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LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
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LA
DIPLOMATIE
AU TEMPS DE MACHIAVEL
PAR
M. DE MAULDE-LA-CLAVIÈRE
TOME II
BIBLOTHÈQUES C
paris c^3ss^c
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR ^wtvtfl*^
28, KUIi BONAPARTE, 28
1892
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CHAPITRE IV
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS
La question du traitement, ou prest ', attribué aux am-
bassadeurs est une question très brûlante dans la diplo-
matie. Les dépèches retentissent sans cesse de plaintes, de
réclamations, de représentations à ce sujet. A les en croire,
tous les ambassadeurs se ruinent : leurs appointements ne
suffisent pas ;'i couvrir leurs dépenses. Il y a, sur ce point,
une plainte immémoriale et, autant qu'on en peut juger, una-
nime.
Cette question a fort préoccupé les jurisconsultes ; Martin
de Lodi tente d'y introduire quelques règles. Suivant lui, le
traitement est un gage journalier, personnel et à forfait. Jour-
nalier, c'est-à-dire compté jour pour jour, y compris le jour du
retour ! : mais si l'ambassadeur, sans motif sérieux, a allongé
sa mission en ne prenant pas la route la plus directe, on peut
déduire le montant du retard survenu par sa faute '. Person^
nel, c'est-à-dire que le salaire d'un ambassadeur court pen-
dant sa maladie ; qu'après sa mort ses ayants-droit héritent
des salaires échus * ; que la mort d'un ambassadeur n'accroit
pas le salaire de ses compagnons, comme si ce salaire était
attaché à l'ambassade in globo*. A forfait, c'est-à-dire que
1) Ms. fr. 20590, n° 53.
2) De legatis, q. 15.
3) là., q. 26.
4) Id., q. 36,37.
5) Id., q. 23.
2 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
l'ambassadeur ne peut rien réclamer au-delà1, sauf des
dépenses exceptionnelles de maladie 2, ou encore le rembour-
sement de bagages perdus par force majeure, si ces bagages
font vraiment partie de l'ambassade et ne présentent aucun
caractère commercial 3.
D'autre part, l'ambassadeur sans fortune a positivement
droit à un traitement *.
Outre ces règles générales, le jurisconsulte pose en prin-
cipe quelques privilèges civils pour l'ambassadeur : l'am-
bassade comporte un congé de droit de toutes les autres
charges % exemption de la tutelle c, droit d'opposition à tout
jugement, môme contradictoire 7, faculté d'agir par procureur
en toute matière, si l'ambassadeur le juge bon 8. En prati-
que, l'ambassadeur obtient du roi des recommandations au
parlement pour ses affaires 9.
Relativement à sa charge, l'ambassadeur, malgré la forme
quasi-civile de mandat donnée à ses pouvoirs, n'est tenu
d'aucune responsabilité civile envers le gouvernement ; il
accomplit un service public ,0. Il doit les impôts non per-
4) 7<i.,q.3.
2) M., q. 1,36.
3) ld., q. 6. Thomas Reatin, ambassadeur de Milan revenant de France, dé-
valisé près deCeva, estime sa perte à 400 ducats d'or et les réclame. On lui a
pris des chevaux, des bagages, de l'or, de l'argent (1 454. Lettres de Louis XI,
I, p. 253).
4) ld., q. 9.
5) W.,q. 24,29.
6) ld., q. 32.
7) Id.,q. 30.
8) ld., q. 28.
9; Recommandation du roi Charles VIII au parlement, pour GuilledeCa-
iaman, vice-roi de Cordagne, ambassadeur en Espagne (Lyon, 12 janvier,
1496 ?.\'a 3'Hi, 159). Lettres de surséance par Henri, roi de France et d'An-
gleterre, pour tous les procès et affaires du O- de Mortain, qui a longtemps
été par ses ordres au concile de Baie et qui est revenu ensuite en Angleterre
pour en référer ( 2 avril 1434, avant Pâques. Orig., ms. fr. 20978, f° 187).
10) Martini Laudensis, De legatis, q. 20.
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 3
sonncls du pays où il se trouve '. Quand il rencontre une mai-
sou a sa convenance, il peul expulser sans indemnité un loca-
taire de basse condition pour assurer le logement de l'am-
bassade 8.
Les traitements des ambassadeurs varient; ils sont « taxés »
par le conseil du roi à chaque commission) en tenant compte,
à parité de situation, des précédents acquis pour la même
ambassade \ Avis en est aussitôt donné au service financier
chargé du paiement *.
Quelquefois, mais rarement, on paie à l'ambassadeur,
avant son départ, une somme à forfait pour son ambas-
sade : par exemple, cinq cents francs pour une ambassade
en Bretagne '. D'ordinaire, on fait d'urgence remettre à
l'ambassade, en la dépeschanl, une certaine somme en a-
compte sur les frais de voyage, qu'on appelle aussi prêt ; cette
somme est prise où l'on peut, souvent sur les aides de
1) W,,q. lti.
i) Id., q. 2.
:S) Hand. do Louis d'Orléans, 1397 (Circourt et van Wervecke, Documents
luxembourgeois, n° lo). Ordre que Benoit Adam, conseiller, « sera mis au
roole des ambassadeurs qui sont ordonnez pour aller à Romme»; il aura
même a|>|>ninlement qu'a eu Me Claude Chauvreux, conseiller (23 oct. 1484.
Reg. (lu conseil de Charles VIII, p. 142).
4) Avis de l'envoi en ambassade du Cle de Sarrebrûck, donné aux géné-
raux des aides (6 lévrier 1377-78. Ms. fr. 20976, f« lia).
i>! Mandement de payer à forfait 500 IV. à A. deCraon, chambellan, envoyé
à « notre très cher et très amé lils le duc de Bretagne, » pour tous ses frais
et dépens 12 août 1 HO. Orig., ms. fr. 20.Ï90, n»49). A. deCraonétait accom-
pagné du chevaucheur Jean Pastoureau (id.. n° 52 1, à qui on donne 80 francs.
Cf. Id., n> l.'i, orig., 1 i août 1436. Mandement du roi aux Comptes, de payer
m conseiller Jean d'Asnières 200 liv. taxées pour aller en Languedoc. —
Londres, 6 juillet 1434. Mandement de Henri, roi de France et d'Angleterre,
aux généraux des finances, notifiant que, sur l'avis du régent Bedford, il en-
I David, archidiacre de Coutances, licencié in utroque, en son
nom et au nom du royaume de France, au concile de Baie avec les autres
ambassadeurs. Le roi lui donne à cette fin 100 liv. une fois versées (Ms. IV.
20978, fo 187, orig.).
4 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
guerre ', représentée même au besoin, dans un cas de presse,
par de la vaisselle d'argent 2 ; elle peut être de cinq cents,
de six cents livres environ pour des ambassades lointaines 3,
ou davantage *. Nous voyons donner deux cents francs d'or
comme provision d'une ambassade en Espagne et en Portu-
gal, quatre cents francs d'or pour aller en Espagne 6, cent-
vingt francs d'or pour aller à Avignon 6. L'à-compte normal
consiste dans le versement anticipé du montant des gages
pendant quarante jours 7. Il en est de même pour les agents
spéciaux plus ou moins olficieux8.
1) Ms. fr. 20590, passim. Ordre de rembourser l'argent prêté au roi par
le receveur des aides (500 1.), pour le despeschement de Girard le Bouclier,
maitre des requêtes de l'hôtel, et Ynego Daroco, écuyer, boursier d'Espagne,
envoyés en Castille (Argentan, "20 mai 1450. Sign. au t. : Charles. Fr. 20977,
f» 236*, orig.).
2) 500 liv. lourn., valant 610 liv. par., données en « vaisselle d'argent,
tant vérée comme blanche », à Hue Bournel, sgr de Thicuberonne, chambel-
lan, envoyé « hâtivement» au royaume d'Ecosse vers le duc d'Albanie, gou-
verneur de ce royaume, et vers plusieurs autres seigneurs, pour grosses 6e-
songnes (Ms. fr. 6748. Compte de l'hôtel, de juin 1412).
3) Mandement de 200 florins d'or francs, pour Simon de Laingres, maître
de l'ordre des frères prêcheurs, que le roi envoie au pape pour grosses affaires
(28 oct. 1364. Fr. 20977, f<>236*, orig.). Mandat de paiement de 200 liv. à
l'huissier d'armes Jean de Lizac, écuyer, que le roi envoie en Castille pour
ses grandes affaires (7 avril 1440. Ms. fr. 20590, 2).
4) Quittance par l'évêque d'Aleth, de 700 liv. tourn., à lui ordonnées piêça
par le roi, pour aller à Rome en « ambaxade » devers Notre S1 Père le pape,
avec Messieurs le patriarche d'Antioche, évêque de Poitiers lors archevêque
de Reims, « Tanguy du Chaslel, Jacques Cuer » et autres, pour rendre l'o-
béissance (obédience) (28déc. 1451. Ms. fr. 20978, i'° 1188, orig.).
5) Ces deux allocations, en janvier 1377, ahc. st.(Ms. fr. 20590, fos 63, 57).
6) A un secrétaire du roi, payé par les aides de la guerre (19 juillet 1384.
Mandement, reçu et attache, fr. 20590, f°s 7,8,9).
7) Ambassade près le roi d'Aragon, 21 janvier 1350, anc. st. (fr. 20590,
fo 43).
8) Reçu par Jean Tabari, secrétaire du roi, du receveur général des aides
de la guerre, de 100 francs d'or, pour voyage hâtif où on l'envoie à Bruges
avec ses gens, devers les messagers du pape, et pour l'aider à acheter les che-
vaux nécessaires (29 nov. 1377. Ms. fr. 20590, nos 5 et 6).
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 5
Les appointements ne sont qu'exceptionnellement fixés par
mois. Enl390, le chambellan Pierre de Craon reçoit ainsi (outre
ses autres appointements) quatre cents francs d'or par mois (soit
environ treize francs par jour), pour aller près du pape d'Avi-
gnon etdu duc de Milan '.Dans l'administration intérieure, on
payait les indemnités de déplacement au jour. Les gens des
comptes en mission intérieure recevaient deux écus d'or
(cent-vingt sous) par jour d'indemnité spéciale. On fait de
même, pour les ambassadeurs, sauf que le tarif varie ex-
trêmement, suivant le genre de l'ambassade, et la qualité de
l'ambassadeur8. Nous trouvons des ambassadeurs payés
depuis soixante sous ou trois livres 3, jusqu'à vingt francs
d'or par jour*. Quatre francs5, six francs d'or6 par jour,
conviennent à des ambassadeurs ordinaires : huit francs
supposent une ambassade d'apparat 7, quinze francs d'or
1) Mandement du il avril 1390, après Pâques. Fr. 20590, n» 12.
2) Au XIII« siècle, les Statuts de la République d'Avignon stipulent qu'un
ambassadeur n'emmènera pas plus de deux animaux (chevaux ou mulets) à
son service : l'ambassadeur recevra cinq sous par jour, en tout (dix sous, s'il
a deux chevaux). S'il va dans un pays où la monnaie courante vaut plus du
double de celle d'Avignon, il recevra sept sous {Coutumes et Règlements de la
lïépubl. d'Avignon, p. 13i>.
3) Guill« Durant, envoyé en ambassade au roi d'Aragon, en 1351, reçoit
120 Hv. ayant de partir, c'est-à-dire le montant de quarante jours (fr. 20590,
nos .42*, .43).
4) A 1 evêque de Langres, envoyé par Charles VI a l'évoque de Foix, avec
Jean de Ryé (K. 53 A. (Jter).
5) Baudet de Vauvilliers, huissier d'armes envoyé en Bretagne (21 novem-
bre 1377. Ms. fr. 20590. n<> 44, orig.).
6) Jean de Blai/.y, chevalier, envoyé en Bretagne et à La Rochelle, en 1387
(IV. 20590, n°47)".
7) En 1397, le duc d'Orléans taxe à 8 francs par jour de prêt le chef de
son ambassade. Jean de Saquainville, à 3 francs seulement un de ses am-
bassadeurs, P,-e Beaublé, et à 3 francs le secrétaire. Il leur verse avant leur
départ une provision de soixante jours (CM de Circourl cl van Wervecke, Do-
cuments luxembourgeois, n°s 20, 21, 25. Cf. paiement de lOOliv. et de 500
liv. à Nie. Le Dur, envoyé en ambassade circulaire, 1404; ibid., n° 178). En
6 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
représentent un très gros gage '. Les secrétaires de grandes
ambassades reçoivent cinq francs 2. Raoul de Rayneval,
l'évêque de Laon, le comte de Braine et autres membres
d'une grande ambassade circulaire à Rome, Florence et
ailleurs, en 1378, ont douze francs d'or par jour, cha-
cun3, et Pierre de Gorbie, secrétaire, cinq francs *. Raoul
de Rayneval reçoit une provision de 1440 francs s, Pierre de
Gorbie deux provisions de 600 6 et 200 francs d'or 7.
La provision sert à couvrir les dépenses d'équipement
1405, le duc taxe à 10 francs d'or par jour un ambassadeur en Allemagne
(ibid., n° 232. Cf. fr. nouv. acq. 3640, 471, ord« de taxe), et lui donne un
prêt de deux mois. Mais il ne fait allouer en 1406 à Arch. de Villars qu'un
prêt de 112 liv. 10 sous pour la même ambassade, soit moins de 2 liv. par
jour (ibid., n° 246). Quittance par le chambellan Raoul de Rénovai, de partie
de ses gages de 8 fr. d'or par jour ordonnés par le roi, pour le voyage de
Boulogne, avec l'évêque de Baveux, le Cte de Sl-Pol et autres gens du conseil,
pour la paix avec « son adversaire d'Engleterre » (2 juill. 1390. Ms. fr.
20590, nu 21, orig.). Cf. les autres quittances du mémo pour le même motif,
du 1er juin 1390 (îd., n0> 24, 25). — Quittances de Jean La Personne, vi-
comte d'Acy, envoyé à raison de huit francs par jour (ou 240 francs par
mois) au comte de Boulogne, pour le mariage du duc de Uerry avec la fille
du comte (12 avril 1390. Id., no» 29-36).
l)L'amiral Jean de Vienne, ambassadeur vers le roi de Castille en 1377, a
15 fr. d'or par jour (Pat. de Melun, 25 septembre 1377. Orig.,ms. fr. 20977,
fo236s). Fr. 20590, n° 56, 10 francs : no 61, 16 flor. d'or à Aiinery deRoche-
fort, pour voyage près du comte de Foix (15 janv. 1359-60).
2) Ms. fr. 20590, no 53. 600 fr. pour « prest » et paiement de 4 mois, à 5
fr. par jour, à Thib. Hocie, chanoine de Paris, secrétaire du roi. envoyé au
roi de Castille et Léon avec deux autres ambassadeurs (février 1390, anc.st.).
— Id., no* 54, 57. Le même touche 500 fr. pour un précédent voyage (même
date ; comme à compte sur ses frais précédents). Id., n° 55, 5 francs d'or par.
jour, taxés au secrétaire de l'ambassade en Castille et Léon (nov. 1383).
3) Mandement orig. aux généraux des aides, pour Réneval (Rayneval) et
le comte de Braine, 4 février 1377, anc. st. (fr. 20978, f» 118').
4) Mandement, fr. 20978, fo H8».
5) Quittance orig., 8 février 1377, anc. st. (fr. 20978, fo U8S).
6) Quittance orig., deCorbie, 7 février 1377-78 (fr. 20978, fo 118*).
7) Quittance outre ses gages ordinaires, du 1er juin 1378, orig. (id., f°
148»).
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 7
et de voyage. Sous Louis XII, le roi paie le fret des na-
vires chargés de transporter les ambassadeurs en Ecosse, et
ce fret est assez dispendieux ; en 1507, le simple passage d'un
ambassadeur et d'un ehevaucheur, d'Ecosse en Franco, s'élève
à 350 livres à cause des risques du voyage près des cotes
d'Angleterre \ En 1512, le fret d'un transport spécial de
France en Ecosse ne revient pas à moins de 1510 livres'.
Nous voyons mémo, en 1514, dans un moment de presse, le
roi commander à ses frais un bateau spécial pour transporter
de Boulogne un agent en Angleterre \
Une fois rendus à leur poste, les ambassadeurs reçoivent
quelquefois leur traitement par mensualités *, ou plus sou-
vent par un nouvel à-compte 3. Au cours de son am-
bassade pris le roi des Romains, le prince d'Orange reçoit
un second à-compte de 3.000 livres, égal au premier a.
En général, on ne règle les comptes d'une ambassade spé-
ciale qu'au retour ; quant aux résidents ou aux agents fixes
de Home, procureur, protecteur en cour de Rome, ils per-
çoivent des traitementsréguliers7. Mais les paiements ne par-
viennent pas toujours exactement. Aussi, quand l'ambassade
se prolonge, les ambassadeurs se heurtent à mille soucis, à
des difficultés qui les réduisentà un vrai désespoir. En 1511, le
président de Bourgogne, ambassadeur des Pays Bas en Espa-
gne, finit par déserter son poste, faute d'argent 8. En 1496, l'é-
1) Ordre de paiement, du 14 déc. 1507 (fr. 20436, t'o 39).
2) Fr. 20616, no 86, pat. du 8 déc. 15tf.
3) Fr. 2934, f* '■>■
4| Fr. 20590, nos 29-36, paiements à Jean La Personne (1390).
5) On leur remet aussi des lettres de crédit (V. Mas Latrie, Histoire de Chy-
pre, III, 753).
6) Fr. 20977, f" 187 (13 juillet 1493).
7) Fr. 20978, t'o 1 18® : Delaborde, Expédition de Charles VIII, p. 174.
8) Lettres de Louis XII, II, 230.
8 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
vêque d'Aix, envoyé de France à Florence, criblé de dettes, se
voit réduit à des expédients dont glosent les chancelleries.
Ses rapports sont interceptés à Milan, il n'ose plus écrire ; il
n'ose pas partir ignominieusement sans payer ses dettes, il est
au désespoir '.
On paie donc les ambassadeurs au retour, sur taxe ' ; et
même (surtout s'il s'agit d'une forte somme) par à-comptes,
et le règlement définitif intervient longtemps après. L'abbé de
Fécamp, ambassadeur franco-anglais à Rome en 1422, char-
gé d'une mission en Angleterre en 1424, ne touche le reste de
ce qui lui est dû, que le 7 février 1429 3. Il y a là de véri-
1) Dép. deFoscari, dans Y A rchivio storico italiano, p. 867.
2) Le montant des gages, y compris les cadeaux qu'il a fallu faire, est
remboursé au retour par mandement (Mand. du duc d'Orléans, 1391. Cir-
court et Wervecke, Documents luxembourgeois, n° 94), soit sur serment de
l'ambassadeur (id., 1405. Ibid., n° 232), soit sur le compte dressé par un
agent spécial attaché à l'ambassade dans ce but, sommelier d'échansonnerie ou
autre, soit par le secrétaire, soit par un des ambassadeurs. Nous voyons ces
trois comptes fournis simultanément au duc d'Orléans pour une seule ambas-
sade, en 1398(t'&td.,n°s31, 32, 33). - Ms. fr. 20590, nos 44, 48. — Mandat
de paiement par P" de Bourbon, de 200 livres, somme taxée à Guillaume de
Caraman et de Périlleux, v*e de Roddes, etc., pour un voyage fait près le
roi et la reine d'Espagne (Moulins, 14 août 1495. Orig.,îd.,n<> 62). — Ordredu
roi Henri, roi de France et d'Angleterre, de payer à Guillaume Erard, docteur
en théologie, le reste de ce qui lui est dû pour son voyage en Angleterre et à
Arras, avec « nos autres ambassadeurs de France et d'Angleterre » (Paris, 8
mars 1435, a. st. Orig., fr. 20976, fo 149).
3) Mandement d'Henri, roi de France et d'Angleterre, de 450 1. à l'abbé de
Fécamp, reste de ses gages taxés, pour 1» une ambassade de Rouen à Rome,
avec les évoques de Coutances et Senlis, le sire de Vézelay, Gauthier de
Ruppes, le sire de Rouville, chevaliers, maître Jean de Almans, Pierre Mû-
risse, Nicole Davy, de la Si Jean 1422 à la vigile Ste Catherine ; 2° pour un
voyage en Angleterre, de la vigile S1 Simon S* Jude 1423 au 20 mars sui-
vant (7 février 1428, anc. st.. Fr. 20590, no 22). M. Vœsen (Catal. du fonds
Bourré, n° 213) indique un paiement de 450 livres dû à Bertrand Briçonnet,
secrétaire de Louis XI, pour deux voyages, l'un en Angleterre en 1462 pour
conclure une trêve, l'autre en Ecosse pour négocier une alliance, voyage qui
a duré huit mois environ. Ordre de Louis XI de verser au cardinal d'Albi
(Jean Joff roy) 1 375 li v ., pour partie de 3 .000 écus à lui ordonnés pour son am-
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 9
tables abus1, contre lesquels un ambassadeur doit se pré-
munir*.
S'il ne s'agit que d'une simple mission à la frontière, ou à peu
près, on se borne à rembourser les dépenses. Ainsi, le premier
écuyer du roi reçoit, en 1383, soixante francs d'or pourles frais
d'une mission en Brabant et en Hainaut, près du duc de Luxem-
bourg etduduc Aubertde Bavière s. Le sénéchal de Beaucaire,
délégué à Avignon près du pape, du lcrau 9 décembre 1340,
avec un avocat et un autre personnage, pour entretenir Sa
Sainteté des affaires du royaume, ne reçoit pas pour ce petitdé-
placement de traitement spécial; on lui rembourse les frais de
voyage. Son mémoire, qui existe encore, prouve en faveur de
la sobriété des ambassades à cette époque; les dépenses jour-
bassade en Castille et Léon (Amboise, 42 janvier 1469. Ms. lat. 17021,fo 102).
4) Les Etats de Flandre votent 15,459 livres aux ambassadeurs qui ont
négocié la paix avec la France. L'archiduc en prend 4.000 pour lui-même et
répartit ainsi le reste :
Le comte de Nassau 800
M. de Maigny, chancelier 319
Le sr de Chièvres 1 .700
L'évêque d' Arras 1 . 100
A ces deux derniers, pour remboursement de
sommes qu"ils ont dû verser à divers seigneurs
d'Allemagne 5.600
Le sire d'Orbais, chancelier de Brabant 200
Le trésorier des finances 200
Le receveur général 200
Jean de Courleville 300
LesrdeBeyne 200
Le receveur général, pour distributions anonymes 360
Phil. Haneton, 1er secrétaire et audiencier 120
Dépenses diverses, gages et salaires d'officiers. . 360
[1501. Le Glay, Négociations, I, 66, 67).
2)Parmi les engagements secrets, Capitulata privata, imposés en conclave
à un futur pape, figure celui de faire payer aux cardinaux tout ce qui leur est
dû par les papes précédents pour voyages, légations ou autrement, de leur
faire rendre les chevaux, bijoux ou autres objets donnés en gage à des prê-
teurs (Archives du Vatican, 3 LV, f° 485 et s.).
3) K. 53, 21.
10 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
nalières de l'ambassade (pain, vin, légumes, chandelle, foin
et avoine, ferrage des chevaux)... se montent de six à
neuf livres '.
Pour apprécier la valeur des traitements alloués aux am-
bassadeurs, il faut les rapporter au prix réel des choses, et à
ce que coûtait ordinairement un voyage. Or, nous voyons qu'en
mai 1390, le roi ayant jugé bon, par grande courtoisie, de
faire conduire à ses frais jusqu'à Gênes, par son sergent
d'armes Pelourde, le fils du duc de Lancastre, qui allait com-
battre en Barbarie, les frais de ce voyage princier, rembour-
sés à Pelourde", s'élèvent à quarante francs d'or*. En
1495, un notaire-secrétaire du roi Richard Le Moyne reçoit
cent livres pour un voyage en Espagne et un voyage en Ita-
lie * ; et de moins grands personnages dépensaient bien
moins \ Les ambassadeurs trouvaient donc réellement dans
leur prêt une large indemnité, d'autant plus que le prêt se
cumulait avec les autres appointements personnels. Il faut
aussi remarquer l'usage constant de rémunérer les ambas-
sades généreusement, en tenant compte des circonstances,
par le don d'une somme ronde '. Tel ambassadeur a fait
1) Rôle original. Fr. 20978, fo 118».
2) Fr. 20590, n° 10.
3) Raymond de Nueremont, envoyé à Avignon après le décès de G. de Les-
trange, pour ses dépens d'aller et venir, reçoit 40 fr. {Inventaire... des biens
de Guill. de Lestrange, p. 113).
4) Fr. 20590, 20.
5) En 1405, un chevalier reçoit 20 liv. pour porter des lettres en Alle-
magne, sur les bords du Rhin (Circourt et van Wervecke, Documents luxem-
bourgeois, no 221). En 1497, le duc d'Orléans donne 100 écus pour un
voyage en Italie (fr. 26105, pièce 1235).
6) Dans le règlement des frais d'une ambassade à Rome et au roi de Sicile
en 1309, nous voyons compter 307 liv. 15 s. pour robes, chevaux, harnais,
argent de poche ; 87 liv. 10 s. pour les dépens du voyage ; 140 liv. 21 s. de
supplément, au total 1036 liv. 6 s. p. (Moranvillé, Bibliothèque de l'Ecole des
Chartes, 1890, p. 70, 71).
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 41
naufrage : 4.000 écus d'or '. Tel autre a accompli une mis-
sion difficile : 2.000 écus *. On déclare que l'envoyé a eu delà
peine *, qu'il a fait des dépenses imprévues *, ou bien on
règle ses émoluments à titre de don B, à titre même de
secours vis-à-vis d'un simple agent secret '. Les envoyés
financiers du roi à Gènes, en 1415, ont passé cinq mois en
route, ils ont fait à Gènes des dépenses de trompettes et de
ménestrels ; ils ont ramené d'Aiguës Mortes à Paris six com-
pagnies d'arbalétriers, dont ils ont souvent reçu à diner les
1) Fr. 20977, i'o 201. Patentes de Charles VII, de S1 l'iïest en Dauphiné, 26
mars 1436 anc. st., sur la requête de Guillaume de Menipeny, eh**! set de
Concressault, envoyé jadis en Ecosse pour de grandes affaires : « naufragé
au retour sur les côtes d'Angleterre, t'ait prisonnier par nos anciens ennemis,
Menipeny a dû donner tout son bien et des otaiges pour le reste de sa rançon.
11 est juste d'aider nos serviteurs » Le roi lui alloue 4.000 écus d'or.
2) Charles VIII donne 8.000 liv. a Du Bouchage, pour son ambassade en
Allemagne (1498. Mandrot, Ymbert de Batarnay, p. 196). Le prince d'Orange
rcçoit6.000 liv., Tristan de Sala/art 3.000, pour leur ambassade de 1493-1494
dans le môme pays (fr. 20977, fl> 187).
3) Mandement royal de payer au panetier Jean île Jambes, écuyer, 300
1. t., taxées pour peine, salaires et dépens, pour trois voyages vers nous
,,7jam\ 1435-36. Orig., fr. 20590).
4) Quittance par l'archevôque de Toulouse de 1200 moulons d'or, que le
roi. le 7 juillet, lui aordonnés, pour le paiement de son voyage l'an passé, avec
d'autres, vers le roi de Castille et Léon pendant six mois entiers, « à très
grands frais et dépens. » — (20 nov. 1435. Fr. 20977, 1° 273). Mandement
de 3.000 francs d'or au duc de IJerry pour ses négociations (16 juillet 1384.
Fr. 20590.no 19).
5) Fr. 20978, fo 1181. Mandement du roi (Meung-sur-Sèvres, 29 nov. 14|5,
orig.), de don de 100 livres à Jean Manequin, trésorier de l'église de
l.aon.pour frais et dépens d'un voyage à Home vers le pape, avec d'autres nos
gens et serviteurs, pour le fait du royaume. — Mandement (Montpellier,
23 avril 1437, orig.) de don de' 500 liv. à Simon Charles, chevalier, pour frais
de ses « voyages et ambaxades » dernièrement faits, «tant devers Notre Saint
l'ère le pape que en la ville de Baale, devers aucuns noz conseillers et autres
gens y estans tenans le saint concile ».
6) Ordre de Louis XII de payer 810 15 liv. tournois, soit 100 écus d'or, à Je-
ronymo de Portugal, à titre de secours, et comme frais d'un voyage fait
pour le roi en Italie (11 mai 1498. Fr. 20590, no 14).
12 LA D1PL0MATIK AU TEMPS DE MACHIAVEL
capitaines. Par ces motifs, en sus de leur provision initiale de
quatre cents livres, ils s'adjugent (l'un était conseiller des
aides, l'autre clerc de la Chambre des comptes), à chacun,
six cents livres, soit mille livres pour cinq mois, outre leurs
gages ordinaires d'offices1.
Enfin, aux appointements directs de l'ambassade, il faut
ajouter les profits indirects qui en résultent et qui constituent
le vrai paiement2. Souvent employé en missions par le duc de
Bourgogne, dont il était en même temps maître d'hôtel et ca-
pitaine, le célèbre Obvier de la Marche est comblé de dons
et de présents 3. De même, Commines avoue que Louis XI
sait reconnaître bien les services \ En effet, Louis XI le com-
ble ; ainsi, au moment de son mariage, il lui donne 22.000 écus
d'or et paie sa terre d'Argenton3. Il en va de même pour le
sire du Bouchage et pour tous les personnages marquants
qui passentpar les ambassades. Les avantages indirects qu'on
peut tirer du roi pour un bon service présentent une telle va-
riété, que nous ne chercherons pas à les dénombrer ; ils ne
s'appliquent pas spécialement d'ailleurs à la diplomatie. Com-
mines, Etienne de Vesc reçoivent en cadeau de Charles VIII,
à Naples, un navire G... Le sire de Guéménée, ambassadeur
de la duchesse de Bretagne en 1490, reçoit des bris de na-
vires 7... Louis XI confère à son favori Olivier le Roux, mai-
1) Compte orig., ms. lat. 5414 A, f°59.
2) Parfois, on met officiellement à la charge du commerce partie des frais
d'une ambassade spéciale pour négociations commerciales. Bembo, envoyé
vénitien en Angleterre, en 1409, reçoit à forfait pour sa mission 400 ducats,
soit 100 comme ambassadeur, le reste à la charge du commerce et des arma-
teurs de Venise (Reumont, Diplomazia italiana, 232). D'autres fois, l'am-
bassadeur perçoit 2 à 3 0/0 sur les affaires privées (Nys, Les origines de la
diplomatie, p. 12).
3) V. la liste, Beaune et d'Arbaumont, Olivier de In Marche, p. Lxxri.
4) Liv. vi, c. v.
5) 23 déc. 1472 (Vaesen. Catal. du fonds Bourré, no 796).
6) Boislisle, Et. de Vesc, p. 133.
7)Ms.dedomMorice, à la Bibliothèque de Nantes, ms. 1801, p. 117.
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 13
tre des comptes, une pension de cinq cents livres pendant dix
ans, à raison de ses services, notamment de ses ambassades1.
Le sire de Chatelart, pour avoir négocié une alliance du Valais
avec la France, obtient de Louis XII une pension de deux
cent quarante livres *. Tristan de Salazart, ambassadeur en
Allemagne, est pensionnaire de six cents livres 3.
Une ambassade se prête fort, par ellc-numie, à l'avancement
personnel* : Obvier de la Marcbe, lorsqu'il va en 1478négocier
le mariage de Marie de Uourgogne avec l'archiduc, profite de
l'occasion, dit-il lui-même, pour faire « tellement ses appro-
ches » qu'il est nommé grand maître d'hôtel de l'archiduc 5.
Les ambassades, encore peu importantes, remplies par Claude
de Seyssel, sont expressément visées dans les patentes qui
l'appellent à faire partie du grand conseil de Louis XII 6.
On paie aussi les ambassades, comme les autres services,
par des bénéfices ecclésiastiques. Ferry Carondelet, am-
bassadeur de la régente des Pays-Bas à Rome, lui demande
1) Patentes d'Amboise, 15 février 1472, a. st. Ms. fr. 20590, n° 43.
2) C'e de 1510, publié dans noire édition de Jean d'Auton, II, 388.
3) Tit. orig. Salazart, no 118(1496).
4) Au retour de sa légation en Espagne, Guicliardin devient à Florence un
des VIII de Guardia et Balia (C'es P. et L. Guicciardini, Opère inédite de
Fr. Guicciardini, VII, p. v). Le roi d'Angleterre fait chevalier un ambassa-
deur qu'il envoie en Espagne (J. Gairdner, Hisla régis Henrici seplimi,
p. 200).
5) Beaune et d'Arbaumont, Olivier de la Marche, p. lxx.
6) Blois, 27 janvier 1506. Patentes nommant Claude de Seyssel conseiller
au grand conseil, en remplacement de Hugues deBauza, évêque d'Angoulémc,
décédé. « Ayans bonne souvenance des bons et agréables services que
nous a faiz par cy devant nostre amé et féal conseiller en nostre sénat de
Millan maistre Claude de Seyssel, tant en plusieurs grans ambaxades et au-
tres charges concernans noz principaulx affaires, comme aussi à la conduicte
et exercice de nostre justice en nostre duché de Millan et auparavant à la con-
queste d'icelluy en nostre grand conseil, auqucl.il s'est bien et honorablement
acquitté par plusieurs années »; . .. désirant, pour ces motifs, et vu notre con-
fiance de ses sens, etc. le rapprocher de nous, nous lui rendons ce titre
(K. 78, H).
4 4 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
très humblement « une petite abbaye » vacante en Franche-
Comté '. Jules II cherche jusqu'en Yénétie des bénéfices pour
payer une légation en Hongrie \ Bonino de Boninis, agent
secret de Venise en France, adresse de Lyon, le 24 juillet
1501, une requête à la Seigneurie, pour réclamer deux
cents ducats de bénéfices qu'on lui a promis. Il rappelle
qu il a couru dix sept postes de Lyon a Turin et deux jusqu'à
Venise, avec peines, périls et dépenses; tout le carême der-
nier, il a couru aussi la France, à cheval, de côté et d'autre, sur
l'ordre de l'ambassadeur 3... A la fin du Moyen Age, les rému-
nérations directes des services publics ne sont rien à côté de
ces rémunérations indirectes.
De plus, les ambassadeurs trouvent dans leur mission
au dehors du royaume, une source de profits, de pro-
lits publics, honorables, consacrés par l'usage, qui ne sont
pas à dédaigner. Soit sur leur route, soit à la cour où ils se
rendent, ils sont souvent * défrayés de toutes dépenses de
bouche et de loyer s. Les dépenses de l'ambassadeur de
1) 1511. Lettres de Louis XII, III, 76.
2) Sanuto, V, 310.
3) Arcli. de Venise, Dispacci, I. L'ambassadeur Foscari appuie vivement
sa demande, par une dépêche du 30 avril 1501 (A. de Venise).
4) Il était môme de doctrine que les légats avaient droit à se faire défrayer
par les autorités ecclésiastiques. Grégoire VII avait introduit dans la formule
du serment prêté par les archevêques en recevant le pallium rengagement
précis de traiter avec honneur les légats « eundo et redeundo », — « et in ne-
cessitatihus suis adjuvabo ». Cet aide fut interprété comme une obligation de
pourvoir à la nourriture et à l'entretien. Les Hongrois, au commencement du
XII« siècle, ayant refusé à un légat du pape son entretien, Pascal II les rap-
pela à l'ordre en termes très vifs, en leur citant l'exemple d'autres nations
(la Saxe et le Danemark), et le serment des primats; et son légat, dépourvu
de moyens d'existence, vécut aux dépens du pays, c'est-à-dire de contribu-
tions plus ou moins régulières (Baronius, XVIII, p. 143, 144 notes). Le légat
doit être reçu gratis par les évèqucs, religieux et clercs, mais il aura égard à
la richesse de son hôte, dit Villadiego (De legato, q. 6).
5) En Russie, de temps immémorial, on défrayait les ambassadeurs : en
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 15
France à Florence en 1478, par exemple, payées par Florence,
se montent environ à douze ducats par jour '. Venise attribue
en li9o à l'ambassade allemande dix ducats, par jour, d'en-
tretien * ; en 1501, à Jean Lascaris, ambassadeur de France,
elle donne le logement et cent ducats par mois *. On pousse
la prévenance jusqu'à envoyer un médecin, si quelqu'un de
la suite de l'ambassadeur est malade *. Ce défrai, comme on
peut penser, s'ajoute fort utilement au traitement. Le béraut
Montjoye, nous dit Lemaire de Belges, rapporta en 1 499 de
son ambassade à Constantinople « honneur et prouffit*. » Et,
plus tard, Brantôme représente l'ambassade de Constanti-
nople comme fort recherchée, parce qu'on y est défrayé de
tout, jusqu'à l'avoine, et très largement, si bien que l'am-
France, on ne les défrayait qu'exceptionnellement, et jamais les résidents
Ayant reçu à Madon les ambassadeurs de l'archiduc, le roi leur mande qu'il
a expédié son maréchal des logis à Blois taire leur logis, et qu'ils y envoient
leur fourrier, ce qu'ils t'ont (1503. Lettres de Louis Xlf, I, 28). Cf. le défrai
de l'ambassade d'Espagne en 1505 (Desjardins, I, 139). A Milan, à Venise, à
Florence, on défrayait constamment. Ainsi, en 1468, les ambassadeurs envoyés
pour les condoléances de la mort delà duchesse de Milan sont tous défrayés
par le duc{Arch° stor° lombardo, 1890, p. 149). Depuis 1504, des rapports
constants et officiels s'étant établis avec les Turcs, Venise fournit régulière-
ment aux envoyés turcs maison et dépenses. Le pape défraie très rarement.
Cependant, le samedi saint 1511, à Bologne, Jules II envoie à l'ambassadeur
d'Allemagne, qui vient négocier la paix, 25 veaux, 50 formes de fromage de
Plaisance, 23 chevreaux, quatre charges (stiuige) de poulets, 2000 œufs <Sa-
nuto, XII, 148). Plus tard, ces usages s'unifièrent. On défraya partout les am-
bassadeurs jusqu'à leur première audience. Seul, le Czar continua à les dé-
frayer pendant la durée de leur séjour, et on fit de môme pour les siens (Wic-
quefort, Mémoires..., p. 446).
1) Kervyn, Lettres et négociations, III, "25.
2) Sanuto, Spedizione, 219.
3) Sanuto, VI, 101. En 1500, le roi de Hongrie donne à un ambassadeur
turc qui a 120 chevaux, 50 ducats par jour pour sa dépense (Sanuto, III,
235).
4 Ambassadeur turc à Bude, en 1500 (Sanuto, III, 12G7).
5) Le Maire de Belges, Le sauf conduit donné par le Souldan. ..
16 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
bassadeur n'a rien à donner aux Turcs, « ce sont eux qui
nous donnent1. »
Ajoutons que, dans certaines circonstances spéciales ou so-
lennelles, les ambassadeurs sont plus que défrayés, ils sont
fêtés avec luxe \ Le sire des Aubus, chargé par Louis XI de
recevoir et de conduire, aux frais du roi, deux ambassadeurs
d'Aragon, ne dépense pas moins de 544 livres pour le trajet de
Lyon à Paris ; un simple dîner à Lyon lui coûte près de cinq
livres 8. En 1422, un ambassadeur du pape, défrayé à Senlis,
dépense de sept à huit livres par jour ; une grande ambassade
bretonne, comprenant deux évêques, deux grands seigneurs,
cinq chevaliers, quatre conseillers.., en tout soixante-seize
personnes, consomme pour plus de soixante dix livres par
jour *. Le plus beau résultat sous ce rapport fut acquis par une
ambassade anglaise sous Charles VI, l'ambassade de 1415,
composée de deux évêques, et de sept autres ambassadeurs,
avec une suite nombreuse, qui, « estans en ce Royaume, aux
despens du Roy », dépensa, en soixante-dix-sept jours, plus
de seize mille six cents livres B.
1) Tome V, 50.
2) De Bologne à Rome, le pape fait offrir dans chaque ville 1,000 ducats
d'or au cardinal de Gùrck (1512. Guicciardini, Opère inédite, VI, 147). A
l'arrivée de l'ambassade française de 1512, en Egypte, le Soudan lui envoie
des moutons, de la volaille, du riz, du sucre, etc. (Schefer, Le voyage d'ou-
tremer de Jean Thenaud, p. 43). Le lendemain de son arrivée au Caire, l'am-
bassadeur vénitien, en 1512, reçoit, de la part du Soudan, 44 pains de sucre,
5 pots de miel de l'Inde, 2 pots de graisse, 40 moulons, 50 paires de poulets,
20 oies, 2 sacs de riz (id., p. 182). — César Borgia, en attendant sa première
audience, fait remettre à un ambassadeur un grand sac d'orge, un fût de vin,
un mouton, huit paires de chapons et des poules, deux torches, deux paquets
de chandelle, deux boites de confitures (Gregorovius, Lucrèce Borgia, édon
fraise, '1,298).
3)Fr. 20980, fo 91.
4) D'après les chiffres donnés par Douet d'Arcq, Comptes de l'Hôtel, 284-285.
5) Compte de l'Hôtel, du 1er avril 1415 (fr. 6748, fo 49).
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 17
Enfin, il est admis que les ambassadeurs peuvent recevoir
des cadeaux, et, comme nous le verrons, l'usage veut qu'on
leur en fasse. Non sans quelque hésitation, les jurisconsultes
admettent, en droit, que l'ambassadeur ne doit pas compte
de ces cadeaux à son gouvernement, et qu'ils lui appartien-
nent '. Les jurisconsultes affectent de considérer l'usage des
cadeaux comme un acte de courtoisie, qui dérive nécessaire-
ment de la libéralité des princes J. Dans les temps primitifs,
les légats pontificaux ne se croyaient pas en droit d'accepter
des cadeaux ; un légat repousse avec horreur, à Milan, un
vase d'argent que veut lui donner un abbé, il n'accepte qu'avec
beaucoup de peine deux étoles offertes par l'archevêque \
Mais cette pureté ombrageuse ne fit pas école. Dans une lettre
à Eugène III, saint Bernard va jusqu'à accuser les légats de
piller les églises. Les ambassadeurs doivent seulement rece-
voir les cadeaux publiquement, et affecter de n'y attacher qu'un
prix tout honorifique. Les ambassadeurs de Marguerite d'Au-
triche pour son hommage à Louis XII, en 1509, écrivent qu'ils
ont reçu « vins et viande, » et qu'avant leur départ, le roi
leur a fait remettre, en leur logis, «bons, grans et honnorables
présens, tant en vaisselle d'argent, chaîne d'or, et autrement
en deniers, jusques au moindre de vos messagiers ; de quoy,
Madame, disent-ils, vous avertissons en toute humilité, [et de
cet] * honneur que avons receu vous remercions s... »
Les simples diplomaties seigneuriales, autrefois, se trou-
vaient naturellement dans une situation moins prospère, sous
l)jtoart. Laudensis,De legatis,q.l,q. 22, q. 35. A Venise, les décisions variè-
rent à cet égard.
2) Joan. Hedin, De Majestaie principis.
3) Année 1059(Baronius, XVII, p. 167).
4) Le texte imprimé porte : « De ce et ».
5) Dépêche à Marg. d'Autriche (Lettres de Louis XII, 1, 156).
2
18 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
ce rapport, que la diplomatie royale, sauf la diplomatie bour-
guignonne !. « Mon ambaxadeur m'aportoit ung harnoys de
par le duc de Milan, mes il l'a lessé en gaige de XX escus à
Genepve, » écrit en 1460 le dauphin Louis2. Leduc d'Or-
léans paie quatre-vingts livres une ambassade de deux mois,
accomplie en Bretagne, avec « grans fraiz et despens 3 » ; il
envoie un à-compte de quarante livres à son ambassadeur à
Nantes *. La trésorerie du duc d'Orléans remet deux cent cin-
quante livres de provision pour un ambassadeur en Savoie et
en Montferrat5; elle ne donne que deux écus(ou soixante-quatre
sôus deux deniers) à un serviteur du comte de Castres, Bertrand
de Lupiac, pour porter une lettre au pape6. François de Roche-
chouart, seigneur de Ghampdeniers, reçoit deux cents écus
d'or, pour une mission de sept mois sept jours à la suite du
roi Charles VIII, soit moins d'un écu par jour 7. Hubert
de Grouches, seigneur de Griboval, maître d'hôtel du duc
d'Orléans a, en 1485, treize sous et demi par jour pour une
mission près du maréchal des Querdcs8, et Raoul du Refuge,
simple échanson, dix sous seulement pour une mission di-
1) Jean de Vcrgy, envoyé en 1396 par le duc de Bourgogne à Bajazet pour la
délivrance du comte de Nevers, reçoit, pour cette mission pénible et périlleuse,
8 francs de gage par jour (soit pour ISO jours, 20 janvier-18 juin, 1200 t'r.
Delaville Le Houlx, La France en Orient, II, 30). Un cordelier quia été en Tur-
quie chercher des nouvelles du comte, ne reçoit que 112 IV. («/., 29).C'est l'ar-
gentier, à la cour de Bourgogne, qui est chargé des dons pour ambassades et
voyages (Olivier de la Marche, IV, p. 10).
2) Lettres de Louis XI, 1, n° 6.
3) Far Mathurin Brachet, s6>' de Montagu-le-Blanc (1483. Tit. Orléans,
824).
4) Gilbert Bertrand, sgr de Lys S'-Georges (1483. Tit. Orléans, 824).
5) Ant. de la Tour, dit Truquet (1484. Tit. Orléans, 844 ; De la Tour,
8,9,10).
6) Tit. Orléans, XII, 834.
7) Pat. d'Asti, 5 juin 1493 (ms. fr. 26104, 1074).
8) Fr. 26099, 82.
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 19
plomatique près du duc d'Alençon, au cours de laquelle il
est pris par «des brigans ' ». Le secrétaire Jean Hervoet,
envoyé en mission près du roi pendant l'expédition de 1495,
reçoit cent livres, plus une indemnité spéciale de quatre vingt
dix livres, parce qu'il a été détroussé '.
Il faut donc, de toute nécessité, dans la diplomatie fran-
çaise, que l'ambassadeur possède une fortune personnelle qui
lui permette d'attendre le règlement de son traitement et les
avantages éventuels de son ambassade. Cette nécessité s'im-
pose encore plus dans les autres diplomaties. L'empereur
Maximilien, par économie, a pour résident en France le ré-
sident de sa fille Marguerite d'Autriche, lequel reçoit, en
principe, un traitement de cinq ducats par jour pour ce dou-
ble service. Malheureusement, ce traitement n'est payé qu'à
de longs intervalles. Le malheureux résident, dépourvu de
fortune, passe sa vie dans un véritable désespoir; ses dépê-
ches débordent d'indignation et d'amertume. Il écrit, le 2 sep-
tembre loi 0, pour remercier Marguerite d'Autriche de cinq
cents florins rapportés par son secrétaire, qu'il avait envoyé
expressément chercher de l'argent : autrement, il ne savait plus
que faire. Depuis deux ans et trois mois, il a dépensé pour le
service 1700 ducats. Il dépenserait bien, dit-il, sa fortune,
mais il n'en a pas. Il jure que d'ici à une vingtaine de jours
il se trouvera sans un blanc, réduit, ou à s'en aller sous un
prétexte quelconque pour essayer de tirer quelque chose de
1) Fr. 26099,112.
2) Ms. fr. 26104, pat. du 28 juin 1495. Pour la mission accomplie par Wil-
helm de Berchen, curé, notaire et tabellion public, pour Marie de Clèves, cet
ut reçoit 20 florins d'honoraires, tous frais payés .Le duc de Bretagne paie
200 écus pour une ambassade de deux personnes ;'i Avignon en 1*0 «î [métn.
Bretagne, II, 731), le duc de Lorraine 100 florins vieux du Rhin à Henri de
la Tour pour une mission près du duc de Bourgogne (TU. De la Tour, 6. 19
déc. 1434)....
20 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
l'empereur, ou à emprunter, ce qui serait peu honorable. Sans
doute, en disant un mot au roi de France, il en obtiendrait
des subsides, mais il aimerait mieux mourir... Il a fait dres-
ser le compte de ses dépenses par son secrétaire : com-
ment habiller lui et ses gens sur son traitement de cinq du-
cats par jour, son unique fortune ? Une peut plus renvoyer son
secrétaire, dont il a d'ailleurs besoin. Il expose avec amer-
tume que les autres ambassadeurs reçoivent leur traitement
et le remboursement de tout l'extraordinaire, sans avoir besoin
de réclamer. Il insiste avec désespoir '. Les plaintes succè-
dent aux plaintes. Le 19 septembre, il va être déshonoré, il
va être obligé de trahir les embarras de sa maîtresse, il va,
à sa grande honte, emprunter deux écus au bâtard de Clèves
et à l'ambassadeur d'Espagne, et s'en aller '... On lui envoie
deux cents écus. Il s'indigne : que faire de cette somme déri-
soire ? Il n'a seulement pas de quoi s'habiller. Il lui faut une
robe de soie, qui à elle seule absorbera la majeure partie de
l'envoi. Et habiller ses gens ? et payer ses dettes ?
En 1511, ses plaintes prennent un tour violent. Il est tou-
jours sous le coup du déshonneur. Il ne peut cependant pas
partir sans payer ses dettes. Quelle existence que de mendier
toujours ! « Le grand diable a voulu que la paix ne s'a faicte,
afin de m' entretenir pendu comme je suis. » Il écrit en même
temps deux lettres intimes à des conseillers de l'archidu-
chesse, pour direqu' « il n'en peut plus », et leur demander
au moins un prêt \ Il veut partir *... Du reste, Ferry CaroU-
delet, envoyé à Bologne, écrit aussi pour réclamer six mois
1) Lettres de Louis XII, H, 14 et s.
2) 21 sept. 1510. Lettres de Louis XII, II, 34, 3?.
3) Lettres de Louis XII, II, 212, 214-215.
4) Id., II, 230.
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 21
de gages arriérés, sans lesquels il ne pourrait montrer tout
son dévouement \
En 1512, « nous n'avons plus que frire, synonsur Credo, »
écrit le chargé d'affaires 3. André de Burgo sollicite instam-
ment l'envoi d'une lettre de change à son créancier, l'ambas-
sadeur florentin,... de quoi simplement payer ses dettes : il
invoque l'empereur3,... lequel ne paie pas, mais exhorte sa
fille à payer *.
Les préoccupations incessantes d'argent troublent profon-
dément les ambassadeurs. La pénurie était un obstacle na-
turel et matériel au succès des négociations. En revenant de
Rome avec l'ambassadeur de France, mêlé à des négociations
de première importance pour l'Europe entière, André de
Burgo envoie d'Inspriick un émissaire spécial à Bruxelles ré-
clamer six mois d'appointements; couvert de dettes en France
où il a laissé en gage sa vaisselle d'argent, il n'a plus de quoi
continuer sa route s. Une autre fois, à Lyon, la poste lui de-
mande quatre écus pour expédierses dépêches : où les prendre?
Il est « aussi bas » que s'il sortait d'une longue maladie. Il
a dépensé plus de 1100 ducats de son bien, et on refuse de
les lui rembourser, bien que ce soit « sueur de son corps et
peinne de son sang. » — « Madame, je n'en puis plus, et vous
1) Id., II, 246. Mercurin de Gattinara écrit à Marguerite d'Autriche que,
si on ne lui envoie point d'argent, il va faire faillite. Il va être obligé défaire
fondre sa cliaine (1509. Le Glay, Négociations, I, 268, 294). Naturelli écrit
de Rome à Maximilien qu'il ne vit que d'emprunts : « les postes me coustent
beaucop plus que mon ordinaire » (1506. Id., I, 125, 122). Il demande son
rappel. La pénurie des ambassadeurs impériaux était tellement connue qu'en
1506 un escroc cherche à se faire passer à Rome pour un envoyé de Maxi-
milien à Xaples, afin de pouvoir emprunter (id., I, 130).
2) Lettre du chargé d'affaires Leveau à Marg. d'Autriche (février 1512. Let-
tres de Louis XII, III, 175. Cf. Le Glay, Négociations, I, 503).
3) Mai 1512 (Lettres de Louis XII, III, 257).
4) Id., III, 203.
K) Février 1512 (Lettres de Louis XII, III, 159, 165).
22 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
advertys qu'il m'est impossible vous escripre si je n'ay le
moyen, car il me fault vivre, et j'ay honte pour estre ambas-
sadeur de l'Empire d'escripre qu'il le me fault oster hors de
ma bouche... » L'empereur lui adresse une lettre « mytié
doulce etaigre, » pour lui dire de n'être « si hardi » de quitter
son poste1. Mais comment faire, répondle malheureux Burgo,
et comment payer mes créanciers 2 ?
L'Allemagne et les Pays Bas profitaient de leur parenté
pour réaliser, comme on voit, des économies d'ambassade.
En même temps que Maximilien se servait ainsi cumula-
tivement en France de l'agent de Marguerite d'Autriche,
Marguerite use, pour le concile de Pise, de l'agent de
son père : « A dire vérité, en donne-t-elle pour motif, les
finances de par deçà sont si courtes qu'on ne scauroit
trouver ung denier pour faire la despesche \ » Parfois, Maxi-
milien et Marguerite se rejettent l'un à l'autre la charge de
l'ambassade à envoyer : c'est ainsi qu'ils apprennent, à leur
grande colère, en 1514, le mariage de la fiancée de Charles
d'Autriche, Marie d'Angleterre, avec Louis XII. Ils n'avaient
pu se mettre d'accord pour l'envoi d'un ambassadeur en An-
gleterre : Maximilien avait prié sa fille d'en envoyer un : Mar-
guerite avait répondu qu'elle trouverait « difficilement per-
sonnage qui ait voulu em prendre ladite charge, et aussy ce
qui estoit nécessaire pour le despécher, » mais qu'elle avait
près d'elle deux ambassadeurs anglais *...
Nous n'avons, pour les ambassades italiennes, qu'à répéter
ce que nous avons dit des ambassades françaises et alle-
1) En 1506, un ambassadeur d'Allemagne en France avait déjà déserté,
faute d'argent (Le Glay, Négociations, I, 143).
2) 6 juin 1511. Lettres de Louis XII, II, 266, 271.
3> 1511. Lettres de Louis XII, III, 90.
4) Lettres de Louis XII, IV, 296.
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 23
mandes. Là aussi, les gouvernements regardent beaucoup à
envoyer des ambassades et à les payer. Eu 1501, la ville de
Pistoia refuse de se charger du traitement de l'ambassadeur
Corso ; il faut que Florence le supporte '. L'ambassade vé-
nitienne envoyée à Worms en 140 i dépense cinq cents du-
cats par mois, et pourtant elle n'obtient rien du roi des
Romains ! Cette dépense inutile excite fort la bile des Véni-
tiens8.
11 y a en Italie trois et même quatre manières de rémuné-
rer les ambassades : 1° paiement d'une somme à forfait, sys-
tème extrêmement rare et exceptionnel *; 2° paiement sur
facture de toutes les dépenses. Les ambassades dans ces con-
ditions sont fort recherchées : ce sont les ambassades d'appa-
rat, dont on ne peut estimer d'avance la dépense * ; 3° paie-
ment par mois, limité ou demi-limité. Pour le paiement limi-
té, on fixe à tant par mois les honoraires, et on fixe aussi le
train imposé à l'ambassadeur. Le paiement demi-limité est
un système mixte. Ainsi, en décembre 1510, on propose, à
Venise, de donner à un ambassadeur deux cents ducats par
mois, avec obligation de justifier de la moitié, plus quatre du-
cats par bouche. L'avis prévaut de lui donner par mois cent
cinquante ducats nets, à ses risques et périls, avec une suite de
1) Oct. ioOl. Commission à Pistoja, dans les Œuvres de Machiavel.
2) Sanuto, Spedizione, 290.
3) Le sénat de Venise, le 1er avril 1477, alloue à Gradenigo une somme
considérable pour son voyage, 800 ducats, et le condamne à une amende de
500 ducats s'il n'a pas quitté Venise le 9 avril (Perret, Ihbl.de l'Ec. desChar-
tes, LI, p. 122).
4) Ambassade vénitienne pefur l'avènement du nouveau duc de Ferrare
(Sanuto, VI, 1-27 (.Quelquefois le système se modifie. I ne ambassade vénitienne
de ce genre, composée de six membres, envoyée à Home en 1509, perd de suite
un de ses membres : quatre autres reviennent en mars l.'HO, un seul reste à
Home, comme résident (Sanuto, X, 34). fie dernier, qui a été jusque-là aux
dépenses avec les autres, aura désormais 120 ducats par mois, et tiendra dix
chevaux (id., 42).
24 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
douze personnes, y compris le secrétaire et les gens '. A
Venise, c'est sur la question des traitements limités que
s'engage une vraie bataille. Personne ne veut les accepter '.
Marc Dandolo, élu ambassadeur à Rome, réclame comme
condition sine qua non une augmentation du traitement ;
on refuse, il refuse s. Fr. Foscari, désigné pour la France,
déclare qu'il ne peut s'y rendre pour dépenser son bien \
Z. Badoer, revenant de Hongrie, estime y avoir laissé plus
de jnille ducats de son patrimoine \ Nous ne connaissons
guère d'ambassadeurs qui se déclarent au-dessous des dé-
penses prévues 6 : d'après le compte de Paul Capello, am-
bassadeur à Rome en 1500, cet agent avait dépensé, en
seize mois et vingt et un jours de mission, 2900 ducats,
soit environ six ducats et demi par jour, près de deux cents
ducats par mois, y compris cent cinquante ducats de loyer,
et quelques dépenses extraordinaires, mais néanmoins nor-
males : cent trente ducats de médecine et de pharmacie,
trente trois pour menus présents, soixante pour des Hvrées
qui restaient à l'ambassade 7. . . Or, Venise n'accordait deux
cents ducats par mois qu'à l'ambassade en Hongrie8, et à une
ambassade près le soudan d'Egypte, avec douze gens et un
secrétaire 9. Les autres recevaient cent ducats par mois. On
proposa, en 1505, d'élever à cent vingt ducats l'ambassade de
1) Dec. 4510. Sanuto, XI, 665.
2) 3 août 1501. Sanuto, III, 90.
3) 28 janvier 1502. Sanuto, IV, 214.
4) Sept. 1500. Sanuto, III, 757.
5) 1504. Sanuto, V, 823.
6) L'orateur vénitien envoie de Nantes, le 21 octobre 1500, une lettre sur
ses comptes. Il dit être resté de 750 ducats en deçà de ce qu'il pouvait dépen-
ser (Sanuto, III, 1050).
7) Reu.nont, Délia diplomazia italiana, p. 232.
8) Janv. 1501. Sanuto, III, 1252.
9) Sanuto, IV, 286. Domenico Trevisan, partant en ambassade en Egypte,
emporte 500 ducats (1512. Schefer, Le voyage d'outremer, p. 247).
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 25
Rome, à cause du prix des vivres ; la motion ne réussit pas ',
C'est en 1506 seulement que, dans l'impossibilité de trouver
des ambassadeurs, le conseil de Venise dut fixer à cent vingt
ducats le salaire mensuel fixe ', ou à cent cinquante, moyen-
nant une reddition de compte s. Vainement on proposa d'é-
lever à cent quarante ducats fixes l'ambassade de Rome *.
On envoie à Londres un ambassadeur à cent vingt ducats, avec
l'obbgation de mener huit chevaux 5. Dès 1503, Dandolo
avait obtenu, en France, cent cinquante ducats, en démon-
trant qu'il dépensait sa fortune6. Son successeur de 1506,
Mocenigo, ramené à cent vingt ducats, proteste avec une
extrême énergie, au nom des précédents, au nom des dépenses
ordinaires et extraordinaires, si considérables, si variées,
qu'impose l'obligation de garder « el decoro, » au nom de
l'égalité, au nom de l'intérêt de l'Etat, des promesses qu'on
lui a faites 7.
A Florence, il en était de même. Boccace, envoyé à Avi-
gnon, en 1365, recevait deux florins par jour; à la fin du
XIVe siècle, le salaire monte à quatre ou cinq florins par jour8.
On tâtonna beaucoup pour concilier les intérêts de l'Etat et ceux
des ambassadeurs, sans y arriver : en 1408, on divisa les am-
bassadeurs en deux classes, l'une pouvait dépenser jusqu'à
1) 5 mai 1505. Sanuto, VI, 460.
2) Salaire aussi des provéditeurs, qui refusaient également (Arch. de Ve-
nise, Secreto 41, 194).
3) 17déc. 1506. Sanuto, VI, 511.
4) 21 déc. 1506. Sanuto, VI, 514.
5) Janv. 1510. Sanuto, IX, 468.
6) 22 déc. 1503. Sanuto, V, 591.
7) Dépêche de Blois, 3 mars 1506 (Arch. de Venise). A Venise, les testa-
ments portent souvent un legs au service des ambassades, pour soutenir
l'honneur de la république (communication du-Commr Stefani, l'éminent
directeur des Archives de Venise).
8) Salviati, avec sept chevaux, à Rome, reçoit, en 1401, 4 florins ; en France,
en 1404, il reçoit 5 florins (Reumont, p. 231).
26 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
cinq florins par jour, avec dix chevaux, l'autre jusqu'à quatre
florins, avec huit chevaux ; et encore sous réserve de rendre
compte. Pour un couronnement, on fournissait des vête-
ments d'apparat à l'ambassadeur, mais il devait les restituer
au retour \ En 1430, on décida même d'attacher aux am-
bassades un massier chargé de tenir les comptes. Au retour,
un mois après la production de ces comptes, on allouait un
salaire maximum d'un florin par jour à l'ambassadeur de
première classe, d'un demi florin aux autres, pourvu que le
chiffre des dépenses et le salaire additionnés ne dépassassent
pas cinq ou quatre florins, suivant les cas 2. Aussi c'était à
qui n'accepterait pas d'ambassade.
Au temps de Machiavel, on suit un système différent.
Machiavel reçoit dix livres par jour, y compris ses gages
de deuxième secrétaire, ou cinq livres, sans les comprendre.
En 1510, pour son séjour en France, son traitement fut
élevé de dix livres à douze 8. Aussi les dépêches de Machiavel
sont remplies de demandes d'argent, de plaintes, d'objurga-
tions, d'impatiences, aussi vives que celles d'André de Bur-
go, quoique plus châtiées en la forme. En 1500, comme pro-
vision de départ, on ne lui a donné que quatre vingts ducats*.
« La modicité de notre traitement, les dépenses qui nous
incombent, le peu d'espérance de recevoir de nouveaux se-
1) En 1502, pour le mariage d'Alphonse d'Esté avec Lucrèce Borgia, les
deux envoyés vénitiens reçurent chacun un manteau de velours cramoisi,
fourré, tout neuf, qu'ils essayèrent à Venise devant 4.000 personnes : après
s'être présentés à Ferrare avec ce manteau, ils l'ôtôrent et l'offrirent à la du-
chesse en cadeau de noces au nom de la République, ce qui parut un trait
d'économie fort plaisant (Gregorovius, Lucrèce Borgia, tradon Regnauld, II,
58).
2) Décision citée par Canestrini, Scritti inediti..., u, lu.
3) Id., p. L1II-LV.
4) D'après la commission, il recevait 20 gros florins par mois, outre son trai-
tement, et son compagnon François Délia Casa 8 petits florins par jour, soit
le double.
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 27
cours nous mettent dans un grand embarras, » écrit-il de la
cour de France, dès sa seconde lettre l. Dans la troisième, il
demande une avance pour les frais de courriers, n'ayant « ni
argent ni crédit. » Dans la quatrième, il réclame son rap-
pel ; dans la cinquième, il annonce que l'argent remis par
Florence représente les deux tiers des dépenses, et qu'il faut
envoyer les courriers sur la bourse personnelle des ambassa-
deurs. Dans la huitième, il insiste vivement sur la disparité
des traitements des deux ambassadeurs. Dans la treizième, il
demande un envoi d'argent, « notre fortune et notre crédit ne
nous permettant pas, comme à beaucoup d'ambassadeurs, de
vivre ici plusieurs mois, ni même plusieurs semaines, à nos
dépens. » Dans la lettre suivante, il dit qu'il va falloir renon-
cer à la mission. Dans la seizième, il est heureux d'économi-
ser trente cinq écus sur un courrier. Le 1 1 octobre 1500, il écrit
par la poste, faute, dit-il, de pouvoir payer un courrier.
Dans ses dépêches du 18 décembre 1502 près du duc de Ya-
lentinois, dans la dépêche de Vettori du 8 février 1508, près
de l'empereur, dans la dépêche du 12 décembre 1509 à Man-
toue, nous trouvons des plaintes semblables. Machiavel con-
sacre à Rome, le 22 novembre 1503, une dépêche à l'établis-
sement de ses comptes. Il avait reçu au départ trente trois
ducats ; les frais de poste en ont absorbé treize, l'achat d'une
mule dix huit, l'achat d'habits trente neuf, en tout soixante
dix : le séjour à l'auberge coûte dix carlins par jour. Il sol-
licite au moins le remboursement des frais de route, comme,
dit-il, cela s'est toujours pratiqué.
Les ambassadeurs vénitiens ne se plaignent pas moins * ;
1) Dép. du 8 oct. 1500.
2) L'ambassadeur vénitien à Londres, en 1509, se plaint de ne pouvoir,
faute d'argent, faire honneur à la Seigneurie (Sanuto, VIII, 281) : il a « im-
peguato li argenti, per non trovar danari a cambio » (Nov. 1SQ9, pendant la
guerre de Venise avec la France et l'Allemagne. Sanuto, IX, 418).
28 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
on trouve exactement les mêmes réclamations dans la diplo-
matie milanaise !. Toutes les diplomaties se ressemblent sur
ce point.
En réalité, quand les ambassadeurs justifiaient d'impé-
rieuses nécessités, les gouvernements devaient bien céder.
L'ambassadeur italien en France, outre sa provision du dé-
part, touchait d'ordinaire une somme à son arrivée à Lyon ;
de plus, son prédécesseur lui remettait, s'il y avait lieu, l'en-
caisse de l'ambassade. L'ambassadeur cherchait à rejeter sur
la Seigneurie le poids des dépenses extraordinaires ou des
avances de fonds : expédiait-il un courrier, il le payait (quand
il pouvait) par une lettre de change sur son gouvernement.
Ant. Giustinian, ambassadeur de Venise à Rome depuis
deux ans, écrit qu'il n'a jamais eu qu'un cheval, maintenant
hors d'état et qui ne peut plus se monter convenablement. Il
prie son gouvernement de l'autoriser à en acheter un autre ; il
donnera le vieux à un de ses serviteurs, qui avait prêté le sien
à un courrier, expédié pour porter la nouvelle de la mort du
pape Alexandre, et auquel des gens d'armes l'ont volé. Gius-
tinian ajoute qu'il achètera le cheval à aussi bon compte que
possible, et il voudrait le payer en une lettre de change sur
Venise 2. L'ambassadeur de Venise à Londres, tout en récla-
mant de l'argent, demande qu'on donne passage à sa femme
sur les galères de l'Etat pour venir le rejoindre, avec son gen-
dre comme capitaine. Il écrit à sa femme de faire diverses dé-
penses, et prie la Seigneurie d'octroyer quatre cents ducats
pour les rembourser'. Diverses autres dépêches montrent
1) Dépêches des ambassadeurs de Galeas Maria Sforza (Gingins la Sarraz,
Dépêches..., I, V).
2) 6 févr. 1505. Dispacci di Giustinian, III, 403.
3) Sept. 1510. Sanuto, XI, Ô90.
TRAITEMENTS DES AMBASSADEURS 29
qu'en définitive les ambassadeurs vénitiens obtenaient des
suppléments sur justification '.
D'après la Relation vénitienne de Marino Cavalli. en 1546,
les ambassadeurs des diverses puissances recevaient d'ordi-
naire huit à dix ducats 3 ou écus par jour ; de plus, certains
ambassadeurs touchaient 2 ou 3 0/0 sur les affaires des parti-
culiers. Cavalli cite un ambassadeur allemand qui gagna
3.000 écus de ce dernier chef. Il était d'usage aussi qu'une
ambassade valût la collation de bénéfices ecclésiastiques plus
ou moins opimes.
Les envoyés vénitiens ne recevaient que cinq ducats 8.
Un ambassadeur ne peut accroître ses ressources par des
actes d'industrie personnelle : ouvrir un cabinet d'avo-
cat, de médecin, faire le négoce... Tout au plus lui per-
met-on de donner des conseils gratuits, à titre amical. Il doit
compte à l'État de tout son temps et de tous ses efforts *. Il
déroge bien rarement à cette règle. Cependant, en 1499, deux
1) Foscari écrit de Lyon, le 16 septembre 1501 : « II y aura le 24 un an
que je suis en cette légation. J'ai touché en tout 1400 ducats, soit 200 au dé-
part, 200 à Lyon, 1000 remis par mon prédécesseur. Les courriers et autres
semblables dépenses m'ont coûté 140 ducats, compris les deux courriers qui
m'accompagnèrent en France, que j'eus pendant deux mois «à mes épaules»,
et dont je dus payer le retour. J'espère que, quoique je sois toujours en mou-
vement et depuis six mois en Bourgogne ou ici, où règne une grande pénurie
de vivres, Y» Seigneurie approuvera mes dépenses, laites avec toute la parci-
monie possible » (Archives de Venise). Il écrit de Lyon, le 22 octobre 1500 :
« On ne m'a donné au départ que 1200 ducats; Bened. Trevisan devait m'en
faire donner 1000. Il est en Bretagne avec le roi, et ne peut faire ouvrir ce
crédit en son absence. Heureusement, j'ai trouvé personnellement du crédit.
Le voyage est long, en Bretagne ; il y aura le 25 un mois que j'ai quitté Ve-
nise. Avant de partir, j'ai donné. des salaires à ma famiglia, et fait les autres
dépenses ordinaires et extraordinaires en carriazzi. carrozze et autres. Il
me faut de T'argent, car 200 ducats n'ont pu me mener loin » (Mêmes ar-
chives) .
2) Le ducat valait alors 7 à 8 livres.
3) Tommaseo, Relations des ambassadeurs vénitiens, I, 361.
4) Martinus Laudensis, De legatis, q. 35.
30 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
ambassadeurs de Russie viennent à Venise, suivis d'un mar-
chand, qui offre avec eux des fourrures au doge, et leur suite
vend une quantité de fourrures1. Il est évident qu'on pour-
rait refuser à un commerce de ce genre le bénéfice de l'im-
munité diplomatique. Mais une ambassade uniquement en-
voyée pour des achats trouve très bon accueil dans les répu-
bliques commerçantes *.
L'ambassadeur espagnol Puebla tient à Londres un cabinet
d'avocat et rançonne ses compatriotes : sur les plaintes qui
s'élèvent, le gouvernement espagnol prescrit une enquête en
1198; mais, comme Puebla a l'oreille du gouvernement an-
glais, l'enquête n'aboutit qu'à lui faire adjoindre un autre
ambassadeur, l'évêque don Pedro de Avala, qui revenait
d'Ecosse 3.
1) Sanuto. III, 61.
2) Ambassade du voivode de Moldavie envoyée à Venise pour acheter des
joyaux et des étoffes, avec des lettres de créance et des présents de fourrures
(1506. Sanuto, VI, 291).
3) Bergenroth, Calendar of letters; de.iputr.hes..., preseroed in the archives
of Simancas, p. xvm, 164 et s.
CHAPITRE V
IMMUNITÉS
La diplomatie repose essentiellement sur le droit d'aller et
venir librement. Toute personne, régulièrement munie d'une
commission d'envoyé, a le droit, ipso facto, de circuler, parmi
les ennemis comme parmi les amis, sous la sauvegarde du
droit naturel et divin. De tout temps, la personne de l'ambas-
sadeur a été revêtue d'un caractère sacré : c'est un principe
absolu, universellement proclamé en droit romain1 aussi bien
qu'en Grèce, conservé par une longue et inviolable pratique ",
et imposé par lanécessité3. « [Oratoribus| etiam ad bostes ipsos
per omnia quasi secula tutus aditus esse consuevit, ipsumque
legati nomen apud omnes sanctissimum est *. » L'envoyé part
« au nom de Dieu, au nom de l'Esprit Saint, de la Vierge 5 »,
et sous cette égide, quel qu'il soit, ambassadeur ou simple
t) « Sic enim sentio jus legatorum... etiam divinojure esse vallatum» (Ci-
céron, De Ituruspiciis, c. 16): « Sancta sunt corpora legatorum » (Varron,
De lingua latina, 1. m) etc. Etienne Dolet, dans son traité De officio legati,
§ De immunitate legatorum, imprimé à Lyon, en 1541, cite Tite-Live, Quinte
Curce, Thucydide, etc., etc. Y. Sulï inviolabililà degli agenli diplomatici,
par le prof. L. Olivi, Modena, 1883, p. 8.
2) Conradi Bruni, De leyationibus libri quinque, 1548 : lib. îv.
3) « Legati habent immunitatem a lege, ut possint ire secure etiam ad
hostes » (Martini Laudensis, De legalis, q. 18).
4) Lettre du duc de Milan, 29 mai 1454 (Lettres de Louis XI, I, p. 253).
5) « Cum el nome de Dio : » « Innumine Domini. » Presque toutes les ins-
tructions vénitiennes portent cette mention, à laquelle on ajoute quelquefois
celle de St Marc. V. nul. Instructions vénitiennes, du 5 mai 1509, du 17 mai
1509 (A. de Veuise, Secreto 41, 171, 180 *o): ±± déc. 1512 (mêmes Archives) :
26 sept. 1499 (mêmes Archives, Secreto 37, 128).
32 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
trompette parlementaire, il ira jusqu'au milieu d'une armée
ennemie.
Il a pour bouclier toutes les lois divines, naturelles et
positives, son assimilation à la personne même du prince qu'il
représente ', les vieilles lois romaines *, surtout les lois cano-
niques \ « De droit escript, dit Honoré Bonet, les ambassa-
deurs ou les légats vont tout seurement par les champs. Et...
nuls ne les doit empeschier ne destourber ne faire injure *. »
L'injure contre eux constitue un sacrilège 5,tout obstacle à leur
mission comporte une excommunication de plein droit 6, sans
préjudice de la peine criminelle. Conrad Briinn les compare
à des anges du ciel, aux apôtres du Christ, au Christ lui-même,
type suprême du légat, de l'ambassadeur de Dieu 7 ; le Décret
de Gratien les assimile, « cum suis rébus », aux choses sa-
crées 8 : aux églises, aux pauvres, aux femmes, aux gens sans
armes, aux clercs : quiconque leur porte préjudice, encourt,
par le fait même, anathème, jusqu'à complète expiation B.
i) L'injure à lui faite est faite au prince (Martinus Laudensis, De legatis,
q. 19).
2) Lex Julia, de vi publica : Mart. Laudensis, q. 5, 12, 18.
3) V. le savant mémoire de M. Nys, Les origines de la diplomatie, pages 33
et suivantes. Dans l'ancienne diplomatie russe, l'inviolabilité des envoyés était
stipulée par les traités (Serge de Westman, Revue d'Histoire Diplomatique).
4) L'arbre des batailles, cxcvi.
5) M. Laudensis, q. 38.
6) Id., q. 12. — « Legati dicuntur sancti » (id., q. 31 1.
7) De legationibus, lib. iv.
8) <( Dans la diplomatie russe du Moyen-Age, dit M. de Westman (loc. cit.),
le meurtre d'un ambassadeur était considéré comme un crime exceptionnelle-
ment grave. Mais ceux des Polovetz, et dans la suite les ambassadeurs des
Fatars, n'étaient pas toujours assurés de leur inviolabilité. Souvent les am-
bassadeurs d'un prince apanage étaient retenus comme otages par un autre.
Une offense contre eux était punie comme envers un prêtre ou un des plus illus-
tres personnages. L'amende pour une telle offense était portée au double de la
somme ordinaire. »
9)' Decretum Gratiani, Secunda pars, causa xxiv, quest. m,c. 24, 25 (édon
Friedberg, I, c. 997).
IMMUNITÉS 33
Rien ne peut donc arrêter une mission diplomatique. Avant
la bataille de Fornoue, Charles VIII envoie un trompette au
camp italien, proposer des négociations. Le provéditeur vé-
nitien répond que,, si un second parlementaire se présente, il
sera massacré. Un second trompette arrive ; le provéditeur
se borne à « l'envoyer au diable », et, du reste, un autre pro-
véditeur accepte les propositions '. Le fait même qu'un am-
bassadeur vient d'un pays contaminé par la peste ne fournit
pas un motif suffisant, à ce qu'il semble, pour retarder sa
mission '.
Il est évident toutefois que l'immunité nécessite la produc-
tion de pouvoirs réguliers. Ainsi elle est assurée aux ambassa-
deurs résidents ou temporaires, aux ambassadeurs d'apparat,
aux hérauts et trompettes en mission, aux ambassades secrètes
régulièrement accréditées, mais l'agent officieux non accré-
dité n'a droit à aucune sauvegarde.
Quant aux consuls, malgré leur caractère public et leur
rôle fréquent de sous-agents politiques, ils sont seulement
chefs d'une colonie marchande, et ne peuvent se prévaloir de
l'immunité diplomatique 3. Si la personne dont ils ont à se
1) Sanuto, Spcdizione, 4S4-4oo. x
2) Sanuto, III, 893.
3) Cela résulte de leurs rapports eux-mêmes. V. un rapport de Damas*
constatant que le consul de Venise a été battu (21 février 1501. Sanuto, IV,
6). Des marchands vénitiens ayant été mis en prison au Caire, le consul de
Damas arrive faire une réclamation. Le Soudan le reçoit fort mal : il l'accusé
d'avoir donné à des envoyés du Sophi à Venise une lettre de recomman-
dation : il le traite non de consul, mais d'espion, et le fait mettre aux fers.
Le consul d'Alexandrie vient réclamer ; comme il ignore les faits, on le laisse
en liberté, maison arrête ses marchands (mars 1511. Sanuto, XII, 207, 210
et s.) : les marchands vénitiens emprisonnés avec leur consul de Damas, au
Caire, écrivent pour demander l'envoi d'un ambassadeur (mai 1511. Sanuto,
XII, 21 i) ; l'ambassadeur vénitien envoyé au Caire désavoue pleinement le
consul en cas de faute, et déclare que la Seigneurie n'y est pour rien, qu'elle
fera justice : il attache lui-même la chaîne au cou du consul. Il obtient ainsi;
3
34 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
plaindre est un de leurs nationaux, ils peuvent déférer la
poursuite à leur gouvernement !.
Une personne qui obtiendrait une fausse mission diploma-
tique pour traverser sûrement un pays, commettrait un acte
fort repréhensible et de mauvaise foi 2.
L'ambassadeur a un caractère sacré, non seulement dans le
pays où il est destiné, mais dans ceux qu'il traverse. Cepen-
dant, en fait, certains gouvernements italiens ont souvent
donné l'exemple d'arrêter, au moins, des courriers. Le roi
Louis XII reconnaît le principe du respect dû aux ambassa-
deurs ou aux courriers étrangers qui traversent la France : la
question se présentait pour l'Espagne 3. Les Anglais ne re-
connaissent point d'immunité diplomatique aux ambassa-
deurs, ni même aux princes voyageurs, qu'une tempête jette
sur leurs côtes ; ils appliquent strictement le droit de prise, au
point qu'on vit le roi d'Angleterre faire prisonnier l'archiduc
Philippe, jeté sur les eûtes au commencement du XVIe siè-
cle a son retour d'Espagne en Flandre ; mesure, d'ailleurs,
jugée contraire au droit international.
En 1458, Charles VII fait payer la rançon (4.000 écus d'or)
de Guillaume Menipeny, seigneur de Concressault, envoyé en
ambassade près le roi d'Ecosse, et naufragé en Angleterre :
après des explications orageuses, la permission de l'emmener enchaîné (Ch.
Schefer, Le voyage d'outremer, p. 194-196, i.xxxi), mais il n'excipe d'aucun
principe d'immunité diplomatique.
1) Rapport du consul vénitien à Londres, constatant qu'un vénitien l'a
frappé sur la gala. Un autre national écrit pour défendre celui qui a frappé.
L'affaire est renvoyée aux avogadori (Venise, janv. 1504. Sanulo, V, 7;-!0).
2) Le traité de Louis XII avec l'archiduc, (pie te roi d'Espagne refusa de ra-
tifier, fut considéré comme un mauvais artifice de l'archiduc pour traverser
sûrement la France, à ce qu'assure Wicquefort, Mémoires..., p. 56i.
3) Ordre de délivrer un sauf conduit à un envoyé de l'archiduc en Espagne
[fr. 2928, f" '(). Par une lettre du 13 mars 1506, Maximilicn demande au
cardinal d'Amboise un sauf conduit pour les ambassadeurs qu'il envoie en
Oastille (fr. 2756, f» 261).
IMMUNITÉS 35
le navire s'était perdu corps et biens, Menipeny et ses gens
« furent prins et emprisonnés par noz anciens ennemis et ad-
versaires les Englois*. » Les Suisses, en paix avec la France,
violent de même le droit des irons en 1483 ; ils arrêtent An-
toine Loivdan. envoyé en ambassade de Venise en France, et
ne lui rendent la liberté que sur sa parole de ne rien négo-
cier contre le pape '".
Jusqu'à quel point s'étend la sauvegarde due aux personnes
et aux cboses d'une ambassade qui traverse le territoire?
doit-ou à l'envoyé une liberté sans limites ? L'ambassadeur
aura-t-il toute licence de parler à qui bon lui semble, de se
concerter, de recevoir des visites ? Non. Le gouvernement
peut mettre sous bonne garde la maison où il séjourne et ré-
gler ses rapports dans le pays 3.
Jusqu'où s'étend l'immunité diplomatique, proprement dite?
On distingue. Pour les faits antérieurs à la mission, pas de
doute : l'immunité civile et pénale est absolue. L'effet des lois
se trouve suspendu. On ne peut opposera l'envoyé ni droit
de marque, de représaille ou d'entrecours \ ni poursuite
pour dette, rupture de ban ou bannissement ''. Un banni ren-
trera librement, s'il est revêtu d'un caractère diplomatique 6,
1 1 Calaloyue de Documents.., Eugène Charavay, novembre 1885 : Document
i. — Paiement à un capitaine de navire chargé d'amener d'Ecosse Robert
Coqueborne, aumônier du roi, el un chcvauclieur du roi. Le navire ayant t'ait
naufrage, Coqueborne avait été retenu prisonnier (1507. Kr. 20436, fo 39).
■2\ 1483. Dclaborde, Expédition de Charles VIII, p. 150.
.'. Des ambassadeurs turcs se rendant en France sont mis à Venise sous
bonne garde et on ne permet aux- ambassadeurs de Rhodes de conférer avec
eux qu'en présence de personnages vénitiens (Sanuto, III, 571-572).
i h Non possunt oapi pro represaliis » (Martin de Lodi, citant Angé-
lus et Bariole, De légat is, q. 31).
- tut' conduit de 1 iOl Kymer. IV, 1, 4). G. de-Villadiego, De legntn, q. 5.
I1 - \ go, un ambassadeur près du pape, sous le coup d'une ex-
iimuuicalion antérieure] doit être relevé de cette excommunication.
*j) Légation du cardinal Balue, en 1485.
36 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
mais, bien entendu, un motif de convenance ' doit empê-
cher une telle mission. S'agit-il au contraire d'une responsa-
bilité personnelle, encourue dans le cours même de la mis-
sion, la question est controversée. Honoré Bonet croit qu'on
peut poursuivre, criminellement et civilement, un ambassa-
deur, « pour les choses qu'il auroit faictes sur le chemin '. »
Cette doctrine ne prévaut pas en fait. Il est très fréquent
qu'un ambassadeur s'endette, qu'il se trouve réduit aux ex-
pédients ; il peut s'en désoler, mais il ne craint que l'effet moral
résultant de son insolvabilité : il est assuré de l'impunité 3.
Pour en citer un seul exemple, l'ambassadeur de Charles VIII
à Florence écrit que, faute d'envoi d'argent, il a dû con-
tracter des dettes considérables, qu'il est à bout, qu'il ne lui
reste qu'à partir. Et il fait remarquer, avec raison, combien
la disparition d'un ambassadeur dans de telles conditions
nuirait au prestige de la France.
De même pour les lois pénales. Appuyés sur le droit ro-
main qui considère le legatus (à un tout autre point de vue)
comme emportant partout avec lui la loi romaine que les
jurisconsultes de Rome estimaient la loi de l'univers, les juris-
1) Nie. Michiel, élu orateur de Veniseen Hongrie, expose que, depuis trente-
quatre ans, il est au service de la république, qu'il ira où on voudra, mais
qu'en Hongrie il est condamné a mort par contumace, pour avoir fait, en
•1472, assassiner un capitaine par ordre de la république. On admet son ex-
cuse (16 déc. 1500.Sanuto, III, c. 1176).
2) « Se ung légat sur son chemin commettoit aucun délit, il seroit bien
tenu pour celui de respondre en jugement » (Hé Bonet, L'arbre des batailles,
c. xcvi. Cf. J.J. a Canibus, De liepresaliis, dans le Rec. de Ziletti, XII, p.
278, no 44).
3) Sauf conduit de 1401. Cependant l'ambassadeur espagnol à Londres
Puebla prétend que son collègue d'Allemagne vient d'être saisi pour dettes et
« a failli » être jeté en prison (Bergenroth, Calendar of letters, despatches...
preserved in the archives at Simancas, i, xxix). Les Siete Partidas d'Al-
phonse X autorisent en Castille les poursuites contre des ambassadeurs pour
dettes contractées durant leur séjour (Nys, Les Siete partidas et le droit dé
la guerre.
IMMUNITÉS 37
consultes du Moyen Age ont imaginé cette fiction de l'exter-
ritorialité, en vertu de laquelle l'ambassadeur emporte par-
tout sa loi personnelle, lui reste exclusivement soumis1 et
même est censé ne pas quitter le sol de son pays s. Conrad
Brilnn insiste fort sur ce principe d'exterritorialité, au point
de vue civil : il n'aborde pas le point de vue pénal, mais
comme ses successeurs ne font aucune distinction, nous pou-
vons suppléer à son silence en supposant que lui-même n'en
faisait pas davantage.
Cette fiction pourtant ne passe pas sans susciter quelques
réserves ' : et surtout elle se beurte à des contradictions. Ne
parlons même pas de la bizarrerie de la situation qui parait
en résulter pour les ambassadeurs non nationaux, si nom-
breux alors : par exemple, de la situation du cardinal d'Am-
boise, ministre en France, et légat a latere du pape dans le
même pays... On admet que l'ambassadeur, pendant sa
mission, échappe en partie aux lois de son pays d'origine ;
que son éloignement constitue un cas d'absence légale *.
Par contre, on le reconnaît tenu de se conformer à certains
règlements du pays de sa résidence, ne fût-ce qu'aux usages
de police 5. Et d'autre part, certains auteurs lui attribuent
1) Les Romanistes déclarent, d'après les lois romaines, que les ambassa-
deurs à l'étranger peuvent tester selon le droit romain, c'est-à-dire selon
les lois de leur pays Martini Laudensis, De legntis, q. 21).
2) C. Brùnn, De legatiouibus, IV, c. 3 ; Paschalii, Legalus, clxxiii. Cf.
Nys, Les origines de la diplomatie, p. 41 .
3) Nous venons de citer un ambassadeur vénitien, condamné par coutu-
mace en Hongrie, pour avoir fait assassiner un capitaine par ordre de son
gouvernement.
4) Comme nous l'avons dit, une ambassade dispense légalement de la tu-
telle (.Martini Laudensis, De legalis, q. 32). L'ambassadeur n'est pas tenu de
constituer procureur dans ses procès en cours, s'il doit bientôt revenir (id., q.
28). Un jugement rendu contre un ambassadeur absent et non représenté ou
mal représenté, sera déclaré nul, à moins que le. juge n'ait connu l'absence
(ici., q. 30). Cf. ci-dessus, page 2.
5) Quand on voyage, on doit vivre, dit Vincent Rigault, selon l'usage du
38 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
même une juridiction personnelle. Villadiego enseigne que le
légat pontifical, en cas d'injure ou d'empêchement notoire,
peut se faire justice à lui-même et frapper les coupables de la
peine d'interdit : mais s'il faut une instruction pour éclaircir
les faits délictueux, le légat ouvrira-t-il une enquête ? la ques-
tion est discutée, répond Villadiego \ Elle était, en effet, dis-
cutée en droit romain, et les textes du Digeste sont contra-
dictoires. D'après un paragraphe de la loi 7 De legationibus,
en cas d'attentat contre le légat, on devait livrer le coupable
au gouvernement du légat : ce principe, si contraire aux no-
tions fondamentales de la justice et de la nationalité, prit fa-
veur, dans certains pays, vers la fin du XVIe siècle 2, mais à
la fin du Moyen Age, il n'est pas admis. Frapper, violenter,
injurier 3 un ambassadeur constitue le crime de violence
publique4, crime mixti fori, c'est-à-dire qui relève à la fois
des tribunaux ecclésiastiques, comme contraire aux constitu-
tions apostoliques, et des tribunaux criminels locaux, en vertu
d'un second texte du Digeste Ad legem Juliam de vi publicà 5.
En fait, lorsqu'un attentat s'estproduit, le gouvernement local
le poursuit d'office et s'empresse de le réparer 6. Le conseil
pays où l'on se trouve (Allcgationes Vincentii, Paris, 1812, faxxvi v°). L'am-
bassadeur doit les impôts de droit commun pour ce qui n'est pas de son usage
personnel, selon Martin de Lodi (De legatis, q. 16).
t) De legato, q. 6. Par la suite, on poussa plus loin cette doctrine, en
attribuant aux ambassadeurs des grandes puissances une juridiction positive,
bornée seulement par les limites d'un quartier déterminé.
2) Ern. Lehr, Manuel théorique et pratique des agents diplomatiques,
p. 221.
3) Le pape se montre fort mécontent que la présence d'une ambassade alle-
mande à Rome, en 4464, donne lieu à des manifestations hostiles, avec les cris
de Austria (lettre de l'archevêque de Milan, citée par Pastor, Hist. des papes,
t. IV, p. 47, n. i, de l'édition française).
4) Allegationes Vincentii, f° xxvi v°.
5) Mart. Laudensis, q. 5.
6) V. un intéressant travail de M. Eugène Jarry, dans la Revue d'His-
toire Diplomatique (année 1892, p. 173etsuiv.), sur un coup demain auda-
IMMUNITÉS 39
des Dix do Venise ordonne, avant le départ d'une ambassade
russe, de lui faire1 remettre Une pièce d'étoffe, semblable à
une autre qui lui avait été volée \ M. de Gramont, ambassa-
deur à Rome, attaqué et pillé à Viterbe par des brigands, re-
çoit une indemnité de 1300 ducats : les voleurs sont immé-
diatement pendus et exposés au pout S1 Ange ». En novembre
1500, dans une rue de Tours, le sire de la Marck se rendait àla
cour, lorsqu'un page de l'ambassade allemande lui donne sur
le pied un coup assez violent ; La Marck répond par un coup de
canne. Surviennent les ambassadeurs : le second ambassadeur,
qui était chevalier, s'écrie : « Monseigneur, c'est assez, ne frap-
pez plus le page. — Toi aussi, riposte La Marck irrité, gare
i\ toi ! — Comment ! dit l'ambassadeur, nous ambassadeur de
l'Empire ! » et il se précipite sur La Marck, saisit sa canne et
l'arrête... Louis XII, à cette nouvelle, fit fermer les portes de
la ville et donner des ordres de justice : il laissa aux ambas-
sadeurs le rôle de solliciter la grâce de La Marck 8.
L'ambassadeur ne peut jouir de l'immunité que dans les
limites de sa fonction ; s'il les excède, il perd le droit au res-
pect*. Il en sortirait s'il se mêlait subrepticement à la politique
intérieure du pays où il réside. On cite ce fait qu'en 1510
Jules II, outré de la présomption d'un ambassadeur de Savoie
qui lui offrait sa médiation pour apaiser les difficultés de l'uni-
vers catbolique, le traita d'espion, le fit arrêter et mettre à la
question. En 1507, le bruit court, et il semble tout naturel, que
cieux du duc de Bourgogne, qui lit, en 1415, enlever sur le territoire du duché
de Bar une ambassade française destinée au concile de Bâlc. Cet attentat pro-
voqua une véritable stupeur ; le duc de Bar lui-même se chargea de le venger
les armes à la main.
1) avril 1500. Sanuto, III, c. 272.
2) 1500. Sanuto. III, c. 403.
3) Sanuto, III, 1204.
4) Petrini Belli, Albensis,... De re militari et bello (Venise, 1563, 4°),
p. n, t. IX.
40 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
le roi des Romains va faire arrêter un ambassadeur de France
qui suborne des membres de la diète, parce que cet ambassa-
deur se livre ainsi à des actes d'agent secret : le roi des Ro-
mains prétendait en avoir acquis la certitude en interceptant
un courrier de France ' .
Aussi, un gouvernement peut faire surveiller de près les am-
bassadeurs, dùt-il laisser dire qu'il les traite en quasi-prison-
niers*. En août 1511, le roi d'Angleterre fait espionner un am-
bassadeur du pape et constate qu'il a la nuit, dans des con-
ditions très secrètes, « derrière certains murs »,des commu-
nications avec l'ambassadeur de France. Il le fait arrêter et
le menace de la torture. L'ambassadeur avoue, mais il dé-
clare avoir agi selon les instructions du cardinal de Pavie, lé-
gat et confident du pape. Le roi écrit de suite au pape, pour
se plaindre de cet abus 3... L'ambassadeur doit donc se tenir
strictement dans son rôle de représentant d'un gouvernement
près d'un autre gouvernement, sans se mêler de pratiques se-
crètes, sinon il risquerait de perdre son immunité.
Quant à l'agent secret, bien entendu il n'a droit à aucune
immunité : le gouvernement peut le faire arrêter, et mettre
obstacle à sa mission *.
L'immunité cesse également de plein droit en cas de trahi-
son volontaire ou involontaire. Ce point ressort d'un fait assez
curieux. Un courrier de France, venant de Venise, en décembre
1) 1507. Sanuto VII, 95.
2) Wicquefort, Mémoires..., p. 281, 560, 540.
3) Sanuto, XII, 333.
4) Un agent secret vénitien fut envoyé à Lisbonne, en 1504, sous prétexte
d'affaires commerciales, en réalité pour surveiller le commerce avec les Indes.
Prévenu de son arrivée par un florentin, le roi Emanuel le fit arrêter le len-
demain de son arrivée, comparaitre devant lui et envoyer en prison. Après
plusieurs interrogatoires, il le fit relâcher. L'agent resta jusqu'en 1506 et ré-
digea un long mémoire (Heyd, Hist. du commerce dans le Levant, édition
française, II, p. 525).
IMMUNITÉS 41
1500, voyage avec un milanais, titulaire d'un sauf conduit vé-
nitien. A Gambaro. sur le territoire de Venise, assaillis par
quatre hommes masqués, ils sont tous deux saisis et menés
dans une possession du marquis de Mantoue. Le lendemain,
on retient le milanais, et on relâche le courrier. Le courrier
se plaint à l'ambassadeur, l'ambassadeur à la Seigneurie, la
Seigneurie au marquis de Mantoue. Ce dernier répond que le
courrier voyageait avec un milanais, Martin de Casai, ennemi
du roi de France et qui le trahit '. Sur l'annonce d'un soulè-
vement de Forb. Jules II fait aussi arrêter et mettre au châ-
teau S1 Ange les deux ambassadeurs de cette ville 5 : il est
vrai que Forli faisant partie des états pontificaux, Jules II
traitait les ambassadeurs en sujets.
La suite des ambassadeurs participe à l'immunité diploma-
tique ; l'immunité s'étend à toutes les personnes et à toutes
les choses de l'ambassade ; à la femme, aux fils, aux neveux
de l'ambassadeur, à ses agents, à ses courriers, à ses bagages.
Hommes et choses doivent passer, non seulement avec sécu-
rité, mais en franchise des droits de péage et de douane. Ce
privilège prête à de grands abus, que nous aurons l'occasion
de signaler 3 ; il n'est pas encore bien précisé, il n'a pas donné
1) Sanuto, III, 1203, 1207, t2l9. A la suite de la capture du marquis de
Mantoue par les Vénitiens, Louis XII propose même à Jules II de mettre en
prison, sans autre forme de procès, les ambassadeurs vénitiens à Rome,
comme otages, pour le fait de leur gouvernement (lo09. Desjardins, Né-
gociations, II, 407).
2) 1504. Disp. di Giustinian, III, 49.
3) La suite d'un ambassadeur comprenait des volontaires non commis-
sionnés, désireux de faire le voyage pour un motif ou pour un autre, souvent
pour un motif commercial. Le cordelier Thenaud, chargé par Louise de Savoie
d'aller en Egypte, puis à Jérusalem, aux Indes.., se joint en 1512 à l'ambas-
sade d'André Le Roy, auquel il présente simplement une lettre de recom-
mandation de sa maîtresse (Le voyage d'outremer, publié par Ch. Schefer,
p. '.'> : le navire de l'ambassadeur porte deux cent cinquante personnes, tant
du personnel de l'ambassade, que marins, pèlerins et marchands (p. 7). Un
peintre se joint la môme année à l'ambassade vénitienne en Egypte (id., p.
lxxxv).
42 I.A DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
lieu à toutes les discussions subtiles qu'il inspirera au
XVIIe siècle '. Cependant Honoré Bonet enseigne que l'im-
munité ne doit pas couvrir des abus : on ne peut pas arguer
d'un sauf conduit pour transporter gratuitement des choses
inutiles, pour introduire quelque ennemi *. L'ambassadeur
est tenu des impôts de droit commun pour tout ce qui n'est
pas de son usage personnel 3. Il ne peut pas, sous prétexte de
suite, amener avec lui un homme d'armes ennemi \ ni plus
fort que lui. Le roi d'Angleterre, par exemple, ne pourrait
voyager sous le sauf conduit de son ambassadeur 5.
L'immunité diplomatique rend inviolable la demeure de
l'ambassadeur : lui confère-t-elle un droit d'asile ? Certaine-
ment oui ; cette théorie a inspiré notamment les capitulations
conclues en Orient et elle est encore hautement professée au
XYIP siècle. En résultera-t-il donc que l'ambassadeur ait
lui-même juridiction sur le personnel étranger ou indigène
qu'il amène ou qu'il emploie ? Logiquement, les juriscon-
sultes répondent par l'affirmative 6, tout en observant que
l'ambassadeur, en réalité, ne dispose que de moyens de coer-
cition domestique. Cependant, il faut tenir compte des cir-
constances. En Suisse, par exemple, le pays alors le plusré-
fractaire aux principes d'immunité diplomatique, les ambas-
sadeurs doivent s'astreindre aune réserve excessive. En 1512,
les six ambassadeurs de France à Lucerne habitent séparé-
ment et n'osent se parler ; ils sont sur un qui-vive perpétuel.
Un archer de l'un des ambassadeurs, de M. de la Tré-
1) Notamment à Rome en 1688, à propos des affaires du M»s de Lavardin.
V. Moroni, Dizionario, t. 34, p. 34.
2) C. xcvi.
3) Mart. Laudensis, De legatis, q. 46.
4) Christine de Pisan, Le livre des fais d'armes...
5) H. Bonet, L'arbre des batailles, clviii.
6) Car. Taschalii, Legatus, c. lxxvi, f. 350.
IMMUNITÉS 43
moille. s'oublie, dans son impatience, jusqu'à frapper de sa
javeline un écusson de Berne ; on L'arrête et on le conduit
devant M. de la Trémoïlle, en disant que « le sauf conduit
était rompu. » M. de la Trémoïlle répond qu'il ne veut
advouer « cet homme, et qu'on le punisse, s'il l'a mé-
rite : on lui fait couper la tète '.
Malgré la rigueur des principes que nous venons d'exposer,
les missions diplomatiques comportent des risques entre na-
tions hostiles2, spécialement entre Turcs et chrétiens \ et les
chrétiens n'ont pas toujours le plus beau rôle. Un ambassa-
deur envoyé par le sophi de Perse au roi de Hongrie est dé-
couvert et arrêté par les Turcs, mené à Constantinople et « mis
en pièces \ » Cette cruauté s'explique parce que le sophi de
Perse était un insurgé. Mais que dire d'un seigneur valaque,
t Lett. de Louis A'//, IV. 5B. Des gardes de sûreté arrêtent, comme
complice de meurtre, un serviteur de l'ambassade d'Espagne en Angleterre:
vainement l'ambassadeur réclame ce serviteur qu'il dit indispensable à sa
maison, et demande sa liberté sous caution ; l'individu est mis en prison
(Bernard i Andréa? Annules Henri VII, p. 103).
2 > L'amiral de Graville écrit à Du Bouchage : « Touchant vostre voiage d'Al-
maigne, par la foy de mon corps, ce fut la plus verte commission que je veiz
jamais prandre à jeune homme ; toutesfois, sy vous fctistes demouré là encore
huit jours, je vous aroye envoiay Picardie et autres gens, qu'ils vous eussent
dit la manière de vous retyrer malgré lui et tout son barnage » (28 juin
1 1 '.'.. Ms. fr. 2916. t'" 12). Après Fornoue, Commines et S1 Malo sont char-
dé pourparlers. Mais S' Malo refuse de se rendre au camp ennemi, crai-
gnant quelque risque (Benedetti, Fatto d'arme, 1. lo) ; un trompette fran-
çais va porter un sauf conduit au camp italien, pour ouvrir des négociations.
Les Italiens n'acceptent qu'un rendez-vous à moitié chemin entre les deux
armées (Delaborde, Expédition de Charles 17//. p. 653). — Cf. ms. fr. 20616,
n° 12 : 1384, le sire de Bueil, messager du roi, est fait prisonnier à Baguse.
.i l h passage de Joinville (chap. lxxi, cité par M. Nys, Les origines de la
diplomatie, p. 35-36) montre qu'au xm<- siècle l'inviolabilité des ambassades
entre musulmans et chrétiens ne reposait pas encore sur un principe de droit
public mais seulement sur la parole donnée. Si le prince qui avait donné sa
parole mourait, les ambassadeurs devenaient des prisonniers.
il Le Maire de Belges, L'histoire moderne du prince Syach Ysmail.
44 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
qui, recevant un envoyé du sultan pour une réclamation in-
signifiante, lui fait couper le nez et arracher les yeux? Le
Grand Seigneur répond à cette atrocité par un cartel très
digne, en turc, au nom de Dieu '.
En cas d'attentat, quel sera le recours ? Il n'en existe pas
d'autre qu'une réclamation formelle près du gouvernement
de l'agresseur 2. La diplomatie française, en pareil cas, ré-
clame surtout la tête des coupables, sans mention d'indem-
nité s. Les gouvernements italiens réclament d'abord une res-
titution équitable en argent *, des dommages-intérêts 5.
Deux ambassadeurs de Navarre, en janvier 1365, venant à
Avignon, sous l'arbitrage du pape, négocier la paix avec le
roi de France, sont dépouillés par des officiers français, à la
tête du pont d'Avignon, de 686 pièces d'or, leur provision de
voyage. Le pape Urbain V aussitôt, — au nom du Siège
Apostolique, — réclame réparation au duc d'Anjou, lieute-
1) 4501. Sanulo, III, 1627.
2j Lettre de Gilbert de Montpensier à Ludovic Sforza, le 24 septembre
(1495): un trompette envoyé la veille au duc de Milan a été détroussé; Gilbert
prie d'en « faire faire la raison » (Calai, d'autographes, vente du 10 mai 1886,
Eug. Charavay, ri» 177).
3) Le 12 mai 1500, M. de Gramont, quoiqu'il reçoive une indemnité, ré-
clame seulement la punition des brigands qui l'ont attaqué. Quinze de ces
brigands lurent arrêtés et envoyés à Rome, où treize furent pendus quel-
ques jours plus tard, le 27 mai (Burckard, III, 39, 45).
4) Thomas Reatin, ambassadeurdeMilan en France, est attaqué au retour par
des brigands près deÇeva. On le dépouille, lui et sa familia,de tout, «equis,
bestiis, impedimentis, auro, argento, ceterisque bonis que secumin hac ejus
legatione adduxerat». Le dommage est de plus de 4.000 ducats d'or. Le chef
des voleurs se dit serviteur du dauphin, et se vante d'agir pour lui, « quod
mihi omnino absurdum videtur,... » Le duc de Milan demande la restitution,
ce qui est « juri et equitati », en même temps qu'un acte d'amitié, ou bien le
désaveu du voleur (Lettre du duc de Milan au dauphin, 29 mai 1454.
Lettres de Louis XI, I, p. 253).
5) Un agent de l'ambassade vénitienne est massacré par les gens d'Hon-
fleur. Le sénat de Venise réclame une indemnité et le châtiment des meur-
triers (1486. Perret, Notice.. sur.. Gr avilie, p. 78).
IMMUNITÉS 45
nant général du roi de France, « cui hoc displicere puta-
mus '. »
Faute de satisfaction, un attentat, fôt-il de médiocre impor-
tance, donne lieu à des représailles étendues, à des hostilités,
à la guerre. Un valet du roi de France, envoyé par les postes
à Jules II avec un cavallaire de Ferrare, est arrêté et enlevé
dans la forêt de Bavano, par cinq hommes masqués. Le ca-
vallaire seul, attaché à un arhrc, réussit à s'évader. Le pape
apprend ce fait avec une extrême indignation, et en accuse les
Vénitiens avec la connivence des Espagnols. L'ambassadeur
vénitien rejette la responsabilité sur les Espagnols, parce que,
depuis quelque temps, on a arrêté et dépouillé plusieurs cour-
riers venant d'Espagne '. Jules II, aussitôt, fait arrêter un in-
dividu suspect ; il met à Civita Vecchia l'embargo sur un na-
vire espagnol chargé d'armes. L'ambassadeur vénitien se
remue pour prouver l'innocence de son gouvernement. Il
écrit au consul à Naples pour savoir si l'on a des détails 8...
Ce sont en effet des injures qui ne se lavent que dans le sang.
En 1514, l'évêque deGurck, ministre de l'empereur, fait arrê-
ter à Corne, contrairement au droit des gens, un agent véni-
tien, le secrétaire Stella, revenant de Suisse avec des saufs
conduits suisse et milanais. Cet agent est conduit à Vérone,
puis dirigé sur Insprûck. Aussitôt la Seigneurie avise du fait
son ambassadeur en France et réclame la guerre immé-
diate *.
En 1510, un ambassadeur turc, venant en Hongrie, est as-
sailli près de Belgrade par des Hongrois, qui lui enlèvent ses
bagages et massacrent sa suite : lui-même, blessé, s'enfuit à
1) M. Prou, Relations politiques du pape Urbain V, p. 122.
2) 12 déc. 1504. Dispacci di Giustinian, III," 332.
3) Id., 339-341.
4) Dépêche à l'orateur, du 7 sept. 1514 (Arch. de Venise).
46 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Belgrade. Par représailles, le sandjak voisiu fait arrêter tous
les marchands hongrois venus pour une foire et saisit leurs
biens. Le ban de Jassy veut par un coup de main délivrer ces
marchands, et envoie une colonne de mille hommes :
celte colonne tombe dans une embuscade et est anéantie *.
Un meurtre d'ambassadeur entraînerait la guerre sans
phrases 2. On ne trouve plus d'exemple de faits de ce genre
entre nations chrétiennes.
Citons cependant, comme exception, une incroyable lettre
au vice -roi de Naples, du 22 mai 1308, où Ferdinand le Ca-
tholique s'exprime avec emportement au sujet d'une notifica-
tion, apportée au vice-roi par un courrier du pape, et qu'il
considère comme lésive de ses droits. Cette lettre reproche
violemment au vice-roi dé n'avoir pas fait pendre l'envoyé
du pape. Bien plus, le roi donne l'ordre formel de recher-
cher ee malheureux courrier et, si on peut l'arrêter, de lui
faire signer une rétractation formelle, puis... de le pendre :
d'arrêter les gens qui l'ont assisté, de leur faire signer une
rétractation semblable, puis de les incarcérer au Casfel Nuovo,
de telle sorte qu'on n'entende plus parler d'eux ; de faire ar-
rêter et mettre au secret le commissaire du pape à Naples.
11 défend d'ailleurs au vice-roi de faire aucune réponse (celle-
là suffisait), et il lui ordonne, s'il a envoyé des ambassadeurs,
de les rappeler, sans môme qu'ils parlent au pape3... Voilà
une lettre ab irato, à laquelle nous pensons que le vice-roi
put se juger dispensé d'obéir.
Une ambassade n'a pas besoin de sauf conduit ni île passe-
1) 1510. SanutoX, 22.
2) Charles V ayant envoyé en Angleterre des « amhaxadeurs », qui
furent tués, ctsus belli, dit Christine de Pisan (Le livre des fais d'armes
et de chevalerie).
3) Lettres de Louis Xll, 1 , 111.
IMMUNITÉS 47
poil : ses pouvoirs lui en tiennent lieu. En avril 1512, le roi
d'Angleterre l'ait proposer à Louis XII d'autoriser le com-
merce entre les deux pays pendant deux mois: Louis XII
répond que, puisqu'on n'est pas on état de guerre, il n'y a
nul besoin d'autorisation ni de sauf conduit \ A plus forte
raison, pour une ambassade. Aussi, en général, n'en de-
mande-t-on point en pays ami. (/est une véritable imperti-
nence (pie d'excuser le retard d'une ambassade par l'absence
de sauf conduit, comme le fait le duc de Bourgogne en 1445,
et d'en demander un * ; c'est marquer une défiance qui sent
la guerre. Gommines raconte lui-même qu'il quitta le service
du due de Bourgogne par suite d'une question de sauf con-
duit. Envoyé à Calais, où il allait souvent, on lui réclame un
sauf conduit ; aussitôt, il prend peur, il écrit ses craintes au
due, qui lui envoie « une verge qu'il porfoit au doigt pour en-
seigne ; et lui ordonne de passer oultre. » Gommines, fort
peu prétentieux en matière de bravoure, trouve l'épreuve
trop forte et se promet de ne plus recommencer 3.
Le sauf conduit est surtout usité pour les négociations en
temps de guerre ou d'hostilité avouée * : on le trouve d'un
emploi constant entre la France et l'Angleterre, à l'époque
de leurs luttes 3. En 1447, le duc d'Orléans, en mauvais rap-
1) Lettres de Louis XII, III. 243,
•2) Ms. fr. 3884, fo 181.
3) Mémoires, 1, 253.
4) Sauf conduit pour négociations en temps de guerre aux provéditeurs
vénitiens (4309. Desjardins, Négociations, II. 338).
o) Et même par la suite. Y. Kymer, V, p. 1 7^- 173, Westminster, 27 janvier
(1470 n. st.). Sauf conduit du roi d'Angleterre pour trois ambassadeurs fran-
çais, dont le principal estGuillauiiiede Menipeny, avec une suite de soixante
personnes et tous biens, joyaux, etc. — Sauf conduit de Louis XI, roi de France,
à Tha« Wagham, ambassadeur d'Angleterre (Bordeaux, -Si) mars. Copie, ms.
fr. 20980, f°23). Le général de Normandie reste à Boulogne, pour attendre un
sauf conduit anglais (1509. Desjardins, Négociations, II, 621).
48 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
ports avec François Sforza, obtient de lui un sauf conduit pour
une ambassade ' : le roi des Romains demande, en 4492,
« ung sauf conduyt pour envoyer de ses ambassadeurs *. »
Des ambassades envoyées en médiation entre deux armées
doivent se munir d'un sauf conduit 3.
Quand un souverain ne s'est pas montré suffisamment res-
pectueux du droit des gens, il s'expose aussi à des demandes
de saufs conduits. On demande des saufs conduits aux Suisses
en 1514 *. En 1512, l'évcque de Gùrck refuse de se rendre
près du pape sans sauf conduit s. Claude de Seyssel, évêque
de Marseille, membre d'une ambassade de France maltraitée
par les Suisses, fait exposer à Léon X qu'il ne peut se rendre
à Rome sans un sauf conduit et sans des garanties de sûreté
pour son passage par la Suisse et le Milanais. Léon X lui
envoie aussitôt le sauf conduit réclamé sous forme de bref, et
lui donne des brefs de recommandation pour les Suisses et le
due de Milan. Nous transcrivons en note le texte même de
cet acte curieux 6.
1) Faucon, Rapport de deux missions, p. 34.
2) Perret, L. Malet de Graville, p. 255. — L'ambassadeur envoyé à l'empe-
reur, d'urgence, doit demander à l'évêque de Trente un sauf conduit, et, s'il
ne l'a pas, rester à Trente et envoyer à l'empereur le prieur de la Trinité, avec
teneur de ses instructions (Instro» vénitienne du 23 mai 1509. Arch. de Ve-
nise, Secreto 41, 189).
3) Ambassade anglaise de médiation entre la France et la Bretagne en 1488,
munie de saufs conduits français et bretons (Dupuy, Hist. de la réunion de la
Bret., II, 132). Les envoyés du pape, pour médiation, que la cour d'Angle-
terre refuse de recevoir, envoient deux sous-agents sans caractère officiel,
pour lesquels ils obtiennent un sauf conduit, « avec leurs lévriers et leurs ar-
mes », comme pour de simples gentilbommes(14 septembre 1372. llymer, III,
p. II, p. 206). Saufs conduits du roi d'Angleterre, pour un séjour de l'abbé
de Citeaux et de divers prélats écossais en Angleterre (11 avril, 7 juillet
1486. W. Campbell, Materials for a kistory oj ths rcign of Henry VII, I,
413, 488). Sauf conduit pour les ambassadeurs de Maximilien en Angleterre,
1486 (id., II, p. 75. Cf. p. 284).
4) Lettres de Louis XII, IV, 299.
5) 1512. Lettres de Louis XII, III, 298.
6) « Léo papa X. Dilecte fili, salutem et apostolicam bënèdictiohëm. Di-
IMMUNITÉS 49
L'on a le droit de réclamer un sauf conduit pour traverser
un pays intermédiaire en hostilité avec l'une ou l'autre des
parties. « L'ambassadeur qui est envoyé à un prince neutre
ou qui, estant envoyé à un prince amy, est obligé de passer
par un pays ennemy à l'égard de celuy à qui 0 est envoyé,
fera toujours fort bien de se munir de bons passeports, » dit
encore Wicquefort au XYI10 siècle '. En janvier 1510, Venise,
officiellement en guerre avec l'Allemagne, mais qui vient
d'ouvrir des négociations de paix, demande un sauf conduit
pour le passage d'une ambassade destinée à l'Angleterre '.
Si les puissances intermédiaires sont amies, le sauf con-
duit est mutile, ou bien on consacre l'ambassade en l'accré-
ditant près des diverses cours par le caractère circulaire.
La demande de sauf conduit présente un caractère pacifi-
lecti filii nostri Roberti, tituli sancte Suzanne Sancte Romane ecclesie pres-
biteri cardinalis Nannetensis, et dilecti filii Johannis Lascaris relatione in-
telleximus Devolionem Tuam a carissimo in Christo filio nostro Ludovico,
Francorum Rege christianissimo, ad Nos etSanctam Sedem apostolicam ora-
torem designatum esse seque jam itineri accinxisse, quod profectonobis gra-
tissimum fuit. Sed quia forte a militibus et ceteris stipendiariis incolisve In-
subria et ejus finibus aut aliis Italie locis constitutis te injuria lacessitum
iri dubitas et iler ceptum, ob iminentia discrimina bellorum, continuare
formidas ; idcirco, tibi paterne consulentes, ad principes et potentatus
per quorum dominia tibi faciendum est iter scribimus ut te, cum familia et ré-
bus tuis omnibus, tute et libère transirepermittant,nec a suis stipendiariis vel
subditis in persona vel in bonis patiantur quovisquesito colore tibi injuriam
urogari. Quare eamdem Devolionem Tuam hortamur in Domino ut iter cep-
tum prosequi quantum tuto et commode potes pergas. Datum Rome, apud
sanctum Petrum, sub annulo piscatoris, die quinta julii M° D. XIII°, pont,
nostri anno primo. la. Sadoletus. Dilecto filio Claudio de Sejsello, electo
Massiliensi. » Suit la copie des brefs, adressés, le o juillet, à Maximilien, duc
de Milan ; le 6, aux Suisses des douze cantons de l'Allemagne supérieure,
« ecclesiastice libertatis defensoribus, confederatis nostris » ; ces brefsannon-
cent le passage de Seyssel et recommandent vivement de le garantir contre
tout préjudice et toute attaque (Copies anciennes. Ms. Dupuy 28, fo 33).
1) Mémoires, p. "296.
2)Sanuto, IX, 468.
50 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
que, quand elle constitue une première démarche en faveur
de la paix. Elle accentue le désir * .
L'offre, ou l'envoi d'office, de saufs conduits marqueun sen-
timent de franchise et de faveur.
Dans tous les cas, avec ou sans saufs conduits, l'ambassade
doit toujours s'entourer des précautions convenables et agir
avec prudence 2.
Un gouvernement peut-il refuser un sauf conduit qu'on lui
demande, ne fût-ce que pour traverser son territoire ? Assu-
rément \ Un ambassadeur ne peut passer une frontière sans
l'agrément du gouvernement ; on peut toujours la lui inter-
dire. Mais alors c'est un cas de rupture ouverte *, excepté à
l'égard des légats du pape, pour la réception desquels il existe
des règles particulières
Le sauf conduit diplomatique ne représente, en somme,
qu'une simple formalité. Il ne confère aucune prérogative
spéciale, il ne fait qu'appliquer concrètement le droit com-
1) Lettre du 12 août 1484 (Reg. du conseil de Charles VIII, p. 45).
2) Instruction vénitienne de mai 1509 (A. de Venise, Secreto 41, 171,
180 v°).
3) Dépêche du 6 novembre 1514 à Dandolo (Archives de Venise). Le duc
d'Albanie, écossais au service de la France, demande au pape une entrevue.
Jules II refuse d'abord, ne voulant pas parler aux Français. Enfin, il lui accorde
un sauf conduit avec 30 chevaux. Le duc en demande (50 (févr. 1511. Sanuto,
XII, 65).
4) Défense signifiée à l'ambassadeur napolitain Pandone, en 1493, à Lyon,
de passer outre. Pandone quitte la France, en déclarant que son maître se
vengera (Boislisle, Et. de Vesc, p. 76) : refus de sauf conduit par Jules II à
l'ambassadeur de France à Florence (Dép. du 25 mai 1512 à l'orateur à Rome.
Arch. de Venise). Les Suisses n'admettent MM. de la Trémoillc et Trivulce
qu'à condition qu'il seront sans caractère officiel ; les deux envoyés se voient
forcés d'habiter séparément à Lucerne, et même de ne pas se parler etc.
Louis XI invite l'ambassadeur milanais à faire refuser un sauf conduit au
grand-bâtard de Bourgogne, qui va en Italie contracter un emprunt pour
Charles le Téméraire (1475. Gingins la Sarraz, Dépêches des ambassadeurs
milanais, I, 29).
IMMUNITÉS Si
mun • : son seul avantage, réel d'ailleurs, consiste à remettre
un titre précis dans les mains de l'ambassadeur. On peut dé-
léguer à une ambassade le droit de décerner des saufs con-
duits pour les besoins de la négociation *.
Quant à sa forme, le sauf conduit 3 consiste en un mande-
ment royal, décerné en grand conseil, suivant le formulaire
solennel des actes d'administration intérieure, c'est-à-dire en
français, sur parchemin, scellé du grand sceau, en cire jaune,
sur simple queue. C'est un ordre donné à tous les gouver-
neurs, capitaines, baillis, prévôts, maieurs, jurés, échevins, ou
gardes de villes, cités, châteaux, forteresses, ponts, passages,
juridictions et détroits, et à tous officiers et sujets quelcon-
ques, de laisser librement circuler tels et tels envoyés *. Le
mot sauf conduit y est prononcé. Le sauf conduit est, quant
aux lieux, général ou particulier ; il a une durée bmitée ou
illimitée, suivant spécification 5. Il fixe le nombre des ambas-
sadeurs, des chevaux admis à leur suite, de leurs bagages a :
ou bien il est général, et admet les ambassadeurs « avecques
touz leurz chevalx, joialx, et autres biens quelconques, jus-
ques à cel temps et tel nombre come il leur plaira 7. » Selon
1) C'est-à-dire suspendre, d'une manière précise, l'effet de toutes les diffi-
cultés opposables à un étranger : marque, représailles, entrecours, condam-
nations pour dettes, en bannissement, ou pour rupture de ban (Sauf conduit
du roi d'Angleterre, 21 juin 1401. Rymer, IV, I, 4).
2) « Pourrait estre que lesdiz messages de France ne voudraient mie assem-
bler avec nosditz gentz sans avoir d'eulx lettres deseur et sauf conduit» (Pat.
de Richard d'Angleterre, 1er avril 1401. Rymer,IV, I, 1).
3) En latin salvus conductus, ou, dans le langage du droit, securitas {Alleg.
Vincentii Rigault).
4) Sauf conduit français pour les plénipotentiaires de la paix d'Arras
(orig. ms. Moreau 1424, n« 68).
5) Allegationes Vincentii, fo xxvr v°.
15 nov. 1447. Sauf conduit par François Sforza pour trois mois, à tous
orateurs ou mandataires du duc d'Orléans, pour, avec 12 cavaliers ou hommes
de pied, venir d'Asti vers lui, puis près du pape, et revenir à Asti (Faucon,
Rapport de deux missions, p. 34).
7) Sauf conduit franco-anglais du 1er avril 1401 (Rymer, VI, I, 1).
52 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Guichardin, il doit être contresigné d'un secrétaire, à peine
de nullité ; mais cette règle ne nous parait pas exacte. Un ca-
pitaine d'armée ', un podestat, à Venise un provéditeur, con-
fèrent des saufs conduits parfaitement valables pour l'étendue
de leur juridiction 2. Un ambassadeur se croit le droit de ga-
rantir la sécurité d'un tiers, même par sa simple parole.
Transporté à la frontière pour être remis dans les mains des
Français, le cardinal Ascagne Sforza, demande qu'on l'assure
de sa vie. L'ambassadeur de France lui répond : « Je vous
assure jusqu'au roi. » Ascagne est un prisonnier et non un
diplomate : nous ne citons cette parole que comme exemple
de ce que peut la parole d'un ambassadeur 8.
De même, le sauf conduit ne doit pas s'interpréter dans le
sens restrictif ou strictement littéral : si, par exemple, il porte
sécurité « pour aller trouver telle personne », il faut sous-en-
tendre la clause de retour *.
On confond à tort les saufs conduits avec deux autres instru-
ments diplomatiques de sécurité, les passeports et les recom-
mandations. Le sauf conduit consiste en un ordre donné par
un souverain sur son propre territoire en faveur d'étrangers.
Les passeports et les recommandations sont des actes destinés,
1) Mise en demeure de se rendre, signifiée par un commandant d'armée
allemand, le 27 août 1511, sous forme d'avis, en latin, de l'envoi d'un
trompette, porteur de l'ultimatum. Cet avis porte sauf conduit pour les
envoyés qui seraient adressés dans les vingt-quatre heures. Passé ce délai, le
commandant dénonce l'emploi du fer et du feu et du dernier supplice
(Sanuto, XII, 419).
2) Un capitaine de gens d'armes ne peut donner sauf conduit à plus fort
que lui (Christine de Pisan, Le livre des fais d'armes...). Cependant, en Italie,
le gouverneur de Milan se réserve de donner, au nom de Louis XII, des
saufs conduits politiques. Ni l'amiral français ni le gouverneur de Gènes ne
se croient autorisés à les signer (Rapp. de Rochechouart. Fr. 2928, fo 29).
3) 6 mai 1500 (Sanuto, III, 295).
4) H. Bonet, L'arbre des batailles^ c. mi. Christine de Pisan, Le livre
des fais d'armes.
IMMUNITÉS 53
au contraire, à l'extérieur, et décernés par le souverain en-
voyeur.
1° Le passeport, appelé « lettres de passage ', » en italien
lettere di passo, a pour but d'établir l'identité d'un person-
nage et de le protéger dans les pays intermédiaires que son
itinéraire l'oblige à traverser. Il est décerné sous forme de
patentes ou lettre ouverte, et constitue un acte diplomatique,
écrit en latin ou dans la langue des pays à traverser. Il est
général ou spécial, selon qu'il s'adresse à tous les amis et al-
liés de l'État, ou à telles autorités étrangères, qu'il fixe un
délai ou un nombre de personnes. Il est presque toujours
mixte, c'est-à-dire qu'il s'adresse également aux fonction-
naires du pays envoyeur 2.
i\ous analysons, en note, un passeport émané d'une chan-
cellerie pompeuse, celle des ducs de Bourgogne 3, en faveur
d'un particulier.
1) 1396. Ogier d'Anglure rencontrant à Venise H. de Bar et le sire de
Coucy, ambassadeur de France en Hongrie, ceux-ci lui donnent « leurs
lettres de passage pour retourner en France » (Bonnardot et Longnon,
Le saint voyage de Jhérusalem, Paris, 1878. p. 98).
2) Passeport pour Gueherie. secrétaire du roi, envoyé au pape à Avignon
le 17 septembre 13511, consistant en un ordre du roi, « universis justiciariis
nostris, portuumque et passagiorum regni nostri eustodibt»s vel corum lo-
calenentibus », de le laisser transire à l'aller et au retour, avec famille, gens,
monnaie, cbevaux, joyaux et autres biens (ms. fr. 20976, f« 160,orig.). Pas-
seport florentin pour Nicolas Machiavel, envoyé à Monaco (11 mai 1511.
Œuvres de Machiavel, Mission de Monaco : Saige, Documents, II, 105), consis-
tant en une lettre ouverte, adressée par les Dix de liberté à tous amis, confé-
dérés et recommandés de la république, avec prière de prêter aide et faveur à
N. Machiavel, envoyé pour ses affaires à Monaco (en italien). Passeport du roi
René d'Anjou à Lambert Grimaldi, seigneur de Monaco, son envoyé près du
roi de France : patentes, en français, aux sénéchaux, baillis, etc., du pape,
du roi, de lui-même, et de ses amis et bienveillants, avec prière de laisser
passer l'envoyé, avec une compagnie de six personnes, pendant un an, et
mandement en latin à ses ofticiers de Provence, leur faisant les mêmes
prescriptions (8 septembre 1461. Saige, I, 314, 315).
3) Passeport mixte avec recommandation, pour Hugues de Lannoy, che-
54 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
A vrai dire, les passeports délivrés par le pape comportent
seuls une sanction, celle des peines canoniques *.
2° Les lettres de recommandation ou de protection sont
des lettres personnelles, sous forme rogatoire, pour l'ex-
térieur. Elles ont pour but d'assurer au bénéficiaire, ou-
tre la sécurité, une bonne réception s, une protection spé-
valier de la Toison d'Or; Bruges, 3 avril 1443 (en latin): « Philippus, Dei
gracia dux Burgundie, etc. .. Universis dominis cardinalibus, patriarchis, archi-
episcopis et ecclesiarum seu provinciarum prelatis, regibus, principibus, du-
cibus, marchionibus, comitibus, baronibus, militibus, scutifferis, et nobilibus,
connestabulariis, marescallis, admiraldis, vice admiraldis, cappitaneis, et
gencium armorum, in mari, terra vel fluminibus, conductoribus, ceterisque
guerram frequentantibus, communitatibus, dominacionibus, seneschallis, pre-
sidibusque, potestatibus, baillivis, prepositis, majoribus, scabinis, rectori-
bus, gubernatoribus, capittaneis et locatenentibus regionum, principatuum,
provinciarum, civitatum, opidorum, villarum, castrorum, fortaliciorum, pon-
tium, portuum, pedagiorum, passagiorum ac districtuum custodibus, justicia-
riis, bulletariis, officiai ibus et officiatoribus, subdictis, amicis, confederatis et
benivolis domini mei Régis ac nostris ceterisque quibuslibet tam ecclesiasticis
quam secularibus personis, quibus nostre présentes ostense fuerint littere, et
eorum cuilibet in solidum, salutem et sincerum dilectionis augmentum. »
Suit un éloge pompeux de la personne, des services, des aïeux d'H. de Lan-
noy, qui, « de nostris scitu et licencia speciali », va visiter « peregre » des
lieux éloignés, « sacra et devota ». — « Vobis omnibus et singulis subditis et
servitoribus nostris districte precipiendo, mandamus, alios vere requirimus
et rogamus, recommissum suscipere ac favorabiliter et bénigne nostri
amoreet contemplatione tractare velitis », avec dix personnes de «familia »,
et autant de chevaux au moins, et leur or, argent, joyaux, valises, armes, vê-
tements, etc., de le laisser «pertransire»,jouret nuit, par mer et par terre, à
pied ou à cheval, avec ou sans armes, rester ou partir, sans trouble, sans
péage, ni gabelle : de lui fournir vivres et aliments, à prix raisonnable ; de
le traiter « quantum pro vobis ipsis aut vestris in simili nos optaretis esse
facturos, ad quod nos pro inde reddetis corde sincero paratos. » Ces lettres
valent pour cinq ans (ms. fr. 1278, fo 78, copie ancienne).
1) Lors de la levée de l'excommunication de Venise, en mars 1510, le pape
bénit les orateurs de Venise. Il écrit l'absolution au patriarche. Il envoie à
Venise des brefs destinés à l'empereur, aux électeurs et villes libres de
l'Empire, aux rois de Hongrie, de Pologne, etc., avec des patentes pour le
libre-passage des courriers de la Seigneurie qui les porteront (Sanuto, X. 5).
2) Lettre de recommandation d'Anne de France,duchesse de Bourbon, à Mar-
guerite d'Autriche, en faveur de Colin Legrant, qu'elle avait retenu à son ser-
IMMUNITÉS 05
ciale l. La recommandation peut s'adresser au souverain, ou à
un ambassadeur accrédité près de lui*. Elle ne sert guère que
pour des particuliers notables ' : en matière d'ambassade, on
l'emploie très rarement*. Bien entendu, les recommandations
ne présentent pas de caractère obligatoire ' ni juridique : ce sont
de simples lettres officieuses, qui valent ce qu'elles valent,
vice et dont elle a été très satisfaite. Anne prie sa nièce de le bien recevoir «et
ne luy savoir maulgré si s'est inys en mon service » (La Chaussière, 18 dé-
cembre, — 1509, en forme de missive. Orig. appart. à l'auteur).
1) L'ambassadeur de France à Venise présente au doge un écuyer du roi,
muni d'une lettre de recommandation, qui va à Jérusalem. Le doge lui serre
la main, et on lui t'ait bonne chère (29 mai 1500. Sanuto, III, 354). Lettre de
recommandation, en latin, de Louis, dauphin, pour un de ses échansons, qui
entreprend un long voyage, adressée au duc de Milan, « ut operam detis a
(Lett. de Loui.. XI, I, n" xliv). Lettre de recommandation de Charles VIII
au duc de Milan, en faveur de Nicolas Guarnerii, frère de Théodore Pavie
homme d'armes de la compagnie Des Querdes, que son capitaine envoie à Ve-
nise (Tours, 16 sept. Archives de Milan).
•J L'orateur de France à Venise demande à la Seigneurie une lettre de
passe, pour une personne qu'il veut envoyer en Pouille à Louis d'Ars, notifier
les trêves. Cette lettre est adressée a l'orateur vénitien en cour de Rome
(16 mars 1504. Sanuto, V, 990).
3) Patentes latines du 30 mars 1507, du doge Léonard Loredan, pour la
reine Isabelle, veuve de Frédéric deNaples : « la reine a avisé de son passage,
par un messager, et a été recommandée par lettres spéciales du roi de France.
Elle passera par le Mantouan et le Crémonais : nous désirons qu'elle et sa
suite, cum filiis, familia et universa comiiiva tua, eqius, capsis, valisiis (suit
une longue énumération analogue), soit bien reçue: nous le demandons à
nos amis, et le mandons à nos sujets, — par terre, par mer, à cheval, à
pied, etc., — librement, sûrement, honorablement, sans paiement d'aucun
péage, sans aucun obstacle ni ennui (ms. nouv. acq. lat. "2120, n° 2, orig.).
4) Créance-recommandation de la S''« de Florence au gouverneur de
Gènes, le 13 mai 1511 (Saigé, Documents, II, 108), en faveur de Machiavel
qu'elle envoie à Monaco, dans le sens de la politique du roi : prière de lui
donner aide et faveur pour y aller « salvamente » et lui prêter pleine foi pour
ce qu'il dira (en italien, sous forme de lettre). Lettre de Louis XII à la S"e
de Bologne, l'invitant à laisser passer l'ambassade d'obédience qu'il envoie
au pape (Paris, 1er février. Archives de Bologne).
.'>> In orateur turc vient de la part du roi des Romains demander le passage
à Feltre ; le podestat a refusé (août 1500. Sanuto, III, 582).
56 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
auxquelles il peut être dangereux de se fier outre mesure ',
même quand le souverain qui les décerne se croit le droit
d'y insérer une formule impérative vis à vis de princes infé-
rieurs s.
On appelle encore saufs conduits les lettres de sauvegarde,
par lesquelles le roi prend sous sa protection et sa sauvegarde
un prince ou un seigneur étranger '.
Si les saufs conduits servent peu aux ambassades, ils n'en
sont pas moins très usités et répondent à des besoins fort réels
pour les particuliers, chaque fois qu'il s'agit d'aller en pays
ennemi, ou simplement étranger. Un des plus curieux est
celui de Charles Savoisy, chevalier français, et d'Hec-
tor de Pontbriant, écuyer, qui se rendent, en 1400, à
un combat singulier \ Les saufs conduits donnés à un par-
1) Jean Grimaldi se rendant à Rome, son beau-père le doge de Gênes
adresse une lettre de recommandation au pape Nicolas V, pour le prier « meo
intuitu » de laisser à Jean libre accès (30 novembre 1450. Saige, Documents,
I, 216). Jean n'en fut pas moins arrêté à Rome.
2) Certificat, en latin, que Robert James, qui part en Bretagne conduire la
reine, a des lettres du roi « de protectione » avec la clause volumus, pour 4
ans. « Teste rege, apud Westmonasterium, » etc. (10 nov. 1402. Mémoires de
Bret., III, 721 : Rymer, VIII, 280).
3) En 1476, après Morat, la duchesse de Savoie demande un sauf conduit
à Louis XI, à la grande colère du duc de Bourgogne (Gingins la Sarraz, II,
303) ; en 1484, les seigneurs bretons insurgés, dont le duc saisissait les biens,
demandent au parlement de Paris un sauf conduit pour eux et leurs biens
(Dupuy, Hist. de la réunion de la Bretagne, II, 49). Patentes de Louis XII,
levant tout empêchement sur la personne de Lucien Grimaldi, sf de Monaco,
du 6 mars 1508-9 (Saige, Documents, II, 95) ; elles constatent que Lucien a
juré d'être loyal serviteur, ami des amis, etc., et, s'il y avait une contestation
de péage avec les sujets du roi, d'accepter la juridiction du chancelier de
France.
4) Patentes du roi d'Angleterre du 27 avril (1400), en latin. « Sciatis quod
suscepimus in protectionem et defensionem nostras spéciales, necnon in sal-
vum et securum conductum nostrum, Karolum Savoisy, chivaler, et Ectorem
de Pontbirant (sic), armigerum », en tous lieux du royaume, même dans les
villes fermées, avec cent personnes à son choix « in comitiva sua », — « ad
certa facta armorum infra idem regnum nostrum facienda, veniendo, ibidem
IMMUNITÉS 57
ticulier en cas de guerre comportent l'obligation, pour celui
qui en bénéficie, de ne se livrer à aucun acte d'agent secret
ou d'espion '.
Le sauf conduit accordé à des particuliers est essentielle-
ment spécial et temporaire : il ne confère aucun privilège
d'exterritorialité, il a pour effet, au contraire, de territoriali-
ser les bénéficiaires, qui s'engagent, explicitement ou non, à
se soumettre à toutes les lois du pays. Mais il constitue une
sûreté formelle, absolue, irrévocable *. Il vaut pour la durée
stipulée ; peu importe un changement de règne, une destitu-
tion de l'officier qui l'a donné... Vainement, alléguerait-on
contre le porteur de sauf conduit un droit de marque, un état
de guerre : « Ce qui ne se peult ne doit faire, pourceque celluy
qui prent le sauf conduit est ton ennemy, et, si n'estoit pas ton
ennemy, il n'acbetteroit pas ton sauf conduit et ne viendroit
pas à toy. s'il n'estoit asseuré. S'il avoit tué ton père et ta
mère et toy meismes, et tu estoies retourné en vie comme
devant, si ne lui pourroyes tu riens demander par raison ne
par justice depuis que tu luy as donné seurté s. » On peut
seulement vérifier la régularité des saufs conduits, et arrêter
les gens qui se prévaudraient d'un sauf conduit irrégulier *.
morando et exinde ad propria redeundo». Les deux chevaliers devront prêter
serment de ne contrevenir en rien aux lois du royaume, d'exhiber à toute en-
trée de ville leur sauf conduit, de n'introduire aucun traitre ni banni (Rymer,
t. III).
1) Louis deBueil, titulaire d'un sauf conduit pour négocier sa rançon, doit,
d'après ce sauf conduit, ne rien faire en secret ou en public contre le roi d'An-
gleterre, n'entrer dans aucune ville, forteresseou château du roi (1444. Favre
et Lecestre, Le Jouvencel, II, 322;.
2) A une demande du roi Edouard d'Angleterre, le roi de France répond : « Au
regard des saufs conduits, il ne pouvoit honnêtement révoqués ceux qui étoient
ja donnés pour cette année.mais il défendroit à M. l'Amiral qu'il n'en donnât
nuls nouveaux à nuls d'iceux qui tenoient le parti contraire dudit Roi Henry »
(Duclos, Hist. de Louis XI, IV, 245).
3) Le Jouvencel, t. II, p. 28 et s.
4) Décret du doge de Venise, du 3 juin 1502, contre les bannis pour crime
38 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
Le sauf conduit pour particuliers est semblable, dans sa
forme, au sauf conduit diplomatique. En pratique, la chan-
cellerie confond les saufs conduits et les passeports ; elle
délivre des passeports : 1° à un étranger, pour entrer et
sortir, en guise de sauf conduit provisoire ; 2° à un français
pour sortir. Un 'formulaire du temps du Charles VI1 nous
donne les formules de l'une et de l'autre rédaction. Tou-
tes deux sont libellées en patentes, latines : la première,
adressée aux sénéchaux, baillis, prévôts, gardes des ports et
passages, et autres justiciers ou leurs serviteurs, leur enjoint
de laisser passer paisiblement le titulaire, avec chevaux,
or, argent, marchandises et objets non prohibés8 : allant à
tel endroit et revenant, moyennant le paiement des droits
accoutumés : de lui fournir « salvum conductum » à ses
frais, si l'on en est requis. La seconde aux capitaines et
gardes des ports et passages, les informant que X*** (par
exemple, JeanBriet, chanoine de Bayeux et de Lincoln), va...
(en Angleterre) pour... (prendre possession de son canonicat) :
et que le roi lui donne licence de passer, « quatenus in nobis
est », par ses juridictions, passages, etc., avec (deux chevaux,
sa suite) et le nécessaire, à la faveur du sauf conduit, pour al-
ler et venir, « guerrisnon obstantibus. »
Les particuliers demandent des passeports ou des saufs con-
qui reviennent indûment, avec des saufs conduits irréguliers. Vérifier les saufs
conduits, appréhender ceux qui seraient en défaut (ms. lat. 10142, f° non
marqué).
•1) Ms. lat. 4641, fo v.
2) Le sauf conduit précise le chiffre de la suite, pédestre ou équestre, armée
ou non armée ; il entre dans toutes les spécifications possibles : « per terram,
aquam dulcem, et per mare,... de die et denocte,... aurum, argentum, mo-
netam, jocalia, robas, manticas, bogeas, fardella, litteras, memoranda, scrip-
turas et alia bona licita quecumque secum portantes vel non portantes, usque
ad.. .. pro.... et exinde — absque impetitione, perturbatione, seu impedi-
mento quocumque redeundo » (1444. Favre et Lecestre, Le Jouvencel,U, 322).
IMMUNITÉS 59
duits pour des motifs naturellement bien variables '. Le gou-
vernement peut, s'il croit devoir les accorder, en surveiller
strictement l'exécution *. On peut même accorder des sûretés
secrètes, à des agents secrets s surtout en temps de guerre.
Les saufs conduits sont d'usage assez restreint pour les
voyages de princes ou de grands seigneurs *. On les double
1) Bulle de Clément VII donnant un sauf conduit à Raymond de Turenne,
avec vingt personnes, avec ou sans armes, pour venir deux mois dans ses ter-
res d'Avignon, atin d'assurer sa«plena securitas. tam inaccedendo,morando,
quam eciam redeundo » ; avec la formule finale des bulles d'exécration (P.
1388*. cote 39 bis : 31 mars 1389).
2) En 1477, des gens d'Arras demandent un sauf conduit pour aller voir le
roi. On trouve la demande singulière et on les fait surveiller. Ils se servent
en effet de ce sauf conduit pour se rendre près de Mlle de Bourgogne : mais
on les arrête en route, on les amène à Louis XI, et ils sont décapités pour tra-
hison Jean de Roye). En 1385, le pape refuse un sauf conduit à des gens
d'Aix, qui veulent aller trouver le roi de France. Le sénéchal de Provence
aussi. Le sénéchal (royal) de Beaucaire envoie des gens les quérir à ses risques
et périls (Douet d'Arcq, Choix de pièces, I, p. 67).
3) Lettre de Charles VIII à Bourré.de Chàteaubriant, le 28 août (1483), por-
tant l'ordre de délivrer Jean Thiercelin, s?r de la Brosse, détenu à Angers,
qui a fait produire par sa femme des lettres de sûreté données par MM. de
S' André et deChampéroux (ms. fr. 20432, 407).
1 Cependant, c'est une bonne précaution. Sanuto nous raconte une histoire
d'enlèvement, qui fit un bruit énorme. La femme du napolitain Caracciolo, con-
dottiere au service de Venise, grande dame par conséquent, fut enlevée, à son
passage en Romagne. par vingt cinq cavaliers, des troupes de César Borgia.
L'émotion fut immense à Venise. Le soir même de la nouvelle, un secrétaire
part pour voir César, et « sans autre salutation » réclamer énergiquement.
L'ambassadeur de France, officiellement avisé le lendemain, s'indigne et offre
d'y aller aussi en personne. On accepte (Sanuto, III, 1434). On écrit aussi à
l'orateur à Rome, de se plaindre au pape (id., 1436'. Borgia proteste qu'il
n'est pour rien dans l'affaire ; c'est un capitaine espagnol, d'accord avec
la dame, qui l'a enlevée, parce qu'il en était amoureux, et la dame avait en-
couragé sa flamme en lui envoyant des chemises brodées. Il en fera justice, s'il
peut ; du reste, dit-il, la dame ne lui avait demandé aucun sauf conduit (id.,
14i)0). Le pape fait une réponse analogue (c. 1476) : le mari remue ciel et
terre pour retrouver sa femme infidèle (c. 1477). Le pape écritun bref àCésar
Borgia contre l'enlèvement, tout en excusant César 'c. 1484) ; maison ne
retrouve ni la dame ni l'espagnol (c. 1490). On croit savoir que la dame
a d'abord été menée à Forli, puis à Imola (c. 1496). AccurseMainieret Yves
60 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
généralement, en pareil cas, de l'envoi d'un chambellan, por-
teur d'une lettre telle que la suivante :
« Monsr. de Boisy. j'ay donné une seureté à Jehan Monsr. de
Clèves, à la requeste de Monsr. de Nevers,pour s'en aler de
Besançon, où, il est en son pays, et qu'il puisse passer seure-
ment par tous les pays de mon obéissance, lui et ceulx de sa
compaignie. Et pour ce que je désire qu'il passe seurement,
je vous prie que, incontinent ces lettres veues, vous vous en
alez devers lui et les conduysés et lui faictes fere bonne
chère. Escript en la cité d'Arras, le XXX0 jour de mars.
(Aut.) Loys l.
De Chaumont *. »
Nous dirons des saufs conduits des princes ce que nous avons
dit des saufs conduits d'ambassades. C'est un procédé presque
désobligeant que d'en demander 3 ; la délivrance officielle de
saufs conduits indique une tension, dont la teneur de l'acte
d'Alêgre, dit le pape, excusent eux-mêmes César (c. 1512), et le pape adresse
un bref à son légat à Venise pour justifier son fils (c. 1528). L'affaire traîne
en longueur : cependant on dit à Forli, à Imola, que Venise ne la laissera pas
impunie (c. 1530) : un espion annonce que la dame est avec son espagnol au
château de Forli, où il y a aussi deux vieilles dames et deux jolies, fort « ca-
ressées » de César (c. 1533) ; ce dire se confirme (c. 1571, 1577, 1587), et l'am-
bassadeur de France à Venise montre une lettre de d'Alègre, justifiant en effet
César (c. 1560) : le mari écrit à Venise une lettre désespérée (c. 1566) ;
Louis XII blâme fort le fait ; c'est la fable de la cour de France (c. 1569).
1) Louis XI.
2) « A nostreamé et féal conseiller et chambellan le sire de Boysy » (Orig.
sur papier, ms. fr. 20855, n° 48J.
3) Louis de Savoie, seigneur de Cavour, demande un sauf conduit au duc
de Milan, pour aller à Gênes pour affaires particulières (1475. Gingins la
Sarraz, 1,55). En 1502, Vladislas, roi de Bohême et de Hongrie, en annonçant
son mariage à l'empereur Maximilien, lui demande un sauf conduit pour Anne
de Candale, avec sa suite, voyageant avec les ambassadeurs de Hongrie : un
sauf conduit par lettres patentes, et « quidemduplicatis», non que Vladislas
doute de l'amitié de Maximilien, dit-il, « sed majoris securitatis atque. . . ma-
joris commoditatis causa » pour la reine (Pray, Epistolœ procerum, p. 20).
IMMUNITÉS 61
lui-même peut d'ailleurs porter la trace !. Mais, en cas de
guerre, un prince réclame un sauf conduit pour se commettre
parmi des ennemis \
Les saufs conduits sont principalement usités pour la sûreté
du commerce maritime ou terrestre, entre pays neutres, et
alors ils se vendent ' : ils sont délivrés par patentes royales
de chancellerie ou par l'amiral de France *, dont ils forment
le grand revenu.
Tous les saufs conduits doivent être rigoureusement obser-
vés, même ceux des marchands : « Car le marchant a bien
1) La ville de Nice, ayant ou croyant avoir un recours à exercer contre Jean
Grinialdi, lui envoie un sauf conduit « amplissimus,... pro persona et rébus.»
Jean vient et se défend. Le juge de Nice le condamne, et ordonne l'exécution
à jour dit. A défaut de cette exécution, Jean Grimaldi est expulsé et ses biens
de Nice sont saisis. Il recourt au duc de Savoie, pour cause de rupture du
sauf conduit de Nice et de celui du duc de Savoie, dont il avait eu soin de se
munir (1433. Saige, Documents, I, 97). Sauf conduit des Génois à Jean Gri-
maldi pour venir à Gènes malgré ses dettes, malgré les dommages faits à
beaucoup de particuliers. Ce sauf conduit, en latin, au nom du doge et des
anciens, pour un mois, et restreint, débute ainsi : « Harum litterarum aucto-
ritate damus et concedimus amplissimum, tutissimum et generalissimum
salvum conductum»... (28 juin 1427. Saige, Documents, I, 60). Sa.uf conduit
du roi de Naples à Jean Grimaldi (l«r mars 4445. Saige, Documents, I, 162),
en latin, sous forme de déclaration, avec injonction finale à tous ses capi-
taines et sujets : signé, scellé : pour huit mois (délai indiqué dans la for-
mule finale). « In nostra regia bona fide guidamus, affidamus, et plenarie. as-
sicuramus », pour aller et venir vers nous à Naples, avec ses bateaux, biens,
marchandises, « salve, tute, secure, sine damno, noxia, novitate, injuria vel
offensa » .
2) Ludovic Sforza, en 1500, à Novare, sur la foi d'un sauf conduit, ne
craint pas d'aller avec deux capitaines français au camp français, traiter de
la capitulation (Jean d'Aulon, I, 255). Le roi Frédéric de Naples, en capitu-
lant (aoùtloOl), reçoit « un sauf conduit pour s'en aller en France. . . rendre
au roy. . .» (Jean d'Auton, II, 90).
3) Capitulation de Bordeaux, 8 octobre 1453. Les saufs conduits seront dé-
livrés aux assiégés anglais, « sans paier l'émolument des seaulx, en paiant
seulement les secrétaires et clercs de leurs salaires raisonnablement » (Le
Jouvencel, II, 36a).
4) Commission d'amiral publiée par Perret, Notice.... sur L. Malet de
GraviLle, no 20.
62 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
et loyaulment achetté le sauf conduit, et y aura mis par
advcnture la pluspart de son vaillant ou le tout, cuydant,
soulz la seureté ou l'honneur du Roy ou de ses commis ou
ses députés, guigner sa vie. » Tous ont pour sauvegarde
l'honneur du roi et pour sanction l'excommunication1. Louis
XI 1 blâme le sauf conduit accordé par ses lieutenants au roi
Frédéric de Naples : néanmoins, il l'observe *. En 1510, en
pleine guerre, des Vénitiens traversent tranquillement la
France entière avec un sauf conduit '.
Par malheur, tout le inonde n'imite pas ce noble exemple.
En 1504, Gonsalve de Cardoue accorde un sauf conduit à Cé-
sar Borgïa. César vient à JNaples. Gonsalve le reçoit à mer-
veille, l'embrasse, puis le fait arrêter à sa sortie et envoyer
dans une forteresse d'Espagne. 11 fait reprendre chez César
le sauf conduit. Pour excuser son manque de foi, il dit que
sa volonté a dû céder devant les ordres de ses maîtres, que
d'ailleurs il rend service à César Borgïa* ! Il aurait pu allé-
guer plus justement l'exemple de manques de foi donné par
César lui-même 5.
Au XIY° siècle, Christine de Pisan se demandait si un sauf
conduit accordé à un sarrazin était bien valable : et elle ré-
pondait hardiment : Non, pour cause d'utilité publique 6. Des
traces de cette hostilité intransigeante subsistent encore à la
fin du XV0. En 1490, une ambassade turque, composée d'un
turc et d'un grec, entrait à Gaëte, occupée par les Français et
1) Le Jouveneel, t. II, p. 28, 29, 30.
2) Instruction à Ed. Bullio, publ. par M. de Boislisle.
3) Sanuto, X, 459.
4) Guichardin, liv. vi, ch. m.
5) « L'acte îr s'esmerveille, veu la petite foy qui au monde court, comment
personne se o ;e tier en ses sauf eonduitz » (Christine de Pisan, Le livre des
fais d'armes et de chevalerie).
6) Le livre des fais d'armes et de chevalerie.
IMMUNITÉS 63
assiégée par les Napolitains. Etienne de Vesc, ne voulant pas
prendre sur lui de répondre, en référa au roi et donna un
sauf conduit. Néanmoins, les soldats français saisirent les am-
bassadeurs ; le grec se racheta, le turc disparut '... Au com-
mencement du XYI* siècle, la validité des saufs conduits n'est
contestée ni de part ni d'autre, mais une ambassade chré-
tienne ne se rendrait pas à Constantinople sans sauf conduit *.
Par malheur, les saufs conduits et le caractère diplomatique
n'empêchent point les pirates barbaresques d'infester la Mé-
diterranée et de prendre ce qu'ils trouvent 3.
En cas d'infraction au sauf conduit, il y a lieu à réclama-
tion diplomatique *.
Très souvent, des ambassadeurs envoyés en mission s'ar-
rangent, dans un but de sûreté et de commodité, pour partir
avec les ambassadeurs de la puissance où ils sont adressés.
Ainsi, le marquis de Finale, envoyé par Jules II à Louis XII
en réponse à une ambassade d'Edouard Bullion, part avec
Bullion qui rentre en France 5. De même, une bonne pré-
caution, usuelle et facile, pour traverser, en temps de guerre,
des lignes ennemies et faire reconnaître des envoyés, con-
1) Sanudo, Spedizione.
2) 1S00. Sanuto, DI, c. 338: c. 179 et s.
3) Arch.du Ministère des aff. Etrangères, Gênes 1, fo 68, v°.16 sept.i50f.
« Quod redimatur orator régis Tuneti, qui fuit captus non longe a littore
At'rice, in navi Aug. Gropalli. et perductus Trepanum, in qua navi una cum
d» oratore erat Gaspar Sifranas Donatus, orator destinatus ad dum regem ».
4) Par une lettre du 11 mai (1495), à Ludovic Sforza, Charles VIII se plaint
que son maître d'hôtel, Mathieu Coppola, ancien trésorier de Naples, ait été
arrêté et incarcéré à Milan, en revenant de Rome. Clérieux certifiait que Cop-
pola avait un sauf conduit (Archiv. deMilan, Pot. Est., Francta, Corrispon-
denza).
5) Mai 1504 (Disp. di Giustinian, III, 90). Des ambassadeurs viennent en
France avec les hérauts du roi qui y retournent 1500. Sanuto, III, 571-72) :
l'ambassadeur du soudan d'Egypte repart pour l'Egypte, avec le consul vé-
nitien qui y retourne (1507. Id.. VII. 128) : Andréa Gritti, envoyé à Constan-
tinople, part avec l'ambassadeur turc (1502. Id., V, 449).
64 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
siste à prendre un héraut ou un trompette ' comme escorte.
En cas de voyage princier, le prince qui reçoit peut envoyer,
par courtoisie, une ambassade pour escorter son hôte s.
On n'exige des otages pour assurer la sécurité d'une am-
bassade, qu'à titre extrêmement exceptionnel 8.
En dehors des sûretés diplomatiques ou quasi-diplomati-
ques que nous venons de citer, c'est-à-dire des immunités
d'agents diplomatiques, avec ou sans saufs conduits, et des
saufs conduits spéciaux à des personnes déterminées, il existe
encore des immunités internationales, nécessaires à mention-
ner. Nous les diviserons en deux catégories : les immunités
proprement canoniques, et les immunités commerciales.
Le Décret de Gratien, qui a si remarquablement posé les
principes du droit de guerre, d'après S' Grégoire et S' Augus-
tin *, qui sauvegarde la paix et la civilisation dans la mesure
du possible par l'institution de la Trêve de Dieu, commise aux
archevêques dans chaque province 5, prend aussi, d'accord
1) Un trompette de la duchesse de Savoie accompagne ses ambassadeurs,
pour traverser le camp devant Novare : ceux-ci peuvent ainsi communiquer
avec Novare (lettre du 4 juillet, Pernate. Arch. de Milan, Militare, Guerre,
1495). Lettre des ambassadeurs de la ville de Milan, remise au trompette qui
a escorté leur retour (14 avril 1500. Archives de M. le duc de la Trémoille);
Retour à Venise d'un secrétaire du conseil des X, revenant d'Andrinople près
du Grand Turc, avec un stratiote très fidèle (Venise, avril 1500. Sanuto, III,
179). Des Querdes envoie à Lille son héraut chercher les députés de la ville
qui veulent traiter (Histoire des guerres de Flandre, Corpus chronic. Flan-
driœ, IV, 562).
2) Pierre de Médicis envoie à Charles VIII des trompettes, pour lui deman-
der un sauf conduit pour l'aller voir. Vingt quatre heures se passent ; il croit
que ses trompettes ont été pendus, lorsqu'arrive un héraut du roi, et bientôt
après deux ambassadeurs chargés d'accompagner Pierre (Delaborde, Expé-
dition de Charles VIII, p. 436).
3) Jean Bentivoglio envoie le protonotaire son fils à Imola, négocier avec
César Borgia, après que César lui eût remis quelques personnes en otage
(1502. Guichardin, liv. v, ch.iv).
i)Decretï secunda pars, causa xxm, quest. i (édit. Friedberg, t. I).
5) Id., c. 25.
IMMUNITÉS 65
avec les autres textes du droit canon, sous sa sauvegarde spé-
ciale les gens faibles ou désarmés. Au nom de la justice, il
défend, par les armes de l'excommunication, l'ambassadeur,
le marchand, le voyageur pauvre, le pèlerin \ l'ecclésiasti-
que. Ces prescriptions passent dans le droit de toutes les na-
tions chrétiennes*.
11 en résulte que les ecclésiastiques et les pèlerins 3 ont un
sauf conduit de plein droit, sans avoir besoin de le deman-
der : « Droit le leur donne '.,. En quelque contrée qu'ils
soient, [ils] sont en la sauvegarde du saint père de Romme...
Tous chrestiens qui sur pèlerins mettent la main, commet*
tent et font péchié de désobédience. »
Le droit de marque ne vaut point contre eux 3.
1) Causa xxiv. quest. m, c. 23 et suiv. (c. 996-97). Un canon du concile
de Latran, sous Alexandre III, inséré dans les Décrétâtes de Grégoire IX
(lib. i, lit. xxxiv, c. 2), accorde aux clercs, moines et convers, aux pè-
lerins et marchands, aux cultivateurs, à leurs animaux de trait et à leurs
grains de semence, un sauf conduit absolu, en temps de guerre.
2) Petrini Belli, Albensis, De re militari et bello, p. n, t. îx. Mais, par
contre, les clercs ne peuvent porter les armes (Id., p. i, t. vint), à moins
qu'ils n'aient charge de gouvernement, auquel cas ils peuvent défendre, les
armes à la main, leurs sujets et leurs biens : encore discute-t-on même
à cet égard (Lopez, De confederationc principum, édon de 1511, f09 59 v°>
61 r», 62 r<>).
3) On discute si ce sauf conduit s'étend aux étudiants. En pratique, on ne
parait pas en être assuré, car le dauphin Louis écrit au duc de Milan, le 31
décembre 1460, que Jacques deValperga voudrait aller à Pavieavec son fds,
pour achever les études de celui-ci: « Vos immense precamur », dit le dau-
phin, de leur donner, à tous deux, « tutum salvum conductum pro tempore
necessario ».. . {Lettres de Louis XI, I, n° en).
4) Ils peuvent se munir d'un passeport, qui, dans ce cas, vaut sauf con-
duit. V. un passeport de ce genre, sous forme solennelle, de la chancellerie
d'Angleterre, pour un nommé Christophe, aumônier du roi, se rendant à
Rome en pèlerinage (en latin, .sous forme de diplôme : 4 févr. 1486. Camp-
bell, Memorials for a history ofthe reign of Henry VU, I, p. 273 et s.). Passe-
port d'Henri VII d'Angleterre au commandant de Calais, pour lui permettre
de sortir du territoire, en vue d'un pèlerinage à Rome (2o avril 1486. Ibid.,
415).
o) H. Bonet, L'arbre des batailles, c. xcvm, c. xcix, c. Cf., dans lé
5
66 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
Chaque année, le jeudi saint, selon un vieil et solennel
usage, le pape lance l'excommunication contre un certain
nombre de personnes ; c'est ce qu'on appelle la Bulla cène.
Au nombre des personnes anathématisécs, figurent les pirates1
et écumeurs de mer, et quiconque frappe ou détient un pré-
lat, un pèlerin 2.
Le 25 février 1499, à l'occasion du jubilé de 1500, Alexan-
dre VI fit aussi publier et afficher à S' Jean de Latran unmotu
proprio spécial, qui ordonnait de recevoir partout les pèlerins
du jubilé et frappait de peines ecclésiastiques toute attaque
contre eux 3.
C'est par suite de ces privilèges que, comme nous l'avons
dit, pèlerins, prêtres, moines, circulent aisément *, et qu'ils
abusent de cette facilité. De pseudo-pélerins servent de cour-
riers, d'espions5. Le 8 septembre 1505, Isabelle d'Aragon pro-
met à frère « Louis del Abathia », chevalier de Jérusalem,
bailli de Sla Eufemia dans la Calabre, une récompense de
même sens. Joannes Jacobus a Canibus (citant Bartole et nombre d'autres
textes), De represaiiis (dans le Recueil deZiletti, XII, p. 278, n° 44). Ce ju-
risconsulte estime que les ecclésiastiques et les pèlerins ne peuvent souffrir
d'aucune lettre de marque ; mais, pour les étudiants, la question lui parait
douteuse.
1) Les pirates sont, en conséquence, hors la loi. Tout le monde a le droit
et le devoir de leur courir sus. sans aucune déclaration préalable (Petrini
Belli. op. cit., p. n, t. xi). On n'est pas tenu de garder sa parole à leurégard
(ibid., t. xiv).
2) Bulla Cène, d'Alexandre VI (reg. 874, Archives du Vatican).
3) Même registre. f'°» 32 v«, 33 v°.
4) Lettre des habitants d'Avignon, se plaignant au pape qu*on ait arrêté
au pont de Sorgués et amené à Avignon « Mons>" d'Aix » (ment. ms. fr.
2928, f° 29). Cf. Calai, de vente Eug. Charavay, 27 mai 1887, n<> 7 (privi-
lège de Philippe d'Alsace aux moines de Bohéries).
5) Les pèlerinages sont souvent des exils temporaires déguisés. Ainsi le
sire de Quintin, battu par le duc de Bretagne, reçoit de lui un passeport
' pour aller en pèlerinage à S1 Antoine, à Padoue (Dupuy, tlist. de la réunion
de la Bretagne, II, 128).
IMMUNITÉS 67
100 000 ducats, s'il lui ramène son fîls, retenu en France par
Louis XII, qui l'avait fait moine ' ; détail singulier, l'ordre
de S' Jean de Jérusalem, auquel appartenait cet agent secret,
avait pour grand maître un français, Aimery d'Amboise...
C'était l'amer chagrin des chrétiens que la même sau-
vegarde ne couvrit pas les pèlerins jusqu'à Jérusalem. Cepen-
dant les récits de voyage nous montrent que le plus grand obs-
tacle de ce pèlerinage venait des maladies et de la fatigue ' :
et le doge de Venise n'était probablement pas fort sincère
lorsque, le 2 juin 1500, recevant deux pèlerins recommandés
par le roi de France et présentés par l'ambassadeur, il les
exhortait à ne pas poursuivre leur voyage vers Jérusalem '.
Nous avons déjà dit que le Soudan accorda à Louis XII la pro-
tection des Lieux Saints et lui donna un sauf conduit perma-
nent pour les Français se rendant en Terre Sainte.
Telle est l'immunité générale que nous appelons propre-
ment canonique.
L'immunité de commerce résulte des privilèges des grandes
foires. Celle-ci dérive entièrement de la volonté du prince.
11 n'est cependant pas libre de la retirer, quand il l'a
donnée *.
Quant aux commerçants étrangers fixés dans le pays, leur
1) K. 78, 8 bis.
2) Robert de SanSeverino, faisant un voyage à Jérusalem, ne rencontre
d'autre obstacle que la maladie d'un homme de sa suite, qui est resté à
Rhodes et qu'il ne veut pas laisser en route, ce qui prolonge son séjour à
Jérusalem (leltre de Mathieu Buligella au duc de Milan, Jérusalem, 30 juin
1 158. Arch. Sforzesco).
3)Sanuto, III, 868.
legationes Vincenlii (Ilig'aulU, Paris, 1512, f° xxvi v° : « Quedam est
securitas dejure geutium, prout illa que datur legatis et ambassiatoribus, et
neino potest illos offendere. Alla est securitas civilis, ut vadens ad nundinas
non possit inquietari. Et ista non porrigitur ad hostes ; sed si detur, . . . est
servanda fides. •»
68 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
donner des saufs conduits indique un état ouvert d'hostilité.
Louis XI dénonce le duc de Bourgogne comme faisant acte
de guerre parce qu'il a donné chez lui des saufs conduits aux
Français et invité les « sujets » de Bourgogne en France à
prendre un sauf conduit pour un an '.
1) 1er décembre 1470 (ms. fr. 3884, f» 280).
CHAPITRE VI
LANGUE DIPLOMATIQUE
Le latin était la vieille langue universelle, et par consé-
quent la langue internationale et diplomatique, consacrée,
d'ailleurs, par la science, par le droit canon, par le droit écrit;
cette vieille faveur laissait beaucoup de traces : en France,
dans les contrées de droit écrit, les procédures criminelles
avaient encore lieu en latin, avant l'ordonnance de juin
1510 ' ; a Venise, on conservait l'habitude de prononcer en
latin les discours solennels s.
A la fin du XVe siècle, l'essor des études classiques vient
donner au latin un regain de jeunesse, dont il commençait à
avoir besoin, car, depuis le milieu du XIVe siècle, les idiomes
locaux pénétraient de plus en plus dans les actes de la vie pu-
blique, et au XV8 siècle ils y tiennent la plus grande place.
Comme les usages internationaux se modifient difficilement,
c'est là que le latin restait le plus tenace ; son emploi est de
règle pour les actes officiels de la vie internationale. Tout
acte destiné à une élaboration commune, môme à une simple
communication officielle, doit être écrit en latin. On n'emploie
que pour les autres le langage national. De là, une classifi-
cation des actes diplomatiques très apparente et utile à ob-
server, parce qu'elle indique de suite la portée d'un acte.
1) Art. 47. Ordonnances, XXI, p. 431.
2) Reumont, Délia diplomazïa italiana, p. 141.
70 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Ainsi, tons les protocoles officiels \ traités, alliances, actes
d 'entrecours ! et patentes de ratifications 3, devront être
écrits en latin,fût-ce entre puissances de même langue, comme
aussi tous les actes extérieursde la diplomatie : saufs conduits *,
lettres de créance 5, pouvoirs 6. Quant aux missives directes
internationales, elles appartiennent à un genre mixte : latines,
quand elles ont le caractère tout à fait officiel1, elles peuvent
être écrites dans le langage national, si l'on veut leur donner
un sens moins accentué ou plus affectueux.
1) Au traité d'Arras, note des offres faites par la France, en français:
amende honorable (déclaration) de Jean Tudert, en français, «,perlegit in gal-
lico » : procès-verbal en latin (ms. Moreau 1452, nos 129, -130).
2) Traité de paix, 8 mai 1463, entre Louis XI et le roi de Gastille Henri IV
(K. 1638, d. 2) ; ligue de Louis, dauphin, futur roi, et du duc de Milan,
(1er juin 1461. Archivio Sforzesco) : acte du traitéde 1493, patentes de Fer-
dinand et Isabelle (la proclamation seule est en espagnol. K. 1638, d. 2) :
traité de Trente, 1501, en latin ; projet de serment de Louis XII, en français,
comme acte très personnel (K. 1639, d. 3) : instruction diplomatique prépa-
rée en patentes latines, qu'on envoie à signer en Castille (XIV« siècle. .1. 915,
B) : Reg. du conseil de Charles VIII, p. 91 : Saige, I, 47 : etc.
3) Patentes en latin, de François Sforza, ratifiant la ligue, du 6 octobre
1461 : procès-verbal en latin du renouvellement de la ligue du roi de France
et de Milan, 22 déc. 1463 (Arch. Sforzesco).
4) Sauf conduit anglais à deux chevaliers français, pour venir à un défi
(1400. Rymer, 111) : sauf conduit du duc de Bourgogne (1443. Fr.1278, f<>76):
sauf conduit du doge de Venise, en latin, pour l'ex-reine Isabelle de Naples
(1507. N. acq. lat. 2120, n» 2).
5) Créance de Louis XII, le 23 nov. 1501, à ses envoyés près de l'empe-
reur: pouvoir aux mêmes, en latin (fr. 16074, n° 27) : créance des Floren-
tins pour Donato Accaiuoli, 1475 (fr. 3882, f° 55) : créance de Louis, dau-
phin, au duc de Milan, 12 déc. 1460 (Lettres de Louis XI, I, n° xcxix) : Cf.
Sanuto, V, 539 etc.
6) Pouvoirs du roi d'Angleterre à ses envoyés en France (Rymer,III, p.
200), du roi de France à ses envovés à Milan (Ghinzoni, Gai. Maria è Luigi
XI, p. 8).
7) Manifeste de Charles VIII à la diète germanique, pour revendiquer
Gênes (11 août 1496. Sanuto, I, 285): circulaire de Venise aux puissances,
du 5 sept. 1500 (id., III, 750) : le gonfalonier et les prieurs de Fano écrivent
à Venise « latine » (Sanuto, III, 1589) : lettres de J.-J. Trivulce aux Véni-
tiens, annonçant la prise du More (1500. Sanuto, III, 225) ; de Louis XI au
roi de Naples et du roi de Naples à Louis XI (fr. 3884).
LANGUE DIPLOMATIQUE 71
Les instructions1, dépêches, rapports, relations, notes '..,
sont en général écrits dans le langage national, parce qu'ils
représentent, si Ton peut ainsi dire, le for intérieur de la di-
plomatie 8.
Il est donc indispensable à un ambassadeur de savoir bien
parler le latin * ; et c'est là une des causes de la supériorité
des gens d'église et des Italiens : en Italie, la culture du
latin était répandue jusque parmi les femmes du plus haut
rang.
Mais le latin ne suffit pas. Il faut savoir les langues étran-
gères : Lucrèce Borgia, duchesse de Ferrare, « parloit espai-
gnol. grec, ytalien, françois, et quelque peu très bon latin, et
composoit en toutes ces langues 5 ; » tout italien bien élevé
connaissait le français et l'espagnol '. Un souverain a besoin
1) Cependant on rédige les instructions en latin, quand on leur donne la
destination ofticielle d'être communiquées. V. lesinstructionsà des ambassa-
deurs en Castillo, du roi Jean, l'une rédigée en latin, l'autre en français (J. 915
Bi : instruction de Catalan Grimaldi à Ant. Grimaldi. son envoyé en Savoie,
et près du dauphin (1454. Saige, Documents, I, 248, 2.">l).Au XVe siècle, elles
sont en latin dans certaines chancelleries (Instruction du roi des Romains à son
orateur, lescolastique de Sarrebourg. J. 995). V. plus loin, chapitre VIII.
2) Saut' la même observation que pour les instructions. V. une note di-
plomatique rédigée en double par la chancellerie anglaise, la première en
latin, sèche et hautaine, la seconde en français, plus conciliante (ms. Moreau
1425, n° 97). V. des notes diplomatiques latines, ou cellules, par les ambas-
sadeurs espagnols, le 20 mars 1484-85 (K. 1482), par des ambassadeurs an-
glais à Troyes en l't"20(ms. Moreau 1452, n°102). Cf. plus loin, chapitre XIV.
:> (Juaml il y a lieu de prêter un serment, on le prête toujours dans sa
langue. V. les serments de Louis XI au duc de Bretagne ms. t'r. lo.'i38, n°31t,
i'r. 20855, n° 50) : le serment que Louis XI veut faire approuver par le pape
et jurer par l'évêque de Verdun (fr. 1001, f° 7:2).
4) Dans le Songe du vieil •pèlerin, Philippe de Maizières (au XIVe siècle)
recommande au roi d'avoir toujours dix ambassadeurs sachant bien parler
latin (Hisl. de l'Ac. des inscriptions et belles-lettres, t. XVII, p. 506, cité par
Ern. Nys, Les théories politiques et le droit international en France, p. 15).
5) Chronique du loyal serviteur, ch. xliv.
6) Bald. Castiglione.
72 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
de savoir, fût-ce superficiellement, les principales langues
étrangères, ou au moins de paraître les comprendre et d'en dire
quelques mots1: lorsqu'une grande ambassade française se
présente en 1445 au roi d'Angleterre, on l'avertit que le roi
comprend le français, mais qu'il le parle mal, de sorte que
l'ambassade parle français ; de temps en temps, le roi
lui dit : « S1 Jehan, grant merci », et s'exprime en anglais
pour le reste *, Malheureusement, en France, la connais-
sance des langues est fort rare 3 ; on note comme un fait his-
torique, que Gaston de Foix puisse demander, en italien, de
ses nouvelles au comte de Carpi et soutenir avec lui quelque
conversation \ Lorsque Charles VIII accepte en principe les
capitoli avec Florence, Savonarole est député pour obtenir sa
signature. Le roi le reçoit bien : « Il me fit, raconte Savona-
role, redire les chapitres par trois fois, en latin, en italien et
moitié italien et moitié français pour ceux qui n'entendent pas
notre langue. Tout étant ainsi arrêté, le roi sortit et l'on dé-
posa les armes B. » Charles VIII ne savait pas l'italien.
Louis XII le comprenait difficilement.
L'agent diplomatique qui possède bien une langue trouve
de suite de grands avantages. Louis de Halwin, seigneur de
Piennes, flamand d'origine, et souvent ambassadeur, réussit en
Allemagne, parce qu'il sait l'allemand ; il est ambassadeur
en 1501 près de Maximilien. Au commencement du XVe siè-
cle, lorsque Louis Ier d'Orléans nourrit sur l'Allemagne de vas-
tes projets, il prend à son service un ancien secrétaire du duc
de Gueldre, Pierre de Mérode, parce qu'il sait l'allemand0.
1) Cf. ci-après, p. 74.
2)Ms. fr. 3884, fo 186.
3) A Nicopolis, en 1396, il n'y avait dans toute l'armée que deux cheva-
liers sachant le turc.
4) Chr. du loyal serviteur, ch. xlvii.
5) Perrens, Vie de Savonarole, 3e éd., p. 114.
6) Circourt et van Wervecke, Documents luxembourgeois, p. S7. Guill.
LANGUE DIPLOMATIQUE 73
En 1501, l'ambassadeur de Venise en France signale la pré-
sence à Lyon d'un commerçant sachant le hongrois et le slave,
qui propose d'aller en ambassade en Hongrie pour la Sei-
gneurie '.
Les envoyés italiens en France savent tous le français ; ils
rapportent dans leurs dépêches leurs conversations avec les per-
sonnages de la cour. Les uns, comme Dominique Trevisan,
accrédité par Venise en 1495, le parlent parfaitement *, d'au-
tres ne font pas leurs débuts sans difficultés. Pirovano, envoyé
milanais près de Charles VIII en 1493, avoue qu'à sa pre-
mière entrevue il comprit le roi avec bien de la peine s ;
à la réception d'Antoine Giustinian, envoyé vénitien, en
1512, Louis XII offre ou de parler français ou de faire
parler italien : Giustinian se met aux ordres du roi, mais il
avoue qu'il comprendrait mieux l'italien ; alors, le secrétaire
Robertet prend la parole en italien, et Louis XII se contente
d'approuver, en disant que Robertet traduit bien sa pensée *.
A Venise, un des secrétaires du conseil, Gaspard di la Ve-
doa, qui savait le français et l'espagnol, était officiellement
chargé de la traduction des actes diplomatiques 5.
Le résident de France en 1500, Accurse Maiuier, savait le
de Diesbach, avoyer de Berne, écrit au roi (1490), pour lui dire qu'il s'oc-
cupe de ses affaires et le prier d'envoyer « quelque bon grant personnage de
par deçà •..., nommément le marquis de Rothelin, « qui scet le langage et
parler aux communes » (fr. 15541, 110).
1) Dépèche de Foscari, de Lyon, 18 août 1501 .
2)Sanudo, Spedizione, 294. En 1475, l'ambassadeur milanais prononce en
français son discours de créance au duc de Bourgogne (Gingins la Sarraz, Dêp.
des ambass. milanais, I, 76-77).
3) Rapport de Pirovano (Romanin, Storia Documentata di Venezia, t. V,
p. 29 et suiv.).
4) Relation de Giustinian, mentionnée dans une dépêche de la Seigneurie
à son ambassadeur à Rome, du 1S octobre 1512.
5) Sanuto, passim, not. IV, 468. André Badoer interprète l'anglais à Ve-
nise (1502. Sanuto, IV, 518).
74 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
dialecte vénitien : chargé de remettre une lettre du roi, un
jour que le secrétaire pour le français ne se trouvait pas là, il
put en faire lui-même le résumé '.
Pourtant rien ne remplace, comme commodité et comme
sûreté, le latin ; dans les pays les plus excentriques, cette
langue fournit l'intermédiaire naturel. Une ambassade de
Louis Ier d'Anjou en 1378 près du Juge d'Arborée, en Sar-
daigne, parle français, on lui parle sarde; pour s'entendre, il
faut traduire en latin le sarde et le français ". Aussi voit-on
recourir au latin, même dans les cas où l'usage de la langue na-
tionale serait parfaitement admis. Maximilien, pour adresser
directement à un ambassadeur de Venise un avis aigre-doux
sous la forme la plus officielle, lui envoie un billet person-
nel en latin 3. Chose plus singulière, certains ambassadeurs
recourent au latin dans leurs relations avec leur propre gou-
vernement : en 1419, les ambassadeurs anglais à Rome écri-
vent leur rapport en latin *. Ce fait est rare ; cependant
nous le voyons se reproduire à la cour de France dans des
circonstances bizarres. André de Burgo, ambassadeur de
Marguerite d'Autriche près de Louis XII, savait mal le
français, et un seul de ses secrétaires le savait, l'autre étant
italien comme l'ambassadeur. Privé de soh secrétaire pour le
français par suite d'une maladie, Burgo se met à libeller ses
1) 2 déc. 1500 (Sanuto, III, 1124).
2) Ms. fr. 3884, fo 68 et s.
3) Dépèches de Foscari .
4) 4 déc. 1419 (Quicherat, Th. Bazin, IV, 277). Le rapport de l'ambassade
des envoyés de l'archiduc en France (1474), publié par Chmel (Monumenta
Habsburgica, I, 261), est en latin: il cite les mois dits en allemand ; par
exemple, le prévôt de Munster « dixit in vulgari alamannico : Er laesst in hun-
gen als er hangt, » ce qui semble indiquer que les ambassadeurs parlèrent
latin. — Au commencement du XIV0 siècle, tout est en latin (compte
journalier de dépenses de la mission du sénéchal de Beaucaire à Avignon,
en 1340. Ms. fr. 20978, fo H83).
LANGUE DIPLOMATIQUE 75
dépêches en italien ; or. on ne comprenait pas l'italien à la
cour des Pays Bas, où l'on ne parlait que français '. Burgo,
en apprenant qu'on fait traduire ses dépêches, se décide à
écrire en latin5.
Faute de latin ou de langue indigène, on se trouvera ohligé
de recourir à des interprètes ou « truchcmans ' », ce qui n'est
pas sans inconvénients. Lorsque le cardinal d'Amboise se rend
solennellement près de Maximilien en 1505,1e roi des Romains
charge courtoisement un gentilhomme bohémien de sa mai-
son, Balthazar de Dobenhurgk, de l'accompagner, de lui ser-
vir de « truchement, durant ledit véaige \ » mais seulement
pondant le voyage. Pourtant certains ambassadeurs se font
une sorte de point d'honneur de prononcer leurs discours de
créance dans leur propre langue, par interprètes 5, en quoi
ils se trompent «. Il faut laisser cette pratique à ceux qui igno-
rent tout à la fois le latin et la langue du pays : par exemple,
1 ) Il écrit, le 31 mai 1510 : « Per esser el secretario, quale scrive in lin-
gua francesa, indisposto, scriveio in iialiano », et sa dépêche est en italien
t. de Louis XII, I. -237). Philibert Naturelli, ambassadeur du roi des Ro-
main à Rome, en 1499, lui écrit en italien (Jean d'Anton, pièces, I, p. 328).
2) 11 écril à Marguerite d'Autriche le 21 juillet 1510: « Ouando ego An-
dréas reces^i a Serenitate Vestra, dixit mihi quod, quando non haberem qui
scriberet in lingua gallica, scriberem in lingua italica ; et ita feci sepe. Nunc
monilus fui quod ipsa fecit traduci aliquas litteras meas in linguam gallican),
etideo quousque revertetur secretarius meus, scribemus in latino » (I.ett.
de Louis XII, I, 255). V. mie dépêche d'ambassadeur en latin à Jean Gri-
inaldi (1451. Saige, Documents, 1, 219).
3) Circourt et van Verwecke. oucr. cite, n° 207. Les ambassadeurs du duc
d'Orléans en Allemagne, en 1397, ne sachant pas l'allemand, embauchent à
Mouson des truchmans pour les escorter, à raison de 12 sous p. par jour,
tout compris (?'</., n° 34). Un truchman de Bohème accompagne des envoyés
allemands en France ( 1397. Jd., n" 12).
Ms. Clairamb, 16, p. 1053.
">) Ambassadeur anglais, de passage à Venise, en 1S02 (quoique docteur
et prêtre. Sanulo, IV, 518) ; ambassadeur espagnol à Venise en 1502 (id. , IV,
468).
6) V. ci-dessous, page 218.
76 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
aux envoyés de Russie, de Serbie, de Moldavie à Venise.
Or, même à Venise, où l'on ne s'étonne pas facilement, on
veut bien admettre que le frère du despote de Serbie ne
sache pas le latin ' : un envoyé moldave rachète aussi son
ignorance, en faisant dire par interprète que son maitre est
ennemi des Turcs, et en présentant une lettre, en latin, du
voïvode Etienne s ; mais on sourit du costume des ambas-
sadeurs de Russie en 1499 et de leur langage « quasi
turco 3. »
Les inconvénients de recourir à des interprètes se compren-
nent aisément. Nous avons déjà montré le duc de Bourgogne,
dans une entrevue avec l'empereur, à la merci d'un grand
seigneur, qui lui sert d'interprète *. Brantôme raconte, dans
le même ordre d'idées, une bien mauvaise plaisanterie. La
reine Anne de Bretagne avait, dans sa suite, un certain Jean
de Talleyrand, seigneur de Grignols, qui, ayant été plusieurs
fois ambassadeur, savait plusieurs langues et se chargeait
de fournir à la reine une ou deux phrases pour chaque ré-
ception d'ambassade. La reine lui demanda un jour une ré-
ponse pour l'ambassadeur d'Espagne. Grignols, personnage
très facétieux, trouva bien amusant de lui donner « quelque
petite sallauderie, » que la reine répète et apprend bien
consciencieusement. Le lendemain, avant l'audience, Gri-
gnols va raconter la plaisanterie à Louis XII, qui en rit à gorge
déployée, mais qui heureusement prévint la reine. Anne
prit la chose fort mal, voulut chasser Grignols, et n'accepta
que très difficilement ses excuses quelque temps après 5.
t) 1502. Sanuto, IV, 457.
2) Sanuto, IV, 579.
3) Sanuto, III, 61.
4) Tome I, p. 260.
5) Brantôme, édit. Lalanne, VII, 316.
LANGUE DIPLOMATIQUE 77
Le mieux est donc de s'en tenir au latin, et, si on l'ignore,
le mal est sans remède. Le sire de Lautrec, chargé à Fontara-
bie, en 1513, de négocier une simple trêve avec l'évoque de
Lerida, se voit obligé, faute de savoir le latin, de requérir
pour négocier un docteur de Bayonne, très peu diplomate,
qui a le talent de rendre obscures les choses claires *. En
avril 1397, par suite de la folie de Charles VI, une ambas-
sade florentine attend quatre mois son audience initiale, puis
un des ambassadeurs expose la créance en latin. Ne recevant
aucune réponse précise, Pitti, le chef de l'ambassade, soup-
çonne que le discours a été mal traduit au roi; ni Charles VI
ni les ducs régents ne savaient le latin, sauf le duc d'Orléans,
qui ne se souciait pas de transmettre l'avis des Florentins. En
effet, à l'audience suivante, le roi demande à voir l'acte du
traité dont on réclame l'exécution, et se montre fort étonné.
Il le voit, dit-il, pour la première fois \
En Orient, l'usage international du latin n'est pas admis s.
Bien que nous possédions une lettre de Bajazet II au grand
maitre de Bhodes, de 1484, en latin *, on refuse même de par-
ler latin. Un envoyé turc à Venise en 1500, bien que sachant
le latin, tient à ne parler que grec, et s'exprime par in-
terprète *. Tamerlan, vainqueur de Bajazet Ier, fait parvenir
à Charles VI une lettre en persan : Charles VI lui répond en
latin, le 15 juin 1403 a.
En 1503, un ambassadeur turc apporte à Venise un projet
1) Dép. de l'évêque de Lérida (2 avril 1513. K. 1482).
2) Jarry, Vie de Louis de France, p. 215.
3) Bembo dit que les Turcs ne se croient pas tenus par ce qui n'est pas
écrit en turc.
4) Ms. ital. 898.
5) Sanuto, HI, 192.
6) Flassan, Diplomatie française, I, 189.
78 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
de traité, écrit en turc et en grec ' ; en 1504, un autre ambas-
sadeur apporte une lettre du Grand Seigneur en grec 2. Le
Soudan d'Egypte écrit en arabe : mais ses lettres sont tra-
duites au consulat vénitien d'Alexandrie, et transmises à Ve-
nise avec la traduction 3.
Les nécessités des rapports avec l'Orient ont amené à doter
les ambassades et les consulats des drogmans dont nous
avons déjà parlé et dont le rôle est de grande importance :
non seulement le drogrnan manie toutes les affaires, mais
c'est quelquefois lui qui les mène. En 1511, le consul vé-
nitien, jeté aux fers au Caire, passe pour avoir été trahi
par le drogrnan du consulat ; le consul catalan, au con-
traire, reste libre, il va où il lui plaît, il parle lui-même au
Soudan, car il sait le turc et l'arabe, aussi son influence est
extrême '.
Les traités avec l'Afrique septentrionale sont consacrés par
un instrument arabe, puis par une charte chrétienne, qui en
donne une sorte de traduction exégétique, avec un formulaire
différent. M. Amari a contesté la valeur critique de ces chartes
chrétiennes : M. le comte de Mas Latrie a démontré, au con-
traire, qu'elles présentent un caractère authentique 5.
En Occident, la langue française hérite manifestement des
pertes que subit le latin, et tend à devenir avec lui la langue
diplomatique. Machiavel, non sans exagération, représente
les Français comme « ennemis de la langue des Romains et de
i)Sanuto, V, 27.
2)Sanuto, V, 1001.
3) Sanuto, V, 887-890.
4)Sanuto, V, 991 : XII, 210-213.
5) Ctc de Mas Latrie, Relations et commerce de l'Afrique septentrionale, ou
Magreb, avec les nations chrétiennes du Moyen-âge, Paris, Didot, 1886,
p. 471.
LANGUE DIPLOMATIQUE 79
leur renommée 1 ; » Balthazar Castiglione met le français au
premier rang des Langues donl la connaissance s'impose dans
une cour italienne :. Le français était, au XVe siècle, la langue
diplomatique des pays secondaires de la France 3 : des ducs
d'Orléans *, dos ducs de Lorraine 5, de Bourgogne, de Bre-
tagne 6, des consuls d'Avignon 7..., et le travail incessant de
de ces diplomaties contribua sans doute à le répandre. A la
fin de ce siècle, le français est toujours la langue des cours de
Savoie 8 et des Pays Bas. En 1513, les envoyés des Pays Bas
se présentent avec l'ambassadeur d'Allemagne devant le con-
1) Dit naturel des Français.
I) Bal th. de Gastillon, Le parfait courtisan, trad. Chapuis, p. 238.
3) Les lettres du roi de Sicile, du dauphin, sont en français. Le sei-
gneur de Monaco écrit en italien en Italie, en français en France, en italien en
Savoie (Saige, not. I, 310). Les correspondances des états italiens avec lui
sont en italien.
4) La diplomatie si active du duc Louis 1er d'Orléans en Allemagne ne se
sert que de la langue française. V. Circourt et van Werwecke, Documents
luxembourgeois, not. nos 239. ~2">'-'>. 2.'>(>. -210.
.'ii V. Preuves de l'hist. de Lorraine, t. VI, col. ccxxxvu, promesse du
duc de Bourgogne à l'évoque de Metz (1473) ; col. ccxxxix, instruction
lorraine de 1473-74; col. cclxviu, accord de 1478 entre le duc de Lor-
raine, les princes de la Haute-Allemagne et Maximilien; col. ccxciu, traité
du 29 mai 1493 entre Metz et le duc de Lorraine; col. ccclxi, traité entre
Maximilien, le duc de Lorraine et l'évêque de Metz (1316), etc.
- rment du duc de Bretagne envers Louis XI, sur la croix de S' Laud,
le 13 août i 470 : procès-verbal en latin des chanoines (fr. 15338, n« 302).
Serments réciproques de Louis XI et du duc de Bretagne (Nantes, 22 août
1477. Fr. 2811, 182, 183). Pouvoir breton pour une ambassade en Angle-
gleterrc, instruction pour une ambassade en Bourgogne (1408. Mém. de
Bretagne, II, 827, 815) : créance bretonne (fr. 2811, 198). ..
7) Lettre des consuls d'Avignon au sire du Bouchage; recommandation
instante pour un courrier qu'ils envoient au roi (Mandrot, Ymbert de Batar-
nay, p. 320).
8) Mas Latrie, Hist. de Chypre.. III. passim : instruction des nobles de Sa-
voie à Guill. deLornay (Guichenon, Hist. deBresse, preuves, p. 27) : créance
du duc de Savoie, du 31 mai 1 i.'j.ï (fr. 2811, 34) : patentes de Charles VIII,
pour désigner des arbitres dont lechoix lui revient (avec la Savoie) (fr. 2919,
f» 9 bis;.
80 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
seil helvétique, et prononcent un discours en français, selon
leur usage. Les Suisses demandent qu'on parle latin, ce que
font les ambassadeurs : mais comme les Suisses ne comprennent
guère, l'ambassadeur impérial sert d'interprète, et c'est à
lui qu'on adresse la réponse, en lui disant de la traduire plus
tard : il la traduit verbalement après le retour à l'auberge *.
Le français est la langue usuelle de la cour d'Allemagne.
Non seulement l'empereur emploie cette langue pour écrire
à Louis XII a, mais c'est aussi celle de sa correspondance per-
sonnelle avec Marguerite d'Autriche, avec Philippe le Beau \
Lorsqu'il adresse, en 1495, aux roi et reine d'Espagne une
lettre pompeuse et solennelle contre les Français, il l'écrit
en latin, mais il signe en français : « Vostre bon frère, Max*. »
Remarquons môme qu'en 1508, pour le traité de Cambrai,
les pouvoirs de Maximilien sont en français, ceux de Louis XII
également 5, au lieu d'être en latin, selon le style. Les pa-
tentes de ratification pour Louis XII sont en latin 6.
La chancellerie anglaise, très fidèle au latin, n'emploie que
le français dans tous les actes relatifs à la France \ Le roi
d'Angleterre écrit en français au roi de France 8; ses ambas-
sadeurs s'expriment en français 9. D'après Du Tillet, en 1403,
1) Lett. de Louis XII, IV, 225.
2) Lettre de Maximilien à Louis Xll, 31 mai 1510, signée: «Maximilianus»
(Lett. de Louis XII, I, 233).
3) Lettres de Louis XII. Gachard, Voyages des souverains, I, appendices.
Le Glay, Négociations.
4) Boislisle, Et. de Vesc, p. 256. Hors d'Allemagne, l'empereur n'écrit
cju'en latin ou en français.
5) Ms. Moreau 418, fo» 1-47.
6) Bourges, 14 mars 1508, anc. style (ibid. )
7) Rymer, III.
8) Lettre de Henri VI à Charles VII, 28 juillet 1447 (Quicherat, Th. Bazin,
ÎV.p.286).
9) Discours de l'ambassadeur d'Edouard d'Angleterre au duc de Bourgo-
gne (fr. 1278, fo 64).— V. Engagement du duc de Clarence, en français, sous
LANGUE DIPLOMATIQUE 81
les ambassadeurs de France, clans les conférences avec les
envoyés anglais, n'acceptèrent que sous les plus expresses
réserves communication clos instructions anglaises écrites en
latin : ils protestèrent que, s'ils avaient parlé ou écrit en la-
tin, cela ne devait pas tirer à conséquence, ni créer un pré-
cédent contraire à la pratique, jusque-là constante, dans
les conférences anglo-françaises, de tout écrire en fran-
çais ; ils ne consentaient, cette fois, à user du latin, que par
exception, pour en finir et ne pas ajourner la conférence, ce
qui deviendrait nécessaire, si le roi leur ordonnait de se con-
former à l'ancien usage '. C'est pourquoi la grande ambassade
de 144o, dont aucun membre, d'ailleurs, ne savait l'anglais,
tient à parler français au roi d'Angleterre et s'assure d'a-
vance qu'elle pourra le faire 2. Avec le temps, la ténacité an-
glaise finit cependant par l'emporter ; plus tard, dans le cou*
rant du XVI0 siècle, les instruments anglo-français seront
écrits en latin; en 1514, lors du mariage de Marie d'Angle-
terre avec Louis XII, Jean de Selve parle, au nom de l'am-
forme de cédule, d'être vrai et bon parent, frère, compagnon d'armes et ami
entons cas du duc d'Orléans, de le servir, aider, conseiller, etc., sauf contre
le roi (14 nov. 1412; sur parchemin, autogr., scellé de rouge sur double
queue. Douet d'Arcq, Choix de pièces, I, 359) ; mandement, en français, à
l'Université d'Oxford d'examiner la question de ce qui est dû à la reine (12
nov. 1400. Rymer, III, p. 191).
1) Ms. fr. 23393.
2) « Pour ce que avoit esté conclut ainsi entre culs et avoient sceu que le
roy d'Angleterre l'cntendoit bien, et aussi l'avoit ainsi conseillé le comte de
Suffork» (ms. fr. 3884, f° 176) : le roi fait répondre en latin par le chancelier.
On lui répond en français. A la fin, pour donnet4 une marque d'amitié, le roi
dit trois fois: «S. Jehan, grant merci». Dans une seconde audience, plus privée,
tout est en français, M. de Suffolk répondant. Mais le roi ne parle pas ; il
retient seulement les ambassadeurs, quand ils veulent partir, en disant: Merci.
Il dit encore : S. Jean, oui, mais il parle anglais. Les ambassadeurs ne sa-
chant pas l'anglais, le roi, devant eux, échange des réflexions avec les sei-
gneurs de sa cour (f»< 179 et suiv.).
6
82 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
bassade de France, en latin d'abord, puis en français *.
La diplomatie suisse parle français en France. Les ambas-
deurs de Berne et de Fribourg adressent, en 1488, une com-
munication en français au sire du Bouchage 2. Le protocole
à' appointements du 20 août 1487, sur les affaires de Saluées,
contresigné des ambassadeurs de Savoie, de Suisse et de Mi-
lan, est rédigé en français, et les ambassadeurs signent en
français : seul, l'ambassadeur de Milan écrit son nom sous la
forme latine.
Divers indices nous montrent d'ailleurs combien était ré-
pandue la connaissance de la langue française. On a observé
notamment que les compositions originales des anciens poètes
écossais fourmillent de phrases littéralement traduites du
français, probablement à cause des perpétuelles relations de
la France et de l'Ecosse *. Frédéric d'Aragon, roi de Naples
de 1496 à 1501, élevé à la cour de Bourgogne, avait vécu
aussi en France, où il s'était fait des amis, et sa fille ne quitta
jamais la cour de France. 11 écrivait à merveille en français 5.
Le cardinal de Bénévent adresse à Charles VIII un lettre en
excellent français \
La diplomatie française donne donc le signal de l'attaque
contre les antiques privilèges du latin, et elle les respecte le
moins possible. Il va sans dire que ses actes intérieurs, ins-
tructions, correspondances, mémoires, sont en français *. Na-
1) Rymer, VI, 72.
2) Mandrot, Ymbert de Batarnay, p. 246.
3) Ibid., p. 342.
4) SkeUon, Blackwoods-Magazine, nr. dcccxc, p. 793, cité par Philippson,
Revue historique, 1891. p. 4t33.
5) Lettre amicale à Du Bouchage ;Mandrot, Ymbert de Batarnay, p. 322).
6)Ms. fr. 15338, a" 255.
7) Instruction au cardinal d'Amboise envoyé près le roi des Romains, en
1501 (l'r. 29G4, f» 89) : à Renier Pot (1419. Ms. Moreau 1425, n» 90): aux
LANGUE DIPLOMATIQUE 83
turellement, vis-à-vis des pays vassaux, la Bourgogne, le
Dauphiné, les communes flamandes ', etc., la France affectera
de ne parler que français, pour conserver à son action le ca-
ractère intérieur : de même aussi, quand il accordera au sire
de Monaco des lettres de sauvegarde, le grand conseil de
Charles VI II les fera délivrer en chancellerie, sans même la
signature du roi, en français, comme un acte d'ordre pure-
ment intérieur*. Mais on va bien plus loin. Le roi de France
adresse ses missives au dehors en français 8; il donne des
pouvoirs *, des lettres de créance en français 5. Bien plus, le
sire de Havenstein, comme gouverneur de Gênes, adresse en
1501 une lettre en français à la Seigneurie de Venise 6... C'est
ainsi que des causes très diverses accroissaient chaque jour
l'empire de la langue française.
Le français n'a qu'un rival : l'espagnol ; rival encore peu
redoutable au commencement du XVIe siècle, puisque Phi-
lippe le Beau, devenu roi de Castille, continue à écrire et à
parler en français. Cependant l'Espagne, unifiée depuis peu,
envoyés à Gènes (portef. Fontanieu 146, p. 106) : rapport de l'ambassade à
Rome de Rocliechouart et Rabot (1-48 1. Pr. 15870, no 3), etc.
i i Négociations avec le dauphin (1456. Pr. 23330, f°s 1-23). Lettre directe
de Louis XII aux Gantois, déclarant que, s'ils se conduisent comme de vrais
sujets, il les défendra, mais que, s'ils prennent parti pour l'Angleterre, il les
traitera en ennemis : en français, sous forme de lettre missive (1512. Lett.
de Louis XII, IV, I21J. Lettre directe de Louis XII à la ville d'Arras, pour
l'inviter à ne pas reconnaître l'empereur comme mainbourg (tuteur) des
princes de Castille (juill. 1507. Lett. de Louis XII, I, 105).
2) Saige, I, 629.
3)Not. 12 juillet 1500 (Sanuto, III, c. 480).
I Pouvoirs pour la Castille (1396. K. 1638, d. 2) : pour Liège (21 avril
Fr. 20977, fo 597).
5) Nous avons cité, précédemment, le fait très remarqué à Rome que la
créance pour l'obédience à Jules II était en français.
6) L'ambassadeur de France remet à la Seigneurie une lettre, en français,
de Ravenstein, cherchant à apaiser Venise. Il en communique une autre
(mars «501. Sanuto, III, 1498).
84 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
tient à sa langue, et cherche à la faire passer dans la diplo-
matie. Elle ne réussit pas à l'y répandre. Ferdinand et Isabelle
donnent des pouvoirs, des créances, en espagnol ' ; l'Espa-
gne obtient, pour ce qui la concerne, des rédactions de trêves
et de traités en espagnol *, mais son action ne s'étend pas
plus loin.
En Italie, quoique Machiavel, peu humaniste, et même mé-
diocrement artiste, préfère toujours l'italien au latin, la situa-
tion est différente ; là, on ne considère pas le latin comme une
langue étrangère, mais comme la vraie langue nationale, plus
nationale peut être que les divers dialectes. On mêlera donc
constamment le latin et l'italien ; il y a peu de lettres ita-
liennes dont la suscription et la souscription, pour le moins,
ne soient en latin 3. On met une certaine coquetterie à con-
server le latin dans les actes et dans les manifestations d'ap-
parat. Cependant l'italien sert couramment pour les rapports
des états italiens entre eux; le gouvernement français de Gênes
écrit en italien l>. Les notes diplomatiques sont rédigées en
italien \
A Rome, tout reste latin.
Quant à la chronologie, chaque chancellerie garde son
style. Ainsi, le pouvoir de Louis XII à son ambassadeur
1) 6 juillet 1492 (K. 1638, d. 2) : créance pour l'ambassadeur d'Espagne
à Venise (15 juillet 1502. Sanuto, IV, 469).
2) Trêve : J. 915 B, 22. — Accord entre la France et Jean 1er, roi de Cas-
tille, de Léon et de Portugal, contre l'Angleterre, en castillan ; il reproduit le
pouvoir en français, promulgué en France par patentes françaises (K.
1638, d. 2).
3) Par exemple, lettre des Doria, publ. dans Thomas Bazin, IV, 361. Les
orateurs de Rimini à Venise, en 1503, portent une créance latine ; ils font
leurs discours en italien avec citations latines, ils disent qu'ils viennent se
mettre sous l'ombre de S1 Marc (Sanuto, V, 539).
4) Lettres du gouverneur de Gênes, Jean de Rochechouart, à la Seigneurie
de Florence (17 avril 1511, 30 mai 1511. Saige, Documentt, II, 102, 112).
5; Note du duc de Milan (12 nov. 1461, Archivio Sforzesco).
LANGUE DIPLOMATIQUE 85
près de Maximilien, en 1502, quoique rédigé en latin, dans
la forme la plus officielle, suit le style gallican, et non le
style romain; il est daté du 9 février 1501 '. Dans les né-
gociations de Troyes en 1420, les Anglais suivent le style an-
glais s. Le Grand Seigneur, le soudan d'Egypte datent de l'hé-
gire : toutefois, dans ses communications avec les chrétiens,
le Grand Seigneurajoute, quelquefois, par courtoisie, une men-
tion du comput chrétien.
1) Ms. fr. 16071, no 27.
2) « Secundum computacionem ecclesie anglicane » (cédule anglaise. Ms.
Moreau 1452, n°102).
CHAPITRE VII
POUVOIRS ET CRÉANCES
Pouvoirs
Le pouvoir est un acte, portant procuration du chef de
l'Etat à ses ambassadeurs, et fixant l'étendue de cette procu-
ration. L'instrument s'appelle en français povoi?', ou pouvoir',
en latin posse, et le droit qui en résulte potestas*, en français
puissance.
Le pouvoir n'est autre chose que le mandat de droit com-
mun, régi parles lois romaines. Ainsi, c'est un acte de droit
strict, qu'on ne peut interpréter ni étendre, et qui n'est sus-
ceptible que d'exécution littérale.
La signature d'un ambassadeur ne peut donc engager son
souverain qu'à condition de justifier d'un mandat régulier,
c'est-à-dire d'un acte:l° émanant du souverain, 2° légale-
ment formulé, 3° comportant puissance spéciale pour l'acte à
passer.
Le pouvoir joue, pour la forme, un grand rôle dans la di-
plomatie ; en réalité, il ne présente qu'un intérêt restreint. Il
n'y a pas là, comme en matière de droit civil, des tribunaux
pour vérifier la légalité du contrat, pour en maintenir l'exé-
cution, et démêler les responsabilités. C'est un pur forma-
1) Pouvoir anglais, de 1400 (Douet d'Arcq, Choix de pièces, I, 168 ;
Rymer, III, p. 200): « legaliter suum posse deferendi..., potestatem sul'licien-
tem super premissis ». Au xme siècle, on dit « de bonnes chartes » (Ville-
hardouin, cité par Nys, Les origines de la diplomatie, p. 15).
POUVOIRS ET CRÉANCES 87
hsrne : on voit des ambassadeurs rappelés, comme Alberto da
Garpi, pour des actes contraires aux intentions du prince
et néanmoins compris dans les limites juridiques des pou-
voirs ; comme aussi on voit, quoique très rarement, des
agents couverts par le prince après s'être risqués d'une
manière heureuse.
1° La signature des pouvoirs n'appartient qu'au roi'. Le
chancelier soumet au roi, en grand conseil, les pouvoirs
d'ambassadeurs préparés par ses soins, tout prêts à expédier.
Le roi n'a qu'à commander les noms pour remplir les blancs *,
et à signer, lui et le secrétaire de service 3. Le pouvoir est
remis à l'ambassadeur, aussitôt après les instructions, ou en-
voyé, selon le cas *. On y joint, s'il y a lieu, une lettre close
portant l'ordre de partir ; pour éviter trop de sécheresse,
on peut la formuler avec quelques mots de confiance ou
d'affaires, ou aviser qu'on fait expédier l'argent nécessaire,
les chevaux 5... En cas d'urgence, nous voyons même Louis XI
adresser au sire de la Rousière (son ambassadeur à la fron-
tière pour une trêve avec l'Angleterre) un pouvoir, où il a
laissé « espace » pour les noms de l'ambassade, qu'il remet
1) On remarqua fort à Rome le pouvoir pour l'obédience de Gènes à
Jules 11 donné sous forme d'une patente de Ravenstein, le gouverneur de
Gènes. En cas de minorité, les pouvoirs sont donnés par le tuteur (pouvoir
du li oct. 1507, par Maximilien, pour son petit-fils . Dumont, t. IV, p. i,
p. 107).
2) Dans le pouvoir de Louis XI, du 19 juillet 1477 (fr. 15538, 5), les noms
des envoyés ont été ajoutés après coup, d'une autre encre, sur une ligne en
blanc ménagée dans le texte. On a apporté le texte évidemment ainsi préparé
au conseil. Il est contresigné : « Par le Roy en son conseil, Disomme ».
3) Lettre du chancelier Guill. de Rochefort(fr. 15538, 48).
4) Pat. de Louis XI commettant Pbil. de Commines, chevalier, seigneur
d'Argenton, sénéchal de Poitou, chambellan, pour recevoir de Jean Galéas
M» Sforza l'hommage de Gène:; et Savone (13 juillet 1468. Ms. Moreau 734,
fo 80).
5) 1494. F. Calvi, Bianca M* Sforza- Visconti, p. 72.
88 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
à La Rousière le soin de compléter sur place, selon les indi-
cations qu'il lui donne '.
Dans des circonstances fort exceptionnelles, un souverain
peut donner pouvoir de traiter une trêve non seulement en son
nom, mais comme se portant fort de souverains alliés, ou de
ses propres enfants *. Mais un souverain peut, pour les affaires
d'un sujet, donner, d'accord avec lui, des pouvoirs spéciaux à
un ambassadeur 3.
En revanche, un ambassadeur n'a aucun titre pour interve-
nir dans les négociations d'autres pays et ne peut agir en fa-
veur d'autres souverains qu'à titre purement officieux. C'est
à ce titre officieux que l'ambassadeur de France à Venise pré-
sente, en 1502, à la Seigneurie, une supplique de commer-
çants florentins pour une exemption de représailles 4 ; que
l'ambassadeur d'Angleterre en France mande, en 1506, au
lieutenant général des Pays-Bas ce qu'il a négocié pour l'ar-
chiduc roi de Castille 6.
Il y a des circonstances urgentes où l'on ne refuse pourtant
pas de négocier, sous toutes réserves, avec des représentants
sans mandat régulier 6. En juillet 1384, le duc de Berry
prend sur lui de s'aboucher pour la paix avec le duc de Lan-
1) Ms. fr. 20855, no 55.
2) Pouvoirs de Ferdinand, en son nom, et se portant fort de Maximilien,
d'Henri VIII et de sa fille Catherine (J. 915 B, 27).
3) Paiement d'Ant. de la Tour, accrédité à Milan « de par le roy et par
nostre ordonnance (du duc d'Orléans)». Paris, 23 août 1484 (Tit.orig. De la
Tour, 8).
4) On l'accorde (25 oct. 1502. Sanuto, IV, 385).
5) 1506. Lett. de Louis XII, I, 87.
6) En novembre 1499, un ambassadeur français débarque sur la côte
hongroise, à Zeng, mais il tombe malade et meurt : il charge son neveu de
remettre ses documents à la cour hongroise, mais le neveu ne se croit pas
autorisé à entamer des négociations (Fraknoï, Revue d' Histoire diplomatique,
année 1889, p. 236).
POUVOIRS ET CRÉANCES 89
castre : un mandement royal ratifie et avoue, après coup, sa
démarche '. En décembre 1487, les gens de Lille et de Douai
concluent séparément avec le maréchal desQuerdes un traité
de paix et de neutralité. Ils se font fort d'en obtenir la ratifica-
tion par le roi des Romains et l'archiduc : Des Querdes garantit
de même la ratification par la France, avant le 2 février. Des
Querdes n'a pu consulter que son conseil de guerre *.
2° Les pouvoirs doivent être légalement formulés.
Le mandat civil résulte de la volonté du mandant expres-
sément déclarée : la déclaration peut avoir lieu par acte
authentique ou par simple cédule.
De même, en matière diplomatique, le mandat résulte, ou
d'une procuration dressée par des notaires impériaux et apos-
toliques, ou d'un simple brevet ayant un caractère public,
c'est-à-dire de lettres patentes.
Bien que la forme notariée tombe manifestement en désué-
tude, on la rencontre encore pour des procurations de droit
strict. La reine Catherine de Navarre reconnaît par un acte
notarié latin, passé par deux notaires apostoliques et royaux,
ses secrétaires, qu'elle doit hommage à Louis XII pour les
comtés de Foix, de Bigorre et autres terres, et constitue pour
son procureur à fin de cet hommage son illustrissime seigneur
et mari, le roi Jean de Navarre. L'acte contient les formules
habituelles, les promesses usuelles de ratification et le nom
des témoins assez nombreux : l'expédition est dressée sur par-
chemin, sans signature royale ni trace de sceau, sous le para-
phe des notaires 3. Il est vrai qu'il s'agissait ici de l'accom-
plissement d'un devoir personnel de vassalle, plutôt que
d'une mission diplomatique. Un autre pouvoir du roi de Cas-
1) Mand. royal du 16 juillet 1384 (ms. fr. 20590, n° 19).
2) Hisl. des guerres de Flandre, Corp. Chronic. Flandrix, IV, 562.
3) Orig. J. 619, no 27.
90 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
tille, en 1380, sous forme de procès-verbal latin de notaires
impériaux et apostoliques, passé dans la chambre du roi
« personaliter constitutus, » porte seulement, au lieu de la
signature des notaires, celle du roi (latine et espagnole) :
« Nos el Rey », et le contreseing d'un notaire, en latin '.
Les pouvoirs notariés ne sont guère d'usage qu'en vue des
actes vraiment personnels, mariage, prestation d'hommage
etc. ', ou dans les diplomaties secondaires 3, plutôt seigneu-
riales que politiques. Les pouvoirs apparaissent plus géné-
ralement établis en lettres patentes, conformes d'ailleurs,
comme formule, aux cédilles civiles du mandat. Ces patentes,
exclusivement destinées à une production internationale, de-
vraient être écrites en latin. On les rédige donc, en latin, sur
de très grandes feuilles de parchemin, avec une forme exté-
rieure très soignée et pompeuse, lorsqu'on veut leur donner
un caractère particulièrement solennel.
Elles portent la signature autographe du prince *, la con-
1) Pouvoir du roi de Castille du 18 déc. 1380 (Douet d'Arcq, Choix de
Pièces, I, p. 16).
2) Pouvoir de Lucien Grimaldi à Pierre Grimaldi, pour conclure le traité
de mariage avec Claude de Savoie, fille naturelle de Philippe (31 mai 1509.
Saige, Documents, II, 97) ; en forme de procuration notariée, pour contracter
avec les solennités requises, stipuler la dot, etc. Pouvoir pour reprendre des
bijoux, donnés en vue d'un mariage qui est rompu, par Jean II Grimaldi
(20 juillet 1504. Saige, If, 32), en forme de procuration notariée. Pouvoir
d'Augustin Grimaldi, évêquede Grasse, pour traiter de la mise en liberté de
Lucien Grimaldi, seigneur de Monaco, son frère, prisonnier de Louis XII
(31 mars 1508. Saige, II, 89), constituant « suos veros, certos, legitimos et
indubitatos procuratores »; en forme de procuration, passée par un notaire
apostolique. Pouvoir pour recevoir un ordre de chevalerie, par Jean II
Grimaldi, en forme de procuration, passée par notaire impérial apostolique
(14 juillet 1494. Saige, 11,8).
3) Pouvoir, en forme d'acte notarié, latin, du marquis de Final (5 juin
1444. Saige, Documents, I, 14). Pouvoir de Pomelline Fregoso pour traiter
avec Gênes (8 février 1440. Saige, I, 126), en forme de procuration notariée.
4) « Habet ad hec siil'ficiens mandatum, manu propria ipsius M^Dui ducis
suscriptum » (Lettres de Louis XI, I, p. 326, lettre du 6oct. 1460).
POUVOIRS ET CRÉANCES 91
tresignature, par ordre, du secrétaire ; elles sont scellées du
grand sceau, en cire rouge, pendant sur double queue ', ou
sur lacs de soie rouge et jaune. Elles admettent de larges con-
sidérants, et toutes les formules du mandat \ Dans ce genre
d'actes, on n'épargne pas et on n'abrège pas les superlatifs ' :
on fait intervenir aussi les grandes clauses de style : Union
contre les Turcs, fraternité des princes chrétiens, république
chrétienne, désir immense de paix *.
i) Pouvoir de Charles d'Orléans, du 20 mai 1452 (J. 545, II).
2) Pouvoir de Ferdinand et d'Isabelle à leur résident, pour traiter avec
Charles VIII, sur un immense parchemin ; traces de sceau pendant sur lacet
rouge et jaune ; signatures autographes : yo el rey, yo la reyna. Ce pou-
voir porte en substance : « Nous désirons vivement la paix, surtout con-
tre les infidèles. Nous déploronsles guerres intestines d'Italie, entre Alexan-
dre VI, pape, envers qui nous sommes tenus au dévouement, Alph. de Na-
ples, notre neveu, d'une part — et de l'autre Charles VIII, notre frère et
confédéré. Nous donnons « potestatem, vobis, Alfonso de Silva », notre
conseiller, orateur résident à la cour de France, de faire la paix si possi-
ble. Confiant dans votre prudence, nous vous nommons spécialement envoyé
à ce sujet, « in procuratorem nostrum certum et specialem, et ad infra-
scripta generalem », en forme de mandat civil, pour faire la paix, la concorde,
signer, faire jurer les stipulations intervenues. » Contresigné par un secré-
taire royal, Mel Perez Dalmaçan (il octobre 1494. K. 1368, d. 2).
3) C'est ce qu'on appelle « Mandatum juridicum et amplum » (Dép. d'A.
Gritti, 1er déc. 1512. Arch. de Venise).
4) Pouvoir de Maximilien au roi catholique, de traiter pour lui avec Louis
XII, sur grand parchemin, signé Max., contresigné d'un secrétaire : «Ad
mandatum Caes.Ma1'8 ». Ce pouvoir est sous une forme particulière: « Maxi-
milianus, etc.. recognoscimus et tenore presencium protitemur quod, cum
aliquo. nunc tempore internos et ser"mm principem, Ferdinandum, Arrago-
num, utriusque Sicilie et Hierusalem Regem Catholicum. ex una parte, et
Sermu"> Principem D. Ludovicum, Regem Francise (sic), fratres et con-
sanguineos nostros charissimos, atque inter nonnullos alios Principes chris-
tianos. nonnulle différenciée, discordiae et sévi bellorum motus hinc inde fue-
îint versati, non absque gravi incommoditate, jactura et periculo, non tam
nostrorum omnium quam tocins reipublice christiane, » le roi catholique,
« sanctis-mno atque rectissimo zelo motus », pour concilier nos esprits, « et
ad fraternam unionem reducere », cherche à faire la paix. Il ne peut la vou-
loir qu'honorable pour nous et nos descendants. Nous n'avons jamais désiré
autre chose. Inclinés à ses instantissimes prières, et par égard pour lui,
92 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Les deux formes solennelles que nous venons d'indiquer,
brevet notarié et patentes internationales, sont peu usitées,
parce qu'elles ont pour effet de conférer des pleins pouvoirs,
chose antipathique au génie de la diplomatie. On se borne en
pour son antique dévouement, nous le constituons solennellement, etc. notre
« verum, certum, et legittimum procuratorem, negociorum gestorem seu
mandatarium », pour traiter tous paix, alliances, mariages, etc., avec tous
princes ou « nunciis et procuratoribus », ayant mandat plein et suffisant,
pour se substituer tel mandataire qu'il jugera bon, et obliger, hypothéquer
nos biens en garantie, nous obliger « censuris etiam ecclesiasticis ». Maxi-
milien avait donné un pouvoir identique à Ferdinand, daté de Gmund, le 29
juillet 1514 (orig. signé, même cote). — Pouvoir latin de Ferdinand à l'évê-
que de Tripoli, et à Gabriel de Horti, son chapelain (Valladolid, 12 août 1514.
K. 1639, d. 3, copie ancienne). Confiant en leur prudence, etc., il leur délègue
les pouvoirs qu'il a reçus de l'empereur avec faculté de délégation : Pou-
voir, en forme ordinaire, en son nom et celui de Jeanne, pour traiter la paix
«strictissimam », perpétuelle, indissoluble, entre « Sacratissimum » Maximi-
lien, la Sérénissime reine de Castille, notre fille, et l'Illustrissime Charles,
archiduc d'Autriche, notre neveu et fils, et Louis XII ; arrêter tous chapitres,
etc., tous pactes, etc., prêter ou recevoir serment, donner ou recevoir sécu-
rités. Comme il a été traité, pour sécurité, queLéonor, infante de Castille, notre
nièce et fille, fille de notre fille la reine de Castille et de Philippe, roi de Cas-
tille, son mari, « contrahat matrimonium» avec Louis XII, nous voulons ce
mariage. Nous vous donnons tous pouvoirs pour passer toutes promesses à ce
sujet (formule ordinaire), les recevoir du roi, fixer la dot, le douaire, le trous-
seau, les pierres précieuses. . . Il a été arrêté aussi que Ferdinand de Cas-
tille, deuxième fils de Jeanne et de feu Philippe, épouserait « Renea » , deuxième
fille du roi et d'Anne ; mêmes pouvoirs à cet effet. Formules de pleins pou-
voirs. Transcription du pouvoir de Maximilien, de Gmund, 29 juillet 1514. —
Fr. 16074, n° 27. Blois, 23 novembre 1501. Pouvoir (patentes en latin) de
Louis XII. Préambule assez pompeux ; désir d'assurer la paix du monde et
l'amitié traditionnelle de l'Empire et du roi. Louis accrédite près de l'empe-
reur Louis de Hallewjn, sieur de Piennes, chani Geoffroy Caries, prési-
dent du parlement de Dauphiné, Ch. de Haultbois, maître des requêtes or-
dinaires de l'hôtel, Jean Guérin, également maître des requêtes, pour renou-
veler fraternité et amitié. A ces patentes est jointe une cédule en latin, de
Blois, 24 novembre 1501, par laquelle Louis XII donne pouvoir spéciale
L. de Hallewin de recevoir l'investiture pour Milan, et de prêter hommage,
le nomme procureur et mandataire spécial à cette fin, avec promesse, sous
parole de roi et hypothèque des biens, de tenir pour bons ses actes et de les
observer fidèlement, perpétuellement. Paris, 9 février 1501, anc. st. ; nou-
velle cédule, pour L. de Hallewin, identique (K. 1639, d. 3. lnsprùck, 17
déc 1514}.
POUVOIRS ET CRÉANCES 93
général à remettre aux ambassadeurs un pouvoir spécial,
plus ou moins étendu, sous formes de lettres patentes écrites
dans la langue nationale, où le souverain promet de ratifier
l'issue de la négociation, mais où il se réserve cette ratifica-
tion. Nous indiquerons plus loin les formalités des ratifica-
tions. Il peut arriver que la ratification, tout en terminant
une négociation, en ouvre une seconde, que Ton conservera
à l'ambassade qui a réussi la première ; il s'agit, par exemple,
de conclure une paix laborieuse, et l'on a conclu une trêve et
même un mariage. Dans ce cas, le souverain enverra des
pouvoirs mixtes à son ambassade : pouvoir de ratifier définiti-
vement en son nom l'acte intervenu ; pouvoir, plus ou moins
large, pour ouvrir une négociation. On recourra, dans ce cas,
aux patentes latines, avec considérants généraux, à cause du
caractère absolu de la ratification '.
1) K. 1639, d. 3. Copie ancienne du pouvoir(en latin)de Ferdinand àPre
"3e Quintana, daté du 4 mars 1514 : pouvoir spécial (formule ordinaire), t ci-
tra les pouvoirs déjà par nous donnés, — en notre nom et celui de notre
fille Jeanne, reine de Castille, dont nous avons l'administration, — pour
traiter paix, union et confédération très stricte, perpétuelle, indissoluble,
avec les commissaires quelconques, procureurs, « nunciis, oratoribus » du roi
de France, passer toutes stipulations, faire serment... Comme garantie, on a
traité le mariage de Léonor, infante de Castille, avec le roi Louis très chré-
tien : pleins pouvoirs, etc., pour stipulation, promesses, dot, etc. : de même,
pour le mariage de Ferdinand, infant de Castille, deuxième fils de Jeanne,
avec « Renea », deuxième fille du roi » (pouvoir développé, mais de pure for-
mule). Cf. le pouvoir anglais de 1400 (Douet d'Arcq, I, 167. Rymer, III,
200), en forme de patentes : <■ Omnibus Chrisli fidelibus. » A la louange de
Dieu, etc. « Régis Magestatis officium » est de chercher la paix et de pour-
voir aux maux de la guerre. Dernièrement, « destinavimus ambassiatores ad
partes Francise », Walter, évoque de Durliam, etc., pour affirmer les trêves
arrêtées sous notre prédécesseur, « quod nonnulli propter mutationes puta-
bant expediens », pour en contracter de nouvelles s'il le fallait et arrêter di-
vers articles pour la paix de nos royaumes. Nos ambassadeurs avec ceux de
France se sont rencontrés plusieurs fois à Lenlygham, en Picardie, et ont
conclu de se réunir au même lieu le lundi de la.Pentecôte, « iidem vel alii »,
avec pouvoirs suffisants, selon les lettres des ambassadeurs et « appuncta-
94 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Pour les ambassades d'obédience qui présentent un carac-
tère non moins absolu, le latin est de rigueur. Pour l'obé-
dience à Jules II, tous les pouvoirs sont en latin, sauf ceux de
Louis XII et d'Anne de Bretagne, ce qu'on remarque fort à
Rome : le pape affecte de faire lire et traduire le pouvoir de
Louis XII en plein consistoire \
Louis XI, encore daupbiu, dans des patentes latines où il
ratifie lui-même un traité d'alliance avec le duc de Milan,
donne pleins pouvoirs à un agent, pour aller à Milan recevoir
la ratification et le serinent du duc 2 C'est un procédé fort
incorrect, car rétablissement d'un mandat exige toujours
un acte spécial et précis, avec les formules juridiques consa-
crées : mais la diplomatie du daupbin Louis ne peut servir de
type et dans cet acte particulièrement les incorrections abon-
dent.
Les patentes de pouvoir, en français, sont conformes
aux patentes ordinaires. Elles confèrent aux personnages spé-
cifiés pouvoir, autorité et mandat, pour une suite d'ob-
jets également spécifiés, et pour leurs circonstances et dé-
pendances. Elles indiquent parfois que l'ambassadeur
agira « comme nous en personne ». La clause essentielle,
spéciale, indispensable, est celle de « parole de roi ». En
effet, ces patentes, forcément privées des sanctions du droit
civil, y substituent un simple engagement d'honneur ; elles
mentis concordatis ». Nous, « sincero corde procedere intendentes », donnons
pouvoir, etc. Suit un pouvoir détaillé, pour traiter, interpréter l'ambigu, ajou-
ter, faire proclamer les trêves, en faire de nouvelles, « amicitias », etc., fixer
les secours et subsides et leurs modalités, faire communicationes secure
pour les marchandises, répondre et traiter sur telle et telle question spéci-
fiée, enfin arrêter et jurer le tout « in animam nostram ».
i) Burckard, Diarium, 111, 385.
2) « Deputimus vigore presentium, loco nostri, nobilem Gastonum du
Lion », avec tout pouvoir (6 oct. 1460. Lett. de Louis XI, I, 326 et s.) .
POUVOIRS ET CRÉANCES 95
passent donc plus légèrement sur les clauses civiles ha-
bituelles du mandat, sur toute la phraséologie qui en découle,
notamment sur la garantie, un peu illusoire, d'une hypothè-
que sur les biens du mandant, pour arriver à la clause de Pa-
role, ainsi formulée : « Et promettons (ou promectans), en
bonne foyet parolle de Roy, avoir et tenir ferme et aggréa-
ble... » ou « avoir agréable et ratiffier... » Elles finissent par
les formules habituelles : « En tesmoing de ce..., donné à... »,
la signature du roi ou du secrétaire, ou même le simple
certificat d'un secrétaire constatant l'extrait conforme de la
délibération du grand conseil, « Par le roi enson conseil... » ',
car elles sont arrêtées en conseil.
Elles sont scellées en cire rouge * du grand sceau, pendant
sur lacs jaune et rouge, ou sur simple ou double queue de
parchemin .
Les patentes françaises sont écrites d'une belle main, sur
un parchemin beau et fin, très ample 3. Elles admettent des
considérants, bien moins développés et moins pompeux tou-
tefois que ceux des patentes latines. Ces considérants visent
la politique générale ' : on y voit même apparaître les formu-
les du désir de paix et d'effroi du Turc. Dans les pouvoirs à
OdetdeFoix, sire de Lautrec, du 8 février 1512-1513, pour
une trêve avec l'Espagne, la chancellerie de Louis XII croit
pouvoir alléguer, les maux des guerres, le « retardement » de
la sainte union de l'Eglise, et « par conséquent de l'expédicion
1) Pouvoirsde 1400 (Douet d'Arcq, Choix de Pièces, I, 171), du 8 février
151213 (orig., K. 1639. d» 3), du 24 mars 1475 (Mandrot, Ymbert de
Batarnay, p. 301)
2) Parfois, en cire blanche. Pouvoirs de Jacques d'Ecosse, 8 oct. 1501 ;
au duc de Longueville pour la paix de la France avec l'Angleterre (26 juil-
let 1314), pour le mariage de Louis XII (29 juillet 1514), dans Dumont.
3) Pouvoirs du 13 février 1396 (K. 1638, d. 2), du 19 juillet 1477
(fr. 15538, 5).
i) Pouvoir de Louis XI, du 19 juill. 1477 (fr. 15538, 5).
96 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
neccessère contre les infidelles ennemys de nostre saincte
foy catholicque... ' » En guise de considérants, on insère par-
fois un résumé sommaire de l'état de l'affaire à traiter. Après
ce préambule, intervient le dispositif: « Savoir faisons... «Ici
se place habituellement une formule de confiance dans l'am-
bassadeur: « Confians... ».
3° Le mandat porte spécification expresse des'pouvoirs 2. Le
h plain pouvoir », en latin « liberummandatùm 3 », si général
qu'il soit, a toujours un but spécifié, tel que faire une trêve, la
jurer...*. Les pouvoirs ne se présument pas : de règle, un
pouvoirgénéralne comprendpaslescasde compétence royale5;
il faut une délégation spéciale. C'est ainsi que le gouverne-
ment hongrois ne considéra pas comme suffisants les pleins
pouvoirs généraux de l'ambassade française en Hongrie pour
le traité d'alliance de 1500. D'après l'article 1er, le traité de
Bude, du 14 juillet 1500, n'est signé qu 'ad référendum en ce
qui concerne la France : le roi de Hongrie devra envoyer une
1) K. 1639, d'3.
2) On ne peut agir, dit Villadiego, qu'en vertu d'un mandat préexistant.
Un acte irrégulier quant aux pouvoirs ne peut être ratifié. L'ambassadeur doit
agir selon le terme du pouvoir, par exemple comme procurator (et non
nuntius) ou vice versa : le procurator parle au nom du maître, le nuncius en
son propre nom (De legato, p. ni, q. 1). Toutefois cette distinction du juris-
consulte ne nous parait point passer dans la pratique.
3) Hotman, Traitté de l'ambassadeur, III, § 4.
4) Pouvoir de Louis XI à Du Bouchage pour traiter avec le roi d'Aragon
(24 mars 1475. Mandrot, Ymberl de Batamay, p. 301) : résumé sommaire de
l'état de l'affaire : une trêve a été conclue, pour essayer d'arriver à la paix. —
Il faut donc « commettre et députer aucun personnage à nous seur et féable ».
Nous confiant entièrement dans « ses sens, souffisances, loiauté et preudhom-
mie et bonne diligence,. . . n'ayant treuvé personne de nostre Royaume quy
nous ait en nos plus secrètes et importantes affaires mieux et plus fidèlement
servi », nous commettons Du Bouchage, avec plein pouvoir, etc., pour faire
une trêve..., la jurer..., Promettant etc. — Autre pouvoir de 1494 (ibid.i
p. 180). Pouvoir cité du 8 février 1513, etc.
5) Martini Laudensis, De legatis, q. 39.
POUVOIRS ET CRÉANCES 97
ambassade spéciale en France pour le faire ratifier, modifié
ou non, par Louis XII ; et, en effet, le roi Vladislas, par pou-
voir en forme de patentes latines du 16 septembre 1501, revê-
tues du grand sceau rouge pendant sur lacs jaunes et rouges,
conféra à Nicolas de Bacbka. évèque de Nyitrye,et àEtienne
Thelegdi pleins pouvoirs spéciaux pour signer et ratifier une
alliance avec Louis XII, quelles qu'en fussent les stipu-
lations \ Les ambassadeurs vinrent en France et dressè-
rent procès-verbal officiel de la ratification réciproque du
traité V
Les pouvoirs utiles et précis présentent donc un aspect
plus ou moins sensible de restriction : l'ambassadeur va rece-
voir telle réponse, requérir telle et telle chose indiquée par
sa commission3, prêter tel hommage 4, recevoir tel serment s,
consigner telle ou telle ville aux commissaires de tel prince *,
bref remplir les missions les plus diverses, ou, s'il s'agit de
négociations à suivre, négocier sur l'exécution de tel traité 7,
1) J. 43-2. 25.
2) J. 432, 26.
3) Pouvoir de 1400 (Douet d'Arcq, I, 471).
4) Pouvoir du 8juin 1509 au cardinal d'Amboise (fr. 12802, fo 77). Pouvoirs
au sire de Pienncs, du 23 novembre 1501, du 9 février 1501, anc. st. (t'd.j
fos 52 v°, 55). Le premier de ces pouvoirs, spécial pour rendre hommage,
est distinct d'un pouvoir du même jour, aux deux ambassadeurs Geoffroy
Caries et Piennes, pour faire la paix (id., f°51).
5) Ms. Moreau 1452, n» 108. Copie ancienne du pouvoir de Charles VI au
duc de Bourgogne pour recevoir le serment que le duc de Lorraine devait
faire pour reconnaître la paix de Troyes et, après le décès de Charles, être
« loyal homme lige et vrai sujet du roi d'Angleterre » (24 mars 1421, avant
Pâques).
6) Commission de Louis XI à ses délégués chargés de remettre aux
mains des commissaires du duc de Bourgogne Amiens, Abbeville, Montreuil,
etc. (15 octobre 1465. Ms. Moreau 1426, n° 165).
7) Pouvoir pour l'ambassade (J. de Selve, Pierre de la Guiche), envoyée à
Londres négocier sur le traité du 7 août 1514 (23 mars 1514-1515. J. 920,
no 1).
7
98 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
renouveler tel pacte d'alliance1, intervenir dans telles négo-
ciations sous telles conditions *.
Cette rigueur des pouvoirs devient, pour les ambassadeurs,
suivant les cas, un embarras ou une force. On s'en plaint sou-
vent8. Pour obviera l'embarras, la chancellerie du duc d'Or-
léans, dans une circonstance délicate, recourt à un subterfuge :
elle donne aux ambassadeurs deux pouvoirs de même date,
tous deux en latin, parfaitement réguliers : l'un, pour prêter
hommage à l'empereur et recevoir au nom du duc d'Orléans
l'investiture du duebé de Milan tout entier * ; l'autre pareil,
mais restreint à Asti, avec ses dépendances nominativement
désignées, « et quelques autres possessions enLombardie » 5.
Charles d'Orléans possédait Asti, pour lequel l'empereur ne
pouvait lui refuser l'investiture ; il prétendait au duché de
Milan, et sur ce point la réponse impériale faisait doute. On
voit l'intérêt du double pouvoir; les ambassadeurs devaient
produire le premier, et s'y retrancher, puis, en cas d'échec, le
second, car il fallait en finir. Il est plus habituel et plus cor-
rect de commencer une négociation avec des pouvoirs res-
1) Pouvoir de Charles VI à Simon, patriarche d'Alexandrie, Colart de
Colleville, chambellan, Gille des Champs, maître en théologie, Me Thiebaut
Horie, secrétaire, pour renouveler avec notre frère le roi de Castille les con-
fédérations et alliance (en français. Au dos, note de la chancellerie espa-
gnole : Poder, etc. 15 février 1395, a. st. K. 1638, d. 1).
2) Plein pouvoir pour intervenir au traité entre le duc de Lancastre et
le roi de Castille, notre allié, pourvu que les traités et alliances entre la
Castille et la France restent intacts: en forme de patentes, délibéré en conseil,
en français (il septembre 1386. Douetd'Arcq, I, 74).
3) Jacques Tyrell, gouverneur de Guines, écrit à (maries VIII qu'il fau-
drait pour la paix que les ambassadeurs eussentplus large commission ; «car
en temps passéla commission a esté si foible pouf les embassadeurs de vostre
part qu'ilz ont reffusé ce qu'ilz ont dit » (Guines, 16 juin. Fr. 15841. 174).
4) K. 69, n» 6, orig., en double exemplaire.
5) J. 543, II, orig. Celui ci porte la mention des membres du conseil.
Pouvoirs et créances 99
treints et d'envoyer ensuite, s'il le faut, des pouvoirs supplé-
mentaires '.
Le pouvoir est essentiellement personnel ; lorsque l'ambas-
s:t le comprend plusieurs membres, il autorise à traiter sans
être au complet, pourvu que tel ambassadeur (le chef de l'am-
bassade | s'y trouve : ainsi le plein pouvoir donné par
Louis XI en grand conseil à Thierry de Lénoncourt et trois
autres ambassadeurs, le 19 juillet 1477, pour renouveler des
alliances « ou en faire de nouvelles », autorise à traiter et
jurer à quatre, à trois ou à deux, pourvu que Th. de Lénon-
court en soit 2 : le pouvoir de 1418 à Bertrand Campion et à
l'amiral Robin de Bracquemont, que le roi envoie en Castille
près de ses précédents ambassadeurs, Jean d'Angennes et
Guillaume de Guiefdeville, pour demander avec eux des se-
cours maritimes, autorise à traiter à trois ou à deux, dont
Campion doit être l'un. Campion, chef de la nouvelle ambas-
sade, avait en effet la préséance sur Jean d'Angennes '. Cette
clause présente surtout son utilité en cas de maladie et de mort
des ambassadeurs. Lors de l'obédience de Louis XII à Jules
II, pourtant d'une expédition rapide, sur six ambassadeurs
nommés dans le pouvoir du mois de février 1505, deux
étaient déjà morts, s'il faut en croire Burckard, quand, le
t) Lettre de Louis XI au sire de la Rousière, lui disant qu'il a pouvoir de
prolonger la trêve avec l'Angleterre : e pour ce que la chose sera de plus
grant auctorité », le roi lui envoie un autre pouvoir où il a t'ait laisser
« espace pour mestre un évesque ou deux, et ung chevalier ou ung évesque,
levalier et ung clerc des marches de par delà... Si advisez quelx
gens vous y pourrez meetre ». Le roi y joint de nouvelles lettres de créance.
(S'I'ourçain, "29 mai; papier avec ratures, signé : Loys. Bourre. Fr. 20835,
n° :>o)
2) Ms. fr. !.'i.v)38. Cf. pouvoir anglais de 1400, Douet d'Arcq, I, 167.
'■')) Pouvoir relaté dans l'acte passé à Ségovie le 28 juin 1419 (fr. 20977).
100 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
21 avril ', l'ambassade prêta son obédience. La clause de 4,
2, 3, est remplacée parfois par une faculté de subdélégation2.
Ce que nous venons de dire des pouvoirs français s'applique
aux pouvoirs des autres chancelleries. Le duc de Bretagne,
envoyant en Angleterre Armel de Chateaugïron prêter, en
son nom, hommage pour le comté de Richemond, lui donne
des pouvoirs en forme de patentes, en français 8. Le pou-
voir de Ferdinand et d'Isabelle à leur ambassade en
France, le 6 juillet 1492, écrit en espagnol, sur grand par-
chemin, signé « Yo el Rey — Yo la Reyna », contresigné
d'un secrétaire, avec sceau rouge pendant sur lac jaune et
rouge, ressemble fort aux pouvoirs français. Il porte un
considérant de paix, basé sur les paroles du Christ et sur l'a-
mitié des rois de France, il spécifie les pleins pouvoirs \
Le pouvoir de Maximilien à son fils l'archiduc Philippe ou
à ses délégués, le 3 novembre 1501, signé : «Max. », et écrit en
français, avec un sceau rouge pendant sur double queue, est
conçu dans le même style : désir inné de la paix (Maximilien
avait envahi la Bourgogne peu auparavant et ne cessait
1) Diarium, III, 385.
2) Surtout, dans des cas exceptionnels (par exemple, résultant d'un extrême
éloignement), et pour un ambassadeur unique, cet ambassadeur est autorisé,
au besoin, à subdéléguer son pouvoir. V. Patentes du 20 mars 1433, parlés-
quelles le cardinal de Chypre substitue les évoques de Rennes et d'Uzès à la
procuration qu'il avait reçue du roi Jean de Chypre pour aller au concile de
Baie (Mas Latrie, Histoire de Chypre, III, 11).
3) Mém.. de Bretagne, II, 827. Cf. Pouvoir de l'archiduc à ses ambassa-
deurs en France, pour le mariage de son fils; eh français, en forme de pa-
tentes, « donnant plain povoir, auctorité et mandement espécial » (1504. Le
Glay, Négociations, I, 73).
4) Par la présente, nous constituons nos procureurs et mandataires « el
devoto padre fray Juan de Mauleon », de l'ordre de Saint François, maitre en
théologie, Juan de Coloma, chevalier, secrétaire, Juan d'Albion, chevalier :
confiants en leur loyauté, nous leur donnons plein pouvoir de pratiquer,
concorder, arrêter, jurer tous actes et confédération, avec l'évéque d'Albi,
accrédité par le roi, ou tous autres, et d'engager la couronne, de donner toutes
POUVOIRS ET CRÉANCES 101
de réclamer des subsides de guerre à la diète germanique),
spécification dos pouvoirs, subdélégation éventuelle des
ambassadeurs dont les noms sont spécifiés. Tout pouvoir du
roi des Romains commence par une énumération de
titres qui occupe les trois premières lignes, lorsque le par-
cbemin est fort large '.
En Italie, les pouvoirs, constamment en latin, sous forme
de patentes, s'appellent « mandatum *, spéciale mandatum »,
et à Gênes, à Venise, « baylia, syndicatus ».
Les pouvoirs milanais affectaient la pompe, l'enflure ha-
sécurités, souscrire toutes obligations possibles, que nous nous engageons à
ratifier, etc. (K. 1638, d. 2).
1) Cf. Pouvoir de Maximilien à ses ambassadeurs de France ; en forme de
patentes latines, développées ; il les institue « veros, legitimos, certos et in-
dubitatos commissarios, actores, t'adores, negociorum infrascriptorum ges-
tores, deputatos nostros spéciales, et quicquid magis aut melius dici, con-
ferri et esse potest » (1504. Le Çlay, Négociations, I, 69). Voici le résumé
d'un pouvoir : « Désir de paix universelle, depuis notre avènement. Nous
avons envoyé dans ce but des gens par tout l'univers. Très révérend père en
Dieu, notre très cber et très amé cousin, le cardinal d'Amboise,notre très af-
fectionné, est venu nous trouver. Louis XII a de l'amitié pour nous ; notre fils
l'archiduc, qui descend par ligne maternelle « de l'ostel et maison royal de
France », et qui en tient « de très baultes, nobles et puissantes terres et sei-
gneuries », est ainsi conjoint et allié à la France. De notre consentement et de
celui de la reine de France, Philippe a jadis conclu le mariage de Claude de
France avec son fils Charles, « ainsi que avons avisé avec nostredit cousin le
cardinal d'Amboisele mariage d'entre le dauphin de France, présent ou avenir,
et de l'une des filles de nostredit filz Philippe ». Philippe nous a demandé
l'oubli du passé, labonneentente avec la France, etun pouvoir à cette fin. Nous
le commettons et dépuions, comme notre « commis, procureur et certain
messaigé cspécial », pour nous et le Saint Empire ; et, en son absence,
l'archevêque de Besançon, l'évoque de Cambrai, chancelier de la Toison d'or,
les sieurs de Berghcs, maître d'hôtel de notre fils, de Chièvres, notre cousin
et grand bailli de Hainaut, Guillaume de Vergy, maréchal de Bourgogne,
Nicolas deRitter, prévôt de Louvain, maître des requêtes de l'hôtel de notre
fils, de Cicon, chambellan, Jean de Courteville, bailli de Lille, maitre d'hôtel,
pour pacifier et appointer les différents, faire bonnes et mutuelles intelli-
gences, amitiés, confédérations. Promettant, en parole de Roy, etc.» (J. 915,
B, 23,orig.).
2) « Ad hoc spéciale mandatum habens, ut constat ex patentibus »
(Protocole du 1" juin. Archivio Sforzesco).
102 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
bituelles à cette chancellerie. Dans son pouvoir à Prosper
Camulio pour une ligue avec le dauphin, François Sforza
mentionnera un sentiment d'amitié profonde ; il met « sa per-
sonne et ses biens absolument aux ordres du dauphin ' » ; il
parle, dans un pouvoir de 1463, des « usages et établisse-
ments de ses ancêtres » ; son ambassadeur a pouvoir de dé-
voiler les secrets de son cœur à l'éminentissime roi s. Dans
un autre pouvoir, relatif à l'hommage pour Gênes, François
Sforza se déclare, à tout prix, vassal « d'un si grand, si su-
blime prince » (le roi de France) \
A Venise, les pouvoirs, donnés sous forme d'une patente
latine du doge, participent du grand style avec plus de goût
et de mesure *.
Tous les pouvoirs, cpiels qu'ils soient, constituent un instru-
ment essentiellement destiné à la production officielle 6 ; leur
1) Pouvoir du 26 août 1460, 5 août 1461 (lat. 10133, fos 21, 22).
2) Pouvoir à Alberico Malleta, du 25 août 1463 (ibid).
3) Ibid., to 31.
4) Pouvoirs vénitiens, dans Lùnig, Codex Italiœ diplomaticus, t. IV, p. 1843,
1847, 1850. Pouvoir à l'orateur à Rome pour le concile de Latran (10 avril
1512), avec une lettre d'envoi du 25 mai. Exposé des faits : « Demandamus
nobilietsapientissimo patritio Veneto, Francisco Foscaro,equiti, oratori nostro
Rome agenti, ut sacrosancto concilio Lateranensi nostro nomine intersit,
assistât, et ea omnia prjestet, et peragat, quae a nobis quoquo modo exhiberi
possint aut incumberent » pour la gloire du pape, de l'église, du concile ;
il a tout pouvoir, avec les conseils à lui impartis, « in tam pio, religioso et
salutari negotio », de tout faire, traiter, promettre, jurer, produire, faire
exécuter, accomplir, en ce qui peut nous appartenir, et nous le ratifierons et
approuverons. — Pouvoir, joint à la commission des six ambassadeurs
envoyés au pape, le 20 juin 1509 : «Constituimus, creavimus, ordinavimus et
deputavimus in nostros legitimos procuratores, adores, factures, syndicos et
negociorum gestores, seu quocumque alio nomine melius appellari possunt»,
pour pratiquer, traiter, conclure, sceller une ligue, un traité avec le pape,
ou ses mandataires. Us ont « omnem facultatem et potestatem». Mention d'un
autre syndicatus, pareil, pour traiter avec Maximilien. — Pouvoir du 26 sept.
1499(Arch. de Venise).
5) Chaque ambassadeur doit réciproquement les produire et les faire
POUVOIRS ET CRÉANCES 103
langage est donc purement officiel, et n'a, comme valeur criti-
que pour l'histoire, qu'une importance fort relative. Plus le
pouvoir est pompeux', moins il mérite qu'on s'attache à ses ex-
pressions. Louis XI donne <l son ambassade pour Milan, Flo-
renceet Homo, des pouvoirs tirs pompeux. «Ayant, dit-il, réta-
bli la tranquillité dans son royaume, il veut maintenant le bien
de la chrétienté, etc. Il provoquera un concile général, il in-
vite les puissances à se joindre à lui. » En réalité, il voulait
forcer la main au pape pour obtenir seulement la dégrada-
tion de Balue et de l'évêque de Verdun. Les rapports des
ambassadeurs milanais mettaient leur gouvernement au cou-
rant de la comédie, et rapportaient même les menaces et
jusqu'aux jurements du roi1.
Quelquefois, le pouvoir résulte d'une simple commission,
c'est-à-dire d'une lettre adressée aux ambassadeurs eux-mê-
mes. La chancellerie romaine donne ainsi ses pouvoirs sous
forme de brefs aux nonces 2. Quant aux légats, leurs pouvoirs
résultent de la bulle qui les institue.
Dans les autres cours, les pouvoirs donnés sous forme de
commission ou de lettre nous paraissent présenter un carac-
tère un peu spécial, plus secret, plus confidentiel, plus
embarrassé ou moins officiel3. C'est sous cette forme que Louis
XI donne pouvoir, le 21 avril 1465, à une ambassade qu'il
vérifier; il peut prendre copie authentique des « mandemens de la puis-
sance » des ambassadeurs avec lesquels il traite ['Instron de 1480: évêque
de Munster, duc de Gueldre, etc. Fr. 3884, f° 31 1 yo .
1) Ghinzoni, Galeazzo Maria e Luigi XI, p. 8.
■2 Bref d'Alexandre VI, au protonotairc-camérier envoyé à Imola, lui
donnant pouvoir de ratifier les conventions passées entre César Borgia et
Paul Orsini(4 nov. 1502. Impr. duns les Œuvres de Machiavel). — Bref de
Jules II à son nonce en France et à l'ambassadeur d'Ecosse (médiateur), leur
envoyant ses instructions et promettant de ratifie!- tout ce qu'ils feront
conjointement pour la paix (2o sept. loll. Letl.'de Louis XII, III, 48).
3) En France, la commission n'est guère usitée que pour des envois d'ordre
iOi LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
adresse aux Liégeois ' ; que Ferdinand et Isabelle envoient,
le 29 juin 1502, à leur résident en France, un pouvoir spécial et
solennel, en latin, pour provoquer un arbitrage de Maximi-
lien entre l'Espagne et la France '. Dans ce dernier cas, la
commission n'est qu'une variante du pouvoir ordinaire.
En Italie, on se borne souvent à remettre aux ambassa-
deurs, pour tout pouvoir, une commission , qui sert en même
temps d'instruction. Elle s'appelle « commissio » ou bien
« mandatum et instructio », en italien « commissione » 8.
à peine diplomatique. V. la commission de Charles VIII à Antoine de Gimel,
chargé de conduire à Rome Djem (fr. 15541, 177).
1) Pouvoir de Louis XI à ses conseillers et chambellans le sieur de Chas-
tillon, Aymar de Poysieu, dit Gadoret, bailli de Mantes, me Jean du Molin
(nom biffé et remplacé par Vergier), conseiller, et Jacques de la Royère, se-
crétaire, sous forme d'une lettre en français, à eux adressée. — A cause de
/ancienne amitié de ses prédécesseurs avec « ses très chers et grans amys, »
les maîtres, jurés, conseil et université de Liège, « et pour la grande con-
fiance que nous avons auxdits de Liège », nous avons résolu, dit le roi, de
leur envoyer une ambassade notable pour leur communiquer de nos affaires
et des choses nouvellement survenues au royaume, et pour leur dire « aucu-
nes choses » sur « l'advertissement qui nous a esté fait des durs et estranges
termes que le frère du duc de Bourbon, soy disant leur évesque, leur a
tenuz »... Nous confiant, etc. Nous vous donnons pouvoir de leur parler am-
plement, faire tous appointements..., promettant par parole de roi de les rati-
fier (Orig. parch. : lettre en conseil. Sceau enlevé. Ms. fr. 20977, f° 597).
2) Commission et pouvoir de Machiavel, pour sa première légation en
France ; commission du 22 oct. 1503, au même(Canestrini, Scrilti inediti...,
p. lui) : commissions et instructions vénitiennes des 23 mai 1509, 17 mai
1509, 3 juillet et 22 décembre 1512 (Arch. de Venise) : commission génoise,
citée par Delaville le Roulx, La France en Orient, II, 172 : instruction à
Mino di Rossi (Arch. de Bologne) : commission en forme de bref à l'évoque
de Tivoli, envoyé à Venise, du 4 mai 1500 (Archives du Vatican, 5 lv,
fo 340).
3) V. la commission très précise, très développée, du 31 déc. 1511, pour
Domenico Trevisan, ambassadeur vénitien en Egypte, publiée par M. Schefer,
Le 'voyage d'outremer, p. 237. Cette commission, portant instruction, et
destinée par conséquent à être, éventuellement, produite en Orient, est
encadrée et ornée de dessins.
POUVOIRS ET CRÉANCES 105
L'ambassadeur reçoit un simple extrait du procès-verbal de
la séance de la Seigneurie, qui le désigne et qui fixe ses ap-
pointements. Il peut trouver dans la commission l'autorisation
de payer une somme, même de donner une signature '.
Des ambassadeurs, sans pouvoirs authentiques et certains,
munis d'une simple commission, ne peuvent que développer,
à titre de renseignements, les instructions qu'ils apportent.
Ils communiquent ces instructions, et on leur donne de même
des réponses par écrit, sous forme de notes '.
Les résidents, dont le rôle principal consiste à observer
et à correspondre, reçoivent une simple commission. En cas
de besoin, on leur adresse des pouvoirs spéciaux. Nous avons
cité, dans les notes des pages précédentes, plusieurs pouvoirs
envoyés ainsi à des résidents pour signer un acte \
Les envoyés turcs ne produisent pas de pouvoirs. Ils se bor-
nent à présenter une lettre du Grand Seigneur, un projet de
traité, sans intervenir personnellement *.
Outre les pouvoirs, le souverain peut remettre ou envoyer
1) Pouvoir spécial, avec signatures autographes, à « vos Michaelem
Joannem Galla, consiliarium et oratorem noslrum residentem in curia
predicti Ser^i et Potentissimi Francorum Régis, fratris nostri ». Pouvoir
en forme ordinaire. Long préambule, rappelant qu'il y a eu des conven-
tions de partage du royaume de Sicile entre la France et l'Espagne, avec
confirmation et investiture du pape, à laquelle nous nous référons. Pour
maintenir la paix et l'amitié, étouffer les difficultés nées ou à naître à ce
propos, sachant l'amitié de l'empereur pour la France et pour nous, et que
« tanquam reclus acjustus judex SerenitasSuauniquique nostrum dabitquod
suum est juxta dictas concordiam, confirmacionem et investituras », et qu'il
veut se réunir à nous contre les Turcs, — Nous vous déléguons « negociorum
gestor et procurator, ad compromittendum » sur les questions litigieuses et
constituer arbitre l'empereur (Orig., grand parchemin, sceau autrefois pen-
dant sur lacs verts de soie. K. 1639, d. 3).
2) loli. Lettres de Louis XII, III, 51.
3) Not. à Alf. da Silva, résident d'Espagne (K. 1368, dr 2).
4) Not. Sanuto, III, 492-193 ; V, 27.
106 LA DIPLOMATIE AO TEMPS DE MACHIAVEL
à son représentant des blancs seings en lui laissant le soin de
les remplir *.
Pour les nominations d'arbitres, on procède par des pa-
tentes de désignation '.
Créances
Un agent diplomatique peut donc se passer de pouvoirs
généraux ou spéciaux, et arriver avec une simple commission,
comme par exemple les résidents ; mais, à défaut de pouvoir3,
personne n'est admis comme agent diplomatique sans
créance 4.
La créance est une lettre missive qui indique le nom et les
titres de l'ambassadeur, et qui prie d'ajouter foi pleine et en-
tière à ce qu'il pourra dire comme représentant de son gouver-
nement.
Elle est personnelle quant au destinataire 5. Une seule
1) Le vice-chancelier de Bretagne, ambassadeur en 1464, avait des « blancs
signez » de son maître, dont il usait, dit Gommines (c. n). Cf. ms. fr. 2928,
f° 2, une lettre de Louis XII à Du Bouchage, Pontlevoy, 2 avril. Louis XII en-
voie en hâte quinze lettres en blanc « pour le fait d'oscun » au comte de Ne-
vers, qui les remplira, pour ie bien de sa charge ; et « pour ce que vous
pourriez faire difficulté de les cacheter », je vous prie d'y faire diligence, dit-
il à Du Bouchage (lettre de 1505, reproduite sous la date erronée de 1490 dans
les portefeuilles Fontanieu).
2) Patentes de Charles VIII, orig., parchemin, en français (ms. fr. 2919,
f°9 bis).
3) D'après Villadiego, la créance est le seul titre essentiel, celui qui
constitue l'ambassadeur ; on ne doit pas admettre d'envoyé sans créance, à
moins d'affaire minime et notoire. Et ce titre suffit : « Litterarum credentiae
latori sinejuramento creditur »(De legalo, pars m, q. 1).
4) La lettre de créance est de règle pour les résidents. V. ms.fr. 2928, f° 31.
Ferrare, 10 juin 1511, Créance d'Alphonse, duc de Ferrare, pour Alph. Aco-
riostro nommé ambassadeur près du roi très chrétien, à la place de Mess.
Adrobandino, qui a demandé à être rapatrié.
5) Cependant, le jour même de la mort de Louis XII, François 1er reçoit
POUVOIRS ET CBÉANCES 407
créance suffit donc pour une ambassade multiple, mais, pour
une ambassade circulaire, il faut une lettre spéciale à cha-
que destination \
La créance s'appelle en latin «credencia», « littere cre-
denciales », en italien « lettera di credenza » '. Elle est géné-
ralement très brève 3, très simple ; on peut cependant la
faire précéder d'une formule d'envoi, relatant les noms de
l'envoyeur et du destinataire avec tous leurs titres \
La créance, en soi, n'a pas un caractère exclusivement
diplomatique: c'est une lettre fiduciaire, applicable à toute
mission 5, mais qui trouve nécessairement son emploi
dans les missions diplomatiques. Elle ne présente donc rien
(« familièrement », c'est-à-dire officieusement) de Philippe Dalles, envoyé
des Pays-Bas, les lettres de « crédence » qu'il apportait et n'avait pu présen-
ter au feu roi (Le Glay, Négociations, I, 594).
I) Rapport florentin de 1421 (Saige, Documents, I, 22).
2)Saige, Documents, I, 38 : en latin vénitien, « credulitas ».
3) Voici, comme spécimen de la forme courante, une créance de Charles VIII
pour le duc de Bourbon, en 1495: « Mon frère, j'envoye par delà maistre
Henry Bohier pour mes affaires, ainsi qu'il vous dira et que luy ay baillé par
mémoire. Je luy ay chargé passer par mon cousin le duc de Milan et par Ast,
pour parler à mon frère d'Orléans, et sur ce vous dire aucunes choses pour
y pourveoir.Si vous prye que le vueillez croyre. et souvent me fere savoir des
nouvelles de mon Royaume. Et adieu, mon frère. Escript à Rome, le XXVII"
jour de janvier. Charles. Robertet. (Au dos) A mon frère le ducdeBourbonnois
et d'Auvergne ». La phrase : Et souvent, etc., n'a pas lieu dans les créances
diplomatiques (Autogr. de S1 Pétersbourg (I), I, n° 31 ; copie de la Biblio-
thèque nationale de Paris).
4 Ivan le grand, duc de Moscovie, intitule une créance au doge de Venise,
en 1498 : « Jean, par la grâce de Dieu, seigneur de toute la Russie, grand
comte de Valodimeria, Moscovie, Novogorod, Pscovia, Tueriael de Hongrie,
kescluu, Permia, et Bulgarie, au très honorable et illustrissime comte
Barbarigo. vénitien » (Sanuto, III. 135-136).
.'. louis XI, envoyant au sire de Bressuire un ordre très dur, de saisir et
arrêter des gens du roi de Sicile, ajoute : « Je vous envoyé aussi unes petites
lettres de créance, que j'escripsà mons. le bastard du Maine. Vous lui mons-
trez tout, affin qu'il vous ayde à jouer le personnage en la meilleure façon que
saurez aviser vous deulx » (fr. 13538, n° 341, copie ancienne).
108 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
de sacramentel ; on peut la varier à l'infini, pourvu qu'elle
porte la clause essentielle de confiance et le nom de l'ambas-
sadeur.
La clause de confiance se produit sous deux formes : un
simple avis de croire l'ambassadeur, ou bien un avis de croire
en lui « comme à nous même ' ; » cette seconde forme est des
plus fréquentes.
La créance, régulièrement, doit être signée du souverain,
contresignée d'un secrétaire 2. Parfois, elle ne porte que l'une
ou l'autre de ces signatures. Elle est datée comme les lettres
missives, c'est-à-dire en France du mois et du jour, en Italie
de la date complète. Elle est adressée au souverain, et, dans
les républiques, au chef du pouvoir exécutif; par exemple,
au doge, pour Venise.
Rien ne s'oppose à ce qu'on donne une créance à une am-
bassade pour une conférence avec d'autres ambassades, mais
ce n'est pas l'usage, et cette précaution serait l'indice d'une
situation peu nette : les membres d'un congrès arrivent d'or-
dinaire avec des pouvoirs ; la conférence sur simples créances
suppose des négociations en même temps vagues et peu ami-
cales. Ainsi, par exemple, si l'on a lieu de penser qu'une am-
bassade qui s'annonce n'est pas sérieuse, qu'elle vient mas-
quer d'autres desseins, le chancelier lui enverra une contre-
1) Créance espagnole à Venise (1502. Sanuto, IV, 469), en espagnol, signée
d'un secrétaire, avec la clause : « entera fey, creentia, como a nostras mis-
mas personas. »
2) Ou du représentant du roi, ayant droit d'ambassade. V. Lettres de
créance à une ambassade importante pour Venise, signées par le cardinal
d'Amboise à Milan, le 23 avril 1500 (Boislisle, Etienne de Vesc, p. 191). Les
créances des républiques, comme Raguse, sont données par le « Recteur et
Conseil », c'est-à-dire par le pouvoir exécutif (Sanuto, X, 609). Un envoyé de
Crémone apportant à Venise, en décembre 1500, une créance donnée par la
commune, et non par les recteurs, on décide d'écrire à Crémone avant de lui
répondre (td., IU, 1158).
POUVOIRS ET CRÉANCES 109
ambassade, avec une créance d'une courtoisie exquise : cette
créance, adressée « aux Magnifiques orateurs du sérénissime
Roi de.. . », indique que les contre-ambassadeurs s'empressent
d'aller au-devant de l'ambassade dans le but de hâter les né-
gociations ; ils ont prêté serment du plus profond secret, ils peu-
vent recevoir et comprendre tout ce qu'on a à dire1, on prie de
leur parler sans aucune réticence... L'évêque de Liège, avisé
par un chevaucheur royal de l'arrivée d'une ambassade de
Louis XI, promet d'envoyer le lendemain « des gens » à lui
« bien seurs et féables » pour recevoir leurs communications.
Sa créance est motivée sur la réquisition qu'on lui a faite '. Ce
sont là des exceptions.
On n'adresse de créance écrite qu'à un pouvoir reconnu.
Charles YHne donne qu'une créance orale à l'ambassade qu'il
envoie à son fils le dauphin en 1460 8. Louis XI, en 1466, fait
adresser au comte de Charolais des reproches purement ver-
baux ; le comte s'en montre très offensé, et bien à tort : Je
n'écrirai pas au roi, ne sachant que lui écrire, dit-il dans un
message plein de colère aux ambassadeurs, « veu que de luy
ne m'avez aporté aucunes lettres *. »
La lettre de créance, dans les temps anciens, était toujours
en latin, et au XVe siècle cette tradition se continue, sauf en
France et en Espagne5. A la fin du XIVe siècle, la chancellerie
1) « A Christianissimo domino nostro, domino Francorum rege » (Lettre du
chancelier de Milan, 5 janvier 1470. Ghinzoni, Galeazzo Maria Visconti e
Luigi XI, p. 10).
2) Créance à l'évêque de Langres et Antoine de Dammartin, pour divers
de ses conseillers. Signée : «Loys de Bourbon, évesque de Liège, duc de
Buillon, comte de Loz, tout vostre (autogr.) Loys, » et contresignée» d'un se-
crétaire (fr. 2811, 102).
3) Lettre du dauphin, 29 janv. 1460 [Lettres de Louis XI, I, xc).
4) Gachard, Analectes, cxxiu.
5) On peut également citer des exceptions dans d'autres chancelleries,
quoique le latin y soit la règle. V. une créance "de Maximilien à Louis XII;
HO LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
française conservait encore pour les créances l'emploi du la-
tin, parallèlement à celui du français, avec une nuance de so-
lennité. En 1400, Charles VI adresse des créances en latin au
roi et à la reine d'Ecosse, en français à sa fille Isabelle,
reine d'Angleterre '. Au XV siècle, l'usage du français de-
vient la règle générale de la chancellerie française, même pour
les créances*.
Diverses circonstances influent sur le style des créances.
Nous allons indiquer les principales.
La première est la disparité de situation. Les créances,
étant rédigées en forme de missives, doivent se conformer
aux habitudes reçues de politesse, de déférence ou de res-
pect 3. Un sujet, un vassal qui adresse au roi une lettre de
créance devra donc y insérer une clause d'humilité pour lui et
de bon plaisir pour le roi ; il la rédigera sous forme rogatoire.
pour le sire de Berghes, en français (17 juin 1512. Ms. fr. 2756, fo 271).
Créance vénitienne au Grand Turc, en 1503, sous forme de lettre en italien
(Sanuto, V, 42), Créance des Génois à Louis XII, pour Guirardo Bonconte,
sous forme de lettre motivée, en italien (fr. 2960, n* 5).
l)Douetd'Arcq, 1,187, 192.
2) Créances pour Du Bouchage, Lyon, 10 avril (1494), pour Pli. de Com-
mines, Verceil, 28 sept. (1495. Archives de Milan). Cependant les créances
de Louis XI au duc de Milan sont quelquefois en latin (Lett. de Louis XI,
III, 219). V. la créance, en latin, de Louis XI au duc de Milan, pour MM. de
Chaumont, de Beauvau et Rover « circa hec ad plénum instructos et omni-
moda potestate fulcitos ». Prière de croire à leurs « relatibus, velut nostris »
et de les expédier promptement (1462. Id., II, 57).
3) Créance du vicomte de Lomagne Jean au roi : sur papier, la signature
seule autographe. Le vicomte est, dit-il, venu ici pour sa maladie, pour les af-
faires de son père, et « aussi pour fère haster l'ambaxade que mondil seigneur
et père a délivéré envoier devers vous pour ses besoignes et affaires. » Lettre
d'affaires, très respectueuse : elle finit en annonçant l'envoi de l'écu ver Lasne.
« Pourquoy, mon très redoubté et souverain seigneur, je vous supplie qu'il
vous plaise ouyr et bénignement escouter ledit Asne et à son rappourt et à
tout ce que vjus dira de par moy donner foy et ajouster pleine créance
comme vous plairoit fère à moy, se en personne le vous disoye » (Aulbin, 27
avril. Ms. fr. 2811 ; 24).
POUVOIRS KT CRÉANCES 411
Le dauphin Louis ', à l'égard du roi son père, signera « vostre
très humble et très obéissant tils », avec prière de le tenir
« en vostre bonne grâce, ensemble me mander et commander
voz bons plaisirs *, » comme dans les missives. Il s'étendra
sur son dévouement filial bien connu ; il dira : « Se c'est le
bon plaisir du Roi, M sera content de faire ce qui s'en-
suit*... » Le comte de Charolais, dans ses créances au roi,
n'appellera pas ses envoyés des ambassadeurs, mais les « por-
teurs de cestes » ; il les recommande « en toute humilité, »
en priant qu'il « vous plaise, de vostre grâce, adjouster
plaine foy et crédence comme à. moy meismes, et prendre
mon petit advis *. » Les vassaux écriront dans le même style s.
1) Saut' les cas d'emportement ou de brouille. V. ms. fr. 2811, 26. une
créance de Louis dauphin au roi (1452), très sans façon et sans phrases. —
[</., 27 : une autre créance correcte.
2) 1 i.'ili, 14S1 : Lettres de Louis XI, I, lv : Duclos, Hist. de Louis XI, IV,
p. 99 : signée Loys, sans secrétaire.
3) Duclos, IV, 161-163 (instruction, sous forme de note).
4) lojanv. 146.'>-66. Créance du comte de Charolais au sire des Querdes,
chambellan, Guiot Dusye, écujfer d'écurie, Guill.Hugonet, maître des requêtes
(Gachard, Analectes, cxxn).— 8 avril 1 167, créance au sire de Formelles, con-
seiller et chambellan, età Bfe Guillaume Hugonet, maître des requêtes de l'hôtel
[ibid., cxxvi). — Créance dû même, datée de Bruges, le novembre (.sic),
avec mention, au dos, qu'elle a été reçue àBourges, le 28janvier (468, anc.
st.. En suivant ce que je vous ai écrit par vos « ambaxadeurs », le bailli de
Chartres ctGuill. Compaing, puis par Guyot du Fier, bailli de S1 Quentin,
mon maître d'holel, je vous envoie le maréchal de Bourgogne et mes conseil-
lers et maître des requêtes Ferry de Chagny et Jean Carondelet, à qui, avec
Du Fier, « j'ay baillier charge et povoir de besoigner en la matière que savez
et la conclure, si s'est vostre plaisir. .. Si vous supplie, en toute humilité, »
croire en ce qu'ils vous diront et supplieront (pas de mention comme moi-
même. Ms. fr. 2811, 7S).
.'ii Par exemple, le duc François II de Bretagne. Créance à son chancelier
i Nantes. 21 février), en forme de lettre ordinaire, sur papier, signature
seule autographe: « Vous plaise savoir que j'envoie présentement par de-
vers vous mon chancelier pour aucunes matières que lui ay chargé bien
amplement vous dire et exposer. Si votas" suplie, mou très redoublé seigneur,
qu'il vous plaise sur tout l'oyr et fcablement croire comme moy mesmes, et
tousjours me mander et faire savoir tous voz bons plaisirs, pour lesacom-
112 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Ce formulaire, si conforme à l'esprit respectueux et hiérar-
chique du Moyen Age, s'affirme même à travers les frontières.
Une créance du duc de Saxe à Louis XII sera rédigée en la-
tin, avec une forme cérémonieuse, respectueuse etrogatoire1.
Florence, qui affecte de traiter Louis XI de protecteur, le
qualifiera de « Père de Florence 2, » en termes d'affectueux
respect 3. De même, Bologne.
En matière d'amitié ou d'alliance, la créance sera elle-même
de forme cordiale et affectionnée *, résultat qui s'obtient en
insérant le mot « affectueusement s » ou tout au moins le
plir de mon povoir. En priant Dieu » (ms. fr. 2811, 108). Autre
créance du même style (fr. 20855, f° 78).
i) 20 nov. 1514 (Lettres de Louis XII, IV, 379).
2) Créance à Donato Accaiarolo (sic), « legatum nostrum » remplaçant
comme résident Francesco Novi(dern. lévrier 1474, anc. st.). « Non possu-
mus non polliceri nobis omnia de tua caritate deque tuaclementiaflorentinum
populum ». Formule finale : « Vale, rex » ; initiale : « Serenissime ac cliris-
tianissime Rex, beneficiosissimepater urbis et populi nostri » (fr. 3882, f° 55;
copie).
3) Les créances de Savoie sont souvent froides. V. (ms. fr. 2811, 25), créance
de Louis, duc de Savoie, au roi, pour « son cher et bien améet féal chance-
lier » Jacques delà Tour, « porteur de cestes ». Créance comme à moi-même.
« J'envoye présentement par devers vostre très haul te majesté... » (datée de
Genève, 18 sept. 1452 ; sur papier, signature non autographe: « Le tout vos^
tre très humble, Loys, duc de Savoye, etc. », puis (autogr. ajouté) « Loys »,
(id.) « Fabri». — Créance du duc de Savoie au roi, pour mess. Jehan de Saix,
sgr de Bannefs, chambellan, maitre Jean Michel, prévôt de Verceil, conseil-
ler, Pierre Dannessy, secrétaire. — J'envoye devers vous... pour exposer de
ma part Les croire féablement (sans la clause comme moi-même). Cham-
béry, 31 mai 145£, signature (autogr.) « Loys » (fr. 2811, 34).
4) « In forma cordiali et affectionata » (mémorandum de 1476. Gingins la
Sarraz, Dépêches des amb. milanais, II, 202).
5) Une créance précédente (20 février) du dauphin au duc de Milan, étant
peu correcte, le dauphin en libelle une autre (le 15 mars), basée sur une nou-
velle communication : celle-ci de pure chancellerie. Elle est intitulée : « Dal-
phinus Viennensis, » et adressée: « Illustris consanguinee carissime... » Il
prie le duc d'ajouter « affectuose » foi à ce que dira l'envoyé, « uti nobis »>
de répondre par lui en toute confiance. A la fin : « Omnipotens vos conservet.
Scriptum . . . etc. » (Lettres de Louis XI, I, n°L). Créance développée etami-
POUVOIRS ET CRÉANCES 113
terme de « grâce \ » ou par une offre de services *. Dans
des circonstances spéciales d'intimité, la créance se prête
même à un tour de lettre tout personnel et en quelque sorte
privé '.
Il y a, au contraire, des créances comminatoires, qui con-
tiennent une sommation plus ou moins déguisée. Charles VII
écrit, en substance, à François Sforza : « Nous vous avons
demandé de soutenir à Gênes notre neveu de Calabre : vous
soutenez au contraire les Adorno et les Fregoso. Je vous en-
voie à ce sujet le bailli de Sens * » (Renaud du Dresnay, un
capitaine peu diplomate). Charles VIII adresse, en 1491, au
duc de Milan une créance encore plus énergique, à propos de
ses attaques contre le duc d'Orléans : « On m'engage à ne
plus vous écrire. Cependant, je vous envoie le sire de Cha-
lençon, en faisant appel à votre conscience et à votre hon*
neur:i. »
Vis-à-vis d'un pouvoir qu'on juge inférieurau sien, ou pour
cale de Louis XI à Galéas Sforza, pour le sire de Chateauneuf (1466. Id.,
m, 27).
1) Créance de Maximilien pour l'évêque de Brescia et Conrad de Bucchen,
jurisconsulte et chevalier, à Ludovic Sforza (Worms, 23 avril 1495. Ms. fr.
16074, no 27, f" 26). « Mittimus ad te..., consiliarios, oratores, mandatarios
nostros, et imperii sacri devotos atque fidèles, dilectos » : prière d'ajouter foi
à leur parole comme à la notre : « quod profecto nobis gratumerit et singu-
lari gratia agnoscendo. »
2) « Vous signiffiant que, s'il est chose que je puisse, faictes le moy savoir,
et je le feray de bon cueur » (créance de Louis XI à Milan, en français,
27 mars 1466. Archivio Sforzesco).
3) Lettre d'Isabelle de Bavière au duc de Bourgogne, Troyes, 23 octobre
(1449. Ms. Moreau 1425, n° 88, Orig. sur papier). La reine assure le duc
qu'elle se porte bien et elle fait le même vœu pour lui. Elle lui mande
«de ses gens », auxquels elle le prie d'ajouter créance, sur le fait des
finances ou autres. Elle le prie de hâter sa venue, ou, au moins, d'adres-
ser de suite « deux ou trois de voz plus principaulx gens et à qui vous vous
fyez plus, comme...» etc. (suivent des noms). Créance «à nostre très
cher et très amé filz le duc de Bretagne » (1410. Ms. fr. 20590, no 49).
4) Copie italienne (Arch. de Milan, Pot. Est. Francia, Corrispondenza).
5) Montils les Tours, 17 sept. (Archives de Milan). Cf., dans les Lettres de
8
114 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
une affaire peu importante, la créance est extrêmement brève.
En Italie, les créances sont toujours des plus concises, de
tournure officielle, sans phrases '.
Quelquefois, la créance contient une clause de recomman-
dation plus ou moins instante 2. Il est rare pourtant qu'elle
spécifie exactement l'objet de la mission ' : elle se tient inten-
tionnellement dans des données très vagues*. Il arrive même
qu'elle parait mettre sur la voie d'un objet contraire à l'objet
réel, qu'elle parle de remerciements quand il s'agit de récla-
mations5.
Louis XI, II, 32, une créance motivée de Louis XI aux Etats de Catalogne
pour le viguicr de Narbonne. Créance très vive du duc de Bretagne à Louis
XI, sur le bruit de projets d'attaque contre la Bretagne. « Je ne puis le
croire : cependant, le bruit persistant, je vous envoie mon secrétaire Pierre
Coline. . . » (ms. nouv. acq. fr. 1231, 69).
I) Créance de Florence à Lucien Grimaldi (12 mai luit. Saige, Docu-
ments, II, 107), de six lignes en italien, pour Antonio, et pour N° Ma-
chiavelli, notre secrétaire, « per dare expeditione ». Créance de Lucien
Grimaldi à la Seigneurie de Florence (il avril 1 T> i 1. Ibid., 101) ; simple
lettre, en italien, nommant le porteur; prière de le recevoir et d'avoir
foi. Créance pour Machiavel à Catherine Sforza (12 juillet 1499), au sei-
gneur de Piombino (18 mai 1507). Créance de Catherine Sforza à messer
Joanni (3 août 1499), dans les Œuvres de Machiavel. Créances de François
Sforza (ms. lat. 10133, f° 28, ft> 30 v«) : créances pour Mino de Itossi et
Ann. Bentivoglio, du 23 sept. 1499 (Archives de Bologne), et autres.
2) Créance de Louis dauphin pour Cinotin de Nores au duc de Milan (20
fév. 1433. Lettres de Louis Xt, 1, n° xlix). Elle indique l'objet : Ginotin
est porteur d'avis très confidentiels: «Cujus relatibus fidem indubiam velitis
adhibere, uti nobis, ac si illa propria affaremur in persona. » Suit une
phrase de vive recommandation sur l'importance delà mission.
3) Château-Renaud, 21 nov. 1458. Créance au duc de Milan, pour Angelino
Toran; spécifiant que l'envoyé est adressé pour les affaires de Gènes qu'il
s'agit de réduire à l'obéissance (copie en italien, sans indication d'année. Ar-
chivio Sforzesco).
4) « Littere credentiales, que, licet générales sint ut res secretior sit,
tamen mens est illmi il. Ludovici ut... (lat. 10133, f° 480).
3) Champollion, Mélanges, IV, 382. Créance de Louis XII aux Suisses, de
Lyon, 21 avril (1300), pour l'archevêque de Sens, et le secrétaire Jacques
d'Asnières, afin de les remercier de leur bon appui. « Le roi n'a pu encore,
dit-il, leur écrire depuis la capture de Ludovic. » — Il s'agissait de récla-
mer contre le pillage du Milanais et la prise de Bellinzona.
POUVOIRS ET CRÉANCES M 5
En dehors de ces catégories usuelles, nous ne chercherons
pas à dénombrer les circonstances diverses qui peuvent trou-
ver un écho plus ou moins atténué dans les lettres de créance.
La créance contiendra, par exemple, un avis de réception
d'ambassade \ une notification '... Quand un ambassadeur
n'a pas bien réussi, qu'il a éveillé des susceptibilités, qu'il a
laissé un incident se produire en travers de la négociation, il
est délicat de le renvoyer une seconde fois. En pareil cas, nous
voyons Charles le Téméraire lui-même écrire à Louis XI une
longue lettre autographe, de nouvelle créance pour un am-
bassadeur, le sire de Contay, qu'il renvoie : dans cette lettre,
le duc cherche à expliquer plus ou moins clairement les choses,
à replâtrer la négociation 3.
La créance peut accréditer certains membres de l'ambas-
sade en première ligne *•
Une ambassade collective emporte une créance de chaque
gouvernement 5.
L'ambassadeur, qui reçoit exceptionnellement des pouvoirs
i) Créance de François Sforza (pour Prosper Gamulio, au dauphin, 27
août 1460. Lettres de Louis XI, I, 323).
2i Lettre de notification par Charles le Téméraire de la mort de son père,
annonçant l'envoi à la reine du sire du Fay(l(5 juin 1467. Gachard, /l nalectes,
cxxvi).
3) Kervyn de Lettenhove, Lettres et négociations, I, 127.
4) Lat. 10133, 454. Créance au duc de Milan. Moulins, 21 janvier(1491),
pour Stuart d'Aubigny. Ch. de la Vernade, maître des requêtes de l'hôtel, et.
aveceux, Jean Rouy de Visques, chevalier, des comtes de S1 Martin, cham-
bellan, Théodore de Pavie, médecin ordinaire du roi, Jacques Dodieu, se-
crétaire.
<-éance de Louis dauphin pour le> ambassadeurs de Bourgogne, qu'il
charge de parler (6 fév. 1457. Autre lettre aux gens du grand conseil, de
même. — Lettres de Louis XI. I, lxiv. lxv). Ant. deCraon, « ambaxadeur »,
avait à porter à la reine de Sicile, au duc de Bretagne et aux barons bretons,
des lettres closes et patentes du roi, et des roi de Navarre, duc deGuyenne el
dur de Bourgogne itiUJ. Ms. f'r. 20590, no 50 .
116 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
en blanc, peut, par précaution, recevoir aussi des créances
pour s'en servir '.
La créance n'est pas obligatoire pour les envoyés de la
cour de Rome. Les légats sont porteurs d'une bulle, qui vaut
pouvoir : en France, cette bulle doit être préalablement véri-
fiée et enregistrée au parlement, mais en aucun cas le légat
n'est appelé à la produire lui-même, comme un ambassadeur
produit son pouvoir. La notoriété de sa mission lui tient par-
tout lieu de créance 2 : ses pouvoirs même se présument 3. De
même pourles nonces ; les instructions pontificales prescrivent,
au lieu de la remise delà créance, la bénédiction pontificale :
« Post datam benedictionem... ». Cependant on trouve des
créances pontificales en forme de brefs, même pour des légats*.
1) Lettre citée de Louis XI au sieur de la Rousière (fr. 20855, n» 55). On
peut égalementlui en envoyer. Jean Guérin écrit à Charles VIII qu'il a reçu
l'ordre d'aller chercher le duc d'Autriche, et de présenter les lettres « dont
m'avés anvoié ung blanc signé de vostre main, et luy dire les plus belles pa-
rollesqueje pense». Il va s'y rendre (Francfort, 19 octobre. Fr. 15541, 171).
2) « Creditur legato a latere sine litteris » (Martini Laudensis, De legatis,
q. 34).
3) Ses actes sont présumés réguliers : si ses lettres ont été égarées, on peut
en justifier par enquête (Villadiego, De legato, q. 6).
4) 5 déc. 1503 (Sanuto, V, 478). 22 fév. 1504. Bref d'Alexandre VI, en-
voyant comme nonce à Maximilien, pour des choses urgentes relatives à la
paix de l'Italie, Mariano Bartolini, auditeur de rote ( De Perugini, Memorie
ùtoriche, publ. parMariotti, p. 47-48). Créance du pape au doge de Venise,
pour le légat se rendant en Hongrie (18 novembre 1500. Sanuto, III, 1174),
en forme de bref. Le légat a l'ordre de passer par Venise. Objet : contre le
Turc. Prière de « tanquam nostra propriœ personœ fidem adhibere. » Signé:
Hadrianus. Créance d'Alexandre VI pour César Borgia et le légat Borgia,
chargés de saluer Louis XII à Milan, en 1499 (minute, s. d., aux Archives de
Venise, Atti délia curia Romana, busta XXVI, no 233 ). Le bref d'Alexandre VI,
de créance pour son envoyé Buzardo près du sultan Bajazet, n'est qu'une lettre
de créance pure et simple, en latin, sans aucune des formules de la chancellerie
romaine. Il appelle le sultan «MajestasTua, TuaSolemnitas.» Le sultan répond
par une lettre longue, mais très simple, contenant son serment « sur le vrai
Dieu, qui gouverne le ciel et la terre. » Il appelle le pape: Votre Grandeur,
Votre Puissance (1494. Sanudo, Spedizione, p. 45-47).
POUVOIRS ET CRÉANCES 117
La créance pontificale est très courte1. Elle emprunte sou-
vent la forme de recommandation '.
Le voïvode de Yalachie, le despote de Serbie rédigent
leurs créances en latin, très correctement 3. Le duc de Mos-
covie écrit en russe, et date de la création du monde ; outre
la clause de créance, il prie qu'on entretienne ses ambassa-
deurs et promet la réciprocité *.
Les créances de Bajazet II sont en forme de lettre ou de
notification très précise. Elles indiquent strictement l'objet de
la mission : c'est une créance, un pouvoir, et une instruc-
tion 3. Elles sont datées à la fois de l'hégire et de l'ère chré-
tienne. Sa créance de 1502 pour Haly, ambassadeur à Venise,
porte en substance : « J'ai juré, selon mon mode, les articles
1) « Hortamur igitur ut eum bénigne [recipere] audireque velis et plenam
ejus vernis fidem praestare » (créance pontiiicale du 17 nov. 1503. Sanuto,
V, 480).
2) Dans un bref de créance au duc de Bourgogne, le pape Urbain V recom-
mande l'ambassadeur : « latorem presentium », comme un homme sage, « ho-
noris tue domus régie zelatorem », pour des affaires intéressant l'honneur,
t'élal et le repos de la maison de Bourgogne et du Si Siège. «Tuam igitur
Nobilitatem affectuosc rogamus, quatinus eidem abbati in exponendis cis-
dem tanquam tibi salubribus credas indubie, ac annuere non omittas » (24
janv. 1364. Prou, Relations politiques du pape Urbain V, p. 109). Bref de
Jules II à Louis XII, pour lui présenter les ambassadeurs et leurs instructions
et lui faire remarquer toutee qu'il fait pour la paix (loi 1 . Lettres de Louis
XII, 49). Créance très chaleureuse, très instante, d'Alexandre VI, en faveur
de César Borgia, plusieurs fois publiée, not. par Reumont, Diplomazia ita-
liana, p. 160.
3) Février 1501 (Sanuto, III, 1467). — Créance du despote de Serbie, aux
Vénitiens, en latin, sous forme de lettre, portant prière « ut... attendere et
acceptare dignemini confidenter » (septembre 1502. Sanuto, IV, 458).
4) Moscou, le 20 fév. 1498, ou de la création du monde 7006, mois VI»
(Sanuto, 111,13b).
51 Créance de Bajazet, sous forme de lettre à la Seigneurie de Venise, datée
de l'ère chrétienne (29 octobre 1503. Sanuto, V, 762, 915), en grec. Il an-
nonce l'arrivée de son esclave Mustal'a, chargé de lui ramener tous les es-
claves de S'e Maure. Il en envoie le compte. Il-invite à faire rechercher sur
les terres de Venise tous ses esclaves, hommes, femmes, et enfants.
H 8 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
de paix arrêtés avec votre ambassadeur. Je vous envoie mon
esclave Haly : si vous acceptez les articles, faites-en copie où
pas un mot ne manque, et jurez-les devant lui, sur les Evan-
giles. Alors la paix sera ferme. Si Haly dit un mot de plus
que les articles, ne le croyez pas. J'ai donné à mon esclave
soixante jours pour revenir '. »
l)1502.Sanuto,V, 41.
CHAPITRE VIII
INSTRUCTIONS
L'instruction diplomatique est une note, remise à l'ambas-
sadeur, qui dicte sa conduite et résume le langage à tenir
au nom de son gouvernement.
De tous les instruments spéciaux de l'histoire diplomatique,
il n'en est pas de plus souvent invoqué et de plus utilisé par
l'histoire générale. Celui-ci, en effet, a l'avantage de présen-
ter une esquisse toute prête, un groupement raisonné de des-
sins, de vues, de motifs ; on y trouve l'indication d'une ten-
dance, la marque de l'esprit d'un gouvernement ; on croit y dé-
couvrir le germe qui mûrira par la suite de la négociation ;
faute de s'y référer, l'historien devrait s'orienter lui-même,
se livrer en personne au travail d'une vérification habituel-
lement très minutieuse et pénible. Malheureusement, la con-
naissance même des instructions ne doit pas, en réalité, dis-
penser de ce travail; on s'égarerait souvent en se laissant
guider par elles. Nul acte n'appelle un examen critique plus
sérieux et plus difficile : c'est l'acte le plus subtil de la diplo-
matie du Moyen Age, qui est la subtilité même.
Une ambassade a généralement pour but d'obtenir le plus
possible et de donner le moins possible ; l'idéal consiste à
payer des réalités par de belles, gracieuses et aimables pa-
roles : quelles qu'elles soient, les instructions partiront de ce
principe supérieur. Elles sont censées exposer nettement l'ob-
jet cherché, et indiquer à l'ambassadeur jusqu'à quel point
420 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
lui-même peut aller ; en réalité, elles n'envisagent souvent
que certaines faces du but vrai, c'est-à-dire qu'elles sont rare-
ment complètes, et plus rarement encore bien sincères. Les
belles paroles y occupent, toujours, la première place.
La diplomatie du Moyen Age agit habituellement en par-
tie double. C'est son procédé. Elle a une partie publique, et
une partie secrète : ce qui ne suppose pas une antinomie né-
cessaire entre ces deux parties ; les discours publics peuvent
marcher de pair avec les discours secrets. Ils convergent
vers le même but, mais par des voies diverses ; on parle dans
le même sens, sans dire les mêmes choses. Il en est ainsi des
instructions. Il y a deux grandes catégories d'instructions : les
instructions montrables, qui correspondent au discours que
tiendra l'ambassadeur, en audience publique, pour la remise
publique de sa créance ; les instructions qui correspondent au
langage à tenir dans l'audience secrète, et que nous appelle-
rons non-montrables, quoiqu'on les montre quelquefois.
Lorsqu'il existe de bons rapports diplomatiques, l'usage
veut que, par courtoisie, par affectation de franchise, l'ambas-
sadeur, lors de la remise de sa créance, communique ses ins-
tructions. Il est fort rare que l'exposition de la créance reste
purement verbale, et dès que l'affaire présente quelque im-
portance, on peut demander à l'ambassadeur de « bailler sa
charge par écrit ' ». D'ordinaire, l'ambassadeur présente spon-
tanément son instruction, lors de l'audience publique. Au
i) Gachard, Deuxième voyage de Philippe le Beau, p. 399. — Instruction
de Jean Galéas Visconti, ainsi intitulée : « Infra sunt capitula ambaxiate im-
posite per Illum et Excum Dnum comitem Virtutum, exposite Ser<n° principi et
rjno, Duo Régi Francorum » (Archiv. du Loiret, A. 2193). Note, adressée par
Albert, roi des Romains, au scolastique de Sarrebourg, de ce qu'il, aura à
dire comme orateur près du roi de France. A la fin : « Hec sunt que Scolas-
ticus Sareburgensis, Dni Régis Romanorum nuncius, proposuit, vive vocis
oraculo, D^o... (sic) Régi Francorum » (J. 995).
INSTRUCTIONS 121
XIVe siècle, il la paraphrasait volontiers dans un long dis-
cours, compendieux et touffu ; a mesure que la mode dispa-
rait de ces discours, et qu'on arrive au langage « court et bon »
de la fin du XVe siècle, l'ambassadeur s'épargne des déve-
loppementsinutiles, en présentant l'instruction. Ainsi, en 1500,
l'ambassadeur de France à Rome remet au pape son instruc-
tion, qui est aussitôt lue en consistoire1. L'instruction est tel-
lement publique qu'en 1479, avant l'arrivée de l'ambassade
de Louis XI à Rome, on avait répandu dans la ville une faus-
se instruction, soi-disant donnée à cette ambassade !. Ma-
chiavel, dans sa correspondance, fait allusion au caractère
public des instructions. Dans une dépêche, il réclame un
prompt envoi d'instruction à l'ambassadeur pour lui donner
l'autorité d'agir 3. Plaidant avec beaucoup de chaleur la
cause des Florentins contre César Rorgia, il finit par émou-
voir le cardinal d'Amboise, en invoquant les preuves du dé-
vouement de Florence : « Le cardinal, écrit-il, se borna à me
dire : Ecrivez à votre ambassadeur d'arriver promptement et de
vous faire passer sa commission pour que nous connaissions
l'esprit de votre gouvernement. Nous ne manquerons pas alors
de suivre à son égard la route que le devoir nous indiquera i » .
C'est ainsi qu'on trouve souvent, en copie ou en traduc-
tion, dans les archives d'un pays, des instructions aux am-
i) Sanuto, III, 309.
2) En janvier 1479, les ambassadeurs de France à Rome, avant leur au-
dience du pape, communiquent leur instruction au cardinal St Pierre aux
liens. Celui-ci leur déclare qu'on a « forgé », répandu dans Rome et montré
au pape des instructions qui « n'estoient pas honnestes » . Il est heu-
reux de voir qu'elles étaient ' fausses. Le pape accorde aux ambassadeurs,
avant l'audience publique, une andience secrète, où le chef de l'ambas-
sade déclare énergiquement la fausseté de l'instruction répandue dans
Rome(lat. 11802).
3) Dép. du 9 août 1510.
4) Dép. de Machiavel, du 4 nov. 1500.
122 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
bassadeurs accrédités dans ce pays (résultat manifeste de la
communication officielle) -, ou bien des instructions latines,
avec une mention de chancellerie, en tête ou en bas de la co-
pie, indiquant que l'instruction résume bien le langage tenu
par l'ambassadeur. Dans cette condition, l'instruction, assez
développée ressemble extrêmement à la note diplomatique re-
mise à l'appui dune communication verbale. Ainsi communi-
quée et faite pour être communiquée2, ou même pour être re-
mise, elle s'appelle une crédence (créance) baillée par écrit ' ;
on y répond par une note * ou mémoire, calqué sur elle,
avec des paragraphes ou des articles parallèles 5. Bornons-
nous à citer, comme exemple de cette pratique si fréquente,
l'instruction remise par Charles VIII à ses ambassadeurs pour
t) Par exemple, le texte italien (avec date, en caractères arabes) de l'ins-
truction du roi de France à Jean de Manzi, « scudero, consigliero del dicto
Sre », envoyé à F0 Sforza, à la suite de la mort du roi d'Aragon : instruction
relative à Naples, datée de Vendôme, le 2 septembre 1458 (Archivio Sfor-
zesco). Instruction de Louis XI à Gaston de Lion, sénéchal de Saintonge, et
au président des comptes de Grenoble, envoyés à Milan, le 26 mars 1465,
datée, en italien (copie évidemment remise à Milan) : compliments de condo-
léance et d'amitié, offre de renvoyer les gens d'armes milanais employés en
Dauphiné (Archivio Sforzesco).
2) Une instruction de 1352 (les premières lignes en latin), pour le ma-
riage du prince Jean de France avec la princesse Blanche, est inscrite en
forme de rôle : au verso du rôle se trouve la mention des réponses. Ainsi
l'instruction ne fut communiquée que verbalement et il y fut fait une ré-
ponse également verbale. Elle put être montrée, mais elle ne fut pas lais-
sée et les ambassadeurs la rapportèrent (J. 915, 6 a.).
3) Communiquer son instruction, s'appelle « bailler ses articles » (instruc-
tion de Charles VI à G. de la Trémoïlle, Saquet de Blaru et consorts, art. 29.
Le duc d'Orléans, frère de Charles VI, par M. le comte de Circourt, II, p.
78). Il y a des mentions expresses de la communication des articles (men-
tion de ce genre, ibid., p. 12 note).
4) « Responsio factainstructionibusdatis perSanctissimumdominum nos-
trum, Reverendo in Christo patri Dno Andreae, episc° Moraviensi, oratori sere-
niss' et potenti Régis Scotiae ad Christianissimum Regem » (1511. Lett. de
Louis XII, III, 51).
5) LeL. de Louis XII, 1, 37.
INSTRUCTIONS 123
Milan, le 21 janvier 1491, relativement à. l'hommage de Gê-
nes et de Savoie. Cette instruction traite la matière en sept
articles. Elle est remise par l'ambassade, et le gouvernement
de Milan remet, à son tour, le 11 avril 1491, la réponse point
par point. Il répond oui aux articles 1, 5, 6, 7, il accepte l'ar-
ticle 3 ; il pose des conditions sur l'article 4, il répond non à
l'article 2 -, Ludovic Sforza, comme régent, remet de son
côté, le même jour, une réponse personnelle semblable '.
Outre cette communication directe, on juge souvent con-
venable de communiquer l'instruction à des alliés3, soit avant
le départ de l'ambassadeur, soit aprèsla remise de sa créance,
ou bien on adresse simultanément une copie à une cour amie*.
Ces procédés, assez rares en France, sont au contraire
en Itabe de l'usage le plus commun ; il est facile d'en citer
des exemples : à Venise, en 1500, on communique aux am-
bassades de France et du pape la teneur des instructions don-
nées à l'ambassade en Allemagne 5 ; André de Burgo, ambas-
sadeur d'Allemagne en 1512, trouve mauvais que le gouver-
nement français ne lui communique pas l'instruction qu'il va
donner à une ambassade pour l'Allemagne 6 ; en route pour
la Hongrie, un légat du pape montre à Venise son instruction1 ;
Louis XI écrit au duc de Milan que son ambassade circulaire
en Itabe lui communiquera son instruction du 20 novembre
1) Ms. lat. 10133, fw 454, 435.
2) Id., fo 456.
3) Les articles peuvent être communiqués aussi en copie à une ambassade
envoyée sur un autre point (Cte de Circourt, Le duc Louis d'Orléans, II, 77,
art. 26).
4) Les cours communiquent aussi les copies d'instructions tierces. En
1464, Louis XI, comme marque d'amitié, communique au duc d'Orléans le
duplicata d'une instruction du duc de Bretagne (Lettres de Louis XI, II, 205).
5) Sanuto, III, 1291, et passim.
6) Lett. de Louis XII, III, 212.
7) Sanuto, III, c. 298.
124 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
1478, afin que « puissiez amander, adjouster et diminuer,
ainsi que verrez estre à faire » (il est bien entendu qu'en réa-
lité, Louis XI entend ne rien y changer '); Charles VIII or-
donne au sire de Citain, son ambassadeur à Venise, de s'ar-
rêter à Milan pour communiquer également son instruction'.
Quant aux communications ultérieures, rien de plus fré-
quent ni de plus simple ; à Venise, on va plus loin, on com-
munique aux ambassadeurs amis non-seulement l'instruction,
mais la correspondance, celle-ci, il estvrai, « castiga ta prima
in alcunilochi3 ». Machiavel, dans la première dépêche de
sa légation de 1506 près de Jules II. nous fournit un exemple
typique de ces communications; il arrive près du pape à Nepi,
il prononce le discours de créance analysé dans sa dépêche :
« Après ce discours, dit-il, j'ai tiré de mon sein les instruc-
tions, et je les lui ai lues de verbo adverbum. Sa Sainteté a
écouté mon discours et les instructions avec attention et m'a
répondu... etc. », puis Elle a appelé l'ambassadeur de France,
« et lui a fait exhiber les instructions qu'il a apportées ; Elle
m'a fait voir la signature du roi, et m'en a lu Elle-même deux
articles relatifs à l'entreprise de Bologne... * ».
Les communications simultanées naissent de causes très
variées. En 1495, Ludovic Sforza, comme allié, communi-
que à Maximilien ses instructions à l'envoyé François de Ca-
sate, et Maximilien les approuve5. A un autre point de vue, le
1) Lat. 11802.
2) Arch. de Milan, Potenze Estere, F'», Corrispondenza ; lettres de Charles
VIII, de Lyon, le U avril.
3) Sanuto, III, 227.
4) Dans une lettre à Yves d'Alègre, commandant des troupes françaises, la
Seigneurie de Bologne lui oppose les volontés de Louis XII, d'après l'ins-
truction de M. de Trans, ambassadeur de France, que celui-ci a communi
quée (Lettre du 21 janvier 1501. Archives de Bologne, Lttterarum).
5) Calvi, Bianca-Maria Sforza Visconti, p. 22.
INSTRUCTIONS 125
duc de Bretagne, négociant en 1486 une trêve marchande avec
l'Angleterre, envoie au roi de France copie de l'instruction
donnée à ses ambassadeurs, afin de bien montrer qu'il ne
poursuit point un but politique, et de calmer les suscepti-
bilités françaises, alors si vives à l'égard de l'Angleterre.
Charles VIII se hâte de le remercier de ce bon procédé '.
Enfin, au cours môme d'une négociation moins amicale, un
ambassadeur peut tirer bon parti de la production brusque
d'instructions jusque là réservées.
Par ces divers motifs, il peut y avoir un intérêt véritable à
ce que les instructions ne disent rien, ou du moins peu de
chose. En tout cas, elles indiquent simplement le langage of-
ficiel'. Sous Louis XI, l'importance des instructions françaises
parait, d'ordinaire, en raison inverse de l'importance de l'ob-
jet. Une instruction détaillée, précise, étendue, indique une
matière de faible importance, sur laquelle on peut écrire; si
elle est courte et insignifiante, on a le droit de conclure à une
grosse affaire.
On supplée donc à la discrétion nécessaire des instructions
montrables par les explications verbales données à l'ambas-
sade ou par de secondes instructions non montrables. Celles-
ci sont complémentaires ou secrètes, et remises soit à l'am-
bassade entière comme les premières, soit à un membre seul
de l'ambassade.
Louis XI, accusé du meurtre de son frère le duc de Guyenne,
envoie en Bretagne une ambassade solennelle pour se dis-
I) Dupuy, Histoire de la réunion de la Bretagne, II, 83.
■2) Machiavel, chargé d'affaires à Rome, écrit à Florence l'exégèse de l'ins-
truction donnée à l'évêque de Raguse, que le pape envoie à Florence. Le
cardinal Soderini a été chargé d'écrire cette instruction. Il avertit Machiavel
qu'elle recommande à l'envoyé pontifical une extrême prudence, mais qu'en
réalité, d'après les instructions verbales, celui-ci doit s'entendre avec Klo-
renoe (dépèche du 23 novembre 1503).
126 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
culper. Cette ambassade, conduite par l'archevêque de Tours
(métropolitain de Bretagne) et par un prélat f ort avisé, l'évêque
de Lombez, présente naturellement un caractère nettement
judiciaire ; les trois autres ambassadeurs sont des magistrats,
les présidents des parlements de Paris, de Toulouse et du Dau-
phiné. Le roi, dans son instruction officielle, réclame une
ë&qtlêtê et fait observer que tous ses ambassadeurs ont qua-
lité pour la suivre, au titre canonique ou civil1. Dans l'ins-
truction complémentaire, il invite les ambassadeurs à pour-
suivre énergiquement la réclamation d'enquête ; ils mèneront,
dans leur suite, en grand secret, deux notaires apostoliques,
pour faire un Utdimus authentique de la réclamation, et pour
dresser secrètement procès-verbal, si le duc de Bretagne re-
fusait ou retardait l'enquête". De même, lorsqu'il envoie Jean
d'Arson pour détacher le roi de Naples de l'alliance de la
Bourgogne, Louis XI lui donne une instruction confiden-
tielle très détaillée 3 La Seigneurie de Venise remet à ses
ambassadeurs près de Louis XII, en 1499, une instruction com-
plémentaire également très détaillée, sur ce qu'ils devront
faire et dire à l'audience secrète du roi*, après l'audience so-
lennelle de réception5.
Les instructions complémentaires, données à toute l'ambas-
sade, ne font qu'ajouter aux instructions officielles les détails
1) 22 novembre 1473 (ms. fr. 3884, fos 293 et s.).
2) Id., [o 306.
3) Ms. fr. 10238, fos 5 et s.
4) 26 sept. 1499 (Archiv. de Venise, Secreto 37, fo 131 v<>).
5) V. dans les Œuvres de Machiavel, l'instruction qui lui est personnelle-
ment donnée par le gonfalonier P. Soderini, pour sa troisième légation en
France, en outre de l'instruction officielle (1510). Supplément d'instruction,
motivé par l'annonce de faits nouveaux, envoyé sous forme de lettre à un am-
bassadeur encore en route, en y joignant une lettre directe pour le
souverain (lettres du 3 juillet 1466, à l'évêque de Gahors, ambassadeur en-
voyé de France à Rome el au pape. Leit. de Louis XI, II, p. 67 et 65).
INSTRUCTIONS 127
qui leur manquent. Les instructions secrètes, confiées à un
seul ambassadeur, s'en séparent plus nettement. Nous avons
eu occasion de citer une instruction verbale donnée par Anne
de Beaujeu au secrétaire Ami, membre d'une ambassade à
Rome '. En 1500, l'archiduc Philippe le Beau envoie en am-
bassade près de Louis Xll le chambellan Amé de Viry et le
secrétaire Ph. Ilaneton. Dans l'instruction qu'il leur don-
ne, il expose brièvement que le roi, son père (Maximilien),
désire la paix avec la France, et il demande les conditions de
Louis XII *. Dans l'instruction confidentielle pour Hane-
ton seul, Philippe le charge de dire à Louis XII, en secret,
que Maximilien ne veut aucunement la paix, et qu'on a eu
beaucoup de peine à lui faire entendre raison; il indique
les vues de Maximilien, qui entrerait volontiers avec la France
dans une guerre contre les Italiens ; il aborde diverses affaires
spéciales ; il propose une continuation provisoire de la trêve.
Bref, c'est la véritable instruction \ D'autres fois, c'est
au chef seul de l'ambassade qu'on donne les instructions de
ce genre, à l'exclusion des autres ambassadeurs et du rési-
dent *. Envoyé en France, en 1511, Machiavel a l'ordre de
passer par Milan, pour y voir le vice-roi français et le rési-
dent florentin ; il communiquera au vice-roi l'instruction
écrite pour la circonstance, et il aura bien soin d'ajouter
que la Seigneurie de Florence tient extrêmement à ce que
Son Excellence connaisse le but de l'ambassade... Machiavel
pourra au contraire communiquer à son collègue de Milan
les instructions verbales qui lui ont été données, et l'avertir
1 Procédures politiques du régne de Louis Xll, p. 1050.
2) Le Glay, Xégociations entre la France et l'Autriche, t. I, p. 19.
3) Id., p. 21, 22.
4) Note des archives de Milan, 1492, citée par Delaborde, Expédition
de Charles VIII, p. 237, n.2.
128 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
du but véritable de sa mission, but que le vice-roi doit ignorer
pour le moment '.
Les instructions secrètes doivent, bien entendu, être défen-
dues contre toute indiscrétion des tiers. Saisi et fouillé lors
de son passage par la Lombardie en 1507, Machiavel déchire
tous ses papiers, se rend en Allemagne par la Savoie et la
Suisse, et communique là verbalement ses instructions au ré-
sident florentin \
Mais les instructions secrètes peuvent parfois être communi-
quées en audience secrète ou aux commissaires délégués 3.
En résumé, les instructions non montrables sont souvent
verbales \ Toute instruction écrite suppose la possibilité d'une
communication, et on doit ne la consulter qu'avec réserve.
Toutefois, l'instruction non montrable a une valeur, que ne
possède pas l'instruction montrable.
Quand on rencontre, dans les Archives, une instruction,
on peut partir de la présomption qu'elle est montrable ; cette
présomption se réalise le plus souvent. Mais à quels signes
distinguer son véritable caractère ?
1) Instruction du 10 septembre 1511.
2) Dép. de Francesco Vettori, 17 janvier 1507-8.
3) A leur audience secrète, les ambassadeurs de Louis XI à Rome, en 1479,
présentent leur instruction secrète, écrite en latin, dans la même forme que
l'autre (lat. 11802).
4) Ou adressées avec beaucoup de précaution. Le pape Grégoire XI, informé
de l'entrevue de l'empereur et du roi à Paris, en 1378, écrit en toute hâte à
Guillaume de Lestrange, archevêque de Rouen, de s'y trouver; sa mission
sera la suivante; « Quod aliquis cautus, prudenset diligens indagator illic
existeret, et quicquid fieret vel forte jam faclum est, tam in communi quam
in privato et secretis consiliis, solicitus exploraret, et confestim, quod
sentireposset, nobis nuntiare studeret. » Pour cette mission confidentielle,
nul titre, nul pouvoir, nulle autre instruction : Grégoire XI ajoute seule-
ment, en finissant! « Nonnulla etiam tibi scribit decanus, germanus tuus, de
nostri conscientia, quibus credas » (Bref du 12 janvier 1378. Inventaire...
des biens de Quill.de Lestrange, Paris, 1888, p. 154-155. Lestrange était
envoyé du pape avec l'archevêque de Ravenne, depuis 1372).
INSTRUCTIONS 129
Il y a d'abord des signes matériels. L'instruction qui
porte, qu'après avoir salué le chef de l'Etat, l'ambassadeur lui
dira telle et telle chose, est montrable, puisqu'elle a traita
l'audience publique1.
L'instruction écrite en latin, au XVe siècle, sera presque
toujours montrable.
L'instruction secrète porte que l'ambassadeur tiendra
tel ou tel langage, à l'audience secrète, ou près du roi seul.
Parfois, elle contient l'ordre à l'ambassadeur de la con-
server, et de la restituer au retour*.
Les deux instructions sont généralement écrites sur des
feuilles séparées. On trouve aussi des instructions com-
plémentaires réunies à l'instruction montrable, dans une
seule rédaction.
Si les signes matériels ne suffisent pas, on pourra chercher
des données dans l'examen intrinsèque du texte, donnéesdou-
teuses, mais que le développement ultérieur de la négociation
viendra confirmer. L'instruction de Charles VIII pour sa
grande ambassade à Rome, composée des évêques de Fréjus
et de Lodève, de l'abbé de S1 Ouen, du sire de S' Mauris,
porte, par exemple, le caractère montrable. Elle est relative
au projet de la conquête de Naples, et elle explique que l'ex-
pédition a pour but de chasser les Turcs de Constantinople 3.
Alexandre VI, dans son bref de réponse, exhorte poliment
Charles VIII à renoncera ses grands projets *. Dans son ins-
1) Montrables, les « Instructions baillées à... par manière de mémoire, dé
dire au pape les choses qui s'ensuivent, de par le Roy, par vertu des lettres
de créance à luy envoyés » ; sans date, signées Loys (le régent duc d'Anjou.
Douet d'Arcq, Choix de Pièces, I, 4).
2) Dans son instruction àEm. de Jacopo, du 27 mai 1 463, le duc de Mi-
lan lui prescrit de restituer, au retour, celte instruction (Archivio Sforzesco):
3) Février 1494 (K. 1710).
4) Mars 1494 (id.).
9
130 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
truction à ses nonces en France en 14981, Alexandre VI, à
son tour, développe en détail et point par point toute une poli-
tique ; il proteste énergiquement contre l'injure qu'on lui
fait de lui supposer des relations avec les Turcs ; il insiste
vivement, au contraire, four la paix et l'union des princes chré-
tiens en vue d'une croisade, œuvre fondamentale de son
pontificat. Il omet la seule chose qui l'intéresse, l'avenir de
son fils. Sur les divers points traités, sa politique fut le con-
traire de ce qu'il annonçait. Encore une instruction montra-
ble.
Voici une autre variété d'instructions, essentiellement mon-
trables : les ambassadeurs de France en Castille pour le ma-
riage du roi de France Jean avec la princesse Blanche empor-
tent un projet de lettre tout rédige, où la date seule reste
en blanc, à faire signer et sceller par le roi de Castille. Le
mariage a été réglé par les ambassadeurs précédents, Alvarez
Garcia de Albornos, et l'évêqiie de Burgos, pour la Castille,
l'archevêque de Rouen, l'évêque de Chalon,le sire de Revel
pour la France. Les ambassadeurs nouveaux veilleront à
ce qu'il ne soit pas modifié un seul mot au projet de lettre,
ils vérifieront les sceaux et la couleur de la cire 5.
Montrable encore l'instruction détaillée donnée au cardinal
de Gurck, légat du S1 Siège près de la diète germanique, en
1500; instruction vive et insistante pour le projet de>croisade,
évidemment faite en vue de la production. Elle n'ajoute rien
aux idées personnelles, bien connues, du légat, rien si ce
n'est qu'elle retrace à grands traits les efforts personnels
1) Procédures poiiiiq. du règne de Louis XII, p. 1106 et suiv.
2) « Nuncii dn> Régis Francie debent reportare litteram Régis Castelle,
sub forma que sequitur : Petrus Dei gracia Castelle, Legionum... » etc.
(projet de lettre ; sur parchemin). « C'est ce que ont à faire les messages que
eRov envoie pour la besoigne touchant lui et le Roy d'iîspaigne » (instruc-
tion particulière sur le collationnement à opérer. J. 915 B).
INSlKll.TlONS 131
d'Alexandre VI pour procurer la paix de l'Europe et l'union
«les princes. Le pape insistai! aussi sur son accord parfait et
absolu à Ce sujet avec L'unanimité des cardinaux , unani-
mité utile à affirmer, carie cardinal de Giïrck lui-même s'était
plus d'une fois montré l'adversaire résolu d'Alexandre.
Instructions montrables encore, celle de Charles VIII à
Jean Rabot et autres, envoyés à Home en 1491; avant d'abor-
der diverses allaires, le roi les charge de rappeler les bons
rapports séculaires de la France avec Rome, la grandeur de
l'Université de Paris, l'argent envoyé à Rome, les con-
cordats passés entre Louis XI et Sixte IV, qu'on n'observe pas
et sur lesquels on peut reprendre des négociations....* ; les
instructions d'Innocent VIII à l'évêque de Tréguier et à An-
tonio Flores, au frère Baldassar en 1489.... \
Enfin, à l'instruction montrable on ajoute quelquefois
une rumeur, répandue, au dehors, dans le grand public,
contraire même à l'instruction officielle. En 1492, on annonce
que Perron de Bascher va en Italie pour des achats de che-
vaux *.
Les instructions s'appellent en France « instructions 5 » ,
ou ((instruction», en Italie « instructions » ou « commission.»
Elles constituent un acte essentiellement régalien et por-
tent la signature autographe du roi. Elles sont délibérées et
arrêtées en conseil du roi", sur une minute préparée par un
1) Archives du Vatican, reg. 3 LV, fo 321 et suiv.
2) Ms. fr. 15870, o°l- Burckard, I, 430.
3) Ms. Dupuy594,foi 91,103.
i Boislisle, Et. de Vesc, p. 54.
5) L'intitulé habituel est : « Instructions baillées de par le Roy à..., les-
que z il envoie devers..., des choses qu'ilz auront à l'aire devers ledit... (com-
te)'. En chancellerie, on les qualilie plus brièvement par la destination : on
les appelle, par exemple : « Instructions de Pavie et d'Avignon >> (Jarry,
, ■/-• Louis ilr France, p. 4J0).
lij Bernier, liegistre..., p. 45-46. Instruction de!385, en conseil (Douet
132 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
secrétaire de chancellerie, ou par un membre du conseil. La
minute est revue et raturée en tant que de besoin.
En France, elles sont transcrites indifféremment sur pa-
pier ou sur parchemin, en forme de notes, et datées le plus
souvent du jour et du mois, sans indication d'année, comme
les lettres missives. La signature du roi est suivie de celle
d'un secrétaire. Le sceau est de cire rouge et plaqué; mais
la plupart des instructions n'ont pas de sceau; elles ne com-
portent en effet ni garantie ni engagement '. Leur intitulé ne
d'Arcq, Choix de pièces, I, 60 et suiv.). Lorsqu'il s'agit d'affaires communes,
les instructions ne sont arrêtées qu'après une première négociation entre les
intéressés. C'est l'habileté de l'ambassadeur de présenter adroitement
celles qu'il désire, pour les faire accepter. Une clause spéciale à ce genre
d'instructions est :« Addatur et mutetur, secundum voluntatem domino-
rum confœderatorum » (Rapp. d'un ambass. milanais, 1478. Kervyn de
Lettenhove, Lettres et négociations, 111, 33).
1) Citons, à titre de variétés, par exemple : « Instructions pour mess. Re-
nier Pot, chevalier, sr de la Prugne, de ce qu'il aura à dire de par la Royne
à mons. le duc de Bourgogne ». Il doit dire que le duc « trouvera la Royne
bonne dame et mère et autant que s'il estoit son propre filz »; sur papier
in-fo, sceau plaqué rouge de la reine; signée Ysabel ; datée : « Fait à Troyes,
le XVII* jour de décembre l'an mil CCCC et dix neuf », contresignée du secré-
taire (ms. Moreau 1425, n<> 90, orig.). Instruction baillée par le roi et
son conseil à.l'évêque de Langres et Jean de Ryé, ambassadeurs à Foix ;
sur parchemin, sans aucune date ni formule que le titre; signée Loys, sans
nulle indication (K. 53 A, 6 bis. : id., 8 ter. Instruction à l'évêque de
Langres, envoyé au pape dans les mêmes conditions). Instruction à
l'ambassade près du pape, 30 mai 1376 : « Instructions baillées par le Roy
nostre sire à. . ., envoyez par lui devers. . ., sur cequ'ilz ont à faire à cause
de leurdite messagerie. Premièrement,... »; datée du lieu, du jour, du
mois, de l'année, du règne, avec signature autographe du roi, sans
secrétaire: traces de sceau plaqué, parchemin (Jarry, Vie... de Louis de
France, p. 385 et suiv.). Instruction aux ambassadeurs envoyés à Avignon,
24janv. 1393, datée, signée du roi (Douet d'Arcq, Choixde Pièces, I, p. 112
et s.). Instruction à des ambassadeurs, datée des lieu, date, jour, mois,
année, signée « de Reilhac » (secrétaire du roi), sans signature du roi (6
avril 1459. Quicherat, Th. Bazin, IV, 357). Instruction du 16 mars 1478, da-
tée, signée de Boffile de Juge « ex mandato Régis » : du 20 novembre
1478, datée, signée: Loys et Courtin (ms. lat. 11802) ; diverses instructions
réunies dans le ms. fr. 3884, etc.
INSTRUCTIONS 133
mentionne pas toujours le nom des ambassadeurs : ce nom est
quelquefois remplacé par un blanc, qu'on n'a pas pris soin de
remplir. Il se peut, en eiïet, que l'ambassade soit nommée ou
complétée après la rédaction de l'instruction. Il arrive aussi
qu'on désigne pour une ambassade des personnages éloi-
gnés de Paris, sauf à les aviser par lettre close ou sous forme
de mandement: dans ce cas, on ne peut remettre l'instruction
à tous les membres de l'ambassade en bloc.
Les instructions françaises sont rédigées d'un style très
bref, découpées en menus alinéas, qui sont marqués unifor-
mément par le mot Item. On emploie rarement un numérota-
ge, si ce n'est la mention Primo pour le premier alinéa '. Ces
alinéas se nomment articles. Sous Charles VI, les instructions
portent la mention du conseil 2.
Les instructions se bornent à un simple exposé, une fois
fait; très rarement, elle comportent une seconde partie «par
mémoire de réplicacion, si besoing est 3. »
1) Instruction du 30 mai 1376, à Réneval, Boite!, Morgeset Corbie,
« messages », numérotée en chancellerie (J. 458, n° 9 bis). L'expédition
originale ne porte pas de numéros (id., n« 9). La minute de chancellerie,
sans signature, est écrite sur deux feuillets de papier in-f° cousus l'un à
l'autre dans le sens de la longueur, le numérotage ajouté en marge : l'expé-
dition sur un grand parchemin, en forme de rôle, avec trace de sceau pla-
qué rouge.
2) « Instruccion pour les messages du Roy pour assembler avecques ceulx
d'Angleterre, bailliée le... » : en conseil, sans date, signée d'un secrétaire
(instruction du 29 nov. 1401. Douet d'Arcq, Choix de Pièces, I, 215). Ins-
truction à des envoyés près du pape, contresignée du conseil ; 26 juin
1388 (ibid., 94). « Instruction pour..., envoiez de par le Roy devers..., des
choses qu'ilz auront à faire par delà », d'août 1401. Par articles : datée,
signée, du roi (autogr.) : « Veue par les ducs de Berry, d'Orléans et de
Bourbon, et paravant avisée par leur commandement par les gens du grant
conseil, où... » etc., et signée du secrétaire (id., I, 204 et suiv.). « Instruc-
tion baillée de par le Roy à..., envoiez de par lui en Angleterre : » rédigée
et signée de même, avec visa du grand conseil, et date de ce visa (6 sept.
1400. Id., 1, 193).
3) « Instructions baillées par le Roy et son conseil à..., sur le fait de leur
134 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Enfin, il y a des cas pressants et exceptionnels où l'instruc-
tion s'écarte, par force majeure, des règles habituelles. Telles
les « instructions pour Henry de Chauffour, escuier, maistres
Jehan Milet et George d'Ostemde, secrétaires du Roy nos-
tre sire, et pour maistre Henry de Monstereul, bourgois de
Paris, envoiez par devers monseigneur de Bourgogne et par
Monsieur de Saint Pol, le conseil du Roy estant à Paris, et
les prévost des marchans, eschevins, bourgois et habitans
de la ville de Paris... » Cette instruction, qui ne pouvait por-
ter la signature du roi, y supplée, autant que possible, par
des mentions solennelles : « Par le Roy, à la relation du
grant conseil, tenu par Monsieur le conte de Saint Pol, lieu-
tenant du Roy par deçà. Ouquel Vous, le grant maistre d'os-
tel, le mareschal de Chasteluz et plusieurs autres. Donné à
Paris, le XXIIe jour d'octobre, l'an mil CCCC et dix neuf.
Philippe. Oger », et elle porte le sceau rouge, plaqué, du
comte de Saint Pol1.
Les minutes d'instruction n'ont ni date ni signature*.
Ces minutes, parfois multiples, restent à la chancel-
lerie. Elles se distinguent facilement de la transcription
définitive par l'écriture, par les ratures et par diverses
mentions. Une minute originale d'instruction du duc de
Bourgogne, en 1419, porte, dans l'intitulé, la mention sui-
vante : « De par Monsr de Bourgogne, à telz pour aler devers
le Roy et la Reyne » : telz pour aler est raturé et remplacé
par : « A mess.Lourdin. Sr de Saligny, Henry de Chaufour
et maistre George d'Ostende, qui vont8 ».
légation, toichant. .. », par articles, sans date ; signée du régent, en deux
parties ; la seconde est par « mémoire de réplicacion, si besoing est »
(Douet d'Arcq, Choix de Pièces, I, 6).
1) Orig. parch. Ms. Moreau 1425, no 87.
S) Ms. fr. 2964, f° 89.
3) Cette instruction ne porte que des protestations de dévouement. Les
INSTRUCTIONS 135
La comparaison des minutes des instructions avec le texte
définitif constitue un moyen très important, quand on peut
l'opérer, d'interpréter la valeur des instructions dont ellesfor-
ment le commentaire naturel. Nous avons trouvé jusqu'à
trois minutes de la même instruction, étudiées, corrigées
et fort diverses ' : d'autres fois, on rencontre une simple mi-
nute, semblable à l'acte définitif8.
On fait aussi des copies des instructions pour le service de
la chancellerie8 : ou, tout au moins, on garde en note la subs-
tance, « Summarium »*, de l'instruction.
Quand les instructions ne portent ni dans le texte, ni dans
les annotations de chancellerie aucune mention d'année, il est
souvent difficile de les dater exactement. On peut y arri-
ver par la date des pouvoirs, ou par la date de la trêve, du
traité, de l'hommage..., bref de l'acte principal de la mis-
sion. Il vaut mieux ordinairement ne pas se fier à l'examen
intrinsèque de la pièce pour essayer d'en tirer une donnée
véritables instructions se trouvent dans les « Instructions à la Reyne pour les
dessus dits » : montrer le péril de Paris, par conséquent de tous les pays
du roi; dire que l'adversaire veut traiter avec l'Angleterre, etc. (orig. pap.
avec ratures, ms. Moreau 1425, n<> 95). Cf. l'instruction de Louis XI pour
un ambassadeur à Venise, minute sur papier, « à tel » (fr. 10238, f° 12).
1 ) Histoire de Louis XI f. t. III.
2) Instructions de Louis XII au sire de Dourrier, ambassadeur en Angle-
terre (lôOi), au premier président de Normandie envoyé de même en Angle-
terre(1514), (ms. fr. 15870, nos 4^ 42): minutes de ces instructions (ms. fr.
17840, fos 131-136, et fcs 137-140). Minute de l'instruction donnée au cardi-
nal d'Amboise envoyé au roi des Romains (1501. Ms. fr. 2964, f° 89).
3) Lettre de Jean le Prévost au roi. Il lui envoie, selon ses ordres, le
double des instructions adressées « aux ambassadeurs ordonnez par les trois
estatz », eten remet un exemplaire au chancelier, qui adresse également
un rapport au roi (ms. fr. 2811, 68).
Summarium instructionis dn> Ludovici (Sl'orza) fact.e Ambrosio
Biucardo...» (ms. fr. 2927, fos 94-97; publiée dans Corio, Hisloria di Mi-
lano, p. VII, p. 498 et s. de l'édition, in-4° de Venise, 1554).
136 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
chronologique, à cause de l'élasticité voulue des affirmations,
qui a égaré parfois les meilleurs juges1.
Dans les républiques, les instructions sont arrêtées par
le conseil dirigeant, ou Seigneurie : à Florence, par les Dix :
à Venise également, ou même par le conseil général de tous
les savii*.
Dans les pays d'Etats, nous voyons, en quelques cas excep-
tionnels, les Etats Généraux délibérer eux-mêmes sur les ins-
tructions, etles arrêter: ce qui constitue un empiétement in-
discutable sur les fonctions du pouvoir exécutif3.
Outre l'instruction, on remet parfois un mémoire*, un
1) Exemple : Dans la très savante et très consciencieuse publication : Docu-
ments luxembourgeois à Paris, concernant le gouvernement du duc Louis d'Or-
léans, copiés et rassemblés par M. Albert de Gircourt, mis en ordre et pu-
bliés par le Dr N. van Wervecke (Luxembourg, 1886), le texte des « Ins-
tructions à M. deGaucourt parle duc d'Orléans », publié page 93, et minu-
tieusement étudié, donne à penser qu'on doit le dater de 1442. La date exac-
te ne peut être donnée que par celle de l'hommage que devait prêter et que
prêtale sire de Gaucourt à l'empereur, le 23 juillet 1444 (K. 68, n<> 4).
2) Sanuto, III, 1320.
3) Instructions « commandées et conclûtes » par les trois Etats de tous
les pays de M"e la duchesse de Bourgogne et Brabant, assemblés à Gand,
a du sceu, bon plaisir et consentement de madite damoiselle » (le 28 fé-
vrier 1476, a. st. Gachard, Analectes, ccclxxv). Instruction aux ambas-
sadeurs envoyés de Bretagne en Bourgogne, le 14 décembre 1408; datée,
donnée en assemblée générale des Etats de Bretagne; en français (Mém. de
Bret., 11,815).
4) « Mémoire pour faire l'instruction de ceulx qui vont à Jennes. Premiè-
rement, qu'ilz soient bien informez comment... » etc. : mémoire, en fran-
çais, contenant l'historique de la question, par articles (1398. Archives
du Loiret, A. 2193). Instruction de Maximilien à ses envoyés près de
Louis XII, nov. 1509, en latin, très développée et très importante ; mé-
moire étendu sur les actes à arrêter en commun pour la campagne contre
Venise. Elle débute: « Maximilianus, divina favente clementia, electus
Romanorum imperator semper augustus. — Instructio de hiis que agere
et tractare debent nostro nomine... » Elle s'achève par l'ordre de la com-
muniquer au cardinal d'Amboise. Il y est ajouté, en appendice, des articles
vLe Glay, Négociations, I, 277-291).
INSTRUCTIONS 137
mémorial ' ou mémorandum \ ou une simple note * à l'ambas-
sadeur sur l'affaire spéciale qu'il devra traiter. Ce mémoire
forme, en quelque sorte, un chapitre détaché de l'instruction \
Nous avons précédemment cité l'exemple d'une princesse,
faisant fonctions d'agent officieux, qui, par décorum, ne re-
çoit pas d'instruction, mais simplement un «Memoriàle »*.
On peut aussi leur remettre, sous forme d'Articles, le pre-
mier projet de traité, qu'on appelle « le premier traité ». Ce
document, dont nous parlerons plus loin, a pour but de fixer
la discussion. Il est toujours excessif, afin de faciliter les tran-
sactions. S'il n'est pas destiné à être montré, un signe quelcon-
que ou une glose peut indiquer les points sur lesquels on cé-
dera en première ou dernière ligne 6.
Observons enfin que les instructions présentent un carac-
tère essentiellement temporaire et peuvent toujours être
1) J. 915 A, n° 11. « C'est le mémorial as messagiers qui iront en Espai-
gne » (Instruction ancienne, sur rouleau de parchemin).
2) L'instruction florentine à Machiavel, en 1511 (Saige, Documents,
II, 106) forme un simple mémorandum (en italien) : « Li effetti délia con-
ventione che si ha a fare con Luciano Grimaldi, signore di Monaco, son
questi, cioè... » etc.
3) Pièces publ. par Reumont, Délia diplomazia italiana, p. 140 : « Nota
data ambaxiatoribus de agendis in... » : p. 142, « Brève ricordo ed informa-
zione » : p. 154, « Ricordo » (ou instruction secrète) : p. 144, « Jstruzione
data... Nota e informazionea te... »
4) Une instruction de 1505 est même intitulée: « Mémoire et instruc-
tion à vous. .. pour moy, Lucian de Grimault, seigneur de Monigue, en
court de. . . » (Saige, Documents, II, 36 et 41).
5) Parfois ce mémoire se confond avec l'instruction. V. Instruction de
l'archiduc, en français : « Mémoire à.., de ce qu'il exposera et remonstrera
à monsr le Roy très chrestien de nostre part » ; sous forme narrative, sans
Items (1512. Le Glay, Négociations, I, 516).. Instruction milanaise, du 10
février 1470, à Alex. Spinola, envoyé en France, signée de Cicco Simo-
netta; mémoire très étendu sur les questions à traiter, en italien (Chmel, No-
tizenblatt, 1856).
6) Articles demandés parle roi d'Angleterre au roi de France (1308.
Ms. fr. 4054, f«S).
{38 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
modifiées. Ilapu arriver, d'abord, que, dans un moment d'ur-
gence, louait fait partir un ambassadeur sans ses instruc-
tions définitives, quitte à les lui expédier par la suite. Ainsi
les Seize de Bologne font partir, le 15 septembre 1502, Vin-
cent Budriolo qu'ils envoient à Louis XII ; l'instruction
est rédigée seulement le 17 et expédiée le même jour. La
Seigneurie avait voulu attendre l'arrivée d'un ambassadeur
français Claude de Seyssel, dont le roi avait refusé d'indiquer
d'avance la mission : les instructions consistent donc dans
le récit, point par point, d'une longue et importante confé-
rence, où l'on a juridiquement discuté avec Seyssel la situa-
tion de Bologne à l'égard du pape: les objections de Seys-
sel, les réponses de la Seigneurie sont reproduites pour
servir d'enseignement à l'ambassadeur, qui aura à traiter
la même question ; jusque-là, l'agent ignorait évidemment
le but précis de sa mission \ Dans le cours d'une négocia-
tion, des objections ou des événements se produisent qui
peuvent donner lieu à une nouvelle instruction3.
1) Archives de Bologne.
2) Ce genre d'instruction ne diffère guère des dépêches par la forme.
V. la lettre du duc de Savoie à ses ambassadeurs pour Chypre, du 27 mai
1432 (comte de Mas Latrie, Hist. de Chypre, III, 805). Instruction du 9
juillet 1498 du sénat de Venise au secrétaire en mission à Gênes, portant
que, le 28 juin, Gênes a envoyé une note sur les affaires de Pise, en deman-
dant : 1" Qu'on rétablisse la paix entre Pise et Florence: 2° Que Venise re-
tire ses troupes qui défendent Pise; 3° Que les puissances de la ligue se por-
tent garantes de Pise, par des troupes ou par de l'argent. En général, dit
l'instruction, nous avons toujours soutenu l'indépendance de Pise. Le 1°
répond à notre désir, mais le 2° serait livrer Gênes sans défense ; et il dé-
pend du 1°. L'important est d'arriver à un arrangement qui garantisse
efficacement la liberté de Pise; nous y souscrirons très volontiers, car nous
désirons sa liberté, non son occupation. On pourra alors s'arranger pour
les troupes. Quant au 3°, on devine ce que serait une occupation mixte de
Pise. Quant à un paiement de troupes en commun, nous ne refusons
pas, car nous ne voulons que la liberté de Pise (Arch. de Venise, Secreto
37). Nouvelle instruction par lettre des X de Florence à Guichardin, du 24
INSTRrr.TlONS 139
Ce qui est tout à fait irrégulier, c'est le fait relaté dans
une dépêche des nonces envoyés en France par Alexandre VI.
en 1498. Ces nonces, munis d'instructions régulières, sont
solennellement reçus à Crémone par Ludovic Sforza, duc de
Milan. Ludovic leur remet un bref daté dul4juin (on était le
24 . qui les charge de prendre en main à la cour de France la
défense de ses propres intérêts \
Outre leurs instructions générales, les ambassadeurs floren-
tins reçoivent toujours l'ordre de recueillir du résident
ou de leurs prédécesseurs, en arrivant à. la cour, un com-
plément d'instructions verbales sur les détails pratiques
de conduite. Nous pouvons apprécier ces instructions ver-
bales par l'une d'elles, que les circonstances obligèrent
d'écrire ; celle que, en 1500, François délia Casa et Machia-
vel, envoyés à la cour de France, reçurent de leurs prédéces-
seurs, ou plutôt d'un de leurs prédécesseurs, Laurent Lenzi,
car l'autre ambassadeur, Gualterofti, était déjà parti. C'est une
instruction pratique, fort développée, donnée sous la forme
de « conseils et renseignements », dans laquelle l'auteur exa-
mine les affaires pendantes, indique les personnes sur les-
quelles on peut compter, celles qu'il faut voir, et donne di-
verses indications de conduite.
Enfin, au cours de l'ambassade, les instructions primitives
sont tenues à jour ou modifiées par la correspondance, au be-
soin par de nouvelles notes en forme d'instruction3. En sep-
tembre 1503, la Seigneurie de Venise envoie à son ambassa-
sept. 1512, d'après les circonstances nouvelles (Guicciardini, Opère inédite,
VI, p. Ht).
t) Dépêche de Crémone, 25 juin' 1498 ; àla Bibl. Marciana, à Venise, cod.
cukxvii (Ejj/sMa? lllustr. virorum, cl. X), i'o40.
2i Instructions vénitiennes au secrétaire chargé d'affaires à Gênes, 9 juil-
let 1498 ; à l'ambassadeur en Angleterre, 14 septembre 1509 (Arch. de
Venise, Secreto 37 et 4^).
140 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
deur à Rome une lettre à présenter au collège des cardi-
naux sur l'élection du nouveau pape. Dans cette lettre, en
latin, de forme solennelle, elle déclare s'en référer au Saint
Esprit, n'appuyer personne et désirer seulement un pape
saint et utile. Une instruction confidentielle y est jointe,
où la Seigneurie déclare à son ambassadeur que le candidat
le plus digne lui parait être le cardinal de Naples, lequel a
dû se reconnaître dans le portrait tracé par la lettre officiel-
le1. Mais, habituellement, les nouvelles instructions sont por-
tées par une nouvelle ambassade, qui les communique à la
précédente *. Charles VI écrit à son ambassade en Espagne,
composée de l'évêque de Saint Flour, Hermite de la Faye,
Pierre Trousseau et Jean Luce, secrétaire, que, par suite de
« très mauvaises etdéshonnourables » lettres reçues de Pierre
de Lune (Benoit XIII), il envoie en Castille deux conseillers
(non nommés) : il défend absolument jusqu'à leur arrivée et
leurs explications, de parler « des articles ou article » tou-
chant l'église qui sont dans l'instruction \ Charles VIII,
lors des difficiles affaires de Saluées, en réponse aux récla-
mations directes du duc de Savoie, envoie un nouvel ambas-
sadeur, son maître d'hôtel, Antoine de Mortillon, et en pré-
vient par lettre les précédents ambassadeurs, le comte de
Bres'se et Du Bouchage. Mortillon a même l'ordre de « se tirer
par devers nostredit oncle (le comte de Bresse) et monstrer à
lui et à vous son instruction pour y estre changé ouadjousté
1) Sept. 1503 (Villari, DispaccidiA. Giustintan, 11,460 et s.). Cf. 2931,
fo 3. Instruction de François Ier à un agent secret du pape pour faire
nommer Charles V curateur de Jeanne la Folle, et protester contre son
titre de roi d'Espagne.
2) Machiavel apporte à Valori des instructions (dép. de Valori, du 29 jan-
vier 1503-4): Machiavel en porte, en passant à Milan, à Pandolfini (ins-
truction de la quatrième légation en France).
3) J. 915 B. Paris, 24 mai (lettre close).
INSTRUCTIONS 141
ce que à nostredit oncle et à vous semblera convenable et
prouffitable à ladicte matière ». Charles VIII prie Du Bou-
chage d'y réfléchir et d'instruire Mortillon de tout ce qui peut
lui servir en cette matière1. Charles VIII envoya aussi dans
le même but l'archevêque de Narbonne. Sa correspondance
avec Du Bouchage modifie sans cesse ou complète ses instruc-
tions '.
Le style des instructions varie extrêmement (comme le ton
de toute la diplomatie) selon les circonstances, et selon les
personnes avec qui l'on traite. Il admet pourtant certainsprin-
cipes généraux que nous allons essayer de dégager.
Une instruction complète règle : le voyage de l'ambassa-
deur et ses visites officielles sur la route, son entrée, lare-
mise de sa créance, les compliments qu'il formulera, l'objet à
exposer dans son premier discours, les visites à faire. Les
deux premiers articles et le dernier sont facultatifs : il n'en
est pas de même des stipulations relatives à la créance,
aux compliments, au discours; celles-ci forment le noyau de
toute instruction.
L'instruction montrable commence, au moins, par cette
clause de style : « Premièrement, ses lettres présentées et
recommandations accoustumées faictes, luy dira s... » Cette
clause, le plus souvent sèche dans la chancellerie française,
prête, au contraire, dans les chancelleries italiennes, à des va-
riations infinies, qui atteignent, parfois en un très grand style,
à la pompe et à l'exaltation. Cependant, dans l'ancienne di-
plomatie française, quand le roi s'adressait à des « princes de
son sang, » il affectait, par Un étalage de cordialité, de les
1) Laval, 7 mai (ras, (ï. 2923, f>> 9): d'autre part, le roi tient à être averti
de tout ce qui surviendrait (lettre du 10 avril. Fr. 2923, f° 24).
2) Porte!. Fontanieu 146, p. 100, 147-48. Fr. 2922, fo» 49, 27.
3) Lett. de Louis XII, I, 34 . Reg. du ComtiUe Charles VIII, p. 46, etc\
142 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
considérer toujours comme parties de sa couronne '. Dans une
instruction pour un envoi à la cour de Hourgogne, Louis
XI « désire avoir bonne et parfaite amour avec tous les
princes de son sang », et surtout, bien entendu, avec le duc
de Bourgogne 2. Pour le duc de Bretagne, il annoncera une
amitié unique, « comme à son prouchain parent, à celuy qu'il
ayme, veult et désire aymer,à celuy où il a sa singulière con-
fiance et qui, entre les autres princes et seigneurs de son
sang, plus le peut servir3. »
S il s'agit de traiter un mariage, l'instruction insiste sur
le chapitre des compliments : elle recommandera une grande
amabilité, beaucoup de ménagements: on rappellera discrè-
tement qu'on préfère le parti en vue à tous les plus grands:
on tâchera, pour une fille, de fairefixer le douaire et de le re-
cevoir. Le prince auquel on s'adresse est le plus vertueux du
monde: s'il y a quelques difficultés d'Age (la jeune fille, par
exemple, a quinze ans, et le futur cinq), cela ne prouve que
davantage le désir qu'on éprouve*.
Cotte partie des compliments arrêtée, on aborde, par arti-
cles, l'exposé du discours à tenir.
La règle générale, ici, est d'affecter une grande clarté.
C'est pourquoi, même en cas d'obscurité voulue, on mul-
tiplie les alinéas, les Item, on exprime sa pensée dans des
phrases brèves et d'allures précises. C'est une grande faute
diplomatique, de s'écarter de cette règle.
En 1511, Louis XII répond très fermement à l'ambassa-
deur de Jules II qu'il ne veut pas abandonner l'empereur ;
i)Ms. fr. 3884, f 277.
2) ta., fo 276.
3) Instruction àl'évêque de Langres, Crussol, Doriole, Le Boulanger (fr.
38*+, l'o276).
4) Instruction de Louis XI ù Jean d'Arson (iris. fr. 3884, fo 285 et s.).
instructions 143
que « les articles du Traicté de Cambray sont si clers que
riens plus, et ne les fault point gloser... » ; si Jules II veut
négocier, « qu'il ne pense plus avec pratiques de habuser et
destruire les choses de l'empereur, mais... envoyer articles
et choses cleres, et non générales, touttes confuses, com-
me sont ceulx que a apporté de présent ledit ambassadeur '. »
Sous cette réserve générale, nous distinguons plusieurs
espèces d'instructions importantes : l'espèce juridique, où
l'on se représente comme le scrupuleux observateur des
traités outrageusement violés par l'adversaire ; on énumère
scientifiquement les casus belli dont celui-ci s'est rendu cou-
pable ; on peut alléguer un avis du conseil, des informations
prises sérieusement, s ou même se livrer à une véritable dé-
monstration de son droit '. Le désir de la paix est une clause
de style, dans cette espèce peu pacifique *. On peut aussi
toucher avec légèreté à l'argument d'honneur et de bonne
foi. Dans leur instruction à Fantucci, qu'ils envoient à Milan
solliciter pour leur ville le maintien du protectorat de la
France, les Seize de Bologne consacrent aux compliments
les trois quarts de l'acte : dans le dernier quart, ils rappel-
lent les engagements de protection pris par Louis XII :
« Quiconque entreprendrait contre cette protection ne saurait
être vrai ami ni devoto de Sa .Majesté, car ce serait essayer de
Lui faire manquer à l'honneur et à la foi donnée. Ce n'est pas
le Roi très chrétien qui y manquera jamais. Aussi.., etc. 5. »
1) Lett. de Louis XII, III, 8.
2) Instruction de Louis XI, pour la Bretagne (1470. Fr. 3884, f<>280),
et autres.
3) Instruction de Louis XI, après la mort du roi René, sur ses droits au
duché de Bar : à un ambassadeur;! Venise (IV. 10238, f° 12).
4) Lett. de Louis XII, I, 34,
istruction du 15 juillet 1501 (Archives de Bologne, Comune, Liltera-
rum, 1500 ad 1505, c. 89 ro).
144 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
L'espèce solennelle appartient plus particulièrement a la
diplomatie de Venise. Elle comporte d'amples développe-
ments, un beau style, quelque chose de vaste dans les pé-
riodes. Cette solennité s'applique surtout à la partie des
compliments. Elle s'efface dans la partie des affaires *.
L'espèce onctueuse, très diplomatique et très romaine,
apparaît avec succès. Elle comporte l'avis d'employer des
moyens dilatoires. Dans son instruction du 14 mars 1504 à
l'évêque d'Arezzo, nonce en Espagne, Jules II lui-même en-
veloppe un plan très net, très énergique, sous des formes
onctueuses et habiles ; car il s'agissait d'une bien difficile
mission, celle de réconcilier la France et l'Espagne en vue
d'une guerre contre Venise ! Jules II ne se faisait aucune
illusion sur des difficultés, qu'il vainquit, d'ailleurs, à force
de patience, par le travail persévérant de plusieurs années.
Il prescrit donc à son nonce de se satisfaire, pour le moment,
de ce qu'on pourra obtenir, fût-ce une simple déclara-
tion de neutralité à l'égard du S1 Siège. Le nonce ira, en
passant, à Florence, dire des paroles affectueuses, à la cour
de France voir avec beaucoup d'égards le cardinal d'Am-
boise ; il parlera chaudement au roi d'un projet d'alliance ;
il verra la reine en particulier, et fera appel à ses sentiments
de piété : en Espagne, enfin, il tiendra un langage analo-
gue. Là, si on lui parle de la dispense qu'on demande pour le
mariage de la fille du roi avec le fils du roi d'Angleterre, il
répondra simplement, vaguement, qu'il n'a pas d'instruction,
que l'affaire sera traitée avec maturité. Si, par hasard, il réus-
sissait à un accord, il devrait immédiatement revenir2.
Pour l'espèce énergique, la palme revient à Venise. Il y a
1) Instructions vénitiennes aux ambassadeurs près de Louis XII, le 28
sept. 1499, près du pape le 20 juin 1509 (Arch. de Venise).
2) Archives du Vaticau, reg. |3lv, f°» 420 v»-433 r«.
INSTRUCTIONS 145
certainement des instructions énergiques et chaudes dans les
autres diplomaties ; par exemple, l'instruction d'Alexandre VI
au légat envoyé en Hongrie pour prêcher la croisade de
l'>00 : le légat devait jouer un rôle considérahle, voirie roi,
provoquer une réunion des magnats, vérifier lui-même l'or-
ganisation militaire : l'instruction respire donc un souffle tout
belliqueux. Alexandre VI annonce qu'il se mettra lui-même
à la tête de la flotte... « Nous partirons en personne, avec
les cardinaux, quoique bien peu expérimentés des choses de
la guerre, nous qui avons fait profession sacrée, qui sacra
secutl sunius, » chute de phrase très naturelle, mais qui pour-
tant affaiblit l'effet '.. .
Dans certaines instructions de Venise, à l'époque surtout
où ce petit Etat fait face à presque toute l'Europe, lorsqu'il
lutte pour l'existence, éclate une incomparable énergie :
vraie, profonde, simple, maîtresse d'elle-même, clairvoyante;
et en même temps éloquente, fougueuse. « La Hongrie elle-
même nous attaque comme des ennemis du nom chrétien,
nous qui avons versé tant de sang pour lui, et nous n'avons
donné aucun grief aux Hongrois ! Mais, Dieu, nous l'espé-
rons, ne nous abandonnera pas ! Exposez au roi (d'Angle-
terre) la situation : il est notre espérance ; lui seul est en état
de sauver la république chrétienne parmi tant de périls !
Notre alliance maritime, si la paix se rétablit, peut lui être
très utile. Qu'il agisse sur l'empereur ! Qu'il marche contre
la France, sa mortelle ennemie! Quelle plus belle occasion?
les forces françaises sont retenues en Italie, les peuples tyran-
nisés ne demandent qu'à se soulever... s », etc.
Il y a enfin, dans les instructions, une clause qui doit appeler
1) Archives du Vatican.
i) .Nous analysons simplement un fragment de cette belle instruction, du
i4 septembre 1509 (Arch. de Venise, Secreto 42; 60).
10
146 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
l'attention, et que nous appellerons : La clause de confiance.
Elle consiste dans la mention de la confiance spéciale que
l'envoyé inspire au souverain, et dans des conseils géné-
raux de prudence \ Cette clause n'est pas banale, et, pour
le dire en passant, nous ne la rencontrons guère clans les ins-
tructions remises à Machiavel Elle donne de suite à la né-
gociation un caractère pratique : elle suppose des pouvoirs
étendus, elle indique le désir d'une conclusion. Louis XI, en
envoyant des ambassadeurs sonder le duc de Gueldre sur un
projet d'alliance contre la Bourgogne, leur donne une ins-
truction assez large et vague, avec ordre d'agir « en la
meilleur forme et manière qu'ils pourront '. » La clause de
confiance ne supprime pas l'invitation habituelle, d'écrire très
souvent 3. Le contraire de cette clause ressort de la minutie
extrême de certaines instructions, qui veulent tout prévoir, jus-
qu'aux moindres incidents de la route *, ou qui interdisent de
s'aventurer jusqu'à un engagement quelconque5. D'après
1) Instruction de 1480 (h. 3884, fo 311 v»).
2) Instruction à Joaquin de Velours, Sk>" de la Chapelle, Jean de Nyve-
nen, huissier d'armes (l'r. 3884, 1'° 270). A la mort du roi d'AragOD, Charles
VII envoie un ambassadeur au pape et au collège des cardinaux, pour taire
valoir ses droits au royaume de Naples et ceux du roi René, « l'are tutto quel-
loche diricto et rasone vole » (instruction de Charles VII à J. de « Manzi »,
3 sept. 1458. Archivio Slbrzesco). « Il y a beaucoup d'autres sujets très im-
portants à aborder : nous ne vous donnons aucune règle ; votre sagesse
choisira le lieu et le moment,, » porte l'instruction de la Seigneurie de Ve-
nise à ses ambassadeurs près de Jules II, le 20 juin 1509. Clause de con-
fiance, dans l'instruction bolonaise à Mino di Kussi, du 19 décembre 1500
(Archives «le Bologne, Comune, Litterarum, 1500 ad 1505, c. 42 r°).
3) Instruction de Louis XI de 1480 (fr. 3884. fo 315). « Eritis autem
diligentissimi in scribendo et minutissime significando omnia occurrentia de
die in diem » (commission vénitienne, du 10 juillet 1498. aux ambassadeurs
en France).
4) Instruction à Galéas Sforza allant en France pour son mariage (2.
mars 1466. Archivio Sl'orzesco;.
5) Instruction de Charles VIII à Du Bouchage et au général île Langue-
doc. Ne pas s'engager à fond, ne pas laisser « cheoir ladite matière en romp-
INSTRUCTIONS 147
relies ci. L 'ambassadeur doit s'en tenir strictement à la lettre
de L'instruction, et, si on le presse, répondre qu'il n'a pas de
mandat, que l'affaire n est pas mûre, cpie les circonstances et
la volonté même du souverain peuvent changer, et, en der-
nière analyse, annoncer, s" il le faut, l'arrivée d'un autre
ambassadeur : l'ambassadeur, en ce cas, doit déployer sur-
tout de la discrétion, et observer avec sagacité '.
Ce que nous venons d'indiquer nous dispense de nous éten-
dre sur le style des diverses chancelleries, pour les instruc-
tions.
Les instructions françaises sont toujours écrites en français*,
par alinéas courts, en style condensé, comme une sorte de co-
de, présentant les propositions ou les réponses du roi 3 sous
ture » ; demander aux gens du duc de Savoie ce qu'il y a à faire. Le général
reviendra alors àjGrenoble avec le sire du Bouchage, qui y attendra la per-
sonne qu'enverra le roi pour terminer la négociation. Le roi les autorise à
maintenir d'abord le statu quo jusqu'à... (date en blanc) : orig. sur papier,
i -: Charles ; date en toutes lettres (30 novembre 1487. Ms. fr. 2922, l'o 1).
1) Instruction de Fr. Sl'orza à son ambassadeur en France (27 mai 1463.
Arcbivio Sforzesco).
■2) Cf. ci-dessus, pages 69 et suiv.
3) Instruction de Charles VI, publiée par .M. le comte de Circourt,
Le duc Louis d'Orléans, t. II, p. 74. Instruction de Louis XII à son am-
-ade d'obédience, le 4 février (t500), ms. fr. 2930, f° 1, publ.par Thuas-
Diariutn de Burckard, t. II, p. 513. — L'original de ce second texte
sente une particularité assez fréquente : au-dessus de la signature autogra-
phe du roi, la date porte : « Fait à Loches, le IVe jour de février, l'an mil
idllIXX dix neuf. » Les mots Van, etc., sont ajoutés par une écriture
tempérai ne. — Autres instructions : Lettres de Louis XL III, 178, en
1 168, aux envoyés près le duc de Bourbon, en français, par Item, datées d'an
et de jour : fr. 2964, f° 89, fr. 2923, f° 49 (copie ancienne, avec date
fausse : Amiens pour Ancenis) : fr. 10237, fo 115, ms. Dupuy 751, l'o 145 ;
ms. fr. 388i-, l'os 269, s. d., à Joachiu de Velor, et Jean de Nyvenen pour
A loiphe, duc de Gueldre, à propos d'alliance contre la Bourgogne ; fo 270,
1er déc. 1470, à l'évêque de Langres, de Crussol, Pierre Doriole, Jean le Bou-
- ier, pour le duc de Bretagne (sur le traité de Péronne) ; fo 286, s. d.,
an d'Arson, pour le roi de Naples, sur le mariage du dauphin ; F» 292,
1 173, a l'ambassade en Bretagne, à propos de la mort du duc de Guyenne ;
148 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
une forme sententieuse et un peu raide. Quelques instruc-
tions de Louis XI sont rédigées à la mode italienne, c'est-à-
dire qu'elles reproduisent les raisonnements eux-mêmes sous
forme d'un résumé des discours à tenir '.
fo 310, janvier 1479, pour Metz, à propos de ligue contre Maximilien,
etc., etc.
1) Voici l'analyse d'une instruction de cette manière (fr. 10238, fo 5 et
s.): instruction confidentielle de Louis XI à Jean d'Arson, son ambassa-
deur près du roi de Sicile, Ferdinand (en dehors de la commission officiel-
le). Le but est d'empêcher le roi de s'allier au duc de Bourgogne. Louis XI
aime, estime Ferdinand comme un frère ; grand éloge de lui. Louis XI
est mécontent du comte du Maine, qui pratique avec le roi René, quoiqu'il
doive tout au roi ou à son père et n'ait « ung seul pié de terre » qu'il ne leur
doive. Le duc de Bourgogne a offert son appui au roi René contre tous
adversaires, donc contre le roi de Sicile : il a pris alliance avec le feu duc
Nicolas, dit duc de Calabre, fils du roi René, et a voulu lui donner sa fille ;
donc il est ennemi du roi de Sicile. Louis XI oifre, pour prouver son ami-
tié, de céder à Ferdinand tous ses droits éventuels sur le royaume de Si-
cile. Bien plus, il « veult faire descouvrir ung secret, qui jusques cy n'a
point esté descouvert, » c'est que le roi a plus de droit que la maison
d'Anjou. Le frère du roi S1 Louis a reçu ce fief en apanage de l'église, et
« promist à son frère le tenir en apanage. » Or, à défaut d'hoirs mâles,
après la mort de la reine Joannelle, le royaume eût dû revenir à la cou-
ronne, qui, jamais, ne l'a donné à la maison d'Anjou. En outre, Louis XI est
fils de Marie d'Anjou, et a ses droits ; bien plus, le comte du Maine, rece-
vant en partage le comté du Maine, Château du Loir, etc., a cédé ses droits
sur Naples au feu roi par bonne et valable quittance. Louis XI offre donc une
grande concession. Il insiste (question délicate) sur l'affection que lui inspire
Ferdinand, « de ce qu'il est seul filz du bon et vertueux Roy don Allons,
que Dieu absoille, dont les bonnes et louables vertuz sont par succession et
imitacion naturelle descenduz et demourez en lui » (Ferdinand était fils na-
turel).Protestations extrêmes d'affection. Louis XI voudrait lui voir tout
l'Aragon, et la Castille. Le roi de Castille n'est pas légitime, mais fils natu-
rel, parce que le second mariage de son père n'était pas valable. Louis XI
ne demande que le Roussillon et la Cerdagne, il est prêt à aider énergique-
ment Ferdinand : il ne peut abandonner Perpignan sans déshonneur. Louis
XI offre de marier Béatrix, fille de Ferdinand, au dauphin son fils aîné, et
propose d'envoyer une ambassade solennelle. Ferdinand sera libre de
rompre ouvertement ou non avec la Bourgogne, par écrit ou sans écrit.
Louis XI n'a pas de frère d'armes : il serait heureux d'avoir Ferdinand
pour frère d'armes, comme ils seront bientôt frères par le mariage de leurs
enfants. Ii lui offre son ordre ; il ne veut pas croire que Ferdinand accepte
INSTRUCTIONS 149
Les chancelleries d'Angleterre ' et des Pays Bas écrivent
leurs instructions également en français, dans un style analo-
gue à celui de la chancellerie française, même après l'avène-
ment de l'archiduc Philippe le Beau au trône de Castille s.
La chancellerie allemande procède du môme faire, mais en
latin ' : ses instructions sont adressées à l'ambassadeur, ou
aux ambassadeurs, au lieu de la forme de notes à la troisième
personne, cultivée parla chancellerie française \
En Suisse, on a le faire germanique des instructions en
latin, par articles, à la seconde personne, d'un style très net
qui confine à une franchise un peu rude 5.
En Portugal, en Espagne, les instructions sont adressées
aux ambassadeurs, dans la langue nationale 6.Le roi, comme
la Toison d'or de Bourgogne, comme on le dit, d'un simple duc sujet du
roi ! et traitre à son roi ! Il y a un intérêt majeur pour tous les rois à ne pas
aider des sujets rebelles. Le duc de Bourgogne est ligué avec le roi René.
D'ailleurs, futur père d'une reine de France, Ferdinand ne peut accepter.
1) L'instruction d'Henri VII d'Angleterre à son envoyé près de Louis XII,
en 1506, commence par : « Premièrement, après qu'il aura fait les très af-
fectueuses et très cordialles recommandations du Roy à son dit bon frère et
cousin, et fait présentation de ses lettres... » (Lett. de Louis XII, I, 78).
2) « Instruction de par le Roy (Philippe le Beau, roi de Castille) à...,
de ce qu'ils diront au Roy Très Chrestien, après qu'ils luy auront fait ses
très affectueuses recommandations et présenté ses lettres de crédence »
(1505. Lett. de Louis XII, I, 7, 37).
3) 1509. Lett. de Louis XII, I, 180.
4) J. 995. « Proponatur d"°... (sic.) régi Francorum per vos, dne Sco-
lastice, qualiter... (sic.) Romanorum Bex..., etc. »
5) Instruction des Bernois, pour un ambassadeur en France : « In regem
instructio, parte dominorum Bernensium, Reverendo patri... etc., sub uni-
versali et particulari nomine crédita... » « Item dicetis lucidissime quod
domini de Liga incontentissimi sint de predictis... » — « In hiis agite au-
gendo vel minuendo ut libet et res expostulat, ita ut singula mox expedian-
tur. Datum sub sigillo Urbis . Bernensis, XVI novembris LXXV. Exécuta
coram sculteto..., post prandium Veneris, vigilia Martini, LXXV » (B. de
Mand rot, Relations de Charles VII et de Louis XI, avec les cantons suis-
ses, p. 194 et suiv.).
6) Mendes Leal, Corpo Diplomatico Porlugnez, I, 1-5.
450 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
on sait, dans ces deux pays, signe Le Roi, et non pas de
son prénom.
Les instructions vénitiennes affectent la forme de com-
mission; elles s'appellent souvent Commissio, et débutent par
le mot « Committimus tibi »... Elles portent l'intitulation du
doge, et la signature Per Collegiiwi.Ellcs sont écrites en latin1,
et fort minutieuses. Après l'ordre de partir rapidement, elles
tracent l'itinéraire, elles indiquent les visites à faire, le lan-
gage à tenir ; elles détaillent les affaires pendantes et ajoutent
au besoin quelques directions d'ordre général. A ces instruc-
tions, sont jointes telles copies de délibérations du Sénat, tels
dossiers se rapportant aux affaires à traiter, ou même telle
copie des instructions adressées â l'ambassade précédente
ou à une autre ambassade 2. Aucune chancellerie n'est plus
soupçonneuse. Il faut que les agents écrivent sans cesse,
qu'on voie par leurs yeux, qu'on parle par leur bouche.
Les instructions sont adressées à l'agent : « Ser..., oratori
uostro, ad partes... »
Les instructions florentines ne sont relatives qu'à l'arrivée
et aux premières démarches de l'ambassadeur : elles indi-
quent les cours où il faut officiellement s'arrêter en route ;
elles prescrivent de communiquer la commission au pré-
décesseur, de s'entendre avec lui et de prendre auprès de
lui des renseignements : elles donnent la substance du dis-
cours pour l'audience de réception et, s'il y a lieu, les
propositions pour l'audience secrète, elles indiquent les
1) Les commissions officielles. L'instruction est préparée en italien :
« Instructio danda Magnifico dn° Bartholomeo Firmiano, captivo, profîcis-
centi ad Cesaream Majestatem » (5 nov. 1509. Arch. de Venise, Secreto 42,
77 vo).
2) Instruction placée en tête du recueil des Dispacci di Ant. Giustinian,
par M, Villari,
INSTRDCTIONS 151
visites à faire en arrivant. L'ambassadeur ne peut rien
poursuivre au-delà sans en référer ;\ la Seigneurie. Quel-
quefois, lorsque la mission a un objet très principal, l'ins-
truction commence par exposer cet objet avec quelques déve-
loppements. La clause de confiance est rare '. En cas d'ur-
gence, on invite les ambassadeurs à se rendre à leur poste
au plus vite, par le chemin le plus court, ou par le chemin
qu'ils préféreront. Lorsqu'un des ambassadeurs se trouve
dans l'impossibilité physique de se hAter, les instructions
invitent, en cas d'urgence absolue, l'un des ambassadeurs à
se détacher et à aller seul en avant.
Toutes les instructions florentines de l'époque de Louis XII
sont écrites en italien. Elles sont adressées directement à
l'ambassadeur, sous cette forme, plus ou moins adoucie
selon la qualité du personnage : « X.. (ici le seul prénom),
tu iras.. *.» Quand on s'adresse à un simple secrétaire, tel que
Machiavel, la formule est brève : « iNicolas, tu monteras à
chevalet3... », ou bien :« Nicolas, tu partiras en poste... * »
1) Instruction du 20 avril 1500 (Desjardins, II, 31). Commission à Gual-
terotli et Salviati, pourNaples, 1506 (Razzi, Vita di Piero Soderini, p. 187).
La commission du 23 janvier 1511-12 à Guichardin, pour l'Espagne, est
beaucoup plus large, à cause de l'impossibilité de préciser. Cependant, elle
détermine le voyage etc. (Guicciardini, Opère inédite, VI, 3).
2) Instructions, publiées par Desjardins, t. II, p. 15, 24, 31, 43, 51, 56,
63, 72, 79, 85, 90, 248, 297, 522, 578, 608 (de 1498, 1499, 1500, 1501, 1502,
1503, 1505, 1507, 1510, 1512, 1514). Commission florentine de 1423 à Rin.
Albizzi et Al. Bencivenni, envoyés à Venise : « Nota ed inl'ormazione a voi..,
di quello che avete a fare a Venezia e altrove ; fatta e deliberata per... », etc.
— « Andrete a Venezia, e subito... », etc. (Reumont, Diplomazia ita-
liana, 351).
3) Cette formule est employée aussi à Milan. C'est, du reste, la même
que pour les missions administratives ou militaires à l'intérieur. V. Ins-
truction à Bartholomeo da Chalco, envoyé à Plaisance pour une révolte
(Milan, 28 novembre 1466. Arch. Sforzesco).
4) L'instruction à Machiavel, envoyé à Monaco, le 13 mai 1511 (Saige,
Documents, II, 108), est môme sous forme de lettre, avec la formule finale ;
« Bene vale. »
452 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Un prélat seul a les honneurs du Vous. « Vous, Monsi-
gnore, et toi '... »
Presque toutes les instructions florentines prescrivent d'é-
crire souvent.
Les instructions milanaises pour un envoyé spécial, en ita-
lien 5, avec tutoiement, après un préambule qui résume la
question, prescrivent de se mettre en chemin le plus rapide-
ment possible, de voir en arrivant l'ambassadeur résident,
de lui communiquer la commission et d'obtenir par lui l'au-
dience. Elles tracent ensuite le langage à tenir, près du roi et
près de la reine.
Parfois on y ajoute des instructions communes pour les
deux ambassadeurs, le spécial et le résident 3.
Les instructions milanaises excellent dans les démonstra-
tions de dévouement et les compliments : la moindre dé-
monstration d'amitié consiste à offrir, de la part du duc de
Milan, «son état, sa personne, ses biens, tout ce qu'il possède
au monde . *»
1) Desjardins, II, 15, 63.
2) Au XIVe siècle, on emploie souvent le latin et la forme d'articles (ins-
truction de ce genre, Arch. du Loiret, A. 2193).
3) Instruction à Maf. Pirovano (1494. F. Calvi, Bianca-Ma Sforza-
Visconti, p. 74 etsuiv.).
4) Instructions des 26 et 27 août 1460 (Archivio Sforzesco). Instruction
du duc de Milan à son ambassadeur près le roi de France (sans nom), en
1458 : « Tu andaray da la M*a del de Franza e a quella, dopo le débite reve-
rentie et recomandatione... » ; à la fin : « Tandem offerirsegi Noy e nostri
figlioli, e stato, e i'aculta, quali sarano sempre promptissimi a li piaceri,
honori e comodi di quella che sempre como soy devotissimi saremo, in
ogni cosa obsequentissimi, quanto lo honornostro se permettera poter l'are »
(id.). Instruction du duc de Milan à Prospero Camulio, envoyé au dauphin ;
date en latin : « Mediolani, die XXVII augusti MCCCCLX » : titre :
« Instructio Prosperi de Camulio, ituri ad... », texte en italien, par articles :
« Prospero, volimo che te transferisse allô serenm° et excellm0 sre monsi-
gnore Delphino de Vienna, primogenito del christianissimo re de Franza,
etc., et poy la visitacione et commendacione gli faray per nostra parte, gli
INSTRUCTIONS 153
Los instructions bolonaises affectent une forme narrative ' ;
les instructions génoises, au inoins sous le règne de Louis XII,
constituent moins des instructions que de véritables mémoi-
res remis aux envoyés '.
Quant aux instructions pontificales, naturellement rédigées
en latin, ce sont des instructions d'affaires, les plus larges de
toutes. Elles n'ont pas Tétroitesse des instructions françaises,
strictement attachées à la formule exacte des propositions,
ni l'étroitesse plus grande encore des instructions florenti-
nes et vénitiennes qui se bornent à régler minutieusement
les premiers actes de l'ambassade, en attendant une corres-
pondance ultérieure. L'instruction romaine passe en revue
les affaires pendantes et donne sur chacune à l'envoyé une
direction générale. Elle prescrit quelquefois d'écrire 3. La
clause de confiance y est fort rare *. Néanmoins, ce sont
les seules qui laissent au diplomate la possibilité de se mou-
voir librement, et qui le guident, sans prétendre lui dicter
ses paroles. Elles sont quelquefois libellées en commission,
sous forme de bref adressé à l'ambassadeur s.
diray la nostra optima disposicione verso la Excellentia Soa, offerendo lo
stato, persona, facultate et quello habiamo al mondo tanto largamente et con
quella reverentia che se rechiede et che tu say è nostra intencione etc..
Deinde diray che la pratica... » A la fin : « Vogli li capituli et contracte)
sia facto per mano de notaro et possa sottoscripti per man propria de mon-
signore Delphino.etc, et retornalo che saray et facta la relacion ad boca, la
faray ancora sub compendio in scritto, et quella una con questa instructione
et l'altre scripture daray ad Cicho, nostro secretario. » Elle est signée
seulement de Cichus (Cicco Simonetta). (Lettres de Louis XI, I, p. 325 :
autre, p. 341, avec la même signature).
1) Archives de Bologne, Comune, Lilterarum, 1500 ad 1505.
2) Instructions du 3 mars 1500, du 4 mai, du 14 juin 1500, etc., elc.
(Archives de Gènes, Istruzioni e relazioni diplomaliche, filza3).
3) Instructions diverses aux Archives du Vatican, à la Marciana (papiers
de Podocataro), ms. Dupuy 594, f°s 91, 103, 760, 80, etc.
4) Instruction d'Innocent VIII à frère Baldassar (ms. Dupuy 594, f° 103).
5) Commission, contresignée de Podocataro, à l'évêque de Tivoli, du
4 mai 1500 (Archives du Vatican, reg. |3LV, fà 340).
154 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Un trait commun aux instructions italiennes et romaines,
c'est le soin extrême de la forme. Les instructions romaines,
sorties de la plume de connaisseurs en beau langage et en
belles manières, et souvent d'écrivains excellents eux-mêmes,
comme Bibbiena ou Podocataro, trahissent leur origine par
un noble tour, un accent, une largeur, une pureté de langage
toutes classiques. On peut en dire autant des autres chancelle-
ries italiennes, où des écrivains du premier mérite et d'un
goût raffiné savaient revêtir un canevas aride et banal des
grandes formes de la tradition diplomatique. Les dépêches
les plus admirées de Machiavel ne sont pas supérieures à
beaucoup d'autres actes diplomatiques italiens de cette
époque, œuvres d'un art consommé, qui mériteraient aussi
bien de rester classiques pour la diplomatie que les glorieu-
ses œuvres des contemporains pour les autres branches des
arts '.
1) Nous n'avons pas parlé des instructions des chancelleries françaises,
de Bourgogne, de Bretagne, d'Orléans.., qui n'existent plus du temps de
Louis XII. Celles-ci suivent le style français (V. l'instruction du duc d'Or-
léans à M. de Gaucourt, publ. par MM. le comte de Circourt et van
Wervecke, Documents luxembourgeois, p. 93, en français, par articles,
très longue et développée, sans aucune date, signée Charles, sans mention
de secrétaire). Cf. Instruction de Lucien Grimaldi, seigneur de Monaco, à.
son cousin Pierre Grimaldi, publiée par M. Saige, II, 36-38: en français,
signée Monygue (Monaco).
CHAPITRE IX
VOYAGE ET ENTKÉE DES AMBASSADEURS
L'ambassadeur désigné reçoit souvent Tordre de partir im-
médiatement, c'est-à-dire le Lendemain ou même sur l'heure',
lui réalité, il l'ait plus ou moins hâtivement ses préparatifs,
suivant le genre de mission qu'il va remplir. Le président de
Rouen, désigné comme ambassadeur en Angleterre dans une
séance du grand conseil où avaient été convoqués les quatre
présidents de Paris, devait partir le 19 juillet loi 4 ; il part
en réalité le 22*. Si l'ambassadeur n'est pas à la cour, il re-
çoit sa commission, avec ordre de départ, sous forme de let-
tre ou de mandement *
Souvent comme nous l'avons dit4, il profite du départ d'un
ambassadeur de la puissance près de laquelle il se rend pour
I Machiavel reçoit, le 22 octobre 1803, l'ordre de se rendre à Rome pour
quinze jours, il part le 24 ; le 12 janvier 1504, il est envoyé en France, son
Instruction est du 14; il est envoyé à Rome en 1806, son instruction est du
2.') août, sa première dépêche du 28. Le 20 juin 1310, il est envoyé en France :
sa première dépèche est du 1»' juillet (Canestrini, Scriiti inediti di Nie.
Macchiavelli, p. liii-i.v). Les ambassadeurs florentins partent souvent le jour
même. A Florence, leurs noms et prénoms, avec la date de l'élection et celle
du départ, sont inscrits sur un registre spécial (Archives de Florence, Lega-
zioni e comm., reg. 4, f«s l-(i, 31-3(3, liste des ambassadeurs de 1505 à 1512.
Registre in-4° de papier, donné par M. le marquis Ginori).
S) Dépèches de Dandolo, 18, 23 juillet 1514 (Arch. de Venise).
g) Instruction du 22 novembre 1473 (fr. 3884, M 293 et s.).
4) J. Gairdner, Hista régis Henrici seplimi, p. 211, 222. En 1495, l'am-
bassade anglaise pour l'Espagne et le Portugal part avec l'ambassade d'Es-
pagne en Angleterre. Elles vont par mer, sur deux vaisseaux espagnols. Obli-
gées de relâcher à plusieurs reprises sur la côte anglaise, elles sont logées
chez les notables (ibid., p. 158).
156 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
voyager avec lui. A Venise, il part, quand il y a lieu, sur les
galères de la République1.
Certaines instructions, surtout d'apparat, prescrivent à
l'ambassadeur, non seulement de partir de suite, « subito »,
mais de se hâter « ou plutôt de voler2. »
A Florence, les ambassadeurs remplissent les mêmes for-
malités que les commissaires ordinaires de la République ; ils
prêtent serment 3. Ils font constater par notaire le jour et
l'heure de leur départ 4.
A Rome, le départ d'un légat donne lieu à un cérémonial
1)20 mai 1503.Sanuto, V, 36.
2) Instruction vénitienne de 1499, pour un envoi à Milan, près de Louis XII.
3) Ce serment est enregistré, à sa date, dans un registre de chancellerie,
tenu et certitié par un notaire de la Seigneurie, sous ce titre : « Liber amba-
siatorum communis et populli civitatis Florencie. » Les Archives de Florence
possèdent un registre de ce genre pour le xive siècle, sur papier : « Hic est
liber continens in se omnia nomina et pronomina ambasiatorum ellectorum
pro communi Fiorentino ad infrascriptas partes, ut patet in infrascripto libro
mei Guillermi notarii infrascripti... » (Legazioni e comm., reg. 2).
4) Nombre de ces certificats sont réunis dans un recueil factice des Archives
de Florence (Legazioni, reg. 4). Rédigés par un notaire, deux notaires ou un
chancelier, sur une feuille de papier ordinaire (généralement in-quarto), ils
n'ont pas de style rigoureux. Ils débutent habituellement par la formule « Fit
iides per me notarium infrascriptum qualiter die... » Ils constatent que l'am-
bassadeur est sorti « exivit », ou « se presentavit extra portam..., iter captu-
rus. » Le certificat de départ de Carducci, à Florence, le 22 avril 1512, cons-
tate que le départ a lieu « summo marie » (fo 167). Le certificat de sortie de
Pandolfini, à Florence le 23 avril 1505, est rédigé par un notaire impérial
(fo 66). Le certificat du 7 juillet 1512 constate que le même jour où Jean-
Victor Soderini part en ambassade près de l'Empereur, partent aussi son
chancelier et sa suite, « domicelli et familia » (f° 35). Voici un spécimen de
certificat : « Magncus vir Thomas Soderinus, orator florentinus, iturus ad
illustr'"»1»' principcm dnum Herculem Estensem, ducem Ferrarie, egressus est
in suam legationem porta si Galli die XXIII januarii MDI, Me Damiano nota-
rio infrascripto vidente, et testibus ibidem presentibus, Petro Matthei Stozza
et Andréa Daldanze Nerii, spectantibus et cognosccntibus. In cujus rei fidem
hanc rogatus eodem loco et tempore scripsi et annotavi. Datum Florentie, ad
portam S' Galli, die XXIII januarii MCCCGCI. Ego, Damianus Blasii Manthi,
notarius, scripsi » (fo 5).
VOVAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 157
tout spécial. Le Légal s'agenouille, en consistoire, devant le
pape ; à la sortie, tout le sacré collège le reconduit proces-
sionnellenient chez lui : « Fu cosa bella a vedere », écrit un
ambassadeur1, et non sans raison, car, à la cour de Rome, on
excelle dans le cérémonial, on sait relever le prix des choses.
Le jour de son départ ', tous les cardinaux, leurs maisons, les
prélats de la cour font solennellement escorte au légat, soit
de son palais, soit du Vatican, jusqu'à la porte de la ville par
laquelle il sort : le cortège traverse la porte, et au seuil ex-
térieur prend congé de lui in nomme Domini\ tous les car-
dinaux l'embrassent, on chante : In viam pacis 3. Il arrive sou-
vent que le légat s'arrête dans un couvent voisin, d'où il part
véritablement quand il lui convient*. Le légat pour la Hon-
grie, en 1500, rentre même secrètement à Rome, et trois
jours après va voir le pape, à cheval, en cape rouge, avec
une suite de six ou sept personnes, et quitte ensuite la
ville5. Les honneurs ne sont dus qu'à un légat partant pour
une ambassade ; celui qui va gouverner une ville ou
une province, Rologne par exemple, n'y a pas droit6.
Ajoutons de suite qu'à son retour à Rome, le légat est reçu
avec le même cérémonial. Jules II va en personne à l'avance
du cardinal de Giïrck, revenant, en 1504, de la légation d'Al-
1) A propos d'une conduite au jeune cardinal Jean de Médicis, nommé
légat (15 avril 1492. Ro.scoc Vie de Léon X, pièce xxiv).
2) Il n*y a aucune solennité pour les départs de nonces. Cependant, nous
voyons en 1498 les ambassadeurs milanais escorter bénévolement les nonces
envoyés en France, lors de leur départ (dépêcbc des nonces, Sienne, 10 juin
1498 : à la Marciana, à Venise, clxxvii, f° 119).
3) Sanuto, XII, 69.
4) Départ, en 1500, du cardinal de Gùrck, légat en Allemagne; en 1503, du
cardinal légat d'Amboise (Burckard, III, 83 : Sanuto, V, 545), du cardinal
de Salerne, légat en France, en 1500 (Burckard, III, 82, 83, 85, 86. Cf. 117).
5] Burckard, III, 85.
6) Burckard, III, 425.
138 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DÉ MACHIAVEL
lemagne ; tous les cardinaux attendent à la porte de/ Po-
j.olo : Gùrck se rend ;ui Vatican, où il est reçu en consistoire
publie, et admis au baiser des cardinaux ; il prend sa place,
rend compte de sa mission, et est admis à baiser la mule. Il
dépose ensuite ses ornements dans la salle du Papayallo ;
dans ses congratulations avec les cardinaux, les uns et les
autres se dispensent de visites, dispense dont ils ne tiendront
pas compte ; puis le sacré collège le reconduit chez lui1.
L'ambassadeur doit, en principe, suivre les voies les plus
courtes et les plus rapides2, et de préférence les voies de
terre3. Mais, bien entendu, il se conformera avant tout pour
l'itinéraire aux ordres du souverain1. Quelques ambassadeurs
évitent do voyager le dimanche 5.
L'ambassadeur peut et même doit prendre pour sa sûreté
les précautions usitées6.
Les voyages sont souvent pénibles, et nous pourrions citer
bien des exemples d'ambassadeurs arrêtés en route par la
maladie ou par la mort 7. Les longues étapes à cheval sufli-
4) 20, 22 octobre 1504 (Burckard).
2) Martini Laudensis, De legatis, q. 6.
3) A moins de motif spécial : les ambassadeurs de France en Allemagne,
pour gagner du temps, au contraire, et recevoir des instructions du roi, vont
de Vérone passer trois jours à Venise. Ils y sont reçus avec honneur, logés
et défrayés : on leur montre ce qu'on peut montrer (mars 4502. Sanuto, IV,
248). Des ambassadeurs envoyés de Venise à Rome écrivent de Rimini qu'ils
passent par Urbino, parce que la peste est à Pesaro (avril 4505. Sanuto,
IV, loi).
4) Bibl. de l'Institut, ms. Godefroy 255, f° 6.
5) « Le dimanche je ne vois pas voulentiers par pays » (Rapp. de 4469.
Ms. fr. 3884, f°492).
6) S'il se rend en Angleterre, il peut attendre, selon l'usage, à Calais, le
sauf conduit que lui apportera un héraut d'armes anglais (Rapport de Dan-
dolo, 25 mai 4544. Arch. de Venise).
7) L'ambassadeur Contarini, revenant de Conslantinople, est arrêté en route
par la fatigue du "voyage à cheval et par des fièvres intermittentes (4507. Sa-
nuto, VII, 5). Le chef de l'ambassade allemande envoyée à Venise, en 1506,
VOYAGE ET ENTKÉE DES AMBASSADEURS 1 'J9
raient à fatiguer des personnages qui n'en ont pas ou qui n'en
ont plus l'habitude '. Il l'a ut braver les épidémies ', 1rs ri-
gueurs îles saisons. Vv. Morexini, ambassadeur de Venise en
France, écrit de Turin, au mois de janvier 1506, 'ju'il vient
de traverser les Alpes au milieu de bourrasques de pluie et
de neige; plusieurs gens de sa suite oui péri de froid dans
cet affreux passage. 11 donne ces détails, non pour se plain-
dre, dit-il, mais pour avertir les autres ambassadeurs '. En
février 147-3, Panigarola, envoyé milanais prés du due de
Bourgogne, traverse à cheval les Alpes et le Jura, malgré
les rigueurs d'un hiver exceptionnel : après s'être reposé quel-
ques jours à Besançon, il va, au travers d'un pays infesté de
bandes armées, joindre le duc, alors occupé au siège de Neuss/,
et ne le quitte pas de toute la campagne \ Rien de plus cu-
rieux que l'odyssée des ambassadeurs de Louis d'Anjou en
Sardaigne, au mois d'août 1378 : rien n'y manque, ni les ri-
gueursde la tempête, ni la longueur de la traversée, ni les pri-
vations, ni une réception insultante \ Pour aller en Ecosse, les
ambassadeurs peuvent fréter un vaisseau, aux frais du roiG,
mais, pour en revenir, s'ils n'ont pas de vaisseau sous la
main, il faut passer par l'Angleterre, chose délicate "' . En
allant rejoindre l'empereur, on navigue sur le Rhin, on s'in-
reste malade en route (Sanuto. IV, i(H). Sur trois ambassadeurs du voïvode
de Moldavie envoyés à Venise, en 1506, un meurt en route (Sanuto, VI, '291).
I) Il faut faire des traites de huit à dix lieues par jour, et quelquefois, en
Espagne, mal loger dans de petites hôtelleries, avec des hôtesses rébarba-
tives, dit le héraut Machado (Macliado's Journal*, dans (iairdner, Hista régis
Henrici septimi, p. 168), affronter de longues traversées, des tempêtes «à
crier à Dieu et à tous les Sains de Paradis » (id., p. 102).
■2) V. Lettre de Machiavel du .'> août loOO.
3) Sanuto, VI, -28:; .
•i) Gingins la Sarraz, Dépêches... I, xm.
Ms. fr.3884, f° 68 et suiv.
6) Ms.fr. 201177. ff> 223.
7) Ms. fr. 20437, f» 67.
160 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
forme où est la cour et on s'y rend à cheval '. Machiavel, pas-
sant parla Savoie etla Suisse, en décembre 1507, trouve laroute
longue, les chemins affreux, les chevaux médiocres, les intem-
péries rudes et sa bourse légère 2. En novembre 1500, l'ambas-
sadeur vénitien en Espagne arrive à son poste, absolument dé-
couragé. Il a fallu aller jusqu'à Grenade ; il y parvient brisé
de fatigue et de mauvais chemins, apeuré de la perpétuelle
menace des Maures ; faute de gite où s'arrêter sur la route
escarpée de Jaén, il ne peut annoncer son arrivée, il entre
le jour même pour coucher : aussi personne ne vient à son
avance, sauf deux évêques ; peu à peu d'autres seigneurs se
présentent, il les remercie en latin. On lui donne la plus belle
maison de Grenade, mais tristissima, quoique, contrairement
à l'usage, on l'ait tendue de quelques tapisseries 3.
Enfin, quand les ambassadeurs ne traversent pas des pays
amis, ils risquent bien des mésaventures. Les ambassadeurs
turcs pour la France sont mis sous bonne garde, presque
sous clef, à leur passage à Venise, en 1500*. En 1495, les Mi-
lanais apprennent la nouvelle d'un accord entre Florence et
la France par un ambassadeur florentin qu'ils arrêtent sans
façon 5. Trois ambassadeurs allemands arrivent en armes à
Trévise, en 1506 : ce fait produit une véritable sensation ; on
l'excuse en disant qu'ils craignaient les troupes allemandes,
dont la solde est en retard6. Un véritable tumulte populaire
se produit à Amiens en 1514, lors de l'arrivée des ambassa-
deurs anglais : Louis XII se hâte de donner l'ordre secret au
gouverneur de Boulogne d'arrêter leurs courriers, jusqu'à ce
1) K. 70, 42. Rapport du 28 mai 1467.
2) Dép. du 17 janvier 1508.
3)Sanuto, III, 1182.
4) Sanuto, III, 577.
5) Benedetti, Il fatto d'arme, édit. 1863, p. 197.
6) 1506. Sanuto, IV, 404, 405.
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 161
qu'il ait pu arranger l'affaire, afin qu'on n'en sache rien en An-
gleterre. Par contre, dans les pays amis ouneutres, les ambas-
sadeurs d(>s mandes puissances reçoivent beaucoup d'hon-
neurs1. Les ambassadeurs de Louis XI à Rome en 1469 trou-
vent partout des réceptions merveilleuses : au pied des
Alpes, des ambassadeurs de Milan et de Montferrat les atten-
dent, pour solliciter leur visite ; le marquis de Montferrat se
présente à leur avance, avec une grande escorte*... Le duc
de Milan, sous prétexte de chasse, va au-devant de Com-
mines, qui revenait de Venise en 1495, le reçoit au château de
Vigevano, et à son départ le reconduit lui-même pendant une
lieue, « car ils sont ainsi honorables aux ambassadeurs'. »
Ludovic Sforza ordonne de traiter et d'escorter avec d'infinis
égards le sire du Bouchage, envoyé de France en Allema-
gne *. Un commissaire ducal retient à Parme, le 18 juin
1498, les nonces du pape en France, parce que le duc de Mi-
lan veut leur faire une réception solennelle : en effet, après
quatre jours d'attente, ils partent pour Crémone, où le duc,
avec sa cour, les reçoit somptueusement 5 ; déjà à Sienne, ils
avaient trouvé un accueil non moins brillant6. On offre aux
ambassadeurs de passage un gîte et des vivres, on leur assure
des moyens de transport. Le duc de Milan adresse mille ex-
cuses à Commines, ambassadeur de France à Venise en 1495,
l)Dcs grands seigneurs viennent au-devant des ambassadeurs en toutes
circonstances, les escortent et les reconduisent. On leur montre les monu-
ments, les curiosités locales (Rapp. de 144o.Fr. 3884).
2) Rapport de 1469. Fr. 3884.
3) Commines, 1. vin, ch. xix. En 1493, les deux ambassadeurs de Venise
en Espagne passent par Milan, et partent avec deux ambassadeurs milanais.
Le duc de Milan les conduit jusqu'en dehors des portes de la ville (Sanudo,
Spedizione, 375).
4) Milan, 13 nov. 1494 (fr. 2928, f° 3).
5) Dépèche du 25 juin 1498, à la Marciana de Venise, cod. clxxvii, f° 40.
6) Dépêche du 10 juin (ibid., fo 119).
11
162 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
de ce qu'un navire commandé à Pavie pour sa navigation
n'était pas prêt : Commines répond poliment qu'il regrette le
déplaisir du duc1. Les comptes de la ville de Bologne nous
fournissent le menu des dépenses des divers ambassadeurs
en passage et de leurs suites ; c'est ainsi qu'on héberge au
Grand Hôtel de l'Echelle, en novembre liiOO, la suite du car-
dinal-légat de Giirck. Edouard Bullion, simple valet de
chambre de Louis XII, en mission à Naples, est logé, non au
palais2, mais à l'hôtel du Mouton. On loge au même hôtel la
suite d'Etienne de Vesc. Au moment du mariage de Lucrèce
Borgia, la ville de Bologne offre l'hospitalité au cardinal
d'Esté, et à sa suite, qui vont à Rome chercher la fiancée; puis
aux mules portant les bagages ; puis à Ferdinand, à Sigismond
et à Hercule d'Esté, avec leurs suites, se rendant à Rome ; puis
à Lucrèce Borgia, elle-même, avec tout son cortège, quand
elle vient à Fcrrare ; puis à l'ambassadeur florentin, à l'aller
et retour de Ferrare, pour le même mariage 3... C'est à Ve-
nise surtout que s'exerce largement l'hospitalité internatio-
nale : depuis leur entrée sur le territoire, on nourrit les am-
bassadeurs amis '" ; dans la ville, ils trouvent un palais, pré-
paré spécialement dès qu'on sait leur approche ' : des
patriciens désignés par le doge vont leur rendre visite 6. On
les défraie, ou bien on leur offre une somme d'argent7.
1) Kervyn, Lettres et négociations, III, 101.
2) Les ambassadeurs sont logés au palais. De mâme à Ferrare {Diario
Ferrarese, 23 mai 1495, 28 mars 1500, dans Muratori, t. XXIV).
3) Archives de Bologne, Partitorum, années 1501-1502.
4) Les ambassadeurs de France revenant de Hongrie passent à Vegia : le
provéditeur vénitien leur fait remettre des vivres (8 août 1500. Sanuto, III, c.
606).
5) Ambassadeurs d'Espagne allant de Rome en Hongrie (6 oct. 1499. Sa-
nuto, 1,21).
6) Août 1500. Sanuto, III, c. 607.
7) Un ambassadeur de Hongrie, se rendant à Rome avec dix chevaux, arrive
VOYAGE ET KMIIÉE DES AMBASSADEURS 163
Quant aux légats, leur voyage comporte des règles toutes
spéciales, lui dehors même de sa légation, le légat exerce
une juridiction véritable1. Il a Le droit de voyager armé et
d'armer toute sa suite-, lia rang souverain. Il correspond
avec les souverains et chefs d'Etat, en les traitant d' « ami »
et de » frère3. » On le reçoit avec les honneurs royaux. Lors-
que le légat pour la Hongrie passe par Venise en 1500, le
doge l'attend au bas de l'escalier du palais ducal ; la salle du
conseil est tendue de draperies d'or et pleine de monde4.
Naturellement, on défraie largement un légat. Le légat de
Hongrie a soixante dix personnes de suite ; Venise paie toutes
ses dépenses le premier jour; on lui alloue ensuite vingt du-
cats par jour 3, comme moyen indirect de régler les dépenses
d'un tel personnage, qui effrayaient un peu l'économe sei-
gneurie. Le 14 août 1507, un légat arrive à Sienne, avec
cent dix cavaliers, trente à quarante mulets de transport
à Venise. On va au-devant île lui à Margera, le 7 mars 1508 ; on le loge à S1
Georges Majeur, sans lui payer de dépenses, maison lui t'aitun cadeau d'argent.
Il amène une bel le sui te ornée de grands panaches (Sanuto, Vil, 3 44). Le 8, il a une
audience publique, où il est mené par deux patriciens, et réclame une somme
duc à son roi (id.). Le 11, des patriciens l'amènent au conseil ; il reçoit la
réponse, il dit qu'il en écrira à son roi, et part le lendemain (id., 346). Cons-
tantin Arniti, (envoyé du pape en Allemagne) et « nostro gentliilomo »,
voyage incognito, et arrive à Venise : on envoie deux patriciens lui deman-
der s'il veut venir au conseil. Il répond qu'il est trop tard et qu'il ira le len-
demain. En effet, il y va seevete, par l'appartement du doge, parle en termes
chaleureux de Venise et annonce qu'il partira le soir môme. On lui fait
mille grâces. Deux saeij le reconduisent à S1 Georges, où il est descendu,
et on lui offre 300 ducats, afin qu'il parte « bien édifié » (juillet iolO. Sa-
nuto, XI, 820, 822, 828).
1) Bruneau, concl. xxv. Hors de sa légation, le légat exerce « ea que sunt
voluntariae jurisdictionis. »
2i Andre;c Barbatia, De cardinalibus legatis a latere.
3)Sanuto, III, 1622, 1628, 1231.
4) Id., III, 1290. CI. V, H.'), réception du légat venant de Hongrie.
/■/.. III, 1167.
164 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
et quarante gens à pied : on remarque fort qu'il paie partout
sa dépense. Après quelques hésitations, la ville se décide à
le laisser lui-même assurer sa subsistance, et à lui faire un
présent de comestibles comme à tous les ambassadeurs, un
large présent qui coûte deux cents ducats '.
Le légat en voyage marche précédé d'une grande croix
processionnelle, ou au moins de massiers*. Il bénit tout
le long du chemin, avec le signe de la croix. Son premier
acte, partout, sur son passage, avant de se rendre à l'hôtel,
est d'entrer dans l'église principale, escorté de tout le
clergé du pays; il monte au grand autel, donne la béné-
diction papale, et des indulgences jusqu'à concurrence de
quarante jours 8.
Nous ne pouvons mieux faire connaître cette matière spé-
ciale du voyage des légats qu'en résumant brièvement un fort
curieux journal du cardinal de Sainte Praxède*, envoyé
comme légat à l'entrevue de Savone entre Louis XII et le roi
d'Aragon, en 1507 \
Le mercredi 5 mai 1507, en consistoire, le cardinal est élu
1) Ce présent se composait de deux veaux et six moutons tout écorchés,
13 sacs d'avoine, 9 corbeilles de pain, 12 paniers de vin de chacun 12 bou-
teilles, 18 paires de poulets, 18 paires d'oies, 15 paires de pigeons, 14 plats
de poisson, des mûres, des melons, des massepains, 12 paires de torches et
60 livres de bougie (Dép. de Machiavel, 14août 1507).
2) Sanuto III, 1167. V. dans l'édition illustrée du Sexle, donnée à Venise en
1514 par Giunta de Florence, fo lxxxii v°, la vignette représentant la
marche du légat, précédé de deux prélats et de la croix, donnant sa béné-
diction, sa queue portée par un clerc, suivi de deux évoques.
3) Sanuto, III, 1170. Villadiego, De legato, q. 6. J. Collart, Journal de la
paix d'Arras, p. 12.
4) Antoine Pallavicini, évêquede Prencste, cardinal du titre de Ste Praxède,
génois d'origine, protecteur de Savoie en cour de Rome (Paris de Grassis.
Lat. 5164, f» 332, 362).
5) Ce journal, rédigé par le maître des cérémonies attaché à la mission
(Baldassar Nicolaï, de Viterbe), se trouve transcrit dans le registre Pio61,
fo» i|7 y>et suiv., aux Archives du Vatican.
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 165
légat à l'unanimité \ Le 12, Jules II lui donne un maître des
cérémonies, qui reçoit du légat quatre domestiques. Le 17,
en consistoire secret, le cardinal prend à genoux congé
du pape, on chante: Inmampacis. On lui fait cortège pour sa
pseudo-sortie, et il rentre chez lui '. Le lendemain, mardi 18,
après une messe matinale, il monte à cheval avec une foule
d'amis, qui l'escortent jusqu'à S' Paul hors les murs, où l'at-
tendent des galères. L'ambassade s'installe, assez mal, sur
la galère principale, savoir : le légat, ses domestiques, trois
prélats, le maitre des cérémonies et quatre domestiques. Le
mercredi, à l'aube, la galère entre en mer, avec beaucoup de
difficulté, faute d'eau; il faut s'arrêter, décharger les baga-
ges dans des barques...; enfin, on vogue vers midi, on dîne,
puis légat et prélats deviennent la proie d'affreux vomissements,
« usque ad sanguinem inclusive. » A force de rames, on arrive
à souper dans le port de Civita Vecchia, où l'on produit pour
la première fois la croix de légation. Le jeudi, le vendredi, on
avance ainsi péniblement, en touchant terre çà et là pour se
reposer, avec les angoisses du mal de mer, les difficultés d'une
mer houleuse et des nuits sans sommeil. Le samedi 22, veille
de la Pentecôte, les membres de la légation n'en peuvent
plus. Cependant le légat, enrochet et mosette, lacroix en avant,
descend près de Porto Venere, au monastère de Monte-Oliveto ;
il y couche et y passe la fête du lendemain. Nous omettons le
i) Paris de Grassis donne sur ce consistoire des détails assez précis. Le
tribunal de Rote fut brusquement suspendu pour sa tenue. Grassis blâme le
légat d'avoir baisé en public le pied et la main du pape ; suivant lui, cet
hommage eût sufti en audience particulière. Les prélats et le maitre des cé-
rémonies attaché au voyage vinrent au baiser de la mule ; puis tous les car-
dinaux tirent la conduite suivant l'usage et embrassèrent le légat (lat.
5165, lo:{29).
2) « Et non i'uerunt lecti super ipsum versiculi et orationes in consistorio
secreto, sed associatus a collegio viginti cardinalium, ut moris est, usque ad
domum habitationis suae «(Paris de Grassis. Lat. 5165, fo 323).
166 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
minutieux détail de sa réception et des cérémonies. Le soir,
malgré la fête, on repart, on voyage toute la nuit, on ren-
contre une caraque de quatre envoyés génois, qui viennent au-
devant du légat. Les lundi, mardi et mercredi se passent en
débarquements et en cérémonies dans des couvents sur les
bords de la mer. Chaque fois, une foule compacte, précédée
des moines, attend sur la plage et conduit processionnellement
le légat à l'église, où il donne la bénédiction et officie pon-
tificalement. Le jeudi 27 mai, au milieu d'une foule immense,
le légat fait à Gênes une entrée solennelle, réglée par son
maître des cérémonies : il se rend à pied à la cathédrale, parce
que les rues de Gênes ne permettent pas de circuler à che-
val. Il en repart le 2 juin, pour Milan, après avoir passé ces
quelques jours en cérémonies d'apparat, et en processions
avec le gouvernement et les Anciens. Sur sa route, il trouve
partout la population, le clergé et les confréries : des messes,
des saluts, des processions. Il entre dans chaque ville
sous un baldaquin, qui est offert par les citoyens, et qui
reste la propriété de ses palefreniers '. Il séjourne à Milan
du 6 au 14 juin, et part pour Savone avec le même cérémo-
nial. En route, se produisent quelques incidents. Le jeudi 17,
à Felizzano, il officie, sans le savoir, dans une église inter-
dite, ce qui le contrarie beaucoup quand on le lui apprend 3.
Ce même jour, le maître des cérémonies se rend à Asti, près
{) A Tortona, on avait pris pour faire ce baldaquin un devant d'autel :
a Quod parafrenarii contra omne debitum abstuleruut, quia baldacchinum
non débet capi, nisi sit de novo factum per cives. Clcrici non tenentur facere
baldacchinum, sed cives. Clerici honorant papam et legatum processione,
cives baldacchino » (ms. cité, f° 127).
2) Peut-il bénir dans des lieux interdits? se demande Villadiego: oui, pour
la bénédiction non solennelle; pour la bénédiction solennelle, « Sit mmen
Domine benedictum », il y a doute et mieux vaut s'abstenir (De lugato,
q. 6).
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMRASSADEORS 167
de Louis XII, pour préparer l'entrée : on lui répond que le
roi partira dès le lendemain pour Savone attendre le roi d'A-
ragon et qu'on croit bon d'éviter au légat un dérangement...
Le légat continue donc vers Savone ; mais comme il ne con-
vient pas qu'il entre dans cette ville avant le roi, il attend
pendant plus de trois jours dans un château des environs,
domaine du protonotaire Scarampa. Pendant l'entrevue des
deux rois, le légat, discrètement tenu à l'écart des confé-
rences,officie sans se lasser, avec beaucoup de pompe. Enfin,
le 8 juillet, sa mission officielle terminée, très fatigué, très
souffrant, il va passer une semaine dans une villa qui lui ap-
partient, puis dans le palais personnel du pape à Gênes, d'où
il ne sort pas. Après cette retraite bien gagnée, il se rem-
barque le mardi 3 août pour Rome ; le 18, il est solennelle-
ment reçu à la porte del Popolo*; le 24, il va rendre visite à
tous les cardinaux, selcn l'usage. Ajoutons que, le 10 septem-
bre, il meurt de la fièvre prise dans son voyage, et qu'il est
enterré à S1 Pierre '.
L'ambassadeur ordinaire même ne peut guère s'attendre à
voyager incognito. Il devra donc se présenter ouvertement,
avec un train convenable*, en profitantdes relais que son prédé-
cesseur a pu lui ménager sur la route \ Il conservera une
grande discrétion, et il aura soin, bien entendu, de ne parler
1) Paris de Grassis donne au consistoire de réception la date du 11 août.
Vingt cardinaux escortèrent le légat de S'« Marie-du-Peuple au palais. Après
son introduction, les cardinaux l'embrassèrent. Sa maison lui baisa les pieds
et tout le cortège le conduisit jusque chez lui (lat. 5165, f° 351-355).
■1 Paris de Grassis. Lat. 5165, fo» 362-364.
3) 1499. Arrivée à Liège de l'évoque d'Evreux et du sire de « Gymmel »,
avec trente chevaux d'escorte, pour traiter la paix entre le roi des Romains
et le duc de Gueldre [Joli, de Los Chronicon, p. 114).
4) Le nouvel ambassadeur de Venise à Rome s'y rend par Rimini, où son
prédécesseur a laissé ses chevaux (1507. Sanuto, VII, 28).
168 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
de sa mission qu'à bon escient1. Il éprouve la tentation, pour
mieux faire valoir son talent, d'envoyer en route des rapports3 ;
comme il voyage à petites journées, il recueille, en effet, des
renseignements ; mais il fera bien de n'envoyer que ceux
qui ont un caractère officiel 3. Giustinian, ambassadeur
de Venise à Rome, se rend, en mai 1502, à Pesaro, où ses
bagages le rejoignent par eau ; il les fait charger à mu-
lets, et vient coucher à Fano le 26 mai. Le 1er juin, il arrive
à Castelnuovo, à quatre milles de Rome, sans autre incident
que la rencontre d'un ambassadeur de Camerino, qui venait
solliciter sa visite clans cette ville et demander la protection de
Venise : Giustinian a remercié en termes affectueux et il a
transmis à Venise la lettre de créance de cet ambasadeur,
avec un rapport. De Pesaro à Castelnuovo, il a mis ainsi huit
jours et a écrit deux rapports *.
Dès que l'ambassadeur pose le pied sur le territoire du pays
où il est accrédité, son rôle change. Les ambassadeurs français
en Angleterre, avant d'aborder, demandent un sauf conduit ; un
héraut d'armes ou des délégués officiels de la cour viennent
les recevoir au débarquement, pour les conduire près du roi 9,
1) Ms. fr. 2933, f° 70, note sur Philibert Naturel.
2) L'ambassadeur vénitien en Espagne envoie des rapports pendant son
voyage. Près de Barcelone, il écrit à cheval son premier rapport sur l'Es-
pagne (oct. 1500. Sanuto, III, 1030).
3)Villari, Dispacci di A. Giustinian, I, 9 et suiv. En route pour l'Es-
pagne, Guichardin écrit de Plaisance, le 5 février 1511-12 (deux lettres),
d'Avignon le 23 et le 26 (deux lettres), de Narbonne le 29 (Opère inédite,
VI, p. 10, 18) : mais ce sont de simples avis sur son voyage et de menues
nouvelles.
4) Allant en légation près de l'empereur, Machiavel couche quatre fois en
Suisse et envoie à Florence une dissertation sur l'état de la Suisse (Dép. de
Machiavel, du 17 janvier 1507-8). Gabriel Moro, envoyé ambassadeur de Ve-
nise en Espagne, écrit de Savoie des nouvelles fausses et ridicules, qui ex-
citent un immense éclat de rire au conseil des Pregadi, qui en a d'autres
(1506. Sanuto, VI, 376).
5) Pour la réception solennelle de 1445 (ms. fr. 3884), le roi d'Angleterre en-
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 169
de sorte que leur ambassade commence, a proprement par-
ler, à l'instant où ils débarquent sur le solde l'Angleterre '.
Rappelons qu'en France, un légat, avant de pénétrer sur le
territoire, doit envoyer ses bulles : il n'a droit à aucune récep-
tion officielle jusqu'à leur enregistrement V
En Espagne', en Hongrie, le roi envoie volontiers une escorte
importante chercher au loin les ambassades ; nous voyons un
ambassadeur vénitien se morfondre à Agram dans l'attente de
l'escorte annoncée, qui se compose de trente chevaux com-
mandés par un magnat, porteur d'une créance latine régu-
lière*. En France, le roi envoie souvent un chambellan, un
maître d'hôtel..., recevoir plus ou moins loin les ambassa-
des 5. En Allemagne également 6. Lorsque le cardinal d'Am-
voie sur la route des gens chargés de veiller à tout, le héraut Jarretière va jus-
qu'à Calais au-devant des ambassadeurs. Le roi d'Angleterre leur fait dire qu'il
veut les recevoir avec solennité, qu'il convoque les princes et seigneurs. On
presse les apprêts. Ils attendent. Suffolk leur écrit que le roi les recevra le jeudi
à Londres, que tout ira bien, « niais qu'il ne teinst àculx et qu'ils n'eussent
pas la bouche si close comme avoient acoustumé ». Réception très solennelle
à Londres, par une foule de seigneurs, le maire, les échevins, les métiers.
1) L'ambassadeur envoyé par Louis XII en Angleterre ne trouve pas les
orateurs anglais à son débarquement, contrairement à l'usage. Survient un
héraut du roi d'Angleterre, qui déclare inutile d'aller plus loin, parce que
le roi envoie en France deux orateurs pour savoir les communications de
Louis (janvier 1510. Sanuto, IX, 530).
■1 V. tome I, p. 330. Cf. Villadiego, De legnto, q. 6.
S)\.Maehado's Journal, dans Gairdner, llista régis Henrici septimi, p. 169.
L'ambassade de Louis XI en Castille, en 1462, est reçue à la frontière de
Castille et convoyée jusqu'à hc,our(Lett. de Louis XI, II, 378). Avisé de
l'arrivée à Burgos d'une ambassade anglaise, h; roi d'Espagne envoie un haut
fonctionnaire l'y prendre pour la conduire (1508. Machado's Journal, p. 166).
4) Sanuto, X, 268.
5) Jean Thiercelin est charge par Louis XI de voir les ambassadeurs de
Milan à Lyon en 1473 (J. 496) : réception de l'ambassade d'Aragon, en 1473
(fr. 20980, fo 91). Le sire delà Gruthuze écrit au roi, de Paris, 21 mars, que
suivant ses ordres il va au-devant des ambassadeurs d'Angleterre pour les
escorter jusqu'à Orléans (fr. 15541, 132).
6) Rapport de Pévèque de Paris (Bibl. de l'Institut, ms. Godefroy 255, f°6).
170 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
boise se rend, en 1505, à Haguenau,près de l'empereur, trois
capitaines allemands de Trêves l'escortent de Trêves à Hague-
nau avec douze hommesd'armes, « pour laseurté des chemyns,
qui estoient dangereux. » On joignit même à son escorte
« ung nombre de gens de guerre », commandés par le bâtard
de Bisse f.
Ces escortes d'honneur ou de sûreté ont l'indéniable avan-
tage de permettre de surveiller la conduite de l'ambassa-
deur *. L'ambassadeur trouvera, en effet, sur sa route des
particuliers amis de son pays, qui lui offriront l'hospitalité.
Un ambassadeur de Venise, en passant à Barcelone, descend
chez le fils de l'ambassadeur d'Espagne à Venise, magistrat
dans cette ville \ Les rapports de ce genre peuvent exciter de
vives susceptibilités. En 1494, un ambassadeur français, qui
arrive en Toscane, au lieu de descendre dans une auberge
préparée par la Seigneurie, reçoit l'hospitalité dans une villa,
chez Lorenzino et Jean di Pierfrancesco de Médicis. Le chef
du gouvernement, Pierre de Médicis, s'en émeut : les deux jeu-
1) Ms. Clairamb. 46, p. 1053. En 1397, l'ambassade du duc d'Orléans est
escortée de ville en ville, d'Arlon à Luxembourg, àTrèves, à Mayence età
Francfort, par un écuyer local, avec des gens d'armes. Ces gens d'armes re-
fusant toute rétribution, on leur donne de larges pourboires (6 écus par jour
pour la troupe). Avant d'entrer en Allemagne, cliaque ambassadeur prend à
Blouson un truehman, pour les guider, commander les logis, etc., qui est
payé, suivant marché, 12 sous parisis par jour (Circourt et van Wervecke,
Documents luxembourgeois, n° 34).
2) Le maréchal des Querdes écrit au roi, d'Orléans, le 23 mars, pour lui
rendre compte de la réception faite à l'ambassade d'Angleterre, des conver-
sations des ambassadeurs, de leur entrée à Orléans. L'évêque de Winches-
ter se loue, dit-il, du héraut Montjoye. M. de Blorvilliers qui l'escortait « loua
semblablement Jaretière » (fr. 15541, 133). Cf. lettre de Ludovic Sforza au
commissaire de Novare, l'informant qu'un ambassadeur d'Espagne vient
d'arriver à Coni, qu'on ne sait pas par où il passera, et lui ordonnant de
veiller sur lui (8 mai 1495. Archives de Milan, Blilitare, Guerre, 1495,
Congiura di Novara).
3) 1508. Sanuto, VII, 355.
VOYAGE ET ENTRÉE PES AMBASSADEURS 171
nés gens répondent qu'ils ont le droit et le devoir de recevoir
l'ambassadeur, coin nie pensionnaires de la France pour 2.000
écus. Pierre les fait arrêter, et traduire devant les LXX, qui les
condamnent, pour complot avec l'étranger, à la confiscation et à
la prison perpétuelle. Les condamnés persistent dans leur atti-
tude énergique. Cependant, les ambassadeurs français n'a-
vaient pas rebroussé chemin ; dociles aux conseils de Ludovic
Sforza, ils attendaient sur le territoire voisin l'issue de l'inci-
dent. Pierre de Rfédicls comprit la nécessité d'y mettre fin.
Sous prétexte de parenté, il fit donner aux condamnés leur
grAce, moyennant un exil à dix milles de Florence ; il alla les
chercher lui-même à la prison et les amena chez lui. Les am-
bassadeurs français arrivèrent alors '.
Le diplomate doit se présenter avec pompe ', de manière
à se faire discrètement valoir au plus haut prix ; il se mon-
trera accessible, avenant, mais imposant par ses valets et ses
discours. Dans chaque ville où il passe, on le loge aux frais
de la ville, dans un hôtel. On lui présente le vin d'honneur,
des dragées, des fruits confits, de la volaille, des viandes s ;
dans les cas les plus solennels, les corps constitués vont le sa-
luer *. On lui fait les honneurs de la ville, on lui montre les
1) Dclaborde, Expédition de Charles VIII, p. 363-364.
2) Les ambassadeurs de Hongrie, solennellement reçus à Angers en 1489
par ordre du roi, arrivent vêtus de robes d'or, coiffés de drap d'or « comme
femmes » : ils sont précédés de tambourins et de hérauts magnifiquement mon-
té-. Deux cents cavaliers leur t'ont escorte, parmi lesquels lès évoques du
Mans et de Limoges. Les corps constitués d'Angers vont les attendre jusqu'à
Balr'e. et les accueillent par une harangue latine. La ville leur offre un grand
banquet et les loge. La dépense se monta à environ 11!) livres (A. Joubert,
Les passages des ambassadeurs.. . à Angers, dans la Revue d'Histoire Diplo-
matique, 1898).
3) Y. l'intéressant travail de M. Doinel. Réceptions d'ambassadeurs â
Orléans (Revue d'Histoire Diplomatique, 1891, p. 102).
4) Le 3 juillet 1479, une ambassade d'Espagne conduite par l'évêque de
Lombez, est reçue « aux champs » par le corps municipal et les états de
172 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
curiosités, les reliques insignes *. L'évêquede Gûrck, Mathieu
Lang, ambassadeur en France, prend la Loire à Nevers pour
Paris. Elle est fêtée à Saint-Denis par l'évoque de Lombez (Jean de Roye).
Les ambassadeurs de l'Empire sont escortés par les baillis de Gisors et
d'Amiens, qui veillent à leurs réceptions. Le 19 décembre 1500, le Bureau de
ville de Paris décide de les recevoir, selon les ordres du roi, solennellement.
Ils seront festoyés aussi largement que possible, défrayés de tout. Le prévôt
et les échevins iront au devant d'eux, on leur donnera un bon logis, on leur
fera des dons de « torches, ypocras et espices », de « vins et viandes ». Le
20 en effet, on alla les recevoir au delà de N. D. des Champs, avec les
officiers et une foule de bourgeois. On les escorta jusqu'à l'hôtel de l'Ange,
rue de la Huchette, affecté en général à ces logements diplomatiques. On leur
remet les présents. Le lendemain, on retourne leur faire la révérence, et un
docteur en théologie les harangue en latin (Bonnardot, Registre des délibé-
rations du bureau de la ville de Paris, t. I, p. 51-52. Cf. p. 214, p. 67).
L'ambassade solennelle de Venise, en 1498, est reçue à la porte de Paris par
M. de Ligny et 800 chevaux (Rcumont, Diplomazia italiana, 173). C'est sur-
tout eu Espagne qu'on se prodigue pour les ambassades : les grands sei-
gneurs offrent l'hospitalité aux ambassadeurs qui passent; mais jamais une
femme ne dine avec des étrangers (Gairdner, Hist* régis Henrici seplimi,
p. 186). En avant de Burgos, des marchands viennent au-devant d'une am-
bassade anglaise et leur offrent des gites. L'ambassade, ne voulant pas se
séparer, descend chez un d'entre eux. qui donne le gite et le couvert.
(1489. Machado's Journal*, ibid., p. 165) : on lui fait grande chère. La
ville lui offre des vins et des friandises de tout genre (p. 166), le conseil
local vient lui faire la révérence (p. 167) ; au départ, les marchands lui font
escorte (ibid.). En Portugal, on est très démonstratif sur le passage des am-
bassadeurs ; on va au-devant d'eux, on les loge, on leur offre du vin, des
fruits, des confitures, etc. ; on leur donne des divertissements variés, des
danses, des courses, on tire le canon. Grand nombre de personnages vont à
leur avance, à leur arrivée, avec un orchestre et des trompettes (Gairdner,
ouvr. cité, p. 187 et suiv.).
l)V.dans les copies de Gaignières (ms.fr. 20980, f<> 125) un certificat du 1er
juin 1493, de deux chapelains de la Sainte Chapelle, constatant qu'ils ont
ouvert les châsses contenant les reliques de la Passion, en présence de Du
Plessis Bourré et du président des Comptes, qui a remis les clefs : les reliques
ont été apportées par le sire du Bouchage, par ordre du roi, et montrées aux
ambassadeurs de l'empereur, puis remises, en présence de MM. du Bouchage,
d'Orval et de l'évêque de Luçon, qui conduisaient les ambassadeurs, et qui ont
certifié la volonté du roi qu'on leur montrât les reliques. — Ibid., f° 167.
En 1450, Jacq. Juvénal des Ursins, archevêque de Reims, reçoit 100 liv. pour
être venu de Reims à Paris montrer les reliques de la Sainte Chapelle aux
ambassadeurs d'Ecosse.
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 173
se rendre à Tours; en avant de Blois, le duc d'Albanie
vient l'accoster au nom du roi, le fait débarquer et l'ac-
compagne ; à Blois, la reine lui envoie quatre grands lux,
deux foursi ères, des huîtres, un panier de marée, trois barils
de vieux vin, trois flacons de vin nouveau, et du pain de bou-
che, avec tous ses regrets de ne pas le recevoir à Blois; à Am-
boise, le corps municipal attendait sur le quai : Lang coucha à
terre ; la comtesse d'Angoulème, habitante du château, lui
adressa du vin, avec ses excuses de n'avoir pas été prévenue
à temps pour envoyer à son avance. Le lendemain, Lang
alla à Montlouis. Le surlendemain, il entra à Tours, par
eau. Au départ de Montlouis, il reçut les ambassadeurs de
Ferrare et de Mantoue, et, à moitié route, cinq évêques et di-
vers magistrats; un des évêques lui adressa un discours;
dans les faubourgs de Tours, les princes du sang l'attendaient,
pour l'escorter au château des Montils, où le roi lui donne
l'hospitalité. Séance tenante, Lang, en tenue de voyage, fit sa
révérence au roi, qui le reçut très cordialement, sans céré-
monie, et l'engagea à venir le voir privément tant qu'il vou-
drait \
Quand un prince voyage en personne ou fait fonction d'am-
bassadeur, il a naturellement droit aux honneurs des récep-
tions avec plus d'apparat. En 1476, le roi de Portugal re-
çoit à Tours l'hospitalité de la cour ; à Orléans, on lui offre des
danses ; à Paris, les autorités l'attendent officiellement, hors
de la porte S1 Jacques *. Le duc de Milan, dans son instruc-
tion à son fils Galéas pour un voyage en France, prévoit des
réceptions àla mode italienne, oùl'on offre «tous ses biens »;
le duc de Bourbon, lui dit-il, offrira sans doute ses châteaux ;
t) Oct. 1510. Lettres de Louis XII, II, 40-41. Nous reviendrons plus loin
sur le détail des entrées.
2) Jean de Roye : Doinel, toc. cit.
174 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
à Bourges, le gouverneurofîrira la ville ; le duc invite son fils
à décliner courtoisement ces offres, dans les termes qu'il lui
indique : Galéas devra faire fête aux personnes de la cour qui
viendront à son avance et ne pas épargner les protestations
d'affection et d'estime pour les gagner. Un jour avant son arri-
vée près du roi, il mandera l'habile résident milanais Paniga-
rola, il le recevra avec amitié et s'informera, près de lui, des
habitudes du roi, de la conduite à tenir '.
Un ambassadeur arrive achevai ; jamais parla poste2, sauf
dans des circonstances spéciales. Envoyé d'urgence près de
César Borgia en 1502, Machiavel se trouve si mal de l'équit ition
qu'il laisse en route chevaux et domestiques, prend la poste
et se présente en habits de voyage à César, qui lui fait l'ac-
cueil le plus gracieux 3. Un envoyé du pape, arrive à Ve-
nise en s'afeta, et repart de même en 1501 4. Ce sont des ex-
ceptions.
Exception aussi, l'ordre donné par Venise à son agent
Caroldi, en 1509, de traverser le territoire de Ferrare avec
courrier travesti, comme dans les opéras comiques 5.
Il est d'usage que l'ambassadeur s'arrête à quelque dis-
tance avant son entrée dans la ville où siège le gouvernement,
et qu'il envoie, de là, prévenir de son arrivée. L'ambassade
du cardinal d'Amboise à Venise, en 1500, s'arrête à Brescia, le
26 avril, dépêche, le 27, un exprès et arrive le 29 *. Accurse
Mainier dépêche de Ferrare un exprès, tout en continuant sa
1) 2 mars 1466 (Archivio Sforzesco).
2) Dép. de Machiavel, du 25 juillet 1 500.
3!Dép. du 7 octobre 1502.
4) Parti de Rome le 2 mars, il ne se présente pourtant que le 13 (Sanuto.
III, 1549).
o) Instruction du 19 mai 1509 (Arch. de Venise).
6) Boislisle, Etienne de Vesc, p. 190-191.
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 475
route '. En niai 1800, un ambassadeur turc arrive à Venise
sans en avoir demandé congé et sans apparat, à cause des cir-
constances !. Mais, en 1504, Jean Lascaris manque aux conve-
nances en voyageant incognito : le podestat de Vicence ap-
prend sa présence dans un hôtel de la ville, et en avise im-
médiatement Venise où l'on prépare la réception 8.
En France, comme à Rome, l'avis d'arrivée se produit sous
forme de demande d'audience ; s'il y a à la cour un résident
ou un autre ambassadeur delà même nation, c'est à lui que
s'adresse le nouvel ambassadeur pour demander ce qu'il doit
faire. Il reçoit aussitôt un programme arrêté, qui fixe l'heure
de l'entrée *. Parfois, en cas do difficultés, la réponse se fait
attendre, ou même elle peut être négative : Jules II fait dire
à l'évêque de Paris, ambassadeur de France, qu'il le recevra
seulement comme particulier ; dans ces conditions, l'ambas-
sadeur ne continue pas sa route3. Mais, d'ordinaire, on prend
des moyens plus détournés. L'ambassade d'Allemagne en
France, au mois d'octobre 1474, envoie, de Meaux, demander
une audience : le messager attend six jours et revient enfin dire
que le roi l'accorde à ChAteau-Thierry. L'ambassade se rend
dans cette ville, et, après huit nouveaux jours d'attente, deux
émissaires de Louis XI viennent lui demander par écrit l'objet
de sa mission : on leur remet une note volontairement incom-
plète. Le roi renvoie l'audience à son retour à Paris, et ce
n'est encore qu'après une longue attente qu'il reçoit enfin
l'ambassade pendant quelques instants *. Ou bien on t'ait par-
ti Sanuto, III, 222. Cf. Sanuto, V, 947.
2) « Senza licentia » (Sanuta, III, 315>.
3) Nov. 1504. Sanuto, VI, 101.
4) Dispacci di Giustinian , I, 9 et s.
5) Fév. 1511. Sanuto, XII, 88.
6) Kapport, publ. par Chine), Monumenta Habtburgwa, I, 261.
176 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
tir de la cour, comme ambassadeur pour le pays de l'ambas-
sade, un personnage que celle-ci peut supposer son ami ; ce
personnage rencontrera l'ambassade, lui parlera de sa propre
misssion, et embrouillera si bien les choses que l'ambassade
ne saura plus si elle doit avancer ou reculer '.
Rarement, très-rarement, c'est l'ambassadeur qui se fait
attendre 8.
Un roi ne va jamais au devant d'une ambassade, à moins
qu'il n'ait un motif pour la recevoir à la fois solennellement
et honteusement dans une ville de province 3.
Près de la capitale ou de la résidence royale, l'ambassade
s'est donc arrêtée * pour régler une affaire très importante : le
cérémonial de son entrée. La solennité de l'entrée passe pour
essentielle3, car c'est un hommage rendu en même temps à
la puissance qui reçoit et à celle qui envoie 6 ; elle s'appelle
1) Envoi de Dunois en Bretagne, 3 oct. 1484 (lieg. du conseil de
Charles VIII, p. 116).
2) Lettre du duc de Savoie, alarmé de ne pas voir arriver Du Bouchage ;
il lui écrit pour s'en plaindre, pour protester de son dévouement au roi et lui
envoyer son chancelier ; le duc signe : « bien vostrc, Charles » (ms. fr.
2923, f» 32).
3) Réception solennelle d'un ambassadeur turc, à Aversa, par le roi de
Naples, en 1500 (Sanuto, III, 1029).
4) L'ambassade vénitienne à Rome, en 1505, fait halte près de la porte dii
Verger, dans la maison d'un certain Falcone, que le résident vénitien
Giustinian avait fait garnir de tentures et de tapis (Paris de Grassis. Lat.
5164, fo 173).
5) On peut en tirer un parti politique : par exemple, affirmer une ligue
par une entrée collective de tous les ambassadeurs (Proposition de Ludovic
Sforza pour l'entrée à Rome des ambassadeurs de Milan, Naples et Florence,
en 1493). La solennité résulte à Rome, d'après les maîtres des cérémonies, de
leur présence et de l'organisation de l'entrée par leurs soins. En 1505, le
résident florentin à Rome organise à l'ambassadeur florentin une entrée
solennelle ; « cum pompa et sine pompa », dit Paris de Grassis : « cum
pompa », parce qu'il y avait beaucoup de monde, « sine pompa », parce que
nous n'y étions pas (ms. lat. 2164, fo 265 v°).
6) Les honneurs ne sont dus qu'à une ambassade de souverain. On se
demande en 1504, à Rome, s'il convient d'aller au devant des ambassadeurs
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 177
« entrée avec le triomphe ». On y tient de part et d'autre.
L'évêque de Giirck, envoyé impérial près du pape, en
1511, cherche à s'y soustraire : c'est Jules II qui l'exige,
pour hien afficher la réception '. A l'inverse, Ludovic Sforza
veut pour ses ambassadeurs en France des entrées très solen-
nelles, afin de se bien poser en Europe*. Ce cérémonial, de
pure forme , d'ailleurs , ne prouve rien , quant au fond des choses,
et se concilie très bien avec l'accueil le plus froid. Serré de près
à Bologne et dans la situation la plus critique, Jules Ilfaitre-
cevoir des ambassadeurs vénitiens avec le cérémonial habi-
tuel, par sa garde et sa maison, et par les maisons des cardi-
naux : à peine arrivés, les ambassadeurs trouvent une con-
vocation du pape : ils s'y rendent vers huit heures du soir :
Jules II les reçoit durement et les accable de reproches 8.
Un ambassadeur du sophi de Perse, adversaire du sultan,
arrive à Constantinople avec une suite de cent chevaux et re-
çoit les plus grands honneurs ; peu après, il n'échappe que
par la fuite à une émeute de la population *. Le 23 mars
1506, le nonce du pape envoyé à Venise, en mission spéciale,
trouve la réception réglementaire, et il part le 31, emportant
un refus 6. Ainsi la réception n'est qu'une formalité honora-
ble. A Milan, elle était organisée par un introducteur des am-
bassadeurs, dont la domination française respecta l'institu-
tion6 : à Rome, par un des maîtres des cérémonies. En France,
de Rhodes, parce que le grand maître de Rhodes n'est ni roi, ni prince, ni
chef de république, ni seigneur, mais général d'un ordre soumis au pape. On
se décide, d'après les précédents, à envoyer une escorte de second ordre,
sans tambourin ni canon (Paris de Grassis. Lat. 5164, f<" 39, 93).
1) Lettres de Louis XII, II, loi.
2) 1492. Delaborde, Expédition de Charles V1U, p. 239.
3) Oct. 1310. Sanuto, XI, 353.
4) Sept. 1505. Sanuto. VI, 221.
'■>) Sanuto, VI, 318, 323.
6) Jérôme Vincimala, « qui a la charge de toutes les ambassades venaris à
12
178 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
nous ne trouvons que dans le courant du XVIe siècle un intro-
ducteur des ambassadeurs ; l'historien Jacques Gohori, an-
cien secrétaire d*ambassade à Rome, nous apprend lui-même
qu'il était chargé de faire les honneurs de Paris aux ambassa-
deurs étrangers1. Au commencement du XVIe siècle, le roi
désigne un ou plusieurs personnages pour conduire et diriger
chaque ambassade a : quand il y a un résident, c'est lui qui
fait les démarches à la cour.
En matière de cérémonial, on peut poser des règles géné-
rales; mais, au Moyen Age, ces règles ne sont jamais absolues.
« Avant tout, dit le règlement milanais de 1468, il faut avoir
égard aux exigences du moment, à l'importance de l'objet
annoncé de l'ambassade, à la condition des personnes8. » Nous
allons donc voir quel est le cérémonial classique d'une récep-
tion, puis indiquer les principales modifications qu'on peut y
apporter.
Tout d'abord, lejour de l'entrée est fixé par le souverain,
d'accord avec l'ambassadeur. L'entrée d'apparat ne corres-
pond pas nécessairement à l'entrée réelle. L'entrée à Lyon
de Galéas de San Severino, ambassadeur de Milan, était
fixée au 16 avril 1494 ; mais les astrologues milanais dé-
signant le 15 comme un jour de conjonction favorable des
astres, Galéas fit, ce jour là, une première entrée non offi-
cielle, avec quatre hommes seulement, en habit allemand, et
Milan », va en commission et« faict à ses despens plusieurs autres services »,
moyennant une pension annuelle de 200 livres (Cte de lotO, publié dans
notre édition de Jean d'Auton, II, 384).
1) Ms. lat. 5972, fo 21-21 v°.
2) En 1494, Charles VIII envoie Georges Thiercelin, son valet de chambre,
au devant de Galéas de San Severino (lettre du 27 février. Archives de Milan).
En 1493, à Verceil, le maréchal de Gié est chargé avec Higault d'Oreille de
recevoir et festoyer les ambassadeurs vénitiens (Godefroy, Hïst. d» Charles
VHI, p. 227).
3) A>ch° storo lombardo, 1890, p. 150.
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEDRS 179
rendit visite au roi. Le lendemain, il entra avecun apparat sans
exemple. La garde du roi et nombre des plus grands seigneurs
allèrent au devant de lui jusque dans la campagne ; on le
conduisit directement au logis du roi. Le roi mena, lui-
même, Galéas chez la reine, et l'audience secrète eut lieu im-
médiatement après '. Un ambassadeur d'Allemagne entre à
Mantoue ; après cet acte d'apparat, peu soucieux de res-
ter près du marquis, il retourne hors de la ville, à un couvent
de Slc Marie des Grâces, où logeait aussi un ambassadeur de
France ! d salue son collègue en arrivant, et n'a pas d'autres
rapports avec lui !.
Rome est la patrie du cérémonial. C'est incontestablement
là que nous devons chercher le type de la réception correcte
des ambassades ; c'est là qu'on excelle à déployer, quand il
convient, une pompe extraordinaire. La plus belle des récep-
tions diplomatiques sous Alexandre VI eut lieu le 23 décem-
bre 1501, pour l'arrivée du cardinal d'Esté, qui venait cher-
cher Lucrèce Borgia pour la conduire à son nouvel époux.
Tous les cardinaux, toutes les autorités de Rome, le corps di-
plomatique, les personnes de la cour et des chancelleries apos-
toliques y prirent part 8.
Les ambassadeurs entrent ordinairement à Rome par les
jardins du pape 'porta del Yiridario *) ou par la porte del
Popolo. Dans le premier cas, c'est à un petit pont nommé
1) Delabordc, Expédition de Charles VIII. p. 344.
î Mars 1511. Sanuto, XII, 70. L'évoque de Gùrck, ambassadeur d'Alle-
magne, écrit qu'il est entré incognito à Bologne, et qu'il a eu de suite une
audience du pape. Mais, malgré ses instances, le pape a tenu à ce qu'il fit
une entrée solennelle. L'ambassadeur a donc dû sortir de Bologne en
cachette, puis on a été au devant de lui en grand appareil (Lettres de
Louis XII, II, 140).
3) Burckard. III, 174.
'h Appelée quelquefois au.ssi Porta S. Pietro (Sanuto, VI, 160 ; Burckard,
11. o.'iT
180 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
ponticello, dans le second cas, en avant du pont sur le Tibre
(Ponte Milvio, actuellement Ponte Molle)*, à trois ou quatre
milles de Rome, qu'ils trouvent la maison (familia) du pape, et
les maisons de tous les cardinaux, sous la direction du gou-
verneur de Rome, parfois du préfet 2 ; il y a toujours un mai-
tre des cérémonies 3. A cette escorte officielle, se joignent des
ambassadeurs de pays amis, des compatriotes, des amis, des
ennemis, des rivaux *.
L'habitude du corps diplomatique d'aller au devant des
nouveaux arrivants existe dans toutes les capitales et consti-
tue un pur acte de courtoisie. Cependant les amis présen-
tent l'accompagnement comme une marque d'amitié, et chez
des adversaires trop déclarés il pourrait sembler une imperti-
nence ou tout au moins un acte déplacé ; dans ce cas, mieux
vaut s'abstenir. En 1511, Mathieu Lang trouve à son
avance l'ambassadeur de Venise : il lui dit qu'il est étonné de
voir là un ambassadeur ennemi. En 1491, lorsqu'un am-
bassadeur turc fait son entrée à Trajetto, l'ambassadeur
vénitien parait seul, avec la cour deNaples5. En 1500, au
contraire, Venise et les Turcs sont brouillés ; une ambas-
sade vénitienne, entrant à Rude, le 2 avril, passe sous les fe-
nêtres de l'ambassade ottomane, qui naturellement ne se dé-
range pas " (il serait d'ailleurs difficile à un ambassadeur
\) En 1505, à l'entrée des ambassadeurs de France, le cortège traverse, à
tort, le pont. De plus, le torrent avait débordé, en sorte qu'on se tint quelque
temps dans l'eau (Paris de Grassis. Lat. 5164, f» 168).
2) Le sénateur ne va pas au devant des ambassadeurs : cependant, par
ordre du pape, il va en 1505 recevoir les ambassadeurs de France, et il
marche avant eux, ce que critique Paris de Grassis (lat. 5164, f° 168).
3) Burckard, passim, et not. III, 225.
4) L'ambassadeur de France va audevant de l'ambassade d'Angleterre, quoi-
qu'appelé à protester contre elle (Burckard, III, 354).
5) Sanudo, Spedizione, 120.
6) Sanuto, H, 235.
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 181
turc de se manifester dans une cérémonie de ce genre). De
même, aussitôt après l'arrivée à Rome d'un ambassadeur an-
glais en 1509, 1rs ambassadeurs de Venise envoient leur secré-
taire les excuser de ne pas avoir osé aller à son avance à
cause du pape : L'ambassadeur reçoit ce secrétaire fort aima-
blement \ Bref, des scrupules de tact, inspirés parla situation
locale, ou d'autres motifs8, peuvent dissuader de prendre part
au cortège de réception. L'ambassadeur arrivant doit, cepen-
dant, s'attendre à trouver les amis de son pays, ou les am-
bassadeurs des puissances amies. Deux ambassadeurs de
France arrivent à Bude, le 15 mai 1500 : au devant d'eux se
présentent les délégués du roi de Hongrie, avec cinq cents
chevaux, et les ambassadeurs de Venise, qui, tout en causant,
donnent de suite à l'ambassade de France d'importants ren-
seignements \ A Blois, en juin 1504, le nouveau résident
de Venise trouve à son avance x\ccurse Mainier, ancien am-
bassadeur à Venise et ami très dévoué de la Seigneurie *.
Il convient, si l'on ne peut aller au devant d'un ambassa-
deur, de s'en excuser. En février 1495, les ambassadeurs d'Al-
lemagne à Venise trouvent à leur avance l'ambassadeur de
Naples,et la maison du légat, qui était indisposé ; dès leur arri-
vée au logis, ils reçoivent la visite et les excuses des ambassa-
deurs de Milan et de Mantoue, et une nouvelle visite du Napo-
litain. L'ambassadeur de France s'abstient5. L'entrée, assez
bizarre, de Louis de Trans, ambassadeur de France à Rome,
1) 24-25 nov. 1509 (Sanuto, XI, 372).
2) Les ambassadeurs de Bologne et d'Espagne à Rome ne vont pas au de-
vant de l'ambassade de Pologne, le premier, dit-il. parce qu'il n'en a pas reçu
Yintimation, le second à cause de la nouvelle de la mort de sa souveraine
(Paris de Grassis. Lat. 516i, fo 135 v°).
3) Sanuto, III, 356.
4) Sanuto, VI, 37.
o) Sanudo, Spedizione, 218.
182
LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
le 23 août 1500, se signale par un incident tout spécial et as-
sez romanesque : Trans s'arrête à quelque distance de la
porte du Verger, dans un cabaret, et là un cavalier masqué
arrive, l'embrasse sans quitter son masque, et repart ; alors
Trans remonte à cheval et fait son entrée. Les commentaires
aussitôt d'aller leur train ; on supposa, en général, que le per-
sonnage masqué était César Borgia ' .
L'ambassadeur ne doit rien négliger pour produire bon
effet à son entrée ; sa tenue personnelle, son train de maison
seront irréprochables, car la ville et la cour vont en noter les
moindres particularités'. Le 15 avril 1505, Jules II refuse
toute audience, afin d'aller au château S1 Ange voir passer
l'ambassade française d'obédience. Cette ambassade com-
prend un évêque, un chevalier et un docteur (Michel Riz)
qui fera le discours, plus un secrétaire, soit à peine cin-
quante chevaux; il n'y a que onze chariots. Jules II s'en
montre peu satisfait. Le lendemain, il demande à l'ambassa-
deur de Venise quand arrivera l'ambassade vénitienne : ce-
lui-ci, qui comprend l'apologue, se hâte de répondre « qu'elle
va arriver, qu'elle sera très honorable, en rapport avec la
puissance de la République 3 » (cependant, Venise, par es-
prit d'économie, a défendu aux ambassadeurs d'emmener
chacun plus de cinq gentilshommes*), qu'elle sera superbe 5.
1) Burckard, III, 74.
2) Certains ambassadeurs, venant de loin, obtiennent un succès de curio-
sité : lorsqu'arrive le prévôt de Vilna, envoyé de Lithuanie, on s'attend à
des détails pittoresques ; en effet, il était escorté de douze écuyers et de douze
petits enfants, tous en noir et blanc et en longues robes. Le pape lui-même
voulut assister à leur arrivée : mais il y assista incognito, à une fenêtre, der-
rière une jalousie (Burckard, III, 121). Cf. les curieux détails donnés par
Paris de Grassis(ms. lat. 5164, fo 129 v°).
3) Dispacci di Giustinian, III, 48S-487.
4) Sanuto, VI, 140. Les frais de l'ambassade d'obédience étaient à la
charge du gouvernement.
5) Paris de Grassis dépeint son entrée. Deux des ambassadeurs étaient
VOYAGE ET ENTKÉE DES AMBASSADEURS 183
Les ambassades orientales déployent toujours beaucoup de
pompe '. En 1442, on remarque fort à la cour de Bourgogne
les costumes grégeois de l'ambassade de l'empereur chrétien
de (loustantinople ' : à son entrée à Budc en 1500, l'ambas-
sadeur turc amène cent vingt chevaux '. En général, la di-
plomatie française, au contraire, néglige trop le cérémonial.
Roger de Gramont arrive à Home en 1500, avec treize chevaux
seulement \ Le 25 novembre 1504, M. de Gimel, bien qu'es-
corté de dix huit chevaux seulement, entend mieux son entrée
àlnspriiek, près de Maximilien : deux chevaux, caparaçonnés
de velours noir et conduits à la main, portent avec ostentation
divers présents; l'ambassadeur lui-même, en long costume
trainant de velours fourré de zibelines, avec une énorme
chaîne autour du cou, produit bonne impression 5. Ort attache
beaucoup d'importance aux chaînes d'or 6, et aussi au port de
la barbe. Au XVe siècle, on se rase entièrement, et une longue
barbe, indice certain d'une origine exotique, produit mauvais
effet. Sous Louis XII, au contraire, la barbe entière prend
faveur7, et devient la mode nouvelle. Une belle prestance
en habits d'or. Mais une pluie battante empêcha l'ambassade de revêtir les
beaux habits qu'elle avait apportés (ms. lat. 5164, f° P3).
i) L'ambassade de Portugal à Rome, en 1505, veut faire sonner ses trom-
pettes, ce qui est sans précédent; elle en reçoit l'autorisation du pape. Mais
on obtient que ces trompettes sonnent avec ceux du gouverneur d<; la ville et
marchent dans le cortège, non en avant (Paris de Grassis. Lat. 5164, f° 192).
2) Livre des faits de mess. Jacques de Lalaing, ch. vil.
3j Sanuto, III, 235.
4) Burckard, III, 39.
5) Sanuto, VI, H0.
6) Sanuto, passim, not. Y, 511.
7) Cependant le concile d'Hispala, en 1512, défend encore de laisser
croître pendant plus de deux mois sa barbe et ses cheveux en signe de deuil,
pour ne pas ressembler aux Mahométans (Labbe, XIX, 645).
184 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
produit aussi un heureux effet \ Enfin, l'ambassadeur doit
porter un riche costume \
L'ambassadeur d'Allemagne près du pape, à Bologne, en
1511, fait son entrée avec trois cents cavaliers, allemands de
marque ou émigrés de Padoue et de Vicence, tous pompeux,
en habits de soie, avec des chaînes d'or. Les maisons du pape
et des cardinaux, tous les ambassadeurs vont au devant de
lui, ce qui produit un bel ensemble de quinze cents chevaux.
Et pourtant à Bologne, écrit l'ambassadeur, la pompe n'est
guère de mise, « il faut la laisser à l'hôtel 3. »
L'ambassadeur doit aussi s'assurer, avant l'entrée, qu'il
trouvera les honneurs * qui lui sont dûs. L'ambassade solen-
nelle hongroise, de sept ambassadeurs et de quatre cents che-
vaux, venue à Venise en 1504 chercher la nouvelle reine de
Hongrie, trouve une réception superbe : on lui envoie, au
loin, sept barques montées par des gentilshommes vêtus d'é-
carlate, et cinquante barques pour son service. Mais les am-
1) Arrivée d'un nontio des Suisses à Rome ; allemand, bel homme, avec
une chaîne d'or au cou (nov. 1509. Sanulo, IX, 321). Louis XII envoie au
Grand Turc deux hérauts ; le premier est Montjoye, son premier héraut, déjà
âgé, mais homme de bien et portant toute sa barbe (Sanuto, III, 358) : deux
ambassadeurs de Raguse présentent à Venise leurs lettres de créance : ri-
chement vêtus, sans barbe (Sanuto, X, 609).
2) V. toutes les descriptions de Paris de Grassis. Pour son entrée à Rome,
un prélat ambassadeur doit être en rochet et chapeau épiscopal, mais il ne
doit point avoir de capuce (Paris de Grassis. Lat. 5164, f° 129 v<>), ni même
de manteau de cérémonies, bref, rien sur les épaules. Cependant Burckard
tolère le manteau (récit d'une vive discussion sur ce point, lbid., f°» 326
v°, 327).
3) H avril 1541. Sanuto, XII, 127.
4) Les ambassadeurs d'Espagne à Rome pour obédience, en 1507, « ii omnes
satis bene hispano more ordinati et vestiti », refusent l'itinéraire qu'on leur
propose, ils veulent entrer par la porte du Verger, et arrivent en retard. Le
maître des cérémonies donne à l'escorte un état de l'ordre à suivre, mais on
le suit mal : « familiae cruciabantur sub sole », en attendant (Paris de
Grassis. Lat. 5165, fo 311).
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 185
bassadeurs refusent de poursuivre leur entrée, parce qu'on
leur dit que leur logis est prêt à l'hôpital S' Antoine, une
grande construction neuve, encore inutilisée : le mot d'hô-
pital les offusque, ils le considèrent comme injurieux. Ils ne
se décident à poursuivre qu'après bien des négociations,
lorsqu'on leur eût assuré un palais '.
Ces questions préalables réglées, il n'y a plus qu'à procé-
der à l'entrée proprement dite. En bonne règle, on attend
l'ambassadeur à l'endroit indiqué, et c'est un manque d'é-
gards de le laisser arriver le premier. Lui-même doit paraître
strictement à l'heure. Le comte de Caïazzo, à qui on veut
faire à Rome une réception diplomatique, comme lieutenant
du roi de France, le 28 juin 1501, mais qui n'est pas diplo-
mate, arrive un peu en avance, et les gens du pape sont un
peu en retard ; de là un désordre déploré par le maître des
cérémonies; ce dernier, un peu en retard lui-même, reçoit
Caïazzo avec quelques maisons de cardinaux et les ambassa-
deurs anglais, vénitiens, florentins ; mais il lui faut, chose
fâcheuse, remanier le cortège2. L'ambassadeur est quelquefois
arrivé la veille et ne se montre qu'à l'heure dite3 ; c'est
même le procédé le plus correct pour ne pas faire attendre
l'escorte. A Rome, dès que l'ambassadeur parait, toutle monde
descend de cheval ou de mule, pour le saluer; il répond aux
souhaits et offres de service du gouverneur de Rome, aux
compliments de la maison du pape. S'il est persona grata,
1) Juillet 150-2. Sanuto, IV, 283.
2)Burckard, III, 148.
3) L"entrée a lieu le matin, parfois de fort bonne heure. Lorsque deux am-
bassadeurs vénitiens viennent saluer Jules II à Bologne, le pape ordonne de
leur faire une entrée comme pour les ambassadeurs d'obédience. Ils entrent
vers la nuit tombante, ce dont les prélats envoyés à leur avance s'étonnent ;
les ambassadeurs s'excusent, en disant qu'ils ignoraient qu'on voulût venir
au devant d'eux (Frati, Le due spedizioni militari di Giulio II, 199).
186 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
le maître des cérémonies s'empresse jusqu'à lui fournir des
réponses toutes faites '. Les ambassadeurs étrangers le saluent
de même. Le 23 août 1500, les ambassadeurs d'Espagne et de
Naples, hostiles à la France, viennent au devant du nouvel
ambassadeur de France, Louis de Trans, et lui disent :
« Soyez le bienvenu. » Le maître des cérémonies leur sug-
gère d'ajouter quelques mots moins secs ; ils refusent. Alors
Trans pousse son cheval, en disant : « C'est qu'ils ne veulent
pas de réponse -. »
Le cortège se met en marche, précédé de trois massiers
du pape (avec le héraut, s'il y en a un) 3, et des gens de ser-
vice \ le chef de l'ambassade en tête, ayant à sa droite le
gouverneur (ou le préfet) et à gauche ordinairement un ar-
chevêque5. Le reste suit deux par deux. Le maître des cérémo-
nies a fort à faire d'organiser ce cortège conformément aux
préséances 6. Si l'ambassade comprend plusieurs membres,
chacun de ces membres doit successivement s'accoupler
avec les personnages de l'escorte, ambassadeurs ou prélats,
1) Burckard, 111, 340. Paris de Grassis déclare « avec stupéfaction » que
non seulement il n'a point de réponses à fournir au chef de l'ambassade de
Venise en 1505, mais que celui-ci répond avec un à-propos et un esprit mer-
veilleux (lat. 5164, fol73 vo).
-2) Burckard, III, 74-75.
3) Paris de Grassis. Lat. 5164, fo 168 v<>.
4) A son entrée à Bologne, en 1511, l'ambassade allemande (dirigée par
Mathieu Lang) entre à l'allemande et non à l'italienne, c'est-à-dire sans baga-
ges, et les gens de service, les famille par derrière au lieu d'être en avant
(Frati, Le due spedizioni militari di Giulio H, 263).
5) En juillet 1505, le duc d'Urbin étant allé au devant d'un ambassadeur
de Venise, le maître des cérémonies met l'orateur entre le duc et le préfet,
au lieu du gouverneur et d'un archevêque (Burckard, III, 396).
6) Paris de Grassis raconte que, pour l'entrée des ambassadeurs de Savoie,
il eut, sur place, trois violentes discussions avec Burckard, premier maître
des cérémonies : la première pour le costume d'un ambassadeur, la seconde
pour le rang d'un autre, la troisième pour le rang à assigner au duc d'Alba-
nie dans l'escorte (lat. 5164, f°s 326 v°-327 v<>).
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 187
suivant l'ordre de préséance !. On pénétre ainsi dans la ville,
au bruit du canon et des trompettes J, et Ton conduit l'ambas-
sadeur jusqu'à son logis, où il met pied à terre devant la porte
et prend congé en adressant à chaque personne un remercie-
ment individuel '. Comme à Rome, les ambassades ne reçoi-
vent ni logement ni défrai, certaines ont un lieu de descente
attitré : les Vénitiens descendent volontiers au palais de Ve-
nise, chez le cardinal vénitien Grimani '. Les autres vont au
logis qu'on leur a retenu : Trans va habiter place des Saints
Apôtres5; l'ambassadeur florentin, en 1501, descend au pa-
lais de l'archevêque de Tarente 6...
Quant aux menus incidents de l'entrée, Giustinian, par
exemple, simple résident de Venise à Rome, et conséquent -
ment reçu de la manière la plus simple et la moins stricte,
nous en a laissé un récit dans sa première dépêche7. Giusti-
1) Les ambassadeurs sont placés dans l'ordre réglé parleurs pouvoirs, re-
produit par l'intimation du pape : le résident passe le dernier. Il peut y
avoir à ce sujet des difficultés (entrée de l'ambassade d'obédience d'Ecosse
en 1504. Paris de Grassis, ms. cité, fo 13).
2) Not. Paris de Grassis. Lat. 5164, fo 168 v°.
3 L'ambassadeur donne une gratification au maître des cérémonies. L'am-
bassadeur d'Ecosse, en 1504, donne 40 ducats (Paris de Grassis. Ms. lat. 1514,
fo 13 vo), l'ambassadeur d'Angleterre, 50 ducats [Mil., f° 19: : ce dernier
donne en outre 20 ducats aux seize huissiers du pape, 20 aux vingt et un mas-
siers, 20 aux trente palefreniers, 25 aux dix neuf courriers, et, en route, des
menus pourboires de 6 et 2 ducats, en tout 145 ducats ; l'ambassade de
France n'en donne que cent : l'ambassade de Pologne moins, elle s'excuse sur
la richesse des présents qu'elle offre au pape: les ambassades de Portugal, de
Venise, donnent comme l'ambassade d'Ecosse (id., fo 19 vo).
4) Burckard, III, 75.
5) Burckard, III, 74-75.
6) Burckard, III, 1 19.
7) Cf. dans Burckard, le récit d'entrées d'orateurs à Rome ; savoir : Fer-
rare, 7 déc. 1503 ; Lucques, 9 déc. 1503 ; Sienne, 9 janvier 1504; Florence,
6 janvier 1804 ; Gènes. 29 février 1504; Savone, 13 mars 1504 : Angleterre,
mai 1504 ; S1 Jean de Jérusalem, 3 octobre 1504 ; Pologne, 28 février (mars)
1505; France, 15 avril 1505; entrée de princes, 4 janv. 1505; Venise, 28
188 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
nian envoie d'abord un agent à son prédécesseur pour tout
régler. LY agent revient, avec ordre du pape d'attendre le
lendemain, pour laisser faire les préparatifs.
Le 2 juin, l'ambassadeur se lève tard et vient tranquille-
ment, à un mille de Rome, jusqu'à un palais (tout est palais),
où son prédécesseur avait fort courtoisement commandé un
diner. Peu après, le prédécesseur arrive, avec une foule de
prélats vénitiens, qui font fête au nouveau venu. On dine en-
semble, et l'on attend que les maisons (famiglie^) de cardi-
naux sortent de la porte de Rome. Dès qu'elles commencent à
déboucher, on monte achevai. A un jet d'arc, on rencontre
une première escouade de prélats, qui se confondent en salu-
tations. Quelques pas plus loin, un évêque, à la tête d'une
maison de cardinal, salue au nom de son maître, et offre à
l'ambassadeur, en l'honneur de son Etat, les biens et la per-
sonne du cardinal (c'est le compliment d'usage) : l'ambassa-
deur répond par un petit discours, puis continue et trouve
d'autres maisons, avec lesquelles il échange les mêmes
discours ; chacune d'elles se range pour laisser passer
l'ambassadeur et grossit l'escorte. Un peu en avant de
la porte, on rencontre l'ambassadeur de Ferrare, un ambas-
sadeur de France. Ce dernier excuse fort son collègue, qu'une
avril 1505 ; Portugal, 1er juin 1505 ; Florence, 25 novembre 1505 ; Savoie, 13
avril 1506 : les obédiences, en 1504, des 18 janvier, 15 janvier, 28 février,
20 mai, 24 juin, 5 juillet, 14 octobre ; des 10 mars, 21 avril, 5 mai,
4 juin 1505.
1) La famiglia d'un cardinal comprend au moins quatre gentilshommes de
cape et d epée, un maître de chambre, un écuyer, un auditeur, un secré-
taire, un théologal, un caudataire, un chapelain, deux valets de chambre, un
barbier-massier, douze estafiers, deux cochers, un postillon, deux valets d'é-
curie, sa mule, deux chevaux de selle, quatre chevaux de prix, et sept che-
vaux pour le carrosse de campagne, d'après un Traité ms. de 1638, dédié au
cardinal de Richelieu (Ms. fr. 17227, f»s 22 et suiv.). Cf. le chapitre De fami-
lia cardinalis, dans Pauli Cortesii, De Cardinalatu, fo lv et suiv.
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 189
indisposition a privé de venir; on échange mille compliments :
L'ambassadeur de France prend le côté de l'ambassadeur de
Venise et marche, en causant avec lui des nouvelles politi-
ques. A la porte, attend la maison du pape : nouveaux com-
pliments et nouveaux discours, Bref, un cortège d'environ
cinq cents personnes à cheval conduit l'ambassadeur jusqu'à
sa maison, où tout le monde prend congé. Là, son prédé-
cesseur lui annonce qu'il a obtenu audience du pape pour le
lendemain '.
Dans toute l'Italie et dans toute l'Europe, on reçoit les am-
bassadeurs, avec moins de pompe et de correction, mais d'une
manière analogue. Des seigneurs de la cour vont à l'avance
du nouveau venu, avec le corps diplomatique*. A Venise,
lorsqu'il s'agit d'une ambassade importante3, dix à vingt pa-
triciens l'attendent à Margera*. Côme de Médicis, envoyé à
Venise, en 1433, comme ambassadeur, écrit qu'il a été reçu
superbement'. A Florence, la population elle-même se porte
en foule au devant des nouveaux venus 6. Mais c'est à Milan
1) Villari, Dispacci..., 1,9 et suiv.
2) L'ambassadeur du pape arrive à Bude, le 12 juillet 1500. Les ambassa-
deurs français, deux envoyés du roi et quelques chevaux vont au devant de
lui (Sanuto, III, 566). L'orateur turc, récemment venu à Bude, y fait son entrée
devant tous les ambassadeurs chrétiens envoyés pour une ligue contre lui
(mai 1500. Sanuto, III, c. 356).
3) Un orateur de Hongrie : on va au devant de lui jusqu'à Margera (23
sept. 1508. Sanuto, Vil, 641)... L'orateur du pape arrive : des gentilshom-
mes vont au devant. Il est logé à S1 Georges (24 mai 1500. Sanuto, III, 341).
4) Actuellement Malghera, dernier point de terre ferme entre Mestre et
Venise.
5) « Corne ambasciadore,... con tanto onore e tanta carità, che non si po-
trcbbe dire,... otferendo la signoria, la città, l'entrata loro. » On le loge, on
le défraie superbement (Rapport, publ. par Roscoë, Vie de Laurent de Mé-
dicis, édition française, I, 373).
6) Rapp. de 1469 (ms. fr. 3884). L'ambassadeur de France arrivant à Flo-
rence en 1478, Laurent de Médicis, une foule de bourgeois, nombre d'ambas-
sadeurs, et tin grand cortège de gens d'armes vont au devant de lui (Ker-
vyn, Lettres et négociations, III, 11).
190 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
qu'on déploie en pareil cas le plus de faste; en 1469, une
grande ambassade de France est reçue par l'archevêque,
quatre évêques, tout le conseil ducal, et six cents chevaux l.
Parfois, on pousse la courtoisie jusqu'à adresser, sur la
route même, un discours latin à l'ambassade arrivante *.
En Orient, l'étiquette est grande, et l'apparat de rigueur3.
Un simple consul de Venise à Alexandrie écrit qu'il a été reçu
avec honneur par les Maures, « honoré et caressé*. » Alvise
Manenti, envoyé vénitien près du sultan, va à Patras, puis à
Andrinople, avec une escorte de hauts fonctionnaires otto-
mans3. A l'arrivée à Constantinople de Gritti, ambassadeur
de Venise, en 1502, le port est encombré d'une foule de cu-
rieux de tous les pays. Gritti, pourtant, était bien connu :
c'était un ancien marchand de Pera. Deux envoyés du Grand
Soigneur l'attendent, avec environ cent chevaux : l'ambassa-
deur douve un cheval de l'écurie du Grand Seigneur à sa dis-
position. Le soir, suivant l'usage, le Grand Seigneur lui en-
voie des comestibles : le grand vizir également6.
En France, les réceptions présentent généralement un ca-
ractère assez simple. Le vénitien Mocenigo est reçu à Blois, en
i)Rapp. de 1469 (ms. fr. 3884).
2) Les de\\\ ambassadeurs de Venise arrivant à Bude le 2 avril 1500, sont
reçus par deux conseillers du roi, 600 chevaux et leur secrétaire, et en grand
honneur. Sur la route, à cheval, on leur adresse un discours latin, et ils y ré-
pondent. Le 5, ils ont audience du roi, puis audience secrète. Ils sont dé-
frayés de leurs dépenses parle roi (mais moins largement que l'ambassadeur
turc). Sanuto, III, 236.
3) En 1512, l'ambassadeur vénitien en Egypte emmène des trompettes
très-richement vêtus, qui l'escortent à la première audience en sonnant (Gh.
Schet'er, Le voyage d'outremer, p. 186).
4) Oct. 1507. Sanuto, VII, 182.
5) Sanuto. III, 179 et suiv.
6) Sanuto. V. 456. Cf. le récit de la réception de l'ambassade de France au
Caire en 1512, par Jean Thenaud, Le voyage d'outremer, puhl. par Ch. Sche-
i'er, p. 42 et suiv., et de l'ambassade de Venise, id., p. 182 et suiv.
VOYAGE ET EN 1UEE DES AMBASSADEURS 191
1505, par l'évèque de Nevers et un certain nombre de gen-
tilshommes '. Fne g-rande ambassade, celle de Maximilien et
de Marguerite (l'Autriche, après le traité de Cambrai, écrit
qu'à son arrivée à Bourges, le 10 mars 1509, vers cinq heures
du soir, elle a trouvé à son avance deux grands seigneurs,
MM. de Foix et le duc d'Albanie, deux évoques, les ambassa-
deurs de Ferrate, de Mantoue, de Florence, qui lui ont fait
escorte jusqu'au logis. A peine arrivé et avant souper, visite
de l'évèque de Paris et du comte de Carpi : après souper,
avis que le roi accorde son audience pour le lendemain
dimanche, à une heure après midi». Le 26 janvier 1504, à
Lyon, on fait au cardinal de la Rovère, neveu de Jules II,
une entrée diplomatique : la garde du roi, le cardinal de
S' Malo et tous les ambassadeurs, sauf celui d'Espagne, vont
au-devant de lui : il s'avance entre le cardinal de S1 Malo et
l'ambassadeur de Venise3. C'est la présence du corps diplo-
matique qui donne surtout du relief à ces entrées \
En Suisse, le cérémonial se réduit à sa plus simple expres-
sion. Un envoyé milanais arrive à Berne : tout se borne aune
visite que l'avoyer de Berne vient lui faire à l'hôtel 5, fort
courtoisement.
Les entrées solennelles plaisent peu aux ambassadeurs
qui en sont l'objet, et encore moins aux figurants. En 1500,
sur seize patriciens désignés à Venise pour se rendre au de-
vant d'une ambassade de France, quatre seulement accom-
plissent cette mission. Les autres sont condamnés, pour le
principe, à une amende de dix ducats, mais en réalité on ad-
1) Sanuto, VI, 262.
2) Lett. de Louis XII, I, 146 et suiv.
3) Sanuto, V, 667.
ii Ppsjftrdips, Négociations, 11. 9g, 117, 139, i'X',.
•> 1475. Gingins la Sarraz, Dép. des amb. milanais, 1, 50.
492 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
met leurs excuses '. Deux ambassadeurs anglais arrivent à
Blois en juillet 1510 : le roi envoie à leur avance, à quatre
lieues, le bailli d'Amiens et le maréchal des logis Darisoles ;
à leur entrée, ils trouvent les frères du duc de Savoie, du duc
de Lorraine, du marquis de Saluées, beaucoup d'évêques et
de grands seigneurs, sauf M. d'Angoulême qui reste chez lui.
Les ambassadeurs du pape, d'Allemagne, d'Aragon, se bor-
nent à leur faire une visite dès leur arrivée, n'ayant pas pu
trouver le temps, disent-ils, de prendre part à la cérémonie :
« Je suis à demi-mort de fatigue, » écrit l'ambassadeur d'Al-
lemagne 2. C'est surtout à Rome, au moment de l'arrivée de
multiples ambassades d'obédience, que ces honneurs devien-
nent tout à fait accablants.
Cependant on voit d'un mauvais œil que l'ambassadeur,
à son arrivée, veuille se soustraire à l'entrée solennelle ; les
diplomates italiens l'affrontent toujours sans difficulté, mais,
pour un motif ou pour un autre, les Français, les Allemands,
laissent voir qu'ils s'en passeraient volontiers : cette réserve
parait une sorte de manque d'égards. Trois ambassadeurs d'Al*=
lemagne arrivent à Venise le 28 août, à deux heures de nuit.
Ils demandent à être reçus en audience le soir même : on leur
répond que c'est contraire aux usages, et leur réception,
fixée au 30, est même remise au 31, sous prétexte de la pluie
et d'une bourrasque 8. M. de Gramont, de mauvaise humeur
parce qu'il a été dévalisé par des brigands, entre à Rome
sans aucune formalité, fie qui produit fort mauvais effet*.
Le 5 juillet 1501, M. de Gimel, ambassadeur de France,
1) Sanuto, III, 191.
2) Lett. de Louis XII, I, 263.
3) Sanuto, VI, 404.
4) Burckard, III, 29. Villari, Dispacei di A. Giustinian, II, 43. Burckard,
III, 127.
Y0YAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 193
vient à Venise, en simple mission ; il arrive en poste et ne
veut pas attendre de patriciens à son avance. Il est pressé, et
repart dix jours après pour Vérone. On se moque doucement
de lui ; on remarque qu'il est petit, qu'il porte sur la tête une
barrette rouge '. L'arrivée sans apparat n'est possible que
si elle s'impose ou si elle s'excuse par des faits majeurs ; et
encore faut-il l'éviter autant que possible.
A sa sortie de Rome, en 1495, Charles VIII est rejoint, sur
la route même de Naples, par des ambassadeurs espagnols,
qui l'abordent séance tenante, et le somment de s'arrêter,
sous peine de guerre sur terre et sur mer, à moins qu'il n'ac-
cepte leur médiation. Charles VIII ne répond qu'à son arrivée
à Velletri, et par une fin de non-recevoir courtoise. Les am-
bassadeurs suivent et insistent, mais sans succès ; ils partent
enfin. Cette démarche, vraiment inconsidérée, excita, nous
dit Paul Jove, les plus vives plaisanteries des Français ' ; elle
ne pouvait servir à rien.
L'incognito, au contraire, s'impose naturellement pour les
missions secrètes*, ou pour l'ambassadeur d'une puissance
non souveraine*.
Dans certains cas difficiles, on s'accorde à supprimer l'en-
trée. Ainsi, à Rome, le 14 janvier 1499, personne ne va au-
devant de l'ambassadeur de Naples, parce qu'on sait le roi de
Naples à la veille de perdre son trône 5 : on n'ose point faire
d'entrée, en 1500, à l'ambassadeur turc, qui cependant se
rend à cheval au Vatican, accompagné de l'ambassadeur vé-
1) Sanuto, IV, 73.
2) Paul Jove. Cf. Sanudo, Spedizione..., p. 205.
3) Not. Sanuto, VI, 276, 626.
4) Jules II fait faire, contre l'usage, une réception aux ambassadeurs de Sa-
vone, 1504 (Sanuto, V, 1031).
o) Burckard, d la date.
13
194 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
nitien1. Le marquis de Mantoue étant prisonnier des Véni-
tiens, un secrétaire de la marquise vient à Venise avec des
lettres de créance de la propre main de la marquise, et se
présente au conseil, sans cérémonial2. Ou Lien, encore, un
ambassadeur arrive mourant \ Ou bien il est personnelle-
ment trop décrié : Landriano, qu'on avait connu à Venise
peu auparavant, proscrit et fugitif, y revient ambassadeur
d'Allemagne, en 1508, à la stupéfaction générale : il entre
incognito *t et repart sans délai. Un ambassadeur de Gênes,
du parti populaire, ancien marchand à Venise, arrive à Ve-
nise en février 1508, sans aucun apparat ; il descend à l'hôtel
et les marchands génois seuls lui font escorte9. A un autre
point de vue, lorsque Venise envoie à Rome six ambassa-
deurs pour se faire relever de l'excommunication de Jules II,
ses envoyés entrent de nuit, en habits fort modestes, sans per-
sonne à leur avance : le pape ne leur accorde audience que
pour leur absolution. Hoir, des cas de ce genre, l'ambassa-
deur doit tenir à la réception réglementaire. Au retour d'une
ambassade à Milan en 1470, l'évèque de Montauban se plaint
à Louis XI de n'avoir trouvé personne à son avance ; les
ambassadeurs de Milan à la cour de France excusent de leur
mieux leur gouvernement r'. On peut, cependant, en cas
de froideur accentuée, diminuer légèrement l'apparat. Ainsi,
en 1500, l'ambassadeur de Venise en Allemagne trouve à son
avance un seul officier, et, quoique Maximilien refuse de le
l)Burckard, III, 16.
2) 1510. Sanuto, X, 138.
3; L'orateur de Ferrare arrive à Venise malade et meurt avant d'avoir au-
dience. Son corps est transporté à Ferrare (2 mai 1505. Satnito, VI, 159). Un
ambassadeur demande en vain à entrer sans cérémonie à cause de sa santé
(l)ép. de Machiavel. !>ti ocl. 1506).
4) Sanuto, VII, 251.
5) Févr. 1507. Sanuto, VI, 542.
6) Kervvn, Lettres et négociations, 111, 77.
VOYAGE ET ENTHÉE DES AMBASSADEURS 195
recevoir, l'officier l'entretient courtoisement, le mène au lo-
gis désigné ; mais le logis est gardé militairement, pour qu'on
ne parle pas à l'ambassadeur1. L'ambassadeur d'Espagne à
Rome en 1498 ne trouve que la seule maison du pape '. Le
procédé le plus correct et le plus diplomatique en cas de ten-
sion consiste à recevoir l'ambassadeur honorablement, avec
les honneurs qui lui sont dus, mais froidement. C'est ce qui
arriva à Philippe de Commines à Venise, en 1495 '.
Les entrées ne sont dues qu'aux ambassades impor-
tantes. Un simple secrétaire envoyé en mission n'y a pas
droit *. En principe, on ne les doit pas à un résident5, ni
même à une ambassade spéciale, dépendant du résident6. Si
l'on appliquait ces règles, le nombre des entrées solennelles
diminuerait beaucoup ; mais ces distinctions sont souvent si
délicates qu'on préfère ne pas s'y attacher strictement. A
Rome, où on pouvait plus qu'ailleurs les appliquer, à cause
du nombre îles ambassades, et de leu» classification naturelle
en ambassades solennelles d'obédience et en menues ambas-
sades d'affaires courantes, comme il s'en présentait constam-
ment, on déclarait bien ne devoir d'entrée qu'aux ambassades
d'obédience7; en fait, on l'accordait à peu près à toutes 8.
1) Sanuto, III, 564.
2) 19 déc. 1498 (Burckard, II, 500).
3) L. vin. eh. xix.
4) Un secrétaire de Venise arrive à Milan, et va, aussitôt descendu à l'hô-
tellerie, porter à l'évoque de Luçon ses lettres de créance : celui-ci le garde
à diner. Ensuite, on parle d'affaires (15 juillet 1500. Sanuto, III, 527). Cf. la
dépêche de Machiavel, racontant son arrivée à la cour de France en 1511,
sans aucune cérémonie .
.. Arrivée du résident vénitien à Blois ("juin 150k Sanuto, VI, 37).
6) Une ambassade spéciale (MM. de Beaucaire et Montoison), envoyée à Ve-
nise pour réclamer tscagne Sforza, doit loger chez le résident. Le résident
va au conseil des \ annoncer son arrivée (Sanuto, III, c. 268).
7) Burckard. Diàriùm, II, 532.
8) Louis de Villeneuve, baron de Trans, -chambellan, ambassadeur de
France, reçu par toute les famiglie, « more consueto oratorum ad prestandam
196 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Vainement, en 1505, Jules II essaya de réagir, et, dans un
moment où l'on était vraiment excédé d'obédiences, il ordonna
de ne plus faire de réception aux ambassades courantes. Sa
volonté ne prévalut pas contre ces usages d'amour-propre '.
Enfin, au contraire, pour certaines ambassades d'un
intérêt exceptionnel, on peut accentuer l'apparat de l'entrée
ordinaire par des démarches exceptionnelles. Pour des am-
bassadeurs d'Allemagne, en 1506, la seigneurie de Venise,
dès qu'on apprend leur arrivée à Trévise, expédie un grand
nombre de patriciens à Margera : à l'audience de créance,
elle les fait escorter par vingt quatre patriciens vêtus d'é-
carlate'. L'ambassade française qui arriva à Bude le 15 mai
fut reçue, dès la frontière de la Hongrie, par quatre magnats
délégués du roi, à la tête de cinq cents cavaliers \
Lorsque l'ambassadeur est un personnage de famille sou-
veraine, on rend, à son entrée, des honneurs plutôt princiers
que diplomatiques. Le grand bâtard de Bourgogne arrivant à
Milan en mars 1475, les fils du duc de Milan et tout le conseil du-
cal, avec une escorte de trompettes et pifferi, vont l'attendre
obedientiam... venientium », quoique ambassadeur ordinaire (Burckard, II,
493).
1) Burckard, III, 396. A l'arrivée d'Accaiuoli, ambassadeur florentin à
Rome, en -1507, les famiglie des cardinaux vont au devant de lui (mais non la
(amiglia du pape), ce que blâme Paris de Grassis. Trois ou quatre famiglie
suffiraient, « ex quo non veniebat pro prœstanda obedientia nec pro aliqua re
ardua, sed simpliciter pfo ordinario » (Paris de Grassis. Lat. 5165, f° 327,
Cf. f° 431). De même, on ne doit pas de réception aux ambassades entrant
à titre privé; cependant, par courtoisie, on fait tirer les bombardes (Paris de
Grassis. Lat. 5164, fo 197).
2) Sanuto, VI, 404. L'ambassade allemande à Venise, en février 1495, est
reçue dans chaque ville par le podestat ou le recteur. Le dimanche de son
arrivée, on remet la séance hebdomadaire du grand conseil : soixante dix
patriciens vont au devant d'elle à Margera. Un docteur lui adresse un dis»
cours de bienvenue, on l'escorte jusqu'à un superbe appartement (Sanudo,
Spedizione, 218).
3) Fraknoï, ouvr . cité.
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 197
à trois milles ; les fils du duc montent sur son bateau, et on
l'escorte jusqu'à sa maison en grand honneur'. Dans une
lettre à son mari Ludovic Sforza, du 27 mai 1493 ', la du-
chesse de Bari raconte sa réception à Venise sur le Bucen-
taure, elle décrit les députations venues au devant d'elle, les
compliments échangés, les coups de canon tirés, la foule des
gondoles pavoisées et remplies de personnes des deux sexes.
Près de S' Clément, le doge l'attendait sous un pavillon d'or,
escorté d'une suite de cent trente demoiselles couvertes de
bijoux. La duchesse leur tend la main à toutes, après les
compliments de bienvenue. Une représentation mythologique
a lieu sur une galère richement ornée ; elle signifiait que la
Paix conserve les Etats : ensuite commence une fête splen-
dide, avec mille gondoles. Le doge fait à la duchesse les
honneurs du grand canal : Isabelle loge au palais ; le doge
la conduit jusqu'à sa chambre, ornée de tapisseries et
d'armoiries de Venise et de Milan, avec de belles tentures
à la Sforzescha. Le soir, trois gentilhommes viennent la sa-
luer au nom de la Seigneurie etlui faire toutes les offres pos-
sibles de service. Quand Jean de Médicis arrive à Rome le
23 mars 1492, tous les cardinaux, et la cour presque entière
l'escortent, sous une grande pluie, de la porte del Popolo au
Vatican 3.
Réglementairement, un souverain ne s'avance jamais en per-
sonne au devant d'un autre souverain, ni par conséquent d'un
ambassadeur. Cependant, dans les petits Etats italiens, il
n'était pas rare de voir le chef de l'Etat participer à la"
réception. Le doge de Venise va sur le Bucentaure,
en 1506, au devant de l'ambassade allemande, à laquelle
i) Gingins la Sarraz, Dép. des ambass. milanais, I, 65.
2) Archivio Sforzesco.
3) Roscoë, Vie de Léon X, pièce xvn.
198 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
il a fait élever cinq arcs de triomphe1; le marquis de
Mantoue se présente au devant d'une ambassade alle-
mande, en 1511, avec bon nombre de chevaux5. A Milan,
c'est la règle que le duc reçoive en personne les ambassades
importantes. Dans une circulaire du 11 février 1466 à ses
agents, François Sforza notifie l'arrivée d'une grande ambas-
sade française, entrée à Milan la veille : il déclare qu'il l'a
reçue hors de la ville, comme c'était son devoir 3. Le règle-
ment de cérémonial milanais de 1468 stipule que le duc de
Milan se rend en personne au devant des envoyés du pape,
de l'empereur et de la France, et au devant des cardinaux,
des électeurs de l'Empire, du marquis de Mantoue : il envoie
ses frères au devant des autres ambassadeurs, sauf excep-
tion *.
Des règles spéciales président à la réception d'un légat, qui
a droit aux mêmes honneurs que le pape. On peut laisser les
magasins ouverts et le travail libre le jour de son entrée,
mais la population doit se porter elle-même au devant de
lui, précédée d'une procession solennelle du clergé, et crier
Vivat6. Le légat envoie d'avance son sénéchal régler ses en-
trées et ses séjours. A Venise, le doge va au devant de lui
sur le Bucentaure, avec le patriarche, le corps diplomatique
et les patriciens6. Le cardinal de S' Pierre aux Liens, légat,
arrive à Paris le lundi 4 septembre 1480. Reçu par tous les
états à la porte S' Jacques, il était accompagné du cardinal de
l)Sanuto, VI, 436.
2) Mars 1511. Sanuto, XII, 6i.
3) Archivio Sforzesco.
4) Archivio storico lombarde*, 1890, p. 148. Cf. le récit de Commines sur
sa réception à Vigevano en 1496.
5) Villadiego, De legato, q. 6. Cf. Compliment en vers latins adressé au
légat du pape en Angleterre (1487), dans BerriAndreae Vita Henrici septimi,
éd. by Gairdner, p. 54.
6) Sanuto, III, 1161, 1167.
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEUR 199
Bourbon. Il alla à Notre-Dame faire sa prière, puis à son logis,
à travers les rues tendues de tapisseries. Le logis lui était
ordonné au collège de S1 Denis, près des Augustins. Il resta
à Paris du 4 au 13 septembre. Olivier le Daim lui offrit, le
o, un banquet de grand apparat, suivi d'une belle chasse aux
daims dans le bois de Yincennes. Il officia pontificalement à
Notre Dame, au milieu d'une grande foule. Le cardinal de
Bourbon, l'évoque de Lombez à S' Denis, donnèrent en son
honneur de superbes festins1.
En 1484, l'entrée du légat Balue provoqua de longs
pourparlers, parce qu'on ne se souciait pas de le recevoir.
Balue offrit d'entrer, de suite, le soir, avec le cardinal de
Foix, sans cérémonie, ou le lendemain avec le cérémonial
habituel, si on préférait : il avait envoyé au roi et aux
princes du sang ses bulles de légation, et même des pouvoirs,
que l'évoque de Coutances lut au conseil du roi ; il avait
donné son scella de n'user de censures ni « facultés quel-
conques, fors selon le bon plaisir du roy, » et il se disait
bien résolu à tenir parole ; il ne venait pas « évacuer la
pécune », « mais y faire le proffit et honneur du roi et bien
de son royaume ; » il avait même fait dire qu'il était pressé
de retourner à Rome et qu'il s'agissait de prendre congé. Par
égard pour le pape, pour le duc de Bretagne, pour les pro-
messes du légat, le conseil du roi décida de recevoir Balue
comme ayant le titre honorifique de légat, sans pouvoirs ; on
aviserait les présidents du parlement de ces conditions, pour
éviter tout tumulte, et on étudierait le cérémonial avec le
parlement, en prenant pour base la réception autrefois faite
au cardinal de S' Pierre -aux Liens2. Le parlement se réunit
neuf jours après, le 14 août, pour protester contre ce projet
1) Jean de Roye.
2) 5 août 1484. Reg. du conseil de Charles VIII, p. 19-20.
200 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
d'entrée solennelle, son arrêt ne fut promulgué que le 17,
mais on le fit crier à son de trompette et signifier à Balue
lui-même, qui avait fini par entrer incognito ; le roi se donna
des airs de générosité en maintenant à Balue, par ordre
spécial, le droit à la croix et à la bénédiction * .
En 1502, le cardinal d'Amboise entra à Paris comme lé-
gat avec un cérémonial tout à fait royal. Le lendemain de
son arrivée, il alla faire au parlement une visite très solen-
nelle ; il prononça un discours latin, auquel le premier pré-
sident répondit par une longue harangue, également enlatin,
où il exaltait le cardinal en termes pompeux5.
Vis à vis du souverain, un légat, lors de son entrée, doit se
conduire en souverain. En 1501, le cardinal d'Amboise ar-
rive à Trente avant le roi des Romains ; à l'entrée du roi, le
12 octobre, il envoie au roi sa maison et un magistrat qui pro-
nonce un beau discours latin, mais il ne se présente pas lui-
même, sous prétexte que le roi devait entrer à trois heures de
lanuit. Uvale lendemain seulement au château, avec une suite
de deux mille personnes, parmi lesquelles le marquis de Sa-
luées, l'ambassadeur de Venise et cinquante barons ; il est
salué par des décharges d'artillerie. Sa suite était somp-
tueuse : ses barons portaient des chaînes d'or au cou. Le
cardinal et le roi se serrèrent la main très affectueusement,
et s'assirent tous deux, la barrette à la main : puis le cardinal
de Giïrck se leva et fit un grand discours ; au bout de deux
heures, le roi se leva et se retira. Le cardinal de Giïrck re-
conduisit d'Amboise jusque chez lui et l'orateur de Venise
reconduisit Giïrck*.
1) Bulletin de la Soc. de l'Hist. de Paris, 1884: F. Delaborde, La légation
du cardinal Balue en 1484.
2) Cérémonial françois, II, 818 et suiv. Jean d'Auton, t. II, p. 218.
3) Sanuto, IV, 1S0-152.
VOYAGE ET ENTRÉE DES AMBASSADEURS 201
De même, dans un congrès, un légat traite d'égal à égal
avec un souverain ou un régent : aux conférences de Cam-
brai, en 1508, Marguerite d'Autriche, duchesse de Savoie,
arrive avec cinq cents chevaux : de son côté, le cardinal
d'Amboise se fait accompagner par MM. de Graville, de
Piennes. et par toute l'armée de Picardie jusqu'à la frontière ;
et il emmène cinquante hommes d'armes de choix pour sa
suite. A son entrée à Cambrai, il est reçu par le clergé avec
la croix et le cérémonial habituel, et accompagné à la cathé-
drale où il préside aux vêpres. Puis il va rendre visite à la
duchesse *.
Les ambassadeurs font leur entrée après le souverain. Par
exception, l'ambassade de France près de la diète germani-
que, en 1489, chargée d'empêcher le vote des fonds de guerre
demandés par Maximilien, affecte de faire son entrée à Franc-
fort en même temps que Maximilien lui-même, par un motif
facile à saisir*.
Dans les pays ou les ambassadeurs sont défrayés, on les
prévient dès leur arrivée de la somme qui leur est allouée.
Assez souvent aussi, le gouvernement remet cette notification
au lendemain, et paie simplement les dépenses de la pre-
mière soirée, à quelque chiffre qu'elles s'élèvent3.
Les ambassadeurs n'écrivent en général les détails de leur
entrée qu'après l'audience de créance.
Dans la diplomatie florentine, le secrétaire ou notaire cons-
tate par un procès-verbal l'entrée de l'ambassade, suivant les
formes convenables : mais ce certificat n'est adressé, comme
nous le dirons plus loin, qu'après l'audience.
i) Sanuto, VII, 692.
2) Dupuy, Hist. de la réunion de la Bretagne, II, 18S.
3J Not. Sanuto, VI, 436.
CHAPITRE X
AUDIENCES DE CRÉANCE
L'ambassadeur aura eu soin, avant son arrivée, de sol-
liciter une audience du chef de l'Etat, car tel est le but de sa
mission1. C'est manquer à tous ses devoirs que d'agir comme
l'ambassade de France, envoyée en Allemagne pour proposer
un concile général, en janvier 1470, qui, arrêtéeparles rigueurs
de l'hiver, dépêche à l'empereur un chevaucheur avec ses
« lettres (créances) et instructions » : l'empereur ne fait à cet
étrange envoi qu'une réponse « générale », comme on devait
s'y attendre, et communique au pape copie des lettres qu'on
lui a adressées 5. L'ambassadeur doit rejoindre le souverain,
quels que soient les dangers résultant de la fatigue, de la
température, des épidémies. En janvier 1509, Louis XII ex-
pédie en Hongrie Edouard Bullion : une peste épouvantable
ravage le pays, et Bude est abandonné par la cour, par le roi
de Hongrie lui-même, qui s'est réfugié en Bohême : l'agent
se rend néanmoins à Bude3. Du reste, un ambassadeur n'est
pas tenu de braver des dangers inutiles ; il va où se trouve
1) A quelques milles de Burgos, à Ibeas, Guichardin écrit au roi de Cas-,
tille, le 25 mars 1512, une lettre de recommandation pour annoncer son ar-
rivée, et, suivant l'usage de la cour d'Espagne, il attend qu'on fixe son loge-
ment. Arrêté le 23, il n'entre à Burgos que le 27 (Guicciardini, Opère inédite,
p. 18, 19). Il est reçu en audience dès le lendemain (id., p. 19) : l'audience
secrète n'a lieu que deux jours après, parce que le roi va à la chasse (id.,
p. 19).
2) Ghinzoni, Galeazzo Maria Sforza e LuigiXI, p. 14.
3) Fraknoï, ouv. cité.
APD1ENCES DE CRÉANCE 203
le souverain. Jules Une veut pas recevoir l'ambassadeur d'Al-
lemagne à Ravenne, à cause de la peste et de la disette ; il
se rend à Bologne, pour le recevoir '.
L'ambassadeur n'a d'audience le jour même de l'arrivée
que dans des cas tout à fait exceptionnels. S'il s'agit d'un très
grand personnage, on le conduit directement au château ou
au palais, et, après une courte audience pour la forme, on le
mène chez lui avec le même cérémonial s. On mène directe-
ment à leur logis les ambassadeurs : de là, ils peuvent rece-
voir leur audience pour le jour même, en cas d'urgence, ou si
cela convient au souverain. Les ambassadeurs que la du-
chesse de Milan envoie à Rome aussitôt après la mort de son
mari, en 1466, sont reçus au Vatican le soir même de leur ar-
rivée, pendant deux heures; ils exposent au pape une situa-
tion critique et lui demandent d'intervenir pour la paix,
comme « chef de la ligue italienne et père de la paix *. » Le
jour même de l'arrivée de Zorzi, envoyé de Venise, on ap-
prend la perte de Modon, pris par les Turcs : aussitôt le nou-
vel ambassadeur se rend, avec son prédécesseur, au Vatican,
où il est reçu d'urgence *.
1) Bref de Jules II au légat (1er avril loti. Sanuto, XII, 131).
2) Entrée de Jean de Médicis, le 23 mars 1492 ; il est conduit au Vatican
d'abord, puis chez lui au Campo di Fiore(Roscoë, Vie de Léon X, pièce xvn).
Entrée de Stuart d'Aubigny, le 23 juin loOi. Il est reçu, suivant l'usage, par
les gens du pape et des cardinaux ; entré entre deux évèques, il va droit au
Vatican, où il trouve le pape avec- quatre cardinaux, qui le reçoit séance
tenante, lui et dix ou douze de ses compagnons. Ce n'est qu'après l'audience
qu'on le conduitchez lui. Présents, l'évêque de Tréguier et l'orateur de France,
les orateurs d'Angleterre, Savoie, Venise, Florence (Burckard, III, 147-148 .
Henri IV de Castille, en 1462, invite les ambassadeurs de France à lui re-
mettre leur créance lejour mêrrie de leur arrivée, pour marquer de l'empres-
sement. L'audience de créance a lieu le lendemain et l'audience secrète en-
suite (Lelt. de Louis XI, II, 378-379).
3) Dép. des ambassadeurs milanais, du 28 mars 1466 (Archivio Sfor-
zesco) .
4) Diarium, III, 76.
204 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
A Rome, l'audience officielle s'accorde généralement pour le
lendemain de l'arrivée, à moins que ce ne soit un dimanche ou un
jour de fête1. Dans les autres pays, on reçoit fort bien le diman-
che s. L'audience de créance et ce qui s'en suit s'appelle « rece-
voir, ouyret despescher » une ambassade 3. Elle peut n'avoir
lieu que le surlendemain de l'arrivée sans inconvénient*.
Mais un retard plus long donnerait l'éveil8, si on ne le rachetait
par quelques politesses, telles qu'un diner offert à l'am-
bassade de la part du souverain 6. Le renvoi de l'audience
à une date plus ou moins indéterminée comporte une froideur
fort accentuée7.
L'audience de créance a lieu par tous pays en grand appa-
rat. Les ambassadeurs revêtent naturellement leur plus beau
costume : ainsi les ambassadeurs vénitiens près de Louis XII,
1)111,119.
2) Lettres de Louis XII, I, 146. Lascaris présente sa créance un dimanche
matin, à Venise (1504. Sanuto, VI, 101).
3) Les ambassades sont « receues, ouyes et despeschées »(Jean d'Auton, I,
314, 316, 317).
4) Audience, le surlendemain, aux ambassadeurs de France à Bude, le 17
mai 1500 (Sanuto, III, 356).
5) Machiavel vérifie qu'un rhume du roi, allégué pour relarder son au-
dience, est bien réel (Dép. du 29 janvier 1504).
6) Des ambassadeurs milanais d'apparat arrivent près du duc de Bourgo-
gne, alors au camp de Granson. Leduc ne peut leur donner audience que le
troisième jour, mais il leur envoie la veille un chevalier de la Toison d'Or
pour les amener; ils sont reçus par deux^ autres chevaliers, ils trouvent prêt
un somptueux diner, après lequel ils ont leur audience. A leur discours ré-
pond Guillaume de Rochefort, par des généralités gracieuses. Puis le duc les
traite avec beaucoup de cordialité et de familiarité. Le résident leur cherche
un logement au camp (1471. Gingins la Sarraz, Dép. des ambass. milanais,
I, 304). Les ambassadeurs de l'empereur sont reçus à diner par le cardinal
d'Amboise, le roi, avant l'audience, voulant connaître leur mission, pour
conserver sa dignité (Dép. de N. Valori, 30 janv. 1503-4).
7) ALyon, du 6 au 8 février 1390, le roi reçoit la demande d'audience de
deux ambassadeurs florentins. On répond qu'on leur donnera audience à Paris
(Jarry, Vie.. . de Louis de France, p. 65).
AUDIENCES DE CRÉANCE 205
en 1507, portent les robes d'or classiques1, et même on se
moque fort, à Rome, de l'ambassade française d'obédience, en
1505, qui, pour faire nombre à l'audience consistoriale, a fait
habiller des gens quelconques et leur a mis au cou une chaîne
de laiton1. Le luxe déployé dans cette circonstance par l'am-
bassade passe pour un acte de déférence. Quand des envoyés
de Crémone se présentent à la Seigneurie de Venise, c'est en
beaux costumes de soie, de velours, avec des colliers d'or,
suivis d'une belle compagnie et en bon ordre ; cette marque
de politesse et de sujétion produit bon effet8.
Quelquefois, l'ambassadeur* se fait accompagner à l'au-
dience de créance par un ambassadeur allié, afin de donner
plus de poids à cette première démarche 5. L'ambassadeur
spécial est accompagné et présenté par le résident 8.
Dans tous les pays, divers personnages viennent chercher
l'ambassadeur à son logis pour l'escorter et l'introduire à l'au-
dience de créance ; le nombre de ces introducteurs varie sui-
vant les cas. En 1501, un grand seigneur vient chercher chez
eux les nouveaux ambassadeurs vénitiens à Blois 7. La grande
1) Sanuto, VII, 86.
2) Dispacci di Giustinian, III, 495.
3) 13 oct. 1499 (Sanuto, III, 31) ; 24 avril 1503 [id., V, 24).
4) Ou les ambassadeurs. Nous employons le singulier pour plus de sim-
plicité.
5) En 1513, les ambassadeurs de Flandre se présentent au conseil de
Suisse avec l'ambassadeur impérial. Un envoyé hongrois, arrivant à Rome en
janvier 1503, va voir l'ambassadeur vénitien et s'entend pour se rendre avec
lui au palais (Disp. di Giustinian, I, 344).
6) Sanuto, III, c. 277 ; VII, 123. Péron de Bascher, envoyé extraordinaire
de France, est présenté au pape par le cardinal de S' Denis, ambassadeur or-
dinaire (Sanudo, Spedizione, 33).
7) Un « monsignor » (Sanuto,' IV, 186). A l'audience de créance, en Es-
pagne, les ambassadeurs se rendent avec une escorte de grands personnages,
chacun accouplé à un de ces personnages ; en avant, marche leur roi d'ar-
mes, richement vêtu, escorté lui-même par un chevalier [Machado's Jour-
nals, dans Gairdner, Hist* régis Henrici septimi, p. 170).
206 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
ambassade de Marguerite d'Autriche, arrivée le 10 mars 1509,
est prise à son logis, le dimanche 11, à l'heure indiquée d'a-
vance, par le duc d'Albanie, le comte de Carpi, un évêque
et des gens de robe longue ' : le duc d'Albanie était un
Stuart, de la maison royale d'Ecosse, Alberto Pio, comte de
Carpi, un grand seigneur italien. C'est, en effet, un usage
presque constant à la cour de France d'employer des grands
seigneurs étrangers dans les rapports d'apparat avec les am-
bassades.
A Venise, l'ambassadeur, turc ou chrétien, se présente tou-
jours à la première audience avec une escorte plus ou moins
nombreuse de patriciens qui ont été le prendre chez lui et lui
adresser des compliments, même lorsqu'il n'y a pas eu lieu à
entrée solennelle \ ou lorsque l'envoyé est présenté par son
résident3. Quatre savii vont en barque, le 3 avril 1500, cher-
cher un simple chargé d'affaires turc pour l'amener à l'au-
dience * : un agent turc se présente en 1503 avec un bon ac-
compagnement de patriciens5. En 1504, un ambassadeur turc,
grave, important, musulman, spahi, ancien ambassadeur en
Hongrie, somptueusement vêtu, arrive à l'audience solen-
nelle avec son drogman et plus de vingt patriciens véni-
tiens 6.
Un ambassadeur ne peut refuser les honneurs d'une telle
1) Leltr. de Louis XII, l, 146.
2) Ambassadeur français, en avril 1500 (Sanuto, III, 223).
3) Des ambassadeurs français, envoyés en Hongrie, reçus par le conseil
du prince, sont amenés par dix patriciens, et présentés par le résident de
France (1506. Sanuto, IV, 445). L'orateur résident vient au conseil des X
annoncer pour le lendemain la visite des envoyés extraordinaires. Le con-
seil nomme des Sages pour aller les voir d'abord (avril 1500. Sanuto, III,
c. 272).
4) Sanuto. III, 192.
5) Sauuto, V, 27.
6) Sanuto, V, 991.
AUDIENCES DE CRÉANCE 207
escorte. Nous voyons le célèbre liembo, envoyé de Léon X à
Venise, en 1514, les décliner1 : mais liembo était vénitien ;
arrivé incognito, il descendit cbez son père, et il demanda à se
présenter comme un médiateur privé *.
A Rome, au contraire, c'est l'ambassadeur qui organise sa
suite pour l'audience de créance ; à ses gens, iljoint ses com-
patriotes, ses amis, les maisons des cardinaux amis, et il doit
s'appliquer à rendre la présentation aussi brillante que possible.
Ainsi, l'ambassadeur de Lithuanie se rend au Vatican, le 30
mars l QO 1 , à l'heure du consistoire, avec sa suite dans laquelle
on remarquait douze gens habillés à la mode de son pays, et
avec les maisons des cardinaux Corsini et de Gapoue \
L'audience de créance est essentiellement une audience pu-
blique \ Le souverain la donne souvent entouré d'une cour
nombreuse5. Les ambassadeurs des autres puissances y assis-
tent 6. Une ambassade allemande en France, par exemple,
est reçue le 23 novembre 1500, par Louis XII, en présence,
naturellement, du cardinal d'Amboise et du chancelier, et de
divers membres du conseil, devant les ambassadeurs de
Rome, d'Espagne, de Florence, de Venise et trois ou quatre
gentilshommes italiens 7. A Bude, la même année, les en-
voyés de Pologne, de Naples, de Venise, assistent à l'au-
i) Lettre du 7 déc. 1514, du conseil des X, à l'ambassadeur à Rome (Arch.
de Venise).
2) Il est évident qu'en cas de presse ces honneurs aussi sont omis. En
1502, Machiavel se présente à César Borgia au débotté, en habit de voyage
(dép. du 7 oct. 1502), en 1306 au pape qu'il trouve à table, a l'issue de son
diner (dép. du 28 août 1506).
3) Burckard, 111,121.
4) 13 déc. 1303, àBlois (Sanuto, VI, 262) ; 23 nov. 1504, à Insprùck (Sa-
nuto, VI, 110).
5) Une soixantaine de courtisans assistent à la réception de Fr. délia Casa,
envoyé florentin en France (1493. Boislisle, Et. de Vesc, p. 92, 93).
6) Gingins la Sarraz, Dép. des amb. milanais, I, 76-77 (1475).
7) Dép. de Machiavel, du 24 nov. 1500.
208 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
dience des ambassadeurs de France ' . Cette règle est gé-
nérale.
En 1500, Machiavel remarque malicieusement que la com-
tesse de Forli le reçoit en présence du seul ambassadeur de
Milan ».
Il y a aussi une classe d'audiences spéciales, les audien-
ces sans-façon, qui témoignent d'une grande intimité, mais
qui ne sont de mise qu'à titre absolument exceptionnel.
Emmanuel de Jacoppo, ambassadeur de Milan, rejoint
Louis XI à Pontoise et passe par hasard devant la maison du
roi. Louis XI, qui l'aperçoit, le fait aussitôt entrer sans céré-
monie '. Par un motif différent, pour s'éloigner des indiscrets
et des importuns, Charles VIII reçoit à cheval, au moment
où il se mettait en chasse, le 3 août 1493, le nouvel ambas-
sadeur de Milan. Le prince de Salerne sert d'interprète. Le
roi s'éloigne pour être seul. Le duc d'Orléans vient annoncer
que le gibier est levé ; le roi s'éloigne un peu plus*. Dans ce
second cas, l'audience sans façon devient plutôt une audience
secrète.
La publicité avait, évidemment, pour mobile une préten-
tion apparente d'agir ouvertement, en présence des amis
1) Sanuto, III, 356. Le 10 janvier 1479, à Florence, les ambassadeurs de
Venise, Ferrare, Milan, assistent à l'audience de l'ambassade française (lat.
11802).
2) Le seul ambassadeur accrédité près d'elle, et qui passait, en outre,
pour son amant (Dép. du 17 juill. 1500).
3) Dép. du 9 sept. 1463 (Archivio Sforzesco).
4) Dépêche de l'ambassadeur, du même jour (Arch. de Milan, Pot. Este,
Francia). Cf. Romanin, Sloriu Documentata, V, p. 36-39. AEtampes, Louis
XII reçoit en 1498 dans une salle d'auberge l'ambassade solennelle de Ve-
nise, parce qu'Anne de Bretagne occupait le château. Les Vénitiens s'en mon-
trent assez formalisés : « On pourrait dire qu'un grand roi ne donne pas
audience à l'auberge, mais ici les auberges sont ce qu'il y a de mieux. »
Pourtant la salle était tendue de velours et ornée, et lé roi fort aimable
(Reumont, Diplomazia italiana, 173;.
audiemc.es de créance 209
comme dos adversaires1. Maison savait à quoi s'en tenir et
l'on s'exprimait en conséquence. C'est «loue par un scrupule
un peu naïf que des ambassadeurs inexpérimentés ont quelque-
fois demandé des restrictions à cette publicité. Ainsi, en 1476,
Venise étant liée avec le duc de Milan à la triple alliance, son
ambassadeur à Rome refuse d'exposer sa créance devant l'am-
bassadeur de Naples1 : précaution bien ridicule, pour un acte
nécessairement public! En 1510 aussi, à Bude, les ambassa-
deurs de France réclament l'absence de l'ambassadeur de Ve-
nise à leur audience : l'ambassadeur vénitien n'y vient pas,
mais il y envoie son secrétaire3.
La première audience solennelle est présidée par le sou-
verain, le souverain n'est présent là que pour la forme, l'af-
faire sera ensuite renvoyée et traitée au conseil, où s'enga-
gera la vraie négociation. En France, c'est le grand conseil qui
est régulièrement saisi de toute affaire internationale* et qui
1) Le duc de Savoie écrit à Du Bouchage qu'il ne veut entendre le premier
les ambassadeurs du Piémont, que si le roi l'ordonne : dans ce cas, il de»
mande qu'on lui envoie un homme qui soit présent à l'audience (11 juin. Ms.
fr. 2923, f° M).
2) Gingins la Sarraz, Dép. des amb. milanais, I, 281. En 4419, les ambas-
sadeurs du dauphin, venus à Rome pour justifier leur maître de la mort dtl
duc de Bourgogne, présentent leur créance devant les ambassadeurs anglais,
qui se hâtent d'écrire à leur cour les incidents de l'audience, les termes du
discours, les dispositions du pape. Aussi supplient-ils le pape et les cardinaux
« ut propter honorem régis et regrii ac coronae regalis ista materia non de-
duoeretur in publicum. » Ils insistent : les ambassadeurs du dauphin offrent
leur obédience s'ils ont satisfaction, sinon ils resteront avec Pierre de Luna
(Rapport des ambassadeurs anglais. Quicherat, Th. Bazin, IV, 281).
3) Lamansky, Secrets d'Etats de Venise, p. 308. L'ambassade de France,
arrivée à Rome le 19 mai 1495, reçoit audience le 20. Le cardinal de Giirck
émet la prétention d'entrer avec elle, comme ayant suivi les négociations
pour le roi. De là, une discussion : finalement, le cardinal n'entre pas, et
ce relus le rend ennemi du roi; toutes les autres ambassades notent le l'ait
(Sanudo, Spedtzione, 347).
4) « L'affaire dos ambaxades... fut pareillement la mys en conceil » (Jean
d'Auton, I. 314, 310, 317'.
14
210 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
assiste le roi à l'audience de créance. Les ambassadeurs de
France en Bourgogne remettent leur créance devant le con-
seil de Bourgogne ' ; le roi reçoit les ambassadeurs de Venise,
en 1502, avec six membres de son conseil8... Parfois même,
lorsque le roi, pour un motif ou pour un autre, ne peut ou ne
veut pas recevoir des ambassadeurs, il les renvoie directe-
ment au grand conseil. Le cardinal de S1 Marc, envoyé du
pape en 1418, expose sa créance au grand conseil 8 ; le roi
renvoie au grand conseil l'ambassadeur du comte de Charo-
lais *. En mai 1421, la reine de Sicile, qui seprêtaitpeu aux
cérémonies, reçoit les ambassadeurs florentins dans une
église, au moment où le prêtre montait à l'autel pour dire la
messe. Les discours commencent : mais Michel de Pazzi, qui
connaissait les habitudes de sa souveraine, les interrompt en
disant à la reine : « Nous allons emmener les ambassadeurs,
nous pratiquerons avec eux, puis nous reviendrons vers Votre
Majesté5. »
Dans les républiques italiennes, c'est la Signoria, en latin
Colleyium, qui reçoit les ambassadeurs, c'est-à-dire le con-
seil exécutif. A Venise ce conseil se composait de vingt six
membres 6. En Suisse, c'est la diète fédérale elle même qui
donne audience 7, ou en son absence le conseil des Etats. Une
députation de ce conseil vient à l'auberge de l'ambassadeur,
recevoir l'exposé de sa créance. Si l'affaire est importante, la
1) Duclos, Histoire de Louis XI, 185.
2) Sanuto, IV, 445.
3) Douct d'Arcq, Choix de pièces, I, 397.
4) Duclos, Hisl. de Louis XI, IV, 230.
5) Rapp. de li2i. Saige, Documents, 1,29.
6) Le doge, cinq conseillers, trois chefs de laquârantie criminelle, six sages
du conseil, cinq sages de terre ferme, cinq sages aux ordres. Introduits dans
la salle de l'Anti-Collège, les ambassadeurs étaient reçus dans la grande salle
du Collège, l'incomparable salle décorée, depuis lors, par Tintoret et Paul
Veronese.
7) Jean d'Auton, I, p. 347.
AUDIENCES DE CRÉANCE 211
députation déclare quelle en référera aux confédérés, et en-
->■ l'ambassadeur à prendre patience, à faire bonne
chère "...
A Rome, l'audience est publique ou privée, au gré du pape.
L'audience publique est généralement réservée aux démar-
ches d'apparat, telles que l'obédience, qui est toujours pu-
blique, ou aux notifications d'actes importants et publics,
comme la conclusion d'une paix ; mais il n'y a pas de distinc-
tion bien absolue entre les audiences publiques ou privées,
parce que ni les unes ni les autres n'ont un caractère stricte-
ment public ni strictement privé. La publicité peut s'improvi-
ser ; elle résulte du nombre et du caractère des assis-
tants '.
La solennité véritable consiste dans la réception en consis-
toire public 3, c'est-à-dire dans une exposition de l'affaire de-
vant tous les cardinaux réunis en grand conseil du pape. Les
ambassadeurs peuvent réclamer une audience en consistoire,
mais le pape est libre de la refuser, et il la refuse pour les
mêmes motifs que les ambassadeurs la sollicitent, c'est-à-dire
en vue de la démonstration *. Quelquefois des négociations
s'engagent sur cette question prékminaire et n'aboutissent
qu'au bout de quelques jours5.
Il n'y a pas lieu à audience en consistoire pour la récep-
1) 147o. Gingins la Sarraz, Dép. des amb. milanais, I.
2) Villari, Dispacci di A. Giustinian, II, 1.
3) Villari, Dispacci..., I, 14.
1 Burckard, III, [21 : instruction française de 1494, K. 1710. Les
ambassadeurs d'Espagne arrivés à Rome le 19 déc. 1498, demandent à
être re^us en consistoire ; le pape refuse opiniâtrement, il leur accorde enfin
audience dans la chambre du Papegai, le 1G janvier 1499, devant six cardi-
naux. Après un long discours des ambassadeurs, la discussion devient ora-
geuse et presque injurieuse. Les ambassadeurs demandent l'introduction
d'un notaire pour enregistrer leurs protestations ; le pape leur répond de
protester où ils voudront (Burckard, II, oUti-o07).
5) Delaborde, Un épisode des rapports d'Alexandre VI, p. 12.
212 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
tion d'un ambassadeur adjoint à une ambassade préexistante,
ni pour l'arrivée d'un simple résident, que son prédécesseur
présente au pape '.
Le roi de France attend les ambassadeurs, assis sur une
estrade élevée, dans la grande salle d'honneur du château,
garnie de tapis et de tapisseries. Il aura à sa droite, par
exemple, des cardinaux, à sa gauche des princes du sang et
les membres du grand conseil : derrière lui, des grands sei-
gneurs français ou étrangers et des personnages de la cour*,
debout, appuyés sur le fauteuil du roi selon l'usage fran-
çais 3. En 144-3, le roi d'Angleterre, vêtu d'or, reçoit amica-
lement l'ambassadeur de France, dans une chambre « sans
lit », richement décorée. La tapisserie qui couvre le dossier
du baldaquin derrière le trône représente des dames of-
frant l'écu de France à. un prince, allusion plus que transpa-
rente aux prétentions du roi sur la couronne de France : les
ambassadeurs font semblant de ne pas s'en apercevoir et no
tent dans leur relation que la tapisserie représente l'offre des
armes de France « à ung seigneur *. » Quand on se trouve
au camp, on fait préparer comme on peut une chambre pour
l'audience 6.
1) V. le détail d'une audience publique du pape aux ambassadeurs (15 11),
dans Frali, Le due spedizioni militari di Giulio II, 265.
2) A Venise, tout le conseil serevôt exceptionnellement d'écarlate, pour re-
cevoir un orateur turc ; « fo bel veder » (15 mars 1505. Sanuto, V, 990).
3) Audiences de 1501, de 1509 (Sanuto, IV, 186. Lettres de Louis XII, l,
146).
4)Ms. fr. 3884, fo 175 vo.
5) Camp devant Neuss, 1475 (Ginginsla Sarraz, Dépêches... I, 76). En Es-
pagne, si l'audience de créance a lieu le soir, on se sert de torches (Macha-
do's Journals, dans Gairdner, Hista régis Henrici septimi, p. 170). Le roi et
la reine d'Espagne reçoivent les ambassades, somptueusement velus d'or et
de diamants, entourés d'une cour étincelante (ibid., p. 170-171). Le roi et la
reine reçoivent ensemble, et on leur remet à chacun une lettre de créance^
après leur avoir baisé la main (ibid,, p. 172).
AUDIENCES DE CRÉANCE 213
Pontanus recommande au prince, dans ses audiences, d'a-
voir l'air aimable et avenant, l'accueil doux, facile, de laisser
une impression d'honnêteté el de justice, de parer ce qu'il
donne, de ne jamais opposer un refus net, mais de se re-
trancher dans une objection d'inutilité, d'impossibilité1. Son
costume doit concourir à sa majesté : il sera sérieux, ap-
proprié aux circonstances, il ne tombera pas dans les excès de
la mode : « maintenant, ajoute Pontanus, c'est à qui changera
le plus souvent de costume, on ne vaut rien quand on n'a
pas son tailleur ou sa modiste en France s : un prince ne sau-
rait donner dans ce ridicule ; c'est à lui de choisir : on ne
comprendrait pas qu'il suivit toutes les plaisanteries des
modes actuelles; cheveux tordus, eontortos in annulum, et
retombant sur les épaules, longue barbe descendant sur la
poitrine, soieries débordantes autour du cou et des poignets.
Que les femmes cherchent de semblables parures, soit ! Mais
un homme, un italien, doit conserver un caractère grave et
ne pas se laisser pénétrer par toutes les excentricités étran-
gères \» Les rois sont donc condamnés à se raser comme par
le passé, et à ne figurer dans les audiences que « vêtus à la
longue », avec des chaînes d'or ou de diamants*.
Les ambassadeurs entrent et font leur révérence3 : Louis XII
se lève en souriant, ôte sa barrette et fait mine de descendre ;
mais les ambassadeurs se précipitent, et il leur serre la main.
Les ambassadeurs remettent au roi leur créance, saluent les
cardinaux, puis, sur l'invitation du chancelier, prennent place
sur un banc en face du roi, le chef de l'ambassade au mi-
i) De principe.
1) Pontanus était napolitain.
3) De principe, édit. de Lyon, 1514 : hij.
4) Roi des Romains (25 nov. 1504. Sanuto, VI, 110).
sne représentée par VittoreCarpaccio dansJ'un des admirables tableaux
de la Vie de Sainte Ursule (réception des ambassadeurs), à l'Académie de
Venise.
214 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
lieu i. Le roi remet la créance au chancelier, qui la fait lire,
ou bien à un secrétaire, à un membre du conseil, qui en
donne lecture '. On constate ainsi qu'elle est en forme3.
Laurent de Médicis, en envoyant à Rome son fds Pierre, lui
recommande, lorsqu'il se présentera à Sa Sainteté, après
s'être bien informé de tous les détails du cérémonial, de por-
ter à ses lèvres la lettre de créance de son père, de la re-
mettre en suppliant le pape de daigner la lire, puis de dire
qu'il met son père aux pieds de Sa Béatitude 4. Ces pratiques
ne sont point d'usage ; cependant, on accompagne la remise
matérielle de la créance par quelques premières paroles de
salutation ou de « recommandation » , auxquelles le souverain
peut répondre de même s, mais très brièvement 6. Les en-
voyés russes demandent des nouvelles de la santé du chef de
l'Etat, et en fournissent de la santé de leur souverain 7. Un
ambassadeur pontifical donne la bénédiction pontificale 8.
Charles VIII ne répondait pas, même à des « recommanda-
tions », sans conférer avec un membre du grand conseil9.
1) Audiences citées de 4501 et 1509. Cf. Sanuto, VII, 86. Lorsque l'am-
bassade comprend un héraut, le héraut prend part à l'audience, mais il reste
debout, derrière l'ambassade assise (J. Gairdner , Bist* régis Renrici septïmi,
p. 172).
2) Id., Desjardins, I, 224.
3) « Letlera in forma » (1503. Sanuto, V, 179).
4J Roscoë, Vie de Laurent de Médicis, pièce lix. La jeune Anne de Bre-
tagne embrasse un ambassadeur anglais, à sa réception en 1490 (J'. Gaird-
ner, Hista régis Hcnrici septimi, 219).
5) Charles VII ne répond pas à l'ambassadeur du dauphin (Duclos, Hist.
de Louis XI, IV, 161J.
6) 24 janv. 1460. Audience du conseil de Florence à l'envoyé du dau-
phin, Baude Meurin. Compliments habituels de part et d'autre, en com-
mençant l'exposé, après avoir montré les lettres de légation : Pierre Corne
de Médicis, vexillifer justitise, répond (Lettres de Louis X 1,1, p. 344).
7) S. de Westman, art. cité. Sanuto.
8) « Nomine pontificis » (16 juin 1300. Sanuto, III, 398).
9) Audience de F. délia Casa (Desjardins, I, 224).
AUDIENCES DE CRÉANCE 215
A Rome, le cérémonial de la première partie de l'audience
dilïére de celui que nous venons d'indiquer : il est beaucoup
plus strict. Les ambassadeurs ont habituellement leur au-
dience à l'issue d'un consistoire ; ils sont reçus dans une
des. grandes salles, celles du Paramento, du Papagallo, ou
celle du consistoire. Après une courte attente dans une salle
voisine ou dans un appartement, l'ambassadeur suit les
membres de la haute prélature qui viennent le chercher. In-
troduit, il s'approche, s'agenouille, baise la mule et la main
du pape (le baisement de main est contesté) ; parfois le pape
l'embrasse. Se mettant à genoux, l'envoyé présente sa lettre
de créance, que le pape remet à un secrétaire, puis, guidé
par le maître des cérémonies, il retourne vers la porte d'en-
trée, et attend là, à genoux, que le secrétaire, agenouillé à
gauche du pape, ait donné lecture de la créance ; ensuite,
toujours à genoux, il prononce son discours. Ainsi l'ambassa-
deur de Lithuanie, entré à Rome le 11 mars 1501, reçoit son
audience pour le 30. Il attend dans l'appartement du cardi-
nal de Capoue. Le consistoire fini, le gouverneur de Rome et
sept prélats viennent l'y prendre et l'introduisent1.
Le roi d'Angleterre, en voyant entrer une grande ambas-
sade, descend de sa chaire, et se tient, tout droit, au bas des
marches. Il tend la main aux ambassadeurs et ôte un peu
son chaperon au chef de l'ambassade *.
A Venise, le doge se lève et va au bout du mastabe, c'est-
à-dire au milieu de la salle, en avant de l'ambassadeur à qui
il serre la main ; l'ambassadeur peut serrer également la
main aux membres du conseil, puis il s'assied, et, assis, pré-
sente ses lettres de créance, et enfin prononce son discours'.
l)Burckard, III, 121.
2)Rapp. de [445. Ms. fr. 3884.
3)Sanuto, IV, 468. Accurse Mainicr, en loOO, présente incorrectement sa
créance après son discours (id., III, 227).
216 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Les lettres de créance sont lues par un secrétaire, et traduites
séance tenante, s'il y a lieu. Dans ces premiers saluts, on
échange quelques compliments plus ou moins banaux. Lors-
que Commines revient à l'ambassade de Venise, après la
guerre de 1495, le doge lui dit : « Monseigneur, comme vous
voilà maigre ! » — c'était la vérité. — « Sérénissime prince,
repartit Commines, ce sont les fatigues de la guerre, et le
changement de régime, après que vous m'aviez fait faire ici
si bonne chère. » Puis il commença son discours sur l'amour
de son roi pour Venise, etc.1.
Après ce préambule, a lieu, en effet, l'exposé de la
créance ; un des ambassadeurs se lève et prononce debout
un discours. C'est ce qu'on appelle couramment « dire sa
créance 2, dire sa charge3», ou, plus rarement, « exposer
sa créance, les causes et manière de sa légacion *. » Les dis-
cours officiels indiqueront sans doute, par des allusions plus
ou moins sensibles, le terrain général des négociations, comme
les détails de la cérémonie elle-même refléteront des nuan-
ces plus ou moins caractérisées de cordialité. Mais le but
principal de cet ensemble consiste à agir avec honneur et dé-
corum, « con onor è decoro », et non à obtenir des résultats.
Les affaires viendront par la suite, à une audience secrète 5.
1) Sanudo, Spedizione, 651.
2) Instr. de janv. 1393 (Douet d'Arcq, Choix de pièces, I, p. 113).
3) Jean d'Auton, I, p. 347. t
4) Douet d'Arcq, Choix..., I, 397.
5) Villari, Dispacci di Giustinian, II, i. A l'audience solennelle, « pour ce
qu'il y avoit bcaucop gens, nous parlasmes seulement de la matière des al-
liances et autres poins généraulx. » Le roi répondit de même, et commit
plusieurs conseillers pour suivre la négociation. « Nous dismes à part audit
s?r Roy de Castelle que nous avions autres choses à luy dire de par vous,
quant son plaisir seroit. Sur quoy, ver, il nous oit à part, et luy dismes bien
au long ce qu'il vous avoit pieu nous charger parvoz instruccions. . . » (Rap-
port de l'ambassadeur de France en Castille, 1462. Lett. de Louis XI, II, 378).
AUDIENCES DE CRÉANCE 217
Ainsi, l'on doit prêter la plus grande attention aux moindres
détails de la réception.
Le discours public de créance1, est le plus souvent prononcé
par un ambassadeur de robe longue, qui n'est pas nécessai-
rement le cbef de l'ambassade. En 1445, M. de Vendôme, cbef
de l'ambassade de France en Angleterre, laisse l'archevêque
de Reims faire le discours ; il se borne à ajouter quelques
mots, plus chevaleresques que diplomatiques, sur la sympa-
thie du roi de France pour son neveu le roi d'Angleterre ;
« et puisqu'ils estoient si amis, maudit fust il qui leur con-
seilleroit avoir guerre ensemble. » — « Et chascun qui la es-
toit dit : Amen s. »
Le discours n'a aucun caractère d'improvisation ; c'est
une œuvre de rhétorique et de beau langage, calquée sur la
teneur des instructions qu'il développe et amplifie8. L'am-
bassadeur novice, ému de l'honneur qui lui échoit, le pré-
pare depuis le jour de son départ, le soigne, l'apprend par
cœur et le débite enfin de son mieux. De là, le désappointe-
ment de deux ambassadeurs de Louis XI à Milan en 1469,
qui, conformément aux instructions du roi, allèguent la vo-
lonté d'un prince, mort depuis leur départ et dont tout le
monde (excepté eux) connaissait la mort. Les désagréments
de ce genre pourraient s'étendre aux historiens qui feraient
trop de fonds sur ces discours et n'y démêleraient pas suffi-
samment la part du convenu. C'est ainsi qu'un savant fran-
1) Ce discours est appelé, dans des textes anciens, Harenga, Sermo de am-
baxiata: «cSequitur harenga l'acta coramd»° nostro Fraûcorum Kege Karolo,
YIIm° hujus nominis, pro parte régis Humgarie Laudilavo,apudTuronis(Ms.
lat. 11414, fo 23-24, discours en latin, assez serré, sans liés grandes phrases,
avec des compliments, de style moderne).» Sermo de amhaxiata », dans un
recueil des lettres de Philippe de Maizières, vers 1366 (article de M. Jorga,
dans la Revue Historique, mai-juin 1892, p. i'J).
2) Fr. 3884, i° 180.
3) Instruction vénitienne, du 17 mai 1509, à l'ambassadeur en Allemagne.
218 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
çais, ayant découvert dans la Bibliothèque de Saintes, par
hasard, le texte de ce discours officiel de 1469, a cru à sa
sincérité et a laborieusement échafaudé à ce sujet un roman
historique1. Le langage de l'envoyé lui est presque toujours
dicté par une instruction minutieuse. Ainsi, le fils môme de
François Sforza, Galéas, reçoit de son père l'instruction de
« se présenter avec l'humilité et l'extrême révérence d'un
serviteur envers son seigneur, surtout envers un si grand
roi » ; son père lui trace le discours à tenir point par point.
Galéas demandera, en substance, à être traité non comme
un étranger, mais comme quelqu'un de la maison; il re-
commandera toute sa famille, il remerciera le roi de la
peine qu'il a prise d'envoyer dos ambassades, il parlera des
grandes et infinies obligations de son père, que cent ans ne
suffiraient pas à acquitter : il garantira au roi le dévouement
profond du roi de Naples : il protestera lui-même d'un dé-
vouement sans bornes, il se dira prêt à obéir au roi plutôt
qu'à son père ; il priera le roi de lui indiquer ou de lui faire
indiquer qui il doit voir ou recevoir à la cour s.
Le discours est généralement prononcé en latin ', ce qui
explique qu'il offre souvent peu d'intérêt pour les personnes de
la cour. A Rome, bien entendu, le latin est de règle abso-
lue* : dans le reste de l'Italie également s, et l'on est scanda-
1) Ghinzoni. Galeazzo Maria Sforza et Luigi XI, p. 16.
2) Instruction du "2 mars 1466 (Archivio Sforzesco). Cf. «Summarium ins-
tructions cl»' Ludovici facto Ambrosio Biucardo et Martino de Cazali»..., dans
Corio, Historiadi Milano, p. vu, p. 498 (relit, de Ui.'ii) etc.
3) San Severino, ambassadeur milanais à Lyon, écrit, le 16 avril 4494,
qu'il a été reçu le matin par le roi, en audience solennelle, réglée la veille
par l'évèque de S1 Malo et Etienne de Yesc. Le roi lui demande s'il entend le
français : « Un peu », répond S" Severino. Et alors ils échangent des com-
pliments dans cette langue (Arch. de Milan, Pot. est., Franc ia, 1494-95).
4) Villari, Dispacci...,l, 14. Burckard. III, 121.
5) V. pour Venise, Sanuto, III, 227 ; VII, 103; en Hongrie également, id.,
III, 356, 1170 ; en Allemagne aussi.
AUDIENCES DE CRÉANCE 219
lise à Venise de voir un ambassadeur «le Crémone faire son
discours en italien ; on décide, avant d'y répondre, d'écrire
à Crémone pour s'informer sur le compte île l'ambassadeur1.
Les ambassadeurs qui ne savent pas le latin sont réduits à
parler par interprètes*.
Nous retrouvons ici l'usage du français, de la part de la
diplomatie anglaise accréditée en France 3. et de la diplo-
matie des Pays Bas \ En Suisse, une ambassade des Pays
Bas se croit autorisée à faire son discours en français ; mais
les Suisses veulent du latin; les ambassadeurs suisses en
Allemagne parlent « en leur allemand » '. Certains ambassa-
deurs italiens en France sont en état de faire leur discours
en français6. L'ambassade circulaire française de 1478-79
en Italie prononce son discours en français à Milan, comme
témoignage d'intimité, et en latin à Florence, à Borne "'.
Le discours est écouté dans un profond silence, que le
roi lui-même ne doit pas interrompre. Lors du discours de
l'ambassadeur vénitien, en 1509, Louis XII interrompit deux
fois l'orateur pour lui dire de s'asseoir ; l'ambassadeur af-
fecta de ne pas entendre8. En août 1509, un ambassadeur
t)Samito, III, 1158.
■2) Ambassades de Russie, d'Angleterre, d'Espagne à Venise : Sanuto, III,
61, IV, 468, 518.
3) Discours des ambassadeurs du roi Edouard d'Angleterre au duc de
Bourgogne. On lui dit : « Très inclit et noble prince ... Votre Excellence. . .
cheuxqui par office de légation vous approchoient. . .» L'exorde est insi-
nuant, et procède par louanges; voici les qualificatifs : « Nostre très pai-
sible et très rhrestien seigneur Édouart, Roy de France et de Engleterre...
Vostre excellente personne. .., mes très espéciauix et précellens compain-
gnons en légation. . .» (ms. fr. 1278, f° 64).
4 LeGIay, Négociations, I.' 21.
5) I.e Glay. Négociations, I, 210.
6) 1475. Gingins la Sarra/., Dép. des ambass. milanais, I, 76, 77.
A. 11802.
8) Sanuto, IV, 186.
220 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
de France présente sa créance au roi d'Angleterre. Dans son
discours, il dit que Louis XII l'envoie, en réponse à une let-
tre d'amitié et de paix. Le roi l'interrompt et, se tournant vers
sa cour : « Qui a écrit cette lettre ? moi, j'ai demandé la paix
au roi de France ! » Il se lève et ne veut rien entendre de
plus1.
Le discours de créance s'ouvre par une formule ou de re-
commandation ou de salutation ; la seconde est la plus
simple et la plus digne. Parfois même, l'orateur se borne à
présenter chaque membre de l'ambassade, sans se nommer,
et sans aborder aucune question. C'est la simple salutation s.
La recommandation suppose une nuance d'infériorité3. Le dis-
cours de créance peut aussi se borner à une recommandation.
Les deux ambassadeurs de l'archiduc, en audience publi-
que, recommandent au roi son très obéissant parent, cousin,
vassal et sujet : ils déclarent qu'ils diront autre chose en au-
dience secrète *. Cette forme, dans sa simplicité et sa modes-
tie, peut fournir une habile diversion. Les ambassadeurs du
dauphin de France à Rome, en 1419, après le meurtre de
Jean sans Peur, s'en servent pour prononcer un discours fort
diplomatique. Ils appellent le duc de Bourgogne « cousin du
dauphin » : ils offrent au pape « les personnes du roi et du
dauphin, le royaume, les châteaux, les pays» (on ne peut aller
plus loin dans ce style), mais ils ne parlent pas de la restitu-
tion d'obédience : ils se tiennent sur l'expectative 5. Pres-
4) Sanuto, IX, 149. Pendant que François Becchi, évoque d'Arezzo, ambas-
sadeur de Florence, prononce un beau discours, Charles VIII se permet de
dire en riant qu'il n'a jamais entendu si bon bec (Desjardins, Négociations,
1,338).
2) Rapp. de 1445. Fr. 3884, f« 176.
3) Burckard, III, 367.
4) 8 juillet 1500. Sanuto, III, 525.
5J Dépêche des ambassadeurs anglais, publiée par Quicherat, Th. Bazin,
IV, 281.
AUDIENCES DE CRÉANCE 221
que toujours le discours affecte une portée plus marquée.
A Venise, à Home, ce que les fins connaisseurs du pays ap-
pellent un bon discours, c'est un discours bref et qui se tient
dans les généralités .'« Trop long ! » s'écrie Burckard*, après
un discours de créance : celui-là est « bref et très bien, court
et bon'», dit-il après d'autres audiences*. Ainsi Macé Toustain,
homme de robe longue et second ambassadeur, fait à Venise,
le 3 avril l.'iOO, un bon discours latin, avec des protestations
d'affection, des généralités, et il conclut en demandant qu'on
désigne des conseillers pour l'entendre en particulier s. Un
ecclésiastique de l'ambassade anglaise à Paris, le 13 septem-
bre 1514, expose en bons termes la créance ; il vante sim-
plement la paix et le projet de mariage qui la consacre 6. Ma-
chiavel rend un compte favorable du discours de l'ambassade
allemande à Tours, le 23 novembre 1500. Philippe de Nas-
sau, chef de l'ambassade, a simplement exposé la nécessité
classique de l'armement contre les Turcs, et il a ajouté briè-
1) Ces appréciations sur le caractère d'un discours diplomatique s'appli-
quent à la fois aux discours de créance et aux discours d'obédience.
2) Les ambassadeurs florentins à Gênes, en 1421, remercient d'abord le
doge de la libération de certains navires et lui parlent avec une extrême cor-
dialité (Rapp. de 1421. Saige, Documents, I, 23). A Kabello Grimaldi, ils
rappellent l'antique amitié, ils parlent très cordialement (là,., 15). Mais à la
reine de Sicile, ils t'ont la « débita reverentia», ils recommandent la Seigneu-
rie et la commune à Sa Majesté, « et quella oflérta con largliezza di parole,
ricordandole la divotione avulasempre questa Comunità alla Maestà Reale et
a tutti quelli délia sacratissima reale stirpe. » Les Florentins ont toujours
été traités par elle, disent-ils, avec une extrême bienveillance (Id., p. 28). Ils
observent ainsi une nuance importante, selon qu'ils s'adressent à une autre
république ou à un souverain.
3) Discours de créance des ambassadeurs de l'archiduc, en français, court
et bon : se terminant parla demande de députés, et d'une brève expédition,
et le désir que le roi se trouve aux conférences (1501. Le Glav, Négociations,
l„U).
4) Burckard, III, 355. Cf. Etienne Dolet, De offlcio legati, I, 24.
5) Sanuto, III, 192.
6) Dép. de Dandolo^ du 14 sept. 1514.
222 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
vemcnt qu'il est envoyé en vue de conclure ta paix entre
l'empereur et la France, condition nécessaire pour une résis-
tance effective de la chrétienté. On parle ainsi en bons ter-
mes et dans les formes consacrées, sans faire allusion à au-
cun objet irritant1. Robert Guibé, évêque de Tréguier, chargé
de porter à Innocent VIII l'obédience de Bretagne, obtint
un succès qui lui valut par la suite la plus brillante carrière.
Son discours est très habilement conçu ; il est fort bref : une
phrase sur la grandeur du S' Siège et des cardinaux, une
phrase de modestie, puis tout le reste consacré à un dithy-
rambe lyrique en l'honneur de la personne du pape, de sa
noblesse, de ses vertus, qu'il exalte sans une ombre et qui
sont venues « jusqu'au bout du monde » remplir la Bretagne !
Guibé salue le Souverain Pontife, « totius christiane reipu-
blice principem, patrem et ducem », élu « summo totius
eorum ordinis consensu et christiani populi plausu atque lae-
ticia », il le salue, selon sa charge, au nom du duc, hérédi-
tairement dévoué, qui met sa personne et ses biens à la dis-
position de Sa Sainteté el lui démande de tout son cœur de
daigner l'avoir pour très recommandé. « Dixi, pater beatis-
sime *. » Voilà un vrai langage diplomatique 3.
L'ancienne forme pompeuse *, ampoulée, compassée, pa-
raît démodée 5. Nous voyons dans les Facéties de Pogge com-
i) Dcp. de Machiavel, du 24nov. 1500.
2) Robevti Guibé, Britani, episcopi Trecorensis, ad Innocentium octavum,
ponlificem maximum, legati Illustrissimi ac invictissimi Francisci Ducis Bri-
tannin, oratio in obedientia prœslanda, plaq. goth. in-4 de 2 ff. s. 1. a. d.
3) Pour les compliments d'avènement, on doit exprimer d'amers regrets
du défunt, en faire un éloge exquis : ajouter « non tam ejus morte tristatos
essequara assumptione sua. . . Ifetatos », et développer fortement cette der-
nière pensée (Instruction d'Alexandre VI, Procédures politiques, p. 1107).
Sur les discours d'obédience à Paul 111, V. Paslor, Histoire des papes, édit.
française, t. IV, p. 16 et note S.
4) Fr. 3884, f" 178, 180, 182.
5) Un exemple de cette vieille forme se trouve dans le discours de créance
AUDIENCES DE CRÉANCE 223
bien de son temps <>n se moquait déjà dos lourds et empâtés
discours de créance. Urbain V. malade et au lit, reçoit des
ambassadeurs de Pérouse, et subit un long discours, récité
par le principal ambassadeur. Le pape, avec sa courtoisie
habituelle, demande aux autres s'ils ont quelque chose à
ajouter. « Très Saint Père, dit en riant l'un d'eux, homme
d'esprit, nous avons l'ordre, si vous n'accordez pas nos de-
mandes, do recommencer notre discours. » Le pape sourit
doucement et les fait expédier1. Un autre ambassadeur s'en-
lise, devant le conseil de Florence, dans ce texte de l'Ecri-
ture : « Donnez-nous do votre huile », qu'il se proposait de dé-
velopper. L'huile excite une hilarité universelle, le malheureux
ne peut même pas achever*. En 1 445, le comte de Suffolk dit ami-
calement aux ambassadeurs de France en Angleterre « que ilsse-
roient le lendemain ouys et qu'il luy sembloit qu'il ne falloit
ja user de grandes solennitez de proposition, mais que pri-
véement et familiairoinent ils dcissent ce que le jour précé-
dant avoient dit en bref. » Et, en effet, l'archevêque de Reims
tient un discours, très court, qu'il divise en deux parties :
1° protestations d'amour, et paroles de politesse. « On vient
chercher dosnouvellesdu roi..., etc.»; 2° désir de paix, sobre-
ment indiqué. L'orateur parle de Dieu, de Moïse, des apôtres,
de la parenté des rois ; il formule des protestations de
loyauté, de franchise, sans rien articuler. Il exprime l'inten-
tion commune « de besongner plainement et privéement, et
non pas par grandes sollempnitez ne estrangetez ainsi que
autresfois on a accoustumé de faire, dont venoient de grandes
longueurs et obscurtez es matières. »
de Philippe de Maizières à Venise, vers 1366, analysé par M. Jorga, Revue
Historique, mai-juin 1892, p. 49.
1) Facétie cxxv, éd°»> Liseux, II, il,
2) Facétie cxxiv, éd"» Lisenx, 11, 9.
224 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Cependant, le langage compendieux, pompeux, la fade
amplification de rhétorique présente aux ambassadeurs une
tentation à laquelle ils n'ont pas toujours le bon goût de ré-
sister, et ce verbiage parait d'autant plus lourd et insuppor-
table que l'ambassadeur, obligé de ne rien dire de sérieux,
se maintient forcément dans les limites de la plus pure ba-
nalité. Le discours de l'ambassadeur vénitien Donati à
Maximilien « pro re christiana », c'est-à-dire en vue d'une
union de l'Allemagne avec Venise contre les Turcs, n'est, par
exemple, qu'une longue suite de phrases cicéronniennes sur un
thème extrêmement usé '. Il nous reste un grand nombre de dis-
cours conçus dans ce style : en général, ils appartiennent à des
gens d'église. Le prélat, habitué, dans la chaire, à raisonner lon-
guement, à citer des textes et des « exemples notables», suc-
combe plus qu'un autre àla tentation de prononcer sa harangue
en forme de sermon, dans un latin « bien orné. » L'un, l'en-
voyé du pape, en 1418, prend pour texte la parole : « Pax
huic domui 2 » ; un autre emploiera des métaphores poéti-
ques ou religieuses. « Les paroles du roi de France, dit le
cardinal d'Yorck, ne sont pas de lui, c'est le verbe même de
l'Auteur de la paix, transmis par lui comme par un ange de
paix3. » Un des types les plus accentués de ce genre de
rhétorique se trouve dans l'œuvre diplomatique du car-
dinal Jean Jouffroy, abbé de S' Denis, qui jouit, dans
le milieu du XV siècle, d'une immense réputation d'é-
loquence et de savoir, et qui occupa les plus hauts postes.
Jouffroy adressa, notamment, deux discours, en 1448 à Ni-
1) Hieronymi Donati dignissimi oro torts Veneli ad Csesarem pro re Chris-
tiana Uratïo. Plaq. in-4», contemp. (impressum Venetiis per Bernardinum
Venetum de Vitalibus, anno Uomini MCCCCCI, die primo rnensis junii).
2) Douet d'Arcq, Choix de Pièces, I, 397.
3) « Non creduntur sue, sed potins abeo tanqtfam angelo pacis verba ipsius
Auctoris pacis dicta » (fr. 3884, t'° 184).
AUDIENCES DE CKÉANCË 225
colas V, en août 14o9 à Pie II, au nom du duc de Bourgo-
gne, excellents monuments de compendiosité colossale, de
compilation classique, de lourdeur : l'auteur parle on homme
sûr de l'admiration de son auditoire. Le discours de 14o9,
publié par M. Ivervyn de Lettenhove, n'occupe pas moins de
(piatre vingt dix pages in-quarto du texte le plus serré '. Un
autre genre de pompe encore plus fade résulte de l'abus des
superlatifs, auxquels certaines chancelleries ne conviaient
que trop leurs envoyés : on paraissait croire que le meilleur
moyen de faire admettre des affirmations de dévouement
contredites par les faits, était de les présenter sous la forme
du superlatif1. C'est là un simple travers ; une erreur bien
plus grave et qui trahit une complète inexpérience diploma-
tique, consiste à aborder nettement, dès la première audience
publique, un terrain brûlant. La diplomatie française, un
1) Cf. les discours de créance, ms. fr. 1278, fr. 23330, f° 1-23, etc.
2) Arch. de Venise, Secreto 27. Commission du 10 juillet 1498 aux orateurs
(non nommés) partant pour la France « ad Christianissimam Majestatem
Francorum». — Nous vous avons tracé votre conduite jusqu'aux Alpes. Après
les Alpes, à Moulins, voir les duc et duchesse de Bourbon et leur présenter des
compliments de condoléance. Puis aller au roi, demander une audience, s'y
présenter «reverenter », remettre les lettres de créance, dire qu'à la nouvelle
de « felicissime successionis ipsius Majcstatis ad illud nobilissimum et am-
plissimum Regnum, incredibiliter sane i'uimus oblectati, usque adeo ut ma-
gnitudincm gaudiinostri explicarc non valeamus » : rappeler notre singulière
et o vetustissima (!) bcnivolentia et observantia » envers la maison d'Orléans,
et surtout Sa Majesté, « ob suas rarissimas et admirandas animi et corporis
dotes ». Dès la première nouvelle, nous lui envoyâmes notre secrétaire Jean
Pierre Stella. Sitôt la nouvelle Confirmée et ses lettres de notification reçues,
notre joie fut « usque ad extremum cumulum adauctum. » Pour montrer
notre joie à. tout l'univers, nous vous envoyons aussitôt porter nos félicita-
lions a Sa Majesté : « facietis commendaliones ac oblationes status ac rerum
nostrarum, générales, verum amplissimas.affecluosas, reverentes, difl'undendo
vos in qualibet parte; et amplilicando precipue devotionem nostram erga
Majestatem prefatam, gaudiumque et Icliciam a nobis susccplam, ... » : plus
vous vous étendrez, plus vous ferez bien. Telle est la summa de ce que vous
aurez à exposera votre premier discours public.
lî>
226 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
peu portée par tempérament au langage comminatoire, est
sujette à ce défaut. M. de Citain, chevalier, le 3 mai 1494,
demande, en présentant sa créance à Venise, l'appui de la
Seigneurie pour l'expédition projetée par Charles VIII, ou au
moins le passage libre sur les terres de la République1. En
1504, à Venise encore, dans son discours de créance, Lasca-
ris, littérateur grec, attaque l'Espagne qu'il traite de dé-
loyale s. Louis Hélien, poète italien, dans son discours à
Maximilien, en 1510, attaque les Vénitiens avec une extrême
violence 3 ; mais il faut dire qu'il parlait devant la diète, et
que, par conséquent, ce discours sort un peu de la tradition
diplomatique proprement dite pour entrer dans la tradition
parlementaire, qui admet certaines vivacités *. Guillaume Bri-
çonnet, évêque de Lodève, bénéficie d'une excuse analogue
pour le long, l'immense plaidoyer qu'il prononça en 1507 à
Rome, en consistoire, contre Jules II : il jugea évidemment
utile de débuter par un manifeste retentissant, de nature à
influencer le collège des cardinaux et même à le compromet-
1) Arch. de Venise, Secreto 35, 5 v°.
2) Sanuto, VI, 10:2. Cf. le discours de créance de Giustinian, envoyé vé-
nitien près de Maximilien, en 1509, réclamant le secours de l'Allemagne (Lù-
nig, Codex ltalisB diplomaticus, II, 1099).
3) l'asqualigo, ambassadeur de Venise, en apprenant ce langage, se rend
devant l'empereur pour protester. Maximilien lui répond : « Du« orator, non
curetis oratorem gallicum, quia f'atuus est » (Sanuto).
4) Il appelle Venise une « vipère toujours renaissante», les Vénitiens des
Cyclopes et Polyphonies, monstres des mers. bandits(« pi alloues»), mangeurs
de chair humaine. Ce discours est resté laineux. 11 fut lu à Ausbourg en l.'ilO,
et imprimé de suite. II a été plusieurs l'ois republié, par Freher, Rerum Ger-
manie. Scriptores (Argent. 1717; II, 522 et s.), dans l'ouvrage attribué à AN
fonso délia Cueva : Lo Squitinio délia Libéria originaria di Venezia, con un
discorso di L. Helian, Ambasciatore di Francia, contro i Veneziani, trad. dal
latino e con note storiche, Cologne, 1681, dans l'Examen de la liberté origi-
naire de Venise, trad. de l'italien, avec une harangue de Louis llélian, am-
bassadeur de France, contre les Vénitiens, trad. du latin (in-1 2, Ratisbonne,
1678). Copie, ms. fr. 20773, fo 47.
AUDIENCES DE CRÉANCE 227
tre *. Un ambassadeur turc, en 1494, offire, dès les premiers
mots, au roi de Naples un appui contre la France2. A Venise,
en 1507, un ambassadeur allemand déclare que l'empereur
va arriver en Italie contre la France ; en I0O6, un ambassa-
deur écossais annonce que son roi veut aller à Jérusalem. et
demande des galères... : à des déclarations de ce genre, le
doge répond vaguement; par des généralités, ou bien il ré-
pond seulement sur les autres points du discours de créance,
et se contente de faire « bonne chère » à l'ambassadeur, de
lui serrer la main3.
L'orateur doit aussi soigner son débit, s'il tient au succès :
1) Dans cette longue harangue en « beau » style, il rappelle, au nom du
roi, la haine du roi des Romains contre la France. Après avoir guerroyé
contre Louis et Charles, ses prédécesseurs, « ne c'est peu toutesfoys contenir
qu'il ne l'ait continuée à rencontre de luy, en luy faisant deux moys après son
sacre et coronation, sans offense, cause ne raison, la guerre, de laquelle l'yssue
fut selon su querelle ; et par expérience congneut hayne sans juste querelle et
povoir n'estre de grant effecl. » Puis, jaloux de la prospéritédu roi etdésarmé,
il t'a attaqué indirectement « par nouvelle façon de guerre,. . . c'est assavoir
par opprobres, injures et libelles diffamatoires, en le voulant descrier envers
les électeurs de l'empire et princes d'Almaigne, en l'appelant par ses
lcctivs publicques mises en mousle infracteur de foy, tirant, lasche, envielly
et couard. » Le roi sait que le roi des Romains a écrit aux cardinaux qu'il
venait défendre l'Italie contre le roi de France qui voulait usurper l'empire
d'Italie, « retirer le papal en France, pour avoir temporel et spirituel à
son plaisir, et que tout ce procédoit par l'exortacion de très révérend père
en Dieu monsr le cardinal d'Amboise, légat en France, lequel vouloit estre
pape, toy non seullement vivant, mais pour à ce parvenir te en degecter et
desappoincter, ce que ledit seigneur eust facilement fait pour la grant armée
qu'il avoit assemblée, n'eust esté la paour qu'il a eue de luy et de sadite venue
en Italie. » Briçonnet réfute publiquement ces accusations publiques. Il révèle
que le roi des Romains a plusieurs fois offert à Louis XII l'empire d'Italie et
que celui-ci a refusé. Le roi veut seulement garder ce qui lui appartient...
Le reste du discours n'est qu'amplification. Le roi tient à son titre de très
chrétien... etc., etc. (traduetfon française contemporaine, ms. fr. 5105: pu-
bliée par le bibl. Jacob, à la suite de son édition de Jean d'Auton, t. IV, p.
et suiv.).
- inudo, Spedizione, 120.
3) Sanuto. VI. 102, 513; VII, 103.
228 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
il s'appliquera à faire bien valoir le style et l'accent du dis-
cours '.
Le discours de créance est prononcé au nom du souverain
qui accrédite \ Il est généralement disposé par points, de
manière à avoir les apparences de la clarté, bien qu'on ne
lui en donne presque jamais la réalité.
Dans le début, on place toute la partie encombrante, sail-
lante : protestation d'affection, de dévouement, de loyauté.
L'ambassadeur ne vient que pour rendre des services, pour
offrir des troupes ; son maître est prêt à se sacrifier. Que dé-
sire-t-on? le voilà.
Le dernier ou l'avant-dernier article est bref, modeste,
d'apparence très douce. C'est dans celui-là que l'orateurglisse
ce qu'il réclamera. On dirait un détail: simple détail, impos-
sible à refuser à quelqu'un qui apporte d'ailleurs tant d'au-
tres choses.
Cette sorte de composition, plus ou moins naïve dans son ex-
pression, appelle des formules sérieuses et nettes : des excuses,
des compliments3, tout ce qu'on peut trouver de liant. Très
fréquemment, l'ambassadeur emprunte son préambule à l'his-
toire; il rappelle d'antiques relations d'amitié. Près du pape, il
parle de la dévotion de la France, delà faveur de l'Eglise. La
France a plusieurs fois remis le pape à Home, et « l'Eglise en
paix et union..., pour quoy l'Egbse s'est tousjours plus tenue
obligiée aux roys de France que ànulz autres princes dumon-
i) Burckard, III, 121.
2) Comme dépêche incorrecte, citons celle de Barthélémy et Antoine Gri-
maldi à Jean Grimaldi (27 mars 1451. Saige, Documents, I, 210/. Dans cette
dépêche d'un ton familier, ils appellent Jean : «Magnifiée et potens miles», et, à
la fin, ils disent mille souvenirs à sa femme. Ils ont remis, disent-ils, sa lettre
au duc de Savoie, tout en parlant « ultra quod non scripsistis », en spécifiant
bien qu'ils parlaient de leur chef.
3) Discours de Communes (Kervyn, Lettrée et négociations, II, 111).
AUDIENCES DE CRÉANCE 229
de.»' En France, Venise parle de la « très antique bienveillance
des rois...' » Si l'onsort d'une guerre, l'évocation historique
présente quelques épines ; on peut pourtant l'affronter; l'am-
bassadeur français chargé de négocier la paix après la guerre
si justement nommée de Cent ans, expose au roi d'Angleterre
« l'amour que le Roy avoit à luy. et, durant la guerre mesme,
comment ilfaisoithonnorablement traiter sesgens quelquepart
qu'il les trouvast, fust en prenant villes, ou quant ils venoient
prisonniers, par sauf conduit ou autrement, en leslaissant ve-
nir jusques à sa personne' ».
Commines, envoyé aux coalisés italiens après Fornoue,
commence par les louer excessivement : « ils se sont battus
contre les meilleurs soldats du monde, des soldats invin-
cibles* ».
Le rapport de la grande ambassade circulaire de 1479, en
Italie, nous montre divers degrés de discours de créance.
Cette ambassade sacrifie peu à l'apparat, elle tient un lan-
gage d'affaires, mais elle en modifie l'expression suivant les
cours. À Milan, elle prononce un discours de tournure
intime, en quatre points : 1° salutation ; 2° protestations
d'affection ; 3° nouvelles du roi de France, et communi-
cation des instructions ; 4° demande de concours. A Flo-
rence, son discours, identique au début, ajoute quelques
faits : elle expose le programme du roi, c'est-à-dire son vœu
d'un concile, et comme il faut d'abord mettre en demeure
le pape, elle déclare se rendre à Rome. Arrivée à Rome le
24 janvier, et reçue le 26, elle proteste contre certains bruits
1) Instruction pour les ambassadeurs à Avignon (25 janv. 1393. Douet
d'Arcq, Choix de Pièces, I, p. 112).
2) 14o9. Perret, L'ambassade de Jean de Chambesà Venise, p. 3.
3) Rapport de 144o (fr. 3884, fo 179).
4) Sanudo, Spedizione.
230 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
répandus à son égard. Le 27, elle a audience solennelle en
consistoire, et prononce un discours de créance très nourri,
où elle établit d'abord le droit du roi d'intervenir ; elle repro-
duit les raisonnements tenus à Florence et formule six con-
clusions1. Ce discours s'achève par une adresse aux cardi-
naux : l'ambassade prie Leurs Paternités d'opiner dans le
même sens '.
L'envoyé d'Imola près d'Alexandre VI, au contraire, ne
traite que deux points : le passé, le présent. Le passé
était infernal, le présent (le règne d'Alexandre VI) est ad-
mirable 3.
Lorsque Charles VII envoie des ambassadeurs au duc de
Bourgogne, pour son fils révolté, les discours de créance
1) Elle est envoyée, dit-elle, pour: 1° exposer à Votre Sainteté la question ;
2° offrir tout « onus et laborem possibilem » ; 3" supplier Sa Sainteté de
déposer les armes; 4° demander un concile général pour s'entendre contre le
Turc ; S" prier Sa Sainteté de se mettre au-dessus des passions d'un mo-
ment: et 6° d'avoir le royaume de France pour recommandé.
2) Lat. 11802.
3 Jacobi Mezamici jurisconsulti reipublice Immolensis legati ad Alex. VI
pontificem maximum (Oratio), in-4°, imprimé, 6 ff., s. 1. n. d. ni signa-
ture d'imprimeur. L'ambassadeur déclare, dans les termes les plus humbles,
se prosterner aux pieds du pape. Imolaseradévouée.Imolaaunpasséglorieux:
elle fut jadis un boulevard pour l'Italie « laceratam, jacentem, afflictam. ».
Elle a fourni beaucoup de grands hommes. Sa situation est belle, le pays fer-
tile et charmant. . . Vive César, « nepos Unis», qui a toutes les vertus : huma-
nité, générosité, audace, prudence, travail, courage, activité, adresse, tout ce
qu'il faut pour porter ad sidéra l'antique nom de Borgia ! Vous nous avez reti-
rés tous de la condition la plus misérable. Les citoyens, quelles que fussent leur
noblesse et leur innocence, étaient comme fauchés, sans distinction de vertu,
de foi, de dignité ou de sexe : « Alios laqueo appendere. aliis capita truncare,
alios in plateis et in triviis dilaniari ferro..., alios in teterrimo carecre de-
trusos inlerimere, alios in ferratos puteos dare précipites, et in eosdem, quod
relatu execrandum, pleno utero pudicissimas malronas, collo etiam applicatis
jnfantibus, atrocissime prostrathas : alios in turris profundo egerrime animam
exalare ob recusatam de suis beneficiis renunciationem. Difficile mihi nempe
esse sentio hac querula voce mestoque animo tôt feda, tôt spurca et tôt
abhorrenda percurrere flagitia. » C'est Dieu qui vous envoie —
AUDIENCES DE CRÉANCE 231
prennent une teinte onctueuse et paternelle. En 1459, la
créance se divise en trois points : 1° bonté du roi ; 2° affaires
pendantes ; 3° une péroraison onctueuse, nourrie de l'Ecri-
ture Sainte, sur la qualité de père. On peut même arriver,
dans ce cas, très spécial, au genre pathétique, à évoquer des
sentiments filiaux, le salut de l'Ame, le bien de la chose
publique, la joie éventuelle des princes de la maison de
France '.
Les discours de créance subsistent en très grand nombre.
Nous ne pousserons pas plus loin, ici, l'examen de leur rhé-
torique variable. Constatons simplement (pie, malgré la
règle générale de brièveté, on peut trouver avantage, quand
il s'agil de parer avec pompe l'art de ne rien dire, à s'étendre
en un vaste discours érudit. Les gens d'église ont cela de pré-
cieux, que leur appareil d'érudition masque bien l'inanité
du fond. Le chevalier est porté à frapper dès l'abord un
grand coup, le magistrat plaide et cherche à établir une appa-
rence de logique. L'homme d'église est le seul qui excelle à
parler pour parler, à éblouir et à accabler l'auditeur sous le
poids d'un beau langage, à le cribler de citations qui tombent
comme la grêle sans laisser le temps de respirer et sans que
personne puisse s'en défendre.
Dans les cas, tout exceptionnels, où il n'y a pas audience,
il n'y a pas discours de créance. A Pontoise, en 1463, quand
Louis XI reçoit sans façon le nouvel amhassadeur mila-
nais, il lui prend sa lettre de créance, la lit et de-
mande cordialement des nouvelles du duc, de la duchesse,
du comte Galéas, de Mme Hippolyte, de tous les enfants,
sans autre apparat. Après quelques instants de conversa-
tion, comme il pleuvait, le roi charge un de ses valets de
1) Fr. 23330 fo 1-23 : Duclos, Hùt. de Louis XI, IV, 185.
232 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
chambre de faire bien loger l'ambassadeur1. Bembo, au
contraire, tout en se présentant à Venise comme un vé-
nitien, lit un long écrit, qui contient sa commission, rédigé
par lui, dit-il, pour mieux traduire les intentions du pape*,
et y ajoute un long discours.
Les ambassadeurs turcs remettent un écrit, en ajoutant à
peine quelques mots ; mais ils font des présents, tels que
des pièces de soie brochée, des étoffes de plus ou moins de
prix s. Les ambassadeurs russes agissent de même ; ils for-
mulent quelques phrases banales et offrent des fourrures 4 :
les envoyés de Moldavie également 5.
Un ambassadeur de passage, qui n'a pas de négociation à
suivre, mais simplement un document à communiquer, aborde
sur le champ l'objet de sa communication, et remet la pièce
dès la première audience 6.
Les présents ne sont guère d'usage en Occident. Cependant
nous voyons les ambassadeurs de la duchesse d'Orléans of-
l)Dép. d'Em. de Jacoppo, 9 septembre 1463 (Archivio Sforzesco).
2) Lettres du 7 déc. 1514, aux ambassadeurs à Rome et en France.
3) L'ambassadeur dit peu de chose et présente une lettre du Turc, sans sa-
voir, dit-il, ce qu'elle contenait. Il avait quatre turcs, restés à la porte, qu'on fit
entrer : il expliqua la lettre. On remit la réponse au lendemain. Il dit qu'il ne
pouvait parler, ayant mangé du pain de la Seigneurie et craignant son maître
(3 avril 1500. Sanuto, III, 192-193). Il se borne à articuler que le Grand Sei-
gneur désire la paix. Il offre au doge quelques pièces de soie turque, sans
grande valeur, que le doge fait remettre à Saint Marc pour en confectionner
des devants d'autel : puis il se retire avec le même accompagnement (28 avril
1503. Sanuto, V, 27). L'ambassadeur de 1504 adresse quelques compliments
généraux d'amitié, des vœux de bonne santé ; il remet une lettre du Grand
Seigneur, et on lui prend des mains ses présents qui sont de médiocre valeur;
ce sont des broderies d'or et d'argent de Brousse, et des soieries (Sanuto.
V, 993).
4) Sanuto, III, 61 .
5) Sanuto, VI, 291.
6) Sanuto, 111,626.
AUDIENCES DE CRÉANCE 233
frir à l'empereur, en 1467, un objet d'art, à l'occasion d'une
négociation difficile '. En Orient, au contraire, ils sont de ri-
gueur 2. L'envoyé vénitien en Turquie, en 1500, ne peut ob-
tenir d'audience du Grand Seigneur, parce qu'il n'apporte
pas de présents : il est seulement reçu par trois pachas 5.
C'est même agir habilement que d'apporter des présents ma-
gnifiques et de les faire porter avec ostentation par une suite
nombreuse *.
Le moindre envoyé oriental doit de même apporter en Oc-
cident de somptueux présents*. En 1500, au moment où leroi
de Hongrie veut reprendre la guerre contre les Turcs, l'en-
i
1) K. TO, no 42.
2) Môme sur la route. Ainsi, l'ambassadeur de Venise en Egypte, en 1512,
est solennellement reçu à Alexandrie par l'amiral, à qui il remet une lettre de
créance (Ch. Schefer, Le voyage d'outremer, p. 472). L'amiral lui envoie le
lendemain des provisions(p. 173), et l'ambassadeur lui adresse un magnifique
cadeau (p. 176). Des gratifications sont, de part et d'autre, données aux por-
teurs. A Rosette, l'ambassadeur reçoit des cadeaux du gouverneur (p. 178).
Un ambassadeur du sophi entre au Caire, vêtu de drap d'or, avec un chapeau
à plumes, suivi de 130 cavaliers persans. Il offre avant son audience trente-six
corbeilles pleines de draps, de tapis, de harnais, et huit léopards (Ch. Schefer,
Le voyage d'outremer, p. 199-200).
3anuto,'ni, 179.
4) Présents offerts au soudan d'Egypte par l'ambassadeur vénitien, au
Caire, en avril 1303 (Sanuto, V. 50): 6 habits d'or, 10 de velours de diverses
couleurs, 14 de rasi et damaschtni, 30 d'écarlate et paonazi, 120 zibelines,
3.000 vairs. 40 formazi veze : présent magnifique, porté par plus de cent dix
hommes. Unorateur d'Ali. s?rdePerse, vientàConstantinople demander aide
contre le sophi. Il offre au Grand Seigneur un joyau estimé 36.000 ducats
(1304. Sanuto, VI, 37). L'ambassadeur vénitien au Caire, en 1312, avant sa
première audience, envoie au Soudan 8 robes de drap d'or, 14 de velours, 26 de
satin, 2 de damas, 30 de soie et or, 42 de drap ccarlate, 8 de drap violet, 120
peaux de zibeline, 4.300 peaux de vair, 400 peaux d'hermine, 30 fromages
de Plaisance pesant chacun 80 livres (Ch. Schefer, Le voyage d'outremer,
p. 186-187). 11 envoie dix robes à la sultane et de magnifiques cadeaux aux
grands officiers (p. 191, 192) : aussi réussit-il à merveille dans sa mission
contre l'ambassade de France, laquelle n'offre au soudan que pour 2,000
ducats d'étoffes et de vaisselle d'argent (id., p. 43).
3) En octobre 1493, vient à Venise un orateur du pacha de la Valona,vétu
234 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
voyéturc arrive ;\ Bude avec huit chariots de présents. Le roi
juge ces présents mesquins et les reçoit mal1.
Après la harangue de l'ambassadeur, le chef du pouvoir
répond quelques mots, généralement aimables, bienveillants,
vagues8. A Rome, le pape ne dit presque rien. En 1501, il
formule, pour l'ambassadeur de Pologne, quelques éloges per-
sonnels et déclare l'élever séance tenante au rang de proto-
notaire3. A Venise, le doge reprend point par point le discours
de l'ambassadeur et y répond, avec beaucoup de mesure, par
des généralités *. Sa réponse, par exemple, à l'ambassadeur
de France, en 1495, lors de la reprise des rapports diplomati-
ques, est un modèle exquis du langage mesuré ; il parle d'a-
bord du « respect « qu'il a toujours eu pour le roi: « Nous
nous sommes toujours fait un usage et comme une loi natu-
relle d'accueillir avec empressement et bonheur les envoyés
de S. M. et les marques de sa bienveillance envers nous. » Il
ajoute ensuite de courtoises paroles pour la personne de l'am-
bassadeur, et répond ensuite point par point aux ques-
tions abordées dans le discours5. L'empereur répond lui-
même6, et d'une façon souvent brusque. En 1489, il reçoit
les ambassadeurs de France avec des plaintes amer es,
« et usa de grosses paroles que les Allemands sont assez
à la stratiote. Il offre trois beaux chevaux harnachés et une balle de tapis. Les
chevaux valent cent ducats pièce. La 'Seigneurie en fait présent à ses généraux
(Sanudo, Spedizione, p. G46).
1) Sanuto, III, 77, 117.
2) Langage de la reine de Sicile (1421 . Saige, Documents, I, 29).
3) Burckard, III, 124.
4) Sanuto, passirn.
5)7 nov. 1495(Kervyn, Lettres et négociations, III, 235).
6) En 1493, le roi des Romains, qui vient de se marier, donnant audience
aux ambassadeurs de Monticrrat devant les ambassadeurs de .Milan, demande
à ces derniers leur avis sur la réponse qu'il doit taire. C'est une marque offi-
cielle d'amitié et d'intimité sans exemple (F. Gajvi, Bianca-MaSforza-Visconti,
p. 62).
AUDIENCES DE CRÉANCE 235
coutumiers de tenir1. » Il répond à une ambassade de France,
en liTi. par l'apologue de la peau de l'ours, sans autre ex-
plication5.
En France, le roi fait généralement répondre3, à moins
qu'il ne s'agisse d'une mission sans grande importance.
Ainsi, en 1506, il répond à Machiavel, en le tutoyant4 . En
1507, il fait répondre aux envoyés vénitiens parle président de
Provence'. Ces réponses sont toujours extrêmement brèves et
simples. Cependant, là aussi, l'école pompeuse s'était autrefois
introduite. Jean Jouffroy, dont nous avonsparlé, ce foudre d'élo-
quence, répondit ainsi, au nom du dauphin Louis, à une am-
bassade de Charles VII, par un long sermon, tout débordant
de l'Ecriture sainte, à laquelle se mêlaient des souvenirs clas-
siques. Il s'étendit notamment sur la fleur de lys, dans la-
quelle il trouva quatre vertus ; Noblesse, Richesse, Ancien-
neté, Bonne renommée. Il rappela l'histoire de Joseph, il cita
Diogène et S1 Jean Chrysostome, Quintilien et les Prophètes ;
il rappela les trois lumières du roi, Puissance, Justice, Sa-
gesse. Il compara le dauphin à Job. Il signala en lui trois
vertus, Pudeur, Compassion, Prudence, et s'étendit naturel-
lement sur cette trilogie, à laquelle en succéda une autre :
Veni, Vidi, Vici. Arrivé à ce point de son discours, il parât
1) Dupuy, Hist. de la réunion de la Bretagne, II, 185.
■1\ Cet ours était le duc de Bourgogne (Commines, liv. iv, c. m).
3) Après le discours de l'ambassadeur, ses collègues se lèvent. Alors, le roi,
es cardinaux, le chancelier se lèvent aussi : le chancelier résume en français
le discours, on se congratule. Puis tout le monde s'assied. Le roi ordonne de
répondre, et le chancelier prononce un discours latin (Réception des ambas-
sadeurs vénitiens, à Blois. 4 déc. l.'iOl. Sanuto, IV, 186).
4) Son discours rapporté dans la dépêche de Machiavel, de Civila Castel-
lana. 28 août 1506.
inuto, VII, 86. En Hongrie, Thomas Erdocdi, primat de Hongrie, ar-
chevêque d'Esztergom (Gran), répond à l'ambassade française de 1300
(Fraknoi).
236 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
en recommencer un second, et l'on vit encore longuement dé-
filer Joseph et Chrysostome et lsaie, mêlés au panégyrique
du dauphin1. Ce système a disparu delà diplomatie.
En 1509, après la harangue des ambassadeurs de Marguerite
d'Autriche, Louis XII marque beaucoup de joie ; il con-
fère brièvement avec le cardinal d'Amboise et le chance-
lier, et fait répondre par le chancelier. Cette réponse, après
de cordiaux compliments de bienvenue, aborde d'une ma-
nière assez nette les questions négociées, c'est-à-dire la ratifi-
cation du traité de Cambrai, déjà accomplie par l'empereur,
et que Louis XII annonce également pour sa part. Après ces
belles paroles, on déclare aux ambassadeurs que le roi leur
donnera et députera gens pour communiquer et « besoigner »
avec eux, et l'audience prend fin*.
A Rome, l'ambassadeur resté à genoux pendant la réponse
du pape, se relève 8, et se place debout à gauche du trône,
pendant que toute sa suite vient baiser la mule, puis l'au-
dience est levée4.
Un discours de créance devient bientôt un événement, dont
le monde politique et littéraire retentit. Chacun dit son mot.
L'ambassadeur vénitien à Bude, en 1500, écrit, modestement,
l)Duclos, Hist. de Louis XI, p. 185-215.
2) Lelt. de Louis Xlî, I, 146 et suïv.
3) L'orateur de Lithuanie, fait protonotaire, reçoit ses insignes séance te-
nante. Le maitre des cérémonies s'approche de lui, et lui ôleson vêtement de
dessus, vêtement qui doit être le profit du maitre; mais comme ce haut fonc-
tionnaire, dans la circonstance, s'attend à une meilleure gratification, il
affecte de ne pas le garder et le remet à un des gens de la suite. Alors le pape,
en présence de tous les cardinaux, passe à l'orateur les insignes du protono-
tariat, en le déclarant protonotaire. Puis l'orateur se relève, dépose ses
insignes et se retire, suivi des gens du cardinal de Capoue. Dix-neuf cardinaux
étaient présents (Burckard, III, 121).
4) L'ambassadeur retourne à sa maison avec le même cérémonial (Bur-
ckard, III, 122).
AUDIENCES DE CRÉANCE 237
qu'il vient d'entendre le discours de l'ambassadeur de France,
et qu' (( on » le trouve inférieur au discours récemment pro-
noncé par l'ambassade vénitienne '.
Los ambassadeurs présents à l'audience échangent leurs im-
pressions, leurs critiques, leurs louanges, et les transmettent
à leurs gouvernements. L'ambassadeur d'Allemagne en
France, à la sortie de l'audience de créance des ambassadeurs
d'Angleterre, écrit qu'il était impossible de faire un
meilleur discours : l'orateur a représenté son roi comme ai-
mant le roi de France plus que tout autre, comme voulant tou-
jours rester son bon fils. Louis XII a fait aussi très bien ré-
pondre*. A la cour aussi, les commentaires suivent. Burckard,
d'ordinaire peu bienveillant, note, par exemple, dans son
journal la réception d'obédience de Bretagne, le 11 mars
1499, en consistoire public, où tout se passa à merveille. Les
trois ambassadeurs furent introduits un à un, chacun entre
deux prélats ; leur créance (écrite en français) avait été tra-
duite d'avance : le pape répondit au discours, habilement, en
termes généraux, très élégamment 3. La harangue du comte
Belgiojoso, ambassadeur de Milan près de Charles VIII, qui
abordait ouvertement la question d'une descente en Italie,
aussitôt divulguée en France, y produit des effets très divers *.
La divulgation ne manque jamais : en effet, note est aussitôt
prise, pour l'usage de la chancellerie, des paroles échangées5,
1) Sanuto, III, 356.
2) Juillet 1510 (Lett. de Louis XII, I, 264). L'ambassadeur de Florence en
France écrit à Laurent de Médicis, en 1487 : « Vous aurez su que les ambas-
sadeurs du pape se sont tirés à leur honneur de leur harangue, et que l'évoque
en a été grandement loué » (Kervyn, Lettres et négociations, II, 63).
3) A la date.
4) Ms. fr. 17519, f° 77 \« (Hist. manusc. de Charles VIII).
5) Procès-verbal du discours tenu par les ambassadeurs de Chypre, et de la
réponse de la S^ de Florence (3 oct. 1461. Mas Latrie, Hist. de Chypre,
III. loi et s.) Relation de la réception des ambassadeurs du roi, par le duc
238 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
et de très bonne heure môme, l'usage s'introduisit en Ita-
lie de faire imprimer les discours de créance et d'obédience,
en plaquettes in-quarto, qui nous restent en grand nombre '.
Ce sont de simples feuilles, la plupart sans mention de lieu
ni date d'impression, parfois ornées d'initiales gravées sur
bois. Les discours prononcés à Rome sous Innocent VIII et
Alexandre VI furent ainsi imprimés 2. On imprimait aussi
à Rome et à Venise les discours prononcés par les ambassa-
deurs à l'étranger. En France, on ne parait avoir suivi cet
exemple que pour les harangues importantes. Ainsi le long dis-
cours de l'évoque de Lodève, en 1507, fut aussitôt imprimé
officiellement à Paris et à Lyon 3.
Les auteurs, de leur côté, prenaient soin de répandre leur
de Bourgogne : en forme de mémento des paroles échangées, sur papier,
sans signature (6 nov. 1 i04. Fr. 1278, i'°* 217-219 v°).
1) Le discours d'obédience de Guibé, sous Innocent VIII, cité plus haut
eut deux éditions (Iluin, nos 8154, 8135) ; Je discours de Jean François Mir-
liano, pour Milan, deux également (id., n*8 17T4-75) ; llain cite jusqu'à cinq
éditions du discours d'obédience deJason del Maino (pour Milan) à Alexandre
VI, en 1 192 (id., n»s 101)71, 10975-78).
2) llain [Repertorium, n»s 10526. 10527 cite même l'impression de trois
discours d'Accurse Mainier à Venise: deux imprimés ensemble sous la date
de 1499, un autre sans date.
3) «Connu Julio secundo, maximo pontifice, sacroque cardineocollegio, pro
christianissinio Francorum regeLudovico XII adversus impudenlcmet parum
consultum caluinniatorem appologia, per reverendissinuun d. d. Gulielmum
Briconnetum, Lodoviensem meritissimum antistitem,Romae habita mc.ccccvii,
cum privilegio » (armes royales, entourées du collier de l'ordre, avec un
S1 Michel et un porc-épic, le tout encadré de deux tiges naturelles de fleur
de lys : pet. in-4° carré de 20 ffto) ; à la fin : « lnipressuni Lugduni iinpensis
Vincentii de I'ortonariis de Tridino de Monteferrato. Anno domini Mcccccvir,
die xii mensis octobris ». Le même discours a été imprimé à Paris pour Denis
Roce, sous ce titre: « Apud Iuliuui secundum, ponliticein maximum, sacrum-
quecardineum collegium, pro christianissimoFVancorum rege LudovicoXII,
per reverendum D. d. Gulielmum Briconnoluin, Lodoviensem meritissimum
antistitem, oratorem regium, Romœ habita apologetica oratio mccccgvii. »A
la première page, la marque de Denis Roce, et « Venundantur Parisius invico
sancti Jacobi sub sancti Martini inlersignio » ; petit in-q« long, de 9 ftlB.
AUDIENCES DE CRÉANCE 239
œuvre. La traduction française du discours de l'évêque deLo-
dève existe encoreà l'état de manuscrit original, offert au roi,
très probablement par l'ambassadeur1. Un ambassadeur de Ri-
mini envoie en présent à Marino Sanuto le texte de son dis-
cours '. Nous voyons imprimer à Leipzig un discours pro-
noncé à Rome en 1511, et adressé par l'auteur à l'un de ses
amis '.
Aussitôt après l'audience, si elle est importante, le gouver-
nement en envoie le résumé, ou par circulaire sommaire
à tous ses représentants à l'étranger \ ou par dépèches dé-
taillées à certains d'entre eux 5, pour communication aux
gouvernements respectifs 6.
1) Ms. tï. 5105, petit in-fû, orig., de "27 ff«, dont 24 utiles, sans titre : la
première page esl encadrée d'une bande de fleurs de lys sans nombre sur
champ d'azur, avec les armes du roi et de la reine.
■2) Sanuto, V, G8k
:ii Sous ce titre: Oralio sanctissinri federis initi inter pontificem et hispa-
num i-t Venetos, habita Rhome tertio nonas octobris announdecimo, pet. in-i°,
impression de Leipzig, s. d., avec marque du libraire. Au verso du titre, une
note, ainsi intitulée : « Prcstantissimo viro, il"» Gunthero de Gunan, protho-
notario apostolico et decano NeumbergeUsi, etc. Doctor Scheurlus », avise
que l'impression est laite pour assurer la publicité de l'œuvre.
4) Circulaire du duc de Milan (11 février 1466. Archivio Sforzesco), avisant
qu'il a donné, le matin même, audience aux ambassadeurs de France. Ils
ont fait l'éloge de la maison de France, puis le nôtre, malgré notre indignité,
dit-il. Le but de cette ambassade est de : 1<> nous remercier de notre appui ;
*2° nous offrir celui de la France; 3« nous exhorter très instamment à envoyer
quelqu'un pour conclure le mariage de la sœur de la reine avec notre fils Ga-
léas. Nous avons répondu comme il convenait et accepté le § 3. Nous en-
voyons Albéric Malleta. « Delche darete immédiate notitia adquella Illuslris-
sima Signoria ».
5) Dépêches de Venise aux ambassadeurs en France et à Rome, du 8 dcc.
1514 (ce> deux dépêches racontent la même audience sous des formes
différent'
6) Le duc de Milan communique à Venise par son ambassadeur la harangue
de créance de l'ambassadeur de France et la réponse qu'il y a faite (février
1495. Kervyn, Lettres et négociations, II. 167). Le 9 déc. 1514, te conseil
des X de Venise, sur une interpellation directe d'Antoine Trivulce, évêque
d'Asti, orateur de France, à propos de la harangue de Pierre Benibo et du bref
240 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
C'est aussi après l'audience de créance que les ambassa-
deurs adressent eux-mêmes1 à leur gouvernement une dépê-
che détaillée, où ils rendent compte de leur arrivée, de leur
entrée s, où ils analysent leur discours de créance et la ré-
ponse officielle 3. Nous trouvons à Bologne des lettres, où,
répondant à cette dépêche, la Seigneurie analyse de nouveau
à son tour le langage tenu par l'ambassadeur pour l'approu-
ver et lui donner ainsi plus de force. Elle écrit le 4 novembre
1500 àAnt. Saxigliono, son envoyé en France : « Excellent et
très cher, nous avons reçu ta dépêche du 22 octobre dernier,
datée de Nantes en Bretagne ; elle n^us a été fort agréable, et
nous avons eu grand plaisir à être avisé par toi des choses
que tu nous écris. Entre autres, nous apprenons par cette
dépêche comment, après avoir dûment fait en notre nom la
révérence au très chrétien seigneur roi, tu lui as, avec la
plus grande habileté, recommandé nos affaires, attendu la
présence d'une armée de Bomagne * » etc.
Dans les ambassades florentines, le notaire-secrétaire de
de Léon X, décide de dire que la république a évité de répondre catégori-
quement pour gagner du temps, qu'il ne faut pas croire à la réponse faite à
Bembo; aucune menace ne peut ébranler l'alliance avec la France. «C'est
une réponse provisoire, nous en avons annoncé une seconde, et Bembo ne
l'aura pas de sitôt.» Le conseil décide aussi d'écrire directement dans le même
sens à l'ambassadeur en France.
i) Lorsqu'une ambassade spéciale est présentée par un résident, le résident,
de son côté, rend compte de l'audience. Ainsi Villiers de la Groslaie, am-
bassadeur à Rome, écrit au roi que son envoyé spécial, l'écuyer Perron de
Bascher (« lias Bascbi, dans les textes italiens, ou Bascbé) est arrivé, qu'il a
été reçu par le pape, et bien (fr. 15541, f° 200).
2) L'ambassadeur de la duebesse de Milan à Rome, après la mort dé
François Sforza, écrit qu'il est entré la veille à Rome, reçu par toutes les
familles des cardinaux ; pas un ambassadeur ni un prélat n'a manqué.
Démonstration sans exemple depuis longtemps (28 mars 1466. Archivio
Sforzesco).
3) Dépécbes diverses de Machiavel, not. du 17 juillet -1500.
4) Arcb. de Bologne, Liltcrarum.
AUDIENCES DK CRÉANCE 241
l'ambassade rédige un certificat latin constatant rentrée de
l'ambassade et sa réception et il adresse cette pièce par la
poste, sous pli cacheté, au premier chancelier ou secrétaire
de la Seigneurie \
A partir de ce moment, le terrain se trouve préparé pour
la négociation et, la période d'apparat terminée, la négo-
ciation proprement dite va s'ouvrir. Quelquefois, à l'is-
sue de l'audience, on offre à l'ambassadeur de lui faire
voir les curiosités de la ville '. On le festoie 3, même lorsque
1) Archives de Florence, Legazioni e comm., reg. 4. certificats originaux.
Voici le texte de l'un d'eux (l'o 96) : « Fit fides per me notariuni et secretarium
infrascriptnm qualiterdie XI» decembri anni millesimi quingentesimi secundi,
et inoppido Loces, partium Francie, .Magcns vir AlexandcrFrancisci de Nasis,
ex oratoribus Florentinis ad Christianissimum Regcni Francie, se cum ejus
collcgis presentavil ad priniam audientiam, et expositionern eorum commis-
sionis coram ejus Chr'»° .M,e aliaque omnia t'ecit que et ad que tenebatur se-
cumluin ordiuamentum communis Florentie, ut moris est. In cujus rei fidem
ban» lieri et me suscribi... Ego Octavianus Pepe, notarius et secretarius ora-
torum Florcntinorum, intérim, predictumque jussus scriberc scripsi et me ut
supra suscripsi.» — (F« 48). Certificat du notaire-secrétaire, que Nicolas Valori,
ambassadeur en France, « se personaliter presentavit et primum ingressum
et audientiam liabuit a prefato rege chr"1" die XYIIIa januarii », 1303. (F" -49).
Semblable certificat de la première audience de Donato Accaiuoli, ambassa-
deur près du pape, le 8 mai 1507. (F° 50). Semblable certificat, du 25 no-
vembre 1505. pour Alex, de Nasi. ambassadeur à Rome (avec deux témoins,
marchands florentins), constatant son entrée à Rome « cum solita pompa et
sufficienli comitiva » et sa première audience le 26. (Fooo). Certificat du 28
mai 1505, que François, fils l'eu Pierre Philippe Pandoliini « una cum débita
et requisita comitiva scu numéro servorum, se representavit coram suprascripto
cln-'uo Hegi eique publicas litteras presentavit, ut moris est, in eivitatcBlesis.»
(Envoyé par la poste sous pli cacheté à «D»» Marcello Vergilio secretario». F0
65. Même certificat, avec môme envoi. F0 66). Certificat de l'entrée à Rome
de Pierre Accaiuoli, « novus orator florentinus,.... moram trneturus apud
Summum Pontiticem ». (F» 97). Certificat de la première audience de Nasi
près de Loin- XII. le 11 décemcre 1502. (F0 166). Certificat de première
audience de Bald. Carducci, ambassadeur florentin près Raymond de Cardone,
vice roi de Xaples et capitaine général de la ligue, par un secrétaire « pênes »
le vice-mi (23 août 1512).
2) Sanulo, \. 99t.
3) Après leur réception solennelle en consistoire, les ambassadeurs polonais
16
242 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
le ton de l'ambassade ne présage pas des négociations très
faciles *.
En Orient, la présentation de créance par les ambassadeurs
donne lieu à un déploiement de faste tout particulier.
En septembre 1505, l'ambassadeur musulman du sophi de
Perse offre à Constantin ople de magniiiques présents, no-
tamment quatre éléphants : néanmoins, le sultan lui refuse le
baise-main, sous prétexte que le sophi a fait manger du porc à
l'ambassadeur turc, et l'envoyé se montre fort blessé de ce
traitement \
André Gritti, envoyé à Constantinople en 1502, part, avec
l'ambassadeur turc, sur les galères de la république. A la
bouche de Streto, l'orateur turc descend à terre, pour rece-
voir des présents du sandjack selon l'usage : de même, à Gal-
lipoli : Gritti en reçoit également.
A son arrivée à Constantinople, Gritti est attendu, par
l'agha et les principaux fonctionnaires, et logé à la mai-
son de l'ancien baile vénitien, maison donnée, depuis la
guerre, au sandjack de Gallipoli. Des sentinelles, placées à
la porte, empêchent toute communication avec le dehors.
L'ambassadeur envoie ses présents au Grand Seigneur et
aux pachas : lui ettoutson personnel sontreçus à dîner pardes
pachas 8. L'audience du sultan est fixée au dimanche, un des
quatre jours d'audience ordinaire. L'ambassadeur descend
de cheval à la deuxième cour du sérail, au milieu de 3,000
janissaires, de 1500 spahis, d'une foule de pachas et d'offi-
sont retenus à diner par le cardinal Regino (mars 1505. Dùp. di Giustinian>
111,448).
i) Août 1505 : Deuxième voyage de Philippe le beau, publié par Gachard,
p. 398-399.
2) Sanuto, VI, ±1[.
3) Sanuto, V, 449.
AUDIENCES DE CREANCE 243
ciers '... Le sultan se lève pour recevoir l'ambassadeur, et le
fait asseoir. D'ordinaire, on baisait la main du Grand Sei-
gneur, mais Bajazet II ne voulait pas montrer sa main qui
était malade: il refuse donc le baise-main5. En présence des
pachas, restés debout, l'ambassadeur présente sa lettre de
créance. Par l'intermédiaire d'un drogman du sultan et d'un
drogman de l'ambassade, le sultan demande des nouvelles
de l'ambassadeur et du doge ; l'ambassadeur répond, fait ses
salutations, et donne le projet de paix, juré à Venise, en
priant d'accepter les modifications. Le sultan passe ce docu-
ment aux pachas. Puis on parle de diverses affaires, le sultan
se retire, et l'ambassadeur revient chez lui, escorté jusqu'à la
porte par les pachas, et jusqu'à sa maison par l'agha. Il écrit
à Venise que le sultan lui a paru gauche et timide 3.
Il est curieux de rapprocher de cette description le récit de
l'audience de l'ambassadeur vénitien, Dominique Trevisan,
par le soudan du Caire, le 10 mai 1512, dont le souvenir est
consacré par un tableau de l'école de Gentile Bellini*. La ré-
ception a lieu dans une cour de la citadelle du Caire, à la porte
d'une salle qui existe encore sous le nom de Diwan el Ghoury.
Le soudan Cansou Ghoury est assis, et l'ambassadeur debout,
avec sa suite.
Une longue dépêche du secrétaire de l'ambassade véni-
tienne au Caire du 24 avril 1503 5, rend un compte fort détaillé
de la première audience de son ambassadeur. Dès l'aube,
1) Sanuto, V, 456 et suiv.
2) A l'ambassadeur de Perse, en 1508, il fait baiser son genou ( Sanuto, II,
631).
3) 1502. Sanuto, Y, 449450.
4) Musée du Louvre, n° 60. Sa relation manuscrite, due à Zaccaria Pagani
de Bellune, appartient à M. Charles Schefer, membre de l'Institut, adminis-
trateur de l'Ecole des langues orientales.
5) Sanuto, V, 49.
244 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAV3L
l'ambassadeur monte à cheval et se rend au château, avec une
grande escorte de pachas et de mamelucks. Sa familia le
suit sur des ânes. On met pied à terre au bas d'un grand esca-
lier, et l'on entre au château entre deux haies de mamelucks
blancs, rangés en silence et en respect, comme des ob-
servantins de S1 François. Après la grande porte de fer, on
traverse encore onze portes : à la dernière, se trouvent des eu-
nuques noirs ou blancs. Trois ou quatre, d'une prestance su-
perbe, sont majestueusement assis. A chaque porte, se tient
une haie de cent mamelucks. L'ambassade reprend haleine,
après avoir parcouru près d'un mille à travers toutes ces
portes, puis elle pénètre par la onzième porte, gardée par
des eunuques et des mamelucks. Là, se trouve une place six
fois grande comme la place S1 Marc, avec 6,000 mamelucks
blancs rangés en bataille, toujours dans plus le profond silence.
Au fond, une superbe tente, avec un grand tapis : le Soudan
y était assis à l'arabe, entouré d'une brillante cour; l'ora-
teur entre, avec force révérences, en faisant mine, lui et
sa suite, de baiser la terre: à huit pas du Soudan, il
donne sa créance, et dit quelques mots que traduit le drog-
man (« el magnifico turcimano »). Puis on retourne dans le
même appareil. Mais comme c'était jour d'audience et qu'il y
avait sur la place un millier d'Arabes, le gouverneur du châ-
teau avertit l'ambassadeur que ces gens pourraient bien lui
faire un mauvais parti et donne une escorte de dix ma-
melucks, qui repoussent la foule à grands coups de bâton,
comme un troupeau.
Revenu chez lui avec le même cérémonial, l'ambassadeur
envoie au soudan de riches présents ; puis il a une audience
secrète, le lendemain.
En cas de brouille complète, le souverain peut refuser toute
AUDIENCES 'DE CRÉANCE 245
audience ;m\ ambassadeurs ' , ou n'accorder qu'une audience
[•etc. Dans ce second cas, l'ambasssadeur voit sans aucun ap-
parat Me roi ou bien seulement un membre du conseil délégué
pour le recevoir s. La première audience peut demeurer se-
crète aussi pour des causes toutes différentes, dont le souve-
rain reste juge *.
Dans le cas, très rare, où L'ambassade a pour but une sim-
ple notification, la première audience publique suffira, et le
souverain se borne à annoncer qu'il fera remettre plus
1) Louis XII refuse toute audience aux ambassadeurs napolitains en 1500
et en 1501 (Sanuto, III, K>:i2. IV, 8). Jules II ne veut pas recevoir, pour la
première entrée, l'évêque de Paris comme ambassadeur de France, mais
comme évêque, et promet de lui faire bonne chère, loti {Lelt. de Louis XII,
II, 199).
2) L'ambassadeur de Venise en Allemagne obtient difficilement une
audience: la reine ne voulait pas qu'on la lui donnât. Enfin, on la lui accorde,
secrète : il s'y rend par un jardin, et remet sa créance, avec lediscours habituel,
devant trois ou quatre personnes (juillet 1500. Sanuto, III, 564). Des ambas-
sadeurs milanais écrivent qu'ils n'ont pu être reçus du roi que grâce à Philippe
de Commines. Le roi les reçoit dansun petit cabinet, brusquement et familiè-
rement: « C'est vous qui êtes l'homme du chic de Milan»?, dit-il au premier.
11 les congédie, sous prétexted'uneoccupation urgente, et leurdonne audience
pour le lendemain. Mais le lendemain il part pour la chasse. Commines dit
aux ambassadeurs que le roi a vu leurs papiers, qu'il répondra une bonne
lettre au duc de Milan et qu'ils n'ont plus qu'à prendre congé (Kervyn,
Lettres et négociations, III, 9).
3) Le roi des Romains envoie incognito à Venise un de ses conseillers, H.
Hauber. comme nontio pour des ouvertures de paix. Le conseil charge un de
ses membres de le voir(4 sept. 1508. Sanuto, VI, 626).
il Un orateur hongrois est expédié très secrètement par Maximilien, qui le
voit seul (17 déc.I50G. Sanuto, VI, 276). En 1493, Pirovano, l'envoyé milanais,
reçoit avis d'attendre le roi à la porte du château (à Melun) etdelui présenter
à cheval ses lettres de créance, ses recommandations, et d'exposer quand il
seraiten rase campagne ses propositions. A peine en selle avec son secrétaire,
le roi parut et s'approcha. Pirovano mit pied à terre par respect et offrit ses
lettres. Le roi les prit, les lut, écouta Pirovano, le pria de le suivre; ils s'éloi-
gnèrent, suivis à cinquante pas d'un simple archer écossais. et l'entretien dura
plus d'une demi-heure. Le roi ne parlait que français: Pirovano le comprenait
avec une certaine peine (Rapport de Pirovano. Romanin, Storia documentala
di Venezia, t. V, p. 29 et s,).
246 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
tard sa réponse '. Cette méthode suffit aussi pour entamer
une négociation, lorsque l'ambassadeur a jugé bon d'at-
taquer ouvertement les questions d'affaires dès son discours
de créance ; mais on comprend qu'une négociation sous cette
forme revêt de suite une couleur plus spécialement officielle
et comminatoire.
Selon la pratique habituelle, l'ambassadeur demande à l'is-
sue de l'audience publique une audience secrète s ; il est sou-
vent fait allusion expresse à cette audience dans le discours de
créance ou dans la réponse du souverain. L'audience secrète
se produit sous deux formes : 1° comme véritable audience du
souverain, ou tout au moins du grand conseil ; 2° comme
conférence avec une commission spéciale du grand conseil.
Quant au résident, envoyé sans aucun mandat spécial, son
œuvre diplomatique peut commencer par de simples visites.
Ainsi, nous distinguons quatre procédés pour suivre une
négociation ; 1° réponse du chef de l'Etat ; 2° audience se-
crète, 3° conférence avec des délégués, 4° visites. Nous allons
les passer en revue.
1° Réponse du chef de l'État. — Cette réponse consiste dans
une déclaration aux ambassadeurs, qui met fin à la négocia-
tion.
La déclaration peut être verbale \ et dans ce cas elle com-
1) Il peut même répondre séance tenante, mais le cas se produit très
rarement, et ne suppose pas de ménagements à garder. Venise étant très
mal avec Florence, le doge répond dès la première audience aux envoyés
florentins (Buonnaccorsi, Diario, p. 8).
2) Rapport d'un ambassadeur anglais, 1419 ; Quicherat, Thomas Bazin,
IV, 278. Sanuto, III, 87, etc.
3) Réponse verbale (mais gardée par écrit) du roi (Charles VII) à Ouaste
et Levrault, envoyés de son fils: « C'est la responce que le Roy de sa bouche
afaicte... », en forme plutôt paternelle que royale (fr. 28H, 50). Lettre du
duc de Milan à Louis dauphin, 31 juin 1461 {Lettres de Louis XI, 1,
p. 352). Rien qu'ayant déjà écrit le 20, sur l'arrivée des ambassadeurs,
AUDIENCES DE CRÉANCE 247
porte souvent une recréance, comme nous le dirons plus loin.
Mais la réciprocité est la règle des négociations diplomati-
ques. Si donc l'ambassadeur a présenté une lettre de son sou-
verain, on lui remettra une lettre * ; s'il a communiqué ses ins-
tructions, on lui remettra une note écrite en réponse aux ar-
ticles.
Dans les cas même ou l'on n'a pas à donner de vraie ré-
ponse, la courtoisie de mise entre souverains amis veut qu'on
réponde à la lettre de créance apportée par l'ambassadeur,
par une lettre directe, où l'on remercie plus ou moins chaleu-
reusement des protestations d'amitié formulée par l'ambas-
sade 3. Dans tous les cas, la réponse est délibérée en grand
conseil, et l'on en donne habituellement lecture ' à l'ambas-
sadeur, mandé dans ce but *. Elle est écrite en latin, par ar-
le duc adresse une nouvelle lettre de congratulation, très vive, avec l'éloge des
ambassadeurs, qui diront au dauphin tout son dévouement. — Autre créance
avec grand éloge du secrétaire chargé d'affaires, du 13 juillet 1461 (Id.,
p. 3u3). V. plus loin.
1) Sanuto, III, 194.
2) Desjardins, II, 519. Ms.lat. 10133 (Recueil de Simonetta), f° 428. Lettre
d'Henri VII d'Angleterre au duc de Milan, Westminster, 18 février 1480. II
a reçu avec grande joie les protestations d'affection apportées par les ambassa-
deurs, il proteste de sa sympathie. .Même lettre, f° 481, sous date de 1489. —
Ms. Moreau 734, f° 119. Gènes envoie à Louis XI des ambassadeurs, le 2 oct.
1479. Plessis-les-Tours, 27 novembre, Réponse de Louis XI : il a reçu les am-
bassadeurs ; il traitera les affaires des Génois de manière à les contenter. —
Sanuto, III, 1622. Le légat du pape en Hongrie (pour la croisade) a délégué
un nonce au roi de Pologne. Lettre du roi au légat, accusant réception
(en latin. Intitulation : Amice honorande); mars 1301. — Lettredu duc de Sa-
voie au roi, très humble, accusant réception de sa lettre. Dès qu'il aura oui
l'ambassade, il fera «telle response que aurez cause vous contanter ». Signée:
« Vostre très humble et très obéissant serviteur, le duc de Savoye, Charles »,
adressée : « A mon très redoubté seigneur, Monsr le Roy » (fr. 2923, f« 27).
3) « De more. » Sanuto.vu, 108.
4) K. 78, 13. — Lettre (en français) de Maximilien aux ambassadeurs de
France. Vous nous ave/, p irlé, dit-il, à Loben (Leoben) delà partdeLouisXH:
nous avons (b'iaijé de vous répondre. Nous avons assemblé « ceulx de nostre
Saint Empire et sommes en consultation avec eulx ». Nous pourrons vous
248 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
ticles, calquée sur les instructions et dans le même style '.
Cette communication se fait attendre trois ou quatre jours,
souvent davantage 2, et ne procure pas toujours un moment
agréable s. Lorsqu'elle a véritablement l'importance d'un acte
diplomatique, on cherche à lui retirer le caractère purement
verbal, et à la transformer en notes écrites, dans un intérêt ré-
ciproque *. Si elle doit présenter un caractère commina-
répondre dès votre arrivée. Venez le plus tôt possible à Schaffouse. J'envoie à
vous, M. de Ghampdeniers,la ramure du cerf que vous avez désirée (Haguenau,
7 mars 1506). — En 1506, le doge de Venise va en personne à l'auberge des
ambassadeurs d'Allemagne, leur porter la réponse du conseil (Sanuto, VI, 494).
4) Réponse écrite du duc et de la duchesse de Milan, en latin, divisée en
deux parties, signée du duc et delà duchesse :1° pour l'affaire principale. Fé-
licitations, remerciements, compliments, dévouement aux ambassadeurs et au
roi. Vertu, sagesse, religion de l'immortel roi et de ses félicissimes et chris-
tianissimes prédécesseurs. Ses avis sont portés « usque ad cœlum ». Mais on
ne peut rien traiter sans les Florentins. La conduite du pape est peu digne du
vicaire du Christ ; 2° pour Gènes. Grâces immortelles au roi. Nous tiendrons
Gênes en hommage de lui. Mais il n'est pas facile de la prendre. A Rome,
dites donc à Urbain de Flisco, évêque de Fréjus, de tenir ce qu'il a promis au
roi à ce sujet pour sa famille (Signé). — Note analogue des Florentins
(ms. lat. 11802).
2) En Suisse, la diète fédérale indique le jour de la réponse (Jean d'Auton,
I, p. 347): mais, hors de ses sessions, on attend souvent une quinzaine de
jours (1475. Ginginsla Sarraz, Dép. des ambass. milanais, t. I); en 1495,
Commines attend à Venise quinze jours la réponse (Kervyn, Lettres et négo-
ciations, III, 235).
3) Au bout de quatre jours, Charles VII mande Courcillon, envoyé du dau-
phin, pour la réponse. Le chancelier répond que « la chose a trop duré, et en
veut le Roi voir la fin, et en, effet est délibéré de n'en souffrir plus.» Le chan-
celier ajoute : « Messire Guillaume, prenez congé du Roi, vous estes expédié. »
Guillaume se jette aux genoux et supplie le chancelier d'ajouter quel-
que chose : le roi dit que non. Guillaume alors dit : « ifesseigneurs, je ne suis
point clerc, et je tuis de gros entendement. Je vous prie, baillez moi cette ré-
ponse par écrit. » Le chancelier répond que ce n'est pas la coutume (Duclos,
Hist. de Louis XI, IV, 161-163).
4) « La vint mondit s"" de S1 Pol, et récita la cause qu'il avoit de par Mgr
de Cliarolois, comme il disoit... Sur laquelle créance, fut délibéré et conclu
en la présence du Roi... » M. de St Pol n'ayant rien apporté par écrit, on ré-
solut de ne lui donner aucune écriture « signée de secrétaire », mais de
le laisser libre d'écrire lui-même la réponse, s'il le voulait, pour sa
AUDIENCES DE CRÉANCE 249
toire dangereux, on préfère attendre ; on trouve des excu-
ses pour ce retard : absence de certains conseillers, désir de
consulter le royaume, nécessité de l'agrément préliminaire
d'une autre puissance '...
A Venise, la Seigneurie en référait au sénat des communi-
cations des ambassadeurs, par une note détaillée et très pré-
cise, intitulée :« Summarium expositionis magnif d"'..., ora-
toris... » Le sénat délibérait sur la réponse à faire, quelquefois
au bout de plusieurs jours. Cette réponse, arrêtée à la plura-
lité des voix, était verbalement communiquée en italien par le
doge à l'ambassadeur, en séance du conseil. Outre le carac-
tère verbal, la réponse présentait, dans les cas difficiles, une
rédaction soigneusement ambiguë qui, dans une lecture ra-
pide, pouvait donner le change à un ambassadeur, même ex-
périmenté. A M. de Citain, venu, le 3 mai 1494, proposer
nettement, au nom de Charles VIII, une action armée com-
mune contre Naples, le sénat vote, le 9 mai, après de longs
débats, une réponse de ce genre :il promet de faire ce que doi-
vent « de bons amis » '. En 1493, Perron de liascher rapporte
gouverne. Quelque temps après, un homme apporta des lettres du C'e deCha-
rolais et de M. de S' Pol, demandant l'interprétation de quelques paroles de
la première réponse, qui « lui sembloient troubles et obscures. » On ré-
pondit par lettres (Duclos, llist. de Louis XI, IV, p. 230-235). En 1505, l'ar-
chiduc fait aux ambassadeurs français réponse qu'il s'ébahit d'une « si brève
sommation. » L'empereur, présent à la réponse, parle beaucoup plus
vertement. Après le départ des ambassadeurs, on fait courir après eux, pour
leur demander leur charge par écrit, afin de savoir si le roi « les advoieroit. »
Ils la donnent, mais en termes très adoucis (Gachard, Deux voyages de Phi-
lippe le beau, p. 398-99). « C'est la cause que Messires Jean de Croy et Simon
de Làïlain, chevaliers, Me Jean de Clugny et Toison d'Or, conseillers de M*
le duc de Bourgogne, ont proposé devant le Roi par ledit Me Jean de Clugny
le samedi 2Te jour de novembre 1456... et aujourd'hui 5e jour de décem-
bre. . . l'ont baillée par écrit » (Longue note. Duclos, Hist. de Louis XI, IV,
p. 153). Cf. Réponse de Charles Vil aux ambassadeurs d'Espagne, lat. 5956
A, nos 27.42, f» 188.
i) 1310. Fraknoi, ouvr. cité-
%) Arch. de Venise, Secreto35, p. 5 v«.
250 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
à Charles VIII, après une réponse très polie, qu'on peut comp-
ter sur Venise : Charles VIII écrit en conséquence et Venise
se demande s'il faut lui ouvrir les yeux par une ambassade
verbale, ou par un écrit : ce dernier système prévaut comme
plus sûr ! .
2° Audience secrète. — L'audience secrète est accordée
par le chef de l'Etat à son gré. Parfois, elle a lieu séance te-
nante ; il suffit d'évacuer la salle, et l'audience s'achève en
présence des mêmes conseillers \ En général, l'audience est
fixée aulendemain de la première ou au surlendemain *.
L'audience secrète ne parait pas tout d'abord, pour un his-
torien, se distinguer bien nettement de l'audience de réponse ;
pourtant, elle en diffère profondément. L'audience de réponse
suppose que les ambassadeurs, à moins d'ordres nouveaux,
ont épuisé leur mission dès la première audience : l'audience
secrète, au contraire, marque la première étape d'une négo-
ciation, et elle comporte encore un certain apparat : on peut,
si l'on veut plaire particulièrement à un ambassadeur, lui
faire une escorte, comme la première fois*. Cette audience
complète en tout la première. Si, par un hasard quelconque,
l'ambassadeur s'était borné, dans son audience publique,
à une rapide salutation sans présenter sa créance, il peut la
1) Perret, Bibl. del'Ec. des Chartes, LU, livr. 3, p. 28o et s, L Ambas-
sade de Jean de Chambes, pièce I.
2) Sanuto, III, 237, 1170; X, 504. En 1502, à Rome, pour un simple chan-
gement de résident vénitien, la conversation s'engage de suite entre le pape
et le nouveau résident, sans autre formalité(Villari, Dispacci diA . Giustinian,
l, 14). Les ambassadeurs suisses ont de Maximilien leur audience de créance
avant la messe (Le Glay, Négociations, I, 210), et leur audience privée après
diner (id., 212).
3) Sanuto, YII, 86; V, 1001. Roscoë, Vie de Léon X, pièce xvn.
4) Ambassadeur turc à Venise en 1504 (Sanuto, Y, 1001). A chaque au-
dience, en Espagne, une escorte va prendre chez eux les ambassadeurs (Guic-
ciardini, Opère inédite, VI, 21).
AUDIENCES DE CRÉANCE 251
présentera celle-ci '. Il peut réserver aussi pour la seconde
audience la présentation d'une lettre ' ou même l'offre de
ses présenta 3. Mais ce qu'il réserve le plus volontiers, c'est
l'exposé véritable de la négociation.
L'audience secrète a lieu dans une chambre du palais, par
exemple dans le retrait ou cabinet du roi ; le roi est simple-
ment vêtu *, le dialogue y prend une tournure privée et, au
besoin, atïectueuse "\ On abandonne le latin officiel 6.
Il n'y a point d'ordre régulier à suivre. L'ambassadeur peut
prendre la parole et exposer ce qu'il doit dire 7, ou bien l'au-
dience s'engage sous forme de conversation. Dans une dé-
pêche du 9 septembre 1463 8, le milanais Em. de Jacoppo ra-
conte une audience secrète de Louis XI, type accompli du
genre famdier et du parti à en tirer. Louis XI voulait :
1° donner une haute idée de son indépendance et de sa puis-
sance ; 2° s'attacher le duc de Milan ; deux objets fort ration-
1 ) L'ambassade solennelle de LUS, en Angleterre, prononce un premier
discours de simple présentation et salutation : après la réponse du chancelier,
les ambassadeurs s'agenouillent, et protestent de l'amitié du roi de France
pour le roi d'Angleterre et de son désir profond de paix. Ils se déclarents prêts
à exposer leur créance : puis se retirent. La créance n'est exposée que dans
une seconde audience, privée (fr. .'1884, fo 177 et s.).
2)Sanuto, V, 1001.
3) L'envoyé de Lithuanie offre au pape en audience particulière de magni-
fiques fourrures, de zibeline, de martre, d'hermine et autres, 50 peaux très
belles de zibeline et deux tasses d'or, qui plaisent fort au pape (1501. Burc-
kard, III, 123).
4)U4,'i. Ms. fr. 3884, f° 177 et s...
5) Hoscoé. Vie de Léon X, pièce xvn.
6) Sanulo, III, 1170. Le roi et la reine d'Espagne donnent eux-mêmes l'au-
dience privée aux ambassadeurs d'Angleterre, entourés d'anciens ambassa-
deurs en Angleterre: l'audience dure plus d'une heure (J. Gairdner, Hisloria
régis Henrici scutimi, p. 173).
7) C'e de CÎircourt, Le duc Louis d'Orléans, II, 33 : Boislisle, Et. de V&ç,
p. 190-191. Dans ce cas, l'exposition est faite, — irrégulièrement, — par le
résident.
8) Archivio Sforzesco.
252 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
nels. A cet effet : 1° le roi, sur un ton de conversation, passe
en revue ses relations avec ses voisins, pour prouver qu'elles
sont bonnes et qu'il n'a rien à craindre. Les Barcelonais,
dit il, lui ont envoyé, pour la seconde fois, des ambassadeurs,
afin de se donner à la France, ainsi que les Roussillonnais ;
il a refusé, par respect pour sa parole envers le roi d'Ara-
gon. Il déclare aussi qu'il tient à sa discrétion le duc d'Or-
léans. 2° L'ambassadeur insinue qu'on craint des désordres à
Gênes. Louis XI répond par des serments de dévouement au
duc de Milan1. Puis on s'embrasse, on se congratule; à la
faveur d'un moment de silence, Louis XI pose discrètement
des questions sur quelques points délicats, puis on se sépare
très affectueusement. Louis XI tutoie l'ambassadeur, lequel
s'incline jusqu'à terre.
Pour les audiences moins intimes, l'ambassadeur est muni
d'instructions détaillées. Certaines instructions visent nom-
mément cette audience après l'audience publique. Ainsi, une
instruction de 1498 prescrit aux envoyés vénitiens en France
de reprendre, en audience privée, la thèse du dévouement
de la République pour le roi, qu'ils développeront large-
ment : puis, d'exposer le vif désir d'une alliance. Si le roi
parait indiquer que tel est également son vœu, il faudra in-
sister de suite dans ce sens. Les ambassadeurs devront, « avec
toute la dextérité possible, chercher à pénétrer et à com-
prendre toute résolution intime et formelle du roi en cette
matière, et donner avis très rapide, très minutieux, de toutes
choses, pour qu'on puisse y répondre '. »
1) Le roi lui dit : « Manuel, jo te giuro per mia conscientia che o piu gran
voglia de havere bona intelligentia con luy (ton maître) che con tutto el resto
de li signori de tutta la X'a. »
2) 10 juillet 1498 (Secreto, 37). Cf. l'instruction vénitienne du 20 juin 1509
aux ambassadeurs à Rome (A. de Venise).
AUDIENCES DE CRÉANCE 253
La relation de l'ambassade circulaire française de 1478-1479,
en Italie l, suffit à nous ni outrer la valeur et la place de l'au-
dience secrète dans une négociation. Le 27 décembre 1478, en
audience publique, à Milan, les ambassadeurs ont formulé
leurs propositions et communiqué leurs instructions. Le duc
et la duchesse de Milan avaient déclaré qu'ils répondraient
après conférence en conseil : ils remettent leur réponse écrite,
le 31 décembre. Le 11 janvier, même procédure à Florence :
la réponse, libellée le 15, est remise le 16 aux ambassadeurs.
A Rome, les ambassadeurs prononcent leur créance le 27 jan-
vier. Le pape confère, après leur départ, avec les cardinaux ;
puis il rappelle les ambassadeurs et leur demande, sur l'avis
des cardinaux, de remettre leur discours par écrit, à cause de
son importance. Les ambassadeurs le déposent le jour même,
en latin. Le 30 janvier, les ambassadeurs demandent et ob-
tiennent pour le lendemain audience secrète. Là, ils commu-
niquent leurs instructions particulières, et sur cette base
s'engagent les négociations, qui dureront jusqu'au 2 juin.
3° Conférence avec des délégués. — A l'issue de l'audience
publique, le chef de l'Etat désigne un ou plusieurs membres
de son conseil pour recevoir les ambassadeurs et suivre avec
eux les négociations. Ce système est le plus pratique et le plus
expéditif pour mener à bien une négociation : en France,
c'est le système usuel. Un ambassadeur ne saurait se refuser
a l'emploi de ce procédé que s'il était porteur d'un ultimatum
et qu'il refusât de négocier*. Tout ce que pourrait faire un
i) Lat. 11802.
2) Mathieu Lang, évoque de Gùrck, ambassadeur d'Allemagne pour la paix
avec Jules II, arrivé à Bologne, voit quatre fois le pape. Après les premiers
pourparlers, Jules II veut renvoyer la question à trois cardinaux : Lang, à
qui cela est interdit par ses instructions, prend congé et part à l'instant pour
Modène... Au fond, on sait que la chose s'arrangera. Il emmène l'ambas-
sadeur d'Espagne. — Lang n'a pas voulu aller à la chapelle du pape: il a
254 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
ambassadeur maladroit, serait de demander le changement
ou le retranchement d'un délégué, qu'il supposerait mal in-
tentionné. Adressé par Charles YIII à une commission
de six conseillers, le florentin François délia Casa, en 1493,
obtient le retranchement d'un des conseillers, le prince de
Salerne, qu'il blesse ainsi sans aucun profit1.
Le roi désigne pour cette commission au moins deux mem-
bres de son conseil *, et souvent cinq ou six. Il choisit toujours
des personnes de sa plus entière confiance : Guillaume Bri-
çonnet, sous Charles VIII, le cardinal d'Amboise sous
Louis XII, reçoivent les ambassades, pour peu qu'elles aient
une importance. Le chancelier, et, pendant les premières an-
nées de Louis XII, le maréchal de Gié figurent dans ces com-
missions. On leur adjoint volontiers des conseillers spéciale-
ment au courant des affaires dont on va traiter, ou anciens
ambassadeurs dans le pays \ Les délégués étudient soigneu-
sement I* affaire et les ambassadeurs trouvent ainsi à qui uti-
amené d'Allemagne une chapelle, et fait célébrer l'office dans sa maison. Et
tout le monde crie : Imperio, Franza, Siega, Siega (siegen, paix) (avril 1511.
Sanuto, XII, 148).
1) Boislisle, Et. de Vesc, 62.
2) 1502. Sanuto, IV, 44o.Buonnaccorsi, Diario, p. 129: « Deux ambassa-
deurs de Florence, près Louis XII, pratiquent pour Pise, avec les deux audi-
teurs qu'on leur a donnés» (le C'e de S. Severino et un secrétaire du roi très
influent).
3) Pour traiter etconclurele mariage d'Anne de Foix avec les ambassa-
deurs de Hongrie, Louis XII délègue le cardinal d'Amboise, le chancelier de
France, le maréchal de Gié et Valérien de Sains (ce dernier ancien ambassa-
deur en Hongrie. Jean d'Auton, II, 217). « Aussitôt sortis de cette première
audience, Sa Majesté nomma, pour traiter avec eux (les ambassadeurs d'Alle-
magne) de la paix, le cardinal d'Amboise, le grand chancelier, Mgr de
Bourbon et le maréchal de Gié. Cette négociation doit être terminée dans la
semaine. On dit que ce prince partira ensuite pour Blois; mais on ne parle
pasdu voyage de Lyon» (Dépèche de Machiavel, de Tours, 24 novembre 1500.
Ire Lég«» de France, lettre xxvn). Vesc, Ligny l'évêque de Périgueux, le chan-
celier, G«s d'Amboise, sont chargés par Louis Xll de recevoir l'ambassade
vénitienne de 1498 (Boislisle, Et.de Vesc, p. 185).
AUDIENCES DE CRÉANCE 255
lemont parler ; à Madon, en 1505, dès l'après dluée de l'au-
dience de créance, l'ambassade de Philippe le Beau, se met-
tant au travail avec le chancelier et lés conseillers députés,
trouve les conseillers « garnis et fournis de grans enseigne-
mens et largement ; et nous, au contraire, écrivent les am-
bassadeurs, nous sommes trouvez très mal instruis et furnys;»
n'étant pas en état de répondre, ils réclament la fixation
dune journée pour produire les pièces1.
Ce procédé est d'un usage général5 (sauf en Italie où l'on
parait répugner à l'adopter ; cependant, quand des ambassa-
deurs demandent une commission spéciale, on la leur donne)".
Il a l'inconvénient que le succès de la négociation dépend
beaucoup de l'habileté, de la discrétion, de la probité des
délégués. L'ambassadeur de Bourgogne, chargé, en 1475,
de suivre une négociation avec deux conseillers du roi de
France, entend, à travers un paravent, ses commissaires se
moquer de son maître, auquel il rapporte immédiatement
leurs paroles *.
En 1493, l'ambassadeur florentin, tout en allant rendre vi-
site individuellement à chaque membre de la commission,
s'indigne, et non sans motifs, que Charles VIII reste étranger
à ses affaires, et laisse tout diriger par des conseillers à. la
solde de Milan5.
1) Lett. de Louis XII, I, 1"), 22.
2) Le roi d'Angleterre désigne trois conseillers poursuivre les négociations
avec l'ambassade de France (fr. 3884, fo 180) ; le roi de Hongrie quatre con-
seillers, pour négocier avec les envoyés de France et de Venise (1500. Frak-
nôï, ouvr. cité).
3) Sur la demande des ambassadeurs de France, le doge désigne un con-
seiller, un sage du conseil, un sage de terre ferme, pour les voir et savoir ce
qu'ils veulent (3 avril 1500. Sanuto, III, 192) : Cf. Kervyn, Lrllrcs et négo-
ciations, II, 111-114.
4)Commincs, Mt-moires, 1, 359.
•'. Eu réalité, Charles VIII aimait mieux se débarrasser de lui (Desjaidius,
Négociations, p. 224 et s.: Boislisle, p. 62, 63).
256 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
4° Visites. — Dans tous les cas, l'ambassadeur, ou spécial,
ou résident, commencera sa négociation par des visites. Après
l'audience du roi, il verra la reine et les ministres. Il ira voir
les princes du sang, et les personnages de la cour les plus in-
fluents près du roi. Les instructions désignent souvent cer-
tains personnages à visiter; mais l'indication n'est jamais
complète ni absolue. C'est à l'ambassadeur d'apprécier qui il
doit voir, en dehors des visites rigoureusement officielles ; il
se fera guider par les conseils du résident ou de son prédéces-
seur, il s'inspirera des circonstances ; avant tout, il ne fera
que des visites qui ne puissent pas déplaire au souverain ; s'il
lui faut sortir de cette règle, il devra alors cacher soigneuse-
ment sa démarche.
En résumé, l'ambassadeur fera des visites de quatre caté-
gories :
1° Visites dues, c'est-à-dire à la reine et aux ministres. Nous
en parlerons plus loin.
2° Visites officielles, aux princes du sang et personnages
désignés par leur rang : le duc et la duchesse de Bourbon,
sous Charles VIII le duc d'Orléans, sous Louis XII le comte
d'Angoulême.., etc. Ces visites, de pure déférence, n'indi-
quent aucune relation spéciale. Les princes du sang, rare-
ment bien vus, représentent d'ailleurs habituellement une co-
terie d'opposition1.
3° Visites à des personnages que désignent leurs hautes
fonctions à la cour et leur faveur près du roi.
\) Le duc d'Orléans, absent de Paris lors de la réception des ambassadeurs
milanais, revient un mois après. Les ambassadeurs vont aussitôt le voir (quoi-
que ses adversaires naturels. — Delaborde, Expédition de Charles VIII,
p. 246). Après l'audience privée, les ambassadeurs en Espagne demandent
à baiser la main des infants et infantes, que le roi fait venir : de même en
Portugal (J. Gairdner, Hisloria regis Henrici septimi, p. 173, p. 192).
AUDIENCES DE CKÉANCK 257
4° Visites à des personnages dont l'appui est spécialement
acquis à l'ambassadeur.
Pour donner plus de poids aux démarches, on remet à
l'ambassadeur des lettres de créance pour ces diverses per-
sonnes. Ces créances sont ordinairement semblables, de tout
point, aux créances pour le chef de l'Etat ' : ou bien elles
prennent une forme plus intime de recommandation2, demis-
1) Ms. fr. 292-2, f" 42, orig., sur papier : « Mons. du Boscliage, je me re-
commande a vous. J'envoye devers le Roy messire George de Menthon, lequel
vous prie croire sur ce qu'il vous dira de ma part comme moy mesmes.
Priant Dieu qu'il vous doint ce que desirez. Escript a Chasteau Renault, le
xvin« jour de septembre. Le duc de Savoye, (signé) : Charles, vostre. Ga-
voret. » — Billet du duc de Savoie au même du Bouchage, accréditant près
de lui le sire de la Forest envoyé près du roi (fr. 2923, f° 27:
orig. pap., signé « Vostre, Charles »). Lettre du dauphin Louis à un
seigneur de Bourgogne, pour l'aviser de l'arrivée d'un ambassadeur mi-
lanais (déc. 1460. Lettres de Louis XI, I, c.) — Créances du duc de
Milan pour son chancelier près du duc et la duchesse de Bourbon (23 février
1495. Archiv. de Milan). Créance du doge de Venise Lorédan, pour ses «so-
lennes oratores » Seb. Giustinian et Pierre Pasqualigo, au grand maitre
de Boisy (sous François Ierj, sur grand parchemin, en cinq lignes, sans dé-
tail : « écoutez-les comme nous-mêmes » (K. 79, 18). Créance de François
Sforza pour Emel de Jacoppo, son ambassadeur en France, au maréchal de
Bourgogne: 28 mai 1463 (lat. 10133, f° 27 y0). Créance pour Soderini au
cardinal d'Amboise (1504. S. Razzi, Vita di Piero Soderini, Padova, 1737,
f°: p. 87). Créances pour HucBournel à divers seigneurs d'Ecosse(1412.Fr.
6748).
2) Lettre du chancelier de Milan recommandant à Phil. deCommines l'am-
bassadeur envoyé en France, en le priant de continuer comme par le passé à
s'occuper des affaires de Milan (1478. Citée par Kervyn, Lettres et négocia-
tions, I, 226). Lettre de Louis XII, du 13 mars, recommandant Accurse Mai-
nier à Const. Priuli, citée par Baschet, Archives de Venise, p. «>00 note. En
1476, reprenant les rapports diplomatiques avec la France, le duc de Milan
fait écrire par son chancelier une lettre de recommandation à Philippe de
Commines. Commines, absent de la cour lors de l'arrivée de l'ambassa-
deur, écrit à celui-ci pour s'excuser, pour lui dire de ne se préoccuper de
rien et de ne parler de ses affaires à personne avant que Commines ne soit
là, c'est-à-dire avant trois ou quatre jours (Kervyn, Lettres et négociations j
L143).
17
258 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
sive !, de compliment*, d'affaires*, suivant le rang du per-
sonnage et la nature de son dévouement. 11 y en a d'entière-
ment autographes *, et même de chiffrées s. Nous revien-
drons plus loin sur ce point.
Les créances privées, qui ont le caractère personnel, por-
tent naturellement l'adresse du destinataire 6. Quant aux
créances courantes, l'ambassadeur les reçoit souvent en blanc
et garnit l'adresse suivant les besoins 7.
1) Lettres closes de Louis XI, au sire de Lescun, dans la négociation de
1473. Ms. fr. 3884, f»i 293 et suiv.
2) Ms. fr. 2919, f° 7 ; lettre de François II de Bretagne à Du Bouchage, de
Nantes, 4 mars. Orig. sur papier, dans la forme habituelle des missives :
portant créance auprès de lui pour « Morteraye, mon serviteur »... Au début:
« Je vous tiens tant mon amy que tousjours vouldriez faire quelque chose
pour moy...;» prière de vous employer. Vous me connaîtrez « vostre bon
amy. Le vostre, (signé) Francoys. Gukguen. »
3) Longue lettre à Commines, en 1495, du conseil de Florence, le priant
de solliciter une affaire qu'ils lui expliquent longuement. Ils annoncent l'ar-
rivée de deux ambassadeurs dans ce but: «Nous prions Votre Seigneurie d'a-
jouter une pleine foi à ce que lui exposera ledit Thomas Spinelli » (Kervyn,
Lettres et négociations, II, 21-1).
4) Ms. fr. 2919, f" 9, orig. sur papier. Lettre autographe du marquis de
Montferrat à Du Bouchage (sans mention de secrétaire), portant en substance:
J'envoie au roi mon serviteur Jeannin Dagle. Prière de vous y employer. Si je
puis faire quelque chose pour vous, je le ferai.
5J Lettre chiffrée « pour les cittadyns de Florance, affectionnés au service
du Boy et de toutte la chosse publicque de Florance. Premier, A Bobert
Azaiuoly. ANicolao Valory. A AlfonsoStrozzy. A Nicolao Cappony. A mess.
Gyovanny Victorio Soderyny » (fr. 2961, fo 43).
6) Les ambassadeurs ilorentins déclarent, dans leur relation de 1421, n'avoir
pas remis leur lettre de créance pour Nicolô de' Grimaldi, à Gènes, parce qu'il
n'y a personne de ce nom. On aura voulu dire Antonio (Saige, Documents,
1,38).
7) « Les messages du Boy emportent plusieurs lettres closes de créance
du Boy sans superscripeion, pour les adrécer aux prélas, nobles et bonnes
villes du pais » (Instruction de 1385. Douet d'Arcq, Choix de Pièces, I,
60). L'instruction vénitienne du 10 juillet 1198, pour les ambassadeurs en
France, leur prescrit de visiter « sub litteris nostris credentialibus » le duc
de Lorraine « et omnes alios dominos et barones qui vobis videbuntur, et gra-
tos intellexeretis Chrme Majestati, utendo erga omnes verbis amicabilibus,
AUDIENCES DE CRÉANCE 259
En règle générale, c'est l'ambassadeur arrivant qui doit
faire le premier la visite. Quand la visite s'adresse à un grand
personnage, il demandera d'abord une audience '. A chacun,
il parlera selon la qualité du personnage et les indications
du résident5. 11 peut arriver cependant, par exception, que la
créance s'adresse à des amis assez sûrs et d'assez mince im-
portance pour que l'ambassadeur les mande à son auberge et
les charge de préparer l'audience de créance 3. L'ambassa-
deur vi ut assez souvent, dès le début, quelque notable, an-
cien ambassadeur dans son pays, qui, s'il ne lui a pas fait
escorte à son entrée, lui rend au moins visite \
Le système des créances particulières est tellement usité
en Italie que les ambassadeurs en emportent même à utiliser
sur la route. Le système oligarchique de la plupart des états
italiens donne, en effet, à beaucoup de citoyens notables une
part d'action dans les affaires publiques. L'ambassadeur re-
çoit même des instructions sur le langage à leur tenir5.
gravibus et accommodatis, et tenendo eos ac eorum quemlibet optime edifi-
catuin et disposilumerga statuai nostrum » (Arch. de Vcaise). Le Summarium
de l'instruction de Ludovic Sforza à ses envoyés près du Grand Turc, porte
« quod fecit prefatus dnus Ludovicus sex litteras crcdenciales, unas Magno
Tbecro, alias quinque sine nomine, ut postea possint apponi nomina et dirigi
quibus melius eis videbitur » (publ. dans l'éd. de Corio, de Venise, 1554, p.
VII. p. 498: ms. fr. 2927, f> 94). Cf. Desjardins, Négociations, II, 49.
1) Le nouvel ambassadeur de Venise à Rome ne peut obtenir d'audience du
duc de Valentinois, qui les refuse toutes. Le pape lui-même, très occupé, n'en
accorde que fort difficilement (juin 1502. Dispacci di Giuslinian, I, 23).
2) Commission vénitienne du 3 juillet 1515, à Fr. Capello (Archives de
Venise). Desjardins, II, 580.
Z) Ambassade florentine à Gènes, en 1421. Le génois, ainsi mandé, se
dit, « per cierto,... bueno fiorentino » (Saige, Documents, I, 22).
il Visite d'André Gritti à l'ambassadeur turc (Sanuto, V, 991).
.') Envoyant à Rome son fils Pierre, Laurent de Médicis lui donne pour
instructions, le 26 novembre 1484, de passer par Sienne et de remettre trois
lettres de créance à trois des principaux citoyens, avec toute sorte de com-
pliments. Il ira chez eux, se recommandera à « Leurs Magnificences » ; il
leur dira que, sachant l'affection et le respect de Laurent pour eux, qu'il con-
260 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Aucune visite n'est faite avant la remise de la créance,
sauf à quelque haut personnage, dont l'intervention serait né-
cessaire pour préparer cette audience '.
sidère comme des pères, il a voulu lui-même se présenter comme leur fils ;
qu'il est, comme Laurent, à leurs ordres en tout temps et en tout lieu, qu'il
leur obéira toujours comme Laurent, dont les biens, l'Etat et la famille sont
à leur disposition, qu'il se présente comme « leur cbosc, » dont ils peuvent
disposer à leur bon plaisir. Pierre devra exprimer ses sentiments dans un
langage convenable, naturel, sans rien d'affecté, sans prendre des airs de
savant; il parlera avec amabilité, douceur et gravité, là et toujours. Bien
plus, il emporte une liste de citoyens de Sienne, qu'il ira voir également
(Roscoé, pièce ux).
1) Le 25 janvier 1 579. lendemain de leur arrivée à Borne, les ambassadeurs
de Louis XI vont présenter une créance au cardinal de S1 Pierre aux liens et
lui communiquent leurs internions (Iat. 11802). Ils l'assurent de la fiance du
roi; celui-ci répond qu'il est tout dévoue... 11 va voir le pape, et le soir
même répond que le pape désire voir les ambassadeurs avant l'audience pu-
blique.
CHAPITRE XI
MANIÈRE D*ÊTKE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS
L'ambassadeur n'a pas mieux à faire, en général, que de
se conduire, tout simplement, en homme intelligent et bien
élevé. Tout ce qui sent la profession, l'apprêt, l'habileté, la
morgue, détonne et nuit; il faut qu'on sente un homme du
monde, sans pédantisme, à l'accueil engageant et aimable1.
La première règle, une règle absolue de la diplomatie, est de
se présenter, à l'arrivée, comme un personnage sage, mo-
déré, moyen; l'ambassadeur est un intermédiaire, qui va
pratiquer', moyen?ier 3, traiter*, manéger*, attendre son ex-
pédition s ; il va écouter, chercher à faire parler (en italien,
sotlraher)1. Toute allure personnelle, ou trop en dehors, ou
trop couverte, échoue ; il faut dès le début se déclarer passif.
Les ambassadeurs permanents, et même les ambassadeurs
spéciaux si leur envoi se répète, doivent s'attendre à être mal
vus dans les cours : « ce n'est pas chose trop seure de tant
d'allées et venues d'ambassades, car bien souvent se traitent
i) Discours du cardinal Commendone à Girol. Savorniani (ms. ital. 635).
Cf. fr. 3296, f°» 1,13.
2) « Praticare » en italien, terme courant.
3) Janv. 1483; les ambassadeurs de Flandre, qui avaient moyenne la paix
par le mariage du dauphin et de Marguerite d'Autriche (Jean de Roye).
4) « Tractatus, tractatus pacis » (1421. Ms. Moreau 1452, n» 1(12).
5) « Maneggio délia pace »(Benedetti, H falto d'.arme, éd<"' 1863, p. 211).
6) « Tractare et expedire articulos » (Pouvoir anglais de 1400. Douet
d'Arcq, Choix de pièces, I, 168). En France, un ambassadeur « attend son
expédition. »
7) Dép. deDandolo, 18 déc. 1513 (Arch. de Venise).
262 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
de mauvaises choses '. » Sans doute, s'ils représentent un
ami vrai, indubitable, on ne saurait leur faire trop « bonne
chère », mais l'ami vrai ne se rencontre pas souvent. « En nul
temps, dit Commines, il n'y a grant seureté, selon mon ad-
vis.» En France, on tient les ambassadeurs un peu à l'écart, on
les fait surveiller doucement 2.
L'ambassadeur a donc à se faire bien venir, et il lui faut,
pour y réussir, une connaissance approfondie de la cour et de
ses usages. Il doit, en premier lieu, s'acclimater à la cour,
et en prendre l'esprit.
Le diplomate italien qui arrive à la cour de France s'y
trouve dépaysé ; cette monarchie absolue est plus libre d'al-
lures que les républiques italiennes. Chaque seigneur y tient
sa place, et affecte vis à vis du roi une sorte de sans-gêne,
de familiarité *, fort ancrée dans les mœurs, qui scandalise
un italien. Les seigneurs sont riches, entreprenants, hardis 4 ;
ils se piquent peu de littérature, ils aiment à paraître : « fous
en habillements et en paroles. » Un homme qui a treize li-
vres de rente, dit : « Parlez à mes gens », comme un grand
i) Commines, Mémoires, I, 264.
2) « On les doibt bien traicter et honnorablement recueillir : comme en-
voyer au devant d'eulx, et les faire bien logier, et ordonner gens seures et
saiges pour les accompaigner, qui est chose honneste et seure ; car par la on
sait ceulx qui vont vers eulx, et garde l'on gens légiers et mécontens de leur
porter nouvelles. Je les vouldroye tost ouyr et despescher, car ce me semble
très mauvaise chose que de tenir ses ennemys chez soy ; de les faire festoyer,
deffrayer, faire présens, cela n'est que honneste. Et me semble qu'on doibt
ouyr tous messaigés, et faire faire bon guet quels gens iroient parler à eulx,
tant de jour que de nuit, mais le plus secreltement que l'on peult. Et pour
ung ambassadeur qu'ils m'envoyeroient, je leur en envoyeroye deux, car vous
ne scauriez envoyer espie (espion) si bonne ne si seure » (/<<., 264).
3) « Una certa libertâ et domestichezza » (Balth. de Castillon, Le parfait
courtisan, liv. II, trad°n de Chapuis, 1592, p. 200).
4) « La couronne et le roi de France sent aujourd'hui plus entreprenants,
plus riches, plus puissants qu'ils ne l'ont jamais été » (Machiavel, Ritratti
délie cese di Francia).
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 263
seigneur*. Dans un tel milieu, les affaires se traitent un peu
à bâtons rompus '. L'italien ne trouve plus, au premier abord,
l'amabilité extérieure, les formes obséquieuses, la grâce de
son pays ; tout lui parait froid, et le met mal à l'aise. Mais si,
soutenu par un bon guide, il surmonte cette première im-
pression et s'acclimate, il change promptement d'avis; il subit
le charme, il prend les habitudes du pays; le monde lui pa-
rait plus grave et plus réservé, mais il y découvre un art ex-
quis de conversation '.
2° L'ambassadeur doit apprécier exactement dans quelle
mesure les traditions locales lui permettent de se mêler aux
choses de la cour et du pays.
Il peut circuler comme bon lui semble, pourvu qu'il con-
serve une grande réserve dans ce qui ressemblerait à des
investigations. Ainsi, il est de règle que personne, même avec
sauf conduit, ne peut entrer dans une place forte sans autori-
sation particulière *. Si Alvise Manenti, envoyé vénitien en
Turquie en 1500, entre librement dans les églises grecques,
pour y prier, et si les prêtres lui donnent secrètement des avis
sur les préparatifs du Grand Seigneur, c'est que les Turcs
eux-mêmes affectent de lui montrer tout le déploiement ter-
rifiant de leurs préparatifs 6.
1) Commines, ex.
2) « A bâtons rompus, comme on traite toutes les affaires ici » (Dépêche de
N. Valori, du 7 février 1503-4).
3) Rapport d'un amb. milanais, 1479 (Kervyn, Lettres et négociations,
III, 52).
4) « Pour ce dit on aux sauf conduiz qu'ilz n'entreront en ville ne en
cliastcaulx sans avoir congé des personnes ad ce ayans povoir » (Le Jou-
vencel, II, 11).
5) Son impression est que c'en est fait delà chrétienté ! LesTurcs, se mon-
Irenl dit-il, d'ailleurs bienveillants; les pires ennemis de Venise en Turquie.ce
sont les autres italiens. Un pacha lui dit qu'on a reçu des lettres du grand
Maître de Rhodes, d'un cardinal résident à Home, d'un prince italien, contre
Venise. Il y a à Raguse des ambassadeurs d'Allemagne et de Milan qui vien-
264 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
L'ambassadeur doit suivre partout le roi, notamment en
campagne, sans aucun souci de la fatigue ni des épidémies1,
et se rendre au lieu qu'il ordonne1. Si le prince est malade,
raison de plus pour ne pas s'éloigner5.
En général, à la cour de France, on se tient sur la ré-
serve à l'égard des ambassadeurs : on leur donne des fê-
tes4, les principaux personnages leur offrent de grands dî-
ners de cérémonie s, parfois même des dîners amicaux, si
les rapports le comportent * ; mais l'intimité ne franchit
guère ces limites. Chaque matin, le roi de France va à la
messe ; c'est à l'issue de cette cérémonie qu'on peut le ren-
nent négocier : on annonce l'arrivée de hérauts de France... De toutes parts,
les troupes s'ébranlent (Sanuto, III, 179 et s., 419).
1) Cependant une ambassade de France, logée à Ala, où règne une épidé-
mie dont viennent de mourir le chevaucheur et un serviteur, demande à
être logée à Inspruck. (1501, Le Glay, Négociations, I, 43).
"2) Desjardins, Négociations, II, 238, 306, 320, 323. Le Glay, Négociations,
I, 206-207. Nys, Les origines de la diplomatie, p. 9.
3) Quand le roi est malade, chacun tire de son côté, et s'agite, et pense à
l'avenir. Les ambassadeurs sont parfois embarrassés (1506. Lettre de Louis
XII, I, 69).
4) Les principaux personnages de la cour de France donnent des dîners
chaque jour en l'honneur des ambassadeurs d'Angleterre. Pour mieux les
honorer, le roi fait donner pour eux une passe de lances, où courent M. d'An-
goulême, le frère du duc de Savoie, divers princes et le roi en personne
(juill. 1510. Lelt. de Louis XII, I, 270).
5) Diners offerts aux ambassadeurs par le cardinal d'Amboise, par Tri-
vulce (Sanuto, VII, 95, 94) : banquet, du prix de 376 liv. 14 s. 4 den., offert
par le roi à l'ambassade d'Espagne, le 19 janvier 1493 (Portef. Fontanieu,
149-150) : diner offert en 1487 à l'ambassade de Hongrie chez l'amiral de
Graville, qui fait réparer à ce propos une tapisserie déchirée (Perret, L. Ma-
let de Graville,p.91).En 1483, le cardinal de Bourbon offre à l'ambassade fla-
mande une moralité, dans sa cour tendue de superbes tapisseries. Malheu-
reusement il pleut à verse sur ces tapisseries (Jean de Royej.
6) « Expédiant la poste, M. le Chancelier m'a envoyé quérir pour disner
avec luy.et me dire et communiquerce qu'il avoit eu du Roy.» L'ambassadeur
lui montre des dépêches (Lettre de l'amb. d'Allemagne en France, 24 avril
1511. Lett. de Louis XII, II, 181).
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 265
contrer et lui parler le plus facilement ' ; la on cause, on
apprend des nouvelles, on voit le roi sans avoir l'air de le
chercher. Les ambassadeurs vont donc « à la messe du
rov \ » Dans une circonstance solennelle, on les y invite.
Nicolas Valori, ambassadeur florentin en France, écrit, le
22 septembre 1504, qu'il a été invité, de très bon matin, à la
messe du roi. C'était dans la chapelle du jardin du château,
à Blois. Il se rend d'abord chez le légat, par respect, et l'ac-
compagne à la messe. Le roi vient, avec le chancelier et une
cour nombreuse. Tous les ambassadeurs arrivent successive-
ment. Après la messe, le roi entretient une demi-heure les
ambassadeurs d'Allemagne et jure sur l'évangile, tenu par le
cardinal d'Amboise, l'observation des articles conclus avec
l'archiduc3... Louis XI aimait fort peu à rencontrer les am-
bassadeurs, et il assistait à la messe derrière une grille d'où
il voyait sans être vu. C'est ainsi qu'apercevant un jour l'am-
bassadeur de Milan, il lui fait communiquer par Commines
une lettre de nouvelles qui venait de lui arriver *.
En France, le corps diplomatique n'est pas appelé aux
grandes cérémonies nationales : sacres, couronnements, ma-
riages des princes, enterrements des rois et reines. Au sacre
de Louis XI, opéré en grande pompe, assistent beaucoup de
seigneurs étrangers mêlés aux français ; le légat du pape,
des prélats étrangers siègent parmi les membres du clergé,
mais aucun ambassadeur n'a rang comme ambassadeur 5.
f) Lett. de Louis XII, I, 191.
2) Lett. de Louis XII, II, 08. Sanuto, IV, 535, 849, 138o, etc.
3) Publ. par Villari, Dispncci di A. Giusttnian, III, 533.
4) Kervyn, Lettres et négociations, III, 55. Le Pogge raconte que Martin V
ne put. un jour, échapper aux importunités d'un ambassadeur milanais qu'en
s'écriant : « Ah, que j'ai mal aux dents ! » et en fermant brusquement la
porte (Facét ies, ccxvm ; édition Liseux, II, 147).
Ms. fr. 4316.
266 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Les vassaux remplissent un devoir strict en assistant person-
nellement au sacre ou en s'y faisant représenter : le duc de
Lorraine vient ainsi, de mauvaise humeur, à celui deLouis
XII ', et l'archiduc d'Autriche s'y fait représenter, comme
comte de Flandre, par un mandataire formel et spécial3. De
même, pour le couronnement d'une reine (que l'on oint, elle
aussi, de l'huile sainte sur la tête et à la poitrine 3, et à qui
le prélat remet un sceptre, puis la couronne), le corps di-
plomatique n'a pas non plus à figurer. Le résident vénitien
Dandolo écrit, le 7 novembre 1514, qu'il vient d'assister à
l'onction et au couronnement de la reine \ mais sans dire s'il
y a assisté officiellement; ce qui serait une innovation.6 Le
18 mai 1514, aucun ambassadeur ne paraît au mariage de
Claude de France avec le comte d'Angoulême, célébré d'ail-
leurs sans apparat, à cause du deuil de la cour 6. Aucun am-
1) La légende des Flamens. Belleforcst, p. 1338.
2) Lettre de l'archiduc Philippe le Beau au sire de Bavenstein, 21 mai
(1498) : « Beau cousin, nous avons t'ait dosposeher no/, lettres de procuracion
sur vous, pour, au prochain sacre cl couronnement de monseigneur le roy,
faire, en nostrenom, les devoirs acoustumez et par nous deus, comme perde
France, à cause de nostre conté de Flandres. Sy vous requérons et néan-
moins ordonnons bien à certes que ausdis sacre et couronnement veullez
faire lesdis devoirs, y gardant nostre honneur, ensemble nostre droit, ainsi
que bien faire saurez, et que en vous en avons la iiance. Et a tant, beau cou-
sin, Nostre Seigneur soit garde de vous. Escript en nostre ville de Gand, le
XXIe jour de may. Haneton. Phelippe (publ. par Gachard, Analectes,
cccxxxvn).
3) Fr. 17909, fo 187 v<>.
4) Arch. de Venise.
o) Celte innovation ne tarda pas à passer en usage. En 1590, les ambas-
sadeurs assistent au couronnement de la reine Marie de Médicis(Favyn,ffw<.de
Navarre;^. 1261). En Castille, on ahVeta, par politique, de rendre les ambas-
sadeurs témoins du serment prêté au nouveau roi Philippe le Beau. L'am-
bassadeur de France envoie à ce sujet un rapport détaillé et assez caustique:
« Sire, dit-il, je fuz appelle à veoir tout ce triumphe ... L'on ne vouloit point
desrober ces sermens » etc. (IV. 2927, i'« 130 et suiv.).
6) Dép.de Dandolo, 13 et 18 mai 1314 (//m/.). En 1310, tous les ambassadeurs
assistent nu baptême deBenée de France (Le Ghy, Négociations, 1,368, note).
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 267
bassadeur n'es! admis aux obsèques de Charles V, de
Charles VI. de Charles Vil, de Marie d'Anjou, de Louis XI,
de Charles VIII. d'Anne de Bretagne ni de Louis XII1.
Les ambassadeurs ne prennent pas part davantage aux en-
trées solennelles des rois et des reines. C'est par exception
que les envoyés de Venise et d'Espagne, lors de la première
entrée de Louis XII a Tours, en novembre 1500. escortent
le roi à la cathédrale, puis à son logis ' : ce procédé n'eût pas
été de mise à Paris. Dans tous ses rapports avec la nation, un
roi de France ne doit rencontrer que la nation ou ses repré-
sentants. Qu'un étranger, résidant dans le pays, concoure à
rendre au roi des honneurs particuliers, comme preuve de sa
reconnaissance pour l'hospitalité qu'il reçoit, rien de mieux,
mais il agit alors en vertu de son établissement dans le
pays 3. En Bourgogne au contraire, le duc aimait à se voir
entouré d'ambassadeurs; il portait « fort grand honneur aux
ambassadeurs et gens estrangers », et les festoyait fort4; il
aimait à les rendre témoins de sa puissance b.
1) Ms. fr. 4340, Ht 92, 4317 : Dupuy 324, fo 26, etc.
2) Sanuto. III, 1202.
3) Ms. fr. 3887, fo 4. Lors de l'entrée à Bruges de Philippe le Bon et de
Mme de Bourbon, sa sœur, à carême prenant \'i62, il n'est pas fait mention
d'ambassadeurs ; « mais plusieurs des nacions aultresque des pais de mondit
sr demeurans audit Bruges» vont au devant de lui en bateaux richement déco-
rés. Les Florentins ont deux bateaux couverts d'or, à leurs couleurs, avec leurs
armes et leurs bannières ; de même les Ostrelins (drap rouge), les Portuga-
loiz (violet et vert), les Espaignoz (pers et vert), les Escoussois leurs armes
et bannière, les Genevois (Génois dans un bateau blanc à croix rouges,
avec un homme armé, représentant Saint Georges ; ce bateau est monté par
des hommes vêtus de chemises blanches, semées de croix rouges. Tous les
bateaux jetaient des fusées de feu.
Commines, 1. v, c. ix,
■ i 1 169. Il les fait assister à la soumission et à l'humiliation des délégués
de Gand (Beaune et d'Arbaumont, Olivier de la Marche, p. L). A la cour,
les ambassadeurs passent immédiatement après les princes du sang. Ils as-
sistent aux audiences publiques de justice (Olivier de la Marche, IV,
P- 5;.
268 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Mais le corps diplomatique assiste aux noces simplement
princières * ou à des obsèques de personnages politiques.
Adam Moleyns, doyen de Salisbury, ambassadeur d'Angle-
terre à Tours en 1446, officie même à l'enterrement de Louis
de Bueil 3, avec lequel il négociait. Tous les ambassadeurs se
rendent, le 28 mai 1510, aux obsèques du cardinal d'Am-
boise. Les cordons du catafalque étaient portés par les en-
voyés d'Aragon, de Florence, du pape et des Pays Bas ou
Allemagne ; ces agents expriment au roi, qui se montre très
affligé, les condoléances de leurs souverains s.
En Espagne *, en Angleterre5, en Allemagne, les choses
se passent un peu comme en France. Maximilien aime médio-
crement à recevoir les ambassadeurs. Cependant, il leur offre
des fêtes ; au carnaval de 1501, après des joutes à Insprùck,
en présence du seul ambassadeur de Venise, il va à Ala,
donner aux envoyés de France, d'Espagne, de Flandre,
un bal masqué. Le 13 février, premier jour du carême,
ces fêtes se terminent par un tournoi à Insprùck, où deux
ambassadeurs de Flandre et un héraut de France figu-
rent parmi les juges6. Mais, en 1504, un jour que l'ambassa-
1) En 1509, les ambassadeurs assistent aux noces de M. d'Alençon et de
M1Ie d'Angoulême, sur l'invitation de la reine, qu'ils accompagnent. Il y a
une querelle de préséance entre les ambassadeurs d'Allemagne et ceux d'A-
ragon : ces derniers demandaient qu'après un ambassadeur allemand vint un
ambassadeur espagnol, et ainsi de suite. Les ambassadeurs allemands résis-
tent avec énergie : ce serait aller, disent-ils, « per à per et compagnon » et il
n'y a « nulle comparaison de l'Empereur à leur Roy »... Ils offrent qu'un
seul d'entre eux vienne au diner ; mais on reconnaît leur droit (Lett. de
Louis XII, I, 306).
2) Escouchy, III, 114.
3) Lett. de Louis XII, 1, 238, 240.
4) Le roi reçoit à la messe. Sanuto, III, 1385.
5) L'orateur vénitien est bien vu en Angleterre. Le roi l'invite à diner et
lui t'ait des amabilités (lévrier 1510. Sanuto, X, 7) ; — peu après, on apprend
la ligue de l'Angleterre avec la France, contre Venise.
6) Sanuto, IV, %\1.
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 269
deur de Venise désire lui parler, Maximilien répond simple-
mont qu'il est occupé ; il faut que l'ambassadeur l'accom-
pagne dans une promenade ', et Maximilien ne s'arrête
même pas pour le recevoir ».
lui Hongrie, au contraire, les ambassadeurs font bien
d'assister aux cérémonies nationales, entrée solennelle de la
reine ', baptême de la fille du roi *, obsèques de la reine5, cou-
ronnement du roi 6, remise d'un chapeau cardinalice 7. Le
jour de Pâques, le roi de Hongrie se rend à, la messe en grand
apparat ; les ambassadeurs se mêlent au cortège 8. Mais
aucune de ces assistances n'est obligatoire ni officielle.
En Italie, les ambassadeurs sont de toutes les cérémonies
et de toutes les fêtes ; bien plus, ils y tiennent le premier
rang. On les associe aux deuils, aux pompes de la cour9.
A l'investiture du duc de Milan, en 1495, les ambassadeurs
impériaux jouent naturellement le premier rôle ; ils sont
pompeusement escortés. A côté du duc de Milan, viennent les
1) Sanuto, V, 958.
2) Mais l'orateur de Venise assiste à l'investiture du nouvel électeur de
Cologne, par l'empereur (1507. Sanuto, VII, 36).
3) Id., IV, 348.
4) Id., V, 72.
5) Id., VI, 410.
6) ld.t VII, 560.
7) Id., XI, 849.
8) Id., III, 288.
9) M. P° Magistretti.dans YArch* storicolombardo, de 1879, p. 685 et suiv.,
a donné de curieux détails sur le deuil et les fûtes delà cour de Naples en 1494,
d'après les rapports de l'ambassadeur milanais (ennemi de Naples et cepen-
dant présent à toutes ces fêtes). Cf. une dépêche de l'ambassadeur de Milan
à Naples, du 20 mars 1466, sur la mort de Fr"i» Sforza. « La cour de Naples
est tout en noir et l'ordre est donné de faire un service solennel. Hier, jour
où arriva la nouvelle, le roi n'est pas sorti du Castelnuovo, afin de témoigner
de sa douleur et de donner des ordres. Aujourd'hui, à la 20<* heure, Sa Majesté
avec la cour entière est venu faire une visite de condoléance à l'Illme duchesse
votre fille » (Archivio Sforzesco).
270 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
ambassadeurs d'Espagne et deNapleg, et à coté de la duchesse,
les deux ambassadeurs de Venise ». Ludovic Sforza se plai-
sait même, par parade, à montrer aux ambassadeurs son
trésor 2.
Louis XII, comme duc de Milan, crut devoir se conformer
à ces traditions. En 1499 3, il fit son entrée à Milan, escorté
du légat du pape, des ducs de Savoie et de Ferrare, des mar-
quis de Mantoue et de Montferrat, et des ambassades de toute
l'Italie, éblouissantes de luxe et de faste. La plupart de ces
ambassades avaient cent ou cent cinquante chevaux d'escorte.
Les ambassadeurs de Venise marchaient en tête, récoltant
les démonstrations hostiles delà population, puis venaient
les ambassadeurs de Sienne, de Lucques, de Pise. A l'entrée
de 1502 prirent part, avec le roi de Naples, les souverains
de Ferrare et de Mantoue, deux légats, et toutes les ambas-
sades*.
Venise est la terre promise des ambassadeurs : à toutes les
fêtes religieuses, ou civiles, le doge se rend à S' Marc en
grand gala, entouré des ambassadeurs, le matin à la messe,
le soir au\ vêpres B : le jour de l'an 6, le jour de la Saint Marc,
1) Sanuto, Spedhione, 353.
2) Composé de vases d'or et d'argent estimés -1,500,000 ducats, sans
compter les pierreries (Guichardin, liv. îv, ch. iv). En France, la reine Isa-
beau de Bavière avait confié à Louis de Bavière, en 1405, ses joyaux pour
emprunter 75,000 liv. (J. 42(i, n<> 28) ; en 1571, les joyaux de la couronne
n'étaient estimés que 567.882 liv. (J. 947). L'ambassadeur de Venise va voir
les bijoux de la reine, chez le roi (lévrier 1504. Sanuto, V, 906).
3) Jean d' Au ton, I, 101, n<> 2. Prato. Burckard, II, 567. Chron. manus-
crite de Léonard Sfrenati, à la Bibliothèque de Parme, f° 51 t*.
4) Sanuto, IV, 296.
5) Le 16 avril 1503, jour de Pâques, il n'y a pas de prédicalions a Venise,
à cause delà peste. Cependant les ambassadeurs vont à l'office avec le doge
(Sanuto, V, 17).
6) Bien que l'année civile commence à Venise le 1er mars, le premier jour
de l'an est le 1" janvier, comme en France. On va à la messe, etc. 'Sanuto,
VI, 118).
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 271
aux processions du Corpus Domini, de San Sydro, à la Chan-
deleur, tous les vendredis de mars, le 1er mai, la veille et
le jour delà Sensa (1" juin), quand le doge va épouser la
mer, le lîi août, le 8 septembre, le 1er novembre, le jour de
ÏW1, les 2G et 27 décembre, le jour anniversaire de l'élec-
tion du doge, les ambassadeurs entourent le doge, et mar-
chent avant les patriciens. Avec lui, les ambassadeurs pren-
nent part au carnaval '. Chaque année, la Seigneurie de
Venise donne, le 2G février, une fête, à laquelle assistent les
ambassadeurs'.
A ces fêtes réglementaires s'ajoutent les grands dîners of-
ferts par le doge a, ou par des personnages*, des concerts,
des représentations..., les fêtes extraordinaires s, les enterre-
ments6. On choie les ambassadeurs, non seulement en les
défrayant de tout, mais par les témoignages de sympathie
personnelle les plus variés 7 ; on affecte, de part et d'autre,
1) Sanuto, VII, 751.
2) Kervyn, Lettres cl négociations, II, 165.
3; Le doge invite à diner l'ambassadeur de Fiance, avec l'archevêque de
Spalato el des patriciens, "le 27 avril 1505. L'ambassadeur d'Espagne s'abs-
tient d'aller au conseil, pour ne pas rencontrer l'ambassadeur de France
(Sanuto VI, 157) : le 27 décembre, la messe est suivie d'un diner chez le
doge. Diner diplomatique donné par le doge le 27 janvier 1507 (Sanuto,
VI, 517).
4) Le commandeur de Chypre donne, à Venise, un grand diner à l'orateur
du soudan. Le diner est suivi d'un concert : le soir, on représente une églo-
gue pastorale (1506. Sanuto, VI, 430).
o) Nov. 149o. Les ambassadeurs de tous les princes d'Italie, d'Espagne,
d'Allemagne, assistent, avec la Sri«, aux grandes fuies de triomphe sur le Bu-
centaure données en l'honneur du marquis de Gonzague, à Venise (Benedetti,
Ilfatto d'arme, édon 4863, p. 241).
6) Enterrement du professeur M. Ant. Sabcllico, à Venise, 20 avril 1506,
auquel assistent les orateurs de France et d'Espagne (Sanuto, VI, 329).
7) Accurse Mainier, ambassadeur de France a Venise, étant grave-
ment mala le, les membres du gouvernement de Venise vont le voir, la Sei-
gneurie lui envoie des médecins (Sanuto, III, 41) : il devait quilter Venise le
2 janvier 1501, pour aller voir sou pure malade: obligé de rester, il prie la
Seigneurie d'écrire à son père une lettre pour le réconforter (Id., III, 1244).
272 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
une grande intimité '. C'est un assaut, sans trêve, de cordia-
lité, de gaieté, de somptuosité; impossible de s'en abstraire.
'Le 2 octobre 1502, à la messe pour l'anniversaire de l'élection
du doge, l'ambassadeur de France se montre extrêmement
joyeux ; or, il avait reçu, la veille, la nouvelle de la mort de
son père et avait passé sa journée dans le deuil1... Le jour de
Pâques 1500, parmi les ambassadeurs de France, de Naples,
de Ferrare, d'Urbin, de Rimini, l'ambassadeur de Naples se
fait remarquer par un magnifique costume, tout en or ; son
roi allait être détrôné, avec la connivence de Venise3... Si
un ambassadeur s'abstient à une cérémonie, on se demande
aussitôt pourquoi \
A Rome, la présence des ambassadeurs forme la base es-
sentielle des cérémonies ; car Rome appartient à tout le
monde : le peuple romain disparait en quelque sorte, Rome
semble un composé, une quintessence de toutes les nations,
et chaque ambassadeur représente le chef d'une nation qui a
droit de cité dans la Rome chrétienne. Et puis Rome est,
par excellence, l'école et pour ainsi dire l'académie de la di-
plomatie. Cette cour si haut placée, en relations pacifiques
avec tout l'univers connu, cette cour, si puissante sans ar-
mée, si traditionnelle, si immuable, qui gouverne par des
armes intellectuelles ou religieuses, a acquis une perfection
1) En cas de bonne nouvelle, les orateurs viennent successivement, ail
conseil, protester de leur joie (Sanuto, III, 1278).
2) Sanuto, IV, 334.
3) Sanuto, III, c. 239.
4) L'orateur de France, courroucé, on ne sait pour quel motif, ne vient pas
avec le doge à l'office de Noël (1500). On lui envoie le secrétaire qui parle
français, pour le prier de venir. Il refuse. Le doge tient alors conseil, et lui
députe deux patriciens, l'un procureur, l'autre simple chevalier, mais vêtu
d'or; enfin, l'ambassadeur vient avec eux. La procession part. Après l'office,
le doge interroge doucement l'ambassadeur, et celui-ci répond par quelques
plaintes (Sanuto, III, 1215).
MANIÈRE d'ÈTKE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS '21',i
d'étiquette, un raffinement, une dignité, une délicatesse, un
art consommé de mise en scène, une science des cérémonies,
qui ne se rencontrent nulle part et que les autres cours, en
vérité, ne paraissent même pas soupçonner '.
Au commencement du XVIe siècle, la cour de Rome,
comme cour, tient incontestablement le premier rang ;
c'est là qu'on possède le secret des belles réceptions et des
beaux dîners diplomatiques '. Aucun souverain ne saurait non
plus se comparer à Alexandre VI ou à Jules II 3 (en tant que
princes temporels), pour la puissance intellectuelle, la hau-
teur de vues, la compréhension de tout ce qui élève l'esprit
humain. Ces papes sont des princes brillants, qui aiment
la chasse, la pêche, qui adorent l'art sous toutes ses faces :
Jules II, plein d'une fougue et d'une énergie entraînantes;
Alexandre VI, très calme au contraire, resté gai et jeune en
dépit des années. Alexandre a la passion du théâtre : au car-
naval de 1503, il fait donner une comédie publique, à laquelle
assistent beaucoup de cardinaux, les uns en soutane rouge, les
autres masqués; des femmes entourent le pape, l'une même
s'assied à ses pieds : plusieurs ambassadeurs sont de la
fête ; l'un d'eux, l'ambassadeur de France, aborde le pape
1) Les ambassadeurs à Rome sont obligés de connaître à fond la science du
cérémonial. Paris de Grassis, sous Jules II, offre au cardinal de Narbonneun
petit compendium de cérémonial de sa composition, sur les messes pontifi-
cales et cardinalices (lat. 1004. petit in-4°, 31 ffs).
2) Le jour de S' Pierre aux liens 1510, un provéditeur de l'armée véni-
tienne, de passage à Rome, l'orateur vénitien, beaucoup de cardinaux dinent
chez le pape (Sanuto, XI, Si, 52) : l'orateur de Venise étant à table avec
Jules 11, arrive la nouvelle de la mort du Ssr de Pesaro. On la commente
(id., 12). L'ambassadeur de Venise raconte les propos tenus la veille à un
grand dincr donné au Vatican par le trésorier pontifical ; les uns se louent
delà ligue contre Venise, d'autres y voient l'esclavage de l'Italie (oct. I50i.
Disp. di Giuslinian, III, 277), etc.
3) Jules II va en mer pécher (Sanuto, VIII, 23). Le pape revient de la
chasse (18 août 1502. Dispacci di Giustinian,l, 94), etc.
18
274 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
à la sortie pour lui communiquer une lettre désagréable du
roi: « co?ifetto, qui parut peu goûté '.» Au carnaval de 1501,
l'ambassadeur de Venise, seul sur un balcon avec le pape qui
regarde passer les masques, en profite pour causer * ; Alexan-
dre consacre la journée du 17 février 1501 à assister à des co-
médies 3. La cour de Rome présente donc un caractère de
gai té, de splendeur, de magnificence sans égale.
Cependant, à Rome, les nouvelles se recueillent particu-
lièrement aux cérémonies, aux services, aux fonctions de cha-
pelle. Les ambassadeurs d'Allemagne et de Venise se ren-
contrent à la messe à Sant'Agostino, et échangent des nou-
velles*... L'ambassadeur de Venise rend compte d'une im-
portante conversation qu'il a eue avec Jules Orsini, dans l'é-
glise de S1 Pierre5... On apprend une nouvelle à un enterre-
ment de cardinal 6...
On voit le pa'pe, comme le roi en France, au sortir de sa
messe T.
Les ambassadeurs assistent à toutes les cérémonies, et
certes, elles sont nombreuses ! ils se dédoublent pour y
faire face... Ils assistent aux grands enterrements8, notam-
1) Disp. di Giustinian, I, 404.
2) Sanuto, III, 1098, 1472.
3) Sanuto, III, 1473.
4) Disp. di Giustinian, III, 268.
5) Oct. 1503. Villari, Dispacci di Giustinian, II, 270.
6) Dispacci di Giustinian, I, 86.
7) L'ambassadeur de Venise attendant au Vatican le pape, au sortir de la
messe, un des serviteurs du pape le tire à part et lui raconte que, pendant la
nuit, est arrivée une dépêche entièrement chiffrée du légat à Venise, qui a
été immédiatement déchiffrée. II lui en résume le contenu (15 déc. 1504.
Disp. di Giustinian, III, 337).
8) Burckard, III, 39, 133 : le 2 mars 1501, à l'enterrement du comte de
la Mirandole, l'ambassadeur d'Allemagne occupe la place d'honneur (id. ,
III, 119).
MAMÈRK DÊTRK ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 275
ment à ceux des cardinaux', lesquels se font en pompe* : ils
prennent part, en 1506, comme les cardinaux, aux fêtes du
mariage de la nièce de Jules II avec Marc Antoine Colonna',
célébrées au Vatican'. Au couronnement du pape, ils jouent
un rôle majeur; c'est eux qui portent le baldaquin, sous
lequel le pape entre dans S1 Pierre \ Le jour de Pâques 1495,
c'est un ambassadeur vénitien qui a l'honneur de tenir la
queue du pape, à la sortie du Vatican 6. Nous voyons les
ambassadeurs assister à la fête annuelle du 20 avril, en l'hon-
neur de la fondation de Rome, fête qui consiste en une messe
et une représentation théâtrale, et qui donne lieu à une
grande production de poètes lauréats 7. Si un personnage
marquant quitte Rome ou y arrive, les ambassadeurs se mê-
lent au cortège des cardinaux, prélats, protonotaires .. Le
26 février 1500. Alexandre VI fait inviter les cardinaux à en-
voyer leurs maisons au devant de César Rorgia qui devait
t) Not. Burckard, III, 119.
2) Présence des orateurs à l'enterrement du cardinal deCapoue(16 août 1501.
Burckard, III, 160 . Ils étaient invités parle pape; voici le billet de faire-part:
« De niandato S. S. D. N. Pape intimetur singulis RRmis DD. cardinalibus,
magistro domus Sanctitatis sue, oratoribus, et prelatis Romanam curiam se-
quentibus, quod, die crastina, que erit 16 presentis mensis, circa horam
duodecimam, in capella b. Marie de Febribus basilice Si Pétri, fient exequie
bone memorie cardinalis Gapuani. R^us D. Cardinalis S. Crucis faciet offi-
cium, et. post missam, orationem magister Titus de Sutrio, familiaris cardi-
nalis defuncti » (Id., III, 158).
3) Sanuto, VI, 384.
4) Tout le corps diplomatique assiste au baptême du fils de Lucrèce Bor-
gia (novembre 1499. Burckard. II, 576;. Les ambassadeurs assistent au ma-
riage de Lucrèce Borgia (Gregorovius. Lucrèce Borgia, édition française, I,
120), d'Angela Lançol, cousine du pape (id.. 215), au mariage de Lucrèce
Borgia avec Alphonse de Ferrare (p. 395).
5) Villari, Dispacci di A. Giuslinian, II, 313. Sanuto, V, 470. A la proces-
sion de Latran pour la prise de possession d'un nouveau pape, les ambassa-
deurs portentle dais (Reumont.résumant Burckard, Oiplomaùa »Ya/ùma,i95).
6) Sanuto, Spedizione, 368.
7) Burckard, III, 131, 132.
276 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
entrer le soir, et tous les ambassadeurs ou fonctionnaires de
la cour et de la ville à s'y rendre en personne. Les ambassa-
deurs vont attendre à cheval, en avant du pont Milvio, à
environ quatre milles de Rome. Borgia arrivait magnifique-
ment, à la tête de son armée, entouré d'une foule d'estaffiers
et de trompettes. Le cortège diplomatique se mit en ordre se-
lon l'usage, accouplé avec des prélats : en tête du cortège,
marchaient le duc de Bisceglie et le prince de Squillacc, puis
César entouré de cardinaux ; puis l'archevêque de Raguse,
et l'ambassadeur de France (évêque de Tréguier), l'évê-
que de Zamora et l'ambassadeur d'Espagne, etc. La discus-
sion habituelle de pi'éséance éclata entre les deux ambas-
sadeurs de Navarre et ceux d'Angleterre et de Naples.
Vaincus, les envoyés de Navarre quittèrent le cortège'...
Les ambassadeurs prennent part aux grands offices de S'
Pierre, ou de la chapelle pontificale ; par exemple le jour de
l'Assomption2, au baisementde la croix, le vendredi saint...,
dans la chapelle3, le samedi saint à la distribution des
AgnusK... Ils reçoivent des cierges0, ils portent le dais du
•1) Burckard, III, 21. Paris de d'assis, lat. 5164, f° 86. À l'entrée du duc
d'Urbin en 1505, les ambassadeurs font partie du cortège (Paris de Grassis,
lat. 5164, f° 112 v<>).
2) Burckard, III, 399.
3) Id., 111,201.
4) Le 13 avril 1504, à la distribution des AgnusDei par le pape, l'orateur
vénitien s'étant avancé pour recevoir le sien sur le même rang que le con-
servateur de la Chambre de Rome, reçut de celui-ci une poussée si forte, qu'il
serait tombé des marches sans l'intervention du maitredes cérémonies. L'am-
bassadeur s'en alla sans agnus : le pape, mis au courant de l'incident, le lit
de suite rappeler : il refusa de revenir, et dit, assez grossièrement, qu'il ne
se souciait point de cette cire ; elle venait de Venise où il y en avait bien
d'autres... Le pape destitua le conservateur, ce qui fit beaucoup de bruit
(Burckard, III, 350).
5) A la messe du 9 février 1511, les ambassadeurs portent des cierges :
ceux d'Espagne et de Venise ont les deux gros, l'envoyé de Florence versé
l'eau (Frati, Le due spedizioni militari di Giulio II, 234). A la Purification
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 277
pape '. A S' Pierre, dans les grandes cérémonies, ils ont, avec
les prélats de la cour, des sièges spéciaux dans la nef, hors
de la chapelle 2.
Certains jours de grande fête, à la messe anniversaire du cou-
ronnement3, a la Saint Pierre, le jeudi saint, à Pâques, à Noël,
aux Hameaux, le mercredi des cendres, à la Chandeleur, il
est d'usage que des personnes de haute distinction aient l'hon-
neur, à la messe solennelle, de verser de l'eau sur les mains
du pape; quatre personnes à la S1 Pierre, au couronne-
ment, à Noël et à Pâques, une seule aux autres fêtes. A
Noël de l'année 1500 (1499), par exemple, le nouvel ambas-
sadeur d'Espagne à Home, deux français de passage à Rome
(Louis de Bourbon, comte de Vendôme, et M. du Bouchage),
et Alphonse d'Aragon, duc de Bisceglie, reçoivent cet hon-
neur* : le mercredi des cendres, l.'iOO, le nouvel ambassa-
deur de Naples y est admis s ; le dimanche des rameaux,
c'est l'ambassadeur de Florence G; le jour de Pâques, un
grec, un polonais, un hongrois, un ambassadeur de Naples,
un ambassadeur d'Espagne7 : à Pâques 1501, Carlo Orsini,
et les ambassadeurs de Florence, de Venise, d'Espagne : aux
en 1507, à Bologne, les ambassadeurs d'Espagne, de France, de Savoie, de
Florence, portent des cierges, l'ambassadeur de France présente l'eau (Frati,
Le due spedizioni militari di Giulio II, 137. 138).
1) A l'office du 11 nov. loOO, un ambassadeur de France, d'Espagne, de
Venise, et les trois ambassassadeurs d'Allemagne portent le baldaquin du
pape, puis l'ambassadeur de Florence, de hauts fonctionnaires et des
princes (Frati, Le due spedizioni militari di Giulio H, 91). Les ambassadeurs
de France, d'Espagne et de Venise portent le baldaquin à l'entrée de
Jules II à Bologne (tV/.).
2) 1506. Paris de Grassis, lat. 5164, fo 280.
3) Frati, Le due spedizioni militari di Giulio H, 105.
4) Burckard, III, 2. Charles VIII l'avait eu.
5) III, 23.
6) III, 33.
7) III, 37
278 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Rameaux de 1502, l'ambassadeur de Ferrare, à Pâques l'ora-
teur de Venise, le sénateur de Rome, l'infant de Navarre, le
duc de Valentinois : au couronnement de Pie III ', les ambas-
sadeurs d'Allemagne et de Venise... En 1503, à Noël,
quatre ambassadeurs, de Lucques, de Ferrare, de Venise,
d'Allemagne présentent l'eau à Jules II: l'ablution prend cette
fois une couleur politique. On varie beaucoup : aux Rameaux
de 1504, c'est l'orateur de Venise ; le jeudi saint, le pre-
mier orateur de Savone : à Pâques, les orateurs de Venise,
du roi des Romains et deux personnages : le samedi in albis,
l'orateur de Lorraine : à la Chandeleur 1505, l'ambassadeur
de Venise : à Pâques 1506, les orateurs de Florence, de Ve-
nise, de Pologne5: à la saint Pierre, l'orateur de Portugal: aux
Rameaux 1506, l'orateur vénitien... Cela s'appelle « donner au
pape la première eau, la seconde eau...» ou encore : « avoir l'a-
blution8». Sur cette cérémonie, comme sur toute autre, se gref-
fent naturellement les querelles de préséance *.
Quant aux ambassadeurs ecclésiastiques *, ils officient eux-
mêmes. Après la mort d'Innocent VIII, un ambassadeur d'Es-
pagne, évêque, prononce un sermon sur l'élection du pape c;
le 2 novembre 1498, le cardinal de S1 Denis officie à la cha-
pelle pontificale et donne l'absoute7.
Il y a aussi des fêtes relatives aux cardinaux, qu'il ne faut
pas négliger. Il est courtois de se rendre à la fête patronale
i) III, 323.
2) Paris de Grassis, lat. 5164, f° 159 v».
3; Burckard, III, 283.
4) III, 362.
5) Un ambassadeur ecclésiastique ne porte pas la queue du pape (Paris de
Grassis, lat. 5165, fo 316 v»),
6) Martène et Durand, Thésaurus, II, c. 1768.
7) Burckard, II, 499.
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEUHS 279
de l'église dont un cardinal porte le titre. Les ambassadeurs
de France et d'Allemagne assistent a la fête de S1 Vital, par
égards pour le cardinal do Gtïrck, cardinal de ce titre1.
On va, lorsqu'il y a lieu, au devant d'un cardinal qui fait son
entrée. A l'arrivée du cardinal d'Esté à Rome, en décembre
1501, Alexandre VI, qui avait plus d'un motif de désirer lui
être agréable et plus d'un souvenir à effacer, fit adresser aux
cardinaux, aux ambassadeurs, à tous les personnages ayant
rang, l'invitation d'aller à l'avance. La réception eut lieu,
en effet, devant la porte du Peuple, avec l'apparat réservé
aux grandes cérémonies romaines. Le cardinal entra, ayant
à sa gauebe le duc de Valentinois, entouré de la maison du
pape, suivi de deux de ses frères : puis venaient les ambassa-
deurs laïques de France et d'Espagne, le gouverneur de Rome et
l'évoque d'Andria, les ambassadeurs d'Angleterre, de l'archi-
duc, de Venise... Toute cette escorte marchait selon l'ha-
bitude deux par deux, un des personnages venus de Rome
accouplé à un de ceux qui accompagnaient le cardinal, par
ordre de préséance. Le cortège se déploya magnifiquement
dans Rome. A la porte du Vatican, où il se rendait, le car-
dinal prit congé, en remerciant individuellement chacun, se-
lon l'usage*.
Enfin, il y a un bon nombre de fêtes nationales ou politi-
ques. Ces fêtes ont souvent un caractère officiel, public 3.
Le 2 mai 1498, le pape fit célébrer un service funèbre pour
Charles VIII et donna lui-même l'absoute, en présence de
dix huit cardinaux* ; quelques jours après, le 10, les Français
1) Burckard, II, 527.
2) Dianum, III, 175, 476.
3) Le 24 août 1501, le mariage de Claude de France est annoncé par ban
dans Rome (Burckard, III, 160).
4) Burckard, II, 460.
280 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
célébrèrent un service solennel, dans l'église de leur hôpi-
tal ; cinq cardinaux y assistèrent, avec des torches ; un peu
au dessous de leur banc, sur le banc diplomatique, prirent
place les trois ambassadeurs d'Allemagne, de France, de
Savoie, avec des cierges : le vicaire d'Ara Cceli, français,
prononça l'oraison funèbre ; le cardinal de S1 Denis offrit
ensuite un dîner aux membres présents de la cour ponti-
ficale l.
Chaque nation possède un hôpital, avec une église nationale*.
En mars 1500, l'ambassadeur d'Allemagne, à la nouvelle
de la naissance de Charles d'Autriche (le futur Charles Quint),
fait orner l'église de l'hôpital des Allemands et célébrer une
messe. Le 26 février 1505, est célébré à l'église de l'hôpital
des Espagnols un service extrêmement somptueux pour le
repos de l'âme d'Isabelle d'Espagne 3 : l'ambassadeur d'Es-
pagne conduisait le deuil, avec une suite de vingt personnes,
en longs manteaux de deuil ; dix neuf cardinaux y assistèrent,
ainsi que plusieurs grands personnages et les ambassadeurs
d'Allemagne, de Lucques, de Venise, de Florence. L'ambas-
sadeur d'Allemagne, qui était évêque, devait même pronon-
cer l'oraison funèbre, mais il s'excusa au dernier moment sous
un prétexte de santé. Les archevêques de Florence, de Ra-
guse, de Bari et de Tarente donnèrent l'absoute4.
La fête de chaque saint national provoque aussi une ma-
nifestation nationale. L'ambassadeur de France, évêque de
1) Id., 461.
2) La Savoie n'a pas d'établissement spécial ; elle est considérée comme
une partie de la France ; elle a ses cérémonies à l'église française et agit en
tout à la mode française (id., III, 152).
3) A la nouvelle de cette mort, l'orateur d'Espagne fit inviter tous les car-
dinaux espagnols à revêtir des chappes violettes, ce qu'ils firent (id., III,
373).
4) Id., III, 378.
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 281
Tréguier, se fait un devoir d'assister aux offices de la fête de
saint Yves, patron de la Bretagne ', et il y tient la place d'hon-
neur '. Le jour de la saint Louis, on célèbre à l'église de l'hô-
pital des Français un office solennel, auquel assistent bon nom-
bre de cardinaux5. Le 7 décembre, a lieu à l'église de l'hôpi-
tal des Lombards la fête de saint Ambroise: le cardinal de San
Severinos'y rend, comme lombard*. Le jour de saint Jacques,
1508, le pape offre aux ambassadeurs de Castille une messe
solennelle, puis les invite à diner avec les cardinaux pa-
latins 5.
L'ambassadeur a soin de rehausser par son concours les
distinctions accordées à ses nationaux. Quand le célèbre Bur-
ckard, nommé évêque, se rend officiellement au Vatican,
pour remercier Jules II, il chevauche, ayant à sa droite l'am-
bassadeur allemand, à gauche l'évêque de Castres; cinq évo-
ques, les orateurs de Bamberg, et une troupe d'amis l'escor-
tent6. Lorsque le cardinal d'Albret vient recevoir la pourpre
(mars 1502), l'évêque de Tréguier, ambassadeur de France,
et l'ambassadeur laïque vont au devant de lui jusqu'au pont
Milvio. le terme classique '.
Il y a enfin des cérémonies solennelles, d'ordre à la fois
religieux et politique, où les ambassadeurs jouent un rôle ma-
jeur 8. Ces cérémonies ont trait surtout aux questions de croi-
t) Les 22 et 23 mai 1499, l'évêque de Tréguier, encore ambassadeur spé-
cial de la reine, officie pontificalement à l'église S1 Yves, de l'hôpital de
Bretagne. L'ambassadeur de France, le cardinal de Gùrck, plusieurs autres y
assistent (id., II, 531).
2) H., 137.
3) En 1501, 14. Burckard, III, 161.
4) III, 224,
5) Sanuto, VII, 599.
6) Burckard, III. 310.
7) Diavium, III, 198.
8) Jules II rehaussa par un cérémonial un peu théâtral la levée de l'ex-
communication contre Venise. C'est à S1 Pierre, au milieu des cardinaux et
282 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
sade. Chaque année, le 3 mai, les cardinaux et les ambassa-
deurs assistent à la fête de la Sainte Croix, dans l'église Sainte
Croix de Jérusalem1. Le jour de la Pentecôte 1501, à l'office
pontifical solennel, l'évêque de Césène monte en chaire et
prononce un discours pour annoncer l'alliance conclue entre
le pape, Venise et la Hongrie contre les Turcs. On chante en-
suite le Te Deum, et le pape dit les oraisons prévues par le
rituel pour cette circonstance * : le soir, la grande cloche du
Capitole sonne, des feux s'allument dans les carrefours; puis,
on proclame une amnistie pour les criminels 8. A l'office pon-
tifical des vigiles de l'Ascension en 1502, on prêche sur la
guerre contre le roi de Perse \
En 1505, sur la nouvelle de la prise de Mers-el-Kébir par
l'Espagne, l'ambassadeur et les cardinaux espagnols deman-
dent au pape un Te Deum et une messe solennelle : mais,
d'une foule considérable, que le pape, assis sur une estrade élevée pour la
circonstance, admit les ambassadeurs au baisement des pieds, après deux
agenouillements. Les ambassadeurs étant toujours à genoux, l'un d'eux, en
bons termes, sollicita l'absolution et la bénédiction du pape : puis un secré-
taire du pape lut, à voix très basse, le texte de l'accord passé avec Venise.
Après cette lecture qui dura plus d'une, heure, les ambassadeurs jurèrent
l'observation du traité, avec quelques paroles de circonstance, reçurent la
bénédiction et baisèrent le pied et la main du pontife. Ensuite, on les fit
passer dans le local du pénitencier, d'où, après quelques dévolions, ils vin-
rent dans lachapelle dite du pape Sixte (Sixtine), où ils entendirent une messe
solennelle. Pendant ce temps, Jules II, selon son usage de ne jamais assister
aux longs offices, rentrait dans ses appartements. Après la messe, les ambas-
sadeurs retrouvèrent leurs chevaux au pied de l'escalier de S' Pierre, et toute
la maison du pape leur fit un pompeux cortège, ainsi qu'un grand nombre
de cardinaux. Le peuple romain, toujours enthousiaste, témoigna son allé-
gresse. Comme œuvre de pénitence, les ambassadeurs durent visiter plu-
sieurs églises (24 février 1510. Sanuto, X, 9-11).
1) Burckard, II, 529.
2) Diarium, III, 141,
3) 141.
4) III, 205.
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 283
comme cette prise avait peu d'importance, on se contente d'un
Te Deimi et d'une procession1.
Les cérémonies, surfout à Rome, engendrent une plaie ; les
querelles incessantes de préséance, qui naissent à. tout pro-
pos, sous toutes les formes, dans les questions les plus clai-
res . Les préséances constituent la plus grosse préoccupation
des petites légations.
A l'entrée de l'ambassade d'obédience du Portugal, le 1"
juin 1505, l'ambassadeur ordinaire de Portugal, qui doit cé-
der le pas aux nouveaux ambassadeurs, s'obstine à ne le cé-
der qu'au ebef de la nouveDe ambassade et à passer le se-
cond : il allègue la volonté du roi de Portugal... Au même
moment, une dispute éclate entre deux ambassadeurs fran-
çais, Guibé et Michel Riz, et le chef de l'ambassade espa-
gnole : à Rome, la France passe immédiatement après l'em-
pire, mais l'espagnol ne voulait, ici, céder le pas qu'au chef
de l'ambassade française. L'ambassadeur espagnol était fort
peu aimé : des deux maîtres des cérémonies, l'un se fait un
mabn plaisir de le laisser s'engager, l'autre perd la tête et
court au château S' Ange raconter l'aventure à Jules II, qui
éclate de colère. Pendant ce temps, les ambassadeurs en vien-
nent aux mains ; ils se frappent de leurs chapeaux ; ils allaient
tirer leurs armes, quand le duc d'Urbin réussit à les séparer.
On s'arrange en plaçant sur le même rang les ambassadeurs
ordinaires de France et l'ambassadeur d'Espagne '-, contraire-
ment à toutes les règles.
En décembre 1501 , les ambassadeurs de Venise et de Savoie,
i) Quelques cardinaux espagnols y étant venus en violet (en deuil), le
pape les en reprit (id., III, 403. Cf. Paris de Grassis, lat. 5164, N 254-255).
Cf. Messe pour la victoire du roi de Portugal contre les Maures (déc. 1507.
Paris de Grassis, lat. 5165, f° 399).
2) Burckard. Paris de Grassis.
284 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
qui se rencontrent dans une commune attente d'audience du
pape, se disputent à qui passera le premier et en viennent
aux gros mots. L'ambassadeur vénitien s'exclame contre ce
réprésentant d'un duché de fraîche date qui ne veut pas lui
céder le pas, à lui représentant du 800° duc (ou doge) de Ve-
nise ! Le pape leur fait dire de revenir chacun un jour diffé-
rent, et donne tort à l'ambassadeur de Savoie '.
En 1504, un ambassadeur de Ferrare, protonotaire, cause
mille embarras ; ses prétentions sont le casse-tête des maîtres
des cérémonies *.
Les questions de préséances et de droits prennent souvent
le caractère le plus futile, surtout chez des ambassadeurs peu
rompus aux usages. Ainsi l'envoyé lithuanien à Rome, en
1501, reçu avec honneur par le pape qui l'embrasse et le fait
protonotaire, arrive à la chapelle papale, en grand costume, sa
queue portée par des prélats, et réclame contre le rang
qu'on lui attribue : bien plus, il se met en colère, parce qu'on
ne permet pas à son groom, âgé de douze ans, de s'asseoir à
ses pieds pendant la fonction s. A Venise, les ambassadeurs
de Russie prétendent le pas sur l'ambassade de France, à la
procession du 1er mai 1500 : on ne les invite pas v. Malgré tous
les soins possibles, on ne saurait éviter tous les froissements.
A un dîner offert par le maréchal ïrivulce à Milan en 1507,
on dit au duc de Savoie que les ambassadeurs de Venise ré-
clament la préséance sur lui : aussitôt il part, et les ambassa-
deurs aussi 5.
L'ambassadeur de France est invité à Westminster au jeu
4) Burckard, 111,474, 472: cf. 447-148.
2) Burckard.
3) Burckard.
4) Sanuto, III, 278.
5) Sanuto, VU, 95.
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 285
de Vanneau ; comme on ne lui a pas gardé de place, il prend
congé en courroux. Le roi lui fait donner un coussin pour s'as-
seoir !.
Los préséances résultent, avant tout, de l'usage et de la
possession. Les jurisconsultes prétendent les fixer par la qua-
lité du pays; d'après eux, l'ambassadeur d'un grand prince
précéderait celui d'une inoindre puissance ', mais on ne voit
pas comment une telle théorie s'appliquerait. En pratique, la
préséance ne tient ni à la puissance des Etats, ni à la person-
nalité des ambassadeurs, mais au fait acquis, ou, si l'on veut
un principe plus élevé, à l'ancienneté des royaumes 3. Les am-
bassadeurs marchent au premier rang, aussitôt après le sou-
verain* ; ils se placent à droite, puis à gauche, alternative-
ment. La première place à gauche est plus honorable que la
seconde à droite 5; cependant, quand on est assis, dans un ban-
quet par exemple, Olivier de la Marche estime qu'il convient
de placer tous les ambassadeurs, à une table à part, à droite
du souverain 6. Les membres d'une même ambassade se pla-
cent par rang d'âge, mais une ambassade est indivisible,
parce que chacun de ses membres représente la personne du
souverain7. Ainsi le chef de l'ambassade classée la seconde
passe après le dernier membre de la première 8; maislesmem-
1) Août 1509. Sanuto.IX, 149.
2) Martini Laudensis, De legatis maxime principum, q. 27, citant des
gloses.
3) .Kneas Silvius, De gestis Basil, concilii, lib. n: « Namque istum (ortli-
nem) neque nobilitas, neque majoritas, sed tempus peperit. Quia ut quaeque
natio verbum Dei prius suscepit, sic prior babetur » (cité ms. lat. 9809).
4) Olivier de la Marche, IV, 162, 184, 186, 189.
5) Jacq. deValdes, De dignitate Regum Hispanix et honnorutiori loco ei$
debito, cap. 3, no 3.
6) IV, 175.
7) Lett. de Louis XII, I, 206.
8) En 1505, à l'entrée de l'ambassade de Portugal, l'ambassadeur espagnol
veut se placer après le premier ambassadeur français, avant les deux autres
286 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
bres de l'ambassade en honneur ont seuls droit à un rang ».
Les ambassadeurs n'admettent avec eux dans un cortège
que les princes du sang 2 ; toutefois, ils laissent le pas aux car-
dinaux 3. Une question plus délicate se présente pour les pré-
séances, entre un ambassadeur et un prince présent en per-
sonne. On a discuté sur ce cas*: en fait, il n'y a point de
doute ; qu'un prince soit présent dans sa personne ou dans la
personne de ses ambassadeurs, la préséance ne change pas,
français. Il s'en suit un tumulte, un scandale: sans l'intervention énergique du
duc d'Urbin, on en venait aux armes. Burckard finit par négocier un arran-
gement. Le premier ambassadeur d'Espagne marche au second rang, avec les
deux autres français et à leur droite: arrangement que tout le monde blâme
(Paris de Grassis, lat.8164, f» 193).
1) Les anciens ambassadeurs qui vont au-devant des nouveaux ambassa-
deurs de leur pays n'ont pas droit à un rang spécial , selon Paris de Grassis
(1511. Prati, Le due spedizioni militari di Giulio II, 264).
2) Cependant cette étiquette cède quelquefois. En décembre 1499, le pape
fait placer le comte de Vendôme et le sire du Bouchage, l'un parent, l'autre
conseiller intime de Louis XII, entre lui et les cardinaux : chose fort peu
convenable, mais que les cardinaux comprirent à merveille (Burckard, II,
581). Au concile de Latran, le sénateur de Borne passe entre les ambassa-
deurs de l'empire et ceux de France (15i3.Labbe, Concilia, XIX, 862). L'en-
trée des ambassadeurs de France en 1505 donne lieu à mille difficultés de
préséances. Burckard place à tort le sénateur de Borne avant eux; au lieu de
mettre le prince de Salerne à droite d'un des ambassadeurs, avec un prélat
à gauche, Burckard le met en avant, avec le sénateur: le prince offensé quitte
le cortège. Burckard chasse à tort de leur place les ambassadeurs de Rhodes
à qui le pape a donné rang. Le héraut français refuse de se joindre aux mas-
siers, et marche seul après eux. L'évêque de Redon, assistant pontifical et
ancien ambassadeur, n'est classé que second dans les pouvoirs. Il déclare
qu'il passera seulement le troisième. Le maître des cérémonies interpelle les
autres ambassadeurs, qui sont d'avis de lui maintenir le second rang (Paris de
Grassis, lat. 5164, fos 167 v°, 168 v<>). Sur la difficulté perpétuelle de pré-
séance entre le sénateur et les ambassadeurs, V. Reumont, Diplomazia ita-
liana, 198.
3) Sanuto, VII, 83. Au consistoire ad osculum pape et cardinalium des
nouveaux cardinaux, l'évoque de Redon, l'un d'eux, prétend passer le pre-
mier comme ambassadeur de France, mais on ne le lui permet pas (12 déc.
1505. Paris de Grassis, lat. 5164, fo 219).
4) Vanherden, Grundveste des heiligen Rœmischen Reichs, p. u, ch. 5.
MANIÈRE D'ÊTHE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 287
parce qu'elle n'est pas personnelle '. Quant aux hérauts qui
accompagnent une ambassade, on leur donne rang avec les
massiers, malgré leurs réclamations *.
L'ambassadeur du pape passe partout le premier, puis
vient l'empire ', puis la France *, puis l'Espagne 5. Parmi
les ambassades italiennes, Venise prend toujours le premier
rang 6, en dépit des ardentes disputes de la Savoie et de Flo-
rence 8 : Naples prétend aussi à la primauté. A l'entrée de
1) Entrées de Louis XII à Milan.
S) A l'obédience de l'ambassade de France à Jules II en 1505, le maitre
des cérémonies place un massier du pape à droite du héraut de l'ambassade,
et les deux autres massiers derrière: le héraut n'est pas satisfait, « sed audivi
a peritisquod sic faciendum esset » (Paris de Grassis, lat. 5164, f° 169). On
place de même un héraut attaché à l'ambassade de Portugal (irf., fJ 192).
3) Cependant à Bude, en t.'>09, lors de l'ambassade d'Hélien, les envoyés
impériaux cédèrent le pas aux Français, selon M. le docteur Fraknoï (oavr.
cité). Les ambassadeurs de France passent avant les impériaux agissant
comme tuteurs de l'archiduc Paris de Grassis, lat. 5165, f" 606, 619).
4) En 1513-1515, au concile de Latran, Louis Forbin, seigneur de Soliers,
conseiller au parlement de Provence, ambassadeur de Louis XII, précède les
ambassadeurs d'Espagne. Le 12 mars 1514, à l'entrée solennelle à Rome des
ambassadeurs d'Emanuel, roi de Portugal, pour l'obédience à Léon X, l'am-
bassadeur de l'empereur marche au deuxième rang, celui de Louis XII au
troisième. Cf. Jean d'Aulon, t. I, 101 n. -2. Sanuto, VU, 498, 47, III, 632, etc.
5) Lorsque Philippe le Beau devient roi de Castille et de Léon, on se demande
à Rome si ses ambassadeurs auront ou non le pas sur ceux d'Aragon. Le pape
consulté n'émet pas d'avis et déclare s'en rapporter à l'usage. Le maitre des
cérémonies décide de donner le pas à la Castille; mais, par bonheur, les am.
bassadeurs se sont entendus entre eux (Paris de Grassis, lat. 5164, fo 362).
6; A Rome, on fait, en chapelle, une distinction entre les ambassadeurs
royaux et non royaux. Les hauts fonctionnaires de Rome prétendent passer
avant ces derniers (notamment avant l'envoyé vénitien). 11 se produit à ce
sujet un scandale la veille de la Toussaint 1505 (Paris de Grassis, lat.
5164, fo 256).
7; Les discussions de préséance entre ambassades italiennes sont perpé-
tuelles. V. la discussion entre les ambassadeurs de Bologne et de Lucques
(Frati, Le due spedizioni militari di Giulio II, 211), de Venise et de Savoie
(id., 137), de Sienne et de Bologne Paris de Grassis, lat. 5165, P>« 399, 411) :
à une cérémonie en 1507, « orator ducis Ferrariae protonotharius voluit
oralores Januenses pra'cedere, sed illi recesserunt et bene, ne indebite irent »
(Paris de Grassis, lat. 5165, f» 317).
288 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Louis XII à Milan en 1499, l'ambassade de Florence s'abs-
tient de paraître, parce qu'on lui a assigné sa place après
Gênes '. A Milan, pour le mariage de Galéas Sforza, en 1489,
le duc de Milan prend place au milieu du chœur, entre deux
tribunes : dans la tribune de droite, se trouvent les ambas-
sadeurs du pape, de Venise, de Ferrare, et Ludovic Sforza;
à gauche, les ambassadeurs de Hongrie, de Florence,, Phi-
lippe Sforza Visconti, le marquis Hermès Sforza ; ce qui re-
vient à l'ordre suivant : Le pape, la Hongrie, Venise, Fer-
rare, puis les membres de la famille ducale s.
Quelquefois les questions de proséance se greffent sur de
délicates questions politiques. En 1499, les ambassadeurs
d'obédience envoyés spécialement à Rome pour la Bretagne
par la reine Anne de Bretagne, causèrent un grave embarras.
On décida de les placer immédiatement après les ambassa-
deurs de France. On les faisait ainsi passer avant les ambas-
sadeurs d'Espagne et d'Angleterre. L'ambassadeur d'Espagne
refusa de se soumettre à leur préséance ; il quitta bruyam-
ment la première cérémonie où la question se posa s et refusa
de se rendre aux autres*. Deux mois plus tard, en mai, l'é-
vêque de Tréguier, pour mettre fin aune situation un peu
fausse, accepta, dans une cérémonie, de passer après l'am-
bassadeur d'Angleterre. Le pape s'en aperçut et, à la sor-
tie, ordonna que le fait ne se reproduisit pas 3. Louis XII ré-
gla cette délicate situation en instituant l'évêque de Tré-
guier ambassadeur de France, et l'ambassade bretonne dis-
parut ainsi : l'évêque de Tréguier, avec le titre de procureur
1) Chroniq. inédite de Léonard Sfrenali, à la Bibl.de Parme, f° 51 r°. Cf.
Prato.
2) Rel. contemporaine (Archivio Sforzesco).
3)Burckard, II, 510,511,513.
i)Id., 519.
5) ld., 531.
MANIÈRE DÈTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 289
du roi en cour de Rome, fut agrégé à l'ambassade d'obédience
du roi en février loOO, et lit, depuis lors, fonction de premier
ambassadeur '.
Des difficultés analogues se présentèrent à Rome pour les
ambassades de Rbodes et de Rologne, toutes deux sujettes du
pape s.
A Rome, le règlement des cérémonies et des préséances ap-
partient aux maîtres des cérémonies3, et fait l'objet d'une
science approfondie '. Mais la première science d'un ambassa-
deur, là comme partout, consiste à esquiver prudemment les
difficultés, et à se rendre agréable ; la matière de préséance
se résume dans la nécessité de beaucoup de prudence en
même temps que de fermeté.
1) II, 514 n. 2. Cf. II, 53. Cependant il ne tarda pas à être réduit au rôlede
2« ambassadeur, au nouvel élonnement de Rome. Il s'en tira en demandant
à ne passer que le troisième à l'obédience de Jules II, par déférence envers
un ambassadeur laïque qu'il laisserait passer le second (Paris de Grassis, lat.
5164, fo 169).
2) Pie III autorisa finalement et Jules II décida que l'envoyé du Grand
maitre de Rhodes prendrait place après les autres ambassadeurs laïques
(1506. Burckard, III, 419 : Paris de Grassis, lat. 5164, fes 39, 51 vo, 75 vo;
cf. fr 93). Il y eut à cet égard une démarche des cardinaux, et une invocation
des précédents. L'orateur de Bologne obtint de prendre place après celui de
Rhodes (Paris de Grassis, fos 78, 94 V).
3) Paris de Grassis s'irrite de voir de nouveaux ambassadeurs prendre
spontanément place à la chapelle, sans lui en avoir référé. Cependant il leur
faitbon visage, et leur offre même l'encens et la Paix(1519. Frati,Le due spe-
dizioni militari di Giulioll, 219). A la messe de l'Ascension 1507, Paris de
Grassis, voyant arriver le nouvel ambassadeur de Bologne dont le pape ne lui
a pas parlé, le prie de se retirer : celui-ci riposte qu'il s'en ira bien volon-
tiers (Paris de Grassis, lat. 5165, f°325).
4) Il y a un Liber ceremoniarum, dont certains cardinaux indiquent prèsde
Pie III le titre De Ordine sedendi, en faveur des ambassadeurs de Rhodes (Pa-
ris de Grassis, lat. 5164, fo 75 vo). Chaque maitre des cérémonies est tenu,
en outre, de rédiger, jour par jour, un Diaùe ou registre de tout ce qui se
fait (id., fo 1 v°): c'est ainsi que nous avons les Diaires de Burckard et de
•Jrassis (Cf. ms. ital. 143).
19
290 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
3° L'ambassadeur doit donner à sa maison un caractère
particulier: sans déployer un luxe choquant, il veillera sur sa
tenue et celle de ses gens ; c'est faire acte de convenance*.
A une réception du doge de Venise, le 27 décembre 1500, on
remarque fort le costume de l'ambassadeur de Naples : un
très beau manteau d'or avec des agrafes de diamant *. Le
28 décembre 1502, l'ambassadeur d'Espagne vient au con-
seil de Venise en habit à la mode, c'est-à-dire à la fran-
çaise. Le doge rit, et lui dit : « Magnifique orateur, vous voilà
habillé à la française ? — Certes, riposte l'ambassadeur, je ne
garde rien de français à l'intérieur, tout est en dehors ». Il de-
mande s'il y a quelque nouvelle, et disparait aussitôt 3.
L'ambassadeur choisira de préférence son logement dans
la maison d'un national ou d'un ami '*, et il y tiendra table
ouverte 5. Il aura soin de se montrer homme de goût, littéra-
teur, artiste. La plupart du temps, rien de plus facile, et l'am-
bassadeur trouve un avantage inappréciable à se reposer de
ses soucis dans d'agréables occupations0. La réputation de con-
naisseur lui assurera, de suite d'utiles amitiés même auprès
1) Allegationes Vincentïi (Rigault), Paris, 1512, fo xxvi v°. « Non débet
aliquis princeps mittere aliquem ad alium cum veste ignominiosa, secun-
dum Bartolum, In Lege Julia, § de vi publica. »
2) Sanuto, III, c. 1227.
3)Sanuto, IV, 571.
4) Jules Orsini. et l'archevêque de Nicosie, filleul du comte Pitigliano, of-
frent à l'ambassadeur vénitien leurs maisons de Monte Giordano, pour loger
l'ambassade vénitienne d'obédience qui est annoncée (mars 1H05. Disp. di
Giustinian, III, 448). Il n'en est pas toujours ainsi. L'ambassadeur d'Espagne
à Londres, en 1498, vivait, pour deux pence par jour, dans une auberge mi-
sérable, où il partageait ses repas avec des femmes de mauvaise vie et des
maçons (Nys, Les origines de la diplomatie, p. 24). Un décret florentin, du
9 mars 1430 anc. st., défend aux ambassadeurs de vivre parcimonieusement,
pour économiser leur traitement, et s'élève contre les citoyens qui briguent les
charges publiques par amour de l'argent (Arcb. de Florence, Legazioni e
Gommissarie, reg. 1).
5) Dépêche citée par M. Nys, p. 12.
(i) V. plus haut, ce que nous avons dit du Choix des ambassadeurs.
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS . 291
des hommes politiques. L'ambassadeur vénitien en France
Condolmeri, ayant besoin d'importants renseignements, va
droit chez lé chancelier, « avec lequel, dit-il. j'ai été, dès
mon arrivée, en termes de bonne amitié, parce qu'il aime
beaucoup les études d'humanités studii de humanità) » '. A
pins forte raison, l'ambassadeur devra se lier avec les artistes,
surtout avec les écrivains en état d'influer sur l'opinion pu-
blique. Nous avons, par exemple, une jolie épitre latine de
Georges Mérula, un traducteur de Juvénal, à Jacques Trotto,
ambassadeur du duc de Ferrare, datée du 20 février 1489. Mé-
rula parle de Juvénal, de ses travaux littéraires : il plaisante les
gens qui croient aux démons, à la magie, aux oracles, aux es-
prits familiers, comme «cethomme de Ferrare, à qui un démon
attaché à son service obéissait, et fournissait des réponses en
cas de difficulté » *... L'ambassadeur de France à Venise pré-
sente au conseil un savant romain, qui fait des vers latins 3.
Celui-ci oil're un grand livre de vers en l'honneur du doge et
de la république \
Aucun luxe n'assure mieux le relief d'une ambassade que
celui de l'art : une œuvre d'art l'emporte sur toutes les dé-
monstrations de faste.
Jean de Mabuse accompagne en Italie l'ambassadeur de
Maximilien, en 1503 ; Dominique Trévisan emmène au Caire,
en 1512. un peintre qui retrace sa réception 5. Palmieri, am-
t) Dép. de Bourges, 29 février ioOT-1308.
2) Arcliivio Sfor/.esco. Cf. les lettres d'Ange Politienà Laurent de Médicis,
de M. Bosso, au même, lui envoyant un dialogue De salut ari bus animi gau-
<fm (Roscoé, Vie lie Laurent de Médicis, pièces uni!, lxix).
3) Très probablement le poète latin connu sous le pseudonyme de Nagonius,
auteur de vers ultra-louangeurs à Louis XII et au duc de Bourbon.
4) 15 janv. Ib03. Sanuto, IV, 616.
5) Tableau du Musée du Louvre, jadis attribué à Gentile Bellini, n° 60 du
Catalogue de M. de Tauzia. M. Ch. Sebefer poss'ède la Relation manuscrite de
cette ambassade, par Zacch. Pagani.
292 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
bassadeur de Florence à Rome, se fait peindre par Botticelli,
et sans doute son intervention valut à Botticelli l'honneur de
figurer dans la chapelle Sixtine '.
C'est, on le sait, au cardinal de S' Denis, Villiers de la
Groslaie, ambassadeur de France, que l'on doit l'incompara-
ble Pietà de Michel-Ange. En 1504, l'archevêque d'Embrun,
autre ambassadeur de France à Rome, fait élever un monu-
ment à son frère Giraud d'Ancezune 2...
L'histoire italienne est pleine de missions artistiques con-
fiées à des ambassadeurs s. Dans les petites cours, les ambas-
sadeurs n'avaient qu'à mener quelques menues intrigues, età
suivre les artistes, à savoir les nouvelles littéraires, à débau-
cher habilement quelque grand peintre, architecte ou sculp-
teur.Passionné pour les œuvres de Jean Bellini, le roi de France
se les procurait par le sire de Montjeu, son ambassadeur à Ve-
nise. Jean Leveau, chargé d'affaires de Marguerite d'Autriche
en France, reçoit la mission de prier Jean Perréal, dit de Paris,
et Jean Lemaire de s'occuper des affaires de l'église de Brou :
Leveau vales voir, et leur remet des lettres directes de la du-
chesse, et ils envoient, le jour même, un homme à Tours ré-
clamer les maquettes au sculpteur *.
Dans les trois dernières années de sa vie, Raphaël subit de
la part du duc de Ferrare une véritable persécution '. Dans le
cours de cette longue négociation, qui ne garda pas toujours le
caractère diplomatique, « tantôt, ditM. Rio, nous voyonsRaphaël
1) Rio, L'Art chrétien, éJon de 1874, II, 397.
2) Boislisle, Et. de Vesc, p. 191, n.3.
3) V., pour Léonard de Vinci, Desjardins, Négociations, II. 211,213, 220,
4) Blois, 28 lévrier 1512. Lett. de Louis XII, III, 180.
5) L'Arioste, deux fois ambassadeur de Ferrare à Rome, sous Jules II, don-
nait des conseils à Raphaël pour la Dispute du Saint-Sacrement (Muntz, Ra-
phaël, p. 293).
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 293
avec la conscience des hautes prérogatives que lui confère son
génie, traiter de puissance à puissance avec le chef de la mai-
son d'Esté, et se rendre d'un accès difficile au négociateur of-
ficiel qui parle en son nom, tantôt nous le surprenons, recou-
rant,comme nu débiteur insolvable, à des subterfuges indignes
delui, pour éluder les poursuites de son créancier. Le tableau
que voulait le duc Alphonse devait représenter son sujet de
prédilection, le Triomphe de Bacchus dans les Indes. Pour
calmer son impatience, Raphaël lui expédiait, en échange
d'un acompte" de cinquante ducats, des cartons qu'il avait
dessinés de sa propre main... Mais ce n'était pas pour un saint
Michel que le petit potentat envoyait sesducats et ses somma-
tions, c'était pour un Bacchus, et surtout pour son cortège de
Bacchantes dont il savourait d'avance les attitudes et les
nudités. Ce tableau, écrivait-il à son secrétaire Pauluzzi,
chargé de poursuivre la négociation, ce tableau nous fait hien
défaut pour compléter notre cabinet. » Raphaël longtemps se
dérobe. «Enfin, le négociateur obtint une audience, mais ce
fut pour être éconduit par son interlocuteur, qui se montra
plus versé que lui dans les circonlocutions diplomatiques '. »
Mauroceno, ambassadeur vénitien à Paris, écrit à la Sei-
gneurie, le 18 novembre 1504: « Ici se trouve un frère Gio-
condo, de Vérone, aux gages de la ville, homme de grande
valeur. Il touche l'argent delà ville, pour lui avoir fourni
les plans d'un pont sur la Seine, fort remarquable, et il en
touche du roi, pour avoir conduit de l'eau dans ses jardins de
Blois, ce qui sera aussi une jolie chose. Il vous serait utile
pour diriger l'artillerie : pratiqué par Palmario, il a répondu
qu'il se contenterait d'im modeste bénéfice de cent vingt ou
cent cinquante ducats, pour pouvoir vivre, et qu'il aban-
i) Rio, L'Art chrétien, IV, p. 478-479.
294 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
donnerait volontiers ses pensions pour rentrer à Venise et y
rester, en bon sujet et serviteur... Fra Giocondo a été secré-
taire de Philibert ', auquel, pour se reposer de mathémati-
ques, de génie militaire, d'architecture, il lisait Vitruve. Phi-
libert a pour fra Giocondo la plus haute estime... » A ce que
raconte l'ambassadeur, fra Giocondo lui a promis, dans l'ave-
nir, de servir utilement les intérêts vénitiens et, pour le mo-
ment, il lui communique des secrets d'Etat très importants
qu'il aurait surpris ; il lui expose les projets d'alliance qui
commençaient effectivement à s'élaborer dans le plus grand
secret contre Venise ; il a copié, un jour, par surprise, une
dépêche chiffrée du pape, qu'il avait trouvé Robertet en train
de déchiffrer et sur laquelle Robertet lui avait fait pro-
mettre le plus absolu oubli *. Ce curieux détail montre bien
la faveur dont jouissaient les savants ou artistes, et combien
leur amitié pouvait devenir précieuse aux ambassadeurs.
4° Quant à sa conduite générale et à son langage, l'ambas-
sadeur ne doit jamais perdre de vue qu'il n'est pas homme
d'Etat, mais simplement intermédiaire : que son action im-
porte fort à l'Etat. « Avec habilletés qui procèdent de grant
sens, dit Commines,on évite de grans périls et de grans dom-
maiges et pertes » \ Reste à savoir, et c'est là le point dé-
licat, jusqu'où il faut pousser l'habileté.
Pour l'habileté active, le droit canon a établi une théorie
des procédés diplomatiques, par ses préceptes sur le serment,
sur le mensonge. Le Décret de Gratien enseigne qu'on ne doit
tromper personne, mais que tous les mensonges ne présen-
tent pas la même gravité. On ne peut pas mentir pour sauver
sa vie, ni même celle des autres ; mais ce n'est pas mentir que
1) Naturelli, ambassadeur d'Allemagne.
2) Arch. de Venise.
3) Mémoires, 1, 137.
MANIÈRE D*ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 295
parler par manière de plaisanterie, et dans les matières sé-
rieuses, cela est permis, recommandé même. L'utilité de
la dissimulation résulte des exemples des Livres Saints: Abra-
ham, présentant Sarah comme sa sœur, « a fait ce qu'il a pu » ;
il a caché la vérité, mais il n'a pas commis un mensonge ir-
rémissible, puisque Sarah se trouvait à la fois sa femme et sa
nièce ; or une nièce peut passer pour une sœur '.
En matière de serment aussi, il faut distinguer : l'on n'est
pas tenu par les serments qui obligeraient à un acte mauvais,
car de deux maux il faut choisir le moindre, ni par un ser-
ment illicite, ou contraire aux divins préceptes 3.
En pratique, on ne discute guère sur ces distinctions théori-
ques. Il existe, au commencement du XVIe siècle, une école
de politique transcendante, l'école française, qui considère
l'art des affaires publiques comme l'art le plus élevé de tous,
comme une sorte de magistrature destinée à faire prévaloir
les habitudes de probité, les idées d'honneur et de bonne foi,
par lesquelles se soutiennent, s'élèvent, se civilisent les peu-
ples.Dans cette doctrine, on se pique de franchise, onse déclare
esclave des traités. Le roi (de France) «ne veult enfreindre sa
promesse, ce qu'il n'a pas de coustume8 ».
La bonne foi présente certainement un caractère utile.
Le grand défaut diplomatique de Louis XI fut d'en manquer
trop ouvertement. Il se rendit suspect à tous, il resta isolé,
sans ami ', et ne gagna jamais l'opinion, d'autant plus qu'il
i) Decveti secunda pars, causa xxn, quest. il, c. 12 à 22 : édon Friedberg,
I, r. 871-874.
2) Ibid.. quest. iv, c. 1 à 22 : c. 875-880.
3) Instr°n du roi d'Angleterre. 1506 (Lctt. de Louis XII, I, 82). « Consi-
déré la bonne faîne et grande renommée dudit S'" Roy (Louis XII) d'avoir
tousjours esté vray observateur de ses promesses et seellez » (Instruction
de Philippe le Beau. 1505. ld., I, 13).
4) Gingins la Sarraz, Dép. des ambassadeurs milanais, I,p. ix.
296 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
aggravait son défaut par le culte du secret, par une affecta-
tion de mystère excessive et maladroite l. D'autre part, il
faut avouer que la bonne foi de Louis XII le rendit constam-
ment dupe.
Pour l'école italienne, la diplomatie constitue une sorte de
négoce, de marchandage, de maquignonnage, au jour le jour,
en vue du lucre immédiat : c'est, dit Gommines, l'art de pra-
tiquer des marchés au dehors, sous «quelque bonne couleur
et ung peu apparente* ». Commines, fonctionnaire vénal et
sans conviction, Machiavel, simple secrétaire de carrière avec
peu de fortune, ami du jeu, du plaisir, du monde, des fem-
mes, du luxe, harcelé à toute heure par le besoin de jouir de
la vie et de courir désespérément après le succès immédiat,
voilà les professeurs de cette doctrine. Commines exerce(nous
dit-il) un métier, qui consiste à tout pratiquer, c'est-à-dire à
intriguer en tout sens, souterrainement. Deux termes se
retrouvent sans cesse sous sa plume, pratique et marché ;
lun représente le travail qui consiste à débaucher sous main
les serviteurs, les capitaines, les villes d'autrui 3... : l'autre
l'acte qui conclut et couronne les négociations*. Quant aux ac-
tes provisoires qui interviennent comme des étapes, les trêves
par exemple, ce sont pour lui des « dissimulations » 5.
Machiavel, mettant en balance les avantages de la
1) On lui reprochait aussi d'être extrême dans ses mesures, quand il se
croyait le plus fort,et de laisser ainsi des blessures inguérissables.L'ambassa-
deur milanais, fort hostile à la maison d'Orléans, témoigneen lilo que c'était
l'opinion générale du monde politique que Louis XI allait trop loin contre
elle, parce que le jeune duc n'avait que treize ans, que dans quelques années
le premier soin de celui-ci serait de s'allier à la Bourgogne ou à la Bretagne
(Dépêches des amb. milanais, I, 38).
2) Commines, Mémoires, I, 208.
3)1, 213,226,399, etc.
4) I, 209, 215, etc.
5) I, 121. «Le Roy praticquoit fortleduc (de Bourgogne) par plusieurs mar-
chés...» (I, 122).
MANIÈRE DÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEDRS 297
loyauté et de la tromperie, n'hésite pas à les concilier. Il
estime indispensables, pour un diplomate, les dehors de la
loyauté, de la franchise. L'ambassadeur, qui arrive dans un
pays nouveau et inconnu, doit commencer par faire lui-même
sa réputation : il se montrera « homme de bien », c'est-à-dire
généreux et vrai ; c'est là un point essentiel ; faute de formes
ouvertes. bien des diplomates, pourtant sagaces, ont échoué.
Si l'on dissimule, il faut que cela ne paraisse pas, ou que, si
l'on est découvert, la défense soit préparée et soudaine.
Alexandre Xasi reçut en France un grand honneur, à cause
de sa parfaite réputation de franchise *. Un langage net, un
langage « de soldat » rend des services, et on peut le tenir,
d'ailleurs, sans être soldat. Ainsi, un ambassadeur milanais,
Antoine d'Applano, rendant compte à sa cour d'un entretien
avec le marquis de Montf errât, écrit : « Je lui dis que j'allais
lui déclarer ma façon dépenser, ouvertement, en soldat; que
ces ambassades contre le pape ne me déplaisaient pas... etc. »,
ces ambassades lui déplaisaient, mais Antoine d'Applano vou-
lait en savoir plus long \ La nécessité de la franchise une fois
admise, ajoutons qu'il faut s'en tenir à l'apparence. « Chacun
sait combien il est louable pour un prince de niaintenir sa foi,
de vivre avec intégrité, sans astuce », dit Machiavel, mais
« par expérience de notre temps », ajoute-t-il, il y a des
princes qui ont réussi, en manquant à leur parole, en em-
barrassant par leur astuce, « ils ont à la fin vaincu ceux qui
avaient fait fonds sur la loyauté ». — « Il y a deux manières
de combattre: avec les lois, ou avec la force. La première
i) Machiavel, Instructions à Raph. Girolami.
2) Kervyn, Lettres et négociations, 1,1 74. Le prince d'Orange, ambassadeur
de France en Bretagne, trahit et fait les affaires du duc d'Orléans. Le duc
de Bourbon, indigné, lui écrit que sa conduite « fait rêver. » Dunois proteste
énergiquement (1487. Dupuy, Hist. de la réunion de la Bretagne, II, 98).
298 LA DIPLOMATIE AC TEMPS DE MACHIAVEL
est celle de l'homme, la seconde celle de la bête. Comme la
première souvent ne suffit pas, il arrive qu'on recourt à la se-
conde ; ainsi il est nécessaire qu'un prince sache bien être la
bête et l'homme ». Machiavel enseigne donc qu'une parole
n'oblige pas lorsque l'effet doit se retourner contre vous,
car vous pouvez supposer que votre co- contractant ne s'en
croirait pas plus tenu, le cas échéant. Bien plus, un prince « se
voit souvent obligé d'agir contrairement à la foi promise, à
la charité, à l'humanité, à la religion » ; il se bornera à sau-
ver les apparences, qui comptent seules aux yeux du vul-
gaire. Qu'il frappe l'opinion du plus grand nombre par les
dehors de la clémence, de la fidélité, de l'humanité, de la
religion : « le vulgaire marche toujours avec ce qui parait,
et avec le fait accompli ; or le monde n'est encore que le
vulgaire. Le petit nombre ne peut rien où le grand nombre
n'a pas de quoi s'appuyer. » Quant aux prétextes pour colorer
les manques de foi, il ne manquent jamais : « celui qui trompe
trouvera toujours qui se laissera tromper... » '
On ne se fait donc point scrupule de mentir, ' en diploma-
tie s, et un mensonge artistiquement présenté flatte les con-
1) Le Prince, ch. xvni.
2) L'orateur espagnol vient à la Seigneurie, à Venise, demander s'il y a
des nouvelles de France. On lui dit non (cependant on en a). (Janv. 1504. Sa-
nuto, V, 734J. L'ambassadeur de Naples montre une lettre par laquelle le roi
de Naples propose à Venise une ligue contre le Turc. La Seigneurie répond
par de bonnes paroles (10 juillet 1500. Id., 111, 473). Traitant avec le dau-
phin de France, rebelle et rcx [uturus.à Genepe en Brabant, le duc de Milan
affirme qu'il est inspiré par son affection, « eam quam erga serm"m atque
Christ"""1! doum linum Carolum, présentent Francorum regem, gerimus » et
envers le dauphin. « Ejus sublimitati tantum debere fateamur quantum per-
solvi humanaope vix possit » (Pat. du 2't juillet 1461. Archo Stbr/.esco). Le
dauphin demande au roi la permission d'aller à la croisade avec le duc de
Bourgogne, — sur la requête du pape et comme gonfalonier de l'Eglise.
Il ajoute qu'il part près du duc de Bourgogne dans ce but (31 mars !4o6.
Lettres de Louis XI, I, n° lvh).
3) Dunois écrit au duc d'Orléans de Lyon, le 10 septembre (1463), que
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 299
naisseurs1. En 1494, les ambassadeurs de Milan, soi-disant
amis et dévoués de la France, rassurent ("ommines, ambassa-
deur de France à Venise, sur les rumeurs dune ligue contre
la France. Cette ligue, disaient-ils, ne se peut pas sans notre
coopération : n'en croyez rien, messire, » — « agissant, dit
Sanuto. comme doivent agir les gens sages en affaires d'Etat,
qui assurent à leurs ennemis vouloir faire une chose, et en
font ensuite une autre » (et même faisant Vautre en même
temps3). L'habitude du mensonge crée un scepticisme \ que
l'ambassadeur étend à tout, même à son propre gouverne-
ment. André de Burgo. ambassadeur de Marguerite d'Autri-
che et de son père, écrit naïvement à Marguerite, à propos
d'une bonne nouvelle qui vient de se vérifier : « L'empereur
(père de Marguerite) le me escrivit ja sont aucuns jours,
mais je cuydoye estre quelque fiction à son propos » *.
Pour sonder un ambassadeur, on le regarde en face 5, au
François Sforza envoie au roi un ambassadeur porter des assurances dont
aucune n'est vraie (K. 72, 8).
li Mais il faut se souvenir que le trompeur trompé prête à la plaisanterie.
Louis XII, ayant trompé Ferdinand le Catholique, se moque de lui : « Je lui
demanderai, dit-il à l'ambassadeur florentin, de m'indiquer une excuse à
l'espagnole »(15t4. Desjardins, Négociations, II, 656).
2) Spedizione, 285-86.
3) Le prince, et par suite l'ambassadeur, doivent être soupçonneux, sans le
paraître. « Quant à estre soupeçonneux, dit Commines, tous grans princes le
sont, et par espécial les saiges... C'est grante honte d'estre trompé et de
perdre par sa faulte: toutesfois les suspections se doivent prendre par moyen;
car l'estre trop, n'est pas bon » {Mémoires, I, 242; II, 224).
3 oct. 1511 {Letl. de Louis XII, 111,64).
5) On peut toujours contredire une parole par des jeux de physionomie
« Lorsque le représentant de Charles VIII vint demander au pontife s'il
était disposé..., Alexandre VI lui répondit par des défaites... : » néanmoins,
des yeux, delà bouche, de toute la physionomie, le pape, bien qu'il ne le dit
pas. me fusait signe, rapporte l'ambassadeur, que le roi devait tenter l'en-
treprise (Delaborde, Un épisode des rapports d'Alexandre VI avec Charles
VIII, p. 6).
300 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
moment où il multiplie les protestations, et on lui dit qu'on
croit à leur sincérité. Si cela ne suffit pas, on peut aller jus-
qu'à répéter doucement quelques insinuations venant du de-
hors. La duchesse régente de Savoie répète à l'ambassadeur
de Milan que Louis XI dit qu'elle n'est qu'une femme, qu'elle
ne comprend pas l'art du duc de Milan, etc *...
Ainsi, 1° l'ambassadeur ne se croira pas toujours tenu de
dire la vérité, 2° il aura soin d'envelopper, autant que pos-
sible, ses paroles, de témoignages d'affection et de confiance.
César Borgia était un diplomate émérite, qui maniait les né-
gociations avec beaucoup de dextérité ; habile, d'abord à té-
moigner de la confiance, puis à tenir les discours les plus
flatteurs ; il possédait souverainement l'art de pénétrer ensuite
avec beaucoup d'esprit et de feu : il excellait à exposer une
question sous les dehors qui lui plaisaient, à persuader de sa
confiance, de son dévouement'.
Il ne faut pas craindre d'appuyer sur les termes affectueux
ou sur les compliments. Le grand bâtard de Bourgogne dit à
l'ambassadeur milanais, en 1475, que, penser à rompre l'a-
mitié de la Bourgogne et de Milan, ce serait vouloir « re-
monter l'eau vers sa source » 3.
En ouvrant les négociations après Fornoue, où 35,000 mer-
cenaires de l'armée italienne avaient laissé passer 8,000 fran-
çais, Commines commence par rendre, de la bravoure de
l'armée italienne, un éclatant hommage, tandis que les prové-
diteurs se montrent arrogants et de mauvaise humeur *.
1) Mars 1475 (Dépêches des ambassadeurs milanais, I, 86, 89).
2) Guichardin, liv. v, ch. iv.
3) Dépêches des ambassadeurs milanais, I, 47.
4) Benedetti, // fatto d'arme, 1. 1°. Cf. Desjardins, II, 74. On donne pour
motifs d'une ligue, l'affection réciproque (Louis dauphin et le duc de Milan,
i«r juin 1461. Àrchivio Sforzesco). Dans une alliance, si on offre 3.000
chevaux et 1.000 fantassins et qu'on en demande 4.000 et 2.000, l'orateur
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 301
En matière de louange, il ne faut même pas craindre la
fadeur.
3° L'ambassadeur, cela va sans dire, donnera à toute
proposition une couleur d'intérêt, ou, faute de mieux, il en
appellera à de nobles sentiments. Parle-t-il d'une alliance, il
affirme que l'intérêt de la chrétienté seul le fait agir, que les
Turcs menacent de tout engloutir.
Inutile de négocier, si l'on parait rechercher ce qu'on dé-
sire. « S'est bien fait de donner à cognoistre qu'on veult la
paix, écrit le cardinal d'Amboise à Louis XII : mais aussi de
donnera entendre qu'on a crainte de luy (le roi des Romains),
je ne le trouveroys pas bon, par quoy ne fault rien promectre
audit des Romains particulièrement : mais, quand ce viendra
qu'il se vouldra mectre à la raison, on luy donnera à cognoistre
que vostre amytié luy est bonne •. »
Enfin, un des premiers devoirs de la diplomatie consiste à
saper la concorde. Louis XI, dit Commines, « a mieulx sceu
entendre cet art de séparer les gens que nul aultre prince que
j'aye jamais veu ne congneu \ »
dira que, ce nombre, <c lavemo posto per honore et gloria de la Ser'a soa,
perche el facto suo non lia comparatione con lo nostro. » S'il le faut, nous
nous résoudrons à rendre l'apport égal, « corne vuoleel comanda la Signoria
soa » (lnstron du duc de Milan à Pr° Camulio, envoyé au dauphin, 25 août
1460. Arch° Sibrzesco). Dans une négociation difficile et importante, on
doit parler « cum tute quelle suasive parole vi sarà possibile et cum tute le
forze vostre sollicitando. . . , cum quella perô dexterita et modestia che se
conviene, per modo che sentiano quel fructo de questa légation vostra che
habiamo sperà»; il faudra parler au roi et aux principaux seigneurs, mettre
en campagne, « imprimis l'opéra del amico nostro » (Instr. du sénat de Ve-
nise en Angleterre, 14 sept. 1509. Arcli. de Venise, Secreto 42, 60).
1) 3 août 1501 (Boislisle, Et. de Vesc, p. 203). Louis XII ne trouve pas le
moment venu de traiter, « car, dit-il, ung homme reculé ne fait jamais ap-
poinctement à son prouffit, et que, si l'on veult faire bon appoinctement, il
la fault fere la lance sur la cuysse » (déc. 1509. Lelt. Je Louis XII, I, 218).
2) Mémoires, I, 116.
302 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
François Sforza disait : « Quand on a trois ennemis, on fait
la paix avec le premier, une trêve avec le second, on attaque
le troisième '. »
En 1495, devant Novare, les plénipotentiaires français ont
avec Ludovic Sforza des conférences particulières et secrètes,
qui excitent fort la suspicion des Vénitiens alliés de Ludo-
vic ' ; et non sans raison, puisqu'on réussit à séparer d'eux
Ludovic 3.
L'ambassadeur se propose le but d'échanger des objets de
valeur (concessions politiques, renseignements importants...),
contre des objets sans valeur (amitié, familiarité, louanges).
Il paie de sa personne, et perçoit pour son gouvernement. Il
doit plaire et tromper.
Dans ce difficile métier, la qualité maitresse est la pa-
tience, c'est-à-dire l'habileté passive, qui est la première ha-
bileté du diplomate.
Il faut s'armer de longanimité et de sang-froid, caresser
et plier, en vertu du fameux axiome de Machiavel : « Les
hommes doivent être caressés ou détruits. Ils se vengent
des offenses légères. Ils ne peuvent se venger des offenses
graves. L'offense qu'on fait à l'homme doit être telle qu'on ne
craigne pas sa vengeance » : la guerre détruit, la diplomatie
caresse. S? une chose ne plaît pas. il suffît de répondre froi-
dement et gracieusement « qu'elle est bien dite, mais qu'on
veut y penser *. » Reçoit-on un reproche, très justifié, mais
pour lequel on ne veut rien faire, on répond poliment et
aussi brièvement que possible5.
1) Cité par Cantù, Gli Sforza e Carlo VIII, p. 4, n° 1.
2) Benedetti, Il fatto d'arme, édon 1803, p. 22i.
3) ld., p. 230.
4) Dépêches des ambass. milanais, I, 36o.
5) Uép. de l'amb. milanais, 41 mars 1176 (M., I, 351).
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 303
On parle « par forme Je devises, non par résolution »,
des sujets sur lesquels il convient de glisser1. Il faut se mon-
trer conciliant, et savoir accepter ce qu'on ne peut empêcher1.
Toute négociation comporte une certaine lenteur. Heureux les
soldats, improvisés diplomates, qui, à la guerre, traitent une
capitulation en siv. ou sept heures 8 ! Dans les cours, tout
marche lentement : « l'on est hien disposé, mais l'on ne peut
encore répondre *. » La lenteur est le grand procédé ita-
lien : à la cour de Rome, elle est systématique et proverbiale:
« On ne se hAte jamais ici 5 » ; sans cesse, les cardinaux se
trouvent retardés par une fête, par une tenue de consis-
toire, etc. 6... Le roi de Hongrie dit aux ambassadeurs alle-
mands, en 1511, tantôt qu'il attend l'arrivée de son chance-
lier, ou de ses conseillers, tantôt qu'il veut en référer à son
frère le roi de Pologne ; ensuite, il trouve peu clair le texte
qu'on lui propose ; des objections surgissent, dit-il, chez les
magnats... etc \ Lorsqu'il s'agit de questions majeures, que
d'angoisses les pratiques de ce genre valent à l'ambassadeur !
« Robertet dit que c'est fini... Je suis à la torture, cruciato,
de ces retards qui m'empêchent de dormir, écrit l'ambassa-
1) Lettr. de Louis XII, III, 204.
2) Dép. de Lyon, 16 sept. 1501, de Foscari. Il accepte une somme infé-
rieure à celle qu'on lui doit, pour éviter des difficultés (Arch. de Venise).
Abandonné par le roi René, Fr. Sforza avise par son secrétaire Nicodème
Jean de Calabr<\à Florence, qu'il va s'allier à Alphonse de Naples : « respose
chel intendeva tanto dele conditione de Italia clie li pareva che nuy non have-
semo torto a prendere questi partit! cum lo Re Àlfons » (Réponse de Frc
Sforza à Louis XI, 12 nov. 1461. Archivio Sforz0).
3) Hist. des guerres de Flandre, Corp. Chronic. Flandriœ, IV, 562; capi-
tulation de Lille, 14 décembre. 1487.
4) Instron du Li août I '.07. .1. 503, 4'e>-.
5) Dép. de l'ami), milanais à Rome, 4 mai 1 163 (Archivio Sforzesco) : « Le
cose non se fanno qui troppo in fréta. »
6)Mém. de 1468. Fr. 3884, f« 201 v°.
7) Fraknoï.
304 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
deur vénitien en France Dandolo... Soyez sûrs que je pousse
de toutes mes forces à la solution. Voilà seize mois que je
passe dans d'atroces angoisses '. » Des ambassadeurs mila-
nais, trouvant Louis XI un peu tiède pour leurs intérêts, s'at-
tachent à ses pas, afin d'arriver à lui parler ; ils sollicitent
enfin une audience : après les avoir remis au lendemain, le
roi les reçoit fort bien, devant un grand nombre de per-
sonnes, cause chasse, et même politique, avec sa verdeur ha-
bituelle, pendant plus de deux heures, et les ambassadeurs ne
peuvent placer un mot. Ils demandent en partant à lui par-
ler à leur tour, quand il lui plaira. Il les remet de nouveau au
lendemain2.
Un ambassadeur ne doit pas craindre les discussions ; il
présentera ses arguments avec calme et douceur. César Bor-
gia se montre fort mécontent que les Florentins refusent un
sauf conduit pour lui et ses troupes : Machiavel lui expose dou-
cement qu'on n'a pas précisément refusé ce sauf conduit,
mais qu'on voudrait savoir sur quel pied on se trouve,
qu'on préférerait conclure une alliance comme il convient
entre deux États pleins de franchise et de fidélité : que Flo-
rence n'a pas l'habitude d'agir avec précipitation, qu'il se-
rait utile d'y envoyer une personne de confiance, qui ob-
tiendrait sûrement satisfaction. César, calmé, répond qu'il
est pressé ; Machiavel dit qu'il va écrire à l'instant, que pen-
dant ce temps l'envoyé arrivera à Florence, qu'il négociera
heureusement... César parait satisfait. Mais il ajoute que, si
l'on n'agit pas franchement avec lui, il négociera avec n'im-
porte qui, fût-ce avec le diable3...
Claude de Seyssel reçoit de Louis XII, qui avait accepté
1) Dép. de Poissy, 26 juillet 1514.
2) 1478. Kervyn, Lettres et négociations, 1, 232.
3) Machiavel, Dép. de Rome, 18 novembre 1503.
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 305
le protectorat de Bologne, la difficile mission d'aller, en sep-
tembre 1502, expliquer à la Seigneurie de Bologne qu'on va
la remettre au pape. Cette mission nécessite des précautions;
Louis XII l'annonce préalablement à l'envoyé bolonais, mais
il refuse d'en spécifier le but, il se borne à dire que l'on sera
satisfait. Seyssel arrive ; il expose que le roi veut la liberté de
Bologne, que le meilleur moyen d'assurer cette liberté con-
siste dans l'envoi d'un bon légat, avec une forte garnison
pour maintenir l'indépendance ; le roi est, du reste, obligé de
reconnaître les droits de l'Eglise, car le protectorat assumé
par lui contient la clause « sauf les droits de l'Eglise », ces
droits sont établis par d'anciennes bulles qui garantissent la
liberté de Bologne ; et le roi lui-même est feudataire de
l'Eglise pour le royaume de Naples..., toutes allégations de
forme auxquelles la Seigneurie de Bologne ne trouve pas ma-
laisément une réponse '. . .
Un bon ambassadeur sait accepter les plus mauvaises rai-
sons, et écouter une allégation inexacte sans sourciller. Un
ambassadeur de Venise demande à Jules II de lever l'interdit
sur trois villes du Frioul. Jules II répond très gravement que
cet interdit résulte d'une décision de la Rota, et il fait un
long discours sur la nécessité d'observer ce qui est arrêté in
Rota *.
« Quant aux mensonges des gens de Carpi, écrit Machiavel
à Guichardin, je suis en mesure de leur tenir tête ; il y a
longtemps queje me suis fait docteur en ce genre... Depuis
un certain temps jusqu'à ce moment-ci, je ne dis jamais ce
que je pense..., et si quelquefois on me dit la vérité, je la ca-
che, de façon qu'il est impossible de la retrouver3. » C'est une
1) Longue dépêche-instruction des Seize de Bologne à Vinc. Budriolo, il
sept. 1502. Arch. de Bologne, Comiine, Litterarum, l.'>00-1505, c. 140 v°.
2) Mars 1504. Sanuto, V, 1014.
3) Cité par Artaud, Machiavel, II, 80. 20
306 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
plaisanterie, mais elle peint la lassitude du diplomate vieilli
sous le harnais1. Le vrai ambassadeur ne s'étonne de rien'.
Constantin Lascaris, ambassadeur de Venise près du sophi de
Perse, écrit avec éloge qu'avant de quitter la Perse, le sophi,
pour supprimer toute opposition, a fait arrêter et exécuter qua-
tre-vingt-dix notables et leurs familles8. Ce qui se pardonne le
moins, en diplomatie, c'est le défaut de sang-froid. A Rome,
paraître toujours souriant est la règle absolue *; les ambas-
sadeurs notent l'habileté d'Alexandre VI à « se montrer gail-
lard » quand il lui arrive une mauvaise nouvelle1. Commines
se rendit pour jamais ridicule par une mémorable absence de
sang-froid, dont il donna l'exemple à Venise en 1495, au
moment d'une catastrophe. Lorsque, après s'être longtemps
joué de lui, le doge, un jour, lui annonça en conseil, avec la
mesure habituelle, qu'au nom du saint Esprit, de la Vierge et
de saint Marc, la république venait de conclure avec toutes
1) Le sire du Bouchage étant envoyé près de Maximilien pour la mission la
plus impossible à réaliser, Ludovic le More, qui agit contre lui, lui écrit, le
13 novembre 1494, que Thomas Bohier vient d'apporter ses instructions, qu'il
s'agit d'une affaire de premier ordre, qu'il le recommande à son oralor près
le roi des Romains et l'engage à partir. Lettre en latin de grand style : Ludo-
vic lui dit « Vos», et le qualifie : «Magnifiée amice noster charissime : » signée
de Ludovic. Lettre de recommandation annexée, pour Erasme Brasca,du même
jour, en italien : Ludovic recommande à son ambassadeur en Allemagne
de faire honneur et bonne compagnie à Du Bouchage et d'aider la grosse af-
faire. Mais il se borne à cela, et mentionne sans aucun détail « la pratica che
vui sapeti » : signée d'un secrétaire (Man'drot, Ymbert de Batarnay, p. 359,
360).
2) 11 est très nécessaire de savoir dissimuler, professe Et. Dolet (De officio
legati,{%).
3) 1502. Sanuto, IV, 353-354.
4)11 est de notoriété que le pape Alexandre VI médite un coup de force
contre les Orsini ; cependant le cardinal Orsini ne cesse d'aller au palais, et
spem vultu simulât (1503. Dispacci di A. Giuslinian, 1, 46). « Spem vultu si-
mulant, sed premunt altum corde dolorem » (Dép. d'Albert Pio da Carpi,
11 mars 1513 : citée par Petrucelli délia Gattina, Hisl. des conclaves, I, 495;.
o) Dispacci di Giustinian, I, 175.
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 307
les autres puissances une ligue, bien entendu « défensive »,
contre la France, il perdit contenance : « Que fera mon roi! »
s'écria-t-il, hors de tout propos. Puis, sans même écouter les
explications lénitives du doge, sans faire les saluts d'usage, il
sort. En descendant l'escalier, ne voyant plus clair, se croyant
la victime d'un cauchemar, il demande un secrétaire de la
Seigneurie et se fait répéter les paroles du doge. Il saute en
gondole, jette par terre son bonnet, se fait ramener chez lui,
consigne sa porte en se disant malade. Réellement, il se met
au lit. On devine quelle hilarité souleva un pareil écart. « Une
sut pas feindre, comme on doit faire dans des cas semblables1.»
La nouvelle de la prise de Ludovic le More par les Fran-
çais arrive à Venise le jour des rameaux 1500, pendant la
messe solennelle à laquelle assistaient le doge et les ambas-
sadeurs. L'ambassadeur de France témoigne une extrême
joie, c'était son droit ; les envoyés de Naples et de Ferrare
perdent contenance et paraissent aterrés3, mais l'ambassa-
deur de Naples comprit aussitôt sa faute ; il revint le jour
même à vêpres, très élégamment vêtu, et fit bon visage '.
L'ambassadeur a le devoir impérieux de veiller sur sapropre
conduite et celle de son entourage, d'empêcher tout scandale,
ce à quoi il ne réussit pas toujours 4, d'éviter, pour lui et les
siens, tout ce qui peut donner prise à la critique.
1) 1495. Commines, II, 422 : Sanuto, Spedizione. .,285-86.
2) Sanuto, III, 2U.
3)Id, 215.
4) Le 29 juin 1504, après la double présentation de haquenées pour le
royaume de Naples par la France et l'Espagne, on ne peut empêcher les
suites des deux ambassadeurs d'en venir aux injures, puis aux coups. La
le papale doit intervenir pour les séparer, mais il y a plusieurs blessés.
(Disp.di Giuslinian, III, loi). Un jour, à Rimini, les deux orateurs d'Aragon,
tous deux originaires de Girone, se prennent de querelle, se provoquent en
duel, puis, encore irrités, réclament l'arbitrage (Lu s-''' de Rimini. Sigismond
s'amuse à les réconcilier dans une fête solennelle, où l'on joue leur querelle
308 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Machiavel, dans ses légations, se montre constamment plein
de politesse, d'égards, de circonspection ; et cependant il
professe théoriquement des principes différents. « Je pense,
moi, qu'il est mieux d'être impétueux que circonspect ; la
fortune est femme ; il est nécessaire, si on veut la dominer,
de la heurter et de la battre... Elle est amie des hommes
jeunes qui sont moins circonspects, plus fiers, et qui com-
mandent avec plus d'audace '. » Il le dit, mais ne le pense
pas, et il a raison : cette manière n'est pas la bonne. Ainsi,
parmi les ambassades à Rome en 1500, les deux plus gran-
des, celles de France et d'Espagne, ne savent pas tirer parti
de leur situation. On reproche à l'ambassadeur d'Espagne
un caractère altier et susceptible. L'ambassade de France
a pour chef un babile, Robert Guibé ; mais, sauf lui elle
ne se compose que de seigneurs incapables de dissimuler
un moment de mauvaise humeur. M. de Trans, en parti-
culier, prête à la plaisanterie. S'il court une fausse nou-
velle, on la lui attribue de suite 2... En 1500, la Seigneu-
rie de Venise fait part à Àccurse Mainier, déjà nommé,
des hésitations du pape relativement aux projets de croi-
sade, hésitations que le pape attribue à la France : Mai-
nier, éclate en termes virulents ; il dit que le roi est bon
et le pape méchant, il montre une lettre qu'il écrit au
roi, « lettre excellente : s'il était vénitien, il n'écrirait pas
mieux », dit-on à Venise, et on rit3.
Les diplomates italiens, tout en estimant Conimines le plus
habile diplomate de France, le jugent un agité, un ambitieux,
et leur défi ; puis la réconciliation est notariée et scellée par lui (Yriarte,
Rimini, p. 337).
1) Machiavel, Le Prince, ch. xxv.
2) « Ottimo maestro de simil trame » (150ÎÏ. Villari, Diêpacci diA. Giusti-
nian, II. 73).
3) Oct. 1500 (Sanuto, III, 885).
MANIÈRE D'ÊTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 309
qui se donne énormément de peine pour obtenir un peu de
crédit et le faire valoir, et ils se jouent constamment de lui i.
Commines y prête. Ainsi il s'agite au point que, le 28 août, à
minuit, il expédie à Milan un billet pour annoncer à Antoine
de Médicis la mort de la duchesse de Savoie, laquelle mourut
seulement le lendemain '.
M. de Trans, que nous venons de nommer, passe de même
pour un faiseur. Il dit au pape que les Vénitiens sont « fran-
çais », aux Vénitiens que le pape est « espagnol »... Dans
le subtil monde du Vatican et de la diplomatie italienne,
ces façons ne réussissent guère. Le pape en rit dans l'in-
timité avec l'ambassadeur de Venise et surnomme M. de
Trans : Monsieur « délie Trame3 . » Un ambassadeur d'Espa-
gne, arrivant à Milan en 1513, débute par mille bonnes pa-
roles; mais, « à son aspect, semble personnage fort couvert » ,
il ne sort pas de chez lui et ne voit personne. On dirait qu'il
apporte quelque chose d' « obscur » et de « clandestin,»; on
se méfie de lui *. Dans les cours, il faut agir sobrement, au
moins en apparence, prendre sans cesse sur soi et écouter
« tous vens venter, sans murmure 5. » Les bonnes façons,
l'extérieur agréable, l'instruction solide, sans rien d'affecté,
les connaissances en musique, en peinture, la réputation de
bon cavalier, l'art excellent de plaire aux femmes 6, consti-
tuent les qualités de second rang.
Les bons ambassadeurs poussent la réserve à l'extrême.
l)Benoist, Lettres de Phil. de Commines aux Archives de Florence, p. 6-7.
2) Id., p. 9-10.
3) Dispacci di A. Giustinian, H, 82.
4) Lett. de Louis XII, IV, 248.
5) « La Court aprend à se vestir honnestement, parler distinctement, ryre
sobrement, dormir légièrement, vivre chastement et escouter tous vens ven-
ter sans murmure ; mais le tout est faict par vaine gloire, ambicion ou ypo-
crisie » (Pane'gyric du chevalier sans reproche, ch. v).
6) Balth . de Castillon, Le parfait courtisan.
310 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Certains d'entre eux, avant d'agir, consultent leur astrolo-
gue.- D'après Etienne Dolet, le diplomate doit aussi s'entourer
de domestiques taciturnes et d'espions. Un décret du sénat de
Venise, en 1480, interdit formellement à ses ambassadeurs
de parler d'affaires, verbalement ou par écrit, avec des tiers J.
Quand il parle, l'ambassadeur doit peser ses paroles \
Dans une négociation difficile et dangereuse, son premier
soin est d' « adoucir » les matières, d' « eschapper et évader
les scandalles». D'autre côté, les commissaires chargés de
l'entendre déclarent, qu'ils vont en référer au roi, qu'ils
s'emploieront à chercher « bonne fin » *.
Un ambassadeur a même le droit, le devoir, d'adoucir
autant que possible, dans l'exécution, les ordres violents qu'on
lui donne. En 1464, le chancelier de Morvilliers, ambassa-
deur de France en Bourgogne, fit la faute de prononcer devant
le comte de Charolais une sorte de réquisitoire s : retenu par
son père, le comte ne répliqua que le lendemain et en termes
convenables, mais il jura de se venger, et se vengea. L'am-
bassadeur ne doit tenir un langage comminatoire qu'en cas
d'une mission spéciale à cet effet : et dans cette circonstance
on lui adjoint des notaires chargés d'instrumenter. Sur les
plaintes des ambassadeurs de Louis XII, Philippe le Beau
fait répondre « en toute amiableté et douceur », qu'il va
l)Nys, Les origines de la diplomatie, p. 39,
2) Ibid., p. 10. Par contre, un décret de 1481 punit du bannissement et
de 2,000 ducats d'amende quiconque parlerai un ambassadeur étranger des
affaires du pays. Un décret florentin, du *2'.\ janvier 1496 anc. st., stipule les
peines les plus sévères contre quiconque enfreint les secrets diplomatiques
(Arch. de Florence, Coslituzione per gli ambasciadori : Legaiioni, rcg. I).
3) Le Pogge raconte la plaisante histoire d'ambassadeurs florentins, qui
rebroussent chemin pour s'expliquer près du duc de Milan, parce qu'ils lui
avaient dit: « Nous sommes citoyens et envoyés de Florence, s'il vousplait.»
Ce « s'il vous plait » leur pesait. Le duc ne pût s'empêcher de sourire (Facé-
tie cxxvi ; édition Liseux, II, 13).
4) 1505. Lett. de Louis XII, 1, 28.
5) Jean de Roye.
MANIÈRE n'ÈTRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 311
envoyer une ambassade au roi, pour le satisfaire. Les ambas-
sadeurs, suivant leurs instructions, refusent et le somment
deux fois de s'exécuter; la troisième fois, ils dressent procès-
verbal du refus « devant notaires et tesmoings qu'ils
avoient ammenez tout propre de Paris ». Philippe réclame
contre cette injonction, « moult esbaby et desplaisant » '.
La plus grande épreuve de l'ambassadeur, celle qui excite
le plus sa patience, vient de ses rapports avec son propre
gouvernement. Officiellement ou non, l'ambassadeur est par-
fois desservi près de ses chefs ; on lui reproche trop de rai-
deur ou trop de souplesse, on l'accuse de trahir leurs inten-
tions *. Les Français ont particulièrement la réputation de
peu soutenir leurs ambassadeurs s. C'est en pareil cas, sur-
tout, que l'ambassadeur ne doit rien laisser paraître. Accurse
Mainier, ambassadeur de France à Venise en 1504, agit
pitoyablement ; gravement accusé en France et non sans
motifs, il vient remercier la Seigneurie d'une lettre qu'on a
écrite en France pour le disculper d'imputations fausses. Il
est tout ému : « le cardinal d'Amboise va, dit-il, retrouver le
1) 1505. Lettres de Louis XII, I, 13.
2) Edouard Bullion, envoyé en mission à Naples, écrit aux ambassa-
deurs de France à Rome, pour les prier de faire des démarches près du
pape, pour modifier la conduite de l'ambassadeur pontifical à Naples
(1502. Sanuto, IV, 422). Le pape, pour nuire à l'ambassadeur d'Angleterre,
envoie directement la rose d'or au roi d'Angleterre. Les ambassadeurs de
France disent au Saint Père, en 1468, que son ambassadeur en France,
Falco de Sinibaldi (qui les accompagnait) « esloit devenu si fort françois
que nous doutions qu'il ne l'eust doresenavant en souppesson » ; le pape
répond qu'il ne l'aura pas pour ce motif en soupçon, car lui-même a l'inten-
tion de se montrer si bon français qu'il blâmerait Falco de ne l'être pas
(fr. 3884, f° 189),
3) « Ils estiment leurs hommes en beaucoup d'occasions d'une manière
peu délicate, dit Machiavel : ce qui n'est pas conforme à la conduite des sei-
gneurs italiens; c'est ainsi qu'ils tinrent peu de compte d'avoir envoyé à
Sienne réclamer Montepulciano et de n'avoir pas été obéis » (Du naturel des
françus).
312 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DÉ MACHIAVEL
roi et il est prévenu contre lui » : Accurse voit déjà sa vie en
jeu. Le doge le réconforte et lui dit qu'il n'en sera rien1.
Mercurin de Gattinara, ambassadeur de Marguerite d'Autriche
en France, nous donne aussi le spectacle d'un manque de
tenue, qui, au moins, ne se trahit pas en dehors de sa cor-
respondance. Il écrit à Marguerite pour excuser une lettre
qu'il lui a adressée dans un accès d'emportement. « lime
sembloit que vous eussiez si petite confidence en moy et que
vous me teinssiez si meschant que de vouloir consentir et
entendre à chose qui fust contre l'honneur de l'Empereur ny
de vous » et contre mon honneur ; « lequel je me souis con-
tinuellement efforcé de bien garder, et le vouldroye garder
pour l'advenir plus que tous les biens que vous ny autre prince
ne sçauriez faire, car les biens, l'on les me pourroit oster
maulgré moy, mais de mon honneur il ne seroit en pou-
voir ny de vous, ny de Prince du monde le moy oster sans
mon consentement ; et pour ce je m'efforceroy, tant que la vie
durera, de garder cette pièce autant que le plus grand trésor
du monde 5. » Dans cette longue dépêche, il ajoute encore que
Marguerite perdra ses serviteurs si elle leur témoigne tant de
défiance, et qu'elle n'en retrouvera point de si sûrs, de si
expérimentés, de si loyaux : « je vous dis, Madame, en toute
humilité, que ne seriez pas digne d'avoir tels serviteurs '. »
Il revient encore, à la fin, sur ce sujet. Marguerite se laisse
égarer par de mauvais soupçons, elle reconnaîtra son inno-
cence. « Et à vous dire la vérité,, Madame, combien que ce que
dessus ne soit pas escript en chaulde colère, mais à sang
rassis, néantmoins le grand regret que j'ay eu de vos lettres
et de la diffidence qu'avez monstre avoir de moy et de vos
1) 4janv. 1504 (Sanuto, V, 651).
2) Oct. 1509. Lett. de Louis XII, I, 185.
3) Id., 196.
MANIÈRE DÊrRE ET CONDUITE DES AMBASSADEURS 343
aultres bons serviteurs a fait passer ma plume ung peu plus
avant pour vous donner mieux à cognoistre la vérité de ces
choses '. »
En résumé, le diplomate, simple intermédiaire, doit s'appli-
quer à rester effacé, de manière à pouvoir, en cas d'échec, reje-
ter la responsabilité sur « le grand diable8 » ; il doit accepter
toutes les missions, bonnes ou mauvaises. Machiavel, déjà
avancé dans sa carrière, reçoit en 1521, après une longue dis-
grâce, l'ordre de se rendre au couvent de Carpi, pour négo-
cier une affaires de moines. Il y part aussitôt. Guichardin lui
écrit à ce sujet des lettres très plaisantes, mêlées de réflexions
sérieuses : « Quand je lis vos titres d'ambassadeur de répu-
blique chez des moines et que je considère avec combien de
rois, de ducs et de princes vous avez autrefois négocié, je me
rappelle Lysandre... etc. » Machiavel répond sur le même
ton : « J'ai reçu votre lettre sul cesso (au cabinet d'aisance) \ »
A côté des préceptes généraux sur l'art de se conduire, il
faut connaître les difficultés spéciales, inhérentes à chaque
négociation ou à chaque pays. En France, les ambassadeurs
rencontrent deux difficultés spéciales : 1° un esprit trop
exclusivement militaire *, et un dédain trop prononcé pour les
moyens diplomatiques ou politiques 5.
Un jour, à Nantes, raconte Machiavel, « le cardinal de
Rouen me disait que les Italiens n'entendaient rien à la
OW.,199.
2) « Semble que le Grand Diable ait tenu la main à interrompre la ditte
veue » (Dép. d'A. de Burgo. Lett. de Louis XII, 1, 176).
3) Artaud, Machiavel, II,. 79 et s.
4) Balth. de Caslillon, Le parfait courtisan, trad. Chapuis, p. 112. « Les
Français préfèrent les armes aux lettres... »
o) « Les Français sont plutôt taquins que prudents. Ils ne s'embarrassent pas
beaucoup de ce qu'on écrit et de ce que l'on dit d'eux » (Machiavel, Du na-
turel des Français).
3H LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
guerre, et je lui répondis que les Français n'entendaient rien
aux affaires d'Etat, parce que, s'ils s'y entendaient, ils ne lais-
seraient pas arriver l'Eglise à une telle grandeur » '.
2° Le caractère des Français est essentiellement changeant;
leurs dispositions varient d'un jour à l'autre, et l'on ne peut
jamais compter sur elles \
Machiavel a mis en relief ces deux difficultés dans un pas-
sage célèbre : Les Français dit-il, « ne sont libéraux que dans
les audiences. Les premiers accords sont avec eux toujours
les meilleurs. A qui veut conduire une chose en cour, il faut
beaucoup d'argent, une grande promptitude et une fortune
favorable. Ils sont variables et légers ; ils ont la foi du vain-
queur. » En France, le meilleur moyen d'être bien vu du roi,
c'est de réussir3.
Quant aux Anglais, on les trouvait aussi, en diplomatie,
des gens trop gros, trop gras, aimant à boire, colères, naïfs,
francs, hardis ; en somme, vrais soldats et peu diplomates,
laissant les traités contrebalancer leurs victoires : « Ils ne
sont pas, dit Philippe de Commines (grand admirateur pour-
tant de la constitution anglaise), si subtils en traictés et en
appointements comme sont les François, et quelque chose
que l'on en die, ils vont assez grossement en besongne ;
mais il fault avoir ung peu de patience et ne débattre point
coléricquement avec eulx * » .
1) Il s'agissait de l'expédition de César Borgia en Romagne : Machia-
vel jugeait que le roi de France se repentirait d'avoir tenu au pape sa parole
(Le Prince, en. m).
2) « In Francia, secondo la natura loro, non so corne si possa tare fonda-
mento » (Dépêche de Laurent de Médicis à son ambeur à Rome, 17 oct.
1-489. Roscoë, Vie de L. de Mèdicù, trad. Thurot, II, 399).
3) Machiavel, Du naturel des Finançais.
- 4) Mémoires, I, 344, 369.
MANIÈRE DÊTRE ET CONDUITE DES ÀMRASSADEURS 315
On peut rendre un témoignage analogue aux Allemands.
Quant aux Pays Bas, couverts de grandes villes industrielles
en pleine prospérité, on n'y rêve que luxe et fêtes '.
La diplomatie française a un rôle pénible en Suisse, contrée
encore rude, où le pape seul exerce uneinfluence : au contraire,
elle ne trouve que des amis en Hongrie et en Portugal 3 : ce
dernier pays, où règne une dynastie qui se rattache à la pre-
mière maison de Bourgogne, du XP siècle, est même consi-
déré comme quasi-français. En Espagne et en Italie, condam-
née à lutter. de finesse, la diplomatie française a presque tou-
jours le dessous. Rome, Florence, Venise, représentent les
académies de la diplomatie. En mars 1502, Venise entretient
des ambassades résidentes à Rome, en Allemagne, en
France, en Angleterre, en Espagne, en Portugal, en Hongrie,
en Pologne, à Rhodes, et un chargé d'affaires à Milan 3. Quant
au caractère florentin, il semble, au Moyen âge, incarner le
génie diplomatique : intelligent, spirituel, caustique, scepti-
que, très actif, quelque peu mercantile, et cependant ouvert,
par delà toute expression, au sentiment de l'art, plein d'une
distinction native, raffiné par la culture intellectuelle, rompu
en même temps à la pratique la plus intelligente des affai-
res de banque. On raconte cette anecdote que Boniface VIII,
à l'époque du fameux jubilé qui attirait à Rome, au mi-
1) Alberi, Relazioni degli ambasciatori Yeneti, ser. I, A, VI, p. 1-30, Rela-
tion de Quirini (InOG .
2) Cf. Seyssel, Hist. du roy Louys A7/'"«, p. 66 v°.
3) Sanuto, IY, S40. Cf. E. Gebhart, Etudes méridionales, Machiavel (Pans,
1887). « Florence détestait en Venise un État dédaigneux de la démocratie,
une puissance marchande, industrielle et financière, qui gênait ses comptoirs
et ses banques. On ne tenait pas compte du don éminenl de Venise qui pou-
vait être employé pour le bien de toute l'Italie, le grand art de la diploma-
tie, la science consommée de la politique extérieure. » M. Gebhart reproche
aux quatre papes de ce temps « une diplomatie indécise et brouillonne » et
des alliances contradictoires, une direction personnelle et incertaine. . .
346 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
lieu d'une foule immense, le florentin Arnolfo, le florentin
Giotto, le florentin Dante, donnant audience aux envoyés
de France, d'Angleterre, d'Allemagne; de Bohême, de Ra-
guse, de Vérone, de Naples, de Sicile, de Pise, de Camerino,
des chevaliers de Saint Jean et du khan des Tartares, apprit
avec étonnement qu'ils étaient tous florentins.
CHAPITRE XII
MOYENS D ACTION DIPLOMATIQUES.
Toute ambassade a pour mission essentielle de savoir ce
qui se passe : l'ambassade spéciale a, en outre, pour but de
négocier une affaire. L'un et l'autre résultat ne s'obtiennent
qu'à condition de posséder des amis bien placés et influents.
L'art essentiel de la diplomatie consiste donc à gagner des
amis et à les entretenir. C'était la constante préoccupation de
Louis XI, de « pratiquer à gagner des hommes ». 11 n'épargnait
rien pour se les concilier, pour les soudoyer, pour acheter
leurs services; argent, fonctions, il promettait et donnait libé-
ralement1. De ses ambassadeurs en Bourgogne, ditCommines,
« les uns alloient et venoient pour sçavoir nouvelles, les aultres
pour soubstraire gens et pour toutes mauvaises marchan-
dises, soubs umbre de bonne foy*. »
Recevoir, héberger, soudoyer des émigrés, des fugitifs,
des gens compromis, constitue l'action naturelle de toute
puissance voisine. Louis XI entretient une foule d'émigrés
bretons, Charles VIII, des émigrés napolitains; le roi d'An-
gleterre retient à son service, pour 1,000 couronnes de pen-
1) Commincs, Mémoires, I, 83, 84.
2) Mémoires, I, III, 8 novembre 1509. Cf. Lettre du sénat de Venise aux
ambassadeurs à Rome, «Oratoribus nostris in Curia.» Remercier affectueuse-
ment Prospero Colonna de ce qu'il a dit au pape. Il sera l'instrument de la li-
bération de l'Italie des mains des barbares ; le pape commence à voir l'arro-
ganceet la perfidie des Français. Il est d'intérêt majeur que le pape s'éloigne
de la France. Persuader Prospero Colonna de continuer. Tacher de le faire
entrer au service de Venise (Arch. de Venise, Secreto 42,81).
318 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
sion, le procureur général de Bretagne Olivier Coetlogon, obli-
gé de s'expatrier '.
A plus forte raison trouve-t-on naturel, surtout en Italie,
d'engager des condottieri. Charles VIII marchande à deux
reprises les services du marquis de Mantoue, qui, dans l'in-
tervalle, commande contre lui l'armée italienne à Fornoue.
Le milanais Trivulce passe de l'armée napolitaine à l'armée
française, lors de la campagne de Charles VIII : en 1498,
Venise l'embauche et il demande au roi l'autorisatioD de pas-
ser à ce nouveau service...
On va plus loin. On paie à un capitaine la reddition d'une
place'. Le capitaine Benedetto Crivello devient, en 1512, pa-
tricien de Venise, et riche, pour avoir trahi son devoir de
soldat3.
\) 3 déc. 1492. Champollion-Figeac, Lettres des rois, II. 504.
' 2) Ms. Moreau 1452, n" 126. 19 mai 1435. Engagement du duc de Bour-
gogne à Etienne de Vignolles, dit La Hire, de lui payer 4200 saluts d'or pour
la reddition de Breteuil. ld., n° 128. 4 juillet 1435. Reçu par Lahire de cette
somme; il promet « en bonne foy et sur mon honneur » de s'en tenir pour
bien payé: signé « Lahire »
3) 11 septembre 1512. Dépêche vénitienne, à l'orateur à Rome: « Renzo da
Ccve a corrompu par de l'argent Benedetto Crivello, capitaine d'Italiens, pour
la France à Crema, et sa compagnie, à condition d'un sauf conduit du pape,
de l'évèque de Sion et du gouverneur de Milan, pour M. de Duras, le capi-
taine français de la place avec tous ses gens, pour retourner sûrement en
France, moyennant quoi il rendrait Crema. On a donné en otage un fils de
Duras. Prière de faire expédier de suite les saufs conduits : que le gouver-
neur de Milan envoie un commissaire pour escorter Duras. Tout va bien
contre les Français ». 14 sept. 1512. Lettre au capitaine d'infanterie (devant
Crema). « Reçu votre projet de convention, apporté par les nuntii de Crivello.
Nous l'approuvons et envoyons les patentes confirmatoires. Pour la promesse
de noblesse, nous faisons Crivello gentilhomme vénitien héréditaire: on lui
expédiera le diplôme. Nous confirmons les promesses particulières de 200
fantassins à Jean Antonio da Piasenza, de 150 à Bassan da Lodi, avec 300
ducats une fois donnés pour le passé, et six ducats par mois; au capitaine de
bandiera, deux ducats par mois ». — Avis conforme aux provéditeurs. — Pa-
tentes du doge, confirmant le pacte entre Laurent de Anguilaria, capitaine-
général d'infanterie, et Crivello, capitaine pour la France ; comportant: l°un
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 319
Mais tout cela n'est rien à côté du travail souterrain
auquel se livre perpétuellement la diplomatie pour se pro-
curerdes amis et des alliés jusque dans les conseils du souve-
rain. D'après Commin.es, Louis XI connaissait tous les gens de
valeur ou Influents en Angleterre, en Espagne, en Portugal,
en Italie, en Bourgogne, en Bretagne, aussi bien qu'en
France1, et, grâce à des études de ce genre, le héraut Mont-
joye ne craignait pas de dire que Louis XII était plus puis-
sant en Allemagne que Maximilien*.
Même en matière diplomatique, môme pour sauver l'État,
on ne peut pourtant pas approuver tous les moyens contre
des ennemis. On a souvent accusé le gouvernement français
de recourir à l'incendie ou au poison, car, à la fin du XV'
siècle, les accusations de ce genre se retrouvent sans cesse.
Ainsi, en 149o, on croit à une conspiration contre la vie du
roi Henri VII et on la suppose aidée par la France s. Un
revenu de 1,000 durais en biens de rebelles; 2° une maison à Padoue;
3° 800 ducats en bénéfices ecclésiastiques, pour un neveu ; A° maintien de sa
compagnie de oOO gens de pied à la mode de France, payés par ses mains,
avec 100 ducats pour lui ; o° une gratification extraordinaire de 1300 ducats
pour la compagnie, comptant ; 6° une paie extraordinaire d'un mois, de
même ; 7° un don de 7,000 ducats d'or, larges, payés à lui avant la remise
de la porte ; 8° tout le sel actuellement à Crema, venant de la gabelle fran-
çaise : 9° autorisation d'amnistier, à son choix, deux gentilshommes rebelles
de Crema, avec tous leurs biens et leurs familles ; 10° don de tous les biens
meubles, immeubles, du mobilier, de la personne, de la famille de Guido
Pace, de Crema, rebelle manifeste, iï septembre 1512.— Même jour. Patentes
d'anoblissement pour Benedetto Crivello,qui est inscrit au nombredes patrices
du conseil majeur. 16 avril loi!!. Sur la réclamation de Bened. Crivello, qui
n'est pas satisfait de la maison et des biens qu'on lui a donnés à I'adoue,etqui
en demande d'autres, on ajoute un bois voisin; ou le dispense des dettes qui
grevaient les biens à lui attribués (biens de Arluso ctAn/olo Conte, à Creda ou
Criola, maison de feu Bertu/.i Bagarolo à Padoue), l'État les paiera (Archives
de Venise, Conseil des X).
1) Chap. x.
-2) Sanuto. \ III, 9b.
3) Champollion-Figeac, Lettres des rois, II, p. bOb. Tous les gouvernements
320 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
auteur moderne, assez peu informé, il est vrai, M. Lamans-
ky, suppose encore l'intervention de Louis XII dans l'incendie
de l'arsenal de Venise en 1509 '. Ces hypothèses ne reposent
sur rien. Le 9 février 1503, l'ambassadeur de France à Ve-
nise, à propos de l'arrivée d'un envoyé de Mantoue, s'indi-
gne que le marquis de Mantoue accuse le roi de vouloir
l'empoisonner. « Ce n'est pas, dit-il, l'usage des rois de
France. Louis XII garde chez lui sains et saufs trois enne-
mis, Ludovic et Ascagne Sforza, le roi Frédéric de Naples,
et même il a rendu la liberté à Hermès Sforza * ».
Venise, au contraire, du XVe au XVIII0 siècle, a constam-
ment et authentiquement fait appel à l'assassinat et au poison
en matière internationale. Elle accorda des primes pour
assassiner François Sforza, Mahomet II, Bajazet, César Bor-
gia, Maximilien, Charles VIII, Louis XII..., sans d'ailleurs
qu'aucun de ces princes ait succombé 3. Dans la correspon-
dance avec l'ambassadeur à Rome, nous trouvons en toutes
lettres des arrêts d'assassinat; une dépêche du 10 mai
1513 prescrit à l'ambassadeur de voir, dans le plus profond
secret, un exilé vénitien, Marc da Leze, qui, pour rentrer dans
son pays, se chargerait, croit-on, d'assassiner Janus Cyprio :
l'ambassadeur lui promettra pour cet assassinat un sauf
conduit d'un siècle*. Le 3 avril 1514, sur une lettre anonyme
ont, du reste, subi des accusations semblables. Ainsi un anglais, Jean Bon,
pensionné par Louis XI, qui avait des bontés pour sa femme, conspira l'em-
poisonnement du dauphin, à la suggestion, disait-on, du duc de Bourgogne.
Condamné à mort, il obtint d'avoir seulement les yeux crevés, au grand
avantage du roi, et le roi continua directement la pension à sa femme (1476.
Jean de Roye).
1) Secrets d'État de Venise, p. 421.
2) Sanuto, IV, 711.
3) Lamansky, p. 1-154, documents de 1415 à 1768: p. 818-819, il compte,
de 1 450 à 1 474, des ordres d'empoisonnement contre cinq personnes, quelques-
uns réitérés ; de 1475 à 1479 neuf, de 1300 à 1521 dix sept.
4) Misto 38. « Lcgatis, solis, solis. »
moyens d'action DIPLOMATIQUES .'Î2I
qui signale des menées de Janus Cyprio contre Venise malgré
les conférences pour la paix, nouvelle dépèche qui ordonne,
très secrètement, ;; l'ambassadeur de s'entendre avec un
confident de Janus. Heraldo, et de lui offrir mille ducats pour
tuer son ami1.
L'on a accusé les gouvernements milanais et napolitain de
crimes analogues, mais sans preuves bien péremptoires. Il
est malheureusement certain que l'emploi du poison fleurit à.
cette époque en Italie5, mais il est non moins certain qu'on
en a fort exagéré les effets. Le jurisconsulte français Rigault,
dans ses études sur le droit de la guerre, flétrit vivement ce
procédé, qu'il traite d'italien, et dont il exhorte les Français
à se garer. Selon lui, les Italiens usent personnellement du
poison pour se venger des assiduités des Français près de
leurs femmes; en quoi, ils ont tort; car, dit-il, si les Fran-
çais aiment la société des femmes, c'est affaire d'éducation,
mais ils agissent en tout bien, tout honneur3.
N'insistons pas sur ces moyens exceptionnels, extra-diplo-
matiques.
Le système diplomatique ordinaire consiste simplement à
se procurer des amis pour des services diplomatiques.
Les amis s'acquièrent ou se mettent en mouvement : 1° par
des procédés de courtoisie ; 2° par des rattachements honori-
fiques; 3° par des promesses, de l'argent, ou la mise en œuvre
de passions, d'intérêts privés.
Les amis se subdivisent en deux classes : les amis régu-
liers, qui font un service continu, et les amis d'occasion qui
4) U.
2) Lamansky,p. 157, 163.
:i) Allegationcs Vincentii (Rigault), juge do Crives, super Bello Ylalico,
Paris, à la Caigc, chez Jean Frellon, rue des Mathurins, 23 déc. 1512 ; P>«
VI r°, MIr°.
21
322 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
rendent un service de circonstance et envers qui l'on est quitte
par une prestation également de circonstance.
Il y a enfin des catégories spéciales d'amis : les femmes,
les cardinaux.
1° Procédés de courtoisie. Ce moyen, de beaucoup le plus
faible, sert d'appoint aux autres. De bonnes relations de
courtoisie sembleront toujours appréciables à un ambassa-
deur judicieux ; il les cultivera, et elles lui serviront tôt ou
tard1. Le résident vénitien Dandolo rend compte, le 15 dé-
cembre 1513, d'une conversation avec le cardinal de Luxem-
bourg, personnage des plus considérés, âgé de 75 ans, qu'il
avait connu à la cour douze ans auparavant. Luxembourg lui
témoigne beaucoup d'affection et lui donne, en confidence,
des nouvelles politiques, et son appréciation, peu favorable
d'ailleurs, sur la politique de Louis XII2. Le même Dandolo
profite très adroitement des dissentiments qui se produisent
entre l'héritier du trône et le roi pour faire à cet héritier, le
comte d'Angoulême, une cour assidue. Sa correspondance de
1514 nous le montre en rapports incessants et fructueux avec
le prince qui représente l'avenir. Le comte d'Angoulême le
reçoit le matin, en déshabillé intime, et cause longuement avec
lui. Un jour, le comte lui explique les paroles du roi, et pro-
teste pour Venise de sympathie et d'attachement \ Dandolo
lui communique des dépêches qu'il s'est fait adresser de Ve-
nise et qui sont flatteuses pour le comte* : « j'ai été ce
matin voir Angoulême, écrit-il le 8 mai 1514; il m'a confirmé
l'inclusion du duc de Milan dans les trêves et m'a fait donner
1) Prospère Colonna vient à Rome voir un ambassadeur d'Espagne, dont
il a reçu un accueil très honorable dans un voyage en Espagne (1508.
Sanuto, Vil, 591).
2) Arch. de Venise.
3) Dép.du 18 avril 1514.
4) Dépêche du 24 avril 1514.
MOYENS DICTION DIPLOMATIQUES 323
par son secrétaire la copie ci-jointe ». Le prince lui commu-
nique les dépêches de Home ; il lui confie, sous Le sceau du
secret, le langage tenu la veille au roi par les ambassadeurs
d'Espagne l. Le comte, tout à ses projets d'avenir, cultivée
levers, comme on voit, l'amitié des Vénitiens; on comprend
le soin du résident vénitien à tirer parti d'une si excellente
aubaine. Sa politesse, sa prévenance envers le prince ne con-
naissent pas de bornes; il s'applique aussi à ne pas le com-
promettre, l'n jour, il attend le comte, au retour d'un pèle-
rinage, el se promène avec lui*; une autre fois, il profite d'une
promenade en barque avec le roi, pour continuer avec le
comte, qui lui dit : « Mon mariage est consommé : réjouissez-
vous-en, comme de parfaits amis. Je veux avoir avec vous
une amitié plus intime qu'avec personne, être votre excellent
ami, votre ami de cœur. Réjouisses- vous aussi de ce que
maintenant je suis au courant de tout... Je pourrai parler plus
franchement au roi que je ne l'ai encore fait. » Le résident
promet le plus cordial attachement de la République, otlre
mille vœux*. Le futur François Ie' déclare, avec satisfaction,
qu'il aura désormais un héritage assuré de 5,000 ducats de
rente4.... Voilà une bonne relation.
2° Les rattachements honorifiques ont été fort en honneur
au Moyen Age pour acquérir chevaleresquement des amis,
sans bourse délier Au commencement du XVIe siècle, leur
astre a singulièrement pâli, en ce sens qu'on ne les considère
plus comme un lien bien étroit, mais on en est toujours
friand.
L'ordre de chevalerie, dans sa pureté, consiste en une affi-
1) Dépêche du 8 mai.
2) Dépèche du VI mai 1 o 1 4 .
; Dépêche du 20 mai 1514.
i) Dépêche du 1er juillet 1514.
324 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
liation d'un nombre fixe de personnes, qui se réunissent
périodiquement en chapitres. La simple décoration, sans
nombre limité, sans affiliation ni chapitres, s'appelle une
devise. Ainsi l'Angleterre a un ordre : la Jarretière, et une
devise : la Rose l.
L'ordre ou affiliation chevaleresque constitue une sorte de
puissance. Toison, roi d'armes de l'ordre bourguignon de la
Toison d'or, lorsqu'il apporte l'ordre à Charles VII en 1456,
présente au roi une véritable lettre de créance, dans la forme
ordinaire, au nom des chevaliers de la Toison en même
temps que du duc de Bourgogne 2. Olivier de la Marche va
jusqu'à dire que l'ordre de la Toison d'or est pour la maison
de Bourgogne le « principal parement », car il procure
« plusieurs grans et notables aliances fraternelles, comme
Empereurs, Roys, duez, contes, barons et chevaliers de haulte
et grande renommée s ». Accepter un ordre, est faire acte
de fraternité publique/. La nouvelle se répand à Paris, en
1470, qu'on a vu à Gand le duc de Bourgogne, portant à une
jambe la jarretière et sur lui la croix rouge, et se déclarant
ainsi tout anglais9. Louis XI dénonce le duc comme ayant
« pris la jarretière et la croix rouge, qui est l'ordre de l'an-
cien ennemy et adversaire du Roy, en quoi il s'est manifeste-
ment déclaré contre le Roy 6. »
En bonne règle, on ne doit accepter l'ordre d'un souverain,
1) Olivier de la Marche, IV, 161.
2) Gachard, Analectes, lui.
3) P. 159.
4) La veille et le jour de la Saint Georges, le duc de Bourgogne assiste à
des messes solennelles, fait des visites avec l'habit de la Jarretière (avril 1476.
Gingins la Sarraz, Dép. des ambass. milanais, II, 90).
5) Jean de Roye.
6) Instr. de Louis XI pour la Bretagne (fr, 3884, fo 2T9);
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 325
que lorsqu'on peut garantir ses bons offices '. Si une circons-
tance place le chevalier parmi les adversaires du chef de
l'ordre, il doit refuser les insignes s'il en est temps5, ou les
renvoyer, s'il les possède déjà3; sinon, il s'expose à une ra-
diation*.
Au commencement du XVe siècle, un prince se croirait des-
honoré s'il ne disposait d'un ordre, ou tout au moins d'une
devise quelconque. Les ducs d'Orléans confèrent la devise du
camail ou porc-épic, qui ne put jamais devenir un ordre * et
qui tomba en discrédit6.
1) Le duc de Guyenne déclare ne pouvoir accepter la Toison d'Or, étant lié
déjà par l'ordre de Saint Michel (1 469. Dom Plancher, Histoire de Bourgogne,
IV, 377). Le duc de Bretagne, en 1469, refuse le collier de Saint Michel, sous
prétexte que les chevaliers sont de trop petit état pour lui. Le roi lui donne
jusqu'au lo février pour se décider. Peu après, le duc sollicite le collier
(Favre, Introduction du Joucencel, p. cci.xxvi).
2) L'ambassadeur du roi d'Angleterre arrive à Milan : reçu le 13 septembre
en audience, il propose au duc de recevoir l'ordre de Saint Georges etd'en ju-
rer les statuts. Réponse courtoise du duc, mais prudemment négative. Il rend
d'immenses grâces, il se met au service du roi, mais il ne peut en ce moment
accepter.de peur de se rendre suspect au roi de France avant le règlement des
affaires de Sicile (13 sept. 1453. Arch° Sforzesco). Le roi de Portugal célèbre
solennellement la fête de Saint Georges, avec des offices religieux et des danses,
comme chevalier de la Jarrelière.cn présence des ambassadeurs anglais (1489.
Gairdner, Hist. régis Henrtci septimi, 193).
3) K. 1482. Naples, 3 septembre 1512. Lettre du prince de Lusignan, du
prince de Melfc, du duc â'Hatri, du comte de Matalen, à Louis XII (en ita-
lien) ; très courtoise : Nous sommes vassaux et liges du roi catholique, disent-
ils. Notre loyauté et le souci de notre bonne renommée de chevaliers nous
obligent à vous renvoyer le collier de l'ordre de Saint Michel. — Nous en
fumes heureux jadis, nous en avons observé les statuts. Nous renvoyons les
insignes par Castiglia, roi d'armes du roi catholique.
4) En 1481, Philippe Pot et leV d'Esquerdes sont rayés de la Toison d'Or,
comme ayant pris du service en France (Olivier de la Marche, IV, 148, 149).
."> Olivier de la Marche (IV, 162, 184 et suiv.) dit que le quamail, du duc
Charles d'Orléans, fut porté par beaucoup de gens de bien, mais il n'eut
jamais de nombre fixe ni de chapitres, « et pour ce je diz que ce n'estoit que
une devise et non pas ordre.»
6) Mss. fr. 22289, fo 2 ; fr. 3910. f» 89 ; Paradin, Devises héroïques ; Arch.
du Collège Héraldique, n°s 645, 646, etc.
326 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
En 1415, le duc de Bourbon forme avec seize chevaliers et
écuyers une association de pure chevalerie et de piété pour
deux ans, laquelle a pour insigne un fer de prisonnier, on or
ou en argent, qu'on porte le dimanche à la jambe gauche '...
L'inanité pratique de ces associations devait en amener la
chute : aux noces de Charles d'Orléans, en mars 1407, on avait
vu les ducs d'Orléans et de Bourgogne multiplier les marques
d'amitié réciproque, se passer réciproquement au cou le col-
lier de leurs ordres, le conférera beaucoup de leurs officiers2 ;
et peu après, le duc d'Orléans tombe assassiné par le duc de
Bourgogne.
A la fin du XY° siècle, les ordres, de moyens d'action poli-
tiques, deviennent de simples moyens d'action diplomatiques,
de simples décorations, plus ou moins recherchées. En l.')04,
le duc d'Urbin hérite de l'ordre de la Jarretière qui avait été
conféré à son père en 1474. « Cette décoration, écrit un peu
ironiquement le résident vénitien, consiste dans une sorte de
bande dorée qu'on porte sous le genou, et qui passe pour
une chose excessivement honorable8 ». On cherche à relever
le prestige des ordres par leur caractère de distinction :
Louis XI autorise ses ambassadeurs à faire demander par le
duc de Gueldre l'ordre de Saint Michel, « lequel est aujour-
duy le plus digne et le plus noble des crestiens 4 » . L'ordre
de Saint Michel, le seul que confère la France 5, reste très
1) Douet d'Arcq, Clioix de pièces, I, 370.
2) Monstrelet, 1, 130.
3) Dispacci di Giustinian, III, 30.
4) Ms. fr. 3884, fo 272.
5) Il n'est plus question dune devise bizarre, « le collier de noslre ordre de
la Cosse de Genestre », à porter « en tous lieux et par toutes places, lestes et
compaignies qu'il lui plaira », que conférait Charles VI (7 mars 1 't0(i. Douet
d'Arcq, Choix de Pièces, I, 287). Cf. Patentes du 24 septembre 1396, accor-
dant à François, seigneur de Mantoue, sa femme, sa sœur, son fils, ses deux
fils, son fils bâtard et six chevaliers à son choix, « l'ordre et devise » de
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 327
estimé, comme facteur de négociations *. Les ordres de Mi-
lan, de Naples sont envoyés à de simples courtisans', et sans
grand apparat9 : pour en rehausser le prix, on ne craint pas
de les accompagner de quelques présents plus matériels4.
Un petit moyeu, non dispendieux, et assez utile au cours
d'une négociation, est une bonne lettre princière à quelque
personnage ; une lettre affectueuse, où on l'appellera « mon
cher frère »5, où Ton traitera de « cousin » un noble bAtard",
ou bien une grande lettre de haute politesse pour remercier
de quelques bonnes paroles7.
Enfin, un rattachement honorifique très rare, très haut prisé,
consiste dans la concession des armoiries. Par des patentes de
mai 1 499, Louis XII donne à César Borgia le nom de « de
France » et le droit de porter l'écu de France écartelé avec
France, en reconnaissance du bon accueil fait à des Français sur le territoire v
de Mantoue (Archives de Mantoue, D. IX, I).
1) Deux cardinaux, pour réconcilier le pape et le roi, négocient secrètement
l'envoi de l'ordre de Saint Michel, pour le frère du pape, Julien de Médicis
(1512. Lett. de Louis XII, IV, 105).
_' Le roi de Naples envoie à des courtisans français l'ordre de l'Hermine
(1492. Delaborde, Expéd. de Charles VIII, p. 237).
3) Procuration de Jean II Grimaldi pour recevoir du duc de Bari « l'ordre
ou dignité militaire » (sans spécifier. Ujuillet 1494. Saige, Documents, II, 8).
4) Lettre de Stangha. 1491 (Saige, Documents, I, 63i). Un émissaire napo-
litain à Gènes donne à Lambert Grimaldi cinq cannes et demi de brocart d'or,
200 ducats, et le collier du Griffon, qui se porte le 2.vi août, avec le diplôme
de la confrérie du collier et la bande blanche qui se porte tous les samedis.
5) Laurent de Médicis écrit à Albino, secrétaire du duc de Calabre (18 mai
1 48 1 ) : « Albino mio caro quanto buon fratello » (Roscoë, Vie de Laurent de
Médicis, éd»u frans«, I, 462). Lucien Grimaldi écrit au grand écuyer de Sa-
voie, en 1506 : a .Mon très honoré seigneur et frère » (Saige, Documents,
U, 52J.
6) Lettres de Phil. de Savoie au maire de Bordeaux (ms. fr. 2811, 93), au
bâtard de Comminges (id., 9i) : « A Mons. de Comminges, mon cousin » ;
signature autographe : « Vostre cousin, Ph. de Savoye. »
7) Ludovic le More à l'amiral de Graville : Personne ne trouvera « majore
ne pin vera correspondent al bono animo suo quanto ha da me » (19 juin
1492. l'erret, Notice sur Graville, n° 12).
328 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
celui de sa famille1. Ce privilège fut très apprécié surtout
dans le temps où florissaient les ordres. Florence5, Ferrarc3,
obtinrent les armes de France. Galéas Marie Sforza1, plus
tard Ludovic Sforza 8 jouirent du même privilège. En janvier
1387, Galéas Visconti avait reçu « avec respect et reconnais-
sance » la permission de porter un simple quartier ; il obtint
plus tard tout l'écu de France avec bordure endentée6. Pour
que la concession d'écartèlement soit complète, iï nesuffitpas
de donner un quartier des armes de France ou même les
armes brisées ; ce serait un acte de pure courtoisie. L'adoption
résulte de la concession dos armes elles-mêmes, que le béné-
ficiaire porte en premier et quatrième quartiers, comme fit
Jean Galéas Visconti, à partir de 13947.
La cour de Rome, toujours traditionnelle, ne céda pas à
l'engouement des ordres. Elle excelle partout dans la mise en
scène des moyens diplomatiques honorifiques. Ses moyens
sont la rose d'or, l'épée de Noël, les bénédictions, les indul-
gences, les formules de compliments.
La rose d'or est une petite rose, en or, que chaque année,
au dimanche lœtare, c'est-à-dire dans le courant de mars, le
pape bénit, et qu'il offre au personnage qu'il désire honorer.
Avant de la conférer, le pape fait mine, pour la forme, de
1) Il lui donna en outre dévastes domaines et une femme... {Ordonnances,
t. XXI. ]). 227, 213, 210, 129,114).
2) Patentes de Louis XI, en français, concédant aux Médicis le droit de
porter les armes de France (mai 1465 : publ. par Roscoé, Vie de Laurent de
Médicis, I, 403).
3) J. 508, I. 1431. Sur la demande du marquis de Ferrare, le roi de France
l'autorise à porter de France écartelé ; le marquis promet d'être dévoilé.
4) Fat. en français, de Chartres, 5 novembre 1467 (lat. 10133, 43 v<>).
5) Ms. fr. 6983, P 185. Permission de Louis XI à Ludovic M» Sforza,
lieutenant général de la duckié de Milan, de porter les armes de France.
6) Pat. en français, de janvier 1387 (Jarry, Vie de Louis de France, p.
391, p. 110).
7) C'e de Gircourt, Le duc Louis d'Orléans, III, p. 9.
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 329
consulter les cardinaux ; en réalité, il no demande pas leur
avis1. On ne saurait s'imaginer l'importance de cette distinc-
tion' : en li)08, le duc de Ferrare recevant la rose d'or, le
grave annaliste Sanuto écrit : « En ce jour, le duc de Ferrare
eut deux joies, la naissance d'un tils, l'obtention de la rose ;
chose assez remarquable3. » A Home, il y a un grand murmure
onlo04,parceque Jules II donne la rose àSienne, qu'on trouve
une puissance peu qualifiée pour un tel honneur*... La remise
a heu en grand apparat. Le pape bénit la rose hors de sa cha-
pelle, la porte à la messe, la rapporte, et la donne dans une
chambre du Vatican". En général, il la remet, séance tenante,
aux ambassadeurs de la puissance à qui il la destine6. Les
ambassadeurs restent ensuite à dîner chez le pape7, ou bien
ils rentrent triomphalement chez eux, escortés par la garde
pontificale et par leurs collègues du corps diplomatique8. Le
pape n'envoie directement la rose au destinataire que s'il
veut marquer une disgrâce à l'ambassadeur9.
•1) Disp. di Giuslinian, III, 25 : Sanuto, V, 1031.
■1) Disp. di Giuslinian, 111,25.
3) VII, 385.
4) Alexandre VI la donne à César Borgia, en 1500 et 1501 (Burckard, III,
26, 30, 31. 131 n.2,i.
5) Burckard, 1506. On trouvera dans Paris de Grassis un récit détaillé
du cérémonial pour la bénédiction et la dation de la Rose d'Or, à propos de
celle de 1505 (Paris de Grassis, lat. 5164, f*» 161 v° — 163) et de celle de
1507 conférée à l'Espagne (lat. 5165, f" 316-317).
6) Portugal 1306, Portugal 1507, Ferrare 1508... (Burckard, III, 419 :
Sanuto, VII, 71, 385). « Hodie papa dédit rosam absenti régi Polonie, cujus
noniine oratoressui illam boc modo acceperunt » (Paris de Grassis, lat. 5164,
f° 161 v°). En 1504, le pape donne la rose d'or à César Borgia en personne,
avec le cérémonial habituel. Les cardinaux reconduisent César (Burckard,
III. 30, 31 : Paris de Grassis, lat. 5164, fo 84 \o).
7) 1504. Ambassade de Sienne (Sanuto, V, 1031 : Disp. di Giuslinian,
III, 25).
8) 1505. Ambassade de Pologne (Disp. di Giuslinian, III, 461 ; Burckard,
III, 383. 1508. Paris de Grassis, lat. 5165, fo 434'.
9y Un envoyé du pape apporte la rose d'or au roi d'Angleterre et dit au roi
3 30 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
En 1500, il la remet à l'envoyé de Portugal, pour le car-
dinal de Lisbonne. L'ambassadeur escorte le cardinal jusque
chez lui, à cheval, le premier, portant la rose dans la main :
cérémonial nouveau, qui excite, par conséquent, la vive indi-
gnation de Paris de Grassis, le maître des cérémonies.
L'épée bénie à Noël, ordinairement accompagnée d'un cha-
peau', est un peu moins honorifique, elle rappelle les ordres ;
aussi ne la décerne -t-on pas tous les ans3. Le pape la don-
nera au duc de Ferrare", au marquis de Mantoue*, à l'ar-
chiduc Philippe le Beau 3 ; il l'offre à Louis XI pour son fils, avec
le titre de gonfalonier de l'Eglise G. Alexandre YI la donne à
Louis XII à son avènement, lorsqu'il lui recommande César
Borgia ; Jules II la lui envoie en 1505 par une ambassade,
chargée de solliciter pour son neveu divers bénéfices7. L'épée
que son ambassadeur est « français » (juin 1510. Sanuto, X, 786). Bref de
Jules II à l'archevêque de Cantorbéry pour lui envoyer la rose d'or qu'il le prie
de remettre solennellement au roi Henri VIII (S avril 4510. Labbe, Sacros. Con-
cilia, t. XIX, c. 5 à 3). Cependant le pape l'avait remise d'abord à l'ambas-
sadeur d'Angleterre, que la garde du pape, les ambassadeurs de France,
de Venise, de Florence, de Ferrarc, avaient reconduit triomphalement chez
lui (Sanuto, X, 114). Lettre de St. ïabernà à Ludovic Sforza, de Rome, 9
mars 1494, portant que le pape a béni la rose ce matin et l'a portée au roi de
France (Arch. de Milan, Pot. Est., Francia, 1494-95).
1) L'épée à bénir est portée à la messe du pape. En principe, le pape
demande pour son attribution l'avis des cardinaux. Il la donne, soit le jour
de Noël, ou le 27 décembre, ou à la Circoncision, à l'Epiphanie (Frati, Le due
spedizioni militari di Giulio II, 127).
2) En 1500, il n'en est pas béni (Burckard). Cependant on l'apprécie aussi.
Innocent VIII envoie à Henri VII d'Angleterre, en 1488, l'épée et le chapeau,
« egregia munera », dit le chroniqueur Bernard André : « Gladium justitiae,
galerum vero longanimilatis ac perseverantiae »,... « totius rei Christianae
monarchiam adversus militantis ecclesiae hostes truculentissimos defensu-
rum » (Bemardi kndreœ Vita Henrici V7/,edited by James Gairdner, p. 46).
3) 1501. Sanuto, IV, 226.
4)1510. Sanuto, XI, 702.
.1) 1508. Burckard, III, 323.
6) Mémoire de MM. de Rochechouart et Rabot, fr. 15870, n« 3.
7) Sanuto, VI, 279.
MOYENS D'ACTION DIPLOMAT1QUBS 334
de Noël rentre donodansla catégorie des moyens auxiliaires
d'une ambassade.
La diplomatie pontificale dispose surtout d'une foule de
faveurs spirituelles ; titre de notaire apostolique pour un jeune
clerc de grande maison1 ; droit d'autel portatif et d'assister
aux offices à huis clos1 ; privilège à des souverains dénommer
à des bénéfices', de donner des dispenses de mariage jusqu'au
quatrième degré et d'absoudre les mariages putatifs4, défaire
célébrer les offices dans des lieux frappés d'interdit5^' avoir des
médecins clercs ', dispenses de maigre7, etc., etc. Ce ne sont
pas là de médiocres faveurs. Elles donnent lieu à des négocia-
tions.En L 466, la duchesse douairière de .Milan ne voulant plus
manger de viande depuis la mort de son mari, l'ambassadeur
milanais demande au pape, delà part du duc, de lui comman-
der d'en imiuiïevsub pena obedientie. Le pape accorde un bref,
tout en disant qu'un conseil doit suffire. Le bref est l'ait, mais
l'ambassadeur éprouve beaucoup de peine à l'obtenir, malgré
ses démarchi
Sans même parler de> grands moyens politiques de Rome :
grandes excommunications, grandes concessions d'indulgen-
ces et de dimes pour croisades ; sans sortir de la sphère des
négociations courantes, la diplomatie pontificale possède un
arsenal sans pareil. Selon Commines, un légat donne habi-
I) Amanieu d'Albret, âge de 18 ans : 1495. Areh. du Vatican, reg. 873,
f» 311).
■1) A Anne de Bretagne, à Lucrèce Borgia...
3) Espagne, G kal.dec. io03 (Arch. du Vatican, reg. !)84, f° 15). Ecosse.:')
non. jul. 1504 (td., f°73v<>).
4) Ecosse, 5 non. jul. 1504 (id., f°« 72 v<>-73).
.",, Pologne, I505(id.,f» 97).
6) Pologne, 1505 (id., f" lut .
7) ! id., fo 97 v»).
8) 4 mai 1466 : dépêche de l'ambassadeur 4e Milan à Rome (Archivio
Sfor/.i
332 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
facilement des indulgences pour la conclusion d'une ligue.
L'indulgence est le seul moyen diplomatique qu'on puisse
mettre en balance avec l'effet d'un bon subside ' ; les plus
simples excitent bien des convoitises ". Le cardinal d'Am-
boise obtient des indulgences pour un hôpital de Rouen,
dénué de ressources, afin d'y attirer des aumônes3.
En 1477, la duchesse de Milan, peu rassurée sur le salut de
l'âme de son mari Galéas, charge un chanoine de Saint Jean
de Latran d'impétrer une indulgence qui le retire du pur-
gatoire. Elle confesse que Galéas peut se reprocher bien
des guerres licites et illicites, avec des pillages, voleries et
autres conséquences de la guerre, bien des exactions, des
négligences de justice ou même des injustices patentes, des
impôts nouveaux, même sur les clercs, des vices charnels, des
simonies notoires et scandaleuses, et d'autres variés et innom-
brables péchés ; mais elle ajoute qu'il les connaissait, qu'il
donnait des signes de repentir, qu'à chaque fête il sollicitait
des indulgences4...
Quant aux dons de reliques, la cour de Rome en est fort
avare, et n'en fait guère qu'à titre exceptionnel5.
Enfin, la cour de Rome possède encore un moyen d'action
spécial, mais bien fragile, qui consiste à faire appel aux sen-
1) « Pontificisnunliiet oratores Elvetiamgentem.quos Suicerosappellamus,
in lines nostros ad quatuordecim usque millia hominum promissionibus
Paradisi et seternae salutis irritarunt et suscitarunt » (Ms. lat. 11802).
2) L'église Sa Ma Mater Domini, à Venise, très vieille, menace ruine : l'am-
bassadeur vénitien à Rome lui fait avoir des indulgences pour la relever
(févr 1503. Sanuto, IV, 725).
3) L'hôpital de Sainte Marie Madeleine (16 kal. nov. 1502. Arch. du
Vatican, Reg. Vatic. 868, f° 159). Bref en faveur de Saint Denis, sur la de-
mande du cardinal de la Groslaie, son abbé (1497. Vidimus de 1532, Archi-
ves nationales, L. 327).
4) Lettre de la duchesse (Archivio Sforzesco,).
5) Le légat offre à Louis XI des reliques précieuses, en 1483 (Delaborde,
p. 150).
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 333
timents des membres d'un clergé national, pour aider à un
arrangement qu'elle désire1.
Quelquefois la cour de Rome essaie de présenter aux prin-
ces comme une grande faveur le titre de gonfalonier, mais
cela réussit peu5.
3° L'argent, ou les promesses d'argent. Voilà le vrai nerf
d'une négociation diplomatique. C'est un fait admis qu'on
n'avance une négociation dans les cours que moyennant
finance. « Ici comme dans les autres cours, écrivait de France
l'ambassadeur tlorentin Francesco délia Casa, on se soutient
mal sans argent3. » L'ambassadeur lucquois reçoit le meilleur
accueil, écrit Machiavel : il a su « se faire des amis avec le
Mammon de l'iniquité, tandis que vous, vous croyez à votre
bon droit *... »
« Monseigneur, se ilz font pour vous, il fault que vous
faciez pour eux, » disait le cardinal d'Estou te ville au duc de
Savoie, dans une négociation avec les sires de Bueil et de
Chabannes. représentants du roi. Et : « Certes, mon cousin,
vous savez, en toutes cours, faut il moyens, » ripostait le
duc 5. On accusait fort les Français de ne pas recourir assez
i) Bref de Jules II à l'évêque de Paris.le priant d'user de son influence pour
la paix entre Rome et la France : « consequens ob hoc a Deo praemium, ab
liominibus laudem et nobis et Sede predicta commendationem et gratiam »
(1311. Lett de Louis XII, III, 30).
2) Bulle d'excommunication contre le duc de Ferrare, lui reprochant son
ingratitude : le pape lui avait donné le titre de gonfalonier, « demandé cepen-
dant par Louis XII » (3 des ides d'août, 1310. Arch. du Vatican, reg. 984,
fba 137 Vo. 146 ro).
3) « L'argent, écrit dans un rapport de 1587 l'ambassadeur vénitien Lo-
renzo Bernardo, est comme le vin; les médecins le recommandent également
à l'homme bien portant et au malade. Il faut donner des cadeaux au Turc
lorsque nos relations avec lui sont bonnes; il faut en donner encore lors-
qu'elles sont en souffrance » (Nys, Les origines de la diplomatie, p. 28).
',) Dép. du 26 août 1300.
5)1432. Favre, Introduction au Jouvencel, p. clxxxvi.
334 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
à ce procédé, d'être aussi « pingres » pour les autres que
pour eux mêmes, de débourser peu volontiers *. L'accusa-
tion est excessive. Il est certain pourtant que les grands États
du Nord, France, Angleterre, Allemagne, aiment mieux re-
cevoir que donner ; les Etats qui donnent, ce sont les États
italiens, parce qu'ils sont faibles, ambitieux, extrêmement
ricbes, et que, gouvernés par des banquiers, sans véri-
table armée indigène, ils traitent la politique comme une
affaire, comme une spéculation. Aussi les négociations avec
eux dégénèrent en véritable exploitation'. Louis XI tira des
Sforza des subventions incessantes. Il se fit payer par Galéas
l'investiture de (lênes 50.000 ducats 3, dont Commines se
vante d'avoir gardé 30.000. Quand Ludovic Sforza se tourna
vers l'Allemagne, l'alliance allemande lui coûta un prix
énorme. Les difficultés internationales se règlent par la guerre
ou par l'argent : c'est aux gouvernements intéressés à appré-
cier le procédé le plus économique. On a même vu, bien que
rarement, l'argent combiné avec la guerre. Le duc d'Orléans
fit, par l'argent, sa campagne contre Gênes, en mars 139Î. Il
commença par acquérir, moyennant finance, la fidélité et
l'hommage des marquis de Carretto \ puis il se livra à un
véritable « investissement diplomatique » des places fortes du
4) Conversation de l'ambassadeur d'Espagne avec l'ambassadeur de Venise,
à Tours, novembre 1500. Sanuto, III, 1202.
2) V. fr. 2928, on pourrait tirer « deux cens mille escutz » de « ceulx de
Médicis, quant l'on pourrait les remectre en estât dans Florence. Et croy
que quant l'on y vouldra entendre, que encoures donneroyent il; plus lar-
gement. »
3) Proces-verbal de trois notaires, à Lyon, dans la maison des Médicis, le
18 janvier 1473, constatant que Louis XI' avait demande à Galéas Ma
Sforza G0. 000 ducats. Galéas en a accordé 50.000, qui sont versés entre les '
mains de Michel Gaillard, fondé de pouvoirs spécial du roi (ms. lat. 10133,
f° 389) : lettre autographe de Louis XI à Galéas, remerciant de ce verse-
ment (copie, même ms., f° 392 v°).
4) Jarry, Vie de Louis de France, p. 142.
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 335
pays. La plupart do ses agents, en missions publiques ou sc-
crètes, étaient des italiens1. Ce ne sont pas seulement les
Fieschi, les Dorîa, les Grimaldi, les Spinola, les marquis de
Ceva, avec qui on traite et dont le dévouement se trouve
chiffré dans les comptes ducaux = : la ville de Savone se ren-
dit, moyennant une subvention mensuelle de 5.000 florins '.
Les expéditions d'or de France ne suffisant plus, le duc d'Or-
léans emprunte à sou beau-père, engage sa vaisselle et ses
bijoux. Tout à coup, au moment où il ne restait plus qu'à
traiter avec Gênes, et où l'affaire devenait bonne, le roi de
France intervient, déclare la prendre pour lui, et la paie à
son frère, à forfait. 300.000 francs. Cette opération peut res-
ter comme un cbef d'oeuvre de diplomatie secrète, si
bien exécuté, qu'il en resta peu de traces; on retrouve bien
la mention d'une quantité d'allées et venues secrètes, mais il
faut en deviner plus encore *.
L'action par l'argent se divise en trois branches princi-
pales : A. acquisition de foi et hommage ; 15. pensions fixes;
C. subventions irrégulières.
A. La forme d'hommage-lige est très florissante à la fin du
XIVe siècle : après avoir acquis sous cette forme les environs
de Gènes, le duc d'Orléans achète, de même, la fidélité d'un
très grand nombre de princes allemands 3. Le taux de ces
achats varie extrêmement, comme aussi leur forme : le duc
h M., p. 146, 147.
•2) Les actes d'adhérence, obtenus dans la Rivière de Gênes en 1395 par
le duc d'Orléans, à prix d'argent, consistaient, soit dans une cession de do-
maine pure et simple, soit dans l'obligation de prêter hommage, soit dans
rengagement de prêter un appui militaire (Cle de Circourt, Le duc Louis
d'Orléans. III, -29).
3) ld., p. 151.
I ld., p. 151-157.
5) Le comte de Circourt, Documents luxembourgeois relatifs au duc Louis
d'Orléans, n" 35, 43, 73. 15, 50, 51, 98, 99. . .
336 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
de Gueldre coûte 50.000 écus une fois donnés, le comte
Adolphe de Clèves une pension de 1.000 livres, le sire de
Neuchâtel simplement 200 livres '. Cette consécration solen-
nelle et, si j'ose ainsi dire, chevaleresque, tombe en complet
discrédit au XVe siècle, et les quelques exemples qu'on en
trouve encore çà et là ne reproduisent plus la forme très nette
du marché primitif2.
B. La pension prend, au contraire, de plus en plus faveur à
l'égard des princes et des personnages très marquants. En
Suisse et en Italie, les pensions aux princes, chefs d'Etat ou
gens du gouvernement se confondent avec le condotticrisme ;
elles engendrent des obligations mixtes, souvent militaires, et
font l'objet d'un pacte régulier '. On les constate par un ser-
ment ou par une simple cédule. L'écrit passé dans ces condi-
tions est fort modeste ; il affecte une forme privée. Le prix
stipulé n'y ligure pas. On paie, et on reçoit l'engagement de
service ;. Ainsi, l'engagement par René de Lorraine de servir
1) Jarry, Vie de Louis de France, p. 198.
2) Gornichem, 10 sept. 1464. Acte par lequel le duc de Clèves promet
d'être bon et loyal au comte de Charolais, nul excepté, sauf le duc de Bour-
gogne, son père (Gachard, Analectes, cccxxx, d'après une minute des Ar-
chives de Dùsseldorf). Cf. formule du serment à prêter par le duc de Savoie
à l'empereur comme vassal, en 1506 (Bianchi, Materie politiche, p. 199). Pat.
du 2 avril 1440, de Gérard, duc de Juliers et comte de Ravenstein, que, sui-
vant la politique de ses aïeux, toute sa vie, il travaillera à soutenir la per-
sonne, les intérêts, etc., du roi et de son fils, ayant ses vassaux pour amis,
ses ennemis pour ennemis (ms. Moreau, 1452, n<> 149). Serment de fidélité de
Nicolas III, marquis d'Esté, à Charles VIII (Musée des Archives nationales :
10 mai 1432).
3) Portef. Fontanicu, 147-148. 12 juin 1494, Milan, au palais de Galéas
San Severino. Par suite de l'accord de Ludovic Sforza et de Charles VIII,
Galéas de la Mirandole, Jean François Raoul de Gonzague, marquis, fils de
Louis de Mantoue, Jean François de San Severino, comte de Caïazzo, s'en-
gagent à servir le roi et prêtent serment solennel dans les mains du sire
du Bouchage, lo juin 1494 : Garantie par Ludovic Sforza de la fidélité, de
R. de Gonzague.
4) Ms. fr. loo38. 13. Phil. de Hochberg. maréchal de Bourgogne, pro-
MOYENS D'ACTION DU'I.OMATInl ES 337
M. et M'" de Beaujeu,du 30 septembre 148i,est écril sur par-
chemin, d'une formule très simple. Le prince dit 7e au lieu de
Nous; mais, à la lin, une affirmation d'indépendance se glisse :
il écrit : « Donné en ma ville de Bar... » (qui lui était contes-
ter , et il signe simplement : « René1. »
domine on craignait les attaques sur mer du seigneur de
Monaco, ce seigneur se faisait d'assez beaux revenus en louant
sou industrie aux diverses puissances pour escorter leurs
navires 5.
met à Louis XI, par cédule, île lui garder le château de Joux, envers et
contre tous, môme coude Maximilien et sa femme (28 avril 1480, promesse
signée, scellée, sur parchemin en forme ordinaire des cédules) : Id., 22.
Certificat d'un secrétaire du roi. Parent, sur papier, que, le 27 juin 1481,
111 de Salins, I'""0 de Mcssey, gentilshommes bourguignons, ont fait leserment
de bien et loyalement servir le roi envers et contre tous, devant Du Bou-
chage et Pévêque d'Albi : à Garennes.
1) Ms. fr. l.')o38, 91 (En échange, on lui faisait épouser Philippe de
Gueldre, et on lui promettait de l'aider à conquérir Naples).
2) Soumission de Jean Grimaldi, Si,'1' de Monaco, pour dix ans, à la répu-
blique de Florence; il se met à son service, par terre et par mer, avec ses
forces, c< ad nudam el simplicem requisitionem », moyennant 2,000 florins
par an. Cédule notariée en forme de stipulation solennelle, passée à Gènes
dans une boutique, entre les fondés de pouvoirs respectifs, en latin (16 avril
1421 . Saige. Documents, I, 18). Jean Grimaldi se met aussi au service de la
reine de Sicile pour 1,000 fi. par an. moyennant l'engagement de ne pas lé-
ser un de ses sujets et de ne recevoir personne qui les ait lésés. Constaté par
simple note latine : « Infrascripti sunt capituli. . . », revêtue du placet royal
et de la simple signature d'un secrétaire royal sur papier, scellée du sceau
secret de cire rouge plaqué (26-29 juillet 1422. Saige, I, 39). En 1432,
Jean Grimaldi se met avec une galère au service des Niçois, moyennant 40
florins; il arme à Nice, pour débarrasser la mer des pirates, en s'engageant
à attaquer quiconque attaquera un Niçois, plus les Sarrazins. L'apparition de
la galère fait évanouir tous les corsaires. La mer étant libre, Jean Grimaldi
se met au service de l'empereur comme corsaire, contre les Pisans avec qui
l'empereur est en guerre. II. prend un bateau catalan, non ennemi des
Niçois, mais ami des Pisans. En avait-il le droit? Oui, dit un arbitre, puisqu'il
a accompli sa promesse envers Nice iSaige, I, 96 et s.). Jean Grimaldi entre
à la solde du pape, avec ses navires, moyennant de bons gages; le contrat est
passé à Menton devant un notaire apostolique, par un serviteur du cainérier
du pape, se portant fort delà ratification « subypotheca bonorum suorum. »
22
338 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
Quant aux Suisses, on connaît assez leur profession d'en-
trer à la solde d'autrui. En 1495, par un « appointemcnt »
passé à Chieri, Charles VIII s'engage envers eux à une pen-
sion de 20.000 livres, et on lui promet 15.000 hommes '.
Louis XII leur assure, dès le déhutdeson règne, une pension
de 25.000 livres *, sans arriver à les satisfaire. Il convenait,
vis à vis des Suisses, de surenchérir, d'ajouter spontanément
à la pension convenue ' ; et les ambassadeurs n'avaient à
traiter près d'eux qu'une pure question d'argent *. Les Suisses
12 déc. 1445 (Saige, 1, 153). Pat. de François Sforza, attestant, en raison du
dévouement de Lambert Grimaldi, qu'il l'a pris « sub obedientia et fidelitate
et sub protectione et deffensione » (3 mars 1464. Saige, I, 323). Lucien Gri-
maldi, sr de Monaco, demande au duc de Savoie tous les prisonniers con-
damnés à mort ou à une peine corporelle, pour ses galères, qui seront tou-
jours au service du duc. 1505 (Saige, II, 38).
1) Ms. fr. 3924, lettre du 25 août.
2) Ms. fr. 25718,33. Monlils lès Blois, 1er mai 1499. Mandat de payer
6840 liv. sur 41,860 1. t. dues à Guy Boutenant, commis à tenir les
comptes des pensions générales et particulières « à ceuix des villes et quantons
des anciennes ligues des haultes Almaignes, appeliez Souysses.» — Fr. 26107,
311. Mandat de 3101., sur 10,600 liv., sur 25,000 liv., dont Guy Boutenant,
notaire et secrétaire du roi, par lui commis à tenir le compte et faire le paie-
ment des pensions générales et particulières allouées à « ceulx des villes et
quantons des anciennes ligues des haultes Almaignes et autres officiers et
particuliers d'iceulx » est appoineté sur plus grande somme pour cette
présente année. — 31 déc. 1501. Id., 312. Mandats en blanc, sur des gre-
niers à sel. Id., 313. Mandat à blanc rempli, sur le grenier de Caudebec.
3) Chmel, Notizenblatt de l'Académie des sciences de Vienne. Leduc de
Milan ajoute aux arguments ci-dessus : « Nous aimons tant Messg'" de Berne
que, outre la pension publique que nous leur avons promise, de 500 ducats
d'or par an, il ne nous paraîtra pas absurde d'ajouter 200 ducats de plus,
comptant bien que nous n'obligeons pas des ingrats. — /</.. n°79; 19 mars 1496.
Dépèche de l'ambassadeur à Lucerne de Ludovic, Giov. Morcsini. J'ai versé
le supplément des 200 ducats demandés. Je fais tous mes efforts pour empê-
cher la ligue qu'ils paraissent décidés à faire avec la France. Il y a eu hier
séance : je ne sais encore le résultat.
4) Zuan Dolce et Franc» délia Zueca, secrétaires vénitiens, annoncent qu'ils
ont débauché, a forza de danari, une compagnie de Suisses, qui va abandon-
ner Charles VIII (4 août 1495. Malipiero, Annali Veneti, p. 378).
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 339
ne s'ébranlaient pas sans qu'on se demandât qui pouvait les
payer1. lien était de même drs Grisons et des Valaisans,
Leurs voisins, souvent leurs rivaux5.
La plupart du temps, la pension est purement et simple-
ment soldée sans contrat ;, sauf à la supprimer en cas de mé-
contentement. Malgré les reproches d'avarice qu'on lui
adresse, la France pensionne largement et d'une manière à
peu près permanente la maison de Savoie : le duc de Savoie
reçoit, eu 1501, 40.000 livres de pension \ 20.000 en 1512 » ;
le bâtard de Savoie (René, comte de Tende) reçoit des pen-
sions de i. 000 livres, de G. 000 livres, sans compter des faveurs
très considérables, le gouvernement de Provence, une com-
pagnie de cent lances "... On pensionnait le roi de Navarre 7...
Les députés des cantons suisses à la diète fédérale acceptaient
1) M. do Gingins soutient que la guerre des Suisses contre Charles le
Téméraire eut pour origine, non les provocations de Charles, mais les in-
trigues de Louis M (Mémoires de la Société d'kistoire de la Suisse ro-
mande. I. VIII).
-1 En 1509 et lolO, les cantons de la Ligue grise touchaient une pension
annuelle de 9,000 liv. sur le budget du Milanais, et les Valaisans 2,200 liv.
Six écoliers de la Ligue grise étaient entretenus à Paris aux frais du roi (C'e
de 1510, publ. dans Jean d'Autan, II, 387, 388). — 16 juin 1512. Ordre du
conseil des Dix au provéditeur Capello,sans blesser le cardinal de Sion (dont
la République avait à se plaindre), de remercier très vivement de ses offres
de -ervice le capitaine de Suiz ou de Zurich, par Bernardin Moresino, et de
le prier amicalement de continuer (Archiv. de Venise).
3) Ms. IV. K).j:!8, \. Pat. de Louis XI accordant 6,000 liv. de pension à
Henri, C'e de Montbéliard, fils du comte LIric de Wurtemberg, en considé-
ration de ce que son prie et lui ont pris parti pour le roi « contre nos re-
belles et désobéissants », et surtout parce que Henri a l'ait promettre et as-
surer de venir de sa personne près du roi. Le Plessis, a nov. 1477. — ld.,
noll.
i) K. 77, n« li.
I it. ony. Savoie, 29.
h TU. orig. Savoie, 25, 20, 30 et suiv.
7) Us. Clairambault 193, fe 319. U91 : Jean, roi de A'avarre, 9,000 1. de
pension.
340 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
fort bien de petites pensions individuelles \ Les principaux
seigneurs français ne font nulle difficulté de recevoir des pen-
sions, de toute main 2.
Le danger des pensions est qu'on en prend l'habitude et
qu'on arrive à les considérer comme un bien familial c-t
presque héréditaire 3, comme une dette ; on ne se met plus
assez en peine de les gagner : et, au contraire, qu'une guerre,
qu'une crise financière ou un événement quelconque amène
une diminution4, un retard de paiement :i, voilà aussitôt un
ennemi mortel ; l'ex-pensionnaire se croit tout permis G. Bien
plus, si on demande au pensionnaire un acte effectif de fidé-
1) !<"' juin IMS. Maximilien Sforza, duc de Milan, accorde une pen-
sion mensuelle de 40 écus à 12 députés des cantons suisses (fr. 3897, f.
70,71).
2) Guy VI de la Trémoïlle (mort en 1397) recevait des pensions, non seu-
lement du roi de France, mais du pape Benoit (1,800 1.) ; des ducs de Bour-
gogne (5,000 1., un don de 8,000 1.), d'Orléans (un grenier à sel), de Berry
(1,000 1.), de Milan, du duc Aubert de Bavière (400 fr.), delà duchesse de
Brabant (1,100 vieux écus) — V. L. de la Trémoïlle, Guy de la Trémoïlle et
Marie de Sully, p. 21, 22, 23, 33, 118. .. Confirmation par Bonne de Savoie
à Guy VI de la Trémoïlle d'un don de 10.000 livres et d'une pension de 500
liv., par Amédée VII (4 mai 1393. Id., p. 191;. Patentes de Jean Galéas
Visconti, accordant à Guy VI de La Trémoïlle une pension d£ 1,000 florins
d'or en retour d'un acte de toi et d'hommage. Elles contiennent l'engage-
ment de Guy d'être son homme lige (13 avril 1382. Id., p. 168;.
3) Lettre de Robert de la Marck, sollicitant deMmc de Beaujeu la pension
de 3,000 1. que recevait son père, tué au service du roi, 21 avril (1487).
Ms. fr. 15538, no 111.
4) Protestation du duc de Savoie contre la privation de 10,000 ducats
(moitié de sa pension), alloués depuis 1500 sur le duché de Milan (1507.
Bianchi, Malerie politiche, p. 193, 113).
5) Lettre de Jean, c,e de Nevers et de Rethel, au roi. Il se plaint que,
sur ses 8,000 liv. de pension, cette année, les gens de finances du roi ne
veuillent lui en assigner que six (Nevers, 10 octobre). Ms. fr. 2911, 197.
6) Le capitaine de Monaco menace, si on ne lui paie pas sa pension, de sai-
sir des navires marseillais. Ordre du roi de Sicile de payer exactement cette
pension (Saige, Documents, \, 10). Jean Grimaldi, pour excuser ses prises
de navires florentins, allègue qu'il a eu besoin d'argent ; il en réclame à Flo-
rence, qui lui donnait autrefois une pension (Rapp. de 1421. Id., I, 33).
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 341
lité, il prendra texte de sa pension même pour réclamer une
augmentation '. Bref, le roi ne peut guère compter sur la
Fidélité d'un pensionnaire quia ses intérêts hors du royaume :
toute garantie à ce sujet est illusoire '-. Aussi le gouverne-
ment royal, ennemi né des possessions étrangères pour, les
princes du sang, favorise au contraire la possession de fiefs
français par des personnages étrangers, afin d'avoir un
gage ;. ('.'est ainsi qu'il donne à Trivulce la seigneurie de
Château du Loir, au sire de la Gruthuze, le comté de Guines
et la seigneurie de Oèvecœur \ qu'Engilbert de (-lèves est
comte de Nevers et pair de France \ que Frédéric d'Aragon,
prince de Tarente, et, depuis, roi de Naples, était comte de
Villefranche en Rouergue, avec 12.000 livres de pension ".
\) Le duc d'Autriche veut bien abandonner le duc de Bourgogne, s'allier
avec les Ligues contre lui, mais il demande une augmentation de la pension
de 10,000 francs que le roi vient de lui donner. Le marchandage dure
longtemps. Les ambassadeurs disent que l'archiduc a déjà un engagement
du roi, par son ambassade, que celle pension durerait un certain nombre
d'années. Le roi en a référé au chancelier, qui dit ne se souvenir de rien.
Oct.-déc. 1474 (ChmeL Monumenta Habsburgica, I, 261).
2) Promesse de Ludovic Sforza que le c,(> Caïazzo, engagé par Charles VIII
pour l'expédition de Naples, le servira loyalement et fidèlement, «quanquam
ea sit ipsius Comitis fuies ut minime dubitandum sit quin re ipsa fideliter
prestel que promisit» (cédule en latin, sur parchemin, signée, sceau pla-
que. Ms. fr. 2922, !'■» 1 '. .
3) En France, il n'y a point, dans l'intérieur du pays, de pensions don-
! par des souverains étrangers, comme en Allemagne. Machiavel fait ob-
server combien h' système social delà France semblait, en apparence, pré-
senter à l'étranger une proie facile, et combien en réalité il rendait la con-
quête impossible, à cause du grand nombre d'éléments indépendants dont se
composait la nation. M. Funck Brentano estime au contraire que cette
diversité d'éléments paralysait la défense de la France (Traiclé de l'Œ-
conomie politique. .., par Antoyne de Montchréticn, Paris, 1889. Introduc-
tion).
4) Pat. du 30 mai 1304 (Ordonnances, XXI, p. 308).
Ordonnances, XXI, 328.
0) 1481, 1483. Ms. Clairamb. 222, f» 203. Louis XII donne à l'archiduc
les gabelles de Chàteau-Cbinon (1501. LeGlay, Négociations avec l'Autriche,
I, 34).
342 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Un rattachement plus direct et extrêmement fréquent consiste
à prendre un étranger au service direct du roi, comme cham-
bellan \ lieutenant - général ', capitaine de compagnie3...
Les exemples de ce genre abondent. Bornons-nous à citer le
duc d'Albany, Jean Stuart, pensionnaire du roi pour 1500,
pour 2.000 livres, ensuite comte de la Marche et de Lisleman,
capitaine de cinquante, de cent lauces, ambassadeur ;.
C. Somme toute, l'emploi irrégulier de l'argent et des pro-
messes, au fur et à mesure des besoins, constitue le moyen
le plus pratique, le plus sûr, de mener à bien des intrigues,
des négociations. Comme il n'y a rien de fixe, personne ne
peut rien exiger et tout le monde peut tout espérer, en sorte
que, souvent, le seul espoir de se faire bien venir d'un ambas-
sadeur et de se montrer ami de son gouvernement, amènera
des concours inattendus. C'est par un procédé analogue que
le duc de Bourgogne 5, le duc de Bretagne, ayant une fille pour
héritière, promettaient sa main à tous les princes capables de
les servir.
En Allemagne, il est admis que l'empereur fait payer ses
1) Patentes de Louis XII, nommant chambellan Jean de Gonzague, frère
du marquis de Mantoue, et lui allouant une pension de 2,000 livres ("20 et
22 octobre 1499. Archives de Mantoue, B. XXIII, 8). Le marquis reçoit le 11
octobre 1499 50 lances et 12,000 liv. de pension (Mi., D. IX, 5). Jean Gri-
maldi, sgr de Monaco, est chambellan du dauphin en 1451. Lambert, cham-
bellan du duc de Savoie, est nommé chambellan du roi de Sicile en 1481
(Saige, Documents, I, 568). Grandes réjouissances en 1488, parce que Lam-
bert Grimaldi a obtenu la protection de la France, le titre de chambellan,
100 fr. par mois de pension, rentrée de 10,000 mines de froment (R,
622-623).
9) Arch. de Lyon, BB. 10, 11 (Actes consulaires) : le c'c Galéas Sforza, fils
du duc de Milan, lieutenant général du roi en Lyonnais etDauphiné.
3) 20 juillet 1504. Quittance, par Guillaume, marquis de Montferfât,
chevalier de l'ordre, capitaine de 50 lances, de 150 1. comme gages de ca-
pitaine (TU. orig. Savoie, n» 27) : n° 28. 9 octobre 1504; même quittance.
4) TU. orig. Stuart, nos 5.9.
5) Commines, l.jn, c. m.
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 343
faveurs à haut prix. En 1 167, il fait offrir à Galéas Sforza l'in-
vestiture officielle du .Milanais, « moyennant la somme d'ar-
genl habituelle ' ». Grâce à L'appui de la France, Galéas s'en
passe et reste un simple fils d'usurpateurs. En 1495 seulement,
sousle coup de la nécessité, il consent à payer la forte somme,
ce qui n'empêche pas Maximilien de recevoir de la France,
en 1505, une nouvelle somme de 100,000 livres, en échange
d'une pareille investiture s. Quand le cardinal d'Amboise va,
au nom de Louis XII, recevoir cette investiture, il emporte
un acompte d'environ 25,000 livres pour l'empereur, et on
lui ouvre un crédit de 10,000 livres pour des distributions
aux « gratis personages » de la cour 3. A l'issue des négocia-
tions, le cardinal offre des bourses de 1,400 livres, en mon-
naie courante, au chancelier, à chacun des trois des principaux
conseillers de Maximilien (notamment Mathieu Lang et Phi-
libert Naturel, prévôt d'Utrecht), et enfin aux bureaux delà
chancellerie ; il offre des tasses, flacons, aiguières, bassins
d'argent, pour une valeur totale de 2,000 livres à six des offi-
ciers de la chambre impériale *. Ce sont des présents coutu-
miers, en Allemagne, officiels, qu'on ne qualifie point de cor-
ruption 5.
t) Ms. ital. 1649, fo 148.
■1) .1. 50.'J. n° 9. Haguenau. Reçu original par Maximilien de 100,000 liv.
pour l'investilure de Milan. Cf. ms. fr. 20980, fo 431 ; fr. 20616, n" 48 ; Clai-
ramb. 224, no 413.
3) Ms. fr. 20616, no 46.
4) Ms. Clairamb. 16, p. 1053.
Le duc d'Orléans donne aune petite ambassade qu'il envoie en Alle-
magne, en 1399, 400 fr. à distribuer en cadeaux (Circourt et van Wervecke,
Documents luxembourgeois, n°- 94). L'ambassade du duc d'Orléans offre en
1398 (sur le conseil de l'ambassadeur allemand près du duc) des fermeiltets
d'or, enrichis de diamants, aux principaux conseillers de l'empereur (ld.,
n° 29) ; elle paie 100 liv. à la chancellerie pour expédition d'un projet de
contrai de mariage ld., n" 64). Dan- le compte des ambassadeurs de Flan-
dre envoyés en France pour la paix, en l.'iOl. figurent 5800 liv. versées
« à aucuns seigneurs d'Allemagne » (Le Glay, Négociations, I, 67).
344 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
La cour la plus praticable était, peut-être, celle d'Angle-
terre. La France y soudoyait tous les principaux personnages.
Philippe de Commines raconte ' que, comme ambassadeur
de France, il acheta ainsi pour Louis XI le lord chambellan,
lord Hastings, qu'il avait précédemment acheté lui-même à
un prix moindre pour le duc de Bourgogne. Il eut même l'im-
pertinence, sur l'ordre exprès de Louis XI, de laisser deman-
der une quittance à lord Hastings. « S'il vous plaist que je le
prengne, dit le noble lord, vous me le mettrez icy dedans ma
manche; et n'en aurez aultre lettre ne tesmoing; car je ne
veulx point que pour moi on die : Le cjrant chambellan d'An-
gleterre a esté pensiomiaire du roy de France, ne que mes
quictances soient trouvées en sa chambre des comptes. » Les
comptes de Louis XI constatent la vérité de cette anecdote,
car Louis XI, toujours méfiant, tenait une comptabilité régu-
lière. Aucun bénéficiaire des libéralités françaises ne refusa
sa quittance, sauf lord Hastings, dont on ne put tirer qu'un
certificat signé par un de ses serviteurs. L'agent financier
français, fort embarrassé, vint lui-même en référer au roi ;
Louis XI le renvoya avec son premier maitre d'hôtel Cléret,
et l'autorisation de passer outre : il couvrit cette irrégularité
vis à vis de la Chambre des comptes, par des patentes spé-
ciales du 25 août 1476 \ La scène se reproduit les années sui-
1) Mémoires, I, 169.
2) Ms. t'r. 10375. Pat. de Louis XI, du 16 janv. 1475 a. st., commettant
Guille Restout, marchand et bourgeois de Rouen, à tenir le compte et re-
cette des sommes « à porter et distribuer ainsi que par nous sera advisé en la
ville de Londres ». Restout prête serment. Les paiements ont lieu en deux
termes, Pâques et Saint Michel. Pour Pâques, Restout est allé à Londres avec
Louis de Marratïn, écuyer d'écurie, et Jean le Gouz, notaire et secrétaire du
roi commis par le roi pour- assister au paiement, à la Saint .Michel, avec Clé-
ret; il paie ainsi au roi d'Angleterre, en deux termes, 50,000 écus d'or va-
lant (a 32 sous 1 den. t. pièce) 80.208 liv. 6 s. 8 den. ; il rapporta deux
quittances du roi, signées de sa main, scellées du sel de ses armes., et deux
MOYENS DACTION DIPLOMATIQUES 345
vantes; lord Mastings recevant toujours, mais refusant un
écrit, on y supplée par des certificats '.
La paix s'achète en Angleterre comme en Allemagne. Par
le traité de 110-2. la France s'engage à payer à l'Angleterre
des annuités de o0,000 liv., jusqu'à concurrence de 000,000
liv., sous prétexte d'avances du roi d'Angleterre à la reine de
France comme duchesse de Bretagne. Henri Bohier, notaire-
secrétaire du roi, fut commis au service de ces paiements par
patentes du 1 4 novembre, et il s'en acquitta jusqu'en 1497.
Chaque année, il retirait deux quittances du roi d'Angleterre ;
de plus, il répandait une masse de bienfaits sur les principaux
seigneurs de la cour de Londres, en reconnaissance de leurs
vues pacifiques. Cette fois, aucun seigneur ne refusa ses deux
quittances, signées et scellées 2.
Parmi les rois de France, Louis XI seul se fit personnelle-
ment payer ses bienfaits par le duc de Milan : quant au reste,
la cour de France ressemble aux autres. En 1446, on disait
quittances signées de chacun des personnnages suivants: — à Thomas, évê-
que de Lincoln, chancelier, « don... fait en ceste présente année », 1.000
écus d'or valant 1604 1. : Guille, s8r de Hastingues, grand chamhellan,
2.000 écus d'or, valant 3.208 1. (deux certificats d'un serviteur) : Jean de Ilo-
wart, 1200 écus d'or, valant 1923 1. : Thas deMontgonicry, chevalierde corps
du roi, même somme: Jean .Morton, maître des « roolles » d'Angleterre, 600
écus d'or, valant 962 1. : Guill. Hestout a 4200 1. de salaire en tout (il avait
reçu les fonds des quatre généraux des finances), plus 700 1. de change, pour
convertir la monnaie en écus d'or.
1) Comptes de 1477, de 1478 (même ms.) ; le certificat est dressé par l'évo-
que d'Eaulne en 1477, — en 1478 par: 1° l'évêque d'Eaulne et Jean Blosset,
chambellan; 2° par l'évêque etAnt« de Morteillon, écuyer d'écurie.
2) Ms. fr. 10377 ; compte de 1493, comprenant les paiements suivants :
Gilles d'Aubenay, seigneur dudit lieu, lieutenant général d'Angleterre à Ca-
lais, 3500 1. t.; l'évêque de Balhe et de Wellys, garde du principal scel d'An-
gleterre, 1050 1. t. ; le C'e de Doxenford, grand chambellan, amiral d'Angle-
terre, même somme ; Jean Duchin, Ssr dudit li£u, ,'>25 liv.; Jacq. ïhirelle,
chii", lieutenant de Guines, 875 1. t.; Regnaud Bray, ch1 'er, conseiller,
525 t.; Thomas Lovell, conseiller, 3501.; Guill. Laurelolz, secrétaire du roi,
175 1. t.; et pour Bohier lui-même, 1600 1. d'honoraires.
346 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
plaisamment que la trêve avec l'Angleterre avait été « bien
profitable », parce qu'on accusait Brézé d'avoir reçu 400,000
écttsde l'Angleterre pour la conclure \
Les conseillers de Louis XI, Communes', Boffile de Juge, Du
Bouchage, Palamède deForbin... mettent cyniquement à con-
tribution les diverses ambassades italiennes. Louis XI ne pou-
vait ignorer ce trafic, il fermait les yeux3. A plus forte raison,
autour de Charles VIII \ Quand le comte Caïazzo vient de Mi-
lan en ambassade extraordinaire, le résident milanais, Erasme
Brasca, lui expédie à Saint Jean de Maurieune un émissaire
pour lui recommander instant ment d'apporterl'argent qu'on lui
a promis. «Sinon, dit-il, à votre entrée on ferale vide: on vous
logera mal : le roi vous tiendra un langage nuisible ou même
impertinent.» Caïazzo se hâte d'envoyer des assurances si for-
melles, qu'il trouve, dès Villeneuve-Saint-Georges, une troupe
nombreuse et brillante de courtisans venus à sa rencontre,
sous la conduite de Stuart d'Aubigny, un des amis. Au pont
de Charenton, l'escorte habituelle l'attend pour son entrée,
mais avec quel éclat ! Caïazzo est reçu par le roi sur le champ,
en audience solennelle 5.
Un italien établi en France, Aîné de Valperga, se vantait de
posséder de grandes influences, si bien qu'un envoyé mila-
nais arrive avec instruction de le voir et de suivre ses inspi-
i) Favre, Jouvencel, cxliii.
2) La ville de Tournay offre au sire de Comniines une chambre de tapis-
serie, de la valeur de 40 livres de gros, pour qu'il empêche Louis XI de la
céder aux Anglais (1478. Kervyn. Lettres et négociations, I, 129).
:i) En Hongrie. « les alliés, sachant que le cardinal Thomas Erdoedi exer-
çait une grande influence, à la cour et dans le conseil, mettent tout enceuvre
pour le gagner à leur cause. Le pape, l'empereur, Louis XII et le cardinal
d'Amboise lui écrivent force leltrcs,remplics tantôt d'offres séduisantes et tan-
tôt de menaces sérieuses » (K>09. Fraknoï, oui;?-, cité).
4) Dépêche de Caïazzo, mars 1492. Arch. de Milan, Pot. est., francia.
5) Delaborde, Expèd. àe Charles VIII, p. 139.
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 347
rations. Valperga offre de prendre à forfait la réussite de l'am-
bassade, moyennant lo.ooo duoats; L'ambassadeur consulte
son gouvernement qui accepte la combinaison, et L'on traite
finalement pour 8,000 ducats, payables après réussite '.
Les paiements de ce genre avaient lieu de la manière la
plus régulière. Au dépari d'un ambassadeur en France, Lu-
dovic Sforsa lui remet neuf lettres de change en blanc pour
payer les amis, jusqu'à concurrence d'Un chiffre de..., tout en
lui recommandant d'être hou marchand, de clierclier à ne
pas atteindre ce chiffre, d'obtenir des délais de paiement (car,
en pareille matière, un paiement différé en Vaut deux) s.
Se faire, quand on peut, payer par l'étranger une alliance
ou un service, niên e louable 3, semble un acte tout naturel *,
et le déshonneur ne commencerait que si l'alliance ou le ser-
vice étaient contraires aux intérêts du pays. Sous cette seule
■1) 1-492. Delaborde, p. 2-21. En 1494, Ludovic Sforza lit distribuer 8.000
ducals aux principaux courtisans de Charles VIII, au su du roi, selon Coin-
mines. Une ambassade florentine arrive: nue sorte d'enchère s'ouvre. Le
banquier Spinelli écrit au gouvernement florentin qu'on fait des dons de
2.000 ducats à quatre des principaux personnages, notamment à Sluart
d'Aubigny. qu'on suspecte (et non sans raison) de toucher des deux mains :
bien plus, Stuart d'Aubigny aurait osé proposer une [tension de 12.000 du-
cats, de la part de Ludovic, à Mme de Bourbon, dont on connaît l'esprit prati-
que : .Mme de Bourbon (Anne de Beaujeu) n'a point prêté l'oreille, tel n'est
pas son goût (Boislisle, Et. de Vesc, p. 60, 61).
■1) Delaborde, p. 242.
'.)) Les ambassadeurs français à Rome, en 1 479, déclarent avoir servi avec
succès les intérêts de la ligue de Florence et réclament d'elle un prisent pé-
cuniaire (Buser, cité par Delaborde, p. 133). Le duc de Savoie, négociant à
Lyon avec le chancelier et l'amiral de France, leur souscrit des obligations
spontanément, ainsi qu'à M. de Yillequier. La négociation finie, il refuse
énergiquement de payer les sommes promises (Enquête à ce sujet en 1454.
Favre et Lecestre, Le Jouvcncel, II, not. p. 38 *
lutrec, en 1517, ayant refusé net les présents qu'on voulait lui offrir,
le conseil des Dix de Venise ordonne à l'ambassadeur de demander au roi
permission de les faire, et de prier le roi d'inviter Lautrec à les accepter
(Dépêche du 16 février 1517, à l'ambassadeur. Archives de Venise).
348 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
réserve, on ne s'en prive point. Près de Louis XII, les per-
sonnages en position d'exercer une influence appréciable sont
les neveux du cardinal d'Amboise et le secrétaire Robertet.
Machiavel écrit, le 5 juillet 1510, à la seigneurie de Florence
qu'il est indispensable de payer à Robertet et au sire de Ghau-
mont i ce qu'on leur a promis à propos de la paix: dix mille
ducats avaient été déposés à Lyon pour le compte du cardinal
d'Amboise qui vient de mourir sans les toucher : il faut les
employer à verser un acompte à Robertet et Chaumont ; c'est
le seul moyen de les faire marcher et de leur ôter « cette espèce
d'appât qui les tiendra toujours ici » (à Lyon) 2. En 1513, lors
d'une négociation avec Gênes, on estimait à 10,000 écus la part
faite à Robertet3. Ces prestations scellent, consacrent l'amitié
politique. Aussi, dans l'instruction à Machiavel pour sa lé-
gation de 1500 en France, on lit : « Les personnes sur les-
quelles nous pouvons compter auprès de ce prince sont : le
cardinal, monseigneur d'Albi ; on peut ajouter toute la mai-
son d'Amboise, le maréchal de Gié et le seigneur Robertet,
dont vous vous rapprocherez le plus souvent possible, assurés
d'en recevoir des conseils et des secours. »
On peut transporter partout ce môme raisonnement. En 1474,
à l'issue de la négociation avec un amiral espagnol d'une ques-
tion délicate de prise maritime, Louis XI fait un beau cadeau
d'argent. L'amiral parlait d'un voyage en Angleterre : il se
hâte de remercier le roi et de renoncer à son excursion en
Angleterre, il se déclare éternellement bon et loyal serviteur
de Sa Majesté très chrétienne *. Les ambassadeurs de France
à Gênes, en 1415, donnent au doge 2,000 ducats d'or pour
•i) Neveu du cardinal.
2) Dép. de Machiavel, 7 juillet 1510.
3) Dép. vénitienne de Blois, 18 déc. 1543 (Arch. de Venise).
4) << A laquale in eternum sero bono et loiale servitore et i dio me done
gratia che sempre vi possa ben servir » (fr. 3884, i'° 8 v°),
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 349
presser leur affaire, 240 aux frères du «loge, o2 florins à un
citoyen de Gênes, .Iran Sacco, qui y a travaillé, sept au no-
taire '. A Rome, il existe clos moyens semblables".
En Suisse, on pratique la diète ' : en Valais, on acquiert des
amis dans l'entourage de l'évêque de Sion '. on s'adresse
hardiment, largement, à l'évêque lui-même a.
L'expérience inspire une grande confiance dans ce genre de
moyens. Louis XII, dans une conversation avec les ambassa-
deurs de Venise et d'Espagne sur le compte des ambassadeurs
d'Allemagne, dit en riant : «Ce sont des imbéciles; nous savions
leur ambassade. Avec de l'argent, on sait tout0. » dépendant,
il ne suffit pas de donner de l'argent, il faut savoir le donner.
En 1489, le comte palatin du Rhin, au moment où il s'engage à
servir Maximilien contre la France, lui montre cyniquement
1, Lat. 5414 A. 1*59. _ •
■1 25 mars 1513. Promesse du conseil des Dix à Bernard Bibiena, tréso-
rier du pape, d'un bénéfice ecclésiastique de 2.000 ducats de rente (Archives
de Venise. Misto 35, 177 v<>). Vincenzio da Milano, exilé de Venise pour
crimes, obtient un sauf conduit de cent ans. à condition que son frère, versé
en plusieurs langues et secrétaire des cardinaux de Cortone et de Médicis,qui
« ont le cœur du Saint l'ère », communiquera copie de leur correspondance,
notamment avec les cours de France, d'Espagne et d'Angleterre (26 octobre
1517. Id.\ il, fo 120). Les ambassadeurs de Charles VIII à Rome entrent « en
pratique » avec le cardinal S. Pétri ad Vincula, sous les auspices de Ludovic
le Maure (Lettre d'Amboise, 10 février. Archives de Milan).
3; L'ambassade de Savoie en Suisse demande 1,000 ou 1,200 écus pour
pratiquer les députés à la diète fédérale de Lucerne (mars 1475. (iingins, Dép.
des ambassadeurs milanais, I. 88).
4) 21 juin 1512. Ordre du conseil des Dix de Venise au provéditeurCapello
de donner très secrètement au seigneur Pierre, chapelain du cardinal de
Sion, influent près de lui, 200 florins. Nous avons, dit le conseil, à traiter
avec le cardinal pour Crémone et la Ghiara d'Adda. 11 est entouré de nos
adversaires ; « conveniens est dare operam habendi aliquem amicum et fa-
vorabilem, qui tueatur partes noslras » (Misto 35, 33).
5)28 juin 1512. Ordre au provéditeur Capello de donner au cardinal de
Sion 2,000 ducats, et de lui promettre, pour lui et les siens. des bénéfices ecclé-
siastiques. Le faire largement, hardiment, avec beaucoup d'amabilité, « pour
les dépenses du cardinal, et pour ses services » (Misto 35, 36 v<>).
6)Nov. loOO. Sanuto/lII, 1202.
350 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
une magnifique vaisselle et 50,000 écus d'or qu'il disait avoir
reçus de la France '. En 1512, la proposition de faire secrète-
ment un présent de i, 000 ducats au cardinal de Gurck, qui
gouvernait l'Allemagne, n'obtient pas la majorité au sénat de
Venise, malgré six scrutins successifs, parce que Gurck avait
déjà reçu de l'argent et n'en avait pas mieux servi5. Il est
vrai que 2,000 ducats ne suffisaient pas. Une hausse considé-
rable parait s'être produite en matière de rétributions inter-
nationales. Au Xltc siècle, on se contentait de petites sommes8.
En 1419, pour le traité du Ponceau S' Denis, les conseillers du
dauphin reçoivent une cédule de cinq cents moutons d'or du
duc de Bourgogne, cédule que Barbazan croit devoir refuser*.
Dans une négociation difficile (demande d'indemnité pour le
massacre d'un agent vénitien en 1486), le sénat de Venise vote
1,200 ducats pour cadeaux aux seigneurs français qui aide-
raient son ambassadeur a.
Au commencement du XVI0 siècle, on perd son argent si
l'on offre moins de 10,000 ducats à un ministre6, et cela ne
1) Molinet, C, 21G. En 129i, Adolphe de Nassau, empereur d'Allemagne,
accepte d'Angleterre des subsides pour taire la guerre à la France, et de la
France des subsides pour ne pas la taire (Fr. Funck Brentano, Documents
pour servir à C histoire des relations de la France avec l Angleterre et l'Alle-
magne..., p. 2).
•2) !."> sept, l.'ili. Areh. de Venise, Misto 3o, 84.
3) Traité entre le pape et les Génois du 16 juin 1129 : sommes en argent
données en petits cadeaux aux cardinaux et à de nobles Romains (Soc. des
antiquaires de France; séance du 9 avril 1890; communication de M. Ul.
Robert).
4)Beaucourt, Uist. de C'aarles VU, I, 149.
5) Perret, Not... sur... Graville, p. 78.
(i) En novembre 1499, Venise envoie simplement 1,000 ducats au cardinal
d'Amboise (Sanuto, 111, i8) : les Florentins s'engagent, en 1508, à donner aux
ministres de Fiance et d'Aragon 25,000 ducats, outre les sommes promises aux
deux rois (Guichardin, liv. vin, eh. n). Le conseil des Dix autorise son orateur
près de l'empereur à promettre I0,0u0 ducats à M. de Ghièvres, ministre de
l'empereur, et 1,000 à des grands seigneurs, pour récupérer les places delà
Lombardie (12 oct. 1519. Arch. de Venise, Misto 43, 76 v<>).
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 351
sui'til pas; non seulemenl le ministre accepte, niais, pour
prouver sa bienveillance, il indique d'antres personnages aux-
quels il serait bon de donner'. Rien de plus dangereux que
de froisser un ministre par un radeau Insuffisant; on en voit
qui s'oublient jusqu'à exprimer très librement leur mécon-
tentement pour intéresser à leurs affaires privées les ambas-
sadeurs d'autres puissances s. A une personne secondaire,
mais utile, telle que le confesseur du roi, on offre un beau
diamant \ De beaux tableaux \ des reliquat précieuses ',
produisent très bon effet.
Ii lf> lévrier loi 7. Robertct a conseillé à l'orateur vénitien en France de
faire donner des présents au Grand Maître de France. Le conseil des Dix voir
de suite 4,000 écos et demande si cette somme convient (Arch. de Venise,
Misto).
2) « Robertct me dit, il y a trois jours, qu'il enverra des gens, si possible,
quand même le pape non lo sentisse, parce <[uc le pape leur l'ail le lort de
conférer les bénéfices de Bretagne el de France à ses créatures. Quant à lui,
qui a été son esclave, qui a plus fait pour Florence que le pape lui-même, le
pape veut priver son frère de l'évêché d'Albi, qu'il a : Robertet demande que
votre ambassadeur et vos deux cardinaux le défendent. Je lui offris vos bons
of&ces et demandai l'expédition des gens d'armes » (Dép. de l'ambass. véni-
tien Dandolo, du 4déc. 1543. Arcb. de Venise, Dispocci, I).
9) Le conseil des Dix se fait montrer un beau saphir, que remettra au con-
fesseur du roi un ami de Lyon (mai 1500. Sanuto, III, c. 303).
4) La belle Sainte-Famille de Fra Bartolommeo qui se trouve au Louvre, si-
gnée et datée de 1511, peinte pour l'église Saint Marc de Florence, fut offerte
à Jacques llurault, ambassadeur de France, évèque d'Autun, qui en fit don
à sa cathédrale. Vasari dit que, sur les instances de Louis XI, les Vénitiens
lui envoyèrent un Christ mort, de Jean Bellini. Ne faut-il pas lire « Louis
XII? » Car le tableau envoyé fut, à Venise, remplacé par un autre daté de
Miintz.La Renaissance en France, p. 454, n. 2). Un ambassadeur mila-
nais offre à Charles VII, en 1457, des manuscrits à belles enluminures (/</.,
p. 176), Le cardinal d'Amboise, à Milan, en octobre 1499, dit à l'agent de
.Mantoue que sa maîtresse a le premier peintre du monde et qu'il donnerait
beaucoup d'argent pour avoir quelque œuvre de lui : l'ambassadeur demande
immédiatement à sa souveraine une œuvre de Mantegna. On envoie au cardi-
nal un tableau de dévotion de Mantegna ; il en est enthousiasmé, el déclare
qu'il l'aime mieux que 10.000 ducats (Les amies de Ludovic Sforza, par M.
L.G. Pélissier, Bévue Historique, tome XLVIII; p. 51, n. 3).
■ eorges d'Amboise envoie a Henri \ll d Angleterre une jambe de
352 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Il parait tout différent d'accepter des présents ou une pen-
sion : tel qui prend des cadeaux, même importants, hésitera
devant une pension \ La nuance se comprend.
L'usage des cadeaux comporte aussi une foule de petits en-
vois sans importance et de pure courtoisie. En Italie, on aime
à s'adresser des riens : des fruits, de la marée.... Sigismond
Malatesta, seigneur de Rimini, envoie au duc d'Esté des figues ;
le duc d'Esté envoie du poisson, des anguilles, surtout au mo-
ment du carême i. On échange heaucoup de chiens, de lé-
vriers, d'oiseaux. Apprenant que François Sforza a de heaux
chevaux arabes, Sigismond Malatesta lui en fait demander un
sans façon, et Sforza l'expédie aussitôt 3. Le roi de France n'a
pas l'habitude d'envoyer des présents par ses ambassadeurs 4,
mais il ne craint pas d'en demander, de petits présents, bien
entendu, et à des ambassadeurs amis : ainsi, comme marque
d'amitié, Louis XII demande au résident vénitien de faire
venir six onces de bleu d'outremer, pour de très belles pein-
tures qu'on exécutait au château de Blois, en juillet 1500 %
mais il n'aurait pas demandé un objet de prix.
En 1502, le résident français, quoique fort choyé à Venise,
sollicite une relique de saint Roch, pour l'envoyer à Blois, où
sévit la peste ; la seigneurie refuse net °.
Les rois de France sont tous très chasseurs ; Maximilien;
aussi, est fanatique de chasse ; il vit en Tyrol, au milieu de
saint Georges, qui est reçue avec enthousiasme (1504. Bernardi Andréa
Vtla Henrici septimi, by Gairdner, p. 82).
■I) Jean de Bueil accepte des présents du duc de Savoie, mais refuse une
pension en disant que celle du roi lui suffisait (Elle était forte). Î^SS (Favré,
Introduction du Jouvencel, p. clxxxvii).
2) Yriarte, Rimini, p. 333.
3) ld„ p. 332.
4) Réponse des hérauts de France, 1500. Sanuto, III, SS9,
5) 18 juillet 1500. Sanuto, III, 542.
G) 17 oct. 1502. Sanuto, IV, 366.
MOYENS DACTION DIPLOMATIQUES 353
ses chiens, des ours et des cerfs '. Or. Venise possède des
faucons blancs, qui viennent du Levant, notamment de Can-
die : on D.'imagine pas l'importance diplomatique d'un en-
voi île faucons rares, «mi France ou en Allemagne : c'est une
affaire d'Etat. Sitôt l'arrivée des merveilleux oiseaux, le roi
(Charles VIII) va lui-même les voir. L'ambassadeur se hâte
d'écrire des nom elles de leur voyage: heureux s'il peut
annoncer « qu'il ne leur manque pas une plume, qu'ils sont
beaux et gras ». Il n'y a pas que le roi qui en désire : les
courtisans, les amis en sollicitent '. Un des rôles impor-
tants des ambassadeurs français en Italie consiste à obte-
nir des faucons \ et l'un des rôles des ambassadeurs ita-
liens est de recevoir ces oiseaux, de les soigner, de les refaire,
de les présenter dans de bonnes conditions *. On voit Ma-
chiavel s'en préoccuper fort. Cette occupation donne de suite
un grand relief à l'ambassadeur. Dès que survient un nouvel
ambassadeur de Venise en France, c'est à qui lui demandera
amicalement des faucons '. L'ambassadeur en Allemagne dé-
clare, en 1307, qu'un don de quinze faucons lui a valu toute la
1) Entrant à Trente, le 12 octobre 1501, le roi des Romains se fait précé-
der de 200 chiens et d'une charrette, qui portait un ours et un cerf suso
tués par lui (Sanuto, IV, 151).
2) Dépêche de l'ambassadeur florentin. 1193. Desjardins, I, 239.
3> L'ambassadeur de France à Venise communique une lettre du roi, qui
lui donne des nouvelles politiques et demande des faucons (3 février 1501.
Sanuto, III, 1369). L'orateur de France présente une lettre du secrétaire véni-
tien agent à Milan, qui recommande un fauconnier du roi, pour avoir des
sacres (28 oct. 1502. IV, 392). L'orateur de France dit à la seigneurie qu'il a
l'ordre de fournir au roi des faucons, et que le fauconnier est arrivé (20 nov.
IjOM. Sanuto, V, 351).
4) Le conseil de Venise envoie à Lyon, par son agent à Milan, quinze fau-
cons. Mais ils sont en mauvais état, et il a fallu les garder dix jours à Milan
et les soigner pour les refaire (déc. 1503. Sanuto, V, 590).
5)NOT. 1500. Sanuto. 111. 121)2.
354 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
bienveillance de Maximilien ' : — certes, c'était un don royal !,
et il fallait, en l'envoyant, ménager l'équilibre européen ; Ve-
nise décide, en 1504, d'envoyer des faucons à l'empereur parce
qu'elle en envoie au roi de France3. — Le roi des Romains reçoit
donc quinze faucons : il écrit à Venise une lettre de remercie-
ments : « Si l'un d'eux, dit-il, s'envolait ad proprios lares,
envoyez-le-moi », plaisanterie qui signifie qu'il en accepterait
d'autres*. Pendant ce temps, seize faucons arrivent en France,
parfaitement bien portants, et l'ambassadeur les offre de suite.
Louis XII les manie tous, l'un après l'autre: l'ambassadeur
lui dit que la seigneurie de Venise en enverra d'autres :
« Merci mille fois, reprend le roi ; plus j'en aurai, plus je se-
rai enchanté s » .
Un ambassadeur peut proposer encore, à l'appui de sa mis-
sion, des chevaux, dos armures, des parfums.... G, des ton-
neaux de vin '', des fromages, dos pièces de velours ou de
4) 4507. Sanuto, VII, 493.
2) La ville de Tarragone offre au roi d'Espagne des faucons blancs, objet
très rare. Le roi les envoie en présent au roi de France (22 juillet 4o07. Sa-
nuto, VII, 437) : remerciements de Louis XII à Ferdinand le Catholique, pour
un faucon blanc « singulièrement plaisant ... par la beauté et estrangeté »
(H. de la Ferrière, Le XVIe siècle et les Valois, p. 5). Don par Venise à Maxi-
milien de trois faucons et deux chiens alanni (Sanuto, VI, 357).
3) 2 oct. 4503. Sanuto, V, 420.
i) 17 décembre 4503. Sanuto, V, 625.
5)22dée. 1503. Sanuto, V, 023.
G) L. de La Trémoïlle, Guy de la Tn'mo'ille, p. 418, 435. Louis dauphin
envoie au duc d'Orléans un mulet et lui demande un lévrier (Lettres de
Louis XI, I, n° xx). Galeas de San Severino, ambassadeur de Milan, oll'ie à
Charles VIII des chevaux, des armures, des bardes, des parfums, en avril
4494. — Moncalieri, 8 juin. Lettre de Gaston du Lyon au duc de Milan, le
remerciant de l'envoi d'un cheval (Arch, de Milan, Pot. Est., Francia, Cor-
respond.).
7) Par exemple, les ambassadeurs de Bourgogne offrent au duc d'Orléans,
le 4 nov. 4448, un tonneau de vin (KK. 270).
motbns d'action diplomatiques 353
drap '. des objets d'orfèvrerie !. des objets d'art...3. Jules II,
par .une galère qui vaquéter en Angleterre pour l'église Saint
Pierre, adresse au poj d'Angleterre cent fromages de Parme-
san et un certain nombre de bouteilles devin, comme téinoi-
gnage de gratitude pour son filial dévouement à l'église...4.
Deux envoyés d<> Charles VIII offrent, en 1494, à la ville
de Gênes de> vases d'argent \
11 y a enfin des présents de convenance, qui font obligatoire-
ment partie de l'attirail diplomatique; ce sont les présents de
rigueur en Orient \ et, en Occident, les menues gratifications
1) 2-2 iléc. loto. Demande de l'ambassadeur en France de donner 23
tirasses de velours paonazo el autant de drap crème au trésorier Robertet
■2'.'> brasses de damas noir et 2.'> de drap noir à deux secrétaires du roi. Cette
demande n'obtient [tas la majorité.— o avril loi 1. Décision d'envoyer en don
à Théodore Trivulce, à l'adoue, 26 brasses de velours crème haut et bas et
autant de velours violet haut et bas. « Nos redores l'offriront avec les paroles
convenables » (Areh. de Venise).
Les deux couppea que les Hongres donnèrent à Madame (de lteaujeu),
ung chapeau de llongrye » (fr. 20490, l'os 60, 64). Charles de Valois fait re-
mettre au pape, en 1308, une coupe d'or à émaux, «a pelles » et à pierrerie,
un pot d'or de même, et une pinte d'or, le tout valant plus de 1.000 I. par.
(Moranvillé, Bibl. del'Ec. des Chartes, 1890, p. 69).
3) Une image d'argent doré, représentant une jeune fille « admodum cu-
rioso », la main gauche sur la hanche, de la droite portant sur sa tète unj
« salsorium », ornée « artiliciose », sur le socle, de plusieurs pierres précieuses,
« ut puta margarilis. adainantibus, et robinis », longue d'un pied, et ayant
coûté 36 llorins, est offerte à l'empereur par les envoyés de la duchesse d'Or-
léans (//«/. de Louis XII).
',) Août 1811. Sanuto, XII, 382.
:>i Lettre des Génoisau roi, 21 octobre 1494. Nousavons reçu « incredibili
voluptate » les vases d'argent, cadeau vraiment royal, remis de votre part
parle grand éeuyer et le général de Languedoc (Areh. de Cènes. Litterarum.
36 : 18
6; La seigneurie de Venise remet, en IS03, à Gritti, pour son ambassade à
istantinople, les présents habituels pour le sultan et les pachas, plus 300
ducats à dépenser en courtoisies Sanuto. Y, 29). Le 2.'> novembre 1312, on
convoque les savii pour traiter des présents à envoyer au Grand Turc, par
Ant. Giustiniani, avec une forte amende à qui manquera la séance, parce qu'il
y a urgence. En décembre 1510, la seigneurie emprunte à des particuliers des
356 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
qu'on donne aux trompettes, joueurs de guitares et autres
industriels de ce genre qui affectent de rendre honneur à l'am-
bassade *, ainsi qu'aux gens de bas étage ', et même aux
hérauts 3.
En résumé, la science de l'ambassade consiste à bien ma-
nier l'argent : « ung saige prince, dit Commines, met tou-
jours peine d'avoir quelque amy avec partie adverse \ » Un
sage ambassadeur a, autour de lui, un service d'amis à diri-
ger, chose facile en soi : la difficulté consiste à payer le moins
possible, à bien choisir les amis et à en tirer un bon parti
pour les renseignements: à bien ménager les amis volontaires,
alléchés par l'appât d'un gain éventuel : tel l'évêque d'Avran-
ches, qui, à Amboise, sans que l'ambassadeur de Milan lui
dise rien, le prend à part et lui donne des détails sur ce que
étoffes d'une valeur de 600 ducats, à défalquer de leurs impôts, pour les pré-
sents nécessaires à l'ambassade qui part pour Constantinople (déc. 1510.
Sanuto,XI, 696). Dès 1442, les Florentins sont en commerce de riches pré-
sents avec le sultan (Roscoé, Vie de Laurent de Médicis, éd. fr., I, 159).
L'ambassade de Constantinople près le duc de Bourgogne lui demande du
secours et lui offre « plusieurs reliques » (fr. 1278, fo 127).
1) TU. 0)7/7. Monteynard, 301. — Asti, 22 sept. 4491. Attestation d'Hector
de Monteynard, conseiller et chambellan ducal, gouverneur d'Asti, que le tré-
sorier Damian ou Damiano a versé 50 ducats à Gaucher de Tinteville, ambas-
sadeur du roi à Milan « pro factis marchionatus Ccve », pour ses dépenses
faites à Milan pendant plusieurs jours, principalement en dons « tubicenis et
citharistis », etc., « qui eumvisitabant ob reverentiam. »
2) En Allemagne, les portiers de l'empereur viennent au devant d'une
ambassade qui arrive et demandent leur vin. On leur donne 6 écus (1397.
Circourt et van Wervecke, Documents luxembourgeois, n°34). Les ambassa-
deurs de Marguerite d'Autriche pour sa prestation d'hommage à Louis XII, en
1509, déclarent avoir dépensé 50 écus, « oultre les deniers qui avoient esté
ordonnez pour les secrétaires à cause de vostredit hommage et des aultres
lettres que vous touchent » (Lett. de Louis XII, I, 159).
3) Le secrétaire de l'ambassade vénitienne au Caire, en 1512, rapporte même
avoir reçu du drogman du sultan un pourboire de dix ducats, pour avoir pré-
senté des cadeaux (Ch. Schefer, Le voyage d'outremer, p. 189). •
4) Commines, Mémoires) I,2G4.
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 357
veut et fait le roi en Mie d'un concile ' ; tel encore Commines,
qui prépare son entrée au service de la France, en jouant
jn'ès tle Louis XI le rôle d'ami à Péronne*. Les amis peuvent
venir de fort loin \
Les ambassadeurs eu France prennent ordinairement leurs
amis parmi les étrangers au service du roi.
La politique française en Italie avait attiré à la cour de
France bon nombre d'Italiens, personnages de plus ou moins
grande marque, et d'un dévouement généralement peu éprou-
vé. Ce monde franco-italien, quoique instable et sans influence,
offrait aux ambassadeurs italiens la première matière amicable,
si l'on peut s'exprimer ainsi. Ainsi, le résident vénitien Dan-
dolo utilise le milanais Galéas Visconti, qui se dit fort en fa-
veur: Visconti raconte les conversations du roi et du cardinal
d'Amboise, indique les démarches a l'aire, va voir l'ambassa-
deur le matin, de très bonne heure, avant le jour, en grand
secret *, et le prie instamment de ne point le nommer dans
sa correspondance, parce qu'on cherche déjà à l'attaquer près
du roi : on a répété au roi que, lors de son séjour à Venise
1) -20 novembre 1469. Ghinzoni, Galeazzo Maria Sforza e Luigi XI, p. 8.
■2) 1468. Commines, 1. n, e. ix.
3) Le cardinal d'Amboise dit à l'ambassadeur vénitien, le 24 janvier 1508 :
« M. l'orateur, je n'ai aucune accusation formelle contre personne, autrement
je vous la communiquerais, comme il se doit, mais je vais vous dire toute
ma pensée. Votre comte Petigliano est un gros homme qui ne me plait pas :
il s'est déjà montré trompeur, et il a des tils prêtres, vous me comprenez. De
même, un de vos chefs, dont je ne sais le nom. a dit à un des nôtres en Italie
que les lansquenets venaient d'accord avec vous et qu'on ne devait pas leur
résister. L'évoque de Paris a une lettre sur ce point. La conduite de votre sei-
gneurie prouve ie contraire : cette perfidie n'est que plus grave. Nous doutons
aussi du marquis de Mantouc,' qui a beaucoup de parenté en Allemagne, qui
désire fort votre ruine, parce qu'il vous reproche de posséder quelques unes
de ses terres. Le marquis m'a demandé de l'argent pour une compagnie de
chevau-légers qu'on lui a concédée » (Dép. d'Ant. Condolmeri, à cette date.
Archives de Venise).
4) Dép. du 18 fév. 1502-1503 (A. de Venise).
358 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
avec la reine de Hongrie, un patricien aurait dit! « J'aime
bien voir tous ces honneurs et ces caresses pour ce Visoonti,
qui est ennemi juré des Français, malgré sa feinte actuelle... »
Visconti, ajoute le résident, vous est dévoué, j'en ai fait l'é-
preuve : le roi lui parle en confiance des affaires d'Italie. Le
roi m'avait promis le secret sur vos communications relatives
au pape et à Yalentinois : le lendemain, Visconti me dit: « Le
roi m'a appelé et m'a tout raconté '. »
Il y a aussi des napolitains, mécontents du roi \ qui pren-
nent volontiers de toute main : « Le prince de Melphes, écrit
le résident vénitien, vit avec le roi et vous est dévoué. Si on
le savait, ce serait sa ruine s. » En général, dans la corres-
pondance, on ne nomme pas les amis. On dit « l'ami » ou
1' « ami fidèle », ou encore « un ami ». Un « ami » qui parait
assez souvent vers 1501, dans les correspondances véni-
tiennes, est un napolitain, nommé Coppola, agent de Louis XII,
ami de Venise, et qui trahissait tout le monde \
L'ami est parfois un politicien très important, qui trouve
ce moyen bon pour grossir ses revenus. Commines, qui n'é-
tait pas français, comme on sait, profita constamment de sa
faveur près de Louis XI et de Charles VIII pour jouer le
1) Dép. duI5fév. 1802-1803.
2) Dépèche de Blois, 15 mars 1804, chiffrée, du secrétaire Palmarius. «Les
princes napolitains Bisignano, Melli et Trajccta sont ici, mécontents du roi et
hors d'espoir de jamais retrouver leurs biens par.iui. Ils m'ont l'ait répéter par
un intime ce que j'ai transmis à Lyon à mon ambassadeur et ce qu'il vous
aura fait savoir. Ils font demander si Venise veut du royaume île Naples. Us
lui offrent leur concours. Ils désespèrent de la France, et ne veulent pas de
l'Espagne. Ils se plaignent de l'absence de réponse, courant, disent-ils, un
grand risque, celui de perdre ici ce dont ils pourraient vivre, car ils comptent
bien obtenir en France 8.000 1. de pension. Je répondis à mon ami intime que
j'étais tout à leurs ordres pour écrire, avec tout le secret possible, mais sans
pouvoir rien dire de plus. »
3) Dép. du 24 sept. 1504.
4) Dép. du 12 février 1500-1501.
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 359
rôle d'ami avec le plus complel scepticisme. Il est à la fois
l'ami de Milan cl de Florence, Les deux rivales : il reste, ou «lu
moins il cherche à rester l'ami de Milan, même en 1496, a.
une époque où les intérêts milanais se trouvent en complète
opposition avec ceux de la France1. Peu lui chaud. Tout en
se multipliant au service du duc de Milan, il lui arrive de
mettre la main à un projet de révolution ourdi à Milan contre
le prince '. C'est l'homme prêta toutes les intrigues intéres-
sées. On ne se l'ait aucune illusion snr sa moralité et sa fran-
chise, mais on l'emploie, parce qu'il s'impose par son audace.
« Il est ici continuellement nageant entre deux eaux ; c'est
un homme sage et suhtil », écrit l'ambassadeur de Florence3.
Mais il lui faut de l'argent : donnant, donnant.
L'ambassadeur de Milan écrit, en 1476, que Philippe de
Gommines, en ce moment tout puissant, lui a rendu d'inap-
préeiahles services. « Il s'attend à. ce que Votre Seigneurie,
appréciant ses bons offices, lui accorde quelque rémunération
honorable. S'il en était aliter, il pourrait à coup sûr en résul-
ter quelque grand préjudice in fulurum. Si Votre Seigneurie
dispose de lui, Elle pourra dire qu'Ellc dispose du roi *« »
Pour appuyer sa demande, Gommines s'est fait déléguer aux
négociations de Milan ; aussi l'ambassadeur insiste 5. Outre
ses demandes indirectes de « bonne rémunération », Com-
mines sait, au besoin, écrire, pour prier qu'on lui prête de
l'argent \ Seulement, il s'estime très cher, et on le redoute
par ce motif. Sur l'insistance des ambassadeurs, le duc de
1) Kervyn, Lettres et négociations, III, 103.
2) Kervyn, Lettres et négociations, III, 54.
3) Kervyn, Lettres et négociations, II, 77.
i Kci vyn, Lettreset négociations, III. 3.
.') Nov. Ii"iî. Lettres et négociations, III. 8.
6) 1 i8G. Lettre à Laurent de Médicis (Benoist, Lettres de Philippe de
Comynes, p. 18),
360 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Milan charge un envoyé de le voir et de le remercier ; il lui
adresse aussi une lettre directe de gratitude, où se glisse une
forte ironie : « S'il s'en présente quelque occasion, vous pou-
vez être certain que nous n'employerons aucune autre entre-
mise plus volontiers que la votre ; et il nous semble qu'il n'est
pas nécessaire de la réclamer, puisqu'elle s'offre spontanément
et promptement en toutes nos affaires '. »
Au moment où Charles VIII va déclarer la guerre à Naples,
le roi de Naples entretient à la cour de France de bons amis,
deux Français influents, les sires du Bouchage et de Clérieux s,
mais il s'aperçoit trop tard qu'il ne paie pas assez \ C'est
une mauvaise économie de ne pas choisir ce qu'il y a de
mieux 4. Un bon ami, bien rétribué, rend d'immenses ser-
vices ; c'est le véritable ambassadeur 5. Pour s'en convaincre,
il suffit de lire la longue lettre qu'adressait, le 7 août 1494, le
même Commines à l'ambassadeur florentin : dans ces remar-
■1) 1479. Kervyn, Lettres et négociations, III, 41.
2) Lettres du prince de Tarente à Du Bouchage, « mon bon compère et
amy a (Mandrot, Ymbert de Batarnag, p. 322), du roi de Naples à Clérieux, et
à l'ambassadeur de Naples (Trinchera, Codice aragonese, t. Il, p. 33, 91).
3) 1494. Le roi de Naples étant mort, son successeur envoie sur le champ
un nouvel ambassadeur, chargé de gagner à prix d'argent les principaux con-
seillers : en arrivant à Lyon, cetenvoyé, Pandone, trouve une défense de passer
outre. Pandone part en déclarant qu'il aperçoit la main de Ludovic et que son
maître se vengera (Boislisle, Et. de Vesc, p. 76).
4) Nerio Capponi écrit à Florence, qu'il faudrait avoir 3 ou 4.000 ducats
par an, et s'assurer à la cour de France quelques amici (L. G. Pélissier,
Les amies de Ludovic S for za, dans la Revue historique, t. XLVIII, p. 5o, n. 4).
D'après Baltbuard, Usurpation des rois d'Espagne (Paris. -1626, p. 44), Jean
de Mauléon, cordelier espagnol, envoyé de Ferdinand d'Aragon à Cliarles VIII,
corrompit avec de l'argent Olivier Maillard, confesseur du roi, et obtint ainsi
la restitution du Roussillon. Olivier Maillard n'était pas confesseur du roi. On
a aussi attribué cet acte de corruption à Louis d'Amboise, évêque d'Albi, mais
rien n'est moins prouvé.
5) Sur le curieux rôle joué en 1494 près de Louis d'Orléans par un ami
des Florentins pour mener une intrigue officieuse, V. Hist. de Louis XII,
III, 95.
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 361
quables instructions, du plus beau, du plus grand style diplo-
matique. Commines résume tous les griefs de la France contre
Florence, ses efforts personnels pour les dissiper, et il trace à
l'ambassadeur une ligne de conduite. Il traite même l'ambas-
sadeur d'assez haut, il l'appelle Laurent tout court, on voit
qu'il ne l'estime pas diplomate de premier ordre et qu'il ne le
juge pas capable de se tirer d'affaire tout seul '. « Sans lui
(Commines), nous perdrions quelquefois la tête », écrit l'am-
bassadeur de Milan, Gagnola 5.
Commines gagne bien son argent. L'ambassadeur de Flo-
rence, Gadi, vient le voir en arrivant et lui présente sa
créance ; Commines lui procure une bonne audience du roi.
Gadi le consulte sur sa conduite, à propos de son congé, lui
demande s'il doit partir; chaque fois, Commines adresse à
Laurent de Médicis un rapport sur leur conversation \
Ambassadeur de France pour la paix de Senlis avec l'ar-
chiduc. Commines ne croit sans doute pas trahir le roi en en-
voyant à Florence la substance de la convention : « Je vous
en envoyé le gros, écrit-il, car les choses ne sont pas encore
couchées par le menu, ne se seront de huyt jours. J'ay esté
présent aux: choses dessus dictes ». Il clôt sa dépèche en an-
nonçant qu'il se charge d' « adresser » au roi le nouvel ambas-
sadeur de Florence, et en renouvelant ses protestations d'ab-
solu dévouement \
Il envoie de Tours, au chancelier de Milan, copie de docu-
ments très confidentiels (des lettres interceptées sur un cour-
rier du roi d'Espagne). Il lui écrit qu'il s'est fait charger par
le roi d'aller au devant de l'ambassade milanaise ; il ira à leur
1) Bcnoist, Lettres de Comynes, p. 23.
S) 1478. Kervvn, Lettres et négociations, III, 39.
3) Benoist, p. 14-15.
4) Kervvn, Lettres et négociations, II, 86.
362 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
avance à dix lieues, il y mènera beaucoup de monde : le
propre gendre du roi, M. de Beaujeu, sortira de la ville. L'am-
bassade napolitaine en pâlira de jalousie \
Bien plus, en 1495, Commines soutient au conseil du roi la
nécessité de la paix avec Ludovic Sforza, et, en même temps,
il envoie à Ludovic des messages confidentiels, simplement
signés Philippe 2. C'est un ambassadeur occulte, plus même
qu'un ambassadeur ; il correspond avec les gouvernements
qui le rétribuent 3, il leur recommande ou non les ambassa-
deurs du roi *, il fait des petits présents familiers aux princes
qui l'honorent de leur clientèle 5.
L'ami peut servir dans les grandes circonstances à négocier
parallèlement avec l'ambassadeur, La seigneurie de Venise,
dans des circonstances très graves, écrit, eu 1514, à son am-
bassadeur à Borne que, dans l'beureux traité secret qui vient
d'être passé avec Léon X, « la République a été bien servie
par un ami », et cela dans un si profond secret que l'on ne
devra même pas en parler aux cardinaux vénitiens ''. Le 14
septembre 1509, elle écrit à l'ambassade en Angleterre d'ap-
pliquer toutes ses forces à une négociation décisive, de mettre
1) Kervyn, Lettres et négociations, I, 217.
2) Kervyn, Lettres et négociations, II, 232-233,
3) Lettre à Cieco Simonelta, Plessis du parc, 26 octobre (1478). N'ayant
reçu de lettres ni de Simone! la, ni de la duchesse régente, il déclare attendre
leurs ambassadeurs. 11 assure que le roi soutiendra Milan contre Naples et
Venise. Jean Ballarino a bien défendu les intérêts de la duchesse : mais qu'on
se hâte d'envoyerun nouveau résident ! [Y ente d'autographes, du 14 nov. 1887,
par Mi Eug. Cliaravay, n° 94).
4) Lettre au duc de Milan, lui recommandant l'ambassadeur envoyé par le
roi, François de Ponlbrianl (Kervyn, I, 317). Perron de Basclicr, ambassa-
deur royal en Italie, emporte une lettre de créance d'Etienne de Vesc pour Lau-
rent de Mcdicis (4492. Et. de Vesc, p. 56).
5) Lettre au duc de Milan, humoristique et familière, pour lui offrir une
haquenée. 15 septembre (Kervyn, I, 318).
6) Conseil des Dix, 1514.
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 363
en campagne l'ami, en lui jurant la reconnaissance de La repu»
blique1. L'ami peul aussi êire envoyé en mission '. Sou fôle
consiste habituellement à fournir des renseignements . aux-
quels Le résilient ajmite les siens. Ainsi le résident Dandolo
écrit, en substance, à Venise, le I février 1502-1503 :
h Ci jointe une lettre reçue hier de L'ami fidèle. Je préfère
la traduire en chiffre» et vous en envoyer le texte même,
laissant à votre sagesse le soin d'apprécier. Je conti-
nuerai, comme j'ai fait jusqu'à ce jour, clans toute nia Légation
à soutirer (sotra f/rr), avec tous les soins el toute la dili-
gence, par toutes les voies et tous les moyens possibles,
mais avec de solides références, les intentions el la pensée
du roi. .le ne nie contente pas d'un ou deux moyens ; j'essaie
toutes les voies, j'emploie jusqu'à ceux qui font à toute heure
la credenttQ et qui servent le roi à talde \ »
Il va sans dire que le plus profond mystère préside à ces
amitiés. Des rapports cordiaux et publics avec un ambassa-
deur (Mitrailleraient le soupçon d'amitié] les vrais amis font
1 1 Secrelo 42, tiO.
2) Lyon, [8 août 1804. Dépêche do Fr. Foscari. «L'ami fidèle » (chiffré)
m'a dit être intimé avec le Cardinal deStrigôtiie(Graâl qu'il a Connu autrefois,
dans le commerce, en Italie, in minorions, el savoir la langue hongroise et
slave. Il propose d'aller en ambassade en Hongrie pour la seigneurie, ou
dans le camp du roi pour invesligar ses conditions el en informer secrètement.
11 promet tout son dévouement» (Dispacci, I).
3 En 1461, lors de la révolte de Gênes, Bartol" el Marco Doria en écrivent
tous les détails à Charles Vil (publ. par Qulcherat, Th. Bazin. IV, :>(il). Le
chancelier de France, en 1514, reçoit des nouvelles de Bologne et du pape
parles amis du roi à Bologne (Lelt. de Louis XII, II, 18:^. Fr. l5o38,n°257.
Le sire de Hochberg, maréchal de Bourgogne, envoie au roi des détails sui-
tes préparatifs militaires des Allemands. - Instruction du duc de Milan,
à Ëmanuôl de Jacobo, envoyé à LouisXl, du2l mai 1463 (Archivio Sfo
lui prescrivant de se conformer aux indications du maréchal de Bourgogne.
Cf. Dépêches de Machiavel, du ± février 1803-4, du 20 novembre 1502, du 17
octobre L808, du 3 nov. 1502.
i) Dispacci, 1.
364 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
passer leurs renseignements par des voies détournées1.
Il y a aussi de grands personnages, mécontents, ou ayant
des intérêts hors du royaume, qui, sans mériter absolument
le reproche d'amitié, n'en prêtent pas moins aux ambassa-
deurs un appui très puissant, et plus ou moins correct. Le
vaillant Trivulce se trouva quelquefois en ce cas : dans une
dépêche du 12 août 1500, Machiavel, de son regard perçant,
pénètre bien son caractère. Plus tard, nous voyons Trivulce
lier énergïquement son action à celle de Venise 2 et même
appuyer la politique vénitienne par une lettre très nette au
roi, dont l'ambassadeur de Venise se trouve à même d'envoyer
la copie à son gouvernement 3.
Le comte de Ligny, général en chef de l'armée française
comme Trivulce, comme lui étranger, et comme lui fort avant
dans la faveur du roi, est chargé, en 1499, de recevoir les
ambassadeurs de Venise. Ligny en profite pour engager avec
Venise une négociation d'un caractère extradiplomatique, dans
l'intérêt de sa principauté d'Altamura, au royaume de
Naples. Il affirmait, d'ailleurs, agir au su du roi et avec son
autorisation, ce qui se peut, mais en pareille matière, ,on ne
distingue pas bien nettement où commence et où iinit la visée
personnelle 4.
1) Dép. de Machiavel, du 3 sept. ioOO.
2) Conseil des Dix, 6 avril 1512, 25 mai 1313.
3) Lettre du 24 août 1514, copie en italien, jointe à la dépêche de Dandolo,
du 2 septembre 1514.
4) Dépêche aux ambassadeurs près du roi, 28 sept. 1499 (Secreto 39, 131
vo) : « Relationc de Duo Pietro Dentice, mandato da Mgr de Ligny, eum let-
tere de credenza », àla môme date (Id., 135 v°) : Après les recommandations
habituelles, rapporte Dentice, j'expliquai l'affection de M. de Ligny pour
cette Excellentissime Srie, en invoquant le témoignage, des ambassadeurs,
« usando in questo parole molto ample et efficace » : puis je demandai très
secrètement à la seigneurie l'appui de ses troupes pour la principauté d'Alta-
mura, offrant en échange de tout faire pour elle près du roi, « offerendose cum
le zente francese metter in executione prima quello desydera la Illma S"a ».
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 365
Catégories spéciales (Tamis : /es femmes, les cardinaux.
1° Les femmes. La femme constitue, en diplomatie, un allié
bon à cultiver. Elle représente dans les cours un ornement
naturel et indispensable : sans elle, pas de charme, pas d'a-
grément1, pas de joie; la femme est le sel de la terre"2. Il ne
tant donc pas l'avoir contre soi, et il convient de l'avoir pour
soi; elle peut, ça et là, rendre de signalés services, ne fût-ce
cpie comme source de renseignements. Ainsi, une dame du
royaume écrit, de sa main, au comte de Charolais
que Louis XI va l'attaquer \ Trivulce transmet au roi
une conversation de sa tille avec le cardinal de, Pavie,
légat du pape*. Sans doute, on ne supporte pas aisément l'in-
gérence directe et avouée des femmes dans les affaires cou-
rantes de la politique s, mais il y a un ministère officieux
qu'on leur laisse assez volontiers : celui de prononcer des pa-
roles douces, calmantes, pour dissimuler les aspérités de la
politique \ Les femmes deviennent facilement les mission-
Après cette note très confidentielle, Jérôme Georgio ajouta que, ce que deman-
dait M. de Ligny, c'était non des hommes, mais de l'argent, pour ses amis du
royaume de Naples : •< le quanto el parlava et operava, era cum scientia et
volunta delà Christianissima Maesta. »
1) « Cortealcuna, per grande qu'ellasia, non puo liaver ornamento osplert-
dore in se ne allegria, senza Donne, ne cortegiano alcun' essore aggratiato*
piacevole o ardito » (Balth. de Castillon, Le parfait 'courtisan, éd. Cha-
puis, p. 365).
2) Id., p. 465.
3) Commines, c. h.
4) Parme, 23janv. 1511. Catalogue des mss. de la Collection Lajarriettej
no-lHil.
'■> Mme Violante, demoiselle d'honneur très bien vue de la reine des Ro-
mains, se môle de tout, intrigue avec les ambassadeurs. Le roi détend à la
reine de donner des audiences ; l'ambassadeur milanais déclare lui-même in-
dispensable de renvoyer Violante et deux autres conseillers milanais ; le roi
ne peut plus les supporter, et au bout de huit jours la reine n'y pensera plus
(J. Calvi, Binnca Ma Sforza l'isconti, p. 89 et s.).
6) Une femme s'adresse à une souveraine pour obtenir un règlement équi-
table de la rançon d'un mari, gendre ou parent (1513. Le Glay, Négociations,
1.456,575).
366 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
naires ou les précurseurs delà paix1. Et puis, c'est par les
femmes qu'on gouverne les maris. Ainsi Ludovic Sforza
charge son ambassadeur de remettre un beau collier, avec
une lettre personnelle, à la femme de Stuart d'Aubigny, très
influent à la cour de Charles VIII et très sensible aux ca-
deaux s.
La reine a généralement peu d'influence sur les affaires;
mais elle prétend assez souvent à une politique indépendante
de celle du roi. Rien de plus sensible que la politique person-
nelle d'Anne de Bretagne sous le règne de Louis XII3, et, à
plus forte raison celle d'Isabeau de Bavière, de funeste mé-
moire, sous le règne de Charles VI*. Les ambassadeurs de-
1) .Ms. f'r. 281 1 ,48. Créance de Charlotte de Savoie, au roi, pour Iloualle,
valet de chambre de son mari Louis dauphin, envoyé par Louis au roi; signée
Charlotte. — Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays Bas (d'accord avec
l'empereur, son père) écrit à la reine de France pour la remercier de sa
lettre, protester de sa sympathie cl du désir de la paix (août 1513. Lettres de
Louis XII. IV, 191). — Négociations de la duchesse de Bourgogne pour la
libération de Charles d'Orléans, qu'elle va recevoirel qu'elle marie (Monstrelel,
V, 435). — Jules II fait sa réponse à l'ambassadeur d'Ecosse, médiateur de la
paix, devant les cardinaux de Clerrnpnt, de Nantes « et m'esmes de Madame
IVlice (fille du pape) , femme du sr Jehan Jourdain (Orsihi), laquelle a souvent
parle à Sa Saincteté de la paix, en ensuyvant les rescriptions de la Royne »
(1511. Lett. île Louis XII. III, 3). — Catalogue des manuscrits de la Collec-
tion Lajarriette, n» 1338. Lettre de Germaine de Foix à la reine Anne de Bre-
tagne; Cordoue, 13 septembre (1509). Elle lui l'ait fait part de sa grossesse,
lui souhaite le même bonheur et lui envoie une oraison à porter sur soi.
2) Delabordc, p. 142. Le duc de Bourgogne donne à la femme de Pierre
de la Tremoïlle; pour son mariage, un chapeau et un collier d'or valant 900 fr.
(1402. L. de La Tremoïlle, Guy de La Tremoïlle, p. 210).
3) Marguerite d'Autriche prie Anne de Bretagne d'intervenir pour une
affaire de nomination i l'évéché d'Arras, mais la reine répond qu'elle a échoué
(15 10. LeGlay, Négociations, I, 348); elle l'invoque aussi pour d'autres affaires
(id., 425).
4) Buonaccorso Pillt, ambassadeur florentin, prenant congé du roi et delà
reine, celle-ci lui dit de venir la voir avant de partir. Pilti la trouve avec
son frère Louis de Bavière. On le charge de demander l'envoi d'une am-
bassade florentine pour une alliance contre le duc de Milan. La reine se fait
fort, dit-elle, du consentement du roi (1390. Jarry, Vie... de Louis de
France, p. 166).
moyens d'action diplomatiques 367
viont donc l'aire très discrètement leur cour à la souveraine
en évitant tout ce qui pourrait exciter une susceptibilité.
D'ordinaire, ils apportent une lettre de créance spéciale pour
la reine1 et, en sortant de la première audience publique, ils
demandent au roi la permission d'être reçu par elle, ce qui a
lieu de suite* ou le lendemain3. Leur langage près de la reine
est vague, mais très aimable*. La souveraine les reçoit en
grande toilette, avec des paroles très gracieuses"; elle se
montre fort réservée sur la politique. 11 est correct qu'un
secrétaire du roi serve d'interprète' . Anne de Bretagne aimait
à recevoir les ambassadeurs; elle apportait à cette cérémonie
beaucoup de soin, de majesté, de grâce, et Louis XII. en bon
mari, ne manquait pas. après la réception, d'envoyer les am-
bassadeurs lui faire leur révérence. Anne avait auprès d'elle
un certain Jean de Talleyrand, seigneur de Grignols, ancien
1 | Créance du 2:! février li!).'i. pour la reine de France (Arch. de .Milan,
Potence Est''. Frauda, I l'.U-l i'.Ké. Commission vénitienne du :! juill. 1512,
à Fr. Capello, etc.
2 M. de Gurck, ambassadeur impérial, en 1510, après une conférence avec
Louis XII, lui demande la permission d'aller voir la reine. Le roi le l'ait mener
par le duc d'.Ubany. L'ambassadeur, après les révérences convenables, l'ait
présenter ses lettres de créance pour la reine (lettres de l'empereur el de Mar-
guerite d'Autriche) et lui recommande ses allait es. La reine le remercie en
bons termes, et dit très gracieusement que, s'il y avait quelque chose qu'elle
put taire, elle le ferait de bon cœur (Lett. de Louis XII, II, 56).
3) Arrivé le 15 novembre 1509 en ambassade à Mantoue, .Machiavel se pré-
sente le 16 « pour faire la cour à la marquise »; niais celle-ci se lève lard cl ne
reçoit qu'après diner. Pris par des travaux urgents, il ne peut la voir que le
18. C'est une pure visite de politesse; lamarquisese montre assez réservée
sur la politique (Dépèches de Machiavel, des 17 et IH novembre 1809).
4) Lett. de Louis XII, I, 183. Commission vénitienne à Fr. Capello, ambas-
sadeur en Angleterre, du 3 juill. 1512.
5) Le lendemain de l'audience du roi, les ambassadeurs de Milan reçoivent
une audience de la reine (30 mars 1492. Delaborde, p. 2'k>): la reine était
dans une toilette superbe, dont le secrétaire envoie la description à Ludo-
vic Sforza, qui en demande un dessin.
6) Nov. 1500. Sanuto, III, 1202.
368 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
ambassadeur, versé dans les langues étrangères, qu'elle char-
geait de lui apprendre quelques mots dans la langue de l'am-
bassade. Un jour, elle lui demanda une réponse pour l'am-
bassadeur d'Espagne; Grignols, personnage très facétieux,
lui donna « quelque petite sallaudrie », que la reine se mit
à répéter et à apprendre consciencieusement. Le lendemain,
avant l'audience, Grignols alla annoncer cette plaisanterie
au roi qui en rit à gorge déployée : toutefois Louis XII aver-
tit la reine ; Anne prit la chose au tragique, voulut chasser le
mauvais plaisant et resta plusieurs jours sans lui parler. Gri-
gnols dut s'excuser très humblement1...
Dans les démarches auprès de la reine, il ne faut penser
qu'au roi, et aux résultats pratiques. Le 4 janvier 1515, quatre
jours après la mort de Louis XII, le résident vénitien Dan-
dolo, toujours très affectueusement traité par le roi défunt,
écrit à son gouvernement : « Vous avez le dessein d'oti'rir à
la reine un panno d'or et de soie, par deux orateurs que vous
envoyez, et des bijoux sur un chapeau blanc, estimés 0,000
ducats. Franchement, c'est aux nouveaux roi et reine qu'il fau-
drait les adresser plutôt qu'au défunt. Un cadeau à la reine
présente sera moins bien vu, précédé d'un présent à la veuve.
Des .joyaux du feu roi, les plus beaux peut-être passent
altrove : le feu roi donna la plupart des bijoux de la cou-
ronne et ceux de la feue reine dont il avait eu les trois quarts
à la reine anglaise, et il en laissa très peu à sa fille, la reine
actuelle : aussi des diamants seraient les bienvenus * ». Voilà
toute l'oraison funèbre du roi défunt.
1) Brantôme, VII, 316.
2) Arch. de Venise. En 1498, les ambassadeurs vénitiens emportent une
double lettre de créance pour Anne de Bretagne, l'une à supposer qu'ils la
trouveront veuve, l'autre à supposer que le nouveau roi l'ait déjà épousée
(Commission du 10 juill. 1498. Secreto 37).
moyens d'action diplomatiques 369
11 va sans dire qu'un ambassadeur ne doit pas se montrer
trop personnellement aimable près d'une souveraine; écueil
délicat à éviter auprès d'une régente. La constante amabilité
du duc de Suffolk, ambassadeur d'Angleterre, pour Marguerite
d'Autriche, régente des Pays l>as, présenta de graves incon-
vénients. Le bruit courut d'un mariage, si bien que le roi
d'Angleterre dut écrire à Maximilien (père de la régente),
pour protester énergiquement et pour annoncer son intention
de sévir contre les auteurs de cette rumeur, s'il les décou-
vrait, et prier Maximilien d'en l'aire autant1. Suffolk allait re-
tourner en ambassade près de Marguerite; ses apprêts, consi-
dérables, étaient déjà faits, son arrivée annoncée, les Etats
de Flandre prévenus. Malgré l'inconvénient d'un change-
ment qui pouvait être mal interprété, le roi d'Angleterre
n'hésita pas à lui substituer au dernier moment un ambassa-
deur plus modeste2.
Le Pogge raconte l'histoire d'un ambassadeur florentin
près de la reine Jeanne de Xaplcs, qui, sous prétexte d'au-
dience secrète, risqua une déclaration des plus pressantes.
La reine passait pour facile, et sans doute l'ambassadeur
se croyait habile : « Est-ce que, lui dit la reine avec beau-
coup de sang froid, ceci fait partie de votre commission? »
L'ambassadeur rougit, pâlit : « Eh bien, allez-vous-en,
ajouta-t-elle, et revenez avec cette commission-là3. »
2° Cardinaux. — A Rome, la tactique d'une ambassade pré-
sente bien des particularités.
Il faut compter avec le cercle intime du pape, le monde de
la cour, les cardinaux.
Quand l'ambassadeur arrive à Rome, il se voit entouré dé
I loi:}. Lai. de Louis XII, IV, 275.
■1) /</.. 309.
Facétie CV. édon Liseux. I. p. llii
u
370 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
tant d'honneurs, de tant de prévenances, d'une si parfaite
étiquette, que, s'il apporte, parmi toute cette souplesse ita-
lienne, la raideur ou la morgue des gens du Nord, il se
crée de suite d'irrémédiables animosités cachées. Pour se
faire bien venir, il doit chercher à cultiver l'entourage du
pape, tout comprendre à, demi mot, agir très prudemment.
Le pape accepte les présents des rois; on peut, s'il y a lieu,
les remettre en audience privée. Un envoyé lithuanien offre
quatre magnifiques parures de fourrure, cinquante superbes
peaux de zibeline, et deux tasses d'or, que le pape reçoit très
aimablement; mais, dès la première cérémonie, il soulève
une maladroite question de préséance ; il se plaint qu'on le
sépare d'un de ses petits pages! le maître des cérémonies
Burckard, en lui passant le costume de protonotaire, affecte
de ne pas conserver, comme c'était son droit, le vêtement
dépouillé par l'ambassadeur, et celui-ci ne comprend pas
l'invite à une gratification plus sérieuse : dès lors, Bur-
ckard avoue lui retirer toute considération1. Trois jours après,
le pape rend à l'ambassade de Lithuanie sa courtoisie, en
décorant le secrétaire, Jean Sapieha, d'un collier d'or, et en
l'instituant chevalier2. Mais l'ambassadeur s'est attiré des
animadversions3.
Rien de plus absolu, en apparence, que la monarchie pon-
tificale; en réalité, autour du pape, s'agite tout un personnel
1) Diarium, III, 125. Paris de Grassis ne pardonne pas aux ambassadeurs
de Pologne de ne lui avoir donné que vingl ducats (lai. 5164, f'° 134 v°).
2) Diarium, III. 124.
3) Les maîtres des cérémonies à Rome n'entendent pas raillerie sur le cha-
pitre des pourboires. L'évéque d'Aix, en recevant le pallium (21 déc. 1506), ne
leur donne rien : « defraudavit nos, quia nonsolvit nobis aliquid. » On lui ré-
clame formellement 29 ducats, et on retient, en atlendanl, l'insigne. Il fait la
sourde oreille. Le maître des cérémonies recourt au pape, qui autorise l'em-
ploi des censures. L'évéque donne 53 ducats, le maître des cérémonies l'ab-
sout. Mais l'évoque persiste à croire qu'il a été dupe d'une mauvaise plaisan-
terie (Frali, Le due spedizioni militari diGiuHoïï, 122-123).
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 371
<le prélats, qui, malgré les formes traditionnelles d'apparat
propres à en imposer aux diplomates novices, obéissent à des
intérêts de carrière ou d'argent, qu'il Tant savoir délicate-
ment démêler : les choses se passent un peu comme dans
toutes les émus, mais la pratique est plus difficile qu'ail-
leurs, à cause du raffinement. Le personnel inférieur ne
pardonne pas la moindre atteinte à ses susceptibilités ou à
intérêts. Quant aux cardinaux, il faut savoir les com-
prendre ei les manier.
La situation des cardinaux ' vis à vis du pape à la fin du
Moyen Age est assez mal définie. Les cardinaux possèdent un
titre de droit divin, et par conséquent inaliénable, inamovi-
ble, indestructible. Le pape seul peut les excommunier; ils
forment avec le pape « un seul corps », et ne lui prêtent
aucun serment. Le pape ne peut créer un cardinal sans l'avis
du Sacré Collège, <m disente toutefois si cet avis lie le Saint
Père. Le pape peut forcer les cardinaux à résider à Home*,
1« - faire arrêter, incarcérer, s'il les juge rebelles3, mais non
les destituer*.
i) De origine, de dignitate et potestateS. R. E. cardinalium, Gund. Villa
diego : De Cardinalibus, Martini Laudensis : De prœstancia cardinalium, An-
Barbatia : De Cardinalibus, Hier. Manfredi.
iules II intime aux cardinaux français éloignés de Rome l'ordre d'y venir
(juill. 1310. Sannto, XI, 769).
3) Alexandre VI convoque au Vatican plusieurs cardinaux, parmi lesquels
le vice-chancelier de l'Eglise Romaine Ascagne Sforza, et les fait arrêter
séance tenante, et retenir dans les appartements du Vatican (9 décembre
1494. Delahorde, Expédttvan de Charles Vlll, p. 498). En 1503, l'arres
tatiou de 'leux prélats par ordre d'Alexandre VI sert d'exemple et jette
les cardinaux dans l'épouvante (Dispacci di A. Giustinian, I, .Î14). Le car-
dinal d'Aucli, voulant profiter des feux de la Saint Pierre, le soir du 29 juin .
pour quitter Rome, par la porte du Peuple, est arrêté et incarcéré au château ;
quelques français qui veulent se mêler de l'affaire sont bâtonnés (Sanuto, X
;ardé au château Saint Ange, sous caution de 40.000 dînais de
w'v< ir, Fournie par les cardinaux. Le pape Jules voudrait bien qu'il
s'en allât pour toucher la caution (juillet 1841. Sanuto, XII. ï~.\).
-4) En 1511, -Iules 11 tenta de destituer le cardinal San Severino (Fraknôïb
372 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Le pape est maître de sa conduite ; il n'a pas de chancelier,
mais seulement un vice-chancelier, qui, d'ailleurs, comme le
chancelier français, joue le double rôle de premier ministre
et de chef de la justice, qui interprète les décisions pontifi-
cales, règle les audiences, et dispose par délégation d'un cer-
tain nombre de faveurs. Quant aux cardinaux, ils sont les
électeurs du pape et ses conseils, mais non ses suppléants. En
cas de vacance, ils peuvent parfois envoyer un légat, mais
jamais créer un cardinal : le pape doit demander leur avis,
mais rien ne l'oblige à le suivre. Ils forment le grand conseil
de l'Église, mais un grand conseil d'ordre spécial, puisqu'ils
se trouvent inamovibles et sans pouvoir personnel en face
d'un souverain également inamovible. Le collège des cardi-
naux n'acquiert d'importance décisive qu'à mesure que la vie
du pontife semble plus menacée, parce que la revanche con-
sistera dans le choix du nouveau pape. Néanmoins on se heurte
sans cesse à l'influence indirecte d'un cardinal.
Les cardinaux restent, d'abord, si l'on peut ainsi dire, le
premier et essentiel instrument de la pompe et du cérémo-
nial ; ils dirigent en réalité les démonstrations qui font la vie
de Rome.
Ils se réunissent en consistoire ; il y a des consistoires so--
lennels pour les grandes questions, telles que les projets de
croisade, où les ambassadeurs sont convoqués. Le 16 mai
1500, Alexandre VI réunit, par exemple, un consistoire pour
parler de la matière chrétienne et proposer une ligue géné-
rale. Tous les cardinaux et les ambassadeurs s'y rendent. Plu-
sieurs prennent la parole. Le cardinal de Lisbonne parle en
faveur de Venise, l'ambassadeur allemand se retranche dans
l'absence de pouvoirs spéciaux, l'ambassadeur anglais se
déclare pourvu, au contraire, et appuie le pape, l'ambassa- •
deur de Naples affirme que, si son roi le pouvait, il participe-
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 373
rail au projet, L'ambassadeur de Venise parle de la nécessité
de soutenir le roi de Hongrie, L'ambassadeur de Savoie man-
que d'instructions, celui de Florence annonce qu'il en référera
à son gouvernement, de même que celui de l'électeur de
Cologne et un autre ambassadeur de prince allemand1.
On nomme aussi en consistoire des commissions spéciales
pour instruire les affaires particulières-. Mais les consistoires
ne représentent en réalité que des cérémonies d'apparat3. puis-
qu'ils ne comportent pas de décision : en général, on y parle
peu, l'opposition ne servant à rien. Jules II lit en consistoire
L'excommunication fulminée en ternies terribles contre Le duc
de Ferrare : le cardinal de Saint Malo seul formule une oppo-
sition, un autre français, le cardinal d'Albi, applaudit*. En
1500, un ou deux cardinaux espagnols professaient une oppo-
sition ouverte5 : le pape affectait d'en rire6. Quand, en 1492,
i) 16 mai 1300 (Sanuto, III, 342). Un consistoire contre les Turcs, auquel
assiste l'ambassadeur de Venise, dure six heures, le matin du 25 mars 1501
(Sanulo, III, 1605).
1 t't mai 1505. Commission nommée en consistoire pour réformer l'exces-
sive taxation des officialium de la cour, sur la plainte de l'orateur du roi de
France (Burckard, III, 388). Jules II forme une commission de cardinaux, pour
le procès ad privation es contre les cardinaux absents de Rome (juill. 1511.
Sanulo. XI, 288). Il les fait citer à venir à Ro dans tel délai. Il convoqueun
cile ld., 321 i, il déclare suspendre de tous revenus trois cardinaux schis-
matiques, qui vont à Pisc(/d., 362).
3) Alexandre VI prononçant, en consistoire, l'investiture du royaume de
Naples pour Frédéric d'Aragon, le cardinal Villiersde la G roslaic proteste so-
lennellement de nullitale rei et déclare que Charles VIII en appellera aux
armes (Boislisle, El. de Vesc, p. 176), mais La Groslaien'cn reste pas moins à
Rome. V. Pauli Cortesii, De Cardinulatu, cap. De consistorio, 1'° cxxi etsuiv.
A) Août 1510. Sanuto, XI, 108.
o) La plupart des cardinaux, sous Alexandre VI, sentaient l'urgence d'une
réforme et se montraient prêts à y procéder, en prononçant d'abord la dé-
chéance du pape : mais, pour une si grosse entreprise, il fallait l'approbation
de l'Allemagne et de la France, qui ne purent s'entendre (Histoire de Louis
XII, tome III).
6) Dép. de l'ambass. Capello (Sanuto, III, 842).
374 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Charles VIII sollicite une dispense rétrospective pour valider
son mariage, Innocent VIII, écrit l'ambassadeur de France,
est « délibéré vous bailler la dispense plombée de la date que
je luy en feiz la requeste, qui fut le lundi cinquiesme décem-
bre, ung jour avant la solennisation de vostre mariage, vous
priant qu'il vous plaise le tenir fort secret, car l'empereur et
le roy des Romains ont ja envoyé plusieurs messages, qui,
avec grand nombre des messrs les cardinaulx, font continuel-
lement très grande instance pour y donner empeschement...
Le pape est délibéré vous complaire en toutes choses, mais
il se plaint que ne voulez rien faire pour luy ni pour ses pa-
rens qui sont voz serviteurs1. »
En somme, le vrai conseil du pape se compose de cinq ou
six cardinaux de sa confiance2, qui le suivent partout3. Cepen-
dant on voit, par la dépêche qui précède, combien dans cotte
atmosphère spéciale, l'opposition toute morale des cardinaux
pèse, en s' appuyant toujours sur l'action d'un gouvernement
étranger. Ajoutons qu'à chaque conclave les cardinaux rédi-
geaient des Capitoli, destinés à leur assurer une part active
dans la gestion des affaires de l'Eglise ; ils en juraient tous
l'observation, en cas d'élection1 ; mais le pape, une fois élu,
ne tenait aucun compte des parties de ces Capitoli contraires
à l'ancienne discipline de l'Eglise. Jules II, particulièrement
laisse les cardinaux à l'écart : au début de son règne, ils
essayent de lui rappeler ses promesses, ils vont jusqu'à
le menacer, mais vainement8.
l)Rome, 17 février (1492). Ms. fr. 15541, f° 201.
2) Dép. de Machiavel, 28 août 1506.
3) Des cardinaux suivent Jules 11 en chevauchées ou sur les galères (Sa-
nuto, XI, 213).
4) Ces Capitoli sont transcrits dans les registres des Archives du Vatican.
5) On fait relire en consistoire tous les Capitoli du conclave, et les cardi-
naux se montrent très résolus à en réclamer de Jules II l'observation. Ils se
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 375
Le temps n'est pas loin où l'on accréditait encore les am-
bassadeurs près du collège des cardinaux en inèiue temps
cpie près du pape1, et cependant, eu réalité, les cardinaux
valent plus par leur influence personnelle et leurs relations
diplomatiques, que par leur titre. Ceux qui ne résident pas
à Rome comptent peu5 : ceux qui résident offrent aux diplo-
mates un champ d'exploitation tout naturel. Les cardinaux
interviennent rarement en tant que Sacré Collège', mais, en
dehors du travail des congrégations, leur rôle essentiel et
continuel consiste à s'entremettre individuellement pour les
grosses affaires \
Le titre de cardinal est de ceux dont on s'honore dans une
famille souveraine5 ; la nomination d'un cardinal national
passe, dans son pays, pour un événement6. Presque tous éle-
plaignent que le pape les traite non en frères, comme il les appelle, mais en
valets. La plupart débordent d'amertume, et si le pape persiste à nommer
de nouveaux cardinaux contre leur assentiment, il en résultera des difficul-
tés. Mais le pape est altier et glorieux (novembre 1*50-4. Dispaccidi Giustinian,
111, 889).
1) « Au pape et au collège des cardinaux » (Instruction du 3 septembre
1458. Archivio Sforzesco).
2;Dép. de Capello, 1500 (Sanuto, III, 842).
3) Martène et Durand, Thésaurus, II, col. 1765. Lettre d'Innocent VIII h.
l'empereur pour lui annoncer qu'il a donné Tournai au cardinal de Sainte
Anastase ; 19 mai 1Î92. — /<L,col. 17(57. Lettre du Sacré Collège, sur le même
sujet :20 mai 140-2.— Le Sacré Collège intervient en 1512 près du pape, pour
le presser de faire la paix avec la France. Le cardinal de Nantes et celui de
Hongrie envoient aussitôt un homme en prévenir Louis XII (Lett. de
Louis XII, III. 247).
4) L'ambassadeur vénitien, ne pouvant avoir audience de Jules II, va justi-
fier la république chez le cardinal deCapace (déc. 1503. Villari, Dispaccidi
A. Giustinian, 11,369): l'orateur d'Allemagne est expedilo parles cardinaux
délégués (29 déc. 1504. Sanuto, VI, 119): le cardinal de Nantes (Guibé), ami
particulier de Jules II. offre au pape de faire un roi de Naples étranger à la
France el a l'Espagne et de lui donner en mariage sa nièce, sœur du duc
d'Lrbin (1510. Sanuto, XI, 82).
.'. Instruction milanaise du 14 nov. 1479 (Archivio Sforzesco.
i- Ai /entim, chanoine de Padoue, se rend au conseil de Venise, avec une
376 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
vés à la pourpre par suite de leur haute naissance ou de fonc-
tions éminentes, les cardinaux sont de grands seigneurs1,
pleins de faste', possesseurs de palais et de villas où ils don-
nent des banquets et des chasses3 : ils mènent une large
vie mondaine 4. Tous les monuments de Rome disent leur
splendeur ; l'histoire de l'art les nomme des Mécènes5. Gomme
foule de parents, pour se congratuler avec le doge de l'élévation de son frère
au cardinalat, « mediante la Signoria nostra ; et è venitian, è dara ogni fa-
vor » (mars 1511. Sanuto, XII, 62). Le protonotaire Marco Cornaro était créé
cardinal en consistoire, le 28 septembre 1500 : le lendemain de la nouvelle,
1er octobre, son père se présente au colleyio, avec une nombreuse escorte
de patriciens : tout le monde lui tend la main. Il dit que son fils est vénitien
et n'agira que suivant les inspirations du gouvernement vénitien ; ce à quoi
le doge répond avec joie : Sonocertissimi. Il annonce ensuite que son fils, si-
tôt arrivé, viendra faire sa révérence. Le 2 octobre, l'orateur du pape vient
annoncer officiellement la nouvelle et faire l'éloge du nouveau cardinal
(Sanuto, III, 858 : 861).
1) Y. Qualis estedebeat domus cardinalis, dansPauli Cortesii, De Cardina-
latu, ï" xl et suiv.
2) Le cardinal Villiers de la Groslaie,évêque de Lombez, abbé de Saint Denis,
ambassadeur de France, brilla entre tous par son faste à la fin du XVe
siècle. Possesseur d'une chapelle à Saint Pierre, qu'il voulut orner.c'est lui qui
commanda et fit exécuter à Michel Ange, comme nous l'avons dit, l'admirable
Pietà. Mais il dépensait tellement qu'il dut soutenir un long procès contre les
moines de Saint Denis réduits, s'il faut les croire, à une portion trop con-
grue. On lui attribuait, d'ailleurs, les habitudes des grands seigneurs de
l'époque. Un jeune neveu qu'il menait avec lui et en faveur duquel il résigna,
avant de mourir, l'évèché de Lombez, passait, au dire de Burckard, pour
son fils.
3) Le cardinal Ascagne Sforza est pris à la chasse, le 23 mai 1505, de la
maladie qui l'emporta le 28 (Diarium, III, 390).
4) L'évêque d'Albi, fait cardinal, offre un banquet à tout le Sacré
Collège ; les cardinaux vénitiens s'abstiennent (janv. 1510. Sanuto, IX,
477).
5) V. not.Muntz, Raphaël, p. 279. On sait, par exemple, le grand rôle joué
par l'illustre cardinal Grimani à cet égard. Sanuto nous donne (VI, 174-175)
une description du dîner offert par lui à l'ambassade vénitienne, le 16 mai
1505, description enthousiaste. On fait visiter d'abord aux ambassadeurs le
splendide palais, la bibliothèque, la collection de marbres et d'objets an-
tiques, la collection de vases d'or et d'argent à bas reliefs sculptés, dont
plusieurs étaient évalués 15 ou 20.000 ducats. Le diner offert à l'ambassade
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 377
préséance, ils passent immédiatement après les souverains et
à côté d'eux1 ; en France, ils ont le pas sur les princes du
sang1. A leur nomination, ils reçoivent les félicitations des
chefs d'Etat', souvent par lettres directes, et ils y répondent
de môme, dans un latin de grand style'. Ils correspondent
comprenait soixante quatorze couverts, avec un luxe prodigieux de vaisselle
plate: un grand orchestre joue : entre chaque service commandé par le
sénéchal, se produit un intermède spécial, soit de musique, soit de bouffon-
nerie. Les plats sont admirablement montés et rehaussés de fleurs, surtout
de roses. On lave les mains des convives avec de l'eau de rose : des parfums
capiteux flottent en l'air. C'est un défilé de friandises, de crèmes, de sucre-
ries, de plats exquis, de rôtis composés avec un art extrême : des faisans et
des paons avec leurs ailes, leurs têtes et leurs queues ; des garnitures de
citrons, de confetti, de saucissons de Bologne. 11 y a quinze services; chacun
se compose ordinairement de dix huit plats. Avant le dessert, deux pasteurs
récitent une églogue en l'honneur de Venise. Bief, c'est un enchantement de
l'esprit, un enivrement de chère exquise et fine, de vins généreux, d'harmo-
nie, de parfums.
i) Lorsque le cardinal de Monreale vint à Naplcs couronner le roi Al-
phonse, il arriva avec deux cents chevaux. Le roi, le corps diplomatique,
l'aristocratie, allèrent au devant de lui à un demi mille de la ville : le clergé,
sous la conduite de l'archevêque, était aux portes et prit la tête du cortège. Le
cardinal entra dans la ville sous le même baldaquin que le roi, avec une es-
corte d'environ 1300 chevaux (Sanuto, Spedizione, p. 37).
■1) Not. Entrée de Louis XII à Milan en 1507 (Sanuto, Vil, 83).
3) L'évêque de Corne étant nommé cardinal, l'ambassadeur de Venise à
Milan va le voir et le féliciter: Ant. Trivulzio proteste qu'il est l'homme de
Venise, etc.. Il reçoit avec le bref du pape un grand nombre de lettres de fé-
licitations des cardinaux. Lui-même .signifie son élévation à la seigneurie
de Venise, par une lettre latine, où il rappelle tous les motifs de son élection
et fait part de sa propre joie, « ob dignitatis amplitudinem, supra quam
vix quicquam in humanis sperare licet » (Oct. 1500. Sanuto, III, 880, 881).
4) Lettres d'affection el de dévouement, de cardinaux au doge, en
réponse à ses lettres de félicitation pour leur nomination (octobre luOO.
Sanuto. III, 1031, 1032, 1044. 1091, 1113). Outre les formules « Ill">e
princeps et Excell"1» d»e, » l'un lui dit : » Domine colendissime, eommenda-
tissime, » l'autre « Domino mèo observandissimo. » L'un signe » Ecc° Ve
devotissimus, » l'autre « Eidem Domin' V« Excell"" deditissimus. » Un autre
ajoute « ut frater » et adresse « Inclyto Venetorum duci, nostro, uti fratri,
observandissimo.» Un autre « Domino meo colendissimo », et signe « Excme
Ve Excelle servitor. » Un autre n'emploie que les formules officielles (cardal
de Modène) et répond un mois après.
378 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
avec les souverains, ils parlent haut1. Désirent-ils entretenir
un ambassadeur, ils le mandent par un de leurs serviteurs,
secrétaire, palefrenier2.... Ils sont très riches3 ; outre leurs
revenus personnels, et le produit de leurs archevêchés, évê-
ohés, offices et bénéfices, tous possèdent à Rome même un
revenu variant de 2.000 à 18.000 ducats*. Mais c'est là leur
coté faible : étant riches, ils aiment la richesse, et travaillent
régulièrement à accroître leurs revenus.
Personne ne peut donner de plus utiles renseignements et
de meilleurs conseils qu'un cardinal. Il est d'usage qu'un am-
bassadeur, le lendemain de sa réception par le pape, monte
à cheval et aille voir chacun des cardinaux5. Il peut pour la
1) Lettre du cardinal de Sainte Croix au doge de Venise sur la perte de
Modon, 20 septembre 1500, en latin. Il expose le souci du pape et des cardi-
naux, les vastes projetsdccroisade.il a, dit-il. reçu les lettres du doge, par l'am-
bassadeur (dont il fait l'éloge). Il dit : « Ill'ue princeps et excell»'" d»c, d"e co-
lendissime » et signe: « Exoellentissimae vestras Excellentiœ deditissimus »
(Sanuto, III, 850-852). Le cardinal de Médieis envoie à Venise, avec une
lettre de créance, son cousin André de Médieis, qui se présente au conseil. Il
demande qu'on appuie le retour des Médieis à Florence (Ml janvier 1504.
Sanuto, V, 782). Lettre de créance du cardinal de Naples à la S'ic de Venise,
pour un envoyé, que le légat du pape présente au conseil (juin-déc. 1502.
Sanuto, IV, 577). Il demande une bonne réception au nom de la bienveillance
de la république pour lui : lettre en latin, sans spécification d'objet (Il s'agit
d'exécuter le testament du cardinal de Sainl .Marc).
2) Un cardinal fait dire à l'ambassadeur de Venise à Rome de venir lui
parler (Sanuto, Y, 570). Le cardinal Ascanio Sforza envoie son secrétaire à
l'ambassadeur de Venise sous un prétexte quelconque, en réalité pour l'en-
tretenir des pratiques de rapprochement entre la France et l'Allemagne contre
Venise (1504. Disp.di Giustinian, III, 53). Le cardinal de Naples prie, par
un palefrenier, l'ambassadeur vénitien de lui envoyer un secrétaire pour
une communication importante (avril 1503. /(/., Il, 117).
3) Burckard, passim. Le cardinal de Saint Pierre aux Liens, neveu de
Jules II, mort le H sept. 1508. avait 44.000 ducats de revenu (Sanuto, VI,
029). D'après les Capitol! volés au conclave de Pie III, le pape devail assurer
à chaque cardinal un minimum de (i, 000 florins de revenu (Archives du Va-
tican, reg. |3 LV, fo« 485 et suiv.i.
4) Cardinal Riario (Burckard, III, p. 50, 37).
5) Burckard, III, 388. Les orateurs de Venise à Naples, font, en
MOYENS DACTION DIPLOMATICCES 379
forme, demander au pape L'autorisation préalable '. 11 présen-
tera à certains cardinaux des Lettres de créance', IL leur tien-
dra le langage prescrit par ses instructions1.
Les cardinaux se divisent en groupes, suivant leur nationa-
lité, leur origine, leurs visées, leur tempérament. L'ambassa-
deur fera bien de multiplier les visites et les relations, de
persuader à chaque cardinal (pie le roi est son ami, et de dé-
ployerdansee but beaucoup de patience*. Il emploiera, au fond,
les mêmes procédés qu'ailleurs. Des archevêchés, desévêchés,
des bénéfices, ou même une bonne pension, attachent un car-
dinal à un pays', môme sans le titre otlieiel de protecteur.
sanl ii Rome, visite à tous les cardinaux (Dec. i.'iOC. Sanuto, VI, 514. —
Dép. îles amhass. milanais, du 28 mars 1466. Aivhivio Sforzesco). Le nouvel
ambassadeur de Venise à Rome en 1502 fait ses \ isites d'arrivée avec son
prédécesseur. Il va voir le duc de Valentinois, qui, selon son usage, ne le
reçoit pas, puis ils se rendent, comme d'habitude, chez, tous les cardinaux
^Villari, Disp. diGiustinian, I, l.'i). En juin 1501, Stuartd'Aubigny, avant de
quitter Rome, a une audience privée du pape; à la sortie, il est embrassé
pur tous les cardinaux (Burckard, Diafium, III, p. 150).
t) Instruction prescrivant, après avoir parlé au pape, de parler aux cardi-
naux, ensemble ou en particulier, « par l'avis et Jélibéracion de nostreditS.
Père » (1393. Douet d'Arcq, Clwix.... I. 112).
■1) Mutinas Corvin. réclamant l'appui du Saint Père contre les Turcs, en
1 '.lit. envoie une ambassade au collège des cardinaux (Epistolx Mathiœ
Corvini. p. S7:. Cf. Reumont, ouv. cité, p. 153.
3 Pierrede Médias ira voir le cardinal Visconti, le cardinal d'Aragon, le
dinal Orsini,les cardinaux SavelIi,Conli,Colonna et autres prélats :1e lan-
»e qu'il devra tenir lui est soigneusement dicté (Instr»" de son pore.
Roscoé, pièce i.rx).
i) Ou même, au besoin, des menaces. Dans les Capitoli imposés au pape
futur dans le conclave de Pie lit, figure l'obligation de défendre les cardi-
naux contre les représailles de princes mécontents de leur voie en consistoire
ùves du Vatican, reg. ';> LV, F»' 185 el
5) Les cardinaux, même celui de Strigonie, se livrent un peu à la chasse
des bénéfices (Sanuto, V, ¥13). L'orateur d'Espagne introduit au conseil un
envoyé du cardinal Capaze, qui demande une abbaye (10 oct, 1503. Sanuto,
V. 156). Le cardinal de Sainte-Croix intrigue près de l'ambassadeur impérial
pourse taire recommander au roi des Romains, mais l'ambassadeur n'a nulle
confiance en lui (1506. Le Glay, Négociations, I, 121).
380 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
L'argent tout simple peut faire son office, pourvu qu'il s'agisse
d'une somme conforme au tarif des ministres européens1.
La seigneurie de Venise écrit, le 15 novembre 1514, à son
ambassadeur à Rome de « donner au Révérendissime (cardi-
nal) Médicis les 10.000 ducats qu'il désire, et qu'il nous aide *».
Le meilleur ami est un neveu du pape. C'est ainsi que Char-
les VIII s'assure les bons offices de Laurent Cibo, neveu d'In-
nocent VIII, archevêque de Bénévent, qui adresse au roi la
lettre suivante, type d'un contrat de ce genre:
« Au Roy, mon souverain seigneur.
Sire, toujours si très humblement que faire le puysà vostre
bonne grâce me recommande. J'ay receu par nions1' de Saint -
Denys voz lettres, par lesquelles il vous plaist que j'aye par
decza la cure et charge de voz affaires, dont très humblement
je vous mercye.
Sire, si je me suys voluntiers et de bon couraige employé
le temps passé à vous servir bien et loyaulment, je m'effor-
ceré de faire uncore (sic) mieulx le temps qui vient, en manière
que cognoestrez que par moy ne tiendra que voz affaires ne
soient accompliz. Car, ainsi que souvent vous ay escript, vous
estez le prince seul en qui du tout ay mis ma fiance, et qui me
suys du tout délibéré de servir. Et vous plaira tousjours me
commettre voz dites affaires, pour lé acomplir de toute ma
puissance, au plaisir Nostre Seigneur, lequel je prye qu'il vous
1) Dépêche vénitienne, à l'ambassadeur à Rome, du 25 octobre 1512, lui
prescrivant de conquérir à tout prix la faveur du pape et l'autorisant à don-
ner de l'argent aux personnages influents (Arcb. de Venise). Dépêche de
Dandolo, du 28 déc. 1512, rapportant une conversation de Louis XII, qui se
dit sûr du pape et qui déclare avoir fait distribuer des sommes de 10.000 écus
dans son entourage (mêmes Archives). Gomme nous l'avons observé plus
haut, 10.000 écus paraissent alors le tarif réglementaire.
2) Conseil des Dix. Cf. la lettre de Charles VIII, de Pavie, 15 octobre
(1494) à « un cardinal », son agent (fr. 2962, fo 112).
MOYENS D ACTION DIPLOMATIQUES 381
doint bonne vie et longue. Escript a Uonmie. le XXVII*" jour
de mars.
autogr.) Voslre très humble serviteur,
le cardinal de BénévenV ».
Le cardinal de Bénévent témoigne de son zèle en recom-
mandant à Charles Vil l des cousins du pape -.
Mais le seul groupe sur lequel un ambassadeur doive réel-
lement compter est celui des cardinaux de son pays '. L'am-
bassadeur n'a rien à craindre en affichant avec ceux-ci une
intimité toute naturelle ; il peut descendre, à son arrivée, chez
l'un d'eux ' et y habiter. Ces cardinaux seront ses appuis, ses
conseils, ses auxiliaires reconnus 3 : ils agiront dans le même
sens <pie l'ambassadeur et beaucoup plus efficacement6, en
défendant les intérêts nationaux dans le consistoire et près du
pape, en provoquant et en soutenant des manifestations na-
1) Ms. IV. 18538, n<> 255.
2) Julien et Raphaël Grimaldi, «at'fîns » du pape (ms. IV. 15538, 135). Cette
lettre est visée dans le Catalogue d'une vente d'autographes (Louis de Lomé-
nie) par M. Charavay, 14 décembre 1883, no 125.
3) En 1500, les cardinaux étaient au nombre de trente cinq, soit vingt et
un italiens et quatorze ullramontains (dont six espagnols et six français).
Les vingt et un italiens se subdivisaient ainsi : deux napolitains, cinq génois,
trois vénitiens, un de Turin, quatre romains, trois de Milan, les cardinaux
de Sienne, de Ferrare et Médicis (Rapport de l'ambassadeur Capello. Sanuto,
III. 842). En 1510, il y avait trei-te huit cardinaux, dont seize ultramontains
et vingt deux italiens, parmi lesquels bien des amis de la France (huit fran-
çais, dont un ennemi du roi, Albret ; d'autres en France), six génois hostiles
à la France, deux vénitiens, très dévoués à Venise, sept espagnols, un
hongrois (Sanuto, X, 74).
4) L'ambassadeur de Venise descend chez, le cardinal Grimani (Burckard,
Diarium, III, 75).
5) A la mort d'Isabelle la Catholique, l'ambassadeur d'Espagne fait prendre
le deuil aux cardinaux de sa nation (Diarium. 24 déc. 1504).
6) Etre représenté à Rome par un cardinal est un grand avantage. Le car-
dinal Saint Denis (1499) a accès près du pape et parle net. Ludovic Sforza,
outre son ambassadeur G-uasco,a son frère "Ascanio, vice-chancelier de l'é-
glise, qui lui adresse des rapports presque quotidiens (Jean d'Aulon,!, pièces,
p. 327;.
382 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
tionales. Ils lui prêteront main forte; eu toute circonstance :.
Dans le cas de rupture, de rappel de l'ambassade, ils restent
et continuent à négocier. Ce sont eux encore qui prépareront
et faciliteront les rapprochements2.
Sur un terrain aussi neutre, aussi international que celui
de Rome, chaque cardinal peut appartenir ouvertement à sa
patrie 8. L'ambassadeur qui arrive commence donc par voir
ses cardinaux et par s'entendre avec eux 4. Les cardinaux vé-
nitiens surtout se multiplient au service de leur pays % par
1) A Rome, en 1303, Machiavel agit avec le cardinal Sodcrini, en toute
circonstance. « Il sert notre république avec tout le zèle que doit inspirer
l'amour de la pairie, écrit Machiavel: mais il craint qu'un désir trop ardent
de faire le bien ne l'égaré et ne lui fasse commettre quelques erreurs. Il vous
prie donc de nous faire passer vos instructions sur les mesures que vous
croiriez utile de proposer au pape... » (Machiavel, Dép. de Home, 30 novem-
bre 1503).
2) Le cardinal anglais Caste], du titre de Saint Chrysogone, rapproche
Venise et l'Angleterre, en 1509 (Sanuto, VIII, 1*2). En 1514, les cardinaux
de Nantes et de Pavie négocienl un rapprochement entre Jules 11 et
Louis XII (Lett. île Louis XII, II, 216). Malgré la guerre et l'excommu-
nication, en 1509, Venise demie, en rappelant ses deux orateurs à Rome que
le pape ne veut plus voir, d'en envoyer six antres. Les deux premiers parlent,
s'embarquent à Ancônc sur les galères delà république et y font préparer
pour leurs successeurs des chevaux que le pape envoie. En effet, les six nou-
veaux ambassadeurs arrivent, vêtus d'écarlate, à Rome, le soir, avec la ré-
ception habituelle, sous des torrents de pluie. Ils s'entendent avec les cardi-
naux Grimani et Cornaro. Le pape leur permet de rendre leur visite à ces
deux cardinaux, mais leur défend, comme excommuniés, d'entendre la
messe fSanuto, VIII, 367, 370, 433, 502,519). A leur audience, après la ré-
conciliation de 1510, les ambassadeurs de Venise sont encore présentés au
pape par leurs cardinaux (Sanuto, X, 34).
3) Le cardinal de Sainte Croix (espagnol), depuis la nouvelle de la mort de
la reine d'Espagne (24 décembre), n'est pas sorti de chez lui et reçoit des
visites de condoléance. L'ambassadeur vénitien s'y rend (26 déc. 1304. Dtsp.
di Ant. Giiisthuan. 111, 346).
4) Commission vénitienne du 20 juin 1509 (Arch. de Venise).
5) Le cardinal Crimani écrit à la S"e de Venise, en italien (8 oct. 1502. Sa-
nuto, IV, 339). Il écrit au doge l'élection de Jules II, avec éloges (pour le
rassurer sais doute. Id., V, 300). Le cardinal Cornaro envoie de longues let-
tres de nouvelles de Rome, à l'ambassadeur vénitien resté à Viterbe (sept.
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 383
patriotisme, sans autres récompenses que des faveurs cou-
rantes '. Dansées conditions, les cardinaux nationaux jouent
le rôle d'ambassadeurs supérieurs '. Il faut que L'accord
règne entre les cardinaux et L'ambassadeur'; d'autre part.
L'ambassade doit à ses cardinaux le plus énergique appui '.
Enfin, ou matière de conclave, L'ambassadeur à Rome scia
appelé à une action trcs particulière, qu'il doit préparer de
longue main par ses rapports avec les cardinaux. Il s'agit
d'assurer la Liberté matérielle du conclave et son issue.
1310. LL. M, •JTS). Venise informe ses cardinaux des nouvelles, par de^
voies secrètes, en 1509 ilnstr'>" du lit mai 1809, à Jacq. Caroldi. Secreto
M , 1 8
1) Lettre de recommandation du cardinal Grimani à la seigneurie, pour
son père (1503. Sanuto, Y.. £63), en italien. Il écrit: « Serenissime princeps,
et D»,; excellentii»1', » et « servitor. » Le cardinal Cornaro, écrivant pour re-
mercierde la collation d'un bénéiiee, s'adresse au contraire au doge et a la sei-
gneurie : ' Serenme et illustr*"8 princeps, excellent18' domini ci patres mei
colendissimi, commendatissimi, » et signe ci Excellentissi,',"n illustrissima-
rumque Dominationum vestrarum Immilis servitor : » il écrit en latin, en ter-
mes pompeux et exagérés, avec force superlatifs. A l'en croire, aucun titre,
aucun évêché ne lui a l'ait autant de plaisir que ce bénéfice (3 mars 1501. ld.,
III, U94-1
2) Les cardinaux espagnols du temps d'Alexandre Vf, sous Jules II les
cardinaux vénitiens, forment un groupe compact. Venise considère ses car-
dinaux comme ses véritables représentants diplomatiques, el compte sur eux
comme intermédiaires, même en cas de suspension diplomatique l'Instruction
vénitienne, 11) mai KJO'J. Secreto 41, 184). Ascagne Sforza, cardinal vice-
chancelier, est jusqu'en 1499 le véritable ambassadeur de son frère le duc de
Milan. Y.Jean d'Auton.tome I, Pièces justificatives.
;]) Claude de Seyssel. ambassadeur de France à Rome, s'entend mal avec le
cardinal de San Severino.
Lu I.'ill. le cardinal d'Audi est arrêté. Le soir même, les ambassa-
deurs de France se présentent pour réclamer: le pape leur refuse audience.
Le lendemain, les ambassadeurs, avec les cardinaux français, et le cardinal
San Severino font d'inutiles efforts et n'obtiennent rien, même en offrant eau
lion: ils >e retirent, se réunissent chez le cardinal de Saint Malo, et décident
de députer au pape trois cardinaux italiens. Le pape écrit à ce sujet à son
orateur en France, et ne se gêne pas pour parler mal de la France (Sanuto,
X, 725, 726).
384 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Lorsqu'un pape meurt, il se produit jusqu'à l'élection de
son successeur un interrègne, une période de trouble, dans
laquelle les ambassadeurs tiennent une grande place. A la
mort d'Alexandre VI, l'ambassade espagnole intervint effica-
cement ; le collège des cardinaux réclama aussi l'intervention
personnelle d'un ambassadeur de France, de quatre ambas-
sadeurs d'Espagne et d'un envoyé vénitien *, pour obtenir que
César Borgia quittât la ville avec ses troupes2 : au bout de
quelques jours, on arriva à un arrangement 3 : l'ambassadeur
d'Espagne garantit que, pendant la vacance du Saint Siège,
César, les Colonna et les troupes espagnoles n'approcheraient
pas de Rome à plus de dix huit milles. Les ambassadeurs de
France prirent le même engagement pour les Orsini et l'ar-
mée française ; ils demandèrent aussi qu'on leur consignât le
château de Yitcrbe ; ce que les cardinaux refusèrent. Les am-
bassadeurs d'Espagne demandèrent seulement que les cardi-
naux espagnols pussent librement venir au conclave... '
Bientôt, les cardinaux étrangers arrivent, le conclave va
s'ouvrir. Les cardinaux délégués au commandement des
forces militaires choisissent alors les gardiens du conclave, à
qui ils envoient un billet d'avis. Pour le conclave de 1503,
après la mort d'Alexandre VI, ces gardiens sont au nombre
i) Les cardinaux italiens demandent à l'ambassadeur de Venise l'envoi à
Rome de cent lâritassins,avec un capitaine (Villari,D«$/jacci di A. Giustinian,
II, 146).
2) Burckard, Diarfum, III, 250.
3) Les ambassadeurs ne sont pas d'accord et récriminent quelque peu.
Ceux d'AIleinagne, de France, d'Espagne, de Venise sont cliargés de voirie
duc de Valentinois et rendent compte de leur mission chez le cardinal de
Naples (Dispacci di A . Giustinian, II, p. 158). Il y a beaucoup d'émotion.
Valentinois s'entend avec l'ambassadeur de France. Grand trouble et honte
de l'ambassadeur d'Espagne. Les cardinaux palatins s'adressent à l'am-
bassadeur de Venise pour négocier la paix entre eux et les Orsini (Id..
p. 179).
4) Burckard, III, 255.
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 385'
de trente deux : sept archevêques ou évêques, trois ambassa-
deurs ecclésiastiques de France. d'Angleterre el de Sienne,
lc> deux ambassadeurs laïques de France, trois ambassadeurs
laïques d'Allemagne, d'Espagne el de Venise, trois fonction-
naires de Home, les treize chefs delà police el un capitaine.
Les gardiens prêtent serment; Louis de Villeneuve, ambas-
sadeur de France, et L'ambassadeur de Sienne s'étant abste-
nus du serment, se virent exclus de la garde '.
Le conclave s'ouvre : chaque cardinal reçoit, par voie de
tirage au sort, une cellule, qu'il partage avec les assistants
désignés par lui. La qualité de ces assistants varie à l'infini;
presque tous sont clercs, cependant il s'y trouve des laïques.
Le cardinal de Sienne, malade, prend avec lui son frère
(laïque), un chirurgien et deux clercs : Georges d'Amboise
choisit son neveu, Guillaume deClermont Lodève, archevêque
de Narbonne, et deux diplomates, Claude de Seyssel et Jean
Lascaris *, le premier seul ecclésiastique. A ce personnel, il
faut ajouter le personnel de service pour le conclave lui-
même, médecins, maîtres de cérémonies, huissiers, etc. Com-
ment, parmi tant de monde, garder le secret ? avant le scru-
tin définitif, il se trouve des gens pour tout comprendre et
tout répéter.
Au conclave de Jules II, les gardiens furent au nombre de
trente sept, parmi lesquels l'ambassadeur de Ferrare, et les
mêmes ambassadeurs que précédemment, sauf celui de Sienne >
Dans ce nouveau conclave, Georges d'Amboise joignit à ses
assistants Geffiroy Caries, vice-chancelier de Milan.
Parlerons-nous des intrigues qui s'agitent avant le con-
clave? En 1503, les Français veulent le cardinal de Rouen, et
Les Espagnols n'en veulent pas. On se précipite au-devant du
1) Burckard, 268.
2) Burckanl, 269.
25
386 LA DIPLOMATIE AD TEMPS DE MACHIAVEL
cardinal de la Rovère, qui passe pour le futur pape... ' M. de
Trans, ambassadeur de France, s'adresse au duc de Valenti-
nois pour obtenir des voix au cardinal de Rouen : le cardinal
de la Rovère à Prospcro Colonna, pour les voix espagnoles * ;
l'ambassadeur vénitien s'arrange pour voir, à la fois, le car-
dinal de Rouen et les ambassadeurs espagnols3. On ne néglige
aucun moyen, petit ou grand.
M. de Trans affecte de traverser Rome avec des escortes
armées *. Jean Lascaris, ambassadeur à Venise, va se plaindre
à l'ambassadeur de Venise que la République fasse voter ses
cardinaux contre Rouen. L'ambassadeur répond que les car-
dinaux voteront selon leur conscience, et se rend de suite
cbez Rouen, pour certifier de l'impartialité de son gouverne-
ment: Rouen lui dit qu'il y a une ligue, même un serment, entre
certains cardinaux, pour ne pas élire un pape français ; il rap-
pelle les services et le rang de la France, il se déclare étonné ;
car l'Eglise ne se trouve pas bien d'avoir été administrée par
un Espagnol, et même par certains Italiens. 11 ajoute des me-
naces : <( Nombre de cardinaux vendaient leurs suffrages,
c'était une honte : s'il échouait, il promettait de crier si haut
qu'on l'entendrait 5 » .
Les souverains interviennent d'une manière savamment ca-
chée. Officiellement, ils écrivent des lettres pour s'en remettre
à l'Esprit Saint, réclamer la liberté des cardinaux, pour affir-
mer qu'ils ne désirent rien que l'élection d'un bon pasteur G.
L'ambassadeur d'Espagne vient à la seigneurie de Venise, le
25 octobre 1503, après la mort de Pie III, et, dans un dis-
1) Disp. di Giustinian, II, p. 181.
2) M., 183.
3) Ii„ 189.
4) Dispacci di A. Giustinian, II, 193.
8) Id.. p. 195-196.
6) Lettres du doge, du roi des Romains (Sanuto, V, 97-100, 422).
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 387
cours |ong et sentencieux, propose de s'allier pour l'élec-
tion <lu pape. 11 dispose, quant à lui, de seize voix : il ne
demande qu'un pape bon et nrutra/, mais il faut se hâter,
parce que peripufurn est in mora. Le doge répond que Venise
n'a pas d'affection spéciale; que, dans ces affaires ecclésias-
tiques, elle a toujours laissé faire à Dieu, qu'en croyant bien
: . on pourrait se tromper, et que. si son fils même était
cardinal, il se contenterait de prier Dieu pour la pieilleure
élection dans l'intérêt de la religion chrétienne. Cette ré-
ponse est fort approuvée '. Or, pendant qu'il tient ce langage
exquis, le même doge, d'un côté,, se représente près de la
France comme acquis au cardinal d'Amboise :, et, de 1 autre,
il écrit secrètement à son ambassadeur de se rapprocher
du cardinal Saint Pierre aux Liens (le futur Jules II), de
lui dire que Venise le vent pour le pape, de le soutenir,
de parler de lui aux cardinaux vénitiens 3. Louis XII
agit plus ouvertement ; il met en campagne un cardinal
français, fort influent, le cardinal de Nantes, qui va
voir ses vénérables collègues avec une créance spéciale
du roi \
1) Sanuto, V, 208.
■1) Le roi îles Romains, lui aussi, s'en remet officiellement à Dieu, tout en
écrivant à l'ambassadeur vénitien à Rome, pour le prier, en propres termes,
d'aider à la nomination d'un pape qui lui soit agréable, et que son ambassa-
deur lui désignerait non d'un adversaire (le cardinal d'Amboise) 30 oct. 1503
(Sanuto, V, 424).
3) Dép. du 9 sept. |3Q3. Le 21 février 1313. elle écrit, en cas de mort du
pape, de soutenir le cardinal Grimani.
4) Orig., ms. fr. 2928, 1° 7. « Monsieur le cardinal, j'ay esté présente-
ment adverty de la griet've malladie du pape, de laquelle est à doubter que la
mort s'en ensuyve. Et pour ce que je désire de tout mon cueur la paix et unyon
de l'église, j'fiscrjpU: présentement à ÇJtessr» les cardinaulx du sainct colliége
en général, comme verre/., et a mous' le cardinal de Nantes pour leur l'aire
et à vou> particulièrement, aucunes remousLrances pour le bien de ladite
egiisi' et éviter et abollir tout scisme et division qui y pourroit advenir.
38 8 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Après l'élection, les voiles se déchirent, la trame apparaît.
Le légat de Jules II, en arrivant à Venise, prononce un long
discours, où il remercie notamment le conseil de la part prise
parles cardinaux vénitiens à l'élection du pape '. Le cardinal
d'Amboise se plaint ouvertement à l'ambassadeur de Venise
que Venise l'ait desservi pour la tiare \ Mais dès ce moment
recommencent de nouvelles trames secrètes pour le moment
où le nouveau pape mourra 3.
Nous avons parlé jusqu'à présent des moyens d'action à
l'usage des ambassadeurs. Contre eux, on emploie les
mêmes.
Certaines puissances, comme nous l'avons dit, défrayaient
les ambassadeurs * ; c'est un procédé extrêmement habile,
et, même dans les cours où ce défrai n'est pas de règle, môme
Dont j'ay bien voulu aussi vous escripre, vous priant que, comme celluy que
je scay qui a singulier zèle et affection à ladite paix et unyon de l'église,vous
y vueillez avoir regard et croyre ledit cardinal de Nantes de ce qu'il vous en
dira de ma part, comme vous feriez ma personne propre. Et à Dieu, nions''
le cardinal, qui vous ait en sa garde. Escriptà Bloys, lexxv»jourde février
Loys. Robertet. »
1) Dec. 1503. Sanuto, V,478.
2) 20 janv. 1504. Sanuto, V, 787.
3) Pour gagnera ses intérêts le ministre le plus influent du roi de Hongrie,
le cardinal Thomas Bakocz d'Erdoed, l'empereur signe, en mai 1505, un
acte, par lequel il s'engage à favoriser, après le décès de Jules II, la candi-
dature du cardinal hongrois au Saint Siège. Dans cet acte, il constate qu'il
s'était entendu avec le roi d'Espagne pour ne pas admettre l'élection d'un
cardinal français, et il exprime l'espoir que, le roi de France ne pouvant faire
aboutir son propre candidat, le cardinal d'Amboise soutiendrait le candidat
hongrois (Rapport de Pasqualigo, au Musée Correr à Venise, cité par Fraknôï).
4) Ainsi le roi de Portugal défraie les ambassadeurs (Gairdner, Rist* régis
Henrici septimi, p. 194). A Milan, le légat a latere est logé et entretenu par
le duc ; les ambassadeurs de France et d'Allemagne, tes Électeurs, de
même ; le légat non cardinal recevra un présent de 25 à 30 ducats, le nonce
de 15 à 16, les ambassadeurs de Ferdinand, et autres, 20 ducats; les envoyés
de Venise et Florence, 25 ou 30 ; de Modène, 20 à 25 ; les marquis de Mantoue,
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 389
à la cour de Home ', on sait y recourir dans certains cas3.
Sans doute, quand il n'y a pas réciprocité, un patriotisme
étroit peut s'indigner. « Aucun roi ne défraie nos ambassa-
deurs, et Venise défraie tous les leurs. C'est un peu étrange,
mirum, n s'exclame le vénitien Marino Sanuto, encore jeune3;
plus tard, il ne s'en étonnera plus. Connûmes, devenu ensuite
Vami officiel des Florentins, ne peut cacher sa satisfaction
d'avoir passé un an à Florence défrayé de tout « et mieux
traité le dernier jour que le premier '. » Accurse Mainier,
ambassadeur de France à Venise en 1500. se laisse entière-
ment gagner par les bons procédés des Vénitiens. Un an
après son arrivée à Venise, il rêve de s'y installer, d'y obte-
nir le patriciat, et dans cette vue il oublie absolument son
devoir d'ambassadeur s. Rappelé en France, il ne s'aperçoit
de Montferrat, recevront des présents de 300 ducats, leurs envoyés rien :
aux envoyés de Sienne, de Bologne, de Lurques, et de Suisse, on offrira 12
ducats; à ceux de Gènes, quoique sujets, la même chose, et cela à chaque
orateur. Si les envoyés ne font que passer un soir ou deux, il sera plus éco-
nomique dépaver leurs dépenses (Règlement de 1468, publié dans l'Archo
star* lombardo. 1890. p. 149).
1 Le jour de l'audience publique, le pape fait donner à l'ambassade alle-
mande d'énormes provisions, qui étaient déposées dans des charrettes sur la
table : 200 corbeilles de troment. 100 d'orge, -200 speltaR, 1S0 mesures de vin ;
100 torches de cire blanche, 25 paquets de chandelles blanches; 25 échinées de
porc. 400 anguilles assez grosses, 4 pots de caviar, 4 bouteilles de malvoisie,
50 pains ex zuccaro, 100 scatulœ cttriaiidolorum ex zuccaro de diverses
sortes, six caisses d'aliments de carême (figues, raisins secs, etc.), une caisse
d'eeufs de poisson secs (11 avr. 1511. Frati, Le due spedizioni militari di
Giulio II. 267). A la prise de Bologne, Jules II fait loger les ambassadeurs
qui le suivent (France, Allemagne, Espagne, Venise, Florence, Gènes) dans
diverses maisons (Id., 93, 94).
2 En 1510, Louis XII t'ait « sesdespens» à l'ambassadeur extraordinaire
de l'empereur (évoque de Gùrck) et à tout son train : il le loge près de lui, au
château de Montils. au château d'Amboise (Lelt. de Louis XII, II, 53).
3 Sanuto. Spedizione, 651.
4) L. vi, c. v.
.') Fr. Foscari écrit de Loches, le 24 février 1500-1501 (Arch. de Venise,
Dispacci, I) : « Depuis ma lettre du 1 't,['ami m'a lu un article de sa commission
390
LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
pas encore qu'il a été dupé, et il appelle Venise « sa belle
patrie '. »
On trouverait d'autres exemples d'ambassadeurs deve-
nus traîtres à leur mission par l'espoir d'une rétribution.
Mais la trahison est chose délicate à manier 2 et ne réussit pas
par lequel Accurse le charge de dire au roi qu'il a sondé par tous les moyens
vos pensées, et qu'il les a trouvées nettes et très constantes dans leur foi et
leur dévouement ; qu'il faut envoyer des forces suffisantes pour vaincre avec
Venise, sans le secours de l'Espagne. Il rappelle au roi la dime, toutes les
lettres qu'il a élé chargé de communiquer, etc. Impossible de dire mieux.
Il promet, par contre, votre appui pour Naples. Il insiste sur la nécessité de
se passer de l'Espagne. L'ami rend de vous très chaleureux témoignage, mais
il n'a pu voir le roi qu'une fois. Il a mieux vu Ligny et le cardinal d'Amboise,
qui lui ont défendu de parler de Mantoue et de Constantin. Pour Mantoue,
c'est Ligny. Accurse compte que, quand l'armée française sera arrivée, vous
le ferez chevalier, avec un présent de « una vesta de restagno ». Ses lettres
ont grand crédit ici et ont produit le meilleur effet. Il compte faire venir
sa femme à Venise et y rester longtemps.
1) Le secrétaire J. B. « Palmarius » écrit de Blois, le 20 mai 1501, en subs-
tance : & Accurse me force presque à vous écrire, par dévouement pour vous,
que, si le roi des Romains réussit à coaliser l'envie des princes chrétiens1
contre vous, ce pourra être une ruine et un grand scandale. Recule/, pour
mieux sauter, dit-il. Liez-vous avec l'empereur : alors « toutes ces puissances
barbares» ne resteront pas sbiyottite,el surtout cette couronne (de France) vien-
dra «la coreza » en main ; le pape, toutau désir d'agrandir et d'affermir l'état
de son nipote et des siens, vous laissera toute l'Italie ; il serait, dit-il, facile
de le prendre. Accurse offre de s'en charger et d'aller à Rome, comme sujet
du pape (Accurse était seigneur d'Oppède, dans le Comtat Venaissin), pra-
tiquer cela. On pourrait aussi se servir du duc de Lorraine, qui est tout
au pape, par son orateur pour l'obédience. « Moi, dit-il, six jours après
l'arrivée ici de messer Franc. Morcsini, je prendrai poliment congé du roi,
et j'irai assettar mes affaires, en attendant la commission de la Seigneurie,
car mon intention est de vendre ici le meilleur de mes biens et de me trans-
porter, moi et ma famille et ma fortune en espèces, « in questa inclyta pa-
tria » (Venise), ne doutant point que, pour mon dévouement présent et passé,
on ne me donne une petite maison où me retirer ». Il aspire à la noblesse
(Dispacci, I).
1) Philippe de Savoie, comte de Bresse, chargé d'une mission contre Mi-
lan et la Savoie par Louis XI, envoie un agent communiquer à la duchesse de
Savoie les instructions du roi, pour rentrer en grâce près d'elle et se faire
payer ce service (avril 14T8, Uiiigins la Sarraz, Dépêches des ambassadeurs
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 391
toujours '. Oll acheté un ambassadeur plus ou moins formel-
lement, en lui donnant de la main à la main des sommes
dai^ent sous un prétexte quelconque, avec beaucoup de bon-
nes paroles', 61 èîl l'expédiant ainsi • j ou bien on le débau-
ohe formellement, en le prenant à son service*, en lui attri-
buant une pension B, ou bien on lui fait un versement après
réussite *.
milanais, I, 91) ; celte proposition est mal accueillie. On croit que le comte
de Bresse veut seulement se mettre aux enchères (/</., 144).
I : In ambassadeur qui a une trùs grande situation à Florence, Pierre
Capponi, informe Pierre de Médicis qu'on lui a offert en France des hommes
et de l'argent pour susciter une révolution (1494. Desjardins, Négociations..,
1,291,373).
- En 14(39, Louis XI corrompt le principal conseiller du duc de Guyenne,
et ce duc corrompt Balue, envoyé français (Commines, 1. n, c. xv). Le duc
d'Orléans donne à l'ambassadeur d'Allemagne une houppelande de velours
noir. et à un écuyer de sa suite une houppelande do damas noir (1398. Circourt
et van Wervecke, Documents luxembourgeois, n° 30). Il donne, en outre, au
premier, 300 livres, au second 112 liv. ; à un gentilhomme de l'ambassade.
300 liv. environ, et au chevaucheur 13 liv. 10 sous (ld., 24. Cf. n<>« 71, 36).
3) En 147.'i. un héraut anglais, nommé Jarretière, né en Normandie.
apporte à Louis XI une lettre de défi du roi d'Angleterre. On se demandait
ce que ferait le roi. Il reçut le héraut en particulier, lui tintde beaux discours,
lui donna de la main à la main trois cents éeus, lui en promit mille en cas
de paix, et lui lit remettre puhliquementunc belle pièce de velours cramoisi,
de trente aunes. Le héraut promit de s'entremettre ; il proposa l'envoi d'un
héraut français pour demander un sauf conduit pour des ambassadeurs, et se
chargea de le piloter. Le roi le fit entourer, de manière qu'il partit sans par-
ler à personne (Commines, 1. iv, c. v).
il Louis XI prend à son service l'envoyé de Xaples Taquin (fr 3884, fo«
8, 8 v°) ; Anne de Beaujeu, les envoyés bretons en 1484.
5) Arch. du Min. des al)', étrangères, Gènes, 1, fo 7"2 v». Décision du
conseil des Dix, de payer à Ali bey, orateur du Grand Turc à Venise, une
pension de 200 ducats, pour l'entretenir dans ses bonnes dispositions. Très
secret (14 février 1514. Arch. de Venise). Hubert d'Autel, envoyé de l'empe-
reur au duc d'Orléans, prête hommage au duc moyennant 500 liv. de pen-
sion, envers el contre tous, sauf ses maitres : l'empereur et le marquis de Mo-
ravie K. 57. 91).
(ii Le comte de Dunois promet 4.000 écus à Philippe de Vère, 30.000 au
comte de Nassau, tous deux ambassadeurs du roi des Romains, si le roi
obtient de Charles VIII la libération du duc d'Orléans (Pélicier, Essai sur le
gouvernement de la dame de Beaujeu, p. 178).
392 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
Les ambassades nombreuses constituent contre cet incon-
vénient un préservatif parfois insuffisant '. Du reste, il ne
parait pas excessif à certains ambassadeurs de réclamer une
somme d'argent à un tiers que leur mission les a appelés à
servir \
Il arrive que des ambassadeurs ne se font point scrupule
d'utiliser leur situation pour leur profit personnel. C'est un
abus qui a toujours existé, et que l'on prohibe ancienne-
ment3 ; un ordre du 31 décembre 1512, de la seigneurie de
Gênes, défend encore officiellement aux ambassadeurs de
faire aucune demande personnelle dans le pays où ils sont
accrédités 4.
1) En 1477, Louis XI gagne les ambassadeurs de Marie de Bourgogne,
tous fort grands seigneurs. Charles VIII envoie à Ludovic Sforza, en 1492,
une ambassade solennelle et nombreuse, comprenant Beraud Stuart d'Aubi-
gny, écossais, chambellan, Charles de la Vcrnade, maître des requêtes : deux
italiens au service du roi, Théodore Gaynier de Favie, médecin, et Jean Roux
de Visques, chambellan: enfin, le secrétaire du roi Jacques Dodieu. Malgré
ce nombre, l'ambassade, un peu inférieure comme qualité, se laissa acheter
par le gouvernement milanais, surtout son chef; Charles VIII refusa pendant
plus d'un an de ratifier ses actes (Delaborde, Expêdon de Charles VIII, p.
223). Cependant, après leur départ de Milan, les ambassadeurs, à qui on
avait eu soin de montrer le trésor ducal, se plaignirent très haut de n'avoir
reçu que des présents infimes, et se moquèrent de Ludovic Sforza. Ludovic
l'apprit et s*cn montra touché, il redoubla de protestations près de la France
(W.,p. 229).
2) Albert de Carpi se fait donner par Jules II confirmation d'une conces-
sion de domaine sur la manseépiscopalc de Reggio (19 juillet 1510. Archives
du Vatican).
3) Un décret vénitien du 14 juin 1238, renouvelé le 30 août 1483, inter-
dit à tout ambassadeur, spécialement à Rome, de solliciter ou d'accepter quo
que ce soit, ni pour lui ni pour autrui (Reuniont, Diplomazia italiana, 227).
Ce décret fut renouvelé en 1505 (Sanuto, VI. 140). Un décret du duc de Milan,
du 8 janvier 1397, constate que ses « ambasciatores, nuncii et procuratores »
préfèrent souvent leurs propres intérêts à ceux de l'État, et leur interdit for-
mellement de rien solliciter, bénéfices, privilèges ni lettres, pour eux, leurs
fils, frères, neveux, parents, ni pour personne (Ântiqua Ducum Mediolani Dé-
créta, Milan, 1654, in-f°, p. 216),
4) En 1452, le duc de Bourgogne donne 6.000 reydders d'or aux ambassa-
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 393
En principe, an ambassadeur ne doit traiter, non pins, au-
cune affaire privée qui le détourne de sa mission. S'il est avo-
cat, médecin il no peut donner que des conseils gratuits,
à titre amical1. Cependant, on voit des ambassadeurs profiter
de leur voyage pour se livrer à quelques opérations commer-
ciales : apporter un lot de fourrures à vendre ', acheter des
curiosités ou des bijoux, obtenir l'autorisation nécessaire pour
créer une banque \ Un national surtout, renvoyé dans son
propre [>a\s comme ambassadeur étranger, trouve bien des
occasions de soigner ses intérêts*. On n'admet guère, pour un
deurs français médiateurs entre lui et les Gaulois (Barante. llist. des ducs de
Bourgogne, VIII. 408). En 1449, à la prise de Rouen, Somerset paie 6.000 sa-
ints aux négociateurs (Chronique de Math. d'Escouchy, III, 360). Ordre du con-
seil des Dix de Venise à l'orateur à Rome, de donner, de la main à la main,
soins ciun solo, mille ducats h l'ambassadeur d'Espagne, avec de bonnes pa-
roles, tout en rappelant que la trêve conclue par lui n'a pas réussi, « car l'em-
pereur y a t'ait deux notables changements : I» il a accru les 10.000 ducats ;
■2o il a libère les prisonniers, dont nous avions taxe d'égale valeur. Néanmoins,
il a montré son attachement pour nous : lui dire que s'il vient à Venise, on le
recevra avec honneur », etc. (11 juin lol2. Arch. de Venise,1.
I; Martini Laudensis, De legatis, q. 35.
2) Les orateurs de Russie près de Maximilien et à Venise envoient d'avance
quantité de fourrures de prix, d'une valeur de quelques mille ducats (1499.
Sanuto, III, 49, etc.).
.'!) Laurent de Médicis, placé à la tète de l'ambassade florentine qui allait
porter l'obédience à Sixte IV, demande pour son frère le chapeau de cardinal,
obtient pour lui-même le droit d'ouvrir à Rome une banque, avec le titre de
trésorier du Saint Siège, et deux bustes en marbre d'Auguste et d'Agrippa. Il
acheta aussi une foule d'objets d'art. Le chef de sa nouvelle banque de Rome
ne tarda pas à acquérir les joyaux du dernier pape et les revendit à gros bé-
néfices à divers souverains (Roscoë, Vie de Laurent de Médicis, I, 173).
il Pat.de Charles VI, autorisant l'archevêque de Rouen, Guill. de Lcstrange
(ambassadeur du pape), à amortir 200 1. p., en considération de services (20
novembre 1379. Inventaire.... des biens de Guill. de Lestrange, Paris, 1888,
i», p. 156-157 . L'amiral de Montauban, breton, ambassadeur de Louis XI en
Bretagne, obtient du duc de Bretagne un louage important (Bibl. de Nantes,
ms. 1807. p. 610-613). Un décret vénitien du XIII* siècle interdit d'aller en
ambassade dans un pays où l'on a des intérêts'personnels (Nys, Les origines
de la diplomatie, p. 9).
394 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
ambassadeur, qu'une demande de bénéfices ecclésiastiques ;
elle réussit ou ne réussit pas, mais on ne semble point s'en
étonner1.
Le poste de Rome est renommé, entre tous, pour ses tenta-
tions. Le jurisconsulte Angélus3 professe qu'un ambassa-
deur qui sollicite àRome un bénéfice pour son frère ne mérite
aucun blâme, mais les gouvernements se montrent moins
optimistes. Un agent envoyé à Rome sous Louis XII, sous-
crit le curieux engagement que voici :
« Je, Antoine Gymel, procureur et ambassadeur pour le
Roy en Cour de Homme, ay promis et promets au Roy, mon
souverain seigneur, que, durant le temps qu'il luy plaira que
je tienne, exerce et le serve en restai, cbarge et office de son
procureur et ambassadeur à Romme, je ne prendray, ne
feray prendre directement ne indirectement de Nc Saint Père,
de nul de Mess" les cardinaux du Saint Siège, ne pareille-
ment de nuls ambassadeurs de princes, ne potentats d'Italie,
ne d'autres personnes quelles qu'elles soyent, en quelque ma-
nière, ne pour quelconque cause, couleur ou occasion que ce
soit, aucuns bénéfices, dons d'argent, de vaisselle, de bagues,
ne d'autres choses quelles qu'elles soyent, ni d'icelles feray
aucune poursuite, fors de l'évesché de Tulles, qu'il a pieu au-
dict seigneur réserver à mon frère, et en sa faveur en escrire
à Y dict Saint Père le Pape. Et s'il est trouvé que je le face
ou face faire, je veuil et consens que ledict seigneur me face
trancher la teste comme lasche et meschant En tesmoin de
1) 29 janvier l.'iOt. L'ambassadeur de France vient au conseil, fort en co-
lère, à propos d'un prieuré de Zara qu'il demandait inutilement pour un prêtre
de sa suite On lui communique des nouvelles, mais il part sbufanao (Sa-
uuto, III, 1354). L'évéquc deMelli, ambassadeur du pape en France, est fait
arebuvèque d'Arles (Id., 298).
'2) Cité par Marlinus Laudensis.
MOYENS DACTION DIPLOMATIQUES 395
re. j'ay signé ces présente^ de ma main. A Mois, lo Bëi-
zicsmcjour de mars, l'an mille cinii cents cl cinq.
Sigiiê : Gymél '. »
Sans recourir à L'argent en numéraire a, la cour de Home
possède bien des manières de plaire a un ambassadeur ; con-
cessions de faveurs spirituelles, d'indulgences: concessions ou
affirmations de droits personnels de patronage pour un laïque8;
nominations ili> notaire apostolique ou dans la pfélatùre pour
un ecclésiastique \ Nous no parlons que pour mémoire du
I) Uss. IV. 2831, f°88: fr. 3911, 1; Dupuy 88.
$ Protestation, en latin, en consistoire, par Nicolas V. que Jacques Cœur,
qui vient d'arriver à Home a été faussement accusé d'avoir reçu de l'ar-
gent et jusqu'à 100,000 ducats (Publ. Quicheràtj Th. Bazin. IV. 347).
3) Approbation du droit de présentation, pour Roger de Gramont et sa
femme Èléonore de Béarn, en récompense de leur sincère affection envers
l'Eglise, et sur leur demande exposant que. de temps immémorial, ils ont eu
le temps de percevoir, en cas de vacance, les dîmes, et de présenter aux
cures un personnage idoneum, dans les seigneuries de Gramont, Bidache,
mx autres, aux diocèses de Dâx, Lescar et Oloron, et même dans qua-
torze autres églises de villages, dont ils ue sont point seigneurs: consi-
dérant que Gramont est conseiller et chambellan de Louis XII, maire, capi-
taine et gouverneur de Bayonne, et orateur du roi ajmd nos, le bref con-
firme et approuve (oct. idus febr. 1501. Arcb. du Vatican, reg. Vatican.
868, f" 94).
1) Guy Pape, conseiller au conseil delphihal, ambassadeur d'obédience
pour le dauphin, est nommé par Nicolas V notaire apostolique (1447 Lêtt.
de Louis XL I. -211)'. Dispense pour cumul de bénéfices à Thomas Pascal,
clerc de Clermont (1494, 5 kal. mart. Archives du Vatican, reg. Vatican 871,
fo 353). Au même, conseiller au parlement de Paris, archidiacre cl orateur
du roi de France, concession des titres et privilèges de notaire apostolique
(Ibid., non. febr. 1503). Bref à maître Guill. Bongtiier, diacre du diocèse
d'Orléans, licencié en décret, « notre notaire et familiarit ». abréviateur dej
lettres apostoliques, maître es arts, oralur et prucurulor generalis de
Charles VIII, lui donnant le droit, dans le délai d'un mois, de choisir le bé-
néfice ou prébende qui lui plaira, dans un délai de six jours de la vacance
(non. sept. l'i'.tT. Arch. du Vatican, reg. Vatican 8";!. I'<» 171). Concession
du pronotariat à l'ambassadeur de Lilhuanio. visée ci-dessus. Le jour de
Saint Jeart êvâhgélisle, 1805* le pape crée quatre prélats assistants, dont un
ambassadeurs impériaux (Paris de Grassis, lat. 5164, f° 27.S v°). Jules
II crée l'archevêque d'Embrun, ambassadeur de France, prélat assistant
396 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
chapeau de cardinal, si violemment recherché, et qui s'ob-
tient mieux à Rome qu'ailleurs : Villicrs de la Groslaic, sous
Charles VIII, Robert Guibé, sous Louis XII, y arrivent comme
ambassadeurs '.
L'évêque de Gûrck, envoyé près du pape en 1511, écrit
qu'où lui a offert tout ce qu'il était possible, cardinalat, bé-
néfices, argent comptant, revenus sous une forme ou sous
une autre..., qu'il a tout repoussé pour rester fidèle à l'em-
pereur et à l'union avec la France 2. Ce refus du chapeau
produit un grand effet. Le chancelier de France déclare le
prélat « bien vertueux 3. »
La rigueur des principes ne va pas jusqu'à interdire à l'am-
bassadeur de recevoir aucun cadeau * ; il peut, au contraire,
en recevoir, et d'ordinaire il en reçoit, nous dirons comment.
Il peut même se vanter d'un petit cadeau, de pure gracieuseté,
comme d'une marque de faveur 5. Un ambassadeur correct
n'accepte un présent quelconque que lorsque sa mission est
(1506. Frati, Le due spcdiziont militari di Giulio II, 105). Le pape crée un
docteur es arts, en chapelle, sur les certificats fournis par des cardinaux et
par l'ambassadeur de Venise (1503. Paris de Grassis, lat. 5164, f» 360).
1) Guibé, évêque de Redon, ambassadeur de France, est fait cardinal par
le pape (1507. Diarium, III, 488). A Rome, le moindre envoyé est assimilé
aux gradués quant à la jouissance des expectatives (1). E. von Ottcnthal, Die
pdpstlicheu Kan-Jeiregeln von Iohannes XXII bis Nieolaus V, p. 165, n. 19
(Regulœ Alexandri V).
2) Lett. de Louis XII, II, 107.
3) Lelt. de Lous XII, II, 182. « Cet ambassadeur a du mérite à être ferme
et intègre, dit Sanuto : s'il avait voulu céder au pape, il aurait pu avoir le
chapeau rouge, la légation d'Allemagne, le patriarchat d'Aquilée, 10,000 du-
cats de revenu » (XII , 148).
4) Il peut recevoir des cadeaux de villes ou de gouvernements (Martini
Laudensis, De legatis, q. 35).-
5) Le jour des Rameaux 1505, Jules II, outre la distribution babituelle de
palmes bénites aux ambassadeurs, donne au second ambassadeur dePologne
une très belle palme artistiquement travaillée et ornée de ses armes, présent
d'un couvent (Disp. de Giustiniau, III, 454). Machiavel, ambassadeur à Ve-
nise, écrit avec ostentation que le pape lui a donné 100 ducats (Artaud, Ma-
chiavel, II, 203-204).
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 397
complètement terminée '. « On ne doit, dit un juriscon-
sulte, accepter de présents que le pied a l'étrier s. » La
seigneurie de Venise oll're aux oratori de Crémone, à
leur choix, la chevalerie, ou un habit de velours pour chacun
et un habil d'or pour l'un d'eux. Les ambassadeurs déclarent
ne pouvoir rien accepter avant que leur ambassade soit expé-
diée, ni sans autorisation de leur gouvernement ; autrement,
disent-ils, à Crémone on nous accuserait de nous faire faire
chevaliers et de négliger notre commission \
Cependant, on peut, a la rigueur, accepter la chevalerie,
ou le don d'une chaîne d'or *. Un procédé irréprochable,
assez adroit et qui ne coûte rien, consiste à appuyer l'am-
bassadeur pour une récompense auprès de son souverain
lui-même ; mais ce procédé n'est guère de mise qu'avec
Rome \
Enfin, il y a un moyen traditionnel de faciliter les négocia-
tions : c'est d'entourer l'ambassadeur jusqu'à l'achèvement de
son mandat, de l'entretenir par des grands dîners, des fêtes,
des représentations de gala6. Le souverain et les principaux
t) D'après l'historien espagnol Ribera, cité par Amelol de la Houssaie
(Discours historique sur les traitez, p. 57), un ambassadeur d'Espagne près
de Charles VIII refusa un cadeau de vaisselle d'argent. Le roi en ayant paru
choqué, l'ambassadeur allégua qu'en Espagne on ne pouvait rien recevoir
qu'après une heureuse conclusion.
•2) Hotman, Traitté de l'ambassadeur, II, § 30.
3) 1499. Sanuto, III, 45.
i i Le 31 décembre 1503, à l'issue île la messe, Jules II crée chevalier de
Saint Pierre l'ambassadeur de Lucques, et lui donne une grosse chaîne,
d'une valeur d'environ 300 ducats (Burckard, Diarium, III, 325).
'■> Adrien Castel reçoit d'Henri VU, comme envoyé du pape, Pévêché
d'Hertford, d'après Reumont (Diplomazia italiana, p. 227), Louis XI envoie
à Rome un ambassadeur demander le chapeau de cardinal pour le « légat
qui est par deçà » (1468. Letl. de Louis XI, III, 193).
6) Amuser un ambassadeur, s'appelle l'entretenir : « M. de Marseille et
M. de Soliers mi (à Louis XII) scrivono da Roma che il Papa intrattiene gli
Spagnuoli. e giudica che sia bene che io ancora l'acci il medesimo »' (1514.
398 LA DIPLOMATIE AU TEMPS DE MACHIAVEL
personnages de. la cour se chargent de ce soin '. On y excelle
surtout en Espagne; c'est là que les ambassadeurs trouvenl
la cour la plus brillante et la plus aimable. Tant que dure
une négociation amicale, ce ne sont que fêtes somptueuses,
beaux offices, danses pleines d'entrain, courses de taureaux,
joutes où figurent les hérauts de l'ambassade. Il y a un ex-
trême déploiement de luxe. Les ambassadeurs assistent à ces
fêtes près du roi, ou dans la tribune royale. « On parle de
l'onnc[u]r que en l'aii es enbassadeurs en Angleterre, dit le
héraul anglais Maehado; certes, ce n'est pas à comparer à l'on-
Desjardins, Négociations, II, 646). Louis Xll emmène à lâchasse l'évoque
de Gûrck : il lui envoie le gibier, c'est-à-dire deux sangliers et un chevreuil
(1510. Le Glay. Négociations, I, 366). On montre à l'ambassadeur vénitien,
au Caire, en 1542, les curiosités locales : des animaux rares (Gh. Sehefcr,
Le VQyatje d'oui renier, p. 194), des crocodiles, etc. (p. 197), on lui donne une
escorte pour visiter les lieux célèbres (p. 201). Au congrès d'Arras, en I i3o,
on déploie un faste extraordinaire : c'est une suite de diners, de conférences
el de cérémonies religieuses, en rapport avec l'importance exceptionnelle de
la réunion (Journal de la /inix d'Arras, fuite en l'abbaye royale de sainrt
Vaast, rec. par dom Antoine de la Taverne, publ. par Jean Collart, Paris,
1651, in-16»).
1) A l'entrée d'André de Burgo, envoyé de Maximilien en Angleterre,
Silvestre de Giglis, évèque de Worcester, les lords Brandon et Poyntz vont
au devant de lui, avec l'ambassadeur de Flandre (1508. Bernardi Andrex,
Annales Henrici VIII, p. 122). Dix jours après, André de Burgo dine chez
l'ambassadeur de Flandre ; Bernard André lui offre des dysliques latins en
son honneur, qui se terminent ainsi : « Andréas ergo supernus erit » (Ibid.,
p. 124). Une ambassade d'Angleterre en llainaut, en 1337, composée de
cinq membres, se loge à Valeneiennes dans trois hôtels différents. Elle at-
tend une réponse pendant quatre jours, qui sont consacrés à des fêles, diners
et réceptions (Chroni'j. de Froissarl, I, 3(ii-365). Le duc de Bourgogne
donne à Paris, en 1399, un grand diner aux ambassadeurs vénitiens (Ga-
chard, Rapport sur les archives de Dijon, p. 201). L'ambassadeur de Flandre
et son frère dinent à Londres chez le seigneur de S1 John (18 liévr. 1508.
Bernardi Andrew, Annales Henrici VII, éd. by Gairdncr, p. 109). Le maré-
chal de Ricux garde à diner et à souper l'ambassade d'Angleterre deux
jours de suite, jusqu'à son expédition (ii'.)O. Hist. régis Henrici septimi,
p. 205-206). En Portugal, après l'audience de créance, les ambassadeurs
sont assaillis de grands diners et de distractions (Gairdner, liisloria régis
Henrici septimi, 192 et s.), etc.
MOYENS D'ACTION DIPLOMATIQUES 399
ncur que onfait aulx enbassadeurs au royaulme do Castille. »
La coui' d'Espagne est classique pour le luxe el L'apparat1.
Enfin, un souverain possède mille moyens mondains de
flatter un ambassadeur: par exemple, le prendre pour parrain
de son fds *, le garder à dîner '...
1) Gairdner, p. 17.'; et suiv.
2)EmanueI de Portugal, le 7 novembre l.'iOl, choisit pour parrain de
son fils l'ambassadeur vénitien, reçu le 20 août (Heyd, Hisl. du commerce
dans le Levant, trad«n Furcy-Raynaud, II, p. ri 1 G ) .
3) L'empereur reçoit à table l'ambassadeur de sa fille, ouvre de suite les
lettres et le force à dîner avec lui. « Vous estes ambassadeur de ma tille,
je vueilz que vous digne/, aveemoy : » — « Je m'en excusay et luy diz qu'il
ne falloit point d'ambassadeurs entre Sa Magestéel vous, que VOz serviteurs
estoient les syens. Ce nonobstant, il m'ordonna de seoir a sa table, dont je
vous mercie. Madame, très humblement de l'honneur qu'il m'a fait pour l'a-
mour de vous » (loi:?. Le Glay, Xégocialions, I, 534).
TABLE DES MATIÈRES
LIVRE II
DES MISSIONS.
(Suite)
Pagea.
CHAPITRE IV. — Traitements des ambassadeurs.
Plaintes perpétuelles à ce sujet
Règles juridiques du traitement ii
Privilèges financiers 2
Taxation préalable 3
Versement d'un acompte 3
Paiement habituel, à la journée 5
Taux divers 5
Frais de voyage 6
Modes de paiement 7
Paiements sur mémoires 9
Valeur relative des traitements 10
Profits indirects 12
Profits connexes 14
Traitements des diplomaties secondaires 17
Insuffisance des traitements 19
Difficultés qui en résultent pour les ambassades 21
Systèmes divers de traitements en Italie 23
Traitements à Venise 24
Traitements à Florence 25
Plaintes des envoyés italiens 27
Industries personnelles exercées par les ambassadeurs 29
CHAPITRE V. — Immunités.
Droit sacré de libre circulation 31
Conditions de l'immunité 33
Non immunité des consuls 33
Immunité dans les pays intermédiaires 34
Limites de l'immunité 3a
Fiction de l'exterritorialité 37
402 TABLE DES MATIÈRLS
Réparations dues, en cas de violation de l'immunité 3
Cas où cesse le droit à l'immunité 39
Extension de l'immunité au personnel et aux choses de l'ambassade. 41
Risques d'attentat, et sanctions en cas d'attentat 43
Des saufs-conduits : leur caractère 46
Leur utilité diplomatique 50
Leur forme 51
Des passeports ou lettres de passage 53
Des lettres de recommandation 54
Des lettres de sauvegarde 56
Saufs-conduits accordés à des particuliers : leur utilité 56
Leur caractère 57
Leur forme 58
Leur application 59
Leur valeur juridique 61
Précautions de voyage 63
Immunités générales de droit : 1° immunité canonique 64
2<> Immunité commerciale 67
CHAPITRE VI. — Langue diplomatique.
Emploi régulier du latin 69
Emploi régulier des idiomes nationaux 71
Avantages de la connaissance des langues 71
Nécessité du latin 74
Emploi des interprètes 75
Refus du latin en Orient 77
Drogmans 78
Usage du français comme langue diplomatique 78
Usage de l'espagnol 83
Prédominance constante du latin en Italie 84
Style chronologique 84
CHAPITRE VIL — Pouvoirs et créances.
Pouvoirs. Leur caractère général 86
1» Nécessité de la signature royale 87
2° Pouvoirs par procuration ou par brevet 89
Patentes de pouvoirs 93
Leur étendue 93
Leur forme 94
3» Spécification des pouvoirs 96
Pouvoirs utiles 97
Personnalité du pouvoir 99
Pouvoirs des diverses chancelleries 100
Caractè:e public des pouvoirs 102
TABLE DKS MATIÈRES 403
Commissions 1 04
Absence de pouvoirs 105
Blancs-seines 103
Patentes arbitrales 106
Créances. Nécessité absolue de leur production 106
Leur définition 106
Leur nombre 106
Leurs appellations 107
Leur style général 107
Leur caractère 107
Leur forme 108
Leur langue 109
Créances à des supérieurs 110
Créances amicales 112
Créances comminatoires 113
Créances à des intérieurs 113
Créances avec recommandation 114
Créances diverses , 115
Créances romaines 116
Créances d'Orient 117
CHAPITRE VIII. — Instructions.
Définition 119
Valeur historique des instructions 119
Leur caractère général ' 119
Instructions montrables. Leur emploi habituel 120
Communications à des tiers 123
Communications ultérieures 124
Communications simultanées 124
Instructions verbales ou non montrables 125
1° Instructions complémentaires 125
2« Instructions secrètes 128
Distinctions entre les instructions montrables et les instructions non
montrables 128
Rédaction des instructions 131
Leur forme 133
Stvle français 133
Rédactions anormales. 134
Minutes 134
Copies 135
Dates des instructions 135
.Mémoires à l'appui -. 136
Articles ou « Premier traité » 137
Caractère temporaire des instructions 137
404 TABLE DES MATIÈRES
Complément des instructions florentines -139
Instructions ultérieures 139
Clauses habituelles des instructions 141
Compliments 141
Règles de clarté 142
Instructions juridiques 143
Instructions solennelles 144
Instructions onctueuses 144
Instructions énergiques 144
Clause de confiance 1 46
Instructions françaises 147
Instructions anglaises, allemandes 149
Instructions suisses 149
Instructions portugaises, espagnoles 149
Instructions vénitiennes 1 50
Instructions florentines 150
Instructions milanaises 1 52
Instructions bolonaises 153
Instructions romaines 153
CHAPITRE IX. — Voyage et entrée des ambassadeurs.
Ordre de départ 15B
Formalités de départ 156
Le voyage. — Routes à suivre 156
Repos du dimanche 158
Dangers matériels du voyage 158
Mésaventures 159
Réceptions en pays amis 161
Moyens de transport, hospitalités 161
Voyage des légats 163
Voyage du cardinal-légat de Sainte-Praxède 164
Tenue et rôle de l'ambassadeur en voyage 1 67
L'arrivée dans le pays. — Débarquement en Angleterre 168
Arrivée des légats en France 168
Réceptions à la frontière 1 69
Escortes d'honneur 170
Pompe du diplomate 171
Réceptions dans les villes 171
Nécessité du cheval 174
Arrêt près de la capitale 174
L'entrée. — Demande d'audience 175
Règlement de l'entrée 176
Utilité du cérémonial 176
Fixation du jour d'entrée 178
TABLE DKS MATIÈRES 405
Cérémonial classique 178
Entrées romaines 179
Conduites à l'ambassadeur 180
Déploiement de l'ambassade 182
Costume, bijoux de l'ambassadeur 183
Susceptibilités de l'ambassadeur 184
Formation du cortège 185
Accouplement des membres 186
Incidents divers i 87
Entrées en Italie 189
Entrées en Orient 190
Entrées en France 190
Nécessité de subir l'entrée solennelle 191
Incognitos 193
Suppressions d'entrées 193
Entrées dues et entrées non dues 195
Entrées exceptionnelles ou princières 196
Participation du souverain 197
Entrées de légats 198
Rapports ou procès-verbaux d'entrée 201
CHAPITRE X. — Audiences de créance.
Présentation au sou verain. Premier devoir de l'ambassadeur 202
Fixation de l'audience 203
Pompe de l'ambassadeur 204
Ses introducteurs 205
Son escorte, à Rome 207
Publicité de l'audience de créance 207
Audiences sans façon 208
Restrictions à la publicité 208
Accueil du souverain 209
Remise de la créance 213
Cérémonial romain 215
Discours de créance 2t6
Son caractère 217
Sa langue 218
Audition en silence 219
Formule initiale. 220
Forme courte 221
Forme pompeuse 222
Débit 227
Formules, 228
Degrés divers de discours de créance 229
Absence de discours 231
406 TABLE DES MATIÈRES
Prestation de présents, en Orient 232
Réponse du souverain 234
Jugements sur le discours de créance 236
Impression et distribution du discours 238
Circulaires ou dépêches à ce sujet 239
Rapport de l'ambassadeur 240
Fin de l'audience 241
Audiences de créance en Orient 242
Refus d'audience 244
Secret 245
Conclusions de l'audience de créance : lo Réponse du chef de l'Etat 246
2o Audience secrète 250
Son caractère 250
Sa forme 251
3° Conférence avec des délégués 554
Choix des délégués 254
4° Visites dues, officielles, de courtoisie ou d'intérêt 256
Créances privées 257
Forme des visites 258
CHAPITRE XI. — Manière d'être et conduite des ambassadeurs.
Règles générales du rôle de l'ambassadeur 261
lo Nécessité de s'acclimater 262
2o Mesures à garder dans les rapports avec le pays 263
Rapports avec le souverain 264
Assistance aux cérémonies nationales 265
Règles diverses à cet égard 268
Coutumes vénitiennes - 270
Coutumes romaines 272
Alexandre VI et Jules II 273
Fêtes de Rome 274
Cortèges 275
« Fonctions » diverses 276
Honneurs aux cardinaux 278
Fêtes nationales 279
Cérémonies d'ensemble 281
Querelles de préséance 283
Règlement des préséances 385
Complication des préséances 288
3° Tenue de maison 290
Rapports avec les artistes et littérateurs 290
Commissions artistiques 292
4o Conduite et langage 29-t
Habileté active. Règles du mensonge 29-*
TABLE DES MATIÈRES 407
Inutilité de la bonne foi 295
Principes de marchandage 296
Nécessité de ['apparence de franchise 297
1° Habitude du mensonge 298
2o Enveloppe des paroles 299
3<> Arguments indispensables 301
Habileté passive, principale habileté du diplomate 302
Longanimité 302
Lenteur 303
Discussion 304
Sang- froid 305
Circonspection 307
Politesse et égards 308
Absence de charlatanisme 308
Qualités secondaires 309
Réserve 309
Droit et devoir d'adoucir les ordres 310
Patience à l'égard de son propre gouvernement 311
Provisions d'échappatoires 313
Difficultés spéciales en France 313
Difficultés hors de France 314
CHAPITRE XII. — Moyens d'action diplomatiques.
Moyens généraux extraordinaires. Débauchage des hommes importants. 317
Moyens souterrains : assassinat, incendie, etc 319
Moyens diplomatiques proprement dits. Les amis 321
1 o Amis par procédés de courtoisie 322
2° Amis par rattachements honorifiques 323
Ordres et devises 323
Leur principe 324
Décadence de leur efficacité 326
Lettres princières affectueuses 327
Concession des armoiries 327
Procédés romains : la rose d'or 328
l'épée et le chapeau 330
faveurs spirituelles 331
don de reliques 332
appel aux sentiments 332
titre de gonfalonier 333
3° Amis par argent 333
Caractère usuel de cette amitié 333
A. Hommages liges : grandeur de cette branche de l'amitié par
argent, au XIV» siècle 335
Son discrédit 335
B. Pensions. Forme du pacte 336
408 TABLE DES MATIÈRES
Absence de contrat 339
Danger des pensions 340
Précautions à prendre 342
G. Emploi irrégulier de l'argent. Son caractère pratique 342
Usages allemands 342
Usages anglais 344
Usages français 345
Modes de paiement 347
Subventions régulières 347
Avantages et inconvénients 349
Tarifs 350
Cade.iux 351
Envois de faucons 352
Présents divers au prince 354
Présents de convenance rigoureuse 355
Règles du maniement de l'argent 356
Matière amicable 356
Choix de l'ami ^ 358
Utilité du bon ami 360
Services de l'ami 361
Négociations par l'ami 363
Rapports avec l'ami. . 363
Amis irréguliers 364
Catégories spéciales d'amis. 1° Les femmes 365
Rapports avec la reine 366
Inconvénients de rapports trop intimes avec une reine veuve 369
2» Les cardinaux 369
Précautions à prendre à Rome 369
Situation des cardinaux 371
Leur rôle dans le cérémonial 372
Leur rôle dans les affaires 372
Leur rôle social '. 375
Moyens d'actions sur les cardinaux 379
Cardinaux nationaux 381
Intervention au conclave 383
Moyens d'action contre les ambassadeurs 388
Défrai 388
Débauchage par l'argent 390
Concessions privées 392
Moyens d'action spéciaux à la cour de Rome 394
Cadeaux 396
Fêtes, dîners, etc 397
Procédés mondains 399
Laval, imprimerie et stérêotypie E. JAMIN, 8, rue Ricordaine.
La Bibliothèque
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Échéance
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.K39 1892 V002
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