empereur,  et  on 
lui  ouvre  un  crédit  de  10,000  livres  pour  des  distributions 
aux  «  gratis  personages  »  de  la  cour  3.  A  l'issue  des  négocia- 
tions, le  cardinal  offre  des  bourses  de  1,400  livres,  en  mon- 
naie courante,  au  chancelier,  à  chacun  des  trois  des  principaux 
conseillers  de  Maximilien  (notamment  Mathieu  Lang  et  Phi- 
libert Naturel,  prévôt  d'Utrecht),  et  enfin  aux  bureaux  delà 
chancellerie  ;  il  offre  des  tasses,  flacons,  aiguières,  bassins 
d'argent,  pour  une  valeur  totale  de  2,000  livres  à  six  des  offi- 
ciers de  la  chambre  impériale  *.  Ce  sont  des  présents  coutu- 
miers,  en  Allemagne,  officiels,  qu'on  ne  qualifie  point  de  cor- 
ruption 5. 

t)  Ms.  ital.  1649,  fo  148. 

■1)  .1.  50.'J.  n°  9.  Haguenau.  Reçu  original  par  Maximilien  de  100,000  liv. 
pour  l'investilure  de  Milan.  Cf.  ms.  fr.  20980,  fo  431  ;  fr.  20616,  n"  48  ;  Clai- 
ramb.  224,  no  413. 

3)  Ms.  fr.  20616,  no  46. 

4)  Ms.  Clairamb.  16,  p.  1053. 

Le  duc  d'Orléans  donne  aune  petite  ambassade  qu'il  envoie  en  Alle- 
magne, en  1399,  400  fr.  à  distribuer  en  cadeaux  (Circourt  et  van  Wervecke, 
Documents  luxembourgeois,  n°-  94).  L'ambassade  du  duc  d'Orléans  offre  en 
1398  (sur  le  conseil  de  l'ambassadeur  allemand  près  du  duc)  des  fermeiltets 
d'or,  enrichis  de  diamants,  aux  principaux  conseillers  de  l'empereur  (ld., 
n°  29)  ;  elle  paie  100  liv.  à  la  chancellerie  pour  expédition  d'un  projet  de 
contrai  de  mariage  ld.,  n"  64).  Dan-  le  compte  des  ambassadeurs  de  Flan- 
dre envoyés  en  France  pour  la  paix,  en  l.'iOl.  figurent  5800  liv.  versées 
«  à  aucuns  seigneurs  d'Allemagne  »  (Le  Glay,  Négociations,  I,  67). 


344  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

La  cour  la  plus  praticable  était,  peut-être,  celle  d'Angle- 
terre. La  France  y  soudoyait  tous  les  principaux  personnages. 
Philippe  de  Commines  raconte  '  que,  comme  ambassadeur 
de  France,  il  acheta  ainsi  pour  Louis  XI  le  lord  chambellan, 
lord  Hastings,  qu'il  avait  précédemment  acheté  lui-même  à 
un  prix  moindre  pour  le  duc  de  Bourgogne.  Il  eut  même  l'im- 
pertinence, sur  l'ordre  exprès  de  Louis  XI,  de  laisser  deman- 
der une  quittance  à  lord  Hastings.  «  S'il  vous  plaist  que  je  le 
prengne,  dit  le  noble  lord,  vous  me  le  mettrez  icy  dedans  ma 
manche;  et  n'en  aurez  aultre  lettre  ne  tesmoing;  car  je  ne 
veulx  point  que  pour  moi  on  die  :  Le  cjrant  chambellan  d'An- 
gleterre a  esté  pensiomiaire  du  roy  de  France,  ne  que  mes 
quictances  soient  trouvées  en  sa  chambre  des  comptes.  »  Les 
comptes  de  Louis  XI  constatent  la  vérité  de  cette  anecdote, 
car  Louis  XI,  toujours  méfiant,  tenait  une  comptabilité  régu- 
lière. Aucun  bénéficiaire  des  libéralités  françaises  ne  refusa 
sa  quittance,  sauf  lord  Hastings,  dont  on  ne  put  tirer  qu'un 
certificat  signé  par  un  de  ses  serviteurs.  L'agent  financier 
français,  fort  embarrassé,  vint  lui-même  en  référer  au  roi  ; 
Louis  XI  le  renvoya  avec  son  premier  maitre  d'hôtel  Cléret, 
et  l'autorisation  de  passer  outre  :  il  couvrit  cette  irrégularité 
vis  à  vis  de  la  Chambre  des  comptes,  par  des  patentes  spé- 
ciales du  25  août  1476  \  La  scène  se  reproduit  les  années  sui- 

1)  Mémoires,  I,  169. 

2)  Ms.  t'r.  10375.  Pat.  de  Louis  XI,  du  16  janv.  1475  a.  st.,  commettant 
Guille  Restout,  marchand  et  bourgeois  de  Rouen,  à  tenir  le  compte  et  re- 
cette des  sommes  «  à  porter  et  distribuer  ainsi  que  par  nous  sera  advisé  en  la 
ville  de  Londres  ».  Restout  prête  serment.  Les  paiements  ont  lieu  en  deux 
termes,  Pâques  et  Saint  Michel.  Pour  Pâques,  Restout  est  allé  à  Londres  avec 
Louis  de  Marratïn,  écuyer  d'écurie,  et  Jean  le  Gouz,  notaire  et  secrétaire  du 
roi  commis  par  le  roi  pour-  assister  au  paiement,  à  la  Saint  .Michel,  avec  Clé- 
ret; il  paie  ainsi  au  roi  d'Angleterre,  en  deux  termes,  50,000  écus  d'or  va- 
lant (a  32  sous  1  den.  t.  pièce)  80.208  liv.  6  s.  8  den.  ;  il  rapporta  deux 
quittances  du  roi,  signées  de  sa  main,  scellées  du  sel  de  ses  armes.,  et  deux 


MOYENS    DACTION    DIPLOMATIQUES  345 

vantes;  lord  Mastings  recevant  toujours,  mais  refusant  un 
écrit,  on  y  supplée  par  des  certificats  '. 

La  paix  s'achète  en  Angleterre  comme  en  Allemagne.  Par 
le  traité  de  110-2.  la  France  s'engage  à  payer  à  l'Angleterre 
des  annuités  de  o0,000  liv.,  jusqu'à  concurrence  de  000,000 
liv.,  sous  prétexte  d'avances  du  roi  d'Angleterre  à  la  reine  de 
France  comme  duchesse  de  Bretagne.  Henri  Bohier,  notaire- 
secrétaire  du  roi,  fut  commis  au  service  de  ces  paiements  par 
patentes  du  1  4  novembre,  et  il  s'en  acquitta  jusqu'en  1497. 
Chaque  année,  il  retirait  deux  quittances  du  roi  d'Angleterre  ; 
de  plus,  il  répandait  une  masse  de  bienfaits  sur  les  principaux 
seigneurs  de  la  cour  de  Londres,  en  reconnaissance  de  leurs 
vues  pacifiques.  Cette  fois,  aucun  seigneur  ne  refusa  ses  deux 
quittances,  signées  et  scellées  2. 

Parmi  les  rois  de  France,  Louis  XI  seul  se  fit  personnelle- 
ment payer  ses  bienfaits  par  le  duc  de  Milan  :  quant  au  reste, 
la  cour  de  France  ressemble  aux  autres.  En  1446,  on  disait 

quittances  signées  de  chacun  des  personnnages  suivants:  —  à  Thomas,  évê- 
que  de  Lincoln,  chancelier,  «  don...  fait  en  ceste  présente  année  »,  1.000 
écus  d'or  valant  1604  1.  :  Guille,  s8r  de  Hastingues,  grand  chamhellan, 
2.000  écus  d'or,  valant  3.208  1.  (deux  certificats  d'un  serviteur)  :  Jean  de  Ilo- 
wart,  1200  écus  d'or,  valant  1923  1.  :  Thas  deMontgonicry,  chevalierde  corps 
du  roi,  même  somme:  Jean  .Morton,  maître  des  «  roolles  »  d'Angleterre,  600 
écus  d'or,  valant  962  1.  :  Guill.  Hestout  a  4200  1.  de  salaire  en  tout  (il  avait 
reçu  les  fonds  des  quatre  généraux  des  finances),  plus  700  1.  de  change,  pour 
convertir  la  monnaie  en  écus  d'or. 

1)  Comptes  de  1477,  de  1478  (même  ms.)  ;  le  certificat  est  dressé  par  l'évo- 
que d'Eaulne  en  1477,  —  en  1478  par:  1°  l'évêque  d'Eaulne  et  Jean  Blosset, 
chambellan;  2°  par  l'évêque  etAnt«  de  Morteillon,  écuyer  d'écurie. 

2)  Ms.  fr.  10377  ;  compte  de  1493,  comprenant  les  paiements  suivants  : 
Gilles  d'Aubenay,  seigneur  dudit  lieu,  lieutenant  général  d'Angleterre  à  Ca- 
lais, 3500  1.  t.;  l'évêque  de  Balhe  et  de  Wellys,  garde  du  principal  scel  d'An- 
gleterre, 1050  1.  t.  ;  le  C'e  de  Doxenford,  grand  chambellan,  amiral  d'Angle- 
terre, même  somme  ;  Jean  Duchin,  Ssr  dudit  li£u,  ,'>25  liv.;  Jacq.  ïhirelle, 
chii",  lieutenant  de  Guines,  875  1.  t.;  Regnaud  Bray,  ch1  'er,  conseiller, 
525  t.;  Thomas  Lovell,  conseiller,  3501.;  Guill.  Laurelolz,  secrétaire  du  roi, 
175  1.  t.;  et  pour  Bohier  lui-même,  1600  1.  d'honoraires. 


346  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

plaisamment  que  la  trêve  avec  l'Angleterre  avait  été  «  bien 
profitable  »,  parce  qu'on  accusait  Brézé  d'avoir  reçu  400,000 
écttsde  l'Angleterre  pour  la  conclure  \ 

Les  conseillers  de  Louis  XI,  Communes',  Boffile  de  Juge,  Du 
Bouchage,  Palamède  deForbin...  mettent  cyniquement  à  con- 
tribution les  diverses  ambassades  italiennes.  Louis  XI  ne  pou- 
vait ignorer  ce  trafic,  il  fermait  les  yeux3.  A  plus  forte  raison, 
autour  de  Charles  VIII  \  Quand  le  comte  Caïazzo  vient  de  Mi- 
lan en  ambassade  extraordinaire,  le  résident  milanais,  Erasme 
Brasca,  lui  expédie  à  Saint  Jean  de  Maurieune  un  émissaire 
pour  lui  recommander  instant  ment  d'apporterl'argent  qu'on  lui 
a  promis.  «Sinon,  dit-il,  à  votre  entrée  on  ferale  vide:  on  vous 
logera  mal  :  le  roi  vous  tiendra  un  langage  nuisible  ou  même 
impertinent.»  Caïazzo  se  hâte  d'envoyer  des  assurances  si  for- 
melles, qu'il  trouve,  dès  Villeneuve-Saint-Georges,  une  troupe 
nombreuse  et  brillante  de  courtisans  venus  à  sa  rencontre, 
sous  la  conduite  de  Stuart  d'Aubigny,  un  des  amis.  Au  pont 
de  Charenton,  l'escorte  habituelle  l'attend  pour  son  entrée, 
mais  avec  quel  éclat  !  Caïazzo  est  reçu  par  le  roi  sur  le  champ, 
en  audience  solennelle  5. 

Un  italien  établi  en  France,  Aîné  de  Valperga,  se  vantait  de 
posséder  de  grandes  influences,  si  bien  qu'un  envoyé  mila- 
nais arrive  avec  instruction  de  le  voir  et  de  suivre  ses  inspi- 

i)  Favre,  Jouvencel,  cxliii. 

2)  La  ville  de  Tournay  offre  au  sire  de  Comniines  une  chambre  de  tapis- 
serie, de  la  valeur  de  40  livres  de  gros,  pour  qu'il  empêche  Louis  XI  de  la 
céder  aux  Anglais  (1478.  Kervyn.  Lettres  et  négociations,  I,  129). 

:i)  En  Hongrie.  «  les  alliés,  sachant  que  le  cardinal  Thomas  Erdoedi  exer- 
çait une  grande  influence,  à  la  cour  et  dans  le  conseil,  mettent  tout  enceuvre 
pour  le  gagner  à  leur  cause.  Le  pape,  l'empereur,  Louis  XII  et  le  cardinal 
d'Amboise  lui  écrivent  force  leltrcs,remplics  tantôt  d'offres  séduisantes  et  tan- 
tôt de  menaces  sérieuses  »  (K>09.  Fraknoï,  oui;?-,  cité). 

4)  Dépêche  de  Caïazzo,  mars  1492.  Arch.  de  Milan,  Pot.  est.,  francia. 

5)  Delaborde,  Expèd.  àe  Charles  VIII,  p.  139. 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  347 

rations.  Valperga  offre  de  prendre  à  forfait  la  réussite  de  l'am- 
bassade, moyennant  lo.ooo  duoats;  L'ambassadeur  consulte 
son  gouvernement  qui  accepte  la  combinaison,  et  L'on  traite 
finalement  pour  8,000  ducats,  payables  après  réussite  '. 

Les  paiements  de  ce  genre  avaient  lieu  de  la  manière  la 
plus  régulière.  Au  dépari  d'un  ambassadeur  en  France,  Lu- 
dovic Sforsa  lui  remet  neuf  lettres  de  change  en  blanc  pour 
payer  les  amis,  jusqu'à  concurrence  d'Un  chiffre  de...,  tout  en 
lui  recommandant  d'être  hou  marchand,  de  clierclier  à  ne 
pas  atteindre  ce  chiffre,  d'obtenir  des  délais  de  paiement  (car, 
en  pareille  matière,  un  paiement  différé  en  Vaut  deux)  s. 

Se  faire,  quand  on  peut,  payer  par  l'étranger  une  alliance 
ou  un  service,  niên  e  louable  3,  semble  un  acte  tout  naturel  *, 
et  le  déshonneur  ne  commencerait  que  si  l'alliance  ou  le  ser- 
vice étaient  contraires  aux  intérêts  du  pays.  Sous  cette  seule 


■1)  1-492.  Delaborde,  p.  2-21.  En  1494,  Ludovic  Sforza  lit  distribuer  8.000 
ducals  aux  principaux  courtisans  de  Charles  VIII,  au  su  du  roi,  selon  Coin- 
mines.  Une  ambassade  florentine  arrive:  nue  sorte  d'enchère  s'ouvre.  Le 
banquier  Spinelli  écrit  au  gouvernement  florentin  qu'on  fait  des  dons  de 
2.000  ducats  à  quatre  des  principaux  personnages,  notamment  à  Sluart 
d'Aubigny.  qu'on  suspecte  (et  non  sans  raison)  de  toucher  des  deux  mains  : 
bien  plus,  Stuart  d'Aubigny  aurait  osé  proposer  une  [tension  de  12.000  du- 
cats,  de  la  part  de  Ludovic,  à  Mme  de  Bourbon,  dont  on  connaît  l'esprit  prati- 
que :  .Mme  de  Bourbon  (Anne  de  Beaujeu)  n'a  point  prêté  l'oreille,  tel  n'est 
pas  son  goût  (Boislisle,  Et.  de  Vesc,  p.  60,  61). 

■1)  Delaborde,  p.  242. 

'.))  Les  ambassadeurs  français  à  Rome,  en  1 479,  déclarent  avoir  servi  avec 
succès  les  intérêts  de  la  ligue  de  Florence  et  réclament  d'elle  un  prisent  pé- 
cuniaire (Buser,  cité  par  Delaborde,  p.  133).  Le  duc  de  Savoie,  négociant  à 
Lyon  avec  le  chancelier  et  l'amiral  de  France,  leur  souscrit  des  obligations 
spontanément,  ainsi  qu'à  M.  de  Yillequier.  La  négociation  finie,  il  refuse 
énergiquement  de  payer  les  sommes  promises  (Enquête  à  ce  sujet  en  1454. 
Favre  et  Lecestre,  Le  Jouvcncel,  II,  not.  p.  38  * 

lutrec,  en  1517,  ayant  refusé  net  les  présents  qu'on  voulait  lui  offrir, 
le  conseil  des  Dix  de  Venise  ordonne  à  l'ambassadeur  de  demander  au  roi 
permission  de  les  faire,  et  de  prier  le  roi    d'inviter  Lautrec  à   les   accepter 
(Dépêche  du  16  février  1517,  à  l'ambassadeur.  Archives  de  Venise). 


348  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS    DE    MACHIAVEL 

réserve,  on  ne  s'en  prive  point.  Près  de  Louis  XII,  les  per- 
sonnages en  position  d'exercer  une  influence  appréciable  sont 
les  neveux  du  cardinal  d'Amboise  et  le  secrétaire  Robertet. 
Machiavel  écrit,  le  5  juillet  1510,  à  la  seigneurie  de  Florence 
qu'il  est  indispensable  de  payer  à  Robertet  et  au  sire  de  Ghau- 
mont i  ce  qu'on  leur  a  promis  à  propos  de  la  paix:  dix  mille 
ducats  avaient  été  déposés  à  Lyon  pour  le  compte  du  cardinal 
d'Amboise  qui  vient  de  mourir  sans  les  toucher  :  il  faut  les 
employer  à  verser  un  acompte  à  Robertet  et  Chaumont  ;  c'est 
le  seul  moyen  de  les  faire  marcher  et  de  leur  ôter  «  cette  espèce 
d'appât  qui  les  tiendra  toujours  ici  »  (à  Lyon) 2.  En  1513,  lors 
d'une  négociation  avec  Gênes,  on  estimait  à  10,000  écus  la  part 
faite  à  Robertet3.  Ces  prestations  scellent,  consacrent  l'amitié 
politique.  Aussi,  dans  l'instruction  à  Machiavel  pour  sa  lé- 
gation de  1500  en  France,  on  lit  :  «  Les  personnes  sur  les- 
quelles nous  pouvons  compter  auprès  de  ce  prince  sont  :  le 
cardinal,  monseigneur  d'Albi  ;  on  peut  ajouter  toute  la  mai- 
son d'Amboise,  le  maréchal  de  Gié  et  le  seigneur  Robertet, 
dont  vous  vous  rapprocherez  le  plus  souvent  possible,  assurés 
d'en  recevoir  des  conseils  et  des  secours.  » 

On  peut  transporter  partout  ce  môme  raisonnement.  En  1474, 
à  l'issue  de  la  négociation  avec  un  amiral  espagnol  d'une  ques- 
tion délicate  de  prise  maritime,  Louis  XI  fait  un  beau  cadeau 
d'argent.  L'amiral  parlait  d'un  voyage  en  Angleterre  :  il  se 
hâte  de  remercier  le  roi  et  de  renoncer  à  son  excursion  en 
Angleterre,  il  se  déclare  éternellement  bon  et  loyal  serviteur 
de  Sa  Majesté  très  chrétienne  *.  Les  ambassadeurs  de  France 
à  Gênes,  en  1415,  donnent  au   doge  2,000  ducats  d'or  pour 

•i)  Neveu  du  cardinal. 

2)  Dép.  de  Machiavel,  7  juillet  1510. 

3)  Dép.  vénitienne  de  Blois,  18  déc.  1543  (Arch.  de  Venise). 

4)  <<  A  laquale  in  eternum  sero  bono  et  loiale  servitore  et  i  dio  me  done 
gratia  che  sempre  vi  possa  ben  servir  »  (fr.  3884,  i'°  8  v°), 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  349 

presser  leur  affaire,  240  aux  frères  du  «loge,  o2  florins  à  un 
citoyen  de  Gênes,  .Iran  Sacco,  qui  y  a  travaillé,  sept  au  no- 
taire '.  A  Rome,  il  existe  clos  moyens  semblables". 

En  Suisse,  on  pratique  la  diète  '  :  en  Valais,  on  acquiert  des 
amis  dans  l'entourage  de  l'évêque  de  Sion  '.  on  s'adresse 
hardiment,  largement,  à  l'évêque  lui-même  a. 

L'expérience  inspire  une  grande  confiance  dans  ce  genre  de 
moyens.  Louis  XII,  dans  une  conversation  avec  les  ambassa- 
deurs de  Venise  et  d'Espagne  sur  le  compte  des  ambassadeurs 
d'Allemagne,  dit  en  riant  :  «Ce  sont  des  imbéciles;  nous  savions 
leur  ambassade.  Avec  de  l'argent,  on  sait  tout0.  »  dépendant, 
il  ne  suffit  pas  de  donner  de  l'argent,  il  faut  savoir  le  donner. 
En  1489,  le  comte  palatin  du  Rhin, au  moment  où  il  s'engage  à 
servir  Maximilien  contre  la  France,  lui  montre  cyniquement 

1,  Lat.  5414  A.  1*59.  _  • 

■1  25  mars  1513.  Promesse  du  conseil  des  Dix  à  Bernard  Bibiena,  tréso- 
rier du  pape,  d'un  bénéfice  ecclésiastique  de  2.000  ducats  de  rente  (Archives 
de  Venise.  Misto  35,  177  v<>).  Vincenzio  da  Milano,  exilé  de  Venise  pour 
crimes,  obtient  un  sauf  conduit  de  cent  ans.  à  condition  que  son  frère,  versé 
en  plusieurs  langues  et  secrétaire  des  cardinaux  de  Cortone  et  de  Médicis,qui 
«  ont  le  cœur  du  Saint  l'ère  »,  communiquera  copie  de  leur  correspondance, 
notamment  avec  les  cours  de  France,  d'Espagne  et  d'Angleterre  (26  octobre 
1517.  Id.\  il,  fo  120).  Les  ambassadeurs  de  Charles  VIII  à  Rome  entrent  «  en 
pratique  »  avec  le  cardinal  S.  Pétri  ad  Vincula,  sous  les  auspices  de  Ludovic 
le  Maure  (Lettre  d'Amboise,  10  février.  Archives  de  Milan). 

3;  L'ambassade  de  Savoie  en  Suisse  demande  1,000  ou  1,200  écus  pour 
pratiquer  les  députés  à  la  diète  fédérale  de  Lucerne  (mars  1475.  (iingins,  Dép. 
des  ambassadeurs  milanais,  I.  88). 

4)  21  juin  1512.  Ordre  du  conseil  des  Dix  de  Venise  au  provéditeurCapello 
de  donner  très  secrètement  au  seigneur  Pierre,  chapelain  du  cardinal  de 
Sion,  influent  près  de  lui,  200  florins.  Nous  avons,  dit  le  conseil,  à  traiter 
avec  le  cardinal  pour  Crémone  et  la  Ghiara  d'Adda.  11  est  entouré  de  nos 
adversaires  ;  «  conveniens  est  dare  operam  habendi  aliquem  amicum  et  fa- 
vorabilem,  qui  tueatur  partes  noslras  »  (Misto  35,  33). 

5)28  juin  1512.  Ordre  au  provéditeur  Capello  de  donner  au  cardinal  de 
Sion  2,000  ducats,  et  de  lui  promettre,  pour  lui  et  les  siens. des  bénéfices  ecclé- 
siastiques. Le  faire  largement,  hardiment,  avec  beaucoup  d'amabilité,  «  pour 
les  dépenses  du  cardinal,  et  pour  ses  services  »  (Misto  35,  36  v<>). 

6)Nov.  loOO.  Sanuto/lII,  1202. 


350  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

une  magnifique  vaisselle  et  50,000  écus  d'or  qu'il  disait  avoir 
reçus  de  la  France  '.  En  1512,  la  proposition  de  faire  secrète- 
ment un  présent  de  i, 000  ducats  au  cardinal  de  Gurck,  qui 
gouvernait  l'Allemagne,  n'obtient  pas  la  majorité  au  sénat  de 
Venise,  malgré  six  scrutins  successifs,  parce  que  Gurck  avait 
déjà  reçu  de  l'argent  et  n'en  avait  pas  mieux  servi5.  Il  est 
vrai  que  2,000  ducats  ne  suffisaient  pas.  Une  hausse  considé- 
rable parait  s'être  produite  en  matière  de  rétributions  inter- 
nationales. Au  Xltc  siècle,  on  se  contentait  de  petites  sommes8. 
En  1419,  pour  le  traité  du  Ponceau  S'  Denis,  les  conseillers  du 
dauphin  reçoivent  une  cédule  de  cinq  cents  moutons  d'or  du 
duc  de  Bourgogne,  cédule  que  Barbazan  croit  devoir  refuser*. 
Dans  une  négociation  difficile  (demande  d'indemnité  pour  le 
massacre  d'un  agent  vénitien  en  1486),  le  sénat  de  Venise  vote 
1,200  ducats  pour  cadeaux  aux  seigneurs  français  qui  aide- 
raient son  ambassadeur  a. 

Au  commencement  du  XVI0  siècle,  on  perd  son  argent  si 
l'on  offre  moins  de  10,000  ducats  à   un  ministre6,  et  cela   ne 

1)  Molinet,  C,  21G.  En  129i,  Adolphe  de  Nassau,  empereur  d'Allemagne, 
accepte  d'Angleterre  des  subsides  pour  taire  la  guerre  à  la  France,  et  de  la 
France  des  subsides  pour  ne  pas  la  taire  (Fr.  Funck  Brentano,  Documents 
pour  servir  à  C  histoire  des  relations  de  la  France  avec  l Angleterre  et  l'Alle- 
magne..., p.  2). 

•2)  !.">  sept,  l.'ili.  Areh.  de  Venise,  Misto  3o,  84. 

3)  Traité  entre  le  pape  et  les  Génois  du  16  juin  1129  :  sommes  en  argent 
données  en  petits  cadeaux  aux  cardinaux  et  à  de  nobles  Romains  (Soc.  des 
antiquaires  de  France;  séance  du  9  avril  1890;  communication  de  M.  Ul. 
Robert). 

4)Beaucourt,  Uist.  de  C'aarles  VU,  I,  149. 

5)  Perret,  Not...  sur...  Graville,  p.  78. 

(i)  En  novembre  1499,  Venise  envoie  simplement  1,000  ducats  au  cardinal 
d'Amboise  (Sanuto,  111,  i8)  :  les  Florentins  s'engagent,  en  1508,  à  donner  aux 
ministres  de  Fiance  et  d'Aragon  25,000  ducats,  outre  les  sommes  promises  aux 
deux  rois  (Guichardin,  liv.  vin,  eh.  n).  Le  conseil  des  Dix  autorise  son  orateur 
près  de  l'empereur  à  promettre  I0,0u0  ducats  à  M.  de  Ghièvres,  ministre  de 
l'empereur,  et  1,000  à  des  grands  seigneurs,  pour  récupérer  les  places  delà 
Lombardie  (12  oct.  1519.  Arch.  de  Venise,  Misto  43,  76  v<>). 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  351 

sui'til  pas;  non  seulemenl  le  ministre  accepte,  niais,  pour 
prouver  sa  bienveillance,  il  indique  d'antres  personnages  aux- 
quels il  serait  bon  de  donner'.  Rien  de  plus  dangereux  que 
de  froisser  un  ministre  par  un  radeau  Insuffisant;  on  en  voit 
qui  s'oublient  jusqu'à  exprimer  très  librement  leur  mécon- 
tentement pour  intéresser  à  leurs  affaires  privées  les  ambas- 
sadeurs d'autres  puissances  s.  A  une  personne  secondaire, 
mais  utile,  telle  que  le  confesseur  du  roi,  on  offre  un  beau 
diamant  \  De  beaux  tableaux  \  des  reliquat  précieuses  ', 
produisent  très  bon  effet. 

Ii  lf>  lévrier  loi 7.  Robertct  a  conseillé  à  l'orateur  vénitien  en  France  de 
faire  donner  des  présents  au  Grand  Maître  de  France.  Le  conseil  des  Dix  voir 
de  suite  4,000  écos  et  demande  si  cette  somme  convient  (Arch.  de  Venise, 
Misto). 

2)  «  Robertct  me  dit,  il  y  a  trois  jours,  qu'il  enverra  des  gens,  si  possible, 
quand  même  le  pape  non  lo  sentisse,  parce  <[uc  le  pape  leur  l'ail  le  lort  de 
conférer  les  bénéfices  de  Bretagne  el  de  France  à  ses  créatures.  Quant  à  lui, 
qui  a  été  son  esclave,  qui  a  plus  fait  pour  Florence  que  le  pape  lui-même,  le 
pape  veut  priver  son  frère  de  l'évêché  d'Albi,  qu'il  a  :  Robertet  demande  que 
votre  ambassadeur  et  vos  deux  cardinaux  le  défendent.  Je  lui  offris  vos  bons 
of&ces  et  demandai  l'expédition  des  gens  d'armes  »  (Dép.  de  l'ambass.  véni- 
tien Dandolo,  du  4déc.  1543.  Arcb.  de  Venise,  Dispocci,  I). 

9)  Le  conseil  des  Dix  se  fait  montrer  un  beau  saphir,  que  remettra  au  con- 
fesseur du  roi  un  ami  de  Lyon  (mai  1500.  Sanuto,  III,  c.  303). 

4)  La  belle  Sainte-Famille  de  Fra  Bartolommeo  qui  se  trouve  au  Louvre,  si- 
gnée et  datée  de  1511,  peinte  pour  l'église  Saint  Marc  de  Florence,  fut  offerte 
à  Jacques  llurault,  ambassadeur  de  France,  évèque  d'Autun,  qui  en  fit  don 
à  sa  cathédrale.  Vasari  dit  que,  sur  les  instances  de  Louis  XI,  les  Vénitiens 
lui  envoyèrent  un  Christ  mort,  de  Jean  Bellini.  Ne  faut-il  pas  lire  «  Louis 
XII?  »  Car  le  tableau  envoyé  fut, à  Venise,  remplacé  par  un  autre  daté  de 
Miintz.La  Renaissance  en  France,  p.  454,  n.  2).  Un  ambassadeur  mila- 
nais offre  à  Charles  VII,  en  1457,  des  manuscrits  à  belles  enluminures  (/</., 
p.  176),  Le  cardinal  d'Amboise,  à  Milan,  en  octobre  1499,  dit  à  l'agent  de 
.Mantoue  que  sa  maîtresse  a  le  premier  peintre  du  monde  et  qu'il  donnerait 
beaucoup  d'argent  pour  avoir  quelque  œuvre  de  lui  :  l'ambassadeur  demande 
immédiatement  à  sa  souveraine  une  œuvre  de  Mantegna.  On  envoie  au  cardi- 
nal un  tableau  de  dévotion  de  Mantegna  ;  il  en  est  enthousiasmé,  el  déclare 
qu'il  l'aime  mieux  que  10.000  ducats  (Les  amies  de  Ludovic  Sforza,  par  M. 
L.G.  Pélissier,  Bévue  Historique,  tome  XLVIII;  p.  51,  n.  3). 

■  eorges  d'Amboise  envoie   a   Henri    \ll   d  Angleterre  une  jambe  de 


352  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

Il  parait  tout  différent  d'accepter  des  présents  ou  une  pen- 
sion :  tel  qui  prend  des  cadeaux,  même  importants,  hésitera 
devant  une  pension  \  La  nuance  se  comprend. 

L'usage  des  cadeaux  comporte  aussi  une  foule  de  petits  en- 
vois sans  importance  et  de  pure  courtoisie.  En  Italie,  on  aime 
à  s'adresser  des  riens  :  des  fruits,  de  la  marée....  Sigismond 
Malatesta,  seigneur  de  Rimini,  envoie  au  duc  d'Esté  des  figues  ; 
le  duc  d'Esté  envoie  du  poisson,  des  anguilles,  surtout  au  mo- 
ment du  carême  i.  On  échange  heaucoup  de  chiens,  de  lé- 
vriers, d'oiseaux.  Apprenant  que  François  Sforza  a  de  heaux 
chevaux  arabes,  Sigismond  Malatesta  lui  en  fait  demander  un 
sans  façon,  et  Sforza  l'expédie  aussitôt 3.  Le  roi  de  France  n'a 
pas  l'habitude  d'envoyer  des  présents  par  ses  ambassadeurs 4, 
mais  il  ne  craint  pas  d'en  demander,  de  petits  présents,  bien 
entendu,  et  à  des  ambassadeurs  amis  :  ainsi,  comme  marque 
d'amitié,  Louis  XII  demande  au  résident  vénitien  de  faire 
venir  six  onces  de  bleu  d'outremer,  pour  de  très  belles  pein- 
tures qu'on  exécutait  au  château  de  Blois,  en  juillet  1500  % 
mais  il  n'aurait  pas  demandé  un  objet  de  prix. 

En  1502,  le  résident  français,  quoique  fort  choyé  à  Venise, 
sollicite  une  relique  de  saint  Roch,  pour  l'envoyer  à  Blois,  où 
sévit  la  peste  ;  la  seigneurie  refuse  net  °. 

Les  rois  de  France  sont  tous  très  chasseurs  ;  Maximilien; 
aussi,  est  fanatique  de  chasse  ;  il  vit  en  Tyrol,  au  milieu  de 

saint  Georges,  qui  est  reçue  avec  enthousiasme  (1504.  Bernardi  Andréa 
Vtla  Henrici  septimi,  by  Gairdner,  p.  82). 

■I)  Jean  de  Bueil  accepte  des  présents  du  duc  de  Savoie,  mais  refuse  une 
pension  en  disant  que  celle  du  roi  lui  suffisait  (Elle  était  forte).  Î^SS  (Favré, 
Introduction  du  Jouvencel,  p.  clxxxvii). 

2)  Yriarte,  Rimini,  p.  333. 

3)  ld„  p.  332. 

4)  Réponse  des  hérauts  de  France,  1500.  Sanuto,  III,  SS9, 

5)  18  juillet  1500.  Sanuto,  III,  542. 
G)  17  oct.  1502.  Sanuto,  IV,  366. 


MOYENS   DACTION    DIPLOMATIQUES  353 

ses  chiens,  des  ours  et  des  cerfs  '.  Or.  Venise  possède  des 
faucons  blancs,  qui  viennent  du  Levant,  notamment  de  Can- 
die :  on  D.'imagine  pas  l'importance  diplomatique  d'un  en- 
voi  île  faucons  rares,  «mi  France  ou  en  Allemagne  :  c'est  une 
affaire  d'Etat.  Sitôt  l'arrivée  des  merveilleux  oiseaux,  le  roi 
(Charles  VIII)  va  lui-même  les  voir.  L'ambassadeur  se  hâte 
d'écrire  des  nom  elles  de  leur  voyage:  heureux  s'il  peut 
annoncer  «  qu'il  ne  leur  manque  pas  une  plume,  qu'ils  sont 
beaux  et  gras  ».  Il  n'y  a  pas  que  le  roi  qui  en  désire  :  les 
courtisans,  les  amis  en  sollicitent  '.  Un  des  rôles  impor- 
tants des  ambassadeurs  français  en  Italie  consiste  à  obte- 
nir des  faucons  \  et  l'un  des  rôles  des  ambassadeurs  ita- 
liens est  de  recevoir  ces  oiseaux,  de  les  soigner,  de  les  refaire, 
de  les  présenter  dans  de  bonnes  conditions  *.  On  voit  Ma- 
chiavel s'en  préoccuper  fort.  Cette  occupation  donne  de  suite 
un  grand  relief  à  l'ambassadeur.  Dès  que  survient  un  nouvel 
ambassadeur  de  Venise  en  France,  c'est  à  qui  lui  demandera 
amicalement  des  faucons  '.  L'ambassadeur  en  Allemagne  dé- 
clare, en  1307,  qu'un  don  de  quinze  faucons  lui  a  valu  toute  la 


1)  Entrant  à  Trente,  le  12  octobre  1501,  le  roi  des  Romains  se  fait  précé- 
der  de  200  chiens  et  d'une  charrette,  qui  portait  un  ours  et  un  cerf  suso 
tués  par  lui  (Sanuto,  IV,  151). 

2)  Dépêche  de  l'ambassadeur  florentin.  1193.  Desjardins,  I,  239. 

3>  L'ambassadeur  de  France  à  Venise  communique  une  lettre  du  roi,  qui 
lui  donne  des  nouvelles  politiques  et  demande  des  faucons  (3  février  1501. 
Sanuto,  III,  1369).  L'orateur  de  France  présente  une  lettre  du  secrétaire  véni- 
tien agent  à  Milan,  qui  recommande  un  fauconnier  du  roi,  pour  avoir  des 
sacres  (28  oct.  1502.  IV,  392).  L'orateur  de  France  dit  à  la  seigneurie  qu'il  a 
l'ordre  de  fournir  au  roi  des  faucons,  et  que  le  fauconnier  est  arrivé  (20  nov. 
IjOM.  Sanuto,  V,  351). 

4)  Le  conseil  de  Venise  envoie  à  Lyon,  par  son  agent  à  Milan,  quinze  fau- 
cons. Mais  ils  sont  en  mauvais  état,  et  il  a  fallu  les  garder  dix  jours  à  Milan 
et  les  soigner  pour  les  refaire  (déc.  1503.  Sanuto,  V,  590). 

5)NOT.  1500.  Sanuto.  111.  121)2. 


354  LA   DIPLOMATIE   AD   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

bienveillance  de  Maximilien  '  :  —  certes,  c'était  un  don  royal !, 
et  il  fallait,  en  l'envoyant,  ménager  l'équilibre  européen  ;  Ve- 
nise décide,  en  1504,  d'envoyer  des  faucons  à  l'empereur  parce 
qu'elle  en  envoie  au  roi  de  France3. —  Le  roi  des  Romains  reçoit 
donc  quinze  faucons  :  il  écrit  à  Venise  une  lettre  de  remercie- 
ments :  «  Si  l'un  d'eux,  dit-il,  s'envolait  ad  proprios  lares, 
envoyez-le-moi  »,  plaisanterie  qui  signifie  qu'il  en  accepterait 
d'autres*.  Pendant  ce  temps,  seize  faucons  arrivent  en  France, 
parfaitement  bien  portants,  et  l'ambassadeur  les  offre  de  suite. 
Louis  XII  les  manie  tous,  l'un  après  l'autre:  l'ambassadeur 
lui  dit  que  la  seigneurie  de  Venise  en  enverra  d'autres  : 
«  Merci  mille  fois,  reprend  le  roi  ;  plus  j'en  aurai,  plus  je  se- 
rai enchanté  s  » . 

Un  ambassadeur  peut  proposer  encore,  à  l'appui  de  sa  mis- 
sion, des  chevaux,  dos  armures,  des  parfums....  G,  des  ton- 
neaux de  vin  '',  des  fromages,  dos  pièces  de  velours  ou  de 


4)  4507.  Sanuto,  VII,  493. 

2)  La  ville  de  Tarragone  offre  au  roi  d'Espagne  des  faucons  blancs,  objet 
très  rare.  Le  roi  les  envoie  en  présent  au  roi  de  France  (22  juillet  4o07.  Sa- 
nuto, VII,  437)  :  remerciements  de  Louis  XII  à  Ferdinand  le  Catholique,  pour 
un  faucon  blanc  «  singulièrement  plaisant  ...  par  la  beauté  et  estrangeté  » 
(H.  de  la  Ferrière,  Le  XVIe  siècle  et  les  Valois,  p.  5).  Don  par  Venise  à  Maxi- 
milien de  trois  faucons  et  deux  chiens  alanni  (Sanuto,  VI,  357). 

3)  2  oct.  4503.  Sanuto,  V,  420. 

i)  17  décembre  4503.  Sanuto,  V,  625. 

5)22dée.  1503.  Sanuto,  V,  023. 

G)  L.  de  La  Trémoïlle,  Guy  de  la  Tn'mo'ille,  p.  418,  435.  Louis  dauphin 
envoie  au  duc  d'Orléans  un  mulet  et  lui  demande  un  lévrier  (Lettres  de 
Louis  XI,  I,  n°  xx).  Galeas  de  San  Severino,  ambassadeur  de  Milan,  oll'ie  à 
Charles  VIII  des  chevaux,  des  armures,  des  bardes,  des  parfums,  en  avril 
4494.  —  Moncalieri,  8  juin.  Lettre  de  Gaston  du  Lyon  au  duc  de  Milan,  le 
remerciant  de  l'envoi  d'un  cheval  (Arch,  de  Milan,  Pot.  Est.,  Francia,  Cor- 
respond.). 

7)  Par  exemple,  les  ambassadeurs  de  Bourgogne  offrent  au  duc  d'Orléans, 
le  4  nov.  4448,  un  tonneau  de  vin  (KK.  270). 


motbns  d'action  diplomatiques  353 

drap  '.  des  objets  d'orfèvrerie  !.  des  objets  d'art...3.  Jules  II, 
par  .une  galère  qui  vaquéter  en  Angleterre  pour  l'église  Saint 
Pierre,  adresse  au  poj  d'Angleterre  cent  fromages  de  Parme- 
san et  un  certain  nombre  de  bouteilles  devin,  comme  téinoi- 
gnage  de  gratitude  pour  son  filial  dévouement  à  l'église...4. 

Deux  envoyés  d<>  Charles  VIII  offrent,  en  1494,  à  la  ville 
de  Gênes  de>  vases  d'argent  \ 

11  y  a  enfin  des  présents  de  convenance, qui  font  obligatoire- 
ment partie  de  l'attirail  diplomatique;  ce  sont  les  présents  de 
rigueur  en  Orient  \  et,  en  Occident,  les  menues  gratifications 

1)  2-2  iléc.  loto.  Demande  de  l'ambassadeur  en  France  de  donner  23 
tirasses  de  velours  paonazo  el  autant  de  drap  crème  au  trésorier  Robertet 
■2'.'>  brasses  de  damas  noir  et  2.'>  de  drap  noir  à  deux  secrétaires  du  roi.  Cette 
demande  n'obtient  [tas  la  majorité.—  o  avril  loi  1.  Décision  d'envoyer  en  don 
à  Théodore  Trivulce,  à  l'adoue,  26  brasses  de  velours  crème  haut  et  bas  et 
autant  de  velours  violet  haut  et  bas.  «  Nos  redores  l'offriront  avec  les  paroles 
convenables  »  (Areh.  de  Venise). 

Les  deux  couppea  que  les  Hongres  donnèrent  à  Madame  (de  lteaujeu), 
ung  chapeau  de  llongrye  »  (fr.  20490,  l'os  60,  64).  Charles  de  Valois  fait  re- 
mettre au  pape,  en  1308,  une  coupe  d'or  à  émaux,  «a  pelles  »  et  à  pierrerie, 
un  pot  d'or  de  même,  et  une  pinte  d'or,  le  tout  valant  plus  de  1.000  I.  par. 
(Moranvillé,  Bibl.  del'Ec.  des  Chartes,  1890,  p.   69). 

3)  Une  image  d'argent  doré,  représentant  une  jeune  fille  «  admodum  cu- 
rioso  »,  la  main  gauche  sur  la  hanche,  de  la  droite  portant  sur  sa  tète  unj 
«  salsorium  »,  ornée  «  artiliciose  »,  sur  le  socle, de  plusieurs  pierres  précieuses, 
«  ut  puta  margarilis.  adainantibus,  et  robinis  »,  longue  d'un  pied,  et  ayant 
coûté 36  llorins,  est  offerte  à  l'empereur  par  les  envoyés  de  la  duchesse  d'Or- 
léans (//«/.  de  Louis  XII). 

',)  Août  1811.  Sanuto,  XII,  382. 

:>i  Lettre  des  Génoisau  roi,  21  octobre  1494.  Nousavons  reçu  «  incredibili 
voluptate  »  les  vases  d'argent,  cadeau  vraiment  royal,  remis  de  votre  part 
parle  grand  éeuyer  et  le  général  de  Languedoc  (Areh.  de  Cènes.  Litterarum. 
36  :  18 

6;  La  seigneurie  de  Venise  remet,  en  IS03,  à  Gritti,  pour  son  ambassade  à 
istantinople,  les  présents  habituels  pour  le  sultan  et  les  pachas,  plus  300 
ducats  à  dépenser  en  courtoisies  Sanuto.  Y,  29).  Le  2.'>  novembre  1312,  on 
convoque  les  savii  pour  traiter  des  présents  à  envoyer  au  Grand  Turc,  par 
Ant.  Giustiniani,  avec  une  forte  amende  à  qui  manquera  la  séance, parce  qu'il 
y  a  urgence.  En  décembre  1510,  la  seigneurie  emprunte  à  des  particuliers  des 


356  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

qu'on  donne  aux  trompettes,  joueurs  de  guitares  et  autres 
industriels  de  ce  genre  qui  affectent  de  rendre  honneur  à  l'am- 
bassade *,  ainsi  qu'aux  gens  de  bas  étage  ',  et  même  aux 
hérauts  3. 

En  résumé,  la  science  de  l'ambassade  consiste  à  bien  ma- 
nier l'argent  :  «  ung  saige  prince,  dit  Commines,  met  tou- 
jours peine  d'avoir  quelque  amy  avec  partie  adverse  \  »  Un 
sage  ambassadeur  a,  autour  de  lui,  un  service  d'amis  à  diri- 
ger, chose  facile  en  soi  :  la  difficulté  consiste  à  payer  le  moins 
possible,  à  bien  choisir  les  amis  et  à  en  tirer  un  bon  parti 
pour  les  renseignements:  à  bien  ménager  les  amis  volontaires, 
alléchés  par  l'appât  d'un  gain  éventuel  :  tel  l'évêque  d'Avran- 
ches,  qui,  à  Amboise,  sans  que  l'ambassadeur  de  Milan  lui 
dise  rien,  le  prend  à  part  et  lui  donne  des  détails  sur  ce  que 


étoffes  d'une  valeur  de  600  ducats,  à  défalquer  de  leurs  impôts,  pour  les  pré- 
sents nécessaires  à  l'ambassade  qui  part  pour  Constantinople  (déc.  1510. 
Sanuto,XI,  696).  Dès  1442,  les  Florentins  sont  en  commerce  de  riches  pré- 
sents avec  le  sultan  (Roscoé,  Vie  de  Laurent  de  Médicis,  éd.  fr.,  I,  159). 
L'ambassade  de  Constantinople  près  le  duc  de  Bourgogne  lui  demande  du 
secours  et  lui  offre  «  plusieurs  reliques  »  (fr.  1278,  fo  127). 

1)  TU.  0)7/7.  Monteynard,  301.  —  Asti,  22  sept.  4491.  Attestation  d'Hector 
de  Monteynard,  conseiller  et  chambellan  ducal,  gouverneur  d'Asti,  que  le  tré- 
sorier Damian  ou  Damiano  a  versé  50  ducats  à  Gaucher  de  Tinteville,  ambas- 
sadeur du  roi  à  Milan  «  pro  factis  marchionatus  Ccve  »,  pour  ses  dépenses 
faites  à  Milan  pendant  plusieurs  jours,  principalement  en  dons  «  tubicenis  et 
citharistis  »,  etc.,  «  qui  eumvisitabant  ob  reverentiam.  » 

2)  En  Allemagne,  les  portiers  de  l'empereur  viennent  au  devant  d'une 
ambassade  qui  arrive  et  demandent  leur  vin.  On  leur  donne  6  écus  (1397. 
Circourt  et  van  Wervecke,  Documents  luxembourgeois,  n°34).  Les  ambassa- 
deurs de  Marguerite  d'Autriche  pour  sa  prestation  d'hommage  à  Louis  XII,  en 
1509,  déclarent  avoir  dépensé  50  écus,  «  oultre  les  deniers  qui  avoient  esté 
ordonnez  pour  les  secrétaires  à  cause  de  vostredit  hommage  et  des  aultres 
lettres  que  vous  touchent  »  (Lett.  de  Louis  XII,  I,  159). 

3)  Le  secrétaire  de  l'ambassade  vénitienne  au  Caire,  en  1512,  rapporte  même 
avoir  reçu  du  drogman  du  sultan  un  pourboire  de  dix  ducats,  pour  avoir  pré- 
senté des  cadeaux  (Ch.  Schefer,  Le  voyage  d'outremer,  p.  189).    • 

4)  Commines,  Mémoires)  I,2G4. 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  357 

veut  et  fait  le  roi  en  Mie  d'un  concile  '  ;  tel  encore  Commines, 
qui  prépare  son  entrée  au  service  de  la  France,  en  jouant 
jn'ès  tle  Louis  XI  le  rôle  d'ami  à  Péronne*.  Les  amis  peuvent 
venir  de  fort  loin  \ 

Les  ambassadeurs  eu  France  prennent  ordinairement  leurs 
amis  parmi  les  étrangers  au  service  du  roi. 

La  politique  française  en  Italie  avait  attiré  à  la  cour  de 
France  bon  nombre  d'Italiens,  personnages  de  plus  ou  moins 
grande  marque,  et  d'un  dévouement  généralement  peu  éprou- 
vé. Ce  monde  franco-italien,  quoique  instable  et  sans  influence, 
offrait  aux  ambassadeurs  italiens  la  première  matière  amicable, 
si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi.  Ainsi,  le  résident  vénitien  Dan- 
dolo  utilise  le  milanais  Galéas  Visconti,  qui  se  dit  fort  en  fa- 
veur: Visconti  raconte  les  conversations  du  roi  et  du  cardinal 
d'Amboise,  indique  les  démarches  a  l'aire,  va  voir  l'ambassa- 
deur le  matin,  de  très  bonne  heure,  avant  le  jour,  en  grand 
secret  *,  et  le  prie  instamment  de  ne  point  le  nommer  dans 
sa  correspondance, parce  qu'on  cherche  déjà  à  l'attaquer  près 
du  roi  :  on  a  répété  au  roi  que,  lors  de  son  séjour  à  Venise 

1)  -20  novembre  1469.  Ghinzoni,  Galeazzo  Maria  Sforza  e  Luigi  XI,  p.  8. 
■2)  1468.  Commines,  1.  n,  e.  ix. 

3)  Le  cardinal  d'Amboise  dit  à  l'ambassadeur  vénitien,  le  24  janvier  1508  : 
«  M.  l'orateur,  je  n'ai  aucune  accusation  formelle  contre  personne,  autrement 
je  vous  la  communiquerais,  comme  il  se  doit,  mais  je  vais  vous  dire  toute 
ma  pensée.  Votre  comte  Petigliano  est  un  gros  homme  qui  ne  me  plait  pas  : 
il  s'est  déjà  montré  trompeur,  et  il  a  des  tils  prêtres,  vous  me  comprenez.  De 
même,  un  de  vos  chefs,  dont  je  ne  sais  le  nom.  a  dit  à  un  des  nôtres  en  Italie 
que  les  lansquenets  venaient  d'accord  avec  vous  et  qu'on  ne  devait  pas  leur 
résister.  L'évoque  de  Paris  a  une  lettre  sur  ce  point.  La  conduite  de  votre  sei- 
gneurie prouve  ie  contraire  :  cette  perfidie  n'est  que  plus  grave.  Nous  doutons 
aussi  du  marquis  de  Mantouc,'  qui  a  beaucoup  de  parenté  en  Allemagne,  qui 
désire  fort  votre  ruine,  parce  qu'il  vous  reproche  de  posséder  quelques  unes 
de  ses  terres.  Le  marquis  m'a  demandé  de  l'argent  pour  une  compagnie  de 
chevau-légers  qu'on  lui  a  concédée  »  (Dép.  d'Ant.  Condolmeri,  à  cette  date. 
Archives  de  Venise). 

4)  Dép.  du  18  fév.  1502-1503  (A.  de  Venise). 


358  LA   DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

avec  la  reine  de  Hongrie,  un  patricien  aurait  dit!  «  J'aime 
bien  voir  tous  ces  honneurs  et  ces  caresses  pour  ce  Visoonti, 
qui  est  ennemi  juré  des  Français,  malgré  sa  feinte  actuelle...  » 
Visconti,  ajoute  le  résident,  vous  est  dévoué,  j'en  ai  fait  l'é- 
preuve :  le  roi  lui  parle  en  confiance  des  affaires  d'Italie.  Le 
roi  m'avait  promis  le  secret  sur  vos  communications  relatives 
au  pape  et  à  Yalentinois  :  le  lendemain, Visconti  me  dit:  «  Le 
roi  m'a  appelé  et  m'a  tout  raconté  '.  » 

Il  y  a  aussi  des  napolitains,  mécontents  du  roi  \  qui  pren- 
nent volontiers  de  toute  main  :  «  Le  prince  de  Melphes,  écrit 
le  résident  vénitien,  vit  avec  le  roi  et  vous  est  dévoué.  Si  on 
le  savait,  ce  serait  sa  ruine  s.  »  En  général,  dans  la  corres- 
pondance, on  ne  nomme  pas  les  amis.  On  dit  «  l'ami  »  ou 
1'  «  ami  fidèle  »,  ou  encore  «  un  ami  ».  Un  «  ami  »  qui  parait 
assez  souvent  vers  1501,  dans  les  correspondances  véni- 
tiennes, est  un  napolitain,  nommé  Coppola,  agent  de  Louis  XII, 
ami  de  Venise,  et  qui  trahissait  tout  le  monde  \ 

L'ami  est  parfois  un  politicien  très  important,  qui  trouve 
ce  moyen  bon  pour  grossir  ses  revenus.  Commines,  qui  n'é- 
tait pas  français,  comme  on  sait,  profita  constamment  de  sa 
faveur  près  de  Louis  XI  et  de  Charles  VIII  pour  jouer  le 

1)  Dép.  duI5fév.  1802-1803. 

2)  Dépèche  de  Blois,  15 mars  1804, chiffrée,  du  secrétaire  Palmarius.  «Les 
princes  napolitains  Bisignano,  Melli  et  Trajccta  sont  ici,  mécontents  du  roi  et 
hors  d'espoir  de  jamais  retrouver  leurs  biens  par.iui.  Ils  m'ont  l'ait  répéter  par 
un  intime  ce  que  j'ai  transmis  à  Lyon  à  mon  ambassadeur  et  ce  qu'il  vous 
aura  fait  savoir.  Ils  font  demander  si  Venise  veut  du  royaume  île  Naples.  Us 
lui  offrent  leur  concours.  Ils  désespèrent  de  la  France,  et  ne  veulent  pas  de 
l'Espagne.  Ils  se  plaignent  de  l'absence  de  réponse,  courant,  disent-ils,  un 
grand  risque,  celui  de  perdre  ici  ce  dont  ils  pourraient  vivre,  car  ils  comptent 
bien  obtenir  en  France  8.000  1.  de  pension.  Je  répondis  à  mon  ami  intime  que 
j'étais  tout  à  leurs  ordres  pour  écrire,  avec  tout  le  secret  possible,  mais  sans 
pouvoir  rien  dire  de  plus.  » 

3)  Dép.  du  24  sept.  1504. 

4)  Dép.  du  12  février  1500-1501. 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  359 

rôle  d'ami  avec  le  plus  complel  scepticisme.  Il  est  à  la  fois 
l'ami  de  Milan  cl  de  Florence,  Les  deux  rivales  :  il  reste,  ou  «lu 

moins  il  cherche  à  rester  l'ami  de  Milan,  même  en  1496,  a. 
une  époque  où  les  intérêts  milanais  se  trouvent  en  complète 
opposition  avec  ceux  de  la  France1.  Peu  lui  chaud.  Tout  en 
se  multipliant  au  service  du  duc  de  Milan,  il  lui  arrive  de 
mettre  la  main  à  un  projet  de  révolution  ourdi  à  Milan  contre 
le  prince  '.  C'est  l'homme  prêta  toutes  les  intrigues  intéres- 
sées. On  ne  se  l'ait  aucune  illusion  snr  sa  moralité  et  sa  fran- 
chise, mais  on  l'emploie,  parce  qu'il  s'impose  par  son  audace. 
«  Il  est  ici  continuellement  nageant  entre  deux  eaux  ;  c'est 
un  homme  sage  et  suhtil  », écrit  l'ambassadeur  de  Florence3. 

Mais  il  lui  faut  de  l'argent  :  donnant,  donnant. 

L'ambassadeur  de  Milan  écrit,  en  1476,  que  Philippe  de 
Gommines,  en  ce  moment  tout  puissant,  lui  a  rendu  d'inap- 
préeiahles  services.  «  Il  s'attend  à.  ce  que  Votre  Seigneurie, 
appréciant  ses  bons  offices,  lui  accorde  quelque  rémunération 
honorable.  S'il  en  était  aliter,  il  pourrait  à  coup  sûr  en  résul- 
ter quelque  grand  préjudice  in  fulurum.  Si  Votre  Seigneurie 
dispose  de  lui,  Elle  pourra  dire  qu'Ellc  dispose  du  roi  *«  » 
Pour  appuyer  sa  demande,  Gommines  s'est  fait  déléguer  aux 
négociations  de  Milan  ;  aussi  l'ambassadeur  insiste  5.  Outre 
ses  demandes  indirectes  de  «  bonne  rémunération  »,  Com- 
mines  sait,  au  besoin,  écrire,  pour  prier  qu'on  lui  prête  de 
l'argent  \  Seulement,  il  s'estime  très  cher,  et  on  le  redoute 
par  ce  motif.  Sur  l'insistance  des   ambassadeurs,  le  duc  de 

1)  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  III,  103. 

2)  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  III,  54. 

3)  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  II,  77. 
i  Kci  vyn,  Lettreset  négociations,  III.  3. 

.')    Nov.  Ii"iî.  Lettres  et  négociations,  III.  8. 

6)  1  i8G.  Lettre   à   Laurent   de   Médicis  (Benoist,  Lettres  de  Philippe  de 
Comynes,  p.  18), 


360  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Milan  charge  un  envoyé  de  le  voir  et  de  le  remercier  ;  il  lui 
adresse  aussi  une  lettre  directe  de  gratitude,  où  se  glisse  une 
forte  ironie  :  «  S'il  s'en  présente  quelque  occasion,  vous  pou- 
vez être  certain  que  nous  n'employerons  aucune  autre  entre- 
mise plus  volontiers  que  la  votre  ;  et  il  nous  semble  qu'il  n'est 
pas  nécessaire  de  la  réclamer,  puisqu'elle  s'offre  spontanément 
et  promptement  en  toutes  nos  affaires  '.  » 

Au  moment  où  Charles  VIII  va  déclarer  la  guerre  à  Naples, 
le  roi  de  Naples  entretient  à  la  cour  de  France  de  bons  amis, 
deux  Français  influents,  les  sires  du  Bouchage  et  de  Clérieux s, 
mais  il  s'aperçoit  trop  tard  qu'il  ne  paie  pas  assez  \  C'est 
une  mauvaise  économie  de  ne  pas  choisir  ce  qu'il  y  a  de 
mieux 4.  Un  bon  ami,  bien  rétribué,  rend  d'immenses  ser- 
vices ;  c'est  le  véritable  ambassadeur  5.  Pour  s'en  convaincre, 
il  suffit  de  lire  la  longue  lettre  qu'adressait,  le  7  août  1494,  le 
même  Commines  à  l'ambassadeur  florentin  :  dans  ces  remar- 


■1)  1479.  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  III,  41. 

2)  Lettres  du  prince  de  Tarente  à  Du  Bouchage,  «  mon  bon  compère  et 
amy  a  (Mandrot,  Ymbert  de  Batarnag,  p.  322),  du  roi  de  Naples  à  Clérieux,  et 
à  l'ambassadeur  de  Naples  (Trinchera,  Codice  aragonese,  t.  Il,  p.  33,  91). 

3)  1494.  Le  roi  de  Naples  étant  mort,  son  successeur  envoie  sur  le  champ 
un  nouvel  ambassadeur,  chargé  de  gagner  à  prix  d'argent  les  principaux  con- 
seillers :  en  arrivant  à  Lyon,  cetenvoyé,  Pandone,  trouve  une  défense  de  passer 
outre.  Pandone  part  en  déclarant  qu'il  aperçoit  la  main  de  Ludovic  et  que  son 
maître  se  vengera  (Boislisle,  Et.  de  Vesc,  p.  76). 

4)  Nerio  Capponi  écrit  à  Florence,  qu'il  faudrait  avoir  3  ou  4.000  ducats 
par  an,  et  s'assurer  à  la  cour  de  France  quelques  amici  (L.  G.  Pélissier, 
Les  amies  de  Ludovic  S  for  za,  dans  la  Revue  historique,  t.  XLVIII,  p.  5o,  n.  4). 
D'après  Baltbuard,  Usurpation  des  rois  d'Espagne  (Paris.  -1626,  p.  44),  Jean 
de  Mauléon,  cordelier  espagnol,  envoyé  de  Ferdinand  d'Aragon  à  Cliarles  VIII, 
corrompit  avec  de  l'argent  Olivier  Maillard,  confesseur  du  roi,  et  obtint  ainsi 
la  restitution  du  Roussillon. Olivier  Maillard  n'était  pas  confesseur  du  roi.  On 
a  aussi  attribué  cet  acte  de  corruption  à  Louis  d'Amboise,  évêque  d'Albi,  mais 
rien  n'est  moins  prouvé. 

5)  Sur  le  curieux  rôle  joué  en  1494  près  de  Louis  d'Orléans  par  un  ami 
des  Florentins  pour  mener  une  intrigue  officieuse,  V.  Hist.  de  Louis  XII, 
III,  95. 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  361 

quables  instructions,  du  plus  beau,  du  plus  grand  style  diplo- 
matique. Commines  résume  tous  les  griefs  de  la  France  contre 

Florence,  ses  efforts  personnels  pour  les  dissiper,  et  il  trace  à 
l'ambassadeur  une  ligne  de  conduite.  Il  traite  même  l'ambas- 
sadeur d'assez  haut,  il  l'appelle  Laurent  tout  court,  on  voit 
qu'il  ne  l'estime  pas  diplomate  de  premier  ordre  et  qu'il  ne  le 
juge  pas  capable  de  se  tirer  d'affaire  tout  seul  '.  «  Sans  lui 
(Commines),  nous  perdrions  quelquefois  la  tête  »,  écrit  l'am- 
bassadeur de  Milan,  Gagnola  5. 

Commines  gagne  bien  son  argent.  L'ambassadeur  de  Flo- 
rence, Gadi,  vient  le  voir  en  arrivant  et  lui  présente  sa 
créance  ;  Commines  lui  procure  une  bonne  audience  du  roi. 
Gadi  le  consulte  sur  sa  conduite,  à  propos  de  son  congé,  lui 
demande  s'il  doit  partir;  chaque  fois,  Commines  adresse  à 
Laurent  de  Médicis  un  rapport  sur  leur  conversation  \ 

Ambassadeur  de  France  pour  la  paix  de  Senlis  avec  l'ar- 
chiduc. Commines  ne  croit  sans  doute  pas  trahir  le  roi  en  en- 
voyant à  Florence  la  substance  de  la  convention  :  «  Je  vous 
en  envoyé  le  gros,  écrit-il,  car  les  choses  ne  sont  pas  encore 
couchées  par  le  menu,  ne  se  seront  de  huyt  jours.  J'ay  esté 
présent  aux:  choses  dessus  dictes  ».  Il  clôt  sa  dépèche  en  an- 
nonçant qu'il  se  charge  d'  «  adresser  »  au  roi  le  nouvel  ambas- 
sadeur de  Florence,  et  en  renouvelant  ses  protestations  d'ab- 
solu dévouement  \ 

Il  envoie  de  Tours,  au  chancelier  de  Milan,  copie  de  docu- 
ments très  confidentiels  (des  lettres  interceptées  sur  un  cour- 
rier du  roi  d'Espagne).  Il  lui  écrit  qu'il  s'est  fait  charger  par 
le  roi  d'aller  au  devant  de  l'ambassade  milanaise  ;  il  ira  à  leur 


1)  Bcnoist,  Lettres  de  Comynes,  p.  23. 

S)  1478.  Kervvn,  Lettres  et  négociations,  III,  39. 

3)  Benoist,  p.  14-15. 

4)  Kervvn,  Lettres  et  négociations,  II,  86. 


362  LA    DIPLOMATIE   AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

avance  à  dix  lieues,  il  y  mènera  beaucoup  de  monde  :  le 
propre  gendre  du  roi,  M.  de  Beaujeu,  sortira  de  la  ville.  L'am- 
bassade napolitaine  en  pâlira  de  jalousie  \ 

Bien  plus,  en  1495,  Commines  soutient  au  conseil  du  roi  la 
nécessité  de  la  paix  avec  Ludovic  Sforza,  et,  en  même  temps, 
il  envoie  à  Ludovic  des  messages  confidentiels,  simplement 
signés  Philippe  2.  C'est  un  ambassadeur  occulte,  plus  même 
qu'un  ambassadeur  ;  il  correspond  avec  les  gouvernements 
qui  le  rétribuent 3,  il  leur  recommande  ou  non  les  ambassa- 
deurs du  roi  *,  il  fait  des  petits  présents  familiers  aux  princes 
qui  l'honorent  de  leur  clientèle  5. 

L'ami  peut  servir  dans  les  grandes  circonstances  à  négocier 
parallèlement  avec  l'ambassadeur,  La  seigneurie  de  Venise, 
dans  des  circonstances  très  graves,  écrit,  eu  1514,  à  son  am- 
bassadeur à  Borne  que,  dans  l'beureux  traité  secret  qui  vient 
d'être  passé  avec  Léon  X,  «  la  République  a  été  bien  servie 
par  un  ami  »,  et  cela  dans  un  si  profond  secret  que  l'on  ne 
devra  même  pas  en  parler  aux  cardinaux  vénitiens  ''.  Le  14 
septembre  1509,  elle  écrit  à  l'ambassade  en  Angleterre  d'ap- 
pliquer toutes  ses  forces  à  une  négociation  décisive,  de  mettre 


1)  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  I,  217. 

2)  Kervyn,  Lettres  et  négociations,  II,  232-233, 

3)  Lettre  à  Cieco  Simonelta,  Plessis  du  parc,  26  octobre  (1478).  N'ayant 
reçu  de  lettres  ni  de  Simone! la,  ni  de  la  duchesse  régente,  il  déclare  attendre 
leurs  ambassadeurs.  11  assure  que  le  roi  soutiendra  Milan  contre  Naples  et 
Venise.  Jean  Ballarino  a  bien  défendu  les  intérêts  de  la  duchesse  :  mais  qu'on 
se  hâte  d'envoyerun  nouveau  résident  !  [Y  ente  d'autographes,  du  14  nov.  1887, 
par  Mi  Eug.  Cliaravay,  n°  94). 

4)  Lettre  au  duc  de  Milan,  lui  recommandant  l'ambassadeur  envoyé  par  le 
roi,  François  de  Ponlbrianl  (Kervyn,  I,  317).  Perron  de  Basclicr,  ambassa- 
deur royal  en  Italie,  emporte  une  lettre  de  créance  d'Etienne  de  Vesc  pour  Lau- 
rent de  Mcdicis  (4492.  Et.  de  Vesc,  p.  56). 

5)  Lettre  au  duc  de  Milan,  humoristique  et  familière,  pour  lui  offrir  une 
haquenée.  15  septembre  (Kervyn,  I,  318). 

6)  Conseil  des  Dix,  1514. 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  363 

en  campagne  l'ami,  en  lui  jurant  la  reconnaissance  de  La  repu» 
blique1.  L'ami  peul  aussi  êire  envoyé  en  mission  '.  Sou  fôle 
consiste  habituellement  à  fournir  des  renseignements  .  aux- 
quels Le  résilient  ajmite  les  siens.  Ainsi  le  résident  Dandolo 
écrit,  en  substance,  à  Venise,  le  I  février  1502-1503  : 
h  Ci  jointe  une  lettre  reçue  hier  de  L'ami  fidèle.  Je  préfère 
la  traduire  en  chiffre»  et  vous  en  envoyer  le  texte  même, 
laissant  à  votre  sagesse  le  soin  d'apprécier.  Je  conti- 
nuerai, comme  j'ai  fait  jusqu'à  ce  jour,  clans  toute  nia  Légation 
à  soutirer  (sotra f/rr),  avec  tous  les  soins  el  toute  la  dili- 
gence, par  toutes  les  voies  et  tous  les  moyens  possibles, 
mais  avec  de  solides  références,  les  intentions  el  la  pensée 
du  roi.  .le  ne  nie  contente  pas  d'un  ou  deux  moyens  ;  j'essaie 
toutes  les  voies,  j'emploie  jusqu'à  ceux  qui  font  à  toute  heure 
la  credenttQ  et  qui  servent  le  roi  à  talde  \   » 

Il  va  sans  dire  que  le  plus  profond  mystère  préside  à  ces 
amitiés.  Des  rapports  cordiaux  et  publics  avec  un  ambassa- 
deur (Mitrailleraient  le  soupçon  d'amitié]  les    vrais  amis  font 

1 1  Secrelo  42,  tiO. 

2)  Lyon,  [8 août  1804.  Dépêche  do  Fr.  Foscari.  «L'ami  fidèle  »  (chiffré) 
m'a  dit  être  intimé  avec  le  Cardinal  deStrigôtiie(Graâl  qu'il  a  Connu  autrefois, 
dans  le  commerce,  en  Italie,  in  minorions,  el  savoir  la  langue  hongroise  et 
slave.  Il  propose  d'aller  en  ambassade  en  Hongrie  pour  la  seigneurie,  ou 
dans  le  camp  du  roi  pour  invesligar  ses  conditions  el  en  informer  secrètement. 
11  promet  tout  son  dévouement»  (Dispacci,  I). 

3  En  1461,  lors  de  la  révolte  de  Gênes,  Bartol"  el  Marco  Doria  en  écrivent 
tous  les  détails  à  Charles  Vil  (publ.  par  Qulcherat,  Th.  Bazin.  IV,  :>(il).  Le 
chancelier  de  France,  en  1514,  reçoit  des  nouvelles  de  Bologne  et  du  pape 
parles  amis  du  roi  à  Bologne  (Lelt.  de  Louis  XII,  II,  18:^.  Fr.  l5o38,n°257. 
Le  sire  de Hochberg,  maréchal  de  Bourgogne,  envoie  au  roi  des  détails  sui- 
tes préparatifs  militaires  des  Allemands.  -  Instruction  du  duc  de  Milan, 
à  Ëmanuôl  de  Jacobo,  envoyé  à  LouisXl,  du2l  mai  1463  (Archivio  Sfo 
lui  prescrivant  de  se  conformer  aux  indications  du  maréchal  de  Bourgogne. 
Cf.  Dépêches  de  Machiavel,  du  ±  février  1803-4,  du  20  novembre  1502,  du  17 
octobre  L808,  du  3  nov.  1502. 

i)  Dispacci,  1. 


364  LA    DIPLOMATIE   AU   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

passer    leurs   renseignements  par    des    voies    détournées1. 

Il  y  a  aussi  de  grands  personnages,  mécontents,  ou  ayant 
des  intérêts  hors  du  royaume,  qui,  sans  mériter  absolument 
le  reproche  d'amitié,  n'en  prêtent  pas  moins  aux  ambassa- 
deurs un  appui  très  puissant,  et  plus  ou  moins  correct.  Le 
vaillant  Trivulce  se  trouva  quelquefois  en  ce  cas  :  dans  une 
dépêche  du  12  août  1500,  Machiavel,  de  son  regard  perçant, 
pénètre  bien  son  caractère.  Plus  tard,  nous  voyons  Trivulce 
lier  énergïquement  son  action  à  celle  de  Venise  2  et  même 
appuyer  la  politique  vénitienne  par  une  lettre  très  nette  au 
roi,  dont  l'ambassadeur  de  Venise  se  trouve  à  même  d'envoyer 
la  copie  à  son  gouvernement 3. 

Le  comte  de  Ligny,  général  en  chef  de  l'armée  française 
comme  Trivulce,  comme  lui  étranger,  et  comme  lui  fort  avant 
dans  la  faveur  du  roi,  est  chargé,  en  1499,  de  recevoir  les 
ambassadeurs  de  Venise.  Ligny  en  profite  pour  engager  avec 
Venise  une  négociation  d'un  caractère  extradiplomatique,  dans 
l'intérêt  de  sa  principauté  d'Altamura,  au  royaume  de 
Naples.  Il  affirmait,  d'ailleurs,  agir  au  su  du  roi  et  avec  son 
autorisation,  ce  qui  se  peut,  mais  en  pareille  matière,  ,on  ne 
distingue  pas  bien  nettement  où  commence  et  où  iinit  la  visée 
personnelle  4. 

1)  Dép.  de  Machiavel,  du  3  sept.   ioOO. 

2)  Conseil  des  Dix,  6  avril  1512,  25  mai  1313. 

3)  Lettre  du  24  août  1514,  copie  en  italien,  jointe  à  la  dépêche  de  Dandolo, 
du  2  septembre  1514. 

4)  Dépêche  aux  ambassadeurs  près  du  roi,  28  sept.  1499  (Secreto  39,  131 
vo)  :  «  Relationc  de  Duo  Pietro  Dentice,  mandato  da  Mgr  de  Ligny,  eum  let- 
tere  de  credenza  »,  àla  môme  date  (Id.,  135  v°)  :  Après  les  recommandations 
habituelles,  rapporte  Dentice,  j'expliquai  l'affection  de  M.  de  Ligny  pour 
cette  Excellentissime  Srie,  en  invoquant  le  témoignage,  des  ambassadeurs, 
«  usando  in  questo  parole  molto  ample  et  efficace  »  :  puis  je  demandai  très 
secrètement  à  la  seigneurie  l'appui  de  ses  troupes  pour  la  principauté  d'Alta- 
mura, offrant  en  échange  de  tout  faire  pour  elle  près  du  roi,  «  offerendose  cum 
le  zente  francese  metter  in  executione  prima  quello  desydera  la  Illma  S"a  ». 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  365 

Catégories  spéciales  (Tamis  :  /es  femmes,  les  cardinaux. 
1°  Les  femmes.  La  femme  constitue,  en  diplomatie,  un  allié 
bon  à  cultiver.  Elle  représente  dans  les  cours  un  ornement 
naturel  et  indispensable  :  sans  elle,  pas  de  charme,  pas  d'a- 
grément1, pas  de  joie;  la  femme  est  le  sel  de  la  terre"2.  Il  ne 
tant  donc  pas  l'avoir  contre  soi,  et  il  convient  de  l'avoir  pour 
soi;  elle  peut,  ça  et  là,  rendre  de  signalés  services,  ne  fût-ce 
cpie  comme  source  de  renseignements.  Ainsi,  une  dame  du 
royaume    écrit,     de    sa     main,      au     comte     de    Charolais 
que   Louis    XI    va    l'attaquer  \  Trivulce    transmet  au   roi 
une    conversation    de    sa   tille    avec  le    cardinal  de,   Pavie, 
légat  du  pape*.  Sans  doute,  on  ne  supporte  pas  aisément  l'in- 
gérence directe  et  avouée  des  femmes  dans  les  affaires  cou- 
rantes de  la  politique  s,   mais  il  y  a  un  ministère   officieux 
qu'on  leur  laisse  assez  volontiers  :  celui  de  prononcer  des  pa- 
roles douces,  calmantes,  pour  dissimuler  les  aspérités  de  la 
politique  \  Les  femmes  deviennent  facilement  les  mission- 

Après  cette  note  très  confidentielle,  Jérôme  Georgio  ajouta  que,  ce  que  deman- 
dait M.  de  Ligny,  c'était  non  des  hommes,  mais  de  l'argent,  pour  ses  amis  du 
royaume  de  Naples  :  •<  le  quanto  el  parlava  et  operava,  era  cum  scientia  et 
volunta  delà  Christianissima  Maesta.  » 

1)  «  Cortealcuna,  per  grande  qu'ellasia,  non  puo  liaver  ornamento  osplert- 
dore  in  se  ne  allegria,  senza  Donne,  ne  cortegiano  alcun'  essore  aggratiato* 
piacevole  o  ardito  »  (Balth.  de  Castillon,  Le  parfait  'courtisan,  éd.  Cha- 
puis,  p.  365). 

2)  Id.,  p.  465. 

3)  Commines,  c.  h. 

4)  Parme,  23janv.  1511.  Catalogue  des  mss.  de  la  Collection  Lajarriettej 
no-lHil. 

'■>  Mme  Violante,  demoiselle  d'honneur  très  bien  vue  de  la  reine  des  Ro- 
mains, se  môle  de  tout,  intrigue  avec  les  ambassadeurs.  Le  roi  détend  à  la 
reine  de  donner  des  audiences  ;  l'ambassadeur  milanais  déclare  lui-même  in- 
dispensable de  renvoyer  Violante  et  deux  autres  conseillers  milanais  ;  le  roi 
ne  peut  plus  les  supporter,  et  au  bout  de  huit  jours  la  reine  n'y  pensera  plus 
(J.  Calvi,  Binnca  Ma  Sforza  l'isconti,  p.  89  et  s.). 

6)  Une  femme  s'adresse  à  une  souveraine  pour  obtenir  un  règlement  équi- 
table de  la  rançon  d'un  mari,  gendre  ou  parent  (1513.  Le  Glay,  Négociations, 
1.456,575). 


366  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

naires  ou  les  précurseurs  delà  paix1.  Et  puis,  c'est  par  les 
femmes  qu'on  gouverne  les  maris.  Ainsi  Ludovic  Sforza 
charge  son  ambassadeur  de  remettre  un  beau  collier,  avec 
une  lettre  personnelle,  à  la  femme  de  Stuart  d'Aubigny,  très 
influent  à  la  cour  de  Charles  VIII  et  très  sensible  aux  ca- 
deaux s. 

La  reine  a  généralement  peu  d'influence  sur  les  affaires; 
mais  elle  prétend  assez  souvent  à  une  politique  indépendante 
de  celle  du  roi.  Rien  de  plus  sensible  que  la  politique  person- 
nelle d'Anne  de  Bretagne  sous  le  règne  de  Louis  XII3,  et,  à 
plus  forte  raison  celle  d'Isabeau  de  Bavière,  de  funeste  mé- 
moire, sous  le  règne  de  Charles  VI*.  Les  ambassadeurs  de- 

1)  .Ms.  f'r.  281 1 ,48.  Créance  de  Charlotte  de  Savoie,  au  roi,  pour  Iloualle, 
valet  de  chambre  de  son  mari  Louis  dauphin,  envoyé  par  Louis  au  roi;  signée 
Charlotte.  — Marguerite  d'Autriche,  gouvernante  des  Pays  Bas  (d'accord  avec 
l'empereur,  son  père)  écrit  à  la  reine  de  France  pour  la  remercier  de  sa 
lettre,  protester  de  sa  sympathie  cl  du  désir  de  la  paix  (août  1513.  Lettres  de 
Louis  XII.  IV,  191).  —  Négociations  de  la  duchesse  de  Bourgogne  pour  la 
libération  de  Charles  d'Orléans, qu'elle  va  recevoirel  qu'elle  marie  (Monstrelel, 
V,  435).  —  Jules  II  fait  sa  réponse  à  l'ambassadeur  d'Ecosse,  médiateur  de  la 
paix,  devant  les  cardinaux  de  Clerrnpnt,  de  Nantes  «  et  m'esmes  de  Madame 
IVlice  (fille  du  pape)  , femme  du  sr  Jehan  Jourdain  (Orsihi),  laquelle  a  souvent 
parle  à  Sa  Saincteté  de  la  paix,  en  ensuyvant  les  rescriptions  de  la  Royne  » 
(1511.  Lett.  île  Louis  XII.  III,  3).  —  Catalogue  des  manuscrits  de  la  Collec- 
tion Lajarriette,  n»  1338.  Lettre  de  Germaine  de  Foix  à  la  reine  Anne  de  Bre- 
tagne; Cordoue,  13  septembre  (1509).  Elle  lui  l'ait  fait  part  de  sa  grossesse, 
lui  souhaite  le  même  bonheur  et  lui  envoie  une  oraison  à  porter  sur  soi. 

2)  Delabordc,  p.  142.  Le  duc  de  Bourgogne  donne  à  la  femme  de  Pierre 
de  la  Tremoïlle;  pour  son  mariage,  un  chapeau  et  un  collier  d'or  valant  900  fr. 
(1402.  L.  de  La  Tremoïlle,  Guy  de  La  Tremoïlle,  p.  210). 

3)  Marguerite  d'Autriche  prie  Anne  de  Bretagne  d'intervenir  pour  une 
affaire  de  nomination  i  l'évéché  d'Arras,  mais  la  reine  répond  qu'elle  a  échoué 
(15 10.  LeGlay,  Négociations,  I,  348);  elle  l'invoque  aussi  pour  d'autres  affaires 
(id.,  425). 

4)  Buonaccorso  Pillt,  ambassadeur  florentin,  prenant  congé  du  roi  et  delà 
reine,  celle-ci  lui  dit  de  venir  la  voir  avant  de  partir.  Pilti  la  trouve  avec 
son  frère  Louis  de  Bavière.  On  le  charge  de  demander  l'envoi  d'une  am- 
bassade florentine  pour  une  alliance  contre  le  duc  de  Milan.  La  reine  se  fait 
fort,  dit-elle,  du  consentement  du  roi  (1390.  Jarry,  Vie...  de  Louis  de 
France,  p.  166). 


moyens  d'action  diplomatiques  367 

viont  donc  l'aire  très  discrètement  leur  cour  à  la  souveraine 
en  évitant  tout  ce  qui  pourrait  exciter  une  susceptibilité. 
D'ordinaire,  ils  apportent  une  lettre  de  créance  spéciale  pour 
la  reine1  et,  en  sortant  de  la  première  audience  publique,  ils 
demandent  au  roi  la  permission  d'être  reçu  par  elle,  ce  qui  a 
lieu  de  suite*  ou  le  lendemain3.  Leur  langage  près  de  la  reine 
est  vague,  mais  très  aimable*.  La  souveraine  les  reçoit  en 
grande  toilette,  avec  des  paroles  très  gracieuses";  elle  se 
montre  fort  réservée  sur  la  politique.  11  est  correct  qu'un 
secrétaire  du  roi  serve  d'interprète' .  Anne  de  Bretagne  aimait 
à  recevoir  les  ambassadeurs;  elle  apportait  à  cette  cérémonie 
beaucoup  de  soin,  de  majesté,  de  grâce,  et  Louis  XII.  en  bon 
mari,  ne  manquait  pas.  après  la  réception,  d'envoyer  les  am- 
bassadeurs lui  faire  leur  révérence.  Anne  avait  auprès  d'elle 
un  certain  Jean  de  Talleyrand,  seigneur  de  Grignols,  ancien 

1  |  Créance  du  2:!  février  li!).'i.  pour  la  reine  de  France  (Arch.  de  .Milan, 
Potence  Est''.  Frauda,  I  l'.U-l  i'.Ké.  Commission  vénitienne  du  :!  juill.  1512, 
à  Fr.  Capello,  etc. 

2  M.  de  Gurck,  ambassadeur  impérial,  en  1510,  après  une  conférence  avec 
Louis  XII,  lui  demande  la  permission  d'aller  voir  la  reine.  Le  roi  le  l'ait  mener 
par  le  duc  d'.Ubany.  L'ambassadeur,  après  les  révérences  convenables,  l'ait 
présenter  ses  lettres  de  créance  pour  la  reine  (lettres  de  l'empereur  el  de  Mar- 
guerite d'Autriche)  et  lui  recommande  ses  allait  es.  La  reine  le  remercie  en 
bons  termes,  et  dit  très  gracieusement  que,  s'il  y  avait  quelque  chose  qu'elle 
put  taire,  elle  le  ferait  de  bon  cœur  (Lett.  de  Louis  XII,  II,  56). 

3)  Arrivé  le  15  novembre  1509  en  ambassade  à  Mantoue,  .Machiavel  se  pré- 
sente le  16  «  pour  faire  la  cour  à  la  marquise  »;  niais  celle-ci  se  lève  lard  cl  ne 
reçoit  qu'après  diner.  Pris  par  des  travaux  urgents,  il  ne  peut  la  voir  que  le 
18.  C'est  une  pure  visite  de  politesse;  lamarquisese  montre  assez  réservée 
sur  la  politique  (Dépèches  de  Machiavel,  des  17  et  IH  novembre  1809). 

4)  Lett.  de  Louis  XII,  I,  183.  Commission  vénitienne  à  Fr.  Capello,  ambas- 
sadeur en  Angleterre,  du  3  juill.  1512. 

5)  Le  lendemain  de  l'audience  du  roi,  les  ambassadeurs  de  Milan  reçoivent 
une  audience  de  la  reine (30  mars   1492.  Delaborde,  p.  2'k>):  la  reine  était 

dans  une  toilette  superbe,  dont  le  secrétaire  envoie  la  description  à  Ludo- 
vic Sforza,  qui  en  demande  un  dessin. 

6)  Nov.  1500.  Sanuto,  III,  1202. 


368  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS  DE   MACHIAVEL 

ambassadeur,  versé  dans  les  langues  étrangères,  qu'elle  char- 
geait de  lui  apprendre  quelques  mots  dans  la  langue  de  l'am- 
bassade. Un  jour,  elle  lui  demanda  une  réponse  pour  l'am- 
bassadeur d'Espagne;  Grignols,  personnage  très  facétieux, 
lui  donna  «  quelque  petite  sallaudrie  »,  que  la  reine  se  mit 
à  répéter  et  à  apprendre  consciencieusement.  Le  lendemain, 
avant  l'audience,  Grignols  alla  annoncer  cette  plaisanterie 
au  roi  qui  en  rit  à  gorge  déployée  :  toutefois  Louis  XII  aver- 
tit la  reine  ;  Anne  prit  la  chose  au  tragique,  voulut  chasser  le 
mauvais  plaisant  et  resta  plusieurs  jours  sans  lui  parler.  Gri- 
gnols dut  s'excuser  très  humblement1... 

Dans  les  démarches  auprès  de  la  reine,  il  ne  faut  penser 
qu'au  roi,  et  aux  résultats  pratiques.  Le  4  janvier  1515,  quatre 
jours  après  la  mort  de  Louis  XII,  le  résident  vénitien  Dan- 
dolo,  toujours  très  affectueusement  traité  par  le  roi  défunt, 
écrit  à  son  gouvernement  :  «  Vous  avez  le  dessein  d'oti'rir  à 
la  reine  un  panno  d'or  et  de  soie,  par  deux  orateurs  que  vous 
envoyez,  et  des  bijoux  sur  un  chapeau  blanc,  estimés  0,000 
ducats.  Franchement,  c'est  aux  nouveaux  roi  et  reine  qu'il  fau- 
drait les  adresser  plutôt  qu'au  défunt.  Un  cadeau  à  la  reine 
présente  sera  moins  bien  vu,  précédé  d'un  présent  à  la  veuve. 
Des  .joyaux  du  feu  roi,  les  plus  beaux  peut-être  passent 
altrove  :  le  feu  roi  donna  la  plupart  des  bijoux  de  la  cou- 
ronne et  ceux  de  la  feue  reine  dont  il  avait  eu  les  trois  quarts 
à  la  reine  anglaise,  et  il  en  laissa  très  peu  à  sa  fille,  la  reine 
actuelle  :  aussi  des  diamants  seraient  les  bienvenus  *  ».  Voilà 
toute  l'oraison  funèbre  du  roi  défunt. 


1)  Brantôme,  VII,  316. 

2)  Arch.  de  Venise.  En  1498,  les  ambassadeurs  vénitiens  emportent  une 
double  lettre  de  créance  pour  Anne  de  Bretagne,  l'une  à  supposer  qu'ils  la 
trouveront  veuve,  l'autre  à  supposer  que  le  nouveau  roi  l'ait  déjà  épousée 
(Commission  du  10  juill.  1498.  Secreto  37). 


moyens  d'action  diplomatiques  369 

11  va  sans  dire  qu'un  ambassadeur  ne  doit  pas  se  montrer 
trop  personnellement  aimable  près  d'une  souveraine;  écueil 
délicat  à  éviter  auprès  d'une  régente.  La  constante  amabilité 
du  duc  de  Suffolk,  ambassadeur  d'Angleterre, pour  Marguerite 
d'Autriche,  régente  des  Pays  l>as,  présenta  de  graves  incon- 
vénients. Le  bruit  courut  d'un  mariage,  si  bien  que  le  roi 
d'Angleterre  dut  écrire  à  Maximilien  (père  de  la  régente), 
pour  protester  énergiquement  et  pour  annoncer  son  intention 
de  sévir  contre  les  auteurs  de  cette  rumeur,  s'il  les  décou- 
vrait, et  prier  Maximilien  d'en  l'aire  autant1.  Suffolk  allait  re- 
tourner en  ambassade  près  de  Marguerite;  ses  apprêts,  consi- 
dérables, étaient  déjà  faits,  son  arrivée  annoncée,  les  Etats 
de  Flandre  prévenus.  Malgré  l'inconvénient  d'un  change- 
ment qui  pouvait  être  mal  interprété,  le  roi  d'Angleterre 
n'hésita  pas  à  lui  substituer  au  dernier  moment  un  ambassa- 
deur plus  modeste2. 

Le  Pogge  raconte  l'histoire  d'un  ambassadeur  florentin 
près  de  la  reine  Jeanne  de  Xaplcs,  qui,  sous  prétexte  d'au- 
dience secrète,  risqua  une  déclaration  des  plus  pressantes. 
La  reine  passait  pour  facile,  et  sans  doute  l'ambassadeur 
se  croyait  habile  :  «  Est-ce  que,  lui  dit  la  reine  avec  beau- 
coup de  sang  froid,  ceci  fait  partie  de  votre  commission?  » 
L'ambassadeur  rougit,  pâlit  :  «  Eh  bien,  allez-vous-en, 
ajouta-t-elle,  et  revenez  avec  cette  commission-là3.  » 

2°  Cardinaux. —  A  Rome,  la  tactique  d'une  ambassade  pré- 
sente bien  des  particularités. 

Il  faut  compter  avec  le  cercle  intime  du  pape,  le  monde  de 
la  cour,  les  cardinaux. 

Quand  l'ambassadeur  arrive  à  Rome,  il  se  voit  entouré  dé 

I    loi:}.  Lai.  de  Louis  XII,  IV,  275. 

■1)  /</..  309. 

Facétie  CV.  édon  Liseux.  I.  p.   llii 

u 


370  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE    MACHIAVEL 

tant  d'honneurs,  de  tant  de  prévenances,  d'une  si  parfaite 
étiquette,  que,  s'il  apporte,  parmi  toute  cette  souplesse  ita- 
lienne, la  raideur  ou  la  morgue  des  gens  du  Nord,  il  se 
crée  de  suite  d'irrémédiables  animosités  cachées.  Pour  se 
faire  bien  venir,  il  doit  chercher  à  cultiver  l'entourage  du 
pape,  tout  comprendre  à,  demi  mot,  agir  très   prudemment. 

Le  pape  accepte  les  présents  des  rois;  on  peut,  s'il  y  a  lieu, 
les  remettre  en  audience  privée.  Un  envoyé  lithuanien  offre 
quatre  magnifiques  parures  de  fourrure,  cinquante  superbes 
peaux  de  zibeline,  et  deux  tasses  d'or,  que  le  pape  reçoit  très 
aimablement;  mais,  dès  la  première  cérémonie,  il  soulève 
une  maladroite  question  de  préséance  ;  il  se  plaint  qu'on  le 
sépare  d'un  de  ses  petits  pages!  le  maître  des  cérémonies 
Burckard,  en  lui  passant  le  costume  de  protonotaire,  affecte 
de  ne  pas  conserver,  comme  c'était  son  droit,  le  vêtement 
dépouillé  par  l'ambassadeur,  et  celui-ci  ne  comprend  pas 
l'invite  à  une  gratification  plus  sérieuse  :  dès  lors,  Bur- 
ckard avoue  lui  retirer  toute  considération1.  Trois  jours  après, 
le  pape  rend  à  l'ambassade  de  Lithuanie  sa  courtoisie,  en 
décorant  le  secrétaire,  Jean  Sapieha,  d'un  collier  d'or,  et  en 
l'instituant  chevalier2.  Mais  l'ambassadeur  s'est  attiré  des 
animadversions3. 

Rien  de  plus  absolu,  en  apparence,  que  la  monarchie  pon- 
tificale; en  réalité,  autour  du  pape,  s'agite  tout  un  personnel 

1)  Diarium,  III,  125.  Paris  de  Grassis  ne  pardonne  pas  aux  ambassadeurs 
de  Pologne  de  ne  lui  avoir  donné  que  vingl  ducats  (lai.  5164,  f'°  134  v°). 

2)  Diarium,  III.  124. 

3)  Les  maîtres  des  cérémonies  à  Rome  n'entendent  pas  raillerie  sur  le  cha- 
pitre des  pourboires.  L'évéque  d'Aix,  en  recevant  le  pallium  (21  déc.  1506),  ne 
leur  donne  rien  :  «  defraudavit  nos,  quia  nonsolvit  nobis  aliquid.  »  On  lui  ré- 
clame formellement  29  ducats,  et  on  retient,  en  atlendanl,  l'insigne.  Il  fait  la 
sourde  oreille.  Le  maître  des  cérémonies  recourt  au  pape,  qui  autorise  l'em- 
ploi des  censures.  L'évéque  donne  53  ducats,  le  maître  des  cérémonies  l'ab- 
sout. Mais  l'évoque  persiste  à  croire  qu'il  a  été  dupe  d'une  mauvaise  plaisan- 
terie (Frali,  Le  due  spedizioni militari  diGiuHoïï,  122-123). 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  371 

<le  prélats,  qui,  malgré  les  formes  traditionnelles  d'apparat 
propres  à  en  imposer  aux  diplomates  novices,  obéissent  à  des 
intérêts  de  carrière  ou  d'argent,  qu'il  Tant  savoir  délicate- 
ment démêler  :  les  choses  se  passent  un  peu  comme  dans 
toutes  les  émus,  mais  la  pratique  est  plus  difficile  qu'ail- 
leurs, à  cause  du  raffinement.  Le  personnel  inférieur  ne 
pardonne  pas  la  moindre  atteinte  à  ses  susceptibilités  ou  à 
intérêts.  Quant  aux  cardinaux,  il  faut  savoir  les  com- 
prendre ei  les  manier. 

La  situation  des  cardinaux  '  vis  à  vis  du  pape  à  la  fin  du 
Moyen  Age  est  assez  mal  définie.  Les  cardinaux  possèdent  un 
titre  de  droit  divin,  et  par  conséquent  inaliénable,  inamovi- 
ble, indestructible.  Le  pape  seul  peut  les  excommunier;  ils 
forment  avec  le  pape  «  un  seul  corps  »,  et  ne  lui  prêtent 
aucun  serment.  Le  pape  ne  peut  créer  un  cardinal  sans  l'avis 
du  Sacré  Collège,  <m  disente  toutefois  si  cet  avis  lie  le  Saint 
Père.  Le  pape  peut  forcer  les  cardinaux  à  résider  à  Home*, 
1«  -  faire  arrêter,  incarcérer,  s'il  les  juge  rebelles3,  mais  non 
les  destituer*. 

i)  De  origine,  de  dignitate  et  potestateS.  R.  E.  cardinalium,  Gund.  Villa 
diego  :  De  Cardinalibus,  Martini  Laudensis  :  De  prœstancia  cardinalium,  An- 
Barbatia  :  De  Cardinalibus,  Hier.  Manfredi. 

iules  II  intime  aux  cardinaux  français  éloignés  de  Rome  l'ordre  d'y  venir 
(juill.  1310.  Sannto,  XI,  769). 

3)  Alexandre  VI  convoque  au  Vatican  plusieurs  cardinaux,  parmi  lesquels 
le  vice-chancelier  de  l'Eglise  Romaine  Ascagne  Sforza,  et  les  fait  arrêter 
séance  tenante,  et  retenir  dans  les  appartements  du  Vatican  (9  décembre 
1494.  Delahorde,  Expédttvan  de  Charles  Vlll,  p.  498).  En  1503,  l'arres 
tatiou  de  'leux  prélats  par  ordre  d'Alexandre  VI  sert  d'exemple  et  jette 
les  cardinaux  dans  l'épouvante  (Dispacci  di  A.  Giustinian,  I,  .Î14).  Le  car- 
dinal d'Aucli,  voulant  profiter  des  feux  de  la  Saint  Pierre,  le  soir  du  29  juin  . 
pour  quitter  Rome,  par  la  porte  du  Peuple,  est  arrêté  et  incarcéré  au  château  ; 
quelques  français  qui  veulent  se  mêler  de  l'affaire  sont  bâtonnés  (Sanuto,  X 
;ardé  au  château  Saint  Ange,  sous  caution  de  40.000  dînais  de 
w'v<  ir,  Fournie  par  les  cardinaux.  Le  pape  Jules  voudrait  bien  qu'il 

s'en  allât  pour  toucher  la  caution  (juillet  1841.  Sanuto,  XII.  ï~.\). 

-4)  En  1511,  -Iules  11  tenta  de  destituer  le  cardinal  San  Severino  (Fraknôïb 


372  LA    DIPLOMATIE   AU   TEMPS   DE    MACHIAVEL 

Le  pape  est  maître  de  sa  conduite  ;  il  n'a  pas  de  chancelier, 
mais  seulement  un  vice-chancelier,  qui,  d'ailleurs,  comme  le 
chancelier  français,  joue  le  double  rôle  de  premier  ministre 
et  de  chef  de  la  justice,  qui  interprète  les  décisions  pontifi- 
cales, règle  les  audiences,  et  dispose  par  délégation  d'un  cer- 
tain nombre  de  faveurs.  Quant  aux  cardinaux,  ils  sont  les 
électeurs  du  pape  et  ses  conseils,  mais  non  ses  suppléants.  En 
cas  de  vacance,  ils  peuvent  parfois  envoyer  un  légat,  mais 
jamais  créer  un  cardinal  :  le  pape  doit  demander  leur  avis, 
mais  rien  ne  l'oblige  à  le  suivre.  Ils  forment  le  grand  conseil 
de  l'Église,  mais  un  grand  conseil  d'ordre  spécial,  puisqu'ils 
se  trouvent  inamovibles  et  sans  pouvoir  personnel  en  face 
d'un  souverain  également  inamovible.  Le  collège  des  cardi- 
naux n'acquiert  d'importance  décisive  qu'à  mesure  que  la  vie 
du  pontife  semble  plus  menacée,  parce  que  la  revanche  con- 
sistera dans  le  choix  du  nouveau  pape.  Néanmoins  on  se  heurte 
sans  cesse  à  l'influence  indirecte  d'un  cardinal. 

Les  cardinaux  restent,  d'abord,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  le 
premier  et  essentiel  instrument  de  la  pompe  et  du  cérémo- 
nial ;  ils  dirigent  en  réalité  les  démonstrations  qui  font  la  vie 
de  Rome. 

Ils  se  réunissent  en  consistoire  ;  il  y  a  des  consistoires  so-- 
lennels  pour  les  grandes  questions,  telles  que  les  projets  de 
croisade,  où  les  ambassadeurs  sont  convoqués.  Le  16  mai 
1500,  Alexandre  VI  réunit,  par  exemple,  un  consistoire  pour 
parler  de  la  matière  chrétienne  et  proposer  une  ligue  géné- 
rale. Tous  les  cardinaux  et  les  ambassadeurs  s'y  rendent.  Plu- 
sieurs prennent  la  parole.  Le  cardinal  de  Lisbonne  parle  en 
faveur  de  Venise,  l'ambassadeur  allemand  se  retranche  dans 
l'absence  de  pouvoirs  spéciaux,  l'ambassadeur  anglais  se 
déclare  pourvu,  au  contraire,  et  appuie  le  pape,  l'ambassa-  • 
deur  de  Naples  affirme  que,  si  son  roi  le  pouvait,  il  participe- 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  373 

rail  au  projet,  L'ambassadeur  de  Venise  parle  de  la  nécessité 
de  soutenir  le  roi  de  Hongrie,  L'ambassadeur  de  Savoie  man- 
que d'instructions,  celui  de  Florence  annonce  qu'il  en  référera 
à  son  gouvernement,  de  même  que  celui  de  l'électeur  de 
Cologne  et  un  autre  ambassadeur  de  prince  allemand1. 

On  nomme  aussi  en  consistoire  des  commissions  spéciales 
pour  instruire  les  affaires  particulières-.  Mais  les  consistoires 
ne  représentent  en  réalité  que  des  cérémonies  d'apparat3. puis- 
qu'ils ne  comportent  pas  de  décision  :  en  général,  on  y  parle 
peu,  l'opposition  ne  servant  à  rien.  Jules  II  lit  en  consistoire 
L'excommunication  fulminée  en  ternies  terribles  contre  Le  duc 
de  Ferrare  :  le  cardinal  de  Saint  Malo  seul  formule  une  oppo- 
sition, un  autre  français,  le  cardinal  d'Albi,  applaudit*.  En 
1500,  un  ou  deux  cardinaux  espagnols  professaient  une  oppo- 
sition ouverte5  :  le  pape  affectait  d'en  rire6.  Quand,  en  1492, 

i)  16  mai  1300  (Sanuto,  III,  342).  Un  consistoire  contre  les  Turcs,  auquel 
assiste  l'ambassadeur  de  Venise,  dure  six  heures,  le  matin  du  25  mars  1501 
(Sanulo,  III,  1605). 

1  t't  mai  1505.  Commission  nommée  en  consistoire  pour  réformer  l'exces- 
sive taxation  des  officialium  de  la  cour,  sur  la  plainte  de  l'orateur  du  roi  de 
France  (Burckard,  III,  388).  Jules  II  forme  une  commission  de  cardinaux,  pour 
le  procès  ad  privation  es  contre  les  cardinaux  absents  de  Rome  (juill.  1511. 

Sanulo.  XI,  288).  Il  les  fait  citer  à  venir  à  Ro dans  tel  délai.  Il  convoqueun 

cile  ld.,  321  i,  il  déclare  suspendre  de  tous  revenus  trois  cardinaux  schis- 
matiques,  qui  vont  à  Pisc(/d.,  362). 

3)  Alexandre  VI  prononçant,  en  consistoire,  l'investiture  du  royaume  de 
Naples  pour  Frédéric  d'Aragon,  le  cardinal  Villiersde  la  G roslaic  proteste  so- 
lennellement de  nullitale  rei  et  déclare  que  Charles  VIII  en  appellera  aux 
armes  (Boislisle,  El.  de  Vesc,  p.  176),  mais  La  Groslaien'cn  reste  pas  moins  à 
Rome.  V.  Pauli  Cortesii,  De  Cardinulatu,  cap.  De  consistorio,  1'°  cxxi  etsuiv. 

A)  Août  1510.  Sanuto,  XI,  108. 

o)  La  plupart  des  cardinaux,  sous  Alexandre  VI,  sentaient  l'urgence  d'une 
réforme  et  se  montraient  prêts  à  y  procéder,  en  prononçant  d'abord  la  dé- 
chéance du  pape  :  mais,  pour  une  si  grosse  entreprise,  il  fallait  l'approbation 
de  l'Allemagne  et  de  la  France,  qui  ne  purent  s'entendre  (Histoire  de  Louis 
XII,  tome  III). 

6)  Dép.  de  l'ambass.  Capello  (Sanuto,  III,  842). 


374  LA   DIPLOMATIE    AU   TEMPS   DE    MACHIAVEL 

Charles  VIII  sollicite  une  dispense  rétrospective  pour  valider 
son  mariage,  Innocent  VIII,  écrit  l'ambassadeur  de  France, 
est  «  délibéré  vous  bailler  la  dispense  plombée  de  la  date  que 
je  luy  en  feiz  la  requeste,  qui  fut  le  lundi  cinquiesme  décem- 
bre, ung  jour  avant  la  solennisation  de  vostre  mariage,  vous 
priant  qu'il  vous  plaise  le  tenir  fort  secret,  car  l'empereur  et 
le  roy  des  Romains  ont  ja  envoyé  plusieurs  messages,  qui, 
avec  grand  nombre  des  messrs  les  cardinaulx,  font  continuel- 
lement très  grande  instance  pour  y  donner  empeschement... 
Le  pape  est  délibéré  vous  complaire  en  toutes  choses,  mais 
il  se  plaint  que  ne  voulez  rien  faire  pour  luy  ni  pour  ses  pa- 
rens  qui  sont  voz  serviteurs1.  » 

En  somme,  le  vrai  conseil  du  pape  se  compose  de  cinq  ou 
six  cardinaux  de  sa  confiance2,  qui  le  suivent  partout3.  Cepen- 
dant on  voit,  par  la  dépêche  qui  précède,  combien  dans  cotte 
atmosphère  spéciale,  l'opposition  toute  morale  des  cardinaux 
pèse,  en  s' appuyant  toujours  sur  l'action  d'un  gouvernement 
étranger.  Ajoutons  qu'à  chaque  conclave  les  cardinaux  rédi- 
geaient des  Capitoli,  destinés  à  leur  assurer  une  part  active 
dans  la  gestion  des  affaires  de  l'Eglise  ;  ils  en  juraient  tous 
l'observation,  en  cas  d'élection1  ;  mais  le  pape,  une  fois  élu, 
ne  tenait  aucun  compte  des  parties  de  ces  Capitoli  contraires 
à  l'ancienne  discipline  de  l'Eglise.  Jules  II,  particulièrement 
laisse  les  cardinaux  à  l'écart  :  au  début  de  son  règne,  ils 
essayent  de  lui  rappeler  ses  promesses,  ils  vont  jusqu'à 
le  menacer,  mais  vainement8. 

l)Rome,  17  février  (1492).   Ms.  fr.  15541,  f°  201. 

2)  Dép.  de  Machiavel,  28  août  1506. 

3)  Des  cardinaux  suivent  Jules  11  en  chevauchées  ou  sur  les  galères  (Sa- 
nuto,  XI,  213). 

4)  Ces  Capitoli  sont  transcrits  dans  les  registres  des  Archives  du  Vatican. 

5)  On  fait  relire  en  consistoire  tous  les  Capitoli  du  conclave,  et  les  cardi- 
naux se  montrent  très  résolus  à  en  réclamer  de  Jules  II  l'observation.  Ils  se 


MOYENS   D'ACTION    DIPLOMATIQUES  375 

Le  temps  n'est  pas  loin  où  l'on  accréditait  encore  les  am- 
bassadeurs près  du  collège  des  cardinaux  en  inèiue  temps 
cpie  près  du  pape1,  et  cependant,  eu  réalité,  les  cardinaux 
valent  plus  par  leur  influence  personnelle  et  leurs  relations 
diplomatiques,  que  par  leur  titre.  Ceux  qui  ne  résident  pas 
à  Rome  comptent  peu5  :  ceux  qui  résident  offrent  aux  diplo- 
mates un  champ  d'exploitation  tout  naturel.  Les  cardinaux 
interviennent  rarement  en  tant  que  Sacré  Collège',  mais,  en 
dehors  du  travail  des  congrégations,  leur  rôle  essentiel  et 
continuel  consiste  à  s'entremettre  individuellement  pour  les 
grosses  affaires  \ 

Le  titre  de  cardinal  est  de  ceux  dont  on  s'honore  dans  une 
famille  souveraine5  ;  la  nomination  d'un  cardinal  national 
passe,  dans  son  pays,  pour  un  événement6.  Presque  tous  éle- 

plaignent  que  le  pape  les  traite  non  en  frères,  comme  il  les  appelle,  mais  en 
valets.  La  plupart  débordent  d'amertume,  et  si  le  pape  persiste  à  nommer 
de  nouveaux  cardinaux  contre  leur  assentiment,  il  en  résultera  des  difficul- 
tés. Mais  le  pape  est  altier  et  glorieux  (novembre  1*50-4.  Dispaccidi  Giustinian, 
111,  889). 

1)  «  Au  pape  et  au  collège  des  cardinaux  »  (Instruction  du  3  septembre 
1458.  Archivio  Sforzesco). 

2;Dép.  de  Capello,  1500  (Sanuto,  III,  842). 

3)  Martène  et  Durand,  Thésaurus,  II,  col.  1765.  Lettre  d'Innocent  VIII  h. 
l'empereur  pour  lui  annoncer  qu'il  a  donné  Tournai  au  cardinal  de  Sainte 
Anastase  ;  19  mai  1Î92. — /<L,col.  17(57.  Lettre  du  Sacré  Collège,  sur  le  même 
sujet  :20  mai  140-2.— Le  Sacré  Collège  intervient  en  1512  près  du  pape,  pour 
le  presser  de  faire  la  paix  avec  la  France.  Le  cardinal  de  Nantes  et  celui  de 
Hongrie  envoient  aussitôt  un  homme  en  prévenir  Louis  XII  (Lett.  de 
Louis  XII,  III.  247). 

4)  L'ambassadeur  vénitien,  ne  pouvant  avoir  audience  de  Jules  II,  va  justi- 
fier la  république  chez  le  cardinal  deCapace  (déc.  1503.  Villari,  Dispaccidi 
A.  Giustinian,  11,369):  l'orateur  d'Allemagne  est  expedilo  parles  cardinaux 
délégués  (29  déc.  1504.  Sanuto, VI,  119):  le  cardinal  de  Nantes  (Guibé),  ami 
particulier  de  Jules  II.  offre  au  pape  de  faire  un  roi  de  Naples  étranger  à  la 
France  el  a  l'Espagne  et  de  lui  donner  en  mariage  sa  nièce,  sœur  du  duc 
d'Lrbin  (1510.  Sanuto,  XI,  82). 

.'.   Instruction  milanaise  du  14  nov.  1479  (Archivio  Sforzesco. 

i-    Ai /entim, chanoine  de  Padoue,  se  rend  au  conseil  de  Venise,  avec  une 


376  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

vés  à  la  pourpre  par  suite  de  leur  haute  naissance  ou  de  fonc- 
tions éminentes,  les  cardinaux  sont  de  grands  seigneurs1, 
pleins  de  faste',  possesseurs  de  palais  et  de  villas  où  ils  don- 
nent des  banquets  et  des  chasses3  :  ils  mènent  une  large 
vie  mondaine  4.  Tous  les  monuments  de  Rome  disent  leur 
splendeur  ;  l'histoire  de  l'art  les  nomme  des  Mécènes5.  Gomme 

foule  de  parents,  pour  se  congratuler  avec  le  doge  de  l'élévation  de  son  frère 
au  cardinalat,  «  mediante  la  Signoria  nostra  ;  et  è  venitian,  è  dara  ogni  fa- 
vor  »  (mars  1511.  Sanuto,  XII,  62).  Le  protonotaire  Marco  Cornaro  était  créé 
cardinal  en  consistoire,  le  28  septembre  1500  :  le  lendemain  de  la  nouvelle, 
1er  octobre,  son  père  se  présente  au  colleyio,  avec  une  nombreuse  escorte 
de  patriciens  :  tout  le  monde  lui  tend  la  main.  Il  dit  que  son  fils  est  vénitien 
et  n'agira  que  suivant  les  inspirations  du  gouvernement  vénitien  ;  ce  à  quoi 
le  doge  répond  avec  joie  :  Sonocertissimi.  Il  annonce  ensuite  que  son  fils,  si- 
tôt arrivé,  viendra  faire  sa  révérence.  Le  2  octobre,  l'orateur  du  pape  vient 
annoncer  officiellement  la  nouvelle  et  faire  l'éloge  du  nouveau  cardinal 
(Sanuto,  III,  858  :  861). 

1)  Y.  Qualis  estedebeat  domus  cardinalis, dansPauli  Cortesii,  De  Cardina- 
latu,  ï"  xl  et  suiv. 

2)  Le  cardinal  Villiers  de  la  Groslaie,évêque  de  Lombez,  abbé  de  Saint  Denis, 
ambassadeur  de  France,  brilla  entre  tous  par  son  faste  à  la  fin  du  XVe 
siècle.  Possesseur  d'une  chapelle  à  Saint  Pierre,  qu'il  voulut  orner.c'est  lui  qui 
commanda  et  fit  exécuter  à  Michel  Ange,  comme  nous  l'avons  dit,  l'admirable 
Pietà.  Mais  il  dépensait  tellement  qu'il  dut  soutenir  un  long  procès  contre  les 
moines  de  Saint  Denis  réduits,  s'il  faut  les  croire,  à  une  portion  trop  con- 
grue. On  lui  attribuait,  d'ailleurs,  les  habitudes  des  grands  seigneurs  de 
l'époque.  Un  jeune  neveu  qu'il  menait  avec  lui  et  en  faveur  duquel  il  résigna, 
avant  de  mourir,  l'évèché  de  Lombez,  passait,  au  dire  de  Burckard,  pour 
son  fils. 

3)  Le  cardinal  Ascagne  Sforza  est  pris  à  la  chasse,  le  23  mai  1505,  de  la 
maladie  qui  l'emporta  le  28  (Diarium,  III,  390). 

4)  L'évêque  d'Albi,  fait  cardinal,  offre  un  banquet  à  tout  le  Sacré 
Collège  ;  les  cardinaux  vénitiens  s'abstiennent  (janv.  1510.  Sanuto,  IX, 
477). 

5)  V.  not.Muntz,  Raphaël,  p.  279.  On  sait,  par  exemple,  le  grand  rôle  joué 
par  l'illustre  cardinal  Grimani  à  cet  égard.  Sanuto  nous  donne  (VI,  174-175) 
une  description  du  dîner  offert  par  lui  à  l'ambassade  vénitienne,  le  16  mai 
1505,  description  enthousiaste.  On  fait  visiter  d'abord  aux  ambassadeurs  le 
splendide  palais,  la  bibliothèque,  la  collection  de  marbres  et  d'objets  an- 
tiques, la  collection  de  vases  d'or  et  d'argent  à  bas  reliefs  sculptés,  dont 
plusieurs  étaient  évalués  15  ou  20.000  ducats.  Le  diner  offert  à  l'ambassade 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  377 

préséance,  ils  passent  immédiatement  après  les  souverains  et 
à  côté  d'eux1  ;  en  France,  ils  ont  le  pas  sur  les  princes  du 
sang1.  A  leur  nomination,  ils  reçoivent  les  félicitations  des 
chefs  d'Etat',  souvent  par  lettres  directes,  et  ils  y  répondent 
de  môme,  dans  un  latin  de  grand   style'.    Ils  correspondent 

comprenait  soixante  quatorze  couverts,  avec  un  luxe  prodigieux  de  vaisselle 
plate:  un  grand  orchestre  joue  :  entre  chaque  service  commandé  par  le 
sénéchal,  se  produit  un  intermède  spécial,  soit  de  musique,  soit  de  bouffon- 
nerie. Les  plats  sont  admirablement  montés  et  rehaussés  de  fleurs,  surtout 
de  roses.  On  lave  les  mains  des  convives  avec  de  l'eau  de  rose  :  des  parfums 
capiteux  flottent  en  l'air.  C'est  un  défilé  de  friandises,  de  crèmes,  de  sucre- 
ries, de  plats  exquis,  de  rôtis  composés  avec  un  art  extrême  :  des  faisans  et 
des  paons  avec  leurs  ailes,  leurs  têtes  et  leurs  queues  ;  des  garnitures  de 
citrons,  de  confetti,  de  saucissons  de  Bologne.  11  y  a  quinze  services;  chacun 
se  compose  ordinairement  de  dix  huit  plats.  Avant  le  dessert,  deux  pasteurs 
récitent  une  églogue  en  l'honneur  de  Venise.  Bief,  c'est  un  enchantement  de 
l'esprit,  un  enivrement  de  chère  exquise  et  fine,  de  vins  généreux,  d'harmo- 
nie, de  parfums. 

i)  Lorsque  le  cardinal  de  Monreale  vint  à  Naplcs  couronner  le  roi  Al- 
phonse, il  arriva  avec  deux  cents  chevaux.  Le  roi,  le  corps  diplomatique, 
l'aristocratie,  allèrent  au  devant  de  lui  à  un  demi  mille  de  la  ville  :  le  clergé, 
sous  la  conduite  de  l'archevêque,  était  aux  portes  et  prit  la  tête  du  cortège.  Le 
cardinal  entra  dans  la  ville  sous  le  même  baldaquin  que  le  roi,  avec  une  es- 
corte d'environ  1300  chevaux  (Sanuto,  Spedizione,  p.  37). 

■1)  Not.  Entrée  de  Louis  XII  à  Milan  en  1507  (Sanuto,  Vil,  83). 

3)  L'évêque  de  Corne  étant  nommé  cardinal,  l'ambassadeur  de  Venise  à 
Milan  va  le  voir  et  le  féliciter:  Ant.  Trivulzio  proteste  qu'il  est  l'homme  de 
Venise,  etc..  Il  reçoit  avec  le  bref  du  pape  un  grand  nombre  de  lettres  de  fé- 
licitations des  cardinaux.  Lui-même  .signifie  son  élévation  à  la  seigneurie 
de  Venise,  par  une  lettre  latine,  où  il  rappelle  tous  les  motifs  de  son  élection 
et  fait  part  de  sa  propre  joie,  «  ob  dignitatis  amplitudinem,  supra  quam 
vix  quicquam  in  humanis  sperare  licet  »  (Oct.  1500.  Sanuto,  III,  880,  881). 

4)  Lettres  d'affection  el  de  dévouement,  de  cardinaux  au  doge,  en 
réponse  à  ses  lettres  de  félicitation  pour  leur  nomination  (octobre  luOO. 
Sanuto.  III,  1031,  1032,  1044.  1091,  1113).  Outre  les  formules  «  Ill">e 
princeps  et  Excell"1»  d»e,  »  l'un  lui  dit  :  »  Domine  colendissime,  eommenda- 
tissime,  »  l'autre  «  Domino  mèo  observandissimo.  »  L'un  signe  »  Ecc°  Ve 
devotissimus,  »  l'autre  «  Eidem  Domin'  V«  Excell""  deditissimus.  »  Un  autre 
ajoute  «  ut  frater  »  et  adresse  «  Inclyto  Venetorum  duci,  nostro,  uti  fratri, 
observandissimo.»  Un  autre  «  Domino  meo  colendissimo  »,  et  signe  «  Excme 
Ve  Excelle  servitor.  »  Un  autre  n'emploie  que  les  formules  officielles  (cardal 
de  Modène)  et  répond  un  mois  après. 


378  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

avec  les  souverains,  ils  parlent  haut1.  Désirent-ils  entretenir 
un  ambassadeur,  ils  le  mandent  par  un  de  leurs  serviteurs, 
secrétaire,  palefrenier2....  Ils  sont  très  riches3  ;  outre  leurs 
revenus  personnels,  et  le  produit  de  leurs  archevêchés,  évê- 
ohés,  offices  et  bénéfices,  tous  possèdent  à  Rome  même  un 
revenu  variant  de  2.000  à  18.000  ducats*.  Mais  c'est  là  leur 
coté  faible  :  étant  riches,  ils  aiment  la  richesse,  et  travaillent 
régulièrement  à  accroître  leurs  revenus. 

Personne  ne  peut  donner  de  plus  utiles  renseignements  et 
de  meilleurs  conseils  qu'un  cardinal.  Il  est  d'usage  qu'un  am- 
bassadeur, le  lendemain  de  sa  réception  par  le  pape,  monte 
à  cheval  et  aille  voir  chacun  des  cardinaux5.  Il  peut  pour  la 

1)  Lettre  du  cardinal  de  Sainte  Croix  au  doge  de  Venise  sur  la  perte  de 
Modon,  20  septembre  1500,  en  latin.  Il  expose  le  souci  du  pape  et  des  cardi- 
naux, les  vastes  projetsdccroisade.il  a, dit-il. reçu  les  lettres  du  doge,  par  l'am- 
bassadeur (dont  il  fait  l'éloge).  Il  dit  :  «  Ill'ue  princeps  et  excell»'"  d»c,  d"e  co- 
lendissime  »  et  signe:  «  Exoellentissimae  vestras  Excellentiœ  deditissimus  » 
(Sanuto,  III,  850-852).  Le  cardinal  de  Médieis  envoie  à  Venise,  avec  une 
lettre  de  créance, son  cousin  André  de  Médieis,  qui  se  présente  au  conseil.  Il 
demande  qu'on  appuie  le  retour  des  Médieis  à  Florence  (Ml  janvier  1504. 
Sanuto,  V,  782).  Lettre  de  créance  du  cardinal  de  Naples  à  la  S'ic  de  Venise, 
pour  un  envoyé,  que  le  légat  du  pape  présente  au  conseil  (juin-déc.  1502. 
Sanuto, IV,  577).  Il  demande  une  bonne  réception  au  nom  de  la  bienveillance 
de  la  république  pour  lui  :  lettre  en  latin,  sans  spécification  d'objet  (Il  s'agit 
d'exécuter  le  testament  du  cardinal  de  Sainl  .Marc). 

2)  Un  cardinal  fait  dire  à  l'ambassadeur  de  Venise  à  Rome  de  venir  lui 
parler  (Sanuto,  Y,  570).  Le  cardinal  Ascanio  Sforza  envoie  son  secrétaire  à 
l'ambassadeur  de  Venise  sous  un  prétexte  quelconque,  en  réalité  pour  l'en- 
tretenir des  pratiques  de  rapprochement  entre  la  France  et  l'Allemagne  contre 
Venise  (1504.  Disp.di  Giustinian,  III,  53).  Le  cardinal  de  Naples  prie,  par 
un  palefrenier,  l'ambassadeur  vénitien  de  lui  envoyer  un  secrétaire  pour 
une  communication  importante  (avril  1503.  /(/.,  Il,  117). 

3)  Burckard,  passim.  Le  cardinal  de  Saint  Pierre  aux  Liens,  neveu  de 
Jules  II,  mort  le  H  sept.  1508.  avait  44.000  ducats  de  revenu  (Sanuto,  VI, 
029).  D'après  les  Capitol!  volés  au  conclave  de  Pie  III,  le  pape  devail  assurer 
à  chaque  cardinal  un  minimum  de  (i, 000  florins  de  revenu  (Archives  du  Va- 
tican, reg.  |3  LV,  fo«  485  et  suiv.i. 

4)  Cardinal  Riario  (Burckard,  III,  p.  50,  37). 

5)  Burckard,    III,  388.    Les    orateurs    de    Venise  à   Naples,    font,    en 


MOYENS    DACTION    DIPLOMATICCES  379 

forme,  demander  au  pape  L'autorisation  préalable  '.  11  présen- 
tera à  certains  cardinaux  des  Lettres  de  créance',  IL  leur  tien- 
dra le  langage  prescrit  par  ses  instructions1. 

Les  cardinaux  se  divisent  en  groupes,  suivant  leur  nationa- 
lité, leur  origine,  leurs  visées,  leur  tempérament.  L'ambassa- 
deur fera  bien  de  multiplier  les  visites  et  les  relations,  de 
persuader  à  chaque  cardinal  (pie  le  roi  est  son  ami,  et  de  dé- 
ployerdansee  but  beaucoup  de  patience*.  Il  emploiera,  au  fond, 
les  mêmes  procédés  qu'ailleurs.  Des  archevêchés,  desévêchés, 
des  bénéfices, ou  même  une  bonne  pension,  attachent  un  car- 
dinal à  un   pays',  môme  sans  le  titre  otlieiel    de   protecteur. 

sanl  ii  Rome,  visite  à  tous  les  cardinaux  (Dec.  i.'iOC.  Sanuto,  VI,  514.  — 
Dép.  îles  amhass.  milanais,  du  28  mars  1466.  Aivhivio  Sforzesco).  Le  nouvel 
ambassadeur  de  Venise  à  Rome  en  1502  fait  ses  \  isites  d'arrivée  avec  son 
prédécesseur.  Il  va  voir  le  duc  de  Valentinois,  qui,  selon  son  usage,  ne  le 
reçoit  pas,  puis  ils  se  rendent,  comme  d'habitude,  chez,  tous  les  cardinaux 
^Villari,  Disp.  diGiustinian,  I,  l.'i).  En  juin  1501,  Stuartd'Aubigny,  avant  de 
quitter  Rome,  a  une  audience  privée  du  pape;  à  la  sortie,  il  est  embrassé 
pur  tous  les  cardinaux  (Burckard,  Diafium,  III,  p.  150). 

t)  Instruction  prescrivant,  après  avoir  parlé  au  pape,  de  parler  aux  cardi- 
naux, ensemble  ou  en  particulier,  «  par  l'avis  et  Jélibéracion  de  nostreditS. 
Père  »  (1393.  Douet  d'Arcq,  Clwix....  I.  112). 

■1)  Mutinas  Corvin.  réclamant  l'appui  du  Saint  Père  contre  les  Turcs,  en 
1 '.lit.  envoie  une  ambassade  au  collège  des  cardinaux  (Epistolx  Mathiœ 
Corvini.  p.  S7:.  Cf. Reumont,  ouv. cité,  p.  153. 

3  Pierrede  Médias  ira  voir  le  cardinal  Visconti,  le  cardinal  d'Aragon,  le 
dinal  Orsini,les  cardinaux  SavelIi,Conli,Colonna  et  autres  prélats  :1e  lan- 
»e  qu'il  devra  tenir  lui  est  soigneusement  dicté  (Instr»"  de  son  pore. 
Roscoé,  pièce  i.rx). 

i)  Ou  même,  au  besoin,  des  menaces.  Dans  les  Capitoli  imposés  au  pape 
futur  dans  le  conclave  de  Pie  lit,  figure  l'obligation  de  défendre  les  cardi- 
naux contre  les  représailles  de  princes  mécontents  de  leur  voie  en  consistoire 
ùves  du  Vatican,  reg.  ';>  LV,  F»'  185  el 

5)  Les  cardinaux,  même  celui  de  Strigonie,  se  livrent  un  peu  à  la  chasse 
des  bénéfices  (Sanuto,  V,  ¥13).  L'orateur  d'Espagne  introduit  au  conseil  un 
envoyé  du  cardinal  Capaze,  qui  demande  une  abbaye  (10  oct,  1503. Sanuto, 
V.  156).  Le  cardinal  de  Sainte-Croix  intrigue  près  de  l'ambassadeur  impérial 
pourse  taire  recommander  au  roi  des  Romains,  mais  l'ambassadeur  n'a  nulle 
confiance  en  lui  (1506.  Le  Glay,  Négociations,  I,  121). 


380  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE    MACHIAVEL 

L'argent  tout  simple  peut  faire  son  office,  pourvu  qu'il  s'agisse 
d'une  somme  conforme  au  tarif  des  ministres  européens1. 

La  seigneurie  de  Venise  écrit,  le  15  novembre  1514,  à  son 
ambassadeur  à  Rome  de  «  donner  au  Révérendissime  (cardi- 
nal) Médicis  les  10.000  ducats  qu'il  désire,  et  qu'il  nous  aide  *». 
Le  meilleur  ami  est  un  neveu  du  pape.  C'est  ainsi  que  Char- 
les VIII  s'assure  les  bons  offices  de  Laurent  Cibo,  neveu  d'In- 
nocent VIII,  archevêque  de  Bénévent,  qui  adresse  au  roi  la 
lettre  suivante,  type  d'un  contrat  de  ce  genre: 
«  Au  Roy,  mon  souverain  seigneur. 

Sire,  toujours  si  très  humblement  que  faire  le  puysà  vostre 
bonne  grâce  me  recommande.  J'ay  receu  par  nions1' de  Saint  - 
Denys  voz  lettres,  par  lesquelles  il  vous  plaist  que  j'aye  par 
decza  la  cure  et  charge  de  voz  affaires,  dont  très  humblement 
je  vous  mercye. 

Sire,  si  je  me  suys  voluntiers  et  de  bon  couraige  employé 
le  temps  passé  à  vous  servir  bien  et  loyaulment,  je  m'effor- 
ceré  de  faire  uncore  (sic)  mieulx  le  temps  qui  vient,  en  manière 
que  cognoestrez  que  par  moy  ne  tiendra  que  voz  affaires  ne 
soient  accompliz.  Car,  ainsi  que  souvent  vous  ay  escript,  vous 
estez  le  prince  seul  en  qui  du  tout  ay  mis  ma  fiance,  et  qui  me 
suys  du  tout  délibéré  de  servir.  Et  vous  plaira  tousjours  me 
commettre  voz  dites  affaires,  pour  lé  acomplir  de  toute  ma 
puissance,  au  plaisir  Nostre  Seigneur,  lequel  je  prye  qu'il  vous 


1)  Dépêche  vénitienne,  à  l'ambassadeur  à  Rome,  du  25  octobre  1512,  lui 
prescrivant  de  conquérir  à  tout  prix  la  faveur  du  pape  et  l'autorisant  à  don- 
ner de  l'argent  aux  personnages  influents  (Arcb.  de  Venise).  Dépêche  de 
Dandolo,  du  28  déc.  1512,  rapportant  une  conversation  de  Louis  XII,  qui  se 
dit  sûr  du  pape  et  qui  déclare  avoir  fait  distribuer  des  sommes  de  10.000  écus 
dans  son  entourage  (mêmes  Archives).  Gomme  nous  l'avons  observé  plus 
haut,  10.000  écus  paraissent  alors  le  tarif  réglementaire. 

2)  Conseil  des  Dix.  Cf.  la  lettre  de  Charles  VIII,  de  Pavie,  15  octobre 
(1494)  à  «  un  cardinal  »,  son  agent  (fr.  2962,  fo  112). 


MOYENS    D  ACTION    DIPLOMATIQUES  381 

doint  bonne  vie  et  longue.  Escript  a  Uonmie.  le   XXVII*"  jour 

de  mars. 

autogr.)       Voslre  très  humble  serviteur, 
le  cardinal  de  BénévenV  ». 

Le  cardinal  de  Bénévent  témoigne  de  son  zèle  en  recom- 
mandant à  Charles  Vil l  des  cousins  du  pape  -. 

Mais  le  seul  groupe  sur  lequel  un  ambassadeur  doive  réel- 
lement compter  est  celui  des  cardinaux  de  son  pays  '.  L'am- 
bassadeur n'a  rien  à  craindre  en  affichant  avec  ceux-ci  une 
intimité  toute  naturelle  ;  il  peut  descendre,  à  son  arrivée,  chez 
l'un  d'eux  '  et  y  habiter.  Ces  cardinaux  seront  ses  appuis,  ses 
conseils,  ses  auxiliaires  reconnus  3  :  ils  agiront  dans  le  même 
sens  <pie  l'ambassadeur  et  beaucoup  plus  efficacement6,  en 
défendant  les  intérêts  nationaux  dans  le  consistoire  et  près  du 
pape,  en  provoquant  et  en  soutenant  des  manifestations  na- 

1)  Ms.  IV.  18538,  n<>  255. 

2)  Julien  et  Raphaël  Grimaldi,  «at'fîns  »  du  pape  (ms.  IV.  15538,  135). Cette 
lettre  est  visée  dans  le  Catalogue  d'une  vente  d'autographes  (Louis  de  Lomé- 
nie)  par  M.  Charavay,  14  décembre  1883,  no  125. 

3)  En  1500,  les  cardinaux  étaient  au  nombre  de  trente  cinq,  soit  vingt  et 
un  italiens  et  quatorze  ullramontains  (dont  six  espagnols  et  six  français). 
Les  vingt  et  un  italiens  se  subdivisaient  ainsi  :  deux  napolitains,  cinq  génois, 
trois  vénitiens,  un  de  Turin,  quatre  romains,  trois  de  Milan,  les  cardinaux 
de  Sienne,  de  Ferrare  et  Médicis  (Rapport  de  l'ambassadeur  Capello.  Sanuto, 
III.  842).  En  1510,  il  y  avait  trei-te  huit  cardinaux,  dont  seize  ultramontains 
et  vingt  deux  italiens,  parmi  lesquels  bien  des  amis  de  la  France  (huit  fran- 
çais, dont  un  ennemi  du  roi,  Albret  ;  d'autres  en  France), six  génois  hostiles 
à  la  France,  deux  vénitiens,  très  dévoués  à  Venise,  sept  espagnols,  un 
hongrois  (Sanuto,  X,  74). 

4)  L'ambassadeur  de  Venise  descend  chez,  le  cardinal  Grimani  (Burckard, 
Diarium,  III,  75). 

5)  A  la  mort  d'Isabelle  la  Catholique,  l'ambassadeur  d'Espagne  fait  prendre 
le  deuil  aux  cardinaux  de  sa  nation  (Diarium.  24  déc.  1504). 

6)  Etre  représenté  à  Rome  par  un  cardinal  est  un  grand  avantage.  Le  car- 
dinal Saint  Denis  (1499)  a  accès  près  du  pape  et  parle  net.  Ludovic  Sforza, 
outre  son  ambassadeur  G-uasco,a  son  frère  "Ascanio,  vice-chancelier  de  l'é- 
glise, qui  lui  adresse  des  rapports  presque  quotidiens  (Jean  d'Aulon,!,  pièces, 
p.  327;. 


382  LA   DIPLOMATIE   AU    TEMPS     DE   MACHIAVEL 

tionales.  Ils  lui  prêteront  main  forte;  eu  toute  circonstance  :. 
Dans  le  cas  de  rupture,  de  rappel  de  l'ambassade,  ils  restent 
et  continuent  à  négocier.  Ce  sont  eux  encore  qui  prépareront 
et  faciliteront  les  rapprochements2. 

Sur  un  terrain  aussi  neutre,  aussi  international  que  celui 
de  Rome,  chaque  cardinal  peut  appartenir  ouvertement  à  sa 
patrie  8.  L'ambassadeur  qui  arrive  commence  donc  par  voir 
ses  cardinaux  et  par  s'entendre  avec  eux  4.  Les  cardinaux  vé- 
nitiens surtout  se  multiplient  au  service   de  leur  pays  %  par 

1)  A  Rome,  en  1303,  Machiavel  agit  avec  le  cardinal  Sodcrini,  en  toute 
circonstance.  «  Il  sert  notre  république  avec  tout  le  zèle  que  doit  inspirer 
l'amour  de  la  pairie,  écrit  Machiavel:  mais  il  craint  qu'un  désir  trop  ardent 
de  faire  le  bien  ne  l'égaré  et  ne  lui  fasse  commettre  quelques  erreurs.  Il  vous 
prie  donc  de  nous  faire  passer  vos  instructions  sur  les  mesures  que  vous 
croiriez  utile  de  proposer  au  pape...  »  (Machiavel,  Dép.  de  Home,  30  novem- 
bre 1503). 

2)  Le  cardinal  anglais  Caste],  du  titre  de  Saint  Chrysogone,  rapproche 
Venise  et  l'Angleterre,  en  1509  (Sanuto,  VIII,  1*2).  En  1514,  les  cardinaux 
de  Nantes  et  de  Pavie  négocienl  un  rapprochement  entre  Jules  11  et 
Louis  XII  (Lett.  île  Louis  XII,  II,  216).  Malgré  la  guerre  et  l'excommu- 
nication, en  1509,  Venise  demie,  en  rappelant  ses  deux  orateurs  à  Rome  que 
le  pape  ne  veut  plus  voir,  d'en  envoyer  six  antres.  Les  deux  premiers  parlent, 
s'embarquent  à  Ancônc  sur  les  galères  delà  république  et  y  font  préparer 
pour  leurs  successeurs  des  chevaux  que  le  pape  envoie.  En  effet,  les  six  nou- 
veaux ambassadeurs  arrivent,  vêtus  d'écarlate,  à  Rome,  le  soir,  avec  la  ré- 
ception habituelle,  sous  des  torrents  de  pluie.  Ils  s'entendent  avec  les  cardi- 
naux Grimani  et  Cornaro.  Le  pape  leur  permet  de  rendre  leur  visite  à  ces 
deux  cardinaux,  mais  leur  défend,  comme  excommuniés,  d'entendre  la 
messe  fSanuto,  VIII,  367,  370,  433,  502,519).  A  leur  audience,  après  la  ré- 
conciliation de  1510,  les  ambassadeurs  de  Venise  sont  encore  présentés  au 
pape  par  leurs  cardinaux  (Sanuto,  X,  34). 

3)  Le  cardinal  de  Sainte  Croix  (espagnol),  depuis  la  nouvelle  de  la  mort  de 
la  reine  d'Espagne  (24  décembre),  n'est  pas  sorti  de  chez  lui  et  reçoit  des 
visites  de  condoléance.  L'ambassadeur  vénitien  s'y  rend  (26  déc.  1304.  Dtsp. 
di  Ant.  Giiisthuan.  111,  346). 

4)  Commission  vénitienne  du  20  juin   1509  (Arch.  de  Venise). 

5)  Le  cardinal  Crimani  écrit  à  la  S"e  de  Venise,  en  italien  (8  oct.  1502.  Sa- 
nuto, IV,  339).  Il  écrit  au  doge  l'élection  de  Jules  II,  avec  éloges  (pour  le 
rassurer  sais  doute.  Id.,  V,  300).  Le  cardinal  Cornaro  envoie  de  longues  let- 
tres de   nouvelles  de  Rome,  à  l'ambassadeur  vénitien   resté  à  Viterbe  (sept. 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  383 

patriotisme,  sans  autres  récompenses  que  des  faveurs  cou- 
rantes '.  Dansées  conditions,  les  cardinaux  nationaux  jouent 
le  rôle  d'ambassadeurs  supérieurs  '.  Il  faut  que  L'accord 
règne  entre  les  cardinaux  et  L'ambassadeur';  d'autre  part. 
L'ambassade  doit  à  ses  cardinaux  le  plus  énergique  appui  '. 
Enfin,  ou  matière  de  conclave,  L'ambassadeur  à  Rome  scia 
appelé  à  une  action  trcs  particulière,  qu'il  doit  préparer  de 
longue  main  par  ses  rapports  avec  les  cardinaux.  Il  s'agit 
d'assurer  la  Liberté  matérielle  du  conclave  et  son  issue. 


1310.  LL.  M,  •JTS).  Venise  informe  ses  cardinaux  des  nouvelles,  par  de^ 
voies  secrètes,  en  1509  ilnstr'>"  du  lit  mai  1809,  à  Jacq.  Caroldi.  Secreto 
M ,  1 8 

1)  Lettre  de  recommandation  du  cardinal  Grimani  à  la  seigneurie,  pour 
son  père  (1503.  Sanuto,  Y.. £63),  en  italien.  Il  écrit:  «  Serenissime  princeps, 
et  D»,;  excellentii»1',  »  et  «  servitor.  »  Le  cardinal  Cornaro,  écrivant  pour  re- 
mercierde  la  collation  d'un  bénéiiee,  s'adresse  au  contraire  au  doge  et  a  la  sei- 
gneurie :  '  Serenme  et  illustr*"8  princeps,  excellent18'  domini  ci  patres  mei 
colendissimi,  commendatissimi,  »  et  signe  ci  Excellentissi,',"n  illustrissima- 
rumque Dominationum  vestrarum  Immilis  servitor  :  »  il  écrit  en  latin,  en  ter- 
mes pompeux  et  exagérés,  avec  force  superlatifs.  A  l'en  croire,  aucun  titre, 
aucun évêché ne  lui  a  l'ait  autant  de  plaisir  que  ce  bénéfice  (3  mars  1501.  ld., 
III,  U94-1 

2)  Les  cardinaux  espagnols  du  temps  d'Alexandre  Vf,  sous  Jules  II  les 
cardinaux  vénitiens,  forment  un  groupe  compact.  Venise  considère  ses  car- 
dinaux comme  ses  véritables  représentants  diplomatiques,  el  compte  sur  eux 
comme  intermédiaires,  même  en  cas  de  suspension  diplomatique  l'Instruction 
vénitienne,  11)  mai  KJO'J.  Secreto  41,  184).  Ascagne  Sforza,  cardinal  vice- 
chancelier,  est  jusqu'en  1499  le  véritable  ambassadeur  de  son  frère  le  duc  de 
Milan.  Y.Jean  d'Auton.tome  I,  Pièces  justificatives. 

;])  Claude  de  Seyssel.  ambassadeur  de  France  à  Rome,  s'entend  mal  avec  le 
cardinal  de  San  Severino. 

Lu  I.'ill.  le  cardinal  d'Audi  est  arrêté.  Le  soir  même,  les  ambassa- 
deurs de  France  se  présentent  pour  réclamer:  le  pape  leur  refuse  audience. 
Le  lendemain,  les  ambassadeurs,  avec  les  cardinaux  français,  et  le  cardinal 
San  Severino  font  d'inutiles  efforts  et  n'obtiennent  rien,  même  en  offrant  eau 
lion:  ils  >e  retirent,  se  réunissent  chez  le  cardinal  de  Saint  Malo,  et  décident 
de  députer  au  pape  trois  cardinaux  italiens.  Le  pape  écrit  à  ce  sujet  à  son 
orateur  en  France,  et  ne  se  gêne  pas  pour  parler  mal  de  la  France  (Sanuto, 
X,  725, 726). 


384  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

Lorsqu'un  pape  meurt,  il  se  produit  jusqu'à  l'élection  de 
son  successeur  un  interrègne,  une  période  de  trouble,  dans 
laquelle  les  ambassadeurs  tiennent  une  grande  place.  A  la 
mort  d'Alexandre  VI,  l'ambassade  espagnole  intervint  effica- 
cement ;  le  collège  des  cardinaux  réclama  aussi  l'intervention 
personnelle  d'un  ambassadeur  de  France,  de  quatre  ambas- 
sadeurs d'Espagne  et  d'un  envoyé  vénitien  *,  pour  obtenir  que 
César  Borgia  quittât  la  ville  avec  ses  troupes2  :  au  bout  de 
quelques  jours,  on  arriva  à  un  arrangement 3  :  l'ambassadeur 
d'Espagne  garantit  que,  pendant  la  vacance  du  Saint  Siège, 
César,  les  Colonna  et  les  troupes  espagnoles  n'approcheraient 
pas  de  Rome  à  plus  de  dix  huit  milles.  Les  ambassadeurs  de 
France  prirent  le  même  engagement  pour  les  Orsini  et  l'ar- 
mée française  ;  ils  demandèrent  aussi  qu'on  leur  consignât  le 
château  de  Yitcrbe  ;  ce  que  les  cardinaux  refusèrent.  Les  am- 
bassadeurs d'Espagne  demandèrent  seulement  que  les  cardi- 
naux espagnols  pussent  librement  venir  au  conclave...  ' 

Bientôt,  les  cardinaux  étrangers  arrivent,  le  conclave  va 
s'ouvrir.  Les  cardinaux  délégués  au  commandement  des 
forces  militaires  choisissent  alors  les  gardiens  du  conclave,  à 
qui  ils  envoient  un  billet  d'avis.  Pour  le  conclave  de  1503, 
après  la  mort  d'Alexandre  VI,  ces  gardiens  sont  au  nombre 

i)  Les  cardinaux  italiens  demandent  à  l'ambassadeur  de  Venise  l'envoi  à 
Rome  de  cent  lâritassins,avec  un  capitaine  (Villari,D«$/jacci  di  A.  Giustinian, 
II,  146). 

2)  Burckard,  Diarfum,  III,  250. 

3)  Les  ambassadeurs  ne  sont  pas  d'accord  et  récriminent  quelque  peu. 
Ceux  d'AIleinagne,  de  France,  d'Espagne,  de  Venise  sont  cliargés  de  voirie 
duc  de  Valentinois  et  rendent  compte  de  leur  mission  chez  le  cardinal  de 
Naples  (Dispacci  di  A .  Giustinian,  II,  p.  158).  Il  y  a  beaucoup  d'émotion. 
Valentinois  s'entend  avec  l'ambassadeur  de  France.  Grand  trouble  et  honte 
de  l'ambassadeur  d'Espagne.  Les  cardinaux  palatins  s'adressent  à  l'am- 
bassadeur de  Venise  pour  négocier  la  paix  entre  eux  et  les  Orsini  (Id.. 
p.  179). 

4)  Burckard,  III,  255. 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  385' 

de  trente  deux  :  sept  archevêques  ou  évêques,  trois  ambassa- 
deurs ecclésiastiques  de  France.  d'Angleterre  el  de  Sienne, 
lc>  deux  ambassadeurs  laïques  de  France,  trois  ambassadeurs 
laïques  d'Allemagne,  d'Espagne  el  de  Venise,  trois  fonction- 
naires de  Home,  les  treize  chefs  delà  police  el  un  capitaine. 
Les  gardiens  prêtent  serment;  Louis  de  Villeneuve,  ambas- 
sadeur de  France,  et  L'ambassadeur  de  Sienne  s'étant  abste- 
nus du  serment,  se  virent  exclus  de  la  garde  '. 

Le  conclave  s'ouvre  :  chaque  cardinal  reçoit,  par  voie  de 
tirage  au  sort,  une  cellule,  qu'il  partage  avec  les  assistants 
désignés  par  lui.  La  qualité  de  ces  assistants  varie  à  l'infini; 
presque  tous  sont  clercs,  cependant  il  s'y  trouve  des  laïques. 
Le  cardinal  de  Sienne,  malade,  prend  avec  lui  son  frère 
(laïque),  un  chirurgien  et  deux  clercs  :  Georges  d'Amboise 
choisit  son  neveu,  Guillaume  deClermont  Lodève,  archevêque 
de  Narbonne,  et  deux  diplomates,  Claude  de  Seyssel  et  Jean 
Lascaris  *,  le  premier  seul  ecclésiastique.  A  ce  personnel,  il 
faut  ajouter  le  personnel  de  service  pour  le  conclave  lui- 
même,  médecins,  maîtres  de  cérémonies,  huissiers,  etc.  Com- 
ment, parmi  tant  de  monde,  garder  le  secret  ?  avant  le  scru- 
tin définitif,  il  se  trouve  des  gens  pour  tout  comprendre  et 
tout  répéter. 

Au  conclave  de  Jules  II,  les  gardiens  furent  au  nombre  de 
trente  sept,  parmi  lesquels  l'ambassadeur  de  Ferrare,  et  les 
mêmes  ambassadeurs  que  précédemment,  sauf  celui  de  Sienne  > 
Dans  ce  nouveau  conclave,  Georges  d'Amboise  joignit  à  ses 
assistants  Geffiroy  Caries,  vice-chancelier  de  Milan. 

Parlerons-nous  des  intrigues  qui  s'agitent  avant  le  con- 
clave? En  1503,  les  Français  veulent  le  cardinal  de  Rouen,  et 
Les  Espagnols  n'en  veulent  pas.  On  se  précipite  au-devant  du 

1)  Burckard,  268. 

2)  Burckanl,  269. 

25 


386  LA   DIPLOMATIE    AD   TEMPS    DE   MACHIAVEL 

cardinal  de  la  Rovère,  qui  passe  pour  le  futur  pape...  '  M.  de 
Trans,  ambassadeur  de  France,  s'adresse  au  duc  de  Valenti- 
nois  pour  obtenir  des  voix  au  cardinal  de  Rouen  :  le  cardinal 
de  la  Rovère  à  Prospcro  Colonna,  pour  les  voix  espagnoles  *  ; 
l'ambassadeur  vénitien  s'arrange  pour  voir,  à  la  fois,  le  car- 
dinal de  Rouen  et  les  ambassadeurs  espagnols3.  On  ne  néglige 
aucun  moyen,  petit  ou  grand. 

M.  de  Trans  affecte  de  traverser  Rome  avec  des  escortes 
armées  *.  Jean  Lascaris,  ambassadeur  à  Venise,  va  se  plaindre 
à  l'ambassadeur  de  Venise  que  la  République  fasse  voter  ses 
cardinaux  contre  Rouen.  L'ambassadeur  répond  que  les  car- 
dinaux voteront  selon  leur  conscience,  et  se  rend  de  suite 
cbez  Rouen,  pour  certifier  de  l'impartialité  de  son  gouverne- 
ment: Rouen  lui  dit  qu'il  y  a  une  ligue,  même  un  serment,  entre 
certains  cardinaux,  pour  ne  pas  élire  un  pape  français  ;  il  rap- 
pelle les  services  et  le  rang  de  la  France,  il  se  déclare  étonné  ; 
car  l'Eglise  ne  se  trouve  pas  bien  d'avoir  été  administrée  par 
un  Espagnol,  et  même  par  certains  Italiens.  11  ajoute  des  me- 
naces :  <(  Nombre  de  cardinaux  vendaient  leurs  suffrages, 
c'était  une  honte  :  s'il  échouait,  il  promettait  de  crier  si  haut 
qu'on  l'entendrait 5  » . 

Les  souverains  interviennent  d'une  manière  savamment  ca- 
chée. Officiellement,  ils  écrivent  des  lettres  pour  s'en  remettre 
à  l'Esprit  Saint,  réclamer  la  liberté  des  cardinaux,  pour  affir- 
mer qu'ils  ne  désirent  rien  que  l'élection  d'un  bon  pasteur  G. 
L'ambassadeur  d'Espagne  vient  à  la  seigneurie  de  Venise,  le 
25  octobre  1503,  après  la  mort  de  Pie  III,  et,   dans  un  dis- 

1)  Disp.  di  Giustinian,  II,  p.  181. 

2)  M.,  183. 

3)  Ii„  189. 

4)  Dispacci  di  A.  Giustinian,  II,  193. 
8)  Id..  p.  195-196. 

6)  Lettres  du  doge,  du  roi  des  Romains  (Sanuto,  V,  97-100,  422). 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  387 

cours  |ong  et  sentencieux,  propose  de  s'allier  pour  l'élec- 
tion <lu  pape.  11  dispose,  quant  à  lui,  de  seize  voix  :  il  ne 
demande  qu'un  pape  bon  et  nrutra/,  mais  il  faut  se  hâter, 
parce  que  peripufurn  est  in  mora.  Le  doge  répond  que  Venise 
n'a  pas  d'affection  spéciale;  que,  dans  ces  affaires  ecclésias- 
tiques, elle  a  toujours  laissé  faire  à  Dieu,  qu'en  croyant  bien 
: .  on  pourrait  se  tromper,  et  que.  si  son  fils  même  était 
cardinal,  il  se  contenterait  de  prier  Dieu  pour  la  pieilleure 
élection  dans  l'intérêt  de  la  religion  chrétienne.  Cette  ré- 
ponse est  fort  approuvée '.  Or,  pendant  qu'il  tient  ce  langage 
exquis,  le  même  doge,  d'un  côté,,  se  représente  près  de  la 
France  comme  acquis  au  cardinal  d'Amboise  :,  et,  de  1  autre, 
il  écrit  secrètement  à  son  ambassadeur  de  se  rapprocher 
du  cardinal  Saint  Pierre  aux  Liens  (le  futur  Jules  II),  de 
lui  dire  que  Venise  le  vent  pour  le  pape,  de  le  soutenir, 
de  parler  de  lui  aux  cardinaux  vénitiens  3.  Louis  XII 
agit  plus  ouvertement  ;  il  met  en  campagne  un  cardinal 
français,  fort  influent,  le  cardinal  de  Nantes,  qui  va 
voir  ses  vénérables  collègues  avec  une  créance  spéciale 
du  roi  \ 


1)  Sanuto,  V,  208. 

■1)  Le  roi  îles  Romains,  lui  aussi,  s'en  remet  officiellement  à  Dieu,  tout  en 
écrivant  à  l'ambassadeur  vénitien  à  Rome,  pour  le  prier,  en  propres  termes, 
d'aider  à  la  nomination  d'un  pape  qui  lui  soit  agréable,  et  que  son  ambassa- 
deur lui  désignerait  non  d'un  adversaire  (le  cardinal  d'Amboise)  30  oct.  1503 
(Sanuto,  V,  424). 

3)  Dép.  du  9  sept.  |3Q3.  Le  21  février  1313.  elle  écrit,  en  cas  de  mort  du 
pape,  de  soutenir  le  cardinal  Grimani. 

4)  Orig.,  ms.  fr.  2928,  1°  7.  «  Monsieur  le  cardinal,  j'ay  esté  présente- 
ment  adverty  de  la  griet've  malladie  du  pape,  de  laquelle  est  à  doubter  que  la 
mort  s'en  ensuyve.  Et  pour  ce  que  je  désire  de  tout  mon  cueur  la  paix  et  unyon 
de  l'église,  j'fiscrjpU:  présentement  à  ÇJtessr»  les cardinaulx  du  sainct  colliége 
en  général,  comme  verre/.,  et  a  mous'  le  cardinal  de  Nantes  pour  leur  l'aire 
et  à  vou>  particulièrement,  aucunes  remousLrances  pour  le  bien  de  ladite 
egiisi'  et  éviter  et  abollir  tout  scisme  et   division   qui  y   pourroit  advenir. 


38  8  LA   DIPLOMATIE    AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

Après  l'élection,  les  voiles  se  déchirent,  la  trame  apparaît. 
Le  légat  de  Jules  II,  en  arrivant  à  Venise,  prononce  un  long 
discours,  où  il  remercie  notamment  le  conseil  de  la  part  prise 
parles  cardinaux  vénitiens  à  l'élection  du  pape  '.  Le  cardinal 
d'Amboise  se  plaint  ouvertement  à  l'ambassadeur  de  Venise 
que  Venise  l'ait  desservi  pour  la  tiare  \  Mais  dès  ce  moment 
recommencent  de  nouvelles  trames  secrètes  pour  le  moment 
où  le  nouveau  pape  mourra  3. 

Nous  avons  parlé  jusqu'à  présent  des  moyens  d'action  à 
l'usage  des  ambassadeurs.  Contre  eux,  on  emploie  les 
mêmes. 

Certaines  puissances,  comme  nous  l'avons  dit,  défrayaient 
les  ambassadeurs  *  ;  c'est  un  procédé  extrêmement  habile, 
et,  même  dans  les  cours  où  ce  défrai  n'est  pas  de  règle,  môme 

Dont  j'ay  bien  voulu  aussi  vous  escripre,  vous  priant  que,  comme  celluy  que 
je  scay  qui  a  singulier  zèle  et  affection  à  ladite  paix  et  unyon  de  l'église,vous 
y  vueillez  avoir  regard  et  croyre  ledit  cardinal  de  Nantes  de  ce  qu'il  vous  en 
dira  de  ma  part,  comme  vous  feriez  ma  personne  propre.  Et  à  Dieu,  nions'' 
le  cardinal,  qui  vous  ait  en  sa  garde.  Escriptà  Bloys,  lexxv»jourde  février 
Loys.  Robertet.  » 

1)  Dec.  1503.  Sanuto,  V,478. 

2)  20  janv.  1504.  Sanuto,  V,  787. 

3)  Pour  gagnera  ses  intérêts  le  ministre  le  plus  influent  du  roi  de  Hongrie, 
le  cardinal  Thomas  Bakocz  d'Erdoed,  l'empereur  signe,  en  mai  1505,  un 
acte,  par  lequel  il  s'engage  à  favoriser,  après  le  décès  de  Jules  II,  la  candi- 
dature du  cardinal  hongrois  au  Saint  Siège.  Dans  cet  acte,  il  constate  qu'il 
s'était  entendu  avec  le  roi  d'Espagne  pour  ne  pas  admettre  l'élection  d'un 
cardinal  français,  et  il  exprime  l'espoir  que,  le  roi  de  France  ne  pouvant  faire 
aboutir  son  propre  candidat,  le  cardinal  d'Amboise  soutiendrait  le  candidat 
hongrois  (Rapport  de  Pasqualigo,  au  Musée  Correr  à  Venise,  cité  par  Fraknôï). 

4)  Ainsi  le  roi  de  Portugal  défraie  les  ambassadeurs  (Gairdner,  Rist*  régis 
Henrici  septimi,  p.  194).  A  Milan,  le  légat  a  latere  est  logé  et  entretenu  par 
le  duc  ;  les  ambassadeurs  de  France  et  d'Allemagne,  tes  Électeurs,  de 
même  ;  le  légat  non  cardinal  recevra  un  présent  de  25  à  30  ducats,  le  nonce 
de  15  à  16,  les  ambassadeurs  de  Ferdinand, et  autres,  20  ducats;  les  envoyés 
de  Venise  et  Florence,  25  ou  30  ;  de  Modène,  20  à  25  ;  les  marquis  de  Mantoue, 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  389 

à  la  cour  de  Home  ',  on  sait  y  recourir  dans  certains  cas3. 
Sans  doute,  quand  il  n'y  a  pas  réciprocité,  un  patriotisme 
étroit  peut  s'indigner.  «  Aucun  roi  ne  défraie  nos  ambassa- 
deurs, et  Venise  défraie  tous  les  leurs.  C'est  un  peu  étrange, 
mirum,  n  s'exclame  le  vénitien  Marino  Sanuto,  encore  jeune3; 
plus  tard,  il  ne  s'en  étonnera  plus.  Connûmes,  devenu  ensuite 
Vami  officiel  des  Florentins,  ne  peut  cacher  sa  satisfaction 
d'avoir  passé  un  an  à  Florence  défrayé  de  tout  «  et  mieux 
traité  le  dernier  jour  que  le  premier  '.  »  Accurse  Mainier, 
ambassadeur  de  France  à  Venise  en  1500.  se  laisse  entière- 
ment gagner  par  les  bons  procédés  des  Vénitiens.  Un  an 
après  son  arrivée  à  Venise,  il  rêve  de  s'y  installer,  d'y  obte- 
nir le  patriciat,  et  dans  cette  vue  il  oublie  absolument  son 
devoir  d'ambassadeur  s.  Rappelé  en  France,  il  ne  s'aperçoit 

de  Montferrat,  recevront  des  présents  de  300  ducats,  leurs  envoyés  rien  : 
aux  envoyés  de  Sienne,  de  Bologne,  de  Lurques,  et  de  Suisse,  on  offrira  12 
ducats;  à  ceux  de  Gènes,  quoique  sujets,  la  même  chose,  et  cela  à  chaque 
orateur.  Si  les  envoyés  ne  font  que  passer  un  soir  ou  deux,  il  sera  plus  éco- 
nomique dépaver  leurs  dépenses  (Règlement  de  1468,  publié  dans  l'Archo 
star*  lombardo.  1890.  p.  149). 

1  Le  jour  de  l'audience  publique,  le  pape  fait  donner  à  l'ambassade  alle- 
mande d'énormes  provisions,  qui  étaient  déposées  dans  des  charrettes  sur  la 
table  :  200  corbeilles  de  troment.  100  d'orge,  -200  speltaR,  1S0  mesures  de  vin  ; 
100  torches  de  cire  blanche,  25  paquets  de  chandelles  blanches;  25  échinées  de 
porc.  400  anguilles  assez  grosses,  4  pots  de  caviar,  4  bouteilles  de  malvoisie, 
50  pains  ex  zuccaro,  100  scatulœ  cttriaiidolorum  ex  zuccaro  de  diverses 
sortes,  six  caisses  d'aliments  de  carême  (figues,  raisins  secs,  etc.),  une  caisse 
d'eeufs  de  poisson  secs  (11  avr.  1511.  Frati,  Le  due  spedizioni  militari  di 
Giulio  II.  267).  A  la  prise  de  Bologne,  Jules  II  fait  loger  les  ambassadeurs 
qui  le  suivent  (France,  Allemagne,  Espagne,  Venise,  Florence,  Gènes)  dans 
diverses  maisons  (Id.,  93,  94). 

2  En  1510,  Louis  XII  t'ait  «  sesdespens»  à  l'ambassadeur  extraordinaire 
de  l'empereur  (évoque  de  Gùrck)  et  à  tout  son  train  :  il  le  loge  près  de  lui, au 
château  de  Montils.  au  château  d'Amboise  (Lelt.  de  Louis  XII,  II,  53). 

3  Sanuto.  Spedizione,  651. 
4)  L.  vi,  c.  v. 

.')  Fr.  Foscari  écrit  de  Loches,  le  24  février  1500-1501  (Arch.  de  Venise, 
Dispacci,  I)  :  «  Depuis  ma  lettre  du  1  't,['ami  m'a  lu  un  article  de  sa  commission 


390 


LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 


pas  encore  qu'il  a  été  dupé,  et  il  appelle  Venise  «  sa  belle 
patrie  '.  » 

On  trouverait  d'autres  exemples  d'ambassadeurs  deve- 
nus traîtres  à  leur  mission  par  l'espoir  d'une  rétribution. 
Mais  la  trahison  est  chose  délicate  à  manier  2  et  ne  réussit  pas 


par  lequel  Accurse  le  charge  de  dire  au  roi  qu'il  a  sondé  par  tous  les  moyens 
vos  pensées,  et  qu'il  les  a  trouvées  nettes  et  très  constantes  dans  leur  foi  et 
leur  dévouement  ;  qu'il  faut  envoyer  des  forces  suffisantes  pour  vaincre  avec 
Venise,  sans  le  secours  de  l'Espagne.  Il  rappelle  au  roi  la  dime,  toutes  les 
lettres  qu'il  a  élé  chargé  de  communiquer,  etc.  Impossible  de  dire  mieux. 
Il  promet,  par  contre,  votre  appui  pour  Naples.  Il  insiste  sur  la  nécessité  de 
se  passer  de  l'Espagne.  L'ami  rend  de  vous  très  chaleureux  témoignage, mais 
il  n'a  pu  voir  le  roi  qu'une  fois.  Il  a  mieux  vu  Ligny  et  le  cardinal  d'Amboise, 
qui  lui  ont  défendu  de  parler  de  Mantoue  et  de  Constantin.  Pour  Mantoue, 
c'est  Ligny.  Accurse  compte  que,  quand  l'armée  française  sera  arrivée,  vous 
le  ferez  chevalier,  avec  un  présent  de  «  una  vesta  de  restagno  ».  Ses  lettres 
ont  grand  crédit  ici  et  ont  produit  le  meilleur  effet.  Il  compte  faire  venir 
sa  femme  à  Venise  et  y  rester  longtemps. 

1)  Le  secrétaire  J.  B.  «  Palmarius  »  écrit  de  Blois,  le  20  mai  1501,  en  subs- 
tance :  &  Accurse  me  force  presque  à  vous  écrire,  par  dévouement  pour  vous, 
que,  si  le  roi  des  Romains  réussit  à  coaliser  l'envie  des  princes  chrétiens1 
contre  vous,  ce  pourra  être  une  ruine  et  un  grand  scandale.  Recule/,  pour 
mieux  sauter,  dit-il.  Liez-vous  avec  l'empereur  :  alors  «  toutes  ces  puissances 
barbares»  ne  resteront  pas  sbiyottite,el  surtout  cette  couronne  (de  France)  vien- 
dra «la  coreza  »  en  main  ;  le  pape,  toutau  désir  d'agrandir  et  d'affermir  l'état 
de  son  nipote  et  des  siens,  vous  laissera  toute  l'Italie  ;  il  serait,  dit-il,  facile 
de  le  prendre.  Accurse  offre  de  s'en  charger  et  d'aller  à  Rome,  comme  sujet 
du  pape  (Accurse  était  seigneur  d'Oppède,  dans  le  Comtat  Venaissin),  pra- 
tiquer cela.  On  pourrait  aussi  se  servir  du  duc  de  Lorraine,  qui  est  tout 
au  pape,  par  son  orateur  pour  l'obédience.  «  Moi,  dit-il,  six  jours  après 
l'arrivée  ici  de  messer  Franc.  Morcsini,  je  prendrai  poliment  congé  du  roi, 
et  j'irai  assettar  mes  affaires,  en  attendant  la  commission  de  la  Seigneurie, 
car  mon  intention  est  de  vendre  ici  le  meilleur  de  mes  biens  et  de  me  trans- 
porter, moi  et  ma  famille  et  ma  fortune  en  espèces,  «  in  questa  inclyta  pa- 
tria  »  (Venise),  ne  doutant  point  que,  pour  mon  dévouement  présent  et  passé, 
on  ne  me  donne  une  petite  maison  où  me  retirer  ».  Il  aspire  à  la  noblesse 
(Dispacci,  I). 

1)  Philippe  de  Savoie,  comte  de  Bresse,  chargé  d'une  mission  contre  Mi- 
lan et  la  Savoie  par  Louis  XI,  envoie  un  agent  communiquer  à  la  duchesse  de 
Savoie  les  instructions  du  roi,  pour  rentrer  en  grâce  près  d'elle  et  se  faire 
payer  ce  service  (avril  14T8,  Uiiigins  la  Sarraz,  Dépêches  des  ambassadeurs 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  391 

toujours  '.  Oll  acheté  un  ambassadeur  plus  ou  moins  formel- 
lement, en  lui  donnant  de  la  main  à  la  main  des  sommes 
dai^ent  sous  un  prétexte  quelconque,  avec  beaucoup  de  bon- 
nes paroles',  61  èîl  l'expédiant  ainsi  •  j  ou  bien  on  le  débau- 
ohe  formellement,  en  le  prenant  à  son  service*,  en  lui  attri- 
buant une  pension  B,  ou  bien  on  lui  fait  un  versement  après 
réussite  *. 

milanais,  I,  91)  ;  celte  proposition  est  mal  accueillie.  On  croit  que  le  comte 
de  Bresse  veut  seulement  se  mettre  aux  enchères  (/</.,  144). 

I  :  In  ambassadeur  qui  a  une  trùs  grande  situation  à  Florence,  Pierre 
Capponi,  informe  Pierre  de  Médicis  qu'on  lui  a  offert  en  France  des  hommes 
et  de  l'argent  pour  susciter  une  révolution  (1494.  Desjardins,  Négociations.., 
1,291,373). 

-  En  14(39,  Louis  XI  corrompt  le  principal  conseiller  du  duc  de  Guyenne, 
et  ce  duc  corrompt  Balue,  envoyé  français  (Commines,  1.  n,  c.  xv).  Le  duc 
d'Orléans  donne  à  l'ambassadeur  d'Allemagne  une  houppelande  de  velours 
noir. et  à  un  écuyer  de  sa  suite  une  houppelande  do  damas  noir  (1398.  Circourt 
et  van  Wervecke,  Documents  luxembourgeois,  n°  30).  Il  donne,  en  outre,  au 
premier,  300  livres,  au  second  112  liv.  ;  à  un  gentilhomme  de  l'ambassade. 
300  liv.  environ,  et  au  chevaucheur  13  liv.  10  sous  (ld.,  24.  Cf.  n<>«  71,  36). 
3)  En  147.'i.  un  héraut  anglais,  nommé  Jarretière,  né  en  Normandie. 
apporte  à  Louis  XI  une  lettre  de  défi  du  roi  d'Angleterre.  On  se  demandait 
ce  que  ferait  le  roi.  Il  reçut  le  héraut  en  particulier,  lui  tintde  beaux  discours, 
lui  donna  de  la  main  à  la  main  trois  cents  éeus,  lui  en  promit  mille  en  cas 
de  paix,  et  lui  lit  remettre  puhliquementunc  belle  pièce  de  velours  cramoisi, 
de  trente  aunes.  Le  héraut  promit  de  s'entremettre  ;  il  proposa  l'envoi  d'un 
héraut  français  pour  demander  un  sauf  conduit  pour  des  ambassadeurs,  et  se 
chargea  de  le  piloter.  Le  roi  le  fit  entourer,  de  manière  qu'il  partit  sans  par- 
ler à  personne  (Commines,  1.  iv,  c.  v). 

il  Louis  XI  prend  à  son  service  l'envoyé  de  Xaples  Taquin  (fr  3884,  fo« 
8,  8  v°)  ;  Anne  de  Beaujeu,  les  envoyés  bretons  en  1484. 

5)  Arch.  du  Min.  des  al)',  étrangères,  Gènes,  1,  fo  7"2  v».  Décision  du 
conseil  des  Dix,  de  payer  à  Ali  bey,  orateur  du  Grand  Turc  à  Venise,  une 
pension  de  200  ducats,  pour  l'entretenir  dans  ses  bonnes  dispositions.  Très 
secret  (14  février  1514.  Arch.  de  Venise).  Hubert  d'Autel,  envoyé  de  l'empe- 
reur au  duc  d'Orléans,  prête  hommage  au  duc  moyennant  500  liv.  de  pen- 
sion, envers  el  contre  tous,  sauf  ses  maitres  :  l'empereur  et  le  marquis  de  Mo- 
ravie  K.  57.  91). 

(ii  Le  comte  de  Dunois  promet  4.000  écus  à  Philippe  de  Vère,  30.000  au 
comte  de  Nassau,  tous  deux  ambassadeurs  du  roi  des  Romains,  si  le  roi 
obtient  de  Charles  VIII  la  libération  du  duc  d'Orléans  (Pélicier,  Essai  sur  le 
gouvernement  de  la  dame  de  Beaujeu,  p.  178). 


392  LA    DIPLOMATIE   AU    TEMPS    DE   MACHIAVEL 

Les  ambassades  nombreuses  constituent  contre  cet  incon- 
vénient un  préservatif  parfois  insuffisant  '.  Du  reste,  il  ne 
parait  pas  excessif  à  certains  ambassadeurs  de  réclamer  une 
somme  d'argent  à  un  tiers  que  leur  mission  les  a  appelés  à 
servir  \ 

Il  arrive  que  des  ambassadeurs  ne  se  font  point  scrupule 
d'utiliser  leur  situation  pour  leur  profit  personnel.  C'est  un 
abus  qui  a  toujours  existé,  et  que  l'on  prohibe  ancienne- 
ment3 ;  un  ordre  du  31  décembre  1512,  de  la  seigneurie  de 
Gênes,  défend  encore  officiellement  aux  ambassadeurs  de 
faire  aucune  demande  personnelle  dans  le  pays  où  ils  sont 
accrédités  4. 

1)  En  1477,  Louis  XI  gagne  les  ambassadeurs  de  Marie  de  Bourgogne, 
tous  fort  grands  seigneurs.  Charles  VIII  envoie  à  Ludovic  Sforza,  en  1492, 
une  ambassade  solennelle  et  nombreuse,  comprenant  Beraud  Stuart  d'Aubi- 
gny,  écossais,  chambellan,  Charles  de  la  Vcrnade,  maître  des  requêtes  :  deux 
italiens  au  service  du  roi,  Théodore  Gaynier  de  Favie,  médecin,  et  Jean  Roux 
de  Visques,  chambellan:  enfin,  le  secrétaire  du  roi  Jacques  Dodieu.  Malgré 
ce  nombre,  l'ambassade,  un  peu  inférieure  comme  qualité,  se  laissa  acheter 
par  le  gouvernement  milanais,  surtout  son  chef;  Charles  VIII  refusa  pendant 
plus  d'un  an  de  ratifier  ses  actes  (Delaborde,  Expêdon  de  Charles  VIII,  p. 
223).  Cependant,  après  leur  départ  de  Milan,  les  ambassadeurs,  à  qui  on 
avait  eu  soin  de  montrer  le  trésor  ducal,  se  plaignirent  très  haut  de  n'avoir 
reçu  que  des  présents  infimes,  et  se  moquèrent  de  Ludovic  Sforza.  Ludovic 
l'apprit  et  s*cn  montra  touché,  il  redoubla  de  protestations  près  de  la  France 
(W.,p.  229). 

2)  Albert  de  Carpi  se  fait  donner  par  Jules  II  confirmation  d'une  conces- 
sion de  domaine  sur  la  manseépiscopalc  de  Reggio  (19  juillet  1510.  Archives 
du  Vatican). 

3)  Un  décret  vénitien  du  14  juin  1238,  renouvelé  le  30  août  1483,  inter- 
dit à  tout  ambassadeur,  spécialement  à  Rome,  de  solliciter  ou  d'accepter  quo 
que  ce  soit,  ni  pour  lui  ni  pour  autrui  (Reuniont,  Diplomazia  italiana,  227). 
Ce  décret  fut  renouvelé  en  1505  (Sanuto,  VI.  140).  Un  décret  du  duc  de  Milan, 
du  8  janvier  1397,  constate  que  ses  «  ambasciatores,  nuncii  et  procuratores  » 
préfèrent  souvent  leurs  propres  intérêts  à  ceux  de  l'État,  et  leur  interdit  for- 
mellement de  rien  solliciter,  bénéfices,  privilèges  ni  lettres,  pour  eux,  leurs 
fils,  frères,  neveux,  parents,  ni  pour  personne  (Ântiqua  Ducum  Mediolani  Dé- 
créta, Milan,  1654,  in-f°,  p.  216), 

4)  En  1452,  le  duc  de  Bourgogne  donne  6.000  reydders  d'or  aux  ambassa- 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  393 

En  principe,  an  ambassadeur  ne  doit  traiter,  non  pins,  au- 
cune affaire  privée  qui  le  détourne  de  sa  mission.  S'il  est  avo- 
cat, médecin il  no  peut  donner  que  des    conseils   gratuits, 

à  titre  amical1.  Cependant,  on  voit  des  ambassadeurs  profiter 
de  leur  voyage  pour  se  livrer  à  quelques  opérations  commer- 
ciales :  apporter  un  lot  de  fourrures  à  vendre  ',  acheter  des 
curiosités  ou  des  bijoux,  obtenir  l'autorisation  nécessaire  pour 
créer  une  banque  \  Un  national  surtout,  renvoyé  dans  son 
propre  [>a\s  comme  ambassadeur  étranger,  trouve  bien  des 
occasions  de  soigner  ses  intérêts*.  On  n'admet  guère, pour  un 


deurs  français  médiateurs  entre  lui  et  les  Gaulois  (Barante.  llist.  des  ducs  de 
Bourgogne,  VIII.  408).  En  1449,  à  la  prise  de  Rouen,  Somerset  paie  6.000  sa- 
ints aux  négociateurs  (Chronique  de  Math.  d'Escouchy,  III,  360).  Ordre  du  con- 
seil des  Dix  de  Venise  à  l'orateur  à  Rome,  de  donner,  de  la  main  à  la  main, 
soins  ciun  solo,  mille  ducats  h  l'ambassadeur  d'Espagne,  avec  de  bonnes  pa- 
roles, tout  en  rappelant  que  la  trêve  conclue  par  lui  n'a  pas  réussi,  «  car  l'em- 
pereur y  a  t'ait  deux  notables  changements  :  I»  il  a  accru  les  10.000  ducats  ; 
■2o  il  a  libère  les  prisonniers,  dont  nous  avions  taxe  d'égale  valeur.  Néanmoins, 
il  a  montré  son  attachement  pour  nous  :  lui  dire  que  s'il  vient  à  Venise,  on  le 
recevra  avec  honneur  »,  etc.  (11  juin  lol2.  Arch.  de  Venise,1. 

I;  Martini  Laudensis,  De  legatis,  q.  35. 

2)  Les  orateurs  de  Russie  près  de  Maximilien  et  à  Venise  envoient  d'avance 
quantité  de  fourrures  de  prix,  d'une  valeur  de  quelques  mille  ducats  (1499. 
Sanuto,  III,  49,  etc.). 

.'!)  Laurent  de  Médicis,  placé  à  la  tète  de  l'ambassade  florentine  qui  allait 
porter  l'obédience  à  Sixte  IV,  demande  pour  son  frère  le  chapeau  de  cardinal, 
obtient  pour  lui-même  le  droit  d'ouvrir  à  Rome  une  banque,  avec  le  titre  de 
trésorier  du  Saint  Siège,  et  deux  bustes  en  marbre  d'Auguste  et  d'Agrippa.  Il 
acheta  aussi  une  foule  d'objets  d'art.  Le  chef  de  sa  nouvelle  banque  de  Rome 
ne  tarda  pas  à  acquérir  les  joyaux  du  dernier  pape  et  les  revendit  à  gros  bé- 
néfices à  divers  souverains  (Roscoë,  Vie  de  Laurent  de  Médicis,   I,  173). 

il  Pat.de  Charles  VI,  autorisant  l'archevêque  de  Rouen, Guill.  de  Lcstrange 
(ambassadeur  du  pape),  à  amortir  200  1.  p.,  en  considération  de  services  (20 
novembre  1379.  Inventaire....  des  biens  de  Guill.  de  Lestrange,  Paris,  1888, 
i»,  p.  156-157  .  L'amiral  de  Montauban,  breton,  ambassadeur  de  Louis  XI  en 
Bretagne,  obtient  du  duc  de  Bretagne  un  louage  important  (Bibl.  de  Nantes, 
ms.  1807.  p.  610-613).  Un  décret  vénitien  du  XIII*  siècle  interdit  d'aller  en 
ambassade  dans  un  pays  où  l'on  a  des  intérêts'personnels  (Nys,  Les  origines 
de  la  diplomatie,  p.  9). 


394  LA    DIPLOMATIE    AU   TEMPS    DE    MACHIAVEL 

ambassadeur,  qu'une  demande  de  bénéfices  ecclésiastiques  ; 
elle  réussit  ou  ne  réussit  pas,  mais  on  ne  semble  point  s'en 
étonner1. 

Le  poste  de  Rome  est  renommé,  entre  tous,  pour  ses  tenta- 
tions. Le  jurisconsulte  Angélus3  professe  qu'un  ambassa- 
deur qui  sollicite  àRome  un  bénéfice  pour  son  frère  ne  mérite 
aucun  blâme,  mais  les  gouvernements  se  montrent  moins 
optimistes.  Un  agent  envoyé  à  Rome  sous  Louis  XII,  sous- 
crit le  curieux  engagement  que  voici  : 

«  Je,  Antoine  Gymel,  procureur  et  ambassadeur  pour  le 
Roy  en  Cour  de  Homme,  ay  promis  et  promets  au  Roy,  mon 
souverain  seigneur,  que,  durant  le  temps  qu'il  luy  plaira  que 
je  tienne,  exerce  et  le  serve  en  restai,  cbarge  et  office  de  son 
procureur  et  ambassadeur  à  Romme,  je  ne  prendray,  ne 
feray  prendre  directement  ne  indirectement  de  Nc  Saint  Père, 
de  nul  de  Mess"  les  cardinaux  du  Saint  Siège,  ne  pareille- 
ment de  nuls  ambassadeurs  de  princes,  ne  potentats  d'Italie, 
ne  d'autres  personnes  quelles  qu'elles  soyent,  en  quelque  ma- 
nière, ne  pour  quelconque  cause,  couleur  ou  occasion  que  ce 
soit,  aucuns  bénéfices,  dons  d'argent,  de  vaisselle,  de  bagues, 
ne  d'autres  choses  quelles  qu'elles  soyent,  ni  d'icelles  feray 
aucune  poursuite,  fors  de  l'évesché  de  Tulles,  qu'il  a  pieu  au- 
dict  seigneur  réserver  à  mon  frère,  et  en  sa  faveur  en  escrire 
à  Y  dict  Saint  Père  le  Pape.  Et  s'il  est  trouvé  que  je  le  face 
ou  face  faire,  je  veuil  et  consens  que  ledict  seigneur  me  face 
trancher  la  teste  comme  lasche  et  meschant    En  tesmoin  de 


1)  29  janvier  l.'iOt.  L'ambassadeur  de  France  vient  au  conseil,  fort  en  co- 
lère, à  propos  d'un  prieuré  de  Zara  qu'il  demandait  inutilement  pour  un  prêtre 
de  sa  suite  On  lui  communique  des  nouvelles,  mais  il  part  sbufanao  (Sa- 
uuto,  III,  1354).  L'évéquc  deMelli,  ambassadeur  du  pape  en  France,  est  fait 

arebuvèque  d'Arles  (Id.,  298). 
'2)  Cité  par  Marlinus  Laudensis. 


MOYENS    DACTION    DIPLOMATIQUES  395 

re.  j'ay    signé  ces  présente^  de    ma    main.     A    Mois,    lo    Bëi- 
zicsmcjour  de  mars,  l'an  mille  cinii  cents  cl  cinq. 

Sigiiê  :  Gymél  '.  » 
Sans  recourir  à  L'argent  en  numéraire  a,  la  cour  de  Home 
possède  bien  des  manières  de  plaire  a  un  ambassadeur  ;  con- 
cessions de  faveurs  spirituelles,  d'indulgences:  concessions  ou 
affirmations  de  droits  personnels  de  patronage  pour  un  laïque8; 
nominations  ili>  notaire  apostolique  ou  dans  la  pfélatùre  pour 
un  ecclésiastique  \  Nous  no   parlons  que   pour    mémoire  du 

I)  Uss.  IV.  2831,  f°88:  fr.  3911,  1;  Dupuy  88. 

$  Protestation,  en  latin,  en  consistoire,  par  Nicolas  V.  que  Jacques  Cœur, 
qui  vient  d'arriver  à  Home  a  été  faussement  accusé  d'avoir  reçu  de  l'ar- 
gent et  jusqu'à  100,000  ducats  (Publ.  Quicheràtj  Th.  Bazin.  IV.  347). 

3)  Approbation  du  droit  de  présentation,  pour  Roger  de  Gramont  et  sa 
femme  Èléonore  de  Béarn,  en  récompense  de  leur  sincère  affection  envers 
l'Eglise,  et  sur  leur  demande  exposant  que.  de  temps  immémorial,  ils  ont  eu 
le  temps  de  percevoir,  en  cas  de  vacance,  les  dîmes,  et  de  présenter  aux 
cures  un  personnage  idoneum,  dans  les  seigneuries  de  Gramont,  Bidache, 
mx  autres,  aux  diocèses  de  Dâx,  Lescar  et  Oloron,  et  même  dans  qua- 
torze autres  églises  de  villages,  dont  ils  ue  sont  point  seigneurs:  consi- 
dérant que  Gramont  est  conseiller  et  chambellan  de  Louis  XII,  maire,  capi- 
taine et  gouverneur  de  Bayonne,  et  orateur  du  roi  ajmd  nos,  le  bref  con- 
firme et  approuve  (oct.  idus  febr.  1501.  Arcb.  du  Vatican,  reg.  Vatican. 
868,  f"  94). 

1)  Guy  Pape,  conseiller  au  conseil  delphihal,  ambassadeur  d'obédience 
pour  le  dauphin,  est  nommé  par  Nicolas  V  notaire  apostolique  (1447  Lêtt. 
de  Louis  XL  I.  -211)'.  Dispense  pour  cumul  de  bénéfices  à  Thomas  Pascal, 
clerc  de  Clermont  (1494,  5  kal.  mart.  Archives  du  Vatican,  reg.  Vatican  871, 
fo  353).  Au  même,  conseiller  au  parlement  de  Paris,  archidiacre  cl  orateur 
du  roi  de  France,  concession  des  titres  et  privilèges  de  notaire  apostolique 
(Ibid.,  non.  febr.  1503).  Bref  à  maître  Guill.  Bongtiier,  diacre  du  diocèse 
d'Orléans,  licencié  en  décret,  «  notre  notaire  et  familiarit  ».  abréviateur  dej 
lettres  apostoliques,  maître  es  arts,  oralur  et  prucurulor  generalis  de 
Charles  VIII,  lui  donnant  le  droit,  dans  le  délai  d'un  mois,  de  choisir  le  bé- 
néfice ou  prébende  qui  lui  plaira,  dans  un  délai  de  six  jours  de  la  vacance 
(non.  sept.  l'i'.tT.  Arch.  du  Vatican,  reg.  Vatican  8";!.  I'<»  171).  Concession 
du  pronotariat  à  l'ambassadeur  de  Lilhuanio.  visée  ci-dessus.  Le  jour  de 
Saint  Jeart  êvâhgélisle,  1805*  le  pape  crée  quatre  prélats  assistants,  dont  un 
ambassadeurs  impériaux  (Paris  de  Grassis,  lat.  5164,  f°  27.S  v°).  Jules 
II  crée   l'archevêque  d'Embrun,  ambassadeur  de  France,  prélat  assistant 


396  LA  DIPLOMATIE   AU    TEMPS   DE   MACHIAVEL 

chapeau  de  cardinal,  si  violemment  recherché,  et  qui  s'ob- 
tient mieux  à  Rome  qu'ailleurs  :  Villicrs  de  la  Groslaic,  sous 
Charles  VIII,  Robert  Guibé,  sous  Louis XII,  y  arrivent  comme 
ambassadeurs  '. 

L'évêque  de  Gûrck,  envoyé  près  du  pape  en  1511,  écrit 
qu'où  lui  a  offert  tout  ce  qu'il  était  possible,  cardinalat,  bé- 
néfices, argent  comptant,  revenus  sous  une  forme  ou  sous 
une  autre...,  qu'il  a  tout  repoussé  pour  rester  fidèle  à  l'em- 
pereur et  à  l'union  avec  la  France  2.  Ce  refus  du  chapeau 
produit  un  grand  effet.  Le  chancelier  de  France  déclare  le 
prélat  «  bien  vertueux  3.  » 

La  rigueur  des  principes  ne  va  pas  jusqu'à  interdire  à  l'am- 
bassadeur de  recevoir  aucun  cadeau  *  ;  il  peut,  au  contraire, 
en  recevoir,  et  d'ordinaire  il  en  reçoit,  nous  dirons  comment. 
Il  peut  même  se  vanter  d'un  petit  cadeau,  de  pure  gracieuseté, 
comme  d'une  marque  de  faveur  5.  Un  ambassadeur  correct 
n'accepte  un  présent  quelconque  que  lorsque  sa  mission  est 

(1506.  Frati,  Le  due  spcdiziont  militari  di  Giulio  II,  105).  Le  pape  crée  un 
docteur  es  arts,  en  chapelle,  sur  les  certificats  fournis  par  des  cardinaux  et 
par  l'ambassadeur  de  Venise  (1503.  Paris  de  Grassis,  lat.  5164,  f»  360). 

1)  Guibé,  évêque  de  Redon,  ambassadeur  de  France,  est  fait  cardinal  par 
le  pape  (1507.  Diarium,  III,  488).  A  Rome,  le  moindre  envoyé  est  assimilé 
aux  gradués  quant  à  la  jouissance  des  expectatives  (1).  E.  von  Ottcnthal,  Die 
pdpstlicheu  Kan-Jeiregeln  von  Iohannes  XXII  bis  Nieolaus  V,  p.  165,  n.  19 
(Regulœ  Alexandri  V). 

2)  Lett.  de  Louis  XII,  II,  107. 

3)  Lelt.  de  Lous  XII,  II,  182.  «  Cet  ambassadeur  a  du  mérite  à  être  ferme 
et  intègre,  dit  Sanuto  :  s'il  avait  voulu  céder  au  pape,  il  aurait  pu  avoir  le 
chapeau  rouge,  la  légation  d'Allemagne,  le  patriarchat  d'Aquilée,  10,000  du- 
cats de  revenu  »  (XII ,  148). 

4)  Il  peut  recevoir  des  cadeaux  de  villes  ou  de  gouvernements  (Martini 
Laudensis,  De  legatis,  q.  35).- 

5)  Le  jour  des  Rameaux  1505,  Jules  II,  outre  la  distribution  babituelle  de 
palmes  bénites  aux  ambassadeurs,  donne  au  second  ambassadeur  dePologne 
une  très  belle  palme  artistiquement  travaillée  et  ornée  de  ses  armes,  présent 
d'un  couvent  (Disp.  de  Giustiniau,  III,  454).  Machiavel,  ambassadeur  à  Ve- 
nise, écrit  avec  ostentation  que  le  pape  lui  a  donné  100  ducats  (Artaud,  Ma- 
chiavel, II,  203-204). 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  397 

complètement  terminée  '.  «  On  ne  doit,  dit  un  juriscon- 
sulte, accepter  de  présents  que  le  pied  a  l'étrier  s.  »  La 
seigneurie  de  Venise  oll're  aux  oratori  de  Crémone,  à 
leur  choix,  la  chevalerie,  ou  un  habit  de  velours  pour  chacun 
et  un  habil  d'or  pour  l'un  d'eux.  Les  ambassadeurs  déclarent 
ne  pouvoir  rien  accepter  avant  que  leur  ambassade  soit  expé- 
diée, ni  sans  autorisation  de  leur  gouvernement  ;  autrement, 
disent-ils,  à  Crémone  on  nous  accuserait  de  nous  faire  faire 
chevaliers  et  de  négliger  notre  commission  \ 

Cependant,  on  peut,  a  la  rigueur,  accepter  la  chevalerie, 
ou  le  don  d'une  chaîne  d'or  *.  Un  procédé  irréprochable, 
assez  adroit  et  qui  ne  coûte  rien,  consiste  à  appuyer  l'am- 
bassadeur pour  une  récompense  auprès  de  son  souverain 
lui-même  ;  mais  ce  procédé  n'est  guère  de  mise  qu'avec 
Rome  \ 

Enfin,  il  y  a  un  moyen  traditionnel  de  faciliter  les  négocia- 
tions :  c'est  d'entourer  l'ambassadeur  jusqu'à  l'achèvement  de 
son  mandat,  de  l'entretenir  par  des  grands  dîners,  des  fêtes, 
des  représentations  de  gala6.  Le  souverain  et  les  principaux 

t)  D'après  l'historien  espagnol  Ribera,  cité  par  Amelol  de  la  Houssaie 
(Discours  historique  sur  les  traitez,  p.  57),  un  ambassadeur  d'Espagne  près 
de  Charles  VIII  refusa  un  cadeau  de  vaisselle  d'argent.  Le  roi  en  ayant  paru 
choqué,  l'ambassadeur  allégua  qu'en  Espagne  on  ne  pouvait  rien  recevoir 
qu'après  une  heureuse  conclusion. 

•2)  Hotman,  Traitté  de  l'ambassadeur,  II,  §  30. 

3)  1499.  Sanuto,  III,  45. 

i  i  Le  31  décembre  1503,  à  l'issue  île  la  messe,  Jules  II  crée  chevalier  de 
Saint  Pierre  l'ambassadeur  de  Lucques,  et  lui  donne  une  grosse  chaîne, 
d'une  valeur  d'environ  300  ducats  (Burckard,  Diarium,  III,  325). 

'■>  Adrien  Castel  reçoit  d'Henri  VU,  comme  envoyé  du  pape,  Pévêché 
d'Hertford,  d'après  Reumont  (Diplomazia  italiana,  p.  227),  Louis  XI  envoie 
à  Rome  un  ambassadeur  demander  le  chapeau  de  cardinal  pour  le  «  légat 
qui  est  par  deçà  »  (1468.  Letl.  de  Louis  XI,  III,  193). 

6)  Amuser  un  ambassadeur,  s'appelle  l'entretenir  :  «  M.  de  Marseille  et 
M.  de  Soliers  mi  (à  Louis  XII)  scrivono  da  Roma  che  il  Papa  intrattiene  gli 
Spagnuoli.  e  giudica  che  sia  bene  che  io  ancora  l'acci  il  medesimo  »'  (1514. 


398  LA    DIPLOMATIE    AU    TEMPS    DE    MACHIAVEL 

personnages  de.  la  cour  se  chargent  de  ce  soin  '.  On  y  excelle 
surtout  en  Espagne;  c'est  là  que  les  ambassadeurs  trouvenl 
la  cour  la  plus  brillante  et  la  plus  aimable.  Tant  que  dure 
une  négociation  amicale,  ce  ne  sont  que  fêtes  somptueuses, 
beaux  offices,  danses  pleines  d'entrain,  courses  de  taureaux, 
joutes  où  figurent  les  hérauts  de  l'ambassade.  Il  y  a  un  ex- 
trême déploiement  de  luxe.  Les  ambassadeurs  assistent  à  ces 
fêtes  près  du  roi,  ou  dans  la  tribune  royale.  «  On  parle  de 
l'onnc[u]r  que  en  l'aii  es  enbassadeurs  en  Angleterre,  dit  le 
héraul  anglais  Maehado;  certes,  ce  n'est  pas  à  comparer  à  l'on- 

Desjardins,  Négociations,  II,  646).  Louis  Xll  emmène  à  lâchasse  l'évoque 
de  Gûrck  :  il  lui  envoie  le  gibier,  c'est-à-dire  deux  sangliers  et  un  chevreuil 
(1510.  Le  Glay.  Négociations,  I,  366).  On  montre  à  l'ambassadeur  vénitien, 
au  Caire,  en  1542,  les  curiosités  locales  :  des  animaux  rares  (Gh.  Sehefcr, 
Le  VQyatje  d'oui  renier,  p.  194),  des  crocodiles,  etc.  (p.  197),  on  lui  donne  une 
escorte  pour  visiter  les  lieux  célèbres  (p.  201).  Au  congrès  d'Arras,  en  I  i3o, 
on  déploie  un  faste  extraordinaire  :  c'est  une  suite  de  diners,  de  conférences 
el  de  cérémonies  religieuses,  en  rapport  avec  l'importance  exceptionnelle  de 
la  réunion  (Journal  de  la  /inix  d'Arras,  fuite  en  l'abbaye  royale  de  sainrt 
Vaast,  rec.  par  dom  Antoine  de  la  Taverne,  publ.  par  Jean  Collart,  Paris, 
1651,  in-16»). 

1)  A  l'entrée  d'André  de  Burgo,  envoyé  de  Maximilien  en  Angleterre, 
Silvestre  de  Giglis,  évèque  de  Worcester,  les  lords  Brandon  et  Poyntz  vont 
au  devant  de  lui,  avec  l'ambassadeur  de  Flandre  (1508.  Bernardi  Andrex, 
Annales  Henrici  VIII,  p.  122).  Dix  jours  après,  André  de  Burgo  dine  chez 
l'ambassadeur  de  Flandre  ;  Bernard  André  lui  offre  des  dysliques  latins  en 
son  honneur,  qui  se  terminent  ainsi  :  «  Andréas  ergo  supernus  erit  »  (Ibid., 
p.  124).  Une  ambassade  d'Angleterre  en  llainaut,  en  1337,  composée  de 
cinq  membres,  se  loge  à  Valeneiennes  dans  trois  hôtels  différents.  Elle  at- 
tend une  réponse  pendant  quatre  jours,  qui  sont  consacrés  à  des  fêles,  diners 
et  réceptions  (Chroni'j.  de  Froissarl,  I,  3(ii-365).  Le  duc  de  Bourgogne 
donne  à  Paris,  en  1399,  un  grand  diner  aux  ambassadeurs  vénitiens  (Ga- 
chard,  Rapport  sur  les  archives  de  Dijon,  p.  201).  L'ambassadeur  de  Flandre 
et  son  frère  dinent  à  Londres  chez  le  seigneur  de  S1  John  (18  liévr.  1508. 
Bernardi  Andrew,  Annales  Henrici  VII,  éd.  by  Gairdncr,  p.  109).  Le  maré- 
chal de  Ricux  garde  à  diner  et  à  souper  l'ambassade  d'Angleterre  deux 
jours  de  suite,  jusqu'à  son  expédition  (ii'.)O.  Hist.  régis  Henrici  septimi, 
p.  205-206).  En  Portugal,  après  l'audience  de  créance,  les  ambassadeurs 
sont  assaillis  de  grands  diners  et  de  distractions  (Gairdner,  liisloria  régis 
Henrici  septimi,  192  et  s.),  etc. 


MOYENS    D'ACTION    DIPLOMATIQUES  399 

ncur  que  onfait  aulx  enbassadeurs  au  royaulme  do  Castille.  » 
La  coui'  d'Espagne  est  classique  pour  le  luxe  el  L'apparat1. 
Enfin,  un  souverain  possède  mille  moyens  mondains  de 
flatter  un  ambassadeur:  par  exemple,  le  prendre  pour  parrain 
de  son  fds  *,  le  garder  à  dîner  '... 

1)  Gairdner,  p.  17.';  et  suiv. 

2)EmanueI  de  Portugal,  le  7  novembre  l.'iOl,  choisit  pour  parrain  de 
son  fils  l'ambassadeur  vénitien,  reçu  le  20  août  (Heyd,  Hisl.  du  commerce 
dans  le  Levant,  trad«n  Furcy-Raynaud,  II,  p.  ri  1 G ) . 

3)  L'empereur  reçoit  à  table  l'ambassadeur  de  sa  fille,  ouvre  de  suite  les 
lettres  et  le  force  à  dîner  avec  lui.  «  Vous  estes  ambassadeur  de  ma  tille, 
je  vueilz  que  vous  digne/,  aveemoy  :  »  —  «  Je  m'en  excusay  et  luy  diz  qu'il 
ne  falloit  point  d'ambassadeurs  entre  Sa  Magestéel  vous,  que  VOz  serviteurs 
estoient  les  syens.  Ce  nonobstant,  il  m'ordonna  de  seoir  a  sa  table,  dont  je 
vous  mercie.  Madame,  très  humblement  de  l'honneur  qu'il  m'a  fait  pour  l'a- 
mour de  vous  »  (loi:?.  Le  Glay,  Xégocialions,  I,  534). 


TABLE  DES  MATIÈRES 


LIVRE  II 

DES    MISSIONS. 
(Suite) 

Pagea. 

CHAPITRE  IV.  —  Traitements  des  ambassadeurs. 

Plaintes  perpétuelles  à  ce  sujet  

Règles  juridiques  du  traitement ii 

Privilèges  financiers 2 

Taxation  préalable 3 

Versement  d'un  acompte 3 

Paiement  habituel,  à  la  journée 5 

Taux  divers  5 

Frais  de  voyage 6 

Modes  de  paiement 7 

Paiements  sur  mémoires 9 

Valeur  relative  des  traitements 10 

Profits  indirects 12 

Profits  connexes 14 

Traitements  des  diplomaties  secondaires 17 

Insuffisance  des  traitements 19 

Difficultés  qui  en  résultent  pour  les  ambassades 21 

Systèmes  divers  de  traitements  en  Italie 23 

Traitements  à  Venise 24 

Traitements  à  Florence 25 

Plaintes  des  envoyés  italiens 27 

Industries  personnelles  exercées  par  les  ambassadeurs 29 

CHAPITRE  V.  —  Immunités. 

Droit  sacré  de  libre  circulation 31 

Conditions  de  l'immunité 33 

Non  immunité  des  consuls 33 

Immunité  dans  les  pays  intermédiaires 34 

Limites  de  l'immunité 3a 

Fiction  de  l'exterritorialité 37 


402  TABLE    DES    MATIÈRLS 

Réparations  dues,  en  cas  de  violation  de  l'immunité 3 

Cas  où  cesse  le  droit  à  l'immunité 39 

Extension  de  l'immunité  au  personnel  et  aux  choses  de  l'ambassade.  41 

Risques  d'attentat,  et  sanctions  en  cas  d'attentat 43 

Des  saufs-conduits  :  leur  caractère 46 

Leur  utilité  diplomatique 50 

Leur  forme 51 

Des  passeports  ou  lettres  de  passage 53 

Des  lettres  de  recommandation 54 

Des  lettres  de  sauvegarde 56 

Saufs-conduits  accordés  à  des  particuliers  :  leur  utilité 56 

Leur  caractère 57 

Leur  forme 58 

Leur  application 59 

Leur  valeur  juridique 61 

Précautions  de  voyage 63 

Immunités  générales  de  droit  :  1°  immunité  canonique 64 

2<>  Immunité  commerciale 67 

CHAPITRE  VI.  —  Langue  diplomatique. 

Emploi  régulier  du  latin 69 

Emploi  régulier  des  idiomes  nationaux 71 

Avantages  de  la  connaissance  des  langues 71 

Nécessité  du  latin 74 

Emploi  des  interprètes 75 

Refus  du  latin  en  Orient 77 

Drogmans 78 

Usage  du  français  comme  langue  diplomatique 78 

Usage  de  l'espagnol 83 

Prédominance  constante  du  latin  en  Italie 84 

Style  chronologique 84 

CHAPITRE  VIL  —  Pouvoirs  et  créances. 

Pouvoirs.  Leur  caractère  général 86 

1»  Nécessité  de  la  signature  royale 87 

2°  Pouvoirs  par  procuration  ou  par  brevet 89 

Patentes  de  pouvoirs 93 

Leur  étendue 93 

Leur  forme 94 

3»  Spécification  des  pouvoirs 96 

Pouvoirs  utiles 97 

Personnalité  du  pouvoir 99 

Pouvoirs  des  diverses  chancelleries 100 

Caractè:e  public  des  pouvoirs 102 


TABLE    DKS    MATIÈRES  403 

Commissions 1  04 

Absence  de  pouvoirs 105 

Blancs-seines 103 

Patentes  arbitrales 106 

Créances.  Nécessité  absolue  de  leur  production 106 

Leur  définition 106 

Leur  nombre 106 

Leurs  appellations 107 

Leur  style  général 107 

Leur  caractère 107 

Leur  forme 108 

Leur  langue 109 

Créances  à  des  supérieurs 110 

Créances  amicales 112 

Créances  comminatoires 113 

Créances  à  des  intérieurs 113 

Créances  avec  recommandation 114 

Créances  diverses , 115 

Créances  romaines 116 

Créances  d'Orient 117 

CHAPITRE  VIII.  —  Instructions. 

Définition 119 

Valeur  historique  des  instructions 119 

Leur  caractère  général ' 119 

Instructions  montrables.  Leur  emploi  habituel 120 

Communications  à  des  tiers 123 

Communications  ultérieures 124 

Communications  simultanées 124 

Instructions  verbales  ou  non  montrables 125 

1°  Instructions  complémentaires 125 

2«  Instructions  secrètes 128 

Distinctions  entre  les  instructions  montrables  et  les  instructions  non 

montrables 128 

Rédaction  des  instructions 131 

Leur  forme 133 

Stvle  français 133 

Rédactions  anormales. 134 

Minutes 134 

Copies 135 

Dates  des  instructions 135 

.Mémoires  à  l'appui -. 136 

Articles  ou  «  Premier  traité  » 137 

Caractère  temporaire  des  instructions 137 


404  TABLE    DES  MATIÈRES 

Complément  des  instructions  florentines -139 

Instructions  ultérieures 139 

Clauses  habituelles  des  instructions 141 

Compliments 141 

Règles  de  clarté 142 

Instructions  juridiques 143 

Instructions  solennelles 144 

Instructions  onctueuses 144 

Instructions  énergiques 144 

Clause  de  confiance 1 46 

Instructions  françaises 147 

Instructions  anglaises,  allemandes 149 

Instructions  suisses 149 

Instructions  portugaises,  espagnoles 149 

Instructions  vénitiennes 1 50 

Instructions  florentines 150 

Instructions  milanaises 1 52 

Instructions  bolonaises 153 

Instructions  romaines 153 

CHAPITRE  IX.  —  Voyage  et  entrée  des  ambassadeurs. 

Ordre  de  départ 15B 

Formalités  de  départ 156 

Le  voyage.  —  Routes  à  suivre 156 

Repos  du  dimanche 158 

Dangers  matériels  du  voyage 158 

Mésaventures 159 

Réceptions  en  pays  amis 161 

Moyens  de  transport,  hospitalités 161 

Voyage  des  légats 163 

Voyage  du  cardinal-légat  de  Sainte-Praxède 164 

Tenue  et  rôle  de  l'ambassadeur  en  voyage 1 67 

L'arrivée  dans  le  pays.  —  Débarquement  en  Angleterre 168 

Arrivée  des  légats  en  France 168 

Réceptions  à  la  frontière 1 69 

Escortes  d'honneur 170 

Pompe  du  diplomate 171 

Réceptions  dans  les  villes 171 

Nécessité  du  cheval 174 

Arrêt  près  de  la  capitale 174 

L'entrée.  —  Demande  d'audience 175 

Règlement  de  l'entrée 176 

Utilité  du  cérémonial 176 

Fixation  du  jour  d'entrée 178 


TABLE  DKS  MATIÈRES  405 

Cérémonial  classique 178 

Entrées  romaines 179 

Conduites  à  l'ambassadeur 180 

Déploiement  de  l'ambassade 182 

Costume,  bijoux  de  l'ambassadeur 183 

Susceptibilités  de  l'ambassadeur 184 

Formation  du  cortège 185 

Accouplement  des  membres 186 

Incidents  divers i  87 

Entrées  en  Italie  189 

Entrées  en  Orient 190 

Entrées  en  France 190 

Nécessité  de  subir  l'entrée  solennelle 191 

Incognitos 193 

Suppressions  d'entrées 193 

Entrées  dues  et  entrées  non  dues 195 

Entrées  exceptionnelles  ou  princières 196 

Participation  du  souverain 197 

Entrées  de  légats 198 

Rapports  ou  procès-verbaux  d'entrée 201 

CHAPITRE  X.  —  Audiences  de  créance. 

Présentation  au  sou verain.  Premier  devoir  de  l'ambassadeur 202 

Fixation  de  l'audience 203 

Pompe  de  l'ambassadeur 204 

Ses  introducteurs 205 

Son  escorte,  à  Rome 207 

Publicité  de  l'audience  de  créance 207 

Audiences  sans  façon 208 

Restrictions  à  la  publicité 208 

Accueil  du  souverain 209 

Remise  de  la  créance 213 

Cérémonial  romain 215 

Discours  de  créance 2t6 

Son  caractère 217 

Sa  langue 218 

Audition  en  silence 219 

Formule  initiale. 220 

Forme  courte 221 

Forme  pompeuse 222 

Débit 227 

Formules, 228 

Degrés  divers  de  discours  de  créance 229 

Absence  de  discours 231 


406  TABLE    DES  MATIÈRES 

Prestation  de  présents,  en  Orient 232 

Réponse  du  souverain 234 

Jugements  sur  le  discours  de  créance 236 

Impression  et  distribution  du  discours 238 

Circulaires  ou  dépêches  à  ce  sujet 239 

Rapport  de  l'ambassadeur 240 

Fin  de  l'audience 241 

Audiences  de  créance  en  Orient 242 

Refus  d'audience 244 

Secret 245 

Conclusions  de  l'audience  de  créance  :  lo  Réponse  du  chef  de  l'Etat 246 

2o  Audience  secrète 250 

Son  caractère 250 

Sa  forme 251 

3°  Conférence  avec  des  délégués 554 

Choix  des  délégués 254 

4°  Visites  dues,  officielles,  de  courtoisie  ou  d'intérêt 256 

Créances  privées 257 

Forme  des  visites  258 

CHAPITRE  XI.  —  Manière  d'être  et  conduite  des  ambassadeurs. 

Règles  générales  du  rôle  de  l'ambassadeur 261 

lo  Nécessité  de  s'acclimater 262 

2o  Mesures  à  garder  dans  les  rapports  avec  le  pays 263 

Rapports  avec  le  souverain 264 

Assistance  aux  cérémonies  nationales 265 

Règles  diverses  à  cet  égard 268 

Coutumes  vénitiennes - 270 

Coutumes  romaines 272 

Alexandre  VI  et  Jules  II 273 

Fêtes  de  Rome 274 

Cortèges 275 

«  Fonctions  »  diverses 276 

Honneurs  aux  cardinaux 278 

Fêtes  nationales 279 

Cérémonies  d'ensemble 281 

Querelles  de  préséance 283 

Règlement  des  préséances 385 

Complication  des  préséances 288 

3°  Tenue  de  maison 290 

Rapports  avec  les  artistes  et  littérateurs 290 

Commissions  artistiques 292 

4o  Conduite  et  langage 29-t 

Habileté  active.  Règles  du  mensonge 29-* 


TABLE  DES   MATIÈRES  407 

Inutilité  de  la  bonne  foi 295 

Principes  de  marchandage 296 

Nécessité  de  ['apparence  de  franchise 297 

1°  Habitude  du  mensonge 298 

2o  Enveloppe  des  paroles 299 

3<>  Arguments  indispensables 301 

Habileté  passive,    principale  habileté  du  diplomate 302 

Longanimité 302 

Lenteur 303 

Discussion 304 

Sang-  froid 305 

Circonspection 307 

Politesse  et  égards 308 

Absence  de  charlatanisme 308 

Qualités  secondaires 309 

Réserve 309 

Droit  et  devoir  d'adoucir  les  ordres 310 

Patience  à  l'égard  de  son  propre  gouvernement 311 

Provisions  d'échappatoires 313 

Difficultés  spéciales  en  France 313 

Difficultés  hors  de  France 314 

CHAPITRE  XII.  —  Moyens  d'action  diplomatiques. 

Moyens  généraux  extraordinaires.  Débauchage  des  hommes  importants.  317 

Moyens  souterrains  :  assassinat,  incendie,  etc 319 

Moyens  diplomatiques  proprement  dits.  Les  amis 321 

1  o  Amis  par  procédés  de  courtoisie 322 

2°  Amis  par  rattachements  honorifiques 323 

Ordres  et  devises 323 

Leur  principe 324 

Décadence  de  leur  efficacité 326 

Lettres  princières  affectueuses 327 

Concession  des  armoiries 327 

Procédés  romains  :  la  rose  d'or 328 

l'épée  et  le  chapeau 330 

faveurs  spirituelles 331 

don  de  reliques 332 

appel  aux  sentiments 332 

titre  de  gonfalonier 333 

3°  Amis  par  argent 333 

Caractère  usuel  de  cette  amitié 333 

A.  Hommages  liges  :  grandeur  de  cette  branche  de  l'amitié   par 

argent,  au  XIV»  siècle 335 

Son  discrédit 335 

B.  Pensions.  Forme  du  pacte 336 


408  TABLE    DES   MATIÈRES 

Absence  de  contrat 339 

Danger  des  pensions 340 

Précautions  à  prendre 342 

G.  Emploi  irrégulier  de  l'argent.  Son  caractère  pratique 342 

Usages  allemands 342 

Usages  anglais 344 

Usages  français 345 

Modes  de  paiement 347 

Subventions  régulières 347 

Avantages  et  inconvénients 349 

Tarifs 350 

Cade.iux 351 

Envois  de  faucons 352 

Présents  divers  au  prince 354 

Présents  de  convenance  rigoureuse 355 

Règles  du  maniement  de  l'argent 356 

Matière  amicable 356 

Choix  de  l'ami ^ 358 

Utilité  du  bon  ami 360 

Services  de  l'ami 361 

Négociations  par  l'ami 363 

Rapports  avec  l'ami.  . 363 

Amis  irréguliers 364 

Catégories  spéciales  d'amis.  1°  Les  femmes 365 

Rapports  avec  la  reine 366 

Inconvénients  de  rapports  trop  intimes  avec  une  reine  veuve 369 

2»  Les  cardinaux 369 

Précautions  à  prendre  à  Rome 369 

Situation  des  cardinaux 371 

Leur  rôle  dans  le  cérémonial 372 

Leur  rôle  dans  les  affaires 372 

Leur  rôle  social '. 375 

Moyens  d'actions  sur  les  cardinaux 379 

Cardinaux  nationaux 381 

Intervention  au  conclave 383 

Moyens  d'action  contre  les  ambassadeurs 388 

Défrai 388 

Débauchage  par  l'argent 390 

Concessions  privées 392 

Moyens  d'action  spéciaux  à  la  cour  de  Rome 394 

Cadeaux 396 

Fêtes,  dîners,  etc 397 

Procédés  mondains 399 


Laval,  imprimerie  et  stérêotypie  E.  JAMIN,  8,  rue  Ricordaine. 


La  Bibliothèque 
Université  d'Ottawa 

Échéance 

The  Library 

University  of  Ottawa 

Date  due 

a39003  0016  3  2982b 


CE  JX   1641 
.K39  1892  V002 
COO   PAULDE  LA 
ACC*  1157091 


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