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Full text of "La France sous Philippe le Bel; étude sur les institutions politiques et administratives de moyen âge"

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University  of  Ottawa 


littp://www.archive.org/details/lafrancesousphilOObout 


LA  FRANCE 


sous 


PHILIPPE  LE  BEL 


L'aiilnir  cl  l'cditeur  déclarent  réserver  leurs  droits  de  reproduction 
et  de  traduction  à  l'étranger. 

Ce  volume  a  été  déposé  au  niiiiisière  de  l'intérieur  (direction  de  la 
librairie),  en  septembre  1861. 


cco 

Paru.  —  Tyîojraphie  de  Henri  Pion,  imprimeur  de  ".'Empereur, 
8 ,  me  Garancière. 


1,3 


LA  FRANCE 


sous 


PHILIPPE  LE  BEL 


ETUDE 


LES  INSTITUTIONS  POLITIQUES  ET  ADMINISTRATIVES 
DU  MOVEX   AGE 

PAR 

EDGARD    BOUTARIC 

A  r.  C  H  1  V  1  s  T  K     A  l-  X    ARCHIVES     D  K    l'  E  M  P  I  B  B 


OUVRAGE     C  0  L  R  0  X  \  K     P  A  R     I,    I  X  S  T  1  T  L  T 

(Académie  des  inscriptions  et  beUcs-lettrcs) 


**  ^  «^ 


PARIS 

HEMII    PLOX,    LIBRAIRE-ÉDITEUR 

s,   Rl'E   GARAXCIÈRE 
II  U  C  C  C  L  X  I 


PRÉFACE. 


L'Académie  des  inscriptions  el  hellcs-lelties  proposa  en  1836, 
pour  sujet  du  prix  Bordin,  la  question  suivante  :  Reclierches 
sur  les  institutions  administratives  du  règne  de  Philippe  le  Bel. 
L'Académie  voulut  bien  couronner  le  travail  que  je  lui  pré- 
sentai, et  son  président,  AL  Lebas,  dans  la  séance  publique 
du  12  novembre  1858,  s'exprima  en  ces  ternies  : 

«  C'est  un  ouvrage  étendu  et  remarquable.  L'auteur  ne  s'est 
pas  contenté  de  mettre  à  profit  les  nombreux  documents  qui 
ont  été  publiés  sur  cette  époque  de  notre  histoire;  il  a  aussi 
consulté  et  étudié  fort  attentivement  les  collections  manuscrites 
de  la  Bibliothèque  Impériale  et  des  Archives  de  l'Empire,  et 
c'est  presque  toujours  avec  des  textes  nouveaux  qu'il  a  aboidé 
l'examen  des  questions  qu'il  avait  à  traiter.  Aussi  les  princi- 
paux chapitres  de  son  mémoire,  notamment  ceux  qui  con- 
cernent les  circonscriptions  administratives,  les  états  généraux, 
le  parlement  et  les  finances  royales,  sont-ils  remplis  de  ren- 
seignements du  plus  haut  intérêt,  que  l'auteur  a  su  grouper 
avec  beaucoup  de  méthode.  M.  Boularic  a  parfaitement  fait 
comprendre  le  jeu  des  institutions  monarchiques  au  commen- 
cement du  quatorzième  siècle.  Sans  doute  on  pourrait  désirer 
dans  ce  travail  des  conclusions  plus  précises,  mais  il  n'en  jette 
pas  moins  une  lumière  très-vive  sur  l'un  des  règnes  les  plus 
importants  de  notre  histoire,  d 

Le  suffrage  de  l'Académie  m'imposait  de  nouveaux  devoirs. 
Avant  de  soumettre  mon  travail  au  public,  je  tenais  à  le  rendre 
plus  digne  de  la  récompense  obtenue,  en  mettant  à  profit  les 


VI  PRKFACE. 

trili(|iies  (|ui  m'avaient  t'iô  (ailes  et  les  conseils  bicnveillanls 
que  mes  jiijjes  m'avaient  donnés.  Je  complélai  mes  recherches, 
je  les  étendis ,  je  relis  pres(|ue  entièrement  mon  travail;  mais 
là  ne  se  borna  pas  ma  tàclie.  Je  m'étais  d'abord  scrupuleuse- 
ment renfermé  dans  le  programme  de  T Académie,  et  n'avais 
traité  que  des  institutions  administratives.  J'ai  jugé  à  propos 
d'élargir  mon  cadre  et  d'y  faire  entrer  les  institutions  politiques, 
les  rapports  de  l'Etat  avec  l'Eglise  de  France  et  le  saint-siége  ; 
de  rechercher  les  causes  du  différend  de  Philippe  le  lîel  avec 
Boniface  Vlil  et  de  la  condamnation  des  Templiers;  je  crois 
avoir  jeté  un  jour  nouveau  sur  ces  graves  questions.  J'ai  tracé 
l'histoire  des  relations  de  la  France  avec  les  pays  étrangers,  et 
essayé  de  déterminer  quels  furent  les  principes  qui  guidèicnl 
Philippe  le  Bel  dans  ses  rapports  avec  les  puissances  voisines. 
Enfin,  dans  une  conclusion  motivée,  j'ai  résumé,  en  les  appré- 
ciant, les  principales  mesures  prises  par  ce  roi,  après  avoir 
examiné  une  grave  question,  celle  de  savoir  quelle  a  été  la 
part  prise  par  Philippe  au  gouvernement  de  ses  Etats,  question 
dont  la  solution  devait  être  cherchée  dans  l'étude  du  caractère 
de  ce  prince  d'après  les  documents  contemporains. 

Le  livre  que  j'offre  aujourd'hui  au  public  après  cinq  années 
de  travail  est  donc  pour  certains  chapitres  le  développement  de 
mon  mémoire,  et  pour  d'autres,  entièrement  nouveau.  Voici  la 
marche  que  j'ai  suivie  :  J'ai  d'abord  étudié  la  nature  de  la 
royauté,  et  constaté  ses  progrès  dans  l'ordre  moral  et  dans 
l'ordre  physique  par  l'histoire  des  progrès  du  pouvoir  législatif, 
et  par  celle  des  accroissements  du  domaine  royal.  Suit  l'exposé 
des  rapports  du  roi  avec  les  trois  ordres  de  la  nation,  réunis 
pour  la  première  fois  dans  des  états  généraux,  puis  avec  chaque 
ordre  séparément;  j'ai  prouvé  que  le  suffrage  universel  était  le 
mode  d'élection  usité  pour  les  députés  du  tiers  état  aux  états 
généraux.  J'ai  ensuite  fait  pénétrer  dans  l'organisation  de  l'ad- 
minislralion  loyale,  puis  passé  successivement  en  revue  la  cou- 


PREFACK.  m 

stitulion  du  pouvoir  central  et  les  représentants  du  roi  dans  les 
provinces,  l'organisation  judiciaire,  l'administration  des  finan- 
ces, les  revenus  publics  ordinaires  et  extraordinaires,  les  dé- 
penses, les  monnaies,  le  commerce  et  l'industrie,  la  guerre  et  la 
marine,  la  politique  étrangère.  Enfin  la  conclusion.  Le  volume 
est  tcrinino  par  la  liste  officielle  des  villes  et  villages  qui  ont 
député  aux  états  généraux  de  1308,  par  le  tableau  des  divi- 
sions administratives  de  la  France,  et  par  une  liste  des  princi- 
paux documents  inédits  relatifs  à  l'administration  de  Philippe 
lo  Bel. 

L'époque  indiquée  par  l'Académie  était  admirablement  choi- 
sie pour  faire  connaître  les  institutions  gouvernementales  au 
moyen  âge.  L'administration  se  fonde  alors  et  se  constitue  telle 
qu'elle  restera,  sauf  quelques  modifications,  jusqu'au  seizième 
siècle.  C'est  le  point  d'arrivée  de  l'ère  féodale  et  le  point  de 
départ  du  monde  moderne.  Je  me  suis  fait  une  loi  sévère  de 
ne  jamais  franchir  les  limites  du  règne  de  Philippe  le  Bel, 
persuadé  que  mon  travail  n'aurait  d'utilité  qu'à  condition 
d'offrir  un  terme  de  comparaison  rigoureusement  exact,  qui 
permit  de  constater  les  progrès  de  nos  institutions  à  différentes 
époques. 

Pour  arriver  à  ce  résultat,  je  me  suis  exclusivement  appuyé 
sur  des  documents  officiels  en  grande  partie  inédits.  J'ai  con- 
sulté aux  Archives  de  l'Empire  les  registres  de  la  chancellerie, 
les  layettes  du  Trésor  des  chartes,  la  série  des  diplômes 
royaux,  les  registres  du  parlement,  de  la  chambre  des  comptes 
et  de  la  cour  des  monnaies;  à  la  Bibliothèque  Impériale,  quel- 
ques registres  de  la  chancellerie  qui  font  lacune  dans  la  collec- 
tion des  Archives,  plusieurs  comptes  de  recettes  et  de  dépenses 
des  bailliages,  un  journal  du  trésor  inédit,  les  tablettes  de 
cire  renfermant  la  dépense  de  l'hôtel  du  roi. 

Les  livres  imprimés  m'ont  offert  aussi  de  grands  secours, 
surtout  le   tome  XXI  du   Recueil   des  historiens   de   France, 


vii[  PRKFACi:. 

piiltlif  |)ar  MM.  de  U'ailly  ri  (iiiifjniaiil  ;  les  oidoniiimcos  du 
Louvre,  \o' Spicilegium  de,  d'Achory,  le  Thes(Ninis  anrrdo- 
torum  de  Marlèue,  les  Archives  de  Reims  de  Al.  Varin,  les 
liisloires  de  provinces  et  de  villes,  principalement  les  Preuves 
dp  V Histoire  de  Languedoc  de  D.  Vaissète,  et  celles  de  V His- 
toire de  A'ismes  de  Mesnard,  etc.  J'ai  inséré  les  principaux 
documents  inédits  dont  je  me  suis  servi ,  dans  le  vingt-deuxième 
volume  des  Notices  et  Extraits  des  manuscrits  piihliés  par 
l'Académie  des  inscriptions. 

Je  prie  le  lecteur  de  ne  pas  me  reprocher  de  n'avoir  pas 
tracé  un  tableau  complet  de  l'état  de  la  France  à  la  fin  du 
treizième  siècle:  telle  n'était  pas  mon  intention;  j'ai  voulu 
seuleniT^nt  faire  connaître  l'organisation  du  gouvernement  et 
son  action  sur  la  société  française.  Je  ne  parle  pas  des  lettres, 
des  sciences  et  des  arts,  parce  qu'ils  échappèrent  entièrement 
à  l'influence  de  Philippe  le  Bel.  En  outre,  il  eût  été  plus  que 
téméraire  d'aborder  ce  sujet,  sachant  que  l'Académie  avait 
chargé  deux  de  ses  membres  les  plus  éminents  de  rédiger  une 
introduction  générale  à  YHistoire  littéraire  de  la  France  au 
quatorzième  siècle,  et  que  le  discours  sur  l'état  des  lettres 
était  confié  à  M.  V.  Leclerc,  et  celui  des  sciences  et  des  arts 
à  M.  Ernest  Renan. 

Arrnmanclics,  14  août  1861. 


LIVRE    PRE  AI  1ER. 

DF.   L^   ROVALTÉ. 


CHAPITRE   PREMIER. 

CARACTÈRE  GÉNÉRAL  DE  LA  ROYAUTÉ. 

La  royauté  élaif  moins  faible  qu'on  ne  le  croit.  —  Elle  représentait  un  principe. 
—  Ce  qu'elle  gagna  à  entrer  dans  la  féodalité.  —  L'absence  de  lois 
politiques  écrites  lui  est  favorable.  —  Progrès  de  la  royauté  depuis  le 
douzième  siècle.  —  La  fin  du  treizième  siècle  est  pour  elle  une  époque 
critique  et  décisive.  —  Philippe  la  fait  triompher  et  établit  un  gouver- 
nement absolu. 

En  toutes  choses  et  en  tout  temps,  on  doit  éviter  de  confondre 
le  fait  aviec  le  droit  :  cette  distinction  est  surtout  nécessaire 
quand  on  s'occupe  de  l'histoire  du  moyen  âge,  qui  est  l'époque 
où  la  force  exerçait  un  empire  presque  souverain,  et  où  l'ahus, 
quand  il  pouvait  prouver  une  longue  existence,  s'érigeait  en 
droit.  C'est  pour  avoir  méconnu  cette  vérité  et  s'être  laissé 
guider  par  les  apparences,  que  l'on  s'est  fait  de  fausses  idées 
sur  la  nature  et  l'essence  de  la  royauté  française  entre  le 
dixième  et  le  treizième  siècle'.  On  l'a  vue  faihle  aux  déhuts 
de  la  troisième  race,  réduite  à  un  rôle  insignifiant,  effacée  par 
les  grandes  dynasties  féodales  qui  l'entouraient,  souvent  vain- 
cue, quelquefois  à  la  veille  de  disparaître;  mais  celte  faihlesse 
était  accidenlelle  et  transitoire.  Le  pouvoir  royal  renfermait  en 
lui  des  germes  indestructihies  de  force  et  de  grandeur  capa- 
bles de  résister  aux  obstacles  qui  menaçaient  de  l'étouffer, 
et  dont  le  développement,  lent  et  timide  pendant  des  siècles, 
devait  prendre,  à  partir  de  Philippe-Auguste,  un  essor  que 
rien  ne  pourrait  plus  arrêter. 

1  La  supériorité  de  la  royauté,  principalement  au  point  de  vue  judiciaire, 
a  été  reconnue  par  AL  le  comte  Bougnol ,  Olim ,  t.  I,  préface,  p.  xxn;  et 
par  AL  Pardessus,  Essai  sur  l' organisation  judiciaire ,  p.  45. 

1 


2  LA  FRA\CE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

La  royauté,  iiilmiic  dans  les  temps  où  elle  paraissait  le  plus 
affaiblie,  était  entourée  d'un  éclat  qui  n'appartenait  qu'à  elle 
seule  :  elle  jouissait  auprès  des  classes  inférieures  d'un  pres- 
tige qu'elle  n'exerçait  plus  sur  la  noblesse.  Le  clergé  venait 
journellement  lui  demander,  comme  à  la  source  de  la  grâce  et 
de  la  justice,  la  sanction  de  ses  privilèges  et  la  confirmation 
de  ses  richesses;  c'était  dans  le  sein  de  l'épiscopat  (jue  le  roi 
choisissait  ses  ministres.  Cet  appui  de  l'Eglise  donnait  à  la 
couronne  la  force  morale  ;  d'ailleurs  le  souvenir  de  l'ancienne 
royauté  était  vivace  chez  le  jieuple.  Les  chants  populaires,  les 
épopées,  les  légendes  célébraient  à  l'envi  Charlemagne,  sym- 
bole glorieux  d'un  pouvoir  qui  depuis  était  bien  déchu,  mais 
qui  laissait  des  regrets  et  donnait  des  espérances. 

La  royauté  représentait,  à  partir  du  onzième  siècle,  une 
idée  abstraite,  vague  et  mal  définie,  il  est  vrai,  mais  qui  se 
traduirait  de  nos  jours  par  les  mots  de  nationalité  et  de  patrie. 

La  supériorité  du  roi  était  admise  par  le  clergé,  par  le 
peuple  :  elle  l'était  aussi  par  la  féodalité.  En  effet,  il  était 
placé  au  sommet  du  système  féodal;  il  était  le  chef  sci(jncur, 
car  tous  relevaient  de  lui,  étaient  tenus  de  lui  faire  hommage 
et  de  lui  jurer  fidélité,  tandis  qu'il  ne  relevait  de  personne, 
fors  de  Dieu.  La  royauté  était  véritablement  de  droit  divin  et 
reconnue  comme  telle  par  la  société  féodale.  En  entrant  dans 
la  féodalité,  elle  acquit  certains  éléments  de  vitalité  qu'elle 
n'avait  pas  sous  les  deux  premières  races,  où  elle  était  à  chaque 
instant  énervée  par  les  questions  de  succession  au  trône  et  par 
les  partages  entre  les  différents  enfants  d'un  même  roi.  A  partir 
de  Hugues  Capet,  elle  suivit  la  loi  des  fiefs,  bien  qu'elle  ne  fût 
pas  un  fief,  et  se  transmit  héréditairement  à  l'aîné  :  l'observa- 
tion de  cette  loi  fut  son  salut. 

Les  droits  de  la  couronne  n'étaient  fixés  par  aucune  loi 
écrite;  il  n'y  avait  non  plus  aucune  charte,  aucun  code  qui 
garantît  les  droits  généraux  de  la  noblesse  et  du  tiers  état. 
Seuls,  les  privilèges  du  clergé  trouvaient  leur  sanction  dans 
les  bulles  des  papes,  qui  avaient  force  de  loi  dans  toute  la 
chrétienté;  et  encore  étaient-cc  des  privilèges  particuliers,  qui 
variaient  suivant  les  provinces  et  même  suivant  les  églises. 
Cette  absence  de  lois  écrites  pour  déterminer  les  droits  et  les 


LIVRE  PRE:iIIER.  —  DE  LA  ROYAUTE.  3 

devoirs  politiques  des  différents  corps  qui  constituaient  la 
société  fit  la  force  de  la  royauté  :  elle  lui  permit  d'étendre  sou 
autorité  aux  dépens  de  celle  de  la  noblesse  et  du  clergé,  sans 
qu'on  pût  lui  reprocher  de  violer  un  texte  précis,  ni  lui  opposer 
autre  chose  que  des  usages  et  des  coutumes  qui  tiraient  toute 
leur  valeur  de  leur  antiquité,  dont  la  plupart  étaient  des  abus, 
et  qu'un  jour  il  devait  lui  être  permis  de  répudier  au  nom  de 
la  raison  d'Etat  et  de  l'intérêt  national.  Tant  que  le  domaine 
royal  fut  restreint  aux  anciens  fiefs  des  ducs  de  France,  la 
couronne  fut  impuissante  :  ce  ne  fut  que  par  suite  de  l'agran- 
dissement successif  du  territoire  soumis  immédiatement  à  ses 
lois  qu'elle  put  parler  un  langage  plus  digne  d'elle  :  elle  entra 
seulement  au  treizième  siècle  dans  cette  nouvelle  phase  de  son 
existence.  Deux  faits  mettent  en  mesure  d'apprécier  les  progrès 
qu'elle  fit  entre  le  commencement  du  douzième  siècle  et  le  mi- 
lieu du  siècle  suivant.  Sous  Philippe  I",  Louis  le  Gros  fut  obligé 
de  recourir  à  la  force  des  armes  et  à  l'appui  de  ses  autres  vas- 
saux pour  contraindre  le  sire  de  Montmorenci  à  exécuter  une 
sentence  rendue  par  ses  pairs.  Cent  cinquante  ans  après,  saint 
Louis  fit  condamner  à  mort  par  sa  cour  un  des  premiers  barons 
du  royaume,  le  sire  de  Couci,  coupable  d'avoir  exercé  le  droit 
de  justice  seigneuriale  dans  son  fief.  La  noblesse  fut  réduite  à 
reconnaître  la  validité  de  ce  jugement,  et  à  recourir  aux  prières 
et  aux  larmes  pour  fléchir  le  roi  et  en  obtenir  la  grâce  du 
condamné. 

Le  pouvoir  royal,  tel  qu'il  échut  à  Philippe  le  Bel,  avait 
reçu  de  Philippe-Auguste  et  de  saint  Louis  d'immenses  accrois- 
sements. La  France  touchait  alors  à  l'un  de  ces  moments  solen- 
nels dans  la  vie  des  peuples  qui  décident  de  leurs  destinées. 
Le  système  féodal  avait  été  comprimé  avec  l'aide  du  tiers  état 
et  du  clergé  :  l'ancienne  constitution  était  changée;  la  nouvelle 
n'était  pas  encore  fixée;  l'avenir  dépendait  de  la  conduite  que 
tiendrait  Philippe  le  Bel.  On  se  trouvait  devant  cette  alterna- 
tive :  ou  la  royauté,  se  dégageant  de  toutes  les  entraves,  irait 
aboutir  à  la  monarchie  absolue  ;  ou  bien  l'aristocratie  et  le 
tiers  état  formeraient  une  alliance  et  seraient  assez  forts  pour 
se  faire  appeler,  comme  en  Angleterre,  dans  les  conseils  du 
monarque,   et  conquérir  une  part  dans  l'administration  des 

1. 


4  LA  l'IiAXC.i:  SOIS  l'HII.IPPK  LK  BKL. 

affaires  piihluiiics.  La  vigueur  cl  l'adresse  de  Philippe  le  Bel 
firent  pencher  la  halance  du  côté  de  la  couronne  :  avec  lui 
commença  la  monarchie  féodale  ahsolue,  qui  suhsista  jusqu'au 
roi  Jean,  sans  contre-poids  ni  dans  le  clergé,  ni  dans  la 
nohlesse,  ni  dans  la  bourgeoisie. 

Les  dilférentes  parties  de  ce  travail  seront  consacrées  à  mon- 
trer qiM^le  fut  l'action  de  ce  roi  sur  les  différents  ordres  de 
l'État  en  particulier,  et  sur  les  rcj)résenlants  de  la  nation 
entière,  réunis  pour  la  première  fois  dans  les  états  généraux. 

Avant  d'entrer  dans  cet  examen,  je  vais  essayer  de  donner 
une  idée  des  progrès  généraux  qui  furent  accomplis  par  la 
royauté  sous  IMiilippc  le  Hcl.  Ces  progrès  peuvent  être  con- 
statés par  deux  séries  de  faits  d'un  ordre  différent  :  les  progrés 
matériels  sont  indiqués  par  l'accroissement  du  domaine  de  la 
couronne;  les  progrès  moraux  par  l'extension  du  ])ouvoir  légis- 
latif. Les  vicissitudes  de  la  puissance  législative  sont  en  eifet 
une  excellente  échelle  pour  mesurer  les  ])rogrès  de  l'autorité' 
royale,  car  le  droit  de  faire  des  lois  est  la  plus  haute  préroga- 
tive de  la  souveraineté. 


CHAPITRE   DKl  XIEME. 

ACCROISSEMENTS    DU    DOMAINE    ROYAL. 

Progrès  malcricls  do  la  royautô  conslalés  par  l'accmissompiit  du  domaine  de 
la  couronne.  —  Que  doil-on  entendre  par  domaine? —  Pliilippc  le  Bel 
établit  le  retour  à  la  couronne  des  apana^res.  —  Domaines  inaliénables.  — 
Ktat  des  possessions  domaniales  en  1280.  —  La  reine  Jeanne  apporte  eu 
(lot  la  Cliampa;[ne,  la  Bric  et  la  Xavarrc.  —  Hèjjlement  de  la  cession  de 
certaines  provinces  de  (îuienne  faite  par  saint  Louis  aux  Anjjlais.  —  Acqui- 
sition du  comté  de  liijrorre,  de  Alontpeliier,  de  la  Franche-Comté,  du 
comté  de  la  Alarche,  d'iuie  partie  de  la  Flaiidre,  de  iIorta;{iie.  —  Les 
pariaj^es  avec  les  sei<{neurs  ecclésiastiques  deviennent  une  nouvelle  source 
d'accroissement  pour  le  domaine.  —  Paria<;cs  avec  des  sei>{neurs  laïques.. 
—  Les  jjrands  liefs  entre  les  mains  du  roi  ou  des  princes  du  sany,  sauf  la 
Guienne  et  la  Flandre.  —  Guerres  de  Philippe  le  Del  pour  conquérir  ces 
deux  provinces. 

Les  accroissements  du  domaine  royal  fuient  imiuenses  sous 
Philippe  le  Bel.  On  doit  entendie  jiar  domaine  royal  non-seu- 


LIVKE  PREAIIER.  —  DE  LA  ROYAL'TE.  5 

lement  les  terres  dont  la  piopriôté  appartenait  à  la  couronne, 
mais  encore  les  pays  soumis  au  roi  de  France  sans  qu'il  y  eût 
ontre  lui  et  ses  vassaux  de  jjrand  icudataire  jouissant  des  droits 
régaliens.  Le  domaine  avait  toujours  été  en  s'augmentant  depuis 
Hugues  Capet  ;  mais  le  malheur  fut  que  les  rois  ne  considé- 
raient les  pays  soumis  à  leur  obéissance  immédiate  que  comme 
■des  propriétés  privées  qu'ils  pouvaient  partager  entre  leurs 
enfants.  Les  droits  de  la  couronne  ne  leur  semblaient  pas  dimi- 
nués par  ces  aliénations,  car  ils  conservaient  la  suzeraineté 
sur  les  provinces  ainsi  aliénées;  mais  ils  réduisaient  leurs 
revenus,  et,  devenant  moins  licbcs,  leur  puissance  politique 
diminuait.  Il  y  avait  pourtant  un  certain  nombre  de  provinces 
qui  étaient  inséparables  de  la  couronne,  mais  les  rois  dispo- 
saient presque  toujours  de  leurs  nouvelles  acquisitions  en 
faveur  de  leurs  enfants.  Louis  VIII  donna  ainsi  l'Anjou,  la 
Saintonge,  le  Poitou  et  une  partie  de  l'Auvergne  à  ses  deux 
enfants  puînés.  IMiilippe  le  Hel  comprit  le  danger  de  ces  alié- 
nations, et  en  altéuua  l'effet  en  établissant  la  réversibilité  des 
apanages  à  la  couronne,  en  cas  d'extinction  de  la  ligne  mascu- 
line'. Déjà,  sous  Philippe  le  Hardi,  le  parlement  avait  rejeté 
les  prétentions  du  comte  d'Anjou,  qui  demandait  sa  part  de 
la  succession  d'Alphonse,  comte  de  Poitiers  et  de  Toulouse, 
en  qualité  d'agnat^.  Charles  V  institua  le  domaine  de  la  cou- 
ronne, et  les  provinces  qui  furent  déclarées  en  dépendre  devin- 
rent partie  intégrante  du  pouvoir  souverain. 

On  connaissait,  à  la  fin  du  treizième  siècle,  ce  qu'on  appe- 
lait les  unions  au  domaine  royal,  qui  avaient  à  peu  près  les 
mêmes  effets  que  les  unions  à  la  couronne.  Elles  ric  s'appli- 
quaient pas  à  des  provinces  entières,  mais  seulement  à  cer- 
taines villes  de  frontière,  surtout  dans  la  Guienne'. 

Lorsque  Philippe   commença   à   réguei^  le   domaine  com- 

1  Conslitiition  du  l'oitou  rn  .Tpanajfp  en  Aivciir  de  Pliilippe  (le  Long). 
Trésor  des  chartes ,  T48,  n"  1,  en  1314. 

-  Isambert,  Ane.  lois,  t.  I,  p.  667. 

•'  Union  du  tliàteau  de  Caylus  en  1304.  Onlunnaiiccs ,  t.  I\',  p.  407.  — 
Ces  unions  avaient  élé  frc([nenfes  en  Guicnne  dès  le  temps  de  saint  Louis. 
—  En  1^07,  ce  roi  retint  la  ville  de  Mirabcl,  diocèse  de  Caliors.  J.f.  44, 
n-70. 


6  LA  FRANCE  SOL'S  PHILIPPE  LE  BEL. 

prenait  les  conilés  (\c  Paris,  de  Corbcil,  de  Sens,  de  Melun, 
d'Mlampes,  le  Verniandois,  les  coinlés  de  (llermont,  de  Coilieil, 
de  .Meiilaii,  le  \'e.\iii,  la  Xorniandic,  la  Touraine,  Monlargis , 
Gien  ,  l'oiil-Sainte-Maxence;  les  comtés  de  Bourges,  de  Màcon, 
d'Auverjjiie,  le  Languedoc,  leRouergue,  le  Poitou,  une  partie 
de  la  Saintonge,  du  Qucrci  et  du  Périgord.  Il  apportait  du  cliel' 
de  sa  femme  la  Champagne ,  la  Brie ,  le  comté  de  Bar  et  la 
Navarre  ;  mais  il  ne  prit  jamais  le  titre  de  roi  de  A'avarre  ni  de 
comte  de  Champagne,  et  ne  gouverna  point  seul  les  domaines 
de  sa  femme.  Dans  tous  les  actes  relatifs  aux  pays  de  la  dot  de 
la  reine,  il  spécifiait  qu'il  agissait  avec  le  consentement  de  son 
épouse  '.  La  mort  de  Jeanne  fil  passer  en  L30i'  ses  vastes  pos- 
sessions à  son  fils  aîné  Louis  le  Hutin  ,  qui  s'intitula  roi  de 
Navarre  "'. 

Philippe  mit  fin  en  1289,  par  un  traité,  au  différend  qui 
existait  depuis  plusieurs  années  entre  les  couronnes  de  France 
et  d'Angleterre,  au  sujet  d'une  partie  de  la  Guiennc  (l'Agénais 
et  le  Querci),  qui  avait  composé  la  dot  de  Jeanne,  sœur  de 
Richard  Cœur  de  lion,  et  femme  de  Raimond  VI,  comte  de 
Toulouse.  En  1259,  saint  Louis  avait  promis  que  ces  provinces 
feraient  retour  au  roi  d'Angleterre  si  Alphonse,  comte  de  Poi- 
tiers, mari  de  Jeanne,  héritière  du  comté  de  Toulouse,  décé- 
dait sans  enfants.  Alphonse  étant  mort  sans  postérité  en  1271, 
Henri  III  réclama  l'Agénais  et  le  Querci.  Un  traité  conclu 
en  1279  lui  donna  satisfaction  pour  l'Agénais,  mais  on  ajourna 
la  décision  relativement  au  Querci.  Enfin,  en  1289,  cette  pro- 
vince fut  unie  au  domaine,  moyennant  une  rente  de  trois  mille 
livres  assignée  en  terres  sur  la  même  province,  c'est-à-dire 
qu'on  donna  au  roi  d'Angleterre  la  seigneurie  immédiate  de 
fiefs  produisant   trois  mille  livres   de  revenu.   La  guerre  (jui 

'  Ord.,  t.  I,  p.  326,  noie  lî,  du  moins  dans  les  actes  d'administration 
générale,  car  on  a  des  ordres  particuliers  émanés  de  Philippe  tout  seul. 
Lefè\re,  Finances  de  la  Champagne ,  p.  3. 

-  Trésor  des  chartes ,  \avarre,  n"  3,  6  et  8.  —  En  1309,  Philippe  le  Bel 
accorda  à  Louis  \  l'hérita'je  de  sa  mère  moyennant  qu'il  ferait  à  ses  frères 
une  pension  de  6,000  livres.  Mémorial  B  de  la  Chambre  des  comptes, 
fol.  17  i*.  Oonf.  Secousse,  Mémoire  sur  la  réunion  de  la  Champagne  éi  la 
couronne,  Mém.  de  l'Acad.,  in-12,  t.  XXVII,  p.  39. 


LIVRE  PRiaiIER.  —  DE  LA  ROYAUTÉ.  7 

éclata  entre  les  deux  rois  peu  après  n'apporta  aucune  modi- 
fication à  cet  arrangement,  car  à  la  paix  on  se  rendit  mutuel- 
lement les  prises  '. 

Voici  quelles  furent  les  principales  accessions  au  domaine 
sous  ce  règne. 

En  1285,  Eschivat,  comte  de  Bigorre,  étant  mort  sans  héri- 
tiers directs,  sa  succession  fut  revendiquée  par  sept  préten- 
dants, au  nombre  desquels  la  reine  de  France  ^.  Le  comté  fut 
mis  en  séquestre.  La  reine  en  fit  hommage  par  procureur  à 
l'évêquc  du  Puy,  dont  il  relevait,  et  le  parlement  de  Paris  lui 
donna  gain  de  cause  en  1303  ^  Enfin,  en  1307,  l'évêque  du 
Puy  renonça  à  sa  suzeraineté  moyennant  une  rente  de  trois 
cents  livres  *.  En  1291,  Philippe  acquit  Beaugency  ^  En  1293, 
il  acheta  à  Févêque  de  Maguelone  le  fief  de  ]\Iontpcllier  ",  dont 
relevait  la  ville  de  Alontpellicr  appartenant  au  roi  de  Majorque  ^, 
qui  ne  fut  point  dépouillé,  ainsi  que  Ta  prétendu  M.  Michelet, 
mais  qui  prêta  hommage  désormais  au  roi  au  lieu  de  le  prêter 
à  l'évêque  *. 

Philippe  acquit  le  domaine  direct  de  la  Franche-Comté. 
Dans  un  traité  conclu  à  Vincennes,  en  1291,  Othon,  comte  de 
Bourgogne,  promit  au  roi,  pour  un  de  ses  fils,  sa  fille  qui  était 
en  même  temps  son  héritière  °.  Philippe,  impatient  de  jouir 
de  cette  belle  province,   en   obtint  la  possession  immédiate 

1  Rymer,  Fœdera,  l^e  éd.,  t.  I,  2«  part.,  p.  179.  — Trailc  de  1289. 
Ibicl.,  part.  III  et  IV,  p.  14  et  15.  —  V^oyez  l'acte  de  la  cession  au  roi  de 
seigneuries  ayant  une  valeur  de  758  livres.  —  Cathala  Cotui-e ,  Histoire  du 
Querci,  p.  475. 

2  Voyez  les  pièces  du  procès  dans  la  Bibliothèque  de  V Ecole  des  chartes, 
4e  série,  t.  III,  p.  309  et  suiv. 

3  Vaissète,  t.  IV,  p.  78. 

^  Or.  Titres  du  château  de  Merairol ,  Archives  de  l'Empire,  J.  1024,  n^  4. 

5  Dupuy,  Droits  du  roy,  p.  429.  Or.  Trésor  des  chai-tes ,  J.  419,  n"  5. 

^  Trésor  des  chartes,  J.  832,  n°  43;  et  Ordonnances  du  Louvre, 
i.  IX,  p.  78. 

"  Garicl,  Séries  pr(csuhim  Magalonensium ,  p.  416.  —  Vaissète,  t.  III, 
p.  77.  —  Jlcsnard,  Histoire  de  Nîmes,  t.  I,  p.  396. 

8  Histoire  de  France,  t.  IV,  p.  42,  d'après  Sismondi,  Histoire  des 
Français,  t.  VIII,  p.  464.  En  1311,  Sanclie  rendit  hommage  au  roi  pour 
Montpellier.  Trésor  des  chartes ,  Maguelone,  n°  16. 

9  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  419,  n"  5. 


8  LA  KH.Wr.K  SOIS  rHIMIM'R  LK   BKI.. 

moyennant  une  rente  viagère  donnée  au  comte  '.  Les  vassaux 
de  Franelie-Comlé  résistèrent,  à  l'instigation  de  l'empereur  et 
du  roi  d'Aii;]lelerrc  *;  mais,  abandonnés  à  leurs  seules  forces, 
ils  se  soumirent  en  l;î()l  \  La  Franclie-Comlé  resta  fief  impé- 
rial, et,  en  IMl,  Henri  VII  reconnut  Philippe  le  Long  en 
qualité  de  comte  de  Bourgogne,  à  condition  qu'il  ferait  hom- 
mage à  l'Empire. 

En  ]'M\-2,  Philippe  nrlieta  au  comte  de  Périgord  les  vicomtes 
de  Lomague  et  d'Aiivillars  \ 

En  L308,  les  comiés  de  la  Marche  et  d'Angoulême  et  la 
seigneurie  de  Forges  furent  rénnis  au  domaine  après  la  mort 
de  Hugues  le  Hrun,  décédé  sans  héritier  mâle  :  les  collatéraux 
furent  indemnisés  ^ 

La  couronne  fit  d'importantes  acquisitions  en  Flandre.  Le 
comte  (lui  de  Dampierre  ayant  voulu  marier  sa  fille  au  fils 
du  roi  d'Angleterre,  sans  demander  la  permission  de  Philippe, 
celui-ci  attira  le  comte  et  sa  fille  à  Paris  et  les  tint  jjrisonniers. 
Quelque  temps  après,  il  donna  la  liberté  au  père,  (jui  prit  les 
armes  (>t  n'éprouva  que  des  revers.  La  Flandre  fut  réunie  à  la 
couronne  et  adniinistiée  par  des  officiers  du  roi.  La  tyrannie 
du  gouveinement  français  excita  une  révolte.  Les  Flamands  se 
soulèvent  :  ils  triomphent  à  Courtrai,  mais  voient  leurs  espé- 
rances ruinées  par  la  [)alaille  de  Mons  en  Puelle.  Le  comte 
s'engage  à  payer  annuellement  une  sonnne  de  vingt  mille  livres 
tournois,  et  donne  en  garantie  Lille,  Douai,  Cassel  et  Cour- 
trai (130i)  ".  En  130Ô  il  racheta,  moyennant  six  cent  mille 
livres  comptant,  lO.UUU  livres  de  rente;  le  roi  lui  donna  quit- 
tance du  reste  moyennant  la  cession  de  Lille,  de  Douai  et  de 


1  Oi".  Trésor  des  chartes,  J.  419,  ii"  9. 

-  Voyez  les  actes  de  leur  soumission,  Trésor  des  cliartcs ,  .J.  622,  n"  34 
à  38.  Conf.  Histoire  de  Salins,  preuves,  p.  5J. 

•^  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  386,  n°  1  (Paris,  1310).  Ralificalion  par 
l'empereur,  ihid.,  n°  2  (27  septembre  1311). 

^  Or.  Trésor  des  chartes,  .1.  292,  n"  l.ï. 

s  Or.  cin  traité,  24  seplemi)re  1308,  .1.  374,  n"  8.  —  Indemnités , 
J.  374,  n'*  5  et  6. 

'^  Dupiiy,  Droits  du  roij,  p.  295.  —  Or.  Trésor  des  chartes,  Flandre, 
J.  5*0,  n"  4. 


LIVRE  PRK:\1IKR.  —  Ï)K  LA  ROYAL TL.  9 

Bélliune,  avec  faculté  de  rachat,  faculté  h  laquelle  il  fit  plus 
tard  renoncer  le  comte  Robert  de  Flandre  '. 

En  1313,  ce  fut  le  tour  de  la  seijjneuric  de  Mortagne  et  delà 
chàtellenie  de  Tournai,  la' ville  de  Childéric,  (|u'il  confisqua 
sous  prétexte  de  la  félonie  de  Marie,  dame  de  ces  lieux  :  il 
donna  pourtant  à  Baudouin  de  Mortagne,  son  héritier,  une 
rente  de  huit  cents  livres  ^. 

A  côté  de  ces  acquisitions  directes  il  y  avait  les  pariages, 
qui  accroissaient  les  revenus  et  le  pouvoir  du  roi.  Les  églises, 
sentant  le  besoin  de  protection,  associaient  le  roi  aux  revenus 
et  h  la  juridiction  de  la  totalité  ou  d'une  partie  de  leurs  domai- 
nes, dont  le  roi  devenait  coseigncur,  et  qui  étaient  administrés 
alternativement  par  les  agents  royaux  et  par  les  agents  des 
églises  ^  L'autorité  royale  s^insinua  par  cette  voie  dans  toutes 
les  provinces. 

Les  grands  feudataires  jouissant  des  dioits  régaliens  étaient 
peu  nombreux  :  c'étaient  le  duc  de  Bretagne,  le  comte  de 
Flandre,  qui  possédait  aussi  le  comté  de  \evers,le  duc  de 
Bourgogne  et  le  roi  d'Angleterre,  duc  de  Guienne.  Le  comté 

1  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  546,  n"  5,  iO;  J.  548,  n"  4.  Dupiiy, 
p.  295. 

-  Dupiiy,  p.  306.  —  Trésor  des  cliartes ,  Mortagne,  11°=^  50  et  51. 

■5  Les  principaux  pariages  furent  :  en  1285,  avec  l'abbaye  de  Belle-Perctie. 
Trésor  des  chartes,  J.  397,  18.  —  Vax  1286,  avec  l'abbaye  de  Bénis.son- 
Dicu.  Ibid.,  19.  —  En  1287,  avec  l'abbaye  de  Sarlat.  Ihid.,  11  à  13,  et 
J.  236,  14.  —  En  1290,  avec  Snn-èze.  J.  397,  17.  —  En  1292,  avec  Saint- 
André  d'Avignon.  Alesnard,  Histoire  de  Xismes ,  t.  I,  preuves  114  à  117. 
—  En  1297,  avec  Bonneval,  pour  Serres.  Ordonuauces ,  t.  \I ,  p.  380.  — 
En  1300,  avec  le  chapitre  de  Sens.  .fj.  38,  n"  28.  —  En  1301  ,  avec  le 
prieure  de  Saint-Saturnin  du  Port.  .1.  887,  et  Ord.,  t.  XVII,  221.  Confirm.  en 
1303.  Vaissèfe,  t.  IV,  p.  145.  —  En  1307,  avec  l'évèquc  de  Alende.  J.I.  38, 
n"  204.  —  Avec  le  chapitre  de  Saint- Yrieis.  JJ.  44,  n"  40.  Ord.,  t.  VI, 
p.  237.  —  Avec  l'évèquc  du  Puy.  JJ.  44,  n'^  10.  Ord.,  t.  VI,  p.  341.  — 
Avec  l'évèquc  de  Limoges.  Ord.,  t.  XIII,  p.  205.  —  Avec  l'évèquc  de 
Cahors.  Gallia ,  t.  I,  col.  33.  —  .Avec  rcvè(jne  de  Alende.  Alesriard,  t.  I, 
p.  154.  — ■  Eu  1308,  avec  Charronx,  pour  Saiiil-Séverin.  J.  398,  n"  2'(-.  — 
Avec  le  chapitre  de  Saint-Orens  d'Aiich.  J.  398,  n»  29.  —  Avec  l'évèque 
de  Puiniers.  Vaissèlc,  t.  IV,  p.  145.  On  trouve  quelques  pariages  avec  des 
seigneurs  laïques  :  avec  B.  d'Astarac,  pour  la  bastide  de  Tournay,  en  1308. 
JJ.  44,  n»  32.  —  Avec  Frédol  de  Laulrcc,  pour  Venescio,  en  1312. 
JJ.  48,  n"29. 


10  L\  FllAXCE  SOIS  l'HILlITE  LE  BEL. 

de  !a  Alarclic  ayant  fait  rotoiir  à  la  couronne,  Philippe  le  Bel 
le  (lonn;i  on  apanajje  à  son  Iroisiônic  fils;  le  l'oitou  fut  aussi 
constitué  en  apanage  au  profit  ilo  iMiilippe  le  Long,  son  second 
fils.  L'n  autre  fcudataire  puissant,  mais  qui  devait  sa  grandeur 
à  Philippe  le  Bel,  c'était  son  frère  Charles,  qui,  outre  le  comté 
(le  Valois,  reçut  successivement  l'Anjou  ',  le  Maine,  le  Perche 
et  le  comté  d'Alençon  '.  Les  autres  membres  de  la  famille 
royale  étaient  le  comte  d'Mvreux,  frère  du  roi  ^  ;  le  comte 
d'Artois,  petit-fils  de  saint  Louis;  le  comte  de  Clermont,  marié 
à  l'héritière  de  Bourbon.  Les  ducs  de  Bretagne  et  de  Bourgogne 
et  le  comte  de  Foix  étaient  entièrement  dévoués.  Restaient 
donc,  pour  contre-balancer  l'autorité  royale,  le  roi  d'Angleterre, 
duc  de  Guienne,  et  le  comte  de  Flandre. 

Philippe  le  Bel  entama  la  lutte  contre  eux.  Il  conquit  une 
partie  de  la  Flandre,  et,  s'il  ne  put  conserver  la  Guienne, 
(ju'un  arrêt  du  parlement  avait  confisquée,  il  indiqua  du  moins 
à  Charles  V  la  voie  qu'il  devait  suivre  pour  annexer  l'Aquitaine 
au  domaine. 

Dans  celte  rapide  extension  de  la  France  royale,  on  doit  voir 
autre  chose  que  de  l'habileté  de  la  part  de  la  monarchie  :  il  y 
eut  du  bonheur.  Les  vieilles  dynasties  féodales  s'éteignaient 
d'elles-mêmes,  comme  pour  faciliter  l'œuvre  de  la  formation 
de  la  France  moderne.  Mais,  on  doit  aussi  le  reconnaître,  la 
royauté  sut  tirer  un  admirable  parti  des  circonstances  favora- 
bles (pic  lui  offrit  la  Providence.  Kilo  ne  négligea  rien  pour 
étendre  son  autorité  ou  son  influence  là  où  elle  ne  régnait  pas 
encore  de  fait,  et  pour  faire  franchir  à  ses  lois  et  à  ses  ordon- 
nances les  barrières  que  lui  opposaient  les  fiefs  des  grands  vas- 
saux, préludant  ainsi  par  l'unité  du  commandement  k  l'unité 
territoriale  qui  ne  devait  venir  que  plus  tard. 

'  En  1291,  ;\  l'occasion  (\o  son  inariajjo  avec  la  fille  de  Charles  d'Anjou, 
roi  do  Sicile.  Trésor  des  chartes.  Contrats  de  mariayc ,  II,  n°^  5,  6  et  7. 

-  l'iii  \i9'f.  Dupuy,  Droits  du  roy,  p.  410. 

''  En  1307,  le  roi  donna  à  son  frère  Louis  Gien,  la  Fcrté-Alais,  Etampcs, 
Dourdan  et  Mculan.  Archives  de  l'Empire,  .1.  953. 


LIVRE  PREMIER.  —  DE  LA  ROYAUTE.  11 

CHAPITRE  TROISIÈME. 

PROGRÈS   DU   POUVOIR   LÉGISLATIF   DES    ROIS    DE    FRANCE. 

Les  vicissitudes  du  pouvoir  h'-fjislalif  peuvent  servir  à  mesurer  les  progrès  de 
la  royauté.  —  Quelle  était,  à  la  fin  dn  treizième  siècle,  la  puissance  légis- 
lative du  roi?  —  Réfutation  d'une  opinion  émise  récemment.  —  Le  roi 
avait  deux  pouvoirs  législatifs  différents ,  comme  roi  et  comme  possesseur 
de  fief.  —  Histoire  de  la  puissance  législative  du  roi  depuis  Philippe- 
Auguste.  —  Les  ordonnances  générales  ne  sont  exécutées  d'abord  par  les 
barons  que  de  leur  consentement.  —  Le  consentement  de  certains  barons 
jugé  plus  tard  suffisant  pour  entraîner  l'exécution  forcée  des  ordonnances 
royales.  —  Le  droit  de  faire  des  ordonnances  attribué  au  parlement,  puis 
au  conseil.  —  Philippe  le  Bel  invoque  la  plénitude  de  l'autorité  royale.  — 
Participation  du  tiers  état  à  la  rédaction  de  certaines  ordonnances,  surtout 
concernant  les  monnaies.  —  Causes  de  l'extension  du  pouvoir  législatif  du 
roi.  —  Fausses  applications  du  droit  romain  et  du  droit  féodal  par  les 
légistes  pour  amener  ce  résultat. 

On  n'est  pas  d'accord  sur  la  question  de  savoir  si  la  royauté 
était  en  possession,  au  treizième  siècle,  du  pouvoir  législatif  ; 
grave  question  qui  mérite  d'être  éclaircie.  Est-il  vrai,  comme 
l'a  prétendu  récemment  un  savant  publiciste,  que  dans  tout  le 
courant  de  ce  siècle  la  royauté  ait  été  complètement  privée  du 
pouvoir  de  faire  des  lois,  et  que,  pendant  cette  période,  on  ne 
trouve  parmi  les  documents  en  apparence  législatifs  que  des 
règlements  proprement  dits  de  police,  des  reconnaissances  de 
faits  accomplis,  des  constatations  de  coutimies,  enfin  des  voies 
et  moyens  nouveaux  pour  la  meilleure  observation  des  cou- 
tumes '  ?  X'y  a-t-il  donc  que  trois  documents  susceptibles 
d'être  considérés  comme  de  véritables  actes  de  législation  : 
1°  l'établissement  relatif  au  douaire  coutumier  de  la  femme 
mariée,  que  l'on  rapporte  à  l'année  I2Ii,  et  dont  le  texte  est 
perdu;  2"  l'ordonnance  toucliant  l'attribution  des  conquêts  au 
mari,  en  cas  de  décès  de  sa  femme  sans  enfants  (1210);  3"  les 
lettres  patentes  créant  pour  les  propriétaires  déniaisons  à  Paris 
un  cas  spécial  d'expropriation  (mars  1287)? 

Il  faut  d'abord  s'entendre  sur  la  portée  du  mot  document 

*  Rapctfi ,  préface  du  Lirre  de  jostice  et  de  jflet ,  p.  x.wvii ,  note  J . 


12  I.\  FHAX'CIC  sors  l'IIlI,IPI'F,  LK  BEL. 

légishilif.  Kii  liiissanl  de  côté  le  droit  des  gens  et  le  droit  natu- 
rel, on  trouve  (|ue  les  lois  se  divisent  en  lois  politiques  et  en 
lois  civiles  :  les  unes  rèjjlent  les  rapports  des  citoyens  avec  le 
jjouveriicuicut ,  la  lorinc  de  l'administration;  les  autres  prési- 
dent aii\  rapports  des  parliculieis  entre  eux.  Les  premières 
iormeul  le  droit  puMic,  les  secondes  le  droit  privé  d'une  nation. 
Il  n'est  ])()inl  possible  de  restreindre  le  nom  de  loi  aux  lois 
civiles  '.  I/aulorilé,  dont  émanent  les  lois  civiles  et  les  lois 
politicpies,  couslitue  le  pouvoir  législatif,  et  ce  pouvoir  appar- 
tenait sans  conteste  à  la  royauté  à  la  fin  du  treizième  siècle, 
mais  dans  une  certaine  mesure  et  à  certaines  conditions. 

Dans  le  système  féodal,  la  souveraineté  ne  résidait  pas  uni- 
(jucun-nt  dans  le  roi;  elle  appartenait  aussi  aux  feinlalaires 
dans  leurs  liels.  "  (lliacun  des  barons,  dit  le  jurisconsulte  lîeau- 
manoir,  (jui  écrivait  sous  riiilipi)e  III,  est  souverain  dans  sa 
baronnie.  ■>•>  Alors  souveraineté  était  synonym<'  de  snpéri(H-ité  ; 
le  roi  était  souverain  par-dessus  tous,  et  cette  supériorité  sur 
des  souverains  répondait  à  la  souveraineté  telle  (|ue  nous  l'en- 
tendons. Sous  Philippe  le  Bel,  le  mot  souveraineté  était  déjà 
employé  dans  le  sens  que  nous  lui  donnons"'.  Le  roi  avait  deux 
(|ualités  :  il  était  à  la  fois  roi  et  possesseur  de  fiefs.  A  chacune 
de  ces  qualités  était  attaché  un  pouvoir  législatif  différent, 
l'un  partagé  avec  les  barons,  l'autre  unique  et  royal.  IJeauma- 
noir  est  explicite  à  cet  égard.  Les  établissements  de  saint  Louis 
nous  montrent  les  barons  faisant  des  bans  ou  ordonnances  dans 
leurs  fiefs  sans  le  consentement  du  roi,  et  le  roi  promuljiuant 
des  règlements  dans  son  domaine  sans  que  les  barons  fussent 
astreints  à  s'y  conformer  \  Toutefois,  en  vertu  de  son  titre  de 
garde  général  du  rogaumc,  le  monarque  pouvait  faire  des  lois 
générales  ou  établissements,  et  il  pouvait  les  faire,  dit  IJeau- 
manoir,  tels  (pi'il  lui  [)laisait  pour  le  profit  commun  ;  et  ce  qu'il 
ordonnait  devait  être  observé  ', 

'    Moiilcscuiicii ,  Kspvil  des  lois ,  liv.  I,  clinp.  m. 

-  OriiniinaïKO  relative  aux  causes  du  duclu'  de  15i-e(a;{nc  qui  ne  seront  por- 
tées au  roi  (|u'en  cas  d'appel  pour  défaut  (le  droit,  Faux  jii'feinent,  ou  on 
autres  cas  a|)parteiiant  à  notre  somcraiueté.  Ord.,  t.  1 ,  p.  320,  février  1296. 

3  Ord..  t.  I,  p.  J2(i. 

''  Beaunianoir,  Coût,  de  Bcauiuisis ,  cliiip.  xwiv. 


LIVRE  PRKMIER.  —  DE  LA  ROVALTÉ.  13 

Ce  droit  que  lîeaiimanoir  reconnaissait  aux  rois  de  France 
était  encore,  quand  ce  jurisconsulte  écrivait,  en  J28i,  une 
tliéorie  de  légistes;  mais  il  devait  bientôt  devenir  une  réalité. 
Les  lois  d'un  intérêt  général,  devaient  être  en  |)rincipe  consen- 
ties par  les  barons,  mais  le  nombre  des  feudataires  qui  devaient 
être  appelés  pour  donner  leur  consentement  ne  lut  pas  tixé,  et 
la  royauté  mit  à  profit  cette  absence  de  règles  pour  supprimer 
l'obligation  du  consentement  des  barons  ou  du  moins  la  rendre 
illusoire  en  l'éludant.  Alais  pour  arriver  à  ce  résultat,  que  de 
précautions,  de  subtilités  il  fallut,  en  même  temps  que  de  force 
réelle.  L'ordonnance  de  saint  Louis  abolissant  le  duel  ne  fut 
pas  exécutée  dans  les  domaines  des  grands  vassaux.  Toutefois, 
le  pouvoir  législatif  reçut  de  profondes  modifications  sous  ce 
roi.  Les  séances  de  la  cour  du  roi  devinrent  régulières.  Le 
parlement  était  composé  de  prélats  et  de  barons  cboisis  il  est 
vrai  par  le  prince;  mais  comme  les  grands  et  les  évèques 
avaient  droit  d'y  prendre  séance,  il  passa  pour  représenter  la 
noblesse  et  le  liant  clergé.  Il  reçut  en  conséquence  le  pouvoir 
de  faire  des  ordonnances  générales;  mais  ce  pouvoir  il  ne 
l'exerça,  à  partir  du  règne  de  Pbilippe  le  liel,  que  dans  cer- 
taines limites. 

Jusque-là  la  cour  du  roi  avait  réuni  des  attributions  judi- 
ciaires, administratives  et  législatives;  le  roi  mit  un  terme  à 
cette  confusion  en  délimitant  les  fonctions  de  chacune  des  sec- 
tions de  sa  cour  :  le  parlement  proprement  dit  rendit  la  jus- 
tice, la  cbambre  des  comptes  contrôla  la  perception  de  l'impôt 
et  l'emploi  des  deniers  de  l'Etat,  le  conseil  prépara  les  lois  et 
les  règlements  d'administration  publique.  Ces  trois  corps  reçu- 
rent une  existence  indépendante.  Le  parlement  ne  fut  plus 
consulté  que  pour  la  rédaction  des  ordonnances  concernant  la 
justice.  Le  pouvoir  législatif  résida  dans  le  conseil  composé  des 
confidents  du  roi. 

Le  droit  de  réglementer  les  monnaies  dans  toute  l'étendue 
du  royaume  avait  toujours  été  reconnu  au  roi,  Philippe  en 
abusa.  Il  fit  aussi  des  lois  sonqituaires,  qui  étaient  applicables 
aux  barons.  Mais  ce  n'était  pas  une  nouveauté,  il  suivait 
l'exemple  de  son  père.  Une  grande  ordonnance  de  1303,  pour 
la  réformation  du  royaume,  est  un  des  actes  les  plus  importants 


14  LA  l'RAYCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

de  ce  rôjjnc.  Toulcfois  ce  document,  rédigé  à  une  époque  où 
Philippe  avait  tout  le  monde  à  ménager,  ne  consacrait  point 
les  con(jnétes  de  la  royauté,  mais  les  franchises  des  seigneurs 
et  suilout  du  clergé.  Les  rapports  de  l'Etat  avec  l'Eglise  y 
furent  réglés,  mais  uniquement  pour  les  matières  temporelles; 
aussi  la  noblesse  et  le  clergé  exigèrent-ils  plusieurs  fois  la 
confiimalion  de  ce  qui  était  une  sorte  de  grande  charte.  Pen- 
dant tout  le  quatorzième  siècle,  les  agents  royaux  devaient  en 
jurer  l'exécution  '.  Elle  fut  confirmée  par  Louis  X  et  par  le 
roi  Jean  ".  Elle  fut  pendant  un  siècle  considérée  comme  le 
code  des  libertés  publiques. 

Philippe  le  Bel  rendit  ordonnances  sur  ordonnances.  Les 
guerres  qu'il  eut  à  soutenir  lui  donnèrent  l'occasion  d'étendre 
les  prérogatives  royales.  En  temps  de  guerre,  le  salut  commun 
était  la  loi  suprême,  et  il  appartenait  au  roi  de  prendre  les 
mesures  propres  à  assurer  la  défense  de  la  patrie.  Mais  cette 
autorité  illimitée  n'était  acceptée  qu'en  temps  de  guerre  : 
Philippe  en  fît  l'épreuve. 

En  1811  ,  dans  un  mandement  adressé  à  tous  les  barons  et 
nobles  de  France,  il  leur  défendit,  sous  la  foi  qu'ils  lui  devaient 
et  sous  toutes  les  peines  qu'il  pourrait  leur  infliger,  de  porter 
les  armes  ou  de  faire  des  tournois  à  l'avenir,  et  cela  sans  le 
conseil  de  personne,  en  vertu  de  son  droit  de  roi  ^  On  était 
alors  en  paix;  il  n'y  avait  pas  à  invoquer  pour  excuse  le  besoin 
de  suspendre  à  l'intérieur  les  hostilités  pour  reporter  contre 
l'ennemi  toutes  les  forces  de  la  nation.  Le  roi  agissait  en  sa 
seule  qualité  de  roi,  mais  c'était  trop  tôt;  on  n'était  pas 
encore  arrivé  au  gouvernement  du  bon  plaisir.  Philippe  avait 
pu  attaquer  impunément  et  sans  avoir  de  contradicteurs  le 
clergé,  en  lui  interdisant  les  fonctions  civiles,  et  la  noblesse 
par  l'établissement  des  bourgeoisies  du  roi.  Ces  atteintes 
étaient  graves,  mais  les  conséquences  n'en  furent  pas  aperçues 

1  Ord.,  t.  I,  p.  457,  Mand.  au  bailli  de  Vermandois ,  an  1308,  cl  Tix-sor 
des  chartes,  Roy.  42,  n.  50. 

-  Extrait  prh  sur  les  royislros  du  pnilciiicnt ,  A.  I,  Iv.  49,  n°  18, 
22  mai  1367. 

•'  Ord.,  t.  I,  p.  V93.  (Prouf  ox  nfficii  nostri  dcbito  tciicniur  salubrilcr 
prnviilcre.) 


LIVRE  PREAIIER.  —  DE  LA  ROYAUTÉ.  15 

tout  d'abord.  Il  finit  par  pousser  la  noblesse  à  la  révolte. 
Cependant,  il  avait  le  premier  osé  invoquer  la  plénitude  de 
l'autorité  royale  et  proclamé  le  principe  de  la  souveraineté, 
dont  ses  successeurs  tirèrent  un  grand  parti  pour  légitimer 
leurs  volontés. 

Les  barons  n'étaient  pas  les  seuls  qui  prissent  part  en  cer- 
taines circonstances  au  gouvernement  du  royaume.  Le  clergé 
avait  ses  assemblées  dans  lesquelles  il  décidait  des  questions  de 
discipline  ecclésiastique  et  votait  librement  des  subsides  pour 
la  défense  de  la  patrie.  Les  conciles  provinciaux  devinrent 
même  souvent,  par  suite  de  l'adjonction  de  laïques,  de  véri- 
tables assemblées  politiques  où  se  traitèrent  des  questions 
d'intérêt  public.  La  levée  des  impôts  extraordinaires  devait 
être  précédée  du  consentement  de  certaines  personnes. 

Le  peuple  lui-même,  du  moins  la  bourgeoisie,  avait  vu  plus 
d'une  fois  quelques-uns  de  ses  membres  siéger  dans  les  con- 
seils du  roi  ou  des  grands  vassaux.  Les  rois  du  moyen  âge 
n'avaient  ni  n'affectaient  de  dédain  pour  les  bourgeois.  Pbilippe- 
Auguste,  en  partant  pour  la  croisade,  en  l'an  1190,  ordonna 
d'établir  dans  chaque  prévôté  quatre  prud'bommes,  sans 
l'avis  desquels  les  officiers  royaux  ne  pouvaient  prendre  aucune 
décision  relativement  à  l'administration  des  villes.  Ces  députés 
des  villes  se  rendaient  tous  les  quatre  mois  à  Paris,  aux 
grandes  assises  tenues  par  la  reine  et  par  l'archevêque  de 
Reims,  pour  y  rendre  compte  de  leur  gestion  et  exposer  les 
besoins  de  leur  localité  '.  Les  six  bourgeois,  établis  à  Paris 
par  Philippe-Auguste  lui-même,  assistaient  au  conseil  de 
régence  et  avaient  la  garde  du  sceau  de  l'Etat.  Le  roi  ne 
pouvait  trouver  du  reste  des  conseillers  plus  fidèles  et  plus 
sûrs  :  c'était  là  une  confiance  bien  placée  *. 

Les  bourgeois  de  certaines  villes  étaient  aussi  consultés  pour 
la  rédaction  des  ordonnances  concernant  les  monnaies.  En  1263, 
saint  Louis  ordonna  que  les  monnaies  seigneuriales  auraient 
nn  type  différent  de  celui  des  monnaies  royales  :  l'ordonnance 
qui  prescrivit  cette  mesure  importante  fut  rendue  à  Chartres , 
avec  le  concoui's  de  citoyens  de  Paris,  de  Provins,  d'Orléans, 

>  Ord..  t.  I,  p.  118. 

-  L.  Delisle,  Catalogue  des  actes  de  Philijjpe-.higuste ,  p.  Lxr. 


If.  i,.\  rnAxci-:  sors  phii-ippe  lk  bel. 

(le  Sons  v[  (le  Laoïi  '.  Lors(|iron  ];}().{,  IMiilippo  le  Bel,  cédant 
aux  justes  ici  lainalions  du  peuple,  promit  de  ne  plus  altérer 
la  monnaie  et  de  la  rétablir  sur  l'ancien  pied,  il  réunit,  pour 
déterminer  le  poids  et  l'aloi  des  nouvelles  pièces  qu'on  allait 
frapper,  une  assemblée  con)posée  des  maîtres  des  monnaies  et 
d'un  grand  nombre  de  t  i)onnes  gens  des  bonnes  villes  du 
royaume'  -.  Kn  l'U)'.>,  il  manda  «  de  plusieurs  bonnes  villes 
deux  ou  trois  prud'hommes  ,  qui  se  connaissaient  au  fait  des 
monnaies,  pour  avoir  conseil  et  délibération  de  niettre  et  faire 
revenir  les  monnaies  au  point  et  en  l'état  où  elles  étaient  du 
temps  de  monseigneur  saint  Louis  ^t  .  En  ];iI4,  il  réunit  pour 
le  même  motif  des  bourgeois  de  quarante  et  une  des  |)rinci- 
pales  villes'.  Ces  députés  donnèrent  leur  avis,  qui  nous  a  été 
conservé. 

Dans  (juelques  provinces,  principalement  dans  le  Alidi,  le 
tiers  élat  était  consulté  et  siégeait  dès  le  treizième  siècle  à  côté 
des  deux  autres  ordies;  mais,  sauf  pour  les  impots,  c'était 
bénévolement  et  pour  s'éclairer  (jue  l'on  consultait  les  membres 
du  tiers  élat. 

Lu  droit  exclusivement  royal,  et  appartenant  en  propre  à  la 
souveraineté,  était  celui  d'accorder  des  lettres  de  légitimation. 
On  trouve  sous  Pliilippe  le  IJel  un  certain  nombre  de  ces 
actes  (pie  notre  législation  moderne  ne  permettrait  pas,  car  il 
s'agissait  de  donner  le  rang  d'enfants  légitimes  à  des  individus 
dont  les  parents  n'avaient  jamais  été  unis  en  mariage,  à  des 
enfanls  de  prêtres  et  au  fruit  de  l'adultère  \ 

In  autre  droit,  tpii  cessa  dès  lors  d'être  partagé  par  les 
feudalaires,  était  celui  de  grâce,  qui  s'exerçait  au  moyen  de 
lettres  de  rémission  et  d'abolition  ;  les  unes  remettaient  la 
peine  encourue  *,   les  autres  dispensaient  du  jugement  °.  Ces 

1  Bcnjjiinl,  Institutions  de  saint  Louis;  et  OnL,  t.  I,  p.  181. 

■2  Ord..  t.  I,  p.  519. 

='  Ord.,  t.  1,  |).  5M. 

'»  Di'c.  1307.  I.c'jitimalinii  de  (îuillaiimc  de  Caliors ,  fils  d'un  prêtre  et 
d'une  femme  liliie.  Ite;;.  \I,I\'  du  Trésor  des  chartes ,  n"  43.  —  \  oyez  au.ssi 
Rey.  XLVl,  n"  237  (en  1312),  Re;[.  \L\  III .  n"^  125  et  103,  etc. 

5  Trésor  des  chartes ,  Reg.  XLI ,  u"  20G  (en  1309);  Reg.  XLIX,  n"^  6 
et  12;  Reg.  L,  n°  62  (en  1314). 

fi  Trésor  des  chartes ,  Reg.  XLIX,  n">  16  et  17  (en  1313). 


LIVRE  PREMIER.  —  DE  LA  ROYAUTÉ.  17 

leltros ,  qui  sont  assez  rares  dans  les  registres  de  la  chancel- 
lerie du  temps  de  Philippe  le  Bel,  mais  qui  abondent  sous  les 
règnes  suivants,  sont  les  témoins  irrécusables  de  la  barbarie 
des  mœurs  du  moyen  âge.,  époque  où  les  querelles  étaient 
presque  toujours  ensanglantées.  Le  droit  de  grâce  entraînait 
de  grands  abus,  car  il  ne  s'appliquait  pas  aux  crimes  commis 
avec  ce  que  nous  appelons  des  circonstances  atténuantes,  mais 
à  tous  ceux  dont  les  auteurs  étaient  assez  riches  pour  se  faire 
délivrer  des  lettres  de  rémission,  dont  l'obtention  était  presque 
toujours  accompagnée  du  payement  d'une  forte  somme  d'argent. 
En  définitive,  le  pouvoir  de  faire  des  lois  générales  ou  éta- 
blissements résida  en  fait,  sous  Philippe  le  Bel,  entre  les  mains 
du  roi,  sans  autre  condition  (juc  d'être  exercé  avec  prudence, 
quand  il  s'agissait  de  la  noblesse.  L'administration  intérieure 
du  domaine  était  réglée  par  des  ordonnances  rendues  sans 
contrôle  :  il  faut  excepter  le  droit  de  lever  des  impôts,  droit 
qui  participait  du  pouvoir  législatif,  puisqu'il  ne  pouvait  être 
exercé  qu'en  vertu  d'une  loi;  mais  en  principe,  cette  loi  devait 
être  faite,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit  et  comme  je  le  montrerai 
plus  loin,  avec  le  concours  ou  du  moins  l'assentiment  des 
contribuables. 

L'extension  du  pouvoir  législatif  de  la  royauté  fut  facilitée 
par  la  diffusion  des  principes  du  droit  romain  dans  le  nord  et 
dans  le  midi  de  la  France.  A  l'école  d'Orléans,  où  l'on  expli- 
quait le  Digeste  en  français,  les  étudiants  apprenaient  cette 
maxime  qu'ils  allaient  porter  dans  les  cours  des  seigneurs  : 
et  Ce  qui  plail  au  prince  vaut  loi ,  ausiiic  corne  se  toz  li 
peuple  donoit  tout  son  poer  et  son  commandement  à  la  loi 
que  li  roi  envoie  '.  «  Telle  est  l'origine  de  l'adage  :  Que  veut 
le  roi,  si  veut  la  loi.  Et  cependant  cette  application  des  lois 
romaines  était  fausse;  car,  à  Rome,  la  volonté  dé  l'empereur 
avait  force  de  loi,  en  verlu  de  la  délégation  que  le  peuple  élait 
€ensc  avoir  faite  de  son  pouvoir  au  prince,  par  la  loi  regia. 

Or,    le  pouvoir  législatif  du  loi  de  France  ne  tirait  dans 

1  Livre  de  jostice  et  de  plet,  p.  9.  «  Quod  principi  placiiit  Icgis  habot 
vigorcni,  iitpolc  qmiin  Icjjc  reiria,  (pia*  de  iinporio  cjiis  lafa  est,  pnpiiliis  ei 
omnc  suiim  itiipcriiim  et  potestatein  conférât,  i  LIp.  Dig.,  I.  I,  lit.  ly, 
Jrag.  1,  iii  jjroœmio. 

2 


18  M  FRANCE  SOLS  PHILIPPE  LK  BEL. 

l'opinion  de  personne  son  origine  de  la  volonté  populaire, 
puisque  la  soureraincté  du  peuple  n'était  pas  la  hase  du  gou- 
vernement; mais  les  légistes  se  servirent  des  textes  du  Digeste 
pour  affranchir  le  roi  de  l'ohligation  où  il  se  trouvait  de  faire 
sanctionner  les  lois  pour  qu'elles  fussent  exécutoires  dans  le 
royaume;  sanction  que,- d'après  le  droit  féodal,  on  devait 
demander  aux  harons;  sanction  (ju'on  s'ahstint  de  demander 
ou  qu'où  ne  demanda  qu'à  quohpics-uns,  et  qu'on  finit  par 
regarder  comme  acquise  tacitement,  d'après  la  maxime  :  "  Qui 
ne  dit  rien  consent  •• .  Ce  qui  fut  ainsi  formulé  par  Beaumanoir  : 
n  Quand  li  roys  fait  aucun  estahlissement,  espécialement  en 
son  domaine,  si  harons  ne  laissent  pour  ce  à  user  en  leurs 
terres  selon  les  anciennes  coutumes  ;  mais  quand  li  estahlisse- 
ment est  généraux,  il  doit  courre  par  tout  le  royaume,  et  nous 
devons  savoir  que  tels  estahlissements  sont  faits  par  très  grand 
conseil ,  pour  le  quemun  profict  '  •> . 

1  Coût,  (le  Beauvoisis,  cliap.  XLvm. 


LIVRE    DEUXIEME. 

DES   ÉTATS   GÉNÉRAUX. 


CHAPITRE   PREMIER. 

ÉTATS    DE    1302. 

Coup  d'œil  sur  les  origines  du  système  représentatif.  —  Les  états  généraux: 
sont  une  nouveauté  sous  Philippe  le  Bel.  —  Etats  présumés  de  1290, 
inconnus  Jusqu'ici.  —  Les  premiers  états  généraux  bien  constatés  convo- 
qués en  1302,  à  propos  de  la  querelle  du  roi  avec  Boniface  VIII.  —  Récit 
de  la  .«éancc  du  îO  avril  dans  l'église  Xotre-Dame  de  Paris.  —  Lettres 
adressées  par  les  trois  ordres  séparément.  —  Prétendu  cahier  des  états. 
—  Philippe  le  Bel  ne  demande  pas  de  subside  aux  états  généraux. 

C'est  un  fait  généialement  reconnu  que  Philippe  le  Bel  est 
le  premier  roi  de  France  qui  ait  convoqué  les  états  généraux 
(lu  royaume,  composés  des  trois  ordres,  du  clergé,  de  la 
noblesse  et  du  tiers  étal  ;  mais  ce  que  l'on  sait  de  ces  assem- 
blées se  réduit  ;i  peu  de  ciiosc.  On  ignore  le  mode  de  convo- 
cation et  de  nomination  des  membres  des  différents  ordres, 
surtout  du  tiers  état,  ainsi  que  la  forme  et  souvent  même  le 
résultat  des  délibérations.  Los  témoignages  des  contemporains 
qui  nous  ont  été  transmis  sur  ce  sujet  sont  vagues,  insuffisants 
et  quelquefois  contradictoires.  Il  semble  pourtant  qu'un  événe- 
ment aussi  considérable  que  la  réunion  des  représentants  de 
la  nation  ait  dû  produire  une  vive  impression  et  laisser  des 
souvenirs  durables.  Il  ne  paraît  pas  en  avoir  été  ainsi.  Parmi 
les  chroniqueurs  du  temps,  les  uns  gardent  le  silence;  d'autres 
mentionnent  ces  assemblées  sans  étonucment  et  sans  avoir  l'air 
d'y  attacher  d'importance.  Des  historiens  éminents,  notam- 
ment M.  de  Sismondi  ',  se  sont  autorisés  de  cette  circonstance 

1  Sismondi,  Histoire  des  Français,  t.  IX,  p.  83.  Voyez  aussi  Darestc , 
Hisloire  de  l' administration  en  France,  t.  !,  p.  77. 

5 


20  LA  FRAXCE  SOLS  PHILII'I'E  LE  REL. 

pour  iiior  l'oxistoncc  dos  étals  jji'néraux  sons  Philippo  le  Bel. 
D'autres  écrivains  ont  tiré  une  (•onclusion  tout  opposée  :  le 
peu  (le  retentissement  qu'eurent  ces  états,  les  premiers  dont 
l'histoire  fasse  mention,  est  à  leurs  yeux  un  indice  (ju'ils  ne 
constituèrent  jias  une  nouveauté.  Cette  opinion  est  sj)écieuse; 
toutelois  on  ne  l'a  jusqu'ici  appuyée  sur  aucun  fait  certain,  et 
elle  est  restée  à  l'état  de  conjecture. 

L'étude  att(>ntive  des  monuments  déjà  connus  et  de  docu- 
ments encoie  inédits  nous  a  pcMinis  de  jeter  (juchpie  jour  sur 
celle  grave  (jucstion,  de  démèl(M'  l'oi-ij^ine  des  étals  ;|énéraux, 
de  déterminer  leur  rôle  sous  Pliili[)pe  le  lîel ,  et  de  montrer, 
ce  qu'on  était  loin  de  sujjposer,  le  suffra;j;e  universel  appelé, 
dès  le  commencement  du  quatorzième  siècle,  à  désigner  les 
députés  du  tiers  étal  '. 

On  rattache  communément  les  états  généraux  aux  assem- 
blées mérovingiennes  et  carlovingiennes  du  champ  de  mars  ou 
du  champ  de  mai  ;  on  cite  la  Germanie  de  Tacite;  on  invocjue 
les  représentants  des  sept  provinces  de  la  Gaule  convoqués 
en  -418,  dans  la  ville  d'Arles,  par  l'enapercur  Honorius.  Avec 
celle  méthode,  on  constate  l'existence  sans  interruption  dn 
système  représentatif  depuis  l'origine  de  la  monarchie;  mais 
tout  ce  raisonnement  pèche  par  la  base.  I-es  plaids  de  la  pre- 
mière race  étaient  plutôt  des  rendez-vous  militaires  que  des 
assemblées  législatives.  Les  décisions  qui  y  étaient  promul- 
guées étaient  prises  sur  l'avis  des  leudes,  et  le  peuple  n'avait 
d'autre  droit  que  celui  de  les  sanctionner  par  ses  acclamations. 

Charlemagne  organisa  les  assemblées  du  peuple;  les  règle- 
ments qu'il  lit  à  cet  égard  nous  sont  parvenus  et  font  connaître 
qu'elles  devinrent  entre  ses  mains  un  instrument  de  gouver- 
nement. Il  leur  demanda  non  des  lois  mais  des  avis,  et  encore 
il  ne  consulta  que  les  grands  et  les  prélats.  L'établissement  du 
régime  féodal  mil  fin  à  ces  cours  plénières,  dont  le  souvenir 
resta  gravé  pendant  longtemps  dans  la  mémoire  du  peuple. 
Le  grand  mouvement  communal  du  douziènu'  siècle  marqua 
le  réveil  du   tiers  état;   en  même  temps  le  pouvoir  royal  se 

'  Voyez,  sur  CCS  premiers  états  «jéncraiix,  Chronologie  des  états  généraux , 
par  AL  le  comte  Beiignot;  Annuaire  de  la  Société  de  l'histoire  de  France, 
amiée  1840,  et  Ralliery,  Histoire  des  états  généraux,  p.  57  à  C2. 


lAMXK  DKIXIKMK.  —  DES  KTATS  GE\KRA[  X.  21 

rclovait  avec  peine,  mais  la  lenleiir  de  ses  piojjrès  fut  un  gage 
de  leur  durée. 

Nous  avons  fait  voir  dans  le  livre  précédent  (]iie  la  nohlesse, 
le  clergé  et  le  tiers  état  participaient  au  gouverncnienl  ;  que 
les  différents  ordres  de  l'Etat  étaient  souvent  convoqués  sépa- 
rément pour  donner  des  conseils  ou  même  pour  statuer  sur 
des  affaiies  importantes;  mais  Philippe  le  \\c\  conçut  le  pre- 
mier l'idée  de  réunir  les  états  généraux,  et,  chose  singulière, 
il  le  fît  de  son  propre  mouvement  et  dans  la  plénitude  de 
l'autorité.  Ce  ne  fut  pas  de  sa  part  une  concession  arrachée 
par  la  violence  ou  par  le  besoin  d'argent:  non,  ce  fut  volon- 
tairement qu'il  s'adressa  à  toutes  les  classes  de  la  nation.  Ce 
fut  donc  un  fail  nouveau  dans  l'histoire  (|ue  la  convocation  de 
tous  les  ordres  de  l'Ktat  ;  toutefois,  je  le  répèle,  la  nouveauté 
ne  consista  pas  à  consulter  les  différcnls  ordres,  mais  à  les 
convoquer  simultanément. 

Les  plus  anciens  étals  généraux  (|u<'  l'on  connaisse  sont  de 
l'année  i;30!2;  néanmoins,  une  huile  (hi  pape  Nicolas  IV'  peut 
faire  supposer  que  des  états  furent  réunis  en  128U  ou  au 
commencement  de  l'année  suivante  ;  le  pape  écrivait,  le 
23  mars  1290,  à  Philippe  le  Hel,  (ju'il  avait  donné  audience 
à  ses  ambassadeurs  et  aux  députés  de  la  noblesse  et  des  com- 
munes du  royaume  de  France.  Quel  était  l'objet  de  celte 
ambassade?  On  l'ignore;  mais  comme  elle  eut  pour  résultat 
l'envoi  par  le  pape  de  deux  caidinaux,  qui  mii'ent  fin  à  la 
guerre  que  la  France  soutenait  depuis  plusieurs  années  contre 
l'.'^ragon,  il  est  probable  (pie  les  envoyés  français  dont  parle 
Nicolas  IV'  avaient  pour  mission  de  lléchir  le  sainl-siége,  qui 
jusqu'alors  s'était  opposé  à  tout  accommodement.  En  effet,  la 
guerre  d'Aragon  avait  été  entreprise  par  Philippe  lil,  à  la 
sollicitation  du  pape  Martin  IV,  qui  avait  déclaré  don  Pèdre 
déchu  et  donné  sa  couronne  à  Charles  de  V'alois,  second  fils 
de  Philippe  le  Hardi.  Les  Aragonais  avaient  pris  fiiit  et  cause 
pour  leur  souverain  légitime  et  supporté  pendant  plus  de  six 
années,  sans  se  décourager,  le  poids  des  armes  du  roi  de 
France  et  des  excommunications  de  Rome.  Philippe  le  Bel  se 
lassa  d'une  guerre  qui  épuisait  son  royaume  pour  donner  un 
trône  à  son  frère;  mais  le  pape  tenait  bon.  Ce  fut  sans  doute 


22  LA  FR.WCi;  SOLS  PniLIFPi-:  LK  UEL. 

pour  le  faire  ci'dor  (in'il  lui  envoya  une  ambassade  chargée  de 
lui  exprimer  non-sculonicnt  la  volonté  royale,  mais  encore 
celle  de  la  nation  et  ses  vœux  pour  la  paix.  L'envoi  de  cette 
dépufation  suppose  une  assemblée,  sinon  d'états  généraux,  du 
moins  de  notables  j)ris  dans  le  sein  de  la  noblesse  et  du  tiers 
état.  J'ai  cru  devoir  recueillir  cette  indication,  quoique  bien 
incomplète,  parce  qu'elle  fait  connaître  un  fait  qui  était  passé 
inaperçu  jusqu'ici.  Tout  ce  qui  regarde  les  origines  de  la 
représentation  nationale  doit  nous  intéresser,  et  il  n'est  pas 
permis  de  négliger  aucune  lumière,  si  faible  qu'elle  soit, 
susceptible  d'éclairer  cette  importante  question  '. 

Nous  voici  arrivés  enfin  aux  premiers  états  généraux. 

La  lutte  était  engagée  depuis  quelques  années  entre  Boni- 
face  VIII  et  Philippe  le  Bel.  On  trouvera  plus  loin  le  récit  de' 
cette  querelle  mémorable  :  il  suffira  pour  le  moment  de  dire 
qu'il  s'agissait  de  sauoir  si  le  pouvoir  royal  devait  être  soumis 
au  pape.  Boniface  VIII,  dans  une  bulle  célèbre  commençant  par 
ces  mots  :  Ausculta ,  fdi,  avait  proclamé  la  suprématie  du 
saint-siège  sur  les  rois. 

A  la  réception  de  cette  bulle,  Philippe  sentit  son  pouvoir 
ébranlé  s'il  laissait  passer  sans  une  éclatante  protestation  les 
prétentions  de  Boniface  :  il  convoqua  les  premiers  étals  géné- 
raux sur  lesquels  on  possède  des  renseignements  précis.  Il 
envoya  aux  nobles,  aux  églises  et  aux  villes  du  royaume  des 
lettres  où  il  exprimait  le  désir  de  délibérer  avec  ses  prélats, 
ses  barons  et  ses  autres  fidèles  sur  certaines  affaires  qui  inté- 
ressaient au  plus  haut  degré  le  roi,  le  royaume,  les  églises,  tous 
et  chacun.  Les  barons,  les  èvè(jues,  les  abbés,  les  prévôts  et  les 
doyens  de  chapitre  durent  comparaître»  personnellement  :  les 
communes  furent  représentées  par  des  députés*.  Chaque  cité 

'  Rainaldi ,  Annales  ecclcsiastici ,  t.  IV,  p.  85,  n"  xxxii.  a  Dilrcios  filios 
nobilom  virum  Joannrm  de  Accon,  ma<]islriini  Gcrardiim  de  Malamorlc, 
capcllaiium  nosfniin  ,  f'ratrrm  Ernnipliiim  ,  ordiuis  milili.T  Tompli ,  et  GuillcI- 
miim  de  Granccyo,  militcin,  tiios  et  alios  comitum ,  baromun  ac  unkersi- 
tatum  scu  commiunlatum  rcyni  pra'ilicli  nuntios,  nuperad  sedem  apostolicam 
accedciites  libeiitcr  vidimus  et  affcctiiose  rccepiimis ,  etc.  ^ 

-  Lettre  du  clergé  au  pape  en  date  du  10  avril  1302.  Dupuy,  Praives  du 
dijférend,  p.  68.  —  Bernard  Guidonis,  Historiens  de  France,  t.  XXI, 
p.  713. 


LIVRE  DEUXIÈME.  —  DES  ÉTATS  GÊXÉRAIX.  23 

reçut  l'ordre  d'envoyer  à  Paris  deiux  ou  trois  des  principaux 
citoyens,  le  dimanche  avant  les  Rameaux  (8  avril)  1302  '. 
L'assemblée  ne  se  tint  que  le  mardi  suivant,  10  avril,  dans 
l'église  Notre-Dame,  en  présence  du  roi". 

Pierre  de  Flote  accusa  Boniface,  mais  ne  donna  pas  lecture 
de  la  bulle  Ausculta,  fili.  On  avait  répandu  dans  le  public 
une  bulle  qui  commençait  ainsi  :  «  Apprends  que  tu  nous  es 
soumis  au  spirituel  et  au  temporel.  "  Boniface  VIII  nia  éner- 
giquement  être  l'auteur  de  cette  bulle,  et  les  cardinaux 
confirmèrent  son  assertion  :  le  faux  est  évident. 

Pierre  de  Flote  dépeignit  Boniface  VIII  comme  réclamant 
la  suprématie  temporelle  sur  le  roi.  Philippe  fit  demander  aux 
évêques  et  aux  nobles  de  qui  ils  tenaient  leurs  fiefs  :  ils  répon- 
dirent unanimement  qu'ils  les  tenaient  de  lui.  Il  prononça 
ensuite  un  discours  et  dit  que  ses  prédécesseurs,  après  avoir 
conquis  le  royaume  sur  les  barbares  par  leur  vaillance  et  avec 
l'aide  de  leurs  compagnons,  l'avaient  gouverné  et  tenu  de 
Dieu  seul.  Pour  lui,  qui  leur  avait  succédé  par  la  volonté 
divine,  désireux  de  marcher  sur  leurs  traces,  il  était  prêt  à 
sacrifier  tous  ses  biens,  même  sa  vie,  pour  conserver  intacte 
l'indépendance  du  royaume.  Puis,  faisant  allusion  aux  prélats 
convoqués  à  Rome  par  Boniface,  il  protesta  que  ceux  qui 
enfreindraient  ses  ordres  pour  se  rendre  à  ceux  du  pape,  il 
les  regarderait  comme  ses  ennemis  personnels. 

Après  ce  discours,  les  nobles  se  réunirent  et  délibérèrent. 
Robert,  comte  d'Artois,  oncle  du  roi,  fut  chargé  de  porter  la 
parole  au  nom  de  la  noblesse,  et  déclara  que  les  nobles  du 
royaume  étaient  disposés  à  mourir  pour  défendre  la  couronne  ^ . 

Les  trois  ordres  écrivirent  séparément  :  le  clergé  au  pape, 
la  noblesse  et  le  tiers  état  aux  cardinaux;  ces  derniers  affec- 
tèrent de  ne  pas  donner  le  titre  de  pape  à  Boniface.  La  lettre 

1  Circulaire  qui  fut  envoyée  aux  villes ,  en  date  du  jeudi  après  la  Chande- 
leur. Cartulaire  de  Montpellier,  Bibl.  imp.,  n"  8409,  fol.  84.  —  Mesnard, 
Histoire  de  Xismes,  t.  I,  Preuves,  p.  143. 

-  Guillaume  de  Xangis  donne  les  plus  grands  détails  sur  cette  séance , 
dans  un  morceau  qui  n'a  pas  été  nouvellement  découvert,  ainsi  que  le  dit 
il.  Rathery,  p.  56,  puisqu'il  est  imprimé  dans  les  Preuves  de  Dupuy. 

•*  Chronique  de  Guillaume  de  Nangis,  édit.  de  Géraud,  t.  I,  p.  315. 


24  LA  KHAXCE  SOIS  IMUIjPI'K  I.M  1!KL. 

de  la  ii()])I('ss('  lui  soiisciitr  pai'  les  comtes  d'iùreiix  el  d'Artois, 
les  ducs  de  Jfouijjojpie,  de  IJret.i'pie,  de  iiOrraine;  les  comtes 
de  Haiuaut,  de  Luxeinhourjj ,  de  Saiiit-Pol,  de  Dreux,  de  la 
Alarclie,  de  ifoulojjue,  de  \evcis,  d'Ku  ,  de  (^oinininges, 
d  Aumale,  de  Forez,  de  l'éri;{ord,  de  Joigny,  (rAuxerre,  de 
\aleiitinois,  de  Sancerre  et  de  Aloulhéliard  ;  par  le  sire  de 
Couey,  GeoffVoi  de  IJrabant,  le  connétable  Raoul  de  Clermont, 
les  sires  de  Cliàteauvilain  ,  de  l'IIe-Jourdain ,  d'Arlai,  de  (ïlià- 
teauruux,  de  IJeaujeu,  et  par  le  vicomte  de  ?\aibonne  '.  .le  n'ai 
pu  trouver  la  lettre  {\n  tiers-clal.  Je  ne  veux  pas  raconter  en 
détail  ce  (|ui  se  passa  dans  cette  assemblée  :  ce  récit  trouvera 
sa  j)laee  lorsque  je  serai  ariivé  à  Tbistoire  du  différend  de 
Boniface  VIII  avec  Pbilippe  le  lîel  :  je  me  bornerai  à  mettre  en 
lumièi'e  le  mécanisme  des  états  généraux  et  à  faire  connaître  les 
décisions  (jui  furent  prises  dans  leur  sein;  plus  loin  j'appré- 
cierai leur  rôle  politique  et  l'induence  qu'ils  exercèrent. 

Il  nous  est  parvenu  une  supplique,  adressée  à  Philippe  le 
Bel  par  le  peuple  de  France,  qui  débute  ainsi  :  «A  vous,  très- 
noble  prince,  notre  seigneur,  par  la  grâce  de  Dieu,  loi  de 
France,  supplie  et  requiert  le  peuple  de  votre  royaume,  pour 
ce  qu'il  lui  appartient  que  ce  soit  fait,  que  vous  gardiez  la 
souveraine  franchise  de  votre  royaume,  qui  est  telle  que  vous 
ne  reconnaissiez  de  votre  temporel  souverain  en  terre  fors  que 
Dieu,  et  que  vous  fassiez  déclarer,  pour  que  tout  le  monde  le 
sache,  que  le  pape  Boniface  erra  nianil'estement  et  fît  péché 
mortel  en  vous  mandant  qu'il  était  votre  souverain  de  votre 
tem[)orel,  etc.. .  '.  " 

Cl'  début  a  fait  croire  (jue  ce  document  avait  été  présenté 
aux  états  de  1302,  et  que  c'était  le  cahier  du  tiers  état;  mais 
la  lecture  du  reste  de  la  re(juète  ne  permet  pas  d'adopter 
cette  opinion  :  c'est  un  pamphlet  qu'on  peut  vraisemblablement 

•  Diipiiy,  Preuves  du  différend ,  p.  60;  ol  Chroniques  de  Saint-Denis, 
édit.  r.  Paris,  t.  V,  p.  135. 

-  Diipiiy,  p.  GG  cl  C7.  Jp  connais  plnsienrs  cxoiiiplaircs  du  temps  do  ce 
doc  liment,  (pii  dut  être  répandu  à  profusion,  notaiiuiicnt  dans  le  cartulairc 
170  de  la  lîibl.  imp.,  fol.  114,  et  parmi  les  rouleaux  originaux  conservés 
dans  la  même  bibliollièipie  et  désignés  à  tort  jusipi'ici  sous  le  nom  de  Rouleaux 
de  Baluze. 


LIVRE  DEiximn:.  —  i)!:s  états  gkxkraix.  25 

attribuer  à  un  avocat  iionnné  Pierre  Dubois  ',  qui  rcniellait  de 
temps  à  autre  au  roi  des  mémoires  et  des  factums  sur  les  plus 
graves  questions  d'administration  et  de  politique,  et  qui  parait 
avoir  été  employé  par  ce  prince  pour  exercer  sur  le  public, 
par  ses  écrits,  une  influence  au  profit  du  gouvernement.  Aucun 
document  contemporain  n'apprend  qu'il  ait  clé  dcmnndé  de 
subsides  aux  états  de  1302^. 

La  même  année,  la  guerre  recommença  avec  les  Flamands, 
que  i'impolitique  conduite  des  agents  de  Pbilippe  le  IJel  avait 
forcés  à  se  révolter.  Celte  lutte  terrible,  dans  hiciuclle  les  Fla- 
mands combattaient  pour  leur  liberté,  devait  épuiser  la  France. 
L'armée  royale  subit  à  Courtrai  un  de  ces  désastres  qui  se 
renouvelleront  à  Créci,  à  Poitiers,  à  Azincourt,  mais  le]  qu'on 
n'en  avait  pas  encore  vu.  Il  fallait  des  bommes  et  de  l'argent  : 
Pbilippe  trouva  les  deux  sans  recourir  aux  états  généraux.  Il 
ressuscita  ces  levées  en  masse  qui  avaient  cessé  d'être  en  usage 
depuis  Charlemagne;  il  remit  en  vigueur  le  devoir  de  cliacun, 
noble  ou  vilain,  de  concourir  à  la  défense  de  la  patrie  menacée, 
et  ordonna  à  tous  ceux  qui  avaient  cent  livres  en  meubles  de 
marcber  contre  l'ennemi ,  ou  de  se  racbetei'  moyennant  une 
somme  (jui  variait,  mais  qui  consistait  au  moins  dans  le 
cinquantième  des  biens. 

Ln  concile  général ,  réuni  à  Rome  par  Boniface  VIII ,  iciidil , 
le  18  novembre,  un  décret  (|ui  consacrait  la  suprématie  des 
papes  ^  A  la  nouvelle  de  celle  décision,  Piiilippe  comprit  qu'il 
était  urgent  d'agir  :  il  convoqua  successivement  plusieurs 
assemblées  de  prélats  et  de  barons,  afin  d'aviser  au  parti  à 
prendre  pour  maintenir  la  dignité  de  sa  couronne^.  On  trouve 

*  M.  de  W'ailly  prouve  que  la  requête  du  peuple  est  calquée  sur  un  opus- 
cule en  langue  latine  présenté  au  roi  en  l'an  1300  par  le  même  Dubois.  Mém. 
de  l'Acad.  des  inscript.,  t.  X\  III. 

-  Ainsi  que  le  prétend  AI.  Raliiery,  Histoire  des  états  généraux,  p.  5(3. 
Voyez  aussi  Bailly,  Histoire  des  finances ,  t.  1,  p.  72.  Boulainviiliers  éiiicl 
nne  opinion  contraire,  il  arfiriiie  (]uc  Philippe  ne  demanda  pas  d'argent  aux 
états.  Lettres  sur  les  anciens  parlements ,  dans  la  collection  dite  de  Maijer, 
t.  IV,  p.  125. 

•*  Dupuy,  p.  54. 

^  Lettre  adressée  à  l'évèque  de  Rennes,  jeudi  après  la  Saint-Luc,  1302. 
Reg.  XXXVI  du  Trésor  des  chartes,  fol.  13  r°;   au  doyen   de  Chartres, 


26  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

une  (lo  ces  assemblées  à  la  date  du  17  janvier  1303';  une 
autre  se  tint  le  20  du  même  mois';  une  troisième  le  12  mars. 
Dans  cette  dernière,  Guillaume  de  Xogaret  accusa  Bonilace  VIII 
d'usurpation,  de  tyrannie  et  de  mauvaises  mœurs,  et  demanda 
la  permission  de  le  poursuivre  ^ . 


CHAPITRE   DEUXIEME. 

PRKTEXDLS    ÉTATS    DE    1303.   —    APPELS    AU    FUTUR    COXCILE. 

Prétendus  étals  de  1303.  —  Appels  au  futur  cnncilc.  —  Il  n'y  eut  pas  d'états 
généraux  en  1303.  —  Examen  critique  des  clironiqueurs  conteniporains. 
—  Erreur  du  continuateur  de  Xangis.  —  Procès-verbal  officiel  de  l'assem- 
blée des  13  et  14  juin  au  Louvre.  —  Ce  n'était  qu'uue  assemblée  de  nota- 
bles. —  Le  roi  y  appelle  au  futur  concile.  —  Des  commissaires  vont 
recueillir  dans  les  provinces  les  adhésions  des  nobles ,  du  clergé  et  des 
communes.  —  Etats  provinciaux  convoqués  dans  le  Midi,  —  Pourquoi 
Philippe  le  Bel  ne  convoqua  pas  les  états  généraux  dans  cette  circonstance. 

Le  dernier  historien  des  états  généraux  place  au  23  juin  1303 
la  tenue  de  nouveaux  états,  convoqués  par  lettres  royales 
datées  de  \eufmarclié-sur-Epte,  le  30  novembre  1302*.  Je 
ferai  d'abord  remarquer  qu'il  est  peu  vraisemblable  que  le  roi 
ait  convoqué  six  mois  à  l'avance  les  états.  Les  autres  convoca- 
tions faites  sous  Phili|)pe  le  Bel  précédèrent  de  fort  peu  de 
temps  la  réunion ,  et  cela  se  comprend  aisément ,  car  les  états 
étaient  assemblés  pour  décider  des  affaires  qui  demandaient 
une  prompte  solution.  Les  villes  du  Midi  furent  convoquées 
aux  états  de  1302  pour  le  10  avril,  par  lettres  datées  du 
10  février  de  la  même  année.  Les  convocations  pour  les  états 
de  1308,  qui  se  tinrent  le  10  juin,  furent  faites  entre  le  25  et 

ibid.,  fol.  13  v",  \oél  1302;  à  l'évèque  d'Orléans,  le  lendemain  de  la  Saint- 
André,  ibid.,  fol.  11  v». 

1  Ord.,  1.  I,  p.  390. 

^  Ord.,  t.  I,  p.  392. 

•^  Dupuy,  p.  56. 

^  Rathery,  p.  57.  Boulainvillicrs  a  reconnu  que  ces  lettres  ne  s'appliquent 
pas  aux  états  de  1303. 


LIVRE  DF.LXI1:A!E.  —  DES  KTATS  GE.VERArX.  27 

le  30  mars.  En  outre,  les  états  de  1303  furent  réunis  pour  pro- 
céder à  l'accusation  et  à  la  citation  de  Ijoniface  VIII  devant  un 
concile;  or,  à  la  fin  de  novembre  1302,  le  différend  entre  le 
roi  et  le  pape  n'était  pas  encore  arrivé  à  un  degré  de  gravité 
qui  motivât  une  résolution  aussi  violente,  de  la  part  de  Philippe, 
que  celle  de  traduire  son  rival  comme  hérétique  et  usurpateur 
devant  l'Église  universelle.  Le  texte  des  lettres  du  20  novembre 
s'applique  à  une  des  assemblées  de  notables  tenues  au  mois  de 
janvier.  Enfin,  le  13  juin,  s'ouvrit  au  Louvre,  dans  la  salle  du 
Roi,  une  grande  assemblée.  Je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  y 
voir  des  étals  généraux,  et  voici  sur  (juoi  je  me  fonde.  Pour 
les  états  de  1303  et  de  1308,  on  a  un  certain  nombre  de  textes 
appartenant  soit  à  des  historiens,  soit  <à  des  actes  autiientiques, 
pour  constater  la  nature  véritablement  représentative  de  ces 
assemblées;  pour  celle  de  1303,  on  invoque  '  un  seul  passage 
du  continuateur  de  Guillaume  de  Kangis,  dans  lequel  il  est  dit 
que  le  roi  convoqua  au  Louvi  e  c^  omnes  barones  et  milites  atque 
totius  regni  Franciiv  magistratus,  cum  majoribus  prelatis  et 
minoribus  universis.  i)  On  a  traduit  magistratus  par  députés 
du  tiers  état',  et  on  a  eu  raison;  mais  ce  passage  se  rapporte 
à  l'année  1302.  Il  se  trouve  dans  les  éditions  de  Xangis  qui 
le  renferment,  sous  la  rubrique  de  l'année  1301,  année  à 
laquelle  appartenait,  selon  l'ancienne  manière  de  compter,  le 
mois  d'avril  1302,  qui  vit  la  réunion  des  premiers  états  de 
\otre-Dame  \  Toutefois  le  continuateur  de  Xangis  parle,  sous 
l'année  1303,  d'un  grand  parlement  réuni  à  Paris,  où  figurèrent 
les  prélats,  barons,  chapitres,  couvents,  collégiales,  communes 
et  communautés  de  villes  du  royaume,  maîtres  en  théologie, 
professeurs  en  droit  canon ,  et  des  personnes  instruites  tant  de 
France  que  d'autres  royaumes.  On  y  résolut  d'appeler  du  pape 
au  futur  concile*.  Ce  texte  est  précis;  le  chroniqueur  raconte 

1  Rattiery,  p.  57. 

-  Clironnlojjic  des  états  généraux,  Atmuaire  de  la  Société  de  l'histoire  de 
France,  1840,  p.  99. 

■'  Ce  passage  ne  se  trouve  ni  dans  l'édition  de  Nangis  du  Rec.  des  fiist.  de 
France,  ni  dans  celle  de  Dachcry  {Sjncileg.},  t.  III;  mais  dans  les  Preuves 
de  Dupuy,  p.  188,  et  dans  l'édition  de  Géraiid. 

"*  Prima  continuatio  {Chron.  G.  de  Xangiaco),  édit.  Géraud,  t.  I,  p.  335 
et  336.   <i  Dcmum  tamen  in  publico  paricmcnto  Parisius  prelatis,  baronibus, 


28  i,A  Fr.wci;  sors  l'ini.iPPK  i,k  i;i;l. 

une  assemblée  qui  présente  Ions  les  caraelèics  des  tials  <jéné- 
raux.  Cependant,  nial;jré  ce  léni()i;jn,'i;p',  la  (.'onvocalion  d'élats 
«jénéraiiv  an  mois  de  jnin  l'MV.i  n'esl  p;is  admissible.  J'invo- 
(jiieiai  d'abord  les  piocés-vei  hanx  eux-mêmes  de  l'assemblée 
du  l.'{  juin  :  on  y  apprend  (jn'elle  se  composait  <le  cinq  arclie- 
vèques,  de  vin<|l  et  nn  évè(|ues,  de  onze  abbés  et  de  trois 
prieurs,  dont  iiii  du  Temple  et  l'antre  de  l'ordre  de  Saint-.Iean 
de  Jérusalem,  des  comtes  d'iùrenx,  de  Saint-1'ol,  de  Dreux, 
d'Anjou,  de  Boulogne,  et  de  Danipierie,  de  .Mathieu  de  'i'rie, 
de  l'ierre  de  Cliambly,  deNogarel,  de  Hugues  de  IJouville,  des 
archidiacres  de  lîrnges  et  de  Reims,  (\ii  trésoi'ier  d'Angers,  de 
Pierre  de  IJelle-Perche,  de  llenaud  Harbou  ,  de  Jean  de  Mon- 
tigny  et  de  plusieurs  autres  clercs  et  laïtjues,  dit  le  texte,  qui 
étaient  de  liop  |)eii  d'importance  pour  que  leurs  noms  fussent 
rapportés  '. 

Ce  qui  prouve  invinciblement  (jn'à  l'assemblée  du  13  juin 
ne  figuraient  pas  les  députés  des  trois  ordres,  mais  seulement 
(pielqucs  prélats  et  quelques  bnrons,  ainsi  qu'un  certain  nom- 
bre de  légistes,  c'est  que  le  loi  soumit  les  décisions  qui  y 
lurent  prises  à  la  ratification  des  trois  ordres,  convoqués  non 
pas  en  assemhlée  générale,  mais  consultés  soit  dans  les  assem- 
blées provinciales,  soit  même  individuellement.  L'assemblée 
dura  deux  jours,  le  13  et  le  1  i;  les  comtes  d'Evreux,  de  Dreux 
et  de  Saint-Pol,  et  (Inillaume  de  Plasian,  demandèrent  que 
l'Eglise  lut  gouvernée  par  un  pape  légitime,  Jîonil'ace  \  III  étant 
considéré  comme  un  intrus,  par  snitc  de  son  élection  du  vivant 
de  Célestin,  son  prédécesseur,  (jui  avait  abdiqué;  fait  encore 
sans  exemple.  Le  roi  fut  supplié,  en  qualité  de  champion  de 
Ui  foi ,  de  travailler  à  la  réunion  d'un  concile  général.  Il  y 
consentit  ^ . 

L'acte  d'appel  au  l'iilur  concile  fut  In  solennellement  dans  le 
jardin  du  palais,  le  2i  juin,  devant  une  multitude  immense. 
Des  agents  furent  envoyés  dans  tontes  les  provinces  pour 
recueillir  les  adhésions  à  l'iippel  ;  ils  étaient  porteurs  de  lettres 

capitulis,  lomoiitibus,  collojjiis,  (■iMinniinitatiljiis  et  iiiiiversitatil)iis  villanim 
refjni  siii,  nccnon  mayistris  in  tiicologia...  « 

<   Diipiiy,  p.   108. 

-  Diipny,  p.  100  cl  101. 


LIVRE  DEUXIÈAIE.  —  DES  ÉTATS  GKXÉRAl  X.  29 

(lu  roi  relatives  à  l'objet  de  leur  mission.  Ces  lettres  l'ont  men- 
tion (le  rassembl(3e  du  13  juin,  non  comme  d'(^tats  génfîiraux, 
mais  comme  d'une  assemhlt^c  de  plusieurs  archevèfjnes,  êvê- 
ques,  abbés,  prieurs,  comtes,  barons  et  autres  personnes  tant 
lai(jues  qu'ecclésiasti(jues  '.  Si  les  reprcl'sentants  des  communes 
avaient  t-tc^'  admis  à  cette  réninion,  le  roi,  s'adressant  aux  com- 
munes pour  obtenir  la  ratification  des  décisions  qui  y  avaient 
été  prises,  n'aurait  pas  manqué  de  le  rappeler,  ou  pluttit  cette 
ratification  était  inutile. 

Voici  quelques  détails  sur  la  manière  dont  les  adhésions  au 
futur  concile  furent  obtenues  dans  le  Midi.  Le  vicomte  de  Xar- 
bonnc,  Guillaume  de  Plasian  et  Denis  de  Sens,  convoquèrent, 
le  23  juillet,  à  Montpellier,  dans  le  couvent  des  frères  Prê- 
cheurs, les  députés  de  trois  ordres  des  sénéchaussées  de  lîeau- 
caire,  de  Carcassonne  et  de  Rhodez,  leur  exposèrent  la  réso- 
lution du  roi  d'appeler  au  futur  concile  des  actes  tyranniques 
de  Boniface  VIII,  et  les  prièrent  de  se  joindre  à  l'appel. 

C'étaient  là  de  véritables  élats  provinciaux,  où  les  villes 
furent  représentées  par  des  députés  choisis  par  elles  à  cette 
intention.  Les  états  de  chaque  sénéciiaussée  se  réunirent  en- 
suite séparément ,  et  chaque  ordre  vota  à  part  et  donna  son 
adhésion  par  écrit.  Les  états  de  la  sénéchaussée  de  Carcassonne 
tinrent  leur  séance  le  26  juillet.  Le  clergé  se  composait  de  huit 
abbés  et  des  procureurs  de  plusieurs  chapitres,  de  quelques 
abbayes  et  de  l'ordre  du  Temple;  la  noblesse,  du  comte  de 
Foix  et  quarante  autres  seigneurs.  Les  villes  de  Carcassonne, 
de  Narbonne,  de  Béziors,  de  Pamiers,  d'Albi,  d'Agde  et  de 
Lodève,  y  avaient  leurs  députés.  Les  états  des  sénéchaussées 
de  Rhodez  et  de  Beaucaire  s'assemblèrent  le  jour  suivant.  Les 
adhésions  furent  unanimes,  sauf  de  la  part  des  frères  prê- 
cheurs de  Montpellier.  Plusieurs  seigneurs,  églises  ou  villes 
qui  n'avaient  pu  se  faire  représenter  à  Alontpellier  adhérèrent 
individuellement  '. 

*  «■  Xiipcr  nobis,  niiillis(|iio  arcliiopiscopis,  cpiscopis,  abbatibus,  prioribtis, 
cnniilibus,  baronilius  aliisquc  pliiribiis  pcrsonis  tani  ccclcsiaslicis  (jiiam  sccii- 
laribus  prcsenlibiis  Parisiiis,  etc.  »  Lettre  aux  consuls  de  Toulouse ,  Diipny, 
p.  109. 

-  V'aissètc,  Histoire  de  Languedoc,  t.  IV,  p.  155.  Diipuy,  p.  134,  144. 


30  LA  FRAXCE  SOUS  PHILIPPE  Lî:  BEL. 

La  réunion  des  états  provinciaux  ne  paraît  s'être  effectuée 
que  dans  le  Lanfjuedoc  et  la  Xavarre.  Dans  les  autres  parties 
de  la  France,  chaque  ville,  chaque  église,  donnèrent  séparé- 
ment leur  adhésion.  Plus  de  six  cents  adhésions  d'ecclésiasli- 
(jucs  sont  conservées  en  orijpnal  au  trésor  des  chartes,  aux 
archives  de  l'empire  :  il  n'y  en  a  plus  qu'une  trentaine  pour 
des  villes;  les  autres  ont  été  perdues.  Voici  l'indication  de 
(|uel(jiies-unes  des  villes  dont  les  adhésions  subsistent.  Limoges, 
Xcvcrs,  Saint- Junicn,  Cordes,  Toulouse,  Villemur,  Reims, 
lîan  de  Saint-Rcmi  à  Reims,  Sainte-.Menehould,  Montcornet, 
Compièjpie,  Ham ,  Beauvais,  Amiens,  Chaudardc,  Saint-Omer, 
Saint-Pol,  Crépy,  Alontreuil,  Rapaume'. 

Ces  actes  font  voir  (jue  le  peuple  fut  consulté.  On  y  lit,  en 
effet,  que  les  citoyens  furent  rassemblés  en  la  manière  accou- 
tumée pour  élire  des  députés  ;  car  les  magistrats  municipaux 
ne  furent  pas  regardés  en  celte  occasion  comme  les  représen- 
tants de  leur  ville,  et  leur  adhésion  ne  suffit  pas;  on  demanda 
celle  de  tous  les  habitants.  Quel  fut  le  motif  qui  empêcha  Phi- 
lippe le  Bel  de  convoquer  les  états  généraux  pour  la  mise  en 
accusation  de  Boniface  VIII  ?  Il  ne  craignit  pas  le  refus  du 
peuple  ni  de  la  noblesse,  mais  du  clergé;  dans  l'assemblée  du 
13  juin,  il  y  avait  quelques  évêques  dévoués  et  quelques  ecclé- 
siastiques, mais  ce  n'était  pas  même  une  minorité.  Réunir  les 
représentants  de  tout  le  clergé  et  leur  demander  le  jugement 
d'un  pape  était  dangereux;  réuni,  le  clergé  aurait  certaine- 
ment repoussé  la  demande  du  roi,  tandis  que,  pris  individuel- 
lement, il  se  laissa  intimider.  Le  dominicain  Bernard  Guion, 
qui  occupa  dans  son  ordre  d'importantes  fonctions,  et  qui  a 
laissé  de  curieuses  relations  historiques  sur  le  règne  de  Phi- 
lippe le  Bel,  dont  il  fut  contemporain,  affirme  que  les  commis- 
saires royaux  contraignirent  les  ecclésiastiques  à  adhérer'.  Ils 

'  Trésor  des  chartes,  J.  480.  Diipuy  a  publié  l'adlicsion  de  la  lillc  d'Arras 
(p.   \70). 

-  T.  \XI  du  Rec.  des  hist.  de  France ,  publié  par  r.Acadéniio  dos  inscrip- 
tions, 713.  a  Dciiinc  niiltuntur  pci*  rcgnuin  ad  civitates  et  ad  collcgia  rcgii 
nuncii  ad  publicandum  in  ccclesiis  et  coliogiis  prcdicta  et  ad  pcrurgondum 
personas  ccclcsiasticas  et  rclijjiosos  cpioseunique  u(  appcllalionibus  cl  proces- 
sibus  hnjusmodi  inhaDrereut.  r 


LIVRE  DEUXIÈME.  —  DES  ÉTATS  GÉXÉRALX.  31 

publiaient  partout  l'acte  d'appel;  le  peuple  approuvait  avec 
empressement,  et  le  clergé  se  trouvait  placé  entre  ses  sympa- 
thies et  le  roi ,  qui  affirmait  que  l'appel  avait  été  résolu  dans 
une  assemblée  d'évêqucs;  iie  sachant  quelle  conduite  avaient 
tenue  les  autres  membres  du  clergé,  il  signait. 

Six  abbayes  de  l'orthe  de  Cîteaux  refusèrent  pourtant  :  (|uel- 
ques  autres  mirent  des  restrictions  ;  la  plupart  donnèrent  une 
adhésion  dont  les  termes  embarrassés  dénotent  la  contrainte. 

Les  états  généraux  ne  se  tinrent  donc  pas  en  1303,  mais  le 
peuple  fut  convoqué  dans  ses  comices. 

La  mort  de  Boniface  VIII  et  la  conclusion  de  la  paix  avec  les 
Flamands  mirent  fin  à  ces  assemblées  d'états  généraux  et  do 
notables.  La  France  jouit  pendant  plusieurs  années  d'une  paix 
bienfaisante.  Le  13  octobre  1307,  les  Templiers  furent  arrêtés 
par  ordre  du  roi  dans  tout  le  royaume.  Le  pape  Clément  \ 
apprit  cette  arrestation  par  la  rumeur  publique.  En  vain  Phi- 
lippe voulut-il  lui  arracher  la  suppression  de  cet  ordre,  il  le 
trouva  inflexible.  Clément  proposait  de  réformer  le  Temple, 
mais  il  ne  consentait  pas  à  l'abolir.  Philippe,  qui  convoitait  les 
immenses  richesses  des  Templiers,  ne  perdit  pas  l'espoir  de 
vaincre  la  résistance  du  souverain  pontife;  il  chercha  un  appui 
dans  la  nation,  à  laquelle  il  appela.  Il  convoqua  les  états  géné- 
raux à  Tours. 

Les  lettres  de  convocation  sont  datées  de  différents  jours  de 
la  fin  du  mois  de  mars  :  elles  furent  adressées  à  la  noblesse,  au 
clergé  et  à  tous  les  consuls,  maires,  échevins,  jurés  et  com- 
munautés insignes  du  royaume.  Il  ne  faut  pas  se  laisser  induire 
en  erreur  par  le  mot  insignes  :  on  entendait  par  là  toute  ville 
ou  tout  bourg  de  quelque  importance;  en  maint  endroit,  on 
l'interpréta  par  localités  ayant  foires  et  marchés.  Il  y  eut  des 
lettres  de  convocation  différentes  pour  ciiaque  ordre'  :  dans 
toutes,  le  roi  se  posait  en  défenseur  de  la  foi. 

1  Trésor  des  chartes ,  carton  J.  415.  Lettres  adressées  au  tiers  état ,  n"  19; 
à  la  noblesse,  n»  23;  au  clergé,  u°  21. 


32  LA  FRAXCK  SOLS  PHILIPPE  LK  BEL. 


CHAPITRE   TROISIEME. 

ÉTATS    DE    TOURS    EX     1308    ET    DE    LVOiX    EX    1312 
CO.VTRE    LES    TEMPLIERS. 

Lrtfrcs  ilr  convocation  dos  trois  ordres.  —  Mandats  dos  députés  du  tiers  état. 
—  Les  députés  du  tiers  état  choisis  par  le  suffrage  universel.  —  Ils  reçoi- 
ii'iit  une  rétribution.  —  Procès-verbaux  d'cdeclion.  —  Procurations  données 
par  les  nobles  et  le  rler<{c.  —  La  comparution  aux  états  considérée  non 
cotiuiie  un  droit,  mais  coninic  un  devoir.  —  Liste  des  villes  (pii  députèrent 
aux  états  de  1308.  —  Les  états  se  réunissent  à  'l'ours,  puis  sont  transférés 
à  Poitiers.  —  Convocation  des  étals  ù  Lyon,  le  10  février  1312. 

«  On  li'oiivc  an  Trésor  des  chartes^  disent  les  historiens  les 
plus  l'écents  qui  se  sont  occupés  de  cette  draniatiqiic  histoire 
de  Philippe  le  Bel,  ^ingt-deux  procurations  de  seigneurs  pour 
les  états  de  1308.  "  C'est  là  une  erreur.  Il  y  en  a  plus  de  cinq 
cents,  tant  des  seigneurs  que  du  clergé  et  des  communes', 
toutes  inédites  et  inconnues.  On  a  peine  à  comprendre  com- 
ment Taltention  de  ceux  qui  ont  écrit  sur  l'histoire  de  Philippe 
le  Bel  et  des  états  généraux  n'a  pas  été  attirée  par  cette  men- 
tion vague,  il  est  vrai,  mais  précieuse,  de  l'existence  de  pro- 
curations pour  les  étais  de  1308.  Personne  n'a  songé  à  con- 
sulter ces  documents,  (jui  apprennent  que  tous  les  archevêques, 
évêques ,  chapitres,  collégiales,  ahhayes,  prieurés,  comtes, 
barons,  chevaliers,  communes  ou  villes  de  quelque  importance 
prirent  part  aux  étals  généraux.  Les  uns,  tels  (]ue  les  évè(jues 
et  les  nobles,  devaient  comparaître  en  personne;  les  autres, 
par  procureurs. 

La  comparution  aux  états  l'ut  considérée  comme  un  devoir 
rigoureux,  comme  un  service  de  cour.  On  sait  que,  dans  le  sys- 
tème féodal,  tout  vassal  devait  assister  son  seigneur,  et  par  les 
armes,  et  dans  sa  cour,  et  lui  donner  conseil  quand  il  en  était 
requis.  Aussi  le  roi  prescrivit  aux  trois  ordres  de  venir  le 
conseiller,  et  il  l'exigea  au  nom  de  la  fidélité  qu'ils  lui  avaient 
jurée.  Cette  assimilation  des  états  généraux  au  devoir  de  cour 

1  II  y  en  a  dans  quatre  cartons.  J.  414  A  et  B,  et  415  A  et  B. 


LIVBE  DEUXIEME.  —  DES  ETATS  GÉXÉRAIX.  33 

fuf  poussée  jusqu'à  ses  dernières  conséquences.  Le  vassal  infi- 
dèle voyait  confisquer  tous  ses  biens;  les  villes,  qui,  bien  que 
convoquées  aux  états,  n'y  envoyèrent  pas  de  représentants, 
furent  saisies  et  mises  sous  la  main  du  roi  '.  Les  seigneurs  et 
les  abbés  ne  pouvaient  se  dispenser  de  comparaître  en  per- 
sonne :  la  seule  excuse  qu'on  reçût  était  la  maladie  ou  l'ab- 
sence du  royaume.  Les  veuves  nobles  furent  admises  à  se  faire 
représenter  ". 

Le  nombre  considérable  des  procurations  du  clergé  pour  les 
états  de  1308  montre  que  les  dignitaires  ecclésiastiques  se  sou- 
ciaient peu  de  prendre  part  à  la  condamnation  des  Templiers. 
Ils  sentirent  que  les  étals  étaient  assemblés  pour  donner  plus 
de  force  au  roi  et  l'aider  à  imposer,  au  nom  de  la  nation,  sa 
volonté  au  pape. 

Les  députés  des  villes  devaient  se  présenter  munis  d'une 
procuration  écrite  qui  leur  conférât  plein  pouvoir  de  repré- 
senter leur  commune,  «  pour  entendre,  recevoir,  approuver  et 
faire  tout  ce  qu'il  leur  serait  commandé  par  le  roi ,  sans  exciper 
du  recours  à  leurs  commettants  ^  d  C'est  là  un  point  important 
et  curieux  à  noter,  surtout  quand  on  voit  que  les  députés  n'a- 
vaient aux  états  aucune  lil)erté  d'action.  In  certain  nombre  de 
ces  procurations  donnent  les  biens  de  la  commune  comme 
garantie  de  la  fidèle  exécution  du  mandat.  Connaître  quelques- 
unes  de  ces  procurations,  c'est  les  connaître  toutes,  du  moins 
pour  ce  qui  touche  les  pouvoirs  accordés  aux  députés,  car 
l'étude  de  ces  actes  donne  de  précieuses  lumières  pour  l'histoire 
du  règne  municipal. 

Par  qui  étaient  élus  les  députés?  On  n'a  eu  jusqu'ici  aucune 
notion  sur  ce  point  important  :  les  procurations  dont  les  origi- 
naux sont  au  Trésor  des  chartes  éclaircissent  cette  question  de 
la  manière  la  plus  complète  et  la  plus  inattendue.  En  1789, 
quand,  à  propos  de  la  convocation  des  derniers  états  généraux, 
on  fit  des  recherclies  sur  le  mode  de  convocation  des  états  du 

1  Vaissètp,  t.  Il',  p.  107.  Le  roi  fit  mettre  sous  sa  main  les  villes  du  comté 
de  Foix. 

-  Trésor  des  chartes ,  .1.  414. 

•*  Lettre  de  Philippe  le  Bel  au  sénéchal  de  Garcassonne,  datée  du  mardi 
avant  le  dimanche  Incocarit ,  1302.  Bihl.  imp.,  n'^  8409,  fol.  84. 

3 


84  LA  FRANCE  SOUS  PHILIPPE  LK  nKL. 

nioyrn  âge,  on  ne  trouva  que  dos  rcnsoigncnionU  relativement 
modernes  :  on  constata  les  élections  par  bailliages.  On  en  était 
réduit  à  supposer  que  les  magistrats  municipaux  étaient  les  re- 
présentants naturels  de  leurs  administrés.  C'était  une  erreur. 
Sous  Philippe,  les  maires  et  les  consuls  n'étaient  pas  députés  de 
droit;  pour  le  devenir,  il  fallait  être  investi  d'un  mandat  .'spécial 
donné  par  la  communauté  :  en  fait,  les  députés  étaient  presque 
toujours  choisis  parmi  les  maires,  les  échcvins  ou  les  consuls  '. 
Un  autre  point  sur  lequel  j'appellerai  l'attention,  c'est  que  le 
représentant  d'un  ordre  n'était  pas  nécessairement  pris  dans  cet 
ordre.  Plusieurs  villes  députèrent  leur  curé  ou  quelque  autre 
clerc  *  ;  des  nobles  envoyèrent  à  leur  place  des  jurisconsultes  \ 
des  avocats*,  et  même  de  simples  bourgeois*.  Des  hommes  d'af- 
faires se  présentèrent  au  nom  de  leur  maître  avec  des  procu- 
rations générales  pour  la  gestion  des  affaires  **,  et  furent  admis; 
par  exemple,  celui  de  la  dame  de  îMarly,  qui  exhiba  une  pro- 
curation de  ce  genre  ayant  plusieurs  années  de  date  '. 

Le  clergé  se  fit  presque  toujours  représenter  par  des  ecclé- 
siastiques :  cependant  l'abbé  de  Saint-Denis  délégua  ses  pou- 
voirs à  un  religieux  de  son  abbaye  et  à  un  écuyer;  le  prieur 
d'Ambert,  à  un  chanoine  et  à  un  damoiseau;  nombre  d'abbayes 
choisirent  pour  procureurs  des  membres  du  clergé  séculier.  Il 
peut  paraître  extraordinaire  que  les  gens  des  communes  se 
soient  fait  représenter  par  des  ecclésiastiques;  cela  peut  s'ex- 
pliquer par  la  grande  influence  du  clergé  ;  mais  il  y  a,  si  je  ne 
me  trompe,  une  autre  cause,  c'est  que  le  roi  avait  demandé 
qu'on  lui  envoyât  des  hommes  d'une  foi  ardente*.  On  crut  ne 

^  Procurations  des  cartons,  J.  414,  A  et  B. 

2  A  Saint-Floiir,  un  chanoine.  J.  415,  n"  11)9. 

3  Guy  de  Séverac  envoie  maître  Jean  Kicaf. ,  juris  peritits.  J.  414,  n"  20. 
'^  liermond  d'Uzcs,  PonsGuiraud,  son  clerc.  J.  414,  n°29.  A.  de  Viviers, 

maître  Pons  Pcluprat.  llnd.,  n"  27. 

^  La  comtesse  de  Tonnerre ,  deux  bourgeois  de  Tonnerre  c  pour  aller  îi 
Tourz,  au  mandement' nosfre  soigneur  le  roy,  pour  ouyr  et  rapporter  ccu 
(pi'il  plaira  au  dict  nostrc  seigneur  le  roy  r .  Ibid.,  n°  C. 

<i  Ibid.,  S.  414,  n»  1. 

'  J.  414,  n»  40. 

^  Ce  fut  sous  prétexte  qu'il  fallait  des  hommes  d'une  grande  piété,  que  le 
pamphlétaire  P.  Dubois ,  le  conseiller  de  Philippe  le  Bel ,  se  fit  élire  à 
Coutauces.  J.  415,  n"  86. 


LIVRE  DEIXIEAIE.  —  DES  ETATS  GÉXÉRAUX.  35 

pouvoir  mieux  répondre  à  ses  intentions  qu'en  choisissant  des 
ecclésiastiques. 

Quant  aux  seigneurs,  ils  ne  voyaient  pas  avec  faveur  ces 
assemblées  où  le  roi  convoquait  la  noblesse  pour  la  compro- 
mettre, tantôt  en  lui  faisant  déclarer  le  pouvoir  royal  indé- 
pendant du  saint-siége,  tantôt  en  lui  demandant  de  concourir 
à  la  suppression  d'un  ordre  religieux  principalement  recruté 
dans  les  familles  nobles. 

Les  lettres  de  convocation  étaient  adressées  directement  par 
le  roi  aux  grands  feudataires  et  aux  prélats  :  les  baillis  royaux 
en  envoyaient  des  copies  aux  villes  importantes  du  domaine  de 
la  couronne  et  aux  seigneurs  d'un  rang  inférieur,  ainsi  qu'au 
clergé'.  Les  villes  situées  dans  les  fiefs  des  vassaux  n'étaient 
pas  convoquées  par  les  baillis  du  roi,  mais,  sur  leur  invitation, 
par  les  baillis  ou  les  prévôts  seigneuriaux".  Les  villes  de  tout 
le  royaume  furent  appelées  aux  états.  La  vérité  de  ce  fait  im- 
portant, qu'ont  révoqué  en  doute  des  historiens  qui  n'ont  vu 
dans  les  états  du  règne  de  Philippe  le  Bel  que  des  réunions 
de  députés  de  villes  du  domaine,  reçoit  une  preuve  éclatante 
dans  le  tableau  des  procurations  des  villes  qui  députèrent 
aux  états  de  1308,  où  figurent  des  localités  de  toutes  les 
provinces,  sauf  de  la  Bretagne,  de  la  Franche-Comté,  de  la 
Guienne  et  de  la  Provence.  Encore  ne  faut-il  tirer  aucun  ar- 
gument de  cette  absence,  car  toutes  les  procurations  ne  nous 
sont  pas  parvenues.  A'ous  avons  celles  de  villages  infimes,  et 
les  procurations  de  grandes  villes  qui  envoyèrent  sans  aucun 
doute  des  représentants,  telles  que  Rouen,  Paris,  Tours,  nous 
manquent. 

La  condition  politique  des  villes  variait  à  l'infini.  Les  unes, 
vieilles  communes  jurées,  jouissaient  de  grands  privilèges  :  les 
hommes  de  la  commune  avaient  le  droit  de  se  rassembler  pour 
délibérer  sur  les  affaires  de  la  cité.  Ils  élurent  leurs  députés 
dans  une  de  ces  assemblées.  Les  procurations  portent  simple- 
ment que  les  délégués  ont  été  désignés  par  le  maire,  les  éche- 

1  Voyez  leUrc  au  bailli  d'Ain ergno,  Arch.  imp.,  J.  798.  Ordonnance  du 
25  mars  1307-1308,  et  J.  414  et  415,  passim. 

-  Vernon,  n°  56;  Auffcy,  n"  68;  Vassy,  le  prévôt,  par  ordre  du  Laiili  de 
Chaumont,  n°  145. 

3. 


36  LA  FllAXCE  SOLS  IMIILIPI'E  LK  liKL. 

vins  et  la  commune.  La  même  observation  s'applique  aux  villes 
du  Midi  (jui  n'avaient  [)as  de  commune,  mais  un  consulat. 
Ouchpiefois  nu'uie  l'intervention  du  [)eu[)le  n'est  pas  indiquée, 
(jU()i(iu"il  soit  certain  (|u'il  ait  été  consulté;  c'est  qu'il  était 
dans  le  droit  commun  (jue  les  habitants  de  ces  villes  fas:sent 
appelés  à  délibérer  sur  tout  ce  (pii  intéressait  la  commune  '. 

Mais  il  y  avait  une  joule  de  villes  et  de  villages  qui  no  for- 
maient piis  nu'me  une  communauté,  comme  à  Tournus,  où 
les  liabilanis  ne  formaient  pas  un  corps,  au  dire  de  l'abbé;  à 
Brionde,  (pii  n'était  pas,  porte  la  charte  d'élection  des  députés, 
un  lieu  insigne,  où  il  n'y  avait  ni  jurisconsultes,  ni  savants,  ni 
consuls,  ni  communautés;  et  à  Mauriac,  où  il  n'y  avait  (jue 
des  individus  et  pas  de  commune.  Dans  ces  localités,  placées 
au  bas  de  l'éclielle  politique,  et  aux(|uelles  ne  s'adressait  même 
pas  la  convocation  royale,  l'envoi  des  députés  fut  le  fait  des 
seigneurs,  qui  les  désignèrent  quelquefois  de  concert  avec  leurs 
sujets.  Le  plus  souvent  on  convoquait  tous  les  habitants;  des 
femmes  même  prirent  part  à  ces  élections*. 

Quant  aux  ccclésiasli(|ues,  les  évêques,  les  abbés,  les  prieurs 
et  les  représentants  du  chapitre  furent  seuls  appelés  à  siéger. 
Régulièrement,  l'abbé  représentait  son  abbaye;  (juand  il  ne  put 
ou  ne  voulut  pas  se  rendre  aux  états,  il  désignait  un  procureur, 
soit  seul,  soit  avec  le  concours  des  moines.  En  dehors  des  cha- 
pitres, le  clergé  séculier  ne  parait  pas  avoir  été  convoqué  :  ce 
qui  s'explique  par  la  nécessité  de  ne  pas  nuire  au  service 
divin  en  éloignant  les  pasteurs  de  leurs  paroissiens.  Plusieurs 
curés  comparurent  en  qualité  de  procureurs  des  communes. 

Les  états  se  réunirent  h  Tours  au  mois  de  mai  '.  Les  mem- 
bres présents  proclamèrent  presque  à  l'unanimité  la  culpabilité 
des  Templiers,  et  déclarèrent  qu'ils  méritaient  le  dernier  sup- 
plice. Muni  de  cette  décision,  Philippe  alla  rejoindre  Clément  \ 
à  Poitiers,   emmenant   avec  lui  ses  frères   et  une  partie   des 

'  Voyez  les  cliartcs  do  communes  dans  les  tomes  XI  el  XII  des  Ord.  du 
Louvre. 

-  Voyez  le  tableau  des  procurations  des  villes  aux  états  de  1308  que  j'ai 
public  dans  la  Bibliothèque  de  l'école  des  chartes,  5''  série,  t.  I,  p.  28 
et  suiv. 

^  Mémorial  de  J.  de  Saint-Victor.  Historiens  de  France,  t.  X\I,  p.  C50. 


LIVRE  DFXXIÈMR.  —  DES  ÉTATS  GÉXERAIX.  37 

députés  (le  la  noblesse  et  des  communes  *.  I!  exigea,  an  nom 
du  peuple,  la  suppression  des  Templiers.  Ce  fut  seulement 
l'année  suivante  qu'il  obtint  la  convocation  d'un  concile  gé- 
néral à  Vienne  pour  statuer  sur  le  sort  de  l'ordre. 

Les  députés  de  la  bourgeoisie  recevaient  de  leur  ville  une 
indemnité  de  voyage  ^ . 

Les  nobles  étaient,  ainsi  (|ue  je  l'ai  dit  plus  liaut,  tenus  de 
comparaître  en  personne,  ainsi  que  les  évèques,  les  abbés  et 
les  prieurs.  Ils  ne  devaient  se  faire  représenter  que  pour  cause 
de  maladie  ou  pour  tout  autre  empècbement  légitime.  Les  pro- 
curations de  la  noblesse  ont  donc  un  caractère  tout  à  fait  per- 
sonnel, et  il  serait  superflu  de  faire  le  relevé  de  celles  qui 
nous  sont  parvenues,  car  on  constaterait  les  absents  (4  non 
ceux  qui  figuraient  aux  Etats  ^  Je  ferai  seulement  remarquer 
que  les  grands  feudataires  s'excusèrent,  tels  que  les  comtes  de 
Flandre*,  de  Bretagne,  de  Xevers,  de  Périgord,  de  Coni- 
minges,  d'Auvergne,  de  Forez,  les  vicomtes  de  Narbonne,  de 
Turenne ,  de  Polignac  \  Plusieurs  s'engagèrent  sous  bypo- 
tlièque  de  leurs  biens  à  ratifier  ce  qu'auraient  fait  leurs  pro- 
cureurs ^. 

Il  serait  intéressant  de  connaître  quels  nobles  étaient  appelés 
aux  étals  :  nous  n'avons  pas  de  listes  de  ce  genre  pour  le  règne 

'  Continuateur  de  Nangîs ,  ('dit.  Géraïul,  t.  I,  p.  360.  a  (Rcx  Philippus) 
profccliis  Pictavis  iibi  adluic  pnpa  ciirn  ciiria  rcsidcbat ,  ob  hoc  qiincpic  pbi- 
rimos  poncs  de  omni  civilatc  sivp  castcllania  regni  apiid  urboiii  Turonis 
pasdiali  tcinpore  convocalis,  copiosain  fani  nobilinni  qiiam  innobiliiim  scciim 
diixit  illiic  tnrniani.  s  Les  noms  des  députés  qui  suivirent  Pliilippe  le  Bel  se 
lisaient  autrefois  dans  deux  rôles  qui  étaient  conservés  au  Trésor  des  chartes , 
où  ils  sont  actuellement  en  déficit.  Voici  comment  ces  rôles  sont  indiqués 
dans  V Inventaire  du  Trésor  des  chartes  de  Dupuy  :  «  Deux  roulleaiix ,  l'un 
latin,  l'autre  français,  contenant  les  noms  des  procureurs  des  villes  qu"  le  roi 
a  ordonné  qui  demeureront  près  de  lui  i .  Layette  intitulée  Templiers , 
dernier  article. 

-  Lettres  du  roi,  datées  de  Tours  le  6  mai  1308,  ordonnant  au  sénéchal 
de  Beaucaire  de  faire  payer  par  tous  les  habitants  de  Dagnols  les  députés  de 
cette  ville  anx  états  de  Tours.  Vaissètc,  Histoire  de  Languedoc ,  t.  1\  ,  p.  140. 

3  Or.,  J.  414,  n°2- 

*  Or.,  n°  8.  Il  envoya  le  sire  de  Craon  et  le  sire  de  Rochefort. 

5  Or.,  n"*  11  ,  16,  21,  13,  24,  17,  36. 

6  Voyez  la  procuration  du  sire  de  Chàteauroux ,  Or.,  n"  12;  de  .Jourdain 
de  l'Ile,  n"  23,  etc. 


38  LA  FRAVCE  SOLS  PHILIPPK  LE  BEL. 

(le  Philippe  le  Bel.  Toutefois,  en  êliuliant  les  procurations  qui 
nous  restent,  on  voit  (jue  tous  les  jjrands  feudataires  furent 
convoqués  (lireelement  par  lettres  patentes,  et  certains  par 
lettres  closes;  que  des  vassaux  royaux  d'un  rang  inférieur 
furent  convoqués  par  les  baillis,  qui  leur  envoyaient  coi)ie  de 
la  citation  royale  :  l'on  trouve  même  des  arrière-vassaux  con- 
voqués par  leur  seigneur.  C'est  ainsi  que  la  dame  de  Galardon 
fut  citée  aux  états  par  un  sergent  du  comte  de  Chartres  '. 

Le  concile  de  Vienne  s'ouvrit  le  12  octobre  1311.  La  pre- 
mière session  dura  plusieurs  mois.  La  suppression  des  Templiers 
fut  proposée,  mais  cette  mesure  ne  réunit  pas  la  majorité  des 
Pères.  Philippe  résolut  d'employer  une  nouvelle  violence 
morale  pour  déterminer  le  souverain  pontife  à  faire  ce  qu'il 
lui  demandait  en  vain  depuis  si  longtemps,  et  il  espéra  vaincre 
sa  résistance  en  lui  montrant  une  lois  de  plus  la  réprobation 
unanime  dont  les  Templiers  étaient  l'objet.  Il  prit  le  parti  de 
se  rendre  lui-même  au  concile  ;  mais  il  voulut  y  arriver  comme 
le  mandataire  du  peuple.  Il  convoqua  les  états  généraux  à  Lyon , 
le  10  février  1312.  La  lettre  qu'il  adressa  aux  communes,  afin 
de  les  engager  à  élire  des  représentants  pour  cette  assemblée, 
porte  qu'il  les  voulait  consulter  pour  terminer  la  cause  du  Christ, 
cause  commune  à  tous  les  catholiques  et  chère  surtout  à  ceux 
du  royaume  de  France,  que  Dieu  manifestait  avoir  choisis  pour 
défenseurs  de  la  foi  *. 

1  Or.,  Arch.  de  l'emp.  J.  414,  n°  10. 

-  Arch.  (le  l'cmp. ,  Rcg.  A  de  la  Clianibre  des  Comptes  de  Paris,  fol.  93. 
il  Hlaiidanuis  tibi  quatiiuis  niajoribiis,  scabiiiis,  juratis  et  aliis  iiiinistratoribus 
civitatiim  ballivire  tuœ,  ex  parte  iiostra  prccipias  et  injungas  ut  ipsi,  siciit  uni 
fidei  et  catliolicaj  (sic)  sinccritafe  probati  sub  fide  qiia  uobis  astricti  sunt, 
vui'  die  post  instanfem  festuni  B.  Maria;  Virginis,  sint  Liigdiini,  vel  mincios 
soUemnes  illuc  mittant  ubi  satis  nos  esse  proponiinus  ad  informandum  et 
Christi  ncgocium  ordinandiim  et  disponenduiii.  t  Dans  un  long  préambule, 
le  roi  parlait  des  crimes  des  Templiers  et  de  son  désir  de  maintenir  la  loi... 
it  Quia  negocium  calholicis  omnibus  est  commune  et  spccialilcr  illis  de  rogno 
Franciîe,  quos  pro  dcfeusionc  fidei  catholica"  pcculiaritcr  sibi  Dominiis  per 
suam  gratiam  ponitur  clegisse.  Datum  Pissiaci,  peiudlimadie  decendjris  131 1. 5 
Arch.  imp.,  Reg.  A  de  la  Chambre  des  Comptes,  P.  2290,  fol.  93.  Voyez 
aussi  Bibl.  imp.,  portefeuille  XWIV  des  titres  scellés  de  Gaignières.  C'est  à 
Lyon  que  Dom  Vaissète  assure  que  cette  assemblée  se  tint  le  jour  fixé.  Histoire 
de  Langued  te,  t.  IV,  p.  152. 


LIVRE  DEUXIEME.  —  DES  ETATS  GEXERAUX.  39 

Je  n'ai  pu  trouver  aucun  renseignement  sur  ce  qui  se  passa 

dans  cette  assemblée,  dont  aucun  liistorien  n'a  parlé;  toutefois 

elle  ne  se  tint  pas  au  jour   indiqué,  car  le  10  février  le  roi 

n'était  pas  encore  arrivé  à  Lyon  '. 


CHAPITRE  QLATRIEAIE. 

ÉTATS    DE    1314   POUR    VOTER    DES    SUBSIDES.    COKCLUSIOX. 

Assemblées  provinciales  de  1308  pour  accorder  un  aide  à  propos  du  mariage 
d'Isabelle  de  France.  —  Etats  gcnéraux  de  1314  pour  voter  un  impôt  de 
guerre.  —  Récit  unique  des  Clironiqiics  de  Saint -Denis.  —  Comédie 
jouée  par  le  roi  et  par  Euguerran  de  Marigny.  —  Révoltes  à  l'occasion  de 
la  levée  de  nouveaux  impôts.  —  Caractère  des  états  généraux  sous  Philippe 
le  Bel.  —  L'élément  populaire  y  domine.  —  Suffrage  universel.  —  Le  roi 
cherche  dans  les  états  un  appui  moral.  —  Il  ne  leur  accorde  aucune  part 
dans  l'jidniinistralion,  ni  même  le  droit  réel  de  voter  les  impôts.  —  Résultats 
politiques  de  la  réunion  des  états  généraux. 

En  131-4,  Philippe  le  Bel  eut  de  nouveau  à  soutenir  la  guerre 
contre  les  Flamands;  il  fit  confisquer  par  son  parlement  le 
comté  de  Flandre,  et  publia  cet  arrêt  dans  les  états  généraux 
qui  furent  convoqués  à  Paris,  le  1"  aoiit,  au  palais  de  la  cité. 
Les  nobles  et  le  clergé  siégeaient  sur  une  vaste  estrade  ;  le  roi 
était  présent.  Enguerran  de  Maiigny,  surintendant  des  finances 
et  coadjuteur  du  royaume,  ouvrit  la  séance  par  un  long  dis- 
cours en  forme  de  seriuon.  Il  prit  pour  texte  «  de  nature  et  de 
nourriture  î)  .  Il  appela  la  ville  de  Paris  tt  la  nourrice  des 
princes,  la  vraie  chambre  royale  à  laquelle  le  roi  se  devait 
plus  fier,  pour  avoir  bon  conseil  et  pour  avoir  aide,  que  en 
nulle  autre  ville  ■>■> . 

Il  raconta  ensuite  l'histoire  de  Flandre,  depuis  plus  d'un 
siècle;  la  trahison  du  comte Fcrrand,  qui  fut  si  rudement  châtié 
par  Philippe-Auguste;  les  désobéissances  du  comte  Gui,  qui, 
sous  le  règne  actuel,  avaient  entraîné  des  guerres  si  longues  et 
K  des  dépens  qui  bien  montoient  à  si  grand  nombre  d'argent, 

1  Itinéraire  de  Philippe  le  Bel,  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  458 
et  459. 


40  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

que  c'étoit  niervcilloiix  à  racontor,  de  (|ii<)y  le  royaume  avoil 
élu  trop  nialcniont  <{rcvé.  d  II  montra  ciisiiilc  les  Flamands 
rompant  do  nonvoau  la  pai\  (pi'ils  avaient  jurée,  et  retpiil,  au 
nom  du  roi,  -  les  bourgeois  des  coninuines  qui  éloient  là 
asscmi)lés  (|u'il  vouloit  savoir  lesquels  lui  fcroient  aide  ou  non 
à  aller  contre  les  l'Mainands  à  l'ost  (l'arniée)  de  Flandre,  d 

Tel  est  le  récit  lldèlo,  d'après  un  chroniqueur  contemporain, 
de  la  séance  des  états  de  l.'ili  '.  Tous  les  historiens  modernes 
ont  cru  que  le  tiers  état  y  avait  été  appelé  à  voter  l'impôt.  Les 
choses  ne  se  passèrent  pas  ainsi  :  Enguerran  demanda  au  peuple 
d'aider  le  roi;  les  bourgeois,  par  l'organe  d'un  agent  du  roi, 
répondirent  (pi'ils  étaient  prêts  à  lui  faire  aide  selon  leur  pou- 
voir et  à  marcher  contre  l'ennemi  ;  mais  cette  réponse  était 
évidemment  concertée  d'avance.  11  n'y  eut  pas  de  délibération; 
le  tiers  ne  fut  pas  admis  à  fixer  la  quotité  de  l'impôt  ni  même 
à  en  autoriser  la  perception,  et  cela  est  si  vrai,  que  la  levée  de 
la  taille,  qui  fut  imposée  à  la  suite  des  états,  amena  des  révoltes 
dans  toutes  les  provinces. 

Dans  le  tableau  que  je  viens  de  tracer  des  états  généraux 
sous  Philippe  le  lîel,  j'ai  montré  sous  un  jour  nouveau  ces 
assemblées,  qui  devaient  six  siècles  plus  tard  renverser  la 
monarchie.  Elles  eurent  à  leur  origine,  quant  à  leur  composi- 
tion, un  caractère  libéral  et  populaire  qu'elles  perdirent  depuis. 
Au  commencement  du  quatorzième  siècle,  toutes  les  villes  de 
quebjue  importance  furent  appelées  à  envoyer  leurs  représen- 
tants aux  états  généraux,  et,  chose  qu'il  ne  faut  pas  perdre  de 
vue,  l'envoi  de  députés  ne  fut  pas  de  leur  part  un  droit,  mais 
un  devoir  :  devoir  féodal,  devoir  du  vassal  qui  doit  venir  donner 
conseil  à  son  seigneur,  devoir  strict  et  obligatoire,  auquel  on 
ne  pouvait  manquer  sans  s'exposer  à  la  peine  encourue  pour 
les  forfaitures,  à  la  confiscation  des  privilèges  municipaux. 

'  Citron,  de  France,  édit.  Paulin  Paris,  f.  V,  p.  20G  à  208.  Ce  récit 
curieux  ne  se  trouve  pas  clans  le  continuateur  de  Guillaume  de  Xangis ,  que 
les  Chroniques  de  Saint-Denis  se  bornent  presque  à  traduire  pour  le  rèjjnc 
de  Philippe  le  Bel;  mais  il  renferme  des  détails  si  précis,  qu'on  ne  saurait 
élever  des  doutes  sur  la  réalité  des  faits  cpi'il  nous  fait  connaître.  Des  docu- 
ments authentiques  apprennent  que  Philippe  le  Bel  était  à  Paris  le  1'''  août 
1314.  Itinéraire  de  Philippe  le  Bel.  Historiens  de  France,  t.  \\I,  p.  463. 


LIVRE  DEl-XIEMi:.  —  DKS  ETATS  GEXKliALX.  41 

Ce  que  le  roi  voulait,  c'ôlait  un  appui  contre  la  papauté;  il 
le  désirait  le  plus  général  possible  :  aussi  un  très-grand  nombre 
de  petites  localités,  auxquelles  la  convocation  royale  ne  s'adres- 
sait pas,  déléguèrent  aux  états  :  on  vit  même  des  députés  se 
présenter  sans  procuration  écrite,  et  ils  furent  admis.  Le 
nombre  des  députés  du  tiers  état  dut  être  considérable,  chatjue 
ville  en  envoyant  plusieurs,  surtout  aux  états  de  l'5()8.  Les 
historiens  contemporains  en  ont  été  frappés.  Le  continuateur 
de  Nangis  raconte  que  le  roi  réunit  à  Tours  des  députés  de 
presque  toutes  les  cités  ou  chàtellenies  du  royaume  '.  Jean  de 
Saint-Victor  assure  que  Pliilippe  voulait  avoir  l'avis  des  hommes 
de  toutes  les  conditions  du  royaume,  et  rapporter  au  pape  le 
jugement  non-seulement  des  nobles  et  des  lettrés,  mais  aussi 
des  bourgeois  et  des  laïques  *.  Il  est  donc  bien  établi,  et  par 
les  procurations  originales  qui  nous  sont  parvenues,  et  par  les 
historiens  contemporains,  que  le  droit  ou  plutôt  le  devoir  de 
se  faire  représenter  aux  états  appartenait  à  toutes  les  villes  de 
quelque  importance;  que  chaque  ville  nommait  plusieurs  délé- 
gués, lesquels  recevaient  une  indemnité  de  voyage  payée  par 
la  ville.  Le  suffrage  universel,  ou  du  moins  un  suffrage  éma- 
nant d'un  grand  nombre  de  personnes,  paraît  avoir  été  le 
mode  d'élection  en  usage  pour  les  envoyés  du  tiers  état.  Les 
états  généraux  se  composèrent  donc  réellement  des  représen- 
tants des  différents  ordres.  Les  barons  et  les  principaux  leuda- 
taires  étaient  appelés  à  y  siéger  :  c'était  pour  eux  le  devoir  de 
cour.  Les  évéques,  les  abbés,  les  prieurés  et  les  chapitres  y 
envoyaient  leurs  représentants.  Mais,  il  faut  le  reconnaître,  la 
part  prise  parles  états  au  gouvernement,  sous  Philippe  le  Bel, 
fut  illusoire  :  ils  ne  furent  convoqués  que  pour  donner  un 
appui  moral  à  la  royauté  contre  les  prétentions  de  Rome  à  la 
suprématie  temporelle. 

Ils  n'eurent  aucune  initiative,  aucune  liberté.  Les  députés 
du  tiers  état  venaient,  aux  termes  des  lettres  de  convocation 

»  l'ktit.  Géraud,  t.  I,  p.  361. 

2  tt  Volebat  rex  Iiominuni  cujiisiibct  conditionis  rcgni  sui  liabcrc  jiuliLiiini 
vcl  assensum,  undc  proponebat  non  solum  reportare  secum  dcliberativtim 
judicium  nobilium  et  littcratoruni,  scd  et  civium  et  laiconim.  '  Historiens 
de  France,  t.  XXI,  p.  C50. 


42  LA  FRAXCE  SOUS  PHILIPPE  LK  BEL. 

(lu  roi  cl  (le  leur  mandat,  recevoir  les  ordres  du  prince.  Ils  ne 
semblent  pas  avoir  olé  admis  à  délibérer.  En  1302,  les  états 
n'eurent  qu'une  séance.  Le  même  jour,  les  trois  ordres  écrivi- 
rent chacun,  le  clergé  au  pape,  les  nobles  et  le  peuple  aux 
cardinaux,  une  lettre  qui  avait  été  évidemment  rédigée  d'avance. 
Ce  n'était  pas  des  conseils  qu'on  leur  demandait  :  on  n'attendait 
et  on  ne  voulait  d'eux  (ju'une  approbation  prompte  et  entière. 
Encore,  si  l'on  se  règle  sur  ce  qui  se  |)assa  aux  états  de  131  't, 
cette  approbation  n'était  pas  même  sollicitée  sérieusement,  on 
la  considérait  comme  acquise. 

Telles  furent  les  premières  assemblées  représentatives  de  la 
France;  leur  rôle  fut  bien  différent  de  celui  qu'ont  joué  les 
assemblées  de  ce  genre  dans  d'autres  pays.  En  Angleterre,  par 
exemple,  les  parlements  maîtrisèrent  la  royauté  en  lui  refusant 
ou  en  lui  accordant,  à  certaines  conditions,  les  subsides  dont 
elle  avait  besoin.  Philippe  le  Bel,  bien  que  ses  guerres  contre 
l'Aragon,  l'Angleterre  et  la  Flandre  aient  entraîné  d'énormes 
dépenses,  trouva  pour  se  procurer  de  l'argent  des  expédients 
qui  le  garantirent  du  danger  de  voir  limiter  son  autorité  en 
demandant  des  subsides  aux  états  généraux.  Il  fit  voter  les 
impôts  extraordinaires  par  des  assemblées  provinciales,  que 
leur  isolement  rendait  moins  dangereuses  pour  la  royauté, 
ou  même  il  s'adressa  quelquefois  à  chaque  ville  individuelle- 
ment, comme  l'avaient  fait  ses  prédécesseurs.  En  second  lieu, 
les  états  généraux  venaient  encore  trop  tôt,  parce  que  les 
mœurs  publiques  n'existaient  pas.  Les  états  généraux,  c'était 
la  nation,  et  la  nation  n'avait  encore  ni  unité,  pour  n'avoir 
qu'un  intérêt,  ni  maturité  pour  exercer  le  pouvoir.  Philippe  le 
Bel  comprit  la  puissance  de  l'opinion  publique;  et  l'opinion 
publique,  qu'il  consulta,  lui  fut  favorable.  Quelles  qu'aient  été 
les  fautes  de  ce  roi,  n'oublions  pas  qu'il  fit  faire  un  pas  immense 
à  l'émancipation  politique  du  tiers  état,  en  l'appelant  à  siéger 
dans  une  même  assemblée  avec  la  noblesse  et  le  clergé.  De 
cette  époque  date  l'avéncment  politique  de  cette  partie  de  la 
nation,  la  plus  nombreuse,  qui  jusqu'alors  n'avait  compris  que 
des  individus,  et  dont  Philippe  le  Bel  fît  un  corps.  Un  élément 
de  plus  était  introduit  dans  l'Etat.  Le  droit  était  reconnu  :  les 
états  du  roi  Jean  le  revendiqueront. 


LIVRE    TROISIEME. 

DE  LA  FÉODALITÉ. 


CHAPITRE  PREAIIER. 

LUTTE    DE    PHILIPPE    LE    BEL    CONTRE    LA    FÉODALITÉ. 

Lutte  de  la  royauté  contre  la  noblesse.  — Abus  des  guerres  privées.  —  Ten- 
tatives pour  y  remédier.  —  Le  roi  se  proclame  le  défenseur  de  la  paix 
publique.  —  Il  veille  à  la  punition  des  crimes  dans  les  fiefs  des  grands 
vassaux.  —  Création  des  cas  royaux,  causes  dont  le  jugement  est  exclusi- 
vement attribué  au  roi.  —  Les  cas  royaux  ne  sont  jamais  définis.  —  Eta- 
blissement de  la  quarantaine-le-roi.  —  Des  trêves.  —  Des  asseurcments. 
—  Danger  politique  des  guerres  privées.  —  Elles  sont  interdites  par 
Philippe  le  Bel.  —  Les  roturiers  invités  à  courir  sus  aux  nobles  qui 
enfreindraient  la  défense  royale.  —  Prohibition  des  tournois.  —  Abolition 
du  duel  judiciaire.  —  Il  est  rétabli.  —  Pourquoi?  —  Règlement  de 
Philippe  le  Bel  sur  les  combats  en  champ  clos. 

L'adversaire  le  plus  redoutahle  de  la  royauté  jusqu'au 
quatorzième  siècle  fut  la  féodalité,  adversaire  si  puissant  qu'il 
semblait  invincible  ;  mais  la  féodalité  eut  le  malheur  d'être 
hostile  et  nuisible  au  tiers  état  et  au  clergé ,  qui  firent  cause 
commune  avec  la  couronne  contre  l'ennemi  commun.  La  lutte 
s'engagea  dès  le  commencement  du  douzième  siècle  :  com- 
mencée les  armes  à  la  main  par  Louis  le  Gros,  elle  fut  conti- 
nuée par  ses  successeurs  sous  toutes  les  formes. 

Les  rois  ne  négligèrent  rien  pour  assurer  leur  triomphe  sur 
la  féodalité;  ils  limitèrent  les  droits  de  justice  de  la  noblesse 
en  établissant  des  tribunau.^  supérieurs  à  ceux  des  barons  :  ils 
lui  enlevèrent  un  à  un  ses  pouvoirs  administratifs  :  ils  l'atta- 
quèrent dans  son  indépendance  en  la  désarmant  par  l'inter- 
diction des  guerres  privées,  dans  sa  souveraineté  par  la  recon- 
naissance des  communes ,  dans  son  honneur  enfin  en  ouvrant 
ses  rangs,    selon   leur  bon   plaisir,  aux  marchands    et   aux 


44  LA  rRA\T,K  SOIS  PHILI1»IM':  LK  I!FJ,. 

avocats.  Celle  œuvre  de  dcslriu  lion  des  priviléjjes  féodaux  au 
profit  de  la  sociélé  (oui  enlirre,  l'liili|)[)e  le  IJel  lui  fil  faire  un 
pas  immense,  au  moyen  des  inslitulions  (pie  lui  avaient  léguées 
Philippe-Aii'juste  et  saint  Louis,  et  (ju'il  développa. 

Les  grands  vassaux  furent  obligés  de  reconnaître  la  supé- 
riorité de  la  cour  du  roi  et  de  souffrir  que  les  sentences 
émanées  d'eux-mêmes  ou  de  leurs  juges  fussent  réformées  par 
le  Parlement  '.  Les  ])liis  puissanis  d'entre  eux  obtinrent,  à  titre 
de  grâce,  que  leurs  sujets  ne  pussent  recourir  au  Parlement 
qu'en  cas  de  déni  de  justice  ou  par  voie  d'appel,  ou  ,  ce  qui 
restreignait  singulièrement  ce  ])rivilége,  ^  en  autre  cas  appar- 
tenant à  la  souveraineté  royale  '  '' . 

Le  port  des  armes  fut  défendu  ^  :  toute  lutte  sanglante  fut 
considérée  comme  un  attentat  à  la  sûreté  générale  et  punie 
par  le  roi.  Sous  couleur  de  faire  des  lois  de  police,  la  couronne 
envahit  la  féodalité.  Bientôt  ses  agents  ne  se  bornèrent  plus  à 
réclamer  la  connaissance  des  crimes  contre  la  paix  publique; 
ils  étendirent  leurs  prétentions  à  tout.  Alors  naquirent  les  cas 
royaux  :  on  considérait  comme  cas  royal  les  atteintes  à  la  tran- 
quillité générale,  même  de  simples  querelles  entre  roturiers*, 
les  offenses  à  la  personne  du  roi  et  à  celle  de  ses  officiers, 
toute  cause  en  un  mot  dans  la(|uelle  les  droits  ou  le  domaine 
du  souverain  étaient  intéressés;  bref,  tout  devint  cas  royal  sous 
Philippe  le  Bel.  On  inventa  aussi  le  droit  de  prévention,  en 
vertu  diKjucl  tout  crime  commis  dans  l'intérieur  d'une  sei- 
gneurie pouvait  être  poursuivi  par  les  magistrats  de  la  cou- 
ronne, quand  le  seigneur  s'était  montré  négligent  à  punir  le 
coupable.  Un  court  délai  entre  le  crime  et  la  poursuite  suffit 

'   Voyez  pour  le  roi  d' Angleterre,  comme  duc  de  (luienne,  Olini,  t.  II,  p.  41. 

-  Letircs  en  faveur  du  duc  de  Brclayne,  Ord.,  t.  I ,  p.  o29  (février  1297), 
en  français.  V^oycz  un  exemplaire  lalin,  Otim ,  t.  II,  p.  21. 

■'  Ord.,  t.  I,  p.  îîVi-  et  1545. 

'*  Le  port  d'armes  accompagné  de  voies  de  fait  devint  un  cas  royal, 
OUm,  t.  III,  p.  ;î01,  305,  257,  361,  745,  878.  —  En  1310,  plusieurs 
bourgeois  de  Ilodcz  poursuivirent  un  de  leurs  concitoyens  dans  une  maison 
où  il  s'était  réfugié,  et  attaquèrent  cette  maison.  Le  sénéchal  les  condamna, 
malgré  les  réclamations  de  l'évèque,  seigneur  d'une  partie  de  la  ville,  qui 
appela  au  parlement  de  cet  empiétement  sur  sa  juridiction  et  fut  débouté  de 
sa  demande,  Ol'nn,  p.  528. 


LIVRE  TROISIEME.  —  DE  LA  FEODALITE.  45 

pour  établir  la  négligence  du  justicier;  et,  une  fois  la  pour- 
suite commencée  par  les  officiers  royaux,  le  droit  de  rendre  la 
sentence  définitive  leur  appartenait  '. 

En  matière  civile,  les  bourgeois  du  roi  échappèrent  à  la 
juridiction  seigueuriale,  ainsi  (pie  les  communes  et  les  églises. 
La  connaissance  des  difficultés  soulevées  par  la  non  exécution 
d'un  contrat  passé  sous  le  sceau  royal  était  revendiquée  par 
les  tribunaux  royaux,  et  les  procès  de  ce  genre  étaient  devenus 
fréquents  depuis  que  Philippe  le  lîel  avait  établi  des  notaires 
dans  toute  la  France  et  des  chancelleries  auprès  de  chaque 
juridiction  royale.  L'extension  de  l'appel  a  permis  à  la  royauté 
d'intervenir  dans  toutes  les  (picrelles  et  offert  aux  malheureux 
un  recours  contre  les  iniquités  et  les  violences  des  seigneurs. 
N'oublions  pas  les  sergents  royaux,  sentinelles  avancées,  char- 
gées d'exécuter  les  ordres  du  roi  dans  les  fiefs,  et  de  sur- 
veiller la  noblesse. 

D'un  autre  côté,  les  légistes  posèrent  en  principe  et  firent 
adopter  comme  un  axiome  ,  que  nul  ne  pouvait  être  juge  en  sa 
propre  cause,  sauf  le  roi,  'i  car  il  pot  estrc  juge  et  partie  en 
sa  qucrele  et  en  V autrui  ' .  n 

Les  seigneurs  se  plaignirent  ii  plusieurs  reprises  de  ce  qu'ils 
regardaient  comme  d'intolérables  abus.  Ils  demandèrent  la 
définition  des  cas  royaux,  admettant  parfaitement  le  droit  du 
roi  à  la  police  générale  du  royaume.  On  n'eut  garde  de  leur 
faire  une  réponse  explicite,  ni  de  nier  la  légitimité  de  leurs 
plaintes.  Sur  les  réclamations  du  roi  d'Angleterre,  Philippe  le 
Bel  défendit  à  ses  sénéchaux  du  Midi  de  faire  comparaître 
devant  eux  les  sujets  anglais  de  Guienne  ,  sauf  en  appel  et 
dans  les  causes  qui  regardaient  le  roi^.  La  grande  ordon- 
nance de  1303  ne  donna  pas  d'explication  plus  précise  :  u  Xous 
défendons,  y  est-il  dit,  par  cet  édit  perpétuel,  de  traîner  les 
sujets  et  les  justiciables  des  barons  et  des  prélats  devant  nos 
tribunaux,  si  ce  n'est  à  cause  du  ressort  ou  pour  tout  autre 

i  Pardessus,  Essai  sur  l'organisation  judiciaire,  p.  317  el  suii .  —  Enquête 
contre  un  liant  justicier  qui  avait  néjjlijjd  de  punir  un  homicide.  Trésor  des 
chartes.  J.  1080,  n»  28  (année  1305). 

-  Bcauinanoir,  Coût,  de  Beauvoisis ,  1.  I,  chap.  xxiv. 

=5  Olim,  t.  II,  p.  42. 


46  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

cas  à  nous  apparlcnant.  «  C'était  toujours  la  même  réponse  : 
un  cas  royal  est  un  cas  royal,  et  il  n'y  eut  jamais  d'autre  défi- 
nition', dépendant  on  fit  quelques  concessions  :  les  sergents 
reçurent  l'ordre  de  ne  point  demeurer  dans  les  terres  des  barons' . 

Le  parlement  ne  connaissait  point  de  ran<j;  il  atteignait  les 
nobles  aussi  bien  que  les  roturiers;  en  1312  on  vit  la  dame  de 
Brionne,  accusée  d'avoir  donné  asile  à  des  bannis,  arrêtée  par 
ordre  de  la  cour  et  détenue  dans  les  prisons  du  Cliàtelel  jus- 
(]u'à  ce  que  son  innocence  eut  été  reconnue. 

De  leur  côté ,  les  seigneurs  suscitaient  des  entraves  à  Fexer- 
cice  légitime  de  la  juridiction  royale;  ils  jetaient  en  prison 
ceux  qui  appelaient  au  roi  de  leurs  sentences  ,  mais  cela  ne 
leur  réussit  pas  avec  Pbilippe  le  Bel  :  le  duc  de  Bretagne  en 
fit  l'expérience.  Le  parlement  lui  ordonna  d'envoyer  à  Paris 
son  sénéchal  et  ses  suppôts  coupables  d'avoir  emprisonné  un 
appelant  \  afin  que  la  cour  leur  infligeât  le  châtiment  qu'ils 
méritaient. 

Philippe  porta  un  coup  aux  justices  seigneuriales  en  défen- 
dant aux  ecclésiastiques  de  remplir  les  fonctions  de  juges.  Cette 
or(h)nnance  était  dirigée  plutôt  contre  la  noblesse  que  contre 
le  clergé;  car  le  roi,  qui  connaissait  les  lumières  des  clercs, 
continua  de  les  admettre  à  son  parlement ,  où  ils  restèrent 
jusqu'à  la  Révolution*.  M.  Alichelet  avait  oublié  les  conseillers 
clercs  du  parlement,  quand  il  a  prétendu  que  Philippe  le  Bel 
avait  expulsé  les  ecclésiastiques  de  sa  cour  ^. 

C'était  une  prérogative  chère  <à  la  noblesse  que  le  droit  de 
guerre  privée,  qui  avait  son  origine  dans  la  barbarie  germa- 
nique. Une  rixe  entre  gentilsliommes  et  même  de  simples 
menaces  suffisaient  pour  donner  naissance  à  une  de  ces  que- 
relles qui  décimaient  les  familles  nobles  et  désolaient  des  pro- 

'  a  Hoc  pcrpctuo  prohibcnius  cdiclo  ne  subditos  vcl  justiciabilcs  prcla- 
toniiii  aiit  baroiuim  in  allam  causam  coram  nostris  officialibus  nisi  in  casu 
ressorti  vcl  casu  alio  ad  nos  pcrlinenlc.  i  Ord.,  t.  I,  p.  362.  Voyez  aussi 
l'ordonnance  eu  faveur  des  barons  d'Auvergne,  mars  1304-1305.  Ord.,  t.  I, 
p.  405. 

-  Oliin,  t.  III,  p.  757. 

a  Olim,  f.  III,  p.  857  fanno  1313). 

4  Ord.,  t.  1,  p.  316  et  317. 

5  Micliclet,  Histoire  de  France,  t.  V,  p.  371. 


LIVRE  TROISIÈME.  —  DE  LA  FÉODALITÉ.  47 

vinces  entières.  Les  parents  étaient  tenus  de  prendre  parti 
pour  leurs  parents  :  chacun  entraînait  ses  vassaux  et  ses 
tenanciers'.  La  royauté,  pour  atténuer  ce  qu'elle  ne  pouvait 
empêcher,  établit  que  les  parents  ne  seraient  obligés  de 
prendre  part  à  la  vengeance  de  leurs  proches  que  quarante 
jours  après  le  fait  qui  avait  donné  naissance  à  la  guerre,  pourvu 
qu'ils  n'eussent  pas  été  témoins  de  ce  fait.  Ce  délai  reçut  le 
nom  de  quarantaine-lc-roi. 

Pendant  la  quarantaine,  il  y  avait  trêve.  On  a  souvent  con- 
fondu ,  même  au  moyen  âge,  la  trêve  avec  l'asseurement  :  il  y 
avait  cette  différence  que  la  trêve  était  temporaire  et  l'asseu- 
rement perpétuel'.  La  partie  la  plus  faible  était  en  droit  de 
requérir  son  adversaire,  de  lui  promettre  de  ne  pas  l'attaquer. 
La  trêve  ne  pouvait  être  invoquée  que  par  les  nobles;  l'asseu- 
rement par  les  nobles,  les  roturiers  et  les  églises  ^  L'asseu- 
rement devait  être  demandé  par  les  intéressés  ;  le  roi  ou  les 
hauts  justiciers  étaient  en  droit  d'imposer  la  trêve  à  leurs 
vassaux.  Sous  Philippe  le  Bel,  les  agents  royaux  abusèrent, 
au  profit  de  la  paix  et  de  l'ordre,  de  la  faculté  d'imposer  des 
trêves  que,  dans  le  langage  ordinaire,  on  appelait  aussi  asseure- 
ment,  parce  que  l'une  des  parties  assurait  l'autre  de  ne  point 
l'attaquer*.  Dès  qu'ils  apprenaient  que  quelque  mésintelligence 
s'était  élevée  entre  deux  seigneurs,  ils  requéraient  l'asseure- 
ment et  prévenaient  ainsi  les  guerres  privées.  Ce  fut  un  des 
griefs  de  la  noblesse  de  Bourgogne  contre  Philippe  le  Bel , 
encore  ne  niait-elle  pas  le  droit  du  roi ,  mais  elle  prétendait 
que  les  baillis  ne  devaient  exiger  l'asseurement  que  lorsque  des 

1  Bcaumanoir,  cliap.  lix,  t.  II,  p.  354,  de  l'cdit.  de  M.  le  comte  Beiignot. 
—  Voyez  aussi  la  belle  dissertation  (XXIX*^)  du  Joinville  de  Ducange  :  a  Des 
guerres  privées  et  du  droit  de  guerre  par  coutume  d  ,  p.  330  et  siiii .  —  Le 
droit  de  vengeance  privée  subsista  longtemps  :  voyez,  en  1324,  un  accord 
entre  Thierri  de  !Mauni  et  Erard  et  Boucbard  de  Jlontmorcnci  au  sujet  du 
meurtre  du  père  dudit  Mauni,  tué  par  ordre  du  maréchal  de  Mirepoix.  Trésor 
des  chartes,  .1.  163,  n°  96. 

-  Deaumanoir,  t.  II ,  p.  360.  «  II  y  a  grant  différence  entre  trêve  et 
asseuremcnt,  car  trêves  sunt  à  terme  et  asseuremcnt  dure  à  toz  jors  » 

•^  Beaumanoir,  t.  I,  p.  370. 

^  Asseuremcnt  donné  par  Jean  de  Chalon,  sire  d'Arlai,  et  plusieurs  seigneurs 
de  Franche-Comté,  or.  Trésor  des  chartes ,  J.  152,  n"  19  (mai  1301). 


48  LA  KRAXCK  SOIS  PHIMITR  LE  BEL. 

menaces  piihrKjiios  avaient  été  proférées.  Tout  absolu  qu'il 
était,  IMiilippc  le  Itel  se  voyait  souvent  dans  rohlijpilion  de 
ménajjer  des  vassaux  puissants  et  de  prévenir  des  querelles,  que 
leur  coïncidence  avec  des  guerres  élranjjères  auraient  rendues 
dangereuses  pour  l'Etat.  Le  comte  de  Soissons  avait  enlevé  et 
épousé  la  fille  du  sire  de  Dargies,  fiancée  à  Auhert  d'Hanyest, 
fils  d'un  favori  du  roi.  C'était  un  raj»t  condamné  par  les 
canons,  et  cependant  Phil'qipc  sup])lia  Clément  V  de  confirmer 
ce  mariage,  qui  était  presque  adultérin,  pour  empèclier  la 
guerre  qui  allait  éclater  entre  la  famille  d'Hangest  et  le  comte 
de  Soissons.  Le  roi  faisait  au  pape,  dans  une  lettre  confiden- 
tielle, l'aveu  de  son  ini[)uissance.  '■■■  D'après  la  coutume  de 
notre  royaume ,  disait-il ,  laquelle  ne  peut  être  facilement 
abolie,  il  est  permis  aux  gentilsliommes ,  surtout  à  ceux  de  la 
j)rovinc{'  de  Reims,  de  se  faire  la  guerre  et  d'entraîner  dans 
leur  parti  leurs  parents  et  leurs  alliés,  et  même  d'aller  clier- 
clier  des  auxiliaires  en  dehors  du  royaume.  Il  est  à  craindre 
que  les  ennemis  de  l'État  ne  commettent  des  désordres  en 
France,  sous  prétexte  de  secourir  un  des  deux  partis  '.  »  C'était 
là  un  nouveau  danger  de  ces  luttes  intestines  entre  la  noblesse. 
Philippe  profita  des  guerres  extérieures  pour  défendre  les 
guerres  privées,  mais  ces  prohibitions  étaient  temporaires.  A 
la  paix,  chacun  était  libre  de  reprendre  ses  querelles  *.  La 
première  défense  de  ce  genre  est  de  l'an  1290  \  En  1304,  le 
roi  alla  plus  loin,  il  rendit,  de  l'avis  de  ses  prélats  et  barons, 
et  à  l'instar  de  saint  Louis,  un  édit  général  portant  interdiction 

1  ^  Xain  ciim  de  rogiii  coiisnctiulinc  que  commodo  lolli  non  potpst ,  nobi- 
libus  viris  et  prccipiie  illis  qui  siint  de  Rcmonsi  provincia  liceat  jjiicrrain  ad 
inviccni  faccrc  lain  ox  sibi  attinontibus  consanjjninitatis  vcl  allinitalis  viiiculo 
(juani  es  aliis  sibi  conl'ederatis ,  qiiosque  eonlcdcratos  iindeciinKitic  fiicrint  in 
rcgnuiii  addiiccrc,  etc.  »  liibl.  iinp. ,  cart.  170,  loi.  105  r"  (sans  date,  mais 
en  1308). 

-  On  punissait  pourtant  avec  sévcrilé  ceux  qui  troublaient  le.s  sujets  du 
roi.  Eu  1295,  le  comte  de  Foix  fut  condamné  à  .se  rendre  en  terre  sainte  avec 
(iix  chevaliers  et  d'y  demeurer  deux  ans,  en  réparation  des  violences  dont 
les  sujets  du  roi  avaient  souffert.  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  333,  n"  24. 

•*  On  poiu-suivait  avec  rijjueur  les  désordres  commis  par  la  noblesse  :  voyez 
le  procès  intente  au  sire  de  Berycrac  pour  guerre  privée ,  1299.  Olim,  t.  III, 
p.  46,  47. 


LIVRE  TROISIKlIi:.  —  DE  LA  FKODALÎTl';.  49 

absolue  pour  l'avenir  des  guerres,  homicides,  meurtres,  agres- 
sions de  paysans  et  laboureurs,  par  (pii  que  ce  fût,  dans  loules 
les  parties  du  royaume.  Les  transgresseurs  de  cet  ordre  devaient 
être  poursuivis  comme  perturbateurs  de  la  paix  publique,  et 
punis,  nonobstant  toute  coutume  ou  plutôt  tout  ohus  contraire 
qui  pouvait  exister  dans  certaines  provinces,  contrairement 
aux  bonnes  mœurs,  à  l'intérêt  et  au  bon  gouvernement  de  la 
noblesse,  ainsi  qu'à  toute  justice  '. 

Cette  ordonnance  fut  exécutée  pendant  quelque  temps,  car 
en  1308  et  en  1312  des  poursuites  furent  intentées  contre  des 
chevaliers  qui  s'étaient  battus  ou  même  s'étaient  bornés  à  faire 
des  préparatifs  de  guerre  l'un  contre  l'autre ,  au  mépris  de 
l'établissement  du  roi^.  Les  défenses  de  port  d'armes,  faites 
sous  saint  Louis,  furent  renouvelées  ^  En  1308,  le  roi  écrivait 
à  l'archevêque  de  Lyon  pour  lui  recommander  de  faire  exé- 
cuter l'ordonnance  qu'il  avait  rendue  à  ce  sujet  *,  et  par 
laquelle  «  tout  portement  d'armes  «  ,  sans  la  permission  du 
roi ,  était  défendu  par  tout  le  royaume.  Il  écrivit  au  bailli  de 
Sens  :  «  Pour  ce  que  nous  voulons  que  nos  subjez  soient  et 
vivent  en  paiz  souz  nous,  faisons  défense  aux  baillis  de  souffrir 
en  leur  baillie  que  gcnz  d'armes,  de  quelconque  autorité  ou 
estât,  entrent  en  armes  ou  fassent  assemblée  de  gens  d'armes, 
nous  voulons  et  mandons  que  preignés  leurs  cors  et  metés  en 
noslre  prison  leur  chevaux  et  leur  harnoi  et  tous  leur  autres 
biens;  et  s'il  advenoit  que  aucuns  voussissent  estre  rebelles  et 
sur  ce  ne  voussissent  obéir,  nous  te  mandons  et  commandons, 
si  estroitement  comme  nous  poons  plus,  que  tous  féauz  et 
subgiez  et  toutes  communes  et  universités  de  villes  que  tu 
pourras  plus  prestement  avoir,  appelés  et  menés  avec  toy  le 
plus  efforcément  que  tu  pouras,  et  faces  que  les  dits  rebelles 
t'obéissent  ;  et  que  nostre  honneur  i  soit  sauve  et  gardé.  » 
C'était  là  un  langage  ferme  et  digne  d'un  prince  qui  voulait 

1  9  janvier  1303-1305.  Ord.,  t.  I,  p.  390. 

-  Coquille,  Histoire  du  Xiceniais,  p.  122.  An  1308. 

3  Beaumanoir,  t.  I,  p.  421.  Olim .  t.  II,  p.  104,  n"  23,  et  p.  105,  ii"  26. 
Ces  deux  derniers  arrêts  prouvent  que  le  parlement  tenait  la  main  à  l'cxécu- 
tioa  des  ordonnances  contre  le  port  d'armes. 

^  Trésor  des  chartes,  Rcg.  XLI ,  n°  33.  21  novembre  130S. 

4 


50  LA  FRAXCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

empêcher  de  misérables  querelles  de  nobles  de  compromettre 
le  repos  de  son  peuple.  Quelle  vigueur!  ceux  qui  refuseront 
d'obéir,  le  bailli  rassemblera  les  communes  et  leur  courra  sus. 
Les  bourgeois  et  les  paysans,  marchant  sous  la  bannière  royale 
contre  les  seigneurs  '!  En  décembre  1311,  les  guerres  privées 
furent  de  nouveau  interdites  d'une  manière  absolue*;  on  était 
alors  en  pleine  paix;  mais  cette  heureuse  paix,  qui  aurait  été 
si  féconde,  ne  dura  pas  longtemps  :  les  Flamands  se  révol- 
tèrent de  nouveau;  les  embarras  de  la  guerre  étrangère  vinrent 
se  compliquer  des  prétentions  de  la  noblesse,  qui  l'eprit  courage. 
On  avait  besoin  d'elle  pour  combattre  l'ennemi,  elle  reven- 
diqua ses  prérogatives.  Les  guerres  privées  recommencèrent, 
et  le  roi  n'osa  pas  les  interdire  entièrement.  Il  se  contenta  de 
les  suspendre  tant  que  durerait  la  guerre  contre  les  Flamands'. 

Philippe  qui  cherchait  à  éteindre  les  guerres  privées,  prenait 
toutes  les  mesures  qui  pouvaient  concourir  à  amener  ce 
résultat;  il  était  indispensable  d'abolir  plusieurs  usages  qui  se 
rapprochaient  du  droit  de  guerre,  je  veux  dire  les  tournois  et 
le  duel  judiciaire. 

Les  tournois  avaient  entre  autres  inconvénients  celui  d'en- 
tretenir dans  la  noblesse  le  goût  des  querelles.  Philippe  les 
défendit  d'abord  pendant  la  guerre  (septembre  1293*),  Tous- 
saint 1*20(3%  5  octobre  1304°,  janvier  %  avril  et  septembre 
1305  %  décembre  1312°,  29  juillet '"  et  5  octobre  13U  ".  Il 
déployait  une  grande  sévérité  dans  la  répression  de  ces  jeux, 

*  Mand.  au  bailli  de  Sens,  21  novembre  1308.  Trésor  des  chartes, 
Rcg.  XLI,  pièce  oO. 

-  Ducaii;{c,  Xotes  sur  Joinville ,  p.  345. 

^  Ordonnance  An  29  juillet  1314  :  ^  Gomme  plusieurs  personnes  s'cstoient 
avancées  de  faire  la  guerre  entre  eux.  s   Ord.,  t.  I ,  p.  538. 

4  Bibl.  inip.,  coll.  Doat .  t.  LXI ,  p.  36. 

5  Ord.,  t.  I,  p.  328. 

6  Ordre  d'arrêter  ceux  qui  se  rendent  aux  tournois  et  de  ne  les  relâcher 
qu'avec  la  permission  du  r^i.  Ord.,  t.  I,  p.  420. 

7  Au  bailli  d'Auge,  dimanclie  après  l'Epiphanie  1304-1305.  Ord.,  t.  1, 
p.  221. 

s  Ord.,  p.  426  et  435. 
9  Ord.,  p.  509. 

10  Ord..  p.  538. 

11  Ord..  p.  539. 


LIVRE  TROISIÈAIE.  —  DE  LA  FEODALITE.  51 

«  à  cause  de  la  grant  destruction  et  mortalité  de  chevaux,  et 
aucune  fois  de  personnes  qui  par  les  tournoyemens  et  les 
joustcs  sont  avcnuz  souvent  en  nostre  royaume.  "  Il  ajoutait 
que  l'Église  de  Rome  avait  menacé  d'excommunication  ceux 
qui  prendraient  part  à  ces  jeux*  sanglants.  «  Quiconque  con- 
treviendra soit  condampné,  sans  autre  jugement  attendre,  à 
tenir  son  corps  à^nostre  prison  fermée,  là  où  nous  le  voudrons 
envoier,  par  l'espace  de  un  an  tout  entier,  et  sans  récréance 
avoir;  et  que  la  meilleure  de  toutes  les  maisons  que  il  aura 
soit  abatue  tout  et  arrasée  '«.  Les  maires,  éclievins  ,  prévôts 
et  autres  justiciers  avaient  ordre  de  saisir  ceux  qui  se  ren- 
draient au  tournoi  :  il  était  défendu  à  tous,  sous  peine  de 
perdre  corps  et  biens,  de  leur  donner  gîte,  vivres  et  chevaux  ; 
aux  marchands  de  leur  vendre  armures  et  harnois,  sous  peine 
de  confiscation  ^  Le  roi  obtint,  en  1313,  du  pape  Clément  V, 
une  bulle  qui  défendait  les  tournois^  :  il  alla  plus  loin,  il 
invita  les  souverains  voisins  à  ne  pas  permettre  aux  chevaliers 
français  de  venir  faire  des  joutes  sur  leur  territoire  *. 

Une  coutume  encore  plus  barbare  et  qui  était  commune  à 
toutes  les  classes  de  la  société,  c'était  le  duel  judiciaire.  Le 
duel  comme  moyen  de  preuve  avait  été  admis  par  la  jurispru- 
dence; l'Eglise  elle-même  faisait  combattre  des  champions 
pour  soutenir  ses  droits.  Quand  une  cause,  même  civile, 
mettait  en  défaut  la  sagacité  des  juges,  ou  que  la  preuve  testi- 
moniale manquait ,  ou  que  l'une  des  parties  ne  voulait  pas 
l'admettre,  on  appelait  au  jugement  de  Dieu. 

Saint  I>ouis  abolit  le  duel  dans  ses  domaines  '  :  il  tint,  tant 
qu'il  vécut,  la  main  à  l'exécution  de  cette  ordonnance";  mais 
après  sa  mort  les  combats  judiciaires  furent  rétablis;  toutefois 

1  Ord.,  t.  I,  p.  539,  540. 

2  Ord.,  t.  I,  p.  225  (janvier  1305). 

3  Reg.  XXXIV  du  Trésor  des  chartes,  fol.  52  v". 

*  Lettres  aux  comtes  de  Hainaut,  de  Luxembourg,  de  Brabant,  aux  évê- 
ques  de  Cambrai  et  de  Liège.  10  janvier  1302-1303.  Trésor  des  chartes, 
Reg.  XXXVI,  fol.  24. 

5  Ord.,  t.  I,  p.  87  (en  1260). 

^  En  dehors  du  domaine  royal  les  duels  avaient  lien.  Voyez  Duel  entre 
Jourdain  et  Isarn  de  l'Ile  decant  le  viguier  de  Toulouse,  la  veille  de  Noël  1269. 
Joursanvaut,  t.  II,  p.  49. 

4. 


52  LA  KllAXCK  SOIS  l'MllJi'I'K  LK  REL. 

ils  devinrent  moins  fréquents  et  furent  à  peu  près  exclusive- 
ment réservés  aux  nobles.  En  1203,  il  y  eut  un  combat  sin- 
gulier à  (îisors,  en  présence  du  roi,  entre  le  comte  de  Foix 
et  le  comte  d'Armagnac,  (]ui  s'accusaient  niulucllemenl  de 
trahison.  Pliilippc  n'avait  pu  leur  refuser  le  duel,  mais  il 
les  fit  séparer',  selon  Girard  de  Fracbet  :  suivant  Xangis , 
le  combat  fut  indécis'.  Ce  que  dit  Girard  est  plus  vraisem- 
blable. La  haine  des  deux  comtes  était  si  forte,  qu'ils  ne 
renoncèrent  jamais  à  vider  leur  injure  par  les  armes.  Kn  1301.), 
ils  combattirent  de  nouveau  devant  le  sénéchal  de  Toulouse, 
mais  le  roi  les  fit  encore  séparera  Clément  V  supplia  Philippe 
de  ne  jamais  permettre  ce  duel  comme  odieux  au  Très-Haut  *. 
Le  roi  donna  de  nouvelles  preuves  de  ses  sentiments  à  ce  sujet, 
en  faisant  séparer  à  deux  reprises  dans  le  champ  clos,  le  sire 
d'Harcouri  et  le  chambeiian  (h-  Tancarville,  dont  l'inimitié  ne 
le  cédait  pas  à  celle  du  comte  de  Foix  et  du  comte  d'Arma- 
gnac \  Les  interdictions  des  guerres  privées  avaient  toujours 
été  accompagnées  de  celles  des  duels;  mais  en  13()()  Philippe 
les  leva,  du  moins  parliellcmcnt ,  en  rétablissant  le  combat 
singulier,  comme  moyen  de  preuve  en  matière  criminelle.  En 
effet,  plusieurs  >t  malfaiteurs  s'advançoient  par  la  l'orce  de  leurs 
corps  et  faux  engins  à  faire  homicides,  traiiisons  et  autres 
maléfices,  griefs  et  excès,  pour  ce  que,  quand  ils  les  avoient 
faits  couvertcment  et  en  repost ,  ils  ne  pouvoient  être  con- 
vaincus par  tesmoins  :  dont  par  ainsi ,  le  maléfice  deraeuroit 
impuni.  Pour  oler  aux  mauvais  dessus  dits  toute  cause  de  mal 
faire  « ,  il  fut  ordonné  "  que  là  où  il  aperra  évidemment  homi- 
cide, trahison  ou  autres  griefs,  violences  ou  maléfices,  excepté 
larrecin,  par  (juoy  peine  de  mort  s'en  deust  ensuivir,  secrète- 

'  Clirnn.  G.  de  Frachclo.  Historiens  de  France,  1.  XXI,  p.  11. 

-  Ibidem,  note  <-  Xoiitro  fuit  aUribiita  littnria  "  . 

•^  Cart.  170,  foi.  170.  «  Tholoso  pro  ordinando  duclio  coram  sencscallo 
tuo  inviccm  conveneriint,  scd  de  maiidato  tiio  tune  eisdem  interdicto  duclio 
usque  ad  ccrti  temporis  spacium  pro  duello  consumraando  personaliter 
accediint  Parisius,  etc.  » 

'*  Cart.  170,  fol.  170;  et  Trésor  des  chartes ,  Re;j.  XXXIV.  c  Celsitiidinem 
regiam  rogamus  qnatiuiis  duclliim  ipsi-.in  ut  pote  odiosum.Altissimo  aliquatenus 
fieri  non  permittas.  m  non.  dcccniliris  aniio  m.  » 

"''  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  634,  c.  f. 


LIVRK  TROISimiE.  —  DE  LA  FÉODALITÉ.  .Vî 

mont  ou  en  rcpost,  si  quo  cpluy  qui  l'auroit  fait  ne  peust  estre 
convaincu  par  tesmoins,  ou  autre  manière  suffisante,  celuy  ou 
ceux  qui  par  indices  ou  par  présomptions  seml)lables  à  vérité, 
pour  avoir  ce  fait  soient  de  tels  faits  soupçonnez,  appelés  et 
citez  à  gaiger  de  bataille  '.  ■.■> 

Une  longue  instruction  précisa  les  cas  où  le  duel  était  permis 
et  régla  les  formalités  du  combat. 

Il  fallait  que  le  crime  fût  notoire  et  qu'il  ne  put  pas  être 
prouvé  par  les  voies  ordinaires  ;  le  vol  avec  violence  (larrecin) 
n'admettait  jamais  la  preuve  par  gage  de  bataille  :  l'intention 
du  législateur  était  uniquement  de  donner  satisfaction  aux 
membres  de  la  noblesse  dont  les  parents  avaient  été  assassinés 
dans  un  guet-apens,  ce  qui  arrivait  fréquemment.  Permettre 
le  duel  dans  de  pareilles  circonstances,  c'était  prévenir  des  que- 
relles interminables  entre  les  familles,  en  mettant  aux  prises, 
sous  la  surveillance  des  agents  royaux ,  des  liommes  dont  l'un 
regardait  comme  son  devoir  de  laver  dans  le  sang  de  son 
adversaire  l'injure  qu'il  en  avait  reçue.    . 

Le  juge  ajournait  le  prévenu,  sur  la  réquisition  du  deman- 
deur; l'avocat  (lu  plaignant  exposait  son  propos,  et  concluait 
à  ce  ([ue,  si  le  défendeur  avouait  les  clioses  proposées  être 
vraies,  il  fût  condamné  avoir  forfait  et  confisqué  corps  et  biens, 
et  estre  puni  de  telle  peine,  comme  droit,  coutume  et  la 
matière  le  requéraient.  Si  l'appelé  niait,  l'appelant  déclarait 
qu'il  n'avait  d'autre  moyen  de  j)rcuve  que  par  son  corps  contre 
le  sien,  ou  par  son  avoué  en  cbamp  clos,  comme  gentilbomme 
et  prud'bomme  doit  faire,  en  piésence  du  roi,  comme  juge  et 
prince  souverain;  et  alors  il  jetait  sou  gage  de  bataille,  ordi- 
nairement sou  gant.  Il  demandait,  s'il  y  avait  lieu,  la  faculté 
de  se  faire  remplacer  par  un  avoué,  "  pourvu  qu'il  eût  léale 
essoine  de  son  corps.  -.■>  Le  défendeur  déclarait  c;  que  le  deman- 
deur avait  faulsement  et  mauvaisemcnt  mentis  -^  et  annonçait 
vouloir  se  défendre  et  à  l'aide  de  Dieu  et  de  \olre-Dame  «  ,  et 
il  relevait  le  gage  de  bataille.  Les  deux  parties  juraient  de 
comparaitre  au  jour  que  le  juge  leur  assignait,  et  donnaient 
<^aution. 

1   Ord.,  t.  I,  p.  438  (mercredi  après  la  Trinité  1306). 


54  LA  FUAXCK  SOLS  PHILIITE  LE  BEL. 

Une  ancienne  coutume  prescrivait  aux  combattants  de  com- 
battre dans  l'étaî  où  ils  étaient  entrés  dans  le  cliamp  clos  : 
celui  qui  avait  à  ce  moment  la  visii'ie  de  son  cas(jiio  levée 
ne  pouvait  la  baisser.  Philippe  abolit  celte  coutume,  qui  lui 
sembla  «  aucunement  ennuyeuse  "  et  décida  qu'ils  pourraient 
entrer  dans  le  champ  clos  visière  levée  et  faire  porter  de- 
vant eux  leur  écu  ,  leur  glaive  et  autres  armes.  D'après 
l'usage,  l'appelant  devait  se  présenter  dans  la  lice  le  premier 
et  avant  midi;  l'appelé  à  l'heure  de  noue  seulement.  Le  juge 
reçut  la  faculté  de  retarder  ou  d'avancer  l'Iieure,  selon  la 
disposition  du  temps.  Les  combattants,  pour  faire  connaître 
qu'ils  étaient  vrais  chrétiens,  >t  portoient  crucifix  ou  bannières 
où  estoient  portraits  nostre  Seigneur,  nostre  Dame,  ou  les 
anges,  ou  saints  ou  saintes.  «  Ils  étaient  accompagnés  de 
leur  conseil ,  composé  d'amis  qui  les  assistaient  dans  cette 
épreuve  décisive. 

Les  bérauts  d'armes  ordonnaient ,  de  par  le  roi ,  aux  assis- 
tants de  s'asseoir  sur  les  bancs  ou  par  terre,  afin  que  chacun 
pût  voir  les  combattants,  ce  sous  peine  du  poing,  et  de  ne 
faire  aucun  signe,  aucun  geste,  sous  peine  de  corps  et  d'avoir. 
On  procédait  ensuite  au  serment.  L'appelant  et  l'appelé  étaient 
successivement  conduits  en  face  d'un  crucifix,  devant  lequel 
ils  s'agenouillaient;  un  prêtre  leur  disait  :  «Sire  chevalier, 
véez  icy  la  remembrance  de  notre  seigneur  et  rédempteur  Jésus- 
Christ,  laquelle  est  très-vraye.  Or  lui  requérez  mercy  et  priez-le 
que  à  ce  jour  vous  veuille  aider,  se  bon  droit  avez;  car  il  est 
le  souverain  juge.  Souviegné  vous  des  serments  que  vous  ferez, 
ou  autrement  vostre  ame,  vostre  honneur  et  vous  estes  en 
péril.  «  Après  avoir  juré  séparément  et  attesté  leur  bon  droit, 
on  les  conduisait  tous  deux  ensemble  devant  le  crucifix;  le 
maréchal  du  camp  leur  était  leurs  gantelets  et  leur  faisait  poser 
la  main  droite  sur  la  croix.  Le  prêtre  les  conjurait  de  nouveau 
de  réfléchir  à  ce  qu'ils  allaient  faire,  de  consulter  leur  bon 
droit  et  de  se  mettre  à  la  merci  du  roi. 

S'ils  juraient  de  nouveau,  on  les  conduisait  à  leur  lente,  on 
les  armait,  ils  montaient  à  cheval,  leurs  conseillers  se  reti- 
raient après  leur  avoir  laissé  une  bouteille  de  vin,  un  pain  et 
une  touaillc  ou  serviette.  Le  maréchal  criait  trois  fois  :  Laissez 


LIVRE  TROISIÈME.  —  DE  LA  FEODALITE.  55 

aller!  et  le  combat  commençait  ;  il  pouvait  durer  jusqu'au  soleil 
couchant  '. 

En  1307,  Philippe  ordonna  de  ronioyer  au  parlement  les 
causes  où  le  duel  paraîtrait  devoir  être  autorisé^. 

En  IBM,  une  ordonnance  défendit  «  que  nul  ne  reçût  de 
gage  de  bataille,  et  que  ceux  qui  seroient  reçus  seroient  tenus 
en  souspens  tant  que  la  guerre  dureroit  ^  y. .  Philippe  montra 
du  discernement  en  ne  défendant  pas  absolument  le  duel;  il 
fit,  il  est  vrai,  en  le  rétablissant,  une  concession  aux  mœurs 
de  la  noblesse,  mais  il  le  restreignit  aux  causes  criminelles  et 
l'entoura  de  formalités  et  de  difficultés*. 


CHAPITRE   DEUXIEAIE. 

DES    ANOBLISSEMEXTS. 

Lettres  d'anoblissement  direct  données  par  le  roi.  —  Chevaliers  es  lois.  — 
Comment  nn  fief  était-il  abrégé.  —  Origine  du  droit  de  franc-fiof. 

Le  premier  anoblissement  date  de  Philippe  IIÏ  qui  anoblit 
son  orfèvre*.  Les  feudataires  voulurent  imiter  cet  exemple, 
mais  le  parlement  les  en  empêcha  et  posa  en  principe  que 
tout  anoblissement  devait  émaner  du  prince  \  On  vit  sous  ce 
règne  des  affranchis  agrégés  au  corps  de  la  noblesse  mili- 
taire \  Alors  paraissent  pour  la  première  fois  ces  chevaliers  es 

*  Onl.,  i.  i,  p.  435;  et  Cérémonies  des  gages  de  bataille  seloJi  les 
institutions  du  bon  roi  Philippe,  représentées  en  on::=e  figures.  Paris,  1830. 
Crapelet. 

2  Ord.,  i.  XII,  p.  367  (i^^  mai  130T). 

3  Ord.,  t.  I,  p.  538  (29  juillet  1314). 

4  Voyez,  en  1308,  une  confiscation  des  biens  d'un  chevalier  à  cause  d'un 
duel.  Trésor  des  chartes,  Rcg.  XLI,  n»  3.  —Autre  en  1309.  Reg.  XLV,  no36. 

5  Isambci't,  Anciennes  lois,  t.  II,  p.  645. 

6  Olim,  t.  Il,  p.  J06  (en  12S0). 

"  Trésor  des  chartes,  J.  1024,  n''  47.  Anoblissement  de  Jean  de  Taille- 
fontaine,  en  1295.  Il  lui  fut  permis  d'acquérir  des  fiefs  nobles,  de  jouir  des 
privilèges  de  la  noblesse  militaire  nonobstant  tout  usage  contraire,  et  de 
porter  le  ceinturon  des  chevaliers. 


56  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPIN  LE  BEL. 

lois  qui  jouent  un  si  grand  rôle  dans  l'histoire  du  progrès  de 
la  royauté.  Los  clievalicrs  (-s  lois  n'étaient  point  différents  des 
autres  clievaliers.  On  appelait  ainsi  ceux  «pii  avaient  été  créés 
chevaliers  sans  avoir  porté  les  armes.  Philippe  le  IJcd  donna  la 
nohlesse  à  tout  son  entourage  roturier,  et  la  noblesse  d'épée  se 
vengea  de  ces  légistes,  hommes  nouveaux,  en  leur  donnant  par 
dérision  le  nom  de  chevaliers  es  lois. 

On  rapporte  à  l'année  1312  la  première  poursuite  connue, 
dirigée  contre  les  usurpateurs  de  la  noblesse  '.  J'ai  découvert 
une  enquête  faite  en  1285  pour  savoir  si  un  nommé  Gilles  de 
Compiègne  était  gentilhomme.  Les  recherches  de  noblesse 
doivent  même  remonter  plus  haut  '.  Le  parlement  déclara  tout 
roturier  inhabile  à  recevoir  et  à  porter  la  ceinture  militaire. 

Les  non-nobles  qui  achetaient  des  fiefs  militaires  n'étaient 
donc  pas  en  état  de  remplir  les  obligations  qui  y  étaient  atta- 
chées ^.  Le  fief  était  alors  ahrcgc;  et  non-seulement  le  seigneur 
immédiat  éprouvait  un  préjudice,  mais  encore  les  seigneurs 
supérieurs,  en  remontant  jusqu'au  roi.  Les  seigneurs  ne  con- 
sentaient à  l'achat  de  terres  nobles  par  des  roturiers  que  moyen- 
nant le  payement  du  droit  de  franc  fief.  Philippe  le  Bel,  en 
vertu  de  ce  principe  que  l'abrègement  d'un  Oef  était  préjudi- 
ciable à  la  couronne ,  exigea  aussi  des  droits  de  franc  fief  ou 
nouvel  acquêt  toutes  les  fois  qu'entre  l'acquéreur  et  le  roi  il 
n'y  avait  pas  trois  seigneurs  *. 

En  établissant  ces  taxes,  Philippe  ne  voulait  point  empêcher 
la  bourgeoisie  d'acquérir  des  terres  nobles^;  c'était  tout  bon- 
nement une  mesure  fiscale  qui  retomba  sur  la  noblesse,  car 
les  (h-oits  à  payer  par  l'acquéreur  diminuaient  la  valeur  du  fief 
et  par  consé(pient  le  prix  de  vente.  Le  roi  tint  aussi  à  ce  (jue 

1   Olim,  t.  III,  p.  793.  u  Innobilis  milifia;  sinf[iiliim  assiiniprc  non  potcst.  n 

-  «  C'est  l'oïKjiiostc  que  mesires  Guillaiiiiic  dou  Cliarni,  chevaliers  le  roy, 
fist  don  tontmandcmeiit  iiostrc  seigneur  le  roy,  à  Toulouses  le  jeudi  d'après 
la  qninzène  de  Pasques ,  à  savoir  se  Giles  de  Compagne  était  gentishom.  Ce 
fu  fait  en  l'an  de  grâce  mil  11"=  iiii"  et  v,  à  Toidouse  i .  Or.  Trésor  des 
chartes,  supplément,  J.  1034,  n"  49. 

"^  Beaumanoir,  chap.  v,  viii. 

4  Ord.,  t.  I,  p.  324. 

6  Vaissètc,  t.  IV,  Preuves,  col.  127. 


LIVRE  TROISIÈMK.  —  DE  LA  FÉODALITÉ.  57 

les  nobles  ne  convertissent  pas  leurs  fiefs  en  censives  ' .  Au 
reste,  le  droit  de  franc  fief  était  exigible  de  toutes  sortes  de 
fiefs,  militaires  ou  soumis  seulement  à  des  redevances;  toutefois 
la  somme  à  payer  était  plus- forte  quand  le  service  féodal  était 
interrompu. 


CHAPITRE    TROISIEME. 

RÉVOLTE    DE    LA    XOBLESSE. 

.AITaiblisscnicnt  de  la  noblesse  par  suite  des  confiscations.  —  Eile  se  plaint 
de  fiefs  faits  par  le  roi  et  de  leur  réunion  au  domaine.  — Conséijuences  féo- 
dales de  ces  unions.  —  Le  roi  ne  prêtait  pas  hommage.  —  l'Iaintes  de  la 
noblesse.  —  Elle  se  révolte  en  1314.  —  Lignes.  —  Essai  d'établissement 
d'une  espèce  de  système  représentatif.  —  La  mort  de  Philippe  le  Bel  ne 
met  pas  fin  aux  ligues.  —  Triomphe  momentané  de  la  noblesse  sous 
Louis  X.  —  Ses  excès.  —  Réaction  de  Philippe  le  Long,  aidé  du  tiers 
état.  —  Pourquoi  la  noblesse  française  ne  réussit  pas  à  contrc-balancer  la 
royauté  comme  en  Angleterre. 

Une  partie  des  biens  nobles  passèrent  entre  les  mains  de  la 
bourgeoisie.  Les  confiscations  réunirent  au  domaine  royal  une 
multitude  de  fiefs  dont  la  possession  donna  au  roi  un  pied  dans 
les  terres  des  barons.  La  noblesse  s'en  plaignit.  En  1303,  au 
milieu  des  désastres  de  la  guerre,  Pliilippe  fut  obligé  de  faire 
droit  à  ses  réclamations.  Il  promit  de  ne  faire  aucune  acquisition 
dans  les  fiefs  des  barons  sans  leur  consentement  :  si  le  baron 
refusait,  le  roi  devait  vider  ses  mains  dans  l'année,  ou  fournir 
un  homme  capable  de  desservir  le  fief  ^  Le  roi  prêtait  hom- 
mage en  la  personne  d'un  tiers  pour  les  fiefs  qu'il  possédait. 

Les  acquisitions  dans  les  fiefs  des  barons  furent  une  des 
causes  de  l'extension  de  la  puissance  royale,  et  elles  furent 
nombreuses  sous  Philippe  le  Bel. 

Philippe  le  Bel  porta  une  autre  atteinte  aux  privilèges  de  la 

1  Sauf  approbation  du  roi,  voyez  en  1311  la  confirmation  de  la  conversion 
en  censive  par  le  sire  de  Bourbon  de  la  terre  que  Guillaume  le  Bourguignon, 
de  Fontainebleau ,  tenait  de  lui  en  fief.  Reg.  XLIT  du  Trésor  des  chartes , 
n°  159. 

2  Ord.,  t.  I,  p.  358. 


58  LA  FIIAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

noblesse  féodale  en  s'atlribuant  le  pouvoir  de  faire  des  pairs 
de  France.  On  sait  que  dans  le  principe  il  y  avait  douze  pairs, 
six  laïques,  les  ducs  de  \ormandie,  d'Aquitaine  et  do  Bour- 
gogne, et  les  comtes  de  Flandre,  de  Champagne  et  de  Tou- 
louse, et  six  ecclésiastiques,  rarchcvèque  de  lîeims ,  et  les 
évéques  do  Laon,  do  Langres,  de  \oyon,  de  Chàlons-sur-AIarne 
et  de  Beauvais.  Par  suite  de  la  réunion  de  plusieurs  pairies  à 
la  couronne,  il  ne  restait  plus  sous  Philippe  le  Bol  que  trois 
pairies  laïques.  Il  en  érigea  trois  nouvelles  :  celles  do  Bre- 
tagne, d'Artois  et  d'Anjou,  l'une  avec  le  titre  de  duché,  les 
autres  avec  celui  de  comté  '. 

D'après  la  constitution  féodale,  les  pairs  n'étaient  justicia- 
bles que  de  leurs  pairs.  Je  montrerai,  quand  je  m'occuperai  des 
institutions  judiciaires,  comment  Philippe  le  Bel  attribua  à  sa 
cour  non-seulement  la  connaissance  de  certaines  causes  con- 
cernant les  pairs,  mais  encore  le  droit  de  décider  les  cas  où 
la  cour  des  pairs  était  compétente. 

Depuis  très-longtemps  il  était  passé  en  usage  que  les  rois  ne 
rendaient  jamais  hommage  en  personne^.  Le  parlement  ayant 
confisqué  les  biens  du  comte  de  Nevers,  fils  aîné  du  comte  de 
Flandre,  le  roi  désigna  un  chevalier  pour  rendre  hommage  en 
son  nom  à  l'évêque  d'Auxerre,  pour  la  terre  de  Donzy  qui  avait 
appartenu  au  comte  de  iVevers;  mais  le  prélat,  s'appuyant  sur 
l'ordonnance  de  1303,  ne  voulut  pas  agréer  le  chevalier  qu'on 
lui  présentait.  On  lui  intenta  devant  le  parlement  un  procès 
qui  fut  seulement  terminé  sous  Louis  le  Hutin.  L'évêque  fut 
obligé  d'accepter  le  chevalier  que  le  roi  avait  désigné  pour  le 
représenter,  mais  on  lui  accorda  une  compensation  pécuniaire'. 

1  Erection  du  comté  d'Anjou  en  pairie.  Jlartcne,  t.  I,  p.  300. 

-  Dacicr,  Recherches  sur  l'usage  où  étaient  les  anciens  rois  de  prêter 
Iioriimage.  Mém.  de  l'Acad.  des  viscripl. ,  t.  L,  p.  499.  On  faisait  souvent 
l)oninia{{e  par  procureurs,  notamment,  en  1292,  le  roi  d'Angleterre  pour 
le  Poiithieu.  Rcg.  XXXIV"  du  Trésor  des  chartes,  n"  42.  . 

'■^  Olhn,  t.  IV,  p.  GIG,  G17.  On  remarque  dans  l'arrêt  ceUc  plirase  : 
c  Cum  regcs  Francic  subditis  suis  homagium  fp.cere  nunquam  fuerit  consue- 
tnm  s.  Le  roi  raclicta  souvent  aux  seigneurs  le  droit  que  ceux-ci  avaient 
d'exiger  de  lui  l'honunage  pour  certains  liefs.  Voyez  le  traité  fait  au  mois  de 
septembre  1304  avec  l'évêque  du  Puy,  qui  céda  l'hommage  du  comté  de 
Bigorre  moyennant  une  rente  de  300  hires.  Arch.  de  l'emp.,  J.  1024,  n"  4. 


LIVRE  TROISIÈME.  —  DE  LA  FÉODALITÉ.  59 

Ainsi,  l'ordonnance  de  1303  n'était  plus  qu'une  lettre  morte, 
puisque  les  seigneurs  n'avaient  plus  le  droit  de  refuser  le  roi 
pour  vassal  et  de  le  contraindre  de  se  dessaisir  des  fiefs  nouvel- 
lement acquis  dans  leurs  domaines. 

Philippe  fit  une  guerre  à  mort  à  la  noblesse  :  il  l'attaqua 
de  tous  côtés  et  avec  des  armes  de  toute  sorte.  Il  voulut  sur- 
tout réprimer  en  elle  cet  esprit  militaire  et  turbulent  qui  avait 
fait  sa  force  jusqu'alors  :  il  lui  interdit  ses  jeux  les  plus  chers, 
il  voulut  la  rabaisser  en  lui  ùtant  le  droit  de  ne  pas  se  sou- 
mettre aux  formes  ordinaires  de  la  justice,  en  faisant  appel  à 
son  épée,  soit  dans  les  guerres  privées,  soit  dans  les  combats 
singuliers.  Il  poussa  l'audace  jusqu'à  ordonner  aux  gens  des 
communes,  ;i  ces  vilains  jadis  si  méprisés,  de  lui  courir  sus 
au  nom  du  roi ,  quand  elle  oublierait  le  temps  présent  et  se 
permettrait  quelqu'une  de  ces  petites  rencontres  à  main 
armée  qui  faisaient  ses  délices  dans  les  anciens  temps.  Il 
ne  se  contenta  pas  de  la  dépouiller  et  de  l'amoindrir,  il  pré- 
tendit l'humilier  en  élevant  jusqu'à  elle,  au  moyen  des  anoblis- 
sements ,  de  petites  gens  qui  ne  savaient  ce  que  c'était  qu'une 
épée,  des  avocats,  des  légistes,  des  boutiquiers  enrichis,  des 
usuriers.  Enfin  la  noblesse  dépouillée,  ruinée,  humiliée,  se 
révolta  en  prenant  pour  prétexte  l'établissement  d'un  impôt 
général  pour  la  guerre  de  Flandre  (ISM). 

Elle  profita  des  leçons  qu'on  lui  avait  données,  et  s'appuya 
sur  le  peuple.  Elle  forma  dans  chaque  province  des  associations 
où  elle  admit  le  tiers  état  et  le  clergé  :  le  but  avoué  était  de 
forcer  le  roi  à  retirer  les  impôts  qu'il  venait  d'établir  illégale- 
ment. Les  associations  des  différentes  provinces  étaient  reliées 
entre  elles  pour  la  défense  commune.  Les  nobles  furent  en 
quelques  jours  prêts  à  repousser  par  la  force  les  entreprises 
de  la  couronne,  tout  en  proclamant  leur  désir  de  rester  dans 
la  légalité  et  en  protestant  de  leur  dévouement  pour  le  roi. 
Philippe  fut  obligé  de  céder  et  fit  suspendre  la  perception  des 
impôts  qui  avaient  provoqué  cette  tempête;  mais  le  triomphe 
des  alliés  n'amena  pas  la  dissolution  des  ligues. 

La  noblesse  voulait  des  garanties  pour  l'avenir  :  elle  crut  se 
les  assurer  en  essayant  de  constituer  une  sorte  de  système 
représentatif  permanent ,  au  moyen   duquel  elle  espérait  con- 


60  LA  FRAXCE  SOIS  PHIUPPK  LE  CKL. 

tenir  la  couronne;  l'acte  d'association  des  dilfércnts  ordres  du 
ducliê  de  l{ourf|ofi[ne  donne  à  cet  égard  des  renseignements 
du  plus  liant  intérêt  et  ne  j)erniet  j)as  de  douter  des  intentions 
de  la  noblesse  française.  Dans  ce  contrat,  daté  du  mois  de 
novembre  1314,  figurent,  1°  les  ])rincij)aux  seignems,  en  leur 
nom  et  au  nom  des  autres  nobles  du  pays;  2"  les  abbayes, 
prieurés  et  cliapilres;  3"  les  communes  d'Autun,  de  Cbalons, 
de  lieaune ,  de  Dijon,  de  Cliàlillon,  de  Sémur,  de  Montbard, 
de  Saint-Jcan-de-Losne,  de  Flavigny,  de  Kuits  et  d'Avalon, 
«  pour  nous  et  pour  toutes  les  villes  grans  et  pétilles  dou 
ducbaive  de  l;orgoigne  '.  v 

Cliaque  année,  une  grande  assemblée  devait  se  tenir  à  Dijon 
le  lendemain  de  la  Quasimodo  :  les  représentants  des  trois 
ordres  y  prenaient  les  mesures  propres  à  assurer  l'indépen- 
dance de  la  province  ;  on  y  nonnnait  des  gouverneurs  placés 
chacun  à  la  tète  d'une  circonscription  territoriale  :  on  y  élisait 
une  commission  su])érienre  composée  de  trois  nobles ,  dont  le 
président  jouissait  d'un  pouvoir  presque  absolu.  Cette  com- 
mission, pendant  l'intervalle  des  sessions,  se  mettait  en  rapport 
avec  les  gouverneurs  et  veillait  à  ce  qu'on  ne  portât  pas 
atteinte  aux  privilèges  de  la  noblesse.  Elle  devait  suitout 
s'étudier  à  prévenir  et  à  assoupir  les  querelles  de  seigneur  à 
seigneur,  qui  fournissaient  aux  officiers  du  roi  un  prétexte 
pour  intervenir  et  exercer  leur  autorité.  Alais  ce  n'était  pas 
tout;  les  alliés  avaient  compris  que  la  résistance  pour  être 
efficace  devait  être  collective,  aussi  établirent-ils  une  solidarité 
entre  les  associations  parliculières  des  différentes  provinces. 
Chaque  association  provinciale  choisissait  des  députés  qui  for- 
maient une  commission  centrale,  où  tout  venait  aboutir  et  qui 
avait  la  haute  direction.  Ces  commissaires  étaient  tous  des 
chevaliers. 

Ce  système  si  bien  conçu  s'écroula  comme  par  enchantement 
par  la  faute  de  raristocralic.  Les  nobles,  comme  plus  tard  les 
auteurs  de  la  Ugiic  du  Bien  public,  sous  Louis  XI,  ne  dési- 
raient (ju'une  chose,  la  restauration  (\c  Icuis  privilèges  et  sur- 

1  Bibl.  imp.,  collcclion  Diipiiy,  vol.  758,  fol.  3.  Copie  d'après  l'original 
conserve  autrefois  au  Trésor  des  chartes,  layette  intitulée  Ligues,  actuelle- 
ment eu  (léticit. 


LIVRE  TROISIEME.  —  DE  LA  FÉODALITÉ.  61 

tout  le  rétablissement  du  droit  de  guerre  privée  dont  ils  avaient 
été  dépouillés  par  PIiilipj)e  lo  Bel.  Le  bien  du  peuple  n'était  qu'un 
prétexte  pour  obtenir  l'appui  du  tiers  état  :  il  est  ;i  remarquer 
qu'aucun  des  actes  de  ligue  qui  nous  sont  parvenus  ne  jen- 
ferme  l'adhésion  l'ormelle  du  tiers  état;  soit  que  les  communes 
aient  craint  de  se  compromettre  en  laissant  des  traces  écrites 
de  leur  rébellion,  soit  plutôt  que  leur  adhésion  ait  été,  sinon 
supposée,  du  moins  exa;]érée  par  la  noblesse,  pour  rendre  sa 
cause  populaire.  Philippe  mourut  sur  ces  entrefaites;  les  alliés 
imposèrent  à  son  successeur  la  reconnaissance  de  leurs  droits, 
les  principaux  seigneurs  allèrent  à  Vincennes  arrêter  leurs 
conditions;  mais  Louis  X  fît  preuve  d'habileté.  Au  lieu  de 
rédiger  une  charte  générale  applicable  à  tout  le  royaume,  il 
accorda  des  privilèges  à  chaque  province  en  particulier,  à  la 
Normandie,  au  Languedoc,  au  bailliage  d'Amiens,  à  la  (Cham- 
pagne, à  la  Bourgogne,  à  l'Auvergne.  Il  céda,  sauf  ix  revenir 
plus  tard  sur  ces  concessions  forcées  '.  Les  ligues  continuèrent 
de  subsister.  Les  alliés  saisissaient  tous  les  prétextes  de  faire 
de  l'opposition  à  la  couronne  :  ils  furent  hostiles  à  la  régence  de 
Philippe  le  Long^.  Des  princes  du  sang,  entre  autres  Charles 
de  Valois,  se  mirent  à  la  tète  des  mécontents  ^ .  Quand  Philippe 
le  Long  monta  sur  le  trône,  son  premier  soin  fut  de  dissoudre 
les  ligues  :  il  envoya  dans  les  provinces  des  commissaires  qui 
réunirent  les  prélats  et  les  barons  et  leur  donnèrent  les  assu- 
rances les  plus  fortes  du  désir  du  roi  de  respecter  leurs  privi- 
lèges, notamment  les  chartes  de  Louis  X;  mais  en  retour  ils 
requirent  les  nobles  de  renoncer  aux  ligues  qu'ils  avaient 
formées ,  sous  prétexte  d'obtenir  le  redressement  de  leurs 
griefs.  Ils  firent  envisager  secrètement  aux  chefs  le  danger 
qu'il  y  aurait  à  exciter  des  émotions  populaires,  d'autant  plus 
que  le  peuple  aimait  peu  les  nobles  *.  Les  seigneurs  furent 

1  Ord..  t.  I,  p.  551,  120,  561,  573,  577,  581,  587  et  613.  liL.  t.  XI, 
p.  440. 

-  Jean  (le  Saint -Victor,  dans  Culiize,  l'itœ  paparum,  t.  I,  p.  119, 
année  1318. 

■*  Cont.  Xangii,  Historiens  de  France,  t.  XX,  p.  617.  Jean  de  Saint-Victor 
assure  la  même  chose  de  Robert  d' .Artois. 

^  Reg.  LV  du  Trésor  des  chartes ,  fol.  1. 


62  L.\  KR.AX'CE  SOIS  PIIILIPPR  LE  BEL. 

invités  à  prêter  serment  de  fitlclité  au  roi  '.  Les  ligues  étaient 
la  eontinuafion  de  celles  qui  avaicMit  été  faites  contre  Philippe 
le  liel.  Pliilippe  le  Long  le  déclare  expressément*;  ce  témoi- 
gnage est  confirmé  par  Geoffroi  de  Paris  \  Il  y  avait  donc  de 
la  part  des  nobles  un  plan  bien  arrêté  de  tenir  en  haleine  Ja 
royauté  et  de  limiter  sa  puissance  :  ils  cherchaient  encore, 
en  1318,  à  troubler  l'ordre  et  à  contrarier  le  roi  :  ils  aidèrent 
Robert  d'Artois  à  faire  la  guerre  à  la  comlcsse  Maliaut,  à 
laquelle  un  arrêt  du  parlement  avait  adjugé  l'Artois,  malgré  les 
prétentions  de  Robert  ;  ils  donnèrent  toutefois  une  preuve  de 
patriotisme  en  refusant  de  s'allier  avec  les  Flamands ,  alors 
ennemis  de  la  France.  Tout  cela  était  accompagné  de  désordres 
et  de  violences  qui  rappelaient  les  beaux  jours  de  la  féodalité. 
Le  peuple  en  fut  la  première  victime  ;  il  se  plaignit  et  regretta 
le  temps  où  il  payait  des  impots,  mais  où  il  était  tranquille.  Le 
roi  tira  parti  de  ces  dispositions  favorables  à  la  couronne,  pour 
réunir  à  Paris  une  assemblée  de  gens  du  tiers  état.  Les 
députés  se  plaignirent  de  la  malice  d'hommes  pervers  qui 
s'efforçaient  de  troubler  la  paix  du  royaume,  et  qui,  envieux 
du  repos  du  peuple,  se  révoltaient  contre  le  roi  *.  Ils  deman- 
dèrent à  être  autorisés  à  repousser  eux-mêmes  la  force  par 
la  force.  C'était  ce  que  souhaitait  le  roi.  Il  organisa  mili- 
tairement les  bourgeois  des  villes,  et  les  plaça  sous  le  comman- 
dement d'un  capitaine  nommé  par  lui.  Ces  capitaines  étaient 
eux-mêmes  sous  les  ordres  d'un  capitaine  général  qui  com- 
mandait tout  un  bailliage  :  les  armes  étaient  déposées  dans 
des  arsenaux  '\  En  peu  de  temps  Philippe  eut  une  armée  prête 
à  réprimer  les  tentatives  d'insurrection  de  la  noblesse.  La 
féodalité  était  vaincue  :  résultat  bien  différent  de  celui 
qu'avaient  obtenu  les  barons  anglais  sous  Henri  III  et  sous 
Edouard  I".  C'est  qu'en  Angleterre  les  seigneurs  firent  cause 

'  Reg.  LV,  n"  7.  Instructions  à  l'ovèquc  d'Avranclies  et  à  Jean  de  Gaillon, 
Autres  à  Emcri  de  Gourdon  et  à  Jean  d'ArraLIai,  29  janvier  1316  (v.  s.). 
Ibid.,  n°  3. 

2  Reg.  LV,  nM. 

3  Dans  les  deux  pièces,  l'uno  en  latin.  l'autre  en  français,  sur  les  alliés. 
Voyez  de  U'aiily,  Mcm.  sur  (iej/'roij  de  Paris,  p.  9  et  10. 

''  Ord..  t.  I,  p.  (i3()  (20  avril  1317). 

^  Ord.,  t.  I,  p.  035  (12  mars  1310,  v.  s.). 


LIVRE  TROiSIÉME.  —  DE  LA  FEODALITE.  63 

commune  avec  la  bourgeoisie  et  no  se  bornèrent  pas  à  stipuler 
la  reconnaissance  des  privilèges  de  leur  caste  :  ils  comprirent 
que  les  communes  feraient  toujours  triompher  le  parti  auquel 
elles  donneraient  leur  appui.  En  France,  au  contraire,  les 
nobles  ne  songeaient  qu'à  restaurer  le  passé  ;  ils  parurent  un 
instant  arrivés  à  leur  but  :  ils  obtinrent  tout  ce  qu'ils  deman- 
dèrent; mais  comme  ils  voulaient  l'impossible,  que  leur 
triomplie  était  à  la  fois  la  ruine  de  la  royauté  et  du  peuple  ,  ils 
rapprochèrent  la  couronne  et  le  tiers  état,  dont  l'union  avait 
èlè  un  instant  compromise  ;  ils  habituèrent  le  peuple  à  n'avoir 
confiance  que  dans  la  royauté.  C'est  ainsi  que  l'œuvre  de  des- 
truction de  l'esprit  féodal,  audacieusement  tentée  par  Philippe 
le  Bel,  sortit  intacte  des  épreuves  qui  semblaient  devoir  lui  être 
si  funestes.  Il  y  eut  désormais  en  France  une  noblesse  :  il  n'y 
eut  pas  d'aristocratie. 


LIVRE    QUATRIEME. 

DL  CLERGÉ  FRANÇAIS. 


CHAPITRE  PREMIER. 

IXTERVEXTIOM    DE    LA    ROYAUTÉ   I)A\S    LES   AFFAIRES   DE    l'ÉGLISE. 

Le  clcr<]é  scciilior  iavorablc  au  roi  ;  le  clcrjîé  r('f|iilior  dcvoiu-  au  papp.  — 
Les  elrctinus  d'évcMpics  et  d'abbr.s  ne  pruvout  avoir  lieu  qu'avec  l'aiitori- 
satinu  (lu  roi.  —  Droit  dr  régale;  en  quoi  consistait-il?  —  Abus  du  droit 
de  réffiile.  —  Droit  de  garde.  —  Le  parlement  connaît  des  excès  commis 
par  des  ecclésiastiques.  —  Défense  aux  églises  d'ac([uérir  des  biens  sans 
la  permission  du  roi.  —  Droit  de  main-morte.  —  Les  religieux  sont 
contraints  par  le  roi  de  porter  Ibabit  de  leiir  ojdre. 

Le  clergé  de  France  était  riche,  nombreux  et  puissant.  Il 
avait  (le  magnifiques  privilèges  qu'il  fut  obligé  de  défendre 
contre  les  deux  grands  pouvoirs  dont  il  relevait,  le  pape  et  le 
roi.  Mais  dans  cette  double  lutte,  il  fut  divisé  d'intérêts  comme 
il  l'était  dans  la  hiérarchie;  car  il  y  avait  deux  clergés,  le  sécu- 
lier et  le  régidier.  Déjà  depuis  longtemps  le  clergé  séculier, 
quoique  soumis  de  cœur  au  saint-siége,  professait  une  cer- 
taine indépendance  compatible  avec  l'unité  de  la  foi  catho- 
lique, indépendance  dont  les  évéques  étaient  les  promoteurs 
et  qui  se  manifesta  d'une  manière  remarquable  eu  plusieurs 
occasions. 

Dès  la  fin  du  dixième  siècle,  le  corps  épiscopal  faisait  cause 
commune  avec  la  royauté.  Cette  alliance  produisit  les  plus  heu- 
reux effets.  Les  prélats  apportèrent  au  gouvernement  royal  les 
règles  d'une  saine  administration  et  lui  offrirent  des  hommes 
éclairés  et  fidèles;  en  échange  ils  reçurent  protection  à  la  fois 
contre  la  féodalité  militaire  et  contre  les  exig(Mices  de  Rome. 
Les  rois  ne  trouvèrent  pas,  sauf  dans  quelques  abbayes  de  fon- 
dation royale,  le  même  dévouement  dans  le  clergé  régulier,  dont 
une  partie  avait  été  enlevée  à  la  juridiction  des  évoques  pour 


LIVRE  QLATRIKME.  —  DU  CLERGÉ  ERAXr.AIS.  C5 

être  placée  sous  l'autorilê  immédiate  du  saint-sicge  '.  Les 
ordres  mineurs  surtout,  qui  obéissaient  à  des  supérieurs 
généraux  élus  souvent  parmi  des  étrangers,  ne  reconnais- 
saient de  supérieur  (pie  le  pape  et  ne  pouvaient  pas,  à  pro- 
prement parler,  être  comptés  parmi  le  clergé  français.  A  la 
tête  de  cette  milice  inféodée  à  la  papauté  était  Cîteaux,  dont 
les  opulentes  abbayes  et  les  innombrables  prieurés  couvraient 
le  nord  de  la  France,  qu'ils  avaient  fertilisé;  car  les  Cister- 
ciens regardaient  le  travail  des  mains  comme  le  plus  puis- 
sant auxiliaire  de  la  prière  et  un  des  meilleurs  moyens  d'ac- 
quérir la  perfection  morale.  Saint  Louis  eut  une  prédilection 
pour  les  moines,  particulièrement  pour  les  prêcbeurs  ou 
dominicains,  et  se  plut  à  ciioisir  dans  leur  sein  les  exécuteurs 
de  ses  volontés;  mais  Pbilippe  le  Bel  revint  à  l'ancienne  poli- 
tique de  ses  ancêtres  et  prit  exclusivement  ses  ministres  et  ses 
agents  parmi  les  membres  du  clergé  séculier. 

Les  rapports  du  roi  avec  l'Eglise  étaient  fréquents;  les  élec- 
tions des  évêques  et  des  abbés  devant,  sous  peine  de  nullité, 
être  autorisées  par  le  roi.  Voici  quelles  étaient  à  la  fin  du 
treizième  siècle  les  limites  de  l'intervention  royale  en  première 
matière.  On  ne  pouvait  procéder  à  aucune  élection  canonique 
sans  la  permission  du  souverain.  On  conserve  au  trésor  des 
chartes  une  centaine  de  demandes  de  ce  genre  adressées  à 
Philippe  le  Bel'.  Le  droit  du  roi  de  casser  les  choix  faits  sans 
autorisation  est  formulé  dans  un  arrêt  du  parlement  de  l'an 
1.307  \  contre  l'abbaye  de  Saint-Magloire;  mais  on  usait  rare- 
ment de  cette  sévérité.  Les  élections  irrégulières  étaient  con- 
firmées moyennant  finance.  En  128(J,  le  chapitre  de  Clermont 
paya  mille  livres  tournois  pour  n'avoir  pas  fait  précéder  le 
choix  d'un  évêque  des  formalités  voulues*.  En  121)4,  Guil- 
laume, élu  évêque  de  Chalons,  fut  obligé  d'engager  le  temporel 

*  Les  monastères  qui  jouissaient  de  celte  immunité  étaient  appelés  exempts. 

-  Trésor  des  chartes,  J.  435.  — Voyez,  entre  autres,  la  demande  des 
moines  de  Saint-Pierre  de  Cliézy ,  en  1293,  u"  98.  —  Sur  l'antiquité  de  ce 
droit,  voyez  les  lettres  \iv,  \i\  et  x\  de  Sujjer,  et  le  Mém.  de  Drial.  Xour. 
Mém.  de  l'Acad.,  t.  VI,  p.  500  et  suiv. 

3  Vreurcs  des  libertés  de  V lùjlise  (jallîcane ,  t.  I,  p.  82. 

''  Trésor  des  chartes.  Or.  J.  345 ,  no  87. 

5 


66  LA  FRAXCE  SOUS  riIILIPPK  Li:  BKL. 

de  son  évèchê  et  de  proinellre  de  [layer  rameiide  (]ni  lui 
serait  imposée,  pour  s'èlre  fait  élire  à  linsii  du  prinee  '. 

Les  rois  tenaient  l'ortement  à  être  prévenus  des  vacanees 
des  évêchés  et  des  abbayes  ])Our  deux  raisons  :  d'abord,  ils 
influaient  sur  les  cboix  à  faire;  en  second  lieu,  ils  exerçaient 
la  régale,  c'est-à-dire  qu'ils  jouissaient  de  tous  les  biens  et  de 
toutes  les  prérogatives  attachés  aux  sièges  vacants ,  et  cela 
tant  (|ue  le  nouveau  titulaire  n'était  pas  installé  '.  Les  biens  en 
régale  étaient  administrés  comme  domaines  royaux ,  et  la  main 
du  roi  n'était  levée  que  lorsque  le  prélat  élu  avait  été  confirmé 
en  cour  de  Rome,  si  c'était  un  évêque  ou  un  abbé  d'un  mo- 
nastère exempt,  ou  que  l'élection  avait  reçu  l'approbation  de 
l'évêque  diocésain,  s'il  s'agissait  d'un  abbé  ordinaire  \  Il  y 
avait  deux  régales,  la  temporelle  et  la  spirituelle.  L'une  met- 
tait le  souvei'ain  en  possession  des  biens;  l'autre  du  droit  de 
nomination  aux  bénéfices  ecclésiastiques  *.  Elle  n'existait  pas 
dans  toute  la  France.  Philippe  le  Bel  fut  obligé  de  reconnaître 
que  le  Languedoc  en  était  exempt. 

L'administration  du  temporel  des  sièges  vacants  soulevait 
de  nombreuses  plaintes  par  suite  des  abus  qui  s'y  commettaient. 
Philippe  donna  à  plusieurs  reprises  satisfaction  aii  clergé  sur 
ce  point.  En  1303,  il  prescrivit  aux  commissaires  ou  gardiens 
des  régales  de  veiller  à  la  conservation  des  biens  qui  leur 
étaient  confiés,  et  leur  défendit  d'abattre  les  bois  de  haute 
futaie,  de  couper  les  taillis  avant  le  temps  et  de  détruire  les 
étangs.  Ils  devinrent  responsables  de  leur  gestion  et  durent 
réparer  les  dommages  qu'ils  auraient  causés  et  payer  en  outre 
de  fortes  amendes  '" .  Ces  menaces  ne  furent  pas  vaines;  en  exé- 
cution de  cette  ordonnance,  on  traduisit  devant  le  parlement 


1   Trésor  des  chartes ,  .1.  347,  n''  102. 

-  Pas(iiii(>r ,  Recherches,  1.  III,  cli.  \\\v. —  Preuves  des  libertés  de 
l'Eglise  gallicane ,  t.  II ,  p.  98. — Brial ,  préface  du  t.  XIV  des  Histoires  de 
France. 

3  Voyez  de  noniljrciises  demandes  en  mainlevée  de  la  régale ,  Trésor  des 
chartes,  J.  347,  n"*  91  à  125. 

^  Xomination  par  le  roi  d'un  tlianoinc  de  Reims,  en  Icmps  do  régale. 
Or.  Trésor  des  chartes ,  J.  348,  n"  18. 

5  Ordonnance  de  février  1303.  Ord.,  1.  I,  p.  358. 


LIVRE  QUATRIÈME.  —  Dl   CLERGÉ  FR-AXCAIS.  C7 

plusieurs  commissaires  qui  avaient  attiré  sur  eux  l'attention 
par  leurs  déprédations  '. 

La  régale  ne  s'appliquait  qu'à  certains  évéchés  et  aux  abbayes 
fondées  par  les  rois.  Quand  une  église  était  menacée  par  quelque 
seigneur",  ce  qui  était  fréquent,  et  qu'elle  redoutait  des  vio- 
lences, elle  demandait  la  protection  ou  garde  du  roi,  et  elle 
était  dès  lors  traitée  comme  les  abbayes  royales.  Les  baillis 
étaient  chargés  de  veiller  à  leur  sûreté  et  plaçaient  auprès  de 
chacune  d'elles  un  sergent  qui  défendait  de  leur  nuire  sous 
peine  de  violer  le  ban  du  roi. 

Le  clergé  donnait  souvent  lui-même  de  scandaleux  exemples, 
et  plus  d'une  fois  les  rivalités  monastiques  enfantèrent  des 
rixes  sanglantes^.  Le  parlement  évoquait  la  connaissance  des 
désordres  de  ce  genre,  bien  qu'ils  fussent  commis  par  des  gens 
d'église,  mais  les  amendes  auxquelles  il  condamnait  les  coupai)les 
étaient  bien  douces  en  comparaison  de  celles  dont  il  frappait  les 
nobles  et  les  roturiers,  pour  des  délits  bien  moins  graves  *. 

La  sauvegarde  royale  s'étendait  à  des  églises  situées  en 
dehors  du  domaine  royal.  En  121)2,  Philippe  le  lîel  accorda 
à  Charles  de  Valois  la  garde  de  toutes  les  églises  et  chapelles 
des  comtés  d'Anjou  et  du  Maine,  excepté  des  églises  cathé- 
drales d'Angers  et  du  Mans  et  de  celles  auxquelles  on  avait 
donné  le  privilège  de  ne  pouvoir  être  mises  hors  de  la  garde 
du  roi.  Les  églises  placées  sous  la  protection  du  monarque 
avaient  sur  leur  porte  un  bâton  fleurdelisé,  emblème  du  pouvoir, 
ou  bien  des  panonceaux  ou  drapeaux  aux  armes  de  France  '\ 
Dès  le  treizième  siècle,  le  droit  de  garde  assimilait  les  églises 
qui  en  jouissaient  aux  monastères  de  fondation  royale  °.  Le  roi 
avait  le  droit,  lors  de  son  avènement,  de  nommer  à  une  place 
de  moine  ou  de  religieux  dans  chacun  de  ces  monastères  '. 

1  Olim,  t.  II,  p.  137.  An  1304. 

-  Sur  les  violences  tic  la  noblesse  contre  le  cierge,  voyez  Olim,  t.  III, 
p.  681,  683,  447,  5,  etc. 

■i  Olim,  t.  III,  p.  63  et  137. 

''  Ibid.,  p.  315. 

^  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  178,  n"  48,  et  Alartènc ,  Thésaurus,  t.  I, 
col.  1244. 

f*  Olim,  t.  II,  p.  54.  —  Supplément  du  Trésor  des  chartes,  .J.  203,  n"  15. 

'  Olim,  t.  II,  p.  54. 

5. 


68  LA  rKAXCK  SOIS  PHILIPPE  LK  BEL. 

La  sauvojjardc  était  (iii('l(|iipf()is  accordée  à  perpétuité,  [)liis 
souvent  encore  pour  un  temps  liuiité.  Eu  1280,  Guillaume  de 
Hangest,  un  des  baillis  de  Cliampajjne,  prit  sous  la  [jiotection 
du  roi  toutes  les  possessions  du  chapitre  de  Saint-Etienne  de 
Toul,  situées  sur  la  rive  gauche  de  la  Meuse,  |)our  trois  ans  '. 
Chaque  feu  devait  payer  une  redevance  annuelle  de  douze 
deniers.  Ce  traité  fut  renouvelé  pour  trois  autres  années  par 
Guiard  de  la  Porte,  hailli  de  Cliauniont  ^  Enfin,  en  l^Ul, 
Philippe  le  Bel  accorda  sa  sauvegarde  à  l'église  de  Toul  et  à  ses 
propriétés,  sa  vie  durant  et  aux  mêmes  conditions  \  Le  droit 
de  garde  n'entraînait  pas  la  régale. 

La  piété  des  fidèles  et  l'entrée  dans  les  ordres  religieux  de 
personnes  riches  augmentaient  chaque  jour  les  possessions 
du  clergé  régulier  :  le  douzième  siècle  s'était  surtout  distingué 
par  son  ardeur  à  enrichir  les  églises,  qui  menacèrent  d'ahsorher 
la  presque  totalité  du  sol  de  la  France.  Il  était  urgent  d'arrêter 
ce  développement  extraordinaire  des  possessions  territoriales 
du  clergé,  qui  avait  plus  d'un  inconvénient. 

Quand  une  église  acquérait,  soit  par  achat,  soit  par  donation, 
une  propriété  immobilière,  elle  était  tenue  de  l'aliéner  dans 
l'an  et  jour,  à  moins  que  le  seigneur  dans  le  fief  duquel  le 
bien  acquis  était  situé  ne  lui  donnât  la  permission  de  le  con- 
server, permission  (ju'il  n'accordait  que  moyennant  finance. 
En  effet,  dès  qu'une  terre  entrait  dans  le  domaine  de  l'Eglise, 
elle  devenait  comme  morte,  et  le  seigneur  dont  elle  jelevait  se 
voyait  j)rivé  des  droits  de  mutation  exigés  ordinairement  à  la 
mort  du  vassal  ou  lors  du  changement  de  propriétaire.  Telle 
fut  l'origine  du  droit  d'amortissement  \ 

Philippe  le  Hardi  posa  en  principe,  en  1275,  le  droit  du 
roi  de  lever  l'amortissement  pour  toutes  les  acquisitions  faites 
dans  l'étendue  du  royaume  ^. 

Philippe  le  Bel  fit  faire  à  différentes  reprises  des  recherches 

1  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  583,  n"  1. 
^lhicl..n'2. 
a  IbkL,  n°  3. 

*  Laiiricrc,   Traité  du  droit  d'amortissement ,   in -12,   et  la  préface  du 
t.  I  (les  Ordonnances. 

^  Ordonnances ,  t.  I,  p.  303, 


LIVRE  QUATRIÈME.  —  DU  CLERGÉ  FRAXÇAIS.  G9 

générales  de  lous  les  biens  acquis  par  les  églises,  et  ne  les  auto- 
risa à  les  garder  qu'en  payant  des  sommes  importantes  '.  En 
1290,  le  roi  prescrivit  aux  religieux  de  porter  l'hahit  ecclé- 
siastique, chacun  suivant  sa  règle,  sous  peine  de  ne  pas  être 
admis  à  jouir  des  privilèges  de  leur  ordre.  Cet  ordonnance  était 
dirigée  principalement  contre  les  templiers,  dont  la  plupart 
portaient  le  costume  de  la  noblesse  ". 


CHAPITRE   DEUXIEME. 

LUTTE  DU   POUVOIR   ROYAL  COXTRE   LA  JUBIDICTIOX    ECCLÉSL\STIQUE. 

\aliirc  de  la  juridiction  rcclrsiastiqiio  ,  à  la  fois  spirituelle  et  temporelle.  - — 
Faieur  méritée  dont  elle  jouissait.  —  Sa  compétence  en  matière  person- 
nelle. —  Elle  revendique  le  jugement  des  clercs  criminels.  —  Plaintes  de 
la  noblesse.  —  Philippe  le  Bel  se  sert  de  ce  prétexte  pour  interdire  aux 
ecclésiastiques  les  fonctions  civiles.  —  Compétence  ratione  materiœ.  — 
Elle  s'étend  à  tout.  —  Tableau  tracé  par  P.  Dubois  des  envahissements 
des  officiaux  des  évèques.  —  Enquête  faite  en  Languedoc  sur  les  usurpa- 
lions  de  la  juridiction  ecclésiastique  sur  la  juridiction  temporelle.  — 
Juridiction  volontaire  de  l'Eglise.  —  Comment  cette  juridiction  résida 
presque  exclusivement  à  la  lin  du  treizième  siècle  entre  les  mains  des 
évèques.  —  Lutte  entre  les  agents  du  roi  et  le  clergé.  —  Excommunica- 
tions. —  L'appel  comme  d'abus  en  usage  dès  Philippe  le  Bel.  —  Inter- 
vention du  parlement  en  matière  spirituelle.  —  Causes  de  la  popularité 
des  tribunaux  ecclésiastiques.  —  Le  clergé  impose  la  reconnaissance  d'une 
partie  des  droits  qui  lui  étaient  contestés  en  accordant  des  subsides  au  roi. 

—  Philippe  le  Bel  consacre  par  des  ordonnances  les  lois  de  l'Eglise  contre 
les  blasphémateurs. 

L'Eglise  avait  au  moyen  âge  une  doul)le  juridiction  :  comme 
possesseur  de  lîefs,  elle  rendait  la  justice  à  ses  vassaux  et  à 
ses  tenanciers;  mais  elle  avait  une  autre  juridiction  qui  lui 
était  propre  et  ([ui  lui  appartenait  en  tant  qu'Eglise,  juridic- 
tion à  la  fois  spirituelle  et  temporelle,  appartenant  à  Tévèque 
ou  à  ses  délégués,  appelée  cour  de  chrétienté.  L'importance 
du  rôle  joué  par  le  clergé  dans  la  société  étendit  considérahle- 

'  V^oycz  notre  chapitre  intilidé  :  Recettes  diverses. 

-  Ordonnances ,  t.  I ,  p.  541. 


70  LA  FR.AXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  REL. 

ment  les  limilcs  de  code  dornirre  jiiiidiclion,  (jiii  a  sa  source 
dans  les  premiers  lemps  du  clirislianisine. 

La  juridiclion  de  l"l'];]Iise  faisait  eonciirrenec  à  la  juridiction 
séculière  :  Philippe  le  15el  s'efiTorça  de  la  contenir  dans  de 
justes  limites.  Avant  de  montrer  quels  moyens  il  employa  ])our 
arriver  à  ce  but,  je  vais  essayer  de  déterminer  quelle  était, 
à  l'avènement  de  ce  prince,  la  compétence  des  tribunaux  ecclé- 
siastiques'.  Cette  compétence  était  universelle;  elle  s'exerçait 
sur  tous,  soit  à  cause  des  personnes,  soit  à  cause  des  objets 
qui  pouvaient  donner  naissance  au  litige. 

En  matière  personnelle".  —  Entre  clercs  pour  toute  espèce 
de  procès;  —  entre  clercs  et  laïques,  si  le  clerc  était  défen- 
deur, s'il  s'agissait  d'actions  mobilières  et  personnelles,  la 
compétence  de  l'official  était  exclusive,  même  si  l'engagement 
dont  l'exécution  était  contestée  avait  été  contracté  sous  le  sceau 
du  roi,  c'est-à-dire  si  l'acte  constitutif  de  cet  engagement  avait 
été  scellé  par  un  des  agents  chargés  d'apposer  les  sceaux  qui, 
dans  chaque  bailliage  ou  prévôté  du  domaine  royal,  étaient 
destinés  à  donner  de  l'authenticité  aux  actes'. 

En  1274,  Philippe  le  Hardi  avait  déclaré  contraire  au  droit 
écrit  que  le  laïque  demandeur  contre  un  clerc  fût  enlevé  à  la 
juridiction  séculière;  cette  décision  s'appliquait  seulement  aux 
causes  réelles  *. 

En  matière  criminelle,  les  difficultés  étaient  grandes.  Le 
même  prince  statua  qu'on  devait  s'en  rapporter  au  droit  écrit 
pour  savoir  à  qui,  du  seigneur  justicier  ou  de  l'évêque,  appar- 
tenait la  punition  des  clercs  homicides*.  Par  droit  écrit,  il  ne 
faut  pas  entendre,  non  plus  que  dans  le  texte  cité  plus  haut, 
le  droit  romain,  mais  les  canons  des  conciles,  les  décrétales  et 
les  concordats  passés  à  différentes  époques  et  dans  diverses 
provinces  entre  le  pouvoir  civil  et  l'autorité  ecclésiastique;  en 

1  Giraud  ,  Essai  sur  le  droit,  i.  I,  p.  224.  —  Pardessus,  préface  du 
t.  XXI  dos  Ordonnances  des  rois  de  France. 

-  OrdonnaïKc  de  li'vricr  l^îOo.  Ord.,  t.  I,  p.  V02. 

3  Ordonnanco  de  l'an  J2U0.  Ord.,  t.  I,  p.  318,  cl  10  mars  1299,  §  4, 
ibid.,  p.  3V0. 

^  Mercredi,  veille  de  saint  .André  1274.  Ord.,  1.  I,  p.  302,  §  7. 

s  Ordonnance  de  J274.  Ord.,  f.  I,   p.  302. 


LIVRE  QUATRIÈME.  —  DU  CLERGÉ  FRAXÇAIS.  71 

un  mot,  tous  les  documents  législatifs  qu'on  pouvait  opposer  à 
la  coutume  qu'invoquait  le  clergé,  coutume  qui  aurait  légitime 
ses  prétentions. 

En  général,  tout  clerc  accusé  d'un  crime  était,  après  avoir 
été  dégradé,  remis  aux  tribunaux  séculiers  pour  subir  le  sup- 
plice '.  Cette  immunité  des  clercs  fut  invoquée  par  Philippe  le 
Bel  pour  leur  interdire  les  fonctions  civiles  ^ 

En  matière  réelle,  la  compétence  des  officialités  était  très- 
étendue,  surtout  depuis  qu'au  commencement  du  treizième 
siècle  le  pape  Innocent  III  avait  proclamé  que  l'Eglise,  comme 
juge  du  péché,  avait  le  droit  de  juger  toutes  les  actions  humaines. 
Les  évêques  prétendirent  connaître  toutes  les  conventions  aux- 
quelles on  s'était  engagé  par  serment,  car  celui  qui  manquait 
à  sa  promesse  commettait  un  péché  ^  Ils  étendirent  leurs  pré- 
tentions jusqu'aux  causes  féodales,  sous  prétexte  que  le  ser- 
ment était  la  base  des  devoirs  féodaux;  mais  cela  leur  fut  for- 
mellement interdit'',  et  ils  y  renoncèrent  %  mais  les  procès 
relatifs  au  mariage  et  aux  testaments  leur  demeurèrent. 

Des  savants  ont  cru  que  sous  Philippe  le  Bel  l'Eglise  avait 
cessé  de  connaître  de  l'exécution  des  contrats  formés  sous  la  foi 
du  serment  ";  on  s'est  appuyé  sur  le  silence  de  Beaumanoir  et 
sur  une  ordonnance  de  l'an  1274  (lisez  1294),  qui  prescrit  aux 
magistrats  royaux  de  ne  pas  souffrir  que  les  bourgeois  de 
Lille  soient  traduits  devant  les  officialités  pour  des  affaires 
temporelles'.  J'ai  trouvé  de  nombreuses  preuves  du  contraire. 
En  1294,  l'évêque  d'Uzès  se  plaignit  de  ce  qu'on  empêchait 
ses  offîciaux  de  connaître  des  contrats  et  des  conventions  pas- 
sées sous  le  serment  ou  sous  la  garantie  de  la  bonne  foi.  Le 
procureur  du  roi  de  la  sénéchaussée  de  Beaucaire,  consulté  sur 

1  Bouquet,  t.  XV'III,  p.  438.  Transaction  entre  les  barons  et  les  évoques 
de  Normandie,  fin  du  douzième  siècle,  et  Ord.,  t.  I,  p.  39.  (I'>tablisscments 
de  Philippe-Auguste.) 

2  Ord.,  t.  I,  p.  316. 

•^  Etablissements  de  saint  Louis,  1.  I,  chap.  i.xxxiv.  Beaumanoir,  t.  XI, 
p.  7  et  40. 
'^  Ord.,  t.  I,  p.  140.  Concordat  sous  Piiiiippc-.'\ugustc. 
5  Concile  de  Mclun  en  1225.  Labbe ,  t.  VII,  p.  345. 
<>  Pardessus,  préface  du  t.  XXI  des  Ordonnances ,  p.  CLXxxiii. 
"  Ord.,  t.  XI,  p.  376. 


72  LA  FR.AXCr:  SOIS  1>HILIP1»K  LE  BLL. 

l;i  réalité  dos  griefs  du  prélat ,  ré[)oiulit  (|iio  les  officiers  royaux 
ne  nietlaieut  pas  obstacle  à  ce  rpie  les  offieiaux  connussent 
des  causes  à  raison  du  scrMicnl,  mais  qu'ils  veillaient  à  ce 
qu'à  la  faveur  du  spirituel  on  n'usurpât  pas  la  juridiction  tem- 
porelle'.  Cet  exemple  prouve,  toutefois,  que  si  le  droit  de 
rÉglisc  était  reconnu,  l'exercice  de  ce  droit  était  entravé. 

Les  cours  d'Kglise  étaient  exclusivement  compétentes  pour 
les  questions  relatives  aux  dîmes  dues  au  clergé,  mais  non  à 
celles  qui  étaient  entre  les  mains  des  laïques,  quand  même  elles 
avaient  appartenu  à  l'Eglise,  ce  qu'on  appelait  dîmes  inféodées; 
mais  les  dîmes  données  à  cens  ou  à  rentes  par  l'Kglise  étaient 
considérées  connue  dîmes  ordinaires,  et  les  questions  qu'elles 
soulevaient  soumises  à  la  juridiction  ecclésiastique  '. 

Ceux  qui  se  rendaient  coiipahles  d'usure  devenaient  justicia- 
bles de  l'Kglise,  qui  s'était  arrogé  le  droit  de  faire  jurer  aux 
marchands  qu'ils  ne  prêteraient  pas  à  usure  ".  Ce  délit  était 
mi.rfi  fo)i,  c'est-à-dire  que  les  usuriers  étaient  successivement 
punis  par  la  justice  ordinaire,  pour  le  délit,  ensuite  livrés  aux 
offieiaux  pour  expier  le  péché.  Les  canonistes  soutenaient  que 
la  cour  d'Kglise  était  seule  compétente,  mais  cela  ne  fut  pas 
admis.  L'excommunication  était  prononcée  contre  les  usuriers 
endurcis. 

Une  des  plus  fortes  peines  infligées  par  l'Kglise  était  l'excom- 
munication; mais  elle  n'exécutait  pas  elle-même  ses  sentences, 
elle  livrait  les  coupables  au  bras  séculier.  L'excommunication 
entraînait  des  peines  tempoielles  :  celui  qui  passait  une  année 
entière  dans  l'anathème  voyait  ses  biens  saisis  jusqu'à  ce  qu'il 
eut  été  réconcilié.  Philippe  le  Bel  était  prêt  à  lutter  contre  la 
trop  grande  extension  de  la  juridiction  ecclésiastique,  mais  il 
fut  arrêté  dans  ses  projets  par  les  circonstances*.  Les  Kglises 
de  France  lui  accordèrent  de  fréquents  subsides,  et  pour  prix 

1  .*\pii(l  Mcsnard,  Histoire  de  Nismes ,  t.  I,  IVcuvos,  col.  ll.S. 

2  Ordonnances  de  1290,  §  14.  Ord.,  f.  I,  p.  319;  5  mai  1302,  ,^  7, 
ibid.,  p.  342. —  (îrandc  ordonnance  de  lévrier  1303;  octobre  1313,  ibid., 
p.  533. 

"^  IJeaiinianoir,  clinp.  i.wiii.  — l'jlabl.,  1.  I,  cliap.  i.xwn. 

''  V.n  février  1295,  le  roi  défendit  que  les  boiirjjeuis  de  Lille  fussent  mis 
en  cansc  devant  devant  les  juges  d'Eglise  pour  affaires  temporelles.  Ord., 
t.  XII,  p.  376. 


LIVRE  QUATRIKAIE.  —  DU  CLERGÉ  FRANÇAIS.  73 

(le  ces  concessions  exigèrent  la  confirmation  de  leur  juridiction 
et  (le  leurs  autres  privilèges.  Cette  confirmation  leur  fut  accor- 
dée d'une  manière  générale  dans  la  grande  ordonnance  de 
1303',  et  séparément  aux  églises  de  Touraine  en  121)7",  de 
Xormandie  en  1300%  de  Languedoc  en  1300*  et  en  1301% 
aux  provinces  de  Reims  et  Bourges  en  1304  °,  de  Pieardie 
en  1309  \  En  1290  le  roi  avait  déclaré,  à  la  prière  des  pré- 
lats, que  les  biens  nieubles  des  ecclésiasti(]ues  vivant  canoni- 
(juement  ne  seraient  pas  justiciables  des  cours  lanjucs*. 

Diverses  ordonnances  du  même  rappelèrent  aux  agents 
royaux  (jue  la  punition  des  prêtres  accusés  de  crimes  capitaux 
ne  leur  appartenait  pas,  mais  (ju'il  devait  livrer  les  prévenus  à 
l'autorité  ecclésiasti(jue;  car,  malgré  les  anciens  concordais, 
les  prêtres  criminels  étaient  jugés  par  les  officiaux^  En  1302, 
les  évê(jues  de  Normandie  se  plaignirent  de  ce  que  les  juges 
séculiers  voulaient  punir  les  clercs  :  le  roi  consulta  la  coutume 
générale  du  pays  et  y  lut  un  article  qui  donna  raison  aux 
évêqucs  '°.  Or,  une  transaction,  passée  en  1191  entre  le  clergé 
et  le  sénéchal  de  Normandie,  avait  formellement  attribué  aux 
cours  laïques  la  punition  des  clercs  qui  commettraient  un 
crime  capital.  Le  clergé  normand  avait  donc  réussi,  dans 
l'espace  d'un  siècle,  à  faire  abolir  les  droits  des  juridictions 
laïques  sur  les  clercs,  et  à  faire  insérer  dans  la  coutume  que 
les  crimes  qui,  dans  le  droit  commun,  étaient  punis  par  la 
peine  de  mort  ou  la  perte  d'un  membre,  entraîneraient  seule- 
ment pour  les  clercs  coupables  le  bannissement  ". 

«  Ord..  t.  I ,  p.  358. 

2  Ihid.,  p.  381,  23  août  1295. 

3  Ibid..  p.  338. 

4  Ibid.,  p.  334,  335,  10  mars  1299. 

5  /izW..  p.  340,  3  mai  1302. 

6  Ibid..  p.  412,  15  juin  1304. 

'  Trésor  des  chartes,  J.  1025,  n"  4.  —  Ord.,  t.  XII,  p.  357,  et  t.  I,  p.  406. 

8  .Icudi  avant  les  Rameaux,  1308.  Ord  ,  t.  I ,  p.  457.  Il  y  est  dit  expres- 
sément que  CCS  privilèges  ont  été  accordé.s  à  raison  de  la  subvention  consentie 
par  le  clergé. 

9  Ordonnance  de  1290.  Ord..  t.  I,  p.  318. 

"^  Mandement  aux  gens  du  roi  eu  Xormandic,  25  août  1312.   Ord.,  t.  I, 
p.  348. 
'*  Ancienne  coutume  de  Normandie ,  cliap.  cxv. 


74  LA  FRAXCE  SOLS  l'IIILIPPE  LE  CEL. 

Les  offirialités  se  montraient  peu  sévu-res  ])oiir  les  ;jens 
créglise,  et  cela  fit  naître  des  scandales.  A  Ahbeville,  en  1310, 
un  clerc  accusé  d'homicide  ayant  été  absous  par  l'official,  fui 
hué  par  le  peuple  et  poursuivi  à  coups  de  pierres  '. 

Les  abus  de  la  juridiction  ecclésiastique  attirèrent  sou- 
vent l'attention  du  gouvernement.  Un  liomme  parlaitemenl 
placé  pour  savoir  ce  qui  se  passait,  puis(|u'il  était  avocat  du 
roi  et  chargé  en  cette  qualité  de  surveiller  les  officialilés, 
Pierre  Dubois  a  fait  un  tableau  peut-être  un  peu  chargé,  mais 
instructif,  des  empiétements  des  cours  ecclésiastiques*.  En  vain 
les  ordonnances  avaient  fixé  des  limites  et  imposé  de  justes 
restrictions  à  leurs  progrès  toujours  croissants,  leurs  envahis- 
sements poursuivaient  leur  cours,  et  depuis  saint  Louis  elles 
avaient  tellement  gagné  du  terrain  qu'elles  enlevaient  presque 
toutes  les  actions  personnelles  aux  justices  du  roi  et  (h^s  sei- 
gneurs. Sous  Philippe  le  Bel,  il  était  passé  en  coutume  et 
admis  dans  la  jurisprudence  qu'un  laïque  cité  devant  une  cour 
laïque,  comme  défendeur  à  une  action  personnelle,  ])ouvait  la 
décliner  quand  le  demandeur  était  un  clerc,  parce  que  ce 
clerc,  s'il  avait  été  défendeur,  aurait  refusé  de  se  soumettre  à 
la  juridiction  séculière".  L'assemblée,  convoquée  en  1304  à 
Aurillac  pour  voter  un  décime,  déclarait  (|ue,  dans  la  province 
de  Bourges,  l'Église  avait  depuis  plus  de  trente  ans  le  droit  de 
connaître  des  causes  réelles  et  personnelles  entre  laïques  *. 

Malgré  les  promesses  que  l'octroi  des  décimes  lui  avait  arra- 
chées, Philippe  faisait  surveiller  les  cours  de  chrétienté.  J'ai 
sous  les  yeux  une  enquête  faite  dans  le  Languedoc,  et  oii  l'on 
trouve  la  preuve  de  l'existence  dans  le  Midi  des  abus  signalés 
par  Dubois  en  Normandie*.  Ecoutons  ce  document,  qui  précise 
les  accusations  : 

a  En  matière  personnelle,  réelle  et  mixte,  des  laïques  traînent 

1  Olim.  t.  III,  p.  542. 

-  firevis  et  compeiuliosa  doctrina.  Bibl.  iinp.,  n"  6222. — Mèm.  de  l'Aca- 
démie des  iuscriptiuns ,  nouvelle  série,  t.  WIII.  Mèm.  de  M.  de  Wailly. 

^  Brcvis  doctrina,  fol.  13  r°.  —  De  Wailly,  p.  2  (du  tirajjc  à  part). 

■*  Or.  Trésor  des  chartes ,  J.  1025,  n"  4. 

^  Trésor  des  chartes ,  rouleau  original,  J,  350,  n"  S.  Xoticcs  et  extraits, 
n»  10. 


LIVRE  QUATRIÈME.  —  DU  CLERGÉ  FRAXÇAIS.  75 

des  laïques  devant  les  juges  d'Église,  même  pour  réclamer  l'exé- 
cution d'obligations  pour  lesquelles  on  n'avait  pas  prêté  de  ser- 
ment, môme  quand  le  laïque  défendeur  déclinait  la  compétence. 

»  Les  officiaux  forcent  les  notaires  royaux  à  délivrer  copie 
aux  parties  des  actes  et  instruments  reçus  par  eux  officiaux, 
comme  s'ils  l'avaient  été  par  les  notaires,  i? 

Cet  article  concerne  la  juridiction  volontaire  des  officialités. 
Tous  les  actes  relatifs  aux  mineurs  étaient  passés  en  double 
devant  un  notaire  royal  et  devant  la  cour  de  cbrétienté,  et 
munis  du  sceau  de  l'official.  A  la  fin  du  treizième  siècle,  presque 
tous  les  contrats  qu'on  rencontre  dans  les  archives  sont  revêtus 
de  ce  sceau;  les  sceaux  des  évoques  de  Normandie,  qui  ne  rap- 
portaient rien  du  temps  de  saint  Louis,  donnaient  sous  Phi- 
lippe le  Bel,  tous  frais  faits,  un  revenu  annuel  de  plus  de  vingt 
mille  livres  '. 

J'ai  recherché  les  causes  de  cet  accroissement  extraordinaire 
de  la  juridiction  gracieuse  des  officialités,  accroissement  qui 
s'explique  difficilement  au  premier  abord,  car  il  est  contem- 
porain du  développement  de  la  juridiction  volontaire  du  roi. 
A  partir  de  saint  Louis,  on  institua  auprès  de  chaque  bailliage, 
de  chaque  prévôté,  des  notaires  royaux  pour  recevoir  les  con- 
trats, et  des  gardes  des  sceaux  pour  les  authentiquer  par  l'op- 
position du  sceau  royal.  Voici  ce  que  j'ai  constaté. 

Dans  la  première  moitié  du  treizième  siècle,  presque  tous 
les  actes  destinés  à  conserver  le  souvenir  des  transactions  entre 
particuliers  étaient  passés  devant  les  curés,  les  doyens,  les 
officiaux  d'archidiacre  et  les  archidiacres  eux-mêmes  en  bien 
plus  grand  nombre  que  devant  les  officialités  diocésaines,  tandis 
qu'à  la  fin  du  même  siècle  les  actes  que  l'on  trouve  sont  pres- 
<]ue  tous  revêtus  du  sceau  des  officialités,  et  qu'on  en  trouve  à 
peine  quelques-uns  munis  de  sceaux  d'ecclésiastiques  d'un 
rang  moins  élevé'.  Il  résulte  de  ce  rapprochement  qu'à  la  fin  du 
treizième  siècle,  c'était  moins  la  juridiction  volontaire  de  l'Eglise 
qui  s'était  accrue  que  celle  des  évêques^  et  cela  au  détriment 
du  clergé  inférieur.  En  un  mot,  la  juridiction  volontaire  résida 
exclusivement  entre  les  mains  des  évêques  et  de  leurs  délé- 

1  Brcvis  docfrina,  fol.  14.  —  De  Wailly,  p.  18. 

2  Arcli.  de  l'Emp.,  Collections  des  sceaux  :  Sceaux  d' officialités. 


76  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LU  CHL. 

gués,  les  ofOciaux;  et  comme  on  cxijjeait  des  droits  pour  l'ap- 
posilion  de  sceaux,  les  évoques  se  créèrent  par  là  un  revenu 
considéraldc. 

Continuons  l'exposé  des  griefs  contenus  dans  l'enquête  : 
tt  Les  officiaux  forcent  les  serjfcnts  royaux  à  mettre  à  exécution 
les  sentences  rendues  dans  les  cours  ecclésiasti(jiies  en  matière 
séculière.  — Ils  forcent  les  |)révols  à  coutraiiuire,  par  la  saisie 
des  biens  et  la  prison,  des  laï(]ues  excommuniés  à  se  réconcilier 
avec  TK^lisc,  quand  ils  sont  restés  excommuniés  pendant 
un  an.  " 

Les  Ktal)lissements  de  saint  Louis  permettaient  de  saisir  les 
biens  de  l'excommunié  endurci,  mais  non  de  le  tenir  en  pri- 
son '.  Les  personnes  frappées  d'excommunication  ne  pouvaient 
ester  en  justice*.  En  L302,  l'bilippe  le  Bel  déclara  abrogée 
une  ordonnance  de  saint  Louis  établissant  des  peines  contre 
ceux  qui  resteraient  excommuniés  plus  d'une  année'. 

u  Ils  contraignent,  par  voie  d'excommunicalion,  les  laïques 
à  payer  leurs  dettes,  et  à  acquitter  les  legs  pies  et  non  pies, 
ainsi  que  les  cens,  bien  que  la  plainte  ait  été  portée  au  juge 
séculier,  et  les  créanciers  laïques  à  rendre  les  instruments 
constatant  les  dettes  payées.  —  Ils  ne  veulent  pas  avertir  trois 
fois  les  clercs  mariés  ou  adonnés  à  une  profession  manuelle  de 
prendre  un  genre  de  vie  conforme  aux  canons,  cela  malgré  les 
ré(iuisitions  multipliées  des  magistrats  séculiers;  loin  de  là,  ils 
les  protègent.  "  L'enquête  reproche  aux  prélats  de  donner  la 
tonsure  à  des  hommes  illettrés  ou  mariés ,  à  des  enfants  intcl- 
lectii  carentcs ,  et  même  à  des  criminels,  pour  les  soustraire 
aux  cliàtinnMits  qu'ils  avaient  mérités.  — 

«  Les  prélats  font  des  statuts  dans  des  synodes  au  préjudice 
du  pouvoir  temporel  et  sans  son  consentement,  et  les  font 
mettre  à  exécution.  •• 

Cet  article  montre  que  dès  lors  on  agitait  cette  grave  ques- 

1  L.  I ,  cliap.  cwiii. 

2  Maiuloinrnl  au  bailli  do  Tours,  1295.  Ord.,  t.  I,  p.  332,  ,?  4. 

^  Vaissî-tc,  t.  1\  ,  Vrmvcs ,  p.  120.  —  CcUr  ordonnance,  au  dire  de  Plii- 
lippc  le  Bel,  commençait  par  le  mot  :  Cnpienles.  .loinville  prétend  que  saint 
Louis  avait  refusé  aux  évèqucs  de  porter  une  loi  scmblahie,  mais  les  Ktablissc- 
ments  sout  d'accord  avec  Philippe  le  Bel  pour  constater  l'existence  de  cette  loi. 


i.ivRf:  qiatriî;mk.  —  i)i  clergé  français.  77 

tion  (lu  droit  qu'a  le  clergé  de  s'assembler  et  de  faire  des 
règlements  sans  la  permission  du  pouvoir  laïque;  mais  rien  ne 
fut  alors  résolu  à  cet  égard .  I  .es  conciles  provinciaux  qui  se  tinrent 
sous  Philippe  le  Bel  furent  convoqués  par  les  légats  au  nom  du 
pape  '.  Je  ne  parle  pas  de  ces  assemblées  réunies  par  ordre  du 
roi  et  où  le  clergé  votait  des  décimes  :  ce  ne  sont  pas  des  con- 
ciles proprement  dits.  Le  roi  reconnut  que  les  légats  pouvaient 
entrer  dans  son  royaume  sans  son  autorisation  '. 

«  Ils  (les  prélats)  empêchent  les  ecclésiastiques  de  prendre 
part  aux  contributions  pu!)rK|ues,  à  raison  des  biens  pour  les- 
quels les  anciens  possesseurs  avaient  coutume  de  payer  l'impôt.  « 
Celle  plainte  était  juste;  aussi,  malgré  les  protestations  des 
évéques,  les  clercs  mariés  et  artisans  furent  contraints  de 
payer  les  tailles  personnelles,  et  tous  les  ecclésiastiques  les 
impôts  pour  les  biens  qu'ils  possédaient,  soit  par  héritage,  soit 
par  acquisition. 

«  Ils  ne  punissent  pas  suffisamment  les  clercs  qui  commettent 
des  crimes,  bien  qu'ils  en  soient  convaincus  :  ils  font  en  sorte 
de  supprimer  les  témoignages,  et  ils  nuisent  ainsi  aux  sei- 
gneurs, auxquels  les  biens  des  condamnés  reviennent  par  droit 
de  confiscation,  d 

u  Les  délégués  du  pape  s'efforcent  de  connaître  des  causes 
temporelles;  ils  traînent  hors  de  leurs  diocèses  les  laïques  (jui 
leur  résistent,  les  excommunient,  les  lassent  par  toutes  sortes 
de  dépenses  et  de  vexations  jusqu'à  ce  qu'ils  cèdent,  n 

Dans  les  siècles  précédents,  les  causes  entre  les  églises  et 
les  seigneurs  étaient  pres(|ue  toujours  jugées  par  des  délégués 
du  pape;  mais  à  partir  du  milieu  du  treizième  siècle,  ces 
mêmes  causes  furent  portées  en  grande  partie  au  parlement. 
Les  églises  elles-mêmes  acquiescèrent  à  ce  changement,  car 
elles  trouvaient  bonne  justice  à  la  cour  du  roi,  où  siégeaient  un 
grand  nombre  de  prélats  et  d'ecclésiastiques.  Philippe  le  Bel 

•  Convocation  du  concile  de  Paris,  par  le  cardinal  do  Prcncstp,  22  juin 
1296.  Martènc,  t.  IV,  p.  221  — Concile  de  Sens  en  1292,  réuni  auctoritate 
/ipostolica ,  au  sujet  d'un  projet  de  croisade.  Trésor  des  chartes,  Reg.  28  B, 
fol.  140. 

-  Voyez  Juridiction  ecclésiastique,  par  un  docteur  de  Sorbonne,  t.  I, 
p.  48.  L'auteur  (de  Brczollcs),  qui  est  un  gallican,  s'étonne  de  ce  fait. 


"78  LA  FRA.VCE  SOIS  PHILIPPK  LK  BEL. 

accorda  qiio  les  causes  dos  picliits  seraient  directement  j)ortées 
au  parlement,  et  leur  donna  la  faculté  d'y  ])lai(ler  par  procu- 
reur, tant  en  demandant  qu'en  dérendant,  pcnirvu  qu'ils  com- 
parussent en  personne  au  commencement  des  causes  où  leur 
présence  serait  nécessaire  '. 

Une  autre  enquête,  faite  en  1307  dans  la  province  de  Tours, 
reproduit  les  faits  constatés  dans  le  document  que  je  viens 
d'analyser  "'. 

Les  aj^ents  royaux,  surtout  les  procureurs  du  roi  établis 
dans  les  bailliages  et  les  sénéchaussées,  faisaient  une  rude 
guerre  aux  officialités  ;  ils  dénonçaient  sans  relâche  les  empié- 
tements de  la  juridiction  spirituelle  sur  la  juridiction  tempo- 
relle ^  Ces  obscurs  légistes,  peu  bienveillants  pour  le  clergé, 
professant  même  des  opinions  hardies  sur  la  discipline,  pour- 
suivaient avec  acharnement  l'extension  de  l'autorité  royale  et 
l'affaiblissement  des  privilèges  ecclésiastiques.  Leur  ardeur  les 
emportait  quelquefois  trop  loin  et  les  rendait  injustes.  Mais 
leurs  adversaires  étaient  puissants  :  les  prélats  pouvaient  invo- 
(juer  l'usage,  et  ils  avaient  pour  eux  les  laïques,  qui  se  sou- 
mettaient avec  empressement  à  leur  juridiction.  Ils  avaient  dans 
les  mains  l'excommunication,  dont  ils  frappaient  le  juge  séculier 
assez  téméraire  pour  vouloir  leur  disputer  les  justiciables,  arme 
d'autant  plus  terrible  que  l'excommunication  était  sans  appel. 
Le  seul  recours  possible  était  au  métropolitain  ;  mais  ce  der- 
nier était  juge  dans  sa  propre  cause  ;  il  ne  pouvait  consacrer 
l'amoindrissement  de  la  juridiction  ecclésiastique.  L'appel  au 
pape  n'existait  même  pas,  car  le  pape  n'accordait  des  juges  que 
dans  certains  cas  déterminés,  au  nombre  desquels  n'étaient 
pas  ces  abus  d'origine  récente*. 

On  a  prétendu  que  ce  fut  seulement  en  1329,  sous  Philippe 
de  Valois,  qu'on  put  appeler  au  parlement  des  abus  de  l'auto- 
rité ecclésiastique,  et  que  cela  fut  établi  dans  ime  assemblée 
composée  de  légistes  et  de  clercs,  oii  la  supériorité  des  tribu- 

1  Ord..  i.  I,  [).  319,  §  1,  an  1290. 
~  Trésor  des  chartes ,  Or.  J.  350,  n°  47. 

3  Voyez  la  réponse  du  procureur  du  roi  aux  plaintes  de  l'cièque  d'Lzès, 
dans  Mcsnard,  Histoire  de  Xismes,  t.  I,  Preuves,  p.  48. 
'>  Brevis  dncirina,  fol.  17.  —  De  U'ailly,  p.  21  et  22. 


LIVRE  QUATRIÈME.  —  DU  CLERGÉ  FRAXÇAIS.  79 

naiix  royaux  sur  les  cours  d'Eglise  fut  soutenue  avec  force  par 
l'avocat  du  roi,  Pierre  de  Cugnières,  qui  fît  adopter  son  opi- 
nion. On  trouve  sous  Philippe  le  Bel  des  preuves  que  le  roi 
n'acceptait  pas  toutes  les  décisions  des  tribunaux  ecclésiasti- 
ques. Quand  les  magistrats  royaux  saisissaient  par  ordre  du 
prince  les  biens  d'un  clerc  coupable  d'un  délit  quelconque,  es 
officiaux  prétendaient  que  cette  saisie  était  illégale,  et  excom- 
muniaient ceux  qui  l'avaient  prescrite  ou  exécutée.  Quelle  résis- 
tance opposer?  Dubois  lui-même  n'osait  donner  aucun  conseil 
au  roi  à  ce  sujet,  ou  du  moins  exprimer  clairement  sa  pensée. 
Il  se  contenta  de  donner  à  entendre  qu'on  devait  braver  l'ex- 
communication en  pareil  cas  '.  Philippe  le  Bel  suivit  ce  conseil: 
Non-seulement  on  ne  tiendra  compte  de  ces  censures  injustes, 
mais  encore  on  procédera  par  des  voies  de  rigueur  contre  ceux 
qui  les  auront  prononcées.  Un  arrêt  du  parlement  déclara 
que  si  les  officiaux  renvoyaient  absous  des  clercs  notoirement 
coupables,  le  roi  saisirait  les  biens  de  ces  clercs,  et  que  si  les 
juges  d'Eglise  lançaient  l'excommunication  contre  les  officiers 
qui  avaient  ordonné  la  saisie,  le  temporel  des  juges  d'Eglise 
serait  mis  sous  la  main  du  roi.  Le  roi  se  faisait  juge  de  la  jus- 
tice des  excommunications,  et  en  ordonnait  la  levée.  On  en  a 
la  preuve  dans  ce  qui  se  passa  à  Rouen  en  12*J1.  Le  chapitre 
de  la  cathédrale  frappa  d'excommunication  le  maire  de  la  com- 
mune par  suite  d'un  conflit  de  juridiction  entre  la  vilh;  et  le 
chapitre.  Le  maire  mourut  dans  l'anathème.  Philippe  le  Bel 
enjoiguit  aux  chanoines  de  lever  l'excommunication  et  de  per- 
mettre que  le  défunt  fût  enterré  en  terre  sainte'. 

Le  droit  d'asile,  qui  avait  été  dans  des  temps  plus  anciens 
un  refuge  contre  l'oppression  * ,  mais  qui  ne  donnait  plus  lieu 
qu'à  des  abus,  fut  restreint.  Dans  le  Languedoc,  malgré  les 
défenses  des  papes  '' ,  le  clergé  donnait  asile  dans  les  églises 
aux  débiteurs  qui  s'y  réfugiaient  pour  frustrer  leurs  créanciers. 

1  Fol.  23. 

2  Ctiéruel ,  Histoire  de  Rouen,  t.  I,  p.  189. 

^  Voyez  Bcaurcpaire ,  Essai  sur  le  droit  d'asile ,  Bibl.  de  l'Ecole  des 
chartes,  4«  série,  t.  II. 

'^  17  octobre  1310.  Mandement  au  sénéchal  de  Boaucaire.  Arch.  de  l'Emp., 
K.  188  ,  n"  20. 


80  LA  KRAXCE  SOIS  IMlII.IPrE  LE  T.EL. 

Les  laïques  qui  aidaient  les  malfaitciirs  à  rlierclior  l'impunilé, 
en  se  relirant  dans  les  lieux  eonsaerés,  furent  potiisuivis  judi- 
ciairement '.  Les  baillis,  ([uand  il  s'a;|issait  des  intérêts  du  roi, 
violaient  l(\s  asiles,  et  en  certains  cas  il  lut  permis  d'arracher 
le  coupable  du  lieu  oii  il  s'était  réfujfié  ".  Le  priviléjjc  clérical, 
(]ui  était  ac(|uis  |)ar  la  tonsure  reçue  des  mains  d'un  évoque, 
ne  mit  plus  ceux  (]ui  la  portaient  à  l'abri  de  la  justice  sécu- 
lière. Les  abus  a|)pellent  le  cbàtiment.  Le  j)rivilé;]e  de  la  ton- 
sure avait  été  pour  le  clerjjé  un  moyen  de  soustraire  à  la  justice 
ordinaire  des  hommes  indignes  :  ce  privilège  ne  fut  plus  res- 
pecté, mal'jrè  les  plaintes  des  conciles. 

Dans  un  mémoire  au  roi,  Dubois  proposa  divers  moyens  de 
faire  rentrer  la  juridiction  ecclésiastique  dans  des  limites  con- 
venables. Le  premier  consistait  à  réunir  les  prélats,  et  à  leur 
signifier  l'intention  du  roi  de  créer  des  tabellions  aux  actes 
desquels  ils  devaient  ajouter  foi.  Dans  chaque  cité,  on  établi- 
rait deux  de  ces  notaires,  avec  mission  d'assister  les  laïques 
qui  déclineraient  la  juridiction  ecclésiastique,  d'instrumenter 
pour  eux  et  de  leur  indiquer  les  procédures  à  suivre.  On  insti- 
tuerait auprès  de  chaque  officialité  un  procureur,  pour  veiller 
à  ce  qu'on  n'excommuniât  pas  ceux  qui  refuseraient  de  com- 
paraître devant  les  oflicicrs  '. 

Ce  plan  ne  fut  pas  adopté;  du  moins  les  notaires,  qui  furent 
établis  en  grand  nombre  par  Philippe  le  IJel,  ne  réunirent  pas 
les  attributions  que  Dubois  voulait  leur  donner.  Toutefois,  on 
établit  auprès  des  officialités  des  avocats  et  des  procureurs  du 
roi,  avec  mission  de  les  surveiller  et  de  défendre  les  droits  du 
pouvoir  séculier  '. 

Tant  que  les  tribunaux  laïques  furent  mal  organisés,  les 
cours  ecclésiastiques  jouirent  d'une  faveur  méritée.  Mais  c'est 
justement  à  partir  de  saint  Louis,  c'est-à-dire  (piand  les  juges 
royaux  oliVirent  toutes  garanties,  que  la  juridiction  de  l'Eglise 

»  Olim,  III,  p.  V72. 

-  Confii'jipntos  nd  pcricsias  non  ox1r.ilia1is  baillii  i ,  nisi  in  rasibus  a  jure 
permissis.  Ordonjianco  de  1302-1303.  Ord.,  1.  I,  p.  3Vf,  §  7. 

3  Brcvis  doctrina,  foL  13.  —  Dp  U'ailly,  p.  13. 

■*  Voyez  te  compte  des  dépenses  des  bailliages  de  France  en  1305.  Bib!. 
imp.,  fonds  Baliize. 


LIVRE  QIATRIK.ME.  —  1)1   CLERGl':  Î-RAXÇAIS.  81 

s'accrut  dans  des  proportions  incroyables.  On  ne  peut  attribuer 
ce  fait  bizarre  aux  concessions  du  saint  roi,  qui  sut  toujours 
séparer  le  temporel  du  spirituel,  mais  à  Finfluence  du  clergé 
sur  le  peuple  et  peut-être  aussi  à  la  plus  grande  moralité  des 
officialités.  Dès  lors,  les  jurisconsultes  proclamèrent  l'utilité 
d'empèclier  le  spirituel  d'empiéter  sur  le  temporel,  u  Bone 
coze,  et  profitable  selonc  Dieu  et  sclonc  le  siècle,  dit  lîeauma- 
noir,  que  cil  qui  gardent  la  justice  cspirituel  se  meslassent  de 
ce  qui  appartient  à  l'espiritualifé  tant  solement,  et  laissassent 
justicier  et  e.xplectier  à  le  iaie  justice  les  cas  qui  apartiencnt  à 
le  temporalité.  ;' 

Mais  quels  étaient  ces  cas?  La  définition  en  était  difficile. 
Les  actes  de  l'état  civil  étant  des  actes  religieux  et  reçus  par  le 
clergé,  toutes  les  contestations  auxquelles  ces  actes  donnaient 
naissance  étaient  du  ressort  des  cours  de  l'Eglise;  eu  outre,  la 
juridiction  ecclésiastique  était  bien  autrement  active  que  la 
séculière.  Il  y  avait  un  officiai  au  clicf-lieu  de  l'évèclié,  et  plu- 
sieurs autres  officiaux  forains  dans  les  arcbidiaconés.  Ils  ne 
restaient  pas  sur  leur  siège  à  attendre  les  justiciables,  mais  ils 
faisaient  des  tournées,  visitaient  les  paroisses,  connaissant  des 
délits  d'adultère,  qui  restèrent  de  leur  compétence  exclusive, 
et  de  tous  les  actes  auxquels  le  mariage  donnait  naissance,  tels 
que  constitution  de  dot  et  de  douaire,  etc.  Les  curés  favori- 
saient la  juridiction  de  l'official  et  la  recommandaient  à  leurs 
paroissiens.  Les  formes  de  la  procédure  ecclésiastique  étaient 
plus  simples,  plus  rapides  et  moins  coûteuses  :  motifs  puissants 
de  préférence  sur  les  tribunaux  laïques,  où  les  procès  étaient 
longs  et  dispendieux. 

La  juridiction  volontaire  des  officiaux  ainsi  que  celle  des 
tabellions  royaux  trouva,  dès  la  fin  du  treizième  siècle,  une 
redoutable  concurrence  dans  les  notaires  apostoliques,  insti- 
tués au  nom  du  pape  dans  les  principales  villes  des  Etats  chré- 
tiens, et  dont  les  actes  étaient  reçus  comme  authentiques  par 
les  tribunaux  ecclésiasticjues. 

La  législation  de  Philippe  le  Bel  ne  pouvait  manquer  de 
porter  l'empreinte  des  sentiments  religieux  qui  animaient  la 
société.  Les  défenses  faites  par  saint  Louis  de  jurer  le  nom  de 
Dieu  et  des  saints  et  de  le  profaner,  furent  renouvelées  sous 

6 


82  LA  FRAXCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

son  potit-fils:  la  peine  fut  jp'adnéo  suivant  la  jp'avilô  du  délit  et 
l'àgc  du  coupable.  I^cs  hlasplièmcs  étaient  punis  d'une  amende 
de  vingt  à  quarante  sous;  ceux  que  leur  pauvreté  mettait  hors 
d'état  de  payer  cette  amende  étaient  exposés  au  j)ilori  avec  un 
écriteau  <pii  les  désignait  comme  hlaspliémateurs,  etc.,  etc.  '. 


CHAPITRE  TROISIEME. 

KESTRICTIOXS    APPORTÉES    A    l' IXOUISITIOX. 

Oriaino  do  l'inqnisilioii.  —  Elle  adoucit  ses  rigueurs  à  la  (lu  du  Ircizièine 
siècle.  —  Etat  de  l'iicrésiç  à  cette  époque.  —  Sévérité  des  dominicains. 
—  Elle  excite  des  émeutes.  —  Elle  est  réprimée  par  le  roi.  —  En  1298, 
elle  est  favorisée.  —  Elle  excite  en  1301  une  réprobation  luiiversellc  dans 
le  Midi» — Philippe  accueille  les  plaintes  du  peuple  et  réglomenfo  le  saint- 
office.  —  Paroles  remarquables  qu'il  prononce.  —  Il  nomme  des  commis- 
saires chargés  de  faire  une  enquête.  —  L'évèque  d'.Albi  manque  d'être 
assassiné.  —  Manifestations  enthousiastes  en  l'honneur  des  commissaires 
royaux. — La  haine  contre  l'inquisition  est  à  son  comble.  —  (Conspiration 
dans  le  Midi  pour  se  soustraire  à  la  domination  française  qui  ne  supprime 
pas  l'inquisition.  —  Mécontentement  généra!.  —  Philippe  se  rend  dans  le 
Midi  pour  calmer  les  passions.  —  11  réprime  l'inquisition  de  concert  avec 
le  pape  Clément  V.  —  Vaines  plaintes  des  dominicains. 

Une  des  principales  attributions  de  la  juridiction  ecclésias- 
tique était  la  rechercbe  et  la  punition  de  ceux  qui  s'écartaient 
de  la  foi  catholique  pour  embrasser  quebju'une  de  ces  opinions 
hétéroiloxes  qui  étaient  si  répandues  depuis  la  fin  du  douzième 
siècle,  surtout  dans  le  Midi.  Une  piété  mal  entendue  et  la 
crainte  exagérée  du  diable  favorisaient  ces  hérésies,  qui  admet- 
taient pour  la  plupart  la  lutte  des  deux  principes  du  bien  et 
du  mal,  et  se  rattachaient  par  quelque  point  au  manichéisme  *. 
La  croisade  contre  les  Albigeois  n'extirpa  point  l'hérésie,  qui 
se  perpétua  encore  pendant  plusieurs  siècles  dans  les  campa- 
gnes. Les  évoques,   comme  gardiens  de  l'intégrité  de  la  foi 

1  Histoire  de  Msmes ,  I,  pr.   p.  120.  Ord.,  1.  XII,  p.  328. 

'-  Schmidt,  Histoire  des  Albigeois.  M.  Schmidt  a  parfaitement  disfingné 
les  Vaudois  des  Cathares  :  les  premiers  étaient  monothéistes  et  les  seconds 
dualistes. 


LIVRE  QUATRIÈME.  —  DU  CLERGE  FRAXÇAIS.  83 

dans  leurs  diocèses,  avaient  la  connaissance  du  crime  d'iié- 
résie.  Grégoire  IX  leur  adjoignit  Tordre  de  Saint-Dominique 
(en  1233).  Les  dominicains  établirent  dans  les  principales 
villes  des  tribunaux  où  ils  jugeaient  tous  ceux  qui  étaient 
accusés  d'bérésie,  de  judaïsme,  de  maléfices  et  de  sorcellerie. 
Leur  siège  principal  était  à  Carcassonne.  Les  peines  qu'ils 
prononçaient  étaient  celle  du  feu,  la  pénitence  et  la  prison. 
Les  actes  de  foi  étaient  très-rares  à  la  fin  du  treizième  siècle. 
On  appelait  ainsi  le  supplice  du  bûcher,  supplice  qui  était 
réservé  aux  chefs  des  hérétiques  connus  sous  le  nom  de  j)ar- 
faits.  La  prison  était  une  peine  nouvelle  :  dans  les  tribunaux 
laïques,  Femprisonnement  préventif  était  seul  connu  '. 

Les  prisons  de  l'inquisition  s'appelaient  murs^  et  ceux  qu'on 
y  renfermait  emmurés.  Des  historiens  se  sont  imaginé  qu'on 
enfermait  vivants  les  condamnés  dans  l'épaisseur  d'un  mur,  et 
qu'on  les  y  laissait  expirer  dans  les  angoisses  de  la  faim  et 
du  désespoir.  Le  savant  auteur  de  l'histoire  des  Cathares, 
M.  Schmidt,  sans  donner  dans  des  exagérations  de  ce  genre, 
n'a  pas  assez  distingué,  ce  me  semble,  les  différentes  phases  de 
l'inquisition  au  treizième  siècle  '.  Les  rigueurs  contre  les 
hérétiques  n'eurent  pas  toujours  la  même  intensité.  Il  n'a  pas 
non  plus  assez  tenu  compte  des  efforts  faits  par  Philippe  le  Bel 
pour  restreindre  l'inquisition  ;  surtout  il  n'a  pas  constaté  le 
résultat  remarquable  auquel  on  était  arrivé  à  la  mort  de  ce 
prince,  grâce  aux  efforts  du  roi  et  du  pape  Clément  V'  ^ . 

Le  pouvoir  laïque  s'associait  aux  poursuites  contre  les  héré- 
tiques, dont  les  biens  lui  appartenaient  à  titre  de  confiscation  ^. 
Les  évêques  n'abandonnèrent  pas  entièrement  aux  frères  prê- 
cheurs les  devoirs  de  l'inquisition.  On  conserve  à  la  Biblio- 
thèque impériale  un  registre  original  des  poursuites  exercées 

1  Voyez  Lihej'  scntentiarum  mquisitioiiis  Tolosanœ ,  de  1307  à  1322, 
publié  par  Liniborch ,  comme  preuves  de  l'ouvrage  intilulé  :  Historia  inqui- 
sitionis ,  Amsterdam,  1G97. 

2  T.  I,  p.  344. 

3  Ibid.,  p.  358. 

^  Donation  par  Philippe  le  Bel  à  Xicolas  Brumniard  de  a  omnibus  posscs- 
sionibus  que  ad  regem,  ratione  incursus  Maffredi  Amclii  de  hercsi  condemp- 
nati  devcnerunt.  j  Février  1309. —  Trésor  des  chartes,  Reg.  45,  p.  20.  — 
Voyez  aussi  Olim,  t.  III,  p.  159,  1128,  etc. 

6. 


84  LA  FRAXCE  SOUS  l'IllMl'l'i;  LE  mi. 

(1(!  l'an  1-285  ;i  1. '}()()  ])ar  rt-vèciiic  (!'.All)i.   Il  y  pinul   lo   liho 

(riii(|iiisiloiir    de    la    loi    dans    le    diocèse    d'Alhi   et    de   vice- 

<{érant    de    riii(|iiisileur   général    du    royaume,   <|ui    était    un 

dominicain. 

La  sévérité  des  moines  de  Saint-Dominique  amena  des  tem- 
pêtes :  le  peuple  du  Midi  se  souleva  contre  eux  et  l'ut  soutenu 
par  l'autorité  temporelle.  Philippe  le  Bel  parait  avoir  eu  |)eu 
de  sympathie  pour  l'inquisition.  Kn  1"2SS,  il  lui  interdit  do. 
juger  les  juifs  sans  une  information  préalable  laite  par  le  hailli 
ou  par  le  sénéchal  '. 

En  1291,  sur  la  plainte  des  consuls  de  Carcassonne,  il 
ordonna  au  sénéchal  de  cette  ville  de  ne  prêter  le  secours  du 
bras  séculier  que  contre  ceux  qui  seraient  manifestement  héré- 
li(|ues.  (l'élail  ôter  tout  pouvoir  aux  inquisiteurs,  que  de  leur 
cidever  le  droit  de  faire  exécuter  leurs  sentences  et  même  de 
contraindre  les  prévenus  à  comparaître  devant  eux,  sans  le  bon 
vouloir  d'un  officier  royal ,  (pii  devenait  lui-même  juge  de  leur 
culpabilité  ".  En  121)(),  le  sénéchal  reçut  l'ordre  de  ne  plus 
arrêter  d'hérétiques  ^  ;  mais  une  ordonnance  du  mois  de  sep- 
tembre 121)8  donna  force  de  loi  à  une  décrétale  de  IJoniface  VIII. 
Les  agents  du  roi  durent  jurer  d'obéir  aux  évêques  et  aux 
inquisiteurs  et  de  conduire,  sur  leur  réquisition,  dans  les  pri- 
sons du  saint-office,  les  hérétiques  ainsi  que  leurs  fauteurs, 
défenseurs  et  receleurs,  et  démettre  h  exécution  les  jugements 
rendus  contre  eux,  sans  délai  et  nonobstant  l'appel  :  car  le 
bénéfice  de  l'appel  n'existait  point  pour  ces  fils  de  l'iniquité. 
Le  dispositif  de  cette  ordonnance  est  pris  mot  pour  mot  dans 
la  constitution  ii  inquisitionia  '. 

En  LJOl ,  l'inquisition  ('xcita  une  réprobation  universelle 
dans  le  Languedoc  ^  Les  habitants  d'Albi ,  de  Cordes  et  de 
Carcassonne  se  firent  remarquer  par  leur  animosité  contre  les 

1  Ord..  1. 1,  p.  317. 

■-  Vais-sèto,  t.  IV,  Praires  ,\>.  97.  Doiiciiirt ,  t.  \\I ,  p.  TV5. 

3  Vaissète ,  t.  IV',  p.  97. 

^  Ord.,  1.  I,  p.  o30  et  331,  et  la  nnio  .A,  p.  130.  IjOs  conseils  de  Car- 
cassonne furent  obliiji'-s  de  faire  amende  lionorable  aux  dorninicains.  15.  Gnid., 
Hist.  de  France,  I.  \XI,  p.  743. 

5  V'oyez  la  plaiule  au'i'oi  dans  Vaissèle,  F  retires ,  col.  118. 


LIVRE  QlATRIIvMi:.  —  DV  CLERGÉ  FRAXÇAIS.  85 

dominicains,  qn'ils  dénonceront  au  roi  '.  Philippe  accueillit 
leurs  plaintes.  Il  déclara  que  les  geôliers  de  l'inquisition 
devaient  être  choisis  par  l'évèque  ou  par  le  sénéchal,  et  que 
les  inquisiteurs  ne  feraient  aucune  arrestation  sans  le  consen- 
tement de  Tévêque.  En  cas  de  désaccord,  on  s'en  rapporterait 
à  la  décision  d'une  assenihlée  d'ecclésiastiques.  Défense  d'obéir 
séparément  à  l'évèque  ou  à  l'inquisiteur;  car,  ajoutait  le  roi, 
u.  nous  ne  saurions  souffrir  que  la  vie  et  la  mort  de  nos  sujets 
dépendent  de  la  volonté  et  du  caprice  d'un  seul  homme,  peut- 
être  peu  instruit  et  aveuglé  par  la  passion  '.  «  Il  exigea  et  obtint, 
non  sans  peine,  la  destitution  du  frère  Foulque,  inquisiteur 
dans  le  Toulousain.  En  même  temps  il  envoya  dans  l'Albigeois 
deux  commissaires,  l'archidiacre  d'xAugc  et  le  vidame  d'Amiens, 
Jean  de  Picqnigny,  faire  une  enquête  sur  la  conduite  des 
inquisiteurs  dans  cette  province.  La  présence  de  ces  commis- 
saires, qui  se  montrèrent  hostiles  à  l'inquisition,  ne  fit  qu'ac- 
croître le  désordre.  Au  retour  d'un  voyage,  l'évèque  d'Albi 
faillit  être  massacré  par  la  populace  ameutée  à  une  porte  de  la 
ville.  Le  prélat  dut  son  salut  à  son  calme  et  à  son  courage.  Il 
ordonna  aux  gentilshommes  de  sa  suite,  qui  voulaient  le  défendre, 
de  déposer  leurs  épées,  et  s'avança  lentement  en  donnant  sa 
bénédiction  à  la  foule  qui  l'entourait  et  lui  barrait  le  passage 
en  poussant  des  cris  de  mort.  Cette  scène  dramatique  ferait  le 
sujet  d'un  beau  tableau  ^  Les  dominicains  furent  chassés  des 
églises;  pendant  plus  de  cinq  années  la  prédication  leur  fut 
interdite,  et  l'inquisition  suspendue  par  les  commissaires  du 
roi.  La  reconnaissance  du  peuple  pour  l'archidiacre  d'Auge  et 
le  vidame  d'Amiens  ne  connut  pas  de  bornes;  elle  alla  jus(|u'à 
substituer  leurs  images  à  celles  de  saint  Pierre  et  de  saint 
Dominique,  de  chaque  côté  d'un  crucifix  placé  sur  une  porte 
située  près  du  couvent  des  prêcheurs.  Les  commissaires  furent 

'  B.  (Iiiidniiis,  p.  747,  I).  \  oyez  aussi  une  dénoncialion  dos  Iiahil.iiifs 
de  Alilliaii  loiitrc  les  prèdiciirs ,  en  121)8.  —  Or.  Trésor  (les  chartes, 
,1.   890. 

-  LcUrcs  datées  de  Foiituincljleaii  ,  décembre  1310.  \  aissèle ,  t.  IV  , 
Preuves ,  col .  118. 

3  B.  Guidonis,  Hist.  convcntus  Albkusis.  Historiens  de  France ,  f.  \\I, 
p.  746. 


86  LA  Fli.WCE  SOIS  l'HILIPPK  I,F,  RKL. 

excomimin'K's.  Au  mois  de  juin  ].'}0"2,  le  roi  nia  aux  in(|uisi- 
teurs  le  pouvoir  do  |)nnir  les  juifs  pour  usures  et  maléfices. 
Le  plus  grand  mécontentement  ré;![nail  dans  le  Midi,  on  y  était 
fatijjué  de  rin(|uisition  '. 

La  sage  administration  de  saint  Louis  et  d'Alphonse  de  Poi- 
tiers avait  réconcilié  le  Languedoc  avec  la  domination  française. 
Cependant  il  y  avait  toujours  des  méridionaux  (|iii  regrettaient 
l'ancienne  indépendance  de  leur  pays.  Ceux  surtout  que  leurs 
opinions  religieuses  exposaient  aux  rigueurs  du  saint-office  se 
rappelaient  le  temps  où,  sous  les  comtes  nationaux,  la  liberté 
de  conscience  était  tolérée;  à  ces  regi'cts  venaient  se  joindre 
des  espérances  :  les  regards  se  tournèrent  vers  l'Aragon.  Un 
roi  aragonais,  don  l'èdre,  n'avait -il  pas  péri  en  combattant 
Simon  de  Monlfort?  On  attendait  de  là  1(>  salut,  l'ne  désaffec- 
tion profonde  pour  Philippe  le  Bel,  causée  |)ar  ses  exactions, 
jointe  à  la  haine  qu'ius])iiait  rin(|uisition ,  menaçait  d'amener 
une  séparation  violente  entre  le  Midi  et  le  Xord,  et  de  ruinera 
son  début  ce  commencement  d'unité  nationale  qui  avait  été 
acquis  au  prix  de  tant  de  sang. 

La  défaite  de  Courtrai  elles  succès  des  Flamands  semblaient 
devoir  encourager  la  révolte  :  le  moment  d'agir  était  venu. 
Philippe  vit  le  mal  et  en  comprit  la  gravité.  Il  ne  voulut  aban- 
donner à  personne  le  soin  d'y  porter  remède.  Il  se  rendit  lui- 
même  en  Languedoc,  en  visita  les  principales  villes,  accorda 
des  grâces,  confirma  les  privilèges.  Arrivé  à  Toulouse,  il 
déclara  solennellement  être  venu  pour  ramener  la  paix  parmi 
le  peuple  et  réprimer  l'incjuisition.  Après  en  avoir  conféré  avec 
les  évèques,  il  rendit  une  ordonnance  qui  réglait  la  procédure 
contre  les  hérétiques  et  en  tempérait  la  sévérité  ^ 

Il  parcourut  ensuite  le  reste  du  Languedoc.  La  présence  du 
souverain  flatta  le  peuple,  que  la  crainte  d'être  oublié  oq 
méprisé  était  sur  le  point  de  jeter  dans  la  rébellion.  Quelques 
tentatives,  encouragées  par  l'infant  Fcrnand  de  Alajorque  et 
fomentées  par  nn  franciscain,  frère  Bernard  Délicieux,  avortè- 
rent misérablement  à  Carcassonnc  et  à  Limoux.  Les  consuls  de 

1  Ord.,  t.  I,  p.  :'/.«;  i29  juin  1302. 

2  Vaissète,  1.  IV,  p.  121.  AIui-Umic,  I.  \I,  p.  5!  I.  Porcin,  De  mquisitionc, 
p.  108. 


LIVilE  QLATRIÈAIE.  —  DU  CLERGE  ER.AXÇAIS.  87 

la  première  de  ces  deux  villes,  convaincus  de  conspiration, 
furent  pendus  avec  leurs  relies  écarlates  et  les  insignes  de  leur 
di^'piité  '. 

Les  habitants  d'Albi  portèrent  jusqu'au  saint-siége  leurs 
plaintes  contre  l'inquisition.  Clément  V  chargea  deux  cardinaux 
d'y  faire  droit.  Les  cardinaux  ordonnèrent  que  les  geôliers 
seraient  au  nombre  de  deux,  dont  l'un  nommé  par  l'évêque  et 
l'autre  par  les  prêcheurs.  Enfin,  le  concile  de  Vienne  statua 
que  les  dominicains  ne  pourraient  agir  sans  les  évèques.  Les 
nombreuses  réclamations  des  populations  eurent  pour  résultat 
de  faire  inscrire  dans  les  ordonnances,  dans  les  constitutions 
apostoliques  et  dans  les  canons  des  conciles  ce  principe  :  que 
la  question  ne  serait  pas  exclusivement  confiée  à  l'ordre  de 
Saint-Dominique,  mais  placée  sous  la  surveillance  et  le  con- 
trôle des  évèques.  Ce  fut  là  une  sérieuse  garantie  contre 
laquelle  les  dominicains  protestèrent  en  vain  auprès  de 
Jean  XXII  \ 

*  Sur  la  conspiration  de  Bernard  Délicieux,  voy.  B.  Guion,  Hist.  de  France, 
XXI,  p.  743  et  744. 

-  Vaissètc,  t.  IV,  p.  155.  Dans  ce  dociimeat,  il  est  dit  que,  de  1300  à 
1315,  on  avait  jugé  plus  de  mille  hérétiques. 


LIVRE   CIXQl  IKME. 

KAl'roUTS   Dl    II 01    AVKC   LK   SAI\T-SI  l';(iM 


CHAPITRE  PRKMIER. 

DIFFÉllEXD    DK    rilIl.IPrE    LE    BEL    AVEC    BOMl'ACE    llll. 

Lf  inondo  InriiKiil  iiiio  rc|)iiMi(|iio  thrclioniir  tloiit  lo  papo  ('lail  \c  chef.  — 
Libcriés  de  rK;jlisr  {jnllkaiic.  ■ — •  Cniiimcnt  sont-elles  violées?  —  Politi(pic 
des  rois  vis-à-\is  de  Rome.  —  On  n'a  pas  d'histoire  sincère  du  diffcTcnd 
de  l'Iiilippe  le  Bel  avec  Boniface  VIII.  —  Ponrcpioi  ?  —  Philippe  proteste 
contre  toute  intervention  du  pape  en  matière  politique.  —  lîulle  Clericis 
laicox.  —  Premiers  nuages  dissipés.  —  Situation  difficile  de  Boniface  VIII 
en  Ilalie.  —  Guerre  contre  les  Colonna.  —  Bonifiice  \III  prononce, 
cotnmc  j)articuUer  et  non  comme  pape,  entre  le  roi  d'Angleterre  et  Phi- 
lippe. —  Grand  juliilé  de  1300.  —  Prédication  de  doctrines  exagérées  en 
faveur  du  pouvoir  des  papes.  —  Rôle  que  jouent  les  ambassadeurs  flamands 
à  Rome.  —  Excitations  que  reçoit  Boniface  VIII. —  Arrestation  de  Bernard 
Saisset,  cvèque  de  Pamiers.  —  Ambassade  de  Xogaret.  —  Boniiace  \III 
convoque  un  concile  pour  réformer  le  gouvernement  de  Philippe  le  Bel. 

—  Fausses  bulles.  —  Concile  de  Latrau,  bulle  Uiiam  sanctam ,  proclamant 
la  suprématie  du  saint-siégc.  —  Bulle  Ausculta  fili ,  dans  le  même  sens. 

—  Boniface  VIII  accusé  de  plusieurs  crimes  par  Guillaume  de  Plasian.  — 
Arrestation  du  nonce  apostolique.  —  Appels  au  futur  concile.  —  Boniface 
s'apprête  à  excommunier  Philippe.  —  EiaT7ien  du  droit  de  déposition  des 
rois  par  les  papes.  —  Récit  de  l'arrestation  de  Boniface  \  III  à  Anagni  par 
A'ogaret  et  de  sa  mort.  —  Philippe  attacpia  Boniface  Vlll  comme  ayant 
usurpé  la  tiare.  —  Conséquence  de  ce  diflércnd. 

L'histoire  de  Pliilippe  le  Bel  n'offre  pas  (révénenients  plus 
graves  et  (riin  plus  haut  intérêt  que  ceux  qui  signalèrent  ses 
rapports  avec  le  saint-siégc.  Sa  querelle  avec  Boniface  VIII  eut 
pour  résultat  de  fixer  les  limites  de  l'autorité  des  papes  et  de 
la  contenir  dans  de  justes  bornes;  mais  cette  grande  entreprise 
fut  accompagnée  de  scandales  et  de  violences  déplorables. 

Jus(jue-l;i  l'Kurope  occidentale  avait  formé  une  vaste  répu- 
blique chrétienne,  dont  le  pape  était  le  chef  suprême.  Rome 
était  redevenue  la  maîtresse  du  monde.  Jamais  les  décrois  du 


LIVRE  CIXQlIKMl!;.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIEGE.  89 

sénat,  appuyés  par  les  aigles  l'ictorieuses  des  k^gions,  n'avaient 
été  plus  respectés  et  plus  redoutés  que  les  bulles  données  au 
Vatican  par  le  successeur  de  saint  Pierre.  Les  papes  auraient 
pu  à  hon  droit  prendre  la  devise  des  empereurs  carlovin- 
giens  :  Christus  vincit ^  régnât,  imperat.  La  théocratie  gou- 
vernait le  monde.  Grégoire  VII  avait  inauguré  cette  ère  de 
domination  universelle;  son  œuvre  fut  continuée  par  ses  suc- 
cesseurs, particulièrement  par  Honorius  III  et  par  Inno- 
cent IV;  mais  les  progrès  toujours  croissants  du  pouvoir  mo- 
narchique dans  chacun  des  Etats  européens  vinrent  mettre 
un  obstacle  à  ces  prétentions.  Philippe-Auguste  et  saint  Louis 
lui-même  résistèrent  plus  d'une  fois  et  revendiquèrent  leur 
indépendance. 

Cependant,  dans  tout  le  courant  du  treizième  siècle,  le  (boit 
d'intervention  du  saint-siége  dans  les  rapports  des  princes 
entre  eux  fut  universellement  reconnu.  En  outre,  les  souve- 
rains pontifes  avaient  de  nombreuses  occasions  de  s'immiscer 
dans  le  gouvernement  intérieur  des  Etats  de  l'Europe.  Protec- 
teurs naturels  de  l'Eglise,  ils  la  défendaient  contre  les  en- 
vabissements  du  pouvoir  séculier;  ils  exerçaient  aussi  un 
droit  d'administration  et  de  contrôle  sur  les  différentes  Eglises. 
Ils  intervenaient  donc  à  chaque  instant  dans  les  affaires  de 
France  pour  régenter  les  rois,  proléger  l'Eglise  et  la  gou- 
verner. 

C'est  à  ce  triple  point  de  vue  que  je  vais  examiner  les  rap- 
ports de  la  papauté  avec  Philippe  le  Bel. 

Il  y  avait  sous  l'ancienne  monarchie  une  liberté  religieuse, 
non  pas  telle  que  nous  la  comprenons  au  dix-neuvième  siècle, 
où  elle  n'est  autre  chose  que  la  tolérance  ,  mais  une  sorte  de 
liberté  ecclésiastique,  qu'on  appelait  les  libertés  de  l'J'lglise 
gallicane.  Nos  rois  étaient  les  défenseurs  inébranlables  de  ces 
libertés,  qui  formaient  un  des  articles  les  plus  importants  de 
notre  droit  public,  et  pour  lesquelles  nos  pères  se  passion- 
nèrent. L'Eglise  de  France  croyait  trouver  dans  ces  précieuses 
garanties  un  rempart  contre  les  abus  de  la  cour  de  Rome. 
Quels  étaient  ces  abus  ?  Ouelles  étaient  ces  garanties?  Je  vais 
essayer  de  le  dire  en  quelques  mots;  cela  est  nécessaire  pour 
mettre  le  lecteur  à  même  d'apprécier  la  lutte  qui  vase  dérouler 


90  LA  FHAXCE  SOIS  PIlILIPrE  LK  LEL. 

SOUS  SOS  yeux,  lulle  quo  l'ou  ;i  inscrilc  j)aiini  les  [)his  b<>aux 

triomphes  do  l'Kgliso  'jallicane. 

On  sait  que  daus  le  principe  les  évèquos  étaient  élus  par  le 
peuple.  Au  dixième  siècle  encore,  des  laïques  prenaient  part  à 
CCS  élections.  Le  clergé  fut  ensuite  seul  appelé  à  choisir  le 
premier  pasteur  du  diocèse  ;  enfin  le  droit  de  nomination  fut 
réservé  aux  membres  des  chapitres  institués  auprès  des  cathé- 
drales. De  bonne  heure  les  papes  intervinrent  dans  les  élec- 
tions, qui  n'étaient  valables  qu'après  qu'ils  les  avaient  confir- 
mées. Ils  finirent  par  s'attribuer  le  droit  de  nommer  en  certains 
cas  directement  les  évêques  et  les  abbés.  De  leur  coté,  les  rois 
surveillaient  les  élections  ecclésiastiques;  ils  combattirent  vive- 
ment les  nominations  faites  par  le  saint-siège'.  Saint  Louis 
se  distingua  par  sa  fermeté  à  soutenir  les  immunités  des  églises 
de  son  royaume  :  il  rendit  même  un  décret  célèbre,  connu  sous 
le  nom  de  Pragmatique  sanction,  qui  avait  pour  but  d'assurer 
la  liberté  des  élections  canoniques. 

Des  doutes  ont  été  élevés  sur  l'authenticité  de  cet  acte 
célèbre.  Toutefois,  en  admettant  que  le  texte  de  la  Pragmatique 
(jue  nous  possédons  ne  soit  pas  authentique,  il  est  certain  que 
les  doctrines  exprimées  dans  ce  document  ont  été  celles 
(]ue  saint  Louis  prenait  pour  règle  de  conduite  et  qu'il  se  fit 
un  devoir  d'appliquer. 

A  la  fin  du  treizième  siècle,  il  y  avait  lutte  entre  la  papauté 
et  la  royauté,  au  sujet  du  maintien  des  libertés  gallicanes;  à 
chaque  instant  les  souverains  pontifes  disposaient  de  proprio 
motu  des  bénéfices  français  :  on  trouve  dès  lors  les  réserves 
apostoliques,  auxquelles  on  assigne  communément  une  origine 
beaucoup  plus  récente.  Quand  un  évêque  mourait,  le  pape 
sus])endait  quelquefois  le  droit  d'élection  au  chapiti-e  et  se 
réservait  de  pourvoir  au  remplacement  du  défunt.  Le  GalUa 
christiana  n'indique  pas  ces  nominations  directes,  mais  j'ai 
recueilli  des  documenls  qui  ne  laissent  aucun  doute  sur  leur 

'  An  (loiiziiTiie  sii'cle  ,  Louis  \II,  nu  plutôt  Sujjcr,  eut  avec  Rome  un  grave 
(lirfercuil  iiu  sujet  de  l'ordination  de  P.  de  la  Cliâtre  comme  éièquc  de 
Baurgcs,  en  114  L  Dès  lors  le  droit  d'intervention  de  la  couronne  dans  les 
eirciinns  fut  reconnu.  Voyez  la  Disscrialion  de  Puial,  Mcin.  de  l'Acad.  des 
inscript.,  nonv.  série,  t.  VI,  p.  360  et  suii . 


LIVRE  CLVQllKMK.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIÉGE.  91 

fréquence.  En  121*8,  Boniface  nomma  de  son  chef  à  révèché 
de  Toulouse  :  nous  avons  la  lettre  dans  lacjui^Ile  il  fil  part  au 
roi  de  son  intention  de  se  réserver  la  nomination  à  ces  évèrliés; 
le  mot  de  réserve  y  est  même  employé  '.  Il  nomma  aussi  direc- 
tement à  rarchevêché  de  Bourges'.  Il  institua,  sans  l'aveu  du 
roi,  un  évèclié  à  Pamiers'. 

Rome  clierehait  à  rendre  illusoires  les  élections  faites  sui- 
vant les  canons.  Les  élus  étaient  tenus  de  faire  confirmer  par 
le  pape,  et  on  ne  leur  accordait  la  confirmation  qu'à  condition 
de  renoncer  aux  pouvoirs  qu'ils  tenaient  de  l'élection  et  de  se 
faire  instituer  de  nouveau  par  le  saint-père.  C'est  ce  qui  arriva, 
en  121)5,  à  Robert  de  Courtenai,  élu  archevêque  de  Reims*. 
Les  Eglises  de  France  payaient  au  saint -siège  des  sommes 
considérables.  L'abbé  de  Saint-Denis  écrivait  au  roi  que  son 
abbaye  était  ruinée  par  les  redevances  qu'il  payait  à  la  cour  de 
Rome  ^ 

Les  libertés  de  l'Église  gallicane  étaient  donc  à  la  fin  du 
treizième  siècle  souvent  violées  par  les  papes.  Les  rois  ne 
prenaient  en  main  leur  défense  que  lorsque  les  prétentions  du 
saint-siège  menaçaient  leur  autorité.  Ils  laissaient  les  souve- 
rains pontifes  nommer  d'office  quelques  prélats,  car  ils  savaient 
en  profiter  pour  faire  élever  aux  plus  riches  bénéfices  leurs 
conseillers  les  plus  dévoués  et  peupler  l'èpiscopat  de  leurs 
créatures. 

Toutefois  les  libertés  gallicanes  étaient  un  rempart  contre 
les  envahissements  du  pouvoir  spirituel.  Elles  avaient  pour 
effet  de  soustraire  le  clergé  français  à  une  influence  étrangère, 
qui  aurait  pu  ne  pas  toujours  se  renfermer  dans  le  domaine  de 
la  religion.  C'était  un  moyen  de  gouvernement  et  une  insti- 
tution purement  politique. 

1  Bibl.  imp.,  cart.  170  (ancien  Rcg.  XXXIX  du  Trésor  des  chartes). 
i  Reafc.  VIII  Ital.  aug.  anno  ii  (novcniljrc  1298),  fol.  29.  Prcdictam  ccdcsiam, 
a  die  qua  vacasse  dinoscitur,  ordinationi  et  provision!  apostolicc  scdis  et 
nostrc  ex  vice  nucforilafc  apostolica  diiximiis  reservanduin.  » 

-  Dupuy,  Preuves  du  dijfêrend ,  p.  7G. 

3  D'abord  en  1295.  Rainaidi,  t.  IV,  p.  19.3.  Dupiiy,  Différend,  p.  625. 
Alais  cette  bnlle  resta  sans  exécution  jusqu'en  1297.  Gallia,  t.  XIII,  Instr.,]).  98. 

''»  Rain.,  p.  271,  272.  Lettre  du  pape  an  roi. 

5  Bibl.  imp.,  cart.  170,  fol.  98. 


92  LA  FRANCE  SOLS  PHILIIM'K  LE  DllL. 

Pendant  plusieurs  années,  la  nicilleme  intelligence  régna 
entre  lloniface  VIII  et  Philippe  le  Hel.  Philippe  appartenait  à 
celle  race  royale  qui  avait  toujours  ohlenu  les  prédilections  du 
saint-siége.  Saint  Louis  avait  jeté  sur  cette  auguste  famille  un 
éclat  de  grandeur  et  de  saintelé  qui  se  reflétait  sur  ses  descen- 
danls.  Aussi  les  papes  choisissaient  parmi  les  Capétiens  des 
princes  pour  remplacer  les  rois  qu'ils  déposaient. 

Philippe  le  Bel  ne  trouva  que  de  la  bienveillance  dans 
Martin  IV ,  Honorius  IV  et  Nicolas  IW  A  Nicolas  IV  succéda 
Célcstin  \  ,  qui,  à  peine  sur  le  tronc,  en  descendit  volontaire- 
ment et  fut  remplacé  par  le  cardinal  Benoît  Gajetan,  qui  prit 
le  nom  de  Boniface  VIII'.  C'était  un  vieillard  appartenant  à  une 
des  premières  familles  d'Italie,  profondément  versé  dans  la 
science  du  droit  civil  et  canonique  ;  on  lui  savait  de  l'énergie, 
de  la  hauteur  et  une  opiniâtreté  indomptable".  Ses  ennemis 
lui  suppt)saient  une  ambition  et  une  cupidité  sans  borne.  Il 
avait  connu  personnellement  Philippe  le  Bel  pendant  un  séjour 
qu'il  avait  fait  en  France  comme  légal,  et  il  s'était  pris  d'affec- 
tion pour  le  jeune  roi.  Lui-même,  plus  tard,  à  la  veille  de 
le  frapper  d'anathème,  déclarait  que  simple  cardinal,  il  était 
Français  de  cœur,  ce  qui  lui  avait  souvent  atliré  les  reproches 
de  membres  du  sacré  collège  \ 

Nous  touchons  au  grand  différend  de  Boniface  VIII  avec 
Philippe  le  Bel.  Avant  d'aborder  celte  question,  l'historien 
doit  se  recueillir  et  se  demander  s'il  est  assez  maître  de  lui, 
et  s'il  se  sent  assez  dégagé  des  passions  politiques  et  religieuses 
pour  Irailer  avec  impartialité  un  pareil  sujet.  C'est  ici  qu'il 
faut  faire  taire  ses  sympathies,  pour  ne  chercher  que  la  vérité, 
et  se  tenir  en  garde  contre  les  jugements  portés  par  les 
hommes  les  plus  éminents. 

Deux  bisloricns   célèbres  ont    fait  l" histoire    de  celle  lutle 

1  Rainaldi,  I.  IV,  p.  80.  —  lîcni.  fiiiidonis,  Histoire  de  France ,  t.  XXt, 
p.  709. 

2  «  Polentcm  ita  incxorabilem,  qucm  armis  franjjcrc  (lifficillimum,  liiimili- 
tafc  scii  biaiiditiis  flcctere  impossibile.  i  Pctraria,  Familiares  epistolœ , 
lib.  II,  cp.  iir. 

•'  Diipiiy,  p.  "S,  d'après  un  inamisc.  de  la  Dibl.  de  Saint-Victor.  ilM.  7, 
fol.  82  v°. 


LIVRK  CIXQIIKME.  —  LK  ROI  KT  Ll',  SA1\T-SIKGK.  93 

mémorable  :  Pierre  Dupiiy  '  et  IJaillet'.  Tous  deux  ont  jmisé 
aux  sources  originales.  Il  semble  qu'il  ne  reste  rien  à  dire, 
rien  à  apprendre  après  ces  deux  savants  bommes;  que  la  cause 
a  été  suffisamment  instruite  et  l'arrêt  rendu  sans  appel.  Il 
n'en  est  pas  ainsi.  Dupuy  et  lîaillet  étaient  non-seulement  des 
savants  :  c'étaient  aussi  des  bommes  de  vertu  ;  mais  ils  vivaient 
dans  un  temps  où  la  royauté  jouissait  en  France  presque  de 
Finfaillibilité  que  l'Eglise  gallicane  refusait  au  pape.  Dupuy 
était  le  cbampion  officiel  des  droits  du  roi ,  tant  au  dedans 
qu'en  Europe.  IJaillet  était  janséniste.  Ils  n'avaient  ni  l'un  ni 
l'autre  l'indépendance  nécessaire,  l'un  pour  oser  condamner 
un  roi,  l'autre  pour  absoudre  un  pape.  D'ailleurs  la  critique 
bistorique  était  encore  dans  l'enfance,  et  le  travail  de  Dupuy 
renferme  des  confusions  de  dates  qui  intervertissent  l'ordre  des 
faits,  et  ne  permettent  pas  de  suivre  dans  son  développement 
ce  différend  dont  les  causes  ont  été  diversement  appréciées. 

Boniface  VIII  a  eu  le  sort  réservé  aux  vaincus  dans  ce 
monde;  il  a  succombé,  et  tous  se  sont  réunis  pour  le  con- 
damner. Français  dévoués  à  la  monarcbie,  gallicans  jaloux  de 
leurs  libertés,  étrangers  indifférents,  pbilosopbes  sceptiques, 
écrivains  démocrates,  tous  ont  été  unanimes  à  le  blâmer  et  à 
l'insulter.  Les  cbroniqueurs  contemporains,  même  les  ecclé- 
siastiques, ne  l'ont  pas  épargné^;  les  bistoriens  de  l'Eglise 
n'ont  osé  le  défendre*.  Grégoire  VII  a  reçu  le  nom  de  Grand, 
et  Boniface  Vill,  son  imitateur,  est  mort  misérable  et  laisse 
une  mémoire  désbonorée!  De  nos  jours  seulement,  une  voix 
éloquente  s'est  élevée  du  Mont-Cassin  en  sa  faveur^  :  l'iiisloire 

1  Histoire  du  différend  du  pape  Boniface  l  III  avec  P/iilippe  le  Bel, 
suivi  de  ])reuves.  In-folio. 

-  Histoire  des  dcmeslcz  du  pape  Boniface  VIII  arec  Philipjje  le  Bel, 
roy  de  France,  par  feu  Adrien  Baillct.  In-12.  Paris,  Darrois ,  1718.  lîaillet 
a  établi  un  parallèle  plus  injjénicux  que  vrai  entre  la  querelle  de  Boniface  l  III 
et  de  Pliilippe  le  Bel  et  le  différend  d'Innocent  XI  avec  Louis  Xl\  .  Il  est  à 
remarquer  que  les  ouvrajjes  de  Dupuy  et  de  Daillet  ont  paru  après  la  mort  de 
leurs  auteurs. 

^  Guillelmus  de  Xangiaco ,  C/iron.  de  Saint-Deids.  —  Bernard.  Guidonis. 

'*  Rainaldi,  Annales  eccles.,  t.  IV,  p.  536.  Flcury,  Histoire  ecclésiastique. 

^  Luigi  Tosti,  Storia  di  Bonifacio  VIII.  In -8",  2  vol.  Monte -Cassino, 
1846.  Je  ne  puis  passer  sous  silence  X Histoire  de  la  papauté  pendant  le 


n  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

(le  Boniface  VIII,  par  dom  Tosti,  n'est  pas  sciilomcnt  une 
œuvre  de  science,  c'est  aussi  une  œuvre  jjénéreuse  de  répara- 
lion,  dédiée  à  Dante,  qui,  le  premier,  quoique  (jil)clin,  fil 
entendre  cette  sublime  protestation,  que  nul  n'ijjnore,  contre 
l'allcnlat  d'Anajpii  '.  Mais  la  catastrophe  qui  mit  fin  au  réj^jne 
de  IJonifacc  a  l'ait  oublier  à  Tosti  les  fautes  qui  la  précédèrent: 
en  rendant  justice  au  pape,  il  a  été  injuste  envers  son  adver- 
saire. Quant  à  nous,  c'est  aux  documeiils  authentiques  que 
nous  avons  demaïub''  la  lumière  :  nous  avons  l'ait  une  enquête 
longue,  et  minutieuse,  après  la(]uelle  seulement  nous  avons 
formé  noire  opinion.  L'admiration  (\\u'  nous  inspire  le  génie 
de  Phili[)pe  le  IJel  ne  nous  a  pas  aveuglé  sur  ses  défauts;  mais 
nous  n'avons  pas  non  plus  innocenté  Boniface  VHI  parce  qu'il 
fut  malheureux. 

Boniface  ne  porta  pas  sur  la  chaire  de  saint  Pierre  des 
prétentions  nouvelles  :  sa  politique  vis-à-vis  des  princes  étran- 
gers fut  celle  de  ses  prédécesseurs,  et  ressemble  singulièrement 
au  projet  que  Sully  prête  à  Henri  IV.  Son  but  avoué  était  la 
conquête  de  la  terre  sainte  :  il  voulait  rétablir  la  paix  entre  les 
princes  chrétiens  et  tourner  leurs  armes  réunies  contre  les 
musulmans.  Tous  ceux  qui  troublaient  la  paix  étaient  à  ses 
yeux  des  sacrilèges  qui  versaient  le  sang  des  fidèles,  et  retar- 
daient par  leurs  querelles  impies  l'avènement  de  la  domination 
de  l'Eglise  dans  l'univers  entier. 

C'était  en  vue  de  ce  grand  résultat  que  son  prédécesseur 
Xicolas  IV  avait  tout  mis  œuvre  pour  rétablir  entre  Edouard 
d'Angleterre  et  Philippe  le  Bel  la  bonne  harmonie  sourdement 
compromise,  et  prévenir  des  hostilités  qui  ne  devaient  pas 
tarder  à  éclater.  La  prise  de  Saint-Jean  d'Acre,  en  1291,  avait 
eu  un  douloureux  retentissement  en  Europe.  Boniface  voulut 
porter  du  secours  à  la  terre  sainte;  la  guerre  qui  s'engagea 
entre  la  France  d'un  côté,  et  l'Angleterre  et  la  Flandre  de 
l'autre,  vint  traverser  ses  projets.  Il  fît  tous  ses  elforts  pour  y 
mettre  un   terme  et  se  proposa  pour  médiateur'.  Lue  trêve 

(quatorzième   siècle,    par    l'abljé    Christophe.    Li-8",    3    vol.    Paris,    1853. 
M.  l'abbé  Chrisloplic  a  mis  à  profit  \c  piTC  Tosti. 

1  Pin-gatoire ,  XX. 

-  Rainaldi,  Annales  eccles.,  t.  IV,  p.  189  et  190. 


LIVIÎE  CIXQlIlhn;.  —  LK  ROI  KT  LE  SAIXT-SIKGK.  95 

fut  conclue  j)ar  ses  soins.  Au  moment  où  elle  allait  expirer 
(juin  1207),  il  la  renouvela  de  sa  propre  autorité  et  chargea 
deux  cardinaux,  les  évêques  d'Albano  et  de  Palestrina,  d'en 
instruire  Philippe  le  Bel. 

Le  roi  refusa  d'entendre  lecture  de  la  bulle  pontificale  avant 
d'avoir  fait  les  protestations  suivantes  : 

Que  le  gouvernement  temporel  de  son  royaume  appartenait 
à  lui  seul;  qu'il  ne  reconnaissait  en  cette  matière  aucun  supé- 
rieur ;  qu'il  ne  se  soumettrait  jamais  à  àme  qui  vive  à  cet  égard  ; 
qu'il  voulait  exercer  sa  juridiction  dans  ses  fiefs,  défendre  son 
royaume  et  poursuivre  son  droit  avec  l'aide  de  ses  sujets,  de 
ses  alliés  et  de  Dieu;  que  la  trêve  ne  le  liait  pas.  Quant  au 
spirituel,  il  était,  à  l'exemple  de  ses  prédécesseurs,  disposé  à 
recevoir  humblement  les  avertissements  du  saint-siége,  comme 
un  vrai  fils  de  l'Eglise  '. 

Il  accepta  la  médiation  de  Boniface,  non  comme  pape, 
mais  comme  particulier  :  il  obtint  du  pontife  une  bulle  par 
laquelle  il  s'engageait  à  ne  prononcer  de  jugement  arbitral 
qu'en  qualité  de  Benoît  Gajetan,  et  après  avoir  reçu  des  lettres 
patentes  du  roi  portant  approbation  de  sa  décision  ". 

Cette  conduite  de  Philippe  le  Bel  dut  donner  à  réfléchir  à 
Boniface  et  lui  faire  comprendre  la  nécessité  de  ménager  un 
prince  aussi  jaloux  de  son  autorité  et  qui  repoussait  l'inter- 
vention du  successeur  de  saint  Pierre,  devant  laquelle  les  rois 
s'étaient  jusqu'alors  inclinés.  Il  sut  se  faire  violence  et  se  con- 
tenir pendant  quelque  temps;  mais  les  rapports  entre  le  roi 
et  le  pape  étaient  trop  fréquents  pour  que  ces  deux  carac- 
tères altiers  et  dominateurs  ne  finissent  pas  par  se  choquer 
violemment. 

En  1296,  les  plaintes  qu'une  partie  du  clergé  de  France 
porta  au  saint-siége  contre  ce  qu'il  appelait  les  exactions  de 
Philippe  le  Bel  furent  d'autant  plus  favorablement  accueillies 
à  Rome  qu'il  en  arrivait  de  semblables  d'Angleterre,  où 
Edouard  employait,  pour  obtenir  des  subsides  du  clergé,  des 
moyens  bien  autrement  énergiques  que  ceux  de  son  rivaP. 

1  Diipuy,  p.  27.  (Lettre  des  légats,  20  airil  1297.) 

2  Bibl.  imp.,  cart.  170,  fol.  1  (13  juillet  1298).  —  Dupuy,  p.  41. 

3  Voyez  la  plainte  du  clergé  dans  Iv'eriyn,  liccJierches  sur  la  pai-t  de 


9G  LA  FRA.VCE  SOUS  PHILII'I'H  M'   DKL. 

L'occasion  était  hello  pour  Bonifacc  :  il  ne  la  manqua  pas.  La 
hullo  Clerkis  hiicos,  qui  excommuniait  à  la  fois  ceux  qui 
levaient  des  inipols  sur  le  deijjé  et  les  ecclésiastiqm^s  qui  les 
payaient,  lut  counnune  au  monde  eliiétien  (  J:2U6,  sans  date  de 
mois,  mais  avant  le  18  août)  '.  (ielte  huile,  donnée  dans  un 
moment  d'irritation,  était  trop  exagérée  pour  être  exécutahle. 
Boniface  VIII  s'était  trop  avancé  :  il  le  comprit  et  alla  au-devant 
des  |)laintes  qu'il  ne  j)ouvait  éviter  de  soulever.  La  bulle  Inef- 
fahilis  (inior  corrij^ea  ce  que  la  précédente  avait  de  trop  absolu. 
Le  roi  pourra  lever  des  subsides  sur  le  clergé,  avec  le  con- 
sentement du  pape,  qui,  si  le  royaimie  était  menacé,  ordon- 
nerait pour  contribuer  à  sa  défense  jusqu'à  la  vente  des 
vases  sacrés*.  Boniface  demandait  dans  la  même  bulle  des 
explications  sur  la  j)rohibition  faite  récemment  par  le  roi  d'ex- 
porter de  l'or  et  de  l'argent  et  des  marcliandises  bors  du 
royaume,  prohibition  qui  menaçait  de  tarir  un  des  principaux 
revenus  de  Rome  ^ . 

Cet  édit,  que  l'on  représente  unanimement  conmie  une 
réponse  de  Philippe  à  la  bulle  Clericis  laïcos,  n'était  pas  dirigé 
contre  le  pape;  car  il  fut  rendu  an  mois  d'avril,  peu  de  jours 
après  la  rédaction  de  cette  bulle  et  avant  qu'elle  eût  le  temps 
d'être  connue  du  roi  de  France.  Il  ne  s'appliquait  pas  unique- 
ment à  l'argent;  il  défendait  aussi  l'exportation  des  armes,  des 
chevaux  et  autres  objets  :  on  voulait  atteindre  les  Anglais  et 
les  Flamands  avec  lesquels  on  était  en  guerre;  de  semblables 
édits  furent  promulgués  sous  le  même  règne  en  plusieurs 
occasions. 

Dans  la  même  bulle,  Boniface  menaçait  Philippe  de  l'excom- 
munication; il  le  montrait  bai  de  ses  sujets,  entouré  d'ennemis 
qui  n'attendaient  (|ue  le  moment  d'envahir  son  royaume.  Que 
deviendra-t-il  s'il  perd  la  bienveillance  du  saint-siége,  qui  l'a 
soutenu  jusqu'alors  ('Il  septembre  I2cH)r?  Le  roi  et  ses  con- 

iordre  de  CUcaiix  au  procès  de  Boniface  l'ill,  p.  lô,  daprés  un  ancien 
maïuiscrit  de  l'abbaye  des  Dunes. 

'  Dupuy,  p.  IV.  Hainaldi  a  publié  une  bulle  du  15  des  cal.  de  septembre 
où  il  est  parlé  de  la  bulle  Clei'icis  comme  niijyer  édita. 

2  Cart.  170,  fol.  12.  Dupuy,  p.  15.  Rain.,  p.  210  (21  septembre  129G.) 

•'  Dupuy,  p.  13. 


LIVRE  CI.VQLIiaiE.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIÉGE.  97 

seillers  furent  indignés  de  la  liberté  que  prenait  le  pape  :  on 
résolut  de  repousser  ces  remontrances  hautaines  qui  apparte- 
naient à  d'autres  temps.  Dupuy  a  publié  une  réponse  qui  fut, 
dit-on,  expédiée  à  Home';  mais  l'indécence  du  ton  qui 
règne  dans  cette  pièce  et  la  violence  des  déclamations  qu'elle 
renferme  suffisent  pour  démontrer  qu'elle  n'a  jamais  été 
envoyée.  Ce  n'est  qu'un  projet  de  mémoire  qui  fut  présenté 
au  roi  j)ar  quelque  courtisan,  et  qui  ne  fut  pas  même  ter- 
miné, ainsi  que  l'atteste  le  litre  du  seul  exemplaire  contem- 
porain qu'on  en  connaisse,  titre  que  Dupuy  a  supprimé  pour 
en  substituer  un  autre  de  sa  façon'. 

Le  roi  donna  des  explications  satisfaisantes.  En  121)7,  nou- 
velle défense  d'exporter  l'or  et  l'argent,  nouvelles  alarmes  du 
pape,  nouvelles  menaces,  nouvelles  explications  de  Philippe. 
Sur  ces  entrefaites,  les  évéqucs  de  France  écriv(Mit  à  Boni- 
face  \I1I  pour  lui  demander  d'accorder  au  roi  un  décime  sur 
les  églises'.  Le  clergé  comprenait  qu'il  ne  pouvait  pas  s'abs- 
tenir de  contribuer  à  la  défense  de  la  patrie.  Cette  lettre  con- 
trastait singulièrement  avec  une  protestation  suscitée  par 
Cîteaux,  protestation  dirigée  non  moins  contre  les  évêques  que 
contre  le  roi^.  Cette  hostilité  des  moines  contre  les  évêques 
avait  longtemps  réussi,  grâce  à  l'appui  des  papes,  qui  trouvaient 
de  fidèles  instruments,  dans  les  réguliers;  mais  le  temps  arri- 
vait où  moines,  évêques  et  pape  allaient  plier  devant  le  pouvoir 
royal. 

Abandonné  d'une  partie  du  clergé  gallican,  lîoniface  fit  de 
nouvelles  concessions.  Par  la  bulle  Romana  mater  ecclesia,  il 
permit  même  de  lever,  en  cas  de  nécessité,  des  décimes  ecclésias- 
tiques sans  le  consentement  du  saint-siége,  mais  avec  celui  du 
clergé  ' .  La  bulle  Novcritis  nos  alla  plus  loin  ;  elle  abandonna 


'  Dupuy,  p.  21. 

-  Voici  le  titre  tel  qu'il  est  clans  le  cart.  170  :  t  Pulcherrime  rcsponsioncs 
facte  pro  rcge  ad  bullain  precedenteiii  (Incftiibilis)  et  ad  puncta  aliqua  in  ea 
contenta,  et  est  totum  notabilissiinum  licet  7ion  sit  opiis  perfection,  t 
fol.  15  r°. 

•*  Dupuy,  p.  26,  sans  date. 

'*  Cet  acte  est  transcrit  dans  Kervyn,  Recherches ,  p.  22. 

^  Rain.,  137.  Celte  bulle  ncst  pas  dans  Dupuy. 

7 


<)S  L\  FRAXCE  SOIS  PHII.IPPE  LE  BEL. 

à  la  (liroclion  du  roi,  pourvu  (jn'il  (Vil  majoiir,  et  à  son  conseil, 
s'il  était  mineur,  lo  soin  de  décider  s'il  y  avait  nécessité  ou 
non,  et  le  droit  d'imposer  les  ecclésiastiques,  même  sans  que  le 
pape  eût  été  consulté.  Elle  terminait  en  déclarant  (|ue  le  saiiit- 
siéjje  n'avait  jamais  eu  l'intention  d'attenter  aux  droits,  libertés, 
franchises  et  coutumes  du  royaume,  du  roi  et  des  barons.  Le 
pape  écrivit  même  aux  prélats  de  la  province  de  Reims  (|u'il 
était  prêt  à  consacrer  h  la  défense  du  royaume  les  biens  de 
l'Église  romaine  et  sa  propre  personne  '. 

dette  condescendance  de  Boniface  VIII,  cette  douceur  subite, 
ne  doivent  pas  être  entièrement  attribuées  à  des  sentiments  de 
bienveillance  envers  Philippe  le  Bel  :  elles  s'expliquent  surtout 
par  la  situation  difficile  où  se  trouvait  le  pape  dans  ses  propres 
États. 

Boniface  appartenait  par  sa  famille  au  parti  gibelin  :  pape, 
il  devint  guelfe.  Cardinal,  il  avait  pour  ennemis  les  Colonna, 
chefs  du  parti  des  empereurs.  Cependant  les  Colonna  et  les 
Orsini  réunis  avaient  fait  tomber  sur  Benoit  Gajetan  le  choix 
du  conclave  réuni  pour  donner  un  successeur  à  Célestin  V-. 
Boniface  paraît  avoir  oublié  ce  service  :  il  laissa  les  Colonna  à 
l'écart  et  ne  les  fit  point  participer  aux  faveurs  du  nouveau 
règne.  Au  ressentiment  de  cette  ingratitude  se  joignit  chez  les 
Colonna  celui  de  l'injure  que  l'un  d'eux  crut  recevoir  de  Boni- 
face,  qui  intervint  dans  ses  affaires  domestiques.  Sciarra,  pour 
se  venger,  attaqua  sur  le  chemin  d'Anagni  le  trésor  pontifical 
et  s'en  empara.  Deux  cardinaux  de  cette  famille  s'étaient 
retirés  dans  des  châteaux  où  ils  complotaient  avec  les  ennemis 
du  pape  :  Boniface  les  somma  de  lui  remettre  ces  places  qui 
menaçaient  sa  sûreté.  Ils  refusèrent,  et  s'appuyant  sur  la 
renonciation  de  Célestin,  nièrent  la  légitimité  de  son  élection. 
Cités  à  Rome  et  mis  en  demeure  de  le  reconnaître  pour  pape, 
ils  ne  se  présentèrent  pas,  et  furent  dégradés,  eux  et  leurs 
parents  et  adhérents,  excommuniés  jusqu'à  la  quatrième  géné- 
ration, puis  leurs  biens  furent  confisqués'.  Boniface,  dépas- 
sant toutes  les  limiles  de  la  hoine,  étendit  l'anathème  sur 
tous  ceux  qui  (ionncraient  asile  à  ces  malheureux,  et  frappa 

1  3  juillet  1297.  Dnpiiy,  p.  39. 

2  Rain.,  235.  Marlèiic,  t.  1,  p.  12ST. 


LIVRE  CLVQIIEME.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIÉGE.  99 

d'interdit  les  lieux  où  ils  chercheraient  un  refuge  contre  son 
impitoyable  colère.  Il  prêcha  une  croisade  contre  leurs  par- 
tisans. Les  Gi!)elins  furent  vaincus,  leurs  places  prises,  et 
Palcstrina,  où  les  deux  cardinaux  (lolonna  avaient  cherché  un 
abri,  reçut  un  châtiment  terrible  :  Boniface  la  fit  raser.  On 
passa  la  cliarrue  sur  le  sol  qu'elle  avait  occupé,  on  y  sema 
du  sel,  pour  la  vouer  à  la  stérilité;  une  seule  église  resta 
debout  qui  attesta  quelle  vengeance  tirait  Boniface  \  III  de  ceux 
qui  osaient  lui  résister.  (129*J).  Mais  il  fallut  trois  années 
avant  d'obtenir  ce  triomphe'.  C'était  justement  en  1297,  au 
fort  de  sa  querelle  avec  les  Colonna,  que  Boniface  rétracta  la 
bulle  Clericis  laïcos  et  se  réconcilia  avec  Philippe  le  Bel,  afin 
de  pouvoir  se  i^ouer  tout  entier  à  l'anéantissement  du  parti 
gibelin  dans  les  Etats  de  l'Église. 

Les  historiens  modernes  en  cherchant  les  causes  du  diffé- 
rend de  Boniface  et  de  Philippe  le  Bel  se  sont  souvent  trompés. 
La  bulle  Clericis  laïcos  a  paru  à  la  plupart  d'entre  eux  l'ori- 
gine de  l'inimitié  du  roi  contre  le  pape  :  les  faits  prouvent 
qu'après  celte  époque  l'accord  entre  les  deux  cours,  un  instant 
troublé,  fut  plus  grand  que  jamais.  Le  pape  accorda  de  son 
propre  mouvement  un  décime  et  un  an  de  revenu  des  béné- 
fices qui  viendraient  à  vaquer  en  France  pendant  la  durée 
de  la  guerre,  ainsi  que  le  droit  de  nommer  un  chanoine  dans 
chacun  des  chapitres  du  royaume". 

Dupuy  a  porté  contre  la  bonne  foi  et  l'équité  de  Boniface  VIII 
la  plus  forte  accusation  à  propos  du  jugement  arbitral  qu'il 
prononça,  le  27  juin  1298,  entre  le  roi.  de  France  et  le  roi 
d'Angleterre:  il  l'a  accusé  d'avoir  sacrifié  Philippe  à  l'Angle- 
terre et  au  comte  de  Flandre. 

Il  suffit  de  lire  cette  sentence  pour  être  assuré  que  la  par- 
tialité de  Boniface  n'existe  pas.  Dans  ce  document,  où  tout  est 
digne  d'un  pontife  pacificateur,  car  il  y  est  stipulé  que'chaque 
partie  restituera  ce  qu'elle  avait  pris,  et  que  les  choses  seront 

1  Po:ir  la  querelle  de  Boniface  avec  les  Cnlouna  on  ne  peut  sniire  un 
meilleur  ffuitie  que  Tosti,  p.  200  et  suiv.  —  Voyez  aussi  Raiiialdi ,  années 
1297,  1298  et  1299;  Francisons  Pippinus;  Feretti  de  Vicence,  apud  Mura- 
tori,  t.  IX;  et  Christophe,  Histoire  de  la  papauté ,  1.  I,  p.  85  et  suiv. 

2  Rainaldi,  t.  IV,  p.  236. 

7. 


100  LA  FKWCK  SOLS  l'HILU'l'K  Li:  DFL. 

remises  dans  l'i'lal  où  elles  étaient  avant  la  jjuerrc.  Il  n'y  est 
pas  (lit  un  mot  de  la  J''lan(lie. 

Des  (locnmenls  récemment  publiés  prouvent,  au  contraire, 
la  partialité  du  papt;  pour  le  roi  de  France.  Les  dépêches  des 
ambassadeurs  llamands  en  ("ont  foi.  Le  comf(;  (iui  de  Dam- 
pierre,  dépouillé  de  son  comté  par  Pbili[)pe  le  ]>el ,  pour  s'être 
soulevé  contre  lui  et  avoir  l'ait  alliance  avec  l'Angleterre,  avait 
appelé  au  pape  :  il  envoya  à  Rome  des  ambassadeurs,  (jui  se 
mirent  en  instance  pour  faire  comprendre  leur  maître  dans  le 
traité  de  ])aix  (jue  le  pape  s'efioiçail  de  concluie  entre  la 
l''rance  et  l'Anj^leterre.  Ils  assiégèrent  le  pape  de  llatteries, 
lui  disant  (|u'il  était  souverain  du  roi  de  France  au  spirituel  el 
au  temporel'.  Boniface,  cédant  aux  désirs  exprimés  par  les 
ambassadeurs  français,  déclara  aux  Flamands,  (jui  étaient 
pourtant  apj)uyés  dans  leur  demande  par  les  envoyés  du  roi 
d'Angletci'ie ',  qu'il  ne  voulait  pas  s'exposer,  à  cause  du  comtii 
de  Flandre,  à  ne  point  rétablir  la  paix  entre  les  deux  rois.  F,n 
effet,  la  sentence  du  mois  de  juin  ]!2'J8  garda  le  silence  sur  le 
comte  de  ^''landre.  L'inlluence  française  trioinj)lia  donc  dans 
cette  circonstance  où  le  roi  d'Angleterre  fut  obligé  d'aban- 
donner son  allié '.  Tout  ce  (pie  le  pape  fit  pour  la  Flandre  ce 
fut  de  proroger  dans  une  bulle  spéciale  le  délai  de  l'appel 
porté  par  le  comte  (lui  '.  Je  suis  entré  dans  ces  détails  parce 
(pi'il  est  important  de  ])réciser  les  pbases  de  ce  dilférend.  Les 
derniers  actes  et  le  dénoùment  sont  suffisamment  connus, 
mais  rien  n'est  plus  obscur  que  les  commencements  de  la  lutte 
et  surtout  l'objet  sur  lequel  elle  s'est  engagée. 

Les  bonnes  relations  continuèrent  entre  le  pape  et  le  roi  ; 
(juelques  incidents  vinrent  toutefois  y  mêler  de  l'aigreur. 
IJoniface  avait  mandé  à  Rome  l'évêque  de  Laon  pour  rendre 
compte  de  son  administration  :  le  roi  affecta  de  considérer  le 
siège  coliime  vacant  et  s'en  appliqua  les  revenus  par  suite  du 
droit  de  régale  ''.  Autre  grief:  le  cardinal  de  Sainte-Cécile  avait 

^  Kervyn,  p.  43,  Lettre  relatant  l'audience  du  25  juin  1298. 

2  Kervyn ,  p.  50. 

•^  Kervyn,  p.  47,  48. 

'»  Rymer,  1.  1,  p.  200.  Kervyn,  p.  50. 

5  Rain.,  p.  259. 


LIVRE  GIXQIIKME.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIKC.E.  101 

fait  on  mourant  un  legs  considérable  pour  l'entretien  de  pau- 
vres étudiants  en  théologie  (collège  de  Cliollet).  Le  fisc  s'em- 
para de  sa  succession  et  refusait  de  s'en  dessaisir  '.  Les  plaintes 
des  évoques  contre  les  exactions  des  collecteurs  des  annales 
accordées  au  roi  furent  une  nouvelle  cause  de  mécontcntenient 
réciproque  '. 

L'année  1300  vit  le  grand  jubilé  institué  par  IJonifacc  pour 
célébrer  l'ouverture  de  chaque  nouveau  siècle,  et  ce  pape  au 
comble  de  sa  gloire.  Il  parut  successivement  en  habits  ponti- 
ficaux et  revêtu  des  insignes  de  l'empire;  il  fît  porter  devant 
lui  l'épée,  le  sceptre  et  les  autres  insignes  impériaux,  et  crier 
par  un  héraut  :  il  y  a  ici  deux  glaives;  Pierre,  tu  vois  ton  suc- 
cesseur, et  vous,  ô  Christ,  regardez  votre  vicaire  ^  Ces  deux 
glaives  figuraient  le  pouvoir  spirituel  et  le  pouvoir  temporel, 
le  pontificat  et  la  royauté  réunis  dans  la  même  main. 

En  contemplant  la  foule  immense  venue  de  toutes  les  parties 
de  la  terre  baiser  avec  respect  le  seuil  de  Saint-Pierre,  Boni- 
face  se  crut  le  maître  du  monde,  ainsi  qu'on  ne  cessait  de  le 
répéter  autour  de  lui.  Ce  triomphe  devait  être  de  courte  durée, 
mais  rien  ne  faisait  présager  encore  l'orage  terrible  qui  allait 
éclater. 

Un  événement,  auquel  on  n'a  pas  atfaciié  d'importance,  se 
produisit  alors,  qui  changea  en  hostilité  les  dispositions  déjà 
chancelantes  de  lioniface  VIII,  c'est  l'alliance  faite  en  1299  à 
Vaucouleurs  entre  Philippe  et  le  roi  des  Romains  Albert , 
excommunié  pour  avoir  détrôné  Adolphe  de  Nassau;  alliance 
menaçante  pour  la  papauté. 

La  nouvelle  des  négociations  entre  Philippe  et  Albert  jeta  la 
terreur  à  Rome  :  un  faux  bruit  qui  en  annonçait  la  rupture 
fut  accueilli  avec  joie.  Boniface  conçut  la  pensée  d'avoir  une 
conféience  avec  les  rois  d'Angleterre  et  de  France  et  le  comte 
de  Flandre,  seul  moyen,  ix  ses  yeux,  d'établir  la  paix  d'une 
manière  solide  :  il  ne  songeait  pas  à  les  citer  à  Rome,  car  il 
connaissait  assez  Philippe  et  lùlouard  pour  savoir  qu'ils  n'ac- 

1  Rain.,  p.  200. 
-  Raillct,  p.  98. 

"'  Voyez  Rainaldi,  p.  286;  V'illani ,  thap.  \\\vi;  Clironiqiic  de  Gilles  le 
Miiisis,  t.  II,  p.  188.  (Collcctioa  tics  documents  ])cl;jes.) 


102  LA  l'IJ.AXCE  SOUS  THIUPPE  LK  DEL. 

ceplcraienl  jamais  de  sa  part  (]u'iiiu'  inlrivcnlion  officicKSO  : 
aussi  avait-il  docidè  do  se  rendre  sur  un  terrain  neutre.  11 
avait  même  fait  des  ouvertures  dans  ee  sens  à  Philippe  le  IJel; 
mais  une  grave  maladie  que  lui  causa  un  travail  excessif,  joint 
à  son  grand  âge,  le  força  de  renoncer  à  ce  projet  '. 

Le  grand  jubilé  l'avait  enivré;  tout  semblait  se  réunir  pour 
le  poussera  sa  perte,  en  réveillant  et  en  excitant  en  lui  les 
désirs  de  domiî'ation  qu'il  nourrissait,  moins  pour  lui-même 
que  pour  la  papauté.  Le  cardinal  d'Acquasparta,  dans  un  ser- 
mon pièché  à  Saint-Jean  de  Latran  au  mois  de  janvier  1300, 
en  piésence  du  pape,  devant  le  sacré  collège  et  une  nombreuse 
assistance,  osa  déclarer  que  le  pape  était  souverain  temporel 
et  spirituel,  comme  vicaire  de  Jésus-Christ,  et  que  le  devoir 
de  l'Eglise  était  de  combattre  avec  le  glaive  spirituel  et  tem- 
porel ceux  qui  résisteraient  à  cette  double  autorité '. 

Les  ambassadeurs  {l.amands  jugeront  le  moment  fiivorable 
pour  se  faire  écouter,  en  flattant  les  idées  de  suprématie  du 
pape  et  en  excitant  ses  défiances  contre  Philippe  le  Bol.  Ils  lui 
avaient  bien  souvent  dit  qu'il  était  le  maître  de  fous  et  que  le 
roi  de  France  était  fait  pour  lui  obéir  :  la  déclaration  officielle 
faite  par  le  cardinal  d'Acquasparta  les  encouragea,  et  ils  remi- 
rent à  lîoniface  un  mémoire  on  ils  invoquaient  son  appui  et 
son  intervention,  et  essayaient  de  le  rassurer  sur  l'énergie  de 
cette  puissance  souveraine  qu'ils  lui  attribuaient,  en  invoquant 
les  livres  saints*.  Boniface  n'était  que  trop  disposé  à  prêter 
l'oreille  à  ces  insinuations,  qui  s'accordaient  avec  ses  désirs  et 
ses  espérances  '. 

Cependant  les  griefs  s'accumulaient  contre  Philippe,  entre 
autres  l'envahissement  du  comté  de  ilolgueil,  appartenant  à 

1  Dépt'clio  des  aml)assa(îoiirs  flamands  du  9  juillet  J209.  Ivcrvyn ,  p.  63; 
et  Cariiil.  170,  foi.  22  r";  '■}  des  cal.  de  janvier  de  la  (pialriènie  année.  Voyez 
Notices  et  extraits ,  n"  viii. 

2  Dépêche  dn  17  janvier  1380.  Kervyn ,  p.  79,  d'après  l'original  conservé 
aux  arcliivcs  de  Lille. 

3  Kervyn,  p.  7V,  d'après  les  archives  de  Rnpclmondo,  n"  1025.  A  la 
dernière  ligue  ou  lit  :  n  Ha>c  scriplura  data  est  die  niarli.^  post  dicni  Xati- 
vitalis  Doinini.  -■ 

''  En  l'an  1300  Philippe  envoya  en  ambassade  à  Rome  i'archcvcquc  de 
Xarbonne,  (pii  n'obtint  rien.  Haluze,  Misccll.,  t.  VI,  p.  459. 


LIVRE  CIXQLIÊAIE.  —  LE  UOI  ET  Li;  SAIXT-SIÉGE.  103 

révèque  de  Aîaguelonc  '  ;  !o  rofiis  du  vicomle  de  Karhonnc  de 
l'aii-e  hommage  à  riîrchevèfjue  son  seigneur'.  Le  pa[)c  fit 
entendre  des  paroles  sévères*  et  envoya  révèque  de  Pamiers, 
iîernard  Saissel,  inviler  le  roi  à  secourir  la  terre  sainte*. 
I/évèque  de  Pamiers  irrita  Piiilippe,  qui  le  laissa  retourner 
dans  son  diocèse;  mais  il  fil  l'aire  secrètement  contre  lui  une 
enquête  dans  laquelle  déposèrent  les  prélats  et  les  barons  du 
Midi  ^  On  l'accusait  d'avoir  voulu  soustraire  le  Languedoc  à 
la  couronne,  pour  le  réunir  k  l'Aragon;  son  véritable  crime 
était  sa  haine  pour  le  roi  :  on  lui  imputait  les  plus  étranges 
propos. 

Il  appelait  Philippe  bàlaj'd ,  faux  monnayeur,  incapable  de 
régner,  indigne  dii  Irùne.  Saint  Louis,  assurait-il,  avait 
annoncé  que  sa  race  finirait  avec  son  fils.  L'enquête  qui  con- 
tenait ces  accusations  iïit  envoyée  à  Rome,  et  Bernard  arrêté  à 
Pamiers  par  le  vidame  d'Amiens  et  cité  à  coniparaitre  devant 
le  roi.  H  envoya  à  la  cour  i'abbé  du  Aîas  d'Asil  prier  le  roi 
de  le  laisser  aller  à  lîome,  ajoutant  qu'il  pouvait  quitter  le 
royaume  sans  permission.  (!eci  prouve  que,  dès  lors,  les  évo- 
ques devaient  informer  le  gouvernement  de  leur  voyage  en 
cour  de  Rome  '^. 

Il  fut  traduit  devant  le  roi  et  une  assemblée  de  barons,  à 
Senlis,  le  li  octobre  1301.  Sa  défense  fut  si  hautaine,  que 
l'assemblée  se  leva  en  poussant  des  cris  de  mort.  Sur  le  point 

1  Vaissètc,  t.  IV,  p.  8G  ;  Gallia,  t.  VI,  p.  8;  Aînrlcnc,  t.  IV,  p.  225.  L'n 
concile  réuni  à  Béziers  supplia  le  roi  de  l'aire  rendre  jiisficc  à  r;irclicvèquc. 
Baluzc,  Concil.  Narhon.,  p.  83. 

^  Un  concile  réuni  à  Béziers  supplia  le  pape  de  faire  rendre  jiislice  au 
prélat.  Baluze,  Concil.  Ncn-hon.,  p.  84. 

■^  Anagniœ,  xv  kal.  aug.  anno  vi.  Bain.,  p.  296. 

'^  Bain.,  p.  298,  299;  Dupuy,  p.  9. 

^  Voyez  cette  enquête  dans  Dupuy,  Dijj'èreiid ,  appendice  consacré  au 
procès  de  i'évèquc  de  Pamiers;  et  un  abrégé  dans  Rainaldi ,  p.  314. 

''  Pour  le  récit  du  procès,  voyez  j\Iartène ,  t.  I,  p.  1319  et  siiiv.,  et  les 
originaux  du  procès  au  Trésor  des  chartes ,  carton  ,!.  33(3,  u"^  1  à  22,  repro- 
duits en  partie  à  la  suite  des  Preuves  du  différend  de  Bonifacc  l  III  et  de 
Philippe  le  Bel ,  de  Dupuy.  Bernard  Saisset  était  d'un  caractère  hautain  et 
difficile  :  il  avait  eu  de  longues  querelles  axec  le  comte  de  Foix;  voyez  le 
travail  de  ^I.  Combes  infilulé  :  De  contentionibiis  Bernardi  Saisscli ,  primi 
A'ppamiarum  cpiscopi ,  cum  Rogerio  Bcriiardo ,  comité  Fuxensi.  In-8°. 


104  LA  FH.W'CM  SOIS  IMIILIITE  LK  1)I:L. 

d'être  massacre,  il  se  mit  sons  la  protection  de  raiclievèquc 
de  Xarhoiine ,  son  métropolitain,  (|ni  était  présent',  avec  les 
évèques  de  liéziers  et  de  Ala^nelone  :  rarclievcque  le  prit 
sous  sa  garde  et  en  ré[)ondit. 

(]e  procès  était  contraire  anx  lois  de  l'Eglise  :  un  évêquc  ne 
devait  pas  être  mis  en  jugement  devant  une  cour  laï(pie;  les 
conciles  n'avaient  même  plus  le  droit  de  le  juger  sans  l'inter- 
vention du  pape,  qui  devait  autoristu*  les  poursuites. 

Philippe  envoya  à  Rome  Pierre  de  Flote  demander  le  châti- 
ment de  Saisset.  L'ambassadeur  déclara  que  son  maître  n'avait 
pas  voulu  user  de  son  droit  de  punir  lui-même  un  homme  que 
ses  crimes  rendaient  indigne  du  sacerdoce  et  de  la  protection 
accordée  aux  mendires  du  clergé;  mais  qu'il  avait  désiré  don- 
ner au  souverain  pontife  une  marque  de  déférence  et  de  res- 
pect, en  lui  remettant  le  soin  de  venger  l'injure  faite  à  Dieu, 
comme  auteur  de  toute  puissance  légitime,  au  roi  comme  fils 
de  l'Kglise,  et  au  royaume  comme  partie  considérable  de  la 
chrétienté.  Il  re(|uit  ensuite  Boniface  de  déclarer  Bernard 
déchu  de  la  dignité  épiseopale,  du  privilège  de  cléricalurc, 
et  de  le  remettre  au  roi  pour  qu'il  pût  en  faire  un  sacrifice 
agréable  à  Dieu  ^.  Il  y  avait  beaucoup  d'hypocrisie  dans  celle 
modestie  apparente.  IJoniface  alfecta  de  |)rendre  au  sérieux  les 
protestations  du  roi  et  se  léserva  de  renvoyer  Saisset,  soit 
devant  un  concile  provincial,  soit  devant  un  légat  du  saint- 
siége.  riote  eut  beau  presser  et  demander  une  réponse,  il 
n'obtint  rien,  et  retourna  en  France  la  rage  dans  le  cœur. 

Boniface  suspendit  les  privilèges  accordés  par  lui-même  et 
par  ses  prédécesseurs  à  la  couronne  de  France,  et  convoqua, 
pour  le  1"  novembre  1302,  un  concile  général  à  Rome,  afin 
de  mettre  un  terme  aux  oppressions  que  souffrait  le  clergé 
de  France,  et  de  travailler  à  la  conservation  des  libertés  de 
l'Fglise  catholique,  à  la  reformation  du  royaume,  à  la  correc- 
tion du  roi  et  au  bon  gouvernement  fie  la  France^.  Tous  les 
prélats  et  tous  les  docteurs,  les  abbés,  les  supérieurs  de  mai- 
sons religieuses,  furent  sommés  de  se  rendre  à  celte  assemblée  ; 

1  AIart('iio,  t.   I,  p.   1:î20. 

-  Diiillet,  p.  114.  Diipuy,  p.  G30. 

^  Rainaldi,  p.  315. 


L!\  RE  CIXQIIKME.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIÉGE.  105 
le  roi  fut  invité  à  comparaître  en  personne  ou  à  envoyer  quel- 
qu'un pour  le  défendre'.  Le  nonce  Jacques  de  A'ormand  fut 
chargé  de  porter  en  France  une  bulle  destinée  à  Philippe  le  lîel, 
où  Boniface  proclamait  la  supériorité  du  saint-siége  sur 
les  rois. 

Il  est  important  de  préciser  en  quoi  consistait  cette  supério- 
rité que  revendiquait  Boniface  dans  la  Inille  Ausculta  Jili.  Il  ne 
prétendait  pas  réunir  le  pouvoir  spirituel  et  le  pouvoir  tem- 
porel :  non,  il  le  déclara  lui-même  dans  un  consistoire,  au 
mois  de  juillet  1302.  «  Nous  savons,  dit-il,  qu'il  y  a  deux 
pouvoirs  établis  par  Dieu;  nous  ne  sommes  pas  assez  dépourvu 
de  raison  et  assez  insensé  pour  croire  le  contraire  "  »  ;  mais 
il  soutenait  que  le  pouvoir  spirituel  était  supérieur  au  pouvoir 
temporel.  Cette  doctrine  fut  de  nouveau  développée  par  le  car- 
dinal d'.Acquasparta  et  dans  une  lettre  écrite  par  l'ordre  de 
Citeaux  \  i-  Il  y  a  deux  juridictions,  la  spirituelle  et  la  tcnipo- 
«  relie  ;  l'une  donnée  par  Dieu  à  saint  Pierre,  l'autre  qui 
;)  appartient  à  l'empereur  et  aux  rois.  Toutefois  la  juridiction 
•5  spirituelle  s'étend  sur  le  temporel,  car  le  pape  a  le  droit  de 
îî  connaître  de  toutes  les  actions  humaines  en  raison  du  péché.  « 
En  un  mot,  les  rois  n'étaient  que  de  simples  chrétiens,  dont 
les  fautes  étaient  des  péchés,  pour  lesquels  ils  devenaient  jus- 
ticiables de  l'Eglise.  Cette  doctrine  menait,  de  déduction  en 
déduction,  au  droit  de  déposer  les  rois;  mais  ce  droit  était 
tellement  exorbitant  que  les  souverains  pontifes  n'osèrent 
jamais  l'inscrire  dans  les  canons  des  conciles  ni  dans  les 
constitutions  apostoliques. 

La  bulle  Ausculta  Jili  n'était  pas  explicite  à  cet  égard.  Dieu, 
disait  Boniface,  avec  les  paroles  de  Jérémie,  Dieu,  en  nous 
imposant  le  joug  de  la  servitude  apostolique,  nous  a  établi 
au-dessus  des  rois  et  des  empires,  pour  arracher,  détruire, 
anéantir,  dissiper,  bâtir  et  planter  en  son  nom  ;  très-cher  fils, 
ne   te  laisse  pas  persuader  que  tu   n'es   pas  soumis  au  chef 

*  Bulle  Salvator  rmtndi.  Baillet,  Preuves ,  p.  42  (,3  décembre  1301). 

2  £  Scimiis  quod  diiae  sunt  potcsfatcs  ordiiiatae  a  Deo...  qiiis  cr;;o  drl)ef 
crederc  quod  fanta  fatuitas,  tanta  insipicntia  fucrit  in  capite  noslro.  -r^  Diipuy, 
p.  76. 

•^  Ken  yn,  p.  13. 


106  LA  FRA.VCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BKL. 

suprême  de  l'église,  car  une  toile  opinion  snrait  folie  ';  il 
accusait  ensuite  le  roi  de  tyranniser  ses  sujets,  d'opprimer 
ri'^'llise,  de  scandaliser  les  grands,  c-  11  l'avait  souvent  averti 
«  de  se  corriger  et  de  mieux  «jouverner  son  royaume  :  il 
;)  dépouille  les  églises  sous  prétexte  de  la  l'égale;  il  fait  de 
15  mauvaise  monnaie.  Qu'il  ne  rejette  pas  sa  faute  sur  ses  con- 
ij  seillers,  car  on  lui  a  ouvert  les  yeux  et  il  les  garde  :  qu'il 
n  les  cliasse  au  plus  tôt.  «  Il  l'invitait,  en  terminant,  à  tourner 
ses  regards  sur  le  niisérahle  étal  de  la  terre  sainte,  et  à  se  pré- 
parer à  la  croisade".  Une  autre  bulle,  Secundum  divina, 
enjoignait  à  Philippe  de  mettre  Saisset  en  liberté  et  de  le  lais- 
ser venir  à  Rome'.  Le  roi  le  fit  chasser  de  France  et  se  mit 
en  mesure  d'obtenir  une  grande  manifestation  en  sa  faveur, 
contre  les  prétentions  de  Boniface,  en  convoquant  les  premiers 
états  généraux. 

En  agissant  ainsi,  Philippe  défendait  sa  couronne  :  son  droit 
était  évident,  il  n'avait  qu'à  le  revendiquer  et  à  l'exercer  avec 
dignité.  Sa  cause  était  belle;  il  eut  le  malheur  de  la  souiller 
par  le  mensonge  et  par  la  violence,  en  suivant  sans  doute  en 
cela  les  conseils  des  légistes  qui  l'entouraient.  On  répandit 
dans  le  public  une  bulle  commençant  ainsi  : 

«  lloniface  à  Philippe,  roi  de  France  :  Craignez  Dieu  et  obser- 
vez ses  commandements. 

n  Apprenez  que  vous  nous  êtes  soumis  au  spirituel  et  au 
tempoiel,  etc.  ^ .  t> 

Boniface  nia  énergiquemont  être  l'auteur  de  cette  bulle,  et 
son  assertion  fut  confiruiée  par  les  cardinaux  :  le  faux  est  évi- 
dent. Ou  publia  une  prétendue  réponse  d'une  inqualifiable 
insolence  : 

'  Dijpiiy,  p.  9S. 

-  {'artiil.  170,  fol.  32,  (lôcoml)rc  130J.  Boniface  adinoiipstait  vrricmcnt 
le  roi  :  a  no  in  anica  ad  siiiiilia,  por  te,  vcl  tuos,  occnpalricrs  manns  pxicndas  »  ; 
it  le  menaçait  de  l'excommunication. 

•^  V^oy^z  les  raisons  insiifiisantes  alléjjnées  par  Eailiet  pour  essayer  de 
prouver  raullicniicité  de  celle  bulle,  Démêlez,  p.  126.  —  Contre  i'aiillien- 
iicité,  conf.  ilarca,  De  concordia,  t.  IV',  cap.  xii.  Celle  pièce  est  trop  con- 
traire aux  usages  de  la  cliancellerie  romaine  pour  être  vraie;  la  plus  ancienne 
mention  qu'on  en  connaisse  es!  dans  une  réponse  de  Dubois,  le  pamjîblêlairc 
a::A  gages  de  Philippe  le  Bel. 


LIVRK  CrXQtlEAlE.  —  LE  ROÎ  ET  LE  SAIXT-Sli'GE.  !t)T 

u  Philippe,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  de  France,  à  Boniface, 
prélendii  pape,  peu  ou  point  de  salut  : 

«  Sache  fa  très-grande  sottise,  que  nous  ne  sommes  soumis 
à  personne  au  temporel,  etc.'.  » 

Ce  fut  avec  ces  moyens  que  réprime  la  morale  que  Ton  agit 
sur  l'opinion  publique.  Le  dimanche  après  la  Chandeleur 
(février  1302),  le  roi  fit  brûler  solennellement  la  bulle  Aus- 
culta Jili.  J'ai  raconté  ce  qui  se  passa  aux  états  du  10  avril. 

La  défaite  de  l'armée  française  à  Courtrai,  au  mois  de  juillet, 
donna  de  l'assurance  à  Boniface  sans  abattre  Philippe.  Au 
mois  de  décembre,  Philippe  envoya  à  Rome  l'évêque  d'Auxerre 
signifier  à  Boniface  que,  de  concert  avec  le  roi  d'Angleterre, 
il  avait  renoncé  à  son  arbitrage;  l'ambassadeur  avait  ordre  de 
révoquer  publiquement  les  pleins  pouvoirs  donnés  jadis  à 
Boniface  VIII,  si  le  pape  continuait  à  s'occuper  de  cette  allaire. 
Le  roi  fit  accompagner  l'évêque  d'Auxerre  par  le  comte  de 
Saint-Pol,  le  sire  d'Harcourt  et  Mouchet,  pour  lui  prêter  main- 
forte  au  besoin'.  Peut-être  Philippe  méditait  déjà  quelque  vio- 
lence :  ce  qui  le  ferait  croire,  c'est  que  ce  fut  dans  le  château 
de'Staggia,  appartenant  à  Mouchet,  que  fut  organisée  l'expé- 
dition dirigée  contre  Boniface  VIII  à  Anagni. 

Publiquement,  Philippe  était  plein  de  déférence  envers  le 
pape^.  Sur  ces  entrefaites  arrivèrent  de  graves  nouvelles  de 
Rome. 

Le  concile  convoque  par  Boniface  s'était  réuni  le  jour  de  la 
Toussaint  1302;  plusieurs  prélats  français  ayant  répondu  à 
l'appel  du  pape,  malgré  les  défenses  du  roi  \  Philippe  fit  sai- 
sir leur  tcmporeP,  et  un  décret  rendu  le  18  novembre,  sans 

*  Cette  biillc  ifest  pas  plus  aiitlicntiquc  que  la  précédente. 

~  CartuL  170,  fol.  27  v".  —  Notices  et  extraits ,  n°  xvi. 

■i  Gurlul.  170,  loi.  2S. 

'^  Rej(.  XXVI  ilu  Trésor  des  chartes ,  n"  61. 

•T  ilandciiicnf  du  roi  ordonnant  de  saisir  les  biens  des  clercs  absents  dn 
royaume.  Rcg.  XXXVI  du  Trésor  des  chartes,  n"  34. 

Les  biens  ainsi  mis  sous  séquestre  furent  administrés  par  ordre  dn  roi 
comme  biens  tombés  en  ré^jalo.  Voyez,  pour  ce  qui  se  passa  à  Xîmcs,  Gallia 
christiana,  t.  VI,  p.  448.  C'est  donc  bien  à  (ort  que  M.  Rabanis,  dans  son 
ouvrage  intilnlé  Clément  V  et  PhiîipjJC  le  Bel,  afflrnic  (p.  SO)  que  les  pré- 
lats qui  se  rendirent  à  Home  ne  furent  pas  inquiétés. 


108  LA  l'RAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

doute  d'après  l'avis  du  concile,   consacra  la  doctrine  de  la 

supériorité  des  papes. 

«  Il  y  a  deux  glaives  :  le  spirituel  et  le  temporel;  tous  deux 
sont  dans  la  main  de  l'Eglise;  mais  l'un  est  tenu  par  l'Eglise 
elle-même,  l'autre  par  les  rois,  sed  ad  xltl'm  et  patiextiam 
SACERDOTis.  Toutc  Créature  humaine  est  soumise  au  pontife 
lomain,  et  cette  croyance  est  nécessaire  au  salut  '.  •« 

IJoniface  enjoignit  aux  prélats  français  qui  n'avaient  pas 
assisté  au  concile,  de  se  rendre  à  Rome  sous  trois  mois".  Phi- 
lippe défondit  à  ces  mêmes  prélats  de  sortir  du  royaume,  et 
fit  garder  les  passages  qui  donnaient  accès  en  Allemagne  et  en 
Italie'.  Le  cardinal  de  Saint-Marcellin  (légat  du  saint-siége) 
convoqua  un  concile  en  France,  à  l'insu  du  roi*.  Boniface 
récapitula  tous  les  griefs  qu'il  avait  contre  Philippe  et  le  somma 
de  se  disculper.  Il  l'accusait  entre  autres  choses  de  fahriquer 
de  fausse  monnaie  et  d'avoir  fait  hrùler  la  huile  Ausculta  JiJi. 
La  réponse  de  Philippe  fut  conciliante  et  modérée.  Il  expri- 
mait le  désir  de  maintenir,  à  l'imitation  de  ses  ancêtres,  l'union 
entre  la  France  et  le  saint-siége.  Il  finissait  en  conjurant  Boni- 
face  de  ne  pas  le  trouhler  dans  l'exercice  légitime  de  ses 
droits  :  il  offrait  de  s'en  rapporter  à  la  décision  du  duc  de 
Bretagne  ou  du  duc  de  Bourgogne,  qui  lui  étaient  particulière- 
ment agréahles  ^  Le  pape  déclara  cette  réponse  insuffisante, 
et  s'en  plaignit  amèrement  à  l'évêque  d'Auxerre  et  au  frère  du 
roi,  (Charles  de  Valois,  qui  avait  résidé  près  de  deux  années 
en  Italie  avec  le  titre  de  défenseur  du  saint-siége,  et  que  Phi- 
lippe venait  de  rappeler. 

Le  12  mars  se  tint  au  Louvre,  en  présence  du  roi,  une 
grande  assemblée  de  barons,  de  prélats  et  de  légistes. 

Guillaume  de  Plasian  lut  un  écrit  où  étaient  accumulés  les 
chefs  d'accusation  contre  Boniface  : 

et  II  est  hérétique;  il  ne  croit  pas  a  rimmorlalilé  de  l'âme  ni 

'  Diipiiy,  Preuves  du  différend ,  p.  5V.  Diipiiy  ;i  (la(é  à  lort  ce  décret  de 
l'an  1301. 

2  Diipiiy,  p.  89. 

3  Rp;j.  XWVI  du  Trésor  des  chartes ,  n°  34.  —  Dnpuy,  p.  86. 
*   Diipiiy,  p.  S9. 

j  Diipiiy,  p.  91. 


LIVRE  CIXQLIK.ME.  —  LE  I50I  ET  LE  S.\1\T-SIÉGE.         109 

à  la  vie  êlernellc  :  il  a  dit  qu'il  aimerait  mieux  être  chien  que 
Français;  il  ne  croit  pas  à  la  présence  réelle  dans  l'eucharistie; 
il  prétend  que  la  fornication  n'est  pas  un  péché.  Il  a  approuvé 
un  livre  d'Arnaud  de  Villeneuve,  lequel  livre  a  été  censuré  et 
brûlé;  il  s'est  fait  élever  des  statues  dans  les  églises  pour  se 
faire  adorer;  il  a  un  démon  familier  qui  le  conseille;  il  con- 
sulte les  devins;  il  a  |)rêché  publi(|uement  que  le  pape  ne  peut 
commettre  de  simonie;  il  fait  trafic  des  bénéfices;  il  veut 
mettre  la  guerre  partout;  il  a  dit  (pie  les  Français  sont  des 
Patarins  (hérétiques  cathares).  Il  est  sodomite;  il  a  commandé 
des  meurtres;  il  a  forcé  des  prêtres  à  révéler  les  confessions; 
il  a  nourri  une  haine  cruelle  contre  le  roi  de  France;  on  l'a 
entendu  dire,  avant  d'être  pape,  que  s'il  le  devenait,  il  ruine- 
rait la  chrétienté  ou  il  détruirait  la  fierté  française;  il  a  empê- 
ché la  paix  entre  la  France  et  l'Angleterre;  il  a  pressé  le  roi 
de  Sicile  de  faire  mourir  tous  les  Français';  il  a  confirmé  le 
roi  d'Allemagne  à  condition  de  réduire  la  superbe  des  Français 
{siipobiam  Gallicanatu),  qui,  prétendait-il,  se  vantaient  de  ne 
pas  reconnaître  de  supérieur  au  temporel  :  en  quoi  ils  men- 
taient par  la  gorge;  que  si  un  ange  lui  disait  que  la  France  ne 
lui  est  pas  soumise,  à  lui  et  à  l'empereur,  il  lui  crierait  ana- 
thème;  il  a  causé  la  ruine  de  la  terre  sainte,  ayant  pris  tout 
l'argent  qui  y  était  destiné,  pour  le  donner  à  ses  parents,  dont 
il  a  fait  des  marquis,  des  comtes  et  des  barons,  et  auxquels  il 
a  fait  bâtir  des  châteaux;  il  a  expulsé  la  noblesse  de  Rome;  il 
il  a  rompu  des  mariages;  il  a  créé  cardinal  un  de  ses  neveux, 
qui  n'est  qu'un  ignorant  et  qui  était  marié,  et  a  forcé  sa  femme 
à  prendre  le  voile  dans  un  couvent;  il  a  fait  périr  en  prison 
Célestin,  son  prédécesseur*.  ;) 

Le  13  avril,  Boniface  déclara  Philippe  excommunié,  s'il 
persistait  à  ne  pas  se  soumettre  à  ce  que  le  saint-siége  exigeait; 
il  chargea  Nicolas  de  Bienfaite,  archidiacre  de  Coutances,  de 
porter  au  cardinal  de  Saint-Marcellin  la  bulle  qui  retranchait 
le  roi  de  la  communion  de  l'Eglise^;  mais  le  roi,  averti  de  la 


^  Allusion  aux  Vêpres  siciliennes. 

2  Dupuy,  p.  101. 

•^  Bulle  Ver  processus.  Dupuy,  p.  98. 


110  LA  FRAXCK  SOLS  PHILIPPK  LK  l!i:i>. 

mission  de  raicliidiacro,  lo  fît  ainMcr  à  Troyos  ot  jclor  en  pri- 
son; on  lui  enleva  la  huile,  (]r.i,  du  reste,  ne  devait  être  ful- 
minée qu'au  cas  où  Philippe  resterait  sourd  à  un  dernier 
appel.  En  vain  le  légat  protesta;  on  ne  l'écouta  pas.  On  mit 
sous  séquestre  les  biens  des  prélats  absents  du  royaume;  il 
comprit  qu'il  se  compromettait  inutilement  en  restant  plus 
longtemps,  et  il  quitta  la  France  '. 

Le  31  mai,  Roniface,  qui  avait  pardonne  à  Albert  d'Au- 
triche et  l'avait  reconnu  comme  roi  des  Romains,  lança  une 
bulle  où  il  ordonnait  aux  nobles,  aux  Eglises  et  aux  communes 
des  métropoles  de  Lyon,  de  Tarentaise,  d'Embrun,  de  Besan- 
çon, d'Aix,  d'Arles  et  de  Vienne,  de  la  Bourgogne,  de  la  Lor- 
raine, du  Barrois,  du  Dauphiné,  de  la  Provence,  du  comté 
de  Forcalquier  et  de  Li  principauté  d'Oranges,  du  royaume 
d'Arles,  provinces  qui  relevaient  de  l'Empire,  de  rompre  les 
liens  de  vassalité  et  d'obéissance  qu'ils  avaient  pu  contracter 
au  détriment  de  l'empereur,  et  les  déliait  des  serments  de 
fidélité  qu'ils  avaient  pu  prêter,  (l'était  en  quelque  sorte  dé- 
membrer la  France  que  de  faire  revivre  ces  prélentions  suran- 
nées :  le  coup  était  dirigé  contre  Philippe  le  Bel,  mais  il  ne 
l'atteignit  pas  *. 

Le  10  juin,  une  grande  assemblée  fut  réunie  au  Louvre  en 
présence  du  roi.  Les  comtes  d'Evreux,  de  Saint-Pol  et  de 
Dreux,  et  Guillaume  de  Plasian  demandèrent  que  l'Eglise  fût 
gouvernée  par  un  pape  légitime.  Tous  les  crimes,  toutes  les 
infamies  furent  de  nouveau  imputés  à  Bouiface.  Le  roi  fut 
supplié,  en  qualité  de  défenseur  de  la  foi,  de  travailler  à  la 
convocation  d'un  concile  général  :  il  y  consentit^. 

Le  24f  juin,  jour  de  la  Nativité  de  saint  Jean,  il  y  eut  une 
grande  réunion  de  peuple  dans  le  jardin  du  Palais  ;  maître 
Bertaud  de  Saint-Denis  fit  un  sermon  en  français ,  et  prit  pour 
texte  ces  paroles  de  saint  Luc  :  «  Il  sera  grand  devant  le  Sei- 
gneur» (Luc,  I,  15),  paroles  qu'il  appliqua  d'abord  à  saint  Jean, 
puis  au  roi  de  France.  Après  le  sermon ,  on  donna  lecture  des 

1  Vnypz  la  bulle  Pctri  solio  cxcelso.  Dupiiy,  p.  181. 
""-  Bulle  Jitxla  i-erhum  jiropheticum.  Carlul.    170,   fol.  38  v".  Xotices  et 
extraits,  n"  xvii. 

3  Dupuy,  p.  100  et  101. 


LIVUE  CiXQLIÈMIv  —  LE  ROI  ET  LE  SALVT-SIÉGE.  lii 

chefs  d'accusation  contre  Boniface,  et  on  publia  l'appel  fait  par 
le  roi  au  futur  concile  '. 

J'ai  fait  connaître  de  (juclle  manière  les  adhésions  à  l'appel 
au  futur  concile  furent  recueillies  par  les  agents  du  roi  :  on 
employa  la  violence  et  l'intimidation  pour  les  obtenir.  Les  reli- 
gieux étrangers  qui  osèrent  résister  furent  bannis  du  royaume^. 
L'abbé  de  Citeaux,  qui  refusa  d'adhérer,  fut  arrêté  par  ordre 
du  roi,  et  résigna  ses  fonctions  pour  ne  pas  exposer  son  ordre 
à  la  colère  du  roi  ^ . 

Les  historiens,  même  ceux  qui  sont  favorables  à  Boniface  VIII, 
racontent  que,  le  jeudi  8  septembre,  le  pape  devait  publier  une 
bulle  par  laquelle  il  déposait  le  roi.  Cette  bulle  nous  est  par- 
venue ;  ellene  renferme  rien  de  pareil.  Boniface  y  prononçait 
contre  Philippe  l'excommunication  qu'il  avait  encourue ,  ce  qui 
était  bien  différent  d'une  déposition.  La  bulle  Pétri solio  cxceho 
ne  laisse  aucun  doute  à  cet  égard.  Elle  débute  par  la  promesse 
faite  par  Dieu  à  son  Fils  et  à  ses  vicaires  assis  sur  le  trùne  de 
saint  Pierre  :  t;  Tu  es  mon  Fils,  et  je  t'ai  engendré  :  demande- 
moi  et  je  te  donnerai  les  peuples  qui  sont  ton  héritage,  et 
l'univers  entier,  qui  est  ton  bien.  Tu  les  gouverneras  avec  une 
verge  de  fer  et  tu  les  briseras  comme  le  vase  du  potier.  "  Cette 
puissance,  Boniface  ne  veut  l'exercer  que  pour  diriger  le  roi 
dans  la  voie  du  salut  :  il  lui  dénonce  les  peines  qu'il  a  méritées. 
Il  a  d'abord  employé  les  doux  remèdes,  qui  n'ont  fait  qu'ac- 
croître sa  superbe  :  il  se  montrera  plus  sévère,  pour  voir  si  les 
atteintes  d'un  châtiment  léger  ne  lui  conseilleront  pas  de  se 

1  Joli,  a  Sancto  Victore,  Hist.  de  France,  t.  XXI,  p.  611. 

-  Annales  Colmar.,  an  1302.  Voyez  aussi  la  bulle  Fetri  solio.  Dupuj/, 
p.  184. 

•^  Contiii.  chron.  Guillclnii  de  Frachcto ,  Hist.  de  France,  t.  XXI,  p.  25. 
II  s'appelait  Jean  de  Poutoise  :  il  fut  remplace  par  l'abbé  de  Jouj .  On  a 
beaucoup  accusé  la  bonne  foi  de  Philippe  le  l]el,  parce  que  Dupuy  a  préfendu 
que  l'abbé  de  Cîteaux  avait  adhéré  et  qu'il  a  pubhé  un  acte  qui  le  constatait. 
On  s'est  trompé  :  l'abbé  de  Cîteaux  paraît  en  effet  parmi  les  membres  de  la 
grande  assemblée  du  13  juin  où  fut  résolu  l'appel,  mais  il  n'est  pas  dit  qu'il 
adhéra,  et  l'acte  n'est  pas  muni  de  son  sceau.  Le  refus  d'adhésion  n'est  pas 
exprimé,  il  est  vrai,  mais  on  ne  peut  accuser  Philippe  d'avoir  supposé  l'adhé- 
sion et  surtout  d'avoir  produit  un  acte  falsifié.  Pour  ces  accusations,  voyez 
Kervyn,  p.  85. 


112  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  DEL. 

corriger,  h  l'cxpruplo  do  Xalmcliodonosor  ;  si,  au  contraire, 
il  s'endurcit,  iju'il  soit  plongé  avec  Pharaon  dans  nn  abiine 
de  maux. 

Suit  une  longue  récapitulation  de  griefs  :  il  a  empêché  les 
ccclésiasti(|ues  français  de  se  rendre  auprès  du  sainl-siége  ;  il 
a  outragé  un  cardinal  qui  allait  de  sa  part  lui  oilïir  l'absolution, 
et  l'a  fait  surveiller;  il  a  voulu  rompre  l'unité  de  l'Eglise  et 
porté  la  main  sur  l'ahhé  de  Cîteaux  et  sur  d'autres  religieux 
dévoués  au  chef  de  l'Eglise  ;  il  a  fait  jeter  en  prison  Etienne 
de  Bienfaite,  porteur  de  lettres  du  pape;  il  a  donné  asile  aux 
Colonna,  malgré  les  sentences  pontificales.  Il  se  voit,  lui, 
Bonifacc,  obligé  de  sévir  par  un  juste  jugement. 

Dans  tout  ceci,  il  n'est  pas  question  de  déposition  ni  du 
droit  des  papes  de  déposer  les  rois.  Xous  avons  vu  que  la  bulle 
AuscuUa  fili ,  la  constitution  Unmn  snnctam,  les  discours  des 
plus  ardents  soutiens  du  j)ouvoir  pontifical,  n'avaient  pas  pro- 
clamé l'existence  de  ce  dioit.  Qu'il  me  soit  permis  de  recher- 
cher brièvement  si  avant  Bonifacc  \\\\  ce  droit  avait  été  exercé. 
Immédiatement  se  présente  k  l'esjjrit  la  déposition  de  l'empe- 
reur Frédéric  II  par  Innocent  IV',  et  celle  de  don  Pèdre  d'Ara- 
gon par  Martin  I\  ,  ainsi  rpie  la  translation  de  la  coui'onne  de 
Xaples  à  la  maison  d'Anjou  par  Clément  IV.  La  (juestion  semble 
résolue  par  ces  faits,  qui  sont  attestés  par  des  actes  d'une  sin- 
cérité incontestable;  mais  il  me  semble  qu'on  n'a  pas  suffi- 
samment examiné  les  motifs  qui  dirigèrent  ou  du  moins  qui 
furent  invoqués  par  les  trois  papes  que  je  viens  de  nommer. 
Ont-ils  agi  uniquement  en  (|ualité  de  papes  et  comme  revêtus 
delà  puissance  spirituelle?  Je  répondrai  que  non.  ils  étaient, 
vis-à-vis  de  Manfred  et  de  don  Pèdre,  dans  une  position 
toute  particulière  :  la  Sicile  et  l'Aragon  étaient  des  fîefs  du 
saint-siége;  c'est  comme  seigneurs  suzerains  et  non  comme 
souverains  pontifes,  et  pour  cause  de  trahison  de  la  part 
de  leurs  vassaux,  que  Clément  IV  donna  le  trône  de  Sicile 
à  Charles  d'Anjou  ,  et  Alartiu  IV  celui  d'Aragon  à  Charles 
de  Valois  :  c'étaient  là  des  actes  purement  temporels,  pure- 
ment féodaux. 

Quant  à  Frédéric  II,  ou  n'ignore  pas  quels  étroits  rapports 
unissaient  depuis  Charlemagnc  la  papauté  et  l'empire.  Ces  deux 


LlVRi:  CIXQLIK.ME.  —  LE  ROI  ET  LE  S.^LVT-SIÉGE.  113 
puissances  revendiquaient  mutuellement  une  autorité  l'une  sur 
raufre.  L'empereur  reconnaissait  toutefois  une  sorte  de  supré- 
matie de  la  part  du  pape;  il  ne  pouvait  porter  le  titre  d'empe- 
reur qu'après  avoir  été  sacré  par  le  pontife  romain.  Aucun  pape 
n'avait  jamais  élevé  pareille  prétention  sur  un  roi  de  Fnnice  ; 
aussi  lit-on  avec  élonnement  le  discours  que  Boniface  tint  dans 
un  consistoire  au  mois  de  juillet  1302.  11  dit  que  si  Philippe  ne 
laissait  les  prélats  français  aller  à  Rome,  il  le  déposerait  comme 
un  petit  garçon,  et  que  ses  prédécesseurs  avaient  déj;ï  déposé 
trois  rois  de  France;  ce  qui  était  faux.  Mais  ce  discours  n'est 
rien  moins  (ju'autlientique  ;  il  ne  nous  est  parvenu  que  dans  un 
manuscrit  du  quinzième  siècle,  et  il  a  pu  n'être  pas  fidèle- 
ment recueilli.  Ce  document  est  d'autant  plus  suspect  qu'on  y 
trouve  une  appréciation  entièrement  erronée  des  revenus  du 
roi  de  France,  et  d'autres  erreurs  qu'on  ne  peut  attribuer  à 
Boniface  VIII. 

La  publication  de  la  bulle  Pétri  solio  cxccho,  en  excommu- 
niant Philippe,  le  plaçait  dans  la  situation  où  s'étaient  trouvés 
avant  lui  le  roi  Robert,  Philippe  I"  et  surtout  Philippe-Auguste. 
Sur  ce  point,  Boniface  VIII  n'innovait  rien.  Quant  aux  deux 
glaives,  auxquels  il  est  si  souvent  fait  allusion  sous  ce  pon- 
tificat, ils  sont  souvent  invoqués  dans  les  lettres  d'Innocent  IV, 
de  Grégoire  IX  et  d'Innocent  V.  Qui  plus  est,  les  prédécesseurs 
de  Boniface  VIII  prétendirent  plus  ouvertement  que  lui  à  la 
suprématie  temporelle. 

Grégoire  IX  n'écrivait-il  pas  à  Frédéric  II  :  «  C'est  un  fait 
notoire  et  manifeste  que  Constantin,  qui  possédait  la  monarchie 
universelle,  a  voulu,  du  consentement  du  peuple  de  Rome  et 
de  l'empire  romain  tout  entier,  que  le  vicaire  du  prince  des 
apôtres,  qui  avait  l'empire  du  sacerdoce  et  des  âmes  dans  le 
monde  entier,  eût  aussi  le  gouvernement  des  choses  et  des 
corps  dans  tout  l'univers,  persuadé  que  celui-là  devait  régir 
les  choses  terrestres,  à  qui  Dieu  avait  confié  sur  la  terre  le 
soin  des  choses  célestes....  Tu  oublies  que  les  prêtres  du  Christ 
sont  les  pères  et  les  maîtres  de  tous  les  rois  et  de  tous  les 
princes  chrétiens....  D'où  te  vient  cette  audace  de  juger  les 
décisions  de  notre  conscience,  dont  le  seul  juge  est  au  ciel, 
quand  tu  vois  les  têtes  des  rois  et  des  princes  se  courber  aux 

8 


114  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

genoux    dos   prèlrcs  '  ?  »    Jamais    IJonifaco  VIII    n'alla    aussi 

loin,  ni;iis   il   commit   une  faute  grave  :   il  réduisit  en  doc- 

trino  diins  la  constitution  Unom  sanctam  les  prctcntions  que 

SCS  jMcdécesscurs  s'étaient  contentés  de  formuler  d'une  manière 

spéciale. 

Il  eut  lin  autre  tort,  et  c'est  celui  qui  lui  attira  sans  retour 
r  l'inimilié  d(>  Philippe  le  Bel  ;  il  convoqua  le  concile  de  Latran 

pour  réformer  le  gouvernement  du  roi  de  France.  Les  rois 
avaient  bien  pu  accepter  avec  soumission  des  conseils  j)aternels 
donnés  dans  le  secret  de  la  corres[)ondance  ;  mais  il  leur  était 
impossible  de  tolérer  (ju'un  ])ape  les  mît  solennellement  en 
cause,  et  instruisît  pul)li(juenient  leur  procès,  quand  on  n'a- 
vait pas  à  leur  reprocher  de  fautes  contre  la  foi.  La  convo- 
cation du  concile  de  Latran  et  la  promulgation  de  la  bulle 
Unam  sanctam  furent  de  la  part  de  Boniface  VIII  des  actes 
d'une  grande  im[)rudence,  qui  le  précipitèrent  à  sa  perte, 
et  dont  c  mauvais  succès,  loin  d'augmenter  la  puissance 
temporelle  du  saint-siège,  l'affaiblit  et  réduisit,  par  suite  d'une 
réaction  inévitable,  la  papauté  à  la  soumission  de  Benoît  XI 
et  de  Clément  V. 

On  sait  comment,  au  mépris  du  droit  des  gens,  Boniface  \III 
fut  arrêté  dans  Anagni,  la  veille  même  du  jour  où  l'excommu- 
nication du  roi  de  France  allait  être  affichée  publiquement. 
Quelle  part  Philippe  le  Bel  eut-il  à  cet  événement?  C'est  un 
point  qui  n'a  pas  été  encore  examiné  et  que  je  vais  essayer 
d'éclaircir.  Le  récit  de  la  captivité  de  Boniface  VIII  générale- 
ment répandu  ne  me  paraît  pas  puisé  à  des  sources  entière- 
ment dignes  de  foi'.  11  repose  en  partie  sur  Jean  Villani,  qui 
écrivait  au  milieu  du  quatorzième  siècle  \  et  qui  a  été  souvent 

'  Lettre  du  ^'o  octobre  1236.  Hiiillard-Drcliollcs,  hiiroditction  à  l histoire 
(liplo)natiquc  de  Frédéric  II ,  p.  cdxw. 

-  Diipuy,  p.  21.  liaillct,  p.  277  cl  suii.  Baillot  est  iiifinimrnt  plus  com- 
plet (pic  Dupny  :  il  fait  d'ailleurs  preuve  de  critique;  cependant  il  s'est  trop 
servi  d'historiens  (pii,  ayant  vécu  beaucoup  plus  tard,  ne  pouvaient  donner 
des  informations  assez  exactes.  II.  l'abbé  Christophe,  quoique  ayant  puisé  ù 
des  sources  plus  nombreuses  que  ses  devanciers ,  n'apporte  aucun  fait  nou- 
veau. Histoire  de  la  prijxiiifé  ait  quatorzième  siècle ,  t.  I,  p.  145  et  suiv. 

^  Villani,  I.  \II1,  cliap.  i,\iii,  apud  Miiratori ,  Scriptores  hist.  ital., 
t.  XIII. 


LIVllE  CIXQLIiaiE.  —  LK  IJOI  ET  LE  SAIXT-SÎÉGE.  115 
convaincu  (rcrreur,  et  sur  rAnjjlais  Ualsingham,  historien 
encore  plus  récent  '. 

On  n'a  pas  tiré  parti  de  la  confession  de  JVofjaret  et  du  récit 
d'un  des  principaux  conjurés,  Rinaldo  de  Supino^. 

\ogaret  raconte  que  le  roi  l'avait  envoyé  à  la  cour  de  Rome 
signifier  au  pape  l'appel  au  futur  concile,  et  le  sommer  de 
réunir  ce  concile;  mais  le  pape,  qui  ne  se  sentait  pas  en  sûreté 
à  Rome,  au  milieu  d'une  population  qui  lui  était  hostile,  se 
retira  dans  sa  ville  natale,  à  Anagni.  Xogaret  n'osa  l'y  rejoin- 
dre ;  ayant  appris  qu'il  allait  lancer  Texcommunication  contre 
le  roi,  il  voulut  le  prévenir  et  résolut  d'employer  la  force.  Il 
s'était  adressé  au  roi  de  Naples  ;  mais  il  parait  ne  l'avoir  pas 
trouvé  favorable  à  ses  projets  de  violence;  il  proposa  ensuite 
aux  Romains  de  lui  prêter  main-forte  pour  défendre  l'Église 
opprimée  par  un  usurpateur,  un  hérétique  et  un  tyran".  Les 
Romains  n'osèrent  pas  lui  donner  leur  appui  par  peur  du  pape: 
il  se  tourna  enfin  vers  les  gibelins  de  la  Romagne,  et  s'aboucha 
avec  Rinaldo  de  Supino,  ennemi  mortel  de  Roniface,  capitaine 
de  la  ville  de  Ferento,  et  lui  proposa  de  l'accompagner  à 
Anagni,  pour  contraindre  Roniface  à  la  réunion  d'un  concile. 

Le  projet  plut  à  Rinaldo  et  à  ses  amis;  mais  ils  ne  voulurent 
pas  s'engager  sans  obtenir  une  promesse  formelle  d'être  mis  à 
l'abri,  parle  roi  de  France,  des  suites  spirituelles  et  temporelles 
de  leur  participation  à  une  attaque  contre  la  personne  du  pape. 
Xogaret  les  rassura  en  leur  faisant  lire  et  en  leur  donnant 
copie  authentique  du  plein  pouvoir  que  Philippe  lui  avait 
donné  de  traiter  et  conclure  des  alliances  en  son  nom,  s'enga- 

1  Thomas  Walsingham,  Historia  Angliœ ,  cité  par  Dupny,  p.  193. 

2  Boniface  l'avait  dépouillé  du  cliàlcau  de  Trévi  qu'il  tenait  en  fief.  Arcli. 
du  Vatican,  Miscellanea ,  capsula  73,  n"  3  (9  novembre  1298). 

3  tt  Requisitus  ergo  légitime  pluries  et  inslanter,  ut  in  ausilium  Eccicsie 
celeriter  assurgcrem,  scutuni  et  arma  non  cum  extrancis,  scd  Ecelcsiœ  romanœ 
fidelibus  et  devotis  in  cjusadjutorium  apprehcndi,  ut  dicto  Bonifocio  rcsislcrcm 
in  facie ,  ne  complerct  scandala  supradicfa,  ad  qua'  suo  doloso  proposito  pro- 
pcrabat  et  cetera.  Acccrsitis  crgo  baronibus  aliisquc  nobilibus  Cam])ania;,  qui 
iuc  ad  hoc  pro  dcfonsionc  Ecclcsi»  capitaneum  clegerunt  et  ducem,  pridie 
fcsli  Xativitatis  beatœ  ilaria;  Virginis  ingrcssus  sum  Anagniam,  cum  armata 
potentia  nobilium  predictornm,  nam  alias  non  poterain  ?iegotium  Christi 
complere.  '  Allegationes  excusaloria>  Gnillelmi  de  Xng;;reto  super  fado  Doiii- 
faciauo.  Dupuy,  p.  256. 

8. 


IIG  LA  KHWCK  SOLS  l'IIlLIl'I'E  LK  BEL. 

géant  à  ratifier  tous  les  engagements  qu'il  prendrait  :  c'était 
un  véritable  blanc-seing  '.  Nogaret  promit  donc  au  nom  du 
roi  ce  que  demanda  Kinaldo;  il  stipula  aussi  que  ses  nouveaux 
alliés  seraient  payés  de  leur  peine.  Mais  Rinaldo  avait  des 
scrupules.  Eu  vain  Xogaret  disait-il  agir  en  bon  catbolique  et 
ne  travailler  (pie  pour  le  bonheur  de  l'Mglise,  les  Italiens 
savaient  le  danger  qu'ils  couraient  en  atla(|uant  ouvertement 
un  pape.  Ils  exigèrent  (juc  Xogaret  marchât  le  premier  avec 
l'étendard  du  roi  de  France,  se  contentant  d'un  rôle  secondaire 
qui  laissait  à  Xogaret  et  à  Philippe  l'honneur  et  le  danger. 

Xogaret  dut  en  passer  par  ces  exigences,  quoi(pie  à  regret, 
car  cette  dernière  condition  dérangeait  ses  plans.  Cet  hypocrite 
jetait  les  yeux  sur  l'avenir  et  voulait  se  ménager  sinon  une 
excuse,  du  moins  un  |)rétexte.  Il  s'était  tracé  le  rôle  de  cham- 
pion de  la  Toi  et  de  défenseur  de  l'Eglise  :  or,  marcher  sous 
la  bannière  fleurdelisée,  c'était  agir  en  soldat  du  roi  de  France, 
c'était  se  dépouiller  de  l'impunité.  Il  sut  résoudre  cetle  diffi- 
culté. Il  avait  promis  de  marcher  sous  la  bannière  du  roi  de 
France,  mais  il  ne  s'était  |)as  interdit  de  déployer  aussi  l'éten- 
dard de  l'Eglise  romaine.  Ce  fut  donc  précédé  du  gonfanon  de 
saint  Pierre  ',  porté  par  honneur  avant  la  bannière  de  France, 
qu'il  pénétra  dans  rinagni,  dans  la  nuit  du  G  au  7.  Il  avait  avec 
lui  une  troupe  de  cavaliers  et  de  fantassins,  sous  les  ordres  de 
Rinaldo  et  de  Sciarra  Colonna,  auquel  le  désir  de  se  venger 
faisait  biaver  tous  les  périls.  Le  capitaine  de  la  ville  avait  été 
gagné.  La  petite  armée  trouva  les  portes  ouvertes  et  entra  en 
criant  :  Vive  le  roi  de  France!  Mort  au  pape  ^  ! 

Les  neveux  de  lîoniface  se  défendirent  :  on  fit  des  barricades; 
Xogaret  et  les  siens  durent  faire  la  guerre  des  rues;  ils  arrivè- 
rent ainsi,  après  une  série  de  combats,  devant  le  palais.  Pen- 
dant qu'une  partie  des  assaillants  cherchaient  a  enfoncer  les 
portes,  quelques-uns  mirent  le  feu  à  la  cathédrale,  (pii  avait 
une  communication  avec  la  demeure  du  pape,  et  j)énélrèrent 
dans  le  [)alais.  Tout  fut  perdu  dès  lors  pour  Ronilace.  Il  fut 
grand  dans  son  malheur  :  il  se  revêtit  des  ornemenls  sacerdotaux 

1  Diipuy,  p.  000. 

-  Aclo  (l'accusation  de  Xogaret.  Dupuy,  p.  441. 

^  Dupuy,  p.  250. 


LIVÎIK  GlXOlIiaiIÎ.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIM-SIÉGE.         117 

et  monta  sur  son  trône  '.  L'histoire  n'a  que  de  l'admiration 
pour  les  vieillards  romains  qui  attendirent  sur  leurs  chaises 
curules  l'arrivée  des  Gaulois  :  l'action  de  IJonilace  était  encore 
plus  digne  et  plus  grande. 

Xogaret  lui  signifia  l'appel  an  concile  et  le  somma  de  le 
convoquer,  lui  promettant  la  protection  du  roi.  Boniface  ne 
daigna  pas  lui  répondre.  Sciarra  Colonna  le  menaça  :  «Voici  mon 
cou,  voici  ma  tète  ;  "  telle  fut  la  réponse  deIJoniface,  (|ui  s'avança 
comme  pour  se  livrer.  Sciarra  voulut  le  frapper;  Xogaret  l'en 
empêcha.  Comme  il  voulait  s'en  faire  un  mérite  auprès  du  pape, 
il  s'attira  cette  méprisante  apostrophe  :  "  Je  me  console  de 
me  voir  poursuivi  par  des  palarins  pour  la  cause  de  l'Kglise.  •>■> 
Celait  une  sanglante  allusion  au  grand-père  de  Nogaret,  qui 
avait  été  brûlé  comme  hérétique  (en  langue  vulgaire  patarin). 

On  prétend  que  Colonna  le  frappa  de  son  gantelet  au  visage, 
qu'on  l'attacha  sur  un  àne,  la  tête  tournée  du  côté  de  la  queue, 
et  qu'on  le  promena  dans  Anagni  au  milieu  des  outrages;  mais 
ce  sont  là  des  récits  que  l'on  doit  rejeter  ^.  Il  parait  certain 
que  la  personne  de  IJonifacc  fut  respectée  ^  Nogaret  se  con- 
tenta de  le  tenir  comme  en  captivité  et  de  l'obséder  pour  le 
faire  consentir  à  la  réunion  d'un  concile.  Boniface  fut  inébran- 
lable. Xogaret  ne  savait  que  faire,  lorsqu'au  bout  de  trois  jours 
le  peuple  d'Anagni,  honteux  de  sa  trahison,  vint  réclamer 
Boniface  *.  Nogaret  fut  contraint  de  s'enfuir;  l'étendard  du 
roi  fut  traîné  dans  la  boue;  de  la  cavalerie  venue  de  Rome 
poursuivit  Nogaret,  (pii  trouva  un  refuge  à  Ferento  \ 

Boniface  revint  à  Rome",  où  il  mourut  quelques  jours  après. 

'  Tous  les  auteurs  sont  d'accord  sur  la  fermeté  de  Boniface.  (^onf.  Diipuy, 
p.  21.  Haillet,  p.  279  et  suiv. 

-  W'alsinjjliam ,  apud  Dupuy,  p.  19V. 

•^  Le  fait  est  affirnié  par  saint  Antonin,  archevêque  de  Florence,  t.  III,  lit.  X\, 
cap.  VIII.  Les  violences  (|ui  lurent  commises,  notanunent  le  pilla;]e  du  trésor 
pontifical,  doivent  surtout  être  attribuées  à  Colonna.  Voyez  le  mémoire 
adressé  à  Dcnoit  XI,  dans  Daluze,   l'itœ  paparum  Acenio/i.,  t.  I,  p.  15. 

^  Récit  de  A'ogaret.  Dupuy,  p.  2VS. 

^  Récit  de  Rinaido  de  Supino.  Dupuy,  p.  608. 

f»  Où  il  tomba  entre  les  mains  des  Orsini  (jui  le  tinrent  prisonnier  en  l'en- 
tourant de  démonstrations  de  respect  et  de  dévouement.  Rain.,  t.  IV^  p.  -335 
et  356.  Ferctti  de  licence,  apud  Muratori,  t.  VIII,  p.  1008.  Il  mourut  le 
11  octobre. 


118  LA  l-'K.WCE  SOIS  PHILIl'I'I';  LE  liKL. 

Ainsi  ]i(''iit  misôrahlomeiil,  après  un  règne  de  huit  ans  cl  dix 
mois,  Honiface  VIII,  laissant  la  imputation  d'un  ambitieux  qui 
avait  rcru  son  châtiment.  On  ne  saurait  nier  qu'il  n'aimât  à 
dominer.  Il  était  doué  d'une  àme  forte  et  peu  commune  :  l'ex- 
térieur de  sa  personne  révélait  ces  qualités.  Oiiaiid,  au  dix- 
septième  siècle,  on  déplaça  son  tombeau  en  reconstiuisant 
Saint-Pierre  de  Rome,  on  trouva  son  corps  dans  un  état  de 
conservation  parfaite  '.  Sa  taille  était  élevée,  son  front  large, 
ses  mains  belles;  son  visage  était  empreint  d'un  air  de  sévérité 
et  de  hauteur  '. 

Les  historiens  ecclésiastiques  eux-mêmes  ont  avoué  que  ce 
pape  avait  plutôt  les  qualités  d'un  roi  que  d'un  pontife  ^.  Et 
cependant  telle  était  l'autorité  de  la  papauté,  que  Philippe  n'osa 
l'attaquer  de  front.  L'élection  de  lioniface  VIII,  dn  vivant  de 
Célestin  Y  ,  avait  répandu  dans  beaucoup  d'esprits  des  doutes 
çur  la  valeur  de  cet  acte.  Philippe  profita  de  cette  circonstance 
pour  prétendre  que  Boniface  n'était  point  pape  :  ce  fut  l'indigne, 
l'intrus  qu'il  poursuivit.  Il  est  probable  qu'il  n'aurait  jamais  eu 
la  témérité  d'intenter  un  procès  à  un  pape  élu  dans  les  condi- 
tions ordinaires,  ou  que,  s'il  l'avait  fait,  son  entreprise  aurait 
tourné  contre  lui. 

Les  ardeurs  de  la  lutte  donnèrent  naissance  à  de  nombreux 
écrits,  dont  les  auteurs  prirent  en  main  la  défense  de  l'indé- 
pendance des  rois.  Dans  cette  lutte  se  distinguèrent  Jean  de 
Paris  *,  Guillaume  d'Occam  et  surtout  Pierre  Dubois'.  Ce  der- 
nier osa  même  proposer  à  Philippe  le  Bel  la  suppression  du 
pouvoir  temporel  des  papes,  afin  d'en  investir  le  roi  et  de 
faciliter  par  là,  ce  qui  était  l'objet  de  ses  rêves,  la  monarchie 

1  Voyez  le  procès-vcrbat  dans  Rainaldi ,  p.  359  (en  1605).  Couf.  Spondc, 
Annales  ecclesiasiici ,  anno  1303,  n»  16.  Sponde,  évêque  de  Pamiers  et 
continuateur  de  Baronins,  avait  été  témoin  oculaire  de  l'exhumation  de  Boniface. 

2  La  découverte  du  corps  de  Couil'acc  VIII  encore  intact  dément,  ainsi  que 
l'a  fait  remarquer  Baillet  {Dcinc/cz,  p.  290),  le  récit  d'iiistoriens  (pii  pré- 
tendaient (pi'il  s'était  ron;|('  les  mains  de  rage  avant  de  mourir. 

3  t  Ceterum  Bonilacius  iu;jeutes  animi  dotes  in  pontitieatu  contulil,  quam- 
quam  sa'culari  princi|)atui  potiusquam  ecclesiastico  apliorcs.  i  Alansi,  ad 
Rainaldim,  t.  IV,  p.  356. 

^  Riciier,  Défense  de  la  doctrine  des  anciens,  p.   '(-8. 
•^  A  la  fin  du  recueil  de   Dupuy  sur  le  différend,  p.  663.    Sur  Dubois, 
voyez  Xotices  et  extraits  des  nuttiuscrils ,  t.  \X,  ~"  pari.,  p.  106  et  suiv. 


LIVRE  GIXQLIKAIE.  —  LE  ROI  ET  LE  SAI\"T-SIi:GE.         119 

universelle  au  profit  de  la  France.  Dubois  développa  ce  projet 
liardi  dans  un  mémoire  qui  fut  remis  à  Philippe  le  lîel.  Il 
espérait  arriver  à  son  but  par  des  voies  pacifiques.  Il  invitait 
le  roi  à  suggérer  au  pape  de  céder  son  pouvoir  temporel, 
moyennant  une  pension  égale  aux  revenus  du  patrimoine  de 
saiut  Pierre,  transaction  avantageuse  au  souverain  pontife, 
qui  ne  jouissait  pas  en  paix  do  ses  domaines,  par  suite  des 
révoltes  perpétuelles  de  ses  sujets.  «  Vieillard  pacifique  (c'est 
V  Dubois  qui  parle),  le  pape  ne  peut  réprimer  par  les  armes 
55  les  rébellions.  Veut-il  employer  la  force?  Il  éprouvera  des 
u  résistances,  la  guerre  éclatera  :  des  milliers  d'hommes  péri- 
»  ront,  dont  les  âmes  descendront  en  enfer,  âmes  qu'il  avait 
î)  charge  de  défendre  et  de  sauver.  Il  ne  doit  prétendre  à 
■!)  d'autre  gloire  qu'à  celle  de  pardonner,  d'annoncer  la  parole 
•»  de  Dieu  et  de  rappeler  à  la  concorde  les  princes  chrétiens. 
M  Mais  quand  il  se  montre  auteur  et  promoteur  de  tant  de 
u  guerres  et  d'homicides,  il  donne  un  exemple  pernicieux  :  il 
«  fait  ce  qu'il  déteste,  ce  qu'il  blâme,  ce  qu'il  accuse,  ce  qu'il 

»  empêche  chez  les  autres Quel  est  l'homnn^  qui  oserait  se 

n  donner  pour  capable  de  manier  l'un  et  l'autre  glaive  dans 
■■>  de  si  vastes  états  '  ?  " 

Le  pouvoir  temporel  des  papes  ne  fut  pas  seul  attaqué  : 
quelques-uns  des  arguments  s'égarèrent  contre  la  discipline  et 
contre  le  dogme.  Dubois  osa  bien  proposer  au  roi  l'abolition 
du  célibat  des  prêtres;  on  alla  plus  loin  '  :  on  fit  circuler  une 
fausse  bulle  attribuée  à  Coniface  VIII,  iiahilement  cal([uée  sur 
les  constitutions  apostoliques,  qui  relevait  le  clergé  du  vœu  de 
chasteté  et  lui  permettait  le  mariage  ^  Jean  de  Paris  nia  la 
transsubstantiation  et  professa  sur  le  mystère  de  l'eucharistie 
une  doctrine  voisine  de  celle  de  Luther  *.  Mais  le  véritable 
résultat  du  différend  de  Philippe  le  Bel  avec  Bonilace  VIII  fut 
la  reconnaissance  par  tous  de  l'indépendance  de  la  couronne. 

1  Summaria  et  hrecis  doctriîia.  Ribl.  imp.,  n"  0022,  fol.  7.  Voyez  le 
Mémoire  ilc  M.  de  W'ailly  sur  cet  opuscule,  l.  WIII  des  Méni.  de  l'Acad. 
des  inscript.,  p.  9  et  10  du  tinijje  à  part. 

2  De  W'ailly,  Mém.  de  l'Acad.,  t.  XVIII,  p.  407. 

->  Voyez  cette  bulle  dans  Kervyii,  Recherches ,  p.  84  et  85. 
'*  Baluze,  Vitœ  paparmn ,  t.  I,  fol.  3. 


120  LA  l'HA.XCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

CHAPITRE  DEUXIÈME. 

CLÉMEXT    V    ET    LES    TEMPLIERS. 

EflVt  produit  en  Franco  pnv  l:i  inori  do  Bonifaco  VIIL  —  ICIoctioii  do  Brnnlt  XI, 
qui  absout  Pliilippo  lo  Bel.  —  Il  inoiirl  :  sniipcnns  iiurais('inl)laiilcs  aiix- 
quols  cfllo  iiioi-t  a  donné  lien.  —  Election  de  CJénient  V.  —  Examen  de 
la  question  si  celte  (-lection  l'ut  le  IViiil  des  intrigues  de  Philippe  le  Bel.  — 
Conqjlaisancc  de  ce  nouveau  pape  envers  le  roi.  —  Xoininalions  directes 
aux  évêcliés  par  le  pape  à  la  demande  du  roi.  —  Graves  néjjociations  entre 
le  pape  et  le  roi.  —  Dès  J305  il  est  question  des  Templiers.  —  Puissance 
incroyable  de  cet  ordre  militaire  et  religieux.  —  Projets  de  réforme  (|ui 
échouent.  —  Les  Templiers  sont  arrêtés  par  ordre  du  roi.  —  Indignation 
du  pape.  —  Philippe  le  Bel  l;iit  répandre  des  pamphlets  contre  Clément  V 
pour  le  forcer  à  abolir  l'ordre  du  Tenq)lc.  —  Il  joue  le  rôle  de  d('fenseur 
de  la  foi.  —  Il  force  Clément  de  faire  le  procès  à  la  mémoire  de  Boni- 
face  \  III. —  Il  obtient,  au  moyen  des  étals  généraux,  le  |)rocès ,  puis 
l'abolition  des  Templiers  au  concile  de  Vienne,  par  le  pape,  malgré  l'avis 
du  concile. —  Examen  des  griefs  imputés  aux  Templiers.  —  Condanmation 
et  supplice  du  grand  maître.  —  Philippe  s'enrichit  par  la  suppression  des 
Tcnq)liers. 

Le  déploral)lc  triomphe  que  venait  de  remporter  Philippe  le 
Bel  le  mettait  dans  un  singulier  embarras.  C'était  lui,  le  roi 
très -chrétien,  le  fils  aîné  de  l'Eglise,  le  petit-fils  de  saint 
Louis,  le  descendant  de  ces  rois  auprès  desquels  le  saint-siége 
avait  toujours  trouvé  un  appui  dans  l'adversité,  qui  avaient  été 
l'objet  de  toutes  les  complaisances  des  papes,  c'était  lui  qui 
venait  de  briser,  par  un  attentat  inouï,  celte  alliance  qu'il  sem- 
blait impossible  de  rompre,  et  dont  dépendait,  aux  yeux  de 
tous,  la  stabilité  de  l'Église  romaine  et  de  la  royauté  française. 

ilariage  est  de  bon  de\  is 
De  l'Eglise  et  des  fleurs  de  lis, 
Quand  l'un  de  l'autre  partira 
Chacun  d'eux  si  s'en  sentira  '. 

Tel  fut  l'eifet  que  produisit  en  France  la  nouvelle  de  l'arres- 
tation et  de  la  mort  de  Boniface.  Une  lettre  confidentielle  de 
Nogaret  au  roi  fait  connaître  la  situation  difficile  où  se  trou- 
vait Philippe'.  Les  prélats  les  plus  illustres  de  l'Eglise  galli- 

1    Baillet,  p.  188,  d'après  un  ancien  manuscrit  de  l'abbaye  de  Saint-\  ictor. 
-  Cartul.  170,  fol.  37.  Voyez  Xoticcs  et  cuiraUs,  n"  18. 


LIVRE  CIXQLIÈAIE.  —  LE  IlOI  ET  LE  SAIXT-SIÉGE.  121 

cane,  tout  ce  que  le  clergé  comptait  (riiommes  fameux  par 
leur  science  ou  leurs  vertus,  tMaient  partisans  de  Boniface  :  la 
plupart  n'alteiulaieut  que  le  moment  de  se  déclarer  contre  le  roi, 
et  ils  repoussaient  comme  des  calomnies  les  accusations  portées 
contre  le  pape.  Des  princes,  de  hauts  personnages,  des  amis 
du  loi,  partageaient  cette  opinion  et  trouvaient  que  Philippe 
avait  sur  la  conscience  un  poids  hien  lourd  '.  Le  passé  n'était 
pas  seul  à  donner  des  inquiétudes  :  l'avenir  se  présentait  incer- 
tain et  menaçant. 

Aussitôt  après  la  mort  de  IJoniface,  le  conclave  se  réunit  à 
Pérouse.  Xogaret  se  transporta  dans  cette  ville  et  protesta 
devant  notaire  contre  toute  élection  qui  serait  contraire  aux 
intérêts  de  son  maître  -.  L'évêque  d'Ostie  fut  élu  et  prit  le  nom 
de  Benoît  XI.  Philippe  ne  pouvait  espérer  un  choix  plus  favo- 
rable ^  Le  nouveau  pape  s'empressa  de  l'absoudre,  sans  qu'il 
l'eût  demandé,  de  toutes  les  sentences  d'excommunication  qui 
avaient  pu  être  portées  contre  lui,  dans  une  bulle  remarquable 
où  éclatait  l'antique  tendresse  du  saint-siége  pour  les  rois  de 
France.  "  Ne  sommes-nous  pas,  disait  Benoît  XI,  le  vicaire  de 
Celui  qui  a  proposé  pour  exemple  cet  homme  qui,  donnant  un 
festin,  dit  à  ses  serviteurs  :  Allez  par  les  chemins  et  lorcez-les 
d'entrer,  pour  que  ma  maison  soit  remplie  I  Xous  avons  aussi 
accompli  la  parabole  du  bon  pasteur,  qui  court  après  la  brebis 
égarée  et  la  rapporte  sur  ses  épaules.  Comment  ne  te  contrain- 
drais-je  pas  d'entrer,  et  quelle  ouaille  est  aussi  grande,  aussi 
noble,  aussi  illustre  que  toi?  n 

Philippe  lui  envoya  une  ambassade  pour  le  féliciter  de  son 
avènement;  Benoît  annula  toutes  les  bulles  de  Boniface,  soit 
contre  le  roi,  soit  contre  le  royaume.  Il  leva  toutes  les  excom- 
munications encourues.  Les  Colonna  furent  absous  *.  Il  y  eut 
un  pardon  général,  dont  ne  furent  exceptés  que  Xogaret  et  les 

'  Cartul.  170,  fol.  37,  pièce  coiniiicnraiit  ainsi  :  Realis  est  ccritas.  \oyez 
Notices  et  extraits ,  n°  18. 

-  Diipuy,  p.  237. 

"^  Dans  la  Ijullc  où  il  informait  Philippe  de  son  avènement,  il  lui  promet- 
tait tout  ce  rpi'il  pouvait  désirer  de  lui  et  de  le  favoriser  u  tancpiani  filio 
lienedictionis  '.  u  cal.  apr.  anno  i  (13U4j.  Invent,  de  Dupuy,  Bulles,  \\°  5. 
(L'original  est  actuellement  en  délicit.) 

'^  Dupuy,  t.  I,  p.  207.  2  avril  130V.  Dullc  Quanta  nos,  o Jili. 


122  LA  Fil.WCH  SOLS  PHlLii'i^E  LE   IWA.. 

autours  de  l'altonlal  d'Auajjni'.  IJcnoîl  XI  mourut  au  mois 
d'août  1304,  après  sept  mois  do  règne,  laissant  rK;j;lise  paci- 
fiée et  la  concorde  rctahlie  entre  le  saint-siège  et  la  France.  Il 
avait  défait,  à  l'applaudissement  yènèial,  tout  ce  qu'avait  fait 
Boniface  VIII,  et,  en  tenant  cette  conduite,  il  n'avait  cédé  ni 
aux  menaces  de  Philippe,  ni  à  une  haine  personnelle  contre 
lioniface  :  il  avait  agi  selon  les  intérêts  de  la  papauté. 

Depuis  le  milieu  du  treizième  siècle,  la  situation  des  papes 
était  précaire  en  Italie.  Le  patrimoine  de  saint  Pierre  était 
envahi  par  les  familles  patriciennes,  qui  faisaient  de  chaque 
ville  un  repaire  de  tyrans.  A  Rome  même,  le  pape  n'était  rien 
entre  les  deux  factions  des  Colonna  et  des  Orsini.  Innocent  III 
avait  été  réduit  à  s'échapper  de  Rome,  où  il  était  captif. 
Pérouse  était  devenue  la  résidence  ordinaire  des  papes  '. 
Boniface  ne  se  sentait  en  sûreté  qu'à  Anagni.  Lu  seul  appui 
désintéressé,  la  France,  qui  ne  refusa  jamais  aide  au  faible  et 
ne  vendit  jamais  son  secours!  De  cet  ami  fidèle,  Boniface  avait 
fait  un  ennemi.  Pliilippe  pouvait  à  son  tour  dire  au  saint-siège 
ce  (jue  Boniface  lui  avait  dit  dans  un  mouvement  d'orgueil  : 
«Si  je  t'abandonne,  qui  te  soutiendra?  » 

Cette  bonne  harmonie,  Benoit  XI  eut  la  gloire  de  la  rétablir. 
Il  mourut  inopinément  :  on  a  parlé  de  poison;  on  a  été  plus 
loin  :  on  a  prononcé  le  nom  de  Philippe  le  Bel.  Cette  accusa- 
lion  ne  se  trouve  pas  dans  les  chroniqueurs  contemporains, 
sauf  dans  un  seul.  Pour  qui  connaît  la  situation,  c'est  là  une 
absurde  calomnie.  Philippe  avait  intérêt  à  ce  que  Benoît  XI 
vécût.  Où  aurait-il  trouvé  un  pontife  plus  ami  que  celui  qui 
s'était  empressé  de  le  relever  de  toutes  les  censures  portées 
par  Boniface?  Il  y  a  plus,  la  mort  de  Benoît  était  si  peu  utile 
au  roi  de  France,  qu'elle  remit  tout  en  question.  Ln  nouveau 
pape,  favorable  à  Boniface,  pouvait  être  élu  et  chercher  aie 
venger. 

Le  conclave  se  réunit  à  Pérouse  :  les  cardinaux  restèrent 
enfermés  penchiut  dix  mois  sans  pouvoir  s'entendre.  Enfin  leur 

1  Bulle  Saiictœ  mati-is  Ecclesiœ.  I)ii])nj ,  p.  208. 

-  Voyez  la  preiiic  de  tout  ceci  dans  {{alianis,  Clément  V  et  Philippe  le 
Bel,  p.  125  et  suiv.;  et  (Christophe,  Histoire  de  la  papauté  an  (juatorzième 
siècle,  t.  I,  p.  62  et  suiv. 


LIVRE  CI\QLIEME.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIÉGE.  123 
choix  tomba  sur  Bertrand  de  Got ,  archevêque  de  Bordeaux. 
Une  vieille  histoire,  qu'on  trouve  dans  Villani,  raconte  que  les 
cardinaux,  pressés  par  le  peuple  et  par  les  ambassadeurs 
étrangers  de  prendre  une  résolution,  et  ennuyés  eux-mêmes 
de  leur  longue  captivité,  firent  un  compromis  :  les  partisans 
de  Boniface  devaient  présenter  trois  candidats,  parmi  lesquels 
choisirait  le  cardinal  de  Prato,  chef  du  parti  contraire.  Au 
nombre  des  trois  candidats  fut  Bertrand  de  Got,  archevêque  de 
Bordeaux,  ennemi  de  Philippe  le  Bel,  mais  avide  d'honneurs, 
<le  pouvoir  et  surtout  d'argent.  Un  tel  homme  devait  convenir 
à  Philippe  ;  aussi  le  cardinal  de  Prato  le  lui  recommanda 
comme  facile  à  corrompre.  Philippe  alla  trouver  l'archevêque 
dans  une  abbaye  près  de  Saint-Jean-d'Angély,  et  s'adressant  à 
lui  :  t'-  Sire  archevêque,  j'ai  dans  ma  main  de  quoi  vous  faire 
pape,  si  je  veux,  et  c'est  pour  cela  que  je  suis  venu.  ^^  Et  il  lui 
montra  le  compromis  des  cardinaux.  Berirand  se  jeta  à  ses 
pieds;  le  roi  lui  posa  cinq  conditions,  et  réserva  une  sixième. 
Bertrand  jura  de  les  remplir,  et,  par  l'ordre  du  roi,  le  cardinal 
de  Prato  le  désigna  comme  pape. 

J'ai  résumé  le  récit  de  Villani,  qui  n'omet  aucune  circon- 
stance de  lieu  et  de  temps.  Cette  histoire  est  invraisemblable, 
même  par  sa  trop  grande  précision  :  on  en  a  prouvé  l'inexac- 
titude et  la  fausseté  '.  Mais  si  Philippe  n'a  pas  eu  d'entrevue  à 
Saint-Jean  d'Angély,  si  l'élection  de  Clément  V  n'a  pas  été  le 
résultat  d'un  compromis,  faut-il  en  conclure  que  tout  est  faux 
dans  le  récit  de  Villani  et  que  Clément  n'a  pas  été  élu  par 
l'influence  de  Philippe  le  BeP?  Je  ne  le  crois  pas.  Le  récit  de 

1  Viiiani ,  I.  VIII,  cap.  lxxx.  Rabanis,  Clément  V  et  Philippe  le  Bel. 
4^uant  à  l'influence  du  cardinal  de  Prato  sui*  l'élection  de  Clément  V,  elle  est 
attestée  par  Dino  Conipagni,  apud  Muratori ,  VIII,  p.  237. 

2  Les  événements  les  plus  importants  du  pontificat  de  Clément  V^  ont  été 
rendus  souvent  incomprélîensibies  par  la  mauiaisc  chronologie  adoptée  par 
Dupuy  et  par  Balnze  :  ces  doux  savants  avaient  compté  les  années  du  ponti- 
ficat à  partir  de  l'élection,  tandis  que  Clément  ne  les  comptait  qu'à  partir  de 
son  couronnement.  Ce  fait,  qui  entraîne  de  graves  conséquences  et  permet 
de  rectifier  un  grand  nombre  d'erreurs,  a  été  démontré  par  JI.  de  Wailly 
dans  une  dissertation  intitulée  :  Des  recherches  sur  la  véritable  date  de 
quelques  bulles  de  Clément  V.  I11-8".  L'erreur  (]uc  je  viens  de  signaler  avait 
déjà  été  combattue  au  siècle  dernier  par  Dom  V  aissètc ,  t.  IV,  p.  559. 


12V  LA  l'U.WCE  SOIS  PHILIPPE  LE  DEL. 

Villani  est  une  légende  :  or  loiile  légende  repose  sir  un  fait 
(|ii('  les  détails  merveilleux  dénaliirenl  souvent ,  mais  dont  la 
donnée  première  est  conlornu'  à  la  vérité.  Le  |)oint  de  dépait 
du  récit  de  Villani  est  la  soumission  de  Clément  V  à  Philippe 
le  15el.  Or,  cette  soumission  ne  saurait  être  mise  en  doute; 
elle  n'est  (jue  trop  prouvée  par  les  actes  du  ponlilicat  de 
Bertrand  de  Got.  D'ailleurs  des  historiens  conlem|)orains 
dignes  de  loi  attrihuent  l'éleclion  de  Clément  V  à  l'or  de 
Philippe  le  J5el'. 

Le  pontificat  de  Clément  V  ne  fut  en  effet  (|u'une  suite  de 
concessions  aux  exigences  insatiables  du  roi.  Les  décrets  de 
lîoniface  VIII  contre  Philippe  le  Bel  furent  biffés  sur  les 
registres  du  Vatican  '.  La  bulle  Uiiam  snnctam  fut  déclarée 
inapplicable  à  la  France.  J'ai  lu  avec  attention  la  coriespon- 
dance  intime  de  Philippe  et  de  Clément',  et  je  déclare  (|u'on 
ne  comprend  la  servile  obéissance  du  pape  que  si  l'on  suppose 
des  engagements  antérieurs  à  son  élection.  Avant  de  montrer 
à  quels  actes  politiques  Philippe  le  contraignit  de  donner  son 
adhésion,  au  mépris  de  la  dignité  et  des  droits  du  saint-siége, 
je  vais  faire  voir  en  quelques  mots  ce  que  devinrent  sous  son 
pontiûcat  les  libertés  de  l'I'lglise  de  France. 

1  a  Cardinali,  pcr  vniniilà  de!  rc  di  I'"raiuia  c  pcr  indiistria  do'  Colonnosi, 
clessoiino  incsscr  Itarnnndo  del  GoUo.  »  Chronique  de  Dino  Compagni ,  apiid 
Miiratori ,  t.  \1II,  |).  517.  —  a  (Siemens...  id  auro  rcyio ,  donisque  maximis 
adiiortantiliiis  et  IV-trl  studio  iiiccssabili ,  prie  cœtcris  in  apostolorum  sede 
papa  docornitiir.  »  Korclli  de  Viccncc,  apnd  Miiratori ,  1.  IX,  p.  1014. 
Coiif.  Clirisloplio,  Histoire  de  la  papauté ,  t.  I,  p.  179. 

-  Kaiiialdi  pidjlic  li's  hidlos  dr  Ijoiiilacc  VIII  on  indi(]iiant  1rs  parties  effa- 
cées par  ordre  de  Clément  \  à  la  rc(pièlc  de  Philippe  le  liel.  Il  est  curieux 
d'étudier  les  passafjcs  dont  la  sii[)pression  fut  réclamée  par  le  roi,  comme 
attentatoires  à  ses  droits  et  à  son  honneur.  Il  se  montra  très-.sévère,  et  donna 
par  là  à  Clément  V  une  idée  de  ce  qu'il  était  disposé  à  tolérer  de  sa  part, 
c'cst-à-dirc  peu  on  point  de  conseils. 

•^  Cette  correspondance  se  trouve  dans  le  vfi  170  du  fonds  des  Cartnlaires 
de  la  Bibliothèque  impériale,  qui  n'est  autre  que  l'ancien  Registre  XXIX  ou  C 
du  Trésor  des  chartes.  La  plu|)art  des  lettres  de  Clément  ont  été  publiées 
par  Calu/e  [l'ito'  jjaparuiu  Avenioncnsium,  t.  II);  cependant  ce  savant  en  a 
omis  plusieurs  d'un  intérêt  capilal,  ipii  éclairent  la  conduite  de  Clément  et 
du  roi  dans  l'ariaire  des  Tenqjliers,  et  qu'il  a  sans  doute  supprimées  non  par 
éyard  pour  Philippe  le  Bel,  mais  par  crainte  de  Louis  XIV. 


LIVRE  CIXQlIKMr:.  —  LE  ROI  KT  LE  SA1\T-SIÉGE.  125 
On  ne  vit  plus  (Véloctions  d'évèques  par  les  clir.pifres. 
Pliilippe  commandait  et  il  fallait  obéir.  Aloyennant  cette  sou- 
mission, le  roi  permettait  au  pape  de  nommer  directement  aux 
évècliés.  Clément  pourvut  ainsi  aux  sièges  de  Langies  et 
d'Agen',  d'Auxerre ',  de  Bayeux,  de  Clermont.  A  propos  de 
Langres,  il  écrivait  an  roi  :  «  Xous  voulons  préposer  à  ce  siège 
une  personne  agréable  à  Dieu ,  à  nous,  à  toi  et  à  l'Eglise  •' .  Il 
se  réserva  la  nomination  de  l'évéque  de  IJayeux,  afin,  disait-il, 
de  donner  à  cette  Eglise  une  preuve  de  son  affection  paternelle  \ 
Le  roi  prétendait  bien  profiler  de  ce  droit  de  nomination  qu'il 
laissait  au  pape,  pour  placer  ses  propres  créatures.  En  1309,  il 
demanda  à  Clément  V  de  donner  rarclievèclié  de  Sens  à  son 
conseiller  Philippe,  évèque  de  Cambrai.  Clément  refusa,  vu 
l'importance  du  siège.  —  Pliilippe  renouvela  trois  fois  sa 
demande  et  (élément  céda  à  ses  instances,  mais  il  pria  le  roi  de 
ne  plus  l'importuner  sans  extrême  nécessité  par  de  semblables 
demandes,  contraires  ta  ses  intentions.  La  cbancellerie  romaine 
expédia  une  bulle  solennelle  [ad  pcrpcluain  rci  inemoriam) 
où  le  pape  disait  que,  voulant  mettre  à  la  tête  de  l'Eglise  de 
Sens  un  liomnie  selon  son  cœur,  qui  pût  en  soutenir  le  fardeau 
et  l'honneur,  pour  des  causes  graves  et  raisonnables  qui 
auraient  déterminé  ceux  auxquels  il  s'adressait,  et  par  le  con- 
seil de  ses  cardinaux,  il  s'en  était  réservé  la  nomination*.  On 
sait  quelles  étaient  ces  causes  déterminantes.  Clément  V  était 
sévèrement  puni  :  chaque  jour  renouvelait  son  humiliation  et 
sa  faiblesse. — Philippe  était  sans  pudeur.  Dans  la  même  lettre 
où  il  remerciait  le  pape  d'avoir  nommé  son  candidat  â  l'arche- 
vêché de  Sens,  il  le  priait  de  donner  l'évêché  de  Cambrai  à 
l'un  de  ses  familiers,  Guillaume  de  Trie  '\  Une  autre  fois,  il 
demandait  l'archevêché  d'Orléans  pour  Pierre  de  Laon ,  son 
clerc.  Les  papes  disposaient  souvent  des  bénéfices  ecclésias- 

'   II  kal.  fchr.  aniio  i.  Cart.  170,  fdl.  53. 

-  II  non.  april.  anno  il.  Cart.  170,  fol.  174. 

■^  tt  Xos  ad  EccJpsiani  ipsam  gcrcntes  paterne  ililcctionis  affcctiiin...  provi- 
sioncni  rcscnamus.  t  vi  kal.  .sept,  anno  i.  Cart.  170,  loi.  60  v°. 

''  (^art.  178,  fol.  174  r°.  vm  kal.  inaii  anno  ir.  «  Ex  certis  et  niagnis 
rationabilibus  causis.  » 

^'  Trésor  des  chartes,  Reg.  XLII,  n<^  65  (fin  de  1308);  sans  date. 
Cart.  170,  fol.  110. 


12G  LA  FliAXCK  SOLS  l'IilLII'l'E  LE  DEL. 

l'icjucs  avant  qu'ils  riissciit  vacanLs  :  ou  appelait  cela  des  fjrâces 
cxpccldlives.  L'abus  était  ancien;  il  donna  lieu  à  (lliartrcs  à 
une  scène  scandaleuse  entre  deu.v  expeetanls,  l'un  nommé 
j)ar  Benoît  XI,  l'autre  par  (llément  V'.  Ce  dernier  ayant  été 
investi  d'un  bénéfice  au  détriment  de  son  compétiteur,  celui-ci 
se  précipita  sur  son  rival  dans  le  cliœur  de  la  catliédrale,  lui 
arracha  ses  ornements,  et  interrompit  par  ses  violences  le 
service  divin  '. 

Le  roi  se  flt  concéder  de  nombreux  décimes  par  le  pape; 
mais  qu'étaient  ces  exigences  en  comparaison  de  celles  qu'il 
lui  imposa,  et  qui,  au  dire  de  Villani,  ou  plutôt  suivant  la 
rumeur  publique,  étaient  le  résultat  d'un  traité.  IMiilippe 
envoya  à  Clément  Y,  après  son  élection,  des  ambassadeurs  qui 
traitèrent  avec  lui  des  questions  si  graves,  que  le  roi  et  le  pape 
jurèrent  de  n'en  pailer  à  personne;  mais  Philippe  supplia 
Clément  de  lui  permettre  de  faire  connaître  ce  secret  à  trois  ou 
quatre  de  ses  conseillers.  Dans  la  réponse  qu'il  fit  à  cette 
demande,  Clément  abandonna  à  sa  discrétion  le  choix  de  ses 
confidents,  «car  nous  sommes  certain,  disait-il,  que  tu  ne 
révéleras  ces  choses  qu'à  des  personnes  que  tu  sauras  être 
l^leines  de  zèle  et  d'amour  pour  notre  honneur  et  le  tien.  «  Dans 
la  même  lettre,  il  l'invitait  à  assister  à  son  couronnement  ".  J'ai 
acquis  la  preuve  que  ces  négociations  avaient  un  double  objet: 
la  condamnation  de  Boniface  VIII  et  la  suppression  de  l'ordre 
du  Temple. 

L'abolition  de  la  milice  du  Temple  est  le  grand  scandale  du 
pontificat  de  Clément  V  et  une  des  ini(juités  du  lègnc  de 
Philippe  le  Bel.  C'est  un  des  mystères  de  riiistoire  les  plus 
obscurs.  Les  nombreuses  pièces  du  procès  donnent  les  mutil's, 
mais  non  les  causes  véritables  de  cette  mesure  terrible,  qui 
frappa  l'Eglise  et  la  noblesse.  11  y  a  plusieurs  causes  ,  à  mon 
sens,  qui,  réunies,  décidèrent  le  roi  à  cet  acte  de  rigueur.  Les 
Templiers  étaient  riches  et  puissants;  leur  puissance  créait  des 
dangers  à  la  royauté;  leurs  trésors  excitaient  la  convoitise. 
Philippe  devait  être  tenté  de  se  les  approprier  et  de  relever  ainsi 
les  finances  épuisées  de  l'État. 

1  LcUrc  (!c  Pliilippc  à  CIcment  V.  Sans  date.  Cari.   170,  u"  108  v". 

2  Cart.  170,  foi.  JOl.  Laluzc,  t.  II,  p.  62. 


LIVRE  CIXQUIÔIE.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIÉGE.  127 
Fondé  au  commcnccMiiont  fin  douzirmo  siècle  ,  l'ordre  du 
Temple  avait  pour  objet  la  défense  des  lieux  saints  :  moines 
cl  soldats,  les  Templiers  réunissaient  les  deux  forces  qui  se 
partageaient  le  monde,  la  croix  et  l'épée  ;  leur  caractère  sacré 
joint  à  leur  brillante  valeur,  la  noblesse  de  la  plupart  des  frères, 
leur  attiraient  les  respects  de  tous. 

Ils  avaient  acquis,  en  moins  de  deux  siècles,  d'immenses 
richesses.  Quand  on  étudie  les  actes  qui  constatent  leur  for- 
tune, on  a  la  révélation  de  leur  puissance  '. 

Dans  toute  la  Normandie,  province  où  les  habitants  des 
campagnes  étaient  libres  et  pouvaient  disposer  de  leurs  biens, 
les  donations  faites  par  les  paysans  aux  chevaliers  du  Temple 
sont  innombrables.  Dans  les  chartes  qui  relatent  ces  libéra- 
lités, le  motif  allégué  par  les  donateurs  est  le  salut  de  leur 
âme;  le  motif  réel  était  le  besoin  de  protection  qu'ils  ressen- 
taient et  qu'ils  trouvaient  auprès  des  Templiers,  qui  à  l'in- 
fluence morale  du  prêtre  joignaient  la  puissance  de  l'homme 
de  guerre".  Toutes  les  classes  de  la  société  participaient  à  ce 
besoin.  Pour  le  satisfaire,  les  propriétaires  donnaient  une  partie 
de  leurs  biens  ;  les  artisans  et  les  ouvriers,  qui  ne  possédaient 
que  leur  personne,  s'engageaient  et  se  soumettaient  aux  Tem- 
pliers, non  qu'ils  abdiquassent  entièrement  leur  liberté,  qu'ils 
se  fissent  serfs ,  mais  ils  devenaient  ce  qu'on  appelait  les 
hommes  de  leurs  nouveaux  maîtres.  Ils  prêtaient  hommage  et 
payaient  chaque  année  un  faible  cens  de  quelques  deniers,  en 
signe  de  dépendance  et  de  subjection.  Quel  mobile  pouvait 
pousser  des  hommes  libres  à  engager  ainsi  leur  liberté?  Un 
grand  nombre  de  chartes  nous  le  font  connaître,  entre  autres 
une  où  Guérin,  pêcheur  à  Coudé  en  Brie,  homme  libre  et 
franc,  se  fait  l'homme  des  Templiers  de  Clioisy,  j^ro  commodo 
et  utilitate  sua,  ut  ei  videhatur^  et  ad  vitanda  futura  pcri- 
cula^ .  Ces  périls  si  redoutables  étaient  les  poursuites  des 
baillis  seigneuriaux,  et  ce  fut  pour  s'y  soustraire  que  nombre 
d'ouvriers  s'avouèrent  les  hommes  du  Temple. 

1  Voyez  CCS  actes  confondus  avec  ceux  de  Malte.  A.  I.  série  S. 

2  Entre  autres,  carton  S.  4996.  Coinnianderie  de  Rcnnciillc. 

^  Ctiartc  de  l'an  12GL -Carton  J.  772;  dans  ce  carton  il  y  a  plusieurs  actes 
de  ce  genre. 


128  LA  FHAXCK  SOIS  PHILIPPE  LE  F.EL. 

Ces  ados  ne  sont  autre  chose  que  l'ancienne  recomman- 
dation, (|ui  fut  si  fré(|uonte  à  la  fin  de  la  deuxième  race,  époque 
où  les  lioninies  lihics  aciiolaiciit  leur  repos  en  se  elioisissanl 
un  maître.  Los  mémos  causes,  tant  qu'elles  subsislôreni,  ame- 
nèrent les  mémos  offols.  (iotlo  allraolion  dos  classes  inférieures 
vers  le  'l'oriiplo  souleva  dos  réclamalious.  IMiilippe  fut  oMijjé 
de  donner  l'ordre  au  hailli  (\v  'roiiiaiiu'  i\v  réprimer  les  Tem- 
pliers qui  accueillaient  les  honiuK^sdu  cliapitro  de  Saiut-Marlin 
de  Tours  ',  et  copondanl  il  les  entourait  de  respect  et  de 
faveurs.  En  1295,  il  amortit  ;patuitomont  leurs  nouvelles  acqui- 
sitions jusqu'à  concurronce  de  la  valeur  de  mille  livres'.  Il 
exemi)ta  louis  liommos  do  corps  dos  impots  extraordinaires  ^ 
En  13(H,  il  leur  donna  dos  lettres  d'amortissement  général 
pour  tous  leurs  biens,  dans  dos  termes  de  hienveillancc  et 
d'affection  \ 

Mais  avec  la  puissance  était  venu  l'orgueil  :  le  but  dv  l'in- 
stitution avait  été  souvent  oublié.  La  conduite  dos  Templiers  en 
Orient  ^  et  leur  rivalité  avec  les  chevaliers  de  Saint-Jean  de 
Jérusalem  fixèrent  l'attention  du  saint-siége  dès  le  milieu  du 
treizième  siècle".  Le  pape  Grégoire  X  voulut,  pour  secourir 
plus  efficacement  la  terre  sainte,  réunir  les  deux  ordres.  Le 
concile  de  Lyon  rejeta  celte  proposition,  en  prévision  de  l'op- 
position dos  rois  de  Castille  et  d'Aragon  '.  Ce  projet  fut  repris 
en  121U.  Le  grand  maître  du  Temple  consulté  déclara  cette 
cession  impossible  à  cause  de  l'inimitié  qui  divisait  le  Temple  et 
l'Hôpital. 

On  raconte  qu'un  templier  enfermé  dans  une  prison  royale 

1  Or.  A.  I,  K.  37,  n<>  18. 

-  J.  426,  n"  10.  Voyez  les  ori{]iiiaux  des  privilèges  accorilés  par  les  rois 
à  partir  de  l'an  1152.  J.  422. 

=»  Or.  K   36,  n"  31. 

"  K.  37  B.  no  25. 

5  Voyez  Alicliaud,  Histoire  des  croisades,  5"^  édif.,  t.  V,  p.  555.  Mas- 
Latrie,  Histoire  de  Chypre,  t.  III,  p.  662.  En  1283,  le  roi  Henri  de 
Lusignaii  allant  à  Beiroiit,  ses  chevaux  furent  enlevés  par  des  .arabes  apostés 
par  les  Templiers.  Saniido,  Liher  secret  or  um ,  p.  22U. 

^  Cart.  170,  loi.  164.  Mémoire  du  grand  maitre  du  Temple. 

'  Lettre  à  l'arehevècpic  de  Xarbonne ,  18  août  1291.  Vaissèlc,  p.  115; 
Preuves,  col.  97.  Rainaldi,  t.  IV',  an  1291,  n°  7. 


LIVRE  CI.VQLIÈAIE.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIÉGE.  129 

à  cause  de  ses  crimes ,  fît  à  un  compagnon  de  captivité 
d'étranges  confidences  sur  de  graves  désordres  qui  se  passaient 
dans  le  Temple,  et  que  le  plus  grand  secret  avait  jusqu'alors 
dérobés  à  la  connaissance  du  public.  On  parlait  de  pratiques 
hérétiques,  d'apostasie  et  de  mœurs  dépravées.  Le  confident 
du  templier  révéla  cette  conversation,  dont  le  bruit  ariiva  jus- 
qu'au roi,  qui  fit  prendre  des  informations.  Il  eut  à  ce  sujet  un 
entretien  à  Lyon,  lors  des  fêtes  du  couronnement,  avec  Clé- 
ment V',  qui  refusa  d'y  ajouter  foi  '. 

En  1306,  les  Templiers  rendirent  au  roi  un  service  qu'il 
ne  leur  pardonna  pas.  Dans  une  émeute,  causée  par  les 
brusques  variations  des  monnaies ,  les  Parisiens  insultèrent 
Philippe,  qui  trouva  un  asile  dans  le  Temple,  où  ils  le  tin- 
rent assiégé  pendant  plusieurs  jours.  Le  roi  de  France  réduit 
à  se  mettre  sous  la  protection  des  Templiers  dans  sa  capitale, 
c'était  trop  humiliant  pour  Philippe,  qui  put  juger  par  lui- 
même  de  leurs  richesses  et  de  leur  puissance.  Dès  lors  leur 
perte  fut  irrévocablement  arrêtée.  Le  misérable  état  d'anarchie 
où  se  trouvait  l'Italie,  déchirée  par  les  factions  des  Xoirs  et  des 
Blancs,  ne  permettait  pas  à  Clément  V  de  songer  à  retourner 
en  Italie.  De  Lyon,  il  se  rendit  à  Cluni  et  de  là  à  Bordeaux, 
en  passant  par  Nevers ,  Bourges  et  Limoges  :  il  allait  d'abbaye 
en  abbaye,  avec  toute  sa  cour.  Ce  voyage,  pendant  lequel  il 
se  faisait  défrayer  par  les  églises  qu'il  visitait ,  souleva  les 
malédictions  du  clergé,  qu'il  ruinait  "-.  L'archevêque  de  Bourges, 
le  fameux  Gille  Colonna ,  fut  réduit,  après  avoir  reçu  la  visite 

1  tt  Sanc  a  inomoria  fiia  non  crodimiis  excidisse  quod  Lii<]duni  et  Piclax'is 
de  facto  Tcmplariornm  zelo  tidci  devotionis  accensus,  nobis  tam  per  te  quam 
per  tnos  pliirics  lociitns  fuisti ,  et  priorcm  mouasterii  novi  de  Picciaco 
(Baluze  porte  à  tort  Pictavo)  aliqiia  intimarc  cnrasti,  et  licet  ad  credenduni 
que  tune  dicebantur,  cum  quasi  incredibilia  et  impossibilia  viderentur,  nostrum 
animum  vix  potuerimus  applicarc.  Quia  tamcn  plura  incredibilia  et  inaudita 
ex  tune  audivimus  de  prcdictis,  coj]imur  hesitare,  et  licet  non  sine  ma^rna 
cordis  amaritudine,  anxicfate  ac  turbatione,  qnicquid  ordo  postulaient  rationis 
de  consilio  fratrum  nostrorum  faccrc  in  prcmissis...  sercnifafcm  tuam  in 
Domino  exhortantes,  quatinus  tuum  consilium  in  premissis  et  informalinneni 
quam  super  iis  recipisti,  ac  quicquid  tue  providentie  vidcbitur  expedire  nobis 
per  littcras  tuas  vel  nuncios  inlimare  procures,  ix  kal.  sept,  anno  ii  (i;307).  » 
Cart.  170,  fol.  67.—  Daluze ,  t.  II,  p.  74. 

2  Chronique  métrique  de  Geoffroi  de  Paris ,  vers  3159. 

9 


130  LA  FRAX'CE  SOUS  PHILIPPE  LE  DEL. 

du  pape,  à  sollicitei"  s;i  part  dans  les  ilistrihiitions  de  vivres 
faites  aux  chanoines  de  sa  métropole  '.  La  plupart  des  églises 
s'endettèrent  et  devinrent  la  proie  des  usuriers. 

Les  prélats  se  plaignirent;  Philippe  accueillit  leurs  plaintes 
avec  empressement  et  envoya  au  pape  une  ambassade  mena- 
çante, composée  d'un  maréchal  de  France  et  de  deux  cheva- 
liers, lui  faire  des  reproches.  Clément  s'humilia  :  il  répondit  (pie 
sa  conscience  l'absolvait  personnellement  de  ce  qu'on  lui 
imputait,  mais  qu'il  était  homme  et  vivait  au  milieu  des 
hommes,  i;  Xous  n'osons  pas  dire,  ajouta-t-il,  que  notre  maison 
soit  plus  pure  que  l'arche  de  Xoé ,  où  sur  huit  élus  se  trouva 
un  réprouvé,  ni  plus  sainte  que  la  maison  d'Abraham,  ni  que 
celle  disaac;  et  cependant,  ni  Xoé,  ni  Abraham,  ni  Isaac  ne 
furent  accusés.  ^i  II  s'étonnait,  en  terminant,  de  ce  que  ces 
plaintes  eussent  été  portées  par  des  prélats  avec  lesquels  il 
avait  été  lié  avant  son  élévation,  et  qu'il  pouvait  croire  ses 
amis;  au  lieu  de  publier  leurs  griefs  ils  auraient  pu  l'avertir, 
lui  ou  quelqu'un  de  ses  cardinaux  ^. 

Clément  V  tomba  gravement  malade  en  1306.  Philippe  lui 
ayant  fait  demander  une  entrevue,  il  proposa  Toulouse.  Le  roi 
objecta  l'impossibilité  où  il  était  de  s'éloigner  du  nord  de  la 
France  et  désigna  Tours.  Clément  invoqua  sa  mauvaise  santé, 
qui  lui  interdisait  un  long  voyage  :  Philippe  fut  inflexible;  il 
consentit  avec  peine  à  fixer  le  rendez-vous  à  Poitiers  ^. 

Il  ne  fut  pas  même  exact  :  il  arriva  enfin  escorté  de  ses 
frères,  de  ses  fils  et  de  ses  principaux  barons.  Il  renouvela  ses 
instances  pour  obtenir  la  suppression  des  Templiers  :  il  donna 
de  nouveaux  détails  qu'il  avait  recueillis  sur  les  crimes^qu'il 
leur  imputait.  Clément  fut  ébranlé,  mais  n'accorda  rien  :  il 
promit  d'ordonner  une  enquête  et  pria  le  roi  d'en  faire  une  de 
son  côté.  Ils  s'engagèrent  à  se  communiquer  le  résultat  de 
leurs  informations  et  à  ne  prendre  de  décision  que^  d'un 
commun  accord. 

Philippe  se  retira  mécontent,  et  annonça  hautement  le  projet 

^  Chronique  métrique  de  Geoffroi  de  Paris ,  vers  3172  et  suiv. 
'-  Baluze,  t.  II,  p.  58.  vi  kal.  auy.  anno  i  (1306). 

■'  .Apiid  Pessacum,  v  idiis  fcbr.  anno  ii.  Carl.  170,  fol.  75  et  76.  «  In 
qiiibiis  possumus  tue  seniper  oplaules  descenderc  voluntati.  » 


LIVRE  CIXQlIlblE.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIÉGE.  131 
(le  poursuivre  la  mémoire  de  lîoniface  IIII.  Ce  fut  une  arme 
qu'il  tint  suspendue  au-dessus  de  la  tèle  de  Clément  V,  pour 
lui  arracher  la  suppression  du  Temple.  Le  pape  était  pres(]ue 
tenu  en  captivité  à  Poitiers.  Des  bruits  sinistres  circulèrent  sur 
le  compte  du  Temple.  Les  Templiers,  qui  en  furent  instruits, 
demandèrent  audacieusement  des  juges  au  souverain  pontife. 
Clément  ne  savait  quel  parti  prendre  :  Philippe  se  lassa  de  ses 
irrésolutions  et  frappa  un  grand  coup. 

Le  13  octobre  1307,  les  Templiers  furent  arrêtés  dans  tout 
le  royaume.  Les  lettres  de  cachet  ordonnant  leur  arrestation 
étaient  accompagnées  de  lettres  plus  amples,  destinées  à 
donner  les  motifs  de  cet  acte  extraordinaire. —  «  Une  chose 
amère,  une  chose  déplorable,  une  chose  horrible  à  penser, 
terrible  à  entendre,  exécrable  de  scélératesse,  détestable  d'in- 
famie, une  chose  qui  n'a  rien  d'humain,  mais  attestée  par  de 
nombreux  témoignages,  est  venue  à  nos  oreilles,  non  sans  nous 
frapper  d'une  violente  stupeur  et  d'une  horreur  indicible. 
Xotre  douleur  a  été  immense  à  la  nouvelle  de  crimes  énormes 

contre  la  majesté  divine,  la  foi  orthodoxe,  qui  sont  une  honte 
pour    l'humanité,    un    exemple    de   perversité,   un    scandale 

public.  La  raison  se  trouble  en  voyant  une  nature  qui  s'exile 

elle-même  des  bornes  de  la  nature,   qui  oublie  son  principe, 

qui  méconnaît  sa  dignité,  qui  prodigue  de  soi,  s'assimile  aux 

bêtes  dépourvues  de  sens;  que  dis-je,  qui  dépasse  la  brutalité 

des  bêles  elles-mêmes  '  !  « 

Cet  exorde  éloquent  était  suivi  de  l'énumération  des  crimes 

imputés  aux  Templiers. 

Nul  n'est  admis  dans  leur  ordre  qu'après  avoir  renouvelé  le 

supplice  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  en  le  renonçant  trois 

fois  et  en  crachant  sur  le  crucifix. 

Après  ce  sacrilège,  le  nouveau  Templier  baise  trois  fois  celui 

qui  le  reçoit,  sur  le  derrière,  sur  le  nombril,  sur  la  bouche. 

Ils  s'obligent  ensuite  par  d'horribles  serments  à  ne  refuser  à 

leurs  frères  aucune  complaisance  infâme, 

Philippe  ajoutait  qu'il  en  avait  conféré  avec  le  pape. 

1  Voyez  cette  lettre  dans  ]\Iesnard,  Histoire  de  Nismes ,  t.  I,  preuves, 
col.  195.  Elle  est  datée  de  Pontoise,  du  joyr  de  l'Exaltation  de  la  Sainte- 
Croix,  jour  même  où  l'arrestation  des  Templiers  fut  décidée. 

9. 


132  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

Celte  letlrc,  répandue  dans  le  peuple  cl  lue  avidement, 
produisil  l'impression  désirée.  \"ul  ne  doula  de  la  culpaj)ilité 
des  Templiers,  en  voyant  l'Éylise  d'accord  avec  le  pouvoir  tem- 
porel pour  frapper  un  ordre  religieux. 

Cet  accord  entre  le  roi  et  le  pape,  que  Philippe  annonçait, 
était-il  réel?  Les  historiens  ecclésiastiques,  s'indinant  devant 
l'autorité  pontificale,  n'ont  pas  osé  absoudre  ceux  qu'un  pape 
avait  condamnés.  Mais  cette  condamnation,  bien  que  prononcée 
par  Clément  V,  n'a  pas  été  l'expression  de  sa  volonté;  elle  lui 
fut  imposée  par  des  moyens  violents  et  par  l'intimidation.  Il 
avait  bien  promis  de  faire  une  enquête,  mais  il  n'avait  jamais 
consenti  à  l'arrestation  des  Templiers.  Aussi,  dès  que  la  nou- 
velle lui  parvint  par  la  rumeur  ])ublique,  il  oublia  sa  dépen- 
dance pour  se  plaindre  amèrement  et  reprocher  au  roi  d'avoir 
violé  ses  engagements  '. 

Les  baillis  et  les  sénéchaux  avaient  mis  sous  séquestre  les 
biens  des  Templiers  et  commencé  le  procès  contre  les  membres 
de  l'ordre.  Celte  procédure  était  la  violation  de  toutes  les  lois, 
car  les  Templiers,  qu'on  accusait  d'hérésie,  n'étaient  justi- 
ciables que  des  tribunaux  ecclésiastiques.  Les  agents  du  roi  le 
reconnurent  :  ils  s'adjoignirent  les  inquisiteurs  de  la  foi,  qui 
se  montrèrent  les  complices  dévoués  du  roi ,  et  dont  le  chef, 
Guillaume  de  Paris,  confesseur  de  Philippe,  avait  approuvé  et 
même  conseillé  l'arrestation  des  Templiers.  Les  baillis  et  les 
inquisiteurs  réunis  procédèrent  avec  une  révoltante  iniquité. 
Les  prisonniers  furent  sommés  par  trois  fois,  sous  peine  d'ex- 
communication, de  révéler  leurs  crimes;  on  promit  grâce  et 
protection  à  ceux  qui  avoueraient;  on  appliqua  la  torture  à 
ceux  qui  soutinrent  leur  innocence  :  il  fallait  des  aveux  à  tout 
prix.  On  obtenait  par  les  supplices  ceux  que  l'on  n'avait  pu 
acheter  par  les  promesses.  Les  évêques  aussi  intervinrent. 

Philippe  écrivit  aux  princes  étrangers  pour  les  inviter  à 
suivre  son  exemple;  nous  avons  les  réponses  de  ces  princes: 
elles  servent  à  faire  connaître  le  plus  ou  moins  d'influence  de 
Philippe  en  Europe.  Le  roi  d'Angleterre  a  rassemblé  ses  prélats 

'  Cart.  170,  fol.  5  v.  Pièce  inédite.  Dupuy  [Condamnation  des  Templiers, 
p.  100)  la  cote  sous  l'année  1306,  ce  qui  est  absurde,  puisqu'elle  aurait  pré- 
cédé i' arrestation  des  Templiers. 


LIVRE  CIXQUIÈ:WE.  —  LE  1101  ET  LE  SAIXT-SIÉGE.  133 
et  ses  barons;  ils  n'ont  pu  ajouter  foi  à  ce  que  leur  mandait 
Philippe  :  on  fera  une  enquête.  Le  roi  des  Romains  s'étonne, 
il  attend  les  ordres  du  pape,  seul  juge  en  pareille  matière. 
Même  réponse  de  l'archevêque  de  Cologne,  mais  accompagnée 
de  protestations  du  plus  entier  dévouement.  La  lettre  du  duc 
de  Brabant  est  tout  à  fait  satisfaisante  :  «  jVous  avons  bien 
»  entendu  ce  que  mandé  nous  avez  en  droit  de  la  besoigne  des 
«  Templiers.  Nous  avons  pris  les  Templiers  demeuranz  en 
»  nostre  terre  et  les  tenons  en  nostre  povoir,  et  leurs  biens  sont 
»  mis  en  arrêt,  tout  ainsi  comme  mandé  le  nous  avez  '.  «  Le 
roi  de  Sicile,  comte  de  Provence,  ne  fut  pas  moins  soumis.  Le 
comte  de  Flandre  agit  comme  s'il  n'avait  rien  reçu  ^. 

Clément  suspendit  les  pouvoirs  des  inquisiteurs  et  des 
évêques,  et  demanda  que  le  roi  lui  remît  les  personnes  et  les 
biens  des  Templiers.  Philippe  n'obéit  pas,  mais  il  envoyai 
Poitiers  soixante-douze  chevaliers  du  Temple,  pour  que  le  pape 
les  examinât  et  se  convainquit  de  la  réalité  des  accusations 
qu'il  portait.  Ils  avouèrent  librement.  Un  Templier  de  la  mai- 
son du  pape  fit  des  confidences.  Clément  ne  douta  plus,  mais 
il  ne  voulut  pas  accorder  à  Philippe  la  suppression  de  l'ordre. 
Philippe  le  pressait  d'aviser  ^  Des  familiers  du  roi  ayant 
répandu  le  bruit  que  le  souverain  pontife  avait  abandonné  au 
roi  la  direction  de  cette  affaire,  Clément  protesta*.  En  fin  de 
compte,  il  ne  prenait  aucune  décision.  Philippe  résolut  de  lui 
faire  peur.  On  fit  circuler  des  libelles  hardis  où  l'on  reprochait 
à  Clément  d'être  vendu  aux  Templiers,  et  où  l'on  reconnaît  la 
main  du  pamphlétaire  officiel,  de  Pierre  Dubois.  L'un  de  ces 
pamphlets,  que  l'on  supposait  être  une  requête  adressée  par  le 
peuple  au  roi,  débutait  ainsi  : 

«  Le  pueble  du  royaume  de  France,  qui  tous  diz  (toujours)  a 
55  esté  et  sera  par  la  grâce  de  Dieu  dévost  et  obéissant  à  Sainte 
55  Eglise  plus  que  nul  autre,  requiert  que  leur  sires  li  rois  de 
55  France,  qui  puet  avoir  acès  à  nostre  père  li  pape,  li  monstre 
55  que  les  a   trop  fort   corrociés  et   grant  esclandre   commeu 

1  Cartul.  170,  fol.  xx"ix  et  suiv.  —  Notices  et  extraits ,  n°  24. 

2  Bibl.  Imp.,  cliartcs  Colbcrt,  n°  33. 

3  Cartul.  170,  fol.  69  (15  novembre  1307). 

*  Reg.  LU  du  Trésor  des  chartes,  n°  viii"xi  (1«''  décembre  1307). 


134  LA  FRA.VCE  SOIS  PHILIPPE  LE  IlEL. 

5'  eiilre  rus,  [lour  ce  que  il  ne  fait  semblant  fors  que  de  parole 
»  de. faire  punir,  non  pas  la  bougrerie  des  Templiers  mais  la 
»  renoierie  aperte  par  leurs  confessions  faites  devant  son  cnqui- 
1)  seteour  et  devant  tant  de  prélats  et  d'autres  bonnes  gens.  » 
Viennent  ensuite  les  plus  inj  urieuses  insinuations  contre  Clément. 
«  Pour  qnoy  le  pueble  ne  set  penser  raison  de  cest  délay  ne  de 
5)  tele  perversion  de  droit,  fors  que  il  cuident  que  ce  soit  voir 
«  (vrai)  que  l'on  dit  coniniunéniant  :  que  grandemant  d'or 
5)  doné  et  promisl  leur  niiisl.  «  Suivent  des  reproches  directs 
sur  les  grands  biens  qu'il  avait  donnés  à  son  neveu  et  à  ses 
amis,  et  des  menaces  '. 

Un  autre  libelle,  dû  à  la  même  plume,  ne  craignit  pas  de 
toucher  aux  questions  les  plus  graves  :  c'était  une  prétendue 
lettre  du  roi  au  pape.  Clément  y  était  accusé  d'une  coupable 
négligence  pour  les  intérêts  de  la  foi.  Sa  tiédeur  encourageait 
les  Templiers  et  affligeait  l'Eglise  de  France.  "  Qu'il  prenne 
garde,  car  il  est  soumis  aux  lois  ecclésiastiques.  «  Le  roi  n'est 
pas  un  accusateur  ni  un  (h''nonciateiir,  mais  le  ministre  de 
Dieu,  le  champion  de  la  foi  catholique,  le  zélateur  de  la  loi 
divine,  armé,  conformément  à  la  tradition  des  saints  pères, 
pour  la  défense  de  l'Église,  dont  il  doit  rendre  compte  à 
Dieu  -. 

Un  troisième  pamphlet,  encore  plus  audacieux,  expliquait  ce 
que  prétendait  faire  Philippe  en  se  proclamant  le  champion  de 
la  foi.  On  y  posait  en  principe  que  l'hérésie  était  un  crime 
qu'il  appartenait  aux  princes  de  punir:  on  citait  Moïse,  qui 
avait  fait  mettre  à  mort  vingt-deux  mille  Israélites  coupables 
d'avoir  adoré  le  veau  d'or,  et  cependant  Aloïse  n'était  pas 
prêtre,  le  sacerdoce  appartenait  à  son  frère  Aaron.  En  frappant 
les  Templiers,  le  roi  très-chrétien  se  rendra  digne  de  cette 
béatitude  que  Dieu  a  promise  par  la  bouche  de  son  prophète, 
par  ces  paroles  :  Beati  qui  faciunt  judicium  et  justitiam  in 
omni  temporc  ^ 

Clément  résistait  toujours.   Philippe  eut  recours  aux  états 

1  Cartul.  170,  fol.  119,  publiô  dans  Xotices  et  extraits,  n"  58. 
-  Notices  et  extraits,  n"  29.  —  Dupiiy,  Condamnation  des  Templiers, 
p.  95. 

'^  Xotices  et  extraits ,  n"  27. 


LIVRE  CIXQLIÉME.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIÉGE.  135 
généraux.  Il  joua  avec  une  grande  habileté  ce  rôle  de  défen- 
seur de  la  foi  qu'il  avait  pris  et  auquel  il  associait  la  nation, 
exécutant  ainsi  la  menace  qu'il  avait  fait  adresser  à  Clément. 
Dubois  avait  dit  :  "  Les  Templiers  sont  des  hérétiques;  l'hérésie 
est  un  crime  contre  Dieu,  qui  est  la  tète  de  l'Eglise.  Le  bras 
droit,  c'est-à-dire  le  pouvoir  ecclésiastique,  doit  veiller  à  ce 
que  la  tête  soit  respectée,  sinon  ce  devoir  incombe  au  bras 
gauche,  c'est-à-dire  au  pouvoir  temporel.  Si  ce  dernier  reste 
dans  l'inaction,  les  membres  inférieurs,  c'est-à-dire  le  peuple, 
se  lèveront  pour  la  défense  du  chef  '.  » 

La  circulaire  que  le  roi  expédia  aux  communes  pour  les 
inviter  à  envoyer  des  députés  aux  états  généraux,  est  un  curieux 
monument  de  cette  politique  qui  faisait  prendre  en  main  par 
le  chef  de  l'Etat  la  défense  de  l'Eglise  contre  un  de  ses  mem- 
bres les  plus  illustres,  et  qui  tendait  à  substituer  en  matière 
de  foi  le  pouvoir  séculier  à  l'autorité  ecclésiastique. 

tt  Nos  ancêtres,  disait-il,  se  sont  toujours  distingués  entre 
les  princes  par  leur  sollicitude  à  extirper  de  l'Eglise  de  Dieu 
et  du  royaume  de  France  les  hérésies  et  les  autres  erreurs, 
défendant  comme  un  trésor  inestimable,  contre  les  voleurs  et 
les  larrons,  la  foi  catholique,  celte  perle  précieuse.  »  Il  décla- 
rait ensuite  vouloir  marcher  sur  les  traces  de  ses  prédécesseurs 
et  profiler  de  la  paix  terrestre  que  Dieu  lui  avait  accordée  pour 
faire  la  guerre  aux  ennemis  publics  et  secrets  de  la  foi.  «  Qui 
peut  nier  le  Christ,  par  lequel  et  dans  lequel  nous  vivons,  qui 
s'est  incarné  pour  nous,  qui  n'a  pas  craint  de  souffrir  pour 
nous  la  mort  la  plus  cruelle?  Aimons  Kotre-Seigneur,  avec  qui 
nous  régnerons  un  jour;  vengeons  son  injure!  0  douleur! 
l'erreur  des  Templiers,  erreur  si  abominable,  si  amère,  si 
détestable,  vous  est  connue.  Ils  reniaient  Jésus-Christ,  et  ils 
forçaient  ceux  qui  entraient  dans  leur  ordre  à  le  renier;  ils 
crachaient  sur  la  croix,  instrument  de  notre  rédemption,  ils  la 
foulaient  aux  pieds,  et,  en  dérision  des  créatures  de  Dieu,  ils 
se  donnaient  de  sales  baisers;  ils  adoraient  des  idoles;  ils  se 
permettaient  entre  eux  ce  que  les  brutes  n'osent  faire.  La  terre 
et  le  ciel  sont  ébranlés  par  le  souffle  de  leurs  crimes;  les  quatre 

1  Trésor  des  chartes,  J.  414,  n"  34. 


136  LA  FKAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

éléments  en  sont  troublés.  Ces  infamies,  ils  les  ont  commises 
dans  toute  l'étendue  du  royaume,  ainsi  (|ue  le  prouve  la  con- 
fession (les chefs  de  l'ordre  (si  l'on  pc'ut  appeler  cela  un  ordre!), 
ils  les  ont  commises  outre-mer,  dans  les  auties  royaumes,  par- 
tout enlîn. 

«  Xous  avons  résolu  de  conférer  avec  le  Siège  apostolique 
pour  faire  cesser  tant  de  crimes  et  d'erreurs  et  pourvoir  à  la 
stabilité  de  la  foi  et  de  l'honneur  de  l'Kglise  notre  sainte 
mère;  et  nous  voulons  vous  faire  participer  à  cette  œuvre, 
vous  qui  participez  avec  nous  à  la  foi  de  Jésus-Cbrist  et  qui  en 
êtes  de  fidèles  zélateurs;  nous  vous  mandons  d'envoyer  sans 
retard  à  Tours,  trois  semaines  après  la  prochaine  fête  de  Pâques, 
pour  délibérer  sur  ce  sujet,  deux  hommes  d'une  foi  ardente  et 
éprouvée  de  cbacune  des  villes  insignes  du  royaume  '.   » 

Les  états  généraux,  convoqués  à  Tours  à  la  fin  de  mai  1308, 
déclarèrent  les  Templiers  coupables.  Fort  de  cette  décision,  le 
roi  se  rendit  à  Poitiers  avec  une  partie  des  députés;  il  espérait 
triompher  et  tout  obtenir,  mais  il  trouva  encore  de  la  résis- 
tance. Il  menaça  de  nouveau  de  reprendre  le  procès  de  Boni- 
face  VIII;  Clément  ne  céda  pas.  Philippe  dicta  un  ultimatum 
auquel  Clément  finit  par  souscrire.  Le  roi  quitta  Poitiers,  lais- 
sant Guillaume  de  Plasian  surveiller  l'exécution  des  promesses 
qu'il  avait  arrachées  au  pape  et  dont  voici  les  principaux 
articles  : 

1°  Les  Templiers  seront  remis  entre  les  mains  de  l'Eglise; 
mais  comme  l'Eglise  ne  saurait  les  garder,  elle  les  remettra  au 
roi,  qui  les  gardera  en  son  nom; 

2"  On  rendra  aux  prélats  les  pouvoirs  qu'on  leur  a  enlevés; 

3"  On  fera  de  même  pour  les  inquisiteurs  ; 

4°  Les  biens  des  Templiers  ne  pourront  être  employés  que 
pour  les  besoins  de  la  terre  sainte;  ils  seront  placés  sous  la 
main  de  l'Église;  mais  comme  l'Eglise  ne  saurait  elle-même 
les  garder,  ils  seront  confiés  à  des  commissaires  nommés 
moitié  par  le  roi,  moitié  par  les  évéques  '. 

1  Trésor  des  chartes,  J.  415,  n^  19.  Voyez  le  texte  dans  Xutices  et 
extraits. 

2  li  Hoc  sunt  que,  sicul  vidoliir,  consuli  possiint  in  ncj{ocio  Tcmpiariorum 
ad  pape  cxpcditionein  et  utilitatcni  nooocii.  ^  Carlul.  170,  i'ol.  ve'iiii. 


LIVRE  CIXQLIÈAIE.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIM-SIÉGE.  137 
Lc  pape  acquiesça  à  ces  propositions  ';  toutefois,  il  ne  put 
s'empêcher  de  déclarer  que  le  rétablissement  des  inquisiteurs 
dans  leur  pouvoir  lui  paraissait  contraire  à  son  honneur,  mais 
qu'il  y  consentait  pour  plaire  au  roi,  qui  avait  cet  article  à 
cœur  ^. 

En  conséquence  de  ce  compromis,  le  pape  révoqua  la  défense 
qu'il  avait  faite  aux  évéques  de  procéder  dans  cette  affaire  ^. 
Lea Templiers,  qui  jusqu'alors  étaient  détenus  dans  les  prisons 
royales,  furent  remis  à  l'évêque  de  Préneste,  désigné  par  le 
souverain  pontife,  mais  c'était  une  comédie;  l'évêque  de  Pré- 
neste les  livra  au  roi,  à  condition  de  les  tenir  à  la  disposition 
de  l'Eglise  *.  Clément  prescrivit  à  tous  les  souverains  de  l'Europe 
d'arrêter  les  Templiers  ^  Cependant  il  ne  voulait  pas  les  abolir, 
mais  les  réformer,  et  donna  plein  pouvoir  au  cardinal  de  Pré- 
neste à  cet  égard  °.  Trois  cardinaux  interrogèrent  le  grand 
maître  et  les  précepteurs  de  Normandie,  de  Poitou,  d'Aqui- 
taine, de  Chypre  et  le  visiteur  de  France.  Ils  avouèrent  la  cou- 
tume de  renier  le  Christ  et  de  cracher  sur  la  croix,  et  manifes- 
tèrent un  grand  repentir  ^  Dans  chaque  diocèse  les  procédures 
recommencèrent;  les  enquêtes  furent  faites  par  deux  cha- 
noines, deux  dominicains  et  deux  frères  mineurs  %  d'après 
un  formulaire  transmis  par  le  pape,  qui  contenait  un  grand 

'  s  Ob  lioiiorcin  rcgiuni  et  ut  votis  suis  satisfiat  ad  ea  que  scquuntur, 
intendit  se  sununus  pontifcx  dcclinarc.  »  Cartul.  170,  fol.  vi^H'. 

-  Dupuy,  en  analysant  cet  article ,  a  substitué  le  mot  authorité  au  mot 
honneur,  p.  93.  a  Item  de  restitutione  inquisitorum,  quia  rex  tantum  habef 
cordi ,  faciet  snmmus  pontifcx;  licet  vidcatur  coîitra  honorem  siium ,  facere 
posse  suum  cum  collegio  quod  pacienter  tolicntur,  quod ,  inia  cum  ordinariis 
et  aliis  predictis  ordinariis  associandi  procédant  contra  singulares  personas 
ordinis  Tempii.  i)  Cartul.  170,  fol.  vi"vi. 

^  Notices  et  extraits ,  w  33. 

■*  Bulle  Justian  et  laudabile ,  or.  A.  I.  Bullaire  L.  carton  291,  pièce  14 
(20  août  1308). 

5  30  octobre.  Trésor  des  chartes,  Reg.  XLIII,  n^38.  Clément  ordonna  de 
les  emprisonner  à  tous  les  princes  étrangers.  Voyez  sa  lettre  au  duc  d'Autricbc. 
Cartul.  170,  fol.  146. 

c  Trésor  des  chartes ,  Reg.  XLIII,  n"  33  (12  juillet  1308). 

"  Lettre  des  cardinaux  au  roi  pour  lui  demander  la  grâce  des  Templiers. 
Cartul.  170,  fol.  126  v°. 

^  Bulle  Licet  indi(jnatio7icm  nostratn.  Or.  Bullaire  L.  290,  n"  13. 


138  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

nombre  de  chefs  d'accusation  '.  Clément  chargea  une  commis- 
sion ,  présidée  par  rarchcvè(|iift  de  \arhonne,  d'instruire  le 
procès  do  l'ordre  entier.  Elle  interrogea  le  grand  maître, 
Jacques  de  Molay,  et  les  autres  chefs  de  l'ordre.  Tous  attri- 
buèrent leurs  aveux  aux  tortures  auxquelles  ils  avaient  été 
exposés.  Les  Templiers  présents  à  Paris  nommèrent  un  de  leurs 
frères,  Pierre  de  Boulogne,  et  huit  autres  clievaliers  pour 
défendre  l'ordre.  On  entendit,  depuis  le  mois  d'octobre  1309 
jusqu'au  mois  de  mai  1311,  treize  cent  trente  et  un  témoins'. 
Dans  chaque  province,  des  conciles  se  réunirent  pour  statuer 
d'après  les  enquêtes  qui  avaient  été  faites  :  ils  condamnèrent 
les  Templiers  à  différentes  peines,  les  uns  au  feu ,  d'autres  à 
la  prison;  quelques-uns  furent  absous.  On  en  brûla  cinquante- 
neuf  à  Paris  à  la  porte  Saint-Antoine'.  Mais  les  condamnations 
individuelles  ne  suffisaient  pas  au  roi  :  il  fatiguait  le  pape 
de  ses  obsessions  pour  obtenir  la  condamnation  de  l'ordre. 
Clément  promit  de  convoquer  un  concile  à  Vienne  en  1310 
pour  décider  cette  grave  affaire,  et  finit  par  signifier  qu'il  ne 
rendrait  aucun  nouveau  décret  au  sujet  des  Templiers.  Il  mani- 
festa l'intention  de  donner  aux  Hospitaliers  les  biens  du  Tem- 
ple; Philippe  combattit  vivement  cette  mesure,  et  parla  de 
nouveau  du  procès  de  Bonifacc.  Clément,  las  de  se  trouver  à 
la  merci  de  Philippe  *  et  dans  l'impossibilité  de  se  rendre  à 
Rome,  s'était  fait  céder  par  le  comte  de  Provence  la  ville  d'Avi- 
gnon et  y  avait  transféré  le  saint-siège.  Ce  fut  dans  cette  ville 
qu'il  convoqua  tous  ceux  qui  avaient  quelque  accusation  à 
porter  contre  la  mémoire  de  Boniface.  \ogaret  se  chargea  de 
soutenir  l'accusation.  De  toutes  parts  arrivèrent  des  témoins  : 
les  parents  et  les  amis  de  Boniface  vinrent  défendre  sa  mé- 
moire. Le  procès  s'instruisit  avec  appareil.  J'ai  parlé  des  accu- 
sations portées  par  Xogaret  contre  Boniface;  la  dignité  de 
l'histoire  serait  souillée  par  le  récit  de  ce  qui  se  passa  devant 
la  cour  pontificale  à  Avignon:  on  faisait  de  Boniface  un  monstre 
plus  odieux  (|ue  Tibère  à  Caprée  ;  les  crimes  les  plus  atroces 

1  Diipny,  Procès  des  Templiers ,  p.  46  ot  47. 

-  Procès  des  Templiers ,  publié  par  M.  Alicliclct.  2  vol.  in-4<'. 

•'  Dnpiiy,  Procès  des  Templiers ,  p.  52  ot  53. 

^  Mcinor.  Johannis  a  Sancto  Victorc,  Hist.  de  France,  t.  .\\I ,  p.  C47. 


.    LIVRE  CIXQIIKAIE.  —  LE  ROI  ICT  LE  SAIXT-SIÉGE.         139 

étaient  imputés  à  un  homme  d'une  naissance  distinguée,  les 
plus  odieuses  débauches  à  un  vieillard,  les  plus  sales  blas- 
phèmes à  un  pontife.  L'infamie  des  témoins  n'inspire  que  du 
dégoût  et  du  mépris  pour  ces  dépositions  invraisemblables  et 
payées.  Ajoutez  à  cela  des  ergoteries  d'avocat,  dés  chicanes  de 
procureur.  Aogaret,  qui  avait  arrêté  Boniface  VU!  pour  le  faire 
juger  par  un  concile,  était  devenu  pour  les  besoins  de  sa  cause 
l'intrépide  champion  des  droits  de  la  papauté.  Aux  défenseurs 
de  Boniface,  qui  prenaient  acte  de  ce  qui  avait  été  fait,  pour 
prétendre  qu'un  pape  ne  pouvait  être  jugé  que  par  un  concile, 
il  opposait  la  toute-puissance  pontificale  et  soutenait  qu'un 
pape  pouvait  juger  et  condamner  un  de  ses  prédécesseurs.  Le 
procès  dura  prés  d'une  année,  étalant  le  misérable  spectacle  de 
violences,  de  ruses,  de  faux  et  de  mensonges.  Clément  ne 
savait  comment  sortir  avec  honneur  de  cette  difficulté;  il  lui 
fallait  déshonorer  le  saint-siége  eu  déclarant  Boniface  héré- 
tique- ou  s'attirer  la  haine  de  Philippe  ])ar  une  sentence  d'ab- 
solution. Il  pria  le  comte  de  Valois  d'obtenir  du  roi  d'aban- 
donner à  sa  discrétion  la  solution  de  cette  affaire;  la  demande 
du  comte  fut  appuyée  par  une  partie  de  la  noblesse.  Enfin,  au 
mois  de  février  1311,  Philippe  s'en  remit  à  la  décision  du 
pape  au  concile  de  Vienne.  On  fit  désister  les  accusateurs,  et 
\e  procès  n'ayant  plus  d'objet,  le  pape  déclara  la  mémoire  de 
Boniface  pure  et  sainte.  Nogaret  fut  absous. 

Mais  ce  n'était  pas  là  une  victoire  pour  Clément  :  Philippe 
ne  renonçait  h  la  poursuite  contre  Boniface  Vlil  qu'à  la  condi- 
tion de  l'abolition  des  Templiers.  Le  concile  de  Vienne,  qui 
devait  statuer  sur  le  sort  de  cet  ordre,  s'ouvrit  vers  la  fin  de 
l'année  1311. 

La  majorité  des  Pères  fut  défavorable  à  l'abolition.  Clément, 
surveillé  par  le  roi  qui  était  venu  à  Vienne,  prononça  la  sup- 
pression par  voie  de  provision  et  publia  cette  sentence  dans  le 
concile,  mais  sans  sa  participation  ,  en  présence  du  roi,  de  son 
frère,  de  ses  fils  et  de  toute  sa  cour  '. 

On  a  vu  sous  quel  prétexte  Philippe  avait  fait  arrêter  les 
Templiers;  il  les  accusait  de  mauvaises  mœurs  et  d'hérésie;  il 

1  Rainakli,  Annales  eccles.,  t.  IV,  siib  anno  1311. 


140  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPR  LE  BEL. 

insistait  surloiil  sur  ce  (Icrnicr  point.  On  profita  des  interro- 
gatoires faits  en  1307  par  ordre  du  roi,  pour  dresser  les  chefs 
d'accusation,  qui  furent  remis  en  1308  par  Clément  V  aux 
commissaires  qu'il  chargea  d'instruire  le  procès  de  l'ordre. 

Suivant  ces  articles  : 

Chaque  Templier,  lors  de  sa  réception,  reniait  le  Christ. 
Ceux  qui  le  recevaient  lui  déclaraient  que  le  Christ  n'était  pas 
Dieu,  mais  un  faux  prophète,  et  lui  ordonnaient  de  cracher 
sur  le  crucilix.  ils  se  baisaient  sur  la  bouche,  sur  le  nombril 
et  sur  le  dos.  Personne  n'était  admis  à  la  réception  d'un 
chevalier. 

On  leur  recommandait  de  ne  refuser  à  leurs  frères  aucune 
complaisance. 

Ils  ne  croyaient  pas  au  sacrement  de  l'autel. 

Ils  adoraient  un  chat. 

Ils  avaient  des  idoles  en  forme  de  têtes  à  une  ou  plusieurs 
faces,  et  ils  les  adoraient. 

Ils  faisaient  toucher  à  ces  idoles  des  cordelettes  dont  ils  se 
ceignaient  le  corps. 

Ceux  qui  refusaient  de  faire  ces  choses,  ils  les  mettaient  à 
mort;  et  ils  juraient  de  ne  jamais  rien  révéler. 

Tels  sont  en  substance  les  crimes  que  l'on  reprochait  aux 
Templiers.  Ils  peuvent  se  réduire  à  trois  principaux  :  reniement 
du  Christ  —  idolâtrie  —  mauvaises  mœurs.  Des  savants  mo- 
dernes ont  vu  dans  les  cérémonies  impies  attribuées  aux  Tem- 
pliers des  traces  de  manichéisme.  La  lecture  des  nombreuses 
dépositions  qui  nous  sont  parvenues  ne  permet  pas  d'adopter 
cette  opinion.  D'abord,  il  ne  faut  pas  admettre  sans  examen 
tous  les  témoignages,  dont  la  ])lupart  furent  obtenus  par  la  tor- 
ture. Cependant  il  est,  je  crois,  hors  de  doute  que  les  Tem- 
pliers n'étaient  reçus  dans  l'ordre  qu'après  avoir  renié  le  Christ. 
Il  y  a  unanimité  pour  ce  fait,  tant  en  France  que  dans  les  pays 
étrangers'.  La  plupart  des  accusés  racontent  que  cette  action 
leur  avait  fait  horreur,  mais  qu'on  leur  avait  répondu  que 
c'était  la  règle.  A  certains  on  disait  que  c'était  une  coutume 
introduite  par  un  grand  maître  qui  était  tombé  entre  les  mains 

'  Le  grand  niaître  l'avoua  :  voyez  la  lettre  des  cardinau.x  en  date  de  la  fin 
d'août  13U8.  Cartul.  170,  fol.  12G  v". 


.  LIVRE  CINQUIEME.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIEGE.  141 

des  Sarrasins,  et  n'avait  obtenu  sa  liberté  qu'à  cette  condition  '. 
A  d'autres  on  avait  assuré  que  c'était  en  mémoire  do  saint 
Pierre  qui  avait  renié  Jésus  ^.  La  plupart  affirmèrent  avoir 
renié  de  bouche  seulement.  Il  est  impossible  de  croire  que  cette 
renonciation  ne  fût  pas  une  formule  symbolique  dont  la  signi- 
fication primitive  s'était  perdue;  je  demanderai  la  permission 
de  risquer  une  explication  nouvelle.  Un  des  premiers  devoirs 
des  Templiers  était  l'obéissance  passive.  Chaque  récipiendaire 
s'y  engageait  par  serment;  on  le  mettait  immédiatement  à 
l'épreuve  en  obtenant  de  lui  la  plus  grande  marque  de  sou- 
mission qu'on  pût  demander,  la  renonciation  à  sa  foi.  Mais 
cette  renonciation  n'était  évidemment  que  fictive;  car  toutes 
les  dépositions,  même  celles  des  Templiers  qui  paraissent  avoir 
été  subornés  pour  accuser  l'ordre,  sont  unanimes  à  reconnaître 
comme  étant  en  vigueur  dans  le  Temple  la  pratique  du  chris- 
tianisme *.  De  sales  baisers  faisaient  partie  du  cérémonial  de  la 
réception  d'un  Templier.  Il  y  a  presque  unanimité  à  cet  égard  ; 
cependant,  tantôt  c'est  le  récipiendaire  qui  les  donne,  tantôt 
c'est  lui  qui  reçoit  ;  quelquefois  ils  sont  réciproques.  Ils  n'étaient 
pas  tous  aussi  sales  que  le  porte  l'acte  d'accusation  ;  beaucoup 
baisaient  la  bouche,  d'autres  le  dos.  On  doit  voir  dans  cette 
cérémonie  une  marque  d'humilité  et  de  fraternité''. 

Passons  aux  idoles  qui  ont  fait  soupçonner  les  Templiers  de 
manichéisme  :  peu  de  Templiers  déclarent  les  avoir  vues;  car 
elles  n'étaient  exposées  que  dans  les  chapitres  généraux.  Les 
unes  étaient  un  crâne  humain,  d'autres  une  tête  de  bois  argen- 
tée ou  dorée;  toutes  avaient  une  longue  barbe;  on  se  proster- 

1  Déposition  de  Gcoffroi  de  Gonneville ,  qui  avait  été  reçu  en  Angleterre. 
Dépositions  des  Templiers  de  Paris  reçues  par  Guillaume  de  Paris ,  inquisiteur. 
Trésor  des  chartes.  Templiers,  II,  n°  18.  Conf.  Dupuy,  p.  87  et  88. 

2  Dupuy,  p.  89. 

^  Il  n'y  a  rien  de  plus  pur  que  la  règle  de  l'ordre  du  Temple  approuvée 
au  concile  de  Troyes  en  1128,  et  publiée  par  Alaillard  de  Chambure.  Paris, 
1840,  in-S".  Conf.  Bulletin  de  la  Commission  d'histoire  de  Belgique, 
t.  I,  p.  47.  Cette  édition  est  faite  d'après  un  manuscrit  conservé  aux  archives 
de  Dijon. 

^  Voyez  le  Procès  des  Templiers ,  publié  par  M.  ilichelet  dans  la  Collec- 
tion des  documents  inédits.  Il  n'y  a  ricri  d'aussi  fastidieux  que  la  lecture  de 
ces  pièces,  qui  ne  jettent  aucun  jour  sur  la  question. 


1V2  LA  FRA\CE  SOIS  PHILIPI'E  LK  RKL. 

liait  devant  elles  et  ou  les  adorait,  dépendant,  des  Templiers 
du  Midi  déelarèrcMit  que,  lors  de  leur  réception,  on  leur  avait 
liiit  adorer  une  idole  barbue  de  cuivre  doré,  en  forme  de  Baf- 
fomet;  mais  ces  dépositions  sont  suspectes,  car  selon  l'un  des 
témoins,  le  prêtre  qui  montrait  cette  idole  prononçait  le  mot 
arabe  :  I  allali.  Cette  accusation  de  mabométisme  était  absurde, 
puisque  les  mahométans  ont  toujours  eu  horreur  du  culte  des 
images.  Ces  tètes  n'étaient-elles  pas  des  reliquaires?  La  cordelette 
dont  les  Templiers  se  ceignaient  joue  un  grand  rôle  dans  les  in- 
terprétations gnostiques  que  l'on  prétend  donner  des  doctrines 
duTcmple.  On  peut  la  regarder  comme  un  emblème  de  cbasteté. 

Reste  l'accusation  de  mauvaises  mœurs  :  il  n'est  pas  vrai- 
semblable que  l'autorisation  des  plus  criminels  désordres  ait 
été  inscrite  dans  la  règle  du  Temple,  règle  que  nous  possé- 
dons. Sans  doute,  un  long  séjour  en  Palestine  fit  contracter 
à  quelques  Templiers  des  mœurs  orientales;  on  peut  même 
aller  plus  loin  et  reconnaître  que  de  pernicieux  conseils  ont 
pu  être  donnés,  pour  éviter  tout  scandale  extérieur  et  sauve- 
garder au  milieu  des  païens  la  réputation  de  l'ordre.  Je  crois 
que  c'est  la  seule  opinion  raisonnable  sur  cette  question;  il  y 
aurait  beaucoup  d'injustice  à  incriminer  l'ordre  du  Temple  tout 
entier,  à  cause  des  vices  de  (juelques-uns  de  ses  membres. 

Il  y  avait  certes  de  grands  abus  à  corriger;  les  Templiers 
étaient  peut-être  devenus  inutiles  et  même  dangereux  ';  mais 
on  ne  pouvait  avec  équité  les  accuser  d'hérésie.  Or,  riiérésie 
fut  le  prétexte  dont  Philippe  se  servit  pour  abattre  cette  puis- 
sante famille  militaire  et  religieuse,  qui  couvrait  le  monde  de 
ses  châteaux,  dont  les  possessions  étaient  immenses,  qui  avait 
tout  un  peuple  de  vassaux  et  de  clients  dans  toutes  les  classes 
de  la  société,  et  que  ses  richesses  et  sa  puissance  avaient  rendue 
superbe.  «  Orgueil  de  Templier,  -^  disiiil  le  proverbe,  et  c'est 
tout  ce  qu'on  leur  reprocha  tant  qu'ils  furent  debout.  Ils  fai- 
saient d'abondantes  aumônes,  et  Jacques  de  Moluy  pouvait 
affirmer,  sans  être  contredit,  qu'ils  nourrissaient  des  milliers 

'  Dans  im  nu-moire  adressé  en  1306  au  roi  d' .Angleterre,  Dubois  proposait 
la  snppression  des  deux  ordres  du  Temple  ef  de  Malte,  qui  étaient  divisés, 
pleins  de  mauvaise  foi  et  inutiles.  De  rcciiperatiorw  tcrrœ  sandœ ,  apud 
Bongars,  Gesta  Dei  per  Francos ,  p.  320  et  321. 


.     LIIRK  CIXQIIEME.  —  LE  ROI  ET  LE  SAIXT-SIEGE.         143 

de  pauvres.  Si  l'on  invoque  contre  le  Temple  les  aveux  de  plu- 
sieurs de  ses  membres,  on  peut  répoudre  que  les  tortures 
arrachèrent  ces  aveux  ;  les  supplices  attendaient  ceux  qui  res- 
taient fidèles  à  Tordre,  pendant  qu'on  promettait  le  pardon  et 
des  pensions  à  ceux  qui  avoueraient.  La  peur  dès  tortures  de 
l'inquisition  fît  trembler  un  grand  nombre  de  chevaliers  qui 
étaient  allés  sans  crainte  au  combat;  plusieurs  se  repentirent 
de  leur  faiblesse,  se  rétractèrent,  et  donnèrent,  en  proclamant 
leur  innocence  sur  le  bûcher,  la  plus  grande  preuve  de  la 
sincérité  de  leurs  dernières  déclarations. 

A  partir  du  concile  de  Vienne,  les  Templiers  durent  être 
jugés  selon  leurs  méfaits  personnels;  le  jugement  du  grand 
maître  et  de  plusieurs  autres  fut  réservé  au  pape,  qui  délégua 
trois  cardinaux,  devant  lesquels  Jacques  de  Alolay  et  les  com- 
mandeurs de  Guicnne  et  de  Normandie  avouèrent,  dit-on,  ce 
qu'on  leur  reprochait.  Ils  furent  condamnés  à  une  détention 
perpétuelle.  Les  cardinaux  désirant  donner  au  public  le  spec- 
tacle de  la  condamnation  du  grand  maître ,  firent  dresser  un 
échafaud  devant  Notre-Dame  de  Paris,  et  y  firent  lire  les 
aveux  des  Templiers;  Jacques  de  ^lolay  interrompit  cette  lec- 
ture et  proclama  que  Tordre  du  Temple  était  pur  et  saint.  Un 
de  ses  compagnons  fit  la  même  déclaration.  L'embarras  fut 
grand.  Les  Templiers  furent  ramenés  en  prison.  Jacques  de 
Molay  et  son  compagnon,  qui  avaient  rétracté  leurs  aveux,  furent 
brûlés  sans  jugement,  par  ordre  du  roi,  dans  une  petite  île 
aujourd'hui  réunie  à  la  pointe  de  Tile  de  la  Cité,  et  placée  entre 
le  jardin  du  Palais  et  le  couvent  des  Grands-Augustins.  L'abbé 
de  Saint-Germain  des  Prés,  qui  avait  toute  juridiction  sur 
cette  île,  se  plaignit  de  cette  violation  de  ses  privilèges,  et  le 
roi  lui  accorda  des  lettres  de  non  préjudice  '. 

On  raconte  que  Jacques  de  Molay  ajourna  Philippe  le  Bel  et 
Clément  V,  ses  bourreaux,  à  comparaître  dans  Tannée  au  tri- 
bunal de  Dieu";  c'est  là  une  légende  merveilleuse,  mais  le 

1  Mars  1313.  Or.  Arcli.  de  l'Emp.,  K.  38,  n°  12.  —  Copie  du  temps, 
Ibid.,  Reg.  XXXIX,  n"  J29S;  et  Olim ,  t.  II,  p.  599. 

-  On  a  nié  (Sisniondi,  Histoire  des  Français,  t.  IX,  p.  293)  ce  fail,  qui 
n'était,  dil-on,  attesté  que  par  des  auteurs  qui  vivaient  longtemps  après.  Un 
des  plus  anciens  historiens  qui  en  parie  serait  Paul  Emile;  c'est  une  erreur. 


144  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPE  LK  RLL. 

poëte  Geoffroi  tlo  Paris  nous  a  laissé  des  derniers  moments  du 
grand  maître,  dont  il  fut  témoin,  un  admirable  récit,  qui  jette 
une  grande  lumière  sur  cet  homme,  dont  la  mort  fut  si  coura- 
geuse et  si  chrétienne  ;  de  ce  martyre ,  comme  l'appelle  Geoffroi 
de  Paris,  dont  le  supplice  fut  pour  le  j)euple  l'objet  d'une  poi- 
gnante pitié'.  Molay  attesta  son  innocence  et  appela  la  ven- 
geance du  ciel  sur  ses  persécuteurs.  Chrétien  digne  des  pre- 
miers âges,  il  pria  qu'on  lui  déliât  les  mains  pour  pouvoir 
adresser  une  dernière  prière;  et  les  yeux  fixés  sur  l'église 
Notre-Dame,  sanctuaire  révéré  de  la  Vierge,  la  mort  Je  prit 
doucement.  On  comprend  que  les  témoins  de  cette  belle  mort, 
voyant  moins  d'un  an  après  Philippe  et  Clément  V  appelés  à 
rendie  compte  à  Dieu  de  leurs  actes,  aient  vu  là  un  effet  du 
jugement  de  Dieu  et  de  la  malédiction  de  Jacques  de  .Molay  '. 

La  France  fut  le  seul  pays  où  l'on  se  montra  cruel  pour  les 
Templiers  :  partout  ailleurs,  on  donna  leurs  biens  aux  Hospi- 
taliers et  l'on  forma  des  ordres  nouveaux  où  ils  furent  admis. 

Les  causes  de  la  suppression  de  cet  ordre,  telles  que  je  viens 
de  les  exposer  pour  la  première  fois  et  qui  nous  sont  connues 
par  des  documents  authentiques  inédits  ou  peu  connus,  furent 
pour  les  contemporains  un  mystère  impénétrable. 

Francesco  Amadi,  qui  vivait  au  quinzième  siècle,  mais  qui 
reproduit  évidemment  le  récit  d'un  contemporain ,  raconte 
que  le  trésorier  du  Temple  prêta  au  roi  200,000  florins  sans 
l'aveu  du  grand  maître,  et  qu'il  fut  pour  cette  faute  chassé  de 
l'ordre  '.  En  vain  Philippe  demanda  sa  grâce,  Jacques  de  Molay 

1  Chrnn.  de  G.  de  Paris,  Biiclioii,  p.  2J9.  Voyez  aussi  la  Relation 
d' Amadi.  Alas-Latrie,  Histoire  de  Chypre,  t.  II,  p.  169. 

-  L'Iiisloricn  italien  Feretti  de  l  icence  raconte  luie  curieuse  anecdote  où 
il  est  ([iiestion  d'un  Templier  napolitain  (pii ,  mené  devant  Clément,  lui 
reprocha  son  injustice.  Conduit  longtemps  après  au  supplice,  il  s'ffcria  : 
(i  .Audi,  ])apa  trux...  P>go  quidem  ab  hoc  ncfniido  tuo  judicio  ad  Deum  vivum 
et  verum ,  (]iii  est  in  ctelis,  appello  ,  teque  admoneo,  ut  intra  diem  et  annum 
coram  eo  pariter  cum  Philippo  tanti  sceleris  auctore  comparere  studeas  meis 
objectionihus  responsurus,  tuaeque  excnsationis  causam  editurus.  Deinde  obti- 
cuit  et  magnifiée  supplicium  tulit.  »  Aluratori ,  Rerum  italicannn  scriptures , 
t.  IV,  p.  1017.  Conf.  Lacabane,  Dissertations  sur  l'histoire  de  France  au 
quartorzième  siècle,  t.  I,  p.  2.  On  comprend  que  cet  appel  au  jugement  de 
Dieu,  ce  cri  suprême  de  l'innocence,  dut  èlrc  prononcé  plusieurs  fois. 

'^  Mas-Latrie,  Histoire  de  Chypre,  preuves,  t.  II,  p.  690.  Ces  emprunts 


.    LIVHE  CIXQL'IÈMi:.  —  LE  ROI  KT  LE  SAIXT-SIÉGE.  145 

fut  inflexible  :  de  là,  la  liaiiie  du  roi.  Ainieri  de  Peyrac,  al)bé 
de  Aloissae,  prétend  que  les  Templiers  avaient  conspiré  contre 
Philippe;  U'alsinghara  attribue  l'animosité  du  roi  au  désir 
d'établir  un  royaume  d'Orient  au  profit  d'un  de  ses  fils  '. 

La  plupart  des  chroniqueurs  français  parlent  avec  effroi  des 
impiétés  et  des  débauches  des  Templiers  :  tous  racontent  avec 
émotion  leui-  fermeté  dans  les  supplices  ^. 

La  participation  de  Clément  à  la  suppression  de  cet  ordre 
célèbre  a  surtout  paru  inexplicable  :  on  a  cru  qu'il  avait  aqri 
par  conviction,  en  présence  des  preuves  irrécusables  des  crimes 
des  Templiers.  J'ai  montré  qu'il  ne  fut  en  cette  circonstance 
que  l'instrument,  on  peut  même  dire  la  victime,  de  Philippe 
le  Bel,  qui  l'obséda  pendant  près  de  six  années  pour  lui  arra- 
cher une  condamnation,  et  qui  n'y  parvint  qu'en  le  menaçant 
d'un  scandale  inouï,  de  la  condamnation  de  Boniface  VIII 
comme  hérétique. 

Quant  aux  biens  des  Templiers  qui  paraissent  avoir  excité 
la  convoitise  de  Philippe  le  Bel,  ils  furent  adjugés  par  Clément  V 
à  l'ordre  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  \  qui  était  dévoué  au 
roi  *;  mais  Philippe  ne  s'en  dessaisit  qu'à  regret.  Il  prétendit 
que  les  Templiers  lui  avaient  volé  deux  cent  mille  livres  tour- 
nois, qu'il  avait  déposées  au  Temple  *.  Les  Hospitaliers  pro- 
mirent de  restituer  celte  somme.  Ce  ne  fut  pas  tout  :  on  leur 
fit  payer  soixante  mille  livres  pour  les  frais  du  procès,  qui 
pourtant  avaient  déjà  été  prélevés  sur  les  revenus  du  Temple  "  ; 
on  leur  fit  donner  quittance  de  tous  les  revenus  échus  depuis 

faits  au  Temple  ne  sont  pas  invraiscmblnhlcs.  I']n  1297,  le  roi  se  fit  remettre 
2500  livres  tournois  sur  l'argent  (Icstine  ù  la  croisade  qui  était  dépose  au 
Temple  et  s'engagea  à  en  répondre  pour  les  Templiers.  A.  I,  or.  Iv,  3G, 
n»  51  fjis.  29  mai  1297. 

1  Baluze,  Not.  advitœpajj.  Aven.,  t.  II,  p.  589. 

-  Geoffroy  de  Paris ,  vers  6070  et  suiv. ,  édit.  Buchon. 

"'  Chron.  G.  de  Frachcto ,  Historieiis  de  France,  t.  XXI,  p.  37. 

''*  Voyez  une  lettre  du  grand  maître  Foulque  de  Villaret  à  Philippe  le  Bel, 
dont  il  se  dit  l'homme  lige,  et  qu'il  proclame  «  lucerna  ardcns  que  orllio- 
doxorum  plebem  ducit,  régit  et  illuminât  » .  Or.  Trésor  des  chartes  ^  J.  442, 
no  13. 

•^  Prima  compositio.  Or.  A.  I,  J.  368,  n"  3.  Félibicn,  Histoire  de  Paris, 
t.  III,  preuves,  n"  320  (21  mars  1312,  vieux  style). 

^  Secunda  comp.  Felibien,  Histoire  de  Paris,  t.  III,  preuves,  p.  320. 

10 


146  LA  KRAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

le  séquestre  des  biens.  Il  y  eut  successivement  plusieurs  trans- 
actions de  ce  genre,  et  ce  fut  seulement  en  J315  que  Louis 
le  Ilulin  délivra  aux  chevaliers  de  l'Hôpital  les  possessions  des 
Templiers,  après  les  avoir  contraints  de  lui  abandonner  la 
moitié  des  meubles  et  même  des  ornements  d'église  ' ,  qui 
étaient  d'une  grande  valeur.  La  part  des  Hospitaliers  ne  laissa 
pas  que  d'être  fort  belle,  et  il  y  aurait  de  l'exagération  à  dire, 
d'après  saint  Antonin,  qu'au  lieu  de  s'enrichir,  ainsi  qu'ils  l'es- 
péraient, ils  s'appauvrirent  en  recevant  les  biens  du  Temple*. 
Plus  (les  deux  tiers  dos  possessions  de  l'ordre  de  Malte  en 
France,  à  la  fin  du  siècle  dernier,  avaient  cette  origine  ^ 

1  Tcrtia  comp.  Or.  Trésor  des  chartes ,  J.  3G8  n"  4.  Les  biens  des  Tem- 
pliers avaient  été  administrés  pendant  le  séqnestre  par  des  commissaires 
nommés  par  le  roi  et  par  le  pape.  Voyez  un  compte  du  séquestre  des  maisons 
du  Temple  du  bailliage  de  Troyes ,  en  1308.  Or.  Bibl.  imp.,  Mélanges  (le 
Cléremhaitt ,  t.  IX,  fol.  223  et  suiv.  —  Le  roi  avait  ordonné  au  prévôt  des 
marcbauds  de  Paris  de  veiller  à  la  garde  des  biens  des  Templiers  à  Paris. 
Or.  Arcb.  de  l'Emp.,  K.  37,  n"  39. 

2  Apud  Rainaldi,  t.  IV,  p.  547. 

•^  Voyez  les  archives  de  l'ordre  de  JLaltc  aux  Arch.  de  l'Emp.,  série  S. 
Dubois,  dans  le  même  mémoire  où  il  proposa,  en  1306,  à  Edouard  d'An- 
gleterre l'abolition  des  Templiers  et  des  Hospitaliers,  proposition  qu'il  fit 
au.ssi  sans  aucun  doute  à  Philippe  le  Bel,  évaluait  à  800,000  livres  le  revenu 
de  ces  deux  ordres.  Ce  calcul  est  sans  doute  exagéré,  mais  il  montre  quelle 
haute  idée  des  hommes  éclairés  avaient  de  la  richesse  de  ces  deux  ordres 
religieux.  De  recupei-atioiie  tcrrœ  sanctœ ,  apud  Bongars,  Gesta  Dei  jjcr 
Francos,  t.  II,  p.  320  et  321. 


LIVRE    SIXIEAIE. 

DU   TIERS   ÉTAT. 


CHAPITRE   PREMIER. 

DES    COMMUNES. 

Décadence  des  communes  jurées.  —  Leur  nombre  diminue.  —  Philippe  le 
Bel  n'accorde  aucune  charte  de  commune.  —  Les  communes  maintenues 
dans  les  fiefs  pour  contre-balancer  l'autorité  seigneuriale.  — Les  communes 
en  tutelle.  —  Le  parlement  surveille  la  gestion  des  magistrats  municipaux. 

—  Déplorable  situation  financière  des  communes.  —  Causes  de  cet  état 
de  choses,  les  vices  de  l'organisation  communale  et  les  exactions  du  fisc. 

—  Plusieurs  communes  font  banqueroute.  —  Comment  le  parlement  liqui- 
dait leurs  dettes.  —  Plusieurs  villes  renoncent  à  leurs  droits  de  commune. 

—  Constitutions  municipales  octroyées  par  Philippe  le  Bel.  — ■  L'élément 
populaire  supprimé.  —  Elections  à  deux  degrés. —  Listes  de  présentation. 

—  Les  magistrats  municipaux  sont  considérés  comme  agents  royaux. 

Dans  les  chapitres  précédents,  j'ai  successivement  exposé 
les  rapports  du  roi  avec  les  trois  ordres  de  la  nation  réunis 
dans  les  états  généraux,  avec  la  noblesse  et  avec  le  clergé;  il 
me  reste  à  montrer  quelle  fut  son  action  sur  le  tiers  état.  Cette 
étude  sera  Tobjet  du  présent  livre,  qui  sera  court,  car  je  ne 
puis  ni  ne  dois  entrer  dans  les  détails  de  l'administration 
municipale;  je  me  bornerai  à  présenter  quelques  considéra- 
tions générales  et  à  citer  quelques  laits  qui  permettront  d'ap- 
précier si  l'influence  de  Philippe  le  Bel  fut  utile  ou  funeste  aux 
classes  inférieures  de  la  société. 

La  décadence  des  communes  jurées,  qui  date  de  Philippe- 
Auguste,  avait  marché  pendant  tout  le  treizième  siècle  et  était 
arrivée  à  son  dernier  période  au  commencement  du  siècle  sui- 
vant. Est-ce  à  dire  que  les  progrès  du  tiers  état  furent  arrêtés? 
Loin  de  là,  ils  continuèrent  sans  interruption,  mais  dans  une 
autre  direction  que  celle  qu'ils  avaient  prise  tout  d'abord.  La 
commune,  qui  fut  au  douzième  siècle  l'expression  la  plus  com- 
plète  de  l'émancipation,    n'était    qu'une    des  formes   que  la 

10. 


148  LA  l'RA.XCE  SOLS  rilIl.II'PK  LE  BEL. 

liberté  était  susceptible  de  recevoir.  C'était  rindépendancc 
armée,  révolutionnaire;  son  caractère  dislinctif  est  l'isolement. 
Elle  était  merveilleusement  ajjpropriée  du  reste  pour  combattre 
les  petites  tyrannies  féodales.  Klle  dut  s'effacer  peu  à  peu 
devant  la  formation  des  grands  fiefs  et  surtout  devant  les  con- 
quêtes de  la  centralisation  monar(lii(jue,  dont  elle  fut  d'abord 
rauxiliairc.  Les  vieilles  communes  tombèrent  sous  la  surveil- 
lance immédiate  des  agents  royaux;  plusieurs  même  disparu- 
rent. En  consultant  le  tableau  des  villes  qui  envoyèrent  des 
députés  aux  états  de  1308,  on  trouve  désignées  sous  le  titre 
àe  communautés  une  foule  de  localités  dont  l'érection  en  com- 
mune avait  été  confirmée  au  douzième  siècle  par  des  chartes 
royales  insérées  dans  le  recueil  des  ordonnances. 

Il  ne  fut  pas  accordé  une  seule  charte  de  commune  pendant 
le  règne  de  Philippe  le  Bel  :  ce  fait  est  caractéristique.  In 
très-petit  nombre  furent  confirmées  '.  Le  parlement  poursui- 
vait avec  persévérance  les  communes,  et  se  servait  pour  les 
frapper  des  désordres  qui  éclataient  fréquemment  dans  leur 
sein;  mais  sa  conduite  variait  suivant  qu'il  s'agissait  d'une 
ville  du  domaine  royal  ou  d'une  commune  soumise  à  un  sei- 
gneur :  les  premières,  il  les  supprimait;  quant  aux  autres,  il 
les  punissait  fortement,  mais  il  les  laissait  vivre.  La  commune 
de  Laon,  abolie  en  1295  ',  fut  rétablie  peu  de  temps  après  % 
l'évèque,  dont  elle  dépendait,  ayant  eu  le  malheur  de  déplaire 
au  roi  ;  il  en  fut  de  même  à  Amiens  *.  Celle  de  Beauvais  fut  obligée 
de  payer  une  grosse  amende,  à  la  suite  de  débats  scandaleux 
et  violents  avec  son  évèque,  mais  elle  eut  la  consolation  de 
voir  son  ennemi  condamné  à  payer  six  mille  livres  tournois. 
Le  parlement  suivait  l'ancienne  politique  des  rois,  de  contenir 
la  féodalité  par  les  communes  ^  ;   il  saisissait  aussi  toutes  les 

1  Reims,  1309.  Ord.,  t.  XII,  p.  381.  —  Rouen,  décembre  1309.  Ord., 
t.  II,  p.  412,  mais  en  faisant  des  réserves. 

^  Olim,  t.  II,  p.  384. 

•'  Février  1297.  Ord.,  t.  XI,  p.  388,  mais  avec  cette  restriction  qui  fut 
tenue  comme  une  menace  suspendue  au-dessus  de  la  comnnine ,  «  quamdiu 
nobis  placueril  ' . 

'^  Ord..  t.  XII,  p.  367. 

â  Arrêt  du  parlement  du  13  juin  1308.  Reg.  XLII  du  Trésor  des  chartes, 
fol    107  v°. 


LIVRE  SIXIÈAIE.  —  DU  TIERS  ETAT.  149 

occasions  d'intervenir  dans  l'administration  intérieure  des  cités, 
même  dans  les  terres  des  grands  feiidataires.  En  1308,  la 
commune  d'Abbeville  ayant  eu  son  maire  et  ses  échevins  des- 
titués et  jetés  en  prison  par  le  sénéchal  du  comte  dePonIhieu, 
sur  la  dénonciation  des  chefs  de  métiers,  qui  les  accusaient  de 
malversation,  le  prévôt  royal  de  Saint-Riquier  commença  par 
les  réintégrer  dans  leurs  fonctions  ;  un  peu  plus  tard  seulement 
le  roi  fît  mettre  l'échevinage  sous  sa  main  et  ordonna  une 
enquête. 

Toutes  les  communautés,  quelle  que  fût  leur  condition,  de- 
puis la  commune  la  plus  puissante,  jouissant  de  la  juridiction, 
jusqu'au  plus  humble  hameau,  étaient  considérées  comme 
mineures.  Le  tuteur  légal  était,  à  la  fin  du  treizième  siècle, 
pour  les  villes  de  commune,  le  roi,  qui  s'était  déclaré  le  protec- 
teur de  toutes  les  communes  du  royaume,  même  de  celles  qui 
étaient  établies  dans  les  domaines  des  grands  feudataires  '.  Cette 
tutelle  finit  par  devenir  onéreuse.  Elle  fut  une  des  causes  du 
prompt  développement  que  prit,  à  la  fin  du  treizième  siècle,  la 
centralisation  administrative.  Les  communes  qui,  du  temps  de 
saint  Louis,  avaient  une  certaine  liberté  d'action,  qui  géraient 
leurs  biens  avec  le  contrôle  du  seigneur  ou  des  agents  royaux, 
ne  purent  plus  faire  aucun  acte  important  sans  l'autorisation 
préalable  du  roi  ^. 

Le  gouvernement  réprimait  avec  sévérité  dans  les  com- 
munes du  domaine  les  mouvements  populaires,  les  pétitions 
collectives,  les  assemblées  de  citoyens,  qui  jouaient  un 
si  grand  rôle  dans  les  anciennes  communes.  En  1291 ,  les 
Rouennais  dénoncèrent  à  l'autorité  la  gestion  de  leurs  magis- 
trats. Les  comptes  des  maires  qui  avaient  administré  pendant 
les  dix  dernières  années  furent  examinés  par  ordre  du  parle- 
ment et  trouvés  en  règle.  La  cour  du  roi  fit,  en  proclamant 

^  Le  parlement  posait  ce  principe.  Voyez  une  enquête  de  la  fin  du  trei- 
zième siècle  sur  les  franchises  du  consulat  do  Caliors.  Il  y  est  dit  que  tout 
différend  entre  l'évèque  et  la  commune  au  sujet  des  droits  municipaux  devait 
être  porté  au  parlement.  Snppl.  du  Trésor  des  chartes,  J.  1029,  n"8. 

2  Les  aliénations  de  biens  communaux  au  milieu  du  treizième  siècle ,  pour 
lesquelles  on  n'exigeait  d'autre  formalité  que  le  consentement  de  la  commune, 
furent  soumises  à  l'approbation  royale,  a  J'entend  que  borjois  ne  puct  pas 
aliéner  la  chose  de  la  commune  sanz  le  commeudement  du  roy.  » 


150  LA  FHAXCE  SOIS  PHIMPIM',  LE  BKL. 

le  résultat  de  cclto  enquête,  une  déclaration  de  principe  qui 
mérite  d'être  rapportée.  Mlle  prononça  que  lorsque  les  comptes 
des  villes  lui  paraîtraient  suspects,  elle  les  l'crait  corriger  de 
sa  propre  autorité,  car  c'était  à  elle  et  non  au  commun  qu'il 
appartenait  d'intenter  des  poursuites  de  ce  «jenre;  et  que 
désormais  elle  écouterait  plus  volontiers  la  plainte  d'un  ou  de 
deux  citoyens  que  celle  du  commun,  attendu  les  périls  qui 
étaient  le  résultat  des  excitations  et  ces  commotions  popu- 
laires '.  Le  pailement  soutenait  le  principe  d'autorité,  même 
quand  il  résidait  dans  les  majjistrats  communaux,  ce  qui  ne 
l'empêchait  pas  de  les  faire  emprisonner  quand  la  commune 
ne  payait  pas  régulièrement  les  impôts  *.  Pour  empêcher  les 
malversations  dans  l'administration  financière  des  bonnes 
villes,  saint  Louis  prescrivit  aux  maires  de  venir  chaque  année 
rendre  leurs  comptes  à  Paris  devant  des  coninnssaires  désignés 
pour  les  entendre  ^ .  dette  sage  mesure  était  encore  en  vigueur 
sous  Philippe  le  Hardi,  mais  on  n'en  trouve  plus  trace  sous 
Philippe  le  Bel,  car  l'examen  des  comptes  de  la  commune  de 
Rouen,  dont  il  a  été  question  plus  haut,  constitue  un  fait  isolé. 
L'ordonnance  de  saint  Louis  paraît  même  être  tombée  en 
désuétude  dès  Philippe  le  Hardi,  car  un  inventaire  des  archives 
de  la  chambre  des  comptes,  rédigé  en  1325,  mentionne  les 
comptes  des  villes  seulement  depuis  1259  jusqu'à  1281  *. 
Alais  la  bonne  gestion  des  deniers  municipaux  ne  demeura  pas 
sans  garanties;  elle  fut  sui'veillée  par  les  magistrats  royaux. 
Un  arrêt  du  parlement  de  Toulouse,  de  1270,  avait  donné  le 
choix  aux  consuls  de  cette  ville  de  rendre  leurs  comptes  au 
viguier  royal  de  Toulouse  ou  aux  personnes  instituées  à  Paris 
parle  roi  pour  recevoir  ceux  des  communes  de  France  ^  Le 
parlement  intervenait  à  chaque  instant  dans  l'administration 
des  villes.  V.\\  arrêt  de  l'an  1291,  relatif  aux  villes  de  Xoyon 
et  de  Ham ,  qui  n'est  pas  dans  les  Olim,  donne  de  précieux 

1  Olim,  t.  II,  p.  526  et  527. 

2  En  1310,  les  échcvins  de  Reims  furent  mis  en  prison  »  pro  debito  re<jio  s . 
Varin,  t.  II,  p.  3. 

3  Ord.,  I.  1,  |).  82. 

'''  Historiens  de  France,  p.  521.  D.  Tabula  lîoberli  ^llignon. 
5  Bibl.  imp. ,  Carlulairc  de  Toulouse,  Cartid.  74,  fol.  24. 


LIVRE  SIXIEME.  —  DU  TIERS  ETAT.  151 

renseignements  sur  la  manière  dont  il  liquidait  les  dettes  des 
communes.  On  convoquera  par  deux  proclamations  successives 
tous  les  créanciers.  Ceux  qui  ne  comparaîtront  pas  à  l'une  de 
ces  deux  sommations  seronfconsidérés  comme  déchus  de  leurs 
droits.  On  examinera  les  titres  des  créanciers  :  ce  qui  est  usu- 
raire  sera  retranché,  et  les  dettes  constatées  légitimes  subiront 
elles-mêmes  une  réduction  fixée  d'accord  avec  les  créanciers. 
Une  enquête  sera  faite  sur  ceux  qui  ont  administré  la  commune  : 
ceux  qu'on  reconnaîtra  coupables  rembourseront  ce  qu'ils  lui 
auront  fait  perdre  avec  le  produit  de  leurs  biens,  meubles  et 
immeubles,  même  ceux  qui  auraient  passé  dans  d'autres  mains. 
Cette  disposition  avait  pour  objet  d'atteindre  les  comptables 
qui  auraient  fait  des  cessions  fictives  de  leurs  biens.  Le  surplus 
des  dettes  sera  éteint  au  moyen  de  la  vente  des  biens  commu- 
naux. Ceux  qui  possèdent  des  rentes  à  vie  sur  une  ou  deux 
communes  produiront  leurs  titres  :  s'ils  ont  joui  de  la  rente 
pendant  un  temps  suffisant,  eu  égard  au  prix  d'achat,  le  paye- 
ment des  arrérages  sera  suspendu  jusqu'à  l'extinction  des 
dettes.  Pour  bien  comprendre  cet  article,  il  faut  se  rappeler 
que  les  constitutions  de  rente  se  faisaient  à  un  taux  d'intérêt 
très-élevé;  il  en  résultait  que  les  intérêts,  accumulés  pendant 
un  laps  de  temps  assez  court,  formaient  une  somme  équivalente 
à  celle  qui  avait  été  versée  par  le  rentier.  Quant  aux  villes 
elles-mêmes,  il  leur  fut  interdit  d'intenter  aucun  procès  sans 
une  autorisation  du  parlement  '. 

On  est  frappé  de  voir  combien  de  communes  furent  ruinées 
sous  Philippe  le  Bel.  Rien  de  plus  déplorable  que  la  situation 
financière  de  Reims,  de  Rouen,  d'Amiens  et  de  Provins  \  Cet 
état  de  choses  tenait  sans  doute  jusqu'à  un  certain  point  à  la 
constitution  communale.  Beaumanoir  trace  un  tableau  éloquent 
des  fraudes  mises  en  œuvre  pour  éluder  l'obligation  imposée 
aux  magistrats  municipaux  de  rendre  leurs  comptes  en  sortant 
de   charge.    Les    fonctions    de   maire   étaient   devenues,   par 

1  Trésor  des  chartes,  Rcg.  XXXIV,  foi.  36.  (1290.  In  parlamento  can- 
delose.) 

-  Varin,  Doc.  médits ,  t.  I  et  II.  —  Cliérucl,  Histoire  de  Rouen.  — 
A.  Thierry,  Amiens.  —  Bourquclol,  Notice  sur  le  cartulaire  de  Provins , 
Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes,  4«=  série,  p.  434-439. 


132  LA  FRAXCE  SOLS  PniLIPPK  LK  DKL. 

suite  d'inlrifjiH's,  le  paila'jc  des  incmijics  de  (|iiol(|iies  liclies 
familles  l)()ur<|eoiscs  se  sueeédaiit  loin"  à  loiir  dans  le  gouver- 
nement de  la  eité.  Les  nouveaux  élus  ne  demandaient  point  de 
comptes  sérieux  à  leurs  prédéeesseurs  :  le  contrôle  des  agents 
royaux  était  indispensaljle.  dépendant,  on  ne  pouvait  lever  de 
tailles  extraordinaires  au  profit  de  la  commune  sans  lettres  du 
seigneur  '  ou  du  roi  '.  Si  le  seigneur  refusait  la  permission,  le 
roi  l'accordait  quand  l'établissement  de  l'impôt  paraissait  utile  ^ . 
Mais  le  mauvais  état  des  finances  des  communes  doit  aussi  et 
pour  la  plus  grande  partie  être  attribué  à  Philippe  le  Bel  lui- 
même,  à  ses  exigences  démesurées,  aux  amendes  énormes  dont 
le  parlement  frappait  les  infractions  aux  ordonnances  *,  et  aux 
extorsions  des  commissaires  extraordinaires.  Le  mal  devint  tel, 
que  l'on  vit  (et  je  n'ai  pas  rencontré  d'exemple  de  ce  fait  anté- 
rieur à  ce  règne)  des  communes  écrasées  de  dettes  faire 
abandon  général  de  tous  leurs  biens  et  même  de  leurs  privi- 
lèges, de  leur  droit  de  commune  et  de  leur  justice.  C'était, 
qu'on  me  permette  de  parler  ainsi,  de  véritables  faillites. 

En  1308,  le  maire  et  les  jurés  de  la  commune  de  Lorbie, 
d'un  consentement  unanime,  considérant  leurs  charges  com- 
munes, ainsi  que  la  multitude  de;  dettes  et  de  rentes  à  vie  qui 
les  grevait,  et  tellement  accablés  par  les  emprunts  qu'ils  ne 
pouvaient  plus  espérer  de  se  relever,  transportèrent  au  roi 
Philippe,  à  perpétuité,  leur  commune  et  tous  les  droits  qui  y 

1   Olim,  t.  II,  p.  542,  année  1311. 

-  Piiilippt'  permet  aux  liabitants  de  XoncUe  en  .Auvergne  de  perceioir  une 
taille  extraordinaire  qui  sera  répartie  par  quatre  prudliommes  sous  la  surveil- 
lance du  châtelain.  Arch.  imp.  Or.  J.  104G,  n"  5,  en  1290.  —  .Autorisation 
accordée  aux  Lyonnais  pour  lever  des  droits  sur  les  marchandises  qui  s'y 
vendaient.  1295.  Ord.,  t.  XII,  p.  330. 

3  En  1307,  les  échevins  de  Reims  voulurent  lever  une  taille,  l'archevêque 
s'y  opposa,  le  roi  le  leur  permit.  Cartul.  de  l'arch.  de  Reims,  fol.  73. 
Arch.  imp.,  département  de  la  Marne.  Voyez  la  menu;  chose  en  1300. 
Varin  ,  t.  II ,  p.  1. 

•'•  La  ville  de  Carcassonnc  lut  contrainte  en  1308  de  payer  au  roi  20,000  livres 
tournois,  j'ignore  pour  quelle  cause.  Le  roi  lui  permit  de  percevoir  la  onzième 
partie  de  tous  les  revenus  mobiliers  et  inunohiliers.  .Mai  1308.  Or.  Trésor 
des  chartes.  Carcassonnc.  —  En  1306,  la  commune  d'Amiens  fut  condamnée 
à  20,000  livres  d'amende,  ..  super  rescu.ssa  (piatuor  matcfactorum  banni- 
torum  ".  Olim,  t.  Il,  p.  197.  Voyez  ibid.,  passim. 


LIVRE  SIXIEME.  —  DL  TIERS  ÉTAT.  153 

élaient  attaclR's,  leurs  propriétés,  hniis  marais,  leurs  tourbières, 
les  murs  et  les  portes  de  la  ville,  le  belfroi  et  les  prisons  '.  On 
enleva  le  battant  de  la  grosse  cloelie  du  beffroi  pour  macquer 
que  la  commune  avait  cessé  d'exister  '. 

Un  certain  nombre  de  localités  reçurent  de  Philippe  le  Bel 
une  constitution  différente  de  celle  des  communes,  mais  assise 
sur  des  bases  assez  libérales.  Ce  qui  distingue  ces  privilèges, 
c'est  la  concession  de  droits  civils  étendus;  les  droits  politiques 
au  contraire  y  sont  restreints.  La  royauté  voyait  dès  lors  avec 
défiance  la  participation  des  classes  inférieures  à  l'administra- 
tion des  villes.  Dans  les  communes,  les  magistrats  étaient  le 
produit  de  l'élection  de  tous  les  citoyens.  A  partir  de  Philippe 
le  Bel,  les  privilèges  accordés  aux  communautés  n'admirent 
pas,  sauf  quelques  rares  exceptions  \  la  nomination  directe 
des  maires  par  le  peuple.  Dans  le  Kord,  l'élection  fut  généra- 
lement établie  à  deux  degrés  :  les  habitants  élisaient  plusieurs 
prudhommes,  qui  choisissaient  les  échevins  dans  leur  sein  ou 
parmi  les  autres  citoyens  *.  Dans  le  Midi,  les  consuls  étaient 
choisis  par  le  viguier  ou  le  bayle  royal,  sur  une  liste  présentée 
par  les  consuls,  ou  par  les  consuls  eux-mêmes,  en  présence 
d'un  officier  royal  ^ .  La  même  remarque  s'applique  aux  chartes 
de  privilèges  octroyées  par  les  seigneurs,  lesquelles  chartes 
n'avaient  force  de  loi  qu'après  avoir  été  sanctionnées  par  le 
roi  ".  L'élection  à  deux  degrés  fut  même  substituée  dans 
quelques  cités  à  l'élection  directe,  qui  y  était  en  usage  depuis 
longtemps  '.  Dès  lors  commença  la  transformation  des  magis- 
trats municipaux  en  magistrats  royaux. 

1   Bontliors,  Coutumes  locales  du  bailliage  d'Ainiens,  \.  I,  p.  3'fO. 

-  Mém.  de  la  Soc.  des  antiq.  de  Picardie,  t.  II,  p.  348. 

•^  En  1286,  le  roi  accoitia  aux  liabitaiits  de  Breteuil  le  droit  d'élire  chaque 
année  deux  personnes  pour  les  gouverner,  qui  pourront  appeler  au  conseil 
ceux  des  habitants  qu'elles  jugeront  à  propos.  Ovd.,  t.  VTII,  p.  24. 

4  Charte  de  Chàteau-Thierri ,  1301.  Ord.,  t.  XI,  p.  348. 

^  Voyez  les  privilèges  de  la  bastide  de  Marziac,  en  1300.  Ord.,  t.  XII, 
p.  341. 

'^  Privilèges  de  Tournai,  Ord.,  t.  XII,  p.  371,  en  1308.  —  Mêmes  dispo- 
sitions pour  la  bastide  de  la  Peyrousc.  Ibid.,  p.  380. 

"  Privilèges  de  Gardemont,  en  1310.  Ord.,  t.  XIII,  383.  —  Mêmes  dis- 
positions pour  Lunas,  en  1312.  Id.,  p.  390.  —  Montolieu.  Id.,  t.  VII, 
p.  399,  en  1313.—  Montcabrier,  avril  1308.  kl,  t.  XII,  p.  362,  etc. 


154  LA  FRAXGE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

CHAPITRE  DEUXIÈME. 

DES     BOURGEOISIES     ROYALES. 

A  la  liLcrh!'  coiniiuiiialc ,  <jiii  était  locale ,  la  royauté  oppose  la  bourgeoisie 
royale,  (pii  clait  individuelle  et  indépendante  du  domicile  à  la  fin  du 
treizième  siècle.  —  La  plupart  des  hommes  libres  se  font  les  bourgeois  du 
roi,  au  détriment  des  seigneurs.  —  Plaintes  de  la  noblesse.  —  (Conditions 
requises  pour  être  admis  dans  la  bourgeoisie  royale.  —  Résultats  de  réta- 
blissement des  bourgeoisies. 

Le  citoyen  d'une  commune  ne  trouvait  protection  que  dans 
l'enceinte  de  sa  ville;  partout  ailleurs  il  était  exposé  sans 
défense  aux  poursuites  des  seigneurs.  S'il  allait  se  fixer  dans 
une  terre  où  la  servitude  était  établie,  il  perdait  sa  liberté,  car 
la  servitude  s'acquérait  par  prescription,  après  un  séjour  d'un 
an  et  un  jour.  Au  treizième  siècle,  les  babitants  d'une  ville  du 
domaine  étaient  bourgeois  du  roi,  et  cette  qualité  les  suivait  et 
les  protégeait  dans  toutes  les  parties  du  royaume.  Ils  écbap- 
paient  en  matière  personnelle  à  la  juridiction  des  seigneurs 
dont  ils  babilaient  les  fiefs.  La  qualité  de  bouigeois  du  roi 
s'obtenait  par  l'admission  dans  une  ville  royale,  moyennant  le 
payement  de  droits  de  jurée.  Il  arriva  qu'à  la  fin  du  treizième 
siècle  presque  tous  les  bommes  libres  qui  vivaient  sous  la 
domination  des  fcudataircs  s'avouaient  bourgeois  du  roi,  et  que 
les  seigneurs  virent  anéantir  leur  juridiction. 

La  noblesse  se  plaignit  :  ses  réclamations  étaient  fondées, 
une  ordonnance  de  l'an  1287  prévint  les  abus  sans  porter 
atteinte  aux  droits  du  prince  et  aux  immtniités  des  bourgeois. 
Le  droit  do  bourgeoisie  fut  ainsi  réglé  a  pour  osfer  les  fraudes 
et  les  malices  qui  se  faisaient  par  ochoison  d'icellcs  bourgeoi- 
sies,  dont  li  subgiet  estoient  durement  grevés  et  durement 
plaignant  »  . 

Celui  qui  voulait  entrer  en  bourgeoisie  devait  aller  trouver 
le  prévôt  ou  le  maire  de  la  ville  où  il  voulait  s'établir,  et  lui 
dire  :  •<  Sire,  je  vous  requiers  la  bourgeoisie  de  cette  ville  et 
suis  apparelloz  de  faire  ce  que  j'en  doi  faire.  »  Le  prévôt  ou  le 
maire  le  recevait  en  préseuce  de  deux  ou  trois  témoins,  après 


LIVRE  SIXi'hiE.  —  DL   TiERS  ÉTAT.  155 

lui  avoir  fait  jurer  qu'il  achèterait  dans  l'an  et  jour  une  maison 
de  la  valeur  de  soixante  sous  parisis  au  moins.   Il  promettait 
en  outre  révérence  au  roi  et  à  la  ville,  et  s'engageait  sur  hypo- 
thèque de  ses  biens  à  remplir  ses  promesses  '.  On  lui  donnait 
ensuite  un  sergent  pour  aller  avec  lui  signifier  à  son  ancien 
seigneur  son   entrée  dans   la   bourgeoisie   de  cette  ville.    Le 
nouveau  bourgeois  devait  demeurer  dans  la  ville  dont  il  était 
membre,  depuis  la  veille  de  la  Saint-Jean  jusqu'à  la  Toussaint, 
sauf  en  cas  de  maladie  ou  pour  pèlerinage,  et  encore  pouvait- 
il,  pendant  ce  temps,  s'absenter  avec  sa  femme  pour  faire  sa 
moisson,  ses  foins  ou   ses  vendanges.    Celui  qui   n'était  pas 
marié  devait  avoir  continuellement  un   valet  au  lieu  de  son 
domaine,  depuis  la  Saint-Jean  jusqu'à  la  Toussaint,  et  à  cette 
condition,  il  lui  était  permis  de  s'absenter  toute  l'année  «pour 
ses  besoignes  faire  ■) ,  pourvu  qu'il  revint  assister  aux  quatre 
grandes  fêtes  annuelles.  On  était  bourgeois  tant  qu'on  n'avait 
pas  solennellement  renoncé  à  la  bourgeoisie.   L'article  7  n'a 
pas  été  compris  par  Laurière  ;  ce  savant  jurisconsulte  l'analyse 
ainsi  :  Le  bourgeois   et  la  bourgeoise   seront  justiciables  de 
corps  et  de  meubles  du  seigneur  auquel  ils  auront  fait  nouvel 
aveu.  L'article  porte  que  le  seigneur  dont  le  nouveau  bourgeois 
aura  quitté  la  terre,  aura  la  connaissance  des  délits  commis  par 
lui  pendant  les  trois  mois  qui  auront  précédé  son  entrée  en 
bourgeoisie,   quand  le  délit  sera  notoire   et   que  le  seigneur 
l'aura  prouvé  devant  la  justice  de  la  ville,  dans  les  trois  mois 
de  la  réception  -.  Les  hommes  libres  étaient  seuls  admis  dans 
la  bourgeoisie.  Le  roi  avait  d'abord  stipulé  que  celte  ordon- 
nance ne  serait  pas  applicable  dans  les  pays  de  frontière  \  En 
1293  il  la  rendit  exécutoire  dans  tout  le  royaume.  En  1295,  il 
interdit  de  faire  aucune  bourgeoisie  en  Champagne  *. 

Mais  tous  ces  règlements  furent  illusoires  :  les  bourgeoisies 
continuèrent  à  être  personnelles ,  les   bourgeois  du  roi  rem- 

1  Voyez  (les  procès-verbaux  de  bourgeoisie  dans  Mesnard,  Histoire  de 
Kîmes,  t.  I,  preuves,  p.  165,  en  1310.  On  s'engagea  à  acheter  dans  les 
deux  ans  50  livres  tournois  de  bien-fonds. 

2  Ord..  t.  I,  p.  .314  et  315. 
=5  Ord..  t.  I,  p.  316. 

*  Trésor  des  chartes,  Rcg.  XXXIV,  pièce  32. 


156  L.\  l'UAXCK  SOLS  IMIILirPK  LK  IIK!,. 

plircMit  les  fiofs  des  barons  ',  ainsi  (|ii('  rattestciil  les  plaintes  de 
la  noblesse  de  Cliampagne ,  en  J,'}!.")-.  Les  bour;|eois  étaient 
cfficaccnicnt  protéjjés.  En  1290,  le  bailli  d'Auvergne  ordonna 
au  prévôt  de  Crioude  de  défendre  au  chapitre  de  cette  ville  de 
vexei'  plusieurs  habitants  qui  étaient  bourgeois  du  roi,  soit  en 
les  citant  en  jugement,  soit  en  les  excommuniant,  et  de  l'y 
contraindre  par  la  saisie  du  temporel'. 

Par  rinstilution  des  bourgeoisies  du  roi,  la  liberté,  qui  avec 
le  régime  communal  était  locale,  devint  personnelle.  L'homme 
du  roi  l'ut  l'homme  libre  par  excellence,  la  liberté  le  suivait 
dans  les  fiefs  des  seigneurs,  au  milieu  de  populations  soumises 
à  l'esclavage;  c'était  le  civis  romanua  du  moyen  âge;  mais  à 
côté  de  cet  homme  heureux,  que  d'autres  hommes  étaient 
déshérités  de  la  liberté! 


CHAPITRE    TROISIEME. 

DES    AFFRAXCI1ISSEME\TS. 

AfTrancliissf'mcnts  généraux  des  serfs  du  domaine  en  Jjangucdoc.  —  Les  serfs 
affranchis  deviennent  propriétaires.  —  Effroyables  abus  de  pouvoir  qui 
amenèrent  l'émancipation  des  serfs  du  Alidi.  —  Exactions  et  tyrannie  de 
P.  de  Latilly  et  de  R.  de  Brillac.  —  Histoire  des  habitants  de  Laurac.  — 
Justice  de  Philippe  le  Bel.  —  Xombreux  affranchissements  individuels  de 
la  part  des  seigneurs.  —  Ces  actes  n'étaient  valables  qu'après  avoir  été 
confirmés  par  le  roi.  —  Pourquoi?  —  Motifs  des  affranchissements.  — 
Considérants  remarquables  de  la  charte  d'affranchissement  du  comté  de 
Valois.  —  IVogrès  de  la  civilisation  ai-rètés  par  la  guerre  de  cent  ans. 

Louis  X,  dans  une  ordonnance  célèbre,  affranchit  les  serfs 
du  domaiiu'  royal  ^ .  Il  généralisa  ce  cjue  son  père  avait  fait 
pour  plusieurs  provinces  de  la  couronne.  En  121)8,  Philippe  le 
Bel  donna  la  liberté  aux  serfs  du  domaine  royal  dans  les  séné- 

•  Brussel,  Xoitvel  usage  des  fiefs,  p.  9V."5.  —  Eaurière,  Instituts  de 
Loisel.  note,  p.  70  et  71.  —  Olim ,  t.  111,  p.  431,  en  1309. 

2  Ord..  t.  I,  p.  57(j. 

3  LeUrc  de  Jean  de  Trie,  du  25  avril  1290.  Or.  Trésor  des  chartes, 
carton  lOVG,  n"  1. 

'  Ord..  t.  I,  p.  583. 


LIVRE  SIXIÈME.  —  DU  TIERS  ETAT.  157 

chaussées  de  Toulouse  et  de  Carcassonnc  '.  Ces  serfs  se  divi- 
saient en  deux  classes,  en  hommes  de  corps,  véritahles  serfs, 
et  en  hommes  de  caselage;  ces  derniers  libres  de  leur  per- 
sonne, mais  cultivant  des  terres  serviles.  Souvent  ces  deux 
qualités  étaient  réunies.  Ces  deux  classes  de  serfs  reçurent 
l'ingénuité  la  plus  parfaite;  le  roi  exprima  formellement  qu'il 
ne  réservait  aucun  des  droits  des  patrons  sur  les  affranchis. 
Cette  dernière  clause  peut  paraître  singulière;  car,  dans  le 
droit  du  moyen  âge,  l'esclavage  personnel  n'existant  pas,  du 
moins  en  France,  l'affranchissement  brisait  tout  lien  entre  le 
maître  et  le  nouvel  homme  libre,  qui  jouissait  de  tous  les 
droits  de  l'homme  né  dans  la  plénitude  de  la  liberté  :  c'est  là 
une  phrase  de  légiste,  une  réminiscence  du  droit  romain.  Ce 
bienfait  ne  fut  pas  gratuit  :  les  serfs  de  caselage  durent  payer 
à  l'avenir  un  cens  annuel  de  douze  deniers  tournois,  pour 
chaque  septerée  de  terie.  Les  auteurs  qui  ont  traité  de  l'his- 
toire de  l'abolition  de  l'esclavage"  n'ont  point  fait  attention 
à  une  disposition  qui  est  d'une  impoitance  capitale,  que  les 
terres  qui  étaient  tenues  en  caselage  le  seraient  désormais  en 
emphytéose  ^  On  sait  que  l'emphytéose  était  un  bail  à  long 
terme,  révocable  seulement  par  suite  de  la  cessation  du  paye- 
ment de  la  rente  :  or,  ici,  il  n'y  avait  point  de  terme  fixé;  il 
en  résulta  que  les  serfs  du  Languedoc  reçurent  non-seulement 
la  liberté ,  mais  encore  devinrent  propriétaiies.  Cette  mesure 
si  libérale  fut  dictée  à  Philippe  par  le  désir  de  faire  oublier  aux 
populations  méridionales  une  série  d'actes  tyranniques  dont 
elles  avaient  été  les  victimes.  Il  avait  à  cœur  de  réparer  des 
abus  de  pouvoir  monstrueux,  qui  sont  complètement  inconnus 
et  dont  on  douterait  si  les  pièces  officielles  ne  venaient  accu- 
muler les  preuves  de  leur  existence  ". 

1  Ord.,  t.  XII,  p.  325  (avril  1298). 

2  Voyez  édit.  Biot,  Histoire  de  l'abolition  de  l'esclavage ,  p.  352. 

•'  Il  Que  quidcm  casclajjia  fore  de  cetero  rcs  ampliyteoticas  dcclaramus.  » 
Ord.,  t.  XII,  p.  335. 

^  Plaintes  des  consuls  de  Laurac.  Suppl.  du  Trésor  des  chartes,  J.  890, 
J.  1031,  n"  7,  J.  103V,  n-^  48;  —  de  Saint-Félix,  J.  1036,  n"  8;  —  de 
Montgaillard ,  J.  1033,  n"  10:  —  de  Gistelnaudary ,  J.  1033,  n»  11;  —  de 
Gaincte-Gabclle,  J.  1031,  n«  9,  et  J.  1029,  n"  2;  —  d'Hautcrive,  J.  1033, 
n»  9;  —  de  Piiy-Laurcnt ,  J.  1024,  n"  38;  —  de  Villemur,  J.  896,  etc. 


15S  LA  FHAXCK  SOI  S  J'HILIIM'K  LE  P.KL. 

On  trouve  dans  le  supplément  du  Trrsor  des  cliarlPS  une 
grande  quantité  de  rouleaux  originaux,  remontant  à  l'année 
1298,  et  renfermant  tous  des  plaintes  des  villes  du  ^lidi  contre 
Pierre  de  Lalilly  et  Raoul  de  Hrillac,  chevalier.  J'ai  reconnu 
qu'ils  concernent  tous  une  accusation  portée  par  les  commu- 
nautés du  Languedoc  contre  ces  deux  personnages,  et  qu'ils 
contiennent  les  mêmes  griefs.  Je  prends  au  hasard  la  plainte 
des  consuls  de  Laurac.  Ce  qui  se  passa  à  Laurac  se  passa 
identiquement  dans  les  autres  villes  ou  villages  de  la  séné- 
chaussée de  Toulouse.  Pierre  de  Latilly  et  R.  de  Rrillac  furent 
envoyés  par  le  roi  en  qualité  de  réformateurs  et  d'enquêteurs 
généraux  :  ils  étaient  chargés  de  revendiquer  les  domaines 
usurpés,  de  réclamer  les  payements  des  dettes  dues  au  fisc,  en 
un  mot  de  faire  de  l'argent  par  tous  les  moyens  possibles  '.  Ils 
comprirent  leur  mission,  mais  ils  allèrent  trop  loin  pour  ne 
pas  être  désavoués.  Par  leurs  ordres,  un  de  leurs  agents  se 
rendit  à  Laurac  avec  une  suite  nombreuse  de  sergents,  ras- 
sembla les  consuls  et  soixante  notables,  et  leur  déclara  (ju'il 
était  envoyé  par  les  seigneurs  commissaires  pour  lever  les 
sommes  dues  pour  hommages  et  caselage  (droits  dus  par  les 
hommes  de  corps  et  de  caselage),  ainsi  que  pour  infraction  aux 
ordonnances  sur  les  monnaies.  Il  engagea  les  consuls  à  tran- 
siger avec  lui.  Ceux-ci  repoussèrent  cette  demande,  alléguant 
que  si  quelques  habitants  devaient  quelque  chose  au  roi,  on 
pouvait  les  poursuivre,  mais  que  la  communauté  n'était  pas 
solidaire.  L'envoyé  leur  ordonna  de  se  rendre  à  Toulouse  à 
jour  fixe,  pour  comparaître  devant  les  enquêteurs.  Sur  leur 
refus  de  jurer  d'obéir  à  cet  ordre,  il  les  tint  prisonniers,  et  fit 
chasser  de  leurs  maisons  les  femmes  et  les  enfants  de  ceux  qui 
étaient  présents.  Ils  cédèrent  enfin  et  jurèrent  d'aller  à  Tou- 
louse. Ils  trouvèrent  dans  cette  ville  les  réformateurs,  qui  leur 
proposèrent  de  nouveau  une  transaction  :  ils  refusèrent  et 
furent  constitués  prisonniers  dans  la  ville.  Au  bout  de  plusieurs 
jours  ils  se  soumirent  et  s'engagèrent  en  pleurant  à  payer  une 
somme  de  trois  mille  livres  tournois.  Chacun  d'eux  fut  obligé 
de  se  porter  caution  pour  la  somme  entière.  Un  délégué  des 

1  Vaissètp,  t.  \\\  p.  115.  — Voyez  la  défense  de  P.  de  Latilly  contre  les 
consuls  de  Caincte-Gabelle.  J.  1031 ,  n"  8. 


LIVRE  SIXIEME.  —  DU  TIERS  ETAT.  159 

commissaires  se  rendit  à  Laurac,  convoqua  les  habitants  et 
soumit  à  leur  acceptation  le  traité  :  ils  ne  voulurent  pas  le 
ratifier.  Les  sergents  firent  évacuer  les  maisons  et  en  appor- 
tèrent les  clefs  au  lieutenant  des  enquêteurs.  Toute  résistance 
était  inutile  devant  de  semblables  violences ,  les  habitants 
promirent  ce  qu'on  voulut  '.  En  un  grand  nombre  d'endroits, 
les  commissaires  firent  payer  les  droits  de  caselage  à  des 
hommes  libres  :  on  les  tourmentait  de  toute  manière  pour  les 
amener  à  composition  ^ . 

Ces  odieuses  manœucres  se  renouvelèrent  dans  trop  de 
localités  pour  ne  pas  soulever  une  tempête.  Les  consuls  des 
communautés  ainsi  dépouillées  et  violentées  portèrent  leurs 
plaintes  au  pied  du  trône.  Philippe  s'émut  et  ordonna  une 
enquête  qui  fit  connaître  la  vérité.  Ce  fut  alors  que  fut  rendue 
l'ordonnance  qui  affianchissait  les  serfs  du  Languedoc  et  où  il 
déclara  nulles  et  non  avenues  les  procédures  de  P.  de  Latilly 
et  de  R.  de  Brillac,  ainsi  que  les  concessions  de  finances  qu'ils 
avaient  extorquées  ^  Comme  le  recouvrement  des  droits  dus 
par  les  serfs  avait  été  la  source  des  exactions  des  commissaires 
généraux,  en  abolissant  la  servitude,  Philippe  prévint  le 
retour  de  semblables  faits.  On  est  heureux  de  constater  qu'il 
valait  mieux  que  ses  agents  et  que  son  cœur  n'était  pas  fermé  à 
la  justice  et  à  la  pitié.  En  1303,  cette  mesure  libérale  fut 
étendue  aux  sénéchaussées  d'Agenais,  de  Rouergue  et  de  Gas- 
cogne^. Le  roi  donna  la  même  année  pouvoir  à  G.  de  Gilly 
d'affranchir  ses  hommes  de  corps  du  bailliage  de  Caen  \ 

Cet  exemple  fut  suivi  par  les  seigneurs,  dont  un  grand 
nombre  émancipèrent  en  masse  leurs  serfs  :  les  affranchisse- 
ments individuels  ne  furent  pas  moins  fréquents;  mais  ces 
manumissions ,  soit  générales,  soit  particulières,  n'étaient 
valables  qu'après  avoir  été  confirmées  par  le  roi.   Cet  usage 

'  Rouleau  intitulé  :  Isti  supt  testes producli  j)er  consules  de  Lauraco,  etc., 
examinati per  mag.  Symonem  Suacis,  cantorem  ecclesie  Agen.  et  J.  Anionîi, 
legum  doctorem.  .1.  lO^îl ,  u"  7. 

^  Vaissètc,  t.  IV,  Preuves,  col.  113. 

^  Or.  Trésor  des  chartes,  suppi.,  J.  892,  n"  3. 

^  Lettres  patentes  du  vendredi  après  la  Xativité  de  la  Vierge,  1302-1303. 
Vaissète,  t.  IV,  Preuves,  col.  127. 

^  Trésor  des  chartes,  Reg.  XXXV,  n"^  48. 


160  LA  FRAXCK  SOIS  PHILIIMM';  I,E  liKI,. 

n'rlait  ])as  nouveau  :  on  lo  trouve  étahli  dès  saint  Louis,  et  il 

existait  sans  doute  longtemps  auparavant. 

Ces  confirmations  ne  s'obtenaient  qu'en  payant  un  droit, 
elles  n'avaient  même  d'autre  origine  et  d'autre  objet  que  le 
payement  de  ce  droit. 

Le  serf,  bien  qu(>  le  christianisme  le  proclamât  devant  Dieu 
l'égal  de  son  maître  ,  n'était  aux  yeux  de  la  loi  qu'une  pro- 
priété ;  ce  n'était  pas  l'esclave  antique,  une  chose  dont  on  eût 
le  droit  d'user  et  d'abuser,  qu'on  put  transporter,  vendre, 
échanger  à  son  gré.  Il  faisait  en  quebpie  sorte  partie  du  sol 
sur  lequel  il  était,  couchant  et  levant,  jxjur  me  servir  de  l'ex- 
pression consacrée;  l'affranchir,  c'était  lui  donner  la  faculté 
d'aller  où  bon  lui  semblerait,  par  conséquent  lui  permettre  de 
(juitler  la  glèbe  à  laquelle  il  était  attaché,  c'était  diminuer  la 
valeur  de  la  terre  ;  et  comme  cette  terre  était  un  fief,  c'était 
ahrcfjerXo  fief;  et  comme  du  roi  relevaicMit  tous  les  fiefs,  c'était 
nuire  au  roi  que  d'affraiiciiir  un  serf.  De  là,  nécessité  de  la 
confirmation  royale,  et,  parlant,  d'une  indemnité  qui  com- 
pensât la  perte  éprouvée  '.  Cela  expli(|ue  pourquoi  les  registres 
de  la  chancellerie  renferment  un  si  grand  nombre  de  confir- 
mations d'affranchissements  faits  par  les  seigneurs  dans  les 
provinces  les  plus  éloignées'.  La  plupart  de  ces  actes,  qui 
étaient  les  titres  les  plus  précieux  des  gens  an  tieis  état,  puis- 
qu'ils constataient  leur  liberté,  étaient  rédigés  en  français. 

Il  ne  faut  pas  attribuer  ces  nombreux  affranchissements 
exclusivement  à  un  sentiment  louable  d'équité  :  ils  étaient  sur- 

1  En  i;î02,  on  voit  les  afjonts  du  fisc  poursuivre  un  liommc  de  main- 
morte que  son  maître  laissait  libre.  Olim ,  t.  111,  p.  85. 

-  Je  citerai,  entre  autres  :  confirmation  de  1  alTranchissement  accordé  à 
Jean  de  Lujji-anjjuc  par  le  comte  de  llinci,  septembre  1310.  —  Trésor  des 
chartes,  Ile;;.  XIA'II ,  n°  06.  —  Conl'.  de  l'alTrancli.  de  Jean  de  Boves  par 
François,  cardinal  diacre  de  Sainte -Marie  in  Cosmcdin  et  trésorier  de 
l'église  de  Laon.  Alai  1312.  Id..  Reg.  XLVIII,  n"  16.  —  Conf.  de  la  manu- 
mission  par  (îuillaiime  de  Clialons,  comte  d'.Auxerre,  de  Jean  le  Rayarat. 
Mai  1311.  Id.,  Ueg.  XLVII ,  n"  141.  — Conf.  de  l'affrancli.  de  Vincent,  dit 
ilarchant,  par  Jean,  sire  de  Dammartin.  Mars  1314.  Id.,  Re<{.  XLII,  n"  11. 
—  Autres  en  1300.  Id.,  Rey.  XXVIII,  n"*  38  et  39.—  En  1308.  Id.. 
Reg.  XL,  n'^  152  et  153.—  En  1312.  Id.,  Reg.  XLVIII,  n"  208.  — 
En  1314.  Id.,  Reg.  L,  n-'  11 ,  etc. 


LIVRE  SIXIKMK.  —  DU  TII'RS  KTAT.  161 

tout  dictés  par  le  besoin  d'argent  :  toutefois  on  ne  saurait 
méconnaître  que  leurs  auteurs  n'aient  senti  qu'en  donnant , 
même  pour  un  motif  d'intérêt,  la  liberté  à  leurs  serfs,  ils 
accomplissaient  un  devoir  sacré.  Ecoutons  plutôt  le  préambule 
de  l'acte  dans  lequel  Cbarles  de  Valois  affrancbit  les  serfs  du 
Valois  : 

«  Comme  créature  bumaine,  qui  est  formée  à  l'image  nostre 
Seigneur,  doie  généralement  estre  francbe  par  droit  naturel, 
et,  en  aucun  païs  et  certains  lieus,  ceste  naturel  liberté  ou  fran- 
chise, par  le  jou  de  servitude  (qui  tant  est  baineuse),  soit  si 
effaciée  et  occurcie  que  les  bomes  et  famés  qui  babitent  es  païs 
et  lieus  dessus  diz,  en  leur  vivant  sont  réputés  ains  come 
morz,  et  à  la  fin  de  leur  doleureuse  et  cbétive  vie,  si  estroite- 
ment  liez  et  démenez  que  des  biens  que  Dieu  leur  a  preste  en 
cest  siècle  et  que  il  ont  acquis  par  leur  propres  labours,  et 
acreuz  et  gardez  par  leur  pourvéance,  il  ne  puevent  en  leur 
derrenne  volonté  disposer  ne  ordener,  ne  accroistre  en  leurs 
propres  fils,  filles  et  autres  procbains.  Xous  meuz  de  pitié, 
pour  le  remède  et  salu  de  nostre  ame,  et  pour  considéracion 
de  bumanité  et  de  commun  profit,  donnons  et  ouctroions  très 
plénière  franchise  et  liberté  perpétuel  à  toutes  personnes... 
de  nostre  comté  de  Valois  '.  d 

Ce  noble  langage  est  empreint,  à  un  haut  degré,  de  com- 
passion envers  le  malbeur  qu'enseigne  le  christianisme;  mais 
on  y  trouve  aussi,  ce  qui  est  nouveau,  un  sentiment  profond 
de  légalité  et  du  droit  des  hommes  à  la  liberté.  La  servitude  y 
est  appelée  baineuse;  Charles  de  Valois  proclame  qu'il  agit 
pour  le  salut  de  son  âme  et  «  pour  considération  de  Vhuma- 
nité  » .  Le  rédacteur  de  cette  charte  devait  être  à  la  fois  un 
prêtre  et  un  légiste,  sans  doute  quelque  membre  du  parle- 
ment. Si  on  rapproche  de  cet  acte  la  belle  déclaration  de 
Louis  X  :   <■<■  Comme  chacun,  par  droit  de  nature,   doit  être 

1  19  avril  1311.  Reg.  XXXII  du  Trésor  des  chartes,  niinc  Bibl.  imp., 
Colbert,  9607,  fol.  73.  Cet  affranchisseinciit  fut  accordé  moyennant  21,000 
livres.  Cartier,  Histoire  du  Valois,  t.  II,  p.  197  et  198.  Les  aulrcs  seij^jneurs 
du  Valois  affranchirent  leurs  serfs  :  en  1311,  l'abbé  de  Valséri;  Gallia 
christiana ,  t.  IX,  p.  487.  —  Le  seigneur  de  Xanteuil-le-Haudouin ,  Garlicr, 
t.  II,  p.  199. 

11 


i62  LA  FRAX'CE  SGIS  l'HILll'l'K  LK  WKL. 

franc...  '  >,  on  reconnaîtra  que  la  civilisation  était  on  pro- 
grès, et  que  le  temps  n'était  j)eut-être  pas  éloigné  où  la  servi- 
tude allait  disparaître  dans  toute  la  France.  La  guerre  de  cent 
ans  vint  fermer  cet  avenir  de  prospérité  et  de  bonheur. 

«  OrfL,  t.  I,  p.  583. 


LIVRE   SEPTIEME. 

DE  L  ADMINISTRATIOX   E\  GÉXÉRAL. 


CHAPITRE   PREMIER. 

ADMIXISTRATIOIV    CENTRALE. 

Conseil.  —  (irands  officiers  do  la  couronne. —  Chanceliers.  —  Chancellerie. 

—  Philippe  n'eut  que  des  gardes  du  sceau.  —  Formules  de  chancellerie. 

—  Xotaires  et  secrétaires  du  roi.  —  Trésor  des  chartes. 

Jusqu'au  milieu  du  treizième  siècle,  le  pouvoir  central  fut 
confié  à  un  petit  nombre  de  personnes;  le  roi  avait  pour  mi- 
nistres les  grands  officiers  de  la  couronne  et  gouvernait  avec 
l'aide  d'un  conseil,  revêtu  d'attributions  politiques,  judiciaires, 
administratives  et  financières.  Sous  saint  Louis,  certains  mem- 
bres de  ce  conseil  furent  spécialement  chargés  de  rendre  la 
justice,  d'autres  s'occupèrent  de  l'examen  de  la  comptabilité; 
mais  ils  continuèrent  à  former  un  seul  corps,  connu  sous  le 
nom  de  cour  ou  de  conseil  du  roi.  Philippe  le  Bel  sépara  ces 
éléments  divers,  en  forma  trois  corps  distincts  et  donna  nais- 
sance au  parlement,  à  la  chambre  des  comptes  et  au  conseil  \ 

Le  conseil  ne  fut  organisé  qu'en  1318  sous  Philippe  le  Long. 
Il  ne  fonctionnait  pas  d'une  manière  régulière,  el  sa  compé- 
tence n'était  pas  déterminée;  il  y  avait  des  conseillers  plutôt 
qu'un  conseil.  Sa  composition  variait  suivant  la  nature  des 
questions  qui  y  étaient  traitées.  Les  princes  du  sang  y  étaient 
ordinairement  admis;  on  appelait  quelques  hauts  barons  à  y 
prendre  part,  quand  il  s'agissait  de  la  rédaction  d'une  loi 
d'utilité  générale.  Une  ordonnance  du  16  janvier  1306  porte  : 
K  Nous  vous  faisons  scavoir  que,  comme  nous,  par  nostre 
grand  conseil,  à  la  requeste  et  instance  de  moût  de  prélaz  et 

1  Voyez  M.  Beugnot,  Olim ,  t.  III,  préface,  p.  \ii  et  suiv.  —  Pardessus, 
Essai  sur  l'or (janisation  judiciaire ,  p.  133  et  suiv. 

11. 


164  LA  FRANCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

barons,  etc.  '  »  Dans  une  lettre  sur  le  fait  des  monnaies  adres- 
sée le  18  janvier  1308  au  comte  de  la  MarcIic,  on  lit  :  "Comme 
par  le  cousoil  des  dix  preudos  iioniinos  (les  députés  des  villes) 
et  de  nostre  autre  grant  conseil,  cussiens  ordené'.  d  l  ne  autre 
ordonnance,  sur  les  monnaies,  de  juin  13J;{,  s'exprime  ainsi  : 
ttNous,  par  pleine  déliltération  de  nostre  plein  conseiP.  «  Nous 
avons  vu  que  les  ordonnances  concernant  la  justice  étaient 
quelquefois  faites  au  parlement*. 

Les  affaires  administratives  courantes,  telles  (|ue  les  con- 
cessions de  lettres  de  grâces,  de  privilèges  et  de  conflrmations 
de  chartes,  étaient  traitées  au  conseil,  mais  les  registres  de 
la  chancellerie  qui,  pour  les  règnes  suivants,  mentionnent 
souvent  les  délibérations  du  conseil  et  les  noms  de  ceux  qui 
y  furent  présents,  ne  donnent  aucune  indication  semblable  pour 
le  règne  de  IMiilippe  le  iJel;  ils  rapportent  seulement  le  nom 
du  conseiller  qui  donnait  au  clerc  de  cliancellerie  l'ordre  de 
rédiger  les  actes  approuvés  au  conseil. 

Cependant,  les  conseillers  étaient  en  titre  d'office  et  nommés 
par  lettres  patentes.  J'ai  trouvé  une  de  ces  nominations,  de 
l'année  1310,  portant  que  le  roi,  satisfait  de  la  fidélité,  des 
connaissances  et  des  services  de  Pierre  de  Clialon,  son  clerc, 
et  voulant  l'élever  selon  son  mérite,  tout  en  le  retenant  au 
nombre  des  clercs  familiers  de  son  hôtel,  lui  donna  le  rang 
de  conseiller  en  son  conseil;  ce  qui  devait  lui  permettre  de  le 
voir  plus  fréquemment  \ 

'  Ord.,  t.  I ,  p.  446.  —  Voyez  M.  Bcugnot ,  Olim ,  t.  III ,  préface,  p.  xiir. 

2  Ord.,  p.  454. 

^  Ord.,  p.  536.  V'oyez  d'autres  exemples,  p.  390,  475. 

•^  Ordonnance  concernant  les  bourgeoisies.  Cette  ordonnance  fut  faite  au 
parlement  de  1287.  Ord.,  t.  I,  p.  316. 

5  »  Grata  nobis  comprobatc  fidelitatis  obscquia  et  labores  continuos  in 
atrendis  quos...  dilectus  et  fidclis  majjister  Pelrus  de  Cabilone,  canonicus 
Eduensis,  famUiaris  clericus  noster,  nobis  incessanter  exhibuit  et  pro  nobis 
voluit  gratancius  snstinere,  plenis  affectibus  attendentes,  ipsum  quem  dudum 
benemeritum  invenimus,  volontés  nostris  obtutibus  representarc  frequencius, 
ac  favore  prosequi  speciali ,  ut ,  sic  lionoribus  et  cominodis  suis  exigen- 
tibus  meritis,  attollanuis,  eundem  de  nostris  consilio  et  liospicio  in  nostrum 
consiliarium  et  faniiliareni  clericum  retinemus,  ceterorum  consiiiariorum 
familiarium  dcricorum  nostrorum  consorcio  volumiis  aggrcgari ,  présentes 
sibi  litteras  in  testimonium  concedentcs.  i  Poissy,  jour  de  Saint-Vincent,  1310. 
Reg.  XLII  du  Trésor  des  chartes,  n"  133. 


LIVRE  SEPTIÈAIR.  —  ADAIIXISTRATIOX  GÉNÉRALE.  165 
On  faisait  prêter  aux  conseillers  le  serment  suivant  :  «  V^ous 
jurez  que  vous  serez  féaux  et  loyaux  au  roi  et  son  ainné  fils 
roi  de  France,  et  li  garderez  son  cors,  ses  membres  et  s'on- 
neur  terrienne.  Se  il  vous  dit  son  secré,  vous  le  garderez;  et 
s'il  vous  demande  conseil,  vous  lui  doiroiz  bon  et  léal,  à 
vostre  esciant.  Si  vous  aist  Dieu  et  les  sainctes  paroles  '.  n 

Les  conseillers  en  titre  d'office  étaient  tous  choisis  dans  le 
clergé  séculier*. 

Les  conseillers  laïques  sont  désignés  dans  les  documents 
officiels  sous  le  nom  de  chevaliers  le  roi  ou  chevaliers  de 
l'hôtel.  Ils  partageaient  avec  les  clercs  la  haute  direction  des 
principales  branches  de  l'administration;  mais  ils  ne  jouis- 
saient que  d'une  initiative  très-restreinte.  Ils  avaient  en  partie 
remplacé  à  la  tète  du  gouvernement,  mais  avec  un  pouvoir 
bien  moins  étendu,  les  grands  officiers  delà  couronne  qui, 
jusqu'à  la  fin  du  douzième  siècle,  avaient  été  les  ministres  du 
roi.  C'étaient  le  grand  sénéchal,  le  bouteiller,  le  chambrier, 
le  connétable  et  le  chancelier.  L'office  de  grand  sénéchal  fut 
laissé  vacant  à  partir  de  Philippe-Auguste,  qui  craignit  que 
cette  charge  ne  devînt  un  danger  pour  la  royauté,  par  suite  de 
l'importance  des  attributions  qui  y  étaient  attachées.  Les 
grands  officiers  contre-signaient  les  diplômes  solennels  revêtus 
du  monogramme  du  roi.  Quand  je  dis  qu'ils  contre-signaient, 
cela  est  inexact,  car  il  a  été  récemment  démontré,  pour  le 
règne  de  Philippe-Auguste,  que  la  formule  «  adstantibus  in 
palatio  •! ,  qui  précède  dans  les  diplômes  l'énumération  de 
ces  officiers,  n'indique  pas  leur  présence  lors  de  la  confection 
de  l'acte,  mais  seulement  leur  existence.  Cette  observation 
s'applique  aux  règnes  suivants ,  et  même  à  quelques  règnes 
précédents,  notamment  à  celui  de  Louis  VIP.  Sous  Philippe 
le  Bel,  le  bouteiller  et  le  chambrier  furent  entièrement  effacés 
par  leurs  collègues,  et  cessèrent  même  de  remplir  des  fonc- 
tions publiques  pour  être  exclusivement  des  officiers  du  roi. 
La  direction  des  finances  fut  confiée  à  un  surintendant  dont  le 

1  Re«{.  XXX  du  Trésor  des  chartes ,  fol.  243. 

-  Voyez  la  liste  des  conseillers  en  1285.  Rcg.  LVII  du  Trésor  des  cJiartes , 
fol.  5. 

3  Delisle,  Catalogue  des  actes  de  Philipjje-Aiiguste,  préface,  p.  i.xxx. 


166  LA  FH.WCE  SOLS  PHILII'I'K  LK  DEL. 

litre  n'avait  ii(Mi  de  délenniné.  Los  fonctions  du  connétable 
s'accrurent;  mais  ce  ne  fut  qu'à  la  lin  du  quatorzième  siècle 
qu'il  dtnint  le  chef  tle  l'artnée  et  fut  revêtu  d'une  auloiité 
pres(jue  égale  à  celle  du  roi.  Le  eliainhrier  et  le  bouteiller 
étaient  ordinairement  choisis  parmi  les  princes  du  sang,  et  le 
connétable  dans  les  rangs  de  la  |)lus  haute  noblesse.  Quant  au 
chancelier,  il  accjuit  une  importance  hors  ligne  :  c'était  le 
secrétaire  du  roi,  le  chef  de  ses  bureaux.  Tous  les  actes  de 
l'autorité  royale  lui  passaient  par  l(>s  mains;  étudier  l'organi- 
sation de  la  chancellerie  sous  Philippe  le  Bel,  c'est  faire  con- 
naître comment  se  manifestait  la  volonté  du  prince,  c'est 
initier  aux  procédés  du  gouvernement  dans  un  temps  où  la 
centralisation  administrative  fit  de  remarquables  progrès. 

Le  chancelier  avait  la  garde  du  grand  sceau  et  le  faisait 
apposer  aux  lettres  royales.  Il  souscrivait  les  diplômes  solen- 
nels revêtus  du  monogramme;  quand  la  charge  de  chancelier 
n'était  pas  remplie,  le  nom  du  chancelier  était  remplacé  sur 
ces  mêmes  diplômes  par  la  formule  vacante  cancellaria.  Au 
douzième  et  au  treizième  siècle ,  les  rois  laissèrent  fréquem- 
ment la  chancellerie  vacante  (juelquefois  pour  des  espaces  de 
temps  assez  longs.  Philippe-Auguste  n'eut  pas  de  chancelier 
en  titre  depuis  l'an  1285  jusqu'à  sa  mort'.  Les  vacances  de 
la  ciiancellerie  furent  aussi  très-fréquentes  sous  saint  Louis  et 
sous  Philippe  le  Hardi.  Quant  au  règne  de  Philippe  le  Bel, 
i\Iabillon  ',  les  éditeurs  modernes  du  Glossaire  de  Ducange, 
et  les  continuateurs  de  V Histoire  généalogique  des  grands  offi- 
ciers de  la  couronne,  du  P.  Anselme,  donnent  des  listes  de 
chanceliers  (ju'il  est  impossible  d'accepter,  car  la  chancellerie 
fut  vacante  pendant  tout  le  règne  de  Philippe  le  Bel.  Ce  prince 
n'eut  que  des  gardes  du  sceau. 

Aucun  titre  officiel  ne  donne  en  effet  le  titre  de  chancelier 
aux  dilférents  personnages  qui  figurent  sur  ces  listes.  Il  n'y 
eut  pas  de  chancelier  sous  Philippe  le  Bel,  et  cela  n'étonne 
pas  quand  on  connaît  le  caractère  de  ce  prince.  Les  chan- 
celiers étaient  à  vie  :  leur  position  leur  donnait  un  grand 
crédit  auprès  du  roi,  dont  ils  étaient  les  premiers  conseillers. 

1  Delisle,  Catalogue  des  actes  de  P/iitippe-Atiguste ,  préface,  p.  i.vxxvi. 
-  De  re  diplomatica ,  p.  J2. 


LIVRE  SEPTIÈME.  —  ADMI.MSTRATIOX  GÉXÉRALE.  167 

Uii  conseiller  perpétuel  devient  souvent  incommode,  surtout 
aux  princes  qui  pratiquent  le  gouvernement  personnel;  il  sus- 
cite quelquefois  une  opposition  qui  déplaît.  On  parait  à  cet 
inconvénient  en  nommant  un  garde  des  sceaux,  révocable, 
qu'on  brisait  quand  ses  conseils  n'allaient  pas  àu-devant  des 
désirs  du  maître,  ou  qu'il  répugnait  à  s'associer  à  certaines 
mesures. 

L'archevêque  de  Xarbonne  fut  remercié,  et  Nogaret  reçut  les 
sceaux  le  jour  oii  l'on  décida  l'arrestation  des  Templiers.  Un 
registre  du  Trésor  des  chartes  nous  l'apprend  officiellement  '. 
On  comprend  que  dans  cette  circonstance,  ou  bien  quand  il 
s'agissait  de  faire  le  procès  de  Boniface  VIll,  le  dévouement 
d'un  garde  des  sceaux  pris  parmi  les  hommes  d'Eglise,  ainsi 
qu'ils  l'étaient  ordinairement,  pouvait  n'être  pas  à  la  hauteur 
des  exigences  royales;  et  il  était  indispensable  de  le  remplacer 
par  un  homme  plus  déi^oué  et  moins  scrupuleux.  Telle  fut 
l'origine  de  la  fortune  de  Pierre  de  Flote  et  de  Guillaume  de 
IVogaret,  qui  furent  les  premiers  laïques  auxquels  on  confia  le 
sceau. 

En  ne  nommant  pas  de  chancelier,  Philippe  agissait  avec 
prudence;  il  évitait  ainsi  de  donner  le  scandaleux  spectacle, 
qui  se  renouvela  trop  souvent  dans  les  derniers  temps  dé  la 
monarchie,  d'un  chancelier,  d'un  l'Hospital,  d'un  d'Aguesseau 
disgraciés  pour  n'avoir  pas  su  plier  et  trahir  leur  conscience, 
et  privés  de  leurs  fonctions  dont  l'exercice  était  confié  à  un 
garde  des  sceaux  complaisant. 

Le  chancelier  n'était  pas  encore  le  chef  de  la  justice  :  dans 
les  rôles  du  parlement  qui  nous  sont  parvenus,  il  est  inscrit 
en  tête  des  clercs,  mais  il  vient  après  les  prélats  et  les  barons  ". 

Le  collège  des  notaires  ou  clercs  de  chancellerie  fut  orga- 
nisé :  chaque  notaire  dut  contre-signer  les  lettres  qu'il  expé- 
diait. On  trouve  sous  Philippe  le  Long  trois  clercs  du  secret, 
qui  rédigeaient  les  lettres  confidentielles  du  loi ,  les  actes  de 

1  a  Anno  Domini  KîOT,  die  vcncri.s  post  fcsfiim  B.  Mathie  apostoli,  rogc 
cxisicnte  in  monastcrio  rcgali  B.  Alaric ,  jtixta  Pontisaram,  tradilum  fuit 
sigillura  doiniuo  G.  de  Xogarcto,  milite,  ubi  tune  tractatum  fuit  de  capcionc 
Templariorum.  t>  Reg.  XLIV',  fol.  3. 

-  L'ordenaiice  des  paricinenz  (vers  1307).  Bibl.  imp.,  Cartid.  170,  foi.  109. 


168  I,\  l'RA\CE  SOLS  l'IIILIPPE  LE  REL. 

propn'o  motif.  Uno  ordonnance  du  même  prince  attribue  à  ces 
clercs  les  mêmes  honoraires  que  ceux  dont  Maillard  jouissait 
sous  son  père'.  Ceci  nous  apprend  (juo  ce  Maillard  remplissait 
auprès  de  IMiili[)p('  le  IJcl  les  londions  de  scu-rêtaire  intime. 
J'ai  rencontré  nu  très-grand  nonihre  d'actes  signés  :  Par  le 
ROI,  Maillard'-.  Maillard  mangeait  à  la  tal)Ie  des  chapelains 
du  roi  ^  Telle  fut  riuunhie  origine  des  secrétaires  d'Ktat. 

On  sait  (jue  Philippin-Auguste  avait  fait  rédiger  un  étal  de 
ses  domaines;  sur  les  registres  qui  renfermaient  cet  état,  on 
inscrivit  les  actes  de  la  chancellerie  et  les  chartes  les  plus 
importantes  provenant  du  clergé  et  de  la  noblesse  et  concer- 
nant le  roi.  Plusieurs  de  ces  registres  servirent  à  saint  Louis 
pour  enregistrer  les  actes  officiels  de  son  temps.  Ce  même 
prince  fit  faire  des  transcriptions  des  actes  qui  lui  étaient 
adressés,  et  sur  le  même  registre  on  inscrivait  les  lettres 
royales.  Philippe  le  Bel  établit  un  ordre  régulier  :  il  prescrivit 
que  les  actes  qui  payeraient  au  sceau  seraient  copiés  sur  des 
registres  spéciaux,  tenus  sous  la  surveillance  du  chancelier  ou 
de  celui  qui  en  faisait  les  fonctions. 

Telle  est  l'origine  de  celte  belle  collection  des  minutes  de 
la  chancellerie  du  Trésor  des  chartes  qui  va  de  Philippe  le  Bel 
à  Henri  III.  Quand  je  dis  minutes,  je  suis  inexact,  car  tout 
porte  à  croire  que  ce  sont  des  copies  faites  d'après  les  origi- 
naux. A  cliaque  instant  l'ordie  chronologique  des  pièces  est 
interverti;  des  registres  entiers  sont  de  la  même  écriture, 
quoique  les  pièces  qu'ils  renferment  portent  des  signatures  de 
notaires  diflférents.  Ces  signatures  elles-mêmes  ne  sont  pas  ori- 
ginales; elles  ne  sont  même  pas  reproduites  sur  les  registres 
avant  l'année  1310.  Certains  de  ces  registres  étaient  nnique- 
nient  destinés  aux  actes  importants  revêtus  du  grand  sceau  de 
cire  verte.  Les  mandements  aux  baillis  sont  mêlés  aux  conces- 
sions de  privilèges;  cependant  il  existe  pour  le  règne  de 
Philippe  le  Bel  deux  petits  registres,  qui  se  répètent,  d'un  for- 

*  Rcf[.  LVII  du  Trésor  des  chartes ,  fol.  41. 

2  Arrli.  dp  l'Eiiip.,  K.  3(1,  37  rt  38,  ol  M.  35  à  44,  passim. 

3  Ordnnrianco  i\c  Philippe  \o  BoL  IJo;;.  lAII,  fol.  50.  Tessorraii ,  dans  son 
Histoire  de  la  c/ianrc/leric ,  p.  10,  prétend  que  les  trois  clercs  du  secret 
existaient  du  temps  de  IMiilippe  le  Bel;  cela  est  inexact. 


.  LIVRE  SEPTIÈME.  —  ADMIMSTRATIOX  GKXERALE.  169 
mat  moins  grand  que  les  autres,  qui  renferment  exclusive- 
ment des  actes  de  Tan  1300  à  1304,  relatifs  à  la  guerre  de 
Flandre.  On  voit  là  l'intention  de  faire  une  collection  d'actes 
purement  administratifs,  intention  qui  ne  paraît  pas  avoir  été 
suivie. 

Le  génie  organisateur  de  Philippe  le  lîel ,  qui  réglait  la 
chancellerie,  ne  pouvait  négliger  les  archives  de  la  couronne, 
connues  sous  le  nom  de  Trésor  des  chartes  et  placées  par  saint 
Louis  à  la  Sainte-Chapelle.  Il  institua  en  1307,  sur  la  proposi- 
tion de  Kogaret,  la  charge  de  garde  du  Trésor  des  chartes  et  la 
confia  à  Pierre  d'Etampes,  chanoine  de  Sens,  un  de  ses  clercs, 
qui  rédigea  des  inventaires.  Quelques-uns  de  ses  travaux  exis- 
tent encore.  Pour  compléter  l'ensemble  du  Trésor  des  chartes, 
Philippe  ordonna  de  transcrire,  sur  des  registres  spéciaux,  et 
dans  un  ordre  méthodique,  les  actes  les  plus  importants  dont 
les  originaux  étaient  déposés  au  Trésor  des  chartes  '. 


CHAPITRE  DEUXIEME. 

ADMIXISTRATION     LOCALE. 

Baillis  et  sénéchaux.  —  Prévôts,  vicomtes,  vic[iiicrs,  juges,  bayles,  sergents. 
—  Règles  communes  à  tous  les  l'onctiounaircs.  —  Responsabilité.  — 
Enquêteurs  et  réformateurs. 

La  confusion  des  pouvoirs  administratif,  financier,  judiciaire 
et  militaire  entre  les  mains  des  agents  du  roi  dans  les  pro- 
vinces, simplifiait  singulièrement  les  rouages  de  l'administra- 
tion. Cependant  le  temps  approchait  où  le  nombre  toujours 
croissant  des  affaires  soumises  aux  officiers  royaux  allait  néces- 
siter la  répartition  entre  plusieurs  personnes  des  fonctions 
réunies  jusqu'alors  sur  une  seule  tête.  Des  tentatives  furent 
faites  dans  ce  sens  sous  Philippe  le  Rel,  mais  elles  n'eurent 

*  Dessalles,  Mém.sur  le  Trésor  des  chartes,  p.  22.  Voyez  l'original  des 
lettres  de  création  de  cet  office.  Trésor  des  chartes ,  .1.  476,  n°  \.  Bordier, 
Arch.  de  la  France ,  p.  131.  —  Ce  que  je  dis  ici  du  Trésor  des  chartes  est 
le  fruit  de  mes  remarques  personnelles  sur  les  registres  originaux. 


170  LA  KRWCE  SOIS  PHILIPPI::  LE  BEL. 

qu'une  couito  durée  ou  furent  restreintes  à  certaines  localités. 
Les  mandataires  du  prince  dans  les  provinces  conservèrent  en 
principe  l'exercice  des  différenls  pouvoirs  qui  appartenaient  au 
roi,  dont  ils  étaient  les  rt'présenlants. 

L'administration  j)rovinciale  comportait  deux  dejjrés  de 
fonctionnaires  :  au  premier  rang  se  trouvaient  les  baillis, 
appelés  sénéchaux  dans  le  Alidi.  Jusqu'à  la  fin  du  treizième 
siècle,  ils  étaient  choisis  dans  la  noblesse;  sous  Philippe  le 
Bel,  les  baillis  furent  souvent  des  roturiers',  tandis  (jue  l'on 
continua  de  recruter  les  sénéchanx  parmi  les  chevaliers'. 

On  a  prétendu  que  le  roi  pouvait  seul  avoir  des  baillis  : 
c'est  une  erreur.  Les  seigneurs  et  les  églises  confiaient  le 
gouvernement  de  leurs  fiefs  à  des  baillis  %  et  cela  dès  le  dou- 
zième siècle.  Dans  les  premiers  temps  de  leur  institution,  les 
baillis  royaux  étaient  toujours  au  nombre  de  deux  pour  un 
même  bailliage  et  agissaient  de  concert*.  Leur  action  s'éten- 
dait surtout  sur  la  police  générale.  On  exigeait  d'eux  une 
active  surveillance  de  la  noblesse,  et  ils  furent  les  [)lus  utiles 
instruments  de  la  royauté. 

Ils  étaient  choisis  par  le  conseil  '\  et  prêtaient  serment  entre 
les  mains  du  roi  ".  Sous  Philippe  le  Bel,  ils  cessèrent  de  siéger 
au  parlement,  ainsi  qu'ils  l'avaient  fait  précédemment.  Les 
ordres  du  roi  leur  étaient  adressés  directement,  et  ils  les 
faisaient  parvenir  aux  agents  inférieurs  et  aux  seigneurs  :  nous 
avons  des  renseignements  précis  sur  le  mode  de  transmission 
de  ces  ordres,  (jui  parvenaient  à  des  distances  reculées  avec 

'  OUin ,  passini.  Il  y  avait  j)ourtant  (|iip|([iios  cht-valicrs  ;  on  trniivr  un 
.[pan,  sire  <lc  Vaiiccllns.  rlicialicr,  l)ailli  do  Toiirainc  on  1313.  Trésor  (les 
chartes ,  Rojr.  XWII,  n'  12.  —  (îillc  ilo  Maiibiiisson,  soigneur  de  llonlifjny. 
Id.,  n»  94. 

-  .Jean  d'.Auiiai ,  clioialior,  sénoclial  (\c  Carcassonnc  on  1308.  Trésor  des 
chartes,  Uo;[.  XI^,  n"  63.  —  (îuicliard  de  .Alarziac,  séncohal  d^^  Toulouse 
en  1312.  Ibid.,  Roj;.  XL\  I ,  n"  238.  —  Euslacho  do  Boniuiiarcliais,  jjouvcr- 
neur  de  Afavarrc  et  sénéchal  do  Toulouse,  était  do  bnniio  noblesse,  l  oj?cz 
.lioélicp,  Guerre  de  Navarre ,  publ.  par  Fr.  Alichcl. 

3  In  bailli  do  Conriouai ,  .\.  I.,  J.  VI."),  u"  170,  on  1308.  —  Lu  bailli  de 
Hesdin,  au  ronite  d'Artois,  on  1294.  S.  5061,  etc. 

'*  Or.  .1.  237,  n"  6  (eu  1221),  et  L.  1199. 

»  ard..  t.  I,  p.  360. 

"  Trésor  des  chartes ,  Wc^.  XXX,  fol.  199  v°. 


•      LIVRE  SEPTIÈME.  —  ADMIXISTRATIOX  GÉXÉRALE.  171 

une  rapidité  qui  a  lieu  de  nous  surprendre,  à  une  époque  où 
les  postes  n'étaient  pas  encore  créées'.  Les  sergents  d'armes 
du  roi  étaient  chargés  des  missions  les  plus  importantes  :  un 
crédit  considérable  était  affecté  dans  le  budget  de  l'Etat  à  ce 
service,  que  l'on  désignait  sous  le  nom  de  Messageries'. 

Les  gages  des  baillis  étaient  élevés  :  le  prévôt  de  Paris,  fai- 
sant fonctions  de  bailli,  recevait  16  sous  par  jour;  les  baillis  de 
Champagne  et  de  France,  365  livres  par  an;  le  sénéchal  de 
Rouergue,  400  livres;  les  sénéchaux  d'xAuvergne  et  de  Sain- 
tonge,  500  livres;  le  sénécbal  de  Périgord ,  600  livres;  ceux 
de  Toulouse,  de  Beaucaire  et  de  Carcassonne,  chacun  700 
livres  '. 

L'ensemble  des  bailliages  s'étendait  sur  foute  la  surface  du 
royaume  et  comprenait  les  grands  fiefs  :  c'est  ainsi  que  la 
Bretagne  était  du  ressoit  du  bailliage  de  Tours;  toute  la 
Guienne  et  la  Gascogne  relevaient  de  la  sénéchaussée  du  Péri- 
gord ;  la  Bourgogne  faisait  partie  du  bailliage  de  Hîàcon.  Le 
degré  inférieur  de  la  hiérarchie  était  occupé  par  des  agents  qui 
avaient  un  nom  différent  selon  les  provinces.  Dans  l'Ile  de 
France  et  dans  le  centre,  immédiatement  au-dessous  des  bail- 
lis, étaient  les  prévôts,  placés  à  la  tête  des  prévôtés,  circon- 
scriptions plutôt  domaniales  qu'administratives.  Ils  n'étaient 
pas  nommés  par  le  roi,  sauf  quelques  exceptions.  Ils  affer- 
maient aux  enchères  publiques  les  revenus  des  prévôtés*,  qui 
se  composaient  :  1°  du  produit  des  domaines  royaux;  2°  des 
cens  et  autres  redevances  dus  au  roi  ;  3"  des  amendes  et  des 
émoluments  de  justice  jusqu'à  un  certain  taux.  Les  prévôts 
avaient,  dans  des  limites  plus  ou  moins  étendues,  l'exercice 
de  la  juridiction  de  la  police  et  des  autres  pouvoirs  adminis- 
tratifs. On  comprend  combien  ce  système  était  mauvais.  Il  y 
avait  souvent  plusieurs  prévôts  pour  une  prévôté;  l'ordonnance 
de  1303  crut  être  sévère  en  statuant  qu'il  ne  pourrait  y  en 

1  Voyez  l'inslnictioii  rédigée  en  langue  française  qui  fut  remise  en  ISOt  à 
un  sergent  cliargé  de  transmettre  aux  séuécliaux  du  Alidi  l'ordre  de  conio(|ucr 
les  députés  des  églises,  liliil.  imp.,  inss.  Baluzc,   10312  A,  fol.  22  v". 

^  Ordonuance  de  1314.  Xotices  et  extraits ,  n"  40. 

"*  Rcg.  de  la  Chambre  des  comptes,  P.  2289,  p.  870. 

'*  Ord.,  t.  I,  p.  360  (1303).  —  Ihid.,  p.  402  (1306). 


172  LA  l'RAXCK  SOLS  IMIILIPIM':  LK  lUX. 

avoir  que  deux  '.  On  exigea  des  adjudicataires  des  garanties 
de  moralité.  Les  baillis  ne  dînent  adniclti-e,  aux  termes  de  la 
même  ordonnance,  (|ne  des  lai(|iies,  solvaMes,  jouissant  d'une 
bonne  réputation,  uon  suspects  d'usure  :  les  clievaliers  étaient 
exclus;  uiais  ces  prescriptions  lurent  fréqueiuinent  violées.  Ces 
inconvénients  avaient  frappé  saint  Louis.  11  supprima  à  Paris 
les  prévôts  lermicrs,  pour  y  substituer  un  prévôt  ou  garde  de 
la  prévôté,  qui  recevait  un  traitement  fixe.  Cette  mesure  était 
d'autant  plus  nécessaire  que  le  prévôt  de  Paris  remplissait  les 
fonctions  de  bailli.  Dans  les  comptes  du  treizième  et  du  (jua- 
torzième  siècle,  on  trouve  à  Paris  une  prévôté  et  un  bailliage 
distincts  %  ayant  chacun  des  recettes  et  des  dépenses  particu- 
lières; mais  il  n'y  eut  jamais  de  bailli,  ainsi  que  l'ont  prétendu 
les  auteurs  de  VArt  de  vérifier  les  dates  ^ . 

Dans  quelques  villes  importantes,  on  établit  des  gardiens 
de  prévôtés,  entre  autres  à  Orléans*,  mais  ce  fut  là  l'excep- 
tion. Quelques-uns  de  ces  prévôts  s'appelaient  sous-baillis  ^ 

La  Normandie  était  partagée  en  vicomtes  gouvernés  par  des 
vicomtes,  nommés  par  le  roi.  Dans  les  sénéchaussées  de  Beau- 
caire  et  de  Carcassonne,  les  vicomtes  existaient  sous  le  nom 
de  viguiers,  vicarii,  et  étaient  préposés  à  une  étendue  de  pays 
nommée  viguerie*.  Dans  le  Toulousain  et  dans  la  partie  de 
la  Guienne  qui  avait  appartenu  au  comte  xAlphonse,  il  n'y 
avait  pas  de  viguier,  sauf  à  Toulouse;  mais,  dans  cette  pro- 
vince, oïl  la  civilisation  fit  de  bonne  heure  de  grands  progrès, 
on  n'avait  pas  consenti  à  laisser  aux  formieis  des  domaines  le 
droit  de  rendre  la  justice.  Alphonse  confia  la  juridiction  de 
première  instance  à  des  juges,  jndices,  dont  le  ressort  s'ap- 

1  Ord.,  p.  360  (130:î). 

-  \  oyez  le  compte  des  bailliajjcs  et  des  prévôtés  de  France  de  1299.  15.  L, 
siippl.  franc.  4743. 

'^  Les  bénédictins  citent  un  registre  du  Trésor  des  c/iartes  (Rp<J.  XXXV^, 
fol.  35,  n»  52).  J'ai  vérifié  la  citation,  il  n'y  est  fait  mention  que  des  baillis 
de  Sens,  d'Auvergne,  de  Bourges,  de  Sentis,  d'Amiens  et  de  Vermandois. 

^  A  Orléans,  Guillaïune  Tibout ,  garde  de  la  prévôté.  Trésor  des  chartes, 
J.  148  n"  16,  en  1293. 

•>  A  Poissy,  en  1312,  accord  entre  le  sous-bailli  et  le  maire  de  la  com- 
mune. Trésor  des  chartes,  J.  387,  n"  18,  et  en  1310.  Olim,  t.  III,  p.  489. 

G  Bibl.  de  l'École  des  chartes,  4«  série,  t.  I ,  p.  214  et  215. 


LIVRE  SEPTIlvME.  —  ADMIMS'IRATIO.V  GÉXÉRAM:.  173 

pela  judicaturc  ou  jiigerie.  Ces  jugeries,  qui  étaionl  dans  le 
principe  purement  judiciaires,  devinrent  dès  la  fin  du  trei- 
zième siècle  des  circonscriptions  administratives  et  des  subdi- 
visions des  sénècliaussées '.  Dans  tout  le  Alidi,  les  j)révùts 
s'appelaient  hayles  (bajuli.)  Le  teriitoire  soumis  à  un  bayle 
s'appelait  baylie"'. 

Au-dessous  des  prévôts  et  des  bayles  étaient  les  sergents, 
servientes;  exécuteurs  des  ordres  des  baillis  et  des  autres  agents 
royaux  %  ils  remplissaient  aussi  les  fonctions  d'Iiuissiers.  Ils 
portaient  comme  emblème  de  leur  pouvoir  une  baguette  fleur- 
delisée. Leur  personne  était  inviolable.  Les  sergents  furent  les 
plus  ardents  auxiliaires  des  baillis  dans  l'œuvre  de  l'extension 
de  l'autorité  royale  au  détriment  des  églises  et  de  la  noblesse. 

Ils  étaient  nommés  et  destitués  par  les  baillis  et  les  séné- 
chaux en  pleine  assise*;  ils  fournissaient  caution".  Leur 
nombre  était  fixe  ";  cependant  il  y  en  avait  tant,  qu'en  1303  le 
roi  ordonna  d'en  supprimer  une  partie  dans  les  terres  des  prélats 
et  des  barons,  à  moins  qu'ils  n'y  fussent  nés  ou  ne  s'y  fussent 
mariés.  Dans  ces  deux  cas,  ils  ne  pouvaient  y  exercer  leurs 
fonctions,  et  étaient  soumis,  pour  tout  ce  qui  ne  regardait  pas 
leur  office,  à  la  juridiction  de  leur  seigneur  \  En  Normandie, 
les  sergents  étaient  fieffés,  et  le  territoire  dans  lequel  ils 
avaient  droit  d'instrumenter  s'appelait  sergenterie.  Ils  avaient 
sous  leurs  ordres  des  sous-sergents,  dont  ils  répondaient*. 

L'ordonnance  de  L303,  pour  la  réformation  du  royaume, 
fixa  des  règles  communes  à  tous  les  officiers  royaux.  —  Nul 
ne  devait  être  bailli,  sénéchal,  prévôt,  juge,  dans  son  pays 
natal  (§  27.)  Nul  bailli  ne  pouvait  avoir  sous  ses  ordres,  en 
qualité  de  juges  ou  de  prévôts,  ses  parents,  alliés  ou  commen- 

*  Organ.  judiciaire  du  Languedoc.  Bibl.  dn  l'I'icolc  des  cliartcs,  4"  série, 
t.  I,  p.  211  et  siiiv. 

2  Ibid.,  p.  208  et  suiv. 

3  Ils  gardaient  les  bénéfices  ecclésiastiques  saisis.  —  Doat.,  155,  p.  271. 
Lettre  du  roi  au  sénéchal  de  Toulouse,  1290.  —  Voyez  les  Olini ,  passini. 

4  Ord.,  t.  I,  p.  399. 

^  Ord.,  p.  303.  27  mai  1308.  Trésor  des  chartes ,  Reg.  XLII,  n"  1. 

6  Ord.,  p.  296,  363  et  399. 

7  Ord.,  t.  I,  p.  319  et  362. 

8  Trésor  des  chartes,  Reg.  XLI,  n"  J07,  et  XLVIII,  n«  130. 


174  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIIM'E  LK  REL. 

saux  (^  18.|  Ils  prètaipnt  serment  d'être  bons  cl  loyaux  servi- 
teurs (lu  roi,  (le  rcMulro  exacte  justice  à  cliacun  ,  de  respecter 
les  ordonnances  de  saint  Louis'  et  les  francliises  locales* 
(§  15.)  ils  juraient  aussi  d'obéir  à  rincpiisition ,  et  de  se  con- 
former à  cette  même  ordonnance  de  130;};  de  ne  pas  accepter 
de  cadeaux,  de  ne  pas  entrer  dans  les  monastères  sans  néces- 
sité (§  23),  et  de  ne  pas  se  marier  ni  marier  leurs  enfants  dans 
le  bailliajie,  sans  la  permission  du  roi  ou  de  sou  lieutenant'. 
ils  étaient  tenus  d'exercer  leurs  l'onclions  en  personne,  et  <lc 
n'établir  de  substituts  ou  de  lieutenants  qu'en  cas  de  maladie 
ou  d'absenee  pour  le  service  du  roi,  et  de  cboisir  pour  le  rem- 
placer un  liomme  du  pays,  qui  prêtait  seiment  de  se  conduire 
loyalement  (§  22.)  La  résidence  leur  était  imposée.  Un  man- 
dement du  mois  de  novembre  1303  ordonna  à  tous  les  offi- 
ciers, quels  qu'ils  fussent,  d'être  à  leur  poste  dans  la  quin- 
zaine, sous  peine  d'encourir  la  destitution  ipso  facto" .  Il  leur 
était  enjoint  de  recevoir  les  ordres  du  roi  avec  respect,  et  de 
les  exécuter  promptement,  à  moins  qu'ils  ne  fussent  en  oppo- 
sition avec  leur  serment  ou  contraires  aux  intérêts  du  prince. 

Après  leur  sortie  de  charge,  ils  restaient  quarante  jours 
dans  leur  bailliage,  pour  répondre  de  leui's  actes.  Cette  res- 
ponsabilité n'était  point  périmée  par  ce  laps  de  temps;  elle 
passait  aux  héritiers  ^ . 

Les  officiers  royaux  inférieurs  étaient  justiciables  des  baillis, 
des  sénéchaux  et  du  parlement,  'tous  étaient  en  outre  soumis, 
ainsi  que  les  baillis,  à  une  juridiction  extraordinaire,  aux 
enquêteurs  et  réformateurs. 

Saint  Louis  avait,  dès  1248,  envoyé  dans  les  provinces  des 
commissaires  pris  dans  le  clergé,  pour  réparer  les  injustices 
et  les  dommages  dont  ses  sujets  avaient  eu  à  souffrir  de  la  part 

1  Ordonnance  sur  la  manière  dont  les  sénéchaux  et  autres  officiers  doiiriit 
à  leur  première  assise ,  à  la  requête  des  consuls ,  jurer  de  garder  les  ordon- 
nances de  saint  Louis,  1303.  —  Trésor  des  chartes,  Rcg.  X.VW  II ,  n"  10. 

2  Olim,  t.  II,  p.  97,  et  note  24,  p.  863. 

"*  ^lesnard ,  Histoire  de  Xisnics ,  t.  I,  preuves,  p.  134,  en  1294.  \oyez 
une  permission  dans  ce  jjenre  donnée  par  le  roi  à  un  bailli  en  1303.  Trésor 
des  chartes ,  Reg.  XLII  bis ,  loi.  2. 

-i  Ord.,  t.  I,  p.  3S7. 

5  Olim.  t.  m,  p.  823,  en  1313. 


.     LIVRE  SEPTIÈME.  —  ADMIMSTRAÏIOX  GÉXÉRALE.  175 

de  SCS  ofâciers  ou  de  ses  prédécesseurs.  Ces  commissaires, 
appelés  enquêteurs  et  réformateurs,  jugeaient  sommairement 
les  plaintes  qui  leur  étaient  déférées  :  c'étaient  véritablement 
des  ministres  de  grâce  et  de  justice.  Philippe  le  Hardi  suivit 
cet  exemple,  mais  le  pouvoir  des  enquêteurs  porta  ombrage 
au  parlement,  qui,  en  1281,  défendit  aux  commissaires  envoyés 
pour  informer  de  la  conduite  des  prévôts  et  sergents,  de  pro- 
noncer des  condamnations,  et  leur  enjoignit  de  rapporter  leuis 
enquêtes  à  la  cour  du  roi ,  qui  statuerait  '  :  ce  règlement  ne 
-fut  pas  exécuté.  Le  régne  de  Philippe  le  Bel  fut  signalé  par 
des  envois  fréquents  de  commissaires  extraordinaires,  mais 
dans  une  autre  pensée  que  celle  qui  avait,  sous  saint  Louis, 
présidé  à  leur  création  *.  De  121)0  à  1300,  on  trouve  une 
multitude  de  commissaires -enquêteurs  pour  la  réformation 
du  royaume^.  Les  communautés  de  la  sénéchaussée  de  Car- 
cassonne  se  plaignirent  au  roi  de  ces  réformateurs,  qui  citaient 
au  parlement  de  Paris  les  habitants  de  ces  provinces  éloignées, 
et  extorquaient  de  l'argent  sous  prétexte  d'usure,  de  déten- 
tion de  monnaies  prohibées  '',  etc. 

Les  pouvoirs  confiés  à  ces  agents  étaient  exorbitants.  En  1301, 
le  roi  donna  commission  à  Guillaume  de  Xogaret  et  à  un 
nommé  Jean  de  Marchés,  de  prendre  des  informations  sur  les 
usurpations  faites  sur  la  couronne,  en  Champagne,  d'informer 
sur  la  conduite  des  officiers,  de  les  punir,  et  de  faire  rentrer 
dans  la  main  du  roi  tout  ce  qui  en  avait  été  soustrait  ^.  Ces  com- 
missaires condamnaient  extrajudiciairement  à  de  fortes  amendes 
ceux  qu'ils  trouvaient  en  contravention  avec  les  ordonnances 
royales  ".  Toutefois,  dans  des  lettres  du  mois  de  décembre  1302, 
le  roi,  en  nommant  des  réformateurs,  leur  prescrivit  de  le 
consulter  sur  les  questions  qui  leur  paraîtraient  douteuses  ou 

1   Olim,  t.  II,  p.  188. 

-  Lettre  du  18  octobre  1285.  Ribl.  inip.,  collection  de  Languedoc  :  conli- 
miation  de  l'Histoire  générale  de  Languedoc  (par  doin  Bouroltc),  t.  LXXI , 
fol.  55. 

3  Coll.  de  Languedoc,  t.  LXXI,  p.  55;  et  Doat.,  156,  fol.  1. 

''  Doat.,  156,  fol.  88. 

5  Or.  Trésor  des  chartes,  i.  199,  n»  42. 

^  Eu  1302,  en  Gascogne,  procédures  de  Guy,  évèquc  de  Soissons,  et  de 
l'archidiacre  d  Auge.  Or.  J.  387,  n"  15. 


17G  LA  KRAXCE  SOLS  PHILIPI'M  LK  F.IX. 

obscures'.  Ils  avaient  ordinairement  l'inspeelion  de  plusieurs 
bailliages;  ils  étaient  toujours  deux,  dont,  sauf  de  rares  excep- 
tions, un  membre  du  clergé  séculier  et  un  chevalier. 

La  grande  ordonnance  pour  la  réformation  du  royaume,  du 
mois  de  mars  13()3,  prescrivit  l'envoi  dans  les  provinces  d'en- 
quêteurs pour  s'informer  des  anciennes  coutumes  et  savoir 
comment  les  choses  se  passaient  du  temps  de  saint  Louis,  avec 
ordre  de  rétablir  les  bonnes  coutumes  qui  seraient  tombées  en 
désuétude,  et  d'abolir  les  mauvaises  qui  auraient  pu  être  éta- 
blies depuis  celte  époque  *.  La  France  fut  inondée  de  réforma- 
teurs %  sous  prétexte  de  veiller  au  maintien  de  la  justice, 
mais  qui  n'avaient  d'autre  but  que  de  faire  entrer  de  l'argent 
dans  le  trésor  royal.  Xogaret,  Pierre  de  IJelle-Perche,  Béraud 
de  Mercœur  et  Guillaume  de  Plasian  reçurent,  en  1304,  pleins 
pouvoirs  de  mettre  en  liberté  toutes  sortes  de  prisonniers,  tant 
laïques  qu'ecclésiastiques,  en  quelque  lieu  qu'ils  fussent  déte- 
nus, de  révoquer  les  statuts,  de  les  interpréter^;  ils  eurent 
même  une  procuration  générale  pour  traiter  des  affaires  du 
roi  *. 

Les  enquêteurs  jouissaient  d'une  autorité  discrétionnaire 
sur  les  agents  royaux,  et  ils  en  abusaient.  En  1307,  en  Lan- 
guedoc, ils  confisquèrent  et  vendirent  au  profit  du  fisc  les 
biens  d'un  clerc  qui  n'avait  jamais  été  au  service  du  roi".  Ils 
empiétaient  sur  les  attributions  des  juges.  En  1310,  on  voit  les 
réformateurs  transiger  avec  un  homme  accusé  d'un  meurtre, 
dont  le  procès  avait  été  instruit'.  Ils  laissaient  échapper  les 

*  a  Si  quotl  iiulr  diihiiiin  vpI  obscuniin  lohis  occiirrcrit ,  in  Iiac  parte, 
nobis  ûdclitcr  rcfi'eralis.  s  Xomiiiation  de  Philippe,  chancelier  de  l'Eglise  de 
IJoiirgcs,  et  de  P.  de  Sainte-(]roix.  Or.  K.  160,  n°  103  (mercredi  après 
Saiiite-Iiiice  KîOij.  \oyez  d'autres  lettres  sendjiahics  du  même  mois.  Trésor 
des  cliurtes ,  Iley.  XXXVI,  fol.  11  et  12,  13  r"  (pour  le  bailliage  de  Sentis). 

2  Ord..  t.  I,  p.  358,  §  4. 

3  Voyez  pour  le  Languedoc  les  listes  données  par  dom  Ijourolte.  Coll.  de 
Languedoc,  t.  LXXI,  p.  56  et  57;  et  pour  le  reste  de  la  France,  Trésor  des 
chartes,  Reg.  XXXV,  n"  198  et  199. 

''  Or.  Trésor  des  chartes ,  J,  365,  n°  5,  16  février  1303,  vieux  style;  et 
Reg.  L,  fol.  91. 

^  J.  365,  n"  6 ,  et  Rog.  L,  fol.  90,  i",  même  date, 

G  Olim,  t.  III,  p.  231. 

~  Trésor  des  chartes ,  Reg.  XLI,  fol.  212  r°. 


.    LIVRE  SEPTIÈME.  —  ADMIXISTRATIOX  GÉVÉRALE.  177 

coupables  et  condamnaient  des  gens  absous  par  les  triliunanx. 
En  Périgoid,  ils  firent  payer  une  amende  de  cent  livres  à  un 
individu  qui  avait  été  acquitté  '.  Certains  délits  étaient  enlevés 
aux  juridictions  ordinaires  et  placés  dans  leur  compétence.  Ils 
recevaient  commission  de  poursuivre  ceux  qui  violaient  les 
ordonnances  sur  les  guerres  privées  et  le  port  d'armes,  sur 
les  infractions  à  la  défense  d'exporter  des  armes,  de  l'argent 
et  des  denrées'.  Quelle  garantie  pouvaient  offrir  ces  hommes 
qui,  aux  termes  mêmes  de  leur  nomination,  procédaient  sans 
suivre  les  formalités  voulues,  punissaient  les  crimes  réputés 
impunis,  et  restituaient  au  roi  ce  qui  avait  été  usurpé?  Ils 
devaient,  il  est  vrai,  demander  des  instructions  au  roi  ou  bien 
au  parlement  dans  les  circonstances  qui  offraient  de  la  gra- 
vité; mais  cela  était  abandonné  à  leur  discrétion  ^  En  un  mot, 
les  enquêteurs  et  les  réformateurs,  qui  étaient  institués  pour 
soulager  le  peuple  et  le  mettre  à  l'abri  des  abus  administra- 
tifs, devinrent  eux-mêmes  un  fléau  plus  redoutable  que  celui 
qu'ils  avaient  mission  d'empêcher  et  de  punir.  Heureusement, 
on  pouvait  appeler  au  parlement  de  leurs  décisions.  Les  Olim 
renferment  la  mention  de  plusieurs  de  ces  appels,  qui  furent 
souvent  jugés  en  faveur  des  plaignants. 

A  la  fin  du  règne  de  Philippe  le  Bel,  la  juridiction  des 
commissaires  généraux  s'étendait  à  tout,  sauf  aux  causes  civiles. 
Sous  prétexte  qu'on  avait  usurpé  les  droits  du  roi,  ils  extor- 
quaient de  l'argent  et  faisaient  signer  des  obligations  de  payer 
de  fortes  sommes*.  Ils  ne  pouvaient  destituer  les  baillis,  mais 
ils  informaient  contre  eux.  Le  roi  ou  le  parlement  décidait, 
mais  rarement  la  révocation  était  prononcée.  Les  abus  de  pou- 

1  Olim,  t.  III,  p.  777. 

-  a  Runior frequcns  intonuit  quod  quam  pliires  portitioncs  armoriim,  violcncie 
aliique  graves  cxcessiis,  plura  liomicidia  et  qiiampliirima  enorniia  delicta  per 
nonnullos  homincs  nobilcs  et  innoliiies  sunt  perpetrala,  plurcs  exacfioncs, 
extorsiones    et    opprcssioncs    per    prepositos,    serviciites    aliosquc    ofllcialcs 

nostros Vobis  niandaimis  qiiatinus  de  piano,  sine  strepitu  judicii ,  de  pre- 

missis  omnibus  veritafeni  inquiratis  criniinaquc  neylecla  punialis,  nccnoii 
jura  nostra  rccelata  et  usurputa  ad  nianum  nostrani  retrabalis.  r  Lettres  de 
nomination  d'enquêteurs.  Reg.  XLI  du  Trésor  des  chartes ,  fol.  111. 

3  Olim,  t.  III,  p.  586,  en  1310;  p.  788,  p.  612. 

4  Olim,  p.  988. 

12 


178  LA  l'HAXOK  SOIS  PHII-lPPi:  LE  DLL. 

voii"  les  plus  criants  obtenaient  toujours  des  lettres  de  rémis- 
sion jionr  Iciiis  auteurs  '.  Seuls  la  malversation  et  le  détourne- 
ment des  deniers  royaux  étaient  punis  par  le  retrait  de  l'emploi 
et  par  la  restitution  des  sonnnes  indûment  j)errues"'.  On  était 
bien  loin  du  rèjjiio  é(piitable  et  paternel  de  saint  Louis,  dont 
le  souvenir  était  vivant  chez  le  peuple.  Le  contraste  rendait 
encore  plus  insupp()rtal)le  le  «jouvernement  envahissant  et  Ira- 
€assier  de  Philippe  le  Bel,  (pii  ne  connaissait  d'autre  loi  que 
l'intérêt  du  prince,  et  de  limite  que  celle  que  j)ouvait  lui 
opposer  la  révolte. 

1  Rémission  pour  Giiicliard  de  .Alarziac,  séiiéclial  dp  Toulouse,  des  excès 
commis  par  lui  dans  ses  fonctions.  Avril  1312.  Trésor  des  chartes ,  Reg.  XLVI, 
n"  238.  —  Remission  pour  un  sergent  royal  qui  avait  mutilé  un  lionnnc,  qui 
depuis  avait  été  condamné  à  mort.  Août  13!  V.  Id.,  Rejj.  L,  n"  55. 

-  Olim,  I.  III,  p.  579.  Le  bailli  d'Amiens  destitué,  en  1300,  pour 
concussion. 


LIVRE   HUITIEME. 

ORGAXISATIOX    JUDICIAIRE. 


CHAPITRE   PREMIER. 

JURIDICTIONS    IXFÉRIEURES. 

On  comptait  trois  degrés  de  juridiction.  —  Différcuts  noms  des  juridictions 
inférieures.  —  La  séparation  du  pouvoir  judiciaire  et  de  l'administration 
plus  avancée  dans  le  midi  que  dans  le  nord  de  la  France.  —  Des  juridic- 
tions municipales.  —  Leur  origine.  —  Le  jugement  par  le  jury  en  matière 
civile  et  criminelle  était  de  droit  commun.  —  Des  tribunaux  municipaux. 
—  Leur  compétence.  —  Deux  remarques  essentielles. 

A  la  fin  du  treizième  siècle  il  y  avait  dans  le  domaine  trois 
degrés  de  juridiction,  qui  portaient  des  noms  différents  sui- 
vant les  provinces  '  ;  mais  au  fond  l'organisation  était  la  même 
partout,  car,  ainsi  que  j'ai  souvent  eu  occasion  de  le  dire, 
lorsqu'une  province  faisait  retour  à  la  couronne,  on  ne  chan- 
geait rien  aux  institutions  qui  la  régissaient,  mais  on  les  rame- 
nait peu  à  peu  à  l'unité,  tout  en  laissant  subsister  les  anciennes 
dénominations  et  les  vieux  usages.  Trois  degrés  de  juridiction 
supposent  l'appel  à  deux  degrés,  c'est-à-dire  que  l'on  pouvait 
appeler  successivement  du  tribunal  de  première  itislance  au 
tribunal  intermédiaire,  et  de  celui-ci  au  tribunal  suprême  : 
c'est  en  effet  ce  qui  se  pratiquait.  Dans  le  Xord,  l'Ouest  et  le 
Centre,  sauf  la  Normandie,  les  prévôts  étaient  juges  de  pre- 
mière instance';  mais  il  était  imprudent  d'abandonner  l'exer- 
cice de  la  justice  criminelle  à  des  agents  qui,  affermant  le  pro- 
duit des  amendes,  avaient  intérêt  à  trouver  des  coupables. 
Aussi  la  grande  ordonnance  de  1303,  confirmant  ce  qui  existait 
déjà  sous  saint  Louis,  interdit  tout  acte  de  juridiction  aux 
prévôts  fermiers  et  leur  défendit  de  juger  les  causes  entraînant 

1  Olim,  t.  III,  p.  1515,  note  9. 

2  Olim,  t.  III,  p.  93,  t.  II,  p.  88. 

12. 


180  LA  FRANCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

(Ips  peines  pc-ciiniaiies.  Ce  droit  était  réservé  aux  baillis,  aux 
honimos  do  fief  ou  aux  échevins,  suivant  les  coutumes  locales  ', 
Il  résulte  do  là  que  la  juridiction  do  promiére  instance  appar- 
tenait presque  exclusivement  aux  écliovins,  c'est-à-dire  aux 
juridictions  municipales,  ou  bien  aux  hommes,  c'est-à-dire  à 
des  jurés  présidés  par  le  prévôt.  Dans  quehjuos  «grandes  villes, 
comme  à  Orléans,  il  y  avait  un  garde  de  la  prévôté,  magistrat 
recevant  un  traitement  fixe  :  je  ne  parle  point  de  Paris,  dont  le 
prévôt  était  à  la  Ibis  bailli.  En  Xormandio,  les  vicomtes,  insti- 
tués du  temps  de  la  domination  anglaise,  tenaient  les  plaids; 
leur  pouvoir  était  considérablement  amoindri  par  Tinstilution 
du  jury-. 

Dans  les  provinces  méridionales  appartenant  à  la  couronne, 
il  faut  distinguer  les  anciens  domaines  du  comte  Alplionse 
des  deux  séné(;haussées  de  Beaucaire  et  de  Carcassonne,  qui 
avaient  été  réunies  à  la  couronne  dès  Louis  \III.  Dans  les 
premières,  c'est-à-dire  dans  les  comtés  de  Toulouse,  de  Querci 
et  de  Rouergue,  ainsi  que  dans  la  partie  de  l'Albigeois  située 
au  sud  du  Tarn,  le  dernier  degré  de  la  biérarcbie  judiciaire 
était  occupé  par  des  juges  exerçant  la  juridiction  dans  des  cir- 
conscriptions appelées  judicatures  ou  jugeries^  Ces  juges  avaient 
été  établis,  au  milieu  du  treizième  siècle,  par  le  comte  Alphonse, 
qui  avait  déj)ouillé  du  droit  de  rendre  la  justice  les  bayles  ou 
prévôts.  Dans  le  comté  de  Toulouse,  il  y  avait,  sous  Philippe 
le  Bel,  cinq  jugeries,  plus  la  viguerie  de  Toulouse*.  L'Albi- 
geois, le  Rouergue  et  le  Quorci ,  formaient  chacun  une  jugerie  \ 
Dans  les  sénéchaussées  de  Beaucaire  et  de  Carcassonne,  les 
juges  inférieurs  étaient  les  viguiers,  officiers  (jui  répondaient 
aux  vicomtes  de  Xormandio,  avec  cette  différence  que  dans  le 
Languedoc,  où  les  traditions  administratives,  entretenues  par  la 
conservation  dos  lois  romaines,  avaient  avancé  le  développe- 
ment de  la  civilisation,  et  où  la  séparation  des  pouvoirs  avait 

1  Onl.,  t.  I,  p.  360. 

-  Revue  anglo-française ,  2"-"  scrir,  t.  I,  p.  232  et  313. 
•^  Bibl.  de  i Ecole  des  chartes.  Organ.  judiciaire  du  Languedoc,  4'"  série, 
t.  I,  p.  205  rt  suiv. 

4  Ibid.,  p.  210. 

5  Ibid.,  p.  213.  A.  I.,  K.  501.  Rouleau  orig.  de  l'an  1294. 


•      LIVRE  HUITIÈME.  —  ORGAXISATIOX  JIDICIAIRE.  181 

fait  de  plus  grands  progrès  que  dans  le  Xord,  les  viguiers  ne 
rendaient  pas  seuls  la  justice  :  ils  devaient  être  assistés  par  un 
juge  royal.  Ces  juges,  ainsi  que  ceux  des  vigueries,  étaient 
annuels,  ou  du  moins  ils  passaient  chaque  année  d'un  siège  à 
un  autre  '. 

Passons  à  la  juridiction  exercée  par  les  magistrats  munici- 
paux, et  examinons  la  part  plus  ou  moins  grande  que  les 
citoyens  pouvaient  prendre,  concurremment  avec  les  officiers 
du  roi  ou  des  seigneurs,  à  la  reddition  de  la  justice'.  Les  bar- 
bares avaient  détruit  l'organisation  judiciaire  romaine,  et  y 
avaient  substitué  les  plaids  ou  mais  germaniques.  Dans  les 
mais,  les  juges  étaient  des  hommes  professant  la  même  loi 
que  les  parties,  présidés  par  le  comte  ou  le  centainier.  Ces 
jurés  s'appelaient  scabins  ou  échevins  :  à  la  fin  de  la  première 
race  il  arriva ,  ce  qui  se  reproduira  toutes  les  fois  qu'il  sera 
question  de  l'exercice  d'un  droit  civil  ou  politique  qui  exige 
quelque  dérangement  :  on  trouva  difficilement  des  échevins. 
Charlemagne  institua  des  rachimbourgs,  assesseurs  choisis  par 
les  envoyés  de  l'empereur  (missi  dominici);  mais  les  échevins 
ne  disparurent  pas  complètement.  Bientôt  après,  l'autorité  des 
seigneurs  se  substitua  à  celle  du  roi  dans  la  plus  grande  partie 
de  la  France. 

L'avènement  du  régime  féodal  n'interrompit  pas  la  partici- 
pation des  habitants  aux  jugements;  mais  il  ne  donna  pas 
naissance  aux  juridictions  municipales,  ainsi  que  l'ont  cru 
certains  savants ,  qui  sont  partis  de  cette  idée ,  que  les  magis- 
trats municipaux  nommés  échevins  ont  quelque  rapport  de 
filiation  avec  les  anciens  scabins;  mais  dès  lors  chacun  fut 
jugé  par  ses  pairs,  le  noble  par  des  nobles,  le  roturier  par 
des  roturiers.  A  la  fin  du  treizième  siècle,  le  jugement  par 
jury  était  la  règle;  on  le  trouve  établi  dans  toutes  les  j)rovinces 
de  France,  surtout  en  matière  criminelle.  Beaumanoir  con- 
state que  les  baillis  (dans  ce  passage,  bailli  ne  désigne  pas 
un  magistrat  de  second  degré,  mais  un  juge  seigneurial)  ren- 

1  Mcsnard,  Histoire  de  Xismes ,  preuves,  p.  86;  et  Arch.  do  l'Iùiip., 
J.  329,  no  43. 

-  Le  seul  auteur  qui  ait  fait  un  travail  d'ensemble  sur  la  juridiction  muni- 
cipale est  M.  Pardessus,  Essai,  p.  331. 


182  LA  FRAXGE  SOLS  PHILirPE  LK  BI-X. 

daipnt  eux-mêmes  la  justice  dans  ccrlains  lieux,  et  dans 
d'auliM^s  que  c'étaient  les  hommes  du  seijpieur  qui  faisaient  le 
juj^emcnt.  Or,  même  dans  le  cas  où  le  hailli  jujjeait,  il  devait 
«  appeler  Ji  son  conseil  des  plus  sajjes  et  fere  le  jujjcment  par 
leurs  conseils  ) .  Les  Établissements  de  saint  Louis  montrent 
(|ue,  même  dans  les  lieux  où  le  prévôt  avait  l'exercice  de  la 
juridiction,  il  (hnait  appeler  des  hommes  sujjisants,  (|ui  ne 
fussent  point  amis  des  parties,  et  juger  d'après  leur  avis  :  «  se 
aucun  se  plaint  à  justice  (prévôt  ou  bailli)  de  aucun  meffet... 
la  justice  doit  mettre  terme  (assigner  un  jour),  et  à  ccluy  terme 
se  doit  lever  et  appeler  gens  souffisanz,  qui  ne  soient  de  l'une 
partie  ne  de  l'autre,  et  si  doit  faire  la  parole  retrere;  et  des 
paroles  qu'auront  dites,  si  leur  doit  faire  droit,  et  si  leur  droit 
retraire  ce  qu'ils  auront  jugié.  5) 

Dans  un  autre  chapitre  des  Etablissements,  on  lit  ce  qui 
suit  :  a  Quant  les  parties  seront  coulées  en  jugement,  li  prévôt 
ou  la  justice  si  feront  les  parties  mander,  et  appelleront 
sonffisamment  gent  qui  ne  seront  mie  des  parties,  et  doit  la 
justice...  livrer  les  paroles  aux  jugeeurs,  et  ils  (les  jugeeurs) 
doivent  loyaument  jugier  '.  •:>  On  reconnaît  des  jurés  dans 
ces  gens  suffisans  ou  jugeeurs.  La  coutume  de  Normandie 
montre  l'institution  du  jury  fonctionnant  dans  cette  province 
au  treizième  si ''.le  en  matière  civile  et  criminelle"'.  Il  en  était 
de  même  dans  Li  Picardie,  l'Artois  et  la  Flandre  ^ .  Philippe  le 
Long  prescrivit,  en  1319,  au  bailli  d'Auvergne  de  prendre 
conseil  on  rendant  la  justice  de  chevaliers  et  de  prud'hommes 
du  pays  *. 

L'ancienne  coutume  d'Anjou ,  qui  est  aussi  du  treizième 
siècle,  est  conforme  sur  ce  point  aux  Etablissements.  Dans  tout 
le  Midi,  là  où  il  n'y  avait  pas  de  juridiction  municipale,  les 


1  Etahliss.^  liv.  II,  cliap.  w. 

-  Coiippoy,  mémoire  inséré  dans  la  Reçue  anglo-française ,  1^  série,  f.  I, 
p.  232  et  suiv.,  et  p.  313  et  suiv. 

■'  \  oici  l'iiidlealioii  de  quelques  jugements  rendus  par  les  hommes  dont  les 
originaux  sont  aux  Arch.  de  i'Emp.,  S.  1542,  n"  4,  à  Clermont  en  1297; 
M.  582,  à  Lille  en  1317;  .1.  529,  n"  38-;,  Ul.  en  1294;  .}.  529,  n"  52,  à 
Boulogne  en  1314;  .).  235,  n-^  98,  à  ALl.eiille  en  130U. 

''  Orcl,  t.  I,  p.  G91,  §  13. 


LIV'RK  HUITIEME.  —  ORGAXISATIOX  JLDICIAIRI].  183 

juges  royaux  ou  seigneuriaux  étaient  assistés  par  un  certain 
nombre  d'habitants  notables  '.  On  a  des  renseignements  très- 
précis  sur  l'organisation  du  jury  dans  cette  province  à  la  fin 
du  treizième  siècle^.  Mais  le  droit  de  chacun  d'être  jugé  par 
ses  concitoyens  n'est  nulle  part  mis  dans  un  plus  grand  jour 
que  dans  un  jugement  de  l'an  1299,  inséré  dans  les  preuves 
de  V Histoire  de  Languedoc.  Il  s'agissait  d'un  malfaiteur  qui 
avait  été  pris  par  les  bayles  du  vicomte  de  Lautrec.  Il  fut  jugé, 
suivant  l'ancien  usage,  sur  la  place  publique,  au  pied  d'un 
vieil  orme.  Le  tribunal,  présidé  par  le  vicomte  de  Lautrec, 
était  composé  de  chevaliers,  de  damoiseaux  (nobles  non  che- 
valiers) et  de  bourgeois.  Après  l'interrogatoire  de  l'accusé,  on 
alla  aux  voix.  Ln  chevalier  prononça  la  peine  du  bannissement, 
un  damoiseau  demanda  que  l'accusé  fût  mutilé;  mais  le  reste 
des  assistants,  au  nombre  de  plus  de  deux  cents  personnes, 
parmi  lesquels  les  syndics  du  Lautrecois,  s'écrièrent  qu'il 
méritait  la  mort.  Cette  acclamation  populaire  était  le  vote  de 
la  majorité,  elle  décida  du  sort  du  coupable.  Il  fut  condamné 
à  mort,  et  les  bourgeois  requirent  le  vicomte  de  faire  rédiger 
par  écrit  cette  sentence  \ 

Nous  avons  vu  que  Philippe  le  Bel,  dans  la  grande  ordon- 
nance de  1303,  générale  à  tout  le  royaume,  déclara  que  les 
prévôts  ne  pouvaient  juger  les  causes  qui  entraîneraient  con- 
damnation à  une  amende,  droit  qui  était  réservé  aux  baillis, 
aux  hommes  jurés  ou  aux  échevins ,  selon  la  coutume  des 
lieux  *.  Lui-même,  dans  les  privilèges  qu'il  accorda  aux  nom- 
breuses bastides  nouvellement  fondées  dans  le  Alidi,  attribua 
au  bayle  assisté  des  consuls  la  juridiction  de  première  in- 
stance, pour  les  causes  civiles  jusqu'à  concurrence  de  soixante 
sous,  et  une  compétence  criminelle  dont  étaient  exceptés  les 
crimes  de   meurtre,    de  rapt  et   d'incendie^.    Toutefois  j'ai 

1  Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes,  4''  série ,  t.  I ,  p.  224  et  suiv. 

-  Coutumes  d'.Alhi,  Giraud,  Histoire  du  droit,  preuves,  t.  I,  p.  93; 
Biizairics,  Libertés  et  coutumes  de  Limoux. 

■^  Vaissète,  t.  IV,  Preuves,  col.  124. 

^  Ord.,  t.  I,  p.  360. 

■^  Voyez  les  privilèges  de  Tournai,  Ord.,  t.  XIII,  p.  371;  Gardenioiit, 
ihid.,  p.  383,  etc. 


18V  LA  FRAXCE  SOI  S  PHILIPPE  LE  BEL. 

reinai(niè  (|ii('  dès  le  trciziome  sièclo  le  jury  commençait  à 
être  al);iiul()iiiiê  en  matière  civile.  La  difficulté  de  bien  juger 
pour  des  hommes  dépourvus  des  notions  du  droit  fut  un  des 
motifs  de  cet  abandon.  Mais  il  y  en  eut  un  autre,  il  n'y  avait 
pas  d'inconvénient  à  laisser  aux  jujjes  royaux  ou  seigneuriaux  la 
connaissance  des  causes  civiles,  (pi'ils  n'avaient  aucun  intérêt 
à  mal  juger  '.  Il  n'en  élait  point  de  même  en  matière  criminelle, 
la  punition  des  crimes  et  des  délits  étant  toujours  accompagnée 
d'une  amende,  et  quelquefois  de  la  confiscation  des  biens  au 
profit  du  seigneur.  Philippe  le  lîel  ne  porta  aucune  atteinte  à 
ce  système  qui  ne  contrariait  pas  le  développement  de  Taulorilé 
royale  ^. 

Occupons-nous  maintenant  de  la  jniidiction  municipale  pro- 
prement dite,  exercée  par  les  magistrats  des  villes.  J'ai  dit 
qu'elle  remontait  au  douzième  siècle;  M.  Augustin  Thierry  a 
reconnu  que  dans  le  Lyonnais  et  le  Dauphiné,  pays  pour 
lesquels  on  a  les  seules  preuves  authentiques,  les  seuls  monu- 
ments du  droit  municipal  antérieur  à  la  grande  rénovation 
communale  du  douzième  siècle  ',  les  villes  n'avaient  pas  de 
juridiction;  que  le  droit  de  rendre  justice  appartenait  exclusi- 
vement aux  seigneurs  ';  j'ajoute,  ce  qui  n'est  pas  dit  par  ces 
documents,  parce  que  c'était  un  fait  vulgaire,  j'ajoute,  avec 
le  concours  des  citoyens.  Dans  le  Languedoc  et  dans  la  Guienne, 
les  jurys  précédèrent  les  juridictions  nuinicipales.  Je  citerai 
Toulouse,  qui  peut  être  pris  comme  type  de  la  cité  méridionale. 
Au  milieu  du  douzième  siècle,  les  jugements  y  étaient  rendus 
par  le  viguier  du  comte,  assisté  de  quatre  jurés  choisis  parmi 
les  habitants  de  la  ville  et  du  bourg.  Un  peu  plus  tard  ,  on 
trouve  les  consuls  servant  d'assesseurs  au  viguier  :  ils  s'étaient 
substitués  aux  jurés;  un  peu  plus  fard  ils  jugèrent  seuls.  Ce  droit 
qui  ne  leur  avait  été  concédé  par  aucune  charte  leur  fut  disputée 

t  Sur  l'universalité  du  jury  on  peut  encore  consulter  les  indications  de 
mademoiselle  do  Lczardière,  Lois  politiques ,  2"  édit.,  t.  IV,  p.  331. 

~  Voyez  un  jugement  capital  prononcé  par  le  préxôt  d'Issoudun  et  les  hommes 
de  la  prévôté  en  1309,  Olim ,  t.  III ,  p.  491. 

^  Documents  pour  l'histoire  ilu  tiers  état,  t.  II,  p.  G7. 

''  Docuvicuts  pour  l'histoire  du  tiers  état,  t.  II,  p.  48. 

à  Voyez  Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes ,  4*=  série,  t.  II,  p.  222. 


LIVRE  HUITIÈAIE.  —  ORGAXISATIOX  JUDICIAIRE.  185 

Enfin  Philippe  le  Hardi,  en  1283,  leur  accorda  l'exercice  de  la 
juridiction  criminelle  dans  toute  l'étendue  de  la  ville,  sauf  sur 
les  prêtres,  les  nobles  et  les  agents  du  roi. 

Les  juridictions  municipales  étaient  vues  de  mauvais  œil  par 
les  rois  à  la  fin  du  treizième  siècle,  et  ils  firent  tous  leurs 
efforts  pour  les  détruire. 

Philippe  le  Bel  laissa  subsister  les  juridictions  municipales 
en  matière  criminelle;  il  les  confirma  ',  mais  il  on  changea  le 
caractère,  il  en  fit  des  juridictions  royales.  Les  consuls  ren- 
dirent la  justice  au  nom  du  roi  *.  Ce  fut  à  ce  titre  que  les 
consuls  des  plus  petits  villages  du  Midi  eurent  une  juridiction 
criminelle,  et  la  conservèrent  jusqu'au  siècle  dernier  par  pré- 
vention avec  les  juges  royaux  \  Il  en  fut  autrement  dans  le 
Nord,  où  l'anéantissement  des  libertés  communales,  poursuivi 
avec  persévérance  par  Philippe  le  Bel ,  amena  l'amoindrisse- 
ment des  juridictions  municipales,  qui  en  matière  criminelle 
s'exerçaient  seulement  sur  les  membres  de  l'association  com- 
munale, et  en  matière  civile  sur  tous,  même  sur  les  nobles,  en 
raison  des  immeubles  situés  dans  l'étendue  de  la  commune. 
Une  des  causes  qui  durent  puissamment  contribuer  à  la  ruine 
des  justices  municipales,  ce  fut  le  droit  d'appeler  de  leurs 
jugements  *.  Le  parlement  leur  appliquait  avec  rigueur  les 
principes  féodaux  et  condamnait  à  d'énormes  amendes  les 
villes  dont  les  échevins  avaient  prononcé  des  sentences  qui 
étaient  plus  tard  réformées  sur  appel  par  la  cour  du  roi  ^ 


^  En  1308  les  consuls  do  Caliors  furent  condamnés  ù  une  amende  de 
2,000  livres  pour  avoir  fait  pendre  un  liominc  nonobstant  appel.  Olim, 
t.  III,  p.  299.  ilais  ils  ne  furent  pas  privés  de  leur  juridiction. —  Voyez  la 
confirmation  de  la  justice  des  capitouls  de  Toulouse  en  janvier  1304,  Ord., 
t.],  p.  392. 

-  Bibl.  de  l'École  des  chartes,  p.  229.  Ord.,  t.  II,  p.  105. 

3  Vaissète,  t.  IV,  p.  509. 

^  Voyez  un  jugement  des  échevins  de  Roie  entre  un  écuycr  et  un  chanoine. 
Olim,  t.  II,  p.  443.  En  1300. 

^  Je  prends  un  exemple  au  hasard  :  s  Scabini  de  PVesncio ,  quia  siiccubue- 
runt  in  causa  appellacionis  a  Roherto  de  Lacooigne  contra  ipsos  interpnsita 
de  judicio  contra  ipsum  per  ipsos  facto,  taxata  fuit  amenda  ce  librarum  pari- 
sicnsium.  »  Olim,  t.  II,  p.  347.  En  1292. 


186  LA  FRAXCE  SOLS  l'IilLIPl'E  LE  DLL. 

Je  termine  par  deux  remarques  qui  sont  d'une  impoi  tance 
capitale  : 

1"  Ce  que  j'ai  dit  à  propos  du  jury  ne  s'applicjue  qu'aux 
hommes  libres  ou  francs.  «  Nul  liomnKî  coutumicr  (c'est-à-dire 
nul  vilain)  ne  peut  faire  jugement,  «  disent  les  Établissements 
de  saint  Louis.  —  «  \'a-t-il  entre  toi,  seigneui-,  et  ton  vilain, 
juge  fors  Dieu  »  est  un  axiome  célèbre  formulé  pur  lieauma- 
noir.  Les  vilains,  serfs,  hommes  couturaiers,  cosliers ,  en  un 
mot  tous  ceux  qui  ne  jouissaient  point  d'une  entière  liberté, 
n'étaient  pas  admis  au  bénéfice  du  jury. 

2°  Au  moyen  âge,  il  n'y  avait  point  de  règle  absolue.  J'ai 
constaté  les  piincipos  généraux,  mais  on  rencontre  de  nom- 
breuses exceptions.  Dans  certains  lieux  on  voit  des  vilains  jugés 
par  leurs  pairs;  dans  d'autres,  les  hommes  libres  par  les  baillis 
seigneuriaux.  Cela  tient  à  ce  que  la  condition  sociale  variait  à 
l'infini.  Les  progrès  que  les  classes  servilcs  avaient  faits  et 
qu'elles  faisaient  tous  les  jours  vers  la  liberté  civile  s'accom- 
plissaient dans  des  conditions  trop  diverses  pour  être  uni- 
formes :  tous  marchaient  à  l'émancipation,  mais  plus  ou  moins 
lentement  : 

Xon  passibus  iequis. 


CHAPITRE   DEUXIEME. 

J  U  R  I  D  I  C  T  I  G  X  s     DE     S  E  C  G  X  I)     DEGRÉ. 

Baillis  et  scncchanx.  —  Leur  compétence.  —  Il.s  tendent  à  perdre  dès  la  fin 
du  treizième  siècle  l'exercice  de  la  justice.  —  De  l'appel  dans  les  pays  de 
droit  écrit  et  de  droit  coulnmier.  —  Histoire  de  l'appel  an  treizième  siècle. 
—  Appeaux  volafjes  de  Laonnais.  —  Il  ne  pouvait  y  a\oir  plus  de  deux 
appels  successifs  dans  la  même  cause.  —  Cliàtelet  de  Paris. 

Les  baillis  et  les  sénéchaux  étaient  à  la  fois  juges  de  pre- 
mière instance  et  juges  d'appel  :  ils  eurent  les  uns  et  les  autres 
celte  double  compétence  dès  le  milieu  du  treizième  siècle, 
mais  ils  l'acquirent  sous  des  influences  diverses.  Sous  Philippe 
le  Ik'l ,  ils  exerçaient  la  même  juridiction  et  étaient  soumis  aux 


.      LIVRE  HLITIKAÎE.  —  OllGAMSATIOX  .ILDICIAIUK.  187 

mêmes  règlements.  Ils  tenaient  des  assises  ambulatoires  tous 
les  deux  mois,  dans  les  principales  localités  de  leur  ressort, 
mais  jamais  dans  le  domaine  des  ahhayes  et  des  seigneurs, 
à  moins  d'usage  contraire  consacré  par  le  temps.  Us  rendaient 
aussi  la  justice  au  clief-lieu  de  leur  bailliage  ou  de  leur  séné- 
chaussée. A  la  fin  de  chaque  assise,  ils  devaient  indiquer 
quand  se  tiendrait  la  prochaine  assise'.  Ils  jugeaient  assistés 
d'hommes  de  fîei",  ou  des  juges  inférieurs,  selon  les  pays  :  une 
ordonnance  faite  en  1303  pour  les  sénéchaussées  du  Midi  trace 
des  règles  qui  étaient  sans  doute  applicables  aux  bailliages. 

Les  causes  concernant  le  domaine  royal  étaient  toutes  dans 
le  principe  jugées  par  le  parlement,  mais  la  multiplicité  de  plus 
en  plus  grande  de  ces  causes,  qui  avaient  en  partie  leur  source 
dans  les  nombreuses  confiscations  faites  au  profit  du  fisc,  for- 
cèrent le  roi  à  en  abandonner  la  décision  aux  baillis,  mais  non 
sans  leur  tracer  la  marche  à  suivre,  pour  que  les  intérêts  de  la 
couronne  ne  fussent  pas  lésés  par  des  jugements  précipités  ^.  Les 
procureurs  du  roi  établis  auprès  des  juridictions  inférieures 
instruisaient  ces  causes,  sous  la  surveillance  des  juges  royaux  : 
dans  chaque  assise  ambulatoire,  les  procédures  faites  à  cet  égard 
étaient  montrées  aux  sénéchaux,  qui  prononçaient  dans  les 
grandes  assises  tenues  au  chef-lieu  de  la  sénéchaussée  et  dans 
lesquelles  ils  étaient  assistés  par  les  juges  de  première  instance  ^ 

Les  baillis  du  Nord  devaient  rendre  la  justice  en  personne. 
Dans  le  Midi,  au  contraire,  les  sénéchaux  étaient  assistés  d'un 
juge  nommé  par  le  roi,  appelé  juge-mage,  sorte  de  lieutenant 
de  robe  longue,  qui  connaissait  des  appels  portés  au  sénéchal, 
même  en  l'absence  de  ce  fonctionnaire  *.  A  Toulouse,  il  y  avait 
à  la  fin  du  treizième  siècle  toute  une  cour,  désignée  dans  le 
pays  sous  le  nom  de  cour   des   appeaux,    pour   recevoir  les 

1  Ordonnance  àc  1303.  Ord.,  t.  I,  p.  3G0. 

-  Trésor  des  chartes,  J.  329,  n"  43.  Conf.  Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes, 
4<'  série,  t.  I,  p.  543,  note  2.  Ce  document,  qui  est  sans  date  dans  l'exem- 
plaire du  Trésor  des  chartes,  porte  la  date  de  1303  dans  une  copie  de  Doat. 

•^  ï  Sencscallus  habcbit  quendam  rcgistnim ,  in  quo  status  omnium  cau- 
sarum  fiscalium  in  singulis  suis  Tholosa»  assisiis  registrentur,  et  ipsas  detcr- 
minet  et  descidat.  s  Trésor  des  chartes,  J.  329,  n"  43. 

^  Bibl.  de  i' Ecole  des  chartes ,  ut  supra ,  p.  548  et  549. 


188  LA  I-R.AXCK  SOLS  PHII.IPIM':  LE  BLL. 

appels  (le  premier  de;{ré.  Xoiivelle  preuve  que  la  séparation 
du  pouvoir  avait  fait  |)lns  de  |)ro<jrrs  dans  le  Midi  que  dans  le 
Nord.  Il  devait  mi  être  ainsi,  car,  eoinine  je  l'ai  déjà  fait 
remarquer,  les  sénéchaux  étaient  des  chevaliers,  des  hommes 
d'épée,  dont  le  type  brillant  fut  ce  fameux  Eustache  de 
Beaumarchais,  sénéchal  de  Toulouse,  qui  devint  jjouverneur 
de  \avarre  et  acquit  une  juste  réputation  dans  les  armes  :  la 
justice  n'était  point  leur  fait,  et  leurs  attributions  judiciaires 
furent  restreintes  au  profit  d'hommes  de  loi'.  Les  baillis  au 
contraire  étaient  des  lé'jistes,  ce  qui  ne  voulait  pas  toujours 
dire  roturiers,  car  Beaumanoir  et  Pierre  de  Fontaine  étaient 
de  bonne  noblesse^;  mais  chez  eux  l'homme  de  loi  l'empor- 
tait sur  le  noble. 

La  juridiction  des  baillis  en  première  instance  était  civile 
et  criminelle.  Au  civil  ils  n'avaient  pas  exclusivement  la  con- 
naissance des  causes  des  nobles,  car  dans  le  Xord  on  trouve 
aussi  des  nobles  jugés  par  leurs  pairs  sous  la  présidence  du 
prévôt  et  même  par  les  juges  municipaux,  et  dans  le  Alidi  par 
les  viguiers  et  les  juges  des  vigueries.  —  Au  criminel,  ils 
jugeaient  surtout  les  cas  royaux,  les  violations  de  la  paix 
publique.  Quand  les  atteintes  au  bon  ordre  offraient  une  haute 
gravité,  ils  les  déféraient  au  parlement.  Les  sénéchaux  méridio- 
naux avaient,  en  vertu  de  leur  éloignemcnt  de  Paris,  où  siégeait 
le  parlement,  une  compétence  criminelle  plus  étendue  que  les 
baillis.  En  1305,  le  sénéchal  de  Carcassonne  condamna  à  être 
pendus  les  consuls  de  Xarbonne,  accusés  de  haute  trahison  pour 
avoir  voulu  livrer  leur  ville  à  l'infant  de  Majorque.  Ce  juge- 
ment fut  rendu  dans  une  assise  dans  laquelle  siégèrent  les 
douze  glands  barons  de  la  sénéchaussée  ^ .  Les  baillis  statuaient 


'  Ccpcndanl  ils  devaient  tenir  eux-mêmes  les  assises  ambulatoires  et  juger 
certaines  causes,  entre  autres  celles  qui  interessaient  le  fisc.  Ord.,  t.  XI, 
p.  427,  Il  août  1312. 

-  Beaumanoir  éliiit  noble,  quoique  n'appartenant  pas  à  la  famille  bretonne 
de  ce  nom.  Il  .s'appelait  I'bili|)pe  de  liénii  ou  de  Rémin  ;  Beaumanoir  était  le 
nom  d'un  fief  qu'il  tenait  de  l'abbaye  de  Saint-Denis.  \'oyez  la  notice  de 
il.  Bordier  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des  antiquaires  de  Picardie, 
année  1855. 

•^  Bessc,  Histoire  des  ducs  de  Xarbonne,  p.  496. 


LIVRE  HLITIÈAIE.  —  ORGAMSATIOM  JUDICIAIRE.  189 

sommairement,  à  la  fin  de  chaque  assise,  sur  les  plaintes 
qu'on  leur  adressait  contre  les  prévôts,  les  bayles,  les  sergents 
et  les  notaires  placés  sous  leurs  ordres  '. 

L'appel  était  admis  dans  tout  le  royaume,  mais  il  n'était  pas 
soumis  partout  aux  mêmes  lois.  On  sait  que  la  France  était 
partagée  en  pays  de  droit  écrit  et  en  pays  de  droit  coutumier". 
La  coutume  dominait  dans  le  Nord;  les  lois  romaines  régis- 
saient le  Midi  ;  mais  elles  n'étaient  admises  par  la  royauté 
qu'à  titre  de  coutume,  et  avaient  reçu  de  nombreuses  modi- 
fications dans  une  foule  de  localités,  surtout  pour  tout  ce 
qui  regarde  l'organisation  de  la  famille.  Certaines  provinces, 
même  l'Auvergne  par  exemple,  étaient  partagées  en  deux 
régions,  gouvernées  l'une  par  les  coutumes,  l'autre  par  le  droit 
écrit. 

L'appel  naquit  dans  les  provinces  du  Alidi,  dès  la  fin  du 
douzième  siècle,  par  suite  du  renouvellement  des  études  juri- 
diques à  Bologne  et  à  Montpellier  :  ce  fut  l'appel  tel  qu'il 
existait  à  Rome. 

L'abolition  du  duel  par  saint  Louis  favorisa  singulièrement 
l'extension  de  l'appel  dans  les  pays  de  droit  coutumier. 

Une  ordonnance  de  l'an  1286  fixa  la  jurisprudence  de  l'appel 
dans  les  terres  de  la  domination  anglaise  sur  le  continent,  dont 
les  unes  étaient  de  droit  écrit  et  les  autres  de  droit  coutumier  ^. 
On  pouvait  appeler  en  matière  civile  et  criminelle. 

Il  faut  distinguer  les  appels  des  justices  royales  et  ceux  des 
justices  seigneuriales. 

Les  Olini  constatent  les  appels  des  prévôts  royaux  aux 
baillis  et  des  baillis  au  parlement.  Les  baillis  recevaient  aussi 
les  appels  des  juridictions  municipales  et  des  justices  seigneu- 
riales; mais  il  n'y  avait  pas  de  règle  uniforme.  Sous  saint 
Louis,  ces  appels  allaient  au  parlement;  sous  Philippe  le  Bel 

1   Trésor  des  chartes ,  J.  3294. 

-  Lettres  de  Pliilippc  le  Del  tonccrnaiit  l'étude  du  droit  à  Orléans.  Ord., 
t.  I,  p.  501. 

^  Sur  la  différence  de  l'appel  en  droit  écrit  et  en  droit  coutumier,  voyez 
Stylus  curiœ  parlamenti ,  Dumoulin,  Opéra,  t.  II,  p.  431.  Sur  les  formes 
tout  à  fait  romaines  de  l'appel  dans  le  Alidi  sous  Philippe  le  Del ,  voyez  les 
textes  rapportes  par  M.  F.  Leuormant,  des  Voies  de  recours ,  p.  111. 


190  LA  FHAXCE  SOUS  PilILll'I'E  LE  BEL. 

ils  n'y  ('[aient  déforés  (ju'après  avoir  été  reçus  une  première 
fois  par  les  baillis  '  ;  mais  cet  usage  souleva  les  j)rolestations 
(les  sei;]neurs  ".  Les  jjrands  feudalaires  et  les  priuees  du  sang 
obtinrent  que  les  appels  de  leurs  cours  seraient  directement 
portés  au  parlement  '.  Les  agents  royaux  attiraient  à  eux  avec 
empressement  les  appels  des  justices  seigneuriales;  ils  intro- 
duisirent même  des  usajjes  qui  ruinaient  et  anéantissaient  la 
juridiction  des  seigneurs  :  les  appeaux  volages  de  Laonnais  en 
sont  un  exemple.  En  Laonnais  et  en  Vermandois,  quand  un 
procès  était  porté  devant  un  juge  seigneurial,  le  défendeur,  au 
lieu  de  répondre  à  la  partie  adverse,  pouvait  appeler  au  bailli 
royal,  avant  qu'aucune  sentence  eût  été  prononcée.  Philippe  le  Bel 
avait,  sur  les  plaintes  des  seigneurs,  défendu  ces  appellations; 
mais  il  les  rétablit  en  12*J6*.  L'ordonnance  de  réformation 
de  1303  qui  reconnaissait  que  les  justiciables  des  prélats  et  des 
barons  ne  devaient  être  cités  devant  les  tribunaux  du  roi  que 
par  voie  d'appel  ou  dans  un  cas  royal,  prescrivit  une  enquête 
sur  les  appeaux  de  Laonnais  ;  mais  ils  continuèrent  de  subsister. 

Les  seigneurs  revendiquaient  aussi  à  leur  profit  l'appel  de 
leui's  vassaux  ou  de  leurs  propres  juges.  Ces  prétentions  furent 
vivement  combattues  par  la  royauté.  Philippe  le  Hardi  défendit 
aux  feudataires  de  Languedoc  d'avoir  trois  degrés  de  juridic- 
tion, et  cela  pour  qu'on  pût  appeler  au  roi.  Il  leur  interdit 
même  le  droit  de  connaître  des  premiers  appels ,  à  moins  qu'ils 
ne  pussent  justifier  d'«une  longue  possession^.  Philippe  le  Bel 
fît  sévèrement  observer  cette  ordonnance. 

L'appel  fut  entre  les  mains  de  la  couronne  une  arme  dont  elle 
se  servit  pour  grandir  son  pouvoir  en  intervenant  entre  les  sei- 
gneurs et  leurs  vassaux,    et  en  faisant  éclater  aux  yeux   de 

1  Olim,  t.  II,  p.  355,  etc. 

-  Voyez  un  arrêt  (|iii  dcboute  le  seigneur  ilc  Profundo  vico  de  Si?s  préten- 
tions en  1290-1291.  Ord.,  t.  VII,  p.  703.  —  0!hn ,  t.  II,  p.  123,  rclall- 
venient  aux  appels  de  la  juridiction  de  l'abbc  de  Eiyeac. 

"*  En  1285,  le  roi  accorda  au  roi  de  Majonpie  que  les  appels  de  sa 
seigneurie  de  Alontpellior  ne  seraient  p.is  port(îs  au  sénéchal,  mais  au  parle- 
ment. Vaisscte  ,  t.  IV,  col.  78.  Les  appels  du  duché  de  Bretagne  étaient  portés 
au  parlement.  Olim,  passini,  ent.-c  autres,  t.  III,  p.  488. 

*  Ord.,  t.  I,  p.  328.  Conf.  Olim,  t.  II,  p.  218,  cl  t.  111,  préface,  p.  xxvii. 

s  Vaissèfe,  t.  IV,  col.  2(5  (en  1278). 


•       LIVRE  HUITIEME.  —  ORGAMSATIOX"  JUDICIAIRE.  1!)1 

tous  sa  supériorité;  elle  encouragea  ces  recours  ji  la  justice 
royale,  elle  les  provoqua,  elle  les  admit  sans  réserve  et  presque 
sans  limite,  au  point  que  ses  tribunaux  finirent  par  en  êhe 
accablés.  Tel  est  le  spectacle  qu'offre  le  règne  de  Philippe  le 
Bel.  Louis  X  et  ses  successeurs  durent,  dans  leur  propre 
intérêt,  régler  et  restreindre  le  droit  d'appel,  qui  avait  dès  lors 
produit  le  grand  résultat  politique  qu'on  pouvait  en  espérer. 
Je  ne  puis  terminer  l'exposé  des  juridictions  de  premier  et 
de  second  degré  sans  toucher  quelques  mots  du  tribunal  du 
prévôt  de  Paris,  qui  remplissait  les  fonctions  de  prévôt  et  de 
bailli.  Le  siège  de  sa  juridiction  était  au  Chàtelet.  Les  nom- 
breuses occupations  de  ce  fonctionnaire  le  mirent  dans  l'obli- 
gation de  se  faire  aider  dans  l'administration  de  la  justice  par 
des  auditeurs,  qui  lui  servirent  d'abord  de  conseillers,  mais 
qui  à  la  fin  du  treizième  siècle  avaient  reçu  le  droit  de  juger 
sans  le  prévôt  '.  Il  en  résulta  de  graves  abus,  qui  attirèrent  à 
plusieurs  reprises  l'attention  de  Philippe  le  Bel.  Une  ordon- 
nance du  mois  de  novembre  130:2  défendit  aux  auditeurs  de 
terminer  «  nul  gros  meffait  n  ,  ils  devaient  se  borner  à  instruire 
les  causes.  Le  prévôt  taxait  les  amendes,  il  connaissait  aussi 
des  causes  qui  intéressaient  le  domaine,  mais  uniquement  d'après 
un  ordre  spécial  du  roi;  il  lui  fut  défendu  d'avoir  un  lieute- 
nant permanent,  sauf  quand  il  serait  absent^.  Les  abus  conti- 
nuèrent :  les  auditeurs  rançonnaient  les  plaideurs  et  commet- 
taient toutes  sortes  d'exactions.  Une  ordonnance  de  1313  fixa 
leur  compétence  à  soixante  sous  de  capital.  On  appelait  de 
leurs  jugements  au  prévôt  par  voie  cVf/mcnde.  Mais  ces  sages 
prescriptions  furent  toujours  violées.  Le  prévôt  les  laissait  juger 
des  causes  qui  excédaient  leur  compétence.  La  même  ordon- 
nance abolit  aussi  les  examinateurs  qui  étaient  chargés  d'exa- 
miner les  témoins,  et  les  remplaça  par  les  notaires  du  Chàtolet, 
ou,  à  leur  défaut,  par  des  prud'hommes  au  choix  du  prévôt  et 
des  auditeurs  ^  Un  autre  fléau,  c'étaient  les  sergents  du  Chàtelet, 

1  Olim,   t.   II,  p.   517,  n"  XXXVI  et  suiv.,   t.  III,   p.   1514  et  1515, 
notes  8  et  9. 

2  Ord.,  t.  I,  p.  352. 

^  Une  ordonnance   du   18  décembre  1311   avait   défendu  aux  clercs  des 
auditeurs  et  des  notaires  du  Chàtelet  d'examiner  les  témoins  au  préjudice  des 


192  LA  FRAXCK  SOLS  IMIILII'I'K  LE  BLL. 

dont  le  nombre  atteignit  des  |)roporlions  inouïes.  Lne  ordon- 
nance de  1300  en  restreignit  le  nombre  à  soixante  sergents  à 
cheval  et  cjualre-vingt-dix  à  j)ie(l. 


CHAPITRE  TROISIEME. 

PARLEMENT    DE    PARIS. 

Pliilippe  le  Bel  n'a  pas  rendu  le  parlement  sédenlairc.  —  Sessions  du  parle- 
ment. —  Jours  des  bailliages.  —  Qu'cntendait-on  par  le  mot  président? 

—  (irand'cliambre.  —  Auditoire  de  droit  écrit.  —  Chambre  criminelle.  — 
Chambre  des  enquêtes.  —  Chambre  des  requêtes.  —  Requêtes  de  l'hôtel. 

—  Chambre  des  vacations.  —  Composition  du  parlement.  —  Les  légistes 
n'y  dominent  pas.  —  Cour  des  pairs.  —  Compétence  du  parlement.  — 
Appels  contentieux  administratifs.  —  Interprétation  des  lois.  —  l'enregistre- 
ment. —  Révision  des  arrêts.  —  Le  parlement  juge  en  dernier  ressort. 

Philippe  le  Bel  a  été  considéré  pendant  longtemps  sinon 
comme  le  fondateur,  du  moins  comme  l'organisateur  du  parle- 
ment. Cette  gloire  lui  a  été  enlevée.  La  publication  du  premier 
registre  du  parlement  de  Paris,  connu  sous  le  nom  d'Olinij  et 
les  savants  travaux  de  W.  le  comte  Beugnot  ont  fait  remonter  à 
saint  Louis  l'honneur  d'avoir  donné  à  la  cour  du  roi  le  carac- 
tère de  tribunal  suprême  pour  tout  le  royaume,  et  de  l'avoir 
constituée  sur  des  bases  en  harmonie  avec  le  nouveau  rôle 
qu'elle  était  destinée  à  jouer  par  suite  de  l'extension  du  droit 
d'appel  '.  Cependant,  la  part  qui  revient  à  Philippe  le  Bel  dans 
le  perfectionnement  des  institutions  judiciaires  est  encore 
assez  grande  pour  contribuer  à  sa  gloire. 

examinateurs.  Ord.,  t.  XI,  p.  420.  Rèylcmenl  fait  par  Guill.  de  Hangest  et 
P.  le  Fèron.  12  juin  1309.  Ord.,  t.  I,  p.  405. 

1  Beugnot,  Institutions  de  saint  Louis.  Oliin ,  préfaces  des  t.  I,  II  et  III. 
Voyez  aussi  Pardessus,  Essai  historique  sur  l'organisation  judiciaire ,  p.  95 
et  suiv.  Cet  ouvrage  est  la  reproduction  de  la  préface  du  t.  XXI  des  Ordon- 
nances. —  Ciibert,  Recherches  histori(|ues  sur  les  cours  qui  exerçaient  la 
justice  souveraine,  Mém.  de  l'Acad.,  t.  .\XX,  p.  003  et  004;  excellent 
mémoire ,  quoique  confus. 


LIVRE  HllTIÈMi;.  —  ORGAMSATIO\  JUDICIAIRE.  193 

A  partir  de  la  fin  du  douzième  siècle,  la  cour  du  roi  rendit 
des  arrêts  en  l'absence  du  souverain,  d'abord  durant  la  croi- 
sade qui  retint  Pbilippe-Auguste  outre  mer,  ensuite  pendant 
la  minorité  de  saint  Louis.  Sous  ce  dernier  prince,  elle  cessa 
de  suivre  le  roi  dans  ses  nombreux  voyages  et  devint  en  fait  sé- 
dentaire à  Paris.  On  compte  soixante-neuf  sessions,  de  l'année 
1254  à  1302,  dont  trente-trois  à  Paris,  une  à  Orléans,  une  à 
Melun.  On  ignore  où  se  tinrent  les  trente-quatre  autres,  mais 
tout  porte  à  croire  que  ce  fut  dans  la  capitale  \  Une  ordonnance 
de  l'an  1278,  relative  à  l'organisation  du  parlement,  prescrit 
que  les  parties  qui  auraient  à  y  plaider  entreraient  dans  la 
grand'chambre  «  par  l'huis  jouxte  la  salle,  et  s'en  isseront  par- 
devers  l'huis  du  vergier,  après  avoir  plaidié.  «  Ces  détails 
s'appliquent  au  palais  de  la  Cité  où  la  cour  du  roi  était  dès  lors 
établie-.  Cependant,  en  principe,  le  parlement  était  encore 
censé  accompagner  le  roi,  ainsi  que  le  prouvent  les  assigna- 
tions faites  de  1272  à  1279  par  des  commissaires  chargés  de 
recouvrer  les  domaines  royaux  qui  avaient  été  usurpés  dans 
les  provinces  du  Alidi  ^  Cette  commission,  composée  de  clercs 
du  roi,  avait  le  droit  de  statuer  sur  les  questions  qui  lui 
étaient  soumises,  mais  dans  les  causes  graves  ou  difficiles, 
elle  citait  la  partie  à  la  cour  du  roi ,  à  Paris ,  ou  bien  là  où 
serait  le  roi. 

Dans  l'ordonnance  de  l'an  1303  pour  la  réfoimation  du 
royaume,  Philippe  le  iîel  fit  connaître  son  intention  d'établir 
deux  parlements  ou  sessions  par  an  à  Paris*.  C'est  le  plus 
ancien  document  législatif  que  nous  ayons  qui  fixe  à  Paris  le 
parlement;  mais  il  ne  fit  que  confirmer  ce  qui  existait  aupara- 
vant. Toutefois,  postérieurement  k  1303,  le  parlement  tint 
plusieurs  fois  ses  séances  hors  de  la  capitale,  mais  toujours 
en  présence  du  roi.  La  session  officielle  était  à  Paris  :  un  ccr- 

1  Olim,  t.  III,  p.  XX. 

2  Ord..  t.  XII. 

•'  Je  prends  une  de  ces  assignations  aii  hasard  :  »  Dicti  jiidices  assignavc- 
runt  dienfi  ad  aiidicndam  in  ciiria  domini  régis  Parisius,  vcl  ulji  rex  erit , 
primam  diem  assignatam  hominibus  senescallie  Tliolose,  videlicet  die  vcneris 
ante  festum  Penlhecostis.  v  Procès-verbaux  orig.,  A.  I.,  KK.  12S8 ,  fol.  92. 

^  Ord.,  t.  I,  p.  3U(j. 

13 


194  LA  FRAXCK  SOLS  PHILIPPE  LE  BEI- 

tain  nombre  de  conseillers  se  transportaient  auprès  du  prince 
pour  juger  les  affaires  qu'il  désirait  voir  décider  sous  ses 
yeux  '. 

L'ordonnance  de  1303  prescrivait  deux  sessions  par  an.  De 
1287  à  1300,  il  y  eut,  sauf  en  1297,  où  le  parlement  ne  se 
tint  pas,  chaque  année  au  moins  une  session,  (juelquefois 
trois,  ordinairement  deux;  l'une  commençant  à  Pà(|ues  ou 
à  la  Trinité,  l'autre  à  la  Toussaint  *. 

Un  règlement  de  l'année  1296  porte  que  «  en  tens  de  guerre, 
li  roi  fera  un  parlement  en  l'an,  et  commencera  aux  octaves 
de  Toussaints.  —  Item  il  tenra  deux  parlemens  en  tens  de 
paix,  desquiex  li  uns  sera  aux  wictièves  de  Toussaints  et  li 
autres  aux  trois  semaines  de  Pasques^  » 

A  partir  de  1301,  les  Olim  n'indiquent  plus  qu'une  session 
annuelle,  sauf  pour  l'année  1306,  où  il  y  en  eut  deux.  On  a 
cru,  avec  toute  apparence  de  raison,  que  la  multiplicité  tou- 
jours croissante  des  affaires  Ct  confondre  les  deux  sessions 
prescrites  par  l'ordonnance  de  1303  en  une  seule  commençant 
ordinairement  en  novembre  et  se  prolongeant  jusqu'en  avril 
et  quelquefois  plus  tard,  même  en  août.  L'examen  suivi  du 
Mémorial  du  Parlement,  registre  dans  lequel  un  greffier  inscri- 
vait toutes  les  causes  soumises  à  la  cour,  m'a  permis  de  con- 
stater que  si,  dans  les  quatorze  dernières  années  du  règne  de 
Philippe  le  Bel,  il  n'y  eut  qu'une  session  annuelle,  sauf  en 
1306,  cet  état  de  choses,  loin  d'être  le  résultat  de  l'activité 
du  parlement,  était  anormal  et  dénotait  la  désorganisation  de 
la  justice;  c'était,  en  un  mot,  l'application  du  règlement  de 
1296,  qui  ordonnait  la  tenue  d'un  seul  parlement  en  temps 
de  guerre;  plusieurs  années  même  furent  privées  de  parlement 
par  suite  du  malheur  des  temps. 


*  \ojez  l'indication  de  ces  séances  auprès  du  roi  dans  la  note  12  de  la 
p.  1517  du  t.  III  (les  Olim. 

2  Olim,  t.  III,  p.  XVIII. 

3  Ord.,  t.  XII,  p.  353.  Ce  document  se  trouve  aussi  dans  le  Rcg.  XXXIV 
du  Trésor  des  diartes ,  n"  49  v".  Il  a  été  publié  pour  la  première  fois  dans 
les  preuves  du  Mémoire  de  Gibert  sur  les  cours  souveraines.  Mém.  de  l'Acad., 
t.  XXX,  p.  62V. 


LIVRE  HL'lTIiaiE.  —  ORGAXISATIOX  JIDICIAIRE.  195 

Voici  d'après  des  documents  officiels  le  tableau  des  sessions 
du  parlement  depuis  Tannée  1301  jusqu'à  1314: 

1301.  De  la  Toussaint  au  mardi  après  l'Annonciation  (un  de  mars  1302). 

1302.  Pas  de  parlement. 

1303.  De  l'octave   de  la  Chandeleur   (9  février)  au  jeudi  avant  la  Saint- 

Georges. 

1304.  De  la  Toussaint  au  vendredi  après  la  Saint-Mafthias  (fin  de  février)  1305. 

1305.  Pas  de  parlement. 

1306.  De   l'octave  de   Pâques   (10  avril)   au   samedi  après   la  Xativité  de 

saint  Jean. 

—  De  l'octave  de  la  Toussaint  au  lundi  après  l'Epiphanie  1307. 

1307.  De  l'octave  de  la  Toussaint  au  mardi  avant  la  Chaire  de  saint  Pierre  1308. 

1308.  De  l'octave  de  Xoël  au  mardi  après  Pâques  1309. 

1309.  De   la   Saint -André   (30  novembre)    au    lundi   après    les    Rameaux 

(13  avril  1310). 

1310.  De  la  Saint-ilartin  au  lundi  après  l'octave  de  la  Chandeleur  1311. 

1311.  Le  parlement  prorogé  au  carême  de  1312. 

1312.  De  l'octave  des  Brandons  au  jeudi  avant  la  Sainte-Catherine. 

—  De  l'octave  de  la  Saint-^Iartin  à  la  Saint-Philippe  (i'^''  mai  1313). 

1313.  De  la  Saint-Martin  au  vendredi  avant  les  Rameaux  1314. 

1314.  De  l'octave  de  la  Toussaint  à '. 

On  voit  que  les  sessions  de  chaque  parlement  avaient  une 
durée  de  trois  à  quatre  mois. 

L'époque  de  la  tenue  de  chaque  parlement  était  solennelle- 
ment annoncée  à  la  fin  du  précédent;  les  baillis  portaient  à  la 
connaissance  de  leurs  administrés  les  jours  où  les  habitants  de 
chaque  bailliage  seraient  admis  à  plaider",  car  pour  éviter  de 
trop  longs  déplacements  aux  justiciables  ainsi  qu'aux  baillis, 
qui  étaient  tenus  de  venir  donner  à  la  cour  des  éclaircisse- 
ments, on  partageait  le  temps  de  chaque  session  entre  les 
bailliages  et  les  sénéchaussées  du  royaume;  nul  n'était  reçu 
à  comparaître   qu'aux  jours  de  son   bailliage,  jours  dont  le 

1  Ce  tableau  a  été  dressé  à  l'aide  du  Mémorial  inédit  du  parlement.  Arch. 
de  l'Emp.,  X  4,  p.  3  et  suiv. 

2  Mandements  aux  baillis  de  faire  publier  l'ordre  des  jours  du  parlement 
en  1302.  Trésor  des  chartes.  Rog.  XXXVT,  fol.  9  v°,  et  Reg.  XXXV,  n°  30. 
—  Eu  1304.  Ibid.,  Reg.  XXXV,  n°=  190  et  191. 

13. 


19G  LA  FRAXCK  SOLS  PHILIPPK  LE  BEL. 

nombre  était  fixé  d'avanco  d'après  la  quantité  dos  causes  que 

chaque  province  était  présumée  devoir  fournir. 

Voici  pour  le  parlement  de  l'année  1.3U8,  prorogé  au  com- 
mencement de  1309,  l'ordre  des  jours  des  bailliages,  tel  qu'il 
fut  publié  par  les  baillis.  Le  parlement  ouvrit  sa  session  à 
l'octave  de  Noël. 


(lu  2  au  6  janvier. 


Bailiiajjc  de  Vcrmandois.   .   .   . 
Sénéchaussée  de  Périgord.    .    . 

—  (le  Sainlongc  .   . 
Diiclic  de  (îuicnne ' 

Bailliage  d'Amiens |    du  7  an  LV  janvier. 

Bailliage  de  Sentis )     ,     ,_        ,,,  . 

"     ,     „.  f    ou  i.)  au  18  janvier. 

—  de  (jisors ) 

Prévôté  de  Paris i 

Bailliage  de  Sens -    du  J 9  au  24  janvier. 

Comté  de  Champagne ' 

Bailliage  de  Tours )     ,    ^_        -,„  . 

, ,    ,  ,          .     1    T>  •  ■    ''"  -'^  '"'  -•'  linivic"-  • 

Seneciiaussee  de  l'oilou < 

Bailliage  d'Orléans 

—  de  Bourges '     i    on  •       •  r  r      • 

,    ,,.  ,'    (lu  .j()  janvier  au  4  lévrier. 

—  de  Alacon •' 

—  d'Auvergne 

Xormandie |    du  5  a'.i  LV  février. 

Sénéchaussées  de  Carcassonne.   .,,,_„..       ,   ,         .1,11 
,    ,,  .  J    (lu  1.1  lévrier  a  la  vcdic  de  la 

—  de  heaucairc .   .   .     (  ,  , ,  , 

,    „  ;        ini-careme ,  clôture  du  par- 

—  de  Kouergue .   .   .    1        ,  ,  '^ 

,     „     ,    "  lenicnt  •. 

—  de  loulouse  ...    y 

Les  causes  sur  enquêtes  étaient  jugées  pendant  toute  la 
durée  de  la  session. 

Chaque  année  les  membres  du  parlement  étaient  désignés 
par  le  roi ,  et  ceux  des  conseillers  dont  les  noms  étaient  portés 
sur  le  rôle  publié  par  le  prince  pouvaient  seuls  prendre  part 
aux  jugements.  La  cour  était  divisée  en  plusieurs  chambres,  et 
c'était  encore  le  roi  CjUi  arrêtait  la  composition  de  ces  cham- 
bres. Cependant  un  règlement  de  l'an  1296  laissait  aux  prési- 
dents le  soin  de  désigner  les  membres  de  la  cour  qui  rece- 
vraient les  requêtes,  ceux   qui  jugeraient  les  enquêtes  ainsi 

1  Reg.  XLII  du  Trésor  des  cliarics ,  fol.  ll-'ii-.  Mandement  du  jeudi  après 
la  Saint-Michel  1308. 


•      LIVRE  HUITIEAîE.  —  ORGAMSATIOX  JUDICIAIRE.  197 

que  les  auditeurs  du  droit  écrit,  mais  cela  ne  dura  pas,  et  le 
roi  continua  de  se  réserver  la  nomination  aux  différentes 
fonctions  ' . 

On  a  beaucoup  disserté  pour  savoir  ce  qu'étaient  les  prési- 
dents, dont  il  est  fait  mention  dans  plusieurs  ordonnances  de 
la  fin  du  treizième  et  du  commencenKnit  du  quatorzième  siècle"'. 
Une  ordonnance  de  Piiilippc  le  Long,  de  l'an  1320,  dit  qu'il 
y  aura  à  la  grand'chambre  huit  clercs  et  douze  laïques  prési- 
dents'. L'ordonnance  de  mars  1303  porte  qu'on  établira  un 
parlementa  Toulouse,  si  les  peuples  du  Languedoc  consentent 
à  ne  pas  appeler  des  présidents  qui  tiendront  ce  parlement. 
Dans  les  Olim.,  les  membres  de  la  chambre  des  requêtes  sont 
di'ÇT^eXè?,  présidents  (dilectis  et  fidelibus  gentibus  nostris  presi- 
dentibus  Parisius  in  caméra  requestarum  ^).  Dans  les  textes  que 
je  viens  de  citer,  presidcns  est  synonyme  à'existens  et  doit  se 
traduire  par  siégeant,  mais  d'autres  textes  prouvent  qu'il  y 
avait,  dès  Philippe  de  Bel,  des  présidents  du  parlement,  dans 
le  sens  que  nous  attachons  à  ce  mot. 

Plusieurs  documents  leur  donnent  même  ce  nom,  et  appellent 
résidents  les  autres  membres  de  la  cour.  L'ordonnance  de 
1296  montre  que  ces  présidents  étaient  des  barons  et  des  pré- 
lats, que  deux  d'entre  eux  devaient  assister  à  chaque  séance, 
un  prélat  et  un  baron.  Je  cite  : 

«  Il  est  ordené  que  en  tems  de  parlement  seront  en  la 
chambre  des  plaids  le  souverain  ou  président,  certain  baron 
et  certain  prélat,  c'est  à  savoir,  des  barons,  li  dux  de  Bour- 
gogne, le  connétable,  le  comte  de  Saint-I>ol;  item  des  prélats, 
l'archevêque  de  Narbonne,  l'évêque  de  Paris,  l'évêque  de 
Taroënne,  et  li  prélats  des  comtes  (de  la  chambre  des  comptes), 
quand  ily  pourront  entendre;  et  saront  tenus  à  estre  au  par- 
lement continuement  au  moins  uns  des  prélats  et  uns  des 
barons,  et  départiront  leur  tems,  si  que,  se  il  ne  pueent  tuit 
estre,   au  moins  il  y  en  ait  deux  présens  toujours  au  parle- 

1  Voyez  roi-flonnancc  de  1319.  Ord.,  I.  I,  p.  320;  et  le  rôle  de  1306, 
Ord.,  t.  XII,  p.  353. 

-  Voyez  la  noie  29  du  t.  III  des  Olim ,  p.  1537. 

3  Ord.,  t.  I,  p.  728. 

'«  Olim,  t.  III,  p.  lOW;  et  note  29,  p.  1537. 


198  LA  FU.WCE  SOUS  PHILIPPE  LE  REL. 

ment;  c'est  à  savoir  un  prélat  et  un  baron,  et  1i  uns  déporte- 
ront les  autres,  si  comme  ils  ordeneront  entre  eux  mesmes.  w 

Ils  désignaient  certains  membres  de  la  cour  pour  tenir  les 
requêtes  et  l'auditoire  du  droit  écrit,  ils  établissaient  des  gref- 
fiers en  nombre  suffisant.  «  Il  est  ordené  que  li  souverain  ou 
li  président  du  parlement,  c'est  à  savoir  li  prélat  ou  li  baron 
qui  seront  présent,  ordoneront  des  résidens  au  parlement 
quiex  offices  ils  auront,  les  uns  retenans  en  la  chambre  et 
les  autres  cnvoyent  au  droit  écrit,  les  autres  aux  requestes 
communes En  la  chambre  aura  notaires  en  souffisant  nom- 
bre, selon  ce  que  li  président  verront  que  sera  meslicrs.  «  Ces 
attributions  leur  furent  enlevées,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  et  le 
roi  nomma  aux  emplois  du  parlement  :  le  chancelier  ou  le 
garde  des  sceaux  désigna  les  greffiers  ou  notaires. 

En  cas  de  partage  d'opinions,  les  présidents  devaient  faire 
adopter  l'avis  de  la  majorité.  On  sait  que,  dans  un  grand 
nombre  de  cours  de  justice  du  moyen  âge,  tous  les  juges 
devaient  être  d'accord  pour  que  la  sentence  pût  être  pronon- 
cée, ce  qui  se  pratique  encore  de  nos  jours  dans  les  jurys 
anglais.  «  Se  cil  de  la  chambre  ne  sont  tuit  d'un  accord  aux 
jugemens,  li  souverain  ou  li  président,  c'est  à  dire  li  prélats 
et  li  barons  qui  seront  présens,  tcnront  la  plus  grant  partie, 
selon  ce  qu'il  leur  semblera  le  meilleur,  selon  la  condition  des 
personnes  et  la  qualité  de  la  besoigne  ' .  » 

A  partir  de  l'an  1300,  le  titre  de  président  paraît  n'avoir 
pas  été  appliqué  aux  grands  feudataires  et  aux  évêques  placés 
à  la  tète  de  la  cour;  mais  il  y  eut  toujours,  sous  d'autres 
noms,  des  présidents  sans  lesquels  aucune  assemblée  ne  sau- 
rait exister.  L'ordonnance  qui  fixe  la  composition  du  parle- 
ment en  130(/ ",  place  en  première  ligne,  avant  les  clercs  et 
les  laïques  de  la  grand'chambre,  deux  prélats  et  deux  barons, 
l'archevêque  de  Narbonnc,  l'évèque  de  Rennes  et  les  comtes 
de  Dreux  et  de  Boulogne.  On  reconnaît  dans  ces  quatre  per- 
sonnages de  véritables  présidents,  bien  qu'ils  ne  soient  pas 
désignés  sous  ce  titre.  Notez  que  dans  le  même  rôle  figurent 

1  Ord.,  t.  XII,  p.  351. 

-  Bibl.  iinp.,  Cart.  170,  loi.  i09.  —  Ord.,  t.  \îî,  p.  353. 


•       LIVRE  HLITIOIE.  —  ORGAXISATIOX  JUDICIAIRE.  199 

d'autres  évêques  et  des  barons,  entre  autres  le  connétable, 
mais  ils  sont  inscrits  avec  les  autres  membres  du  parlement, 
soit  à  la  grand'chambre,  soit  à  celle  des  enquêtes. 

La  première  chambre  du  parlement  était  la  grand'chambre, 
ou  chambre  des  plaids,  qui  jugeait  sur  plaidoiries. 

Les  causes  venues  des  provinces  du  Midi,  qui  suivaient  le 
droit  écrit,  demandaient,  pour  être  jugées,  la  connaissance 
des  lois  romaines,  connaissance  qui  était  étrangère  à  la  plu- 
part des  chevaliers  de  la  chambre  des  plaids.  On  attribue  à 
Philippe  le  Bel  l'établissement  d'un  auditoire  du  droit  écrit 
pour  décider  ces  sortes  de  causes.  Mais  c'est  encore  là  un  hon- 
neur qui  ne  lui  appartient  pas.  Un  règlement  de  l'année  1278 
porte  en  effet  :  ;•  Cil  de  la  terre  qui  est  gouvernée  de  droit  écrit 
soient  oys  par  certains  auditeurs  de  la  cour,  si  comme  il  a  été 
autrefois  ordené  "  .  Philippe  le  Hardi  parle  de  l'institution 
d'une  chambre  du  droit  écrit  comme  d'une  chose  ancienne, 
qui  remonte  peut-être  à  saint  Louis,  mais  qui  sans  doute  fut 
une  conséquence  de  la  réunion  de  tout  le  Languedoc  à  la  cou- 
ronne en  1271  '. 

En  1291,  l'auditoire  du  droit  écrit  était  composé  de  quatre 
membres,  dont  un  chevalier  et  un  greffier';  en  1297,  de  trois 
seulement,  dont  «  deux  clercs  très-bien  lettrés  et  un  lay  lettré, 
especiaument  pour  les  causes  de  sang^  «  .  On  sait  que  les 
canons  défendaient  aux  ecclésiastiques  de  prendre  part  aux 
jugements  entraînant  peine  de  mort.  L'auditoire  formait  donc 
deux  chambres,  l'une  civile  et  l'autre  criminelle,  ce  qui  néces- 
sitait la  présence  de  deux  greffiers.  On  s'est  demandé  com- 
ment se  jugeaient  les  procès  criminels  à  la  grand'chambre, 
car  il  n'y  avait  pas  encore  de  chambre  criminelle*;  mais  plu- 
sieurs laïques  paraissent  avoir  été  plus  spécialement  désignés 
pour  juger  les  criminels  déférés  à  la  cour  '\ 

^  Mém.  de  l'Acad.,  t.  XXX,  preux  es  du  Mcinoire  de  Gibcrt,  déjà  cité. 

^  Ord.,  t.  I,  p.  320. 

3  Ord.,  t.  XII,  p.  353. 

^  Olim,  p.  III,  p.  1516,  note. 

^  tt  Cura  se  supposnissent  inquestc  coram  diiectis  et  fidelibus  genfibus 
nostris  laycls  tune  ad  deliberatioucm  prcdictorum  et  nonnullorum  aliorum  in 
caslelleto   deteutorum  a    nobis  specialiter  deputalis,  nos  super  eisdcm  per 


200  LA  FRAXCi:  SOLS  l'HlLII'PK  LE  BEL. 

Un  «{land  nombre  de  causes  ne  pouvaient  êlre  jugées  qu'après 
(1rs  infornialions  ou  cn(|uèlcs.  Ce  mode  de  preuve  était  surtout 
eu  usajje  j)ar  suite  de  la  larelé  des  j)reuves  écrites;  en  outre, 
la  plupart  des  questions  de  propriété  se  réduisaient  à  des  ques- 
tions de  possession  qu'on  ne  pouvait  j)rouver  que  par  témoins. 
Certains  meml)res  de  la  cour  étaient  désignés  par  le  roi  pour 
s'occuper  de  ces  causes.  Les  uns  taisaient  les  en(|uèles  eux- 
mêmes  et  se  trans|)orlaient  dans  les  provinces  |)endant  l'inter- 
valle d'une  session  à  l'autre;  mais,  comme  ils  ne  pouvaient 
instruire  eux-mêmes  toutes  les  causes  qui  exigeaient  des  infor- 
mations par  écrit,  la  cour  faisait  faire  aussi  des  enquêtes  par 
des  personnes  étrangères  au  parlement ,  par  des  ofticiers 
royaux,  quelquefois  par  la  chambre  des  comptes  '. 

La  chambre  des  enquêtes  fut  organisée  de  bonne  heure.  Le 
travail  fut  réparti  de  manière  à  accélérer  l'expédition  des  pro- 
cès. Les  membres  des  enquêtes  furent  divisés  en  rap[)orteurs 
et  en  jugeurs.  Les  rapporteurs  recevaient  les  enquêtes  et  les 
examinaient  à  domicile  pendant  les  vacances,  de  sorte  que 
lorsque  le  parlement  rentrait  en  séance,  il  y  avait  un  certain 
nombre  de  causes  prêtes  à  être  jugées.  Ils  continuaient  l'exa- 
men des  enquêtes  pendant  la  tenue  de  la  cour;  il  leur  était 
même  interdit  de  venir  au  parlement  sans  y  êlre  mandés,  tant 
on  craignait  de  les  détourner  de  leurs  fondions". 

Dès  Philippe  le  Bel,  les  jugeurs  des  enquêtes  prononçaient 
des  sentences,  sauf  dans  certains  cas,  "  se  ce  ne  sont,  dit 
l'ordonnance  de  121)G,  par  adventure  aucunes  (causes)  qui 
soient  de  grièves  chauses,  ou  entre  giant  personnages,  ou  telles 
qui  à  force  soient  à  recorder  au  commun  conseil  par  la  force 
de  les  apprendre.  »  Le  rôle  du  parlement  de  13(JG  est  plus 
explicite  :    u  Est  à  entendre  que  il  ne  délivreront   toutes  les 

certos  auditorcs  mandavimus  iii(|iiiri  diligcntius  ac  inqiioslatii  super  lioc 
factam  judicandam  dictis  gnitilxis  nostris  reportari.  »  Olhn,  t.  III,  p.  678  et 
079  (cil  1311).  Voyez  surtout  le  premier  registre  criminel  de  1312  à  1317. 

1  Voyez  la  commission  donnée  le  jeudi  avant  les  Rameaux  ISOi  \.  s.  à 
Jean  Lefèurc  et  au  maire  de  Alontdidier  pour  faire  une  enquête,  or.  Suppl. 
du  Trésor  des  c/iarfes,  .1.  1034,  n"54,  et  aussi  X.  8832,  loi.  50  (en  1314). 
Quand  les  enquêtes  étaient  mal  laites,  le  parlement  les  faisait  recommencer. 
Olim,  t.  III,  préface,  p.  xiii. 

^  Ord.,  t.  I,  p.  321,  §4. 


LIVRE  HUITIKMK.  —  ORGA\ISATIO\'  JUDICIAIRE.  201 

enquestes  qui  ne  touclipront  honneur  de  cors  ou  héritage,  et 
de  ce  mesme  prandront  il  bien  leur  conseil  et  leur  avis  en- 
samble,  mes  ançois  que  il  les.  délivrent  il  en  auront  le  conseil 
de  ceux  qui  tendront  le  parlement  '.  d  Dans  ce  passage,  par- 
lement est  synonyme  de  grand'clianibre,  ainsi  que  dans  l'or- 
donnance du  mois  de  décembre  1320  ^  Longtemps  après, 
alors  que  la  chambre  jugeait  tous  les  procès  qui  lui  étaient 
soumis,  elle  conserva  un  usage  qui  rappelait  le  temps  où  elle 
ne  décidait  que  les  causes  sans  importance  :  les  jugements 
qu'elle  rendait  étaient  encore,  sous  Charles  VI,  prononcés  à 
la  grand'chanibre  ^ . 

En  1201 ,  les  enquêtes  étaient  divisées  en  deux  sections  : 
l'une,  composée  du  doyen  de  Tours,  de  l'archidiacre  de  Sain- 
tonge,  du  châtelain  de  Nesle  et  de  Robert  de  Résignie,  cheva- 
lier, siégeait  le  lundi  et  le  mardi;  l'autre,  composée  du  doyen 
de  Sens,  du  chantre  d'Orléans,  du  sire  de  Hellecourt  et  de 
Matthieu  de  Trie,  ces  deux  derniers  chevaliers,  tenait  sa  séance 
le  mercredi  et  le  jeudi.  Deux  juges  suffisaient  pour  prononcer 
un  jugement.  L'ordonnance  de  1303  prescrivit  que  les  enquêtes 
seraient  jugées  dans  les  deux  années  qui  suivraient  leur  remise 
au  parlement.  Les  enquêtes  étaient  jugées  toute  l'année,  même 
pendant  les  vacances.  La  chambre  des  enquêtes  instruisait  aussi 
les  causes  obscures*. 

Les  rois  regardèrent  longtemps  comme  un  de  leurs  premiers 
devoirs  de  recevoir  eux-mêmes  les  griefs  de  leurs  sujets.  Xul 
n'ignore  saint  Louis  rendant  la  justice  assis  sous  un  chêne 
dans  le  bois  de  Vincennes,  et  Louis  XII  dans  le  jardin  du 
palais  accueillant  les  plaintes  du  peuple.  Le  recours  à  la  jus- 
tice du  prince  était  populaire  au  moyen  âge.  Les  rois  délé- 
guaient quelques  personnages  de  leur  cour  pour  exercer  en 
leur  nom  cette  juridiction,  qui  s'appelait  les  plaids  de  la  porte. 
Joinville  nous  apprend  que  saint  Louis  l'envoyait  souvent  avec 
le  sire  de  Xesle  et  le  comte  de  Soissons  tenir  les  plaids  de  la 

»  Cart.  170 ,  fol.  109. 
-  Pardessus,  p.  157;  Ord.,  t.  1,  p.  732. 

•*  Boutillier,  Somme  rurale,  titre  39.  Conf.  Lepaige,  Lettres  sur  le  parle- 
ment, t.  II,  p.  205. 

'*  Olim,  t.  III,  p.  1508  et  1505. 


202  LA  FRAXCK  SOLS  PUILIPPL  LE  BIX. 

porte.  S'il  se  présonliiit  à  eux  quelque  cause  dont  la  décision 
offrît  des  difficultés,  ils  en  faisaient  un  rapport  au  roi,  qui 
envoyait  chercher  les  parties  et  prononçait  lui-même.  In  état 
de  la  maison  du  joi  de  l'an  1285  indicpie  que  cette  institution 
subsistait  encore  à  cette  époque;  les  plaids  de  la  porte  étaient 
alors  tenus  par  Pierre  de  Sergines,  (îille  de  Compièjifne  et  Jean 
Maillière.  \ul  doute  que  les  membres  des  plaids  de  la  porte 
n'aient  exercé  les  mêmes  fonctions  que  les  magistrats  qui 
furent  plus  tard  appelés  maîtres  des  requêtes  de  l'hôtel,  et  qui 
firent  partie  du  grand  conseil  '.  On  ne  les  trouve  pas  désignés 
sous  ce  nom  avant  l'année  1340.  Quelques  membres  du  parle- 
ment, devenu  sédentaire,  furent  désignés  pour  recevoir  et 
juger  sommairement  les  requêtes  qui  leur  seraient  adressées. 
Les  requêtes  du  palais  étaient  déjà  établies  en  1278.  L'or- 
donnance de  1291  désigna  trois  membres  du  parlement 
pour  recevoir  les  requêtes  chaque  jour  pendant  la  durée  de  la 
session"'.  "  A  oïr  les  requêtes,  dit  une  ordonnance  de  1296, 
seront  deux  clercs  et  deux  lais,  et  deux  notaires,  qui  néant  ne 
recevront  par  leur  serment,  et  auront  un  saing,  et  délivreront 
ce  que  il  pourront  par  eux.  Et  ce  que  il  délivreront,  le  chan- 
celier sera  tenu  à  sceller;  et  ce  que  il  ne  pourront  délivrer,  il 
rapporteront  à  ceux  de  la  chambre  ^.  d 

En  1300,  il  y  avait  deux  chambres  des  requêtes  :  celle  de 
la  Langue  d'oc,  composée  de  quatre  membres,  et  celle  de  la 
Langue  française,  composée  de  cinq  personnes*.  Dans  un  rôle 
du  temps  de  Louis  le  Hutiu,  en  tète  des  membres  du  parle- 
ment, figurent  six  personnages,  quatre  clercs  et  deux  laïques, 
qui  sont  qualifiés  suivants ,  c'est-à-dire  suivant  le  roi  \  Ce 
sont  les  maîtres  des  requêtes  de  l'hôtel.  Un  autre  rôle  de  la 
même  époque,  cité  par  Etienne  Pasquicr,  apprend  que  parmi 


1  Pasquicr,  Recherches ,  p.  55.  Pardessus,  Essai,  p.  157  et  suir. 
-  i  Pro  rcquestis  aiidiendis  qiialibct  die  sedeant  très  pcrsonœ  de  consilio 
nosfro,  non  bailliii.  ;  OriL,  t.  I,  ]>.  ;i20. 

3  Ord.,  t.  XII,  p.  :35i. 

4  Ord..  t.  XII,  p.  :J51. 

^  Blbl.  imp.,  ClairambauU ,  n"  3V(i  bis,  fol.  335.  Original.  Ces  quatre 
suivants  étaient  Michel  de  Alaucoiuliiil ,  Pierre  de  Ciiapes,  Pierre  liertran, 
G.  de  Broce. 


■      LIVRE  HIITIEAIE.  —  ORGAXISATIO.V  JUDICIAIRE.  203 

ces  suivants  deux  accompagnaient  toujours  la  cour,  un  laïque 
et  un  clerc,  «  liquel  prendront  à  la  cour  en  la  manière  accous- 
tumée  au  temps  le  roy  le  père  "  .  Ainsi ,  à  la  fin  du  règne  de 
Philippe  le  Bel,  les  maîtres  des  requêtes  de  l'hôtel  avaient 
séance  au  parlement  \ 

Quelle  était  à  l'origine  la  compétence  des  maîtres  des  re- 
quêtes de  l'hôtel  et  des  maîtres  des  requêtes  du  palais?  C'est  là 
un  point  fort  obscur.  Un  article  d'une  ordonnance  de  l'an  129G 
que  j'ai  cité  plus  haut  donne  peu  de  lumière  sur  cet  objet.  On 
y  voit  que  les  maîtres  des  requêtes  de  l'hôtel  délivraient  cer- 
taines requêtes,  et  que  celles  qu'ils  ne  pouvaient  délivrer,  ils 
les  rapportaient  à  ceux  de  la  chambre.  Une  ordonnance  de 
F'hilippe  le  Uong  est  plus  instructive.  "  Pour  ce  que  moult  de 
requestes,  dit  ce  prince,  ont  été  souvent  faites  à  nos  prédé- 
cesseurs et  à  nous,  qui  passées  ont  été  frauduleusement  sous 
ombre  d'aucune  couleur  de  raison,  lesquelles  se  discutées  eus- 
sent esté  par  devant  ceux  qui  sont  instruits  et  ont  connaissance 
des  besoignes,  n'eussent  pas  été  passées,  comme  de  moult  de 
gens  qui  requièrent  compensation  de  services,  restitution  de 
dommages,  grâces  de  dire  contre  arrêts  en  notre  parlement, 
et  plusieurs  autres  choses  semblables,  où  moult  de  fraudes  et 

déceptions  ont  été  faites  au  temps  passé  " «  Les  maîtres  des 

requêtes  de  l'hôtel  empiétaient  donc  sur  les  attributions  des 
tribunaux  ordinaires,  et  même  des  grandes  administrations, 
telles  que  le  trésor. 

.  Quant  aux  maîtres  des  requêtes  du  palais,  leur  compétence 
était  purement  judiciaire.  Aux  termes  d'une  ordonnance  du 
17  novembre  1318,  ils  ne  devaient  pas  prendre  connaissance 
des  causes  t;  ne  de  querelles  espéciaument  dou  principal  des 
causes  qui  doivent  estre  démenées  au  parlement,  ou  devant 
les  baillis  et  les  sénéchaux,  d  Ils  délivraient  des  lettres  de  jus- 
tice au  nom  du  roi  pour  autoriser  une  partie  à  citer  son  adver- 
saire au  parlement.  En  cas  d'appel,  le  juge  et  la  partie  étaient 
intimés  en  vertu  de  lettres  délivrées  par  la  chambre  des  re- 
quêtes. On  pouvait  s'opposer  à  la  délivrance  des  lettres  de 
justice,  et  les  maîtres  des  requêtes  statuaient  sur  les  opposi- 

1  Recherches  de  la  France,  p.  52. 

2  Ord.,  (.  I,  p.  733.  Décembre  1320. 


204  LA  FRAXCr:  SOLS  PHll-IIMT,  LK  BEL. 

lions  tic  ce  jj;('iii(\  S'il  se  présentait  quelque  difficulté,  ils  con- 
sultaient la  «paud'cliambrc '. 

Dans  l'inteivalle  de  deux  sessions,  la  cliambre  des  requêtes 
remplissait  souvent  les  Jonctions  de  cliambre  des  vacations*. 
En  1315,  année  où  il  n'y  eut  j)as  de  parlement,  elle  expédia 
les  affaires  ur<|entes;  mais  elle  n'agissait  dans  ces  circonstances 
qu'en  vertu  de  commissions  spéciales.  Quelquefois  des  meni- 
i)res  de  la  grand'chambrc  expédiaient  après  la  clôture  du 
parlement  les  causes  dont  l'instruction  n'avait  pas  été  terminée 
à  temps  ^  La  chambre  des  enquêtes  jugeait  aussi  des  enquêtes 
pendant  les  vacances,  mais  pour  cela  l'autorisation  du  roi  était 
nécessaire,  et  cette  autorisation  était  restreinte  à  un  petit 
nombre  de  causes  déterminées  d'avance''. 

On  peut  prendre  une  idée  de  la  composition  du  parlement 
dans  un  rôle  inédit  des  membres  (hi  parlement  que  l'on  peut 
rapporter  à  l'année  1306. 

«  C'est  l'ordenance  des  Pai'lemenz. 

;î  II  aura  II  parlemenz  en  Tan,  des  quez  li  uns  commancera 
as  octaves  de  Pasques  et  li  autres  as  octaves  de  la  Toussainz, 
et  ne  durra  cbascun  que  II  mois. 

»  Il  aura  aus  parlemenz  II  prélaz,  c'est  assavoir  l'arcevesque 
de  Xarbone  et  l'avesque  deReynes;  et  II  lays,  c'est  assavoir  le 
conte  de  Dreux  et  le  conte  de  Bouloigne. 

«  Il  aura  XIII  clers  (lisez  XI)  et  .Xlli  lays  (lisez  XI),  sans 
eulx,  et  seront  li  XIII  (XI)  clercs  : 


Messiro    Guillaume    de    Xogarct, 

qui  porte  le  grant  scel. 
Le  doiau  de  Tours. 
Mesfre  P.  de  Laou. 
.Alcslro  P.  de  Latilly. 
Le  chaufre  d'(jrliens. 


Alostre  .Audry  Porcheron. 
Mrslrc  Jehan  le  Duc. 
Mestic  Robert  de  Foylloy. 
Aleslre  Denise  de  Senz. 
Mestre  Philippe  le  Corners. 
Mcstre  Gérart  de  Cortonne. 


1  Pardessus,  Essai,  p.  159.  —  Ou  trouve  les  requêtes  fonctionnant  en  1313. 
n  Cause  requestaruin  in  curia  nostra  pendentcs ,  etc.  i  l'oyez  surtout  le  pre- 
mier registre  du  Criminel. 

■^  Olim,  t.  IM,  p.   1523  et  10V5. 

-i  Olim,  t.  III,  p.  153S. 

''  0  Judicata  (pie  scquuutur  Aicta  fuerunt  pcr  niagislros  in  caméra  post  par- 
lamcntum.  —  Inquesfe  cxpedite  inter  duo  parlamenta,  de  spécial]  mandate,  s 
Olim,  t.  m,  p.  62  et  625. 


LIVRE  HUITIÈME.  —  ORGAX'ISATIOX  JLDICIAIRE. 
V  Li  XIII  (XI)  lays  du  parlement  seront  : 


205 


Lp  conncstablc. 
Messire  Guillaume  do  Plasian. 
Messire  I']ticniic  do  Bicnfaito. 
Mcssirc  Pierre  de  Blavon. 
Messire  Jelian  do  Woissy. 
Messire  Guillaume  de  Marcilli. 

1)  Aus  enquestes  seront  : 

L'avesque  do  Constances. 
Lavesque  de  Soissons. 
Le  chantre  de  Paris. 
Mesfre  Courrart  de  Crespy. 
Mestre  Jaque  de  Saint- Abert. 


Messire  G.  Cntirlcheuso. 
Monseigneur  Hugue  de  la  Celle. 
Monseigneur  Pli.  de  Blaveau. 
Jehan  de  Montigni. 
Pierre  de  Dyci. 


Mestre  P.  de  Aîoncy. 
Mestre  Goulard  do  Mey. 
ilcstro  Pierre  de  Blarru. 
Bernart  du  Mes. 


1)  Aus  Enquestes  (lisez  Requestes)  de  la  Langue  d'oc  seront 


Le  prieur   de   Saint -Martin    des 

Champs. 
Mestre  Raoul  Rousselot. 


Messire  Ph.  de  ^lornoi 
Messire  G.  Flote. 


V  Aus  Requestes  de  la  Langue  Françoise  seront  : 


Mestre  Raoul  de  Mullent. 
Mestre  G.  du  Buisson. 
Mestre  Lambert  de  Voissy. 


G.  de  Vin. 

Le  chastelain  de  Neelle  '. 


Cette  liste  prouve  que  la  cour  du  roi  n'était  pas,  ainsi  qu'on 
le  croit  généralement,  envahie  par  les  légistes,  roturiers  imbus 
de  droit  romain  et  de  maximes  despotiques;  à  la  tête  du  par- 
lement figurent  deux  hauts  barons  et  deux  prélats.  Le  roi  ne 
pouvait  se  dispenser  d'appeler  quelques  représentants  du  ba- 
ronnage  et  de  l'épiscopat  à  siéger  dans  sa  cour;  c'était  le  seul 
moyen  de  lui  conserver  l'autorité  qu'elle  avait  conquise.  Les 
grands  feudataires  ne  se  seraient  certainement  pas  soumis 
à  comparaître  devant  un  parlement  exclusivement  composé 
d'hommes  de  loi.  Philippe  le  comprit  et  en  fit  l'aveu  dans  la 
grande  ordonnance  de  1303.    "  Attendu,  dit-il,  qu'un  grand 

'  Bibl.  imp.,  Cartul.  170,  fol.  169.  —  Voyez  des  extraits  incomplets  de 
ce  document  dans  Pasquier,  Recherches  de  la  Frajice ,  liv.  II,  chap.  m, 
reproduits  dans  le  Recueil  des  ordonnances ,  t.  I,  ]).  547,  et  plus  complète- 
ment t.  XII,  p.  353. 


20G  LA  FRAYCE  SOIS  PHILIPPE  LU  lîKL. 

nombre  de  causes  importantes,  concernant  de  grands  person- 
nages, sont  décidées  par  notre  parlement,  nous  ordonnons  et 
voulons  que,  pendant  la  durée  de  cluujue  parlement,  deux 
prélats  et  deux  autres  laïques  de  distinction  et  membres  de 
notre  conseil,  ou  au  moins  un  prélat  et  un  laïque  y  assistent 
avec  assiduité,  pour  entendre  et  juger  les  procès  '. 

La  noblesse  et  le  clergé  forment  encore  la  majorité;  mais 
ces  nobles  et  ces  clercs  étaient  eux-mêmes  dévoués  de  corps  et 
d'àme  au  roi,  et  choisis  parmi  les  familiers.  Cependant  les 
nobles  étaient  malgré  eux  les  représentants  des  idées  féodales; 
une  curieuse  note  d'un  des  rédacteurs  des  Olim  fait  connaître 
qu'un  arrêt  fut  rendu  malgré  la  vive  opposition  de  plusieurs 
membres  de  la  cour,  qui  prétendaient  que  dans  cet  arrêt  les 
droits  des  seigneurs  étaient  lésés.  Cette  opposition  venait,  sans 
aucun  doute,  des  chevaliers  qui  siégeaient  au  parlement". 
L'élément  féodal  était  plus  directement  représenté  par  ces 
grands  barons  que  nous  avons  vus  décorés  du  litre  de  prési- 
dents, mais  qui  étaient  aussi  désignés  par  le  roi.  Quelques 
membres  du  haut  clergé  avaient  aussi  droit  de  séance  ;  c'étaient, 
selon  l'ordonnance  de  1296,  les  abbés  de  Cileaux,  de  Saint- 
Germain  des  Prés,  de  Saint-Corneille  de  Compiègne,  le  tréso- 
rier de  Saint-AIartin  de  Tours,  le  prévôt  de  l'église  de  Lille 
et  celui  de  Normandie,  c'est-à-dire  le  doyen  du  chapitre  de 
Rouen;  ils  pouvaient  prendre  part  aux  arrêts.  Joignez-y  l'abbé 
de  Saint-Denis,  qui  jouit  de  ce  privilège  jusqu'il  hi  révolution. 

Le  nombre  des  laïques  et  des  ecclésiastiques  se  balançait. 
Chaque  membre  recevait  cliaque  jour,  les  laïques,  dix  sous, 
et  les  clercs,  cinq  sous,  pendant  la  durée  des  sessions.  Ce 
traitement  fut  augmenté  pendant  les  années  où  la  faible  mon- 
naie eut  cours;  mais  après  la  mort  de  Philippe  le  Bel,  il  fut 
rétabli,  et  subsista  sur  le  même  pied  jusqu'au  milieu  du  qua- 
torzième siècle  ^ . 

1  Oi-d.,  t.  I,  p.  366,  iirt.  56.  —  Conf.  Olim,  t.  III,  préface,  p.  xxix. 

-  Olim,  t.  II,  p.  875  et  328. 

^  «  Stcptianus  (le  Clianlitre,  miles,  pro  vadiis  parlamenti  per  xi,iv  dies, 
22  lit),  par.  i  Journal  du  trésor,  28  février  1299,  foL  37  r°,  B.  Ce  qui  fait 
10  sous  par  jour.  —  Autre,  ihid.,  fol.  3  v°,  en  1300.  ï  Magister  G.  Bonet 
per  XXXV  dies,  etc.  i  —  t  Voulons  que  li  simple  clercs  qui  seront  à  nostre 


LIVRE  HUITIÈ^IE.  —  OHGAXISATIOX  JUDICIAIRE.  207 

II  se  produisait  des  circonstances  dans  lesquelles  le  parle- 
ment ne  pouvait  rendre  d'arrèls  sans  l'adjonction  de  certains 
personnages  étrangers  à  sa  composition  ordinaire,  c'était  quand 
un  pair  de  France  était  en  cause,  car,  en  principe,  les  pairs 
n'étaient  justiciables  que  de  leurs  pairs;  mais  peu  à  peu  la 
cour  du  roi  arriva  à  prendre  part  au  jugement  des  pairs. 
En  122-4,  les  officiers  de  la  couronne  obtinrent  de  siéger  dans 
la  cour  des  pairs  ;  les  autres  membres  de  la  cour  reçurent  plus 
tard  le  même  droit,  mais  la  présence  de  pairs  était  néces- 
saire. On  appliqua  les  règles  du  droit  féodal,  qui  déclarait  la 
cour  des  barons  suffisamment  garnie  de  pairs  pourvu  qu'un 
seul  fût  présent,  et  même  lorsque  aucun  ne  s'était  présenté, 
pourvu  qu'ils  eussent  été  régulièrement  semons;  dans  ce  cas, 
le  baron  tenait  sa  cour  «  avec  le  conseil  de  son  bôtel  »  . 
En  1290,  le  parlement  jugea  un  procès  où  le  comte  de  Flandre 
était  intéressé;  un  seul  pair,  le  duc  de  Bourgogne,  prit  part 
au  jugement,  mais  un  grand  nombre  de  barons  siégèrent  pour 
donner  plus  de  solennité  à  l'arrêt.  On  distinguait,  dans  les 
causes  où  les  pairs  étaient  parties,  si  le  procès  touchait  aux 
droits  de  la  pairie  ou  non.  Le  parlement  ayant  prononcé 
en  1259  dans  un  procès  entre  l'archevêque  de  Reims  et  l'abbé 
de  Saint-Remi,  au  sujet  de  la  garde  de  cette  abbaye,  l'arche- 
vêque prétendit  que  ce  jugement  n'était  point  valable,  attendu 
qu'il  n'avait  point  été  rendu  par  ses  pairs;  le  parlement  re- 
poussa ce  moyen  et  confirma  sa  première  sentence,  «  parce 
que  la  querelle  dont  le  jugement  était  fait  n'était  mie  de  pai- 
rie «  .  C'est  ainsi  qu'il  parvint  à  juger  seul  des  causes  où  les 
pairs  étaient  intéressés.  En  se  déclarant  compétent,  malgré 
les  protestations  des  pairs,  il  était  juge  dans  sa  propre  cause; 
mais  dans  ces  circonstances,  la  cour  était  présidée  par  le  roi 
lui-même.  Philippe  le  Bel  posa  nettement  le  droit  du  parle- 
ment de  décider  quand  il  y  aurait  lieu  de  convoquer  les  pairs; 
contrairement   à  la   demande    du   comte   de    Flandre,    il    fit 

parlement,  qui  soloient  prendre  5  sols  par  jour,  à  la  fort  monnoie,  preigncnt 
10  s.  par  jour,  tant  que  la  monnoie  qui  à  présent  a  cours  soit  ranienée  au 
point  de  l'ancienne;  et  que  li  simples  lais  qui  prcnoicnt  JO  sols,  en  aient  15.  » 
Cartul.  170,  fol.  169. 
1  Olim,i.  II,  p.  396. 


208  LA  FRAXCl^  SOLS  PHlLllM'i;  LK   liKL. 

déclarer  par  le  parlement, .en  J!2U5,  que  c'était  à  lui  de  déci- 
der par  l'organe  de  son  conseil  quelle  était  la  juridiction 
compétente  ' . 

L(!  pailement  avait  dés  le  milieu  du  treizième  siècle  rem- 
placé la  cour  féodale  du  roi.  Sa  juridiction  s'exerçait  en  pre- 
mière instance  et  par  voie  d'appel'.  En  première  instance,  les 
causes  des  prélats  et  d(>s  grands  seigneurs  y  étaient  portées 
directement.  Philippe  le  IJel  accorda,  en  1290,  aux  prélats  le 
privilège  de  n'être  pas  contraints  de  plaider  devant  les  autres 
juridictions  royales  ^  Quand  les  barons  et  les  hauts  dignitaires 
ecclésiastiques  venaient  au  parlement  pour  leurs  propres 
affaires,  leurs  procès  devait  élre  jugés  le  plus  promptement 
possible  au  jour  de  leur  bailliage.  Ils  pouvaient  même  obtenir 
un  tour  de  faveur*.  En  dehors  de  cette  compétence  person- 
nelle, il  n'y  avait  pas  de  règles  fixes  ;  les  causes  des  églises, 
des  communautés,  de  simples  particuliers  même  étaient  portées 
au  parlement,  quand  elles  offraient  quelque  importance.  L'or- 
donnance de  1278  défendit  vaguement  «  que  nulles  causes  ne 
fussent  retenues  en  parlement  qui  pussent  être  démenées  devant 
baillifsî) .  Celle  de  12*J7  exclut  nominativement  les  complaintes 
de  nouvelle  désaisine  qui  étaient  du  ressort  des  baillis  \  Les 
causes  où  le  domaine  se  trouvait  intéressé  étaient  en  principe 
abandonnées  au  jugement  des  baillis,  mais  quand  elles  présen- 
taient quelque  gravité  la  cour  du  roi  les  revendiquait".  Une 
ordonnance  de  Louis  X  régla  que  celles  dont  l'objet  dépassait 
cent  livres  de  rente  seraient  seules  admises  au  parlement  '. 

1  a  Altercato  coram  nobis  an  ad  nos  per  nostrum  consiliuin  ,  vcl  per  pares, 
pertincrct  cieccrnore  qiiis,  cujiis  csspt  jiirisdiclio,  dobcret  jiulicarc,  fuit  pro- 
nunciatinn  per  ciirio  nostre  jiidiciuin  consiliuni  drccrncrc  ciijiis  sit  jurisdiclio 

,  in  preniissis.   '  Différend  des  pairs  avec  les  présidents  à  mortier,  p.  166. 

2  Olim.  f.  III,  p.  J525. 

3  Ord.,  t.  I,  p.  319,  §  3. 

-i  Ord.,  t.  1,  p.  358,  §  7  et  8  (1303). 

■"'  a  Los  (|iu'rcll(\s  de  nouvelles  desaisincs  ne  viennent  pas  eu  parlement, 
mais  chacun  haillif  eu  sa  baillie,  appelés  avec  soy  bonnes  gens...  prenne  la 
chose  en  la  main  du  roi  et  face  droit  aux  parties,  r.  Ord.,  1.  XII. 

^  Ord.,  1.  Xll,  p.  416;  et  Vaissète ,  Histoire  du  Languedoc,  f.  IV, 
preuves,  col.  146. 

"  En  1315.  Vaissète,  t.  IV,  col.  146. 


.     LIVRE  HUITIÈME.  —  ORGAMSATION  JUDICIAIRE.  209 

La  même  incertitude  régnait  pour  les  causes  criminelles.  On 
voit  le  parlement  juger  en  première  instance  des  crimes  privés, 
tandis  que  les  baillis  connaissaient  quelquefois  des  crimes  de 
trahison;  mais  en  général  il  s'occupait  des  crimes  qui  trou- 
blaient la  paix  publique.  Il  intervenait  surtout  contre  les  sei- 
gneurs que  les  baillis  n'auraient  peut-être  pas  osé  condamner. 
Il  était  surtout  un  tribunal  d'appel. 

«En  la  cort  le  roy,  disent  les  Etablissements  de  saint  Louis, 
pueent  toute  gent  demander  amendement  de  jugement  par 
droit  '.  n 

Les  appels  n'étaient  admis  qu'après  vérification  préalable 
qu'ils  présentaient  quelque  apparence  de  raison,  et  qu'ils 
avaient  été  faits  dans  les  délais  voulus  '. 

Quelquefois  le  parlement,  remplissant  le  rôle  de  notre  cour 
de  cassation,  cassait  la  sentence  et  renvoyait  la  cause  à  juger 
de  nouveau,  mais  à  une  autre  juridiction  que  celle  dont  éma- 
nait le  jugement  frappé  d'appel  \ 

Je  me  suis  souvent  demandé  comment  faisaient  les  habitants 
des  provinces  méridionales  du  royaume  pour  profiter  du  droit 
d'appel,  qui  semble  avoir  été  pour  eux  un  droit  presque  déri- 
soire, car  quels  frais  énormes  entraînait  un  procès  devant  la 
cour  du  roi!  le  voyage  seul  eût  suffi  pour  effrayer  les  plaideurs 
les  plus  obstinés.  Des  intérêts  considérables  mis  en  jeu  pou- 
vaient seuls  décider  à  une  pareille  démarche.  Les  Olim 
n'offrent  en  effet  que  peu  de  procès  pour  les  sénéchaussées  de 
Toulouse,  de  Beaucaire  et  de  Carcassonne ,  et  cependant  dans 
ces  pays  l'appel  jouissait  d'une  tout  autre  faveur  que  dans  le 
Xord.  Cela  s'explique  par  un  fait  peu  connu  ,  c'est  que  le  roi 
désignait  des  personnes  étrangères  au  parlement  et  même  à 
l'ordre  judiciaire,  pour  connaître  en  son  nom  des  appels  inter- 
jetés à  lui-même  dans  ces  provinces  éloignées  et  que  le  parle- 
ment aurait  dû  juger.  Ces  juges  en  dernier  ressort  recevaient 
une  commission  spéciale  pour  chaque  cause.  Un  des   articles 

1  Liv.  I,  cliap.  i.\\iiii. 

2  Mémorial,  fol.  60;  Olim,  t.  II,  p.  888.  V'oici  la  formule  :  n  Aiidifis  par- 
tibus  prcccpit  curia  quod  processus  in  causa  appeilationis  intcr  \'.  et  X. 
videatur  et  judicetur.  ^ 

3  Olim,  t.  II,  p.  G. 

14 


210  LA  FHAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

du  traité  conclu  en  128G  entre  Philippe  le  \ie\  el  le  roi  d'An- 
gletoire,  au  sujet  de  l'appel  des  cours  anglaises  de  Guiennc , 
porte  "  que  dans  les  pays  de  droit  écrit  les  appels  portés  à  la 
cour  du  roi  ne  seront  pas  donnés  à  juger  à  d'autres  (|u'à  la 
cour,  (piand  ils  intéresseront  le  roi  d'Angleterre.  Quant  à 
ceux  qui  concernent  des  particuliers  et  surtout  les  pauvres,  on 
pourra  en  attribuer  la  connaissance  à  d'autres  qu'à  la  cour, 
mais  ci  condition  que  ceux  qui  recevront  celte  commission  ne 
pourront  déléguer  leurs  pouvoirs  \  ^^  Plusieurs  mandements  de 
Phili|)pe  le  I5el  adressés  au  sénéchal  de  lieaucaire  font  voir  que 
cet  usage  était  aussi  en  vigueur  dans  le  Languedoc  ^. 

Le  parlement  n'attirait  donc  à  lui  que  les  causes  importantes. 
Ses  attributions  s'étendaient  en  dehors  de  la  justice  dans  le 
domaine  de  l'administration.  Il  connaissait  du  contentieux 
administratif.  Un  seigneur,  Uobert  de  Meulan,  avait  oblenu  du 
roi  l'établissement  d'un  marché  à  lîruyéres-sur-Mer;  un 
seigneur  du  voisinage  se  plaignit  du  tort  que  ce  marché  lui 
faisait,  le  parlement  après  enquête  révoqua  la  concession  ^ 
Dans  une  autre  circonstance,  le  roi  ayant  nommé  dans  la  ville 
d'Arqués  un  auneur  de  toiles,  les  habitants  prétendirent  que 
cette  nomination  était  contraire  à  leurs  privilèges  ;  le  parle- 
ment leur  donna  gain  de  cause  ^.  Il  annula  aussi  la  nomination 

*  Il  In  terra  que  regitur  jure  scriplo,  si  appcllctur  ad  curiain  régis  Francie, 
non  commiUetur  cognicio  et  tcniiinacio  cause  appcllatiouis  extra  curiani 
Francie,  de  hiis  que  tangunt  rcgem  Anglie.  —  Super  aliis  vcro  que  taugunt 
alias  partes,  prccipue  pauperes,  poterit  comniissio  fleri  super  cognicionc  et 
decisionc  appellalionis  extra  curiam;  tali  modo  quod  illi  quibus  fiet  commissio 
non  polcruut  alios  eommitlero;  et  hoc  ideo  quia  in  terra  que  regiUir  jure 
scriplo,  judex  a  quo  appellatur  non  sul)cst  periculo,  scd  pars  apptilans  vel 
appetlata.  »  Olim,  t.  II,  p.  40.  —  IXeq.  XXXIV  du  Trésor  des  chartes, 
fol.  32. 

'-  Mandement  du  lundi  de  la  Quasimodo  1295.  «  In  causa  que  primo  vcrfc- 
batur  coram  judice  Aniciensi...  et  pcr  appellacioncm  sccundario  coram  xobis 
(senescallo);  iterum  post  appeltationem  ad  nos  interpositam  coram  magistro 
P.  de  Ruthcnis,  preposilo  Mimatcnsi,  judice  dato  in  causa  secundo  appella- 
tionis...  cum  nostrc  inlcnlionis  non  lucrit  appellalionem  admiftere  ncc  judicem 
dare  in  causa  in  (pia  tcrcio  a  dcffinitiva  seutenlia  fueril  appcllatum.  i  Bibl. 
imp.,  n»  10312,  foi.  (il. 

■^  Olim,  t.  lit,  p.  18.  En  1299. 

4  Olim,  t.  III,  p.  879. 


LIVRE  HLITIÈ.ME.  —  ORGAXISATIOX  JUDICIAIRE.  211 

d'un  procureur  du  roi  faite  par  Philippe  le  Bel  '.  En  1311  il 
refusa  à  Guillaume  de  Plasian,  le  compagnon  de  Nogaret,  sa 
demande  de  prolonger  de  quelques  jours  une  foire  qui  se 
tenait  dans  sa  seigneurie  de  Vicenobre".  Je  pourrais  citer  un 
grand  nombre  d'arrêts  dans  lesquels  le  parlement  ne  craignait 
pas  de  mettre  k  néant  des  actes  de  l'autorité  royale  avec  une 
liberté  qui  l'honore,  ainsi  que  la  royauté  qui  reconnaissait 
hautement  l'existence  des  lois. 

Le  parlement  n'eut  plus  au  quatorzième  siècle  le  pouvoir 
législatif,  mais  il  fut  consulté  pour  la  rédaction  des  ordon- 
nances relatives  à  la  justice.  Il  jouissait  en  certains  cas  du 
droit  d'interpréter  les  ordonnances.  On  lit  dans  une  ordon- 
nance de  l'an  1288  ,  que  si  quelque  difficulté  se  présentait 
dans  l'exécution  on  consulterait  la  cour  et  les  maîtres.  Mais  le 
roi  se  montrait  jaloux  de  ce  droite  En  1314',  le  parlement 
rendit  un  arrêt  de  règlement  sur  certains  points  de  procé- 
dure, mais  ce  fut  en  présence  du  roi  *. 

Dans  les  derniers  temps  de  la  monarchie,  le  parlement 
réclamait  le  droit  d'enregistrer  tous  les  actes  législatifs  émanés 
de  l'autorité  royale.  Il  prétendait  aussi  avoir  la  faculté  de 
refuser  l'enregistrement,  et  d'arrêter  par  ce  refus  l'exécution 
des  actes  qui  en  étaient  frappés.  Le  plus  ancien  registre 
officiel  spécial  date  de  la  fin  du  quatorzième  siècle  :  ce  ne  fut 
qu'à  partir  de  Charles  \  I  qu'on  enregistra  avec  quelque  régu- 
larité les  ordonnances  envoyées  au  parlement.  C'était  là  une 
simple  formalité  qui  n'avait  pas  pour  but  de  donner  une  plus 
grande  force  aux  décrets  royaux  et  encore  moins  de  les  sou- 
mettre à  l'approbation  de  la  cour,  mais  dont  l'effet  était  d'en 
assurer  l'exécution  en  leur  donnant  une  notoriété  plus  grande, 
car  l'enregistrement  était  précédé  d'une  lecture  publique  et 
solennelle  \    Dès  le    principe    certaines   ordonnances   furent 

1  Olim,  t.  III,  p.  1532. 

2  Ihid.,  p.  631. 

3  Ord.,  t.  I,  p.  317.  —  Ordonnance  portant  défense  d'emprisonner  les 

Juifs  par  l'ordre  de  religieux  sans  l'autorisation  du  bailli. 

^  Olim,  t.  II,  p.  613  et  614. 

ô  Voyez  le  registre  A  des  ordonnances  du  parlement.  —  Conf.  Encyclo- 
pédie 7néthodique,  Jurisprudence,  t.  IV,  p.  295. 

14. 


212  LA  FIIAXCI']  SOLS  l'HILIlM'K  LE  BEL. 

envoyées  au  parlement  :  les  Olhn  en  renferment  plusieurs  ; 
mais  cette  insertion  dans  les  registres  de  la  cour  n'était  pas, 
je  le  répète,  une  sanction  donnée  par  le  parlenu'nl,  qui,  sous 
Philippe  le  Bel,  n'avait  pas  même  de  conseils  à  donner,  sauf 
quand  on  les  lui  demandait,  et  qui  était  vis-à-vis  de  la  royauté 
dans  une  entière  dépendance. 

Le  roi  convoquait  souvent  sa  cour  en  sa  présence  ;  on  sou- 
mettait au  prince  les  procès  concernant  les  grands  feudataires; 
on  le  consultait  quelquefois  sur  l'application  des  peines  '.  Tou- 
tefois, l'intervention  du  roi  n'enlevait  à  la  justice  aucune  de 
ses  garanties.  On  ne  doit  voir  dans  ces  séances  royales  que  la 
preuve  de  l'infériorité  du  parlement,  qui  ne  formait  pas  encore 
un  pouvoir  distinct.  La  justice  émanait  du  roi,  qui  reprenait 
quand  il  lui  plaisait  l'exercice  du  pouvoir  judiciaire.  Le 
monarque  pouvait  même  annuler  les  arrêts  de  sa  cour.  Bien 
qu'en  principe  les  arrêts  du  parlement  fussent  en  dernier 
ressort,  on  pouvait  obtenir  i>n  ordre  du  roi  qui  prescrivait 
d'examiner  de  nouveau  la  cause  ;  mais  un  arrêt  ne  pouvait 
être  attaqué  que  lorsqu'il  y  avait  présomption  d'erreur*. 

La  révision  d'un  arrêt  devait  être  demandée  par  voie  de 
requête  ^  Il  y  avait  aussi  la  pétition,  appel  direct  au  roi,  qui 
paraît  avoir  été  admise ,  même  quand  une  requête  avait  été 
rejetée  *. 

«  La  prééminence  du  parlement,  dit  excellemment  M.  le 
comte  Beugnot,  et  le  droit  dévolu  à  cette  cour  d'interpréter 
ses  arrêts,  furent  heureusement  reconnus  à  propos  de  l'ordon- 

1  Olim.,  t.  III,  p.  708,  825,  1516,  1519.  s  De  cmenda  domini  régis 
tacuit  curia  ex  causa.  »  Ibid.,  p.  823. 

2  Ord.,  t.  I,  p.  359,  ait.  12  (1303).  —  Conf.  Olim,  i.  II,  p.  328  et 561. 
—  Pardessus,  Essai,  p.  115.  Dans  l'ordonnance  de  1303,  le  roi  déclare  que 
la  correction  des  arrêts  appartient  a  ad  nos  vel  nostriim  commune  consilium  i . 
Ici,  commune  consilium  désigne  non  pas  le  grand  conseil,  qui  n'était  pas 
encore  organisé  en  tant  que  corps ,  ainsi  que  nous  l'avons  vu ,  mais  le  parle- 
ment lui-même.  \'ous  suivons  cette  interprétation  qui  est  celle  de  M.  le  comte 
Beugnot,  mais  qui  a  été  combattue  par  M.  Pardessus.  Le  doute  n'est  pas 
possible. 

^  Olim,  t.  III,  p.  62V. —  Procès  criminel. 

*  Olim,  t.  II,  p.  895.  —  Procès  de  Bobcrt  d'.Artois  contre  la  comtesse 
d'Artois. 


LIVRE  HUITIiaiE.  —  ORGAXISATIOX  JUDICIAIRE.  213 

nance  de  1303.  La  suprématie  du  parlement,  subordonnée  au 
pouvoir  qui  anime  et  régit  la  société  tout  entière,  resta,  malgré 
d'impuissantes  dénégations,  un  des  principes  fondamentaux 
de  la  monarchie,  et  Philippe  le  Bel  est  le  premier  qui,  en 
l'inscrivant  dans  un  acte  public  de  l'autorité  royale,  lui  donna 
la  forme  rigoureuse  d'un  dogme  polilique  '.  » 


CHAPITRE   QUATRIÈME. 

HAUTES    COURS    PROVINCIALES. 

Echiquier  de  Normandie  et  grands  jours  de  Champagne,  anciennes  cours 
féodales  conservées  par  le  roi.  —  On  appelle  de  leurs  sentences  au  parle- 
ment. —  Pourquoi?  — Ces  appels  sont  peu  fréquents.  — L'échiquier  et  les 
grands  jours  sont  des  commissions  du  parlement  de  Paris.  —  Les  prélats 
normands  refusent  de  siéger  à  l'échiquier.  —  L'échiquier  devient  en  1315 
cour  souveraine.  —  Origine  du  parlement  de  Toulouse.  —  Ce  n'est  pas 
l'ancienne  cour  féodale  des  comtes  de  Toulouse.  —  Philippe  le  Bel  n'eut 
jamais  l'intention  de  créer  à  Toulouse  un  parlement  souverain. 

La  juridiction  du  parlement  de  Paris  s'étendait  en  principe 
sur  toute  la  France ,  c'était  le  tribunal  souverain.  Cependant, 
il  y  avait  dans  le  royaume  plusieurs  autres  hautes  cours, 
l'échiquier  de  Normandie,  les  grands  jours  de  Champagne  et 
le  parlement  de  Toulouse,  qui  jugeaient  les  appels  des  bail- 
liages de  Normandie,  de  Champagne,  de  Languedoc. 

L'échiquier  et  les  grands  jours  avaient  une  origine  com- 
mune. L'un  était  la  cour  du  duc  de  Normandie,  l'autre  celle 
du  comte  de  Champagne;  quand  ces  provinces  furent  réunies 
au  domaine,  l'échiquier  et  les  grands  jours  subsistèrent,  mais 
ils  conservèrent  leur  caractère  seigneurial.  Je  m'explique.  Nous 
avons  vu  que  lorsqu'une  province  était  dévolue  à  la  couronne, 
elle  n'y  était  pas  unie  irrévocablement  :  les  rois  se  réservaient 
le  droit  de  l'aliéner  en  faveur  des  princes  du  sang.  Tant  qu'elle 
restait  entre  les  mains  du  roi,  celui-ci  ne  l'administrait  qu'à 

'  Olim,  t.  III,  p.  .wviii. 


214  LA  FRWCE  SOLS  PHILIITE  LE  BEL. 

titre  de  comte  ou  de  duc.  C'est  la  raison  pour  laquelle  on 
appelait  sous  Philippe  le  Bel  des  arrêts  de  réchiquier  et  des 
grands  jours  do  Troyos,  exactement  comme  du  temps  où  la 
Normandie  et  la  Champagne  obéissaient  à  de  grands  leuda- 
taires  '.  Et  cette  mesure  était  sage,  car  si  on  avait  attribué  la 
souveraineté  à  ces  cours  provinciales  pendant  leur  accession 
momentanée  à  la  couronne,  que  serait-il  arrivé  quand  ces  pro- 
vinces auraient  été  données  à  quelque  prince?  Elles  auraient 
perdu  alors  leur  souveraineté,  mais  elles  auraient  conservé 
des  traditions  qui  seraient  devenues  un  danger  pour  la  supré- 
matie du  roi. 

Il  faut  reconnaître  que  les  appels  de  l'échiquier  et  des  grands 
jours  au  parlement  étaient  peu  fréquents.  L'ordonnance  de 
1303  déclarait  que  ces  deux  cours  auraient  deux  sessions  par 
an.  L'échiquier,  qui  n'était  pas  sédentaire,  se  tenait  ordinai- 
rement à  l'octave  de  la  Saint-Michel  et  à  l'octave  de  Pâques; 
les  grands  jours,  le  lendemain  des  Brandons  (premier  dimanche 
de  Carême)  et  le  lendemain  de  l'Assomption.  Des  membres  du 
parlement,  dans  l'intervalle  des  sessions,  venaient  présider 
ces  cours  provinciales.  In  article  de  l'ordonnance  de  1297 
donne  à  ce  sujet  des  renseignements  qui,  je  crois,  ajoutent  à 
ce  qu'on  sait  de  la  composition  de  ces  cours. 

«Tous  les  ans,  le  jour  de  la  Saint-Michel  et  le  lendemain  de 
Pâques,  tuit  li  président  et  li  résident  dou  parlement  s'assem- 
bleront h  Paris,  et  d'illoc  li  uns  iront  à  l'échiquier Li  jour 

de  Troyes  vers  la  fin  de  chacun  parlement  seront  assenez 
ordonnéement  en  telle  manière  que  de  la  fin  de  chacun  parle- 
ment, cil  qui  devront  aller  au  jour  de  Troyes,  et  qui  y  seront 
députés  par  commun  accord  des  présidents,  puissent  avoir 
suffisant  tems.  i> 

L'usage  d'envoyer  une  partie  des  membres  du  parlement 
aux  grands  jours  et  à  l'échiquier  subsista  pendant  tout  le  régne 
de  Philippe  le  Bel;  mais  ce  fut  le  roi  qui  les  désigna  lui-même*. 

1  Pour  l'échiquier,  voy.  Olim,  t.  II ,  p.  iv  et  suiv.,  897;  Pardessus,  p.  124 
et  125.  Pour  les  grands  jours,  Olim,  f.  II,  p.xiii,  xii  ;  t.  III ,  T,  7G5 ,  etc. 
C'est  bien  i\  tort  que  M.  Bouliot,  autour  d'une  Xotice  sur  les  grands  jours 
(Troyes,  1852),  a  prétendu  que  les  arrêts  de  cette  cour  étaient  sans  appel. 

2  Bibl.  imp.,  Cartui.  170,  fol.  1G9  v°.  Ordonnance  de  1306. 


.     LIVRE  HUITIÈME.  —  ORGAXISATIOX  JUDICIAIRE.  215 

On  lit  en  effet  dans  le  rôle  du  parlement  pour  Tannée  1306  : 
K  Aux  escliiquicrs  iront,  Tarchevèque  de  Narbonne,  l'avesque 
de  Miaux,  mestre  Pierre  de  Latilli,  nicstre  Philippe  Le  Convers, 
le  conte  de  Saint-Pol,  messire  Maliy  de  Trie,  le  seigneur  de 
Chambli,  monsieur  Estienne  de  Bienfait,  P.  de  Dici,  Rcnaut 
Barbou.  ^^ 

«  Aus  jours  de  Troyes,  qui  sont  à  la  quinzaine  de  la  Saint- 
Jehan ,  seront  :  l'avesque  de  Kevers,  l'avesque  de  Soissons,  le 
chantre  d'Orliens,  mestre  Denise  de  Sens,  messire  G.  de 
Nogaret,  messire  Hugue  de  La  Celle,  Bernard  du  Mes, 
P.  de  Dicy.  ■' 

Les  grands  jours  et  l'échiquier  étaient  donc  de  véritables 
assises  du  parlement  de  Paris,  et  si  on  appelait  de  leurs  sen- 
tences, c'était  sans  doute  pour  maintenir  le  principe  de  leur 
infériorité  vis-à-vis  de  la  cour  du  roi.  Les  barons  et  les  prélats 
qui  y  siégeaient  avant  la  réunion  de  ces  provinces  à  la  cou- 
ronne n'y  figurèrent  plus  que  pour  la  forme.  En  Champagne 
même  les  comtes  avaient  organisé  leur  cour  à  l'instar  de  celle 
du  roi  et  désignaient  ceux  qui  devaient  en  faire  partie.  En 
Normandie,  la  composition  de  l'échiquier  était  plus  féodale, 
mais  comme  les  membres  du  parlement  y  dominaient,  les  pré- 
lats normands  humiliés  refusèrent  d'y  siéger  sans  un  ordre 
formel  du  roi,  et  cette  prétention  fut  consacrée  par  plusieurs 
arrêts  du  parlement  '. 

En  1315,  les  Normands  se  plaignirent  du  rôle  secondaire 
auquel  leur  échiquier  avait  été  réduit,  et  obtinrent  de  Louis  X 
qu'on  ne  pût  désormais  appeler  des  sentences  qui  y  seraient 
rendues.  Cette  conquête  fut  inscrite  dans  la  fameuse  charte 
aux  Normands. 

Toulouse  eut  pendant  une  partie  du  règne  de  Philippe  le  Bel 
un  parlement  dont  le  ressort  comprenait  toute  la  Langue  d'Oc, 
c'est-à-dire  le  pays  qui  parlait  la  langue  romane,  sauf  les  pos- 
sessions anglaises  de  Guienne,  qui  continuèrent  de  dépendre 
du  parlement  de  Paris.  Des  savants  distingués  ont  cru  que  ce 
parlement  était  l'ancienne  cour  des  comtes  de  Toulouse,  qui  ,. 
après  la  réunion  du  Languedoc,  fut  présidée  par  des  mera- 

*  Fioquet,  Histoire  du  parlement  de  Normandie ,  f.  I,  p.  41  (en  1288), 


216  LA  FRANCK  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

brcs  (lu  parlement  de  Paris,  comme  rêchiquier  et  les  grands 
jours  de  Champagne;  cela  n'est  pas  exact.  Le  dernier  comte 
de  Toulouse,  Alphonse,  frère  de  saint  Louis,  avait  bien  un 
parlement,  commun  à  ses  Klats,  qui  comprenaient  une  partie 
du  Languedoc  et  de  l'Auvergne,  le  Rouergue,  l'Agenais,  la 
moitié  (lu  Quercy,  l'Aunis,  la  Saintonge  et  le  Poitou.  Des  tra- 
vaux récents  ont  démontré  que  ce  parlement  ou  conseil  ne 
connaissait  que  des  causes  où  le  comte  était  intéressé  '.  Celles 
qui  concernaient  uniquement  des  particuliers  étaient  jugées  en 
dernière  instance,  non  par  ce  parlement,  mais  par  des  per- 
sonnes étrangères  ordinairement  à  l'ordre  judiciaire  et  (|ui 
recevaient  du  comte  une  commission  spéciale  pour  chaque 
cause*.  Nous  avons  vu  que  ce  système  était  encore  en  vigueur 
sous  Philippe  le  Bel.  Les  Toulousains  supplièrent  Alphonse 
d'établir  dans  le  Languedoc  des  juges  chargés  de  juger  en  der- 
nier ressort  les  causes  de  la  province.  Cette  demande  leur  fut 
accordée,  mais  resta  sans  exécution,  la  mort  du  comîe  étant 
arrivée  peu  après.  En  1270  le  parlement  d'Al[)honsc  tint  ses 
séances  à  Toulouse,  mais  il  ne  s'occupa  point  des  affaires  des 
particuliers  ^  Après  1271,  le  parlement  de  Paris  devint  la 
cour  suprême  de  tout  le  Languedoc.  Les  Méridionaux  se  plai- 
gnirent des  frais  considérables  et  des  déplacements  qu'il  leur 
fallait  subir  pour  intenter  ou  défendre  une  action  à  Paris. 
Philippe  le  Hardi,  cédant  à  leurs  vœux,  envoya  à  Toulouse, 
en  1280,  plusieurs  membres  de  son  conseil,  c'est-à-dire  du 
parlement  \  pour  y  tenir  un  parlement  à  partir  de  l'octave 
de  Pâques.  Sauf  quelques  interruptions,  ce  parlement  fonc- 
tionna jusqu'en  1287.  Il  était  tenu  par  l'abbé  de  Moissac,  le 
chevécier  de  Cliartres,  et  Jean  de  Xausonc,  chanoine  de  Laon  '. 
Ce  dernier  fut  remplacé  en  1288  par  P.  de  Lachapelle,  cha- 
noine de  Paris''.  En  1290  figure  un  chevalier,  Pierre  de  Blanot. 

1  Voyez  dans  la  Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes,  4<'  série,   t.  II,   p.   101  et 
suiu.,  mon  travail  sur  l'organisation  judiciaire  du  Languedoc  an  moyen  âge. 

2  Ibid..  p.  115  et  116. 

^  Voyez  le  rôle  des  affaires  décidées  dans  ce  parlement,   Arch.   imp., 
J.  1031,  n«  11. 

*  Vaisscte,  t.  IV,  col.  72. 

f>  Vaissètc ,  t.  IV,  col.  84  et  85. 

fi  Vaissète,  t.  IV,  col.  86. 


LIVRE  HUITIEME.  —  ORGAMSATIOX  JUDICIAIRE.  217 

Pierre  de  Flote  y  siégea  à  une  époque  qu'il  ne  m'est  pas  possible 
de  déterminer. 

Passé  1293,  on  ne  trouve  plus  de  parlement  à  Toulouse. 
Ce  n'était  pas  là  une  cour  indépendante,  mais  une  commission 
du  parlement  de  Paris,  l'auditoire  du  parlement  de  Paris 
rendu  ambulatoire.  Ce  tribunal  avait  aussi  des  attributions 
administratives.  En  1293,  Philippe  le  Bel,  en  désignant  ceux 
de  ses  conseillers  qui  devaient  tenir  le  parlement  de  Toulouse, 
déclara  que  les  causes  qu'ils  n'auraient  pas  le  temps  de  ter- 
miner seraient  ajournées  à  la  prochaine  session,  et,  au  cas  où 
l'on  ne  tiendrait  pas  de  parlement  à  Toulouse,  renvoyées  au 
parlement  de  Paris,  au  jour  de  leur  sénéchaussée.  A  la  fin  de 
*la  même  année,  le  juge  mage  de  la  sénéchaussée  de  Carcas- 
sonne  fit  publier  un  mandement  royal  ordonnant  à  tous  ceux 
qui  avaient  des  causes  pendantes  au  parlement  de  Toulouse 
de  les  poursuivre  au  parlement  de  Paris. 

Le  parlement  de  Toulouse  n'eut  donc  sous  Philippe  le  Bel 
qu'une  existence  précaire  et  momentanée.  Cependant,  en  1303, 
le  roi  promit  d'établir  un  parlement  à  Toulouse,  à  condition 
qu'on  n'appellerait  pas  des  sentences  qui  y  seraient  pronon- 
cées. Cette  ordonnance  ne  fut  pas  exécutée.  On  a  supposé  que 
ce  furent  les  Méridionaux  qui  refusèrent  de  considérer  le  parle- 
ment de  Toulouse  comme  une  cour  souveraine  :  je  suis  plutôt 
porté  à  croire  le  contraire.  Quand  on  voit  les  sentences  de 
l'échiquier  de  Normandie  et  des  grands  jours  de  Troyes  sou- 
mises à  l'appel,  quoique  rendues  par  des  commissions  prises 
dans  le  sein  du  parlement  de  Paris,  et  le  parlement  lui-même 
tenu  dans  une  étroite  dépendance,  on  est  fondé  à  conjecturer 
que  Philippe  le  Bel  n'aurait  pas  consenti  volontiers  à  investir 
de  la  souveraineté  une  cour  qui ,  placée  loin  de  l'action  du 
gouvernement,  aurait  pu  prendre  une  autorité  funeste  à  la  con- 
centration des  pouvoirs  qui  était  le  but  légitime  auquel  la 
royauté  tendait  avec  autant  de  persévérance  que  d'habileté. 


218  LA  FR WCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

CHAPITRE   CINQUIÈME. 

MINISTÈRE   PUBLIC.  —  AVOCATS.  —  XOTAIRES.  GREFFIERS. 

Procureurs  du  roi.  —  Avocats.  —  Xotaircs.  —  GrefOcrs. 

Les  procureurs  du  roi  qui  furent  placés  sous  Philippe  le  Bel, 
non-soulement  dans  chaque  hailliago,  mais  encore  au  siège 
des  prévôtés  importantes  et  auprès  des  juridictions  ecclésias- 
tiques ',  n'élaient  point,  comme  les  procureurs  du  roi  des  der- 
niers temps  de  la  monarchie,  chargés  de  provoquer  au  nom  de 
la  société  la  punition  des  crimes  et  des  délits.  Ils  étaient  sim- 
plement les  agents  du  roi,  poursuivaient  et  défendaient  en  son 
nom  en  matière  civile.  L'ordonnance  de  1303  leur  enjoignit 
de  prêter  le  serment  «  de  calumnia  :' ,  comme  les  autres  plai- 
deurs,  toutes  les  fois  qu'ils  intenteraient  une  action,  et  leur 
défendit  de  se  mêler  dos  causes  des  particuliers". 

Ils  poursuivaient  les  usurpateurs  du  domaine  ou  des  autres 
droits  du  roi  \  Ils  devaient  assister  à  l'instruction  et  au  juge- 
ment des  causes  où  le  roi  était  intéressé;  ils  étaient  assistés 
d'un  avocat  \  Ils  n'intentaient  de  procès  criminels  que  dans 
les  cas  royaux,  tels  que  violations  de  la  paix  puhlique*,  et  cela 
concurremment  avec  les  prévôts  et  les  bailiis";  mais  il  ne  fau- 
drait pas  croire  que  la  poursuite  des  crimes  privés  fût  négligée 

1  Procureurs  flu  roi  on  Pcrigord  eu  1313,  Olim ,  t.  III,  p.  855;  au  bail- 
liage de  Bourges  en  1314,  ihid.,  p.  914;  au  bailliage  de  Touraine  en  1313, 
ibid.,  p.  8G8;  daus  la  jugcric  de  Verdun  en  1313,  ihid.,  p.  807  et  903,  etc. 

2  Ordonnance  de  1303,  §  20,  Ord.,  t.  I,  p.  41G  (1303). 

3  Olim,  t.  III,  p.  613  (en  1310). 

^  »  .Indices  in  causis  fiscalibus  facicnt ,  procuratorc  régis  présente,  cum 
advocato  suo.  lî  Olim,  t.  III,  p.  66. 

5  En  1311,  le  procureur  du  roi  en  Auvergne  accusa  le  vicomte  de  Polignac 
d'avoir  attaque  la  nuit  un  village  appartenant  à  l'église  de  Brioude.  Olim, 
t.  III,  p.  667. 

6  Voyez  un  prévôt  qui  intente  au  parlement  un  procès  contre  une  com- 
mune, pour  rébellion  (1310).  Olim,  t.  III,  p.  611.  Voyez  pourtant  un  procès 
intenté  par  le  procureur  du  roi  contre  un  meurtrier.  Trésor  des  chartes , 
Reg.  XLI,  fol. ^112  (1309). 


LIVRE  HUITIÈIME.  —  ORGAXISATIOX  JUDICIAIRE.  21» 

par  le  pouvoir  royal  :  non;  elle  n'était  pas  confiée  aux  procu- 
reurs du  roi,  mais  aux  baillis  et  aux  prévôts  \  Le  premier 
retristre  criminel  du  parlement  fait  de  fréquentes  mentions  de 
poursuites  d'office,   «  ex  officio  «  . 

L'ordonnance  de  1278,  après  avoir  fixé  les  règles  à  suivre 
par  les  avocats  dans  leurs  plaidoiries  au  parlement,  ajoute  : 
«Ez  causes  à  oyr,  parlera  tant  seulement  le  baillis  derraine  (der- 
nier), se  il  n'advient  que  à  lui  dévoyant  soit  nécessairement 
amendement  de  son  recors.  "  Les  baillis  avaient  donc  la  parole 
les  derniers,  comme  de  nos  jours  le  ministère  public;  on  les 
appelait  alors  gens  du  roi ,  et  ils  avaient  au  parlement  un  banc 
appelé  banc  des  gens  du  roi,  qui  fut  plus  tard  occupé  par  le 
procureur  et  les  avocats  du  roi ,  lesquels  reçurent  eux-mêmes 
ce  titre  de  gens  du  roi. 

La  complication  de  la  procédure  et  la  multiplicité  des  cou- 
tumes nécessitèrent  pour  les  plaideurs  le  concours  d'hommes 
versés  dans  la  connaissance  des  lois,  surtout  devant  le  parle- 
ment. En  1274^,  Philippe  le  Hardi  avait  fait  des  statuts  sur  la 
profession  d'avocat.  Les  avocats,  établis  auprès  du  parlement, 
des  bailliages  et  des  autres  tribunaux  royaux,  renouvelaient 
chaque  année  le  serment  de  ne  point  se  charger  de  causes 
injustes,  et  même  d'abandonner  celles  dont  ils  reconnaîtraient 
plus  tard  l'injustice.  Leur  salaire  était  fixé  suivant  la  difficulté 
de  la  cause  et  le  talent  de  l'avocat;  en  aucun  cas,  il  ne  pouvait 
excéder  trente  livres  ^  L'ordonnance  de  1278  leur  défendit 
d'alléguer  le  droit  romain  «là  où  coutumes  ayent  lieu,  mais 
usent  de  coutumes--);  de  répéter  ce  qu'un  de  leurs  confrères 
aurait  dit  à  l'audience,  dans  l'intérêt  de  la  même  cause, 
«mais  d'adjouter  quelque  chose  de  nouveau,  s'il  y  avoit  à 
adjouter  « ,  ce  qui  prouve  que  plusieurs  ai'ocats  plaidaient 
quelquefois  dans  la  même  causée  L'ordonnance  de  121)1 
reproduisit  ces  règles  et  en  ajouta  de  nouvelles.  Ils  purent  être 
punis  comme  parjures  s'ils  citaient  les  coutumes  à  faux.  Leur 

1  En  1311 ,  le  bailli  de  Créci  accuse  une  femme  d'avoir  empoisonné  son 
mari  et  la  dénonce  au  parlement.  Olim ,  t.  III,  p.  678. 

2  OrcL,  t.  I,  p.  300. 

3  «L  \'ul  avocat  ne  ose  recorder  ou  recommencier  ce  que  son  compaignon, 
à  qui  il  aydcra,  aura  dit.  j  Ord.,  t.  XII,  p.  1. 


220  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

absence  ircmpètliait  pas  le  prononcé  du  jugement  '.  L'ordon- 
nance de  121)0  leur  recommanda  de  plaider  hrièvcment  et 
lionnètemenl  ". 

Ils  se  multiplièrent  et  devinrent  une  puissance  sous  Philippe 
le  liel,  au  scandale  de  la  noblesse  et  à  l'étonnement  du  peuple. 
Le  bourgeois  Geoffroi  de  Paris  s'écrie  : 

En  Franco  a  tons  plein  d'avoquas  : 
Les  chevaliers  de  bons  estais, 
Qui  France  voient  trestournéc 
Et  en  serveté  atournée , 
Vident  le  pais  et  s'en  vont"^ 

La  profession  d'avocat  devint  dès  lors  un  degré  pour  parvenir 
aux  plus  hautes  dignités:  Flote,  Nogarct,  Plasian,  qui  furent 
ministres,  étaient  de  simples  légistes  qui  avaient  préludé  par 
l'étude  des  lois  et  les  luttes  du  barreau. 

Pendant  longtemps  les  notaires  ou  greffiers  des  tribunaux 
rédigèrent  les  actes  de  la  juridiction  contentieuse  et  de  la  juri- 
diction volontaire.  Dans  le  Alidi,  il  y  eut  dès  le  douzième 
siècle  de  véritables  notaires  ou  tabellions,  dont  le  seing,  sorte 
de  paraphe  représentant  ordinairement  un  losange  ou  une 
circonférence  accompagnée  de  barres  et  de  points,  donnait 
l'authenticité  aux  actes*.  Dans  le  Nord,  ce  qui  rendait  les 
actes  authentiques,  c'était  l'apposition  du  sceau  d'une  juri- 
diction royale  ou  seigneuriale.  Le  notaire  était  donc  un  simple 
écrivain.  Sous  le  même  règne  on  établit  dans  un  grand  nombre 
de  bailliages  et  de  prévôtés  des  sceaux  spéciaux  pour  sceller 
les  actes  passés  devant  notaires,  appelés  sceaux  aux  contrats, 
pour  les  distinguer  des  autres  sceaux  qui  furent  désignés  sous 
le  nom  de  sceaux  aux  causes  ^ 


»  Ord.,  1.  I,  p.  322. 

2  Ord.,  t.  XII. 

•''  G.  de  Paris,  v.  1781  et  suiv. 

'»  Voyez  donation  à  Xarbonne  en  1178,  rédijjéc  par  «  Johannes  Ademari, 
p;il)liciis  Narbonc  taboUio,  lioc  scripsif  d  .  Bibl.  imp.,  Doat ,  t.  LVII,  p.  137. 
Oiijjinaux  d'actes  de  notaires  dn  treizième  siècle,  Trésor  des  chartes ,  layette 
(le  Languedoc,  passim,  et  Reg.  XXI. 

•'  Beaumanoir,  t.  I,  p.  42  (édit.  Beugnot). 


LIVRE  HUITIÈME.  —  ORGAXISATION  JIDICIAIRE.  221 

En  1291,  Philippe  déclara  avoir  seul  le  droit  d'instifuer  des 
notaires,  mais  le  20  mars  de  l'année  suivante  il  fut  obligé  do 
le  reconnaître  aux.  seigneurs  dans  leurs  terres  \  Enfin,  une 
ordonnance  du  mois  de  juillet  1304  compléta  la  législation  sur 
les  notaires.  J'ai  trouvé  de  grands  secours  pour  l'intelligence 
de  ce  document,  dans  l'e.xamen  de  registres  de  notaires  un 
peu  postérieurs,  il  est  vrai,  mais  rédigés  d'après  les  principes 
de  l'ordonnance  de  1304.  Les  notaires  ou  tabellions  (ces  deux 
mots  étaient  alors  synonymes)  inséraient  dans  leurs  carlulaires 
ou  protocoles  la  substance  des  actes  qui  leur  étaient  demandés 
par  les  parties;  s'ils  n'étaient  pas  au  lieu  de  leur  résidence 
et  s'ils  n'avaient  pas  avec  eux  leur  registre,  ils  rédigeaient 
la  minute  en  présence  des  contractants,  et  la  transcrivaient 
ensuite  dans  leur  cartulaire.  Les  registres  devaient  être  en 
bon  papier,  l'écriture  lisible,  sans  abréviations  ni  grandes 
marges  :  les  notaires,  en  cas  de  décès  leurs  héritiers,  étaient 
tenus  de  transmettre  à  leurs  successeurs  les  protocoles.  Les 
noms  et  les  signatures  étaient  enregistrés  dans  les  tribunaux 
du  roi  pour  qu'on  put  vérifier  l'authenticité  des  actes.  Un 
article  portait  que  les  notaires  ne  pourraient  être  bouchers  ni 
barbiers.  Les  tabellionnages  s'achetaient^  :  les  fils  de  notaires 
succédaient  à  leur  père,  mais  s'ils  refusaient  ou  étaient  inca- 
pables, ils  touchaient  la  moitié  du  prix  de  vente  de  l'office. 
Dans  les  lieux  où  le  roi  était  seul  seigneur,  les  notaires  sei- 
gneuriaux ne  pouvaient  instrumenter  sous  peine  de  faux  ^ .  Les 
sceaux  aux  contrats  étaient  confiés  à  des  gardes  du  sceau  qui 
affermaient  cette  charge  et  qui  étaient  quelquefois  des  ecclé- 
siastiques *.  Philippe,  pour  augmenter  ses  revenus,  défendit 

1  Ord. ,  t.  XI ,  p.  371.  —  Voici  la  formule  du  serment  qu'on  foisait  prêter 
aux  notaires  royaux  :  n  Juro  ego  notarius  quod  ero  fidelis  domino  mec 
Philippo  D.  G.  R.  F.,  illustri  et  heredi  suo  régi  Francie,  pcrsonam,  honorem, 
statum  et  jura  ipsius  et  regni  sui  in  hiis  que  ad  meum  spectant  officium  pro 
posse  mec  diligcnter  obsenabo  (1304).  »  Reg.  XXXV  du  Trésor  des  chartes , 
fol.  78. 

-  Ordre  aux  sénéchaux  du  Alidi  de  vendre  à  plus  juste  prix  les  offices  de 
notaires.  Bibl.  imp.,  Doat,  t.  CLV,  p.  293  (3  février  1290  v.  s.). 

•>  Ord.,  t.  I,  p.  416  et  suiv. 

''  Le  garde  du  sceau  de  la  sénéchaussée  de  Poitou  était  en  1308  un  cha- 
noine de  Saiute-Radegonde.  Trésor  des  chartes ,  Reg.  XLIV,  n»  165. 


222  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

d'ajouter  foi  aux  actes  non   scellés,   même  dans  le  Midi,  où 

jusqu'alors  la  signature  des  notaires  avait  suffl. 

L'ordonnance  de  1304  s'occupait  aussi  des  jjrefGers  des  tri- 
bunaux cl  leur  enjoignait  d'écrire  les  procès  dans  des  registres, 
qu'ils  remettaient  entre  les  mains  des  juges.  Ils  entendaient 
aussi  les  témoins  \ 

Le  greffe  du  parlement  reçut  une  organisation  définitive.  La 
transcription  des  arrêts  sur  des  registres,  commencée  officieu- 
sement sous  saint  Louis  par  Jean  de  Montiuçon,  fut  érigée 
en  règle  sous  Philippe  le  Bel.  Il  y  eut  plusieurs  séries  de 
registres  répondant  aux  principales  matières  :  la  collection  des 
jugés  ou  arrêts  rendus  sur  enquête,  celle  des  arrêts  propre- 
ment dits,  enfin  les  registres  criminels;  ces  derniers  ne  com- 
mencent qu'en  1312.  Jusqu'à  cette  époque,  les  arrêts  criminels 
étaient  mêlés  aux  arrêts  civils^. 

'  Oi'd.,  t.  I,  p.  417.  En  conséquence  de  cette  ordonnance,  il  prescrivit  de 
faire  des  sceaux  et  de  les  confier  à  des  personnes  qui  rendissent  un  compte 
exact  de  ce  qu'ils  produiraient.  Bibl.  inip.,  Doat ,  t.  CLV,  p.  244  (samedi 
avant  les  Rameaux  1291  n.  s.). 

-  Notes  prises  sur  les  registres  originaux  déposés  aux  .Archires  de  l'Em- 
pire. L'histoire  des  origines  du  greffe  du  parlement  sera  traitée  avec  les  plus 
grands  détails  par  M.  Griin,  chef  de  la  section  judiciaire  aux  Archives  de 
l'Empire,  en  tète  du  premier  volume  de  \ Inventaire  analytique  des  registres 
du  parlement ,  dont  la  rédaction  nous  a  été  confiée.  Le  premier  vohnne  des 
Olim  est  le  plus  ancien  registre  du  parlement  non-seulement  qui  soit  connu , 
mais  encore  qui  ait  existé  ;  en  effet ,  un  registre  signalé  dans  la  Bibliothèque 
de  l'École  des  chartes,  3«  série,  t.  III,  p.  376,  comme  renfermant  des 
enquêtes,  registre  actuellement  perdu,  n'était,  selon  toute  vraisemblance, 
qu'un  recueil  d'actes  divers,  parmi  lesquels  figuraient  des  actes  judiciaires. 


LIVRE  NEUVIEME. 

A  D  M I  A'  I  s  T  R  A  T I  0  X    F  I  X  A  \  C I  È  R  E. 


CHAPITRE  PREMIER. 

COMPTABILITÉ    DES    BAILLIS. 

Règles  générales  de  comptabilité.  —  Les  baillis  considérés  comme  agents 
financiers.  —  Différentes  circonscriptions  financières.  —  Manière  dont  s'opé- 
raient les  recettes  dans  cbaque  bailliage.  —  Receveurs  provinciaux.  — 
Fermiers  d'impôts.  —  Transports  des  deniers  publics. 

On  ne  connaît  pas  de  règlement  du  temps  de  Philippe  le  Bel 
qui  fixe  la  manière  dont  les  revenus  ordinaires  et  extraordi- 
naires parvenaient  dans  les  coffres  du  roi ,  ni  les  principes  qui 
présidaient  à  la  répartition  des  dépenses.  Une  ordonnance  de 
Philippe  le  Long  sur  le  Irésor,  en  date  du  3  janvier  1317  ', 
insérée  dans  une  ordonnance  du  même  roi,  relative  à  l'orga- 
nisation de  l'hôtel  (8  juillet  1318  et  10  juillet  1311))'-,  donne 
sur  ce  sujet  quelques  notions  incomplètes  et  insuffisantes.  En 
outre,  il  n'est  pas  certain  que  ce  document  reproduise  exacte- 
ment ce  qui  se  passait  auparavant.  On  ne  saurait  trop,  quand 
on  s'occupe  de  l'histoire  de  l'administration,  porter  une  scru- 
puleuse attention  à  ne  pas  confondre  les  époques.  De  ce  qu'on 
voit  une  institution  en  vigueur  en  telle  année,  on  ne  doit  pas 
conclure  qu'elle  existait  quelques  années  auparavant.  Celte 
règle  s'applique  surtout  aux  périodes  de  transition  et  de  réor- 
ganisation, telles  que  celle  qui  nous  occupe.  Philippe  le  Long 
fit  autre  chose  que  de  consacrer  par  des  ordonnances  ce  qui 
se  pratiquait  du  vivant  de  Philippe  le  Bel;  il  introduisit  des 
modifications  importantes,  surtout  dans  l'adminislration  finan- 
cière, qu'il  améliora.  Aussi  n'est-ce  pas  aux  ordonnances  de 

1  Ord.,  t.  I,  p.  628. 

2  Or<i.,  t.  I,  p.  656. 


224  LA  FRAXCi:  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

ce  prince  que  nous  demanderons  de  nous  faire  connaître  les 
institutions  financières  du  règne  précédent.  Nous  avons  uni- 
quement consulte  les  documents  contemporains,  dont  la  plu- 
part sont  encore  inédits.  Xous  avons  adopté  pour  les  finances 
la  même  marche  que  pour  la  justice.  Mous  montrerons  par 
quelle  voie  les  deniers  entraient  dans  les  coff'res  du  roi,  et  par 
quelles  mains  ils  passaient,  en  sortant  des  poches  du  contri- 
huahle,  |i()iir  arriver  au  trésor  central. 

Pour  bien  comprendre  ce  mécanisme,  il  faut  rejeter  toute 
préoccupation  de  ce  qui  se  passe  de  nos  jours,  et  ne  pas  s'at- 
tendre à  d'habiles  combinaisons.  Rien  de  plus  sir\iple  que  le 
système  financier  du  treizième  siècle  :  le  budget  de  l'Etat  ne 
reposait  pas  encore  sur  le  produit  d'impôts  nombreux  et  variés. 
Le  roi  vivait  de  ses  revenus  comme  un  simple  seigneur.  Cet 
état  de  choses  commença  bien  à  se  modifier  sous  Philippe  le 
Bel,  mais  l'ancienne  comptabilité  fut  conservée. 

Dans  chaque  bailliage,  le  bailli  était  à  la  fois  receveur, 
payeur  et  comptable.  Il  recueillait  les  revenus  de  son  bailliage, 
tels  que  fermes  des  prévôtés,  produit  des  amendes,  revenus 
en  nature  et  en  argent;  prélevait  sur  ces  revenus  les  sommes 
nécessaires  pour  solder  les  dépenses  de  la  province  qu'il  diri- 
geait, et  envoyait  le  surplus  à  Paris,  au  trésor,  pour  être 
affecté  aux  besoins  du  roi  et  de  l'Etat.  Toutes  les  recettes  ordi- 
naires devaient  passer  par  ses  mains.  On  trouve  pourtant  quel- 
ques exemples  de  sommes  portées  directement  au  trésor,  mais 
c'étaient  là  des  irrégularités  '. 

La  France  financière  était  divisée  en  plusieurs  circonscrip- 
tions :  la  France  proprement  dite,  la  Nojmandie,  les  domaines 
du  comte  Alphonse,  les  trois  sénéchaussées  de  Beaucaire,  de 
Carcassonne  et  de  Périgord*;  il  faut  ajouter  la  Champagne'. 

Chacune  de  ces  circonscriptions  obéissait  à  des  règles  diffé- 

^  e  De  Gonlerio  servicnte  rogis  in  comifalii  Aiigi ,  pro  explectibiis  ibi 
xvii  lib.,  cont.  super  balliviim  ("aicti.  t  3  janvier  1300.  Journal  du  trésor, 
fol.  3  v'\ 

-  Inventaire  (le  R.  Mi<|non.  ^  Domania  Franciœ,  Xonnandiae,  Piciaviae, 
senescalliarum  Piilavia-,  seiiescalliaruni  Carcassonensis,  Bcllicadiensis  et  Petra- 
goricensis.  -  Hisi.oriens  de  France,  t.  X\I ,  p.  520  et  521. 

■^  Compte  original  dn  eointc  de  Champagne  pour  l'année  1287.  Bibl.  imp. , 
Mélancjes  Clairambaut ,  t.  IX,  p.  131. 


LIVRE  XELTIÈMK.  —  ADML\ISTRATîO.V  FIXAXCIÈRE.  225 
rentes,  qui  avaient  été  établies  lorsque  les  provinces  dont  elles 
étaient  lorniées  appartenaient  à  dos  feudataires.  Les  baillis  de 
France  rendaient  leurs  comptes  trois  fois  par  an,  à  l'octave  de 
l'Ascension,  de  la  Toussaint  et  de  la  Chandeleur'.  Ceux  de 
Xormandie  deux  fois,  aux  échiquiers,  qui  se  tenaient  à  l'octave 
de  Pâques  et  à  la  Saint-MicheP.  Ceux  de  Champagne  égale- 
ment deux  fois,  le  dimanche  avant  la  Madeleine  et  à  l'octave 
deNoëP.  Les  sénéchaux  de  l'ancien  domaine  du  comte  Alphonse 
suivaient  les  mêmes  règles  que  les  baillis  de  France  ;  ils  comp- 
taient trois  fois  par  an  *. 

Dans  tous  les  bailliages,  les  comptes  étaient  disposés  d'une 
manière  conforme,  qui  est  ainsi  formulée  dans  une  instruction 
de  la  chambre  des  comptes  au  bailli  de  Cottentin,  sans  date, 
mais  qui  paraît  avoir  été  rédigée  sous  Charles  le  Bel,  et  qui 
est  conforme  aux  documents  financiers  des  règnes  précédents. 

"    V    RECEPTES. 

«  Toutes  manières  de  dettes  en  un  chapitre;  —  domaines 
fieffés;  —  domaines  non  fiefTés;  —  seaus  et  escritures;  — 
gardes;  —  reléez  (reliefs),  treizièmes  et  choses  gaignées 
(épaves);  —  forfaitures;  —  amendes  et  exploits  (reçus)  par 
le  bailli  et  par  les  vicomtes;  —  amendes  d'eschiquier;  — 
amendes  de  parlement;  —  ventes  de  bois;  —  exploiz  d'iceuls; 
—  herberges  d'iceuls  ;  —  tiers  et  dangers  des  bois  ;  —  com- 
munes recettes  de  choses  qui  ne  doivent  estre  mises  entre  les 
tittres  dessus  nommés. 

«    2"    DÉ  PENCE. 

1)  Fiefs  et  aumosnes,  et  rentes  données  à  héritage;  — rentes 
deues  à  vie  et  à  volenté;  —  gaiges  de  baillis,  de  vicomtes,  de 

'  Bibl.  imp.,  comptes  des  prévoies  et  des  bailliages  de  France  pour  les 
années  1299  et  1305. 
^  Ord.,  t.  I,p.  461. 

3  u.  Compot.  terre  Campanie  a  dominica  antc  Magdalcnam  anno  1287, 
usque  ad  octab.  X'ativit.  Domini  sequentis.  s  Bibl.  imp.,  Clair.,  t.  IX,  p.  131. 

4  Comptes  originaux  de  1294  et  de  1299.  Arcb.  imp.,  K.  501.  —  Bibl. 
imp.,  roui,  originaux. 

15 


226  LA  FRWCl:;  SOIS  PHILIPPE  LL  BEL. 

sergonts,  advocals  et  autres  officiers;  dismcs  dciies  pour  j)ré- 
vôtés,  pour  bois,  terres  et  rentes;  —  vivres  des  lioirs  cstanz 
en  la  garde  du  roi  et  douaires;  —  eiivrez,  dons,  quittances  et 
successions;  —  deniers  haillés  à  commissaires  et  autres  per- 
sonnes qui  seront  tenus  de  compter  ers  et  de  montrer  comment 
ils  sont  deppendus  (dépensés);  terres  achetées  en  payement  de 
debtes  deues  au  roy  ;  deniers  payés  pour  le  roi  actjuiller  de 
debtes;  —  despens  communs,  c'est  à  savoir  plait  d'Église, 
messages  envoyez,  justice  faite,  pain  de  prisonniers,  malfai- 
teurs (juerre  et  pendre,  et  autres  raesnuz  dcspenz  touz  en- 
semble '.  « 

Un  compte  des  prévôtés  et  des  bailliages  de  France,  de 
l'an  1209',  et  un  autre  de  l'an  1305,  deux  comptes  de  l'apa- 
nage d'Alphonse,  de  1294  et  de  1291),  renferment  tous  les 
éléments  que  je  viens  d'indiquer,  mais  groupés  par  chapitres. 
—  Les  receltes  se  subdivisent  en  :  1"  domaine,  renfermant  les 
prix  de  ferme  des  prévôtés,  des  péages,  moulins,  baux  de 
terre,  cens,  sceaux  et  tahellonnagcs,  foires;  2"  rachats  et  echoî- 
tes  comprenant  les  recettes  provenant  des  fiefs;  3°  amendes  et 
exploits  (chaque  amende  est  énoncée  au  dos  du  rouleau); 
4"  recettes  diverses  et  gages.  Ces  comptes,  qji  entrent  dans  les 
plus  petits  détails,  sont  d'un  haut  intérêt  pour  l'histoire  des 
mœurs.  Les  chapitres  consacrés  aux  amendes  sont  singulière- 
ment instructifs. 

La  division  des  pouvoirs  tendait  dès  lors  à  s'établir.  Les 
baillis,  en  raison  de  leurs  nombreuses  attributions,  ne  pou- 
vaient donner  une  attention  soutenue  aux  différentes  branches 
de  l'administration.  Depuis  longtemps  ils  préposaient  un  clerc 
ou  secrétaire  nommé  et  révoqué  par  eux ,  <à  la  gestion  des 
finances.  Sous  Philippe  le  Bel,  on  essaya  de  faire  de  ce  clerc 
un  agent  royal,  surveillé  il  est  vrai  par  le  bailli,  mais  soustrait 
à  son  arbitraire.  L'établissement,  dans  chaque  bailliage  ou 
sénéchaussée,  d'un  comptable,  ne  fut  pas  uniforme.  Dans  les 
deux  comptes  des  bailliages  de  France  des  années  1299  et  1305, 
déjà  cités,  il  n'est  pas  fiiit  mention  de  receveurs,  sauf  à  Paris'. 

1  Hist.  de  France,  t.  XXI,  p.  .518. 

-  Siippl.  latiu,  4743,  3. 

•^  C'est  donc  à  tort  que  Briisscl  a  prélcndii  qu'en  1282  on  avait  établi  un 


.  LIVRE  XELVIEilE.  —  ADMIMSTRATIOX  FIXAXCIERE.  227 
Cependant  on  trouve  dans  certaines  provinces,  notamment 
dans  les  sénéchaussées  du  Hlidi,  des  receveurs  relevant  direc- 
tement des  trésoriers  royaux  et  de  la  Chambre  des  comptes 
chargés  d'effectuer  les  recettes  '. 

Le  gouvernement  hésita  quelque  temps  avant  d'enlever  aux 
baillis  le  maniement  des  fonds.  Une  ordonnance  de  1306 
chargea  expressément  ceux  de  Normandie  de  faire  les  recettes 
de  leur  bailliage.  En  Champagne,  il  y  avait  des  receveurs 
généraux  pour  tout  le  comté  :  ils  recevaient  les  deniers  des 
mains  des  baillis'.  A  Toulouse,  outre  le  receveur,  on  trouve 
un  trésorier  du  roi  chargé  de  centraliser  les  recettes  du  Midi  ^. 
Dans  chaque  bailliage,  les  baillis  avaient  sous  leurs  ordres  des 
receveurs  subalternes  :  un  compte  de  1299  mentionne  des 
dépenses  faites  par  les  sous-baillis  et  les  receveurs  à  Loches  *. 

On  a  accusé  Philippe  le  Bel  d'avoir  donné  les  tailles  à  partie, 
c'est-à-dire  d'avoir  affermé  l'impôt.  11  l'a  fait  quelquefois  pour 
les  revenus  extraordinaires  et  même  pour  les  recettes  ordi- 
naires à  des  compagnies  de  banquiers  italiens ,  notamment  aux 
deux  Florentins  Biccio  et  Muschiato  Guidi  ;  mais  ce  ne  fut  pas 
d'après  un  système   arrêté^.   La  science  financière  n'existait 

receveur  du  domaine  dans  chaque  bailliage.  En  1285 ,  les  baillis  de  Champaqnc 
comptèrent  directement.  Brussel  a  reconnu  lui-même  que  les  comptes  des 
années  1292,  1296,  1298,  avaient  été  rendus  par  les  baillis  seuls.  Il  a  cru 
pouvoir  expliquer  cette  cniitradiction  en  constatant  l'existence  de  receveurs. 
Mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  vis-à-vis  du  roi  le  seul  comptable  fut  le 
bailli. 

1  ï  Compotus  Geraldi  Balcne ,  vallcti  et  rcceptoris  denarioruni  domini  régis 
in  senescallia  Petrafjoriceusis  et  Petragoricensis,  a  die  festivitatis  Xativitalis 
beati  Johannis  Baptiste  anno  1298.  —  Compotus  Symonis  Lovardi,  valleti  et 
receptoris  régis  in  senescallia  Tholosanc  et  Albiensis,  etc.  »  Arch.  de  l'Emp., 
comptes  originaux,  K.  501. 

-  Clairambaut,  Mélanges,  t.  IX,  p.  131. 

■^  a  De  Gaufrido  Gocatriz ,  reccptore  Tholose.  i  Journal  du  trésor,  p.  118 
(1301).  —  En  1311,  Xicolas  d'Ermcnovillc,  »  thesaurarius  régis  Tholose  ^, 
faisait  des  payements  pour  le  roi.  Trésor  des  chartes,  J.  421,  n»  11;  et 
Reg.  XLVlI,"n"45  (en  1312). 

^  i  Partes  cxpensarum  pcr  quosdam  subballivos  et  rcceptorcs  ballivie  apud 
Lochas.  1)  Bibl.  imp.,  supplément  français,  n"  4743  lis.  (Compte  original 
de  1299.) 

5  En  1290,  le  roi  ordonne  au  sénéchal  de  Carcassonnc  de  laisser  Bichio 
Guidi  et  Barthélémy  Barbedor,   »  de  societate  Friscobaldorum  et  Francen- 

15. 


228  LA  FRANCE  SOLS  PHILirPE  LE  BEL. 

pas,  les  besoins  de  l'Etat  étaient  la  seule  règle  qu'on  connût  : 
avoir  de  l'argent  le  plus  proniptement  possible  était  le  seul 
problènio  (ju'on  s'attacliàt  à  résoudre.  On  trouve  que  des 
décimes  lurent  affermés  |)ar  des  traitants  loml)ards,  mais  les 
faits  de  ce  genre  ne  se  produisirent  plus  dans  les  dernières 
années  de  son  règne,  au  temps  de  la  faveur  d'Enguerran  de 
Alarigny,  (jui  croyait  avoir  reconnu  le  piéjudice  que  les  fermes 
portaient  à  la  fois  à  l'Etat  et  aux  particuliers  :  à  l'Etat,  en  le 
forçant  d'acheter  fort  cher  des  avances  de  fonds ,  et  aux  parti- 
culiers en  leur  faisant  payer  des  surcroîts  d'impôts  qui  ne  profi- 
taient qu'à  des  étrangers. 

Les  comptes  donnent  des  renseignements  précis  sur  la 
manière  dont  les  deniers  étaient  apportés  au  trésor  :  les  baillis 
expédiaient  dans  des  caisses  et  dans  des  tonneaux  placés  sur 
des  charrettes,  les  espèces  telles  qu'ils  les  avaient  reçues  et 
sans  les  changer,  même  quand  il  s'agissait  de  monnaies  qui 
n'avaient  pas  cours  à  Paris,  tant  on  craignait  qu'ils  ne 
fissent  des  profits  sur  le  change.  Ils  ne  devaient  pas  non  plus 
laisser  s'accumuler  en  leur  possession  de  fortes  sommes;  ils 
transmettaient  aux  trois  grandes  époques  financières  les  comptes 
de  leur  recette  et  de  leur  dépense,  en  ayant  soin  d'indiquer  les 
sommes  qu'ils  avaient  envoyées  et  celles  dont  ils  restaient 
encore  débiteurs. 


CHAPITRE    DEUXIEME. 

TRÉSOR    ET    TRÉSORIERS. 

Il  y  avait  deux  trésors.  —  Trésor  du  Temple.  —  Trésor  du  Louvre.  — 
Trésoriers  de  France.  —  Journal  du  trésor.  —  Comptabilité  des 
trésoriers. 

Mais  c'étaient  seulement  les  deniers  formant  l'excédant  des 
recettes  sur  les  dépenses  des  bailliages  qui  étaient  portés  à 

tium,  D  etc.,  faire  la  recette  d'un  décime.  Jeudi  après  la  Saint-Barnabe.  BibL 
imp.,  Doat,  lôôl ,  p.  247.  Ordre  du  roi  aux  exécuteurs  de  la  dîme  de  1289 
d'enjoindre  aux  collecteurs  de  remcllrc  tes  deniers  qu'ils  recevraient,  à  Bichio 
Guidi,  <i  valleto  nostro  et  aliis  mercatoribus  de  societate  Scalarum  n .  Arch. 
imp.,  J.  938.  Février  1289  v.  s. 


LIVRK  XELVIÈME.  —  ADAIIXISTRATIOX  FIXAXCIÈRE.  229 
Paris,  au  trésor.  Le  trésor  était,  sons  Philippe  Auguste,  au 
Temple,  sous  la  garde  des  Templiers'.  Du  temps  de  saint 
Louis  c'était  encore  un  Templier  qui  remplissait  les  fonctions 
de  trésorier".  Sous  ce  prince,  le  Temple  était  aussi  le  lieu  où 
était  une  caisse  de  service  destinée  à  alimenter  les  dépenses 
de  riiôtel  du  roi  ^ .  Le  roi  ordonnait  les  payements  à  faire  à  ce 
trésor  particulier  par  le  trésorier  général.  Le  trésor  de  l'État 
paraît  être  resté  au  Temple  sous  Philippe  le  Hardi,  qui  ordonna 
à  tous  les  baillis  d'envoyer  leur  reliquat  au  Temple  à  Paris, 
au  trésorier*.  En  1287  la  comtesse  d'Alençon  donna  à  l'abbé 
de  Cîteaux  cent  livres  de  rente  à  prendie  au  Temple  sur  la 
recette  du  roi  ^ 

Sous  Philippe  le  Bel  on  trouve  deux  trésors.  On  a  prétendu 
qu'après  Philippe  Auguste,  les  deniers  furent  mis  au  palais 
pour  être  plus  à  la  proximité  de  la  chambre  des  comptes; 
qu'ils  en  furent  ôtés  vers  l'an  1300,  à  cause  des  nouvelles 
constructions  qu'Enguerran  de  Marigny  fit  faire  au  palais  et 
transférés  au  Temple,  où  ils  demeurèrent  jusqu'à  l'abolition 
des  Templiers  ®. 

Des  documents  inédits  permettent  d'affirmer  qu'il  y  eut 
simultanément  deux  trésors.  Dans  la  transaction  entre  Louis  le 
Hutin  et  ses  frères,  relativement  à  la  succession  de  Philippe 
le  Bel,  il  fut  stipulé  que  le  roi  abandonnait  tous  les  meubles 
de  son  père,  sauf  l'ancien  trésor,  le  nouveau,  et  les  joyaux  du 
Louvre  '' .  En  effet,  l'un  de  ces  trésors  était  au  Temple  et  l'autre 
au  Louvre.  Une  ordonnance  inédite  du  mois  de  janvier  1314-, 
que  je  reproduirai  en  entier  dans  le  cours  de  ce  travail,  en 
fournira  la  preuve.  La  plus  ancienne  mention  que  j'aie  trouvée 

1  Ovd.,  t.  I,  p.  18. 

-  Brussp],  Nouvel  usage  des  Jiefs ,  p.  428. 

^  Do  U'ailly,  Addition  au  mémoire  sur  les  tablettes  de  cire.  Bibl.  de 
l'Ecole  des  chartes,  3"  série,  t.  I,  p.  392.  —  Voyez  aussi  le  mémoire  prin- 
cipal de  W.  de  Wailly  sur  le  même  sujet.  Mém.  de  l'Acad.,  t.  XVIII, 
2^  partie,  p.  536  et  suiv. 

4  Ord.,  t.  I,  p.  290. 

°  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  148,  n"*  11  et  12;  et  série  des  Rois,  carton 
K.  34,  n"35-2. 

6  Fournirai,  Trésoriers  de  France,  p.  8. 

"  Or.  Trésor  des  chartes ,  .1.  403,  n"  20.  En  1314. 


230  LA  FRAYCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

(lu  trésor  du  Louvre  est  do  l'année  12î)7,  dans  une  donation 
du  roi  à  Robert  comte  de  Boulogne,  de  mille  livres  de  rente 
sur  son  trésor  au  Louvre  '.  Les  pensions  accordées  par  le  roi 
en  récompense  de  services  rendus  pendant  la  guerre,  étaient 
pareillement  assignés  sur  le  trésor  du  Louvre". 

Au  Louvre  était  le  trésor  de  l'Etat,  même  avant  L'JOO,  et  le 
Temple  était  la  caisse  de  la  maison  du  roi.  Ce  qui  le  prouve, 
c'est  que  les  assignations  faites  sur  le  Temple  à  |)arlir  de  1280 
sont  toutes  en  faveur  d'officiers  de  l'hôteP.  Le  Temple  conti- 
nuait à  payer  les  arrérages  des  rentes  constituées  précédem- 
ment et  déclarées  payables  au  Temple  *;  on  y  versait  même  quel- 
quefois le  produit  des  impôts  extraordinaires.  Le  8  mars  1303, 
le  bailli  de  Bourges  reçut  l'ordre  de  faire  porter  au  Temple 
les  sommes  provenant  des  bénéfices  ecclésiastiques  vacants. 
En  juillet  de  la  même  année,  pareil  ordre  fut  envoyé  aux 
baillis  relativement  au  produit  du  subside  pour  la  guerre  de 
Elandre  \  Alais  en  règle  générale,  dès  l'an  1290,  le  Louvre 
parait  avoir  été  plus  spécialement  la  caisse  de  l'Etat.  C'était  là 
que  les  agents  cbargés  des  missions  diplomatiques  à  l'étranger 
recevaient  l'argent  qui  leur  était  accordé  **  ;  c'était  aussi  le 
Louvre  qui  comblait  les  déficits  des  baillis,  quand,  chose  rare, 
mais  qui  se  présenta  pourtant,  entre  autres  pour  le  bailliage 
d'Orléans,  en  1291),  les  dépenses  avaient  excédé  les  recettes  '. 

^  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  1V9,  n"  21.  En  1303,  Bcraud  do  Xarceuil 
vendit  au  chapitre  de  Laon  200  livres  de  rente  sur  le  trésor  du  Louvre  (J.  149, 
n"  132).  —  En  1302,  le  roi  ordonna  aux  surintendants  charjjés  de  surveiller 
la  levée  d'un  impôt  extraordinaire  d'envoyer  au  Louvre  les  sonnnes  qu'ils 
auraient  perçues.  [Ord.,  t.  I,  p.  350.) 

-  Don  à  G.  Risuick,  éclievin  de  Bruges,  de  20  livres  de  rente  en  récom- 
pense de  ses  services.  J.  423,  n°  17.  —  Idem,  à  P.  Petit,  de  Gand. 
K.  37,  n°  12. 

3  Arch.  de  l'Emp.,  K.  36,  n"  17  (mai  1289). 

'^  En  1291,  Simon  de  Dargies  vendit  à  Charles  de  Valois  une  rente  de 
50  livres  sur  le  Temple.  {Bill,  de  l'Ecole  des  chartes,  2«  série,  t.  IV,  p.  522.) 
—  Autre  vente  d'une  rente  sur  le  Temple  en  1297.  J.  149,  n"  22.  —  .Autre 
en  1296.  J.  149,  n»  2. 

5  Ord.,  t.  I,  p.  412. 

6  Bibl.  imp.,  suppl.  français,  n"^  4743  Z»/.?,  fol.  11.  »  Compotus  Johannis  de 
ilontigniaco  de  via  ad  ducem  Burgundie ,  recepta  de  Lupera ,  l\  libr.  "  (1299.) 

"  Bibl.  imp.,  suppl.  français,  n°  4742  bis,  fol.  11.  —  Cependant  eu  1305 


LIVRE  XELVIÈAIE.  —  AD.MI.VISTRATIOX  FIXAXCIERE.  231 
Dans  un  document  de  l'an  1301 ,  il  est  fait  mention  des  tré- 
soriers du  Louvre,  des  dépenses  laites  par  eux  en  lettres  et 
messagers  pour  se  procurer  des  deniers,  en  coffres,  bancs,  ver- 
rous, clefs,  balances,  bure  pour  recouvrir  des  comptoirs,  sacs, 
cordes,  encre  et  papier  qui  leur  étaient  nécessaires  au  Louvre  '. 
Il  y  avait  plusieurs  trésoriers  du  roi,  en  1291);  c'étaient 
l'abbé  de  Jouy,  maître  Pierre  la  Rêve  et  Guillaume  de  Hangest  ^. 
De  temps  à  autre,  mais  à  des  époques  qui  ne  paraissent  avoir 
rien  eu  de  fixe,  ils  rendaient  leurs  comptes  au  roi.  Sous  leurs 
ordres  étaient  des  changeurs  ^ 

La  comptabilité  de  ces  temps  anciens  reçoit  des  éclaircisse- 
ments d'un  journal  inédit  du  trésor,  dont  l'original  est  con- 
servé à  la  Bibliothèque  impériale  et  qui  va  de  Tannée  1298  à 
l'an  1307,  sauf  des  lacunes  *.  L'attribution  de  ce  registre  aux 
trésoriers  du  roi  est  mise  hors  de  doute  par  une  note  qui  se 
trouve  au  folio  126,  où  il  est  fait  mention  d'une  somme  due 
à  nous  trésoriers  ^  :  l'examen  des  opérations  financières  rap- 
portées dans  ce  volume  suffirait  d'ailleurs  pour  prouver  que 

le  déficit  (lu  même  bailliage  fut  comblé  par  le  Temple,  c  De  Templo,  pro 
expensis  ballivie  perficicndis  142  lib.  -  (Compte  de  1305.  Baluze.)  Dans  le 
même  compte  il  est  fait  mention  du  trésor  du  Louvre. 

1  a.  Thesaurarii  Lupare ,  pro  litteris  et  nunciis  missis  ad  procurandum  dena- 
rios  et  ad  quedam  alla  négocia  régis  expedienda...  pro  archis,  scamnis,  cla- 
vibus,  seris,  lignis  et  carbone,  stateris,  burellis  ad  cooperiendum  compiitatoria 
et  pro  eis  cooperiendis,  pro  saccis,  cordis,  papiro ,  incausto  et  aliis  niinutis 
necessariis  in  Lupara.  s  Journal  du  trésor,  2  juin  1302,  fol.  IIG  r°. 

2  tt  Abbas  Joyaci,  magistcr  Petrus  la  Revc  et  Guillclmus  de  Hangest,  tbe- 
saurarii,  pro  expensis  eundo  apud  Foliatam,  morando  pro  compotis  rcddendis 
per  iiii  dies.  s  Journal  du  trésor,  fol.  90  r°,  24  septembre  1299. 

•'  Compte  des  dépenses  de  l'échiquier  1301.  «  Campsores  thesauri  insimul, 
vu  lib.  X  s.  5  Journal  du  trésor,  112  v°. 

■i  Bibl.  imp.,  Suppl.  français,  4743  hîs. 

■'  »  Executores  predicti  magistri  Johannis  de  Capriaco  debent  nobis  tbesau- 
rariis  xlvii  lib.  "  Après  le  dernier  décembre  1301,  fol.  126.  C'est  un  registre 
in-4''  en  vélin,  à  deux  colonnes,  d'une  écriture  soignée.  Il  est  revêtu  d'une 
reliure  moderne.  Il  porte  au  dos  le  titre  suivant,  qui  est  peu  significatif  : 
Il  Anciens  manuscrits  chronologicjucs  et  généalogiques,  -n  Je  crois  qu'il  a 
appartenu  à  Clairambaull.  Je  ne  l'ai  trouvé  cité  nulle  part  :  cependant  Lriiain 
de  Tillcmont  et  Dncange  l'ont  connu;  ce  dernier  donne  (peuf-êfro  d'après 
Lenain)  des  détails  qui  en  sont  tirés  sur  les  fêtes  qui  signalèrent  la  canonisa- 
tion de  saint  Louis.  [Xotes  sur  l'Histoire  de  Joincille.) 


232  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

c'est  un  journal  du  trésor,  le  plus  ancien  document  de  ce  genre 
que  nous  connaissions.  Il  est  rédigé  en  langue  latine. 

A  chaque  jour  est  consacré  un  article  qui  se  divise  en  deux 
sections:  dans  la  première  sont  inscrits  les  payements,  dans  la 
seconde  les  recettes.  Les  noms  des  personnes  qui  touchaient 
sont  au  nominatif;  on  sous-entendait  le  mot  »  recepit  » .  Quand 
on  faisait  toucher  par  un  tiers  dûment  autorisé,  le  clerc  du 
trésor  indiquait  le  nom  de  ce  tiers  et  le  nom  de  la  personne 
dont  il  était  mandataire. 

Do  même  pour  les  versements  faits  au  trésor  :  ces  verse- 
ments étaient  indiqués  par  la  préposition  de,  suivie  du  nom  de 
l'agent  qui  opérait  le  versement.  On  établissait  ensuite  la  dif- 
férence entre  les  payements  et  les  recettes,  et  cette  différence 
était  évaluée  en  monnaie  parisis. 

A  ces  mentions,  on  en  trouve  jointes  plusieurs  autres  desti- 
nées à  conserver  le  souvenir  d'oj)érations  financières  qui 
demandent  à  êtr(^  expliquées.  J'ai  dit  précédemment  que  les 
haillis  envoyaient  au  trésor  seulement  l'excédant  des  recettes 
sur  les  dépenses  du  bailliage  ;  il  en  résultait  que  les  sommes 
versées  au  trésor  étaient  entièrement  applicables  aux  besoins 
généraux  de  l'État  et  à  l'entretien  de  l'hôtel  du  roi.  Mais  il 
arrivait  souvent  que  le  gouvernement  avait  besoin  d'argent 
dans  un  lieu  éloigné  de  Paris;  venir  chercher  au  trésor  les 
sommes  nécessaires  aurait  entraîné  des  retards  dangereux, 
surtout  quand  il  s'agissait  de  subvenir  aux  dépenses  ds  l'ar- 
mée. Alors  le  roi,  ou  le  surintendant  des  finances,  ou  bien  les 
trésoriers,  délivraient  un  mandat  sur  un  bailli  ou  sur  un  rece- 
veur '.  Lorsque  le  comptable  qui  avait  acquitté  un  de  ces  man- 
dats venait  rendre  ses  comptes  à  Paris,  on  déduisait  des  sommes 
dont  il  était  redevable  celles  qu'il  avait  ainsi  payées;  mais  les 
choses  ne  se  passaient  pas  aussi  simplement  qu'on  pourrait  le 
croire,  ou  du  moins  les  termes  qui  constatent  cette  opération 
dans  le  journal  du  trésor  sont  fort  obscurs. 

Prenons  un  exemple  : 

it  Cepiinus  super  regem,  pro  denariis  tradilis  pcr  ballivum 
Aurelianensem  Philippe,  filio  régis  Majoricarum,  pro  debitis 

^  Lundi  18  dccombre  1299.  Journal  (lu  trésor,  l'oL  2. 


•LIVRE  iVELVIÈJIE.  —  ADMIXISTRATIOX  FINAXCIÈRE.  233 
suis  solvendis,  cccc  libras  Parisiensium,  et  Jacobo  Lazari ,  civi 
Parisiens! ,  pro  vinis  ad  opiis  Hospicii  Régis  emendis  cccc 
libras  Parisiensium.  Et  reikUdimus  totum  eideni  ballivo  in 
corapoto  suo.  » 

Voici  comment  ce  passage  et  d'autres  analogues  peuvent 
s'expliquer,  à  ce  que  je  crois.  Le  bailli  d'Orléans  avait  remis 
quatre  cents  livres  à  l'infant  de  Majorque  pour  payer  ses 
dettes,  et  quatre  cents  livres  à  Jacques  Lazare,  bourgeois  de 
Paris,  pour  aclieter  du  vin  destiné  à  l'bôtel  du  roi.  Quand  il 
vient  rendre  ses  comptes,  il  a  un  déficit  de  huit  cents  livres, 
mais  il  présente  des  mandats  qu'il  a  acquittés  et  qui  se  montent 
à  pareille  somme.  Les  trésoriers  lui  rendent  ces  huit  cents 
livres,  qui  lui  permettent  de  verser  intégralement  le  produit 
de  sa  recette,  tel  qu'il  est  constaté  par  son  compte.  C'est  ce 
que  signifient  ces  mots  :  a  Reddidimus  totum  eidem  ballivo  in 
compoto  suo.  n  Mais  ce  n'est  pas  tout;  on  a  rendu  au  bailli  les 
sommes  qu'il  avait  avancées^  mais  il  n'eu  est  pas  moins  vrai 
que  ces  huit  cents  livres  ont  été  dépensées.  Par  qui?  au  profit 
de  qui?  Au  nom  du  roi.  C'est  donc  avec  l'argent  du  roi  que 
!a  restitution  s'opérera,  sur  les  fonds  qui  constituent  le  revenu 
de  l'Etat;  c'est  ce  qu'indique  cette  formule  :  «  Cepimus  super 
;egem  cccc  libr.  d  Alais  on  pense  bien  que  ces  restitutions 
n'avaient  pas  lieu  en  espèces,  et  qu'on  ne  prenait  pas  dans 
les  coffres  du  roi  huit  cents  livres  pour  les  donner  au  bailli 
d'Orléans,  afin  que  celui-ci  les  rendît  immédiatement. 

Quoique  la  comptabilité  fût  dans  l'enfance,  ce  procédé  était 
par  trop  primitif  pour  avoir  été  encore  en  vigueur  sous  Phi- 
lippe le  Bel;  cependant  il  pouvait  avoir  été  usité  à  une  époque 
plus  éloignée.  11  est  probable  qu'on  opérait  par  voie  de  com- 
pensation. Le  trésor  doit  huit  cents  livres  au  bailli,  le  bailli 
huit  cents  livres  au  trésor,  chacun  devient  quitte  envers  l'autre. 

Une  ordonnance  de  Philippe  le  Long  sur  le  trésor,  du 
3  janvier  (n.  s.),  renferme  un  article  ainsi  conçu  :  "  Nul  tour 
de  compte  ne  se  fera  par  lettre  ne  par  cédule,  fors  par  la 
cédule  des  gens  de  nos  comptes  «  .  Ces  tours  de  compte  répon- 
dent à  ce  que  nous  appelons  des  virements;  ils  consistent  dans 
le  transport  d'une  dette  active  à  celui  à  qui  on  doit  une 
pareille  somme.  Ils  étaient  aussi  en  usage  sous  Philippe  le  Bel, 


2.3V  LA  KRUCE  SOLS  PHILllTE  LK  DEL. 

ot  ilcvaiciit  (Mrc  autorisés  par  une  côdule  de  la  chambre  des 
comptes.  Pliisiouis  passages  du  journal  du  trésor  en  fournissent 
la  preuve ' .  n 

Le  lecteur  me  pardonnera  sans  doute  d'être  entré  dans  ces 
détails  techniques  et  arides,  qui  nous  initient  à  la  comptabilité 
en  usage  au  commencement  du  quatorzième  siècle,  et  nous 
l'ont  assister  aux  débuts  de  cette  science  de  manier  les  deniers 
publics,  qui  a  fait  de  nos  jours  de  si  grands  progrès.  Ces  com- 
mencements sont  humbles,  mais  ils  ne  sont  pas  méprisables. 
En  ne  transmettant  au  trésor  que  l'excédant  des  recettes  sur 
les  dépenses  de  chaque  bailliage,  on  assurait  la  rétribution 
des  différents  services.  En  outre,  l'emploi  de  l'argent  était 
soumis  à  un  contrôle  actif  et  intelligent  de  la  part  de  la  chambre 
des  comptes,  dont  l'autorité  souveraine  contenait  dans  le  devoir 
les  agents  du  fisc,  vérifiait  tout  et  maintenait  un  ordre  sévère 
dans  les  différentes  branches  de  l'administration  des  finances. 


CHAPITRE    TROISIEME. 

CHAMBRE     DES     COMPTES.   ÉCHIQUIER. 

Orijjine  de  la  chambre  des  comptes  de  Paris.  —  cliainbre  des  Comptes  de 
Xîmes.  —  La  chambre  des  comptes  de  France  séparée  entièrement  du 
parlement.  —  Ordonnances  à  ce  sujet.  —  Fondions  administratives  de  la 
chambre.  —  Son  conflit  avec  les  trésoriers.  —  Sa  juridiction.  —  Echiquier 
de  X'ormandie. 

Toute  la  comptabilité  de  l'Etat,  celle  des  baillis,  des  tré- 
soriers, des  receveurs  d'impôts  extraordinaires,  était  soumise 

'  il  Cepimns  super  regem  per  cedulam  camere ,  pro  vicedomino  Cathalau- 
nensi  milite,  pro  rcsiduo  vadiorum  suorum  in  excrcitu  Flandrie,  170  lib. 
Tuf.  quas  idem  miles  dcbebat  Sonnio,  judeo  de  Castro  Thierrici,  et  reddidi- 
mos  régi  de  emenda  ejusdem  Sonnii.  »  Ce  qui  s'explique  ainsi  :  le  vidame 
de  Chàlon  avait  sur  le  Trésor  une  créance  de  170  livres  tournois,  pour  ses 
{•âges  pendant  la  guerre  de  Flandre  :  il  devait  une  pareille  somme  à  un  juif 
(le  Château-Thierry;  ce  juif  lui-même  était  débiteur  du  roi.  Une  cédule  de  la 
ciianibre  ordonna  un  loin'  de  compte ,  au  moyen  (hupiel  le  vidame  ne  toucha 
pas  170  livres,  mais  fut  libéré  de  sa  dette  envers  le  juif,  sauf  à  établir  un 
nouveau  tour  de  compte. 


LIVRE  XELVIÈMi:.  —  ADAIIMSTRATIOX  FIX.AXCIÈBE.        235 

à  la  surveillance  et  à  la  vérification  d'un  corps  spécial,  delà 
chand)re  des  comptes. 

C'est  à  Philippe  le  Long  qup  l'on  doit  le  plus  ancien  règle- 
ment pour  celte  grande  institution,  mais  elle  était  établie  et 
organisée  dès  le  règne  précédent.  Au  treizième  siècle  elle  n'était 
point  distincte  du  conseil  du  roi,  qui,  lorsqu'il  se  réunissait  aux 
principales  fêtes  de  l'année  pour  rendre  la  justice,  s'occupait 
aussi  des  finances  et  de  la  conservation  du  domaine  royal.  Dès 
saint  Louis  les  questions  de  finances  ne  furent  pas  portées 
devant  tous  les  membres  de  la  cour  du  roi,  mais  seulement 
devant  un  certain  nombre  d'entre  eux  qui  étaient,  selon 
l'expression  en  usage,  députés  aux  comptes,  sans  cesser  de 
faire  partie  de  la  cour  du  roi  qui  retenait  en  principe  la  con- 
naissance des  causes  fiscales  et  domaniales  '. 

Le  plus  ancien  document  où  apparaisse  le  mot  de  chambre 
des  comptes  est  un  mandement  du  20  avril  1309,  adressé  au 
bailli  de  Rouen*.  Cependant  on  la  vit  désignée  dès  1299,  sous 
le  nom  de  chambre  aux  deniers  ',  dans  un  texte  où  il  ne 
peut  être  question  de  la  caisse  particulière  de  l'hôtel  du  roi, 
qui  s'appelait  aussi  chambre  aux  deniers,  car  dans  le  docu- 
ment qui  renferme  cette  mention,  il  s'agit  d'une  enquête 
expédiée  par  la  chambre  aux  deniers,  c'est-à-dire  d'une  pro- 
cédure qui  rentrait  dans  les  attributions  de  la  chambre  des 
comptes  et  qui  ne  saurait  s'appliquer  à  la  chambre  aux  deniers 
de  la  maison  du  roi,  laquelle  n'avait  aucune  espèce  de  juiidic- 
tion.  Dans  ce  passage,  chambre  aux  deniers  est  évidemment 
synonyme  de  chambre  des  comptes.  La  même  dénomination  se 
trouve  dans  plusieurs  autres  documents  contemporains,  entre 
autres  dans  un  jugement  de  l'an  1303  \ 

Je  dois  signaler  un  fait  bizarre,  c'est  qu'il  y  avait  une  cham- 
bre des  comptes  à  \îmes  dès  1295  \  C'était  sans  doute  une 

1  Olim,  t.  I,  p.  347.  Conf.  Olim,  t.  II,  préface,  p.  xvi. 

^  Ord.,  t  I,  p.  461. 

•'  i  Inqucsia  super  destriictione  moleiiclinoruni  pcr  cameram  dciiarioriim 
expedita.  i>   Olim.  t.  III,  p.  13  (1299). 

4  Olim,  t.  III,  p.  119. 

^  On  en  trouve  la  preuve  dans  une  pièce  imprimée  dans  ï Histoire  de 
Nîmes  de  Mcsnard,  que  j'ai  collationnée.  Elle  est  transcrite  dans  un  registre 


236  LA  FRAXCE  SOI  S  PHILIPPE  LE  BEL. 

trésorerie  royale  qu'on  avait  êlahlie  dans  cette  ville,  où  il  y  avait 
un  grand  mouvement  commercial  par  suilo  de  la  présence  des 
nombreux  marchands  italiens  (jiii  y  résidaient. 

Sous  Philippe  le  Bel  la  chambre  des  comptes  de  Paris  fut 
transférée  du  Temple  où  elle  siégeait  jadis,  au  palais  de  la  Cité. 

Pendant  longtemps  la  chambre,  quoique  sédentaire  de  fait, 
était  exposée  à  des  dépiaceracnts  pour  se  rendre  auprès  du  roi. 
D'anciens  comptes  de  la  fin  du  treizième  siècle  fixent  même  le 
nombre  des  chevaux  qu'on  leur  fournissait.  Chaque  maître  avait 
à  sa  disposition  trois  chevaux  et  chaque  petit  clerc  un  cheval, 
et  pour  chaque  cheval  une  couverture  de  lin  pendant  l'été,  de 
laine  pendant  l'hiver,  et  une  bride,  le  tout  pris  dans  les  écuries 
royales  '.  En  1308  la  chambre  se  transporta  à  Vincennes  auprès 
du  roi. 

On  a  peu  de  renseignements  sur  sa  composition  avant  Philippe 
le  Long.  On  voit  pourtant  trois  classes  de  fonctionnaires,  les 
seigneurs,  les  maîtres  et  les  clercs. 

Une  ordonnance  sans  date,  mais  qui  est  certainement  du 
temps  de  Philippe  le  Bel,  puisqu'il  y  est  question  du  Temple, 
apprend  que  certains  grands  seigneurs  assistaient  à  l'audition 
des  comptes,  et  une  fois  les  comptes  ouïs  allaient  au  parlement 
ou  bien  là  où  leur  service  les  appelait*. 

Les  attributions  du  conseil,  du  parlement  et  de  la  chambre 
des  comptes,  n'étaient  pas  encore  bien  définies,  puisqu'on  voit 
les  mêmes  personnages  siéger  au  parlement  et  à  la  chambre 
des  comptes. 

Une  autre  ordonnance  aussi  sans  date,  mais  antérieure  à  1300, 
édicté  des  mesures  pour  remédier  au  désordre  que  ces  grands 
seigneurs  apportaient  dans  les  fonctions  des  gens  des  comptes. 

original  dans  lequel  le  sénéchal  de  Bcaiicairc  fit  inscrire  de  l'an  1294  à  1299, 
à  mesure  qu'il  les  reccrait ,  les  actes  émanés  de  l'autorité  royale  qui  lui 
étaient  envoyés  directement  ou  présentés  par  ceux  qui  les  avaient  obtenus. 
Bibl.  imp.,  n»  10312. 

1  li  Quiiibef  magistcr  habct  rcstaurum  trium  cquorum...  et  quilibet  parvus 
clericus,  habet  rcstaurum  unius  oqui ,  et  insculiferia  récipient  coopcrturas 
dictoruni  equoruni  lineas  pro  estalc  et  lanças  pro  hicme,  una  cum  singulis 
capistris.  t-  Rcg.  7,  fol.  126,  cité  dans  Mémoire  pour  la  chambre  des 
comptes.  Paris,  1780,  in-4",  p.  232. 

-  Mémoire  pour  la  Chambre  des  Comptes ,  p .  243. 


.  LIVRE  AELVIEAIE.  —  ADJilXISTP.ATIOX  FI\AACII':RE.  237 
tt  Se  nos  grands  seigneurs,  «  dit  le  roi,  <;  oti  les  trésoriers  vou- 
loient  conseiller  ou  parler  sur  une  autre  besoingne,  fust  sur 
le  fait  du  trésor  ou  autrement,  que  il  allassent  en  une  autre 
chambre  pour  ce  que  par  ce  ceulx  d(  s  comptes  ne  fussent  point 
empeschés.  ;>  On  discutait,  et  les  discussions  prenaient  tout  le 
temps  et  empêchaient  d'expédier  les  baillis  et  les  sénéchaux, 
qui  étaient  obligés  de  faire  à  Paris  des  séjours  prolongés  au 
grand  détriment  de  l'administration.  «On  porroit,  »  ajoute  le 
roi,  u  délivrer  un  sénéchal  ou  un  bailli  en  un  jour  ou  deux, 
qui  demeurent  pour  ce  bien  l'espace  de  huit  jours.  » 

L'abus  amena  le  remède;  une  ordonnance  fort  peu  connue 
du  25  octobre  1300  défendit  aux  membres  du  conseil  ou  du 
parlement  de  siéger  à  la  chambre  des  comptes,  et  prit  le 
meilleur  moyeu  de  les  en  empêcher  en  leur  fermant  les  portes  ' . 

a  A  nos  amez  et  feaiilx  les  gens  de  nos  comptes  à  Paris. 

•)  Comme  nous  ayons  entendu  que  pour  ce  que  moult  de  fois, 
aucuns  prélats,  barons  et  autres  de  nostre  conseil  viennent  en 
la  dite  chambre  pour  parler  et  besoingner  à  vous  d'autrui 
choses  que  celles  à  quoi  vous  avez  à  entendre,  vous  estes  sou- 
vent empeschiez,  et  laissiez  à  entendre  à  faire  nos  besoignes, 
et  venant  contre  nostre  ordenance  devant  dite,  de  quoi  vostre 
conscience  peust  estre  blasmée,  et  nous  y  avons  grant  dom- 
maige;  nous,  à  qui  celle  chose  déplait,  et  qui  voulons  que 
nostre  dite  ordonnance  soit  gardée  sans  corrompre,  vous  man- 
dons et  sur  les  serments  que  vous  estes  tenuz  à  nous  vous  com- 
mandons que  puis  que  vous  serez  en  la  dite  chambre  vous  sans 
partir  d'illec  jusqu'à  heure  de  midi,  entendez  diligemment  et 
continuellement  en  nos  besoignes,  que  vous  aurez  en  mains, 
et  commandez  et  enjoignez  sur  grand  peine  à  ceux  qui  sont 
ordonnez  à  garder  les  huis  de  la  dite  chambre,  que  puis  que 
vous  y  serez  entrés  pour  besoigner,  ils  n'ouvriront  les  dits  huis 
à  nulle  personne  quelle  qu'elle  soit,  ne  n'entreront  devers  vous 

1  Mémoire  pour  la  chambre  des  comptes,  p.  244.  ï  riOmmaiulcz  et 
enjoignez  sur  grand  peine  à  ceux  qui  sont  ordonnez  à  garder  les  luiis  de 
ladite  clianibrc,  que,  puis  que  vous  y  serez  entrés  pour  besoigner,  il  n'ou- 
vreront lesdits  huis  à  nulle  personne  quelle  qu'elle  soit,  d 


238  LA  FRAXCF:  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

que  pour  vous  dire  ceux  (pii  seront  là  venus  au  cas  où  ils 
seroienl  venus  pour  cause  de  besoigne  que  vous  auriez  entre 
mains,  ou  que  vous  les  eussiez  mandé  querre.  » 

Après  eetlc  ordonnance  le  nombre  des  seigneurs  fut  réduit 
à  deux,  un  évêque  et  un  baron,  appelés  majores  computorum 
ou  souverains,  désignés  par  le  roi  et  faisant  les  fondions  de 
présidents,  car  ce  ne  fut  que  plus  tard  que  la  présidence  de  la 
chambre  appartint  au  boutciller  de  France.  Au-dessous  d'eux 
étaient  les  maîtres,  trois  laïques  et  trois  ecclésiastiques,  ayant 
sous  leurs  ordres  des  clercs  qui  les  aidaient.  Il  n'y  avait  encore 
ni  auditeurs  ni  correcteurs  en  titre  d'office'.  Des  écrivains 
rédigeaient  les  comptes  généraux  par  province  dont  j'ai  souvent 
parlé  '. 

Les  attributions  de  la  chambre  étaient  administratives  et 
judiciaires. 

Elle  examinait  tous  les  comptes  du  royaume,  vérifiait  s'ils 
étaient  exacts  et  les  jugeait,  c'est-à-dire  qu'elle  les  déclarait 
bons  et  recevablcs  ou  prononçait  qu'ils  péchaient  par  telle  ou 
telle  raison,  et  ordonnait  aux  comptables  ainsi  pris  en  défaut  de 
payer  les  sommes  qu'ils  avaient  négligé  de  verser.  Les  fréquents 
impôts  qui  furent  levés  sous  Philippe  le  Bel  donnèrent  nais- 
sance à  des  comptes  si  nombreux  ,  que  la  chambre  ne  put  suffire 
à  les  examiner.  Une  grande  partie  n'était  pas  encore  corrigée 
du  temps  de  Philippe  le  Long,  qui  augmenta  le  personnel  et 
ordonna  d'examiner  promptement  l'arriéré  ^ .  Les  agents  royaux 
prêtaient  serment  devant  la  chambre.  Elle  était  consultée  pour 
la  rédaction  des  ordonnances  en  matière  de  finances,  et  les 
publiait  en  présence  des  baillis  réunis  à  cet  effet*.  Elle  adres- 
sait elle-même  des  instructions  aux  comptables^.  Elle  veillait 
aussi  au  maintien  des  ordonnances  rendues  sur  le  fait  des 
monnaies,  car  la  cour  des  monnaies  n'était  pas  encore  créée, 

1  Ordonnancp  de  1319.  Ord.,  t.  I,  p.  70V. 

■-  (i  Parisctus  clcricns  compotonini  pro  ladiis  xxiii  lib.  cl  pro  jure  scrip- 
toniin  l'Vancic ,  xiii  lit),  x  .s.  ?'  (1298.)  Journal  du  trésor,  loi.  78. 

3  Ordonnance  de  1319  (v.  s.).  Ord.,  t.  I,  p.  703. 

'*  Ord.,  f.  1,  p.  400.  Ordonnance  du  29  avril  1309  sur  les  comptes  des 
baillis  de  Xormandie. 

^  Mandement  du  dimanche  avant  la  Chandeleur  1311.  Ord.,  t.  I,  p.  482, 
noie  B. 


.    LIVRE  XElVIÈilE.  —  ADAIIMSTRATIOX  FIXAXCIÈRE.        239 

et  rappelait  les  baillis  à  l'exécution  de  ces  ordonnances,  ainsi 
que  le  prouve  un  mandement  de  la  chambre  adressé  au  bailli 
d'Amiens  en  1311  '.  Les  baux  de  domaine  à  ferme  perpétuelle 
ou  en  emphytéose  faits  par  les  baillis,  étaient  soumis  <à  son 
examen  et  ne  devenaient  définitifs  qu'après  avoir  été  confirmés 
par  elle.  Ces  confirmations  se  donnaient  sous  la  forme  de  lettres 
intitulées  au  nom  du  roi,  mais  qui  diffèrent  des  actes  dus  à 
l'initiative  personnelle  du  roi  par  la  formule  j)cr  camcram 
computorum  qui  se  trouve  au  bas  de  ces  actes'.  La  cour  se 
servait  du  sceau  ordinaire  du  roi ,  et  en  l'absence  de  celui-ci  du 
sceau  du  Cbàtelet.  Un  mandement  de  l'an  1312,  émané  des 
tt  gens  des  comptes  nostre  seigneur  le  roy  demourant  à  Paris 
pour  les  besoignes  du  dit  seigneur  n  ,  se  termine  ainsi  :  «  Donné 
sous  le  seel  de  la  prévosté  de  Paris,  auquel  nous  voulons  que 
vous  ajoutiez  foi  ^ .  " 

Il  s'éleva  en  1308  un  conflit  d'attributions  entre  la  chambre 
des  comptes  et  les  trésoriers.  Ces  derniers  s'étaient  fait  adres- 
ser par  le  roi  un  mandement  en  date  du  2  du  même  mois,  qui 
leur  reconnaissait  le  droit  de  présider  à  la  rentrée  des  revenus 
royaux  et  de  surveiller  les  agents  chargés  de  les  percevoir,  et 
leur  enjoignait  d'informer  promptement  contre  plusieurs  baillis 
et  autres  comptables;  d'examiner  leurs  comptes  avec  les 
maîtres  des  comptes,  ou  même  tout  seuls,  en  cas  d'empêche- 
ment de  ces  derniers;  de  destituer  ceux  qu'ils  trouveraient 
coupables  ou  incapables,  et  de  lui  en  proposer  d'autres*.  Les 

1  Mandement  du  dimanche  avant  la  Chandeleur  1311.  Ord.,  t.  I,  p.  482, 
note  B. 

~  Voyez  des  confirmations  de  ce  fjenre  d'un  bail  perpétuel  des  moulins  de 
Rueil  (VaudreuU)  en  1310.  Bibl.  imp.,  Reg.  de  Philippe  le  Bel,  fonds 
fr.  9607-*,  fol.  47.  —  Autre  de  terrains  situés  près  des  murs  à  Orbec.  Trésor 
des  chartes,  Reg.  XL VII,  fol.  67.  Mars  1310-1311.  —  Autre  en  mars 
1310-1311,  de  la  ferme  perpétuelle  de  moulins,  avec  cette  formule:  t  per 
cameram  computorum  n .  Colbcrt,  9607-\  fol.  46.  —  Autres,  Reg.  XLV III,  LXI 
et  LXII,  en  1311. 

•5  Le  dimanche  devant  la  (Ihnndeleur  1311.  Ord.,  t.  I,  p.  482. 

'^  K  Dilectis  thesaurariis. . .  (piia  ad  vos  spectat  scire  et  viderc  cjualiter  rcd- 
ditus  nostri  et  alia  ad  nos  qualitercumcpie  venire  debentia  per  dcpntafos  ad 
hoc  levata  et  cxplectata  fuerunt....  nmndamus  vobis  quatinus  vos  super  pre- 
dictis  cum  diligentia  informetis  et  compofos  videatis  ipsorum  una  cum  ma- 
gistris  compotorum  nostrorum  Par. ,  v cl  sive  ipsis  si  ad  hoc  vacarc  nequivcrint. 


240  LA  FRANCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

baillis  reçurent  l'ordre  de  se  rendre  immédiatement  à  Paris 
pour  répondre  de  leur  gestion  devant  les  trésoriers ,  sans 
l'ordre  desquels  il  leur  est  défendu,  sous  les  peines  les  plus 
sévères,  de  quitter  la  capitale. 

Ce  mandement  était  le  renversement  des  principes  admis 
jusqu'alors.  Les  trésoriers  n'avaient  d'autre  mission  que  d'ef- 
fectuer les  recettes  et  les  payements.  Le  contrôle  appartenait  à 
la  cliambre  des  comptes.  Il  paraît  que  celle-ci  réclama,  car 
quelques  jours  après,  le  20  octobre,  un  autre  mandement 
ordonna  aux  baillis  de  venir,  à  la  Toussaint,  rendre  leurs  comptes 
à  Vincennes,  aux  principaux  de  la  chambre  des  comptes'. 

La  question  de  savoir  si  la  chambre  avait  une  juridiction  à 
l'époque  qui  nous  occupe,  et  quelles  en  étaient  les  limites,  est 
assez  controversée.  Elle  ne  paraît  pas  toutefois  avoir  connu  des 
malversations  commises  par  les  comptables  ;  on  voit  au  contraire 
le  parlement  punir  un  certain  nombre  de  fonctionnaires  prévari- 
cateurs ;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  chambre  des  comptes, 
quoique  indépendante  du  parlement,  avait  encore  de  nombreux 
rapports  avec  la  cour  judiciaire  du  roi.  En  1316,  elle  jugeait 
des  affaires  instruites  par  la  chambre  des  enquêtes  du  parle- 
ment. En  1311),  les  gens  des  comptes  travaillaient  aux  enquêtes 
et  aux  requêtes  du  parlement  chaque  jeudi,  mais  ils  ne  pre- 
naient part  qu'aux  affaires  où  il  était  question  de  comptabilité. 
Ce  ne  fut  que  sous  Philippe  de  Valois  que  les  deux  cours  furent 
complètement  séparées,  et  que  les  membres  de  l'une  ne  furent 
plus  admis  à  siéger  dans  l'autre.  Elle  était  souvent  appelée  à 
décider  des  questions  de  droit  très-importantes '.  Après  1300, 
elle  perdit  presque  toute  juridiction;  le  roi  la  chargeait  quel- 
quefois de  procéder  à  des  enquêtes,  mais  les  arrêts  ne  pou- 
vaient être  rendus  par  la  chambre  qu'en  se  joignant  au  parle- 
ment*. A  la  fin  du  règne  de  Philippe  le  Bel,  la  chambre  des 

et  quos  négligentes  et  remisses  fuisse  repcrietis  vel  inhabiles  ad  officia  sua 
exercenda  amoreatis.  »  Trésor  des  chartes,  Reg.  XLI,  n"  15. 

1  «  In  festo  0.  Sanctorum  apud  V^icenas,  coram  gentibus  efiam  de  majo- 
ribus  conipotorum  nostroruni. ..  pcrsoiialiter  iutcrsitis  paratus  de  rcccptis 
(juibuscumquc  tue  bailliiic  rcddere  icgltiiuam  rationcm.  "  Ibid.,  u"  25. 

^  Olim,  t.  I,  p.  39G  et  397. 

•i  Olim.  t.  III,  p.  219.  —  Voyez  un  arrêt  original  de  l'an  1313.  J.  1028. 


LIVRE  XEUVIÈME.  —  ADAIIXISTRATIOX  FIXAXCIÈRE.  241 
comptes  avait  donc  une  existence  propre  ;  elle  possédait  des 
archives  que  le  parlement  faisait  consulter  pour  s'éclairer'. 
Son  action  s'étendait  dans  toute  la  France;  cependant  les 
comptes  des  baillis  de  Normandie,  avant  de  lui  être  remis, 
étaient  présentés  et  vérifiés  par  une  section  de  l'échiquier^. 
D'après  une  ordonnance  de  13(J6,  les  baillis  devaient  se 
rendre  deux  fois  par  an  à  l'échiquier,  à  l'octave  de  Pâques  et 
de  la  Saint-Michel,  ou  au  jour  marqué  par  le  roi  ou  par  la 
cour^  Celui  qui  manquait  sans  excuse  valable  payait  dix  livres 
d'amende  pour  chaque  jour  de  relard,  afin  d'indemniser  le 
roi  du  séjour  prolongé  que  les  membres  de  l'échiquier  feraient 
par  sa  faute.  Un  trésorier,  accompagné  de  changeurs,  allait 
aussi  à  l'échiquier  recevoir  les  deniers  du  bailliage.  Les 
comptes,  après  avoir  été  examinés  par  l'échiquier,  étaient 
portés  à  Paris  à  la  chambre  des  comptes,  qui  s'en  servait  pour 
établir  le  budget  général  des  recettes  du  royaume*. 

1  Olhn,  1.  II,  p.  615.  Toussaint  1314. 

-  (1  De  dcbitis  et  redditibus  ballivie  Rothoni.  receptis  apud  Rofhom.  in 
scacario  S.  ]\Iicb.  1299.  j  Journal  du  trésor,  11  octobre  1299. 

3  Celte  ordonnance  est  datée  de  1310  dans  le  Recueil  du  Louvre  (t.  I, 
p.  461);  mais  sa  véritable  date  est  1306.  Cartul.  170,  fol.  107.  Elle  fut 
rendue  le  dimanche  23  avril  après  Pâques,  à  l'échiquier  de  Rouen. 

'*  Tabula  Rob.  Mignon,  Bouquet,  p.  521. —  Les  dépenses  totales  de 
l'échiquier  de  Pâques  de  l'an  1301 ,  comprenant  les  gages  des  commissaires , 
du  trésorier  et  de  sa  suite  et  autres  fi-ais,  s'élèvent  à  638  livres  25  sous 
tournois.  Journal  du  trésor,  fol.  112. 


16 


IJVRE   DIXIEME. 

RKCETTKS    KT    DÉPENSES. 


CHAPITRE    PREMIER. 

RECETTES    ORDIMAIRES. 

Domainps.  —  Prévôtés.  —  Kilos  étaiput  affprniérs  aux  enchères.  —  Inconvé- 
nients de  ce  système.  —  Droits  féodaux.  —  Droit  de  <]ardc  des  mineurs. 

—  -Amendes.  —  Leur  taux  énorme  sous  Pliilippe  le  Bel.  —  Forêts.  — 
Droits  d'usage.  —  Garennes.  —  Pèche  et   chasse.  —  Receltes  diverses. 

—  Amortissements.  —  Droits   de   franc-fief.   —  Droit  d'auhainc   et  de 
bâtardise.  —  Trésors. 

Je  vais  énumêrer  brièvoment  les  recettes  ordinaiies,  en 
suivant  l'ordre  dans  lequel  elles  sont  inscrites  dans  les  comptes 
dos  baillis  do  France  :  domaine,  fiefs,  amendes,  bois,  recettes 
diverses.  J'omets  un  paragraphe  intitulé  dettes,  qui  renfermait 
uniqnement  l'indication  des  sommes  dues  par  arriéré,  et  qui 
par  conséquent  ne  s'appliquait  pas  à  une  source  spéciale  de 
revenus.  Je  n'insisterai  que  sur  les  recettes  dont  le  mode  de 
perception  reçut  des  modifications  sous  Pliilippe  le  Bel. 

Le  domaine  comprenait  les  prévôtés,  les  domaines  propre- 
ment dits  ou  biens  fonciers,  les  cens  c\  rentes.  On  appelait 
quebjuefois  les  prévôtés  domaine  muable,  parce  que  le  prix 
des  baux  était  susceptible  d'accroissetuent  ou  de  diminution. 
On  ne  comprenait  dans  les  prévôtés  ni  les  rentes,  ni  les  rede- 
vances seigneuriales  en  nature,  telles  que  froment,  seigle, 
chapons,  objets  qui  formaient  un  revenu  certain. 

En  1311,  Philippe  défendit  expressément  de  comprendre  les 
rentes  dans  les  fermes  des  prévôtés,  car  à  certaines  prévôtés 
étaient  annexés  des  revenus  fixes  considérables,  et  il  eu  résul- 
tait que  le  prix  de  ferme  était  très-élevé,  et  que  de  riches 
capitalistes  pouvaient  seuls  se  porter  coiume  adjudicataires,  à 
cause  des  fortes  sommes  qu'ils  étaient  obligés  de  fournir  en 


LIlIiK  DIXJIJMI-:.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  243 

caution  (li>  Icar  f^estion.  Ils  affermaient  les  prévôtés  à  des  con- 
ditions mauraises  pour  le  trésor  ;  eux-mêmes  sous-lonaient  à  des 
tiers  l'exploitation  d'une  partie  des  revenus,  et  faisaient  de 
jjros  bénéfices.  Eu  divisant  les  domaines  par  lots  de  valeur 
pen  élevée,  on  permettait  à  des  partifulici  s  de  fortuiie  mé- 
diocre de  devenir  fermiers  du  roi.  Tous  les  baux  df  domaines 
«levaient  être  faits  aux  enchères  publiques ';  c'était  là  une 
condition  de  rijfueur. 

Certaines  prévôtés  étaient  affermées  à  perpétuité  par  des 
villes,  qui  se  délivraient  ainsi  (\u  voisinage  importun  d'un  a^jent 
royal,  et  acquéraient  une  juridiction  et  l'exercice  de  la  police. 
En  1292,  la  commune  d'Amiens  afferma  la  prévôté  d'Amiens^; 
l'acte  qui  constate  cette  transaction  donne  une  notion  exacte 
et  complète  des  droits  attachés  à  la  prévôté.  Elle  se  composait 
des  revenus  qui  avaient  fait  partie  du  doiTiaine  des  anciens 
comtes  d'Amiens,  c'est-à-dire  du  quart  du  droit  de  quayage  et 
de  travers  par  eau  ft  ji-tr  terre,  du  quart  du  loiilifu  du  blé, 
du  fer,  des  toiles  et  des  draps,  des  cuirs,  des  bestiaux  et  du 
sel,  etc.;  d'une  part  dans  les  droits  d'étalage,  de  péage  sur  le 
grand  pont;  des  cens  assis  sur  les  étaux  des  bouchers;  des 
maisons  et  des  frocs  ^tfrres  vagues)  du  roi;  de  plusieurs  fiefs; 
du  quart  de  certaines  amendes;  de  la  moitié  de  certaines 
autres;  de  la  totalité  des  amendes  de  la  prévôté.  M.  A.  Thierry 
a  cru  que  ces  fermes  de  prévôtés  par  des  villes  avaient  été 
conçues  par  saint  Louis  et  réalisées  seulement  par  Philippe  le 
Bel';  elles  étaient  fréquentes  dès  le  règne  de  Philippe-Auguste*. 
Le  prix  de  ferme  de  la  prévôté  d'Amiens,  qui  était  de  six  cent 
quatre-vingt-dix  livres  tournois,  était  versé  en  trois  termes  au 
trésor  royal. 

Les  domaines  qui  n'étaient  pas  compris  dans  les  prévôtés  se 
divisaient  en  fieffés  et  non  fieffés.  Par  domaines  fieffés  ,  on 
n'entendait  pas  les  fiefs  nobles,  mais  les  domaines  tels  que 

1  Mandement  an  bailli  (TOrléans,  1311.  Bru.s.scl,  t.  I,  p.  V27.  Mé/noriai  A, 
p.  14. 

-  Bouthors,  Coût.  toc.  du  hai.ll.  d'Amiens,  t.  I,  p.  .54. 

^  Documents  inédits  pour  l histoire  du  tiers  état,  Amiens,  t.  I,  p.  291. 

''  Bail  de  la  prévôté  de  (>hauniont  au  maire  et  à  la  commune,  moyennant 
une  rente  de  300  livres.  1205.  Dclisic,  Calai.,  p.  210,  rf  93>^.  —  .Mantes, 
en  1201 .  Ibid.,  n"  680,  etc. 

IfJ. 


244  LA  l-H.AXCE  SOI  S  PHILIPrK  LM  BKL. 

moulins,  péages,  elc,  concédés  ;i  fief  cl  ferme  perpétuelle, 
moyennant  une  rente  annuelle.  Les  baux  de  ce  genre  ,  qui 
étaient  Irès-préjudiciahles  à  la  couronne,  furent  très-fréquents 
sous  IMiilippe  le  Bel.  Les  biens  ainsi  engagés  étaient  suscep- 
tibles d'acquérir,  avec  le  temps,  une  plus  grande  valeur,  et  la 
rente  restant  fixe,  le  roi  ne  pouvait  accroître  ses  revenus.  Ces 
domaines  devaient  être  affermés ,  comme  les  prévôtés  ,  par  les 
baillis,  aux  enchères  publiques,  à  oyes  de  paroisses ,  ordinai- 
rement à  l'issue  de  la  grand'messe;  mais  ces  formalités  deve- 
naient illusoires.  Les  domaines  étaient  fieffés  à  des  favoris  du 
roi.  Je  citerai  la  ferme  des  moulins  de  Corbeil,  faite  à  Geoffroi 
Cocatrix ,  membre  de  cette  puissante  famille  plébéienne  qui 
prit  sons  Philippe  le  Bel  une  grande  part  à  toutes  les  opérations 
financières. 

En  l.'UO,  le  roi  donna  à  Raoul  de  Presles  une  prévôté  prés 
de  Wailli-sur-Aisne,  consistant  «  en  maisons,  en  terres,  en 
yaues,  en  prez ,  en  hommes  et  en  femmes  de  cors,  en  cens  et 
rentes,  et  justice,  sans  rien  retenir,  excepté  la  haute  justice,  à 
tenir  perpétuement  pour  le  pris  de  900  livres  de  petits  tour- 
nois de  rente  annuel,  asseis  chacun  an,  c'est  à  savoir  300  à 
l'Ascension,  300  à  la  Toussaint  et  300  à  la  Chandeleur  '  v  .  Les 
adjudications  ne  devenaient  définitives  qu'après  plusieurs 
enchères  successives.  Philippe  le  Bel,  pour  se  procurer  des 
ressources,  aliéna  les  murs  et  les  fossés  des  villes*.  Le  bailli 
de  Rouen  donna  par  adjudication  à  fief,  à  nommé  Guillaume  le 
Prudhomme,  une  portion  des  murs  de  la  ville  d'Orbec  ;  il  fit 
savoir  pendant  trois  dimanches  consécutifs,  à  l'oyée  de  la 
paroisse,  par  le  sergent  du  Roi  à  Orbec  ,  «  se  aucun  i  fust  qui 
plus  de  deux  sols  tournois  de  rente  vouxoit  donner  des  devant 
dits  fossé  et  mur,  et  qu'il  vensist  avant,  il  i  scroit  reçu,  et  les 
subastations  faites,  si  comme  accoustumé  est,  se  aucun  ne  setrest 
en  avant,  que  le  dit  marchié  vausit  enchière  ^  i'  Ce  passage  fait 
connaître  ce  qui  est  confirmé  par  plusieurs  autres  textes,  que 
les  surenchères  n'étaient  pas  reçues  au-dessous  d'un  taux  fixé 

'   Trésor  des  chartes,  Rog.  XLVII ,  n°  21.  Décembre  1310. 
■i  Issondiin,  Heg.  XIA  1 ,  n"  39-2. 

•^  Trésor  des  chartes,  Rog.  XI.VII,  n"  67.  —  Voyez  un  autre  bail  à  ferme 
perpétuelle  d'une  place  pour  construire  des  moulins,  en  1303.  Reg.XXX\lI,n°4. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DEPEXSES.  245 

d'avance.  Il  arrivait  quelquefois  qu'un  adjudicataire,  qui  était 
en  possession  depuis  quelque  temps,  était  évincé  par  un  suren- 
chérisseur oITrant  des  conditions  avantageuses.  Richard  Cors 
d'omme  avait  affermé  48  livres  les  revenus  du  roi  au  ^lesnil. 
Un  écuyer,  Geoffroi  d'Argens,  offrit  20  livres  de  plus.  Le  hailli 
retira  la  ferme  au  premier  adjudicataire,  qui  se  plaignit  au  roi, 
objectant  qu'il  avait  fait  des  dépenses  et  des  améliorations.  Un 
arrêt  de  la  cour  l;i  lui  laissa,  à  condition  de  payer  le  prix  offert 
par  son  compétiteur  '. 

Les  domaines  non  fieffés  étaient  toujours  affermés,  jamais 
donnés  en  régie.  Les  fermiers  ne  pouvaient  exiger  aucune 
indemnité  ou  remise  sur  le  prix  du  loyer  par  suite  des  désastres 
causés  par  la  guerre,  ti  ne  pour  deffense  qui  soit  faite  du  roi 
pour  cause  de  guerre,  ne  pour  autre  deffense  ,  établissement, 
ordenance  ou  ban,  pour  le  profit  du  royaume  ou  de  la  baillie  '. 

On  comprenait  aussi  dans  le  domaine  les  sceaux,  les  tabel- 
lionnages  et  les  greffes  ^ . 

Le  produit  des  droits  féodaux  était  excessivement  variable  , 
attendu  qu'ils  ne  s'ouvraient  guère  que  par  la  mort  des  vas- 
saux. En  tête  était  le  droit  de  garde  des  mineurs  nobles,  qui 
fut  à  la  fin  du  treizième  siècle  une  source  abondante  de  revenus. 
Dès  qu'un  seigneur,  vassal  immédiat  du  roi,  venait  à  mourir  en 
laissant  des  enfants  mineurs,  un  agent  royal  se  transportait 
dans  les  domaines  du  défunt ,  et  s'informait  exactement  de  la 
valeur  de  l'héritage.  Le  roi  se  chargeait  de  faire  élever  les 
enfants,  mais  il  percevait  leurs  revenus  pendant  leur  minorité. 
On  mettait  aux  enchères  la  jouissance  des  biens  des  mineurs,  ou 
la  garde,  pour  parler  le  langage  du  temps.  L'acquéreur  s'en- 
gageait à  payer  les  rentes  et  douaires,  à  tenir  les  édifices  en 
bon  état. 

'   Olbn,  t.  III,  p.  925  et  926  (1314). 

-  Ord.,  t.  I ,  p.  4G2,  eu  1310.  —  Voyez  la  condamnation  du  fermier  des 
fermes  dn  roi  à  Compiègne ,  lequel  était  un  tyran  et  infidèle.  Olim,  t.  III, 
p.  465  (1309). 

■^  «  Rcccpta  notarianmi  :  de  notaria  eriminali  Tholose,  cxx  lib.;  de  notaria 

civili,  cxxx  lib.;  de  notaria  ordinaria  judicature  Ville  Longe,  Compotus 

R.  de  Dugnyaco  tenentis  sigillum  scnescallie  et  vicarie  Tbolose n  Comptes 

de  1299,  .Arcb.  inip.,  K.  501.  Voyez  les  comptes  de  1294.  Ibid.  —  Les 
comptes  des  bailliages  de  France  de  1299  et  de  1305,  etc. 


246  LA  FRAVCE  SOIS  PHILIPPK  LE  BEL. 

Les  enfants  eux-mêmes  n'étaient  pas  conOés  à  tics  mains 
purement  mercenaires.  C'était  bien  assez  que  leurs  biens  fussent 
livrés  à  des  étrangers,  qui  épuisaient  le  sol  pour  le  faire  pro- 
duire davantage,  et  qui  souvent  même  s'en  appropriaient  une 
partie.  En  1308,  le  roi  fut  obligé  de  prescrire  au  bailli  de 
Rouen  de  faire  une  enquête  sur  les  usurpations  des  biens  des 
mineurs  nobles  placés  sous  la  garde  du  roi  '.  On  payait  aussi 
les  créanciers  de  l'Etat  en  leur  abandonnant  pendant  un  temps 
détfM'niiné  les  droits  de  garde  sur  quelque  fief.  En  1307, 
Foucaut  de  Alellc ,  marécbal  de  France,  à  qui  le  roi  devait 
35,000  livres,  reçut  en  payement  la  jouissance  des  fruits  et  des 
revenus  de  la  terre  de  feu  Guillaume  de  Clisson,  dont  le  fils 
était  sous  la  garde  du  roi  *. 

Je  me  borne  à  énumérer  les  autres  droits  féodaux,  tels  que 
quint,  requint,  relief,  etc.  ^. 

Les  amendes  atteignirent  sous  ce  règne  des  proportions 
inouïes  :  la  justice  devint  un  instrument  fiscal.  Au  civil,  les 
amendes  ne  devaient  pas  dépasser  soixante  sous.  Les  délits 
contre  les  particuliers  étaient  punis  suivant  les  coutumes  et  les 
chartes  accordées  aux  villes,  mais  aucune  loi  n'avait  fixé  de 
tarif  pour  les  crimes  commis  contre  la  sûreté  générale  et  les 
atteintes  à  l'ordre  et  à  la  paix  publique.  Les  tribunaux  se 
déshonorèrent  par  la  rigueur  de  leurs  condamnations  pécu- 
niaires, qui  n'avaient  d'autre  but  que  d'enrichir  le  trésor. 

Les  amendes  civiles  ne  furent  plus  réglées  d'après  les  anciens 
usages  et  atteignirent  des  taux  arl)itraires  \  Des  mères  furent 
condamnées  à  l'amende  pour  avoir  donné  asile  à  leurs  fils 
bannis  ^  On  confisqua  les  biens  des  Flamands  qui  étaient  en 
France'^.  Les  biens  des  condamnés   à  mort"  et  des   bannis, 

^   Trésor  des  chartes,  Rcg.  XLI,  fol.  100  (5  septembre  1308). 

~  Or.  Trésor  des  chartes,  i.  387,  n°  17. 

•^  Voyez  le  Nourel  usage  des  fief  s  de  Bnissel. 

''  \'arin,  Archives  de  Reims ,  t.  II,  p.  2. 

^  Amende  (le  lOOsoii.s  contre  ls;il)p|le  deFonqnedeheque.  1305.  Roui.  Baltize. 

6  Reg.  XXXVI,  fol.  10,  en  1302;  et  Raliizc,  compte  de  J305  (bailliage 
d'Amiens). 

'  «  De  bonis  Pétri  Marescaici,  bomicide ,  suspensi ,  vcndilis,  xiii  lib.;  de 
bonis  N.  de  Jamarenncs  qui  accusafiis  îurto  fiigit,  jure  prepositi  deducto.  ^ 
Baill.  de  Bourges ,  ihid. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DEPENSES .  247 

dans  les  lieux  où  le  roi  avait  haute  justice,  faisaient  retour 
au  fisc.  Les  condamnations  pour  hérésie  entraînaient  aussi  la 
confiscation  des  biens,  et  produisaient  des  revenus  connus  sous 
le  nom  à' incours  '. 

Les  revenus  des  forêts  consistaient  dans  la  vente  des  arbres, 
du  panage  et  du  pâturage,  dans  les  amendes  encourues  pour 
contraventions  aux  usages'.  Philippe  le  Bel  racheta  un  très- 
grand  nombre  de  droits  d'usage  qui  appartenaient  à  des  par- 
ticuliers^. Certains  seigneurs  avaient  des  droits  de  chasse  dans 
les  forêts  royales,  le  roi  les  racheta  aussi  quand  il  le  put*.  Un 
des  grands  abus  de  la  propriété  féodale  était  les  garennes.  Il 
y  en  avait  de  deux  sortes  :  la  garenne  fermée ,  parc  clos,  dans 
lequel  il  était  interdit  de  pénétrer,  et  la  garenne  ouverte  ;  cette 
dernière  conférait  le  droit  de  chasse  sur  une  certaine  étendue 
de  pays,  souvent  même  sur  les  terres  des  tenanciers,  ce  qui 
nuisait  à  l'agriculture  " .  Saint  Louis  commença  à  dénier  aux 
seigneurs  le  droit  d'établir  des  garennes  ;  toutes  les  fois  qu'ils 
ne  pouvaient  prouver  une  longue  possession,  il  les  contraignait 
d'y  renoncer.  Philippe  le  Bel  accordait  quelquefois  le  droit 
d'établir  des  garennes  fermées*^.  Enfin  sous  Louis  X  il  fut  posé 
en  principe  que  l'autorisation  du  prince  était  toujours  néces- 
saire'. En  1299,  le  roi,  de  l'avis  de  son  conseil,  «pour  le 

1  j  Compotus  P.  de  Pradines,  recepforis  et  custodis  incursuum  lieresis  in 
comitatu  Tholose ,  mdcccviii  lib.,  etc.  ■'  Compte  original  de  1299. 

-  a  Explccta  forestarum  et  gruagia  neniorum  baillivie  Silranectensis  anno 
1305.  —  De  explectis  forcste  Cuisie.  —  De  pasnagio  foreste  Cuisie.  —  De 
paliciis  \cnditis.  —  De  fagotis  et  remasiliis.  —  De  explectis  foreste  Quarnellc.  n 
—  Compte  de  1305.  Bibl.  imp.,  Baluze. 

•^  En  mars  1292,  il  racbieta,  moyennant  une  rente  de  40  livres,  le  droit 
d'usage  de  Raoul  d'Orléans  dans  la  forêt  de  Journes.  Or.  J.  148 ,  n"  16.  Voyez 
une  renonciation  de  l'abbesse  de  Fontevraut  d'un  usage  dans  la  forêt  de  Rest. 
J.  163,  n"4.  En  janvier  1290. 

^  Droit  de  cbasse  du  sire  de  Crèvecœur  dans  la  forêt  de  Vernon.  Arch. 
imp.,  or.  J.  722,  n"  16.  —  La  même  année,  Laurent  de  Lyvet  vendit  son 
droit  au  roi  t  chaciam  leporis,  vulpis,  cati  et  martre  i ,  dans  la  même  forêt. 
J.  732,  n°117. 

s  Cbampionnière  ,  De  la  propriété  des  eaux  courantes. 

6  Permission  à  Guillaume  Bateste ,  chevalier,  d'avoir  une  garenne  dans  son 
bois  de  Chacon.  Mai  1312.  Trésor  des  chartes,  Reg.  XLVIII,  n»  22. 

"  Olim,  t.  III,  p.  1158. 


248  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPK  LE  BEL. 

commun  profil  du  royaume  et  pour  ôler  et  escliever  moult  de 
larrccins,  murtres  et  meffaiz ,  que  larrons  de  conins  faisaient 
au  royaume  de  France,  "  ordonna  que  les  détenteurs  de 
panneaux  à  lapins  ou  à  lièvres  les  apporteraient  au  château 
de  la  seigneurie  dont  ils  dépendaient,  au  premier  jour  de 
marché,  et  les  brûleraient  publiquement.  Si  (pielqu'un  était 
trouvé  par  la  suite  détenteur  (h'  quelques-uns  de  ces  engins, 
il  payerait  une  amende  de  soixante  livres,  dont  le  tiers  serait 
remis  au  dénonciateur;  défense  à  tous  ceux  qui  n'étaient  point 
gentilshommes  ,  ou  n'avaient  pas  de  garenne ,  d'avoir  des 
filets  et  des  furets  '. 

En  1289,  Philippe  ])orla  une  loi  pour  remédier  au  dépeuple- 
ment des  rivières.  Il  définit  quels  étaient  les  engins  dont  on 
devait  se  servir  pour  la  pèche".  Il  rendit  une  autre  ordon- 
nance sur  le  même  objet  en  1291  ^  Ces  ordonnances,  ainsi 
que  celles  sur  la  chasse,  avaient  cours  dans  tout  le  royaume. 
Une  transaction,  du  mois  de  janvier  1296,  entre  l'abbé  de 
Saint-Médard  de  Soissons  et  les  habitants  de  Thorote,  Maim- 
bronne,  et  de  plusieurs  autres  villages  voisins,  au  sujet  des 
droits  d'usage  dans  les  marais  de  Mélincoc ,  porte  qu'ils 
pourront"  pescier  en  l'iaue  à  tous  engiens  et  à  tous  filles,  selon 
les  statuts  et  les  ordenances  du  prince  souverain  qui  courent 
par  son  royaume  *. 

Le  chapitre  des  comptes  intitulé  :  Recettes  diverses,  était 
très-varié.  En  tête  figure  la  régale  :  j'en  ai  parlé  avec  détails 
dans  le  chapitre  consacré  au  clergé;  puis  l'amortissement. 

Nous  avons  vu  que  les  églises  ne  pouvaient  acquérir  de  terres 
sans  l'autorisation  des  seigneurs  dans  la  mouvance  desquels 
ces  terres  étaient  situées.  En  1275,  Philippe  le  Hardi  avait 
ordonné  que  celles  rpii  auraient  obtenu  des  lettres  d'amortis- 
sement de  trois  seigneurs  ne  seraient  pas  inquiétées.  Il  avait 
ensuite  amorti  les  biens  acquis  dans  ses  fiefs  et  arrière-fiefs 

1  Ord.,  t.  I,  p.  335,  336. 

-  Voyez  cette  ordonnance  piiblic'C  pour  la  première  fois  dans  la  Bibl.  de 
l'Ecole  des  chartes,  3»  série,  t.  IV,  p.  43. 

•*  Laurièrc  a  placé  ce  fragment  en  1292,  mais  à  tort.  Ord.,  t.  \.  Voyez 
Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes ,  rit  supra ,  p.  46. 

^  Cartul.  de  Clioisy-au-Bac ,  .Arcli.  imp.,  LL.  1033. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  249 

pendant  les  trente  dernières  années,  moyennant  le  payement 
de  la  valeur  de  deux  années  de  revenu  pour  les  biens  donnés 
en  aumône,  et  de  trois  années  pour  les  biens  acquis  à  titre 
onéreux.  Une  ordonnance  de  121)1  prescrivit  aux  baillis  de 
tolérer  les  acquisitions  des  églises  dans  les  flefs  des  barons  qui 
jouissaient  depuis  longues  années  du  droit  d'amortissement. 
Mais  les  acquisitions  postérieures  à  Tannée  1275  furent  assu- 
jetties à  un  droit  de  quatre  années  de  revenu  quand  elles 
étaient  faites  à  titre  gratuit,  et  à  titre  onéreux,  de  six  années. 
Quant  aux  acquisitions  faites  dans  les  arrière-fiefs  du  roi 
les  droits  étaient  de  moitié.  Dans  le  Midi,  où  les  terres  avaient 
une  plus  grande  valeur  que  dans  le  Xord ,  le  droit  d'amortis- 
sement était  plus  élevé.  Les  biens  amortis  pouvaient  être 
cédés  gratuitement  à  une  autre  église'.  Etaient  exempts  les 
achats  ou  donations  de  terrains  pour  bâtir  des  églises  et  des 
presbytères*.  Toutes  les  lois  de  finances  étaient  conçues  de 
manière  à  laisser  place  à  l'arbitraire,  a  Nous  voulons,  disait  le 
roi,  que  nos  commissaires  puissent  lever  des  sommes  supé- 
rieures à  celles  qui  ont  été  fixées,  mais  qu'ils  n'en  reçoivent  pas 
qui  soient  inférieures.  "  Les  ordonnances  elles-mêmes  étaient 
tenues  secrètes;  il  en  résultait  que  les  églises  étaient  dans  la 
nécessité  de  débattre  les  sommes  à  payer.  On  a  sur  ce  sujet 
une  ordonnance,  sans  date,  que  Laurière  a  crue  de  l'année 
1275,  mais  que  Brussel  a  victorieusement  démontré  appartenir 
au  règne  de  Philippe  le  Bel,  parce  qu'au  nombre  des  pairies 
de  France  ne  figure  pas  le  comté  de  Champagne,  qui  avait  fait 
retour  à  ce  roi  en  1285.  Le  droit  d'amortissement  fut  solen- 
nellement confirmé  aux  pairs  de  France,  qui  étaient  alors  le 
comte  de  Flandre  et  les  ducs  de  Guienne  et  de  Bourgogne,  et 
à  quelques  grands  feudataires,  aux  comtes  de  Bretagne,  de 
Xevers,  d'Artois,  d'Anjou,  de  La  Marche,  deBlois,  d'Auxerre, 
de  Tonnerre,  de  Dreux,  de  Clermont,  de  Saint-Pol,  aux  sires 
deBeaujeu,  de  Bourbon  et  deCouci.  On  reconnut  que  plusieurs 
autres  seigneurs  jouissaient  anciennement  de  ce  droit,  mais 
on  les  en  priva;  on  leur  accorda  toutefois  la  faculté  de  faire 


1  Ord.,  I,  p.  385. 

-  Privil.  de  l'cglisc  de  X'arbonnc.  Ibid.,  p.  404. 


250  LA  FMXCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

gratuitement  des  aumônes  pour  le  repos  de  leur  àmc,  mais 
avec  l'autorisation  du  roi.  Il  fut  interdit  aux  prélats  et  aux  pos- 
sesseurs de  bénéfices  soumis  à  la  réjjale  d'aliéner  aucune  partie 
de  leurs  bénéfices.  Ceux  qui  l'avaient  fait  dans  le  passé  durent 
réparer  le  préjudice  qu'ils  avaient  causé  à  la  couronne.  Il  avait 
été  pourtant  permis  en  1290  aux  prélats  pairs  de  France 
d'amortir  dans  leurs  arrière-fiefs  '.  Les  églises  purent  acquérir 
dans  les  lieux  où  elles  avaient  baute  justice,  car  alors  le  roi 
ne  perdait  rien.  L'ordonnance  de  1291  gardait  le  silence  sur 
les  alleux;  le  règlement,  sans  date,  trancba  la  difficulté,  en 
déclarant  que  le  droit  invoqué  par  certaines  églises  d'acquérir 
des  alleux  était  un  abus  ". 

Les  églises  pouvaient  vendre  leurs  nouveaux  acquêts  dans 
l'année,  et  alors  elles  n'avaient  pas  de  droits  à  payer,  mais  on 
veillait  à  ce  qu'elles  ne  fissent  pas  de  ventes  simulées.  Les 
droits  d'amortissement  étaient  levés  par  des  commissaires  sur 
le  fait  des  acquêts  des  églises  et  des  roturiers.  Les  traités  passés 
par  ces  commissaires  avec  les  églises  n'étaient  exécutoires 
qu'après  avoir  été  revêtus  de  la  sanction  royale^. 

Nous  avons  vu  que  les  roturiers  avaient  la  faculté  d'acquérir 
des  fiefs,  mais  ils  ne  pouvaient  les  desservir.  Les  seigneurs  dont 
les  fiefs  acbetés  dépendaient,  exigeaient  une  indemnité  propor- 
tionnée au  préjudice  qu'ils  éprouvaient.  Le  préjudice  résultant 
de  l'abrègement  d'un  fief  remontait  jusqu'au  roi;  aussi  Pbilippe 
le  Hardi  exigea  des  droits  de  la  part  des  roturiers  qui  acqué- 
raient des  fiefs  nobles,  même  en  dehors  du  fief  direct  de  la 
couronne,  à  moins  qu'il  n'y  eût  entre  le  roi  et  l'acquéreur  trois 
seigneurs,  dont  le  consentement  était  nécessaire  *.  Philippe  le 
Bel,  dans  le  règlement  sans  date  cité  plus  haut  à  propos  des 
amortissements,  ordonne  de  lever  des  droits  de  franc-fief, 
même  lorsque  le  fief  pouvait  être  desservi  par  l'acquéreur.  Le 

*  Brussel,  p.  669. 

2  Ord.,  t.  I,  p.  671. 

^  Voyez  l'original  d'un  amortissement  de  l'an  1293  au  profit  de  Saint-Victor 
de  Paris.  Il  se  compose  de  deux  pièces,  la  composition  avec  les  commissaires 
et  la  patente  royale  (pii  la  confirma.  Arch.  imp.,  K.  3G,  n°  26. 

^  Brussel.  Voyez  une  liste  des  sommes  payées  pour  des  acquisitions  de  fiefs 
par  des  roturiers,  dans  la  sénéchaussée  de  Toulouse  en  1277.  J.  1042,  n°  10, 
et  J.  308,  n^'s  81  et  89. 


LIVRE  DIXIlhlE.  —  RECETTES  ET  DÉPENSES.  251 

droit  de  franc-fief  consislait  dans  le  payement  de  trois  années 
de  revenu,  plus  une  indemnité  proportionnée  au  dommage 
éprouvé  par  le  roi  quand  le  fief  était  abrégé  '.  Du  reste,  les 
procédés  étaient  les  mêmes  que  pour  les  amortissements,  et 
les  commissaires  furent  souvent  les  mêmes  '.  Cependant,  il  y 
en  eut  aussi  de  spéciaux  pour  les  francs-fiefs  ^ .  En  1292,  le  roi 
défendit  aux  collecteurs  d'instrumenter  dans  le  duché  de  Bour- 
gogne *.  Dès  Philippe  le  Bel  un  grand  nombre  de  riches  bour- 
geois achetaient  les  manoirs  féodaux  à  leurs  maîtres  devenus 
trop  pauvres  pour  les  posséder.  Les  registres  du  Trésor  des 
chartes  ont  conservé  le  souvenir  d'un  drapier  de  Paris ,  nommé 
Jean  Petit,  qui  acheta  le  château  de  la  Génevoye,  et  obtint 
(hi  roi  de  le  tenir  en  hommage,  quoique  roturier,  aux  mêmes 
conditions  que  son  noble  prédécesseur  ^ 

Une  autre  source  de  revenus  était  dans  la  succession  des 
aubains  et  des  bâtards  qu'on  assimilait  aux  main-mortables. 
On  appelait  aubains  non  pas  seulement  les  étrangers,  mais  les 
hommes  venus  d'un  autre  fief.  A  la  fin  du  treizième  siècle,  les 
rois  s'attribuèrent  des  droits  sur  les  aubains.  Ceux-ci  pouvaient 
s'avouer  les  hommes  du  roi. 

Les  prétentions  de  Philippe  le  Bel  de  recueillir  les  succes- 
sions des  bâtards  et  des  aubains  dans  tout  le  royaume ,  rencon- 
trèrent une  vive  opposition  de  la  part  des  barons.  Il  reconnut 
aux  seigneurs  haut-justiciers  le  droit  d'aubaine  et  de  bâtar- 
dise, à  moins  qu'il  n'y  eût  possession  de  la  part  du  roi".  Le 
parlement  jugeait  les  contestations  de  ce  genre  et  décida 
souvent  en  faveur  des  seigneurs^. 

<  Ord.,  t.  I,  p.  354. 

-  c  Symon  Boiel  et  Symon  Pagan ,  deputati  a  domino  rege  super  acquisitis 
factis  a  pcrsonis  ccclesiasticis  et  innobilibus  in  prepositura  Par.  d  Novembre 
1293.  K.  36,  no  26. 

■^  Bibl.  imp.,  Languedoc,  71,  fol.  55.  En  1291. 

^  19  mars.  Ord..  t.  XI,  p.  373. 

•'^  tt  Duximus  concedendum  ci ,  licet  ipsc  et  sui  hercdes  vel  successores , 
non  sint  de  nobili  génère,  dietum  manerium  ad  liomagium  retinerc  modo  et 
conditione  quibus  dictus  domicellus  (vcnditor)  tenuerat.  »  Reg.  XLVII,  no5. 
En  1300. 

6  Ord.,  t.  I,  p.  3308.  En  1301. 

"  En  faveur  de  Saint-Martin  des  Champs,  en  1306,  Olim ,  t.  III,  p.  1313; 
de  l'abbaye  Sainte-Geneviève,  ibid.,  p.  1307,  en  130G. 


252  LA  KllWCE  SOUS  IMIILII'PI':  LK  liEL. 

La  maxime  t.  lortune  d'or  appartient  au  roi  ^^  n'était  pas 
encore  admise,  mais  les  trésors  d'or  devenaient  la  propriété 
exclusive  du  seigneur  liaut-justicier.  En  121)8,  le  parlement 
adjugea  à  l'abbaye  de  Saint-Denis  une  pièce  d'or  trouvée  à 
Aubervilliers,  lieu  où  elle  avait  toute  justice  '.  Ceux  qui  étaient 
soupçonnés  d'avoir  trouvé  des  trésors  étaient  poursuivis  avec 
rigueur  '. 

Philippe  prétendait  avoir  sa  part  de  tous  les  trésors.  En  1290 
il  ordonna  au  sénéchal  de  Toulouse  de  traiter,  soit  avec  les 
inventaires  de  trésors  trouvés  ou  à  trouver,  soit  avec  les  pos- 
sesseurs des  fiefs,  en  en  réservant  le  tiers  au  roi  ^ 

L'impôt  sur  le  sel  est  attribué  tantôt  à  Philippe  le  Hardi, 
tantôt  à  Philippe  de  Valois,  tantôt  à  Philippe  le  Bel.  On  le  trouve 
établi  sous  Piiilippe  le  Bel  dans  le  domaine  de  la  couronne  *  ; 
ce  prince  acheta  même  des  salines  dans  le  Languedoc  ^,  mais 
la  gabelle  existait  bien  longtemps  auparavant  et  n'était  pas  un 
droit  royal.  Le  monopole  du  sel  avait  toujours  tenté  la  cupidité 
des  seigneurs ,  qui  trouvaient  dans  l'exploitation  des  greniers 
h  sel  des  revenus  assurés®.  Le  chapitre  des  recettes  diverses 
renfermait  aussi  dans  les  comptes  des  baillis  l'énoncé  d'impôts 
extraordinaires  tels  qu'aides  loyaux ,  louages  pour  la  conser- 
vation des  monnaies,  décimes  sur  le  clergé,  qui  jouent  un  si 
grand  rôle  dans  l'histoire  de  Philippe  le  Bel  et  qui  font  l'objet 
des  chapitres  suivants. 

La  rigueur  du  fisc  à  faire  rentrer  les  sommes  qui  lui  étaient 

1  Or   Arcli.  imp.,  K.  3(5-,  n»  50. 

-  Voyez  riiisloirc  d'un  clievalicr  et  de  sa  femme  injustement  accuses  d'avoir 
trouvé  sept  pièces  d'or.  Otim,  t.  III,  p.  680  (1311). 

3  Octobre  1290.  Doat,  155,  p.  289. 

^  tt  De  salino  Tholosc  3(55  lib.  »  (Compte  de  1299.  Ordre  au  sénéchal  de 
Carcassonne  de  faire  observer  la  coutume  du  salin  de  cette  ville.  1298.  Ord., 
t.  IX,  p.  175. 

^  En  1290,  le  roi  acheta  à  Rémond  d'Lzès  les  salines  de  Peccais,  valant 
350  livres  de  rente.  Vaissète,  t.  U ,  Preuves,  col.  114. 

^  Sur  les  diverses  opinions  au  sujet  de  la  gabelle,  voyez  Pastoret,  préface  du 
tome  W.  I  des  Ord.  Cet  auteur  invoque  une  ordonnance  de  1318  (|ui  sii|)prime 
la  gabelle  (Ord.,  t.  I,  p.  (579),  et  une  autre  de  Louis  X  {ÎInd.,  p.  007)  ;  mais 
AI.  Cailly  {Histoire  fin.  de  la  France,  t.  I,  p.  89)  regarde  Philippe  le  Bel 
comme  l'inuenteur  de  la  gabelle.  AI.  Dareste  [Histoire  de  l'administration, 
I.  H,  p.  93)  l'attribue  à  Philippe  de  Valois. 


LIV  RK  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  253 

(lues  était  si  conniio,  que  l'on  vit  se  reproduire  alors  ce  qu'on 
avait  vu  sous  les  empereurs  romains  :  des  personnes  abandon- 
nèrent une  partie  de  leur  succession  au  roi  pour  assurer 
l'exécution  de  leur  testament  '. 


CHAPITRE  DEUXIEME. 

IMPOTS    GÉNÉRAUX    E\TR AORDIX AIRES. 

Définition  des  aides.  —  Subside  pour  la  guerre  d'Aragon.  —  Mallôte  de  1292. 
—  En  quoi  consistait  cet  impôt.  —  Explication  de  la  taille  de  Paris  publiée 
par  Géraud.  —  Erreur"  de  ce  savant.  —  Centième  des  biens,  en  J295.  — 
Cinquantième  des  biens,  en  1296.  —  ^lode  de  lever  cet  impôt.  — •  Autre 
cinquantième,  en  1297.  —  Troisième  cinquantième.  —  1302,  aide  pour 
la  guerre  de  Flandre.  —  1303,  autre  aide  pour  le  même  objet.  —  1304, 
autre  aide.  — Comment  le  peuple  fut  admis  à  voter  cet  impôt.  —  1308,  aide 
pour  le  mariage  d'Isabelle.  —  Assemblées  convoquées  pour  l'octroyer.  — 
1313,  aide  pour  la  chevalerie  de  Louis  le  Hutin.  —  1314,  aide  pour  la 
guerre  de  Flandre. 

Au  nombre  des  subsides  extraordinaires  que  les  seigneurs 
étaient  en  droit  de  demander  à  leurs  sujets  ne  figurait  pas 
d'impùt  pour  la  défense  du  royaume  ou  de  la  seigneurie.  Cela 
tient  à  ce  que  chacun,  noble  ou  vilain,  devait  servir  en  personne 
en  cas  de  nécessité;  ceux  qui  restaient  dans  leurs  foyers  payaient 
seuls  une  taxe  comme  prix  du  rachat  du  service  militaire. 

Tel  fut  le  caractère  de  la  taille  que  Philippe  le  Hardi  leva 
en  1277  dans  ses  domaines,  à  l'occasion  de  la  guerre  de 
iVavarre^.  Sous  Philippe  le  Bel,  l'impôt  devint  royal  et  fut  levé 
dans  toute  la  France. 

a  II  y  eut  sous  le  règne  de  ce  roi,  dit  un  contemporain, 
Guillaume  l'Ecossais,  plusieurs  maltôtes,  centièmes,  cinquan- 
tièmes, décimes,  et  une  foule  d'autres  exactions  et  tailles  fort 

1  Legs  du  cinquième  des  biens.  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  392,  n»  25 
(en  1312). 

-  «  V  isis  cartis  vetcri  et  nova  hominum  de  Vere  Parvo ,  dictum  fuit  quod 
tenebuntiir  contribuere  una  cum  bominibus  de  Honte  Leherici  in  subsidium 
domini  régis  pro  e.xercitu  Xavarre.  »  Olim,  t.  I,  p.  9T  (1277). 


254  L.\  FRAXGE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL, 

lourdes.  «  Tous  les  chroniqueurs  insistent  sur  la  multiplicité 
(les  impôts,  mais  aucun  ne  permet  d'en  tracer  un  tableau 
complet.  Je  vais  essayer  de  le  faire  à  l'aide  do  documents 
financiers  nouvellement  publiés  dans  le  Recueil  des  Historiens 
de  France,  et  de  quelques  comptes  encore  inédits.  Je  me  serais 
perdu  dans  ce  dédale,  si  je  n'avais  trouvé  un  yuide  dans  un 
inventaire  des  archives  de  la  chambre  (U^s  comptes  de  Paris, 
rédigé  vers  1325  par  Robert  Mignon,  qui  avait  été  chargé  de 
les  classer;  mais  cet  inventaire,  malgré  son  caractère  officiel, 
n'est  pas  complet  et  induirait  même  dans  de  graves  erreurs  si 
on  ne  le  contrôlait  par  d'autres  documents  administratifs  con- 
temporains ' . 

Au  moment  où  Philippe  monta  sur  le  trône,  on  levait  encore 
l'aide  imposée  à  l'occasion  de  sa  chevalerie  :  en  effet,  en  1284, 
avant  de  se  marier  avec  l'héritière  de  Champagne,  qui  lui 
apportait  en  dot  la  couronne  de  Xavarre,  il  avait  été  armé 
chevalier.  Les  villes  avaient  accordé  à  cette  occasion  des  dons 
gratuits"  que  les  habitants  levèrent  eux-mêmes  ^ 

Philippe  avait  hérité  de  la  guerre  entreprise  par  son  père 
contre  Don  Pèdre  d'Aragon  ;  cette  guerre  fut  une  occasion  de 
lever  des  impôts  dans  certaines  provinces  du  domaine  royal. 
Les  villes  du  Alidi  avaient  été  convoquées  en  armes,  à  ilorlas, 
et  celles  qui  n'envoyèrent  pas  de  troupes  furent  obligées  de 
payer  une  somme  d'argent.  C'est  ainsi  que  la  ville  de  Carcas- 
sonne  donna  au  roi  mille  livres  tournois  pour  n'avoir  pas 
répondu  a  la  convocation  des  communes  méridionales*. 

En  1292  commença  la  levée  d'un  impôt  dont  le  nom  est 
resté  célèbre,  mais  dont  la  nature  est  peu  connue;  le  peuple 
le  flétrit  du  nom  de  nialtàte^,  nom  que  le  roi  accepta  sans 

'  Pour  se  persuader  combien  l'iiistoirc  des  fiuanccs  sous  Pliilippc  le  Rel  est 
incomplète,  ou  plutôt  entièrement  ù  faire,  ou  n'a  qu'à  lire  le  chapitre  con- 
sacré h.  ce  règne  dans  l'ouvrage  le  plus  étendu  qui  ait  été  publié  sur  cette 
matière,  Bailly,  Histoire  de  l'administration  financière  de  la  France ,  t.  I , 
p.  66  et  suiv. 

2  Vaissète ,  t.  IV,  Preuves,  col.  82. 

^'  A  IVîmes.  Alesiiard,  Histoire  de  Xîmes,  t.  I,  preuves,  p.  111. 

^  Trésor  des  chartes,  J.  392,  n"  16. 

5  Historiens  de  France,  t.  XXI ,  p.  14.  Mala-tolta,  mauvais  impôt,  et  non 
pas  tout-mal. 


LIVRE  DIXIEME.  —  RECETTES  ET  DEPEXSES.  255 

pudeur',  et  qui  fut  consacré  dans  la  langue  financière  du 
quatorzième  siècle,  pour  désigner  les  impôts  sur  la  consom- 
mation". Les  chroniqueurs  sont  peu  explicites  et  ne  disent  pas 
en  quoi  consistait  la  maltôte  de  1292  :  ils  apprennent  seule- 
ment qu'elle  se  levait  sur  les  marchands,  et  que  la  perception 
de  cette  nouvelle  taxe  excita  à  Rouen  une  émeute  terrible, 
dans  laquelle  la  populace  envahit  la  maison  des  collecteurs, 
pilla  leurs  caisses  et  poursuivit  les  maîtres  de  l'échiquier,  qui 
durent  chercher  leur  salut  en  se  réfugiant  dans  le  château*. 
Les  principaux  bourgeois,  qui  n'avaient  pas  pris  part  à 
l'émeute,  apaisèrent  le  peuple  et  cherchèrent  à  désarmer  les 
vengeances  de  l'autorité.  Les  mutins  les  plus  compromis  furent 
pendus;  la  ville  perdit  ses  privilèges,  et  la  perception  de  la 
maltôte  continua. 

C'était  un  impôt  indirect  sur  les  objets  de  consommation. 
Il  consistait  en  un  denier  par  livre,  payable  à  la  fois  par 
l'acheteur  et  par  le  vendeur;  de  là  le  nom  d'impôt  du  denier 
par  livre,  sous  lequel  la  maltôte  fut  d'abord  connue*.  On 
l'établit  d'abord  dans  toute  l'étendue  du  royaume,  mais  les 
barons  réclamèrent  et  obtinrent  qu'il  fût  restreint  au  domaine 
royal  ^  Il  souleva  une  clameur  générale  ;  on  le  regarda  comme 
une  vexation  abominable,  comme  une  chose  inouïe  et  mons- 
trueuse ®. 

La  maltôte  avait  pourtant  l'avantage  d'atteindre  toutes  les 
classes  de  la  société,  ce  qui  constituait  une  étrange  nouveauté 

1  11  Cum  gentes  nosfre  pro  nobis  pcfcrent  a  civibus  et  habitatoribus  Remen- 
sibus...  flictiim  dcnarium  alias  vocatum  malam  toltam...  n  Lettre  de  Philippe 
le  Bel  aux  habitants  de  Reims,  en  1293.  Varin,  Arch.  administratives  de  la 
ville  de  Reims,  t.  I,  p.  1081  et  1082. 

-  Voyez  la  concession  à  la  ville  de  Bordeaux  d'une  maltôte  sur  les  mar- 
chandises qui  passaient  par  Bordeaux.  Olim,  t.  III,  p.  7794.  En  1313.  — 
J'ai  même  vu  le  mot  maltôte  employé  avec  ce  sens  dans  un  document  officiel 
antérieur  à  Philippe  le  Bel. 

•^  \angis,  Historiens  de  France ,  t.  XX,  p.  575. 

"i  Varin,  Arch.  administratives  de  Reims,  t.  I,  p.  1082.  —  Olim,  t.  II, 
p.  417. 

5  IL  Concessum  fuit  baronibus  qnod  non  leiarctur  dictus  dcnarius  in  suis 
terris,  i  Rouleau  original,  suppl.  du  Trésor  des  chartes ,  J.  1024,  n"  82. 

•5  s  Exactio  quedam  in  regno  Francie  non  audita  qnam  malam  toltam  nomi- 
nabant.  »  Chron.  G.  de  Frachcto,  Historiens  de  France,  t.  XXI ,  p.  14. 


256  LA  FH.AXCr:  SOIS  PHILII'PK  LK  15KL. 

dans  un  fcmps  où  la  noblesse  et  le  clergé  se  regardaient  comme 
affranchis  de  toutes  charges.  Aussi  les  ordres  privilégiés  pro- 
testèrent contre  cette  égalité  devant  l'impôt  qui  les  abaissait 
au  niveau  du  tiers  état.  Le  tiers  état  lui-même  ne  put  voir  sans 
effroi  l'établissement  d'une  taxe  qui  menaçait  de  devenir  per- 
pétuelle et  avait  nécessité  la  création  d'une  armée  de  rece- 
veurs, de  contrôleurs  cl  d'espions.  Les  villes  s'empressèrent, 
pour  la  plupart,  de  se  racheter  moyennant  des  sommes  fixes 
une  lois  payées  :  Reims  offrit  un  don  gratuit  de  dix  mille  livres, 
qui  fut  accepté',  (^es  dix  mille  livres  furent  imposées  dans  les 
formes  prescrites  par  saint  Louis  pour  la  levée  des  tailles  com- 
munales'. Les  échevins  mirent  une  taille  qui  se  prolongea 
plusieurs  années. 

Le  savant  et  regrettable  Géraud  a  publié  dans  la  Collection 
des  Documents  inédits  le  compte  de  la  taille  de  Paris  pour 
l'année  1292.  Ce  document  précieux  renferme  l'indication, 
rue  par  rue,  maison  par  maison,  de  la  levée  d'un  impôt 
dont  l'objet  et  la  nature  ne  sont  pas  connus.  Les  recherches 
qu'avait  faites  Géraud  à  cet  égard  étaient  restées  infructueuses, 
et  il  avait  conclu,  un  j)eu  à  la  légère  et  en  se  basant  sur  des 
conjectures  que  rien  ne  justifiait,  qu'il  s'agissait  d'un  impôt 
consistant  dans  le  cinquantième  du  revenu.  Il  était  parti  de 
cette  donnée  pour  calculer  la  cpiotité  des  impôts  payés  sous 
Philippe  le  Bel,  et  était  arrivé  à  ce  résultat  que  les  impôts 
étaient  à  cette  époque  six  fois  moins  élevés  que  de  nos  jours. 
Plus  heureux  que  Géraud,  j'ai  pu  déterminer  exactement  la 
nature  de  la  taille  de  1292  et  tirer  des  conséquences  entièrement 
opposées  à  celles  du  savant  éditeur  de  Paris  sous  Philippe  le  Bel. 

On  conserve  aux  archives  de  l'Empire,  dans  un  énorme 
registre  in-folio,  la  suite  du  manuscrit  dont  Géraud  n'avait 
connu  qu'un  fragment  se  référant  à  l'année  1292;  suite  qui 
comprend  les  années  1293,  1294,  1295  et  1297'.  Les  rubri- 

1  Arch.  ad»i.,  t.  I,  p.  1082. 

-  Arch.  adm.,  t.  I,  p.  1091.  Quittance  donnée  par  les  receveurs  du  roi  à 
J.  de  VilledoiiKinge  et  P.  Beiiner,  bourgeois  de  Reims,  tailleurs  et  receveurs 
de  la  parodie  Saiiit-\laire,  de  l\\\  livres  pour  le  denier  la  livre.  1  avril  1295. 

•^  Voyez  notre  description  de  ce  manuscrit  dans  Xolices  et  extraits  des 
manuscrits  publiés  par  \Acad.  des  inscrij)/..  t.  X\,  2*^  partie,  n"  m. 


LIVRE  DIXIEME.  —  RECETTES  ET  DEPEXSES.  257 

qiies  dp  ce  manuscrit  indiquent  qu'il  était  question  d'une 
taille  de  cent  mille  livres,  mais  le  motif  de  celte  taillé  n'est 
pas  marqué.  Un  passage  des  Olim  du  parlement  de  Paris 
comble  celte  lacune.  On  lit  en  effet,  dans  un  arrêt  de  l'an- 
née 1297,  que  les  bourgeois  de  Paris  voulurent  contraindre 
les  habitants  des  bourgs  Saint-Marcel  et  Saint-Germain  à  con- 
tribuer au  don  de  cent  mille  livres  fait  au  roi,  en  compensa- 
tion du  denier  pour  livre  qu'il  avait  ordonné  de  lever  sur  toutes 
les  denrées  qui  se  vendraient  à  Paris'.  Cette  taille  de  cent 
mille  livres  était  donc  analogue  à  celle  de  dix  mille  livres 
imposée  parla  ville  de  Reims,  et  représentait  la  raaltôte.  Elle 
fut  levée  dans  la  forme  des  tailles  municipales,  par  les  habi- 
tants eux-mêmes  et  sans  intervention  d'agents  royaux.  La  taille 
de  Paris  durait  encore  en  1301  ".  Quant  à  la  maltôte,  elle  fut 
levée,  du  moins  en  Normandie,  jusqu'à  la  Pentecôte  1293^. 
Elle  avait  été  instituée  au  commencement  du  carême  de  l'année 
précédente.  Les  rachats  de  cet  impôt  par  les  villes  pi'oduisirent 
ce  résultat  bizarre  que  la  noblesse  et  le  clergé  furent  par  là 
exemptés  de  l'impôt,  car  les  nobles  et  les  clercs  ne  partici- 
paient pas  aux  tailles  municipales  :  en  effet,  on  ne  les  voit  pas 
figurer  sur  les  rôles  de  la  taille  de  Paris.  Plusieurs  seigneurs 
permirent  au  roi  de  lever  la  maltôte  dans  leurs  terres*. 

Dans  le  Midi,  au  lieu  de  la  maltôte  on  mit  un fouage.  Les 
consuls  des  cités  et  des  bourgs  reçurent  l'ordre  de  donner  aux 
agents  du  fisc  un  état  des  feux  de  leur  localité.  Ils  devaient 
affirmer  sous  serment  la  vérité  de  leur  déclaration.  Si  elle  était 
reconnue  inexacte,  ils  étaient  passibles  de  peines  corporelles 
et  pécuniaires.  Chaque  feu  payait  six  sous  tournois,  ou  plutôt 

1  d  Super  dono  c'"  lib.  nobis  facto  in  rocompcnsationcni  denarii,  qnpni 
unumvidclicct  ab  cmptore  et  alium  a  venditorc  rcruin  vcnditaruni  Parisius  de 
qualibct  libra  habere  volcbamus.  ti  Olim,  t.  II,  p.  412. 

2  (Il  De  tallia  ville  Paris.  De  summa  de  c'"  lib.  s  24  décembre  1301.  Journal 
du  trésor,  foi.  125  1°. 

3  tt  Racione  denarii  libre...  diiravit  circa  festiun  Penthecostis  anno  1293 
quia  die  sabbati  anfe  Peiithecostom  passi  sunt  iVormanni  confiisioneni  contra 
Baionenscs.  »  Roui,  orig.,  J.  1024,  n"  1082. 

^  Entre  autres,  le  chapitre  de  Xotre-Danie  de  Paris.  Arch.  de  l'Emp.,  or. 
K.  3G,  n"  37  (juillet  1295).  Reconnaissance  par  le  roi  que  ce  don  ne  lui 
portera  pas  préjudice.  J.  152,  n"  12  (jour  de  la  Saint-Luc  1295). 

17 


258  LA  FRAVCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

on  devait  donner  six  sous  par  feu,  car  cliaeun  conlril)i]ait  sui- 
vant ses  facultés.  Un  feu  était  un  ménage.  N'étaient  pas  con- 
sidérés comme  faisant  un  feu  riiommc  ou  la  femme  chef  de 
famille  n'ayant  pas  une  fortune  de  cinquante  sous  tournois. 
Des  commissaires  étaient  choisis  dans  chaque  rue;  ils  tenaient 
un  registre  où  était  marquée  la  fortune  de  chacun,  qui  était 
évaluée  au  moyen  de  déclarations  faites  sous  serment.  Ces 
déclarations  étaient  contrôlées  au  moyen  de  la  commune  renom- 
mée. La  somme  due  par  chaque  localité  étant  connue,  les 
commissaires  la  répartissaient  entre  les  hahitants  proportionnel- 
lement à  leur  fortune.  Les  nohles  et  les  clercs  étaient  exempts  \ 
L'inventaire  des  rouleaux  de  la  chambre  des  comptes  par 
Robert  Mignon,  dont  j'ai  parlé  plus  haut,  dans  le  chapitre 
intitulé  Comptes  des  subventions,  des  tailles  et  des  imposi- 
tions levées  dans  le  roijaume  pour  sa  défense,  à  partir  de 
Vannée  1290,  donne  la  liste  suivante  : 

Premier  ou  double  centième 1 

Second  centième  simple \    entre  1290  et  1300. 

Cinquantième  on  troisième  levée | 

Subsid?  pour  l'ost  de  Flandre,  pour  l'année  1302. 

Idem,  pour  l'année  1303. 

Idem,  pour  l'année  1304. 

Aide  pour  le  mariage  de  la  reine  d'Angleterre,  en  1309. 

Aide  pour  la  chevalerie  du  roi  Louis  de  \avarro,  eu  1313. 

Subside  pour  l'est  de  Flandre ,  en  1314  -. 

Examinons  successivement  chacun  de  ces  impôts.  D'après 
Robert  Mignon,  les  trois  premières  impositions  furent  des  cen- 
tièmes, dont  deux  doubles;  mais  avant  d'aller  plus  loin, 
constatons  immédiatement  de  graves  omissions.  Un  document 
officiel,  qui  offre  l'ensemble  des  mesures  financières  et  mili- 
taires prises  pour  faire  face  à  la  guerre  contre  l'Angleterre, 
apprend  qu'avant  de  recourir  à  l'imposition  d'un  centième, 

*  En  1293,  le  sénéchal  de  Carcassonnc  ordonna  aux  consuls  de  Xarbonne; 
u  Pro  singidis  focis  communitas  ipsius  ville  solvat  sox  solidos  turonrnscs, 
arbilrio  proborum  juraioruni  in  cadcm  villa  dividcndos  sou  tailiiandos... 
HoniiucMn  vcro  vcl  luulirreni  focum  facicntem,  non  habentem  in  bonis  valorem 
50  solidorum  turoncnsium,  pro  foco  non  intcndinius  reputari.  i  Arcli.  de  la 
ville  de  Xarbonne.  Copie  dans  la  collection  Doat,  t.  LI,  p.  28,  à  la  Bibl.  imp, 

-  Historiens  de  France ,  t.  XXI,  p.  527. 


LIVRE  DIXIEME.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  259 

on  avait  déjà  fait  appel  aux  contribuables.  Je  ne  parle  pas  de 
divers  emprunts;  je  traiterai,  dans  un  chapitre  spécial,  des 
ressources  que  le  gouvernement  de  Pnili|ipe  le  Bel  trouva  dans 
le  crédit.  En  1293,  Thomas  lîrichard,  maître  de  la  monnaie, 
et  plusieurs  autres  conseillers,  proposèrent  d'altérer  les  mon- 
naies; rilalien  Mouchet,  que  l'on  a  injustement  accusé  d'avoir 
conseillé  les  mesures  financières  iniques  qui  déshonorèrent  le 
règne  de  Philippe  le  Bel,  combattit  cette  proposition,  dont  il 
fit  entrevoir  à  la  fois  les  funestes  conséquences  et  le  peu  d'uti- 
lité. Son  opposition  triompha  momentanément;  mais  il  fallait 
à  tout  prix  de  l'argent.  On  leva  un  'prêt;  en  bon  français  on 
mit  un  impôt  sur  les  riches  bourgeois  des  bonnes  villes  et  des 
bailliages,  qui  produisit  six  cent  trente  mille  livres  tournois. 
Cet  heureux  résultat  engagea  le  roi  à  étendre  cette  opération 
aux  prélats  et  aux  autres  membres  de  son  conseil,  ainsi  qu'aux 
maîtres  du  parlement  et  de  la  chambre  des  comptes,  ce  qui 
produisit  cinquante  mille  livres  tournois'. 

Revenons  à  la  liste  de  Mignon.  Cette  liste  place  en  première 
ligne,  par  rang  d'ancienneté,  un  double  centième,  ou  cin- 
quantième. Je  crois  que  c'est  là  une  erreur,  et  que  le  premier 
impôt  général  fut  un  centième  simple;  en  voici  la  preuve. 

Le  chroniqueur  Gérard  de  Fracliet,  dans  l'énumération  des 
difî'érenls  impôts,  place  le  centième  avant  le  cinquantième*. 
Philippe  le  Bel  donna,  le  10  mars  1296,  aux  habitants  de 
Reims  des  lettres  où  il  promit  que  le  payement  du  prêt  (rachat 
de  la  maltôte),  du  centième  et  du  cinquantième,  qu'ils  lui 
avaient  fait  pour  la  défense  du  royaume,  ne  leur  porterait  aucun 
préjudice*.  Dans  cette  énumération,  le  centième  précède  le 

1  «  Item,  pour  ce  que  Thomas  Bricliart,  mastre  de  la  monnoie,  et  aucuns 
du  conseil  conscilloicnt  et  voloient  que  pour  avoir  chcvance  se  faist  la  foible 
monnoie,  qui  puis  se  fist,  monseigneur  Alouche  et  aucuns  autres  qui  soste- 
noient  le  contraire  ne  voloient  que  la  bone  monoie  se  gastat...  se  leva  prest 
qui  fut  mis  et  levé  sur  les  ricties  bourgois  de  toutes  les  bonnes  villes  et  des 
baillies,  l'an  1293.  Du  quel  prest  se  leva  des  bourgois  environ  630,000  livres 
tournois,  et  des  prélaz  et  autres  du  conseil  le  roy  et  mastrcs  des  coiiipfcs  et 
du  parlement,  environ  50,000  livres  tournois,  t  Or.  .^rch.  de  l'Emp.,  J.  654, 
no  16.  Voyez  Notices  et  extraits ,  n°  vir. 

2  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  14. 
•^  Varin,  Arch.  adm.,  t.  I,  p.  J099. 

17. 


260  LA  FRAXCE  SOUS  PHILIPPr:  LE  BEL. 

ciiKjiiaiilièmo.  l'un  antre  charte  du  mois  de  septembre  1295 
constate  que  la  levée  du  reiitième  était  dès  lors  ordonnée;  or, 
la  pere('|)li()n  du  premier  cinquantième  ne  fut  décidée  qu'au 
mois  de  janvier  J"i9(j. 

Dans  cette  charte,  le  roi  l'ail  coniiaitrc"  (pi'il  a,  du  consente- 
ment du  duc  de  IJourjjogue,  lait  lever  dans  le  duché  de  liour- 
gojjne  et  dans  les  autres  fiefs  du  duc,  pour  subvenir  à  la 
défense  du  royaume,  une  somme  équivalente  au  centième  de 
tous  les  biens  appartenant  aux  personnes  ecclésiastiques  et 
religieuses  et  à  toute  autre  sorte  de  personnes,  les  chevaliers 
et  les  écuyers  exceptés.  Il  abandonne  au  duc  la  moitié  de 
cette  somme,  et  déclare  que  la  concession  de  cet  impôt  ne 
pourra  tirer  à  conséquence  pour  l'avenir  '. 

On  conserve  au  Trésor  des  chartes  une  instruction  sur  la 
manière  de  lever  ce  centième;  mais  comme  les  règles  qui 
présidèrent  à  la  perception  de  cet  impôt  furent  les  mêmes 
que  pour  la  perception  du  cinquantième  qui  le  suivit  immé- 
diatement, je  renvoie  tous  les  détails  que  j'ai  pu  trouver  sur 
ce  sujet  pour  le  moment  où  je  traiterai  de  la  levée  du  cin- 
(juanlièine,  sur  lequel  les  renseignements  sont  plus  nombreux. 
Je  me  bornerai  à  faire  remarquer  que  le  roi  ne  leva  le  cen- 
tième dans  les  terres  des  grands  feudataires  qu'avec  leur  per- 
mission et  en  leur  laissant  la  moitié  du  produit.  Quant  aux 
ecclésiastiques,  soit  du  clergé  séculier,  soit  du  clergé  régulier, 
qui  paiticipaient  à  cet  impôt,  ils  le  devaient,  non  pour  leurs 
bénéfices  ecclésiastiques  qui  étaient  soumis  à  des  impôts  parti- 
culiers nommés  décimes,  mais  pour  leurs  biens  personnels. 
Enfin,  tout  le  monde  payait  le  centième',  sauf  les  cheva- 
liers et  les  écuyers  qui,  en  vertu  des  principes  féodaux,  con- 

*  t  Ciim  pro  dcfcnsionc  «jeiicrali  rcgni  iiostri ,  de  conscnsu  dilecli  et  ildclis 
nostri  l{ol)erti,  diicis  Burgunclic,  quanlilatem  quanulam  eqiiipoientcm  ccnte- 
simc  bononim  onmiuin  ad  persoiias  ecclesiaslicas  et  religiosas  nec  non  alias 
qiiasc(unc|iic  s|)c'ctiuitium,  mililil)us  et  armigcris  dimitaxat  exceptis,  recepimus 
in  ducalii  lîiirgiindie  :  cujiis  ([iianlilatis  dirnidiam  parteni  voliiiniis  pênes  ipsnm 
diiccin  pernianerc...  Parisius  anno  1295,  niense  septenibris.  i  Jlisloii'C  de 
Bourgogne ,  preuves,  p.  c\i. 

-  Les  contributions  atteignirent  quelquefois  un  cliiffre  élevé.  V'oyez  «ne 
quittance  de  150  livres  «  pro  subsidio  regni  »  donnée  à  Jean  l{oyan,  demeu- 
rant à  Saint-Pierre  le  Mouticr,  1295.  Trésor  des  chartes,  or.,  J.  -'«•74,  no  56. 


LURK  DIXIlblE.  —  RECETTES  ET  DÉPE\SES.  261 

tribuaient  à  la  défense  du  royaume  par  les  armes,  jamais  par 
l'argent. 

En  Champagne,  on  exigea  le  cinquantième  des  i)iens. 

La  guerre  (ju'on  soutenait  à  la  fois  contre  l'Angleterre  et  la 
Flandre  rendit  indispensable  l'établissement  d'un  nouvel  impôt, 
non  plus  du  centième,  mais  du  cinquantième  des  biens  :  il  fut 
établi  par  le  roi  dans  une  assemblée  générale  de  prélats  et  de 
barons  convoqués  à  cet  efifet',  assemblée  qu'on  ne  doit  pas 
confondre  avec  les  états  généraux,  car  rien  ne  prouve  (jue  le 
tiers  état  y  ait  figuré.  Les  barons  et  les  prélats  qui  y  assis- 
tèrent ne  peuvent  pas  être  considérés  comme  les  représentants 
de  la  noblesse  et  du  clergé.  Dans  une  lettre  au  sénéchal  de 
Beaucaire,  Philippe  le  Bel  parle  seulement  de  quelques  pré- 
lats, barons  et  fidèles*.  C'était  un  impôt  général  à  tout'le 
royaume;  le  roi,  pour  en  assurer  la  perception  et  prévenir  la 
résistance  qu'il  pouvait  rencontrer  dans  les  seigneurs,  leur  en 
abandonna  une  partie  qui  variait  suivant  la  qualité  du  feuda- 
taire.  Les  comtes,  les  archevêques  et  les  évêques  en  avaient  le 
tiers  dans  les  fiefs  où  ils  possédaient  la  haute  justice;  les 
autres  barons,  mais  seulement  les  hauts  justiciers,  le  quarto 

Voici  en  quoi  consistait  cet  impôt,  qui  n'était  pas  toujours 
le  cinquantième  des  biens,  mais  qui,  en  aucun  cas,  ne  dépas- 
sait ce  taux. 

Toute  personne  tenant  maison,  ou  ayant  l'administration  de 
ses  biens,  quand  même  elle  ne  tenait  pas  maison,  payait  le 
cinquantième  de  ses  biens,  soit  meubles,  soit  immeubles, 
pourvu  qu'ils  valussent  plus  de  dix  livres. 

1  «  Que  ordinalio  cxfitit  traclata  et  ordinata  ciim  consilio  baroiuim  et  prc- 
latonim,  qui  pro  isia  ordinatione  facienda  vocati  fucrunt  in  gcnerali  conioca- 
tionc.  1.  Ord.,  t.  XII,  p.  3-33. 

2  tt  Cum  luiper,  piiiribiis  prelatis,  baronibus  et  fidelibus  regni  nostri  super 
arduis  negociis  evocatis  prcsenlibus  provida  deliberacione  concilii  ordinatum 
fuit  et  stalutum  ut  ccrtis  subsidiis  ab  cisdcm,  etc.  i  Lettre  du  roi  an  scnccbal 
de  Beaucaire,  samedi  après  l'Epiphanie  1295-1296.  Bibl.  imp.,  n"8409, 
fol.  65. 

3  a  Comités,  archiepiscopi  et  episcopi ,  ubi  habcnt  alfam  justiciam,  liabe- 
bunt  fcrciam  partern;  omncs  alii  baroncs  altam  justiciam  iiabentrs  in  terris  suis 
habcbunt  rpiarlam  parlem.  Ordinalio  vocata  quinquagcsinia  que  Icvari  débet 
per  rcguum  Francie.  j  Ord.,  t.  XII,  p.  333. 


262  LA  FRAXCE  SOUS  PHILIPPR  LE  BEL. 

Celui  qui  ne  possédait  que  dix  livres,  payait  douze  deniers  : 
qui  cent  sous,  six  deniers. 

Les  artisans,  et  généralement  tous  ceux  qui  exerçaient  une 
profession  manuelle,  six  deniers. 

Celui  qui  avait  des  gages  à  l'année,  donnait  une  journée  de 
ses  gages. 

Dans  Teslimation  de  la  valeur  des  biens  n'étaient  pas  com- 
pris les  fiefs,  même  ceux  possédés  par  les  roturiers,  parce 
que  les  fiefs  étaient  assujettis  à  des  services  particuliers.  Par 
la  même  raison,  les  nobles  étaient  exempts,  qu'ils  fussent 
chevaliers,  écuyers,  clercs,  dames  ou  demoiselles,  même  pour 
leurs  meubles  et  leur  argent,  à  moins  qu'ils  ne  fissent  le  com- 
merce'. En  dehors  de  ces  exceptions,  l'impôt  frappait  tout  le 
monde,  même  les  bénéfîciers  en  cour  de  Rome,  même  les  offi- 
ciers du  roi,  même  les  hommes  de  corps,  les  mainmorta- 
bles,  pourvu  qu'ils  eussent  de  leur  vivant  la  libre  disposition 
de  leur  pécule. 

Voici  comment  le  cinquantième  était  levé  ^. 

Dans  chaque  localité  on  élisait  trois  notables,  dont  un  clerc, 
jouissant  d'une  bonne  renommée  et  d'une  fortune  médiocre. 
Ils  juraient  sur  les  Évangiles,  en  présence  des  commissaires 
royaux,  de  lever  l'impôt  diligemment,  promptement  et  avec 
loyauté,  sans  déférence  pour  personne.  Chaque  habitant  était 
obligé  de  déclarer  sous  serment  la  quotité  de  ses  biens.  Dans 
les  fiefs  des  barons,  les  commissaires  du  roi  présidaient  à  la 
nomination  des  collecteurs  et  recevaient  leurs  serments.  C'était 
aussi  à  eux  qu'était  remise  la  totalité  des  recettes.  Les  sei- 
gneurs étaient  chargés  de  l'exécution  de  l'ordonnance  royale 
dans  leurs  terres;  eux  seuls  avaient  le  droit  de  forcer  par  des 

*  «  Xobilcs  sive  sint  milites,  armigrri ,  clcrici,  domine  scu  domicelic, 
nichil  solvent  de  valore  bonorum  suonim  mobiliiim,  nec  eciam  de  capitali 
eoriim,  uisi  mcrcarcntur.  s  Ord.,  t.  Xil,  p.  331. 

-  On  trouve  de  curieux  rensci<i[nements  dans  une  lettre  écrite  par  le  bayle 
de  Cassagne-Begoutes  à  (îuiilaume  (lat,  son  sergent,  en  date  de  juillcl  1296  : 
Il  Vobis  mandamus  citelis  de  ordinibus  et  melioribus  boniinibus  in  bayliiia 
vestra  rcligiosorum  viroruni  domini  prioris  de  Ambiielo  et  precepforis  de 
Tauriaco  et  aliorum  locorum  religiosorum  duos  vcl  très  de  locis  singulis,  ut 
ipsi  pcrsonaliter  reniant  et  compareant  apud  Villam-Francam ,  die  lune  post 
festuin  B.  Jacobi.  n  Or.  aux  arcbives  de  la  Haute-Garonne. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DEPENSES.  563 

voies  de  rigueur  leurs  sujets  à  payer  le  subside  :  les  agents  du 
fisc  ne  devaient  intervenir  que  dans  le  cas  où  le  seigneur  se 
montrait  négligent.  Les  voies  de  contrainte  employées  contre 
les  contribuables  récalcitrants  étaient  la  saisie  des  biens.  Les 
clercs  mariés  et  commerçants  rentraient  dans  le  droit  com- 
mun; ceux  qui  vivaient  cléricalement  n'étaient  poursuivis 
qu'avec  l'autorisation  des  supérieurs  ecclésiastiques;  on  invo- 
quait même  contre  eux  les  sentences  de  l'Eglise  à  laquelle  le 
bras  séculier  prêtait  son  appui  '. 

Ces  renseignements  nous  sont  fournis  par  une  instruction 
sans  date,  mais  à  laquelle  il  est  facile  d'en  attribuer  une  cer- 
taine, car  elle  fut  envoyée  au  sénéchal  de  Beaucaire,  avec 
l'ordre  Ac  la  faire  exécuter,  le  samedi  après  l'Epiphanie  de 
l'année  1295  (vieux  style).  Cet  ordre  était  porté  par  deux  com- 
missaires désignés  par  le  roi  pour  lever  le  cinquantième  dans 
la  sénéchaussée  de  Beaucaire".  On  a  encore  les  noms  de  ceux 
qui  furent  envoyés  en  Flandre,  en  Artois  et  dans  les  autres 
bailliages  et  sénéchaussées  ^  Nul  doute  que  le  cinquantième 
n'ait  été  levé  chez  tous  les  feudataires.  La  part  que  le  roi  leur 
avait  assurée  dans  la  recette  vainquit  toute  opposition  de  leur 
part  et  excita  leur  zèle  *. 

Nombre  de  villes  se  firent  exempter  moyennant  finance  : 
Lille  donna  6,000  livres  ^  et  Douai  7,000  livres  parisis*'.  Ces 
villes  avaient  invoqué  vainement  leurs  privilèges  qui  les  affran- 
chissaient de  tout  impôt;  tout  ce  qu'elles  obtinrent,  ce  fut  de 
payer  à  titre  de  don  gratuit  l'équivalent  du  cinquantième. 

^  La  seule  copie  ancienne  do  ce  document  que  je  connaisse  est  dans  un 
cartulaire  de  la  ville  de  Montpellier,  où  l'on  inscrivait  à  mesure  qu'on  les 
recevait  les  ordonnances  royales  et  les  lettres  des  sénéchaux.  Bibl.  imp. , 
n°  8409,  no  65. 

-  Voyez  le  texte  de  la  commission  donnée  à  Robert  de  Fréauville  et  à 
Philippe  Martin.  Arch.  de  l'Emp.,  K.  166,  n'^  88. 

•'  Rouleau  oritjinal.  Ancien  rouleaux  non  cotés. 

^  1  Comités,  archiepiscopi  et  episcopi,  ubi  altam  habent  justiciam,  habe- 
bunt  terciam  partem ,  omnes  alii  barones  qui  altam  justiciam  habent  in  terris 
suis  habebunt  quartam  partem.  i  Ord.,  t.  XII,  p.  333.  J'ai  trouvé  plusieurs 
mentions  de  cinquantième  levé  par  des  seigneurs  dans  leur  terre. 

5  Ord.,  t.  XI,  p.  380. 

6  Ord.,  t.  XI,  p.  380. 


264  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

J'ai  clicrclié  à  évaluer  le  produit  d'un  cenlième  ou  d'un 
cinquantième;  les  comptes  spéciaux  qui  existaient  certaine- 
ment, puisque  Robert  Mijjnon  en  fait  mention,  ne  se  retrouvent 
plus  :  ils  ont  sans  doute  péri  dans  l'incendie  qui  consuma 
en  1737  une  grande  partie  des  archives  de  la  chambre  des 
comptes  de  Paris  et  nous  a  privé  de  documents  précieux  |)our 
l'histoire  linancière  de  la  France. 

Le  Journal  du  trésor,  de  l'année  1298  à  1301,  et  quelques 
comptes  ordinaires  des  bailliages  de  l'année  1299,  renferment 
de  nombreuses  mentions  de  versements  partiels  soit  ilu  cen- 
tième, soit  du  cinquantième',  mais  ces  notions  sont  trop  incom- 
plètes pour  qu'on  puisse  même  essayer  de  donner  avec  leur 
secours  une  évaluation  générale.  Enfin,  ce  que  je  cherchais 
depuis  longtemps,  je  l'ai  trouvé  dans  le  compte  rendu  des 
mesures  prises  pour  soutenir  la  guerre  contre  les  Anglais  dont 
j'ai  déjà  parlé.  Ce  document  officiel  évalue  le  cenlième  à 
315,000  livres  tournois'. 

En  vain  le  roi  avait  promis  que  le  cinquantième  ne  serait 
levé  qu'une  seule  fois  ^ . 

Ce  premier  cinquantième  fut  suivi  d'un  second  dont  la  date 
est  incertaine.  Un  passage  du  Journal  du  trésor,  du  23  mars 
1297,  qui  fait  mention  d'un  premier  cinquantième,  prouve 
que  le  second  était  dès  lors  établi^.  Il  le  fut  probablement 
en  1297.  Il  parait  même  qu'il  fut  converti  en  un  vingt-cin- 
quième, du  moins  en  certaines  provinces,  notamment  en  Lan- 
guedoc. En  effet,  on  trouve  en  1297  dans  cette  province  des 
agents  du  fisc  chargés  de  lever  le  cinquantième  et  le  vingt-cin- 
quième des  biens,  qui  convertirent  cet  impôt  en  une  taxe  de 
huit  sous  par  feu,  payables  chaque  année  tant  que  durerait  la 
guerre.   Plusieurs  localités  de  l'Albigeois  réclamèrent  contre 

^  18  octobre  1299  :  s  De  centesima  civilatis  Parisius,  infra  poules,  ix  lib. 
IV  s.  VII  d.  par.  »  Journal  du  trésor,  fol.  98.  —  26  novembre  1299  :  i  De 
centesima  et  prima  quinquagcsima  balliiie  Trecensis,  etc.  »  Ibid.,  loL  105. 
—  22  novembre  1299  :  a  De  centesima  ville  Alarolii  versus  Melil.  ,  etc.  » 
Ibid..  fol.  105. 

2  Notices  et  extraits,  n"  vu. 

3  a  Istud  siibsidiiim  Icvabitur  bac  vice  lantiim ,  quia  bene  dcbebit  sufficere.  i 
Ord.,t.  XII.  p.  3;}3. 

*  i  De  prima  quinquagcsima  terre  de  domno  Martino ,  •  fol.  4. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  265 

ces  exigences  excessives  et  obtinrent  de  ne  payer  que  six  sous 
par  feu'.  Ce  nouvel  impôt  avait  élé  établi  de  la  propre  auto- 
rité du  roi;  aussi  ne  ful-il  pas  levé  sans  obstacle.  Pbilippe  lui- 
même,  en  ordonnant  au  sénéchal  de  Beaucaire  de  le  lever  sur 
les  sujets  du  domaine,  lui  prescrivait  d'en  ajourner  la  percep- 
tion dans  les  fiefs  des  prélats  et  des  barons  ".  Ceux-ci,  en  effet, 
se  plaignirent  quand  on  l'exigea  de  leurs  tenanciers.  Ils  ne 
communiquèrent  aux  commissaires  du  roi  les  rôles  des  feux 
de  leurs  seigneuries  que  sous  la  promesse  formelle  que  cette 
exhibition  ne  pourrait  être  invoquée  contre  eux  comme  un 
précédente  Le  comte  de  Foix  protesta  solennellement  contre  la 
levée  de  ce  subside  dans  ses  fiefs.  Il  appela  au  roi,  déclarant 
n'être  tenu  lui  et  ses  sujets  à  aucun  impôt  de  cette  nature  sans 
l'avoir  consenti  volontairement  V  Le  roi  reconnut  (|ue  plusieurs 
villes  avaient  contribué  volontairement  sans  y  être  tenues  de 
droit.  Ce  second  cinquantième  devait  être  payé  en  deux  termes, 
l'un  à  la  Chandeleur,  l'autre  à  l'Ascension  1298  ^ 

Le  Journal  du  trésor  contient  de  nombreuses  mentions  du 
payement  de  cet  impôt  en  1299  et  1300  ". 

Il  y  eut  même,  quoique  Robert  Mignon  n'en  parle  pas,  un 
troisième  cinquantième  qui  fut  levé  en  l'année  1301.  Le  Jour- 
nal du  trésor  en  fait  foi.  Je  ne  sais  s'il  fut  général;  mais  il  fut 
levé  certainement  à  Paris  \  à  Langres*,  dans  le  bailliage  de 

1  Vaissète,  t.  IV,  Preuves,  col.  109  et  110. 

2  Ganjal,  Histoire  de  Ilouergue ,  t.  I,  p.  3. 

2  Lettres  de  juin  1297.  Or.  .Arcli.  inip.,  K.  3(i'-,  n"  46. 

■*  V'oyez  l'acte  de  protestation  du  31  mai  1297  dans  Vaissète,  Preuves, 
t.  IV,  col.  107. 

^  Cartulairc  de  Monlpeilier.  Bibl.  imp.,  n"  8409,  fol.  6. 

c  »  De  sccimda  ccntesinia  et  prima  quinquaffesima,  et  secunda  ballivic 
Trcccnsis,  collectis  per  magistrum  Sancium  de  Blesis.  d  Jourîial  du  trésor, 
fol.  105,  29  novembre  1299.  —  a  De  sccunda  qiiinqnagcsima  scu  diiplici 
centesima  parrochie  Sancti  Jacobi  de  Camificcria  Parisius. —  Do  centesima, 
quinquafjcsima  sccunda  seu  duplici  centesima,  décima  et  annuaiibns  in  civita- 
tibus  et  diocesibus  Pictav.,  Xanclon.,  En;;olisni.,  Lemovic,  Petrafjor.,  Caturc, 
Tholos.,  Agen.,  Varat.,  Durdegal.,  etc.  »  Ibid.,  fol.  97  (Il  octobre  12')9). 

'  25  mai  1301  :  s  De  arreragiis  tercia  quinquajjesima  prepositurc  Paris.  » 
Journal  du  trésor,  fol.  IIG. 

^  19  juin  1301  :  «  De  tercia  quinqnagesima  ballivic  ilatiscon.  et  cpisco- 
patus  Lingoneusis.  i  Journal  du  trésor,  fol.  116. 


26G  LA  FRAX'CE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

Màcon,  dans  celui  d'Orléans',  à  Beauvais,  en  Normandie,  en 
Clianipajjne,  en  Poitou  et  en  Limousin. 

En  1302,  la  guerre  recommença  contre  les  Flamands,  que 
l'impolilique  conduite  des  agents  de  Philippe  avait  poussés  à 
la  révolte.  Cette  lutte  terrible,  dans  laquelle  les  Flamands 
combattent  pour  leur  liberté,  achèvera  d'épuiser  la  France. 
L'armée  royale  éprouve  à  Courtrai  un  de  ces  désastres  qui  se 
renouvelleront  à  Crécy,  à  Poitiers,  à  Azincourt ,  mais  tel 
qu'on  n'en  avait  pas  encore  vu. 

Le  roi  convoqua  en  armes  tous  ceux ,  nobles  ou  non-nobles , 
qui  avaient  au  moins  cent  livres  en  meubles  ou  deux  cents  livres 
tant  en  meubles  qu'en  immeubles  (ces  derniers  ayant  au  moins 
une  valeur  de  quarante  livres),  jeudi  après  la  Trinité  1302". 
Cette  ordonnance  ne  put  s'exécuter,  Philippe  fut  obligé  de  la 
modifier.  On  exigea  le  service  militaire  des  nobles  qui  avaient 
quarante  livres  de  rente  et  des  non  nobles  qui  possédaient 
trois  cents  livres  en  meubles  ou  la  valeur  de  cinq  cents  livres 
tant  en  meubles  qu'en  immeubles.  Ceux  qui  désiraient  rester 
dans  leurs  foyers  eurent  la  faculté  de  se  racheter  du  service 
moyennant  une  somme  d'argent  dont  le  taux  ne  fut  pas  fixé'. 
Loin  de  là,  les  baillis  et  les  commissaires  sur  le  fait  des 
finances  reçurent  des  instructions  secrètes  qui  leur  enjoi- 
gnaient d'obtenir  le  plus  qu'ils  pourraient.  Le  minimum  était 
de  vingt  livres  par  mille  livres,  c'est-'i-dire  le  cinquantième. 
Ceux  qui  avaient  la  plus  grande  partie  de  leur  fortune  en  meu- 
bles devaient  fournir  une  contribution  plus  forte  que  ceux  qui 
ne  possédaient  que  des  immeubles.  L'appréciation  des  biens 
de  chacun  et  la  fixation  de  la  taxe  étaient  laissées  à  la  discré- 
tion des  commissaiies,  qui  s'éclairaient  en  consultant  les  an- 
ciennes taxes ,  faisaient  des  enquêtes  auprès  des  voisins  et 
déféraient  le  serment  aux  contribuables.  Les  besoins  de  l'Etat 
étaient  si  pressants  que  les  sommes   ainsi  recueillies  étaient 

1  «  4887  libr.  quas  ballivus  Aurcliaiicnsis  rocopit  a  collectorc  Icrcie 
qninqiiagcsimc  cjusilcm  ballivie.  »  —  15  juin  1301.  Journal  du  trésor, 
fol.  117. 

2  Manilcnicnt  du  12  juin.  Ord.,  t.  I,  p.  3V5. 

3  Ord.,  t.  I,  p.  350.  —  .Mandcmenl  au  bailli  de  Gaea,  vendredi  après 
l'octave  de  la  Toussaint. 


LIIRR  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DEPEXSES.  267 

immédiatement  envoyées  à  Paris  et  versées  au  trésor'.  Des 
privilèges  furent  accordés  à  ceux  qui  s'empressaient  de  payer'. 
Défense  aux  seigneurs  d'exiger  aucune  finance  de  leurs  sujets. 

En  1303  nouvelle  imposition  de  même  nature. 

Qui  a  cent  livres  de  revenu  en  terre  payera  vingt  livres,  et 
qui  plus,  à  proportion;  autrement  dit  le  cinquième  de  son 
revenu.  Qui  a  cinq  cents  livres  de  meubles,  payera  vingt-cinq 
livres,  c'est-à-dire  le  vingtième.  Qui  n'a  ni  cent  livres  de  rente 
en  terre,  ni  cinq  cents  livres  en  meubles,  ne  payera  rien.  Le 
roi  promit  de  ne  lever  cette  même  année  1303  aucun  autre 
subside,  ni  emprunt  forcé,  ni  fourniture  de  vivres,  ni  impôt 
pour  le  rétablissement  de  la  bonne  monnaie.  Cette  ordonnance 
était  soi-disant  faite  avec  le  consentement  de  prélats,  de  barons 
et  de  gens  du  conseil^  (février  1303).  Des  instructions,  adres- 
sées aux  commissaires  chargés  de  lever  ce  subside,  leur  enjoi- 
gnaient d'exiger  des  sommes  supérieures  à  celles  marquées 
dans  l'ordonnance.  Le  noble  qui  avait  cinquante  livres  de 
rente  en  terre,  devait  payer  la  moitié  de  son  revenu;  celui  qui 
possédait  cinq  cents  livres  de  biens  fonciers  contribuerait  pour 
un  cinquième  :  les  personnes  nobles  veuves  «  ou  non  puis- 
sants «  (infirmes)  chargées  de  dettes  ou  d'enfants,  ayant  au 
moins  cinquante  livres  de  rente  en  terre,  pour  le  quart. 

Quant  aux  non-nobles,  ceux  qui  possédaient  depuis  cin- 
quante jusqu'à  cinq  cents  livres  en  meubles  donnaient  le 
cinquantième  de  leurs  biens;  ceux  qui  avaient  de  vingt  à  cent 
livres  de  rente  en  terre,  le  dixième  de  leur  revenu. 

Les  commissaires  avaient  l'ordre  d'agir  avec  ménagement, 
de  réunir  les  plus  souffisants  d'une  ville  ou  de  plusieurs  villes, 
et  de  leur  faire  diligemment  entendre  l'ordonnance  selon  la 
lettre,  comment  elle  est  pitéable,  espécialement  pour  le  menu 
peuple,  et  courtoise  à  ceux  qui  payeront.  ^  Vous  devez,  leur 
écrivait  le  roi,  estre  avisés  de  parler  au  peuple  par  douces 
paroles,  et  lui  montrer  les  grands  désobéissances,  rébellions, 
dommages  que  nos  subjels  de  Flandre  ont  faits  à  tous  et  à  nostre 

1  Instruction  du  dimanche  après  la  Saint-Martin  d'été  1302.  Ord.,  t.  I, 
p.  350  et  351,  note. 

2  Mercredi  après  la  Saint-Louis.  Trésor  des  chartes,  Reg.  XXXV'I ,  n"  13. 

3  Samedi  après  la  Chandeleur  1302-1303.  Ord.,  t.  I,  p.  369,  570. 


2f)8  LA  I'"RA\CE  SOLS  PiilLIPPK  I,E  BKL. 

rôaunio,  ol  (Miscinent  devez  vous  ces  levées  et  finances  au 
moindre  eschinde  que  vous  portez  et  eonimocion  de  menu 
peuple,  et  leur  montrez  comment  par  celte  voie  de  finer  ils 
sont  hors  du  péril  de  leur  cors,  des  jjrands  cous  des  chevaux 
et  de  leurs  despens,  et  porront  entendre  ;i  leur  marchandies 
et  leur  hiens  de  leur  terre  administrer,  n  On  leur  recomman- 
dait surtout  de  ne  pas  lever  ce  suhsidc  dans  les  terres  des 
barons  sans  leur  permission,  mais  de  les  amener  à  consentir: 
«  Et  contre  la  volenté  des  barons  ne  faites  pas  ces  finances  en 
leur  terre  :  et  ceJte  ordonnance  tenez  secrée,  mcsmcment  l'ar- 
ticle (le  la  terre  des  barons^  quar  il  nous  seroit  trop  grand 
dommaiçje  se  il  le  savoient ;  et  en  toutes  bonnes  manières  que 
vous  pourrez  les  menez  à  ce  que  ils  le  veuillent  sulfrii-,  et  les 
noms  de  ceux  que  vous  trouverez  contraires  nous  rescrircz 
haslivement,  à  ce  que  nous  mêlions  conseil  de  les  ramener,  et 
les  Irailier  par  lielles  paroles  et  si  courtoisement  que  esclande 
n'en  puisse  venir  '.  « 

Il  serait  difficile  d'expliquer  plus  clairement  que  le  roi 
n'avait  pas  le  droit  de  mettre  une  imposition  sur  les  tenanciers 
des  barons  sans  leur  autorisation  ^ . 

Une  ordonnance  du  29  mai  1303  prescrivit  de  faire  contri- 
buer les  nobles  qui  avaient  cinquante  livres  de  rente  ou  de  les 
faire  marcher  ^ . 

Les  roturiers  qui  n'avaient  pas  cent  livres  devaient  servir  en 
personne;  mais  le  roi,  le  mercredi  après  la  Pentecôte,  désirant, 
disait-il,  le  repos  du  peuple,  ordonna  que  tout  roturier  qui, 
sans  y  comprendre  les  meubles  de  son  hôtel,  aurait  en 
meubles  une  valeur  de  cinquante  à  cinq  cents  livres,  et  en 
terres,  le  manoir  non  compris,  un  revenu  de  vingt  à  cent 
livres,  serait  exempt  du  service  militaire  en  payant  une  finance 
convenable  ;  ceux  qui  ne  réunissaient  pas  ces  conditions  de 
fortune  restaient  dans  leurs  foyers  *. 

1  Inslniction  pour  la  rnis(!  en  pratique  de  l'ordonnance  du  samedi  après  la 
Chandeleur  i:îOl-i:iO:î.  On/.,  t.  I,  p.  370,  371. 

2  iMcsnard,  Histoire  de  Xîmes,  preuves  (mars  1303'. 

•^  Orl.,  t.  I,   p.   373;   et  Arcli.   inip.  Trésor  des  cfiartes .  l\cg.  \XXVI, 
n°  18.  —  Mandement  au  hailli  de  V'ermandois.  JJ.  35.  n"  108  (IG  août  1303), 
4  Ord.,  t.  I,  p.  373,  374. 


LIVRE  DIXIiaiE.  —  RKCKTTES  ET  DEPENSES.  269 

Tous  ces  sacrifices  ne  suffirent  pas.  Le  3  octobre,  le  roi  tint 
à  Chàleau-Tliierry  un  grand  conseil,  spécialement  réuni  pour 
aviser  aux  moyens  de  continuer  la  guerre.  Etaient  présents 
l'arclievècpie  de  IVarbonne,  les  évêques  d'Auxerre,  de  Meaux, 
les  frères  du  roi,  le  duc  de  lîotirgogne,  le  comie  de  la  Marche, 
le  connétable,  les  sires  de  Saint-Dizier,  de  Mercœur  et  d'Arlai. 
Piiilippe  prétendit  qu'il  n'avait  pu  avoir  à  ce  conseil  et  délibé- 
ration ses  autres  prélats  et  barons  du  royaume,  et  il  s'en  con- 
tenta :  avec  lesdits  prélats,  barons  et  féaux,  il  décréta  la  levée 
d'un  nouveau  subside  '  ;  on  rédigea  solennellement  une  charte 
qui  fut  scellée  par  le  roi  et  les  assistants  et  par  la  comtesse 
d'Artois  lAIahaut,  qui  trouva  que  ladite  ordonnance  était  con- 
venable et  profitable  à  la  besogne''. 

Dans  la  bouche  du  roi,  ce  petit  conseil  se  transforma  en 
conseil  «  d'arcevesques,  évesques,  abbés  et  autres  prélats, 
doyens  de  ciiapitres,  convenz,  collèges  et  plusieurs  autres 
personnes  d'Eglise,  séculers  et  religieux,  exempts  et  non 
exempts,  ducs,  comtes,  barons  et  autres  nobles  de  nostre 
royaume  ^ .  " 

Il  fut  statué  que  les  prélats  et  les  seigneurs  fourniraient  et 
entretiendraient  pendant  quatre  mois  de  l'année  1304,  juin, 
juillet,  août  et  septembre,  un  homme  d'armes  par  cinq  cents 
livres  de  rente  en  terres;  les  roturiers,  six  sergents  par  cent 
feux  :  le  roi  s'engageait  à  frapper  de  bonne  monnaie  *. 

Cependant  il  paraît  qu'on  appréhenda  quelque  résistance  de 
la  part  de  certaines  provinces.  On  envoya  des  commissaires 
solliciter  l'adhésion  du  tiers  état.  En  Normandie,  on  demanda 
aux  roturiers  des  subsides  :  les  bourgeois  du  bailliage  de  Rouen 
stipulèrent  avec  Charles  de  Valois  :  1°  qu'ils  fourniraient  et 
entretiendraient  pendant  quatre  mois  six  sergents  par  cent 
feux;  2°  qu'ils  lèveraient  eux-mêmes  les  deniers  destinés  à  la 
solde  de  ces  sergents  ;  3°  que  les  sergents  seraient  payés  par 

1  9  octobre  1303  :  le  roi  rendit  une  ordonnance  plus  détaillée  que  celle 
du  3.  Ord.,  t.  I,  p.  383-385. 

2  Original  scellé  par  les  prélats  et  barons.  Trésor  des  chartes ,  J.  384 ,  n°  1  ; 
et  Ord.,  t.  I,  p.  408,  n»  6. 

3  Ord.,  t.  I,  p.  412.  .Juilicl  1304. 

■*  Ord.,  t.  I,  p.  383.  Lettre  à  réiêque  de  Paris,  9  octobre  1303. 


270  LA  FRANCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

(les  commissaires  élus  par  les  «jens  du  tiers  état;  A"  que  la 
levée  du  subside  cesserait  du  jour  où  la  paix  serait  conclue  '. 

Les  Languedociens  furent  aussi  appelés  à  voter  l'impôt  par 
sénéchaussée  '. 

En  lisant  ces  conditions,  on  croirait  lire  les  traités  passés  un 
demi-siècle  plus  lard  entre  le  roi  Jean  et  les  Etats  de  la  langue 
d'Oc  et  de  la  langue  d'Oyl.  Remarquons  que  l'impôt  est  assis 
et  perçu  par  les  habitants  qui  soudoient  directement  les  trou- 
pes. Les  Normands  ne  furent  pas  seuls  consultés  :  nous  avons 
encore  de  semblables  traités  entre  les  commissaires  de  Philippe 
le  Bel  et  les  habitants  des  sénéchaussées  du  ilidi.  On  ne  peut 
révoquer  en  doute  que  le  tiers  état  n'ait  été  appelé  en  1303  à 
se  prononcer  sur  la  concession  d'un  impôt  extraordinaire.  J'ai 
même  trouvé  une  curieuse  instruction  secrète,  qui  trace  aux 
commissaires  les  voies  qu'ils  doivent  suivre  pour  obtenir  plus 
aisément  ce  qu'ils  demandaient.  Les  villes  ou  villages  reçurent 
la  faculté  de  se  dispenser  d'envoyer  des  sergents  choisis  dans 
leur  sein  et  de  les  entretenir,  en  payant  deux  sous  par  jour 
pendant  quatre  mois  pour  chacun  de  ceux  qu'ils  auraient  dû 
envoyer  ^ 

Quelle  était  la  part  de  liberté  qu'on  laissait  en  1303  au  tiers 
état  dans  le  vote  de  l'impôt?  Je  crois  qu'elle  était  très-restreinte 
et  même  à  peu  près  nulle.  En  effet,  nous  avons  vu  que  le  roi 
avait  commencé  par  ordonner  que  les  roturiers  entretien- 
draient pendant  les  mois  de  juin,  juillet,  août  et  septembre  de 
l'année  1304,  six  sergents  par  cent  feux. 

La  lev^ée  de  l'aide  marchait  lentement  ;  au  mois  de  juillet,  le  roi 
fut  obligé  de  donner  des  ordres  pour  en  hâter  la  perception  :  les 

*  tt  Et  aura  chascun  scrjanl  ti  sous  le  jour  de  gajes  sanz  plus.  Pour  les  quiex 
gajcs  paicr  les  devanz  diz  bourgeois  et  babitanz  feront  par  leur  serment  les 
assises  en  cbascune  paroisse  sur  cbascun  feu  bien  et  loiaument,  sans  mes- 
prandre,  à  leur  povair,  selon  la  quantifé  et  la  value  de  chascun;  et  sera  tenue 
par  nous  (le  roi)  l'assise  telo  comme  il  la  feront  sus  chascun,  sanz  ce  que 
nous  y  puissons  mètre  autres  recercheors  ne  faire  rebuter.  Et  en  seront  mis 
hors  toutes  poires  genz  mandiants;  et  en  telle  manière  que  nous  querrons 
les  soudaiers  et  seront  saigniez  iccz  soudaiers  au  saing  de  la  ballie,  et  ils  les 
paieront  et  feront  paicr  par  leurs  genz,  etc.  c  Reg.  XXW,  n*^  172. 

-  Vaissètc,  t.  IV,  Preuves,  col.  133. 

3  Ordonnance  du  20  janrier  1303.  Ord.,  t.  I,  p.  .391. 


LIVRE  DlXlrâlE.  —  RECETTES  ET  DÉPENSES.  271 

seigneurs  furent  requis  de  la  lever  dans  leurs  terres  ;  on  exi- 
geait toujours  six  sergents  par  cent  feux  des  non-nobles  libres; 
mais  on  se  relâcha  à  l'égard  des  gens  taillables  à  merci  et  de 
mainmorte;  on  s'arrangea  à  l'amiable  avec  leurs  seigneurs. 
On  craignait  avec  raison  que  si  on  frappait  de  trop  lourds 
impôts  ces  malheureux  attachés  à  la  culture  du  sol,  ils  ne 
cessassent  de  travailler  et  ne  devinssent  des  mendiants  \ 
Pour  accélérer  la  rentrée  des  deniers,  on  envoya  dans  les  diffé- 
rentes provinces  des  surintendants,  dont  deux  étaient  préposés 
à  un  même  arrondissement  compienant  plusieurs  bailliages 
ou  sénéchaussées  ;  ils  établissaient  eux-mêmes  dans  chaque 
bailliage  deux  commissaires,  ordinairement  le  bailli  et  un 
chevalier. 

Les  mendiants  pain  quérants  n'étaient  pas  compris  dans  le 
nombre  des  faisant  feu. 

Dans  le  bailliage  de  Chaumont,  cent  feux  payèrent  soixante 
livres ,^  c'est-à-dire  douze  deniers  l'un  dans  l'autre.  Chaque 
feu  ne  payait  pas  une  somme  uniforme,  mais  en  proportion  de 
la  fortune  de  chaque  contribuable".  Les  hommes  du  roi  four- 
nirent généralement  six  sergents  par  cent  feux  ;  les  nobles  con- 
tribuèrent pour  le  cinquième  de  leur  revenu.  Pour  évaluer  la 
fortune  de  chacun,  le  bailli  nommait  deux  bourgeois  et  deux 
nobles,  avec  mission,  les  premiers,  do  rechercher  la  fortune 
des  roturiers,  les  seconds  des  nobles  ^ 

Un  compte  officiel  qui  ne  paraît  pas  tout  à  fait  complet,  et 
qui  renferme  des  erreurs  évidentes,  donne  pour  produit  de  cet 
impôt,  déduction  faite  des  frais,  la  somme  de  cinq  cent  soixante- 
cinq  mille  cent  soixante-neuf  livres  tournois  de  faible  monnaie. 
Les  frais  de  perception  avaient  été  considérables.  Dans  le  bail- 

1  9  juillet  1304.  Alanclcmcnt  pour  faire  lever  l'aide  dans  la  terre  du  comte 
de  Dreux.  OnJ.,  t.  I,  p.  412. 

-  Histoi-iens  de  France,  t.  XXI,  p.  564. 

•^  Lettre  de  P.  .lourdain  de  l'Ile,  scncchal  de  Beaucaire,  et  de  G.  Adhémar, 
chevalier,  t  ordinatores  et  coUectorcs  subsidii  domino  régi  in  senescallia  prc- 
dicta  novissime  concessi,  »  contenant  une  lettre  dans  laquelle  ils  sont  insti- 
tués en  cette  qualité  par  le  comte  de  Forez  et  Foulques  de  Rcgni,  <i  dcpnlati 
adsuperintendenduminnegocio  suLsidii,  in  Gaturcensibus,  Petragnr. ,  Ruihin., 
Carcasson.  et  Bcllicadr.  senescalliis  et  in  ballivia  Alvernie.  -a  Jeudi  après  la 
Saint-Matbias  1303.  Mesnard ,  Histoire  de  Xismes,  preuves,  t.  I,  p.  147. 


272     .  LA  FRAXCr:  SOLS  IMIILIPPK  LE  DEL. 

liage  de  Vcrmandois,  ils  sciaient  élevés  an  vingt-septième; 
dans  ceux  de  Hoiien  et  d'Amiens,  au  vingt-troisième;  ils  attei- 
gnirent le  dix-septième  dans  celui  de  Sens  '. 

Lne  partie  de  l'impùt  ne  put  être  recouvrée  *.  Dans  la 
Tourainc,  la  moitié  à  peine  lut  levée,  mais  c'est  là  un 
chiffre  exceptionnel  \  Les  seigneurs  qui  permirent  la  levée 
de  l'aide  dans  leurs  fiefs  obtinrent  des  lettres  de  non-pré- 
judice *. 

Cet  impôt,  uni  à  la  dépréciation  toujours  croissante  des 
monnaies,  acheva  de  ruiner  la  France.  La  paix  vint  heureuse- 
ment mettre  un  terme  à  ces  exactions  que  la  défense  du  pays 
rendait  nécessaire;  mais  on  ne  laissa  pas  longtemps  le  peuple 
sans  lui  demander  de  nouveaux  subsides. 

Pour  resserrer  son  alliance  avec  l'Angleterre,  Philippe  le 
Bel  avait  marié  sa  sœur  au  vieux  roi  Edouard  I",  et  fiancé  sa 
fille  Isabelle  au  jeune  prince  de  Galles,  fils  aine  du  monarque 
anglais.  Le  mariage  d'Isabelle,  après  avoir  été  relardé  pen- 
dant plusieurs  années  à  cause  de  la  jeunesse  de  la  fiancée,  fut 
enfin  fixé  à  l'année  1308.  Le  roi  ordonna  à  cette  occasion  la 
levée  d'un  nouvel  impôt  dans  ses  domaines  et  dans  ceux  des 
barons  et  des  prélats.  C'était  vraiment  abuser.  Les  réclamations 
furent  universelles,  se  fondant  sur  les  anciens  usages.  Philippe 
suspendit  momentanément  les  levées,  et  ordonna  à  ses  légistes 
de  compulser  les  registres  du  trésor  des  chartes  et  de  la 
chambre  des  comptes,  ainsi  que  les  coutumes  \  Les  Normands 
surtout  s'étaient  plaints  avec  force.  Le  roi  leur  déclara  qu'il 
avait  consulté  les  registres  des  coutumes  et  les  registres  royaux, 
et  que  celte  aide  lui  était  due,  mais  il  l'ajournait  jusqu'au  carême 

'  Historiens  de  France,  1.  XXI,  p.  564. 

-  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  504. 

'  Le  nombre  des  niundcmenls  aux  baillis  pour  accélérer  les  rentrées  est 
considérable.  19  mai  1304,  au  bailli  d'Orléans.  Arcli.  inip.,  .IJ.  35,  n°  142. 
—  Même  date,  au  bailli  de  Sens,  n"  107.  —  29  juin  1304,  au  prévôt  de 
Paris  et  aux  collecteurs  des  subsides,  JJ.  35,  n"'»  178,  212  et  214.  — Autres 
du  28  avril,  n'^  128,  165,  166,  168,  etc. 

'''  Lcllrcs  en  faveur  de  l'abbaye  cl  des  hommes  de  Saint-Germain  des  Prés, 
19  juin  1304.  Or.  Arcli.  inip.,  K.  37,  n"  32. 

^  Le  roi  déclare  qu'il  a  consulté  la  coutume  du  Vcxin,  et  qu'elle  lui  est 
favorable.  Or.  J.  384,  n»  2. 


LURE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DEPEXSES.  273 

(le  raniiéc  J3U1),  à  cause  de  la  mauvaise  recolle'.  Les  \or- 
raands  ne  se  tinrent  pas  pour  battus  :  les  prélats  ne  purent 
souffrir  de  voir  les  hommes  Ubres  vivant  dans  leurs  seigneu- 
ries contribuer  à  doter  la  fille  du  roi  ;  ils  portèrent  l'affaire  au 
parlement,  <jui  donna  gain  de  cause  au  roi  ^ .  Cette  aide  était  en 
effet  légale  en  Xormandie,  mais  elle  n'avait  pas  été  levée  depuis 
les  rois  anglais.  Henri  II,  quand  il  maria  sa  fille  Alalhilde  au 
duc  de  Saxe,  avait  exigé  un  marc  d'argent  de  chaque  cheva- 
lier, qui  lui-même  levait  ce  marc  sur  ses  tenanciers'.  La  Xor- 
mandie avait  été  exercée  au  payement  des  impots  parles  Plan- 
tagenets,  dont  les  exigences  fiscales  n'avaient  rien  à  envier  à 
celles  de  Philippe  le  Bel.  Dans  les  autres  provinces,  les  immu- 
nités des  seigneurs  s'étaient  mieux  conservées.  Le  roi  décida 
que  l'aide  serait  levée  là  où  les  seigneurs  avaient  le  droit  de  le 
lever  pour  doter  leurs  propres  filles*. 

Les  villes  invoquèrent,  comnie  toujours,  leurs  piiviléges 
pour  ne  pas  payer  :  on  négocia  avec  elles;  il  se  passa  à  cet 
égard  dans  le  Querci  quelque  chose  de  curieux  et  d'insolite. 
Le  roi  convoqua  les  représentants  des  communes  de  ce  pays, 
on  ignore  dans  quel  lieu,  sans  doute  à  Paris,  pour  en  obtenir 
l'aide  de  mariage.  On  conserve  au  Trésor  des  chartes  ces  pro- 
curations, qui  sont  rédigées  dans  la  même  forme  que  celles 
pour  les  états  généraux;  j'ignore  si  les  députés  des  villes  d'au- 
tres provinces  furent  réunis  " .  Rouen  se  fit  exempter  en  payant 
trente  mille  livres;  il  est  vrai  qu'on  lui  rendit  la  pei'ception 

1  II  Xos  igitur  visis  registris  consuefiidinum  Xormaniiiœ,  ac  diligcntcr 
inspectis  registris  insuper  nostris ,  Parisiiis  habita  dciiberatione  super  hiis 
pleniore,  etc.  n  Mandement  à  t'éctiiqHier,  6  septembre  1308.  OrJ.,  I,  p.  453. 

-  Lettre  au  bailli  de  Caen,  après  le  dimanche  Reminiscere  1309-13  îO. 
Trésor  des  chartes,  Reg.  XI^II ,  fol.  106. 

•!  Delisle,  Revenus  publics  en  Normandie.  Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes, 
3-=  série,  t.  III,  p.  123. 

*  Mandement  au  bailli  d'Orléans,  6  octobre  1311  :  i.  Alandamus  tibi  qua- 
tinus  in  terris  nosiri  domanii ,  juxta  incolarum  facultatem,  nec  non  in  terris 
baronum  seu  aliorum  justiciariorum  nosfrorum  tue  ballivie,  quibus  ipsi 
barones  subsidium  maritagii  fdiarum  suarum  in  eisdem  terris  suis  cxi<{ere 
consuepcrunt,  subsidium  maritagii  carissime  Isabellis,  fdic  nostrc,  cxi<ralis.  > 
Rcg.  A.  de  la  chambre  des  comptes.  P.  2290,  fol.  109. 

•"•  Tout  un  carton  du  Trésor  des  chartes  est  rempli  de  ces  procurations. 
J.  356. 

18 


274  LA  FHAXCK  SOIS  PHILIPPE  LE  BKL. 

de  la  coiiltimo  du  pont  de  Rouen  (impôt  sur  les  bateaux  qui 
passaient  sous  le  pont),  dont  cette  ville  avait  élé  privée  lors 
de  l'émeute  qui  éclata  à  l'occasion  de  la  mallôle'.  Cet  impôt 
fut  perçu  dans  toute  la  France',  mais  non  sans  peine;  car 
on  commença  à  l'exiger  en  J308,  et  en  13J1  il  n'avait 
pas  encore  été  acquitté  dans  certaines  localités.  Le  taux 
n'était  point  fixé,  les  agents  du  roi  exigeaient  le  plus  qu'ils 
pouvaient. 

En  13J3,  le  jour  de  la  Pentecôte,  Philippe  le  lîel  conféra 
l'ordre  de  chevalerie  à  son  fils  aîné  Louis,  roi  de  Navarre,  à 
ses  deux  autres  fils  et  à  plus  de  deux  cents  jeunes  seigneurs  de 
la  plus  haute  noblesse,  au  nombre  desquels  on  remarquait 
Philippe  de  V^alois,  qui  devint  roi;  Robert  d'Artois,  dont  la  fin 
fut  si  déplorable;  le  duc  de  îîourgogne,  les  comtes  de  Blois, 
de  Dreux,  de  Vaudémont,  de  Foix,  de  Comminges^.  Cette 
chevalerie  fut  l'occasion  de  dépenses  folles  ;  les  dons  faits  aux 
nouveaux  chevaliers  s'élevèrent  à  trente-deux  mille  deux  cent 
soixante-trois  livres  tournois*.  Paris  fut  plusieurs  jours  dans  des 
fêtes,  mais  il  fallut  payer  tout  ce  luxe  ',  et  un  nouveau  subside 
fut  imposé.  Le  cas  était  loyale  comme  on  disait;  saint  Louis" 
et  Philippe  le  Hardi  avaient  levé  des  impôts  lors  de  la  cheva- 
lerie de  leurs  fils  aînés.  Les  villes  exhibèrent  de  nouveau  leurs 
privilèges  pour  se  faire  exempter.  Les  textes  (jue  plusieurs 
d'entre  elles  invoquèrent  nous  ont  été  conservés  dans  un  docu- 
ment provenant  de  la  chambre  des  comptes  ;  mais  il  arriva  que 
si  les  villes  apportaient  des  textes  prouvant  leur  immunité,  les 

1  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  392,  n»  24  (on  1309). 

2  Voyez  l'aide  levée  ù  Tulle  en  1309.  JJ.  42  ,  n"  72.  —  Dans  le  bailliage  de 
Mâcon  en  1310.  P.  2290,  fol.  29.  —  A  Cliarlieu.  Olim ,  t.  III,  p.  362.  — 
En  Normandie,  1309.  JJ.  42,  n°^  68  et  100.  —  Ord.,  t.  XI,  p.  423  (6  oc- 
tobre 1310).  —  Neuilly,  délai,  18  niar.s  1310-1311.  JJ.  42,  n"  138.  — 
Bourges,  délai,  décembre  1309.  JJ.  42\  n"  105  r". 

3  ï  Compte  inliltilé  :  a  Xovi  milites  facti  pcr  dominnm  regom  Parisiis,  die 
Pentecostes  anno  1313.  d  Dans  Ludivig,  Reliquiœ  manuscrlptorum ,  t.  XII, 
p.  48  à  60. 

'^  Ludvvig,  Reliquiœ  manuscriptorum ,  t.  XII,  p.  60. 
^  Gcoffroi  de  Pnris,  édit.  lUuhoii ,  p.  192. 

c  Olim,  l.  I,  p.  804  et  805.  Le  roi  demanda  nu  subside  ù  cliaquc  xillc  en 
particulier. 


LIVRE  DIXIiaiE.  —  RECETTES  ET  DEPEXSES.  275 

agents  du  fisc  invoquaient  leurs  registres  et  les  payements  faits 
à  une  époque  antérieure  et  à  litre  de  don  gratuit  par  plusieurs 
de  ces  villes. 

La  ville  de  Sens  opposait  cette  clause  de  ses  privilèges  : 
K  Volumus  etiam  quocl  hommes  communie  liberi  permaneant 
ah  omnibus  talliis  et  toltis ,  salvo  servicio  exercitus  et  equi- 
tationis  nostre.  -.^  Les  gens  du  roi  répondaient  :  c  Est  trouvé 
par  les  comptes  de  la  baillie  de  Sens  de  l'an  mcclxxxvi,  que 
ladite  ville  de  Sens  paya  dou  renouage  levé  en  lien  de  la  che- 
valie  du  roy  pour  le  tout  xxvii  livres.  Itenij  en  l'an  mcclxix, 
deux  mille  livres  pour  don,  et  de  ces  deux  dons  n'a  exprimé 
aucune  autre  cose,  et  est  à  savoir  que  le  privilège  est  donné  au 
nom  de  la  commune,  et  hors  de  la  commune  sont  des  plus 
riches  hommes  de  la  ville  de  Sens  ' .  " 

Les  habitants  de  Saint-Maur  citaient  un  diplôme  de  Louis 
le  Débonnaire  ^. 

Les  habitants  de  Paris  payèrent  une  somme  de  dix  mille 
livres  qu'ils  levèrent  eux-mêmes.  On  suivit  le  même  mode  que 
pour  la  taille  de  cent  mille  livres.  La  répartition  fut  faite  en  la 
maison  d'Etienne  Barbette,  par  Jean  Barbette,  Jacques  Bour- 
don, Jacques  le  Queu,  orfèvre;  Vincent,  le  poissonnier  de 
mer;  Jean  de  Alontreuil,  tisserand  ;  Thomas  de  Xoisy,  vinetier; 
Gérard  Godefroy,  épicier;  Jean  Maillart ,  changeur;  Simon  de 
Saint-Iîenoît,  drapier;  Guillaume  de  Trie,  pelletier;  Simon, 
boucher;  Nicolas  Arrode;  Simon  de  Château,  mercier;  Robert 
de  Linais,  courraier;  Evroin  Ligier,  talmélier,  et  Guillaume 
Frenquein,  sellier  ^  On  voit  que  tous  les  corps  de  métiers 
étaient  représentés  dans  cette  commission.  Le  registre  de  cette 
taille  existe  encore.  La  ville  y  est  divisée  en  paroisses,  et  chaque 
paroisse  en  rues. 

*  Rc[r.  Pater  de  la  chamtire  des  comptes,  fol.  152,  année  1314,  P.  2289, 
fol.  159 ,  pièce  intitulée  :  <:  Ce  sont  les  villes  de  la  baillie  de  Sens  qui  se  dient 
franches  de  la  subvention  de  la  chevalerie  le  roy,  et  y  sont  contenues  les 
clauses  de  leurs  privilèges  :  et  c'est  à  savoir  que  le  roy  qui  règne  présente- 
ment, Philippe  le  Bel,  fut  fait  chevalier  à  la  mi-aoiît  1284  et  le  roy  Louis  de 
Navarre  ù  la  Pcntecoste  1314.  i 

2  Reg.  Pater  de  la  chambre  des  comptes,  fol.  153. 

3  C'est  le  livre  de  la  taille  des  dix  mile  livres  dcus  au  roy  nostre  sire, 
pour  la  chevalerie  le  roy  de  Xavarre,  son  ainsné  ûls.  Edit.  Buchon,  p.  I. 

18. 


276  LA  FRAXCK  SOIS  IMIILIPPK  LE  BEL. 

La  levée  de  cette  aide  souleva  des  réclamations  nombreuses. 
Les  villes  situées  dans  les  fiefs  des  barons  jouissant  de  la 
haute  justice,  paraissent  en  avoir  été  exemptées,  ou  du  moins 
avoir  obtenu  des  délais  pour  payer'. 

En  1313,  les  bostilités  recomincncèrciit  avec  les  Flamands. 
J'ai  montré  combien  était  peu  exacte  l'opinion  des  historiens 
qui  ont  cru  que  les  états  généraux  avaient  été  appelés  à 
voter  les  subsides  nécessaires  pour  soutenir  cette  nouvelle 
guerre. 

Le  mode  de  levée  est  tracé  dans  une  instruction  de  la 
chambre  des  comptes,  intitulée  :  a  Ce  sont  les  instructions  que 
les  commissaires  envoyés  par  le  royaume  doivent  faire  et  tenii- 
secrètes  ^  » 

Il  résulte  de  ce  document  que  les  roturiers  ayant  deux  mille 
livres  devaient  aller  à  l'ost  ou  financer.  Ceux  qui  possédaient 
moins  de  deux  mille  livres  se  réunissaient  au  nonil)re  de  cent 
pour  fournir  six  sergents,  ou  moins  s'ils  étaient  pauvres.  Les 
villes  commerçantes  étaient  exemptées  moyennant  un  impôt 
sur  les  marchandises.  Les  nobles  et  les  ecclésiastiques  pou- 
vaient aussi  se  faire  dispenser  du  service  personnel  en  payant 
une  somme  abandonnée  à  la  discrétion  des  commissaires.  Ln 
fragment  de  compte  complète  ces  renseignements^. 

Ceux  qui  possédaient  au  moins  mille  livres  payèrent  le  cin- 
quantième de  leurs  biens*. 

«  Et  ne  fina  point  la  ville  de  Provins,  pour  l'assiète  sur  les 
marchandises  qui  fut  assise  sur  eulx,  si  comme  à  Paris.  «  Les 
chroniqueurs  placent  à  cette  époque  la  levée  de  six  deniers  par 
livre  sur  les  marchandises,  qui  fut  sans  doute  l'impôt  indirect 
substitué  dans  les  villes  de  commerce  à  la  subvention  ordinaire. 

'  Voyez  Ip  document  provenant  de  la  chambre  des  comptes  intitulé  : 
c  Xomina  viliarum  que  liabuerunt  suffercntiam  subsidii  pro  militia  régis 
Xavarre  debiti  usque  ad  quindenam  Omnium  Sanctorum  1314.  j  Arcli.  imp., 
P.  2289,  fol.  170. 

-  i  Hoinines  hic  subscripti  non  habent  privilégia  sed  habent  sufl'erentiain 
pro  eo  (piod  morantur  in  alta  justicia  dominorum  snbscriptoruin.  Homines 
episcopi  Pictavicnsis,  etc.  i  Arch.  imp.,  P.  2289,  fol.  170. 

3  Subside  pour  l'est  de  Flandre.  Historiens  de  France,  t.XXI,  p.  566  et  suiv. 

''*  Ceux  de  mil  livres  paieroient  vingt  livres,  et  de  plus  plus.  Historiens  de 
France,  i.  XXI,  p.  567,  D. 


LIVRE  DIXIÈAIE.  —  RECETTES  ET  DÉPENSES.  277 

Cet  impôt  fut  le  prétexte  des  ligues  contre  le  roi.  Philippe  fut 
obligé  de  donner  satisfaction  aux  alliés  et  d'ordonner  de  sus- 
pendre la  perception  du  subside  '.  D'ailleurs,  il  ne  fut  pas 
levé  dans  toutes  les  parties  du  royaume. 

Jamais  on  n'avait  vu  tant  d'impôts  extraordinaires,  mais 
aussi  jamais  les  besoins  de  l'Etat  n'avaient  été  aussi  grands. 
L'impôt,  pour  la  pren)ière  fois,  était  devenu  général  pour  tout 
le  royaume,  à  certaines  conditions,  il  est  vrai,  et  c'était  là  un 
grand  progrés  vers  l'unité.  Nous  avons  vu  tous  les  Français 
dans  l'obligation  d'obéir  aux  ordonnances  du  roi,  de  se  sou- 
mettre aux  arrêts  souverains  du  parlement  royal,  de  payer  un 
même  impôt  :  nous  les  verrons  bientôt  tenus  de  marcher,  à  la 
suite  du  roi,  à  la  défense  de  la  patrie. 


CHAPITRE   TROISIEME. 

IMPÔTS    SUR    LE    CLERGÉ. 

Contribution  du  clergé  aux  cliargcs  publiques.  —  Décimes  ou  dixièmes  dos 
revenus  ecclésiastiques.  —  Décimes  accordés  au  roi  par  ^lartin  IV  à  l'oc- 
casion de  la  guerre  d'Aragon.  —  Le  décime  payé  par  des  églises  situées 
hors  du  royaume.  —  Comment  on  peut  établir  la  liste  des  décimes  payés 
par  le  clergé  sous  Philippe  le  Bel.  —  En  1294,  le  roi  veut  réunir  une 
assemblée  générale  du  clergé  pour  en  obtenir  des  subsides.  —  11  renonce 
à  ce  dessein.  —  Réunions  de  conciles  provinciaux.  —  Vote  de  décimes. 

—  Protestations.  —  Exempts.  —  Mesures  prises  contre  ceux  qui  refusaient 
de  voter  l'impôt  demandé.  —  Le  clergé  reconnaît  être  tenu  à  contribuer 
aux  charges  de  l'Etal.  —  Assemblée  d'évèques  à  Paris  en  1296  pour 
accorder  un  décime.  —  Xouvcllc  protestation  de  Cîteaux.  —  Boniface 
accorde  un  décime  (1297).  —  Détresse  des  églises.  —  Décimes  votés 
en  1303  et  1304.  —  Moyens  violents  employés  par  le  roi.  —  Benoît  XI  et 
Clément  V  accordent  de  nouveaux  décimes.  —  Alode  de  lever  les  décimes. 

—  Xalurc  des  revenus  auxquels  ils  s'appliquaient.  —  Cadastres  généraux 
des  bénéfices  ecclésiastiques.  —  Les  clercs  récalcitrants  excommuniés.  — 
Annates.  —  Evaluation  des  revenus  du  clergé  d'après  des  docimients  ofliciels. 

On  croit  qu'au  moyen  âge  l'Eglise  ne  contribuait  pas  aux 
charges  de  l'Etat  et  que  ses  biens  étaient  exempts  d'impôt  : 

1  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  567,  B. 


278  LA  FRAXΠ SOI  S  PHILIPPE  LE  BEL. 

rien  n'est  plus  contraire  à  la  vérité.  L'histoire  du  règne  de 
Philippe  le  IJel  en  fournit  la  preuve  la  plus  irrécusable,  car  elle 
montre  l'Eijliso  de  Franco  ruinée  par  la  part  qu'elle  dut 
prendre  aux.  contributions  publiques. 

Il  faut  distinguer  les  biens  de  l'Eglise  de  ceux  qui  formaient 
le  patrimoine  des  ecclésiastiques.  Les  mêmes  régies  ne  s'appli- 
quaient pas  aux  uns  et  aux  autres.  Les  clercs  étaient  affranchis 
des  tailles  personnelles,  pourvu  qu'ils  vécussent  cléricalement, 
c'est-k-dire  sans  être  mariés  et  sans  exercer  le  commerce  ou 
une  profession  mécanique;  immunité  qui  leur  fut  confirmée  à 
plusieurs  reprises  par  Philippe  le  Bel'.  Alais  ils  participaient 
aux  impôts  en  raison  de  leur  fortune  personnelle ,  tout  comme 
les  laïques ,  pour  les  besoins  de  l'Etat  et  pour  ceux  des  com- 
munes auxquelles  ils  appartenaient.  Philippe  le  Long  avait 
déclaré,  en  1274,  aux  bourgeois  de  Toulouse,  qu'en  France 
les  clercs  non  mariés  n'étaient  point  soumis  aux  tailles,  sauf 
aux  tailles  réelles'.  Beaumanoir  explique  ce  qu'on  entendait 
par  tailles  réelles  \  Les  nobles  et  les  clercs  demeurant  dans 
leurs  fiefs  étaient  libres  de  toute  imposition,  mais  ceux  qui 
possédaient  des  héritages  roturiers  dans  le  ressort  de  la  juri- 
diction d'une  commune,  étaient  tenus  de  payer  les  tailles 
imposées  sur  les  membres  de  cette  commune.  Celait  là  une 
obligation  inhérente  à  la  propriété  roturière  et  dont  la  noblesse 
du  possesseur  ne  l'affranchissait  pas.  Les  biens  de  l'Eglise  y 
étaient  eux-mêmes  soumis,  et  ce  fut  vainement  que  les  mem- 
bres du  clergé  voulurent  s'en  faire  exempter  pour  leurs  biens 
personnels  ^. 

Les  biens  de  l'Eglise  ou  bénéfices  ecclésiastiques  étaient 
soumis  à  des  contributions  particulières  nommées  décimes,  qui 
consistaient  dans  le  dixième ,    non  pas   des  biens ,  mais  des 

1  Mandonient  du  sénéchal  de  Carcassonne,  en  1296.  Ord. ,  t.  I ,  p.  329. 
—  ilartèiic,  Thésaurus ,  t.  I,  col.  1288. —  Autre  de  lan  1288.  Alcsnard, 
Histoire  de  Ximes,  t.  I,  preuves,  p.  114. 

-  Ord.,  t.  I ,  p.  302  :  a  Sed  nnera  duntaxat  agrorum  et  nisi  taies  existèrent 
talliae  quœ  possessiones  oneravcrint  ab  antiquo.  i- 

3  Coutumes  de  Beauvoisis ,  chap.  h.  —  Ducange,  dans  ses  Notes  sur 
Joinville,  rapporte  une  sentence  du  bailli  de  V^erraandois,  de  l'an  1290, 
contre  les  clercs  de  la  ville  de  Ham. 

^  Arrêt  du  parlement  d'octobre  1291.  Vaisscte ,  t.  IV,  Preuves,  col.  9. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  279 

revenus  '.  Dans  le  principe  les  décimos  étaient  destinés  à  sub- 
venir aux  dépenses  des  croisades;  au  treizième  siècle,  ils 
furent  levés  à  plusieurs  reprises.  De  1247  à  1274,  TEglise  de 
France  paya  vingt  et  un  décimes'''.  En  1274,  le  pape  Gré- 
goire X  permit  au  roi  Philippe  le  Hardi  de  lever  pendant  trois 
années  consécutives  un  décime  à  l'occasion  de  la  guerre  contre 
l'Aragon  ,  qui  était  considérée  comme  une  croisade.  En  1284, 
Martin  IV',  qui  avait  déposé  don  Pèdre  d'Aragon  et  donné  sa 
couronne  à  Charles  de  Valois,  fils  de  Philippe  le  Hardi, 
accorda  au  roi  de  France  un  nouveau  décime  de  quatre  années 
pour  l'aider  à  exécuter  par  la  force  des  armes  la  sentence  pon- 
tificale '.  Mais  cette  guerre  entraîna  en  se  prolongeant  des  frais 
énormes  que  le  saint-siège  se  chargea  de  payer  avec  les  hiens 
de  l'Eglise.  En  1289,  Kicolas  IV  imposa  un  décime  pendant 
trois  années  sur  les  églises  relevant  du  roi  et  même  sur  celles 
qui,  quoique  placées  hors  de  sa  suzeraineté,  faisaient  partie 
d'une  province  dont  la  métropole  était  située  dans  le  royaume 
de  France,  et  sur  les  métropoles  dont  quelques  diocèses  suffra- 
gants  seulement  dépendaient  de  Philippe  le  Bel,  tels  que  les 
provinces  de  Besançon,  de  Vienne  et  de  Lyon,  et  les  diocèses 
de  Liège,  de  Cambrai,  de  Metz,  de  Toul  et  de  Verdun  *. 

1  On  a  cru  que  les  décimes  étaient  le  dixième  des  Liens  :  c'est  une  erreur. 
Bulle  de  concession  du  décime  de  1289  :  «■  Decimam  omnium  ccclesiastico- 
rum  proventuum  et  reddifuum  in  regno  Francie...  Pliilippo  régi  pro  subsidio 
regni  .^rragonie  duximus  concedendum.  d  —  Mêmes  termes  dans  la  bulle  de 
concession  d'un  décime  en  129G  par  Boniface  VIII.  P.  2591.  Copie  du  rcg. 
Saint-Just.—  En  1304,  bulle  de  Benoît  XI.  Or.  J.  459,  n"  11.  —  En  1306, 
bulle  de  Clément  V.  Arch.  imp.,  copie  du  temps,  J.  938.  —  Voyez  aussi  les 
concessions  de  décimes  par  le  concile  d'Aurillac,  en  129^.  Id.,  i.  456,  n°31. 
—  Par  les  assemblées  ecclésiastiques  de  Paris,  en  1296.  Martènc,  t.  I, 
col.  1277.  —  Concile  de  Clermont  en  1304  :  a  Decimam  de  grossis  fructibus 
offerunt  se  soluturos.  »  Arch.  imp.,  or.  J.  1025,  n"  4.  —  Concession  d'un 
décime  par  Marmoutier,  en  1296.  J.  456,  n°  31.  —  Ces  citations  suffisent 
pour  établir  un  point  fort  obscur,  savoir  :  si  le  décime  consistait  dans  la 
dixième  partie  de  la  valeur  ou  du  revenu  des  bénéfices. 

-  Tabula  R.  Mignon. 

■^  Rainaldi,  an.  1285,  n»  28.  —  Vidimus  de  la  bulle  de  Martin  IV.  Arch. 
imp.,  J.  938,  n"  34. 

^  Mandement  des  exécuteurs  du  décime  aux  collecteurs  de  la  province  de 
Sens,  dimanche  après  l'octave  de  l'Epiphanie  1289-1290.  Or.  Bibl.  imp., 
Baluze,  décimes,  n°  10.  —  Voyez,  relativement  à  la  perception  du  décime 


280  LA  KR.AXCI'   SOLS  l'IllLII'lM':  l.K  BKL. 

(le  U\\[  hizaiTC  en  apparence  s'explitjiie  par  le  point  de  vue 
auquel  on  envisa'jeait  la  jjuerro  d'Arayon  :  celait  une  croisade. 
Quand  elle  fut  terminée,  le  pa|)e  invita  le  loi  à  consacrer  h  une 
cxpcdilion  en  terre  sainte  les  sonnnes  provenant  des  décimes 
qui  n'avaient  pas  été  employées'.  Il  est  inutile  d'ajouter 
que  Philippe  «{arda  tout  et  entreprit  de  jirouver  (pie  loin  de 
rien  devoir,  c'était  le  saint-siége  qui  était  son  débiteur  pour 
des  sommes  importantes'. 

Pour  connaître  les  différentes  levées  de  décimes  qui  furent 
effectuées  sous  Philippe  le  liel,  j'ai  trouvé  un  guide  précieux 
dans  l'inventaire  de  Robert  Mignon,  qui  m'a  déjà  été  d'un  si 
grand  secours.  Sans  cette  table,  il  serait  impossible  d'établir 
la  succession  de  ces  décimes,  qui  étaient  imposés  à  des  époques 
tellement  rapprochées,  que  la  perception  de  plusieurs  d'entre 
eux  était  simultanée  ^ . 

En  12U4,  au  fort  de  sa  lutte  contre  l'Angleterre,  à  bout  de 
ressources,  Philippe  conçut  le  projet  de  demander  des  subsides 
au  clergé.  Il  eut  d'abord  l'intention  de  convoquer  une  assem- 
blée générale  du  clergé  ,  mais  il  ne  persista  pas  dans  ce  des- 
sein^. Il  prétexta  les  dépenses  et  les  dérangements  qu'entraî- 
nerait le  déplacement  d'une  aussi  grande  quantité  de  personnes. 
Il  espéra  sans  doute  obtenir  plus  facilement  ce  qu'il  demandait, 
en    réunissant    séparément   le   clergé    de   chaque   province  \ 

dans  le  diocèse  de  Metz ,  une  lettre  de  deux  chanoines  de  Metz  au  sire  de 
Beauniont,  en  1291.  Arcli.  inip.,  J.  580,  n"  1. 

1  Rainaldi,  an.  t290,  n°  17. 

-  Mémoire  sur  les  réclamations  du  pape.  Historiens  de  France,  t.  XXI, 
p.  324. 

3  C'est  ainsi  ([ue  M.  Kcrvyn  de  I.eltcnhove,  voyant  en  1292  Philippe  le  Bel 
exiger  un  dccinie  de  l'ordre  de  (j'Ieaux,  a  supposé  que  le  roi  rédanuiit  le 
payement  du  décime  accordé  en  1274  par  Grégoire  X.  Recherches  sur  la  part 
que  l'ordre  de  Citeaux  a  prise  au  procès  de  Boni/ace  VIII,  t.  VIII,  p.  8. 

''  i  Philippus. ..  episcopo  Lticensi,  sahitem.  Xuper  tractatum  extilit  deb- 
bato  consilii,  archicpiscopos,  episcopos,  prelatos ,  abbates,  priores,  prepo- 
sitos ,  decauos ,  conventus,  coliegia,  tam  calhedralium  quam  collegiatariun 
convcntualiiim,  rcctoresque  ecciesianun  et  coteras  personas  ccclesiasticas 
regni  nostri ,  proptcr  quedam  ardna  négocia...  ad  nostram  presentiam  con- 
vocare.  »  Mardi  après  la  Saini-Pierre  aux  Liens  1294.  Bibl.  inip.,  Baluzc, 
n"  10312  .'\.  fol.  16  r". 

'•  a  Considorata  autem  postmodum  quod  oncrosum  cxisleret  et  essct  super 


LIVRE  DIXimiE.  —  RECETTES  ET  DÉPE.VSES.  2S1 

Divisé,  le  clergé  était  plus  lacilo  à  iiiliniider  :  réuni,  il  eût 
sans  doute  opposé  quelque  résistance  sérieuse;  Edouard  I", 
roi  d'Angleterre,  en  fit  l'épreuve.  Les  députés  du  clergé  anglais 
auxquels  il  demanda  des  subsides,  les  refusèrent,  et  il  fut  ré- 
duit, pour  obtenir  de  l'argent,  aies  disperser  et  à  employer  la 
violence  et  la  terreur  '. 

Philippe,  mieux  avisé,  prescrivit  à  chaque  métropolitain  de 
réunir  les  ecclésiastiques  des  diocèses  suffragants  :  le  lieu  et  le 
jour  de  la  réunion  furent  fixés  par  le  roi  lui-même,  et  il  choisit 
pour  lieux  d'assemblées  des  villes  où  l'influence  royale  domi- 
nait exclusivement.  Le  clergé  de  la  province  de  Narbonne  se 
réunit  à  Béziers  le  jour  de  la  Saint-Simon  et  Saint-Jude  '.  Celui 
de  la  province  de  Bourges  à  Clermont,  le  8  du  mois  de  no- 
vembre. Celui  de  Reims  à  Compiègne,  le  mardi  après  la  Saint- 
Remi  \  Les  évèques  ,  abbés,  prieurs,  prévôts  de  chapitres 
furent  invités  à  comparaître  en  personne,  les  autres  ecclésias- 
tiques eurent  la  permission  de  se  l'aire  représentera  Philippe 
Je  Bel  craignait  avec  raison  que  si  les  gros  bénéficiers  pou- 
vaient envoyer  des  procureurs  à  leur  place,  ils  ne  leur  don- 
nassent des  instructions  peu  favorables  aux  demandes  royales, 
tandis  que  s'ils  étaient  tenus  de  se  présenter  eux-mêmes  ils 
auraient  honte  on  peur  de  refuser. 

Dans  toute  la  France  les  conciles  se  réunirent  et  votèrent  un 
double  décime  pendant  deux  années,  à  partir  de  la  Toussaint 
1294^.  Les  Eglises  de  Bretagne  firent  cause    commune  avec 

numerosiim  singulos  arcliicpiscopos,  cpiscopos...  et  rcctorcs  cccicsiarum  in 
unum  proptcr  hoc  convcnire...  providemus  qiiod  in  unaqiiaque  provincia  per 
metropolitanum  cpiscopi,  prelafi,  abbalcs,  priorcs  et  alii  cjiisclem  provincie 
cerfo  tempore  et  loco  convcniant.  »  Bibl.  imp.,  Baiuze,  n»  10312  A.  fol.  16  r°. 

1  Lingard,  Histoire  d' Angleterre ,  t.  III,  p.  393. 

-  Lettre  de  i'arclievèqtie  de  \arbonno.  Cahize,  n"  10312  A.  fol.  16. 

•1  Protestation  du  chapitre  de  Laon.  Or.  Bibl.  imp.,  Laon  ,  n"  94.  u  Pro- 
curatorcs  provincie  Remensis  in  provincial!  concilio  apiid  (]om|)cn(liuni ,  die 
martis  post  Sanctiini  Remigium ,  super  subventione  regni  facicnda.  » 

^  Lettre  de  l'archevêque  de  .Varbonnc.  Bal.,  10312  .A.  fol.  16  v". 

5  (  Décima  biennis ,  seu  subventio  per  modum  décime  a  prelatis  sua  auc- 
toritate  régi  Philippe  in  concilio  apud  Pontem  Xanctoncnsis  diocesis  cclebrato, 
anno  1294,  concessa  pro  subsidio  regni  Icvata  ab  0.  Sanctis  tune  usquc  ad 
idem  festum  per  biennium.  ^  Inventaire  de  Robert  Mignon,  Historiens  de 
France ,  t.  XXI,  p.  225.  ilignon  a  attribué  à  tort  au  concile  de  Pons  la  con- 


282  lA  FRWGK  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

les  aulips  diocèses  ilc  la  province  de  Tours  '.  Cependant  quel- 
ques prolestalions  s'élcviMent.  Plusieurs  ecclésiastiques  de  la 
province  de  Reims  a|)pclèrent  à  lîoniface  VIII'. 

Xoiis  avons  vu  qu'un  ccrlain  nombre  de  monastères  avaient 
été  exemptés  de  la  jui'idiclion  de  l'évèque  diocésain  et  soumis 
immédiatement  au  pape  :  on  les  aj)pelait  exempts.  Pliilip|)e  leur 
demanda  les  mêmes  sacrifices  qu'aux  autres  Eglises.  Dans 
chaque  province  ils  furent  réunis  dans  des  assemblées  particu- 
lières. Ceux  de  la  province  de  Bourges  furent  convoqués  à 
Aurillac  par  G.  deMaumorot,  diantre  de  Bourges,  et  P.  de 
Latilly,  chanoine  de  Soissons,  clercs  du  roi,  qui  leur  présen- 
tèrent la  résolution  prise  à  Clermont  par  les  églises  non 
exemptes  de  la  province.  Les  exempts  ,  parmi  lesquels  on  re- 
marque les  abbés  de  la  Chaise-Dieu,  de  Déols ,  etc.,  accor- 
dèrent gracieusement  un  double  décime  biennal,  et  firent 
constater  leur  vote  dans  un  certificat  dressé  par  un  notaire 
apostolique  ^ . 

Certaines  abbayes  composèrent  avec  le  roi;  Marmoutier *, 
Cluny  %  les  abbayes  de  Cîteaux  de  la  province  de  Bourgogne  *. 

Les  décimes  n'étaient  accordés  qu'à  condition  que  nul,  ni 
roi,  ni  duc,  ni  comte,  ni  baron,  ne  lèverait  aucun  autre  impôt 
tant  que  durerait  la  guerre  présente;  le  roi  souscrivit  à  ces 
conditions  '.  Le  clergé  n'était  point  libre  de  refuser;  les  ecclé- 

ccssion  du  décime  pour  toute  la  France;  ce  concile  ne  l'octroya  que  pour  la 
province  de  Tours.  Acte  du  synode  de  Reims,  mardi  après  la  Saint-Rcmi  1294. 
Trésor  des  chartes ,  Rcg.  XXXIV',  fol.  49. 

'   20  juin  J297.  Journal  du  trésor,  fol.  74  v°  B. 
"  -  Protestation  du  chapiU-e  de  Laon.  Or.  Bibl.  inip.,  Laon ,  n^^  94. 

^  Or.  Arcli.  de  l'Emp.,  J.  45G,  n"31.  —  Martène,  Thésaurus,  t.  IV,  p.  215. 

'''  Or.  Arcli.  inip.,  J.  74G,  n"  3. 

^  Or.  Arcli.  imp.,  J.  938,  n"  1.  Lundi  après  la  Saint-Jean  1294. 

•5  Apud  Ivervyn,  op.  cit.,  p.  10. 

"  (1  Hoc  e.xpresso  quod  nos  (rex),  aul  duces,  aut  baroncs  et  alii  domini 
nostro  subjccli  dominio  dictis  abbalibus,  juribus,  personis,  familiis  et  liomi- 
nibus ,  ac  hospitibus  dicti  ordinis ,  occasione  impu>]nalionum  ac  defen- 
sionum  liujusrnodi,  uUam  aliam  subventionem  scu  ctiam  doui ,  mutui  aut 
alicujus  cujuslihrt  exaclionis,  deveriis  et  seniciis  \aleamus  Icvare.  r  Charte 
■eu  faveur  de  Cluny.  Or.  Supplément  du  Trésor  des  chartes ,  J.  938,  n"  1.  — 
Mêmes  restrictions  dans  la  concession  d'un  décime  par  l'abbé  de  Marmoutier. 
J.  746,  no  3. 


LI\  RE  DIXIlhlE.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  283 

siastiques  qui  ne  voulurent  pas  contribuer  furent  exposés  à  la 
vengeance  du  roi,  qui  fît  mettre  sous  sa  main  leur  temporel. 
Les  abbés  de  l'ordre  de  Citeaux  du  diocèse  de  Carcassonne 
invoquèrent  les  immunités  dont  ils  jouissaient;  le  sénéchal 
saisit  leurs  biens  et  ne  les  leur  rendit  qu'après  qu'ils  se  furent 
exécutés  '.  Ce  procédé,  tout  tyrannique  qu'il  paraisse,  n'était 
pas  nouveau.  Saint  Louis  s'en  était  servi  en  pareille  circon- 
stance. En  1237,  il  demanda  aux  églises  une  aide  pour  la 
guerre.  Les  chapitres  de  Sens  ,  d'Auxerre  et  d'Orléans  n'y 
ayant  point  souscrit,  le  roi  fit  saisir  une  partie  de  leurs  posses- 
sions'. En  effet,  il  était  de  règle  au  moyen  âge  que  l'Eglise 
devait  contribuer  à  la  défense  du  royaume.  Le  clergé  compre- 
nait lui-même  qu'il  ne  pouvait  prétendre  jouir  en  sécurité  de 
ses  biens  sans  prendre  part  aux  charges  communes  et  aux  sacri- 
fices que  s'imposaient  les  autres  classes. 

L'ordre  de  ('îleaux,  qui  n'est  point  suspect  d'avoir  eu  pour 
Philippe  le  Bel  une  tendresse  excessive,  reconnut  ce  devoir  du 
clergé.  Le  chapitre  général  écrivait  à  ce  prince  :  «  Secundum 
naturalis  a'quitalis  rationem  et  sanctiones  légitimas  debemus  de 
bonis  nobis  a  Deo  collatis  ad  supportandum  tante  molis  pondus 
subvenire  '  « .  Il  n'y  avait  de  désaccord  que  sur  la  quotité.  En 
1296  le  roi  demanda  de  nouveaux  décimes.  Il  convoqua  à  Paris 
les  évêques  pour  le  27  mai.  Comparurent  les  archevêques  de 
Rouen,  de  Sens,  de  Reims,  de  Narbonne ,  de  Tours;  les 
évêques  de  Chàlon ,  de  Laon ,  de  Térouanne,  de  Tournai,  de 
Senlis,  du  Mans,  de  Coutances,  d'Auxerre,  d'Avranches ,  du 
Puy ,  de  Limoges,  de  Paris,  de  Troyes,  d'Angers,  de  Chartres, 
de  Séez.  Les  procureurs  des  autres  évêques  arrivèrent  ce  même 
jour  et  les  jours  suivants.  Ils  accordèrent,  en  réservant  l'ap- 
probation du  pape,  deux  décimes,  l'un  payable  à  la  prochaine 

1  Ordre  au  sénéclial  de  Beaiicairc  de  donner  mainlevée  des  biens  de 
l'ordre  de  Citeaux  qui  avaient  été  placés  sous  séquestre,  les  abbayes  de  cet 
ordre  ayant  fini  par  promettre  un  subside.  Veille  de  la  fête  des  saints  Pierre 
et  Paul  1295.  Bibl.  imp.,  Baluze,  10312  A.  fol.  70. 

-  Lettre  du  synode  de  la  province  de  Sens  au  roi  en  date  du  mardi  avant 
la  Saint-Barnabe  1237,  pour  demander  la  mainlevée.  Or.  Trésor  des  chartes , 
n»  2. 

^  Lettre  du  chapitre  de  Citeaux,  dans  Kervyn,  n"  10. 


28V  LA  FHAXCr:  SOIS  PHII-IFPK  LE  BEL. 

fête  (lo  la  Pciilocoto,  raiilre  le  2\^  soplcmhro  suivant,  h  coiidi- 
tioii  (|n  ils  seraient  levés  par  le  elerfiié,  sans  l'intervention  de 
raiitorité  laï(|nc.  Si  rM;}iise  épronvait  (jiiel(pies  vexations  de  la 
part  du  roi,  la  levée  du  subside  devait  cesser.  Cette  concession 
ne  fut  pas  faite  le  même  jour  ni  par  une  seule  asseniblée,  mais 
à  des  jours  et  dans  des  endroits  diirérents;  au  palais  de  Tévèque 
de  Paris,  à  l'iiotel  de  l'archevêque  de  Ilouen,  pi'ès  du  couvent 
des  Cordeliers,  dans  la  maison  de  l'évéque  d'Amiens,  non  loin 
de  la  porte  Saint-Marcel,  dans  un  logis  situé  auprès  de  Saint- 
Alarcel,  enfin  à  l'abbaye  de  Saint-Germain  des  Prés'.  Les 
évèques  seuls  avaient  été  appelés  à  voter  ces  nouveaux  impôts. 
L'ordre  de  Cîteaux  refusa  de  les  payer;  il  ameuta  le  clergé  et 
suscita,  au  nom  de  l'Eglise  de  France,  une  protestation  qui 
fut  remise  au  pape.  On  y  comparait  Philippe  le  Bel  à  Pharaon*. 
Les  conseillers  du  prince,  clercs  et  laïques,  attachés  aux  biens 
de  ce  monde,  n'osaient  lui  reprocher  ses  fautes.  JVul  ne  voulait 
s'exposer  au  martyre  pour  la  justice^.  Le  pape  seul  pouvait 
arrêter  la  chute  prochaine  de  l'Eglise.  La  conduite  des  évêques 
y  était  flétrie.  On  les  accusait  de  connivence  avec  le  roi  devant 
lequel  ils  tremblaient,  ou  dont  ils  étaient  complices,  et  d'avoir 
lui  honteusement  au  lieu  de  combattre  pour  le  Seigneur;  on 
les  appelait,  selon  les  paroles  d'isaïe,  «  des  chiens  muets  qui 
ne  peuvent  aboyer  *  «. 

Cette  plainte  amena  de  la  part  de  Bonifiée  V'III  la  bulle 
Clericis  laïcos.  Mais  l'entente  entre  le  roi  et  le  pape  ne  tarda 
pas  à  se  rétablir. 

1  Hlarlènc,  t.  I ,  col.  1277-1279.  a  Insfrumentum  de  dpcima  Pliilippo  rrgi 
a  clero  gallicaiio  Parisius,  anno  1296.  s 

-  Il  Tôt  yravainiiia  et  oncra  iinpomint,  (jiiod  deterioris  coiiditionis  sub  cis 
sacerdotiiim  vidcalur  qiiani  sub  Pliaraone  lïicrit,  qui  Icgis  divine  noticiani  non 
tiabcbat.  j  Apud  Kervyn,  Recherches ,  p.  16. 

3  c  Cum  niulti  consulcs  principiim,  tain  clerici  quam  laïci ,  propria^  pru- 
dentia'  innitentcs  et  luinianani  aniiltcre  graliam  formidantcs  eis  rccte  locpii  et 
libère  pprtiincsraut.  i  Iv'oriyn,  Recherches ,  p.  16. 

^  u  (]iiin  niilliis  aiidct  pro  dpfonsione  ecdesie  voce  libéra  Inijus  mundi 
pnteslatibiis  contraire,  licet  pastnribiis  recta  tiniuisse,  dicere  niliil,  aiiiid  est 
qiiam  tcrga  tacite  ])rebiiisse  ac  piignam  pro  donio  Isract  in  prelio  Doniini 
évitasse,  quod  Dominus  increpat  per  Isaiani  :  Canes  niuti  qui  non  valent  latrarc.  » 
Kervyn,  Recherches,  p.  17. 


LIVRE  DIXIEilE.  —  RECETTES  ET  DEPEXSES.  285 

Boniface  accorda  même  un  double  décime  à  la  demande  des 
évèques  de  Fiance  (15  mai  J297),  et  reconnut  au  roi  le  droit 
d'imposer  le  clergé,  avec  son  consentement  et  sans  Tauloiisa- 
tion  du  saint-siége,  quand  il  y  aurait  nécessité  pressante  '.  Il 
concéda  en  même  temps  les  annates,  c'est-à-dire  une  année  de 
revenu  de  tous  les  bénéfices  séculiers  qui  viendraient  à  vaquer 
dans  le  royaume  pendant  la  durée  de  la  guerre  "*.  Philippe  usa 
immédiatement  du  droit  que  le  pape  venait  de  lui  reconnaître. 
Il  convoqua  à  Xoël  une  assemblée  de  prélats,  leur  fit  part  des 
privilèges  qu'il  venait  de  recevoir,  et  en  obtint  pour  une  année 
la  prolongation  du  double  décime  que  Boniface  VHI  venait 
d'ordonner  en  sa  faveur'.  Il  montra  au  souverain  pontife  qu'il 
n'était  pas  ingrat,  en  lui  permettant  de  lever  sur  le  cleigé  fran- 
çais un  décime  pour  contribuer  à  chasser  de  Sicile  Frédéric 
d'Aragon.  En  1299  nouvelle  réunion  des  conciles  provinciaux, 
nouvelle  demande  d'un  décime  simple  biennal,  qui  fut  voté '. 
L'Église  était  ruinée.  Les  plus  riches  abbayes  étaient  épuisées 
par  ces  contributions  si  souvent  répétées  ;  pour  les  acquitter  il 
avait  fallu  emprunter  à  usure  :  joignez  à  cela  les  fréquents 
voyages  en  cour  de  Rome,  les  exigences  pécuniaires  du  saint- 
siége  et  l'affaiblissement  des  monnaies.  «  Xotre  accablement 
est  immense,  écrivait  l'abbé  de  Saint-Germain  des  Prés,  nous 
sommes  affaissés  et  comme  privés  de  sentiment;  notre  crainte 
est  de  ne  pouvoir  nous  relever  ^  «  . 

Après  la  funeste  défaite  de  Courtrai  le  roi  fît  un  appel  à  toute 

*  Bulle  Noverit  circumspectio ,  adressée  aux  cvèqucs  de  Paris  et  de  ilcaiix. 
Or.  Arcli.  de  l'Emp.,  Bullaire ,  L.  281,  n°  8G.  Autre  adressée  aux  Hospita- 
liers, 23  mai  1297.  Ibid.,  n»  79. 

-  Xangis,  édit.  Géraud,  p.  303. 

•^  tt  Anno  1297.  Dnplicis  bicnnis,  quaruni  prima  conccssa  fuit  régi  a  papa 
Bonifacio  VIII ,  ad  requisitionem  prelatorum  ;  secunda  impefrata  per  euiiidem 
regem,  virtute  privilegii  obtenti  a  papa,  pro  subsidio  regui.  d  Inventaire  de 
Robert  Mignon ,  p.  325. 

'^  \u  concile  de  Lyon.  Inventaire  de  Robert  Mignon,  p.  325. 

^  11  Infirmitates  et  dolores  nostros  exponimus,  quibus  jam  gravati  et  fessi 
immense  quasi  sincopizati ,  tinicmus  ne  amplius  resurgerc  valeamus.  IVostrum 
monastcrium  debitis  est  objectum,  et  crcditores  nostri  nos  fastidiunt,  et 
infestant  et  die  in  diem  prosequuntur.  s  Lettre  de  l'abbé  de  Saint-Germain 
au  pape,  Kcrvyn,  p.  24,  d'après  un  manuscrit  provenant  de  l'abbaye  des 
Dunes. 


286  I.A  FR.WCE  SOIS  PHILIPPE  LK  BI'L. 

la  France  :  il  tlomanda  an  clergé  des  prières  et  de  l'argenl  :  il  Gt 
venir  à  Paris  |)liisienrs  prélats  et  l(>iir  rappela  qu'ils  lui  avaient 
promis,  si  les  besoins  de  l'I'ilat  l'exigeaient,  un  décime  et 
demi.  C/élait  sans  doute  le  reTHiuat  du  double  décime  de 
1291),  (|ui  n'avait  pas  été  entièrement  perçu,  par  suite  de  la 
fin  de  la  guerre,  car  le  clergé  avait  stipulé  que  si  les  liosti- 
lilés  cessaient ,  la  levée  du  subside  serait  immédiatement 
arrêtée. 

Le  moment  était  venu  de  tenir  leur  promesse.  Une  circulaire 
qui  tut  envoyée  aux  autres  évèques  leur  enjoignait  la  levée 
immédiate  d'un  décime.  Le  roi  y  faisait  un  récit  pathétique  des 
ravages  des  ennemis.  Il  les  représentait  envaliissant  la  Picardie, 
brûlant  les  cités  et  les  villages,  ravageant  les  campagnes,  pro- 
fanant les  églises,  massacrant  les  femmes  et  les  enfants.  Il 
annonçait  qu'il  allait  se  mettre  lui-même  à  la  tête  d'une  armée 
pour  les  combattre  '. 

A  la  fin  de  Tannée  1303  et  au  commencement  de  ISO^, 
les  conciles  furent  assemblés^.  Celui  de  la  province  de  Sens 
vota  un  double  décime,  payable  par  les  prélats  et  les  exempts  : 
un  simple  décime  fut  imposé  sur  les  églises  non  exemptes,  et 
encore  ne  fut-il  levé  que  dans  les  diocèses  de  Reims,  de 
Cbàlons,  de  Laon ,  de  Soissons,  de  Noyon,  de  Senlis  et  de 
Beauvais.  Les  maux  de  la  guerre  en  empêchèrent  la  levée  dans 
les  autres  diocèses  ^  Le  roi  promit,  en  échange  des  subsides 
qu'il  recevait,  de  confirmer  les  anciens  privilèges  des  églises 
et  de  leur  en  octroyer  de  nouveaux.  Les  conciles  de  liéziers  et 
de  Bourges  accordèrent  le  même  subside  que  celui  de  Reims*. 

1  LcUrc  il  l'ôvèqiic  d'-Amicns,  15  avril  1303  :  e.  Xonniillos  arciiicpiscopos 
regni  ad  nostram  prosciiliam  proptcr  hoc  specia!i(pr  rvocalos  rcqniri  focimu.<; 
ut  iiobis  subsidiiiiu  liiijusinodi  cxpcnsaruin  decitiiam  olim  nobis  ciirn  dimidio 
décime  ab  cis  et  ab  aliis  prclatis  pro  dicti  regni  delensione  prcscntialiter 
exhiberont.  » 

-  Tabula  R.  Micjnon ,  p.  525. 

3  Le  roi  amortit  les  nouveaux  acquêts  des  exempts  du  diocèse  de  \oyon, 
eu  récompense  d'im  dtkimc  qu'ils  lui  avaient  accorde.  Lettres  datées  de 
Péronnc,  le  vendredi  après  la  Xativité  de  la  Vierge  (1303).  Rog.  XXXV'I  du 
Trésor  des  chartes ,  n"  111. 

'^  Vaissète,  Histoire  de  Languedoc,  t.  IV,  p.  124.  —  Bibl.  inip.,  M.  55, 
Baluzc,  décimes,  n°  13. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECRITES  ET  DEPENSES.  287 

Nous  avons  le  procès-voibal  oii<]inal  des  délibérations  du 
concile  de  la  province  de  lîonrgos.  C'est  un  document  précieux 
pour  faire  connaître  ce  qui  ge  passait  dans  ces  assemblées. 
L'abbé  de  Cluny  comparut  au  concile  en  qualité  de  commissaire 
du  roi  :  ce  fut  lui  qui  formula,  au  nom  du  prince,  la  demande 
d'un  subside.  C'est  à  lui  que  s'adresse  la  réponse  des  pères. 
Deux  évéques  seulement  étaient  présents,  ceux  de  Limoges  et 
de  Mende.  L'archevêque  de  Bourges,  alors  en  cour  de  Rome, 
était  représenté  par  ses  deux  vicaires  généraux.  Un  sixième  à 
peine  des  ecclésiastiques  convoqués  se  rendit  à  Bourges;  ce 
qui  s'explique  par  le  court  délai  accordé  entre  la  convocation 
et  l'assemblée.  Les  membres  présents  invoquèrent  leur  petit 
nombre  pour  essayer  de  se  dispenser  de  prendre  une  résolu- 
tion, et  demandèrent  une  nouvelle  convocation,  mais  les  com- 
missaires du  roi  insistèrent  pour  qu'ils  fissent  une  réponse  à  la 
requête  qu'ils  leur  avaient  présentée.  Us  offrirent  alors  un 
décime,  à  condition  qu'il  serait  levé  suivant  l'ancienne  taxe, 
par  eux-mêmes  et  seulement  sur  les  gros  fruits  des  bénéfices 
ecclésiastiques,  sauf  l'approbation  du  pape.  Cette  approbation 
devait  être  demandée  par  le  roi,  à  ses  frais  '. 

II  parait  que  les  commissaires  trouvèrent  cette  concession 
insuffisante,  car  le  concile  offrit  dans  la  même  session  deux 
décimes,  à  condition  que  le  roi  cesserait  d'altérer  les  mon- 
naies; qu'on  respecterait  le  libre  exercice  de  la  juridiction 
ecclésiastique  ;  que  les  legs  et  donations  à  l'Eglise  sei'aient 
affranchis  d'entraves  ;  que  les  fiefs  appartenant  à  des  ecclésias- 
tiques seraient  insaisissables;  enfin  que  tous  les  privilèges  de 
l'Eglise  de  Bourges  seraient  solennellement  confirmés. 


1  Or.  siippl.  du  Trésor  des  chartes,  J.  1025,  n"  4.  n  B.  Cluniaccnsi 
abbati...  doniini  Pliilippi  F.  régis...  in  liac  parte  niincio  spcciali ,  R.  Lrnio- 
vicensis,  G.  Mimatensis  cpiscopi,  magistri  Pclrus  de  Furcis,  arcbidiaconiis 
de  Sancero,  et  Joliannes  Grcsilliom,  canonicus  Bitiiricensis,  générales  vicarii 
Bituricensis  archicpiscopi,  in  Romana  curia  existenlis,  prcsid(>n}cs  provinciali 
concilio  Bitur.  pro  infrascripto  ncgocio  coniocato,  ceterique  in  concilie  con- 
venientes...  Cum  sexta  pars  eorum  qui  consiieverunt  ccnvenire  ad  proviuciate 
concilium  non  convenit...  Qiiod  iterum  convocetur  conciliura  in  loco  communi, 
ut  ciciiis  comodo  fieri  potcrit,  etc.,  die  mercnrii  post  dicm  dominicam ,  qua 
cantatum  fuit  Letare  Jherusalem,  annb  1303.  i 


2S8  LA  FRAXGK  SOIS  l'HILII'n:  LE  BKL. 

Uno  partie  de  ces  demandes  fut  octroyée  ',  ainsi  qu'on  l'ap- 
prend par  les  privilèges  donnés  à  l'évêclié  de  Mende',  qui 
avait  envoyé  ses  représentants  au  concile  de  Huurjres,  l)icn  qu'il 
n'appartint  pas  à  cette  province;  mais  la  distance  (|ui  séparait 
le  Gévaudan  de  IJéziers,  où  se  rassembla  le  concile  de  la 
province  de  Xarhonne  dont  Mende  dépendait,  et  surtout  la 
difficulté  des  chemins,  engagèrent  le  roi  à  faire  voler  le 
diocèse  de  Alende  avec  les  ecclésiastiques  de  la  province 
de   Hourges. 

Philippe  employa  des  moyens  violents  pour  obtenir  des  sub- 
sides de  la  province  de  Tours.  Il  ordonna  de  lever  le  cinquième 
des  biens  du  clergé,  en  vertu  de  son  autorité  royale,  auctoritate 
pn'iicipali  :  le  clergé  devait  être  consulté  pour  la  forme.  Le 
concile  refusa,  prétendant  qu'il  avait  besoin  de  la  permission 
du  pape.  Les  commissaires  firent  saisir  le  temporel  des  pré- 
lats ^  Le  roi  promit  solennellement  le  rétablissement  de  la  bonne 
monnaie,  dans  une  lettre  qui  fut  adressée  à  rarchevéque  de 
Karbonne  \  En  outre,  toutes  les  églises  reçurent  des  renou- 
vellements de  leurs  privilèges  \  En  1304,  le  successeur  de 
Boniface  VllI,  Benoit  XI,  accorda  au  roi,  pour  l'aidera  frapper 
de  la  monnaie  sur  le  pied  de  celle  de  saint  Louis,  un  décime 
de  deux  ans,  qui  fut  levé   seulement  en  1307  et  1308°. 

En  1300,  Clément  V  concéda  un  décime  simple  qui  fut  perçu 
en  1310;  au  concile  de  Vienne,  en  1312,  les  prélats  accor- 
dèrent un  décime  au  pape,  qui  en  fit  don  à  Philippe  le  Bel.  Le 
même  concile  décida  qu'on  ferait  une  croisade  en  Orient ,  et 
établit  un  décime  de  six  ans.  En  étaient  seuls  exempts  les 
Hospitaliers  et  les  chevaliers  Teutoniques. 

'  »  l'itur.  duplex  a  non  cxcniptis  pro  quibusdain  libcrtatibiis  concossis.  » 
R.  M'Hjnon,  p.  125. 

2  Ord.,  t.  I,  p.  412.  15  juin  1304. 

•'  Trésor  des  chartes,  rouleau  original,  J.  350,  n"  5. 

^  (i  PromiUentes  quod  a  faciendo  cudi  monctam,  quam  cudi  facimus  oninino 
ccssari ,  et  monctam  ibi  bonam  cudi  et  fieri ,  sicut  fiebat  et  cudebatur  tem- 
pore  beati  Ludovic!  infra  subsequens  festum  Resurrectiouis  Doniini.  n  Or. 
Bibl.  imp.,  Baluze,  décimes,  n°  13.  8  août  1304. 

^  Ord.,  t.  I,  p.  406.  Reims.  —  IbkL,  p.  412.  Xarbonne. 

c  a  Décima  bicnnis  a  papa  Rrnedicto  XI  conccssa,  pro  rcductionc  nionc- 
tariim  ad  pondus.  »  Inventaire  de  Mignon. 


LIVRE  DIXIEME.  —  RECETTES  ET  DEPEX'SES.  289 

Nous  allons  faire  voir  maintenant  quel  était  le  mode  de  levée 
des  décimes. 

Les  premiers  décimes ,  destinés  aux  croisades ,  furent  levés 
par  des  légats,  aidés  de  commissaires  appelés  exécuteurs  des 
décimes  '.  C'est  ainsi  qu'en  1289,  le  saint-siége  désigna  pour 
accomplir  les  fonctions  d'exécuteurs,  l'archevêque  de  Rouen 
et  l'évêque  d'xAuxerre  ;  en  1305,  l'archevêque  de  Narhonne , 
l'évêque  d'Auxerre  et  Pierre  de  Belle-Perche,  chanoine  de 
Bourges.  Les  exécuteurs  recevaient  pleins  pouvoirs  de  nommer 
des  collecteurs  généraux  pour  chaque  province  ecclésiastique. 

Les  collecteurs  généraux  choisissaient  les  receveurs  chargés 
de  lever  le  décime  dans  chaque  diocèse'.  Ces  agents  étaient 
tous  ecclésiastiques  et  appartenaient  presque  toujours  au  clergé 
séculier.  Ils  juraient  de  ne  se  laisser  influencer  ni  par  les 
prières  ni  par  les  menaces ,  et  de  rendre  des  comptes  fidèles 
aux  exécuteurs  ou  à  leurs  mandataires.  Leur  action  ne  s'éten- 
dait pas  sur  les  exempts,  c'est-à-dire  sur  les  monastères  qui 
n'étaient  soumis  qu'au  pape  et  étaient  exemptés  d'obéir  à  leur 
évêque  qui  n'avait  sur  eux  aucune  juridiction. 

Un  décime  consistait,  ainsi  que  je  l'ai  dit  plus  haut,  dans  le 
dixième  des  revenus  ecclésiastiques.  Une  bulle  de  Nicolas  IV 
donne  les  plus  précieux  renseignements  sur  la  manière  dont 
on  parvenait  à  s'assurer  de  la  valeur  exacte  de  ces  revenus, 
dont  un  certain  nom'î>re  était  variable.  Etaient  exempts  :  les 
léproseries,  les  hùtels-Dieu  et  les  hôpitaux; 

Les  religieuses  et  les  moines  dont  les  revenus  étaient  insuf- 
fisants pour  assurer  leur  existence  ,  et  qui  pour  vivre  étaient 
contraints  d'avoir  recours  à  la  mendicité; 

Les  clercs  séculiers  dont  les  revenus  ne  dépassaient  pas 
quinze  livres  tournois. 

Les  pitances  monacales  n'étaient  pas  soumises  au  décime. 
On  appelait  pitance  des  sommes  allouées  pour  un  repas.  Les 
princes  et  les  grands  seigneurs,  en  fondant  des  services  et  des 

1  Bulle  de  Xicolas  IV^  du  31  mai  1289.  Notices  et  extraits ,  n»  r. 

2  Lettre  de  l'archevêque  de  Rouen  nommant  J.  de  la  Broce,  chanoine  de 
Nevers,  a  cum  facultate  deputandi  collectores  ydoneos,  qui  omncs  personas 
usque  ad  satisfactionera  condignam  tam  de  ipsa  décima  quam  de  justis  et 
moderatis  expensis  cohercendi  » . 

19 


290  LA  FRWCK  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

prières  pour  le  repos  de  leur  âme  dans  une  abbaye,  étaient 
dans  l'usage  de  léguer  des  sommes  destinées  à  procurer  aux 
moines  un  festin  à  la  fois  plus  copieux  et  plus  délicat,  chaque 
année,  au  jour  anniversaire  de  leur  mort. 

On  demandait  à  chaque  ecclésiastique  s'il  voulait  payer  le 
décime  d'après  l'estimation  de  ses  bénéfices  ou  d'après  les 
revenus  effectifs  qu'il  toucherait  pendant  la  durée  du  temps 
fixé  pour  la  levée  du  décime.  Une  fois  le  choix  fait ,  il  n'était 
pas  permis  d'adopter  un  mode  difierent  de  celui  qu'on  avait 
déclaré  vouloir  suivre. 

De  nombreuses  difficultés  s'offraient  pour  la  perception  du 
décime,  difficultés  que  les  papes  s'efforcèrent  de  lever  dans 
leurs  déclarations.  Ils  partirent  de  ce  principe,  que  le  décime 
n'était  pas  dû  pour  les  produits  en  nature  que  le  bénéficier 
consommait  lui-même;  mais  si  une  partie  de  ces  produits 
étaient  vendus,  le  décime  était  exigible  pour  cette  partie,  ainsi 
que  pour  les  legs. 

Quant  aux  revenus,  tels  que  les  coupes  des  bois,  qui  se  per- 
cevaient de  loin  en  loin,  à  des  intervalles  souvent  inégaux,  on 
prenait  une  moyenne.  Exemple  :  un  prêtre  possède  un  bois 
dans  lequel  il  n'a  pas  fait  de  coupe  depuis  plusieurs  années, 
mais  la  dernière  coupe  lui  a  rapporté  cent  livres.  Entre  cette 
coupe  et  la  précédente  il  s'est  écoulé  une  période  de  cinq  ans; 
c'est  donc  un  revenu  moyen  de  vingt  livres  par  an  :  il  payera 
le  dixième  de  cette  somme  '. 

Les  décimes  royaux  étaient  payés  par  les  différents  ordres 
religieux,  même  par  ceux  qui  étaient  exempts  des  décimes 
levés  par  le  saint-siège".  Certains  grands  monastères  traitaient 
avec  le  roi.  Dans  les  concessions  de  décimes  faites  sous  Phi- 
lippe le  Bel,  on  trouve  fréquemment  la  condition  qu'ils  seraient 

1  Voyez  la  déclaration  de  Xicoias  IV'  du  31  mai  1289.  —  Notices  et 
extraits ,  n°  ii. 

-  Par  les  Templiers.  Journal  du  trésor,  fol.  78  r".  8  juillet  1298.  u  De 
diiplici  décima  Templariorum  in  regno  Francie.  î  —  Bonifacc  Mil  ordonna 
aux  Hospitaliers  de  payer  les  décimes.  23  mai  1297.  Arch.  de  l'Enip.,  Bul- 
laire  L.  281,  n"  79  ;  ainsi  qu'à  l'ordre  de  Cîteaux,  nialjîrc  ses  cteriiellcs 
réclamations.  Ibid.,  L.  281,  n"  97.  Voyez  les  protestations  de  Cileaux  dans 
Lenain,  Histoire  de  Cîteaux,  t.  I,  p.  254. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  291 

levés  suivant  les  anciennes  taxes  '.  En  effet,  on  avait  dressé,  à 
une  époque  quelconque  du  treizième  siècle,  un  état  général  de 
la  valeur  des  bénéfices;  mais  cet  état  dut  être  modifié  de  temps 
à  autre  par  suite  de  l'accroissement  ou  de  la  diminution  de 
certains  revenus  ecclésiastiques.  Il  paraît  que  la  valeur  des 
biens  de  l'Eglise  de  France  s'était  considérablement  accrue 
à  la  fin  du  treizième  siècle,  ou  bien  que  le  recensement  en 
avait  été  fait  avec  plus  d'exactitude  et  de  rigueur.  C'est  ce  que 
prouve  la  persistance  du  clergé  français  à  demander  qu'on 
suivît  les  anciennes  taxes.  Ce  fait  est  d'ailleurs  mis  hors  de 
doute  par  un  registre  de  la  chambre  des  comptes,  qui  renferme 
deux  évaluations  différentes  des  richesses  du  clergé  de  France. 
Je  reviendrai  sur  ce  point. 

De  temps  à  autre,  le  saint-siège  nommait  des  commissaires 
chargés  de  vérifier  si  les  déclarations  faites  par  les  ecclésiasti- 
ques étaient  exactes,  et  d'étabjir  de  nouvelles  assiettes  de  l'im- 
pôt :  les  légats  étaient  chargés  de  ces  recensements.  Les  ecclé- 
siastiques déclaraient  eux-mêmes  le  chiffre  des  revenus  de 
leurs  bénéfices,  et  des  commissaires  contrôlaient  leur  déclara- 
tion. On  dressa  un  cadastre  général  par  ordre  du  concile  de 
Lyon  en  1274?;  une  révision  fut  prescrite  par  Xicolas  ÎV' '. 

La  sanction  de  la  levée  des  décimes  était  l'excommunication, 
même  quand  il  s'agissait  de  ceux  exclusivement  destinés  au 
roi.  Un  retard  dans  le  payement,  suivi  d'un  avertissement, 
suffisait  pour  faire  porter  cette  grave  peine.  Les  collecteurs 
lançaient  eux-mêmes  les  censures,  lis  le  faisaient  avec  des 
formes  solennelles,  et  dénonçaient  publiquement  les  excom- 
muniés. Si  le  contribuable  persistait  dans  sa  résistance,  on 
saisissait  tous  ses  meubles,  à  l'exception  des  croix,  des  calices 

^  Concile  de  Bourges,  u  Secundum  antiquam  taxationeni.  i  J.  1025,  n°  4. 
En  1804.  — Voyez  la  leUre  du  roi  aux  évêques,  15  août  1303  :  «  Que  quidcm 
subventio  solvetur  terminis  infrascriptis  jusia  fonnani  iaxationum ,  quibus 
alias  colligi  consueverunt.  »  Ord.,  t.  I,  p.  383. 

2  Bulle  de  Benoît  XI  du  2  des  ides  de  mai  1304.  Trésor  des  chartes , 
or.  J.  459,  n'  11.  —  On  lit  dans  le  tome  XXI  des  Historiens  de  France, 
p.  541  et  suiv.,  un  document  intitulé  Valor  decimarum ,  provenant  de  la 
chambre  des  comptes,  qui  donne  deux  évaluations  difiérentes  pour  chaque 
diocèse.  Cette  différence  provient  sans  doute  d'une  révision  du  cadastre  des 
biens  de  l'Eglise. 

19. 


292  LA  FRAXCK  SOLS  PHILIPPK  LE  BEL 

et  dos  ornenionts  sacrés;  s'il  s'obstinait  dans  sa  rébellion,  on 
le  livrait  au  bras  séculier,  qui  était  toujours  prêt  à  obéir  aux 
réquisitions  de  ce  genre  '.  L'Ejjlise  était  (b)nc  arrivée  à  frapper 
de  ses  censures  ceux  de  ses  membres  qui  ne  payaient  pas  le 
tribut  à  César.  Les  agents  royaux  n'attendaient  pas  l'accom- 
plissement des  formalités  (]ue  je  viens  d'indi(|uer  :  dès  qu'ils 
apprenaient  qu'un  ecclésiastique  avait  laissé  passer  sans  payer 
le  terme  fixé,  ils  faisaient  saisir  par  leurs  sergents  son  tem- 
porel'. Bon  nombre  de  prélats  subirent  ces  exécutions ^  Le  roi 
fut  obligé  à  plusieurs  reprises  de  modérer  le  zèle  de  ses  offi- 
ciers, et  de  faire  châtier  exemplairement  plusieurs  d'entre  eux 
qui  s'étaient  rendus  coupables  de  rapines  et  d'abus  de  pouvoir. 
Il  ordonna  aussi  de  ne  pas  saisir  les  bénéfices  des  récalcitrants, 
mais  un  seul  manoir,  sauf  à  étendre  progressivement  les  effets 
de  la  saisie*.  Les  décimes  devaient  être  acquittés  en  espèces 
monnayées  entre  les  mains  des  collecteurs,  qui  en  remettaient 
contre  quittance  b;  produit  aux  agents  désignés  par  le  roi  '. 

Les  deniers  des  décimes  pour  la  croisade  étaient  versés  au 
trésor  du  Temple.  Le  pape  ordonnançait  en  faveur  du  roi  les 
sommes  (ju'il  lui  accordait;  mais  en  même  temps  le  roi  veillait 
à  ce  que  le  pape  n'appliquât  pas  à  ses  besoins  personnels  l'ar- 
gent que  le  clergé   de  France  fournissait   pour  les  guerres 

1  Voyez  la  lettre  où  Jean  Chocat,  chanoine  de  Xevers,  commissaire, 
nomme  collecteurs  dans  le  diocèse  de  Lausanne  deux  chanoines  de  la  cathé- 
drale. Jeudi  avant  la  Saint-Martin  1289.  Or.  J.  938. 

2  Ord.,  t.  I,  p.  331,  332  (23  avril  1299). 

^  L'cvèquc  d'.^lbi.  Gallia,  t.  I,  p.  12;  et  Preuves ,  p.  H;  Vaissi'-tc,  t.  IV, 
p.  125.  —  L'archevêque  de  Sens  eut  aussi  son  teinporol  saisi ,  en  1308 ,  pour 
le  même  motif.  Olim ,  t.  III,  p.  356.  Les  officiers  du  roi  prétendirent  que 
l'excommunication  était  encourue  ipso  facto,  et  qu'elle  n'avait  pas  besoin 
d'être  prononcée  pour  autoriser  les  voies  de  rigueur  contre  les  ecclésiastiques 
retardataires.  Cette  théorie  est  émise  par  le  roi  lui-même  dans  une  instruction 
adressée  à  deux  de  ses  sergents  au  diocèse  de  Chartres.  Vendredi  après  la 
Saint-Heini  J30S.  Trésor  des  chartes,  Reg.  XLI,  n"  14. 

4  Ord.,  t.  I,  p.  331.  En  1299. 

^  Mandement  des  exécuteurs  aux  commissaires  dans  la  province  de  Sens  de 
remettre  le  produit  de  leurs  recettes  au  bailli  de  Sons,  le  samedi  après  la 
Saint-.André  1289.  —  Quittance  donnée  par  le  bailli  aux  commissaires  d'une 
somme  de  3,000  livres  tournois.  —  Ordre  du  roi  au  bailli  de  remettre  cette 
somme  ù  ceux  qu'il  lui  désigne.  Or.  Baluze ,  Décimes,  n°  11. 


LIIRK  DIXIE.AIIC.  —  RECETTES  ET  DEPENSES.  293 

saintes.  Martin  IV,  pressé  par  une  insurrection  en  Romagne, 
pria  Philippe  le  Bel  de  lui  permetlre  de  prélever  une  somme 
de  cent  mille  livres  sur  les  décimes  de  la  guerre  d'Aragon  ' , 
somme  que  Philippe  réclama  plus  tard  à  Clément  V".  En  1289, 
Nicolas  IV  se  réserva  cent  mille  livres  sur  le  produit  du  décime 
qu'il  accorda  au  roi  ^ .  Il  est  à  remarquer  que  les  subsides  pour 
la  guerre  d'Aragon,  votés  par  le  clergé,  quoique  consistant 
dans  la  dixième  partie  du  revenu,  ne  portaient  pas  officielle- 
ment le  nom  de  décimes  quand  ils  n'avaient  pas  été  autorisés 
par  le  pape. 

Outre  les  décimes ,  Philippe  le  Bel  trouva  en  plusieurs  occa- 
sions le  moyen  de  s'approprier  une  partie  du  revenu  du  clergé. 
En  1297,  Boniface  VIII  lui  accorda  pendant  toute  la  durée  de 
la  guerre  de  Flandre  les  annates ,  c'est-à-dire  la  première 
année  de  revenu  de  chaque  bénéfice  qui  viendrait  à  vaquer, 
sauf  les  évèchés  et  les  monastères.  Ces  annates  furent  levées 
pendant  trois  années*.  En  1304,  Benoît  XI  lui  concéda  de 
nouveau  les  annates  pendant  trois  années  pour  l'aider  à  fabri- 
quer de  bonne  monnaie'. 

Les  annates  étaient  levées  par  des  commissaires  ecclésiasti- 
ques choisis  par  le  roi  ;  il  y  en  avait  dans  chaque  province/. 


1  Bulle  des  ides  de  décembre  de  la  deuxième  année  du  pontificat ,  apud 
Montem  Flasconcm.  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  446,  n»  29. 

2  V'oyez  le  Mémoire ,  sans  date ,  mais  composé  évidemment  entre  1307 
et  1313,  dans  le  tome  XXI  des  Historiens  de  France,  p.  531.  Dans  ce 
Mémoire ,  destiné  à  repousser  quelques  réclamations  de  Clément  V,  le  roi 
prétend  que,  loin  d'être  redevable  envers  le  pape,  c'est  le  pape  au  contraire 
qui  est  son  débiteur  de  sommes  importantes  employées  par  ledit  roi  à  la 
défense  de  la  terre  sainte  après  la  chute  de  Saint-Jean  d'Acre,  pour  la  guerre 
d' .Aragon,  pour  la  guerre  de  Romagne,  qui  lui  avait  coulé  plus  de  54,000 
livres  tournois  dont  il  n'avait  pas  été  payé,  et  pour  une  avance  de  100,000 
livres  faite  au  pape  Jlartin  IV,  à  l'occasion  de  cette  dernière  guerre. 

3  Bulle  du  4  juillet  1289.  Suppl.  du  Trésor  des  chartes,  J.  938,  n"  14. 

•*  «  Compoti  annalium  a  papa  Bonifacio  concessarum  régi  Philippo  Pulcbro, 
levatarum  in  vigilia  S.  Laurentii  1297  usque  ad  eumdcm  terminum  auno  1300, 
per  très  annos.  »  Inventaire  de  R.  Mignon,  p.  523. 

5  K  Compoti  annaliuïii  a  papa  Beuedicto  XI  régi  Ph.  Pulcbro  pro  reductione 
monetarum  ad  pondus  antiquum,  a  Xafivitate  Doniiui  1304  usque  ad  annum 
1307,  per  1res  annos.  »  Inventaire  de  R.  Mignon,  p.  523. 

6  Voyez  la  lettre  adressée  à  J.  de  Crispeio,  u  coUectori  annalium  in  pro- 


294  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

IJoniface  \III  avait  aussi  octroyé  au  roi ,  tant  que  la  guerre  du- 
rerait, la  moitié  de  tous  les  legs  qui  seraient  faits  pour  la  croi- 
sade, et  de  toutes  les  sommes  payées  par  les  fidèles  pour  se 
racheter  du  vœu  d'aller  en  terre  sainte'. 

En  étudiant  attentivement  les  comptes  des  décimes,  on  est 
conduit  à  quelques  observations  intéressantes  sur  la  richesse 
relative  du  clergé  dans  les  différentes  provinces.  Les  églises 
du  Xord  étaient  incomparablement  plus  riches  que  celles  du 
Midi  ;  par  exemple,  le  clergé  de  la  province  de  Reims  avait  un 
revenu  de  près  d'un  million  de  livres  tournois,  tandis  que  les 
églises  de  la  province  de  Xarbonne  n'avaient  pas  trois  cent  mille 
livres  de  rente.  La  province  qui  renfermait  le  plus  d'exempts, 
c'est-à-dire  de  monastères  ne  dépendant  que  du  saint-siége, 
était  celle  de  IJourges,  où  ils  possédaient  un  quart  des  bénéfices. 

Les  frais  de  recouvrement  des  décimes  variaient  suivant  la 
pauvreté  du  diocèse  :  dans  celui  de  Besançon,  ils  atteignirent 
pour  les  exempts  seize  pour  cent;  dans  le  Languedoc,  ils  ne 
furent  que  d'un  et  demi  pour  cent^. 

Quelques  documents  ofticiels  contemporains  permettent  d'as- 
seoir sur  des  bases  à  peu  près  certaines  l'évaluation  d'un  dé- 
cime sous  Philippe  le  Bel.  Celui  de  l'année  1313  produisit 

vincia  Lugdiincnsi,  J.  de  Sancto  Spcni,  collcctori  in  Rcnicnsi  provincia, 
J.  do  Rovrago,  collcctori  aniiidium  iu  Turouousi  provincia.  f  Trésor  des 
chartes,  Reg.  XLI,  n"  18. 

1  Or.  Trésor  des  chartes ,  J.  456,  n"  32. 

2  Voici  le  tableau  du  produit  d'un  décime  du  clergé  français  sous  Philippe 
le  Bel  :  je  donne  deux  évaluations  telles  qu'on  les  trouve  dans  un  registre 
officiel  de  la  chambre  des  comptes.  Hist.  de  France,  p.  541.  Cîteaux,  le 
Temple  et  l'Hôpital  n'y  sont  pas  compris. 

PREMIÈRE    ÉVAIA'ATrO.V.  SKCO.VUK    ÉVALUATION". 

Provinces.  Revenus.  Rcvcnns. 

Reims  ....  671,735  I.  t.  2  s.  7  d. 


Sens 39,104  18  t 

Rouen  ....  33,425  8  4 

Bourges  .   .   .  22,234  12  5 

Tours 17,172  2  1 

Lyon 13,995  -  9 

Karbonne.   .   .  23,083  2  s 

Auch 3,783  t  » 

Bordeaux.  .  .  17,840  12  3 


.  .  78,8001.  34  s.  2d. 

.  .  37,873  8  8 

.  .  34,963  8  4 

.  .  20,600  116 

.  .  17,160  31  6 

.  .  9,020  «  2 

.  .  19,650  !>  T 

.   .  3,233 

.  .  15,854  5  11 


LIVRE  DIXIEME.  —  RECETTES  ET  DEPEXSES.  295 

deux  cent  soixante  mille  six  cent  qualre-vingls  livres  huit  sous 
dix  deniers  tournois  '.  Ce  chiffre  est  donné  par  un  des  registres 
de  la  chamhre  des  comples  de  Paris.  On  trouve  une  évaluation 
un  peu  différente  dans  un  document  qui  a  la  même  provenance. 
Il  est  sans  date,  mais  évidemment  postérieur,  puisqu'on  y  voit 
figurer  les  diocèses  de  Tulle,  de  Castres,  de  Vahres  et  de  Saint- 
Flour,  qui  ne  furent  créés  qu'en  1317.  Il  n'est  pas  complet, 
car  il  ne  renferme  que  quatre  provinces  :  Reims,  Rouen,  Sens 
et  Bourges  ;  mais  il  est  suivi  d'une  note  ainsi  conçue  :  «  La 
décime  des  Eglises  de  tout  le  royaume,  ou  livre  du  greffe  mar- 
qué Pater,  qui  commence  à  1254  et  finit  eu  1330,  ou  quel 
temps  monta  pour  ung  an  278,832  1.  10  s.  5  d.  tournois,  sauf 
à  rabattre  la  dépense  de  ceux  qui  eurent  la  charge  de  le  rece- 
voir, qui  monta  12,841  1.  15  s.  9  d.,  reste  qu'elle  vaut  de  net 
265,990  1.  18  s.  8  d.,  ou  quel  livre  ladite  décime  est  tauxée 
et  déclairiée  par  chacune  province ,  églises  et  abbayes  du 
roy[aume]  *.  » 

La  différence  entre  ce  dernier  total  et  celui  de  l'année  1313 
peut  être  attribuée  à  l'accroissement  des  richesses  du  clergé; 
peut-être  aussi  plusieurs  ordres  obtinrent  des  remises  en  1313. 
Le  compte  de  la  recette  de  la  dîme  de  l'an  1289  donne  aussi 
des  chiffres  qu'il  faut  consulter.  On  sait  qu'elle  fut  levée  pen- 
dant trois  années  :  elle  produisit  793,192  1.  15  s.  9  d.,  y  com- 
pris les  frais  de  perception;  la  moyenne  du  produit  brut  d'une 
année  est  donc  de  264,397  1.  11  s.  11  d.  Les  hospitaliers  et 
les  templiers  furent  exemptés  de  prendre  part  à  cette  levée  ^ 
Un  document  officiel  porte  à  6,000  livres  la  valeur  d'un  dé- 
cime pour  chacun  de  ces  ordres*  :  c'est  donc  une  somme  de 
12,000  livres  à  ajouter  pour  avoir  la  moyenne  des  décimes 
de  1289,  en  supposant  que  tous  les  ordres  aient  contribué,  ce 
qui  donne  un  chiffre  de  276,397  livres  11  s.  11  d.  Mais,  en 
compensation,  plusieurs  diocèses  étrangers  payèrent  ce  dé- 
cime. Le  premier  chiffre,  qui  représente  le  produit  du  décime 

1  Historiens  de  France,  l.  XXI,  p.  560,  note  9. 

■^  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  562  K.  ic  Valor  dccimarum  omnium 
provinciarum.  i 

•*  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  557,  note. 

^  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  545  E.  n  Valor  dccimarum.  d 


296  LA  FRAXCK  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

de  1313,  donne  un  produit  not  ;  il  faut  y  ajouter  les  frais,  qui 
sont  évalués  1 '2,000  livres  dans  le  document  sans  date  cité 
plus  haut. 

In  autre  document  émané  de  la  chambre  des  comptes,  et 
qui  paraît  avoir  été  rédigé  avant  1307,  donne  deux  estimations 
différentes  de  la  valeur  d'un  décime.  La  première  s'élève  à 
238,3731.  18  s.  î>d.,  la  seconde  à  237,103  1.  5  s.  D  d.'.Dans 
ces  deux  sommes  ne  figurent  ni  les  Templiers,  ni  les  Hospita- 
liers,  ni  les  Cisterciens.  In  document  déjà  cité  évalue  à 
12,000  livres  la  part  de  Cîteaux,  et  à  0,000  celle  de  chacun 
des  deux  ordres  militaires*  :  c'est  donc  24,000  livres  qu'il  faut 
ajouter,  et  l'on  a  262,373  1.  18  s.  9  d.  pour  la  première  éva- 
luation, et  261,163  1.  5  s.  9  d.  pour  la  seconde. 

Je  crois  qu'en  adoptant  le  chiffre  de  200,000  livres  tournois, 
pour  exprimer  la  moyenne  du  produit  d'un  décime,  on  est 
plutôt  au-dessous  qu'au-dessus  de  la  vérité.  Ce  cliiffre  étant 
établi,  on  évaluera  facilement  la  fortune  du  clergé:  260,000  liv. 
étant  le  dixième  du  revenu,  ce  revenu  sera  lui-même  de 
2,600,000  livres,  qui,  en  prenant  les  évaluations  de  M.  de 
Wailly,  représentent  en  valeur  intrinsèque  une  somme  de 
46,631,243  francs.  Et  en  supposant  que  l'argent  avait  alors 
cinq  fois  la  valeur  actuelle,  ce  qui  est  très- vraisemblable, 
on  trouve  que  les  revenus  annuels  du  clergé  s'élevaient  à 
233,156,218  francs. 

Ce  chiffre  est,  je  crois,  trop  faible,  car  en  1830  on  évaluait 
à  235  millions  le  revenu  du  clergé  anglais.  Or  il  ne  faut  pas 
perdre  de  vue  que  lors  de  l'établissement  de  la  réforme,  un 
nombre  considérable  de  biens  ecclésiastiques  avaient  été 
aliénés. 

On  voit  que  l'Eglise  de  France  fut  soumise  à  une  rude 
épreuve  sous  Philippe  le  Bel.  Ce  roi  n'inventa  pas  de  faire  par- 
ticiper le  clergé  aux  cliarges  publi(jues;  mais,  le  premier,  il 
fit  reconnaître  par  les  papes  le  droit  du  roi  d'exiger  des  sub- 
sides de  l'Eglise  avec  son  consentement.  Celte  dernière  condi- 
tion fut  illusoire,   dès  que  le  pape  fut  établi  à  Avignon  sans 

*  Historiens  de  France,  t.  X\I ,  p.  5 VI  et  suiv. 
-  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  54-5  E. 


LIVRE  DlXliailC.  —  RECETTES  ET  DEPENSES.  297 

pouvoir  temporel  et  à  la  merci  de  tous.  Aussi  les  rois  de  France 
eurent  dans  le  clergé  de  France  une  source  inépuisable  de 
revenus,  à  laquelle  ils  puisèrent  sans  réserve  et  sans  discrétion. 
Ce  serait  une  curieuse  et  bien  neuve  histoire  que  celle  des  dé- 
cimes ecclésiastiques.  Philippe  en  toucha  vingt  et  un,  qui  pro- 
duisirent plus  de  400  millions  de  francs. 


CHAPITRE   QUATRIEME. 

EMPRUXTS    VGLOXTAIRES    ET    FORCÉS. 

Le  recours  aux  emprunts  était  pratiqué  sous  Philippe  le  Bel, 
mais  dans  des  proportions  fort  restreintes.  Il  emprunta  fré- 
quemment des  sommes  importantes  à  des  banquiers  italiens  ', 
mais  je  n'ai  pu  découvrir  à  quelles  conditions.  Il  fit  aussi  à 
ses  sujets  des  emprunts  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  ces 
sommes  qu'il  se  faisait  donner  par  les  villes  sous  le  même  nom 
(mutuum),  et  qui  étaient  de  véritables  dons  gratuits.  En  1302 
il  envoya  des  commissaires  avec  ordre  de  solliciter  des  prêts 
d'argent  des  personnes  de  toute  condition,  et  en  promit  for- 
mellement le  remboursement.  Cette  dernière  clause  n'était  pas 
superflue*.  J'ignore   le  taux   de  l'iutérêt   accordé,   mais   ces 

1  «  Alonseigneur  Mouclie  et  Biche  prcstèrcnt  de  leur  denier  et  qu'ils  em- 
pruntèrent sus  euls  aus  foires  de  Champagne  et  à  Paris,  si  com  il  apcrt  par 
les  escriz,  environ  cc'°  livres.  '  Trésor  des  chartes,  J.  654,  n"  16.  Xotices 
et  extraits,  n"  vn.  —  Voyez  d'autres  emprunts  à  des  Italiens.  Gaignières, 
n"  567. 

-  «  Xotum  facimus  qnod  quecumqur  nuiina  pccunlaria  \el  alla  pro  facto 
guerre  prescntis,  pcr  dilectum  Gaufridum  Cocatrix,  thcsaurariuni  nostrum 
Tholose  et  nostrarum  provisorem  garnisionum,  sumere  a  quibuscumquc  per- 
sonis,  cujuscimupie  status  vel  conditiouis  existant,  suo  nomine,  tamquam 
nostro,  contracta,  que  liqnidius  per  suas  patentes  litteras  apparuerint  fore 
vera,  nos  mutua  ipsa,  ad  quamcumque  summam  ascendant,  per  litteras  ipsas , 
absque  alterius  probacionis  documento ,  soh  crc  promittimus  iutegralitcr  et 
tenemur,  ad  hoc  totam  receptoriam  nostram  Tholose  predictam  specialiter 
obligantes  eidem,  quam  et  cujus  denarios  omncs  voicmus  quod  ipse  possit 
reservare  et  solvere  hujus  creditoribus  iisque  ad  summam  mutuorum  habitam 
predictorum,  nisi  ea  fecerimus  aliundc  in  toto  vel  in  parte  persohi;  inhi- 
bentes  gentibus  nostris  omnibus  districtius  per  présentes  ne  dictum  Gaufridum, 


298  LA  FRAXCK  SOIS  PIIÎLIPPK  LE  BEL. 

recours  ii  une  souscription  nationale  ne  j)araisscnt  pas  avoir 
obtenu  un  grand  succès.  Les  officiers  du  roi  faisaient  aussi  des 
emprunts  pour  faire  face  à  des  dépenses  urgentes.  En  1296  le 
châtelain  de  .Montréal  emprunta  au  nom  du  roi  au  consul  de 
Narhonne  dilTérentes  sommes,  et  donna  liypotliè(|uc  sur  le  salin 
de  Carcassonne  '.  Cet  argent  était  destiné  à  solder  des  troupes 
pour  la  guerre  contre  les  Anglais  en  Guienne.  On  trouve  aussi 
des  remboursements  d'emprunts  faits  à  des  particuliers  dans 
la  sénéchaussée  de  Saintonge  en  1299*,  et  en  Normandie 
en  1287 ^ 

Philippe  ne  dédaignait  pas  de  descendre  aux  prières  et  aux 
menaces  pour  obtenir  des  emprunts  ,  témoin  la  lettre  qu'il 
écrivit  au  mois  de  septembre  1302  à  un  clerc  nommé  Jean 
Croissant. 

«  Vous  réez  clèrement  la  grant  nécessité  et  le  besoing  où 
nous  somes  à  présent  pour  la  deffense  de  nostre  réaume ,  et 
comment  nous,  pour  deffendre  le  réaume,  vous  et  rhascun 
d'icelui  réaume ,  et  pour  vous  pourchacer  pez  ,  abandonnons 
et  mettons  avant,  non  pas  seulement  biens  et  avoir  et  tout  ce 
que  nous  avons ,  mes  nostre  personne ,  sanz  eschiver  péril  et 
meschief  qui  venir  puisse;  et,  comme  pour  si  grant  neccessoire 
besoigne  poursuivre,  il  nous  coviegne  faire  despens  sanz  compte 
et  sanz  nombre,  les  quiex  nous  ne  pourrions  nullement  porter 
ne  i  souffire,  sans  l'aide  de  nos  féaux  (laquele  désire  toute 
manière  de  haste),  nous  requérons  plus  féablement  ceus  que 
nous  cuidons  trouver  plus  prez,  plus  volenterins  et  plus  aban- 
donnez à  nous,  ceus  espéciaument  desquiex  Testât  un  ou 
autre,  en  prospérité  ou  en  adversité,  dépent  du  nostre;  nous, 

rcl  génies  vel  lieredes  siios  ad  rcddcn(îurn  pccuniam  aliquam  de  dicta  recep- 
toria,  doncc  predicta  miifiia  priiis  fiierint  persoliita,  compellant;  nec  nos 
eciam  possiinius  aiit  debcmus  intérim,  prêter  ipsius  Ganfridi  voluniatcm, 
rccepcionem  predictani  aliis  onorarc  debitis ,  qiiin  nmtna  liiijiismodi  percipi 
possint  primo  et  principaliter  de  eadem.  r  Lundi  après  la  Saint-Pierre  1302. 
Reg.  X\\\  du  Trésor  des  chartes ,  n°  15;  xoyez  aussi  le  n"  16. 

1  En  1296.  Bit)!,  imp. ,  collection  Doat,  t.  II,  p.  207,  pour  350  livres  de 
monnaie  melgoriennc,  et  p.  117,  pour  200  liires  de  la  même  monnaie. 

2  Arch.  del'Emp.,  K.  501. 

■'  Bibl.  imp.,  collection  Gaignières ,  n»  567,  fol.  2  v".  --  Mutua  rcddila 
burgensibus  Bajocensibus  917  lib.,  etc.  s 


LIVRE  DIXIÈ^IE.  —  RECETTES  ET  DÉPE.VSES.  299 

pour  ces  causes  et  raisons,  vous  requérons  féahlement,  prions 
de  si  grant  affection  comme  nous  poons  plus,  et  voulons  tren- 
clienient,  que  sur  l'amour  et  la  fealté  que  vous  avez  à  nous  et 
au  réaume,  et  si  comme  vous  désirez  le  bon  estât  de  nous,  de 
vous  et  du  réaume,  et  avez  chère  nostre  amour  et  notre  grâce, 
et  désirez  eschiver  le  contraire ,  et  encorre  perpétuelment 
nostre  indignation ,  vous  nous  secorez  à  cest  grant  besoin  de 
III"  (ivres  tournois  en  prest ,  duquel  prest  vous  rendre  nous 
voulons  que  vous  soiez  asseurez  et  assenez  tout  à  vostre  devise. 
Laquele  somme  d'argent  vous  envoiez  tantost  à  Paris  à  nos 
gens,  au  Louvre,  par  certain  message,  qui  voise  ovec  le  pour- 
teurs  de  ces  lettres,  ou  dites  à  celui  pourteur  certain  jour 
brief,  auquel  le  dit  argent  soit  sanz  faute;  et  ce  faites  preste- 
ment et  libéralement  sanz  excusations,  sans  délay  et  sanz 
escondit.  Quar  nous  savons  de  certain  que  vous  le  povez  bien 
faire,  par  vous,  ou  par  vos  amis  ;  et  vous  véez  le  grant  proufit 
qui  est  en  ce  que  la  besoigne  soit  bien  poursuivie  et  les  griés 
péril,  le  meschief  et  le  dommage  qui  porroit  avenir  du  deffaut, 
que  ja  n'aviegne.  Et  signifions  tout  appertement  que  James 
ne  nous  fierons  j  ne  ne  tendrons  pour  ami  ne  pour  féal  qui 
nous  faudra  à  si  grant  besoing  '.  » 

Mais  cela  n'est  rien  en  comparaison  des  emprunts  que  Ton 
fît  dans  le  bailliage  de  Troyes.  On  prit  plusieurs  hommes  de 
bonne  volonté  qui  estimèrent,  sous  serment,  la  fortune  de  leurs 
concitoyens  et  fixèrent  la  somme  que  chacun  d'eux  était  en  état 
de  prêter.  Nous  avons  encore  les  rôles  de  cette  imposition 
d'un  nouveau  genre". 

1  Reg.  XXXV  du  Trésor  des  cJiartes ,  n°  49. 

-  (i  \omina  iilorum  de  Trecis  e't  de  castellania  qui  fiicrunt  electi  ad  facien- 
dum  nuitunm.  ^ 

Baillie  de  Troies. 

Troies. 

Ce  sunt  li  nom  des  personnes  de  Troies  et  de  la  cliaslelerie  estimées  à  faire 
prest  à  nostre  seigneur  le  roy  par  la  commune  renommée  et  par  le  serment 
des  preudcshomes  de  la  ville  de  Troies  qui  fouz  les  cognoissoicnl,  c'est 
assavoir  :  Pierre  le  Cordclier,  Pierre  de  Lournicl,  Guillaume  Félix,  Félix  le 
Marichal,  Estienc  Langlois,  Climent  de  Saint-Antboiuo,  Silvcslre  le  Tanneur, 
Johan  de  Alontigny,  Johan  de  Alacy,  Colct  le  Cnleron,  Johan  Pasquere,  bar- 
bier, et  Joban  de  Cucbermoy....  Rouleau  original,  supplément  du  Trésor  des 
chartes,  J.  770  (sans  date). 


300  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

CHAPITRE  CINQUIÈME. 

IMPÔTS    SUR    LES    JUIFS,    LES    LOMBARDS    ET    LES    USURIERS. 

Les  Juifs  étaient  considérés  au  moyen  âge  comme  une 
source  de  revenus  '.  Ils  étaient  relégués  dans  certains  quar- 
tiers, mais  ils  cherchaient  à  se  soustraire  à  des  ohligations  qui 
avaient  pour  but  de  les  empêcher  de  se  livrer  à  l'usure*.  Ils 
étaient  aussi  tenus  de  porter  une  rouelle  de  feutre.  Un  grand 
nombre  de  Juifs  obtinrent,  sous  Philippe  le  IJel,  de  ne  pas 
porter  ce  signe  qui  les  désignait  aux  insultes  de  la  popu- 
lace ^ .  En  1288,  le  roi  prétendit  qu'en  sa  qualité  de  souverain, 
ratione  regiœ  celsitudinis,  tous  les  Juifs  lui  appartenaient  *,  et 
se  réserva  sur  eux  la  juridiction  criminelle.  Cependant  il  fut 
obligé  de  reconnaître  aux  seigneurs  le  droit  d'en  posséder.  Il 
défendit  à  l'inquisition  de  les  emprisonner  ^  La  même  année 
il  expulsa  du  royaume  les  Juifs  venus  d'Angleterre  et  de  Gas- 
cogne*. En  1292,  il  leva  une  taille  sur  ses  Juifs,  car  il  y  avait 
les  Juifs  du  roi,  comme  il  y  avait  des  bourgeois  du  roi;  leur 
sort  était  préférable  à  celui  des  Juifs  des  seigneurs;  ils  trou- 
vaient protection,  moyennant  finance.  Un  israélite ,  Manassès 
de  Choisy,  fut  chargé  de  lever  cette  taille,  et  reçut  un  passe- 
port où  il  était  enjoint  aux  agents  du  roi  de  le  laisser  circuler 
librement  et  de  le  préserver  de  toute  injure  '.  En  1293, 
Thauros,  Juif  de  Montpellier,  prêta  à  Rousselin,  seigneur  de 
Lunel,  une  somme  importante,  et  reçut  en  échange  le  droit  de 
percevoir  cinquante  livres  tournois  sur  les  revenus  annuels  de 
cette  seigneurie.  Le  roi  ordonna  au  sénéchal  de  Nîmes  de  le 
laisser  toucher  paisiblement  ces  revenus,  s'il  pouvait  prouver 
qu'il  fût  Juif  du  roi,  autrement  d'exiger  de  lui  le  revenu  de 

•  nnisscl ,  Nouvel  usage  des  fief  s ,  liv.  II,  cliap.  xxxix. 
-  D'.ipuy,  les  Juifs  au  tnoyen  âge,  p.  222. 

a  Bil)l.  imp.,  n"4684,  fol.  58. 

*  Arcii.  de  l'Ernp.  Trésor  des  chartes,  J.  427,  ii"  13  et  14. 
s  Ord.,  i.  I,  p.  317. 

G  Ord.,  t.  I,  p.  317. 

"  Arcli.  de  l'Emp.,  K.  IGG,  n«  186. 


LIVRE  DIXIKAIE.  —  RECETTES  ET  DEPENSES.  ;30J 

six  années.  Il  est  curieux  de  voir  les  Juifs  soumis  à  une  espèce 
de  droit  d'amortissement  '. 

C'était  une  chose  fructueuse  et  bonne  à  exploiter  que  les 
Juifs,  aussi  Philippe  cherchait-il  à  en  avoir  le  plus  grand 
nombre  possible.  En  1299,  il  acheta  à  son  frère,  pour  vingt 
mille  livres,  tous  les  Juifs  du  comté  de  Valois  ^  Les  Juifs  du 
roi  avaient,  ainsi  que  l'apprend  une  charte  royale,  le  droit  de 
prêter  de  l'argent.  Un  grand  nombre  d'entre  eux  qui  demeu- 
raient dans  les  fiefs  des  barons  ,  voulurent  se  soustraire  aux 
tailles  exigées  par  Philippe  le  Bel,  mais  ils  y  furent  contraints 
et  condamnés  en  outre  à  l'amende  pour  avoir  voulu  abuser  de 
leurs  privilèges  ^  L'année  1295  vit  un  grave  événement  :  tous 
les  Juifs  furent  arrêtés  et  les  plus  riches  conduits  au  Chàtelet 
à  Paris*.  Les  officiers  royaux  dressèrent  l'inventaire  des  biens 
de  chacun  et  reçurent  l'ordre  de  ne  point  les  mettre  en  liberté 
sans  une  lettre  du  roi  ^  L'argent  dont  ils  étaient  munis  fut 
remis  aux  receveurs.  Quant  aux  vases  d'argent  et  aux  autres 
gages  qui  furent  trouvés  chez  eux,  les  créanciers  purent  les 
racheter  dans  les  huit  jours,  sinon  on  les  vendait  et  on  en 
versait  le  produit  au  trésor.  Quelques-uns  s'étaient  échappés 
après  avoir  caché  de  l'argent  et  des  objets  précieux  dans  leurs 
manoirs  et  même  dans  ceux  de  quelques  chrétiens.  On  fit  des 
recherches  sévères.  Ces  arrestations  avaient  pour  but  de  forcer 
les  Juifs  à  payer  une  aide.  Ils  en  furent  quittes  pour  une  forte 
rançon.  On  exigea  d'eux  une  nouvelle  taille  en  l'an  1299  *. 
Seuls  les  Juifs  du  roi  étaient  soumis  à  cet  impôt,  ainsi  qu'aux 

1  Avril  1293.  Mcsnard,  Histoire  de  Nismes ,  t.  I,  preuves,  p.  125. 

2  Trésor  des  chartes ,  J.  227,  n»  15. 

3  Samedi  après  la  Saint-Barthélcmy  1295.  «  Fenerantcs  de  suis  pecuniis 
in  terra  nostra  privilcgio  nostris  .ludeis  concesso....  i  Ibid. 

4  Bibl.  imp.,  10312.^.  p.  54. 

^  Mesnard,  t.  I,  p.  125.  a  Alandamus  vobis  quafinus  scx  de  ditioribus  Judeis 
scnescallie  vestre  (Bollicadrcnsis),  de  mandato  nostro  capfis,  in  Castellctum 
nostrura  Parisius  sub  firma  custodia  transmiUatis.  De  bonis  vero  singulorum 
Judeorum  captoruni  inventarium  fieri  faciatis...  cum  nostre  intentionis  non  sit 
captorum  aliquos  libcrari  absquc  nostro  spcciali  mandato.  n  ^landcment  au 
sénéchal  de  Bcaucaire,  octave  de  la  Chandeleur  1294-1295. 

6  t  De  finatione  scu  tallia  Judeorum  ballivie  Calvimontis.  i  Journal  du 
trésor,  fol.  5  v°;  du  bailliage  de  Vitri,  fol.  6  r°;  du  bailliage  de  Vermandois, 
fol.  Sr»;  de  Paris,  fol.  3  v». 


302  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

précédents  '.  Xouvelle  taille  en  l.'U)2  ".  Au  mois  de  novembre 
de  la  nièinc  année  fut  rendue  une  ordonnance  qui  défendait 
aux  baillis  et  aux  sénéchaux  de  faire  arrêter  aucun  Juif  sur 
rordrc  des  inquisiteurs^. 

En  1303  une  autre  ordonnance  leur  enjoignit  de  con- 
traindre les  débiteurs  des  Juifs  à  leur  payer  les  dettes*.  Cette 
mesure  qui  paraissait  favorable  n'était  que  le  prélude  d'une 
ini(jnité  dont  Philippe  trouvait  des  exemples  dans  les  pays 
voisins.  Au  mois  d'août  1306,  il  bannit  les  Juifs  de  France 
et  leur  ordonna  de  quitter  immédiatement  le  royaume'.  Le 
duc  de  Bourgogne  leur  donna  asile  dans  ses  Etats.  Cet  acte 
inique  était  dicté  parle  désir  de  s'approprier  leurs  biens.  Leurs 
maisons  et  leurs  terres,  leurs  meubles,  furent  vendus  aux 
enchères;  une  clause,  qui  peint  l'avidité  du  fisc,  réservait  au 
roi  les  trésors  qui  pouvaient  être  enfouis  dans  leurs  maisons®. 
Des  commissaires  furent  envoyés  dans  chaque  bailliage  pour 
faire  procéder  à  ces  ventes  avec  célérité.  Les  registres  de  la 
chancellerie  sont  remplis  de  confirmations  de  ventes  de  biens 
des  Juifs  faites  par  ces  commissaires  '.  On  vendit  toutes  les 
écoles  *,  les  synagogues  et  jusqu'aux  cimetières  ".  Le  roi 
ordonna  à  leurs  débiteurs  de  venir  déclarer  leurs  dettes  '",  et 
les  commissaires  en  exigèrent  le  remboursement  et  poursui- 


1  Voyez  les  plaintes  de  l'évêque  de  Xîmes  de  ce  qu'on  avait  arrêté  ses 
Juifs  pour  les  rançonner  :  le  roi  ordonna  de  ne  pas  les  inquiéter.  Alesnard , 
t.  I,  Preuves,  p.  125.  Dimanche  après  Reminiscere  1294-1295. 

-  Journal  du  trésor,  113  v",  115. 

■^  Trésor  des  chartes,  Reg.  XXXV,  n"  11. 

4  Reg.  XXXV,  u"  67  (30  avril);  K.  37,  n"  15^;  et  Reg.  XXXVI,  n»  22. 

s  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  27.  Coût,  de  Xangis,  p.  355. 

*5  u  Domos,  vinces  cl  posscssioncs  alias,  quas  babebant  tempore  captionis 
eorum,  sulflcjentibus  proclamationibus  seu  subastationibus  factis  vendi  et 
distrabi  pro  justis  prcciis  nobis  applicandis  quam  cicius  poteritis  faciatis.  t 
Lettre  à  Jean  de  Saint-.! iist  et  G.  de  Xogcnt,  commissaires  pour  la  vente  des 
biens  des  Juifs  dans  la  sénéchaussée  de  Toulouse.  17  août  1306. 

-'  Reg.  XL,n'«39,97,  99  à  102,  135, 143;  Reg.  XLI,  n"  17;  Reg.  XLIV, 
n°s  143,  155,  1(56,  etc. 

8  Vente  de  l'école  des  Juifs  à  Dun.  Février  1309.  Reg.  XLI,  n"  192. 

9  Vente  en  1312  de  la  synagogue  do  Janville.  Reg.  XLVIIl,  n^  167. 
'"  Trésor  des  chartes ,  Reg.  XLI,  u'"  113;  et  Reg.  XL,  n-  140. 


LIVRE  DIXIEME.  —  RECETTES  ET  DEPENSES.  303 

virent  de  malheureux  chrétiens  qui  avaient  été  les  victimes 
de  prêts  usuraires.  Le  roi  défendit  de  réclamer  les  dettes  qui 
remontaient  à  plus  de  vingt  années.  Pour  les  sommes  qui  ne 
dépassaient  point  dix  livres,  lorsque  le  déhiteur  jouissait  d'une 
bonne  renommée,  un  seul  témoin  suffisait  pour  prouver  le 
payement  '.  Les  chrétiens  ne  durent  pas  être  emprisonnés 
pour  les  dettes  des  Juifs  \  Les  barons  réclamèrent  les  biens 
confisqués  sur  les  Juifs  de  leurs  domaines.  Leur  droit  était 
évident,  Philippe  entra  en  arrangement  et  partagea  avec  eux^ 
Le  vicomte  de  Xarbonne  reçut  pour  sa  part  cinq  mille  livres 
tournois,  plusieurs  maisons  contiguës  à  son  palais  et  des 
biens  ruraux  *. 

Si  le  peuple  vit  avec  joie  l'expulsion  de  ces  malheureux,  il 
ne  tarda  pas  à  les  regretter  :  les  usuriers  juifs  firent  place 
aux  usuriers  chrétiens,  qui  se  montrèrent  plus  durs  que  leurs 
devanciers  ^ 

Écoutons  le  poète  populaire ,  Geoffroy  de  Paris  : 

Je  dis ,  seignors ,  comment  qu'il  aille , 

Que  l'intention  en  fut  bonne; 

ilais  pire  en  est  mainte  personne 

Qui  devenu  est  usurier, 

Car  Juifs  furent  débonnères 

Trop  plus  en  fesant  tels  affaires , 

Que  ne  furent  ore  chrestien. 

Mes  si  li  Juis  demeuré 

Fussent  au  réaunie  de  France 

Crestien  moult  grant  aidance 

Eussent  eu,  que  il  n'ont  pas; 

Car  por  po  (peu)  trouvoit-on  argent, 

Or  ne  trouve  l'en  nulle  gent 

Qui  veille  l'un  ù  l'autre  prester. 

1  Bibl.  imp.,  8409,  fol.  9. 

2  Lettres  du  24  janvier  1309-1310.  Bibl.  imp.,  Doat,  t.  LI,  p.  332;  et 
Trésor  des  chartes,  Reg.  XLli,  n"  98. 

3  14  septembre  1310.  Mandement  au  sénéchal  de  Beaucaire.  Bibl.  imp., 
n''8409,  fol.  9  V. 

4  Trésor  des  chartes,  Reg.  XLII,  fol.  103  r°.  En  1309.  Voyez  la  compo- 
sition avec  l'évèque  de  Mende.  Reg.  XLI ,  n'  16  (même  année).  L'abbé  de 
Saint-Gille  eut  le  tiers.  Mesnard,  t.  II,  p.  15  (en  1314). 

°  Chronique  métrique ,  vers  3502  et  suiv. 


304  LA  FRANCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

Ils  (leniandiMonl  à  venir  piouvor  leurs  créances,  on  les  laissa 
rentrer.  Us  corrompirent  les  commissaires  et  les  a^jents  du  roi, 
et  se  prétendirent  les  créanciers  d'un  grand  nombre  de  per- 
sonnes qui  nièrent  êner;{i(|uemenl  leur  rien  devoir'. 

En  1311  ils  furent  chassés  de  nouveau  *  et  leurs  biens  con- 
fisqués. Les  poursuites  recommencèrent  contre  leurs  débiteurs, 
au  nombre  desquels  figuraient  un  grand  nombre  de  reli- 
gieux ^. 

La  confiscatioii  de  leurs  biens  fit  entrer  dans  les  coffres  du 
roi  des  sommes  immenses.  Le  produit  de  la  vente  de  ces  biens 
s'éleva  dans  le  bailliage  d'Orléans,  non  compris  les  bijoux,  à 
3,74'G  livres  *,  et  dans  la  sénéchaussée  de  Toulouse  à  75,264 
livres  tournois.  Ce  dernier  chiffre  est  donné  par  le  compte 
original  de  Jean  de  Saint-Just,  commissaire  dans  cette  séné- 
chaussée, compte  qui  comprend  les  saisies  faites  de  1306  à 
1311  ^;  mais  cette  spoliation,  qui  enrichit  le  trésor,  ruina  le 
crédit.  Aussi  Louis  X,  à  peine  sur  le  trône,  céda  à  la  commune 
clamour  du  peuple,  pourquoi  ils  dévoient  estre  soufferts,  « 
les  rappela,  mais  seulement  pour  douze  ans.  C'était  se  ména- 
ger une  occasion  de  les  rançonner  en  leur  permettant  de  rester 
quand  ces  douze  années  seraient  écoulées  *. 

Les  marchands  italiens,  connus  sous  le  nom  de  Lombards, 
accusés  de  participer  aux  usures  et  aux  richesses  des  Juifs  , 
excitèrent  aussi  la  convoitise  royale. 

En  1291  on  les  arrêta,  puis  on  les  relâcha  après  en  avoir 
tiré  de  fortes  sommes  \  Les  agents  du  roi  mirent  tant  d'ardeur 

1  Depping,  p.  246. 

-  22  août  1311.  Trésor  des  chartes,  Rog.  XLII,  n°  14;  et  leurs  biens 
confisques,  Ibkl.,  Rcg.  XLVIII,  n'  213.  En  1837  on  trouva  à  Saint-Mai.xent 
un  pot  rciifcriiianl  plus  de  2,000  monnaies  dont  les  plus  récentes  étaient  de 
Philippe  le  Bel.  Il  y  en  avait  de  Philippe,  comte  de  Poitou  (1311-1316).  Les 
éditeurs  de  la  Heine  numismatique  n'ont  su  comment  expliquer  cet  enfouis- 
sement. Il  est  probahle  qu'on  doit  l'attribuer  aux  Juifs  lors  de  leur  deuxième 
bannissement. 

;*  Olim,  t.  III,  p.  749  et  839. 

'^  Depping,  p.  229. 

^  Arch.  imp.  Trésor  des  chartes,  carton  1030,  n"  5. 

G  Ord.,  t.  I,  p.  595.  28  juillet  1315. 

'  Doat,  150,  p.  12.  Mardi  après  la  Saint-Barthélémy. 


LIVRE  DIXIÈAIH.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  305 

il  trouver  des  Lombards,  qu'ils  emprisonnèrent  en  cette  qualité 
d'honnêtes  bourgeois  '. 

En  1303,  le  roi  ordonna.de  lever  double  subside  pour  la 
guerre  de  Flandre,  sur  les  usuriers  "'. 

Les  Flamands  payèrent  de  fortes  contributions  de  guerre; 
un  compte  officiel  évalue  à  51)8,549  livres  tournois  les  sommes 
qu'ils  furent  obligés  de  payer  de  1296  à  1317  ^ 

1  Doat,  51,  fol.  1.  Protestation  des  conseils  de  Xarbonne. 

-  ï  Cum  pcr  alias  littcras  nostras  ex  cerfa  causa  dederimus  in  mandatis  ut 
a  notoriis  usurariis  dicte  hallivic  subvcncinneni  predictam  nullatenus  Icvaretis, 
nec  sit  intcncionis  nostrc  quod  ipsis  usurariis  ia  hac  parte  plus  ceteris  defc- 
ratur,  imnio  quod  aliter  contra  eos  super  hoc  procedatur,  mandamus  et 
committimus  vobis  quatinus  a  dictis  usurariis  subiencioncm  duppliccni  de 
facultatibus  eoruni ,  nisi  ad  niajorem  prestacioncm  possitis  eos  attrahere  bono 
modo,  sine  difficultatc  et  dilacionc  (juibnscunujue  Icvctis ,  id  nullatenus  omis- 
suri.  n  Trésor  des  chartes ,  I{eg.  XXXV,  n°  109. 

3  L' estât  des  deniers  promis  au  roy  et  à  ses  prédécesseurs  par  les  traictez 
faiz  avec  les  Flamenz,  pour  cause  des  guerres  de  Flandres  et  les  paiemens 
qui  ont  esté  faiz. 

Prenn'èrcment  le  roy  Philippe  le  Bel  en  dut  avoir  par  le  premier  traictié 
fait  devant  Lille  l'an  1296,  400,000  livres  parisis. 

Item  pour  les  arrérages  de  20,000  livres  de  rente  que  le  roy  dut  avoir  par 
le  traictié  de  la  paix,  dont  les  10,000  furent  rachatées,  et  pour  les  10,000 
demorans,  fu  au  roy  assigné  la  terre  de  Lisle,  de  Douai,  de  Bethune  et  des 
appartenances.  Sont  dcuz  pour  les  duz  1306  et  1307,  que  ladite  terre  ne  fu 
assignée  ne  rachetée  es  dites  années  40,000  livres  tournois  valant  32,000  livres 
parisis. 

Pour  le  rachat  des  dites  10,000  livres  tournois  de  terre,  600,000  litres 
tournois  valant  480,000  livres  parisis. 

Pour  le  rachat  des  pèlerinages  300,000  livres  tournois  valant  240,000  livres 
parisis. 

Somme  1,152,000  livres  parisis. 

Et  tôt  Guy,  commis  du  roy  pour  ce  recevoir,  en  rendi  au  roy  en  son  pre- 
mier compte  396,000  livres  15  sous  4  deniers  tournois,  du  temps  des  hourgois. 

Et  par  sou  segond  compte  26S,183  livres  18  deniers  tournois. 

Par  son  tiers  compte  101,057  livres  18  sous  8  deniers  tournois  forts. 

Par  son  quart  compte  965  livres  2  sous  6  deniers  tournois  fors. 

Somme  que  les  Flamens  ont  paie  avant  la  paix  faicte  avec  le  roy  Philippe 
le  Grant  (le  Long),  598,549  livres  12  sous  11  deniers  tournois. 

Item  le  dit  tôt  rcceut  pour  la  ville  d'Vprc  5,490  livres  tom-nois  fors. 

Somme  toute  du  paie  jusques  au  traictié  fait  par  le  roy  Philippe  le  Grand, 
604,039  livres  tournois  10  sous  11  deniers,  valent  483,231  livres  12  sous 
9  deniers  parisis.  Reg.  original  de  la  chambre  des  comptes.  Bibl.  imp., 
n°8406,fol.  255. 

20 


306  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

CHAPITRE  SIXIÈME. 

MOIVIMAIES. 

Coup  d'œil  sur  le  sysfômc  monétaire  de  saint  Louis  et  de  Philippe  le  Bel.  — 
Tournois.  —  Parisis.  —  Inconvénients  de  ce  sysiènie.  —  Dès  1295  Philippe 
altère  les  monnaies  publiquement.  —  Tableau  des  altérations  successives 
jusqu'à  1302.  • —  Le  prix  du  marc  d'argent  sert  à  faire  connaîlre^c  degré 
d'altération  des  monnaies.  —  Ordre  de  poi-ter  la  \aisselle  d'argent  aux 
hôtels  des  monnaies.  —  Rétablissement  momentané  de  la  bonne  monnaie 
en  1303.  —  Aouvelles  altérations. —  Plaintes  du  peuple.  —  Bonne  mon- 
naie en  1306.  —  Effets  désastreux  du  rétablissement  de  la  bonne  monnaie. 
—  Emeutes.  —  En  1311  la  monnaie  altérée.  —  Bourgeois.  —  Erreur  de 
Leblanc.  —  1313,  bonne  monnaie.  —  Fabrication  des  monnaies.  —  Faux 
monnayeurs.  —  Leur  supplice.  —  Monnaies  seigneuriales.  —  Elles  sont 
surveillées.  —  Philippe  en  altérant  la  monnaie  suivait  les  préjugés  de  son 
siècle.  —  Remarquable  passage  d'un  mémoire  de  P.  Dubois  siguidant  les 
inconvénients  des  mutations  de  monnaies. 

Ce  n'est  guère  qu'à  partir  du  règne  de  Pliilippe  le  Bel  que 
l'histoire  monétaire  commence  à  être  connue  avec  quelque 
détail  ;  elle  acquiert  alors  un  très-grand  intérêt  par  suite  des 
grandes  altérations  des  monnaies,  altérations  qui  eurent  des 
résultats  économiques  d'une  haute  importance.  Philippe  le  Bel 
se  distingua  par  les  nomhreuses  variations  qu'il  fit  suhir  au 
poids  et  à  la  loi  des  monnaies,  ce  qui  lui  a  valu  le  surnom  de 
faux  monnayeur. 

Il  suivit  pendant  les  premières  années  de  son  règne  le  sys- 
tème monétaire  de  saint  Louis  '.  La  monnaie  d'or  était,  suivant 
les  évaluations  les  plus  récentes  et  les  plus  sûres,  cà  ff^.  de  fin. 
On  frappait  des  agnels  (ainsi  nommés  à  cause  de  l'agneau 
pascal  qui  y  était  représenté),  dont  on  taillait  59  et  |  au  marc, 
ce  qui  donne  à  l'agnel  une  valeur  intrinsèque  de  14-  fr.  10580. 
Il  avait  cours  pour  12  sous  6  deniers  tournois. 

1  Voyez  la  savante  préface  du  tome  XXI  des  Historiens  de  France, 
p.  i.wvii  et  sulv  Conf.  de  Wailly,  Recherches  sur  le  système  monétaire  de 
saint  Louis;  et  du  même  auteur,  Variations  de  la  livre  tournois.  Leblanc, 
Traité  hist.  des  monnaies  de  France,  p.  190  et  suiv. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DÉPENSES.  307 

La  monnaie  d'argent  était  à  ||  de  titre,  c'est-à-dire  qu'elle 
renfermait  -^  d'alliage,  ce  qui  constituait  un  titre  supérieur  à 
celui  de  notre  monnaie,  qui  ne  contient  que  7^  d'argent.  L'ar- 
gent à  -^  de  fin,  ou  comme  on  dirait  à  11  deniers  12  grains, 
s'appelait  argent  le  roi. 

Il  y  avait  trois  sortes  de  monnaie  d'argent  :  le  gros  ou  sou 
tournois,  le  demi-gros  ou  obole,  et  le  tiers  de  gros  ou  maille 
blanche,  ou  encore  obole  tierce. 

On  taillait  58  gros  dans  un  marc  d'argent  le  roi  ;  le  gros 
avait  une  valeur  intrinsèque  de  0  fr.  898677;  il  avait  cours 
pour  12  deniers. 

La  monnaie  de  billon  ou  monnaie  noire  n'était  pas  frappée 
d'après  un  seul  système  :  il  y  avait  la  monnaie  tournois  et  la 
monnaie  parisis  ;  la  première  était  à  la  seconde  comme  4  est  à  5  ; 
mais  là  ne  se  bornait  pas  la  différence.  Les  parisis  n'étaient  pas 
taillés  dans  le  même  alliage  que  les  tournois. 

Le  billon  des  tournois  était  composé  de  5  parties  d'argent  le 
roi  contre  11  parties  de  métaux  moins  précieux,  autrement  dit 
à  3  deniers  18  grains  de  fin. 

La  plus  forte  monnaie  de  billon  était  le  denier,  douzième 
partie  du  sou;  on  en  taillait  230  dans  un  marc;  sa  valeur 
intrinsèque  était  de  0  fr.  07403.  Ce  chiffre  est  inférieur  à  la 
douzième  partie  du  gros  ou  sou  tournois  d'argent.  De  nos 
jours,  la  même  anomalie  se  fait  remarquer,  et  même  à  un 
degré  supérieur,  dans  notre  système  monétaire.  Vingt  pièces  de 
cinq  centimes  n'ont  pas  la  valeur  intrinsèque  d'une  pièce  d'ar- 
gent de  un  franc  :  cela  tient  à  ce  que  chez  nous  la  monnaie  de 
cuivre  est  une  monnaie  d'appoint,  destinée  à  faciliter  les  trans- 
actions. Il  en  était  autrement  au  moyen  âge  :  la  monnaie  d'ar- 
gent, le  gros,  était  bien  la  monnaie  type,  mais  celle  de  billon 
était  la  monnaie  principale.  En  efiiet,  en  supposant  à  l'argent 
un  pouvoir  égal  à  cinq  fois  celui  qu'il  a  actuellement,  ce  qiii 
n'est  pas  exagéré,  on  trouve  que  le  sou  tournois  valait  à  peu 
près  4;  fr.  49  c,  l'obole  2  fr.  24  c,  et  la  maille  1  fr.  49  c. 
La  plus  petite  monnaie  d'argent  avait  donc  une  valeur  relati- 
vement assez  élevée.  Philippe  le  Bel  déclare  lui-même  dans 
plusieurs  ordonnances  qu'on  faisait  de  la  monnaie  d'argent  en 

20. 


308  LA  FRAX'CE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

petite  quantité'.  Cette  différence  de  valeur  intrinsèque  entre 
une  somme  de  monnaie  d'ar^jent  et  la  même  somme  en  mon- 
naie (le  hillon  avait  sa  source  uni(|uemont  dans  l'ijjnorance  où 
l'on  était  des  principes  régulateurs  du  crédit  public.  La  même 
disproportion  (jui  se  remarque  entre  la  monnaie  de  Mllon  et  la 
monnaie  d'argent  existait  aussi  entre  cette  dernière  et  la  mon- 
naie d'or.  Douze  tournois  six  deniers  d'argent  avaient  cours 
pour  un  agnel,  c'est-à-dire  pour  li  fr.  10588;  un  tournois 
avait  donc  cours  pour  1  fr.  12839,  tandis  que  sa  valeur  réelle 
n'était  que  de  0  fr.  898G7.  Un  agnel  valait  li  fr.  10588,  et 
150  deniers  tournois  en  billon,  qui  représentaient  une  somme 
équivalente,  ne  valaient  réellement  que  11  fr.  10450.  Les 
inconvénients  de  ce  système  furent  compris  et  signalés  par  des 
contemporains,  notamment  dans  un  mémoire  inédit  adressé 
au  roi  par  un  monnayeur  dont  le  nom  ne  nous  est  point  par- 
venu. L'auteur  de  ce  mémoire  montre  par  des  exemples  ré- 
cents le  danger  de  ne  pas  ajuster  l'or  à  l'argent,  ce  qui 
faisait,  selon  son  énergique  expression,  que  tantôt  l'argent 
mangeait  l'or,  tantôt,  au  contraire,  l'or  mangeait  l'argent. 
De  là  des  fraudes  sans  nombre  et  d'audacieuses  spécula- 
tions, de  telle  sorte  que  a  a  esté  le  royaume  de  France  robe 
par  les  sutiz  (subtils)  et  les  malicieux  qui  y  sont  et  qui  y 
ont  esté  ^  «  . 

Le  billon  des  parisis  était  à  -4  deniers  12  grains.  On 
en  taillait  221  au  marc;  la  valeur  intrinsèque  était  de 
0  fr.  08844,  et  avait  cours  pour  0  fr.  09254.  Dans  les 
comptes  du  trésor,  les  sommes  étaient  toujours  évaluées  en 
parisis.  Pbilippe  le  Bel  passe  pour  avoir  fait  de  bonne 
monnaie  jusqu'en  1295.  Je  suis  porté  à  croire  pourtant  qu'il 
commença  à  altérer  sa  monnaie  dès  1289.  Ce  qui  le  prou- 
verait, c'est  que  le  marc  d'argent  fin,  qui  sous  saint  Louis 
était  payé  aux  bôtels  des  monnaies  54  sous,  était  pris  pour 

1  18  janvier  1308-1309.  Ord.,  t.  I,  p.  455.  »  Comme  eussions  commcndé 
à  l'aire  le  mcins  que  nous  pcussious  l)nnnement  (de  monnaie  d'arycnt),  pour 
ce  que  peussions  plus  faire  de  monnoie  noire.  - 

2  Trésor  des  chartes,  .F.  459,  n"  24.  Ce  mémoire  paraît  avoir  éfé  fait  du 
temps  de  Louis  X,  ou  au  plus  tard  sous  le  règne  de  Philippe  le  Long.  Il  est 
intitulé  :  Rationes  itlorum  qui  certant  pro  debili  morieta. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DÉPENSES.  309 

58  SOUS  en  1289  '.  Or,  comme  on  taillait  58  sous  au  marc, 
il  en  résulte  que  le  roi  n'aurait  prélevé  d'autre  seigneuriale 
que  la  différence  qui  .existait  entre  l'argent  fin  et  l'argent 
le  roi.  Il  est  peu  probable  que  Philippe  le  Bel  se  fût  contenté 
d'un  bénéfice  plus  faible  que  celui  que  saint  Louis  trouvait 
juste  de  percevoir.  Toutefois,  l'altération  portait  sans  doute 
sur  la  monnaie  de  billon,  où  elle  était  moins  appréciable  ^ 

Le  prix  du  marc  d'argent  est  l'échelle  à  laquelle  on  peut 
reconnaître  le  degré  d'affaiblissement  des  monnaies.  Le  prix 
normal  de  54-  sous  pour  un  marc  sert  de  point  de  repère.  Cette 
méthode  est  sûre,  car  le  prix  du  marc  était  fixé  d'après  la 
valeur  intrinsèque  des  espèces  qui  servaient  à  l'aciieter.  Quand 
le  marc  valait  5  francs  8  sous  ou  deux  fois  54  sous,  cela  prou- 
vait que  la  monnaie  n'avait  une  valeur  intrinsèque  que  de 
moitié  de  sa  valeur  nominale.  Ce  procédé  de  constater  la  valeur 
réelle  des  espèces  au  moyen  du  prix  officiel  du  marc  aux  hôtels 
des  monnaies,  était  en  usage  sous  Philippe  leBeP.  Dès  1294, 
les  maîtres  des  monnaies  proposèrent  de  baisser  le  titre  des 
monnaies  pour  réaliser  des  bénéfices  qui  permissent  de  faire 
face  à  la  guerre  contre  les  Anglais  ;  cette  proposition  fut  vive- 
ment combattue  par  Biccio  et  Muschiato,  qui  représentèrent 
les  inconvénients  de  cette  mesure  :  elle  fut  ajournée,  mais  elle 
ne  tarda  pas  à  être  présentée  de  nouveau  comme  une  source 
de  richesses  pour  le  trésor,  et  adoptée  \  Dès  l'année  1295,  des 
plaintes  se  firent  entendre*.  Résolu  à  chercher  des  ressources 

*  Ancienne  table  dans  le  manuscrit  Baluze ,  n"  9612,  fol.  19. 

-  Antre  preuve.  En  1303,  quand  Philippe  le  Bel  fit  de  nouvelle  monnaie, 
qu'il  déclara  bonne  et  conforme  à  celle  de  saint  Louis,  il  ne  voulut  pas  que 
les  anciens  petits  parisis  et  petits  tournois  eussent  le  même  cours  que  les 
espèces  correspondantes  delà  nouvelle  monnaie,  attendu  qu'ils  étaient  infé- 
rieurs à  ces  dernières  eu  poids  et  en  valeur,  s  Ictères  parisionses  et  turo- 
nenscs  parvas  non  intelli<jimus  ad  cumdem  admitli  valorem,  cum,  sicut 
audivimus ,  non  tanti  sint  commuuiter  ponderis  vel  valoris,  sicut  novi  qui 
modo  cuduntur.  j  Ces  vieux  petits  tournois  et  parisis  sont  évidemment  ceux 
qui  avaient  été  fabriqués  avant  1295,  puisqu'à  partir  de  cette  année  jusqu'à 
1303,  on  ne  frappa  que  de  la  monnaie  forte.  Ord.,  t.  I,  p.  379. 

3  Ord.,  t.  I,  p.  444-.  4  octobre  1300. 

"*  Trésor  des  chartes,  Angleterre,  rôles  sans  date,  n"  16.  —  Notices  et 
extraits,  n"  vu. 

s  Memor.  Job.  a  S.  Victore.  Historiens  de  France ,  t.  XXI,  p.  634. 


310  LA  FRAYCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

dans  rnltérafion  des  monnaies,  Pliilippe  s'assura  d'une  jifrande 
quantité  de  métaux  pour  exercer  en  j^rand  sa  nouvelle  indus- 
trie et  faire  un  gain  considérable.  Dans  ce  but,  il  défendit 
(30  mars  1295)  à  tous  ceux  qui  n'avaient  pas  six  mille  livres 
de  rente  d'avoir  de  la  vaisselle  d'or  et  d'argent,  et  leur  enjoi- 
gnit, sous  peine  de  corps  et  d'avoir,  d'en  porter  le  tiers  dans 
les  huit  jours  aux  hôtels  des  monnaies,  et  de  tenir  le  reste  à  sa 
disposition.  Les  églises  étaient  exceptées  de  cette  mesure,  qui 
ne  se  bornait  pas  à  la  vaisselle  de  luxe,  mais  s'étendait  jus- 
qu'aux gobelets,  dont  l'usage  était  général.  La  valeur  de  ces 
objets  devait  être  remboursée  lors  de  la  livraison,  d'après  un 
tarif  fixé  par  le  roi  '.  Défense  de  porter  hors  du  royaume  des 
métaux  précieux  monnayés  ou  non  monnayés,  et  ordre,  sous 
la  même  peine  de  corps  et  d'avoir,  de  prendre  la  nouvelle 
monnaie,  (^ette  nouvelle  monnaie  n'était  rien  moins  que  bonne. 
Au  reste,  Philippe  ne  s'en  cachait  pas.  Il  avouait  hautement  sa 
fraude,  déclarant  qu'il  était  contraint  par  la  grande  nécessité 
du  royaume,  de  frapper  de  la  monnaie  à  laquelle  il  manquerait 
peut-être  quelque  chose  du  poids  et  de  l'aloi  que  ses  prédéces- 
seurs avaient  coutume  d'observer.  Il  en  devait  résulter  des 
pertes  pour  quelques  personnes  ,  mais  il  promettait  de  les 
indemniser,  et  engageait  lui,  sa  terre,  ses  héritiers,  ses  biens 
propres  et  ceux  de  ses  enfants,  les  revenus  de  la  Xormandie. 
La  reine  ratifia  cette  promesse.  Le  roi  recevait  lui-même  cette 
monnaie  en  payement*. 

Ces  nouvelles  espèces,  qu'on  ne  pouvait  faire  accepter  qu'avec 
tant  de  précautions,  étaient  de  doubles  parisis  et  de  doubles 
tournois  ,  valant  chacun  deux  deniers  de  l'ancienne  mon- 
naie correspondante  ^  Les  doubles  n'eurent  cours  qu'à  partir 
du  mois  de  mars  1295  ;  cependant  le  plus  ancien  registre 
de  la  cour  des  monnaies,  rédigé  au  quinzième  siècle  sur  des 
documents  officiels,  indique  qu'on  commença  à  en  fabriquer  à 
laQuasimodo  1293.  Peut-être  est-ce  une  erreur  de  chiffre,  peut- 

1  Ord..  t.  I,  p.  314;  et  Bibl.  imp.,  n°  10312  A.,  fol.  55. 

2  Ord.,  t.  I,  p.  315.  Mai  1295. 

3  Mandement  à  touz  prélaz,  ducs,  contes,  barons  et  autres  justiciers. 
Bibl.  imp.,  Baluze,  752,  fol.  6'f  v",  vendredi  après  l'octave  de  l'ùqucs  1295; 
et  mandement  au  comte  de  \evers,  Ord.,  t.  I,  p.  543. 


LIVRK  DIXIÈAIE.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  311 

être  Philippe  s'y  pril-il  à  l'avance,  pour  pouvoir  répandre  on 
Jurande  (juanlilé  celle  monnaie  '. 

L'émission  de  mauvaise  monnaie  de  billon  devait  être  accom- 
pagnée de  la  fabrication  d'espèces  d'or  et  d'argent  d'un  litre 
inférieur  au  titre  légal.  S'il  en  avait  été  autrement,  la  bonne 
monnaie  eût  décrié  la  mauvaise;  en  permettant  d'établir  un 
terme  de  comparaison ,  on  frappa  des  royaux  d'or  valant  vingt 
sous.  Par  cette  création,  la  livre  cessa  d'être  fictive'.  On  émit 
des  demi-gros  valant  six  sous.  Toute  cette  monnaie  fut  altérée, 
et  l'altération  alla  toujours  en  augmentant  jusqu'en  1303.  En 
voici  la  preuve  dans  le  tableau  suivant  du  prix  du  marc  d'ar- 
gent, extrait  des  registres  de  la  cour  des  monnaies.  Les  prix 
qui  y  sont  marqués  sont  des  prix  moyens  ^  Ils  diffèrent  de 
ceux  donnés  par  Leblanc  et  par  les  tables  des  ordonnances  : 

Du  lundi  après  la  Quasimodo  1293  à  la  Trinité  1296.  61  s.  tourn. 

—  au  mardi  avant  Noël  1296 66  — 

—  à  la  Saint-Martin  d'été  1297 68  — 

—  à  la  Pentecôte  1298 70  — 

—  à  la  Pentecôte  1299 75  — 

—  dimanche  après  la  Saint-Denis  1298.    ...  78  — 

—  Saint-Georges  1302 4  liv.     5  — 

—  Brandons  1302  (v.  s.) 4  liv.     8  — * 

Les  registres  de  la  cour  des  monnaies  ne  donnent  le  prix  du 
marc  d'or  qu'à  partir  de  1306;  mais  j'ai  trouvé  la  preuve  que 
les  monnaies  d'or  furent  aussi  altérées  dans  l'historien  italien 
Jean  Villani,  qui  vint  à  Paris  sous  Philippe  le  Bel,  et  que  des 
documents  nouvellement  découverts  à  Sienne  montrent  avoir 
été  un  des  cbefs  de  la  maison  de  banque  des  Petrucci  ou  Perru- 
ches. Or  les  Petrucci,  connus  en  France  sous  le  nom  de  Per- 
ruches, eurent  plusieurs  fois  l'entreprise  de  la  monnaie  d  or 
de  Philippe  le  Bel.  Villani,  qui  était  à  la  source  des  informa- 
tions, déclare  que  la  monnaie  d'or,  dont  le  titre  était  à 
23  carats  et  demi,  descendit  au-dessous  de  20  carats.  Ce  texte 
prouve  l'inexactitude  de  Leblanc  et  des  rédacteurs  des  tables 

*  Arch.  de  l'Emp.,  Z.  3147,  fol.  70. 

2  Mandement  au  comte  de  Xevers.  Ord.,  t.  I,  p.  543. 

3  Arch.  de  l'Emp.,  Z.  3147,  fol.  70. 
'•  Arch.  de  l'Emp.,  Z.  3147,  fol.  70. 


312  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  DEL, 

(les  ordonnances,  qni  assignent  2i  carats  pour  \c  titre  de  la 
monnaie  d'or  de  Philippe  le  IJcl,  sauf  pour  les  royaux  durs'  et 
les  deniers  à  la  masse,  dont  le  litre  est  fixé  à  22  carats  par 
des  documents  officiels^,  \illani  ajoute  que  le  litre  de  la  mon- 
naie d'argent,  qui  devait  être  à  11  deniers  12  grains  de  fin, 
fut  tellement  affaibli  qu'elle  ne  renfermait  plus  que  la  moitié 
d'argent;  enfin  (jue  le  poids  fut  tellement  altéré,  (jue  la  mon- 
naie ne  valait  pas  le  tiers  de  sa  valeur  nominale  ^ 

Les  monnaies  étrangères  furent  prohibées  *.  On  organisa  des 
commissaires  chargés  de  rechercher  les  monnaies  défendues  ;  ils 
avaient  le  droit  de  pénétrer  dans  les  maisons,  de  fouiller  jusque 
dans  les  coffres  et  dans  les  bourses*  ;  ils  saisissaient  l'ancienne 
monnaie,  mais  ils  en  remboursaient  la  valeur  °.  Les  barons  leur 
firent  interdire  l'entrée  de  leurs  seigneuries,  et  se  chargèrent 
de  veiller  eux-mêmes  à  l'exécution  des  ordonnances  royales  ^ . 
En  1302,  le  roi,  du  consentement  de  plusieurs  de  ses  prélats 
et  barons,  ordonna  à  toute  personne,  quel  que  fut  son  rang, 
d'apporter  aux  monnaies  du  roi  la  moitié  de  sa  vaisselle  d'ar- 
gent, au  prix   de  quatre  livres  quinze  sous  le  marc  d'argent 

1  Arch.  (le  l'Emp.,  Z.  3147,  fol.  64. 

-  \'oyoz  le  bail  de  la  monnaie  d'or  passé  parBninet  de  Florence  et  Jacques 
deCliarfant,  de  la  société  des  Perruches,  l'"' août  1310.  Or.  .Arch.  imp., 
Z.  2S1J.  —  .Autre  en  1305  par  des  associés  des  Perruches.  Ord.,  t.  I, 
p.  433. 

•^  li  Lo  rc  di  Francia,  pcr  fornirc  sua  guerra,  fece  faisificare  sue  monefe. 
La  buona  nioncta  de'  tonicsi  grossi,  ch'cra  a  xi  once  et  mezo  di  fine,  lanfo  il 
fece  piggiorare,  che  quasi  torno  a  niesro ,  et  cosi  la  moncta  et  cosa  loro 
che  di  XXIII  et  mezzo  carati  la  rcco  a  mcno  de  xx ,  facendole  correre  per  piîi 
affai ,  que  non  valeano.  Onde  il  re  avanzava  ogni  di  più  di  libre  6,000  di 
Parigisii  :  ma  guaslo  et  diserlo  il  paese  che  la  sua  moneta  non  torno  alla  valuta 
de  terzo.  "  — Villani,  lii .  \III,  chap.  uni.  .Muratori ,  Scrijjtores ,  1.  XIII, 
p.  390. 

*  Lettre  adressée  au  duc  de  Bourgogne,  6  mars  1298.  Ord.,  t.  II ,  p.  604. 

^  t  Pro  inveniendis  monetis  prohibendis,  donios,  arcas  vel  bursas  cujus- 
cumquc  perquiralis.  i  Instruction  aux  commissaires  :  i  Gcntibus  nostris  ad 
ncgocium  capcionis  et  inquisitionis  monetarum  per  rcgnum  nostrum  depu- 
tatis.  n  Jeudi  après  la  Saint-Denis  1301.  Bibl.  imp.,  n"  8409,  fol.  82. 

(^  »  Si  aliquos  florenos  vel  grossos  turonenses,  seu  quamcunique  aliam 
monetain  nostrain  ceperitis,  dictos  florenos  et  grossos  turonenses,  rcddatis 
earuin  valorem.  »  Bibl.  imp.,  n"8409,  fol.  82. 

"  Ord.,  t.  I,  p.  347.  Jeudi  aiaiit  la  Saint-Louis  1302. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  Dl'j'KXSES.  :îi:î 

pur.  Les  baillis  et  autres  agents  durent  donner  rcxemple  en 
apportant  toute  leur  argenterie,  et  cela  sous  peine  de  forfaiture. 
Ce  prix  de  quatre  livres  quinze  sous  était  plus  élevé  que  le 
taux  légal;  mais  le  roi  déclara  lui-même  qu'il  avait  «  creu  et 
haucié  le  pris  outre  que  il  ne  valoit  en  la  date  de  celte  ordon- 
nance, espéciaument  pour  relever  ses  subjets  de  dommage'  ". 

Philippe  promettait  toujours  de  faire  de  bonne  monnaie  : 
enfin,  le  24  juin  1303",  il  prescrivit  de  battre  des  petits  tour- 
nois de  bon  aloi  ;  la  monnaie  double  ou  forte  continua  d'avoir 
cours.  Le  texte  de  l'ordonnance  qui  fut  rendue  à  cet  etfet,  et 
en  général  celui  de  toutes  les  ordonnances  relatives  aux  mon- 
naies, est  excessivement  corrompu  dans  le  recueil  des  ordon- 
nances du  Louvre.  On  lit  en  effet  dans  un  mandement  au  comte 
de  Porcien,  imprimé  dans  cette  collection,  que  le  parisis  nou- 
vellement fabriqué  devait  avoir  cours  pour  un  double  tournois. 
Le  registre  original  du  Trésor  des  chartes  porte  que  le  nouveau 
petit  tournois  serait  pris  pour  un  double  tournois  ancien.  Cette 
leçon  est  confirmée  par  un  passage  d'une  ordonnance  du 
20  juillet  1303'. 

Cette  bonne  monnaie  ne  dura  pas  longtemps  :  le  peuple, 
dont  Geoffroy  de  Paris  se  fit  l'écho,  attribua  la  nouvelle  alté- 
ration de  la  monnaie 

A  Lombards,  qui  i  gaignèrent, 
Qui  de  foiblo  loi  la  forgièrent  '''. 

C'est  au  roi  lui-même  que  la  faute  doit  être  imputée.  La 
bonne  monnaie  ne  fut  frappée  que  pendant  quatre  mois  :  le 
marc  d'argent  atteignit  cinq  livres  quatre  sous  ^  Tout  le  monde 
se  plaignit  :  le  clergé,  les  barons  et  le  commun  peuple  requi- 
rent le  roi  de  nouveau,  que  <■<■  lui  plust  remettre  ses  monnoies 
en  Testât  qu'elles  estoient  ou  temps  de  saiucte  mémoire  mon- 
seigneur sainct  Loys  " .  Les  prélats  du  royaume  offrirent  un 

i  Ord.,  t.  XII,  p.  352.  12  octobre  1301. 

2  Ord.,  t.  I,  p.  378. 

3  Ord.,  t.  I,  p.  379. 

*  Chronique  métrique,  vers  2206  et  suiv. 

^  Arch.  de  l'Emp.,  Reg.  entre  deux  ais  de  la  Cour  des  monnaies,  Z.  3247, 
fol.  70. 


314  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

double  décime  des  revenus  du  clergé,  à  condition  que  le  roi 
n'affaiblirait  plus  les  monnaies  sans  une  pressante  nécessité, 
attestée  par  le  conseil  secret  et  reconnue  par  l'assemblée  des 
prélats  et  des  barons.  Philippe  n'accepta  pas  ces  conditions  ; 
toutefois  il  se  déclara  ^  prest  à  faire  battre,  coigner  et  faire  hasti- 
vement  et  continuellement  monnoies  bonnes  et  anciennes;  » 
mais  il  objecta  que  ';  ceste  chose  ne  pouvoit  en  bonne  manière 
si  hastivement  estre  ftiite ,  se  les  nouvelles  monnoies  couranz  à 
présent  n'estoient  mises  par  devers  nos  monnoyages ,  pour 
avoir  plus  matère  à  faire  les  bonnes  monnoies  anciennes  dessus 
dites,  n  En  conséquence,  chacun  fut  invité  à  porter  aux  hôtels 
des  monnaies  les  espèces  courantes  '. 

Le  pape  Benoît  XI  accorda  au  roi  le  dixième  du  revenu  an- 
nuel du  clergé  de  France'.  Philippe  promit,  mais  ne  tint  point 
parole;  le  prix  du  marc  haussait  toujoin-s.  A  l'Ascension  IGO-i, 
il  était  à  six  livres;  au  mois  de  mars  1305,  à  sept  livres  cinq 
sous'.  Au  mois  de  mai  de  l'année  suivante,  le  roi  s'engagea 
de  nouveau  à  faire  de  la  bonne  monnaie  :  on  émit  au  mois  de 
juin  des  royaux  d'or  valant  onze  bons  petits  parisis  de  ceux 
«  qu'on  faisait  forger  nouvellement  -i .  On  fît  aussi  des  gros 
d'argent  de  la  valeur  de  ceux  de  saint  Louis,  a  non  roognez  ne 
usez  » ,  qui  avaient  cours  pour  trente  et  un  deniers  et  maille 
parisis  de  la  monnaie  qui  courait.  On  émit  aussi  des  tournois 
petits  et  des  parisis  petits,  soi-disant  du  poids  et  de  l'aloi  de  ceux 
de  saint  Louis,  ayant  cours,  le  petit  tournois,  pour  un  double 
tournois  et  demi  de  faible  monnaie,  et  le  petit  parisis  pour  un 
double  parisis  et  demi*.  Alais  Philippe  revint  immédiatement  à 
ses  anciens  errements  \  En  1306,  le  marc  d'argent  valait  sept 
livres  dix  sous  ^.  Les  plaintes  furent  universelles.  Le  roi  fit 
amende  honorable,  et  le  8  juin  il  annonça  que,  du  conseil  de 
plusieurs  prélats  et  de  plusieurs  barons,  la  bonne  monnaie  cour- 

1  Alaudcmcnt  ;ui  bailli  de  Clmiimnnt,  1"^^''  décembre  (1303).  Ord.,  t.  1, 
p.  389. 

'-  Or.  \vch.  de  l'Emp.,  J.  459,  11.  ii  des  ides  de  mai. 

3  Z.  3147,  70  V". 

''*  Ord.,  t.  I,  p.  431.  Mandement  au  bailli  de  Clemiont.  25  mai  1305. 

"^  Z.  3147,  fol.  70. 

c  8  juin  1306.  Ord.,  t.  I,  p.  444. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  KECETTKS  ET  DÉPEXSES.  315 

rait  à  partir  de  Xotre-Daiiie  de  septembre'.  L'ancienne  mon- 
naie ne  fut  pas  décriée,  mais  trois  deniers  anciens  eurent  cours 
pour  un  nouveau  '.  Le  marc  d'argent  tomba  à  cinquante-cinq 
sous  six  deniers,  et  le  marc  d'or  à  quarante  quatre  livres  ^ 

La  faible  monnaie  avait  duré  onze  ans.  Le  rétablissement  de 
la  bonne  eut  des  suites  funestes.  La  faible  monnaie  n'avait 
jamais  eu  cours  pour  sa  valeur  nominale,  ou  plutôt  les  objets 
de  consommation  et  autres  rencbérissaient  en  proportion  de 
l'altération  des  monnaies.  Tel  loyer  qui,  avant  1295,  était  de 
dix  sous  de  bonne  monnaie,  n'avait  été  renouvelé  en  1305 
que  pour  trente  sous  de  faible  monnaie,  représentant  dix  sous 
en  1205.  Quand  on  revint  à  la  monnaie  de  saint  Louis,  les 
propriétaires  des  manoirs  ou  des  biens  ruraux  exigèrent  de 
leurs  locataires  ou  de  leurs  fermiers  le  payement  en  bonne 
monnaie  du  prix  du  loyer  stipulé  pendant  que  la  mauvaise 
monnaie  avait  cours.  C'était  donc  demander  trois  fois  le  prix 
réel  stipulé  dans  le  contrat.  Le  peuple  de  Paris  se  plaignit  :  ses 
réclamations  ne  furent  pas  écoutées  assez  promptement  au  gré 
de  ses  désirs.  Le  roi  avait  bien  prévu  les  inconvénients  écono- 
miques du  rétablissement  de  la  bonne  monnaie,  mais  il  se 
trouvait  dans  un  grand  embarras.  Le  8  juin,  il  déclara  que, 
pour  ce  qui  touchait  "  aux  pactes  et  marchez  faits  jusqu'alors 
à  foible  monoie,  il  n'entendoit  rien  statuer  à  ce  terme,  se  réser- 
vant à  le  faire  avec  telle  équité  que  Dieu  et  ses  sujets  en 
seroient  satisfaits  .^  v  Mais  le  peuple  perdit  patience  contre  les 
propriétaires,  brûla  la  maison  d'Etienne  Barbette,  un  des 
maîtres  des  monnaies,  et  assiégea  Philippe  lui-même  dans  le 
Temple  *.  Des  désordres  eurent  lieu  aussi  dans  les  provinces'. 
Les  coupables  furent  sévèrement  punis.  Le  roi  songea  à  remé- 

1  8  septembre  1306.  Ord.,  t.  I,  p.  441,  d'après  Leblanc.  Le  texte  de  l'or- 
donnance est  perdu. 

-  Z.  3147,  foL  70.  —  Voici  ce  qu'on  lit  dans  un  registre  de  la  cour  des 
monnaies  :  »  Au  l*^""  mars  en  cet  an  1305  à  Pâques,  couroit  un  denier 
pour  III  jusques  à  la  Saint-Reniy  l'an  1306.  »  Z.  3147,  70  v".  Conf.  Historiens 
de  France,  t.  XXI,  p.  27  et  647.  .%rch.  imp. ,  L.  1240. 

3  Ord.,  t.  I,  p.  441. 

^  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  27  (coût.  Gbron.  G.  de  Fracheto). 
—  Memor.  hist.  J.  de  S.  Victorc.  Ibid.,  p.  619. 

^  Entre  autres  à  Laon.  Olim,  t.  III,  p.  611. 


31G  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  HEL. 

dier  à  cctto  situalion,  qui  élait  déplorable.  Au  mois  d'octobre, 
il  ordonna  que  1rs  rentes  seraient  payées  en  bonne  monnaie. 
Quant  aux  uiarcliés  et  aux  conventions  ayant  pour  objet  la 
prestation  d'une  somme  d'arjjent  déterminée,  les  débiteurs 
durent  s'acquitter  en  donnant  l'équivalent  réel  de  la  somme 
stipulé*',  eu  éjpird  à  la  valeur  intrinsèque  de  la  monnaie  lors 
du  contrat,  valeur  qu'on  fixait,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  au 
moyen  du  piix  du  marc  aux  liôlels  des  monnaies  '.  Une  décision 
analogue  l'ut  prise  à  l'égard  des  fermiers  royaux".  Mais  on  ne 
pouvait  prévoir  toutes  les  questions  que  la  mauvaise  foi  allait 
soulever.  En  1308,  il  fut  fixé  que  les  cens  et  rentes  seraient 
acquittés  en  monnaie  courante. 

En  l.'ÎOT  et  en  1308  on  battit  de  bonne  monnaie.  On  frappa 
des  mailles  dont  trois  valaient  un  sou  tournois,  et  que  les  chan- 
geurs faisaient  courir  à  tort  pour  quatre  parisis  ^ .  Les  doubles 
couraient  toujours,  un  et  demi  étant  pris  pour  un  denier  de 
bonne  monnaie  ''.  En  131 1  Philippe  revint  à  ses  mauvaises  pra- 
tiques. On  émit,  au  mois  de  janvier,  une  monnaie  de  billon 
qu'on  appela  bourgeois. 

On  forgea  des  agnels  d'or,  valant  seize  sous  parisis,  et, 
ajoute  le  texte  des  Ordonnances  du  Louvre,  huit  petits  bour- 
geois,  ce  qui  est  impossible.  Le  registre  42  du  Trésor  des 
Chartes  donne  la  vraie  leçon  :  «  Faces  prendre  (nostre  monnoie 
à  l'agnel)  pour  seze  sols  parisis  et  aussi  huit  sols  de  bourgeois 
fors  et  por  seze  sols  de  bourgeois  petits.  -^  Le  petit  bourgeois 
était  donc  équivalent  à  un  petit  tournois  et  le  bourgeois  fort 
au  double  tournois. 

11  y  avait  des  bourgeois  simples  et  des  bourgeois  doubles 
ou  forts.  Leblanc,  qui  a  été  suivi  par  tous  les  numismates, 
prétend  que  les  bourgeois  simples  étaient  tout  simplement  des 
parisis  ;  il  se  trompe  \ 

'  4  octol)rc  1306.  Ord.,  t.  I,  p.  4W  et  siiiv. 

2  16  févrior  1307.  Ord.,  t.  I,  p.  440. 

3  Ordoiinancp  du  18  janvier  loOO.  Ord.,  t.  I ,  p.  454. 
'»  Ord.,  t.  I,  p.  4."):3. 

^  Leblanc  invoque  à  l'appui  de  son  opinion  a  une  infinité  d'ordonnances  » 
qu'il  ne  cite  ni  n'iiulique,  et  le  passage  suivant  d'un  continuateur  de  \angis 
ainsi  conçu  :  i  Pliilippus  rex  Franciae  simplicium  ac  duplicium  turoncnsium 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DÉPENSES.  317 

Il  est  pourtant  hors  de  doute  que  les  bourgeois  couraient 
pour  des  parisis  ',  mais  c'était  en  cela  que  consistait  la  fraude. 
Geoffroy  de  Paris  signale  comme  une  monstruosité  cette  égalité 
entre  le  cours  des  parisis  et  des  tournois  désignés  sous  le  nom 
de  bourgeois  ^. 

Le  prix  du  marc,  qui  était  en  1311  à  59  sous,  monta  au 
mois  de  septembre  1313  à  3  livres  10  sous.  Cette  année,  dit 
le  chroniqueur  Jean  de  Saint-Victor,  la  monnaie  fut  altérée 
d'une  façon  si  honteuse,  que  les  marchands  ne  trouvaient  plus 
à  faire  de  marchés  '.  Le  royaume  en  souffrit  merveilleusement. 
Les  conseillers  du  roi  en  retirèrent  tout  le  proht,  et  le  pape  en 
eut  sa  part.  De  sombres  prédictions  se  répandaient  dans  le 
peuple  :  on  rappelait  une  prophétie  de  l'enchanteur  Merlin , 
qui  menaçait  le  roi  de  France  de  la  perte  d'une  partie  de  son 
royaume,  quand  les  parisis  deviendraient  des  tournois.  La  haine 
contre  Philippe  et  ses  conseillers  devint  générale  \ 

fieri  fecit  monctam  pro  simplicibus  parisiensibus  denariis  currcnfcni,  etc.  s 
(p.  210).  Ce  texte  dit  que  les  bourgeoi.s  couraient  pour  des  parisis,  mais  non 
qu'ils  eussent  la  même  valeur.  En  l'ffet ,  un  autre  continuateur  de  Xangis 
raconte  qu'au  mois  de  septembre  1313  le  roi  voulut  ramener  à  sa  juste  valeur 
sa  monnaie  de  bourgeois,  qui  pendant  environ  deux  ans  avait  eu  cours  pour 
parisis,  ce  qui  était  inouï,  car  leur  valeur  inirinsèque  était  égale  seulement 
à  celle  des  tournois  correspondants  (le  double  bourgeois  valant  le  double  tour- 
nois et  le  simple  bourgeois  le  petit  tournois).  Historiens  de  France,  t.  XXI, 
p.  39.  Ce  passage  est  concluant.  Il  est  d'ailleurs  confirmé  par  une  ordonnance 
portant  que  quatre  bourgeois  valaient  une  maille  blanche;  or  la  maille  blanche 
valait  un  tiers  de  gros  ou  quatre  deniers  tournois  (Onl.,  t.  I,  p.  421);  donc 
le  bourgeois  était  égal  à  un  denier  tournois. 

1  Ord.,  t.  I,  p.  525. 

2  Tornois  et  parisis  eurent 

Un  pris,  cel  temps  communément. 

Lors  devindrent  voircment 

Tornois  parisis  par  le  royaume. 

Dont  maint  en  gésirent  en  chaume 

Et  en  vuiderent  le  pays. 

Et  encore  en  sont  csbabis 

Cclx  qui  ce  savent  et  le  lirent. 

Comme  les  tornois  dcvcnirent 

Parisis...      Chronique  métrique ,  vers  5754  et  suiv. 
•^  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  658. 
^  Voyez  les  plaintes  de  plusieurs  marchands,  fournisseurs  du  comte  de 


318  LA  FR.WCE  SOLS  PHILIPPE  LK  HLL. 

Les  agents  du  fisc  pcnélraiont  dans  les  maisons  pour  recher- 
cher les  monnaies  prohibées  el  étrangères ,  et  confisquaient 
celles  qu'ils  trouvaient  '.  La  défiance  était  partout.  Le  com- 
merce était  anéanti. 

Enfin  Phi]ip|)o,  vaincu  par  les  plaintes  du  peuple,  promit 
pour  la  .SLricnir  fuis  de  l'aire  frapper  de  bonne  monnaie,  à 
partir  de  la  llLideleine  1313';  ce  terme  fut  prorogé  au  mois 
de  septembre'.  Le  roi  tint  enfin  parole;  mais  le  rétablisse- 
ment de  la  bonne  monnaie  sur  Fancien  pied  amena  les  mêmes 
résultats  désastreux  qu'en  13()G. 

Cet  an,  droit  à  la  Sainl-Rcniy, 
Borgois  qui  deux  ans  et  deiny  ^ 
Coururent ,  de  lors  pris  clievit 
Sont.  A  mains  en  est  mesclievif  ; 
Qui  les  ventes  ont  acheté, 
V  perdirent  de  leur  cluité  : 
^larcîiics  convint  conlreinander. 
En  ceste  année  que  je  conte , 
Toute  monnoie  vint  à  honte, 
Et  nul  blanc  argent  n'alla  par  foire 
Mes  que  sanz  plus  monnoie  noire  , 
Si  ne  sot  on  de  quoi  payer  s. 

Le  prix  du  marc  d'argent  tomba  à  57  sous  7  deniers  *.  Pour 
me  résumer,  depuis  1295  jusqu'à  la  mort  de  Philippe  le  lîel, 

Poitiers.  Lcbcr,  Recueil  de  dissertations ,  t.  XIX,  p.  49.  Les  habitants  de 
Chàlons  avaient  injurié  le  prévôt  de  Laon  au  sujet  de  l'ordonnance  sur  le 
cours  delà  forte  monnaie,  quand  elle  avait  été  publiée  dans  la  ville;  des  nota- 
bles étaient  même  réunis  pour  aviser  au  moyen  d" empêcher  l'ordonuance 
d'être  mise  à  exécution.  Les  habitants  furent  condamnés  à  10,000  livres 
d'amende.  Olim,  t.  III,  p.  611.  1310. 

1  En  1313  le  prévôt  de  Paris  enleva  7,000  florins  d'or  de  la  maison  d'un 
chanoine  nommé  Guérin  de  Plaisance;  il  paraît  qu'il  s'acquitta  de  cette  com- 
mission d'une  manière  malhonnête ,  et  détourna  une  partie  de  la  somme.  Le 
roi  ordonna  une  enquête.  Or.  Arch.  de  l'Emp.,  K.  38,  n"  9  bis. 

2  Ord.,  t.  I,  p.  527. 

3  Ord.,  t.  I,  p.  536. 

■*  Et  deiny  est  pour  la  rime. 

^  Chronique  riince  de  Geoffroy  de  Paris,  vers  5757  et  suiv. 

c  Arch.  de  l'Emp.,  Reg.  de  la  cour  des  monnaies,  Z.  31 V7,  fol-.  70. 
En  1313,  toutes  les  anciennes  monnaies  d'or  et  d'argent  furent  décriées,  à 
l'exception  de  l'agnel  d'or  {Ord.,  t.  I,  p.  536),  dont  on  domiait  quinze  jours 


LIVRE  DIXIEME.  —  RECETTES  ET  DEPEA'SES.  ;JI9 

la  bonne  monnaie  eut  cours  en  1303  pendant  quatre  mois,  de 
juin  13U(j  ci  janvier  1311,  et  de  la  fin  de  septembre  1313  à 
1314.  De  1295  au  mois  d'aoû.t  1303,  la  livre  tournois  avait 
subi  au  moins  dix  mutations  :  elle  en  éprouva  six  autres  de 
1304  à  1305.  En  1295  elle  valait  16  fr.  72  c,  en  1305  elle 
descendit  à  6  fr.  15  c.  '.  Il  ne  faut  pas  faire  honneur  à  Philippe 
du  rétablissement  momentané  de  la  bonne  monnaie  :  il  n'y 
consentit  qu'à  son  corps  défendant ,  et  moyennant  des  conces- 
sions de  subsides  et  de  décimes.  A  propos  du  rétablissement 
de  la  monnaie  en  1315,  M.  de  Wailly  a  fait  remarquer  qu'il 
coïncidait  avec  le  payement  de  l'aide  pour  la  chevalerie  de 
Louis  le  Hutin.  Déjà  quatre  années  auparavant  l'aide  pour  le 
mariage  d'Isabelle  avait  été  levée  pendant  que  la  bonne  mon- 
naie avait  cours.  «  Le  hasard,  dit  M.  de  Wailly,  n'aurait  pas 
deux  fois  de  suite  si  bien  servi  le  trésor,  et  ce  serait  faire  tort 
à  la  politique  du  temps  que  de  la  croire  étrangère  à  de  si  heu- 
reuses combinaisons  *.  v 

Philippe,  pour  faire  croire  qu'il  allait  donner  satisfaction 
aux  vœux  émis  par  toutes  les  classes  de  la  société  de  voir  la 
monnaie  fixe  et  stable,  consulta  souvent  les  députés  des  villes. 
En  1314,  au  moment  même  où  il  expirait,  un  grand  nombre  de 
bourgeois  des  principales  villes  de  France  étaient  réunis  à 
Paris  f>our  traiter  celte  grande  question.  Ils  déclarèrent  que  le 
roi  ne  devait  tirer  aucun  profit  de  la  monnaie  d'or  et  d'argent. 
Ils  proposaient  de  battre  des  espèces  d'or  à  22  carats  de  titre  ^ 

Louis  X  profita  de  la  mort  de  son  père  pour  renvoyer  les 
députés  chez  eux  et  ne  donner  aucune  suite  à  leurs  projets. 
Déjà,  en  1304,  les  prélats  avaient  demandé  que  le  roi  ne  pût 
changer  la  monnaie  qu'en  cas  de  nécessité  absolue ,  attestée 
par  le  serment  du  roi  et  des  membres  du  conseil,  et  avec  le 
consentement  des  prélats  et  des  barons  *. 

auparavant  vingt-deux  petits  Lourgeois ,  et  qui ,  par  ordonnance ,  ne  courut 
plus  que  pour  quinze  sous  tournois.  (Glironique  de  G.  de  Frachet,  Historiens 
de  France,  t.  XXI,  p.  305.) 

1  De  Wailly,  Variations  de  la  livre  tournois ,  p.  32. 

~  Variations  de  la  licre  tournois ,  p.  35. 

3  Ord.,  t.  I,  p.  549. 

'''  Trésor  des  chartes ,  .1.  459,  n°  22.  Conf.  de  Wailly,  Variations  de  la 
livre  tournois ,  p.  33  et  34. 


320  LA  FRAXGE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

L'administration  dos  monnaies  était  constituée  dès  Pliilippc 
le  Bel.  Elle  avait  à  sa  tète  des  maîtres  «jénéraux  des  monnaies 
au  nombre  de  deux  '  ;  ils  étaient  assistés  de  clercs.  Ils  avaient 
dès  cette  époque  une  juridiction".  I.a  labricalion  des  espèces 
était  donnée  à  l'entreprise  ;  on  passait  des  baux  particuliers 
pour  chaque  espèce  et  pour  chaque  nouvelle  émission,  dans 
lesquels  étaient  déterminés  d'avance  le  poids,  le  titre  et  la 
taille  des  deniers,  la  tolérance  et  le  remède,  et  le  gain  de 
l'entrepreneur.  Dans  un  bail  inédit  de  l'an  1310  pour  les 
royaux  durs,  il  est  spécifié  que  les  entrepreneurs  «  doivent 
faire  la  monnoie  à  leur  propre  couz  et  despens  de  touz  couz, 
de  touz  freiz,  et  de  touz  salaires,  excepté  le  salaire  de  la  garde 
que  nostre  dit  seigneur  le  roi  paiera;  le  bénéfice  de  l'entre- 
preneur fut  fixé  à  seize  sous  tournois  par  marc  d'or  monnayé, 
pour  les  royaux  durs,  ainsi  que  pour  les  agnels  qui  furent 
fabriqués  à  partir  du  7  février  1311  ^  Les  ouvriers  qui  fai- 
saient la  monnaie  s'appelaient  monnayers  ;  leur  office  était 
héréditaire  :  cependant  les  neveux  des  monnayers  y  étaient 
quelquefois  admis.  Ils  prêtaient  serment  de  ne  pas  divulguer 
les  procédés  de  fabrication,  et  travaillaient  en  secret.  Us  jouis- 
saient de  grands  privilèges  qui  furent  confirmés  et  augmentés 
par  Philippe  le  Bel,  et  étendus  aux  monnayers  des  provinces. 
Ils  ne  pouvaient  être  cités  devant  les  tribunaux  ordinaires  que 
pour  les  crimes  de  meurtre,  de  rapt  et  de  larcin.  Pour  tous 
les  autres  délits  ils  devaient  être  cités  devant  les  maîtres  des 
monnaies. 

Dans    chaque    hôtel    il    y    avait    un    chef   ouvrier   nommé 

1  II  Pro  vadiis  Bclini  Caucinol  et  (îuillclmi  Flarningi,  magistroriini  monc- 
tarum  pro  tcrcio...  et  pro  vadiis  licnaudi  do  Aula,  deriti  monelariim.  r  Journal 
du  trésor. 

-  liC  24  juin  1294,  Bétliin  et  Jean  Daimier,  iiionnaycurs  du  roi,  pronon- 
cèrent à  Paris  une  sentence  par  la(piellc  ils  restituèrent  à  l'évèque  de  Viviers 
le  droit  de  battre  monnaie  à  l'Argentière.  Voyez  ce  jugement  dans  Alesnard, 
Histoire  de  Nismes ,  t.  I,  preuves,  p.  127.  Jusqu'ici  ou  ignorait  que  la  juri- 
diction de  !a  cour  des  monnaies  fût  aussi  ancienne.  —  Sur  les  maîtres  des 
monnaies,  on  peut  aussi  consulter  le  premier  carton  de  la  cour  des  monnaies 
aux  Arcli.  de  l'Emp.  (nouveau  classement),  et  le  Reg.  A.  de  la  cbambre  des 
comptes,  copie  moderne,  P.  2290,  fol.  1. 

3  Ord.,  1.  I,  p.  478. 


LIVRE  DIXIÈME.   —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  321 

prévôt.  Ils  étaient  exempts  des  tailles  '.  En  1296,  il  s'éleva  entre 
les  ouvriers  et  les  entrepreneurs  un  difTérend  au  sujet  des 
salaires.  Il  lut  terminé  par  l'entremise  des  maîtres  des  mon- 
naies, au  moyen  d'une  transaction".  Ils  étaient  payés  à  la 
tàclie.  Ainsi,  lors  de  la  Tabricalion  des  bourgeois  on  leur  don- 
nait six  bourgeois  par  marc  monnayé;  leur  salaire  était  aug- 
menté d'un  tiers  pour  les  mailles  bourgeoises  ^ . 

L'altération  de  la  monnaie  encourageait  les  faux  monnayeurs 
en  leur  assurant  des  bénéfices  considérables.  De  nombreuses 
ordonnances  interdirent  non-seulement  la  fausse  monnaie, 
mais  encore  la  fonte  des  matières  d'or*.  Le  cbange  fut  confié 
exclusivement  à  des  cbangeurs  institués  par  le  roi  et  sévère- 
ment surveillés'.  Chaque  année  de  nouveaux  commissaires 
étaient  envoyés  pour  faire  tenir  la  main  à  l'exécution  des 
ordonnances  sur  le  fait  des  monnaies".  Un  supplice  terrible 
attendait  les  faux  monnayeurs,  ils  étaient  bouillis  vivants,  et 
les  comptes  du  temps  enregistrent  un  grand  nombre  de  ces 
barbares  exécutions. 

Cl  27  livres  4  sous  à  maître  Henri  pour  avoir  fait  bouillir  de 
faux  monnayeurs  ;  -i  100  sous  pour  l'achat  d'une  chaudière 
pour  faire  bouillir  de  faux  monnayeurs  à  Montdidier;  à 
Paris,  38  sous  pour  réparation  à  la  chaudière  et  pour  y  avoir 
posé  des  barres  de  fer  ^  " 

Des  commissaires  spéciaux  étaient  chargés  de  poursuivre  les 

'  En  1310  (7  octobre),  Pliilippe  accorda  cette  exemption  aux  monnayeurs 
royaux  do  Montpellier,  tant  qu'ils  seraient  en  exercice.  Arch.  de  l'Emp., 
K.  188,  n"  15  lei\  Copie  moderne  venant  de  la  chamlire  des  comptes. 

■i  Ord..  t.  XI,  p.  385. 

•'  Les  ouvriers  auront  du  marc  de  bourgeois  singles  (simples)  de  denif^rs 
faire,  6  deniers.  Item,  des  mailles  des  bourgeois,  le  tiers  plus  que  des  deniers 
singles.  Mémorial  A.  de  la  chambre  des  comptes,  fol.  270.  —  P.  2290,  fol.  1. 

'*  Ordre  au  sénécbal  de  Poitou  de  détruire  les  fourneaux  oîi  l'on  fondait  des 
monnaies.  1308.  Trésor  des  chartes,  Reg.  XLI ,  n"  7. 

5  Ord.,  t.  I,  p.  432  (12  juillet  1305). 

6  Olim,  t.  III,  p.  149. 

"  Compte  de  1311.  Leber,  t.  XIX,  p.  57.  AXainctes,  Hélye  de  la  Garde, 
faux  moniioyeur,  qui  fut  boilli.  Voyez  aussi  Compte  du  bailliage  de  France 
de  l'an  1305  Bibliothèque  impériale,  Baluze.  s  De  bonis  cujusdam  falsarii 
monete  bulhiti  in  prepositura  Riomi  xxxv  s.  i  Compte  d'Auvergne  en  1299. 
K.  501,  etc. 

21 


322  LA  FRAXCE  SOUS  PHlLIi'PI';  l-E  W.\.. 

faux  monnayeurs,  conlic  lesquels  on  ne  croyait  pas  pouvoir 
trouver  de  châtiments  assez  terribles.  Pliili|)|)e  les  fit  excom- 
munier par  le  pape  Cléuient  \  '. 

Un  texte  tiré  des  registres  de  la  chambre  des  comptes  et 
publié  par  Ducange,  donne  une  liste  des  villes  où  l'on  IVajipait 
des  monnaies  royales  sous  Philippe  le  Bel  :  c'étaient  Paris,  Tour- 
nay,  Troyes,  Saint-Pourçain,  Montpellier,  Toulouse,  Montrcuil- 
Bonnin  et  Rouen  ".  J'ai  trouvé  la  preuve  qu'il  y  avait  aussi  des 
ateliers  royaux  à  Màcon  %  à  Sainf-Ouentin  '  et  à  Sommiéres'. 

L'inventaire  de  Robert  Mignon,  rédigé  en  1326,  cite  sans 
indication  d'années  les  hôtels  de  la  Réole ,  de  Bourges  et  de 
Pampelunc  ^. 

Ces  ateliers  fonctionnaient  avec  une  activité  extraordinaire 
que  justifiaient  les  nombreuses  altérations  que  subirent  les 
monnaies. 

Pendant  toute  la  durée  du  règne  de  Philippe  le  Bel,  les 
ordonnances  se  succédèrent  presque  sans  interruption,  prohi- 
bant l'importation  des  monnaies  étrangères  \ 

Philippe  crut  donner  une  haute  marque  de  sa  protection 
pour  les  lettres,  en  permettant  aux  étudiants  qui  venaient  en 
France  d'apporter  des  monnaies  de  leur  pays*.  Dans  chaque 
localité  jouissant  de  foires  ou  démarchés,  on  établit  des  gardes 

1  Arcli.  de  l'Emp.,  Rcg.  A.  de  la  chambre  des  comptes,  copie  moderne, 
P.  2591,  fol.  162. 

2  Reproduit  dans  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  563. 

3  a  De  monetayio  Matisconensc ,  t  mars  1298.  Journal  du  trésor,  fol.  62  r°, 
et  passini. 

■''  «  Pro  donnriis  pcr  Syninnoni  de  Brolio  et  Rarlliolomeiim  Pcrruclie  nio- 
nctario.s  S.  Qiiintini.  ■;  Journal  du  trésor,  fol.  89  v",  10  juillet  1299,  et 
passim. 

s  Arcli.  de  l'Emp.,  J.  1031,  10.  Procédure  contre  L.  Bon,  monnaycur  à 
Sommières.  Année  1308.  Cet  hôtel  fut  réuni  à  Montpellier  en  134-0.  Ord., 
t.  IV,  p.  152. 

^  Historiens  de  France ,  t.  XXI,  p.  529. 

"  Re<f.  Olim  du  parlement  de  Paris,  t.  III,  p.  139.  .Année  1304.  Voyez 
aussi  Journal  du  trésor,  i'ol.  3  v,  5  r°  et  v",  13  v",  62  v",  71  v",  96  v°,  etc. 
Ord.,  t.  XII,  p.  351  (en  1301);  p.  442  (en  1306),  etc.  Ordre  au  duc 
de  Bourgogne  de  prohiber  la  monnaie  étrangère.  1298  v.  s.  Ord.,  t.  H, 
p.  604. 

^  Ord.,  t.  XI,  p.  427.  13  avril  1313. 


LURF:  dixième.  —  recettes  et  DÉPEXSES.  :523 

des  monnaies  avec  mission  de  surveiller  l'exécution  des  ordon- 
nances '.  "  Li  prevoz  establira  en  chascune  ville  de  sa  prevosté 
proudhonimes  et  dignes  de  foy  qui  se  prandront  «jarde  que  l'on 
ne  praigne  monnoie  défendue  contre  la  dicte  ordonnance ,  li 
quel  establi  iront  un  ou  deus  ensemble,  ou  un  sergent  avec 
eux,  là  où  l'on  vent  et  achète,  et  là  où  l'en  met  et  reçoit  deniers 
plus  communément;  et  pour  donner  exemple  perceront  et  ren- 
dront toutes  perciées  à  ceux  à  qui  elles  auront  été  prises  ,  et 
leur  commanderont  qu'ils  portent  ou  change  ou  à  la  monoic 
le  roy  plus  pro(;haine,  et  arresteront  leur  noms,  et  leur  diront 
que  se  il  sont  trouvez  autre  fois  prenant  monnoye  défendue, 
l'en  la  prendra  sur  eux  comme  forfaile,  sanz  ce  que  l'en  leur 
en  face  nulle  grâce ,  et  encore  seront  en  la  merci  le  roy  de 
cors  et  d'avoir.  »  L'exportation  de  la  monnaie  et  des  métaux 
précieux  était  aussi  défendue  sous  des  peines  rigoureuses  '. 
Les  contraventions  étaient  punies  de  la  confiscation  des  espèces 
et  produisaient  des  sommes  abondantes  qui  remplissaient  le 
trésor  ^. 

Toutes  ces  ordonnances  avaient  cours  dans  les  terres  des 
barons''.  Ceux-ci  imitaient  le  roi  de  France  et  faisaient  de  la 
fausse  monnaie.  De  ce  nombre  était  le  comte  de  Flandre.  Phi- 
lippe se  plaignit ,  et  cette  plainte  donna  lieu  à  une  piquante 
anecdote.  Les  envoyés  du  comte  répondirent  aux  ministres  du 
roi  qui  accusaient  leur  maître  de  faire  de  fausse  monnaie  : 
«  K'il  ne  fesissent  mie  grant  honour  au  roi  de  France,  ke  par 
leur  paroles  il  reconnussent  ke  le  monoic  le  roi  n'estoit  mie 

»  Octobre  1309,  Reg.  XLII ,  n"  71,  et  mars  1310,  n»  137  bis. 

-  ^landcmont  à  Johan  Cliamcnron  et  à  Raoul  Cocatrix,  8  mars  1310, 
Reg.  XLII,  n°  13(3,  leur  enjoignant  d'envoyer  à  Paris  ceux  qui  emportaient 
de  la  monnaie. 

3  a  De  monetis  forefactis  in  ballivia  Matiscon.  vi"\iii  lib.  !i  Journal  du 
trésor,  fol.  118  v»  (l*---  mai  1311). 

'^  Mandement  sur  la  nouvelle  monnaie  adressé  à  tons  ducs,  contes,  barons, 
à  tons  justiciers,  129.5.  Samedi  après  la  mi-carème  (n.  s.).  Baluze,  10312  .\. 
fol.  5.5.  —  Lettre  au  duc  de  Bretagne,  après  Pâques  1308.  Ord.,  t.  I ,  p.  449. 
—  Au  comte  de  La  Alarche,  1309.  Reg.  XLII,  n"  48.  —  Au  comte  de 
Flandre,  1295,  après  l'octave  de  Pâques.  Or.  Bibl.  imp. ,  cbarics  Colbert. 
Flandre  ,  n°  10.  —  Ordre  au  duc  de  Bretagne  de  proliiber  les  monnaies  étran- 
gères, 6  mars  1299.  Ord.,  t.  II,  p.  604. 

21. 


324  LA  FR-AXCIi  SOLS  PHILIPPF-:  LK  DKL. 

boine ,  comme  ce  fut  cose  ke  vostre  monnoie  (celle  du  comte) 
fu  fiiite  sous  le  piet  le  dille  roi  de  France,  et  ke  jou  et  nostre 
gent  estiemes  appareillés  de  faire  essai  au  fu  (feu)  d'une  monoie 
et  d'autre  '.  » 

Déjà  en  130'J  Philippe  avait  envoyé  deux  inspecteurs  exa- 
miner si  les  monnaies  des  seigneurs  étaient  de  bon  aloi  '. 

En  1313  il  défendit  aux  prélats  et  aux  barons  «  d'allier  ni 
empirer  leurs  monnoies  de  poids  de  loi  et  de  Testât  ancien, 
et  s'ils  foni  le  contraire,  auront  doresnavant  leurs  monnoies 
forfaitcs  à  toujours.  "  Il  leur  fut  ordonné  de  cesser  de  battre 
jusqu'à  ce  (ju'ils  eussent  eu  l'autorisation  du  roi  qui  devait 
faire  procéder  à  une  enquête  sur  la  loi  et  le  poids  légal  des 
monnaies  baronales.  En  outre  on  établit  dans  chaque  monnaie 
seigneuriale  des  gardes  aux  dépens  des  seigneurs,  j)0ur  veiller 
à  l'exécution  des  ordonnances  ^  Louis  X  publia  en  13151a  liste 
(le  vingt-neuf  feudalaires  qui  avaient  seuls  droit  de  battre  mon- 
naie, avec  l'indication  exacte  de  la  taille  et  du  titre  des  espèces 
seigneuriales.  Cette  mesure,  (|ui  mettait  la  royauté  à  même 
d'exercer  un  contrôle  sérieux  sur  les  monnaies  baronales, 
était  due  à  Philippe  le  Bel  \ 

On  a  voulu  flétrir  Philippe  le  Bel  du  nom  de  faux  monnayeur, 
mais  ce  titre,  il  ne  le  mérite  pas  exclusivement.  On  pourrait 

^  Dépèclies  des  ambassadeurs  flamands.  Kcrvyn,  Recherches ,  p.  C9. 

-  Trés07'  des  chartes,  Rcg.  XLl,  u"  36.  »  Bcchinum  Calanclli  et  J.  Pai- 
mcrii  conslituimiis  per  omnia  loca  (otiiis  re;]ni  in  quibus  monetc  fiunt  ad 
inspicieiidurn  iitruni  inoiielc  fiant  co  modo  quo  dcbcnt  ficri ,  tam  monetc 
nostre  quam  moncte  l)aromiin.  r 

•»  OrcL,  t.  I,  p.  518  (juin  1313). 

'>  C'étaient  :  le  comte  de  Xevers,  le  duc  de  Bretagne,  la  monnaie  do 
Souvigny  au  sire  de  Bourbon  et  au  pais  de  Souvigny,  le  comte  de  La  Alarchc , 
vicomte  de  Brosse,  le  sire  de  Hiret  de  Saint-Sévère,  l'archevêque  de  Reims, 
le  comte  de  Soissons,  le  sire  de  Cliàtcauvillain,  le  sire  de  ilcun-sur-\èvre 
(Robert  d'Ailli),  l'évêque  de  ALigueloue,  l'évèque  de  Clcrmont,  la  monnaie 
du  Mans,  le  vicomte  de  Limoges,  l'évèque  de  Laon ,  le  comte  de  Rethel, 
la  monnaie  d'Angers,  le  comte  de  Xendômc,  le  vicomte  de  Chàteaudun,  la 
monnaie  de  Chartres  au  comte  de  Valois,  l'évèque  de  Meaux,  le  comte  de 
Sancerre,  le  sire  de  Vierzon,  le  sire  de  Chàteauroux,  l'évèque  de  Cahors,  la 
dame  de  Fauquemberg,  le  comte  de  Poitiers,  le  comte  de  Blois.  Arch.  de 
l'Emp.,  Reg.  entre  deux  ais  de  la  cour  des  monnaies.  Cette  ordoiniancc  a  été 
publiée  en  1840  dans  la  Revue  archéologique. 


LIVRR  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DEPE\SES.  325 

le  donner  à  aussi  bon  droit  au  roi  Jean.  Philippe  n'inventa  pas 
l'art  d'altérer  les  monnaies,  il  fit  ce  qu'il  voyait  faire  autour 
de  lui,  ce  que  les  rois  anglo-normands  avaient  pratiqué  avec 
succès,  ce  que  ses  successeurs  ne  craignirent  pas  de  faire. 
L'altération  des  monnaies  était  un  droit  royal  et  seigneurial 
reconnu  au  moyen  âge,  que  les  besoins  pressants  du  trône  et  la 
gravité  des  circonstances  semblaient  justifier.  Il  était  même 
d'usage  que  les  seigneurs  pouvaient  de  temps  à  autre  changer 
leurs  monnaies;  et  ce  droit  était  racheté  par  leurs  vassaux, 
par  un  impôt  désigné  ordinairement  sous  le  nom  de  fouage. 
Aussi,  lorsqu'en  1295  Philippe  diminua  pour  la  première  fois, 
d'une  manière  sensible,  le  titre  de  sa  monnaie  ,  il  n'en  fit  pas 
un  mystère.  Loin  de  là,  il  le  dit  hautement  en  invoquant  la 
pénurie  du  trésor  qui  le  forçait  de  recourir  à  un  expédient 
avoué  par  la  coutume.  Toutefois,  il  faut  reconnaître  que 
Philippe  le  Bel  abusa  d'une  manière  honteuse  de  l'altération 
des  monnaies.  L'expérience  aurait  dû,  ce  semble,  lui  démontrer 
promptement  l'inefficacité  de  cette  mesure,  qui  procurait  de 
médiocres  bénéfices  et  appauvrissait  la  nation  en  entravant  les 
transactions  et  en  portant  le  désordre  dans  les  fortunes  privées. 

Ces  conséquences  désastreuses  n'avaient  pas  échappé  aux 
contemporains.  Voici  comment  s'exprimait  Pierre  Dubois  dans 
un  mémoire  au  roi  : 

Il  Vos  sujets  ont  supporté  récemment  et  supporteront  encore, 
par  le  changement  des  monnaies,  des  pertes  auxquelles  on  ne 
saurait  comparer  celles  qu'ils  ont  faites  par  suite  de  la  guerre. 
En  effet,  les  revenus  en  argent,  pour  les  nobles  comme  pour 
les  autres,  ne  sont  pas  augmentés,  car  ils  reçoivent  un  seul 
denier  au  lieu  de  deux;  d'un  autre  côté,  les  objets  nécessaires 
pour  se  nourrir  et  se  vêtir  sont  deux  fois  plus  chers,  par  la 
raison  que  ceux  qui  exportaient  du  numéraire,  préfèrent  main- 
tenant exporter  des  marchandises,  qu'ils  laissaient  autrefois 
dans  le  royaume.  Ils  les  acbètent  plus  cher  parce  qu'il  y  a  plus 
d'acheteurs,  et  ils  les  vendent  en  conséquence  :  c'est  ainsi  que 
la  présence  d'une  nombreuse  armée  fait  renchérir  les  vivres. 

«  Aujourd'hui,  quiconque  apporte  en  France  quelques  pro- 
duits des  pays  étrangers,  remporte  en  échange  d'autres  objets 
comme  s'il  n'y  avait  pas  de  numéraire  chez  nous  ;  car  pour  les 


326  LA  FRAXCE  SOUS  PHILII'PK  LK  lUlL. 

étrangers,  la  monnaie  noire  n'est  pas  de  la  monnaie,  et  ia 
Fiance  n'a  de  nnméiairc  (pTanlanl  qu'elle  a  de  l'or  et  de 
l'argent  hlanc.  Quicon(|U('  doit  trans|)orter  hors  du  royaume 
trois  cents  livres  de  revenu,  en  perd  le  tiers,  parce  qu'avant  le 
changement  de  la  monnaie,  on  avait  plus  d'or  et  plus  d'argent 
pour  deux  cents  livres  qu'aujourd'hui  pour  trois  cents.  Des 
perles  non  moins  grandes  en  sont  résultées  pour  les  pauvres 
et  pour  les  églises,  qui  se  trouvent  privés  des  aumônes  et  des 
largesses  habituelles  parce  qu'on  manque  de  menue  monnaie. 
Tous  les  sujets  du  royaume  sont  donc  victimes  de  ces  change- 
ments, excepté  le  prince,  les  fermiers  et  les  fabricants  et  la 
monnaie.  Comment  donc  réparer  les  pertes  si  grandes  et  si 
générales,  qui  ont  frappé  la  population  entière  du  royaume? 
C'est  à  quoi  devraient  réfléchir  les  conseillers  et  les  auteurs  de 
ces  mesures,  s'ils  pensaient  qu'ils  doivent  un  jour  mourir'  ?  )> 

Les  mêmes  considérations  sont  exprimées  dans  des  termes 
presque  semblables,  dans  un  mémoire  remisa  Philippe  le  Long 
par  un  homme  versé  dans  la  fabrication  des  espèces,  qui  avait 
été  consulté  par  le  gouvernement  sur  les  améliorations  à  intro- 
duire dans  cette  branche  importante  du  service  public  ^ 

Dès  121)4,  quand,  au  début  de  la  guerre  contre  les  Anglais, 
le  maître  de  la  monnaie  proposa  comme  une  ressource  féconde 
l'altération  des  monnaies,  les  habiles  financiers  italiens  aux- 
quels Philippe  avait  donné  la  direction  des  finances,  Bichet  et 
Mouche!,  s'opposèrent  à  cette  mesure,  dont  ils  proclamèrent  à 
la  fois  l'inutilité  et  le  danger  :  ils  parvinrent  même  à  la  faire 
ajourner;  mais  leurs  sages  conseils  finirent  par  être  mis  de 
côté  ^  Enguerran  de  Alarigny  paraît  au  contraire  avoir  été 
persuadé  de  l'efficacité  de  cette  misérable  ressource,  qui  jetait 
la  perturbation  dans  le  royaume,  sans  enrichir  le  trésor  :  du 
moins,  sous  son  administration,  les  monnaies  lurent  contiimcl- 
lement  altérées.  Je  ne  voudrais  pas  excuser  Philippe  le  Bel,  mais 

1  »  Summa  brevis.  »  Bibl.  imp.,  n°  0222,  fol.  32  v".  Voyez  Ir  savanl 
MémoiiT  (le  M.  de  Wailly,  Ulém.  de  l  Académie  des  inscriptions ,  I.  WIII, 
2'-'  série,  p.  35  du  tirajje  à  part. 

-  Trésor  des  chartes ,  layette  monnaies,  J.  459,  n°  24. 

^  Voyez  le  Mémoire  important  sur  la  «guerre  d'.An<]leterre,  Notices  et 
extraits,  n"  vin. 


LIVRE  DIXIÈIIE.  —  RECETTES  ET  DEPENSES.  ;]27 

je  dois  rappeler  que  ses  successeurs  partagèrent  son  errenr, 
en  cherchant  dans  l'altération  des  monnaies  un  expédient 
financier  pour  faire  face  dans  des  temps  de  crise  aux  hesoins 
urgents  de  l'Etat. 


CHAPITRE   SEPTIEME. 

ÉVALUATION  DES  RECETTES  ET  DES  DÉPENSES. 

Aperçu  sur  les  recclte?  et  les  dépenses  de  i'Efat.  —  Dépeuses  de  lliôtel  du 
roi.  —  Oroanisation  de  l'hôtel.  —  Tablettes  de  cire.  —  Comptes  de  l'ar- 
genterie. —  Evaluation  des  impôts  extraordinaires.  —  Rentes  sur  le  trésor. 
—  Budget  pour  lanncc  131^. 

Je  vais  essayer  de  donner  un  aperçu  des  recettes  et  des 
dépenses  ordinaires  sous  Philippe  le  Bel  :  je  dois  déclarer  que 
les  évaluations  que  je  vais  soumettre  au  lecteur  ne  sont  qu'ap- 
proximatives ;  toutefois,  elles  reposent  sur  des  bases  certaines. 
Les  éléments  de  mes  calculs  sont  puisés  dans  les  documents 
suivants  :  1°  un  compte  des  recettes  et  des  dépenses  du  roi 
pour  le  terme  de  la  Chandeleur  1287,  intitulé  Magna  rccepta 
et  cxpensa  régis.  Ce  compte  comprend  le  produit  des  bailliages 
et  des  prévotés  de  France,  plus  des  versements  faits  par  le 
Temple,  consistant  en  une  partie  seulement  des  recettes  des 
bailliages  de  Normandie,  des  sénéchaussées  de  Querci  et  de 
Beaucaire ,  ainsi  que  plusieurs  recettes  extraordinaires.  La 
seconde  partie  est  consacrée  à  l'énumération  abrégée  des  dé- 
penses de  l'hôtel  et  des  bailliages,  et  de  la  guerre  d'Aragon  '; 
2°  un  compte  des  anciens  domaines  du  comte  Alphonse  de 
Poitiers  et  de  Toulouse,  de  la  Saint-Jean  1203  à  la  Saint- 
Jean  1294";  3°  un  compte  des  bailliages  et  des  prévôtés  de 
France  pour  le  terme  de  la  Toussaint  1299^;  4"  un  compte 
semblable  pour  le  terme  de  l'Ascension  1305,  comprenant 
aussi  pour  un  certain  nombre  de  bailliages  et  de  prévôtés  le 
terme  précédent  de  la  Chandeleur". 

1  Bibl.  inip.,  Gaignières,  n"  567. 

2  Arch.  de  l'Emp.,  K.  501. 

3  Bibl.  imp.,  suppl.  français,  n°  47432. 
«  Bibl.  imp.,  Balnze,  n»  109. 


328  LA  FRAXCE  SOUS  FUILIPPF,  LE  DEL. 

Voici  lo  tableau  des  rccottrs  des  bailliages  el  des  prévôtés  de 
France  pour  un  des  trois  termes  de  rannée  financière  ;  j'ai 
ramené  pour  l'année  1305  toutes  les  recettes  à  un  seul  terme; 
j'ai  retranché  pour  les  années  1299  et  1305  le  produit  des  bail- 
liages de  Tours  et  de  Màcon ,  qui  ne  figurent  pas  dans  le  pre- 
mier compte;  j'ai  déduit  de  ce  même  compte  de  1286  les 
recettes  du  bailliage  de  (îisors,  qui,  en  1299  et  en  1305,  était 
réuni  aux  bailliages  de  Normandie;  enfin,  j'ai  supprimé  plu- 
sieurs sommes  qui  étaient  le  produit  d'impôts  extraordinaires, 
tels  que  décimes  et  cinquantièmes  : 

1287  (Cbandelear".  1299  (Toussaint).        1305  {Atcension). 

Prévôtés.  .      15,0341.18  s.  lOd.  par.     14,898  13  13     15,076  2     r 
Bailliages   .     30,420     18        4  29,184     3     4     30,015  6  10 


45,4551.17  s.     2  cl.  par.     44,082  17     5     45,0918  10 

Cette  uniformité  dans  les  recettes  à  trois  époques  différentes 
est  une  présomption  en  fjueur  de  l'exactitude  des  chiffres  que 
j'ai  obtenus. 

II  est  hors  de  doute  que  les  dépenses  et  les  recettes  étaient 
divisées  en  trois  parties  égales,  correspondant  chacune  à  une 
des  trois  périodes  qui  divisaient  l'année  financière.  Il  suffit 
donc,  pour  avoir  le  produit  d'une  année,  de  multiplier  par 
trois  la  recette  de  l'un  de  ces  termes. 

La  recette  de  l'année  1305  peut  être  évaluée  à  135,274  1. 
5  s.  6  d.  ;  mais  à  ce  chiffre  il  faut  ajouter  les  recettes  des  bail- 
liages de  Tours  et  de  Alàcon,  que  j'avais  omises  pour  mieux 
établir  la  comparaison  entre  les  années  1287,  1299  et  1305, 
et  l'on  obtiendra  la  somme  de  147,424  1.  33  s.  23  d.  parisis. 

Passons  à  l'ancien  domaine  d'Alphonse.  Le  compte  de  l'an- 
née 1293-1294  donne  la  recette  complète  pour  chaque  séné- 
chaussée ;  elle  s'élève,  déduction  faite  des  recettes  extraordi- 
naires, à  100,756  1.  14  s.  1  d.  tournois,  ou  80,604  1.  27  s. 
3  d.  parisis.  Un  fragment  de  compte  de  l'an  1299  donne  des 
chiffres  de  recettes  plus  élevés  et  des  chiffres  de  dépenses 
inférieurs. 

Je  n'ai  point  trouvé  de  document  (pii  fit  connaître  exacte- 
ment les  recettes  de  la  Xormandie.  On  verra  bientôt  que  Phi- 
lippe le  15el  fixait  le  revenu  net  de  cette  province  a  1(10,000 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTKS  Kl'  DÉPEXSES.  329 

livres  tournois  (80,000  livres  parisis).  Sous  saint  Louis,  les 
dépenses  des  bailliages  de  Xorniandie  ne  s'élevaient  pas  tout  à 
fait  au  quart  de  la  recette  '.  En  supposant. que  cette  proportion 
persista  sous  Philippe  le  IJel ,  on  peut  évaluer  la  recette  brute 
de  la  Xorniandie,  à  la  fin  du  règne  de  ce  prince,  à  125,000  liv. 
tournois  ou  100,000  livres  parisis.  Il  y  avait  aussi  les  séné- 
chaussées de  Beaucaiie,  deCarcassonne,  de  Lyon  et  deBigorre, 
sur  lesquelles  je  n'ai  pu  me  procurer  aucun  renseignement. 

En  dehors  des  recettes  des  bailliages,  le  trésor  faisait  des 
recettes  éventuelles,  telles  qu'amendes  du  parlement,  droits 
de  sceau,  régales,  produits  du  monnayage  qu'il  est  impossible 
d'évaluer,  et  qui  pourtant  devaient  fournir  des  sommes  impor- 
tantes. Converties  en  valeurs  modernes,  et  en  donnant  à  l'ar- 
gent du  treizième  siècle  cinq  fois  plus  de  valeur  qu'il  n'en  a 
maintenant,  on  aurait  pour  le  produit  annuel  des  bailliages  de 
France,  de  Xorniandie  et  des  anciens  Etats  du  comte  Alphonse, 
36,789,490  francs.  Dans  ce  chiffre,  je  n'ai  compris,  faute  de 
documents,  ni  la  Champagne,  ni  les  sénéchaussées  de  Beau- 
caire,  de  Carcassonne,  de  Lyon,  etc.  Je  donne  à  la  fin  de  ce 
chapitre  une  évaluation  due  à  Philippe  le  Bel  lui-même. 

Les  dépenses  se  peuvent  diviser  en  quatre  catégories:  1°  dé- 
penses des  bailliages;  2"  dépenses  de  l'hôtel;  3°  dépenses  des 
grands  corps  de  l'Etat,  payement  des  pensions  et  des  rentes 
sur  le  trésor;  4°  dépenses  diverses  ne  rentrant  pas  dans  une  des 
classes  précédentes,  missions  diplomatiques,  etc.  En  1;U)5,  les 
dépenses  des  bailliages  et  des  prévôtés  de  France  s'élevèrent  à 
85,757  livres  13  sous  9  deniers;  en  1307,  à  87,902  1.  19  s. 
1  d.  parisis;  en  1294,  celles  des  domaines  d'Alphonse  à 
32,281  1.  81  s.  59  d.  tournois,  ou  25,828  1.  4  s.  8  d.  parisis, 
ce  qui  donne  pour  l'année  1305  un  excédant  de  receltes  pour 
les  bailliages  de  France,  de  59,522  1.  14  s.  19  d.,  et  |)our  les 
domaines  d'Alphonse  en  1294  de  (18,471  1.  8  s.  2  d.  parisis. 
Un  chapitre  des  dépenses  des  bailliages  était  consacré  aux  tra- 
vaux publics,  consistant  surtout  en  réparations  aux  châteaux 
royaux  et  entretien  des  routes,  etc.  ;  on  faisait  contribuer  ceux 
auxquels  les  tiavaux  devaient  profiler  ^  En  1295,  le  roi  fit  réla- 

1  Historiens  de  France ,  préface,  p.  i.wiii  rt  i.wrn. 
-  ilpsnard,  Histoire  de  Nimes ,  t.  I,  pr.,  p.  405. 


330  LA  FRAXCK  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

blir  un  canal  cnlip  lîraucaiic  et  Saint-Gilles,  et  ordomia  que 
ce  serait  aux  Irais  des  liahilanls.  Sous  le  règne  de  Philippe  le 
Bel  s'élevèrent  des  constructions  importantes,  telles  que  le 
Louvre  et  le  palais  de  la  Cité,  qui  furent  reconstruits  et  agran- 
dis, les  monastères  de  Poissy  et  du  Aloncel,  etc.  '. 

La  composition  et  les  gages  des  serviteurs  de  la  maison  du 
roi  furent  l'objet  de  nombreux  règlements,  notamment  en  128G, 
12'J1,  1310  et  janvier  1314'.  11  y  avait  sous  Philippe  le  Bel, 
comme  du  temps  de  saint  Louis,  six  métiers  :  la  pancterie, 
l'échansonnerie,  la  cuisine,  la  fruiterie,  l'écurie  et  la  four- 
rière. Les  différentes  ordonnances  que  je  viens  d'énumérer 
avaient  surtout  pour  but  d'introduire  des  économies  dans  la 
dépense.  Voici  (|uel  était  en  1286  le  personnel  des  métiers^. 

Paxeterie  :  cinq  paneticrs,  un  pour  le  roi  et  deux  pour  le 
commun  ;  trois  sommeliers  chargés  du  linge  de  table,  trois  porte- 
chapes,  le  pâtissier,  qui  faisait  les  pâtés;  l'oublier  et  la  lavan- 
dière des  nappes.  Une  charrette  était  attachée  au  service  de  la 
paneterie. 

EcHANSONXERiE  :  quatre  échansons,  deux  barilliers,  deux 
bouliers,  un  potier  et  un  clerc  ou  comptable  commun  à  la 
paneterie.  Les  échansons  étaient  chargés  d'acheter  le  vin. 

Cuisine  :  divisée  en  cuisine  du  roi  et  cuisine  du  commun  : 
un  maître  queux,  nommé  Ysambart,  quatre  queux,  quatre 
ardeurs,  quatre  hasteurs,  quatre  pages,  deux  souffleurs,  quatre 
enfants  (marmitons),  deux  saussiers,  deux  huissiers,  un  pour 
la  cuisine  du  roi  et  l'autre  pour  celle  du  commun  ;  deux  som- 
miers ou  chevaux  de  charge  et  leurs  conducteurs  ;  deux  grandes 
charrettes  à  quatre  chevaux  pour  transporter  les  provisions,  et 
une  autre  charrette  dite  du  petit  dîner  à  trois  chevaux.  Le 
poulaillier  achetait  la  volaille. 

'  Sur  ragraiulissf'niont  du  palais,  voyez  K.  38,  n"  7,  Xofices  et  extraits, 
et  notre  travail  sur  le  Palais  de  justice.  (Extrait  du  t.  XXIII  des  Mémoires 
lie  la  Société  des  antiquaires  de  France.) 

-  Toutes  CCS  ordonnances  se  trouvent  dans  le  Rey.  L\  II  du  Trésor  des 
chartes.  La  première  seule  a  été  publicie  par  Ducange  dans  les  \otes  sur 
Joincille ,  et  par  ^I.  Leber,  Dissertations ,  t.  WII,  p.  1  et  suiv. 

•'  C'est  l'ordenante  de  l'ostel  le  roy  Philippe  ,  faite  à  l'icenes  le  lendemain 
de  la  Saiut-\  inteni  de  l'an  m.  ce.  iiii"v. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DÉI'EA'SES.  331 

Fruiterie  :  un  fruitier  et  trois  valets  pour  faire  la  rlian- 
delle,  deux  somuiiers,  un  pour  le  fruit,  l'autre  pour  la  chan- 
delle. La  charrette  du  fruit  fut  supprimée. 

Ecurie  :  quatre  écuyers,  dont  un  chargé  d'acheter  les  che- 
vaux; deux  maréchaux,  trois  valets  de  forgé,  quatre  valets 
d'écurie.  Au  commun  (Tinel),  un  valet  pour  deux  chevaux;  un 
bourrelier. 

Fourrière  :  deux  fourriers,  quatre  valets,  deux  huissiers  de 
salle,  trois  portiers,  trois  valets  de  porte.  Le  roi  avait  un  cha- 
riot à  cinq  chevaux  '. 

Dans  les  comptes  de  l'hùlel,  les  dépenses  ordinaires  sont 
divisées  en  six  paragraphes  :  pain,  vin,  cuisine,  cire,  avoine, 
chambre.  Dans  les  ordonnances  de  l'hôtel,  il  n'y  a  pas  de 
métier  intitulé  chambre ,  mais  sous  la  rubrique  chambellans  se 
trouve  la  liste  de  ceux  qui  composaient  la  chambre  du  roi  : 
cinq  chambellans,  six  valets  de  chambre,  dont  deux  barbiers 
et  un  tailleur;  deux  guettes  venaient  ensuite,  —  trente  sergents 
d'armes,  dont  dix  seulement  de  service  à  la  fois,  deux  huis- 
siers d'armes  et  huit  sergents  ;  quatre  gardaient  le  roi  quand  il 
prenait  ses  repas,  et  avaient  toujours  leur  carquois  rempli  de 
carreaux.  — Sommeliers  :  dix  pour  la  chambre  du  roi,  deux 
pour  la  chapelle,  deux  pour  les  registres  et  les  écrits,  deux 
pour  le  fruit,  plus  un  maître  des  sommeliers. 

Outre  ces  ofticiers  qui  rentraient  (bvns  la  domesticité,  la 
maison  du  roi  comprenait  plusieurs  catégories  de  personnes 
d'un  rang  plus  élevé.  D'abord  les  clercs,  dénomination  sous 
laquelle  étaient  compris  les  notaires  ou  secrétaires,  au  nombre 
de  quinze,  deux  physiciens  ou  médecins,  —  maître  Fouques 
de  la  Charité,  médecin  de  la  reine  «  devers  madame  " ,  et  maître 
Dudes  ;  chacun  avait  dix-huit  deniers  de  gages  par  jour,  trois 
provendes  d'avoine  et  deux  valets  ;  trois  chapelains  et  trois 
clercs  de  la  chapelle.  —  Les  clercs  du  conseil  ou  conseillers 
du  roi.  —  Les  trois  membies  des  plaids  de  la  porte,  dont  un 
laïque.  —  L'aumônier,  les  chirurgiens  (surgiens)  servant  par 
quartier,  les  portiers,  le  roi  des  ribauds,  le  chauffe-cire  et  son 
valet  ;  quatre  messagers  ou  courriers ,  dont  un  à  cheval  pour 

I  JJ.  lATI,  fol.  2  et  3. 


332  LA  FRAXCE  SOIS  IMUMITK  l.K  REL. 

transmettre  les  ordres;  le  passeur  de  l'eau  à  Paris,  le  maître 
maçon  ou  architecte,  -maistre  Oeude  de  Alontereul  " ,  qui  avait 
quatre  sous  de  gages  par  jour  et  mangeait  en  cour;  le  maître 
charpentier,  «  maistre  Richart  » .  Le  train  de  chasse  était  com- 
posé d'un  furetier,  d'un  oiseleur,  d'un  louvetier,  de  six  fau- 
conniers, de  trois  veneurs,  de  valets  de  chiens,  de  deux  archers, 
de  six  chiens  hraques  conduits  par  deux  valets,  et  de  douze 
autres  chiens  de  chasse.  Philippe  était  passionné  pour  la  chasse. 
Les  métiers  ohéissaient  au  maître  d'hôtel  du  roi.  Nul  n'avait 
de  chamhre  à  l'hôtel,  sauf  celui  qui  portait  le  sceau,  le  grand 
maître  de  l'hôtel,  les  comptahles  de  la  chamhre  aux  deniers, 
le  chapelain,  le  confesseur  du  roi  et  l'aumônier'. 

La  reine  avait  une  maison  à  part,  qui  fut  réglée  en  même 
temps  que  celle  du  roi  et  sur  le  même  modèle,  avec  six  métiers 
composés  de  vingt-sept  personnes  et  d'un  comptahle.  Elle  avait 
en  outre  deux  dames,  trois  demoiselles,  un  chapelain  et  son 
clerc,  un  maître  d'hôtel  et  plusieurs  autres  officiers,  trois 
palefrois  "  pour  son  corps  «  et  un  chariot  '. 

L'ordonnance  faite  au  bois  de  Vincennes  en  121)0,  la  semaine 
devant  la  Chandeleur  (vieux  style),  n'apporta  que  peu  de  mo- 
difications à  la  précédente;  on  y  trouve  quelques  particularités 
curieuses.  Quand  on  avait  crié  aux  queux  de  servir,  les  huis- 
siers devaient  faire  vider  la  salle  du  banquet  à  toute  personne 
étrangère,  <^  se  ce  n'est  du  commandement  au  maistre  d'hos- 
tel  1'.  Il  fut  défendu  de  porter  du  vin  à  la  suite  du  roi,  'i  fors 
pour  son  cors  seulement  "  .  Pour  manger  à  la  cour,  il  fallait 
être  chevalier,  «  mais  li  escuier  y  porront  menger  I  ou  II  selonc 
ce  que  il  est  grans  bons,  qui  seront  aus  barons  ou  aus  prélas, 
les  qiiiex  li  rois  feroit  scmondre  pour  manger  avec  lui.  L'au- 
raosnier  prêtera  serment  de  faire  le  moins  d'aunuuies  possi- 
bles, et  il  fera  le  moins  de  pétitions  au  roy  que  il  pourra^.  » 
On  établit  un  clerc  pour  l'échansonnerie.  L'écurie  fut  réglée 
en  même  temps.  Le  roi  aura  six  coursiers  et  trois  grands 
chevaux  pour  son  corps,  et  dix-huit  chasseurs  ou  chevaux  de 
chasse.  On  n'achètera  pas  de  chevaux  sans  l'ordre  du  maître 

>  JJ.  LVII,  fol.  7  \". 

2  J.I.  LVII,  fol.  8  ro. 

3  Rcg.  LVII,  fol.  11  \". 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  333 

d'hôtel'.  Le  roi  n'avait  encore,  comme  en  128G,  que  deux 
médecins,  Robert  Lefèvre  et  Dudes.  Dans  l'équipage  de  chasse 
figure  un  nouvel  emploi,  celui  de  perdriseur  "'.  Frère  Arnoul 
de  Wisemalc  était  grand  maître  de  l'hôtel. 

Une  autre  ordonnance  sans  date  fait  mention  des  clercs  de  la 
paneterie ,  de  l'échansonnerie,  de  la  cuisine  et  de  l'écurie^, 
de  celui  qui  porte  l'arbalète  du  roi,  d'une  charrette  pour 
transporterie  bois  à  brûler*.  Les  denrées  destinées  à  la  maison 
du  roi  étaient  achetées  au  prix  du  roi,  qui  était  souvent  infé- 
rieur au  prix  courant.  Le  droit  de  prise  était  partagé  par  quel- 
ques dignitaires;  il  fut,  par  ordonnance  de  1308,  restreint  au 
roi,  à  la  reine,  à  leurs  enlanls  estant  en  main  bournie,  et  aux 
grands  officiers  de  la  couronne  \ 

Les  clercs  des  métiers  venaient  chaque  matin,  à  l'heure  delà 
première  messe  du  roi,  rendre  les  comptes  de  la  veille;  s'ils 
manquaient,  ils  étaient  punis  par  le  maître  d'hôtel  et  privés 
d'une  journée  de  gages®. 

Des  comptes  de  la  maison  du  roi  des  années  1287,  1288, 
1289  et  1313,  publiés  en  Allemagne  au  siècle  dernier  par 
Ludvvig  ~ ,  viennent  compléter  ces  notions.  Les  grands  officiers 
de  la  couronne  et  une  centaine  de  chevaliers  aux  gages  du 
roi,  appelés  chevaliers  le  roi ,  recevaient  à  la  Pentecôte  et  à  la 
Toussaint  des  manteaux:  les  grands  officiers,  de  la  valeur  de 
dix  livres;  les  autres,  de  la  valeur  de  cent  sous.  Parmi  ces 
derniers  figuraient  les  maréchaux  et  le  maître  des  arbalé- 
triers. Les  clercs  du  roi  étaient  assimilés  aux  chevaliers. 
En  1289,  on  voit  un  clerc  des  arbalétriers,  cinq  médecins, 
Dudes,  Jean  de  Rosai,  Robert  Lefèvre,  Fouque  de  la  Charité 
et  Guil.  d'Aurillac;  la  musique  du  roi  {ministereïli),  composée 
de  neuf  personnes,  dont  le  roi  des  hérauts  et  le  roi  flageolet 
(  rex  Jlajoletus  ) . 

1  Reg.  LVII,  fol.  15  r". 
^  Fol.  17  r". 
3  Fol.  54  r". 

'*  En  1311,  il  est  parlé  dans  un  acte  de  la  chanccllcrio  de  l'icrre  Paumier, 
apothicaire  et  valet  de  chambre.  JJ.  40,  n"  73. 
■^  Trésor  des  chartes ,  JJ.  42,  n"  49. 
*'  Ordonnance  sans  date.  JJ.  57,  fol.  55  v". 
'  Luduig,  Relifjuice  manuscriptorum.  Haln',  1741,  I.  XII,  p.  14  à  48. 


:î34  la  FRAXCF  SOUS  PHILIPPr;  LK  BEL. 

En  1313,  il  pst  fait  mention  de  sept  clercs  des  comptes  y  de 
trois  clercs  du  Temple,  il  n'y  eut  jamais  qne  (piatre  clercs  pour 
les  six  métiers  '.  En  1313  apparaît  un  clerc  de  la  sausserie  du 
roi  '.  Outre  ces  règlements  et  les  comptes  que  je  viens  de  citer, 
on  a  des  renseignements  précis  sur  la  manière  dont  se  faisaient 
les  dépenses  de  riiôtel ,  dans  les  tablettes  de  cire  conservées  à 
la  Bibliothèque  impériale,  à  Florence  et  à  Genève.  Je  laisse  de 
côté  celles  qui  sont  communes  aux  règnes  de  Philippe  le  Hardi 
et  de  Philippe  le  Bel,  pour  ne  m'occuper  que  de  celles  qui 
concernent  exclusivement  ce  dernier. 

Tablettes  de  Florence  du  coinineiiccnicnt  de  mai  au  30  octobre  1301  *'. 

—  de  Saint-Victor  (quatorze  tablettes),  provenant  de  l'abbaye  de  ce 

nom,  actuellement  à  la  Bil)liothè(|ue   impériale;   du  31  octobre 
1301  an  31  mars  1302  l 

—  nue  autre  du  4  au  14  octobre  1303.  Id.  ^. 

—  de  Saint-Germain  des  Prés   (au  nombre  de   quatre),    1307".   .\ii 

siècle  dernier,   il  y  en  avait  dix";   on  en  a  beureusernent  une 
copie  faite  par  dom  Tassin. 

—  de  Genève  de  septembre  1307  au  1""'' juillet  1308*^. 

Sénebier,  (pii  a  publié  ces  dernières,  les  donne  à  tort  comme 
renfermant  les  dépenses  des  six  derniers  mois  de  l'année  1308  °. 
Les  lableltes  de  la  Bibliothèque  impériale  ont  été  encadrées  dans 
du  cèdre;  la  poussière  qui  les  rendait  illisibles  a  été  enlevée, 

1  Luduig,  p.  43. 

-  Clericus  salsariff  rejjis.  Ibid. 

'^  Extraits  dans  Lettera  crilica  sopra  un  manoscrillo  de  cera  (par  .Antonio 
Cocchi).  Florence,  1746,  in-V'  de  Si-  pages.  —  Extraits  :  Itinéraire  du  roi, 
p.  2.5  à  34.  Autres  extraits,  p.  43  à  GO.  Les  lectures  sont  trè.s-fautivcs. 

'•  Bibl.  imp.,  suppl.  latin,  n»  1386.  Voyez  A'ouceau  traité  de  dipîom., 
t.  I,  p.  458  et  460;  et  Xléin.  de  l'Acad.  des  inscript.,  t.  XX,  p.  277  et  292. 
Mém.  de  l'abbé  Lebœuf. 

5  Suppl.  latin,  n"  1387. 

C  Suppl.  latin,  n"  1388. 

~  Xouveau  traité,  t.  I,  p.  484.  Voyez  pour  toutes  ces  tablettes  Bordier, 
Archires  de  la  France ,  p.  187. 

s  Sénebier,  Catalogue  raisonné  des  manuscrits  de  la  bibliotlicque  de 
Genève ,  p.  146  à  178.  Voyez  un  commentaire  sur  ces  tablettes  par  Baulacre, 
OF.ucres ,  t.  I,  p.  78  et  suiv. ,  ouvrage  dont  s'était  servi  Sénebier. 

^  Sénebier,  Catalogue  raisonné  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  de 
Genève,  p.  178. 


LIVRF.  DIXIÈMF:.  —  RECETTES  ET  DEPEIVSES.  :î;}5 

et  une  longue  durée  est  assurée  à  ces  fragiles  monuments'. 
Ces  (abletles,  quoique  destinées  dans  l'origine  à  recevoir  des 
comptes  qui  étaient  ensuite  transcrits  sur  le  parchemin ,  ont 
toujours  été  conservées  avec  soin.  Les  registres  de  la  chambre 
des  comptes  montrent  qu'au  quatorzième  siècle  on  les  gardait 
dans  les  archives  de  cette  cour  et  qu'on  les  y  consultait.  Le 
registre  Pater  fait  mention  des  tablettes  de  dépenses  de  l'hôtel, 
du  milieu  du  carême  au  jeudi,  jour  de  Saint-Michel  1288, 
d'autres  finissant  trois  semaines  après  Pâques  en  1293,  d'autres 
du  jour  de  l'Ascension  au  lundi  après  l'Assomption  de  l'an  1294, 
d'autres  des  années  1302  et  1303".  Elles  sont  désignées  sous 
le  nom  de  tablettes  de  maître  Jean  de  Saint-Just  :  c'est  le  titre 
que  portent  aussi  les  tablettes  de  Florence;  en  effet,  Jean  de 
Saint-Just  était  le  trésorier  de  l'hôtel;  il  était  aussi  clerc  de  hi 
chambre  des  comptes.  Ces  tablettes  ne  sont  pas  de  même  nature, 
bien  qu'elles  se  rapportent  toutes  aux  dépenses  de  la  maison 
du  roi;  elles  se  divisent  en  deux  groupes.  Celles  de  Florence, 
de  Saint -Victor  et  le  n°  1387  contiennent  jour  par  jour  les 
dépenses  ordinaires  des  métiers  ^ 

1  Voyez  le  Moniteur  du  9  mai  1857. 

2  Arch.  imp.,  P.  2591,  fol.  112. 
■^  Voici  quelle  est  leur  disposition  : 


[Die]  Martis  apud  Castellionem  super 
Maternarn 


ilercurii. 
Et  ainsi  de  suite. 

Die  sabbato  post  Xativitatem  Domini ,  apud  Xantoliuin ,  fuit  compufatum  de 
XX  diebus  : 

Panis. 

Vinum. 

Goquina. 

Cera. 

Avena. 

Caméra. 

Sumina  ministcriorum. 

Summa  vadiorum. 

Summa  minuforum. 

Summa  totalis.  —  Saint-Victor,  fol.  14-  r". 


336  LA  FRA\CE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

Au  bout  d'un  certain  laps  do  temps  variable,  niais  qui  no 
dépassait  pas  vingt-cinq  jours,  on  faisait  une  récapitulation 
dos  dépenses  dos  métiers.  On  y  joignait  le  montant  dos  gages 
des  gens  de  Tbôlel  écbus  pendant  le  même  intervalle,  et  les 
menues  dépenses.  On  établissait  on  outre  la  moyenne  de  la 
dépense  pour  cliacun  des  jours  écoulés  entre  deux  comptes. 
Cette  somme  obtenue,  on  en  déduisait  les  gages  et  les  menus, 
et  on  avait  la  moyenne  de  la  dépense  des  six  métiers.  Les 
gages  se  divisaient  en  dépenses  de  l'aumônier  et  des  pauvres 
entretenus  pur  lo  roi  :  gages  des  métiers,  des  cbevaliers  le  roi 
et  des  valets  '.  ' 

Les  autres  tablettes  (celles  de  Saint-Germain  des  Prés  et  de 
Genève)  s'a[)pli(|iient  aussi  aux  dépenses  de  l'botel.  Elles  don- 
nent l'énuméralion  détaillée  dos  dépenses  autres  que  colles 
des  métiers,  et  reproduisent  les  totaux  des  autres  tablettes, 
c'est-à-dire  les  dépenses  ordinaires'. 

Quant  aux  dépenses  diverses,  voici  en  quoi  elles  consis- 
taient; je  suis  l'ordre  dos  tablettes  :  dons,  aumônes,  restaur 
de  chevaux  ou  sommes  données  pour  remplacer  les  cbcvaux 
(jui  moulaient  ou  devenaient  bors  do  service.  —  Parles  dena- 
riorutn  in  cnfris  :  sommes  données  au  roi  et  aux  princes  pour 
le  jeu,  pour  les  offrandes  à  l'église  en  dîmes;  somme  repré- 
sentant la  valeur  de  la  dîme  du  pain  et  du  vin,  à  laquelle 
avaient  droit,  en  vertu  do  privilèges  royaux,  certaines  abbayes 
presque  exclusivement  de  femmes,  lorsque  le  roi  séjournait 
dans  leur  voisinage  ^  —  Xovi  nul/tes  :  sommes  données  aux 
nobles  que  les  rois  venaient  d'armer  cbevaliers  '.  On  leur  don- 
nait ordinairement  cent  sous,  un  frein  doré,  et  quelquefois  un 
cbeval.  Les  largesses  du  roi  étaient  plus  gi'andos  quand  il  con- 
férait à  un  prince  l'ordre  de  cbevalerie  ^  La  promotion  était 
nombreuse,  et  chacun  des  compagnons  du  prince  recevait  un 

1  Tabl.  do  Sailli-Victor,  n"  1386  passim,  entre  aiitre.s  fol.  7.  —  Voyez 
aussi  le  tableau  fi<jnralil'  dressé  par  Cocclii  à  la  fin  de  sa  Dissertation ,  et  qui 
donne  une  idée  de  la  disposition  des  tablettes.  Voyez  aussi  la  tablette  n"  1387. 

-  Sénebier,  p.  173  et  I"^. 

•*  Sénebier,  p.  168  et  169. 

^  Or.  Trésor  des  chartes,  .1.  365,  n"  8. 

°  Voyez  un  frarjnient  de  compte  de  1312  dans  Ludui;{,  t.  XII,  p.  ^-8. 


LIVRE  DIXIÈME.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  337 

cheval,  un  palefroi,  un  manteau,  un  habillement  complet  et 
une  gratification  '. 

Chaque  jour  on  venait  faire  présent  au  roi  d'un  faucon 
dressé  pour  la  chasse,  ou  quelque  autre  oiseau  de  proie,  et  le 
roi  faisait  au  donateur  un  don  en  argent^.  Les  tablettes  indi- 
quent les  officiers  de  riiùtel  qui  remettaient  ces  dons.  Tantôt 
c'était  le  chambellan  du  roi,  tantôt  Enguerran  de  Marigny  ; 
le  confesseur  ou  l'aumônier  faisait  les  aumônes  ou  chargeait 
le  portier  de  les  remettre  surtout  aux  nombreuses  personnes 
attaquées  des  écrouelles  (morbus  regius),  qui  accouraient  de 
toutes  les  parties  de  l'Europe  pour  se  faire  touclier  par  le  roi  ^ . 

J'ai  dit  que  les  tablettes  de  cire  étaient  plutôt  des  carnets 
que  des  comptes  définitifs.  Je  crois  que  les  tablettes  du  pre- 
mier groupe  s'appelaient  Itinera ,  et  celles  du  second  Itinera, 
Doua.  Le  comptable  rendait  des  comptes  trois  fois  par  an  :  à 
l'Ascension,  à  la  Toussaint  et  à  la  Chandeleur,  et  ces  états  étaient 
transcrits  sur  des  rouleaux  de  parchemin  intitulés  "  Expensa 
Hospitii  domini  régis  -î  .  Luduig  a  publié  plusieurs  extraits 
d'un  de  ces  comptes  pour  le  terme  de  l'Ascension  à  la  Tous- 
saint 1287*;  pour  le  terme  de  la  Toussaint  à  la  Chandeleur 
1288-1289^;  et  un  fragment  d'un  compte  de  même  nature  du 
1"  janvier  au  1"  juillet  1313".  Ce  dernier  document  ferait  sup- 
poser que,  vers  la  fin  de  son  règne,  Philippe  apporta  des  mo- 
difications dans  la  comptabilité  de  l'hôtel,  et  que  les  comptes 
généraux,  au  lieu  d'être  rendus  en  trois  termes,  le  furent  seu- 
lement en  deux  termes  :  au  1"  janvier  et  au  1"  juillet.  Un 
compte  de  l'hôtel  de  1315,  sous  Louis  le  Hutin,  est  d'après  ce 
système;  il  embrasse  les  six  derniers  mois  de  l'année^.  On  a 
vu  plus  haut  que  le  trésor  du  Temple  était  spécialement  chargé 

1  Voyez  le  compte  de  la  clicvalcrie  des  fils  du  roi  en  1313  dans  Liiduig, 
t.  XII ,  p.  48  et  suiv. 

-  il  Pro  quodam  vulture  presentato  régi  u  lib.  »  Sénebier,  p.  146.  — 
>  Pro  quodam  falconc  presentato  pcr  dictum  militem  iv  lib.  ■'  Ibid.  —  Tabl. 
de  Saint-Germain. 

^  Sénebier,  p.  150  et  152.  Conf.  Acad.  des  imci-ijjf.,  t.  XXX,  p.  307. 

*  Reliquiœ ,  t.  XII,  p.  14. 

->  Reliquiœ,  t.  XII,  p.  18. 

®  Reliquiœ,  t.  XII,  p.  28. 

"  Reliquiœ,  t.  XII,  p.  CO. 

22 


338  LA  FRAXCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

d'alimenter  les  dépenses  de  l'hùlel.  Les  deniers,  après  avoir 
été  pris  au  Temple,  étaient  versés  dans  la  eaisse  de  l'hôtel. 
Les  agents  de  la  comptabilité  qui  avaient  le  maniement  et  la 
surveillance  des  deniers  de  cette  caisse  formaient  ce  qu'on 
appelait  la  chambre  aux  deniers,  dont  le  chef  était,  en  1280, 
Pierre  de  Coudé.  Pierre  de  Condé  fut  remplacé  par  Jean  de 
Saint -Just.  Voici  comment  une  ordonnance  sans  date  fixe 
l'état  de  la  chambre  aux  deniers  :  «  Et  est  assavoir  que  maistre 
Jehan  de  Saint-Just  fera  la  paye,  maistre  Jehan  Clersens  con- 
tera ans  mestiers,  et  Martin  ^Marcel  recevra  et  contera  l'argent, 
tous  sous  la  surveillance  d'Oudart  de  Chambli  '.  n  Le  Journal 
du  trésor  montre  que  tous  les  payements  destinés  à  F  hôtel 
étaient  faits  au  trésor  à  Marcel,  et  marqués  sur  le  compte 
ouvert  au  nom  de  Jean  de  Saint-Just  '.  Quelquefois,  par  excep- 
tion ,  d'autres  officiers  de  la  maison  du  roi  touciiaient  directe- 
ment au  trésor;  ainsi  le  15  avril  1302  Robert  de  Meudon, 
panetier  du  roi,  reçut  des  trésoriers  mille  livres  pour  acheter 
des  nappes  :  ces  mille  livres  furent  inscrites  au  nom  de  Saint- 
Just*. 

La  chambre  aux  deniers  payait  non-seulement  les  gages  des 
officiers  de  l'hôtel,  mais  aussi  les  pensions  que  le  roi  faisait  à 
d'anciens  serviteurs.  Philippe  le  Bel  assigna,  par  son  testa- 
ment, une  rente  viagère  de  deux  cents  livres  à  prendre  en  la 
chambre  aux  deniers,  à  frère  Renaud  son  confesseur*. 

Une  ordonnance  donnée  à  Lorris  en  Câlinais  le  vendredi 
18  novembre,  sans  date  d'année,  mais  que  l'itinéraire  de  Phi- 
lippe le  Bel  permet  d'inscrire  sous  l'année  1310,  porte  que 
l'on  doit  bailler  pour  l'hôtel  du  roi,  par  mois,  quatre  mille 
livres  tournois,  et  pour  riiôlcl  de  madame,  c'est-à-dire  de  la 
reine,  deux  mille  livres". 

1  Lcbcr,  Collection  des  meilleures  dissertations ,  t.  XV^II ,  p.  32. 

2  E  llarlimis  Marcel,  pro  cxpcnsis  liospicii  rogis  8,000  lib.  super  J.  de 
S.  .Iiisto.  -^  Journal  du  trésor,  7  janvier  1300,  fol.  4  r". —  n  Pro  denariis 
traditis  Marfino  Marcel,  pro  cxpcnsis  hospicii  régis,  10,000  lib.  "  Ibid., 
fol.  6  v",  3  février  1300,  etc. 

•^  Journal  du  trésor,  fol.  1301.  —  ù.  Snper  J.  de  S.  Jnsto  in  compufo  suo.  d 
'»  Trésor  des  chartes,  Rcg.  XLIV,  fol.  59.  Jeudi  avant  la  Saint-.André  1314. 
5  Lcber,  p.  30. 


LIVRE  DIXIlhlE.  —  RECETTES  ET  DÉPENSES.  :]?>9 

Une  note  criin  registre  de  la  chambre  des  comptes  apprend 
qu'en  1301  la  dépense  de  riiùlel  s'éleva  à  207,888  1.  14  s. 
10  d.  parisis  '.  La  faible  mon-naie  avait  cours  à  cette  époque; 
en  130.3,  elle  était  prise  seulement  pour  un  tiers  de  sa  valeur 
nominale,  mais  elle  n'avait  pas  atteint  en  1301  ce  deji^ré  d'al- 
tération. En  réduisant  des  deux  tiers  la  somme  exprimant  les 
dépenses  de  l'hôtel  en  1301,  on  opère  une  réduction  peut-être  un 
peu  forte,  mais  qui  ne  doit  pas  être  très-éloignée  de  la  réalité. 
Ces  dépenses,  ainsi  réduites,  s'élèvent  seulement  à  89,296  1. 
4  s.  12  d.  parisis.  Pendant  le  terme  de  la  Chnndeleur  1287, 
les  dépenses  de  l'hôtel  du  roi  furent  de  26,851  1.  3  s.  4  d., 
soit  pour  l'année  80,493  1.  10  s.,  et  celles  de  l'hôtel  de  la 
reine  de  7,642  l.  11  s.  10  d.,  soit  pour  l'année  22,917  1. 
15  s.  6  d.  Dans  les  dépenses  de  l'hôtel  n'étaient  point  compris 
les  achats  de  joyaux  et  les  autres  dépenses  faites  par  l'un  des 
chambellans  du  roi  nommé  argentier. 

Le  savant  éditeur  des  comptes  de  l'argenterie,  M.  Douët 
d'Arcq,  a  prétendu  qu'il  n'y  avait  pas  eu  d'argenterie  avant 
1316^;  c'est  une  erreur.  On  trouve  un  argentier  sous  Philippe 
le  BeP,  et  la  table  de  Robert  Mignon  atteste  l'existence  des 
comptes  de  l'argenterie  à  partir  de  1293  *. 

Quant  au  produit  des  impôts  et  des  recettes  extraordinaires, 
je  vais  essayer  d'en  tracer  le  tableau.  11  sera  très-incomplet, 
mais  je  n'y  admettrai  aucune  évaluation  arbitraire  : 

1295.   Il  y  avait   au  trésor  200,000  liires  :    Bicbet    et   Aîouclict  prêtèrent 

200,000  livres. 
Impôts  sur  les  riches  bourgeois  des  bonnes  villes 

(chiffre  officiel) 630,000 liv. 

Impôt  sur  le  parlement,  la  chambre  des  comptes  et 

les  conseillers  (ch.  offic.) 50,000 

Prêts  et  dons  en  rachat  de  la  maltôte  (ch.  offic.)  .    .  60,000 

Centième  (ch.  offic.) 315,000 

1  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  366. 

2  Comptes  de  l'argenterie,  pour  la  So'iété  de  l'histoire  de  France. 

^  Van  Lokeren,  Histoire  de  Saint-Bacon  de  Gand,  pr. ,  p.  52.  Donation 
faite  en  1314  par  -  Baudouin  Crc.spin,  chambellan  et  argentier  de  Philippe 
le  Bel  . . 

*  Historiens  de  France,  p.  529.  a.  Conipoti  argenferii  seu  camcrœ  aut 
jocalium  rcgum  et  reginarum  ab  0.  Sanctis  1293.  n 

99 


340  LA  l'RAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

1295.  Ciiif|iianli('mp  do  Clinnipajjnc  (th.  offic.) 25,000 

Impôts  (Ml  Liinjjuotloc  et  sur  ios  juifs  (cil.  offic.)    .    .  215,000 

Produit  de   l'altération    des  monnairs   pendant   une 

année  (ch.  onic.) 60,000 

Taille  sur  les  Lombards  (ch.  offic.) (55,000 

Denier  la  livre  payé  par  les  Lombards  en  1295  (ch. 

oflic.) 16,000 

1296.  ('.inquaiitième.  Kvaluation  d'après  1304 565,000 

1297.  Cin(pianlième.                     —                     565,000 

1302.  Cinquantième.  —  565,000 

1303.  Cinquantième.  —  565,000 

1304.  Cinquantième.   Résultat  incomplet  (ch.   offic).  (Le 

centième  de  1295  avait  produit  315,000  livres.)   .  565,000 

1308.   Aide  pour  le  mariaye  d'Isabelle t 

1312.   Aide  pour  la  chevalerie » 

1314.   Cinquantième  (incomplet) 300,000 

Contributions   de   «jucrrc    payées   par  les   Flamands 

(ch.  offîc.) 604,000 

Décimes  ecclésiastiques 5,460,000 

ToTAi,  des  impôts  et  revenus  extraordinaires.      10,625,000  liv. 

La  plupart  des  évaluations  officielles  ne  sont  pas  coniplètcs, 
et  dans  ce  total  ne  sont  compris  ni  le  produit  des  impôts  pour 
la  guerre  d'Aragon,  ni  ceu.x  de  l'aide  pour  le  mariage  d'Isa- 
belle, et  de  la  chevalerie  de  Louis  le  Hutin,  ni  le  produit  de 
l'altération  des  monnaies  après  1296,  ni  le  produit  de  la  con- 
fiscation dos  biens  des  Juifs,  ni  certains  impôts  tels  que  la 
taille  de  Paris,  de  cent  mille  livres,  etc. 

Dix  millions  six  cent  vingt-cinq  mille  livres  tournois,  en 
supposant  que  la  valeur  de  l'argent  soit  quintuple,  ce  qui  n'est 
pas  exagéré,  vaudraient  neuf  cent  cinquante-cinq  millions 
quarante-deux  mille  francs.  On  peut  hardiment,  pour  tenir 
compte  des  sommes  pour  lesquelles  nous  n'avons  aucune  éva- 
luation officielle,  et  déduction  faite  des  contributions  de  guerre 
des  Flamands,  évaluer  a  onze  cents  millions  de  francs  le  produit 
des  impôts  extraordinaires  sous  Philippe  le  Bel. 

Dans  les  dernières  années  de  son  règne,  Philippe  établit 
Enguerran  de  Alarigny  surintendant  des  finances.  Le  19  jan- 
vier 1314  il  adopta  un  nouveau  système  financier,  dans  un 
conseil  réuni  à  Poissy  et  composé  de  ses  fils,  de  ses  frères  et 
de  ses  conseillers  les  plus  compétents  dans  la  matière.  L'or- 


LIVRE  DIXIKME.  —  RECETTES  ET  DÉPEXSES.  341 

donnancc  rendue  à  ce  sujet  est  entièrement  inédite  et  a  une 
haute  importance;  elle  fut  sans  doute  proposée  par  Marigny. 
Elle  établissait  deux  budgets  :  l'un  pour  les  dépenses  ordi- 
naires, la  liste  civile  et  le  payement  des  grands  corps  de  l'Etat, 
des  rentes  sur  le  trésor  et  des  pensions,  etc.;  l'autre  pour  les 
dépenses  extraordinaires.  Au  moyen  âge,  on  avait  pour  règle 
d'assigner  chaque  dépense  sur  une  recette  déterminée.  C'était 
un  moyen  qu'on  pourra  regarder  comme  puéril,  mais  qui  était 
excellent  pour  éviter  les  déGcits.  Les  dépenses  de  la  maison 
du  roi  et  de  la  reine,  fixées  à  soixante-huit  mille  livres  parisis, 
et  les  gages  des  grands  corps  judiciaires,  les  rentes,  pensions, 
frais  de  messages,  qui,  joints  aux  dépenses  de  l'hôtel,  s'éle- 
vaient à  un  total  de  cent  quarante-deux  mille  livres  parisis,  ou 
cent  soixante-dix-sept  mille  livres  tournois,  furent  assignés  sur 
les  revenus  de  la  Normandie  (sauf  le  fouage),  des  sénéchaus- 
sées de  Toulouse,  de  Rouergue,  de  Périgord ,  de  Querci  et  de 
Saintonge,  et  du  bailliage  d'Auvergne,  estimés  à  cent  quatre- 
vingt  mille  livres  tournois.  Les  deniers  provenant  de  ces  pro- 
vinces devaient  être  versés  au  trésor  du  Temple,  qui  fut  exclu- 
sivement chargé  de  fournir  aux  dépenses  ci-dessus,  et  eut  à  sa 
tête  deux  trésoriers  que  le  roi  nomma,  et  qui  prêtèrent  ser- 
ment. Les  recettes  provenant  des  autres  bailliages,  du  fouage 
de  Normandie,  de  Flandre,  des  amendes  du  parlement  et  de 
l'échiquier,  des  émoluments  du  sceau,  des  droits  féodaux  supé- 
rieurs à  mille  livres,  des  droits  de  francs-fiefs,  aides,  forfai- 
tures de  monnaie,  et  les  compositions  ou  transactions  faites 
par  les  baillis  au-dessous  de  mille  livres,  celles  d'un  taux  plus 
élevé  étant  appliquées  au  trésor  du  Temple;  en  un  mot  toutes 
les  recettes  extraordinaires  allaient  au  trésor  du  Louvre, 
chargé  de  fournir  aux  dépenses  imprévues  et  extraordinaires, 
qui  dépassèrent  malheureusement  toute  proportion.  Les  tréso- 
riers du  Louvre ,  au  nombre  de  deux ,  ne  faisaient  de  payements 
que  sur  une  lettre  ou  une  cédule  scellée  du  petit  sceau  du  roi 
représentant  un  lion,  ou  du  signet  d'Enguerran  de  Marigny. 
Les  trésoriers  juraient  de  ne  pas  révéler  avant  deux  ans  l'état 
de  leuis  recettes,  sauf  à  Enguerran  de  xMarigny  ou  par  l'ordre 
du  roi  ' . 

^  Rcg.  LVIl  du  Trésor  des  chartes,  fol.  18. 


342  L^  FRANCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

Je  ne  saurais  mieux  faire  que  de  Iranscrire  ce  précieux 
document,  qui  est  en  français  et  (jui,  contre  l'usage  du  temps, 
est  d'une  grande  clarté. 

Ordonnance  Ji.raiil  Je  budget  des  recettes  et  des  dépenses 
de  lÉtat\ 

(19  janvier  l:îtl). 

(^est  l'ordenance  que  li  rois  Philippe,  père  monseigneur 
qui  ore  est  roy,  fist  à  Poissy  par  le  conseil  de  ses  m  filz,  de 
ses  II  frères,  de  monseigneur  Loys  de  Clcrmont,  de  monsei- 
gneur de  Saint  Pol,  monseigneur  Mahieu  de  Trie,  monseigneur 
Engeiren  de  Alarreigny,  monseigneur  Jehan  de  Grès,  mares- 
chal ,  monseigneur  Harpin  d'Erquery,  monseigneur  Guillaume 
de  Marcilly,  monseigneur  Gille  Granche,  mestre  Jean  de  Damp- 
martin,  maistre  Jean  de  Saint-Just,  Gieffroy  de  Briençon, 
Guillaume  Dubois,  Renaut  Barbon,  Gielfroy  Cocatris,  Martin 
des  Essars,  Baudouyn  de  Roy,  et  maistre  Michiel  de  Bourde- 
ney,  et  fu  faite  la  dite  ordenance  le  samedi  \i\*  jour  de  janvier, 
l'an  de  grâce  mil  ccc  xiii. 

Premièrement  : 

II  est  ordcné  du  trésor  le  roy,  que  Guy  Flourent  et  maistre  (jieffroy  de 
nriençon  seront  cliarj^ié  du  trésor  du  Temple  et  paieront  les  despens  de 
l'ostel  de  roy  qui  furent  estimez  à  c  livres  parisis  par  jour  qui  montent  par 

an 3(5,500  liv.  par. 

El  pour  manteaux  et  robes  de  vales  de  l'ostel 5,000 

Et  pour  bernois  ,  dismes  et  messaigers  envoiez 2,000 

El  pour  veneurs,  archiers,  fauconniers,  maçons,  tbarpen- 

fiers ,  furetiers  et  oiseleurs 3,600 

Et  pour  les  mises  des  maistres  de  l'ostel 2,000 

Et  pour  dons 3,000 

Et  pour  aumosnes,  et  le  conte  de  l'aumosuicr 3,600 

Et  pour  retour- de  cbevaus 3,000 

Et  pour  serjans  d'armes 3,000 

Somme  par  cstiriiacion 60,000  liv. 

*  Le  registre  dont  ce  docnmeni  est  tiré  a  été  rédigé  par  ordre  de  Pbilippe 
le  Long,  et  renferme  plusieurs  ordonnances  sur  l'bôtel  des  rois  de  France, 
à  partir  de  saint  Louis.  V^oyez  Xotices  et  extraits,  n"  m.. 

-  Restor,  remplacement. 


LIVRE  DIXIEME.  —  RECETTES  ET  DEPENSES.  Wi 

[Hôtel  de  la  Reine.] 

Et   pour  l'ostcl  (le   Madame  de  Navarre,  qui  fu    estimé 

\x  IiiTe.s  parisis  par  jour  monte  par  estimaeion  ....  8,000  li\. 

Et  pour  gaiges  de  parlement,  des  comptes  et  despens  de 

l'eschiquier 10,000 

Et  toute  manière  de  messaigcries  par  fout  le  réaumc ,  par 

estimaeion 2,000 

Et  paieront  aussi  tous  les  fiés,  et  les  aumosnes,  deues  sur 
le  trésor,  soit  à  l'héritaige,  à  vie  ou  à  volonté,  par 
estimaeion  de 60,000 

Et  encore  seront-il  chargiez  de  paier  des  gaiges  ou  dons 
assignés  en  Chasteleî,  jusques  à  2,000  livres  parisis  par 
an 2,000 

Somme  142,000  livres  parisis,  valant 177,300 liv.  t. 

Pour  faire  et  acomplir,  il  auront  la  receple  des  v  bail- 
lies  de  Normandie,  sans  le  fouage,  par  estimaeion.  .     100,000 
Item  la  sénécliauciée  de  Thouloiise  ,  Rouergue,  Caoursin  ', 
Pierregort ,  Xanclongc  et  la  ballicc  de  Auvergne  et  de 
Limosin,  et  les  fores-  de  ces  lieus,  par  cstimafiou  de       80,000 

Somme 180,000  livres  tournois. 

Ce  est  le  serment  que  il  ont  fait  faire. 

Il  ont  juré  sur  saintes  Évangiles,  que  il  les  choses  des  sus- 
dites feront  bien  et  loyaument  à  leurs  povers  et  diligaument  et 
le  plus  à  l'enneur  et  au  profit  du  seigneur  que  il  porront,  et 
que  des  autres  choses  que  de  celle  qui  leur  sont  ci-dessus  assi- 
gnées, il  ne  recevront  ne  feront  recevoir  par  eus  ne  par  autres; 
et  se  il  avient  que  eus  ou  autre  pour  eus  en  reçoivent  aucune 
chose  par  ignorance,  si  tost  comme  il  le  pourront  savoir,  il  le 
rendront  entérinement  en  deniers  comptans  à  ceus  qui  sont 
députés  à  ce  recevoir  dont  les  noms  sont  ci-dessouz  nommés. 

Et  dèsorendroit,  il  doivent  délivrer  deniers  en  Tostel  le 
Roys  et  nos  dames  ^  et  les  choses  dessus  dites  paier,  et  on  leur 
laisse  les  dites  receptes  déchargiées.  Et  ne  paieront  riens  des 
deptes  ne  des  arriérages  du  temps  passé. 

1  Querci. 
-  Foires. 

3  Les  brus  du  roi ,  la  reine  de  Navarre  et  les  comtesses  de  Poitiers  et  de 
la  Marche. 


34V  LA  KUAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

Et  pour  toutes  manii-res  de  deptes  paier  que  li  rois  doit 
aujourd'liui,  de  quoy  il  fera  conscience  et  qui  lui  sembleront 
qui  faccnt  à  paier  et  pour  paier,  et  parfaire  les  œvres  du 
Palais,  de  Poissi  et  du  Moncel,  et  du  Chastel  de  Lille  et  pour 
[)aier  les  soudoiers  de  Flandres  sans  guerre, 

Li  roi  a  ordenê  Guillaume  Dubois  et  Baudouyn  de  Roy, 
pour  estre  trésoriers  du  Louvre,  et  doivent  recevoir  foutes 
manières  d'autres  receptes,  c'est  assavoir  toutes  les  baillics  de 
France,  Paris,  Senlis,  Vermendois,  Amiens,  Sens,  Orliens, 
Mascon ,  Bourges  et  Tours,  le  fouaige  de  Normandie  quand  il 
aschevra,  les  senescbiaucées  de  Tîiauquairc,  Carcassonne  et 
Lyon,  la  terre  de  Flandres,  les  comptes  de  Hetel  et  de  Xevers, 
toutes  manières  de  deples  deues  au  roy,  amendes  de  parle- 
ment et  d'escliiquier,  le  émolument  du  seel,  rachas,  quins, 
devoirs  et  forfaitures  par  dessus  mil  livres,  finances  de  fiez, 
l'aide  de  la  chevalerie,  les  forfaitures  de  monnoies,  toutes 
manières  de  composicions,  excepté  les  composicions  de  dessus 
mil  livres  failes  par  les  séneschaus  et  baillis  des  lieus  assignez 
cidessus  aus  trésoriers  du  Temple,  les  quiex  le  trésorier  du 
Temple  recevront,  et  toutes  les  autres  recevront  li  trésorier 
du  Louvre. 

Item  les  lais  fais  au  roy  et  toutes  autres  manières  de  receptes 
extraordinaires. 

Et  ces  receptes  ils  doivent  départir  et  distribuer  selonc  le 
mandement  qui  leur  sera  fais  par  lettres  du  roy  signées  du 
seignet  au  lyon,  ou  du  petit  scignet  monseigneur  de  Marrei- 
gny,  ou  par  cédule  signée  de  l'un  de  ces  ii  signez,  et  non 
autrement. 

Ce  est  le  serement  que  les  diz  Guillaume  et  Baudouin  doivent 
faire  seur  ce. 

Il  doivent  jurer  seur  saintes  Evangiles,  que  les  choses  des- 
sus dites  il  feront  à  leur  povers,  bien  et  loiaument  et  diligau- 
ment,  et  le  plus  au  proffît  et  à  l'onneur  du  seigneur  que  il 
porront,  et  que  des  choses  qui  sont  assignées  aux  trésoriers 
du  Temple  cidessus  nommez  il  ne  recevront  ne  feront  recevoir 
par  eus  ne  par  autres,  et  se  il  avient  que  eus  ne  autres  pour 
eus  en  reçoivent  aucune  chose  par  ignorance  si  lost  comme  il 
le  porroient  savoir  il  le  rendroient  en  deniers  complans  à  cens 


LIVRE  DIXIOIE.  —  RECETTES  ET  DEPENSES.  345 

qui  à  ce  recevoir  sont  députés,  c'est  assavoir  niaistre  Gieffroy 
de  Briençon  et  Guy  Flourent. 

Encore  doivent-il  jurer  que  nulle  délivrance  queles  queles 
soient  il  ne  feront,  se  n'est  par  lettres  de  roy,  sifjnées  de  son 
signet  au  lyon ,  ou  du  petit  signet  monseigneur  de  Marrcigny. 
ou  par  cédule  signée  de  l'un  de  ces  ii  signés. 

Encore  doivent-il  jurer  que  Testât  de  leur  recepte  à  home 
nul  se  n'est  à  monseigneur  de  Marreigny  il  ne  relèveront  décy 
à  II  ans,  se  n'est  ou  cas  que  li  rois  voudroit  que  il  rendissent 
compte  tout  de  plain  et  absoluement,  en  sa  présence,  ou  en 
la  présence  de  i  de  nos  grands  seigneurs  que  li  roy  y  voudroit 
députer,  et  que  les  noms  des  persones  de  qui  les  empruns 
seront  faiz,  il  ne  révéleront  devant  autre  temps. 

Les  devant  diz  maistre  Gieffroy,  Gui  et  Guillaume,  jurèrent 
chascuns  pour  tant  comme  il  li  touche,  en  la  présence  de  mon- 
seigneur de  Marreigni,  monseigneur  G.  de  Marscilly,  monsei- 
gneur Gile  Grandie,  mestre  Jehan  de  Dampmartin,  maistre 
Jehan  de  Saint-Just,  Renau  Barbou,  Gieffroy  Cocatris  et 
maistre  Michel  de  Bourdeney. 


Il  est  bien  à  regretter  que  ce  document  ne  fasse  pas  con- 
naître le  montant  des  recettes  et  des  dépenses  du  trésor  du 
Louvre.  Ainsi,  Philippe  évaluait  lui-même  les  dépenses  de 
l'boiel,  des  grands  corps  de  l'État ,  et  le  payement  des  rentes  à 
cent  soixante-dix-sept  mille  cinq  cents  livres  tournois,  soit  en 
monnaie  moderne,  en  donnant  à  l'argent  cinq  fois  plus  de 
pouvoir  que  de  nos  jours,  quinze  millions  neuf  cent  mille 
francs  (chiffre  rond).  A  ces  dépenses  on  faisait  face  au  moyen 
des  recettes  nettes  de  la  Xormandie  et  des  anciens  domaines 
d'Alphonse,  estimées  cent  quatre-vingt  mille  livres,  soit  dix- 
sept  millions  cent  soixante-treize  mille  francs. 

A  propos  des  rentes  sur  le  trésor,  qui  étaient  payées  par  le 
Temple,  je  ferai  remarquer  qu'elles  étaient  susceptibles  d'être 
transférées  à  des  tiers  par  ceux  qui  les  possédaient,  comme  les 
rentes  modernes  sur  l'Etat,  et  à  des  conditions  plus  ou  moins 
avantageuses  pour  le  vendeur.  Il  y  avait,  en  un  mot,  une  sorte 
de  hausse  et  de  baisse.  Les  transferts  devaient  toujours  être 


346  LA  FRAXCE  SOLS  PHHJPPE  LE  BEL. 

aulorisés  par  le  roi'.  Los  ajjonls  du  priiun,  profitant  de  sa 
faiblesse,  achetaient  à  vil  prix,  ou  même  se  taisaient  donner 
des  renies  sur  le  trésor,  en  récompense  de  leurs  services,  et 
les  faisaient  asseoir  en  terres,  c'est-à-dire  (|ue  pour  cent  livres 
de  rente  le  roi  leur  concédait  en  toute  propriété  une  terre 
produisant  cent  livres  de  revenu,  ou  même  beaucoup  plus, 
mais  (lu'une  connivence  coupable  estimait  au-dessous  de  sa 
valeur -. 

Ce  premier  budget  de  la  monarchie  eut  le  sort  de  la  plupart 
de  ceux  (pii  l'ont  suivi;  les  événements  (b'jouèrent  les  prévi- 
sions les  plus  sages,  les  calculs  les  mieux  combinés.  La  guerre 
vint,  avec  son  cortège  de  dépenses,  entraver  ces  antiques 
essais  de  la  science  financière.  L'établissement  de  deux  trésors 
fournissant,  l'un  aux  dépenses  ordinaires,  l'autre  aux  dépenses 
extraordinaires,  offrait  l'avantage  de  faciliter  la  comptabilité; 
mais  ce  système  ne  survécut  pas  à  Philippe  le  liel  ;  il  fut  em- 
porté par  la  réaction  qui  s'éleva  contre  son  administration  et 
surtout  contre  ses  ministres  ^ 

I  Confiitiialioii  d'une  vente  par  G.,  comte  d'Auxerre,  à  J.  Gencien  pour 
2,200  livres  tournois  d'une  rente  sur  le  trésor  (pas  tout  à  fait  i\  5  [j2).  Or. 
K.  37,  n"  26.  .luiu  1304.  — Jeanne  Ivarle  vend  150  livres  .sur  la  recette  de 
Toulouse  pour  1,200  tournois.  Or.  J.  295,  n='  45  (1305).  —  P.  de  Bruck 
vend  à  Jean  de  Morville  une  rente  de  75  livres  pour  720  livres  (1305). 
J.  149.  Voyez  d'autres  ventes ,  en  1290.  J.  423,  n"  26.  —  En  1297.  J.  149, 
n"  22. —  En  1298.  Fournival,  Trésoriers  de  France,  p.  31,  etc.  Vente  de 
62  livres  de  rente  pour  120  livres. 

-  Voyez  les  plaintes  de  Philippe  le  Lon<{.  Ord.,  t.  I,  p.  665,  1. 

•^  Philippe  le  Long  ordonna  qu'il  n'y  aurait  qu'un  trésor. 


LIVRE   OXZIEME. 

INDUSTRIE    ET    COMMERCE. 


CHAPITRE   PREMIER. 

IXDUSTRIE    \ATI01VALE. 

L'industrie  reste  des  siècles  telle  qu'elle  avait  été  réglée  par  saint  Louis.  — 
Métiers.  —  Monopole.  —  Influence  de  Philippe  le -Bel  sur  l'industrie.  — 
Lois  somptuaircs.  —  Philippe  le  Bel  n'en  est  pas  l'imcntcur.  —  Caractère 
de  ces  lois. 

L'industrie,  qui  avait  reçu  sous  saint  Louis  des  statuts  dont 
le  code  d'Etienne  Boileau  est  le  type  le  plus  complet,  jouissait 
à  la  fin  du  quatorzième  siècle  d'une  grande  prospérité.  Le 
règne  de  Philippe  le  Bel  n'apporta  aucune  modification  à  sa 
constitution,  qui  avait  pour  bases  la  corporation  et  le  métier'. 
Nul  n'était  admis  à  exercer  une  profession  industrielle  sans 
avoir  été  reçu  maître,  après  avoir  donné  des  preuves  de  son 
aptitude.  Dans  les  temps  modernes,  le  nombre  des  maîtres  de 
chaque  corporation  était  limité,  ce  qui  constitujiit  un  mono- 
pole. Il  n'en  était  pas  ainsi  sous  Philippe  le  Bel.  Tout  ouvrier 
reconnu  capable  pouvait  être  admis  à  la  maîtrise  et  tenir  bou- 
tique, à  la  condition  ^'acheter  le  métier,  c'est-à-dire  de  payer 
une  certaine  somme,  dont  une  partie  pour  le  roi  et  l'autre 
versée  dans  la  caisse  de  la  corporation".  Les  fils  de  maîtres 


'  Règlements  des  arts  et  métiers  de  Paris,  etc.,  publiés  par  G.  Depping 
dans  la  Collection  des  documents  inédits. 

2  Voyez  les  statuts  des  lormicrs  (vers  1290)  :  a  Xule  des  ore  en  avant  ne 
puisse  ne  ne  doie  lever  mestier,  ne  commancier  ou  dit  mestier  de  lormerie, 
se  il  ne  l'achate  dou  roy  xx  sols  de  parisis  et  x  sols  aus  mestres,  qui  serons 
rais  el  profit  du  commun  du  mestier.  s  Ordonnances  postérieures  à  1270 
publiées  à  la  suite  des  Statuts  de  Boile/ni,  p.  3fil.  —  Voyez  aussi  l'ordon- 
nance sur  les  fonrbisseurs ,  même  date.  Ibidem,  p.  366. 


3V8  LA  KH.WCK  SOIS  i'HII.IPlM:  J.K  BEL. 

élaienl  exempts  de  cet  impôt,  mais  non  de  rol)li{i[ation  de  jus- 
tifier de  leur  capacité  '.  L'exercice  de  certaines  industries  qui 
n'avaient  pas  été  érigées  en  corporations  était  libre  ". 

Le  nombre  des  corporations  s'accrut  à  la  fin  du  treizième 
siècle,  par  suite  de  l'extension  que  prirent  certaines  brancbes 
d'iiiduslrie  qui  sous  saint  Louis  faisaient  partie  d'un  métier 
plus  important.  C'est  ainsi  qu'en  1201,  les  tailleurs  de  robes 
l'ourrées  furent  autorisés  à  se  retirer  de  la  grande  corporation 
des  tailleurs  de  robes  et  à  former  une  corporation  à  part  ^ 
D'autres  industries,  jadis  libres,  ayant  pris  une  grande  exten- 
sion, formèrent  des  corporations  :  telle  fut  celle  des  brodeurs 
et  des  brodeuses,  dont  le  nombre  s'était  accru  par  suite  des 
progrès  du  luxe  *. 

Les  corporations  se  composaient  des  maîtres,  entre  lesquels 
il  y  avait  solidarité  pour  les  intérêts  communs.  Elles  avaient 
cbacune  leurs  statuts  et  leurs  règlements  qui  devaient  être 
approuvés  par  le  roi,  ou  du  moins  par  son  représentant.  Il 
était  permis  d'apporter  des  modifications  à  ces  règlements;  les 
maîtres  réunis  en  assemblée  générale  arrêtaient  ces  modifica- 
tions, qu'ils  soumettaient  à  l'autorité  qui  les  approuvait  ou  les 
rejetait.  Ces  règlements  déterminaient,  avec  de  minutieux 
détails,  les  rapports  des  maîtres  entre  eux  et  avec  leurs  valets 
et  leurs  apprentis,  et  même  quelquefois  les  procédés  de  fabri- 
cation. 

Le  travail  était  excessivement  divisé  et  les  spécialités  nom- 
breuses. Les  fabricants  de  cbapelels  par  exemple  se  subdivi- 
saient en  plusieurs  corporations  :  les  uns  ne  devaient  faire  que 
des  chapelets  d'os  et  de  corne,  d'autres  d'ivoire  et  de  coquilles  ; 
d'autres  enfin,  d'ambre  et  de  jayet  ^  Un  objet  manufacturé, 
pour  arriver  à  son  entière  perfection,  devait  passer  non-seule- 

1  Statuts  de  Boileau ,  p .  367 . 

-  Ordoiinancps  .sur  les  cscrinicrs,  le  (liiiianchr  (lov;inl  lVi(|iirs  fleuries  J292. 
Statuts  de  lioileau ,  p.  376. 

•'  Statuts  de  Boileau,  p.  '^\~^. 

4  Statuts  de  Boileau,  p.  379.  Sfaluts  snns  ùale,  mais  rédigés  sous  la  pré- 
vole (le  (iiiillaiirnc  de  ttaiijjest  :  or  ce  personnage  était  prévôt  de  Paris 
en  1291.  \n;^ez  p.  375  et  376. 

'•>  Statuts  de  Boileau ,  p.  66,  68  et  71. 


LIVRL  OXZIÈME.  —  IXDUSTRIE  ET  COMMERCE.  .'ÎW 

ment  par  plusieurs  mains,  ce  qui  active  et  facilite  le  travail, 
mais  encore  par  plusieurs  métiers  appartenant  à  des  corpora- 
tions différentes.  L'industrie  de  la  draperie,  qui  prit  sous 
Philippe  le  lîel  un  très-grand  développement,  en  offre  un 
exemple  frappant.  La  laine,  pour  devenir  drap,  devait  être 
remise  d'abord  au  tisserand,  puis  au  foulon,  puis  au  teinturier, 
puis  au  tondeur,  et  avec  quelle  lenteur!  Avec  un  pareil  sys- 
tème, l'industrie  restait  stationnaire;  à  chaque  instant  nais- 
saient des  conflits,  car  chaque  métier  cherchait  à  empiéter  sur 
le  métier  qui  offrait  avec  lui  le  plus  d'affinité.  De  là  des  procès 
sans  fin  que  les  autorités  locales  étaient  impuissantes  à  assou- 
pir, et  dans  lesquels  le  parlement  était  obligé  d'intervenir  '. 

L'industrie  parisienne  était  déjà  sans  rivale  dans  la  produc- 
tion des  objets  de  luxe  et  de  fantaisie;  et  les  vastes  halles  de 
(]hampeaux  offraient  à  leur  étage  supérieur  de  vastes  galeries 
où  se  trouvaient  comme  une  exposition  permanente  de  notre 
industrie  nationale". 

Je  ne  dois  pas  entrer  dans  l'examen  détaillé  de  la  constitu- 
tion de  l'industrie  ;  ma  tâche  se  borne  à  examiner  quelle  a  été 
l'influence  du  gouvernement  de  Philippe  le  Bel  sur  le  travail 
privé.  Ainsi  que  je  l'ai  dit,  ce  roi  ne  fit  que  continuer  l'œuvre 
de  saint  Louis.  Au  reste,  il  paraît  avoir  eu  peu  de  souci  de  ces 
questions  qui  ont  pris  de  nos  jours  une  si  haute  importance. 
L'action  de  l'Etat  ne  s'exerçait  sur  les  corporations  que  pour 
les  surveiller  et  surtout  pour  assurer  le  payement  exact  des 
droits  et  redevances  auxquels  elles  étaient  soumises.  Ce  n'est 
pas  au  moyen  âge  qu'il  faut  supposer  au  gouvernement  l'inten- 
tion et  le  désir  de  protéger  l'industrie  et  d'encourager  l'agri- 
culture; aussi  est-ce  bien  gratuitement  que  l'éditeur  des  statuts 
d'Etienne  Boileau  ,  M.  Depping  ,  a  cru  pouvoir  louer  Philippe 
le  Bel  des  dispositions  libérales  qu'il  prit  à  l'égard  du  com- 

*  Voyez  Varin,  Archkcs  de  Reims,  p.  1071  (Différend  cntro  les  lissc- 
rands  et  les  drapiers  de  Reims).  —  Olim,  t.  II,  p.  436  et  462.  Le  recueil 
des  Olim  renferme  un  grand  nombre  de  décisions  sur  des  contestations  entre 
des  corporations. 

-  Voyez  V Eloge  Je  Paris,  par  un  anonyme,  composé  en  1323,  pulilié  par 
ilM.  Leroux  de  Lincy  et  Tarannc.  (Extrait  du  Bulletin  des  Sociétés  savantes , 
année  1855.) 


3Ô0  LA  KRAXCE  SOLS  PHILIPl'K  LK  BKI,. 

merce'.  Il  permit,  il  est  vrai,  au  mépris  des  droits  des  bou- 
lanj|ors,  à  tout  le  monde  de  l'aire  du  pain;  mais  ce  fut  là  une 
mesure  transitoire,  diclêe  par  la  famine.  Et  il  est  si  vrai  que 
ce  prince  n'accorda  pas  de  liberté  à  l'industrie  et  persista  dans 
les  anciens  errements,  qu'après  son  rèjjne  (M.  Depping  en 
convient  lui-même)  on  retrouve  les  maîtrises  dans  la  jouissance 
de  leurs  anciens  monopoles  et  dans  l'exercice  des  règlements 
qu'elles  s'étaient  donnés.  Il  est  inutile,  pour  expliquer  ce  fait, 
de  supposer  que  ses  successeurs  n'aient  pas  été  à  la  hauteur  et 
ne  se  soient  pas  pénétrés  de  l'esprit  qui  avait  présidé  aux  mesures 
libérales  de  Philippe,  ou  bien  que  la  liberté  accordée  à  l'indus- 
trie fut  reconnue  prématurée.  Philippe  le  Bel ,  on  ne  saurait 
trop  le  répéter,  n'innova  rien  sur  cette  matière  :  il  se  contenta 
de  suivre  les  traditions  qu'il  tenait  de  ses  prédécesseurs  et 
qu'il  transmit  à  ses  successeurs. 

Les  renseignements  que  l'on  trouve  sur  l'industrie  métal- 
lurgique sont  rares  :  on  rencontre  pourtant  la  mention  de 
moulins  à  fer  dans  la  forêt  de  Couches;  d'exploitation  de  mi- 
nerai près  de  Saint-Germer  de  Flaix  ". 

Il  paraît  que  le  droit  d'exploiter  les  mines  ne  pouvait  être 
exercé  qu'en  vertu  d'une  autorisation  du  roi  :  on  peut  du  moins 
le  conjecturer,  d'après  la  permission  accordée  au  comte  de 
Foix  d'exploiter  des  mines  d'alun  dans  son  comté  ^.  En  1299 
on  découvrit  des  mines  d'argent  à  jMonjaux  et  au  Trépadou, 
dans  le  comté  de  Rodez.  Le  comte  les  exploita,  mais  les  agents 
royaux  réclamèrent  le  cinquième  du  produit  :  le  comte  pro- 
testa ,  invoqua  les  anciens  usages  du  pays  que  le  roi  ordonna 
de  respecter  *.  Il  résulte  de  ce  fait,  que  dès  lors  le  gouverne- 
ment prétendit  à  une  part  du  produit  des  mines  exploitées  : 
c'est  le  plus  ancien  exemple  de  cette  prétention  qui  soit 
connu,  et  nous  le  signalons  pour  la  première  fois  \ 

Je  ne  puis  terminer  ce  chapitre  sans  parler  d'une  loi  promul- 

1  Préface  fies  Rcgîetfients ,  p.  Lxwn . 

2  Olim,  1.  m,  p.  T9. 

3  Vaissète,  Histoire  de  Languedoc ,  t.  IV,  p.  78.  En  1294. 

*  Gaujal ,  Histoire  de  Uouergue ,  t.  I,  p.  323,  d'après  la  collection  Doat. 

^  M.  Darcsle  Hiit  remonter  à  Charles  \  I  la  plus  ancienne  intenenfion  de 

l'Etat  dans  l'exploitation  des  mines.  Histoirede  l'administration  ,  t.  II ,  p.  183. 


LIVRE  OXZIKME.  —  IX'DLSTRIE  ET  COMMERCE.  351 

guée  Pli  1294  ',  qui  était  destinée  à  exercer  une  influence 
fâcheuse  sur  l'industrie,  et  qui  a  été,  de  la  part  des  historiens 
modernes,  le  texte  de  violents  reproches  adressés  à  Philippe  le 
Bel.  Il  s'agit  d'une  loi  somptuaire.  C'était  la  plus  ancienne  loi 
de  ce  genre  qu'on  connût,  du  moins  pour  la  troisième  race; 
car  les  Capitulaircs  des  empereurs  carlovingiens  renferment 
plusieurs  ordonnances  destinées  à  réprimer  le  luxe  ;  mais,  il 
faut  le  reconnaître,  Philippe  le  Bel  n'est  pas  l'inventeur  des 
lois  somptuaires,  ainsi  qu'on  le  lui  a  reproché  :  l'odieux  de 
l'invention,  s'il  y  en  a,  ne  peut  donc  lui  être  imputé.  Je  ne 
parlerai  pas  d'une  ordonnance  de  Philippe-Auguste,  qui  régla 
le  costume  des  croisés  :  celte  loi  fut  rendue  dans  des  circon- 
stances particulières,  et  ne  fut  applicable  qu'à  un  nombre  res- 
treint de  personnes'.  On  vient  de  découvrir  un  établissement 
de  Philippe  le  Hardi,  promulgué  au  parlement  de  la  Pente- 
côte 1279,  qui  a  évidemment  servi  de  type  à  l'ordonnance 
de  1294  ^ 

On  a  cru  que  cette  dernière  ordonnance  avait  pour  but  d'em- 
pêcher la  confusion  que  les  richesses  commençaient  à  faire 
naître  entre  les  différentes  classes  de  la  société.  On  a  sans 
doute,  en  portant  de  pareilles  lois,  voulu  maintenir  les  dis- 
tinctions qui  tendaient  de  plus  en  plus  à  s'effacer  entre  la 
noblesse  appauvrie  et  le  tiers  élat  enrichi  par  le  commerce  et 
par  l'industrie  ;  mais  ce  ne  fut  pas  là  le  seul  motif  qui  engagea 
nos  rois  à  faire  des  lois  somptuaires.  Ils  voulurent  arrêter  les 
progrès  du  luxe,  aussi  bien  chez  les  nobles  que  chez  les  rotu- 
riers :  ils  obéissaient  ainsi  aux  conseils  alors  tout  puissants  de 
l'Eglise.  Ils  étendirent  à  tout  le  royaume  les  règlements  parti- 
culiers qui  régissaient  chaque  ville.  En  effet  les  magistrats 
municipaux  faisaient  de  leur  propre  chef  des  règlements  somp- 
tuaires :  on  en  a  de  très-curieux  pour  la  ville  de  jVarbonne  à  la 
fin  du  treizième  siècle  *. 

^  Ord.,  t.  I,  p.  5Vl,  d'après  la  Thauniassière,  dans  son  édition  de  Beau- 
manoir,  p.  371,  qui  lui-même  l'avait  copie  sur  le  livre  noir  du  Cliâlcicf. 

'-  Voyez  Verfot,  Dissertation  sur  les  lois  somptuaires.  Mém.  de  l'Acad.  des 
inscript,  (in-12),  t.  IX,  p.  517  et  suiv. 

^  Bibl.  de  l'École  des  chartes,  3<^  série,  t.  V,  p.  17G,  d'après  le  manu- 
scrit 4968  (fonds  latin)  de  la  Bibl.  imp. 

4  Bibl.  imp.,  collection  Doat,  t.  LI,  p.  13S. 


352  LA  FKAXCE  SOLS  PHILIPI'E  LK  BEL. 

Philippe  le  Uel  ne  fit  donc  qu'imiter  ses  prédécesseurs.  Par 
son  ordonnance  qui  reproduit  en  partie  celle  de  son  père,  il 
fut  interdit  aux  bourgeois  d'avoir  un  char,  aux  bourgeois  de 
porter  du  vair,  du  petit-gris,  de  l'hermine  :  ceux  qui  possédaient 
quelques-unes  de  ces  fourrures  j)roliibécs  durent  s'en  défaire 
dans  un  court  délai.  Ils  ne  purent  j)orter  non  plus  ni  or,  ni 
pierres  précieuses,  ni  couronnes  d'or  et  d'argent.  Les  ducs, 
comtes  et  barons  possédant  six  mille  livres  de  rente  en  terre 
n'eurent  la  faculté  de  se  faire  faire  que  quatre  robes  par  an, 
et  les  prélats  deux. 

L'ordonnance,  après  avoir  minutieusement  réglé  le  costume 
des  différentes  classes  de  la  société,  s'occupe  de  la  table  et 
indique  le  nombre  de  plats  (juc  les  nobles  el  les  bourgeois 
pourront  faire  servir  sur  leur  table,  chacun  suivant  sa  condition 
et  sa  fortune.  Si  l'on  fait  attention  à  la  date  de  cette  ordonnance, 
qui  est  de  l'an  1294^,  c'est-à-dire  au  moment  où  la  France  en- 
trait en  hfjstilités  contre  l'Angleterre,  on  pourra  supposer  que 
Philippe  le  Bel  eut  pour  but,  en  renouvelant  l'ordonnance  de 
son  père,  de  diminuer  les  dépenses  de  la  vie  privée,  pour  avoir 
le  droit  d'exiger  de  plus  forts  impôts  et  en  rendre  la  perception 
plus  facile.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  cette  ordonnance,  qui 
avait  pourtant  pour  sanction  de  fortes  amendes',  ne  fut  pas 
exécutée,  et  que  les  différents  monuments  de  ce  règne  nous 
montrent  les  progrès  rapides  du  luxe  qui  envahit  toutes  les 
classes  de  la  société. 


CHAPITRE    DEUXIEME. 

COMMEKCE    IXTÉRIELR. 

Foires.  —  Foires  de  Ctiampagno.  —  ilarcliés.  —  Autorisation  royale  néces- 
saire pour  rélablisscincnt  des  marchés.  —  Entrai  es  apportées  au  commerce. 
—  Péages.  —  (îrédit  privé.  —  Taux  de  l'intérêt.  —  Lsure. 

Le  commerce  s'exerçait  surtout  au  moyen  âge  dans  les 
nombreuses  foires  établies  à  époque  fixe  dans  chaque  localité 

•  Les  ducs,  conilcs,  barons  et  prélats  qui  tombaient  en  contravention  payaient 
100  livres  tournois;  les  bannercts,  .50  livres;  les  chevaliers  ou  vaiasseurs,  25 
livres,  etc.;  le  dénonciateur  devait  avoir  le  tiers  de  l'amende.  Or^.,  t.  I,  p.543. 


LIVRE  OXZIE:irE.  —  IXDLSTRIE  ET  COMMERCE.  353 

de  quelque  importance.  Les  plus  célèbres  étaient  celles  du 
Landit,  à  Saint-Denis,  et  celles  de  Champagne.  Ces  dernières 
surtout,  qui  se  tenaient  tous  les  deux  mois,  deux  à  Troyes, 
deux  à  Provins,  une  à  Lagny,  une  à  Bar-sur-Aube ,  étaient 
d'une  haute  antiquité,  et  étaient  devenues  au  treizième  siècle 
le  rendez-vous  des  marchands  de  toutes  les  parties  du  l'uni- 
vers \  l'hilippe  les  réglementa  en  1295,  et  les  ouvrit  aux  na- 
tionaux et  aux  étrangers  moyennant  un  droit  d'un  denier  par 
livre  pour  chaque  objet  vendu,  exigible  à  la  fois  du  vendeur  et 
de  l'acheteur^.  Des  magistrats  royaux,  nommés  gardes  des 
foires  de  Champagne,  étaient  chargés  de  connaître  des  con- 
testations auxquelles  donnaient  naissance  les  transactions  con- 
clues pendant  la  tenue  des  foires  :  leurs  sentences  étaient  mises 
il  exécution  dans  tout  le  royaume.  Les  seigneurs  et  les  juges 
royaux  étaient  tenus  de  contraindre  leurs  justiciables  à  remplir, 
à  la  requête  des  gardes  des  foires,  les  engagements  qu'ils  avaient 
pris  aux  foires  de  Champagne  ^  On  pouvait  appeler  des  sen- 
tences de  cette  juridiction  commerciale  aux  grands  jours  de 
Champagne,  et  de  là  au  parlement  "*.  Les  foires  et  marchés  ne 
pouvaient  être  établis  sans  une  autorisation  du  roi.  Un  grand 
nombre  de  ces  permissions  furent  accordées  par  Philippe  le 
Bel  *  ;  elles  étaient  toujours  précédées  d'une  enquête  de  com- 
modo  et  incommodo ,  et  suivies  de  la  prestation  d'une  somme 
plus  ou  moins  forte".  Le  parlement  annulait  quelquefois  les 


1  Sur  les  foires  de  Cliampagne,  voyez  Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes, 
4^  série,  t.  II,  p.  456.  —  D'Arbois,  Histoire  de  Bar-sur-Aube,  p.  57. 
V  Étude  sur  les  foires  de  Champagne ,  que  va  publier  AI.  Bourquelot,  jettera 
un  grand  jour  sur  l'histoire  du  commerce  au  moyen  âge.  —  Sur  le  Landit, 
voyez  Arch.  de  l'Emp.,  K.  931 ,  n"  8. 

2  Arch.  de  l'Emp.,  or.  K.  36,  n°  33.  6  arril  1295. 

3  Olim,  t.  II,  p.  264,  303,  414,  470,  etc. — Voyez  des  exécutoires  des 
gardes  des  foires  en  1296.  Bibl.  imp.,  n"  10312. 

4  Olim,  t.  m,  p.  375. 

s  Les  registres  de  la  chancellerie  offrent  une  infinité  de  concessions  de  ce 
genre.  Voyez  Reg.  XLVII,  n«s  25,  80,  157;  Reg.  XLVIIÎ,  r\^^Z\,  .36,  182, 
183;  Reg.  LU,  n»  17;  Reg.  L,  n»  3. 

6  Voyez  l'original  d'une  enquête  de  ce  genre  au  sujet  d'un  projet  d'éta- 
blissement de  foire  à  Bagnols,  Arch.  de  l'Emp.,  J.  895. 

23 


354  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

concessions  obtenues  sur  un  faux  exposé  et  portant  préjudice 

aux  droits  acquis  de  tiers  '. 

Le  commerce  intérieur  était  entravé  par  une  foule  de  péages 
et  de  tonlieus  placés  à  la  limite  de  chaque  seigneurie.  Toute- 
fois, les  marchands  qui  se  rendaient  à  certaines  foires  franches 
en  étaient  exempts.  Les  difficultés  que  rencontraient  à  chaque 
pas  les  commerçants  pour  exercer  leur  trafic  leur  donnèrent 
l'idée,  dès  le  treizième  siècle,  de  former  de  vastes  associations, 
dont  les  membres,  sans  mettre  en  commun  leurs  intérêts,  se 
prêtaient  un  mutuel  appui.  Les  commerçants  de  Languedoc 
formaient  une  corporation  qui  élisait  un  chef  nommé  capi- 
taine général,  chargé  de  protéger  les  intérêts  de  ses  compa- 
triotes aux  foires  de  Champagne  et  Landit  ^  Bien  que  l'esprit 
d'association,  si  général  au  moyen  âge,  ne  s'appliquât  pas, 
en  matière  de  commerce  ou  d'industrie,  aux  opérations  (|ui 
constituent  la  fabrication  et  le  négoce ,  et  que  l'association 
pour  le  travail  fût  excessivement  rare  en  dehors  des  commu- 
nautés religieuses,  on  peut  cependant  constater,  dès  l'époque 
qui  nous  occupe,  quelques  véritables  associations  commer- 
ciales, imitées  sans  doute  de  l'Italie,  dans  lesquelles  de  grands 
capitaux  étaient  engagés  ^ 

Le  crédit,  qui  est  l'àme  du  commerce,  était  organisé  sur 
des  bases  vicieuses  qui  demandaient  une  prompte  réforme.  Les 
usures  les  plus  criantes  se  commettaient.  Le  prêt  à  intérêt  étant 
défendu  en  principe  par  l'Eglise,  pendant  longtemps  les  prê- 
teurs, exposés  à  être  poursuivis  comme  usuriers,  eurent  recours 
à  la  fraude  pour  se  soustraire  aux  foudres  ecclésiastiques  et 
aux  amendes  qui  en  étaient  la  conséquence.  Ils  éludaient  les 
poursuites,  tantôt  en  stipulant  le  remboursement  de  sommes 
supérieures  à  celles  qu'ils  prêtaient  réellement,  tantôt  en  simu- 
lant une  société  de  commerce  avec  l'emprunteur*.   Le  plus 

»  Olim,  t.  III,  p.  630. 

-  Vaissèlc,  t.  IV,  p.  67. 

•^  Voyez  la  preuve  d'une  association  commerciale  entre  Pierre  de  la  Brocc 
et  Jean  Sarrazin,  tous  deux  chambellans  du  roi,  dans  laquelle  ils  avaient  mis 
plus  de  10,000  livres  tournois.  Or.  Arch.  de  l'Emp.,  carton  de  P.  de  la 
Broce,  J.  759,  n»  159. 

^  Sur  le  prêt  à  intérêt,  \oycz  Delisle,  Etudes  sur  l'agriculture,  p.  195  et 


LIVRE  OXZIÈJIE.  —  IXDL'STRIE  ET  COMMERCE.  355 

souvent,  le  prêt  était  déguisé  sous  la  forme  d'une  vente.  Je 
n'ai  à  m'occuper  ici  que  du  crédit  commercial,  autrement 
j'aurais  encore  à  énumérer  une  longue  série  de  manœuvres 
coupables  qui  avaient  pour  résultat  de  dépouiller  le  petit 
propriétaire  et  le  cultivateur. 

En  1312,  Philippe  le  Bel  fixa  le  taux  de  l'intérêt,  en  dehors 
des  foires  de  Champagne,  à  vingt  pour  cent,  et  aux  foires  de 
Champagne,  à  cinquante  sous  pour  cent  livres,  pour  l'inter- 
valle d'une  foire  à  l'autre,  c'est-à-dire  à  trente  pour  cent  '.  Il 
réprouva  énergiquement  l'usage  de  déguiser  les  prêts  sous  des 
ventes  simulées.  Les  infracteurs  à  cette  ordonnance  furent 
menacés  d'être  condamnés  à  la  perte  du  corps  et  des  biens", 
et  les  débiteurs  invités  à  ne  pas  payer  les  dettes  usuraires, 
mais  à  dénoncer  ceux  qui  auraient  abusé  de  leur  position 
pour  leur  imposer  des  conditions  condamnées  par  les  lois. 
Déjà,  en  1299,  le  roi  avait  défendu  aux  magistrats  judiciaires 
et  municipaux  d'apposer  les  sceaux  de  la  juridiction  volontaire 
aux  contrats  passés  avec  les  juifs  ou  avec  des  usuriers  no- 
toires ' . 


CHAPITRE   TROISIEME. 

COMMERCE    EXTÉRIEUR. 

ilarchands  italiens.  —  Traités  de  commerce.  —  Lettres  de  marque.  — 
Douanes.  —  Origine  du  système  de  protection  de  l'industrie  nationale  par 
la  prohibition  des  importations  et  des  exportations  à  l'étranger. 

En  montant  sur  le  trône,  Philippe  le  Bel  trouva  un  commerce 
actif  entre  les  villes  du  Alidi,  Karbonne,  JVîmes,  Montpellier, 

suiv.  —  Raim.  de  Pennaforti,  Summa  pastoralis,  Catalogue  des  manuscrits 
des  départements,  t.  I,  p.  ()21.  —  Enquête  originale  sur  les  usures  des 
Lombards  à  Xîmes,  fin  du  treizième  siècle.  Trésor  des  chartes ,  J.  3o5. 

1  Rouleau  de  la  cour  des  monnaies  contenant  deux  ordonnances ,  l'une  du 
mois  de  juin,  l'autre  du  mois  de  décembre  1312.  Arcli.  de  l'Emp.,  Z.  2811. 

■^  Ord.,  t.  I,  p.  481. 

3  Ord.,  t.  I,  p.  333.  Voyez,  en  1294,  un  ordre  du  roi  de  ne  pas  con- 
traindre les  débiteurs  à  payer  les  usures  criantes  exigées  par  des  chrétiens. 
Mcsnard,  Histoire  de  Xismes ,  t.  I,  preuves,  p.  126. 

23. 


356  lA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

et  les  villes  d'Italie,  Chypre  et  l'Orient.  Les  cités  manufactu- 
rières du  Xord  enlretenaient  des  relations  avec  la  Flandre  et 
TAlleuiagne.  Les  draps  d'Arras,  de  Provins,  de  Carcassonne, 
les  toiles  de  Reims,  étaient  recherchés  dans  les  pays  étrangers. 
Tous  les  produits  français  affluaient  aux  foires  de  Champaj^ne, 
pour  de  là  se  répandre  dans  toutes  les  parties  du  monde  connu. 
Alais  les  foires  n'étaient  pas  la  seule  voie  qu'eût  l'industrie 
française  pour  écouler  ses  produits.  Un  grand  nombre  d'Ita- 
liens s'étaient  fixés  en  France,  où  ils  tenaient  des  comptoirs  et 
faisaient  la  banque.  Montpellier  avait  été  longtemps  comme 
leur  quartier  général  et  le  centre  de  leurs  opérations  ;  mais 
Philippe  le  Hardi  leur  accorda  la  permission  de  commercer 
librement  dans  le  royaume,  à  condition  de  quitter  cette  ville, 
qui  était  un  fief  du  roi  de  Majorque,  et  de  venir  se  fixer  à 
Mnies,  dans  les  domaines  de  la  couronne  '.  En  vertu  de  cette 
transaction ,  toutes  les  marchandises  venant  d'Italie  durent 
aborder  au  port  d'Aigues-AIortes,  fondé  par  saint  Louis  et 
amélioré  par  son  successeur.  Le  roi  tirait  de  grands  revenus 
de  ce  monopole  '. 

Philippe  le  Bel  veilla  avec  soin  à  ce  que  les  conventions  con- 
clues entre  son  père  et  les  Italiens  fussent  ponctuellement  exé- 
cutées des  deux  côtés  ^  Ses  agents  protégeaient  les  marchands 
lombards  et  leur  faisaient  rendre  justice  par  les  seigneurs  contre 
leurs  débiteurs  \  Au  mois  de  novembre  1205,  il  les  affranchit 
de  toutes  tailles,  collectes,  emprunts,  droits  d'ost  et  de  che- 
vauchée et  de  tout  autre  impôt,  à  condition  de  payer  un  denier, 
obole  et  pite  par  livre  de  toute  marchandise.  Ils  purent  demeurer 
dans  toutes  les  villes  du  royaume,  après  y  avoir  acquis  le  droit 
de  bourgeoisie  *. 

Les  marchands  italiens  établis  en  France  formaient  une  cor- 
poration à  la  tète  de  laquelle  était  un  capitaine  général  élu 

1  Voyez  un  record  de  cour  de  l'an  1288,  Rc^.  XXXIV  du  Trésor  des 
chartes,  fol.  33. 

2  Ord.,  1.  IV,  p.  668.  —  Vaissètc,  t.  IV,  p.  26. 

3  Ord.,  t.  XII ,  p.  420  (en  1288).  —  Mandement  au  sénéchal  de  Carcas- 
sonne  (1297).  Baluzc,  n"  10312,  fol.  4. 

4  Mesnard,  Histoire  de  Xist?ies,  f.  I,  preuves,  p.  117  (1294). 

5  Ord.,  t.  I,  p.  326  (1295). 


LIVRE  OXZIEME.  —  IXDUSTRIE  ET  COMMERCE.  357 

par  eux',  qui  traitait  avec  le  roi  de  puissance  à  puissance,  et 
avait  un  grand  sceau  représentant  un  personnage  assis  sur  un 
trône,  et  de  chaque  côté  une  bourse  *. 

Les  sommes  considérables  qu'ils  payaient  au  roi  en  qualité 
de  marchands  étrangers  firent  souhaiter  à  un  certain  nombre 
d'Italiens  d'être  assimilés  aux  Français,  en  obtenant  des  lettres 
de  naturalité  :  on  a  de  rares  exemples  de  concessions  de  ce 
genre,  qui  devaient  s'acheter  fort  cher*.  Le  commerce  entre 
la  France  et  l'Italie  ne  se  faisait  pas  exclusivement  par  mer  : 
les  communications  entre  ces  deux  pays  étaient  rendues  faciles 
par  une  grande  route  traversant  la  Bourgogne  et  la  Savoie,  et 
le  roulage  était  établi  dans  des  conditions  de  célérité  assez 
satisfaisantes  pour  le  temps,  puisqu'il  ne  fallait  que  trente-cinq 
jours  pour  aller  de  Paris  à  Gênes  *. 

En  1207,  les  marchands  de  Hainaut  furent  admis  à  com- 
mercer en  France,  à  importer  et  à  exporter,  «  sauf  que  les 
droitures  accoustumées  à  payer  des  dites  marchandises  fussent 
entièrement  payées  »  ^  Des  privilèges  furent  accordés  en  1304 
aux  marchands  de  lîrabant  :  ils  purent  entrer  librement  dans 
le  royaume,  acheter  toutes  sortes  de  marchandises  à  condition 
de  payer  les  mêmes  droits  que  les  Italiens  ;  mais  ils  devaient 
s'engager  sous  serment  à  ne  pas  porter  de  produits  français 
chez  les  Flamands,  alors  en  guerre  avec  Philippe  le  Bel.  Ils  prê- 
taient ce  serment  entre  les  mains  du  juge  du  lieu  où  ils  avaient 
fait  leurs  achats  :  ce  juge  leur  remettait  une  attestation  écrite 
qu'ils  étaient  obligés  de  montrer  à  la  frontière  pour  passer 
avec  leurs  bagages.  Si  le  roi  apprenait  qu'un  de  ces  marchands, 
de  retour  dans  son  pays,  eût  vendu  aux  ennemis  des  denrées 
françaises,  contrairement  à  son  engagement,  il  était  en  droit 
de  sommer  les  magistrats  de  la  ville  où  le  coupable  avait  son 

1  Ord.,  t.  XI,  p.  377  (12  mai  1295). 

-  Collection  des  sceaux  des  Arcli.  de  l'Emp. 

3  Voyez  Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes ,  k^  série,  t,  IX,  p.  265.  —  Lettres 
accordées  à  Ant.  Scarampi  ^t  à  Ant.  de  Quarto.  3  septembre  1291.  u  Non 
sustinebimns  quod  ipsi  tanquam  Lombardi  tractentur;  imo  precipimus  ex 
nunc  sicut  burgenses  nostros  reputari,  tractari  et  censeri.  d  Voyez  aussi 
Reg.  XLVI  du  Trésor  des  chartes,  rfi  219  (1312). 

«  Olim.  t.  III,  p.  661. 

5  Ord.,  t.  I,  p.  330. 


358  LA  FHAMCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

domicile,  do  lo  lui  livrer  pour  qu'il  le  [)uuît  :  ce  traité  était 
révocable  à  la  volonté  du  loi ,  mais  l'ahroj^ation  devait  être 
dénoncée  six  semaines  d'avance  aux  intéressés  '.  Ln  traité  de 
commerce  lut  conclu  avec  les  Portugais,  auxquels  on  imposa 
de  débarquer  exclusivement  au  port  d'ilarfleur  ". 

En  général  ces  traités  stipulaient  la  l'acuité  d'importer  et 
d'exporter  toutes  sortes  de  marchandises  en  payant  les  droits 
de  douane  :  ils  accordaient  un  grand  avantage  pour  les  négo- 
ciants étrangers,  celui  de  n'être  pas  arrêtés  en  France  pour  les 
dettes  de  leurs  compatriotes,  car  il  était  alors  de  jurisprudence 
que  lorsqu'un  étranger  refusait  de  payer  une  dette  contractée 
envers  un  Français,  le  gouvernement  prévenait  les  magistrats 
de  la  ville  où  demeurait  le  débiteur,  et  les  engageait  à  faire 
dioit  aux  réclamations  du  créancier.  Si  les  magistrats  refusaient 
de  rendre  justice  au  plaignant  ou  ne  trouvaient  pas  sa  de- 
mande admissible,  le  roi  ordonnait  à  un  bailli  d'arrêter  un  ou 
plusieurs  compatriotes  du  débiteur  infidèle,  et  de  les  faire 
financer  jusqu'à  parfait  payement  de  la  dette.  11  est  bien  en- 
tendu que  ce  droit  de  représailles  était  admis  par  toutes  les 
nations  :  il  prenait  même  les  proportions  les  plus  iniques  et  les 
plus  désastreuses  pour  le  commerce. 

La  Alédilerranée  était  infestée  de  pirates  de  toutes  les 
nations.  Quand  un  vaisseau  avait  été  pillé,  les  propriétaires 
des  objets  volés  se  plaignaient  aux  magistrats  de  leur  ville,  qui 
demandaient  réparation  des  dommages  éprouvés  aux  magistrats 
de  la  cité  à  laquelle  appartenait  le  pirate.  Si  la  satisfaction 
réclamée  était  refusée,  on  accordait  au  plaignant  des  lettres 
de  marque,  qui  lui  permettaient  de  s'indemniser,  en  faisant 
vendre  à  son  profit  les  biens  d'étrangers  appartenant  à  la 
même  nation  (jue  le  pirate,  établis  dans  le  royaume.  Une  espèce 
de  droit  international  s'était  formé  au  treizième  siècle  pour 
fixer  les  délais  après  lesquels  les  lettres  de  marque  pouvaient 
seulement  être  accordées;  mais  ces  règles  étaient  fréquemment 
violées,   et  le  droit   de  marque  devint  à  la  fin   du  treizième 

'  Ord.,  t.  I,  p.  414.  Les  députes  des  villes  de  Brabant  s'engagèrent 
solennellement  à  exécuter  ce  traité.  Reg.  XXXV'  du  Trésor  des  chartes, 
fol.  93. 

2  Olim,  t.  II,  p.  259,  et  I.  111,  p.  573. 


LIVRE  OXZIEME.  —  I.VDISTRIE  ET  COMMERCE.  359 

siècle  un  fléau  pour  les  villes  commerciales  du  raidi  de  la 
France  '. 

Une  série  de  désastres  causés  par  l'exercice  de  ce  droit 
inique  entre  les  habitants  de  Narbonne  et  ceux  de  Barcelone 
fut  l'occasion  d'un  traité  de  Philippe  le  Bel  avec  le  roi  d'Ara- 
gon :  on  convint  qu'aucune  marque  ne  pourrait  être  décrétée 
sans  une  autorisation  royale  et  sans  avoir  été  précédée  de  neuf 
sommations  successives'.  En  1314,  un  concile  réuni  à  Paris 
proscrivit  les  lettres  de  marque  comme  contraires  à  la  religion 
et  à  la  morale  ^ 

L'exportation  des  laines  était  soumise  à  des  droits  excessifs  *. 

En  1303,  Philippe  concéda  aux  deux  frères  Biccio  et  AIus- 
chiato,  naturalisés  sous  le  nom  de  Bichet  et  Mouchet,  le  mono- 
pole de  l'exportation  des  laines  pendant  deux  années.  Les  fer- 
miers vendaient  eux-mêmes  à  d'autres  la  permission  d'exporter, 
et  réalisaient  de  gros  bénéfices  *. 

En  1305,  les  pareurs  de  drap  de  la  sénéchaussée  de  Carcas- 
sonne  se  plaignirent  de  ce  que  les  Italiens  achetaient  en  France 
des  draps  crus  qu'ils  teignaient  en  Italie,  ce  qui  est  le  plus  bel 
éloge  de  l'excellente  qualité  des  draps  français.  Les  fabricants 
du  Alidi  poussèrent  l'aveuglement  jusqu'à  offrir  au  roi  de  lui 
payer  deux  deniers  pour  chaque  pièce  de  drap  de  douze  cannes 
vendue  en  gros,  et  sept  deniers  pour  chaque  pièce  vendue  en 
détail,  à  condition  que  le  roi  défendrait  l'exportation  des 
laines,  toisons,  draps  non  teints,  ainsi  que  des  substances 
propres  à  la  teinture  des  étoffes,  pastel,  garance,  etc.  Philippe 
s'empressa  de  souscrire  à  ces  conditions  qui  lui  assuraient  la 
perception  d'un  nouvel  impôt.  Il  est  vrai  qu'il  se  privait  des 
droits  de  douane  qu'auraient  payés  à  la  sortie  les  matières 
dont  il  venait  de  prohiber  l'exportation;  mais  il  se  réserva 
d'éluder  l'engagement  qu'il  avait  pris*. 

'  Port,  Essai  sur  le  commerce  de  Narbonne ,  p.  90,  91,  144  et  suiv.  — 
Olim,  t.  III,  p.  345. 

•-i  Port,  p.  143.—  Doat,  t.  I,  p.  435. 

3  Diicanye,  \°  Rejjresaliœ. 

*  a  De  passagio  lanarum,  apud  .Andelot  s ,  1298.  Journal  du  trésor,  p.  86. 

5  Or.  .^rcti.  de  l'Emp.,  K.  37,  n"  15. 

6  Ordonnance  de  février  1304  (v.  s.). 


360  LA  FRAXCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

C'est  là  un  fait  d'une  «jranilo  importance  :  jusqu'alors  c'était 
le  gouvernement  qui ,  dans  un  inlérèt  fiscal ,  avait  mis  des 
obstacles  au  commerce  international;  les  droits  de  douanes 
étaient  uniquement  considérés  comme  une  source  de  revenus. 
Sous  Philippe  le  lîcl,  la  pioliibilion  mise  sur  la  sortie  de  cor- 
tains  produits  fut  le  résultat  d'un  système,  de  ce  qui  a  été 
appelé  dans  les  temps  modernes  le  système  de  \di protection.  En 
effet,  le  but  qu'on  voulait  atteindre  était  la  protection  de  l'in- 
dustrie nationale.  Il  y  a  cela  de  remarquable,  que  ce  système 
ne  fut  pas  inauguré  par  l'initiative  du  gouvernement  :  les  res- 
trictions à  la  liberté  du  commerce  furent  imposées  au  nom  et 
sur  la  demande  de  certains  industriels  qui  cherchaient  à 
éteindre  la  concurrence. 

Philippe  le  Bel  ne  paraît  pas  avoir  donné  d'extension  à  ce 
système,  car  il  manqua  même  à  sa  parole,  en  vendant  des 
permis  d'exporter  des  laines  '.  En  1305,  il  défendit  l'exporta- 
tion des  grains,  légumes,  vins,  miel,  poivre,  gingembre, 
sucre,  bestiaux  ,  cuirs,  peaux;  mais  c'était  là  une  mesure  tran- 
sitoire dictée  en  partie  par  une  affreuse  famine,  et  par  la  crainte 
de  la  guerre'.  Philippe,  loin  de  mettre  obstacle  au  commerce 
avec  l'étranger,  le  favorisa,  car  l'institution  des  douanes  qu'il 
perfectionna  enrichissait  le  trésor. 

En  1305  on  créa  un  directeur  général  des  douanes,  sous  le 
titre  de  maître  général  des  ports  et  passages  ;  ces  hautes  fonc- 
tions furent  confiées  à  un  bourgeois  de  Paris,  Geoffroi  Cocatrix  *. 
Il  fut  peu  de  temps  après  placé  sous  les  ordres  de  deux  surin- 
tendants généraux  des  ports  et  passages,  Guillaume  de  Marcilly 
et  Pierre  de  Chalons,  qui  avaient  pour  principale  mission  d'ac- 
corder, conjointement  avec  le  maître  général,  des  permis 
d'exportation  ■*.  Les  surintendants  demeuraient  à  Paris.  On 
établit  toute  une  hiérarchie  d'employés  :  au-dessous  des  surin- 

*  Permission  à  Baldo  Fini  de  Florence  d'emporter  quatre-vingts  balles  de 
laine.  Mars  1310.  Ilcg.  XLV  du  Trésor  des  chartes ,  n"  39.  —  Autre  à  Jean 
Barbadit'o,  pour  mille  deux  cents  balles,  de  quatre  quintaux  chacune  ,  moyen- 
nant 3  livres  10  sous  par  charge.  1308.  Id.,  Reg.  XLII,  fol.  101. 

2  Ord.,i.  I,  p.  422. 

"5  Reg.  XXXV  du  Trésor  des  chartes,  n"  195. 

**  Or.  Trésor  des  chartes ,  J.  3C5,  n"'*  3  et  4. 


LIVRE  OXZIÈAIE.  —  INDUSTRIE  ET  COAIMERCE.  36i 

tendants  et  du  maître  général,  il  y  eut  des  commissaires  pro- 
vinciaux.*, des  visiteurs  ou  inspecteurs  généraux  ^,  des  gardes 
des  passages  assistés  de  sergents  à  pied  et  à  cheval  ^ . 

A  chaque  port  ou  bureau  de  douane  fut  institué  un  cartu- 
laire,  commis  écrivain  qui  tenait  note  des  objets  qui  passaient 
la  frontière*.  Le  18  juin  1209,  les  pouvoirs  des  surintendants 
furent  renouvelés  '\ 

Le  5  octobre  1314  défense  de  transposer  chevaux,  armes, 
blé,  vin,  sans  lettres  patentes®,  cela  pour  empêcher  le  com- 
merce avec  la  Flandre,  toutes  relations  devant  cesser  avec 
les  ennemis.  Cependant  le  roi  ne  prêchait  pas  d'exemple.  La 
famille  royale  ne  pouvait  se  passer  des  somptueux  produits  des 
manufactures  flamandes,  et  faisait  acheter  des  draps  pour  son 
usage,  au  mépris  des  ordonnances  ^  En  résumé,  Philippe  le 
Bel  n'inventa  pas  les  droits  de  douane,  ainsi  qu'on  l'a  pré- 
tendu, mais  il  les  régla  et  chercha  surtout  à  les  rendre  plus 
productifs  pour  le  trésor  :  il  interdit  l'exportation  de  certaines 
matières  à  la  requête  de  l'industrie  française,  moyennant  un 
impôt  payé  par  les  fabricants  au  profit  desquels  cette  mesure 
avait  été  prise.  Quant  à  l'importation  des  produits  étrangers, 
je  ne  vois  pas  qu'elle  ait  été  prohibée  :  ils  payaient  de  forts 
droits  de  douane,  dont  le  fisc  n'aurait  pas  voulu  se  priver  en 
en  interdisant  d'une  manière  absolue  l'entrée  dans  le  royaume. 

11  y  a  plus,  j'ai  été  à  même  de  constater,  d'une  manière 
certaine,  que  sous  ce  règne  les  importations  furent  incompa- 

1  Reg.  XLII  du  Trésor  des  chartes ,  fol.  163.  Ces  commissaires  avaient 
10  sous  de  gages  par  jour  :  c'étaient,  pour  le  Languedoc,  Nicolas  l'Epicier, 
chanoine ,  et  Guillaume  Guiffred. 

-  Voyez-en  la  liste,  Rcg.  XLII  du  Trésor  des  chartes ,  fol.  lOV  ci  105 
(1310). 

•*  Ils  avaient  5  sous  par  jour.  Mandement  du  25  avril  1310.  Reg.  de  la 
chambre  des  comptes,  P.  2289,  p.  132. 

^  Trésor  des  chartes,  Rcg.  XLII,  n"  92. 

5  P.  2289,  p.  132. 

6  Ord.,  t.  I,  p.  54-0. 

■^  it  Henricus  d'Asquc  de  Bruxellis  pro  xxiv  pannis  quos  fecit  duci  Parisius 
ad  opus  doniini  Karoli,  fratris  régis,  tanquam  pannis  de  Flandria  saisilis, 
.571  lib.  pcr  cedulam  a  tergo  littere  régis.  »  10  avril  1298.  Journal  du 
trésor,  fol.  64  r". 


;502  LA  TRAXCE  SOLS  PHILIPPK  LF,  BKI,. 

rahlciiicnt  plus  nombreuses  (juc  les  oxpoiialions  :  on  en  a  la 
pKMive  ol'licielle  dans  un  mémoire  qui  fut  remis  à  Philippe  le 
Long  par  un  des  hommes  spéciaux  qu'il  fit  venir  à  Paris  de 
tous  les  points  de  la  France,  pour  les  consulter  sur  le  système 
lie  monnaies  qu'il  était  convenable  d'adopter.  Les  uns  furent 
d'avis  qu'on  fit  de  bonne  monnaie  ;  d'autres  au  contraire  van- 
liTcnt  l'excellence  de  la  faible  monnaie.  Parmi  les  partisans  de 
la  faible  monnaie,  figurait  un  anonyme  dont  le  mémoire  ori- 
ginal nous  a  été  conservé.  L'auteur  de  ce  mémoire,  entre  plu- 
sieurs raisons  qu'il  donne  à  l'appui  de  son  opinion,  que  la 
bonne  monnaie  passerait  toute  à  l'étranger,  dit  ceci  : 

"  A  ce  que  il  pourront  dire  que  l'on  exporte  plus  de  mar- 
cheandises  du  réaume  de  France  que  l'on  i  aporte,  mal  dient , 
(|nar  nous  n'avons  nule  marchandise  au  réaume  de  France  qui 
lie  viengne  de  hors  le  réaume,  et  encore  excepté  pou  de  draps 
et  de  toiles  qui  pourroient  estrc  pris  au  réaume;  et  encore 
viennent  les  laines  de  liors  le  réaume  en  partie,  et  pou  d'autre 
chose.  Et  ce  puet-on  savoir  par  les  yssues  et  entrées  et  par  ceux 
([ni  en  cuillent  les  coustumes ',  ^ 

11  serait  difficile  de  trouver  une  preuve  plus  claire  de  la 
décadence  complète  de  l'industrie  et  du  commerce  français  à 
la  lîn  du  règne  de  Philippe  le  Bel,  puisque  la  France  n'expor- 
tait rien,  produisait  peu  et  recevait  beaucoup  de  l'étranger.  Ce 
lésullat  n'étonne  pas  quand  on  se  rappelle  les  guerres  presque 
perpétuelles,  les  impôts  multipliés  et  surtout  les  fréquentes  et 
mineuses  mutations  de  monnaie  qui  signalèrent  les  quatorze 
premières  années  du  quatorzième  siècle. 


CHAPITRE    QUATRIÈME. 

.Approvisionnomouts.  —  Disettes.  —  Maxiiiuiiii.  —  Resiillals  de  ce  système. 

Le  morcellement  du   territoire  en  un  nombre  infini  de  sei- 
gneuries,   la    difficulté   dos   commiinicalions ,   le    manque  d*; 

'    i   Hatioiies   illoriun   qui   ccrtant   pro   ilcbili  nioncta.    »    Or.    Trésor  des 
chartes ,  J .  459 ,  n"  24. 


LIVRE  OXZIKMF:.  —  IXDISTRIE  ET  COMMERCE.  363 

moyens  de  transport,  qui  étaient  un  obstacle  au  commerce, 
avaient  la  plus  funeste  influence  sur  l'alimentation  publique. 

L'insuffisance  des  récolles  amenait  dans  certaines  provinces 
de  véritables  disettes  pendant  que  l'abondance  régnait  dans 
des  contrées  peu  éloignées. 

En  effet,  on  ne  connaissait  d'autre  remède  que  de  défendre 
l'exportation  des  céréales.  Ces  prohibitions  étaient  établies 
dans  le  Midi  par  des  assemblées  de  nobles,  de  prélats  et  de 
députés  des  villes';  dans  les  autres  parties  du  domaine,  elles 
étaient  abandonnées  à  l'arbitraire  des  agents  royaux.  En  1301 
un  seigneur  de  Saintonge  ayant  porté  une  de  ces  défenses,  le 
sénéchal,  par  ordre  du  parlement,  le  força  de  la  révoquer'. 
Lorsque  le  manque  de  grains  paraissait  devoir  être  général,  le 
roi  prohibait  l'exportation  pour  tout  le  royaume.  En  novembre 
1302,  Philippe  étendit  cette  défense  à  tous  les  objets  de  con- 
sommation',  il  la  renouvela  plusieurs  fois,  sous  peine  de 
confiscation  \ 

Le  3  août  1303,  il  révoqua  toutes  les  permissions  d'expor- 
ter précédemment  accordées  ^. 

La  même  année ,  il  y  eut  une  grande  abondance  dans  le 
Languedoc  :  à  Xîmes ,  le  setier  de  froment  valait,  au  mois  de 
décembre,  deux  deniers,  et  le  setier  d'orge  un  denier  ^  En 
1304,  nouvelles  défenses  \  La  récolte  avait  manqué  partout: 
dans  le  Nord,  le  setier  de  blé  atteignit  cent  sous  parisis  \  En 
Auvergne,  ce  qui  valait  communément  cinq  sous  se  vendit 
vingt-cinq  sous  '•*. 

1  Bibl.  imp.,  cart.  de  saint  Louis,  p.  127,  128.  Cos  inlordictions  étaient 
provoquées  par  les  magistrats  municipaux.  L'ordonnance  de  1264  déiendait 
d'empêcher  l'exportation  des  blés  d'une  province  dans  l'autre  *  sine  urgenti 
causa,  et  tum  etiam  cum  bono  et  maturo  consilio  non  suspecte,  i  Ibid.,  p.  26. 

•^  Olim,  t.  III,  p.  100. 

•"'  Ord..  t.  I,  p.  351.  Novembre  1302. 

4  17  novembre  1302.  Reg.  XXXV,  n"  33. 

••  Ord.,  t.  I,  p.  381.  —  .Autre,  4  août.  Reg.  XXXV,  n'^  104. 

t»  Mesnard,  Histoire  de  Xismes,  t.  I,  p.  430,  d'après  un  acte  du  prieure 
de  Saint-Bausile  du  mois  de  décembre  1303. 

"  12  mars.  .1.  35,  n"  135. 

^  Historiens  de  France,  t.  XXi ,  p.  139  I). 

^  Sur  les  variations  du  prix  du  blé  au  quatorzième  siècle ,  on  consultera 


364  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

Le  roi  voulut  prendre  des  mesures  pour  mettre  fin  aux  souf- 
frances du  peuple,  souffrances  que  la  voix  publique  attribuait, 
comme  toujours,  à  des  accaparements.  Au  mois  de  février 
1305,  il  prescrivit  à  chacun  de  ne  garder  que  les  grains  stric- 
tement nécessaires  pour  nourrir  sa  famille,  et  de  porter  le  reste 
au  marché.  Des  agents  visitaient  les  maisons  pour  découvrir 
les  provisions  qui  pouvaient  y  être  cachées.  Les  denrées  portées 
aux  marchés  étaient  sous  la  sauvegarde  royale.  On  ne  pouvait 
en  acheter  qu'une  petite  quantité.  Interdiction  de  faire  de  la 
bière.  Cette  ordonnance  fut  exécutée  dans  les  terres  des 
barons  ';  mais  elle  ne  produisit  pas  les  effets  qu'on  en  atten- 
dait. La  cherté  augmenta;  le  prix  du  setier  monta  à  six  livres  *. 

Le  roi  eut  recours  à  une  mesure  désespérée  et  violente  :  au 
mois  de  mars,  il  imposa  un  maximum.  Le  prix  du  setier  des  meil- 
leures fèves  et  de  la  meilleure  orge,  mesure  de  Paris,  fut  fixé 
à  trente  sous  parisis,  celui  du  setier  d'avoine  à  vingt  sous ,  de 
son  à  dix  sous,  de  froment  à  quarante  sous  \  Cette  loi  de  maxi- 
mum produisit  la  famine.  Les  boulangers  fermèrent  leurs  bou- 
tiques, de  crainte  d'être  pillés  *.  Philippe  révoqua  son  ordon- 
nance au  bout  d'un  mois.  Chacun  eut  la  liberté  de  vendre  son 
grain  le  prix  qu'il  voulut,  pourvu  qu'il  ne  fût  pas  excessif \ 
Les  approvisionnements  particuliers  continuèrent  d'être  défen- 
dus sous  peine  de  confiscation,  au  profit  du  roi  dans  le  domaine, 
et  du  seigneur  dans  les  fiefs  des  barons.  La  vingtième  partie 
de  la  forfaiture  appartenait  au  dénonciateur.  On  accorda  aux 
habitants  de  Paris  la  permission  de  faire  du  pain  chez  eux  et 
de  le  vendre  en  payant  un  léger  droit.  Les  boulangers  furent 
surveillés  et  tenus  de  faire  bon  poids  ^.  Toutes  ces  misères 
se  compliquèrent  de  l'infidélité  des  agents  royaux  chargés 
d'empêcher  l'exportation  du  blé  hors  de  la  capitale  et  de  le 

avec  fruit  le  tableau  officiel  placé  à  la  fin  du  premier  volume  de  l'Histoire  de 
Chartres  de  M.  de  l'Épinois. 

1  Ord.,  t.  I,  p.  425. 

-  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  25. 

■»  Ord.,  t.  I,  p.  424. 

^  Historiens  de  France,  p.  25. 

5  Ord.,  t.  I,  p.  426. 

6  Ord.,  t.  I,  p.  427. 


LIVRE  OXZIEAIE.  —  INDUSTRIE  ET  COAniERCE  365 

reclicrcher  chez  les  particuliers;  lesquels  au  lieu  de  distribuer 
aux  boulangers  les  grains  qu'ils  découvraient,  les  expédiaient 
dans  les  provinces,  pour  en  obtenir  un  prix  plus  élevé  '.  On 
fit  plusieurs  exemples.  La  cherté  diminua  sensiblement  devant 
le  rétablissement  de  la  liberté  du  commerce  et  la  fermeté  du 
gouvernement  ^. 

Ne  reprochons  pas  à  Philippe  le  Bel  d'avoir  inventé  les  lois 
de  maximum  :  on  voit  avant  son  règne  des  baillis  fixer  des 
tarifs  pour  les  comestibles  ;  il  ne  fit  que  généraliser  une 
mesure  funeste  qu'il  eut  la  sagesse  de  retirer  dès  qu'il  en 
aperçut  les  inconvénients  ^ . 

1  Olim,  t.  III,  p.  193.  —  Doat,  (.  CLI,  p.  272. 

2  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  25. 

^  Olim,  t.  I,  p.  704  (en  1267).  Plainte  des  marchands  de  Caen  de  ce  que 
le  vin  était  taxé  uniformément  sans  égard  à  la  qualité.  —  Le  parlement 
ordonna  que  tous  les  règlements  sur  la  vente  des  denrées  seraient  coulirraés 
par  le  roi.  Voyez  Olim,  t.  II,  p.  337. 


LIVRE   DOUZIEME. 

ORGAMSATIOX    MILITAIRE. 


CHAPITRE   UIVIQUE  '. 

ARMÉE    DE    TERRE.    MARINE. 

Service  féodal.  —  Ban  et  arrière-ban.  —  Le  service  militaire  devient  une 
obligation  pour  tous.  —  Levées  générales.  —  Levées  de  1302,  1303,  1304. 

—  Défoitc  de  Courtrai.  —  Causes  de  celte  déftutc.  —  Les  prestations  pécu- 
niaires substituées  au  service  personnel.  —  Résultats  de  ce  système.  — 

—  Compagnies  soldées.  —  Service  militaire  dû  par  les  ecclésiastiques.  — 
Désordres  causés  par  les  mouvements  de  troupes.  —  .Approvisionnement  des 
armées.  —  Puissance  militaire  de  la  France.  —  Arsenal  du  Louvre.  — 
Commandants  militaires.  —  Mesures  prises  contre  les  étrangers  en  temps 
de  guerre.  —  Privilège  des  gens  de  guerre.  —  Marine. 

On  se  fait  une  fausse  idée  des  ressources  dont  disposaient  au 
moyen  âge  nos  rois  pour  assurer  la  défense  nationale  :  on  se 
les  représente  comme  réduits  au  service  féodal.  Sans  doute, 
pendant  les  trois  premiers  siècles  de  la  race  capétienne,  le 
service  féodal  fut  la  seule  force  des  années  royales,  mais  ce 
service  n'était  pas  aussi  méprisahle  qu'on  se  le  figure.  Chaque 
seigneur  ne  devant,  il  est  vrai,  rester  sons  les  armes  que  qua- 
rante jours,  et  étant  libre  de  se  retirer  après  ce  délai,  il  en 
résultait  qu'on  ne  pouvait  entreprendre  rpie  de  courtes  expé- 
ditions :  l'indiscipline  de  ces  troupes  et  la  désobéissance  des 
feudataires ,  qui ,  lorsqu'ils  désapprouvaient  le  motif  de  la 
guerre,  restaient  dans  leurs  châteaux,  étaient  encore  un  ob- 
stacle à  toute  entreprise  sérieuse;  mais  il  ne  faut  pas  oublier 

1  Ce  chapitre  sera  peu  développé,  je  renvoie  pour  de  plus  amples  rensei- 
gnements à  mon  ouvrage  intitulé  :  Histoire  de  l'organisation  militaire  de 
la  France  depuis  r origine  de  la  monarchie  jusqu'à  la  révolution ,  auquel 
l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques  a  bien  voulu  décerner  une  de 
ses  récompenses. 


LIVRE  DOLZIÈME.  —  ORGANISATIOX  MILITAIRE.  367 

que  le  roi,  chef  de  la  noblesse,  avait  le  droit  de  convoquer  tous 
ses  vassaux  directs,  qui  amenaient  eux-mêmes  leurs  arrière- 
vassaux,  de  sorte  qu'il  se  trouvait  à  la  tête  de  toute  la  noblesse 
du  royaume. 

Il  y  a  plus,  les  nobles  n'étaient  pas  seuls  appelés  sous  les 
armes.  D'après  le  droit  féodal,  tout  non  noble,  quelle  que  fût 
sa  condition,  devait  aider  son  seigneur  à  défendre  son  fief  et 
souvent  le  fief  du  suzerain.  C'est  en  vertu  de  ce  principe  que 
l'on  vit,  dès  le  onzième  siècle,  les  vilains  grossir  les  armées. 
Au  douzième  siècle,  avec  les  communes  naquirent  les  milices 
communales  commandées  par  les  magistrats  municipaux  et 
marchant  sous  l'étendard  de  la  cité;  Lorsque  la  patrie  était  me- 
nacée, la  noblesse  venait  se  ranger  sous  les  bannières  royales  , 
les  communes  envoyaient  leurs  plus  braves  citoyens,  les  prélats 
amenaient  leurs  plus  robustes  tenanciers  :  le  roi  avait  alors 
sous  ses  ordres  une  armée  formidable.  On  a  de  ce  fait  deiw 
exemples  remarquables  :  le  premier  en  1225,  sous  Louis  VIII, 
quand  l'empereur  Henri  VI  menaçait  la  France  d'une  invasion; 
le  second,  à  la  bataille  de  Bouvines. 

Les  éléments  militaires  furent  perfectionnés  :  le  service  des 
communes  fut  réglé;  sous  Philippe-Auguste',  le  nombre  des 
roturiers  ou  sergents  que  les  villes,  les  seigneurs  et  les  églises 
devaient  fournir  fut  déterminé^. 

Quand  la  royauté  voulut  étendre  son  influence  en  agrandis- 
sant ses  domaines  et  en  devenant  conquérante,  elle  fut  dans 
l'obligation  de  ne  pas  chercher  exclusivement  dans  les  milices 
féodales  un  instrument  pour  l'accomplissement  de  ses  projets. 

Dès  le  douzième  siècle,  les  rois  anglais  avaient  à  leur  solde 
des  routiers  recrutés  parmi  le  peuple  et  la  noblesse ,  qui  obéis- 
saient à  un  chef  choisi  par  eux.  Philippe-Auguste  suivit  cet 
exemple,  et  conquit  la  Normandie  en  partie  avec  des  merce- 
naires placés  sous  la  conduite  d'un  chef  fameux,  nommé  Cadoc  ; 
toutefois,  l'emploi  de  ces  bandes  offrait  de  grands  dangers. 
Licencié  à  la  paix,  quand  on  n'avait  plus  besoin  de  lui,  le 
soldat  était  réduit  à  piller  pour  vivre  et  à  devenir  un  brigand. 

1  Bibl.  inip.,  cartiil.  de  Philippe-Auguste. 

-  Voyez  tes  rôles  publiés  par  Larrorpic ,  Traité  du  ban,  p.  55. 


368  LA  FRAXCE  SOUS  PHILiPPi:  LE  BEL. 

Philippe-Auguste  renonça,  vers  la  fin  de  son  règne,  à  em- 
ployer les  routiers.  Cependant  il  fallait  une  armée  :  les  rois 
engagèrent  les  nobles  à  servir  au  delà  du  temps  féodal,  moyen- 
nant une  indemnité.  Ce  système,  combiné  avec  le  service 
féodal,  suffit  à  saint  Louis,  qui  n'avait  aucune  idée  de  con- 
quête. En  même  temps,  le  service  des  vilains  prit  de  jour  en 
jour  une  plus  grande  importance  '  ;  mais  tout  cela  fut  insuffi- 
sant lorsque  la  royauté  eut  à  soutenir  des  guerres  étrangères, 
qui  se  prolongèrent  pendant  des  années  entières,  et  exigèrent 
la  mise  sur  pied  d'un  nombre  d'hommes  considérable. 

Sous  Philippe  le  Bel,  le  droit  du  roi  d'exiger  le  service  mili- 
taire de  tout  homme  noble  on  non  noble  habitant  le  royaume, 
droit  qui  depuis  le  huitième  siècle  n'avait  existé  qu'en  théorie, 
fut  formulé  de  nouveau  et  accepté.  Le  souverain,  quand  la 
patrie  était  en  danger,  fit  des  levées  générales  sous  le  nom 
d'arrière-ban.  La  valeur  du  mot  arrière-ban  n'a  jamais  été 
bien  définie.  Dans  des  temps  plus  récents,  on  entendait  par  là 
l'appel  des  nobles'.  Plusieurs  textes  du  commencement  du 
quatorzième  siècle  prouvent  que  sous  Philippe  le  Bel  l'arrière- 
ban  s'appliquait  à  la  fois  aux  nobles  et  aux  roturiers.  Fn  1315, 
Louis  X  promit  aux  seigneurs  du  duché  de  Bourgogne  de 
n'exiger  d'eux  ni  de  leurs  hommes  de  service  militaire,  ci  sauf 
pour  l'arrière-ban,  auquel  cas  tout  homme  du  royaume  est 
tenu  de  marcher,  pourvu  que  le  service  militaire  soit  exigé 
dans  toute  l'étendue  du  royaume  ^  i> . 

La  charte  aux  Normands,  accordée  par  le  même  roi,  porte 
que  les  nobles  et  les  roturiers  de  Xormandie,  après  avoir  ac- 
quitté les  services  auxquels  chacun  d'eux  était  astreint,  seraient 
exempts  de  toute  participation  à  la  guerre,  si  ce  n'est  lorsque 
l'arrière-ban  serait  décrété,  en  cas  de  nécessité  urgente,  et 
pour  des  causes  raisonnables*. 

1  Voyez  lo  rôle  des  principaux  feudataircs  avec  l'indication  dos  sergents 
roturiers  qu'ils  devaient  amener  avec  eux  :  Larroquc,  Traité  du  ban,  p.  98. 

~  Larroquc,  Traité  du  ban  et  de  l'arrière-ban,  p.  1  à  15. 

3  a  Xisi  in  casu  rctrobuniii  :  in  qiio  casu  quilibet  de  rcgno  nostro  tenetur, 
tuni  tanien  de  nuindalo  nostro  per  lotuni  regnuni  generaliter  fiât,  s  Ord., 
t.  I,  p.  ;3()9.  Ord.,  t.  I,  p.  369. 

''  Ord.,  t.  I,  p.  588. 


LIVRE  DOUZIÈME.  —  ORGAXISATIOX  MILITAIRE.  309 

En  1302,  Philippe  le  Bel,  qui  pour  lors  assiégeait  Lille, 
ordonna  aux  baillis  «  de  semondre  par  arrière -ban,  toute 
manière  de  gens,  qui  porrpnt  porter  armes,  nobles  et  non 
nobles,  de  pooté  ou  d'autre  condition,  qu'ils  soient  à  la  quin- 
zaine d'aoust  à  Arras  '  ".  Enfin,  au  mois  de  juin  de  l'année 
suivante,  il  écrivit  à  l'évêqiie  d'Auxerre  pour  lui  faire  part  de 
son  intention,  ;i  de  semondre  par  voie  d'arrière-ban,  auquel 
toute  manière  de  gent,  si  comme  vous  savez,  sont  tenuz  à  venir 
sans  nulle  excusation  "  » . 

L'âge  requis  était  de  dix-buit  à  soixante  ans  ^  Le  gou- 
vernement avait  soin  d'établir  ce  que  nous  appellerions  des 
classes  :  on  appelait  d'abord  sous  les  armes  les  habitants  des 
provinces  les  plus  rapprochées  du  théâtre  de  la  guerre.  Ce 
n'était  qu'en  cas  de  péril  urgent  que  l'on  faisait  venir  les 
milices  des  provinces  éloignées  :  c'est  ainsi  qu'en  1303  les 
nobles  et  les  roturiers  de  Languedoc  furent  semons  à  Arras 
pour  marcher  contre  les  Flamands'.  Jusqu'alors,  les  com- 
munes s'appuyaient  sur  leurs  anciens  privilèges  pour  ne  pas 
sortir,  qui  de  la  seigneurie,  qui  de  la  province,  qui  du  royaume. 
Ces  distinctions  furent  effacées  :  un  principe  nouveau  était 
invoqué,  celui  de  la  défense  de  la  patrie.  Je  vais  exposer  en 
quelles  circonstances  Philippe  fît  ces  levées  générales  :  ce  ne 
fut  guère  qu'à  propos  de  la  guerre  contre  les  Flamands. 

En  1302,  on  appela  sous  les  armes  tous  les  nobles  qui 
avaient  soixante  livres  de  rente  et  les  roturiers  possédant  cent 
livres  en  meubles,  ou  deux  cents  livres  tant  en  meubles  qu'en 
immeubles  '\  A  la  fin  de  la  même  année,  on  exigea  le  service 
des  nobles  jouissant  de  quarante  livres  de  rente,  et  des  rotu- 
riers qui  avaient  trois  cents  livres  de  capital.  Ceux  qui  voulurent 

1  Rcg.  XXXVI  (lu  Trésor  des  chartes,  fol,  5  v". 

-  Trésor  des  chartes,  Rcg.  XXXV,  fol.  30  v°. 

•^  s  Xous  vous  mandons  et  commandons  que  vous  mandez  et  commandez  à 
touz  vos  hommes  et  subgez  destroitement  nobles  et  non  nobles,  de  quelque 
condition  qu'il  soient,  qui  auront  aage  de  wiii  anz  et  de  plus  jusques  à  l'aage 
de  LX  anz,  c'est  assavoir,  que  celui  qui  aura  lx  anz  et  non  plus,  il  convendra 
qu'il  soient  aus  diz  jours  et  bien  en  armes,  chascun  selon  sa  condition,  i 
Jeudi  après  l'.Annonciation  1302.  Reg.  XXVI  du  Trésor  des  chartes,  n"  xlv. 

^  Rcg.  XXXV'  du  Trésor  des  chartes. 

5  Ord.,  t.  I,  p.  173. 

24 


370  LA  FRAXCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

rester  dans  leurs  foyers  eurent  la  facullé  de  se  raelieter  moyen- 
nant une  somme  dont  le  taux  ne  fut  pas  fixé,  mais  abandonné 
à  l'arbitraire  des  commissaires  royaux.  En  1303,  les  roturiers 
qui,  non  compris  les  ustensiles  de  leur  hôtel,  avaient  en  meu- 
bles de  cinquante  à  cinq  cents  livres,  ou  un  revenu  en  terre 
de  vingt  livres,  non  compris  le  manoir,  et  tout  noble  ayant 
cinquante  livres  de  rente,  durent  servir  en  personne  pendant 
quatre  mois  ou  se  racheter  :  le  noble  en  payant  la  moitié  de 
son  revenu,  le  roturier  le  cinquantième  de  ses  biens  '. 

Ce  que  Philippe  voulait,  c'était  de  l'argent.  Les  commis- 
saires chargés  de  la  levée  reçurent  l'ordre  d'engager  les  rotu- 
riers à  s'exempter  du  service  personnel  moyennant  finance  ; 
mais  cette  mesure  eut  des  conséquences  inattendues  :  on  man- 
qua d'hommes,  et  le  roi  fut  obligé  de  défendre  de  recevoir  le 
prix  du  service  militaire.  Les  barons  furent  mandés,  "  car 
oncques  ne  fut  si  grand  besoin"  «.  En  1303,  on  modifia  le 
système  suivi  jusqu'alors.  Le  service  fut  fixé  à  quatre  mois;  les 
nobles  durent  servir  en  personne  ou  fournir  un  remplaçant 
ou  payer.  Les  roturiers  furent  tenus  de  fournir  un  certain 
nombre  de  sergents,  ordinairement  six  par  cent  feux.  Ils  les 
équipaient,  les  armaient  et  les  soldaient,  a  Six  sergents  de 
pied,  des  plus  souffisans  et  des  meilleurs  qu'on  pourra  trouver 
es  paroisses  ou  ailleurs,  si  ceux  des  paroisses  n'étoient  pas 
souffisans,  et  seront  armés  de  pourpoins  et  de  haubergeons  ou 
de  gambesons,  de  bacinés  et  de  lances  ;  et  des  six  il  y  en  aura 
deux  arbalétriers  ^ .  « 

Les  roturiers,  dont  la  conduite  avait  été  si  brillante  à  Bou- 
vines,  rendirent  de  grands  services  sous  Philippe  le  lîel  :  ils 
étaient  surtout  aptes  à  combattre  les  milices  flamandes,  com- 
posées de  bourgeois  des  cités.  On  raconte  que  la  noblesse  fran- 
çaise, jalouse  de  l'infanterie  qui  allait  lui  ravir  l'honneur  de 
la  journée,  lui  passa  sur  le  corps  pour  se  précipiter  sur  l'en- 
nemi. On  sait  que  les  chevaliers  tombèrent  dans  des  canaux 
qu'ils  n'avaient  pas  aperçus,  et  y  trouvèrent  la  mort  :  jamais 
la  noblesse  n'avait  éprouvé  un  pareil  désastre.  Les  historiens 

t  Ord..  t.  I,  p.  391. 

-  .Alandcment  du  15  iinùt  1303.  Rcg.  XWV  du  Trésor  des  chartes. 

3  Ordonnance  du  !«''  mai  130'i^.  Xotices  et  extraits,  n°  xxi. 


LU'RE  DOUZIÈAIE.  —  ORGAXISATION  MILITAIRE.  371 

belges  modernes  ont  insulté  ces  vaillants  hommes,  qui  ne 
lurent  pas  vaincus  par  les  Flamands,  mais  qui  périrent  en 
cédant  à  l'entraînement  irréfléchi  de  leur  courage.  L'accusa- 
tion d'avoir  amené  le  funeste  résultat  de  cette  bataille  en  écra- 
sant leur  propre  infanterie  est  malheureusement  fondée  ;  à 
l'aspect  du  carnage  que  les  gens  des  communes  françaises  fai- 
saient des  Flamands,  ils  éprouvèrent  une  émulation  qui  n'était 
pas  exempte  de  jalousie  : 

Seingnors ,  rcjjardcz  à  vos  clz 
Comment  nos  gens  de  pié  le  font. 
Flamens  près  de  dcsconQs  sont. 
Avant,  seingnors,  grans  et  menors. 
Gardez  que  nous  aions  l'cnnor 
Et  le  pris  (le  ccste  bataille. 
Faisons  retraire  la  piétaille , 
Se  ont  très-bien  fet  lor  devoir  1. 

Guillauiue  de  Flote  fut  d'avis  de  laisser  achever  aux  com- 
munes ce  qu'elles  avaient  si  bien  commencé  ;  mais  le  comte 
d'Artois  ayant  fait  une  réflexion  qui  tendait  à  mettre  en  doute 
la  bravoure  et  la  loyauté  du  chancelier,  celui-ci  se  précipita 
sur  les  ennemis,  au  milieu  desquels  il  trouva  la  mort.  Le 
comte  d'Artois  et  les  autres  nobles  crièrent  arrière  aux  gens 
de  pied,  qui,  tout  étonnés  de  cet  ordre,  se  débandèrent  et  se 
retirèrent  en  confusion  ;  plusieurs  furent  même  renversés  par 
la  cavalerie'.  Dans  cette  circonstance,  la  noblesse  française 
n'éprouva  pas,  ainsi  que  le  répètent  les  historiens  belges,  une 
défaite  honteuse.  Celui  qui  sacrifie  sa  vie  pour  l'honneur  est 
respectable,  surtout  quand  il  est  vaincu.  Les  nobles  de  Philippe 
le  Bel  eurent  le  tort  de  se  tromper  d'époque  et  de  se  croire 
encore  au  beau  temps  de  la  chevalerie,  où  les  chevaliers  com- 
battaient les  chevaliers,  et  où  les  batailles  n'étaient  que  de 
grands  tournois.  Ils  avaient  dans  les  Flamands  des  ennemis 

'  Geoffroy  de  Paris,  Chronique  métrique ,  p.  46  et  47. 
-  Guillaume  Guiart,  Branche  des  roijaux  lignages ,  t.  II,  p.  237.  Ce  der- 
nier chroniqueur  prit  part  à  la  bataille. 

Parmi  les  piélons  se  flalissent 
Qu'à  force  de  desiriers  cntreuveiit 
Et  merveilleus  «ombre  en  estreignent. 

24. 


372  LA  FRA\CE  SOUS  jPHILIPPE  LE  BEL. 

qui  à  la  haine  du  roturier  contre  le  noble  joignaient  un  sen- 
timent nouveau,  le  patriotisme,  et  puisaient  une  force  surna- 
turelle dans  le  désir  d'échapper  au  jou<[  dont  on  les  menaçait. 

En  1314,  le  roi  fit  proclamer  que  toutes  manii'res  de  gens 
nobles  et  non  nobles  fussent  en  armes  et  en  chevaux,  chacun 
selon  son  état,  à  Arras,  le  jour  de  Notre-Dame  de  septembre, 
pour  aller  en  l'ost  de  Flandre.  Les  nobles  et  roturiers  purent 
se  racheter'.  En  Champagne,  ceux  qui  possédaient  au  moins 
mille  livres  payèrent  le  cinquantième  de  leurs  biens'. 

Avec  le  produit  des  rachats,  le  roi  payait  des  soudoyers.  Les 
nobles  recevaient  une  solde  proportionnée  à  leur  «jualité. 

En  1294,  Henri  de  Luxembourg,  comte  de  la  Koclie  ,  s'en- 
gagea à  fournir  deux  cents  armures  de  fer  (hommes  d'armes 
cuirassés)  aux  gages  accoutumés,  c'est-à-dire  vingt  sous  pour 
les  bannerets,  dix  sous  pour  les  simples  chevaliers  et  cinq  sous 
pour  les  écuyers  '.  Une  ordonnance  de  la  même  époque  assigne 
le  même  tarif  aux  services  des  nobles  qui  prirent  part  à  la 
guerre  de  Guienne  *.  Les  chevaliers  soudoyés  formaient  de 
petites  compagnies,  ayant  à  leur  tête  un  capitaine  qui  traitait 
avec  le  roi  ^  :  c'était  souvent  le  seigneur  avec  ses  vassaux. 
Outre  leurs  gages,  on  leur  payait  la  valeur  des  chevaux  qu'ils 
perdaient;  leur  solde  était  ordinairement  payée  par  trimestre  *'. 

Les  églises  devaient,  comme  sous  les  Carlovingiens,  envoyer 
à  l'armée  des  chariots  et  des  chevaux  ,  et  en  outre  un  certain 
nombre  de  sergents  proportionné  à  l'étendue  de  leurs  domaines. 
Le  service  personnel  était  même  exigé  de  certains  prélats.  En 
1304,  l'abbé  de  la  Noë  reçut  l'ordre  de  rejoindre  le  roi  à 

1  Instruction  secrète.  Arcli.  de  l'Emp.,  P.  2289,  fol.  164.  Xotices  et 
extraits ,  n**  xli. 

-  Historiens  de  France,  t.  X\I ,  p.  567.  Compte  tic  rcccKes. 

"^  Or.  Trésor  des  chartes,  .1.  608,  n"  6.  Voyez  aussi  les  '{ajies  des  cheva- 
liers pendant  la  <;ucrrc  de  (îascogne,  en  1296.  Compotus  thesaurariorum 
Ltiparœ,  apud  Larroque,  Traité  du  ban,  p.  94. 

4  Ord..\.  XI. 

5  Voyez  quittance  de  V'igncmont ,  1298 ,  —  et  d'Adam  de  Gardenoy. 
K.  37,  n»  5. 

*5  a  Cornes  de  .Foygni,  Joliannes,  pro  se  lx°  armatorum,  w'  iib.  pro  tercio 
quarto,  per  annum  W^  Iib.  — G.  de  Rupe,  miles,  pro  se  x",  pro  codcm 
termino,  335  Iib.,  etc.  »  Journal  du  trésor,  fol.  104. 


LIVRE  DOrzn'aiE.  —  ORGAMSATIOX  militaire.  373 

l'armée,  ainsi  que  ses  prédécesseurs  l'ax^aient  fait  jusqu'alors  '. 
Alais  la  plupart  des  évèques  et  des  abbés  avaient  été  à  diffé- 
rentes époques  déchargés  de  cette  obligation  contraire  aux  lois 
de  l'Eglise. 

Les  mouvements  de  troupes  ne  se  faisaient  pas  sans  causer 
de  grands  désordres  dans  le  royaume  :  les  soudoyers,  en  ren- 
trant dans  leurs  foyers,  pillaient  tout  sur  leur  passage  et  atten- 
taient même  à  la  vie  des  personnes  :  on  vit  la  milice  commu- 
nale de  Castelnaudary ,  revenant  de  la  guerre  de  Flandre, 
mettre  le  feu  à  la  ville  de  Gaillac  et  ravager  les  campagnes 
d'alentour".  Des  malfaiteurs  saisissaient  ce  prétexte  dans  l'es- 
poir d'assurer  l'impunité  à  leurs  méfaits  ;  mais  le  roi  donna 
les  ordres  les  plus  sévères  pour  qu'on  les  châtiât  sévèrement  ^ 
En  1312,  on  fit  un  exemple  terrible  près  de  Bourges;  on  en 
pendit  plus  de  cinq  cents.  Geoffroi  de  Paris  prétend  qu'il  y 
avait  de  la  fa-ute  du  roi  *.  En  effet,  on  faisait  de  grandes  levées  ; 
chacun  dépensait  une  partie  de  son  avoir  pour  s'armer  et  s'en- 
tretenir :  à  peine  l'armée  était-elle  réunie,  qu'on  la  licenciait 
sans  combattre,  remettant  la  campagne  à  une  autre  année,  ou 
bien  l'on  concluait  une  trêve,  Philippe  le  Bel  étant  dans  l'ha- 
bitude de  ne  livrer  bataille  qu'après  avoir  épuisé  la  voie  des 
négociations.  Le  même  chroniqueur  reproche  au  roi  de  mal 
payer  ses  troupes. 

Toutes  poursuites,  soit  au  civil,  soit  au  criminel,  étaient 
suspendues  contre  ceux  qui  étaient  à  l'armée  ^ 

Une  des  grandes  préoccupations  du  gouvernement  était 
l'alimentation  des  armées  en  campagne  :  on  exemptait  de  tous 
péages  les  denrées  qui  avaient  cette  destination.  On  donnait 

'  Reg.  XXXV  du  Trésor  des  chartes ,  n°  lxi. 

2  Olim.  t.  III,  p.  314. 

3  »  Intellecto  quod  quidam  pretextu  paupcrtatis  cui  subjacent  et  quidam 
alii  de  nostro  Flandrcnsi  excrcitu  recedcre  se  fmgcntes ,  dum  per  loca  et  dis- 
trictus  tue  prepositure  transcunt,  plura  dampna,  execssus  et  gravamina  intu- 
Icrunt  et  infcrunt  nonnullis  et...  furta,  rapine,  homicidia  et  alia  delicta 
plurima  de  die  in  diem  perpretantur,  mandamus  tibi.  n  Alercredi  après  la 
Toussaint  1303.  Reg.  XXXVI  du  Trésor  des  chartes,  n»  cli. 

'*  Chronique  métrique ,  p.  175  et  176. 

'  Mandement  en  faveur  de  Bernard  de  la  Voîite ,  13  octobre  1304.  K.  37, 
no  29. 


374  LA  FM\CE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

toutes  facilités  aux  marchands  qui  apportaient  des  vivres  aux 
troupes  '.  Le  gouvcrnonicnt  liii-mèuio  ordonnait  aux  baillis  de 
faire  de  grands  approvisionnements  dans  leurs  provinces,  en 
blé,  lard,  bœufs,  moutons  et  fourrages". 

A  la  tête  de  l'armée  étaient  le  connétable  et  les  maréchaux 
de  France,  au  nombre  de  deux.  Sous  leurs  ordres  étaient  des 
capitaines  préposés  à  des  compagnies  plus  ou  moins  nom- 
breuses. L'infanterie  était  sous  les  ordres  du  grand  maître  des 
arbalétriers.  Les  pays  de  frontières  étaient  soumis  à  l'autorité 
de  commandants  généraux  jouissant  d'une  autorité  presque 
absolue.  L'art  de  disposer  des  troupes  pour  arrêter  l'ennemi 
et  prévenir  des  surprises  n'était  pas  autant  dans  l'enfance  qu'on 
pourrait  le  supposer  :  voici  les  mesures  qui  furent  prises  pour 
mettre  le  royaume  à  l'abri  des  attaques  des  Anglais  et  envahir 
la  Guienne ,  telles  qu'elles  sont  indiquées  par  un  document 
officiel  contemporain. 

En  121)3,  on  envoya  sous  la  conduite  de  Simon  de  Melun , 
maréchal  de  France ,  et  de  Jean  de  Burlas ,  grand  maître 
des  arbalétriers ,  une  armée  pour  garder  les  frontières  de  la 
Guienne.  L'année  suivante  une  grande  armée  fut  dirigée  sur 
les  provinces  méridionales,  sous  la  conduite  du  connétable, 
mais  ce  fut  en  1295  que  la  guerre  prit  de  grandes  proportions. 
Une  grande  armée,  sous  les  ordres  du  comte  de  Valois,  frère 
du  roi ,  envahit  la  Guienne.  En  même  temps  d'autres  corps 
d'armée  furent  échelonnés  le  long  des  frontières  du  Nord 
menacées  par  le  roi  d'Angleterre  et  ses  alliés.  Tout  le  littoral 
de  la  Manche  fut  gardé  et  mis  à  l'abri  d'une  descente.  On 
comptait  six  corps  d'armée  :  l'un  k  Calais  et  à  Boulogne,  sous 
les  ordres  du  comte  d'Antin;  un  autre  à  Abbeville,  sous  la 

1  a  Xoiis  volons  que  .lehans ,  dit  Hugucdicu ,  bourgois  d'Arraz ,  puist 
porter,  coiuluirc  et  mener  ou  faire  porter,  conduire  et  mener...  seurement, 
sans  fraude,  vins,  blcz,  avaines  et  toutes  manières  d'autres  vivres  en  nostre 
est  de  Flandre,  sans  paicr  coustumes,  paages  ne  redevances  autres  de  quel 
condition  que  il  soient,  en  laissant  as  passaiges,  es  quels  les  coustumes  ou  les 
pauges  sont  deu ,  gaiges  de  raporter  certaines  ensaigncs  du  conncslable  ou 
d'un  des  maricliauz  dudit  ost,  etc.  n  Dimanche  après  la  Madeleine  1303. 
Reg.  XXXVI  du  Trésor  des  chartes,  n°  clxi. 

^  Voyez  les  mandements  aux  baillis  pour  faire  des  provisions  de  blé,  vin, 
lard,  huile,  porcs,  etc.  Notices  et  extraits,  n°  xxii  (en  1304). 


LIVRE  DOLZIÏaiE.  —  ORGAXISATIOX  ilILITAIRE.  375 

coiuluile  du  comte  d'Aiinialo.  Le  sire  d'Harcourt  et  Jean  de 
Roiivoy  commandaient  les  troupes  de  Xorniandie;  Fouque  de 
.Melle  et  Hugues  de  Thouars  défendaient  la  Rochelle  et  les 
environs.  Le  sire  de  Chàtillon  protégeait,  avec  une  armée,  la 
Champagne  contre  une  invasion  venant  d'Allemagne  '. 

Les  chefs  de  corps  recevaient  pleins  pouvoirs  pour  traiter 
avec  les  nobles  et  les  roturiers,  et  les  engager  au  service  du 
roi.  Des  pensions  sur  le  trésor  étaient  la  récompense  des  ser- 
vices distingués  '. 

Au  Louvre  était  le  grand  arsenal.  L'artillerie  du  roi  y  était 
déposée  :  on  y  fabriquait  aussi  les  engins  de  guerre  ^. 

Certaines  mesures  étaient  la  conséquence  delà  guerre.  Tous 
les  étrangers  appartenant  à  la  nation  ennemie  qui  se  trouvaient 
sur  le  territoire  français  lors  de  l'ouverture  des  hostilités, 
nobles,  clercs  ou  marchands,  étaient  arrêtés  et  leurs  biens 
saisis  V  Tel  était  le  droit  public  :  les  Français  éprouvaient  le 
même  traitement  de  la  part  des  ennemis  °.  Les  Français  con- 
vaincus d'avoir  quitté  le  royaume  étaient  punis  par  la  confisca- 
tion de  leurs  biens,  car,  disait  le  roi,  il  est  raisonnable  que 
celui  qui  abandonne  sa  patrie  et  refuse  de  contribuer  aux 
charges  communes  soit  exclu  des  fruits  de  la  justice.  Ceux 
mêmes  qu'on  surprenait  en  route  pour  émigrer  étaient  mis 
hors  la  protection  du  roi  °. 

Ln  grand  nombre  de  seigneurs  dont  les  biens  étaient  situés 
en  Flandre  ou  dans  les  provinces  envahies  par  l'ennemi  furent 

1  AIcmoire  anonyme.  Notices  et  extraits,  n"  m,  d'après  l'original.  Trésor 
des  cliartes ,  J.  654,  n"  16. 

-  tt  Le  roi  établit  Gaucher  de  Châtillou,  connétable;  Béraud  de  Mcrcœur, 
Jacques,  sire  de  Béon,  et  Mile  de  Noyers,  maréchal  de  France,  pour  traiter 
à  toutes  manières  de  personnes  à  qui  nous  sommes  tenuz  pour  leur  gages 
acquis  es  cstablics,  et  donne  leur  nosfrc  pooir  de  faire  asscncnicnz  en  nos 
rentes  et  domaines.  -.  20  août  1303.  Rcg.  XXXVI  du  Trésor  des  diarles , 
n»  cvii. 

•'  Journal  du  trésor,  passim.  —  Comptes  de  1299  et  de  1305. 

^  Mandement  du  roi,  dans  Mesnard,  Histoire  de  Xismes ,  t.  I,  preuves, 
p.  4,  133  (28  septembre  1294). 

5  Biens  d'Anglais  conBsqués  en  France,  et  réciproquement.  Olitn.,  t.  III, 
p.  36. 

c  Ordonnance  du  vendredi  avant  la  Saint-Paul  1302.  Bibl.  imp.,  n"  8409, 
fol.  85  v°. 


376  LA  FRA.VCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

riiiiK'S.  liC  roi  lour  accorda  une  iiulcnniilc,  consislant  dans  la 
nioitic  du  revenu  qu'ils  avaient  perdu  pour  les  chevaliers,  et 
le  tiers  pour  les  autres  nobles.  Qucl(|ues  bourgeois  furent 
admis  à  jouir  du  bénéfice  de  ces  indemnités,  (|ui  devaient  être 
prélevées  sur  le  produit  des  prises  et  des  confiscations  des  biens 
des  Flamands  :  en  attendant ,  elles  étalent  assignées  sur  le 
trésor".  Elles  furent  supprimées  à  la  paix,  car  alors  chacun, 
en  vertu  des  traités,  rentra  dans  ses  biens". 

Il  me  reste  à  dire  quelques  mots  de  la  manière  de  faire  la 
guerre  sur  mer.  Le  poëte  Guillaume  Guiart,  dans  un  récit 
d'une  expédition  dirigée  en  1304  contre  Ziericsée,  donne  de 
précieux  détails  sur  la  marine  militaire  au  commencement  du 
quatorzième  siècle  :  à  cette  époque,  la  flotte  de  Philippe  le  Bel 
qui  agit  contre  la  Hollande  se  composait  de  trente-huit  nefs 
ou  gros  vaisseaux ,  et  de  onze  galères,  placées  sous  les  ordres 
de  Renier  Grimaldi,  qui  portait  le  titre  d'amiral..  Des  trente- 
huit  vaisseaux,  huit  étaient  espagnols  :  les  autres  apparte- 
naient au  port  de  Calais  et  aux  ports  de  \ormandie.  Les  nefs 
étaient  crénelées  et  munies  de  châteaux  à  l'avant  et  à  l'arrière. 
La  flotte  portait  dix  mille  sergents.  Les  galères  de  l'amiral 
étaient  à  l'arrière-garde.  Dans  les  châteaux  des  nefs  se  trou- 
vaient des  arbalétriers  qui  lançaient  de  grosses  pierres.  Legrand 
d'Aussy,  qui  a  fait  un  intéressant  commentaire  sur  le  récit  de 
Guillaume  Guiart,  prétend  qu'il  n'y  avait  pas  de  marine  per- 
manente; ([ue  le  roi  s'entendait  avec  des  armateurs  français  et 
étrangers  ,  qui  armaient  en  guerre  des  bâtiments  marchands. 
Ce  savant  suppose  pourtant  que  Philippe  le  15el  possédait  quel- 
ques vaisseaux  ^  Cette  opinion  est  trop  absolue:  des  documents 
inédits  permettent  d'affirmer  (|ue  l'Ktat  avait  une  marine.  On 
en  trouve  la  preuve  dans  un  mémoire  qui  fut  adressé  en  12U6 
au  roi  par  ^(  Beneet  Zacharie,  amiraux  généraux  du  très-excel- 
lentissime  roy  de  France  *»  .  Il  était  question  de  faire  une  des- 

1  Lettres  on  f\ucnr  de  Foulques,  bourgeois  deGand,  août  1302.  Or.  J.  1021. 

2  Ord.,  f.  I,  p.  36. 

3  Mémoires  de  l'Institut  national  ;  Sciences  morales,  t.  II,  p.  ÔO. 

4  II  est  (Hiestion  de  ce  Renoît  Zacharie  dans  le  Journal  du  trésor,  18  mai 
129S,  avec  le  titre  de  admirahhis  narium,  loi.  68  r». —  C'était  un  Génois. 
Voyez  Ducangc,  Histoire  de  Constandnople. 


LIVRK  DOIZIKMK.  —  OHGAXISATIOX  MILITAIRK.  377 

ccnte  en  Angleterre  :  Zacliarie,  consnlté  sur  les  voies  et  moyens 
propres  à  assurer  le  succès  de  cette  entreprise ,  proposa  son 
plan  :  il  résulte  de  ce  document,  qui  renferme  les  plus  curieux 
détails  sur  la  tactique,  que  Philippe  le  Bel  avait  à  lui  apparte- 
nant treize  lissiers  (vaisseaux  munis  de  portes  pour  l'embar- 
quement des  chevaux),  dont  sept  à  Rouen,  cinq  à  La  Rochelle 
et  à  La  Réole,  et  un  à  Calais.  Zacharie  en  possédait  deux  :  il 
proposait  d'en  porter  le  nombre  à  vingt  et  un  en  achetant 
ti  un  grant  ussier  de  marchands  i; ,  et  en  prenant  «  quatre  des 
plus  grandes  galères  du  roy,  hauts  et  larges,  et  ouvrant  les 
parderrière  à  guise  d'ussiers  " . 

Chaque  huissier  pouvait  contenir  vingt  chevaliers  et  leurs 
chevaux,  en  tout  quatre  cents  ;  plus,  quatre  cents  hommes  de 
pied.  Le  convoi  devait  être  accompagné  de  quatre  galères, 
dont  deux  en  sentinelles  et  deux  pour  transporter  les  vivres. 
Zacharie  évaluait  ce  qu'une  pareille  expédition  pouvait  coûter  : 

«  Le  premier  coust  est  les  gages  as  marins  qui  servent , 
environ  4,800  marins  en  2A  ussiers  et  galies  et  en  22  batiaus, 
que  nous  ferons  conte  que  cousteront  le  mois  l'un  par  l'autre 
40  sous  par  mois;  et  bien  que  nous  les  porrions  avoir  por 
35  sous,  mes  nous  leur  entendons  à  donner  tant  par  ii  résons  : 
l'une  est  que  nous  les  armerons  de  meilleur  gent,  et  l'autre 
est  que  nous  n'entendons  à  donner  à  patrons,  ne  à  nochers, 
ne  à  autres  marins  pour  leur  vivre  tant  seulement  pain  et  egue 
(eau),  fèves  et  pois. 

»  Cist  coust  monte  le  mois,  9G00  livres  tournois  :  somme 
pour  3  mois  38,400  livres.  •-■> 

«  Le  secons  coust  est  des  choses  à  vivre ,  et  nous  feurons 
compte  que  li  pain,  les  fèves  et  li  pois  cousteront  pour  la  sou- 
fisance  de  un  homme,  par  un  mois  15  sous  tournois.  •) 

«  Li  tiers  coust  est  les  armeures  3,000  livres. 

»  Le  quart  coust  est  li  apparel  et  les  choses  besogneuses  as 
ussier  et  a  galies,  si  comme  sont  abres,  anthenes,  gnuvernaux, 
voiles,  cordes,  remes  (rames),  5,000  livres.  Somme  toute 
63,800  livres  tournois',  i) 

Différents  comptes  inédits  font  connaître  en  quoi  consistaient 

1  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  456,  n"  36^.  Voyez  le  texte  de  ce  mémoire 
dans  nos  Notices  et  extraits. 


378  LA  FRANCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

l'équipcmont  et  rarnionient  dos  navires;  mais  je  ne  puis  ici 
entrer  dans  ces  délails  par  hop  teclnrupies ,  et  qui  ont  plus  de 
rapport  avec  Tliistoire  de  Tari  militaire  (|u'avec  celle  des  insti- 
tutions '. 

Un  des  principaux  ports  militaires  était  celui  d'Harfleur,  que 
Philippe  le  Bel  avait  acheté  en  121)3  au  comte  de  (iueldre  ^ 

11  y  avait  aussi  en  temps  de  paix  des  flottilles  destinées  à 
protéger  le  commerce  et  qui  étaient  entretenues  aux  frais  des 
marchands. 

Les  commandants  de  ilotte  s'étaient  appelés  amiraux  :  cepen- 
dant il  y  eut  dès  celte  époque  des  amiraux  en  titre  d'office  ^ 

En  résumé,  sous  Philippe  le  Bel,  au  service  personnel  on 
substitua  l'impôt,  ce  qui  constituait  un  grand  pas  vers  la  civi- 
lisation, car  tout  le  monde  y  gagnait  :  les  roturiers  pouvaient 
se  livrer  en  sécurité  au  commerce,  à  l'industrie  ou  bien  à  la 
culture  des  champs;  le  gouvernement,  car  les  levées  géné- 
rales entraînaient  toujours  de  grands  désordres,  les  multi- 
tudes il  peine  armées  et  inhabiles  étant  un  embarras;  tandis 
qu'au  moyen  de  la  prestation  d'un  impôt,  le  roi  était  en 
état  de  solder  une  armée  de  nobles,  qui  par  leur  condition 
étaient  exercés  au  métier  des  armes,  et  de  roturiers  de  bonne 
volonté  tirés  des  milices  communales,  enfin  d'étrangers.  La 
difficulté  ne  fut  pas  de  trouver  de  l'argent ,  mais  de  l'em- 
ployer efficacement  à  organiser  une  bonne  armée  de  merce- 
naires. Philippe  le  Bel  ne  réussit  pas  dans  ces  premières  ten- 
tatives ;  mais  cela  ne  doit  pas  surprendre.  C'était  une  tâche 
difficile  que  celle  d'improviser  de  nombreuses  armées  avec  les 
ressources  insuffisantes  qu'offraient  le  service  féodal  et  les 
milices  communales;  mais  Philippe  s'assura,  pour  faire  face 
aux  périls  imminents,  aux  menaces  d'invasion,  une  ressource 
nouvelle ,  en  ressuscitant  sous  le  nom  d'arrière-ban  les  levées 
en  masse  et  en  proclamant  le  devoir  de  tout  Français  de  porter 
les  armes  pour  la  défense  de  la  patrie. 

1  Voyez  le  roiilpiiu  inlitulé  :  a  C'est  le  enmpte  de  Gyrart  le  Ballelier  pour 
l'armée  île  la  mer,  l'an  de  grâce  1295.  r  Areli.  de  l'Emp.,  K.  3(5,  ii"  23.  — 
Traité  passé  en  1294  avec  Pierre  Delamar.  Trésor  des  chartes,  J.  385, 
n°  12,  etc.  Je  me  reserve  de  fiiire  un  travail  spécial  sur  cet  objet  important. 

■-  Bibl.  imp.,  or.  Chartes  Colbert ,  Philippe  le  Bel,  n"6. 

■^  Renier  de  Grimaldi ,  en  1207.  Reg.  XLI\  ilu  Trésor  des  chartes,  n«  39. 


LIVRE    TREIZIEME. 

POLITIOIE    ÉTRANGÈRE. 


CHAPITRE  PREMIER. 

GUERRE    d'aRAGON. 

(1285-1295). 

Développement  de  la  diplomatie  au  treizième  siècle.  —  Charles  de  Valois 
nommé  roi  d'Aragon  par  le  pape  Martin  IV.  —  Guerre.  —  Le  roi 
Edouard  I*^""  d'Angleterre  interpose  ses  bons  offices.  —  Sa  partialité  pour 
l' Aragon.  —  Alliance  de  Philippe  le  Bel  avec  Sanche,  roi  de  Castille. — 
Traité  de  Tarascon ,  1290.  —  Paix  définitive.  —  Difficultés  à  cause  de  la 
vallée  d'Arran. 

La  dernière  moitié  du  treizième  siècle  vit  jeter  les  premiers 
fondements  du  droit  public  européen  :  les  relations  entre  les 
différents  royaumes  chrétiens,  devenues  de  plus  en  plus  fré- 
quentes par  suite  des  progrès  de  la  civilisation  et  de  l'essor  du 
commerce,  furent  soumises  à  des  règles  communes  :  il  se  forma 
dès  lors  une  sorte  d'équilibre  entre  les  grandes  puissances  qui 
se  partageaient  l'empire  du  monde.  Chacun  prétendit  empêcher 
l'extension  territoriale  de  ses  voisins ,  tout  en  cherchant  à 
s'agrandir  soi-même.  Deux  principales  nations,  la  France  et 
l'Angleterre,  se  surveillaient  d'un  œil  jaloux,  redoutant  l'une 
et  l'autre  l'accroissement  de  sa  rivale.  La  force  des  armes 
n'était  pas  le  seul  argument  auquel  on  eût  recours  pour  étendre 
sa  puissance  et  limiter  celle  d'autrui  :  la  diplomatie,  science 
nouvelle,  mais  portée  déjà  à  un  haut  degré  de  perfection, 
jouait  un  rôle  important;  elle  préparait  d'utiles  alliances,  éta- 
blissait des  liens  de  famille,  excitait  des  antipathies  de  race, 
semait  l'or  à  propos  et  faisait  naître  de  redoutables  coalitions. 

Le  règne  de  Philippe  le  Bel  est  remarquable  par  de  nom- 
breuses négociations,  qui  eurent  pour  but  soit  de  prévenir  des 
guerres,  soit  d'y  mettre  un  terme,  soit  enfin  de  procurer  des 


380  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

accroissoments  do  territoire.  Je  crois  que  rcxposé  sommaire 
des  relations  de  ce  roi  avec  les  puissances  étrangères  offrira 
quelque  intérêt. 

Philippe  le  Hardi  avait  lègue  à  son  fds  la  guerre  contre 
l'Aragon,  entreprise  à  la  sollicitation  du  saint-siège.  On  sait 
comment  la  tyrannie  de  Charles  d'Anjou  en  Sicile  avait  amené 
les  Vêpres  siciliennes  :  don  Pèdre ,  roi  d'Aragon,  avait  été 
choisi  pour  roi  par  les  Siciliens.  Le  pape  Martin  IV'  l'excom- 
munia, prêcha  une  croisade  contre  lui,  et  donna  la  couronne 
d'Aragon  à  Charles  de  Valois,  second  fils  du  roi  de  France. 
Philippe  le  Hardi,  soutenu  par  les  décimes  ecclésiastiques, 
envahit  l'Aragon  avec  une  forte  armée  ;  mais  il  rencontra  les 
plus  grandes  difficultés  dans  un  pays  dont  les  habitants  étaient 
restés  fidèles  à  leur  roi.  Il  prit  pourtant  Girone  après  un 
long  siège;  mais,  forcé  de  repasser  précipitamment  les  Pyré- 
nées, il  tomba  malade  de  la  fièvre  et  mourut  à  Perpignan 
(5  octobre  1285).  Don  Pèdre  ne  lui  survécut  que  de  quelques 
jours  :  il  eut  pour  successeur  en  Aragon  son  fils  Alfonse,  et  en 
Sicile  don  Jaymc.  Le  prince  de  Salerne,  héritier  de  Charles 
d'Anjou,  était  prisonnier. 

Le  nouveau  roi  de  France  avait  des  intérêts  plus  pressants 
que  de  conquérir  une  couronne  à  son  frère  :  il  se  hâta  d'aban- 
donner l'armée.  Les  hostilités  continuèrent,  mais  avec  moins 
d'activité ,  sous  la  direction  du  roi  de  Majorque ,  allié  des 
Français. 

C'était  ordinairement  le  saint-siège  qui,  lorsqu'une  guerre 
éclatait,  cherchait  à  mettre  un  terme  aux  hostilités  et  proposait 
son  intervention.  Dans  le  cas  présent,  le  pape  était  le  promo- 
teur de  la  guerre;  mais  les  droits  de  l'humanité  ne  restèrent 
pas  sans  défenseurs.  Les  fils  du  prince  de  Salerne  avaient  écrit 
une  lettre  touchante  au  roi  d'Angleterre,  Edouard  I",  pour  le 
supplier  de  faire  mettre  en  liberté  leur  père,  son  proche  parent 
et  son  ami  d'enfance'.  Les  barons  de  Provence  s'étaient  asso- 
ciés à  cette  démarche,  qui  fut  bien  accueillie*.  Le  roi  d'Aragon 
se  déclara  prêt  à  des  concessions  ^  Edouard  vint  en  France, 

1  Rymcr,  Fœdera,  t.  I,  p.  GO'»-  (12  mai  1286). 

2  Rymer,  Fœdera,  t.  I,  p.  664. 

3  Rymer,  Fœdera,  t.  I,  p.  665  (3  mai  1286). 


LIVRE  TfiEIZIKMi:.  —  POLITIQUE  ETRAXGÈRE.  381 

eut  une  entrevue  avec  Philippe  le  liel  et  lui  offrit  sa  médiation, 
qui  fut  acceptée  '  ;  une  trêve  fut  conclue  %  sauf  l'approbation 
du  pape  %  et  rendue  exécutoire  immédiatenient  *.  Le  pape  ap- 
prouva la  conduite  d'Edouard,  tout  en  lui  recommandant  de 
ne  pas  sacrifier  les  intérêts  du  roi  de  France  et  du  prince  de 
Salerne,  devenu  roi  de  Naples  par  la  mort  de  son  père  %  et 
dont  la  délivrance  était  l'objet  principal  des  négociations. 

Edouard  ne  se  montra  pas  entièrement  désintéressé  :  il 
voulut  à  la  fois  faire  mettre  en  liberté  son  ami  et  se  faire  un 
allié  du  roi  d'Aragon.  Il  envoya  le  sire  de  Grailly  proposer  à 
don  Alfonse  la  main  d'une  de  ses  filles,  et  une  alliance  in- 
time avec  l'Angleterre.  Il  lui  promit  ses  bons  offices  auprès  du 
pape,  du  roi  de  France  et  du  roi  de  Naples".  Alfonse  accepta 
avec  joie  :  il  eut  une  entrevue  avec  Edouard  à  Oleron  ;  le  ma- 
riage fut  conclu ,  et  la  liberté  de  Charles  d'Anjou  accordée 
moyennant  le  payement  de  cent  mille  marcs  d'argent.  Charles 
devait  jurer  sur  sa  parole  de  roi  qu'avant  trois  ans  il  établirait 
la  paix  entre  l'Eglise  romaine  et  l'Aragon,  et  laisser  pour  otage 
ses  trois  fils  aînés  et  vingt  jeunes  seigneurs  \  Il  fut  mis  en 
liberté  à  la  fin  de  l'année  suivante.  Le  pape  déclara  que  ces 
conditions  ne  lui  plaisaient  pas;  Philippe  le  Bel,  de  son  côté, 
se  plaignait  d'infractions  à  la  trêve,  et  suscitait  toutes  sortes 
d'embarras  à  don  Alfonse.  Il  alla  même  jusqu'à  se  réconcilier 
avec  le  roi  de  Castille,  don  Sanche  %  qui  avait  enlevé  la  cou- 
ronne aux  infants  de  Lacerda,  fils  de  son  frère  aîné  Ferdinand, 
et  de  Blanche,  fille  de  saint  Louis  ;  mais  le  roi  d'Aragon  avait 
à  son  tour  embrassé  la  cause  des  infants,  leur  avait  donné  des 
troupes  et  avait  avec  eux  envahi  la  Castille  ".  Le  roi  d'Angle- 
terre, qui  jouait  le  beau  rôle  et  qui  avait  à  cœur  le  maintien  de 

1  Rymcr,  Fœdera,  t.  I,  p.  667  (12  juillet  1286). 

2  Rymer,  Fœdera,  t.  I,  p.  669  et  670  (25  juillet). 

3  Rymer,  Fœdera,  t.  I,  p.  670. 
*  Rymer,  Fœdera,  t.  I,  p.  670. 

^  Rymer,  Fœdera,  t.  I,  p.  674  (l"^""  mars  1287). 
6  Chronique  de  Muntauer,  t.  II,  p.  33. 

"  Rymer,  p.  677  (27  juillet  1287).  Muntaner  est  très-exact,  t.  II,  p.  41. 
s  Or.  du  traite,  Trésor  des  chartes,  J.  600,  n"  20  (en  1288). 
9  Muntaner,  t.  II,  p.  24.  Cet  auteur  place  mal  l'expédition  des  infants  de 
Lacerda,  avant  le  traité  d'Oleron. 


382  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

la  paix,  intervint  de  nouveau  et  convoqua  à  Perpignan,  en  1200, 
(les  conférences  où  les  ambassadeurs  de  Philippe  et  d'Alfonse 
exposèrent  leurs  griefs'.  Il  fit  plus,  il  amena  en  1291  à  Ta- 
rascon  la  réunion  d'un  grand  congrès,  au(piel  prirent  part  le 
saint-siége,  T Angleterre,  \aples,  l'Aragon,  la  France,  (Charles 
de  Valois,   prétendant  au  trône  d'Aragon.   Les  Aragonais  y 
furent  représentés  par  les  députés  des  cortès,  qui  abandonnè- 
rent solennellement  le  roi  de  Sicile  don  Jayme.  La  paix  fut 
signée*.  Charles  d'Anjou  renonça  à  l'Aragon,  et  reçut  l'Anjou 
et  le  Maine,   qui  lui  furent  donnés  par  le  roi  de  Xaples  ^  Un 
événement  imprévu  vint  compromettre  cet  heureux  résultat  si 
péniblement  obtenu^  :   Allonse  mourut,  et  fut  remplacé  par 
son  frère  Jayme,  le  même  que  le  traité  de  Tarascon  sacrifiait, 
et  qui  réunissait  les  deux  couronnes  d'Aragon  et  de  Sicile  \ 
Ce  ne  fut  que  quatre  ans  après,  en  1205,  que  les  efforts  de 
Nicolas  IV  et  de  Boniface  VIII  amenèrent  une  paix  définitive'*. 
Charles  de  Valois  renonça,  non  sans  peine,  à  ses  prétentions 
sur  l'Aragon,  et  don  Jayme  à  la  Sicile '.  Une  seule  difficulté 
restait  au  sujet  de  la  vallée  dArran,  que  Philippe  le  Bel  pré- 
tendait lui  appartenir^.   Les  deux  rois  convinrent  de   mettre 
l'objet  du  litige  en  séquestre  entre  les  mains  du  roi  de  Majorque, 
puis  entre  celles  du  pape '\  jusqu'à  ce  qu'une  enquête  contra- 
dictoire eût  fait  connaître  quel  en  était  le  propriétaire  avant  la 
guerre.  Les  ciioses  traînèrent  en  longueur,  car,  en  1308,  Phi- 
lippe désigna  plusieurs  commissaires  pour  se  rendre  sur  les 


•  Rymor,  t.  II,  p.  726  (18  février  1291). 

2  Muntancr,  t.  II,  p.  57.  Les  flépiités  étaient  au  nombre  de  douze  :  deux 
riches  hommes,  quatre  clievaliers,  deux  liommcs  de  loi,  deux  citoyens  et 
deux  bourgeois. 

3  Rymer,  t.  II,  p.  744  (9  février  1291). 

'^  Cliarics  de  Valois  reprit  ses  droits  :  voyez  les  pouvoirs  (pi'il  donna 
en  1292  i\  Eusfaclic  de  Conflans  pour  recevoir  riionimagc  de  ses  villes 
d'Aragon.  Or.  Trésor  des  chartes ,  J.  587,  n°  17. 

^  Fin  1293,  Charles  promit  de  s'en  rapporter  à  la  décision  du  pape.  Or. 
J.  587,  n°  18. 

c  Traité.  J.  589,  n"  10. 

'  Or.  de  la  renonciation  de  Charles  de  Valois.  J.  587,  n°  19. 

8  Lettre  de  Boniface  VIII.  .1.  715,  n"  22. 

^  Baluze,  Vita  j}aparum ,  t.  Il,  p.  37. 


LIVRE  TREiZIÈAIE.  —  POLITIQUE  ÊTRAXGÈRE  383 

lieux  et  procédera  rcnqiiête  ordonnée  par  le  traité  '.  Quand  il 
mourut,  la  question  n'était  pas  encore  réglée^. 

Cette  longue  guerre  d'Aragon  n'avait  donc  eu  d'autre  résultat 
pour  la  France  que  de  lui  coûter  de  grands  sacrifices.  Philippe 
paraît  avoir  eu  un  instant  la  pensée  de  revendiquer  le  Rous- 
sillon  et  la  Cerdagne;  mais  il  dut  renoncer  à  ce  projet,  dont 
l'exécution  demandait  à  être  précédée  de  victoires  plus  signa- 
lées que  celles  qui  avaient  marqué  l'expédition  commencée 
par  Philippe  le  Hardi  contre  T Aragon  '.  Les  conquêtes  à  main 
armée  n'étaient  pas  son  fait:  ce  qu'il  voulait  surtout,  c'était 
donner  à  la  France  ses  frontières  naturelles,  et  les  négociations 
étaient  à  ses  yeux  le  moyen  le  plus  sûr  pour  arriver  à  ce  but. 


CHAPITRE  DEUXIEME. 

GUERRE    DE    VALENCIENNES. 

Histoire  rapide  des  variations  dos  frontières  du  royaume  de  France  dn  côté 
de  l'Empire.  —  Le  Hainaut  et  l'Ostrcvcnt.  —  Insurrection  des  habitants 
de  Valcncicnncs  contre  le  Hainaut.  —  Ils  se  prétendent  Français.  —  Ils 
adressent  un  mémoire  au  roi  pour  le  prouver.  —  Philippe  les  soutient 
contre  l'Empereur. —  Le  comte  de  Hainaut  contraint  de  céder. — L'Ostrevent 
déclaré  français. 

Le  point  de  départ  de  la  géographie  politique  du  monde 
moderne  est  dans  le  traité  de  Verdun  (843),  qui  consacra  le 
démembrement  de  l'empire  de  Charlemagne.  Alors  les  diffé- 
rents peuples  que  ce  grand  génie  avait  voulu  faire  vivre  d'une 
vie  commune,  revendiquèrent  leur  liberté  et  leur  individualité. 
Les  races  italienne,  gallo-franque  et  teutonique  se  séparèrent 
violemment  pour  avoir  leur  existence  à  part  :  chacun  des  fils 
de  Louis  le  Débonnaire  se  mit  à  la  tète  d'une  nationalité.  Louis 
eut  l'Allemagne,  Charles  le  Chauve  la  France,  Lothaire  l'Italie 

1  Lettres  patentes.  Trésor  des  chartes,  Reg.  XLII,  n"  ex. 

2  Voyez  au  Trésor  des  chartes,  J.  588,  n»  29,  une  liasse  relative  à  cet 
objet. 

■^  Voyez  un  mémoire  pour  prouver  que  la  Cerdagne  et  le  Roussillou  appar- 
tenaient à  la  France.  Trésor  des  chartes ,  J.  594,  n"  22. 


384  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPi:  LE  BEL. 

et  une  largo  bande  de  terrain  entre  les  royaumes  de  ses  deux 
auties  frères.  Le  royaume  de  Charles  le  Chauve  fut  borné  au 
nord  par  la  Alanche,  à  l'ouest  par  l'Océan,  au  sud  par  les 
Pyrénées  et  par  le  cours  inférieur  de  l'Kbre,  à  l'est  par  l'Es- 
caut, la  Aleuse,  la  Saône  et  le  Hhone  '.  Telle  fut  l'origine  du 
royaume  de  France ,  dont  les  frontières  étaient  encore ,  lorsque 
Philippe  le  Bel  monta  sur  le  trône,  à  peu  près  les  mêmes  que 
quatre  siècles  et  demi  auparavant.  Du  côté  de  l'Espagne,  le 
comté  de  Barcelone,  au  delà  des  Pyrénées;  et  en  deçà,  le 
Roussillon,  la  Cerdagne,  le  Lampourdan  et  le  comté  de  Vie, 
qui  n'étant  rattachés  par  aucun  lien  à  la  France ,  furent 
incorporés,  au  douzième  siècle,  au  royaume  d'Aragon,  dont 
ils  étaient  voisins'.  Saint  Louis  renonça  solennellement  à  ses 
droits  sur  ces  provinces^. 

Après  plusieurs  partages  successifs,  le  royaume  de  Lothaire 
avait  fini  par  être  réuni,  ainsi  que  la  dignité  impériale,  au 
royaume  de  Germanie  :  cette  union  était  consommée  lors  de 
l'avènement  de  la  dynastie  capétienne.  Philippe  le  Bel  eut  pour 
préoccupation  constante  de  reculer  les  limites  de  son  royaume 
et  de  les  porter  jusqu'au  Rhin  ;  ce  désir  fut  un  des  mobiles  de 
sa  politique  extérieure;  il  mit  tout  en  œuvre  pour  le  réaliser, 
et  s'il  n'y  réussit  pas  entièrement,  il  put  s'applaudir  d'avoir 
frayé  le  chemin  et  préparé  l'extension  future  de  la  France. 

A  l'orient,  les  limites  du  royaume  étaient  des  fleuves;  mais 
cette  délimitation,  toute  rigoureuse  qu'elle  paraisse,  donna 
naissance  à  plusieurs  contestations  entre  la  France  et  l'Empire, 
car  il  arrivait  souvent  que  le  territoire  d'une  ville  située  sur  la 
frontière  s'étendait  des  deux  côtés  du  fleuve  qui  séparait  les 
deux  Etats.  C'est  ce  qui  arriva  pour  Yalenciennes,  ville  assise 
sur  l'Escaut  et  dont  les  deux  parties  sont  unies  par  des  ponts  : 
l'une  de  ces  parties  était  du  royaume  de  France,  l'autre  dépen- 
dait de  l'Empire.  La  partie  du  royaume  de  Lothaire  située  à 

'  Xitliard,  Diichcsne,  t.  III,  p.  374.  Conf.  Duniy,  Géographie  politique 
de  la  Fra/ire,  p.  127  et  suiv. 

-  En  1137,  par  le  mariage  de  Raimond  Bérenger,  comte  de  Barcelone, 
avec  dona  Lrraca  :  Marca,  Marca  hispanica ;  Instrum.,  p.  1284. 

3  En  1258.  Ibid.,  p.  1444.  Vaissète,  Histoire  générale  du  Languedoc, 
t.  IV,  preuves,  col.  47. 


LIVRE  TREIZIÈME.  —  POLITIQUE  ÉTRAXGÈRE.  385 

droite  de  l'Escaut,  était,  il  est  vrai,  retournée,  après  la  mort 
de  Lofliaire,  à  Charles  le  Chauve,  et  avait  passé  ensuite  à 
Charles  le  Simple;  mais  cehii-ci  l'avait  cédée,  en  921,  à  Henri 
l'Oiseleur,  et,  en  980,  le  dernier  carloving.ien,  Lothaire,  en 
avait  fait  un  ahandon  solennel  à  Otiion'.  Cette  renonciation 
n'avait  pas  été  regardée  comme  valable  par  les  premiers  Capé- 
tiens. Robert  eut  même  l'intenlion  de  profiter  de  la  mort  de 
Henri  II  pour  étendre  sa  domination  au  delà  de  l'Escaut  ;  mais 
la  reconnaissance  par  les  Lorrains  de  Conrad  le  Salique  comme 
empereur  lui  ùta  tout  espoir,  et  le  fit  renoncer  à  ce  projet, 
qu'il  n'avait  point  la  force  d'exécuter".  L'Iiscaut  resta  la  limite 
du  royaume.  Valenciennes  était  située  dans  l'Ostrevent,  pro- 
vince du  Hainaut  qui  appartenait  aux  comtes  de  Flandre,  et 
pour  laquelle  ils  faisaient  liommage  au  roi  de  France.  Au  trei- 
zième siècle,  le  Hainaut  fut  donné  à  l'un  des  fils  de  la  comtesse 
Marguerite  et  de  Boucliard  d'Avcsnes ,  nommé  Jean,  qui  ne 
vécut  pas  assez  pour  en  jouir.  Son  fils  Jean  II  rendit  eu  1295 
hommage  à  Philippe  le  Hardi  pour  l'Ostrevent  ^  ;  mais  il  refusa 
de  le  prêter  à  Philippe  le  Bel.  En  1289,  il  ne  l'avait  pas  encore 
fait,  malgré  des  sommations  réitérées*  ;  enfin,  en  1290,  il  céda, 
et  reconnut  tenir  l'Ostrevent  en  baronnie  ^  Peu  de  temps 
après  (1291),  il  eut  des  démêlés  avec  les  habitants  de  Valen- 
ciennes, qui  lui  fermèrent  leurs  portes  et  ravagèrent  ses  fiefs*. 
Il  fut  obligé  de  leur  accorder  des  franchises;  mais  il  porta 
plainte  à  l'empereur  Rodolphe  de  Habsbourg,  qui  cassa  la 
charte  obtenue  par  les  Valcnciennois,  et  les  menaça  d'un  châ- 
timent tel  que  la  mort  serait  pour  eux  une  consolation  et  la 
vie  un  supplice  ~' .  Jean  d'Avesnes  marcha  contre  la  ville  rebelle; 

1  Ipcrii  chron.,  dans  Martène,  Thésaurus ,  t.  III,  p.  5V4. 

2  Chron.  Balderici ,  étlit.  Leglaj,  p.  312.  Diipiiy,  Droits  du  roy,  p.  574. 
—  Bonamy,  Travail  manuscrit  sur  le  registre  XXII  du  Trésor  des  chartes , 
Arcli.  imp.,  JJ.  292. 

3  Martène,  Thésaurus  anecdotorum ,  t.  I,  p.  1235.  Déjà  en  1286  Philippe 
le  Bel  avait  dû  intervenir  auprès  du  comte  de  Hainaut  et  lui  interdire  de 
molester  l'abbaye  d'Anchin.  Rcg.  XXXIV  du  Trésor  des  chartes,  n"  34. 

*  Martène,  Thésaurus  anecdotorum ,  t.  I,  p.  1243. 

^  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  519,  n°  1.  Labbe,  Mélanges,  p.  604. 

fi  Martène,  t.  I,  p.  1240.  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  794. 

'  21  juillet  1292.  .Martène,  p.  1241. 

25 


386  LA  FRANCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

les  habitants  envoyèient  deux  pairs  de  Jour  cité  au  j'oi  de 
France  pour  lui  demander  protection.  Les  deux  envoyés  étaient 
porteurs  d'un  mémoire  destiné  à  prouver  que  Valenciennes 
était  une  ville  française  ;  à  ce  mémoire  étaient  jointes,  à  titre 
de  pièces  justificatives ,  des  copies  de  chartes  mérovingiennes 
et  carlovingiennes,  tirées  des  archives  des  abbayes  de  Saint- 
Denis  d'Anchin  et  de  Maroilles  :  le  texte  de  ces  chartes  était 
accompagné  d'une  traduction  française.  Ce  factum ,  curieux 
spécimen  de  l'érudition  du  moyen  âge  appliquée  à  la  politique, 
fut  mis  sous  les  yeux  du  roi  avec  prière  de  le  lire  et  d'en 
donner  communication  à  son  conseil'.  Philippe  accepta  avec 
joie  cette  proposition,  qui  lui  permettait  de  s'agrandir  et  de 
déplaire  au  nouvel  empereur,  Adolphe  de  \assau,  qu'il  détes- 
tait (1292).  Il  somma  le  comte  de  Hainaut  de  cesser  d'opprimer 
ses  sujets  et  les  églises,  qui  avaient  souffert  au  milieu  de  la 

*  L'original  existe  au  Trésor  des  chartes ,  Reg.  XXI.  Je  transcris  le  préam- 
bule de  ce  uiémoirc  : 

«  Très-gentiex  sire  rois  très-puissans ,  pour  aviser  Votre  Majesté  et  rostre 
sage  et  léal  conseil  sur  les  transcris  que  les  bonnes  gens  de  Valenchiannes 
ont  mis  par  deviers  vous,  à  celle  fin  qu'ils  sont  et  ont  esté  de  trcs-anchien 
temps ,  et  lor  ville  de  vostre  royaume  de  Franche ,  en  la  meyiière  qu'il  si 
sont  avoés  par  devant  vous ,  soupploieytt  lesdites  bonnes  gens  he  la  teneurs 
des  desus  transcris  soit  diligaument  regardée ,  si  aparra  ctèrement  commant 
vostre  ancesseur  roys  de  Franche  donnèreiit  et  aumosnercnt  aucunes  choses 
de  leur  propre  héritage  qu'il  avaient  à  Valenchiannes  et  en  pluisors  villes 
voiùnes  ki  sont  outre  Valenchiannes  et  environ  de  tous  lès;  et  commant  il 
confermèrent  comme  roy  aucuns  dons  et  aumosnes  assis  à  ces  lius  devant 
dis,  et  commant  Lothaire  parle  comme  roys  de  Franche  el  commenche- 
ment  d'un  desdis  transcris ,  et  dit ,  en  la  fin ,  que  celle  lettre  fu  données  à 
Valenchiannes ,  el  palais  royal.  Et  par  la  propriété  de  ches  mos  la  fins  est 
entendue  selonc  le  commenchcment  ne  n'esmueve  gentiex  rois  vous,  ne 
vostre  sage  et  léal  consail  che  que  aucun  de  vostre  anchesseur  roy  de 
Franche  furent  empereur,  car,  tant  -par  raison  que  par  lor  accoustumée 
d'écrire  il  palloient  ou  royaume  comme  roy  et  en  l'empire  comme  empereur. 
Et  comme  cet  enfournement  soit  pour  le  droit,  l'ounor  et  le  pour  fit  de 
vostre  royaume,  pour  Dieu,  gentiex  roys ,  aies  pitié  dou  pays  et  des  bonnes 
gens  qui  ont  souj/iert  et  souffrent  chascun  jour  à  grand  peneujs ,  gries. 
domages  et  outrageus  des  gens  le  conte  de  Haynnau,  ez.  qui  molt  d'autres 
enfourmemens  du  droit  et  du  pour  fit  de  vostre  royaume  meissent  avant, 
s'il  fuissent  asseur.  et  les  chartes  de  ches  tratucris  vous  seront  ensigncs 
quaut  vous  jylaira  vous  et  vostre  sage  et  léal  consail.  » 


LIVRE  TREIZIEME.  —  POLITIQLE  ÉTRAXGÈRE.  387 

discorde.  Jean  d'Avesnes  s'adressa  à  l'empereur,  qui  cita  les 
magistrats  de  Valeneiennes  à  comparaître  devant  lui  dans  le 
mois  '. 

Cette  petite  affaire  menaçait  d'allumer  la  guerre  entre  la 
France  et  l'Allemagne.  Philippe  était  prêt  à  toutes  les  éventua- 
lités. Après  avoir  fait  reconnaître  à  Paris  sa  suzeraineté  par 
les  députés  de  Valeneiennes,  et  avoir  reçu  d'eux  la  promesse 
de  rembourser  ce  que  la  revendication  de  leurs  droits  lui  coû- 
terait, il  réunit  à  Saint-Ouenlin  une  puissante  armée,  sous  les 
ordres  du  comte  de  Valois'.  Le  comte  de  Hainaut,  abandonné 
par  l'empereur  et  hors  d'étal  de  résister,  demanda  merci.  On 
le  mit  à  la  tour  de  Wontlhéry,  d'où  il  sortit  peu  après  en  don- 
nant caution  de  se  présenter  devant  le  parlement  quand  il  en 
serait  requise  Le  parlement  rendit  son  arrêt  le  15  février  1293, 
et  le  condamna  à  payer  quarante  mille  livres  d'amende  et  à 
envoyer  son  bailli  prisonnier  au  Cliàtelet  à  Paris.  Les  vassaux 
firent  serment  de  l'abandonner,  et  d'aider  le  roi  à  le  combattre 
s'il  venait  à  manquer  à  ses  engagements*. 

Les  habitants  de  Valeneiennes  durent  rentrer  sous  l'obéis- 
sance de  leur  comte,  qui  promit  d'oublier  le  passé;  mais,  habi- 
tués à  l'indépendance  et  à  la  révolte  et  excités  par  leurs  anciens 
succès,  ils  refusèrent  d'exécuter  le  traité.  Ce  fut  le  roi  qui  se 
chargea  de  les  faire  rentrer  dans  le  devoir  :  les  meneurs  furent 
bannis  et  la  tranquillité  rétablie  par  cet  acte  de  rigueur*.  Va- 
leneiennes était  reconnue  ville  française  ;  mais  ses  habitants 
l'oublièrent  bien  vite.  Dès  le  milieu  du  quatorzième  siècle, 
rOstrevent  fut  mis  par  ses  comtes  sous  l'hommage  de  l'Empire; 
la  France  ne  l'a  recouvré  que  sous  Louis  XIV. 

1  Martcnc,  t.  I,  p.  ]245  et  1253. 

-  Xanrjis,  anno  1292. 

^  Or.  Trésor  des  chartes ,  J.  519,  n"^  5  et  7. 

'^  Olim,  t.  II,  p.  346.  Trésor  des  chartes,  J.  519,  n"  4. 

°  Martène,  col.  1284.  Conf.  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  11  et  133. 


25. 


38S  LA  FRANCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

CHAPITRE   TUOISIiaiE. 

GUERRE    DE    GASCOGNE. 

Orijjinc  de  ccite  guerre.  —  Philippe  injnstemeiil  accusé  de  mauvaise  foi.  — 
Traité  secret.  — Causes  de  la  guerre.  —  Politique  anglaise.  —  Alliances  de 
Philippe  le  Bel.  —  Il  corrompt  les  alliés  d'Edouard.  —  Le  comte  de 
Flandre  convaincu  de  trahison. 

Il  est  un  fait  attesté  par  riiisfoiro,  c'est  que  les  conquêtes 
durables  ne  sont  presque  jamais  le  résultat  de  {grandes  guerres 
et  de  victoires  signalées.  Le  règne  de  Philippe  le  Bel  en  est  un 
exemple  frappant.  Nous  allons  assister  aux  gigantesques  efforts 
qu'il  fit  pendant  de  longues  années  pour  réunir  au  domaine 
immédiat  de  la  couronne  la  Guienne  et  la  Flandre,  qui  recon- 
naissaient sa  suzeraineté. 

L'expédition  contre  le  Hainaut  fut  le  prélude  d'une  guerre 
entre  la  France  et  l'Angleterre,  qui  menaça  de  devenir  géné- 
rale par  suite  des  nombreuses  alliances  contractées  par  ces 
deux  puissances.  Les  historiens  anglais  ont  accusé  Philippe  le 
IJel  d'avoir  forcé,  par  sa  mauvaise  loi,  Edouard  de  prendre  les 
armes  pour  sauvegarder  ses  droits  indignement  violés  :  peut- 
être  Philippe  n'est-il  pas  aussi  coupable  que  le  prétendent  ces 
historiens  prévenus'.  Rien  dans  sa  conduite  ne  dénote  une 
hostilité  systématique  contre  l'Angleterre;  on  peut  même  assu- 
rer que  la  paix  avec  cette  nation  lui  était  nécessaire  pour  l'ac- 
complissement de  ses  desseins,  et  il  parait  en  avoir  été  con- 
vaincu. En  effet,  il  s'empressa  de  mettre  fin  à  cette  guerre 
fatale  qu'il  n'avait  pas  cherchée,  et  cimenta  son  union  avec 
l'Angleterre  par  un  double  mariage.  Edouard  avait,  comme 
possesseur  de  la  Guienne,  de  fréquents  rapports  avec  Phi- 
lippe :  rapports  de  vassal  à  suzerain.  Dès  128G,  il  s'était 
empressé  de  venir  prêter  serment  de  fidélité  au  roi  de  France', 
qui  de  son  côté  accomplit  fort  loyalement  le  traité  d'Amiens, 
par  lequel  saint  Louis  avait  cédé  aux  Anglais  la  Saintonge, 

•  Lingard,  Histoire  d'Amjlcterre. 
-  Rymer,  t.  I,  sub  anno  1286. 


LIVRE  TREIZIKMi:.  —  POLITIQIE  CTRAXGKIîE.  389 

l'Aunis,  l'Afïenais  et  les  êvèchés  de  Périjpienx,  de  Limoges  et 
de  Cahors'.  L'intervention  d'Kdouard  dans  les  affaires  d'Ara- 
gon, et  sa  partialité  pour  Alphonse,  jetèrent  quelqne  froideur 
entre  les  deux  rois".  Le  mécontentement  s'accrut  au  point 
qu'en  1:291  le  pape  Xicolas  eut  des  craintes  sérieuses  pour  le 
maintien  de  la  paix,  et  envoya  des  légats  prêcher  la  concorde  ^ 
II  est  peu  prohable  que  Philippe  ait  songé  à  enlever  la  Guienne  : 
de  son  côté,  Edouard  ne  pouvait  espérer  reconquérir  la  Nor- 
mandie. Toutefois  les  mauvaises  dispositions  réciproques  sub- 
sistèrent, et  un  accident  suffit  pour  faire  naître  la  guerre. 
Deux  matelots,  l'un  Noimand,  l'autre  Anglais,  s'étant  pris  de 
querelle  dans  un  port  de  France,  l'Anglais,  qui  avait  le  des- 
sous, tira  son  couteau  et  tua  son  adversaire  :  les  amis  de  la 
victime  vengèrent  sa  mort.  Ils  prirent  un  marchand  de  iSayonne 
et  le  pendirent  avec  un  chien,  au  haut  du  mât  de  son  vaisseau. 
Les  Anglais  exercèrent  de  cruelles  représailles;  la  mer  vit 
journellement  des  scènes  de  vengeance  et  de  meurtre  aux- 
quelles les  gouvernements  de  France  et  d'Angleterre  étaient 
étrangers.  Des  flottes  furent  équipées  des  deux  cotés  ;  la  guerre 
s'organisa  sur  un{î  vaste  échelle.  Lue  flotte  normande,  après 
avoir  ravagé  les  cotes  d'Angleterre,  fut  attaquée  et  détruite. 
Les  rivalités  commerciales  se  mirent  de  la  partie  :  des  vais- 
seaux hayonnais  essayèrent  de  surprendre  La  Rochelle.  Il  était 
temps  de  mettre  un  terme  à  ces  violences  privées  qui  dégéné- 
raient en  une  véritable  guerre.  Philippe  se  plaignit  au  roi 
d'Angleterre,  et,  comme  les  Aquitains  s'étaient  particulière- 
ment fait  remarquer  par  leur  participation  à  ces  désordres,  il 
le  cita  comme  duc  de  Guienne  devant  le  parlement  *.  Edouard, 
qui  avait  des  inquiétudes  du  côté  de  l'Ecosse  et  du  pays  de 
Galles,  ne  se  souciait  pas  d'avoir  à  soutenir  sur  le  continent 
une  guerre  qui  ne  pouvait  être  que  stérile.  Il  envoya  l'évêque 
de  Londres  promettre  en  son  nom  de  dédommager  les  Fran- 
çais qui  auraient  souffert,  demandant  le  même  traitement  de 

1  Traité  do  Paris,  anùt  J28r).  Or.  Trésor  des  chartes ,  .1.  631,  n"  1i2. 
-  Il  faut  y  joindre  une  guerre  entre  le  comte  de  Savoie  et  le  Dauphin 
Trésor  des  chartes ,  .1.  631 ,  n"  5. 
•^  Rainaldi,  Annales  ecclesiastici  sub  anno  !291. 
4  OUm,  t.  II,  p.  8. 


390  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

la  prut  (lu  roi  de  France  pour  les  Anjjlais.  Il  proposa  de  s'en 
rcmrtho  à  l'arbitrage  du  pape,  "  dont  rol'fice  êlait  de  main- 
tenir la  bonne  harmonie  entre  les  princes  '  m. 

L'évê(|ue  de  Londres  fit  place  à  un  négociateur  plus  illustre, 
à  Edmond,  frère  du  roi  et  mari  de  la  reine  lilanclie,  belle- 
mère  de  Philippe  le  Bel.  Les  historiens  anglais  font  à  ce  pro- 
pos un  récit  qui,  s'il  était  admissible,  attesterait  à  la  fois 
de  la  part  de  Philippe  une  perfidie  profonde,  et  de  la  paît 
d'Edouard  une  simplicité  incroyable.  La  reine  Jeanne,  et  la 
reine  Marie,  veuve  de  Philippe  le  Hardi,  furent  choisies  par 
Philippe  le  Bel  pour  intermédiaires  entre  lui  et  le  prince 
anglais.  Elles  proposèrent  de  remettre  à  Philippe  le  duché  de 
Guicnne,  qu'il  ferait  occuper  pour  la  forme  et  qu'il  s'engage- 
rait à  restituer  quarante  jours  après.  Ces  conditions  furent 
acceptées.  Un  traité  fut  signé  par  les  deux  reines  et  par 
Edouard;  Philippe  donna  sa  parole  royale  de  l'exécuter*.  Un 
second  traité  stipula  le  mariage  de  la  sœur  du  roi  avec  Edouard. 
La  Guienne  devait  être , donnée  en  fief  à  l'aîné  des  enfants 
mâles  qui  seraient  le  fruit  de  cette  union  \  En  conséquence, 
la  citation  fut  publiquement  révoquée  et  la  Guienne  remise 
aux  agents  du  roi  de  France.  Les  historiens  anglais  racontent 
qu'au  lieu  de  restituer  cette  province,  aux  termes  du  traité 
secret,  Philippe  le  Bel  la  garda,  et  qu'Edouard  fut  réduit 
à  prendre  les  armes  pour  avoir  raison  de  cette  odieuse 
trahison. 

La  conduite  de  Philippe  ne  saurait  être  trop  sérieusement 
flétrie,  s'il  avait  aussi  audacieusement  manqué  à  sa  parole; 
mais  s'il  refusa  d'exécuter  le  traité  conclu  par  Edouard,  c'est 
que  les  Anglais  avaient  été  les  premiers  à  le  violer.  A  Bor- 
deaux, des  marchands  normands  avaient  été  publiquement 
assassinés  en  haine  du  loi  de  France.  A  Vilréal,  on  s'était 
emparé  d'un  sergent  du  roi,  et  on  lui  avait  coupé  le  poing.  A 
Fronsac,  les  agents  du  roi  préposés  au  péage  avaient  été  attirés 

•  VValsinyliam ,  p.  60,  481. 

r  Rymor,  t.  I ,  p.  794. 

•^  Or.  du  traité.  Trésor  des  chartes,  J.  632,  n"  7.  An  dos  se  lit  cette 
note  :  n  Qiiedam  peficiones,  qiias  sibi  polebaut  Anjjli  llcri  ante  giierram,  scd 
rex  cas  voltiit  adiiiitlcro.  ? 


LIVRE  TREIZIÎl.ME.  —  POLITIQUE  ÉTRANGÈRE.  391 

dans  lin  bateau  et  décapités  sur  le  pont.  Le  château  de  Buset, 
occupé  par  les  Français,  avait  été  forcé  et  livré  aux  flammes. 
Partout  les  gens  du  roi  de  France  avaient  été  insultés  et  mal- 
traités '.  Philippe  cita  de  nouveau  devant  le  parlement  Edouard, 
qui  refusa  de  comparaître  :  la  guerre  fut  déclarée*. 

Edouard  chercha  partout  des  alliés;  il  fît  des  traités  avec  le 
roi  des  Romains,  Adolphe  de  Nassau  %  qui  s'engagea,  moyen- 
nant des  subsides,  à  marcher  contre  le  roi  de  France*;  avec^ 
l'évèque  de  Cologne,  les  comtes  de  Hollande,  de  Gueldre, 
de  lîrabant  ^  Il  fit  solliciter  Tévêque  de  Bàle,  le  comte  de 
Savoie  ^. 

Le  roi  de  Castille  lui  offrit  son  appui  '. 

A  cette  ligue  redoutable  Philippe  opposa  une  ligue  non 
moins  formidable.  Mais  laissons  un  de  ses  ministres  exposer 
dans  un  document  officiel,  par  quelles  alliances  il  se  mit  en 
mesure  de  tenir  tête  à  Edouard. 

«  En...  l'anée  1295,  le  roy  d'Engleterre,  par  force  de  grant 
quantité  d'estellins  qu'il  envoia  par  deçà  la  mer,  si  come  l'en 
disoit,  fit  alliances  à  touz  les  princes  et  barons  qu'il  pot  trou- 
ver qui  y  vousissent  entendre,  tout  cntour  le  royame,  les 
quicz  dévoient  touz  en  un  jour  assaillir  le  royame  de  toutes 

pars Les  dessus  diz  alliez  furent  li  roy  d'Alamaigne,  et  son 

frère,  et  plusieurs  barons  d'entour  lui  de  celé  Alamaigne;  li 
duc  de  Brabant,  à  qui  il  donna  sa  fille  pour  son  fils;  li  conte 
de  Juliers;  li  conte  de  Bar,  qui  ot  aussi  sa  fille;  li  conte  de 
Savoie,  son  cousin;  li  conte  de  Ferret;   monseigneur  Jehan 

1  RjTner,  t.  I,  p.  800  (nouvelle  citation  en  date  du  28  mai). 

-  Jean  de  Saint-Jean,  lieutenant  du  roi  d'Angleterre,  refusa  d'exécuter  la 
remise  du  duché  de  Guicnne  au  connétable  de  France.  Trésor  des  chartes, 
J.  632,  n"  9. 

3  Rymer,  t.  I,  p.  812  (12  octobre  1294).  Les  plénipotentiaires  furent 
révoque  de  Durhani ,  le  comte  de  Hollande  et  Hugues  Spencer.  On  convint 
d'une  entrevue  entre  les  deux  rois  (9  décembre  1294).  Id.,  p.  814. 

^  Le  comte  de  Hainaut  arrêta  un  subside  de  12,000  liv.  qu'Edouard  envoyait 
à  Adolphe.  Rymer,  p.  827. 

^  Avec  l'évèque  de  Cologne  (12  novembre).  Rymer,  p.  814.  —  Avec  le 
comte  de  Gueldre,  qui  promit  1000  chevaux  (6  avril  1295).  M.,  p.  919. 
—  Avec  le  duc  de  Brabant  (23  avril).  Id.,  p.  820. 

^  Rymer,  p.  815. 

7  Rymer,  p.  825. 


392  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

de  Clialon ,  et  pliis'uMirs  autres  dovors  rKnipirc,  et  lialoit  de 
l'autre  part  au  roy  d'Espa-juc,  et  au  roy  d'Aragon  et  autres 
par  de  là. 

»  Nostre  seijjueur  le  roy  et  son  conseil,  qui  tantosl  sot  des 
ditz  alliances,  li  repara  à  l'ancontre  de  soi  fortifier  aussi  tout 
en  tout  son  royanie,  et  s'allia  par  certaines  convenances  à  touz 
les  autres  princes  et  barons  qui  ne  weudrent  (voulurent)  estre 
de  l'acort  aus  Au'jlois,  et  Jour  presta  à  chascun  certaine  somme 
de  deniers  pour  retenir  gens  d'armes,  pour  estre  touz  guernis 
et  prest  pour  contraster  aux  alliez,  quant  mestier  scroit.  Les 
quiez  furent  devers  l'Empire,  monseigneur  Robert,  Darfin  de 
Vienne,  et  monseigneur  Jehan  son  fils;  li  évesque  de  Valence; 
li  conte  Otte  de  Bourgoigne,  et  monseigneur  Huguc  son  fière; 
monseigneur  Philippe  de  Vienne  et  autres  Bourgoignons.  Et 
lors  se  promist  la  damoiselle  di  Bourgoigne,  fille  au  dit  conte 
pour  monsieur  Loys  filz  le  roy.  Et  vint  elle  et  la  contesse  sa 
mère  en  la  court  de  France  par  devers  la  royne,  et  l'alaquerre 
monseigneur  Jaques  de  Saint-Pol,  son  oncle  en  joing  l'an  1295. 
Item,  monsiegncur  Thibaut  de  Loreigne  (Lorraine);  li  conte 
de  Lucenbourc,  li  évesque  de  Cambray;  monseigneur  Goude- 
froy  de  Brabant,  frère  li  duc,  et  monseigneur  Jehan,  son  fils; 
li  conte  de  Hainaut;  li  conte  de  Holandc. 

w  Item  aux  Escoz  (Ecossais)  et  à  monseigneur  Jehan  de 
Bailloul,  qui  se  disoit  roy  d'Escoce.  Et  au  roi  de  Xervée  (Nor- 
wége)  envoia  l'en  messages,  et  il  renvoia  les  siens  par  deçà 
et  firent  certaines  convenences,  et  orent  une  certaine  sonmie 
de  deniers  pour  commencement.  Item  l'en  fist  certaines  conve- 
nences au  roi  de  Maillogles  (.Majorque)  ot  grent  somme  de 
deniers '.  n 

Ce  n'est  pas  tout  :  Piiilipjie  ne  se  borna  pas  à  se  faire  des 
alliés  des  ennemis  du  roi  d'Angleterre  ou  des  indifférents,  il 
fit  tous  ses  efi'orls  pour  lui  enlever  ses  alliés. 

Adolphe  écrivit  à  Philippe  une  lettre  pour  se  plaindre  de 
ses  usurpations  sur  l'Empire,  et  lui  annonçait  qu'il  allait  mar- 
cher contre  lui  avec  toute  sa  puissance*.  Il  est  fâcheux  pour 

1  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  614,  n"  16.  Voyez  le  texte  complet  dans 
Notices  et  extraits. 

-  Martènc,  Thésaurus,  t.  I,   p.  .1270.  ii  kai.  nov.  1294.  —  Chron.  de 


LIVRE  TREIZIEME.  —  POLITIQUE  ETRAXGÈRE.  393 

Adolphe  que  cette  (iéclaration  soit  datée  du  mois  d'octo- 
bre 12'Ji,  époque  où  il  traitait  avec  les  ambassadeurs  anglais 
et  en  acceptait  des  subsides.  C'est  donc  un  fait  désormais  hors 
de  doute  que  l'empereur,  en  se  proclamant  le  défenseur  des 
droits  de  l'Empire,  prenait  un  prétexte  pour  cacher  sa  conni- 
vence avec  l'Angleterre.  Les  chroniqueurs  contemporains 
racontent  que  Philippe  ne  put  cacher  son  mépris,  et  remit 
aux  ambassadeurs  d'Adolphe  une  lettre  scellée  qui  contenait, 
disait-il,  sa  réponse.  Quand  Adolphe  l'ouvrit,  il  n'y  trouva 
que  ces  mots  :  «  Trop  Allemand  î)  ,  par  lesquels  Philippe  bra- 
vait ses  menaces  '. 

Cette  réponse  hautaine  avait  été  dictée  par  le  comte  d'Artois. 
Un  chroniqueur  ajoute  même  un  fait  qui  tendrait  à  confirmer 
la  réalité  de  cette  réponse;  c'est  qu'elle  déplut  à  plusieurs 
princes  de  France  u  qui  en  furent  couroucez  et  disoient  que  de 
noble  prince  et  sage  ne  devoit  avoir  que  noble  response  et 
sage  "  •> .  De  nos  jours,  ce  fait  a  été  contesté;  on  a  produit  une 
lettre  de  Philippe,  modérée  dans  la  forme,  quoique  ferme,  où 
le  roi  demandait  à  l'empereur  s'il  était  véritablement  l'auteur 
de  la  missive  qui  lui  était  parvenue.  S'il  en  était  ainsi,  il  le 
défiait  ^  L'original  de  cette  lettre  est  conservé  au  Trésor  des 
Chartes*;  ce  qui  ferait  croire  qu'elle  n'a  pas  été  envoyée.  Le 
mémoire  officiel  que  je  viens  tie  citer  jette  une  lumière  toute 
nouvelle  sur  la  politique  suivie  en  cette  circonstance  par  Phi- 
lippe le  Bel  à  l'égard  de  l'empereur,  et  apprend  que  le  roi, 
loin  d'insulter  Adolphe,  aima  mieux  le  séduire  et  le  corrompre. 
Il  employa  pour  le  détacher  de  l'alliance  anglaise  les  mêmes 
moyens  qui  avaient  réussi  à  Edouard  pour  l'y  attirer.  Tout 
porte  à  croire  qu'il  acheta  avec  des  livres  tournois  celui  qui 
s'était  vendu  pour  des  livres  sterling. 

Saint-Denis ,  t.  V,  p.  110.  —  Dès  le  mois  d'août  1293,  Adolphe  avait  rendu 
à  Oppenheim  un  jugement  contre  ceux  qui  usurpaient  les  terres  de  l'Empire. 
Martène,  t.  L  p-  1251. 

'  Chron.  de  Saint-Denis ,  t.  V,  p.  111. 

-  Chronique  anonyme ,  édit.  de  Sauvage. 

3  Alichclet,  Histoire  de  France,  t.  IV;  et  Paulin  l'aris ,  Chron.  de  Saint- 
Denis ,  t.  V,  p.  Jll,  note  1. 

4  .1.  610,  n'14. 


394  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

«  Xostre  sire  le  roy  envoia  au  roy  d'Alamaijjne,  qui  ja  estoit 
allié,  et  aus  auslros  d'etilour  lui  ses  messages,  c'est  asavoir 
li  évesque  de  lîéleliem,  et  li  prieur  des  frères  préclieours  de 
Paris,  les  quiez  orent  petite  odience  (audience»)  pour  ce  qu'il 
n'alèrent  pas  bien  fondez,  mez  après  euls  ala  monseigneur 
Mouche,  qui  ala  si  bien  fondé  et  si  garni ^  qu'il  ot  bonne 
odience  et  (ist  tant  que  le  frère  le  roy  vint  secréenient  à  Lille 
en  Flandres,  où  monseigneur  Mouche  ala  à  li  et  parfist  le 
traitée  qu'il  avoit  pourparlé  et  acordé  à  li  en  Alaniaigne,  si 
qu'il  s'en  ala  apaié.  Et  retourna  le  dit  monseigneur  Mouche 
en  Alamaigne  au  roy  et  aus  autres  d'entour,  et  mit  à  fin  touz 
les  tratiez,  si  que  il  promirent  qu'il  ne  se  raeuvroient  contre  le 
roy;  ne  ne  s'esmure,  et  fu  l'en  aseur  de  celé  partie  '.  ^i 

La  même  politique  corruptive  réussit  avec  le  duc  de  Bra- 
bant  et  le  comte  de  Savoie  :  seuls  Jean  de  Chalons  et  le  comte 
de  Bar  restèrent  fidèles  à  Edouard. 

«  Et  ancores  notre  sire  li  roys  et  son  conseil  pourchacz  de 
despécier  et  mettre  à  noient  (néant)  toutes  les  allianses  que  li 
roys  d'Engleterre  avoit  faites  et  pourchaçoit  de  faire,  car  sitost 
com  il  le  sot,  il  envoia  l'arcediacre  de  Brabant  et  monseigneur 
Hue  de  Bouville,  et  autres  messages ,  par  plusieurs  foiz  au  roy 
d'Espaigne,  et  se  fist  tant  qu'il  ne  s'allia  aus  Englois;  et  au  roy 
d'Aragon,  aussi  par  le  pourchaz  et  aide  du  roy  de  Maillogles 
son  oncle  *.  d 

Edouard  voyant  ses  alliés  lui  échapper  tenta  un  effort 
suprême,  s'attacha  à  susciter  à  Philippe  le  Bel  des  ennemis 
jusque  parmi  ses  feudataires  :  il  exploita  les  mécontentements 
des  comtes  de  Flandre  et  de  Bretagne  et  des  seigneurs  du 
comté  de  Bourgogne  ^ 

Le  comte  (îui  de  Dampierre  s'était  aliéné  la  bourgeoisie 
flamande,  surtout  celle  de  la  puissante  cité  de  Gand ,  que 
Philippe  le  Bel  piotêgeait,  par  suite  de  sa  politique  habituelle 
de  contenir  la  féodalité  par  les  communes.  Gui  n'hésita  pas  à 
se  tourner  du  côté  de  l'Angleterre.  Il  conclut  le  31  août  J!29i 
un  traité  par  lequel  il  promettait  de  donner  au  fils  d'Edouard 

1  Trésor  des  chartes,  J.  Gi'*,  n'^  J6. 

2  Trésor  des  chartes ,  J.  G14,  n°  16. 
•^  Rymer,  t.  I. 


LIVRE  TREIZIÈME.  —  POLITIQUE  ÉTRAXGÈRE.  395 

sa  fille  Philippine  '.  Le  roi  de  Fiance  en  fut  rapidement  instruit 
et  manda  le  comte  à  Paris.  Dès  que  Gui  se  présenta,  Philippe 
lui  reprocha  sa  perfidie  et  son  alliance  avec  les  Anglais.  Le 
comte  étonné  garda  d'abord  le  silence,  puis  nia  :  le  roi  lui 
montra  l'original  du  traité,  le  comte  déclara  cette  pièce  fausse. 
Philippe  le  fît  arrêter^.  La  trahison  du  comte  était  manifeste. 

Il  fut  enfermé  avec  ses  fils  dans  la  tour  du  Louvre;  on  le 
remit  en  liberté  après  six  mois  de  captivité,  en  lui  faisant  pro- 
mettre de  ne  pas  conclure  d'alliance  avec  les  Anglais  et  de 
livrer  sa  fille  Philippine  en  otage  ^  Je  n'ai  pas  ici  à  raconter 
l'histoire  des  longues  guerres  que  Philippe  eut  à  soutenir 
contre  la  Flandre  ni  des  intrigues  qui  les  préparèrent;  il  suffira 
de  savoir  que  Gui  de  Dampierre,  humilié  par  Philippe,  détesté 
par  les  Flamands,  écouta  les  propositions  d'Edouard  *,  qui, 
battu  en  Guienne ,  opérait  une  diversion  utile  en  attaquant  la 
France  au  nord.  Edouard  promit  d'envoyer  une  armée  en 
Flandre  et  de  payer,  pendant  toute  la  durée  de  la  guerre,  un 
subside  annuel  de  soixante  mille  livres  tournois  an  comte,  qui 
s'engageait  à  rompre  avec  Philippe  et  à  lui  faire  la  guerre.  Il 
envoya  les  abbés  de  Floreffe  et  de  Gemblours  à  Paris,  porteurs 
d'une  lettre  où  il  annonçait  au  roi  qu'il  se  regardait  comme 
délié  de  ses  devoirs  envers  lui  ^  Piiilippe  envoya  deux  ambas- 
sadeurs, les  évêques  d'Amiens  et  du  Puy,  demander  quelle  était 
la  portée  de  ce  message,  et  porter  des  propositions  de  paix  : 
Gui  maintint  sa  déclaration  et  renonça  publiquement  à  l'hom- 
mage du  roi  de  France  ;  en  même  temps  il  appela  au  pape. 

Une  armée  française  vint  mettre  le  siège  devant  Lille. 
Edouard  n'arrivait  pas,  menacé  qu'il  était  d'une  invasion  par 
les  Ecossais  alliés  de  la  France,  et  retenu  par  les  barons  et 
les  bourgeois  d'Angleterre,  qui,  désapprouvant  la  guerre  avec 
la  France,  avaient  refusé  au  roi  des  subsides  et  mettaient 
même  des  obstacles  à  son  départ.  La  guerre  n'était  pas  plus 

*  Traité  scellé.  Trésor  des  chartes ,  janvier  1297,  J.  543,  n"  5.  —  Ryincr, 
t.  I,  p.  850. 

2  Voy.  l'instrument  des  plénipotentiaires.  Rymer,  t.  I,  p.  850. 

3  Chronique  anonyme  publiée  par  Denis  Sauvage. 
'^  Kcrvyn,  Histoire  de  Flandre.  1.  I,  p.  388. 

^  Or.   Trésor  des  chartes ,  J.   51-3,   n"  1  (janvier  1297).  —  Xote  remise 


393  LA  l'T.AXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

populaire  auprès  des  riches  citoyens  do  la  Flandre,  habitués 
à  rejjardor  h'ur  comte  comme  un  tyran  et  le  roi  de  France 
comme  un  protecteur  :  à  la  bataille  de  Bulscamp  ,  une  partie 
de  la  noblesse  de  Flandre  se  ranj^ea  du  côté  de  l'armée  fran- 
çaise commandée  par  le  comte  d'Artois. 

Lille  succombe.  Edouard  en6n  débarque  près  de  l'Écluse 
avec  une  faible  armée.  Il  rcnconlre  le  comte  Gui  à  Bruges  :  les 
mauvaises  dispositions  des  habitants  les  forcent  de  s'éloigner 
et  de  gagner  Bruges.  Les  hommes  d'armes  anglais  pillent  la 
ville  avant  de  la  quitter.  Bruges  envoie  ses  clefs  à  Philippe  le 
Bel,  qui  s'avance  en  vainqueur  et  qui  la  fait  occuper  par  le 
comte  de  Valois  :  Edouard,  qui  n'a  pas  tiré  l'épée,  envoie 
Hugues  de  Beauchamp  traiter  avec  le  roi  de  France  ,  et  négo- 
cier une  trêve  (9  octobre)  qui  est  successivement  prorogée 
jusqu'au  mois  de  février,  puis  étendue  à  deux  années,  à  partir 
de  l'Epiphanie  1298.  Les  deux  rois  prennent  le  pape  pour 
arbitre  :  le  comte  de  Flandre  était  compris  dans  la  trêve  '. 

J'ai  raconté,  à  propos  du  différend  de  Philippe  le  Bel  avec 
Boniface  VIII,  comment  le  pape  prononça  son  arbitrage  au 
mois  de  juin  1298,  et  comment,  malgré  les  instances  des  am- 
bassadeurs anglais,  la  sentence  pontificale  ne  fit  pas  mention 
du  comte  de  Flandre  ". 

La  guerre  avec  l'xAngleterre  était  terminée  :  la  sentence  de 
Boniface,  qui  fut  acceptée  des  deux  parties,  remettait  les  choses 
dans  l'état  où  elles  étaient  avant  la  guerre ,  et  ordonnait  la 
restitution  mutuelle  de  ce  qui  avait  été  pris.  Boniface,  qui 
avait  à  cœur  d'établir  la  concorde  entre  les  deux  principales 
nations  de  l'Europe,  voulut  cimenter  leur  alliance  en  stipulant 
le  mariage  d'Edouard  avec  Marguerite,  sœur  de  Philippe,  et 
celui  du  jeune  Edouard,  héritier  d'.Anglctcrre,  avec  Isabelle, 
fille  du  roi  de  France.  Des  négociations  s'ouvrirent  pour  régler 
définitivement  par  un  traité  les  points  (jue  la  sentence  arbitrale 
n'avait  pu  qu'indiquer  ^. 

par  les  deux  abbés  au  roi.  Ibid.,  n"  2.  En  même  temps  le  comte  défendit  à 
ses  procureurs  à  Paris  de  procéder  devant  le  parlement.  Ibid.,  n°  3. 

'   Trésor  des  chartes ,  J.  543,  n"  12. 

-  Adhésion  du  comte  de  Flandre  à  la  trêve.  Or.  .J.  51i-3,  n"  13.  —  Adhésion 
de  ses  Gis  Robert  et  Guillaume,  n"  14. 

3  Trésor  des  chartes,  Anjjieterrc,  IV,  n"  12. 


LIVRE  TREIZIEME.  —  POLITIQUE  ETRANGERE.  397 

CHAPITRE    QLATRIÈME. 

ACQIISITIOX    DU    BARROIS. 

Philippe  le  Bel,  habile  à  tirer  avantage  de  tout,  sut  profiter 
de  cette  guerre  pour  reculer  ses  frontières  du  côté  de  l'est. 
Parmi  les  feudataires  de  l'Empire  voisins  de  la  France,  figu- 
raient les  comtes  de  Bar,  dont  le  comté  fut  plus  lard  érigé  en 
duché;  une  partie  de  ce  comté  était  du  coté  gauche  de  la 
Meuse,  et  pouvait  en  quelque  sorte  être  regardée  comme  dépen- 
dant du  royaume  de  France.  En  128(î,  le  monastère  de  Beaulieu 
en  Argonne,  situé  dans  cette  partie  du  comté,  invoqua  l'assis- 
tance de  Philippe  le  Bel  contre  le  comte  Thiliaud  qui  l'oppri- 
mait :  Philippe  le  fit  occuper  par  ses  troupes,  malgré  les  pro- 
testations du  comte,  qui  appela  à  l'empereur '.  Rodolphe  de 
Habsbourg  avait  fait  faire  une  enquête  dont  les  résultats  furent 
que  le  roi  de  France  n'avait  aucun  droit  dans  le  Barrois  ". 
Philippe  n'en  avait  tenu  aucun  compte.  En  121)6,  le  comte 
Thibaud  mourut  et  eut  pour  successeur  son  fils  Henri  ^  C'était 
le  moment  où  l'empereur,  le  roi  d'Angleterre  et  le  comte  de 
Flandre  formaient  une  coalition  contre  la  France  :  le  monarque 
anglais  exploita  le  ressentiment  du  jeune  comte  de  Bar,  lui 
fournit  des  subsides,  et,  pour  mieux  se  l'attacher,  lui  donna 
une  de  ses  filles  en  mariage*.  Pendant  que  Philippe  soutenait 
en  Flandie  les  efforts  des  Flamands,  le  comte  de  Bar  attaqua 
la  Champagne.  Le  roi  envoya  contre  lui  Gaucher  de  Chàlillon, 
qui  ravagea  le  Barrois  et  le  força  de  se  retirer ^  En  1299, 
Albert  d'Autriche  lui  fît  obtenir  une  trêve  qui,  en  1301,  fut 
convertie  en  traité  de  paix,  à  condition  de  faire  un  pèlerinage 
dans  l'île  de  Chypre  °  et  de  rendre  hommage  au  roi  pour  les 

'  Traité  de  Paris.  Trésor  des  chartes,  Angleterre,  V,  n°  13  (20  mai  1303). 
-  Calmète,  Histoire  de  Lorraine,  t.  II,  p.  330  et  331. 
■^  Léiêque  de  la  Rcvalière,  ilémoire  sur  les  limites  du  royaume  du  coté 
de  l'Empire  avant  1301.  Mémoires  de  l' Académie,  in-12,  t.  IX,  p.  501. 
''  Art  de  vérifier  les  dates,  comtes  de  Bar. 
^  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  15.  —  Xangis,  année  129". 
6  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  514,  no  1. 


39»  L.\  Fn.WCI':  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

terres  situées  à  gauche  de  la  Meuse,  hommage  qu'il  n'avait 
jamais  rendu,  même  aux  empereurs,  sous  prétexte  que  ces 
terres  étaient  des  francs-alleux  '.  Telle  est  l'origine  du  Barrois 
mouvant  de  la  couronne  de  France. 


CHAPITRE  CIXQUIEME. 

ALLIANCE    »E    PHILIPPE    LE    BEL    AVEC    l'eMPEREUR    ALBERT. 

Esamcu  d'im  bruil  public  qui  voulait  qu'.AlLtrt  eût  reculé  les  limites  de  la 
France  jusqu'au  Rhin. 

L'alliance  entre  Philippe  et  Adolphe  n'était  pas  cordiale  : 
aussi  Philippe  comptait  peu  sur  l'empereur.  Il  avait  noué 
d'étroites  relations  avec  Alhert  d'Autriche,  fils  de  Rodolphe  de 
Habsbourg,  ennemi  mortel  d'Adolphe  de  \assau  qu'il  regardait 
comme  un  usurpateur,  et  qu'il  finit  par  attaquer,  battre  et  tuer 
de  sa  main  à  la  bataille  de  Gelheim. 

Dès  1295,  Albert  avait  envoyé  en  France  une  ambassade 
demander  pour  son  fils  aîné  Rod()lj)hc  la  main  de  quelque 
princesse  française*;  projet  qui  s'accomplit  quelques  années 
après. 

On  raconte  que  Philippe  le  Bel  voulut  faire  élire  son  frère 
Charles  de  Valois  à  la  place  d'Adolphe  :  je  n'ai  trouvé  aucun 
acte  officiel  qui  confirmât  ce  fait,  qui  me  semble  peu  probable, 
vu  la  grande  amitié  qui  le  liait  à  Albert  dont  les  prétentions 
à  la  couronne  impériale  avaient  toute  chance  de  succès  :  en 
effet  il  fut  élu. 

Guillaume  de  Xangis  et  plusieurs  autres  chroniqueurs  con- 
temporains rapportent  un  fait  qui,  s'il  était  prouvé,  aurait  une 
grande  importance.  Selon  ces  auteurs,  dans  une  entrevue  qui 
eut  lieu  en  12'J'J  à  Vaucoulcurs,  entre  Philippe  le  Bel  et  Alhert 
d'Autriche,  roi  des  Romains,  l'empereur,  avec  le  consentement 

'  Or.  Trésor  des  chartes,  .1.  581,  n"^  h.  —  Duchcsne,  Histoire  de  la 
maison  de  Bar,  preuves,  p.  39.  Conf.  Bonamy,  Mémoire  sur  l'éreclion  du 
comté  de  Bar.  Mém.  de  l'Acad.  des  inscript.,  in-12,  t.  XXXIV,  p.  285. 

^  Or.  des  pleins  pouvoirs.  (Trésor  des  chartes,  J.  408,  n°  7.) 


LIVRE  TREIZIÈME.  —  POLITIQUE  ETRAXGERE.  399 

de  ses  barons  et  de  ses  prélats,  recula  les  limites  du  royaume 
de  France  jusqu'au  Khiii'.  J'ai  cherché  en  vain  un  acte  qui 
constatât  cette  concession  :  il  n'en  existe  de  semblable  ni  aux 
Trésors  des  charfes  ni  diins  les  recueils  imprimés  en  France 
et  en  Allemagne.  Les  historiens  allemands  gardent  sur  ce  point 
un  silence  absolu;  et  cependant  le  bruit  de  cette  donation 
d'Albert  se  répandit  du  temps  de  Philippe  le  Bel  ".  il  lut  tenu 
pour  certain,  et  plus  de  deux  siècles  après,  un  avocat  plaidant 
devant  le  parlement  de  Paris  affirmait  comme  un  fait  incon- 
testable qu'en  1299,  à  Vaucouleurs,  Albert  avait,  avec  le  con- 
sentement de  ses  barons ,  accordé  au  roi  de  France  que  les 
limites  du  royaume,  qui,  depuis  le  partage  de  Charles  le  Chauve, 
n'allaient  que  jusqu'à  la  Meuse,  s'étendraient  désormais  jus- 
qu'au Rhin.  Il  ajoutait  même  que  l'extrême  limite  du  royaume 
de  France  avait  été  fixée  au  moyen  d'une  borne  de  bronze, 
aux  armes  du  roi ,  laquelle  existait  encore  au  moment  où  il 
parlait  (en  1588)  ^  Ces  témoignages  ne  suffirent  pas  pour 
prouver  la  prétendue  donation  d'Albert  d'Autriche.  11  y  eut 
bien,  à  l'époque  indiquée,  une  entrevue  à  Vaucouleurs,  entre 
les  deux  souverains  de  France  et  d'Allemagne*,  où  ils  con- 
clurent un  traité  d'alliance  offensive  et  défensive  '\  Philippe 
donna  sa  sœur  Blanche  en  mariage  à  Rodolphe,  fils  d'Albert,  et 
l'empereur  promit  une  de  ses  filles  pour  un  fils  du  roi  ®.  Peut- 
être  Albert  prit-il  secrèlement  quelques  engagements  envers 
Philippe,   qui  lui  promit  son  appui  pour  rendre  la  couronne 

1  Nangis,  année  1299.  —  Chron.  de  Saint-Denis ,  t.  V,  p.  128.  —  Gilb. 
de  Fracheto,  Historiens  de  France ,  t.  \XI ,  p.  17  et  18  :  t  Ubi  annitentihus 
rege  Alberto,  baronibus  et  prelatis  regni  Theidonici,  concessum  est  qiiod 
regnum  Franciœ ,  quod  solum  modo  tisque  ad  Mosam  illis  in  jnir*ihus  se 
extendit ,  de  cœtero  usque  ad  liheninii  Jîuvium  potestatis  suœ  tcryninos 
dilataret.  » 

-  Le  fait  est  affirmé  par  P.  Dubois ,  Summaria  brevis  et  coinpendiosa 
doctrina,  etc.  Bibl.  imp.,  n"  6222  G. 

3  Arch.  de  l'Emp.,  Plaidoiries,  X.  4906,  fol.  503  v". 

'''  V^oyez  le  compte  des  dépenses  de  ce  voyage  dans  le  Journal  du  trésor. 
Bibl.  imp.,  n"  110  du  suppi.  latin,  fol.  9  v°. 

^  V'oycz  les  instruments  dans  Leibniz,  Cod.  diplom.,  p.  40;  Marions, 
t.  I,  p.  323,  etc. 

6  Gouf  de  Dutzele,  Histoire  de  l'emjnre  d'Autriche ,  Vienne,  1845,  t.  III, 
p.  120.  Voyez  aussi  Manuscrits  de  Dupuy,  t.  716. 


400  LA  kuaxcl;  sors  Philippe  li:  cel. 

impériale  Iiéiéditaiio  clans  la  maison  de  Habsbourg'.  Mais  ce 
n'étaient  là  (jiie  des  projets  qui  ne  se  réalisèrent  pas;  et  il  est 
hors  de  doute  (|ue  les  limites  du  royaume  restèrent  du  côté  de 
l'Empire  ce  qu'elles  étaient  avant  cette  entrevue*. 

Toutefois  Philippe,  malgré  son  alliance  avec  Albert,  ne 
renonça  jamais  à  s'éleudre  aux  dépens  de  l'Empire.  En  1300,  il 
reçut  une  ambassade  des  citoyens  de  Toul  qui  lui  déclarèrent 
qu'ils  n'étaient  sous  la  domination  de  personne,  mais  de  franche 
condition,  ne  devant  rien  à  l'empereur  ni  à  leur  évèque.  Le  roi 
les  prit  sous  sa  garde,  moyennant  une  redevance  annuelle  de 
douze  deniers  par  feu  \  La  ville  de  Verdun  suivit  l'exemple  de 
Toul,  et  se  soumit  en  1315  à  Louis  le  Hutin  *. 

En  1307,  Philippe  fit  un  traité  avec  l'évèque  de  Verdun,  qui 
s'engagea  à  faire  tout  son  possible  pour  détourner  l'empereur 
des  mauvais  desseins  qu'il  jiourrait  concevoir  contre  la  France, 
sans  pourlant  violer  l;i  (îdélilé  (ju'il  lui  devait  \ 

Toutefois  ces  acquisitions  sur  la  rive  gauche  du  Rhin 
n'avaient  aucune  chance  de  durée,  éloignées  qu'elles  étaient 
de  l'action  du  roi  de  France  :  mais  cela  fait  connaître  la  poli- 
tique de  Philippe  le  l>el.  Il  encourageait  secrètement  à  la 
révolte  les  villes  étrangères,  surtout  celles  soumises  à  des 
évêques,  et  les  poussait  à  invoquer  son  protectorat. 

'  Voyez  le  Mémoire  de  Dubois  qui  affirme  le  fuit,  u(  sitjjra ,  fol.  3  r". 

-  Al!  dix-septième  siècle,  .^iibery  ayant  soutenu  que  la  l'Vance  s'étendait 
jusqu'au  Rhin  dans  un  livre  intitulé  :  Justes  jyrétentions  de  la  France  sur 
l'Empire,  excita  les  plaintes  des  princes  allemands,  fut  désavoué  par  le 
gouvernement  français  et  mis  à  la  Bastille. 

•^  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  583,  n"  G.  Septembre  J300. 

'»  Dupuy,  Droits  du  roij,  t.  I,  p.  665. 

^  .  Si  dictus  .Aieniannus  rex  vellet  aut  nitcrctur,  quod  absit ,  regno  nostro 
dampnum  inferre,  prediclus  episcopus,  pro  possc  suc,  onmibus  et  singulis 
modis  quibus  poterit. ..  procurabit  et  faciet  quod  ipsc  rex  Alemannus  super 
hoc  desistet;  et  si  id  procurare  et  facerc  non  posset  saltem  abstinebit,  se  si 
servando  fidelitatem  suam  pofest  abstinere,  a  prestando  servicium  régi  pre- 
dicto.  ï  Reg.  XXXVI  du  Trésor  des  chartes ,  n°  ccvii. 


LIVRE  TREIZIEAIE.  —  POLITIQUE  ÉTRANGÈRE.  401 


CHAPITRE  SIXIÈME. 

XÉGOCIATIOXS    AVEC    l'aXGLETERRE    JL'SQU'AU    TRAITÉ 
DE    PAIX    DÉFI\ITIF. 

1297-1303. 

Revenons  aux  négociations  entre  la  France  et  l'Angleterre 
pour  la  conclusion  définitive  d'un  traité  sur  les  bases  de  la  sen- 
tence arbitrale  de  lloniface  VIII;  elles  furent  longues  et  n'abou- 
tirent qu'après  plusieurs  années  de  pourparlers.  Le  motif  de 
ces  lenteurs  est  honorable  pour  Philippe  le  IJel  :  il  voulait  en 
effet  sauvegarder  les  intérêts  de  l'Ecosse,  son  alliée,  qui  avait 
pris  les  armes  au  moment  où  Edouard  avait  débarqué  en 
Flandre.  La  trêve  avait  été  conclue  entre  les  parties  belligé- 
rantes et  leurs  alliés  :  Philippe  envoya  demander  à  Edouard 
d'y  comprendre  le  roi  d'Ecosse,  avec  lequel  il  avait  conclu  une 
alliance  offensive  et  défensive,  dont  il  promettait  de  fournir  la 
preuve  authentique  en  produisant  le  traité  original  '.  Edouard 
répondit  qu'il  observerait  la  trêve,  mais  que  la  demande  du 
roi  relative  aux.  Ecossais  lui  était  nouvelle,  étrange  et  admi- 
rable, aucune  mention  n'en  ayant  été  faite  dans  les  instruments 
de  la  trêve;  que  ce  point  était  de  grand  poids,  et  qu'il  trans- 
mettrait au  plus  tôt  sa  réponse  par  ambassadeurs.  Il  objecta 
ensuite  que  l'Ecosse  était  sa  vassale  ^  A  cela,  les  ambassa- 
deurs de  Philippe,  Guillaume  de  Beaufort,  Jean  de  la  Forêt  et 
Clément  de  Savy,  répondirent  que  le  défaut  de  mention  des 
Ecossais  ne  devait  pas  tirer  à  conséquence;  que  les  comtes  de 
Flandre  et  de  Bar,  quoique  non  nommés,  avaient  été  compris 
dans  la  trêve,  et  que  le  même  bénéfice  s'appliquait  aux  Écos- 
sais. Cette  déclaration  fut  faite  à  Edouard  lui-même,  qui  pour 
lors  assiégeait  Edimbourg  ^  A  Rome,  les  envoyés  du  roi  de 
France  avaient  fortement  insisté  pour  faire  comprendre  les 
Écossais  dans  la    sentence  arbitrale;   mais  les  ambassadeurs 

1  Or.  Trésor  des  chartes ,  J.  632,  n"  25. 

2  Or.  Trésor  des  chartes,  u"  G36  (3  avril  1298). 

3  Or.  Trésor  des  chartes,  n"  27  (29  août  1298). 

26 


402  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LK  BEL. 

anglais  s'y  opposèrent  '.  Ceux  de  France  agirent  de  même  avec 
le  comte  de  Flandre,  qu'Fdouard  voulait  l'aire  inscrire  dans  la 
sentence.  Il  y  eut  une  sorte  de  transaction  :  la  sentence  garda 
le  silence  sur  les  Flamands  et  sur  les  Ecossais  ;  mais  Philippe 
n'abandonna  pas  ses  dliês,  ainsi  que  le  prétendent  les  histo- 
riens écossais.  Une  des  conditions  de  la  trêve  était  la  mise 
en  liberté  réciproque  des  prisonniers.  IMiilippe  fit  réclamer  la 
délivrance  de  Jean  de  Bailleul  et  de  son  fils  et  des  autres  Ecos- 
sais qui  étaient  tombés  entre  les  mains  d'Edouard,  offrant  de 
les  remettre  au  pape'.  A  la  fin  de  juin  120!)  l'ut  conclu  un 
traité  à  Montreuil,  stipulant  le  mariage  d'Edouard  avec  la 
sœur  du  roi,  union  qui  fut  célébrée  immédiatement  \ 

Jean  de  Bailleul  renonça  an  trône  d'Ecosse,  fut  remis  au 
légat,  et  alla  s'établir  en  Normandie,  où  il  mourut  quelques 
années  après  ^. 

Au  mois  de  septembre  lïiOO,  les  deux  rois  renoncèrent 
solennellement  k  toute  haine  personnelle  \  Enfin,  dans  un 
traité  signé  à  Asnières ,  une  trêve  fut  conclue,  dans  laquelle 
étaient  compris  les  Écossais,  bien  qu'Edouard  protestât  qu'il 
ne  reconnaissait  pas  Jean  de  Bailleul  comme  roi  d'Ecosse,  ni  les 
Écossais  comme  alliés  de  la  France.  Edouard  remit  toutes  les 
conquêtes  qu'il  avait  faites  en  Ecosse,  depuis  la  trêve  conclue 
à  Tournai,  au  roi  de  France,  qui  promettait  de  les  lui  rendre 
à  l'expiration  de  la  trêve  si  la  paix  n'était  pas  définitivement 
conclue'*.  Le  régent,  les  prélats,  les  barons  et  les  communes 
d'Ecosse  ratifièrent  ces  conditions".  Enfin,  le  20  mai  1303, 
fut  conclu  à  Paris  le  traité  définitif  entre  Philippe  et  Edouard, 
stipulant  la  restitution  de  la  Guienne  :  le  roi  d'Angleterre  s'en- 

i  Kcrv  yn ,  llecherches  sur  la  part  de  l'ordre  de  Citeaux  au  différend 
entre  Bonifacc  Vlll  et  Philippe  le  Bel,  p.  68. 

■-  Or.  Trésor  des  chartes,  note  remiso  par  P.  de  Flote,  15  janvier  1298, 
V.  s.,  J.  «32,  n»  28. 

3  Vendredi  après  la  Saint-Jean  1299.  Or.  Trésor  des  chartes,  n"  32.  — 
Ratification  d'Edouard,  14  juillet,  n°  33. 

'1  Lettre  du  nonce,  18  juillet  1299.  J.  022,  n"  34. 

^  Or.  Trésor  des  chartes,  lettre  d'Edouard.  .(.  (533,  n"  4. 

6  J.  633,  n"  2.  Confirmation  par  Edouard,  23  juin  1301. 

"  23  février  1302.  Or.  J.  633.  n°  3.  — Voyez  une  lettre  de  Jean  de  Bailleid 
donnant  plein  pouvoir  à  Philippe  le  Bel.  J.  633,  n^  4. 


LI\RE  TKEIZIiaiIv  —  POLITIQLE  ÉTRAXGÈRE.  403 

gageait  à  se  rendre  dans  la  ville  d'Amiens  pour  prêter  hom- 
mage, et,  en  cas  de  maladie,  à  envoyer  son  fils  aîné'.  Un 
traité  secret  offensif  et  défensif  fut  signé  en  même  temps".  Il 
n'était  plus  question  des  Ecossais,  que  Philippe  avait  aban- 
donnés. 


CHAPITRE  SEPTIEME. 

GUERRES  ET  \ÉGOCIATIOXS  AVEC  LA  FLA\DRE  DE   1300  A   1304. 

La  trêve  conclue  avec  les  Flamands  expirait  (6  janvier  1300). 
Charles  de  \alois  envahit  la  Flandre  ;  il  prend  Douai,  Dam,  et 
entre  dans  la  cité  de  Gand.  Tout  était  perdu.  Gui  de  Dampierre 
se  rendit  au  comte  de  Valois,  qui  promit  d'intervenir  en  sa 
faveur.  Le  roi  fît  garder  en  prison  le  comte,  ses  fils  et  plu- 
sieurs chevaliers  qui  partageaient  son  malheur.  La  Flandre  fut 
réunie  au  domaine.  En  130l,  Philippe  parcourut  avec  la  reine 
sa  nouvelle  conquête.  La  dureté  du  gouvernement  de  Jacques 
deChàtillon,  nommé  gouverneur  de  Flandre,  et  plus  encore 
le  patriotisme  flamand  froissé  par  l'assimilation  de  la  Flandre 
à  une  province  française,  amenèrent  à  Bruges  une  insurrection 
et  le  massacre  de  la  garnison  française  :  tout  le  pays  se 
soulève.  La  révolte  a  pour  chefs  Gui  de  Xamur,  fîls  du  comte 
de  Flandre,  et  Guillaume  de  Juliers;  l'armée  française  est 
vaincue  devant  Courtrai  (11  juillet  1302).  A  la  nouvelle  du 
désastre,  Philippe  lève  une  immense  armée,  qui  se  réunit  sous 
les  murs  de  Douai  ;  il  se  met  lui-même  à  sa  tête.  Des  négocia- 
tions entamées  avec  les  Flamands  n'aboutirent  pas.  Le  20  sep- 
tembre, on  apprit  avec  étonnement  que  le  roi  quittait  l'armée  : 
on  se  perdit  en  conjectures  sur  cette  retraite,  qui  est  encore 
inexpliquée.  Les  chroniqueurs  contemporains  français  et  fla- 
mands s'accordent  pour  l'attribuer  à  la  crainte  d'être  trahi,  et 
accusent  le  roi  d'Angleterre  de  perfidie'. 

1  Instriimpnt  des  plénipotentiaires.  J.  633,  n°  13. 

2  Or.  J.  633,  n"**  15  et  16.  —  Voyez  le  procès-verbal  de  restitution  de  la 
Guienne.  Ibid.,  n°  22,  et  Bibl.  imp.,  Cartul.  170,  fol.  210. 

3  On  raconte   que  les  l'Mamands  envoyèrent  des  ambassadeurs  implorer 
l'appui   d'Edouard,   qui  leur  déclara  ne  pouvoir  les  aider  publiquement  à 

26. 


404  LA  FRAXCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

Le  18  août  11)03,  jjiando  victoire  des  Français  à  Alons-en- 
Piielle.  Pliilippe  le  Bel  fit  preuve  d'une  rjraude  modération.  La 
reine  .Marie,  veuve  de  Philippe  le  Hardi,  détermina  le  duc  de 
Hialtaut  il  joindre  ses  ellorts  à  ceux  du  comte  de  Savoie  pour 
mettre  fin  aux  hostilités.  Une  trêve  l'ut  conclue  au  mois  de 
septemhre  avec  le  comte  de  Xamur,  fils  de  Gui  de  Dampierre  '. 
Les  prisonniers  furent  rendus  de  part  et  d'autre;  les  Flamands 
s'en<ja<|èrent  à  jiayer  une  indemnité  de  guérie  qui  serait  fixée 
par  huit  commissaires,  dont  quatre  Flamands;  Lille  et  Douai 
étaient  remis  en  gage.  Les  villes  de  Flandre  confirmèrent  ces 
conditions  '. 

Le  IG  janvier  1304,  un  traité  de  paix  fut  conclu  :  les  Fla- 
mands s'engageaient  à  payer  trois  cent  mille  livres  d'indem- 
nité de  guerre,  et  à  donner  à  Philippe  des  domaines  produisant 
deux  cent  mille  livres  de  rente  ^  L'exécution  de  ce  traité  était 
garantie  par  une  menace  d'excommunication  contre  ceux  qui 
le  violeraient  ;  mais  elle  offrait  une  foule  de  difficultés  qui 
devaient  plus  tard  allumer  de  nouveau  la  guerre. 

cause  de  son  traite  avec  la  France,  mais  leur  permit  de  compter  sur  lui.  Il 
affecta  devant  la  reine,  sœur  de  Philippe,  une  grande  préoccupation  •  la 
reine  lui  en  ayant  demandé  la  cause,  il  refusa  de  la  dévoiler;  il  finit  enfin 
par  lui  avouer  que  Pliilippe  jillait  être  trahi  par  plusieurs  seigneurs  qui, 
à  la  première  hatailie,  le  Tu  reraient  anx  Flamands  :  ilargueritc  prévint 
immédiatement  Philippe,  qui,  craignant  une  trahison,  quitta  aussitôt 
l'armée.  Ce  récit  se  trouve  avec  (pielques  variantes  insignifiantes  :  1°  dans  les 
Chroniques  de  Saint-Denis  ;  2"  dans  la  Chronique  anonijme ,  publiée  par 
Sauvage,  p.  42;  3"  dans  une  Chronique  de  Flandre,  nouvellement  puhliée. 
(Documents  belges.) 

1  Or.  Trésor  des  chartes,  .1.  5V4,  n"  13.  Cet  acte  est  scellé  par  le  comte 
de  Thiettc.  il.  Kcrvyn  présente  ce  traité  comme  un  acte  de  trahison  de  la 
part  du  comte  de  Xamur,  autre  fils  du  comte  de  Flandre,  t.  I,  p.  531. 

-  Or.  Trésor  des  chartes.  Douai,  \pres,  Gand,  Liste,  Bruges.  .1.  5W, 
n"  17. 

•*  Or.  Trésor  des  chartes ,  i.  546,  n"  8. 


LIVRE  TREIZIKME.  —  POLITIQUE  ETRAYGÈRl'.  405 

CHAPITRE  HUITIÈME. 

ACCROISSEMEXT     DU    ROYAUME     DU    CÔTÉ    DE     l/ORIEXT. 

Réunion  du  Vivarais  et  do  Lyon  à  la  France. 
1307-1310. 

Dès  le  treizième  siècle,  la  souveraineté  des  empereurs  sur 
les  contrées  voisines  de  la  rive  jjauclie  du  Rhône  devint  nomi- 
nale, surtout  depuis  que  la  guerre  des  Albigeois  et  la  dévolu- 
tion du  comté  de  Provence  à  Charles  d'Anjou,  frère  de  saint 
Louis,  eurent  fait  dominer  l'influence  française  dans  une  partie 
de  ces  pays;  toutefois,  le  droit  de  l'Empire  continuait  d'être 
reconnu.  Plusieurs  seigneurs  riverains  voulurent  profiler  de 
leur  position  pour  se  rendre  indépendants.  Au  roi  de  France, 
ils  disaient  :  Xous  sommes  vassaux  de  l'Empire;  tandis  qu'ils 
n'accordaient  qu'une  suzeraineté  nominale  aux  empereurs  '. 
Telle  était  la  situation  de  l'évéque  de  Viviers,  seigneur  du 
Vivarais,  qui,  bien  que  placé  sur  la  rive  française  du  Rhône, 
se  fondait  sur  d'anciens  actes  pour  se  prétendre  feudalaire  de 
l'Empire  et  échapper  à  l'autorité  des  rois  de  France  ;  mais  ce 
prélat  était  trop  faible  pour  résister.  Il  ne  pouvait  espérer  de 
secours  de  l'empereur,  qui  était  trop  éloigné  pour  le  protéger; 
sa  position  devint  surtout  pénible  à  partir  de  l'annexion  du 
Languedoc  à  la  couronne.  Son  petit  comté  se  trouvait  presque 
enclavé  dans  le  domaine  royal.  Déjà,  sous  Philippe  le  Hartli, 
le  sénéchal  de  lîeaucaire  s'était  fait  prêter  hommage  par  les 
vassaux  de  l'évéque",  et  avait  saisi  son  temporel.  Il  ne  céda  pas 
devant  une  sentence  d'excommunication  lancée  par  le  prélat, 
qui  mourut  dépouillé,  et  dont  le  successeur,  comprenant  que 

1  Sur  les  droits  de  l'Empire  dans  certaines  proiinccs  ([iii  font  aujourd'hui 
partie  de  la  France,  voyez  l'excellent  travail  de  mon  savant  ami  M.  Huillard- 
BréhoUcs,  Introduction  à  l'histoire  diplomatique  de  Frédéric  II,  cliap.  in, 
intitulé  :  Droits  de  souveraineté  exercés  par  Frédéric  II  dans  les  anciens 
royaumes  d'Arles ,  de  Bourgocjne  et  de  Lorraine. 

-  Kymcr,  Fœdera,  t.  I,  p.  11. 


4M  LA  FH.AXCK  SOIS  IMIILHM'K  \.E  BKL. 

I;i  lutte  était  inégale,  se  soumit,  et  promit  ^  iVc^ifer  à  droit 
(levant  Ir  Roi ,  sur  les  articles  aujijurls  il  rtoit  tenu  de 
droit  et  de  coutume  "  .  C'était  se  reconnaître  vassal  ;  rependant, 
malgré  cette  déclaration,  il  ne  renonça  pas  entièrement  à  ses 
prétentions;  mais  les  officiers  du  roi  le  poursuivirent  sans  relâ- 
che, et  en  obtinrent  une  reconnaissance  complète  de  la  suze- 
raineté de  la  France.  En  1305,  l'évêque  Aldebert  de  Pierre 
conclut  avec  Guillaume  de  Plasian,  Bernard  Jourdain  {\q  Lille 
et  le  sénéchal  de  lîcaucairc,  commissaires  délégués  par  IMii- 
lippe  le  Bel,  un  traité  qui  attribuait  au  roi  la  supériorité  sur 
tous  les  fiefs  de  l'Eglise  de  Viviers,  et  termina  un  différend 
qui  avait  duré  un  demi-siècle'.  Pour  ôter  à  révé(jue  t(nite 
velléité  d'indépendance,  le  roi  se  fit  céder  par  lui,  en  1307, 
à  titre  de  pariage,  la  moitié  de  ses  droits  directs  sur  le 
Yivarais  *. 

Ce  premier  succès  donna  du  cœur  à  Philippe  le  Bel  ;  il  osa 
porter  ses  vues  plus  haut,  et  rêver  l'acquisition  de  l'antique 
cité  de  Lyon.  Prudent  et  rusé,  il  n'avait  recours  à  la  force  que 
lorsque  les  négociations  et  les  habiletés  politiques  ne  don- 
naient aucun  résultat  :  il  connaissait  la  puissance  de  l'argent, 
et  savait  qu'il  est  plus  sûr  d'acheter  que  de  conquérir.  La 
maxime  Divide  et  impera  lui  était  familière,  il  l'appliqua 
plus  d'une  fois  avec  bonheur.  Lyon,  cité  puissante,  espèce  de 
république,  quoique  placée  sous  la  seigneurie  de  l'archevêque, 
relevait  de  l'Empire;  mais  un  faubourg  de  la  ville  et  le  château 
de  Saint-Just  appartenaient  au  roi  de  France  :  voisinage  (jui 
devint  funeste  à  la  grande  cité.  Les  bourgeois  étaient  en  lutte 
perpétuelle  avec  leur  archevêque  :  il  leur  prit  l'idée  fatale 
d'appeler  à  leur  secours  Philippe  le  Hardi,  qui  se  bâta  d'inter- 
venir, et  prit  les  habitants  sous  sa  protection  (1271)^. 

Une  nouvelle  alliance  fut  conclue  en  12D0*.  En  1305,  l'ar- 
chevêque, Louis  de  Beaujeu,  fatigué  des  vexations  continuelles 
qu'on  lui  faisait  supporter,  se  soumit,  à  condition  que  le  roi 
le  reconnaîtrait  en  qualité  de  primat  des  Gaules  ;  il  conserva  la 

1  Vaissète,  t.  IV,  p.  132  et  133. 

-  Mesnard,  Histoire  de  Xistnes ,  t.  I,  preuves,  p.  438. 

"•  Alcncstrior,  Histoire  immicipate  de  la  rille  de  Lyon ,  p.  10. 

*  Méucslricr,  Histoire  municipale  de  la  ville  de  Lyon,  p.  2i,  -'^  c\  25. 


LIVRE  TREIZIÈME.  —  POLITIQUE  ÉTRANGÈRE.  407 

possession  de  la  ville  et  du  comté  de  Lyon,  la  juridiction  civile 
et  criminelle,  les  appels  de  premier  degré,  ainsi  que  le  droit 
de  battre  monnaie'.  Un  gouverneur  fut  établi  à  Lyon,  avec 
mission  de  sauvegarder  les  droits  du  roi  et  de  la  cité  ;  en 
échange  de  la  protection  royale,  chaque  maison  dut  payer  une 
redevance  annuelle.  Louis  de  lieaujeu  mourut  presque  immé- 
diatement après  la  conclusion  de  ce  traité  ;  son  successeur, 
prince  de  la  maison  de  Savoie,  refusa  de  l'exécuter,  encouragé 
dans  sa  résistance  par  la  population ,  qui  s'aperçut  un  peu  lard 
qu'elle  s'était  donné  un  maître  redoutable;  le  mécontentement 
mena  les  Lyonnais  à  la  révolte.  En  L310,  ils  attaquèrent  le 
château  de  Saint-Just,  en  chassèrent  les  Français  et  fortiflèrent 
leur  cité.  Ils  auraient  dû  savoir  qu'ils  avaient  affaire  à  un 
homme  qui  ne  laisserait  pas  facilement  échapper  de  ses  mains 
une  si  belle  conquête.  Philippe  envoya  une  forte  armée , 
commandée  par  son  fils  aîné,  le  roi  de  Navarie,  ses  deux 
autres  fîls  et  ses  deux  frères,  les  comtes  de  Valois  et  d'Évreux. 
C'était  le  début  militaire  du  jeune  roi;  rien  ne  fut  épargné 
pour  lui  assurer  le  succès.  Lyon  fut  investi;  l'assaut  était  prêt 
quand  les  habitants  sans  espoir  capitulèrent^.  Philippe  n'exerça 
pas  de  vengeance;  l'archevêque,  qui  avait  été  le  chef  de  l'in- 
surrection, obtint  grâce  à  la  prière  de  son  frère,  le  comte  de 
Savoie,  mais  à  des  conditions  qui  le  mirent  désormais  dans 
l'impossibilité  de  nuire ^  Il  abandonna  toute  juridiction  tem- 
porelle, et  reçut  en  compensation  des  terres  situées  dans  des 
provinces  éloignées,  qui  lui  procurèrent  de  forts  revenus,  mais 
le  laissèrent  sans  importance  politique.  On  consentit  par  pitié 
à  lui  laisser  le  droit  de  frapper  monnaie  '. 

Ce  fut  ainsi  que  Lyon  fut  détaché  de  l'Empire  et  réuni  à  la 
France.  C'était  là  une  belle  et  durable  conquête.  Ce  qu'il  y  eut 
de  remarquable  dans  ce  résultat,  c'est  qu'il  fut  obtenu  au  nom 
du  droit.  Sans  doute,  la  force  joua  le  principal  rôle,  mais  elle 
ne  fut  employée  qu'accidentellement.  Aux  prétentions  de  l'ar- 

1  Alénestricr,  Histoire  municipale  de  la  ville  de  Lyon,  p.  39;  cl  Trésor 
des  chartes ,  J.  202,  n"*  7  ot  8. 

-  Recueil  des  historiens  de  France,  l.  XXI,  p.  34  ot  35. 

"^  Traite  de  Vienne  en  1312  (10  avril).  Méncstricr,  Preuves,  p.  51. 

'*  Trésor  des  chartes ,  .1.  209,  n"  7(i. 


408  LA  FRAXCK  SOl'S  niH.lPPK  LE  BEL. 

clievêque  de  Lyon,  qui  faisait  appol  à  la  notoriété  piiI)ru|iio  et 
aux  actes  des  empereurs  pour  prouver  sa  dépeudance  de  l'Em- 
pire, Philippe  opposait  des  textes  historiques;  il  citait  un  vieux 
Passionnaire  de  l'Église  de  Lyon,  où  il  était  dit  qu'un  saint 
arclievè(|ue  de  cette  ville  étant  tombé  malade  <à  Paris,  pria  le 
roi  Childehert  de  désigner  pour  le  reuiplaeer  saint  Xicelus  '.  Ce 
n'est  pas  le  seul  exemple  que  l'on  trouve  sous  ce  régne  de 
textes  historiques  invoqués  par  le  gouvernement  français  pour 
exercer  des  revendications  de  territoire  :  Philippe  le  lîel  n'ac- 
ceptait pas  les  modiîicalions  a[)portées  à  l'étendue  du  royaume 
à  la  lin  de  la  deuxiénu:'  race;  il  voulait  renouer  la  tradition 
mérovingienne  et  se  substituer  aux  droits  des  rois  de  lii  |)re- 
mière  race,  dont  il  se  proclamait  le  successeur.  Il  ne  laissa 
passer  aucune  occasion  d'appliquer  ces  principes  et  d'empiéter 
sur  l'Empire. 


CHAPITRE   NEUVIEME. 

POLITIQUE    EXTÉRIEURE    DE    1308    A    131-4. 

En  1308,  Philippe  le  Bel  reprit  un  ancien  projet,  celui  de 
faire  élire  empereur  son  frère  Charles  de  Valois*.  Il  écrivit 
aux  j)rincipaux  princes  d'Allemagne  pour  les  prier  de  favoriser 
cette  élection  %  et  envoya  trois  ambassadeurs,  Gérard  de  Landri, 
Pierre  Barrière  et  Hugues  de  la  Celle  *,  chargés  de  répandre 
de  l'argent  ^  Il  comptait  sur  l'appui  de  Clément  V;  Pierre  du 

1  Roiiloaii  orijjinal,  Trésor  des  chartes ,  J.  2G7. 

2  Viliaiii,  t.  VIII,  p.  43G. 

3  Lettre  au  roi  de  Bohème,  le  tiiiuli  après  l'Ascension  1308.  CartnI.  170, 
fol  lOG.  —  Autri'  au  même,  de  l'octave  de  la  Pentecôte.  Ibid.,  107.  — 
Dans  la  première  de  ces  lettres ,  le  comte  de  Valois  n'est  pas  nommé  :  Phi- 
lippe se  borne  à  des  insinuations;  dans  la  seconde,  il  propose  son  frère. 

4  Reg.  \L1I  du  Trésor  (1rs  chartes,  n»-  99,  100  et  101. 

^  Promesse  de  Charles  de  Valois  de  rendre  au  roi  les  sommes  qu'il  lui 
avait  prêtées  pour  .;  certains  messages  sollempnes  (envoyés)  pour  l'accroisse- 
ment de  Testât  et  de  l'ounnur  d'aucune  personne,  de  qui  nous  (le  roi)  avons 
la  promocion  si  à  cucr,  comme  nous  poons  plus,  ou  point...  d'avenir  à  la 
hauterie  d'cstrc  eslue  en  roy  d'Alemnijjne.   j   20  juin  1308.  Reg.  XLII  du 


LIVRE  TREIZIEME.  —  POLITIQLE  ÉTRAXGÈRE.  VO!) 

Bois  voulait  même  quo  le  roi  ordonnât  an  pape  de  suspendre 
le  droit  des  électeurs  pour  nommer  directement  Charles  de 
Valois  :  il  espérait  que  .les  électeurs  garderaient  le  silence 
moyennant  de  fortes  pensions  ;  c'était  trop  présumer  de  la 
complaisance  du  pape  et  des  princes  allemands.  Ils  s'enten- 
dirent pour  déjouer  les  projets  de  Philippe  et  donner  la  cou- 
ronne impériale  au  comte  de  Luxembourg,  brave  chevalier, 
n'ayant  guère  que  son  épée  et  qui  n'inspirait  aucune  crainte 
aux  électeurs.  Henri  VU  fut  élu,  et  Clément  se  hcàla  de  lui 
accorder  l'investiture.  N'ayant  pu  faire  de  son  frère  un  empe- 
reur, Philippe  voulut  se  faire  un  ami  du  nouveau  césar;  il  le 
reconnut  avec  empressement,  le  félicita  de  son  avènement,  et 
entama  des  négociations  pour  conclure  un  traité  d'amitié  et 
d'alliance  offensive  et  défensive.  Les  plénipotentiaires  furent, 
du  côté  de  la  France,  Robert,  comte  de  Clermont,  et  Pierre  de 
Latilly,  archidiacre  de  Chalons;  du  côté  de  l'empereur,  Jean 
de  Xamur  et  Simon  de  illarville,  trésorier  de  l'église  de  Metz. 
Si  quelque  contestation  s'élevait  entre  les  deux  parties  contrac- 
tantes, chacune  devait  nommer  six  commissaires  pour  la  régler 
à  l'amiable.  Au  cas  où  l'empereur  créerait  un  roi  des  Romains, 
celui-ci  serait  tenu  de  jurer  le  traité  '. 

Autant  Philippe  le  lîel  était  désireux  de  s'agrandir,  autant 
il  se  montrait  inflexible  pour  les  attentats  commis  par  les  étran- 
gers contre  son  autorité  ou  son  honneur.  Le  seigneur  de  Saint- 
Laurent  était  entré  en  armes  sur  le  territoire  français,  et  ayant 
maltraité  un  sergent  du  bailli  de  Alàcon ,  Philippe  envoya  des 
troupes  assiéger  le  château  de  Saint-Laurent,  bien  qu'il  fût 
situé  hors  du  royaume,  et  le  fit  jaser.  Il  exigea  du  comte  de 
Savoie  la  promesse  de  ne  pas  le  rebâtir,  afin  qu'on  n'oubliât 
pas  quelle  vengeance  le  roi  de  France  tirait  des  insultes  qu'on 
osait  lui  faire  ^  Le  roi  de  Sicile,  Frédéric,  avait  tenu  de  mau 

Trésor  des  chartes ,  fol.  J07  v».  —  Philippe  fit  recommander  l'élection  de  son 
frère  à  l'archevêque  de  Cologne  par  le  cardinal  de  Sainte-Marie  la  Neuve. 
Cartul.  170,  fol.  128. 

1  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  .j8(),  n"  1  (Paris  1310).  —  Ratification 
de  Henri,  septembre  1311  ,  au  camp  de  Brescia.  Ihid.,  n"  i. 

-  Promesse  du  cnmic  de  Savoie.  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  501,  n''  7 
(octobre  1310).  —  Copie,  Trésor  des  chartes ,  Re;;.  XLII,  ii''  vi"v. 


410  \A  km.wcl:  sols  philii»i'e  le  bel 

vais  propos  sur  le  projcl  de  (Jiarlos  de  Valois  de  conquérir 
Conslanlinople.  Philippe  en  ayant  élé  instrtiil,  fit  parvenir 
l'expression  de  son  niécont<Milcment  an  roi,  (jui  s'excusa  et 
protesta  de  son  altacliement  à  iMiilippe  et  à  son  frère'.  Les 
Vénitiens  s'étaient  emparés  de  Ferrare,  ville  du  patrimoine  de 
saint  Pierre.  Philippe  écrivit  à  la  répuhlique  de  Venise  pour 
lui  faire  part  de  son  mécontentement.  Les  Vénitiens  envoyèrent 
aussi  une  ambassade  chargée  d'expliquer  leur  conduite  ;  Feirare 
fut  rendue  au  pape  ^. 

En  mourant,  IMiilippe  léguait  à  son  fils  la  guerre  contre 
les  Flamands,  qui  ne  devaient  plus  avoir  de  repos  jusqu'à 
ce  qu'ils  eussent  entièrement  secoué  la  domination  de  la 
France. 

Je  ne  saurais  terminer  ce  chapitre  sans  parler  des  aspira- 
tions à  la  monarchie  universelle  qui  se  manifestèrent  en  France 
dès  cette  époque.  J'ai  souvent  eu  à  citer  dans  le  cours  de  ce 
travail  un  nommé  Pierre  Dubois,  inconnu  jusqu'ici  et  dont  les 
nombreux  ouvrages,  la  plupart  inédits,  donnent  les  plus  pré- 
cieuses lumières  sur  les  tendances  du  gouvernement  et  de  la 
société  française  au  commencement  du  quatorzième  siècle. 
Simple  avocat  du  roi  à  (loutances,  Dubois  ne  fut  pas  appelé 
aux  grandes  charges  de  l'Etat;  son  influence  fut  sans  doute 
restreinte;  son  mérite  est  d'avoir  été  un  des  plus  anciens 
représentants  des  idées  modernes  ^  Plein  de  confiance  dans 
ces  idées,  il  osa  en  faire  part  à  Philippe  le  Bel  lui-même,  dans 
des  mémoires  dont  plusieurs  nous  sont  î)arvenus.  Profoîulé- 
mcnt  dévoué  à  la  royauté,  il  attaqua  la  noblesse  et  le  clergé 
qui  en  gênaient  le  développement.  Gallican,  il  lutta  contre  ce 
qu'il  regardait  comme  les  usurpations  de  la  cour  de  Rome.  Il 
prit  une  part  active  au  diflerend  entre  Philippe  le  Bel  et  lioni- 
face  VIII,  et  fut  utilement  employé  dans  le  procès  des  templiers 

1  Rcg.  XLII  du  Trésor  des  chartes,  n°  cxv  (23  septembre  1310?). 

2  Lettre  de  Clémenl  \  à  l'iiilippc  le  Bel.  Baliizc,  Vitœ  papannn,  t.  II, 
p.  120.  Ce  fait,  qui  n'est  cité  par  aucun  liisloricn  ecclésiastique,  contredit 
ceux  qui  veulent  voir  dans  Philippe  le  Bel  un  précurseur  de  Henri  vIII. 

3  Voyez  sur  I)ui)ois  l'intéressant  Alémoirc  de  M.  de  W'ailly,  Mém.  de 
l'Acad.  des  inscript.,  t.  XVII;  et  l'article  que  nous  lui  avons  consacre  dans 
Notices  et  extraits. 


LIVRE  TREIZIÈME.  —  POLITIQUE  ÉTRAXGÈRE.  411 

pai"  le  roi,  qui  se  servit  de  lui  pour  agir  sur  ropinion  publique  ; 
mais  outre  ces  écrits  qui  lui  étaient  commandés  par  le  «jouver- 
nement,  il  remettait  de  temps  à  autre  à  Philippe  des  mémoires 
sur  différents  sujets  politiques,  ayant  tous  pour  but  l'élévation 
de  la  royauté.  Français  de  cœur,  il  possédait  à  un  baut  degré 
le  sentiment  de  la  nationalité,  et  aurait  voulu  voir  la  France 
régner  sur  le  monde.  C'est  seulement  à  ce  dernier  point  de 
vue  que  nous  avons  à  nous  occuper  de  lui  pour  l'instant.  Dans 
un  mémoire  rédigé  vers  1300,  il  posait  en  principe  qu'il  était 
à  souhaiter  pour  le  bonheur  général  que  la  domination  fran- 
çaise fut  universelle  et  s'étendît  à  tous  les  pays  civilisés;  mais 
pour  atteindre  ce  but  difficile,  quelle  voie  suivre  '?  Théoricien 
téméraire,  Dubois  ne  trouvait  pas  d'obstacles  insurmontables. 
A  commencer  par  l'Italie,  il  était  facile  d'obtenir  du  pape, 
pour  le  roi,  la  dignité  de  sénateur  de  Rome  ;  il  n'était  peut-être 
même  pas  impossible  d'amener  le  souverain  pontife  à  céder 
son  pouvoir  temporel,  moyennant  une  forte  pension.  Ce  traité 
donnerait  au  roi  de  France,  non-seulement  Rome  et  les  Roma- 
gnes,  mais  encore  la  suzeraineté  de  l'Angleterre,  de  la  Sicile 
et  de  l'Aragon.  Ce  premier  point  obtenu,  l'empereur  ou  les 
électeurs  céderaient  volontiers  la  Lombardie,  riche  pays,  qui 
dépendait  de  l'Empire,  mais  qui  refusait  de  lui  obéir.  Si  les 
Lombards  repoussaient  la  domination  française,  on  la  leur  im- 
poserait par  la  force.  On  obtiendrait  la  suzei'aineté  de  l'Orieni 
en  faisant  épouser  à  Charles  de  Valois,  frère  du  roi,  l'héritière 
des  empereurs  latins  de  Constantinople,  et  en  l'aidant  à  recou- 
vrer ses  domaines,  à  condition  de  se  reconnaître  vassal.  On 
agirait  de  même  pour  la  Castille,  en  fournissant  des  secours 
aux  infants  de  Lacerda,  petits -Gis  de  saint  Louis,  pour 
remonter  sur  le  tronc  dont  ils  avaient  été  dépouillés.  Quant  à 
l'empire  d'Allemagne,  l'auteur  ne  voit  pas  d'autre  moyen 
qu'un  traité  pour  s'en  rendre  maître;  mais  il  espère  que  les 
empereurs,  pressés  par  leurs  vassaux,  auront  recours,  pour 
se  défendre,  aux  rois  de  France,  qui  leur  dicteront  des 
conditions. 

Plus  tard,  Dubois  crut  trouver  un  moyen  pratique  d'arriver 

1  Ce  Mémoire  se  trouve  à  la  Bibl.  inip.,  n°  6222  C;  il  est  encore  inédit. 


412  I-A  FHAXCK  SOLS  l'HlLIPI'E  LK  DKL. 

à  l'Empire.  Kn  J;i08,  il  pensa  (pi'il  serait  aisé  d'amener  Clé- 
ment V  à  faire  renoncer  les  électeurs  à  leur  droit  d'élection, 
moyennant  des  sommes  considérables  que  chacun  d'eux  rece- 
vrait comme  dédommagement.  S'ils  ne  se  prêtaient  pas  à  un 
accommodement,  le  pape  suspendrait  l'exercice  de  leur  droit 
et  nommerait  lui-même  l'empereur  (ce  qui  s'était  déjà  vu); 
son  choix  tomberait  sur  Philippe  le  Bel.  On  espérait  faire 
adopter  ce  projet  par  la  promesse  qu'une  fois  empereur, 
Philippe,  devenu  tout-puissant,  établirait  une  paix  durable  en 
Europe,  et  appliquerait  toutes  les  forces  de  la  chrétienté  à 
la  conquête  de  la  terre  sainte,  objet  des  vœux  des  souverains 
pontifes. 

Vers  la  même  époque,  Dubois  conseilla  la  fondation  d'un 
royaume  d'Orient,  qui  serait  donné  à  l'un  dos  fils  du  roi. 

Ce  n'était  là  que  le  plan  d'un  particulier;  mais  on  doit  le 
regarder  comme  l'expression  de  l'opinion  publique  qui  attri- 
buait à  ce  prince  les  plus  vastes  desseins  et  croyait  la  France 
appelée  à  JQuer  le  premier  rôle  dans  le  monde.  D'ailleurs,  tout 
ne  doit  pas  être  rejeté  comme  invraisemblable;  il  faut  faire  la 
part  de  l'exagération;  nous  allons  essayer  de  démêler  ce  rju'il 
y  eut  de  vrai  dans  ces  projets,  prêtés  par  son  siècle  à  Philippe 
le  Bel.  Quand  Philippe  le  Hardi  mourut,  la  race  de  Hugues 
Capet  était  en  chemin  d'occuper  une  pailie  des  trônes  de 
l'Europe.  Ciiarles  d'Anjou,  frère  de  saint  Louis,  avait  été 
appelé  par  un  pape  au  trône  de  Xaples.  Du  chef  de  sa  femme, 
il  possédait  le  riche  comté  de  Provence.  Charles  de  Valois, 
second  fils  de  Philippe  le  Hardi,  avait  reçu  du  pape  Martin  IV 
la  couronne  d'Aragon,  arrachée  à  don  Pèdre,  en  punition 
des  \èprcs  siciliennes'.  En  (bastille,  la  France  soutenait  les 
infants  de  Lacerda,  petits-fils  de  saint  Louis,  qui  avaient  été 
injustement  privés  de  la  couronne  par  don  Sanclie.  Philippe 
le  Bel  avait  été  lui-même  possesseur  du  royaume  de  Xavarre 
du  chef  de  sa  femme,  Jeanne,  héritière  des  comtes  de  Cham- 
pagne. L'Espagne  presque  tout  entière  était  donc  à  la  veille  de 
tomber  sous  la  domination  ou  sous  l'influence  française  ;  un  peu 
plus,   Philippe  aurait  pu  dire,  cin(j  siècles  avant  Louis  XIV   : 

*  Original  do  la  donation.  Trésor  des  chartes ,  J.  163,  n"  3. 


LIVRE  TREIZIÈME.  —  POLITIQUE  ÉTRAX'GÈRE.  413 

ji  11  n'y  a  plus  de  Pyrénées.  »  Mais  il  dut  céder  devant  l'opi- 
niâtre résistance  des  Aragonais  et  reconnaître  don  Sanclie  de 
Castille.  Il  convoita  l'Empire,  non  pour  lui,  mais  pour  son 
frère.  Il  intrigua  pour  faire  élire  Cliarles  de  Valois  après  la 
mort  d'Adolphe  de  Nassau.  Vn  |)remier  échec  ne  le  rehuta  pas. 
La  mort  violente  d'Alhcrt  ranima  son  espoir.  N'ayant  pu  être 
empereur  ni  donner  l'Empire  à  l'un  des  siens,  Philippe  se  rat- 
trapa en  faisant  avec  Henri  Vil  ce  qu'il  avait  fait  avec  Albert 
d'Aulriciie,  en  contractant  avec  lui  une  étroite  alliance.  Il 
acheta  un  à  un  les  princes  de  l'Empire,  surtout  ceux  voisins 
de  la  France;  il  s'assura  de  leur  fidélité  par  des  pensions,  qu'il 
retirait  quand  il  cessait  d'en  obtenir  des  services,  (l'est  ainsi 
qu'il  tenait  dans  sa  main  les  évoques  de  Verdun  ',  de  Liège  ^ 
et  de  Aletz  %  l'archevêque  de  Cologne  \  le  duc  de  IJrabant  % 
les  comtes  de  Luxembourg®,  de  Hainaut  ',  de  Namur^  de 
Hollande  ^,  de  Savoie  '",  le  dauphin  du  Viennois  "  et  une  infi- 
nité de  seigneurs  moins  puissants  ''.  II  acquit  la  Franche- 
Comté  par  le  mariage  de  son  fils  Philippe  avec  l'héritière  de 
cette  province.  On  dirait  que  Philippe  voulait  exécuter  le 
plan  de  Dubois  ou  que  Dubois  avait  pénétré  ses  desseins,  car 
il  fît  épouser  à  ce  même  Charles  de  Valois  Catherine  de  Conr- 
tenay,  héritière  de  l'empire  de  Constantinople,  et  il  comptait 
bien  le  faire  régner  à  Byzance  '^  Il  n'épargna  rien  pour  y  ar- 
river :  il  ouvrit  son  trésor,  passa  des  traités  avec  des  princes 

I   En  1304.  Trésor  des  cliartes ,  .1.  584,  n"  2. 

-  En  1304.  Trésor  des  cliartes,  .1.  527,  n"  5  et  6. 

«^  lui  1296.  Trésor  des  cliartes,  .1.  586,  n»  2. 

'  En  1301.  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  622,  n»  39. 

■'  En  1304.  Trésor  des  chartes ,  J.  513,  \\"  9.  Pour  2,500  livres  d.^  renie 

«  En  1294.  Or.  J.  608,  n"  4. 

"  En  1294.  lÂcre  rouge  de  la  chambre  des  comptes ,  p.  87.  —  En  1314. 
Re«5.  XXXIV^  du  Trésor  des  chartes,  loi.  54  v". 

8  En  1307.  Trésor  des  chartes ,  J.  532,  n"  6. 

•'  En  1295.  Trésor  des  chartes ,  J.  525,  n"  1.  Pour  4,000  livres  de  rente. 
"'  En  1304.  Trésor  des  cliartes ,  J.  501  ,  n"  5.  Pour  2,500  livres  de  rente. 
"  Eu  1292.  Valbonnais,  Mém.  pour  l'histoire  duDaiiphiné,  preuves,  sous 
Humbert,  t.  I,  p.  872. 

'•^  Voyez  aux  .^rcli.  del'Emp.  les  cartons  J.  622,  623  et  624;  et  le  Journal 
du  trésor,  Bibl.  imp.,  suppl.  français.  n°  4743^. 
1^  Ducange,  Histoire  de  Constantinople ,  liv.  VII. 


M4  LA  l'R.WCE  SOLS  rHILIPI'K  LE  BEL. 

de  l'Orient  dont  le  nom  même  était  inconnu',  obtint  du  pape 
des  décimes  pour  la  con(|néle  de  l'empire  grec. 

La  politique  de  Philippe  le  15el  pénétra  au  fond  de  l'Orient  : 
on  vit  à  sa  cour  les  envoyés  du  khan  des  Tartares,  OEldjaïtou*, 
et  du  roi  mo<pl  Arjjouu'.  Par  le  mariage  de  sa  fille  Isabelle 
avec  Edouaid  II,  il  s'était  fait  un  allié  de  l'Angleterre.  Il  s'était 
procuré  l'amitié  du  roi  de  Norvège  et  avait  jeté  en  Ecosse 
les  fondements  de  cette  fidèle  alliance  qui  a  duré  jusqu'à  la 
fin  du  seizième  siècle  et  que  le  supplice  de  Marie  Stuart  put 
seul  briser.  On  le  trouve  partout,  mêlé  à  toutes  les  grandes 
questions  qui  se  soulevèrent  de  sou  temps.  Aussi,  devant  celle 
influence  immense  de  Philippe  le  Bel,  qui  s'étendait  sur 
l'Europe  entière,  comprend-on  l'enthousiasme  des  Français , 
qui  étaient  unanimes  à  regarder  leur  j)atrie  comme  appelée  à 
régner  sur  le  monde  pour  le  bonheur  de  l'humanité  \  ainsi 
que  l'étonnement  et  l'indignation  de  Dante.  Ce  Gibelin  avait 
rêvé,  lui  aussi,  une  monarchie  unique,  mais  il  voulait  placer 
cette  couronne  sublime  sur  la  tête  de  l'empereur  °,  et  il  ne  pou- 
vait voir  sans  haine  et  sans  injure  cette  mauvaise  plante, 
comme  il  appelait  la  race  de  Hugues  Capet,  qui  couvrait  toute 
la  chrétienté  de  son  ombre  ®. 

*  Traité  avec  Irosius,  roi  de  Dacie.  Trésor  des  chartes,  Constantinople , 
II"  17.  En  j:308. 

-  Siippl.  (lu  Trésor  des  chartes ,  armoire  de  fer.  I'>ii  1306. 

•^  Siippl.  du  Trésor  des  chartes ,  armoire  de  fer.  En  1289. 

''•  Voyez  ce  que  dit  G.  de  Jandnn  dans  Y  Eloge  de  Paris,  publié  par  M.  Leroux 
de  Lincy. 

■'  Voyez  le  traité  De  vwîiarchia. 

"  Purcjalolre. 


LIVRE   QUATORZIEME. 

COXCLl  SIOX. 


CHAPITRE   PREMIER. 

ÉTUDE    SUR    LE    CARACTÈRE    DE    PHILIPPE    LE    BEL. 

Quel  a  été  le  caractère  de  Philippe  le  Bel?  —  Témoignages  des  contempo- 
rains. —  Guillaume  l'Ecossais.  —  Villani.  —  Geoffroi  de  Paris.  —  On  no 
peut  admettre  que  Philippe  ait  été  un  esprit  faihle.  —  11  a  gouverné  par 
lui-même.  —  Paroles  de  l'éièqiie  de  Pamiers.  —  Il  était  peu  ami  des 
lettres.  —  Ce  n'était  pas  un  prince  guerrier.  —  Preuves  de  sa  fermeté. — 
Ses  ministres  ne  sont  que  les  instruments  dociles  de  sa  volonté,  moyennant 
quoi  il  les  combla  de  biens.  —  Il  ne  leur  donne  aucun  pouvoir  personnel. 
—  Puissance  de  Marigny.  —  Pendant  la  dernière  année  de  sa  vie,  le 
caractère  de  Philippe  semble  avoir  fléchi.  —  Curieuse  anecdote.  —  Récit 
de  la  mort  du  roi. 

Dans  le  cours  de  ce  travail ,  j'ai  atlribué  à  Philippe  le  Bel 
toutes  les  mesures  qui  furent  prises  sous  son  règne  :  j'ai 
supposé  que  rien  ne  s'était  fait  que  par  son  ordre  et  sous  son 
inspiration;  j'ai  personnifié  en  lui  un  goui'ernement  habile, 
organisateur  énergique  ;  j'ai  presque  tracé  le  portrait  d'un  grand 
roi;  mais  l'influence  personnelle  de  ce  prince  sur  les  faits  et 
la  part  qu'il  prit  réellement  à  l'administration  de  la  France  et 
aux  actes  politiques  qui  s'accomplirent  sous  son  nom,  furent- 
elles  aussi  grandes  qu'elles  le  paraissent  ?  C'est  Là  un  grave 
problème  qu'il  convient  d'examiner.  Les  historiens  modernes 
se  plaignent  de  l'absence  de  renseignements  sur  le  caractère 
de  Philippe  le  Bel  :  il  a  cela  de  commun  avec  la  plupart  des 
rois  du  moyen  âge.  Si  l'on  excepte  saint  Louis  et  Louis  XI, 
que  d'immortels  biographes,  Joinville  et  Commines,  ont  fait 
vivre  au  delà  du  tombeau,  nous  sommes  réduits  à  des  conjec- 
tures sur  la  personnalité  de  la  plupart  des  souverains  qui  ont 
eu  le  plus  d'action  sur  les  destinées  de  notre  pays.  Quel  homme 
était  Philippe-Auguste?  Connaissons-nous  Charles  V?  Quelle 


416  LA  FRAXCL:  SOIS  IMIMJPPE  LK  REL. 

énigme  que  ce  Charles  VII,  que  l'on  a  si  longtemps  représenté 
comme  un  roi  fainéant,  et  (jue  l'on  s'efforce  de  réhabiliter  de 
nos  jours!  Mais  aucun  d'eux  n'est  entouré  d'un  mystère  plus 
impénétra  Me  que  Philippe  le  Bel.  Ou  s'est  plu  à  lui  accorder 
l'inflexibilité  dont  son  gouvernement  porte  l'empreinte.  On  en 
a  fait  le  type  abstrait  de  la  royauté  ,  telle  que  les  légistes 
l'avaient  rêvée  :  on  l'a  dépeint  comme  un  roi  sans  jeunesse  et 
sans  passions  et  n'ayant  rien  d'humain.  Cette  figure  n'est  pas 
celle  de  la  légende,  qui  se  tait  sur  cet  homme  que  l'histoire 
n'a  pas  osé  juger,  et  qu'elle  a  baptisé  du  nom  de  Bel,  n'osant 
pas  l'appeler  le  Grand  et  ne  voulant  pas  l'appeler  le  Mauvais. 
Ce  sont  les  historiens  récents,  qui,  impuissants  à  soulever  le 
voile,  ont  créé  une  figure  de  fantaisie,  dont  rien  ne  garantit 
la  vérité.  Les  chroniqueurs  contemporains  ne  sont  pas  aussi 
muets  qu'on  le  suppose;  peut-être  en  les  interrogeant  avec 
soin  n'esf-il  pas  impossible  de  restituer  à  l'histoire  cette  figure 
qu'on  nous  représente  sous  des  traits  si  étranges. 

Un  chroniqueur  publié  d'hier,  Guillaume  l'Ecossais ,  moine 
de  Saint-Denis,  qui  connut  Philippe  le  Bel  et  l'assista  dans  ses 
derniers  moments,  a  tracé  de  ce  prince  un  portrait  qui  paraît 
tout  d'abord  invraisemblable,  tant  il  diffère  de  l'opinion  géné- 
ralement reçue  '. 

Guillaume  lait  le  plus  grand  éloge  de  la  beauté  de  Philippe 
et  de  sa  dignité  extérieure.  L'élégance  de  toute  sa  personne 
et  la  distinction  de  ses  manières  répondaient  à  la  beauté  de  son 
visage.  Tout  en  lui  annonçait  un  roi.  «  11  se  faisait  remarquer, 
ajoute-t-il,  par  sa  douceur  et  sa  modestie,  fuyant  avec  horreur 
les  mauvaises  conversations,  exact  aux  offices  divins,  fidèle 
observateur  des  jeûnes  prescrits  par  l'Eglise,  domptant  sa 
chair  avec  un  ciliée.  "  Il  me  semble  que  ce  portrait  convient 
plutôt  à  saint  Louis  qu'à  Philippe  le  Bel. 

Guillaume  l'Ecossais  n'est  pas  moins  favorable  au  roi  qu'à 
riiomme  :  il  attribue  l'établissement  des  nombreux  impôts  qui 
signalèrent  son  règne  moins  à  son  initiative  qu'à  ses  con- 
seillers. Simple  et  bienveillant,  il  supposait  les  autres  animés 
des  mêmes  intentions,  et  accordait  une  confiance  aveugle  à  des 

'  Historiens  de  France,  f.  \\I,  j).  201  et  suiv. 


LIVRE  QUATORZIEME.   —  COXCLUSIOX.  417 

hommes  qui  consultaient  plutôt  leurs  propres  intérêts  que  ceux 
de  l'État  '. 

L'Italien  Villani  est  en  partie  conforme  à  Guillaume  l'Ecos- 
sais, sauf  pour  la  piété  du  roi,  sur  laquelle  il  garde  le  silence. 
C'était,  dit-il,  le  plus  bel  homme  du  monde,  de  haute  stature, 
bien  proportionné,  assez  sage  et  bon  homme,  ardent  à  la  chasse; 
il  négligeait  le  gouvernement  de  ses  États  et  s'en  déchargeait 
sur  autrui.  Il  suivit  de  mauvais  conseils  et  fut  trop  confiant*. 
On  croirait  que  Villani  a  connu,  ce  qui  n'a  rien  d'impossible, 
la  chronique  de  (înillaume  l'Ecossais,  tant  les  deux  récits  se 
ressemblent.  Geoffroi  de  Paris  atteste  l'amour  du  roi  pour  la 
chasse,  et  se  fait  l'écho  du  sentiment  public  en  faisant  retomber 
sur  les  conseillers  du  roi  les  nombreux  impôts  qui  écrasèrent  le 
peuple^.  Il  les  accuse  plusieurs  fois  de  tromper  le  roi  et  de  dé- 
tourner à  leur  profit  les  deniers  publics.  Lue  satire  composée 
vers  l'an  1295  montre  Philippe  aimant  à  s'entourer,  dès  ses 
jeunes  années,  de  traîtres  et  de  voleurs  *.  L'excès  de  l'injure 
ôte  toule  créance  à  celle  accusation. 

Ainsi,  d'après  ces  divers  témoignages,  Philippe  le  Uel  aurait 
été  un  prince  bon  et  crédule,  vertueux  même,  si  l'on  en  croit 
Guillaume  l'Ecossais.  Son  malheur  fut  de  se  fier  à  ses  con- 
seillers. 

Philippe  le  Bel  fut-il  un  prince  d'un  caractère  faible"?  La 
réponse  à  cette  question  offre  un  puissant  intérêt.  Aégative, 
elle  laisse  à  ce  roi  la  responsabilité  du  bien  et  du  mal  faits 
sous  son  nom  ,  car  alors  ses  actes  auront  élé  l'effet  d'une 
volonté  arrêtée.  Affirmative,  elle  l'absout  et  le  met  au  nombre 
de  ces  rois  sans  énergie,  prête-noms  de  ministres  et  de  favoris, 
qui  régnent  et  ne  gouvernent  pas.  Si  l'on  veut  bien  se  rappeler 
le  tableau  que  nous  avons  tracé  du  gouvernement  de  Philippe 
le  liel,  on  sera  persuadé  qu'une  volonté  ferme,  une  persévé- 
rance que  rien  ne  rebute ,  furent  seules  capables  de  venir  à 
bout  d'entreprises  aussi  vastes  :  ce  qui  distingue  ce  règne,  c'est 

'  Historiens  de  France,  t.  XXI ,  p.  205. 
•2  Alurafori.  t.  IX,  p.  473.  —  Conf.  Rainaldi ,  t.  V,  p.  29. 
^  Chron.  métrique ,  vers  1301  et  .suiv.,  431  ,  1524. 

^  Satire  coiimiiini(jiic'c  par  W.  Bnrdicr.  Elle  a  élé  imprimée  depuis  dans  le 
Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  de  France. 

27 


418  LA  FRAXCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

runilè  qui  se  fait  lemanjuer  dans  la  politique  intérieure  et 
extérieure,  depuis  le  jour  où  Philippe  moula  sur  le  troue  jus- 
qu'à celui  qui  mit  fin  à  sa  vie.  Et  si  l'honneur  n'appartient 
pas  à  Philippe,  à  qui  l'attribuer?  à  un  ministre?  mais  quel 
est-il?  l'histoire  ne  nous  a  pas  transmis  le  nom  du  Sujifei-  ou  du 
Richelieu  de  ce  règne.  Les  princes  faibles  se  laissent  bien  gou- 
verner par  un  homme  de  génie,  mais  jamais  l'ascendant  d'un 
homme  médiocre  n'a  de  durée  :  le  pouvoir  des  favoris  qui 
n'ont  d'autre  titre  que  le  caprice  et  l'engouement  du  ])rince,  est 
trop  grand  pour  n'être  pas  ardemment  convoité  et  disputé  :  de 
là  des  chutes  et  des  élévations  soudaines  et  des  changements 
dans  la  manière  de  gouverner. 

Le  règne  d'un  prince  faible  offre  donc  dans  la  politique  et 
dans  l'administration  des  variations  et  des  revirements  qui 
tiennent  aux  causes  que  je  viens  d'indiquer.  On  n'aperçoit 
aucun  de  ces  symptômes  dans  l'histoire  de  Philippe  le  Bel  : 
loin  de  là,  on  trouve  une  séi'ie  d'actes  qui  dénotent  une  direc- 
tion ferme  et  unique,  qui  ne  peut  venir  que  du  roi. 

Dans  l'ancienne  monarchie,  la  personne  du  prince  était 
sacrée.  Une  fiction  ingénieuse  rapportait  au  chef  de  l'Etat  tout 
ce  qui  se  faisait  de  bien  et  rejetait  les  fautes  sur  ses  ministres. 
C'est  ce  qui  est  arrivé  pour  Philippe  le  liel ,  surtout  h  propos 
des  impots.  Les  contemporains  accusèrent  ses  conseillers,  et 
ces  reproches  sont  reproduits  de  nos  jours  et  étendus  au  roi 
lui-même.  11  y  aurait,  ce  me  semble,  de  l'injustice  à  reprocher 
à  Philippe  le  Bel  d'avoir  établi  des  impôts  :  j'ai  démontré  que 
ce  ne  fut  ni  par  avarice  ni  pour  prodiguer  en  folles  dépenses, 
mais  pour  satisfaire  aux  besoins  nouveaux  de  l'administration 
qu'il  fonda,  et  surtout  pour  soutenir  des  guerres  entreprises 
dans  le  but  d'agrandir  la  France.  Des  sommes  immenses  furent 
ainsi  perçues  il  est  vrai;  le  peuple,  toujours  prompt  à  soup- 
çonner ceux  qui  gouvernent,  ne  put  croire  que  tout  eût  été 
loyalement  dépensé,  et  soupçonna  les  ministres  de  s'en  être 
approprié  une  partie.  Ces  accusations  se  sont  surtout  adressées 
au  surintendant  des  finances,  Enguerran  de  Marigny  ;  elles  ont 
même  été  portées  officiellement  contre  lui ,  après  la  mort  de 
Philippe  le  Bel ,  lors  de  son  procès ,  et  contribué  à  sa  condam- 
nation. Elles    étaient    pourtant  fausses   et    furent    reconnues 


LIVRE  QUATORZIÈME.  —  COXCLUSIOX.  419 

comme  telles  par  une  commission  nommée  par  Philippe  le  Bel 
sur  son  lit  de  mort,  à  la  demande  de  Marigny  lui-même  '. 

Il  faut  donc  rejeter  au  rang  des  erreurs  populaires  cette 
opinion  qui  veut  donner  aux  conseillers  de  Philippe  le  Bel  la 
responsabilité  de  ses  actes. 

Loin  d'avoir  été  un  esprit  fail)lc,  Philippe  paraît  avoir  été  à 
la  fois  très-ferme  et  très-froid.  Ce  que  dit  un  témoin  d'une 
grande  autorité,  Guillaume  l'Ecossais,  de  sa  douceur  et  de  sa 
piété,  s'explique  en  faisant  la  part  de  l'exagération  dans  un 
moine  qui  avait  été  arraché  aux  solitudes  du  cloître  pour  être 
transporté  à  la  cour  d'un  grand  roi,  dans  l'intimité  duquel  il 
vécut  quelque  temps.  Ce  témoignage  prouve  tout  au  plus  que 
Philippe  ne  fut  pas  un  de  ces  esprits  inquiets  et  méfiants,  aux 
instincts  tyranniques  et  mauvais,  que  l'on  croirait  nés  pour  le 
malheur  de  ceux  qui  les  approchent,  un  Louis  XI,  en  un  mot, 
ce  type  complet  du  vilain  homme,  qui  n'en  a  pas  moins  été 
un  grand  roi. 

Tel  ne  parait  pas  avoir  été  Philippe  le  Bel,  mais  il  était 
très-réservé  et  parlait  peu;  il  était  difficile  de  soutenir  son 
regard.  Son  ennemi  mortel,  l'évêque  de  Pamiers,  Bernard 
Saisset,  avait  éprouvé  l'effet  de  ce  regard,  et  il  n'avait  pu 
l'oublier.  Il  avait  eu  des  querelles  avec  le  comte  de  Foix  au 
sujet  de  sa  ville  de  Pamiers;  il  s'était  plaint  à  Philippe  qui 
l'avait  froidement  accueilli.  Il  se  vengeait  en  racontant  un 
apologue  injurieux  pour  le  roi,  qu'il  comparait  au  duc,  le 
plus  beau,  mais  en  même  temps  le  plus  vil  des  oiseaux,  qne 
ceux-ci  avaient  élu  pour  roi,  qui  ne  répondait  pas  quand  on 
lui  parlait,  et  qui  ne  savait  que  regarder  fixement-.  Il  disait 
aussi  que  ce  n'était  ni  un  homme  ni  une  bête,  mais  une 
statue^.  La  statue  placée  sur  le  tombeau  de  Philippe  le  Bel  à 
Saint-Denis  lui  donne  des  traits  sévères  et  empreints  dune 
grande  énergie. 

1  Voyez  Lacahaiic,  Dissertations  sur  l'histoire  de  France,  p.  9.  —  Ce  fait 
est  attesté  par  une  lettre  patente  conservée  au  Trésor  des  chartes ,  Rcy.  L, 
n°  115. 

-  Dupuy,  Preuves  du  différend  entre  Pliilippe  le  Bel  et  l'écéque  de 
Pamiers  (i  In  suite  du  différend  avec  Boni/ace  1/7/,  p.  044. 

■^  Dupuy,  ibid.,  p.  049. 

27. 


420  LA  FRAXCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

Quoique  pourvu  d'uue  bonne  instruction,  puisqu'il  savait 
le  latin,  il  n'eut  jamais  de  goût  pour  les  lettres.  Guillaume 
Guiart,  qui  le  célébra  dans  un  long  poëme,  et  qui  fut  un  vail- 
lant soldat,  deux  titres  à  la  protection  d'un  prince  éclairé,  ne 
paraît  pas  avoir  eu  part  à  ses  bienlails,  et  fut  réduit,  pour 
vivre,  de  vendre  pièce  à  pièce  son  chélif  héritage'. 

Doué  d'une  force  physique  extraordinaire,  car  il  faisait 
plier  (hni\  chevaliers  en  leur  appuyant  les  mains  sur  les  épaules, 
iMiilippe  aimait  peu  les  exercices  corporels  "  ;  la  chasse  était 
son  seul  plaisir  :  c'était  un  goût  général  à  la  noblesse  ^  Sans 
talents  militaires,  il  se  dispensait  volontiers  de  prendre  part  à 
la  guerre.  On  le  vit  plusieurs  fois  exciler  l'indignation  de  son 
armée  en  demandant  une  trêve  la  veille  d'une  bataille*  ou  le 
lendemain  d'une  victoire*;  et  cependant  il  était  très-brave. 
A  la  bataille  de  Alons-en-Puelle,  les  Flamands  surprirent  le 
camp  français  et  allèrent  droit  à  la  lente  du  roi,  (]ui  n'eut  pas 
le  temps  de  s'armer.  Il  vit  ])érir  à  ses  cotés  Hugues  de  Bouville, 
son  chambellan,  et  les  deux  frères  Gencien,  ses  écuyers,  qui 
lui  firent  un  rempart  de  leurs  corps.  Il  réussit  à  monter  à 
cheval,  et,  armé  d'une  masse  que  lui  donna  un  boucher  de 
Paris,  il  se  précipita  sur  l'ennemi. 

Déjà  l'armée  française  était  en  déroute;  le  bruit  du  danger 
que  courait  les  roi  arrêta  les  fuyards;  et  dès  qu'ils  le  virent  à 
cheval  et  frappant  rudement  les  ennemis  qui  l'entouraient,  ils 
poussèrent  de  grands  cris  de  joie  :  «  Le  roi  combat!  le  roi  com- 
bat !  1'  Ils  se  précipitèrent  sur  les  Flamands,  les  repoussèrent,  et 
une  grande  victoire  termina  cette  bataille  commencée  sous  de  si 
tristes  auspices.  Philippe  rentra  dans  le  camp  en  triomphateur; 
son  courage  et  son  sang-froid  avaient  sauvé  l'armée  ". 

1  De  W'ailly,  Xolice  sur  Ginllaiime  Guiart. 

2  c  Viribus  forlis  et  strenuiis...  duos  milites  qiiantumlibct,  poncndo  ma- 
num  unam  super  unius  humerum  et  alteram  super  alterius,  anibos  compri- 
mens  cogebat  scdere  in  terra.  '  Ckron.  anonyme.  Bibl.  imp.,  5689  C. 

3  Chron.  de  Jean  Desnoucllcs,  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  192. 
J.  de  Erathcto,  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  22. 

■i  Eu  1302,  avant  la  bataille  de  Courlrai.  Chron.  de  Flandre,  documents 
belges,  t.  III,  p.  124. 

5  Après  la  bataille  de  Mons-eu-Puelle  en  1304. 

6  Chron.  anonyme  de  D.  Sauvage.  Chron.  anonyme  inédite,  Bibl.  imp., 


LIVRE  Ql ATORZIlhlE.  —  COXCLISIOX.  421 

Le  génie  de  Philippe  le  Bel  lui  faisait  préférer  les  négocia- 
tions diplomatiques  à  la  guerre  :  il  n'employait  la  force  qu'à 
regret.  Ce  qui  le  distingue,  c'est  une  persévérance  et  une  téna- 
cité sans  bornes;  il  en  donna  des  preuves  dans  sa  jeunesse. 
A  peine  était-il  roi  que  les  dominicains  lui  demandèrent  le 
cœur  de  Philippe  le  Hardi  pour  le  placer  dans  leur  chapelle  à 
Paris  :  il  le  leur  accorda.  L'abbé  de  Saint-Denis  réclama,  se 
fondant  sur  le  testament  du  feu  roi,  qui  avait  élu  sépulture 
dans  son  abbaye.  Le  légat  appuya  cette  réclamation,  et  pré- 
tendit qu'il  fallait  une  dispense  du  saint-siége  :  les  théologiens 
furent  unanimes  sur  ce  point.  Philippe  ne  céda  pas,  et 
déclara  que  son  autorité  suffisait  :  il  fut  fait  ainsi  qu'il  l'avait 
ordonné  '. 

Ce  caractère  entier,  il  le  montra  toute  sa  vie  :  il  n'abandonna 
jamais  un  projet  après  l'avoir  conçu  ;  il  poursuivit  pendant  sept 
années  la  condamnation  des  templiers,  et  ne  renonça  jamais  à 
son  plan  d'incorporer  la  Flandre  au  domaine  de  la  couronne. 
Loin  d'être  sans  énergie  et  sans  volonté,  et  d'obéir  à  ses  con- 
seillers, il  ne  chercha  dans  ses  ministres  que  des  instruments*. 
Dans  les  premières  années  de  son  règne,  les  comtes  d'Artois  et 
d'Evreux,  ses  oncles,  eurent  quelque  influence.  L'administration 
des  finances  fut  confiée  jusqu'en  1306  à  ces  deux  Florentins 
dont  j'ai  souvent  parlé,  IJichet  et  Mouchet.  Guillaume  de  Flote 
fut  quelque  temps  à  la  tète  de  la  justice  :  il  périt  en  J3()2,  et 
eut  pour  successeur  Guillaume  de  Xogaret,  simple  juge  de 
province,  que  Philippe  tira  de  son  obscurité,  et  qui  joua  un 
grand  rôle  dans  le  procès  de  Boniface  VIH.  ]\LaIgré  la  confiance 
du  roi  et  les  services  signalés  qu'il  lui  avait  rendus  jusqu'à  se 
faire  excommunier,  Xogaret  ne  put  jamais  obtenir  le  rang  de 

n'  5G89  C.  —  Guillaume  l'Ecossais,  Historiens  de  France ,  t.  XXI,  p.  205. 
—  Jean  de  Saint-Victor,  ibid.,  p.  64-3,  etc.  Tous  les  clironiqiicurs  sont  una- 
nimes sur  ce  point  :  AI.  Kcrvyn  a  jugé  à  propos  de  faire  de  Pliilippc  le  Bel 
un  lâche;  en  présence  du  témoignage  de  l'histoire,  c'est  là  une  erre«r  singu- 
lière, mais  que  le  patriotisme  flamand  de  l'auteur  ne  peut  faire  excuser. 
Histoire  de  Flandre ,  t.  II ,  p.  525  et  526. 

'  Chron.  Guillclmi  de  Frachcto ,  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  7. 

-  Xotre  opinion  avait  été  déjà  adoptée  par  un  écrivain  qui  avait  le  sens 
historique  très -développé,  par  le  P.  Daniel,  Histoire  de  France,  i.  IV, 
p.  484. 


422  LA  FRAXCE  SOIS  PHILIPPR  LE  BEL. 

chancelior  '  ,  dont  il  remplissait  les  fonctions.  Philippe  évitait 
de  donner  ii  ses  ministres  des  positions  oKicielles  (|ui  auraient 
pu  leur  peimettre  de  résister  et  assurer  leur  indépendance. 

Toulet'ois,  dans  les  deux  dernières  années  de  son  rè^i^ne,  cet 
esprit  s't  ferme  semble  s'être  affaissé  sous  le  poids  des  mal- 
heurs publics  et  des  chagrins  domesti(|ues  ;  il  investit  de  la 
plus  haute  faveur  un  gentilhomme  normand,  ancien  cham- 
bellan de  la  reine,  Enguerran  de  Mariguy  ^,  financier  habile  et 
surtout  dévoué,  et  qui  atteignit  un  degré  de  puissance  extra- 
ordinaire. Le  roi  finit  par  ne  plus  voir  que  par  les  yeux  de  son 
ministre,  ce  qui  excita  la  jalousie  des  princes  du  sang,  surtout 
de  Charles  de  Valois  ^  Cette  animosité  donna  même  naissance 
à  une  piquante  anecdote  :  la  cour  était  au  château  de  Vin- 
cennes;  le  roi  de  Xavarre,  Louis  le  Hutin,  qui  était  entré  dans 
le  complot  contre  \Iarigny,  et  à  qui  tout  semblait  permis, 
annonça  un  divertissement  auquel  il  pria  le  roi  d'assister  avec 
son  ministre  et  toute  la  cour.  Il  s'agissait  d'une  représentation 
de  marionnettes,  sous  la  direction  d'un  jongleur  habile. 

Le  tliéàtre  représentait  la  chambre  royale,  tendue  de  tapis- 
series fleurdelisées  ;  mais  laissons  parler  le  chroniqueur,  dont 
le  style  naïf  offre  un  grand  charme  :  «  Y  avoit  un  lit  paré 
de  drap  d'or,  sur  lequel  gisoit  un  personnage  fait  à  la  sem- 
blance  du  roy.  Puis  avoit  ledit  maistre  (le  jongleur)  plusieurs 
imaiges  fait  et  ordonné  à  la  semblance  de  plusieurs  grands 
seigneurs,  lesquels  vinrent  pour  parler  au  roy  l'un  après 
l'autre.  Premier  y  vint  Charles  de  \alois,  qui  heurta  à  l'huis 
de  la  chambre,  et  dit  qu'il  voloit  parler  au  roy  :  dont  lui  dit 
li  chambellans  :  ^-  Monseigneur,  vous  ne  poez  parler,  car  li 
»  roys  l'a  défendu  -^  :  dont  se  parti  de  l'huis  tout  courroucié. 
Puis  y  vinrent  les  autres  Irères  du  roy,  et  puis  Loys  de  Xa- 

1  \nypz  Ips  plaintes  de  Xogaret.  Diipuy,  DiffiTcnd  de  Philippe  le  Bel 
avec  Boni/ace  l  III,  p.  518  et  610. 

-  V'oypz  sur  Marigny,  P.  Clément,  Trois  drames  historiques ,  où  l'on 
trouvera  l'indication  des  principaux  documents  originaux  qui  font  connaître 
la  vie  privée  de  ce  ministre. 

3  Sur  Charles  de  Valois,  qui  paraît  avoir  été  tendrement  aimé  de  Philippe, 
qui  le  combla  de  seigneuries  et  lui  ouvrit  son  trésor,  mais  qui  ne  paraît  pas 
lui  avoir  laissé  de  part  au  gouvernement,  voyez  Ducange,  Histoire  de 
Constantinople ,  t.  I  et  II;  et  Trésor  des  chartes,  Valois. 


LIVRE  QUATORZIÈME.  —  COXCLUSIOX.  423 

varre  et  Charles  de  La  Marche,  à  qui  on  respondit  tout  pareil- 
lement. Après  ceux-ci  vint  Engherran  de  Marigny  en  grand 
boban,  à  tout  avec  trois  serjanz  à  masses  devant  luy,  auquel 
on  ouvri  la  chambre  en  disant  :  «  Monseigneur,  bien  soyez 
5)  venus,  li  roy  a  grand  désir  de  parler  à  vous  îj  ,  puis  s'en  alla 
jusqu'au  lit  du  roy.  Quand  Engherran  de  Marigny,  qui  cstoit 
à  la  fenestre,  se  perçut  que  ledit  jeu  estoit  pour  lui  mocquer, 
moult  en  fut  argué.  Quand  Loys  de  Xavarre  et  Charles,  son 
frère,  dirent  que  c'estoit  leur  fait.  "  Le  roy  s'emporta  et  punit 
son  fils  Louis  \ 

Cette  confiance  illimitée  de  Philippe  le  Bel  dans  son  ministre 
est  attestée  par  d'autres  témoignages  contemporains'.  Mais, 
malheureusement  pour  Marigny,  Louis  leHutin  allait  bientôt  ré- 
gner, et  l'on  s'explique  aisément  comment  le  favori  de  Philippe 
le  Bel  fut  livré  par  le  nouveau  roi  au  ressentiment  de  Charles 
de  Valois,  et  expia  sa  grandeur  sur  le  gibet  de  Montfaucon. 
Malgré  tout  son  grand  pouvoir,  Enguerran  de  Marigny  n'avait 
d'autre  titre  que  celui  de  chambellan  du  roi.  Il  acquit  d'im- 
menses richesses,  ainsi  que  les  autres  ministres  de  Philippe, 

1  Chron.  de  Flandre,  documents  belges,  t.  III,  p.  137.  Quoique  la 
rédaction  de  cette  chronique  remonte  au  quinzième  siècle,  le  compilateur 
s'est  seni  de  récits  antérieurs. 

2  En  celé  année  que  j'ai  dist 
Cil  chevalier  sans  contredit, 
Enguerran  ci-dessus  nommé 

Fu  el  royauime  moult  renommé. 
Du  roy  Phclippe  cstoit-il  sire , 
\ul  de  riens  ne  l'osoit  desdire. 
Tout  cstoit  fet  ce  qu'il  vouloit, 
De  cclc  part  qu'il  se  couloit, 
Le  roy  fesoit  entièrement  : 
De  tout  ot  le  gouvernement. 
A'us  vers  le  roy  Phelipe  aler 
Xe  pooit  pas,  n'a  lui  parler. 
Se  de  sa  volenté  n' cstoit. 
Celui  de  tout  s'entreraetoit , 
Xe  les  royaus  riens  empêtrer, 
S'Enguerran  vouloit  conircstcr, 
Riens  ne  pouvoient  vers  le  roy. 
Si  le  tenoit-on  comme  roi. 
Chron.  métrique  de  G.  de  Paris,  édif.  Buchon ,  p.  239  et  240. 


424  LA  FRAXCE  SOIS  PHIf-IPlM':  I,E  BEL. 

qui  prodijfiiait  les  doniaiiics  de  l'I'lliit  à  ceux  qui  lo  scM'vaienl 
avec  rulélilt'  '.  Ccpeudaut  il  j)araîlrail  (|iit'  sa  rcconuaissance 
fiuissail  avec  les  services  rju'ou  lui  reudait,  car  la  plupart  de 
ses  niiuistres  eurent,  lui  vivant,  leurs  biens  confisqués  après 
leur  mort  '. 

Philippe  n'avait  ])u  assister  en  indiflV'rent  aux  scènes  tragi- 
ques qui  assombrirent  son  règne  :  le  supplice  des  Tem])Iiers, 
la  mort  de  CléuKmt  V,  l'adultère  des  deux  belles  filles  du  roi, 
dont  les  amants  furent  publiquement  pendus  à  Poissy,  étaient 
venus  troubler  cette  àme  si  fortement  trempée. 

En  1314,  la  guerre  recommença  contre  les  Flamands.  Les 
révoltes  de  la  noblesse,  l'établissement  des  ligues,  le  refus  des 
impots,  vinrent  rendre  la  situation  encore  plus  difficile.  On 
faisait  circuler  de  sinistres  rumeurs  :  Arnaud  de  Villeneuve 
annonçait  la  fin  du  monde;  on  rappelait  d'anciennes  prophé- 
ties; l'on  touchait  à  la  période  marquée  par  le  cinquième 
sceau  de  l'Apocalypse,  qui  précédait  la  venue  de  l'Antéchrist. 
Des  signes  apparurent  dans  le  ciel,  présage  funeste  de  quelque 
mort  illustre. 

Encore  à  la  fleur  de  l'âge,  Philippe  fut  pris  d'un  mal  que 
les  contemporains  ont  voulu  expliquer  par  le  poison,  d'autres 
par  une  chute  de  cheval  et  une  blessure  faite  par  un  sanglier. 
Les  mieux  informés  ne  parlent  que  d'une  maladie  de  langueur. 
Le  4  novembre  1314,  il  ressentit  une  vive  douleur  à  l'esto- 
mac et  une  soif  que  rien  ne  pouvait  apaiser;  il  se  fit  transpor- 

'  Voyez  les  plaintes  de  Philippe  le  Long  à  ce  sujet  dans  une  ordonnance 
relatiie  à  la  restitution  des  domaines  tic  la  couronne  aliénés.  Ord.,  t.  I, 
p.  (j()5. 

-  Exemple,  les  deux  Irères  Biciiet  et  Alnuchet  :  ^  Stcphanus  de  Ferreriis... 
dej)ulatus  ad  eapiendum,  veudendum,  distribuendum  et  ex|)lectanduni  aucto- 
rilate  re;[ia,  et  ad  opus  dnmini  rejjis,  omiiia  l)ona  mobilia  et  immohilia,  que 
doinini  Bichius  et  Alochclus  Guidi ,  milites  domini  régis,  quondam  liabebant  et 
possidebant,  temporc  mortis  sue  in  scnescalliis  Rellicadri  et  Carcassone.  » 
En  vertu  d'un  mandement  du  roi,  ordonnant  la  saisie  des  biens  des  deux 
frères  à  cause  des  grosses  sommes  qu'ils  devaient  au  roi  :  i.  Cum  defuncti 
Cichius  et  Mochetus  (juidi ,  fratres..  nobis  ex  certa  causa  in  quadani  magna 
quantitate  pecunie  teneanlur.  —  Ultima  die  novcmbris  m.  ccc.  vu.  t  Reg.  XI 
du  Trésor  des  chartes,  \\°  xxxii. —  Renier  Flamand,  autre  agent  supérieur 
du  roi ,  eut  aussi  ses  biens  confisques ,  projJler  delicluin.  Reg.  Xlill  du  Trésor 
des  chartes,  u"  101  (en  1309). 


LIVRE  OlATOnZIlhli:.  —  CO.VCLISKXV.  425 

ter  à  Fontainebleau,  où  il  était  né.  11  lanjjiiil  pendant  trois 
semaines.  Le  mardi  avant  la  Saint-André  (2G  novembre),  il  fit 
une  confession  générale  et  communia;  dès  lors  il  l'ut  obligé  de 
garder  le  lit.  Il  prit  ses  dernières  dispositions,  dicta  son  testa- 
ment avec  des  fondations  pieuses  ',  et  ne  songea  plus  qu'à  son 
salut.  Il  récitait  fréquemment  le  verset  :  la  manus  titaSj 
Domine j  comniendo  spiritum  meum^  et  l'hymne  Jesii,  nostra 
redemptio.  A  ceux  qui  s'informaient  de  ce  qu'il  éprouvait, 
il  répondait  qu'il  ressentait  une  soif  ardente.  Il  demanda 
l'exirème-onclion,  qu'il  reçut  avec  foi;  il  consolait  ceux  qui 
l'entouraient  en  pleurant,  et  quand  on  lui  demandait  :  «  Sire, 
comment  vous  est?  »  il  disait  :  «  Selon  qu'il  plaît  à  Dieu,  aussi 
il  me  plaît  '.  " 

Il  fit  ensuite  venir  sa  famille;  et,  s'adressant  à  son  fils  aîné, 
il  se  reprocha  d'avoir  accablé  son  peuple  d'impôts  et  d'avoir 
compromis  son  salut  éternel  ^ .  Il  exhorta  Louis  à  bien  gouver- 
ner son  peuple,  à  observer  la  justice  et  à  consulter  ses 
oncles.  Il  lui  donna  sa  bénédiction  et  l'embrassa;  il  en  fit 
autant  à  ses  autres  fils  et  à  ses  frères,  et  les  requit  de  faire 
prier  pour  lui.  Il  demanda  ensuite  qu'on  le  laissât  seul.  Il 
fit  alors  de  tristes  réflexions  sur  le  néant  des  grandeurs  hu- 
maines, et  s'humilia  devant  la  main  de  Dieu  qui  le  frappait. 
Il  appela  son  confesseur  et  plusieurs  de  ses  serviteurs,  et  leur 
dit  :  «  Frères,  regardez  ce  que  vaut  le  monde;  voici  le  roi  de 
France.  « 

Le  vendredi  matin,  il  sembla  qu'il  voulût  reposer;  il 
demanda  les  prières  que  l'Eglise  adresse  au  Tout-Puissant 
pour  lui  recommander  l'àme  de  ceux  qu'il  va  citer  à  son  tri- 
bunal. La  recommandation  fut  faite  par  l'évéque  de  Chà'on  et 
l'abbé  de  Saint-Denis.  A  l'heure  de  tierce,  il  demanda  pardon 
des  scandales  et  des  mauvais  exemples  qu'il  avait  donnés.  Les 

1  Codicille  de  Philippe  le  Bel.  Or.  Trésor  des  chartes,  J.  403,  n"  19, 
copie  K.  38,  n"  16.  Voyez  le  Icxtc  dans  Xotices  et  extraits.  —  Philippe 
avait  fait  plusieurs  testaments  sucfcssils  :  h;  dcrnior  clait  du  17  mai  1311. 
Or.  J.  403,  n°  17. 

■-  Guillaume  l'Kcossais,  Historiens  de  France,  1.  XXI,  p.  206  et  207. 

•'  Jean  de  Saint-Victor,  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  659.  —  Conf. 
Chron.  métrique  de  Geoffroy  de  Paris ,  édit.  Buclion. 


V2G  LA  FHAXCE  SOUS  PHILIPPE  LE  BEL. 

clercs  lurent  la  Passion,  (ju'il  écouta  attentivement.  Vers  la  fin, 
il  récita  ce  x'ersct  :  «  Seijpiour  Dieu,  je  rends  mon  esprit  en 
tes  mains,  n  II  resta  (juclques  instants  sans  mouvement  :  on 
le  crut  mort.  Quand  midi  sonna,  il  dit  à  son  confesseur: 
«Frère  Renaud,  je  vous  connais  bien  et  tous  ceux  qui  sont 
ici.  l^•iez  Dieu  pour  moi.  -^  On  commença  l'office  du  Saint- 
Esprit,  et  quand  on  arriva  à  ces  paroles  :  «  Le  prince  de  ce 
monde  est  venu,  "  le  roi  rendit  l'esprit  '.  Il  était  dans  sa  qua- 
rante-septième année. 

L'opinion  populaire,  qui  se  plaît  à  voir  dans  les  infortunes 
humaines  le  ch<àtiment  de  grandes  fautes,  attribua  la  mort 
prématurée  de  Philippe  le  lie!  et  de  ses  trois  fils,  et  l'extinc- 
tion de  sa  race,  à  la  colère  céleste  qui  vengeait  lîoniface  VIII 
et  les  Templiers  ". 

La  veille  de  sa  mort,  Philippe  fit  des  additions  à  son  testa- 
ment ;  il  fit  quelques  legs  à  des  couvents,  surtout  au  monastère 
de  Saint-Louis  à  Poissy,  et  laissa  quelques  gages  de  son  sou- 
venir à  ses  enfants  et  à  ses  vieux  serviteurs.  J'ai  sous  les  yeux 
l'original  de  ce  codicille.  Il  porte  avec  la  signature  du  secré- 
taire intime  de  Philippe  le  Bel,  Maillard,  et  à  la  suite  de  la 
formule  :  Par  le  roi,  cette  étrange  phrase  :  Et  du  consente- 
ment du  roi  de  Navarre. 

Le  testament  de  Philippe  avait-il  donc  besoin,  pour  être 
valable,  du  consentement  de  son  héritier?  L'exécution  des  der- 
nières volontés  (le  cet  homme  sous  qui  tout  avait  plié,  furent 
soumises,  lui  vivant  et  régnant,  à  l'approbation  de  son  fils. 
Grande  leçon  que  donne  l'iiistoire!  un  roi,  sur  son  lit  de  mort, 
a  dt-jà  cessé  de  régner. 

*  (îiiillanmc  l'ICcossais,  p.  207.  Conf.  Lacabane ,  Dissertations  sur  l'his- 
toire de  France  au  quatorzième  siècle  :  Alort  de  Pliilippr  le  Bol,  p.  9  et  10. 
—  Delisle,  Notice  sur  le  recueil  des  historiens  des  Gaules,  p.  9  et  10. 

-  Villaiii,  t.  VIII,  cliap.  xcii. 


LIVRE  QLATORZIEAIE.  —  COXCLUSIOX.  427 

CHAPITRE   DEUXIÈME. 

RÉSUMÉ. 
Comme  quoi  le  règne  de  Philippe  le  Bel  a  été  im  jirancl  règne. 

«  Comme  on  voit  un  fleuve  miner  lentement  et  sans  bruit 
les  digues  qu'on  lui  oppose,  et  enfin  les  renverser  dans  un 
moment,  ainsi  la  puissance  souveraine,  sous  Auguste,  agit 
insensiblement,  et  renversa  sous  Tibère  avec  violence.  " 

Celte  vive  image,  que  j'emprunte  à  Montesquieu,  exprime 
avec  une  admirable  vérité  les  progrès  accomplis  par  le  pouvoir 
royal  sous  saint  Louis  et  sous  Pbilippe  le  Bel;  non  qu'il  soit 
possible  d'établir  un  parallèle  entre  Octave  et  Louis  IX,  entre 
le  tyran  de  Caprée  et  l'adversaire  de  Boniface  VIII,  mais,  en 
France,  dans  la  seconde  moitié  du  treizième  siècle,  comme  à 
Rome,  sous  les  deux  premiers  empereurs,  la  monarchie  passa 
brusquement  et  sans  transition  d'une  situation  modeste  et 
embarrassée  aux  exagérations  du  despotisme.  Le  gouvernement 
de  Philippe  le  Bel  fut  même  plus  absolu  que  celui  de  ses  suc- 
cesseurs, et,  cbose  étrange,  ce  résultat  était  dû  à  saint  Louis 
et  à  la  force  morale  qu'il  avait  donnée  au  principe  d'autorité. 
La  royauté  prit  pour  elle  les  hommages  qui  s'adressaient  au 
génie  et  à  la  vertu  :  elle  grandit  dans  l'opinion  publique,  elle 
fut  comme  sanctifiée. 

Dans  les  actes  de  Philippe  le  Bel,  il  faut  distinguer  ceux  qui 
furent  le  produit  du  développement  régulier  des  institutions 
anciennes,  de  ceux  qui  furent  dictés  par  les  circonstances.  Les 
uns  furent  intelligents  et  durables  :  c'était  la  continuation  de 
l'œuvre  de  Philippe-Auguste  et  de  saint  Louis.  Les  autres, 
violents  et  iniques,  ont  peut-être  pour  excuse  la  nécessité.  La 
cause  de  tous  les  maux  fut  un  immense  besoin  d'argent  sans 
cesse  renouvelé,  qui  fut  la  conséquence  non  pas  du  système  de 
corruption  qu'on  prête  à  ce  roi,  mais  des  nombreuses  guerres 
qu'il  eut  à  soutenir.  Disons  à  son  honneur  que  toutes  ces 
guerres  furent  entreprises  pour  donner  à  la  France  les  limites 


428  LA  FRAXCE  SOLS  PHILII'PR  LE  BEL. 

qui  semblent  lui  avoir  été  assignées  par  la  nature.  Toutefois, 
je  ne  veux  pas  cacher  que  les  prétextes  de  ces  guerres  furent 
sonvent  injustes  :  l'injuslice  est  le  vice  capital  de  ce  règne, 
tout  en  est  comme  infecté.  Et  cependant  que  de  grandes  choses! 
La  politi(|ue  étrangère  d«!  Henri  IV  et  de  Richelieu  inaugurée, 
la  féodalité  abaissée,  l'administration  établie,  la  séparation  du 
pouvoir  religieux  et  du  j)ouvoir  séculier  accomplie,  la  justice 
réglée,  l'armée  organisée,  la  science  financière  créée,  et,  pour 
couronner  l'œuvre,  la  nation  convoquée  pour  la  première  fois 
dans  les  états  généraux  :  avec  Philippe  le  Bel  cesse  le  moyen 
âge,  nous  entrons  dans  le  monde  moderne. 

Et  ne  nous  étonnons  pas,  et  surtout  ne  soyons  pas  trop 
sévères  en  voyant  les  scandales,  les  fautes  et  les  malheurs  qui 
accompagnèrent  la  réalisation  de  ce  merveilleux  programme. 
La  vie  dos  peuples  est  comme  celle  des  individus,  une  lutte 
perpétuelle  contre  des  obstacles  sans  cesse  renaissants.  Le 
progrès  s'achète  bien  cher  :  heureux  (|nand  on  peut  l'acquérir 
aux  prix  de  douloureux  sacrifices.  Sans  doute,  les  états  géné- 
raux ne  jouèrent  sous  Philippe  le  Bel  qu'un  rôle  insignifiant  : 
ils  ne  furent  guère  que  les  comparses  de  la  royauté.  Mais  on 
sut  dès  lors  en  France  qu'il  y  avait  un  pouvoir  qui  n'était  ni 
la  noblesse,  ni  le  clergé,  ni  le  tiers  état,  qui  était  a.  la  fois  tout 
cela,  la  nation.  Chez  les  autres  peuples,  les  assemblées  repré- 
sentatives sont  issues  des  révolutions  :  les  états  généraux  furent 
convo(jués  par  Philippe  le  Bel  volontairement  et  sans  con- 
trainte; il  leur  fit  sanctionner  l'indépendance  de  la  couronne 
par  rapport  au  saint-siége  ;  et  s'il  ne  les  admit  pas  à  prendre 
une  part  sérieuse  au  gouvei-ncment,  il  n'en  posa  pas  moins  en 
principe  le  droit  de  la  nation  d'être  consultée  sur  les  grandes 
questions  de  gouvernement,  et  surtout  sur  le  vote  des  impôts. 
Le  règne  de  Philippe  le  Long,  l'un  des  plus  féconds  dans 
l'histoire  en  sages  ordonnances  et  en  mesures  réparatrices ,  fut 
le  fruit  de  cette  politique,  (]ui  admettait  le  peuple  dans  les 
conseils  du  souverain  pour  l'éclairer.  Philippe  le  Bel  peut  donc 
être  regardé  comme  le  créateur  du  système  représentatif  en 
France. 

Lu  autre  mérite  de  ce  prince  à  nos  yeux  est  d'avoir  terrassé 
la  féodalité  et  de  l'avoir  réduile  à  néant,  en  la  dépouillant  de 


LIVRE  QUATORZIEME.  —  COX'CLUSIOX.  429 

ses  prérogatives,  qui  étaient  contraires  à  la  civilisation  et  à 
l'ordre  public,  telles  que  le  droit  de  guerre  privée.  Par  les 
anoblissements,  il  combla  la  distance  qui  séparait  le  noble  du 
roturier,  distance  que  la  richesse  de  la  bourgeoisie  et  la  pau- 
vrolé  de  la  noblesse  avaient  déjà  diminuée  :  il  institua  de  nou- 
velles pairies.  Jusqu'alors,  la  naissance  avait  réglé  le  rang: 
la  volonté  du  prince  dispensa  de  noblesse  et  lut  la  principale 
source  de  la  grandeur.  La  royauté,  secondée  par  les  légistes 
du  tiers  état,  s'appliqua  les  maximes  de  Rome  et  s'érigea  en 
monarchie  absolue.  Elle  fit  des  lois  générales  obligatoires  dans 
tout  le  royaume;  elle  osa  même  invoquer  la  plénitude  de  l'au- 
torité royale,  elle  qui,  un  demi-siècle  plus  lot,  était  obligée 
en  droit  et  en  fait  de  prier  humblement  les  grands  vassaux 
d'exécuter  ses  ordonnances. 

La  féodalité  domptée  voulut  ressaisir  son  pouvoir;  elle  pro- 
fita du  mécontentement  général  causé  par  les  impôts  pour  se 
soulever;  elle  couvrit  sa  révolte  du  prétexte  du  bien  public; 
elle  voulut  faire  participer  le  peuple  à  sa  rébellion,  en  lui 
promettant  de  l'associer  à  sa  victoire.  Elle  parla  des  libertés 
publiques,  et  elle  ne  désirait  qu'une  chose,  restaurer  ses 
vieux  privilèges,  aussi  funestes  au  peuple  qu'à  la  royauté. 
Cette  réaction  eut  à  la  mort  de  Philippe  le  Bel  un  triomphe 
éphémère.  La  noblesse  n'eut  qu'à  demander,  on  lui  accorda 
tout  ce  qu'elle  réclamait,  ce  qui  pouvait  se  résumer  en  trois 
mois  :  Droit  à  l'anarchie.  Mais  son  règne  était  fini;  le  peuple 
avait  joui  trop  longtemps  de  la  paix  sous  le  régime  royal,  tout 
dur  et  tout  chargé  d'impôts  qu'il  était,  pour  souffiir  patiem- 
ment les  jeux  de  prince  dont  il  avait  perdu  l'habitude.  Philippe 
le  Long  fit  alliance  avec  le  tiers  état,  lui  donna  des  armes,  et 
la  noblesse  rentra  dans  le  devoir.  Ou  peut  affirmer  que  sous 
Philippe  le  Bel  la  féodalité  fut  moins  puissante  qu'elle  le  fut 
un  siècle  et  demi  plus  tard.  En  effet,  l'avènement  des  Valois, 
favorable  aux  prétentions  aristocratiques,  et  les  malheurs  de 
la  guerre  de  cent  ans,  vinrent  lui  donner  une  force  nouvelle. 
La  création  de  grands  apanages  en  faveur  de  princes  du  sang 
donna  naissance  à  une  seconde  féodalité  tout  aussi  dangereuse 
pour  la  couronne  que  la  première,  et  dont  la  destruction  fut 
l'œuvre  de  Louis  XL 


430  LA  FRANCE  SOLS  PHILIPPE  LE  BEL. 

Quant  au  tiers  état,  il  croissait  on  importance  politique. 
Philippe  choisit  dans  son  sein  ses  plus  fidèles  conseillers  et  ses 
agents  les  plus  habiles.  A  la  liberté  communale,  toujours 
tumultueuse  et  souvent  stérile,  il  substitua  la  liberté  civile  en 
développant  les  bourgeoisies  royales;  c'était  un  progrès,  car  le 
citoyen  des  communes  ne  jouissait  de  ses  privilèges  que  dans 
l'enceinte  de  sa  ville;  partout  ailleurs  il  était  un  étranger,  un 
ennemi,  tandis  que  le  bourgeois  du  roi  portait  avec  lui  ses 
droits  et  ses  libertés  dans  les  fiefs  seigneuriaux,  au  milieu  de 
populations  vouées  à  l'esclavage.  Dès  lors  se  manifeste  une 
tendance  marquée  à  substituer  dans  les  villes  la  tutelle  admi- 
nistrative à  l'indépendance  municipale.  Les  magistrats  cessent 
d'être  le  produit  de  l'élection  directe  pour  devenir  des  officiers 
royaux  choisis  sur  une  liste  de  présentation.  Toute  initiative 
est  délruile  pour  faire  place  à  l'action  de  jour  en  jour  plus 
envahissante  du  pouvoir  central. 

Les  grands  corps  de  l'Etat  furent  constitués;  le  conseil  du 
roi,  le  parlement,  la  chambre  des  comptes,  confondus  jus- 
qu'alors, reçurent  une  existence  séparée.  On  ne  saurait  pro- 
noncer le  nom  du  parlement  sans  songer  à  Philippe  le  Bel. 
En  lisant  les  anciens  registres  de  cet  illustre  tribunal,  on  est 
frappé  du  concours  puissant  qu'il  apporta  à  la  monarchie.  Il 
retint  au  profit  de  la  couronne  une  partie  de  ses  anciennes 
attributions  politiques,  que  la  royauté  du  dix-huitième  siècle, 
oublieuse  des  services  rendus,  lui  contesta,  et  dont  elle  vou- 
lut le  dépouiller.  On  doit  reconnaître  dans  le  parlement  un 
des  éléments  de  grandeur  de  notre  patrie.  On  a  envié  à  l'An- 
gleterre son  parlement  électif,  mais  si  le  parlement  anglais 
lutta  quelquefois,  au  moyen  âge,  contre  le  despotisme,  il  fut 
aussi  tour  à  tour  le  promoteur  de  la  guerre  civile  ou  l'appro- 
bateur servile  des  plus  grands  excès  de  l'absolutisme;  notre 
parlement  est  une  institution  originale,  française,  conforme 
aux  mœurs  de  nos  pères  et  au  génie  de  la  nation,  et  dont  on 
n'a  pas  voulu  comprendre  la  grandeur.  Ce  n'était  pas  un  pou- 
voir pondérateur,  car  l'ancienne  constitution  n'admettait  pas 
l'équilibre  des  pouvoirs.  La  royauté  n'avait  pas  de  contre-poids; 
mais  au-dessous  d'elle  se  trouvait  le  parlement,  pouvoir  modé- 
rateur  émanant  d'elle,   dévoué,   mais  donnant  respectueuse- 


LIVRE  QUATORZIEME.  —  COXCLUSION.  431 

nient  et  avec  fermelé  des  conseils.  Son  rôle  fut  moins  noble 
sous  Philippe  le  Jîel  ;  il  se  montra  trop  soumis;  il  fut  souvent 
un  instrument,  et  fit  taire  fréquemment  la  justice  pour  servir 
les  intérêts  du  roi. 

La  confusion  des  pouvoirs  administratifs,  judiciaires,  finan- 
ciers et  militaires,  (jui  cesse  dans  les  hautes  régions  du  pou- 
voir, se  perpétue  dans  les  degrés  inférieurs,  moins  par  igno- 
rance des  vrais  principes  de  toute  bonne  administration,  (]ue 
pouu  laisser  une  plus  grande  autorité  aux  représentants  du  roi 
dans  les  provinces.  On  trouve  alors  l'administration  aussi  for- 
tement constituée  que  trois  siècles  plus  tard;  la  vigueur  du 
roi  maintenait  même,  parmi  les  nombreux  fonctionnaires 
chargés  d'exécuter  ses  ordres,  une  hiérarchie  et  une  discipline 
qui  n'existèrent  pas  à  des  époques  plus  récentes,  où  des  con- 
flits d'attributions  s'élevaient  à  chaque  instant.  Le  roi  avait 
dans  ses  baillis,  ses  sénéchaux,  ses  prévôts  et  ses  sergents, 
une  armée  obéissante  et  dévouée,  toujours  prêle  à  l'attaque, 
dont  il  fallait  souvent  modérer  l'ardeur,  et  qui  lui  conquit  pied 
à  pied  la  France  sur  la  féodalité  et  sur  l'Eglise.  A  ces  hommes 
on  ne  demandait  pas  le  respect  des  droits  de  chacun,  le  main- 
tien des  libertés  publiques,  la  sauvegarde  des  intérêts  privés, 
mais  un  zèle  de  tous  les  instants  à  veiller  sur  les  droits  de  la 
couronne,  à  les  étendre  et  à  faire  dominer  en  tous  lieux  l'au- 
torité royale.  De  là  de  nombreux  abus  et  de  justes  plaintes 
qu'on  ne  pouvait  laisser  sans  réponse,  et  qui  provoquèrent 
i'iéquemment  l'envoi  de  réformateurs  qui  mettaient  le  comble 
h  l'injustice  et  à  l'arbitraire.  Les  notions  du  juste  et  de  l'in- 
juste, en  matière  de  gouvernement,  n'avaient  d'autre  défen- 
seur que  le  parlement,  qui  intervenait  souvent  en  matière 
d'administration,  et  dont  on  voudrait  avoir  à  louer  plus  sou- 
vent, sous  ce  règne,  l'indépendance  et  l'impartialité. 

Le  service  féodal  était  devenu  insuffisant  pour  soutenir  des 
guerres  qui  se  prolongeaient  au  delà  de  quelques  mois.  L'état 
de  la  société  ne  permettait  pas  encore  l'établissement  d'une 
armée  permanente.  Philippe  proclama  le  devoir  de  chacun, 
noble  ou  roturier,  de  contribuer  à  la  défense  de  la  patrie.  La 
levée  du  ban  et  de  l'arrière-ban  lui  donna  des  armées  nom- 
breuses. La  mise  sur  pied  de  ces  armées  entraîna  des  dépenses 


432  LA  FRA.VCK  SOI  S  l'HII.IITK  LE  HEL. 

excessives;  pour  y  faire  face  on  élahlit  des  impôts.  Los  besoins 
de  l'Etat  prirent  des  proportions  inconnues  auparavant.  En 
même  temps  l'administration  se  constituait  avec  ses  rouages 
compli(|ués  et  coûteux.  Pour  satisfaire  à  ces  exigences,  on  ne 
pouvait  se  contenter  des  anciennes  ressources  :  Philippe  le 
JJel  eut  une  idée  de  jjêuie;  il  voulut  élaMir  des  impôts  indi- 
rects sur  les  oi)jels  de  consommalioii.  l,a  niallole  n'était  autre 
cliose  (]u'un  impôt  de  ce  genre,  (pii  avait  l'avantago  d'atteindre 
toutes  les  classes  de  la  société.  L'opjiosition  sf)ulevée  par 
cette  mesure  fut  générale,  et  telle,  (jue  Pliilip|)e  dut  sup- 
primer la  maltôte  et  recourir  à  des  impots  dont  tout  le  poids 
portait  sur  le  tiers  état;  mais  la  noblesse  ne  resta  pas  long- 
temps exempte.  Il  lira  les  conséquences  du  principe  que  tout 
Français  devait  porter  les  armes;  mais  au  service  personnel 
il  permit  de  substituer  le  payement  d'une  somme  d'argent  qui 
variait  suivant  la  fortune  de  chacun.  L'égalité  devant  l'impôt 
fut  rétablie  |)ar  ce  moyen. 

Le  clergé  contribua  largement  aux  charges  publiques,  à 
certaines  conditions.  La  permission  du  saint- siège,  exigée 
jusqu'alors  pour  lever  des  impôts  sur  l'Eglise,  devint  une  for- 
malité. Dans  ces  mesures  Philippe  devançait  son  siècle;  mais 
il  ne  sut  pas  toujours  échapper  aux  préjugés  de  son  temps,  et 
surtout  aux  mauvais  conseils  d'une  nécessité  impérieuse.  Il  se 
procura  de  l'argent  par  la  persécution  des  Juifs  et  des  mar- 
chands lombards  établis  eu  France.  L'odieux  de  rinvenlion 
ne  lui  appartenait  pas;  il  imitait  ce  qu'il  voyait  faire  partout 
autour  de  lui.  Il  crut  s'enrichir  en  altérant  les  monnaies,  et  il 
acheva  la  ruine  du  commerce  déjà  ébranlé  par  les  guerres.  Il 
ne  trouvait  que  peu  de  ressources  dans  le  crédit  public  tel 
qu'il  était  organisé.  L'établissement  de  nouveaux  impôts  soule- 
vait de  grandes  difficultés;  l'altération  des  monnaies  offrait 
des  ressources  faciles  à  exploiter,  qui  paraissaient  inépuisables 
et  dont  il  eut  la  faiblesse  d'abuser.  Ses  successeurs  commirent 
tous  la  même  faute,  sans  avoir  la  même  excuse.  Les  assignats 
doivent  nous  rendre  indulgents  pour  Philippe  le  Bel.  Il  fît  des 
emprunts  forcés,  il  multiplia  les  confiscations  :  je  ne  prétends 
pas  l'excuser,  mais  ce  ne  fut  pas  pour  pour  satisfaire  des 
fantaisies  ruineuses. 


LIVRE  QUATORZIÈAIK.  —  CO.VCLUSIO.V.  433 

Il  multiplia  les  prohil)ilions  d'expoilei- les  inatières  premières 
nécessaires  à  l'induslrie,  mais  ce  l'ut  sur  les  réclamations  des 
fabricants  français,  (jiii  detnandèrcnt  j)roteclioii  au  gouverne- 
ment coutre  la  concurrence  étrangère.  Il  fixa  des  lois  de  maxi- 
mum pour  le  prix  des  denrées.  Cette  expérience  produisit  un 
elfet  opposé  à  celui  qu'on  en  attendait.  Ce  sont  là  des  fautes 
qu'on  ne  peut  lui  reprocher;  elles  sont  de  son  temps  et  ont 
trouvé  des  imitateurs  qui  avaient  cependant  pour  s'instruire 
l'exemple  du  passé. 

Les  papes  réclamaient,  en  qualité  de  vicaires  de  Dieu,  la 
suprématie  sur  les  lois,  non  comme  rois,  mais  comme  chré- 
tiens; celte  distinction,  admissible  en  théorie,  menaçait  de 
s'effacer  souvent  dans  la  pratique;  c'était  une  prétention  dé- 
guisée à  la  suprématie.  Philippe-Auguste  avait  résisté,  saint 
Louis  séparait  à  son  tour  le  vicaire  de  Jésus-Christ  du  prince 
temporel. 

La  question  était  restée  indécise;  Philippe  la  trancha,  on 
sait  comment.  Rien  ne  saurait  faire  excuser  la  violation  du 
droit  des  gens  dont  il  se  rendit  coupable  envers  Boniface  VIII, 
ni  l'odieux  de  la  procédure  qu'il  intenta  contre  sa  mémoire, 
ni  la  pression  qu'il  exerça  sur  Clément  V,  ni  les  iniquités  et  les 
infamies  du  procès  et  de  la  suppression  de  l'ordre  du  Temple, 
ni  le  supplice  de  Jacques  de  Alolay.  Pour  arriver  à  son  but,  il 
employa  tous  les  moyens.  La  raison  d'Etat  étouffait  en  lui  tout 
scrupule.  Mais  on  a  été  trop  loin  en  lui  prêtant  de  vastes  des- 
seins de  réforme  religieuse  et  en  l'érigeant  en  précurseur  de 
Henri  VIII.  Il  affecta,  et  tout  porte  à  croire  qu'il  professait  un 
sincère  attachement  aux  doctrines  de  l'Église  '  et  à  la  papauté. 
Son  différend  avec  Bonil'"ace  VIII  n'aflaiblit  pas  ce  respect.  Il 
évita  tout  ce  qui  aurait  pu  amener  un  schisme,  et  repoussa  les 
suggestions  de  ses  conseillers  qui  osaient  lui  montrer  la  sup- 
pression du  pouvoir  temporel  des  papes  comme  le  premier 
échelon  pour  arriver  à  la  monarchie  universelle.  Le  transport 
du  saint-siége  dans  la  ville  d'Avignon  ne  doit  pas  lui  être  im- 

1  II  fonda  les  nionaslôrcs  de  Poissy  en  l'honneur  de  saint  Louis,  juillel  1304 
(Reg.  H  du  Trésor  des  chartes,  n°  42j,  et  l'abbaye  du  Alonccl  (Rcg.  XLI  du 
Trésor  des  chartes ,  n°  xxvii),  en  1309.  Ces  deux  établissements  religieux 
furent  de  sa  part  l'objet  d'une  grande  soUicitude. 

28 


434  LA  FRA.VCE  SOIS  PHILIPPE  LE  BEL. 

pufé,  mais  aux  llomains  eux-mêmes,  chez  lesquels  les  souve- 
rains pontifes  ne  trouvaient  plus  aucune  sûreté.  Il  fit  même 
restituer  i)ar  les  Vénitiens  une  partie  du  patiimoine  de  saint 
Pierre  qu'ils  avaient  usurpée.  Les  démêlés  de  Philippe  le  Bel 
avec  le  saint-sié;je  eurent  pour  résultat  de  dessiner  nettement 
la  position  respective  de  ri'lgiise  et  du  pouvoir  laïque,  et 
d'établir  que,  si  une  obéissance  entière  était  due  au  pape  en 
matière  de  foi,  il  n'avait,  pour  tout  ce  qui  concerne  le  tem- 
porel, que  le  droit  de  donner  des  avis  et  des  conseils,  aux- 
quels il  était  permis  de  ne  pas  se  soumettre. 

N'oublions  pas  surtout  que  Philippe  le  Bel  voulut  donner 
à  la  France  ses  limites  naturelles:  il  réunit  Lyon  au  domaine; 
il  espéra  chasser  les  Anglais  de  Guienne.  Son  intention  était 
de  reculer  le  royaume  jusqu'au  Rhin.  Il  prit  à  sa  solde 
la  plupart  des  princes  allemands;  son  influence  s'étendait 
dans  toute  l'Europe.  Mais  cette  grande  puissance  était  trop 
prématurée  pour  être  stable.  Il  voulut  faire  partie  intégrante 
de  la  monarchie  la  Flandre,  dont  les  comtes  faisaient  cause 
commune  avec  les  ennemis  de  la  France.  La  Flandre  elle- 
même  n'aurait  peut-être  pas  demandé  mieux,  s'il  ne  l'eût 
pas  pressurée  et  accablée  d'impôts.  Elle  engagea  une  de  ces 
résistances  héroïques  qui  semblent  ne  devoir  se  rencontrer 
que  là  où  il  y  a  une  nationalité.  Ce  peuple  de"  marchands  et 
de  fabricants  avait  besoin  de  liberté  pour  son  commerce;  il 
lui  fallait  des  laines  anglaises  pour  ses  métiers  :  il  lui  fallait 
surtout  la  paix  pour  écouler  ses  produits.  La  France  ne  lui 
apportait  (]ue  des  entraves  au  commerce  extérieur,  des  pro- 
hibitions d'importation,  la  ruine,  en  un  mot.  Le  choix  ne 
fut  pas  long  :  le  duel  commença  avec  des  chances  en  appa- 
rence inégales,  avec  des  alternatives  de  succès  et  de  revers, 
duel  qui  durait  encore  quand  Philippe  mourut  et  où  les  Fla- 
mands devaient  finir  par  triompher.  La  Flandre,  c'est  l'om- 
bre pour  le  règne  de  Philippe  le  Bel,  c'est  l'obstacle  contre 
lequel  vinrent  se  briser  ses  projets;  ce  fut  la  source  de  tous 
les  malheurs  de  la  France,  des  exactions  fiscales,  de  l'al- 
tération des  monnaies,  de  l'épuisement  des  finances,  de  la 
déchéance  de  l'industrie,  du  malaise  général,  du  méconten- 
tement de  tous,  de  la  défiance  de  la  part  du  prince,  et  des 


LIVRE  QUATORZIÈME.  —  COXCLUSIOX.  435 

actes  de  rigueur  auxquels  le  gouvernement  se  crut  obligé  de 
recourir  pour  prévenir  des  révoltes  '. 

Philippe  mourut  au  mitieu  de  la  désaffection  de  la  nation, 
désaffection  dont  nous  possédons  des  témoignages  énergiques". 

La  poésie  se  fit  l'écho  des  plaintes  du  peuple  et  retraça  dans 
de  vives  complaintes  les  souffrances  du  pays.  Elle  reprocha  au 
petit-fils  de  saint  Louis  sa  dureté,  la  détresse  où  il  avait  réduit 
la  fient  menue,  et  prit  texte  des  calamités  publiques  pour  pro- 
clamer qu'on  était  arrivé  à  ces  temps  maudits,  annoncés  par 
d'anciennes  prophéties,  où  l'Antéchrist  devait  régner  ^ . 

Cette  impression  funeste  qu'éprouvèrent  ceux  qui  vivaient 
du  temps  de  Philippe  le  Bel,  a  été  partagée  par  un  éminent 
historien  moderne.  «  On  croirait  volontiers,  dit  M.  Michelet, 
que  ce  temps  est  le  règne  du  diable,  n'étaient  les  belles 
ordonnances  qui  y  apparaissent  par  intervalles  et  y  font  comme 
la  part  de  Dieu.  "  Il  y  a  Là  une  grande  exagération  sans  doute, 
mais  elle  peut  trouver  son  excuse  dans  le  désolant  spectacle 
qu'offraient  les  dernières  années  du  règne  de  Philippe  le  Bel. 
La  lutte  du  roi  contre  Boniface  VIÏI  avait  inquiété  les  con- 
sciences. Le  procès  fait  à  la  mémoire  de  ce  pape,  les  infamies 

1  En  1305,  ic  roi  fit  proclamer  dans  Paris  défense  à  toutes  personnes, 
d'aucun  état,  métier  ou  condition,  de  se  réunir  au  delà  de  cinq,  soit  le  jour, 
soit  la  nuit,  publiquement  ou  en  secret.  Les  infracteurs  devaient  être  internés 
au  Chàtelet,  et  n'être  relâchés  que  sur  l'ordre  du  roi.  (Mercredi  après  la 
Quasimodo.)  Ord.,  t.  I,  p.  28. 

-  Sur  la  désaffection  profonde  du  Midi ,  qui  était  prêt  à  se  séparer  de  la 
monarchie,  confin.  Cliron.  G.  de  Frachcto,  Historiens  de  France,  t.  XXI,  p.  22. 
^  Car  Jhcsus  Cris 

Aous  fait  savoir 

Que  nez  pour  voir 

Est  Autécris. 

Plus  n'est  liés. 

Car  déliés 

Court  par  le  règne , 

Le  pape  sert 

Du  roi  désert 

Comment  il  règne. 

Bulletin  de  la  Société  de  r histoire  de  France,  t.  I,  p.  223.  Complainte 
publiée  par  M.  Chabaille.  —  Voyez  aussi  la  prophétie  que  j'ai  publiée,  Notices 
et  extraits ,  n°  xiiir. 

28. 


436  LA  KRAXCi;  SOLS  PFIILIPPI-:  LK  BEL. 

(|ii(>  los  minisires  du  roi  impulaiont  à  celui  (jui  avait  été  en  ce 
monde  le  vicaire  révère  de  .Iésus-(!lirist ,  avait  ébranlé  chez 
plusieurs  le  resj)ect  de  l'aulorité  et  adaihli  le  |)rinci|)e  d'obéis- 
sance aux  puissances  établies,  (lui  jus(|u'alors  était  resté  entier. 
Le  ])rocés  de  l'ordre  du  Temple,  accusé  par  le  loi  d'hérésie, 
avait  alarmé  la  loi  de  fous  et  fait  naiire  des  doutes  conlie  le 
roi  lui-même.  Les  supplices  des  Templiers  avaient  excité  une 
pitié  généiale.  Les  désastres  éprouvés  en  Flandre  avaient 
porté  atteinte  à  l'orgueil  national  et  diminué  la  confiance  de  la 
nation  en  elle-même. 

En  résumé,  Philippe  le  Bel  est  loin  d'être  l'idéal  de  la 
royauté  ni  le  type  d'un  bon  gouvernement.  Il  fut  arbitraire 
et  souvent  tyrannique;  mais  ses  défauts  mêmes  furent  utiles. 
Loin  de  moi  le  désir  de  faire  l'apologie  des  mesures  iniques 
qui  pèsent  sur  sa  mémoire.  Je  sais  qu'il  n'y  a  qu'une  morale, 
qu'elle  est  la  même  pour  les  rois  et  les  particuliers,  et  que  le 
malne  peut  produire  le  bien.  Les  mauvaises  actions  en  polilique, 
l'histoire  est  là  pour  l'attester,  n'ont  jamais  prolité  à  leurs 
auteurs;  l'honnêteté  est  encore  le  moyen  le  plus  sur  de  réussir. 
Or,  Philippe  le  Bel,  on  ne  peut  se  le  dissimuler,  manqua  quel- 
quefois de  droiture;  il  préféra  trop  souvent  ses  intérêts  à  la 
justice,  et  commit  des  fautes  qui  rendirent  sa  mémoire  si 
détestée,  que  son  fils  fut  obligé  de  forcer  les  églises  à  lui 
accorder  des  prières.  Mais,  le  dirai-je,  il  ne  faut  pas  lui  appli- 
quer les  règles  ordinaires  avec  lesquelles  on  juge  les  hommes; 
il  vint  à  une  époque  de  transition  :  il  fut  placé  entre  le  moyen 
âge  qui  finissait  et  le  monde  moderne  dont  il  était  le  précurseur. 
Ce  fut,  qu'on  me  passe  cette  expression,  je  n'en  trouve  pas 
d'autre  qui  rende  exactement  ma  pensée,  ce  fut  un  révolu- 
tionnaire. Il  rompit  avec  le  passé,  il  rejeta  la  domination  jus- 
qu'alors souveraine  de  l'Eglise,  il  inaugura  et  organisa  le 
gouvernement  civil.  Pour  atteindre  ce  but,  il  dut  déployer  une 
vigueur  peu  commune,  car  la  lutte  fut  vive.  Il  fallait  de  la 
promptitude,  de  la  décision  et  une  foi  presque  fatale  dans  le 
succès.  Les  grandes  réformes  ne  peuvent  s'accomplir  sans 
froisser  des  intérêts.  Le  but,  pour  être  atteint,  veut  souvent 
être  dépassé,  car  il  faut  compter  sur  une  inévitable  réaction. 
Philippe  dépassa  le  but  :  au  lieu  de  faire  la  monarchie  forte, 


LIVRE  Ql  ATORZIKME.  —  COXCLUSIOX.  437 

il  la  rendit  absolue  ;  mais  ses  successeurs  se  chargèrent  de  la 
faire  déchoir  des  hauteurs  où  il  l'avait  placée.  Ses  contempo- 
rains eurent  beaucoup  à  souffrir,  mais  leurs  descendants 
recueillirent  les  fruits  des  institutions  dont  il  enrichit  notre 
pays.  A  tout  prendre,  son  règne  a  été  un  grand  règne,  et  son 
nom  doit  être  inscrit  à  coté  de  ceux  de  Charlemagne  et  de 
Louis  XIV,  parmi  les  fondateurs  de  la  France. 


APPENDICE. 


I. 


TABLEAU    DES    VILLES    QUI    DEPUTEREXT    AUX    ETATS    DE    TOURS 

EN     13  0  8'. 

î  L  K     DE     F  R  A  V  C  K. 

Villes.  IClecfears  indiqués  dans  les  procnralions. 

Saint-Denis Une  trenLiine  d'habitants,  comme  la  plus  grande 

partie  et  la  plus  suffisante.  Précôté  de  Paris 
(Arcli.  de  l'Emp.,  J.  415,  n"  1). 

Corbeil La  plus  grande  partie  et  la  plus  suffisante  des  bour- 
geois. Paris  [ibid.,  n»  2). 

Dammartia Le  bailli,   avec  l'assentiment  de  la  communauté. 

Paris  (  no  3  ) . 

Poissy Le  maire  et  les  pairs  de  la  commune.  /V»'W  (n"  8). 

Montlhéry Le  prévôt  et  la  plus  grande  partie  des  plus  suffi- 
sants. Paris  (no  7). 

Dourdan Le  prévôt,  i'am  (n<^  4). 

Bruyères Maire,  jurés  et  communauté.  Bailliage  de  ler- 

mandois  (n"  13). 

Ghauni Alaire,  jurés  et  toute  la  communauté.  Vermandois 

(u"  12). 

Senlis Wà\rc  ci  Inr Ci.  Bailliage  de  Senlis  {n°  kl). 

Pierrefont La  communauté,  ^ew/w  (n"  48). 

Compiègne Maire,  jurés,  la  communauté.  . 9^72//.?  (n"  48). 

Mantes   . Le  maire  et  les  pairs  de  la  commune.  5rt2Y//«ye(/e 

Gisurs  (iv  54  bis). 

'  Ce  tableau  a  été'  dressé  au  moyen  des  procurations  originales  conserve'es  aux  .archives  de 
l'Empire,  Trésor  des  chartes,  carton  J.  41.5.  Le  numéro  entre  parcnthoses  indique  le  numéro 
d'ordre  que  porte  chaque  pièce  dans  le  carton. 


440  APPENDICE. 

\  AL  (II  s. 

La  Fortc-Milon Les  liomincs  et  la  coniniunautc*.  Gisors  (a"  5i). 

s  0 1  s  s  0  \  x  A I  s . 
Soissons Maires,  jurés  et  communauté.  rer7«flrtf/o/.y  (n°  5). 

L.4  0.VXAIS. 

Laoïi Maire  et  jurés.  Amiens  (n"  G). 

Cerny Alaire  et  jurés  de  la  commimc.  Ferntanrfo/j  (n"  14). 

Crespy Maire,  jurés  et  communauté.  Idem  (n"  16). 

Crandelin Maire,  jurés  et  toute  la  conmumaulc  de  la  com- 
mune. Idem  (n°  15). 

VEXIN     FRANÇAIS. 

Ponfoise Maire  et  pairs  de  la  commune.  Gisors  (n°  51). 

Chaumont Pas  de  procuration.  Deux  éciievins  se  présentent. 

Gisors  (  n°  52  ) . 
La  Rocheguion Le  prévôt  de  Chaumont  nomme  de  bonnes  gens  et 

dignes  de  foi,  selon  Dieu.  Idem  (n°  53). 

COMTÉ     DE     DREUX. 

Dreux Pas  de  procuration  écrite.  Ide?n  (n"  54). 

PICARDIE. 

Amiens Claire,  éclicvins  et  communauté.  Amiens  {n°  27}. 

(Serbie Maire,  jurés  et  communauté.  Wew  (n"  29). 

Doullens Maire  et  échevius.  lermandois  (n°  32). 

ilontdidier Maire,    éciievins,    jurés    et    communauté.    Idem 

(no  23). 
Péronne Maire,    échevins,    jurés    et    communauté.    Idem 

(n°22). 

Poix Maire,  échevins  et  conunnnauté.  Amiens  (n"31). 

Roye Maire  et  jurés.  Idem  (n"  21). 

Saint-Quentin Maire  et  jurés.  /</em  (n"  7). 

Wailly Maire,  jurés  et  commune.  Idem  (n°  10). 

COMTÉ     DE     B  0  L  L 0  G X E . 

Boulogne Maire  et  échevins.  Amiens  (n"  34). 

POXTHIEU. 

.Abheville Maire,  éclicvins.  Amiens  (n"  28). 

Saiut-Riquier Alaire,  éclicvins,  communauté.  Idem  (n"  30). 

Monirouil Maire,  éclicvins,  communauté.  Idem  (n"  33). 


APPENDICE.  441 

ARTOIS. 

Arras Alairc,  cclievius  et  tniitc  la  communaufé.  Amiens 

(n"36). 

Aire Maire,  éclicvins,  consaux.  Idem  (n°  38 J. 

Lens Maire,  échevins.  Idem  (n"  40). 

Bcthune Comme  à  Arras.  Idem  (n"^  39). 

Saint-Omer Alaire ,  échevins,  jurés.  Idem  {n"  ki). 

Thérouanne Echevins.  Idem  (n°  42). 

FL  A  VDRE. 

Lille Echevins,  maire  et  la  communaufé.  .4w/e«.y  (n"  43). 

Douai Echevins,  consaux  et  la  communauté. /rfewe  (u"  28). 

\  0  R  M  A  X  I)  I  E . 

Alençon La  ville,  du  commun  asscnlimonf  (n"  78). 

Argentan Les  bourgeois  et  le  prévôt  (n"  80). 

Auffey Le  commun  accord  des  hommes  (le  la  lille  (n°  68). 

Aumale Le  maire  et  les  échevins  (n"  70). 

Bayeux Le  conmiun  des  bonnes  gens  (n°  76). 

Beauraont Pas  de  procuration  écrite;  une  simple  note  portant 

les  noms  des  députés  (n"  58). 

Bernai La  volonté  du  commun  de  la  ville  (n"  75). 

Blangy ALiire  et  communauté  (n°  71). 

Bonmoulin Le  commun  assentiment  (n"  72). 

Coutances La  commune  (n°  86). 

Eschouchey L'assentiment  de  la  ville  (n»  74). 

Escaufon Le  bailli,  de  la  volonté  et  du  commun  assentiment 

de  la  ville  (n»  79). 

Essey Pas  de  procuration  (n"83). 

Eu Idem.  (n"  84). 

Evreux Idem.  (n"  85). 

Fécamp Idetn.  (n"86). 

Harfleur Grand  foison  de  bourgeois  en  présence  du  vicomte 

(n"66). 

Montivillicrs Idem.  (no67). 

Xcufmarché Idem.  (n'67). 

Regmelard Pas  de  procuration  en  forme  (n°  82). 

Rochemabille La  ville  (n"  73). 

Saint-Scélerin,  Séez  et  vi- 
comte de  Falaise   .   .    .   Pas  de  procuration  en  forme  (n"  81). 


442  API'KXDICK. 

Vernciiil Le  maire  et  les  pairs  de  la  rommunc  (n<'57). 

Vernoii Une  viiifjlaine  (l'iiabitants,  en   présence  du  «jarde 

du  sceau  (le  la  prévôté  (n°  55). 
Vire Le  licnnile,  de  la  volonté  et  du  consentciiieiit  des 

bourjjeois  (n°  75). 

DRKTAC.VE. 

Néant. 

CHAMP  i(;>;E. 

Saint-Paul Le  sei{|neur  envoie  deux  de  ses  hommes.  Bailliage 

(Je  Troijes  (n"  129). 

Villcmor Kchevins  et  jurés.  Idem  (n"  120). 

Barbonnc Pas  de  procuration  en  règle.  Idem  (n°  129). 

Ervy Ceux  à  ce  convenables.  Idem  (n"  123). 

Ylles Le  commun  des  habitants  de  la  cliàtellenic.  Idem 

(n"  122). 
Jony-Ie-Chùtel (îrandc   partie   de    ceux   de   la   cliàtellenie.    Idem 

(n«  128). 

Chaourse Plusieurs  personnes  de  la  prévôté.  Ide?n  (n"  124). 

Provins Maire   et    jurés    an    nom   de    la    commune.    Idem 

(no  126). 
Vitry La  commune  de  V^itry  nomme  deux  clercs.  Bail- 
liage de  Vitry  (n"  130). 

Fîmes Le  m:iire ,  les  jurés  et  le  commun.  /Jc?«  (n"  137). 

Aï La  ville.  Idem  (n"  136). 

Epernai l']clievins,  pour  la  comnumaulé.  Idem  (n"  135). 

Coole Le  coiimum  de  la  ville.  Idein  (  n"  138). 

Bourg Les  échevins  se  présentent  sans  procuration.  Idem 

(n'>  139). 
Xouilly Lne  trentaine  de  notables,  et  la  plus  ;[raiidc  et  la 

plus    saine    partie    do    la    conumuiaiilc.    Idem 

(n"  IW). 

Passavant Le  lieutenant  du  prévôt.  Idem  (n"  13V). 

Oucliic Le  commun  assentiment  de  foule  la  plus  grande , 

saine  et  entière  partie  de  toute  la  communauté. 

Idem  (n»  1-11). 
Chàteaiilliierry Grand  planté   (nombre)   des  plus  suffisants  de  la 

ville.  Idem  (n"  142). 

Vitry-aux-Loges Quatre  bourgeois  et  un  clerc.  Ideiyi  (n"  131). 

Sainle-AI(-nehould  ....   Les  quatre  échevins.  Idetn  (n"  132). 

Joinville ^Vmvc  ci  (idwx'mv..  Bailliage  de  Cliaumonl  {n"  iôV). 


A l' P  E  \  D  I C.  E.  VV3 

Vaiicouleurs Maire  et  échevius,  pour  tout  1g  coinniun.  Chau- 

inont  (n"  152). 

Bar-sur-Seine Idem.  Idem  [n"  155). 

Larzicourt Le  prévôt  du  commun  accoutrement  de  la  ville. 

Idem  (n"  153). 
Chaumont Plus  de  deux  cents  personnes,  par-devant  notaire. 

Idem  (n"  144). 
Vassy Le  prévôt  nonuiie  deux  des  plus  suffisants.  Idem 

(n"  145). 

Saint-Dizier Les  échcvins  et  la  communauté.  Idem  (n"  150). 

Châtelier Le  commun  des  prud'hommes.  Idein  (u"  149). 

Coiffey Les  procureurs  et  messagers  de  la  commune  com- 
parus devant   le    prévôt   et  "le   tabellion.    Idem 

(n"  148). 
.Alontigny Une   députation  de   sis   prud'hommes    envoyée    à 

Chaumont.  Idem  (n^'  140). 
Ferté-sur-Aube  (la).   .   .   Echevins  et  jurés  du  commun  assentiment.  Idem 

(n"147). 
Reims Pas  de  procuration  en  règle.  Bailliage  de   \  er- 

mandois  (n"  24). 
Tours-sur-ilarne   ....  Toute  la  conmiunauté.  Idetn  [n^  li). 

Chaudarde Maire  et  jurés.  Idem  (n"  15). 

Mézières Pas  de  procuration  en  règle.  Idem  (n"  26). 

B  0  i:  R  0  0  G  X  E . 

ïournus L'abbé  élit  deux  bourgeois.  Bailliage  de  Mdcon 

(n"89). 

Autun Six  habitants  par-devant  notaire.  Idem  (n"  92). 

Beaune Maire,  echevins  et  communauté.  Idem  {n°  Ql). 

Cluny Pas  de  procuration  en  règle.  Idem  (n"  90). 

Sens Pairs  et  jures  de  la  commune.  Idem  (no  95). 

Chablis Pas  de  procuration  en  règle.  Idem  (n°  97). 

Tonnerre Echevins  et  bourgeois.  7(/e?«  (n»  101). 

Molaine Communauté.  Idem  {n'>  107). 

Chàfillon Le  prévôt,  du  commun  assentiment  des  habitants. 

Idem  (n»  104). 

Rougemont Les  bourgeois.  Idem  (n°  105). 

Dijon ALiire,  jurés  et  commune,   réunis   en   parlement 

dans  le  cimetière  de  Saint -Bénigne.  Idem 
(no  103). 

Langres Les  principaux  hommes  du  chapitre,  de  son  con- 
sentement. Ide?n  (n"  108). 


444  APPEXDICE. 

Milly Le   prévit,  de  rasscntiinrnt  du  «omnnin.  Mncon 

(n-117). 
Saint-Kargoaii Les  bour;(rnis,  d'un  cnminim  assentiment.   Idem 

(n"  180). 

Perrière Le  cominim.  Idc7n  (n"  113). 

Auxcrre Pas  de  procuration.  Idem  (n"    96). 

DixmonI Ide7n.  Idem  (n"    98). 

Toiicy Idem.  Idem  (n"    99). 

Coulanjjes Idem.  Idem  {ii°  100). 

0  U  I,  K  A  .\  A  I  s . 

Orléans Les  Lourgcois  appelés  par  Lan  et  par  cris,  comme 

l'on  a  accoutumé  à  faire.  Bailliage  d'Orléans 

(n"152). 
Bcaugcnci Le    prévôt,    de    l'assentiment  du   commun.    Idem 

(n-102). 
Gien Les  plus  suffisants  et  la  plus  saine  partie  de  la  ville, 

si  comme  ils  disaient.  Idem  (n"  160). 

Lorrls Bourgeois  et  commun.  Idetn  (n"161). 

Montargis Une  trentaine  de  bourgeois.  Idem  (n°  163). 

Châteauneuf-sur-Loire  .   .  Le  baillj ,  pour  le  commun.  Idem  (n"  16V). 
Saint-Benoît-sur-Loire  .   .   La  greigneur  quantité  du  commun.  Idem  (n"  168). 
(^■liàtillon-sur-Loing   .    .    ,   Plusieurs,  au  nom  du  comnum.  Idem  (n"  167). 
Elampes Prouneurs    de    la    communauté    des  bourgeois    et 

gens  de  la  ville.  Idem  (n"  171). 

Bois-Commun Le  prévôt.  Idem  (n"  169). 

Aléréville Pas  de  procuration.  Idem  (n"  173). 

tJalardon Idem.  Idem  (n"  174). 

Millençai La  plus  grande  partie  du  connnun. 

Puiset Pas  de  procuration.  Idem  (n"  175). 

Homorantin La  plus  grande  partie  du  connnun.  Idem  (n"  179). 

(^mnille Pas  de  procuration.  Idem  (n»  176). 

Alluies Le  bailli.  Idem  {n°  17  7). 

r.  ATINAIS. 

Cliàteaulandon Les  habitants,  réunis  par  le  prévôt.  Bailliage  de 

Sens  (n"  114). 

Biannc Le  prévôt.  Idem  (n"  115). 

Puiseaux Le  commun  des  bourgeois.  Idem  (n"  111). 

Torn  Ai\K. 
FcrricresprèsdcReaulicn.  Plusieurs  hommes  et  femmes,  en  leur  nom  et  en 
celui  de  la   fabrique   de  l'église.    Bailliage  de 
Tours  (  n"  158). 


APPENDICE.  445 

I'  0  I  T  0  l . 

Poitiers Maire  et  commiinaiilô.  Sénéchaussée  de  Poitiers 

(n"204). 

A.\<;OUMOIS. 

Angoulèmc Plusieurs  bourgeois,  pour  leurs  concitoyens.  5ene- 

chaussée  de  Poitiers  (  n"  208  ) . 

BERRI. 

Bourges Tout  le  commun,  les  bourgeois  et  habitants,  ap- 
pelés par  le  ban  et  réunis  dans  le  cloître  de 
Xotre-Danic.  Bailliage  de  Bourges  (n°  181). 

\ ierzon Les  pairs,  réunis  dans  la  ciiapelle  de  Saint-Bar- 
thélémy. Idem  (no  182). 

Dtin-le-Roi La  communauté  réunie   i  per  clamorem  t.  .  Idem 

(n"  183). 

Chàloauroux Hommes  et  habitants.  Idem  (n°  184). 

Issouduu Les  bourgeois,  habitants  et  manants,  assemblés  au 

lieu  accoutumé.  Ide7n  (n"  185). 

.\  H'  K  R  X  A I  s . 

Nevers Les  habitants  réunis  dans  le  cimetière  de  l'abbaye 

de  Saint-Martin,  lieu  ordinaire  des  réunions  du 
peuple  :  u  Xec  non  magna  nuiltitudine  clericorum 
et  laïcorum.  »  Bailliage  de  Bourges  (n"  186). 

Saint-Pierre-le-ilouticr.    .  Les  bourgeois  et  habitants.  Idem  (n"  187). 

iloulins-Engilbert  ....   Les  habitants.  Idem  (n"  188). 

Dissise La  majorité  des  clercs  et  laïques ,  honnêtes  bour- 
geois. Idem  (n"  189). 

Corbigny Hommes,    bourgeois,    habitants,    manants.    Idem 

(n"  190). 

HOl  RBOWAIS. 

Aloulins Une  cincpiantaine  de  bourgeois,  pour  eux  et  tous 

les  autres,  réunis  par  un  ban  général.  Bailliage 
de  Bourges  (n"  191). 

Souvigny Bourgeois.  Idem  (n"  192). 

Chézy La  communauté.  Bailliage  de  Sens  (n°  IIG). 

FOREZ. 

Montbrison Consuls.  Bailliage  de  Mdcon  (n"  95). 

AUVEBGNE. 

Clermont Le  bailli.  Bailliage  d'Auvergne  (n°  193)  i. 

'   clermont  et  Monlferrand  ,  qui  ne  forment  p'as  qu'une  ville  ,  ont  formé  deui  villes  sépare'si 
jusqu'au  règne  de  Louis  XII. 


446  APPENDICE. 

Moiilfcrraïul Les  consuls   et  toute   la   coinmiiiiaiité.   Autergne 

(n»  194). 

Issoirc Idem.  Idem  (n"  195). 

Billom Idem.  Wc»^  (n"  196). 

Brioiulc Le  prévôt  de  l'abbaye  avec  ses  hommes,   n  Cum 

non  sint  majores,  scabini,  consiiles ,  jurali, 
communilas,  sed  sint  persone  potins  siiijjiilares.  » 
Idem  (n"  198). 

Saint-Pourçain La  plus  saine  partie  des  bourgeois. /Je;«  (u"  197). 

Saint-FIour Les  consuls  élisent  un  chanoine  et  deux  bourgeois. 

Idem  (n°  199). 

Manrs •  .  Les  habitants.  Idem  (n"200). 

Montsahn Les  consuls  et  les  habitants.  Idem  (n°  201). 

Aurillac Les  consuls.  Idem  (n°  202). 

^Liuriac L'abbé,  a.  Licet  villa  no.stra  non  sit  insignis,  cum 

non  hahcat  jurrijspcrifos  nec  sapientes,  ncc 
consules  scu  communilatem.  i  Idem  (n°203). 

ALXIS. 

La  Rochelle Maire  et  bourgeois.  Sénéchaussée  de  Saintonge 

(n°  209). 

L  m  0 1:  s  I  N. 
Limoges Les  consuls.  Bailliage  de  Poitiers  (n"  206). 

PÉRIC.ORD. 

Périgueux Maire,  consids  et  communauté.  Sénéchaussée  de 

Périgord  et  de  Querci  (  n"  210). 
Excideuil Les  consuls.  Idem  (n"  210). 

QIERCI. 

Cahors Les  consuh. Sénéc/iaussée  de  Pé7'igord  et  de  Querci 

(nf>215). 

Caylus Idem.  Idem  (n<'2l2). 

Aimct Ide7n.  Idem  (n"213). 

Rocamadour Idem.  Idem  (n"217). 

Souillac Idem.  Idem  (n<>219). 

Cardaillac Idem.  Idem  (n«220). 

Fous Idem.  Idem  (n<'216). 

Castelnau-Montraticr.   .   .  Idem.  Idem  (no218). 

Gourdoi! .   .  Idem.  Idem  (no22i). 

:ili.rti"l Idem.  Idem  (n"222). 

Figcac ,   .   .  Idem.  Idem  (u"223). 

Montauhan Idem.  Idem  (n<'224). 


APPENDICE. 


447 


Moissac 


Monfpézat. 
Kégrcplisse 
Caiissade  . 
Caumont    . 


Les  consuls.  Sénéchaussée  de Périgord  et  de  Querci 

(n«  225) 
Idem.  Mon  (u»226) 

Idem.  Idem  (n°227) 

Idem.  Idem  (n''228) 

Idem.  Idem  (n"229) 


Saint-Aîifoniii , 
Conques.   .    . 


UOL'ERGIK. 

Consuls.      Sénéchaussée  de  Roucrgue     (no236). 

010  231). 


Idem 


Idem 


LAXGUEDOC. 


Villefranchc 

Couserans 

Sainf-Girons 

Lavaur   

Laiilrec 

Gaillac 

Castolnaudari 

Carcassonnc 

Xarbonnc  (cité) 

—        (bourg).    .   .   . 

La  Grasse 

Monfolicu 

Alontréa! 

Alct 

Limoux 

Béziers 

Saiui-Pons-de-Tliomières. 

Pamiers 

Foix 

Lézat 


Saverdun 
Beaucaire 


Lune! 

Anduse 

Sommières 

Uzès 

Saint-Salurnin-du-Port , 


hc?.cons\\\s.  Sénéchaussée  de  Toulouse  (n°232) 

Idem.    '                      Idem  (no234) 

Idem.                           Idem  (no235). 

Idem.                           Idem  {n°  237) 

Idem.                          Idem  (no238). 

Idetn.                         Idem  (no239). 

Idem .       Sénéchaussée  de  Carcassonne  (n"  236) . 

Idem.                          Idem  (n"240). 

Idem.                           Idetn  (n''241). 

Idem.                          Idem  (no242). 

Idem .                           Idem  (n"  243) . 

Idem.                           Idem  (n''244). 

Idetn.                         Idem  (no245). 

Idem .                          Idem  (n"  246) . 

Idem.                           Idem  (n"248) 

Idem.                  ■        Idem  (n-'S^O). 

Idem.                           Idem  (n''25i). 

Idem.                          Idem  (no252). 

Idem.                         Idem  (n'"253). 
Les  consuls ,  pour  eux  et  la  communauté.  Idem 

(n"  254). 
Consuls.  Idem  (n°  255). 

Les  bour'jeois   t   et  lio mines  popularcs  » .  Séné~ 

chaussée  de  Beaucaire  (vP  256). 

a  Plures  homincs  popularcs.  n  Idem  (n"  266). 
Les  consuls.  Idem  (n°  257). 
L'université.  Idem  (n»  258). 
Les  consuls.  Idetn  {n°  259). 
Pas  de  procuration.  Idem  (u°  260). 


Vis  APrrXDlClv 

Alivis l.cs  ^•^^nsu\s.  Srncr/intissf^c  tic  Beaitcoire  (n"  261). 

Le  Piiy Idem.                          hlnn                     (n"2fi2). 

Vivions Idem.                           Idrtu                      (ii"2(>;i). 

M,Mi.li< ïdem.                        Idem                    (ii"264). 

Alarvi'jols Sjmlifs  i\  prociironrs.  Idem                      (ii°2f)5). 

ruOCl  li  \Tl()\    UK    l.A    COMMIM',    UK    C  11  A  U  1)  A  U  D  K 
AUX     KTATS     13  K    1308. 

A  lri<s  r\(-rll(Mil  sijjninir,  Pli.,  par  la  j^raco  Ac  Diii  roy  Ac  France,  Il  inniros 
i-l  II  juré  Ac  la  j'omimmo  do  Cliaiulardrrs,  ryanx  (eux)  apparillios  j\  faire 
tûiii  .SOS  ooîiiniaiulomoiis  ol  sos  plaisirs.  Siro,  nous  faisons  à  savoir  ù  vosirc 
très  <jranl  liaiilosso  tpio  nous,  pour  nous  ol  pour  nostro  oornniuno ,  faisons  ol 
olablissons  \V  iilauino  o'on  dit  do  (^.raonftolio,  \\  illaunio  o'on  dit  lo  llourlior 
{sic)y  Piorro  dil-on  do  Bmiôros,  Raoul  dil-on  La  (îriso,  Roiborl  o'on  dit  le 
Bavcus,  (îoraiid  oon  dil  Pollicant,  nos  procureurs  gonoranx  et  cspeciaus,  et 
cliasoun  |)our  lo  tout ,  on  toutes  les  causes  et  querelles  que  nous  avons  ou 
sonuiios  à  Tours,  oos  (rois  scMuainnos  do  Pa.sques,  contre  toutes  personnes, 
et  toutes  porsouuos  oouiro  nous,  on  \ostro  court,  par  devant  vous,  ou  par 
devant  les  maistres  do  voslro  court  qui  voslre  lui  tonroient ,  et  donnons  et 
avons  donnol  plaiu  pooir  et  niaudonu'ut  ospooial  as  devant  dis  procureurs  et 
;\  cliasoun  par  lui,  do  dire  ot  do  faire  pour  nous  ol  on  nosiro  non,  et  de  no 
couiniuno,  ou  ooniro  n.>us,  aulaul  connue  nous  farions  ou  dirions,  si  nous  i 
estions  prosoul ,  cl  ospooiauniont  do  faire  substitut  en  lin  de  yaux,  se  mcsticrs 
osl.  Kl  nous  prouiollons  ol  avons  proumis  cpie  nous  ancrons  ferme  et  establc 
(uiiuupu^  li  devant  dit  procureur,  ou  li  uns  d'yaux,  ou  li  substitut  d'yans  diront 
ou  feront  pour  nous  et  en  nostro  non.  Sire,  et  se  faisons  nous  à  savoir  i\ 
vostre  royal  inajeslo,  à  louz  cens  et  à  oui  il  apparlionl.  Kn  losnioi'jnajje  de 
ces  choses,  nous  avons  ces  prosonlos  lettres  sooloes  dou  sool  de  nostro  com- 
mune dosus  dite.  Ce  fu  fait  ou  Tiiu  do  ;;raoo  mil  ccv  ot  vvil,  lo  jour  do  fosic 
Saint  Pbolippo  ol  Saint  Jaciuo  '. 

Nous  vriion.s  do  voir  lo  mandat  du  no  i-onminno  ;  voyons  mainliMiaiU  dans  quelle  forme  elail 
donnée  l,a  proenrallon  dune  ville  qui  n  avait  pas  de  magistrats  mnniiipani.  l,a  procnralion 
d'Ktampcs  nous  l'apprendra. 

rUOClUATlOX     DES    UAUITAXÏS    n'ÉTAMTES 
AUX    ÉTATS     DE    1308. 

A  tons  ceux  qui  ces  présentes  lettres  verront,  Jean  Harcbior,  jjuarde  de  la 
prevosté  d'KsIampes,  et  Reynanl  Lo  Brun,  jpiardo  du  sool  d'ycelle  prévoslc, 
nous  faisons  savoir  j\  tous,  que  par  devant  nous  en  droit  jniyemenl  vindrent 
Pliclis  noronoor,  Thiorri  do  Krosnos,  (luicbarl  de  Sormoisos ,  Jehan  le  Mer- 
cier, Joliau  Amoraudos,  Symon  Conylodo,  Horvi  le  Guale,  Pierre  Perchot, 

>    l1r.  J.   il  j  .  n*  II. 


Ai'I'K.VDICi;.  4V9 

(loliii  (lliaiilcl,  I.iiciis  (In  Tiiii|tli',  l.iicis  l'ciiiiiicr,  J(  li.iii  de  la  (loiii'l  ,  .Icliail 
le  KiTi-oii ,  liiiillaiiriio  llciiarl  riK^rcicr,  Kslifriiio  iîoiiccl ,  Jclwin  (jiiaraiiiljnrt , 
Jcliaii  (lo  Loiiiicrs,  Sairicn  di;  V'i(''ii ,  (îiiillfaiiino  Sajfiircaii ,  (if-ciiiisol  le  (ori- 
(Iciir,  Jehan  l'oloyii ,  'llioiirrias  Hcrjjior,  Itobiri  l.ucl ,  Jcliaii  h;  VjoiWwr,  cl 
(jiiillpaninc  (Ifs  HfxlK-s  et  pliisifiirs  autres,  c'est  à  savoir  la  ;{rci|[tieur,  la  plus 
fort  et  la  plus  saiiu;  jiarlic!  des  hour<jois  de  la  ville  d'Kslatiipes ,  et  firent, 
ordrcncrcnt  et  establirent  par  devant  nous,  pour  eus  et  pour  la  coniinunaltc 
des  bonrgois  et  des  honcs  gcn/.  dr  li  ville  (l'I'islaïupcs,  el  eu  nom  de  eus, 
des  bourjjois  et  des  ;jenz  de  la  dite  ville,  .I(,lian  le  l*i(puirt  d(;  la  (Jiarronnerie, 
bourfjois  d'Kslarn|)es  lay,  et  Denise  le  Charretier  d'Kstarripes,  clerc,  porteurs 
de  CCS  lettres,  procureurs  de  eus  el  de  la  cfunruunalté  d(^s  hour;[ois  et  ;rens 
de  la  ville  d'Mslampes,  espéciaus  et  ciiucun  pour  le  tout,  pour  oyr  et  entendre 
C(!  dyuicuche  |)i'ocliaiu  à  Tours  les  corriniandernenz  et  la  voulenlé  de  nostrc 
S(.'i,'{neur  le  Hoy.  I-cs  «pielx  deus  procureurs  dessus  nomriK;/.  el  divisez,  nous 
Jehan  Ilarchier,  ;{uar(l(!  de  la  priivosté  d'Kslarnpes  dessus  dil  ,  awius  adjournéz 
au  dyiricnche  dessus  dit  à  Tours,  pour  oyr  et  entendre  les  coiumendenients 
et  la  voulenté  de  nostrc  seijjneur  le  Hoy  dessus  dit,  par  la  vertu  de  la  copie 
du  mandcnfient  nostre  sciyneur  le  Roy  envolée  à  nous  souz  le  seel  de  la  prc- 
vosté  d'IIyenville,  pour  ce  faire.  \']i\  tesmoin;}  de  la{|uelle  chose,  nous,  à  la 
rr'Cjiicstf!  des  hourj|ois  dessus  diz,  avons  mis  en  ces  lettres  le  sce!  de  la  pré- 
voslé  d'ICsIaiupes.  Donné  l'an  de  {jrace  mil  trois  cents  et  huit,  le  premier  jour 
de  may  '. 

P  It  0  C  U  K  A  T  I  0  \     DU    S  I  II  K     D  K     COUTA 

A  tj  X     K  T  A'J^  S     D  10     1  3  O  H. 

A  très  excellent  et  poissant  prince  scn  chier  sijjneur  mon  sijjnour  Philippe 
par  la  jjrace  de  Dieu  roy  de  France,  Kngerrans,  sires  de  Coiiei ,  d'Oysi  et 

de lui  aparilliet  à  faire  sa  volenlé.  Chicrs  sires,  j'ai  receu  vos  lettres  (pie 

je  fusse  à  Tours  as  trois  semaines  de  Pasques  avec  vous  et  h,  vostre  coiisaill 
pour  aucunes  ordonnances  aiditîr  à  faire  seur  le  fait  rpie  on  enmet  à  l'ordre 
des  templiers  se  ensi  puet  estre  apelez,  en  aucunes  autres  choses  ausi,  ou  je  i 
envoie  pour  mi  procureur  soufissanl.  Sache  vostre  haute  noblece,  que  je,  non 
Lien  aisic  de  cors  de  eslrc  y  en  propre  pcrsone,  dont  il  me  poise,  se  il  pleut 
à  notre  sijjncur,  envoie  au  lieu  et  au  jour  devant  di/.  micii  sijnicur  Tlioiumi.; 
de  le  Mote,  men  chevalier  porteur  de  ces  lettres,  pour  mi  (!t  en  meu  non, 
el  li  doins  plain  pooir  et  mandement  especial  de  acorder  et  de  faire,  tout 
autant  corn  je  feroie,  porroie  et  dcveroie  faire,  si  je  i  estoie  presens ,  et  ai 
et  arai  ferme  et  estahie  ce  qui  seraacordc,  dit  et  fait  par  le  dit  mon  sijjneur 
Thoumas  es  choses  devant  dites.  Ou  tesmoi;fna,';e  des  quels  choses,  je  ai  ces 
let!res  scellées  de  men  .seel,  qui  furent  faites  l'an  de  ;jraee  mil  trois  cens  et 
uit,  le  dimanche  après  la  f(^ste  saint  .Mare  l'éivanjjelistc -. 

'   Or.  Arch.  de  l'Kmp. ,  J,   ^  I .". ,  ii"  171. 
2  Or.  J.  4U,  n".3. 


2!) 


450  APPEXDICE. 

II. 

TABLEAU    DES    DIVISIONS    ADMINISTRATIVES    DE    LA    FRANCE 

SOUS     PHILIPPE     LE     BEL. 


J'ai  essayé  de  reconstituer  les  divisions  administratives  de  la  France  sous 
Philippe  le  Bel.  Une  liste  des  baillis  et  des  sénéchaux  auxquels  le  roi  adressa 
eu  1302  un  mandement  relatif  à  la  guerre  de  Flandre  fait  connaître  les  bail- 
liages et  les  sénéchaussées  existant  à  cette  époque,  mais  elle  laisse  ignorer 
les  subdivisions  inférieures.  J'ai  dû  recourir  aux  comptes  de  receltes  et  de 
dépenses;  mais  pour  des  raisons  que  j'expliquerai  plus  loin,  je  n'ai  rencontré 
que  des  comptes  partiels;  la  chambre  des  comptes  ne  dressait  point  d'état 
général  des  recettes  des  bailliages  de  tout  le  royaume ,  mais  seulement  des 
états  pour  chaque  grande  province,  telles  que  la  France,  c'est-à-dire  le 
domaine  de  la  couronne  avant  Philippe -Auguste,  la  Normandie,  l'ancien 
domaine  d'Alphonse,  comte  de  Poitiers  et  de  Toulouse,  la  Champagne,  etc. 
J'ai  eu  à  ma  disposition  deux  comptes  originaux  des  bailliages  et  des  prévôtés 
de  France  pour  les  années  1299  ^  et  1305  -,  un  compte  original  de  Cham- 
pagne pour  l'année  1287  3,  et  un  autre  compte  pour  l'année  1285  rapporté 
par  Brussel;  deux  comptes  également  originaux  de  l'ancien  domaine  d'Al- 
phonse, comprenant  le  Poitou,  la  Saintonge,  une  partie  du  Querci,  de 
l'Auvergne  et  de  l'Albigeois,  le  Rouergue  et  le  Toulousain,  pour  les  années 
1294  et  1299  ^;  une  copie  provenant  de  la  chambre  des  comptes  d'un  compte 
de  Normandie  pour  l'année  1308  ^. 

Il  m'a  été  possible  de  donner  la  liste  des  vicomtes  de  Normandie,  des 
baylies  du  Midi  et  de  l'Ouest ,  que  Brussel  avait  été  obligé  d'omettre  faute  de 
documents.  J'ai  été  moins  favorisé  pour  les  bailliages  et  pour  les  sénéchaus- 
sées réunis  à  la  couronne  sous  Philippe  le  Bel ,  tels  que  les  sénéchaussées  de 
Lyon,  d'Augoulème,  de  Bigorre,  d'Agenais,  qui,  pour  la  plupart,  n'eurent 
qu'une  existence  éphémère. 

'  Bibl.  jmp.  ,  siippl.  français ,  4943. 

^  Bibl.  imp. ,  Baluze. 

3  Bibl.  imp.,  Clairambaut,  Mé].,  t.  IX,  p.   131.  —  Brussel,  t.  I ,  p.  4GI. 

*  Arch.  imp. ,  or.  K.  501  ,  n"»  4  ot  5. 

^  Reg.  Koster.  Arch.  imp.,  copie  moderne ,  P.  2289,  fol.  852-853. 


APPENDICE.  451 

BAILLIAGES  ET  PRÉVÔTÉS  DE  FRANGE. 

Prévôté-baillîage  de  Paris  '. 

(Département  de  la  Seine  et  une  partie  de  Seine-et-Oise. ) 
PRÉVÔTÉS. 

Paris.  Parisius.  Poissy.  Pissiacum. 

Corbeil.  Corbolhan^.  Saint-Germain  en  Laye.  S.  Germanus 

Chàteauforf.  Castnnn-forte.  in  Laya. 

Gonessp.  Goiiessa. 

Bailliage  de  Senlis  '. 
(Oise  et  partie  de  Seine-et-Oise.) 

PRÉVÔTÉS. 

Senlis.  Sihanectam.  Pierrefont.  Vetre-fons. 

Chaiimont.  Calcus-mons .  Ambligny.  Amblmiacum  ^ . 

Pontoise.  Pontisara.  Ghoisy    et    Thoroiile.    Chosiacum    et 

Bctliisi  et  \  erbcric.  Betisiacum  et  Ver-  T/iorota. 

beria.  Pont-Saint-Maxence.  Pons  S.  Maxen- 

Compiègnc.  Compeiidium.  tie. 

Bailliage  de  Vermandois  '. 

(Aisne,   partie  de  la  Somme,   Marne,    partie  de  !a  Meuse,   Haute-Marne 
et  tonte  la  Champagne.  ] 

PRÉVÔTÉS. 

Laon.  Laudunum.  Saint-Quentin  et  Ribemont.  S.  Qui- 

Monldidicr.  Mons-Desiderii.  tinus  et  Ribodimons. 

Roye.  Roya.  Chauni.  Calniacum. 

Péronnc.  Peronna. 

Bailliage  d'Amiens  ^. 

(Partie  de  la  Somme,  Pas-de-Calais,  Nord,  avant  la  formation  du  bailliage  de  Lille.) 
PRÉVÔTÉS. 

Amiens.  Ambiamtm.  Montrciiil  et  Saint-Riquier.    Muste- 

Beauquesne.  Bella-quercus.  riolum  et  S.  Richarius. 

DouUens.  Dullendium. 

'  Le  prévôt  de  Paris  était  en  même  temps  bailli.  —  Comptes  des  bailliages  de  France 
de  1299,  Bibl.  imp. ,  suppL  français,  n"  4943  ;  et  de  1305,  irf. ,  Baluze. 

^  Réunie  seulement  en  1299  au  domaine;  faisait  partie  auparavant  du  donaire  de  la  reine 
Marguerite  ,  veuve  de  saint  Louis. 

3  Comptes  de  1299  et  1305. 

*  Engagée  à  P.  Grismoton.  Bmssel ,  t.  1 ,  p.  463. 

5  Comptes  de  1299  et  de  1305. 

o  Comptes  de  1299  et  de  1305. 

29. 


452  APPENDICK. 

Bailliage  de  Sens  ' . 

(Vonnc,    Côtc-d'Or,   partie  de  .'•ciue-ct-Mariic.  ) 

l'KÉVÔTKS. 

Sons.  Seunncs.  '''«'îli-  l'^^ogiaciim. 

Poiit-sur-Vonnc.   Pontes  supra   lo-  Lorrcz-cii-Bocaj^e.     Lurriacum    in 

nani.  Boscagio. 

Grancpy.  Grancehtm.      '  Dixmont.  Dijmons. 

\'illonciivc-lcz-Sciiz.  Villanova  juxta  Xonioiirs.  Xemnsris. 

Scnones.  ilorct.  Morehtni. 

Vilicmort,  Fossemoro  et  la  Rivière.  Saniois.  Samcsium. 

ValUs-maura ,   Fossa-inanra    et  (îrpz.  Gressum. 

Ripjyar'ia.  Molmi.  Meledunum. 
Chessy.  Chesijacinn.  Chàtclot.  Castellctum. 
Docilctum.  Cliàlcau-Landoii.  Castrum-Xantonis . 

Bailliage  d'Orléans  '. 

(Loiret,   partie  d'Eure-et-Loir,   de  Seine-et-Oise,   Nièvre.) 

PRÉVÔTÉS. 

Orléans.  Aurelianum.  Vèvrc.  Evera. 

Chàteauneuf.  Castrum-novum.  Jan ville.  Yenvilla. 

\eiuillc.  Nova-villa.  Montargis.  Mons-argi. 

l'itry.  Vitriacum.  Cépoi.  Cepeium. 

Boisconimiin.  Buscum-commune .  Lorris.  Lorriacum. 

Bailliage  de  Bourges  '. 

(Cher,  Indre,  Allier.) 

PRÉVÔTÉS. 

Bourges.  Bituris.  Diin-lc-Roi.  Dunum-regis. 

CeiKiuoiii.  Centiconium.  Issoiulun.  Exoldunum. 

Moiitiers.  Monasteria. 

Bailliage  de  Mâcon'^. 

(Saoue-el-Loire ,   Loire,   Rhône   (avant   1308).    Tout  le  duché  de  Bourgogne 
ressortissait  à  ce  bailliage.  ) 

riîÉVÔTKS. 

Màcon.  Matisco.  Cliàleanneuf.  Caslrum-novum. 

Sainl-Romain,  Laynes  et  Pris.sc.  S.  Ro-  Le  Bois-Sainte-Marie.  Bosaim  B.  Ma- 

manus ,  Lana  et  Pi'issiacum.  rie. 

Hurigny.  Uriniacum.  Saint-Gengoul.  S.  Gengtilfus. 

'   -  3  ■*  Comptes  de  1209  et  de  ISO,') 


Igé.  Igiamm. 
Chcvagny.  Chcvignis. 
Mout-Beict.  Mons-Bcleti. 
V^érizet.  Virisetiim. 


APPEXDIGE.  453 

Saint- And r('  du  Désert.  S.  Andréas  de 

Deserto. 
Charlieu.    Caroli-locus    ou    Carits- 

locus. 


Bailliage  de  Tours  ' . 

[Indre-et-Loire.  L'.-lnjou ,  le  Maine  et  la  Bretagne  rcssorlissaient  à  ce  bailliage.  [Maine- 
et-Loire,  Loire  -  Inférieure ,  Sarthe  ,  Mayenne,  Ile-et-Vilaine,  Morbihan,  Finistère, 
(!ôtes-(lii-\ord.  ]  ) 

l' R  i';  V  ô  T  K  s . 


Saintc-AIaiirc.  S.  Maitra. 
Langes.  Langesium. 
Loches.  Lochiœ  ou  Locliœ. 


Cliâlillon.  CastiUio. 
Cliinon.  Chino. 
Fontenay.  Fontenaium. 


BAILLIAGES  ET  VICOMTES  DE  NORMANDIE  2. 


Hailliage  de  ^ouen. 

(Partie  île  la  Seini;-lnférieure  et  de  l'Eure.) 

VICO.MTK.S. 

Rouen.  Rot/toi/uigus.        Pont-.Audcnier.  Poiis-Aiidomari. 


.^ugc.  Augum. 


Cacn.  Cadomum. 
Falaise.  Falesia. 


Bailliage  de  Caen. 

(Calvados.  ) 

VICOMTKS. 


Baycux.  Bajocœ. 
Orbec,  Orbeccum. 


Coutanccs.  Constanciœ. 


Bailliage  de  Cotentin. 

(Manche.) 

VICOMTKS. 

Carcnfun.  Carentan. 


Valognes.  Valones. 


Bailliage  de  Caux. 

(Partie  de  Seine-Inférieure.) 

VICOMTK.S. 
Montivilliers.  Moiiasterii-villare.  .Arques.  Arc/iiœ. 

Caudebec.  Calidtitn-beccnm.  Xeufcliàtel.  Castnun-novum. 


'   Comptes  de  1299  et  de  1303. 

D'après  le  Reg.   Kosler  de  la  ;,liambre  des  comptes,   copie  moderne.   .Irch.    de  l'Kinp. 
P   2289,  fol.  852  et  833. 


454  APPKXDICE. 

Bailliage  de  Gisors. 

(Partie  d«  Seine-et-(Jise  ,  de  IKiiro,  d'Eiire-ct-Loir,  Orne.) 
VICOMTES. 

(lisons.  Gisorcium.  Vcrncuil.  Venwîium. 

AX'CIENS  DOMAINES  DU  COMTE  ALPHONSE 

Réunis    à    la    couronne    en    1271. 

Sénéchaussée  de  Poitou  ' . 

(Vienne,    l)eux-Sè\re.s,   partie  de  la  Vendée.    Haute-Vienne.) 

P  R  K  V  Ô  TÉS. 

Poitiers.  Pictavi.  Saint-Mai.\pnt.  S.  Maxentius. 

Montmorillon.  Mons-morilionis.  Xiort.  Xlortum. 

AIoiitrcuil-Bouin.  Monastcriohtm-Bo~  Lairoiix.  Laijroux. 
nini. 

Sénéchaussée  de  Saintonge  '-. 

(Charente  et  Charente-Inférieure.  ) 

PRKVÔTÉS. 

La  Rochelle.  Rupella.  Frontenay.  Fronteiiaiwn. 

Saint-Jean  d'Angely.  .S".  Ju/iannes  de  Saintes.  Xantoucx. 

Angeliaco.  Vendoire.  Venderc. 

Banaon.  Bennon.  Parcoul.  Paracollum. 
Taiinay.  Talniacum. 

Sénéchaussée  de  Toulouse  et  d'Albigeois  '. 

(Haute-Garonne,   partie  du  Tarn,   de  Tarn-el-Garonnc ,    du   Gers,   de  l'.Aude , 
de  i'.Ariége  et  des  Hautes-Pyrénées.) 


Fanjc^iux.  Fanutn-jocis.  \illcniiir.  l  illfi-miiri. 

Laurac.  Lauracuui.  Montastruc.  Mons-asiinichi. 

Avignonnet.  Acbùonctuin.  Riisel.  Busetum. 
Caslclnaiidari.    Castvum-novum   de      Paulhiac.  Paidhacum. 

Arrio.  Casiel-sarrasiii.  Castnim-Sarraceni. 

Portel.  rortellitm.  ]\Iensac.  Mensactiin. 

Caimont.  Cahus-mons.  Cordes.  Cordua. 

Saint-Félix.  S.  Félix.  \an<jerville.  Xangcrvilla. 

Pui-Laurens.  Podiitm-Laurentii  Montueg.  Moiitoginm. 

Haufpoul.  Altum-pullerium.  Verdun.  Verdimiim. 

Vaiirc.  Vauriun.  Cinte-Gabellc.  Sancta  Gavella. 

'   ^  •'  Comptes  des  anciens  domaines  d'.Alplionse  de   1294  et  1299.    Archives  de   l'Em- 
pire ,  K.  501. 


APPENDICE. 


455 


Montgiscaril .  Mons-CiisMnii. 
Baziogc.  Vadegia. 
Blagnac.  Blanhacum. 
Bonnac.  Bonhanim. 
Montesquieu.  Mons-esquhi. 
Bonncville.  Bonarilla. 
^lontaigu.  Mons-acutus. 
Beauvoir.  Pulchrum-videre . 
Montauban.  Movs-Albamis. 
Gimel.  Gimellum. 
Monljoux.  Mons-jocis. 
Montursicr.  Moiis-tnsei'ii. 
Vaiire.  l'aui-e. 
Gaillac.  Galhicicu7n. 
Villeréal.  l  illa-regalis. 
Belmont  en  Qiierci.  Bellus-mons . 
Bonscnac.  Boricigiacum. 
Mas-Sainles-Puclles.  Mansits-ruella- 

rinn. 
Saint-Lizier.  S.  Liceriiis. 
Estarviellc.  Starvilla. 
Plaiseiice.  Plazencia. 


.Aigiies-rives.  AqiKV-vivcc. 
Milan.  Milanum  i. 
Lorde.  Lorda. 
Boulogne.  Bononia. 
Cologne.  Colonia  -. 
Valentines.  Valentinœ^. 
Rivière.  Bipparia. 
Aigremont.  Acer-mons. 
Richement.  Bicus-7nons. 
Beaumarchais.  Bcllum-Marchedum. 
Grenade.  Granata. 
Rieux.  Bivi. 
Avellanet.  AveUaneium. 
Fousseret.  Fosseretum. 
Carbone.  Carhona  ^. 
Saint-Sulpice.  S.  Sitpplicius. 
Sainte-Foi.  iS".  Fides. 
Giniont.  Gimons. 
Tail!e])ourg.  Taillehurcjum. 
Saint-Urcisse.  S.  Urcitius^. 
Siinorre.  Simorre. 
Flcurance.  Florencia. 


Albigeois. 

B.iVLIES. 

Castelnau  -  de  -  Montmirail .  Castmm- 
novum  de  Monte-mirahili. 

V'alence.  Valencia. 

^lontgaillard  et  Pampclonne.  Mons- 
gaitlardus,  Toria  et  Pnmpelona. 

Lavaur.  Vaonr. 

Andouque.  Anducia. 


Cordes.  Cordiia. 
Gaillac.  GalUacinn. 
Rabasteins.  Bapistagnum. 
L'Ile.  Insula. 
Selhonac.  Seglonacum. 
Puyceley.  Podium-celsi. 
Penne.  Penna. 
Causac.  Causacum. 

Sénéchaussée  de  Rouergue  ^. 
(Aveyron,   partie  de  Tarn-ct-Garonne   et  du  Lot) 

BAVLIES. 

La  Gniole.  Gleyola.  Xajac.  Xajacum. 

Roque-Valzergue.  Bupes-vallis  Scr-    Caylar  (Le).  Caslanim. 
giœ.  Villeneuve.  Villanova. 

'  En  pariage  avec  G.  Bernard  de  la  Roque. 

*  En  pariage  avec  Oton  de  Terride. 

•*  En  pariage  Oto  avec  Oton  de  Montauf. 

*  Ajoutez  Casel ,  Sejanis  ,  lieiimis ,  Alanis  ;  villages  que  je  ne  connais  pas. 
^  Senna,  Pelegiacum ,  Montias;  idem. 

0  Comptes  de  1294  et  1299. 


45fi 


A  P  F  KM)  ici:. 


Saiivclori-p.  Salca-lerra. 
Saiiil-(!ciiiès.  S.  (îcnesius. 
Millau.  Ainiliarutn. 
Ro(]iio-Cc/ i èro.  Bupcs-cesarca . 


l't'yrii.ss('.  Pclriirifi. 
.\ aiissac .  Xaiisxfictiin . 
Vcrfcil .  I  iridc-folium . 
Hiciipcyrniix.  Hhus-petrosus. 


Saint-(îcor;50.s  et  MontlVanc.  S.  Geor-     lîalajjiiior.  Balaguerins. 

gîiis  et  Motix-francux .  Boiirnazcl.  Boiirnazcllus. 

Cassajjncs.  Cassiuieœ.  Saint-.^iitouin.  S.  Antonhius  K 


Sailliage  d'Auvergne. 

(Partie  (lu  Puy-de-Dôme,  de   la  Haute-Loire  et  du  Cantal.] 


l'RKV  OTKS. 


nrioiidc.  Bricatensis. 
Auzon.  Ausonium. 
Noncttc.  Xoneta. 
Monton.  Montoiiium. 
Pont-dii-Cliàlcaii.  Pons-castri. 
Thiers.  Thyernum. 
Bulhon.  BulJiion. 
Kunczac.  Ennaezinciim. 
Riom.  Biomuvi. 
Cébazac.  Ccbaziacum. 
Toiirnot'I.  Tornolium. 
Chàtcl-Guioii.  Casfrum-Guidotiis. 
Casteinau.  Castrum-norum. 
Bclicgardo.  Bella-guarda. 
Palluel.  Paluellum. 


Viclicl.  Vichiacum. 
Langpac .  Laurjùicitm . 
Piiy-Ro[[er.  Podium-Botgern. 
Ciissct.  Ciiciacum. 
Maiizac.  Mauziacitm. 
Moiitferraiid.  Mons-ferrandi. 
Revel.  Bevelliim. 
Cournon.  Corno. 
Hernicnt.  Herment. 
Roclie-d'.A;;oiit.  Bupes-dagulfi. 
Jauscrant.  Jauserant. 
Montède.  Motitolium. 
Cliaian.  Cliacan. 
Mirabel.  Mirabtl. 
Claire i al.  Clara-vaîlis. 


AXCIEX  DOMAIXK   ROYAL  DAXS   LE  MIDI. 

Bailliage  des  montagnes  d'Auvergne. 

(Cantal.) 

On  a  la  ])roiivc  qu'il  y  avait  deux  bailliages  en  .■\iiverfi[nc  sous  Philippe  le 
Bel  :  l'un,  appelé  simplement  bailliage  d'Auvergne,  comprenait  la  partie  de  cette 
province  qui  avait  appartenu  au  comte  Alphonse  (basse  Auvergne);  l'autre  por- 
tait le  nom  de  bailliage  des  Montagnes  et  était  formé  de  la  partie  de  ce  comté 
réunie  à  la  couronne  sous  Philippe-Auguste  (haute  Auvergne).  Après  1271, 
le  bailliage  des  Montagnes  fut  soumis  au  bailli  d'.\avergnc  -\  mais  il  continua 
à  être  gouverné  par  un  bailli  ou  gardien  '■^,  aux  gages  de  cinq  sous  par  jour. 

'   Réuni  en  1300  au  Querci. 

-  Voyez  le  compte  oriyinal  du  bailli  d'.Auvergne  pour  1299.  .Arch.  de  l'Emp. ,  K.  501. 

3  \tc\\.  delKmp. ,  J.   1091  et  1098.  —  Otim.  t.  111,  p.  873. 


APPEXDICE.  457 

PRKVÔTKS  '. 

Aiii'illac.  Aureliacum.         Saint-Flour.  S.  F/oriiix.         Mauriac.  Maitriaciim. 

Sénéchaussées  de  Férigord  et  de  Querci. 

I  Dordogne ,  Lot,   partie  de  Tarn-et-Garonne ,  de  Lot-et-Garonne.   —  .\  cette  sénécliaussée 
ressortissait  le  duché  de  Guienneet  la  vicomte  de  Turenne,  Gironde,  Gers,  Landes,  Corrèze.  ) 

.A  la  suite  de  la  guerre  des  .Albigeois,  la  royauté  eut  une  partie  du  Querci 
et  le  Périgord,  qui  formèrent  une  sénéchaussée.  En  1271,  on  réunit  à  cette 
sénéchaussée  les  sénéchaussées  de  Querci  et  d'Agcnais  ayant  appartenu  au 
comte  Alphonse,  mais  dont  une  grande  partie  fut  restituée  aux  Anglais  en 
vertu  du  traité  d'.Amiens. 

Sénéchaussée  proprement  dite  de  Périgord. 

B.IVLIES  -. 

(]oiirdon.  Gordonium.  Briies.  Briia. 

Alontdomc.  Mons-domi .  Cahors.  Cadiircuiii. 

Figcac  (viguerie).  Figiaciim.  Sarlaf.  Snrlatum. 

ilartel.  Martellum. 

Sénéchaussée  de  Querci  ^. 

BAVLIES. 

Lauserte.  Lauserta.  Molières.  Moleriœ. 

ilontcuq.  Mons-ctici.  Montalsac.  Moiis-ahaci. 

Jloissac.  Moissiacum.  ilondenard.  Mous-lnnardi. 

Castelsagrat.  Castruin-sagiritum.  Septfonds.  Septem-foiites. 

La  Française.  Villa-francisce.  Caylus.  Caslucium. 

Montaiiban.  Muns-albani.  Emet.  Emetitm. 

Toulmont.  Thulinons.  Castillun.  Caslilliio. 

Caussade.  Calciata.  Réalmont.  Regalismons. 

Aumont  et  Alirahel.  Altusmons  et  Mi-     Pestillac.  Peslilliacum  'K 
rabellum. 

Sénéchaussée   de  Beaucaire  ^. 

(Gard,  .Ardèche,    Haute  -  Ijoire  ,   Lozère.) 

V I G  U  E  R I E  S . 

Xîmes.  Nemausus.  Lzès.  L'cetia. 

Beaucaire.  Bellicadriim .  .Anduze.  Aiiduzia. 

'  Compte  de  1299.  —  Voyez  aussi  une  ordonnance  de  Philippe  le  Long  de  1329.  Ord. , 
t.  1 ,  p.  690. 

-  Compte  de  1299.  Arch.  de  l'Emp. ,  K.  501. 
'  Compte  de  1299.  Arch.  de  l'Emp. ,  K.  501. 
*  Rendu  au  roi  d'.Anglelerre  en  1305. 
•■  Vaissètc,  Histoire  de  Languedoc,  t.  IV,  p.  502. 


A5S  APl'EXDICE. 

Sonimioros.  Summidrinm.  Bugiiols.  Balneoli. 

Aijjiios-inorlos.  Aqiur-inorhir.  Ro(jiiriiiaiirc.  Rupes-mauri. 

Pont-Saiiit-Ksprit.  Po)is  Sancti  Spi-  Saint-André.  Satictus  Andréas, 
rit  lis. 

BAILLIAGES. 

GcwLuddii.  Mimatcnsis  K        Vivarais.  luariensis'-.  \è\a.\.  Aniciensis^. 

Sénéchaussée  de  Carcassonne. 

(Aude,    Arioge  ,    parlie    nord   du   Tarn.) 

vu;  lERIES. 

Carcassonne.  Carcassona.  Xarbonnc.  Xarboiina. 

Cabaninz.  Cahardc.  Fcnouillède.  Fenoilhetum. 

Minrriois.  Minerca.  Terinennis.  Termini. 

Bézicrs.  Biterrœ.  Les  .Allemans.  Alamanni'. 

Albi.  Albia.  Sault  (bailliafje).  Salins. 

Gignac.  Gigniacum.  Montréal  [c\\l\.c\\en\c).  Mutis-regalis. 

Limoux.  Limosiis. 

Sénéchaussée  d'Agenais  (1302)  ^. 

Formée  d'une  partie  du  territoire  conquis  sur  les  Anglais  et  restitué  en   1303. 

Sénéchaussée  de  Gascogne  (1302). 

Comme  la  urccédente. 

Bailliage  de  rranche-Cotnlé  "'.  —  Sénéchaussée  de  Bigorre. 

(  Partie  des  Ilautes-Fyrcnées.  ) 
Dérolue  à  la  reine  Jeanne  de  Navarre  par  succession.   On  la  trouve  dès   1301  ' 

Sénéchaussée  d'AngouIême  ^. 

Comté  d'Angoulèmc  réuni  à  la  couronne  après  la  mort  d'Hugues  le  Brun. 

'   En  pariage  avec  l'évèque  de  Mende. 

-   En  pariage  avec  l'évèque  de  V  iviers. 

■^  En  pariage  avec  l'évèque  du  Puy. 

■*  Depuis  1308  en  pariage  avec  l'évèque  de  l'amiers. 

5   Liste  de  1302.   Trésor  des  chartes .  Rcg.  XXXVI.  fcl.  4. 

o  Trésor  des  chartes,  J.  354,  n»  31.  Jean  de  Xouvions,  bailli  du  roi  en  129G.  Perreciot , 
Etat  des  personnes,  t.   II  ,  p.    lOC. 

■"   Mandement  au  bailli  de  Bigorre.   Tri;or  des  chartes ,  Reg.  XXXVI,  fol.  4  v".  Eu  1302. 

**  -  Compoti  senescallicE  Engolismensis,  videlicet  Compnac,  Merpins,  Leîigncui ,  a  vigilia 
S.  Katarinse  cccviii.  '■  Tab.  R.  Mignon  ,  Historiens  de  France.  -X.XI ,  p.  522. 


APPEXDICK.  459 

Sénéchaussée  de  Iiyon. 

(  Département  du  Rhône.  ) 
Instituée  en  1310  '. 

Lyon.  Lugchtuum. 

Bailliage  de  Iiiile  -. 

(  Déparlement  du  \'ord ,   une  partie  de  la  Belgique.  ) 

CH.ITELLE.VIES. 

Lille.  Insula.  Arleux. 

Douai.  Duaciim.  Lagorgiie. 

Orchics.  Orchie.  Tournai.  Tornacum. 
Mortagne.  Matiritania. 

Je  ne  tiens  pas  compte  de  quelques  bailliages  momentanément  réunis  à  la 
couronne,  qui  fin-ent  restitués  à  leurs  anciens  possesseurs,  tels  que  la  .séné- 
chaussée de  Ponthieii '^j  confisquée  sur  les  .Anglais  et  rendue  en  1299,  et  le 
bailliage  de  Béthune,  saisi  sur  le  comte  de  Flandre,  etc.  ■*. 

Je  joins  le  tableau  des  divisions  territoriales  de  la  Champagne,  bien  que 
cette  province,  qui  formait  avec  la  Xavarre  le  patrimoine  de  la  reine,  n'ait 
pas  été  réunie  à  la  couronne;  mais,  en  fait,  la  Champagne  fut  aussi  étroite- 
ment soumise  à  Phibppe  le  Bel  et  reçut  la  même  adminislration  que  les  autres 
provinces.  Après  la  mort  de  la  reine  Jeanne,  la  Champagne  passa  à  son  fils 
aîné,  Louis  le  Hiitin;  mais  l'influence  royale  ne  cessa  d'être  toute-puissante 
dans  les  Etats  de  l'héritier  de  la  couronne ,  quoique  les  actes  de  l'autorité 
aient  cessé  d'être  promulgués  au  nom  du  roi. 

COMTÉ  DE  CHAAIPAGXE5. 

Sailliage  de  Troyes. 

(Partie  des  départements  de  l'.-lube ,  de  Seine-et-Marne  et  Vonne.  ) 

PRÉVÔTÉS. 
Troyes  ".  Vaucharcies. 

Illcs.  Chiiource. 

'  a  Compoti  senescalliae  Lngdunensis  ab  anno  1310,  quo  dcvenit  régi.  ■<  Tab.  R.  Mignon, 
Bistoriens  de  France ,  t.  .\XI  ,  p.  521. 

^  "  Compoti  bailliviae  Insulœ,  ab  anno  1304.  »  Historiens  de  France,  t.  XXI  ,  p.  521. 

•*   Historiens  de  France,  t.  XXI  ,  p.   522. 

i  Bistoriens  de  France ,  t.  XXI,  p.  523. 

^  Compte  de  Renier  .■\courre  et  de  Gentien  pour  la  terre  de  Cliampagne ,  depuis  le 
dimanche  1287  jusqu'à  l'octave  de  \oëI.  Or.  Bibl.  imp.  ,  Clérambault,  Mélanges,  t.  IX.  — 
Voyez  un  compte  de  1285  ,  cité  par  Brussel ,  Xourel  usage  des  Jiefs ,  p.  461.  —  Conf.  Lcfèvre, 
les  Finances  de  la  Champagne ,  p.    11. 

'^  Dans  les  comptes  ces  noms  sont  en  français. 


460  A  P  P  K  X  I)  I C  E. 

Sniiit-Florontin.  .Mcaiix. 

Villcmort.  Bray-sur-Seine. 

Eriy.  Moiitoroaii. 

Coursant.  Coiilninmicrs. 

Saint-Maard.  Joiiy-lc-CliàtcI. 

Cliablics.  Sezaniu'. 

Méry.  Chantomorln. 

Riimilly.  Nojionl-sMr-Scino. 

Essoycs.  Pont-siir-Seitio. 

Maray-cn-Othe.  Vertus. 
Proiins. 

Sailliage  de  Vitry. 

(Partie  des  départements  de  r.Aisiic  et  de  la  Marne.) 

PRKVÔTKS. 

Chàteauthicrry.  Saint-Hilier. 

Pachie.  Joiichcry. 

Vitry.  Saintc-Mciicliould. 

Cliûtillon  et  Fisiiies.  Passai ant-cn-.Argoiine. 

Epcrnay.  Larzicourt. 

Loui'ois.  Cliàtrl-cii-Porticrs. 

Bailliage  de  Chaumont. 

(l'artie  des  départements  de  la  Haute-Marne  et  de  l'.Aube.  J 

PRKVÔTKS. 

Bar-siir-Aube.  Huyinos. 

La  Fcrté.  Graiiz. 

Chaumont.  Coiffy. 

Jlontcclairc.  Vassy. 

\o;jont-cii-Bassigny.  Soiilciiins. 

ilontigny.  Roniiay. 

Bonuccourt.  Bar-sur-Soine. 


APPEXDiCE.  4G1 


III. 
TABLE  CHROXOLOGIQLE 

DKS    DOCUMENTS    RELATIFS    A    l'hISTOIRE    DE    PHILIPPE    LE    BEL 

scrvaot  de  Pièces  justificatives  à  cet  ouvragée  » 

qui  sont  insérés  dans  le  tome  XXII  des  Notices  et  Extraits  des  manuscrits 
publié  par  l'Académie  des  Inscriptions. 


I.  Bulle  du  pape  \icolas  IV',  nommant  l'arclicvèquo  de  Rouen  et 
l'évèque  d'Auxerre  exécuteurs  d'un  décime  accordé  au  roi  de 
France ,  pour  subvenir  aux  dépenses  de  la  guerre  d'Aragon. 
31  mai  1289. 

II.  Bulle  du  même  sur  la  manière  dont  ce  décime  devait  être  levé. 
31  mai  1289. 

III.  Notice  d'un  manuscrit  inédit  renfermant  le  rôle  de  la  taille  de 
Paris  pour  les  années  1296-1300. 

IV  .  Instruction  sur  la  manière  de  lever  le  centième  et  le  dixième.  (En 
français.)  [1295.] 

V'.  Mémoire  de  l'amiral  Benoît  Zacliarie  à  Philippe  le  Bel,  sur  les 
moyens  d'équiper  une  flotte  et  de  se  procurer  une  armée  navale 
pour  faire  une  descente  en  Angleterre.  (En  français.)  [1295.1 

VI.  Lettres  patentes  donnant  à  Jean  d'Harcourt  et  à  Matthieu  de  Mont- 
morency pleins  pouvoirs  pour  commander  l'armée  et  la  flotte 
destinées  à  faire  une  descente  en  Angleterre.  (En  français.) 
[Mai  1295.] 

V'II.  Mémoire  officiel  sur  la  guerre  contre  l'Angleterre,  les  mesures 
militaires  qui  furent  prises ,  les  négociations  diplomatiques  de 
Philippe  le  Bel  pour  se  faire  des  alliés,  et  sur  les  ressources 
financières  que  l'on  se  procura  pour  faire  face  aux  dépenses  de 
cette  guerre.  (En  français.)  [V.  1297.] 

l^III.  Lettre  de  Boniface  V'III  à  Philippe  le  Bel,  où  il  lui  témoigne  une 
vive  affection,  et  se  plaint  du  mauvais  état  de  sa  sanfé  qui  l'em- 
pêche d'avoir  une  entrevue  avec  le  roi.  29  décembre  1298. 

IX.  Lettre  du  même  au  même  pour  le  prier  de  prêter,  au  nom  de 
l'Eglise  romaine,  100,000  livres  tournois  à  Charles  de  Valois, 
qui  venait  au  secours  du  saint-siége  avec  mille  honmics  d'armes. 
30  décembre  1298. 


«62  APPENDICE. 

X.  Isiiqiiètc  sur  les  oinpic'lciiHMils  de  la  jm-idii  lion  ciil(''siusli(]iic  en 
Lanyucdoc.  [Vers  i;500.J 

XI.  liOlIrp  dos  citoyens  de  la  ville  iiiijx'riale  de  'l'oiil  à  l'Iiilippe  le  Bel, 
pour  se  mettre  sous  le  protecloral  du  roi  de  Kraïue.  (I']n  irautjais.) 
Xovenibro  1300. 

XII.  Ordre  de  Philippe  le  Bel  à  (]uillaunic  de  Nogarel  et  à  Simon  de 
Mareliais  de  s'oceuper  de  rendre  la  Seine  navijjalile  jiiscpi'i^ 
Troyes.  1302. 

XIII.  Lettres  patentes  de  Philippe  le  Bel,  portant  demande  d'emprunts 

pour  subvenir  aux  dépenses  de  la  yuerrc  de  Klaiulre.  Juillet  1302. 

XIV.  Lettre  du  même  à  maître  .lean  Croissant,  au  sujet  d'un  emprunt 

i'orec  de  300  livres.  (En  français.)  1"''  septembre  1302. 

XV.  Mandement  pour  la  convocation  du  ban  et  de  l'arrière -ban.  (En 
français.)  10  août  1302. 

XVI.  Lettre  eonlidentielle  du  roi  à  l'éièque  d'Auxerre,  son  ambassadeur 

i\  Uonu'.  \o\end)re  1302. 

XVII.  Bulle  de  Boniface  VIII,  réunissant  à  l'empire  d'.Allemagne  les  pro- 
vinces qui  en  avaient  été  distraites,  l'"'  juillet  13t)3. 

XVIII.  Mémoire  (de  Xogaret?)  à  Philippe  le  Bel  sur  les  diflicultés  de  la 

situation  après  l'attentat  dirigé  contre  Boniface  VIII.  J303. 

XIX.   Pleins  pouvoirs  donnes  à  Béraud  de  Mercœur,  P.  de  Belle-Perche, 

Ciuiilaume  de  Xogaret  et  Guillaume  de  Plasian,  pour  mettre  en 

liberté  toute  personne  détemie,  n'importe  pour  tpiel  motif.  1304. 

XX.  Ordre  de  lever  double  subside  sur  les  usuriers.  Acu'it  J303. 
X\l.    Lettres  du  roi  portant  (jue  les  habitants  de  Rouen  lui  ont  opaeieu- 
semeut  accorde,  à  la  requête  du  comte  de  Valois,  nu  aide  de 
sergents,  pendant  (juaire  mois,  pour  la  guerre  de  Flandre.  (l']n 
français.)  1""  mai  130V. 
XXII.   AlaudemcMits    aux   baillis    de   faire    des    approvisionnements    pour 
«  l'arnu'e.  (Eu  français.)  .lanvier  1304. 

XXIII.  Lettre  d'Edouard  ^■^  roi  d'.Anjileterre,  à  Philippe  le  Bel,  an  sujet 

de  l'arrestation  des  Templiers.  30  octobre  1307. 

XXIV.  Lettre  du  duc  de  Brabant  an  même,  lui  annonçant  qu'il  a  exécuté 

ses  ordres,  en  arrêtant  les  Templiers  dans  ses  domaines.  Xovenïbre 
1307. 
XXV.  Circulaire  de  Philippe  le  Bel  au  tiers  état,  au  sujet  du  procès  des 
Templiers.  25  nuirs  1307.  (Vieux  style.) 

XXVI.   Lettre  île  Philij)pe  le  Bel  à  Frédéric,  roi  de  Sicile.  23  septembre 

1308. 
XXVII.  Pamphlet  (de  P.  Dubois)  contre  Clément  \  pour  le  forcer  à  sup- 
l)rinu'r  l'ordi-e  du  Tenq)le.  (Eu  français.)  [1308.] 


\rrv'\nirK.  w>s 

\\\  111.  IVn'toutlno  n^quôto  du  (Hniplo  »lo  Frajico  an  rt»i  (viiir  doDKUxior  au 
r\v»  i'«lH)Iilk>n  il»\<  Toii»jUiors.  ^  Aurilnuv  jk  P.  DuM^.")  V  ors  ioOS. 

X\IX.  Xh^noirt^  nM«is  i  C'ôniP«t  V  par  l^ilippo  lo  Rt^l.  pour  \c  mcmc 
ohjVl  q«p  ri-<lossHS.  (^Altrilmo  à  P.  lXib«i$.^  V.  Iâ0$. 

X\X.  X!om»>irt^  ^do  IXiln^is^  à  Philippo  le  fn'l  jnnir  Tongaoor  à  so  fairt^ 
crtvr  omporour  d'Allomaguo  jMr  lo  papo  ClonuMit  \  .  ,  loOS] 

XXXI.  Ploins  pouvoirs  do  Philippo  lo  B<'l  à  (wrar»}  tJo  l^^n.lry.  à  P.  Ixir- 
riôri»  ot  v^  Hnj^Tu^s  iJo  la  Oollo,  pour  traxaillor  à  Poloctiou  do 
C!u»Hos  do  Valois.  sin>  Wn\  comiin»  em(H>n'ar  d'Allemagne, 
l  !  juin  130S. 

\\\l!.  Quiitamv  domuv  jw  Oharios  de  Valois  au  roi  d'une  somme  de 
10.«'>tX*  livrt's  tournois  qui  lui  .Av.<>it  etè  founue  pour  fiieiliter  son 
élection  iH^nnne  euiportnir  d" Alloniaone.  ^^Kn  français.)  16  juin 
l">t)S. 

\\\111  Xotice  des  bnllos  de  ClemeuJ  \  .  n'iatives  an  procès  dos  Templiers. 
d^nmvs  à  Poitiers  eu  l;>OS  et  apportivs  an  roi  jwr  OiuilKAnmo 
do  Plasian,  lo  5  st^ptombri^  de  la  mémo  annot\ 

\\\1\ .  iVtIro  du  roi  au  bailli  de  Sons  de  rassonïblor  les  «ons  des  com- 
munes ot  dos  rillos,  ot  do  courir  sus  aux  nobles  qui  jH»rtoraionJ 
dos  anuos  malj^n^  les  doreuses  du  riu.  ^Rn  français.)  21  no- 
\ombrt^  loOS, 

\\\\  L<Mirt^  do  Philippe  lo  Ih^I  à  Clemont  V  pour  lui  appnMuirv  qu'il  a 
jKiniouno  .^  Bt^nu^ni  Saisst^t,  évoque  de  IVmiers,  et  lui  a  rtnulu 
ses  bonnes  grâces ,  et  pour  recKvmmandor  lotiit  èvx^quo  à  la  bien- 
\oillanco  du  ppe.  S  j.tn\ior  1309. 

\\\\  1  lA^ttre  du  mènjo  au  n»ème,  curieuse  pour  faire  connaître  les  mceurs 
de  la  noblesse  française.  (Coimnoucoinent  de  l'amièe  1309.) 

\\\\  11  Mémoire  do  tî.  de  Xogaret  sur  la  possibilité  d'une  eriMsado  ot  sur 
les  uïoyons  d'arriver  à  un  résultat  satisfaisant.  V.  1310. 

\\\\  111.  Letln^  dans  laquelle  il  rx^nmnait  que  les  nobles  d«j  anuto  d'.AIençou 
lui  ont  gracieus<''ment  acctvnlo  la  totalité  dos  impositions  établies 
sur  leurs  sujets  à  ri>eeasion  du  mariage  de  la  fdie  du  roî ,  impv>- 
sitions  dont  une  part  aurait  dû  leur  revenir.  (Ku  français.) 
Juin  1310. 

\\\1\.  Kxpri>pri.itiou  do  Jainjues  Peuocho  d'une  n\aison,  dont  l'ompU- 
coinoui  et.^il  destine  .^  l'agraudissoment  du  palais,  à  Paris.  Août 

XL.  Orvlonu.^uce  lixani  le  budget  des  nivottes  et  des  dépen.ses  do  l'État. 
vKu  frauçai.s.^  19  janvier  131^. 

XLI.  lustnictions  s<Yrètos  pour  la  levée  d'un  nouvel  impi\t.  ^Ku  français.) 
jAoi^t  13U.] 


4Gi  APPKXDICK. 

XLII.  Ligiu"  (les  nobles,  des  pcclésiasti(]iirs,  bonnes  lillcs  et  commim  du 
diiclié  de  Bourgojpic  pour  résister  aux  exactions  de  Pliilippe  le 
Bel.  (En  français.)  \ovcndjre  JolV. 

XLIII.  Union  des  nobles  et  gens  du  tiers  état  des  provinces  de  Vernian- 
dois,  Beauvoisis,  Artois,  l'ontliieu,  avec  les  trois  ordres  du 
ducbé  de  Bourgogne,  pour  s'opposer  aux  entreprises  du  roi 
contre  leurs  libertés.  (En  français.)  l^''  décendire  1325. 

XLIV.  Codicille  de  l'bilippe  le  Bel.  28  novendjre  1314. 

WX .  Propbéties  relatives  à  la  fin  du  treizième  et  aux  premières  années 
du  quatorzième  siècle. 


F IX. 


TABLE. 


LIVRE    PREMIER. 

DE    I,A    ROVAITÉ. 

Chapitre       I.  —  Caractère  {jcnéral  de  la  rojaufé 1 

—  IL  —  Accroissements  du  domaine  royal 4 

—  III.  —  Progrès  du  pouvoir  législatif  des  rois  de  France.   .        11 

LIVRE  DEUXIÈME. 

DES     ÉTATS     GÉXÉRALX. 

Chapitre       I.  —  États  de  1302 19 

—  IL  —  Prétendus  états  de  1303. — Appels  au  futur  concile.  26 

—  III.   —  Etats  de  Tours  on  1308  et  de  Lyon  en  1312  contre 

les  Templiers 32 

—  IV.  —  Etats  de  1314  pour  voter  des  subsides.  —  Conclusion.  39 

LIVRE   TROISIÈME. 

DE     LA     FÉODALITlî. 

Chapitre       I.   —  Lutte  de  Philippe  le  Bel  contre  la  féodalité 43  ^ 

—  IL  —  Des  anoblissements 55 

—  III.  —  Révolte  de  la  noblesse 57 

LIVRE    QUATRIÈME. 

DU    CLERGÉ    FRANÇAIS. 

Chapitre       I.  —  Intervention    de    la    royauté    dans    les    affaires    de 

rÉylise 64  V^ 

—  IL   —  Lutte  du  pouvoir  royal  contre  la  juridiction  ecclé- 

siastique          69  ^"^ 

—  III.  —  Restrictions  apportées  à  l'inquisition 82 

LIVRE  CINQUIÈME. 

rapports    du    roi    AVEC    LE    SAINT-SIEGE. 

Chapitre       I.  —  Différend  de  Philippe  le  Bel  avec  Boniface  VIII.   .       88 

—  IL  —  Clément  V  et  les  Templiers 120 

30 


4G6  TABLE. 

LIVRE   SIXIEME. 

Dl      TIKRS    KTAT. 

Chapitre       I.   —  Des  communes 147 

—  II.   —  Des  bourgeoisies  royales 154 

—  III.  —  Des  affranchissements 156 

LIVRE   SEPTIÈME. 

DK   l'.admimstkatio.v   e  .\   géxérai,. 

Ch.apitrk       I.   —  .Adiiiinislratioii  centrale 163 

—  II.   —  Administration  locale 169 

LIVRE   HUITIÈME. 

ORGAMSATIOX    JUDICIAIRE. 

Chapitrk       I.   - —  .Inridiclions  inférieures 179 

—  II.  —  Juridictions  de  second  degré 186 

—  III.   —  Parlement  de  Paris 192 

—  IV.  —  Hautes  cours  provinciales 213 

—  V.  —  Ministère  public.  —  Avocats.  —  Notaires.  —  Gref- 

fiers      218 

LIVRE  MEl  VIÈME. 

ADMIMSTRATIOX     FIXAXCIÈRE. 

Chapitre       I.   —  Comptabilité  des  baillis 223 

—  II.   —  Trésor  et  trésoriers 228 

—  III.   —  Chambre  des  comptes.  —  Echiquier 234 

LIVRE   DIXIÈME. 

RECETTES     ET    DÉPEXSES. 

Chapitre       I.  —  Recettes  ordinaires 242 

—  II.  —  Impôts  généraux  extraordinaires 253 

—  III.   —  Impôts  sur  le  clergé 277 

—  IV.  —  Emprunts  volontaires  et  forcés 297 

—  V.   —  Impôts  sur  les  Juifs ,  les  Lombards  et  les  usuriers.   .     300 

—  VI.   —  Monnaies 306 

—  \II.  —  Evaluation  des  recettes  et  des  dépenses 327 


TABLE.  467 

LIVRE  ONZIÈME. 

INDUSTRIE    ET    COMMERCE. 

Chapitre       I.  —  Industrie  nationale 347 

—  II.  —  Commerce  intérieur 352 

—  III.  —  Commerce  extérieur 355 

—  IV.  —  Approvisionnements.  —  Disettes.  —  Maximum.  — 

Résultats  de  ce  système 362 

LIVRE   DOUZIÈME. 

ORGAMSATION    MILITAIRE. 
Chapitre  L.viyuE.  —  Armée  de  terre.  —  Marine 366 

LIVRE  TREIZIÈME. 

POLITIQUE     ÉTRANGÈRE. 

Chapitre       I.  —  Guerre  d'Aragon 379 

—  II.  —  Guerre  de  Valenciennes 383 

—  III.  —  Guerre  de  Gascogne 388 

—  IV.  —  Acquisition  du  Barrois 397 

—  V.  —  Alliance  de  Philippe  le  Bel  avec  l'empereur  Albert.      398 

—  VI.  —  Xégociations  avec  l'Angleterre  jusqu'au  traité   de 

paix  définitif 401 

—  VII.  —  Guerres  et  négociations  avec  la  Flandre  de  1300 

à  1304 403 

—  VIII.  —  Accroissement  du  royaume  du  côté  de  l'Orient.    .   .     405 

—  IX.  —  Politique  extérieure  de  1308  à  1314 408 

LIVRE  QUATORZIÈME. 

CONCLUSION. 

Chapitre       I.  —  Etude  sur  le  caractère  de  Philippe  le  Bel 415 

—  II.  —  Résumé 427 


468  TABLE. 


APPENDICE. 


I.  —  Tableau  des  villes  qui  tlépulèrent  aux  élats  de  Tours  en  1)308.     439 

II.  —  Tableau  des  divisions  administratives  de  la  France  sous  Philippe 

le  Bel 450 

III.  —  Table  chronologi([ue  de  documents  inédits  relatifs  à  l'histoire 

de  Philippe  le  Bel 461 


FIN    DE    LA    TABLE. 


JN 


Bou tarie,    Edgard 
2337  La  France   sous   Philippe 

B67  le   Bel 


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