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LA FRANCE
sous
PHILIPPE LE BEL
L'aiilnir cl l'cditeur déclarent réserver leurs droits de reproduction
et de traduction à l'étranger.
Ce volume a été déposé au niiiiisière de l'intérieur (direction de la
librairie), en septembre 1861.
cco
Paru. — Tyîojraphie de Henri Pion, imprimeur de ".'Empereur,
8 , me Garancière.
1,3
LA FRANCE
sous
PHILIPPE LE BEL
ETUDE
LES INSTITUTIONS POLITIQUES ET ADMINISTRATIVES
DU MOVEX AGE
PAR
EDGARD BOUTARIC
A r. C H 1 V 1 s T K A l- X ARCHIVES D K l' E M P I B B
OUVRAGE C 0 L R 0 X \ K P A R I, I X S T 1 T L T
(Académie des inscriptions et beUcs-lettrcs)
** ^ «^
PARIS
HEMII PLOX, LIBRAIRE-ÉDITEUR
s, Rl'E GARAXCIÈRE
II U C C C L X I
PRÉFACE.
L'Académie des inscriptions el hellcs-lelties proposa en 1836,
pour sujet du prix Bordin, la question suivante : Reclierches
sur les institutions administratives du règne de Philippe le Bel.
L'Académie voulut bien couronner le travail que je lui pré-
sentai, et son président, AL Lebas, dans la séance publique
du 12 novembre 1858, s'exprima en ces ternies :
« C'est un ouvrage étendu et remarquable. L'auteur ne s'est
pas contenté de mettre à profit les nombreux documents qui
ont été publiés sur cette époque de notre histoire; il a aussi
consulté et étudié fort attentivement les collections manuscrites
de la Bibliothèque Impériale et des Archives de l'Empire, et
c'est presque toujours avec des textes nouveaux qu'il a aboidé
l'examen des questions qu'il avait à traiter. Aussi les princi-
paux chapitres de son mémoire, notamment ceux qui con-
cernent les circonscriptions administratives, les états généraux,
le parlement et les finances royales, sont-ils remplis de ren-
seignements du plus haut intérêt, que l'auteur a su grouper
avec beaucoup de méthode. M. Boularic a parfaitement fait
comprendre le jeu des institutions monarchiques au commen-
cement du quatorzième siècle. Sans doute on pourrait désirer
dans ce travail des conclusions plus précises, mais il n'en jette
pas moins une lumière très-vive sur l'un des règnes les plus
importants de notre histoire, d
Le suffrage de l'Académie m'imposait de nouveaux devoirs.
Avant de soumettre mon travail au public, je tenais à le rendre
plus digne de la récompense obtenue, en mettant à profit les
VI PRKFACE.
trili(|iies (|ui m'avaient t'iô (ailes et les conseils bicnveillanls
que mes jiijjes m'avaient donnés. Je complélai mes recherches,
je les étendis , je relis pres(|ue entièrement mon travail; mais
là ne se borna pas ma tàclie. Je m'étais d'abord scrupuleuse-
ment renfermé dans le programme de T Académie, et n'avais
traité que des institutions administratives. J'ai jugé à propos
d'élargir mon cadre et d'y faire entrer les institutions politiques,
les rapports de l'Etat avec l'Eglise de France et le saint-siége ;
de rechercher les causes du différend de Philippe le lîel avec
Boniface Vlil et de la condamnation des Templiers; je crois
avoir jeté un jour nouveau sur ces graves questions. J'ai tracé
l'histoire des relations de la France avec les pays étrangers, et
essayé de déterminer quels furent les principes qui guidèicnl
Philippe le Bel dans ses rapports avec les puissances voisines.
Enfin, dans une conclusion motivée, j'ai résumé, en les appré-
ciant, les principales mesures prises par ce roi, après avoir
examiné une grave question, celle de savoir quelle a été la
part prise par Philippe au gouvernement de ses Etats, question
dont la solution devait être cherchée dans l'étude du caractère
de ce prince d'après les documents contemporains.
Le livre que j'offre aujourd'hui au public après cinq années
de travail est donc pour certains chapitres le développement de
mon mémoire, et pour d'autres, entièrement nouveau. Voici la
marche que j'ai suivie : J'ai d'abord étudié la nature de la
royauté, et constaté ses progrès dans l'ordre moral et dans
l'ordre physique par l'histoire des progrès du pouvoir législatif,
et par celle des accroissements du domaine royal. Suit l'exposé
des rapports du roi avec les trois ordres de la nation, réunis
pour la première fois dans des états généraux, puis avec chaque
ordre séparément; j'ai prouvé que le suffrage universel était le
mode d'élection usité pour les députés du tiers état aux états
généraux. J'ai ensuite fait pénétrer dans l'organisation de l'ad-
minislralion loyale, puis passé successivement en revue la cou-
PREFACK. m
stitulion du pouvoir central et les représentants du roi dans les
provinces, l'organisation judiciaire, l'administration des finan-
ces, les revenus publics ordinaires et extraordinaires, les dé-
penses, les monnaies, le commerce et l'industrie, la guerre et la
marine, la politique étrangère. Enfin la conclusion. Le volume
est tcrinino par la liste officielle des villes et villages qui ont
député aux états généraux de 1308, par le tableau des divi-
sions administratives de la France, et par une liste des princi-
paux documents inédits relatifs à l'administration de Philippe
lo Bel.
L'époque indiquée par l'Académie était admirablement choi-
sie pour faire connaître les institutions gouvernementales au
moyen âge. L'administration se fonde alors et se constitue telle
qu'elle restera, sauf quelques modifications, jusqu'au seizième
siècle. C'est le point d'arrivée de l'ère féodale et le point de
départ du monde moderne. Je me suis fait une loi sévère de
ne jamais franchir les limites du règne de Philippe le Bel,
persuadé que mon travail n'aurait d'utilité qu'à condition
d'offrir un terme de comparaison rigoureusement exact, qui
permit de constater les progrès de nos institutions à différentes
époques.
Pour arriver à ce résultat, je me suis exclusivement appuyé
sur des documents officiels en grande partie inédits. J'ai con-
sulté aux Archives de l'Empire les registres de la chancellerie,
les layettes du Trésor des chartes, la série des diplômes
royaux, les registres du parlement, de la chambre des comptes
et de la cour des monnaies; à la Bibliothèque Impériale, quel-
ques registres de la chancellerie qui font lacune dans la collec-
tion des Archives, plusieurs comptes de recettes et de dépenses
des bailliages, un journal du trésor inédit, les tablettes de
cire renfermant la dépense de l'hôtel du roi.
Les livres imprimés m'ont offert aussi de grands secours,
surtout le tome XXI du Recueil des historiens de France,
vii[ PRKFACi:.
piiltlif |)ar MM. de U'ailly ri (iiiifjniaiil ; les oidoniiimcos du
Louvre, \o' Spicilegium de, d'Achory, le Thes(Ninis anrrdo-
torum de Marlèue, les Archives de Reims de Al. Varin, les
liisloires de provinces et de villes, principalement les Preuves
dp V Histoire de Languedoc de D. Vaissète, et celles de V His-
toire de A'ismes de Mesnard, etc. J'ai inséré les principaux
documents inédits dont je me suis servi , dans le vingt-deuxième
volume des Notices et Extraits des manuscrits piihliés par
l'Académie des inscriptions.
Je prie le lecteur de ne pas me reprocher de n'avoir pas
tracé un tableau complet de l'état de la France à la fin du
treizième siècle: telle n'était pas mon intention; j'ai voulu
seuleniT^nt faire connaître l'organisation du gouvernement et
son action sur la société française. Je ne parle pas des lettres,
des sciences et des arts, parce qu'ils échappèrent entièrement
à l'influence de Philippe le Bel. En outre, il eût été plus que
téméraire d'aborder ce sujet, sachant que l'Académie avait
chargé deux de ses membres les plus éminents de rédiger une
introduction générale à YHistoire littéraire de la France au
quatorzième siècle, et que le discours sur l'état des lettres
était confié à M. V. Leclerc, et celui des sciences et des arts
à M. Ernest Renan.
Arrnmanclics, 14 août 1861.
LIVRE PRE AI 1ER.
DF. L^ ROVALTÉ.
CHAPITRE PREMIER.
CARACTÈRE GÉNÉRAL DE LA ROYAUTÉ.
La royauté élaif moins faible qu'on ne le croit. — Elle représentait un principe.
— Ce qu'elle gagna à entrer dans la féodalité. — L'absence de lois
politiques écrites lui est favorable. — Progrès de la royauté depuis le
douzième siècle. — La fin du treizième siècle est pour elle une époque
critique et décisive. — Philippe la fait triompher et établit un gouver-
nement absolu.
En toutes choses et en tout temps, on doit éviter de confondre
le fait aviec le droit : cette distinction est surtout nécessaire
quand on s'occupe de l'histoire du moyen âge, qui est l'époque
où la force exerçait un empire presque souverain, et où l'ahus,
quand il pouvait prouver une longue existence, s'érigeait en
droit. C'est pour avoir méconnu cette vérité et s'être laissé
guider par les apparences, que l'on s'est fait de fausses idées
sur la nature et l'essence de la royauté française entre le
dixième et le treizième siècle'. On l'a vue faihle aux déhuts
de la troisième race, réduite à un rôle insignifiant, effacée par
les grandes dynasties féodales qui l'entouraient, souvent vain-
cue, quelquefois à la veille de disparaître; mais celte faihlesse
était accidenlelle et transitoire. Le pouvoir royal renfermait en
lui des germes indestructihies de force et de grandeur capa-
bles de résister aux obstacles qui menaçaient de l'étouffer,
et dont le développement, lent et timide pendant des siècles,
devait prendre, à partir de Philippe-Auguste, un essor que
rien ne pourrait plus arrêter.
1 La supériorité de la royauté, principalement au point de vue judiciaire,
a été reconnue par AL le comte Bougnol , Olim , t. I, préface, p. xxn; et
par AL Pardessus, Essai sur l' organisation judiciaire , p. 45.
1
2 LA FRA\CE SOUS PHILIPPE LE BEL.
La royauté, iiilmiic dans les temps où elle paraissait le plus
affaiblie, était entourée d'un éclat qui n'appartenait qu'à elle
seule : elle jouissait auprès des classes inférieures d'un pres-
tige qu'elle n'exerçait plus sur la noblesse. Le clergé venait
journellement lui demander, comme à la source de la grâce et
de la justice, la sanction de ses privilèges et la confirmation
de ses richesses; c'était dans le sein de l'épiscopat (jue le roi
choisissait ses ministres. Cet appui de l'Eglise donnait à la
couronne la force morale ; d'ailleurs le souvenir de l'ancienne
royauté était vivace chez le jieuple. Les chants populaires, les
épopées, les légendes célébraient à l'envi Charlemagne, sym-
bole glorieux d'un pouvoir qui depuis était bien déchu, mais
qui laissait des regrets et donnait des espérances.
La royauté représentait, à partir du onzième siècle, une
idée abstraite, vague et mal définie, il est vrai, mais qui se
traduirait de nos jours par les mots de nationalité et de patrie.
La supériorité du roi était admise par le clergé, par le
peuple : elle l'était aussi par la féodalité. En effet, il était
placé au sommet du système féodal; il était le chef sci(jncur,
car tous relevaient de lui, étaient tenus de lui faire hommage
et de lui jurer fidélité, tandis qu'il ne relevait de personne,
fors de Dieu. La royauté était véritablement de droit divin et
reconnue comme telle par la société féodale. En entrant dans
la féodalité, elle acquit certains éléments de vitalité qu'elle
n'avait pas sous les deux premières races, où elle était à chaque
instant énervée par les questions de succession au trône et par
les partages entre les différents enfants d'un même roi. A partir
de Hugues Capet, elle suivit la loi des fiefs, bien qu'elle ne fût
pas un fief, et se transmit héréditairement à l'aîné : l'observa-
tion de cette loi fut son salut.
Les droits de la couronne n'étaient fixés par aucune loi
écrite; il n'y avait non plus aucune charte, aucun code qui
garantît les droits généraux de la noblesse et du tiers état.
Seuls, les privilèges du clergé trouvaient leur sanction dans
les bulles des papes, qui avaient force de loi dans toute la
chrétienté; et encore étaient-cc des privilèges particuliers, qui
variaient suivant les provinces et même suivant les églises.
Cette absence de lois écrites pour déterminer les droits et les
LIVRE PRE:iIIER. — DE LA ROYAUTE. 3
devoirs politiques des différents corps qui constituaient la
société fit la force de la royauté : elle lui permit d'étendre sou
autorité aux dépens de celle de la noblesse et du clergé, sans
qu'on pût lui reprocher de violer un texte précis, ni lui opposer
autre chose que des usages et des coutumes qui tiraient toute
leur valeur de leur antiquité, dont la plupart étaient des abus,
et qu'un jour il devait lui être permis de répudier au nom de
la raison d'Etat et de l'intérêt national. Tant que le domaine
royal fut restreint aux anciens fiefs des ducs de France, la
couronne fut impuissante : ce ne fut que par suite de l'agran-
dissement successif du territoire soumis immédiatement à ses
lois qu'elle put parler un langage plus digne d'elle : elle entra
seulement au treizième siècle dans cette nouvelle phase de son
existence. Deux faits mettent en mesure d'apprécier les progrès
qu'elle fit entre le commencement du douzième siècle et le mi-
lieu du siècle suivant. Sous Philippe I", Louis le Gros fut obligé
de recourir à la force des armes et à l'appui de ses autres vas-
saux pour contraindre le sire de Montmorenci à exécuter une
sentence rendue par ses pairs. Cent cinquante ans après, saint
Louis fit condamner à mort par sa cour un des premiers barons
du royaume, le sire de Couci, coupable d'avoir exercé le droit
de justice seigneuriale dans son fief. La noblesse fut réduite à
reconnaître la validité de ce jugement, et à recourir aux prières
et aux larmes pour fléchir le roi et en obtenir la grâce du
condamné.
Le pouvoir royal, tel qu'il échut à Philippe le Bel, avait
reçu de Philippe-Auguste et de saint Louis d'immenses accrois-
sements. La France touchait alors à l'un de ces moments solen-
nels dans la vie des peuples qui décident de leurs destinées.
Le système féodal avait été comprimé avec l'aide du tiers état
et du clergé : l'ancienne constitution était changée; la nouvelle
n'était pas encore fixée; l'avenir dépendait de la conduite que
tiendrait Philippe le Bel. On se trouvait devant cette alterna-
tive : ou la royauté, se dégageant de toutes les entraves, irait
aboutir à la monarchie absolue ; ou bien l'aristocratie et le
tiers état formeraient une alliance et seraient assez forts pour
se faire appeler, comme en Angleterre, dans les conseils du
monarque, et conquérir une part dans l'administration des
1.
4 LA l'IiAXC.i: SOIS l'HII.IPPK LK BKL.
affaires piihluiiics. La vigueur cl l'adresse de Philippe le Bel
firent pencher la halance du côté de la couronne : avec lui
commença la monarchie féodale ahsolue, qui suhsista jusqu'au
roi Jean, sans contre-poids ni dans le clergé, ni dans la
nohlesse, ni dans la bourgeoisie.
Les dilférentes parties de ce travail seront consacrées à mon-
trer qiM^le fut l'action de ce roi sur les différents ordres de
l'État en particulier, et sur les rcj)résenlants de la nation
entière, réunis pour la première fois dans les états généraux.
Avant d'entrer dans cet examen, je vais essayer de donner
une idée des progrès généraux qui furent accomplis par la
royauté sous IMiilippc le Hcl. Ces progrès peuvent être con-
statés par deux séries de faits d'un ordre différent : les progrés
matériels sont indiqués par l'accroissement du domaine de la
couronne; les progrès moraux par l'extension du ])ouvoir légis-
latif. Les vicissitudes de la puissance législative sont en eifet
une excellente échelle pour mesurer les ])rogrès de l'autorité'
royale, car le droit de faire des lois est la plus haute préroga-
tive de la souveraineté.
CHAPITRE DKl XIEME.
ACCROISSEMENTS DU DOMAINE ROYAL.
Progrès malcricls do la royautô conslalés par l'accmissompiit du domaine de
la couronne. — Que doil-on entendre par domaine? — Pliilippc le Bel
établit le retour à la couronne des apana^res. — Domaines inaliénables. —
Ktat des possessions domaniales en 1280. — La reine Jeanne apporte eu
(lot la Cliampa;[ne, la Bric et la Xavarrc. — Hèjjlement de la cession de
certaines provinces de (îuienne faite par saint Louis aux Anjjlais. — Acqui-
sition du comté de liijrorre, de Alontpeliier, de la Franche-Comté, du
comté de la Alarche, d'iuie partie de la Flaiidre, de iIorta;{iie. — Les
pariaj^es avec les sei<{neurs ecclésiastiques deviennent une nouvelle source
d'accroissement pour le domaine. — Paria<;cs avec des sei>{neurs laïques..
— Les jjrands liefs entre les mains du roi ou des princes du sany, sauf la
Guienne et la Flandre. — Guerres de Philippe le Del pour conquérir ces
deux provinces.
Les accroissements du domaine royal fuient imiuenses sous
Philippe le Bel. On doit entendie jiar domaine royal non-seu-
LIVKE PREAIIER. — DE LA ROYAL'TE. 5
lement les terres dont la piopriôté appartenait à la couronne,
mais encore les pays soumis au roi de France sans qu'il y eût
ontre lui et ses vassaux de jjrand icudataire jouissant des droits
régaliens. Le domaine avait toujours été en s'augmentant depuis
Hugues Capet ; mais le malheur fut que les rois ne considé-
raient les pays soumis à leur obéissance immédiate que comme
■des propriétés privées qu'ils pouvaient partager entre leurs
enfants. Les droits de la couronne ne leur semblaient pas dimi-
nués par ces aliénations, car ils conservaient la suzeraineté
sur les provinces ainsi aliénées; mais ils réduisaient leurs
revenus, et, devenant moins licbcs, leur puissance politique
diminuait. Il y avait pourtant un certain nombre de provinces
qui étaient inséparables de la couronne, mais les rois dispo-
saient presque toujours de leurs nouvelles acquisitions en
faveur de leurs enfants. Louis VIII donna ainsi l'Anjou, la
Saintonge, le Poitou et une partie de l'Auvergne à ses deux
enfants puînés. IMiilippe le Hel comprit le danger de ces alié-
nations, et en altéuua l'effet en établissant la réversibilité des
apanages à la couronne, en cas d'extinction de la ligne mascu-
line'. Déjà, sous Philippe le Hardi, le parlement avait rejeté
les prétentions du comte d'Anjou, qui demandait sa part de
la succession d'Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse,
en qualité d'agnat^. Charles V institua le domaine de la cou-
ronne, et les provinces qui furent déclarées en dépendre devin-
rent partie intégrante du pouvoir souverain.
On connaissait, à la fin du treizième siècle, ce qu'on appe-
lait les unions au domaine royal, qui avaient à peu près les
mêmes effets que les unions à la couronne. Elles ric s'appli-
quaient pas à des provinces entières, mais seulement à cer-
taines villes de frontière, surtout dans la Guienne'.
Lorsque Philippe commença à réguei^ le domaine com-
1 Conslitiition du l'oitou rn .Tpanajfp en Aivciir de Pliilippe (le Long).
Trésor des chartes , T48, n" 1, en 1314.
- Isambert, Ane. lois, t. I, p. 667.
•' Union du tliàteau de Caylus en 1304. Onlunnaiiccs , t. I\', p. 407. —
Ces unions avaient élé frc([nenfes en Guicnne dès le temps de saint Louis.
— En 1^07, ce roi retint la ville de Mirabcl, diocèse de Caliors. J.f. 44,
n-70.
6 LA FRANCE SOL'S PHILIPPE LE BEL.
prenait les conilés (\c Paris, de Corbcil, de Sens, de Melun,
d'Mlampes, le Verniandois, les coinlés de (llermont, de Coilieil,
de .Meiilaii, le \'e.\iii, la Xorniandic, la Touraine, Monlargis ,
Gien , l'oiil-Sainte-Maxence; les comtés de Bourges, de Màcon,
d'Auverjjiie, le Languedoc, leRouergue, le Poitou, une partie
de la Saintonge, du Qucrci et du Périgord. Il apportait du cliel'
de sa femme la Champagne , la Brie , le comté de Bar et la
Navarre ; mais il ne prit jamais le titre de roi de A'avarre ni de
comte de Champagne, et ne gouverna point seul les domaines
de sa femme. Dans tous les actes relatifs aux pays de la dot de
la reine, il spécifiait qu'il agissait avec le consentement de son
épouse '. La mort de Jeanne fil passer en L30i' ses vastes pos-
sessions à son fils aîné Louis le Hutin , qui s'intitula roi de
Navarre "'.
Philippe mit fin en 1289, par un traité, au différend qui
existait depuis plusieurs années entre les couronnes de France
et d'Angleterre, au sujet d'une partie de la Guiennc (l'Agénais
et le Querci), qui avait composé la dot de Jeanne, sœur de
Richard Cœur de lion, et femme de Raimond VI, comte de
Toulouse. En 1259, saint Louis avait promis que ces provinces
feraient retour au roi d'Angleterre si Alphonse, comte de Poi-
tiers, mari de Jeanne, héritière du comté de Toulouse, décé-
dait sans enfants. Alphonse étant mort sans postérité en 1271,
Henri III réclama l'Agénais et le Querci. Un traité conclu
en 1279 lui donna satisfaction pour l'Agénais, mais on ajourna
la décision relativement au Querci. Enfin, en 1289, cette pro-
vince fut unie au domaine, moyennant une rente de trois mille
livres assignée en terres sur la même province, c'est-à-dire
qu'on donna au roi d'Angleterre la seigneurie immédiate de
fiefs produisant trois mille livres de revenu. La guerre (jui
' Ord., t. I, p. 326, noie lî, du moins dans les actes d'administration
générale, car on a des ordres particuliers émanés de Philippe tout seul.
Lefè\re, Finances de la Champagne , p. 3.
- Trésor des chartes , \avarre, n" 3, 6 et 8. — En 1309, Philippe le Bel
accorda à Louis \ l'hérita'je de sa mère moyennant qu'il ferait à ses frères
une pension de 6,000 livres. Mémorial B de la Chambre des comptes,
fol. 17 i*. Oonf. Secousse, Mémoire sur la réunion de la Champagne éi la
couronne, Mém. de l'Acad., in-12, t. XXVII, p. 39.
LIVRE PRiaiIER. — DE LA ROYAUTÉ. 7
éclata entre les deux rois peu après n'apporta aucune modi-
fication à cet arrangement, car à la paix on se rendit mutuel-
lement les prises '.
Voici quelles furent les principales accessions au domaine
sous ce règne.
En 1285, Eschivat, comte de Bigorre, étant mort sans héri-
tiers directs, sa succession fut revendiquée par sept préten-
dants, au nombre desquels la reine de France ^. Le comté fut
mis en séquestre. La reine en fit hommage par procureur à
l'évêquc du Puy, dont il relevait, et le parlement de Paris lui
donna gain de cause en 1303 ^ Enfin, en 1307, l'évêque du
Puy renonça à sa suzeraineté moyennant une rente de trois
cents livres *. En 1291, Philippe acquit Beaugency ^ En 1293,
il acheta à Févêque de Maguelone le fief de ]\Iontpcllier ", dont
relevait la ville de Alontpellicr appartenant au roi de Majorque ^,
qui ne fut point dépouillé, ainsi que Ta prétendu M. Michelet,
mais qui prêta hommage désormais au roi au lieu de le prêter
à l'évêque *.
Philippe acquit le domaine direct de la Franche-Comté.
Dans un traité conclu à Vincennes, en 1291, Othon, comte de
Bourgogne, promit au roi, pour un de ses fils, sa fille qui était
en même temps son héritière °. Philippe, impatient de jouir
de cette belle province, en obtint la possession immédiate
1 Rymer, Fœdera, l^e éd., t. I, 2« part., p. 179. — Trailc de 1289.
Ibicl., part. III et IV, p. 14 et 15. — V^oyez l'acte de la cession au roi de
seigneuries ayant une valeur de 758 livres. — Cathala Cotui-e , Histoire du
Querci, p. 475.
2 Voyez les pièces du procès dans la Bibliothèque de V Ecole des chartes,
4e série, t. III, p. 309 et suiv.
3 Vaissète, t. IV, p. 78.
^ Or. Titres du château de Merairol , Archives de l'Empire, J. 1024, n^ 4.
5 Dupuy, Droits du roy, p. 429. Or. Trésor des chai-tes , J. 419, n" 5.
^ Trésor des chartes, J. 832, n° 43; et Ordonnances du Louvre,
i. IX, p. 78.
" Garicl, Séries pr(csuhim Magalonensium , p. 416. — Vaissète, t. III,
p. 77. — Jlcsnard, Histoire de Nîmes, t. I, p. 396.
8 Histoire de France, t. IV, p. 42, d'après Sismondi, Histoire des
Français, t. VIII, p. 464. En 1311, Sanclie rendit hommage au roi pour
Montpellier. Trésor des chartes , Maguelone, n° 16.
9 Or. Trésor des chartes, J. 419, n" 5.
8 LA KH.Wr.K SOIS rHIMIM'R LK BKI..
moyennant une rente viagère donnée au comte '. Les vassaux
de Franelie-Comlé résistèrent, à l'instigation de l'empereur et
du roi d'Aii;]lelerrc *; mais, abandonnés à leurs seules forces,
ils se soumirent en l;î()l \ La Franclie-Comlé resta fief impé-
rial, et, en IMl, Henri VII reconnut Philippe le Long en
qualité de comte de Bourgogne, à condition qu'il ferait hom-
mage à l'Empire.
En ]'M\-2, Philippe nrlieta au comte de Périgord les vicomtes
de Lomague et d'Aiivillars \
En L308, les comiés de la Marche et d'Angoulême et la
seigneurie de Forges furent rénnis au domaine après la mort
de Hugues le Hrun, décédé sans héritier mâle : les collatéraux
furent indemnisés ^
La couronne fit d'importantes acquisitions en Flandre. Le
comte (lui de Dampierre ayant voulu marier sa fille au fils
du roi d'Angleterre, sans demander la permission de Philippe,
celui-ci attira le comte et sa fille à Paris et les tint jjrisonniers.
Quelque temps après, il donna la liberté au père, (jui prit les
armes (>t n'éprouva que des revers. La Flandre fut réunie à la
couronne et adniinistiée par des officiers du roi. La tyrannie
du gouveinement français excita une révolte. Les Flamands se
soulèvent : ils triomphent à Courtrai, mais voient leurs espé-
rances ruinées par la [)alaille de Mons en Puelle. Le comte
s'engage à payer annuellement une sonnne de vingt mille livres
tournois, et donne en garantie Lille, Douai, Cassel et Cour-
trai (130i) ". En 130Ô il racheta, moyennant six cent mille
livres comptant, lO.UUU livres de rente; le roi lui donna quit-
tance du reste moyennant la cession de Lille, de Douai et de
1 Oi". Trésor des chartes, J. 419, ii" 9.
- Voyez les actes de leur soumission, Trésor des cliartcs , .J. 622, n" 34
à 38. Conf. Histoire de Salins, preuves, p. 5J.
•^ Or. Trésor des chartes, J. 386, n° 1 (Paris, 1310). Ralificalion par
l'empereur, ihid., n° 2 (27 septembre 1311).
^ Or. Trésor des chartes, .1. 292, n" l.ï.
s Or. cin traité, 24 seplemi)re 1308, .1. 374, n" 8. — Indemnités ,
J. 374, n'* 5 et 6.
'^ Dupiiy, Droits du roij, p. 295. — Or. Trésor des chartes, Flandre,
J. 5*0, n" 4.
LIVRE PRK:\1IKR. — Ï)K LA ROYAL TL. 9
Bélliune, avec faculté de rachat, faculté h laquelle il fit plus
tard renoncer le comte Robert de Flandre '.
En 1313, ce fut le tour de la seijjneuric de Mortagne et delà
chàtellenie de Tournai, la' ville de Childéric, (|u'il confisqua
sous prétexte de la félonie de Marie, dame de ces lieux : il
donna pourtant à Baudouin de Mortagne, son héritier, une
rente de huit cents livres ^.
A côté de ces acquisitions directes il y avait les pariages,
qui accroissaient les revenus et le pouvoir du roi. Les églises,
sentant le besoin de protection, associaient le roi aux revenus
et h la juridiction de la totalité ou d'une partie de leurs domai-
nes, dont le roi devenait coseigncur, et qui étaient administrés
alternativement par les agents royaux et par les agents des
églises ^ L'autorité royale s^insinua par cette voie dans toutes
les provinces.
Les grands feudataires jouissant des dioits régaliens étaient
peu nombreux : c'étaient le duc de Bretagne, le comte de
Flandre, qui possédait aussi le comté de \evers,le duc de
Bourgogne et le roi d'Angleterre, duc de Guienne. Le comté
1 Or. Trésor des chartes, J. 546, n" 5, iO; J. 548, n" 4. Dupiiy,
p. 295.
- Dupiiy, p. 306. — Trésor des cliartes , Mortagne, 11°=^ 50 et 51.
■5 Les principaux pariages furent : en 1285, avec l'abbaye de Belle-Perctie.
Trésor des chartes, J. 397, 18. — Vax 1286, avec l'abbaye de Bénis.son-
Dicu. Ibid., 19. — En 1287, avec l'abbaye de Sarlat. Ihid., 11 à 13, et
J. 236, 14. — En 1290, avec Snn-èze. J. 397, 17. — En 1292, avec Saint-
André d'Avignon. Alesnard, Histoire de Xismes , t. I, preuves 114 à 117.
— En 1297, avec Bonneval, pour Serres. Ordonuauces , t. \I , p. 380. —
En 1300, avec le chapitre de Sens. .fj. 38, n" 28. — En 1301 , avec le
prieure de Saint-Saturnin du Port. .1. 887, et Ord., t. XVII, 221. Confirm. en
1303. Vaissèfe, t. IV, p. 145. — En 1307, avec l'évèquc de Alende. J.I. 38,
n" 204. — Avec le chapitre de Saint- Yrieis. JJ. 44, n" 40. Ord., t. VI,
p. 237. — Avec l'évèquc du Puy. JJ. 44, n'^ 10. Ord., t. VI, p. 341. —
Avec l'évèquc de Limoges. Ord., t. XIII, p. 205. — Avec l'évèquc de
Cahors. Gallia , t. I, col. 33. — .Avec rcvè(jne de Alende. Alesriard, t. I,
p. 154. — ■ Eu 1308, avec Charronx, pour Saiiil-Séverin. J. 398, n" 2'(-. —
Avec le chapitre de Saint-Orens d'Aiich. J. 398, n» 29. — Avec l'évèque
de Puiniers. Vaissèlc, t. IV, p. 145. On trouve quelques pariages avec des
seigneurs laïques : avec B. d'Astarac, pour la bastide de Tournay, en 1308.
JJ. 44, n» 32. — Avec Frédol de Laulrcc, pour Venescio, en 1312.
JJ. 48, n"29.
10 L\ FllAXCE SOIS l'HILlITE LE BEL.
de !a Alarclic ayant fait rotoiir à la couronne, Philippe le Bel
le (lonn;i on apanajje à son Iroisiônic fils; le l'oitou fut aussi
constitué en apanage au profit ilo iMiilippe le Long, son second
fils. L'n autre fcudataire puissant, mais qui devait sa grandeur
à Philippe le Bel, c'était son frère Charles, qui, outre le comté
(le Valois, reçut successivement l'Anjou ', le Maine, le Perche
et le comté d'Alençon '. Les autres membres de la famille
royale étaient le comte d'Mvreux, frère du roi ^ ; le comte
d'Artois, petit-fils de saint Louis; le comte de Clermont, marié
à l'héritière de Bourbon. Les ducs de Bretagne et de Bourgogne
et le comte de Foix étaient entièrement dévoués. Restaient
donc, pour contre-balancer l'autorité royale, le roi d'Angleterre,
duc de Guienne, et le comte de Flandre.
Philippe le Bel entama la lutte contre eux. Il conquit une
partie de la Flandre, et, s'il ne put conserver la Guienne,
(ju'un arrêt du parlement avait confisquée, il indiqua du moins
à Charles V la voie qu'il devait suivre pour annexer l'Aquitaine
au domaine.
Dans celte rapide extension de la France royale, on doit voir
autre chose que de l'habileté de la part de la monarchie : il y
eut du bonheur. Les vieilles dynasties féodales s'éteignaient
d'elles-mêmes, comme pour faciliter l'œuvre de la formation
de la France moderne. Mais, on doit aussi le reconnaître, la
royauté sut tirer un admirable parti des circonstances favora-
bles (pic lui offrit la Providence. Kilo ne négligea rien pour
étendre son autorité ou son influence là où elle ne régnait pas
encore de fait, et pour faire franchir à ses lois et à ses ordon-
nances les barrières que lui opposaient les fiefs des grands vas-
saux, préludant ainsi par l'unité du commandement k l'unité
territoriale qui ne devait venir que plus tard.
' En 1291, ;\ l'occasion (\o son inariajjo avec la fille de Charles d'Anjou,
roi do Sicile. Trésor des chartes. Contrats de mariayc , II, n°^ 5, 6 et 7.
- l'iii \i9'f. Dupuy, Droits du roy, p. 410.
'' En 1307, le roi donna à son frère Louis Gien, la Fcrté-Alais, Etampcs,
Dourdan et Mculan. Archives de l'Empire, .1. 953.
LIVRE PREMIER. — DE LA ROYAUTE. 11
CHAPITRE TROISIÈME.
PROGRÈS DU POUVOIR LÉGISLATIF DES ROIS DE FRANCE.
Les vicissitudes du pouvoir h'-fjislalif peuvent servir à mesurer les progrès de
la royauté. — Quelle était, à la fin dn treizième siècle, la puissance légis-
lative du roi? — Réfutation d'une opinion émise récemment. — Le roi
avait deux pouvoirs législatifs différents , comme roi et comme possesseur
de fief. — Histoire de la puissance législative du roi depuis Philippe-
Auguste. — Les ordonnances générales ne sont exécutées d'abord par les
barons que de leur consentement. — Le consentement de certains barons
jugé plus tard suffisant pour entraîner l'exécution forcée des ordonnances
royales. — Le droit de faire des ordonnances attribué au parlement, puis
au conseil. — Philippe le Bel invoque la plénitude de l'autorité royale. —
Participation du tiers état à la rédaction de certaines ordonnances, surtout
concernant les monnaies. — Causes de l'extension du pouvoir législatif du
roi. — Fausses applications du droit romain et du droit féodal par les
légistes pour amener ce résultat.
On n'est pas d'accord sur la question de savoir si la royauté
était en possession, au treizième siècle, du pouvoir législatif ;
grave question qui mérite d'être éclaircie. Est-il vrai, comme
l'a prétendu récemment un savant publiciste, que dans tout le
courant de ce siècle la royauté ait été complètement privée du
pouvoir de faire des lois, et que, pendant cette période, on ne
trouve parmi les documents en apparence législatifs que des
règlements proprement dits de police, des reconnaissances de
faits accomplis, des constatations de coutimies, enfin des voies
et moyens nouveaux pour la meilleure observation des cou-
tumes ' ? X'y a-t-il donc que trois documents susceptibles
d'être considérés comme de véritables actes de législation :
1° l'établissement relatif au douaire coutumier de la femme
mariée, que l'on rapporte à l'année I2Ii, et dont le texte est
perdu; 2" l'ordonnance toucliant l'attribution des conquêts au
mari, en cas de décès de sa femme sans enfants (1210); 3" les
lettres patentes créant pour les propriétaires déniaisons à Paris
un cas spécial d'expropriation (mars 1287)?
Il faut d'abord s'entendre sur la portée du mot document
* Rapctfi , préface du Lirre de jostice et de jflet , p. x.wvii , note J .
12 I.\ FHAX'CIC sors l'IIlI,IPI'F, LK BEL.
légishilif. Kii liiissanl de côté le droit des gens et le droit natu-
rel, on trouve (|ue les lois se divisent en lois politiques et en
lois civiles : les unes rèjjlent les rapports des citoyens avec le
jjouveriicuicut , la lorinc de l'administration; les autres prési-
dent aii\ rapports des parliculieis entre eux. Les premières
iormeul le droit puMic, les secondes le droit privé d'une nation.
Il n'est ])()inl possible de restreindre le nom de loi aux lois
civiles '. I/aulorilé, dont émanent les lois civiles et les lois
politicpies, couslitue le pouvoir législatif, et ce pouvoir appar-
tenait sans conteste à la royauté à la fin du treizième siècle,
mais dans une certaine mesure et à certaines conditions.
Dans le système féodal, la souveraineté ne résidait pas uni-
(jucun-nt dans le roi; elle appartenait aussi aux feinlalaires
dans leurs liels. " (lliacun des barons, dit le jurisconsulte lîeau-
manoir, (jui écrivait sous riiilipi)e III, est souverain dans sa
baronnie. ■>•> Alors souveraineté était synonym<' de snpéri(H-ité ;
le roi était souverain par-dessus tous, et cette supériorité sur
des souverains répondait à la souveraineté telle (|ue nous l'en-
tendons. Sous Philippe le Bel, le mot souveraineté était déjà
employé dans le sens que nous lui donnons"'. Le roi avait deux
(|ualités : il était à la fois roi et possesseur de fiefs. A chacune
de ces qualités était attaché un pouvoir législatif différent,
l'un partagé avec les barons, l'autre unique et royal. IJeauma-
noir est explicite à cet égard. Les établissements de saint Louis
nous montrent les barons faisant des bans ou ordonnances dans
leurs fiefs sans le consentement du roi, et le roi promuljiuant
des règlements dans son domaine sans que les barons fussent
astreints à s'y conformer \ Toutefois, en vertu de son titre de
garde général du rogaumc, le monarque pouvait faire des lois
générales ou établissements, et il pouvait les faire, dit IJeau-
manoir, tels (pi'il lui [)laisait pour le profit commun ; et ce qu'il
ordonnait devait être observé ',
' Moiilcscuiicii , Kspvil des lois , liv. I, clinp. m.
- OriiniinaïKO relative aux causes du duclu' de 15i-e(a;{nc qui ne seront por-
tées au roi (|u'en cas d'appel pour défaut (le droit, Faux jii'feinent, ou on
autres cas a|)parteiiant à notre somcraiueté. Ord., t. 1 , p. 320, février 1296.
3 Ord.. t. I, p. J2(i.
'' Beaunianoir, Coût, de Bcauiuisis , cliiip. xwiv.
LIVRE PRKMIER. — DE LA ROVALTÉ. 13
Ce droit que lîeaiimanoir reconnaissait aux rois de France
était encore, quand ce jurisconsulte écrivait, en J28i, une
tliéorie de légistes; mais il devait bientôt devenir une réalité.
Les lois d'un intérêt général, devaient être en |)rincipe consen-
ties par les barons, mais le nombre des feudataires qui devaient
être appelés pour donner leur consentement ne lut pas tixé, et
la royauté mit à profit cette absence de règles pour supprimer
l'obligation du consentement des barons ou du moins la rendre
illusoire en l'éludant. Alais pour arriver à ce résultat, que de
précautions, de subtilités il fallut, en même temps que de force
réelle. L'ordonnance de saint Louis abolissant le duel ne fut
pas exécutée dans les domaines des grands vassaux. Toutefois,
le pouvoir législatif reçut de profondes modifications sous ce
roi. Les séances de la cour du roi devinrent régulières. Le
parlement était composé de prélats et de barons cboisis il est
vrai par le prince; mais comme les grands et les évèques
avaient droit d'y prendre séance, il passa pour représenter la
noblesse et le liant clergé. Il reçut en conséquence le pouvoir
de faire des ordonnances générales; mais ce pouvoir il ne
l'exerça, à partir du règne de Pbilippe le liel, que dans cer-
taines limites.
Jusque-là la cour du roi avait réuni des attributions judi-
ciaires, administratives et législatives; le roi mit un terme à
cette confusion en délimitant les fonctions de chacune des sec-
tions de sa cour : le parlement proprement dit rendit la jus-
tice, la cbambre des comptes contrôla la perception de l'impôt
et l'emploi des deniers de l'Etat, le conseil prépara les lois et
les règlements d'administration publique. Ces trois corps reçu-
rent une existence indépendante. Le parlement ne fut plus
consulté que pour la rédaction des ordonnances concernant la
justice. Le pouvoir législatif résida dans le conseil composé des
confidents du roi.
Le droit de réglementer les monnaies dans toute l'étendue
du royaume avait toujours été reconnu au roi, Philippe en
abusa. Il fit aussi des lois sonqituaires, qui étaient applicables
aux barons. Mais ce n'était pas une nouveauté, il suivait
l'exemple de son père. Une grande ordonnance de 1303, pour
la réformation du royaume, est un des actes les plus importants
14 LA l'RAYCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
de ce rôjjnc. Toulcfois ce document, rédigé à une époque où
Philippe avait tout le monde à ménager, ne consacrait point
les con(jnétes de la royauté, mais les franchises des seigneurs
et suilout du clergé. Les rapports de l'Etat avec l'Eglise y
furent réglés, mais uniquement pour les matières temporelles;
aussi la noblesse et le clergé exigèrent-ils plusieurs fois la
confiimalion de ce qui était une sorte de grande charte. Pen-
dant tout le quatorzième siècle, les agents royaux devaient en
jurer l'exécution '. Elle fut confirmée par Louis X et par le
roi Jean ". Elle fut pendant un siècle considérée comme le
code des libertés publiques.
Philippe le Bel rendit ordonnances sur ordonnances. Les
guerres qu'il eut à soutenir lui donnèrent l'occasion d'étendre
les prérogatives royales. En temps de guerre, le salut commun
était la loi suprême, et il appartenait au roi de prendre les
mesures propres à assurer la défense de la patrie. Mais cette
autorité illimitée n'était acceptée qu'en temps de guerre :
Philippe en fît l'épreuve.
En 1811 , dans un mandement adressé à tous les barons et
nobles de France, il leur défendit, sous la foi qu'ils lui devaient
et sous toutes les peines qu'il pourrait leur infliger, de porter
les armes ou de faire des tournois à l'avenir, et cela sans le
conseil de personne, en vertu de son droit de roi ^ On était
alors en paix; il n'y avait pas à invoquer pour excuse le besoin
de suspendre à l'intérieur les hostilités pour reporter contre
l'ennemi toutes les forces de la nation. Le roi agissait en sa
seule qualité de roi, mais c'était trop tôt; on n'était pas
encore arrivé au gouvernement du bon plaisir. Philippe avait
pu attaquer impunément et sans avoir de contradicteurs le
clergé, en lui interdisant les fonctions civiles, et la noblesse
par l'établissement des bourgeoisies du roi. Ces atteintes
étaient graves, mais les conséquences n'en furent pas aperçues
1 Ord., t. I, p. 457, Mand. au bailli de Vermandois , an 1308, cl Tix-sor
des chartes, Roy. 42, n. 50.
- Extrait prh sur les royislros du pnilciiicnt , A. I, Iv. 49, n° 18,
22 mai 1367.
•' Ord., t. I, p. V93. (Prouf ox nfficii nostri dcbito tciicniur salubrilcr
prnviilcre.)
LIVRE PREAIIER. — DE LA ROYAUTÉ. 15
tout d'abord. Il finit par pousser la noblesse à la révolte.
Cependant, il avait le premier osé invoquer la plénitude de
l'autorité royale et proclamé le principe de la souveraineté,
dont ses successeurs tirèrent un grand parti pour légitimer
leurs volontés.
Les barons n'étaient pas les seuls qui prissent part en cer-
taines circonstances au gouvernement du royaume. Le clergé
avait ses assemblées dans lesquelles il décidait des questions de
discipline ecclésiastique et votait librement des subsides pour
la défense de la patrie. Les conciles provinciaux devinrent
même souvent, par suite de l'adjonction de laïques, de véri-
tables assemblées politiques où se traitèrent des questions
d'intérêt public. La levée des impôts extraordinaires devait
être précédée du consentement de certaines personnes.
Le peuple lui-même, du moins la bourgeoisie, avait vu plus
d'une fois quelques-uns de ses membres siéger dans les con-
seils du roi ou des grands vassaux. Les rois du moyen âge
n'avaient ni n'affectaient de dédain pour les bourgeois. Pbilippe-
Auguste, en partant pour la croisade, en l'an 1190, ordonna
d'établir dans chaque prévôté quatre prud'bommes, sans
l'avis desquels les officiers royaux ne pouvaient prendre aucune
décision relativement à l'administration des villes. Ces députés
des villes se rendaient tous les quatre mois à Paris, aux
grandes assises tenues par la reine et par l'archevêque de
Reims, pour y rendre compte de leur gestion et exposer les
besoins de leur localité '. Les six bourgeois, établis à Paris
par Philippe-Auguste lui-même, assistaient au conseil de
régence et avaient la garde du sceau de l'Etat. Le roi ne
pouvait trouver du reste des conseillers plus fidèles et plus
sûrs : c'était là une confiance bien placée *.
Les bourgeois de certaines villes étaient aussi consultés pour
la rédaction des ordonnances concernant les monnaies. En 1263,
saint Louis ordonna que les monnaies seigneuriales auraient
nn type différent de celui des monnaies royales : l'ordonnance
qui prescrivit cette mesure importante fut rendue à Chartres ,
avec le concoui's de citoyens de Paris, de Provins, d'Orléans,
> Ord.. t. I, p. 118.
- L. Delisle, Catalogue des actes de Philijjpe-.higuste , p. Lxr.
If. i,.\ rnAxci-: sors phii-ippe lk bel.
(le Sons v[ (le Laoïi '. Lors(|iron ];}().{, IMiilippo le Bel, cédant
aux justes ici lainalions du peuple, promit de ne plus altérer
la monnaie et de la rétablir sur l'ancien pied, il réunit, pour
déterminer le poids et l'aloi des nouvelles pièces qu'on allait
frapper, une assemblée con)posée des maîtres des monnaies et
d'un grand nombre de t i)onnes gens des bonnes villes du
royaume' -. Kn l'U)'.>, il manda « de plusieurs bonnes villes
deux ou trois prud'hommes , qui se connaissaient au fait des
monnaies, pour avoir conseil et délibération de niettre et faire
revenir les monnaies au point et en l'état où elles étaient du
temps de monseigneur saint Louis ^t . En ];iI4, il réunit pour
le même motif des bourgeois de quarante et une des |)rinci-
pales villes'. Ces députés donnèrent leur avis, qui nous a été
conservé.
Dans (juelques provinces, principalement dans le Alidi, le
tiers élat était consulté et siégeait dès le treizième siècle à côté
des deux autres ordies; mais, sauf pour les impots, c'était
bénévolement et pour s'éclairer (jue l'on consultait les membres
du tiers élat.
Lu droit exclusivement royal, et appartenant en propre à la
souveraineté, était celui d'accorder des lettres de légitimation.
On trouve sous Pliilippe le IJel un certain nombre de ces
actes (pie notre législation moderne ne permettrait pas, car il
s'agissait de donner le rang d'enfants légitimes à des individus
dont les parents n'avaient jamais été unis en mariage, à des
enfanls de prêtres et au fruit de l'adultère \
In autre droit, tpii cessa dès lors d'être partagé par les
feudalaires, était celui de grâce, qui s'exerçait au moyen de
lettres de rémission et d'abolition ; les unes remettaient la
peine encourue *, les autres dispensaient du jugement °. Ces
1 Bcnjjiinl, Institutions de saint Louis; et OnL, t. I, p. 181.
■2 Ord.. t. I, p. 519.
=' Ord., t. 1, |). 5M.
'» Di'c. 1307. I.c'jitimalinii de (îuillaiimc de Caliors , fils d'un prêtre et
d'une femme liliie. Ite;;. \I,I\' du Trésor des chartes , n" 43. — \ oyez au.ssi
Rey. XLVl, n" 237 (en 1312), Re;[. \L\ III . n"^ 125 et 103, etc.
5 Trésor des chartes , Reg. XLI , u" 20G (en 1309); Reg. XLIX, n"^ 6
et 12; Reg. L, n° 62 (en 1314).
fi Trésor des chartes , Reg. XLIX, n"> 16 et 17 (en 1313).
LIVRE PREMIER. — DE LA ROYAUTÉ. 17
leltros , qui sont assez rares dans les registres de la chancel-
lerie du temps de Philippe le Bel, mais qui abondent sous les
règnes suivants, sont les témoins irrécusables de la barbarie
des mœurs du moyen âge., époque où les querelles étaient
presque toujours ensanglantées. Le droit de grâce entraînait
de grands abus, car il ne s'appliquait pas aux crimes commis
avec ce que nous appelons des circonstances atténuantes, mais
à tous ceux dont les auteurs étaient assez riches pour se faire
délivrer des lettres de rémission, dont l'obtention était presque
toujours accompagnée du payement d'une forte somme d'argent.
En définitive, le pouvoir de faire des lois générales ou éta-
blissements résida en fait, sous Philippe le Bel, entre les mains
du roi, sans autre condition (juc d'être exercé avec prudence,
quand il s'agissait de la noblesse. L'administration intérieure
du domaine était réglée par des ordonnances rendues sans
contrôle : il faut excepter le droit de lever des impôts, droit
qui participait du pouvoir législatif, puisqu'il ne pouvait être
exercé qu'en vertu d'une loi; mais en principe, cette loi devait
être faite, ainsi que je l'ai déjà dit et comme je le montrerai
plus loin, avec le concours ou du moins l'assentiment des
contribuables.
L'extension du pouvoir législatif de la royauté fut facilitée
par la diffusion des principes du droit romain dans le nord et
dans le midi de la France. A l'école d'Orléans, où l'on expli-
quait le Digeste en français, les étudiants apprenaient cette
maxime qu'ils allaient porter dans les cours des seigneurs :
et Ce qui plail au prince vaut loi , ausiiic corne se toz li
peuple donoit tout son poer et son commandement à la loi
que li roi envoie '. « Telle est l'origine de l'adage : Que veut
le roi, si veut la loi. Et cependant cette application des lois
romaines était fausse; car, à Rome, la volonté dé l'empereur
avait force de loi, en verlu de la délégation que le peuple élait
€ensc avoir faite de son pouvoir au prince, par la loi regia.
Or, le pouvoir législatif du loi de France ne tirait dans
1 Livre de jostice et de plet, p. 9. « Quod principi placiiit Icgis habot
vigorcni, iitpolc qmiin Icjjc reiria, (pia* de iinporio cjiis lafa est, pnpiiliis ei
omnc suiim itiipcriiim et potestatein conférât, i LIp. Dig., I. I, lit. ly,
Jrag. 1, iii jjroœmio.
2
18 M FRANCE SOLS PHILIPPE LK BEL.
l'opinion de personne son origine de la volonté populaire,
puisque la soureraincté du peuple n'était pas la hase du gou-
vernement; mais les légistes se servirent des textes du Digeste
pour affranchir le roi de l'ohligation où il se trouvait de faire
sanctionner les lois pour qu'elles fussent exécutoires dans le
royaume; sanction que,- d'après le droit féodal, on devait
demander aux harons; sanction (ju'on s'ahstint de demander
ou qu'où ne demanda qu'à quohpics-uns, et qu'on finit par
regarder comme acquise tacitement, d'après la maxime : " Qui
ne dit rien consent •• . Ce qui fut ainsi formulé par Beaumanoir :
n Quand li roys fait aucun estahlissement, espécialement en
son domaine, si harons ne laissent pour ce à user en leurs
terres selon les anciennes coutumes ; mais quand li estahlisse-
ment est généraux, il doit courre par tout le royaume, et nous
devons savoir que tels estahlissements sont faits par très grand
conseil , pour le quemun profict ' •> .
1 Coût, (le Beauvoisis, cliap. XLvm.
LIVRE DEUXIEME.
DES ÉTATS GÉNÉRAUX.
CHAPITRE PREMIER.
ÉTATS DE 1302.
Coup d'œil sur les origines du système représentatif. — Les états généraux:
sont une nouveauté sous Philippe le Bel. — Etats présumés de 1290,
inconnus Jusqu'ici. — Les premiers états généraux bien constatés convo-
qués en 1302, à propos de la querelle du roi avec Boniface VIII. — Récit
de la .«éancc du îO avril dans l'église Xotre-Dame de Paris. — Lettres
adressées par les trois ordres séparément. — Prétendu cahier des états.
— Philippe le Bel ne demande pas de subside aux états généraux.
C'est un fait généialement reconnu que Philippe le Bel est
le premier roi de France qui ait convoqué les états généraux
(lu royaume, composés des trois ordres, du clergé, de la
noblesse et du tiers étal ; mais ce que l'on sait de ces assem-
blées se réduit ;i peu de ciiosc. On ignore le mode de convo-
cation et de nomination des membres des différents ordres,
surtout du tiers état, ainsi que la forme et souvent même le
résultat des délibérations. Los témoignages des contemporains
qui nous ont été transmis sur ce sujet sont vagues, insuffisants
et quelquefois contradictoires. Il semble pourtant qu'un événe-
ment aussi considérable que la réunion des représentants de
la nation ait dû produire une vive impression et laisser des
souvenirs durables. Il ne paraît pas en avoir été ainsi. Parmi
les chroniqueurs du temps, les uns gardent le silence; d'autres
mentionnent ces assemblées sans étonucment et sans avoir l'air
d'y attacher d'importance. Des historiens éminents, notam-
ment M. de Sismondi ', se sont autorisés de cette circonstance
1 Sismondi, Histoire des Français, t. IX, p. 83. Voyez aussi Darestc ,
Hisloire de l' administration en France, t. !, p. 77.
5
20 LA FRAXCE SOLS PHILII'I'E LE REL.
pour iiior l'oxistoncc dos étals jji'néraux sons Philippo le Bel.
D'autres écrivains ont tiré une (•onclusion tout opposée : le
peu (le retentissement qu'eurent ces états, les premiers dont
l'histoire fasse mention, est à leurs yeux un indice (ju'ils ne
constituèrent jias une nouveauté. Cette opinion est sj)écieuse;
toutelois on ne l'a jusqu'ici appuyée sur aucun fait certain, et
elle est restée à l'état de conjecture.
L'étude att(>ntive des monuments déjà connus et de docu-
ments encoie inédits nous a pcMinis de jeter (juchpie jour sur
celle grave (jucstion, de démèl(M' l'oi-ij^ine des étals ;|énéraux,
de déterminer leur rôle sous Pliili[)pe le lîel , et de montrer,
ce qu'on était loin de sujjposer, le suffra;j;e universel appelé,
dès le commencement du quatorzième siècle, à désigner les
députés du tiers étal '.
On rattache communément les états généraux aux assem-
blées mérovingiennes et carlovingiennes du champ de mars ou
du champ de mai ; on cite la Germanie de Tacite; on invocjue
les représentants des sept provinces de la Gaule convoqués
en -418, dans la ville d'Arles, par l'enapercur Honorius. Avec
celle méthode, on constate l'existence sans interruption dn
système représentatif depuis l'origine de la monarchie; mais
tout ce raisonnement pèche par la base. I-es plaids de la pre-
mière race étaient plutôt des rendez-vous militaires que des
assemblées législatives. Les décisions qui y étaient promul-
guées étaient prises sur l'avis des leudes, et le peuple n'avait
d'autre droit que celui de les sanctionner par ses acclamations.
Charlemagne organisa les assemblées du peuple; les règle-
ments qu'il lit à cet égard nous sont parvenus et font connaître
qu'elles devinrent entre ses mains un instrument de gouver-
nement. Il leur demanda non des lois mais des avis, et encore
il ne consulta que les grands et les prélats. L'établissement du
régime féodal mil fin à ces cours plénières, dont le souvenir
resta gravé pendant longtemps dans la mémoire du peuple.
Le grand mouvement communal du douziènu' siècle marqua
le réveil du tiers état; en même temps le pouvoir royal se
' Voyez, sur CCS premiers états «jéncraiix, Chronologie des états généraux ,
par AL le comte Beiignot; Annuaire de la Société de l'histoire de France,
amiée 1840, et Ralliery, Histoire des états généraux, p. 57 à C2.
lAMXK DKIXIKMK. — DES KTATS GE\KRA[ X. 21
rclovait avec peine, mais la lenleiir de ses piojjrès fut un gage
de leur durée.
Nous avons fait voir dans le livre précédent (]iie la nohlesse,
le clergé et le tiers état participaient au gouverncnienl ; que
les différents ordres de l'Etat étaient souvent convoqués sépa-
rément pour donner des conseils ou même pour statuer sur
des affaiies importantes; mais Philippe le \\c\ conçut le pre-
mier l'idée de réunir les états généraux, et, chose singulière,
il le fît de son propre mouvement et dans la plénitude de
l'autorité. Ce ne fut pas de sa part une concession arrachée
par la violence ou par le besoin d'argent: non, ce fut volon-
tairement qu'il s'adressa à toutes les classes de la nation. Ce
fut donc un fail nouveau dans l'histoire (|ue la convocation de
tous les ordres de l'Ktat ; toutefois, je le répèle, la nouveauté
ne consista pas à consulter les différcnls ordres, mais à les
convoquer simultanément.
Les plus anciens étals généraux (|u<' l'on connaisse sont de
l'année i;30!2; néanmoins, une huile (hi pape Nicolas IV' peut
faire supposer que des états furent réunis en 128U ou au
commencement de l'année suivante ; le pape écrivait, le
23 mars 1290, à Philippe le Hel, (ju'il avait donné audience
à ses ambassadeurs et aux députés de la noblesse et des com-
munes du royaume de France. Quel était l'objet de celte
ambassade? On l'ignore; mais comme elle eut pour résultat
l'envoi par le pape de deux caidinaux, qui mii'ent fin à la
guerre que la France soutenait depuis plusieurs années contre
l'.'^ragon, il est probable (pie les envoyés français dont parle
Nicolas IV' avaient pour mission de lléchir le sainl-siége, qui
jusqu'alors s'était opposé à tout accommodement. En effet, la
guerre d'Aragon avait été entreprise par Philippe lil, à la
sollicitation du pape Martin IV, qui avait déclaré don Pèdre
déchu et donné sa couronne à Charles de V'alois, second fils
de Philippe le Hardi. Les Aragonais avaient pris fiiit et cause
pour leur souverain légitime et supporté pendant plus de six
années, sans se décourager, le poids des armes du roi de
France et des excommunications de Rome. Philippe le Bel se
lassa d'une guerre qui épuisait son royaume pour donner un
trône à son frère; mais le pape tenait bon. Ce fut sans doute
22 LA FR.WCi; SOLS PniLIFPi-: LK UEL.
pour le faire ci'dor (in'il lui envoya une ambassade chargée de
lui exprimer non-sculonicnt la volonté royale, mais encore
celle de la nation et ses vœux pour la paix. L'envoi de cette
dépufation suppose une assemblée, sinon d'états généraux, du
moins de notables j)ris dans le sein de la noblesse et du tiers
état. J'ai cru devoir recueillir cette indication, quoique bien
incomplète, parce qu'elle fait connaître un fait qui était passé
inaperçu jusqu'ici. Tout ce qui regarde les origines de la
représentation nationale doit nous intéresser, et il n'est pas
permis de négliger aucune lumière, si faible qu'elle soit,
susceptible d'éclairer cette importante question '.
Nous voici arrivés enfin aux premiers états généraux.
La lutte était engagée depuis quelques années entre Boni-
face VIII et Philippe le Bel. On trouvera plus loin le récit de'
cette querelle mémorable : il suffira pour le moment de dire
qu'il s'agissait de sauoir si le pouvoir royal devait être soumis
au pape. Boniface VIII, dans une bulle célèbre commençant par
ces mots : Ausculta , fdi, avait proclamé la suprématie du
saint-siège sur les rois.
A la réception de cette bulle, Philippe sentit son pouvoir
ébranlé s'il laissait passer sans une éclatante protestation les
prétentions de Boniface : il convoqua les premiers étals géné-
raux sur lesquels on possède des renseignements précis. Il
envoya aux nobles, aux églises et aux villes du royaume des
lettres où il exprimait le désir de délibérer avec ses prélats,
ses barons et ses autres fidèles sur certaines affaires qui inté-
ressaient au plus haut degré le roi, le royaume, les églises, tous
et chacun. Les barons, les èvè(jues, les abbés, les prévôts et les
doyens de chapitre durent comparaître» personnellement : les
communes furent représentées par des députés*. Chaque cité
' Rainaldi , Annales ecclcsiastici , t. IV, p. 85, n" xxxii. a Dilrcios filios
nobilom virum Joannrm de Accon, ma<]islriini Gcrardiim de Malamorlc,
capcllaiium nosfniin , f'ratrrm Ernnipliiim , ordiuis milili.T Tompli , et GuillcI-
miim de Granccyo, militcin, tiios et alios comitum , baromun ac unkersi-
tatum scu commiunlatum rcyni pra'ilicli nuntios, nuperad sedem apostolicam
accedciites libeiitcr vidimus et affcctiiose rccepiimis , etc. ^
- Lettre du clergé au pape en date du 10 avril 1302. Dupuy, Praives du
dijférend, p. 68. — Bernard Guidonis, Historiens de France, t. XXI,
p. 713.
LIVRE DEUXIÈME. — DES ÉTATS GÊXÉRAIX. 23
reçut l'ordre d'envoyer à Paris deiux ou trois des principaux
citoyens, le dimanche avant les Rameaux (8 avril) 1302 '.
L'assemblée ne se tint que le mardi suivant, 10 avril, dans
l'église Notre-Dame, en présence du roi".
Pierre de Flote accusa Boniface, mais ne donna pas lecture
de la bulle Ausculta, fili. On avait répandu dans le public
une bulle qui commençait ainsi : « Apprends que tu nous es
soumis au spirituel et au temporel. " Boniface VIII nia éner-
giquement être l'auteur de cette bulle, et les cardinaux
confirmèrent son assertion : le faux est évident.
Pierre de Flote dépeignit Boniface VIII comme réclamant
la suprématie temporelle sur le roi. Philippe fit demander aux
évêques et aux nobles de qui ils tenaient leurs fiefs : ils répon-
dirent unanimement qu'ils les tenaient de lui. Il prononça
ensuite un discours et dit que ses prédécesseurs, après avoir
conquis le royaume sur les barbares par leur vaillance et avec
l'aide de leurs compagnons, l'avaient gouverné et tenu de
Dieu seul. Pour lui, qui leur avait succédé par la volonté
divine, désireux de marcher sur leurs traces, il était prêt à
sacrifier tous ses biens, même sa vie, pour conserver intacte
l'indépendance du royaume. Puis, faisant allusion aux prélats
convoqués à Rome par Boniface, il protesta que ceux qui
enfreindraient ses ordres pour se rendre à ceux du pape, il
les regarderait comme ses ennemis personnels.
Après ce discours, les nobles se réunirent et délibérèrent.
Robert, comte d'Artois, oncle du roi, fut chargé de porter la
parole au nom de la noblesse, et déclara que les nobles du
royaume étaient disposés à mourir pour défendre la couronne ^ .
Les trois ordres écrivirent séparément : le clergé au pape,
la noblesse et le tiers état aux cardinaux; ces derniers affec-
tèrent de ne pas donner le titre de pape à Boniface. La lettre
1 Circulaire qui fut envoyée aux villes , en date du jeudi après la Chande-
leur. Cartulaire de Montpellier, Bibl. imp., n" 8409, fol. 84. — Mesnard,
Histoire de Xismes, t. I, Preuves, p. 143.
- Guillaume de Xangis donne les plus grands détails sur cette séance ,
dans un morceau qui n'a pas été nouvellement découvert, ainsi que le dit
il. Rathery, p. 56, puisqu'il est imprimé dans les Preuves de Dupuy.
•* Chronique de Guillaume de Nangis, édit. de Géraud, t. I, p. 315.
24 LA KHAXCE SOIS IMUIjPI'K I.M 1!KL.
de la ii()])I('ss(' lui soiisciitr pai' les comtes d'iùreiix el d'Artois,
les ducs de Jfouijjojpie, de IJret.i'pie, de iiOrraine; les comtes
de Haiuaut, de Luxeinhourjj , de Saiiit-Pol, de Dreux, de la
Alarclie, de ifoulojjue, de \evcis, d'Ku , de (^oinininges,
d Aumale, de Forez, de l'éri;{ord, de Joigny, (rAuxerre, de
\aleiitinois, de Sancerre et de Aloulhéliard ; par le sire de
Couey, GeoffVoi de IJrabant, le connétable Raoul de Clermont,
les sires de Cliàteauvilain , de l'IIe-Jourdain , d'Arlai, de (ïlià-
teauruux, de IJeaujeu, et par le vicomte de ?\aibonne '. .le n'ai
pu trouver la lettre {\n tiers-clal. Je ne veux pas raconter en
détail ce (|ui se passa dans cette assemblée : ce récit trouvera
sa j)laee lorsque je serai ariivé à Tbistoire du différend de
Boniface VIII avec Pbilippe le lîel : je me bornerai à mettre en
lumièi'e le mécanisme des états généraux et à faire connaître les
décisions (jui furent prises dans leur sein; plus loin j'appré-
cierai leur rôle politique et l'induence qu'ils exercèrent.
Il nous est parvenu une supplique, adressée à Philippe le
Bel par le peuple de France, qui débute ainsi : «A vous, très-
noble prince, notre seigneur, par la grâce de Dieu, loi de
France, supplie et requiert le peuple de votre royaume, pour
ce qu'il lui appartient que ce soit fait, que vous gardiez la
souveraine franchise de votre royaume, qui est telle que vous
ne reconnaissiez de votre temporel souverain en terre fors que
Dieu, et que vous fassiez déclarer, pour que tout le monde le
sache, que le pape Boniface erra nianil'estement et fît péché
mortel en vous mandant qu'il était votre souverain de votre
tem[)orel, etc.. . '. "
Cl' début a fait croire (jue ce document avait été présenté
aux états de 1302, et que c'était le cahier du tiers état; mais
la lecture du reste de la re(juète ne permet pas d'adopter
cette opinion : c'est un pamphlet qu'on peut vraisemblablement
• Diipiiy, Preuves du différend , p. 60; ol Chroniques de Saint-Denis,
édit. r. Paris, t. V, p. 135.
- Diipiiy, p. GG cl C7. Jp connais plnsienrs cxoiiiplaircs du temps do ce
doc liment, (pii dut être répandu à profusion, notaiiuiicnt dans le cartulairc
170 de la lîibl. imp., fol. 114, et parmi les rouleaux originaux conservés
dans la même bibliollièipie et désignés à tort jusipi'ici sous le nom de Rouleaux
de Baluze.
LIVRE DEiximn:. — i)!:s états gkxkraix. 25
attribuer à un avocat iionnné Pierre Dubois ', qui rcniellait de
temps à autre au roi des mémoires et des factums sur les plus
graves questions d'administration et de politique, et qui parait
avoir été employé par ce prince pour exercer sur le public,
par ses écrits, une influence au profit du gouvernement. Aucun
document contemporain n'apprend qu'il ait clé dcmnndé de
subsides aux états de 1302^.
La même année, la guerre recommença avec les Flamands,
que i'impolitique conduite des agents de Pbilippe le IJel avait
forcés à se révolter. Celte lutte terrible, dans hiciuclle les Fla-
mands combattaient pour leur liberté, devait épuiser la France.
L'armée royale subit à Courtrai un de ces désastres qui se
renouvelleront à Créci, à Poitiers, à Azincourt, mais le] qu'on
n'en avait pas encore vu. Il fallait des bommes et de l'argent :
Pbilippe trouva les deux sans recourir aux états généraux. Il
ressuscita ces levées en masse qui avaient cessé d'être en usage
depuis Charlemagne; il remit en vigueur le devoir de cliacun,
noble ou vilain, de concourir à la défense de la patrie menacée,
et ordonna à tous ceux qui avaient cent livres en meubles de
marcber contre l'ennemi , ou de se racbetei' moyennant une
somme (jui variait, mais qui consistait au moins dans le
cinquantième des biens.
Ln concile général , réuni à Rome par Boniface VIII , iciidil ,
le 18 novembre, un décret (|ui consacrait la suprématie des
papes ^ A la nouvelle de celle décision, Piiilippe comprit qu'il
était urgent d'agir : il convoqua successivement plusieurs
assemblées de prélats et de barons, afin d'aviser au parti à
prendre pour maintenir la dignité de sa couronne^. On trouve
* M. de W'ailly prouve que la requête du peuple est calquée sur un opus-
cule en langue latine présenté au roi en l'an 1300 par le même Dubois. Mém.
de l'Acad. des inscript., t. X\ III.
- Ainsi que le prétend AI. Raliiery, Histoire des états généraux, p. 5(3.
Voyez aussi Bailly, Histoire des finances , t. 1, p. 72. Boulainviiliers éiiicl
nne opinion contraire, il arfiriiie (]uc Philippe ne demanda pas d'argent aux
états. Lettres sur les anciens parlements , dans la collection dite de Maijer,
t. IV, p. 125.
•* Dupuy, p. 54.
^ Lettre adressée à l'évèque de Rennes, jeudi après la Saint-Luc, 1302.
Reg. XXXVI du Trésor des chartes, fol. 13 r°; au doyen de Chartres,
26 LA FRAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
une (lo ces assemblées à la date du 17 janvier 1303'; une
autre se tint le 20 du même mois'; une troisième le 12 mars.
Dans cette dernière, Guillaume de Xogaret accusa Bonilace VIII
d'usurpation, de tyrannie et de mauvaises mœurs, et demanda
la permission de le poursuivre ^ .
CHAPITRE DEUXIEME.
PRKTEXDLS ÉTATS DE 1303. — APPELS AU FUTUR COXCILE.
Prétendus étals de 1303. — Appels au futur cnncilc. — Il n'y eut pas d'états
généraux en 1303. — Examen critique des clironiqueurs conteniporains.
— Erreur du continuateur de Xangis. — Procès-verbal officiel de l'assem-
blée des 13 et 14 juin au Louvre. — Ce n'était qu'uue assemblée de nota-
bles. — Le roi y appelle au futur concile. — Des commissaires vont
recueillir dans les provinces les adhésions des nobles , du clergé et des
communes. — Etats provinciaux convoqués dans le Midi, — Pourquoi
Philippe le Bel ne convoqua pas les états généraux dans cette circonstance.
Le dernier historien des états généraux place au 23 juin 1303
la tenue de nouveaux états, convoqués par lettres royales
datées de \eufmarclié-sur-Epte, le 30 novembre 1302*. Je
ferai d'abord remarquer qu'il est peu vraisemblable que le roi
ait convoqué six mois à l'avance les états. Les autres convoca-
tions faites sous Phili|)pe le Bel précédèrent de fort peu de
temps la réunion , et cela se comprend aisément , car les états
étaient assemblés pour décider des affaires qui demandaient
une prompte solution. Les villes du Midi furent convoquées
aux états de 1302 pour le 10 avril, par lettres datées du
10 février de la même année. Les convocations pour les états
de 1308, qui se tinrent le 10 juin, furent faites entre le 25 et
ibid., fol. 13 v", \oél 1302; à l'évèque d'Orléans, le lendemain de la Saint-
André, ibid., fol. 11 v».
1 Ord., 1. I, p. 390.
^ Ord., t. I, p. 392.
•^ Dupuy, p. 56.
^ Rathery, p. 57. Boulainvillicrs a reconnu que ces lettres ne s'appliquent
pas aux états de 1303.
LIVRE DF.LXI1:A!E. — DES KTATS GE.VERArX. 27
le 30 mars. En outre, les états de 1303 furent réunis pour pro-
céder à l'accusation et à la citation de Ijoniface VIII devant un
concile; or, à la fin de novembre 1302, le différend entre le
roi et le pape n'était pas encore arrivé à un degré de gravité
qui motivât une résolution aussi violente, de la part de Philippe,
que celle de traduire son rival comme hérétique et usurpateur
devant l'Église universelle. Le texte des lettres du 20 novembre
s'applique à une des assemblées de notables tenues au mois de
janvier. Enfin, le 13 juin, s'ouvrit au Louvre, dans la salle du
Roi, une grande assemblée. Je ne crois pas qu'on puisse y
voir des étals généraux, et voici sur (juoi je me fonde. Pour
les états de 1303 et de 1308, on a un certain nombre de textes
appartenant soit à des historiens, soit <à des actes autiientiques,
pour constater la nature véritablement représentative de ces
assemblées; pour celle de 1303, on invoque ' un seul passage
du continuateur de Guillaume de Kangis, dans lequel il est dit
que le roi convoqua au Louvi e c^ omnes barones et milites atque
totius regni Franciiv magistratus, cum majoribus prelatis et
minoribus universis. i) On a traduit magistratus par députés
du tiers état', et on a eu raison; mais ce passage se rapporte
à l'année 1302. Il se trouve dans les éditions de Xangis qui
le renferment, sous la rubrique de l'année 1301, année à
laquelle appartenait, selon l'ancienne manière de compter, le
mois d'avril 1302, qui vit la réunion des premiers états de
\otre-Dame \ Toutefois le continuateur de Xangis parle, sous
l'année 1303, d'un grand parlement réuni à Paris, où figurèrent
les prélats, barons, chapitres, couvents, collégiales, communes
et communautés de villes du royaume, maîtres en théologie,
professeurs en droit canon , et des personnes instruites tant de
France que d'autres royaumes. On y résolut d'appeler du pape
au futur concile*. Ce texte est précis; le chroniqueur raconte
1 Rattiery, p. 57.
- Clironnlojjic des états généraux, Atmuaire de la Société de l'histoire de
France, 1840, p. 99.
■' Ce passage ne se trouve ni dans l'édition de Nangis du Rec. des fiist. de
France, ni dans celle de Dachcry {Sjncileg.}, t. III; mais dans les Preuves
de Dupuy, p. 188, et dans l'édition de Géraiid.
"* Prima continuatio {Chron. G. de Xangiaco), édit. Géraud, t. I, p. 335
et 336. <i Dcmum tamen in publico paricmcnto Parisius prelatis, baronibus,
28 i,A Fr.wci; sors l'ini.iPPK i,k i;i;l.
une assemblée qui présente Ions les caraelèics des tials <jéné-
raux. Cependant, nial;jré ce léni()i;jn,'i;p', la (.'onvocalion d'élats
«jénéraiiv an mois de jnin l'MV.i n'esl p;is admissible. J'invo-
(jiieiai d'abord les piocés-vei hanx eux-mêmes de l'assemblée
du l.'{ juin : on y apprend (jn'elle se composait <le cinq arclie-
vèques, de vin<|l et nn évè(|ues, de onze abbés et de trois
prieurs, dont iiii du Temple et l'antre de l'ordre de Saint-.Iean
de Jérusalem, des comtes d'iùrenx, de Saint-1'ol, de Dreux,
d'Anjou, de Boulogne, et de Danipierie, de .Mathieu de 'i'rie,
de l'ierre de Cliambly, deNogarel, de Hugues de IJouville, des
archidiacres de lîrnges et de Reims, (\ii trésoi'ier d'Angers, de
Pierre de IJelle-Perche, de llenaud Harbou , de Jean de Mon-
tigny et de plusieurs autres clercs et laïtjues, dit le texte, qui
étaient de liop |)eii d'importance pour que leurs noms fussent
rapportés '.
Ce qui prouve invinciblement (jn'à l'assemblée du 13 juin
ne figuraient pas les députés des trois ordres, mais seulement
(pielqucs prélats et quelques bnrons, ainsi qu'un certain nom-
bre de légistes, c'est que le loi soumit les décisions qui y
lurent prises à la ratification des trois ordres, convoqués non
pas en assemhlée générale, mais consultés soit dans les assem-
blées provinciales, soit même individuellement. L'assemblée
dura deux jours, le 13 et le 1 i; les comtes d'Evreux, de Dreux
et de Saint-Pol, et (Inillaume de Plasian, demandèrent que
l'Eglise lut gouvernée par un pape légitime, Jîonil'ace \ III étant
considéré comme un intrus, par snitc de son élection du vivant
de Célestin, son prédécesseur, (jui avait abdiqué; fait encore
sans exemple. Le roi fut supplié, en qualité de champion de
Ui foi , de travailler à la réunion d'un concile général. Il y
consentit ^ .
L'acte d'appel au l'iilur concile fut In solennellement dans le
jardin du palais, le 2i juin, devant une multitude immense.
Des agents furent envoyés dans tontes les provinces pour
recueillir les adhésions à l'iippel ; ils étaient porteurs de lettres
capitulis, lomoiitibus, collojjiis, (■iMinniinitatiljiis et iiiiiversitatil)iis villanim
refjni siii, nccnon mayistris in tiicologia... «
< Diipiiy, p. 108.
- Diipny, p. 100 cl 101.
LIVRE DEUXIÈAIE. — DES ÉTATS GKXÉRAl X. 29
(lu roi relatives à l'objet de leur mission. Ces lettres l'ont men-
tion (le rassembl(3e du 13 juin, non comme d'(^tats génfîiraux,
mais comme d'une assemhlt^c de plusieurs archevèfjnes, êvê-
ques, abbés, prieurs, comtes, barons et autres personnes tant
lai(jues qu'ecclésiasti(jues '. Si les reprcl'sentants des communes
avaient t-tc^' admis à cette réninion, le roi, s'adressant aux com-
munes pour obtenir la ratification des décisions qui y avaient
été prises, n'aurait pas manqué de le rappeler, ou pluttit cette
ratification était inutile.
Voici quelques détails sur la manière dont les adhésions au
futur concile furent obtenues dans le Midi. Le vicomte de Xar-
bonnc, Guillaume de Plasian et Denis de Sens, convoquèrent,
le 23 juillet, à Montpellier, dans le couvent des frères Prê-
cheurs, les députés de trois ordres des sénéchaussées de lîeau-
caire, de Carcassonne et de Rhodez, leur exposèrent la réso-
lution du roi d'appeler au futur concile des actes tyranniques
de Boniface VIII, et les prièrent de se joindre à l'appel.
C'étaient là de véritables élats provinciaux, où les villes
furent représentées par des députés choisis par elles à cette
intention. Les états de chaque sénéciiaussée se réunirent en-
suite séparément , et chaque ordre vota à part et donna son
adhésion par écrit. Les états de la sénéchaussée de Carcassonne
tinrent leur séance le 26 juillet. Le clergé se composait de huit
abbés et des procureurs de plusieurs chapitres, de quelques
abbayes et de l'ordre du Temple; la noblesse, du comte de
Foix et quarante autres seigneurs. Les villes de Carcassonne,
de Narbonne, de Béziors, de Pamiers, d'Albi, d'Agde et de
Lodève, y avaient leurs députés. Les états des sénéchaussées
de Rhodez et de Beaucaire s'assemblèrent le jour suivant. Les
adhésions furent unanimes, sauf de la part des frères prê-
cheurs de Montpellier. Plusieurs seigneurs, églises ou villes
qui n'avaient pu se faire représenter à Alontpellier adhérèrent
individuellement '.
* «■ Xiipcr nobis, niiillis(|iio arcliiopiscopis, cpiscopis, abbatibus, prioribtis,
cnniilibus, baronilius aliisquc pliiribiis pcrsonis tani ccclcsiaslicis (jiiam sccii-
laribus prcsenlibiis Parisiiis, etc. » Lettre aux consuls de Toulouse , Diipny,
p. 109.
- V'aissètc, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 155. Diipuy, p. 134, 144.
30 LA FRAXCE SOUS PHILIPPE Lî: BEL.
La réunion des états provinciaux ne paraît s'être effectuée
que dans le Lanfjuedoc et la Xavarre. Dans les autres parties
de la France, chaque ville, chaque église, donnèrent séparé-
ment leur adhésion. Plus de six cents adhésions d'ecclésiasli-
(jucs sont conservées en orijpnal au trésor des chartes, aux
archives de l'empire : il n'y en a plus qu'une trentaine pour
des villes; les autres ont été perdues. Voici l'indication de
(|uel(jiies-unes des villes dont les adhésions subsistent. Limoges,
Xcvcrs, Saint- Junicn, Cordes, Toulouse, Villemur, Reims,
lîan de Saint-Rcmi à Reims, Sainte-.Menehould, Montcornet,
Compièjpie, Ham , Beauvais, Amiens, Chaudardc, Saint-Omer,
Saint-Pol, Crépy, Alontreuil, Rapaume'.
Ces actes font voir (jue le peuple fut consulté. On y lit, en
effet, que les citoyens furent rassemblés en la manière accou-
tumée pour élire des députés ; car les magistrats municipaux
ne furent pas regardés en celte occasion comme les représen-
tants de leur ville, et leur adhésion ne suffit pas; on demanda
celle de tous les habitants. Quel fut le motif qui empêcha Phi-
lippe le Bel de convoquer les états généraux pour la mise en
accusation de Boniface VIII ? Il ne craignit pas le refus du
peuple ni de la noblesse, mais du clergé; dans l'assemblée du
13 juin, il y avait quelques évêques dévoués et quelques ecclé-
siastiques, mais ce n'était pas même une minorité. Réunir les
représentants de tout le clergé et leur demander le jugement
d'un pape était dangereux; réuni, le clergé aurait certaine-
ment repoussé la demande du roi, tandis que, pris individuel-
lement, il se laissa intimider. Le dominicain Bernard Guion,
qui occupa dans son ordre d'importantes fonctions, et qui a
laissé de curieuses relations historiques sur le règne de Phi-
lippe le Bel, dont il fut contemporain, affirme que les commis-
saires royaux contraignirent les ecclésiastiques à adhérer'. Ils
' Trésor des chartes, J. 480. Diipuy a publié l'adlicsion de la lillc d'Arras
(p. \70).
- T. \XI du Rec. des hist. de France , publié par r.Acadéniio dos inscrip-
tions, 713. a Dciiinc niiltuntur pci* rcgnuin ad civitates et ad collcgia rcgii
nuncii ad publicandum in ccclesiis et coliogiis prcdicta et ad pcrurgondum
personas ccclcsiasticas et rclijjiosos cpioseunique u( appcllalionibus cl proces-
sibus hnjusmodi inhaDrereut. r
LIVRE DEUXIÈME. — DES ÉTATS GÉXÉRALX. 31
publiaient partout l'acte d'appel; le peuple approuvait avec
empressement, et le clergé se trouvait placé entre ses sympa-
thies et le roi , qui affirmait que l'appel avait été résolu dans
une assemblée d'évêqucs; iie sachant quelle conduite avaient
tenue les autres membres du clergé, il signait.
Six abbayes de l'orthe de Cîteaux refusèrent pourtant : (|uel-
ques autres mirent des restrictions ; la plupart donnèrent une
adhésion dont les termes embarrassés dénotent la contrainte.
Les états généraux ne se tinrent donc pas en 1303, mais le
peuple fut convoqué dans ses comices.
La mort de Boniface VIII et la conclusion de la paix avec les
Flamands mirent fin à ces assemblées d'états généraux et do
notables. La France jouit pendant plusieurs années d'une paix
bienfaisante. Le 13 octobre 1307, les Templiers furent arrêtés
par ordre du roi dans tout le royaume. Le pape Clément \
apprit cette arrestation par la rumeur publique. En vain Phi-
lippe voulut-il lui arracher la suppression de cet ordre, il le
trouva inflexible. Clément proposait de réformer le Temple,
mais il ne consentait pas à l'abolir. Philippe, qui convoitait les
immenses richesses des Templiers, ne perdit pas l'espoir de
vaincre la résistance du souverain pontife; il chercha un appui
dans la nation, à laquelle il appela. Il convoqua les états géné-
raux à Tours.
Les lettres de convocation sont datées de différents jours de
la fin du mois de mars : elles furent adressées à la noblesse, au
clergé et à tous les consuls, maires, échevins, jurés et com-
munautés insignes du royaume. Il ne faut pas se laisser induire
en erreur par le mot insignes : on entendait par là toute ville
ou tout bourg de quelque importance; en maint endroit, on
l'interpréta par localités ayant foires et marchés. Il y eut des
lettres de convocation différentes pour ciiaque ordre' : dans
toutes, le roi se posait en défenseur de la foi.
1 Trésor des chartes , carton J. 415. Lettres adressées au tiers état , n" 19;
à la noblesse, n» 23; au clergé, u° 21.
32 LA FRAXCK SOLS PHILIPPE LK BEL.
CHAPITRE TROISIEME.
ÉTATS DE TOURS EX 1308 ET DE LVOiX EX 1312
CO.VTRE LES TEMPLIERS.
Lrtfrcs ilr convocation dos trois ordres. — Mandats dos députés du tiers état.
— Les députés du tiers état choisis par le suffrage universel. — Ils reçoi-
ii'iit une rétribution. — Procès-verbaux d'cdeclion. — Procurations données
par les nobles et le rler<{c. — La comparution aux états considérée non
cotiuiie un droit, mais coninic un devoir. — Liste des villes (pii députèrent
aux états de 1308. — Les états se réunissent à 'l'ours, puis sont transférés
à Poitiers. — Convocation des étals ù Lyon, le 10 février 1312.
« On li'oiivc an Trésor des chartes^ disent les historiens les
plus l'écents qui se sont occupés de cette draniatiqiic histoire
de Philippe le Bel, ^ingt-deux procurations de seigneurs pour
les états de 1308. " C'est là une erreur. Il y en a plus de cinq
cents, tant des seigneurs que du clergé et des communes',
toutes inédites et inconnues. On a peine à comprendre com-
ment Taltention de ceux qui ont écrit sur l'histoire de Philippe
le Bel et des états généraux n'a pas été attirée par cette men-
tion vague, il est vrai, mais précieuse, de l'existence de pro-
curations pour les étais de 1308. Personne n'a songé à con-
sulter ces documents, (jui apprennent que tous les archevêques,
évêques , chapitres, collégiales, ahhayes, prieurés, comtes,
barons, chevaliers, communes ou villes de quelque importance
prirent part aux étals généraux. Les uns, tels (]ue les évè(jues
et les nobles, devaient comparaître en personne; les autres,
par procureurs.
La comparution aux états l'ut considérée comme un devoir
rigoureux, comme un service de cour. On sait que, dans le sys-
tème féodal, tout vassal devait assister son seigneur, et par les
armes, et dans sa cour, et lui donner conseil quand il en était
requis. Aussi le roi prescrivit aux trois ordres de venir le
conseiller, et il l'exigea au nom de la fidélité qu'ils lui avaient
jurée. Cette assimilation des états généraux au devoir de cour
1 II y en a dans quatre cartons. J. 414 A et B, et 415 A et B.
LIVBE DEUXIEME. — DES ETATS GÉXÉRAIX. 33
fuf poussée jusqu'à ses dernières conséquences. Le vassal infi-
dèle voyait confisquer tous ses biens; les villes, qui, bien que
convoquées aux états, n'y envoyèrent pas de représentants,
furent saisies et mises sous la main du roi '. Les seigneurs et
les abbés ne pouvaient se dispenser de comparaître en per-
sonne : la seule excuse qu'on reçût était la maladie ou l'ab-
sence du royaume. Les veuves nobles furent admises à se faire
représenter ".
Le nombre considérable des procurations du clergé pour les
états de 1308 montre que les dignitaires ecclésiastiques se sou-
ciaient peu de prendre part à la condamnation des Templiers.
Ils sentirent que les étals étaient assemblés pour donner plus
de force au roi et l'aider à imposer, au nom de la nation, sa
volonté au pape.
Les députés des villes devaient se présenter munis d'une
procuration écrite qui leur conférât plein pouvoir de repré-
senter leur commune, « pour entendre, recevoir, approuver et
faire tout ce qu'il leur serait commandé par le roi , sans exciper
du recours à leurs commettants ^ d C'est là un point important
et curieux à noter, surtout quand on voit que les députés n'a-
vaient aux états aucune lil)erté d'action. In certain nombre de
ces procurations donnent les biens de la commune comme
garantie de la fidèle exécution du mandat. Connaître quelques-
unes de ces procurations, c'est les connaître toutes, du moins
pour ce qui touche les pouvoirs accordés aux députés, car
l'étude de ces actes donne de précieuses lumières pour l'histoire
du règne municipal.
Par qui étaient élus les députés? On n'a eu jusqu'ici aucune
notion sur ce point important : les procurations dont les origi-
naux sont au Trésor des chartes éclaircissent cette question de
la manière la plus complète et la plus inattendue. En 1789,
quand, à propos de la convocation des derniers états généraux,
on fit des recherclies sur le mode de convocation des états du
1 Vaissètp, t. Il', p. 107. Le roi fit mettre sous sa main les villes du comté
de Foix.
- Trésor des chartes , .1. 414.
•* Lettre de Philippe le Bel au sénéchal de Garcassonne, datée du mardi
avant le dimanche Incocarit , 1302. Bihl. imp., n'^ 8409, fol. 84.
3
84 LA FRANCE SOUS PHILIPPE LK nKL.
nioyrn âge, on ne trouva que dos rcnsoigncnionU relativement
modernes : on constata les élections par bailliages. On en était
réduit à supposer que les magistrats municipaux étaient les re-
présentants naturels de leurs administrés. C'était une erreur.
Sous Philippe, les maires et les consuls n'étaient pas députés de
droit; pour le devenir, il fallait être investi d'un mandat .'spécial
donné par la communauté : en fait, les députés étaient presque
toujours choisis parmi les maires, les échcvins ou les consuls '.
Un autre point sur lequel j'appellerai l'attention, c'est que le
représentant d'un ordre n'était pas nécessairement pris dans cet
ordre. Plusieurs villes députèrent leur curé ou quelque autre
clerc * ; des nobles envoyèrent à leur place des jurisconsultes \
des avocats*, et même de simples bourgeois*. Des hommes d'af-
faires se présentèrent au nom de leur maître avec des procu-
rations générales pour la gestion des affaires **, et furent admis;
par exemple, celui de la dame de îMarly, qui exhiba une pro-
curation de ce genre ayant plusieurs années de date '.
Le clergé se fit presque toujours représenter par des ecclé-
siastiques : cependant l'abbé de Saint-Denis délégua ses pou-
voirs à un religieux de son abbaye et à un écuyer; le prieur
d'Ambert, à un chanoine et à un damoiseau; nombre d'abbayes
choisirent pour procureurs des membres du clergé séculier. Il
peut paraître extraordinaire que les gens des communes se
soient fait représenter par des ecclésiastiques; cela peut s'ex-
pliquer par la grande influence du clergé ; mais il y a, si je ne
me trompe, une autre cause, c'est que le roi avait demandé
qu'on lui envoyât des hommes d'une foi ardente*. On crut ne
^ Procurations des cartons, J. 414, A et B.
2 A Saint-Floiir, un chanoine. J. 415, n" 11)9.
3 Guy de Séverac envoie maître Jean Kicaf. , juris peritits. J. 414, n" 20.
'^ liermond d'Uzcs, PonsGuiraud, son clerc. J. 414, n°29. A. de Viviers,
maître Pons Pcluprat. llnd., n" 27.
^ La comtesse de Tonnerre , deux bourgeois de Tonnerre c pour aller îi
Tourz, au mandement' nosfre soigneur le roy, pour ouyr et rapporter ccu
(pi'il plaira au dict nostrc seigneur le roy r . Ibid., n° C.
<i Ibid., S. 414, n» 1.
' J. 414, n» 40.
^ Ce fut sous prétexte qu'il fallait des hommes d'une grande piété, que le
pamphlétaire P. Dubois , le conseiller de Philippe le Bel , se fit élire à
Coutauces. J. 415, n" 86.
LIVRE DEIXIEAIE. — DES ETATS GÉXÉRAUX. 35
pouvoir mieux répondre à ses intentions qu'en choisissant des
ecclésiastiques.
Quant aux seigneurs, ils ne voyaient pas avec faveur ces
assemblées où le roi convoquait la noblesse pour la compro-
mettre, tantôt en lui faisant déclarer le pouvoir royal indé-
pendant du saint-siége, tantôt en lui demandant de concourir
à la suppression d'un ordre religieux principalement recruté
dans les familles nobles.
Les lettres de convocation étaient adressées directement par
le roi aux grands feudataires et aux prélats : les baillis royaux
en envoyaient des copies aux villes importantes du domaine de
la couronne et aux seigneurs d'un rang inférieur, ainsi qu'au
clergé'. Les villes situées dans les fiefs des vassaux n'étaient
pas convoquées par les baillis du roi, mais, sur leur invitation,
par les baillis ou les prévôts seigneuriaux". Les villes de tout
le royaume furent appelées aux états. La vérité de ce fait im-
portant, qu'ont révoqué en doute des historiens qui n'ont vu
dans les états du règne de Philippe le Bel que des réunions
de députés de villes du domaine, reçoit une preuve éclatante
dans le tableau des procurations des villes qui députèrent
aux états de 1308, où figurent des localités de toutes les
provinces, sauf de la Bretagne, de la Franche-Comté, de la
Guienne et de la Provence. Encore ne faut-il tirer aucun ar-
gument de cette absence, car toutes les procurations ne nous
sont pas parvenues. A'ous avons celles de villages infimes, et
les procurations de grandes villes qui envoyèrent sans aucun
doute des représentants, telles que Rouen, Paris, Tours, nous
manquent.
La condition politique des villes variait à l'infini. Les unes,
vieilles communes jurées, jouissaient de grands privilèges : les
hommes de la commune avaient le droit de se rassembler pour
délibérer sur les affaires de la cité. Ils élurent leurs députés
dans une de ces assemblées. Les procurations portent simple-
ment que les délégués ont été désignés par le maire, les éche-
1 Voyez leUrc au bailli d'Ain ergno, Arch. imp., J. 798. Ordonnance du
25 mars 1307-1308, et J. 414 et 415, passim.
- Vernon, n° 56; Auffcy, n" 68; Vassy, le prévôt, par ordre du Laiili de
Chaumont, n° 145.
3.
36 LA FllAXCE SOLS IMIILIPI'E LK liKL.
vins et la commune. La même observation s'applique aux villes
du Midi (jui n'avaient [)as de commune, mais un consulat.
Ouchpiefois nu'uie l'intervention du [)eu[)le n'est pas indiquée,
(jU()i(iu"il soit certain (|u'il ait été consulté; c'est qu'il était
dans le droit commun (jue les habitants de ces villes fas:sent
appelés à délibérer sur tout ce (pii intéressait la commune '.
Mais il y avait une joule de villes et de villages qui no for-
maient piis nu'me une communauté, comme à Tournus, où
les liabilanis ne formaient pas un corps, au dire de l'abbé; à
Brionde, (pii n'était pas, porte la charte d'élection des députés,
un lieu insigne, où il n'y avait ni jurisconsultes, ni savants, ni
consuls, ni communautés; et à Mauriac, où il n'y avait (jue
des individus et pas de commune. Dans ces localités, placées
au bas de l'éclielle politique, et aux(|uelles ne s'adressait même
pas la convocation royale, l'envoi des députés fut le fait des
seigneurs, qui les désignèrent quelquefois de concert avec leurs
sujets. Le plus souvent on convoquait tous les habitants; des
femmes même prirent part à ces élections*.
Quant aux ccclésiasli(|ues, les évêques, les abbés, les prieurs
et les représentants du chapitre furent seuls appelés à siéger.
Régulièrement, l'abbé représentait son abbaye; (juand il ne put
ou ne voulut pas se rendre aux états, il désignait un procureur,
soit seul, soit avec le concours des moines. En dehors des cha-
pitres, le clergé séculier ne parait pas avoir été convoqué : ce
qui s'explique par la nécessité de ne pas nuire au service
divin en éloignant les pasteurs de leurs paroissiens. Plusieurs
curés comparurent en qualité de procureurs des communes.
Les états se réunirent h Tours au mois de mai '. Les mem-
bres présents proclamèrent presque à l'unanimité la culpabilité
des Templiers, et déclarèrent qu'ils méritaient le dernier sup-
plice. Muni de cette décision, Philippe alla rejoindre Clément \
à Poitiers, emmenant avec lui ses frères et une partie des
' Voyez les cliartcs do communes dans les tomes XI el XII des Ord. du
Louvre.
- Voyez le tableau des procurations des villes aux états de 1308 que j'ai
public dans la Bibliothèque de l'école des chartes, 5'' série, t. I, p. 28
et suiv.
^ Mémorial de J. de Saint-Victor. Historiens de France, t. X\I, p. C50.
LIVRE DFXXIÈMR. — DES ÉTATS GÉXERAIX. 37
députés (le la noblesse et des communes *. I! exigea, an nom
du peuple, la suppression des Templiers. Ce fut seulement
l'année suivante qu'il obtint la convocation d'un concile gé-
néral à Vienne pour statuer sur le sort de l'ordre.
Les députés de la bourgeoisie recevaient de leur ville une
indemnité de voyage ^ .
Les nobles étaient, ainsi (|ue je l'ai dit plus liaut, tenus de
comparaître en personne, ainsi que les évèques, les abbés et
les prieurs. Ils ne devaient se faire représenter que pour cause
de maladie ou pour tout autre empècbement légitime. Les pro-
curations de la noblesse ont donc un caractère tout à fait per-
sonnel, et il serait superflu de faire le relevé de celles qui
nous sont parvenues, car on constaterait les absents (4 non
ceux qui figuraient aux Etats ^ Je ferai seulement remarquer
que les grands feudataires s'excusèrent, tels que les comtes de
Flandre*, de Bretagne, de Xevers, de Périgord, de Coni-
minges, d'Auvergne, de Forez, les vicomtes de Narbonne, de
Turenne , de Polignac \ Plusieurs s'engagèrent sous bypo-
tlièque de leurs biens à ratifier ce qu'auraient fait leurs pro-
cureurs ^.
Il serait intéressant de connaître quels nobles étaient appelés
aux étals : nous n'avons pas de listes de ce genre pour le règne
' Continuateur de Nangîs , ('dit. Géraïul, t. I, p. 360. a (Rcx Philippus)
profccliis Pictavis iibi adluic pnpa ciirn ciiria rcsidcbat , ob hoc qiincpic pbi-
rimos poncs de omni civilatc sivp castcllania regni apiid urboiii Turonis
pasdiali tcinpore convocalis, copiosain fani nobilinni qiiam innobiliiim scciim
diixit illiic tnrniani. s Les noms des députés qui suivirent Pliilippe le Bel se
lisaient autrefois dans deux rôles qui étaient conservés au Trésor des chartes ,
où ils sont actuellement en déficit. Voici comment ces rôles sont indiqués
dans V Inventaire du Trésor des chartes de Dupuy : « Deux roulleaiix , l'un
latin, l'autre français, contenant les noms des procureurs des villes qu" le roi
a ordonné qui demeureront près de lui i . Layette intitulée Templiers ,
dernier article.
- Lettres du roi, datées de Tours le 6 mai 1308, ordonnant au sénéchal
de Beaucaire de faire payer par tous les habitants de Dagnols les députés de
cette ville anx états de Tours. Vaissètc, Histoire de Languedoc , t. 1\ , p. 140.
3 Or., J. 414, n°2-
* Or., n° 8. Il envoya le sire de Craon et le sire de Rochefort.
5 Or., n"* 11 , 16, 21, 13, 24, 17, 36.
6 Voyez la procuration du sire de Chàteauroux , Or., n" 12; de .Jourdain
de l'Ile, n" 23, etc.
38 LA FRAVCE SOLS PHILIPPK LE BEL.
(le Philippe le Bel. Toutefois, en êliuliant les procurations qui
nous restent, on voit (jue tous les jjrands feudataires furent
convoqués (lireelement par lettres patentes, et certains par
lettres closes; que des vassaux royaux d'un rang inférieur
furent convoqués par les baillis, qui leur envoyaient coi)ie de
la citation royale : l'on trouve même des arrière-vassaux con-
voqués par leur seigneur. C'est ainsi que la dame de Galardon
fut citée aux états par un sergent du comte de Chartres '.
Le concile de Vienne s'ouvrit le 12 octobre 1311. La pre-
mière session dura plusieurs mois. La suppression des Templiers
fut proposée, mais cette mesure ne réunit pas la majorité des
Pères. Philippe résolut d'employer une nouvelle violence
morale pour déterminer le souverain pontife à faire ce qu'il
lui demandait en vain depuis si longtemps, et il espéra vaincre
sa résistance en lui montrant une lois de plus la réprobation
unanime dont les Templiers étaient l'objet. Il prit le parti de
se rendre lui-même au concile ; mais il voulut y arriver comme
le mandataire du peuple. Il convoqua les états généraux à Lyon ,
le 10 février 1312. La lettre qu'il adressa aux communes, afin
de les engager à élire des représentants pour cette assemblée,
porte qu'il les voulait consulter pour terminer la cause du Christ,
cause commune à tous les catholiques et chère surtout à ceux
du royaume de France, que Dieu manifestait avoir choisis pour
défenseurs de la foi *.
1 Or., Arch. de l'emp. J. 414, n° 10.
- Arch. (le l'cmp. , Rcg. A de la Clianibre des Comptes de Paris, fol. 93.
il Hlaiidanuis tibi quatiiuis niajoribiis, scabiiiis, juratis et aliis iiiinistratoribus
civitatiim ballivire tuœ, ex parte iiostra prccipias et injungas ut ipsi, siciit uni
fidei et catliolicaj (sic) sinccritafe probati sub fide qiia uobis astricti sunt,
vui' die post instanfem festuni B. Maria; Virginis, sint Liigdiini, vel mincios
soUemnes illuc mittant ubi satis nos esse proponiinus ad informandum et
Christi ncgocium ordinandiim et disponenduiii. t Dans un long préambule,
le roi parlait des crimes des Templiers et de son désir de maintenir la loi...
it Quia negocium calholicis omnibus est commune et spccialilcr illis de rogno
Franciîe, quos pro dcfeusionc fidei catholica" pcculiaritcr sibi Dominiis per
suam gratiam ponitur clegisse. Datum Pissiaci, peiudlimadie decendjris 131 1. 5
Arch. imp., Reg. A de la Chambre des Comptes, P. 2290, fol. 93. Voyez
aussi Bibl. imp., portefeuille XWIV des titres scellés de Gaignières. C'est à
Lyon que Dom Vaissète assure que cette assemblée se tint le jour fixé. Histoire
de Langued te, t. IV, p. 152.
LIVRE DEUXIEME. — DES ETATS GEXERAUX. 39
Je n'ai pu trouver aucun renseignement sur ce qui se passa
dans cette assemblée, dont aucun liistorien n'a parlé; toutefois
elle ne se tint pas au jour indiqué, car le 10 février le roi
n'était pas encore arrivé à Lyon '.
CHAPITRE QLATRIEAIE.
ÉTATS DE 1314 POUR VOTER DES SUBSIDES. COKCLUSIOX.
Assemblées provinciales de 1308 pour accorder un aide à propos du mariage
d'Isabelle de France. — Etats gcnéraux de 1314 pour voter un impôt de
guerre. — Récit unique des Clironiqiics de Saint -Denis. — Comédie
jouée par le roi et par Euguerran de Marigny. — Révoltes à l'occasion de
la levée de nouveaux impôts. — Caractère des états généraux sous Philippe
le Bel. — L'élément populaire y domine. — Suffrage universel. — Le roi
cherche dans les états un appui moral. — Il ne leur accorde aucune part
dans l'jidniinistralion, ni même le droit réel de voter les impôts. — Résultats
politiques de la réunion des états généraux.
En 131-4, Philippe le Bel eut de nouveau à soutenir la guerre
contre les Flamands; il fit confisquer par son parlement le
comté de Flandre, et publia cet arrêt dans les états généraux
qui furent convoqués à Paris, le 1" aoiit, au palais de la cité.
Les nobles et le clergé siégeaient sur une vaste estrade ; le roi
était présent. Enguerran de Maiigny, surintendant des finances
et coadjuteur du royaume, ouvrit la séance par un long dis-
cours en forme de seriuon. Il prit pour texte « de nature et de
nourriture î) . Il appela la ville de Paris tt la nourrice des
princes, la vraie chambre royale à laquelle le roi se devait
plus fier, pour avoir bon conseil et pour avoir aide, que en
nulle autre ville ■>■> .
Il raconta ensuite l'histoire de Flandre, depuis plus d'un
siècle; la trahison du comte Fcrrand, qui fut si rudement châtié
par Philippe-Auguste; les désobéissances du comte Gui, qui,
sous le règne actuel, avaient entraîné des guerres si longues et
K des dépens qui bien montoient à si grand nombre d'argent,
1 Itinéraire de Philippe le Bel, Historiens de France, t. XXI, p. 458
et 459.
40 LA FRAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
que c'étoit niervcilloiix à racontor, de (|ii<)y le royaume avoil
élu trop nialcniont <{rcvé. d II montra ciisiiilc les Flamands
rompant do nonvoau la pai\ (pi'ils avaient jurée, et retpiil, au
nom du roi, - les bourgeois des coninuines qui éloient là
asscmi)lés (|u'il vouloit savoir lesquels lui fcroient aide ou non
à aller contre les l'Mainands à l'ost (l'arniée) de Flandre, d
Tel est le récit lldèlo, d'après un chroniqueur contemporain,
de la séance des états de l.'ili '. Tous les historiens modernes
ont cru que le tiers état y avait été appelé à voter l'impôt. Les
choses ne se passèrent pas ainsi : Enguerran demanda au peuple
d'aider le roi; les bourgeois, par l'organe d'un agent du roi,
répondirent (pi'ils étaient prêts à lui faire aide selon leur pou-
voir et à marcher contre l'ennemi ; mais cette réponse était
évidemment concertée d'avance. 11 n'y eut pas de délibération;
le tiers ne fut pas admis à fixer la quotité de l'impôt ni même
à en autoriser la perception, et cela est si vrai, que la levée de
la taille, qui fut imposée à la suite des états, amena des révoltes
dans toutes les provinces.
Dans le tableau que je viens de tracer des états généraux
sous Philippe le lîel, j'ai montré sous un jour nouveau ces
assemblées, qui devaient six siècles plus tard renverser la
monarchie. Elles eurent à leur origine, quant à leur composi-
tion, un caractère libéral et populaire qu'elles perdirent depuis.
Au commencement du quatorzième siècle, toutes les villes de
quebjue importance furent appelées à envoyer leurs représen-
tants aux états généraux, et, chose qu'il ne faut pas perdre de
vue, l'envoi de députés ne fut pas de leur part un droit, mais
un devoir : devoir féodal, devoir du vassal qui doit venir donner
conseil à son seigneur, devoir strict et obligatoire, auquel on
ne pouvait manquer sans s'exposer à la peine encourue pour
les forfaitures, à la confiscation des privilèges municipaux.
' Citron, de France, édit. Paulin Paris, f. V, p. 20G à 208. Ce récit
curieux ne se trouve pas clans le continuateur de Guillaume de Xangis , que
les Chroniques de Saint-Denis se bornent presque à traduire pour le rèjjnc
de Philippe le Bel; mais il renferme des détails si précis, qu'on ne saurait
élever des doutes sur la réalité des faits cpi'il nous fait connaître. Des docu-
ments authentiques apprennent que Philippe le Bel était à Paris le 1''' août
1314. Itinéraire de Philippe le Bel. Historiens de France, t. \\I, p. 463.
LIVRE DEl-XIEMi:. — DKS ETATS GEXKliALX. 41
Ce que le roi voulait, c'ôlait un appui contre la papauté; il
le désirait le plus général possible : aussi un très-grand nombre
de petites localités, auxquelles la convocation royale ne s'adres-
sait pas, déléguèrent aux états : on vit même des députés se
présenter sans procuration écrite, et ils furent admis. Le
nombre des députés du tiers état dut être considérable, chatjue
ville en envoyant plusieurs, surtout aux états de l'5()8. Les
historiens contemporains en ont été frappés. Le continuateur
de Nangis raconte que le roi réunit à Tours des députés de
presque toutes les cités ou chàtellenies du royaume '. Jean de
Saint-Victor assure que Pliilippe voulait avoir l'avis des hommes
de toutes les conditions du royaume, et rapporter au pape le
jugement non-seulement des nobles et des lettrés, mais aussi
des bourgeois et des laïques *. Il est donc bien établi, et par
les procurations originales qui nous sont parvenues, et par les
historiens contemporains, que le droit ou plutôt le devoir de
se faire représenter aux états appartenait à toutes les villes de
quelque importance; que chaque ville nommait plusieurs délé-
gués, lesquels recevaient une indemnité de voyage payée par
la ville. Le suffrage universel, ou du moins un suffrage éma-
nant d'un grand nombre de personnes, paraît avoir été le
mode d'élection en usage pour les envoyés du tiers état. Les
états généraux se composèrent donc réellement des représen-
tants des différents ordres. Les barons et les principaux leuda-
taires étaient appelés à y siéger : c'était pour eux le devoir de
cour. Les évéques, les abbés, les prieurés et les chapitres y
envoyaient leurs représentants. Mais, il faut le reconnaître, la
part prise parles états au gouvernement, sous Philippe le Bel,
fut illusoire : ils ne furent convoqués que pour donner un
appui moral à la royauté contre les prétentions de Rome à la
suprématie temporelle.
Ils n'eurent aucune initiative, aucune liberté. Les députés
du tiers état venaient, aux termes des lettres de convocation
» l'ktit. Géraud, t. I, p. 361.
2 tt Volebat rex Iiominuni cujiisiibct conditionis rcgni sui liabcrc jiuliLiiini
vcl assensum, undc proponebat non solum reportare secum dcliberativtim
judicium nobilium et littcratoruni, scd et civium et laiconim. ' Historiens
de France, t. XXI, p. C50.
42 LA FRAXCE SOUS PHILIPPE LK BEL.
(lu roi cl (le leur mandat, recevoir les ordres du prince. Ils ne
semblent pas avoir olé admis à délibérer. En 1302, les états
n'eurent qu'une séance. Le même jour, les trois ordres écrivi-
rent chacun, le clergé au pape, les nobles et le peuple aux
cardinaux, une lettre qui avait été évidemment rédigée d'avance.
Ce n'était pas des conseils qu'on leur demandait : on n'attendait
et on ne voulait d'eux (ju'une approbation prompte et entière.
Encore, si l'on se règle sur ce qui se |)assa aux états de 131 't,
cette approbation n'était pas même sollicitée sérieusement, on
la considérait comme acquise.
Telles furent les premières assemblées représentatives de la
France; leur rôle fut bien différent de celui qu'ont joué les
assemblées de ce genre dans d'autres pays. En Angleterre, par
exemple, les parlements maîtrisèrent la royauté en lui refusant
ou en lui accordant, à certaines conditions, les subsides dont
elle avait besoin. Philippe le Bel, bien que ses guerres contre
l'Aragon, l'Angleterre et la Flandre aient entraîné d'énormes
dépenses, trouva pour se procurer de l'argent des expédients
qui le garantirent du danger de voir limiter son autorité en
demandant des subsides aux états généraux. Il fit voter les
impôts extraordinaires par des assemblées provinciales, que
leur isolement rendait moins dangereuses pour la royauté,
ou même il s'adressa quelquefois à chaque ville individuelle-
ment, comme l'avaient fait ses prédécesseurs. En second lieu,
les états généraux venaient encore trop tôt, parce que les
mœurs publiques n'existaient pas. Les états généraux, c'était
la nation, et la nation n'avait encore ni unité, pour n'avoir
qu'un intérêt, ni maturité pour exercer le pouvoir. Philippe le
Bel comprit la puissance de l'opinion publique; et l'opinion
publique, qu'il consulta, lui fut favorable. Quelles qu'aient été
les fautes de ce roi, n'oublions pas qu'il fit faire un pas immense
à l'émancipation politique du tiers état, en l'appelant à siéger
dans une même assemblée avec la noblesse et le clergé. De
cette époque date l'avéncment politique de cette partie de la
nation, la plus nombreuse, qui jusqu'alors n'avait compris que
des individus, et dont Philippe le Bel fît un corps. Un élément
de plus était introduit dans l'Etat. Le droit était reconnu : les
états du roi Jean le revendiqueront.
LIVRE TROISIEME.
DE LA FÉODALITÉ.
CHAPITRE PREAIIER.
LUTTE DE PHILIPPE LE BEL CONTRE LA FÉODALITÉ.
Lutte de la royauté contre la noblesse. — Abus des guerres privées. — Ten-
tatives pour y remédier. — Le roi se proclame le défenseur de la paix
publique. — Il veille à la punition des crimes dans les fiefs des grands
vassaux. — Création des cas royaux, causes dont le jugement est exclusi-
vement attribué au roi. — Les cas royaux ne sont jamais définis. — Eta-
blissement de la quarantaine-le-roi. — Des trêves. — Des asseurcments.
— Danger politique des guerres privées. — Elles sont interdites par
Philippe le Bel. — Les roturiers invités à courir sus aux nobles qui
enfreindraient la défense royale. — Prohibition des tournois. — Abolition
du duel judiciaire. — Il est rétabli. — Pourquoi? — Règlement de
Philippe le Bel sur les combats en champ clos.
L'adversaire le plus redoutahle de la royauté jusqu'au
quatorzième siècle fut la féodalité, adversaire si puissant qu'il
semblait invincible ; mais la féodalité eut le malheur d'être
hostile et nuisible au tiers état et au clergé , qui firent cause
commune avec la couronne contre l'ennemi commun. La lutte
s'engagea dès le commencement du douzième siècle : com-
mencée les armes à la main par Louis le Gros, elle fut conti-
nuée par ses successeurs sous toutes les formes.
Les rois ne négligèrent rien pour assurer leur triomphe sur
la féodalité; ils limitèrent les droits de justice de la noblesse
en établissant des tribunau.^ supérieurs à ceux des barons : ils
lui enlevèrent un à un ses pouvoirs administratifs : ils l'atta-
quèrent dans son indépendance en la désarmant par l'inter-
diction des guerres privées, dans sa souveraineté par la recon-
naissance des communes , dans son honneur enfin en ouvrant
ses rangs, selon leur bon plaisir, aux marchands et aux
44 LA rRA\T,K SOIS PHILI1»IM': LK I!FJ,.
avocats. Celle œuvre de dcslriu lion des priviléjjes féodaux au
profit de la sociélé (oui enlirre, l'liili|)[)e le IJel lui fil faire un
pas immense, au moyen des inslitulions (pie lui avaient léguées
Philippe-Aii'juste et saint Louis, et (ju'il développa.
Les grands vassaux furent obligés de reconnaître la supé-
riorité de la cour du roi et de souffrir que les sentences
émanées d'eux-mêmes ou de leurs juges fussent réformées par
le Parlement '. Les ])liis puissanis d'entre eux obtinrent, à titre
de grâce, que leurs sujets ne pussent recourir au Parlement
qu'en cas de déni de justice ou par voie d'appel, ou , ce qui
restreignait singulièrement ce ])rivilége, ^ en autre cas appar-
tenant à la souveraineté royale ' '' .
Le port des armes fut défendu ^ : toute lutte sanglante fut
considérée comme un attentat à la sûreté générale et punie
par le roi. Sous couleur de faire des lois de police, la couronne
envahit la féodalité. Bientôt ses agents ne se bornèrent plus à
réclamer la connaissance des crimes contre la paix publique;
ils étendirent leurs prétentions à tout. Alors naquirent les cas
royaux : on considérait comme cas royal les atteintes à la tran-
quillité générale, même de simples querelles entre roturiers*,
les offenses à la personne du roi et à celle de ses officiers,
toute cause en un mot dans la(|uelle les droits ou le domaine
du souverain étaient intéressés; bref, tout devint cas royal sous
Philippe le Bel. On inventa aussi le droit de prévention, en
vertu diKjucl tout crime commis dans l'intérieur d'une sei-
gneurie pouvait être poursuivi par les magistrats de la cou-
ronne, quand le seigneur s'était montré négligent à punir le
coupable. Un court délai entre le crime et la poursuite suffit
' Voyez pour le roi d' Angleterre, comme duc de (luienne, Olini, t. II, p. 41.
- Letircs en faveur du duc de Brclayne, Ord., t. I , p. o29 (février 1297),
en français. V^oycz un exemplaire lalin, Otim , t. II, p. 21.
■' Ord., t. I, p. îîVi- et 1545.
'* Le port d'armes accompagné de voies de fait devint un cas royal,
OUm, t. III, p. ;î01, 305, 257, 361, 745, 878. — En 1310, plusieurs
bourgeois de Ilodcz poursuivirent un de leurs concitoyens dans une maison
où il s'était réfugié, et attaquèrent cette maison. Le sénéchal les condamna,
malgré les réclamations de l'évèque, seigneur d'une partie de la ville, qui
appela au parlement de cet empiétement sur sa juridiction et fut débouté de
sa demande, Ol'nn, p. 528.
LIVRE TROISIEME. — DE LA FEODALITE. 45
pour établir la négligence du justicier; et, une fois la pour-
suite commencée par les officiers royaux, le droit de rendre la
sentence définitive leur appartenait '.
En matière civile, les bourgeois du roi échappèrent à la
juridiction seigueuriale, ainsi (pie les communes et les églises.
La connaissance des difficultés soulevées par la non exécution
d'un contrat passé sous le sceau royal était revendiquée par
les tribunaux royaux, et les procès de ce genre étaient devenus
fréquents depuis que Philippe le lîel avait établi des notaires
dans toute la France et des chancelleries auprès de chaque
juridiction royale. L'extension de l'appel a permis à la royauté
d'intervenir dans toutes les (picrelles et offert aux malheureux
un recours contre les iniquités et les violences des seigneurs.
N'oublions pas les sergents royaux, sentinelles avancées, char-
gées d'exécuter les ordres du roi dans les fiefs, et de sur-
veiller la noblesse.
D'un autre côté, les légistes posèrent en principe et firent
adopter comme un axiome , que nul ne pouvait être juge en sa
propre cause, sauf le roi, 'i car il pot estrc juge et partie en
sa qucrele et en V autrui ' . n
Les seigneurs se plaignirent ii plusieurs reprises de ce qu'ils
regardaient comme d'intolérables abus. Ils demandèrent la
définition des cas royaux, admettant parfaitement le droit du
roi à la police générale du royaume. On n'eut garde de leur
faire une réponse explicite, ni de nier la légitimité de leurs
plaintes. Sur les réclamations du roi d'Angleterre, Philippe le
Bel défendit à ses sénéchaux du Midi de faire comparaître
devant eux les sujets anglais de Guienne , sauf en appel et
dans les causes qui regardaient le roi^. La grande ordon-
nance de 1303 ne donna pas d'explication plus précise : u Xous
défendons, y est-il dit, par cet édit perpétuel, de traîner les
sujets et les justiciables des barons et des prélats devant nos
tribunaux, si ce n'est à cause du ressort ou pour tout autre
i Pardessus, Essai sur l'organisation judiciaire, p. 317 el suii . — Enquête
contre un liant justicier qui avait néjjlijjd de punir un homicide. Trésor des
chartes. J. 1080, n» 28 (année 1305).
- Bcauinanoir, Coût, de Beauvoisis , 1. I, chap. xxiv.
=5 Olim, t. II, p. 42.
46 LA FRAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
cas à nous apparlcnant. « C'était toujours la même réponse :
un cas royal est un cas royal, et il n'y eut jamais d'autre défi-
nition', dépendant on fit quelques concessions : les sergents
reçurent l'ordre de ne point demeurer dans les terres des barons' .
Le parlement ne connaissait point de ran<j; il atteignait les
nobles aussi bien que les roturiers; en 1312 on vit la dame de
Brionne, accusée d'avoir donné asile à des bannis, arrêtée par
ordre de la cour et détenue dans les prisons du Cliàtelel jus-
(]u'à ce que son innocence eut été reconnue.
De leur côté , les seigneurs suscitaient des entraves à Fexer-
cice légitime de la juridiction royale; ils jetaient en prison
ceux qui appelaient au roi de leurs sentences , mais cela ne
leur réussit pas avec Pbilippe le Bel : le duc de Bretagne en
fit l'expérience. Le parlement lui ordonna d'envoyer à Paris
son sénéchal et ses suppôts coupables d'avoir emprisonné un
appelant \ afin que la cour leur infligeât le châtiment qu'ils
méritaient.
Philippe porta un coup aux justices seigneuriales en défen-
dant aux ecclésiastiques de remplir les fonctions de juges. Cette
or(h)nnance était dirigée plutôt contre la noblesse que contre
le clergé; car le roi, qui connaissait les lumières des clercs,
continua de les admettre à son parlement , où ils restèrent
jusqu'à la Révolution*. M. Alichelet avait oublié les conseillers
clercs du parlement, quand il a prétendu que Philippe le Bel
avait expulsé les ecclésiastiques de sa cour ^.
C'était une prérogative chère <à la noblesse que le droit de
guerre privée, qui avait son origine dans la barbarie germa-
nique. Une rixe entre gentilsliommes et même de simples
menaces suffisaient pour donner naissance à une de ces que-
relles qui décimaient les familles nobles et désolaient des pro-
' a Hoc pcrpctuo prohibcnius cdiclo ne subditos vcl justiciabilcs prcla-
toniiii aiit baroiuim in allam causam coram nostris officialibus nisi in casu
ressorti vcl casu alio ad nos pcrlinenlc. i Ord., t. I, p. 362. Voyez aussi
l'ordonnance eu faveur des barons d'Auvergne, mars 1304-1305. Ord., t. I,
p. 405.
- Oliin, t. III, p. 757.
a Olim, f. III, p. 857 fanno 1313).
4 Ord., t. 1, p. 316 et 317.
5 Micliclet, Histoire de France, t. V, p. 371.
LIVRE TROISIÈME. — DE LA FÉODALITÉ. 47
vinces entières. Les parents étaient tenus de prendre parti
pour leurs parents : chacun entraînait ses vassaux et ses
tenanciers'. La royauté, pour atténuer ce qu'elle ne pouvait
empêcher, établit que les parents ne seraient obligés de
prendre part à la vengeance de leurs proches que quarante
jours après le fait qui avait donné naissance à la guerre, pourvu
qu'ils n'eussent pas été témoins de ce fait. Ce délai reçut le
nom de quarantaine-lc-roi.
Pendant la quarantaine, il y avait trêve. On a souvent con-
fondu , même au moyen âge, la trêve avec l'asseurement : il y
avait cette différence que la trêve était temporaire et l'asseu-
rement perpétuel'. La partie la plus faible était en droit de
requérir son adversaire, de lui promettre de ne pas l'attaquer.
La trêve ne pouvait être invoquée que par les nobles; l'asseu-
rement par les nobles, les roturiers et les églises ^ L'asseu-
rement devait être demandé par les intéressés ; le roi ou les
hauts justiciers étaient en droit d'imposer la trêve à leurs
vassaux. Sous Philippe le Bel, les agents royaux abusèrent,
au profit de la paix et de l'ordre, de la faculté d'imposer des
trêves que, dans le langage ordinaire, on appelait aussi asseure-
ment, parce que l'une des parties assurait l'autre de ne point
l'attaquer*. Dès qu'ils apprenaient que quelque mésintelligence
s'était élevée entre deux seigneurs, ils requéraient l'asseure-
ment et prévenaient ainsi les guerres privées. Ce fut un des
griefs de la noblesse de Bourgogne contre Philippe le Bel ,
encore ne niait-elle pas le droit du roi , mais elle prétendait
que les baillis ne devaient exiger l'asseurement que lorsque des
1 Bcaumanoir, cliap. lix, t. II, p. 354, de l'cdit. de M. le comte Beiignot.
— Voyez aussi la belle dissertation (XXIX*^) du Joinville de Ducange : a Des
guerres privées et du droit de guerre par coutume d , p. 330 et siiii . — Le
droit de vengeance privée subsista longtemps : voyez, en 1324, un accord
entre Thierri de !Mauni et Erard et Boucbard de Jlontmorcnci au sujet du
meurtre du père dudit Mauni, tué par ordre du maréchal de Mirepoix. Trésor
des chartes, .1. 163, n° 96.
- Deaumanoir, t. II , p. 360. « II y a grant différence entre trêve et
asseuremcnt, car trêves sunt à terme et asseuremcnt dure à toz jors »
•^ Beaumanoir, t. I, p. 370.
^ Asseuremcnt donné par Jean de Chalon, sire d'Arlai, et plusieurs seigneurs
de Franche-Comté, or. Trésor des chartes , J. 152, n" 19 (mai 1301).
48 LA KRAXCK SOIS PHIMITR LE BEL.
menaces piihrKjiios avaient été proférées. Tout absolu qu'il
était, IMiilippc le Itel se voyait souvent dans rohlijpilion de
ménajjer des vassaux puissants et de prévenir des querelles, que
leur coïncidence avec des guerres élranjjères auraient rendues
dangereuses pour l'Etat. Le comte de Soissons avait enlevé et
épousé la fille du sire de Dargies, fiancée à Auhert d'Hanyest,
fils d'un favori du roi. C'était un raj»t condamné par les
canons, et cependant Phil'qipc sup])lia Clément V de confirmer
ce mariage, qui était presque adultérin, pour empèclier la
guerre qui allait éclater entre la famille d'Hangest et le comte
de Soissons. Le roi faisait au pape, dans une lettre confiden-
tielle, l'aveu de son ini[)uissance. '■■■ D'après la coutume de
notre royaume , disait-il , laquelle ne peut être facilement
abolie, il est permis aux gentilsliommes , surtout à ceux de la
j)rovinc{' de Reims, de se faire la guerre et d'entraîner dans
leur parti leurs parents et leurs alliés, et même d'aller clier-
clier des auxiliaires en dehors du royaume. Il est à craindre
que les ennemis de l'État ne commettent des désordres en
France, sous prétexte de secourir un des deux partis '. » C'était
là un nouveau danger de ces luttes intestines entre la noblesse.
Philippe profita des guerres extérieures pour défendre les
guerres privées, mais ces prohibitions étaient temporaires. A
la paix, chacun était libre de reprendre ses querelles *. La
première défense de ce genre est de l'an 1290 \ En 1304, le
roi alla plus loin, il rendit, de l'avis de ses prélats et barons,
et à l'instar de saint Louis, un édit général portant interdiction
1 ^ Xain ciim de rogiii coiisnctiulinc que commodo lolli non potpst , nobi-
libus viris et prccipiie illis qui siint de Rcmonsi provincia liceat jjiicrrain ad
inviccni faccrc lain ox sibi attinontibus consanjjninitatis vcl allinitalis viiiculo
(juani es aliis sibi conl'ederatis , qiiosque eonlcdcratos iindeciinKitic fiicrint in
rcgnuiii addiiccrc, etc. » liibl. iinp. , cart. 170, loi. 105 r" (sans date, mais
en 1308).
- On punissait pourtant avec sévcrilé ceux qui troublaient le.s sujets du
roi. Eu 1295, le comte de Foix fut condamné à .se rendre en terre sainte avec
(iix chevaliers et d'y demeurer deux ans, en réparation des violences dont
les sujets du roi avaient souffert. Or. Trésor des chartes, J. 333, n" 24.
•* On poiu-suivait avec rijjueur les désordres commis par la noblesse : voyez
le procès intente au sire de Berycrac pour guerre privée , 1299. Olim, t. III,
p. 46, 47.
LIVRE TROISIKlIi:. — DE LA FKODALÎTl';. 49
absolue pour l'avenir des guerres, homicides, meurtres, agres-
sions de paysans et laboureurs, par (pii que ce fût, dans loules
les parties du royaume. Les transgresseurs de cet ordre devaient
être poursuivis comme perturbateurs de la paix publique, et
punis, nonobstant toute coutume ou plutôt tout ohus contraire
qui pouvait exister dans certaines provinces, contrairement
aux bonnes mœurs, à l'intérêt et au bon gouvernement de la
noblesse, ainsi qu'à toute justice '.
Cette ordonnance fut exécutée pendant quelque temps, car
en 1308 et en 1312 des poursuites furent intentées contre des
chevaliers qui s'étaient battus ou même s'étaient bornés à faire
des préparatifs de guerre l'un contre l'autre , au mépris de
l'établissement du roi^. Les défenses de port d'armes, faites
sous saint Louis, furent renouvelées ^ En 1308, le roi écrivait
à l'archevêque de Lyon pour lui recommander de faire exé-
cuter l'ordonnance qu'il avait rendue à ce sujet *, et par
laquelle « tout portement d'armes « , sans la permission du
roi , était défendu par tout le royaume. Il écrivit au bailli de
Sens : « Pour ce que nous voulons que nos subjez soient et
vivent en paiz souz nous, faisons défense aux baillis de souffrir
en leur baillie que gcnz d'armes, de quelconque autorité ou
estât, entrent en armes ou fassent assemblée de gens d'armes,
nous voulons et mandons que preignés leurs cors et metés en
noslre prison leur chevaux et leur harnoi et tous leur autres
biens; et s'il advenoit que aucuns voussissent estre rebelles et
sur ce ne voussissent obéir, nous te mandons et commandons,
si estroitement comme nous poons plus, que tous féauz et
subgiez et toutes communes et universités de villes que tu
pourras plus prestement avoir, appelés et menés avec toy le
plus efforcément que tu pouras, et faces que les dits rebelles
t'obéissent ; et que nostre honneur i soit sauve et gardé. »
C'était là un langage ferme et digne d'un prince qui voulait
1 9 janvier 1303-1305. Ord., t. I, p. 390.
- Coquille, Histoire du Xiceniais, p. 122. An 1308.
3 Beaumanoir, t. I, p. 421. Olim . t. II, p. 104, n" 23, et p. 105, ii" 26.
Ces deux derniers arrêts prouvent que le parlement tenait la main à l'cxécu-
tioa des ordonnances contre le port d'armes.
^ Trésor des chartes, Rcg. XLI , n° 33. 21 novembre 130S.
4
50 LA FRAXCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
empêcher de misérables querelles de nobles de compromettre
le repos de son peuple. Quelle vigueur! ceux qui refuseront
d'obéir, le bailli rassemblera les communes et leur courra sus.
Les bourgeois et les paysans, marchant sous la bannière royale
contre les seigneurs '! En décembre 1311, les guerres privées
furent de nouveau interdites d'une manière absolue*; on était
alors en pleine paix; mais cette heureuse paix, qui aurait été
si féconde, ne dura pas longtemps : les Flamands se révol-
tèrent de nouveau; les embarras de la guerre étrangère vinrent
se compliquer des prétentions de la noblesse, qui l'eprit courage.
On avait besoin d'elle pour combattre l'ennemi, elle reven-
diqua ses prérogatives. Les guerres privées recommencèrent,
et le roi n'osa pas les interdire entièrement. Il se contenta de
les suspendre tant que durerait la guerre contre les Flamands'.
Philippe qui cherchait à éteindre les guerres privées, prenait
toutes les mesures qui pouvaient concourir à amener ce
résultat; il était indispensable d'abolir plusieurs usages qui se
rapprochaient du droit de guerre, je veux dire les tournois et
le duel judiciaire.
Les tournois avaient entre autres inconvénients celui d'en-
tretenir dans la noblesse le goût des querelles. Philippe les
défendit d'abord pendant la guerre (septembre 1293*), Tous-
saint 1*20(3% 5 octobre 1304°, janvier % avril et septembre
1305 % décembre 1312°, 29 juillet '" et 5 octobre 13U ". Il
déployait une grande sévérité dans la répression de ces jeux,
* Mand. au bailli de Sens, 21 novembre 1308. Trésor des chartes,
Rcg. XLI, pièce oO.
- Ducaii;{c, Xotes sur Joinville , p. 345.
^ Ordonnance An 29 juillet 1314 : ^ Gomme plusieurs personnes s'cstoient
avancées de faire la guerre entre eux. s Ord., t. I , p. 538.
4 Bibl. inip., coll. Doat . t. LXI , p. 36.
5 Ord., t. I, p. 328.
6 Ordre d'arrêter ceux qui se rendent aux tournois et de ne les relâcher
qu'avec la permission du r^i. Ord., t. I, p. 420.
7 Au bailli d'Auge, dimanclie après l'Epiphanie 1304-1305. Ord., t. 1,
p. 221.
s Ord., p. 426 et 435.
9 Ord., p. 509.
10 Ord.. p. 538.
11 Ord.. p. 539.
LIVRE TROISIÈAIE. — DE LA FEODALITE. 51
« à cause de la grant destruction et mortalité de chevaux, et
aucune fois de personnes qui par les tournoyemens et les
joustcs sont avcnuz souvent en nostre royaume. " Il ajoutait
que l'Église de Rome avait menacé d'excommunication ceux
qui prendraient part à ces jeux* sanglants. « Quiconque con-
treviendra soit condampné, sans autre jugement attendre, à
tenir son corps à^nostre prison fermée, là où nous le voudrons
envoier, par l'espace de un an tout entier, et sans récréance
avoir; et que la meilleure de toutes les maisons que il aura
soit abatue tout et arrasée '«. Les maires, éclievins , prévôts
et autres justiciers avaient ordre de saisir ceux qui se ren-
draient au tournoi : il était défendu à tous, sous peine de
perdre corps et biens, de leur donner gîte, vivres et chevaux ;
aux marchands de leur vendre armures et harnois, sous peine
de confiscation ^ Le roi obtint, en 1313, du pape Clément V,
une bulle qui défendait les tournois^ : il alla plus loin, il
invita les souverains voisins à ne pas permettre aux chevaliers
français de venir faire des joutes sur leur territoire *.
Une coutume encore plus barbare et qui était commune à
toutes les classes de la société, c'était le duel judiciaire. Le
duel comme moyen de preuve avait été admis par la jurispru-
dence; l'Eglise elle-même faisait combattre des champions
pour soutenir ses droits. Quand une cause, même civile,
mettait en défaut la sagacité des juges, ou que la preuve testi-
moniale manquait , ou que l'une des parties ne voulait pas
l'admettre, on appelait au jugement de Dieu.
Saint I>ouis abolit le duel dans ses domaines ' : il tint, tant
qu'il vécut, la main à l'exécution de cette ordonnance"; mais
après sa mort les combats judiciaires furent rétablis; toutefois
1 Ord., t. I, p. 539, 540.
2 Ord., t. I, p. 225 (janvier 1305).
3 Reg. XXXIV du Trésor des chartes, fol. 52 v".
* Lettres aux comtes de Hainaut, de Luxembourg, de Brabant, aux évê-
ques de Cambrai et de Liège. 10 janvier 1302-1303. Trésor des chartes,
Reg. XXXVI, fol. 24.
5 Ord., t. I, p. 87 (en 1260).
^ En dehors du domaine royal les duels avaient lien. Voyez Duel entre
Jourdain et Isarn de l'Ile decant le viguier de Toulouse, la veille de Noël 1269.
Joursanvaut, t. II, p. 49.
4.
52 LA KllAXCK SOIS l'MllJi'I'K LK REL.
ils devinrent moins fréquents et furent à peu près exclusive-
ment réservés aux nobles. En 1203, il y eut un combat sin-
gulier à (îisors, en présence du roi, entre le comte de Foix
et le comte d'Armagnac, (]ui s'accusaient niulucllemenl de
trahison. Pliilippc n'avait pu leur refuser le duel, mais il
les fit séparer', selon Girard de Fracbet : suivant Xangis ,
le combat fut indécis'. Ce que dit Girard est plus vraisem-
blable. La haine des deux comtes était si forte, qu'ils ne
renoncèrent jamais à vider leur injure par les armes. Kn 1301.),
ils combattirent de nouveau devant le sénéchal de Toulouse,
mais le roi les fit encore séparera Clément V supplia Philippe
de ne jamais permettre ce duel comme odieux au Très-Haut *.
Le roi donna de nouvelles preuves de ses sentiments à ce sujet,
en faisant séparer à deux reprises dans le champ clos, le sire
d'Harcouri et le chambeiian (h- Tancarville, dont l'inimitié ne
le cédait pas à celle du comte de Foix et du comte d'Arma-
gnac \ Les interdictions des guerres privées avaient toujours
été accompagnées de celles des duels; mais en 13()() Philippe
les leva, du moins parliellcmcnt , en rétablissant le combat
singulier, comme moyen de preuve en matière criminelle. En
effet, plusieurs >t malfaiteurs s'advançoient par la l'orce de leurs
corps et faux engins à faire homicides, traiiisons et autres
maléfices, griefs et excès, pour ce que, quand ils les avoient
faits couvertcment et en repost , ils ne pouvoient être con-
vaincus par tesmoins : dont par ainsi , le maléfice deraeuroit
impuni. Pour oler aux mauvais dessus dits toute cause de mal
faire « , il fut ordonné " que là où il aperra évidemment homi-
cide, trahison ou autres griefs, violences ou maléfices, excepté
larrecin, par (juoy peine de mort s'en deust ensuivir, secrète-
' Clirnn. G. de Frachclo. Historiens de France, 1. XXI, p. 11.
- Ibidem, note <- Xoiitro fuit aUribiita littnria " .
•^ Cart. 170, foi. 170. « Tholoso pro ordinando duclio coram sencscallo
tuo inviccm conveneriint, scd de maiidato tiio tune eisdem interdicto duclio
usque ad ccrti temporis spacium pro duello consumraando personaliter
accediint Parisius, etc. »
'* Cart. 170, fol. 170; et Trésor des chartes , Re;j. XXXIV. c Celsitiidinem
regiam rogamus qnatiuiis duclliim ipsi-.in ut pote odiosum.Altissimo aliquatenus
fieri non permittas. m non. dcccniliris aniio m. »
"'' Historiens de France, t. XXI, p. 634, c. f.
LIVRK TROISimiE. — DE LA FÉODALITÉ. .Vî
mont ou en rcpost, si quo cpluy qui l'auroit fait ne peust estre
convaincu par tesmoins, ou autre manière suffisante, celuy ou
ceux qui par indices ou par présomptions seml)lables à vérité,
pour avoir ce fait soient de tels faits soupçonnez, appelés et
citez à gaiger de bataille '. ■.■>
Une longue instruction précisa les cas où le duel était permis
et régla les formalités du combat.
Il fallait que le crime fût notoire et qu'il ne put pas être
prouvé par les voies ordinaires ; le vol avec violence (larrecin)
n'admettait jamais la preuve par gage de bataille : l'intention
du législateur était uniquement de donner satisfaction aux
membres de la noblesse dont les parents avaient été assassinés
dans un guet-apens, ce qui arrivait fréquemment. Permettre
le duel dans de pareilles circonstances, c'était prévenir des que-
relles interminables entre les familles, en mettant aux prises,
sous la surveillance des agents royaux , des liommes dont l'un
regardait comme son devoir de laver dans le sang de son
adversaire l'injure qu'il en avait reçue. .
Le juge ajournait le prévenu, sur la réquisition du deman-
deur; l'avocat (lu plaignant exposait son propos, et concluait
à ce ([ue, si le défendeur avouait les clioses proposées être
vraies, il fût condamné avoir forfait et confisqué corps et biens,
et estre puni de telle peine, comme droit, coutume et la
matière le requéraient. Si l'appelé niait, l'appelant déclarait
qu'il n'avait d'autre moyen de j)rcuve que par son corps contre
le sien, ou par son avoué en cbamp clos, comme gentilbomme
et prud'bomme doit faire, en piésence du roi, comme juge et
prince souverain; et alors il jetait sou gage de bataille, ordi-
nairement sou gant. Il demandait, s'il y avait lieu, la faculté
de se faire remplacer par un avoué, " pourvu qu'il eût léale
essoine de son corps. -.■> Le défendeur déclarait c; que le deman-
deur avait faulsement et mauvaisemcnt mentis -^ et annonçait
vouloir se défendre et à l'aide de Dieu et de \olre-Dame « , et
il relevait le gage de bataille. Les deux parties juraient de
comparaitre au jour que le juge leur assignait, et donnaient
<^aution.
1 Ord., t. I, p. 438 (mercredi après la Trinité 1306).
54 LA FUAXCK SOLS PHILIITE LE BEL.
Une ancienne coutume prescrivait aux combattants de com-
battre dans l'étaî où ils étaient entrés dans le cliamp clos :
celui qui avait à ce moment la visii'ie de son cas(jiio levée
ne pouvait la baisser. Philippe abolit celte coutume, qui lui
sembla « aucunement ennuyeuse " et décida qu'ils pourraient
entrer dans le champ clos visière levée et faire porter de-
vant eux leur écu , leur glaive et autres armes. D'après
l'usage, l'appelant devait se présenter dans la lice le premier
et avant midi; l'appelé à l'heure de noue seulement. Le juge
reçut la faculté de retarder ou d'avancer l'Iieure, selon la
disposition du temps. Les combattants, pour faire connaître
qu'ils étaient vrais chrétiens, >t portoient crucifix ou bannières
où estoient portraits nostre Seigneur, nostre Dame, ou les
anges, ou saints ou saintes. « Ils étaient accompagnés de
leur conseil , composé d'amis qui les assistaient dans cette
épreuve décisive.
Les bérauts d'armes ordonnaient , de par le roi , aux assis-
tants de s'asseoir sur les bancs ou par terre, afin que chacun
pût voir les combattants, ce sous peine du poing, et de ne
faire aucun signe, aucun geste, sous peine de corps et d'avoir.
On procédait ensuite au serment. L'appelant et l'appelé étaient
successivement conduits en face d'un crucifix, devant lequel
ils s'agenouillaient; un prêtre leur disait : «Sire chevalier,
véez icy la remembrance de notre seigneur et rédempteur Jésus-
Christ, laquelle est très-vraye. Or lui requérez mercy et priez-le
que à ce jour vous veuille aider, se bon droit avez; car il est
le souverain juge. Souviegné vous des serments que vous ferez,
ou autrement vostre ame, vostre honneur et vous estes en
péril. « Après avoir juré séparément et attesté leur bon droit,
on les conduisait tous deux ensemble devant le crucifix; le
maréchal du camp leur était leurs gantelets et leur faisait poser
la main droite sur la croix. Le prêtre les conjurait de nouveau
de réfléchir à ce qu'ils allaient faire, de consulter leur bon
droit et de se mettre à la merci du roi.
S'ils juraient de nouveau, on les conduisait à leur lente, on
les armait, ils montaient à cheval, leurs conseillers se reti-
raient après leur avoir laissé une bouteille de vin, un pain et
une touaillc ou serviette. Le maréchal criait trois fois : Laissez
LIVRE TROISIÈME. — DE LA FEODALITE. 55
aller! et le combat commençait ; il pouvait durer jusqu'au soleil
couchant '.
En 1307, Philippe ordonna de ronioyer au parlement les
causes où le duel paraîtrait devoir être autorisé^.
En IBM, une ordonnance défendit « que nul ne reçût de
gage de bataille, et que ceux qui seroient reçus seroient tenus
en souspens tant que la guerre dureroit ^ y. . Philippe montra
du discernement en ne défendant pas absolument le duel; il
fit, il est vrai, en le rétablissant, une concession aux mœurs
de la noblesse, mais il le restreignit aux causes criminelles et
l'entoura de formalités et de difficultés*.
CHAPITRE DEUXIEAIE.
DES ANOBLISSEMEXTS.
Lettres d'anoblissement direct données par le roi. — Chevaliers es lois. —
Comment nn fief était-il abrégé. — Origine du droit de franc-fiof.
Le premier anoblissement date de Philippe IIÏ qui anoblit
son orfèvre*. Les feudataires voulurent imiter cet exemple,
mais le parlement les en empêcha et posa en principe que
tout anoblissement devait émaner du prince \ On vit sous ce
règne des affranchis agrégés au corps de la noblesse mili-
taire \ Alors paraissent pour la première fois ces chevaliers es
* Onl., i. i, p. 435; et Cérémonies des gages de bataille seloJi les
institutions du bon roi Philippe, représentées en on::=e figures. Paris, 1830.
Crapelet.
2 Ord., i. XII, p. 367 (i^^ mai 130T).
3 Ord., t. I, p. 538 (29 juillet 1314).
4 Voyez, en 1308, une confiscation des biens d'un chevalier à cause d'un
duel. Trésor des chartes, Rcg. XLI, n» 3. —Autre en 1309. Reg. XLV, no36.
5 Isambci't, Anciennes lois, t. II, p. 645.
6 Olim, t. Il, p. J06 (en 12S0).
" Trésor des chartes, J. 1024, n'' 47. Anoblissement de Jean de Taille-
fontaine, en 1295. Il lui fut permis d'acquérir des fiefs nobles, de jouir des
privilèges de la noblesse militaire nonobstant tout usage contraire, et de
porter le ceinturon des chevaliers.
56 LA FRAXCE SOLS PHILIPPIN LE BEL.
lois qui jouent un si grand rôle dans l'histoire du progrès de
la royauté. Los clievalicrs (-s lois n'étaient point différents des
autres clievaliers. On appelait ainsi ceux «pii avaient été créés
chevaliers sans avoir porté les armes. Philippe le IJcd donna la
nohlesse à tout son entourage roturier, et la noblesse d'épée se
vengea de ces légistes, hommes nouveaux, en leur donnant par
dérision le nom de chevaliers es lois.
On rapporte à l'année 1312 la première poursuite connue,
dirigée contre les usurpateurs de la noblesse '. J'ai découvert
une enquête faite en 1285 pour savoir si un nommé Gilles de
Compiègne était gentilhomme. Les recherches de noblesse
doivent même remonter plus haut '. Le parlement déclara tout
roturier inhabile à recevoir et à porter la ceinture militaire.
Les non-nobles qui achetaient des fiefs militaires n'étaient
donc pas en état de remplir les obligations qui y étaient atta-
chées ^. Le fief était alors ahrcgc; et non-seulement le seigneur
immédiat éprouvait un préjudice, mais encore les seigneurs
supérieurs, en remontant jusqu'au roi. Les seigneurs ne con-
sentaient à l'achat de terres nobles par des roturiers que moyen-
nant le payement du droit de franc fief. Philippe le Bel, en
vertu de ce principe que l'abrègement d'un Oef était préjudi-
ciable à la couronne , exigea aussi des droits de franc fief ou
nouvel acquêt toutes les fois qu'entre l'acquéreur et le roi il
n'y avait pas trois seigneurs *.
En établissant ces taxes, Philippe ne voulait point empêcher
la bourgeoisie d'acquérir des terres nobles^; c'était tout bon-
nement une mesure fiscale qui retomba sur la noblesse, car
les (h-oits à payer par l'acquéreur diminuaient la valeur du fief
et par consé(pient le prix de vente. Le roi tint aussi à ce (jue
1 Olim, t. III, p. 793. u Innobilis milifia; sinf[iiliim assiiniprc non potcst. n
- « C'est l'oïKjiiostc que mesires Guillaiiiiic dou Cliarni, chevaliers le roy,
fist don tontmandcmeiit iiostrc seigneur le roy, à Toulouses le jeudi d'après
la qninzène de Pasques , à savoir se Giles de Compagne était gentishom. Ce
fu fait en l'an de grâce mil 11"= iiii" et v, à Toidouse i . Or. Trésor des
chartes, supplément, J. 1034, n" 49.
"^ Beaumanoir, chap. v, viii.
4 Ord., t. I, p. 324.
6 Vaissètc, t. IV, Preuves, col. 127.
LIVRE TROISIÈMK. — DE LA FÉODALITÉ. 57
les nobles ne convertissent pas leurs fiefs en censives ' . Au
reste, le droit de franc fief était exigible de toutes sortes de
fiefs, militaires ou soumis seulement à des redevances; toutefois
la somme à payer était plus- forte quand le service féodal était
interrompu.
CHAPITRE TROISIEME.
RÉVOLTE DE LA XOBLESSE.
.AITaiblisscnicnt de la noblesse par suite des confiscations. — Eile se plaint
de fiefs faits par le roi et de leur réunion au domaine. — Conséijuences féo-
dales de ces unions. — Le roi ne prêtait pas hommage. — l'Iaintes de la
noblesse. — Elle se révolte en 1314. — Lignes. — Essai d'établissement
d'une espèce de système représentatif. — La mort de Philippe le Bel ne
met pas fin aux ligues. — Triomphe momentané de la noblesse sous
Louis X. — Ses excès. — Réaction de Philippe le Long, aidé du tiers
état. — Pourquoi la noblesse française ne réussit pas à contrc-balancer la
royauté comme en Angleterre.
Une partie des biens nobles passèrent entre les mains de la
bourgeoisie. Les confiscations réunirent au domaine royal une
multitude de fiefs dont la possession donna au roi un pied dans
les terres des barons. La noblesse s'en plaignit. En 1303, au
milieu des désastres de la guerre, Pliilippe fut obligé de faire
droit à ses réclamations. Il promit de ne faire aucune acquisition
dans les fiefs des barons sans leur consentement : si le baron
refusait, le roi devait vider ses mains dans l'année, ou fournir
un homme capable de desservir le fief ^ Le roi prêtait hom-
mage en la personne d'un tiers pour les fiefs qu'il possédait.
Les acquisitions dans les fiefs des barons furent une des
causes de l'extension de la puissance royale, et elles furent
nombreuses sous Philippe le Bel.
Philippe le Bel porta une autre atteinte aux privilèges de la
1 Sauf approbation du roi, voyez en 1311 la confirmation de la conversion
en censive par le sire de Bourbon de la terre que Guillaume le Bourguignon,
de Fontainebleau , tenait de lui en fief. Reg. XLIT du Trésor des chartes ,
n° 159.
2 Ord., t. I, p. 358.
58 LA FIIAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
noblesse féodale en s'atlribuant le pouvoir de faire des pairs
de France. On sait que dans le principe il y avait douze pairs,
six laïques, les ducs de \ormandie, d'Aquitaine et do Bour-
gogne, et les comtes de Flandre, de Champagne et de Tou-
louse, et six ecclésiastiques, rarchcvèque de lîeims , et les
évéques do Laon, do Langres, de \oyon, de Chàlons-sur-AIarne
et de Beauvais. Par suite de la réunion de plusieurs pairies à
la couronne, il ne restait plus sous Philippe le Bol que trois
pairies laïques. Il en érigea trois nouvelles : celles do Bre-
tagne, d'Artois et d'Anjou, l'une avec le titre de duché, les
autres avec celui de comté '.
D'après la constitution féodale, les pairs n'étaient justicia-
bles que de leurs pairs. Je montrerai, quand je m'occuperai des
institutions judiciaires, comment Philippe le Bel attribua à sa
cour non-seulement la connaissance de certaines causes con-
cernant les pairs, mais encore le droit de décider les cas où
la cour des pairs était compétente.
Depuis très-longtemps il était passé en usage que les rois ne
rendaient jamais hommage en personne^. Le parlement ayant
confisqué les biens du comte de Nevers, fils aîné du comte de
Flandre, le roi désigna un chevalier pour rendre hommage en
son nom à l'évêque d'Auxerre, pour la terre de Donzy qui avait
appartenu au comte de iVevers; mais le prélat, s'appuyant sur
l'ordonnance de 1303, ne voulut pas agréer le chevalier qu'on
lui présentait. On lui intenta devant le parlement un procès
qui fut seulement terminé sous Louis le Hutin. L'évêque fut
obligé d'accepter le chevalier que le roi avait désigné pour le
représenter, mais on lui accorda une compensation pécuniaire'.
1 Erection du comté d'Anjou en pairie. Jlartcne, t. I, p. 300.
- Dacicr, Recherches sur l'usage où étaient les anciens rois de prêter
Iioriimage. Mém. de l'Acad. des viscripl. , t. L, p. 499. On faisait souvent
l)oninia{{e par procureurs, notamment, en 1292, le roi d'Angleterre pour
le Poiithieu. Rcg. XXXIV" du Trésor des chartes, n" 42. .
'■^ Olhn, t. IV, p. GIG, G17. On remarque dans l'arrêt ceUc plirase :
c Cum regcs Francic subditis suis homagium fp.cere nunquam fuerit consue-
tnm s. Le roi raclicta souvent aux seigneurs le droit que ceux-ci avaient
d'exiger de lui l'honunage pour certains liefs. Voyez le traité fait au mois de
septembre 1304 avec l'évêque du Puy, qui céda l'hommage du comté de
Bigorre moyennant une rente de 300 hires. Arch. de l'emp., J. 1024, n" 4.
LIVRE TROISIÈME. — DE LA FÉODALITÉ. 59
Ainsi, l'ordonnance de 1303 n'était plus qu'une lettre morte,
puisque les seigneurs n'avaient plus le droit de refuser le roi
pour vassal et de le contraindre de se dessaisir des fiefs nouvel-
lement acquis dans leurs domaines.
Philippe fit une guerre à mort à la noblesse : il l'attaqua
de tous côtés et avec des armes de toute sorte. Il voulut sur-
tout réprimer en elle cet esprit militaire et turbulent qui avait
fait sa force jusqu'alors : il lui interdit ses jeux les plus chers,
il voulut la rabaisser en lui ùtant le droit de ne pas se sou-
mettre aux formes ordinaires de la justice, en faisant appel à
son épée, soit dans les guerres privées, soit dans les combats
singuliers. Il poussa l'audace jusqu'à ordonner aux gens des
communes, ;i ces vilains jadis si méprisés, de lui courir sus
au nom du roi , quand elle oublierait le temps présent et se
permettrait quelqu'une de ces petites rencontres à main
armée qui faisaient ses délices dans les anciens temps. Il
ne se contenta pas de la dépouiller et de l'amoindrir, il pré-
tendit l'humilier en élevant jusqu'à elle, au moyen des anoblis-
sements , de petites gens qui ne savaient ce que c'était qu'une
épée, des avocats, des légistes, des boutiquiers enrichis, des
usuriers. Enfin la noblesse dépouillée, ruinée, humiliée, se
révolta en prenant pour prétexte l'établissement d'un impôt
général pour la guerre de Flandre (ISM).
Elle profita des leçons qu'on lui avait données, et s'appuya
sur le peuple. Elle forma dans chaque province des associations
où elle admit le tiers état et le clergé : le but avoué était de
forcer le roi à retirer les impôts qu'il venait d'établir illégale-
ment. Les associations des différentes provinces étaient reliées
entre elles pour la défense commune. Les nobles furent en
quelques jours prêts à repousser par la force les entreprises
de la couronne, tout en proclamant leur désir de rester dans
la légalité et en protestant de leur dévouement pour le roi.
Philippe fut obligé de céder et fit suspendre la perception des
impôts qui avaient provoqué cette tempête; mais le triomphe
des alliés n'amena pas la dissolution des ligues.
La noblesse voulait des garanties pour l'avenir : elle crut se
les assurer en essayant de constituer une sorte de système
représentatif permanent , au moyen duquel elle espérait con-
60 LA FRAXCE SOIS PHIUPPK LE CKL.
tenir la couronne; l'acte d'association des dilfércnts ordres du
ducliê de l{ourf|ofi[ne donne à cet égard des renseignements
du plus liant intérêt et ne j)erniet j)as de douter des intentions
de la noblesse française. Dans ce contrat, daté du mois de
novembre 1314, figurent, 1° les ])rincij)aux seignems, en leur
nom et au nom des autres nobles du pays; 2" les abbayes,
prieurés et cliapilres; 3" les communes d'Autun, de Cbalons,
de lieaune , de Dijon, de Cliàlillon, de Sémur, de Montbard,
de Saint-Jcan-de-Losne, de Flavigny, de Kuits et d'Avalon,
« pour nous et pour toutes les villes grans et pétilles dou
ducbaive de l;orgoigne '. v
Cliaque année, une grande assemblée devait se tenir à Dijon
le lendemain de la Quasimodo : les représentants des trois
ordres y prenaient les mesures propres à assurer l'indépen-
dance de la province ; on y nonnnait des gouverneurs placés
chacun à la tète d'une circonscription territoriale : on y élisait
une commission su])érienre composée de trois nobles , dont le
président jouissait d'un pouvoir presque absolu. Cette com-
mission, pendant l'intervalle des sessions, se mettait en rapport
avec les gouverneurs et veillait à ce qu'on ne portât pas
atteinte aux privilèges de la noblesse. Elle devait suitout
s'étudier à prévenir et à assoupir les querelles de seigneur à
seigneur, qui fournissaient aux officiers du roi un prétexte
pour intervenir et exercer leur autorité. Alais ce n'était pas
tout; les alliés avaient compris que la résistance pour être
efficace devait être collective, aussi établirent-ils une solidarité
entre les associations parliculières des différentes provinces.
Chaque association provinciale choisissait des députés qui for-
maient une commission centrale, où tout venait aboutir et qui
avait la haute direction. Ces commissaires étaient tous des
chevaliers.
Ce système si bien conçu s'écroula comme par enchantement
par la faute de raristocralic. Les nobles, comme plus tard les
auteurs de la Ugiic du Bien public, sous Louis XI, ne dési-
raient (ju'une chose, la restauration (\c Icuis privilèges et sur-
1 Bibl. imp., collcclion Diipiiy, vol. 758, fol. 3. Copie d'après l'original
conserve autrefois au Trésor des chartes, layette intitulée Ligues, actuelle-
ment eu (léticit.
LIVRE TROISIEME. — DE LA FÉODALITÉ. 61
tout le rétablissement du droit de guerre privée dont ils avaient
été dépouillés par PIiilipj)e lo Bel. Le bien du peuple n'était qu'un
prétexte pour obtenir l'appui du tiers état : il est ;i remarquer
qu'aucun des actes de ligue qui nous sont parvenus ne jen-
ferme l'adhésion l'ormelle du tiers état; soit que les communes
aient craint de se compromettre en laissant des traces écrites
de leur rébellion, soit plutôt que leur adhésion ait été, sinon
supposée, du moins exa;]érée par la noblesse, pour rendre sa
cause populaire. Philippe mourut sur ces entrefaites; les alliés
imposèrent à son successeur la reconnaissance de leurs droits,
les principaux seigneurs allèrent à Vincennes arrêter leurs
conditions; mais Louis X fît preuve d'habileté. Au lieu de
rédiger une charte générale applicable à tout le royaume, il
accorda des privilèges à chaque province en particulier, à la
Normandie, au Languedoc, au bailliage d'Amiens, à la (Cham-
pagne, à la Bourgogne, à l'Auvergne. Il céda, sauf ix revenir
plus tard sur ces concessions forcées '. Les ligues continuèrent
de subsister. Les alliés saisissaient tous les prétextes de faire
de l'opposition à la couronne : ils furent hostiles à la régence de
Philippe le Long^. Des princes du sang, entre autres Charles
de Valois, se mirent à la tète des mécontents ^ . Quand Philippe
le Long monta sur le trône, son premier soin fut de dissoudre
les ligues : il envoya dans les provinces des commissaires qui
réunirent les prélats et les barons et leur donnèrent les assu-
rances les plus fortes du désir du roi de respecter leurs privi-
lèges, notamment les chartes de Louis X; mais en retour ils
requirent les nobles de renoncer aux ligues qu'ils avaient
formées , sous prétexte d'obtenir le redressement de leurs
griefs. Ils firent envisager secrètement aux chefs le danger
qu'il y aurait à exciter des émotions populaires, d'autant plus
que le peuple aimait peu les nobles *. Les seigneurs furent
1 Ord.. t. I, p. 551, 120, 561, 573, 577, 581, 587 et 613. liL. t. XI,
p. 440.
- Jean (le Saint -Victor, dans Culiize, l'itœ paparum, t. I, p. 119,
année 1318.
■* Cont. Xangii, Historiens de France, t. XX, p. 617. Jean de Saint-Victor
assure la même chose de Robert d' .Artois.
^ Reg. LV du Trésor des chartes , fol. 1.
62 L.\ KR.AX'CE SOIS PIIILIPPR LE BEL.
invités à prêter serment de fitlclité au roi '. Les ligues étaient
la eontinuafion de celles qui avaicMit été faites contre Philippe
le liel. Pliilippe le Long le déclare expressément*; ce témoi-
gnage est confirmé par Geoffroi de Paris \ Il y avait donc de
la part des nobles un plan bien arrêté de tenir en haleine Ja
royauté et de limiter sa puissance : ils cherchaient encore,
en 1318, à troubler l'ordre et à contrarier le roi : ils aidèrent
Robert d'Artois à faire la guerre à la comlcsse Maliaut, à
laquelle un arrêt du parlement avait adjugé l'Artois, malgré les
prétentions de Robert ; ils donnèrent toutefois une preuve de
patriotisme en refusant de s'allier avec les Flamands , alors
ennemis de la France. Tout cela était accompagné de désordres
et de violences qui rappelaient les beaux jours de la féodalité.
Le peuple en fut la première victime ; il se plaignit et regretta
le temps où il payait des impots, mais où il était tranquille. Le
roi tira parti de ces dispositions favorables à la couronne, pour
réunir à Paris une assemblée de gens du tiers état. Les
députés se plaignirent de la malice d'hommes pervers qui
s'efforçaient de troubler la paix du royaume, et qui, envieux
du repos du peuple, se révoltaient contre le roi *. Ils deman-
dèrent à être autorisés à repousser eux-mêmes la force par
la force. C'était ce que souhaitait le roi. Il organisa mili-
tairement les bourgeois des villes, et les plaça sous le comman-
dement d'un capitaine nommé par lui. Ces capitaines étaient
eux-mêmes sous les ordres d'un capitaine général qui com-
mandait tout un bailliage : les armes étaient déposées dans
des arsenaux '\ En peu de temps Philippe eut une armée prête
à réprimer les tentatives d'insurrection de la noblesse. La
féodalité était vaincue : résultat bien différent de celui
qu'avaient obtenu les barons anglais sous Henri III et sous
Edouard I". C'est qu'en Angleterre les seigneurs firent cause
' Reg. LV, n" 7. Instructions à l'ovèquc d'Avranclies et à Jean de Gaillon,
Autres à Emcri de Gourdon et à Jean d'ArraLIai, 29 janvier 1316 (v. s.).
Ibid., n° 3.
2 Reg. LV, nM.
3 Dans les deux pièces, l'uno en latin. l'autre en français, sur les alliés.
Voyez de U'aiily, Mcm. sur (iej/'roij de Paris, p. 9 et 10.
'' Ord.. t. I, p. (i3() (20 avril 1317).
^ Ord., t. I, p. 035 (12 mars 1310, v. s.).
LIVRE TROiSIÉME. — DE LA FEODALITE. 63
commune avec la bourgeoisie et no se bornèrent pas à stipuler
la reconnaissance des privilèges de leur caste : ils comprirent
que les communes feraient toujours triompher le parti auquel
elles donneraient leur appui. En France, au contraire, les
nobles ne songeaient qu'à restaurer le passé ; ils parurent un
instant arrivés à leur but : ils obtinrent tout ce qu'ils deman-
dèrent; mais comme ils voulaient l'impossible, que leur
triomplie était à la fois la ruine de la royauté et du peuple , ils
rapprochèrent la couronne et le tiers état, dont l'union avait
èlè un instant compromise ; ils habituèrent le peuple à n'avoir
confiance que dans la royauté. C'est ainsi que l'œuvre de des-
truction de l'esprit féodal, audacieusement tentée par Philippe
le Bel, sortit intacte des épreuves qui semblaient devoir lui être
si funestes. Il y eut désormais en France une noblesse : il n'y
eut pas d'aristocratie.
LIVRE QUATRIEME.
DL CLERGÉ FRANÇAIS.
CHAPITRE PREMIER.
IXTERVEXTIOM DE LA ROYAUTÉ I)A\S LES AFFAIRES DE l'ÉGLISE.
Le clcr<]é scciilior iavorablc au roi ; le clcrjîé r('f|iilior dcvoiu- au papp. —
Les elrctinus d'évcMpics et d'abbr.s ne pruvout avoir lieu qu'avec l'aiitori-
satinu (lu roi. — Droit dr régale; en quoi consistait-il? — Abus du droit
de réffiile. — Droit de garde. — Le parlement connaît des excès commis
par des ecclésiastiques. — Défense aux églises d'ac([uérir des biens sans
la permission du roi. — Droit de main-morte. — Les religieux sont
contraints par le roi de porter Ibabit de leiir ojdre.
Le clergé de France était riche, nombreux et puissant. Il
avait (le magnifiques privilèges qu'il fut obligé de défendre
contre les deux grands pouvoirs dont il relevait, le pape et le
roi. Mais dans cette double lutte, il fut divisé d'intérêts comme
il l'était dans la hiérarchie; car il y avait deux clergés, le sécu-
lier et le régidier. Déjà depuis longtemps le clergé séculier,
quoique soumis de cœur au saint-siége, professait une cer-
taine indépendance compatible avec l'unité de la foi catho-
lique, indépendance dont les évéques étaient les promoteurs
et qui se manifesta d'une manière remarquable eu plusieurs
occasions.
Dès la fin du dixième siècle, le corps épiscopal faisait cause
commune avec la royauté. Cette alliance produisit les plus heu-
reux effets. Les prélats apportèrent au gouvernement royal les
règles d'une saine administration et lui offrirent des hommes
éclairés et fidèles; en échange ils reçurent protection à la fois
contre la féodalité militaire et contre les exig(Mices de Rome.
Les rois ne trouvèrent pas, sauf dans quelques abbayes de fon-
dation royale, le même dévouement dans le clergé régulier, dont
une partie avait été enlevée à la juridiction des évoques pour
LIVRE QLATRIKME. — DU CLERGÉ ERAXr.AIS. C5
être placée sous l'autorilê immédiate du saint-sicge '. Les
ordres mineurs surtout, qui obéissaient à des supérieurs
généraux élus souvent parmi des étrangers, ne reconnais-
saient de supérieur (pie le pape et ne pouvaient pas, à pro-
prement parler, être comptés parmi le clergé français. A la
tête de cette milice inféodée à la papauté était Cîteaux, dont
les opulentes abbayes et les innombrables prieurés couvraient
le nord de la France, qu'ils avaient fertilisé; car les Cister-
ciens regardaient le travail des mains comme le plus puis-
sant auxiliaire de la prière et un des meilleurs moyens d'ac-
quérir la perfection morale. Saint Louis eut une prédilection
pour les moines, particulièrement pour les prêcbeurs ou
dominicains, et se plut à ciioisir dans leur sein les exécuteurs
de ses volontés; mais Pbilippe le Bel revint à l'ancienne poli-
tique de ses ancêtres et prit exclusivement ses ministres et ses
agents parmi les membres du clergé séculier.
Les rapports du roi avec l'Eglise étaient fréquents; les élec-
tions des évêques et des abbés devant, sous peine de nullité,
être autorisées par le roi. Voici quelles étaient à la fin du
treizième siècle les limites de l'intervention royale en première
matière. On ne pouvait procéder à aucune élection canonique
sans la permission du souverain. On conserve au trésor des
chartes une centaine de demandes de ce genre adressées à
Philippe le Bel'. Le droit du roi de casser les choix faits sans
autorisation est formulé dans un arrêt du parlement de l'an
1.307 \ contre l'abbaye de Saint-Magloire; mais on usait rare-
ment de cette sévérité. Les élections irrégulières étaient con-
firmées moyennant finance. En 128(J, le chapitre de Clermont
paya mille livres tournois pour n'avoir pas fait précéder le
choix d'un évêque des formalités voulues*. En 121)4, Guil-
laume, élu évêque de Chalons, fut obligé d'engager le temporel
* Les monastères qui jouissaient de celte immunité étaient appelés exempts.
- Trésor des chartes, J. 435. — Voyez, entre autres, la demande des
moines de Saint-Pierre de Cliézy , en 1293, u" 98. — Sur l'antiquité de ce
droit, voyez les lettres \iv, \i\ et x\ de Sujjer, et le Mém. de Drial. Xour.
Mém. de l'Acad., t. VI, p. 500 et suiv.
3 Vreurcs des libertés de V lùjlise (jallîcane , t. I, p. 82.
'' Trésor des chartes. Or. J. 345 , no 87.
5
66 LA FRAXCE SOUS riIILIPPK Li: BKL.
de son évèchê et de proinellre de [layer rameiide (]ni lui
serait imposée, pour s'èlre fait élire à linsii du prinee '.
Les rois tenaient l'ortement à être prévenus des vacanees
des évêchés et des abbayes ])Our deux raisons : d'abord, ils
influaient sur les cboix à faire; en second lieu, ils exerçaient
la régale, c'est-à-dire qu'ils jouissaient de tous les biens et de
toutes les prérogatives attachés aux sièges vacants , et cela
tant (|ue le nouveau titulaire n'était pas installé '. Les biens en
régale étaient administrés comme domaines royaux , et la main
du roi n'était levée que lorsque le prélat élu avait été confirmé
en cour de Rome, si c'était un évêque ou un abbé d'un mo-
nastère exempt, ou que l'élection avait reçu l'approbation de
l'évêque diocésain, s'il s'agissait d'un abbé ordinaire \ Il y
avait deux régales, la temporelle et la spirituelle. L'une met-
tait le souvei'ain en possession des biens; l'autre du droit de
nomination aux bénéfices ecclésiastiques *. Elle n'existait pas
dans toute la France. Philippe le Bel fut obligé de reconnaître
que le Languedoc en était exempt.
L'administration du temporel des sièges vacants soulevait
de nombreuses plaintes par suite des abus qui s'y commettaient.
Philippe donna à plusieurs reprises satisfaction aii clergé sur
ce point. En 1303, il prescrivit aux commissaires ou gardiens
des régales de veiller à la conservation des biens qui leur
étaient confiés, et leur défendit d'abattre les bois de haute
futaie, de couper les taillis avant le temps et de détruire les
étangs. Ils devinrent responsables de leur gestion et durent
réparer les dommages qu'ils auraient causés et payer en outre
de fortes amendes '" . Ces menaces ne furent pas vaines; en exé-
cution de cette ordonnance, on traduisit devant le parlement
1 Trésor des chartes , .1. 347, n'' 102.
- Pas(iiii(>r , Recherches, 1. III, cli. \\\v. — Preuves des libertés de
l'Eglise gallicane , t. II , p. 98. — Brial , préface du t. XIV des Histoires de
France.
3 Voyez de noniljrciises demandes en mainlevée de la régale , Trésor des
chartes, J. 347, n"* 91 à 125.
^ Xomination par le roi d'un tlianoinc de Reims, en Icmps do régale.
Or. Trésor des chartes , J. 348, n" 18.
5 Ordonnance de février 1303. Ord., 1. I, p. 358.
LIVRE QUATRIÈME. — Dl CLERGÉ FR-AXCAIS. C7
plusieurs commissaires qui avaient attiré sur eux l'attention
par leurs déprédations '.
La régale ne s'appliquait qu'à certains évéchés et aux abbayes
fondées par les rois. Quand une église était menacée par quelque
seigneur", ce qui était fréquent, et qu'elle redoutait des vio-
lences, elle demandait la protection ou garde du roi, et elle
était dès lors traitée comme les abbayes royales. Les baillis
étaient chargés de veiller à leur sûreté et plaçaient auprès de
chacune d'elles un sergent qui défendait de leur nuire sous
peine de violer le ban du roi.
Le clergé donnait souvent lui-même de scandaleux exemples,
et plus d'une fois les rivalités monastiques enfantèrent des
rixes sanglantes^. Le parlement évoquait la connaissance des
désordres de ce genre, bien qu'ils fussent commis par des gens
d'église, mais les amendes auxquelles il condamnait les coupai)les
étaient bien douces en comparaison de celles dont il frappait les
nobles et les roturiers, pour des délits bien moins graves *.
La sauvegarde royale s'étendait à des églises situées en
dehors du domaine royal. En 121)2, Philippe le lîel accorda
à Charles de Valois la garde de toutes les églises et chapelles
des comtés d'Anjou et du Maine, excepté des églises cathé-
drales d'Angers et du Mans et de celles auxquelles on avait
donné le privilège de ne pouvoir être mises hors de la garde
du roi. Les églises placées sous la protection du monarque
avaient sur leur porte un bâton fleurdelisé, emblème du pouvoir,
ou bien des panonceaux ou drapeaux aux armes de France '\
Dès le treizième siècle, le droit de garde assimilait les églises
qui en jouissaient aux monastères de fondation royale °. Le roi
avait le droit, lors de son avènement, de nommer à une place
de moine ou de religieux dans chacun de ces monastères '.
1 Olim, t. II, p. 137. An 1304.
- Sur les violences tic la noblesse contre le cierge, voyez Olim, t. III,
p. 681, 683, 447, 5, etc.
■i Olim, t. III, p. 63 et 137.
'' Ibid., p. 315.
^ Or. Trésor des chartes, J. 178, n" 48, et Alartènc , Thésaurus, t. I,
col. 1244.
f* Olim, t. II, p. 54. — Supplément du Trésor des chartes, .J. 203, n" 15.
' Olim, t. II, p. 54.
5.
68 LA rKAXCK SOIS PHILIPPE LK BEL.
La sauvojjardc était (iii('l(|iipf()is accordée à perpétuité, [)liis
souvent encore pour un temps liuiité. Eu 1280, Guillaume de
Hangest, un des baillis de Cliampajjne, prit sous la [jiotection
du roi toutes les possessions du chapitre de Saint-Etienne de
Toul, situées sur la rive gauche de la Meuse, |)our trois ans '.
Chaque feu devait payer une redevance annuelle de douze
deniers. Ce traité fut renouvelé pour trois autres années par
Guiard de la Porte, hailli de Cliauniont ^ Enfin, en l^Ul,
Philippe le Bel accorda sa sauvegarde à l'église de Toul et à ses
propriétés, sa vie durant et aux mêmes conditions \ Le droit
de garde n'entraînait pas la régale.
La piété des fidèles et l'entrée dans les ordres religieux de
personnes riches augmentaient chaque jour les possessions
du clergé régulier : le douzième siècle s'était surtout distingué
par son ardeur à enrichir les églises, qui menacèrent d'ahsorher
la presque totalité du sol de la France. Il était urgent d'arrêter
ce développement extraordinaire des possessions territoriales
du clergé, qui avait plus d'un inconvénient.
Quand une église acquérait, soit par achat, soit par donation,
une propriété immobilière, elle était tenue de l'aliéner dans
l'an et jour, à moins que le seigneur dans le fief duquel le
bien acquis était situé ne lui donnât la permission de le con-
server, permission (ju'il n'accordait que moyennant finance.
En effet, dès qu'une terre entrait dans le domaine de l'Eglise,
elle devenait comme morte, et le seigneur dont elle jelevait se
voyait j)rivé des droits de mutation exigés ordinairement à la
mort du vassal ou lors du changement de propriétaire. Telle
fut l'origine du droit d'amortissement \
Philippe le Hardi posa en principe, en 1275, le droit du
roi de lever l'amortissement pour toutes les acquisitions faites
dans l'étendue du royaume ^.
Philippe le Bel fit faire à différentes reprises des recherches
1 Or. Trésor des chartes, J. 583, n" 1.
^lhicl..n'2.
a IbkL, n° 3.
* Laiiricrc, Traité du droit d'amortissement , in -12, et la préface du
t. I (les Ordonnances.
^ Ordonnances , t. I, p. 303,
LIVRE QUATRIÈME. — DU CLERGÉ FRAXÇAIS. G9
générales de lous les biens acquis par les églises, et ne les auto-
risa à les garder qu'en payant des sommes importantes '. En
1290, le roi prescrivit aux religieux de porter l'hahit ecclé-
siastique, chacun suivant sa règle, sous peine de ne pas être
admis à jouir des privilèges de leur ordre. Cet ordonnance était
dirigée principalement contre les templiers, dont la plupart
portaient le costume de la noblesse ".
CHAPITRE DEUXIEME.
LUTTE DU POUVOIR ROYAL COXTRE LA JUBIDICTIOX ECCLÉSL\STIQUE.
\aliirc de la juridiction rcclrsiastiqiio , à la fois spirituelle et temporelle. - —
Faieur méritée dont elle jouissait. — Sa compétence en matière person-
nelle. — Elle revendique le jugement des clercs criminels. — Plaintes de
la noblesse. — Philippe le Bel se sert de ce prétexte pour interdire aux
ecclésiastiques les fonctions civiles. — Compétence ratione materiœ. —
Elle s'étend à tout. — Tableau tracé par P. Dubois des envahissements
des officiaux des évèques. — Enquête faite en Languedoc sur les usurpa-
lions de la juridiction ecclésiastique sur la juridiction temporelle. —
Juridiction volontaire de l'Eglise. — Comment cette juridiction résida
presque exclusivement à la lin du treizième siècle entre les mains des
évèques. — Lutte entre les agents du roi et le clergé. — Excommunica-
tions. — L'appel comme d'abus en usage dès Philippe le Bel. — Inter-
vention du parlement en matière spirituelle. — Causes de la popularité
des tribunaux ecclésiastiques. — Le clergé impose la reconnaissance d'une
partie des droits qui lui étaient contestés en accordant des subsides au roi.
— Philippe le Bel consacre par des ordonnances les lois de l'Eglise contre
les blasphémateurs.
L'Eglise avait au moyen âge une doul)le juridiction : comme
possesseur de lîefs, elle rendait la justice à ses vassaux et à
ses tenanciers; mais elle avait une autre juridiction qui lui
était propre et ([ui lui appartenait en tant qu'Eglise, juridic-
tion à la fois spirituelle et temporelle, appartenant à Tévèque
ou à ses délégués, appelée cour de chrétienté. L'importance
du rôle joué par le clergé dans la société étendit considérahle-
' V^oycz notre chapitre intilidé : Recettes diverses.
- Ordonnances , t. I , p. 541.
70 LA FR.AXCE SOIS PHILIPPE LE REL.
ment les limilcs de code dornirre jiiiidiclion, (jiii a sa source
dans les premiers lemps du clirislianisine.
La juridiclion de l"l'];]Iise faisait eonciirrenec à la juridiction
séculière : Philippe le 15el s'efiTorça de la contenir dans de
justes limites. Avant de montrer quels moyens il employa ])our
arriver à ce but, je vais essayer de déterminer quelle était,
à l'avènement de ce prince, la compétence des tribunaux ecclé-
siastiques'. Cette compétence était universelle; elle s'exerçait
sur tous, soit à cause des personnes, soit à cause des objets
qui pouvaient donner naissance au litige.
En matière personnelle". — Entre clercs pour toute espèce
de procès; — entre clercs et laïques, si le clerc était défen-
deur, s'il s'agissait d'actions mobilières et personnelles, la
compétence de l'official était exclusive, même si l'engagement
dont l'exécution était contestée avait été contracté sous le sceau
du roi, c'est-à-dire si l'acte constitutif de cet engagement avait
été scellé par un des agents chargés d'apposer les sceaux qui,
dans chaque bailliage ou prévôté du domaine royal, étaient
destinés à donner de l'authenticité aux actes'.
En 1274, Philippe le Hardi avait déclaré contraire au droit
écrit que le laïque demandeur contre un clerc fût enlevé à la
juridiction séculière; cette décision s'appliquait seulement aux
causes réelles *.
En matière criminelle, les difficultés étaient grandes. Le
même prince statua qu'on devait s'en rapporter au droit écrit
pour savoir à qui, du seigneur justicier ou de l'évêque, appar-
tenait la punition des clercs homicides*. Par droit écrit, il ne
faut pas entendre, non plus que dans le texte cité plus haut,
le droit romain, mais les canons des conciles, les décrétales et
les concordats passés à différentes époques et dans diverses
provinces entre le pouvoir civil et l'autorité ecclésiastique; en
1 Giraud , Essai sur le droit, i. I, p. 224. — Pardessus, préface du
t. XXI dos Ordonnances des rois de France.
- OrdonnaïKc de li'vricr l^îOo. Ord., t. I, p. V02.
3 Ordonnanco de l'an J2U0. Ord., t. I, p. 318, cl 10 mars 1299, § 4,
ibid., p. 3V0.
^ Mercredi, veille de saint .André 1274. Ord., 1. I, p. 302, § 7.
s Ordonnance de J274. Ord., f. I, p. 302.
LIVRE QUATRIÈME. — DU CLERGÉ FRAXÇAIS. 71
un mot, tous les documents législatifs qu'on pouvait opposer à
la coutume qu'invoquait le clergé, coutume qui aurait légitime
ses prétentions.
En général, tout clerc accusé d'un crime était, après avoir
été dégradé, remis aux tribunaux séculiers pour subir le sup-
plice '. Cette immunité des clercs fut invoquée par Philippe le
Bel pour leur interdire les fonctions civiles ^
En matière réelle, la compétence des officialités était très-
étendue, surtout depuis qu'au commencement du treizième
siècle le pape Innocent III avait proclamé que l'Eglise, comme
juge du péché, avait le droit de juger toutes les actions humaines.
Les évêques prétendirent connaître toutes les conventions aux-
quelles on s'était engagé par serment, car celui qui manquait
à sa promesse commettait un péché ^ Ils étendirent leurs pré-
tentions jusqu'aux causes féodales, sous prétexte que le ser-
ment était la base des devoirs féodaux; mais cela leur fut for-
mellement interdit'', et ils y renoncèrent % mais les procès
relatifs au mariage et aux testaments leur demeurèrent.
Des savants ont cru que sous Philippe le Bel l'Eglise avait
cessé de connaître de l'exécution des contrats formés sous la foi
du serment "; on s'est appuyé sur le silence de Beaumanoir et
sur une ordonnance de l'an 1274 (lisez 1294), qui prescrit aux
magistrats royaux de ne pas souffrir que les bourgeois de
Lille soient traduits devant les officialités pour des affaires
temporelles'. J'ai trouvé de nombreuses preuves du contraire.
En 1294, l'évêque d'Uzès se plaignit de ce qu'on empêchait
ses offîciaux de connaître des contrats et des conventions pas-
sées sous le serment ou sous la garantie de la bonne foi. Le
procureur du roi de la sénéchaussée de Beaucaire, consulté sur
1 Bouquet, t. XV'III, p. 438. Transaction entre les barons et les évoques
de Normandie, fin du douzième siècle, et Ord., t. I, p. 39. (I'>tablisscments
de Philippe-Auguste.)
2 Ord., t. I, p. 316.
•^ Etablissements de saint Louis, 1. I, chap. i.xxxiv. Beaumanoir, t. XI,
p. 7 et 40.
'^ Ord., t. I, p. 140. Concordat sous Piiiiippc-.'\ugustc.
5 Concile de Mclun en 1225. Labbe , t. VII, p. 345.
<> Pardessus, préface du t. XXI des Ordonnances , p. CLXxxiii.
" Ord., t. XI, p. 376.
72 LA FR.AXCr: SOIS 1>HILIP1»K LE BLL.
l;i réalité dos griefs du prélat , ré[)oiulit (|iio les officiers royaux
ne nietlaieut pas obstacle à ce rpie les offieiaux connussent
des causes à raison du scrMicnl, mais qu'ils veillaient à ce
qu'à la faveur du spirituel on n'usurpât pas la juridiction tem-
porelle'. Cet exemple prouve, toutefois, que si le droit de
rÉglisc était reconnu, l'exercice de ce droit était entravé.
Les cours d'Kglise étaient exclusivement compétentes pour
les questions relatives aux dîmes dues au clergé, mais non à
celles qui étaient entre les mains des laïques, quand même elles
avaient appartenu à l'Eglise, ce qu'on appelait dîmes inféodées;
mais les dîmes données à cens ou à rentes par l'Kglise étaient
considérées connue dîmes ordinaires, et les questions qu'elles
soulevaient soumises à la juridiction ecclésiastique '.
Ceux qui se rendaient coiipahles d'usure devenaient justicia-
bles de l'Kglise, qui s'était arrogé le droit de faire jurer aux
marchands qu'ils ne prêteraient pas à usure ". Ce délit était
mi.rfi fo)i, c'est-à-dire que les usuriers étaient successivement
punis par la justice ordinaire, pour le délit, ensuite livrés aux
offieiaux pour expier le péché. Les canonistes soutenaient que
la cour d'Kglise était seule compétente, mais cela ne fut pas
admis. L'excommunication était prononcée contre les usuriers
endurcis.
Une des plus fortes peines infligées par l'Kglise était l'excom-
munication; mais elle n'exécutait pas elle-même ses sentences,
elle livrait les coupables au bras séculier. L'excommunication
entraînait des peines tempoielles : celui qui passait une année
entière dans l'anathème voyait ses biens saisis jusqu'à ce qu'il
eut été réconcilié. Philippe le Bel était prêt à lutter contre la
trop grande extension de la juridiction ecclésiastique, mais il
fut arrêté dans ses projets par les circonstances*. Les Kglises
de France lui accordèrent de fréquents subsides, et pour prix
1 .*\pii(l Mcsnard, Histoire de Nismes , t. I, IVcuvos, col. ll.S.
2 Ordonnances de 1290, § 14. Ord., f. I, p. 319; 5 mai 1302, ,^ 7,
ibid., p. 342. — (îrandc ordonnance de lévrier 1303; octobre 1313, ibid.,
p. 533.
"^ IJeaiinianoir, clinp. i.wiii. — l'jlabl., 1. I, cliap. i.xwn.
'' V.n février 1295, le roi défendit que les boiirjjeuis de Lille fussent mis
en cansc devant devant les juges d'Eglise pour affaires temporelles. Ord.,
t. XII, p. 376.
LIVRE QUATRIKAIE. — DU CLERGÉ FRANÇAIS. 73
(le ces concessions exigèrent la confirmation de leur juridiction
et (le leurs autres privilèges. Cette confirmation leur fut accor-
dée d'une manière générale dans la grande ordonnance de
1303', et séparément aux églises de Touraine en 121)7", de
Xormandie en 1300% de Languedoc en 1300* et en 1301%
aux provinces de Reims et Bourges en 1304 °, de Pieardie
en 1309 \ En 1290 le roi avait déclaré, à la prière des pré-
lats, que les biens nieubles des ecclésiasti(]ues vivant canoni-
(juement ne seraient pas justiciables des cours lanjucs*.
Diverses ordonnances du même rappelèrent aux agents
royaux (jue la punition des prêtres accusés de crimes capitaux
ne leur appartenait pas, mais (ju'il devait livrer les prévenus à
l'autorité ecclésiasti(jue; car, malgré les anciens concordais,
les prêtres criminels étaient jugés par les officiaux^ En 1302,
les évê(jues de Normandie se plaignirent de ce que les juges
séculiers voulaient punir les clercs : le roi consulta la coutume
générale du pays et y lut un article qui donna raison aux
évêqucs '°. Or, une transaction, passée en 1191 entre le clergé
et le sénéchal de Normandie, avait formellement attribué aux
cours laïques la punition des clercs qui commettraient un
crime capital. Le clergé normand avait donc réussi, dans
l'espace d'un siècle, à faire abolir les droits des juridictions
laïques sur les clercs, et à faire insérer dans la coutume que
les crimes qui, dans le droit commun, étaient punis par la
peine de mort ou la perte d'un membre, entraîneraient seule-
ment pour les clercs coupables le bannissement ".
« Ord.. t. I , p. 358.
2 Ihid., p. 381, 23 août 1295.
3 Ibid.. p. 338.
4 Ibid., p. 334, 335, 10 mars 1299.
5 /izW.. p. 340, 3 mai 1302.
6 Ibid.. p. 412, 15 juin 1304.
' Trésor des chartes, J. 1025, n" 4. — Ord., t. XII, p. 357, et t. I, p. 406.
8 .Icudi avant les Rameaux, 1308. Ord , t. I , p. 457. Il y est dit expres-
sément que CCS privilèges ont été accordé.s à raison de la subvention consentie
par le clergé.
9 Ordonnance de 1290. Ord.. t. I, p. 318.
"^ Mandement aux gens du roi eu Xormandic, 25 août 1312. Ord., t. I,
p. 348.
'* Ancienne coutume de Normandie , cliap. cxv.
74 LA FRAXCE SOLS l'IIILIPPE LE CEL.
Les offirialités se montraient peu sévu-res ])oiir les ;jens
créglise, et cela fit naître des scandales. A Ahbeville, en 1310,
un clerc accusé d'homicide ayant été absous par l'official, fui
hué par le peuple et poursuivi à coups de pierres '.
Les abus de la juridiction ecclésiastique attirèrent sou-
vent l'attention du gouvernement. Un liomme parlaitemenl
placé pour savoir ce qui se passait, puis(|u'il était avocat du
roi et chargé en cette qualité de surveiller les officialilés,
Pierre Dubois a fait un tableau peut-être un peu chargé, mais
instructif, des empiétements des cours ecclésiastiques*. En vain
les ordonnances avaient fixé des limites et imposé de justes
restrictions à leurs progrès toujours croissants, leurs envahis-
sements poursuivaient leur cours, et depuis saint Louis elles
avaient tellement gagné du terrain qu'elles enlevaient presque
toutes les actions personnelles aux justices du roi et (h^s sei-
gneurs. Sous Philippe le Bel, il était passé en coutume et
admis dans la jurisprudence qu'un laïque cité devant une cour
laïque, comme défendeur à une action personnelle, ])ouvait la
décliner quand le demandeur était un clerc, parce que ce
clerc, s'il avait été défendeur, aurait refusé de se soumettre à
la juridiction séculière". L'assemblée, convoquée en 1304 à
Aurillac pour voter un décime, déclarait (|ue, dans la province
de Bourges, l'Église avait depuis plus de trente ans le droit de
connaître des causes réelles et personnelles entre laïques *.
Malgré les promesses que l'octroi des décimes lui avait arra-
chées, Philippe faisait surveiller les cours de chrétienté. J'ai
sous les yeux une enquête faite dans le Languedoc, et oii l'on
trouve la preuve de l'existence dans le Midi des abus signalés
par Dubois en Normandie*. Ecoutons ce document, qui précise
les accusations :
a En matière personnelle, réelle et mixte, des laïques traînent
1 Olim. t. III, p. 542.
- firevis et compeiuliosa doctrina. Bibl. iinp., n" 6222. — Mèm. de l'Aca-
démie des iuscriptiuns , nouvelle série, t. WIII. Mèm. de M. de Wailly.
^ Brcvis doctrina, fol. 13 r°. — De Wailly, p. 2 (du tirajjc à part).
■* Or. Trésor des chartes , J. 1025, n" 4.
^ Trésor des chartes , rouleau original, J, 350, n" S. Xoticcs et extraits,
n» 10.
LIVRE QUATRIÈME. — DU CLERGÉ FRAXÇAIS. 75
des laïques devant les juges d'Église, même pour réclamer l'exé-
cution d'obligations pour lesquelles on n'avait pas prêté de ser-
ment, môme quand le laïque défendeur déclinait la compétence.
» Les officiaux forcent les notaires royaux à délivrer copie
aux parties des actes et instruments reçus par eux officiaux,
comme s'ils l'avaient été par les notaires, i?
Cet article concerne la juridiction volontaire des officialités.
Tous les actes relatifs aux mineurs étaient passés en double
devant un notaire royal et devant la cour de cbrétienté, et
munis du sceau de l'official. A la fin du treizième siècle, presque
tous les contrats qu'on rencontre dans les archives sont revêtus
de ce sceau; les sceaux des évoques de Normandie, qui ne rap-
portaient rien du temps de saint Louis, donnaient sous Phi-
lippe le Bel, tous frais faits, un revenu annuel de plus de vingt
mille livres '.
J'ai recherché les causes de cet accroissement extraordinaire
de la juridiction gracieuse des officialités, accroissement qui
s'explique difficilement au premier abord, car il est contem-
porain du développement de la juridiction volontaire du roi.
A partir de saint Louis, on institua auprès de chaque bailliage,
de chaque prévôté, des notaires royaux pour recevoir les con-
trats, et des gardes des sceaux pour les authentiquer par l'op-
position du sceau royal. Voici ce que j'ai constaté.
Dans la première moitié du treizième siècle, presque tous
les actes destinés à conserver le souvenir des transactions entre
particuliers étaient passés devant les curés, les doyens, les
officiaux d'archidiacre et les archidiacres eux-mêmes en bien
plus grand nombre que devant les officialités diocésaines, tandis
qu'à la fin du même siècle les actes que l'on trouve sont pres-
<]ue tous revêtus du sceau des officialités, et qu'on en trouve à
peine quelques-uns munis de sceaux d'ecclésiastiques d'un
rang moins élevé'. Il résulte de ce rapprochement qu'à la fin du
treizième siècle, c'était moins la juridiction volontaire de l'Eglise
qui s'était accrue que celle des évêques^ et cela au détriment
du clergé inférieur. En un mot, la juridiction volontaire résida
exclusivement entre les mains des évêques et de leurs délé-
1 Brcvis docfrina, fol. 14. — De Wailly, p. 18.
2 Arcli. de l'Emp., Collections des sceaux : Sceaux d' officialités.
76 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LU CHL.
gués, les ofOciaux; et comme on cxijjeait des droits pour l'ap-
posilion de sceaux, les évoques se créèrent par là un revenu
considéraldc.
Continuons l'exposé des griefs contenus dans l'enquête :
tt Les officiaux forcent les serjfcnts royaux à mettre à exécution
les sentences rendues dans les cours ecclésiasti(jiies en matière
séculière. — Ils forcent les |)révols à coutraiiuire, par la saisie
des biens et la prison, des laï(]ues excommuniés à se réconcilier
avec TK^lisc, quand ils sont restés excommuniés pendant
un an. "
Les Ktal)lissements de saint Louis permettaient de saisir les
biens de l'excommunié endurci, mais non de le tenir en pri-
son '. Les personnes frappées d'excommunication ne pouvaient
ester en justice*. En L302, l'bilippe le Bel déclara abrogée
une ordonnance de saint Louis établissant des peines contre
ceux qui resteraient excommuniés plus d'une année'.
u Ils contraignent, par voie d'excommunicalion, les laïques
à payer leurs dettes, et à acquitter les legs pies et non pies,
ainsi que les cens, bien que la plainte ait été portée au juge
séculier, et les créanciers laïques à rendre les instruments
constatant les dettes payées. — Ils ne veulent pas avertir trois
fois les clercs mariés ou adonnés à une profession manuelle de
prendre un genre de vie conforme aux canons, cela malgré les
ré(iuisitions multipliées des magistrats séculiers; loin de là, ils
les protègent. " L'enquête reproche aux prélats de donner la
tonsure à des hommes illettrés ou mariés , à des enfants intcl-
lectii carentcs , et même à des criminels, pour les soustraire
aux cliàtinnMits qu'ils avaient mérités. —
« Les prélats font des statuts dans des synodes au préjudice
du pouvoir temporel et sans son consentement, et les font
mettre à exécution. ••
Cet article montre que dès lors on agitait cette grave ques-
1 L. I , cliap. cwiii.
2 Maiuloinrnl au bailli do Tours, 1295. Ord., t. I, p. 332, ,? 4.
^ Vaissî-tc, t. 1\ , Vrmvcs , p. 120. — CcUr ordonnance, au dire de Plii-
lippc le Bel, commençait par le mot : Cnpienles. .loinville prétend que saint
Louis avait refusé aux évèqucs de porter une loi scmblahie, mais les Ktablissc-
ments sout d'accord avec Philippe le Bel pour constater l'existence de cette loi.
i.ivRf: qiatriî;mk. — i)i clergé français. 77
tion (lu droit qu'a le clergé de s'assembler et de faire des
règlements sans la permission du pouvoir laïque; mais rien ne
fut alors résolu à cet égard . I .es conciles provinciaux qui se tinrent
sous Philippe le Bel furent convoqués par les légats au nom du
pape '. Je ne parle pas de ces assemblées réunies par ordre du
roi et où le clergé votait des décimes : ce ne sont pas des con-
ciles proprement dits. Le roi reconnut que les légats pouvaient
entrer dans son royaume sans son autorisation '.
« Ils (les prélats) empêchent les ecclésiastiques de prendre
part aux contributions pu!)rK|ues, à raison des biens pour les-
quels les anciens possesseurs avaient coutume de payer l'impôt. «
Celle plainte était juste; aussi, malgré les protestations des
évéques, les clercs mariés et artisans furent contraints de
payer les tailles personnelles, et tous les ecclésiastiques les
impôts pour les biens qu'ils possédaient, soit par héritage, soit
par acquisition.
« Ils ne punissent pas suffisamment les clercs qui commettent
des crimes, bien qu'ils en soient convaincus : ils font en sorte
de supprimer les témoignages, et ils nuisent ainsi aux sei-
gneurs, auxquels les biens des condamnés reviennent par droit
de confiscation, d
u Les délégués du pape s'efforcent de connaître des causes
temporelles; ils traînent hors de leurs diocèses les laïques (jui
leur résistent, les excommunient, les lassent par toutes sortes
de dépenses et de vexations jusqu'à ce qu'ils cèdent, n
Dans les siècles précédents, les causes entre les églises et
les seigneurs étaient pres(|ue toujours jugées par des délégués
du pape; mais à partir du milieu du treizième siècle, ces
mêmes causes furent portées en grande partie au parlement.
Les églises elles-mêmes acquiescèrent à ce changement, car
elles trouvaient bonne justice à la cour du roi, où siégeaient un
grand nombre de prélats et d'ecclésiastiques. Philippe le Bel
• Convocation du concile de Paris, par le cardinal do Prcncstp, 22 juin
1296. Martènc, t. IV, p. 221 — Concile de Sens en 1292, réuni auctoritate
/ipostolica , au sujet d'un projet de croisade. Trésor des chartes, Reg. 28 B,
fol. 140.
- Voyez Juridiction ecclésiastique, par un docteur de Sorbonne, t. I,
p. 48. L'auteur (de Brczollcs), qui est un gallican, s'étonne de ce fait.
"78 LA FRA.VCE SOIS PHILIPPK LK BEL.
accorda qiio les causes dos picliits seraient directement j)ortées
au parlement, et leur donna la faculté d'y ])lai(ler par procu-
reur, tant en demandant qu'en dérendant, pcnirvu qu'ils com-
parussent en personne au commencement des causes où leur
présence serait nécessaire '.
Une autre enquête, faite en 1307 dans la province de Tours,
reproduit les faits constatés dans le document que je viens
d'analyser "'.
Les aj^ents royaux, surtout les procureurs du roi établis
dans les bailliages et les sénéchaussées, faisaient une rude
guerre aux officialités ; ils dénonçaient sans relâche les empié-
tements de la juridiction spirituelle sur la juridiction tempo-
relle ^ Ces obscurs légistes, peu bienveillants pour le clergé,
professant même des opinions hardies sur la discipline, pour-
suivaient avec acharnement l'extension de l'autorité royale et
l'affaiblissement des privilèges ecclésiastiques. Leur ardeur les
emportait quelquefois trop loin et les rendait injustes. Mais
leurs adversaires étaient puissants : les prélats pouvaient invo-
(juer l'usage, et ils avaient pour eux les laïques, qui se sou-
mettaient avec empressement à leur juridiction. Ils avaient dans
les mains l'excommunication, dont ils frappaient le juge séculier
assez téméraire pour vouloir leur disputer les justiciables, arme
d'autant plus terrible que l'excommunication était sans appel.
Le seul recours possible était au métropolitain ; mais ce der-
nier était juge dans sa propre cause ; il ne pouvait consacrer
l'amoindrissement de la juridiction ecclésiastique. L'appel au
pape n'existait même pas, car le pape n'accordait des juges que
dans certains cas déterminés, au nombre desquels n'étaient
pas ces abus d'origine récente*.
On a prétendu que ce fut seulement en 1329, sous Philippe
de Valois, qu'on put appeler au parlement des abus de l'auto-
rité ecclésiastique, et que cela fut établi dans ime assemblée
composée de légistes et de clercs, oii la supériorité des tribu-
1 Ord.. i. I, [). 319, § 1, an 1290.
~ Trésor des chartes , Or. J. 350, n° 47.
3 Voyez la réponse du procureur du roi aux plaintes de l'cièque d'Lzès,
dans Mcsnard, Histoire de Xismes, t. I, Preuves, p. 48.
'> Brevis dncirina, fol. 17. — De U'ailly, p. 21 et 22.
LIVRE QUATRIÈME. — DU CLERGÉ FRAXÇAIS. 79
naiix royaux sur les cours d'Eglise fut soutenue avec force par
l'avocat du roi, Pierre de Cugnières, qui fît adopter son opi-
nion. On trouve sous Philippe le Bel des preuves que le roi
n'acceptait pas toutes les décisions des tribunaux ecclésiasti-
ques. Quand les magistrats royaux saisissaient par ordre du
prince les biens d'un clerc coupable d'un délit quelconque, es
officiaux prétendaient que cette saisie était illégale, et excom-
muniaient ceux qui l'avaient prescrite ou exécutée. Quelle résis-
tance opposer? Dubois lui-même n'osait donner aucun conseil
au roi à ce sujet, ou du moins exprimer clairement sa pensée.
Il se contenta de donner à entendre qu'on devait braver l'ex-
communication en pareil cas '. Philippe le Bel suivit ce conseil:
Non-seulement on ne tiendra compte de ces censures injustes,
mais encore on procédera par des voies de rigueur contre ceux
qui les auront prononcées. Un arrêt du parlement déclara
que si les officiaux renvoyaient absous des clercs notoirement
coupables, le roi saisirait les biens de ces clercs, et que si les
juges d'Eglise lançaient l'excommunication contre les officiers
qui avaient ordonné la saisie, le temporel des juges d'Eglise
serait mis sous la main du roi. Le roi se faisait juge de la jus-
tice des excommunications, et en ordonnait la levée. On en a
la preuve dans ce qui se passa à Rouen en 12*J1. Le chapitre
de la cathédrale frappa d'excommunication le maire de la com-
mune par suite d'un conflit de juridiction entre la vilh; et le
chapitre. Le maire mourut dans l'anathème. Philippe le Bel
enjoiguit aux chanoines de lever l'excommunication et de per-
mettre que le défunt fût enterré en terre sainte'.
Le droit d'asile, qui avait été dans des temps plus anciens
un refuge contre l'oppression * , mais qui ne donnait plus lieu
qu'à des abus, fut restreint. Dans le Languedoc, malgré les
défenses des papes '' , le clergé donnait asile dans les églises
aux débiteurs qui s'y réfugiaient pour frustrer leurs créanciers.
1 Fol. 23.
2 Ctiéruel , Histoire de Rouen, t. I, p. 189.
^ Voyez Bcaurcpaire , Essai sur le droit d'asile , Bibl. de l'Ecole des
chartes, 4« série, t. II.
'^ 17 octobre 1310. Mandement au sénéchal de Boaucaire. Arch. de l'Emp.,
K. 188 , n" 20.
80 LA KRAXCE SOIS IMlII.IPrE LE T.EL.
Les laïques qui aidaient les malfaitciirs à rlierclior l'impunilé,
en se relirant dans les lieux eonsaerés, furent potiisuivis judi-
ciairement '. Les baillis, ([uand il s'a;|issait des intérêts du roi,
violaient l(\s asiles, et en certains cas il lut permis d'arracher
le coupable du lieu oii il s'était réfujfié ". Le priviléjjc clérical,
(]ui était ac(|uis |)ar la tonsure reçue des mains d'un évoque,
ne mit plus ceux (]ui la portaient à l'abri de la justice sécu-
lière. Les abus a|)pellent le cbàtiment. Le j)rivilé;]e de la ton-
sure avait été pour le clerjjé un moyen de soustraire à la justice
ordinaire des hommes indignes : ce privilège ne fut plus res-
pecté, mal'jrè les plaintes des conciles.
Dans un mémoire au roi, Dubois proposa divers moyens de
faire rentrer la juridiction ecclésiastique dans des limites con-
venables. Le premier consistait à réunir les prélats, et à leur
signifier l'intention du roi de créer des tabellions aux actes
desquels ils devaient ajouter foi. Dans chaque cité, on établi-
rait deux de ces notaires, avec mission d'assister les laïques
qui déclineraient la juridiction ecclésiastique, d'instrumenter
pour eux et de leur indiquer les procédures à suivre. On insti-
tuerait auprès de chaque officialité un procureur, pour veiller
à ce qu'on n'excommuniât pas ceux qui refuseraient de com-
paraître devant les oflicicrs '.
Ce plan ne fut pas adopté; du moins les notaires, qui furent
établis en grand nombre par Philippe le IJel, ne réunirent pas
les attributions que Dubois voulait leur donner. Toutefois, on
établit auprès des officialités des avocats et des procureurs du
roi, avec mission de les surveiller et de défendre les droits du
pouvoir séculier '.
Tant que les tribunaux laïques furent mal organisés, les
cours ecclésiastiques jouirent d'une faveur méritée. Mais c'est
justement à partir de saint Louis, c'est-à-dire (piand les juges
royaux oliVirent toutes garanties, que la juridiction de l'Eglise
» Olim, III, p. V72.
- Confii'jipntos nd pcricsias non ox1r.ilia1is baillii i , nisi in rasibus a jure
permissis. Ordonjianco de 1302-1303. Ord., 1. I, p. 3Vf, § 7.
3 Brcvis doctrina, foL 13. — Dp U'ailly, p. 13.
■* Voyez te compte des dépenses des bailliages de France en 1305. Bib!.
imp., fonds Baliize.
LIVRE QIATRIK.ME. — 1)1 CLERGl': Î-RAXÇAIS. 81
s'accrut dans des proportions incroyables. On ne peut attribuer
ce fait bizarre aux concessions du saint roi, qui sut toujours
séparer le temporel du spirituel, mais à Finfluence du clergé
sur le peuple et peut-être aussi à la plus grande moralité des
officialités. Dès lors, les jurisconsultes proclamèrent l'utilité
d'empèclier le spirituel d'empiéter sur le temporel, u Bone
coze, et profitable selonc Dieu et sclonc le siècle, dit lîeauma-
noir, que cil qui gardent la justice cspirituel se meslassent de
ce qui appartient à l'espiritualifé tant solement, et laissassent
justicier et e.xplectier à le iaie justice les cas qui apartiencnt à
le temporalité. ;'
Mais quels étaient ces cas? La définition en était difficile.
Les actes de l'état civil étant des actes religieux et reçus par le
clergé, toutes les contestations auxquelles ces actes donnaient
naissance étaient du ressort des cours de l'Eglise; eu outre, la
juridiction ecclésiastique était bien autrement active que la
séculière. Il y avait un officiai au clicf-lieu de l'évèclié, et plu-
sieurs autres officiaux forains dans les arcbidiaconés. Ils ne
restaient pas sur leur siège à attendre les justiciables, mais ils
faisaient des tournées, visitaient les paroisses, connaissant des
délits d'adultère, qui restèrent de leur compétence exclusive,
et de tous les actes auxquels le mariage donnait naissance, tels
que constitution de dot et de douaire, etc. Les curés favori-
saient la juridiction de l'official et la recommandaient à leurs
paroissiens. Les formes de la procédure ecclésiastique étaient
plus simples, plus rapides et moins coûteuses : motifs puissants
de préférence sur les tribunaux laïques, où les procès étaient
longs et dispendieux.
La juridiction volontaire des officiaux ainsi que celle des
tabellions royaux trouva, dès la fin du treizième siècle, une
redoutable concurrence dans les notaires apostoliques, insti-
tués au nom du pape dans les principales villes des Etats chré-
tiens, et dont les actes étaient reçus comme authentiques par
les tribunaux ecclésiasticjues.
La législation de Philippe le Bel ne pouvait manquer de
porter l'empreinte des sentiments religieux qui animaient la
société. Les défenses faites par saint Louis de jurer le nom de
Dieu et des saints et de le profaner, furent renouvelées sous
6
82 LA FRAXCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
son potit-fils: la peine fut jp'adnéo suivant la jp'avilô du délit et
l'àgc du coupable. I^cs hlasplièmcs étaient punis d'une amende
de vingt à quarante sous; ceux que leur pauvreté mettait hors
d'état de payer cette amende étaient exposés au j)ilori avec un
écriteau <pii les désignait comme hlaspliémateurs, etc., etc. '.
CHAPITRE TROISIEME.
KESTRICTIOXS APPORTÉES A l' IXOUISITIOX.
Oriaino do l'inqnisilioii. — Elle adoucit ses rigueurs à la (lu du Ircizièine
siècle. — Etat de l'iicrésiç à cette époque. — Sévérité des dominicains.
— Elle excite des émeutes. — Elle est réprimée par le roi. — En 1298,
elle est favorisée. — Elle excite en 1301 une réprobation luiiversellc dans
le Midi» — Philippe accueille les plaintes du peuple et réglomenfo le saint-
office. — Paroles remarquables qu'il prononce. — Il nomme des commis-
saires chargés de faire une enquête. — L'évèque d'.Albi manque d'être
assassiné. — Manifestations enthousiastes en l'honneur des commissaires
royaux. — La haine contre l'inquisition est à son comble. — (Conspiration
dans le Midi pour se soustraire à la domination française qui ne supprime
pas l'inquisition. — Mécontentement généra!. — Philippe se rend dans le
Midi pour calmer les passions. — 11 réprime l'inquisition de concert avec
le pape Clément V. — Vaines plaintes des dominicains.
Une des principales attributions de la juridiction ecclésias-
tique était la rechercbe et la punition de ceux qui s'écartaient
de la foi catholique pour embrasser quebju'une de ces opinions
hétéroiloxes qui étaient si répandues depuis la fin du douzième
siècle, surtout dans le Midi. Une piété mal entendue et la
crainte exagérée du diable favorisaient ces hérésies, qui admet-
taient pour la plupart la lutte des deux principes du bien et
du mal, et se rattachaient par quelque point au manichéisme *.
La croisade contre les Albigeois n'extirpa point l'hérésie, qui
se perpétua encore pendant plusieurs siècles dans les campa-
gnes. Les évoques, comme gardiens de l'intégrité de la foi
1 Histoire de Msmes , I, pr. p. 120. Ord., 1. XII, p. 328.
'- Schmidt, Histoire des Albigeois. M. Schmidt a parfaitement disfingné
les Vaudois des Cathares : les premiers étaient monothéistes et les seconds
dualistes.
LIVRE QUATRIÈME. — DU CLERGE FRAXÇAIS. 83
dans leurs diocèses, avaient la connaissance du crime d'iié-
résie. Grégoire IX leur adjoignit Tordre de Saint-Dominique
(en 1233). Les dominicains établirent dans les principales
villes des tribunaux où ils jugeaient tous ceux qui étaient
accusés d'bérésie, de judaïsme, de maléfices et de sorcellerie.
Leur siège principal était à Carcassonne. Les peines qu'ils
prononçaient étaient celle du feu, la pénitence et la prison.
Les actes de foi étaient très-rares à la fin du treizième siècle.
On appelait ainsi le supplice du bûcher, supplice qui était
réservé aux chefs des hérétiques connus sous le nom de j)ar-
faits. La prison était une peine nouvelle : dans les tribunaux
laïques, Femprisonnement préventif était seul connu '.
Les prisons de l'inquisition s'appelaient murs^ et ceux qu'on
y renfermait emmurés. Des historiens se sont imaginé qu'on
enfermait vivants les condamnés dans l'épaisseur d'un mur, et
qu'on les y laissait expirer dans les angoisses de la faim et
du désespoir. Le savant auteur de l'histoire des Cathares,
M. Schmidt, sans donner dans des exagérations de ce genre,
n'a pas assez distingué, ce me semble, les différentes phases de
l'inquisition au treizième siècle '. Les rigueurs contre les
hérétiques n'eurent pas toujours la même intensité. Il n'a pas
non plus assez tenu compte des efforts faits par Philippe le Bel
pour restreindre l'inquisition ; surtout il n'a pas constaté le
résultat remarquable auquel on était arrivé à la mort de ce
prince, grâce aux efforts du roi et du pape Clément V' ^ .
Le pouvoir laïque s'associait aux poursuites contre les héré-
tiques, dont les biens lui appartenaient à titre de confiscation ^.
Les évêques n'abandonnèrent pas entièrement aux frères prê-
cheurs les devoirs de l'inquisition. On conserve à la Biblio-
thèque impériale un registre original des poursuites exercées
1 Voyez Lihej' scntentiarum mquisitioiiis Tolosanœ , de 1307 à 1322,
publié par Liniborch , comme preuves de l'ouvrage intilulé : Historia inqui-
sitionis , Amsterdam, 1G97.
2 T. I, p. 344.
3 Ibid., p. 358.
^ Donation par Philippe le Bel à Xicolas Brumniard de a omnibus posscs-
sionibus que ad regem, ratione incursus Maffredi Amclii de hercsi condemp-
nati devcnerunt. j Février 1309. — Trésor des chartes, Reg. 45, p. 20. —
Voyez aussi Olim, t. III, p. 159, 1128, etc.
6.
84 LA FRAXCE SOUS l'IllMl'l'i; LE mi.
(1(! l'an 1-285 ;i 1. '}()() ])ar rt-vèciiic (!'.All)i. Il y pinul lo liho
(riii(|iiisiloiir de la loi dans le diocèse d'Alhi et de vice-
<{érant de riii(|iiisileur général du royaume, <|ui était un
dominicain.
La sévérité des moines de Saint-Dominique amena des tem-
pêtes : le peuple du Midi se souleva contre eux et l'ut soutenu
par l'autorité temporelle. Philippe le Bel parait avoir eu |)eu
de sympathie pour l'inquisition. Kn 1"2SS, il lui interdit do.
juger les juifs sans une information préalable laite par le hailli
ou par le sénéchal '.
En 1291, sur la plainte des consuls de Carcassonne, il
ordonna au sénéchal de cette ville de ne prêter le secours du
bras séculier que contre ceux qui seraient manifestement héré-
li(|ues. (l'élail ôter tout pouvoir aux inquisiteurs, que de leur
cidever le droit de faire exécuter leurs sentences et même de
contraindre les prévenus à comparaître devant eux, sans le bon
vouloir d'un officier royal , (pii devenait lui-même juge de leur
culpabilité ". En 121)(), le sénéchal reçut l'ordre de ne plus
arrêter d'hérétiques ^ ; mais une ordonnance du mois de sep-
tembre 121)8 donna force de loi à une décrétale de IJoniface VIII.
Les agents du roi durent jurer d'obéir aux évêques et aux
inquisiteurs et de conduire, sur leur réquisition, dans les pri-
sons du saint-office, les hérétiques ainsi que leurs fauteurs,
défenseurs et receleurs, et démettre h exécution les jugements
rendus contre eux, sans délai et nonobstant l'appel : car le
bénéfice de l'appel n'existait point pour ces fils de l'iniquité.
Le dispositif de cette ordonnance est pris mot pour mot dans
la constitution ii inquisitionia '.
En LJOl , l'inquisition ('xcita une réprobation universelle
dans le Languedoc ^ Les habitants d'Albi , de Cordes et de
Carcassonne se firent remarquer par leur animosité contre les
1 Ord.. 1. 1, p. 317.
■- Vais-sèto, t. IV, Praires ,\>. 97. Doiiciiirt , t. \\I , p. TV5.
3 Vaissète , t. IV', p. 97.
^ Ord., 1. I, p. o30 et 331, et la nnio .A, p. 130. IjOs conseils de Car-
cassonne furent obliiji'-s de faire amende lionorable aux dorninicains. 15. Gnid.,
Hist. de France, I. \XI, p. 743.
5 V'oyez la plaiule au'i'oi dans Vaissèle, F retires , col. 118.
LIVRE QlATRIIvMi:. — DV CLERGÉ FRAXÇAIS. 85
dominicains, qn'ils dénonceront au roi '. Philippe accueillit
leurs plaintes. Il déclara que les geôliers de l'inquisition
devaient être choisis par l'évèque ou par le sénéchal, et que
les inquisiteurs ne feraient aucune arrestation sans le consen-
tement de Tévêque. En cas de désaccord, on s'en rapporterait
à la décision d'une assenihlée d'ecclésiastiques. Défense d'obéir
séparément à l'évèque ou à l'inquisiteur; car, ajoutait le roi,
u. nous ne saurions souffrir que la vie et la mort de nos sujets
dépendent de la volonté et du caprice d'un seul homme, peut-
être peu instruit et aveuglé par la passion '. « Il exigea et obtint,
non sans peine, la destitution du frère Foulque, inquisiteur
dans le Toulousain. En même temps il envoya dans l'Albigeois
deux commissaires, l'archidiacre d'xAugc et le vidame d'Amiens,
Jean de Picqnigny, faire une enquête sur la conduite des
inquisiteurs dans cette province. La présence de ces commis-
saires, qui se montrèrent hostiles à l'inquisition, ne fit qu'ac-
croître le désordre. Au retour d'un voyage, l'évèque d'Albi
faillit être massacré par la populace ameutée à une porte de la
ville. Le prélat dut son salut à son calme et à son courage. Il
ordonna aux gentilshommes de sa suite, qui voulaient le défendre,
de déposer leurs épées, et s'avança lentement en donnant sa
bénédiction à la foule qui l'entourait et lui barrait le passage
en poussant des cris de mort. Cette scène dramatique ferait le
sujet d'un beau tableau ^ Les dominicains furent chassés des
églises; pendant plus de cinq années la prédication leur fut
interdite, et l'inquisition suspendue par les commissaires du
roi. La reconnaissance du peuple pour l'archidiacre d'Auge et
le vidame d'Amiens ne connut pas de bornes; elle alla jus(|u'à
substituer leurs images à celles de saint Pierre et de saint
Dominique, de chaque côté d'un crucifix placé sur une porte
située près du couvent des prêcheurs. Les commissaires furent
' B. (Iiiidniiis, p. 747, I). \ oyez aussi une dénoncialion dos Iiahil.iiifs
de Alilliaii loiitrc les prèdiciirs , en 121)8. — Or. Trésor (les chartes,
,1. 890.
- LcUrcs datées de Foiituincljleaii , décembre 1310. \ aissèle , t. IV ,
Preuves , col . 118.
3 B. Guidonis, Hist. convcntus Albkusis. Historiens de France , f. \\I,
p. 746.
86 LA Fli.WCE SOIS l'HILIPPK I,F, RKL.
excomimin'K's. Au mois de juin ].'}0"2, le roi nia aux in(|uisi-
teurs le pouvoir do |)nnir les juifs pour usures et maléfices.
Le plus grand mécontentement ré;![nail dans le Midi, on y était
fatijjué de rin(|uisition '.
La sage administration de saint Louis et d'Alphonse de Poi-
tiers avait réconcilié le Languedoc avec la domination française.
Cependant il y avait toujours des méridionaux (|iii regrettaient
l'ancienne indépendance de leur pays. Ceux surtout que leurs
opinions religieuses exposaient aux rigueurs du saint-office se
rappelaient le temps où, sous les comtes nationaux, la liberté
de conscience était tolérée; à ces regi'cts venaient se joindre
des espérances : les regards se tournèrent vers l'Aragon. Un
roi aragonais, don l'èdre, n'avait -il pas péri en combattant
Simon de Monlfort? On attendait de là 1(> salut, l'ne désaffec-
tion profonde pour Philippe le Bel, causée |)ar ses exactions,
jointe à la haine qu'ius])iiait rin(|uisition , menaçait d'amener
une séparation violente entre le Midi et le Xord, et de ruinera
son début ce commencement d'unité nationale qui avait été
acquis au prix de tant de sang.
La défaite de Courtrai elles succès des Flamands semblaient
devoir encourager la révolte : le moment d'agir était venu.
Philippe vit le mal et en comprit la gravité. Il ne voulut aban-
donner à personne le soin d'y porter remède. Il se rendit lui-
même en Languedoc, en visita les principales villes, accorda
des grâces, confirma les privilèges. Arrivé à Toulouse, il
déclara solennellement être venu pour ramener la paix parmi
le peuple et réprimer l'incjuisition. Après en avoir conféré avec
les évèques, il rendit une ordonnance qui réglait la procédure
contre les hérétiques et en tempérait la sévérité ^
Il parcourut ensuite le reste du Languedoc. La présence du
souverain flatta le peuple, que la crainte d'être oublié oq
méprisé était sur le point de jeter dans la rébellion. Quelques
tentatives, encouragées par l'infant Fcrnand de Alajorque et
fomentées par nn franciscain, frère Bernard Délicieux, avortè-
rent misérablement à Carcassonnc et à Limoux. Les consuls de
1 Ord., t. I, p. :'/.«; i29 juin 1302.
2 Vaissète, 1. IV, p. 121. AIui-Umic, I. \I, p. 5! I. Porcin, De mquisitionc,
p. 108.
LIVilE QLATRIÈAIE. — DU CLERGE ER.AXÇAIS. 87
la première de ces deux villes, convaincus de conspiration,
furent pendus avec leurs relies écarlates et les insignes de leur
di^'piité '.
Les habitants d'Albi portèrent jusqu'au saint-siége leurs
plaintes contre l'inquisition. Clément V chargea deux cardinaux
d'y faire droit. Les cardinaux ordonnèrent que les geôliers
seraient au nombre de deux, dont l'un nommé par l'évêque et
l'autre par les prêcheurs. Enfin, le concile de Vienne statua
que les dominicains ne pourraient agir sans les évèques. Les
nombreuses réclamations des populations eurent pour résultat
de faire inscrire dans les ordonnances, dans les constitutions
apostoliques et dans les canons des conciles ce principe : que
la question ne serait pas exclusivement confiée à l'ordre de
Saint-Dominique, mais placée sous la surveillance et le con-
trôle des évèques. Ce fut là une sérieuse garantie contre
laquelle les dominicains protestèrent en vain auprès de
Jean XXII \
* Sur la conspiration de Bernard Délicieux, voy. B. Guion, Hist. de France,
XXI, p. 743 et 744.
- Vaissètc, t. IV, p. 155. Dans ce dociimeat, il est dit que, de 1300 à
1315, on avait jugé plus de mille hérétiques.
LIVRE CIXQl IKME.
KAl'roUTS Dl II 01 AVKC LK SAI\T-SI l';(iM
CHAPITRE PRKMIER.
DIFFÉllEXD DK rilIl.IPrE LE BEL AVEC BOMl'ACE llll.
Lf inondo InriiKiil iiiio rc|)iiMi(|iio thrclioniir tloiit lo papo ('lail \c chef. —
Libcriés de rK;jlisr {jnllkaiic. ■ — • Cniiimcnt sont-elles violées? — Politi(pic
des rois vis-à-\is de Rome. — On n'a pas d'histoire sincère du diffcTcnd
de l'Iiilippe le Bel avec Boniface VIII. — Ponrcpioi ? — Philippe proteste
contre toute intervention du pape en matière politique. — lîulle Clericis
laicox. — Premiers nuages dissipés. — Situation difficile de Boniface VIII
en Ilalie. — Guerre contre les Colonna. — Bonifiice \III prononce,
cotnmc j)articuUer et non comme pape, entre le roi d'Angleterre et Phi-
lippe. — Grand juliilé de 1300. — Prédication de doctrines exagérées en
faveur du pouvoir des papes. — Rôle que jouent les ambassadeurs flamands
à Rome. — Excitations que reçoit Boniface VIII. — Arrestation de Bernard
Saisset, cvèque de Pamiers. — Ambassade de Xogaret. — Boniiace \III
convoque un concile pour réformer le gouvernement de Philippe le Bel.
— Fausses bulles. — Concile de Latrau, bulle Uiiam sanctam , proclamant
la suprématie du saint-siégc. — Bulle Ausculta fili , dans le même sens.
— Boniface VIII accusé de plusieurs crimes par Guillaume de Plasian. —
Arrestation du nonce apostolique. — Appels au futur concile. — Boniface
s'apprête à excommunier Philippe. — EiaT7ien du droit de déposition des
rois par les papes. — Récit de l'arrestation de Boniface \ III à Anagni par
A'ogaret et de sa mort. — Philippe attacpia Boniface Vlll comme ayant
usurpé la tiare. — Conséquence de ce diflércnd.
L'histoire de Pliilippe le Bel n'offre pas (révénenients plus
graves et (riin plus haut intérêt que ceux qui signalèrent ses
rapports avec le saint-siégc. Sa querelle avec Boniface VIII eut
pour résultat de fixer les limites de l'autorité des papes et de
la contenir dans de justes bornes; mais cette grande entreprise
fut accompagnée de scandales et de violences déplorables.
Jus(jue-l;i l'Kurope occidentale avait formé une vaste répu-
blique chrétienne, dont le pape était le chef suprême. Rome
était redevenue la maîtresse du monde. Jamais les décrois du
LIVRE CIXQlIKMl!;. — LE ROI ET LE SAIXT-SIEGE. 89
sénat, appuyés par les aigles l'ictorieuses des k^gions, n'avaient
été plus respectés et plus redoutés que les bulles données au
Vatican par le successeur de saint Pierre. Les papes auraient
pu à hon droit prendre la devise des empereurs carlovin-
giens : Christus vincit ^ régnât, imperat. La théocratie gou-
vernait le monde. Grégoire VII avait inauguré cette ère de
domination universelle; son œuvre fut continuée par ses suc-
cesseurs, particulièrement par Honorius III et par Inno-
cent IV; mais les progrès toujours croissants du pouvoir mo-
narchique dans chacun des Etats européens vinrent mettre
un obstacle à ces prétentions. Philippe-Auguste et saint Louis
lui-même résistèrent plus d'une fois et revendiquèrent leur
indépendance.
Cependant, dans tout le courant du treizième siècle, le (boit
d'intervention du saint-siége dans les rapports des princes
entre eux fut universellement reconnu. En outre, les souve-
rains pontifes avaient de nombreuses occasions de s'immiscer
dans le gouvernement intérieur des Etats de l'Europe. Protec-
teurs naturels de l'Eglise, ils la défendaient contre les en-
vabissements du pouvoir séculier; ils exerçaient aussi un
droit d'administration et de contrôle sur les différentes Eglises.
Ils intervenaient donc à chaque instant dans les affaires de
France pour régenter les rois, proléger l'Eglise et la gou-
verner.
C'est à ce triple point de vue que je vais examiner les rap-
ports de la papauté avec Philippe le Bel.
Il y avait sous l'ancienne monarchie une liberté religieuse,
non pas telle que nous la comprenons au dix-neuvième siècle,
où elle n'est autre chose que la tolérance , mais une sorte de
liberté ecclésiastique, qu'on appelait les libertés de l'J'lglise
gallicane. Nos rois étaient les défenseurs inébranlables de ces
libertés, qui formaient un des articles les plus importants de
notre droit public, et pour lesquelles nos pères se passion-
nèrent. L'Eglise de France croyait trouver dans ces précieuses
garanties un rempart contre les abus de la cour de Rome.
Quels étaient ces abus ? Ouelles étaient ces garanties? Je vais
essayer de le dire en quelques mots; cela est nécessaire pour
mettre le lecteur à même d'apprécier la lutte qui vase dérouler
90 LA FHAXCE SOIS PIlILIPrE LK LEL.
SOUS SOS yeux, lulle quo l'ou ;i inscrilc j)aiini les [)his b<>aux
triomphes do l'Kgliso 'jallicane.
On sait que daus le principe les évèquos étaient élus par le
peuple. Au dixième siècle encore, des laïques prenaient part à
CCS élections. Le clergé fut ensuite seul appelé à choisir le
premier pasteur du diocèse ; enfin le droit de nomination fut
réservé aux membres des chapitres institués auprès des cathé-
drales. De bonne heure les papes intervinrent dans les élec-
tions, qui n'étaient valables qu'après qu'ils les avaient confir-
mées. Ils finirent par s'attribuer le droit de nommer en certains
cas directement les évêques et les abbés. De leur coté, les rois
surveillaient les élections ecclésiastiques; ils combattirent vive-
ment les nominations faites par le saint-siège'. Saint Louis
se distingua par sa fermeté à soutenir les immunités des églises
de son royaume : il rendit même un décret célèbre, connu sous
le nom de Pragmatique sanction, qui avait pour but d'assurer
la liberté des élections canoniques.
Des doutes ont été élevés sur l'authenticité de cet acte
célèbre. Toutefois, en admettant que le texte de la Pragmatique
(jue nous possédons ne soit pas authentique, il est certain que
les doctrines exprimées dans ce document ont été celles
(]ue saint Louis prenait pour règle de conduite et qu'il se fit
un devoir d'appliquer.
A la fin du treizième siècle, il y avait lutte entre la papauté
et la royauté, au sujet du maintien des libertés gallicanes; à
chaque instant les souverains pontifes disposaient de proprio
motu des bénéfices français : on trouve dès lors les réserves
apostoliques, auxquelles on assigne communément une origine
beaucoup plus récente. Quand un évêque mourait, le pape
sus])endait quelquefois le droit d'élection au chapiti-e et se
réservait de pourvoir au remplacement du défunt. Le GalUa
christiana n'indique pas ces nominations directes, mais j'ai
recueilli des documenls qui ne laissent aucun doute sur leur
' An (loiiziiTiie sii'cle , Louis \II, nu plutôt Sujjcr, eut avec Rome un grave
(lirfercuil iiu sujet de l'ordination de P. de la Cliâtre comme éièquc de
Baurgcs, en 114 L Dès lors le droit d'intervention de la couronne dans les
eirciinns fut reconnu. Voyez la Disscrialion de Puial, Mcin. de l'Acad. des
inscript., nonv. série, t. VI, p. 360 et suii .
LIVRE CLVQllKMK. — LE ROI ET LE SAIXT-SIÉGE. 91
fréquence. En 121*8, Boniface nomma de son chef à révèché
de Toulouse : nous avons la lettre dans lacjui^Ile il fil part au
roi de son intention de se réserver la nomination à ces évèrliés;
le mot de réserve y est même employé '. Il nomma aussi direc-
tement à rarchevêché de Bourges'. Il institua, sans l'aveu du
roi, un évèclié à Pamiers'.
Rome clierehait à rendre illusoires les élections faites sui-
vant les canons. Les élus étaient tenus de faire confirmer par
le pape, et on ne leur accordait la confirmation qu'à condition
de renoncer aux pouvoirs qu'ils tenaient de l'élection et de se
faire instituer de nouveau par le saint-père. C'est ce qui arriva,
en 121)5, à Robert de Courtenai, élu archevêque de Reims*.
Les Eglises de France payaient au saint -siège des sommes
considérables. L'abbé de Saint-Denis écrivait au roi que son
abbaye était ruinée par les redevances qu'il payait à la cour de
Rome ^
Les libertés de l'Église gallicane étaient donc à la fin du
treizième siècle souvent violées par les papes. Les rois ne
prenaient en main leur défense que lorsque les prétentions du
saint-siège menaçaient leur autorité. Ils laissaient les souve-
rains pontifes nommer d'office quelques prélats, car ils savaient
en profiter pour faire élever aux plus riches bénéfices leurs
conseillers les plus dévoués et peupler l'èpiscopat de leurs
créatures.
Toutefois les libertés gallicanes étaient un rempart contre
les envahissements du pouvoir spirituel. Elles avaient pour
effet de soustraire le clergé français à une influence étrangère,
qui aurait pu ne pas toujours se renfermer dans le domaine de
la religion. C'était un moyen de gouvernement et une insti-
tution purement politique.
1 Bibl. imp., cart. 170 (ancien Rcg. XXXIX du Trésor des chartes).
i Reafc. VIII Ital. aug. anno ii (novcniljrc 1298), fol. 29. Prcdictam ccdcsiam,
a die qua vacasse dinoscitur, ordinationi et provision! apostolicc scdis et
nostrc ex vice nucforilafc apostolica diiximiis reservanduin. »
- Dupuy, Preuves du dijfêrend , p. 7G.
3 D'abord en 1295. Rainaidi, t. IV, p. 19.3. Dupiiy, Différend, p. 625.
Alais cette bnlle resta sans exécution jusqu'en 1297. Gallia, t. XIII, Instr.,]). 98.
''» Rain., p. 271, 272. Lettre du pape an roi.
5 Bibl. imp., cart. 170, fol. 98.
92 LA FRANCE SOLS PHILIIM'K LE DllL.
Pendant plusieurs années, la nicilleme intelligence régna
entre lloniface VIII et Philippe le Hel. Philippe appartenait à
celle race royale qui avait toujours ohlenu les prédilections du
saint-siége. Saint Louis avait jeté sur cette auguste famille un
éclat de grandeur et de saintelé qui se reflétait sur ses descen-
danls. Aussi les papes choisissaient parmi les Capétiens des
princes pour remplacer les rois qu'ils déposaient.
Philippe le Bel ne trouva que de la bienveillance dans
Martin IV , Honorius IV et Nicolas IW A Nicolas IV succéda
Célcstin \ , qui, à peine sur le tronc, en descendit volontaire-
ment et fut remplacé par le cardinal Benoît Gajetan, qui prit
le nom de Boniface VIII'. C'était un vieillard appartenant à une
des premières familles d'Italie, profondément versé dans la
science du droit civil et canonique ; on lui savait de l'énergie,
de la hauteur et une opiniâtreté indomptable". Ses ennemis
lui suppt)saient une ambition et une cupidité sans borne. Il
avait connu personnellement Philippe le Bel pendant un séjour
qu'il avait fait en France comme légal, et il s'était pris d'affec-
tion pour le jeune roi. Lui-même, plus tard, à la veille de
le frapper d'anathème, déclarait que simple cardinal, il était
Français de cœur, ce qui lui avait souvent atliré les reproches
de membres du sacré collège \
Nous touchons au grand différend de Boniface VIII avec
Philippe le Bel. Avant d'aborder celte question, l'historien
doit se recueillir et se demander s'il est assez maître de lui,
et s'il se sent assez dégagé des passions politiques et religieuses
pour Irailer avec impartialité un pareil sujet. C'est ici qu'il
faut faire taire ses sympathies, pour ne chercher que la vérité,
et se tenir en garde contre les jugements portés par les
hommes les plus éminents.
Deux bisloricns célèbres ont fait l" histoire de celle lutle
1 Rainaldi, I. IV, p. 80. — lîcni. fiiiidonis, Histoire de France , t. XXt,
p. 709.
2 « Polentcm ita incxorabilem, qucm armis franjjcrc (lifficillimum, liiimili-
tafc scii biaiiditiis flcctere impossibile. i Pctraria, Familiares epistolœ ,
lib. II, cp. iir.
•' Diipiiy, p. "S, d'après un inamisc. de la Dibl. de Saint-Victor. ilM. 7,
fol. 82 v°.
LIVRK CIXQIIKME. — LK ROI KT Ll', SA1\T-SIKGK. 93
mémorable : Pierre Dupiiy ' et IJaillet'. Tous deux ont jmisé
aux sources originales. Il semble qu'il ne reste rien à dire,
rien à apprendre après ces deux savants bommes; que la cause
a été suffisamment instruite et l'arrêt rendu sans appel. Il
n'en est pas ainsi. Dupuy et lîaillet étaient non-seulement des
savants : c'étaient aussi des bommes de vertu ; mais ils vivaient
dans un temps où la royauté jouissait en France presque de
Finfaillibilité que l'Eglise gallicane refusait au pape. Dupuy
était le cbampion officiel des droits du roi , tant au dedans
qu'en Europe. IJaillet était janséniste. Ils n'avaient ni l'un ni
l'autre l'indépendance nécessaire, l'un pour oser condamner
un roi, l'autre pour absoudre un pape. D'ailleurs la critique
bistorique était encore dans l'enfance, et le travail de Dupuy
renferme des confusions de dates qui intervertissent l'ordre des
faits, et ne permettent pas de suivre dans son développement
ce différend dont les causes ont été diversement appréciées.
Boniface VIII a eu le sort réservé aux vaincus dans ce
monde; il a succombé, et tous se sont réunis pour le con-
damner. Français dévoués à la monarcbie, gallicans jaloux de
leurs libertés, étrangers indifférents, pbilosopbes sceptiques,
écrivains démocrates, tous ont été unanimes à le blâmer et à
l'insulter. Les cbroniqueurs contemporains, même les ecclé-
siastiques, ne l'ont pas épargné^; les bistoriens de l'Eglise
n'ont osé le défendre*. Grégoire VII a reçu le nom de Grand,
et Boniface Vill, son imitateur, est mort misérable et laisse
une mémoire désbonorée! De nos jours seulement, une voix
éloquente s'est élevée du Mont-Cassin en sa faveur^ : l'iiisloire
1 Histoire du différend du pape Boniface l III avec P/iilippe le Bel,
suivi de ])reuves. In-folio.
- Histoire des dcmeslcz du pape Boniface VIII arec Philipjje le Bel,
roy de France, par feu Adrien Baillct. In-12. Paris, Darrois , 1718. lîaillet
a établi un parallèle plus injjénicux que vrai entre la querelle de Boniface l III
et de Pliilippe le Bel et le différend d'Innocent XI avec Louis Xl\ . Il est à
remarquer que les ouvrajjes de Dupuy et de Daillet ont paru après la mort de
leurs auteurs.
^ Guillelmus de Xangiaco , C/iron. de Saint-Deids. — Bernard. Guidonis.
'* Rainaldi, Annales eccles., t. IV, p. 536. Flcury, Histoire ecclésiastique.
^ Luigi Tosti, Storia di Bonifacio VIII. In -8", 2 vol. Monte -Cassino,
1846. Je ne puis passer sous silence X Histoire de la papauté pendant le
n LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
(le Boniface VIII, par dom Tosti, n'est pas sciilomcnt une
œuvre de science, c'est aussi une œuvre jjénéreuse de répara-
lion, dédiée à Dante, qui, le premier, quoique (jil)clin, fil
entendre cette sublime protestation, que nul n'ijjnore, contre
l'allcnlat d'Anajpii '. Mais la catastrophe qui mit fin au réj^jne
de IJonifacc a l'ait oublier à Tosti les fautes qui la précédèrent:
en rendant justice au pape, il a été injuste envers son adver-
saire. Quant à nous, c'est aux documeiils authentiques que
nous avons demaïub'' la lumière : nous avons l'ait une enquête
longue, et minutieuse, après la(]uelle seulement nous avons
formé noire opinion. L'admiration (\\u' nous inspire le génie
de Phili[)pe le IJel ne nous a pas aveuglé sur ses défauts; mais
nous n'avons pas non plus innocenté Boniface VHI parce qu'il
fut malheureux.
Boniface ne porta pas sur la chaire de saint Pierre des
prétentions nouvelles : sa politique vis-à-vis des princes étran-
gers fut celle de ses prédécesseurs, et ressemble singulièrement
au projet que Sully prête à Henri IV. Son but avoué était la
conquête de la terre sainte : il voulait rétablir la paix entre les
princes chrétiens et tourner leurs armes réunies contre les
musulmans. Tous ceux qui troublaient la paix étaient à ses
yeux des sacrilèges qui versaient le sang des fidèles, et retar-
daient par leurs querelles impies l'avènement de la domination
de l'Eglise dans l'univers entier.
C'était en vue de ce grand résultat que son prédécesseur
Xicolas IV avait tout mis œuvre pour rétablir entre Edouard
d'Angleterre et Philippe le Bel la bonne harmonie sourdement
compromise, et prévenir des hostilités qui ne devaient pas
tarder à éclater. La prise de Saint-Jean d'Acre, en 1291, avait
eu un douloureux retentissement en Europe. Boniface voulut
porter du secours à la terre sainte; la guerre qui s'engagea
entre la France d'un côté, et l'Angleterre et la Flandre de
l'autre, vint traverser ses projets. Il fît tous ses elforts pour y
mettre un terme et se proposa pour médiateur'. Lue trêve
(quatorzième siècle, par l'abljé Christophe. Li-8", 3 vol. Paris, 1853.
M. l'abbé Chrisloplic a mis à profit \c piTC Tosti.
1 Pin-gatoire , XX.
- Rainaldi, Annales eccles., t. IV, p. 189 et 190.
LIVIÎE CIXQlIlhn;. — LK ROI KT LE SAIXT-SIKGK. 95
fut conclue j)ar ses soins. Au moment où elle allait expirer
(juin 1207), il la renouvela de sa propre autorité et chargea
deux cardinaux, les évêques d'Albano et de Palestrina, d'en
instruire Philippe le Bel.
Le roi refusa d'entendre lecture de la bulle pontificale avant
d'avoir fait les protestations suivantes :
Que le gouvernement temporel de son royaume appartenait
à lui seul; qu'il ne reconnaissait en cette matière aucun supé-
rieur ; qu'il ne se soumettrait jamais à àme qui vive à cet égard ;
qu'il voulait exercer sa juridiction dans ses fiefs, défendre son
royaume et poursuivre son droit avec l'aide de ses sujets, de
ses alliés et de Dieu; que la trêve ne le liait pas. Quant au
spirituel, il était, à l'exemple de ses prédécesseurs, disposé à
recevoir humblement les avertissements du saint-siége, comme
un vrai fils de l'Eglise '.
Il accepta la médiation de Boniface, non comme pape,
mais comme particulier : il obtint du pontife une bulle par
laquelle il s'engageait à ne prononcer de jugement arbitral
qu'en qualité de Benoît Gajetan, et après avoir reçu des lettres
patentes du roi portant approbation de sa décision ".
Cette conduite de Philippe le Bel dut donner à réfléchir à
Boniface et lui faire comprendre la nécessité de ménager un
prince aussi jaloux de son autorité et qui repoussait l'inter-
vention du successeur de saint Pierre, devant laquelle les rois
s'étaient jusqu'alors inclinés. Il sut se faire violence et se con-
tenir pendant quelque temps; mais les rapports entre le roi
et le pape étaient trop fréquents pour que ces deux carac-
tères altiers et dominateurs ne finissent pas par se choquer
violemment.
En 1296, les plaintes qu'une partie du clergé de France
porta au saint-siége contre ce qu'il appelait les exactions de
Philippe le Bel furent d'autant plus favorablement accueillies
à Rome qu'il en arrivait de semblables d'Angleterre, où
Edouard employait, pour obtenir des subsides du clergé, des
moyens bien autrement énergiques que ceux de son rivaP.
1 Diipuy, p. 27. (Lettre des légats, 20 airil 1297.)
2 Bibl. imp., cart. 170, fol. 1 (13 juillet 1298). — Dupuy, p. 41.
3 Voyez la plainte du clergé dans Iv'eriyn, liccJierches sur la pai-t de
9G LA FRA.VCE SOUS PHILII'I'H M' DKL.
L'occasion était hello pour Bonifacc : il ne la manqua pas. La
hullo Clerkis hiicos, qui excommuniait à la fois ceux qui
levaient des inipols sur le deijjé et les ecclésiastiqm^s qui les
payaient, lut counnune au monde eliiétien ( J:2U6, sans date de
mois, mais avant le 18 août) '. (ielte huile, donnée dans un
moment d'irritation, était trop exagérée pour être exécutahle.
Boniface VIII s'était trop avancé : il le comprit et alla au-devant
des |)laintes qu'il ne j)ouvait éviter de soulever. La bulle Inef-
fahilis (inior corrij^ea ce que la précédente avait de trop absolu.
Le roi pourra lever des subsides sur le clergé, avec le con-
sentement du pape, qui, si le royaimie était menacé, ordon-
nerait pour contribuer à sa défense jusqu'à la vente des
vases sacrés*. Boniface demandait dans la même bulle des
explications sur la j)rohibition faite récemment par le roi d'ex-
porter de l'or et de l'argent et des marcliandises bors du
royaume, prohibition qui menaçait de tarir un des principaux
revenus de Rome ^ .
Cet édit, que l'on représente unanimement conmie une
réponse de Philippe à la bulle Clericis laïcos, n'était pas dirigé
contre le pape; car il fut rendu an mois d'avril, peu de jours
après la rédaction de cette bulle et avant qu'elle eût le temps
d'être connue du roi de France. Il ne s'appliquait pas unique-
ment à l'argent; il défendait aussi l'exportation des armes, des
chevaux et autres objets : on voulait atteindre les Anglais et
les Flamands avec lesquels on était en guerre; de semblables
édits furent promulgués sous le même règne en plusieurs
occasions.
Dans la même bulle, Boniface menaçait Philippe de l'excom-
munication; il le montrait bai de ses sujets, entouré d'ennemis
qui n'attendaient (|ue le moment d'envahir son royaume. Que
deviendra-t-il s'il perd la bienveillance du saint-siége, qui l'a
soutenu jusqu'alors ('Il septembre I2cH)r? Le roi et ses con-
iordre de CUcaiix au procès de Boniface l'ill, p. lô, daprés un ancien
maïuiscrit de l'abbaye des Dunes.
' Dupuy, p. IV. Hainaldi a publié une bulle du 15 des cal. de septembre
où il est parlé de la bulle Clei'icis comme niijyer édita.
2 Cart. 170, fol. 12. Dupuy, p. 15. Rain., p. 210 (21 septembre 129G.)
•' Dupuy, p. 13.
LIVRE CI.VQLIiaiE. — LE ROI ET LE SAIXT-SIÉGE. 97
seillers furent indignés de la liberté que prenait le pape : on
résolut de repousser ces remontrances hautaines qui apparte-
naient à d'autres temps. Dupuy a publié une réponse qui fut,
dit-on, expédiée à Home'; mais l'indécence du ton qui
règne dans cette pièce et la violence des déclamations qu'elle
renferme suffisent pour démontrer qu'elle n'a jamais été
envoyée. Ce n'est qu'un projet de mémoire qui fut présenté
au roi j)ar quelque courtisan, et qui ne fut pas même ter-
miné, ainsi que l'atteste le litre du seul exemplaire contem-
porain qu'on en connaisse, titre que Dupuy a supprimé pour
en substituer un autre de sa façon'.
Le roi donna des explications satisfaisantes. En 121)7, nou-
velle défense d'exporter l'or et l'argent, nouvelles alarmes du
pape, nouvelles menaces, nouvelles explications de Philippe.
Sur ces entrefaites, les évéqucs de France écriv(Mit à Boni-
face \I1I pour lui demander d'accorder au roi un décime sur
les églises'. Le clergé comprenait qu'il ne pouvait pas s'abs-
tenir de contribuer à la défense de la patrie. Cette lettre con-
trastait singulièrement avec une protestation suscitée par
Cîteaux, protestation dirigée non moins contre les évêques que
contre le roi^. Cette hostilité des moines contre les évêques
avait longtemps réussi, grâce à l'appui des papes, qui trouvaient
de fidèles instruments, dans les réguliers; mais le temps arri-
vait où moines, évêques et pape allaient plier devant le pouvoir
royal.
Abandonné d'une partie du clergé gallican, lîoniface fit de
nouvelles concessions. Par la bulle Romana mater ecclesia, il
permit même de lever, en cas de nécessité, des décimes ecclésias-
tiques sans le consentement du saint-siége, mais avec celui du
clergé ' . La bulle Novcritis nos alla plus loin ; elle abandonna
' Dupuy, p. 21.
- Voici le titre tel qu'il est clans le cart. 170 : t Pulcherrime rcsponsioncs
facte pro rcge ad bullain precedenteiii (Incftiibilis) et ad puncta aliqua in ea
contenta, et est totum notabilissiinum licet 7ion sit opiis perfection, t
fol. 15 r°.
•* Dupuy, p. 26, sans date.
'* Cet acte est transcrit dans Kervyn, Recherches , p. 22.
^ Rain., 137. Celte bulle ncst pas dans Dupuy.
7
<)S L\ FRAXCE SOIS PHII.IPPE LE BEL.
à la (liroclion du roi, pourvu (jn'il (Vil majoiir, et à son conseil,
s'il était mineur, lo soin de décider s'il y avait nécessité ou
non, et le droit d'imposer les ecclésiastiques, même sans que le
pape eût été consulté. Elle terminait en déclarant (|ue le saiiit-
siéjje n'avait jamais eu l'intention d'attenter aux droits, libertés,
franchises et coutumes du royaume, du roi et des barons. Le
pape écrivit même aux prélats de la province de Reims (|u'il
était prêt à consacrer h la défense du royaume les biens de
l'Église romaine et sa propre personne '.
dette condescendance de Boniface VIII, cette douceur subite,
ne doivent pas être entièrement attribuées à des sentiments de
bienveillance envers Philippe le Bel : elles s'expliquent surtout
par la situation difficile où se trouvait le pape dans ses propres
États.
Boniface appartenait par sa famille au parti gibelin : pape,
il devint guelfe. Cardinal, il avait pour ennemis les Colonna,
chefs du parti des empereurs. Cependant les Colonna et les
Orsini réunis avaient fait tomber sur Benoit Gajetan le choix
du conclave réuni pour donner un successeur à Célestin V-.
Boniface paraît avoir oublié ce service : il laissa les Colonna à
l'écart et ne les fit point participer aux faveurs du nouveau
règne. Au ressentiment de cette ingratitude se joignit chez les
Colonna celui de l'injure que l'un d'eux crut recevoir de Boni-
face, qui intervint dans ses affaires domestiques. Sciarra, pour
se venger, attaqua sur le chemin d'Anagni le trésor pontifical
et s'en empara. Deux cardinaux de cette famille s'étaient
retirés dans des châteaux où ils complotaient avec les ennemis
du pape : Boniface les somma de lui remettre ces places qui
menaçaient sa sûreté. Ils refusèrent, et s'appuyant sur la
renonciation de Célestin, nièrent la légitimité de son élection.
Cités à Rome et mis en demeure de le reconnaître pour pape,
ils ne se présentèrent pas, et furent dégradés, eux et leurs
parents et adhérents, excommuniés jusqu'à la quatrième géné-
ration, puis leurs biens furent confisqués'. Boniface, dépas-
sant toutes les limiles de la hoine, étendit l'anathème sur
tous ceux qui (ionncraient asile à ces malheureux, et frappa
1 3 juillet 1297. Dnpiiy, p. 39.
2 Rain., 235. Marlèiic, t. 1, p. 12ST.
LIVRE CLVQIIEME. — LE ROI ET LE SAIXT-SIÉGE. 99
d'interdit les lieux où ils chercheraient un refuge contre son
impitoyable colère. Il prêcha une croisade contre leurs par-
tisans. Les Gi!)elins furent vaincus, leurs places prises, et
Palcstrina, où les deux cardinaux (lolonna avaient cherché un
abri, reçut un châtiment terrible : Boniface la fit raser. On
passa la cliarrue sur le sol qu'elle avait occupé, on y sema
du sel, pour la vouer à la stérilité; une seule église resta
debout qui attesta quelle vengeance tirait Boniface \ III de ceux
qui osaient lui résister. (129*J). Mais il fallut trois années
avant d'obtenir ce triomphe'. C'était justement en 1297, au
fort de sa querelle avec les Colonna, que Boniface rétracta la
bulle Clericis laïcos et se réconcilia avec Philippe le Bel, afin
de pouvoir se i^ouer tout entier à l'anéantissement du parti
gibelin dans les Etats de l'Église.
Les historiens modernes en cherchant les causes du diffé-
rend de Boniface et de Philippe le Bel se sont souvent trompés.
La bulle Clericis laïcos a paru à la plupart d'entre eux l'ori-
gine de l'inimitié du roi contre le pape : les faits prouvent
qu'après celte époque l'accord entre les deux cours, un instant
troublé, fut plus grand que jamais. Le pape accorda de son
propre mouvement un décime et un an de revenu des béné-
fices qui viendraient à vaquer en France pendant la durée
de la guerre, ainsi que le droit de nommer un chanoine dans
chacun des chapitres du royaume".
Dupuy a porté contre la bonne foi et l'équité de Boniface VIII
la plus forte accusation à propos du jugement arbitral qu'il
prononça, le 27 juin 1298, entre le roi. de France et le roi
d'Angleterre: il l'a accusé d'avoir sacrifié Philippe à l'Angle-
terre et au comte de Flandre.
Il suffit de lire cette sentence pour être assuré que la par-
tialité de Boniface n'existe pas. Dans ce document, où tout est
digne d'un pontife pacificateur, car il y est stipulé que'chaque
partie restituera ce qu'elle avait pris, et que les choses seront
1 Po:ir la querelle de Boniface avec les Cnlouna on ne peut sniire un
meilleur ffuitie que Tosti, p. 200 et suiv. — Voyez aussi Raiiialdi , années
1297, 1298 et 1299; Francisons Pippinus; Feretti de Vicence, apud Mura-
tori, t. IX; et Christophe, Histoire de la papauté , 1. I, p. 85 et suiv.
2 Rainaldi, t. IV, p. 236.
7.
100 LA FKWCK SOLS l'HILU'l'K Li: DFL.
remises dans l'i'lal où elles étaient avant la jjuerrc. Il n'y est
pas (lit un mot de la J''lan(lie.
Des (locnmenls récemment publiés prouvent, au contraire,
la partialité du papt; pour le roi de France. Les dépêches des
ambassadeurs llamands en ("ont foi. Le comf(; (iui de Dam-
pierre, dépouillé de son comté par Pbili[)pe le ]>el , pour s'être
soulevé contre lui et avoir l'ait alliance avec l'Angleterre, avait
appelé au pape : il envoya à Rome des ambassadeurs, (jui se
mirent en instance pour faire comprendre leur maître dans le
traité de ])aix (jue le pape s'efioiçail de concluie entre la
l''rance et l'Anj^leterre. Ils assiégèrent le pape de llatteries,
lui disant (|u'il était souverain du roi de France au spirituel el
au temporel'. Boniface, cédant aux désirs exprimés par les
ambassadeurs français, déclara aux Flamands, (jui étaient
pourtant apj)uyés dans leur demande par les envoyés du roi
d'Angletci'ie ', qu'il ne voulait pas s'exposer, à cause du comtii
de Flandre, à ne point rétablir la paix entre les deux rois. F,n
effet, la sentence du mois de juin ]!2'J8 garda le silence sur le
comte de ^''landre. L'inlluence française trioinj)lia donc dans
cette circonstance où le roi d'Angleterre fut obligé d'aban-
donner son allié '. Tout ce (pie le pape fit pour la Flandre ce
fut de proroger dans une bulle spéciale le délai de l'appel
porté par le comte (lui '. Je suis entré dans ces détails parce
(pi'il est important de ])réciser les pbases de ce dilférend. Les
derniers actes et le dénoùment sont suffisamment connus,
mais rien n'est plus obscur que les commencements de la lutte
et surtout l'objet sur lequel elle s'est engagée.
Les bonnes relations continuèrent entre le pape et le roi ;
(juelques incidents vinrent toutefois y mêler de l'aigreur.
IJoniface avait mandé à Rome l'évêque de Laon pour rendre
compte de son administration : le roi affecta de considérer le
siège coliime vacant et s'en appliqua les revenus par suite du
droit de régale ''. Autre grief: le cardinal de Sainte-Cécile avait
^ Kervyn, p. 43, Lettre relatant l'audience du 25 juin 1298.
2 Kervyn , p. 50.
•^ Kervyn, p. 47, 48.
'» Rymer, 1. 1, p. 200. Kervyn, p. 50.
5 Rain., p. 259.
LIVRE GIXQIIKME. — LE ROI ET LE SAIXT-SIKC.E. 101
fait on mourant un legs considérable pour l'entretien de pau-
vres étudiants en théologie (collège de Cliollet). Le fisc s'em-
para de sa succession et refusait de s'en dessaisir '. Les plaintes
des évoques contre les exactions des collecteurs des annales
accordées au roi furent une nouvelle cause de mécontcntenient
réciproque '.
L'année 1300 vit le grand jubilé institué par IJonifacc pour
célébrer l'ouverture de chaque nouveau siècle, et ce pape au
comble de sa gloire. Il parut successivement en habits ponti-
ficaux et revêtu des insignes de l'empire; il fît porter devant
lui l'épée, le sceptre et les autres insignes impériaux, et crier
par un héraut : il y a ici deux glaives; Pierre, tu vois ton suc-
cesseur, et vous, ô Christ, regardez votre vicaire ^ Ces deux
glaives figuraient le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel,
le pontificat et la royauté réunis dans la même main.
En contemplant la foule immense venue de toutes les parties
de la terre baiser avec respect le seuil de Saint-Pierre, Boni-
face se crut le maître du monde, ainsi qu'on ne cessait de le
répéter autour de lui. Ce triomphe devait être de courte durée,
mais rien ne faisait présager encore l'orage terrible qui allait
éclater.
Un événement, auquel on n'a pas atfaciié d'importance, se
produisit alors, qui changea en hostilité les dispositions déjà
chancelantes de lioniface VIII, c'est l'alliance faite en 1299 à
Vaucouleurs entre Philippe et le roi des Romains Albert ,
excommunié pour avoir détrôné Adolphe de Nassau; alliance
menaçante pour la papauté.
La nouvelle des négociations entre Philippe et Albert jeta la
terreur à Rome : un faux bruit qui en annonçait la rupture
fut accueilli avec joie. Boniface conçut la pensée d'avoir une
conféience avec les rois d'Angleterre et de France et le comte
de Flandre, seul moyen, ix ses yeux, d'établir la paix d'une
manière solide : il ne songeait pas à les citer à Rome, car il
connaissait assez Philippe et lùlouard pour savoir qu'ils n'ac-
1 Rain., p. 200.
- Raillct, p. 98.
"' Voyez Rainaldi, p. 286; V'illani , thap. \\\vi; Clironiqiic de Gilles le
Miiisis, t. II, p. 188. (Collcctioa tics documents ])cl;jes.)
102 LA l'IJ.AXCE SOUS THIUPPE LK DEL.
ceplcraienl jamais de sa part (]u'iiiu' inlrivcnlion officicKSO :
aussi avait-il docidè do se rendre sur un terrain neutre. 11
avait même fait des ouvertures dans ee sens à Philippe le IJel;
mais une grave maladie que lui causa un travail excessif, joint
à son grand âge, le força de renoncer à ce projet '.
Le grand jubilé l'avait enivré; tout semblait se réunir pour
le poussera sa perte, en réveillant et en excitant en lui les
désirs de domiî'ation qu'il nourrissait, moins pour lui-même
que pour la papauté. Le cardinal d'Acquasparta, dans un ser-
mon pièché à Saint-Jean de Latran au mois de janvier 1300,
en piésence du pape, devant le sacré collège et une nombreuse
assistance, osa déclarer que le pape était souverain temporel
et spirituel, comme vicaire de Jésus-Christ, et que le devoir
de l'Eglise était de combattre avec le glaive spirituel et tem-
porel ceux qui résisteraient à cette double autorité '.
Les ambassadeurs {l.amands jugeront le moment fiivorable
pour se faire écouter, en flattant les idées de suprématie du
pape et en excitant ses défiances contre Philippe le Bol. Ils lui
avaient bien souvent dit qu'il était le maître de fous et que le
roi de France était fait pour lui obéir : la déclaration officielle
faite par le cardinal d'Acquasparta les encouragea, et ils remi-
rent à lîoniface un mémoire on ils invoquaient son appui et
son intervention, et essayaient de le rassurer sur l'énergie de
cette puissance souveraine qu'ils lui attribuaient, en invoquant
les livres saints*. Boniface n'était que trop disposé à prêter
l'oreille à ces insinuations, qui s'accordaient avec ses désirs et
ses espérances '.
Cependant les griefs s'accumulaient contre Philippe, entre
autres l'envahissement du comté de ilolgueil, appartenant à
1 Dépt'clio des aml)assa(îoiirs flamands du 9 juillet J209. Ivcrvyn , p. 63;
et Cariiil. 170, foi. 22 r"; '■} des cal. de janvier de la (pialriènie année. Voyez
Notices et extraits , n" viii.
2 Dépêche dn 17 janvier 1380. Kervyn , p. 79, d'après l'original conservé
aux arcliivcs de Lille.
3 Kervyn, p. 7V, d'après les archives de Rnpclmondo, n" 1025. A la
dernière ligue ou lit : n Ha>c scriplura data est die niarli.^ post dicni Xati-
vitalis Doinini. -■
'' En l'an 1300 Philippe envoya en ambassade à Rome i'archcvcquc de
Xarbonne, (pii n'obtint rien. Haluze, Misccll., t. VI, p. 459.
LIVRE CIXQLIÊAIE. — LE UOI ET Li; SAIXT-SIÉGE. 103
révèque de Aîaguelonc ' ; !o rofiis du vicomle de Karhonnc de
l'aii-e hommage à riîrchevèfjue son seigneur'. Le pa[)c fit
entendre des paroles sévères* et envoya révèque de Pamiers,
iîernard Saissel, inviler le roi à secourir la terre sainte*.
I/évèque de Pamiers irrita Piiilippe, qui le laissa retourner
dans son diocèse; mais il fil l'aire secrètement contre lui une
enquête dans laquelle déposèrent les prélats et les barons du
Midi ^ On l'accusait d'avoir voulu soustraire le Languedoc à
la couronne, pour le réunir k l'Aragon; son véritable crime
était sa haine pour le roi : on lui imputait les plus étranges
propos.
Il appelait Philippe bàlaj'd , faux monnayeur, incapable de
régner, indigne dii Irùne. Saint Louis, assurait-il, avait
annoncé que sa race finirait avec son fils. L'enquête qui con-
tenait ces accusations iïit envoyée à Rome, et Bernard arrêté à
Pamiers par le vidame d'Amiens et cité à coniparaitre devant
le roi. H envoya à la cour i'abbé du Aîas d'Asil prier le roi
de le laisser aller à lîome, ajoutant qu'il pouvait quitter le
royaume sans permission. (!eci prouve que, dès lors, les évo-
ques devaient informer le gouvernement de leur voyage en
cour de Rome '^.
Il fut traduit devant le roi et une assemblée de barons, à
Senlis, le li octobre 1301. Sa défense fut si hautaine, que
l'assemblée se leva en poussant des cris de mort. Sur le point
1 Vaissètc, t. IV, p. 8G ; Gallia, t. VI, p. 8; Aînrlcnc, t. IV, p. 225. L'n
concile réuni à Béziers supplia le roi de l'aire rendre jiisficc à r;irclicvèquc.
Baluzc, Concil. Narhon., p. 83.
^ Un concile réuni à Béziers supplia le pape de faire rendre jiislice au
prélat. Baluze, Concil. Ncn-hon., p. 84.
■^ Anagniœ, xv kal. aug. anno vi. Bain., p. 296.
'^ Bain., p. 298, 299; Dupuy, p. 9.
^ Voyez cette enquête dans Dupuy, Dijj'èreiid , appendice consacré au
procès de i'évèquc de Pamiers; et un abrégé dans Rainaldi , p. 314.
'' Pour le récit du procès, voyez j\Iartène , t. I, p. 1319 et siiiv., et les
originaux du procès au Trésor des chartes , carton ,!. 33(3, u"^ 1 à 22, repro-
duits en partie à la suite des Preuves du différend de Bonifacc l III et de
Philippe le Bel , de Dupuy. Bernard Saisset était d'un caractère hautain et
difficile : il avait eu de longues querelles axec le comte de Foix; voyez le
travail de ^I. Combes infilulé : De contentionibiis Bernardi Saisscli , primi
A'ppamiarum cpiscopi , cum Rogerio Bcriiardo , comité Fuxensi. In-8°.
104 LA FH.W'CM SOIS IMIILIITE LK 1)I:L.
d'être massacre, il se mit sons la protection de raiclievèquc
de Xarhoiine , son métropolitain, (|ni était présent', avec les
évèques de liéziers et de Ala^nelone : rarclievcque le prit
sous sa garde et en ré[)ondit.
(]e procès était contraire anx lois de l'Eglise : un évêquc ne
devait pas être mis en jugement devant une cour laï(pie; les
conciles n'avaient même plus le droit de le juger sans l'inter-
vention du pape, qui devait autoristu* les poursuites.
Philippe envoya à Rome Pierre de Flote demander le châti-
ment de Saisset. L'ambassadeur déclara que son maître n'avait
pas voulu user de son droit de punir lui-même un homme que
ses crimes rendaient indigne du sacerdoce et de la protection
accordée aux mendires du clergé; mais qu'il avait désiré don-
ner au souverain pontife une marque de déférence et de res-
pect, en lui remettant le soin de venger l'injure faite à Dieu,
comme auteur de toute puissance légitime, au roi comme fils
de l'Kglise, et au royaume comme partie considérable de la
chrétienté. Il re(|uit ensuite Boniface de déclarer Bernard
déchu de la dignité épiseopale, du privilège de cléricalurc,
et de le remettre au roi pour qu'il pût en faire un sacrifice
agréable à Dieu ^. Il y avait beaucoup d'hypocrisie dans celle
modestie apparente. IJoniface alfecta de |)rendre au sérieux les
protestations du roi et se léserva de renvoyer Saisset, soit
devant un concile provincial, soit devant un légat du saint-
siége. riote eut beau presser et demander une réponse, il
n'obtint rien, et retourna en France la rage dans le cœur.
Boniface suspendit les privilèges accordés par lui-même et
par ses prédécesseurs à la couronne de France, et convoqua,
pour le 1" novembre 1302, un concile général à Rome, afin
de mettre un terme aux oppressions que souffrait le clergé
de France, et de travailler à la conservation des libertés de
l'Fglise catholique, à la reformation du royaume, à la correc-
tion du roi et au bon gouvernement fie la France^. Tous les
prélats et tous les docteurs, les abbés, les supérieurs de mai-
sons religieuses, furent sommés de se rendre à celte assemblée ;
1 AIart('iio, t. I, p. 1:î20.
- Diiillet, p. 114. Diipuy, p. G30.
^ Rainaldi, p. 315.
L!\ RE CIXQIIKME. — LE ROI ET LE SAIXT-SIÉGE. 105
le roi fut invité à comparaître en personne ou à envoyer quel-
qu'un pour le défendre'. Le nonce Jacques de A'ormand fut
chargé de porter en France une bulle destinée à Philippe le lîel,
où Boniface proclamait la supériorité du saint-siége sur
les rois.
Il est important de préciser en quoi consistait cette supério-
rité que revendiquait Boniface dans la Inille Ausculta Jili. Il ne
prétendait pas réunir le pouvoir spirituel et le pouvoir tem-
porel : non, il le déclara lui-même dans un consistoire, au
mois de juillet 1302. « Nous savons, dit-il, qu'il y a deux
pouvoirs établis par Dieu; nous ne sommes pas assez dépourvu
de raison et assez insensé pour croire le contraire " » ; mais
il soutenait que le pouvoir spirituel était supérieur au pouvoir
temporel. Cette doctrine fut de nouveau développée par le car-
dinal d'.Acquasparta et dans une lettre écrite par l'ordre de
Citeaux \ i- Il y a deux juridictions, la spirituelle et la tcnipo-
« relie ; l'une donnée par Dieu à saint Pierre, l'autre qui
;) appartient à l'empereur et aux rois. Toutefois la juridiction
•5 spirituelle s'étend sur le temporel, car le pape a le droit de
îî connaître de toutes les actions humaines en raison du péché. «
En un mot, les rois n'étaient que de simples chrétiens, dont
les fautes étaient des péchés, pour lesquels ils devenaient jus-
ticiables de l'Eglise. Cette doctrine menait, de déduction en
déduction, au droit de déposer les rois; mais ce droit était
tellement exorbitant que les souverains pontifes n'osèrent
jamais l'inscrire dans les canons des conciles ni dans les
constitutions apostoliques.
La bulle Ausculta Jili n'était pas explicite à cet égard. Dieu,
disait Boniface, avec les paroles de Jérémie, Dieu, en nous
imposant le joug de la servitude apostolique, nous a établi
au-dessus des rois et des empires, pour arracher, détruire,
anéantir, dissiper, bâtir et planter en son nom ; très-cher fils,
ne te laisse pas persuader que tu n'es pas soumis au chef
* Bulle Salvator rmtndi. Baillet, Preuves , p. 42 (,3 décembre 1301).
2 £ Scimiis quod diiae sunt potcsfatcs ordiiiatae a Deo... qiiis cr;;o drl)ef
crederc quod fanta fatuitas, tanta insipicntia fucrit in capite noslro. -r^ Diipuy,
p. 76.
•^ Ken yn, p. 13.
106 LA FRA.VCE SOLS PHILIPPE LE BKL.
suprême de l'église, car une toile opinion snrait folie '; il
accusait ensuite le roi de tyranniser ses sujets, d'opprimer
ri'^'llise, de scandaliser les grands, c- 11 l'avait souvent averti
« de se corriger et de mieux «jouverner son royaume : il
;) dépouille les églises sous prétexte de la l'égale; il fait de
15 mauvaise monnaie. Qu'il ne rejette pas sa faute sur ses con-
ij seillers, car on lui a ouvert les yeux et il les garde : qu'il
n les cliasse au plus tôt. « Il l'invitait, en terminant, à tourner
ses regards sur le niisérahle étal de la terre sainte, et à se pré-
parer à la croisade". Une autre bulle, Secundum divina,
enjoignait à Philippe de mettre Saisset en liberté et de le lais-
ser venir à Rome'. Le roi le fit chasser de France et se mit
en mesure d'obtenir une grande manifestation en sa faveur,
contre les prétentions de Boniface, en convoquant les premiers
états généraux.
En agissant ainsi, Philippe défendait sa couronne : son droit
était évident, il n'avait qu'à le revendiquer et à l'exercer avec
dignité. Sa cause était belle; il eut le malheur de la souiller
par le mensonge et par la violence, en suivant sans doute en
cela les conseils des légistes qui l'entouraient. On répandit
dans le public une bulle commençant ainsi :
« lloniface à Philippe, roi de France : Craignez Dieu et obser-
vez ses commandements.
n Apprenez que vous nous êtes soumis au spirituel et au
tempoiel, etc. ^ . t>
Boniface nia énergiquemont être l'auteur de cette bulle, et
son assertion fut confiruiée par les cardinaux : le faux est évi-
dent. Ou publia une prétendue réponse d'une inqualifiable
insolence :
' Dijpiiy, p. 9S.
- {'artiil. 170, fol. 32, (lôcoml)rc 130J. Boniface adinoiipstait vrricmcnt
le roi : a no in anica ad siiiiilia, por te, vcl tuos, occnpalricrs manns pxicndas » ;
it le menaçait de l'excommunication.
•^ V^oy^z les raisons insiifiisantes alléjjnées par Eailiet pour essayer de
prouver raullicniicité de celle bulle, Démêlez, p. 126. — Contre i'aiillien-
iicité, conf. ilarca, De concordia, t. IV', cap. xii. Celle pièce est trop con-
traire aux usages de la cliancellerie romaine pour être vraie; la plus ancienne
mention qu'on en connaisse es! dans une réponse de Dubois, le pamjîblêlairc
a::A gages de Philippe le Bel.
LIVRK CrXQtlEAlE. — LE ROÎ ET LE SAIXT-Sli'GE. !t)T
u Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France, à Boniface,
prélendii pape, peu ou point de salut :
« Sache fa très-grande sottise, que nous ne sommes soumis
à personne au temporel, etc.'. »
Ce fut avec ces moyens que réprime la morale que Ton agit
sur l'opinion publique. Le dimanche après la Chandeleur
(février 1302), le roi fit brûler solennellement la bulle Aus-
culta Jili. J'ai raconté ce qui se passa aux états du 10 avril.
La défaite de l'armée française à Courtrai, au mois de juillet,
donna de l'assurance à Boniface sans abattre Philippe. Au
mois de décembre, Philippe envoya à Rome l'évêque d'Auxerre
signifier à Boniface que, de concert avec le roi d'Angleterre,
il avait renoncé à son arbitrage; l'ambassadeur avait ordre de
révoquer publiquement les pleins pouvoirs donnés jadis à
Boniface VIII, si le pape continuait à s'occuper de cette allaire.
Le roi fit accompagner l'évêque d'Auxerre par le comte de
Saint-Pol, le sire d'Harcourt et Mouchet, pour lui prêter main-
forte au besoin'. Peut-être Philippe méditait déjà quelque vio-
lence : ce qui le ferait croire, c'est que ce fut dans le château
de'Staggia, appartenant à Mouchet, que fut organisée l'expé-
dition dirigée contre Boniface VIII à Anagni.
Publiquement, Philippe était plein de déférence envers le
pape^. Sur ces entrefaites arrivèrent de graves nouvelles de
Rome.
Le concile convoque par Boniface s'était réuni le jour de la
Toussaint 1302; plusieurs prélats français ayant répondu à
l'appel du pape, malgré les défenses du roi \ Philippe fit sai-
sir leur tcmporeP, et un décret rendu le 18 novembre, sans
* Cette biillc ifest pas plus aiitlicntiquc que la précédente.
~ CartuL 170, fol. 27 v". — Notices et extraits , n° xvi.
■i Gurlul. 170, loi. 2S.
'^ Rej(. XXVI ilu Trésor des chartes , n" 61.
•T ilandciiicnf du roi ordonnant de saisir les biens des clercs absents dn
royaume. Rcg. XXXVI du Trésor des chartes, n" 34.
Les biens ainsi mis sous séquestre furent administrés par ordre dn roi
comme biens tombés en ré^jalo. Voyez, pour ce qui se passa à Xîmcs, Gallia
christiana, t. VI, p. 448. C'est donc bien à (ort que M. Rabanis, dans son
ouvrage intilnlé Clément V et PhiîipjJC le Bel, afflrnic (p. SO) que les pré-
lats qui se rendirent à Home ne furent pas inquiétés.
108 LA l'RAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
doute d'après l'avis du concile, consacra la doctrine de la
supériorité des papes.
« Il y a deux glaives : le spirituel et le temporel; tous deux
sont dans la main de l'Eglise; mais l'un est tenu par l'Eglise
elle-même, l'autre par les rois, sed ad xltl'm et patiextiam
SACERDOTis. Toutc Créature humaine est soumise au pontife
lomain, et cette croyance est nécessaire au salut '. •«
IJoniface enjoignit aux prélats français qui n'avaient pas
assisté au concile, de se rendre à Rome sous trois mois". Phi-
lippe défondit à ces mêmes prélats de sortir du royaume, et
fit garder les passages qui donnaient accès en Allemagne et en
Italie'. Le cardinal de Saint-Marcellin (légat du saint-siége)
convoqua un concile en France, à l'insu du roi*. Boniface
récapitula tous les griefs qu'il avait contre Philippe et le somma
de se disculper. Il l'accusait entre autres choses de fahriquer
de fausse monnaie et d'avoir fait hrùler la huile Ausculta JiJi.
La réponse de Philippe fut conciliante et modérée. Il expri-
mait le désir de maintenir, à l'imitation de ses ancêtres, l'union
entre la France et le saint-siége. Il finissait en conjurant Boni-
face de ne pas le trouhler dans l'exercice légitime de ses
droits : il offrait de s'en rapporter à la décision du duc de
Bretagne ou du duc de Bourgogne, qui lui étaient particulière-
ment agréahles ^ Le pape déclara cette réponse insuffisante,
et s'en plaignit amèrement à l'évêque d'Auxerre et au frère du
roi, (Charles de Valois, qui avait résidé près de deux années
en Italie avec le titre de défenseur du saint-siége, et que Phi-
lippe venait de rappeler.
Le 12 mars se tint au Louvre, en présence du roi, une
grande assemblée de barons, de prélats et de légistes.
Guillaume de Plasian lut un écrit où étaient accumulés les
chefs d'accusation contre Boniface :
et II est hérétique; il ne croit pas a rimmorlalilé de l'âme ni
' Diipiiy, Preuves du différend , p. 5V. Diipiiy ;i (la(é à lort ce décret de
l'an 1301.
2 Diipiiy, p. 89.
3 Rp;j. XWVI du Trésor des chartes , n° 34. — Dnpuy, p. 86.
* Diipiiy, p. S9.
j Diipiiy, p. 91.
LIVRE CIXQLIK.ME. — LE I50I ET LE S.\1\T-SIÉGE. 109
à la vie êlernellc : il a dit qu'il aimerait mieux être chien que
Français; il ne croit pas à la présence réelle dans l'eucharistie;
il prétend que la fornication n'est pas un péché. Il a approuvé
un livre d'Arnaud de Villeneuve, lequel livre a été censuré et
brûlé; il s'est fait élever des statues dans les églises pour se
faire adorer; il a un démon familier qui le conseille; il con-
sulte les devins; il a |)rêché publi(|uement que le pape ne peut
commettre de simonie; il fait trafic des bénéfices; il veut
mettre la guerre partout; il a dit (pie les Français sont des
Patarins (hérétiques cathares). Il est sodomite; il a commandé
des meurtres; il a forcé des prêtres à révéler les confessions;
il a nourri une haine cruelle contre le roi de France; on l'a
entendu dire, avant d'être pape, que s'il le devenait, il ruine-
rait la chrétienté ou il détruirait la fierté française; il a empê-
ché la paix entre la France et l'Angleterre; il a pressé le roi
de Sicile de faire mourir tous les Français'; il a confirmé le
roi d'Allemagne à condition de réduire la superbe des Français
{siipobiam Gallicanatu), qui, prétendait-il, se vantaient de ne
pas reconnaître de supérieur au temporel : en quoi ils men-
taient par la gorge; que si un ange lui disait que la France ne
lui est pas soumise, à lui et à l'empereur, il lui crierait ana-
thème; il a causé la ruine de la terre sainte, ayant pris tout
l'argent qui y était destiné, pour le donner à ses parents, dont
il a fait des marquis, des comtes et des barons, et auxquels il
a fait bâtir des châteaux; il a expulsé la noblesse de Rome; il
il a rompu des mariages; il a créé cardinal un de ses neveux,
qui n'est qu'un ignorant et qui était marié, et a forcé sa femme
à prendre le voile dans un couvent; il a fait périr en prison
Célestin, son prédécesseur*. ;)
Le 13 avril, Boniface déclara Philippe excommunié, s'il
persistait à ne pas se soumettre à ce que le saint-siége exigeait;
il chargea Nicolas de Bienfaite, archidiacre de Coutances, de
porter au cardinal de Saint-Marcellin la bulle qui retranchait
le roi de la communion de l'Eglise^; mais le roi, averti de la
^ Allusion aux Vêpres siciliennes.
2 Dupuy, p. 101.
•^ Bulle Ver processus. Dupuy, p. 98.
110 LA FRAXCK SOLS PHILIPPK LK l!i:i>.
mission de raicliidiacro, lo fît ainMcr à Troyos ot jclor en pri-
son; on lui enleva la huile, (]r.i, du reste, ne devait être ful-
minée qu'au cas où Philippe resterait sourd à un dernier
appel. En vain le légat protesta; on ne l'écouta pas. On mit
sous séquestre les biens des prélats absents du royaume; il
comprit qu'il se compromettait inutilement en restant plus
longtemps, et il quitta la France '.
Le 31 mai, Roniface, qui avait pardonne à Albert d'Au-
triche et l'avait reconnu comme roi des Romains, lança une
bulle où il ordonnait aux nobles, aux Eglises et aux communes
des métropoles de Lyon, de Tarentaise, d'Embrun, de Besan-
çon, d'Aix, d'Arles et de Vienne, de la Bourgogne, de la Lor-
raine, du Barrois, du Dauphiné, de la Provence, du comté
de Forcalquier et de Li principauté d'Oranges, du royaume
d'Arles, provinces qui relevaient de l'Empire, de rompre les
liens de vassalité et d'obéissance qu'ils avaient pu contracter
au détriment de l'empereur, et les déliait des serments de
fidélité qu'ils avaient pu prêter, (l'était en quelque sorte dé-
membrer la France que de faire revivre ces prélentions suran-
nées : le coup était dirigé contre Philippe le Bel, mais il ne
l'atteignit pas *.
Le 10 juin, une grande assemblée fut réunie au Louvre en
présence du roi. Les comtes d'Evreux, de Saint-Pol et de
Dreux, et Guillaume de Plasian demandèrent que l'Eglise fût
gouvernée par un pape légitime. Tous les crimes, toutes les
infamies furent de nouveau imputés à Bouiface. Le roi fut
supplié, en qualité de défenseur de la foi, de travailler à la
convocation d'un concile général : il y consentit^.
Le 24f juin, jour de la Nativité de saint Jean, il y eut une
grande réunion de peuple dans le jardin du Palais ; maître
Bertaud de Saint-Denis fit un sermon en français , et prit pour
texte ces paroles de saint Luc : « Il sera grand devant le Sei-
gneur» (Luc, I, 15), paroles qu'il appliqua d'abord à saint Jean,
puis au roi de France. Après le sermon , on donna lecture des
1 Vnypz la bulle Pctri solio cxcelso. Dupiiy, p. 181.
""- Bulle Jitxla i-erhum jiropheticum. Carlul. 170, fol. 38 v". Xotices et
extraits, n" xvii.
3 Dupuy, p. 100 et 101.
LIVUE CiXQLIÈMIv — LE ROI ET LE SALVT-SIÉGE. lii
chefs d'accusation contre Boniface, et on publia l'appel fait par
le roi au futur concile '.
J'ai fait connaître de (juclle manière les adhésions à l'appel
au futur concile furent recueillies par les agents du roi : on
employa la violence et l'intimidation pour les obtenir. Les reli-
gieux étrangers qui osèrent résister furent bannis du royaume^.
L'abbé de Citeaux, qui refusa d'adhérer, fut arrêté par ordre
du roi, et résigna ses fonctions pour ne pas exposer son ordre
à la colère du roi ^ .
Les historiens, même ceux qui sont favorables à Boniface VIII,
racontent que, le jeudi 8 septembre, le pape devait publier une
bulle par laquelle il déposait le roi. Cette bulle nous est par-
venue ; ellene renferme rien de pareil. Boniface y prononçait
contre Philippe l'excommunication qu'il avait encourue , ce qui
était bien différent d'une déposition. La bulle Pétri solio cxceho
ne laisse aucun doute à cet égard. Elle débute par la promesse
faite par Dieu à son Fils et à ses vicaires assis sur le trùne de
saint Pierre : t; Tu es mon Fils, et je t'ai engendré : demande-
moi et je te donnerai les peuples qui sont ton héritage, et
l'univers entier, qui est ton bien. Tu les gouverneras avec une
verge de fer et tu les briseras comme le vase du potier. " Cette
puissance, Boniface ne veut l'exercer que pour diriger le roi
dans la voie du salut : il lui dénonce les peines qu'il a méritées.
Il a d'abord employé les doux remèdes, qui n'ont fait qu'ac-
croître sa superbe : il se montrera plus sévère, pour voir si les
atteintes d'un châtiment léger ne lui conseilleront pas de se
1 Joli, a Sancto Victore, Hist. de France, t. XXI, p. 611.
- Annales Colmar., an 1302. Voyez aussi la bulle Fetri solio. Dupuj/,
p. 184.
•^ Contiii. chron. Guillclnii de Frachcto , Hist. de France, t. XXI, p. 25.
II s'appelait Jean de Poutoise : il fut remplace par l'abbé de Jouj . On a
beaucoup accusé la bonne foi de Philippe le l]el, parce que Dupuy a préfendu
que l'abbé de Cîteaux avait adhéré et qu'il a pubhé un acte qui le constatait.
On s'est trompé : l'abbé de Cîteaux paraît en effet parmi les membres de la
grande assemblée du 13 juin où fut résolu l'appel, mais il n'est pas dit qu'il
adhéra, et l'acte n'est pas muni de son sceau. Le refus d'adhésion n'est pas
exprimé, il est vrai, mais on ne peut accuser Philippe d'avoir supposé l'adhé-
sion et surtout d'avoir produit un acte falsifié. Pour ces accusations, voyez
Kervyn, p. 85.
112 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE DEL.
corriger, h l'cxpruplo do Xalmcliodonosor ; si, au contraire,
il s'endurcit, iju'il soit plongé avec Pharaon dans nn abiine
de maux.
Suit une longue récapitulation de griefs : il a empêché les
ccclésiasti(|ues français de se rendre auprès du sainl-siége ; il
a outragé un cardinal qui allait de sa part lui oilïir l'absolution,
et l'a fait surveiller; il a voulu rompre l'unité de l'Eglise et
porté la main sur l'ahhé de Cîteaux et sur d'autres religieux
dévoués au chef de l'Eglise ; il a fait jeter en prison Etienne
de Bienfaite, porteur de lettres du pape; il a donné asile aux
Colonna, malgré les sentences pontificales. Il se voit, lui,
Bonifacc, obligé de sévir par un juste jugement.
Dans tout ceci, il n'est pas question de déposition ni du
droit des papes de déposer les rois. Xous avons vu que la bulle
AuscuUa fili , la constitution Unmn snnctam, les discours des
plus ardents soutiens du j)ouvoir pontifical, n'avaient pas pro-
clamé l'existence de ce dioit. Qu'il me soit permis de recher-
cher brièvement si avant Bonifacc \\\\ ce droit avait été exercé.
Immédiatement se présente k l'esjjrit la déposition de l'empe-
reur Frédéric II par Innocent IV', et celle de don Pèdre d'Ara-
gon par Martin I\ , ainsi rpie la translation de la coui'onne de
Xaples à la maison d'Anjou par Clément IV. La (juestion semble
résolue par ces faits, qui sont attestés par des actes d'une sin-
cérité incontestable; mais il me semble qu'on n'a pas suffi-
samment examiné les motifs qui dirigèrent ou du moins qui
furent invoqués par les trois papes que je viens de nommer.
Ont-ils agi uniquement en (|ualité de papes et comme revêtus
delà puissance spirituelle? Je répondrai que non. ils étaient,
vis-à-vis de Manfred et de don Pèdre, dans une position
toute particulière : la Sicile et l'Aragon étaient des fîefs du
saint-siége; c'est comme seigneurs suzerains et non comme
souverains pontifes, et pour cause de trahison de la part
de leurs vassaux, que Clément IV donna le trône de Sicile
à Charles d'Anjou , et Alartiu IV celui d'Aragon à Charles
de Valois : c'étaient là des actes purement temporels, pure-
ment féodaux.
Quant à Frédéric II, ou n'ignore pas quels étroits rapports
unissaient depuis Charlemagnc la papauté et l'empire. Ces deux
LlVRi: CIXQLIK.ME. — LE ROI ET LE S.^LVT-SIÉGE. 113
puissances revendiquaient mutuellement une autorité l'une sur
raufre. L'empereur reconnaissait toutefois une sorte de supré-
matie de la part du pape; il ne pouvait porter le titre d'empe-
reur qu'après avoir été sacré par le pontife romain. Aucun pape
n'avait jamais élevé pareille prétention sur un roi de Fnnice ;
aussi lit-on avec élonnement le discours que Boniface tint dans
un consistoire au mois de juillet 1302. 11 dit que si Philippe ne
laissait les prélats français aller à Rome, il le déposerait comme
un petit garçon, et que ses prédécesseurs avaient déj;ï déposé
trois rois de France; ce qui était faux. Mais ce discours n'est
rien moins (ju'autlientique ; il ne nous est parvenu que dans un
manuscrit du quinzième siècle, et il a pu n'être pas fidèle-
ment recueilli. Ce document est d'autant plus suspect qu'on y
trouve une appréciation entièrement erronée des revenus du
roi de France, et d'autres erreurs qu'on ne peut attribuer à
Boniface VIII.
La publication de la bulle Pétri solio cxccho, en excommu-
niant Philippe, le plaçait dans la situation où s'étaient trouvés
avant lui le roi Robert, Philippe I" et surtout Philippe-Auguste.
Sur ce point, Boniface VIII n'innovait rien. Quant aux deux
glaives, auxquels il est si souvent fait allusion sous ce pon-
tificat, ils sont souvent invoqués dans les lettres d'Innocent IV,
de Grégoire IX et d'Innocent V. Qui plus est, les prédécesseurs
de Boniface VIII prétendirent plus ouvertement que lui à la
suprématie temporelle.
Grégoire IX n'écrivait-il pas à Frédéric II : « C'est un fait
notoire et manifeste que Constantin, qui possédait la monarchie
universelle, a voulu, du consentement du peuple de Rome et
de l'empire romain tout entier, que le vicaire du prince des
apôtres, qui avait l'empire du sacerdoce et des âmes dans le
monde entier, eût aussi le gouvernement des choses et des
corps dans tout l'univers, persuadé que celui-là devait régir
les choses terrestres, à qui Dieu avait confié sur la terre le
soin des choses célestes.... Tu oublies que les prêtres du Christ
sont les pères et les maîtres de tous les rois et de tous les
princes chrétiens.... D'où te vient cette audace de juger les
décisions de notre conscience, dont le seul juge est au ciel,
quand tu vois les têtes des rois et des princes se courber aux
8
114 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
genoux dos prèlrcs ' ? » Jamais IJonifaco VIII n'alla aussi
loin, ni;iis il commit une faute grave : il réduisit en doc-
trino diins la constitution Unom sanctam les prctcntions que
SCS jMcdécesscurs s'étaient contentés de formuler d'une manière
spéciale.
Il eut lin autre tort, et c'est celui qui lui attira sans retour
r l'inimilié d(> Philippe le Bel ; il convoqua le concile de Latran
pour réformer le gouvernement du roi de France. Les rois
avaient bien pu accepter avec soumission des conseils j)aternels
donnés dans le secret de la corres[)ondance ; mais il leur était
impossible de tolérer (ju'un ])ape les mît solennellement en
cause, et instruisît pul)li(juenient leur procès, quand on n'a-
vait pas à leur reprocher de fautes contre la foi. La convo-
cation du concile de Latran et la promulgation de la bulle
Unam sanctam furent de la part de Boniface VIII des actes
d'une grande im[)rudence, qui le précipitèrent à sa perte,
et dont c mauvais succès, loin d'augmenter la puissance
temporelle du saint-siège, l'affaiblit et réduisit, par suite d'une
réaction inévitable, la papauté à la soumission de Benoît XI
et de Clément V.
On sait comment, au mépris du droit des gens, Boniface \III
fut arrêté dans Anagni, la veille même du jour où l'excommu-
nication du roi de France allait être affichée publiquement.
Quelle part Philippe le Bel eut-il à cet événement? C'est un
point qui n'a pas été encore examiné et que je vais essayer
d'éclaircir. Le récit de la captivité de Boniface VIII générale-
ment répandu ne me paraît pas puisé à des sources entière-
ment dignes de foi'. 11 repose en partie sur Jean Villani, qui
écrivait au milieu du quatorzième siècle \ et qui a été souvent
' Lettre du ^'o octobre 1236. Hiiillard-Drcliollcs, hiiroditction à l histoire
(liplo)natiquc de Frédéric II , p. cdxw.
- Diipuy, p. 21. liaillct, p. 277 cl suii. Baillot est iiifinimrnt plus com-
plet (pic Dupny : il fait d'ailleurs preuve de critique; cependant il s'est trop
servi d'historiens (pii, ayant vécu beaucoup plus tard, ne pouvaient donner
des informations assez exactes. II. l'abbé Christophe, quoique ayant puisé ù
des sources plus nombreuses que ses devanciers , n'apporte aucun fait nou-
veau. Histoire de la prijxiiifé ait quatorzième siècle , t. I, p. 145 et suiv.
^ Villani, I. \II1, cliap. i,\iii, apud Miiratori , Scriptores hist. ital.,
t. XIII.
LIVllE CIXQLIiaiE. — LK IJOI ET LE SAIXT-SÎÉGE. 115
convaincu (rcrreur, et sur rAnjjlais Ualsingham, historien
encore plus récent '.
On n'a pas tiré parti de la confession de JVofjaret et du récit
d'un des principaux conjurés, Rinaldo de Supino^.
\ogaret raconte que le roi l'avait envoyé à la cour de Rome
signifier au pape l'appel au futur concile, et le sommer de
réunir ce concile; mais le pape, qui ne se sentait pas en sûreté
à Rome, au milieu d'une population qui lui était hostile, se
retira dans sa ville natale, à Anagni. Xogaret n'osa l'y rejoin-
dre ; ayant appris qu'il allait lancer Texcommunication contre
le roi, il voulut le prévenir et résolut d'employer la force. Il
s'était adressé au roi de Naples ; mais il parait ne l'avoir pas
trouvé favorable à ses projets de violence; il proposa ensuite
aux Romains de lui prêter main-forte pour défendre l'Église
opprimée par un usurpateur, un hérétique et un tyran". Les
Romains n'osèrent pas lui donner leur appui par peur du pape:
il se tourna enfin vers les gibelins de la Romagne, et s'aboucha
avec Rinaldo de Supino, ennemi mortel de Roniface, capitaine
de la ville de Ferento, et lui proposa de l'accompagner à
Anagni, pour contraindre Roniface à la réunion d'un concile.
Le projet plut à Rinaldo et à ses amis; mais ils ne voulurent
pas s'engager sans obtenir une promesse formelle d'être mis à
l'abri, parle roi de France, des suites spirituelles et temporelles
de leur participation à une attaque contre la personne du pape.
Xogaret les rassura en leur faisant lire et en leur donnant
copie authentique du plein pouvoir que Philippe lui avait
donné de traiter et conclure des alliances en son nom, s'enga-
1 Thomas Walsingham, Historia Angliœ , cité par Dupny, p. 193.
2 Boniface l'avait dépouillé du cliàlcau de Trévi qu'il tenait en fief. Arcli.
du Vatican, Miscellanea , capsula 73, n" 3 (9 novembre 1298).
3 tt Requisitus ergo légitime pluries et inslanter, ut in ausilium Eccicsie
celeriter assurgcrem, scutuni et arma non cum extrancis, scd Ecelcsiœ romanœ
fidelibus et devotis in cjusadjutorium apprehcndi, ut dicto Bonifocio rcsislcrcm
in facie , ne complerct scandala supradicfa, ad qua' suo doloso proposito pro-
pcrabat et cetera. Acccrsitis crgo baronibus aliisquc nobilibus Cam])ania;, qui
iuc ad hoc pro dcfonsionc Ecclcsi» capitaneum clegerunt et ducem, pridie
fcsli Xativitatis beatœ ilaria; Virginis ingrcssus sum Anagniam, cum armata
potentia nobilium predictornm, nam alias non poterain ?iegotium Christi
complere. ' Allegationes excusaloria> Gnillelmi de Xng;;reto super fado Doiii-
faciauo. Dupuy, p. 256.
8.
IIG LA KHWCK SOLS l'IIlLIl'I'E LK BEL.
géant à ratifier tous les engagements qu'il prendrait : c'était
un véritable blanc-seing '. Nogaret promit donc au nom du
roi ce que demanda Kinaldo; il stipula aussi que ses nouveaux
alliés seraient payés de leur peine. Mais Rinaldo avait des
scrupules. Eu vain Xogaret disait-il agir en bon catbolique et
ne travailler (pie pour le bonheur de l'Mglise, les Italiens
savaient le danger qu'ils couraient en atla(|uant ouvertement
un pape. Ils exigèrent (juc Xogaret marchât le premier avec
l'étendard du roi de France, se contentant d'un rôle secondaire
qui laissait à Xogaret et à Philippe l'honneur et le danger.
Xogaret dut en passer par ces exigences, quoi(pie à regret,
car cette dernière condition dérangeait ses plans. Cet hypocrite
jetait les yeux sur l'avenir et voulait se ménager sinon une
excuse, du moins un |)rétexte. Il s'était tracé le rôle de cham-
pion de la Toi et de défenseur de l'Eglise : or, marcher sous
la bannière fleurdelisée, c'était agir en soldat du roi de France,
c'était se dépouiller de l'impunité. Il sut résoudre cetle diffi-
culté. Il avait promis de marcher sous la bannière du roi de
France, mais il ne s'était |)as interdit de déployer aussi l'éten-
dard de l'Eglise romaine. Ce fut donc précédé du gonfanon de
saint Pierre ', porté par honneur avant la bannière de France,
qu'il pénétra dans rinagni, dans la nuit du G au 7. Il avait avec
lui une troupe de cavaliers et de fantassins, sous les ordres de
Rinaldo et de Sciarra Colonna, auquel le désir de se venger
faisait biaver tous les périls. Le capitaine de la ville avait été
gagné. La petite armée trouva les portes ouvertes et entra en
criant : Vive le roi de France! Mort au pape ^ !
Les neveux de lîoniface se défendirent : on fit des barricades;
Xogaret et les siens durent faire la guerre des rues; ils arrivè-
rent ainsi, après une série de combats, devant le palais. Pen-
dant qu'une partie des assaillants cherchaient a enfoncer les
portes, quelques-uns mirent le feu à la cathédrale, (pii avait
une communication avec la demeure du pape, et j)énélrèrent
dans le [)alais. Tout fut perdu dès lors pour Ronilace. Il fut
grand dans son malheur : il se revêtit des ornemenls sacerdotaux
1 Diipuy, p. 000.
- Aclo (l'accusation de Xogaret. Dupuy, p. 441.
^ Dupuy, p. 250.
LIVÎIK GlXOlIiaiIÎ. — LE ROI ET LE SAIM-SIÉGE. 117
et monta sur son trône '. L'histoire n'a que de l'admiration
pour les vieillards romains qui attendirent sur leurs chaises
curules l'arrivée des Gaulois : l'action de IJonilace était encore
plus digne et plus grande.
Xogaret lui signifia l'appel an concile et le somma de le
convoquer, lui promettant la protection du roi. Boniface ne
daigna pas lui répondre. Sciarra Colonna le menaça : «Voici mon
cou, voici ma tète ; " telle fut la réponse deIJoniface, (|ui s'avança
comme pour se livrer. Sciarra voulut le frapper; Xogaret l'en
empêcha. Comme il voulait s'en faire un mérite auprès du pape,
il s'attira cette méprisante apostrophe : " Je me console de
me voir poursuivi par des palarins pour la cause de l'Kglise. •>■>
Celait une sanglante allusion au grand-père de Nogaret, qui
avait été brûlé comme hérétique (en langue vulgaire patarin).
On prétend que Colonna le frappa de son gantelet au visage,
qu'on l'attacha sur un àne, la tête tournée du côté de la queue,
et qu'on le promena dans Anagni au milieu des outrages; mais
ce sont là des récits que l'on doit rejeter ^. Il parait certain
que la personne de IJonifacc fut respectée ^ Nogaret se con-
tenta de le tenir comme en captivité et de l'obséder pour le
faire consentir à la réunion d'un concile. Boniface fut inébran-
lable. Xogaret ne savait que faire, lorsqu'au bout de trois jours
le peuple d'Anagni, honteux de sa trahison, vint réclamer
Boniface *. Nogaret fut contraint de s'enfuir; l'étendard du
roi fut traîné dans la boue; de la cavalerie venue de Rome
poursuivit Nogaret, (pii trouva un refuge à Ferento \
Boniface revint à Rome", où il mourut quelques jours après.
' Tous les auteurs sont d'accord sur la fermeté de Boniface. (^onf. Diipuy,
p. 21. Haillet, p. 279 et suiv.
- W'alsinjjliam , apud Dupuy, p. 19V.
•^ Le fait est affirnié par saint Antonin, archevêque de Florence, t. III, lit. X\,
cap. VIII. Les violences (|ui lurent commises, notanunent le pilla;]e du trésor
pontifical, doivent surtout être attribuées à Colonna. Voyez le mémoire
adressé à Dcnoit XI, dans Daluze, l'itœ paparum Acenio/i., t. I, p. 15.
^ Récit de A'ogaret. Dupuy, p. 2VS.
^ Récit de Rinaido de Supino. Dupuy, p. 608.
f» Où il tomba entre les mains des Orsini (jui le tinrent prisonnier en l'en-
tourant de démonstrations de respect et de dévouement. Rain., t. IV^ p. -335
et 356. Ferctti de licence, apud Muratori, t. VIII, p. 1008. Il mourut le
11 octobre.
118 LA l-'K.WCE SOIS PHILIl'I'I'; LE liKL.
Ainsi ]i(''iit misôrahlomeiil, après un règne de huit ans cl dix
mois, Honiface VIII, laissant la imputation d'un ambitieux qui
avait rcru son châtiment. On ne saurait nier qu'il n'aimât à
dominer. Il était doué d'une àme forte et peu commune : l'ex-
térieur de sa personne révélait ces qualités. Oiiaiid, au dix-
septième siècle, on déplaça son tombeau en reconstiuisant
Saint-Pierre de Rome, on trouva son corps dans un état de
conservation parfaite '. Sa taille était élevée, son front large,
ses mains belles; son visage était empreint d'un air de sévérité
et de hauteur '.
Les historiens ecclésiastiques eux-mêmes ont avoué que ce
pape avait plutôt les qualités d'un roi que d'un pontife ^. Et
cependant telle était l'autorité de la papauté, que Philippe n'osa
l'attaquer de front. L'élection de lioniface VIII, dn vivant de
Célestin Y , avait répandu dans beaucoup d'esprits des doutes
çur la valeur de cet acte. Philippe profita de cette circonstance
pour prétendre que Boniface n'était point pape : ce fut l'indigne,
l'intrus qu'il poursuivit. Il est probable qu'il n'aurait jamais eu
la témérité d'intenter un procès à un pape élu dans les condi-
tions ordinaires, ou que, s'il l'avait fait, son entreprise aurait
tourné contre lui.
Les ardeurs de la lutte donnèrent naissance à de nombreux
écrits, dont les auteurs prirent en main la défense de l'indé-
pendance des rois. Dans cette lutte se distinguèrent Jean de
Paris *, Guillaume d'Occam et surtout Pierre Dubois'. Ce der-
nier osa même proposer à Philippe le Bel la suppression du
pouvoir temporel des papes, afin d'en investir le roi et de
faciliter par là, ce qui était l'objet de ses rêves, la monarchie
1 Voyez le procès-vcrbat dans Rainaldi , p. 359 (en 1605). Couf. Spondc,
Annales ecclesiasiici , anno 1303, n» 16. Sponde, évêque de Pamiers et
continuateur de Baronins, avait été témoin oculaire de l'exhumation de Boniface.
2 La découverte du corps de Couil'acc VIII encore intact dément, ainsi que
l'a fait remarquer Baillet {Dcinc/cz, p. 290), le récit d'iiistoriens (pii pré-
tendaient (pi'il s'était ron;|(' les mains de rage avant de mourir.
3 t Ceterum Bonilacius iu;jeutes animi dotes in pontitieatu contulil, quam-
quam sa'culari princi|)atui potiusquam ecclesiastico apliorcs. i Alansi, ad
Rainaldim, t. IV, p. 356.
^ Riciier, Défense de la doctrine des anciens, p. '(-8.
•^ A la fin du recueil de Dupuy sur le différend, p. 663. Sur Dubois,
voyez Xotices et extraits des nuttiuscrils , t. \X, ~" pari., p. 106 et suiv.
LIVRE GIXQLIKAIE. — LE ROI ET LE SAI\"T-SIi:GE. 119
universelle au profit de la France. Dubois développa ce projet
liardi dans un mémoire qui fut remis à Philippe le lîel. Il
espérait arriver à son but par des voies pacifiques. Il invitait
le roi à suggérer au pape de céder son pouvoir temporel,
moyennant une pension égale aux revenus du patrimoine de
saiut Pierre, transaction avantageuse au souverain pontife,
qui ne jouissait pas en paix do ses domaines, par suite des
révoltes perpétuelles de ses sujets. « Vieillard pacifique (c'est
V Dubois qui parle), le pape ne peut réprimer par les armes
55 les rébellions. Veut-il employer la force? Il éprouvera des
u résistances, la guerre éclatera : des milliers d'hommes péri-
» ront, dont les âmes descendront en enfer, âmes qu'il avait
î) charge de défendre et de sauver. Il ne doit prétendre à
■!) d'autre gloire qu'à celle de pardonner, d'annoncer la parole
•» de Dieu et de rappeler à la concorde les princes chrétiens.
M Mais quand il se montre auteur et promoteur de tant de
u guerres et d'homicides, il donne un exemple pernicieux : il
« fait ce qu'il déteste, ce qu'il blâme, ce qu'il accuse, ce qu'il
» empêche chez les autres Quel est l'homnn^ qui oserait se
n donner pour capable de manier l'un et l'autre glaive dans
■■> de si vastes états ' ? "
Le pouvoir temporel des papes ne fut pas seul attaqué :
quelques-uns des arguments s'égarèrent contre la discipline et
contre le dogme. Dubois osa bien proposer au roi l'abolition
du célibat des prêtres; on alla plus loin ' : on fit circuler une
fausse bulle attribuée à Coniface VIII, iiahilement cal([uée sur
les constitutions apostoliques, qui relevait le clergé du vœu de
chasteté et lui permettait le mariage ^ Jean de Paris nia la
transsubstantiation et professa sur le mystère de l'eucharistie
une doctrine voisine de celle de Luther *. Mais le véritable
résultat du différend de Philippe le Bel avec Bonilace VIII fut
la reconnaissance par tous de l'indépendance de la couronne.
1 Summaria et hrecis doctriîia. Ribl. imp., n" 0022, fol. 7. Voyez le
Mémoire ilc M. de W'ailly sur cet opuscule, l. WIII des Méni. de l'Acad.
des inscript., p. 9 et 10 du tinijje à part.
2 De W'ailly, Mém. de l'Acad., t. XVIII, p. 407.
-> Voyez cette bulle dans Kervyii, Recherches , p. 84 et 85.
'* Baluze, Vitœ paparmn , t. I, fol. 3.
120 LA l'HA.XCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
CHAPITRE DEUXIÈME.
CLÉMEXT V ET LES TEMPLIERS.
EflVt produit en Franco pnv l:i inori do Bonifaco VIIL — ICIoctioii do Brnnlt XI,
qui absout Pliilippo lo Bel. — Il inoiirl : sniipcnns iiurais('inl)laiilcs aiix-
quols cfllo iiioi-t a donné lien. — Election de CJénient V. — Examen de
la question si celte (-lection l'ut le IViiil des intrigues de Philippe le Bel. —
Conqjlaisancc de ce nouveau pape envers le roi. — Xoininalions directes
aux évêcliés par le pape à la demande du roi. — Graves néjjociations entre
le pape et le roi. — Dès J305 il est question des Templiers. — Puissance
incroyable de cet ordre militaire et religieux. — Projets de réforme (|ui
échouent. — Les Templiers sont arrêtés par ordre du roi. — Indignation
du pape. — Philippe le Bel l;iit répandre des pamphlets contre Clément V
pour le forcer à abolir l'ordre du Tenq)lc. — Il joue le rôle de d('fenseur
de la foi. — Il force Clément de faire le procès à la mémoire de Boni-
face \ III. — Il obtient, au moyen des étals généraux, le |)rocès , puis
l'abolition des Templiers au concile de Vienne, par le pape, malgré l'avis
du concile. — Examen des griefs imputés aux Templiers. — Condanmation
et supplice du grand maître. — Philippe s'enrichit par la suppression des
Tcnq)liers.
Le déploral)lc triomphe que venait de remporter Philippe le
Bel le mettait dans un singulier embarras. C'était lui, le roi
très -chrétien, le fils aîné de l'Eglise, le petit-fils de saint
Louis, le descendant de ces rois auprès desquels le saint-siége
avait toujours trouvé un appui dans l'adversité, qui avaient été
l'objet de toutes les complaisances des papes, c'était lui qui
venait de briser, par un attentat inouï, celte alliance qu'il sem-
blait impossible de rompre, et dont dépendait, aux yeux de
tous, la stabilité de l'Église romaine et de la royauté française.
ilariage est de bon de\ is
De l'Eglise et des fleurs de lis,
Quand l'un de l'autre partira
Chacun d'eux si s'en sentira '.
Tel fut l'eifet que produisit en France la nouvelle de l'arres-
tation et de la mort de Boniface. Une lettre confidentielle de
Nogaret au roi fait connaître la situation difficile où se trou-
vait Philippe'. Les prélats les plus illustres de l'Eglise galli-
1 Baillet, p. 188, d'après un ancien manuscrit de l'abbaye de Saint-\ ictor.
- Cartul. 170, fol. 37. Voyez Xoticcs et cuiraUs, n" 18.
LIVRE CIXQLIÈAIE. — LE IlOI ET LE SAIXT-SIÉGE. 121
cane, tout ce que le clergé comptait (riiommes fameux par
leur science ou leurs vertus, tMaient partisans de Boniface : la
plupart n'alteiulaieut que le moment de se déclarer contre le roi,
et ils repoussaient comme des calomnies les accusations portées
contre le pape. Des princes, de hauts personnages, des amis
du loi, partageaient cette opinion et trouvaient que Philippe
avait sur la conscience un poids hien lourd '. Le passé n'était
pas seul à donner des inquiétudes : l'avenir se présentait incer-
tain et menaçant.
Aussitôt après la mort de IJoniface, le conclave se réunit à
Pérouse. Xogaret se transporta dans cette ville et protesta
devant notaire contre toute élection qui serait contraire aux
intérêts de son maître -. L'évêque d'Ostie fut élu et prit le nom
de Benoît XI. Philippe ne pouvait espérer un choix plus favo-
rable ^ Le nouveau pape s'empressa de l'absoudre, sans qu'il
l'eût demandé, de toutes les sentences d'excommunication qui
avaient pu être portées contre lui, dans une bulle remarquable
où éclatait l'antique tendresse du saint-siége pour les rois de
France. " Ne sommes-nous pas, disait Benoît XI, le vicaire de
Celui qui a proposé pour exemple cet homme qui, donnant un
festin, dit à ses serviteurs : Allez par les chemins et lorcez-les
d'entrer, pour que ma maison soit remplie I Xous avons aussi
accompli la parabole du bon pasteur, qui court après la brebis
égarée et la rapporte sur ses épaules. Comment ne te contrain-
drais-je pas d'entrer, et quelle ouaille est aussi grande, aussi
noble, aussi illustre que toi? n
Philippe lui envoya une ambassade pour le féliciter de son
avènement; Benoît annula toutes les bulles de Boniface, soit
contre le roi, soit contre le royaume. Il leva toutes les excom-
munications encourues. Les Colonna furent absous *. Il y eut
un pardon général, dont ne furent exceptés que Xogaret et les
' Cartul. 170, fol. 37, pièce coiniiicnraiit ainsi : Realis est ccritas. \oyez
Notices et extraits , n° 18.
- Diipuy, p. 237.
"^ Dans la Ijullc où il informait Philippe de son avènement, il lui promet-
tait tout ce rpi'il pouvait désirer de lui et de le favoriser u tancpiani filio
lienedictionis '. u cal. apr. anno i (13U4j. Invent, de Dupuy, Bulles, \\° 5.
(L'original est actuellement en délicit.)
'^ Dupuy, t. I, p. 207. 2 avril 130V. Dullc Quanta nos, o Jili.
122 LA Fil.WCH SOLS PHlLii'i^E LE IWA..
autours de l'altonlal d'Auajjni'. IJcnoîl XI mourut au mois
d'août 1304, après sept mois do règne, laissant rK;j;lise paci-
fiée et la concorde rctahlie entre le saint-siège et la France. Il
avait défait, à l'applaudissement yènèial, tout ce qu'avait fait
Boniface VIII, et, en tenant cette conduite, il n'avait cédé ni
aux menaces de Philippe, ni à une haine personnelle contre
lioniface : il avait agi selon les intérêts de la papauté.
Depuis le milieu du treizième siècle, la situation des papes
était précaire en Italie. Le patrimoine de saint Pierre était
envahi par les familles patriciennes, qui faisaient de chaque
ville un repaire de tyrans. A Rome même, le pape n'était rien
entre les deux factions des Colonna et des Orsini. Innocent III
avait été réduit à s'échapper de Rome, où il était captif.
Pérouse était devenue la résidence ordinaire des papes '.
Boniface ne se sentait en sûreté qu'à Anagni. Lu seul appui
désintéressé, la France, qui ne refusa jamais aide au faible et
ne vendit jamais son secours! De cet ami fidèle, Boniface avait
fait un ennemi. Pliilippe pouvait à son tour dire au saint-siège
ce (jue Boniface lui avait dit dans un mouvement d'orgueil :
«Si je t'abandonne, qui te soutiendra? »
Cette bonne harmonie, Benoit XI eut la gloire de la rétablir.
Il mourut inopinément : on a parlé de poison; on a été plus
loin : on a prononcé le nom de Philippe le Bel. Cette accusa-
lion ne se trouve pas dans les chroniqueurs contemporains,
sauf dans un seul. Pour qui connaît la situation, c'est là une
absurde calomnie. Philippe avait intérêt à ce que Benoît XI
vécût. Où aurait-il trouvé un pontife plus ami que celui qui
s'était empressé de le relever de toutes les censures portées
par Boniface? Il y a plus, la mort de Benoît était si peu utile
au roi de France, qu'elle remit tout en question. Ln nouveau
pape, favorable à Boniface, pouvait être élu et chercher aie
venger.
Le conclave se réunit à Pérouse : les cardinaux restèrent
enfermés penchiut dix mois sans pouvoir s'entendre. Enfin leur
1 Bulle Saiictœ mati-is Ecclesiœ. I)ii])nj , p. 208.
- Voyez la preiiic de tout ceci dans {{alianis, Clément V et Philippe le
Bel, p. 125 et suiv.; et (Christophe, Histoire de la papauté an (juatorzième
siècle, t. I, p. 62 et suiv.
LIVRE CI\QLIEME. — LE ROI ET LE SAIXT-SIÉGE. 123
choix tomba sur Bertrand de Got , archevêque de Bordeaux.
Une vieille histoire, qu'on trouve dans Villani, raconte que les
cardinaux, pressés par le peuple et par les ambassadeurs
étrangers de prendre une résolution, et ennuyés eux-mêmes
de leur longue captivité, firent un compromis : les partisans
de Boniface devaient présenter trois candidats, parmi lesquels
choisirait le cardinal de Prato, chef du parti contraire. Au
nombre des trois candidats fut Bertrand de Got, archevêque de
Bordeaux, ennemi de Philippe le Bel, mais avide d'honneurs,
<le pouvoir et surtout d'argent. Un tel homme devait convenir
à Philippe ; aussi le cardinal de Prato le lui recommanda
comme facile à corrompre. Philippe alla trouver l'archevêque
dans une abbaye près de Saint-Jean-d'Angély, et s'adressant à
lui : t'- Sire archevêque, j'ai dans ma main de quoi vous faire
pape, si je veux, et c'est pour cela que je suis venu. ^^ Et il lui
montra le compromis des cardinaux. Berirand se jeta à ses
pieds; le roi lui posa cinq conditions, et réserva une sixième.
Bertrand jura de les remplir, et, par l'ordre du roi, le cardinal
de Prato le désigna comme pape.
J'ai résumé le récit de Villani, qui n'omet aucune circon-
stance de lieu et de temps. Cette histoire est invraisemblable,
même par sa trop grande précision : on en a prouvé l'inexac-
titude et la fausseté '. Mais si Philippe n'a pas eu d'entrevue à
Saint-Jean d'Angély, si l'élection de Clément V n'a pas été le
résultat d'un compromis, faut-il en conclure que tout est faux
dans le récit de Villani et que Clément n'a pas été élu par
l'influence de Philippe le BeP? Je ne le crois pas. Le récit de
1 Viiiani , I. VIII, cap. lxxx. Rabanis, Clément V et Philippe le Bel.
4^uant à l'influence du cardinal de Prato sui* l'élection de Clément V, elle est
attestée par Dino Conipagni, apud Muratori , VIII, p. 237.
2 Les événements les plus importants du pontificat de Clément V^ ont été
rendus souvent incomprélîensibies par la mauiaisc chronologie adoptée par
Dupuy et par Balnze : ces doux savants avaient compté les années du ponti-
ficat à partir de l'élection, tandis que Clément ne les comptait qu'à partir de
son couronnement. Ce fait, qui entraîne de graves conséquences et permet
de rectifier un grand nombre d'erreurs, a été démontré par JI. de Wailly
dans une dissertation intitulée : Des recherches sur la véritable date de
quelques bulles de Clément V. I11-8". L'erreur (]uc je viens de signaler avait
déjà été combattue au siècle dernier par Dom V aissètc , t. IV, p. 559.
12V LA l'U.WCE SOIS PHILIPPE LE DEL.
Villani est une légende : or loiile légende repose sir un fait
(|ii(' les détails merveilleux dénaliirenl souvent , mais dont la
donnée première est conlornu' à la vérité. Le |)oint de dépait
du récit de Villani est la soumission de Clément V à Philippe
le 15el. Or, cette soumission ne saurait être mise en doute;
elle n'est (jue trop prouvée par les actes du ponlilicat de
Bertrand de Got. D'ailleurs des historiens conlem|)orains
dignes de loi attrihuent l'éleclion de Clément V à l'or de
Philippe le J5el'.
Le pontificat de Clément V ne fut en effet (|u'une suite de
concessions aux exigences insatiables du roi. Les décrets de
lîoniface VIII contre Philippe le Bel furent biffés sur les
registres du Vatican '. La bulle Uiiam snnctam fut déclarée
inapplicable à la France. J'ai lu avec attention la coriespon-
dance intime de Philippe et de Clément', et je déclare (|u'on
ne comprend la servile obéissance du pape que si l'on suppose
des engagements antérieurs à son élection. Avant de montrer
à quels actes politiques Philippe le contraignit de donner son
adhésion, au mépris de la dignité et des droits du saint-siége,
je vais faire voir en quelques mots ce que devinrent sous son
pontiûcat les libertés de l'I'lglise de France.
1 a Cardinali, pcr vniniilà de! rc di I'"raiuia c pcr indiistria do' Colonnosi,
clessoiino incsscr Itarnnndo del GoUo. » Chronique de Dino Compagni , apiid
Miiratori , t. \1II, |). 517. — a (Siemens... id auro rcyio , donisque maximis
adiiortantiliiis et IV-trl studio iiiccssabili , prie cœtcris in apostolorum sede
papa docornitiir. » Korclli de Viccncc, apnd Miiratori , 1. IX, p. 1014.
Coiif. Clirisloplio, Histoire de la papauté , t. I, p. 179.
- Kaiiialdi pidjlic li's hidlos dr Ijoiiilacc VIII on indi(]iiant 1rs parties effa-
cées par ordre de Clément \ à la rc(pièlc de Philippe le liel. Il est curieux
d'étudier les passafjcs dont la sii[)pression fut réclamée par le roi, comme
attentatoires à ses droits et à son honneur. Il se montra très-.sévère, et donna
par là à Clément V une idée de ce qu'il était disposé à tolérer de sa part,
c'cst-à-dirc peu on point de conseils.
•^ Cette correspondance se trouve dans le vfi 170 du fonds des Cartnlaires
de la Bibliothèque impériale, qui n'est autre que l'ancien Registre XXIX ou C
du Trésor des chartes. La plu|)art des lettres de Clément ont été publiées
par Calu/e [l'ito' jjaparuiu Avenioncnsium, t. II); cependant ce savant en a
omis plusieurs d'un intérêt capilal, ipii éclairent la conduite de Clément et
du roi dans l'ariaire des Tenqjliers, et qu'il a sans doute supprimées non par
éyard pour Philippe le Bel, mais par crainte de Louis XIV.
LIVRE CIXQlIKMr:. — LE ROI KT LE SA1\T-SIÉGE. 125
On ne vit plus (Véloctions d'évèques par les clir.pifres.
Pliilippe commandait et il fallait obéir. Aloyennant cette sou-
mission, le roi permettait au pape de nommer directement aux
évècliés. Clément pourvut ainsi aux sièges de Langies et
d'Agen', d'Auxerre ', de Bayeux, de Clermont. A propos de
Langres, il écrivait an roi : « Xous voulons préposer à ce siège
une personne agréable à Dieu , à nous, à toi et à l'Eglise •' . Il
se réserva la nomination de l'évéque de IJayeux, afin, disait-il,
de donner à cette Eglise une preuve de son affection paternelle \
Le roi prétendait bien profiler de ce droit de nomination qu'il
laissait au pape, pour placer ses propres créatures. En 1309, il
demanda à Clément V de donner rarclievèclié de Sens à son
conseiller Philippe, évèque de Cambrai. Clément refusa, vu
l'importance du siège. — Pliilippe renouvela trois fois sa
demande et (élément céda à ses instances, mais il pria le roi de
ne plus l'importuner sans extrême nécessité par de semblables
demandes, contraires ta ses intentions. La cbancellerie romaine
expédia une bulle solennelle [ad pcrpcluain rci inemoriam)
où le pape disait que, voulant mettre à la tête de l'Eglise de
Sens un liomnie selon son cœur, qui pût en soutenir le fardeau
et l'honneur, pour des causes graves et raisonnables qui
auraient déterminé ceux auxquels il s'adressait, et par le con-
seil de ses cardinaux, il s'en était réservé la nomination*. On
sait quelles étaient ces causes déterminantes. Clément V était
sévèrement puni : chaque jour renouvelait son humiliation et
sa faiblesse. — Philippe était sans pudeur. Dans la même lettre
où il remerciait le pape d'avoir nommé son candidat â l'arche-
vêché de Sens, il le priait de donner l'évêché de Cambrai à
l'un de ses familiers, Guillaume de Trie '\ Une autre fois, il
demandait l'archevêché d'Orléans pour Pierre de Laon , son
clerc. Les papes disposaient souvent des bénéfices ecclésias-
' II kal. fchr. aniio i. Cart. 170, fdl. 53.
- II non. april. anno il. Cart. 170, fol. 174.
■^ tt Xos ad EccJpsiani ipsam gcrcntes paterne ililcctionis affcctiiin... provi-
sioncni rcscnamus. t vi kal. .sept, anno i. Cart. 170, loi. 60 v°.
'' (^art. 178, fol. 174 r°. vm kal. inaii anno ir. « Ex certis et niagnis
rationabilibus causis. »
^' Trésor des chartes, Reg. XLII, n<^ 65 (fin de 1308); sans date.
Cart. 170, fol. 110.
12G LA FliAXCK SOLS l'IilLII'l'E LE DEL.
l'icjucs avant qu'ils riissciit vacanLs : ou appelait cela des fjrâces
cxpccldlives. L'abus était ancien; il donna lieu à (lliartrcs à
une scène scandaleuse entre deu.v expeetanls, l'un nommé
j)ar Benoît XI, l'autre par (llément V'. Ce dernier ayant été
investi d'un bénéfice au détriment de son compétiteur, celui-ci
se précipita sur son rival dans le cliœur de la catliédrale, lui
arracha ses ornements, et interrompit par ses violences le
service divin '.
Le roi se flt concéder de nombreux décimes par le pape;
mais qu'étaient ces exigences en comparaison de celles qu'il
lui imposa, et qui, au dire de Villani, ou plutôt suivant la
rumeur publique, étaient le résultat d'un traité. IMiilippe
envoya à Clément Y, après son élection, des ambassadeurs qui
traitèrent avec lui des questions si graves, que le roi et le pape
jurèrent de n'en pailer à personne; mais Philippe supplia
Clément de lui permettre de faire connaître ce secret à trois ou
quatre de ses conseillers. Dans la réponse qu'il fit à cette
demande, Clément abandonna à sa discrétion le choix de ses
confidents, «car nous sommes certain, disait-il, que tu ne
révéleras ces choses qu'à des personnes que tu sauras être
l^leines de zèle et d'amour pour notre honneur et le tien. « Dans
la même lettre, il l'invitait à assister à son couronnement ". J'ai
acquis la preuve que ces négociations avaient un double objet:
la condamnation de Boniface VIII et la suppression de l'ordre
du Temple.
L'abolition de la milice du Temple est le grand scandale du
pontificat de Clément V et une des ini(juités du lègnc de
Philippe le Bel. C'est un des mystères de riiistoire les plus
obscurs. Les nombreuses pièces du procès donnent les mutil's,
mais non les causes véritables de cette mesure terrible, qui
frappa l'Eglise et la noblesse. 11 y a plusieurs causes , à mon
sens, qui, réunies, décidèrent le roi à cet acte de rigueur. Les
Templiers étaient riches et puissants; leur puissance créait des
dangers à la royauté; leurs trésors excitaient la convoitise.
Philippe devait être tenté de se les approprier et de relever ainsi
les finances épuisées de l'État.
1 LcUrc (!c Pliilippc à CIcment V. Sans date. Cari. 170, u" 108 v".
2 Cart. 170, foi. JOl. Laluzc, t. II, p. 62.
LIVRE CIXQUIÔIE. — LE ROI ET LE SAIXT-SIÉGE. 127
Fondé au commcnccMiiont fin douzirmo siècle , l'ordre du
Temple avait pour objet la défense des lieux saints : moines
cl soldats, les Templiers réunissaient les deux forces qui se
partageaient le monde, la croix et l'épée ; leur caractère sacré
joint à leur brillante valeur, la noblesse de la plupart des frères,
leur attiraient les respects de tous.
Ils avaient acquis, en moins de deux siècles, d'immenses
richesses. Quand on étudie les actes qui constatent leur for-
tune, on a la révélation de leur puissance '.
Dans toute la Normandie, province où les habitants des
campagnes étaient libres et pouvaient disposer de leurs biens,
les donations faites par les paysans aux chevaliers du Temple
sont innombrables. Dans les chartes qui relatent ces libéra-
lités, le motif allégué par les donateurs est le salut de leur
âme; le motif réel était le besoin de protection qu'ils ressen-
taient et qu'ils trouvaient auprès des Templiers, qui à l'in-
fluence morale du prêtre joignaient la puissance de l'homme
de guerre". Toutes les classes de la société participaient à ce
besoin. Pour le satisfaire, les propriétaires donnaient une partie
de leurs biens ; les artisans et les ouvriers, qui ne possédaient
que leur personne, s'engageaient et se soumettaient aux Tem-
pliers, non qu'ils abdiquassent entièrement leur liberté, qu'ils
se fissent serfs , mais ils devenaient ce qu'on appelait les
hommes de leurs nouveaux maîtres. Ils prêtaient hommage et
payaient chaque année un faible cens de quelques deniers, en
signe de dépendance et de subjection. Quel mobile pouvait
pousser des hommes libres à engager ainsi leur liberté? Un
grand nombre de chartes nous le font connaître, entre autres
une où Guérin, pêcheur à Coudé en Brie, homme libre et
franc, se fait l'homme des Templiers de Clioisy, j^ro commodo
et utilitate sua, ut ei videhatur^ et ad vitanda futura pcri-
cula^ . Ces périls si redoutables étaient les poursuites des
baillis seigneuriaux, et ce fut pour s'y soustraire que nombre
d'ouvriers s'avouèrent les hommes du Temple.
1 Voyez CCS actes confondus avec ceux de Malte. A. I. série S.
2 Entre autres, carton S. 4996. Coinnianderie de Rcnnciillc.
^ Ctiartc de l'an 12GL -Carton J. 772; dans ce carton il y a plusieurs actes
de ce genre.
128 LA FHAXCK SOIS PHILIPPE LE F.EL.
Ces ados ne sont autre chose que l'ancienne recomman-
dation, (|ui fut si fré(|uonte à la fin de la deuxième race, époque
où les lioninies lihics aciiolaiciit leur repos en se elioisissanl
un maître. Los mémos causes, tant qu'elles subsislôreni, ame-
nèrent les mémos offols. (iotlo allraolion dos classes inférieures
vers le 'l'oriiplo souleva dos réclamalious. IMiilippe fut oMijjé
de donner l'ordre au hailli (\v 'roiiiaiiu' i\v réprimer les Tem-
pliers qui accueillaient les honiuK^sdu cliapitro de Saiut-Marlin
de Tours ', et copondanl il les entourait de respect et de
faveurs. En 1295, il amortit ;patuitomont leurs nouvelles acqui-
sitions jusqu'à concurronce de la valeur de mille livres'. Il
exemi)ta louis liommos do corps dos impots extraordinaires ^
En 13(H, il leur donna dos lettres d'amortissement général
pour tous leurs biens, dans dos termes de hienveillancc et
d'affection \
Mais avec la puissance était venu l'orgueil : le but dv l'in-
stitution avait été souvent oublié. La conduite dos Templiers en
Orient ^ et leur rivalité avec les chevaliers de Saint-Jean de
Jérusalem fixèrent l'attention du saint-siége dès le milieu du
treizième siècle". Le pape Grégoire X voulut, pour secourir
plus efficacement la terre sainte, réunir les deux ordres. Le
concile de Lyon rejeta celte proposition, en prévision de l'op-
position dos rois de Castille et d'Aragon '. Ce projet fut repris
en 121U. Le grand maître du Temple consulté déclara cette
cession impossible à cause de l'inimitié qui divisait le Temple et
l'Hôpital.
On raconte qu'un templier enfermé dans une prison royale
1 Or. A. I, K. 37, n<> 18.
- J. 426, n" 10. Voyez les ori{]iiiaux des privilèges accorilés par les rois
à partir de l'an 1152. J. 422.
=» Or. K 36, n" 31.
" K. 37 B. no 25.
5 Voyez Alicliaud, Histoire des croisades, 5"^ édif., t. V, p. 555. Mas-
Latrie, Histoire de Chypre, t. III, p. 662. En 1283, le roi Henri de
Lusignaii allant à Beiroiit, ses chevaux furent enlevés par des .arabes apostés
par les Templiers. Saniido, Liher secret or um , p. 22U.
^ Cart. 170, loi. 164. Mémoire du grand maitre du Temple.
' Lettre à l'arehevècpic de Xarbonne , 18 août 1291. Vaissèlc, p. 115;
Preuves, col. 97. Rainaldi, t. IV', an 1291, n° 7.
LIVRE CI.VQLIÈAIE. — LE ROI ET LE SAIXT-SIÉGE. 129
à cause de ses crimes , fît à un compagnon de captivité
d'étranges confidences sur de graves désordres qui se passaient
dans le Temple, et que le plus grand secret avait jusqu'alors
dérobés à la connaissance du public. On parlait de pratiques
hérétiques, d'apostasie et de mœurs dépravées. Le confident
du templier révéla cette conversation, dont le bruit ariiva jus-
qu'au roi, qui fit prendre des informations. Il eut à ce sujet un
entretien à Lyon, lors des fêtes du couronnement, avec Clé-
ment V', qui refusa d'y ajouter foi '.
En 1306, les Templiers rendirent au roi un service qu'il
ne leur pardonna pas. Dans une émeute, causée par les
brusques variations des monnaies , les Parisiens insultèrent
Philippe, qui trouva un asile dans le Temple, où ils le tin-
rent assiégé pendant plusieurs jours. Le roi de France réduit
à se mettre sous la protection des Templiers dans sa capitale,
c'était trop humiliant pour Philippe, qui put juger par lui-
même de leurs richesses et de leur puissance. Dès lors leur
perte fut irrévocablement arrêtée. Le misérable état d'anarchie
où se trouvait l'Italie, déchirée par les factions des Xoirs et des
Blancs, ne permettait pas à Clément V de songer à retourner
en Italie. De Lyon, il se rendit à Cluni et de là à Bordeaux,
en passant par Nevers , Bourges et Limoges : il allait d'abbaye
en abbaye, avec toute sa cour. Ce voyage, pendant lequel il
se faisait défrayer par les églises qu'il visitait , souleva les
malédictions du clergé, qu'il ruinait "-. L'archevêque de Bourges,
le fameux Gille Colonna , fut réduit, après avoir reçu la visite
1 tt Sanc a inomoria fiia non crodimiis excidisse quod Lii<]duni et Piclax'is
de facto Tcmplariornm zelo tidci devotionis accensus, nobis tam per te quam
per tnos pliirics lociitns fuisti , et priorcm mouasterii novi de Picciaco
(Baluze porte à tort Pictavo) aliqiia intimarc cnrasti, et licet ad credenduni
que tune dicebantur, cum quasi incredibilia et impossibilia viderentur, nostrum
animum vix potuerimus applicarc. Quia tamcn plura incredibilia et inaudita
ex tune audivimus de prcdictis, coj]imur hesitare, et licet non sine ma^rna
cordis amaritudine, anxicfate ac turbatione, qnicquid ordo postulaient rationis
de consilio fratrum nostrorum faccrc in prcmissis... sercnifafcm tuam in
Domino exhortantes, quatinus tuum consilium in premissis et informalinneni
quam super iis recipisti, ac quicquid tue providentie vidcbitur expedire nobis
per littcras tuas vel nuncios inlimare procures, ix kal. sept, anno ii (i;307). »
Cart. 170, fol. 67.— Daluze , t. II, p. 74.
2 Chronique métrique de Geoffroi de Paris , vers 3159.
9
130 LA FRAX'CE SOUS PHILIPPE LE DEL.
du pape, à sollicitei" s;i part dans les ilistrihiitions de vivres
faites aux chanoines de sa métropole '. La plupart des églises
s'endettèrent et devinrent la proie des usuriers.
Les prélats se plaignirent; Philippe accueillit leurs plaintes
avec empressement et envoya au pape une ambassade mena-
çante, composée d'un maréchal de France et de deux cheva-
liers, lui faire des reproches. Clément s'humilia : il répondit (pie
sa conscience l'absolvait personnellement de ce qu'on lui
imputait, mais qu'il était homme et vivait au milieu des
hommes, i; Xous n'osons pas dire, ajouta-t-il, que notre maison
soit plus pure que l'arche de Xoé , où sur huit élus se trouva
un réprouvé, ni plus sainte que la maison d'Abraham, ni que
celle disaac; et cependant, ni Xoé, ni Abraham, ni Isaac ne
furent accusés. ^i II s'étonnait, en terminant, de ce que ces
plaintes eussent été portées par des prélats avec lesquels il
avait été lié avant son élévation, et qu'il pouvait croire ses
amis; au lieu de publier leurs griefs ils auraient pu l'avertir,
lui ou quelqu'un de ses cardinaux ^.
Clément V tomba gravement malade en 1306. Philippe lui
ayant fait demander une entrevue, il proposa Toulouse. Le roi
objecta l'impossibilité où il était de s'éloigner du nord de la
France et désigna Tours. Clément invoqua sa mauvaise santé,
qui lui interdisait un long voyage : Philippe fut inflexible; il
consentit avec peine à fixer le rendez-vous à Poitiers ^.
Il ne fut pas même exact : il arriva enfin escorté de ses
frères, de ses fils et de ses principaux barons. Il renouvela ses
instances pour obtenir la suppression des Templiers : il donna
de nouveaux détails qu'il avait recueillis sur les crimes^qu'il
leur imputait. Clément fut ébranlé, mais n'accorda rien : il
promit d'ordonner une enquête et pria le roi d'en faire une de
son côté. Ils s'engagèrent à se communiquer le résultat de
leurs informations et à ne prendre de décision que^ d'un
commun accord.
Philippe se retira mécontent, et annonça hautement le projet
^ Chronique métrique de Geoffroi de Paris , vers 3172 et suiv.
'- Baluze, t. II, p. 58. vi kal. auy. anno i (1306).
■' .Apiid Pessacum, v idiis fcbr. anno ii. Carl. 170, fol. 75 et 76. « In
qiiibiis possumus tue seniper oplaules descenderc voluntati. »
LIVRE CIXQlIlblE. — LE ROI ET LE SAIXT-SIÉGE. 131
(le poursuivre la mémoire de lîoniface IIII. Ce fut une arme
qu'il tint suspendue au-dessus de la tèle de Clément V, pour
lui arracher la suppression du Temple. Le pape était pres(]ue
tenu en captivité à Poitiers. Des bruits sinistres circulèrent sur
le compte du Temple. Les Templiers, qui en furent instruits,
demandèrent audacieusement des juges au souverain pontife.
Clément ne savait quel parti prendre : Philippe se lassa de ses
irrésolutions et frappa un grand coup.
Le 13 octobre 1307, les Templiers furent arrêtés dans tout
le royaume. Les lettres de cachet ordonnant leur arrestation
étaient accompagnées de lettres plus amples, destinées à
donner les motifs de cet acte extraordinaire. — « Une chose
amère, une chose déplorable, une chose horrible à penser,
terrible à entendre, exécrable de scélératesse, détestable d'in-
famie, une chose qui n'a rien d'humain, mais attestée par de
nombreux témoignages, est venue à nos oreilles, non sans nous
frapper d'une violente stupeur et d'une horreur indicible.
Xotre douleur a été immense à la nouvelle de crimes énormes
contre la majesté divine, la foi orthodoxe, qui sont une honte
pour l'humanité, un exemple de perversité, un scandale
public. La raison se trouble en voyant une nature qui s'exile
elle-même des bornes de la nature, qui oublie son principe,
qui méconnaît sa dignité, qui prodigue de soi, s'assimile aux
bêtes dépourvues de sens; que dis-je, qui dépasse la brutalité
des bêles elles-mêmes ' ! «
Cet exorde éloquent était suivi de l'énumération des crimes
imputés aux Templiers.
Nul n'est admis dans leur ordre qu'après avoir renouvelé le
supplice de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en le renonçant trois
fois et en crachant sur le crucifix.
Après ce sacrilège, le nouveau Templier baise trois fois celui
qui le reçoit, sur le derrière, sur le nombril, sur la bouche.
Ils s'obligent ensuite par d'horribles serments à ne refuser à
leurs frères aucune complaisance infâme,
Philippe ajoutait qu'il en avait conféré avec le pape.
1 Voyez cette lettre dans ]\Iesnard, Histoire de Nismes , t. I, preuves,
col. 195. Elle est datée de Pontoise, du joyr de l'Exaltation de la Sainte-
Croix, jour même où l'arrestation des Templiers fut décidée.
9.
132 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
Celte letlrc, répandue dans le peuple cl lue avidement,
produisil l'impression désirée. \"ul ne doula de la culpaj)ilité
des Templiers, en voyant l'Éylise d'accord avec le pouvoir tem-
porel pour frapper un ordre religieux.
Cet accord entre le roi et le pape, que Philippe annonçait,
était-il réel? Les historiens ecclésiastiques, s'indinant devant
l'autorité pontificale, n'ont pas osé absoudre ceux qu'un pape
avait condamnés. Mais cette condamnation, bien que prononcée
par Clément V, n'a pas été l'expression de sa volonté; elle lui
fut imposée par des moyens violents et par l'intimidation. Il
avait bien promis de faire une enquête, mais il n'avait jamais
consenti à l'arrestation des Templiers. Aussi, dès que la nou-
velle lui parvint par la rumeur ])ublique, il oublia sa dépen-
dance pour se plaindre amèrement et reprocher au roi d'avoir
violé ses engagements '.
Les baillis et les sénéchaux avaient mis sous séquestre les
biens des Templiers et commencé le procès contre les membres
de l'ordre. Celte procédure était la violation de toutes les lois,
car les Templiers, qu'on accusait d'hérésie, n'étaient justi-
ciables que des tribunaux ecclésiastiques. Les agents du roi le
reconnurent : ils s'adjoignirent les inquisiteurs de la foi, qui
se montrèrent les complices dévoués du roi , et dont le chef,
Guillaume de Paris, confesseur de Philippe, avait approuvé et
même conseillé l'arrestation des Templiers. Les baillis et les
inquisiteurs réunis procédèrent avec une révoltante iniquité.
Les prisonniers furent sommés par trois fois, sous peine d'ex-
communication, de révéler leurs crimes; on promit grâce et
protection à ceux qui avoueraient; on appliqua la torture à
ceux qui soutinrent leur innocence : il fallait des aveux à tout
prix. On obtenait par les supplices ceux que l'on n'avait pu
acheter par les promesses. Les évêques aussi intervinrent.
Philippe écrivit aux princes étrangers pour les inviter à
suivre son exemple; nous avons les réponses de ces princes:
elles servent à faire connaître le plus ou moins d'influence de
Philippe en Europe. Le roi d'Angleterre a rassemblé ses prélats
' Cart. 170, fol. 5 v. Pièce inédite. Dupuy [Condamnation des Templiers,
p. 100) la cote sous l'année 1306, ce qui est absurde, puisqu'elle aurait pré-
cédé i' arrestation des Templiers.
LIVRE CIXQUIÈ:WE. — LE 1101 ET LE SAIXT-SIÉGE. 133
et ses barons; ils n'ont pu ajouter foi à ce que leur mandait
Philippe : on fera une enquête. Le roi des Romains s'étonne,
il attend les ordres du pape, seul juge en pareille matière.
Même réponse de l'archevêque de Cologne, mais accompagnée
de protestations du plus entier dévouement. La lettre du duc
de Brabant est tout à fait satisfaisante : « jVous avons bien
» entendu ce que mandé nous avez en droit de la besoigne des
« Templiers. Nous avons pris les Templiers demeuranz en
» nostre terre et les tenons en nostre povoir, et leurs biens sont
» mis en arrêt, tout ainsi comme mandé le nous avez '. « Le
roi de Sicile, comte de Provence, ne fut pas moins soumis. Le
comte de Flandre agit comme s'il n'avait rien reçu ^.
Clément suspendit les pouvoirs des inquisiteurs et des
évêques, et demanda que le roi lui remît les personnes et les
biens des Templiers. Philippe n'obéit pas, mais il envoyai
Poitiers soixante-douze chevaliers du Temple, pour que le pape
les examinât et se convainquit de la réalité des accusations
qu'il portait. Ils avouèrent librement. Un Templier de la mai-
son du pape fit des confidences. Clément ne douta plus, mais
il ne voulut pas accorder à Philippe la suppression de l'ordre.
Philippe le pressait d'aviser ^ Des familiers du roi ayant
répandu le bruit que le souverain pontife avait abandonné au
roi la direction de cette affaire, Clément protesta*. En fin de
compte, il ne prenait aucune décision. Philippe résolut de lui
faire peur. On fit circuler des libelles hardis où l'on reprochait
à Clément d'être vendu aux Templiers, et où l'on reconnaît la
main du pamphlétaire officiel, de Pierre Dubois. L'un de ces
pamphlets, que l'on supposait être une requête adressée par le
peuple au roi, débutait ainsi :
« Le pueble du royaume de France, qui tous diz (toujours) a
55 esté et sera par la grâce de Dieu dévost et obéissant à Sainte
55 Eglise plus que nul autre, requiert que leur sires li rois de
55 France, qui puet avoir acès à nostre père li pape, li monstre
55 que les a trop fort corrociés et grant esclandre commeu
1 Cartul. 170, fol. xx"ix et suiv. — Notices et extraits , n° 24.
2 Bibl. Imp., cliartcs Colbcrt, n° 33.
3 Cartul. 170, fol. 69 (15 novembre 1307).
* Reg. LU du Trésor des chartes, n° viii"xi (1«'' décembre 1307).
134 LA FRA.VCE SOIS PHILIPPE LE IlEL.
5' eiilre rus, [lour ce que il ne fait semblant fors que de parole
» de. faire punir, non pas la bougrerie des Templiers mais la
» renoierie aperte par leurs confessions faites devant son cnqui-
1) seteour et devant tant de prélats et d'autres bonnes gens. »
Viennent ensuite les plus inj urieuses insinuations contre Clément.
« Pour qnoy le pueble ne set penser raison de cest délay ne de
5) tele perversion de droit, fors que il cuident que ce soit voir
« (vrai) que l'on dit coniniunéniant : que grandemant d'or
5) doné et promisl leur niiisl. « Suivent des reproches directs
sur les grands biens qu'il avait donnés à son neveu et à ses
amis, et des menaces '.
Un autre libelle, dû à la même plume, ne craignit pas de
toucher aux questions les plus graves : c'était une prétendue
lettre du roi au pape. Clément y était accusé d'une coupable
négligence pour les intérêts de la foi. Sa tiédeur encourageait
les Templiers et affligeait l'Eglise de France. " Qu'il prenne
garde, car il est soumis aux lois ecclésiastiques. « Le roi n'est
pas un accusateur ni un (h''nonciateiir, mais le ministre de
Dieu, le champion de la foi catholique, le zélateur de la loi
divine, armé, conformément à la tradition des saints pères,
pour la défense de l'Église, dont il doit rendre compte à
Dieu -.
Un troisième pamphlet, encore plus audacieux, expliquait ce
que prétendait faire Philippe en se proclamant le champion de
la foi. On y posait en principe que l'hérésie était un crime
qu'il appartenait aux princes de punir: on citait Moïse, qui
avait fait mettre à mort vingt-deux mille Israélites coupables
d'avoir adoré le veau d'or, et cependant Aloïse n'était pas
prêtre, le sacerdoce appartenait à son frère Aaron. En frappant
les Templiers, le roi très-chrétien se rendra digne de cette
béatitude que Dieu a promise par la bouche de son prophète,
par ces paroles : Beati qui faciunt judicium et justitiam in
omni temporc ^
Clément résistait toujours. Philippe eut recours aux états
1 Cartul. 170, fol. 119, publiô dans Xotices et extraits, n" 58.
- Notices et extraits, n" 29. — Dupiiy, Condamnation des Templiers,
p. 95.
'^ Xotices et extraits , n" 27.
LIVRE CIXQLIÉME. — LE ROI ET LE SAIXT-SIÉGE. 135
généraux. Il joua avec une grande habileté ce rôle de défen-
seur de la foi qu'il avait pris et auquel il associait la nation,
exécutant ainsi la menace qu'il avait fait adresser à Clément.
Dubois avait dit : " Les Templiers sont des hérétiques; l'hérésie
est un crime contre Dieu, qui est la tète de l'Eglise. Le bras
droit, c'est-à-dire le pouvoir ecclésiastique, doit veiller à ce
que la tête soit respectée, sinon ce devoir incombe au bras
gauche, c'est-à-dire au pouvoir temporel. Si ce dernier reste
dans l'inaction, les membres inférieurs, c'est-à-dire le peuple,
se lèveront pour la défense du chef '. »
La circulaire que le roi expédia aux communes pour les
inviter à envoyer des députés aux états généraux, est un curieux
monument de cette politique qui faisait prendre en main par
le chef de l'Etat la défense de l'Eglise contre un de ses mem-
bres les plus illustres, et qui tendait à substituer en matière
de foi le pouvoir séculier à l'autorité ecclésiastique.
tt Nos ancêtres, disait-il, se sont toujours distingués entre
les princes par leur sollicitude à extirper de l'Eglise de Dieu
et du royaume de France les hérésies et les autres erreurs,
défendant comme un trésor inestimable, contre les voleurs et
les larrons, la foi catholique, celte perle précieuse. » Il décla-
rait ensuite vouloir marcher sur les traces de ses prédécesseurs
et profiler de la paix terrestre que Dieu lui avait accordée pour
faire la guerre aux ennemis publics et secrets de la foi. « Qui
peut nier le Christ, par lequel et dans lequel nous vivons, qui
s'est incarné pour nous, qui n'a pas craint de souffrir pour
nous la mort la plus cruelle? Aimons Kotre-Seigneur, avec qui
nous régnerons un jour; vengeons son injure! 0 douleur!
l'erreur des Templiers, erreur si abominable, si amère, si
détestable, vous est connue. Ils reniaient Jésus-Christ, et ils
forçaient ceux qui entraient dans leur ordre à le renier; ils
crachaient sur la croix, instrument de notre rédemption, ils la
foulaient aux pieds, et, en dérision des créatures de Dieu, ils
se donnaient de sales baisers; ils adoraient des idoles; ils se
permettaient entre eux ce que les brutes n'osent faire. La terre
et le ciel sont ébranlés par le souffle de leurs crimes; les quatre
1 Trésor des chartes, J. 414, n" 34.
136 LA FKAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
éléments en sont troublés. Ces infamies, ils les ont commises
dans toute l'étendue du royaume, ainsi (|ue le prouve la con-
fession (les chefs de l'ordre (si l'on pc'ut appeler cela un ordre!),
ils les ont commises outre-mer, dans les auties royaumes, par-
tout enlîn.
« Xous avons résolu de conférer avec le Siège apostolique
pour faire cesser tant de crimes et d'erreurs et pourvoir à la
stabilité de la foi et de l'honneur de l'Kglise notre sainte
mère; et nous voulons vous faire participer à cette œuvre,
vous qui participez avec nous à la foi de Jésus-Cbrist et qui en
êtes de fidèles zélateurs; nous vous mandons d'envoyer sans
retard à Tours, trois semaines après la prochaine fête de Pâques,
pour délibérer sur ce sujet, deux hommes d'une foi ardente et
éprouvée de cbacune des villes insignes du royaume '. »
Les états généraux, convoqués à Tours à la fin de mai 1308,
déclarèrent les Templiers coupables. Fort de cette décision, le
roi se rendit à Poitiers avec une partie des députés; il espérait
triompher et tout obtenir, mais il trouva encore de la résis-
tance. Il menaça de nouveau de reprendre le procès de Boni-
face VIII; Clément ne céda pas. Philippe dicta un ultimatum
auquel Clément finit par souscrire. Le roi quitta Poitiers, lais-
sant Guillaume de Plasian surveiller l'exécution des promesses
qu'il avait arrachées au pape et dont voici les principaux
articles :
1° Les Templiers seront remis entre les mains de l'Eglise;
mais comme l'Eglise ne saurait les garder, elle les remettra au
roi, qui les gardera en son nom;
2" On rendra aux prélats les pouvoirs qu'on leur a enlevés;
3" On fera de même pour les inquisiteurs ;
4° Les biens des Templiers ne pourront être employés que
pour les besoins de la terre sainte; ils seront placés sous la
main de l'Église; mais comme l'Eglise ne saurait elle-même
les garder, ils seront confiés à des commissaires nommés
moitié par le roi, moitié par les évéques '.
1 Trésor des chartes, J. 415, n^ 19. Voyez le texte dans Xutices et
extraits.
2 li Hoc sunt que, sicul vidoliir, consuli possiint in ncj{ocio Tcmpiariorum
ad pape cxpcditionein et utilitatcni nooocii. ^ Carlul. 170, i'ol. ve'iiii.
LIVRE CIXQLIÈAIE. — LE ROI ET LE SAIM-SIÉGE. 137
Lc pape acquiesça à ces propositions '; toutefois, il ne put
s'empêcher de déclarer que le rétablissement des inquisiteurs
dans leur pouvoir lui paraissait contraire à son honneur, mais
qu'il y consentait pour plaire au roi, qui avait cet article à
cœur ^.
En conséquence de ce compromis, le pape révoqua la défense
qu'il avait faite aux évéques de procéder dans cette affaire ^.
Lea Templiers, qui jusqu'alors étaient détenus dans les prisons
royales, furent remis à l'évêque de Préneste, désigné par le
souverain pontife, mais c'était une comédie; l'évêque de Pré-
neste les livra au roi, à condition de les tenir à la disposition
de l'Eglise *. Clément prescrivit à tous les souverains de l'Europe
d'arrêter les Templiers ^ Cependant il ne voulait pas les abolir,
mais les réformer, et donna plein pouvoir au cardinal de Pré-
neste à cet égard °. Trois cardinaux interrogèrent le grand
maître et les précepteurs de Normandie, de Poitou, d'Aqui-
taine, de Chypre et le visiteur de France. Ils avouèrent la cou-
tume de renier le Christ et de cracher sur la croix, et manifes-
tèrent un grand repentir ^ Dans chaque diocèse les procédures
recommencèrent; les enquêtes furent faites par deux cha-
noines, deux dominicains et deux frères mineurs % d'après
un formulaire transmis par le pape, qui contenait un grand
' s Ob lioiiorcin rcgiuni et ut votis suis satisfiat ad ea que scquuntur,
intendit se sununus pontifcx dcclinarc. » Cartul. 170, fol. vi^H'.
- Dupuy, en analysant cet article , a substitué le mot authorité au mot
honneur, p. 93. a Item de restitutione inquisitorum, quia rex tantum habef
cordi , faciet snmmus pontifcx; licet vidcatur coîitra honorem siium , facere
posse suum cum collegio quod pacienter tolicntur, quod , inia cum ordinariis
et aliis predictis ordinariis associandi procédant contra singulares personas
ordinis Tempii. i) Cartul. 170, fol. vi"vi.
^ Notices et extraits , w 33.
■* Bulle Justian et laudabile , or. A. I. Bullaire L. carton 291, pièce 14
(20 août 1308).
5 30 octobre. Trésor des chartes, Reg. XLIII, n^38. Clément ordonna de
les emprisonner à tous les princes étrangers. Voyez sa lettre au duc d'Autricbc.
Cartul. 170, fol. 146.
c Trésor des chartes , Reg. XLIII, n" 33 (12 juillet 1308).
" Lettre des cardinaux au roi pour lui demander la grâce des Templiers.
Cartul. 170, fol. 126 v°.
^ Bulle Licet indi(jnatio7icm nostratn. Or. Bullaire L. 290, n" 13.
138 LA FRAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
nombre de chefs d'accusation '. Clément chargea une commis-
sion , présidée par rarchcvè(|iift de \arhonne, d'instruire le
procès do l'ordre entier. Elle interrogea le grand maître,
Jacques de Molay, et les autres chefs de l'ordre. Tous attri-
buèrent leurs aveux aux tortures auxquelles ils avaient été
exposés. Les Templiers présents à Paris nommèrent un de leurs
frères, Pierre de Boulogne, et huit autres clievaliers pour
défendre l'ordre. On entendit, depuis le mois d'octobre 1309
jusqu'au mois de mai 1311, treize cent trente et un témoins'.
Dans chaque province, des conciles se réunirent pour statuer
d'après les enquêtes qui avaient été faites : ils condamnèrent
les Templiers à différentes peines, les uns au feu , d'autres à
la prison; quelques-uns furent absous. On en brûla cinquante-
neuf à Paris à la porte Saint-Antoine'. Mais les condamnations
individuelles ne suffisaient pas au roi : il fatiguait le pape
de ses obsessions pour obtenir la condamnation de l'ordre.
Clément promit de convoquer un concile à Vienne en 1310
pour décider cette grave affaire, et finit par signifier qu'il ne
rendrait aucun nouveau décret au sujet des Templiers. Il mani-
festa l'intention de donner aux Hospitaliers les biens du Tem-
ple; Philippe combattit vivement cette mesure, et parla de
nouveau du procès de Bonifacc. Clément, las de se trouver à
la merci de Philippe * et dans l'impossibilité de se rendre à
Rome, s'était fait céder par le comte de Provence la ville d'Avi-
gnon et y avait transféré le saint-siège. Ce fut dans cette ville
qu'il convoqua tous ceux qui avaient quelque accusation à
porter contre la mémoire de Boniface. \ogaret se chargea de
soutenir l'accusation. De toutes parts arrivèrent des témoins :
les parents et les amis de Boniface vinrent défendre sa mé-
moire. Le procès s'instruisit avec appareil. J'ai parlé des accu-
sations portées par Xogaret contre Boniface; la dignité de
l'histoire serait souillée par le récit de ce qui se passa devant
la cour pontificale à Avignon: on faisait de Boniface un monstre
plus odieux (|ue Tibère à Caprée ; les crimes les plus atroces
1 Diipny, Procès des Templiers , p. 46 ot 47.
- Procès des Templiers , publié par M. Alicliclct. 2 vol. in-4<'.
•' Dnpiiy, Procès des Templiers , p. 52 ot 53.
^ Mcinor. Johannis a Sancto Victorc, Hist. de France, t. .\\I , p. C47.
. LIVRE CIXQIIKAIE. — LE ROI ICT LE SAIXT-SIÉGE. 139
étaient imputés à un homme d'une naissance distinguée, les
plus odieuses débauches à un vieillard, les plus sales blas-
phèmes à un pontife. L'infamie des témoins n'inspire que du
dégoût et du mépris pour ces dépositions invraisemblables et
payées. Ajoutez à cela des ergoteries d'avocat, dés chicanes de
procureur. Aogaret, qui avait arrêté Boniface VU! pour le faire
juger par un concile, était devenu pour les besoins de sa cause
l'intrépide champion des droits de la papauté. Aux défenseurs
de Boniface, qui prenaient acte de ce qui avait été fait, pour
prétendre qu'un pape ne pouvait être jugé que par un concile,
il opposait la toute-puissance pontificale et soutenait qu'un
pape pouvait juger et condamner un de ses prédécesseurs. Le
procès dura prés d'une année, étalant le misérable spectacle de
violences, de ruses, de faux et de mensonges. Clément ne
savait comment sortir avec honneur de cette difficulté; il lui
fallait déshonorer le saint-siége eu déclarant Boniface héré-
tique- ou s'attirer la haine de Philippe ])ar une sentence d'ab-
solution. Il pria le comte de Valois d'obtenir du roi d'aban-
donner à sa discrétion la solution de cette affaire; la demande
du comte fut appuyée par une partie de la noblesse. Enfin, au
mois de février 1311, Philippe s'en remit à la décision du
pape au concile de Vienne. On fit désister les accusateurs, et
\e procès n'ayant plus d'objet, le pape déclara la mémoire de
Boniface pure et sainte. Nogaret fut absous.
Mais ce n'était pas là une victoire pour Clément : Philippe
ne renonçait h la poursuite contre Boniface Vlil qu'à la condi-
tion de l'abolition des Templiers. Le concile de Vienne, qui
devait statuer sur le sort de cet ordre, s'ouvrit vers la fin de
l'année 1311.
La majorité des Pères fut défavorable à l'abolition. Clément,
surveillé par le roi qui était venu à Vienne, prononça la sup-
pression par voie de provision et publia cette sentence dans le
concile, mais sans sa participation , en présence du roi, de son
frère, de ses fils et de toute sa cour '.
On a vu sous quel prétexte Philippe avait fait arrêter les
Templiers; il les accusait de mauvaises mœurs et d'hérésie; il
1 Rainakli, Annales eccles., t. IV, siib anno 1311.
140 LA FRAXCE SOIS PHILIPPR LE BEL.
insistait surloiil sur ce (Icrnicr point. On profita des interro-
gatoires faits en 1307 par ordre du roi, pour dresser les chefs
d'accusation, qui furent remis en 1308 par Clément V aux
commissaires qu'il chargea d'instruire le procès de l'ordre.
Suivant ces articles :
Chaque Templier, lors de sa réception, reniait le Christ.
Ceux qui le recevaient lui déclaraient que le Christ n'était pas
Dieu, mais un faux prophète, et lui ordonnaient de cracher
sur le crucilix. ils se baisaient sur la bouche, sur le nombril
et sur le dos. Personne n'était admis à la réception d'un
chevalier.
On leur recommandait de ne refuser à leurs frères aucune
complaisance.
Ils ne croyaient pas au sacrement de l'autel.
Ils adoraient un chat.
Ils avaient des idoles en forme de têtes à une ou plusieurs
faces, et ils les adoraient.
Ils faisaient toucher à ces idoles des cordelettes dont ils se
ceignaient le corps.
Ceux qui refusaient de faire ces choses, ils les mettaient à
mort; et ils juraient de ne jamais rien révéler.
Tels sont en substance les crimes que l'on reprochait aux
Templiers. Ils peuvent se réduire à trois principaux : reniement
du Christ — idolâtrie — mauvaises mœurs. Des savants mo-
dernes ont vu dans les cérémonies impies attribuées aux Tem-
pliers des traces de manichéisme. La lecture des nombreuses
dépositions qui nous sont parvenues ne permet pas d'adopter
cette opinion. D'abord, il ne faut pas admettre sans examen
tous les témoignages, dont la ])lupart furent obtenus par la tor-
ture. Cependant il est, je crois, hors de doute que les Tem-
pliers n'étaient reçus dans l'ordre qu'après avoir renié le Christ.
Il y a unanimité pour ce fait, tant en France que dans les pays
étrangers'. La plupart des accusés racontent que cette action
leur avait fait horreur, mais qu'on leur avait répondu que
c'était la règle. A certains on disait que c'était une coutume
introduite par un grand maître qui était tombé entre les mains
' Le grand niaître l'avoua : voyez la lettre des cardinau.x en date de la fin
d'août 13U8. Cartul. 170, fol. 12G v".
. LIVRE CINQUIEME. — LE ROI ET LE SAIXT-SIEGE. 141
des Sarrasins, et n'avait obtenu sa liberté qu'à cette condition '.
A d'autres on avait assuré que c'était en mémoire do saint
Pierre qui avait renié Jésus ^. La plupart affirmèrent avoir
renié de bouche seulement. Il est impossible de croire que cette
renonciation ne fût pas une formule symbolique dont la signi-
fication primitive s'était perdue; je demanderai la permission
de risquer une explication nouvelle. Un des premiers devoirs
des Templiers était l'obéissance passive. Chaque récipiendaire
s'y engageait par serment; on le mettait immédiatement à
l'épreuve en obtenant de lui la plus grande marque de sou-
mission qu'on pût demander, la renonciation à sa foi. Mais
cette renonciation n'était évidemment que fictive; car toutes
les dépositions, même celles des Templiers qui paraissent avoir
été subornés pour accuser l'ordre, sont unanimes à reconnaître
comme étant en vigueur dans le Temple la pratique du chris-
tianisme *. De sales baisers faisaient partie du cérémonial de la
réception d'un Templier. Il y a presque unanimité à cet égard ;
cependant, tantôt c'est le récipiendaire qui les donne, tantôt
c'est lui qui reçoit ; quelquefois ils sont réciproques. Ils n'étaient
pas tous aussi sales que le porte l'acte d'accusation ; beaucoup
baisaient la bouche, d'autres le dos. On doit voir dans cette
cérémonie une marque d'humilité et de fraternité''.
Passons aux idoles qui ont fait soupçonner les Templiers de
manichéisme : peu de Templiers déclarent les avoir vues; car
elles n'étaient exposées que dans les chapitres généraux. Les
unes étaient un crâne humain, d'autres une tête de bois argen-
tée ou dorée; toutes avaient une longue barbe; on se proster-
1 Déposition de Gcoffroi de Gonneville , qui avait été reçu en Angleterre.
Dépositions des Templiers de Paris reçues par Guillaume de Paris , inquisiteur.
Trésor des chartes. Templiers, II, n° 18. Conf. Dupuy, p. 87 et 88.
2 Dupuy, p. 89.
^ Il n'y a rien de plus pur que la règle de l'ordre du Temple approuvée
au concile de Troyes en 1128, et publiée par Alaillard de Chambure. Paris,
1840, in-S". Conf. Bulletin de la Commission d'histoire de Belgique,
t. I, p. 47. Cette édition est faite d'après un manuscrit conservé aux archives
de Dijon.
^ Voyez le Procès des Templiers , publié par M. ilichelet dans la Collec-
tion des documents inédits. Il n'y a ricri d'aussi fastidieux que la lecture de
ces pièces, qui ne jettent aucun jour sur la question.
1V2 LA FRA\CE SOIS PHILIPI'E LK RKL.
liait devant elles et ou les adorait, dépendant, des Templiers
du Midi déelarèrcMit que, lors de leur réception, on leur avait
liiit adorer une idole barbue de cuivre doré, en forme de Baf-
fomet; mais ces dépositions sont suspectes, car selon l'un des
témoins, le prêtre qui montrait cette idole prononçait le mot
arabe : I allali. Cette accusation de mabométisme était absurde,
puisque les mahométans ont toujours eu horreur du culte des
images. Ces tètes n'étaient-elles pas des reliquaires? La cordelette
dont les Templiers se ceignaient joue un grand rôle dans les in-
terprétations gnostiques que l'on prétend donner des doctrines
duTcmple. On peut la regarder comme un emblème de cbasteté.
Reste l'accusation de mauvaises mœurs : il n'est pas vrai-
semblable que l'autorisation des plus criminels désordres ait
été inscrite dans la règle du Temple, règle que nous possé-
dons. Sans doute, un long séjour en Palestine fit contracter
à quelques Templiers des mœurs orientales; on peut même
aller plus loin et reconnaître que de pernicieux conseils ont
pu être donnés, pour éviter tout scandale extérieur et sauve-
garder au milieu des païens la réputation de l'ordre. Je crois
que c'est la seule opinion raisonnable sur cette question; il y
aurait beaucoup d'injustice à incriminer l'ordre du Temple tout
entier, à cause des vices de (juelques-uns de ses membres.
Il y avait certes de grands abus à corriger; les Templiers
étaient peut-être devenus inutiles et même dangereux '; mais
on ne pouvait avec équité les accuser d'hérésie. Or, riiérésie
fut le prétexte dont Philippe se servit pour abattre cette puis-
sante famille militaire et religieuse, qui couvrait le monde de
ses châteaux, dont les possessions étaient immenses, qui avait
tout un peuple de vassaux et de clients dans toutes les classes
de la société, et que ses richesses et sa puissance avaient rendue
superbe. « Orgueil de Templier, -^ disiiil le proverbe, et c'est
tout ce qu'on leur reprocha tant qu'ils furent debout. Ils fai-
saient d'abondantes aumônes, et Jacques de Moluy pouvait
affirmer, sans être contredit, qu'ils nourrissaient des milliers
' Dans im nu-moire adressé en 1306 au roi d' .Angleterre, Dubois proposait
la snppression des deux ordres du Temple ef de Malte, qui étaient divisés,
pleins de mauvaise foi et inutiles. De rcciiperatiorw tcrrœ sandœ , apud
Bongars, Gesta Dei per Francos , p. 320 et 321.
. LIIRK CIXQIIEME. — LE ROI ET LE SAIXT-SIEGE. 143
de pauvres. Si l'on invoque contre le Temple les aveux de plu-
sieurs de ses membres, on peut répoudre que les tortures
arrachèrent ces aveux ; les supplices attendaient ceux qui res-
taient fidèles à Tordre, pendant qu'on promettait le pardon et
des pensions à ceux qui avoueraient. La peur dès tortures de
l'inquisition fît trembler un grand nombre de chevaliers qui
étaient allés sans crainte au combat; plusieurs se repentirent
de leur faiblesse, se rétractèrent, et donnèrent, en proclamant
leur innocence sur le bûcher, la plus grande preuve de la
sincérité de leurs dernières déclarations.
A partir du concile de Vienne, les Templiers durent être
jugés selon leurs méfaits personnels; le jugement du grand
maître et de plusieurs autres fut réservé au pape, qui délégua
trois cardinaux, devant lesquels Jacques de Alolay et les com-
mandeurs de Guicnne et de Normandie avouèrent, dit-on, ce
qu'on leur reprochait. Ils furent condamnés à une détention
perpétuelle. Les cardinaux désirant donner au public le spec-
tacle de la condamnation du grand maître , firent dresser un
échafaud devant Notre-Dame de Paris, et y firent lire les
aveux des Templiers; Jacques de ^lolay interrompit cette lec-
ture et proclama que Tordre du Temple était pur et saint. Un
de ses compagnons fit la même déclaration. L'embarras fut
grand. Les Templiers furent ramenés en prison. Jacques de
Molay et son compagnon, qui avaient rétracté leurs aveux, furent
brûlés sans jugement, par ordre du roi, dans une petite île
aujourd'hui réunie à la pointe de Tile de la Cité, et placée entre
le jardin du Palais et le couvent des Grands-Augustins. L'abbé
de Saint-Germain des Prés, qui avait toute juridiction sur
cette île, se plaignit de cette violation de ses privilèges, et le
roi lui accorda des lettres de non préjudice '.
On raconte que Jacques de Molay ajourna Philippe le Bel et
Clément V, ses bourreaux, à comparaître dans Tannée au tri-
bunal de Dieu"; c'est là une légende merveilleuse, mais le
1 Mars 1313. Or. Arcli. de l'Emp., K. 38, n° 12. — Copie du temps,
Ibid., Reg. XXXIX, n" J29S; et Olim , t. II, p. 599.
- On a nié (Sisniondi, Histoire des Français, t. IX, p. 293) ce fail, qui
n'était, dil-on, attesté que par des auteurs qui vivaient longtemps après. Un
des plus anciens historiens qui en parie serait Paul Emile; c'est une erreur.
144 LA FRAXCE SOIS PHILIPPE LK RLL.
poëte Geoffroi tlo Paris nous a laissé des derniers moments du
grand maître, dont il fut témoin, un admirable récit, qui jette
une grande lumière sur cet homme, dont la mort fut si coura-
geuse et si chrétienne ; de ce martyre , comme l'appelle Geoffroi
de Paris, dont le supplice fut pour le j)euple l'objet d'une poi-
gnante pitié'. Molay attesta son innocence et appela la ven-
geance du ciel sur ses persécuteurs. Chrétien digne des pre-
miers âges, il pria qu'on lui déliât les mains pour pouvoir
adresser une dernière prière; et les yeux fixés sur l'église
Notre-Dame, sanctuaire révéré de la Vierge, la mort Je prit
doucement. On comprend que les témoins de cette belle mort,
voyant moins d'un an après Philippe et Clément V appelés à
rendie compte à Dieu de leurs actes, aient vu là un effet du
jugement de Dieu et de la malédiction de Jacques de .Molay '.
La France fut le seul pays où l'on se montra cruel pour les
Templiers : partout ailleurs, on donna leurs biens aux Hospi-
taliers et l'on forma des ordres nouveaux où ils furent admis.
Les causes de la suppression de cet ordre, telles que je viens
de les exposer pour la première fois et qui nous sont connues
par des documents authentiques inédits ou peu connus, furent
pour les contemporains un mystère impénétrable.
Francesco Amadi, qui vivait au quinzième siècle, mais qui
reproduit évidemment le récit d'un contemporain , raconte
que le trésorier du Temple prêta au roi 200,000 florins sans
l'aveu du grand maître, et qu'il fut pour cette faute chassé de
l'ordre '. En vain Philippe demanda sa grâce, Jacques de Molay
1 Chrnn. de G. de Paris, Biiclioii, p. 2J9. Voyez aussi la Relation
d' Amadi. Alas-Latrie, Histoire de Chypre, t. II, p. 169.
- L'Iiisloricn italien Feretti de l icence raconte luie curieuse anecdote où
il est ([iiestion d'un Templier napolitain (pii , mené devant Clément, lui
reprocha son injustice. Conduit longtemps après au supplice, il s'ffcria :
(i .Audi, ])apa trux... P>go quidem ab hoc ncfniido tuo judicio ad Deum vivum
et verum , (]iii est in ctelis, appello , teque admoneo, ut intra diem et annum
coram eo pariter cum Philippo tanti sceleris auctore comparere studeas meis
objectionihus responsurus, tuaeque excnsationis causam editurus. Deinde obti-
cuit et magnifiée supplicium tulit. » Aluratori , Rerum italicannn scriptures ,
t. IV, p. 1017. Conf. Lacabane, Dissertations sur l'histoire de France au
quartorzième siècle, t. I, p. 2. On comprend que cet appel au jugement de
Dieu, ce cri suprême de l'innocence, dut èlrc prononcé plusieurs fois.
'^ Mas-Latrie, Histoire de Chypre, preuves, t. II, p. 690. Ces emprunts
. LIVHE CIXQL'IÈMi:. — LE ROI KT LE SAIXT-SIÉGE. 145
fut inflexible : de là, la liaiiie du roi. Ainieri de Peyrac, al)bé
de Aloissae, prétend que les Templiers avaient conspiré contre
Philippe; U'alsinghara attribue l'animosité du roi au désir
d'établir un royaume d'Orient au profit d'un de ses fils '.
La plupart des chroniqueurs français parlent avec effroi des
impiétés et des débauches des Templiers : tous racontent avec
émotion leui- fermeté dans les supplices ^.
La participation de Clément à la suppression de cet ordre
célèbre a surtout paru inexplicable : on a cru qu'il avait aqri
par conviction, en présence des preuves irrécusables des crimes
des Templiers. J'ai montré qu'il ne fut en cette circonstance
que l'instrument, on peut même dire la victime, de Philippe
le Bel, qui l'obséda pendant près de six années pour lui arra-
cher une condamnation, et qui n'y parvint qu'en le menaçant
d'un scandale inouï, de la condamnation de Boniface VIII
comme hérétique.
Quant aux biens des Templiers qui paraissent avoir excité
la convoitise de Philippe le Bel, ils furent adjugés par Clément V
à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem \ qui était dévoué au
roi *; mais Philippe ne s'en dessaisit qu'à regret. Il prétendit
que les Templiers lui avaient volé deux cent mille livres tour-
nois, qu'il avait déposées au Temple *. Les Hospitaliers pro-
mirent de restituer celte somme. Ce ne fut pas tout : on leur
fit payer soixante mille livres pour les frais du procès, qui
pourtant avaient déjà été prélevés sur les revenus du Temple " ;
on leur fit donner quittance de tous les revenus échus depuis
faits au Temple ne sont pas invraiscmblnhlcs. I']n 1297, le roi se fit remettre
2500 livres tournois sur l'argent (Icstine ù la croisade qui était dépose au
Temple et s'engagea à en répondre pour les Templiers. A. I, or. Iv, 3G,
n» 51 fjis. 29 mai 1297.
1 Baluze, Not. advitœpajj. Aven., t. II, p. 589.
- Geoffroy de Paris , vers 6070 et suiv. , édit. Buchon.
"' Chron. G. de Frachcto , Historieiis de France, t. XXI, p. 37.
''* Voyez une lettre du grand maître Foulque de Villaret à Philippe le Bel,
dont il se dit l'homme lige, et qu'il proclame « lucerna ardcns que orllio-
doxorum plebem ducit, régit et illuminât » . Or. Trésor des chartes ^ J. 442,
no 13.
•^ Prima compositio. Or. A. I, J. 368, n" 3. Félibicn, Histoire de Paris,
t. III, preuves, n" 320 (21 mars 1312, vieux style).
^ Secunda comp. Felibien, Histoire de Paris, t. III, preuves, p. 320.
10
146 LA KRAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
le séquestre des biens. Il y eut successivement plusieurs trans-
actions de ce genre, et ce fut seulement en J315 que Louis
le Ilulin délivra aux chevaliers de l'Hôpital les possessions des
Templiers, après les avoir contraints de lui abandonner la
moitié des meubles et même des ornements d'église ' , qui
étaient d'une grande valeur. La part des Hospitaliers ne laissa
pas que d'être fort belle, et il y aurait de l'exagération à dire,
d'après saint Antonin, qu'au lieu de s'enrichir, ainsi qu'ils l'es-
péraient, ils s'appauvrirent en recevant les biens du Temple*.
Plus (les deux tiers dos possessions de l'ordre de Malte en
France, à la fin du siècle dernier, avaient cette origine ^
1 Tcrtia comp. Or. Trésor des chartes , J. 3G8 n" 4. Les biens des Tem-
pliers avaient été administrés pendant le séqnestre par des commissaires
nommés par le roi et par le pape. Voyez un compte du séquestre des maisons
du Temple du bailliage de Troyes , en 1308. Or. Bibl. imp., Mélanges (le
Cléremhaitt , t. IX, fol. 223 et suiv. — Le roi avait ordonné au prévôt des
marcbauds de Paris de veiller à la garde des biens des Templiers à Paris.
Or. Arcb. de l'Emp., K. 37, n" 39.
2 Apud Rainaldi, t. IV, p. 547.
•^ Voyez les archives de l'ordre de JLaltc aux Arch. de l'Emp., série S.
Dubois, dans le même mémoire où il proposa, en 1306, à Edouard d'An-
gleterre l'abolition des Templiers et des Hospitaliers, proposition qu'il fit
au.ssi sans aucun doute à Philippe le Bel, évaluait à 800,000 livres le revenu
de ces deux ordres. Ce calcul est sans doute exagéré, mais il montre quelle
haute idée des hommes éclairés avaient de la richesse de ces deux ordres
religieux. De recupei-atioiie tcrrœ sanctœ , apud Bongars, Gesta Dei jjcr
Francos, t. II, p. 320 et 321.
LIVRE SIXIEAIE.
DU TIERS ÉTAT.
CHAPITRE PREMIER.
DES COMMUNES.
Décadence des communes jurées. — Leur nombre diminue. — Philippe le
Bel n'accorde aucune charte de commune. — Les communes maintenues
dans les fiefs pour contre-balancer l'autorité seigneuriale. — Les communes
en tutelle. — Le parlement surveille la gestion des magistrats municipaux.
— Déplorable situation financière des communes. — Causes de cet état
de choses, les vices de l'organisation communale et les exactions du fisc.
— Plusieurs communes font banqueroute. — Comment le parlement liqui-
dait leurs dettes. — Plusieurs villes renoncent à leurs droits de commune.
— Constitutions municipales octroyées par Philippe le Bel. — ■ L'élément
populaire supprimé. — Elections à deux degrés. — Listes de présentation.
— Les magistrats municipaux sont considérés comme agents royaux.
Dans les chapitres précédents, j'ai successivement exposé
les rapports du roi avec les trois ordres de la nation réunis
dans les états généraux, avec la noblesse et avec le clergé; il
me reste à montrer quelle fut son action sur le tiers état. Cette
étude sera Tobjet du présent livre, qui sera court, car je ne
puis ni ne dois entrer dans les détails de l'administration
municipale; je me bornerai à présenter quelques considéra-
tions générales et à citer quelques laits qui permettront d'ap-
précier si l'influence de Philippe le Bel fut utile ou funeste aux
classes inférieures de la société.
La décadence des communes jurées, qui date de Philippe-
Auguste, avait marché pendant tout le treizième siècle et était
arrivée à son dernier période au commencement du siècle sui-
vant. Est-ce à dire que les progrès du tiers état furent arrêtés?
Loin de là, ils continuèrent sans interruption, mais dans une
autre direction que celle qu'ils avaient prise tout d'abord. La
commune, qui fut au douzième siècle l'expression la plus com-
plète de l'émancipation, n'était qu'une des formes que la
10.
148 LA l'RA.XCE SOLS rilIl.II'PK LE BEL.
liberté était susceptible de recevoir. C'était rindépendancc
armée, révolutionnaire; son caractère dislinctif est l'isolement.
Elle était merveilleusement ajjpropriée du reste pour combattre
les petites tyrannies féodales. Klle dut s'effacer peu à peu
devant la formation des grands fiefs et surtout devant les con-
quêtes de la centralisation monar(lii(jue, dont elle fut d'abord
rauxiliairc. Les vieilles communes tombèrent sous la surveil-
lance immédiate des agents royaux; plusieurs même disparu-
rent. En consultant le tableau des villes qui envoyèrent des
députés aux états de 1308, on trouve désignées sous le titre
àe communautés une foule de localités dont l'érection en com-
mune avait été confirmée au douzième siècle par des chartes
royales insérées dans le recueil des ordonnances.
Il ne fut pas accordé une seule charte de commune pendant
le règne de Philippe le Bel : ce fait est caractéristique. In
très-petit nombre furent confirmées '. Le parlement poursui-
vait avec persévérance les communes, et se servait pour les
frapper des désordres qui éclataient fréquemment dans leur
sein; mais sa conduite variait suivant qu'il s'agissait d'une
ville du domaine royal ou d'une commune soumise à un sei-
gneur : les premières, il les supprimait; quant aux autres, il
les punissait fortement, mais il les laissait vivre. La commune
de Laon, abolie en 1295 ', fut rétablie peu de temps après %
l'évèque, dont elle dépendait, ayant eu le malheur de déplaire
au roi ; il en fut de même à Amiens *. Celle de Beauvais fut obligée
de payer une grosse amende, à la suite de débats scandaleux
et violents avec son évèque, mais elle eut la consolation de
voir son ennemi condamné à payer six mille livres tournois.
Le parlement suivait l'ancienne politique des rois, de contenir
la féodalité par les communes ^ ; il saisissait aussi toutes les
1 Reims, 1309. Ord., t. XII, p. 381. — Rouen, décembre 1309. Ord.,
t. II, p. 412, mais en faisant des réserves.
^ Olim, t. II, p. 384.
•' Février 1297. Ord., t. XI, p. 388, mais avec cette restriction qui fut
tenue comme une menace suspendue au-dessus de la comnnine , « quamdiu
nobis placueril ' .
'^ Ord.. t. XII, p. 367.
â Arrêt du parlement du 13 juin 1308. Reg. XLII du Trésor des chartes,
fol 107 v°.
LIVRE SIXIÈAIE. — DU TIERS ETAT. 149
occasions d'intervenir dans l'administration intérieure des cités,
même dans les terres des grands feiidataires. En 1308, la
commune d'Abbeville ayant eu son maire et ses échevins des-
titués et jetés en prison par le sénéchal du comte dePonIhieu,
sur la dénonciation des chefs de métiers, qui les accusaient de
malversation, le prévôt royal de Saint-Riquier commença par
les réintégrer dans leurs fonctions ; un peu plus tard seulement
le roi fît mettre l'échevinage sous sa main et ordonna une
enquête.
Toutes les communautés, quelle que fût leur condition, de-
puis la commune la plus puissante, jouissant de la juridiction,
jusqu'au plus humble hameau, étaient considérées comme
mineures. Le tuteur légal était, à la fin du treizième siècle,
pour les villes de commune, le roi, qui s'était déclaré le protec-
teur de toutes les communes du royaume, même de celles qui
étaient établies dans les domaines des grands feudataires '. Cette
tutelle finit par devenir onéreuse. Elle fut une des causes du
prompt développement que prit, à la fin du treizième siècle, la
centralisation administrative. Les communes qui, du temps de
saint Louis, avaient une certaine liberté d'action, qui géraient
leurs biens avec le contrôle du seigneur ou des agents royaux,
ne purent plus faire aucun acte important sans l'autorisation
préalable du roi ^.
Le gouvernement réprimait avec sévérité dans les com-
munes du domaine les mouvements populaires, les pétitions
collectives, les assemblées de citoyens, qui jouaient un
si grand rôle dans les anciennes communes. En 1291 , les
Rouennais dénoncèrent à l'autorité la gestion de leurs magis-
trats. Les comptes des maires qui avaient administré pendant
les dix dernières années furent examinés par ordre du parle-
ment et trouvés en règle. La cour du roi fit, en proclamant
^ Le parlement posait ce principe. Voyez une enquête de la fin du trei-
zième siècle sur les franchises du consulat do Caliors. Il y est dit que tout
différend entre l'évèque et la commune au sujet des droits municipaux devait
être porté au parlement. Snppl. du Trésor des chartes, J. 1029, n"8.
2 Les aliénations de biens communaux au milieu du treizième siècle , pour
lesquelles on n'exigeait d'autre formalité que le consentement de la commune,
furent soumises à l'approbation royale, a J'entend que borjois ne puct pas
aliéner la chose de la commune sanz le commeudement du roy. »
150 LA FHAXCE SOIS PHIMPIM', LE BKL.
le résultat de cclto enquête, une déclaration de principe qui
mérite d'être rapportée. Mlle prononça que lorsque les comptes
des villes lui paraîtraient suspects, elle les l'crait corriger de
sa propre autorité, car c'était à elle et non au commun qu'il
appartenait d'intenter des poursuites de ce «jenre; et que
désormais elle écouterait plus volontiers la plainte d'un ou de
deux citoyens que celle du commun, attendu les périls qui
étaient le résultat des excitations et ces commotions popu-
laires '. Le pailement soutenait le principe d'autorité, même
quand il résidait dans les majjistrats communaux, ce qui ne
l'empêchait pas de les faire emprisonner quand la commune
ne payait pas régulièrement les impôts *. Pour empêcher les
malversations dans l'administration financière des bonnes
villes, saint Louis prescrivit aux maires de venir chaque année
rendre leurs comptes à Paris devant des coninnssaires désignés
pour les entendre ^ . dette sage mesure était encore en vigueur
sous Philippe le Hardi, mais on n'en trouve plus trace sous
Philippe le Bel, car l'examen des comptes de la commune de
Rouen, dont il a été question plus haut, constitue un fait isolé.
L'ordonnance de saint Louis paraît même être tombée en
désuétude dès Philippe le Hardi, car un inventaire des archives
de la chambre des comptes, rédigé en 1325, mentionne les
comptes des villes seulement depuis 1259 jusqu'à 1281 *.
Alais la bonne gestion des deniers municipaux ne demeura pas
sans garanties; elle fut sui'veillée par les magistrats royaux.
Un arrêt du parlement de Toulouse, de 1270, avait donné le
choix aux consuls de cette ville de rendre leurs comptes au
viguier royal de Toulouse ou aux personnes instituées à Paris
parle roi pour recevoir ceux des communes de France ^ Le
parlement intervenait à chaque instant dans l'administration
des villes. V.\\ arrêt de l'an 1291, relatif aux villes de Xoyon
et de Ham , qui n'est pas dans les Olim, donne de précieux
1 Olim, t. II, p. 526 et 527.
2 En 1310, les échcvins de Reims furent mis en prison » pro debito re<jio s .
Varin, t. II, p. 3.
3 Ord., I. 1, |). 82.
''' Historiens de France, p. 521. D. Tabula lîoberli ^llignon.
5 Bibl. imp. , Carlulairc de Toulouse, Cartid. 74, fol. 24.
LIVRE SIXIEME. — DU TIERS ETAT. 151
renseignements sur la manière dont il liquidait les dettes des
communes. On convoquera par deux proclamations successives
tous les créanciers. Ceux qui ne comparaîtront pas à l'une de
ces deux sommations seronfconsidérés comme déchus de leurs
droits. On examinera les titres des créanciers : ce qui est usu-
raire sera retranché, et les dettes constatées légitimes subiront
elles-mêmes une réduction fixée d'accord avec les créanciers.
Une enquête sera faite sur ceux qui ont administré la commune :
ceux qu'on reconnaîtra coupables rembourseront ce qu'ils lui
auront fait perdre avec le produit de leurs biens, meubles et
immeubles, même ceux qui auraient passé dans d'autres mains.
Cette disposition avait pour objet d'atteindre les comptables
qui auraient fait des cessions fictives de leurs biens. Le surplus
des dettes sera éteint au moyen de la vente des biens commu-
naux. Ceux qui possèdent des rentes à vie sur une ou deux
communes produiront leurs titres : s'ils ont joui de la rente
pendant un temps suffisant, eu égard au prix d'achat, le paye-
ment des arrérages sera suspendu jusqu'à l'extinction des
dettes. Pour bien comprendre cet article, il faut se rappeler
que les constitutions de rente se faisaient à un taux d'intérêt
très-élevé; il en résultait que les intérêts, accumulés pendant
un laps de temps assez court, formaient une somme équivalente
à celle qui avait été versée par le rentier. Quant aux villes
elles-mêmes, il leur fut interdit d'intenter aucun procès sans
une autorisation du parlement '.
On est frappé de voir combien de communes furent ruinées
sous Philippe le Bel. Rien de plus déplorable que la situation
financière de Reims, de Rouen, d'Amiens et de Provins \ Cet
état de choses tenait sans doute jusqu'à un certain point à la
constitution communale. Beaumanoir trace un tableau éloquent
des fraudes mises en œuvre pour éluder l'obligation imposée
aux magistrats municipaux de rendre leurs comptes en sortant
de charge. Les fonctions de maire étaient devenues, par
1 Trésor des chartes, Rcg. XXXIV, foi. 36. (1290. In parlamento can-
delose.)
- Varin, Doc. médits , t. I et II. — Cliérucl, Histoire de Rouen. —
A. Thierry, Amiens. — Bourquclol, Notice sur le cartulaire de Provins ,
Bibl. de l'Ecole des chartes, 4«= série, p. 434-439.
132 LA FRAXCE SOLS PniLIPPK LK DKL.
suite d'inlrifjiH's, le paila'jc des incmijics de (|iiol(|iies liclies
familles l)()ur<|eoiscs se sueeédaiit loin" à loiir dans le gouver-
nement de la eité. Les nouveaux élus ne demandaient point de
comptes sérieux à leurs prédéeesseurs : le contrôle des agents
royaux était indispensaljle. dépendant, on ne pouvait lever de
tailles extraordinaires au profit de la commune sans lettres du
seigneur ' ou du roi '. Si le seigneur refusait la permission, le
roi l'accordait quand l'établissement de l'impôt paraissait utile ^ .
Mais le mauvais état des finances des communes doit aussi et
pour la plus grande partie être attribué à Philippe le Bel lui-
même, à ses exigences démesurées, aux amendes énormes dont
le parlement frappait les infractions aux ordonnances *, et aux
extorsions des commissaires extraordinaires. Le mal devint tel,
que l'on vit (et je n'ai pas rencontré d'exemple de ce fait anté-
rieur à ce règne) des communes écrasées de dettes faire
abandon général de tous leurs biens et même de leurs privi-
lèges, de leur droit de commune et de leur justice. C'était,
qu'on me permette de parler ainsi, de véritables faillites.
En 1308, le maire et les jurés de la commune de Lorbie,
d'un consentement unanime, considérant leurs charges com-
munes, ainsi que la multitude de; dettes et de rentes à vie qui
les grevait, et tellement accablés par les emprunts qu'ils ne
pouvaient plus espérer de se relever, transportèrent au roi
Philippe, à perpétuité, leur commune et tous les droits qui y
1 Olim, t. II, p. 542, année 1311.
- Piiilippt' permet aux liabitants de XoncUe en .Auvergne de perceioir une
taille extraordinaire qui sera répartie par quatre prudliommes sous la surveil-
lance du châtelain. Arch. imp. Or. J. 104G, n" 5, en 1290. — .Autorisation
accordée aux Lyonnais pour lever des droits sur les marchandises qui s'y
vendaient. 1295. Ord., t. XII, p. 330.
3 En 1307, les échevins de Reims voulurent lever une taille, l'archevêque
s'y opposa, le roi le leur permit. Cartul. de l'arch. de Reims, fol. 73.
Arch. imp., département de la Marne. Voyez la menu; chose en 1300.
Varin , t. II , p. 1.
•'• La ville de Carcassonnc lut contrainte en 1308 de payer au roi 20,000 livres
tournois, j'ignore pour quelle cause. Le roi lui permit de percevoir la onzième
partie de tous les revenus mobiliers et inunohiliers. .Mai 1308. Or. Trésor
des chartes. Carcassonnc. — En 1306, la commune d'Amiens fut condamnée
à 20,000 livres d'amende, .. super rescu.ssa (piatuor matcfactorum banni-
torum ". Olim, t. Il, p. 197. Voyez ibid., passim.
LIVRE SIXIEME. — DL TIERS ÉTAT. 153
élaient attaclR's, leurs propriétés, hniis marais, leurs tourbières,
les murs et les portes de la ville, le belfroi et les prisons '. On
enleva le battant de la grosse cloelie du beffroi pour macquer
que la commune avait cessé d'exister '.
Un certain nombre de localités reçurent de Philippe le Bel
une constitution différente de celle des communes, mais assise
sur des bases assez libérales. Ce qui distingue ces privilèges,
c'est la concession de droits civils étendus; les droits politiques
au contraire y sont restreints. La royauté voyait dès lors avec
défiance la participation des classes inférieures à l'administra-
tion des villes. Dans les communes, les magistrats étaient le
produit de l'élection de tous les citoyens. A partir de Philippe
le Bel, les privilèges accordés aux communautés n'admirent
pas, sauf quelques rares exceptions \ la nomination directe
des maires par le peuple. Dans le Kord, l'élection fut généra-
lement établie à deux degrés : les habitants élisaient plusieurs
prudhommes, qui choisissaient les échevins dans leur sein ou
parmi les autres citoyens *. Dans le Midi, les consuls étaient
choisis par le viguier ou le bayle royal, sur une liste présentée
par les consuls, ou par les consuls eux-mêmes, en présence
d'un officier royal ^ . La même remarque s'applique aux chartes
de privilèges octroyées par les seigneurs, lesquelles chartes
n'avaient force de loi qu'après avoir été sanctionnées par le
roi ". L'élection à deux degrés fut même substituée dans
quelques cités à l'élection directe, qui y était en usage depuis
longtemps '. Dès lors commença la transformation des magis-
trats municipaux en magistrats royaux.
1 Bontliors, Coutumes locales du bailliage d'Ainiens, \. I, p. 3'fO.
- Mém. de la Soc. des antiq. de Picardie, t. II, p. 348.
•^ En 1286, le roi accoitia aux liabitaiits de Breteuil le droit d'élire chaque
année deux personnes pour les gouverner, qui pourront appeler au conseil
ceux des habitants qu'elles jugeront à propos. Ovd., t. VTII, p. 24.
4 Charte de Chàteau-Thierri , 1301. Ord., t. XI, p. 348.
^ Voyez les privilèges de la bastide de Marziac, en 1300. Ord., t. XII,
p. 341.
'^ Privilèges de Tournai, Ord., t. XII, p. 371, en 1308. — Mêmes dispo-
sitions pour la bastide de la Peyrousc. Ibid., p. 380.
" Privilèges de Gardemont, en 1310. Ord., t. XIII, 383. — Mêmes dis-
positions pour Lunas, en 1312. Id., p. 390. — Montolieu. Id., t. VII,
p. 399, en 1313.— Montcabrier, avril 1308. kl, t. XII, p. 362, etc.
154 LA FRAXGE SOUS PHILIPPE LE BEL.
CHAPITRE DEUXIÈME.
DES BOURGEOISIES ROYALES.
A la liLcrh!' coiniiuiiialc , <jiii était locale , la royauté oppose la bourgeoisie
royale, (pii clait individuelle et indépendante du domicile à la fin du
treizième siècle. — La plupart des hommes libres se font les bourgeois du
roi, au détriment des seigneurs. — Plaintes de la noblesse. — (Conditions
requises pour être admis dans la bourgeoisie royale. — Résultats de réta-
blissement des bourgeoisies.
Le citoyen d'une commune ne trouvait protection que dans
l'enceinte de sa ville; partout ailleurs il était exposé sans
défense aux poursuites des seigneurs. S'il allait se fixer dans
une terre où la servitude était établie, il perdait sa liberté, car
la servitude s'acquérait par prescription, après un séjour d'un
an et un jour. Au treizième siècle, les babitants d'une ville du
domaine étaient bourgeois du roi, et cette qualité les suivait et
les protégeait dans toutes les parties du royaume. Ils écbap-
paient en matière personnelle à la juridiction des seigneurs
dont ils babilaient les fiefs. La qualité de bouigeois du roi
s'obtenait par l'admission dans une ville royale, moyennant le
payement de droits de jurée. Il arriva qu'à la fin du treizième
siècle presque tous les bommes libres qui vivaient sous la
domination des fcudataircs s'avouaient bourgeois du roi, et que
les seigneurs virent anéantir leur juridiction.
La noblesse se plaignit : ses réclamations étaient fondées,
une ordonnance de l'an 1287 prévint les abus sans porter
atteinte aux droits du prince et aux immtniités des bourgeois.
Le droit do bourgeoisie fut ainsi réglé a pour osfer les fraudes
et les malices qui se faisaient par ochoison d'icellcs bourgeoi-
sies, dont li subgiet estoient durement grevés et durement
plaignant » .
Celui qui voulait entrer en bourgeoisie devait aller trouver
le prévôt ou le maire de la ville où il voulait s'établir, et lui
dire : •< Sire, je vous requiers la bourgeoisie de cette ville et
suis apparelloz de faire ce que j'en doi faire. » Le prévôt ou le
maire le recevait en préseuce de deux ou trois témoins, après
LIVRE SIXi'hiE. — DL TiERS ÉTAT. 155
lui avoir fait jurer qu'il achèterait dans l'an et jour une maison
de la valeur de soixante sous parisis au moins. Il promettait
en outre révérence au roi et à la ville, et s'engageait sur hypo-
thèque de ses biens à remplir ses promesses '. On lui donnait
ensuite un sergent pour aller avec lui signifier à son ancien
seigneur son entrée dans la bourgeoisie de cette ville. Le
nouveau bourgeois devait demeurer dans la ville dont il était
membre, depuis la veille de la Saint-Jean jusqu'à la Toussaint,
sauf en cas de maladie ou pour pèlerinage, et encore pouvait-
il, pendant ce temps, s'absenter avec sa femme pour faire sa
moisson, ses foins ou ses vendanges. Celui qui n'était pas
marié devait avoir continuellement un valet au lieu de son
domaine, depuis la Saint-Jean jusqu'à la Toussaint, et à cette
condition, il lui était permis de s'absenter toute l'année «pour
ses besoignes faire ■) , pourvu qu'il revint assister aux quatre
grandes fêtes annuelles. On était bourgeois tant qu'on n'avait
pas solennellement renoncé à la bourgeoisie. L'article 7 n'a
pas été compris par Laurière ; ce savant jurisconsulte l'analyse
ainsi : Le bourgeois et la bourgeoise seront justiciables de
corps et de meubles du seigneur auquel ils auront fait nouvel
aveu. L'article porte que le seigneur dont le nouveau bourgeois
aura quitté la terre, aura la connaissance des délits commis par
lui pendant les trois mois qui auront précédé son entrée en
bourgeoisie, quand le délit sera notoire et que le seigneur
l'aura prouvé devant la justice de la ville, dans les trois mois
de la réception -. Les hommes libres étaient seuls admis dans
la bourgeoisie. Le roi avait d'abord stipulé que celte ordon-
nance ne serait pas applicable dans les pays de frontière \ En
1293 il la rendit exécutoire dans tout le royaume. En 1295, il
interdit de faire aucune bourgeoisie en Champagne *.
Mais tous ces règlements furent illusoires : les bourgeoisies
continuèrent à être personnelles , les bourgeois du roi rem-
1 Voyez (les procès-verbaux de bourgeoisie dans Mesnard, Histoire de
Kîmes, t. I, preuves, p. 165, en 1310. On s'engagea à acheter dans les
deux ans 50 livres tournois de bien-fonds.
2 Ord.. t. I, p. .314 et 315.
=5 Ord.. t. I, p. 316.
* Trésor des chartes, Rcg. XXXIV, pièce 32.
156 L.\ l'UAXCK SOLS IMIILirPK LK IIK!,.
plircMit les fiofs des barons ', ainsi (|ii(' rattestciil les plaintes de
la noblesse de Cliampagne , en J,'}!.")-. Les bour;|eois étaient
cfficaccnicnt protéjjés. En 1290, le bailli d'Auvergne ordonna
au prévôt de Crioude de défendre au chapitre de cette ville de
vexei' plusieurs habitants qui étaient bourgeois du roi, soit en
les citant en jugement, soit en les excommuniant, et de l'y
contraindre par la saisie du temporel'.
Par rinstilution des bourgeoisies du roi, la liberté, qui avec
le régime communal était locale, devint personnelle. L'homme
du roi l'ut l'homme libre par excellence, la liberté le suivait
dans les fiefs des seigneurs, au milieu de populations soumises
à l'esclavage; c'était le civis romanua du moyen âge; mais à
côté de cet homme heureux, que d'autres hommes étaient
déshérités de la liberté!
CHAPITRE TROISIEME.
DES AFFRAXCI1ISSEME\TS.
AfTrancliissf'mcnts généraux des serfs du domaine en Jjangucdoc. — Les serfs
affranchis deviennent propriétaires. — Effroyables abus de pouvoir qui
amenèrent l'émancipation des serfs du Alidi. — Exactions et tyrannie de
P. de Latilly et de R. de Brillac. — Histoire des habitants de Laurac. —
Justice de Philippe le Bel. — Xombreux affranchissements individuels de
la part des seigneurs. — Ces actes n'étaient valables qu'après avoir été
confirmés par le roi. — Pourquoi? — Motifs des affranchissements. —
Considérants remarquables de la charte d'affranchissement du comté de
Valois. — IVogrès de la civilisation ai-rètés par la guerre de cent ans.
Louis X, dans une ordonnance célèbre, affranchit les serfs
du domaiiu' royal ^ . Il généralisa ce cjue son père avait fait
pour plusieurs provinces de la couronne. En 121)8, Philippe le
Bel donna la liberté aux serfs du domaine royal dans les séné-
• Brussel, Xoitvel usage des fiefs, p. 9V."5. — Eaurière, Instituts de
Loisel. note, p. 70 et 71. — Olim , t. 111, p. 431, en 1309.
2 Ord.. t. I, p. 57(j.
3 LeUrc de Jean de Trie, du 25 avril 1290. Or. Trésor des chartes,
carton lOVG, n" 1.
' Ord.. t. I, p. 583.
LIVRE SIXIÈME. — DU TIERS ETAT. 157
chaussées de Toulouse et de Carcassonnc '. Ces serfs se divi-
saient en deux classes, en hommes de corps, véritahles serfs,
et en hommes de caselage; ces derniers libres de leur per-
sonne, mais cultivant des terres serviles. Souvent ces deux
qualités étaient réunies. Ces deux classes de serfs reçurent
l'ingénuité la plus parfaite; le roi exprima formellement qu'il
ne réservait aucun des droits des patrons sur les affranchis.
Cette dernière clause peut paraître singulière; car, dans le
droit du moyen âge, l'esclavage personnel n'existant pas, du
moins en France, l'affranchissement brisait tout lien entre le
maître et le nouvel homme libre, qui jouissait de tous les
droits de l'homme né dans la plénitude de la liberté : c'est là
une phrase de légiste, une réminiscence du droit romain. Ce
bienfait ne fut pas gratuit : les serfs de caselage durent payer
à l'avenir un cens annuel de douze deniers tournois, pour
chaque septerée de terie. Les auteurs qui ont traité de l'his-
toire de l'abolition de l'esclavage" n'ont point fait attention
à une disposition qui est d'une impoitance capitale, que les
terres qui étaient tenues en caselage le seraient désormais en
emphytéose ^ On sait que l'emphytéose était un bail à long
terme, révocable seulement par suite de la cessation du paye-
ment de la rente : or, ici, il n'y avait point de terme fixé; il
en résulta que les serfs du Languedoc reçurent non-seulement
la liberté , mais encore devinrent propriétaiies. Cette mesure
si libérale fut dictée à Philippe par le désir de faire oublier aux
populations méridionales une série d'actes tyranniques dont
elles avaient été les victimes. Il avait à cœur de réparer des
abus de pouvoir monstrueux, qui sont complètement inconnus
et dont on douterait si les pièces officielles ne venaient accu-
muler les preuves de leur existence ".
1 Ord., t. XII, p. 325 (avril 1298).
2 Voyez édit. Biot, Histoire de l'abolition de l'esclavage , p. 352.
•' Il Que quidcm casclajjia fore de cetero rcs ampliyteoticas dcclaramus. »
Ord., t. XII, p. 335.
^ Plaintes des consuls de Laurac. Suppl. du Trésor des chartes, J. 890,
J. 1031, n" 7, J. 103V, n-^ 48; — de Saint-Félix, J. 1036, n" 8; — de
Montgaillard , J. 1033, n" 10: — de Gistelnaudary , J. 1033, n» 11; — de
Gaincte-Gabclle, J. 1031, n« 9, et J. 1029, n" 2; — d'Hautcrive, J. 1033,
n» 9; — de Piiy-Laurcnt , J. 1024, n" 38; — de Villemur, J. 896, etc.
15S LA FHAXCK SOI S J'HILIIM'K LE P.KL.
On trouve dans le supplément du Trrsor des cliarlPS une
grande quantité de rouleaux originaux, remontant à l'année
1298, et renfermant tous des plaintes des villes du ^lidi contre
Pierre de Lalilly et Raoul de Hrillac, chevalier. J'ai reconnu
qu'ils concernent tous une accusation portée par les commu-
nautés du Languedoc contre ces deux personnages, et qu'ils
contiennent les mêmes griefs. Je prends au hasard la plainte
des consuls de Laurac. Ce qui se passa à Laurac se passa
identiquement dans les autres villes ou villages de la séné-
chaussée de Toulouse. Pierre de Latilly et R. de Rrillac furent
envoyés par le roi en qualité de réformateurs et d'enquêteurs
généraux : ils étaient chargés de revendiquer les domaines
usurpés, de réclamer les payements des dettes dues au fisc, en
un mot de faire de l'argent par tous les moyens possibles '. Ils
comprirent leur mission, mais ils allèrent trop loin pour ne
pas être désavoués. Par leurs ordres, un de leurs agents se
rendit à Laurac avec une suite nombreuse de sergents, ras-
sembla les consuls et soixante notables, et leur déclara (ju'il
était envoyé par les seigneurs commissaires pour lever les
sommes dues pour hommages et caselage (droits dus par les
hommes de corps et de caselage), ainsi que pour infraction aux
ordonnances sur les monnaies. Il engagea les consuls à tran-
siger avec lui. Ceux-ci repoussèrent cette demande, alléguant
que si quelques habitants devaient quelque chose au roi, on
pouvait les poursuivre, mais que la communauté n'était pas
solidaire. L'envoyé leur ordonna de se rendre à Toulouse à
jour fixe, pour comparaître devant les enquêteurs. Sur leur
refus de jurer d'obéir à cet ordre, il les tint prisonniers, et fit
chasser de leurs maisons les femmes et les enfants de ceux qui
étaient présents. Ils cédèrent enfin et jurèrent d'aller à Tou-
louse. Ils trouvèrent dans cette ville les réformateurs, qui leur
proposèrent de nouveau une transaction : ils refusèrent et
furent constitués prisonniers dans la ville. Au bout de plusieurs
jours ils se soumirent et s'engagèrent en pleurant à payer une
somme de trois mille livres tournois. Chacun d'eux fut obligé
de se porter caution pour la somme entière. Un délégué des
1 Vaissètp, t. \\\ p. 115. — Voyez la défense de P. de Latilly contre les
consuls de Caincte-Gabelle. J. 1031 , n" 8.
LIVRE SIXIEME. — DU TIERS ETAT. 159
commissaires se rendit à Laurac, convoqua les habitants et
soumit à leur acceptation le traité : ils ne voulurent pas le
ratifier. Les sergents firent évacuer les maisons et en appor-
tèrent les clefs au lieutenant des enquêteurs. Toute résistance
était inutile devant de semblables violences , les habitants
promirent ce qu'on voulut '. En un grand nombre d'endroits,
les commissaires firent payer les droits de caselage à des
hommes libres : on les tourmentait de toute manière pour les
amener à composition ^ .
Ces odieuses manœucres se renouvelèrent dans trop de
localités pour ne pas soulever une tempête. Les consuls des
communautés ainsi dépouillées et violentées portèrent leurs
plaintes au pied du trône. Philippe s'émut et ordonna une
enquête qui fit connaître la vérité. Ce fut alors que fut rendue
l'ordonnance qui affianchissait les serfs du Languedoc et où il
déclara nulles et non avenues les procédures de P. de Latilly
et de R. de Brillac, ainsi que les concessions de finances qu'ils
avaient extorquées ^ Comme le recouvrement des droits dus
par les serfs avait été la source des exactions des commissaires
généraux, en abolissant la servitude, Philippe prévint le
retour de semblables faits. On est heureux de constater qu'il
valait mieux que ses agents et que son cœur n'était pas fermé à
la justice et à la pitié. En 1303, cette mesure libérale fut
étendue aux sénéchaussées d'Agenais, de Rouergue et de Gas-
cogne^. Le roi donna la même année pouvoir à G. de Gilly
d'affranchir ses hommes de corps du bailliage de Caen \
Cet exemple fut suivi par les seigneurs, dont un grand
nombre émancipèrent en masse leurs serfs : les affranchisse-
ments individuels ne furent pas moins fréquents; mais ces
manumissions , soit générales, soit particulières, n'étaient
valables qu'après avoir été confirmées par le roi. Cet usage
' Rouleau intitulé : Isti supt testes producli j)er consules de Lauraco, etc.,
examinati per mag. Symonem Suacis, cantorem ecclesie Agen. et J. Anionîi,
legum doctorem. .1. lO^îl , u" 7.
^ Vaissètc, t. IV, Preuves, col. 113.
^ Or. Trésor des chartes, suppi., J. 892, n" 3.
^ Lettres patentes du vendredi après la Xativité de la Vierge, 1302-1303.
Vaissète, t. IV, Preuves, col. 127.
^ Trésor des chartes, Reg. XXXV, n"^ 48.
160 LA FRAXCK SOIS PHILIIMM'; I,E liKI,.
n'rlait ])as nouveau : on lo trouve étahli dès saint Louis, et il
existait sans doute longtemps auparavant.
Ces confirmations ne s'obtenaient qu'en payant un droit,
elles n'avaient même d'autre origine et d'autre objet que le
payement de ce droit.
Le serf, bien qu(> le christianisme le proclamât devant Dieu
l'égal de son maître , n'était aux yeux de la loi qu'une pro-
priété ; ce n'était pas l'esclave antique, une chose dont on eût
le droit d'user et d'abuser, qu'on put transporter, vendre,
échanger à son gré. Il faisait en quebpie sorte partie du sol
sur lequel il était, couchant et levant, jxjur me servir de l'ex-
pression consacrée; l'affranchir, c'était lui donner la faculté
d'aller où bon lui semblerait, par conséquent lui permettre de
(juitler la glèbe à laquelle il était attaché, c'était diminuer la
valeur de la terre ; et comme cette terre était un fief, c'était
ahrcfjerXo fief; et comme du roi relevaicMit tous les fiefs, c'était
nuire au roi que d'affraiiciiir un serf. De là, nécessité de la
confirmation royale, et, parlant, d'une indemnité qui com-
pensât la perte éprouvée '. Cela expli(|ue pourquoi les registres
de la chancellerie renferment un si grand nombre de confir-
mations d'affranchissements faits par les seigneurs dans les
provinces les plus éloignées'. La plupart de ces actes, qui
étaient les titres les plus précieux des gens an tieis état, puis-
qu'ils constataient leur liberté, étaient rédigés en français.
Il ne faut pas attribuer ces nombreux affranchissements
exclusivement à un sentiment louable d'équité : ils étaient sur-
1 En i;î02, on voit les afjonts du fisc poursuivre un liommc de main-
morte que son maître laissait libre. Olim , t. 111, p. 85.
- Je citerai, entre autres : confirmation de 1 alTranchissement accordé à
Jean de Lujji-anjjuc par le comte de llinci, septembre 1310. — Trésor des
chartes, Ile;;. XIA'II , n° 06. — Conl'. de l'alTrancli. de Jean de Boves par
François, cardinal diacre de Sainte -Marie in Cosmcdin et trésorier de
l'église de Laon. Alai 1312. Id.. Reg. XLVIII, n" 16. — Conf. de la manu-
mission par (îuillaiime de Clialons, comte d'.Auxerre, de Jean le Rayarat.
Mai 1311. Id., Ueg. XLVII , n" 141. — Conf. de l'affrancli. de Vincent, dit
ilarchant, par Jean, sire de Dammartin. Mars 1314. Id., Re<{. XLII, n" 11.
— Autres en 1300. Id., Rey. XXVIII, n"* 38 et 39.— En 1308. Id..
Reg. XL, n'^ 152 et 153.— En 1312. Id., Reg. XLVIII, n" 208. —
En 1314. Id., Reg. L, n-' 11 , etc.
LIVRE SIXIKMK. — DU TII'RS KTAT. 161
tout dictés par le besoin d'argent : toutefois on ne saurait
méconnaître que leurs auteurs n'aient senti qu'en donnant ,
même pour un motif d'intérêt, la liberté à leurs serfs, ils
accomplissaient un devoir sacré. Ecoutons plutôt le préambule
de l'acte dans lequel Cbarles de Valois affrancbit les serfs du
Valois :
« Comme créature bumaine, qui est formée à l'image nostre
Seigneur, doie généralement estre francbe par droit naturel,
et, en aucun païs et certains lieus, ceste naturel liberté ou fran-
chise, par le jou de servitude (qui tant est baineuse), soit si
effaciée et occurcie que les bomes et famés qui babitent es païs
et lieus dessus diz, en leur vivant sont réputés ains come
morz, et à la fin de leur doleureuse et cbétive vie, si estroite-
ment liez et démenez que des biens que Dieu leur a preste en
cest siècle et que il ont acquis par leur propres labours, et
acreuz et gardez par leur pourvéance, il ne puevent en leur
derrenne volonté disposer ne ordener, ne accroistre en leurs
propres fils, filles et autres procbains. Xous meuz de pitié,
pour le remède et salu de nostre ame, et pour considéracion
de bumanité et de commun profit, donnons et ouctroions très
plénière franchise et liberté perpétuel à toutes personnes...
de nostre comté de Valois '. d
Ce noble langage est empreint, à un haut degré, de com-
passion envers le malbeur qu'enseigne le christianisme; mais
on y trouve aussi, ce qui est nouveau, un sentiment profond
de légalité et du droit des hommes à la liberté. La servitude y
est appelée baineuse; Charles de Valois proclame qu'il agit
pour le salut de son âme et « pour considération de Vhuma-
nité » . Le rédacteur de cette charte devait être à la fois un
prêtre et un légiste, sans doute quelque membre du parle-
ment. Si on rapproche de cet acte la belle déclaration de
Louis X : <■<■ Comme chacun, par droit de nature, doit être
1 19 avril 1311. Reg. XXXII du Trésor des chartes, niinc Bibl. imp.,
Colbert, 9607, fol. 73. Cet affranchisseinciit fut accordé moyennant 21,000
livres. Cartier, Histoire du Valois, t. II, p. 197 et 198. Les aulrcs seij^jneurs
du Valois affranchirent leurs serfs : en 1311, l'abbé de Valséri; Gallia
christiana , t. IX, p. 487. — Le seigneur de Xanteuil-le-Haudouin , Garlicr,
t. II, p. 199.
11
i62 LA FRAX'CE SGIS l'HILll'l'K LK WKL.
franc... ' >, on reconnaîtra que la civilisation était on pro-
grès, et que le temps n'était j)eut-être pas éloigné où la servi-
tude allait disparaître dans toute la France. La guerre de cent
ans vint fermer cet avenir de prospérité et de bonheur.
« OrfL, t. I, p. 583.
LIVRE SEPTIEME.
DE L ADMINISTRATIOX E\ GÉXÉRAL.
CHAPITRE PREMIER.
ADMIXISTRATIOIV CENTRALE.
Conseil. — (irands officiers do la couronne. — Chanceliers. — Chancellerie.
— Philippe n'eut que des gardes du sceau. — Formules de chancellerie.
— Xotaires et secrétaires du roi. — Trésor des chartes.
Jusqu'au milieu du treizième siècle, le pouvoir central fut
confié à un petit nombre de personnes; le roi avait pour mi-
nistres les grands officiers de la couronne et gouvernait avec
l'aide d'un conseil, revêtu d'attributions politiques, judiciaires,
administratives et financières. Sous saint Louis, certains mem-
bres de ce conseil furent spécialement chargés de rendre la
justice, d'autres s'occupèrent de l'examen de la comptabilité;
mais ils continuèrent à former un seul corps, connu sous le
nom de cour ou de conseil du roi. Philippe le Bel sépara ces
éléments divers, en forma trois corps distincts et donna nais-
sance au parlement, à la chambre des comptes et au conseil \
Le conseil ne fut organisé qu'en 1318 sous Philippe le Long.
Il ne fonctionnait pas d'une manière régulière, el sa compé-
tence n'était pas déterminée; il y avait des conseillers plutôt
qu'un conseil. Sa composition variait suivant la nature des
questions qui y étaient traitées. Les princes du sang y étaient
ordinairement admis; on appelait quelques hauts barons à y
prendre part, quand il s'agissait de la rédaction d'une loi
d'utilité générale. Une ordonnance du 16 janvier 1306 porte :
K Nous vous faisons scavoir que, comme nous, par nostre
grand conseil, à la requeste et instance de moût de prélaz et
1 Voyez M. Beugnot, Olim , t. III, préface, p. \ii et suiv. — Pardessus,
Essai sur l'or (janisation judiciaire , p. 133 et suiv.
11.
164 LA FRANCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
barons, etc. ' » Dans une lettre sur le fait des monnaies adres-
sée le 18 janvier 1308 au comte de la MarcIic, on lit : "Comme
par le cousoil des dix preudos iioniinos (les députés des villes)
et de nostre autre grant conseil, cussiens ordené'. d l ne autre
ordonnance, sur les monnaies, de juin 13J;{, s'exprime ainsi :
ttNous, par pleine déliltération de nostre plein conseiP. « Nous
avons vu que les ordonnances concernant la justice étaient
quelquefois faites au parlement*.
Les affaires administratives courantes, telles (|ue les con-
cessions de lettres de grâces, de privilèges et de conflrmations
de chartes, étaient traitées au conseil, mais les registres de
la chancellerie qui, pour les règnes suivants, mentionnent
souvent les délibérations du conseil et les noms de ceux qui
y furent présents, ne donnent aucune indication semblable pour
le règne de IMiilippe le iJel; ils rapportent seulement le nom
du conseiller qui donnait au clerc de cliancellerie l'ordre de
rédiger les actes approuvés au conseil.
Cependant, les conseillers étaient en titre d'office et nommés
par lettres patentes. J'ai trouvé une de ces nominations, de
l'année 1310, portant que le roi, satisfait de la fidélité, des
connaissances et des services de Pierre de Clialon, son clerc,
et voulant l'élever selon son mérite, tout en le retenant au
nombre des clercs familiers de son hôtel, lui donna le rang
de conseiller en son conseil; ce qui devait lui permettre de le
voir plus fréquemment \
' Ord., t. I , p. 446. — Voyez M. Bcugnot , Olim , t. III , préface, p. xiir.
2 Ord., p. 454.
^ Ord., p. 536. V'oyez d'autres exemples, p. 390, 475.
•^ Ordonnance concernant les bourgeoisies. Cette ordonnance fut faite au
parlement de 1287. Ord., t. I, p. 316.
5 » Grata nobis comprobatc fidelitatis obscquia et labores continuos in
atrendis quos... dilectus et fidclis majjister Pelrus de Cabilone, canonicus
Eduensis, famUiaris clericus noster, nobis incessanter exhibuit et pro nobis
voluit gratancius snstinere, plenis affectibus attendentes, ipsum quem dudum
benemeritum invenimus, volontés nostris obtutibus representarc frequencius,
ac favore prosequi speciali , ut , sic lionoribus et cominodis suis exigen-
tibus meritis, attollanuis, eundem de nostris consilio et liospicio in nostrum
consiliarium et faniiliareni clericum retinemus, ceterorum consiiiariorum
familiarium dcricorum nostrorum consorcio volumiis aggrcgari , présentes
sibi litteras in testimonium concedentcs. i Poissy, jour de Saint-Vincent, 1310.
Reg. XLII du Trésor des chartes, n" 133.
LIVRE SEPTIÈAIR. — ADAIIXISTRATIOX GÉNÉRALE. 165
On faisait prêter aux conseillers le serment suivant : « V^ous
jurez que vous serez féaux et loyaux au roi et son ainné fils
roi de France, et li garderez son cors, ses membres et s'on-
neur terrienne. Se il vous dit son secré, vous le garderez; et
s'il vous demande conseil, vous lui doiroiz bon et léal, à
vostre esciant. Si vous aist Dieu et les sainctes paroles '. n
Les conseillers en titre d'office étaient tous choisis dans le
clergé séculier*.
Les conseillers laïques sont désignés dans les documents
officiels sous le nom de chevaliers le roi ou chevaliers de
l'hôtel. Ils partageaient avec les clercs la haute direction des
principales branches de l'administration; mais ils ne jouis-
saient que d'une initiative très-restreinte. Ils avaient en partie
remplacé à la tète du gouvernement, mais avec un pouvoir
bien moins étendu, les grands officiers delà couronne qui,
jusqu'à la fin du douzième siècle, avaient été les ministres du
roi. C'étaient le grand sénéchal, le bouteiller, le chambrier,
le connétable et le chancelier. L'office de grand sénéchal fut
laissé vacant à partir de Philippe-Auguste, qui craignit que
cette charge ne devînt un danger pour la royauté, par suite de
l'importance des attributions qui y étaient attachées. Les
grands officiers contre-signaient les diplômes solennels revêtus
du monogramme du roi. Quand je dis qu'ils contre-signaient,
cela est inexact, car il a été récemment démontré, pour le
règne de Philippe-Auguste, que la formule « adstantibus in
palatio •! , qui précède dans les diplômes l'énumération de
ces officiers, n'indique pas leur présence lors de la confection
de l'acte, mais seulement leur existence. Cette observation
s'applique aux règnes suivants , et même à quelques règnes
précédents, notamment à celui de Louis VIP. Sous Philippe
le Bel, le bouteiller et le chambrier furent entièrement effacés
par leurs collègues, et cessèrent même de remplir des fonc-
tions publiques pour être exclusivement des officiers du roi.
La direction des finances fut confiée à un surintendant dont le
1 Re«{. XXX du Trésor des chartes , fol. 243.
- Voyez la liste des conseillers en 1285. Rcg. LVII du Trésor des cJiartes ,
fol. 5.
3 Delisle, Catalogue des actes de Philipjje-Aiiguste, préface, p. i.xxx.
166 LA FH.WCE SOLS PHILII'I'K LK DEL.
litre n'avait ii(Mi de délenniné. Los fonctions du connétable
s'accrurent; mais ce ne fut qu'à la lin du quatorzième siècle
qu'il dtnint le chef tle l'artnée et fut revêtu d'une auloiité
pres(jue égale à celle du roi. Le eliainhrier et le bouteiller
étaient ordinairement choisis parmi les princes du sang, et le
connétable dans les rangs de la |)lus haute noblesse. Quant au
chancelier, il accjuit une importance hors ligne : c'était le
secrétaire du roi, le chef de ses bureaux. Tous les actes de
l'autorité royale lui passaient par l(>s mains; étudier l'organi-
sation de la chancellerie sous Philippe le Bel, c'est faire con-
naître comment se manifestait la volonté du prince, c'est
initier aux procédés du gouvernement dans un temps où la
centralisation administrative fit de remarquables progrès.
Le chancelier avait la garde du grand sceau et le faisait
apposer aux lettres royales. Il souscrivait les diplômes solen-
nels revêtus du monogramme; quand la charge de chancelier
n'était pas remplie, le nom du chancelier était remplacé sur
ces mêmes diplômes par la formule vacante cancellaria. Au
douzième et au treizième siècle , les rois laissèrent fréquem-
ment la chancellerie vacante (juelquefois pour des espaces de
temps assez longs. Philippe-Auguste n'eut pas de chancelier
en titre depuis l'an 1285 jusqu'à sa mort'. Les vacances de
la ciiancellerie furent aussi très-fréquentes sous saint Louis et
sous Philippe le Hardi. Quant au règne de Philippe le Bel,
i\Iabillon ', les éditeurs modernes du Glossaire de Ducange,
et les continuateurs de V Histoire généalogique des grands offi-
ciers de la couronne, du P. Anselme, donnent des listes de
chanceliers (ju'il est impossible d'accepter, car la chancellerie
fut vacante pendant tout le règne de Philippe le Bel. Ce prince
n'eut que des gardes du sceau.
Aucun titre officiel ne donne en effet le titre de chancelier
aux dilférents personnages qui figurent sur ces listes. Il n'y
eut pas de chancelier sous Philippe le Bel, et cela n'étonne
pas quand on connaît le caractère de ce prince. Les chan-
celiers étaient à vie : leur position leur donnait un grand
crédit auprès du roi, dont ils étaient les premiers conseillers.
1 Delisle, Catalogue des actes de P/iitippe-Atiguste , préface, p. i.vxxvi.
- De re diplomatica , p. J2.
LIVRE SEPTIÈME. — ADMI.MSTRATIOX GÉXÉRALE. 167
Uii conseiller perpétuel devient souvent incommode, surtout
aux princes qui pratiquent le gouvernement personnel; il sus-
cite quelquefois une opposition qui déplaît. On parait à cet
inconvénient en nommant un garde des sceaux, révocable,
qu'on brisait quand ses conseils n'allaient pas àu-devant des
désirs du maître, ou qu'il répugnait à s'associer à certaines
mesures.
L'archevêque de Xarbonne fut remercié, et Nogaret reçut les
sceaux le jour oii l'on décida l'arrestation des Templiers. Un
registre du Trésor des chartes nous l'apprend officiellement '.
On comprend que dans cette circonstance, ou bien quand il
s'agissait de faire le procès de Boniface VIll, le dévouement
d'un garde des sceaux pris parmi les hommes d'Eglise, ainsi
qu'ils l'étaient ordinairement, pouvait n'être pas à la hauteur
des exigences royales; et il était indispensable de le remplacer
par un homme plus déi^oué et moins scrupuleux. Telle fut
l'origine de la fortune de Pierre de Flote et de Guillaume de
IVogaret, qui furent les premiers laïques auxquels on confia le
sceau.
En ne nommant pas de chancelier, Philippe agissait avec
prudence; il évitait ainsi de donner le scandaleux spectacle,
qui se renouvela trop souvent dans les derniers temps dé la
monarchie, d'un chancelier, d'un l'Hospital, d'un d'Aguesseau
disgraciés pour n'avoir pas su plier et trahir leur conscience,
et privés de leurs fonctions dont l'exercice était confié à un
garde des sceaux complaisant.
Le chancelier n'était pas encore le chef de la justice : dans
les rôles du parlement qui nous sont parvenus, il est inscrit
en tête des clercs, mais il vient après les prélats et les barons ".
Le collège des notaires ou clercs de chancellerie fut orga-
nisé : chaque notaire dut contre-signer les lettres qu'il expé-
diait. On trouve sous Philippe le Long trois clercs du secret,
qui rédigeaient les lettres confidentielles du loi , les actes de
1 a Anno Domini KîOT, die vcncri.s post fcsfiim B. Mathie apostoli, rogc
cxisicnte in monastcrio rcgali B. Alaric , jtixta Pontisaram, tradilum fuit
sigillura doiniuo G. de Xogarcto, milite, ubi tune tractatum fuit de capcionc
Templariorum. t> Reg. XLIV', fol. 3.
- L'ordenaiice des paricinenz (vers 1307). Bibl. imp., Cartid. 170, foi. 109.
168 I,\ l'RA\CE SOLS l'IIILIPPE LE REL.
propn'o motif. Uno ordonnance du même prince attribue à ces
clercs les mêmes honoraires que ceux dont Maillard jouissait
sous son père'. Ceci nous apprend (juo ce Maillard remplissait
auprès de IMiili[)p(' le IJcl les londions de scu-rêtaire intime.
J'ai rencontré nu très-grand nonihre d'actes signés : Par le
ROI, Maillard'-. Maillard mangeait à la tal)Ie des chapelains
du roi ^ Telle fut riuunhie origine des secrétaires d'Ktat.
On sait (jue Philippin-Auguste avait fait rédiger un étal de
ses domaines; sur les registres qui renfermaient cet état, on
inscrivit les actes de la chancellerie et les chartes les plus
importantes provenant du clergé et de la noblesse et concer-
nant le roi. Plusieurs de ces registres servirent à saint Louis
pour enregistrer les actes officiels de son temps. Ce même
prince fit faire des transcriptions des actes qui lui étaient
adressés, et sur le même registre on inscrivait les lettres
royales. Philippe le Bel établit un ordre régulier : il prescrivit
que les actes qui payeraient au sceau seraient copiés sur des
registres spéciaux, tenus sous la surveillance du chancelier ou
de celui qui en faisait les fonctions.
Telle est l'origine de celte belle collection des minutes de
la chancellerie du Trésor des chartes qui va de Philippe le Bel
à Henri III. Quand je dis minutes, je suis inexact, car tout
porte à croire que ce sont des copies faites d'après les origi-
naux. A cliaque instant l'ordie chronologique des pièces est
interverti; des registres entiers sont de la même écriture,
quoique les pièces qu'ils renferment portent des signatures de
notaires diflférents. Ces signatures elles-mêmes ne sont pas ori-
ginales; elles ne sont même pas reproduites sur les registres
avant l'année 1310. Certains de ces registres étaient nnique-
nient destinés aux actes importants revêtus du grand sceau de
cire verte. Les mandements aux baillis sont mêlés aux conces-
sions de privilèges; cependant il existe pour le règne de
Philippe le Bel deux petits registres, qui se répètent, d'un for-
* Rcf[. LVII du Trésor des chartes , fol. 41.
2 Arrli. dp l'Eiiip., K. 3(1, 37 rt 38, ol M. 35 à 44, passim.
3 Ordnnrianco i\c Philippe \o BoL IJo;;. lAII, fol. 50. Tessorraii , dans son
Histoire de la c/ianrc/leric , p. 10, prétend que les trois clercs du secret
existaient du temps de IMiilippe le Bel; cela est inexact.
. LIVRE SEPTIÈME. — ADMIMSTRATIOX GKXERALE. 169
mat moins grand que les autres, qui renferment exclusive-
ment des actes de Tan 1300 à 1304, relatifs à la guerre de
Flandre. On voit là l'intention de faire une collection d'actes
purement administratifs, intention qui ne paraît pas avoir été
suivie.
Le génie organisateur de Philippe le lîel , qui réglait la
chancellerie, ne pouvait négliger les archives de la couronne,
connues sous le nom de Trésor des chartes et placées par saint
Louis à la Sainte-Chapelle. Il institua en 1307, sur la proposi-
tion de Kogaret, la charge de garde du Trésor des chartes et la
confia à Pierre d'Etampes, chanoine de Sens, un de ses clercs,
qui rédigea des inventaires. Quelques-uns de ses travaux exis-
tent encore. Pour compléter l'ensemble du Trésor des chartes,
Philippe ordonna de transcrire, sur des registres spéciaux, et
dans un ordre méthodique, les actes les plus importants dont
les originaux étaient déposés au Trésor des chartes '.
CHAPITRE DEUXIEME.
ADMIXISTRATION LOCALE.
Baillis et sénéchaux. — Prévôts, vicomtes, vic[iiicrs, juges, bayles, sergents.
— Règles communes à tous les l'onctiounaircs. — Responsabilité. —
Enquêteurs et réformateurs.
La confusion des pouvoirs administratif, financier, judiciaire
et militaire entre les mains des agents du roi dans les pro-
vinces, simplifiait singulièrement les rouages de l'administra-
tion. Cependant le temps approchait où le nombre toujours
croissant des affaires soumises aux officiers royaux allait néces-
siter la répartition entre plusieurs personnes des fonctions
réunies jusqu'alors sur une seule tête. Des tentatives furent
faites dans ce sens sous Philippe le Rel, mais elles n'eurent
* Dessalles, Mém.sur le Trésor des chartes, p. 22. Voyez l'original des
lettres de création de cet office. Trésor des chartes , .1. 476, n° \. Bordier,
Arch. de la France , p. 131. — Ce que je dis ici du Trésor des chartes est
le fruit de mes remarques personnelles sur les registres originaux.
170 LA KRWCE SOIS PHILIPPI:: LE BEL.
qu'une couito durée ou furent restreintes à certaines localités.
Les mandataires du prince dans les provinces conservèrent en
principe l'exercice des différenls pouvoirs qui appartenaient au
roi, dont ils étaient les rt'présenlants.
L'administration j)rovinciale comportait deux dejjrés de
fonctionnaires : au premier rang se trouvaient les baillis,
appelés sénéchaux dans le Alidi. Jusqu'à la fin du treizième
siècle, ils étaient choisis dans la noblesse; sous Philippe le
Bel, les baillis furent souvent des roturiers', tandis (jue l'on
continua de recruter les sénéchanx parmi les chevaliers'.
On a prétendu que le roi pouvait seul avoir des baillis :
c'est une erreur. Les seigneurs et les églises confiaient le
gouvernement de leurs fiefs à des baillis % et cela dès le dou-
zième siècle. Dans les premiers temps de leur institution, les
baillis royaux étaient toujours au nombre de deux pour un
même bailliage et agissaient de concert*. Leur action s'éten-
dait surtout sur la police générale. On exigeait d'eux une
active surveillance de la noblesse, et ils furent les [)lus utiles
instruments de la royauté.
Ils étaient choisis par le conseil '\ et prêtaient serment entre
les mains du roi ". Sous Philippe le Bel, ils cessèrent de siéger
au parlement, ainsi qu'ils l'avaient fait précédemment. Les
ordres du roi leur étaient adressés directement, et ils les
faisaient parvenir aux agents inférieurs et aux seigneurs : nous
avons des renseignements précis sur le mode de transmission
de ces ordres, (jui parvenaient à des distances reculées avec
' OUin , passini. Il y avait j)ourtant (|iip|([iios cht-valicrs ; on trniivr un
.[pan, sire <lc Vaiiccllns. rlicialicr, l)ailli do Toiirainc on 1313. Trésor (les
chartes , Rojr. XWII, n' 12. — (îillc ilo Maiibiiisson, soigneur de llonlifjny.
Id., n» 94.
- .Jean d'.Auiiai , clioialior, sénoclial (\c Carcassonnc on 1308. Trésor des
chartes, Uo;[. XI^, n" 63. — (îuicliard de .Alarziac, séncohal d^^ Toulouse
en 1312. Ibid., Roj;. XL\ I , n" 238. — Euslacho do Boniuiiarcliais, jjouvcr-
neur de Afavarrc et sénéchal do Toulouse, était do bnniio noblesse, l oj?cz
.lioélicp, Guerre de Navarre , publ. par Fr. Alichcl.
3 In bailli do Conriouai , .\. I., J. VI."), u" 170, on 1308. — Lu bailli de
Hesdin, au ronite d'Artois, on 1294. S. 5061, etc.
'* Or. .1. 237, n" 6 (eu 1221), et L. 1199.
» ard.. t. I, p. 360.
" Trésor des chartes , Wc^. XXX, fol. 199 v°.
• LIVRE SEPTIÈME. — ADMIXISTRATIOX GÉXÉRALE. 171
une rapidité qui a lieu de nous surprendre, à une époque où
les postes n'étaient pas encore créées'. Les sergents d'armes
du roi étaient chargés des missions les plus importantes : un
crédit considérable était affecté dans le budget de l'Etat à ce
service, que l'on désignait sous le nom de Messageries'.
Les gages des baillis étaient élevés : le prévôt de Paris, fai-
sant fonctions de bailli, recevait 16 sous par jour; les baillis de
Champagne et de France, 365 livres par an; le sénéchal de
Rouergue, 400 livres; les sénéchaux d'xAuvergne et de Sain-
tonge, 500 livres; le sénécbal de Périgord , 600 livres; ceux
de Toulouse, de Beaucaire et de Carcassonne, chacun 700
livres '.
L'ensemble des bailliages s'étendait sur foute la surface du
royaume et comprenait les grands fiefs : c'est ainsi que la
Bretagne était du ressoit du bailliage de Tours; toute la
Guienne et la Gascogne relevaient de la sénéchaussée du Péri-
gord ; la Bourgogne faisait partie du bailliage de Hîàcon. Le
degré inférieur de la hiérarchie était occupé par des agents qui
avaient un nom différent selon les provinces. Dans l'Ile de
France et dans le centre, immédiatement au-dessous des bail-
lis, étaient les prévôts, placés à la tête des prévôtés, circon-
scriptions plutôt domaniales qu'administratives. Ils n'étaient
pas nommés par le roi, sauf quelques exceptions. Ils affer-
maient aux enchères publiques les revenus des prévôtés*, qui
se composaient : 1° du produit des domaines royaux; 2° des
cens et autres redevances dus au roi ; 3" des amendes et des
émoluments de justice jusqu'à un certain taux. Les prévôts
avaient, dans des limites plus ou moins étendues, l'exercice
de la juridiction de la police et des autres pouvoirs adminis-
tratifs. On comprend combien ce système était mauvais. Il y
avait souvent plusieurs prévôts pour une prévôté; l'ordonnance
de 1303 crut être sévère en statuant qu'il ne pourrait y en
1 Voyez l'inslnictioii rédigée en langue française qui fut remise en ISOt à
un sergent cliargé de transmettre aux séuécliaux du Alidi l'ordre de conio(|ucr
les députés des églises, liliil. imp., inss. Baluzc, 10312 A, fol. 22 v".
^ Ordonuance de 1314. Xotices et extraits , n" 40.
"* Rcg. de la Chambre des comptes, P. 2289, p. 870.
'* Ord., t. I, p. 360 (1303). — Ihid., p. 402 (1306).
172 LA l'RAXCK SOLS IMIILIPIM': LK lUX.
avoir que deux '. On exigea des adjudicataires des garanties
de moralité. Les baillis ne dînent adniclti-e, aux termes de la
même ordonnance, (|ne des lai(|iies, solvaMes, jouissant d'une
bonne réputation, uon suspects d'usure : les clievaliers étaient
exclus; uiais ces prescriptions lurent fréqueiuinent violées. Ces
inconvénients avaient frappé saint Louis. 11 supprima à Paris
les prévôts lermicrs, pour y substituer un prévôt ou garde de
la prévôté, qui recevait un traitement fixe. Cette mesure était
d'autant plus nécessaire que le prévôt de Paris remplissait les
fonctions de bailli. Dans les comptes du treizième et du (jua-
torzième siècle, on trouve à Paris une prévôté et un bailliage
distincts % ayant chacun des recettes et des dépenses particu-
lières; mais il n'y eut jamais de bailli, ainsi que l'ont prétendu
les auteurs de VArt de vérifier les dates ^ .
Dans quelques villes importantes, on établit des gardiens
de prévôtés, entre autres à Orléans*, mais ce fut là l'excep-
tion. Quelques-uns de ces prévôts s'appelaient sous-baillis ^
La Normandie était partagée en vicomtes gouvernés par des
vicomtes, nommés par le roi. Dans les sénéchaussées de Beau-
caire et de Carcassonne, les vicomtes existaient sous le nom
de viguiers, vicarii, et étaient préposés à une étendue de pays
nommée viguerie*. Dans le Toulousain et dans la partie de
la Guienne qui avait appartenu au comte xAlphonse, il n'y
avait pas de viguier, sauf à Toulouse; mais, dans cette pro-
vince, oïl la civilisation fit de bonne heure de grands progrès,
on n'avait pas consenti à laisser aux formieis des domaines le
droit de rendre la justice. Alphonse confia la juridiction de
première instance à des juges, jndices, dont le ressort s'ap-
1 Ord., p. 360 (130:î).
- \ oyez le compte des bailliajjcs et des prévôtés de France de 1299. 15. L,
siippl. franc. 4743.
'^ Les bénédictins citent un registre du Trésor des c/iartes (Rp<J. XXXV^,
fol. 35, n» 52). J'ai vérifié la citation, il n'y est fait mention que des baillis
de Sens, d'Auvergne, de Bourges, de Sentis, d'Amiens et de Vermandois.
^ A Orléans, Guillaïune Tibout , garde de la prévôté. Trésor des chartes,
J. 148 n" 16, en 1293.
•> A Poissy, en 1312, accord entre le sous-bailli et le maire de la com-
mune. Trésor des chartes, J. 387, n" 18, et en 1310. Olim, t. III, p. 489.
G Bibl. de l'École des chartes, 4« série, t. I , p. 214 et 215.
LIVRE SEPTIlvME. — ADMIMS'IRATIO.V GÉXÉRAM:. 173
pela judicaturc ou jiigerie. Ces jugeries, qui étaionl dans le
principe purement judiciaires, devinrent dès la fin du trei-
zième siècle des circonscriptions administratives et des subdi-
visions des sénècliaussées '. Dans tout le Alidi, les j)révùts
s'appelaient hayles (bajuli.) Le teriitoire soumis à un bayle
s'appelait baylie"'.
Au-dessous des prévôts et des bayles étaient les sergents,
servientes; exécuteurs des ordres des baillis et des autres agents
royaux % ils remplissaient aussi les fonctions d'Iiuissiers. Ils
portaient comme emblème de leur pouvoir une baguette fleur-
delisée. Leur personne était inviolable. Les sergents furent les
plus ardents auxiliaires des baillis dans l'œuvre de l'extension
de l'autorité royale au détriment des églises et de la noblesse.
Ils étaient nommés et destitués par les baillis et les séné-
chaux en pleine assise*; ils fournissaient caution". Leur
nombre était fixe "; cependant il y en avait tant, qu'en 1303 le
roi ordonna d'en supprimer une partie dans les terres des prélats
et des barons, à moins qu'ils n'y fussent nés ou ne s'y fussent
mariés. Dans ces deux cas, ils ne pouvaient y exercer leurs
fonctions, et étaient soumis, pour tout ce qui ne regardait pas
leur office, à la juridiction de leur seigneur \ En Normandie,
les sergents étaient fieffés, et le territoire dans lequel ils
avaient droit d'instrumenter s'appelait sergenterie. Ils avaient
sous leurs ordres des sous-sergents, dont ils répondaient*.
L'ordonnance de L303, pour la réformation du royaume,
fixa des règles communes à tous les officiers royaux. — Nul
ne devait être bailli, sénéchal, prévôt, juge, dans son pays
natal (§ 27.) Nul bailli ne pouvait avoir sous ses ordres, en
qualité de juges ou de prévôts, ses parents, alliés ou commen-
* Organ. judiciaire du Languedoc. Bibl. dn l'I'icolc des cliartcs, 4" série,
t. I, p. 211 et siiiv.
2 Ibid., p. 208 et suiv.
3 Ils gardaient les bénéfices ecclésiastiques saisis. — Doat., 155, p. 271.
Lettre du roi au sénéchal de Toulouse, 1290. — Voyez les Olini , passini.
4 Ord., t. I, p. 399.
^ Ord., p. 303. 27 mai 1308. Trésor des chartes , Reg. XLII, n" 1.
6 Ord., p. 296, 363 et 399.
7 Ord., t. I, p. 319 et 362.
8 Trésor des chartes, Reg. XLI, n" J07, et XLVIII, n« 130.
174 LA FRAXCE SOLS PHILIIM'E LK REL.
saux (^ 18.| Ils prètaipnt serment d'être bons cl loyaux servi-
teurs (lu roi, (le rcMulro exacte justice à cliacun , de respecter
les ordonnances de saint Louis' et les francliises locales*
(§ 15.) ils juraient aussi d'obéir à rincpiisition , et de se con-
former à cette même ordonnance de 130;}; de ne pas accepter
de cadeaux, de ne pas entrer dans les monastères sans néces-
sité (§ 23), et de ne pas se marier ni marier leurs enfants dans
le bailliajie, sans la permission du roi ou de sou lieutenant'.
ils étaient tenus d'exercer leurs l'onclions en personne, et <lc
n'établir de substituts ou de lieutenants qu'en cas de maladie
ou d'absenee pour le service du roi, et de cboisir pour le rem-
placer un liomme du pays, qui prêtait seiment de se conduire
loyalement (§ 22.) La résidence leur était imposée. Un man-
dement du mois de novembre 1303 ordonna à tous les offi-
ciers, quels qu'ils fussent, d'être à leur poste dans la quin-
zaine, sous peine d'encourir la destitution ipso facto" . Il leur
était enjoint de recevoir les ordres du roi avec respect, et de
les exécuter promptement, à moins qu'ils ne fussent en oppo-
sition avec leur serment ou contraires aux intérêts du prince.
Après leur sortie de charge, ils restaient quarante jours
dans leur bailliage, pour répondre de leui's actes. Cette res-
ponsabilité n'était point périmée par ce laps de temps; elle
passait aux héritiers ^ .
Les officiers royaux inférieurs étaient justiciables des baillis,
des sénéchaux et du parlement, 'tous étaient en outre soumis,
ainsi que les baillis, à une juridiction extraordinaire, aux
enquêteurs et réformateurs.
Saint Louis avait, dès 1248, envoyé dans les provinces des
commissaires pris dans le clergé, pour réparer les injustices
et les dommages dont ses sujets avaient eu à souffrir de la part
1 Ordonnance sur la manière dont les sénéchaux et autres officiers doiiriit
à leur première assise , à la requête des consuls , jurer de garder les ordon-
nances de saint Louis, 1303. — Trésor des chartes, Rcg. X.VW II , n" 10.
2 Olim, t. II, p. 97, et note 24, p. 863.
"* ^lesnard , Histoire de Xisnics , t. I, preuves, p. 134, en 1294. \oyez
une permission dans ce jjenre donnée par le roi à un bailli en 1303. Trésor
des chartes , Reg. XLII bis , loi. 2.
-i Ord., t. I, p. 3S7.
5 Olim. t. m, p. 823, en 1313.
. LIVRE SEPTIÈME. — ADMIMSTRAÏIOX GÉXÉRALE. 175
de SCS ofâciers ou de ses prédécesseurs. Ces commissaires,
appelés enquêteurs et réformateurs, jugeaient sommairement
les plaintes qui leur étaient déférées : c'étaient véritablement
des ministres de grâce et de justice. Philippe le Hardi suivit
cet exemple, mais le pouvoir des enquêteurs porta ombrage
au parlement, qui, en 1281, défendit aux commissaires envoyés
pour informer de la conduite des prévôts et sergents, de pro-
noncer des condamnations, et leur enjoignit de rapporter leuis
enquêtes à la cour du roi , qui statuerait ' : ce règlement ne
-fut pas exécuté. Le régne de Philippe le Bel fut signalé par
des envois fréquents de commissaires extraordinaires, mais
dans une autre pensée que celle qui avait, sous saint Louis,
présidé à leur création *. De 121)0 à 1300, on trouve une
multitude de commissaires -enquêteurs pour la réformation
du royaume^. Les communautés de la sénéchaussée de Car-
cassonne se plaignirent au roi de ces réformateurs, qui citaient
au parlement de Paris les habitants de ces provinces éloignées,
et extorquaient de l'argent sous prétexte d'usure, de déten-
tion de monnaies prohibées '', etc.
Les pouvoirs confiés à ces agents étaient exorbitants. En 1301,
le roi donna commission à Guillaume de Xogaret et à un
nommé Jean de Marchés, de prendre des informations sur les
usurpations faites sur la couronne, en Champagne, d'informer
sur la conduite des officiers, de les punir, et de faire rentrer
dans la main du roi tout ce qui en avait été soustrait ^. Ces com-
missaires condamnaient extrajudiciairement à de fortes amendes
ceux qu'ils trouvaient en contravention avec les ordonnances
royales ". Toutefois, dans des lettres du mois de décembre 1302,
le roi, en nommant des réformateurs, leur prescrivit de le
consulter sur les questions qui leur paraîtraient douteuses ou
1 Olim, t. II, p. 188.
- Lettre du 18 octobre 1285. Ribl. inip., collection de Languedoc : conli-
miation de l'Histoire générale de Languedoc (par doin Bouroltc), t. LXXI ,
fol. 55.
3 Coll. de Languedoc, t. LXXI, p. 55; et Doat., 156, fol. 1.
'' Doat., 156, fol. 88.
5 Or. Trésor des chartes, i. 199, n» 42.
^ Eu 1302, en Gascogne, procédures de Guy, évèquc de Soissons, et de
l'archidiacre d Auge. Or. J. 387, n" 15.
17G LA KRAXCE SOLS PHILIPI'M LK F.IX.
obscures'. Ils avaient ordinairement l'inspeelion de plusieurs
bailliages; ils étaient toujours deux, dont, sauf de rares excep-
tions, un membre du clergé séculier et un chevalier.
La grande ordonnance pour la réformation du royaume, du
mois de mars 13()3, prescrivit l'envoi dans les provinces d'en-
quêteurs pour s'informer des anciennes coutumes et savoir
comment les choses se passaient du temps de saint Louis, avec
ordre de rétablir les bonnes coutumes qui seraient tombées en
désuétude, et d'abolir les mauvaises qui auraient pu être éta-
blies depuis celte époque *. La France fut inondée de réforma-
teurs % sous prétexte de veiller au maintien de la justice,
mais qui n'avaient d'autre but que de faire entrer de l'argent
dans le trésor royal. Xogaret, Pierre de IJelle-Perche, Béraud
de Mercœur et Guillaume de Plasian reçurent, en 1304, pleins
pouvoirs de mettre en liberté toutes sortes de prisonniers, tant
laïques qu'ecclésiastiques, en quelque lieu qu'ils fussent déte-
nus, de révoquer les statuts, de les interpréter^; ils eurent
même une procuration générale pour traiter des affaires du
roi *.
Les enquêteurs jouissaient d'une autorité discrétionnaire
sur les agents royaux, et ils en abusaient. En 1307, en Lan-
guedoc, ils confisquèrent et vendirent au profit du fisc les
biens d'un clerc qui n'avait jamais été au service du roi". Ils
empiétaient sur les attributions des juges. En 1310, on voit les
réformateurs transiger avec un homme accusé d'un meurtre,
dont le procès avait été instruit'. Ils laissaient échapper les
* a Si quotl iiulr diihiiiin vpI obscuniin lohis occiirrcrit , in Iiac parte,
nobis ûdclitcr rcfi'eralis. s Xomiiiation de Philippe, chancelier de l'Eglise de
IJoiirgcs, et de P. de Sainte-(]roix. Or. K. 160, n° 103 (mercredi après
Saiiite-Iiiice KîOij. \oyez d'autres lettres sendjiahics du même mois. Trésor
des cliurtes , Iley. XXXVI, fol. 11 et 12, 13 r" (pour le bailliage de Sentis).
2 Ord.. t. I, p. 358, § 4.
3 Voyez pour le Languedoc les listes données par dom Ijourolte. Coll. de
Languedoc, t. LXXI, p. 56 et 57; et pour le reste de la France, Trésor des
chartes, Reg. XXXV, n" 198 et 199.
'' Or. Trésor des chartes , J, 365, n° 5, 16 février 1303, vieux style; et
Reg. L, fol. 91.
^ J. 365, n" 6 , et Rog. L, fol. 90, i", même date,
G Olim, t. III, p. 231.
~ Trésor des chartes , Reg. XLI, fol. 212 r°.
. LIVRE SEPTIÈME. — ADMIXISTRATIOX GÉVÉRALE. 177
coupables et condamnaient des gens absous par les triliunanx.
En Périgoid, ils firent payer une amende de cent livres à un
individu qui avait été acquitté '. Certains délits étaient enlevés
aux juridictions ordinaires et placés dans leur compétence. Ils
recevaient commission de poursuivre ceux qui violaient les
ordonnances sur les guerres privées et le port d'armes, sur
les infractions à la défense d'exporter des armes, de l'argent
et des denrées'. Quelle garantie pouvaient offrir ces hommes
qui, aux termes mêmes de leur nomination, procédaient sans
suivre les formalités voulues, punissaient les crimes réputés
impunis, et restituaient au roi ce qui avait été usurpé? Ils
devaient, il est vrai, demander des instructions au roi ou bien
au parlement dans les circonstances qui offraient de la gra-
vité; mais cela était abandonné à leur discrétion ^ En un mot,
les enquêteurs et les réformateurs, qui étaient institués pour
soulager le peuple et le mettre à l'abri des abus administra-
tifs, devinrent eux-mêmes un fléau plus redoutable que celui
qu'ils avaient mission d'empêcher et de punir. Heureusement,
on pouvait appeler au parlement de leurs décisions. Les Olim
renferment la mention de plusieurs de ces appels, qui furent
souvent jugés en faveur des plaignants.
A la fin du règne de Philippe le Bel, la juridiction des
commissaires généraux s'étendait à tout, sauf aux causes civiles.
Sous prétexte qu'on avait usurpé les droits du roi, ils extor-
quaient de l'argent et faisaient signer des obligations de payer
de fortes sommes*. Ils ne pouvaient destituer les baillis, mais
ils informaient contre eux. Le roi ou le parlement décidait,
mais rarement la révocation était prononcée. Les abus de pou-
1 Olim, t. III, p. 777.
- a Runior frequcns intonuit quod quam pliires portitioncs armoriim, violcncie
aliique graves cxcessiis, plura liomicidia et qiiampliirima enorniia delicta per
nonnullos homincs nobilcs et innoliiies sunt perpetrala, plurcs exacfioncs,
extorsiones et opprcssioncs per prepositos, serviciites aliosquc ofllcialcs
nostros Vobis niandaimis qiiatinus de piano, sine strepitu judicii , de pre-
missis omnibus veritafeni inquiratis criniinaquc neylecla punialis, nccnoii
jura nostra rccelata et usurputa ad nianum nostrani retrabalis. r Lettres de
nomination d'enquêteurs. Reg. XLI du Trésor des chartes , fol. 111.
3 Olim, t. III, p. 586, en 1310; p. 788, p. 612.
4 Olim, p. 988.
12
178 LA l'HAXOK SOIS PHII-lPPi: LE DLL.
voii" les plus criants obtenaient toujours des lettres de rémis-
sion jionr Iciiis auteurs '. Seuls la malversation et le détourne-
ment des deniers royaux étaient punis par le retrait de l'emploi
et par la restitution des sonnnes indûment j)errues"'. On était
bien loin du rèjjiio é(piitable et paternel de saint Louis, dont
le souvenir était vivant chez le peuple. Le contraste rendait
encore plus insupp()rtal)le le «jouvernement envahissant et Ira-
€assier de Philippe le Bel, (pii ne connaissait d'autre loi que
l'intérêt du prince, et de limite que celle que j)ouvait lui
opposer la révolte.
1 Rémission pour Giiicliard de .Alarziac, séiiéclial dp Toulouse, des excès
commis par lui dans ses fonctions. Avril 1312. Trésor des chartes , Reg. XLVI,
n" 238. — Remission pour un sergent royal qui avait mutilé un lionnnc, qui
depuis avait été condamné à mort. Août 13! V. Id., Rejj. L, n" 55.
- Olim, I. III, p. 579. Le bailli d'Amiens destitué, en 1300, pour
concussion.
LIVRE HUITIEME.
ORGAXISATIOX JUDICIAIRE.
CHAPITRE PREMIER.
JURIDICTIONS IXFÉRIEURES.
On comptait trois degrés de juridiction. — Différcuts noms des juridictions
inférieures. — La séparation du pouvoir judiciaire et de l'administration
plus avancée dans le midi que dans le nord de la France. — Des juridic-
tions municipales. — Leur origine. — Le jugement par le jury en matière
civile et criminelle était de droit commun. — Des tribunaux municipaux.
— Leur compétence. — Deux remarques essentielles.
A la fin du treizième siècle il y avait dans le domaine trois
degrés de juridiction, qui portaient des noms différents sui-
vant les provinces ' ; mais au fond l'organisation était la même
partout, car, ainsi que j'ai souvent eu occasion de le dire,
lorsqu'une province faisait retour à la couronne, on ne chan-
geait rien aux institutions qui la régissaient, mais on les rame-
nait peu à peu à l'unité, tout en laissant subsister les anciennes
dénominations et les vieux usages. Trois degrés de juridiction
supposent l'appel à deux degrés, c'est-à-dire que l'on pouvait
appeler successivement du tribunal de première itislance au
tribunal intermédiaire, et de celui-ci au tribunal suprême :
c'est en effet ce qui se pratiquait. Dans le Xord, l'Ouest et le
Centre, sauf la Normandie, les prévôts étaient juges de pre-
mière instance'; mais il était imprudent d'abandonner l'exer-
cice de la justice criminelle à des agents qui, affermant le pro-
duit des amendes, avaient intérêt à trouver des coupables.
Aussi la grande ordonnance de 1303, confirmant ce qui existait
déjà sous saint Louis, interdit tout acte de juridiction aux
prévôts fermiers et leur défendit de juger les causes entraînant
1 Olim, t. III, p. 1515, note 9.
2 Olim, t. III, p. 93, t. II, p. 88.
12.
180 LA FRANCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
(Ips peines pc-ciiniaiies. Ce droit était réservé aux baillis, aux
honimos do fief ou aux échevins, suivant les coutumes locales ',
Il résulte do là que la juridiction do promiére instance appar-
tenait presque exclusivement aux écliovins, c'est-à-dire aux
juridictions municipales, ou bien aux hommes, c'est-à-dire à
des jurés présidés par le prévôt. Dans quehjuos «grandes villes,
comme à Orléans, il y avait un garde de la prévôté, magistrat
recevant un traitement fixe : je ne parle point de Paris, dont le
prévôt était à la Ibis bailli. En Xormandio, les vicomtes, insti-
tués du temps de la domination anglaise, tenaient les plaids;
leur pouvoir était considérablement amoindri par Tinstilution
du jury-.
Dans les provinces méridionales appartenant à la couronne,
il faut distinguer les anciens domaines du comte Alplionse
des deux séné(;haussées de Beaucaire et de Carcassonne, qui
avaient été réunies à la couronne dès Louis \III. Dans les
premières, c'est-à-dire dans les comtés de Toulouse, de Querci
et de Rouergue, ainsi que dans la partie de l'Albigeois située
au sud du Tarn, le dernier degré de la biérarcbie judiciaire
était occupé par des juges exerçant la juridiction dans des cir-
conscriptions appelées judicatures ou jugeries^ Ces juges avaient
été établis, au milieu du treizième siècle, par le comte Alphonse,
qui avait déj)ouillé du droit de rendre la justice les bayles ou
prévôts. Dans le comté de Toulouse, il y avait, sous Philippe
le Bel, cinq jugeries, plus la viguerie de Toulouse*. L'Albi-
geois, le Rouergue et le Quorci , formaient chacun une jugerie \
Dans les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne, les
juges inférieurs étaient les viguiers, officiers (jui répondaient
aux vicomtes de Xormandio, avec cette différence que dans le
Languedoc, où les traditions administratives, entretenues par la
conservation dos lois romaines, avaient avancé le développe-
ment de la civilisation, et où la séparation des pouvoirs avait
1 Onl., t. I, p. 360.
- Revue anglo-française , 2"-" scrir, t. I, p. 232 et 313.
•^ Bibl. de i Ecole des chartes. Organ. judiciaire du Languedoc, 4'" série,
t. I, p. 205 rt suiv.
4 Ibid., p. 210.
5 Ibid., p. 213. A. I., K. 501. Rouleau orig. de l'an 1294.
• LIVRE HUITIÈME. — ORGAXISATIOX JIDICIAIRE. 181
fait de plus grands progrès que dans le Xord, les viguiers ne
rendaient pas seuls la justice : ils devaient être assistés par un
juge royal. Ces juges, ainsi que ceux des vigueries, étaient
annuels, ou du moins ils passaient chaque année d'un siège à
un autre '.
Passons à la juridiction exercée par les magistrats munici-
paux, et examinons la part plus ou moins grande que les
citoyens pouvaient prendre, concurremment avec les officiers
du roi ou des seigneurs, à la reddition de la justice'. Les bar-
bares avaient détruit l'organisation judiciaire romaine, et y
avaient substitué les plaids ou mais germaniques. Dans les
mais, les juges étaient des hommes professant la même loi
que les parties, présidés par le comte ou le centainier. Ces
jurés s'appelaient scabins ou échevins : à la fin de la première
race il arriva , ce qui se reproduira toutes les fois qu'il sera
question de l'exercice d'un droit civil ou politique qui exige
quelque dérangement : on trouva difficilement des échevins.
Charlemagne institua des rachimbourgs, assesseurs choisis par
les envoyés de l'empereur (missi dominici); mais les échevins
ne disparurent pas complètement. Bientôt après, l'autorité des
seigneurs se substitua à celle du roi dans la plus grande partie
de la France.
L'avènement du régime féodal n'interrompit pas la partici-
pation des habitants aux jugements; mais il ne donna pas
naissance aux juridictions municipales, ainsi que l'ont cru
certains savants , qui sont partis de cette idée , que les magis-
trats municipaux nommés échevins ont quelque rapport de
filiation avec les anciens scabins; mais dès lors chacun fut
jugé par ses pairs, le noble par des nobles, le roturier par
des roturiers. A la fin du treizième siècle, le jugement par
jury était la règle; on le trouve établi dans toutes les j)rovinces
de France, surtout en matière criminelle. Beaumanoir con-
state que les baillis (dans ce passage, bailli ne désigne pas
un magistrat de second degré, mais un juge seigneurial) ren-
1 Mcsnard, Histoire de Xismes , preuves, p. 86; et Arch. do l'Iùiip.,
J. 329, no 43.
- Le seul auteur qui ait fait un travail d'ensemble sur la juridiction muni-
cipale est M. Pardessus, Essai, p. 331.
182 LA FRAXGE SOLS PHILirPE LK BI-X.
daipnt eux-mêmes la justice dans ccrlains lieux, et dans
d'auliM^s que c'étaient les hommes du seijpieur qui faisaient le
juj^emcnt. Or, même dans le cas où le hailli jujjeait, il devait
« appeler Ji son conseil des plus sajjes et fere le jujjcment par
leurs conseils ) . Les Établissements de saint Louis montrent
(|ue, même dans les lieux où le prévôt avait l'exercice de la
juridiction, il (hnait appeler des hommes sujjisants, (|ui ne
fussent point amis des parties, et juger d'après leur avis : « se
aucun se plaint à justice (prévôt ou bailli) de aucun meffet...
la justice doit mettre terme (assigner un jour), et à ccluy terme
se doit lever et appeler gens souffisanz, qui ne soient de l'une
partie ne de l'autre, et si doit faire la parole retrere; et des
paroles qu'auront dites, si leur doit faire droit, et si leur droit
retraire ce qu'ils auront jugié. 5)
Dans un autre chapitre des Etablissements, on lit ce qui
suit : a Quant les parties seront coulées en jugement, li prévôt
ou la justice si feront les parties mander, et appelleront
sonffisamment gent qui ne seront mie des parties, et doit la
justice... livrer les paroles aux jugeeurs, et ils (les jugeeurs)
doivent loyaument jugier '. •:> On reconnaît des jurés dans
ces gens suffisans ou jugeeurs. La coutume de Normandie
montre l'institution du jury fonctionnant dans cette province
au treizième si ''.le en matière civile et criminelle"'. Il en était
de même dans Li Picardie, l'Artois et la Flandre ^ . Philippe le
Long prescrivit, en 1319, au bailli d'Auvergne de prendre
conseil on rendant la justice de chevaliers et de prud'hommes
du pays *.
L'ancienne coutume d'Anjou , qui est aussi du treizième
siècle, est conforme sur ce point aux Etablissements. Dans tout
le Midi, là où il n'y avait pas de juridiction municipale, les
1 Etahliss.^ liv. II, cliap. w.
- Coiippoy, mémoire inséré dans la Reçue anglo-française , 1^ série, f. I,
p. 232 et suiv., et p. 313 et suiv.
■' \ oici l'iiidlealioii de quelques jugements rendus par les hommes dont les
originaux sont aux Arch. de i'Emp., S. 1542, n" 4, à Clermont en 1297;
M. 582, à Lille en 1317; .1. 529, n" 38-;, Ul. en 1294; .}. 529, n" 52, à
Boulogne en 1314; .). 235, n-^ 98, à ALl.eiille en 130U.
'' Orcl, t. I, p. G91, § 13.
LIV'RK HUITIEME. — ORGAXISATIOX JLDICIAIRI]. 183
juges royaux ou seigneuriaux étaient assistés par un certain
nombre d'habitants notables '. On a des renseignements très-
précis sur l'organisation du jury dans cette province à la fin
du treizième siècle^. Mais le droit de chacun d'être jugé par
ses concitoyens n'est nulle part mis dans un plus grand jour
que dans un jugement de l'an 1299, inséré dans les preuves
de V Histoire de Languedoc. Il s'agissait d'un malfaiteur qui
avait été pris par les bayles du vicomte de Lautrec. Il fut jugé,
suivant l'ancien usage, sur la place publique, au pied d'un
vieil orme. Le tribunal, présidé par le vicomte de Lautrec,
était composé de chevaliers, de damoiseaux (nobles non che-
valiers) et de bourgeois. Après l'interrogatoire de l'accusé, on
alla aux voix. Ln chevalier prononça la peine du bannissement,
un damoiseau demanda que l'accusé fût mutilé; mais le reste
des assistants, au nombre de plus de deux cents personnes,
parmi lesquels les syndics du Lautrecois, s'écrièrent qu'il
méritait la mort. Cette acclamation populaire était le vote de
la majorité, elle décida du sort du coupable. Il fut condamné
à mort, et les bourgeois requirent le vicomte de faire rédiger
par écrit cette sentence \
Nous avons vu que Philippe le Bel, dans la grande ordon-
nance de 1303, générale à tout le royaume, déclara que les
prévôts ne pouvaient juger les causes qui entraîneraient con-
damnation à une amende, droit qui était réservé aux baillis,
aux hommes jurés ou aux échevins , selon la coutume des
lieux *. Lui-même, dans les privilèges qu'il accorda aux nom-
breuses bastides nouvellement fondées dans le Alidi, attribua
au bayle assisté des consuls la juridiction de première in-
stance, pour les causes civiles jusqu'à concurrence de soixante
sous, et une compétence criminelle dont étaient exceptés les
crimes de meurtre, de rapt et d'incendie^. Toutefois j'ai
1 Bibl. de l'Ecole des chartes, 4'' série , t. I , p. 224 et suiv.
- Coutumes d'.Alhi, Giraud, Histoire du droit, preuves, t. I, p. 93;
Biizairics, Libertés et coutumes de Limoux.
■^ Vaissète, t. IV, Preuves, col. 124.
^ Ord., t. I, p. 360.
■^ Voyez les privilèges de Tournai, Ord., t. XIII, p. 371; Gardenioiit,
ihid., p. 383, etc.
18V LA FRAXCE SOI S PHILIPPE LE BEL.
reinai(niè (|ii(' dès le trciziome sièclo le jury commençait à
être al);iiul()iiiiê en matière civile. La difficulté de bien juger
pour des hommes dépourvus des notions du droit fut un des
motifs de cet abandon. Mais il y en eut un autre, il n'y avait
pas d'inconvénient à laisser aux jujjes royaux ou seigneuriaux la
connaissance des causes civiles, (pi'ils n'avaient aucun intérêt
à mal juger '. Il n'en élait point de même en matière criminelle,
la punition des crimes et des délits étant toujours accompagnée
d'une amende, et quelquefois de la confiscation des biens au
profit du seigneur. Philippe le lîel ne porta aucune atteinte à
ce système qui ne contrariait pas le développement de Taulorilé
royale ^.
Occupons-nous maintenant de la jniidiction municipale pro-
prement dite, exercée par les magistrats des villes. J'ai dit
qu'elle remontait au douzième siècle; M. Augustin Thierry a
reconnu que dans le Lyonnais et le Dauphiné, pays pour
lesquels on a les seules preuves authentiques, les seuls monu-
ments du droit municipal antérieur à la grande rénovation
communale du douzième siècle ', les villes n'avaient pas de
juridiction; que le droit de rendre justice appartenait exclusi-
vement aux seigneurs '; j'ajoute, ce qui n'est pas dit par ces
documents, parce que c'était un fait vulgaire, j'ajoute, avec
le concours des citoyens. Dans le Languedoc et dans la Guienne,
les jurys précédèrent les juridictions nuinicipales. Je citerai
Toulouse, qui peut être pris comme type de la cité méridionale.
Au milieu du douzième siècle, les jugements y étaient rendus
par le viguier du comte, assisté de quatre jurés choisis parmi
les habitants de la ville et du bourg. Un peu plus tard , on
trouve les consuls servant d'assesseurs au viguier : ils s'étaient
substitués aux jurés; un peu plus fard ils jugèrent seuls. Ce droit
qui ne leur avait été concédé par aucune charte leur fut disputée
t Sur l'universalité du jury on peut encore consulter les indications de
mademoiselle do Lczardière, Lois politiques , 2" édit., t. IV, p. 331.
~ Voyez un jugement capital prononcé par le préxôt d'Issoudun et les hommes
de la prévôté en 1309, Olim , t. III , p. 491.
^ Documents pour l'histoire ilu tiers état, t. II, p. G7.
'' Docuvicuts pour l'histoire du tiers état, t. II, p. 48.
à Voyez Bibl. de l'Ecole des chartes , 4*= série, t. II, p. 222.
LIVRE HUITIÈAIE. — ORGAXISATIOX JUDICIAIRE. 185
Enfin Philippe le Hardi, en 1283, leur accorda l'exercice de la
juridiction criminelle dans toute l'étendue de la ville, sauf sur
les prêtres, les nobles et les agents du roi.
Les juridictions municipales étaient vues de mauvais œil par
les rois à la fin du treizième siècle, et ils firent tous leurs
efforts pour les détruire.
Philippe le Bel laissa subsister les juridictions municipales
en matière criminelle; il les confirma ', mais il on changea le
caractère, il en fit des juridictions royales. Les consuls ren-
dirent la justice au nom du roi *. Ce fut à ce titre que les
consuls des plus petits villages du Midi eurent une juridiction
criminelle, et la conservèrent jusqu'au siècle dernier par pré-
vention avec les juges royaux \ Il en fut autrement dans le
Nord, où l'anéantissement des libertés communales, poursuivi
avec persévérance par Philippe le Bel , amena l'amoindrisse-
ment des juridictions municipales, qui en matière criminelle
s'exerçaient seulement sur les membres de l'association com-
munale, et en matière civile sur tous, même sur les nobles, en
raison des immeubles situés dans l'étendue de la commune.
Une des causes qui durent puissamment contribuer à la ruine
des justices municipales, ce fut le droit d'appeler de leurs
jugements *. Le parlement leur appliquait avec rigueur les
principes féodaux et condamnait à d'énormes amendes les
villes dont les échevins avaient prononcé des sentences qui
étaient plus tard réformées sur appel par la cour du roi ^
^ En 1308 les consuls do Caliors furent condamnés ù une amende de
2,000 livres pour avoir fait pendre un liominc nonobstant appel. Olim,
t. III, p. 299. ilais ils ne furent pas privés de leur juridiction. — Voyez la
confirmation de la justice des capitouls de Toulouse en janvier 1304, Ord.,
t.], p. 392.
- Bibl. de l'École des chartes, p. 229. Ord., t. II, p. 105.
3 Vaissète, t. IV, p. 509.
^ Voyez un jugement des échevins de Roie entre un écuycr et un chanoine.
Olim, t. II, p. 443. En 1300.
^ Je prends un exemple au hasard : s Scabini de PVesncio , quia siiccubue-
runt in causa appellacionis a Roherto de Lacooigne contra ipsos interpnsita
de judicio contra ipsum per ipsos facto, taxata fuit amenda ce librarum pari-
sicnsium. » Olim, t. II, p. 347. En 1292.
186 LA FRAXCE SOLS l'IilLIPl'E LE DLL.
Je termine par deux remarques qui sont d'une impoi tance
capitale :
1" Ce que j'ai dit à propos du jury ne s'applicjue qu'aux
hommes libres ou francs. « Nul liomnKî coutumicr (c'est-à-dire
nul vilain) ne peut faire jugement, « disent les Établissements
de saint Louis. — « \'a-t-il entre toi, seigneui-, et ton vilain,
juge fors Dieu » est un axiome célèbre formulé pur lieauma-
noir. Les vilains, serfs, hommes couturaiers, cosliers , en un
mot tous ceux qui ne jouissaient point d'une entière liberté,
n'étaient pas admis au bénéfice du jury.
2° Au moyen âge, il n'y avait point de règle absolue. J'ai
constaté les piincipos généraux, mais on rencontre de nom-
breuses exceptions. Dans certains lieux on voit des vilains jugés
par leurs pairs; dans d'autres, les hommes libres par les baillis
seigneuriaux. Cela tient à ce que la condition sociale variait à
l'infini. Les progrès que les classes servilcs avaient faits et
qu'elles faisaient tous les jours vers la liberté civile s'accom-
plissaient dans des conditions trop diverses pour être uni-
formes : tous marchaient à l'émancipation, mais plus ou moins
lentement :
Xon passibus iequis.
CHAPITRE DEUXIEME.
J U R I D I C T I G X s DE S E C G X I) DEGRÉ.
Baillis et scncchanx. — Leur compétence. — Il.s tendent à perdre dès la fin
du treizième siècle l'exercice de la justice. — De l'appel dans les pays de
droit écrit et de droit coulnmier. — Histoire de l'appel an treizième siècle.
— Appeaux volafjes de Laonnais. — Il ne pouvait y a\oir plus de deux
appels successifs dans la même cause. — Cliàtelet de Paris.
Les baillis et les sénéchaux étaient à la fois juges de pre-
mière instance et juges d'appel : ils eurent les uns et les autres
celte double compétence dès le milieu du treizième siècle,
mais ils l'acquirent sous des influences diverses. Sous Philippe
le Ik'l , ils exerçaient la même juridiction et étaient soumis aux
. LIVRE HLITIKAÎE. — OllGAMSATIOX .ILDICIAIUK. 187
mêmes règlements. Ils tenaient des assises ambulatoires tous
les deux mois, dans les principales localités de leur ressort,
mais jamais dans le domaine des ahhayes et des seigneurs,
à moins d'usage contraire consacré par le temps. Us rendaient
aussi la justice au clief-lieu de leur bailliage ou de leur séné-
chaussée. A la fin de chaque assise, ils devaient indiquer
quand se tiendrait la prochaine assise'. Ils jugeaient assistés
d'hommes de fîei", ou des juges inférieurs, selon les pays : une
ordonnance faite en 1303 pour les sénéchaussées du Midi trace
des règles qui étaient sans doute applicables aux bailliages.
Les causes concernant le domaine royal étaient toutes dans
le principe jugées par le parlement, mais la multiplicité de plus
en plus grande de ces causes, qui avaient en partie leur source
dans les nombreuses confiscations faites au profit du fisc, for-
cèrent le roi à en abandonner la décision aux baillis, mais non
sans leur tracer la marche à suivre, pour que les intérêts de la
couronne ne fussent pas lésés par des jugements précipités ^. Les
procureurs du roi établis auprès des juridictions inférieures
instruisaient ces causes, sous la surveillance des juges royaux :
dans chaque assise ambulatoire, les procédures faites à cet égard
étaient montrées aux sénéchaux, qui prononçaient dans les
grandes assises tenues au chef-lieu de la sénéchaussée et dans
lesquelles ils étaient assistés par les juges de première instance ^
Les baillis du Nord devaient rendre la justice en personne.
Dans le Midi, au contraire, les sénéchaux étaient assistés d'un
juge nommé par le roi, appelé juge-mage, sorte de lieutenant
de robe longue, qui connaissait des appels portés au sénéchal,
même en l'absence de ce fonctionnaire *. A Toulouse, il y avait
à la fin du treizième siècle toute une cour, désignée dans le
pays sous le nom de cour des appeaux, pour recevoir les
1 Ordonnance àc 1303. Ord., t. I, p. 3G0.
- Trésor des chartes, J. 329, n" 43. Conf. Bibl. de l'Ecole des chartes,
4<' série, t. I, p. 543, note 2. Ce document, qui est sans date dans l'exem-
plaire du Trésor des chartes, porte la date de 1303 dans une copie de Doat.
•^ ï Sencscallus habcbit quendam rcgistnim , in quo status omnium cau-
sarum fiscalium in singulis suis Tholosa» assisiis registrentur, et ipsas detcr-
minet et descidat. s Trésor des chartes, J. 329, n" 43.
^ Bibl. de i' Ecole des chartes , ut supra , p. 548 et 549.
188 LA I-R.AXCK SOLS PHII.IPIM': LE BLL.
appels (le premier de;{ré. Xoiivelle preuve que la séparation
du pouvoir avait fait |)lns de |)ro<jrrs dans le Midi que dans le
Nord. Il devait mi être ainsi, car, eoinine je l'ai déjà fait
remarquer, les sénéchaux étaient des chevaliers, des hommes
d'épée, dont le type brillant fut ce fameux Eustache de
Beaumarchais, sénéchal de Toulouse, qui devint jjouverneur
de \avarre et acquit une juste réputation dans les armes : la
justice n'était point leur fait, et leurs attributions judiciaires
furent restreintes au profit d'hommes de loi'. Les baillis au
contraire étaient des lé'jistes, ce qui ne voulait pas toujours
dire roturiers, car Beaumanoir et Pierre de Fontaine étaient
de bonne noblesse^; mais chez eux l'homme de loi l'empor-
tait sur le noble.
La juridiction des baillis en première instance était civile
et criminelle. Au civil ils n'avaient pas exclusivement la con-
naissance des causes des nobles, car dans le Xord on trouve
aussi des nobles jugés par leurs pairs sous la présidence du
prévôt et même par les juges municipaux, et dans le Alidi par
les viguiers et les juges des vigueries. — Au criminel, ils
jugeaient surtout les cas royaux, les violations de la paix
publique. Quand les atteintes au bon ordre offraient une haute
gravité, ils les déféraient au parlement. Les sénéchaux méridio-
naux avaient, en vertu de leur éloignemcnt de Paris, où siégeait
le parlement, une compétence criminelle plus étendue que les
baillis. En 1305, le sénéchal de Carcassonne condamna à être
pendus les consuls de Xarbonne, accusés de haute trahison pour
avoir voulu livrer leur ville à l'infant de Majorque. Ce juge-
ment fut rendu dans une assise dans laquelle siégèrent les
douze glands barons de la sénéchaussée ^ . Les baillis statuaient
' Ccpcndanl ils devaient tenir eux-mêmes les assises ambulatoires et juger
certaines causes, entre autres celles qui interessaient le fisc. Ord., t. XI,
p. 427, Il août 1312.
- Beaumanoir éliiit noble, quoique n'appartenant pas à la famille bretonne
de ce nom. Il .s'appelait I'bili|)pe de liénii ou de Rémin ; Beaumanoir était le
nom d'un fief qu'il tenait de l'abbaye de Saint-Denis. \'oyez la notice de
il. Bordier dans le Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie,
année 1855.
•^ Bessc, Histoire des ducs de Xarbonne, p. 496.
LIVRE HLITIÈAIE. — ORGAMSATIOM JUDICIAIRE. 189
sommairement, à la fin de chaque assise, sur les plaintes
qu'on leur adressait contre les prévôts, les bayles, les sergents
et les notaires placés sous leurs ordres '.
L'appel était admis dans tout le royaume, mais il n'était pas
soumis partout aux mêmes lois. On sait que la France était
partagée en pays de droit écrit et en pays de droit coutumier".
La coutume dominait dans le Nord; les lois romaines régis-
saient le Midi ; mais elles n'étaient admises par la royauté
qu'à titre de coutume, et avaient reçu de nombreuses modi-
fications dans une foule de localités, surtout pour tout ce
qui regarde l'organisation de la famille. Certaines provinces,
même l'Auvergne par exemple, étaient partagées en deux
régions, gouvernées l'une par les coutumes, l'autre par le droit
écrit.
L'appel naquit dans les provinces du Alidi, dès la fin du
douzième siècle, par suite du renouvellement des études juri-
diques à Bologne et à Montpellier : ce fut l'appel tel qu'il
existait à Rome.
L'abolition du duel par saint Louis favorisa singulièrement
l'extension de l'appel dans les pays de droit coutumier.
Une ordonnance de l'an 1286 fixa la jurisprudence de l'appel
dans les terres de la domination anglaise sur le continent, dont
les unes étaient de droit écrit et les autres de droit coutumier ^.
On pouvait appeler en matière civile et criminelle.
Il faut distinguer les appels des justices royales et ceux des
justices seigneuriales.
Les Olini constatent les appels des prévôts royaux aux
baillis et des baillis au parlement. Les baillis recevaient aussi
les appels des juridictions municipales et des justices seigneu-
riales; mais il n'y avait pas de règle uniforme. Sous saint
Louis, ces appels allaient au parlement; sous Philippe le Bel
1 Trésor des chartes , J. 3294.
- Lettres de Pliilippc le Del tonccrnaiit l'étude du droit à Orléans. Ord.,
t. I, p. 501.
^ Sur la différence de l'appel en droit écrit et en droit coutumier, voyez
Stylus curiœ parlamenti , Dumoulin, Opéra, t. II, p. 431. Sur les formes
tout à fait romaines de l'appel dans le Alidi sous Philippe le Del , voyez les
textes rapportes par M. F. Leuormant, des Voies de recours , p. 111.
190 LA FHAXCE SOUS PilILll'I'E LE BEL.
ils n'y ('[aient déforés (ju'après avoir été reçus une première
fois par les baillis ' ; mais cet usage souleva les j)rolestations
(les sei;]neurs ". Les jjrands feudalaires et les priuees du sang
obtinrent que les appels de leurs cours seraient directement
portés au parlement '. Les agents royaux attiraient à eux avec
empressement les appels des justices seigneuriales; ils intro-
duisirent même des usajjes qui ruinaient et anéantissaient la
juridiction des seigneurs : les appeaux volages de Laonnais en
sont un exemple. En Laonnais et en Vermandois, quand un
procès était porté devant un juge seigneurial, le défendeur, au
lieu de répondre à la partie adverse, pouvait appeler au bailli
royal, avant qu'aucune sentence eût été prononcée. Philippe le Bel
avait, sur les plaintes des seigneurs, défendu ces appellations;
mais il les rétablit en 12*J6*. L'ordonnance de réformation
de 1303 qui reconnaissait que les justiciables des prélats et des
barons ne devaient être cités devant les tribunaux du roi que
par voie d'appel ou dans un cas royal, prescrivit une enquête
sur les appeaux de Laonnais ; mais ils continuèrent de subsister.
Les seigneurs revendiquaient aussi à leur profit l'appel de
leui's vassaux ou de leurs propres juges. Ces prétentions furent
vivement combattues par la royauté. Philippe le Hardi défendit
aux feudataires de Languedoc d'avoir trois degrés de juridic-
tion, et cela pour qu'on pût appeler au roi. Il leur interdit
même le droit de connaître des premiers appels , à moins qu'ils
ne pussent justifier d'«une longue possession^. Philippe le Bel
fît sévèrement observer cette ordonnance.
L'appel fut entre les mains de la couronne une arme dont elle
se servit pour grandir son pouvoir en intervenant entre les sei-
gneurs et leurs vassaux, et en faisant éclater aux yeux de
1 Olim, t. II, p. 355, etc.
- Voyez un arrêt (|iii dcboute le seigneur ilc Profundo vico de Si?s préten-
tions en 1290-1291. Ord., t. VII, p. 703. — 0!hn , t. II, p. 123, rclall-
venient aux appels de la juridiction de l'abbc de Eiyeac.
"* En 1285, le roi accorda au roi de Majonpie que les appels de sa
seigneurie de Alontpellior ne seraient p.is port(îs au sénéchal, mais au parle-
ment. Vaisscte , t. IV, col. 78. Les appels du duché de Bretagne étaient portés
au parlement. Olim, passini, ent.-c autres, t. III, p. 488.
* Ord., t. I, p. 328. Conf. Olim, t. II, p. 218, cl t. 111, préface, p. xxvii.
s Vaissèfe, t. IV, col. 2(5 (en 1278).
• LIVRE HUITIEME. — ORGAMSATIOX" JUDICIAIRE. 1!)1
tous sa supériorité; elle encouragea ces recours ji la justice
royale, elle les provoqua, elle les admit sans réserve et presque
sans limite, au point que ses tribunaux finirent par en êhe
accablés. Tel est le spectacle qu'offre le règne de Philippe le
Bel. Louis X et ses successeurs durent, dans leur propre
intérêt, régler et restreindre le droit d'appel, qui avait dès lors
produit le grand résultat politique qu'on pouvait en espérer.
Je ne puis terminer l'exposé des juridictions de premier et
de second degré sans toucher quelques mots du tribunal du
prévôt de Paris, qui remplissait les fonctions de prévôt et de
bailli. Le siège de sa juridiction était au Chàtelet. Les nom-
breuses occupations de ce fonctionnaire le mirent dans l'obli-
gation de se faire aider dans l'administration de la justice par
des auditeurs, qui lui servirent d'abord de conseillers, mais
qui à la fin du treizième siècle avaient reçu le droit de juger
sans le prévôt '. Il en résulta de graves abus, qui attirèrent à
plusieurs reprises l'attention de Philippe le Bel. Une ordon-
nance du mois de novembre 130:2 défendit aux auditeurs de
terminer « nul gros meffait n , ils devaient se borner à instruire
les causes. Le prévôt taxait les amendes, il connaissait aussi
des causes qui intéressaient le domaine, mais uniquement d'après
un ordre spécial du roi; il lui fut défendu d'avoir un lieute-
nant permanent, sauf quand il serait absent^. Les abus conti-
nuèrent : les auditeurs rançonnaient les plaideurs et commet-
taient toutes sortes d'exactions. Une ordonnance de 1313 fixa
leur compétence à soixante sous de capital. On appelait de
leurs jugements au prévôt par voie cVf/mcnde. Mais ces sages
prescriptions furent toujours violées. Le prévôt les laissait juger
des causes qui excédaient leur compétence. La même ordon-
nance abolit aussi les examinateurs qui étaient chargés d'exa-
miner les témoins, et les remplaça par les notaires du Chàtolet,
ou, à leur défaut, par des prud'hommes au choix du prévôt et
des auditeurs ^ Un autre fléau, c'étaient les sergents du Chàtelet,
1 Olim, t. II, p. 517, n" XXXVI et suiv., t. III, p. 1514 et 1515,
notes 8 et 9.
2 Ord., t. I, p. 352.
^ Une ordonnance du 18 décembre 1311 avait défendu aux clercs des
auditeurs et des notaires du Chàtelet d'examiner les témoins au préjudice des
192 LA FRAXCK SOLS IMIILII'I'K LE BLL.
dont le nombre atteignit des |)roporlions inouïes. Lne ordon-
nance de 1300 en restreignit le nombre à soixante sergents à
cheval et cjualre-vingt-dix à j)ie(l.
CHAPITRE TROISIEME.
PARLEMENT DE PARIS.
Pliilippe le Bel n'a pas rendu le parlement sédenlairc. — Sessions du parle-
ment. — Jours des bailliages. — Qu'cntendait-on par le mot président?
— (irand'cliambre. — Auditoire de droit écrit. — Chambre criminelle. —
Chambre des enquêtes. — Chambre des requêtes. — Requêtes de l'hôtel.
— Chambre des vacations. — Composition du parlement. — Les légistes
n'y dominent pas. — Cour des pairs. — Compétence du parlement. —
Appels contentieux administratifs. — Interprétation des lois. — l'enregistre-
ment. — Révision des arrêts. — Le parlement juge en dernier ressort.
Philippe le Bel a été considéré pendant longtemps sinon
comme le fondateur, du moins comme l'organisateur du parle-
ment. Cette gloire lui a été enlevée. La publication du premier
registre du parlement de Paris, connu sous le nom d'Olinij et
les savants travaux de W. le comte Beugnot ont fait remonter à
saint Louis l'honneur d'avoir donné à la cour du roi le carac-
tère de tribunal suprême pour tout le royaume, et de l'avoir
constituée sur des bases en harmonie avec le nouveau rôle
qu'elle était destinée à jouer par suite de l'extension du droit
d'appel '. Cependant, la part qui revient à Philippe le Bel dans
le perfectionnement des institutions judiciaires est encore
assez grande pour contribuer à sa gloire.
examinateurs. Ord., t. XI, p. 420. Rèylcmenl fait par Guill. de Hangest et
P. le Fèron. 12 juin 1309. Ord., t. I, p. 405.
1 Beugnot, Institutions de saint Louis. Oliin , préfaces des t. I, II et III.
Voyez aussi Pardessus, Essai historique sur l'organisation judiciaire , p. 95
et suiv. Cet ouvrage est la reproduction de la préface du t. XXI des Ordon-
nances. — Ciibert, Recherches histori(|ues sur les cours qui exerçaient la
justice souveraine, Mém. de l'Acad., t. .\XX, p. 003 et 004; excellent
mémoire , quoique confus.
LIVRE HllTIÈMi;. — ORGAMSATIO\ JUDICIAIRE. 193
A partir de la fin du douzième siècle, la cour du roi rendit
des arrêts en l'absence du souverain, d'abord durant la croi-
sade qui retint Pbilippe-Auguste outre mer, ensuite pendant
la minorité de saint Louis. Sous ce dernier prince, elle cessa
de suivre le roi dans ses nombreux voyages et devint en fait sé-
dentaire à Paris. On compte soixante-neuf sessions, de l'année
1254 à 1302, dont trente-trois à Paris, une à Orléans, une à
Melun. On ignore où se tinrent les trente-quatre autres, mais
tout porte à croire que ce fut dans la capitale \ Une ordonnance
de l'an 1278, relative à l'organisation du parlement, prescrit
que les parties qui auraient à y plaider entreraient dans la
grand'chambre « par l'huis jouxte la salle, et s'en isseront par-
devers l'huis du vergier, après avoir plaidié. « Ces détails
s'appliquent au palais de la Cité où la cour du roi était dès lors
établie-. Cependant, en principe, le parlement était encore
censé accompagner le roi, ainsi que le prouvent les assigna-
tions faites de 1272 à 1279 par des commissaires chargés de
recouvrer les domaines royaux qui avaient été usurpés dans
les provinces du Alidi ^ Cette commission, composée de clercs
du roi, avait le droit de statuer sur les questions qui lui
étaient soumises, mais dans les causes graves ou difficiles,
elle citait la partie à la cour du roi , à Paris , ou bien là où
serait le roi.
Dans l'ordonnance de l'an 1303 pour la réfoimation du
royaume, Philippe le iîel fit connaître son intention d'établir
deux parlements ou sessions par an à Paris*. C'est le plus
ancien document législatif que nous ayons qui fixe à Paris le
parlement; mais il ne fit que confirmer ce qui existait aupara-
vant. Toutefois, postérieurement k 1303, le parlement tint
plusieurs fois ses séances hors de la capitale, mais toujours
en présence du roi. La session officielle était à Paris : un ccr-
1 Olim, t. III, p. XX.
2 Ord.. t. XII.
•' Je prends une de ces assignations aii hasard : » Dicti jiidices assignavc-
runt dienfi ad aiidicndam in ciiria domini régis Parisius, vcl ulji rex erit ,
primam diem assignatam hominibus senescallie Tliolose, videlicet die vcneris
ante festum Penlhecostis. v Procès-verbaux orig., A. I., KK. 12S8 , fol. 92.
^ Ord., t. I, p. 3U(j.
13
194 LA FRAXCK SOLS PHILIPPE LE BEI-
tain nombre de conseillers se transportaient auprès du prince
pour juger les affaires qu'il désirait voir décider sous ses
yeux '.
L'ordonnance de 1303 prescrivait deux sessions par an. De
1287 à 1300, il y eut, sauf en 1297, où le parlement ne se
tint pas, chaque année au moins une session, (juelquefois
trois, ordinairement deux; l'une commençant à Pà(|ues ou
à la Trinité, l'autre à la Toussaint *.
Un règlement de l'année 1296 porte que « en tens de guerre,
li roi fera un parlement en l'an, et commencera aux octaves
de Toussaints. — Item il tenra deux parlemens en tens de
paix, desquiex li uns sera aux wictièves de Toussaints et li
autres aux trois semaines de Pasques^ »
A partir de 1301, les Olim n'indiquent plus qu'une session
annuelle, sauf pour l'année 1306, où il y en eut deux. On a
cru, avec toute apparence de raison, que la multiplicité tou-
jours croissante des affaires Ct confondre les deux sessions
prescrites par l'ordonnance de 1303 en une seule commençant
ordinairement en novembre et se prolongeant jusqu'en avril
et quelquefois plus tard, même en août. L'examen suivi du
Mémorial du Parlement, registre dans lequel un greffier inscri-
vait toutes les causes soumises à la cour, m'a permis de con-
stater que si, dans les quatorze dernières années du règne de
Philippe le Bel, il n'y eut qu'une session annuelle, sauf en
1306, cet état de choses, loin d'être le résultat de l'activité
du parlement, était anormal et dénotait la désorganisation de
la justice; c'était, en un mot, l'application du règlement de
1296, qui ordonnait la tenue d'un seul parlement en temps
de guerre; plusieurs années même furent privées de parlement
par suite du malheur des temps.
* \ojez l'indication de ces séances auprès du roi dans la note 12 de la
p. 1517 du t. III (les Olim.
2 Olim, t. III, p. XVIII.
3 Ord., t. XII, p. 353. Ce document se trouve aussi dans le Rcg. XXXIV
du Trésor des diartes , n" 49 v". Il a été publié pour la première fois dans
les preuves du Mémoire de Gibert sur les cours souveraines. Mém. de l'Acad.,
t. XXX, p. 62V.
LIVRE HL'lTIiaiE. — ORGAXISATIOX JIDICIAIRE. 195
Voici d'après des documents officiels le tableau des sessions
du parlement depuis Tannée 1301 jusqu'à 1314:
1301. De la Toussaint au mardi après l'Annonciation (un de mars 1302).
1302. Pas de parlement.
1303. De l'octave de la Chandeleur (9 février) au jeudi avant la Saint-
Georges.
1304. De la Toussaint au vendredi après la Saint-Mafthias (fin de février) 1305.
1305. Pas de parlement.
1306. De l'octave de Pâques (10 avril) au samedi après la Xativité de
saint Jean.
— De l'octave de la Toussaint au lundi après l'Epiphanie 1307.
1307. De l'octave de la Toussaint au mardi avant la Chaire de saint Pierre 1308.
1308. De l'octave de Xoël au mardi après Pâques 1309.
1309. De la Saint -André (30 novembre) au lundi après les Rameaux
(13 avril 1310).
1310. De la Saint-ilartin au lundi après l'octave de la Chandeleur 1311.
1311. Le parlement prorogé au carême de 1312.
1312. De l'octave des Brandons au jeudi avant la Sainte-Catherine.
— De l'octave de la Saint-^Iartin à la Saint-Philippe (i'^'' mai 1313).
1313. De la Saint-Martin au vendredi avant les Rameaux 1314.
1314. De l'octave de la Toussaint à '.
On voit que les sessions de chaque parlement avaient une
durée de trois à quatre mois.
L'époque de la tenue de chaque parlement était solennelle-
ment annoncée à la fin du précédent; les baillis portaient à la
connaissance de leurs administrés les jours où les habitants de
chaque bailliage seraient admis à plaider", car pour éviter de
trop longs déplacements aux justiciables ainsi qu'aux baillis,
qui étaient tenus de venir donner à la cour des éclaircisse-
ments, on partageait le temps de chaque session entre les
bailliages et les sénéchaussées du royaume; nul n'était reçu
à comparaître qu'aux jours de son bailliage, jours dont le
1 Ce tableau a été dressé à l'aide du Mémorial inédit du parlement. Arch.
de l'Emp., X 4, p. 3 et suiv.
2 Mandements aux baillis de faire publier l'ordre des jours du parlement
en 1302. Trésor des chartes. Rog. XXXVT, fol. 9 v°, et Reg. XXXV, n° 30.
— Eu 1304. Ibid., Reg. XXXV, n°= 190 et 191.
13.
19G LA FRAXCK SOLS PHILIPPK LE BEL.
nombre était fixé d'avanco d'après la quantité dos causes que
chaque province était présumée devoir fournir.
Voici pour le parlement de l'année 1.3U8, prorogé au com-
mencement de 1309, l'ordre des jours des bailliages, tel qu'il
fut publié par les baillis. Le parlement ouvrit sa session à
l'octave de Noël.
(lu 2 au 6 janvier.
Bailiiajjc de Vcrmandois. . . .
Sénéchaussée de Périgord. . .
— (le Sainlongc . .
Diiclic de (îuicnne '
Bailliage d'Amiens | du 7 an LV janvier.
Bailliage de Sentis ) , ,_ ,,, .
" , „. f ou i.) au 18 janvier.
— de (jisors )
Prévôté de Paris i
Bailliage de Sens - du J 9 au 24 janvier.
Comté de Champagne '
Bailliage de Tours ) , ^_ -,„ .
, , , , . 1 T> • ■ ''" -'^ '"' -•' linivic"- •
Seneciiaussee de l'oilou <
Bailliage d'Orléans
— de Bourges ' i on • • r r •
, ,,. ,' (lu .j() janvier au 4 lévrier.
— de Alacon •'
— d'Auvergne
Xormandie | du 5 a'.i LV février.
Sénéchaussées de Carcassonne. .,,,_„.. , , .1,11
, ,, . J (lu 1.1 lévrier a la vcdic de la
— de heaucairc . . . ( , , , ,
, „ ; ini-careme , clôture du par-
— de Kouergue . . . 1 , , '^
, „ , " lenicnt •.
— de loulouse ... y
Les causes sur enquêtes étaient jugées pendant toute la
durée de la session.
Chaque année les membres du parlement étaient désignés
par le roi , et ceux des conseillers dont les noms étaient portés
sur le rôle publié par le prince pouvaient seuls prendre part
aux jugements. La cour était divisée en plusieurs chambres, et
c'était encore le roi CjUi arrêtait la composition de ces cham-
bres. Cependant un règlement de l'an 1296 laissait aux prési-
dents le soin de désigner les membres de la cour qui rece-
vraient les requêtes, ceux qui jugeraient les enquêtes ainsi
1 Reg. XLII du Trésor des cliarics , fol. ll-'ii-. Mandement du jeudi après
la Saint-Michel 1308.
• LIVRE HUITIEAîE. — ORGAMSATIOX JUDICIAIRE. 197
que les auditeurs du droit écrit, mais cela ne dura pas, et le
roi continua de se réserver la nomination aux différentes
fonctions ' .
On a beaucoup disserté pour savoir ce qu'étaient les prési-
dents, dont il est fait mention dans plusieurs ordonnances de
la fin du treizième et du commencenKnit du quatorzième siècle"'.
Une ordonnance de Piiilippc le Long, de l'an 1320, dit qu'il
y aura à la grand'chambre huit clercs et douze laïques prési-
dents'. L'ordonnance de mars 1303 porte qu'on établira un
parlementa Toulouse, si les peuples du Languedoc consentent
à ne pas appeler des présidents qui tiendront ce parlement.
Dans les Olim., les membres de la chambre des requêtes sont
di'ÇT^eXè?, présidents (dilectis et fidelibus gentibus nostris presi-
dentibus Parisius in caméra requestarum ^). Dans les textes que
je viens de citer, presidcns est synonyme à'existens et doit se
traduire par siégeant, mais d'autres textes prouvent qu'il y
avait, dès Philippe de Bel, des présidents du parlement, dans
le sens que nous attachons à ce mot.
Plusieurs documents leur donnent même ce nom, et appellent
résidents les autres membres de la cour. L'ordonnance de
1296 montre que ces présidents étaient des barons et des pré-
lats, que deux d'entre eux devaient assister à chaque séance,
un prélat et un baron. Je cite :
« Il est ordené que en tems de parlement seront en la
chambre des plaids le souverain ou président, certain baron
et certain prélat, c'est à savoir, des barons, li dux de Bour-
gogne, le connétable, le comte de Saint-I>ol; item des prélats,
l'archevêque de Narbonne, l'évêque de Paris, l'évêque de
Taroënne, et li prélats des comtes (de la chambre des comptes),
quand ily pourront entendre; et saront tenus à estre au par-
lement continuement au moins uns des prélats et uns des
barons, et départiront leur tems, si que, se il ne pueent tuit
estre, au moins il y en ait deux présens toujours au parle-
1 Voyez roi-flonnancc de 1319. Ord., I. I, p. 320; et le rôle de 1306,
Ord., t. XII, p. 353.
- Voyez la noie 29 du t. III des Olim , p. 1537.
3 Ord., t. I, p. 728.
'« Olim, t. III, p. lOW; et note 29, p. 1537.
198 LA FU.WCE SOUS PHILIPPE LE REL.
ment; c'est à savoir un prélat et un baron, et 1i uns déporte-
ront les autres, si comme ils ordeneront entre eux mesmes. w
Ils désignaient certains membres de la cour pour tenir les
requêtes et l'auditoire du droit écrit, ils établissaient des gref-
fiers en nombre suffisant. « Il est ordené que li souverain ou
li président du parlement, c'est à savoir li prélat ou li baron
qui seront présent, ordoneront des résidens au parlement
quiex offices ils auront, les uns retenans en la chambre et
les autres cnvoyent au droit écrit, les autres aux requestes
communes En la chambre aura notaires en souffisant nom-
bre, selon ce que li président verront que sera meslicrs. « Ces
attributions leur furent enlevées, ainsi que je l'ai dit, et le
roi nomma aux emplois du parlement : le chancelier ou le
garde des sceaux désigna les greffiers ou notaires.
En cas de partage d'opinions, les présidents devaient faire
adopter l'avis de la majorité. On sait que, dans un grand
nombre de cours de justice du moyen âge, tous les juges
devaient être d'accord pour que la sentence pût être pronon-
cée, ce qui se pratique encore de nos jours dans les jurys
anglais. « Se cil de la chambre ne sont tuit d'un accord aux
jugemens, li souverain ou li président, c'est à dire li prélats
et li barons qui seront présens, tcnront la plus grant partie,
selon ce qu'il leur semblera le meilleur, selon la condition des
personnes et la qualité de la besoigne ' . »
A partir de l'an 1300, le titre de président paraît n'avoir
pas été appliqué aux grands feudataires et aux évêques placés
à la tète de la cour; mais il y eut toujours, sous d'autres
noms, des présidents sans lesquels aucune assemblée ne sau-
rait exister. L'ordonnance qui fixe la composition du parle-
ment en 130(/ ", place en première ligne, avant les clercs et
les laïques de la grand'chambre, deux prélats et deux barons,
l'archevêque de Narbonnc, l'évèque de Rennes et les comtes
de Dreux et de Boulogne. On reconnaît dans ces quatre per-
sonnages de véritables présidents, bien qu'ils ne soient pas
désignés sous ce titre. Notez que dans le même rôle figurent
1 Ord., t. XII, p. 351.
- Bibl. iinp., Cart. 170, loi. i09. — Ord., t. \îî, p. 353.
• LIVRE HLITIOIE. — ORGAXISATIOX JUDICIAIRE. 199
d'autres évêques et des barons, entre autres le connétable,
mais ils sont inscrits avec les autres membres du parlement,
soit à la grand'chambre, soit à celle des enquêtes.
La première chambre du parlement était la grand'chambre,
ou chambre des plaids, qui jugeait sur plaidoiries.
Les causes venues des provinces du Midi, qui suivaient le
droit écrit, demandaient, pour être jugées, la connaissance
des lois romaines, connaissance qui était étrangère à la plu-
part des chevaliers de la chambre des plaids. On attribue à
Philippe le Bel l'établissement d'un auditoire du droit écrit
pour décider ces sortes de causes. Mais c'est encore là un hon-
neur qui ne lui appartient pas. Un règlement de l'année 1278
porte en effet : ;• Cil de la terre qui est gouvernée de droit écrit
soient oys par certains auditeurs de la cour, si comme il a été
autrefois ordené " . Philippe le Hardi parle de l'institution
d'une chambre du droit écrit comme d'une chose ancienne,
qui remonte peut-être à saint Louis, mais qui sans doute fut
une conséquence de la réunion de tout le Languedoc à la cou-
ronne en 1271 '.
En 1291, l'auditoire du droit écrit était composé de quatre
membres, dont un chevalier et un greffier'; en 1297, de trois
seulement, dont « deux clercs très-bien lettrés et un lay lettré,
especiaument pour les causes de sang^ « . On sait que les
canons défendaient aux ecclésiastiques de prendre part aux
jugements entraînant peine de mort. L'auditoire formait donc
deux chambres, l'une civile et l'autre criminelle, ce qui néces-
sitait la présence de deux greffiers. On s'est demandé com-
ment se jugeaient les procès criminels à la grand'chambre,
car il n'y avait pas encore de chambre criminelle*; mais plu-
sieurs laïques paraissent avoir été plus spécialement désignés
pour juger les criminels déférés à la cour '\
^ Mém. de l'Acad., t. XXX, preux es du Mcinoire de Gibcrt, déjà cité.
^ Ord., t. I, p. 320.
3 Ord., t. XII, p. 353.
^ Olim, p. III, p. 1516, note.
^ tt Cura se supposnissent inquestc coram diiectis et fidelibus genfibus
nostris laycls tune ad deliberatioucm prcdictorum et nonnullorum aliorum in
caslelleto deteutorum a nobis specialiter deputalis, nos super eisdcm per
200 LA FRAXCi: SOLS l'HlLII'PK LE BEL.
Un «{land nombre de causes ne pouvaient êlre jugées qu'après
(1rs infornialions ou cn(|uèlcs. Ce mode de preuve était surtout
eu usajje j)ar suite de la larelé des j)reuves écrites; en outre,
la plupart des questions de propriété se réduisaient à des ques-
tions de possession qu'on ne pouvait j)rouver que par témoins.
Certains meml)res de la cour étaient désignés par le roi pour
s'occuper de ces causes. Les uns taisaient les en(|uèles eux-
mêmes et se trans|)orlaient dans les provinces |)endant l'inter-
valle d'une session à l'autre; mais, comme ils ne pouvaient
instruire eux-mêmes toutes les causes qui exigeaient des infor-
mations par écrit, la cour faisait faire aussi des enquêtes par
des personnes étrangères au parlement , par des ofticiers
royaux, quelquefois par la chambre des comptes '.
La chambre des enquêtes fut organisée de bonne heure. Le
travail fut réparti de manière à accélérer l'expédition des pro-
cès. Les membres des enquêtes furent divisés en rap[)orteurs
et en jugeurs. Les rapporteurs recevaient les enquêtes et les
examinaient à domicile pendant les vacances, de sorte que
lorsque le parlement rentrait en séance, il y avait un certain
nombre de causes prêtes à être jugées. Ils continuaient l'exa-
men des enquêtes pendant la tenue de la cour; il leur était
même interdit de venir au parlement sans y êlre mandés, tant
on craignait de les détourner de leurs fondions".
Dès Philippe le Bel, les jugeurs des enquêtes prononçaient
des sentences, sauf dans certains cas, " se ce ne sont, dit
l'ordonnance de 121)G, par adventure aucunes (causes) qui
soient de grièves chauses, ou entre giant personnages, ou telles
qui à force soient à recorder au commun conseil par la force
de les apprendre. » Le rôle du parlement de 13(JG est plus
explicite : u Est à entendre que il ne délivreront toutes les
certos auditorcs mandavimus iii(|iiiri diligcntius ac inqiioslatii super lioc
factam judicandam dictis gnitilxis nostris reportari. » Olhn, t. III, p. 678 et
079 (cil 1311). Voyez surtout le premier registre criminel de 1312 à 1317.
1 Voyez la commission donnée le jeudi avant les Rameaux ISOi \. s. à
Jean Lefèurc et au maire de Alontdidier pour faire une enquête, or. Suppl.
du Trésor des c/iarfes, .1. 1034, n"54, et aussi X. 8832, loi. 50 (en 1314).
Quand les enquêtes étaient mal laites, le parlement les faisait recommencer.
Olim, t. III, préface, p. xiii.
^ Ord., t. I, p. 321, §4.
LIVRE HUITIKMK. — ORGA\ISATIO\' JUDICIAIRE. 201
enquestes qui ne touclipront honneur de cors ou héritage, et
de ce mesme prandront il bien leur conseil et leur avis en-
samble, mes ançois que il les. délivrent il en auront le conseil
de ceux qui tendront le parlement '. d Dans ce passage, par-
lement est synonyme de grand'clianibre, ainsi que dans l'or-
donnance du mois de décembre 1320 ^ Longtemps après,
alors que la chambre jugeait tous les procès qui lui étaient
soumis, elle conserva un usage qui rappelait le temps où elle
ne décidait que les causes sans importance : les jugements
qu'elle rendait étaient encore, sous Charles VI, prononcés à
la grand'chanibre ^ .
En 1201 , les enquêtes étaient divisées en deux sections :
l'une, composée du doyen de Tours, de l'archidiacre de Sain-
tonge, du châtelain de Nesle et de Robert de Résignie, cheva-
lier, siégeait le lundi et le mardi; l'autre, composée du doyen
de Sens, du chantre d'Orléans, du sire de Hellecourt et de
Matthieu de Trie, ces deux derniers chevaliers, tenait sa séance
le mercredi et le jeudi. Deux juges suffisaient pour prononcer
un jugement. L'ordonnance de 1303 prescrivit que les enquêtes
seraient jugées dans les deux années qui suivraient leur remise
au parlement. Les enquêtes étaient jugées toute l'année, même
pendant les vacances. La chambre des enquêtes instruisait aussi
les causes obscures*.
Les rois regardèrent longtemps comme un de leurs premiers
devoirs de recevoir eux-mêmes les griefs de leurs sujets. Xul
n'ignore saint Louis rendant la justice assis sous un chêne
dans le bois de Vincennes, et Louis XII dans le jardin du
palais accueillant les plaintes du peuple. Le recours à la jus-
tice du prince était populaire au moyen âge. Les rois délé-
guaient quelques personnages de leur cour pour exercer en
leur nom cette juridiction, qui s'appelait les plaids de la porte.
Joinville nous apprend que saint Louis l'envoyait souvent avec
le sire de Xesle et le comte de Soissons tenir les plaids de la
» Cart. 170 , fol. 109.
- Pardessus, p. 157; Ord., t. 1, p. 732.
•* Boutillier, Somme rurale, titre 39. Conf. Lepaige, Lettres sur le parle-
ment, t. II, p. 205.
'* Olim, t. III, p. 1508 et 1505.
202 LA FRAXCK SOLS PUILIPPL LE BIX.
porte. S'il se présonliiit à eux quelque cause dont la décision
offrît des difficultés, ils en faisaient un rapport au roi, qui
envoyait chercher les parties et prononçait lui-même. In état
de la maison du joi de l'an 1285 indicpie que cette institution
subsistait encore à cette époque; les plaids de la porte étaient
alors tenus par Pierre de Sergines, (îille de Compièjifne et Jean
Maillière. \ul doute que les membres des plaids de la porte
n'aient exercé les mêmes fonctions que les magistrats qui
furent plus tard appelés maîtres des requêtes de l'hôtel, et qui
firent partie du grand conseil '. On ne les trouve pas désignés
sous ce nom avant l'année 1340. Quelques membres du parle-
ment, devenu sédentaire, furent désignés pour recevoir et
juger sommairement les requêtes qui leur seraient adressées.
Les requêtes du palais étaient déjà établies en 1278. L'or-
donnance de 1291 désigna trois membres du parlement
pour recevoir les requêtes chaque jour pendant la durée de la
session"'. " A oïr les requêtes, dit une ordonnance de 1296,
seront deux clercs et deux lais, et deux notaires, qui néant ne
recevront par leur serment, et auront un saing, et délivreront
ce que il pourront par eux. Et ce que il délivreront, le chan-
celier sera tenu à sceller; et ce que il ne pourront délivrer, il
rapporteront à ceux de la chambre ^. d
En 1300, il y avait deux chambres des requêtes : celle de
la Langue d'oc, composée de quatre membres, et celle de la
Langue française, composée de cinq personnes*. Dans un rôle
du temps de Louis le Hutiu, en tète des membres du parle-
ment, figurent six personnages, quatre clercs et deux laïques,
qui sont qualifiés suivants , c'est-à-dire suivant le roi \ Ce
sont les maîtres des requêtes de l'hôtel. Un autre rôle de la
même époque, cité par Etienne Pasquicr, apprend que parmi
1 Pasquicr, Recherches , p. 55. Pardessus, Essai, p. 157 et suir.
- i Pro rcquestis aiidiendis qiialibct die sedeant très pcrsonœ de consilio
nosfro, non bailliii. ; OriL, t. I, ]>. ;i20.
3 Ord., t. XII, p. :35i.
4 Ord.. t. XII, p. :J51.
^ Blbl. imp., ClairambauU , n" 3V(i bis, fol. 335. Original. Ces quatre
suivants étaient Michel de Alaucoiuliiil , Pierre de Ciiapes, Pierre liertran,
G. de Broce.
■ LIVRE HIITIEAIE. — ORGAXISATIO.V JUDICIAIRE. 203
ces suivants deux accompagnaient toujours la cour, un laïque
et un clerc, « liquel prendront à la cour en la manière accous-
tumée au temps le roy le père " . Ainsi , à la fin du règne de
Philippe le Bel, les maîtres des requêtes de l'hôtel avaient
séance au parlement \
Quelle était à l'origine la compétence des maîtres des re-
quêtes de l'hôtel et des maîtres des requêtes du palais? C'est là
un point fort obscur. Un article d'une ordonnance de l'an 129G
que j'ai cité plus haut donne peu de lumière sur cet objet. On
y voit que les maîtres des requêtes de l'hôtel délivraient cer-
taines requêtes, et que celles qu'ils ne pouvaient délivrer, ils
les rapportaient à ceux de la chambre. Une ordonnance de
F'hilippe le Uong est plus instructive. " Pour ce que moult de
requestes, dit ce prince, ont été souvent faites à nos prédé-
cesseurs et à nous, qui passées ont été frauduleusement sous
ombre d'aucune couleur de raison, lesquelles se discutées eus-
sent esté par devant ceux qui sont instruits et ont connaissance
des besoignes, n'eussent pas été passées, comme de moult de
gens qui requièrent compensation de services, restitution de
dommages, grâces de dire contre arrêts en notre parlement,
et plusieurs autres choses semblables, où moult de fraudes et
déceptions ont été faites au temps passé " « Les maîtres des
requêtes de l'hôtel empiétaient donc sur les attributions des
tribunaux ordinaires, et même des grandes administrations,
telles que le trésor.
. Quant aux maîtres des requêtes du palais, leur compétence
était purement judiciaire. Aux termes d'une ordonnance du
17 novembre 1318, ils ne devaient pas prendre connaissance
des causes t; ne de querelles espéciaument dou principal des
causes qui doivent estre démenées au parlement, ou devant
les baillis et les sénéchaux, d Ils délivraient des lettres de jus-
tice au nom du roi pour autoriser une partie à citer son adver-
saire au parlement. En cas d'appel, le juge et la partie étaient
intimés en vertu de lettres délivrées par la chambre des re-
quêtes. On pouvait s'opposer à la délivrance des lettres de
justice, et les maîtres des requêtes statuaient sur les opposi-
1 Recherches de la France, p. 52.
2 Ord., (. I, p. 733. Décembre 1320.
204 LA FRAXCr: SOLS PHll-IIMT, LK BEL.
lions tic ce jj;('iii(\ S'il se présentait quelque difficulté, ils con-
sultaient la «paud'cliambrc '.
Dans l'inteivalle de deux sessions, la cliambre des requêtes
remplissait souvent les Jonctions de cliambre des vacations*.
En 1315, année où il n'y eut j)as de parlement, elle expédia
les affaires ur<|entes; mais elle n'agissait dans ces circonstances
qu'en vertu de commissions spéciales. Quelquefois des meni-
i)res de la grand'chambrc expédiaient après la clôture du
parlement les causes dont l'instruction n'avait pas été terminée
à temps ^ La chambre des enquêtes jugeait aussi des enquêtes
pendant les vacances, mais pour cela l'autorisation du roi était
nécessaire, et cette autorisation était restreinte à un petit
nombre de causes déterminées d'avance''.
On peut prendre une idée de la composition du parlement
dans un rôle inédit des membres (hi parlement que l'on peut
rapporter à l'année 1306.
« C'est l'ordenance des Pai'lemenz.
;î II aura II parlemenz en Tan, des quez li uns commancera
as octaves de Pasques et li autres as octaves de la Toussainz,
et ne durra cbascun que II mois.
» Il aura aus parlemenz II prélaz, c'est assavoir l'arcevesque
de Xarbone et l'avesque deReynes; et II lays, c'est assavoir le
conte de Dreux et le conte de Bouloigne.
« Il aura XIII clers (lisez XI) et .Xlli lays (lisez XI), sans
eulx, et seront li XIII (XI) clercs :
Messiro Guillaume de Xogarct,
qui porte le grant scel.
Le doiau de Tours.
Mesfre P. de Laou.
.Alcslro P. de Latilly.
Le chaufre d'(jrliens.
Alostre .Audry Porcheron.
Mrslrc Jehan le Duc.
Mestic Robert de Foylloy.
Aleslre Denise de Senz.
Mestre Philippe le Corners.
Mcstre Gérart de Cortonne.
1 Pardessus, Essai, p. 159. — Ou trouve les requêtes fonctionnant en 1313.
n Cause requestaruin in curia nostra pendentcs , etc. i l'oyez surtout le pre-
mier registre du Criminel.
■^ Olim, t. IM, p. 1523 et 10V5.
-i Olim, t. III, p. 153S.
'' 0 Judicata (pie scquuutur Aicta fuerunt pcr niagislros in caméra post par-
lamcntum. — Inquesfe cxpedite inter duo parlamenta, de spécial] mandate, s
Olim, t. m, p. 62 et 625.
LIVRE HUITIÈME. — ORGAX'ISATIOX JLDICIAIRE.
V Li XIII (XI) lays du parlement seront :
205
Lp conncstablc.
Messire Guillaume do Plasian.
Messire I']ticniic do Bicnfaito.
Mcssirc Pierre de Blavon.
Messire Jelian do Woissy.
Messire Guillaume de Marcilli.
1) Aus enquestes seront :
L'avesque do Constances.
Lavesque de Soissons.
Le chantre de Paris.
Mesfre Courrart de Crespy.
Mestre Jaque de Saint- Abert.
Messire G. Cntirlcheuso.
Monseigneur Hugue de la Celle.
Monseigneur Pli. de Blaveau.
Jehan de Montigni.
Pierre de Dyci.
Mestre P. de Aîoncy.
Mestre Goulard do Mey.
ilcstro Pierre de Blarru.
Bernart du Mes.
1) Aus Enquestes (lisez Requestes) de la Langue d'oc seront
Le prieur de Saint -Martin des
Champs.
Mestre Raoul Rousselot.
Messire Ph. de ^lornoi
Messire G. Flote.
V Aus Requestes de la Langue Françoise seront :
Mestre Raoul de Mullent.
Mestre G. du Buisson.
Mestre Lambert de Voissy.
G. de Vin.
Le chastelain de Neelle '.
Cette liste prouve que la cour du roi n'était pas, ainsi qu'on
le croit généralement, envahie par les légistes, roturiers imbus
de droit romain et de maximes despotiques; à la tête du par-
lement figurent deux hauts barons et deux prélats. Le roi ne
pouvait se dispenser d'appeler quelques représentants du ba-
ronnage et de l'épiscopat à siéger dans sa cour; c'était le seul
moyen de lui conserver l'autorité qu'elle avait conquise. Les
grands feudataires ne se seraient certainement pas soumis
à comparaître devant un parlement exclusivement composé
d'hommes de loi. Philippe le comprit et en fit l'aveu dans la
grande ordonnance de 1303. " Attendu, dit-il, qu'un grand
' Bibl. imp., Cartul. 170, fol. 169. — Voyez des extraits incomplets de
ce document dans Pasquier, Recherches de la Frajice , liv. II, chap. m,
reproduits dans le Recueil des ordonnances , t. I, ]). 547, et plus complète-
ment t. XII, p. 353.
20G LA FRAYCE SOIS PHILIPPE LU lîKL.
nombre de causes importantes, concernant de grands person-
nages, sont décidées par notre parlement, nous ordonnons et
voulons que, pendant la durée de cluujue parlement, deux
prélats et deux autres laïques de distinction et membres de
notre conseil, ou au moins un prélat et un laïque y assistent
avec assiduité, pour entendre et juger les procès '.
La noblesse et le clergé forment encore la majorité; mais
ces nobles et ces clercs étaient eux-mêmes dévoués de corps et
d'àme au roi, et choisis parmi les familiers. Cependant les
nobles étaient malgré eux les représentants des idées féodales;
une curieuse note d'un des rédacteurs des Olim fait connaître
qu'un arrêt fut rendu malgré la vive opposition de plusieurs
membres de la cour, qui prétendaient que dans cet arrêt les
droits des seigneurs étaient lésés. Cette opposition venait, sans
aucun doute, des chevaliers qui siégeaient au parlement".
L'élément féodal était plus directement représenté par ces
grands barons que nous avons vus décorés du litre de prési-
dents, mais qui étaient aussi désignés par le roi. Quelques
membres du haut clergé avaient aussi droit de séance ; c'étaient,
selon l'ordonnance de 1296, les abbés de Cileaux, de Saint-
Germain des Prés, de Saint-Corneille de Compiègne, le tréso-
rier de Saint-AIartin de Tours, le prévôt de l'église de Lille
et celui de Normandie, c'est-à-dire le doyen du chapitre de
Rouen; ils pouvaient prendre part aux arrêts. Joignez-y l'abbé
de Saint-Denis, qui jouit de ce privilège jusqu'il hi révolution.
Le nombre des laïques et des ecclésiastiques se balançait.
Chaque membre recevait cliaque jour, les laïques, dix sous,
et les clercs, cinq sous, pendant la durée des sessions. Ce
traitement fut augmenté pendant les années où la faible mon-
naie eut cours; mais après la mort de Philippe le Bel, il fut
rétabli, et subsista sur le même pied jusqu'au milieu du qua-
torzième siècle ^ .
1 Oi-d., t. I, p. 366, iirt. 56. — Conf. Olim, t. III, préface, p. xxix.
- Olim, t. II, p. 875 et 328.
^ « Stcptianus (le Clianlitre, miles, pro vadiis parlamenti per xi,iv dies,
22 lit), par. i Journal du trésor, 28 février 1299, foL 37 r°, B. Ce qui fait
10 sous par jour. — Autre, ihid., fol. 3 v°, en 1300. ï Magister G. Bonet
per XXXV dies, etc. i — t Voulons que li simple clercs qui seront à nostre
LIVRE HUITIÈ^IE. — OHGAXISATIOX JUDICIAIRE. 207
II se produisait des circonstances dans lesquelles le parle-
ment ne pouvait rendre d'arrèls sans l'adjonction de certains
personnages étrangers à sa composition ordinaire, c'était quand
un pair de France était en cause, car, en principe, les pairs
n'étaient justiciables que de leurs pairs; mais peu à peu la
cour du roi arriva à prendre part au jugement des pairs.
En 122-4, les officiers de la couronne obtinrent de siéger dans
la cour des pairs ; les autres membres de la cour reçurent plus
tard le même droit, mais la présence de pairs était néces-
saire. On appliqua les règles du droit féodal, qui déclarait la
cour des barons suffisamment garnie de pairs pourvu qu'un
seul fût présent, et même lorsque aucun ne s'était présenté,
pourvu qu'ils eussent été régulièrement semons; dans ce cas,
le baron tenait sa cour « avec le conseil de son bôtel » .
En 1290, le parlement jugea un procès où le comte de Flandre
était intéressé; un seul pair, le duc de Bourgogne, prit part
au jugement, mais un grand nombre de barons siégèrent pour
donner plus de solennité à l'arrêt. On distinguait, dans les
causes où les pairs étaient parties, si le procès touchait aux
droits de la pairie ou non. Le parlement ayant prononcé
en 1259 dans un procès entre l'archevêque de Reims et l'abbé
de Saint-Remi, au sujet de la garde de cette abbaye, l'arche-
vêque prétendit que ce jugement n'était point valable, attendu
qu'il n'avait point été rendu par ses pairs; le parlement re-
poussa ce moyen et confirma sa première sentence, « parce
que la querelle dont le jugement était fait n'était mie de pai-
rie « . C'est ainsi qu'il parvint à juger seul des causes où les
pairs étaient intéressés. En se déclarant compétent, malgré
les protestations des pairs, il était juge dans sa propre cause;
mais dans ces circonstances, la cour était présidée par le roi
lui-même. Philippe le Bel posa nettement le droit du parle-
ment de décider quand il y aurait lieu de convoquer les pairs;
contrairement à la demande du comte de Flandre, il fit
parlement, qui soloient prendre 5 sols par jour, à la fort monnoie, preigncnt
10 s. par jour, tant que la monnoie qui à présent a cours soit ranienée au
point de l'ancienne; et que li simples lais qui prcnoicnt JO sols, en aient 15. »
Cartul. 170, fol. 169.
1 Olim,i. II, p. 396.
208 LA FRAXCl^ SOLS PHlLllM'i; LK liKL.
déclarer par le parlement, .en J!2U5, que c'était à lui de déci-
der par l'organe de son conseil quelle était la juridiction
compétente ' .
L(! pailement avait dés le milieu du treizième siècle rem-
placé la cour féodale du roi. Sa juridiction s'exerçait en pre-
mière instance et par voie d'appel'. En première instance, les
causes des prélats et d(>s grands seigneurs y étaient portées
directement. Philippe le IJel accorda, en 1290, aux prélats le
privilège de n'être pas contraints de plaider devant les autres
juridictions royales ^ Quand les barons et les hauts dignitaires
ecclésiastiques venaient au parlement pour leurs propres
affaires, leurs procès devait élre jugés le plus promptement
possible au jour de leur bailliage. Ils pouvaient même obtenir
un tour de faveur*. En dehors de cette compétence person-
nelle, il n'y avait pas de règles fixes ; les causes des églises,
des communautés, de simples particuliers même étaient portées
au parlement, quand elles offraient quelque importance. L'or-
donnance de 1278 défendit vaguement « que nulles causes ne
fussent retenues en parlement qui pussent être démenées devant
baillifsî) . Celle de 12*J7 exclut nominativement les complaintes
de nouvelle désaisine qui étaient du ressort des baillis \ Les
causes où le domaine se trouvait intéressé étaient en principe
abandonnées au jugement des baillis, mais quand elles présen-
taient quelque gravité la cour du roi les revendiquait". Une
ordonnance de Louis X régla que celles dont l'objet dépassait
cent livres de rente seraient seules admises au parlement '.
1 a Altercato coram nobis an ad nos per nostrum consiliuin , vcl per pares,
pertincrct cieccrnore qiiis, cujiis csspt jiirisdiclio, dobcret jiulicarc, fuit pro-
nunciatinn per ciirio nostre jiidiciuin consiliuni drccrncrc ciijiis sit jurisdiclio
, in preniissis. ' Différend des pairs avec les présidents à mortier, p. 166.
2 Olim. f. III, p. J525.
3 Ord., t. I, p. 319, § 3.
-i Ord., t. 1, p. 358, § 7 et 8 (1303).
■"' a Los (|iu'rcll(\s de nouvelles desaisincs ne viennent pas eu parlement,
mais chacun haillif eu sa baillie, appelés avec soy bonnes gens... prenne la
chose en la main du roi et face droit aux parties, r. Ord., 1. XII.
^ Ord., 1. Xll, p. 416; et Vaissète , Histoire du Languedoc, f. IV,
preuves, col. 146.
" En 1315. Vaissète, t. IV, col. 146.
. LIVRE HUITIÈME. — ORGAMSATION JUDICIAIRE. 209
La même incertitude régnait pour les causes criminelles. On
voit le parlement juger en première instance des crimes privés,
tandis que les baillis connaissaient quelquefois des crimes de
trahison; mais en général il s'occupait des crimes qui trou-
blaient la paix publique. Il intervenait surtout contre les sei-
gneurs que les baillis n'auraient peut-être pas osé condamner.
Il était surtout un tribunal d'appel.
«En la cort le roy, disent les Etablissements de saint Louis,
pueent toute gent demander amendement de jugement par
droit '. n
Les appels n'étaient admis qu'après vérification préalable
qu'ils présentaient quelque apparence de raison, et qu'ils
avaient été faits dans les délais voulus '.
Quelquefois le parlement, remplissant le rôle de notre cour
de cassation, cassait la sentence et renvoyait la cause à juger
de nouveau, mais à une autre juridiction que celle dont éma-
nait le jugement frappé d'appel \
Je me suis souvent demandé comment faisaient les habitants
des provinces méridionales du royaume pour profiter du droit
d'appel, qui semble avoir été pour eux un droit presque déri-
soire, car quels frais énormes entraînait un procès devant la
cour du roi! le voyage seul eût suffi pour effrayer les plaideurs
les plus obstinés. Des intérêts considérables mis en jeu pou-
vaient seuls décider à une pareille démarche. Les Olim
n'offrent en effet que peu de procès pour les sénéchaussées de
Toulouse, de Beaucaire et de Carcassonne , et cependant dans
ces pays l'appel jouissait d'une tout autre faveur que dans le
Xord. Cela s'explique par un fait peu connu , c'est que le roi
désignait des personnes étrangères au parlement et même à
l'ordre judiciaire, pour connaître en son nom des appels inter-
jetés à lui-même dans ces provinces éloignées et que le parle-
ment aurait dû juger. Ces juges en dernier ressort recevaient
une commission spéciale pour chaque cause. Un des articles
1 Liv. I, cliap. i.\\iiii.
2 Mémorial, fol. 60; Olim, t. II, p. 888. V'oici la formule : n Aiidifis par-
tibus prcccpit curia quod processus in causa appeilationis intcr \'. et X.
videatur et judicetur. ^
3 Olim, t. II, p. G.
14
210 LA FHAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
du traité conclu en 128G entre Philippe le \ie\ el le roi d'An-
gletoire, au sujet de l'appel des cours anglaises de Guiennc ,
porte " que dans les pays de droit écrit les appels portés à la
cour du roi ne seront pas donnés à juger à d'autres (|u'à la
cour, (piand ils intéresseront le roi d'Angleterre. Quant à
ceux qui concernent des particuliers et surtout les pauvres, on
pourra en attribuer la connaissance à d'autres qu'à la cour,
mais ci condition que ceux qui recevront celte commission ne
pourront déléguer leurs pouvoirs \ ^^ Plusieurs mandements de
Phili|)pe le I5el adressés au sénéchal de lieaucaire font voir que
cet usage était aussi en vigueur dans le Languedoc ^.
Le parlement n'attirait donc à lui que les causes importantes.
Ses attributions s'étendaient en dehors de la justice dans le
domaine de l'administration. Il connaissait du contentieux
administratif. Un seigneur, Uobert de Meulan, avait oblenu du
roi l'établissement d'un marché à lîruyéres-sur-Mer; un
seigneur du voisinage se plaignit du tort que ce marché lui
faisait, le parlement après enquête révoqua la concession ^
Dans une autre circonstance, le roi ayant nommé dans la ville
d'Arqués un auneur de toiles, les habitants prétendirent que
cette nomination était contraire à leurs privilèges ; le parle-
ment leur donna gain de cause ^. Il annula aussi la nomination
* Il In terra que regitur jure scriplo, si appcllctur ad curiain régis Francie,
non commiUetur cognicio et tcniiinacio cause appcllatiouis extra curiani
Francie, de hiis que tangunt rcgem Anglie. — Super aliis vcro que taugunt
alias partes, prccipue pauperes, poterit comniissio fleri super cognicionc et
decisionc appellalionis extra curiam; tali modo quod illi quibus fiet commissio
non polcruut alios eommitlero; et hoc ideo quia in terra que regiUir jure
scriplo, judex a quo appellatur non sul)cst periculo, scd pars apptilans vel
appetlata. » Olim, t. II, p. 40. — IXeq. XXXIV du Trésor des chartes,
fol. 32.
'- Mandement du lundi de la Quasimodo 1295. « In causa que primo vcrfc-
batur coram judice Aniciensi... et pcr appellacioncm sccundario coram xobis
(senescallo); iterum post appeltationem ad nos interpositam coram magistro
P. de Ruthcnis, preposilo Mimatcnsi, judice dato in causa secundo appella-
tionis... cum nostrc inlcnlionis non lucrit appellalionem admiftere ncc judicem
dare in causa in (pia tcrcio a dcffinitiva seutenlia fueril appcllatum. i Bibl.
imp., n» 10312, foi. (il.
■^ Olim, t. lit, p. 18. En 1299.
4 Olim, t. III, p. 879.
LIVRE HLITIÈ.ME. — ORGAXISATIOX JUDICIAIRE. 211
d'un procureur du roi faite par Philippe le Bel '. En 1311 il
refusa à Guillaume de Plasian, le compagnon de Nogaret, sa
demande de prolonger de quelques jours une foire qui se
tenait dans sa seigneurie de Vicenobre". Je pourrais citer un
grand nombre d'arrêts dans lesquels le parlement ne craignait
pas de mettre k néant des actes de l'autorité royale avec une
liberté qui l'honore, ainsi que la royauté qui reconnaissait
hautement l'existence des lois.
Le parlement n'eut plus au quatorzième siècle le pouvoir
législatif, mais il fut consulté pour la rédaction des ordon-
nances relatives à la justice. Il jouissait en certains cas du
droit d'interpréter les ordonnances. On lit dans une ordon-
nance de l'an 1288 , que si quelque difficulté se présentait
dans l'exécution on consulterait la cour et les maîtres. Mais le
roi se montrait jaloux de ce droite En 1314', le parlement
rendit un arrêt de règlement sur certains points de procé-
dure, mais ce fut en présence du roi *.
Dans les derniers temps de la monarchie, le parlement
réclamait le droit d'enregistrer tous les actes législatifs émanés
de l'autorité royale. Il prétendait aussi avoir la faculté de
refuser l'enregistrement, et d'arrêter par ce refus l'exécution
des actes qui en étaient frappés. Le plus ancien registre
officiel spécial date de la fin du quatorzième siècle : ce ne fut
qu'à partir de Charles \ I qu'on enregistra avec quelque régu-
larité les ordonnances envoyées au parlement. C'était là une
simple formalité qui n'avait pas pour but de donner une plus
grande force aux décrets royaux et encore moins de les sou-
mettre à l'approbation de la cour, mais dont l'effet était d'en
assurer l'exécution en leur donnant une notoriété plus grande,
car l'enregistrement était précédé d'une lecture publique et
solennelle \ Dès le principe certaines ordonnances furent
1 Olim, t. III, p. 1532.
2 Ihid., p. 631.
3 Ord., t. I, p. 317. — Ordonnance portant défense d'emprisonner les
Juifs par l'ordre de religieux sans l'autorisation du bailli.
^ Olim, t. II, p. 613 et 614.
ô Voyez le registre A des ordonnances du parlement. — Conf. Encyclo-
pédie 7néthodique, Jurisprudence, t. IV, p. 295.
14.
212 LA FIIAXCI'] SOLS l'HILIlM'K LE BEL.
envoyées au parlement : les Olhn en renferment plusieurs ;
mais cette insertion dans les registres de la cour n'était pas,
je le répète, une sanction donnée par le parlenu'nl, qui, sous
Philippe le Bel, n'avait pas même de conseils à donner, sauf
quand on les lui demandait, et qui était vis-à-vis de la royauté
dans une entière dépendance.
Le roi convoquait souvent sa cour en sa présence ; on sou-
mettait au prince les procès concernant les grands feudataires;
on le consultait quelquefois sur l'application des peines '. Tou-
tefois, l'intervention du roi n'enlevait à la justice aucune de
ses garanties. On ne doit voir dans ces séances royales que la
preuve de l'infériorité du parlement, qui ne formait pas encore
un pouvoir distinct. La justice émanait du roi, qui reprenait
quand il lui plaisait l'exercice du pouvoir judiciaire. Le
monarque pouvait même annuler les arrêts de sa cour. Bien
qu'en principe les arrêts du parlement fussent en dernier
ressort, on pouvait obtenir i>n ordre du roi qui prescrivait
d'examiner de nouveau la cause ; mais un arrêt ne pouvait
être attaqué que lorsqu'il y avait présomption d'erreur*.
La révision d'un arrêt devait être demandée par voie de
requête ^ Il y avait aussi la pétition, appel direct au roi, qui
paraît avoir été admise , même quand une requête avait été
rejetée *.
« La prééminence du parlement, dit excellemment M. le
comte Beugnot, et le droit dévolu à cette cour d'interpréter
ses arrêts, furent heureusement reconnus à propos de l'ordon-
1 Olim., t. III, p. 708, 825, 1516, 1519. s De cmenda domini régis
tacuit curia ex causa. » Ibid., p. 823.
2 Ord., t. I, p. 359, ait. 12 (1303). — Conf. Olim, i. II, p. 328 et 561.
— Pardessus, Essai, p. 115. Dans l'ordonnance de 1303, le roi déclare que
la correction des arrêts appartient a ad nos vel nostriim commune consilium i .
Ici, commune consilium désigne non pas le grand conseil, qui n'était pas
encore organisé en tant que corps , ainsi que nous l'avons vu , mais le parle-
ment lui-même. \'ous suivons cette interprétation qui est celle de M. le comte
Beugnot, mais qui a été combattue par M. Pardessus. Le doute n'est pas
possible.
^ Olim, t. III, p. 62V. — Procès criminel.
* Olim, t. II, p. 895. — Procès de Bobcrt d'.Artois contre la comtesse
d'Artois.
LIVRE HUITIiaiE. — ORGAXISATIOX JUDICIAIRE. 213
nance de 1303. La suprématie du parlement, subordonnée au
pouvoir qui anime et régit la société tout entière, resta, malgré
d'impuissantes dénégations, un des principes fondamentaux
de la monarchie, et Philippe le Bel est le premier qui, en
l'inscrivant dans un acte public de l'autorité royale, lui donna
la forme rigoureuse d'un dogme polilique '. »
CHAPITRE QUATRIÈME.
HAUTES COURS PROVINCIALES.
Echiquier de Normandie et grands jours de Champagne, anciennes cours
féodales conservées par le roi. — On appelle de leurs sentences au parle-
ment. — Pourquoi? — Ces appels sont peu fréquents. — L'échiquier et les
grands jours sont des commissions du parlement de Paris. — Les prélats
normands refusent de siéger à l'échiquier. — L'échiquier devient en 1315
cour souveraine. — Origine du parlement de Toulouse. — Ce n'est pas
l'ancienne cour féodale des comtes de Toulouse. — Philippe le Bel n'eut
jamais l'intention de créer à Toulouse un parlement souverain.
La juridiction du parlement de Paris s'étendait en principe
sur toute la France , c'était le tribunal souverain. Cependant,
il y avait dans le royaume plusieurs autres hautes cours,
l'échiquier de Normandie, les grands jours de Champagne et
le parlement de Toulouse, qui jugeaient les appels des bail-
liages de Normandie, de Champagne, de Languedoc.
L'échiquier et les grands jours avaient une origine com-
mune. L'un était la cour du duc de Normandie, l'autre celle
du comte de Champagne; quand ces provinces furent réunies
au domaine, l'échiquier et les grands jours subsistèrent, mais
ils conservèrent leur caractère seigneurial. Je m'explique. Nous
avons vu que lorsqu'une province était dévolue à la couronne,
elle n'y était pas unie irrévocablement : les rois se réservaient
le droit de l'aliéner en faveur des princes du sang. Tant qu'elle
restait entre les mains du roi, celui-ci ne l'administrait qu'à
' Olim, t. III, p. .wviii.
214 LA FRWCE SOLS PHILIITE LE BEL.
titre de comte ou de duc. C'est la raison pour laquelle on
appelait sous Philippe le Bel des arrêts de réchiquier et des
grands jours do Troyos, exactement comme du temps où la
Normandie et la Champagne obéissaient à de grands leuda-
taires '. Et cette mesure était sage, car si on avait attribué la
souveraineté à ces cours provinciales pendant leur accession
momentanée à la couronne, que serait-il arrivé quand ces pro-
vinces auraient été données à quelque prince? Elles auraient
perdu alors leur souveraineté, mais elles auraient conservé
des traditions qui seraient devenues un danger pour la supré-
matie du roi.
Il faut reconnaître que les appels de l'échiquier et des grands
jours au parlement étaient peu fréquents. L'ordonnance de
1303 déclarait que ces deux cours auraient deux sessions par
an. L'échiquier, qui n'était pas sédentaire, se tenait ordinai-
rement à l'octave de la Saint-Michel et à l'octave de Pâques;
les grands jours, le lendemain des Brandons (premier dimanche
de Carême) et le lendemain de l'Assomption. Des membres du
parlement, dans l'intervalle des sessions, venaient présider
ces cours provinciales. In article de l'ordonnance de 1297
donne à ce sujet des renseignements qui, je crois, ajoutent à
ce qu'on sait de la composition de ces cours.
«Tous les ans, le jour de la Saint-Michel et le lendemain de
Pâques, tuit li président et li résident dou parlement s'assem-
bleront h Paris, et d'illoc li uns iront à l'échiquier Li jour
de Troyes vers la fin de chacun parlement seront assenez
ordonnéement en telle manière que de la fin de chacun parle-
ment, cil qui devront aller au jour de Troyes, et qui y seront
députés par commun accord des présidents, puissent avoir
suffisant tems. i>
L'usage d'envoyer une partie des membres du parlement
aux grands jours et à l'échiquier subsista pendant tout le régne
de Philippe le Bel; mais ce fut le roi qui les désigna lui-même*.
1 Pour l'échiquier, voy. Olim, t. II , p. iv et suiv., 897; Pardessus, p. 124
et 125. Pour les grands jours, Olim, f. II, p.xiii, xii ; t. III , T, 7G5 , etc.
C'est bien i\ tort que M. Bouliot, autour d'une Xotice sur les grands jours
(Troyes, 1852), a prétendu que les arrêts de cette cour étaient sans appel.
2 Bibl. imp., Cartui. 170, fol. 1G9 v°. Ordonnance de 1306.
. LIVRE HUITIÈME. — ORGAXISATIOX JUDICIAIRE. 215
On lit en effet dans le rôle du parlement pour Tannée 1306 :
K Aux escliiquicrs iront, Tarchevèque de Narbonne, l'avesque
de Miaux, mestre Pierre de Latilli, nicstre Philippe Le Convers,
le conte de Saint-Pol, messire Maliy de Trie, le seigneur de
Chambli, monsieur Estienne de Bienfait, P. de Dici, Rcnaut
Barbou. ^^
« Aus jours de Troyes, qui sont à la quinzaine de la Saint-
Jehan , seront : l'avesque de Kevers, l'avesque de Soissons, le
chantre d'Orliens, mestre Denise de Sens, messire G. de
Nogaret, messire Hugue de La Celle, Bernard du Mes,
P. de Dicy. ■'
Les grands jours et l'échiquier étaient donc de véritables
assises du parlement de Paris, et si on appelait de leurs sen-
tences, c'était sans doute pour maintenir le principe de leur
infériorité vis-à-vis de la cour du roi. Les barons et les prélats
qui y siégeaient avant la réunion de ces provinces à la cou-
ronne n'y figurèrent plus que pour la forme. En Champagne
même les comtes avaient organisé leur cour à l'instar de celle
du roi et désignaient ceux qui devaient en faire partie. En
Normandie, la composition de l'échiquier était plus féodale,
mais comme les membres du parlement y dominaient, les pré-
lats normands humiliés refusèrent d'y siéger sans un ordre
formel du roi, et cette prétention fut consacrée par plusieurs
arrêts du parlement '.
En 1315, les Normands se plaignirent du rôle secondaire
auquel leur échiquier avait été réduit, et obtinrent de Louis X
qu'on ne pût désormais appeler des sentences qui y seraient
rendues. Cette conquête fut inscrite dans la fameuse charte
aux Normands.
Toulouse eut pendant une partie du règne de Philippe le Bel
un parlement dont le ressort comprenait toute la Langue d'Oc,
c'est-à-dire le pays qui parlait la langue romane, sauf les pos-
sessions anglaises de Guienne, qui continuèrent de dépendre
du parlement de Paris. Des savants distingués ont cru que ce
parlement était l'ancienne cour des comtes de Toulouse, qui ,.
après la réunion du Languedoc, fut présidée par des mera-
* Fioquet, Histoire du parlement de Normandie , f. I, p. 41 (en 1288),
216 LA FRANCK SOIS PHILIPPE LE BEL.
brcs (lu parlement de Paris, comme rêchiquier et les grands
jours de Champagne; cela n'est pas exact. Le dernier comte
de Toulouse, Alphonse, frère de saint Louis, avait bien un
parlement, commun à ses Klats, qui comprenaient une partie
du Languedoc et de l'Auvergne, le Rouergue, l'Agenais, la
moitié (lu Quercy, l'Aunis, la Saintonge et le Poitou. Des tra-
vaux récents ont démontré que ce parlement ou conseil ne
connaissait que des causes où le comte était intéressé '. Celles
qui concernaient uniquement des particuliers étaient jugées en
dernière instance, non par ce parlement, mais par des per-
sonnes étrangères ordinairement à l'ordre judiciaire et (|ui
recevaient du comte une commission spéciale pour chaque
cause*. Nous avons vu que ce système était encore en vigueur
sous Philippe le Bel. Les Toulousains supplièrent Alphonse
d'établir dans le Languedoc des juges chargés de juger en der-
nier ressort les causes de la province. Cette demande leur fut
accordée, mais resta sans exécution, la mort du comîe étant
arrivée peu après. En 1270 le parlement d'Al[)honsc tint ses
séances à Toulouse, mais il ne s'occupa point des affaires des
particuliers ^ Après 1271, le parlement de Paris devint la
cour suprême de tout le Languedoc. Les Méridionaux se plai-
gnirent des frais considérables et des déplacements qu'il leur
fallait subir pour intenter ou défendre une action à Paris.
Philippe le Hardi, cédant à leurs vœux, envoya à Toulouse,
en 1280, plusieurs membres de son conseil, c'est-à-dire du
parlement \ pour y tenir un parlement à partir de l'octave
de Pâques. Sauf quelques interruptions, ce parlement fonc-
tionna jusqu'en 1287. Il était tenu par l'abbé de Moissac, le
chevécier de Cliartres, et Jean de Xausonc, chanoine de Laon '.
Ce dernier fut remplacé en 1288 par P. de Lachapelle, cha-
noine de Paris''. En 1290 figure un chevalier, Pierre de Blanot.
1 Voyez dans la Bibl. de l'Ecole des chartes, 4<' série, t. II, p. 101 et
suiu., mon travail sur l'organisation judiciaire du Languedoc an moyen âge.
2 Ibid.. p. 115 et 116.
^ Voyez le rôle des affaires décidées dans ce parlement, Arch. imp.,
J. 1031, n« 11.
* Vaisscte, t. IV, col. 72.
f> Vaissètc , t. IV, col. 84 et 85.
fi Vaissète, t. IV, col. 86.
LIVRE HUITIEME. — ORGAMSATIOX JUDICIAIRE. 217
Pierre de Flote y siégea à une époque qu'il ne m'est pas possible
de déterminer.
Passé 1293, on ne trouve plus de parlement à Toulouse.
Ce n'était pas là une cour indépendante, mais une commission
du parlement de Paris, l'auditoire du parlement de Paris
rendu ambulatoire. Ce tribunal avait aussi des attributions
administratives. En 1293, Philippe le Bel, en désignant ceux
de ses conseillers qui devaient tenir le parlement de Toulouse,
déclara que les causes qu'ils n'auraient pas le temps de ter-
miner seraient ajournées à la prochaine session, et, au cas où
l'on ne tiendrait pas de parlement à Toulouse, renvoyées au
parlement de Paris, au jour de leur sénéchaussée. A la fin de
*la même année, le juge mage de la sénéchaussée de Carcas-
sonne fit publier un mandement royal ordonnant à tous ceux
qui avaient des causes pendantes au parlement de Toulouse
de les poursuivre au parlement de Paris.
Le parlement de Toulouse n'eut donc sous Philippe le Bel
qu'une existence précaire et momentanée. Cependant, en 1303,
le roi promit d'établir un parlement à Toulouse, à condition
qu'on n'appellerait pas des sentences qui y seraient pronon-
cées. Cette ordonnance ne fut pas exécutée. On a supposé que
ce furent les Méridionaux qui refusèrent de considérer le parle-
ment de Toulouse comme une cour souveraine : je suis plutôt
porté à croire le contraire. Quand on voit les sentences de
l'échiquier de Normandie et des grands jours de Troyes sou-
mises à l'appel, quoique rendues par des commissions prises
dans le sein du parlement de Paris, et le parlement lui-même
tenu dans une étroite dépendance, on est fondé à conjecturer
que Philippe le Bel n'aurait pas consenti volontiers à investir
de la souveraineté une cour qui , placée loin de l'action du
gouvernement, aurait pu prendre une autorité funeste à la con-
centration des pouvoirs qui était le but légitime auquel la
royauté tendait avec autant de persévérance que d'habileté.
218 LA FR WCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
CHAPITRE CINQUIÈME.
MINISTÈRE PUBLIC. — AVOCATS. — XOTAIRES. GREFFIERS.
Procureurs du roi. — Avocats. — Xotaircs. — GrefOcrs.
Les procureurs du roi qui furent placés sous Philippe le Bel,
non-soulement dans chaque hailliago, mais encore au siège
des prévôtés importantes et auprès des juridictions ecclésias-
tiques ', n'élaient point, comme les procureurs du roi des der-
niers temps de la monarchie, chargés de provoquer au nom de
la société la punition des crimes et des délits. Ils étaient sim-
plement les agents du roi, poursuivaient et défendaient en son
nom en matière civile. L'ordonnance de 1303 leur enjoignit
de prêter le serment « de calumnia :' , comme les autres plai-
deurs, toutes les fois qu'ils intenteraient une action, et leur
défendit de se mêler dos causes des particuliers".
Ils poursuivaient les usurpateurs du domaine ou des autres
droits du roi \ Ils devaient assister à l'instruction et au juge-
ment des causes où le roi était intéressé; ils étaient assistés
d'un avocat \ Ils n'intentaient de procès criminels que dans
les cas royaux, tels que violations de la paix puhlique*, et cela
concurremment avec les prévôts et les bailiis"; mais il ne fau-
drait pas croire que la poursuite des crimes privés fût négligée
1 Procureurs flu roi on Pcrigord eu 1313, Olim , t. III, p. 855; au bail-
liage de Bourges en 1314, ihid., p. 914; au bailliage de Touraine en 1313,
ibid., p. 8G8; daus la jugcric de Verdun en 1313, ihid., p. 807 et 903, etc.
2 Ordonnance de 1303, § 20, Ord., t. I, p. 41G (1303).
3 Olim, t. III, p. 613 (en 1310).
^ » .Indices in causis fiscalibus facicnt , procuratorc régis présente, cum
advocato suo. lî Olim, t. III, p. 66.
5 En 1311, le procureur du roi en Auvergne accusa le vicomte de Polignac
d'avoir attaque la nuit un village appartenant à l'église de Brioude. Olim,
t. III, p. 667.
6 Voyez un prévôt qui intente au parlement un procès contre une com-
mune, pour rébellion (1310). Olim, t. III, p. 611. Voyez pourtant un procès
intenté par le procureur du roi contre un meurtrier. Trésor des chartes ,
Reg. XLI, fol. ^112 (1309).
LIVRE HUITIÈIME. — ORGAXISATIOX JUDICIAIRE. 21»
par le pouvoir royal : non; elle n'était pas confiée aux procu-
reurs du roi, mais aux baillis et aux prévôts \ Le premier
retristre criminel du parlement fait de fréquentes mentions de
poursuites d'office, « ex officio « .
L'ordonnance de 1278, après avoir fixé les règles à suivre
par les avocats dans leurs plaidoiries au parlement, ajoute :
«Ez causes à oyr, parlera tant seulement le baillis derraine (der-
nier), se il n'advient que à lui dévoyant soit nécessairement
amendement de son recors. " Les baillis avaient donc la parole
les derniers, comme de nos jours le ministère public; on les
appelait alors gens du roi , et ils avaient au parlement un banc
appelé banc des gens du roi, qui fut plus tard occupé par le
procureur et les avocats du roi , lesquels reçurent eux-mêmes
ce titre de gens du roi.
La complication de la procédure et la multiplicité des cou-
tumes nécessitèrent pour les plaideurs le concours d'hommes
versés dans la connaissance des lois, surtout devant le parle-
ment. En 1274^, Philippe le Hardi avait fait des statuts sur la
profession d'avocat. Les avocats, établis auprès du parlement,
des bailliages et des autres tribunaux royaux, renouvelaient
chaque année le serment de ne point se charger de causes
injustes, et même d'abandonner celles dont ils reconnaîtraient
plus tard l'injustice. Leur salaire était fixé suivant la difficulté
de la cause et le talent de l'avocat; en aucun cas, il ne pouvait
excéder trente livres ^ L'ordonnance de 1278 leur défendit
d'alléguer le droit romain «là où coutumes ayent lieu, mais
usent de coutumes--); de répéter ce qu'un de leurs confrères
aurait dit à l'audience, dans l'intérêt de la même cause,
«mais d'adjouter quelque chose de nouveau, s'il y avoit à
adjouter « , ce qui prouve que plusieurs ai'ocats plaidaient
quelquefois dans la même causée L'ordonnance de 121)1
reproduisit ces règles et en ajouta de nouvelles. Ils purent être
punis comme parjures s'ils citaient les coutumes à faux. Leur
1 En 1311 , le bailli de Créci accuse une femme d'avoir empoisonné son
mari et la dénonce au parlement. Olim , t. III, p. 678.
2 OrcL, t. I, p. 300.
3 «L \'ul avocat ne ose recorder ou recommencier ce que son compaignon,
à qui il aydcra, aura dit. j Ord., t. XII, p. 1.
220 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
absence ircmpètliait pas le prononcé du jugement '. L'ordon-
nance de 121)0 leur recommanda de plaider hrièvcment et
lionnètemenl ".
Ils se multiplièrent et devinrent une puissance sous Philippe
le liel, au scandale de la noblesse et à l'étonnement du peuple.
Le bourgeois Geoffroi de Paris s'écrie :
En Franco a tons plein d'avoquas :
Les chevaliers de bons estais,
Qui France voient trestournéc
Et en serveté atournée ,
Vident le pais et s'en vont"^
La profession d'avocat devint dès lors un degré pour parvenir
aux plus hautes dignités: Flote, Nogarct, Plasian, qui furent
ministres, étaient de simples légistes qui avaient préludé par
l'étude des lois et les luttes du barreau.
Pendant longtemps les notaires ou greffiers des tribunaux
rédigèrent les actes de la juridiction contentieuse et de la juri-
diction volontaire. Dans le Alidi, il y eut dès le douzième
siècle de véritables notaires ou tabellions, dont le seing, sorte
de paraphe représentant ordinairement un losange ou une
circonférence accompagnée de barres et de points, donnait
l'authenticité aux actes*. Dans le Nord, ce qui rendait les
actes authentiques, c'était l'apposition du sceau d'une juri-
diction royale ou seigneuriale. Le notaire était donc un simple
écrivain. Sous le même règne on établit dans un grand nombre
de bailliages et de prévôtés des sceaux spéciaux pour sceller
les actes passés devant notaires, appelés sceaux aux contrats,
pour les distinguer des autres sceaux qui furent désignés sous
le nom de sceaux aux causes ^
» Ord., 1. I, p. 322.
2 Ord., t. XII.
•'' G. de Paris, v. 1781 et suiv.
'» Voyez donation à Xarbonne en 1178, rédijjéc par « Johannes Ademari,
p;il)liciis Narbonc taboUio, lioc scripsif d . Bibl. imp., Doat , t. LVII, p. 137.
Oiijjinaux d'actes de notaires dn treizième siècle, Trésor des chartes , layette
(le Languedoc, passim, et Reg. XXI.
•' Beaumanoir, t. I, p. 42 (édit. Beugnot).
LIVRE HUITIÈME. — ORGAXISATION JIDICIAIRE. 221
En 1291, Philippe déclara avoir seul le droit d'instifuer des
notaires, mais le 20 mars de l'année suivante il fut obligé do
le reconnaître aux. seigneurs dans leurs terres \ Enfin, une
ordonnance du mois de juillet 1304 compléta la législation sur
les notaires. J'ai trouvé de grands secours pour l'intelligence
de ce document, dans l'e.xamen de registres de notaires un
peu postérieurs, il est vrai, mais rédigés d'après les principes
de l'ordonnance de 1304. Les notaires ou tabellions (ces deux
mots étaient alors synonymes) inséraient dans leurs carlulaires
ou protocoles la substance des actes qui leur étaient demandés
par les parties; s'ils n'étaient pas au lieu de leur résidence
et s'ils n'avaient pas avec eux leur registre, ils rédigeaient
la minute en présence des contractants, et la transcrivaient
ensuite dans leur cartulaire. Les registres devaient être en
bon papier, l'écriture lisible, sans abréviations ni grandes
marges : les notaires, en cas de décès leurs héritiers, étaient
tenus de transmettre à leurs successeurs les protocoles. Les
noms et les signatures étaient enregistrés dans les tribunaux
du roi pour qu'on put vérifier l'authenticité des actes. Un
article portait que les notaires ne pourraient être bouchers ni
barbiers. Les tabellionnages s'achetaient^ : les fils de notaires
succédaient à leur père, mais s'ils refusaient ou étaient inca-
pables, ils touchaient la moitié du prix de vente de l'office.
Dans les lieux où le roi était seul seigneur, les notaires sei-
gneuriaux ne pouvaient instrumenter sous peine de faux ^ . Les
sceaux aux contrats étaient confiés à des gardes du sceau qui
affermaient cette charge et qui étaient quelquefois des ecclé-
siastiques *. Philippe, pour augmenter ses revenus, défendit
1 Ord. , t. XI , p. 371. — Voici la formule du serment qu'on foisait prêter
aux notaires royaux : n Juro ego notarius quod ero fidelis domino mec
Philippo D. G. R. F., illustri et heredi suo régi Francie, pcrsonam, honorem,
statum et jura ipsius et regni sui in hiis que ad meum spectant officium pro
posse mec diligcnter obsenabo (1304). » Reg. XXXV du Trésor des chartes ,
fol. 78.
- Ordre aux sénéchaux du Alidi de vendre à plus juste prix les offices de
notaires. Bibl. imp., Doat, t. CLV, p. 293 (3 février 1290 v. s.).
•> Ord., t. I, p. 416 et suiv.
'' Le garde du sceau de la sénéchaussée de Poitou était en 1308 un cha-
noine de Saiute-Radegonde. Trésor des chartes , Reg. XLIV, n» 165.
222 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
d'ajouter foi aux actes non scellés, même dans le Midi, où
jusqu'alors la signature des notaires avait suffl.
L'ordonnance de 1304 s'occupait aussi des jjrefGers des tri-
bunaux cl leur enjoignait d'écrire les procès dans des registres,
qu'ils remettaient entre les mains des juges. Ils entendaient
aussi les témoins \
Le greffe du parlement reçut une organisation définitive. La
transcription des arrêts sur des registres, commencée officieu-
sement sous saint Louis par Jean de Montiuçon, fut érigée
en règle sous Philippe le Bel. Il y eut plusieurs séries de
registres répondant aux principales matières : la collection des
jugés ou arrêts rendus sur enquête, celle des arrêts propre-
ment dits, enfin les registres criminels; ces derniers ne com-
mencent qu'en 1312. Jusqu'à cette époque, les arrêts criminels
étaient mêlés aux arrêts civils^.
' Oi'd., t. I, p. 417. En conséquence de cette ordonnance, il prescrivit de
faire des sceaux et de les confier à des personnes qui rendissent un compte
exact de ce qu'ils produiraient. Bibl. inip., Doat , t. CLV, p. 244 (samedi
avant les Rameaux 1291 n. s.).
- Notes prises sur les registres originaux déposés aux .Archires de l'Em-
pire. L'histoire des origines du greffe du parlement sera traitée avec les plus
grands détails par M. Griin, chef de la section judiciaire aux Archives de
l'Empire, en tète du premier volume de \ Inventaire analytique des registres
du parlement , dont la rédaction nous a été confiée. Le premier vohnne des
Olim est le plus ancien registre du parlement non-seulement qui soit connu ,
mais encore qui ait existé ; en effet , un registre signalé dans la Bibliothèque
de l'École des chartes, 3« série, t. III, p. 376, comme renfermant des
enquêtes, registre actuellement perdu, n'était, selon toute vraisemblance,
qu'un recueil d'actes divers, parmi lesquels figuraient des actes judiciaires.
LIVRE NEUVIEME.
A D M I A' I s T R A T I 0 X F I X A \ C I È R E.
CHAPITRE PREMIER.
COMPTABILITÉ DES BAILLIS.
Règles générales de comptabilité. — Les baillis considérés comme agents
financiers. — Différentes circonscriptions financières. — Manière dont s'opé-
raient les recettes dans cbaque bailliage. — Receveurs provinciaux. —
Fermiers d'impôts. — Transports des deniers publics.
On ne connaît pas de règlement du temps de Philippe le Bel
qui fixe la manière dont les revenus ordinaires et extraordi-
naires parvenaient dans les coffres du roi , ni les principes qui
présidaient à la répartition des dépenses. Une ordonnance de
Philippe le Long sur le Irésor, en date du 3 janvier 1317 ',
insérée dans une ordonnance du même roi, relative à l'orga-
nisation de l'hôtel (8 juillet 1318 et 10 juillet 1311))'-, donne
sur ce sujet quelques notions incomplètes et insuffisantes. En
outre, il n'est pas certain que ce document reproduise exacte-
ment ce qui se passait auparavant. On ne saurait trop, quand
on s'occupe de l'histoire de l'administration, porter une scru-
puleuse attention à ne pas confondre les époques. De ce qu'on
voit une institution en vigueur en telle année, on ne doit pas
conclure qu'elle existait quelques années auparavant. Celte
règle s'applique surtout aux périodes de transition et de réor-
ganisation, telles que celle qui nous occupe. Philippe le Long
fit autre chose que de consacrer par des ordonnances ce qui
se pratiquait du vivant de Philippe le Bel; il introduisit des
modifications importantes, surtout dans l'adminislration finan-
cière, qu'il améliora. Aussi n'est-ce pas aux ordonnances de
1 Ord., t. I, p. 628.
2 Or<i., t. I, p. 656.
224 LA FRAXCi: SOIS PHILIPPE LE BEL.
ce prince que nous demanderons de nous faire connaître les
institutions financières du règne précédent. Nous avons uni-
quement consulte les documents contemporains, dont la plu-
part sont encore inédits. Xous avons adopté pour les finances
la même marche que pour la justice. Mous montrerons par
quelle voie les deniers entraient dans les coff'res du roi, et par
quelles mains ils passaient, en sortant des poches du contri-
huahle, |i()iir arriver au trésor central.
Pour bien comprendre ce mécanisme, il faut rejeter toute
préoccupation de ce qui se passe de nos jours, et ne pas s'at-
tendre à d'habiles combinaisons. Rien de plus sir\iple que le
système financier du treizième siècle : le budget de l'Etat ne
reposait pas encore sur le produit d'impôts nombreux et variés.
Le roi vivait de ses revenus comme un simple seigneur. Cet
état de choses commença bien à se modifier sous Philippe le
Bel, mais l'ancienne comptabilité fut conservée.
Dans chaque bailliage, le bailli était à la fois receveur,
payeur et comptable. Il recueillait les revenus de son bailliage,
tels que fermes des prévôtés, produit des amendes, revenus
en nature et en argent; prélevait sur ces revenus les sommes
nécessaires pour solder les dépenses de la province qu'il diri-
geait, et envoyait le surplus à Paris, au trésor, pour être
affecté aux besoins du roi et de l'Etat. Toutes les recettes ordi-
naires devaient passer par ses mains. On trouve pourtant quel-
ques exemples de sommes portées directement au trésor, mais
c'étaient là des irrégularités '.
La France financière était divisée en plusieurs circonscrip-
tions : la France proprement dite, la Nojmandie, les domaines
du comte Alphonse, les trois sénéchaussées de Beaucaire, de
Carcassonne et de Périgord*; il faut ajouter la Champagne'.
Chacune de ces circonscriptions obéissait à des règles diffé-
^ e De Gonlerio servicnte rogis in comifalii Aiigi , pro explectibiis ibi
xvii lib., cont. super balliviim ("aicti. t 3 janvier 1300. Journal du trésor,
fol. 3 v'\
- Inventaire (le R. Mi<|non. ^ Domania Franciœ, Xonnandiae, Piciaviae,
senescalliarum Piilavia-, seiiescalliaruni Carcassonensis, Bcllicadiensis et Petra-
goricensis. - Hisi.oriens de France, t. X\I , p. 520 et 521.
■^ Compte original dn eointc de Champagne pour l'année 1287. Bibl. imp. ,
Mélancjes Clairambaut , t. IX, p. 131.
LIVRE XELTIÈMK. — ADML\ISTRATîO.V FIXAXCIÈRE. 225
rentes, qui avaient été établies lorsque les provinces dont elles
étaient lorniées appartenaient à dos feudataires. Les baillis de
France rendaient leurs comptes trois fois par an, à l'octave de
l'Ascension, de la Toussaint et de la Chandeleur'. Ceux de
Xormandie deux fois, aux échiquiers, qui se tenaient à l'octave
de Pâques et à la Saint-MicheP. Ceux de Champagne égale-
ment deux fois, le dimanche avant la Madeleine et à l'octave
deNoëP. Les sénéchaux de l'ancien domaine du comte Alphonse
suivaient les mêmes règles que les baillis de France ; ils comp-
taient trois fois par an *.
Dans tous les bailliages, les comptes étaient disposés d'une
manière conforme, qui est ainsi formulée dans une instruction
de la chambre des comptes au bailli de Cottentin, sans date,
mais qui paraît avoir été rédigée sous Charles le Bel, et qui
est conforme aux documents financiers des règnes précédents.
" V RECEPTES.
« Toutes manières de dettes en un chapitre; — domaines
fieffés; — domaines non fiefTés; — seaus et escritures; —
gardes; — reléez (reliefs), treizièmes et choses gaignées
(épaves); — forfaitures; — amendes et exploits (reçus) par
le bailli et par les vicomtes; — amendes d'eschiquier; —
amendes de parlement; — ventes de bois; — exploiz d'iceuls;
— herberges d'iceuls ; — tiers et dangers des bois ; — com-
munes recettes de choses qui ne doivent estre mises entre les
tittres dessus nommés.
« 2" DÉ PENCE.
1) Fiefs et aumosnes, et rentes données à héritage; — rentes
deues à vie et à volenté; — gaiges de baillis, de vicomtes, de
' Bibl. imp., comptes des prévoies et des bailliages de France pour les
années 1299 et 1305.
^ Ord., t. I,p. 461.
3 u. Compot. terre Campanie a dominica antc Magdalcnam anno 1287,
usque ad octab. X'ativit. Domini sequentis. s Bibl. imp., Clair., t. IX, p. 131.
4 Comptes originaux de 1294 et de 1299. Arcb. imp., K. 501. — Bibl.
imp., roui, originaux.
15
226 LA FRWCl:; SOIS PHILIPPE LL BEL.
sergonts, advocals et autres officiers; dismcs dciies pour j)ré-
vôtés, pour bois, terres et rentes; — vivres des lioirs cstanz
en la garde du roi et douaires; — eiivrez, dons, quittances et
successions; — deniers haillés à commissaires et autres per-
sonnes qui seront tenus de compter ers et de montrer comment
ils sont deppendus (dépensés); terres achetées en payement de
debtes deues au roy ; deniers payés pour le roi actjuiller de
debtes; — despens communs, c'est à savoir plait d'Église,
messages envoyez, justice faite, pain de prisonniers, malfai-
teurs (juerre et pendre, et autres raesnuz dcspenz touz en-
semble '. «
Un compte des prévôtés et des bailliages de France, de
l'an 1209', et un autre de l'an 1305, deux comptes de l'apa-
nage d'Alphonse, de 1294 et de 1291), renferment tous les
éléments que je viens d'indiquer, mais groupés par chapitres.
— Les receltes se subdivisent en : 1" domaine, renfermant les
prix de ferme des prévôtés, des péages, moulins, baux de
terre, cens, sceaux et tahellonnagcs, foires; 2" rachats et echoî-
tes comprenant les recettes provenant des fiefs; 3° amendes et
exploits (chaque amende est énoncée au dos du rouleau);
4" recettes diverses et gages. Ces comptes, qji entrent dans les
plus petits détails, sont d'un haut intérêt pour l'histoire des
mœurs. Les chapitres consacrés aux amendes sont singulière-
ment instructifs.
La division des pouvoirs tendait dès lors à s'établir. Les
baillis, en raison de leurs nombreuses attributions, ne pou-
vaient donner une attention soutenue aux différentes branches
de l'administration. Depuis longtemps ils préposaient un clerc
ou secrétaire nommé et révoqué par eux , <à la gestion des
finances. Sous Philippe le Bel, on essaya de faire de ce clerc
un agent royal, surveillé il est vrai par le bailli, mais soustrait
à son arbitraire. L'établissement, dans chaque bailliage ou
sénéchaussée, d'un comptable, ne fut pas uniforme. Dans les
deux comptes des bailliages de France des années 1299 et 1305,
déjà cités, il n'est pas fiiit mention de receveurs, sauf à Paris'.
1 Hist. de France, t. XXI, p. .518.
- Siippl. latiu, 4743, 3.
•^ C'est donc à tort que Briisscl a prélcndii qu'en 1282 on avait établi un
. LIVRE XELVIEilE. — ADMIMSTRATIOX FIXAXCIERE. 227
Cependant on trouve dans certaines provinces, notamment
dans les sénéchaussées du Hlidi, des receveurs relevant direc-
tement des trésoriers royaux et de la Chambre des comptes
chargés d'effectuer les recettes '.
Le gouvernement hésita quelque temps avant d'enlever aux
baillis le maniement des fonds. Une ordonnance de 1306
chargea expressément ceux de Normandie de faire les recettes
de leur bailliage. En Champagne, il y avait des receveurs
généraux pour tout le comté : ils recevaient les deniers des
mains des baillis'. A Toulouse, outre le receveur, on trouve
un trésorier du roi chargé de centraliser les recettes du Midi ^.
Dans chaque bailliage, les baillis avaient sous leurs ordres des
receveurs subalternes : un compte de 1299 mentionne des
dépenses faites par les sous-baillis et les receveurs à Loches *.
On a accusé Philippe le Bel d'avoir donné les tailles à partie,
c'est-à-dire d'avoir affermé l'impôt. 11 l'a fait quelquefois pour
les revenus extraordinaires et même pour les recettes ordi-
naires à des compagnies de banquiers italiens , notamment aux
deux Florentins Biccio et Muschiato Guidi ; mais ce ne fut pas
d'après un système arrêté^. La science financière n'existait
receveur du domaine dans chaque bailliage. En 1285 , les baillis de Champaqnc
comptèrent directement. Brussel a reconnu lui-même que les comptes des
années 1292, 1296, 1298, avaient été rendus par les baillis seuls. Il a cru
pouvoir expliquer cette cniitradiction en constatant l'existence de receveurs.
Mais il n'en est pas moins vrai que vis-à-vis du roi le seul comptable fut le
bailli.
1 ï Compotus Geraldi Balcne , vallcti et rcceptoris denarioruni domini régis
in senescallia Petrafjoriceusis et Petragoricensis, a die festivitatis Xativitalis
beati Johannis Baptiste anno 1298. — Compotus Symonis Lovardi, valleti et
receptoris régis in senescallia Tholosanc et Albiensis, etc. » Arch. de l'Emp.,
comptes originaux, K. 501.
- Clairambaut, Mélanges, t. IX, p. 131.
■^ a De Gaufrido Gocatriz , reccptore Tholose. i Journal du trésor, p. 118
(1301). — En 1311, Xicolas d'Ermcnovillc, » thesaurarius régis Tholose ^,
faisait des payements pour le roi. Trésor des chartes, J. 421, n» 11; et
Reg. XLVlI,"n"45 (en 1312).
^ i Partes cxpensarum pcr quosdam subballivos et rcceptorcs ballivie apud
Lochas. 1) Bibl. imp., supplément français, n" 4743 lis. (Compte original
de 1299.)
5 En 1290, le roi ordonne au sénéchal de Carcassonnc de laisser Bichio
Guidi et Barthélémy Barbedor, » de societate Friscobaldorum et Francen-
15.
228 LA FRANCE SOLS PHILirPE LE BEL.
pas, les besoins de l'Etat étaient la seule règle qu'on connût :
avoir de l'argent le plus proniptement possible était le seul
problènio (ju'on s'attacliàt à résoudre. On trouve que des
décimes lurent affermés |)ar des traitants loml)ards, mais les
faits de ce genre ne se produisirent plus dans les dernières
années de son règne, au temps de la faveur d'Enguerran de
Alarigny, (jui croyait avoir reconnu le piéjudice que les fermes
portaient à la fois à l'Etat et aux particuliers : à l'Etat, en le
forçant d'acheter fort cher des avances de fonds , et aux parti-
culiers en leur faisant payer des surcroîts d'impôts qui ne profi-
taient qu'à des étrangers.
Les comptes donnent des renseignements précis sur la
manière dont les deniers étaient apportés au trésor : les baillis
expédiaient dans des caisses et dans des tonneaux placés sur
des charrettes, les espèces telles qu'ils les avaient reçues et
sans les changer, même quand il s'agissait de monnaies qui
n'avaient pas cours à Paris, tant on craignait qu'ils ne
fissent des profits sur le change. Ils ne devaient pas non plus
laisser s'accumuler en leur possession de fortes sommes; ils
transmettaient aux trois grandes époques financières les comptes
de leur recette et de leur dépense, en ayant soin d'indiquer les
sommes qu'ils avaient envoyées et celles dont ils restaient
encore débiteurs.
CHAPITRE DEUXIEME.
TRÉSOR ET TRÉSORIERS.
Il y avait deux trésors. — Trésor du Temple. — Trésor du Louvre. —
Trésoriers de France. — Journal du trésor. — Comptabilité des
trésoriers.
Mais c'étaient seulement les deniers formant l'excédant des
recettes sur les dépenses des bailliages qui étaient portés à
tium, D etc., faire la recette d'un décime. Jeudi après la Saint-Barnabe. BibL
imp., Doat, lôôl , p. 247. Ordre du roi aux exécuteurs de la dîme de 1289
d'enjoindre aux collecteurs de remcllrc tes deniers qu'ils recevraient, à Bichio
Guidi, <i valleto nostro et aliis mercatoribus de societate Scalarum n . Arch.
imp., J. 938. Février 1289 v. s.
LIVRK XELVIÈME. — ADAIIXISTRATIOX FIXAXCIÈRE. 229
Paris, au trésor. Le trésor était, sons Philippe Auguste, au
Temple, sous la garde des Templiers'. Du temps de saint
Louis c'était encore un Templier qui remplissait les fonctions
de trésorier". Sous ce prince, le Temple était aussi le lieu où
était une caisse de service destinée à alimenter les dépenses
de riiôtel du roi ^ . Le roi ordonnait les payements à faire à ce
trésor particulier par le trésorier général. Le trésor de l'État
paraît être resté au Temple sous Philippe le Hardi, qui ordonna
à tous les baillis d'envoyer leur reliquat au Temple à Paris,
au trésorier*. En 1287 la comtesse d'Alençon donna à l'abbé
de Cîteaux cent livres de rente à prendie au Temple sur la
recette du roi ^
Sous Philippe le Bel on trouve deux trésors. On a prétendu
qu'après Philippe Auguste, les deniers furent mis au palais
pour être plus à la proximité de la chambre des comptes;
qu'ils en furent ôtés vers l'an 1300, à cause des nouvelles
constructions qu'Enguerran de Marigny fit faire au palais et
transférés au Temple, où ils demeurèrent jusqu'à l'abolition
des Templiers ®.
Des documents inédits permettent d'affirmer qu'il y eut
simultanément deux trésors. Dans la transaction entre Louis le
Hutin et ses frères, relativement à la succession de Philippe
le Bel, il fut stipulé que le roi abandonnait tous les meubles
de son père, sauf l'ancien trésor, le nouveau, et les joyaux du
Louvre '' . En effet, l'un de ces trésors était au Temple et l'autre
au Louvre. Une ordonnance inédite du mois de janvier 1314-,
que je reproduirai en entier dans le cours de ce travail, en
fournira la preuve. La plus ancienne mention que j'aie trouvée
1 Ovd., t. I, p. 18.
- Brussp], Nouvel usage des Jiefs , p. 428.
^ Do U'ailly, Addition au mémoire sur les tablettes de cire. Bibl. de
l'Ecole des chartes, 3" série, t. I, p. 392. — Voyez aussi le mémoire prin-
cipal de W. de Wailly sur le même sujet. Mém. de l'Acad., t. XVIII,
2^ partie, p. 536 et suiv.
4 Ord., t. I, p. 290.
° Or. Trésor des chartes, J. 148, n"* 11 et 12; et série des Rois, carton
K. 34, n"35-2.
6 Fournirai, Trésoriers de France, p. 8.
" Or. Trésor des chartes , .1. 403, n" 20. En 1314.
230 LA FRAYCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
(lu trésor du Louvre est do l'année 12î)7, dans une donation
du roi à Robert comte de Boulogne, de mille livres de rente
sur son trésor au Louvre '. Les pensions accordées par le roi
en récompense de services rendus pendant la guerre, étaient
pareillement assignés sur le trésor du Louvre".
Au Louvre était le trésor de l'Etat, même avant L'JOO, et le
Temple était la caisse de la maison du roi. Ce qui le prouve,
c'est que les assignations faites sur le Temple à |)arlir de 1280
sont toutes en faveur d'officiers de l'hôteP. Le Temple conti-
nuait à payer les arrérages des rentes constituées précédem-
ment et déclarées payables au Temple *; on y versait même quel-
quefois le produit des impôts extraordinaires. Le 8 mars 1303,
le bailli de Bourges reçut l'ordre de faire porter au Temple
les sommes provenant des bénéfices ecclésiastiques vacants.
En juillet de la même année, pareil ordre fut envoyé aux
baillis relativement au produit du subside pour la guerre de
Elandre \ Alais en règle générale, dès l'an 1290, le Louvre
parait avoir été plus spécialement la caisse de l'Etat. C'était là
que les agents cbargés des missions diplomatiques à l'étranger
recevaient l'argent qui leur était accordé ** ; c'était aussi le
Louvre qui comblait les déficits des baillis, quand, chose rare,
mais qui se présenta pourtant, entre autres pour le bailliage
d'Orléans, en 1291), les dépenses avaient excédé les recettes '.
^ Or. Trésor des chartes, J. 1V9, n" 21. En 1303, Bcraud do Xarceuil
vendit au chapitre de Laon 200 livres de rente sur le trésor du Louvre (J. 149,
n" 132). — En 1302, le roi ordonna aux surintendants charjjés de surveiller
la levée d'un impôt extraordinaire d'envoyer au Louvre les sonnnes qu'ils
auraient perçues. [Ord., t. I, p. 350.)
- Don à G. Risuick, éclievin de Bruges, de 20 livres de rente en récom-
pense de ses services. J. 423, n° 17. — Idem, à P. Petit, de Gand.
K. 37, n° 12.
3 Arch. de l'Emp., K. 36, n" 17 (mai 1289).
'^ En 1291, Simon de Dargies vendit à Charles de Valois une rente de
50 livres sur le Temple. {Bill, de l'Ecole des chartes, 2« série, t. IV, p. 522.)
— Autre vente d'une rente sur le Temple en 1297. J. 149, n" 22. — .Autre
en 1296. J. 149, n» 2.
5 Ord., t. I, p. 412.
6 Bibl. imp., suppl. français, n"^ 4743 Z»/.?, fol. 11. » Compotus Johannis de
ilontigniaco de via ad ducem Burgundie , recepta de Lupera , l\ libr. " (1299.)
" Bibl. imp., suppl. français, n° 4742 bis, fol. 11. — Cependant eu 1305
LIVRE XELVIÈAIE. — AD.MI.VISTRATIOX FIXAXCIERE. 231
Dans un document de l'an 1301 , il est fait mention des tré-
soriers du Louvre, des dépenses laites par eux en lettres et
messagers pour se procurer des deniers, en coffres, bancs, ver-
rous, clefs, balances, bure pour recouvrir des comptoirs, sacs,
cordes, encre et papier qui leur étaient nécessaires au Louvre '.
Il y avait plusieurs trésoriers du roi, en 1291); c'étaient
l'abbé de Jouy, maître Pierre la Rêve et Guillaume de Hangest ^.
De temps à autre, mais à des époques qui ne paraissent avoir
rien eu de fixe, ils rendaient leurs comptes au roi. Sous leurs
ordres étaient des changeurs ^
La comptabilité de ces temps anciens reçoit des éclaircisse-
ments d'un journal inédit du trésor, dont l'original est con-
servé à la Bibliothèque impériale et qui va de Tannée 1298 à
l'an 1307, sauf des lacunes *. L'attribution de ce registre aux
trésoriers du roi est mise hors de doute par une note qui se
trouve au folio 126, où il est fait mention d'une somme due
à nous trésoriers ^ : l'examen des opérations financières rap-
portées dans ce volume suffirait d'ailleurs pour prouver que
le déficit (lu même bailliage fut comblé par le Temple, c De Templo, pro
expensis ballivie perficicndis 142 lib. - (Compte de 1305. Baluze.) Dans le
même compte il est fait mention du trésor du Louvre.
1 a. Thesaurarii Lupare , pro litteris et nunciis missis ad procurandum dena-
rios et ad quedam alla négocia régis expedienda... pro archis, scamnis, cla-
vibus, seris, lignis et carbone, stateris, burellis ad cooperiendum compiitatoria
et pro eis cooperiendis, pro saccis, cordis, papiro , incausto et aliis niinutis
necessariis in Lupara. s Journal du trésor, 2 juin 1302, fol. IIG r°.
2 tt Abbas Joyaci, magistcr Petrus la Revc et Guillclmus de Hangest, tbe-
saurarii, pro expensis eundo apud Foliatam, morando pro compotis rcddendis
per iiii dies. s Journal du trésor, fol. 90 r°, 24 septembre 1299.
•' Compte des dépenses de l'échiquier 1301. « Campsores thesauri insimul,
vu lib. X s. 5 Journal du trésor, 112 v°.
■i Bibl. imp., Suppl. français, 4743 hîs.
■' » Executores predicti magistri Johannis de Capriaco debent nobis tbesau-
rariis xlvii lib. " Après le dernier décembre 1301, fol. 126. C'est un registre
in-4'' en vélin, à deux colonnes, d'une écriture soignée. Il est revêtu d'une
reliure moderne. Il porte au dos le titre suivant, qui est peu significatif :
Il Anciens manuscrits chronologicjucs et généalogiques, -n Je crois qu'il a
appartenu à Clairambaull. Je ne l'ai trouvé cité nulle part : cependant Lriiain
de Tillcmont et Dncange l'ont connu; ce dernier donne (peuf-êfro d'après
Lenain) des détails qui en sont tirés sur les fêtes qui signalèrent la canonisa-
tion de saint Louis. [Xotes sur l'Histoire de Joincille.)
232 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
c'est un journal du trésor, le plus ancien document de ce genre
que nous connaissions. Il est rédigé en langue latine.
A chaque jour est consacré un article qui se divise en deux
sections: dans la première sont inscrits les payements, dans la
seconde les recettes. Les noms des personnes qui touchaient
sont au nominatif; on sous-entendait le mot » recepit » . Quand
on faisait toucher par un tiers dûment autorisé, le clerc du
trésor indiquait le nom de ce tiers et le nom de la personne
dont il était mandataire.
Do même pour les versements faits au trésor : ces verse-
ments étaient indiqués par la préposition de, suivie du nom de
l'agent qui opérait le versement. On établissait ensuite la dif-
férence entre les payements et les recettes, et cette différence
était évaluée en monnaie parisis.
A ces mentions, on en trouve jointes plusieurs autres desti-
nées à conserver le souvenir d'oj)érations financières qui
demandent à êtr(^ expliquées. J'ai dit précédemment que les
haillis envoyaient au trésor seulement l'excédant des recettes
sur les dépenses du bailliage ; il en résultait que les sommes
versées au trésor étaient entièrement applicables aux besoins
généraux de l'État et à l'entretien de l'hôtel du roi. Mais il
arrivait souvent que le gouvernement avait besoin d'argent
dans un lieu éloigné de Paris; venir chercher au trésor les
sommes nécessaires aurait entraîné des retards dangereux,
surtout quand il s'agissait de subvenir aux dépenses ds l'ar-
mée. Alors le roi, ou le surintendant des finances, ou bien les
trésoriers, délivraient un mandat sur un bailli ou sur un rece-
veur '. Lorsque le comptable qui avait acquitté un de ces man-
dats venait rendre ses comptes à Paris, on déduisait des sommes
dont il était redevable celles qu'il avait ainsi payées; mais les
choses ne se passaient pas aussi simplement qu'on pourrait le
croire, ou du moins les termes qui constatent cette opération
dans le journal du trésor sont fort obscurs.
Prenons un exemple :
it Cepiinus super regem, pro denariis tradilis pcr ballivum
Aurelianensem Philippe, filio régis Majoricarum, pro debitis
^ Lundi 18 dccombre 1299. Journal (lu trésor, l'oL 2.
•LIVRE iVELVIÈJIE. — ADMIXISTRATIOX FINAXCIÈRE. 233
suis solvendis, cccc libras Parisiensium, et Jacobo Lazari , civi
Parisiens! , pro vinis ad opiis Hospicii Régis emendis cccc
libras Parisiensium. Et reikUdimus totum eideni ballivo in
corapoto suo. »
Voici comment ce passage et d'autres analogues peuvent
s'expliquer, à ce que je crois. Le bailli d'Orléans avait remis
quatre cents livres à l'infant de Majorque pour payer ses
dettes, et quatre cents livres à Jacques Lazare, bourgeois de
Paris, pour aclieter du vin destiné à l'bôtel du roi. Quand il
vient rendre ses comptes, il a un déficit de huit cents livres,
mais il présente des mandats qu'il a acquittés et qui se montent
à pareille somme. Les trésoriers lui rendent ces huit cents
livres, qui lui permettent de verser intégralement le produit
de sa recette, tel qu'il est constaté par son compte. C'est ce
que signifient ces mots : a Reddidimus totum eidem ballivo in
compoto suo. n Mais ce n'est pas tout; on a rendu au bailli les
sommes qu'il avait avancées^ mais il n'eu est pas moins vrai
que ces huit cents livres ont été dépensées. Par qui? au profit
de qui? Au nom du roi. C'est donc avec l'argent du roi que
!a restitution s'opérera, sur les fonds qui constituent le revenu
de l'Etat; c'est ce qu'indique cette formule : « Cepimus super
;egem cccc libr. d Alais on pense bien que ces restitutions
n'avaient pas lieu en espèces, et qu'on ne prenait pas dans
les coffres du roi huit cents livres pour les donner au bailli
d'Orléans, afin que celui-ci les rendît immédiatement.
Quoique la comptabilité fût dans l'enfance, ce procédé était
par trop primitif pour avoir été encore en vigueur sous Phi-
lippe le Bel; cependant il pouvait avoir été usité à une époque
plus éloignée. 11 est probable qu'on opérait par voie de com-
pensation. Le trésor doit huit cents livres au bailli, le bailli
huit cents livres au trésor, chacun devient quitte envers l'autre.
Une ordonnance de Philippe le Long sur le trésor, du
3 janvier (n. s.), renferme un article ainsi conçu : " Nul tour
de compte ne se fera par lettre ne par cédule, fors par la
cédule des gens de nos comptes « . Ces tours de compte répon-
dent à ce que nous appelons des virements; ils consistent dans
le transport d'une dette active à celui à qui on doit une
pareille somme. Ils étaient aussi en usage sous Philippe le Bel,
2.3V LA KRUCE SOLS PHILllTE LK DEL.
ot ilcvaiciit (Mrc autorisés par une côdule de la chambre des
comptes. Pliisiouis passages du journal du trésor en fournissent
la preuve ' . n
Le lecteur me pardonnera sans doute d'être entré dans ces
détails techniques et arides, qui nous initient à la comptabilité
en usage au commencement du quatorzième siècle, et nous
l'ont assister aux débuts de cette science de manier les deniers
publics, qui a fait de nos jours de si grands progrès. Ces com-
mencements sont humbles, mais ils ne sont pas méprisables.
En ne transmettant au trésor que l'excédant des recettes sur
les dépenses de chaque bailliage, on assurait la rétribution
des différents services. En outre, l'emploi de l'argent était
soumis à un contrôle actif et intelligent de la part de la chambre
des comptes, dont l'autorité souveraine contenait dans le devoir
les agents du fisc, vérifiait tout et maintenait un ordre sévère
dans les différentes branches de l'administration des finances.
CHAPITRE TROISIEME.
CHAMBRE DES COMPTES. ÉCHIQUIER.
Orijjine de la chambre des comptes de Paris. — cliainbre des Comptes de
Xîmes. — La chambre des comptes de France séparée entièrement du
parlement. — Ordonnances à ce sujet. — Fondions administratives de la
chambre. — Son conflit avec les trésoriers. — Sa juridiction. — Echiquier
de X'ormandie.
Toute la comptabilité de l'Etat, celle des baillis, des tré-
soriers, des receveurs d'impôts extraordinaires, était soumise
' il Cepimns super regem per cedulam camere , pro vicedomino Cathalau-
nensi milite, pro rcsiduo vadiorum suorum in excrcitu Flandrie, 170 lib.
Tuf. quas idem miles dcbebat Sonnio, judeo de Castro Thierrici, et reddidi-
mos régi de emenda ejusdem Sonnii. » Ce qui s'explique ainsi : le vidame
de Chàlon avait sur le Trésor une créance de 170 livres tournois, pour ses
{•âges pendant la guerre de Flandre : il devait une pareille somme à un juif
(le Château-Thierry; ce juif lui-même était débiteur du roi. Une cédule de la
ciianibre ordonna un loin' de compte , au moyen (hupiel le vidame ne toucha
pas 170 livres, mais fut libéré de sa dette envers le juif, sauf à établir un
nouveau tour de compte.
LIVRE XELVIÈMi:. — ADAIIMSTRATIOX FIX.AXCIÈBE. 235
à la surveillance et à la vérification d'un corps spécial, delà
chand)re des comptes.
C'est à Philippe le Long qup l'on doit le plus ancien règle-
ment pour celte grande institution, mais elle était établie et
organisée dès le règne précédent. Au treizième siècle elle n'était
point distincte du conseil du roi, qui, lorsqu'il se réunissait aux
principales fêtes de l'année pour rendre la justice, s'occupait
aussi des finances et de la conservation du domaine royal. Dès
saint Louis les questions de finances ne furent pas portées
devant tous les membres de la cour du roi, mais seulement
devant un certain nombre d'entre eux qui étaient, selon
l'expression en usage, députés aux comptes, sans cesser de
faire partie de la cour du roi qui retenait en principe la con-
naissance des causes fiscales et domaniales '.
Le plus ancien document où apparaisse le mot de chambre
des comptes est un mandement du 20 avril 1309, adressé au
bailli de Rouen*. Cependant on la vit désignée dès 1299, sous
le nom de chambre aux deniers ', dans un texte où il ne
peut être question de la caisse particulière de l'hôtel du roi,
qui s'appelait aussi chambre aux deniers, car dans le docu-
ment qui renferme cette mention, il s'agit d'une enquête
expédiée par la chambre aux deniers, c'est-à-dire d'une pro-
cédure qui rentrait dans les attributions de la chambre des
comptes et qui ne saurait s'appliquer à la chambre aux deniers
de la maison du roi, laquelle n'avait aucune espèce de juiidic-
tion. Dans ce passage, chambre aux deniers est évidemment
synonyme de chambre des comptes. La même dénomination se
trouve dans plusieurs autres documents contemporains, entre
autres dans un jugement de l'an 1303 \
Je dois signaler un fait bizarre, c'est qu'il y avait une cham-
bre des comptes à \îmes dès 1295 \ C'était sans doute une
1 Olim, t. I, p. 347. Conf. Olim, t. II, préface, p. xvi.
^ Ord., t I, p. 461.
•' i Inqucsia super destriictione moleiiclinoruni pcr cameram dciiarioriim
expedita. i> Olim. t. III, p. 13 (1299).
4 Olim, t. III, p. 119.
^ On en trouve la preuve dans une pièce imprimée dans ï Histoire de
Nîmes de Mcsnard, que j'ai collationnée. Elle est transcrite dans un registre
236 LA FRAXCE SOI S PHILIPPE LE BEL.
trésorerie royale qu'on avait êlahlie dans cette ville, où il y avait
un grand mouvement commercial par suilo de la présence des
nombreux marchands italiens (jiii y résidaient.
Sous Philippe le Bel la chambre des comptes de Paris fut
transférée du Temple où elle siégeait jadis, au palais de la Cité.
Pendant longtemps la chambre, quoique sédentaire de fait,
était exposée à des dépiaceracnts pour se rendre auprès du roi.
D'anciens comptes de la fin du treizième siècle fixent même le
nombre des chevaux qu'on leur fournissait. Chaque maître avait
à sa disposition trois chevaux et chaque petit clerc un cheval,
et pour chaque cheval une couverture de lin pendant l'été, de
laine pendant l'hiver, et une bride, le tout pris dans les écuries
royales '. En 1308 la chambre se transporta à Vincennes auprès
du roi.
On a peu de renseignements sur sa composition avant Philippe
le Long. On voit pourtant trois classes de fonctionnaires, les
seigneurs, les maîtres et les clercs.
Une ordonnance sans date, mais qui est certainement du
temps de Philippe le Bel, puisqu'il y est question du Temple,
apprend que certains grands seigneurs assistaient à l'audition
des comptes, et une fois les comptes ouïs allaient au parlement
ou bien là où leur service les appelait*.
Les attributions du conseil, du parlement et de la chambre
des comptes, n'étaient pas encore bien définies, puisqu'on voit
les mêmes personnages siéger au parlement et à la chambre
des comptes.
Une autre ordonnance aussi sans date, mais antérieure à 1300,
édicté des mesures pour remédier au désordre que ces grands
seigneurs apportaient dans les fonctions des gens des comptes.
original dans lequel le sénéchal de Bcaiicairc fit inscrire de l'an 1294 à 1299,
à mesure qu'il les reccrait , les actes émanés de l'autorité royale qui lui
étaient envoyés directement ou présentés par ceux qui les avaient obtenus.
Bibl. imp., n» 10312.
1 li Quiiibef magistcr habct rcstaurum trium cquorum... et quilibet parvus
clericus, habet rcstaurum unius oqui , et insculiferia récipient coopcrturas
dictoruni equoruni lineas pro estalc et lanças pro hicme, una cum singulis
capistris. t- Rcg. 7, fol. 126, cité dans Mémoire pour la chambre des
comptes. Paris, 1780, in-4", p. 232.
- Mémoire pour la Chambre des Comptes , p . 243.
. LIVRE AELVIEAIE. — ADJilXISTP.ATIOX FI\AACII':RE. 237
tt Se nos grands seigneurs, « dit le roi, <; oti les trésoriers vou-
loient conseiller ou parler sur une autre besoingne, fust sur
le fait du trésor ou autrement, que il allassent en une autre
chambre pour ce que par ce ceulx d( s comptes ne fussent point
empeschés. ;> On discutait, et les discussions prenaient tout le
temps et empêchaient d'expédier les baillis et les sénéchaux,
qui étaient obligés de faire à Paris des séjours prolongés au
grand détriment de l'administration. «On porroit, » ajoute le
roi, u délivrer un sénéchal ou un bailli en un jour ou deux,
qui demeurent pour ce bien l'espace de huit jours. »
L'abus amena le remède; une ordonnance fort peu connue
du 25 octobre 1300 défendit aux membres du conseil ou du
parlement de siéger à la chambre des comptes, et prit le
meilleur moyeu de les en empêcher en leur fermant les portes ' .
a A nos amez et feaiilx les gens de nos comptes à Paris.
•) Comme nous ayons entendu que pour ce que moult de fois,
aucuns prélats, barons et autres de nostre conseil viennent en
la dite chambre pour parler et besoingner à vous d'autrui
choses que celles à quoi vous avez à entendre, vous estes sou-
vent empeschiez, et laissiez à entendre à faire nos besoignes,
et venant contre nostre ordenance devant dite, de quoi vostre
conscience peust estre blasmée, et nous y avons grant dom-
maige; nous, à qui celle chose déplait, et qui voulons que
nostre dite ordonnance soit gardée sans corrompre, vous man-
dons et sur les serments que vous estes tenuz à nous vous com-
mandons que puis que vous serez en la dite chambre vous sans
partir d'illec jusqu'à heure de midi, entendez diligemment et
continuellement en nos besoignes, que vous aurez en mains,
et commandez et enjoignez sur grand peine à ceux qui sont
ordonnez à garder les huis de la dite chambre, que puis que
vous y serez entrés pour besoigner, ils n'ouvriront les dits huis
à nulle personne quelle qu'elle soit, ne n'entreront devers vous
1 Mémoire pour la chambre des comptes, p. 244. ï riOmmaiulcz et
enjoignez sur grand peine à ceux qui sont ordonnez à garder les luiis de
ladite clianibrc, que, puis que vous y serez entrés pour besoigner, il n'ou-
vreront lesdits huis à nulle personne quelle qu'elle soit, d
238 LA FRAXCF: SOIS PHILIPPE LE BEL.
que pour vous dire ceux (pii seront là venus au cas où ils
seroienl venus pour cause de besoigne que vous auriez entre
mains, ou que vous les eussiez mandé querre. »
Après eetlc ordonnance le nombre des seigneurs fut réduit
à deux, un évêque et un baron, appelés majores computorum
ou souverains, désignés par le roi et faisant les fondions de
présidents, car ce ne fut que plus tard que la présidence de la
chambre appartint au boutciller de France. Au-dessous d'eux
étaient les maîtres, trois laïques et trois ecclésiastiques, ayant
sous leurs ordres des clercs qui les aidaient. Il n'y avait encore
ni auditeurs ni correcteurs en titre d'office'. Des écrivains
rédigeaient les comptes généraux par province dont j'ai souvent
parlé '.
Les attributions de la chambre étaient administratives et
judiciaires.
Elle examinait tous les comptes du royaume, vérifiait s'ils
étaient exacts et les jugeait, c'est-à-dire qu'elle les déclarait
bons et recevablcs ou prononçait qu'ils péchaient par telle ou
telle raison, et ordonnait aux comptables ainsi pris en défaut de
payer les sommes qu'ils avaient négligé de verser. Les fréquents
impôts qui furent levés sous Philippe le Bel donnèrent nais-
sance à des comptes si nombreux , que la chambre ne put suffire
à les examiner. Une grande partie n'était pas encore corrigée
du temps de Philippe le Long, qui augmenta le personnel et
ordonna d'examiner promptement l'arriéré ^ . Les agents royaux
prêtaient serment devant la chambre. Elle était consultée pour
la rédaction des ordonnances en matière de finances, et les
publiait en présence des baillis réunis à cet effet*. Elle adres-
sait elle-même des instructions aux comptables^. Elle veillait
aussi au maintien des ordonnances rendues sur le fait des
monnaies, car la cour des monnaies n'était pas encore créée,
1 Ordonnancp de 1319. Ord., t. I, p. 70V.
■- (i Parisctus clcricns compotonini pro ladiis xxiii lib. cl pro jure scrip-
toniin l'Vancic , xiii lit), x .s. ?' (1298.) Journal du trésor, loi. 78.
3 Ordonnance de 1319 (v. s.). Ord., t. I, p. 703.
'* Ord., f. 1, p. 400. Ordonnance du 29 avril 1309 sur les comptes des
baillis de Xormandie.
^ Mandement du dimanche avant la Chandeleur 1311. Ord., t. I, p. 482,
noie B.
. LIVRE XElVIÈilE. — ADAIIMSTRATIOX FIXAXCIÈRE. 239
et rappelait les baillis à l'exécution de ces ordonnances, ainsi
que le prouve un mandement de la chambre adressé au bailli
d'Amiens en 1311 '. Les baux de domaine à ferme perpétuelle
ou en emphytéose faits par les baillis, étaient soumis <à son
examen et ne devenaient définitifs qu'après avoir été confirmés
par elle. Ces confirmations se donnaient sous la forme de lettres
intitulées au nom du roi, mais qui diffèrent des actes dus à
l'initiative personnelle du roi par la formule j)cr camcram
computorum qui se trouve au bas de ces actes'. La cour se
servait du sceau ordinaire du roi , et en l'absence de celui-ci du
sceau du Cbàtelet. Un mandement de l'an 1312, émané des
tt gens des comptes nostre seigneur le roy demourant à Paris
pour les besoignes du dit seigneur n , se termine ainsi : « Donné
sous le seel de la prévosté de Paris, auquel nous voulons que
vous ajoutiez foi ^ . "
Il s'éleva en 1308 un conflit d'attributions entre la chambre
des comptes et les trésoriers. Ces derniers s'étaient fait adres-
ser par le roi un mandement en date du 2 du même mois, qui
leur reconnaissait le droit de présider à la rentrée des revenus
royaux et de surveiller les agents chargés de les percevoir, et
leur enjoignait d'informer promptement contre plusieurs baillis
et autres comptables; d'examiner leurs comptes avec les
maîtres des comptes, ou même tout seuls, en cas d'empêche-
ment de ces derniers; de destituer ceux qu'ils trouveraient
coupables ou incapables, et de lui en proposer d'autres*. Les
1 Mandement du dimanche avant la Chandeleur 1311. Ord., t. I, p. 482,
note B.
~ Voyez des confirmations de ce fjenre d'un bail perpétuel des moulins de
Rueil (VaudreuU) en 1310. Bibl. imp., Reg. de Philippe le Bel, fonds
fr. 9607-*, fol. 47. — Autre de terrains situés près des murs à Orbec. Trésor
des chartes, Reg. XL VII, fol. 67. Mars 1310-1311. — Autre en mars
1310-1311, de la ferme perpétuelle de moulins, avec cette formule: t per
cameram computorum n . Colbcrt, 9607-\ fol. 46. — Autres, Reg. XLV III, LXI
et LXII, en 1311.
•5 Le dimanche devant la (Ihnndeleur 1311. Ord., t. I, p. 482.
'^ K Dilectis thesaurariis. . . (piia ad vos spectat scire et viderc cjualiter rcd-
ditus nostri et alia ad nos qualitercumcpie venire debentia per dcpntafos ad
hoc levata et cxplectata fuerunt.... nmndamus vobis quatinus vos super pre-
dictis cum diligentia informetis et compofos videatis ipsorum una cum ma-
gistris compotorum nostrorum Par. , v cl sive ipsis si ad hoc vacarc nequivcrint.
240 LA FRANCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
baillis reçurent l'ordre de se rendre immédiatement à Paris
pour répondre de leur gestion devant les trésoriers , sans
l'ordre desquels il leur est défendu, sous les peines les plus
sévères, de quitter la capitale.
Ce mandement était le renversement des principes admis
jusqu'alors. Les trésoriers n'avaient d'autre mission que d'ef-
fectuer les recettes et les payements. Le contrôle appartenait à
la cliambre des comptes. Il paraît que celle-ci réclama, car
quelques jours après, le 20 octobre, un autre mandement
ordonna aux baillis de venir, à la Toussaint, rendre leurs comptes
à Vincennes, aux principaux de la chambre des comptes'.
La question de savoir si la chambre avait une juridiction à
l'époque qui nous occupe, et quelles en étaient les limites, est
assez controversée. Elle ne paraît pas toutefois avoir connu des
malversations commises par les comptables ; on voit au contraire
le parlement punir un certain nombre de fonctionnaires prévari-
cateurs ; mais il ne faut pas oublier que la chambre des comptes,
quoique indépendante du parlement, avait encore de nombreux
rapports avec la cour judiciaire du roi. En 1316, elle jugeait
des affaires instruites par la chambre des enquêtes du parle-
ment. En 1311), les gens des comptes travaillaient aux enquêtes
et aux requêtes du parlement chaque jeudi, mais ils ne pre-
naient part qu'aux affaires où il était question de comptabilité.
Ce ne fut que sous Philippe de Valois que les deux cours furent
complètement séparées, et que les membres de l'une ne furent
plus admis à siéger dans l'autre. Elle était souvent appelée à
décider des questions de droit très-importantes '. Après 1300,
elle perdit presque toute juridiction; le roi la chargeait quel-
quefois de procéder à des enquêtes, mais les arrêts ne pou-
vaient être rendus par la chambre qu'en se joignant au parle-
ment*. A la fin du règne de Philippe le Bel, la chambre des
et quos négligentes et remisses fuisse repcrietis vel inhabiles ad officia sua
exercenda amoreatis. » Trésor des chartes, Reg. XLI, n" 15.
1 « In festo 0. Sanctorum apud V^icenas, coram gentibus efiam de majo-
ribus conipotorum nostroruni. .. pcrsoiialiter iutcrsitis paratus de rcccptis
(juibuscumquc tue bailliiic rcddere icgltiiuam rationcm. " Ibid., u" 25.
^ Olim, t. I, p. 39G et 397.
•i Olim. t. III, p. 219. — Voyez un arrêt original de l'an 1313. J. 1028.
LIVRE XEUVIÈME. — ADAIIXISTRATIOX FIXAXCIÈRE. 241
comptes avait donc une existence propre ; elle possédait des
archives que le parlement faisait consulter pour s'éclairer'.
Son action s'étendait dans toute la France; cependant les
comptes des baillis de Normandie, avant de lui être remis,
étaient présentés et vérifiés par une section de l'échiquier^.
D'après une ordonnance de 13(J6, les baillis devaient se
rendre deux fois par an à l'échiquier, à l'octave de Pâques et
de la Saint-Michel, ou au jour marqué par le roi ou par la
cour^ Celui qui manquait sans excuse valable payait dix livres
d'amende pour chaque jour de relard, afin d'indemniser le
roi du séjour prolongé que les membres de l'échiquier feraient
par sa faute. Un trésorier, accompagné de changeurs, allait
aussi à l'échiquier recevoir les deniers du bailliage. Les
comptes, après avoir été examinés par l'échiquier, étaient
portés à Paris à la chambre des comptes, qui s'en servait pour
établir le budget général des recettes du royaume*.
1 Olhn, 1. II, p. 615. Toussaint 1314.
- (1 De dcbitis et redditibus ballivie Rothoni. receptis apud Rofhom. in
scacario S. ]\Iicb. 1299. j Journal du trésor, 11 octobre 1299.
3 Celte ordonnance est datée de 1310 dans le Recueil du Louvre (t. I,
p. 461); mais sa véritable date est 1306. Cartul. 170, fol. 107. Elle fut
rendue le dimanche 23 avril après Pâques, à l'échiquier de Rouen.
'* Tabula Rob. Mignon, Bouquet, p. 521. — Les dépenses totales de
l'échiquier de Pâques de l'an 1301 , comprenant les gages des commissaires ,
du trésorier et de sa suite et autres fi-ais, s'élèvent à 638 livres 25 sous
tournois. Journal du trésor, fol. 112.
16
IJVRE DIXIEME.
RKCETTKS KT DÉPENSES.
CHAPITRE PREMIER.
RECETTES ORDIMAIRES.
Domainps. — Prévôtés. — Kilos étaiput affprniérs aux enchères. — Inconvé-
nients de ce système. — Droits féodaux. — Droit de <]ardc des mineurs.
— -Amendes. — Leur taux énorme sous Pliilippe le Bel. — Forêts. —
Droits d'usage. — Garennes. — Pèche et chasse. — Receltes diverses.
— Amortissements. — Droits de franc-fief. — Droit d'auhainc et de
bâtardise. — Trésors.
Je vais énumêrer brièvoment les recettes ordinaiies, en
suivant l'ordre dans lequel elles sont inscrites dans les comptes
dos baillis do France : domaine, fiefs, amendes, bois, recettes
diverses. J'omets un paragraphe intitulé dettes, qui renfermait
uniqnement l'indication des sommes dues par arriéré, et qui
par conséquent ne s'appliquait pas à une source spéciale de
revenus. Je n'insisterai que sur les recettes dont le mode de
perception reçut des modifications sous Pliilippe le Bel.
Le domaine comprenait les prévôtés, les domaines propre-
ment dits ou biens fonciers, les cens c\ rentes. On appelait
quebjuefois les prévôtés domaine muable, parce que le prix
des baux était susceptible d'accroissetuent ou de diminution.
On ne comprenait dans les prévôtés ni les rentes, ni les rede-
vances seigneuriales en nature, telles que froment, seigle,
chapons, objets qui formaient un revenu certain.
En 1311, Philippe défendit expressément de comprendre les
rentes dans les fermes des prévôtés, car à certaines prévôtés
étaient annexés des revenus fixes considérables, et il eu résul-
tait que le prix de ferme était très-élevé, et que de riches
capitalistes pouvaient seuls se porter coiume adjudicataires, à
cause des fortes sommes qu'ils étaient obligés de fournir en
LIlIiK DIXJIJMI-:. — RECETTES ET DÉPEXSES. 243
caution (li> Icar f^estion. Ils affermaient les prévôtés à des con-
ditions mauraises pour le trésor ; eux-mêmes sous-lonaient à des
tiers l'exploitation d'une partie des revenus, et faisaient de
jjros bénéfices. Eu divisant les domaines par lots de valeur
pen élevée, on permettait à des partifulici s de fortuiie mé-
diocre de devenir fermiers du roi. Tous les baux df domaines
«levaient être faits aux enchères publiques '; c'était là une
condition de rijfueur.
Certaines prévôtés étaient affermées à perpétuité par des
villes, qui se délivraient ainsi (\u voisinage importun d'un a^jent
royal, et acquéraient une juridiction et l'exercice de la police.
En 1292, la commune d'Amiens afferma la prévôté d'Amiens^;
l'acte qui constate cette transaction donne une notion exacte
et complète des droits attachés à la prévôté. Elle se composait
des revenus qui avaient fait partie du doiTiaine des anciens
comtes d'Amiens, c'est-à-dire du quart du droit de quayage et
de travers par eau ft ji-tr terre, du quart du loiilifu du blé,
du fer, des toiles et des draps, des cuirs, des bestiaux et du
sel, etc.; d'une part dans les droits d'étalage, de péage sur le
grand pont; des cens assis sur les étaux des bouchers; des
maisons et des frocs ^tfrres vagues) du roi; de plusieurs fiefs;
du quart de certaines amendes; de la moitié de certaines
autres; de la totalité des amendes de la prévôté. M. A. Thierry
a cru que ces fermes de prévôtés par des villes avaient été
conçues par saint Louis et réalisées seulement par Philippe le
Bel'; elles étaient fréquentes dès le règne de Philippe-Auguste*.
Le prix de ferme de la prévôté d'Amiens, qui était de six cent
quatre-vingt-dix livres tournois, était versé en trois termes au
trésor royal.
Les domaines qui n'étaient pas compris dans les prévôtés se
divisaient en fieffés et non fieffés. Par domaines fieffés , on
n'entendait pas les fiefs nobles, mais les domaines tels que
1 Mandement an bailli (TOrléans, 1311. Bru.s.scl, t. I, p. V27. Mé/noriai A,
p. 14.
- Bouthors, Coût. toc. du hai.ll. d'Amiens, t. I, p. .54.
^ Documents inédits pour l histoire du tiers état, Amiens, t. I, p. 291.
'' Bail de la prévôté de (>hauniont au maire et à la commune, moyennant
une rente de 300 livres. 1205. Dclisic, Calai., p. 210, rf 93>^. — .Mantes,
en 1201 . Ibid., n" 680, etc.
IfJ.
244 LA l-H.AXCE SOI S PHILIPrK LM BKL.
moulins, péages, elc, concédés ;i fief cl ferme perpétuelle,
moyennant une rente annuelle. Les baux de ce genre , qui
étaient Irès-préjudiciahles à la couronne, furent très-fréquents
sous IMiilippe le Bel. Les biens ainsi engagés étaient suscep-
tibles d'acquérir, avec le temps, une plus grande valeur, et la
rente restant fixe, le roi ne pouvait accroître ses revenus. Ces
domaines devaient être affermés , comme les prévôtés , par les
baillis, aux enchères publiques, à oyes de paroisses , ordinai-
rement à l'issue de la grand'messe; mais ces formalités deve-
naient illusoires. Les domaines étaient fieffés à des favoris du
roi. Je citerai la ferme des moulins de Corbeil, faite à Geoffroi
Cocatrix , membre de cette puissante famille plébéienne qui
prit sons Philippe le Bel une grande part à toutes les opérations
financières.
En l.'UO, le roi donna à Raoul de Presles une prévôté prés
de Wailli-sur-Aisne, consistant « en maisons, en terres, en
yaues, en prez , en hommes et en femmes de cors, en cens et
rentes, et justice, sans rien retenir, excepté la haute justice, à
tenir perpétuement pour le pris de 900 livres de petits tour-
nois de rente annuel, asseis chacun an, c'est à savoir 300 à
l'Ascension, 300 à la Toussaint et 300 à la Chandeleur ' v . Les
adjudications ne devenaient définitives qu'après plusieurs
enchères successives. Philippe le Bel, pour se procurer des
ressources, aliéna les murs et les fossés des villes*. Le bailli
de Rouen donna par adjudication à fief, à nommé Guillaume le
Prudhomme, une portion des murs de la ville d'Orbec ; il fit
savoir pendant trois dimanches consécutifs, à l'oyée de la
paroisse, par le sergent du Roi à Orbec , « se aucun i fust qui
plus de deux sols tournois de rente vouxoit donner des devant
dits fossé et mur, et qu'il vensist avant, il i scroit reçu, et les
subastations faites, si comme accoustumé est, se aucun ne setrest
en avant, que le dit marchié vausit enchière ^ i' Ce passage fait
connaître ce qui est confirmé par plusieurs autres textes, que
les surenchères n'étaient pas reçues au-dessous d'un taux fixé
' Trésor des chartes, Rog. XLVII , n° 21. Décembre 1310.
■i Issondiin, Heg. XIA 1 , n" 39-2.
•^ Trésor des chartes, Rog. XI.VII, n" 67. — Voyez un autre bail à ferme
perpétuelle d'une place pour construire des moulins, en 1303. Reg.XXX\lI,n°4.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DEPEXSES. 245
d'avance. Il arrivait quelquefois qu'un adjudicataire, qui était
en possession depuis quelque temps, était évincé par un suren-
chérisseur oITrant des conditions avantageuses. Richard Cors
d'omme avait affermé 48 livres les revenus du roi au ^lesnil.
Un écuyer, Geoffroi d'Argens, offrit 20 livres de plus. Le hailli
retira la ferme au premier adjudicataire, qui se plaignit au roi,
objectant qu'il avait fait des dépenses et des améliorations. Un
arrêt de la cour l;i lui laissa, à condition de payer le prix offert
par son compétiteur '.
Les domaines non fieffés étaient toujours affermés, jamais
donnés en régie. Les fermiers ne pouvaient exiger aucune
indemnité ou remise sur le prix du loyer par suite des désastres
causés par la guerre, ti ne pour deffense qui soit faite du roi
pour cause de guerre, ne pour autre deffense , établissement,
ordenance ou ban, pour le profit du royaume ou de la baillie '.
On comprenait aussi dans le domaine les sceaux, les tabel-
lionnages et les greffes ^ .
Le produit des droits féodaux était excessivement variable ,
attendu qu'ils ne s'ouvraient guère que par la mort des vas-
saux. En tête était le droit de garde des mineurs nobles, qui
fut à la fin du treizième siècle une source abondante de revenus.
Dès qu'un seigneur, vassal immédiat du roi, venait à mourir en
laissant des enfants mineurs, un agent royal se transportait
dans les domaines du défunt , et s'informait exactement de la
valeur de l'héritage. Le roi se chargeait de faire élever les
enfants, mais il percevait leurs revenus pendant leur minorité.
On mettait aux enchères la jouissance des biens des mineurs, ou
la garde, pour parler le langage du temps. L'acquéreur s'en-
gageait à payer les rentes et douaires, à tenir les édifices en
bon état.
' Olbn, t. III, p. 925 et 926 (1314).
- Ord., t. I , p. 4G2, eu 1310. — Voyez la condamnation du fermier des
fermes dn roi à Compiègne , lequel était un tyran et infidèle. Olim, t. III,
p. 465 (1309).
■^ « Rcccpta notarianmi : de notaria eriminali Tholose, cxx lib.; de notaria
civili, cxxx lib.; de notaria ordinaria judicature Ville Longe, Compotus
R. de Dugnyaco tenentis sigillum scnescallie et vicarie Tbolose n Comptes
de 1299, .Arcb. inip., K. 501. Voyez les comptes de 1294. Ibid. — Les
comptes des bailliages de France de 1299 et de 1305, etc.
246 LA FRAVCE SOIS PHILIPPK LE BEL.
Les enfants eux-mêmes n'étaient pas conOés à tics mains
purement mercenaires. C'était bien assez que leurs biens fussent
livrés à des étrangers, qui épuisaient le sol pour le faire pro-
duire davantage, et qui souvent même s'en appropriaient une
partie. En 1308, le roi fut obligé de prescrire au bailli de
Rouen de faire une enquête sur les usurpations des biens des
mineurs nobles placés sous la garde du roi '. On payait aussi
les créanciers de l'Etat en leur abandonnant pendant un temps
détfM'niiné les droits de garde sur quelque fief. En 1307,
Foucaut de Alellc , marécbal de France, à qui le roi devait
35,000 livres, reçut en payement la jouissance des fruits et des
revenus de la terre de feu Guillaume de Clisson, dont le fils
était sous la garde du roi *.
Je me borne à énumérer les autres droits féodaux, tels que
quint, requint, relief, etc. ^.
Les amendes atteignirent sous ce règne des proportions
inouïes : la justice devint un instrument fiscal. Au civil, les
amendes ne devaient pas dépasser soixante sous. Les délits
contre les particuliers étaient punis suivant les coutumes et les
chartes accordées aux villes, mais aucune loi n'avait fixé de
tarif pour les crimes commis contre la sûreté générale et les
atteintes à l'ordre et à la paix publique. Les tribunaux se
déshonorèrent par la rigueur de leurs condamnations pécu-
niaires, qui n'avaient d'autre but que d'enrichir le trésor.
Les amendes civiles ne furent plus réglées d'après les anciens
usages et atteignirent des taux arl)itraires \ Des mères furent
condamnées à l'amende pour avoir donné asile à leurs fils
bannis ^ On confisqua les biens des Flamands qui étaient en
France'^. Les biens des condamnés à mort" et des bannis,
^ Trésor des chartes, Rcg. XLI, fol. 100 (5 septembre 1308).
~ Or. Trésor des chartes, i. 387, n° 17.
•^ Voyez le Nourel usage des fief s de Bnissel.
'' \'arin, Archives de Reims , t. II, p. 2.
^ Amende (le lOOsoii.s contre ls;il)p|le deFonqnedeheque. 1305. Roui. Baltize.
6 Reg. XXXVI, fol. 10, en 1302; et Raliizc, compte de J305 (bailliage
d'Amiens).
' « De bonis Pétri Marescaici, bomicide , suspensi , vcndilis, xiii lib.; de
bonis N. de Jamarenncs qui accusafiis îurto fiigit, jure prepositi deducto. ^
Baill. de Bourges , ihid.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DEPENSES . 247
dans les lieux où le roi avait haute justice, faisaient retour
au fisc. Les condamnations pour hérésie entraînaient aussi la
confiscation des biens, et produisaient des revenus connus sous
le nom à' incours '.
Les revenus des forêts consistaient dans la vente des arbres,
du panage et du pâturage, dans les amendes encourues pour
contraventions aux usages'. Philippe le Bel racheta un très-
grand nombre de droits d'usage qui appartenaient à des par-
ticuliers^. Certains seigneurs avaient des droits de chasse dans
les forêts royales, le roi les racheta aussi quand il le put*. Un
des grands abus de la propriété féodale était les garennes. Il
y en avait de deux sortes : la garenne fermée , parc clos, dans
lequel il était interdit de pénétrer, et la garenne ouverte ; cette
dernière conférait le droit de chasse sur une certaine étendue
de pays, souvent même sur les terres des tenanciers, ce qui
nuisait à l'agriculture " . Saint Louis commença à dénier aux
seigneurs le droit d'établir des garennes ; toutes les fois qu'ils
ne pouvaient prouver une longue possession, il les contraignait
d'y renoncer. Philippe le Bel accordait quelquefois le droit
d'établir des garennes fermées*^. Enfin sous Louis X il fut posé
en principe que l'autorisation du prince était toujours néces-
saire'. En 1299, le roi, de l'avis de son conseil, «pour le
1 j Compotus P. de Pradines, recepforis et custodis incursuum lieresis in
comitatu Tholose , mdcccviii lib., etc. ■' Compte original de 1299.
- a Explccta forestarum et gruagia neniorum baillivie Silranectensis anno
1305. — De explectis forcste Cuisie. — De pasnagio foreste Cuisie. — De
paliciis \cnditis. — De fagotis et remasiliis. — De explectis foreste Quarnellc. n
— Compte de 1305. Bibl. imp., Baluze.
•^ En mars 1292, il racbieta, moyennant une rente de 40 livres, le droit
d'usage de Raoul d'Orléans dans la forêt de Journes. Or. J. 148 , n" 16. Voyez
une renonciation de l'abbesse de Fontevraut d'un usage dans la forêt de Rest.
J. 163, n"4. En janvier 1290.
^ Droit de cbasse du sire de Crèvecœur dans la forêt de Vernon. Arch.
imp., or. J. 722, n" 16. — La même année, Laurent de Lyvet vendit son
droit au roi t chaciam leporis, vulpis, cati et martre i , dans la même forêt.
J. 732, n°117.
s Cbampionnière , De la propriété des eaux courantes.
6 Permission à Guillaume Bateste , chevalier, d'avoir une garenne dans son
bois de Chacon. Mai 1312. Trésor des chartes, Reg. XLVIII, n» 22.
" Olim, t. III, p. 1158.
248 LA FRAXCE SOLS PHILIPPK LE BEL.
commun profil du royaume et pour ôler et escliever moult de
larrccins, murtres et meffaiz , que larrons de conins faisaient
au royaume de France, " ordonna que les détenteurs de
panneaux à lapins ou à lièvres les apporteraient au château
de la seigneurie dont ils dépendaient, au premier jour de
marché, et les brûleraient publiquement. Si (pielqu'un était
trouvé par la suite détenteur (h' quelques-uns de ces engins,
il payerait une amende de soixante livres, dont le tiers serait
remis au dénonciateur; défense à tous ceux qui n'étaient point
gentilshommes , ou n'avaient pas de garenne , d'avoir des
filets et des furets '.
En 1289, Philippe ])orla une loi pour remédier au dépeuple-
ment des rivières. Il définit quels étaient les engins dont on
devait se servir pour la pèche". Il rendit une autre ordon-
nance sur le même objet en 1291 ^ Ces ordonnances, ainsi
que celles sur la chasse, avaient cours dans tout le royaume.
Une transaction, du mois de janvier 1296, entre l'abbé de
Saint-Médard de Soissons et les habitants de Thorote, Maim-
bronne, et de plusieurs autres villages voisins, au sujet des
droits d'usage dans les marais de Mélincoc , porte qu'ils
pourront" pescier en l'iaue à tous engiens et à tous filles, selon
les statuts et les ordenances du prince souverain qui courent
par son royaume *.
Le chapitre des comptes intitulé : Recettes diverses, était
très-varié. En tête figure la régale : j'en ai parlé avec détails
dans le chapitre consacré au clergé; puis l'amortissement.
Nous avons vu que les églises ne pouvaient acquérir de terres
sans l'autorisation des seigneurs dans la mouvance desquels
ces terres étaient situées. En 1275, Philippe le Hardi avait
ordonné que celles rpii auraient obtenu des lettres d'amortis-
sement de trois seigneurs ne seraient pas inquiétées. Il avait
ensuite amorti les biens acquis dans ses fiefs et arrière-fiefs
1 Ord., t. I, p. 335, 336.
- Voyez cette ordonnance piiblic'C pour la première fois dans la Bibl. de
l'Ecole des chartes, 3» série, t. IV, p. 43.
•* Laurièrc a placé ce fragment en 1292, mais à tort. Ord., t. \. Voyez
Bibl. de l'Ecole des chartes , rit supra , p. 46.
^ Cartul. de Clioisy-au-Bac , .Arcli. imp., LL. 1033.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DÉPEXSES. 249
pendant les trente dernières années, moyennant le payement
de la valeur de deux années de revenu pour les biens donnés
en aumône, et de trois années pour les biens acquis à titre
onéreux. Une ordonnance de 121)1 prescrivit aux baillis de
tolérer les acquisitions des églises dans les flefs des barons qui
jouissaient depuis longues années du droit d'amortissement.
Mais les acquisitions postérieures à Tannée 1275 furent assu-
jetties à un droit de quatre années de revenu quand elles
étaient faites à titre gratuit, et à titre onéreux, de six années.
Quant aux acquisitions faites dans les arrière-fiefs du roi
les droits étaient de moitié. Dans le Midi, où les terres avaient
une plus grande valeur que dans le Xord , le droit d'amortis-
sement était plus élevé. Les biens amortis pouvaient être
cédés gratuitement à une autre église'. Etaient exempts les
achats ou donations de terrains pour bâtir des églises et des
presbytères*. Toutes les lois de finances étaient conçues de
manière à laisser place à l'arbitraire, a Nous voulons, disait le
roi, que nos commissaires puissent lever des sommes supé-
rieures à celles qui ont été fixées, mais qu'ils n'en reçoivent pas
qui soient inférieures. " Les ordonnances elles-mêmes étaient
tenues secrètes; il en résultait que les églises étaient dans la
nécessité de débattre les sommes à payer. On a sur ce sujet
une ordonnance, sans date, que Laurière a crue de l'année
1275, mais que Brussel a victorieusement démontré appartenir
au règne de Philippe le Bel, parce qu'au nombre des pairies
de France ne figure pas le comté de Champagne, qui avait fait
retour à ce roi en 1285. Le droit d'amortissement fut solen-
nellement confirmé aux pairs de France, qui étaient alors le
comte de Flandre et les ducs de Guienne et de Bourgogne, et
à quelques grands feudataires, aux comtes de Bretagne, de
Xevers, d'Artois, d'Anjou, de La Marche, deBlois, d'Auxerre,
de Tonnerre, de Dreux, de Clermont, de Saint-Pol, aux sires
deBeaujeu, de Bourbon et deCouci. On reconnut que plusieurs
autres seigneurs jouissaient anciennement de ce droit, mais
on les en priva; on leur accorda toutefois la faculté de faire
1 Ord., I, p. 385.
- Privil. de l'cglisc de X'arbonnc. Ibid., p. 404.
250 LA FMXCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
gratuitement des aumônes pour le repos de leur àmc, mais
avec l'autorisation du roi. Il fut interdit aux prélats et aux pos-
sesseurs de bénéfices soumis à la réjjale d'aliéner aucune partie
de leurs bénéfices. Ceux qui l'avaient fait dans le passé durent
réparer le préjudice qu'ils avaient causé à la couronne. Il avait
été pourtant permis en 1290 aux prélats pairs de France
d'amortir dans leurs arrière-fiefs '. Les églises purent acquérir
dans les lieux où elles avaient baute justice, car alors le roi
ne perdait rien. L'ordonnance de 1291 gardait le silence sur
les alleux; le règlement, sans date, trancba la difficulté, en
déclarant que le droit invoqué par certaines églises d'acquérir
des alleux était un abus ".
Les églises pouvaient vendre leurs nouveaux acquêts dans
l'année, et alors elles n'avaient pas de droits à payer, mais on
veillait à ce qu'elles ne fissent pas de ventes simulées. Les
droits d'amortissement étaient levés par des commissaires sur
le fait des acquêts des églises et des roturiers. Les traités passés
par ces commissaires avec les églises n'étaient exécutoires
qu'après avoir été revêtus de la sanction royale^.
Nous avons vu que les roturiers avaient la faculté d'acquérir
des fiefs, mais ils ne pouvaient les desservir. Les seigneurs dont
les fiefs acbetés dépendaient, exigeaient une indemnité propor-
tionnée au préjudice qu'ils éprouvaient. Le préjudice résultant
de l'abrègement d'un fief remontait jusqu'au roi; aussi Pbilippe
le Hardi exigea des droits de la part des roturiers qui acqué-
raient des fiefs nobles, même en dehors du fief direct de la
couronne, à moins qu'il n'y eût entre le roi et l'acquéreur trois
seigneurs, dont le consentement était nécessaire *. Philippe le
Bel, dans le règlement sans date cité plus haut à propos des
amortissements, ordonne de lever des droits de franc-fief,
même lorsque le fief pouvait être desservi par l'acquéreur. Le
* Brussel, p. 669.
2 Ord., t. I, p. 671.
^ Voyez l'original d'un amortissement de l'an 1293 au profit de Saint-Victor
de Paris. Il se compose de deux pièces, la composition avec les commissaires
et la patente royale (pii la confirma. Arch. imp., K. 3G, n° 26.
^ Brussel. Voyez une liste des sommes payées pour des acquisitions de fiefs
par des roturiers, dans la sénéchaussée de Toulouse en 1277. J. 1042, n° 10,
et J. 308, n^'s 81 et 89.
LIVRE DIXIlhlE. — RECETTES ET DÉPENSES. 251
droit de franc-fief consislait dans le payement de trois années
de revenu, plus une indemnité proportionnée au dommage
éprouvé par le roi quand le fief était abrégé '. Du reste, les
procédés étaient les mêmes que pour les amortissements, et
les commissaires furent souvent les mêmes '. Cependant, il y
en eut aussi de spéciaux pour les francs-fiefs ^ . En 1292, le roi
défendit aux collecteurs d'instrumenter dans le duché de Bour-
gogne *. Dès Philippe le Bel un grand nombre de riches bour-
geois achetaient les manoirs féodaux à leurs maîtres devenus
trop pauvres pour les posséder. Les registres du Trésor des
chartes ont conservé le souvenir d'un drapier de Paris , nommé
Jean Petit, qui acheta le château de la Génevoye, et obtint
(hi roi de le tenir en hommage, quoique roturier, aux mêmes
conditions que son noble prédécesseur ^
Une autre source de revenus était dans la succession des
aubains et des bâtards qu'on assimilait aux main-mortables.
On appelait aubains non pas seulement les étrangers, mais les
hommes venus d'un autre fief. A la fin du treizième siècle, les
rois s'attribuèrent des droits sur les aubains. Ceux-ci pouvaient
s'avouer les hommes du roi.
Les prétentions de Philippe le Bel de recueillir les succes-
sions des bâtards et des aubains dans tout le royaume , rencon-
trèrent une vive opposition de la part des barons. Il reconnut
aux seigneurs haut-justiciers le droit d'aubaine et de bâtar-
dise, à moins qu'il n'y eût possession de la part du roi". Le
parlement jugeait les contestations de ce genre et décida
souvent en faveur des seigneurs^.
< Ord., t. I, p. 354.
- c Symon Boiel et Symon Pagan , deputati a domino rege super acquisitis
factis a pcrsonis ccclesiasticis et innobilibus in prepositura Par. d Novembre
1293. K. 36, no 26.
■^ Bibl. imp., Languedoc, 71, fol. 55. En 1291.
^ 19 mars. Ord.. t. XI, p. 373.
•'^ tt Duximus concedendum ci , licet ipsc et sui hercdes vel successores ,
non sint de nobili génère, dietum manerium ad liomagium retinerc modo et
conditione quibus dictus domicellus (vcnditor) tenuerat. » Reg. XLVII, no5.
En 1300.
6 Ord., t. I, p. 3308. En 1301.
" En faveur de Saint-Martin des Champs, en 1306, Olim , t. III, p. 1313;
de l'abbaye Sainte-Geneviève, ibid., p. 1307, en 130G.
252 LA KllWCE SOUS IMIILII'PI': LK liEL.
La maxime t. lortune d'or appartient au roi ^^ n'était pas
encore admise, mais les trésors d'or devenaient la propriété
exclusive du seigneur liaut-justicier. En 121)8, le parlement
adjugea à l'abbaye de Saint-Denis une pièce d'or trouvée à
Aubervilliers, lieu où elle avait toute justice '. Ceux qui étaient
soupçonnés d'avoir trouvé des trésors étaient poursuivis avec
rigueur '.
Philippe prétendait avoir sa part de tous les trésors. En 1290
il ordonna au sénéchal de Toulouse de traiter, soit avec les
inventaires de trésors trouvés ou à trouver, soit avec les pos-
sesseurs des fiefs, en en réservant le tiers au roi ^
L'impôt sur le sel est attribué tantôt à Philippe le Hardi,
tantôt à Philippe de Valois, tantôt à Philippe le Bel. On le trouve
établi sous Piiilippe le Bel dans le domaine de la couronne * ;
ce prince acheta même des salines dans le Languedoc ^, mais
la gabelle existait bien longtemps auparavant et n'était pas un
droit royal. Le monopole du sel avait toujours tenté la cupidité
des seigneurs , qui trouvaient dans l'exploitation des greniers
h sel des revenus assurés®. Le chapitre des recettes diverses
renfermait aussi dans les comptes des baillis l'énoncé d'impôts
extraordinaires tels qu'aides loyaux , louages pour la conser-
vation des monnaies, décimes sur le clergé, qui jouent un si
grand rôle dans l'histoire de Philippe le Bel et qui font l'objet
des chapitres suivants.
La rigueur du fisc à faire rentrer les sommes qui lui étaient
1 Or Arcli. imp., K. 3(5-, n» 50.
- Voyez riiisloirc d'un clievalicr et de sa femme injustement accuses d'avoir
trouvé sept pièces d'or. Otim, t. III, p. 680 (1311).
3 Octobre 1290. Doat, 155, p. 289.
^ tt De salino Tholosc 3(55 lib. » (Compte de 1299. Ordre au sénéchal de
Carcassonne de faire observer la coutume du salin de cette ville. 1298. Ord.,
t. IX, p. 175.
^ En 1290, le roi acheta à Rémond d'Lzès les salines de Peccais, valant
350 livres de rente. Vaissète, t. U , Preuves, col. 114.
^ Sur les diverses opinions au sujet de la gabelle, voyez Pastoret, préface du
tome W. I des Ord. Cet auteur invoque une ordonnance de 1318 (|ui sii|)prime
la gabelle (Ord., t. I, p. (579), et une autre de Louis X {ÎInd., p. 007) ; mais
AI. Cailly {Histoire fin. de la France, t. I, p. 89) regarde Philippe le Bel
comme l'inuenteur de la gabelle. AI. Dareste [Histoire de l'administration,
I. H, p. 93) l'attribue à Philippe de Valois.
LIV RK DIXIÈME. — RECETTES ET DÉPEXSES. 253
(lues était si conniio, que l'on vit se reproduire alors ce qu'on
avait vu sous les empereurs romains : des personnes abandon-
nèrent une partie de leur succession au roi pour assurer
l'exécution de leur testament '.
CHAPITRE DEUXIEME.
IMPOTS GÉNÉRAUX E\TR AORDIX AIRES.
Définition des aides. — Subside pour la guerre d'Aragon. — Mallôte de 1292.
— En quoi consistait cet impôt. — Explication de la taille de Paris publiée
par Géraud. — Erreur" de ce savant. — Centième des biens, en J295. —
Cinquantième des biens, en 1296. — ^lode de lever cet impôt. — • Autre
cinquantième, en 1297. — Troisième cinquantième. — 1302, aide pour
la guerre de Flandre. — 1303, autre aide pour le même objet. — 1304,
autre aide. — Comment le peuple fut admis à voter cet impôt. — 1308, aide
pour le mariage d'Isabelle. — Assemblées convoquées pour l'octroyer. —
1313, aide pour la chevalerie de Louis le Hutin. — 1314, aide pour la
guerre de Flandre.
Au nombre des subsides extraordinaires que les seigneurs
étaient en droit de demander à leurs sujets ne figurait pas
d'impùt pour la défense du royaume ou de la seigneurie. Cela
tient à ce que chacun, noble ou vilain, devait servir en personne
en cas de nécessité; ceux qui restaient dans leurs foyers payaient
seuls une taxe comme prix du rachat du service militaire.
Tel fut le caractère de la taille que Philippe le Hardi leva
en 1277 dans ses domaines, à l'occasion de la guerre de
iVavarre^. Sous Philippe le Bel, l'impôt devint royal et fut levé
dans toute la France.
a II y eut sous le règne de ce roi, dit un contemporain,
Guillaume l'Ecossais, plusieurs maltôtes, centièmes, cinquan-
tièmes, décimes, et une foule d'autres exactions et tailles fort
1 Legs du cinquième des biens. Or. Trésor des chartes, J. 392, n» 25
(en 1312).
- « V isis cartis vetcri et nova hominum de Vere Parvo , dictum fuit quod
tenebuntiir contribuere una cum bominibus de Honte Leherici in subsidium
domini régis pro e.xercitu Xavarre. » Olim, t. I, p. 9T (1277).
254 L.\ FRAXGE SOLS PHILIPPE LE BEL,
lourdes. « Tous les chroniqueurs insistent sur la multiplicité
(les impôts, mais aucun ne permet d'en tracer un tableau
complet. Je vais essayer de le faire à l'aide do documents
financiers nouvellement publiés dans le Recueil des Historiens
de France, et de quelques comptes encore inédits. Je me serais
perdu dans ce dédale, si je n'avais trouvé un yuide dans un
inventaire des archives de la chambre (U^s comptes de Paris,
rédigé vers 1325 par Robert Mignon, qui avait été chargé de
les classer; mais cet inventaire, malgré son caractère officiel,
n'est pas complet et induirait même dans de graves erreurs si
on ne le contrôlait par d'autres documents administratifs con-
temporains ' .
Au moment où Philippe monta sur le trône, on levait encore
l'aide imposée à l'occasion de sa chevalerie : en effet, en 1284,
avant de se marier avec l'héritière de Champagne, qui lui
apportait en dot la couronne de Xavarre, il avait été armé
chevalier. Les villes avaient accordé à cette occasion des dons
gratuits" que les habitants levèrent eux-mêmes ^
Philippe avait hérité de la guerre entreprise par son père
contre Don Pèdre d'Aragon ; cette guerre fut une occasion de
lever des impôts dans certaines provinces du domaine royal.
Les villes du Alidi avaient été convoquées en armes, à ilorlas,
et celles qui n'envoyèrent pas de troupes furent obligées de
payer une somme d'argent. C'est ainsi que la ville de Carcas-
sonne donna au roi mille livres tournois pour n'avoir pas
répondu a la convocation des communes méridionales*.
En 1292 commença la levée d'un impôt dont le nom est
resté célèbre, mais dont la nature est peu connue; le peuple
le flétrit du nom de nialtàte^, nom que le roi accepta sans
' Pour se persuader combien l'iiistoirc des fiuanccs sous Pliilippc le Rel est
incomplète, ou plutôt entièrement ù faire, ou n'a qu'à lire le chapitre con-
sacré h. ce règne dans l'ouvrage le plus étendu qui ait été publié sur cette
matière, Bailly, Histoire de l'administration financière de la France , t. I ,
p. 66 et suiv.
2 Vaissète , t. IV, Preuves, col. 82.
^' A IVîmes. Alesiiard, Histoire de Xîmes, t. I, preuves, p. 111.
^ Trésor des chartes, J. 392, n" 16.
5 Historiens de France, t. XXI , p. 14. Mala-tolta, mauvais impôt, et non
pas tout-mal.
LIVRE DIXIEME. — RECETTES ET DEPEXSES. 255
pudeur', et qui fut consacré dans la langue financière du
quatorzième siècle, pour désigner les impôts sur la consom-
mation". Les chroniqueurs sont peu explicites et ne disent pas
en quoi consistait la maltôte de 1292 : ils apprennent seule-
ment qu'elle se levait sur les marchands, et que la perception
de cette nouvelle taxe excita à Rouen une émeute terrible,
dans laquelle la populace envahit la maison des collecteurs,
pilla leurs caisses et poursuivit les maîtres de l'échiquier, qui
durent chercher leur salut en se réfugiant dans le château*.
Les principaux bourgeois, qui n'avaient pas pris part à
l'émeute, apaisèrent le peuple et cherchèrent à désarmer les
vengeances de l'autorité. Les mutins les plus compromis furent
pendus; la ville perdit ses privilèges, et la perception de la
maltôte continua.
C'était un impôt indirect sur les objets de consommation.
Il consistait en un denier par livre, payable à la fois par
l'acheteur et par le vendeur; de là le nom d'impôt du denier
par livre, sous lequel la maltôte fut d'abord connue*. On
l'établit d'abord dans toute l'étendue du royaume, mais les
barons réclamèrent et obtinrent qu'il fût restreint au domaine
royal ^ Il souleva une clameur générale ; on le regarda comme
une vexation abominable, comme une chose inouïe et mons-
trueuse ®.
La maltôte avait pourtant l'avantage d'atteindre toutes les
classes de la société, ce qui constituait une étrange nouveauté
1 11 Cum gentes nosfre pro nobis pcfcrent a civibus et habitatoribus Remen-
sibus... flictiim dcnarium alias vocatum malam toltam... n Lettre de Philippe
le Bel aux habitants de Reims, en 1293. Varin, Arch. administratives de la
ville de Reims, t. I, p. 1081 et 1082.
- Voyez la concession à la ville de Bordeaux d'une maltôte sur les mar-
chandises qui passaient par Bordeaux. Olim, t. III, p. 7794. En 1313. —
J'ai même vu le mot maltôte employé avec ce sens dans un document officiel
antérieur à Philippe le Bel.
•^ \angis, Historiens de France , t. XX, p. 575.
"i Varin, Arch. administratives de Reims, t. I, p. 1082. — Olim, t. II,
p. 417.
5 IL Concessum fuit baronibus qnod non leiarctur dictus dcnarius in suis
terris, i Rouleau original, suppl. du Trésor des chartes , J. 1024, n" 82.
•5 s Exactio quedam in regno Francie non audita qnam malam toltam nomi-
nabant. » Chron. G. de Frachcto, Historiens de France, t. XXI , p. 14.
256 LA FH.AXCr: SOIS PHILII'PK LK 15KL.
dans un fcmps où la noblesse et le clergé se regardaient comme
affranchis de toutes charges. Aussi les ordres privilégiés pro-
testèrent contre cette égalité devant l'impôt qui les abaissait
au niveau du tiers état. Le tiers état lui-même ne put voir sans
effroi l'établissement d'une taxe qui menaçait de devenir per-
pétuelle et avait nécessité la création d'une armée de rece-
veurs, de contrôleurs cl d'espions. Les villes s'empressèrent,
pour la plupart, de se racheter moyennant des sommes fixes
une lois payées : Reims offrit un don gratuit de dix mille livres,
qui fut accepté', (^es dix mille livres furent imposées dans les
formes prescrites par saint Louis pour la levée des tailles com-
munales'. Les échevins mirent une taille qui se prolongea
plusieurs années.
Le savant et regrettable Géraud a publié dans la Collection
des Documents inédits le compte de la taille de Paris pour
l'année 1292. Ce document précieux renferme l'indication,
rue par rue, maison par maison, de la levée d'un impôt
dont l'objet et la nature ne sont pas connus. Les recherches
qu'avait faites Géraud à cet égard étaient restées infructueuses,
et il avait conclu, un j)eu à la légère et en se basant sur des
conjectures que rien ne justifiait, qu'il s'agissait d'un impôt
consistant dans le cinquantième du revenu. Il était parti de
cette donnée pour calculer la cpiotité des impôts payés sous
Philippe le Bel, et était arrivé à ce résultat que les impôts
étaient à cette époque six fois moins élevés que de nos jours.
Plus heureux que Géraud, j'ai pu déterminer exactement la
nature de la taille de 1292 et tirer des conséquences entièrement
opposées à celles du savant éditeur de Paris sous Philippe le Bel.
On conserve aux archives de l'Empire, dans un énorme
registre in-folio, la suite du manuscrit dont Géraud n'avait
connu qu'un fragment se référant à l'année 1292; suite qui
comprend les années 1293, 1294, 1295 et 1297'. Les rubri-
1 Arch. ad»i., t. I, p. 1082.
- Arch. adm., t. I, p. 1091. Quittance donnée par les receveurs du roi à
J. de VilledoiiKinge et P. Beiiner, bourgeois de Reims, tailleurs et receveurs
de la parodie Saiiit-\laire, de l\\\ livres pour le denier la livre. 1 avril 1295.
•^ Voyez notre description de ce manuscrit dans Xolices et extraits des
manuscrits publiés par \Acad. des inscrij)/.. t. X\, 2*^ partie, n" m.
LIVRE DIXIEME. — RECETTES ET DEPEXSES. 257
qiies dp ce manuscrit indiquent qu'il était question d'une
taille de cent mille livres, mais le motif de celte taillé n'est
pas marqué. Un passage des Olim du parlement de Paris
comble celte lacune. On lit en effet, dans un arrêt de l'an-
née 1297, que les bourgeois de Paris voulurent contraindre
les habitants des bourgs Saint-Marcel et Saint-Germain à con-
tribuer au don de cent mille livres fait au roi, en compensa-
tion du denier pour livre qu'il avait ordonné de lever sur toutes
les denrées qui se vendraient à Paris'. Cette taille de cent
mille livres était donc analogue à celle de dix mille livres
imposée parla ville de Reims, et représentait la raaltôte. Elle
fut levée dans la forme des tailles municipales, par les habi-
tants eux-mêmes et sans intervention d'agents royaux. La taille
de Paris durait encore en 1301 ". Quant à la maltôte, elle fut
levée, du moins en Normandie, jusqu'à la Pentecôte 1293^.
Elle avait été instituée au commencement du carême de l'année
précédente. Les rachats de cet impôt par les villes pi'oduisirent
ce résultat bizarre que la noblesse et le clergé furent par là
exemptés de l'impôt, car les nobles et les clercs ne partici-
paient pas aux tailles municipales : en effet, on ne les voit pas
figurer sur les rôles de la taille de Paris. Plusieurs seigneurs
permirent au roi de lever la maltôte dans leurs terres*.
Dans le Midi, au lieu de la maltôte on mit un fouage. Les
consuls des cités et des bourgs reçurent l'ordre de donner aux
agents du fisc un état des feux de leur localité. Ils devaient
affirmer sous serment la vérité de leur déclaration. Si elle était
reconnue inexacte, ils étaient passibles de peines corporelles
et pécuniaires. Chaque feu payait six sous tournois, ou plutôt
1 d Super dono c'" lib. nobis facto in rocompcnsationcni denarii, qnpni
unumvidclicct ab cmptore et alium a venditorc rcruin vcnditaruni Parisius de
qualibct libra habere volcbamus. ti Olim, t. II, p. 412.
2 (Il De tallia ville Paris. De summa de c'" lib. s 24 décembre 1301. Journal
du trésor, foi. 125 1°.
3 tt Racione denarii libre... diiravit circa festiun Penthecostis anno 1293
quia die sabbati anfe Peiithecostom passi sunt iVormanni confiisioneni contra
Baionenscs. » Roui, orig., J. 1024, n" 1082.
^ Entre autres, le chapitre de Xotre-Danie de Paris. Arch. de l'Emp., or.
K. 3G, n" 37 (juillet 1295). Reconnaissance par le roi que ce don ne lui
portera pas préjudice. J. 152, n" 12 (jour de la Saint-Luc 1295).
17
258 LA FRAVCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
on devait donner six sous par feu, car cliaeun conlril)i]ait sui-
vant ses facultés. Un feu était un ménage. N'étaient pas con-
sidérés comme faisant un feu riiommc ou la femme chef de
famille n'ayant pas une fortune de cinquante sous tournois.
Des commissaires étaient choisis dans chaque rue; ils tenaient
un registre où était marquée la fortune de chacun, qui était
évaluée au moyen de déclarations faites sous serment. Ces
déclarations étaient contrôlées au moyen de la commune renom-
mée. La somme due par chaque localité étant connue, les
commissaires la répartissaient entre les hahitants proportionnel-
lement à leur fortune. Les nohles et les clercs étaient exempts \
L'inventaire des rouleaux de la chambre des comptes par
Robert Mignon, dont j'ai parlé plus haut, dans le chapitre
intitulé Comptes des subventions, des tailles et des imposi-
tions levées dans le roijaume pour sa défense, à partir de
Vannée 1290, donne la liste suivante :
Premier ou double centième 1
Second centième simple \ entre 1290 et 1300.
Cinquantième on troisième levée |
Subsid? pour l'ost de Flandre, pour l'année 1302.
Idem, pour l'année 1303.
Idem, pour l'année 1304.
Aide pour le mariage de la reine d'Angleterre, en 1309.
Aide pour la chevalerie du roi Louis de \avarro, eu 1313.
Subside pour l'est de Flandre , en 1314 -.
Examinons successivement chacun de ces impôts. D'après
Robert Mignon, les trois premières impositions furent des cen-
tièmes, dont deux doubles; mais avant d'aller plus loin,
constatons immédiatement de graves omissions. Un document
officiel, qui offre l'ensemble des mesures financières et mili-
taires prises pour faire face à la guerre contre l'Angleterre,
apprend qu'avant de recourir à l'imposition d'un centième,
* En 1293, le sénéchal de Carcassonnc ordonna aux consuls de Xarbonne;
u Pro singidis focis communitas ipsius ville solvat sox solidos turonrnscs,
arbilrio proborum juraioruni in cadcm villa dividcndos sou tailiiandos...
HoniiucMn vcro vcl luulirreni focum facicntem, non habentem in bonis valorem
50 solidorum turoncnsium, pro foco non intcndinius reputari. i Arcli. de la
ville de Xarbonne. Copie dans la collection Doat, t. LI, p. 28, à la Bibl. imp,
- Historiens de France , t. XXI, p. 527.
LIVRE DIXIEME. — RECETTES ET DÉPEXSES. 259
on avait déjà fait appel aux contribuables. Je ne parle pas de
divers emprunts; je traiterai, dans un chapitre spécial, des
ressources que le gouvernement de Pnili|ipe le Bel trouva dans
le crédit. En 1293, Thomas lîrichard, maître de la monnaie,
et plusieurs autres conseillers, proposèrent d'altérer les mon-
naies; rilalien Mouchet, que l'on a injustement accusé d'avoir
conseillé les mesures financières iniques qui déshonorèrent le
règne de Philippe le Bel, combattit cette proposition, dont il
fit entrevoir à la fois les funestes conséquences et le peu d'uti-
lité. Son opposition triompha momentanément; mais il fallait
à tout prix de l'argent. On leva un 'prêt; en bon français on
mit un impôt sur les riches bourgeois des bonnes villes et des
bailliages, qui produisit six cent trente mille livres tournois.
Cet heureux résultat engagea le roi à étendre cette opération
aux prélats et aux autres membres de son conseil, ainsi qu'aux
maîtres du parlement et de la chambre des comptes, ce qui
produisit cinquante mille livres tournois'.
Revenons à la liste de Mignon. Cette liste place en première
ligne, par rang d'ancienneté, un double centième, ou cin-
quantième. Je crois que c'est là une erreur, et que le premier
impôt général fut un centième simple; en voici la preuve.
Le chroniqueur Gérard de Fracliet, dans l'énumération des
difî'érenls impôts, place le centième avant le cinquantième*.
Philippe le Bel donna, le 10 mars 1296, aux habitants de
Reims des lettres où il promit que le payement du prêt (rachat
de la maltôte), du centième et du cinquantième, qu'ils lui
avaient fait pour la défense du royaume, ne leur porterait aucun
préjudice*. Dans cette énumération, le centième précède le
1 « Item, pour ce que Thomas Bricliart, mastre de la monnoie, et aucuns
du conseil conscilloicnt et voloient que pour avoir chcvance se faist la foible
monnoie, qui puis se fist, monseigneur Alouche et aucuns autres qui soste-
noient le contraire ne voloient que la bone monoie se gastat... se leva prest
qui fut mis et levé sur les ricties bourgois de toutes les bonnes villes et des
baillies, l'an 1293. Du quel prest se leva des bourgois environ 630,000 livres
tournois, et des prélaz et autres du conseil le roy et mastrcs des coiiipfcs et
du parlement, environ 50,000 livres tournois, t Or. .^rch. de l'Emp., J. 654,
no 16. Voyez Notices et extraits , n° vir.
2 Historiens de France, t. XXI, p. 14.
•^ Varin, Arch. adm., t. I, p. J099.
17.
260 LA FRAXCE SOUS PHILIPPr: LE BEL.
ciiKjiiaiilièmo. l'un antre charte du mois de septembre 1295
constate que la levée du reiitième était dès lors ordonnée; or,
la pere('|)li()n du premier cinquantième ne fut décidée qu'au
mois de janvier J"i9(j.
Dans cette charte, le roi l'ail coniiaitrc" (pi'il a, du consente-
ment du duc de IJourjjogue, lait lever dans le duché de liour-
gojjne et dans les autres fiefs du duc, pour subvenir à la
défense du royaume, une somme équivalente au centième de
tous les biens appartenant aux personnes ecclésiastiques et
religieuses et à toute autre sorte de personnes, les chevaliers
et les écuyers exceptés. Il abandonne au duc la moitié de
cette somme, et déclare que la concession de cet impôt ne
pourra tirer à conséquence pour l'avenir '.
On conserve au Trésor des chartes une instruction sur la
manière de lever ce centième; mais comme les règles qui
présidèrent à la perception de cet impôt furent les mêmes
que pour la perception du cinquantième qui le suivit immé-
diatement, je renvoie tous les détails que j'ai pu trouver sur
ce sujet pour le moment où je traiterai de la levée du cin-
(juanlièine, sur lequel les renseignements sont plus nombreux.
Je me bornerai à faire remarquer que le roi ne leva le cen-
tième dans les terres des grands feudataires qu'avec leur per-
mission et en leur laissant la moitié du produit. Quant aux
ecclésiastiques, soit du clergé séculier, soit du clergé régulier,
qui paiticipaient à cet impôt, ils le devaient, non pour leurs
bénéfices ecclésiastiques qui étaient soumis à des impôts parti-
culiers nommés décimes, mais pour leurs biens personnels.
Enfin, tout le monde payait le centième', sauf les cheva-
liers et les écuyers qui, en vertu des principes féodaux, con-
* t Ciim pro dcfcnsionc «jeiicrali rcgni iiostri , de conscnsu dilecli et ildclis
nostri l{ol)erti, diicis Burgunclic, quanlilatem quanulam eqiiipoientcm ccnte-
simc bononim onmiuin ad persoiias ecclesiaslicas et religiosas nec non alias
qiiasc(unc|iic s|)c'ctiuitium, mililil)us et armigcris dimitaxat exceptis, recepimus
in ducalii lîiirgiindie : cujiis ([iianlilatis dirnidiam parteni voliiiniis pênes ipsnm
diiccin pernianerc... Parisius anno 1295, niense septenibris. i Jlisloii'C de
Bourgogne , preuves, p. c\i.
- Les contributions atteignirent quelquefois un cliiffre élevé. V'oyez «ne
quittance de 150 livres « pro subsidio regni » donnée à Jean l{oyan, demeu-
rant à Saint-Pierre le Mouticr, 1295. Trésor des chartes, or., J. -'«•74, no 56.
LURK DIXIlblE. — RECETTES ET DÉPE\SES. 261
tribuaient à la défense du royaume par les armes, jamais par
l'argent.
En Champagne, on exigea le cinquantième des i)iens.
La guerre (ju'on soutenait à la fois contre l'Angleterre et la
Flandre rendit indispensable l'établissement d'un nouvel impôt,
non plus du centième, mais du cinquantième des biens : il fut
établi par le roi dans une assemblée générale de prélats et de
barons convoqués à cet efifet', assemblée qu'on ne doit pas
confondre avec les états généraux, car rien ne prouve (jue le
tiers état y ait figuré. Les barons et les prélats qui y assis-
tèrent ne peuvent pas être considérés comme les représentants
de la noblesse et du clergé. Dans une lettre au sénéchal de
Beaucaire, Philippe le Bel parle seulement de quelques pré-
lats, barons et fidèles*. C'était un impôt général à tout'le
royaume; le roi, pour en assurer la perception et prévenir la
résistance qu'il pouvait rencontrer dans les seigneurs, leur en
abandonna une partie qui variait suivant la qualité du feuda-
taire. Les comtes, les archevêques et les évêques en avaient le
tiers dans les fiefs où ils possédaient la haute justice; les
autres barons, mais seulement les hauts justiciers, le quarto
Voici en quoi consistait cet impôt, qui n'était pas toujours
le cinquantième des biens, mais qui, en aucun cas, ne dépas-
sait ce taux.
Toute personne tenant maison, ou ayant l'administration de
ses biens, quand même elle ne tenait pas maison, payait le
cinquantième de ses biens, soit meubles, soit immeubles,
pourvu qu'ils valussent plus de dix livres.
1 « Que ordinalio cxfitit traclata et ordinata ciim consilio baroiuim et prc-
latonim, qui pro isia ordinatione facienda vocati fucrunt in gcnerali conioca-
tionc. 1. Ord., t. XII, p. 3-33.
2 tt Cum luiper, piiiribiis prelatis, baronibus et fidelibus regni nostri super
arduis negociis evocatis prcsenlibus provida deliberacione concilii ordinatum
fuit et stalutum ut ccrtis subsidiis ab cisdcm, etc. i Lettre du roi an scnccbal
de Beaucaire, samedi après l'Epiphanie 1295-1296. Bibl. imp., n"8409,
fol. 65.
3 a Comités, archiepiscopi et episcopi , ubi habcnt alfam justiciam, liabe-
bunt fcrciam partern; omncs alii baroncs altam justiciam iiabentrs in terris suis
habcbunt rpiarlam parlem. Ordinalio vocata quinquagcsinia que Icvari débet
per rcguum Francie. j Ord., t. XII, p. 333.
262 LA FRAXCE SOUS PHILIPPR LE BEL.
Celui qui ne possédait que dix livres, payait douze deniers :
qui cent sous, six deniers.
Les artisans, et généralement tous ceux qui exerçaient une
profession manuelle, six deniers.
Celui qui avait des gages à l'année, donnait une journée de
ses gages.
Dans Teslimation de la valeur des biens n'étaient pas com-
pris les fiefs, même ceux possédés par les roturiers, parce
que les fiefs étaient assujettis à des services particuliers. Par
la même raison, les nobles étaient exempts, qu'ils fussent
chevaliers, écuyers, clercs, dames ou demoiselles, même pour
leurs meubles et leur argent, à moins qu'ils ne fissent le com-
merce'. En dehors de ces exceptions, l'impôt frappait tout le
monde, même les bénéfîciers en cour de Rome, même les offi-
ciers du roi, même les hommes de corps, les mainmorta-
bles, pourvu qu'ils eussent de leur vivant la libre disposition
de leur pécule.
Voici comment le cinquantième était levé ^.
Dans chaque localité on élisait trois notables, dont un clerc,
jouissant d'une bonne renommée et d'une fortune médiocre.
Ils juraient sur les Évangiles, en présence des commissaires
royaux, de lever l'impôt diligemment, promptement et avec
loyauté, sans déférence pour personne. Chaque habitant était
obligé de déclarer sous serment la quotité de ses biens. Dans
les fiefs des barons, les commissaires du roi présidaient à la
nomination des collecteurs et recevaient leurs serments. C'était
aussi à eux qu'était remise la totalité des recettes. Les sei-
gneurs étaient chargés de l'exécution de l'ordonnance royale
dans leurs terres; eux seuls avaient le droit de forcer par des
* « Xobilcs sive sint milites, armigrri , clcrici, domine scu domicelic,
nichil solvent de valore bonorum suonim mobiliiim, nec eciam de capitali
eoriim, uisi mcrcarcntur. s Ord., t. Xil, p. 331.
- On trouve de curieux rensci<i[nements dans une lettre écrite par le bayle
de Cassagne-Begoutes à (îuiilaume (lat, son sergent, en date de juillcl 1296 :
Il Vobis mandamus citelis de ordinibus et melioribus boniinibus in bayliiia
vestra rcligiosorum viroruni domini prioris de Ambiielo et precepforis de
Tauriaco et aliorum locorum religiosorum duos vcl très de locis singulis, ut
ipsi pcrsonaliter reniant et compareant apud Villam-Francam , die lune post
festuin B. Jacobi. n Or. aux arcbives de la Haute-Garonne.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DEPENSES. 563
voies de rigueur leurs sujets à payer le subside : les agents du
fisc ne devaient intervenir que dans le cas où le seigneur se
montrait négligent. Les voies de contrainte employées contre
les contribuables récalcitrants étaient la saisie des biens. Les
clercs mariés et commerçants rentraient dans le droit com-
mun; ceux qui vivaient cléricalement n'étaient poursuivis
qu'avec l'autorisation des supérieurs ecclésiastiques; on invo-
quait même contre eux les sentences de l'Eglise à laquelle le
bras séculier prêtait son appui '.
Ces renseignements nous sont fournis par une instruction
sans date, mais à laquelle il est facile d'en attribuer une cer-
taine, car elle fut envoyée au sénéchal de Beaucaire, avec
l'ordre Ac la faire exécuter, le samedi après l'Epiphanie de
l'année 1295 (vieux style). Cet ordre était porté par deux com-
missaires désignés par le roi pour lever le cinquantième dans
la sénéchaussée de Beaucaire". On a encore les noms de ceux
qui furent envoyés en Flandre, en Artois et dans les autres
bailliages et sénéchaussées ^ Nul doute que le cinquantième
n'ait été levé chez tous les feudataires. La part que le roi leur
avait assurée dans la recette vainquit toute opposition de leur
part et excita leur zèle *.
Nombre de villes se firent exempter moyennant finance :
Lille donna 6,000 livres ^ et Douai 7,000 livres parisis*'. Ces
villes avaient invoqué vainement leurs privilèges qui les affran-
chissaient de tout impôt; tout ce qu'elles obtinrent, ce fut de
payer à titre de don gratuit l'équivalent du cinquantième.
^ La seule copie ancienne do ce document que je connaisse est dans un
cartulaire de la ville de Montpellier, où l'on inscrivait à mesure qu'on les
recevait les ordonnances royales et les lettres des sénéchaux. Bibl. imp. ,
n° 8409, no 65.
- Voyez le texte de la commission donnée à Robert de Fréauville et à
Philippe Martin. Arch. de l'Emp., K. 166, n'^ 88.
•' Rouleau oritjinal. Ancien rouleaux non cotés.
^ 1 Comités, archiepiscopi et episcopi, ubi altam habent justiciam, habe-
bunt terciam partem , omnes alii barones qui altam justiciam habent in terris
suis habebunt quartam partem. i Ord., t. XII, p. 333. J'ai trouvé plusieurs
mentions de cinquantième levé par des seigneurs dans leur terre.
5 Ord., t. XI, p. 380.
6 Ord., t. XI, p. 380.
264 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
J'ai clicrclié à évaluer le produit d'un cenlième ou d'un
cinquantième; les comptes spéciaux qui existaient certaine-
ment, puisque Robert Mijjnon en fait mention, ne se retrouvent
plus : ils ont sans doute péri dans l'incendie qui consuma
en 1737 une grande partie des archives de la chambre des
comptes de Paris et nous a privé de documents précieux |)our
l'histoire linancière de la France.
Le Journal du trésor, de l'année 1298 à 1301, et quelques
comptes ordinaires des bailliages de l'année 1299, renferment
de nombreuses mentions de versements partiels soit ilu cen-
tième, soit du cinquantième', mais ces notions sont trop incom-
plètes pour qu'on puisse même essayer de donner avec leur
secours une évaluation générale. Enfin, ce que je cherchais
depuis longtemps, je l'ai trouvé dans le compte rendu des
mesures prises pour soutenir la guerre contre les Anglais dont
j'ai déjà parlé. Ce document officiel évalue le cenlième à
315,000 livres tournois'.
En vain le roi avait promis que le cinquantième ne serait
levé qu'une seule fois ^ .
Ce premier cinquantième fut suivi d'un second dont la date
est incertaine. Un passage du Journal du trésor, du 23 mars
1297, qui fait mention d'un premier cinquantième, prouve
que le second était dès lors établi^. Il le fut probablement
en 1297. Il parait même qu'il fut converti en un vingt-cin-
quième, du moins en certaines provinces, notamment en Lan-
guedoc. En effet, on trouve en 1297 dans cette province des
agents du fisc chargés de lever le cinquantième et le vingt-cin-
quième des biens, qui convertirent cet impôt en une taxe de
huit sous par feu, payables chaque année tant que durerait la
guerre. Plusieurs localités de l'Albigeois réclamèrent contre
^ 18 octobre 1299 : s De centesima civilatis Parisius, infra poules, ix lib.
IV s. VII d. par. » Journal du trésor, fol. 98. — 26 novembre 1299 : i De
centesima et prima quinquagcsima balliiie Trecensis, etc. » Ibid., loL 105.
— 22 novembre 1299 : a De centesima ville Alarolii versus Melil. , etc. »
Ibid.. fol. 105.
2 Notices et extraits, n" vu.
3 a Istud siibsidiiim Icvabitur bac vice lantiim , quia bene dcbebit sufficere. i
Ord.,t. XII. p. 3;}3.
* i De prima quinquagcsima terre de domno Martino , • fol. 4.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DÉPEXSES. 265
ces exigences excessives et obtinrent de ne payer que six sous
par feu'. Ce nouvel impôt avait élé établi de la propre auto-
rité du roi; aussi ne ful-il pas levé sans obstacle. Pbilippe lui-
même, en ordonnant au sénéchal de Beaucaire de le lever sur
les sujets du domaine, lui prescrivait d'en ajourner la percep-
tion dans les fiefs des prélats et des barons ". Ceux-ci, en effet,
se plaignirent quand on l'exigea de leurs tenanciers. Ils ne
communiquèrent aux commissaires du roi les rôles des feux
de leurs seigneuries que sous la promesse formelle que cette
exhibition ne pourrait être invoquée contre eux comme un
précédente Le comte de Foix protesta solennellement contre la
levée de ce subside dans ses fiefs. Il appela au roi, déclarant
n'être tenu lui et ses sujets à aucun impôt de cette nature sans
l'avoir consenti volontairement V Le roi reconnut (|ue plusieurs
villes avaient contribué volontairement sans y être tenues de
droit. Ce second cinquantième devait être payé en deux termes,
l'un à la Chandeleur, l'autre à l'Ascension 1298 ^
Le Journal du trésor contient de nombreuses mentions du
payement de cet impôt en 1299 et 1300 ".
Il y eut même, quoique Robert Mignon n'en parle pas, un
troisième cinquantième qui fut levé en l'année 1301. Le Jour-
nal du trésor en fait foi. Je ne sais s'il fut général; mais il fut
levé certainement à Paris \ à Langres*, dans le bailliage de
1 Vaissète, t. IV, Preuves, col. 109 et 110.
2 Ganjal, Histoire de Ilouergue , t. I, p. 3.
2 Lettres de juin 1297. Or. .Arcli. inip., K. 3(i'-, n" 46.
■* V'oyez l'acte de protestation du 31 mai 1297 dans Vaissète, Preuves,
t. IV, col. 107.
^ Cartulairc de Monlpeilier. Bibl. imp., n" 8409, fol. 6.
c » De sccimda ccntesinia et prima quinquaffesima, et secunda ballivic
Trcccnsis, collectis per magistrum Sancium de Blesis. d Jourîial du trésor,
fol. 105, 29 novembre 1299. — a De sccunda qiiinqnagcsima scu diiplici
centesima parrochie Sancti Jacobi de Camificcria Parisius. — Do centesima,
quinquafjcsima sccunda seu duplici centesima, décima et annuaiibns in civita-
tibus et diocesibus Pictav., Xanclon., En;;olisni., Lemovic, Petrafjor., Caturc,
Tholos., Agen., Varat., Durdegal., etc. » Ibid., fol. 97 (Il octobre 12')9).
' 25 mai 1301 : s De arreragiis tercia quinquajjesima prepositurc Paris. »
Journal du trésor, fol. IIG.
^ 19 juin 1301 : « De tercia quinqnagesima ballivic ilatiscon. et cpisco-
patus Lingoneusis. i Journal du trésor, fol. 116.
26G LA FRAX'CE SOUS PHILIPPE LE BEL.
Màcon, dans celui d'Orléans', à Beauvais, en Normandie, en
Clianipajjne, en Poitou et en Limousin.
En 1302, la guerre recommença contre les Flamands, que
l'impolilique conduite des agents de Philippe avait poussés à
la révolte. Cette lutte terrible, dans laquelle les Flamands
combattent pour leur liberté, achèvera d'épuiser la France.
L'armée royale éprouve à Courtrai un de ces désastres qui se
renouvelleront à Crécy, à Poitiers, à Azincourt , mais tel
qu'on n'en avait pas encore vu.
Le roi convoqua en armes tous ceux , nobles ou non-nobles ,
qui avaient au moins cent livres en meubles ou deux cents livres
tant en meubles qu'en immeubles (ces derniers ayant au moins
une valeur de quarante livres), jeudi après la Trinité 1302".
Cette ordonnance ne put s'exécuter, Philippe fut obligé de la
modifier. On exigea le service militaire des nobles qui avaient
quarante livres de rente et des non nobles qui possédaient
trois cents livres en meubles ou la valeur de cinq cents livres
tant en meubles qu'en immeubles. Ceux qui désiraient rester
dans leurs foyers eurent la faculté de se racheter du service
moyennant une somme d'argent dont le taux ne fut pas fixé'.
Loin de là, les baillis et les commissaires sur le fait des
finances reçurent des instructions secrètes qui leur enjoi-
gnaient d'obtenir le plus qu'ils pourraient. Le minimum était
de vingt livres par mille livres, c'est-'i-dire le cinquantième.
Ceux qui avaient la plus grande partie de leur fortune en meu-
bles devaient fournir une contribution plus forte que ceux qui
ne possédaient que des immeubles. L'appréciation des biens
de chacun et la fixation de la taxe étaient laissées à la discré-
tion des commissaiies, qui s'éclairaient en consultant les an-
ciennes taxes , faisaient des enquêtes auprès des voisins et
déféraient le serment aux contribuables. Les besoins de l'Etat
étaient si pressants que les sommes ainsi recueillies étaient
1 « 4887 libr. quas ballivus Aurcliaiicnsis rocopit a collectorc Icrcie
qninqiiagcsimc cjusilcm ballivie. » — 15 juin 1301. Journal du trésor,
fol. 117.
2 Manilcnicnt du 12 juin. Ord., t. I, p. 3V5.
3 Ord., t. I, p. 350. — .Mandcmenl au bailli de Gaea, vendredi après
l'octave de la Toussaint.
LIIRR DIXIÈME. — RECETTES ET DEPEXSES. 267
immédiatement envoyées à Paris et versées au trésor'. Des
privilèges furent accordés à ceux qui s'empressaient de payer'.
Défense aux seigneurs d'exiger aucune finance de leurs sujets.
En 1303 nouvelle imposition de même nature.
Qui a cent livres de revenu en terre payera vingt livres, et
qui plus, à proportion; autrement dit le cinquième de son
revenu. Qui a cinq cents livres de meubles, payera vingt-cinq
livres, c'est-à-dire le vingtième. Qui n'a ni cent livres de rente
en terre, ni cinq cents livres en meubles, ne payera rien. Le
roi promit de ne lever cette même année 1303 aucun autre
subside, ni emprunt forcé, ni fourniture de vivres, ni impôt
pour le rétablissement de la bonne monnaie. Cette ordonnance
était soi-disant faite avec le consentement de prélats, de barons
et de gens du conseil^ (février 1303). Des instructions, adres-
sées aux commissaires chargés de lever ce subside, leur enjoi-
gnaient d'exiger des sommes supérieures à celles marquées
dans l'ordonnance. Le noble qui avait cinquante livres de
rente en terre, devait payer la moitié de son revenu; celui qui
possédait cinq cents livres de biens fonciers contribuerait pour
un cinquième : les personnes nobles veuves « ou non puis-
sants « (infirmes) chargées de dettes ou d'enfants, ayant au
moins cinquante livres de rente en terre, pour le quart.
Quant aux non-nobles, ceux qui possédaient depuis cin-
quante jusqu'à cinq cents livres en meubles donnaient le
cinquantième de leurs biens; ceux qui avaient de vingt à cent
livres de rente en terre, le dixième de leur revenu.
Les commissaires avaient l'ordre d'agir avec ménagement,
de réunir les plus souffisants d'une ville ou de plusieurs villes,
et de leur faire diligemment entendre l'ordonnance selon la
lettre, comment elle est pitéable, espécialement pour le menu
peuple, et courtoise à ceux qui payeront. ^ Vous devez, leur
écrivait le roi, estre avisés de parler au peuple par douces
paroles, et lui montrer les grands désobéissances, rébellions,
dommages que nos subjels de Flandre ont faits à tous et à nostre
1 Instruction du dimanche après la Saint-Martin d'été 1302. Ord., t. I,
p. 350 et 351, note.
2 Mercredi après la Saint-Louis. Trésor des chartes, Reg. XXXV'I , n" 13.
3 Samedi après la Chandeleur 1302-1303. Ord., t. I, p. 369, 570.
2f)8 LA I'"RA\CE SOLS PiilLIPPK I,E BKL.
rôaunio, ol (Miscinent devez vous ces levées et finances au
moindre eschinde que vous portez et eonimocion de menu
peuple, et leur montrez comment par celte voie de finer ils
sont hors du péril de leur cors, des jjrands cous des chevaux
et de leurs despens, et porront entendre ;i leur marchandies
et leur hiens de leur terre administrer, n On leur recomman-
dait surtout de ne pas lever ce suhsidc dans les terres des
barons sans leur permission, mais de les amener à consentir:
« Et contre la volenté des barons ne faites pas ces finances en
leur terre : et ceJte ordonnance tenez secrée, mcsmcment l'ar-
ticle (le la terre des barons^ quar il nous seroit trop grand
dommaiçje se il le savoient ; et en toutes bonnes manières que
vous pourrez les menez à ce que ils le veuillent sulfrii-, et les
noms de ceux que vous trouverez contraires nous rescrircz
haslivement, à ce que nous mêlions conseil de les ramener, et
les Irailier par lielles paroles et si courtoisement que esclande
n'en puisse venir '. «
Il serait difficile d'expliquer plus clairement que le roi
n'avait pas le droit de mettre une imposition sur les tenanciers
des barons sans leur autorisation ^ .
Une ordonnance du 29 mai 1303 prescrivit de faire contri-
buer les nobles qui avaient cinquante livres de rente ou de les
faire marcher ^ .
Les roturiers qui n'avaient pas cent livres devaient servir en
personne; mais le roi, le mercredi après la Pentecôte, désirant,
disait-il, le repos du peuple, ordonna que tout roturier qui,
sans y comprendre les meubles de son hôtel, aurait en
meubles une valeur de cinquante à cinq cents livres, et en
terres, le manoir non compris, un revenu de vingt à cent
livres, serait exempt du service militaire en payant une finance
convenable ; ceux qui ne réunissaient pas ces conditions de
fortune restaient dans leurs foyers *.
1 Inslniction pour la rnis(! en pratique de l'ordonnance du samedi après la
Chandeleur i:îOl-i:iO:î. On/., t. I, p. 370, 371.
2 iMcsnard, Histoire de Xîmes, preuves (mars 1303'.
•^ Orl., t. I, p. 373; et Arcli. inip. Trésor des cfiartes . l\cg. \XXVI,
n° 18. — Mandement au hailli de V'ermandois. JJ. 35. n" 108 (IG août 1303),
4 Ord., t. I, p. 373, 374.
LIVRE DIXIiaiE. — RKCKTTES ET DEPENSES. 269
Tous ces sacrifices ne suffirent pas. Le 3 octobre, le roi tint
à Chàleau-Tliierry un grand conseil, spécialement réuni pour
aviser aux moyens de continuer la guerre. Etaient présents
l'arclievècpie de IVarbonne, les évêques d'Auxerre, de Meaux,
les frères du roi, le duc de lîotirgogne, le comie de la Marche,
le connétable, les sires de Saint-Dizier, de Mercœur et d'Arlai.
Piiilippe prétendit qu'il n'avait pu avoir à ce conseil et délibé-
ration ses autres prélats et barons du royaume, et il s'en con-
tenta : avec lesdits prélats, barons et féaux, il décréta la levée
d'un nouveau subside ' ; on rédigea solennellement une charte
qui fut scellée par le roi et les assistants et par la comtesse
d'Artois lAIahaut, qui trouva que ladite ordonnance était con-
venable et profitable à la besogne''.
Dans la bouche du roi, ce petit conseil se transforma en
conseil « d'arcevesques, évesques, abbés et autres prélats,
doyens de ciiapitres, convenz, collèges et plusieurs autres
personnes d'Eglise, séculers et religieux, exempts et non
exempts, ducs, comtes, barons et autres nobles de nostre
royaume ^ . "
Il fut statué que les prélats et les seigneurs fourniraient et
entretiendraient pendant quatre mois de l'année 1304, juin,
juillet, août et septembre, un homme d'armes par cinq cents
livres de rente en terres; les roturiers, six sergents par cent
feux : le roi s'engageait à frapper de bonne monnaie *.
Cependant il paraît qu'on appréhenda quelque résistance de
la part de certaines provinces. On envoya des commissaires
solliciter l'adhésion du tiers état. En Normandie, on demanda
aux roturiers des subsides : les bourgeois du bailliage de Rouen
stipulèrent avec Charles de Valois : 1° qu'ils fourniraient et
entretiendraient pendant quatre mois six sergents par cent
feux; 2° qu'ils lèveraient eux-mêmes les deniers destinés à la
solde de ces sergents ; 3° que les sergents seraient payés par
1 9 octobre 1303 : le roi rendit une ordonnance plus détaillée que celle
du 3. Ord., t. I, p. 383-385.
2 Original scellé par les prélats et barons. Trésor des chartes , J. 384 , n° 1 ;
et Ord., t. I, p. 408, n» 6.
3 Ord., t. I, p. 412. .Juilicl 1304.
■* Ord., t. I, p. 383. Lettre à réiêque de Paris, 9 octobre 1303.
270 LA FRANCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
(les commissaires élus par les «jens du tiers état; A" que la
levée du subside cesserait du jour où la paix serait conclue '.
Les Languedociens furent aussi appelés à voter l'impôt par
sénéchaussée '.
En lisant ces conditions, on croirait lire les traités passés un
demi-siècle plus lard entre le roi Jean et les Etats de la langue
d'Oc et de la langue d'Oyl. Remarquons que l'impôt est assis
et perçu par les habitants qui soudoient directement les trou-
pes. Les Normands ne furent pas seuls consultés : nous avons
encore de semblables traités entre les commissaires de Philippe
le Bel et les habitants des sénéchaussées du ilidi. On ne peut
révoquer en doute que le tiers état n'ait été appelé en 1303 à
se prononcer sur la concession d'un impôt extraordinaire. J'ai
même trouvé une curieuse instruction secrète, qui trace aux
commissaires les voies qu'ils doivent suivre pour obtenir plus
aisément ce qu'ils demandaient. Les villes ou villages reçurent
la faculté de se dispenser d'envoyer des sergents choisis dans
leur sein et de les entretenir, en payant deux sous par jour
pendant quatre mois pour chacun de ceux qu'ils auraient dû
envoyer ^
Quelle était la part de liberté qu'on laissait en 1303 au tiers
état dans le vote de l'impôt? Je crois qu'elle était très-restreinte
et même à peu près nulle. En effet, nous avons vu que le roi
avait commencé par ordonner que les roturiers entretien-
draient pendant les mois de juin, juillet, août et septembre de
l'année 1304, six sergents par cent feux.
La lev^ée de l'aide marchait lentement ; au mois de juillet, le roi
fut obligé de donner des ordres pour en hâter la perception : les
* tt Et aura chascun scrjanl ti sous le jour de gajes sanz plus. Pour les quiex
gajcs paicr les devanz diz bourgeois et babitanz feront par leur serment les
assises en cbascune paroisse sur cbascun feu bien et loiaument, sans mes-
prandre, à leur povair, selon la quantifé et la value de chascun; et sera tenue
par nous (le roi) l'assise telo comme il la feront sus chascun, sanz ce que
nous y puissons mètre autres recercheors ne faire rebuter. Et en seront mis
hors toutes poires genz mandiants; et en telle manière que nous querrons
les soudaiers et seront saigniez iccz soudaiers au saing de la ballie, et ils les
paieront et feront paicr par leurs genz, etc. c Reg. XXW, n*^ 172.
- Vaissètc, t. IV, Preuves, col. 133.
3 Ordonnance du 20 janrier 1303. Ord., t. I, p. .391.
LIVRE DlXlrâlE. — RECETTES ET DÉPENSES. 271
seigneurs furent requis de la lever dans leurs terres ; on exi-
geait toujours six sergents par cent feux des non-nobles libres;
mais on se relâcha à l'égard des gens taillables à merci et de
mainmorte; on s'arrangea à l'amiable avec leurs seigneurs.
On craignait avec raison que si on frappait de trop lourds
impôts ces malheureux attachés à la culture du sol, ils ne
cessassent de travailler et ne devinssent des mendiants \
Pour accélérer la rentrée des deniers, on envoya dans les diffé-
rentes provinces des surintendants, dont deux étaient préposés
à un même arrondissement compienant plusieurs bailliages
ou sénéchaussées ; ils établissaient eux-mêmes dans chaque
bailliage deux commissaires, ordinairement le bailli et un
chevalier.
Les mendiants pain quérants n'étaient pas compris dans le
nombre des faisant feu.
Dans le bailliage de Chaumont, cent feux payèrent soixante
livres ,^ c'est-à-dire douze deniers l'un dans l'autre. Chaque
feu ne payait pas une somme uniforme, mais en proportion de
la fortune de chaque contribuable". Les hommes du roi four-
nirent généralement six sergents par cent feux ; les nobles con-
tribuèrent pour le cinquième de leur revenu. Pour évaluer la
fortune de chacun, le bailli nommait deux bourgeois et deux
nobles, avec mission, les premiers, do rechercher la fortune
des roturiers, les seconds des nobles ^
Un compte officiel qui ne paraît pas tout à fait complet, et
qui renferme des erreurs évidentes, donne pour produit de cet
impôt, déduction faite des frais, la somme de cinq cent soixante-
cinq mille cent soixante-neuf livres tournois de faible monnaie.
Les frais de perception avaient été considérables. Dans le bail-
1 9 juillet 1304. Alanclcmcnt pour faire lever l'aide dans la terre du comte
de Dreux. OnJ., t. I, p. 412.
- Histoi-iens de France, t. XXI, p. 564.
•^ Lettre de P. .lourdain de l'Ile, scncchal de Beaucaire, et de G. Adhémar,
chevalier, t ordinatores et coUectorcs subsidii domino régi in senescallia prc-
dicta novissime concessi, » contenant une lettre dans laquelle ils sont insti-
tués en cette qualité par le comte de Forez et Foulques de Rcgni, <i dcpnlati
adsuperintendenduminnegocio suLsidii, in Gaturcensibus, Petragnr. , Ruihin.,
Carcasson. et Bcllicadr. senescalliis et in ballivia Alvernie. -a Jeudi après la
Saint-Matbias 1303. Mesnard , Histoire de Xismes, preuves, t. I, p. 147.
272 . LA FRAXCr: SOLS IMIILIPPK LE DEL.
liage de Vcrmandois, ils sciaient élevés an vingt-septième;
dans ceux de Hoiien et d'Amiens, au vingt-troisième; ils attei-
gnirent le dix-septième dans celui de Sens '.
Lne partie de l'impùt ne put être recouvrée *. Dans la
Tourainc, la moitié à peine lut levée, mais c'est là un
chiffre exceptionnel \ Les seigneurs qui permirent la levée
de l'aide dans leurs fiefs obtinrent des lettres de non-pré-
judice *.
Cet impôt, uni à la dépréciation toujours croissante des
monnaies, acheva de ruiner la France. La paix vint heureuse-
ment mettre un terme à ces exactions que la défense du pays
rendait nécessaire; mais on ne laissa pas longtemps le peuple
sans lui demander de nouveaux subsides.
Pour resserrer son alliance avec l'Angleterre, Philippe le
Bel avait marié sa sœur au vieux roi Edouard I", et fiancé sa
fille Isabelle au jeune prince de Galles, fils aine du monarque
anglais. Le mariage d'Isabelle, après avoir été relardé pen-
dant plusieurs années à cause de la jeunesse de la fiancée, fut
enfin fixé à l'année 1308. Le roi ordonna à cette occasion la
levée d'un nouvel impôt dans ses domaines et dans ceux des
barons et des prélats. C'était vraiment abuser. Les réclamations
furent universelles, se fondant sur les anciens usages. Philippe
suspendit momentanément les levées, et ordonna à ses légistes
de compulser les registres du trésor des chartes et de la
chambre des comptes, ainsi que les coutumes \ Les Normands
surtout s'étaient plaints avec force. Le roi leur déclara qu'il
avait consulté les registres des coutumes et les registres royaux,
et que celte aide lui était due, mais il l'ajournait jusqu'au carême
' Historiens de France, 1. XXI, p. 564.
- Historiens de France, t. XXI, p. 504.
' Le nombre des niundcmenls aux baillis pour accélérer les rentrées est
considérable. 19 mai 1304, au bailli d'Orléans. Arcli. inip., .IJ. 35, n° 142.
— Même date, au bailli de Sens, n" 107. — 29 juin 1304, au prévôt de
Paris et aux collecteurs des subsides, JJ. 35, n"'» 178, 212 et 214. — Autres
du 28 avril, n'^ 128, 165, 166, 168, etc.
''' Lcllrcs en faveur de l'abbaye cl des hommes de Saint-Germain des Prés,
19 juin 1304. Or. Arcli. inip., K. 37, n" 32.
^ Le roi déclare qu'il a consulté la coutume du Vcxin, et qu'elle lui est
favorable. Or. J. 384, n» 2.
LURE DIXIÈME. — RECETTES ET DEPEXSES. 273
(le raniiéc J3U1), à cause de la mauvaise recolle'. Les \or-
raands ne se tinrent pas pour battus : les prélats ne purent
souffrir de voir les hommes Ubres vivant dans leurs seigneu-
ries contribuer à doter la fille du roi ; ils portèrent l'affaire au
parlement, <jui donna gain de cause au roi ^ . Cette aide était en
effet légale en Xormandie, mais elle n'avait pas été levée depuis
les rois anglais. Henri II, quand il maria sa fille Alalhilde au
duc de Saxe, avait exigé un marc d'argent de chaque cheva-
lier, qui lui-même levait ce marc sur ses tenanciers'. La Xor-
mandie avait été exercée au payement des impots parles Plan-
tagenets, dont les exigences fiscales n'avaient rien à envier à
celles de Philippe le Bel. Dans les autres provinces, les immu-
nités des seigneurs s'étaient mieux conservées. Le roi décida
que l'aide serait levée là où les seigneurs avaient le droit de le
lever pour doter leurs propres filles*.
Les villes invoquèrent, comnie toujours, leurs piiviléges
pour ne pas payer : on négocia avec elles; il se passa à cet
égard dans le Querci quelque chose de curieux et d'insolite.
Le roi convoqua les représentants des communes de ce pays,
on ignore dans quel lieu, sans doute à Paris, pour en obtenir
l'aide de mariage. On conserve au Trésor des chartes ces pro-
curations, qui sont rédigées dans la même forme que celles
pour les états généraux; j'ignore si les députés des villes d'au-
tres provinces furent réunis " . Rouen se fit exempter en payant
trente mille livres; il est vrai qu'on lui rendit la pei'ception
1 II Xos igitur visis registris consuefiidinum Xormaniiiœ, ac diligcntcr
inspectis registris insuper nostris , Parisiiis habita dciiberatione super hiis
pleniore, etc. n Mandement à t'éctiiqHier, 6 septembre 1308. OrJ., I, p. 453.
- Lettre au bailli de Caen, après le dimanche Reminiscere 1309-13 îO.
Trésor des chartes, Reg. XI^II , fol. 106.
•! Delisle, Revenus publics en Normandie. Bibl. de l'Ecole des chartes,
3-= série, t. III, p. 123.
* Mandement au bailli d'Orléans, 6 octobre 1311 : i. Alandamus tibi qua-
tinus in terris nosiri domanii , juxta incolarum facultatem, nec non in terris
baronum seu aliorum justiciariorum nosfrorum tue ballivie, quibus ipsi
barones subsidium maritagii fdiarum suarum in eisdem terris suis cxi<{ere
consuepcrunt, subsidium maritagii carissime Isabellis, fdic nostrc, cxi<ralis. >
Rcg. A. de la chambre des comptes. P. 2290, fol. 109.
•"• Tout un carton du Trésor des chartes est rempli de ces procurations.
J. 356.
18
274 LA FHAXCK SOIS PHILIPPE LE BKL.
de la coiiltimo du pont de Rouen (impôt sur les bateaux qui
passaient sous le pont), dont cette ville avait élé privée lors
de l'émeute qui éclata à l'occasion de la mallôle'. Cet impôt
fut perçu dans toute la France', mais non sans peine; car
on commença à l'exiger en J308, et en 13J1 il n'avait
pas encore été acquitté dans certaines localités. Le taux
n'était point fixé, les agents du roi exigeaient le plus qu'ils
pouvaient.
En 13J3, le jour de la Pentecôte, Philippe le lîel conféra
l'ordre de chevalerie à son fils aîné Louis, roi de Navarre, à
ses deux autres fils et à plus de deux cents jeunes seigneurs de
la plus haute noblesse, au nombre desquels on remarquait
Philippe de V^alois, qui devint roi; Robert d'Artois, dont la fin
fut si déplorable; le duc de îîourgogne, les comtes de Blois,
de Dreux, de Vaudémont, de Foix, de Comminges^. Cette
chevalerie fut l'occasion de dépenses folles ; les dons faits aux
nouveaux chevaliers s'élevèrent à trente-deux mille deux cent
soixante-trois livres tournois*. Paris fut plusieurs jours dans des
fêtes, mais il fallut payer tout ce luxe ', et un nouveau subside
fut imposé. Le cas était loyale comme on disait; saint Louis"
et Philippe le Hardi avaient levé des impôts lors de la cheva-
lerie de leurs fils aînés. Les villes exhibèrent de nouveau leurs
privilèges pour se faire exempter. Les textes (jue plusieurs
d'entre elles invoquèrent nous ont été conservés dans un docu-
ment provenant de la chambre des comptes ; mais il arriva que
si les villes apportaient des textes prouvant leur immunité, les
1 Or. Trésor des chartes, J. 392, n» 24 (on 1309).
2 Voyez l'aide levée ù Tulle en 1309. JJ. 42 , n" 72. — Dans le bailliage de
Mâcon en 1310. P. 2290, fol. 29. — A Cliarlieu. Olim , t. III, p. 362. —
En Normandie, 1309. JJ. 42, n°^ 68 et 100. — Ord., t. XI, p. 423 (6 oc-
tobre 1310). — Neuilly, délai, 18 niar.s 1310-1311. JJ. 42, n" 138. —
Bourges, délai, décembre 1309. JJ. 42\ n" 105 r".
3 ï Compte inliltilé : a Xovi milites facti pcr dominnm regom Parisiis, die
Pentecostes anno 1313. d Dans Ludivig, Reliquiœ manuscrlptorum , t. XII,
p. 48 à 60.
'^ Ludvvig, Reliquiœ manuscriptorum , t. XII, p. 60.
^ Gcoffroi de Pnris, édit. lUuhoii , p. 192.
c Olim, l. I, p. 804 et 805. Le roi demanda nu subside ù cliaquc xillc en
particulier.
LIVRE DIXIiaiE. — RECETTES ET DEPEXSES. 275
agents du fisc invoquaient leurs registres et les payements faits
à une époque antérieure et à litre de don gratuit par plusieurs
de ces villes.
La ville de Sens opposait cette clause de ses privilèges :
K Volumus etiam quocl hommes communie liberi permaneant
ah omnibus talliis et toltis , salvo servicio exercitus et equi-
tationis nostre. -.^ Les gens du roi répondaient : c Est trouvé
par les comptes de la baillie de Sens de l'an mcclxxxvi, que
ladite ville de Sens paya dou renouage levé en lien de la che-
valie du roy pour le tout xxvii livres. Itenij en l'an mcclxix,
deux mille livres pour don, et de ces deux dons n'a exprimé
aucune autre cose, et est à savoir que le privilège est donné au
nom de la commune, et hors de la commune sont des plus
riches hommes de la ville de Sens ' . "
Les habitants de Saint-Maur citaient un diplôme de Louis
le Débonnaire ^.
Les habitants de Paris payèrent une somme de dix mille
livres qu'ils levèrent eux-mêmes. On suivit le même mode que
pour la taille de cent mille livres. La répartition fut faite en la
maison d'Etienne Barbette, par Jean Barbette, Jacques Bour-
don, Jacques le Queu, orfèvre; Vincent, le poissonnier de
mer; Jean de Alontreuil, tisserand ; Thomas de Xoisy, vinetier;
Gérard Godefroy, épicier; Jean Maillart , changeur; Simon de
Saint-Iîenoît, drapier; Guillaume de Trie, pelletier; Simon,
boucher; Nicolas Arrode; Simon de Château, mercier; Robert
de Linais, courraier; Evroin Ligier, talmélier, et Guillaume
Frenquein, sellier ^ On voit que tous les corps de métiers
étaient représentés dans cette commission. Le registre de cette
taille existe encore. La ville y est divisée en paroisses, et chaque
paroisse en rues.
* Rc[r. Pater de la chamtire des comptes, fol. 152, année 1314, P. 2289,
fol. 159 , pièce intitulée : <: Ce sont les villes de la baillie de Sens qui se dient
franches de la subvention de la chevalerie le roy, et y sont contenues les
clauses de leurs privilèges : et c'est à savoir que le roy qui règne présente-
ment, Philippe le Bel, fut fait chevalier à la mi-aoiît 1284 et le roy Louis de
Navarre ù la Pcntecoste 1314. i
2 Reg. Pater de la chambre des comptes, fol. 153.
3 C'est le livre de la taille des dix mile livres dcus au roy nostre sire,
pour la chevalerie le roy de Xavarre, son ainsné ûls. Edit. Buchon, p. I.
18.
276 LA FRAXCK SOIS IMIILIPPK LE BEL.
La levée de cette aide souleva des réclamations nombreuses.
Les villes situées dans les fiefs des barons jouissant de la
haute justice, paraissent en avoir été exemptées, ou du moins
avoir obtenu des délais pour payer'.
En 1313, les bostilités recomincncèrciit avec les Flamands.
J'ai montré combien était peu exacte l'opinion des historiens
qui ont cru que les états généraux avaient été appelés à
voter les subsides nécessaires pour soutenir cette nouvelle
guerre.
Le mode de levée est tracé dans une instruction de la
chambre des comptes, intitulée : a Ce sont les instructions que
les commissaires envoyés par le royaume doivent faire et tenii-
secrètes ^ »
Il résulte de ce document que les roturiers ayant deux mille
livres devaient aller à l'ost ou financer. Ceux qui possédaient
moins de deux mille livres se réunissaient au nonil)re de cent
pour fournir six sergents, ou moins s'ils étaient pauvres. Les
villes commerçantes étaient exemptées moyennant un impôt
sur les marchandises. Les nobles et les ecclésiastiques pou-
vaient aussi se faire dispenser du service personnel en payant
une somme abandonnée à la discrétion des commissaires. Ln
fragment de compte complète ces renseignements^.
Ceux qui possédaient au moins mille livres payèrent le cin-
quantième de leurs biens*.
« Et ne fina point la ville de Provins, pour l'assiète sur les
marchandises qui fut assise sur eulx, si comme à Paris. « Les
chroniqueurs placent à cette époque la levée de six deniers par
livre sur les marchandises, qui fut sans doute l'impôt indirect
substitué dans les villes de commerce à la subvention ordinaire.
' Voyez Ip document provenant de la chambre des comptes intitulé :
c Xomina viliarum que liabuerunt suffercntiam subsidii pro militia régis
Xavarre debiti usque ad quindenam Omnium Sanctorum 1314. j Arcli. imp.,
P. 2289, fol. 170.
- i Hoinines hic subscripti non habent privilégia sed habent sufl'erentiain
pro eo (piod morantur in alta justicia dominorum snbscriptoruin. Homines
episcopi Pictavicnsis, etc. i Arch. imp., P. 2289, fol. 170.
3 Subside pour l'est de Flandre. Historiens de France, t.XXI, p. 566 et suiv.
''* Ceux de mil livres paieroient vingt livres, et de plus plus. Historiens de
France, i. XXI, p. 567, D.
LIVRE DIXIÈAIE. — RECETTES ET DÉPENSES. 277
Cet impôt fut le prétexte des ligues contre le roi. Philippe fut
obligé de donner satisfaction aux alliés et d'ordonner de sus-
pendre la perception du subside '. D'ailleurs, il ne fut pas
levé dans toutes les parties du royaume.
Jamais on n'avait vu tant d'impôts extraordinaires, mais
aussi jamais les besoins de l'Etat n'avaient été aussi grands.
L'impôt, pour la pren)ière fois, était devenu général pour tout
le royaume, à certaines conditions, il est vrai, et c'était là un
grand progrés vers l'unité. Nous avons vu tous les Français
dans l'obligation d'obéir aux ordonnances du roi, de se sou-
mettre aux arrêts souverains du parlement royal, de payer un
même impôt : nous les verrons bientôt tenus de marcher, à la
suite du roi, à la défense de la patrie.
CHAPITRE TROISIEME.
IMPÔTS SUR LE CLERGÉ.
Contribution du clergé aux cliargcs publiques. — Décimes ou dixièmes dos
revenus ecclésiastiques. — Décimes accordés au roi par ^lartin IV à l'oc-
casion de la guerre d'Aragon. — Le décime payé par des églises situées
hors du royaume. — Comment on peut établir la liste des décimes payés
par le clergé sous Philippe le Bel. — En 1294, le roi veut réunir une
assemblée générale du clergé pour en obtenir des subsides. — 11 renonce
à ce dessein. — Réunions de conciles provinciaux. — Vote de décimes.
— Protestations. — Exempts. — Mesures prises contre ceux qui refusaient
de voter l'impôt demandé. — Le clergé reconnaît être tenu à contribuer
aux charges de l'Etal. — Assemblée d'évèques à Paris en 1296 pour
accorder un décime. — Xouvcllc protestation de Cîteaux. — Boniface
accorde un décime (1297). — Détresse des églises. — Décimes votés
en 1303 et 1304. — Moyens violents employés par le roi. — Benoît XI et
Clément V accordent de nouveaux décimes. — Alode de lever les décimes.
— Xalurc des revenus auxquels ils s'appliquaient. — Cadastres généraux
des bénéfices ecclésiastiques. — Les clercs récalcitrants excommuniés. —
Annates. — Evaluation des revenus du clergé d'après des docimients ofliciels.
On croit qu'au moyen âge l'Eglise ne contribuait pas aux
charges de l'Etat et que ses biens étaient exempts d'impôt :
1 Historiens de France, t. XXI, p. 567, B.
278 LA FRAXŒ SOI S PHILIPPE LE BEL.
rien n'est plus contraire à la vérité. L'histoire du règne de
Philippe le IJel en fournit la preuve la plus irrécusable, car elle
montre l'Eijliso de Franco ruinée par la part qu'elle dut
prendre aux. contributions publiques.
Il faut distinguer les biens de l'Eglise de ceux qui formaient
le patrimoine des ecclésiastiques. Les mêmes régies ne s'appli-
quaient pas aux uns et aux autres. Les clercs étaient affranchis
des tailles personnelles, pourvu qu'ils vécussent cléricalement,
c'est-k-dire sans être mariés et sans exercer le commerce ou
une profession mécanique; immunité qui leur fut confirmée à
plusieurs reprises par Philippe le Bel'. Alais ils participaient
aux impôts en raison de leur fortune personnelle , tout comme
les laïques , pour les besoins de l'Etat et pour ceux des com-
munes auxquelles ils appartenaient. Philippe le Long avait
déclaré, en 1274, aux bourgeois de Toulouse, qu'en France
les clercs non mariés n'étaient point soumis aux tailles, sauf
aux tailles réelles'. Beaumanoir explique ce qu'on entendait
par tailles réelles \ Les nobles et les clercs demeurant dans
leurs fiefs étaient libres de toute imposition, mais ceux qui
possédaient des héritages roturiers dans le ressort de la juri-
diction d'une commune, étaient tenus de payer les tailles
imposées sur les membres de cette commune. Celait là une
obligation inhérente à la propriété roturière et dont la noblesse
du possesseur ne l'affranchissait pas. Les biens de l'Eglise y
étaient eux-mêmes soumis, et ce fut vainement que les mem-
bres du clergé voulurent s'en faire exempter pour leurs biens
personnels ^.
Les biens de l'Eglise ou bénéfices ecclésiastiques étaient
soumis à des contributions particulières nommées décimes, qui
consistaient dans le dixième , non pas des biens , mais des
1 Mandonient du sénéchal de Carcassonne, en 1296. Ord. , t. I , p. 329.
— ilartèiic, Thésaurus , t. I, col. 1288. — Autre de lan 1288. Alcsnard,
Histoire de Ximes, t. I, preuves, p. 114.
- Ord., t. I , p. 302 : a Sed nnera duntaxat agrorum et nisi taies existèrent
talliae quœ possessiones oneravcrint ab antiquo. i-
3 Coutumes de Beauvoisis , chap. h. — Ducange, dans ses Notes sur
Joinville, rapporte une sentence du bailli de V^erraandois, de l'an 1290,
contre les clercs de la ville de Ham.
^ Arrêt du parlement d'octobre 1291. Vaisscte , t. IV, Preuves, col. 9.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DÉPEXSES. 279
revenus '. Dans le principe les décimos étaient destinés à sub-
venir aux dépenses des croisades; au treizième siècle, ils
furent levés à plusieurs reprises. De 1247 à 1274, TEglise de
France paya vingt et un décimes'''. En 1274, le pape Gré-
goire X permit au roi Philippe le Hardi de lever pendant trois
années consécutives un décime à l'occasion de la guerre contre
l'Aragon , qui était considérée comme une croisade. En 1284,
Martin IV', qui avait déposé don Pèdre d'Aragon et donné sa
couronne à Charles de Valois, fils de Philippe le Hardi,
accorda au roi de France un nouveau décime de quatre années
pour l'aider à exécuter par la force des armes la sentence pon-
tificale '. Mais cette guerre entraîna en se prolongeant des frais
énormes que le saint-siège se chargea de payer avec les hiens
de l'Eglise. En 1289, Kicolas IV imposa un décime pendant
trois années sur les églises relevant du roi et même sur celles
qui, quoique placées hors de sa suzeraineté, faisaient partie
d'une province dont la métropole était située dans le royaume
de France, et sur les métropoles dont quelques diocèses suffra-
gants seulement dépendaient de Philippe le Bel, tels que les
provinces de Besançon, de Vienne et de Lyon, et les diocèses
de Liège, de Cambrai, de Metz, de Toul et de Verdun *.
1 On a cru que les décimes étaient le dixième des Liens : c'est une erreur.
Bulle de concession du décime de 1289 : «■ Decimam omnium ccclesiastico-
rum proventuum et reddifuum in regno Francie... Pliilippo régi pro subsidio
regni .^rragonie duximus concedendum. d — Mêmes termes dans la bulle de
concession d'un décime en 129G par Boniface VIII. P. 2591. Copie du rcg.
Saint-Just.— En 1304, bulle de Benoît XI. Or. J. 459, n" 11. — En 1306,
bulle de Clément V. Arch. imp., copie du temps, J. 938. — Voyez aussi les
concessions de décimes par le concile d'Aurillac, en 129^. Id., i. 456, n°31.
— Par les assemblées ecclésiastiques de Paris, en 1296. Martènc, t. I,
col. 1277. — Concile de Clermont en 1304 : a Decimam de grossis fructibus
offerunt se soluturos. » Arch. imp., or. J. 1025, n" 4. — Concession d'un
décime par Marmoutier, en 1296. J. 456, n° 31. — Ces citations suffisent
pour établir un point fort obscur, savoir : si le décime consistait dans la
dixième partie de la valeur ou du revenu des bénéfices.
- Tabula R. Mignon.
■^ Rainaldi, an. 1285, n» 28. — Vidimus de la bulle de Martin IV. Arch.
imp., J. 938, n" 34.
^ Mandement des exécuteurs du décime aux collecteurs de la province de
Sens, dimanche après l'octave de l'Epiphanie 1289-1290. Or. Bibl. imp.,
Baluze, décimes, n° 10. — Voyez, relativement à la perception du décime
280 LA KR.AXCI' SOLS l'IllLII'lM': l.K BKL.
(le U\\[ hizaiTC en apparence s'explitjiie par le point de vue
auquel on envisa'jeait la jjuerro d'Arayon : celait une croisade.
Quand elle fut terminée, le pa|)e invita le loi à consacrer h une
cxpcdilion en terre sainte les sonnnes provenant des décimes
qui n'avaient pas été employées'. Il est inutile d'ajouter
que Philippe «{arda tout et entreprit de jirouver (pie loin de
rien devoir, c'était le saint-siége qui était son débiteur pour
des sommes importantes'.
Pour connaître les différentes levées de décimes qui furent
effectuées sous Philippe le liel, j'ai trouvé un guide précieux
dans l'inventaire de Robert Mignon, qui m'a déjà été d'un si
grand secours. Sans cette table, il serait impossible d'établir
la succession de ces décimes, qui étaient imposés à des époques
tellement rapprochées, que la perception de plusieurs d'entre
eux était simultanée ^ .
En 12U4, au fort de sa lutte contre l'Angleterre, à bout de
ressources, Philippe conçut le projet de demander des subsides
au clergé. Il eut d'abord l'intention de convoquer une assem-
blée générale du clergé , mais il ne persista pas dans ce des-
sein^. Il prétexta les dépenses et les dérangements qu'entraî-
nerait le déplacement d'une aussi grande quantité de personnes.
Il espéra sans doute obtenir plus facilement ce qu'il demandait,
en réunissant séparément le clergé de chaque province \
dans le diocèse de Metz , une lettre de deux chanoines de Metz au sire de
Beauniont, en 1291. Arcli. inip., J. 580, n" 1.
1 Rainaldi, an. t290, n° 17.
- Mémoire sur les réclamations du pape. Historiens de France, t. XXI,
p. 324.
3 C'est ainsi ([ue M. Kcrvyn de I.eltcnhove, voyant en 1292 Philippe le Bel
exiger un dccinie de l'ordre de (j'Ieaux, a supposé que le roi rédanuiit le
payement du décime accordé en 1274 par Grégoire X. Recherches sur la part
que l'ordre de Citeaux a prise au procès de Boni/ace VIII, t. VIII, p. 8.
'' i Philippus. .. episcopo Lticensi, sahitem. Xuper tractatum extilit deb-
bato consilii, archicpiscopos, episcopos, prelatos , abbates, priores, prepo-
sitos , decauos , conventus, coliegia, tam calhedralium quam collegiatariun
convcntualiiim, rcctoresque ecciesianun et coteras personas ccclesiasticas
regni nostri , proptcr quedam ardna négocia... ad nostram presentiam con-
vocare. » Mardi après la Saini-Pierre aux Liens 1294. Bibl. inip., Baluzc,
n" 10312 .'\. fol. 16 r".
'• a Considorata autem postmodum quod oncrosum cxisleret et essct super
LIVRE DIXimiE. — RECETTES ET DÉPE.VSES. 2S1
Divisé, le clergé était plus lacilo à iiiliniider : réuni, il eût
sans doute opposé quelque résistance sérieuse; Edouard I",
roi d'Angleterre, en fit l'épreuve. Les députés du clergé anglais
auxquels il demanda des subsides, les refusèrent, et il fut ré-
duit, pour obtenir de l'argent, aies disperser et à employer la
violence et la terreur '.
Philippe, mieux avisé, prescrivit à chaque métropolitain de
réunir les ecclésiastiques des diocèses suffragants : le lieu et le
jour de la réunion furent fixés par le roi lui-même, et il choisit
pour lieux d'assemblées des villes où l'influence royale domi-
nait exclusivement. Le clergé de la province de Narbonne se
réunit à Béziers le jour de la Saint-Simon et Saint-Jude '. Celui
de la province de Bourges à Clermont, le 8 du mois de no-
vembre. Celui de Reims à Compiègne, le mardi après la Saint-
Remi \ Les évèques , abbés, prieurs, prévôts de chapitres
furent invités à comparaître en personne, les autres ecclésias-
tiques eurent la permission de se l'aire représentera Philippe
Je Bel craignait avec raison que si les gros bénéficiers pou-
vaient envoyer des procureurs à leur place, ils ne leur don-
nassent des instructions peu favorables aux demandes royales,
tandis que s'ils étaient tenus de se présenter eux-mêmes ils
auraient honte on peur de refuser.
Dans toute la France les conciles se réunirent et votèrent un
double décime pendant deux années, à partir de la Toussaint
1294^. Les Eglises de Bretagne firent cause commune avec
numerosiim singulos arcliicpiscopos, cpiscopos... et rcctorcs cccicsiarum in
unum proptcr hoc convcnire... providemus qiiod in unaqiiaque provincia per
metropolitanum cpiscopi, prelafi, abbalcs, priorcs et alii cjiisclem provincie
cerfo tempore et loco convcniant. » Bibl. imp., Baiuze, n» 10312 A. fol. 16 r°.
1 Lingard, Histoire d' Angleterre , t. III, p. 393.
- Lettre de i'arclievèqtie de \arbonno. Cahize, n" 10312 A. fol. 16.
•1 Protestation du chapitre de Laon. Or. Bibl. imp., Laon , n" 94. u Pro-
curatorcs provincie Remensis in provincial! concilio apiid (]om|)cn(liuni , die
martis post Sanctiini Remigium , super subventione regni facicnda. »
^ Lettre de l'archevêque de .Varbonnc. Bal., 10312 .A. fol. 16 v".
5 ( Décima biennis , seu subventio per modum décime a prelatis sua auc-
toritate régi Philippe in concilio apud Pontem Xanctoncnsis diocesis cclebrato,
anno 1294, concessa pro subsidio regni Icvata ab 0. Sanctis tune usquc ad
idem festum per biennium. ^ Inventaire de Robert Mignon, Historiens de
France , t. XXI, p. 225. ilignon a attribué à tort au concile de Pons la con-
282 lA FRWGK SOLS PHILIPPE LE BEL.
les aulips diocèses ilc la province de Tours '. Cependant quel-
ques prolestalions s'élcviMent. Plusieurs ecclésiastiques de la
province de Reims a|)pclèrent à lîoniface VIII'.
Xoiis avons vu qu'un ccrlain nombre de monastères avaient
été exemptés de la jui'idiclion de l'évèque diocésain et soumis
immédiatement au pape : on les aj)pelait exempts. Pliilip|)e leur
demanda les mêmes sacrifices qu'aux autres Eglises. Dans
chaque province ils furent réunis dans des assemblées particu-
lières. Ceux de la province de Bourges furent convoqués à
Aurillac par G. deMaumorot, diantre de Bourges, et P. de
Latilly, chanoine de Soissons, clercs du roi, qui leur présen-
tèrent la résolution prise à Clermont par les églises non
exemptes de la province. Les exempts , parmi lesquels on re-
marque les abbés de la Chaise-Dieu, de Déols , etc., accor-
dèrent gracieusement un double décime biennal, et firent
constater leur vote dans un certificat dressé par un notaire
apostolique ^ .
Certaines abbayes composèrent avec le roi; Marmoutier *,
Cluny % les abbayes de Cîteaux de la province de Bourgogne *.
Les décimes n'étaient accordés qu'à condition que nul, ni
roi, ni duc, ni comte, ni baron, ne lèverait aucun autre impôt
tant que durerait la guerre présente; le roi souscrivit à ces
conditions '. Le clergé n'était point libre de refuser; les ecclé-
ccssion du décime pour toute la France; ce concile ne l'octroya que pour la
province de Tours. Acte du synode de Reims, mardi après la Saint-Rcmi 1294.
Trésor des chartes , Rcg. XXXIV', fol. 49.
' 20 juin J297. Journal du trésor, fol. 74 v° B.
" - Protestation du chapiU-e de Laon. Or. Bibl. inip., Laon , n^^ 94.
^ Or. Arcli. de l'Emp., J. 45G, n"31. — Martène, Thésaurus, t. IV, p. 215.
''' Or. Arcli. inip., J. 74G, n" 3.
^ Or. Arcli. imp., J. 938, n" 1. Lundi après la Saint-Jean 1294.
•5 Apud Ivervyn, op. cit., p. 10.
" (1 Hoc e.xpresso quod nos (rex), aul duces, aut baroncs et alii domini
nostro subjccli dominio dictis abbalibus, juribus, personis, familiis et liomi-
nibus , ac hospitibus dicti ordinis , occasione impu>]nalionum ac defen-
sionum liujusrnodi, uUam aliam subventionem scu ctiam doui , mutui aut
alicujus cujuslihrt exaclionis, deveriis et seniciis \aleamus Icvare. r Charte
■eu faveur de Cluny. Or. Supplément du Trésor des chartes , J. 938, n" 1. —
Mêmes restrictions dans la concession d'un décime par l'abbé de Marmoutier.
J. 746, no 3.
LI\ RE DIXIlhlE. — RECETTES ET DÉPEXSES. 283
siastiques qui ne voulurent pas contribuer furent exposés à la
vengeance du roi, qui fît mettre sous sa main leur temporel.
Les abbés de l'ordre de Citeaux du diocèse de Carcassonne
invoquèrent les immunités dont ils jouissaient; le sénéchal
saisit leurs biens et ne les leur rendit qu'après qu'ils se furent
exécutés '. Ce procédé, tout tyrannique qu'il paraisse, n'était
pas nouveau. Saint Louis s'en était servi en pareille circon-
stance. En 1237, il demanda aux églises une aide pour la
guerre. Les chapitres de Sens , d'Auxerre et d'Orléans n'y
ayant point souscrit, le roi fit saisir une partie de leurs posses-
sions'. En effet, il était de règle au moyen âge que l'Eglise
devait contribuer à la défense du royaume. Le clergé compre-
nait lui-même qu'il ne pouvait prétendre jouir en sécurité de
ses biens sans prendre part aux charges communes et aux sacri-
fices que s'imposaient les autres classes.
L'ordre de ('îleaux, qui n'est point suspect d'avoir eu pour
Philippe le Bel une tendresse excessive, reconnut ce devoir du
clergé. Le chapitre général écrivait à ce prince : « Secundum
naturalis a'quitalis rationem et sanctiones légitimas debemus de
bonis nobis a Deo collatis ad supportandum tante molis pondus
subvenire ' « . Il n'y avait de désaccord que sur la quotité. En
1296 le roi demanda de nouveaux décimes. Il convoqua à Paris
les évêques pour le 27 mai. Comparurent les archevêques de
Rouen, de Sens, de Reims, de Narbonne , de Tours; les
évêques de Chàlon , de Laon , de Térouanne, de Tournai, de
Senlis, du Mans, de Coutances, d'Auxerre, d'Avranches , du
Puy , de Limoges, de Paris, de Troyes, d'Angers, de Chartres,
de Séez. Les procureurs des autres évêques arrivèrent ce même
jour et les jours suivants. Ils accordèrent, en réservant l'ap-
probation du pape, deux décimes, l'un payable à la prochaine
1 Ordre au sénéclial de Beaiicairc de donner mainlevée des biens de
l'ordre de Citeaux qui avaient été placés sous séquestre, les abbayes de cet
ordre ayant fini par promettre un subside. Veille de la fête des saints Pierre
et Paul 1295. Bibl. imp., Baluze, 10312 A. fol. 70.
- Lettre du synode de la province de Sens au roi en date du mardi avant
la Saint-Barnabe 1237, pour demander la mainlevée. Or. Trésor des chartes ,
n» 2.
^ Lettre du chapitre de Citeaux, dans Kervyn, n" 10.
28V LA FHAXCr: SOIS PHII-IFPK LE BEL.
fête (lo la Pciilocoto, raiilre le 2\^ soplcmhro suivant, h coiidi-
tioii (|n ils seraient levés par le elerfiié, sans l'intervention de
raiitorité laï(|nc. Si rM;}iise épronvait (jiiel(pies vexations de la
part du roi, la levée du subside devait cesser. Cette concession
ne fut pas faite le même jour ni par une seule asseniblée, mais
à des jours et dans des endroits diirérents; au palais de Tévèque
de Paris, à l'iiotel de l'archevêque de Ilouen, pi'ès du couvent
des Cordeliers, dans la maison de l'évéque d'Amiens, non loin
de la porte Saint-Marcel, dans un logis situé auprès de Saint-
Alarcel, enfin à l'abbaye de Saint-Germain des Prés'. Les
évèques seuls avaient été appelés à voter ces nouveaux impôts.
L'ordre de Cîteaux refusa de les payer; il ameuta le clergé et
suscita, au nom de l'Eglise de France, une protestation qui
fut remise au pape. On y comparait Philippe le Bel à Pharaon*.
Les conseillers du prince, clercs et laïques, attachés aux biens
de ce monde, n'osaient lui reprocher ses fautes. JVul ne voulait
s'exposer au martyre pour la justice^. Le pape seul pouvait
arrêter la chute prochaine de l'Eglise. La conduite des évêques
y était flétrie. On les accusait de connivence avec le roi devant
lequel ils tremblaient, ou dont ils étaient complices, et d'avoir
lui honteusement au lieu de combattre pour le Seigneur; on
les appelait, selon les paroles d'isaïe, « des chiens muets qui
ne peuvent aboyer * «.
Cette plainte amena de la part de Bonifiée V'III la bulle
Clericis laïcos. Mais l'entente entre le roi et le pape ne tarda
pas à se rétablir.
1 Hlarlènc, t. I , col. 1277-1279. a Insfrumentum de dpcima Pliilippo rrgi
a clero gallicaiio Parisius, anno 1296. s
- Il Tôt yravainiiia et oncra iinpomint, (jiiod deterioris coiiditionis sub cis
sacerdotiiim vidcalur qiiani sub Pliaraone lïicrit, qui Icgis divine noticiani non
tiabcbat. j Apud Kervyn, Recherches , p. 16.
3 c Cum niulti consulcs principiim, tain clerici quam laïci , propria^ pru-
dentia' innitentcs et luinianani aniiltcre graliam formidantcs eis rccte locpii et
libère pprtiincsraut. i Iv'oriyn, Recherches , p. 16.
^ u (]iiin niilliis aiidct pro dpfonsione ecdesie voce libéra Inijus mundi
pnteslatibiis contraire, licet pastnribiis recta tiniuisse, dicere niliil, aiiiid est
qiiam tcrga tacite ])rebiiisse ac piignam pro donio Isract in prelio Doniini
évitasse, quod Dominus increpat per Isaiani : Canes niuti qui non valent latrarc. »
Kervyn, Recherches, p. 17.
LIVRE DIXIEilE. — RECETTES ET DEPEXSES. 285
Boniface accorda même un double décime à la demande des
évèques de Fiance (15 mai J297), et reconnut au roi le droit
d'imposer le clergé, avec son consentement et sans Tauloiisa-
tion du saint-siége, quand il y aurait nécessité pressante '. Il
concéda en même temps les annates, c'est-à-dire une année de
revenu de tous les bénéfices séculiers qui viendraient à vaquer
dans le royaume pendant la durée de la guerre "*. Philippe usa
immédiatement du droit que le pape venait de lui reconnaître.
Il convoqua à Xoël une assemblée de prélats, leur fit part des
privilèges qu'il venait de recevoir, et en obtint pour une année
la prolongation du double décime que Boniface VHI venait
d'ordonner en sa faveur'. Il montra au souverain pontife qu'il
n'était pas ingrat, en lui permettant de lever sur le cleigé fran-
çais un décime pour contribuer à chasser de Sicile Frédéric
d'Aragon. En 1299 nouvelle réunion des conciles provinciaux,
nouvelle demande d'un décime simple biennal, qui fut voté '.
L'Église était ruinée. Les plus riches abbayes étaient épuisées
par ces contributions si souvent répétées ; pour les acquitter il
avait fallu emprunter à usure : joignez à cela les fréquents
voyages en cour de Rome, les exigences pécuniaires du saint-
siége et l'affaiblissement des monnaies. « Xotre accablement
est immense, écrivait l'abbé de Saint-Germain des Prés, nous
sommes affaissés et comme privés de sentiment; notre crainte
est de ne pouvoir nous relever ^ « .
Après la funeste défaite de Courtrai le roi fît un appel à toute
* Bulle Noverit circumspectio , adressée aux cvèqucs de Paris et de ilcaiix.
Or. Arcli. de l'Emp., Bullaire , L. 281, n° 8G. Autre adressée aux Hospita-
liers, 23 mai 1297. Ibid., n» 79.
- Xangis, édit. Géraud, p. 303.
•^ tt Anno 1297. Dnplicis bicnnis, quaruni prima conccssa fuit régi a papa
Bonifacio VIII , ad requisitionem prelatorum ; secunda impefrata per euiiidem
regem, virtute privilegii obtenti a papa, pro subsidio regui. d Inventaire de
Robert Mignon , p. 325.
'^ \u concile de Lyon. Inventaire de Robert Mignon, p. 325.
^ 11 Infirmitates et dolores nostros exponimus, quibus jam gravati et fessi
immense quasi sincopizati , tinicmus ne amplius resurgerc valeamus. IVostrum
monastcrium debitis est objectum, et crcditores nostri nos fastidiunt, et
infestant et die in diem prosequuntur. s Lettre de l'abbé de Saint-Germain
au pape, Kcrvyn, p. 24, d'après un manuscrit provenant de l'abbaye des
Dunes.
286 I.A FR.WCE SOIS PHILIPPE LK BI'L.
la France : il tlomanda an clergé des prières et de l'argenl : il Gt
venir à Paris |)liisienrs prélats et l(>iir rappela qu'ils lui avaient
promis, si les besoins de l'I'ilat l'exigeaient, un décime et
demi. C/élait sans doute le reTHiuat du double décime de
1291), (|ui n'avait pas été entièrement perçu, par suite de la
fin de la guerre, car le clergé avait stipulé que si les liosti-
lilés cessaient , la levée du subside serait immédiatement
arrêtée.
Le moment était venu de tenir leur promesse. Une circulaire
qui tut envoyée aux autres évèques leur enjoignait la levée
immédiate d'un décime. Le roi y faisait un récit pathétique des
ravages des ennemis. Il les représentait envaliissant la Picardie,
brûlant les cités et les villages, ravageant les campagnes, pro-
fanant les églises, massacrant les femmes et les enfants. Il
annonçait qu'il allait se mettre lui-même à la tête d'une armée
pour les combattre '.
A la fin de Tannée 1303 et au commencement de ISO^,
les conciles furent assemblés^. Celui de la province de Sens
vota un double décime, payable par les prélats et les exempts :
un simple décime fut imposé sur les églises non exemptes, et
encore ne fut-il levé que dans les diocèses de Reims, de
Cbàlons, de Laon , de Soissons, de Noyon, de Senlis et de
Beauvais. Les maux de la guerre en empêchèrent la levée dans
les autres diocèses ^ Le roi promit, en échange des subsides
qu'il recevait, de confirmer les anciens privilèges des églises
et de leur en octroyer de nouveaux. Les conciles de liéziers et
de Bourges accordèrent le même subside que celui de Reims*.
1 LcUrc il l'ôvèqiic d'-Amicns, 15 avril 1303 : e. Xonniillos arciiicpiscopos
regni ad nostram prosciiliam proptcr hoc specia!i(pr rvocalos rcqniri focimu.<;
ut iiobis subsidiiiiu liiijusinodi cxpcnsaruin decitiiam olim nobis ciirn dimidio
décime ab cis et ab aliis prclatis pro dicti regni delensione prcscntialiter
exhiberont. »
- Tabula R. Micjnon , p. 525.
3 Le roi amortit les nouveaux acquêts des exempts du diocèse de \oyon,
eu récompense d'im dtkimc qu'ils lui avaient accorde. Lettres datées de
Péronnc, le vendredi après la Xativité de la Vierge (1303). Rog. XXXV'I du
Trésor des chartes , n" 111.
'^ Vaissète, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 124. — Bibl. inip., M. 55,
Baluzc, décimes, n° 13.
LIVRE DIXIÈME. — RECRITES ET DEPENSES. 287
Nous avons le procès-voibal oii<]inal des délibérations du
concile de la province de lîonrgos. C'est un document précieux
pour faire connaître ce qui ge passait dans ces assemblées.
L'abbé de Cluny comparut au concile en qualité de commissaire
du roi : ce fut lui qui formula, au nom du prince, la demande
d'un subside. C'est à lui que s'adresse la réponse des pères.
Deux évéques seulement étaient présents, ceux de Limoges et
de Mende. L'archevêque de Bourges, alors en cour de Rome,
était représenté par ses deux vicaires généraux. Un sixième à
peine des ecclésiastiques convoqués se rendit à Bourges; ce
qui s'explique par le court délai accordé entre la convocation
et l'assemblée. Les membres présents invoquèrent leur petit
nombre pour essayer de se dispenser de prendre une résolu-
tion, et demandèrent une nouvelle convocation, mais les com-
missaires du roi insistèrent pour qu'ils fissent une réponse à la
requête qu'ils leur avaient présentée. Us offrirent alors un
décime, à condition qu'il serait levé suivant l'ancienne taxe,
par eux-mêmes et seulement sur les gros fruits des bénéfices
ecclésiastiques, sauf l'approbation du pape. Cette approbation
devait être demandée par le roi, à ses frais '.
II parait que les commissaires trouvèrent cette concession
insuffisante, car le concile offrit dans la même session deux
décimes, à condition que le roi cesserait d'altérer les mon-
naies; qu'on respecterait le libre exercice de la juridiction
ecclésiastique ; que les legs et donations à l'Eglise sei'aient
affranchis d'entraves ; que les fiefs appartenant à des ecclésias-
tiques seraient insaisissables; enfin que tous les privilèges de
l'Eglise de Bourges seraient solennellement confirmés.
1 Or. siippl. du Trésor des chartes, J. 1025, n" 4. n B. Cluniaccnsi
abbati... doniini Pliilippi F. régis... in liac parte niincio spcciali , R. Lrnio-
vicensis, G. Mimatensis cpiscopi, magistri Pclrus de Furcis, arcbidiaconiis
de Sancero, et Joliannes Grcsilliom, canonicus Bitiiricensis, générales vicarii
Bituricensis archicpiscopi, in Romana curia existenlis, prcsid(>n}cs provinciali
concilio Bitur. pro infrascripto ncgocio coniocato, ceterique in concilie con-
venientes... Cum sexta pars eorum qui consiieverunt ccnvenire ad proviuciate
concilium non convenit... Qiiod iterum convocetur conciliura in loco communi,
ut ciciiis comodo fieri potcrit, etc., die mercnrii post dicm dominicam , qua
cantatum fuit Letare Jherusalem, annb 1303. i
2S8 LA FRAXGK SOIS l'HILII'n: LE BKL.
Uno partie de ces demandes fut octroyée ', ainsi qu'on l'ap-
prend par les privilèges donnés à l'évêclié de Mende', qui
avait envoyé ses représentants au concile de Huurjres, l)icn qu'il
n'appartint pas à cette province; mais la distance (|ui séparait
le Gévaudan de IJéziers, où se rassembla le concile de la
province de Xarhonne dont Mende dépendait, et surtout la
difficulté des chemins, engagèrent le roi à faire voler le
diocèse de Alende avec les ecclésiastiques de la province
de Hourges.
Philippe employa des moyens violents pour obtenir des sub-
sides de la province de Tours. Il ordonna de lever le cinquième
des biens du clergé, en vertu de son autorité royale, auctoritate
pn'iicipali : le clergé devait être consulté pour la forme. Le
concile refusa, prétendant qu'il avait besoin de la permission
du pape. Les commissaires firent saisir le temporel des pré-
lats ^ Le roi promit solennellement le rétablissement de la bonne
monnaie, dans une lettre qui fut adressée à rarchevéque de
Karbonne \ En outre, toutes les églises reçurent des renou-
vellements de leurs privilèges \ En 1304, le successeur de
Boniface VllI, Benoit XI, accorda au roi, pour l'aidera frapper
de la monnaie sur le pied de celle de saint Louis, un décime
de deux ans, qui fut levé seulement en 1307 et 1308°.
En 1300, Clément V concéda un décime simple qui fut perçu
en 1310; au concile de Vienne, en 1312, les prélats accor-
dèrent un décime au pape, qui en fit don à Philippe le Bel. Le
même concile décida qu'on ferait une croisade en Orient , et
établit un décime de six ans. En étaient seuls exempts les
Hospitaliers et les chevaliers Teutoniques.
' » l'itur. duplex a non cxcniptis pro quibusdain libcrtatibiis concossis. »
R. M'Hjnon, p. 125.
2 Ord., t. I, p. 412. 15 juin 1304.
•' Trésor des chartes, rouleau original, J. 350, n" 5.
^ (i PromiUentes quod a faciendo cudi monctam, quam cudi facimus oninino
ccssari , et monctam ibi bonam cudi et fieri , sicut fiebat et cudebatur tem-
pore beati Ludovic! infra subsequens festum Resurrectiouis Doniini. n Or.
Bibl. imp., Baluze, décimes, n° 13. 8 août 1304.
^ Ord., t. I, p. 406. Reims. — IbkL, p. 412. Xarbonne.
c a Décima bicnnis a papa Rrnedicto XI conccssa, pro rcductionc nionc-
tariim ad pondus. » Inventaire de Mignon.
LIVRE DIXIEME. — RECETTES ET DEPEX'SES. 289
Nous allons faire voir maintenant quel était le mode de levée
des décimes.
Les premiers décimes , destinés aux croisades , furent levés
par des légats, aidés de commissaires appelés exécuteurs des
décimes '. C'est ainsi qu'en 1289, le saint-siége désigna pour
accomplir les fonctions d'exécuteurs, l'archevêque de Rouen
et l'évêque d'xAuxerre ; en 1305, l'archevêque de Narhonne ,
l'évêque d'Auxerre et Pierre de Belle-Perche, chanoine de
Bourges. Les exécuteurs recevaient pleins pouvoirs de nommer
des collecteurs généraux pour chaque province ecclésiastique.
Les collecteurs généraux choisissaient les receveurs chargés
de lever le décime dans chaque diocèse'. Ces agents étaient
tous ecclésiastiques et appartenaient presque toujours au clergé
séculier. Ils juraient de ne se laisser influencer ni par les
prières ni par les menaces , et de rendre des comptes fidèles
aux exécuteurs ou à leurs mandataires. Leur action ne s'éten-
dait pas sur les exempts, c'est-à-dire sur les monastères qui
n'étaient soumis qu'au pape et étaient exemptés d'obéir à leur
évêque qui n'avait sur eux aucune juridiction.
Un décime consistait, ainsi que je l'ai dit plus haut, dans le
dixième des revenus ecclésiastiques. Une bulle de Nicolas IV
donne les plus précieux renseignements sur la manière dont
on parvenait à s'assurer de la valeur exacte de ces revenus,
dont un certain nom'î>re était variable. Etaient exempts : les
léproseries, les hùtels-Dieu et les hôpitaux;
Les religieuses et les moines dont les revenus étaient insuf-
fisants pour assurer leur existence , et qui pour vivre étaient
contraints d'avoir recours à la mendicité;
Les clercs séculiers dont les revenus ne dépassaient pas
quinze livres tournois.
Les pitances monacales n'étaient pas soumises au décime.
On appelait pitance des sommes allouées pour un repas. Les
princes et les grands seigneurs, en fondant des services et des
1 Bulle de Xicolas IV^ du 31 mai 1289. Notices et extraits , n» r.
2 Lettre de l'archevêque de Rouen nommant J. de la Broce, chanoine de
Nevers, a cum facultate deputandi collectores ydoneos, qui omncs personas
usque ad satisfactionera condignam tam de ipsa décima quam de justis et
moderatis expensis cohercendi » .
19
290 LA FRWCK SOUS PHILIPPE LE BEL.
prières pour le repos de leur âme dans une abbaye, étaient
dans l'usage de léguer des sommes destinées à procurer aux
moines un festin à la fois plus copieux et plus délicat, chaque
année, au jour anniversaire de leur mort.
On demandait à chaque ecclésiastique s'il voulait payer le
décime d'après l'estimation de ses bénéfices ou d'après les
revenus effectifs qu'il toucherait pendant la durée du temps
fixé pour la levée du décime. Une fois le choix fait , il n'était
pas permis d'adopter un mode difierent de celui qu'on avait
déclaré vouloir suivre.
De nombreuses difficultés s'offraient pour la perception du
décime, difficultés que les papes s'efforcèrent de lever dans
leurs déclarations. Ils partirent de ce principe, que le décime
n'était pas dû pour les produits en nature que le bénéficier
consommait lui-même; mais si une partie de ces produits
étaient vendus, le décime était exigible pour cette partie, ainsi
que pour les legs.
Quant aux revenus, tels que les coupes des bois, qui se per-
cevaient de loin en loin, à des intervalles souvent inégaux, on
prenait une moyenne. Exemple : un prêtre possède un bois
dans lequel il n'a pas fait de coupe depuis plusieurs années,
mais la dernière coupe lui a rapporté cent livres. Entre cette
coupe et la précédente il s'est écoulé une période de cinq ans;
c'est donc un revenu moyen de vingt livres par an : il payera
le dixième de cette somme '.
Les décimes royaux étaient payés par les différents ordres
religieux, même par ceux qui étaient exempts des décimes
levés par le saint-siège". Certains grands monastères traitaient
avec le roi. Dans les concessions de décimes faites sous Phi-
lippe le Bel, on trouve fréquemment la condition qu'ils seraient
1 Voyez la déclaration de Xicoias IV' du 31 mai 1289. — Notices et
extraits , n° ii.
- Par les Templiers. Journal du trésor, fol. 78 r". 8 juillet 1298. u De
diiplici décima Templariorum in regno Francie. î — Bonifacc Mil ordonna
aux Hospitaliers de payer les décimes. 23 mai 1297. Arch. de l'Enip., Bul-
laire L. 281, n" 79 ; ainsi qu'à l'ordre de Cîteaux, nialjîrc ses cteriiellcs
réclamations. Ibid., L. 281, n" 97. Voyez les protestations de Cileaux dans
Lenain, Histoire de Cîteaux, t. I, p. 254.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DÉPEXSES. 291
levés suivant les anciennes taxes '. En effet, on avait dressé, à
une époque quelconque du treizième siècle, un état général de
la valeur des bénéfices; mais cet état dut être modifié de temps
à autre par suite de l'accroissement ou de la diminution de
certains revenus ecclésiastiques. Il paraît que la valeur des
biens de l'Eglise de France s'était considérablement accrue
à la fin du treizième siècle, ou bien que le recensement en
avait été fait avec plus d'exactitude et de rigueur. C'est ce que
prouve la persistance du clergé français à demander qu'on
suivît les anciennes taxes. Ce fait est d'ailleurs mis hors de
doute par un registre de la chambre des comptes, qui renferme
deux évaluations différentes des richesses du clergé de France.
Je reviendrai sur ce point.
De temps à autre, le saint-siège nommait des commissaires
chargés de vérifier si les déclarations faites par les ecclésiasti-
ques étaient exactes, et d'étabjir de nouvelles assiettes de l'im-
pôt : les légats étaient chargés de ces recensements. Les ecclé-
siastiques déclaraient eux-mêmes le chiffre des revenus de
leurs bénéfices, et des commissaires contrôlaient leur déclara-
tion. On dressa un cadastre général par ordre du concile de
Lyon en 1274?; une révision fut prescrite par Xicolas ÎV' '.
La sanction de la levée des décimes était l'excommunication,
même quand il s'agissait de ceux exclusivement destinés au
roi. Un retard dans le payement, suivi d'un avertissement,
suffisait pour faire porter cette grave peine. Les collecteurs
lançaient eux-mêmes les censures, lis le faisaient avec des
formes solennelles, et dénonçaient publiquement les excom-
muniés. Si le contribuable persistait dans sa résistance, on
saisissait tous ses meubles, à l'exception des croix, des calices
^ Concile de Bourges, u Secundum antiquam taxationeni. i J. 1025, n° 4.
En 1804. — Voyez la leUre du roi aux évêques, 15 août 1303 : « Que quidcm
subventio solvetur terminis infrascriptis jusia fonnani iaxationum , quibus
alias colligi consueverunt. » Ord., t. I, p. 383.
2 Bulle de Benoît XI du 2 des ides de mai 1304. Trésor des chartes ,
or. J. 459, n' 11. — On lit dans le tome XXI des Historiens de France,
p. 541 et suiv., un document intitulé Valor decimarum , provenant de la
chambre des comptes, qui donne deux évaluations difiérentes pour chaque
diocèse. Cette différence provient sans doute d'une révision du cadastre des
biens de l'Eglise.
19.
292 LA FRAXCK SOLS PHILIPPK LE BEL
et dos ornenionts sacrés; s'il s'obstinait dans sa rébellion, on
le livrait au bras séculier, qui était toujours prêt à obéir aux
réquisitions de ce genre '. L'Ejjlise était (b)nc arrivée à frapper
de ses censures ceux de ses membres qui ne payaient pas le
tribut à César. Les agents royaux n'attendaient pas l'accom-
plissement des formalités (]ue je viens d'indi(|uer : dès qu'ils
apprenaient qu'un ecclésiastique avait laissé passer sans payer
le terme fixé, ils faisaient saisir par leurs sergents son tem-
porel'. Bon nombre de prélats subirent ces exécutions ^ Le roi
fut obligé à plusieurs reprises de modérer le zèle de ses offi-
ciers, et de faire châtier exemplairement plusieurs d'entre eux
qui s'étaient rendus coupables de rapines et d'abus de pouvoir.
Il ordonna aussi de ne pas saisir les bénéfices des récalcitrants,
mais un seul manoir, sauf à étendre progressivement les effets
de la saisie*. Les décimes devaient être acquittés en espèces
monnayées entre les mains des collecteurs, qui en remettaient
contre quittance b; produit aux agents désignés par le roi '.
Les deniers des décimes pour la croisade étaient versés au
trésor du Temple. Le pape ordonnançait en faveur du roi les
sommes (ju'il lui accordait; mais en même temps le roi veillait
à ce que le pape n'appliquât pas à ses besoins personnels l'ar-
gent que le clergé de France fournissait pour les guerres
1 Voyez la lettre où Jean Chocat, chanoine de Xevers, commissaire,
nomme collecteurs dans le diocèse de Lausanne deux chanoines de la cathé-
drale. Jeudi avant la Saint-Martin 1289. Or. J. 938.
2 Ord., t. I, p. 331, 332 (23 avril 1299).
^ L'cvèquc d'.^lbi. Gallia, t. I, p. 12; et Preuves , p. H; Vaissi'-tc, t. IV,
p. 125. — L'archevêque de Sens eut aussi son teinporol saisi , en 1308 , pour
le même motif. Olim , t. III, p. 356. Les officiers du roi prétendirent que
l'excommunication était encourue ipso facto, et qu'elle n'avait pas besoin
d'être prononcée pour autoriser les voies de rigueur contre les ecclésiastiques
retardataires. Cette théorie est émise par le roi lui-même dans une instruction
adressée à deux de ses sergents au diocèse de Chartres. Vendredi après la
Saint-Heini J30S. Trésor des chartes, Reg. XLI, n" 14.
4 Ord., t. I, p. 331. En 1299.
^ Mandement des exécuteurs aux commissaires dans la province de Sens de
remettre le produit de leurs recettes au bailli de Sons, le samedi après la
Saint-.André 1289. — Quittance donnée par le bailli aux commissaires d'une
somme de 3,000 livres tournois. — Ordre du roi au bailli de remettre cette
somme ù ceux qu'il lui désigne. Or. Baluze , Décimes, n° 11.
LIIRK DIXIE.AIIC. — RECETTES ET DEPENSES. 293
saintes. Martin IV, pressé par une insurrection en Romagne,
pria Philippe le Bel de lui permetlre de prélever une somme
de cent mille livres sur les décimes de la guerre d'Aragon ' ,
somme que Philippe réclama plus tard à Clément V". En 1289,
Nicolas IV se réserva cent mille livres sur le produit du décime
qu'il accorda au roi ^ . Il est à remarquer que les subsides pour
la guerre d'Aragon, votés par le clergé, quoique consistant
dans la dixième partie du revenu, ne portaient pas officielle-
ment le nom de décimes quand ils n'avaient pas été autorisés
par le pape.
Outre les décimes , Philippe le Bel trouva en plusieurs occa-
sions le moyen de s'approprier une partie du revenu du clergé.
En 1297, Boniface VIII lui accorda pendant toute la durée de
la guerre de Flandre les annates , c'est-à-dire la première
année de revenu de chaque bénéfice qui viendrait à vaquer,
sauf les évèchés et les monastères. Ces annates furent levées
pendant trois années*. En 1304, Benoît XI lui concéda de
nouveau les annates pendant trois années pour l'aider à fabri-
quer de bonne monnaie'.
Les annates étaient levées par des commissaires ecclésiasti-
ques choisis par le roi ; il y en avait dans chaque province/.
1 Bulle des ides de décembre de la deuxième année du pontificat , apud
Montem Flasconcm. Or. Trésor des chartes, J. 446, n» 29.
2 V'oyez le Mémoire , sans date , mais composé évidemment entre 1307
et 1313, dans le tome XXI des Historiens de France, p. 531. Dans ce
Mémoire , destiné à repousser quelques réclamations de Clément V, le roi
prétend que, loin d'être redevable envers le pape, c'est le pape au contraire
qui est son débiteur de sommes importantes employées par ledit roi à la
défense de la terre sainte après la chute de Saint-Jean d'Acre, pour la guerre
d' .Aragon, pour la guerre de Romagne, qui lui avait coulé plus de 54,000
livres tournois dont il n'avait pas été payé, et pour une avance de 100,000
livres faite au pape Jlartin IV, à l'occasion de cette dernière guerre.
3 Bulle du 4 juillet 1289. Suppl. du Trésor des chartes, J. 938, n" 14.
•* « Compoti annalium a papa Bonifacio concessarum régi Philippo Pulcbro,
levatarum in vigilia S. Laurentii 1297 usque ad eumdcm terminum auno 1300,
per très annos. » Inventaire de R. Mignon, p. 523.
5 K Compoti annaliuïii a papa Beuedicto XI régi Ph. Pulcbro pro reductione
monetarum ad pondus antiquum, a Xafivitate Doniiui 1304 usque ad annum
1307, per 1res annos. » Inventaire de R. Mignon, p. 523.
6 Voyez la lettre adressée à J. de Crispeio, u coUectori annalium in pro-
294 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
IJoniface \III avait aussi octroyé au roi , tant que la guerre du-
rerait, la moitié de tous les legs qui seraient faits pour la croi-
sade, et de toutes les sommes payées par les fidèles pour se
racheter du vœu d'aller en terre sainte'.
En étudiant attentivement les comptes des décimes, on est
conduit à quelques observations intéressantes sur la richesse
relative du clergé dans les différentes provinces. Les églises
du Xord étaient incomparablement plus riches que celles du
Midi ; par exemple, le clergé de la province de Reims avait un
revenu de près d'un million de livres tournois, tandis que les
églises de la province de Xarbonne n'avaient pas trois cent mille
livres de rente. La province qui renfermait le plus d'exempts,
c'est-à-dire de monastères ne dépendant que du saint-siége,
était celle de IJourges, où ils possédaient un quart des bénéfices.
Les frais de recouvrement des décimes variaient suivant la
pauvreté du diocèse : dans celui de Besançon, ils atteignirent
pour les exempts seize pour cent; dans le Languedoc, ils ne
furent que d'un et demi pour cent^.
Quelques documents ofticiels contemporains permettent d'as-
seoir sur des bases à peu près certaines l'évaluation d'un dé-
cime sous Philippe le Bel. Celui de l'année 1313 produisit
vincia Lugdiincnsi, J. de Sancto Spcni, collcctori in Rcnicnsi provincia,
J. do Rovrago, collcctori aniiidium iu Turouousi provincia. f Trésor des
chartes, Reg. XLI, n" 18.
1 Or. Trésor des chartes , J. 456, n" 32.
2 Voici le tableau du produit d'un décime du clergé français sous Philippe
le Bel : je donne deux évaluations telles qu'on les trouve dans un registre
officiel de la chambre des comptes. Hist. de France, p. 541. Cîteaux, le
Temple et l'Hôpital n'y sont pas compris.
PREMIÈRE ÉVAIA'ATrO.V. SKCO.VUK ÉVALUATION".
Provinces. Revenus. Rcvcnns.
Reims .... 671,735 I. t. 2 s. 7 d.
Sens 39,104 18 t
Rouen .... 33,425 8 4
Bourges . . . 22,234 12 5
Tours 17,172 2 1
Lyon 13,995 - 9
Karbonne. . . 23,083 2 s
Auch 3,783 t »
Bordeaux. . . 17,840 12 3
. . 78,8001. 34 s. 2d.
. . 37,873 8 8
. . 34,963 8 4
. . 20,600 116
. . 17,160 31 6
. . 9,020 « 2
. . 19,650 !> T
. . 3,233
. . 15,854 5 11
LIVRE DIXIEME. — RECETTES ET DEPEXSES. 295
deux cent soixante mille six cent qualre-vingls livres huit sous
dix deniers tournois '. Ce chiffre est donné par un des registres
de la chamhre des comples de Paris. On trouve une évaluation
un peu différente dans un document qui a la même provenance.
Il est sans date, mais évidemment postérieur, puisqu'on y voit
figurer les diocèses de Tulle, de Castres, de Vahres et de Saint-
Flour, qui ne furent créés qu'en 1317. Il n'est pas complet,
car il ne renferme que quatre provinces : Reims, Rouen, Sens
et Bourges ; mais il est suivi d'une note ainsi conçue : « La
décime des Eglises de tout le royaume, ou livre du greffe mar-
qué Pater, qui commence à 1254 et finit eu 1330, ou quel
temps monta pour ung an 278,832 1. 10 s. 5 d. tournois, sauf
à rabattre la dépense de ceux qui eurent la charge de le rece-
voir, qui monta 12,841 1. 15 s. 9 d., reste qu'elle vaut de net
265,990 1. 18 s. 8 d., ou quel livre ladite décime est tauxée
et déclairiée par chacune province , églises et abbayes du
roy[aume] *. »
La différence entre ce dernier total et celui de l'année 1313
peut être attribuée à l'accroissement des richesses du clergé;
peut-être aussi plusieurs ordres obtinrent des remises en 1313.
Le compte de la recette de la dîme de l'an 1289 donne aussi
des chiffres qu'il faut consulter. On sait qu'elle fut levée pen-
dant trois années : elle produisit 793,192 1. 15 s. 9 d., y com-
pris les frais de perception; la moyenne du produit brut d'une
année est donc de 264,397 1. 11 s. 11 d. Les hospitaliers et
les templiers furent exemptés de prendre part à cette levée ^
Un document officiel porte à 6,000 livres la valeur d'un dé-
cime pour chacun de ces ordres* : c'est donc une somme de
12,000 livres à ajouter pour avoir la moyenne des décimes
de 1289, en supposant que tous les ordres aient contribué, ce
qui donne un chiffre de 276,397 livres 11 s. 11 d. Mais, en
compensation, plusieurs diocèses étrangers payèrent ce dé-
cime. Le premier chiffre, qui représente le produit du décime
1 Historiens de France, l. XXI, p. 560, note 9.
■^ Historiens de France, t. XXI, p. 562 K. ic Valor dccimarum omnium
provinciarum. i
•* Historiens de France, t. XXI, p. 557, note.
^ Historiens de France, t. XXI, p. 545 E. n Valor dccimarum. d
296 LA FRAXCK SOLS PHILIPPE LE BEL.
de 1313, donne un produit not ; il faut y ajouter les frais, qui
sont évalués 1 '2,000 livres dans le document sans date cité
plus haut.
In autre document émané de la chambre des comptes, et
qui paraît avoir été rédigé avant 1307, donne deux estimations
différentes de la valeur d'un décime. La première s'élève à
238,3731. 18 s. î>d., la seconde à 237,103 1. 5 s. D d.'.Dans
ces deux sommes ne figurent ni les Templiers, ni les Hospita-
liers, ni les Cisterciens. In document déjà cité évalue à
12,000 livres la part de Cîteaux, et à 0,000 celle de chacun
des deux ordres militaires* : c'est donc 24,000 livres qu'il faut
ajouter, et l'on a 262,373 1. 18 s. 9 d. pour la première éva-
luation, et 261,163 1. 5 s. 9 d. pour la seconde.
Je crois qu'en adoptant le chiffre de 200,000 livres tournois,
pour exprimer la moyenne du produit d'un décime, on est
plutôt au-dessous qu'au-dessus de la vérité. Ce cliiffre étant
établi, on évaluera facilement la fortune du clergé: 260,000 liv.
étant le dixième du revenu, ce revenu sera lui-même de
2,600,000 livres, qui, en prenant les évaluations de M. de
Wailly, représentent en valeur intrinsèque une somme de
46,631,243 francs. Et en supposant que l'argent avait alors
cinq fois la valeur actuelle, ce qui est très- vraisemblable,
on trouve que les revenus annuels du clergé s'élevaient à
233,156,218 francs.
Ce chiffre est, je crois, trop faible, car en 1830 on évaluait
à 235 millions le revenu du clergé anglais. Or il ne faut pas
perdre de vue que lors de l'établissement de la réforme, un
nombre considérable de biens ecclésiastiques avaient été
aliénés.
On voit que l'Eglise de France fut soumise à une rude
épreuve sous Philippe le Bel. Ce roi n'inventa pas de faire par-
ticiper le clergé aux cliarges publi(jues; mais, le premier, il
fit reconnaître par les papes le droit du roi d'exiger des sub-
sides de l'Eglise avec son consentement. Celte dernière condi-
tion fut illusoire, dès que le pape fut établi à Avignon sans
* Historiens de France, t. X\I , p. 5 VI et suiv.
- Historiens de France, t. XXI, p. 54-5 E.
LIVRE DlXliailC. — RECETTES ET DEPENSES. 297
pouvoir temporel et à la merci de tous. Aussi les rois de France
eurent dans le clergé de France une source inépuisable de
revenus, à laquelle ils puisèrent sans réserve et sans discrétion.
Ce serait une curieuse et bien neuve histoire que celle des dé-
cimes ecclésiastiques. Philippe en toucha vingt et un, qui pro-
duisirent plus de 400 millions de francs.
CHAPITRE QUATRIEME.
EMPRUXTS VGLOXTAIRES ET FORCÉS.
Le recours aux emprunts était pratiqué sous Philippe le Bel,
mais dans des proportions fort restreintes. Il emprunta fré-
quemment des sommes importantes à des banquiers italiens ',
mais je n'ai pu découvrir à quelles conditions. Il fit aussi à
ses sujets des emprunts qu'il ne faut pas confondre avec ces
sommes qu'il se faisait donner par les villes sous le même nom
(mutuum), et qui étaient de véritables dons gratuits. En 1302
il envoya des commissaires avec ordre de solliciter des prêts
d'argent des personnes de toute condition, et en promit for-
mellement le remboursement. Cette dernière clause n'était pas
superflue*. J'ignore le taux de l'iutérêt accordé, mais ces
1 « Alonseigneur Mouclie et Biche prcstèrcnt de leur denier et qu'ils em-
pruntèrent sus euls aus foires de Champagne et à Paris, si com il apcrt par
les escriz, environ cc'° livres. ' Trésor des chartes, J. 654, n" 16. Xotices
et extraits, n" vn. — Voyez d'autres emprunts à des Italiens. Gaignières,
n" 567.
- « Xotum facimus qnod quecumqur nuiina pccunlaria \el alla pro facto
guerre prescntis, pcr dilectum Gaufridum Cocatrix, thcsaurariuni nostrum
Tholose et nostrarum provisorem garnisionum, sumere a quibuscumquc per-
sonis, cujuscimupie status vel conditiouis existant, suo nomine, tamquam
nostro, contracta, que liqnidius per suas patentes litteras apparuerint fore
vera, nos mutua ipsa, ad quamcumque summam ascendant, per litteras ipsas ,
absque alterius probacionis documento , soh crc promittimus iutegralitcr et
tenemur, ad hoc totam receptoriam nostram Tholose predictam specialiter
obligantes eidem, quam et cujus denarios omncs voicmus quod ipse possit
reservare et solvere hujus creditoribus iisque ad summam mutuorum habitam
predictorum, nisi ea fecerimus aliundc in toto vel in parte persohi; inhi-
bentes gentibus nostris omnibus districtius per présentes ne dictum Gaufridum,
298 LA FRAXCK SOIS PIIÎLIPPK LE BEL.
recours ii une souscription nationale ne j)araisscnt pas avoir
obtenu un grand succès. Les officiers du roi faisaient aussi des
emprunts pour faire face à des dépenses urgentes. En 1296 le
châtelain de .Montréal emprunta au nom du roi au consul de
Narhonne dilTérentes sommes, et donna liypotliè(|uc sur le salin
de Carcassonne '. Cet argent était destiné à solder des troupes
pour la guerre contre les Anglais en Guienne. On trouve aussi
des remboursements d'emprunts faits à des particuliers dans
la sénéchaussée de Saintonge en 1299*, et en Normandie
en 1287 ^
Philippe ne dédaignait pas de descendre aux prières et aux
menaces pour obtenir des emprunts , témoin la lettre qu'il
écrivit au mois de septembre 1302 à un clerc nommé Jean
Croissant.
« Vous réez clèrement la grant nécessité et le besoing où
nous somes à présent pour la deffense de nostre réaume , et
comment nous, pour deffendre le réaume, vous et rhascun
d'icelui réaume , et pour vous pourchacer pez , abandonnons
et mettons avant, non pas seulement biens et avoir et tout ce
que nous avons , mes nostre personne , sanz eschiver péril et
meschief qui venir puisse; et, comme pour si grant neccessoire
besoigne poursuivre, il nous coviegne faire despens sanz compte
et sanz nombre, les quiex nous ne pourrions nullement porter
ne i souffire, sans l'aide de nos féaux (laquele désire toute
manière de haste), nous requérons plus féablement ceus que
nous cuidons trouver plus prez, plus volenterins et plus aban-
donnez à nous, ceus espéciaument desquiex Testât un ou
autre, en prospérité ou en adversité, dépent du nostre; nous,
rcl génies vel lieredes siios ad rcddcn(îurn pccuniam aliquam de dicta recep-
toria, doncc predicta miifiia priiis fiierint persoliita, compellant; nec nos
eciam possiinius aiit debcmus intérim, prêter ipsius Ganfridi voluniatcm,
rccepcionem predictani aliis onorarc debitis , qiiin nmtna liiijiismodi percipi
possint primo et principaliter de eadem. r Lundi après la Saint-Pierre 1302.
Reg. X\\\ du Trésor des chartes , n° 15; xoyez aussi le n" 16.
1 En 1296. Bit)!, imp. , collection Doat, t. II, p. 207, pour 350 livres de
monnaie melgoriennc, et p. 117, pour 200 liires de la même monnaie.
2 Arch. del'Emp., K. 501.
■' Bibl. imp., collection Gaignières , n» 567, fol. 2 v". -- Mutua rcddila
burgensibus Bajocensibus 917 lib., etc. s
LIVRE DIXIÈ^IE. — RECETTES ET DÉPE.VSES. 299
pour ces causes et raisons, vous requérons féahlement, prions
de si grant affection comme nous poons plus, et voulons tren-
clienient, que sur l'amour et la fealté que vous avez à nous et
au réaume, et si comme vous désirez le bon estât de nous, de
vous et du réaume, et avez chère nostre amour et notre grâce,
et désirez eschiver le contraire , et encorre perpétuelment
nostre indignation , vous nous secorez à cest grant besoin de
III" (ivres tournois en prest , duquel prest vous rendre nous
voulons que vous soiez asseurez et assenez tout à vostre devise.
Laquele somme d'argent vous envoiez tantost à Paris à nos
gens, au Louvre, par certain message, qui voise ovec le pour-
teurs de ces lettres, ou dites à celui pourteur certain jour
brief, auquel le dit argent soit sanz faute; et ce faites preste-
ment et libéralement sanz excusations, sans délay et sanz
escondit. Quar nous savons de certain que vous le povez bien
faire, par vous, ou par vos amis ; et vous véez le grant proufit
qui est en ce que la besoigne soit bien poursuivie et les griés
péril, le meschief et le dommage qui porroit avenir du deffaut,
que ja n'aviegne. Et signifions tout appertement que James
ne nous fierons j ne ne tendrons pour ami ne pour féal qui
nous faudra à si grant besoing '. »
Mais cela n'est rien en comparaison des emprunts que Ton
fît dans le bailliage de Troyes. On prit plusieurs hommes de
bonne volonté qui estimèrent, sous serment, la fortune de leurs
concitoyens et fixèrent la somme que chacun d'eux était en état
de prêter. Nous avons encore les rôles de cette imposition
d'un nouveau genre".
1 Reg. XXXV du Trésor des cJiartes , n° 49.
- (i \omina iilorum de Trecis e't de castellania qui fiicrunt electi ad facien-
dum nuitunm. ^
Baillie de Troies.
Troies.
Ce sunt li nom des personnes de Troies et de la cliaslelerie estimées à faire
prest à nostre seigneur le roy par la commune renommée et par le serment
des preudcshomes de la ville de Troies qui fouz les cognoissoicnl, c'est
assavoir : Pierre le Cordclier, Pierre de Lournicl, Guillaume Félix, Félix le
Marichal, Estienc Langlois, Climent de Saint-Antboiuo, Silvcslre le Tanneur,
Johan de Alontigny, Johan de Alacy, Colct le Cnleron, Johan Pasquere, bar-
bier, et Joban de Cucbermoy.... Rouleau original, supplément du Trésor des
chartes, J. 770 (sans date).
300 LA FRAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
CHAPITRE CINQUIÈME.
IMPÔTS SUR LES JUIFS, LES LOMBARDS ET LES USURIERS.
Les Juifs étaient considérés au moyen âge comme une
source de revenus '. Ils étaient relégués dans certains quar-
tiers, mais ils cherchaient à se soustraire à des ohligations qui
avaient pour but de les empêcher de se livrer à l'usure*. Ils
étaient aussi tenus de porter une rouelle de feutre. Un grand
nombre de Juifs obtinrent, sous Philippe le IJel, de ne pas
porter ce signe qui les désignait aux insultes de la popu-
lace ^ . En 1288, le roi prétendit qu'en sa qualité de souverain,
ratione regiœ celsitudinis, tous les Juifs lui appartenaient *, et
se réserva sur eux la juridiction criminelle. Cependant il fut
obligé de reconnaître aux seigneurs le droit d'en posséder. Il
défendit à l'inquisition de les emprisonner ^ La même année
il expulsa du royaume les Juifs venus d'Angleterre et de Gas-
cogne*. En 1292, il leva une taille sur ses Juifs, car il y avait
les Juifs du roi, comme il y avait des bourgeois du roi; leur
sort était préférable à celui des Juifs des seigneurs; ils trou-
vaient protection, moyennant finance. Un israélite , Manassès
de Choisy, fut chargé de lever cette taille, et reçut un passe-
port où il était enjoint aux agents du roi de le laisser circuler
librement et de le préserver de toute injure '. En 1293,
Thauros, Juif de Montpellier, prêta à Rousselin, seigneur de
Lunel, une somme importante, et reçut en échange le droit de
percevoir cinquante livres tournois sur les revenus annuels de
cette seigneurie. Le roi ordonna au sénéchal de Nîmes de le
laisser toucher paisiblement ces revenus, s'il pouvait prouver
qu'il fût Juif du roi, autrement d'exiger de lui le revenu de
• nnisscl , Nouvel usage des fief s , liv. II, cliap. xxxix.
- D'.ipuy, les Juifs au tnoyen âge, p. 222.
a Bil)l. imp., n"4684, fol. 58.
* Arcii. de l'Ernp. Trésor des chartes, J. 427, ii" 13 et 14.
s Ord., i. I, p. 317.
G Ord., t. I, p. 317.
" Arcli. de l'Emp., K. IGG, n« 186.
LIVRE DIXIKAIE. — RECETTES ET DEPENSES. ;30J
six années. Il est curieux de voir les Juifs soumis à une espèce
de droit d'amortissement '.
C'était une chose fructueuse et bonne à exploiter que les
Juifs, aussi Philippe cherchait-il à en avoir le plus grand
nombre possible. En 1299, il acheta à son frère, pour vingt
mille livres, tous les Juifs du comté de Valois ^ Les Juifs du
roi avaient, ainsi que l'apprend une charte royale, le droit de
prêter de l'argent. Un grand nombre d'entre eux qui demeu-
raient dans les fiefs des barons , voulurent se soustraire aux
tailles exigées par Philippe le Bel, mais ils y furent contraints
et condamnés en outre à l'amende pour avoir voulu abuser de
leurs privilèges ^ L'année 1295 vit un grave événement : tous
les Juifs furent arrêtés et les plus riches conduits au Chàtelet
à Paris*. Les officiers royaux dressèrent l'inventaire des biens
de chacun et reçurent l'ordre de ne point les mettre en liberté
sans une lettre du roi ^ L'argent dont ils étaient munis fut
remis aux receveurs. Quant aux vases d'argent et aux autres
gages qui furent trouvés chez eux, les créanciers purent les
racheter dans les huit jours, sinon on les vendait et on en
versait le produit au trésor. Quelques-uns s'étaient échappés
après avoir caché de l'argent et des objets précieux dans leurs
manoirs et même dans ceux de quelques chrétiens. On fit des
recherches sévères. Ces arrestations avaient pour but de forcer
les Juifs à payer une aide. Ils en furent quittes pour une forte
rançon. On exigea d'eux une nouvelle taille en l'an 1299 *.
Seuls les Juifs du roi étaient soumis à cet impôt, ainsi qu'aux
1 Avril 1293. Mcsnard, Histoire de Nismes , t. I, preuves, p. 125.
2 Trésor des chartes , J. 227, n» 15.
3 Samedi après la Saint-Barthélcmy 1295. « Fenerantcs de suis pecuniis
in terra nostra privilcgio nostris .ludeis concesso.... i Ibid.
4 Bibl. imp., 10312.^. p. 54.
^ Mesnard, t. I, p. 125. a Alandamus vobis quafinus scx de ditioribus Judeis
scnescallie vestre (Bollicadrcnsis), de mandato nostro capfis, in Castellctum
nostrura Parisius sub firma custodia transmiUatis. De bonis vero singulorum
Judeorum captoruni inventarium fieri faciatis... cum nostre intentionis non sit
captorum aliquos libcrari absquc nostro spcciali mandato. n ^landcment au
sénéchal de Bcaucaire, octave de la Chandeleur 1294-1295.
6 t De finatione scu tallia Judeorum ballivie Calvimontis. i Journal du
trésor, fol. 5 v°; du bailliage de Vitri, fol. 6 r°; du bailliage de Vermandois,
fol. Sr»; de Paris, fol. 3 v».
302 LA FRAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
précédents '. Xouvelle taille en l.'U)2 ". Au mois de novembre
de la nièinc année fut rendue une ordonnance qui défendait
aux baillis et aux sénéchaux de faire arrêter aucun Juif sur
rordrc des inquisiteurs^.
En 1303 une autre ordonnance leur enjoignit de con-
traindre les débiteurs des Juifs à leur payer les dettes*. Cette
mesure qui paraissait favorable n'était que le prélude d'une
ini(jnité dont Philippe trouvait des exemples dans les pays
voisins. Au mois d'août 1306, il bannit les Juifs de France
et leur ordonna de quitter immédiatement le royaume'. Le
duc de Bourgogne leur donna asile dans ses Etats. Cet acte
inique était dicté parle désir de s'approprier leurs biens. Leurs
maisons et leurs terres, leurs meubles, furent vendus aux
enchères; une clause, qui peint l'avidité du fisc, réservait au
roi les trésors qui pouvaient être enfouis dans leurs maisons®.
Des commissaires furent envoyés dans chaque bailliage pour
faire procéder à ces ventes avec célérité. Les registres de la
chancellerie sont remplis de confirmations de ventes de biens
des Juifs faites par ces commissaires '. On vendit toutes les
écoles *, les synagogues et jusqu'aux cimetières ". Le roi
ordonna à leurs débiteurs de venir déclarer leurs dettes '", et
les commissaires en exigèrent le remboursement et poursui-
1 Voyez les plaintes de l'évêque de Xîmes de ce qu'on avait arrêté ses
Juifs pour les rançonner : le roi ordonna de ne pas les inquiéter. Alesnard ,
t. I, Preuves, p. 125. Dimanche après Reminiscere 1294-1295.
- Journal du trésor, 113 v", 115.
■^ Trésor des chartes, Reg. XXXV, n" 11.
4 Reg. XXXV, u" 67 (30 avril); K. 37, n" 15^; et Reg. XXXVI, n» 22.
s Historiens de France, t. XXI, p. 27. Coût, de Xangis, p. 355.
*5 u Domos, vinces cl posscssioncs alias, quas babebant tempore captionis
eorum, sulflcjentibus proclamationibus seu subastationibus factis vendi et
distrabi pro justis prcciis nobis applicandis quam cicius poteritis faciatis. t
Lettre à Jean de Saint-.! iist et G. de Xogcnt, commissaires pour la vente des
biens des Juifs dans la sénéchaussée de Toulouse. 17 août 1306.
-' Reg. XL,n'«39,97, 99 à 102, 135, 143; Reg. XLI, n" 17; Reg. XLIV,
n°s 143, 155, 1(56, etc.
8 Vente de l'école des Juifs à Dun. Février 1309. Reg. XLI, n" 192.
9 Vente en 1312 de la synagogue do Janville. Reg. XLVIIl, n^ 167.
'" Trésor des chartes , Reg. XLI, u'" 113; et Reg. XL, n- 140.
LIVRE DIXIEME. — RECETTES ET DEPENSES. 303
virent de malheureux chrétiens qui avaient été les victimes
de prêts usuraires. Le roi défendit de réclamer les dettes qui
remontaient à plus de vingt années. Pour les sommes qui ne
dépassaient point dix livres, lorsque le déhiteur jouissait d'une
bonne renommée, un seul témoin suffisait pour prouver le
payement '. Les chrétiens ne durent pas être emprisonnés
pour les dettes des Juifs \ Les barons réclamèrent les biens
confisqués sur les Juifs de leurs domaines. Leur droit était
évident, Philippe entra en arrangement et partagea avec eux^
Le vicomte de Xarbonne reçut pour sa part cinq mille livres
tournois, plusieurs maisons contiguës à son palais et des
biens ruraux *.
Si le peuple vit avec joie l'expulsion de ces malheureux, il
ne tarda pas à les regretter : les usuriers juifs firent place
aux usuriers chrétiens, qui se montrèrent plus durs que leurs
devanciers ^
Écoutons le poète populaire , Geoffroy de Paris :
Je dis , seignors , comment qu'il aille ,
Que l'intention en fut bonne;
ilais pire en est mainte personne
Qui devenu est usurier,
Car Juifs furent débonnères
Trop plus en fesant tels affaires ,
Que ne furent ore chrestien.
Mes si li Juis demeuré
Fussent au réaunie de France
Crestien moult grant aidance
Eussent eu, que il n'ont pas;
Car por po (peu) trouvoit-on argent,
Or ne trouve l'en nulle gent
Qui veille l'un ù l'autre prester.
1 Bibl. imp., 8409, fol. 9.
2 Lettres du 24 janvier 1309-1310. Bibl. imp., Doat, t. LI, p. 332; et
Trésor des chartes, Reg. XLli, n" 98.
3 14 septembre 1310. Mandement au sénéchal de Beaucaire. Bibl. imp.,
n''8409, fol. 9 V.
4 Trésor des chartes, Reg. XLII, fol. 103 r°. En 1309. Voyez la compo-
sition avec l'évèque de Mende. Reg. XLI , n' 16 (même année). L'abbé de
Saint-Gille eut le tiers. Mesnard, t. II, p. 15 (en 1314).
° Chronique métrique , vers 3502 et suiv.
304 LA FRANCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
Ils (leniandiMonl à venir piouvor leurs créances, on les laissa
rentrer. Us corrompirent les commissaires et les a^jents du roi,
et se prétendirent les créanciers d'un grand nombre de per-
sonnes qui nièrent êner;{i(|uemenl leur rien devoir'.
En 1311 ils furent chassés de nouveau * et leurs biens con-
fisqués. Les poursuites recommencèrent contre leurs débiteurs,
au nombre desquels figuraient un grand nombre de reli-
gieux ^.
La confiscatioii de leurs biens fit entrer dans les coffres du
roi des sommes immenses. Le produit de la vente de ces biens
s'éleva dans le bailliage d'Orléans, non compris les bijoux, à
3,74'G livres *, et dans la sénéchaussée de Toulouse à 75,264
livres tournois. Ce dernier chiffre est donné par le compte
original de Jean de Saint-Just, commissaire dans cette séné-
chaussée, compte qui comprend les saisies faites de 1306 à
1311 ^; mais cette spoliation, qui enrichit le trésor, ruina le
crédit. Aussi Louis X, à peine sur le trône, céda à la commune
clamour du peuple, pourquoi ils dévoient estre soufferts, «
les rappela, mais seulement pour douze ans. C'était se ména-
ger une occasion de les rançonner en leur permettant de rester
quand ces douze années seraient écoulées *.
Les marchands italiens, connus sous le nom de Lombards,
accusés de participer aux usures et aux richesses des Juifs ,
excitèrent aussi la convoitise royale.
En 1291 on les arrêta, puis on les relâcha après en avoir
tiré de fortes sommes \ Les agents du roi mirent tant d'ardeur
1 Depping, p. 246.
- 22 août 1311. Trésor des chartes, Rog. XLII, n° 14; et leurs biens
confisques, Ibkl., Rcg. XLVIII, n' 213. En 1837 on trouva à Saint-Mai.xent
un pot rciifcriiianl plus de 2,000 monnaies dont les plus récentes étaient de
Philippe le Bel. Il y en avait de Philippe, comte de Poitou (1311-1316). Les
éditeurs de la Heine numismatique n'ont su comment expliquer cet enfouis-
sement. Il est probahle qu'on doit l'attribuer aux Juifs lors de leur deuxième
bannissement.
;* Olim, t. III, p. 749 et 839.
'^ Depping, p. 229.
^ Arch. imp. Trésor des chartes, carton 1030, n" 5.
G Ord., t. I, p. 595. 28 juillet 1315.
' Doat, 150, p. 12. Mardi après la Saint-Barthélémy.
LIVRE DIXIÈAIH. — RECETTES ET DÉPEXSES. 305
il trouver des Lombards, qu'ils emprisonnèrent en cette qualité
d'honnêtes bourgeois '.
En 1303, le roi ordonna.de lever double subside pour la
guerre de Flandre, sur les usuriers "'.
Les Flamands payèrent de fortes contributions de guerre;
un compte officiel évalue à 51)8,549 livres tournois les sommes
qu'ils furent obligés de payer de 1296 à 1317 ^
1 Doat, 51, fol. 1. Protestation des conseils de Xarbonne.
- ï Cum pcr alias littcras nostras ex cerfa causa dederimus in mandatis ut
a notoriis usurariis dicte hallivic subvcncinneni predictam nullatenus Icvaretis,
nec sit intcncionis nostrc quod ipsis usurariis ia hac parte plus ceteris defc-
ratur, imnio quod aliter contra eos super hoc procedatur, mandamus et
committimus vobis quatinus a dictis usurariis subiencioncm duppliccni de
facultatibus eoruni , nisi ad niajorem prestacioncm possitis eos attrahere bono
modo, sine difficultatc et dilacionc (juibnscunujue Icvctis , id nullatenus omis-
suri. n Trésor des chartes , I{eg. XXXV, n° 109.
3 L' estât des deniers promis au roy et à ses prédécesseurs par les traictez
faiz avec les Flamenz, pour cause des guerres de Flandres et les paiemens
qui ont esté faiz.
Prenn'èrcment le roy Philippe le Bel en dut avoir par le premier traictié
fait devant Lille l'an 1296, 400,000 livres parisis.
Item pour les arrérages de 20,000 livres de rente que le roy dut avoir par
le traictié de la paix, dont les 10,000 furent rachatées, et pour les 10,000
demorans, fu au roy assigné la terre de Lisle, de Douai, de Bethune et des
appartenances. Sont dcuz pour les duz 1306 et 1307, que ladite terre ne fu
assignée ne rachetée es dites années 40,000 livres tournois valant 32,000 livres
parisis.
Pour le rachat des dites 10,000 livres tournois de terre, 600,000 litres
tournois valant 480,000 livres parisis.
Pour le rachat des pèlerinages 300,000 livres tournois valant 240,000 livres
parisis.
Somme 1,152,000 livres parisis.
Et tôt Guy, commis du roy pour ce recevoir, en rendi au roy en son pre-
mier compte 396,000 livres 15 sous 4 deniers tournois, du temps des hourgois.
Et par sou segond compte 26S,183 livres 18 deniers tournois.
Par son tiers compte 101,057 livres 18 sous 8 deniers tournois forts.
Par son quart compte 965 livres 2 sous 6 deniers tournois fors.
Somme que les Flamens ont paie avant la paix faicte avec le roy Philippe
le Grant (le Long), 598,549 livres 12 sous 11 deniers tournois.
Item le dit tôt rcceut pour la ville d'Vprc 5,490 livres tom-nois fors.
Somme toute du paie jusques au traictié fait par le roy Philippe le Grand,
604,039 livres tournois 10 sous 11 deniers, valent 483,231 livres 12 sous
9 deniers parisis. Reg. original de la chambre des comptes. Bibl. imp.,
n°8406,fol. 255.
20
306 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
CHAPITRE SIXIÈME.
MOIVIMAIES.
Coup d'œil sur le sysfômc monétaire de saint Louis et de Philippe le Bel. —
Tournois. — Parisis. — Inconvénients de ce sysiènie. — Dès 1295 Philippe
altère les monnaies publiquement. — Tableau des altérations successives
jusqu'à 1302. • — Le prix du marc d'argent sert à faire connaîlre^c degré
d'altération des monnaies. — Ordre de poi-ter la \aisselle d'argent aux
hôtels des monnaies. — Rétablissement momentané de la bonne monnaie
en 1303. — Aouvelles altérations. — Plaintes du peuple. — Bonne mon-
naie en 1306. — Effets désastreux du rétablissement de la bonne monnaie.
— Emeutes. — En 1311 la monnaie altérée. — Bourgeois. — Erreur de
Leblanc. — 1313, bonne monnaie. — Fabrication des monnaies. — Faux
monnayeurs. — Leur supplice. — Monnaies seigneuriales. — Elles sont
surveillées. — Philippe en altérant la monnaie suivait les préjugés de son
siècle. — Remarquable passage d'un mémoire de P. Dubois siguidant les
inconvénients des mutations de monnaies.
Ce n'est guère qu'à partir du règne de Pliilippe le Bel que
l'histoire monétaire commence à être connue avec quelque
détail ; elle acquiert alors un très-grand intérêt par suite des
grandes altérations des monnaies, altérations qui eurent des
résultats économiques d'une haute importance. Philippe le Bel
se distingua par les nomhreuses variations qu'il fit suhir au
poids et à la loi des monnaies, ce qui lui a valu le surnom de
faux monnayeur.
Il suivit pendant les premières années de son règne le sys-
tème monétaire de saint Louis '. La monnaie d'or était, suivant
les évaluations les plus récentes et les plus sûres, cà ff^. de fin.
On frappait des agnels (ainsi nommés à cause de l'agneau
pascal qui y était représenté), dont on taillait 59 et | au marc,
ce qui donne à l'agnel une valeur intrinsèque de 14- fr. 10580.
Il avait cours pour 12 sous 6 deniers tournois.
1 Voyez la savante préface du tome XXI des Historiens de France,
p. i.wvii et sulv Conf. de Wailly, Recherches sur le système monétaire de
saint Louis; et du même auteur, Variations de la livre tournois. Leblanc,
Traité hist. des monnaies de France, p. 190 et suiv.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DÉPENSES. 307
La monnaie d'argent était à || de titre, c'est-à-dire qu'elle
renfermait -^ d'alliage, ce qui constituait un titre supérieur à
celui de notre monnaie, qui ne contient que 7^ d'argent. L'ar-
gent à -^ de fin, ou comme on dirait à 11 deniers 12 grains,
s'appelait argent le roi.
Il y avait trois sortes de monnaie d'argent : le gros ou sou
tournois, le demi-gros ou obole, et le tiers de gros ou maille
blanche, ou encore obole tierce.
On taillait 58 gros dans un marc d'argent le roi ; le gros
avait une valeur intrinsèque de 0 fr. 898677; il avait cours
pour 12 deniers.
La monnaie de billon ou monnaie noire n'était pas frappée
d'après un seul système : il y avait la monnaie tournois et la
monnaie parisis ; la première était à la seconde comme 4 est à 5 ;
mais là ne se bornait pas la différence. Les parisis n'étaient pas
taillés dans le même alliage que les tournois.
Le billon des tournois était composé de 5 parties d'argent le
roi contre 11 parties de métaux moins précieux, autrement dit
à 3 deniers 18 grains de fin.
La plus forte monnaie de billon était le denier, douzième
partie du sou; on en taillait 230 dans un marc; sa valeur
intrinsèque était de 0 fr. 07403. Ce chiffre est inférieur à la
douzième partie du gros ou sou tournois d'argent. De nos
jours, la même anomalie se fait remarquer, et même à un
degré supérieur, dans notre système monétaire. Vingt pièces de
cinq centimes n'ont pas la valeur intrinsèque d'une pièce d'ar-
gent de un franc : cela tient à ce que chez nous la monnaie de
cuivre est une monnaie d'appoint, destinée à faciliter les trans-
actions. Il en était autrement au moyen âge : la monnaie d'ar-
gent, le gros, était bien la monnaie type, mais celle de billon
était la monnaie principale. En efiiet, en supposant à l'argent
un pouvoir égal à cinq fois celui qu'il a actuellement, ce qiii
n'est pas exagéré, on trouve que le sou tournois valait à peu
près 4; fr. 49 c, l'obole 2 fr. 24 c, et la maille 1 fr. 49 c.
La plus petite monnaie d'argent avait donc une valeur relati-
vement assez élevée. Philippe le Bel déclare lui-même dans
plusieurs ordonnances qu'on faisait de la monnaie d'argent en
20.
308 LA FRAX'CE SOUS PHILIPPE LE BEL.
petite quantité'. Cette différence de valeur intrinsèque entre
une somme de monnaie d'ar^jent et la même somme en mon-
naie (le hillon avait sa source uni(|uemont dans l'ijjnorance où
l'on était des principes régulateurs du crédit public. La même
disproportion (jui se remarque entre la monnaie de Mllon et la
monnaie d'argent existait aussi entre cette dernière et la mon-
naie d'or. Douze tournois six deniers d'argent avaient cours
pour un agnel, c'est-à-dire pour li fr. 10588; un tournois
avait donc cours pour 1 fr. 12839, tandis que sa valeur réelle
n'était que de 0 fr. 898G7. Un agnel valait li fr. 10588, et
150 deniers tournois en billon, qui représentaient une somme
équivalente, ne valaient réellement que 11 fr. 10450. Les
inconvénients de ce système furent compris et signalés par des
contemporains, notamment dans un mémoire inédit adressé
au roi par un monnayeur dont le nom ne nous est point par-
venu. L'auteur de ce mémoire montre par des exemples ré-
cents le danger de ne pas ajuster l'or à l'argent, ce qui
faisait, selon son énergique expression, que tantôt l'argent
mangeait l'or, tantôt, au contraire, l'or mangeait l'argent.
De là des fraudes sans nombre et d'audacieuses spécula-
tions, de telle sorte que a a esté le royaume de France robe
par les sutiz (subtils) et les malicieux qui y sont et qui y
ont esté ^ « .
Le billon des parisis était à -4 deniers 12 grains. On
en taillait 221 au marc; la valeur intrinsèque était de
0 fr. 08844, et avait cours pour 0 fr. 09254. Dans les
comptes du trésor, les sommes étaient toujours évaluées en
parisis. Pbilippe le Bel passe pour avoir fait de bonne
monnaie jusqu'en 1295. Je suis porté à croire pourtant qu'il
commença à altérer sa monnaie dès 1289. Ce qui le prou-
verait, c'est que le marc d'argent fin, qui sous saint Louis
était payé aux bôtels des monnaies 54 sous, était pris pour
1 18 janvier 1308-1309. Ord., t. I, p. 455. » Comme eussions commcndé
à l'aire le mcins que nous pcussious l)nnnement (de monnaie d'arycnt), pour
ce que peussions plus faire de monnoie noire. -
2 Trésor des chartes, .F. 459, n" 24. Ce mémoire paraît avoir éfé fait du
temps de Louis X, ou au plus tard sous le règne de Philippe le Long. Il est
intitulé : Rationes itlorum qui certant pro debili morieta.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DÉPENSES. 309
58 SOUS en 1289 '. Or, comme on taillait 58 sous au marc,
il en résulte que le roi n'aurait prélevé d'autre seigneuriale
que la différence qui .existait entre l'argent fin et l'argent
le roi. Il est peu probable que Philippe le Bel se fût contenté
d'un bénéfice plus faible que celui que saint Louis trouvait
juste de percevoir. Toutefois, l'altération portait sans doute
sur la monnaie de billon, où elle était moins appréciable ^
Le prix du marc d'argent est l'échelle à laquelle on peut
reconnaître le degré d'affaiblissement des monnaies. Le prix
normal de 54- sous pour un marc sert de point de repère. Cette
méthode est sûre, car le prix du marc était fixé d'après la
valeur intrinsèque des espèces qui servaient à l'aciieter. Quand
le marc valait 5 francs 8 sous ou deux fois 54 sous, cela prou-
vait que la monnaie n'avait une valeur intrinsèque que de
moitié de sa valeur nominale. Ce procédé de constater la valeur
réelle des espèces au moyen du prix officiel du marc aux hôtels
des monnaies, était en usage sous Philippe leBeP. Dès 1294,
les maîtres des monnaies proposèrent de baisser le titre des
monnaies pour réaliser des bénéfices qui permissent de faire
face à la guerre contre les Anglais ; cette proposition fut vive-
ment combattue par Biccio et Muschiato, qui représentèrent
les inconvénients de cette mesure : elle fut ajournée, mais elle
ne tarda pas à être présentée de nouveau comme une source
de richesses pour le trésor, et adoptée \ Dès l'année 1295, des
plaintes se firent entendre*. Résolu à chercher des ressources
* Ancienne table dans le manuscrit Baluze , n" 9612, fol. 19.
- Antre preuve. En 1303, quand Philippe le Bel fit de nouvelle monnaie,
qu'il déclara bonne et conforme à celle de saint Louis, il ne voulut pas que
les anciens petits parisis et petits tournois eussent le même cours que les
espèces correspondantes delà nouvelle monnaie, attendu qu'ils étaient infé-
rieurs à ces dernières eu poids et en valeur, s Ictères parisionses et turo-
nenscs parvas non intelli<jimus ad cumdem admitli valorem, cum, sicut
audivimus , non tanti sint commuuiter ponderis vel valoris, sicut novi qui
modo cuduntur. j Ces vieux petits tournois et parisis sont évidemment ceux
qui avaient été fabriqués avant 1295, puisqu'à partir de cette année jusqu'à
1303, on ne frappa que de la monnaie forte. Ord., t. I, p. 379.
3 Ord., t. I, p. 444-. 4 octobre 1300.
"* Trésor des chartes, Angleterre, rôles sans date, n" 16. — Notices et
extraits, n" vu.
s Memor. Job. a S. Victore. Historiens de France , t. XXI, p. 634.
310 LA FRAYCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
dans rnltérafion des monnaies, Pliilippe s'assura d'une jifrande
quantité de métaux pour exercer en j^rand sa nouvelle indus-
trie et faire un gain considérable. Dans ce but, il défendit
(30 mars 1295) à tous ceux qui n'avaient pas six mille livres
de rente d'avoir de la vaisselle d'or et d'argent, et leur enjoi-
gnit, sous peine de corps et d'avoir, d'en porter le tiers dans
les huit jours aux hôtels des monnaies, et de tenir le reste à sa
disposition. Les églises étaient exceptées de cette mesure, qui
ne se bornait pas à la vaisselle de luxe, mais s'étendait jus-
qu'aux gobelets, dont l'usage était général. La valeur de ces
objets devait être remboursée lors de la livraison, d'après un
tarif fixé par le roi '. Défense de porter hors du royaume des
métaux précieux monnayés ou non monnayés, et ordre, sous
la même peine de corps et d'avoir, de prendre la nouvelle
monnaie, (^ette nouvelle monnaie n'était rien moins que bonne.
Au reste, Philippe ne s'en cachait pas. Il avouait hautement sa
fraude, déclarant qu'il était contraint par la grande nécessité
du royaume, de frapper de la monnaie à laquelle il manquerait
peut-être quelque chose du poids et de l'aloi que ses prédéces-
seurs avaient coutume d'observer. Il en devait résulter des
pertes pour quelques personnes , mais il promettait de les
indemniser, et engageait lui, sa terre, ses héritiers, ses biens
propres et ceux de ses enfants, les revenus de la Xormandie.
La reine ratifia cette promesse. Le roi recevait lui-même cette
monnaie en payement*.
Ces nouvelles espèces, qu'on ne pouvait faire accepter qu'avec
tant de précautions, étaient de doubles parisis et de doubles
tournois , valant chacun deux deniers de l'ancienne mon-
naie correspondante ^ Les doubles n'eurent cours qu'à partir
du mois de mars 1295 ; cependant le plus ancien registre
de la cour des monnaies, rédigé au quinzième siècle sur des
documents officiels, indique qu'on commença à en fabriquer à
laQuasimodo 1293. Peut-être est-ce une erreur de chiffre, peut-
1 Ord.. t. I, p. 314; et Bibl. imp., n° 10312 A., fol. 55.
2 Ord., t. I, p. 315. Mai 1295.
3 Mandement à touz prélaz, ducs, contes, barons et autres justiciers.
Bibl. imp., Baluze, 752, fol. 6'f v", vendredi après l'octave de l'ùqucs 1295;
et mandement au comte de \evers, Ord., t. I, p. 543.
LIVRK DIXIÈAIE. — RECETTES ET DÉPEXSES. 311
être Philippe s'y pril-il à l'avance, pour pouvoir répandre on
Jurande (juanlilé celle monnaie '.
L'émission de mauvaise monnaie de billon devait être accom-
pagnée de la fabrication d'espèces d'or et d'argent d'un litre
inférieur au titre légal. S'il en avait été autrement, la bonne
monnaie eût décrié la mauvaise; en permettant d'établir un
terme de comparaison , on frappa des royaux d'or valant vingt
sous. Par cette création, la livre cessa d'être fictive'. On émit
des demi-gros valant six sous. Toute cette monnaie fut altérée,
et l'altération alla toujours en augmentant jusqu'en 1303. En
voici la preuve dans le tableau suivant du prix du marc d'ar-
gent, extrait des registres de la cour des monnaies. Les prix
qui y sont marqués sont des prix moyens ^ Ils diffèrent de
ceux donnés par Leblanc et par les tables des ordonnances :
Du lundi après la Quasimodo 1293 à la Trinité 1296. 61 s. tourn.
— au mardi avant Noël 1296 66 —
— à la Saint-Martin d'été 1297 68 —
— à la Pentecôte 1298 70 —
— à la Pentecôte 1299 75 —
— dimanche après la Saint-Denis 1298. ... 78 —
— Saint-Georges 1302 4 liv. 5 —
— Brandons 1302 (v. s.) 4 liv. 8 — *
Les registres de la cour des monnaies ne donnent le prix du
marc d'or qu'à partir de 1306; mais j'ai trouvé la preuve que
les monnaies d'or furent aussi altérées dans l'historien italien
Jean Villani, qui vint à Paris sous Philippe le Bel, et que des
documents nouvellement découverts à Sienne montrent avoir
été un des cbefs de la maison de banque des Petrucci ou Perru-
ches. Or les Petrucci, connus en France sous le nom de Per-
ruches, eurent plusieurs fois l'entreprise de la monnaie d or
de Philippe le Bel. Villani, qui était à la source des informa-
tions, déclare que la monnaie d'or, dont le titre était à
23 carats et demi, descendit au-dessous de 20 carats. Ce texte
prouve l'inexactitude de Leblanc et des rédacteurs des tables
* Arch. de l'Emp., Z. 3147, fol. 70.
2 Mandement au comte de Xevers. Ord., t. I, p. 543.
3 Arch. de l'Emp., Z. 3147, fol. 70.
'• Arch. de l'Emp., Z. 3147, fol. 70.
312 LA FRAXCE SOIS PHILIPPE LE DEL,
(les ordonnances, qni assignent 2i carats pour \c titre de la
monnaie d'or de Philippe le IJcl, sauf pour les royaux durs' et
les deniers à la masse, dont le litre est fixé à 22 carats par
des documents officiels^, \illani ajoute que le litre de la mon-
naie d'argent, qui devait être à 11 deniers 12 grains de fin,
fut tellement affaibli qu'elle ne renfermait plus que la moitié
d'argent; enfin (jue le poids fut tellement altéré, (jue la mon-
naie ne valait pas le tiers de sa valeur nominale ^
Les monnaies étrangères furent prohibées *. On organisa des
commissaires chargés de rechercher les monnaies défendues ; ils
avaient le droit de pénétrer dans les maisons, de fouiller jusque
dans les coffres et dans les bourses* ; ils saisissaient l'ancienne
monnaie, mais ils en remboursaient la valeur °. Les barons leur
firent interdire l'entrée de leurs seigneuries, et se chargèrent
de veiller eux-mêmes à l'exécution des ordonnances royales ^ .
En 1302, le roi, du consentement de plusieurs de ses prélats
et barons, ordonna à toute personne, quel que fut son rang,
d'apporter aux monnaies du roi la moitié de sa vaisselle d'ar-
gent, au prix de quatre livres quinze sous le marc d'argent
1 Arch. (le l'Emp., Z. 3147, fol. 64.
- \'oyoz le bail de la monnaie d'or passé parBninet de Florence et Jacques
deCliarfant, de la société des Perruches, l'"' août 1310. Or. .Arch. imp.,
Z. 2S1J. — .Autre en 1305 par des associés des Perruches. Ord., t. I,
p. 433.
•^ li Lo rc di Francia, pcr fornirc sua guerra, fece faisificare sue monefe.
La buona nioncta de' tonicsi grossi, ch'cra a xi once et mezo di fine, lanfo il
fece piggiorare, che quasi torno a niesro , et cosi la moncta et cosa loro
che di XXIII et mezzo carati la rcco a mcno de xx , facendole correre per piîi
affai , que non valeano. Onde il re avanzava ogni di più di libre 6,000 di
Parigisii : ma guaslo et diserlo il paese che la sua moneta non torno alla valuta
de terzo. " — Villani, lii . \III, chap. uni. .Muratori , Scrijjtores , 1. XIII,
p. 390.
* Lettre adressée au duc de Bourgogne, 6 mars 1298. Ord., t. II , p. 604.
^ t Pro inveniendis monetis prohibendis, donios, arcas vel bursas cujus-
cumquc perquiralis. i Instruction aux commissaires : i Gcntibus nostris ad
ncgocium capcionis et inquisitionis monetarum per rcgnum nostrum depu-
tatis. n Jeudi après la Saint-Denis 1301. Bibl. imp., n" 8409, fol. 82.
(^ » Si aliquos florenos vel grossos turonenses, seu quamcunique aliam
monetain nostrain ceperitis, dictos florenos et grossos turonenses, rcddatis
earuin valorem. » Bibl. imp., n"8409, fol. 82.
" Ord., t. I, p. 347. Jeudi aiaiit la Saint-Louis 1302.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET Dl'j'KXSES. :îi:î
pur. Les baillis et autres agents durent donner rcxemple en
apportant toute leur argenterie, et cela sous peine de forfaiture.
Ce prix de quatre livres quinze sous était plus élevé que le
taux légal; mais le roi déclara lui-même qu'il avait « creu et
haucié le pris outre que il ne valoit en la date de celte ordon-
nance, espéciaument pour relever ses subjets de dommage' ".
Philippe promettait toujours de faire de bonne monnaie :
enfin, le 24 juin 1303", il prescrivit de battre des petits tour-
nois de bon aloi ; la monnaie double ou forte continua d'avoir
cours. Le texte de l'ordonnance qui fut rendue à cet etfet, et
en général celui de toutes les ordonnances relatives aux mon-
naies, est excessivement corrompu dans le recueil des ordon-
nances du Louvre. On lit en effet dans un mandement au comte
de Porcien, imprimé dans cette collection, que le parisis nou-
vellement fabriqué devait avoir cours pour un double tournois.
Le registre original du Trésor des chartes porte que le nouveau
petit tournois serait pris pour un double tournois ancien. Cette
leçon est confirmée par un passage d'une ordonnance du
20 juillet 1303'.
Cette bonne monnaie ne dura pas longtemps : le peuple,
dont Geoffroy de Paris se fit l'écho, attribua la nouvelle alté-
ration de la monnaie
A Lombards, qui i gaignèrent,
Qui de foiblo loi la forgièrent '''.
C'est au roi lui-même que la faute doit être imputée. La
bonne monnaie ne fut frappée que pendant quatre mois : le
marc d'argent atteignit cinq livres quatre sous ^ Tout le monde
se plaignit : le clergé, les barons et le commun peuple requi-
rent le roi de nouveau, que <■<■ lui plust remettre ses monnoies
en Testât qu'elles estoient ou temps de saiucte mémoire mon-
seigneur sainct Loys " . Les prélats du royaume offrirent un
i Ord., t. XII, p. 352. 12 octobre 1301.
2 Ord., t. I, p. 378.
3 Ord., t. I, p. 379.
* Chronique métrique, vers 2206 et suiv.
^ Arch. de l'Emp., Reg. entre deux ais de la Cour des monnaies, Z. 3247,
fol. 70.
314 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
double décime des revenus du clergé, à condition que le roi
n'affaiblirait plus les monnaies sans une pressante nécessité,
attestée par le conseil secret et reconnue par l'assemblée des
prélats et des barons. Philippe n'accepta pas ces conditions ;
toutefois il se déclara ^ prest à faire battre, coigner et faire hasti-
vement et continuellement monnoies bonnes et anciennes; »
mais il objecta que '; ceste chose ne pouvoit en bonne manière
si hastivement estre ftiite , se les nouvelles monnoies couranz à
présent n'estoient mises par devers nos monnoyages , pour
avoir plus matère à faire les bonnes monnoies anciennes dessus
dites, n En conséquence, chacun fut invité à porter aux hôtels
des monnaies les espèces courantes '.
Le pape Benoît XI accorda au roi le dixième du revenu an-
nuel du clergé de France'. Philippe promit, mais ne tint point
parole; le prix du marc haussait toujoin-s. A l'Ascension IGO-i,
il était à six livres; au mois de mars 1305, à sept livres cinq
sous'. Au mois de mai de l'année suivante, le roi s'engagea
de nouveau à faire de la bonne monnaie : on émit au mois de
juin des royaux d'or valant onze bons petits parisis de ceux
« qu'on faisait forger nouvellement -i . On fît aussi des gros
d'argent de la valeur de ceux de saint Louis, a non roognez ne
usez » , qui avaient cours pour trente et un deniers et maille
parisis de la monnaie qui courait. On émit aussi des tournois
petits et des parisis petits, soi-disant du poids et de l'aloi de ceux
de saint Louis, ayant cours, le petit tournois, pour un double
tournois et demi de faible monnaie, et le petit parisis pour un
double parisis et demi*. Alais Philippe revint immédiatement à
ses anciens errements \ En 1306, le marc d'argent valait sept
livres dix sous ^. Les plaintes furent universelles. Le roi fit
amende honorable, et le 8 juin il annonça que, du conseil de
plusieurs prélats et de plusieurs barons, la bonne monnaie cour-
1 Alaudcmcnt ;ui bailli de Clmiimnnt, 1"^^'' décembre (1303). Ord., t. 1,
p. 389.
'- Or. \vch. de l'Emp., J. 459, 11. ii des ides de mai.
3 Z. 3147, 70 V".
''* Ord., t. I, p. 431. Mandement au bailli de Clemiont. 25 mai 1305.
"^ Z. 3147, fol. 70.
c 8 juin 1306. Ord., t. I, p. 444.
LIVRE DIXIÈME. — KECETTKS ET DÉPEXSES. 315
rait à partir de Xotre-Daiiie de septembre'. L'ancienne mon-
naie ne fut pas décriée, mais trois deniers anciens eurent cours
pour un nouveau '. Le marc d'argent tomba à cinquante-cinq
sous six deniers, et le marc d'or à quarante quatre livres ^
La faible monnaie avait duré onze ans. Le rétablissement de
la bonne eut des suites funestes. La faible monnaie n'avait
jamais eu cours pour sa valeur nominale, ou plutôt les objets
de consommation et autres rencbérissaient en proportion de
l'altération des monnaies. Tel loyer qui, avant 1295, était de
dix sous de bonne monnaie, n'avait été renouvelé en 1305
que pour trente sous de faible monnaie, représentant dix sous
en 1205. Quand on revint à la monnaie de saint Louis, les
propriétaires des manoirs ou des biens ruraux exigèrent de
leurs locataires ou de leurs fermiers le payement en bonne
monnaie du prix du loyer stipulé pendant que la mauvaise
monnaie avait cours. C'était donc demander trois fois le prix
réel stipulé dans le contrat. Le peuple de Paris se plaignit : ses
réclamations ne furent pas écoutées assez promptement au gré
de ses désirs. Le roi avait bien prévu les inconvénients écono-
miques du rétablissement de la bonne monnaie, mais il se
trouvait dans un grand embarras. Le 8 juin, il déclara que,
pour ce qui touchait " aux pactes et marchez faits jusqu'alors
à foible monoie, il n'entendoit rien statuer à ce terme, se réser-
vant à le faire avec telle équité que Dieu et ses sujets en
seroient satisfaits .^ v Mais le peuple perdit patience contre les
propriétaires, brûla la maison d'Etienne Barbette, un des
maîtres des monnaies, et assiégea Philippe lui-même dans le
Temple *. Des désordres eurent lieu aussi dans les provinces'.
Les coupables furent sévèrement punis. Le roi songea à remé-
1 8 septembre 1306. Ord., t. I, p. 441, d'après Leblanc. Le texte de l'or-
donnance est perdu.
- Z. 3147, foL 70. — Voici ce qu'on lit dans un registre de la cour des
monnaies : » Au l*^"" mars en cet an 1305 à Pâques, couroit un denier
pour III jusques à la Saint-Reniy l'an 1306. » Z. 3147, 70 v". Conf. Historiens
de France, t. XXI, p. 27 et 647. .%rch. imp. , L. 1240.
3 Ord., t. I, p. 441.
^ Historiens de France, t. XXI, p. 27 (coût. Gbron. G. de Fracheto).
— Memor. hist. J. de S. Victorc. Ibid., p. 619.
^ Entre autres à Laon. Olim, t. III, p. 611.
31G LA FRAXCE SOIS PHILIPPE LE HEL.
dier à cctto situalion, qui élait déplorable. Au mois d'octobre,
il ordonna que 1rs rentes seraient payées en bonne monnaie.
Quant aux uiarcliés et aux conventions ayant pour objet la
prestation d'une somme d'arjjent déterminée, les débiteurs
durent s'acquitter en donnant l'équivalent réel de la somme
stipulé*', eu éjpird à la valeur intrinsèque de la monnaie lors
du contrat, valeur qu'on fixait, ainsi que je l'ai déjà dit, au
moyen du piix du marc aux liôlels des monnaies '. Une décision
analogue l'ut prise à l'égard des fermiers royaux". Mais on ne
pouvait prévoir toutes les questions que la mauvaise foi allait
soulever. En 1308, il fut fixé que les cens et rentes seraient
acquittés en monnaie courante.
En l.'ÎOT et en 1308 on battit de bonne monnaie. On frappa
des mailles dont trois valaient un sou tournois, et que les chan-
geurs faisaient courir à tort pour quatre parisis ^ . Les doubles
couraient toujours, un et demi étant pris pour un denier de
bonne monnaie ''. En 131 1 Philippe revint à ses mauvaises pra-
tiques. On émit, au mois de janvier, une monnaie de billon
qu'on appela bourgeois.
On forgea des agnels d'or, valant seize sous parisis, et,
ajoute le texte des Ordonnances du Louvre, huit petits bour-
geois, ce qui est impossible. Le registre 42 du Trésor des
Chartes donne la vraie leçon : « Faces prendre (nostre monnoie
à l'agnel) pour seze sols parisis et aussi huit sols de bourgeois
fors et por seze sols de bourgeois petits. -^ Le petit bourgeois
était donc équivalent à un petit tournois et le bourgeois fort
au double tournois.
11 y avait des bourgeois simples et des bourgeois doubles
ou forts. Leblanc, qui a été suivi par tous les numismates,
prétend que les bourgeois simples étaient tout simplement des
parisis ; il se trompe \
' 4 octol)rc 1306. Ord., t. I, p. 4W et siiiv.
2 16 févrior 1307. Ord., t. I, p. 440.
3 Ordoiinancp du 18 janvier loOO. Ord., t. I , p. 454.
'» Ord., t. I, p. 4."):3.
^ Leblanc invoque à l'appui de son opinion a une infinité d'ordonnances »
qu'il ne cite ni n'iiulique, et le passage suivant d'un continuateur de \angis
ainsi conçu : i Pliilippus rex Franciae simplicium ac duplicium turoncnsium
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DÉPENSES. 317
Il est pourtant hors de doute que les bourgeois couraient
pour des parisis ', mais c'était en cela que consistait la fraude.
Geoffroy de Paris signale comme une monstruosité cette égalité
entre le cours des parisis et des tournois désignés sous le nom
de bourgeois ^.
Le prix du marc, qui était en 1311 à 59 sous, monta au
mois de septembre 1313 à 3 livres 10 sous. Cette année, dit
le chroniqueur Jean de Saint-Victor, la monnaie fut altérée
d'une façon si honteuse, que les marchands ne trouvaient plus
à faire de marchés '. Le royaume en souffrit merveilleusement.
Les conseillers du roi en retirèrent tout le proht, et le pape en
eut sa part. De sombres prédictions se répandaient dans le
peuple : on rappelait une prophétie de l'enchanteur Merlin ,
qui menaçait le roi de France de la perte d'une partie de son
royaume, quand les parisis deviendraient des tournois. La haine
contre Philippe et ses conseillers devint générale \
fieri fecit monctam pro simplicibus parisiensibus denariis currcnfcni, etc. s
(p. 210). Ce texte dit que les bourgeoi.s couraient pour des parisis, mais non
qu'ils eussent la même valeur. En l'ffet , un autre continuateur de Xangis
raconte qu'au mois de septembre 1313 le roi voulut ramener à sa juste valeur
sa monnaie de bourgeois, qui pendant environ deux ans avait eu cours pour
parisis, ce qui était inouï, car leur valeur inirinsèque était égale seulement
à celle des tournois correspondants (le double bourgeois valant le double tour-
nois et le simple bourgeois le petit tournois). Historiens de France, t. XXI,
p. 39. Ce passage est concluant. Il est d'ailleurs confirmé par une ordonnance
portant que quatre bourgeois valaient une maille blanche; or la maille blanche
valait un tiers de gros ou quatre deniers tournois (Onl., t. I, p. 421); donc
le bourgeois était égal à un denier tournois.
1 Ord., t. I, p. 525.
2 Tornois et parisis eurent
Un pris, cel temps communément.
Lors devindrent voircment
Tornois parisis par le royaume.
Dont maint en gésirent en chaume
Et en vuiderent le pays.
Et encore en sont csbabis
Cclx qui ce savent et le lirent.
Comme les tornois dcvcnirent
Parisis... Chronique métrique , vers 5754 et suiv.
•^ Historiens de France, t. XXI, p. 658.
^ Voyez les plaintes de plusieurs marchands, fournisseurs du comte de
318 LA FR.WCE SOLS PHILIPPE LK HLL.
Les agents du fisc pcnélraiont dans les maisons pour recher-
cher les monnaies prohibées el étrangères , et confisquaient
celles qu'ils trouvaient '. La défiance était partout. Le com-
merce était anéanti.
Enfin Phi]ip|)o, vaincu par les plaintes du peuple, promit
pour la .SLricnir fuis de l'aire frapper de bonne monnaie, à
partir de la llLideleine 1313'; ce terme fut prorogé au mois
de septembre'. Le roi tint enfin parole; mais le rétablisse-
ment de la bonne monnaie sur Fancien pied amena les mêmes
résultats désastreux qu'en 13()G.
Cet an, droit à la Sainl-Rcniy,
Borgois qui deux ans et deiny ^
Coururent , de lors pris clievit
Sont. A mains en est mesclievif ;
Qui les ventes ont acheté,
V perdirent de leur cluité :
^larcîiics convint conlreinander.
En ceste année que je conte ,
Toute monnoie vint à honte,
Et nul blanc argent n'alla par foire
Mes que sanz plus monnoie noire ,
Si ne sot on de quoi payer s.
Le prix du marc d'argent tomba à 57 sous 7 deniers *. Pour
me résumer, depuis 1295 jusqu'à la mort de Philippe le lîel,
Poitiers. Lcbcr, Recueil de dissertations , t. XIX, p. 49. Les habitants de
Chàlons avaient injurié le prévôt de Laon au sujet de l'ordonnance sur le
cours delà forte monnaie, quand elle avait été publiée dans la ville; des nota-
bles étaient même réunis pour aviser au moyen d" empêcher l'ordonuance
d'être mise à exécution. Les habitants furent condamnés à 10,000 livres
d'amende. Olim, t. III, p. 611. 1310.
1 En 1313 le prévôt de Paris enleva 7,000 florins d'or de la maison d'un
chanoine nommé Guérin de Plaisance; il paraît qu'il s'acquitta de cette com-
mission d'une manière malhonnête , et détourna une partie de la somme. Le
roi ordonna une enquête. Or. Arch. de l'Emp., K. 38, n" 9 bis.
2 Ord., t. I, p. 527.
3 Ord., t. I, p. 536.
■* Et deiny est pour la rime.
^ Chronique riince de Geoffroy de Paris, vers 5757 et suiv.
c Arch. de l'Emp., Reg. de la cour des monnaies, Z. 31 V7, fol-. 70.
En 1313, toutes les anciennes monnaies d'or et d'argent furent décriées, à
l'exception de l'agnel d'or {Ord., t. I, p. 536), dont on domiait quinze jours
LIVRE DIXIEME. — RECETTES ET DEPEA'SES. ;JI9
la bonne monnaie eut cours en 1303 pendant quatre mois, de
juin 13U(j ci janvier 1311, et de la fin de septembre 1313 à
1314. De 1295 au mois d'aoû.t 1303, la livre tournois avait
subi au moins dix mutations : elle en éprouva six autres de
1304 à 1305. En 1295 elle valait 16 fr. 72 c, en 1305 elle
descendit à 6 fr. 15 c. '. Il ne faut pas faire honneur à Philippe
du rétablissement momentané de la bonne monnaie : il n'y
consentit qu'à son corps défendant , et moyennant des conces-
sions de subsides et de décimes. A propos du rétablissement
de la monnaie en 1315, M. de Wailly a fait remarquer qu'il
coïncidait avec le payement de l'aide pour la chevalerie de
Louis le Hutin. Déjà quatre années auparavant l'aide pour le
mariage d'Isabelle avait été levée pendant que la bonne mon-
naie avait cours. « Le hasard, dit M. de Wailly, n'aurait pas
deux fois de suite si bien servi le trésor, et ce serait faire tort
à la politique du temps que de la croire étrangère à de si heu-
reuses combinaisons *. v
Philippe, pour faire croire qu'il allait donner satisfaction
aux vœux émis par toutes les classes de la société de voir la
monnaie fixe et stable, consulta souvent les députés des villes.
En 1314, au moment même où il expirait, un grand nombre de
bourgeois des principales villes de France étaient réunis à
Paris f>our traiter celte grande question. Ils déclarèrent que le
roi ne devait tirer aucun profit de la monnaie d'or et d'argent.
Ils proposaient de battre des espèces d'or à 22 carats de titre ^
Louis X profita de la mort de son père pour renvoyer les
députés chez eux et ne donner aucune suite à leurs projets.
Déjà, en 1304, les prélats avaient demandé que le roi ne pût
changer la monnaie qu'en cas de nécessité absolue , attestée
par le serment du roi et des membres du conseil, et avec le
consentement des prélats et des barons *.
auparavant vingt-deux petits Lourgeois , et qui , par ordonnance , ne courut
plus que pour quinze sous tournois. (Glironique de G. de Frachet, Historiens
de France, t. XXI, p. 305.)
1 De Wailly, Variations de la livre tournois , p. 32.
~ Variations de la licre tournois , p. 35.
3 Ord., t. I, p. 549.
''' Trésor des chartes , .1. 459, n° 22. Conf. de Wailly, Variations de la
livre tournois , p. 33 et 34.
320 LA FRAXGE SOLS PHILIPPE LE BEL.
L'administration dos monnaies était constituée dès Pliilippc
le Bel. Elle avait à sa tète des maîtres «jénéraux des monnaies
au nombre de deux ' ; ils étaient assistés de clercs. Ils avaient
dès cette époque une juridiction". I.a labricalion des espèces
était donnée à l'entreprise ; on passait des baux particuliers
pour chaque espèce et pour chaque nouvelle émission, dans
lesquels étaient déterminés d'avance le poids, le titre et la
taille des deniers, la tolérance et le remède, et le gain de
l'entrepreneur. Dans un bail inédit de l'an 1310 pour les
royaux durs, il est spécifié que les entrepreneurs « doivent
faire la monnoie à leur propre couz et despens de touz couz,
de touz freiz, et de touz salaires, excepté le salaire de la garde
que nostre dit seigneur le roi paiera; le bénéfice de l'entre-
preneur fut fixé à seize sous tournois par marc d'or monnayé,
pour les royaux durs, ainsi que pour les agnels qui furent
fabriqués à partir du 7 février 1311 ^ Les ouvriers qui fai-
saient la monnaie s'appelaient monnayers ; leur office était
héréditaire : cependant les neveux des monnayers y étaient
quelquefois admis. Ils prêtaient serment de ne pas divulguer
les procédés de fabrication, et travaillaient en secret. Us jouis-
saient de grands privilèges qui furent confirmés et augmentés
par Philippe le Bel, et étendus aux monnayers des provinces.
Ils ne pouvaient être cités devant les tribunaux ordinaires que
pour les crimes de meurtre, de rapt et de larcin. Pour tous
les autres délits ils devaient être cités devant les maîtres des
monnaies.
Dans chaque hôtel il y avait un chef ouvrier nommé
1 II Pro vadiis Bclini Caucinol et (îuillclmi Flarningi, magistroriini monc-
tarum pro tcrcio... et pro vadiis licnaudi do Aula, deriti monelariim. r Journal
du trésor.
- liC 24 juin 1294, Bétliin et Jean Daimier, iiionnaycurs du roi, pronon-
cèrent à Paris une sentence par la(piellc ils restituèrent à l'évèque de Viviers
le droit de battre monnaie à l'Argentière. Voyez ce jugement dans Alesnard,
Histoire de Nismes , t. I, preuves, p. 127. Jusqu'ici ou ignorait que la juri-
diction de !a cour des monnaies fût aussi ancienne. — Sur les maîtres des
monnaies, on peut aussi consulter le premier carton de la cour des monnaies
aux Arcli. de l'Emp. (nouveau classement), et le Reg. A. de la cbambre des
comptes, copie moderne, P. 2290, fol. 1.
3 Ord., 1. I, p. 478.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DÉPEXSES. 321
prévôt. Ils étaient exempts des tailles '. En 1296, il s'éleva entre
les ouvriers et les entrepreneurs un difTérend au sujet des
salaires. Il lut terminé par l'entremise des maîtres des mon-
naies, au moyen d'une transaction". Ils étaient payés à la
tàclie. Ainsi, lors de la Tabricalion des bourgeois on leur don-
nait six bourgeois par marc monnayé; leur salaire était aug-
menté d'un tiers pour les mailles bourgeoises ^ .
L'altération de la monnaie encourageait les faux monnayeurs
en leur assurant des bénéfices considérables. De nombreuses
ordonnances interdirent non-seulement la fausse monnaie,
mais encore la fonte des matières d'or*. Le cbange fut confié
exclusivement à des cbangeurs institués par le roi et sévère-
ment surveillés'. Chaque année de nouveaux commissaires
étaient envoyés pour faire tenir la main à l'exécution des
ordonnances sur le fait des monnaies". Un supplice terrible
attendait les faux monnayeurs, ils étaient bouillis vivants, et
les comptes du temps enregistrent un grand nombre de ces
barbares exécutions.
Cl 27 livres 4 sous à maître Henri pour avoir fait bouillir de
faux monnayeurs ; -i 100 sous pour l'achat d'une chaudière
pour faire bouillir de faux monnayeurs à Montdidier; à
Paris, 38 sous pour réparation à la chaudière et pour y avoir
posé des barres de fer ^ "
Des commissaires spéciaux étaient chargés de poursuivre les
' En 1310 (7 octobre), Pliilippe accorda cette exemption aux monnayeurs
royaux do Montpellier, tant qu'ils seraient en exercice. Arch. de l'Emp.,
K. 188, n" 15 lei\ Copie moderne venant de la chamlire des comptes.
■i Ord.. t. XI, p. 385.
•' Les ouvriers auront du marc de bourgeois singles (simples) de denif^rs
faire, 6 deniers. Item, des mailles des bourgeois, le tiers plus que des deniers
singles. Mémorial A. de la chambre des comptes, fol. 270. — P. 2290, fol. 1.
'* Ordre au sénécbal de Poitou de détruire les fourneaux oîi l'on fondait des
monnaies. 1308. Trésor des chartes, Reg. XLI , n" 7.
5 Ord., t. I, p. 432 (12 juillet 1305).
6 Olim, t. III, p. 149.
" Compte de 1311. Leber, t. XIX, p. 57. AXainctes, Hélye de la Garde,
faux moniioyeur, qui fut boilli. Voyez aussi Compte du bailliage de France
de l'an 1305 Bibliothèque impériale, Baluze. s De bonis cujusdam falsarii
monete bulhiti in prepositura Riomi xxxv s. i Compte d'Auvergne en 1299.
K. 501, etc.
21
322 LA FRAXCE SOUS PHlLIi'PI'; l-E W.\..
faux monnayeurs, conlic lesquels on ne croyait pas pouvoir
trouver de châtiments assez terribles. Pliili|)|)e les fit excom-
munier par le pape Cléuient \ '.
Un texte tiré des registres de la chambre des comptes et
publié par Ducange, donne une liste des villes où l'on IVajipait
des monnaies royales sous Philippe le Bel : c'étaient Paris, Tour-
nay, Troyes, Saint-Pourçain, Montpellier, Toulouse, Montrcuil-
Bonnin et Rouen ". J'ai trouvé la preuve qu'il y avait aussi des
ateliers royaux à Màcon % à Sainf-Ouentin ' et à Sommiéres'.
L'inventaire de Robert Mignon, rédigé en 1326, cite sans
indication d'années les hôtels de la Réole , de Bourges et de
Pampelunc ^.
Ces ateliers fonctionnaient avec une activité extraordinaire
que justifiaient les nombreuses altérations que subirent les
monnaies.
Pendant toute la durée du règne de Philippe le Bel, les
ordonnances se succédèrent presque sans interruption, prohi-
bant l'importation des monnaies étrangères \
Philippe crut donner une haute marque de sa protection
pour les lettres, en permettant aux étudiants qui venaient en
France d'apporter des monnaies de leur pays*. Dans chaque
localité jouissant de foires ou démarchés, on établit des gardes
1 Arcli. de l'Emp., Rcg. A. de la chambre des comptes, copie moderne,
P. 2591, fol. 162.
2 Reproduit dans Historiens de France, t. XXI, p. 563.
3 a De monetayio Matisconensc , t mars 1298. Journal du trésor, fol. 62 r°,
et passini.
■'' « Pro donnriis pcr Syninnoni de Brolio et Rarlliolomeiim Pcrruclie nio-
nctario.s S. Qiiintini. ■; Journal du trésor, fol. 89 v", 10 juillet 1299, et
passim.
s Arcli. de l'Emp., J. 1031, 10. Procédure contre L. Bon, monnaycur à
Sommières. Année 1308. Cet hôtel fut réuni à Montpellier en 134-0. Ord.,
t. IV, p. 152.
^ Historiens de France , t. XXI, p. 529.
" Re<f. Olim du parlement de Paris, t. III, p. 139. .Année 1304. Voyez
aussi Journal du trésor, i'ol. 3 v, 5 r° et v", 13 v", 62 v", 71 v", 96 v°, etc.
Ord., t. XII, p. 351 (en 1301); p. 442 (en 1306), etc. Ordre au duc
de Bourgogne de prohiber la monnaie étrangère. 1298 v. s. Ord., t. H,
p. 604.
^ Ord., t. XI, p. 427. 13 avril 1313.
LURF: dixième. — recettes et DÉPEXSES. :523
des monnaies avec mission de surveiller l'exécution des ordon-
nances '. " Li prevoz establira en chascune ville de sa prevosté
proudhonimes et dignes de foy qui se prandront «jarde que l'on
ne praigne monnoie défendue contre la dicte ordonnance , li
quel establi iront un ou deus ensemble, ou un sergent avec
eux, là où l'on vent et achète, et là où l'en met et reçoit deniers
plus communément; et pour donner exemple perceront et ren-
dront toutes perciées à ceux à qui elles auront été prises , et
leur commanderont qu'ils portent ou change ou à la monoic
le roy plus pro(;haine, et arresteront leur noms, et leur diront
que se il sont trouvez autre fois prenant monnoye défendue,
l'en la prendra sur eux comme forfaile, sanz ce que l'en leur
en face nulle grâce , et encore seront en la merci le roy de
cors et d'avoir. » L'exportation de la monnaie et des métaux
précieux était aussi défendue sous des peines rigoureuses '.
Les contraventions étaient punies de la confiscation des espèces
et produisaient des sommes abondantes qui remplissaient le
trésor ^.
Toutes ces ordonnances avaient cours dans les terres des
barons''. Ceux-ci imitaient le roi de France et faisaient de la
fausse monnaie. De ce nombre était le comte de Flandre. Phi-
lippe se plaignit , et cette plainte donna lieu à une piquante
anecdote. Les envoyés du comte répondirent aux ministres du
roi qui accusaient leur maître de faire de fausse monnaie :
« K'il ne fesissent mie grant honour au roi de France, ke par
leur paroles il reconnussent ke le monoic le roi n'estoit mie
» Octobre 1309, Reg. XLII , n" 71, et mars 1310, n» 137 bis.
- ^landcmont à Johan Cliamcnron et à Raoul Cocatrix, 8 mars 1310,
Reg. XLII, n° 13(3, leur enjoignant d'envoyer à Paris ceux qui emportaient
de la monnaie.
3 a De monetis forefactis in ballivia Matiscon. vi"\iii lib. !i Journal du
trésor, fol. 118 v» (l*--- mai 1311).
'^ Mandement sur la nouvelle monnaie adressé à tons ducs, contes, barons,
à tons justiciers, 129.5. Samedi après la mi-carème (n. s.). Baluze, 10312 .\.
fol. 5.5. — Lettre au duc de Bretagne, après Pâques 1308. Ord., t. I , p. 449.
— Au comte de La Alarche, 1309. Reg. XLII, n" 48. — Au comte de
Flandre, 1295, après l'octave de Pâques. Or. Bibl. imp. , cbarics Colbert.
Flandre , n° 10. — Ordre au duc de Bretagne de proliiber les monnaies étran-
gères, 6 mars 1299. Ord., t. II, p. 604.
21.
324 LA FR-AXCIi SOLS PHILIPPF-: LK DKL.
boine , comme ce fut cose ke vostre monnoie (celle du comte)
fu fiiite sous le piet le dille roi de France, et ke jou et nostre
gent estiemes appareillés de faire essai au fu (feu) d'une monoie
et d'autre '. »
Déjà en 130'J Philippe avait envoyé deux inspecteurs exa-
miner si les monnaies des seigneurs étaient de bon aloi '.
En 1313 il défendit aux prélats et aux barons « d'allier ni
empirer leurs monnoies de poids de loi et de Testât ancien,
et s'ils foni le contraire, auront doresnavant leurs monnoies
forfaitcs à toujours. " Il leur fut ordonné de cesser de battre
jusqu'à ce (ju'ils eussent eu l'autorisation du roi qui devait
faire procéder à une enquête sur la loi et le poids légal des
monnaies baronales. En outre on établit dans chaque monnaie
seigneuriale des gardes aux dépens des seigneurs, j)0ur veiller
à l'exécution des ordonnances ^ Louis X publia en 13151a liste
(le vingt-neuf feudalaires qui avaient seuls droit de battre mon-
naie, avec l'indication exacte de la taille et du titre des espèces
seigneuriales. Cette mesure, (|ui mettait la royauté à même
d'exercer un contrôle sérieux sur les monnaies baronales,
était due à Philippe le Bel \
On a voulu flétrir Philippe le Bel du nom de faux monnayeur,
mais ce titre, il ne le mérite pas exclusivement. On pourrait
^ Dépèclies des ambassadeurs flamands. Kcrvyn, Recherches , p. C9.
- Trés07' des chartes, Rcg. XLl, u" 36. » Bcchinum Calanclli et J. Pai-
mcrii conslituimiis per omnia loca (otiiis re;]ni in quibus monetc fiunt ad
inspicieiidurn iitruni inoiielc fiant co modo quo dcbcnt ficri , tam monetc
nostre quam moncte l)aromiin. r
•» OrcL, t. I, p. 518 (juin 1313).
'> C'étaient : le comte de Xevers, le duc de Bretagne, la monnaie do
Souvigny au sire de Bourbon et au pais de Souvigny, le comte de La Alarchc ,
vicomte de Brosse, le sire de Hiret de Saint-Sévère, l'archevêque de Reims,
le comte de Soissons, le sire de Cliàtcauvillain, le sire de ilcun-sur-\èvre
(Robert d'Ailli), l'évêque de ALigueloue, l'évèque de Clcrmont, la monnaie
du Mans, le vicomte de Limoges, l'évèque de Laon , le comte de Rethel,
la monnaie d'Angers, le comte de Xendômc, le vicomte de Chàteaudun, la
monnaie de Chartres au comte de Valois, l'évèque de Meaux, le comte de
Sancerre, le sire de Vierzon, le sire de Chàteauroux, l'évèque de Cahors, la
dame de Fauquemberg, le comte de Poitiers, le comte de Blois. Arch. de
l'Emp., Reg. entre deux ais de la cour des monnaies. Cette ordoiniancc a été
publiée en 1840 dans la Revue archéologique.
LIVRR DIXIÈME. — RECETTES ET DEPE\SES. 325
le donner à aussi bon droit au roi Jean. Philippe n'inventa pas
l'art d'altérer les monnaies, il fit ce qu'il voyait faire autour
de lui, ce que les rois anglo-normands avaient pratiqué avec
succès, ce que ses successeurs ne craignirent pas de faire.
L'altération des monnaies était un droit royal et seigneurial
reconnu au moyen âge, que les besoins pressants du trône et la
gravité des circonstances semblaient justifier. Il était même
d'usage que les seigneurs pouvaient de temps à autre changer
leurs monnaies; et ce droit était racheté par leurs vassaux,
par un impôt désigné ordinairement sous le nom de fouage.
Aussi, lorsqu'en 1295 Philippe diminua pour la première fois,
d'une manière sensible, le titre de sa monnaie , il n'en fit pas
un mystère. Loin de là, il le dit hautement en invoquant la
pénurie du trésor qui le forçait de recourir à un expédient
avoué par la coutume. Toutefois, il faut reconnaître que
Philippe le Bel abusa d'une manière honteuse de l'altération
des monnaies. L'expérience aurait dû, ce semble, lui démontrer
promptement l'inefficacité de cette mesure, qui procurait de
médiocres bénéfices et appauvrissait la nation en entravant les
transactions et en portant le désordre dans les fortunes privées.
Ces conséquences désastreuses n'avaient pas échappé aux
contemporains. Voici comment s'exprimait Pierre Dubois dans
un mémoire au roi :
Il Vos sujets ont supporté récemment et supporteront encore,
par le changement des monnaies, des pertes auxquelles on ne
saurait comparer celles qu'ils ont faites par suite de la guerre.
En effet, les revenus en argent, pour les nobles comme pour
les autres, ne sont pas augmentés, car ils reçoivent un seul
denier au lieu de deux; d'un autre côté, les objets nécessaires
pour se nourrir et se vêtir sont deux fois plus chers, par la
raison que ceux qui exportaient du numéraire, préfèrent main-
tenant exporter des marchandises, qu'ils laissaient autrefois
dans le royaume. Ils les acbètent plus cher parce qu'il y a plus
d'acheteurs, et ils les vendent en conséquence : c'est ainsi que
la présence d'une nombreuse armée fait renchérir les vivres.
« Aujourd'hui, quiconque apporte en France quelques pro-
duits des pays étrangers, remporte en échange d'autres objets
comme s'il n'y avait pas de numéraire chez nous ; car pour les
326 LA FRAXCE SOUS PHILII'PK LK lUlL.
étrangers, la monnaie noire n'est pas de la monnaie, et ia
Fiance n'a de nnméiairc (pTanlanl qu'elle a de l'or et de
l'argent hlanc. Quicon(|U(' doit trans|)orter hors du royaume
trois cents livres de revenu, en perd le tiers, parce qu'avant le
changement de la monnaie, on avait plus d'or et plus d'argent
pour deux cents livres qu'aujourd'hui pour trois cents. Des
perles non moins grandes en sont résultées pour les pauvres
et pour les églises, qui se trouvent privés des aumônes et des
largesses habituelles parce qu'on manque de menue monnaie.
Tous les sujets du royaume sont donc victimes de ces change-
ments, excepté le prince, les fermiers et les fabricants et la
monnaie. Comment donc réparer les pertes si grandes et si
générales, qui ont frappé la population entière du royaume?
C'est à quoi devraient réfléchir les conseillers et les auteurs de
ces mesures, s'ils pensaient qu'ils doivent un jour mourir' ? )>
Les mêmes considérations sont exprimées dans des termes
presque semblables, dans un mémoire remisa Philippe le Long
par un homme versé dans la fabrication des espèces, qui avait
été consulté par le gouvernement sur les améliorations à intro-
duire dans cette branche importante du service public ^
Dès 121)4, quand, au début de la guerre contre les Anglais,
le maître de la monnaie proposa comme une ressource féconde
l'altération des monnaies, les habiles financiers italiens aux-
quels Philippe avait donné la direction des finances, Bichet et
Mouche!, s'opposèrent à cette mesure, dont ils proclamèrent à
la fois l'inutilité et le danger : ils parvinrent même à la faire
ajourner; mais leurs sages conseils finirent par être mis de
côté ^ Enguerran de Alarigny paraît au contraire avoir été
persuadé de l'efficacité de cette misérable ressource, qui jetait
la perturbation dans le royaume, sans enrichir le trésor : du
moins, sous son administration, les monnaies lurent contiimcl-
lement altérées. Je ne voudrais pas excuser Philippe le Bel, mais
1 » Summa brevis. » Bibl. imp., n° 0222, fol. 32 v". Voyez Ir savanl
MémoiiT (le M. de Wailly, Ulém. de l Académie des inscriptions , I. WIII,
2'-' série, p. 35 du tirajje à part.
- Trésor des chartes , layette monnaies, J. 459, n° 24.
^ Voyez le Mémoire important sur la «guerre d'.An<]leterre, Notices et
extraits, n" vin.
LIVRE DIXIÈIIE. — RECETTES ET DEPENSES. ;]27
je dois rappeler que ses successeurs partagèrent son errenr,
en cherchant dans l'altération des monnaies un expédient
financier pour faire face dans des temps de crise aux hesoins
urgents de l'Etat.
CHAPITRE SEPTIEME.
ÉVALUATION DES RECETTES ET DES DÉPENSES.
Aperçu sur les recclte? et les dépenses de i'Efat. — Dépeuses de lliôtel du
roi. — Oroanisation de l'hôtel. — Tablettes de cire. — Comptes de l'ar-
genterie. — Evaluation des impôts extraordinaires. — Rentes sur le trésor.
— Budget pour lanncc 131^.
Je vais essayer de donner un aperçu des recettes et des
dépenses ordinaires sous Philippe le Bel : je dois déclarer que
les évaluations que je vais soumettre au lecteur ne sont qu'ap-
proximatives ; toutefois, elles reposent sur des bases certaines.
Les éléments de mes calculs sont puisés dans les documents
suivants : 1° un compte des recettes et des dépenses du roi
pour le terme de la Chandeleur 1287, intitulé Magna rccepta
et cxpensa régis. Ce compte comprend le produit des bailliages
et des prévotés de France, plus des versements faits par le
Temple, consistant en une partie seulement des recettes des
bailliages de Normandie, des sénéchaussées de Querci et de
Beaucaire , ainsi que plusieurs recettes extraordinaires. La
seconde partie est consacrée à l'énumération abrégée des dé-
penses de l'hôtel et des bailliages, et de la guerre d'Aragon ';
2° un compte des anciens domaines du comte Alphonse de
Poitiers et de Toulouse, de la Saint-Jean 1203 à la Saint-
Jean 1294"; 3° un compte des bailliages et des prévôtés de
France pour le terme de la Toussaint 1299^; 4" un compte
semblable pour le terme de l'Ascension 1305, comprenant
aussi pour un certain nombre de bailliages et de prévôtés le
terme précédent de la Chandeleur".
1 Bibl. inip., Gaignières, n" 567.
2 Arch. de l'Emp., K. 501.
3 Bibl. imp., suppl. français, n° 47432.
« Bibl. imp., Balnze, n» 109.
328 LA FRAXCE SOUS FUILIPPF, LE DEL.
Voici lo tableau des rccottrs des bailliages el des prévôtés de
France pour un des trois termes de rannée financière ; j'ai
ramené pour l'année 1305 toutes les recettes à un seul terme;
j'ai retranché pour les années 1299 et 1305 le produit des bail-
liages de Tours et de Màcon , qui ne figurent pas dans le pre-
mier compte; j'ai déduit de ce même compte de 1286 les
recettes du bailliage de (îisors, qui, en 1299 et en 1305, était
réuni aux bailliages de Normandie; enfin, j'ai supprimé plu-
sieurs sommes qui étaient le produit d'impôts extraordinaires,
tels que décimes et cinquantièmes :
1287 (Cbandelear". 1299 (Toussaint). 1305 {Atcension).
Prévôtés. . 15,0341.18 s. lOd. par. 14,898 13 13 15,076 2 r
Bailliages . 30,420 18 4 29,184 3 4 30,015 6 10
45,4551.17 s. 2 cl. par. 44,082 17 5 45,0918 10
Cette uniformité dans les recettes à trois époques différentes
est une présomption en fjueur de l'exactitude des chiffres que
j'ai obtenus.
II est hors de doute que les dépenses et les recettes étaient
divisées en trois parties égales, correspondant chacune à une
des trois périodes qui divisaient l'année financière. Il suffit
donc, pour avoir le produit d'une année, de multiplier par
trois la recette de l'un de ces termes.
La recette de l'année 1305 peut être évaluée à 135,274 1.
5 s. 6 d. ; mais à ce chiffre il faut ajouter les recettes des bail-
liages de Tours et de Alàcon, que j'avais omises pour mieux
établir la comparaison entre les années 1287, 1299 et 1305,
et l'on obtiendra la somme de 147,424 1. 33 s. 23 d. parisis.
Passons à l'ancien domaine d'Alphonse. Le compte de l'an-
née 1293-1294 donne la recette complète pour chaque séné-
chaussée ; elle s'élève, déduction faite des recettes extraordi-
naires, à 100,756 1. 14 s. 1 d. tournois, ou 80,604 1. 27 s.
3 d. parisis. Un fragment de compte de l'an 1299 donne des
chiffres de recettes plus élevés et des chiffres de dépenses
inférieurs.
Je n'ai point trouvé de document (pii fit connaître exacte-
ment les recettes de la Xormandie. On verra bientôt que Phi-
lippe le 15el fixait le revenu net de cette province a 1(10,000
LIVRE DIXIÈME. — RECETTKS Kl' DÉPEXSES. 329
livres tournois (80,000 livres parisis). Sous saint Louis, les
dépenses des bailliages de Xorniandie ne s'élevaient pas tout à
fait au quart de la recette '. En supposant. que cette proportion
persista sous Philippe le IJel , on peut évaluer la recette brute
de la Xorniandie, à la fin du règne de ce prince, à 125,000 liv.
tournois ou 100,000 livres parisis. Il y avait aussi les séné-
chaussées de Beaucaiie, deCarcassonne, de Lyon et deBigorre,
sur lesquelles je n'ai pu me procurer aucun renseignement.
En dehors des recettes des bailliages, le trésor faisait des
recettes éventuelles, telles qu'amendes du parlement, droits
de sceau, régales, produits du monnayage qu'il est impossible
d'évaluer, et qui pourtant devaient fournir des sommes impor-
tantes. Converties en valeurs modernes, et en donnant à l'ar-
gent du treizième siècle cinq fois plus de valeur qu'il n'en a
maintenant, on aurait pour le produit annuel des bailliages de
France, de Xorniandie et des anciens Etats du comte Alphonse,
36,789,490 francs. Dans ce chiffre, je n'ai compris, faute de
documents, ni la Champagne, ni les sénéchaussées de Beau-
caire, de Carcassonne, de Lyon, etc. Je donne à la fin de ce
chapitre une évaluation due à Philippe le Bel lui-même.
Les dépenses se peuvent diviser en quatre catégories: 1° dé-
penses des bailliages; 2" dépenses de l'hôtel; 3° dépenses des
grands corps de l'Etat, payement des pensions et des rentes
sur le trésor; 4° dépenses diverses ne rentrant pas dans une des
classes précédentes, missions diplomatiques, etc. En 1;U)5, les
dépenses des bailliages et des prévôtés de France s'élevèrent à
85,757 livres 13 sous 9 deniers; en 1307, à 87,902 1. 19 s.
1 d. parisis; en 1294, celles des domaines d'Alphonse à
32,281 1. 81 s. 59 d. tournois, ou 25,828 1. 4 s. 8 d. parisis,
ce qui donne pour l'année 1305 un excédant de receltes pour
les bailliages de France, de 59,522 1. 14 s. 19 d., et |)our les
domaines d'Alphonse en 1294 de (18,471 1. 8 s. 2 d. parisis.
Un chapitre des dépenses des bailliages était consacré aux tra-
vaux publics, consistant surtout en réparations aux châteaux
royaux et entretien des routes, etc. ; on faisait contribuer ceux
auxquels les tiavaux devaient profiler ^ En 1295, le roi fit réla-
1 Historiens de France , préface, p. i.wiii rt i.wrn.
- ilpsnard, Histoire de Nimes , t. I, pr., p. 405.
330 LA FRAXCK SOIS PHILIPPE LE BEL.
blir un canal cnlip lîraucaiic et Saint-Gilles, et ordomia que
ce serait aux Irais des liahilanls. Sous le règne de Philippe le
Bel s'élevèrent des constructions importantes, telles que le
Louvre et le palais de la Cité, qui furent reconstruits et agran-
dis, les monastères de Poissy et du Aloncel, etc. '.
La composition et les gages des serviteurs de la maison du
roi furent l'objet de nombreux règlements, notamment en 128G,
12'J1, 1310 et janvier 1314'. 11 y avait sous Philippe le Bel,
comme du temps de saint Louis, six métiers : la pancterie,
l'échansonnerie, la cuisine, la fruiterie, l'écurie et la four-
rière. Les différentes ordonnances que je viens d'énumérer
avaient surtout pour but d'introduire des économies dans la
dépense. Voici (|uel était en 1286 le personnel des métiers^.
Paxeterie : cinq paneticrs, un pour le roi et deux pour le
commun ; trois sommeliers chargés du linge de table, trois porte-
chapes, le pâtissier, qui faisait les pâtés; l'oublier et la lavan-
dière des nappes. Une charrette était attachée au service de la
paneterie.
EcHANSONXERiE : quatre échansons, deux barilliers, deux
bouliers, un potier et un clerc ou comptable commun à la
paneterie. Les échansons étaient chargés d'acheter le vin.
Cuisine : divisée en cuisine du roi et cuisine du commun :
un maître queux, nommé Ysambart, quatre queux, quatre
ardeurs, quatre hasteurs, quatre pages, deux souffleurs, quatre
enfants (marmitons), deux saussiers, deux huissiers, un pour
la cuisine du roi et l'autre pour celle du commun ; deux som-
miers ou chevaux de charge et leurs conducteurs ; deux grandes
charrettes à quatre chevaux pour transporter les provisions, et
une autre charrette dite du petit dîner à trois chevaux. Le
poulaillier achetait la volaille.
' Sur ragraiulissf'niont du palais, voyez K. 38, n" 7, Xofices et extraits,
et notre travail sur le Palais de justice. (Extrait du t. XXIII des Mémoires
lie la Société des antiquaires de France.)
- Toutes CCS ordonnances se trouvent dans le Rey. L\ II du Trésor des
chartes. La première seule a été publicie par Ducange dans les \otes sur
Joincille , et par ^I. Leber, Dissertations , t. WII, p. 1 et suiv.
•' C'est l'ordenante de l'ostel le roy Philippe , faite à l'icenes le lendemain
de la Saiut-\ inteni de l'an m. ce. iiii"v.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DÉI'EA'SES. 331
Fruiterie : un fruitier et trois valets pour faire la rlian-
delle, deux somuiiers, un pour le fruit, l'autre pour la chan-
delle. La charrette du fruit fut supprimée.
Ecurie : quatre écuyers, dont un chargé d'acheter les che-
vaux; deux maréchaux, trois valets de forgé, quatre valets
d'écurie. Au commun (Tinel), un valet pour deux chevaux; un
bourrelier.
Fourrière : deux fourriers, quatre valets, deux huissiers de
salle, trois portiers, trois valets de porte. Le roi avait un cha-
riot à cinq chevaux '.
Dans les comptes de l'hùlel, les dépenses ordinaires sont
divisées en six paragraphes : pain, vin, cuisine, cire, avoine,
chambre. Dans les ordonnances de l'hôtel, il n'y a pas de
métier intitulé chambre , mais sous la rubrique chambellans se
trouve la liste de ceux qui composaient la chambre du roi :
cinq chambellans, six valets de chambre, dont deux barbiers
et un tailleur; deux guettes venaient ensuite, — trente sergents
d'armes, dont dix seulement de service à la fois, deux huis-
siers d'armes et huit sergents ; quatre gardaient le roi quand il
prenait ses repas, et avaient toujours leur carquois rempli de
carreaux. — Sommeliers : dix pour la chambre du roi, deux
pour la chapelle, deux pour les registres et les écrits, deux
pour le fruit, plus un maître des sommeliers.
Outre ces ofticiers qui rentraient (bvns la domesticité, la
maison du roi comprenait plusieurs catégories de personnes
d'un rang plus élevé. D'abord les clercs, dénomination sous
laquelle étaient compris les notaires ou secrétaires, au nombre
de quinze, deux physiciens ou médecins, — maître Fouques
de la Charité, médecin de la reine « devers madame " , et maître
Dudes ; chacun avait dix-huit deniers de gages par jour, trois
provendes d'avoine et deux valets ; trois chapelains et trois
clercs de la chapelle. — Les clercs du conseil ou conseillers
du roi. — Les trois membies des plaids de la porte, dont un
laïque. — L'aumônier, les chirurgiens (surgiens) servant par
quartier, les portiers, le roi des ribauds, le chauffe-cire et son
valet ; quatre messagers ou courriers , dont un à cheval pour
I JJ. lATI, fol. 2 et 3.
332 LA FRAXCE SOIS IMUMITK l.K REL.
transmettre les ordres; le passeur de l'eau à Paris, le maître
maçon ou architecte, -maistre Oeude de Alontereul " , qui avait
quatre sous de gages par jour et mangeait en cour; le maître
charpentier, « maistre Richart » . Le train de chasse était com-
posé d'un furetier, d'un oiseleur, d'un louvetier, de six fau-
conniers, de trois veneurs, de valets de chiens, de deux archers,
de six chiens hraques conduits par deux valets, et de douze
autres chiens de chasse. Philippe était passionné pour la chasse.
Les métiers ohéissaient au maître d'hôtel du roi. Nul n'avait
de chamhre à l'hôtel, sauf celui qui portait le sceau, le grand
maître de l'hôtel, les comptahles de la chamhre aux deniers,
le chapelain, le confesseur du roi et l'aumônier'.
La reine avait une maison à part, qui fut réglée en même
temps que celle du roi et sur le même modèle, avec six métiers
composés de vingt-sept personnes et d'un comptahle. Elle avait
en outre deux dames, trois demoiselles, un chapelain et son
clerc, un maître d'hôtel et plusieurs autres officiers, trois
palefrois " pour son corps « et un chariot '.
L'ordonnance faite au bois de Vincennes en 121)0, la semaine
devant la Chandeleur (vieux style), n'apporta que peu de mo-
difications à la précédente; on y trouve quelques particularités
curieuses. Quand on avait crié aux queux de servir, les huis-
siers devaient faire vider la salle du banquet à toute personne
étrangère, <^ se ce n'est du commandement au maistre d'hos-
tel 1'. Il fut défendu de porter du vin à la suite du roi, 'i fors
pour son cors seulement " . Pour manger à la cour, il fallait
être chevalier, « mais li escuier y porront menger I ou II selonc
ce que il est grans bons, qui seront aus barons ou aus prélas,
les qiiiex li rois feroit scmondre pour manger avec lui. L'au-
raosnier prêtera serment de faire le moins d'aunuuies possi-
bles, et il fera le moins de pétitions au roy que il pourra^. »
On établit un clerc pour l'échansonnerie. L'écurie fut réglée
en même temps. Le roi aura six coursiers et trois grands
chevaux pour son corps, et dix-huit chasseurs ou chevaux de
chasse. On n'achètera pas de chevaux sans l'ordre du maître
> JJ. LVII, fol. 7 \".
2 J.I. LVII, fol. 8 ro.
3 Rcg. LVII, fol. 11 \".
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DÉPEXSES. 333
d'hôtel'. Le roi n'avait encore, comme en 128G, que deux
médecins, Robert Lefèvre et Dudes. Dans l'équipage de chasse
figure un nouvel emploi, celui de perdriseur "'. Frère Arnoul
de Wisemalc était grand maître de l'hôtel.
Une autre ordonnance sans date fait mention des clercs de la
paneterie , de l'échansonnerie, de la cuisine et de l'écurie^,
de celui qui porte l'arbalète du roi, d'une charrette pour
transporterie bois à brûler*. Les denrées destinées à la maison
du roi étaient achetées au prix du roi, qui était souvent infé-
rieur au prix courant. Le droit de prise était partagé par quel-
ques dignitaires; il fut, par ordonnance de 1308, restreint au
roi, à la reine, à leurs enlanls estant en main bournie, et aux
grands officiers de la couronne \
Les clercs des métiers venaient chaque matin, à l'heure delà
première messe du roi, rendre les comptes de la veille; s'ils
manquaient, ils étaient punis par le maître d'hôtel et privés
d'une journée de gages®.
Des comptes de la maison du roi des années 1287, 1288,
1289 et 1313, publiés en Allemagne au siècle dernier par
Ludvvig ~ , viennent compléter ces notions. Les grands officiers
de la couronne et une centaine de chevaliers aux gages du
roi, appelés chevaliers le roi , recevaient à la Pentecôte et à la
Toussaint des manteaux: les grands officiers, de la valeur de
dix livres; les autres, de la valeur de cent sous. Parmi ces
derniers figuraient les maréchaux et le maître des arbalé-
triers. Les clercs du roi étaient assimilés aux chevaliers.
En 1289, on voit un clerc des arbalétriers, cinq médecins,
Dudes, Jean de Rosai, Robert Lefèvre, Fouque de la Charité
et Guil. d'Aurillac; la musique du roi {ministereïli), composée
de neuf personnes, dont le roi des hérauts et le roi flageolet
( rex Jlajoletus ) .
1 Reg. LVII, fol. 15 r".
^ Fol. 17 r".
3 Fol. 54 r".
'* En 1311, il est parlé dans un acte de la chanccllcrio de l'icrre Paumier,
apothicaire et valet de chambre. JJ. 40, n" 73.
■^ Trésor des chartes , JJ. 42, n" 49.
*' Ordonnance sans date. JJ. 57, fol. 55 v".
' Luduig, Relifjuice manuscriptorum. Haln', 1741, I. XII, p. 14 à 48.
:î34 la FRAXCF SOUS PHILIPPr; LK BEL.
En 1313, il pst fait mention de sept clercs des comptes y de
trois clercs du Temple, il n'y eut jamais qne (piatre clercs pour
les six métiers '. En 1313 apparaît un clerc de la sausserie du
roi '. Outre ces règlements et les comptes que je viens de citer,
on a des renseignements précis sur la manière dont se faisaient
les dépenses de riiôtel , dans les tablettes de cire conservées à
la Bibliothèque impériale, à Florence et à Genève. Je laisse de
côté celles qui sont communes aux règnes de Philippe le Hardi
et de Philippe le Bel, pour ne m'occuper que de celles qui
concernent exclusivement ce dernier.
Tablettes de Florence du coinineiiccnicnt de mai au 30 octobre 1301 *'.
— de Saint-Victor (quatorze tablettes), provenant de l'abbaye de ce
nom, actuellement à la Bil)liothè(|ue impériale; du 31 octobre
1301 an 31 mars 1302 l
— nue autre du 4 au 14 octobre 1303. Id. ^.
— de Saint-Germain des Prés (au nombre de quatre), 1307". .\ii
siècle dernier, il y en avait dix"; on en a beureusernent une
copie faite par dom Tassin.
— de Genève de septembre 1307 au 1""'' juillet 1308*^.
Sénebier, (pii a publié ces dernières, les donne à tort comme
renfermant les dépenses des six derniers mois de l'année 1308 °.
Les lableltes de la Bibliothèque impériale ont été encadrées dans
du cèdre; la poussière qui les rendait illisibles a été enlevée,
1 Luduig, p. 43.
- Clericus salsariff rejjis. Ibid.
'^ Extraits dans Lettera crilica sopra un manoscrillo de cera (par .Antonio
Cocchi). Florence, 1746, in-V' de Si- pages. — Extraits : Itinéraire du roi,
p. 2.5 à 34. Autres extraits, p. 43 à GO. Les lectures sont trè.s-fautivcs.
'• Bibl. imp., suppl. latin, n» 1386. Voyez A'ouceau traité de dipîom.,
t. I, p. 458 et 460; et Xléin. de l'Acad. des inscript., t. XX, p. 277 et 292.
Mém. de l'abbé Lebœuf.
5 Suppl. latin, n" 1387.
C Suppl. latin, n" 1388.
~ Xouveau traité, t. I, p. 484. Voyez pour toutes ces tablettes Bordier,
Archires de la France , p. 187.
s Sénebier, Catalogue raisonné des manuscrits de la bibliotlicque de
Genève , p. 146 à 178. Voyez un commentaire sur ces tablettes par Baulacre,
OF.ucres , t. I, p. 78 et suiv. , ouvrage dont s'était servi Sénebier.
^ Sénebier, Catalogue raisonné des manuscrits de la bibliothèque de
Genève, p. 178.
LIVRF. DIXIÈMF:. — RECETTES ET DEPEIVSES. :î;}5
et une longue durée est assurée à ces fragiles monuments'.
Ces (abletles, quoique destinées dans l'origine à recevoir des
comptes qui étaient ensuite transcrits sur le parchemin , ont
toujours été conservées avec soin. Les registres de la chambre
des comptes montrent qu'au quatorzième siècle on les gardait
dans les archives de cette cour et qu'on les y consultait. Le
registre Pater fait mention des tablettes de dépenses de l'hôtel,
du milieu du carême au jeudi, jour de Saint-Michel 1288,
d'autres finissant trois semaines après Pâques en 1293, d'autres
du jour de l'Ascension au lundi après l'Assomption de l'an 1294,
d'autres des années 1302 et 1303". Elles sont désignées sous
le nom de tablettes de maître Jean de Saint-Just : c'est le titre
que portent aussi les tablettes de Florence; en effet, Jean de
Saint-Just était le trésorier de l'hôtel; il était aussi clerc de hi
chambre des comptes. Ces tablettes ne sont pas de même nature,
bien qu'elles se rapportent toutes aux dépenses de la maison
du roi; elles se divisent en deux groupes. Celles de Florence,
de Saint -Victor et le n° 1387 contiennent jour par jour les
dépenses ordinaires des métiers ^
1 Voyez le Moniteur du 9 mai 1857.
2 Arch. imp., P. 2591, fol. 112.
■^ Voici quelle est leur disposition :
[Die] Martis apud Castellionem super
Maternarn
ilercurii.
Et ainsi de suite.
Die sabbato post Xativitatem Domini , apud Xantoliuin , fuit compufatum de
XX diebus :
Panis.
Vinum.
Goquina.
Cera.
Avena.
Caméra.
Sumina ministcriorum.
Summa vadiorum.
Summa minuforum.
Summa totalis. — Saint-Victor, fol. 14- r".
336 LA FRA\CE SOLS PHILIPPE LE BEL.
Au bout d'un certain laps do temps variable, niais qui no
dépassait pas vingt-cinq jours, on faisait une récapitulation
dos dépenses dos métiers. On y joignait le montant dos gages
des gens de Tbôlel écbus pendant le même intervalle, et les
menues dépenses. On établissait on outre la moyenne de la
dépense pour cliacun des jours écoulés entre deux comptes.
Cette somme obtenue, on en déduisait les gages et les menus,
et on avait la moyenne de la dépense des six métiers. Les
gages se divisaient en dépenses de l'aumônier et des pauvres
entretenus pur lo roi : gages des métiers, des cbevaliers le roi
et des valets '. '
Les autres tablettes (celles de Saint-Germain des Prés et de
Genève) s'a[)pli(|iient aussi aux dépenses de l'botel. Elles don-
nent l'énuméralion détaillée dos dépenses autres que colles
des métiers, et reproduisent les totaux des autres tablettes,
c'est-à-dire les dépenses ordinaires'.
Quant aux dépenses diverses, voici en quoi elles consis-
taient; je suis l'ordre dos tablettes : dons, aumônes, restaur
de chevaux ou sommes données pour remplacer les cbcvaux
(jui moulaient ou devenaient bors do service. — Parles dena-
riorutn in cnfris : sommes données au roi et aux princes pour
le jeu, pour les offrandes à l'église en dîmes; somme repré-
sentant la valeur de la dîme du pain et du vin, à laquelle
avaient droit, en vertu do privilèges royaux, certaines abbayes
presque exclusivement de femmes, lorsque le roi séjournait
dans leur voisinage ^ — Xovi nul/tes : sommes données aux
nobles que les rois venaient d'armer cbevaliers '. On leur don-
nait ordinairement cent sous, un frein doré, et quelquefois un
cbeval. Les largesses du roi étaient plus gi'andos quand il con-
férait à un prince l'ordre de cbevalerie ^ La promotion était
nombreuse, et chacun des compagnons du prince recevait un
1 Tabl. do Sailli-Victor, n" 1386 passim, entre aiitre.s fol. 7. — Voyez
aussi le tableau fi<jnralil' dressé par Cocclii à la fin de sa Dissertation , et qui
donne une idée de la disposition des tablettes. Voyez aussi la tablette n" 1387.
- Sénebier, p. 173 et I"^.
•* Sénebier, p. 168 et 169.
^ Or. Trésor des chartes, .1. 365, n" 8.
° Voyez un frarjnient de compte de 1312 dans Ludui;{, t. XII, p. ^-8.
LIVRE DIXIÈME. — RECETTES ET DÉPEXSES. 337
cheval, un palefroi, un manteau, un habillement complet et
une gratification '.
Chaque jour on venait faire présent au roi d'un faucon
dressé pour la chasse, ou quelque autre oiseau de proie, et le
roi faisait au donateur un don en argent^. Les tablettes indi-
quent les officiers de riiùtel qui remettaient ces dons. Tantôt
c'était le chambellan du roi, tantôt Enguerran de Marigny ;
le confesseur ou l'aumônier faisait les aumônes ou chargeait
le portier de les remettre surtout aux nombreuses personnes
attaquées des écrouelles (morbus regius), qui accouraient de
toutes les parties de l'Europe pour se faire touclier par le roi ^ .
J'ai dit que les tablettes de cire étaient plutôt des carnets
que des comptes définitifs. Je crois que les tablettes du pre-
mier groupe s'appelaient Itinera , et celles du second Itinera,
Doua. Le comptable rendait des comptes trois fois par an : à
l'Ascension, à la Toussaint et à la Chandeleur, et ces états étaient
transcrits sur des rouleaux de parchemin intitulés " Expensa
Hospitii domini régis -î . Luduig a publié plusieurs extraits
d'un de ces comptes pour le terme de l'Ascension à la Tous-
saint 1287*; pour le terme de la Toussaint à la Chandeleur
1288-1289^; et un fragment d'un compte de même nature du
1" janvier au 1" juillet 1313". Ce dernier document ferait sup-
poser que, vers la fin de son règne, Philippe apporta des mo-
difications dans la comptabilité de l'hôtel, et que les comptes
généraux, au lieu d'être rendus en trois termes, le furent seu-
lement en deux termes : au 1" janvier et au 1" juillet. Un
compte de l'hôtel de 1315, sous Louis le Hutin, est d'après ce
système; il embrasse les six derniers mois de l'année^. On a
vu plus haut que le trésor du Temple était spécialement chargé
1 Voyez le compte de la clicvalcrie des fils du roi en 1313 dans Liiduig,
t. XII , p. 48 et suiv.
- il Pro quodam vulture presentato régi u lib. » Sénebier, p. 146. —
> Pro quodam falconc presentato pcr dictum militem iv lib. ■' Ibid. — Tabl.
de Saint-Germain.
^ Sénebier, p. 150 et 152. Conf. Acad. des imci-ijjf., t. XXX, p. 307.
* Reliquiœ , t. XII, p. 14.
-> Reliquiœ, t. XII, p. 18.
® Reliquiœ, t. XII, p. 28.
" Reliquiœ, t. XII, p. CO.
22
338 LA FRAXCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
d'alimenter les dépenses de l'hùlel. Les deniers, après avoir
été pris au Temple, étaient versés dans la eaisse de l'hôtel.
Les agents de la comptabilité qui avaient le maniement et la
surveillance des deniers de cette caisse formaient ce qu'on
appelait la chambre aux deniers, dont le chef était, en 1280,
Pierre de Coudé. Pierre de Condé fut remplacé par Jean de
Saint -Just. Voici comment une ordonnance sans date fixe
l'état de la chambre aux deniers : « Et est assavoir que maistre
Jehan de Saint-Just fera la paye, maistre Jehan Clersens con-
tera ans mestiers, et Martin ^Marcel recevra et contera l'argent,
tous sous la surveillance d'Oudart de Chambli '. n Le Journal
du trésor montre que tous les payements destinés à F hôtel
étaient faits au trésor à Marcel, et marqués sur le compte
ouvert au nom de Jean de Saint-Just '. Quelquefois, par excep-
tion , d'autres officiers de la maison du roi touciiaient directe-
ment au trésor; ainsi le 15 avril 1302 Robert de Meudon,
panetier du roi, reçut des trésoriers mille livres pour acheter
des nappes : ces mille livres furent inscrites au nom de Saint-
Just*.
La chambre aux deniers payait non-seulement les gages des
officiers de l'hôtel, mais aussi les pensions que le roi faisait à
d'anciens serviteurs. Philippe le Bel assigna, par son testa-
ment, une rente viagère de deux cents livres à prendre en la
chambre aux deniers, à frère Renaud son confesseur*.
Une ordonnance donnée à Lorris en Câlinais le vendredi
18 novembre, sans date d'année, mais que l'itinéraire de Phi-
lippe le Bel permet d'inscrire sous l'année 1310, porte que
l'on doit bailler pour l'hôtel du roi, par mois, quatre mille
livres tournois, et pour riiôlcl de madame, c'est-à-dire de la
reine, deux mille livres".
1 Lcbcr, Collection des meilleures dissertations , t. XV^II , p. 32.
2 E llarlimis Marcel, pro cxpcnsis liospicii rogis 8,000 lib. super J. de
S. .Iiisto. -^ Journal du trésor, 7 janvier 1300, fol. 4 r". — n Pro denariis
traditis Marfino Marcel, pro cxpcnsis hospicii régis, 10,000 lib. " Ibid.,
fol. 6 v", 3 février 1300, etc.
•^ Journal du trésor, fol. 1301. — ù. Snper J. de S. Jnsto in compufo suo. d
'» Trésor des chartes, Rcg. XLIV, fol. 59. Jeudi avant la Saint-.André 1314.
5 Lcber, p. 30.
LIVRE DIXIlhlE. — RECETTES ET DÉPENSES. :]?>9
Une note criin registre de la chambre des comptes apprend
qu'en 1301 la dépense de riiùlel s'éleva à 207,888 1. 14 s.
10 d. parisis '. La faible mon-naie avait cours à cette époque;
en 130.3, elle était prise seulement pour un tiers de sa valeur
nominale, mais elle n'avait pas atteint en 1301 ce deji^ré d'al-
tération. En réduisant des deux tiers la somme exprimant les
dépenses de l'hôtel en 1301, on opère une réduction peut-être un
peu forte, mais qui ne doit pas être très-éloignée de la réalité.
Ces dépenses, ainsi réduites, s'élèvent seulement à 89,296 1.
4 s. 12 d. parisis. Pendant le terme de la Chnndeleur 1287,
les dépenses de l'hôtel du roi furent de 26,851 1. 3 s. 4 d.,
soit pour l'année 80,493 1. 10 s., et celles de l'hôtel de la
reine de 7,642 l. 11 s. 10 d., soit pour l'année 22,917 1.
15 s. 6 d. Dans les dépenses de l'hôtel n'étaient point compris
les achats de joyaux et les autres dépenses faites par l'un des
chambellans du roi nommé argentier.
Le savant éditeur des comptes de l'argenterie, M. Douët
d'Arcq, a prétendu qu'il n'y avait pas eu d'argenterie avant
1316^; c'est une erreur. On trouve un argentier sous Philippe
le BeP, et la table de Robert Mignon atteste l'existence des
comptes de l'argenterie à partir de 1293 *.
Quant au produit des impôts et des recettes extraordinaires,
je vais essayer d'en tracer le tableau. 11 sera très-incomplet,
mais je n'y admettrai aucune évaluation arbitraire :
1295. Il y avait au trésor 200,000 liires : Bicbet et Aîouclict prêtèrent
200,000 livres.
Impôts sur les riches bourgeois des bonnes villes
(chiffre officiel) 630,000 liv.
Impôt sur le parlement, la chambre des comptes et
les conseillers (ch. offic.) 50,000
Prêts et dons en rachat de la maltôte (ch. offic.) . . 60,000
Centième (ch. offic.) 315,000
1 Historiens de France, t. XXI, p. 366.
2 Comptes de l'argenterie, pour la So'iété de l'histoire de France.
^ Van Lokeren, Histoire de Saint-Bacon de Gand, pr. , p. 52. Donation
faite en 1314 par - Baudouin Crc.spin, chambellan et argentier de Philippe
le Bel . .
* Historiens de France, p. 529. a. Conipoti argenferii seu camcrœ aut
jocalium rcgum et reginarum ab 0. Sanctis 1293. n
99
340 LA l'RAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
1295. Ciiif|iianli('mp do Clinnipajjnc (th. offic.) 25,000
Impôts (Ml Liinjjuotloc et sur ios juifs (cil. offic.) . . 215,000
Produit de l'altération des monnairs pendant une
année (ch. onic.) 60,000
Taille sur les Lombards (ch. offic.) (55,000
Denier la livre payé par les Lombards en 1295 (ch.
oflic.) 16,000
1296. ('.inquaiitième. Kvaluation d'après 1304 565,000
1297. Cin(pianlième. — 565,000
1302. Cinquantième. — 565,000
1303. Cinquantième. — 565,000
1304. Cinquantième. Résultat incomplet (ch. offic). (Le
centième de 1295 avait produit 315,000 livres.) . 565,000
1308. Aide pour le mariaye d'Isabelle t
1312. Aide pour la chevalerie »
1314. Cinquantième (incomplet) 300,000
Contributions de «jucrrc payées par les Flamands
(ch. offîc.) 604,000
Décimes ecclésiastiques 5,460,000
ToTAi, des impôts et revenus extraordinaires. 10,625,000 liv.
La plupart des évaluations officielles ne sont pas coniplètcs,
et dans ce total ne sont compris ni le produit des impôts pour
la guerre d'Aragon, ni ceu.x de l'aide pour le mariage d'Isa-
belle, et de la chevalerie de Louis le Hutin, ni le produit de
l'altération des monnaies après 1296, ni le produit de la con-
fiscation dos biens des Juifs, ni certains impôts tels que la
taille de Paris, de cent mille livres, etc.
Dix millions six cent vingt-cinq mille livres tournois, en
supposant que la valeur de l'argent soit quintuple, ce qui n'est
pas exagéré, vaudraient neuf cent cinquante-cinq millions
quarante-deux mille francs. On peut hardiment, pour tenir
compte des sommes pour lesquelles nous n'avons aucune éva-
luation officielle, et déduction faite des contributions de guerre
des Flamands, évaluer a onze cents millions de francs le produit
des impôts extraordinaires sous Philippe le Bel.
Dans les dernières années de son règne, Philippe établit
Enguerran de Alarigny surintendant des finances. Le 19 jan-
vier 1314 il adopta un nouveau système financier, dans un
conseil réuni à Poissy et composé de ses fils, de ses frères et
de ses conseillers les plus compétents dans la matière. L'or-
LIVRE DIXIKME. — RECETTES ET DÉPEXSES. 341
donnancc rendue à ce sujet est entièrement inédite et a une
haute importance; elle fut sans doute proposée par Marigny.
Elle établissait deux budgets : l'un pour les dépenses ordi-
naires, la liste civile et le payement des grands corps de l'Etat,
des rentes sur le trésor et des pensions, etc.; l'autre pour les
dépenses extraordinaires. Au moyen âge, on avait pour règle
d'assigner chaque dépense sur une recette déterminée. C'était
un moyen qu'on pourra regarder comme puéril, mais qui était
excellent pour éviter les déGcits. Les dépenses de la maison
du roi et de la reine, fixées à soixante-huit mille livres parisis,
et les gages des grands corps judiciaires, les rentes, pensions,
frais de messages, qui, joints aux dépenses de l'hôtel, s'éle-
vaient à un total de cent quarante-deux mille livres parisis, ou
cent soixante-dix-sept mille livres tournois, furent assignés sur
les revenus de la Normandie (sauf le fouage), des sénéchaus-
sées de Toulouse, de Rouergue, de Périgord , de Querci et de
Saintonge, et du bailliage d'Auvergne, estimés à cent quatre-
vingt mille livres tournois. Les deniers provenant de ces pro-
vinces devaient être versés au trésor du Temple, qui fut exclu-
sivement chargé de fournir aux dépenses ci-dessus, et eut à sa
tête deux trésoriers que le roi nomma, et qui prêtèrent ser-
ment. Les recettes provenant des autres bailliages, du fouage
de Normandie, de Flandre, des amendes du parlement et de
l'échiquier, des émoluments du sceau, des droits féodaux supé-
rieurs à mille livres, des droits de francs-fiefs, aides, forfai-
tures de monnaie, et les compositions ou transactions faites
par les baillis au-dessous de mille livres, celles d'un taux plus
élevé étant appliquées au trésor du Temple; en un mot toutes
les recettes extraordinaires allaient au trésor du Louvre,
chargé de fournir aux dépenses imprévues et extraordinaires,
qui dépassèrent malheureusement toute proportion. Les tréso-
riers du Louvre , au nombre de deux , ne faisaient de payements
que sur une lettre ou une cédule scellée du petit sceau du roi
représentant un lion, ou du signet d'Enguerran de Marigny.
Les trésoriers juraient de ne pas révéler avant deux ans l'état
de leuis recettes, sauf à Enguerran de xMarigny ou par l'ordre
du roi ' .
^ Rcg. LVIl du Trésor des chartes, fol. 18.
342 L^ FRANCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
Je ne saurais mieux faire que de Iranscrire ce précieux
document, qui est en français et (jui, contre l'usage du temps,
est d'une grande clarté.
Ordonnance Ji.raiil Je budget des recettes et des dépenses
de lÉtat\
(19 janvier l:îtl).
(^est l'ordenance que li rois Philippe, père monseigneur
qui ore est roy, fist à Poissy par le conseil de ses m filz, de
ses II frères, de monseigneur Loys de Clcrmont, de monsei-
gneur de Saint Pol, monseigneur Mahieu de Trie, monseigneur
Engeiren de Alarreigny, monseigneur Jehan de Grès, mares-
chal , monseigneur Harpin d'Erquery, monseigneur Guillaume
de Marcilly, monseigneur Gille Granche, mestre Jean de Damp-
martin, maistre Jean de Saint-Just, Gieffroy de Briençon,
Guillaume Dubois, Renaut Barbon, Gielfroy Cocatris, Martin
des Essars, Baudouyn de Roy, et maistre Michiel de Bourde-
ney, et fu faite la dite ordenance le samedi \i\* jour de janvier,
l'an de grâce mil ccc xiii.
Premièrement :
II est ordcné du trésor le roy, que Guy Flourent et maistre (jieffroy de
nriençon seront cliarj^ié du trésor du Temple et paieront les despens de
l'ostel de roy qui furent estimez à c livres parisis par jour qui montent par
an 3(5,500 liv. par.
El pour manteaux et robes de vales de l'ostel 5,000
Et pour bernois , dismes et messaigers envoiez 2,000
El pour veneurs, archiers, fauconniers, maçons, tbarpen-
fiers , furetiers et oiseleurs 3,600
Et pour les mises des maistres de l'ostel 2,000
Et pour dons 3,000
Et pour aumosnes, et le conte de l'aumosuicr 3,600
Et pour retour- de cbevaus 3,000
Et pour serjans d'armes 3,000
Somme par cstiriiacion 60,000 liv.
* Le registre dont ce docnmeni est tiré a été rédigé par ordre de Pbilippe
le Long, et renferme plusieurs ordonnances sur l'bôtel des rois de France,
à partir de saint Louis. V^oyez Xotices et extraits, n" m..
- Restor, remplacement.
LIVRE DIXIEME. — RECETTES ET DEPENSES. Wi
[Hôtel de la Reine.]
Et pour l'ostcl (le Madame de Navarre, qui fu estimé
\x IiiTe.s parisis par jour monte par estimaeion .... 8,000 li\.
Et pour gaiges de parlement, des comptes et despens de
l'eschiquier 10,000
Et toute manière de messaigcries par fout le réaumc , par
estimaeion 2,000
Et paieront aussi tous les fiés, et les aumosnes, deues sur
le trésor, soit à l'héritaige, à vie ou à volonté, par
estimaeion de 60,000
Et encore seront-il chargiez de paier des gaiges ou dons
assignés en Chasteleî, jusques à 2,000 livres parisis par
an 2,000
Somme 142,000 livres parisis, valant 177,300 liv. t.
Pour faire et acomplir, il auront la receple des v bail-
lies de Normandie, sans le fouage, par estimaeion. . 100,000
Item la sénécliauciée de Thouloiise , Rouergue, Caoursin ',
Pierregort , Xanclongc et la ballicc de Auvergne et de
Limosin, et les fores- de ces lieus, par cstimafiou de 80,000
Somme 180,000 livres tournois.
Ce est le serment que il ont fait faire.
Il ont juré sur saintes Évangiles, que il les choses des sus-
dites feront bien et loyaument à leurs povers et diligaument et
le plus à l'enneur et au profit du seigneur que il porront, et
que des autres choses que de celle qui leur sont ci-dessus assi-
gnées, il ne recevront ne feront recevoir par eus ne par autres;
et se il avient que eus ou autre pour eus en reçoivent aucune
chose par ignorance, si tost comme il le pourront savoir, il le
rendront entérinement en deniers comptans à ceus qui sont
députés à ce recevoir dont les noms sont ci-dessouz nommés.
Et dèsorendroit, il doivent délivrer deniers en Tostel le
Roys et nos dames ^ et les choses dessus dites paier, et on leur
laisse les dites receptes déchargiées. Et ne paieront riens des
deptes ne des arriérages du temps passé.
1 Querci.
- Foires.
3 Les brus du roi , la reine de Navarre et les comtesses de Poitiers et de
la Marche.
34V LA KUAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
Et pour toutes manii-res de deptes paier que li rois doit
aujourd'liui, de quoy il fera conscience et qui lui sembleront
qui faccnt à paier et pour paier, et parfaire les œvres du
Palais, de Poissi et du Moncel, et du Chastel de Lille et pour
[)aier les soudoiers de Flandres sans guerre,
Li roi a ordenê Guillaume Dubois et Baudouyn de Roy,
pour estre trésoriers du Louvre, et doivent recevoir foutes
manières d'autres receptes, c'est assavoir toutes les baillics de
France, Paris, Senlis, Vermendois, Amiens, Sens, Orliens,
Mascon , Bourges et Tours, le fouaige de Normandie quand il
aschevra, les senescbiaucées de Tîiauquairc, Carcassonne et
Lyon, la terre de Flandres, les comptes de Hetel et de Xevers,
toutes manières de deples deues au roy, amendes de parle-
ment et d'escliiquier, le émolument du seel, rachas, quins,
devoirs et forfaitures par dessus mil livres, finances de fiez,
l'aide de la chevalerie, les forfaitures de monnoies, toutes
manières de composicions, excepté les composicions de dessus
mil livres failes par les séneschaus et baillis des lieus assignez
cidessus aus trésoriers du Temple, les quiex le trésorier du
Temple recevront, et toutes les autres recevront li trésorier
du Louvre.
Item les lais fais au roy et toutes autres manières de receptes
extraordinaires.
Et ces receptes ils doivent départir et distribuer selonc le
mandement qui leur sera fais par lettres du roy signées du
seignet au lyon, ou du petit scignet monseigneur de Marrei-
gny, ou par cédule signée de l'un de ces ii signez, et non
autrement.
Ce est le serement que les diz Guillaume et Baudouin doivent
faire seur ce.
Il doivent jurer seur saintes Evangiles, que les choses des-
sus dites il feront à leur povers, bien et loiaument et diligau-
ment, et le plus au proffît et à l'onneur du seigneur que il
porront, et que des choses qui sont assignées aux trésoriers
du Temple cidessus nommez il ne recevront ne feront recevoir
par eus ne par autres, et se il avient que eus ne autres pour
eus en reçoivent aucune chose par ignorance si lost comme il
le porroient savoir il le rendroient en deniers complans à cens
LIVRE DIXIOIE. — RECETTES ET DEPENSES. 345
qui à ce recevoir sont députés, c'est assavoir niaistre Gieffroy
de Briençon et Guy Flourent.
Encore doivent-il jurer que nulle délivrance queles queles
soient il ne feront, se n'est par lettres de roy, sifjnées de son
signet au lyon , ou du petit signet monseigneur de Marrcigny.
ou par cédule signée de l'un de ces ii signés.
Encore doivent-il jurer que Testât de leur recepte à home
nul se n'est à monseigneur de Marreigny il ne relèveront décy
à II ans, se n'est ou cas que li rois voudroit que il rendissent
compte tout de plain et absoluement, en sa présence, ou en
la présence de i de nos grands seigneurs que li roy y voudroit
députer, et que les noms des persones de qui les empruns
seront faiz, il ne révéleront devant autre temps.
Les devant diz maistre Gieffroy, Gui et Guillaume, jurèrent
chascuns pour tant comme il li touche, en la présence de mon-
seigneur de Marreigni, monseigneur G. de Marscilly, monsei-
gneur Gile Grandie, mestre Jehan de Dampmartin, maistre
Jehan de Saint-Just, Renau Barbou, Gieffroy Cocatris et
maistre Michel de Bourdeney.
Il est bien à regretter que ce document ne fasse pas con-
naître le montant des recettes et des dépenses du trésor du
Louvre. Ainsi, Philippe évaluait lui-même les dépenses de
l'boiel, des grands corps de l'État , et le payement des rentes à
cent soixante-dix-sept mille cinq cents livres tournois, soit en
monnaie moderne, en donnant à l'argent cinq fois plus de
pouvoir que de nos jours, quinze millions neuf cent mille
francs (chiffre rond). A ces dépenses on faisait face au moyen
des recettes nettes de la Xormandie et des anciens domaines
d'Alphonse, estimées cent quatre-vingt mille livres, soit dix-
sept millions cent soixante-treize mille francs.
A propos des rentes sur le trésor, qui étaient payées par le
Temple, je ferai remarquer qu'elles étaient susceptibles d'être
transférées à des tiers par ceux qui les possédaient, comme les
rentes modernes sur l'Etat, et à des conditions plus ou moins
avantageuses pour le vendeur. Il y avait, en un mot, une sorte
de hausse et de baisse. Les transferts devaient toujours être
346 LA FRAXCE SOLS PHHJPPE LE BEL.
aulorisés par le roi'. Los ajjonls du priiun, profitant de sa
faiblesse, achetaient à vil prix, ou même se taisaient donner
des renies sur le trésor, en récompense de leurs services, et
les faisaient asseoir en terres, c'est-à-dire (|ue pour cent livres
de rente le roi leur concédait en toute propriété une terre
produisant cent livres de revenu, ou même beaucoup plus,
mais (lu'une connivence coupable estimait au-dessous de sa
valeur -.
Ce premier budget de la monarchie eut le sort de la plupart
de ceux (pii l'ont suivi; les événements (b'jouèrent les prévi-
sions les plus sages, les calculs les mieux combinés. La guerre
vint, avec son cortège de dépenses, entraver ces antiques
essais de la science financière. L'établissement de deux trésors
fournissant, l'un aux dépenses ordinaires, l'autre aux dépenses
extraordinaires, offrait l'avantage de faciliter la comptabilité;
mais ce système ne survécut pas à Philippe le liel ; il fut em-
porté par la réaction qui s'éleva contre son administration et
surtout contre ses ministres ^
I Confiitiialioii d'une vente par G., comte d'Auxerre, à J. Gencien pour
2,200 livres tournois d'une rente sur le trésor (pas tout à fait i\ 5 [j2). Or.
K. 37, n" 26. .luiu 1304. — Jeanne Ivarle vend 150 livres .sur la recette de
Toulouse pour 1,200 tournois. Or. J. 295, n=' 45 (1305). — P. de Bruck
vend à Jean de Morville une rente de 75 livres pour 720 livres (1305).
J. 149. Voyez d'autres ventes , en 1290. J. 423, n" 26. — En 1297. J. 149,
n" 22. — En 1298. Fournival, Trésoriers de France, p. 31, etc. Vente de
62 livres de rente pour 120 livres.
- Voyez les plaintes de Philippe le Lon<{. Ord., t. I, p. 665, 1.
•^ Philippe le Long ordonna qu'il n'y aurait qu'un trésor.
LIVRE OXZIEME.
INDUSTRIE ET COMMERCE.
CHAPITRE PREMIER.
IXDUSTRIE \ATI01VALE.
L'industrie reste des siècles telle qu'elle avait été réglée par saint Louis. —
Métiers. — Monopole. — Influence de Philippe le -Bel sur l'industrie. —
Lois somptuaircs. — Philippe le Bel n'en est pas l'imcntcur. — Caractère
de ces lois.
L'industrie, qui avait reçu sous saint Louis des statuts dont
le code d'Etienne Boileau est le type le plus complet, jouissait
à la fin du quatorzième siècle d'une grande prospérité. Le
règne de Philippe le Bel n'apporta aucune modification à sa
constitution, qui avait pour bases la corporation et le métier'.
Nul n'était admis à exercer une profession industrielle sans
avoir été reçu maître, après avoir donné des preuves de son
aptitude. Dans les temps modernes, le nombre des maîtres de
chaque corporation était limité, ce qui constitujiit un mono-
pole. Il n'en était pas ainsi sous Philippe le Bel. Tout ouvrier
reconnu capable pouvait être admis à la maîtrise et tenir bou-
tique, à la condition ^'acheter le métier, c'est-à-dire de payer
une certaine somme, dont une partie pour le roi et l'autre
versée dans la caisse de la corporation". Les fils de maîtres
' Règlements des arts et métiers de Paris, etc., publiés par G. Depping
dans la Collection des documents inédits.
2 Voyez les statuts des lormicrs (vers 1290) : a Xule des ore en avant ne
puisse ne ne doie lever mestier, ne commancier ou dit mestier de lormerie,
se il ne l'achate dou roy xx sols de parisis et x sols aus mestres, qui serons
rais el profit du commun du mestier. s Ordonnances postérieures à 1270
publiées à la suite des Statuts de Boile/ni, p. 3fil. — Voyez aussi l'ordon-
nance sur les fonrbisseurs , même date. Ibidem, p. 366.
3V8 LA KH.WCK SOIS i'HII.IPlM: J.K BEL.
élaienl exempts de cet impôt, mais non de rol)li{i[ation de jus-
tifier de leur capacité '. L'exercice de certaines industries qui
n'avaient pas été érigées en corporations était libre ".
Le nombre des corporations s'accrut à la fin du treizième
siècle, par suite de l'extension que prirent certaines brancbes
d'iiiduslrie qui sous saint Louis faisaient partie d'un métier
plus important. C'est ainsi qu'en 1201, les tailleurs de robes
l'ourrées furent autorisés à se retirer de la grande corporation
des tailleurs de robes et à former une corporation à part ^
D'autres industries, jadis libres, ayant pris une grande exten-
sion, formèrent des corporations : telle fut celle des brodeurs
et des brodeuses, dont le nombre s'était accru par suite des
progrès du luxe *.
Les corporations se composaient des maîtres, entre lesquels
il y avait solidarité pour les intérêts communs. Elles avaient
cbacune leurs statuts et leurs règlements qui devaient être
approuvés par le roi, ou du moins par son représentant. Il
était permis d'apporter des modifications à ces règlements; les
maîtres réunis en assemblée générale arrêtaient ces modifica-
tions, qu'ils soumettaient à l'autorité qui les approuvait ou les
rejetait. Ces règlements déterminaient, avec de minutieux
détails, les rapports des maîtres entre eux et avec leurs valets
et leurs apprentis, et même quelquefois les procédés de fabri-
cation.
Le travail était excessivement divisé et les spécialités nom-
breuses. Les fabricants de cbapelels par exemple se subdivi-
saient en plusieurs corporations : les uns ne devaient faire que
des chapelets d'os et de corne, d'autres d'ivoire et de coquilles ;
d'autres enfin, d'ambre et de jayet ^ Un objet manufacturé,
pour arriver à son entière perfection, devait passer non-seule-
1 Statuts de Boileau , p . 367 .
- Ordoiinancps .sur les cscrinicrs, le (liiiianchr (lov;inl lVi(|iirs fleuries J292.
Statuts de lioileau , p. 376.
•' Statuts de Boileau, p. '^\~^.
4 Statuts de Boileau, p. 379. Sfaluts snns ùale, mais rédigés sous la pré-
vole (le (iiiillaiirnc de ttaiijjest : or ce personnage était prévôt de Paris
en 1291. \n;^ez p. 375 et 376.
'•> Statuts de Boileau , p. 66, 68 et 71.
LIVRL OXZIÈME. — IXDUSTRIE ET COMMERCE. .'ÎW
ment par plusieurs mains, ce qui active et facilite le travail,
mais encore par plusieurs métiers appartenant à des corpora-
tions différentes. L'industrie de la draperie, qui prit sous
Philippe le lîel un très-grand développement, en offre un
exemple frappant. La laine, pour devenir drap, devait être
remise d'abord au tisserand, puis au foulon, puis au teinturier,
puis au tondeur, et avec quelle lenteur! Avec un pareil sys-
tème, l'industrie restait stationnaire; à chaque instant nais-
saient des conflits, car chaque métier cherchait à empiéter sur
le métier qui offrait avec lui le plus d'affinité. De là des procès
sans fin que les autorités locales étaient impuissantes à assou-
pir, et dans lesquels le parlement était obligé d'intervenir '.
L'industrie parisienne était déjà sans rivale dans la produc-
tion des objets de luxe et de fantaisie; et les vastes halles de
(]hampeaux offraient à leur étage supérieur de vastes galeries
où se trouvaient comme une exposition permanente de notre
industrie nationale".
Je ne dois pas entrer dans l'examen détaillé de la constitu-
tion de l'industrie ; ma tâche se borne à examiner quelle a été
l'influence du gouvernement de Philippe le Bel sur le travail
privé. Ainsi que je l'ai dit, ce roi ne fit que continuer l'œuvre
de saint Louis. Au reste, il paraît avoir eu peu de souci de ces
questions qui ont pris de nos jours une si haute importance.
L'action de l'Etat ne s'exerçait sur les corporations que pour
les surveiller et surtout pour assurer le payement exact des
droits et redevances auxquels elles étaient soumises. Ce n'est
pas au moyen âge qu'il faut supposer au gouvernement l'inten-
tion et le désir de protéger l'industrie et d'encourager l'agri-
culture; aussi est-ce bien gratuitement que l'éditeur des statuts
d'Etienne Boileau , M. Depping , a cru pouvoir louer Philippe
le Bel des dispositions libérales qu'il prit à l'égard du com-
* Voyez Varin, Archkcs de Reims, p. 1071 (Différend cntro les lissc-
rands et les drapiers de Reims). — Olim, t. II, p. 436 et 462. Le recueil
des Olim renferme un grand nombre de décisions sur des contestations entre
des corporations.
- Voyez V Eloge Je Paris, par un anonyme, composé en 1323, pulilié par
ilM. Leroux de Lincy et Tarannc. (Extrait du Bulletin des Sociétés savantes ,
année 1855.)
3Ô0 LA KRAXCE SOLS PHILIPl'K LK BKI,.
merce'. Il permit, il est vrai, au mépris des droits des bou-
lanj|ors, à tout le monde de l'aire du pain; mais ce fut là une
mesure transitoire, diclêe par la famine. Et il est si vrai que
ce prince n'accorda pas de liberté à l'industrie et persista dans
les anciens errements, qu'après son rèjjne (M. Depping en
convient lui-même) on retrouve les maîtrises dans la jouissance
de leurs anciens monopoles et dans l'exercice des règlements
qu'elles s'étaient donnés. Il est inutile, pour expliquer ce fait,
de supposer que ses successeurs n'aient pas été à la hauteur et
ne se soient pas pénétrés de l'esprit qui avait présidé aux mesures
libérales de Philippe, ou bien que la liberté accordée à l'indus-
trie fut reconnue prématurée. Philippe le Bel , on ne saurait
trop le répéter, n'innova rien sur cette matière : il se contenta
de suivre les traditions qu'il tenait de ses prédécesseurs et
qu'il transmit à ses successeurs.
Les renseignements que l'on trouve sur l'industrie métal-
lurgique sont rares : on rencontre pourtant la mention de
moulins à fer dans la forêt de Couches; d'exploitation de mi-
nerai près de Saint-Germer de Flaix ".
Il paraît que le droit d'exploiter les mines ne pouvait être
exercé qu'en vertu d'une autorisation du roi : on peut du moins
le conjecturer, d'après la permission accordée au comte de
Foix d'exploiter des mines d'alun dans son comté ^. En 1299
on découvrit des mines d'argent à jMonjaux et au Trépadou,
dans le comté de Rodez. Le comte les exploita, mais les agents
royaux réclamèrent le cinquième du produit : le comte pro-
testa , invoqua les anciens usages du pays que le roi ordonna
de respecter *. Il résulte de ce fait, que dès lors le gouverne-
ment prétendit à une part du produit des mines exploitées :
c'est le plus ancien exemple de cette prétention qui soit
connu, et nous le signalons pour la première fois \
Je ne puis terminer ce chapitre sans parler d'une loi promul-
1 Préface fies Rcgîetfients , p. Lxwn .
2 Olim, 1. m, p. T9.
3 Vaissète, Histoire de Languedoc , t. IV, p. 78. En 1294.
* Gaujal , Histoire de Uouergue , t. I, p. 323, d'après la collection Doat.
^ M. Darcsle Hiit remonter à Charles \ I la plus ancienne intenenfion de
l'Etat dans l'exploitation des mines. Histoirede l'administration , t. II , p. 183.
LIVRE OXZIKME. — IX'DLSTRIE ET COMMERCE. 351
guée Pli 1294 ', qui était destinée à exercer une influence
fâcheuse sur l'industrie, et qui a été, de la part des historiens
modernes, le texte de violents reproches adressés à Philippe le
Bel. Il s'agit d'une loi somptuaire. C'était la plus ancienne loi
de ce genre qu'on connût, du moins pour la troisième race;
car les Capitulaircs des empereurs carlovingiens renferment
plusieurs ordonnances destinées à réprimer le luxe ; mais, il
faut le reconnaître, Philippe le Bel n'est pas l'inventeur des
lois somptuaires, ainsi qu'on le lui a reproché : l'odieux de
l'invention, s'il y en a, ne peut donc lui être imputé. Je ne
parlerai pas d'une ordonnance de Philippe-Auguste, qui régla
le costume des croisés : celte loi fut rendue dans des circon-
stances particulières, et ne fut applicable qu'à un nombre res-
treint de personnes'. On vient de découvrir un établissement
de Philippe le Hardi, promulgué au parlement de la Pente-
côte 1279, qui a évidemment servi de type à l'ordonnance
de 1294 ^
On a cru que cette dernière ordonnance avait pour but d'em-
pêcher la confusion que les richesses commençaient à faire
naître entre les différentes classes de la société. On a sans
doute, en portant de pareilles lois, voulu maintenir les dis-
tinctions qui tendaient de plus en plus à s'effacer entre la
noblesse appauvrie et le tiers élat enrichi par le commerce et
par l'industrie ; mais ce ne fut pas là le seul motif qui engagea
nos rois à faire des lois somptuaires. Ils voulurent arrêter les
progrès du luxe, aussi bien chez les nobles que chez les rotu-
riers : ils obéissaient ainsi aux conseils alors tout puissants de
l'Eglise. Ils étendirent à tout le royaume les règlements parti-
culiers qui régissaient chaque ville. En effet les magistrats
municipaux faisaient de leur propre chef des règlements somp-
tuaires : on en a de très-curieux pour la ville de jVarbonne à la
fin du treizième siècle *.
^ Ord., t. I, p. 5Vl, d'après la Thauniassière, dans son édition de Beau-
manoir, p. 371, qui lui-même l'avait copie sur le livre noir du Cliâlcicf.
'- Voyez Verfot, Dissertation sur les lois somptuaires. Mém. de l'Acad. des
inscript, (in-12), t. IX, p. 517 et suiv.
^ Bibl. de l'École des chartes, 3<^ série, t. V, p. 17G, d'après le manu-
scrit 4968 (fonds latin) de la Bibl. imp.
4 Bibl. imp., collection Doat, t. LI, p. 13S.
352 LA FKAXCE SOLS PHILIPI'E LK BEL.
Philippe le Uel ne fit donc qu'imiter ses prédécesseurs. Par
son ordonnance qui reproduit en partie celle de son père, il
fut interdit aux bourgeois d'avoir un char, aux bourgeois de
porter du vair, du petit-gris, de l'hermine : ceux qui possédaient
quelques-unes de ces fourrures j)roliibécs durent s'en défaire
dans un court délai. Ils ne purent j)orter non plus ni or, ni
pierres précieuses, ni couronnes d'or et d'argent. Les ducs,
comtes et barons possédant six mille livres de rente en terre
n'eurent la faculté de se faire faire que quatre robes par an,
et les prélats deux.
L'ordonnance, après avoir minutieusement réglé le costume
des différentes classes de la société, s'occupe de la table et
indique le nombre de plats (juc les nobles el les bourgeois
pourront faire servir sur leur table, chacun suivant sa condition
et sa fortune. Si l'on fait attention à la date de cette ordonnance,
qui est de l'an 1294^, c'est-à-dire au moment où la France en-
trait en hfjstilités contre l'Angleterre, on pourra supposer que
Philippe le Bel eut pour but, en renouvelant l'ordonnance de
son père, de diminuer les dépenses de la vie privée, pour avoir
le droit d'exiger de plus forts impôts et en rendre la perception
plus facile. Ce qui est certain, c'est que cette ordonnance, qui
avait pourtant pour sanction de fortes amendes', ne fut pas
exécutée, et que les différents monuments de ce règne nous
montrent les progrès rapides du luxe qui envahit toutes les
classes de la société.
CHAPITRE DEUXIEME.
COMMEKCE IXTÉRIELR.
Foires. — Foires de Ctiampagno. — ilarcliés. — Autorisation royale néces-
saire pour rélablisscincnt des marchés. — Entrai es apportées au commerce.
— Péages. — (îrédit privé. — Taux de l'intérêt. — Lsure.
Le commerce s'exerçait surtout au moyen âge dans les
nombreuses foires établies à époque fixe dans chaque localité
• Les ducs, conilcs, barons et prélats qui tombaient en contravention payaient
100 livres tournois; les bannercts, .50 livres; les chevaliers ou vaiasseurs, 25
livres, etc.; le dénonciateur devait avoir le tiers de l'amende. Or^., t. I, p.543.
LIVRE OXZIE:irE. — IXDLSTRIE ET COMMERCE. 353
de quelque importance. Les plus célèbres étaient celles du
Landit, à Saint-Denis, et celles de Champagne. Ces dernières
surtout, qui se tenaient tous les deux mois, deux à Troyes,
deux à Provins, une à Lagny, une à Bar-sur-Aube , étaient
d'une haute antiquité, et étaient devenues au treizième siècle
le rendez-vous des marchands de toutes les parties du l'uni-
vers \ l'hilippe les réglementa en 1295, et les ouvrit aux na-
tionaux et aux étrangers moyennant un droit d'un denier par
livre pour chaque objet vendu, exigible à la fois du vendeur et
de l'acheteur^. Des magistrats royaux, nommés gardes des
foires de Champagne, étaient chargés de connaître des con-
testations auxquelles donnaient naissance les transactions con-
clues pendant la tenue des foires : leurs sentences étaient mises
il exécution dans tout le royaume. Les seigneurs et les juges
royaux étaient tenus de contraindre leurs justiciables à remplir,
à la requête des gardes des foires, les engagements qu'ils avaient
pris aux foires de Champagne ^ On pouvait appeler des sen-
tences de cette juridiction commerciale aux grands jours de
Champagne, et de là au parlement "*. Les foires et marchés ne
pouvaient être établis sans une autorisation du roi. Un grand
nombre de ces permissions furent accordées par Philippe le
Bel * ; elles étaient toujours précédées d'une enquête de com-
modo et incommodo , et suivies de la prestation d'une somme
plus ou moins forte". Le parlement annulait quelquefois les
1 Sur les foires de Cliampagne, voyez Bibl. de l'Ecole des chartes,
4^ série, t. II, p. 456. — D'Arbois, Histoire de Bar-sur-Aube, p. 57.
V Étude sur les foires de Champagne , que va publier AI. Bourquelot, jettera
un grand jour sur l'histoire du commerce au moyen âge. — Sur le Landit,
voyez Arch. de l'Emp., K. 931 , n" 8.
2 Arch. de l'Emp., or. K. 36, n° 33. 6 arril 1295.
3 Olim, t. II, p. 264, 303, 414, 470, etc. — Voyez des exécutoires des
gardes des foires en 1296. Bibl. imp., n" 10312.
4 Olim, t. m, p. 375.
s Les registres de la chancellerie offrent une infinité de concessions de ce
genre. Voyez Reg. XLVII, n«s 25, 80, 157; Reg. XLVIIÎ, r\^^Z\, .36, 182,
183; Reg. LU, n» 17; Reg. L, n» 3.
6 Voyez l'original d'une enquête de ce genre au sujet d'un projet d'éta-
blissement de foire à Bagnols, Arch. de l'Emp., J. 895.
23
354 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
concessions obtenues sur un faux exposé et portant préjudice
aux droits acquis de tiers '.
Le commerce intérieur était entravé par une foule de péages
et de tonlieus placés à la limite de chaque seigneurie. Toute-
fois, les marchands qui se rendaient à certaines foires franches
en étaient exempts. Les difficultés que rencontraient à chaque
pas les commerçants pour exercer leur trafic leur donnèrent
l'idée, dès le treizième siècle, de former de vastes associations,
dont les membres, sans mettre en commun leurs intérêts, se
prêtaient un mutuel appui. Les commerçants de Languedoc
formaient une corporation qui élisait un chef nommé capi-
taine général, chargé de protéger les intérêts de ses compa-
triotes aux foires de Champagne et Landit ^ Bien que l'esprit
d'association, si général au moyen âge, ne s'appliquât pas,
en matière de commerce ou d'industrie, aux opérations (|ui
constituent la fabrication et le négoce , et que l'association
pour le travail fût excessivement rare en dehors des commu-
nautés religieuses, on peut cependant constater, dès l'époque
qui nous occupe, quelques véritables associations commer-
ciales, imitées sans doute de l'Italie, dans lesquelles de grands
capitaux étaient engagés ^
Le crédit, qui est l'àme du commerce, était organisé sur
des bases vicieuses qui demandaient une prompte réforme. Les
usures les plus criantes se commettaient. Le prêt à intérêt étant
défendu en principe par l'Eglise, pendant longtemps les prê-
teurs, exposés à être poursuivis comme usuriers, eurent recours
à la fraude pour se soustraire aux foudres ecclésiastiques et
aux amendes qui en étaient la conséquence. Ils éludaient les
poursuites, tantôt en stipulant le remboursement de sommes
supérieures à celles qu'ils prêtaient réellement, tantôt en simu-
lant une société de commerce avec l'emprunteur*. Le plus
» Olim, t. III, p. 630.
- Vaissèlc, t. IV, p. 67.
•^ Voyez la preuve d'une association commerciale entre Pierre de la Brocc
et Jean Sarrazin, tous deux chambellans du roi, dans laquelle ils avaient mis
plus de 10,000 livres tournois. Or. Arch. de l'Emp., carton de P. de la
Broce, J. 759, n» 159.
^ Sur le prêt à intérêt, \oycz Delisle, Etudes sur l'agriculture, p. 195 et
LIVRE OXZIÈJIE. — IXDL'STRIE ET COMMERCE. 355
souvent, le prêt était déguisé sous la forme d'une vente. Je
n'ai à m'occuper ici que du crédit commercial, autrement
j'aurais encore à énumérer une longue série de manœuvres
coupables qui avaient pour résultat de dépouiller le petit
propriétaire et le cultivateur.
En 1312, Philippe le Bel fixa le taux de l'intérêt, en dehors
des foires de Champagne, à vingt pour cent, et aux foires de
Champagne, à cinquante sous pour cent livres, pour l'inter-
valle d'une foire à l'autre, c'est-à-dire à trente pour cent '. Il
réprouva énergiquement l'usage de déguiser les prêts sous des
ventes simulées. Les infracteurs à cette ordonnance furent
menacés d'être condamnés à la perte du corps et des biens",
et les débiteurs invités à ne pas payer les dettes usuraires,
mais à dénoncer ceux qui auraient abusé de leur position
pour leur imposer des conditions condamnées par les lois.
Déjà, en 1299, le roi avait défendu aux magistrats judiciaires
et municipaux d'apposer les sceaux de la juridiction volontaire
aux contrats passés avec les juifs ou avec des usuriers no-
toires ' .
CHAPITRE TROISIEME.
COMMERCE EXTÉRIEUR.
ilarchands italiens. — Traités de commerce. — Lettres de marque. —
Douanes. — Origine du système de protection de l'industrie nationale par
la prohibition des importations et des exportations à l'étranger.
En montant sur le trône, Philippe le Bel trouva un commerce
actif entre les villes du Alidi, Karbonne, JVîmes, Montpellier,
suiv. — Raim. de Pennaforti, Summa pastoralis, Catalogue des manuscrits
des départements, t. I, p. ()21. — Enquête originale sur les usures des
Lombards à Xîmes, fin du treizième siècle. Trésor des chartes , J. 3o5.
1 Rouleau de la cour des monnaies contenant deux ordonnances , l'une du
mois de juin, l'autre du mois de décembre 1312. Arcli. de l'Emp., Z. 2811.
■^ Ord., t. I, p. 481.
3 Ord., t. I, p. 333. Voyez, en 1294, un ordre du roi de ne pas con-
traindre les débiteurs à payer les usures criantes exigées par des chrétiens.
Mcsnard, Histoire de Xismes , t. I, preuves, p. 126.
23.
356 lA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
et les villes d'Italie, Chypre et l'Orient. Les cités manufactu-
rières du Xord enlretenaient des relations avec la Flandre et
TAlleuiagne. Les draps d'Arras, de Provins, de Carcassonne,
les toiles de Reims, étaient recherchés dans les pays étrangers.
Tous les produits français affluaient aux foires de Champaj^ne,
pour de là se répandre dans toutes les parties du monde connu.
Alais les foires n'étaient pas la seule voie qu'eût l'industrie
française pour écouler ses produits. Un grand nombre d'Ita-
liens s'étaient fixés en France, où ils tenaient des comptoirs et
faisaient la banque. Montpellier avait été longtemps comme
leur quartier général et le centre de leurs opérations ; mais
Philippe le Hardi leur accorda la permission de commercer
librement dans le royaume, à condition de quitter cette ville,
qui était un fief du roi de Majorque, et de venir se fixer à
Mnies, dans les domaines de la couronne '. En vertu de cette
transaction , toutes les marchandises venant d'Italie durent
aborder au port d'Aigues-AIortes, fondé par saint Louis et
amélioré par son successeur. Le roi tirait de grands revenus
de ce monopole '.
Philippe le Bel veilla avec soin à ce que les conventions con-
clues entre son père et les Italiens fussent ponctuellement exé-
cutées des deux côtés ^ Ses agents protégeaient les marchands
lombards et leur faisaient rendre justice par les seigneurs contre
leurs débiteurs \ Au mois de novembre 1205, il les affranchit
de toutes tailles, collectes, emprunts, droits d'ost et de che-
vauchée et de tout autre impôt, à condition de payer un denier,
obole et pite par livre de toute marchandise. Ils purent demeurer
dans toutes les villes du royaume, après y avoir acquis le droit
de bourgeoisie *.
Les marchands italiens établis en France formaient une cor-
poration à la tète de laquelle était un capitaine général élu
1 Voyez un record de cour de l'an 1288, Rc^. XXXIV du Trésor des
chartes, fol. 33.
2 Ord., 1. IV, p. 668. — Vaissètc, t. IV, p. 26.
3 Ord., t. XII , p. 420 (en 1288). — Mandement au sénéchal de Carcas-
sonne (1297). Baluzc, n" 10312, fol. 4.
4 Mesnard, Histoire de Xist?ies, f. I, preuves, p. 117 (1294).
5 Ord., t. I, p. 326 (1295).
LIVRE OXZIEME. — IXDUSTRIE ET COMMERCE. 357
par eux', qui traitait avec le roi de puissance à puissance, et
avait un grand sceau représentant un personnage assis sur un
trône, et de chaque côté une bourse *.
Les sommes considérables qu'ils payaient au roi en qualité
de marchands étrangers firent souhaiter à un certain nombre
d'Italiens d'être assimilés aux Français, en obtenant des lettres
de naturalité : on a de rares exemples de concessions de ce
genre, qui devaient s'acheter fort cher*. Le commerce entre
la France et l'Italie ne se faisait pas exclusivement par mer :
les communications entre ces deux pays étaient rendues faciles
par une grande route traversant la Bourgogne et la Savoie, et
le roulage était établi dans des conditions de célérité assez
satisfaisantes pour le temps, puisqu'il ne fallait que trente-cinq
jours pour aller de Paris à Gênes *.
En 1207, les marchands de Hainaut furent admis à com-
mercer en France, à importer et à exporter, « sauf que les
droitures accoustumées à payer des dites marchandises fussent
entièrement payées » ^ Des privilèges furent accordés en 1304
aux marchands de lîrabant : ils purent entrer librement dans
le royaume, acheter toutes sortes de marchandises à condition
de payer les mêmes droits que les Italiens ; mais ils devaient
s'engager sous serment à ne pas porter de produits français
chez les Flamands, alors en guerre avec Philippe le Bel. Ils prê-
taient ce serment entre les mains du juge du lieu où ils avaient
fait leurs achats : ce juge leur remettait une attestation écrite
qu'ils étaient obligés de montrer à la frontière pour passer
avec leurs bagages. Si le roi apprenait qu'un de ces marchands,
de retour dans son pays, eût vendu aux ennemis des denrées
françaises, contrairement à son engagement, il était en droit
de sommer les magistrats de la ville où le coupable avait son
1 Ord., t. XI, p. 377 (12 mai 1295).
- Collection des sceaux des Arcli. de l'Emp.
3 Voyez Bibl. de l'Ecole des chartes , k^ série, t, IX, p. 265. — Lettres
accordées à Ant. Scarampi ^t à Ant. de Quarto. 3 septembre 1291. u Non
sustinebimns quod ipsi tanquam Lombardi tractentur; imo precipimus ex
nunc sicut burgenses nostros reputari, tractari et censeri. d Voyez aussi
Reg. XLVI du Trésor des chartes, rfi 219 (1312).
« Olim. t. III, p. 661.
5 Ord., t. I, p. 330.
358 LA FHAMCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
domicile, do lo lui livrer pour qu'il le [)uuît : ce traité était
révocable à la volonté du loi , mais l'ahroj^ation devait être
dénoncée six semaines d'avance aux intéressés '. Ln traité de
commerce lut conclu avec les Portugais, auxquels on imposa
de débarquer exclusivement au port d'ilarfleur ".
En général ces traités stipulaient la l'acuité d'importer et
d'exporter toutes sortes de marchandises en payant les droits
de douane : ils accordaient un grand avantage pour les négo-
ciants étrangers, celui de n'être pas arrêtés en France pour les
dettes de leurs compatriotes, car il était alors de jurisprudence
que lorsqu'un étranger refusait de payer une dette contractée
envers un Français, le gouvernement prévenait les magistrats
de la ville où demeurait le débiteur, et les engageait à faire
dioit aux réclamations du créancier. Si les magistrats refusaient
de rendre justice au plaignant ou ne trouvaient pas sa de-
mande admissible, le roi ordonnait à un bailli d'arrêter un ou
plusieurs compatriotes du débiteur infidèle, et de les faire
financer jusqu'à parfait payement de la dette. 11 est bien en-
tendu que ce droit de représailles était admis par toutes les
nations : il prenait même les proportions les plus iniques et les
plus désastreuses pour le commerce.
La Alédilerranée était infestée de pirates de toutes les
nations. Quand un vaisseau avait été pillé, les propriétaires
des objets volés se plaignaient aux magistrats de leur ville, qui
demandaient réparation des dommages éprouvés aux magistrats
de la cité à laquelle appartenait le pirate. Si la satisfaction
réclamée était refusée, on accordait au plaignant des lettres
de marque, qui lui permettaient de s'indemniser, en faisant
vendre à son profit les biens d'étrangers appartenant à la
même nation (jue le pirate, établis dans le royaume. Une espèce
de droit international s'était formé au treizième siècle pour
fixer les délais après lesquels les lettres de marque pouvaient
seulement être accordées; mais ces règles étaient fréquemment
violées, et le droit de marque devint à la fin du treizième
' Ord., t. I, p. 414. Les députes des villes de Brabant s'engagèrent
solennellement à exécuter ce traité. Reg. XXXV' du Trésor des chartes,
fol. 93.
2 Olim, t. II, p. 259, et I. 111, p. 573.
LIVRE OXZIEME. — I.VDISTRIE ET COMMERCE. 359
siècle un fléau pour les villes commerciales du raidi de la
France '.
Une série de désastres causés par l'exercice de ce droit
inique entre les habitants de Narbonne et ceux de Barcelone
fut l'occasion d'un traité de Philippe le Bel avec le roi d'Ara-
gon : on convint qu'aucune marque ne pourrait être décrétée
sans une autorisation royale et sans avoir été précédée de neuf
sommations successives'. En 1314, un concile réuni à Paris
proscrivit les lettres de marque comme contraires à la religion
et à la morale ^
L'exportation des laines était soumise à des droits excessifs *.
En 1303, Philippe concéda aux deux frères Biccio et AIus-
chiato, naturalisés sous le nom de Bichet et Mouchet, le mono-
pole de l'exportation des laines pendant deux années. Les fer-
miers vendaient eux-mêmes à d'autres la permission d'exporter,
et réalisaient de gros bénéfices *.
En 1305, les pareurs de drap de la sénéchaussée de Carcas-
sonne se plaignirent de ce que les Italiens achetaient en France
des draps crus qu'ils teignaient en Italie, ce qui est le plus bel
éloge de l'excellente qualité des draps français. Les fabricants
du Alidi poussèrent l'aveuglement jusqu'à offrir au roi de lui
payer deux deniers pour chaque pièce de drap de douze cannes
vendue en gros, et sept deniers pour chaque pièce vendue en
détail, à condition que le roi défendrait l'exportation des
laines, toisons, draps non teints, ainsi que des substances
propres à la teinture des étoffes, pastel, garance, etc. Philippe
s'empressa de souscrire à ces conditions qui lui assuraient la
perception d'un nouvel impôt. Il est vrai qu'il se privait des
droits de douane qu'auraient payés à la sortie les matières
dont il venait de prohiber l'exportation; mais il se réserva
d'éluder l'engagement qu'il avait pris*.
' Port, Essai sur le commerce de Narbonne , p. 90, 91, 144 et suiv. —
Olim, t. III, p. 345.
•-i Port, p. 143.— Doat, t. I, p. 435.
3 Diicanye, \° Rejjresaliœ.
* a De passagio lanarum, apud .Andelot s , 1298. Journal du trésor, p. 86.
5 Or. .^rcti. de l'Emp., K. 37, n" 15.
6 Ordonnance de février 1304 (v. s.).
360 LA FRAXCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
C'est là un fait d'une «jranilo importance : jusqu'alors c'était
le gouvernement qui , dans un inlérèt fiscal , avait mis des
obstacles au commerce international; les droits de douanes
étaient uniquement considérés comme une source de revenus.
Sous Philippe le lîcl, la pioliibilion mise sur la sortie de cor-
tains produits fut le résultat d'un système, de ce qui a été
appelé dans les temps modernes le système de \di protection. En
effet, le but qu'on voulait atteindre était la protection de l'in-
dustrie nationale. Il y a cela de remarquable, que ce système
ne fut pas inauguré par l'initiative du gouvernement : les res-
trictions à la liberté du commerce furent imposées au nom et
sur la demande de certains industriels qui cherchaient à
éteindre la concurrence.
Philippe le Bel ne paraît pas avoir donné d'extension à ce
système, car il manqua même à sa parole, en vendant des
permis d'exporter des laines '. En 1305, il défendit l'exporta-
tion des grains, légumes, vins, miel, poivre, gingembre,
sucre, bestiaux , cuirs, peaux; mais c'était là une mesure tran-
sitoire dictée en partie par une affreuse famine, et par la crainte
de la guerre'. Philippe, loin de mettre obstacle au commerce
avec l'étranger, le favorisa, car l'institution des douanes qu'il
perfectionna enrichissait le trésor.
En 1305 on créa un directeur général des douanes, sous le
titre de maître général des ports et passages ; ces hautes fonc-
tions furent confiées à un bourgeois de Paris, Geoffroi Cocatrix *.
Il fut peu de temps après placé sous les ordres de deux surin-
tendants généraux des ports et passages, Guillaume de Marcilly
et Pierre de Chalons, qui avaient pour principale mission d'ac-
corder, conjointement avec le maître général, des permis
d'exportation ■*. Les surintendants demeuraient à Paris. On
établit toute une hiérarchie d'employés : au-dessous des surin-
* Permission à Baldo Fini de Florence d'emporter quatre-vingts balles de
laine. Mars 1310. Ilcg. XLV du Trésor des chartes , n" 39. — Autre à Jean
Barbadit'o, pour mille deux cents balles, de quatre quintaux chacune , moyen-
nant 3 livres 10 sous par charge. 1308. Id., Reg. XLII, fol. 101.
2 Ord.,i. I, p. 422.
"5 Reg. XXXV du Trésor des chartes, n" 195.
** Or. Trésor des chartes , J. 3C5, n"'* 3 et 4.
LIVRE OXZIÈAIE. — INDUSTRIE ET COAIMERCE. 36i
tendants et du maître général, il y eut des commissaires pro-
vinciaux.*, des visiteurs ou inspecteurs généraux ^, des gardes
des passages assistés de sergents à pied et à cheval ^ .
A chaque port ou bureau de douane fut institué un cartu-
laire, commis écrivain qui tenait note des objets qui passaient
la frontière*. Le 18 juin 1209, les pouvoirs des surintendants
furent renouvelés '\
Le 5 octobre 1314 défense de transposer chevaux, armes,
blé, vin, sans lettres patentes®, cela pour empêcher le com-
merce avec la Flandre, toutes relations devant cesser avec
les ennemis. Cependant le roi ne prêchait pas d'exemple. La
famille royale ne pouvait se passer des somptueux produits des
manufactures flamandes, et faisait acheter des draps pour son
usage, au mépris des ordonnances ^ En résumé, Philippe le
Bel n'inventa pas les droits de douane, ainsi qu'on l'a pré-
tendu, mais il les régla et chercha surtout à les rendre plus
productifs pour le trésor : il interdit l'exportation de certaines
matières à la requête de l'industrie française, moyennant un
impôt payé par les fabricants au profit desquels cette mesure
avait été prise. Quant à l'importation des produits étrangers,
je ne vois pas qu'elle ait été prohibée : ils payaient de forts
droits de douane, dont le fisc n'aurait pas voulu se priver en
en interdisant d'une manière absolue l'entrée dans le royaume.
11 y a plus, j'ai été à même de constater, d'une manière
certaine, que sous ce règne les importations furent incompa-
1 Reg. XLII du Trésor des chartes , fol. 163. Ces commissaires avaient
10 sous de gages par jour : c'étaient, pour le Languedoc, Nicolas l'Epicier,
chanoine , et Guillaume Guiffred.
- Voyez-en la liste, Rcg. XLII du Trésor des chartes , fol. lOV ci 105
(1310).
•* Ils avaient 5 sous par jour. Mandement du 25 avril 1310. Reg. de la
chambre des comptes, P. 2289, p. 132.
^ Trésor des chartes, Rcg. XLII, n" 92.
5 P. 2289, p. 132.
6 Ord., t. I, p. 54-0.
■^ it Henricus d'Asquc de Bruxellis pro xxiv pannis quos fecit duci Parisius
ad opus doniini Karoli, fratris régis, tanquam pannis de Flandria saisilis,
.571 lib. pcr cedulam a tergo littere régis. » 10 avril 1298. Journal du
trésor, fol. 64 r".
;502 LA TRAXCE SOLS PHILIPPK LF, BKI,.
rahlciiicnt plus nombreuses (juc les oxpoiialions : on en a la
pKMive ol'licielle dans un mémoire qui fut remis à Philippe le
Long par un des hommes spéciaux qu'il fit venir à Paris de
tous les points de la France, pour les consulter sur le système
lie monnaies qu'il était convenable d'adopter. Les uns furent
d'avis qu'on fit de bonne monnaie ; d'autres au contraire van-
liTcnt l'excellence de la faible monnaie. Parmi les partisans de
la faible monnaie, figurait un anonyme dont le mémoire ori-
ginal nous a été conservé. L'auteur de ce mémoire, entre plu-
sieurs raisons qu'il donne à l'appui de son opinion, que la
bonne monnaie passerait toute à l'étranger, dit ceci :
" A ce que il pourront dire que l'on exporte plus de mar-
cheandises du réaume de France que l'on i aporte, mal dient ,
(|nar nous n'avons nule marchandise au réaume de France qui
lie viengne de hors le réaume, et encore excepté pou de draps
et de toiles qui pourroient estrc pris au réaume; et encore
viennent les laines de liors le réaume en partie, et pou d'autre
chose. Et ce puet-on savoir par les yssues et entrées et par ceux
([ni en cuillent les coustumes ', ^
11 serait difficile de trouver une preuve plus claire de la
décadence complète de l'industrie et du commerce français à
la lîn du règne de Philippe le Bel, puisque la France n'expor-
tait rien, produisait peu et recevait beaucoup de l'étranger. Ce
lésullat n'étonne pas quand on se rappelle les guerres presque
perpétuelles, les impôts multipliés et surtout les fréquentes et
mineuses mutations de monnaie qui signalèrent les quatorze
premières années du quatorzième siècle.
CHAPITRE QUATRIÈME.
.Approvisionnomouts. — Disettes. — Maxiiiuiiii. — Resiillals de ce système.
Le morcellement du territoire en un nombre infini de sei-
gneuries, la difficulté dos commiinicalions , le manque d*;
' i Hatioiies illoriun qui ccrtant pro ilcbili nioncta. » Or. Trésor des
chartes , J . 459 , n" 24.
LIVRE OXZIKMF:. — IXDISTRIE ET COMMERCE. 363
moyens de transport, qui étaient un obstacle au commerce,
avaient la plus funeste influence sur l'alimentation publique.
L'insuffisance des récolles amenait dans certaines provinces
de véritables disettes pendant que l'abondance régnait dans
des contrées peu éloignées.
En effet, on ne connaissait d'autre remède que de défendre
l'exportation des céréales. Ces prohibitions étaient établies
dans le Midi par des assemblées de nobles, de prélats et de
députés des villes'; dans les autres parties du domaine, elles
étaient abandonnées à l'arbitraire des agents royaux. En 1301
un seigneur de Saintonge ayant porté une de ces défenses, le
sénéchal, par ordre du parlement, le força de la révoquer'.
Lorsque le manque de grains paraissait devoir être général, le
roi prohibait l'exportation pour tout le royaume. En novembre
1302, Philippe étendit cette défense à tous les objets de con-
sommation', il la renouvela plusieurs fois, sous peine de
confiscation \
Le 3 août 1303, il révoqua toutes les permissions d'expor-
ter précédemment accordées ^.
La même année , il y eut une grande abondance dans le
Languedoc : à Xîmes , le setier de froment valait, au mois de
décembre, deux deniers, et le setier d'orge un denier ^ En
1304, nouvelles défenses \ La récolte avait manqué partout:
dans le Nord, le setier de blé atteignit cent sous parisis \ En
Auvergne, ce qui valait communément cinq sous se vendit
vingt-cinq sous '•*.
1 Bibl. imp., cart. de saint Louis, p. 127, 128. Cos inlordictions étaient
provoquées par les magistrats municipaux. L'ordonnance de 1264 déiendait
d'empêcher l'exportation des blés d'une province dans l'autre * sine urgenti
causa, et tum etiam cum bono et maturo consilio non suspecte, i Ibid., p. 26.
•^ Olim, t. III, p. 100.
•"' Ord.. t. I, p. 351. Novembre 1302.
4 17 novembre 1302. Reg. XXXV, n" 33.
•• Ord., t. I, p. 381. — .Autre, 4 août. Reg. XXXV, n'^ 104.
t» Mesnard, Histoire de Xismes, t. I, p. 430, d'après un acte du prieure
de Saint-Bausile du mois de décembre 1303.
" 12 mars. .1. 35, n" 135.
^ Historiens de France, t. XXi , p. 139 I).
^ Sur les variations du prix du blé au quatorzième siècle , on consultera
364 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
Le roi voulut prendre des mesures pour mettre fin aux souf-
frances du peuple, souffrances que la voix publique attribuait,
comme toujours, à des accaparements. Au mois de février
1305, il prescrivit à chacun de ne garder que les grains stric-
tement nécessaires pour nourrir sa famille, et de porter le reste
au marché. Des agents visitaient les maisons pour découvrir
les provisions qui pouvaient y être cachées. Les denrées portées
aux marchés étaient sous la sauvegarde royale. On ne pouvait
en acheter qu'une petite quantité. Interdiction de faire de la
bière. Cette ordonnance fut exécutée dans les terres des
barons '; mais elle ne produisit pas les effets qu'on en atten-
dait. La cherté augmenta; le prix du setier monta à six livres *.
Le roi eut recours à une mesure désespérée et violente : au
mois de mars, il imposa un maximum. Le prix du setier des meil-
leures fèves et de la meilleure orge, mesure de Paris, fut fixé
à trente sous parisis, celui du setier d'avoine à vingt sous , de
son à dix sous, de froment à quarante sous \ Cette loi de maxi-
mum produisit la famine. Les boulangers fermèrent leurs bou-
tiques, de crainte d'être pillés *. Philippe révoqua son ordon-
nance au bout d'un mois. Chacun eut la liberté de vendre son
grain le prix qu'il voulut, pourvu qu'il ne fût pas excessif \
Les approvisionnements particuliers continuèrent d'être défen-
dus sous peine de confiscation, au profit du roi dans le domaine,
et du seigneur dans les fiefs des barons. La vingtième partie
de la forfaiture appartenait au dénonciateur. On accorda aux
habitants de Paris la permission de faire du pain chez eux et
de le vendre en payant un léger droit. Les boulangers furent
surveillés et tenus de faire bon poids ^. Toutes ces misères
se compliquèrent de l'infidélité des agents royaux chargés
d'empêcher l'exportation du blé hors de la capitale et de le
avec fruit le tableau officiel placé à la fin du premier volume de l'Histoire de
Chartres de M. de l'Épinois.
1 Ord., t. I, p. 425.
- Historiens de France, t. XXI, p. 25.
■» Ord., t. I, p. 424.
^ Historiens de France, p. 25.
5 Ord., t. I, p. 426.
6 Ord., t. I, p. 427.
LIVRE OXZIEAIE. — INDUSTRIE ET COAniERCE 365
reclicrcher chez les particuliers; lesquels au lieu de distribuer
aux boulangers les grains qu'ils découvraient, les expédiaient
dans les provinces, pour en obtenir un prix plus élevé '. On
fit plusieurs exemples. La cherté diminua sensiblement devant
le rétablissement de la liberté du commerce et la fermeté du
gouvernement ^.
Ne reprochons pas à Philippe le Bel d'avoir inventé les lois
de maximum : on voit avant son règne des baillis fixer des
tarifs pour les comestibles ; il ne fit que généraliser une
mesure funeste qu'il eut la sagesse de retirer dès qu'il en
aperçut les inconvénients ^ .
1 Olim, t. III, p. 193. — Doat, (. CLI, p. 272.
2 Historiens de France, t. XXI, p. 25.
^ Olim, t. I, p. 704 (en 1267). Plainte des marchands de Caen de ce que
le vin était taxé uniformément sans égard à la qualité. — Le parlement
ordonna que tous les règlements sur la vente des denrées seraient coulirraés
par le roi. Voyez Olim, t. II, p. 337.
LIVRE DOUZIEME.
ORGAMSATIOX MILITAIRE.
CHAPITRE UIVIQUE '.
ARMÉE DE TERRE. MARINE.
Service féodal. — Ban et arrière-ban. — Le service militaire devient une
obligation pour tous. — Levées générales. — Levées de 1302, 1303, 1304.
— Défoitc de Courtrai. — Causes de celte déftutc. — Les prestations pécu-
niaires substituées au service personnel. — Résultats de ce système. —
— Compagnies soldées. — Service militaire dû par les ecclésiastiques. —
Désordres causés par les mouvements de troupes. — .Approvisionnement des
armées. — Puissance militaire de la France. — Arsenal du Louvre. —
Commandants militaires. — Mesures prises contre les étrangers en temps
de guerre. — Privilège des gens de guerre. — Marine.
On se fait une fausse idée des ressources dont disposaient au
moyen âge nos rois pour assurer la défense nationale : on se
les représente comme réduits au service féodal. Sans doute,
pendant les trois premiers siècles de la race capétienne, le
service féodal fut la seule force des années royales, mais ce
service n'était pas aussi méprisahle qu'on se le figure. Chaque
seigneur ne devant, il est vrai, rester sons les armes que qua-
rante jours, et étant libre de se retirer après ce délai, il en
résultait qu'on ne pouvait entreprendre rpie de courtes expé-
ditions : l'indiscipline de ces troupes et la désobéissance des
feudataires , qui , lorsqu'ils désapprouvaient le motif de la
guerre, restaient dans leurs châteaux, étaient encore un ob-
stacle à toute entreprise sérieuse; mais il ne faut pas oublier
1 Ce chapitre sera peu développé, je renvoie pour de plus amples rensei-
gnements à mon ouvrage intitulé : Histoire de l'organisation militaire de
la France depuis r origine de la monarchie jusqu'à la révolution , auquel
l'Académie des sciences morales et politiques a bien voulu décerner une de
ses récompenses.
LIVRE DOLZIÈME. — ORGANISATIOX MILITAIRE. 367
que le roi, chef de la noblesse, avait le droit de convoquer tous
ses vassaux directs, qui amenaient eux-mêmes leurs arrière-
vassaux, de sorte qu'il se trouvait à la tête de toute la noblesse
du royaume.
Il y a plus, les nobles n'étaient pas seuls appelés sous les
armes. D'après le droit féodal, tout non noble, quelle que fût
sa condition, devait aider son seigneur à défendre son fief et
souvent le fief du suzerain. C'est en vertu de ce principe que
l'on vit, dès le onzième siècle, les vilains grossir les armées.
Au douzième siècle, avec les communes naquirent les milices
communales commandées par les magistrats municipaux et
marchant sous l'étendard de la cité; Lorsque la patrie était me-
nacée, la noblesse venait se ranger sous les bannières royales ,
les communes envoyaient leurs plus braves citoyens, les prélats
amenaient leurs plus robustes tenanciers : le roi avait alors
sous ses ordres une armée formidable. On a de ce fait deiw
exemples remarquables : le premier en 1225, sous Louis VIII,
quand l'empereur Henri VI menaçait la France d'une invasion;
le second, à la bataille de Bouvines.
Les éléments militaires furent perfectionnés : le service des
communes fut réglé; sous Philippe-Auguste', le nombre des
roturiers ou sergents que les villes, les seigneurs et les églises
devaient fournir fut déterminé^.
Quand la royauté voulut étendre son influence en agrandis-
sant ses domaines et en devenant conquérante, elle fut dans
l'obligation de ne pas chercher exclusivement dans les milices
féodales un instrument pour l'accomplissement de ses projets.
Dès le douzième siècle, les rois anglais avaient à leur solde
des routiers recrutés parmi le peuple et la noblesse , qui obéis-
saient à un chef choisi par eux. Philippe-Auguste suivit cet
exemple, et conquit la Normandie en partie avec des merce-
naires placés sous la conduite d'un chef fameux, nommé Cadoc ;
toutefois, l'emploi de ces bandes offrait de grands dangers.
Licencié à la paix, quand on n'avait plus besoin de lui, le
soldat était réduit à piller pour vivre et à devenir un brigand.
1 Bibl. inip., cartiil. de Philippe-Auguste.
- Voyez tes rôles publiés par Larrorpic , Traité du ban, p. 55.
368 LA FRAXCE SOUS PHILiPPi: LE BEL.
Philippe-Auguste renonça, vers la fin de son règne, à em-
ployer les routiers. Cependant il fallait une armée : les rois
engagèrent les nobles à servir au delà du temps féodal, moyen-
nant une indemnité. Ce système, combiné avec le service
féodal, suffit à saint Louis, qui n'avait aucune idée de con-
quête. En même temps, le service des vilains prit de jour en
jour une plus grande importance ' ; mais tout cela fut insuffi-
sant lorsque la royauté eut à soutenir des guerres étrangères,
qui se prolongèrent pendant des années entières, et exigèrent
la mise sur pied d'un nombre d'hommes considérable.
Sous Philippe le Bel, le droit du roi d'exiger le service mili-
taire de tout homme noble on non noble habitant le royaume,
droit qui depuis le huitième siècle n'avait existé qu'en théorie,
fut formulé de nouveau et accepté. Le souverain, quand la
patrie était en danger, fit des levées générales sous le nom
d'arrière-ban. La valeur du mot arrière-ban n'a jamais été
bien définie. Dans des temps plus récents, on entendait par là
l'appel des nobles'. Plusieurs textes du commencement du
quatorzième siècle prouvent que sous Philippe le Bel l'arrière-
ban s'appliquait à la fois aux nobles et aux roturiers. Fn 1315,
Louis X promit aux seigneurs du duché de Bourgogne de
n'exiger d'eux ni de leurs hommes de service militaire, ci sauf
pour l'arrière-ban, auquel cas tout homme du royaume est
tenu de marcher, pourvu que le service militaire soit exigé
dans toute l'étendue du royaume ^ i> .
La charte aux Normands, accordée par le même roi, porte
que les nobles et les roturiers de Xormandie, après avoir ac-
quitté les services auxquels chacun d'eux était astreint, seraient
exempts de toute participation à la guerre, si ce n'est lorsque
l'arrière-ban serait décrété, en cas de nécessité urgente, et
pour des causes raisonnables*.
1 Voyez lo rôle des principaux feudataircs avec l'indication dos sergents
roturiers qu'ils devaient amener avec eux : Larroquc, Traité du ban, p. 98.
~ Larroquc, Traité du ban et de l'arrière-ban, p. 1 à 15.
3 a Xisi in casu rctrobuniii : in qiio casu quilibet de rcgno nostro tenetur,
tuni tanien de nuindalo nostro per lotuni regnuni generaliter fiât, s Ord.,
t. I, p. ;3()9. Ord., t. I, p. 369.
'' Ord., t. I, p. 588.
LIVRE DOUZIÈME. — ORGAXISATIOX MILITAIRE. 309
En 1302, Philippe le Bel, qui pour lors assiégeait Lille,
ordonna aux baillis « de semondre par arrière -ban, toute
manière de gens, qui porrpnt porter armes, nobles et non
nobles, de pooté ou d'autre condition, qu'ils soient à la quin-
zaine d'aoust à Arras ' ". Enfin, au mois de juin de l'année
suivante, il écrivit à l'évêqiie d'Auxerre pour lui faire part de
son intention, ;i de semondre par voie d'arrière-ban, auquel
toute manière de gent, si comme vous savez, sont tenuz à venir
sans nulle excusation " » .
L'âge requis était de dix-buit à soixante ans ^ Le gou-
vernement avait soin d'établir ce que nous appellerions des
classes : on appelait d'abord sous les armes les habitants des
provinces les plus rapprochées du théâtre de la guerre. Ce
n'était qu'en cas de péril urgent que l'on faisait venir les
milices des provinces éloignées : c'est ainsi qu'en 1303 les
nobles et les roturiers de Languedoc furent semons à Arras
pour marcher contre les Flamands'. Jusqu'alors, les com-
munes s'appuyaient sur leurs anciens privilèges pour ne pas
sortir, qui de la seigneurie, qui de la province, qui du royaume.
Ces distinctions furent effacées : un principe nouveau était
invoqué, celui de la défense de la patrie. Je vais exposer en
quelles circonstances Philippe fît ces levées générales : ce ne
fut guère qu'à propos de la guerre contre les Flamands.
En 1302, on appela sous les armes tous les nobles qui
avaient soixante livres de rente et les roturiers possédant cent
livres en meubles, ou deux cents livres tant en meubles qu'en
immeubles '\ A la fin de la même année, on exigea le service
des nobles jouissant de quarante livres de rente, et des rotu-
riers qui avaient trois cents livres de capital. Ceux qui voulurent
1 Rcg. XXXVI (lu Trésor des chartes, fol, 5 v".
- Trésor des chartes, Rcg. XXXV, fol. 30 v°.
•^ s Xous vous mandons et commandons que vous mandez et commandez à
touz vos hommes et subgez destroitement nobles et non nobles, de quelque
condition qu'il soient, qui auront aage de wiii anz et de plus jusques à l'aage
de LX anz, c'est assavoir, que celui qui aura lx anz et non plus, il convendra
qu'il soient aus diz jours et bien en armes, chascun selon sa condition, i
Jeudi après l'.Annonciation 1302. Reg. XXVI du Trésor des chartes, n" xlv.
^ Rcg. XXXV' du Trésor des chartes.
5 Ord., t. I, p. 173.
24
370 LA FRAXCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
rester dans leurs foyers eurent la facullé de se raelieter moyen-
nant une somme dont le taux ne fut pas fixé, mais abandonné
à l'arbitraire des commissaires royaux. En 1303, les roturiers
qui, non compris les ustensiles de leur hôtel, avaient en meu-
bles de cinquante à cinq cents livres, ou un revenu en terre
de vingt livres, non compris le manoir, et tout noble ayant
cinquante livres de rente, durent servir en personne pendant
quatre mois ou se racheter : le noble en payant la moitié de
son revenu, le roturier le cinquantième de ses biens '.
Ce que Philippe voulait, c'était de l'argent. Les commis-
saires chargés de la levée reçurent l'ordre d'engager les rotu-
riers à s'exempter du service personnel moyennant finance ;
mais cette mesure eut des conséquences inattendues : on man-
qua d'hommes, et le roi fut obligé de défendre de recevoir le
prix du service militaire. Les barons furent mandés, " car
oncques ne fut si grand besoin" «. En 1303, on modifia le
système suivi jusqu'alors. Le service fut fixé à quatre mois; les
nobles durent servir en personne ou fournir un remplaçant
ou payer. Les roturiers furent tenus de fournir un certain
nombre de sergents, ordinairement six par cent feux. Ils les
équipaient, les armaient et les soldaient, a Six sergents de
pied, des plus souffisans et des meilleurs qu'on pourra trouver
es paroisses ou ailleurs, si ceux des paroisses n'étoient pas
souffisans, et seront armés de pourpoins et de haubergeons ou
de gambesons, de bacinés et de lances ; et des six il y en aura
deux arbalétriers ^ . «
Les roturiers, dont la conduite avait été si brillante à Bou-
vines, rendirent de grands services sous Philippe le lîel : ils
étaient surtout aptes à combattre les milices flamandes, com-
posées de bourgeois des cités. On raconte que la noblesse fran-
çaise, jalouse de l'infanterie qui allait lui ravir l'honneur de
la journée, lui passa sur le corps pour se précipiter sur l'en-
nemi. On sait que les chevaliers tombèrent dans des canaux
qu'ils n'avaient pas aperçus, et y trouvèrent la mort : jamais
la noblesse n'avait éprouvé un pareil désastre. Les historiens
t Ord.. t. I, p. 391.
- .Alandcment du 15 iinùt 1303. Rcg. XWV du Trésor des chartes.
3 Ordonnance du !«'' mai 130'i^. Xotices et extraits, n° xxi.
LU'RE DOUZIÈAIE. — ORGAXISATION MILITAIRE. 371
belges modernes ont insulté ces vaillants hommes, qui ne
lurent pas vaincus par les Flamands, mais qui périrent en
cédant à l'entraînement irréfléchi de leur courage. L'accusa-
tion d'avoir amené le funeste résultat de cette bataille en écra-
sant leur propre infanterie est malheureusement fondée ; à
l'aspect du carnage que les gens des communes françaises fai-
saient des Flamands, ils éprouvèrent une émulation qui n'était
pas exempte de jalousie :
Seingnors , rcjjardcz à vos clz
Comment nos gens de pié le font.
Flamens près de dcsconQs sont.
Avant, seingnors, grans et menors.
Gardez que nous aions l'cnnor
Et le pris (le ccste bataille.
Faisons retraire la piétaille ,
Se ont très-bien fet lor devoir 1.
Guillauiue de Flote fut d'avis de laisser achever aux com-
munes ce qu'elles avaient si bien commencé ; mais le comte
d'Artois ayant fait une réflexion qui tendait à mettre en doute
la bravoure et la loyauté du chancelier, celui-ci se précipita
sur les ennemis, au milieu desquels il trouva la mort. Le
comte d'Artois et les autres nobles crièrent arrière aux gens
de pied, qui, tout étonnés de cet ordre, se débandèrent et se
retirèrent en confusion ; plusieurs furent même renversés par
la cavalerie'. Dans cette circonstance, la noblesse française
n'éprouva pas, ainsi que le répètent les historiens belges, une
défaite honteuse. Celui qui sacrifie sa vie pour l'honneur est
respectable, surtout quand il est vaincu. Les nobles de Philippe
le Bel eurent le tort de se tromper d'époque et de se croire
encore au beau temps de la chevalerie, où les chevaliers com-
battaient les chevaliers, et où les batailles n'étaient que de
grands tournois. Ils avaient dans les Flamands des ennemis
' Geoffroy de Paris, Chronique métrique , p. 46 et 47.
- Guillaume Guiart, Branche des roijaux lignages , t. II, p. 237. Ce der-
nier chroniqueur prit part à la bataille.
Parmi les piélons se flalissent
Qu'à force de desiriers cntreuveiit
Et merveilleus «ombre en estreignent.
24.
372 LA FRA\CE SOUS jPHILIPPE LE BEL.
qui à la haine du roturier contre le noble joignaient un sen-
timent nouveau, le patriotisme, et puisaient une force surna-
turelle dans le désir d'échapper au jou<[ dont on les menaçait.
En 1314, le roi fit proclamer que toutes manii'res de gens
nobles et non nobles fussent en armes et en chevaux, chacun
selon son état, à Arras, le jour de Notre-Dame de septembre,
pour aller en l'ost de Flandre. Les nobles et roturiers purent
se racheter'. En Champagne, ceux qui possédaient au moins
mille livres payèrent le cinquantième de leurs biens'.
Avec le produit des rachats, le roi payait des soudoyers. Les
nobles recevaient une solde proportionnée à leur «jualité.
En 1294, Henri de Luxembourg, comte de la Koclie , s'en-
gagea à fournir deux cents armures de fer (hommes d'armes
cuirassés) aux gages accoutumés, c'est-à-dire vingt sous pour
les bannerets, dix sous pour les simples chevaliers et cinq sous
pour les écuyers '. Une ordonnance de la même époque assigne
le même tarif aux services des nobles qui prirent part à la
guerre de Guienne *. Les chevaliers soudoyés formaient de
petites compagnies, ayant à leur tête un capitaine qui traitait
avec le roi ^ : c'était souvent le seigneur avec ses vassaux.
Outre leurs gages, on leur payait la valeur des chevaux qu'ils
perdaient; leur solde était ordinairement payée par trimestre *'.
Les églises devaient, comme sous les Carlovingiens, envoyer
à l'armée des chariots et des chevaux , et en outre un certain
nombre de sergents proportionné à l'étendue de leurs domaines.
Le service personnel était même exigé de certains prélats. En
1304, l'abbé de la Noë reçut l'ordre de rejoindre le roi à
1 Instruction secrète. Arcli. de l'Emp., P. 2289, fol. 164. Xotices et
extraits , n** xli.
- Historiens de France, t. X\I , p. 567. Compte tic rcccKes.
"^ Or. Trésor des chartes, .1. 608, n" 6. Voyez aussi les '{ajies des cheva-
liers pendant la <;ucrrc de (îascogne, en 1296. Compotus thesaurariorum
Ltiparœ, apud Larroque, Traité du ban, p. 94.
4 Ord..\. XI.
5 Voyez quittance de V'igncmont , 1298 , — et d'Adam de Gardenoy.
K. 37, n» 5.
*5 a Cornes de .Foygni, Joliannes, pro se lx° armatorum, w' iib. pro tercio
quarto, per annum W^ Iib. — G. de Rupe, miles, pro se x", pro codcm
termino, 335 Iib., etc. » Journal du trésor, fol. 104.
LIVRE DOrzn'aiE. — ORGAMSATIOX militaire. 373
l'armée, ainsi que ses prédécesseurs l'ax^aient fait jusqu'alors '.
Alais la plupart des évèques et des abbés avaient été à diffé-
rentes époques déchargés de cette obligation contraire aux lois
de l'Eglise.
Les mouvements de troupes ne se faisaient pas sans causer
de grands désordres dans le royaume : les soudoyers, en ren-
trant dans leurs foyers, pillaient tout sur leur passage et atten-
taient même à la vie des personnes : on vit la milice commu-
nale de Castelnaudary , revenant de la guerre de Flandre,
mettre le feu à la ville de Gaillac et ravager les campagnes
d'alentour". Des malfaiteurs saisissaient ce prétexte dans l'es-
poir d'assurer l'impunité à leurs méfaits ; mais le roi donna
les ordres les plus sévères pour qu'on les châtiât sévèrement ^
En 1312, on fit un exemple terrible près de Bourges; on en
pendit plus de cinq cents. Geoffroi de Paris prétend qu'il y
avait de la fa-ute du roi *. En effet, on faisait de grandes levées ;
chacun dépensait une partie de son avoir pour s'armer et s'en-
tretenir : à peine l'armée était-elle réunie, qu'on la licenciait
sans combattre, remettant la campagne à une autre année, ou
bien l'on concluait une trêve, Philippe le Bel étant dans l'ha-
bitude de ne livrer bataille qu'après avoir épuisé la voie des
négociations. Le même chroniqueur reproche au roi de mal
payer ses troupes.
Toutes poursuites, soit au civil, soit au criminel, étaient
suspendues contre ceux qui étaient à l'armée ^
Une des grandes préoccupations du gouvernement était
l'alimentation des armées en campagne : on exemptait de tous
péages les denrées qui avaient cette destination. On donnait
' Reg. XXXV du Trésor des chartes , n° lxi.
2 Olim. t. III, p. 314.
3 » Intellecto quod quidam pretextu paupcrtatis cui subjacent et quidam
alii de nostro Flandrcnsi excrcitu recedcre se fmgcntes , dum per loca et dis-
trictus tue prepositure transcunt, plura dampna, execssus et gravamina intu-
Icrunt et infcrunt nonnullis et... furta, rapine, homicidia et alia delicta
plurima de die in diem perpretantur, mandamus tibi. n Alercredi après la
Toussaint 1303. Reg. XXXVI du Trésor des chartes, n» cli.
'* Chronique métrique , p. 175 et 176.
' Mandement en faveur de Bernard de la Voîite , 13 octobre 1304. K. 37,
no 29.
374 LA FM\CE SOLS PHILIPPE LE BEL.
toutes facilités aux marchands qui apportaient des vivres aux
troupes '. Le gouvcrnonicnt liii-mèuio ordonnait aux baillis de
faire de grands approvisionnements dans leurs provinces, en
blé, lard, bœufs, moutons et fourrages".
A la tête de l'armée étaient le connétable et les maréchaux
de France, au nombre de deux. Sous leurs ordres étaient des
capitaines préposés à des compagnies plus ou moins nom-
breuses. L'infanterie était sous les ordres du grand maître des
arbalétriers. Les pays de frontières étaient soumis à l'autorité
de commandants généraux jouissant d'une autorité presque
absolue. L'art de disposer des troupes pour arrêter l'ennemi
et prévenir des surprises n'était pas autant dans l'enfance qu'on
pourrait le supposer : voici les mesures qui furent prises pour
mettre le royaume à l'abri des attaques des Anglais et envahir
la Guienne , telles qu'elles sont indiquées par un document
officiel contemporain.
En 121)3, on envoya sous la conduite de Simon de Melun ,
maréchal de France , et de Jean de Burlas , grand maître
des arbalétriers , une armée pour garder les frontières de la
Guienne. L'année suivante une grande armée fut dirigée sur
les provinces méridionales, sous la conduite du connétable,
mais ce fut en 1295 que la guerre prit de grandes proportions.
Une grande armée, sous les ordres du comte de Valois, frère
du roi , envahit la Guienne. En même temps d'autres corps
d'armée furent échelonnés le long des frontières du Nord
menacées par le roi d'Angleterre et ses alliés. Tout le littoral
de la Manche fut gardé et mis à l'abri d'une descente. On
comptait six corps d'armée : l'un k Calais et à Boulogne, sous
les ordres du comte d'Antin; un autre à Abbeville, sous la
1 a Xoiis volons que .lehans , dit Hugucdicu , bourgois d'Arraz , puist
porter, coiuluirc et mener ou faire porter, conduire et mener... seurement,
sans fraude, vins, blcz, avaines et toutes manières d'autres vivres en nostre
est de Flandre, sans paicr coustumes, paages ne redevances autres de quel
condition que il soient, en laissant as passaiges, es quels les coustumes ou les
pauges sont deu , gaiges de raporter certaines ensaigncs du conncslable ou
d'un des maricliauz dudit ost, etc. n Dimanche après la Madeleine 1303.
Reg. XXXVI du Trésor des chartes, n° clxi.
^ Voyez les mandements aux baillis pour faire des provisions de blé, vin,
lard, huile, porcs, etc. Notices et extraits, n° xxii (en 1304).
LIVRE DOLZIÏaiE. — ORGAXISATIOX ilILITAIRE. 375
coiuluile du comte d'Aiinialo. Le sire d'Harcourt et Jean de
Roiivoy commandaient les troupes de Xorniandie; Fouque de
.Melle et Hugues de Thouars défendaient la Rochelle et les
environs. Le sire de Chàtillon protégeait, avec une armée, la
Champagne contre une invasion venant d'Allemagne '.
Les chefs de corps recevaient pleins pouvoirs pour traiter
avec les nobles et les roturiers, et les engager au service du
roi. Des pensions sur le trésor étaient la récompense des ser-
vices distingués '.
Au Louvre était le grand arsenal. L'artillerie du roi y était
déposée : on y fabriquait aussi les engins de guerre ^.
Certaines mesures étaient la conséquence delà guerre. Tous
les étrangers appartenant à la nation ennemie qui se trouvaient
sur le territoire français lors de l'ouverture des hostilités,
nobles, clercs ou marchands, étaient arrêtés et leurs biens
saisis V Tel était le droit public : les Français éprouvaient le
même traitement de la part des ennemis °. Les Français con-
vaincus d'avoir quitté le royaume étaient punis par la confisca-
tion de leurs biens, car, disait le roi, il est raisonnable que
celui qui abandonne sa patrie et refuse de contribuer aux
charges communes soit exclu des fruits de la justice. Ceux
mêmes qu'on surprenait en route pour émigrer étaient mis
hors la protection du roi °.
Ln grand nombre de seigneurs dont les biens étaient situés
en Flandre ou dans les provinces envahies par l'ennemi furent
1 AIcmoire anonyme. Notices et extraits, n" m, d'après l'original. Trésor
des cliartes , J. 654, n" 16.
- tt Le roi établit Gaucher de Châtillou, connétable; Béraud de Mcrcœur,
Jacques, sire de Béon, et Mile de Noyers, maréchal de France, pour traiter
à toutes manières de personnes à qui nous sommes tenuz pour leur gages
acquis es cstablics, et donne leur nosfrc pooir de faire asscncnicnz en nos
rentes et domaines. -. 20 août 1303. Rcg. XXXVI du Trésor des diarles ,
n» cvii.
•' Journal du trésor, passim. — Comptes de 1299 et de 1305.
^ Mandement du roi, dans Mesnard, Histoire de Xismes , t. I, preuves,
p. 4, 133 (28 septembre 1294).
5 Biens d'Anglais conBsqués en France, et réciproquement. Olitn., t. III,
p. 36.
c Ordonnance du vendredi avant la Saint-Paul 1302. Bibl. imp., n" 8409,
fol. 85 v°.
376 LA FRA.VCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
riiiiK'S. liC roi lour accorda une iiulcnniilc, consislant dans la
nioitic du revenu qu'ils avaient perdu pour les chevaliers, et
le tiers pour les autres nobles. Qucl(|ues bourgeois furent
admis à jouir du bénéfice de ces indemnités, (|ui devaient être
prélevées sur le produit des prises et des confiscations des biens
des Flamands : en attendant , elles étalent assignées sur le
trésor". Elles furent supprimées à la paix, car alors chacun,
en vertu des traités, rentra dans ses biens".
Il me reste à dire quelques mots de la manière de faire la
guerre sur mer. Le poëte Guillaume Guiart, dans un récit
d'une expédition dirigée en 1304 contre Ziericsée, donne de
précieux détails sur la marine militaire au commencement du
quatorzième siècle : à cette époque, la flotte de Philippe le Bel
qui agit contre la Hollande se composait de trente-huit nefs
ou gros vaisseaux , et de onze galères, placées sous les ordres
de Renier Grimaldi, qui portait le titre d'amiral.. Des trente-
huit vaisseaux, huit étaient espagnols : les autres apparte-
naient au port de Calais et aux ports de \ormandie. Les nefs
étaient crénelées et munies de châteaux à l'avant et à l'arrière.
La flotte portait dix mille sergents. Les galères de l'amiral
étaient à l'arrière-garde. Dans les châteaux des nefs se trou-
vaient des arbalétriers qui lançaient de grosses pierres. Legrand
d'Aussy, qui a fait un intéressant commentaire sur le récit de
Guillaume Guiart, prétend qu'il n'y avait pas de marine per-
manente; ([ue le roi s'entendait avec des armateurs français et
étrangers , qui armaient en guerre des bâtiments marchands.
Ce savant suppose pourtant que Philippe le 15el possédait quel-
ques vaisseaux ^ Cette opinion est trop absolue: des documents
inédits permettent d'affirmer (|ue l'Ktat avait une marine. On
en trouve la preuve dans un mémoire qui fut adressé en 12U6
au roi par ^( Beneet Zacharie, amiraux généraux du très-excel-
lentissime roy de France *» . Il était question de faire une des-
1 Lettres on f\ucnr de Foulques, bourgeois deGand, août 1302. Or. J. 1021.
2 Ord., f. I, p. 36.
3 Mémoires de l'Institut national ; Sciences morales, t. II, p. ÔO.
4 II est (Hiestion de ce Renoît Zacharie dans le Journal du trésor, 18 mai
129S, avec le titre de admirahhis narium, loi. 68 r». — C'était un Génois.
Voyez Ducangc, Histoire de Constandnople.
LIVRK DOIZIKMK. — OHGAXISATIOX MILITAIRK. 377
ccnte en Angleterre : Zacliarie, consnlté sur les voies et moyens
propres à assurer le succès de cette entreprise , proposa son
plan : il résulte de ce document, qui renferme les plus curieux
détails sur la tactique, que Philippe le Bel avait à lui apparte-
nant treize lissiers (vaisseaux munis de portes pour l'embar-
quement des chevaux), dont sept à Rouen, cinq à La Rochelle
et à La Réole, et un à Calais. Zacharie en possédait deux : il
proposait d'en porter le nombre à vingt et un en achetant
ti un grant ussier de marchands i; , et en prenant « quatre des
plus grandes galères du roy, hauts et larges, et ouvrant les
parderrière à guise d'ussiers " .
Chaque huissier pouvait contenir vingt chevaliers et leurs
chevaux, en tout quatre cents ; plus, quatre cents hommes de
pied. Le convoi devait être accompagné de quatre galères,
dont deux en sentinelles et deux pour transporter les vivres.
Zacharie évaluait ce qu'une pareille expédition pouvait coûter :
« Le premier coust est les gages as marins qui servent ,
environ 4,800 marins en 2A ussiers et galies et en 22 batiaus,
que nous ferons conte que cousteront le mois l'un par l'autre
40 sous par mois; et bien que nous les porrions avoir por
35 sous, mes nous leur entendons à donner tant par ii résons :
l'une est que nous les armerons de meilleur gent, et l'autre
est que nous n'entendons à donner à patrons, ne à nochers,
ne à autres marins pour leur vivre tant seulement pain et egue
(eau), fèves et pois.
» Cist coust monte le mois, 9G00 livres tournois : somme
pour 3 mois 38,400 livres. •-■>
« Le secons coust est des choses à vivre , et nous feurons
compte que li pain, les fèves et li pois cousteront pour la sou-
fisance de un homme, par un mois 15 sous tournois. •)
« Li tiers coust est les armeures 3,000 livres.
» Le quart coust est li apparel et les choses besogneuses as
ussier et a galies, si comme sont abres, anthenes, gnuvernaux,
voiles, cordes, remes (rames), 5,000 livres. Somme toute
63,800 livres tournois', i)
Différents comptes inédits font connaître en quoi consistaient
1 Or. Trésor des chartes, J. 456, n" 36^. Voyez le texte de ce mémoire
dans nos Notices et extraits.
378 LA FRANCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
l'équipcmont et rarnionient dos navires; mais je ne puis ici
entrer dans ces délails par hop teclnrupies , et qui ont plus de
rapport avec Tliistoire de Tari militaire (|u'avec celle des insti-
tutions '.
Un des principaux ports militaires était celui d'Harfleur, que
Philippe le Bel avait acheté en 121)3 au comte de (iueldre ^
11 y avait aussi en temps de paix des flottilles destinées à
protéger le commerce et qui étaient entretenues aux frais des
marchands.
Les commandants de ilotte s'étaient appelés amiraux : cepen-
dant il y eut dès celte époque des amiraux en titre d'office ^
En résumé, sous Philippe le Bel, au service personnel on
substitua l'impôt, ce qui constituait un grand pas vers la civi-
lisation, car tout le monde y gagnait : les roturiers pouvaient
se livrer en sécurité au commerce, à l'industrie ou bien à la
culture des champs; le gouvernement, car les levées géné-
rales entraînaient toujours de grands désordres, les multi-
tudes il peine armées et inhabiles étant un embarras; tandis
qu'au moyen de la prestation d'un impôt, le roi était en
état de solder une armée de nobles, qui par leur condition
étaient exercés au métier des armes, et de roturiers de bonne
volonté tirés des milices communales, enfin d'étrangers. La
difficulté ne fut pas de trouver de l'argent , mais de l'em-
ployer efficacement à organiser une bonne armée de merce-
naires. Philippe le Bel ne réussit pas dans ces premières ten-
tatives ; mais cela ne doit pas surprendre. C'était une tâche
difficile que celle d'improviser de nombreuses armées avec les
ressources insuffisantes qu'offraient le service féodal et les
milices communales; mais Philippe s'assura, pour faire face
aux périls imminents, aux menaces d'invasion, une ressource
nouvelle , en ressuscitant sous le nom d'arrière-ban les levées
en masse et en proclamant le devoir de tout Français de porter
les armes pour la défense de la patrie.
1 Voyez le roiilpiiu inlitulé : a C'est le enmpte de Gyrart le Ballelier pour
l'armée île la mer, l'an de grâce 1295. r Areli. de l'Emp., K. 3(5, ii" 23. —
Traité passé en 1294 avec Pierre Delamar. Trésor des chartes, J. 385,
n° 12, etc. Je me reserve de fiiire un travail spécial sur cet objet important.
■- Bibl. imp., or. Chartes Colbert , Philippe le Bel, n"6.
■^ Renier de Grimaldi , en 1207. Reg. XLI\ ilu Trésor des chartes, n« 39.
LIVRE TREIZIEME.
POLITIOIE ÉTRANGÈRE.
CHAPITRE PREMIER.
GUERRE d'aRAGON.
(1285-1295).
Développement de la diplomatie au treizième siècle. — Charles de Valois
nommé roi d'Aragon par le pape Martin IV. — Guerre. — Le roi
Edouard I*^"" d'Angleterre interpose ses bons offices. — Sa partialité pour
l' Aragon. — Alliance de Philippe le Bel avec Sanche, roi de Castille. —
Traité de Tarascon , 1290. — Paix définitive. — Difficultés à cause de la
vallée d'Arran.
La dernière moitié du treizième siècle vit jeter les premiers
fondements du droit public européen : les relations entre les
différents royaumes chrétiens, devenues de plus en plus fré-
quentes par suite des progrès de la civilisation et de l'essor du
commerce, furent soumises à des règles communes : il se forma
dès lors une sorte d'équilibre entre les grandes puissances qui
se partageaient l'empire du monde. Chacun prétendit empêcher
l'extension territoriale de ses voisins , tout en cherchant à
s'agrandir soi-même. Deux principales nations, la France et
l'Angleterre, se surveillaient d'un œil jaloux, redoutant l'une
et l'autre l'accroissement de sa rivale. La force des armes
n'était pas le seul argument auquel on eût recours pour étendre
sa puissance et limiter celle d'autrui : la diplomatie, science
nouvelle, mais portée déjà à un haut degré de perfection,
jouait un rôle important; elle préparait d'utiles alliances, éta-
blissait des liens de famille, excitait des antipathies de race,
semait l'or à propos et faisait naître de redoutables coalitions.
Le règne de Philippe le Bel est remarquable par de nom-
breuses négociations, qui eurent pour but soit de prévenir des
guerres, soit d'y mettre un terme, soit enfin de procurer des
380 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
accroissoments do territoire. Je crois que rcxposé sommaire
des relations de ce roi avec les puissances étrangères offrira
quelque intérêt.
Philippe le Hardi avait lègue à son fds la guerre contre
l'Aragon, entreprise à la sollicitation du saint-siège. On sait
comment la tyrannie de Charles d'Anjou en Sicile avait amené
les Vêpres siciliennes : don Pèdre , roi d'Aragon, avait été
choisi pour roi par les Siciliens. Le pape Martin IV' l'excom-
munia, prêcha une croisade contre lui, et donna la couronne
d'Aragon à Charles de Valois, second fils du roi de France.
Philippe le Hardi, soutenu par les décimes ecclésiastiques,
envahit l'Aragon avec une forte armée ; mais il rencontra les
plus grandes difficultés dans un pays dont les habitants étaient
restés fidèles à leur roi. Il prit pourtant Girone après un
long siège; mais, forcé de repasser précipitamment les Pyré-
nées, il tomba malade de la fièvre et mourut à Perpignan
(5 octobre 1285). Don Pèdre ne lui survécut que de quelques
jours : il eut pour successeur en Aragon son fils Alfonse, et en
Sicile don Jaymc. Le prince de Salerne, héritier de Charles
d'Anjou, était prisonnier.
Le nouveau roi de France avait des intérêts plus pressants
que de conquérir une couronne à son frère : il se hâta d'aban-
donner l'armée. Les hostilités continuèrent, mais avec moins
d'activité , sous la direction du roi de Majorque , allié des
Français.
C'était ordinairement le saint-siège qui, lorsqu'une guerre
éclatait, cherchait à mettre un terme aux hostilités et proposait
son intervention. Dans le cas présent, le pape était le promo-
teur de la guerre; mais les droits de l'humanité ne restèrent
pas sans défenseurs. Les fils du prince de Salerne avaient écrit
une lettre touchante au roi d'Angleterre, Edouard I", pour le
supplier de faire mettre en liberté leur père, son proche parent
et son ami d'enfance'. Les barons de Provence s'étaient asso-
ciés à cette démarche, qui fut bien accueillie*. Le roi d'Aragon
se déclara prêt à des concessions ^ Edouard vint en France,
1 Rymcr, Fœdera, t. I, p. GO'»- (12 mai 1286).
2 Rymer, Fœdera, t. I, p. 664.
3 Rymer, Fœdera, t. I, p. 665 (3 mai 1286).
LIVRE TfiEIZIKMi:. — POLITIQUE ETRAXGÈRE. 381
eut une entrevue avec Philippe le liel et lui offrit sa médiation,
qui fut acceptée ' ; une trêve fut conclue % sauf l'approbation
du pape % et rendue exécutoire immédiatenient *. Le pape ap-
prouva la conduite d'Edouard, tout en lui recommandant de
ne pas sacrifier les intérêts du roi de France et du prince de
Salerne, devenu roi de Naples par la mort de son père % et
dont la délivrance était l'objet principal des négociations.
Edouard ne se montra pas entièrement désintéressé : il
voulut à la fois faire mettre en liberté son ami et se faire un
allié du roi d'Aragon. Il envoya le sire de Grailly proposer à
don Alfonse la main d'une de ses filles, et une alliance in-
time avec l'Angleterre. Il lui promit ses bons offices auprès du
pape, du roi de France et du roi de Naples". Alfonse accepta
avec joie : il eut une entrevue avec Edouard à Oleron ; le ma-
riage fut conclu , et la liberté de Charles d'Anjou accordée
moyennant le payement de cent mille marcs d'argent. Charles
devait jurer sur sa parole de roi qu'avant trois ans il établirait
la paix entre l'Eglise romaine et l'Aragon, et laisser pour otage
ses trois fils aînés et vingt jeunes seigneurs \ Il fut mis en
liberté à la fin de l'année suivante. Le pape déclara que ces
conditions ne lui plaisaient pas; Philippe le Bel, de son côté,
se plaignait d'infractions à la trêve, et suscitait toutes sortes
d'embarras à don Alfonse. Il alla même jusqu'à se réconcilier
avec le roi de Castille, don Sanche % qui avait enlevé la cou-
ronne aux infants de Lacerda, fils de son frère aîné Ferdinand,
et de Blanche, fille de saint Louis ; mais le roi d'Aragon avait
à son tour embrassé la cause des infants, leur avait donné des
troupes et avait avec eux envahi la Castille ". Le roi d'Angle-
terre, qui jouait le beau rôle et qui avait à cœur le maintien de
1 Rymcr, Fœdera, t. I, p. 667 (12 juillet 1286).
2 Rymer, Fœdera, t. I, p. 669 et 670 (25 juillet).
3 Rymer, Fœdera, t. I, p. 670.
* Rymer, Fœdera, t. I, p. 670.
^ Rymer, Fœdera, t. I, p. 674 (l"^"" mars 1287).
6 Chronique de Muntauer, t. II, p. 33.
" Rymer, p. 677 (27 juillet 1287). Muntaner est très-exact, t. II, p. 41.
s Or. du traite, Trésor des chartes, J. 600, n" 20 (en 1288).
9 Muntaner, t. II, p. 24. Cet auteur place mal l'expédition des infants de
Lacerda, avant le traité d'Oleron.
382 LA FRAXCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
la paix, intervint de nouveau et convoqua à Perpignan, en 1200,
(les conférences où les ambassadeurs de Philippe et d'Alfonse
exposèrent leurs griefs'. Il fit plus, il amena en 1291 à Ta-
rascon la réunion d'un grand congrès, au(piel prirent part le
saint-siége, T Angleterre, \aples, l'Aragon, la France, (Charles
de Valois, prétendant au trône d'Aragon. Les Aragonais y
furent représentés par les députés des cortès, qui abandonnè-
rent solennellement le roi de Sicile don Jayme. La paix fut
signée*. Charles d'Anjou renonça à l'Aragon, et reçut l'Anjou
et le Maine, qui lui furent donnés par le roi de Xaples ^ Un
événement imprévu vint compromettre cet heureux résultat si
péniblement obtenu^ : Allonse mourut, et fut remplacé par
son frère Jayme, le même que le traité de Tarascon sacrifiait,
et qui réunissait les deux couronnes d'Aragon et de Sicile \
Ce ne fut que quatre ans après, en 1205, que les efforts de
Nicolas IV et de Boniface VIII amenèrent une paix définitive'*.
Charles de Valois renonça, non sans peine, à ses prétentions
sur l'Aragon, et don Jayme à la Sicile '. Une seule difficulté
restait au sujet de la vallée dArran, que Philippe le Bel pré-
tendait lui appartenir^. Les deux rois convinrent de mettre
l'objet du litige en séquestre entre les mains du roi de Majorque,
puis entre celles du pape '\ jusqu'à ce qu'une enquête contra-
dictoire eût fait connaître quel en était le propriétaire avant la
guerre. Les ciioses traînèrent en longueur, car, en 1308, Phi-
lippe désigna plusieurs commissaires pour se rendre sur les
• Rymor, t. II, p. 726 (18 février 1291).
2 Muntancr, t. II, p. 57. Les flépiités étaient au nombre de douze : deux
riches hommes, quatre clievaliers, deux liommcs de loi, deux citoyens et
deux bourgeois.
3 Rymer, t. II, p. 744 (9 février 1291).
'^ Cliarics de Valois reprit ses droits : voyez les pouvoirs (pi'il donna
en 1292 i\ Eusfaclic de Conflans pour recevoir riionimagc de ses villes
d'Aragon. Or. Trésor des chartes , J. 587, n° 17.
^ Fin 1293, Charles promit de s'en rapporter à la décision du pape. Or.
J. 587, n° 18.
c Traité. J. 589, n" 10.
' Or. de la renonciation de Charles de Valois. J. 587, n° 19.
8 Lettre de Boniface VIII. .1. 715, n" 22.
^ Baluze, Vita j}aparum , t. Il, p. 37.
LIVRE TREiZIÈAIE. — POLITIQUE ÊTRAXGÈRE 383
lieux et procédera rcnqiiête ordonnée par le traité '. Quand il
mourut, la question n'était pas encore réglée^.
Cette longue guerre d'Aragon n'avait donc eu d'autre résultat
pour la France que de lui coûter de grands sacrifices. Philippe
paraît avoir eu un instant la pensée de revendiquer le Rous-
sillon et la Cerdagne; mais il dut renoncer à ce projet, dont
l'exécution demandait à être précédée de victoires plus signa-
lées que celles qui avaient marqué l'expédition commencée
par Philippe le Hardi contre T Aragon '. Les conquêtes à main
armée n'étaient pas son fait: ce qu'il voulait surtout, c'était
donner à la France ses frontières naturelles, et les négociations
étaient à ses yeux le moyen le plus sûr pour arriver à ce but.
CHAPITRE DEUXIEME.
GUERRE DE VALENCIENNES.
Histoire rapide des variations dos frontières du royaume de France dn côté
de l'Empire. — Le Hainaut et l'Ostrcvcnt. — Insurrection des habitants
de Valcncicnncs contre le Hainaut. — Ils se prétendent Français. — Ils
adressent un mémoire au roi pour le prouver. — Philippe les soutient
contre l'Empereur. — Le comte de Hainaut contraint de céder. — L'Ostrevent
déclaré français.
Le point de départ de la géographie politique du monde
moderne est dans le traité de Verdun (843), qui consacra le
démembrement de l'empire de Charlemagne. Alors les diffé-
rents peuples que ce grand génie avait voulu faire vivre d'une
vie commune, revendiquèrent leur liberté et leur individualité.
Les races italienne, gallo-franque et teutonique se séparèrent
violemment pour avoir leur existence à part : chacun des fils
de Louis le Débonnaire se mit à la tète d'une nationalité. Louis
eut l'Allemagne, Charles le Chauve la France, Lothaire l'Italie
1 Lettres patentes. Trésor des chartes, Reg. XLII, n" ex.
2 Voyez au Trésor des chartes, J. 588, n» 29, une liasse relative à cet
objet.
■^ Voyez un mémoire pour prouver que la Cerdagne et le Roussillou appar-
tenaient à la France. Trésor des chartes , J. 594, n" 22.
384 LA FRAXCE SOLS PHILIPPi: LE BEL.
et une largo bande de terrain entre les royaumes de ses deux
auties frères. Le royaume de Charles le Chauve fut borné au
nord par la Alanche, à l'ouest par l'Océan, au sud par les
Pyrénées et par le cours inférieur de l'Kbre, à l'est par l'Es-
caut, la Aleuse, la Saône et le Hhone '. Telle fut l'origine du
royaume de France , dont les frontières étaient encore , lorsque
Philippe le Bel monta sur le trône, à peu près les mêmes que
quatre siècles et demi auparavant. Du côté de l'Espagne, le
comté de Barcelone, au delà des Pyrénées; et en deçà, le
Roussillon, la Cerdagne, le Lampourdan et le comté de Vie,
qui n'étant rattachés par aucun lien à la France , furent
incorporés, au douzième siècle, au royaume d'Aragon, dont
ils étaient voisins'. Saint Louis renonça solennellement à ses
droits sur ces provinces^.
Après plusieurs partages successifs, le royaume de Lothaire
avait fini par être réuni, ainsi que la dignité impériale, au
royaume de Germanie : cette union était consommée lors de
l'avènement de la dynastie capétienne. Philippe le Bel eut pour
préoccupation constante de reculer les limites de son royaume
et de les porter jusqu'au Rhin ; ce désir fut un des mobiles de
sa politique extérieure; il mit tout en œuvre pour le réaliser,
et s'il n'y réussit pas entièrement, il put s'applaudir d'avoir
frayé le chemin et préparé l'extension future de la France.
A l'orient, les limites du royaume étaient des fleuves; mais
cette délimitation, toute rigoureuse qu'elle paraisse, donna
naissance à plusieurs contestations entre la France et l'Empire,
car il arrivait souvent que le territoire d'une ville située sur la
frontière s'étendait des deux côtés du fleuve qui séparait les
deux Etats. C'est ce qui arriva pour Yalenciennes, ville assise
sur l'Escaut et dont les deux parties sont unies par des ponts :
l'une de ces parties était du royaume de France, l'autre dépen-
dait de l'Empire. La partie du royaume de Lothaire située à
' Xitliard, Diichcsne, t. III, p. 374. Conf. Duniy, Géographie politique
de la Fra/ire, p. 127 et suiv.
- En 1137, par le mariage de Raimond Bérenger, comte de Barcelone,
avec dona Lrraca : Marca, Marca hispanica ; Instrum., p. 1284.
3 En 1258. Ibid., p. 1444. Vaissète, Histoire générale du Languedoc,
t. IV, preuves, col. 47.
LIVRE TREIZIÈME. — POLITIQUE ÉTRAXGÈRE. 385
droite de l'Escaut, était, il est vrai, retournée, après la mort
de Lofliaire, à Charles le Chauve, et avait passé ensuite à
Charles le Simple; mais cehii-ci l'avait cédée, en 921, à Henri
l'Oiseleur, et, en 980, le dernier carloving.ien, Lothaire, en
avait fait un ahandon solennel à Otiion'. Cette renonciation
n'avait pas été regardée comme valable par les premiers Capé-
tiens. Robert eut même l'intenlion de profiter de la mort de
Henri II pour étendre sa domination au delà de l'Escaut ; mais
la reconnaissance par les Lorrains de Conrad le Salique comme
empereur lui ùta tout espoir, et le fit renoncer à ce projet,
qu'il n'avait point la force d'exécuter". L'Iiscaut resta la limite
du royaume. Valenciennes était située dans l'Ostrevent, pro-
vince du Hainaut qui appartenait aux comtes de Flandre, et
pour laquelle ils faisaient liommage au roi de France. Au trei-
zième siècle, le Hainaut fut donné à l'un des fils de la comtesse
Marguerite et de Boucliard d'Avcsnes , nommé Jean, qui ne
vécut pas assez pour en jouir. Son fils Jean II rendit eu 1295
hommage à Philippe le Hardi pour l'Ostrevent ^ ; mais il refusa
de le prêter à Philippe le Bel. En 1289, il ne l'avait pas encore
fait, malgré des sommations réitérées* ; enfin, en 1290, il céda,
et reconnut tenir l'Ostrevent en baronnie ^ Peu de temps
après (1291), il eut des démêlés avec les habitants de Valen-
ciennes, qui lui fermèrent leurs portes et ravagèrent ses fiefs*.
Il fut obligé de leur accorder des franchises; mais il porta
plainte à l'empereur Rodolphe de Habsbourg, qui cassa la
charte obtenue par les Valcnciennois, et les menaça d'un châ-
timent tel que la mort serait pour eux une consolation et la
vie un supplice ~' . Jean d'Avesnes marcha contre la ville rebelle;
1 Ipcrii chron., dans Martène, Thésaurus , t. III, p. 5V4.
2 Chron. Balderici , étlit. Leglaj, p. 312. Diipiiy, Droits du roy, p. 574.
— Bonamy, Travail manuscrit sur le registre XXII du Trésor des chartes ,
Arcli. imp., JJ. 292.
3 Martène, Thésaurus anecdotorum , t. I, p. 1235. Déjà en 1286 Philippe
le Bel avait dû intervenir auprès du comte de Hainaut et lui interdire de
molester l'abbaye d'Anchin. Rcg. XXXIV du Trésor des chartes, n" 34.
* Martène, Thésaurus anecdotorum , t. I, p. 1243.
^ Or. Trésor des chartes, J. 519, n° 1. Labbe, Mélanges, p. 604.
fi Martène, t. I, p. 1240. Or. Trésor des chartes, J. 794.
' 21 juillet 1292. .Martène, p. 1241.
25
386 LA FRANCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
les habitants envoyèient deux pairs de Jour cité au j'oi de
France pour lui demander protection. Les deux envoyés étaient
porteurs d'un mémoire destiné à prouver que Valenciennes
était une ville française ; à ce mémoire étaient jointes, à titre
de pièces justificatives , des copies de chartes mérovingiennes
et carlovingiennes, tirées des archives des abbayes de Saint-
Denis d'Anchin et de Maroilles : le texte de ces chartes était
accompagné d'une traduction française. Ce factum , curieux
spécimen de l'érudition du moyen âge appliquée à la politique,
fut mis sous les yeux du roi avec prière de le lire et d'en
donner communication à son conseil'. Philippe accepta avec
joie cette proposition, qui lui permettait de s'agrandir et de
déplaire au nouvel empereur, Adolphe de \assau, qu'il détes-
tait (1292). Il somma le comte de Hainaut de cesser d'opprimer
ses sujets et les églises, qui avaient souffert au milieu de la
* L'original existe au Trésor des chartes , Reg. XXI. Je transcris le préam-
bule de ce uiémoirc :
« Très-gentiex sire rois très-puissans , pour aviser Votre Majesté et rostre
sage et léal conseil sur les transcris que les bonnes gens de Valenchiannes
ont mis par deviers vous, à celle fin qu'ils sont et ont esté de trcs-anchien
temps , et lor ville de vostre royaume de Franche , en la meyiière qu'il si
sont avoés par devant vous , soupploieytt lesdites bonnes gens he la teneurs
des desus transcris soit diligaument regardée , si aparra ctèrement commant
vostre ancesseur roys de Franche donnèreiit et aumosnercnt aucunes choses
de leur propre héritage qu'il avaient à Valenchiannes et en pluisors villes
voiùnes ki sont outre Valenchiannes et environ de tous lès; et commant il
confermèrent comme roy aucuns dons et aumosnes assis à ces lius devant
dis, et commant Lothaire parle comme roys de Franche el commenche-
ment d'un desdis transcris , et dit , en la fin , que celle lettre fu données à
Valenchiannes , el palais royal. Et par la propriété de ches mos la fins est
entendue selonc le commenchcment ne n'esmueve gentiex rois vous, ne
vostre sage et léal consail che que aucun de vostre anchesseur roy de
Franche furent empereur, car, tant -par raison que par lor accoustumée
d'écrire il palloient ou royaume comme roy et en l'empire comme empereur.
Et comme cet enfournement soit pour le droit, l'ounor et le pour fit de
vostre royaume, pour Dieu, gentiex roys , aies pitié dou pays et des bonnes
gens qui ont souj/iert et souffrent chascun jour à grand peneujs , gries.
domages et outrageus des gens le conte de Haynnau, ez. qui molt d'autres
enfourmemens du droit et du pour fit de vostre royaume meissent avant,
s'il fuissent asseur. et les chartes de ches tratucris vous seront ensigncs
quaut vous jylaira vous et vostre sage et léal consail. »
LIVRE TREIZIEME. — POLITIQLE ÉTRAXGÈRE. 387
discorde. Jean d'Avesnes s'adressa à l'empereur, qui cita les
magistrats de Valeneiennes à comparaître devant lui dans le
mois '.
Cette petite affaire menaçait d'allumer la guerre entre la
France et l'Allemagne. Philippe était prêt à toutes les éventua-
lités. Après avoir fait reconnaître à Paris sa suzeraineté par
les députés de Valeneiennes, et avoir reçu d'eux la promesse
de rembourser ce que la revendication de leurs droits lui coû-
terait, il réunit à Saint-Ouenlin une puissante armée, sous les
ordres du comte de Valois'. Le comte de Hainaut, abandonné
par l'empereur et hors d'étal de résister, demanda merci. On
le mit à la tour de Wontlhéry, d'où il sortit peu après en don-
nant caution de se présenter devant le parlement quand il en
serait requise Le parlement rendit son arrêt le 15 février 1293,
et le condamna à payer quarante mille livres d'amende et à
envoyer son bailli prisonnier au Cliàtelet à Paris. Les vassaux
firent serment de l'abandonner, et d'aider le roi à le combattre
s'il venait à manquer à ses engagements*.
Les habitants de Valeneiennes durent rentrer sous l'obéis-
sance de leur comte, qui promit d'oublier le passé; mais, habi-
tués à l'indépendance et à la révolte et excités par leurs anciens
succès, ils refusèrent d'exécuter le traité. Ce fut le roi qui se
chargea de les faire rentrer dans le devoir : les meneurs furent
bannis et la tranquillité rétablie par cet acte de rigueur*. Va-
leneiennes était reconnue ville française ; mais ses habitants
l'oublièrent bien vite. Dès le milieu du quatorzième siècle,
rOstrevent fut mis par ses comtes sous l'hommage de l'Empire;
la France ne l'a recouvré que sous Louis XIV.
1 Martcnc, t. I, p. ]245 et 1253.
- Xanrjis, anno 1292.
^ Or. Trésor des chartes , J. 519, n"^ 5 et 7.
'^ Olim, t. II, p. 346. Trésor des chartes, J. 519, n" 4.
° Martène, col. 1284. Conf. Historiens de France, t. XXI, p. 11 et 133.
25.
38S LA FRANCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
CHAPITRE TUOISIiaiE.
GUERRE DE GASCOGNE.
Orijjinc de ccite guerre. — Philippe injnstemeiil accusé de mauvaise foi. —
Traité secret. — Causes de la guerre. — Politique anglaise. — Alliances de
Philippe le Bel. — Il corrompt les alliés d'Edouard. — Le comte de
Flandre convaincu de trahison.
Il est un fait attesté par riiisfoiro, c'est que les conquêtes
durables ne sont presque jamais le résultat de {grandes guerres
et de victoires signalées. Le règne de Philippe le Bel en est un
exemple frappant. Nous allons assister aux gigantesques efforts
qu'il fit pendant de longues années pour réunir au domaine
immédiat de la couronne la Guienne et la Flandre, qui recon-
naissaient sa suzeraineté.
L'expédition contre le Hainaut fut le prélude d'une guerre
entre la France et l'Angleterre, qui menaça de devenir géné-
rale par suite des nombreuses alliances contractées par ces
deux puissances. Les historiens anglais ont accusé Philippe le
IJel d'avoir forcé, par sa mauvaise loi, Edouard de prendre les
armes pour sauvegarder ses droits indignement violés : peut-
être Philippe n'est-il pas aussi coupable que le prétendent ces
historiens prévenus'. Rien dans sa conduite ne dénote une
hostilité systématique contre l'Angleterre; on peut même assu-
rer que la paix avec cette nation lui était nécessaire pour l'ac-
complissement de ses desseins, et il parait en avoir été con-
vaincu. En effet, il s'empressa de mettre fin à cette guerre
fatale qu'il n'avait pas cherchée, et cimenta son union avec
l'Angleterre par un double mariage. Edouard avait, comme
possesseur de la Guienne, de fréquents rapports avec Phi-
lippe : rapports de vassal à suzerain. Dès 128G, il s'était
empressé de venir prêter serment de fidélité au roi de France',
qui de son côté accomplit fort loyalement le traité d'Amiens,
par lequel saint Louis avait cédé aux Anglais la Saintonge,
• Lingard, Histoire d'Amjlcterre.
- Rymer, t. I, sub anno 1286.
LIVRE TREIZIKMi:. — POLITIQIE CTRAXGKIîE. 389
l'Aunis, l'Afïenais et les êvèchés de Périjpienx, de Limoges et
de Cahors'. L'intervention d'Kdouard dans les affaires d'Ara-
gon, et sa partialité pour Alphonse, jetèrent quelqne froideur
entre les deux rois". Le mécontentement s'accrut au point
qu'en 1:291 le pape Xicolas eut des craintes sérieuses pour le
maintien de la paix, et envoya des légats prêcher la concorde ^
II est peu prohable que Philippe ait songé à enlever la Guienne :
de son côté, Edouard ne pouvait espérer reconquérir la Nor-
mandie. Toutefois les mauvaises dispositions réciproques sub-
sistèrent, et un accident suffit pour faire naître la guerre.
Deux matelots, l'un Noimand, l'autre Anglais, s'étant pris de
querelle dans un port de France, l'Anglais, qui avait le des-
sous, tira son couteau et tua son adversaire : les amis de la
victime vengèrent sa mort. Ils prirent un marchand de iSayonne
et le pendirent avec un chien, au haut du mât de son vaisseau.
Les Anglais exercèrent de cruelles représailles; la mer vit
journellement des scènes de vengeance et de meurtre aux-
quelles les gouvernements de France et d'Angleterre étaient
étrangers. Des flottes furent équipées des deux cotés ; la guerre
s'organisa sur un{î vaste échelle. Lue flotte normande, après
avoir ravagé les cotes d'Angleterre, fut attaquée et détruite.
Les rivalités commerciales se mirent de la partie : des vais-
seaux hayonnais essayèrent de surprendre La Rochelle. Il était
temps de mettre un terme à ces violences privées qui dégéné-
raient en une véritable guerre. Philippe se plaignit au roi
d'Angleterre, et, comme les Aquitains s'étaient particulière-
ment fait remarquer par leur participation à ces désordres, il
le cita comme duc de Guienne devant le parlement *. Edouard,
qui avait des inquiétudes du côté de l'Ecosse et du pays de
Galles, ne se souciait pas d'avoir à soutenir sur le continent
une guerre qui ne pouvait être que stérile. Il envoya l'évêque
de Londres promettre en son nom de dédommager les Fran-
çais qui auraient souffert, demandant le même traitement de
1 Traité do Paris, anùt J28r). Or. Trésor des chartes , .1. 631, n" 1i2.
- Il faut y joindre une guerre entre le comte de Savoie et le Dauphin
Trésor des chartes , .1. 631 , n" 5.
•^ Rainaldi, Annales ecclesiastici sub anno !291.
4 OUm, t. II, p. 8.
390 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
la prut (lu roi de France pour les Anjjlais. Il proposa de s'en
rcmrtho à l'arbitrage du pape, " dont rol'fice êlait de main-
tenir la bonne harmonie entre les princes ' m.
L'évê(|ue de Londres fit place à un négociateur plus illustre,
à Edmond, frère du roi et mari de la reine lilanclie, belle-
mère de Philippe le Bel. Les historiens anglais font à ce pro-
pos un récit qui, s'il était admissible, attesterait à la fois
de la part de Philippe une perfidie profonde, et de la paît
d'Edouard une simplicité incroyable. La reine Jeanne, et la
reine Marie, veuve de Philippe le Hardi, furent choisies par
Philippe le Bel pour intermédiaires entre lui et le prince
anglais. Elles proposèrent de remettre à Philippe le duché de
Guicnne, qu'il ferait occuper pour la forme et qu'il s'engage-
rait à restituer quarante jours après. Ces conditions furent
acceptées. Un traité fut signé par les deux reines et par
Edouard; Philippe donna sa parole royale de l'exécuter*. Un
second traité stipula le mariage de la sœur du roi avec Edouard.
La Guienne devait être , donnée en fief à l'aîné des enfants
mâles qui seraient le fruit de cette union \ En conséquence,
la citation fut publiquement révoquée et la Guienne remise
aux agents du roi de France. Les historiens anglais racontent
qu'au lieu de restituer cette province, aux termes du traité
secret, Philippe le Bel la garda, et qu'Edouard fut réduit
à prendre les armes pour avoir raison de cette odieuse
trahison.
La conduite de Philippe ne saurait être trop sérieusement
flétrie, s'il avait aussi audacieusement manqué à sa parole;
mais s'il refusa d'exécuter le traité conclu par Edouard, c'est
que les Anglais avaient été les premiers à le violer. A Bor-
deaux, des marchands normands avaient été publiquement
assassinés en haine du loi de France. A Vilréal, on s'était
emparé d'un sergent du roi, et on lui avait coupé le poing. A
Fronsac, les agents du roi préposés au péage avaient été attirés
• VValsinyliam , p. 60, 481.
r Rymor, t. I , p. 794.
•^ Or. du traité. Trésor des chartes, J. 632, n" 7. An dos se lit cette
note : n Qiiedam peficiones, qiias sibi polebaut Anjjli llcri ante giierram, scd
rex cas voltiit adiiiitlcro. ?
LIVRE TREIZIÎl.ME. — POLITIQUE ÉTRANGÈRE. 391
dans lin bateau et décapités sur le pont. Le château de Buset,
occupé par les Français, avait été forcé et livré aux flammes.
Partout les gens du roi de France avaient été insultés et mal-
traités '. Philippe cita de nouveau devant le parlement Edouard,
qui refusa de comparaître : la guerre fut déclarée*.
Edouard chercha partout des alliés; il fît des traités avec le
roi des Romains, Adolphe de Nassau % qui s'engagea, moyen-
nant des subsides, à marcher contre le roi de France*; avec^
l'évèque de Cologne, les comtes de Hollande, de Gueldre,
de lîrabant ^ Il fit solliciter Tévêque de Bàle, le comte de
Savoie ^.
Le roi de Castille lui offrit son appui '.
A cette ligue redoutable Philippe opposa une ligue non
moins formidable. Mais laissons un de ses ministres exposer
dans un document officiel, par quelles alliances il se mit en
mesure de tenir tête à Edouard.
« En... l'anée 1295, le roy d'Engleterre, par force de grant
quantité d'estellins qu'il envoia par deçà la mer, si come l'en
disoit, fit alliances à touz les princes et barons qu'il pot trou-
ver qui y vousissent entendre, tout cntour le royame, les
quicz dévoient touz en un jour assaillir le royame de toutes
pars Les dessus diz alliez furent li roy d'Alamaigne, et son
frère, et plusieurs barons d'entour lui de celé Alamaigne; li
duc de Brabant, à qui il donna sa fille pour son fils; li conte
de Juliers; li conte de Bar, qui ot aussi sa fille; li conte de
Savoie, son cousin; li conte de Ferret; monseigneur Jehan
1 RjTner, t. I, p. 800 (nouvelle citation en date du 28 mai).
- Jean de Saint-Jean, lieutenant du roi d'Angleterre, refusa d'exécuter la
remise du duché de Guicnne au connétable de France. Trésor des chartes,
J. 632, n" 9.
3 Rymer, t. I, p. 812 (12 octobre 1294). Les plénipotentiaires furent
révoque de Durhani , le comte de Hollande et Hugues Spencer. On convint
d'une entrevue entre les deux rois (9 décembre 1294). Id., p. 814.
^ Le comte de Hainaut arrêta un subside de 12,000 liv. qu'Edouard envoyait
à Adolphe. Rymer, p. 827.
^ Avec l'évèque de Cologne (12 novembre). Rymer, p. 814. — Avec le
comte de Gueldre, qui promit 1000 chevaux (6 avril 1295). M., p. 919.
— Avec le duc de Brabant (23 avril). Id., p. 820.
^ Rymer, p. 815.
7 Rymer, p. 825.
392 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
de Clialon , et pliis'uMirs autres dovors rKnipirc, et lialoit de
l'autre part au roy d'Espa-juc, et au roy d'Aragon et autres
par de là.
» Nostre seijjueur le roy et son conseil, qui tantosl sot des
ditz alliances, li repara à l'ancontre de soi fortifier aussi tout
en tout son royanie, et s'allia par certaines convenances à touz
les autres princes et barons qui ne weudrent (voulurent) estre
de l'acort aus Au'jlois, et Jour presta à chascun certaine somme
de deniers pour retenir gens d'armes, pour estre touz guernis
et prest pour contraster aux alliez, quant mestier scroit. Les
quiez furent devers l'Empire, monseigneur Robert, Darfin de
Vienne, et monseigneur Jehan son fils; li évesque de Valence;
li conte Otte de Bourgoigne, et monseigneur Huguc son fière;
monseigneur Philippe de Vienne et autres Bourgoignons. Et
lors se promist la damoiselle di Bourgoigne, fille au dit conte
pour monsieur Loys filz le roy. Et vint elle et la contesse sa
mère en la court de France par devers la royne, et l'alaquerre
monseigneur Jaques de Saint-Pol, son oncle en joing l'an 1295.
Item, monsiegncur Thibaut de Loreigne (Lorraine); li conte
de Lucenbourc, li évesque de Cambray; monseigneur Goude-
froy de Brabant, frère li duc, et monseigneur Jehan, son fils;
li conte de Hainaut; li conte de Holandc.
w Item aux Escoz (Ecossais) et à monseigneur Jehan de
Bailloul, qui se disoit roy d'Escoce. Et au roi de Xervée (Nor-
wége) envoia l'en messages, et il renvoia les siens par deçà
et firent certaines convenences, et orent une certaine sonmie
de deniers pour commencement. Item l'en fist certaines conve-
nences au roi de Maillogles (.Majorque) ot grent somme de
deniers '. n
Ce n'est pas tout : Piiilipjie ne se borna pas à se faire des
alliés des ennemis du roi d'Angleterre ou des indifférents, il
fit tous ses efi'orls pour lui enlever ses alliés.
Adolphe écrivit à Philippe une lettre pour se plaindre de
ses usurpations sur l'Empire, et lui annonçait qu'il allait mar-
cher contre lui avec toute sa puissance*. Il est fâcheux pour
1 Or. Trésor des chartes, J. 614, n" 16. Voyez le texte complet dans
Notices et extraits.
- Martènc, Thésaurus, t. I, p. .1270. ii kai. nov. 1294. — Chron. de
LIVRE TREIZIEME. — POLITIQUE ETRAXGÈRE. 393
Adolphe que cette (iéclaration soit datée du mois d'octo-
bre 12'Ji, époque où il traitait avec les ambassadeurs anglais
et en acceptait des subsides. C'est donc un fait désormais hors
de doute que l'empereur, en se proclamant le défenseur des
droits de l'Empire, prenait un prétexte pour cacher sa conni-
vence avec l'Angleterre. Les chroniqueurs contemporains
racontent que Philippe ne put cacher son mépris, et remit
aux ambassadeurs d'Adolphe une lettre scellée qui contenait,
disait-il, sa réponse. Quand Adolphe l'ouvrit, il n'y trouva
que ces mots : « Trop Allemand î) , par lesquels Philippe bra-
vait ses menaces '.
Cette réponse hautaine avait été dictée par le comte d'Artois.
Un chroniqueur ajoute même un fait qui tendrait à confirmer
la réalité de cette réponse; c'est qu'elle déplut à plusieurs
princes de France u qui en furent couroucez et disoient que de
noble prince et sage ne devoit avoir que noble response et
sage " •> . De nos jours, ce fait a été contesté; on a produit une
lettre de Philippe, modérée dans la forme, quoique ferme, où
le roi demandait à l'empereur s'il était véritablement l'auteur
de la missive qui lui était parvenue. S'il en était ainsi, il le
défiait ^ L'original de cette lettre est conservé au Trésor des
Chartes*; ce qui ferait croire qu'elle n'a pas été envoyée. Le
mémoire officiel que je viens tie citer jette une lumière toute
nouvelle sur la politique suivie en cette circonstance par Phi-
lippe le Bel à l'égard de l'empereur, et apprend que le roi,
loin d'insulter Adolphe, aima mieux le séduire et le corrompre.
Il employa pour le détacher de l'alliance anglaise les mêmes
moyens qui avaient réussi à Edouard pour l'y attirer. Tout
porte à croire qu'il acheta avec des livres tournois celui qui
s'était vendu pour des livres sterling.
Saint-Denis , t. V, p. 110. — Dès le mois d'août 1293, Adolphe avait rendu
à Oppenheim un jugement contre ceux qui usurpaient les terres de l'Empire.
Martène, t. L p- 1251.
' Chron. de Saint-Denis , t. V, p. 111.
- Chronique anonyme , édit. de Sauvage.
3 Alichclet, Histoire de France, t. IV; et Paulin l'aris , Chron. de Saint-
Denis , t. V, p. Jll, note 1.
4 .1. 610, n'14.
394 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
« Xostre sire le roy envoia au roy d'Alamaijjne, qui ja estoit
allié, et aus auslros d'etilour lui ses messages, c'est asavoir
li évesque de lîéleliem, et li prieur des frères préclieours de
Paris, les quiez orent petite odience (audience») pour ce qu'il
n'alèrent pas bien fondez, mez après euls ala monseigneur
Mouche, qui ala si bien fondé et si garni ^ qu'il ot bonne
odience et (ist tant que le frère le roy vint secréenient à Lille
en Flandres, où monseigneur Mouche ala à li et parfist le
traitée qu'il avoit pourparlé et acordé à li en Alaniaigne, si
qu'il s'en ala apaié. Et retourna le dit monseigneur Mouche
en Alamaigne au roy et aus autres d'entour, et mit à fin touz
les tratiez, si que il promirent qu'il ne se raeuvroient contre le
roy; ne ne s'esmure, et fu l'en aseur de celé partie '. ^i
La même politique corruptive réussit avec le duc de Bra-
bant et le comte de Savoie : seuls Jean de Chalons et le comte
de Bar restèrent fidèles à Edouard.
« Et ancores notre sire li roys et son conseil pourchacz de
despécier et mettre à noient (néant) toutes les allianses que li
roys d'Engleterre avoit faites et pourchaçoit de faire, car sitost
com il le sot, il envoia l'arcediacre de Brabant et monseigneur
Hue de Bouville, et autres messages , par plusieurs foiz au roy
d'Espaigne, et se fist tant qu'il ne s'allia aus Englois; et au roy
d'Aragon, aussi par le pourchaz et aide du roy de Maillogles
son oncle *. d
Edouard voyant ses alliés lui échapper tenta un effort
suprême, s'attacha à susciter à Philippe le Bel des ennemis
jusque parmi ses feudataires : il exploita les mécontentements
des comtes de Flandre et de Bretagne et des seigneurs du
comté de Bourgogne ^
Le comte (îui de Dampierre s'était aliéné la bourgeoisie
flamande, surtout celle de la puissante cité de Gand , que
Philippe le Bel piotêgeait, par suite de sa politique habituelle
de contenir la féodalité par les communes. Gui n'hésita pas à
se tourner du côté de l'Angleterre. Il conclut le 31 août J!29i
un traité par lequel il promettait de donner au fils d'Edouard
1 Trésor des chartes, J. Gi'*, n'^ J6.
2 Trésor des chartes , J. G14, n° 16.
•^ Rymer, t. I.
LIVRE TREIZIÈME. — POLITIQUE ÉTRAXGÈRE. 395
sa fille Philippine '. Le roi de Fiance en fut rapidement instruit
et manda le comte à Paris. Dès que Gui se présenta, Philippe
lui reprocha sa perfidie et son alliance avec les Anglais. Le
comte étonné garda d'abord le silence, puis nia : le roi lui
montra l'original du traité, le comte déclara cette pièce fausse.
Philippe le fît arrêter^. La trahison du comte était manifeste.
Il fut enfermé avec ses fils dans la tour du Louvre; on le
remit en liberté après six mois de captivité, en lui faisant pro-
mettre de ne pas conclure d'alliance avec les Anglais et de
livrer sa fille Philippine en otage ^ Je n'ai pas ici à raconter
l'histoire des longues guerres que Philippe eut à soutenir
contre la Flandre ni des intrigues qui les préparèrent; il suffira
de savoir que Gui de Dampierre, humilié par Philippe, détesté
par les Flamands, écouta les propositions d'Edouard *, qui,
battu en Guienne , opérait une diversion utile en attaquant la
France au nord. Edouard promit d'envoyer une armée en
Flandre et de payer, pendant toute la durée de la guerre, un
subside annuel de soixante mille livres tournois an comte, qui
s'engageait à rompre avec Philippe et à lui faire la guerre. Il
envoya les abbés de Floreffe et de Gemblours à Paris, porteurs
d'une lettre où il annonçait au roi qu'il se regardait comme
délié de ses devoirs envers lui ^ Piiilippe envoya deux ambas-
sadeurs, les évêques d'Amiens et du Puy, demander quelle était
la portée de ce message, et porter des propositions de paix :
Gui maintint sa déclaration et renonça publiquement à l'hom-
mage du roi de France ; en même temps il appela au pape.
Une armée française vint mettre le siège devant Lille.
Edouard n'arrivait pas, menacé qu'il était d'une invasion par
les Ecossais alliés de la France, et retenu par les barons et
les bourgeois d'Angleterre, qui, désapprouvant la guerre avec
la France, avaient refusé au roi des subsides et mettaient
même des obstacles à son départ. La guerre n'était pas plus
* Traité scellé. Trésor des chartes , janvier 1297, J. 543, n" 5. — Ryincr,
t. I, p. 850.
2 Voy. l'instrument des plénipotentiaires. Rymer, t. I, p. 850.
3 Chronique anonyme publiée par Denis Sauvage.
'^ Kcrvyn, Histoire de Flandre. 1. I, p. 388.
^ Or. Trésor des chartes , J. 51-3, n" 1 (janvier 1297). — Xote remise
393 LA l'T.AXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
populaire auprès des riches citoyens do la Flandre, habitués
à rejjardor h'ur comte comme un tyran et le roi de France
comme un protecteur : à la bataille de Bulscamp , une partie
de la noblesse de Flandre se ranj^ea du côté de l'armée fran-
çaise commandée par le comte d'Artois.
Lille succombe. Edouard en6n débarque près de l'Écluse
avec une faible armée. Il rcnconlre le comte Gui à Bruges : les
mauvaises dispositions des habitants les forcent de s'éloigner
et de gagner Bruges. Les hommes d'armes anglais pillent la
ville avant de la quitter. Bruges envoie ses clefs à Philippe le
Bel, qui s'avance en vainqueur et qui la fait occuper par le
comte de Valois : Edouard, qui n'a pas tiré l'épée, envoie
Hugues de Beauchamp traiter avec le roi de France , et négo-
cier une trêve (9 octobre) qui est successivement prorogée
jusqu'au mois de février, puis étendue à deux années, à partir
de l'Epiphanie 1298. Les deux rois prennent le pape pour
arbitre : le comte de Flandre était compris dans la trêve '.
J'ai raconté, à propos du différend de Philippe le Bel avec
Boniface VIII, comment le pape prononça son arbitrage au
mois de juin 1298, et comment, malgré les instances des am-
bassadeurs anglais, la sentence pontificale ne fit pas mention
du comte de Flandre ".
La guerre avec l'xAngleterre était terminée : la sentence de
Boniface, qui fut acceptée des deux parties, remettait les choses
dans l'état où elles étaient avant la guerre , et ordonnait la
restitution mutuelle de ce qui avait été pris. Boniface, qui
avait à cœur d'établir la concorde entre les deux principales
nations de l'Europe, voulut cimenter leur alliance en stipulant
le mariage d'Edouard avec Marguerite, sœur de Philippe, et
celui du jeune Edouard, héritier d'.Anglctcrre, avec Isabelle,
fille du roi de France. Des négociations s'ouvrirent pour régler
définitivement par un traité les points (jue la sentence arbitrale
n'avait pu qu'indiquer ^.
par les deux abbés au roi. Ibid., n" 2. En même temps le comte défendit à
ses procureurs à Paris de procéder devant le parlement. Ibid., n° 3.
' Trésor des chartes , J. 543, n" 12.
- Adhésion du comte de Flandre à la trêve. Or. .J. 51i-3, n" 13. — Adhésion
de ses Gis Robert et Guillaume, n" 14.
3 Trésor des chartes, Anjjieterrc, IV, n" 12.
LIVRE TREIZIEME. — POLITIQUE ETRANGERE. 397
CHAPITRE QLATRIÈME.
ACQIISITIOX DU BARROIS.
Philippe le Bel, habile à tirer avantage de tout, sut profiter
de cette guerre pour reculer ses frontières du côté de l'est.
Parmi les feudataires de l'Empire voisins de la France, figu-
raient les comtes de Bar, dont le comté fut plus lard érigé en
duché; une partie de ce comté était du coté gauche de la
Meuse, et pouvait en quelque sorte être regardée comme dépen-
dant du royaume de France. En 128(î, le monastère de Beaulieu
en Argonne, situé dans cette partie du comté, invoqua l'assis-
tance de Philippe le Bel contre le comte Thiliaud qui l'oppri-
mait : Philippe le fit occuper par ses troupes, malgré les pro-
testations du comte, qui appela à l'empereur '. Rodolphe de
Habsbourg avait fait faire une enquête dont les résultats furent
que le roi de France n'avait aucun droit dans le Barrois ".
Philippe n'en avait tenu aucun compte. En 121)6, le comte
Thibaud mourut et eut pour successeur son fils Henri ^ C'était
le moment où l'empereur, le roi d'Angleterre et le comte de
Flandre formaient une coalition contre la France : le monarque
anglais exploita le ressentiment du jeune comte de Bar, lui
fournit des subsides, et, pour mieux se l'attacher, lui donna
une de ses filles en mariage*. Pendant que Philippe soutenait
en Flandie les efforts des Flamands, le comte de Bar attaqua
la Champagne. Le roi envoya contre lui Gaucher de Chàlillon,
qui ravagea le Barrois et le força de se retirer ^ En 1299,
Albert d'Autriche lui fît obtenir une trêve qui, en 1301, fut
convertie en traité de paix, à condition de faire un pèlerinage
dans l'île de Chypre ° et de rendre hommage au roi pour les
' Traité de Paris. Trésor des chartes, Angleterre, V, n° 13 (20 mai 1303).
- Calmète, Histoire de Lorraine, t. II, p. 330 et 331.
■^ Léiêque de la Rcvalière, ilémoire sur les limites du royaume du coté
de l'Empire avant 1301. Mémoires de l' Académie, in-12, t. IX, p. 501.
'' Art de vérifier les dates, comtes de Bar.
^ Historiens de France, t. XXI, p. 15. — Xangis, année 129".
6 Or. Trésor des chartes, J. 514, no 1.
39» L.\ Fn.WCI': SOIS PHILIPPE LE BEL.
terres situées à gauche de la Meuse, hommage qu'il n'avait
jamais rendu, même aux empereurs, sous prétexte que ces
terres étaient des francs-alleux '. Telle est l'origine du Barrois
mouvant de la couronne de France.
CHAPITRE CIXQUIEME.
ALLIANCE »E PHILIPPE LE BEL AVEC l'eMPEREUR ALBERT.
Esamcu d'im bruil public qui voulait qu'.AlLtrt eût reculé les limites de la
France jusqu'au Rhin.
L'alliance entre Philippe et Adolphe n'était pas cordiale :
aussi Philippe comptait peu sur l'empereur. Il avait noué
d'étroites relations avec Alhert d'Autriche, fils de Rodolphe de
Habsbourg, ennemi mortel d'Adolphe de \assau qu'il regardait
comme un usurpateur, et qu'il finit par attaquer, battre et tuer
de sa main à la bataille de Gelheim.
Dès 1295, Albert avait envoyé en France une ambassade
demander pour son fils aîné Rod()lj)hc la main de quelque
princesse française*; projet qui s'accomplit quelques années
après.
On raconte que Philippe le Bel voulut faire élire son frère
Charles de Valois à la place d'Adolphe : je n'ai trouvé aucun
acte officiel qui confirmât ce fait, qui me semble peu probable,
vu la grande amitié qui le liait à Albert dont les prétentions
à la couronne impériale avaient toute chance de succès : en
effet il fut élu.
Guillaume de Xangis et plusieurs autres chroniqueurs con-
temporains rapportent un fait qui, s'il était prouvé, aurait une
grande importance. Selon ces auteurs, dans une entrevue qui
eut lieu en 12'J'J à Vaucoulcurs, entre Philippe le Bel et Alhert
d'Autriche, roi des Romains, l'empereur, avec le consentement
' Or. Trésor des chartes, .1. 581, n"^ h. — Duchcsne, Histoire de la
maison de Bar, preuves, p. 39. Conf. Bonamy, Mémoire sur l'éreclion du
comté de Bar. Mém. de l'Acad. des inscript., in-12, t. XXXIV, p. 285.
^ Or. des pleins pouvoirs. (Trésor des chartes, J. 408, n° 7.)
LIVRE TREIZIÈME. — POLITIQUE ETRAXGERE. 399
de ses barons et de ses prélats, recula les limites du royaume
de France jusqu'au Khiii'. J'ai cherché en vain un acte qui
constatât cette concession : il n'en existe de semblable ni aux
Trésors des charfes ni diins les recueils imprimés en France
et en Allemagne. Les historiens allemands gardent sur ce point
un silence absolu; et cependant le bruit de cette donation
d'Albert se répandit du temps de Philippe le Bel ". il lut tenu
pour certain, et plus de deux siècles après, un avocat plaidant
devant le parlement de Paris affirmait comme un fait incon-
testable qu'en 1299, à Vaucouleurs, Albert avait, avec le con-
sentement de ses barons , accordé au roi de France que les
limites du royaume, qui, depuis le partage de Charles le Chauve,
n'allaient que jusqu'à la Meuse, s'étendraient désormais jus-
qu'au Rhin. Il ajoutait même que l'extrême limite du royaume
de France avait été fixée au moyen d'une borne de bronze,
aux armes du roi , laquelle existait encore au moment où il
parlait (en 1588) ^ Ces témoignages ne suffirent pas pour
prouver la prétendue donation d'Albert d'Autriche. 11 y eut
bien, à l'époque indiquée, une entrevue à Vaucouleurs, entre
les deux souverains de France et d'Allemagne*, où ils con-
clurent un traité d'alliance offensive et défensive '\ Philippe
donna sa sœur Blanche en mariage à Rodolphe, fils d'Albert, et
l'empereur promit une de ses filles pour un fils du roi ®. Peut-
être Albert prit-il secrèlement quelques engagements envers
Philippe, qui lui promit son appui pour rendre la couronne
1 Nangis, année 1299. — Chron. de Saint-Denis , t. V, p. 128. — Gilb.
de Fracheto, Historiens de France , t. \XI , p. 17 et 18 : t Ubi annitentihus
rege Alberto, baronibus et prelatis regni Theidonici, concessum est qiiod
regnum Franciœ , quod solum modo tisque ad Mosam illis in jnir*ihus se
extendit , de cœtero usque ad liheninii Jîuvium potestatis suœ tcryninos
dilataret. »
- Le fait est affirmé par P. Dubois , Summaria brevis et coinpendiosa
doctrina, etc. Bibl. imp., n" 6222 G.
3 Arch. de l'Emp., Plaidoiries, X. 4906, fol. 503 v".
''' V^oyez le compte des dépenses de ce voyage dans le Journal du trésor.
Bibl. imp., n" 110 du suppi. latin, fol. 9 v°.
^ V'oycz les instruments dans Leibniz, Cod. diplom., p. 40; Marions,
t. I, p. 323, etc.
6 Gouf de Dutzele, Histoire de l'emjnre d'Autriche , Vienne, 1845, t. III,
p. 120. Voyez aussi Manuscrits de Dupuy, t. 716.
400 LA kuaxcl; sors Philippe li: cel.
impériale Iiéiéditaiio clans la maison de Habsbourg'. Mais ce
n'étaient là (jiie des projets qui ne se réalisèrent pas; et il est
hors de doute (|ue les limites du royaume restèrent du côté de
l'Empire ce qu'elles étaient avant cette entrevue*.
Toutefois Philippe, malgré son alliance avec Albert, ne
renonça jamais à s'éleudre aux dépens de l'Empire. En 1300, il
reçut une ambassade des citoyens de Toul qui lui déclarèrent
qu'ils n'étaient sous la domination de personne, mais de franche
condition, ne devant rien à l'empereur ni à leur évèque. Le roi
les prit sous sa garde, moyennant une redevance annuelle de
douze deniers par feu \ La ville de Verdun suivit l'exemple de
Toul, et se soumit en 1315 à Louis le Hutin *.
En 1307, Philippe fit un traité avec l'évèque de Verdun, qui
s'engagea à faire tout son possible pour détourner l'empereur
des mauvais desseins qu'il jiourrait concevoir contre la France,
sans pourlant violer l;i (îdélilé (ju'il lui devait \
Toutefois ces acquisitions sur la rive gauche du Rhin
n'avaient aucune chance de durée, éloignées qu'elles étaient
de l'action du roi de France : mais cela fait connaître la poli-
tique de Philippe le l>el. Il encourageait secrètement à la
révolte les villes étrangères, surtout celles soumises à des
évêques, et les poussait à invoquer son protectorat.
' Voyez le Mémoire de Dubois qui affirme le fuit, u( sitjjra , fol. 3 r".
- Al! dix-septième siècle, .^iibery ayant soutenu que la l'Vance s'étendait
jusqu'au Rhin dans un livre intitulé : Justes jyrétentions de la France sur
l'Empire, excita les plaintes des princes allemands, fut désavoué par le
gouvernement français et mis à la Bastille.
•^ Or. Trésor des chartes, J. 583, n" G. Septembre J300.
'» Dupuy, Droits du roij, t. I, p. 665.
^ . Si dictus .Aieniannus rex vellet aut nitcrctur, quod absit , regno nostro
dampnum inferre, prediclus episcopus, pro possc suc, onmibus et singulis
modis quibus poterit. .. procurabit et faciet quod ipsc rex Alemannus super
hoc desistet; et si id procurare et facerc non posset saltem abstinebit, se si
servando fidelitatem suam pofest abstinere, a prestando servicium régi pre-
dicto. ï Reg. XXXVI du Trésor des chartes , n° ccvii.
LIVRE TREIZIEAIE. — POLITIQUE ÉTRANGÈRE. 401
CHAPITRE SIXIÈME.
XÉGOCIATIOXS AVEC l'aXGLETERRE JL'SQU'AU TRAITÉ
DE PAIX DÉFI\ITIF.
1297-1303.
Revenons aux négociations entre la France et l'Angleterre
pour la conclusion définitive d'un traité sur les bases de la sen-
tence arbitrale de lloniface VIII; elles furent longues et n'abou-
tirent qu'après plusieurs années de pourparlers. Le motif de
ces lenteurs est honorable pour Philippe le IJel : il voulait en
effet sauvegarder les intérêts de l'Ecosse, son alliée, qui avait
pris les armes au moment où Edouard avait débarqué en
Flandre. La trêve avait été conclue entre les parties belligé-
rantes et leurs alliés : Philippe envoya demander à Edouard
d'y comprendre le roi d'Ecosse, avec lequel il avait conclu une
alliance offensive et défensive, dont il promettait de fournir la
preuve authentique en produisant le traité original '. Edouard
répondit qu'il observerait la trêve, mais que la demande du
roi relative aux. Ecossais lui était nouvelle, étrange et admi-
rable, aucune mention n'en ayant été faite dans les instruments
de la trêve; que ce point était de grand poids, et qu'il trans-
mettrait au plus tôt sa réponse par ambassadeurs. Il objecta
ensuite que l'Ecosse était sa vassale ^ A cela, les ambassa-
deurs de Philippe, Guillaume de Beaufort, Jean de la Forêt et
Clément de Savy, répondirent que le défaut de mention des
Ecossais ne devait pas tirer à conséquence; que les comtes de
Flandre et de Bar, quoique non nommés, avaient été compris
dans la trêve, et que le même bénéfice s'appliquait aux Écos-
sais. Cette déclaration fut faite à Edouard lui-même, qui pour
lors assiégeait Edimbourg ^ A Rome, les envoyés du roi de
France avaient fortement insisté pour faire comprendre les
Écossais dans la sentence arbitrale; mais les ambassadeurs
1 Or. Trésor des chartes , J. 632, n" 25.
2 Or. Trésor des chartes, u" G36 (3 avril 1298).
3 Or. Trésor des chartes, n" 27 (29 août 1298).
26
402 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LK BEL.
anglais s'y opposèrent '. Ceux de France agirent de même avec
le comte de Flandre, qu'Fdouard voulait l'aire inscrire dans la
sentence. Il y eut une sorte de transaction : la sentence garda
le silence sur les Flamands et sur les Ecossais ; mais Philippe
n'abandonna pas ses dliês, ainsi que le prétendent les histo-
riens écossais. Une des conditions de la trêve était la mise
en liberté réciproque des prisonniers. IMiilippe fit réclamer la
délivrance de Jean de Bailleul et de son fils et des autres Ecos-
sais qui étaient tombés entre les mains d'Edouard, offrant de
les remettre au pape'. A la fin de juin 120!) l'ut conclu un
traité à Montreuil, stipulant le mariage d'Edouard avec la
sœur du roi, union qui fut célébrée immédiatement \
Jean de Bailleul renonça an trône d'Ecosse, fut remis au
légat, et alla s'établir en Normandie, où il mourut quelques
années après ^.
Au mois de septembre lïiOO, les deux rois renoncèrent
solennellement k toute haine personnelle \ Enfin, dans un
traité signé à Asnières , une trêve fut conclue, dans laquelle
étaient compris les Écossais, bien qu'Edouard protestât qu'il
ne reconnaissait pas Jean de Bailleul comme roi d'Ecosse, ni les
Écossais comme alliés de la France. Edouard remit toutes les
conquêtes qu'il avait faites en Ecosse, depuis la trêve conclue
à Tournai, au roi de France, qui promettait de les lui rendre
à l'expiration de la trêve si la paix n'était pas définitivement
conclue'*. Le régent, les prélats, les barons et les communes
d'Ecosse ratifièrent ces conditions". Enfin, le 20 mai 1303,
fut conclu à Paris le traité définitif entre Philippe et Edouard,
stipulant la restitution de la Guienne : le roi d'Angleterre s'en-
i Kcrv yn , llecherches sur la part de l'ordre de Citeaux au différend
entre Bonifacc Vlll et Philippe le Bel, p. 68.
■- Or. Trésor des chartes, note remiso par P. de Flote, 15 janvier 1298,
V. s., J. «32, n» 28.
3 Vendredi après la Saint-Jean 1299. Or. Trésor des chartes, n" 32. —
Ratification d'Edouard, 14 juillet, n° 33.
'1 Lettre du nonce, 18 juillet 1299. J. 022, n" 34.
^ Or. Trésor des chartes, lettre d'Edouard. .(. (533, n" 4.
6 J. 633, n" 2. Confirmation par Edouard, 23 juin 1301.
" 23 février 1302. Or. J. 633. n° 3. — Voyez une lettre de Jean de Bailleid
donnant plein pouvoir à Philippe le Bel. J. 633, n^ 4.
LI\RE TKEIZIiaiIv — POLITIQLE ÉTRAXGÈRE. 403
gageait à se rendre dans la ville d'Amiens pour prêter hom-
mage, et, en cas de maladie, à envoyer son fils aîné'. Un
traité secret offensif et défensif fut signé en même temps". Il
n'était plus question des Ecossais, que Philippe avait aban-
donnés.
CHAPITRE SEPTIEME.
GUERRES ET \ÉGOCIATIOXS AVEC LA FLA\DRE DE 1300 A 1304.
La trêve conclue avec les Flamands expirait (6 janvier 1300).
Charles de \alois envahit la Flandre ; il prend Douai, Dam, et
entre dans la cité de Gand. Tout était perdu. Gui de Dampierre
se rendit au comte de Valois, qui promit d'intervenir en sa
faveur. Le roi fît garder en prison le comte, ses fils et plu-
sieurs chevaliers qui partageaient son malheur. La Flandre fut
réunie au domaine. En 130l, Philippe parcourut avec la reine
sa nouvelle conquête. La dureté du gouvernement de Jacques
deChàtillon, nommé gouverneur de Flandre, et plus encore
le patriotisme flamand froissé par l'assimilation de la Flandre
à une province française, amenèrent à Bruges une insurrection
et le massacre de la garnison française : tout le pays se
soulève. La révolte a pour chefs Gui de Xamur, fîls du comte
de Flandre, et Guillaume de Juliers; l'armée française est
vaincue devant Courtrai (11 juillet 1302). A la nouvelle du
désastre, Philippe lève une immense armée, qui se réunit sous
les murs de Douai ; il se met lui-même à sa tête. Des négocia-
tions entamées avec les Flamands n'aboutirent pas. Le 20 sep-
tembre, on apprit avec étonnement que le roi quittait l'armée :
on se perdit en conjectures sur cette retraite, qui est encore
inexpliquée. Les chroniqueurs contemporains français et fla-
mands s'accordent pour l'attribuer à la crainte d'être trahi, et
accusent le roi d'Angleterre de perfidie'.
1 Instriimpnt des plénipotentiaires. J. 633, n° 13.
2 Or. J. 633, n"** 15 et 16. — Voyez le procès-verbal de restitution de la
Guienne. Ibid., n° 22, et Bibl. imp., Cartul. 170, fol. 210.
3 On raconte que les l'Mamands envoyèrent des ambassadeurs implorer
l'appui d'Edouard, qui leur déclara ne pouvoir les aider publiquement à
26.
404 LA FRAXCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
Le 18 août 11)03, jjiando victoire des Français à Alons-en-
Piielle. Pliilippe le Bel fit preuve d'une rjraude modération. La
reine .Marie, veuve de Philippe le Hardi, détermina le duc de
Hialtaut il joindre ses ellorts à ceux du comte de Savoie pour
mettre fin aux hostilités. Une trêve l'ut conclue au mois de
septemhre avec le comte de Xamur, fils de Gui de Dampierre '.
Les prisonniers furent rendus de part et d'autre; les Flamands
s'en<ja<|èrent à jiayer une indemnité de guérie qui serait fixée
par huit commissaires, dont quatre Flamands; Lille et Douai
étaient remis en gage. Les villes de Flandre confirmèrent ces
conditions '.
Le IG janvier 1304, un traité de paix fut conclu : les Fla-
mands s'engageaient à payer trois cent mille livres d'indem-
nité de guerre, et à donner à Philippe des domaines produisant
deux cent mille livres de rente ^ L'exécution de ce traité était
garantie par une menace d'excommunication contre ceux qui
le violeraient ; mais elle offrait une foule de difficultés qui
devaient plus tard allumer de nouveau la guerre.
cause de son traite avec la France, mais leur permit de compter sur lui. Il
affecta devant la reine, sœur de Philippe, une grande préoccupation • la
reine lui en ayant demandé la cause, il refusa de la dévoiler; il finit enfin
par lui avouer que Pliilippe jillait être trahi par plusieurs seigneurs qui,
à la première hatailie, le Tu reraient anx Flamands : ilargueritc prévint
immédiatement Philippe, qui, craignant une trahison, quitta aussitôt
l'armée. Ce récit se trouve avec (pielques variantes insignifiantes : 1° dans les
Chroniques de Saint-Denis ; 2" dans la Chronique anonijme , publiée par
Sauvage, p. 42; 3" dans une Chronique de Flandre, nouvellement puhliée.
(Documents belges.)
1 Or. Trésor des chartes, .1. 5V4, n" 13. Cet acte est scellé par le comte
de Thiettc. il. Kcrvyn présente ce traité comme un acte de trahison de la
part du comte de Xamur, autre fils du comte de Flandre, t. I, p. 531.
- Or. Trésor des chartes. Douai, \pres, Gand, Liste, Bruges. .1. 5W,
n" 17.
•* Or. Trésor des chartes , i. 546, n" 8.
LIVRE TREIZIKME. — POLITIQUE ETRAYGÈRl'. 405
CHAPITRE HUITIÈME.
ACCROISSEMEXT DU ROYAUME DU CÔTÉ DE l/ORIEXT.
Réunion du Vivarais et do Lyon à la France.
1307-1310.
Dès le treizième siècle, la souveraineté des empereurs sur
les contrées voisines de la rive jjauclie du Rhône devint nomi-
nale, surtout depuis que la guerre des Albigeois et la dévolu-
tion du comté de Provence à Charles d'Anjou, frère de saint
Louis, eurent fait dominer l'influence française dans une partie
de ces pays; toutefois, le droit de l'Empire continuait d'être
reconnu. Plusieurs seigneurs riverains voulurent profiler de
leur position pour se rendre indépendants. Au roi de France,
ils disaient : Xous sommes vassaux de l'Empire; tandis qu'ils
n'accordaient qu'une suzeraineté nominale aux empereurs '.
Telle était la situation de l'évéque de Viviers, seigneur du
Vivarais, qui, bien que placé sur la rive française du Rhône,
se fondait sur d'anciens actes pour se prétendre feudalaire de
l'Empire et échapper à l'autorité des rois de France ; mais ce
prélat était trop faible pour résister. Il ne pouvait espérer de
secours de l'empereur, qui était trop éloigné pour le protéger;
sa position devint surtout pénible à partir de l'annexion du
Languedoc à la couronne. Son petit comté se trouvait presque
enclavé dans le domaine royal. Déjà, sous Philippe le Hartli,
le sénéchal de lîeaucaire s'était fait prêter hommage par les
vassaux de l'évéque", et avait saisi son temporel. Il ne céda pas
devant une sentence d'excommunication lancée par le prélat,
qui mourut dépouillé, et dont le successeur, comprenant que
1 Sur les droits de l'Empire dans certaines proiinccs ([iii font aujourd'hui
partie de la France, voyez l'excellent travail de mon savant ami M. Huillard-
BréhoUcs, Introduction à l'histoire diplomatique de Frédéric II, cliap. in,
intitulé : Droits de souveraineté exercés par Frédéric II dans les anciens
royaumes d'Arles , de Bourgocjne et de Lorraine.
- Kymcr, Fœdera, t. I, p. 11.
4M LA FH.AXCK SOIS IMIILHM'K \.E BKL.
I;i lutte était inégale, se soumit, et promit ^ iVc^ifer à droit
(levant Ir Roi , sur les articles aujijurls il rtoit tenu de
droit et de coutume " . C'était se reconnaître vassal ; rependant,
malgré cette déclaration, il ne renonça pas entièrement à ses
prétentions; mais les officiers du roi le poursuivirent sans relâ-
che, et en obtinrent une reconnaissance complète de la suze-
raineté de la France. En 1305, l'évêque Aldebert de Pierre
conclut avec Guillaume de Plasian, Bernard Jourdain {\q Lille
et le sénéchal de lîcaucairc, commissaires délégués par IMii-
lippe le Bel, un traité qui attribuait au roi la supériorité sur
tous les fiefs de l'Eglise de Viviers, et termina un différend
qui avait duré un demi-siècle'. Pour ôter à révé(jue t(nite
velléité d'indépendance, le roi se fit céder par lui, en 1307,
à titre de pariage, la moitié de ses droits directs sur le
Yivarais *.
Ce premier succès donna du cœur à Philippe le Bel ; il osa
porter ses vues plus haut, et rêver l'acquisition de l'antique
cité de Lyon. Prudent et rusé, il n'avait recours à la force que
lorsque les négociations et les habiletés politiques ne don-
naient aucun résultat : il connaissait la puissance de l'argent,
et savait qu'il est plus sûr d'acheter que de conquérir. La
maxime Divide et impera lui était familière, il l'appliqua
plus d'une fois avec bonheur. Lyon, cité puissante, espèce de
république, quoique placée sous la seigneurie de l'archevêque,
relevait de l'Empire; mais un faubourg de la ville et le château
de Saint-Just appartenaient au roi de France : voisinage (jui
devint funeste à la grande cité. Les bourgeois étaient en lutte
perpétuelle avec leur archevêque : il leur prit l'idée fatale
d'appeler à leur secours Philippe le Hardi, qui se bâta d'inter-
venir, et prit les habitants sous sa protection (1271)^.
Une nouvelle alliance fut conclue en 12D0*. En 1305, l'ar-
chevêque, Louis de Beaujeu, fatigué des vexations continuelles
qu'on lui faisait supporter, se soumit, à condition que le roi
le reconnaîtrait en qualité de primat des Gaules ; il conserva la
1 Vaissète, t. IV, p. 132 et 133.
- Mesnard, Histoire de Xistnes , t. I, preuves, p. 438.
"• Alcncstrior, Histoire immicipate de la rille de Lyon , p. 10.
* Méucslricr, Histoire municipale de la ville de Lyon, p. 2i, -'^ c\ 25.
LIVRE TREIZIÈME. — POLITIQUE ÉTRANGÈRE. 407
possession de la ville et du comté de Lyon, la juridiction civile
et criminelle, les appels de premier degré, ainsi que le droit
de battre monnaie'. Un gouverneur fut établi à Lyon, avec
mission de sauvegarder les droits du roi et de la cité ; en
échange de la protection royale, chaque maison dut payer une
redevance annuelle. Louis de lieaujeu mourut presque immé-
diatement après la conclusion de ce traité ; son successeur,
prince de la maison de Savoie, refusa de l'exécuter, encouragé
dans sa résistance par la population , qui s'aperçut un peu lard
qu'elle s'était donné un maître redoutable; le mécontentement
mena les Lyonnais à la révolte. En L310, ils attaquèrent le
château de Saint-Just, en chassèrent les Français et fortiflèrent
leur cité. Ils auraient dû savoir qu'ils avaient affaire à un
homme qui ne laisserait pas facilement échapper de ses mains
une si belle conquête. Philippe envoya une forte armée ,
commandée par son fils aîné, le roi de Navarie, ses deux
autres fîls et ses deux frères, les comtes de Valois et d'Évreux.
C'était le début militaire du jeune roi; rien ne fut épargné
pour lui assurer le succès. Lyon fut investi; l'assaut était prêt
quand les habitants sans espoir capitulèrent^. Philippe n'exerça
pas de vengeance; l'archevêque, qui avait été le chef de l'in-
surrection, obtint grâce à la prière de son frère, le comte de
Savoie, mais à des conditions qui le mirent désormais dans
l'impossibilité de nuire ^ Il abandonna toute juridiction tem-
porelle, et reçut en compensation des terres situées dans des
provinces éloignées, qui lui procurèrent de forts revenus, mais
le laissèrent sans importance politique. On consentit par pitié
à lui laisser le droit de frapper monnaie '.
Ce fut ainsi que Lyon fut détaché de l'Empire et réuni à la
France. C'était là une belle et durable conquête. Ce qu'il y eut
de remarquable dans ce résultat, c'est qu'il fut obtenu au nom
du droit. Sans doute, la force joua le principal rôle, mais elle
ne fut employée qu'accidentellement. Aux prétentions de l'ar-
1 Alénestricr, Histoire municipale de la ville de Lyon, p. 39; cl Trésor
des chartes , J. 202, n"* 7 ot 8.
- Recueil des historiens de France, l. XXI, p. 34 ot 35.
"^ Traite de Vienne en 1312 (10 avril). Méncstricr, Preuves, p. 51.
'* Trésor des chartes , .1. 209, n" 7(i.
408 LA FRAXCK SOl'S niH.lPPK LE BEL.
clievêque de Lyon, qui faisait appol à la notoriété piiI)ru|iio et
aux actes des empereurs pour prouver sa dépeudance de l'Em-
pire, Philippe opposait des textes historiques; il citait un vieux
Passionnaire de l'Église de Lyon, où il était dit qu'un saint
arclievè(|ue de cette ville étant tombé malade <à Paris, pria le
roi Childehert de désigner pour le reuiplaeer saint Xicelus '. Ce
n'est pas le seul exemple que l'on trouve sous ce régne de
textes historiques invoqués par le gouvernement français pour
exercer des revendications de territoire : Philippe le lîel n'ac-
ceptait pas les modiîicalions a[)portées à l'étendue du royaume
à la lin de la deuxiénu:' race; il voulait renouer la tradition
mérovingienne et se substituer aux droits des rois de lii |)re-
mière race, dont il se proclamait le successeur. Il ne laissa
passer aucune occasion d'appliquer ces principes et d'empiéter
sur l'Empire.
CHAPITRE NEUVIEME.
POLITIQUE EXTÉRIEURE DE 1308 A 131-4.
En 1308, Philippe le Bel reprit un ancien projet, celui de
faire élire empereur son frère Charles de Valois*. Il écrivit
aux j)rincipaux princes d'Allemagne pour les prier de favoriser
cette élection % et envoya trois ambassadeurs, Gérard de Landri,
Pierre Barrière et Hugues de la Celle *, chargés de répandre
de l'argent ^ Il comptait sur l'appui de Clément V; Pierre du
1 Roiiloaii orijjinal, Trésor des chartes , J. 2G7.
2 Viliaiii, t. VIII, p. 43G.
3 Lettre au roi de Bohème, le tiiiuli après l'Ascension 1308. CartnI. 170,
fol lOG. — Autri' au même, de l'octave de la Pentecôte. Ibid., 107. —
Dans la première de ces lettres , le comte de Valois n'est pas nommé : Phi-
lippe se borne à des insinuations; dans la seconde, il propose son frère.
4 Reg. \L1I du Trésor (1rs chartes, n»- 99, 100 et 101.
^ Promesse de Charles de Valois de rendre au roi les sommes qu'il lui
avait prêtées pour .; certains messages sollempnes (envoyés) pour l'accroisse-
ment de Testât et de l'ounnur d'aucune personne, de qui nous (le roi) avons
la promocion si à cucr, comme nous poons plus, ou point... d'avenir à la
hauterie d'cstrc eslue en roy d'Alemnijjne. j 20 juin 1308. Reg. XLII du
LIVRE TREIZIEME. — POLITIQLE ÉTRAXGÈRE. VO!)
Bois voulait même quo le roi ordonnât an pape de suspendre
le droit des électeurs pour nommer directement Charles de
Valois : il espérait que .les électeurs garderaient le silence
moyennant de fortes pensions ; c'était trop présumer de la
complaisance du pape et des princes allemands. Ils s'enten-
dirent pour déjouer les projets de Philippe et donner la cou-
ronne impériale au comte de Luxembourg, brave chevalier,
n'ayant guère que son épée et qui n'inspirait aucune crainte
aux électeurs. Henri VU fut élu, et Clément se hcàla de lui
accorder l'investiture. N'ayant pu faire de son frère un empe-
reur, Philippe voulut se faire un ami du nouveau césar; il le
reconnut avec empressement, le félicita de son avènement, et
entama des négociations pour conclure un traité d'amitié et
d'alliance offensive et défensive. Les plénipotentiaires furent,
du côté de la France, Robert, comte de Clermont, et Pierre de
Latilly, archidiacre de Chalons; du côté de l'empereur, Jean
de Xamur et Simon de illarville, trésorier de l'église de Metz.
Si quelque contestation s'élevait entre les deux parties contrac-
tantes, chacune devait nommer six commissaires pour la régler
à l'amiable. Au cas où l'empereur créerait un roi des Romains,
celui-ci serait tenu de jurer le traité '.
Autant Philippe le lîel était désireux de s'agrandir, autant
il se montrait inflexible pour les attentats commis par les étran-
gers contre son autorité ou son honneur. Le seigneur de Saint-
Laurent était entré en armes sur le territoire français, et ayant
maltraité un sergent du bailli de Alàcon , Philippe envoya des
troupes assiéger le château de Saint-Laurent, bien qu'il fût
situé hors du royaume, et le fit jaser. Il exigea du comte de
Savoie la promesse de ne pas le rebâtir, afin qu'on n'oubliât
pas quelle vengeance le roi de France tirait des insultes qu'on
osait lui faire ^ Le roi de Sicile, Frédéric, avait tenu de mau
Trésor des chartes , fol. J07 v». — Philippe fit recommander l'élection de son
frère à l'archevêque de Cologne par le cardinal de Sainte-Marie la Neuve.
Cartul. 170, fol. 128.
1 Or. Trésor des chartes, J. .j8(), n" 1 (Paris 1310). — Ratification
de Henri, septembre 1311 , au camp de Brescia. Ihid., n" i.
- Promesse du cnmic de Savoie. Or. Trésor des chartes, J. 501, n'' 7
(octobre 1310). — Copie, Trésor des chartes , Re;;. XLII, ii'' vi"v.
410 \A km.wcl: sols philii»i'e le bel
vais propos sur le projcl de (Jiarlos de Valois de conquérir
Conslanlinople. Philippe en ayant élé instrtiil, fit parvenir
l'expression de son niécont<Milcment an roi, (jui s'excusa et
protesta de son altacliement à iMiilippe et à son frère'. Les
Vénitiens s'étaient emparés de Ferrare, ville du patrimoine de
saint Pierre. Philippe écrivit à la répuhlique de Venise pour
lui faire part de son mécontentement. Les Vénitiens envoyèrent
aussi une ambassade chargée d'expliquer leur conduite ; Feirare
fut rendue au pape ^.
En mourant, IMiilippe léguait à son fils la guerre contre
les Flamands, qui ne devaient plus avoir de repos jusqu'à
ce qu'ils eussent entièrement secoué la domination de la
France.
Je ne saurais terminer ce chapitre sans parler des aspira-
tions à la monarchie universelle qui se manifestèrent en France
dès cette époque. J'ai souvent eu à citer dans le cours de ce
travail un nommé Pierre Dubois, inconnu jusqu'ici et dont les
nombreux ouvrages, la plupart inédits, donnent les plus pré-
cieuses lumières sur les tendances du gouvernement et de la
société française au commencement du quatorzième siècle.
Simple avocat du roi à (loutances, Dubois ne fut pas appelé
aux grandes charges de l'Etat; son influence fut sans doute
restreinte; son mérite est d'avoir été un des plus anciens
représentants des idées modernes ^ Plein de confiance dans
ces idées, il osa en faire part à Philippe le Bel lui-même, dans
des mémoires dont plusieurs nous sont î)arvenus. Profoîulé-
mcnt dévoué à la royauté, il attaqua la noblesse et le clergé
qui en gênaient le développement. Gallican, il lutta contre ce
qu'il regardait comme les usurpations de la cour de Rome. Il
prit une part active au diflerend entre Philippe le Bel et lioni-
face VIII, et fut utilement employé dans le procès des templiers
1 Rcg. XLII du Trésor des chartes, n° cxv (23 septembre 1310?).
2 Lettre de Clémenl \ à l'iiilippc le Bel. Baliizc, Vitœ papannn, t. II,
p. 120. Ce fait, qui n'est cité par aucun liisloricn ecclésiastique, contredit
ceux qui veulent voir dans Philippe le Bel un précurseur de Henri vIII.
3 Voyez sur I)ui)ois l'intéressant Alémoirc de M. de W'ailly, Mém. de
l'Acad. des inscript., t. XVII; et l'article que nous lui avons consacre dans
Notices et extraits.
LIVRE TREIZIÈME. — POLITIQUE ÉTRAXGÈRE. 411
pai" le roi, qui se servit de lui pour agir sur ropinion publique ;
mais outre ces écrits qui lui étaient commandés par le «jouver-
nement, il remettait de temps à autre à Philippe des mémoires
sur différents sujets politiques, ayant tous pour but l'élévation
de la royauté. Français de cœur, il possédait à un baut degré
le sentiment de la nationalité, et aurait voulu voir la France
régner sur le monde. C'est seulement à ce dernier point de
vue que nous avons à nous occuper de lui pour l'instant. Dans
un mémoire rédigé vers 1300, il posait en principe qu'il était
à souhaiter pour le bonheur général que la domination fran-
çaise fut universelle et s'étendît à tous les pays civilisés; mais
pour atteindre ce but difficile, quelle voie suivre '? Théoricien
téméraire, Dubois ne trouvait pas d'obstacles insurmontables.
A commencer par l'Italie, il était facile d'obtenir du pape,
pour le roi, la dignité de sénateur de Rome ; il n'était peut-être
même pas impossible d'amener le souverain pontife à céder
son pouvoir temporel, moyennant une forte pension. Ce traité
donnerait au roi de France, non-seulement Rome et les Roma-
gnes, mais encore la suzeraineté de l'Angleterre, de la Sicile
et de l'Aragon. Ce premier point obtenu, l'empereur ou les
électeurs céderaient volontiers la Lombardie, riche pays, qui
dépendait de l'Empire, mais qui refusait de lui obéir. Si les
Lombards repoussaient la domination française, on la leur im-
poserait par la force. On obtiendrait la suzei'aineté de l'Orieni
en faisant épouser à Charles de Valois, frère du roi, l'héritière
des empereurs latins de Constantinople, et en l'aidant à recou-
vrer ses domaines, à condition de se reconnaître vassal. On
agirait de même pour la Castille, en fournissant des secours
aux infants de Lacerda, petits -Gis de saint Louis, pour
remonter sur le tronc dont ils avaient été dépouillés. Quant à
l'empire d'Allemagne, l'auteur ne voit pas d'autre moyen
qu'un traité pour s'en rendre maître; mais il espère que les
empereurs, pressés par leurs vassaux, auront recours, pour
se défendre, aux rois de France, qui leur dicteront des
conditions.
Plus tard, Dubois crut trouver un moyen pratique d'arriver
1 Ce Mémoire se trouve à la Bibl. inip., n° 6222 C; il est encore inédit.
412 I-A FHAXCK SOLS l'HlLIPI'E LK DKL.
à l'Empire. Kn J;i08, il pensa (pi'il serait aisé d'amener Clé-
ment V à faire renoncer les électeurs à leur droit d'élection,
moyennant des sommes considérables que chacun d'eux rece-
vrait comme dédommagement. S'ils ne se prêtaient pas à un
accommodement, le pape suspendrait l'exercice de leur droit
et nommerait lui-même l'empereur (ce qui s'était déjà vu);
son choix tomberait sur Philippe le Bel. On espérait faire
adopter ce projet par la promesse qu'une fois empereur,
Philippe, devenu tout-puissant, établirait une paix durable en
Europe, et appliquerait toutes les forces de la chrétienté à
la conquête de la terre sainte, objet des vœux des souverains
pontifes.
Vers la même époque, Dubois conseilla la fondation d'un
royaume d'Orient, qui serait donné à l'un dos fils du roi.
Ce n'était là que le plan d'un particulier; mais on doit le
regarder comme l'expression de l'opinion publique qui attri-
buait à ce prince les plus vastes desseins et croyait la France
appelée à JQuer le premier rôle dans le monde. D'ailleurs, tout
ne doit pas être rejeté comme invraisemblable; il faut faire la
part de l'exagération; nous allons essayer de démêler ce rju'il
y eut de vrai dans ces projets, prêtés par son siècle à Philippe
le Bel. Quand Philippe le Hardi mourut, la race de Hugues
Capet était en chemin d'occuper une pailie des trônes de
l'Europe. Ciiarles d'Anjou, frère de saint Louis, avait été
appelé par un pape au trône de Xaples. Du chef de sa femme,
il possédait le riche comté de Provence. Charles de Valois,
second fils de Philippe le Hardi, avait reçu du pape Martin IV
la couronne d'Aragon, arrachée à don Pèdre, en punition
des \èprcs siciliennes'. En (bastille, la France soutenait les
infants de Lacerda, petits-fils de saint Louis, qui avaient été
injustement privés de la couronne par don Sanclie. Philippe
le Bel avait été lui-même possesseur du royaume de Xavarre
du chef de sa femme, Jeanne, héritière des comtes de Cham-
pagne. L'Espagne presque tout entière était donc à la veille de
tomber sous la domination ou sous l'influence française ; un peu
plus, Philippe aurait pu dire, cin(j siècles avant Louis XIV :
* Original do la donation. Trésor des chartes , J. 163, n" 3.
LIVRE TREIZIÈME. — POLITIQUE ÉTRAX'GÈRE. 413
ji 11 n'y a plus de Pyrénées. » Mais il dut céder devant l'opi-
niâtre résistance des Aragonais et reconnaître don Sanclie de
Castille. Il convoita l'Empire, non pour lui, mais pour son
frère. Il intrigua pour faire élire Cliarles de Valois après la
mort d'Adolphe de Nassau. Vn |)remier échec ne le rehuta pas.
La mort violente d'Alhcrt ranima son espoir. N'ayant pu être
empereur ni donner l'Empire à l'un des siens, Philippe se rat-
trapa en faisant avec Henri Vil ce qu'il avait fait avec Albert
d'Aulriciie, en contractant avec lui une étroite alliance. Il
acheta un à un les princes de l'Empire, surtout ceux voisins
de la France; il s'assura de leur fidélité par des pensions, qu'il
retirait quand il cessait d'en obtenir des services, (l'est ainsi
qu'il tenait dans sa main les évoques de Verdun ', de Liège ^
et de Aletz % l'archevêque de Cologne \ le duc de IJrabant %
les comtes de Luxembourg®, de Hainaut ', de Namur^ de
Hollande ^, de Savoie '", le dauphin du Viennois " et une infi-
nité de seigneurs moins puissants ''. II acquit la Franche-
Comté par le mariage de son fils Philippe avec l'héritière de
cette province. On dirait que Philippe voulait exécuter le
plan de Dubois ou que Dubois avait pénétré ses desseins, car
il fît épouser à ce même Charles de Valois Catherine de Conr-
tenay, héritière de l'empire de Constantinople, et il comptait
bien le faire régner à Byzance '^ Il n'épargna rien pour y ar-
river : il ouvrit son trésor, passa des traités avec des princes
I En 1304. Trésor des cliartes , .1. 584, n" 2.
- En 1304. Trésor des cliartes, .1. 527, n" 5 et 6.
«^ lui 1296. Trésor des cliartes, .1. 586, n» 2.
' En 1301. Or. Trésor des chartes, J. 622, n» 39.
■' En 1304. Trésor des chartes , J. 513, \\" 9. Pour 2,500 livres d.^ renie
« En 1294. Or. J. 608, n" 4.
" En 1294. lÂcre rouge de la chambre des comptes , p. 87. — En 1314.
Re«5. XXXIV^ du Trésor des chartes, loi. 54 v".
8 En 1307. Trésor des chartes , J. 532, n" 6.
•' En 1295. Trésor des chartes , J. 525, n" 1. Pour 4,000 livres de rente.
"' En 1304. Trésor des cliartes , J. 501 , n" 5. Pour 2,500 livres de rente.
" Eu 1292. Valbonnais, Mém. pour l'histoire duDaiiphiné, preuves, sous
Humbert, t. I, p. 872.
'•^ Voyez aux .^rcli. del'Emp. les cartons J. 622, 623 et 624; et le Journal
du trésor, Bibl. imp., suppl. français. n° 4743^.
1^ Ducange, Histoire de Constantinople , liv. VII.
M4 LA l'R.WCE SOLS rHILIPI'K LE BEL.
de l'Orient dont le nom même était inconnu', obtint du pape
des décimes pour la con(|néle de l'empire grec.
La politique de Philippe le 15el pénétra au fond de l'Orient :
on vit à sa cour les envoyés du khan des Tartares, OEldjaïtou*,
et du roi mo<pl Arjjouu'. Par le mariage de sa fille Isabelle
avec Edouaid II, il s'était fait un allié de l'Angleterre. Il s'était
procuré l'amitié du roi de Norvège et avait jeté en Ecosse
les fondements de cette fidèle alliance qui a duré jusqu'à la
fin du seizième siècle et que le supplice de Marie Stuart put
seul briser. On le trouve partout, mêlé à toutes les grandes
questions qui se soulevèrent de sou temps. Aussi, devant celle
influence immense de Philippe le Bel, qui s'étendait sur
l'Europe entière, comprend-on l'enthousiasme des Français ,
qui étaient unanimes à regarder leur j)atrie comme appelée à
régner sur le monde pour le bonheur de l'humanité \ ainsi
que l'étonnement et l'indignation de Dante. Ce Gibelin avait
rêvé, lui aussi, une monarchie unique, mais il voulait placer
cette couronne sublime sur la tête de l'empereur °, et il ne pou-
vait voir sans haine et sans injure cette mauvaise plante,
comme il appelait la race de Hugues Capet, qui couvrait toute
la chrétienté de son ombre ®.
* Traité avec Irosius, roi de Dacie. Trésor des chartes, Constantinople ,
II" 17. En j:308.
- Siippl. (lu Trésor des chartes , armoire de fer. I'>ii 1306.
•^ Siippl. du Trésor des chartes , armoire de fer. En 1289.
''• Voyez ce que dit G. de Jandnn dans Y Eloge de Paris, publié par M. Leroux
de Lincy.
■' Voyez le traité De vwîiarchia.
" Purcjalolre.
LIVRE QUATORZIEME.
COXCLl SIOX.
CHAPITRE PREMIER.
ÉTUDE SUR LE CARACTÈRE DE PHILIPPE LE BEL.
Quel a été le caractère de Philippe le Bel? — Témoignages des contempo-
rains. — Guillaume l'Ecossais. — Villani. — Geoffroi de Paris. — On no
peut admettre que Philippe ait été un esprit faihle. — 11 a gouverné par
lui-même. — Paroles de l'éièqiie de Pamiers. — Il était peu ami des
lettres. — Ce n'était pas un prince guerrier. — Preuves de sa fermeté. —
Ses ministres ne sont que les instruments dociles de sa volonté, moyennant
quoi il les combla de biens. — Il ne leur donne aucun pouvoir personnel.
— Puissance de Marigny. — Pendant la dernière année de sa vie, le
caractère de Philippe semble avoir fléchi. — Curieuse anecdote. — Récit
de la mort du roi.
Dans le cours de ce travail , j'ai atlribué à Philippe le Bel
toutes les mesures qui furent prises sous son règne : j'ai
supposé que rien ne s'était fait que par son ordre et sous son
inspiration; j'ai personnifié en lui un goui'ernement habile,
organisateur énergique ; j'ai presque tracé le portrait d'un grand
roi; mais l'influence personnelle de ce prince sur les faits et
la part qu'il prit réellement à l'administration de la France et
aux actes politiques qui s'accomplirent sous son nom, furent-
elles aussi grandes qu'elles le paraissent ? C'est Là un grave
problème qu'il convient d'examiner. Les historiens modernes
se plaignent de l'absence de renseignements sur le caractère
de Philippe le Bel : il a cela de commun avec la plupart des
rois du moyen âge. Si l'on excepte saint Louis et Louis XI,
que d'immortels biographes, Joinville et Commines, ont fait
vivre au delà du tombeau, nous sommes réduits à des conjec-
tures sur la personnalité de la plupart des souverains qui ont
eu le plus d'action sur les destinées de notre pays. Quel homme
était Philippe-Auguste? Connaissons-nous Charles V? Quelle
416 LA FRAXCL: SOIS IMIMJPPE LK REL.
énigme que ce Charles VII, que l'on a si longtemps représenté
comme un roi fainéant, et (jue l'on s'efforce de réhabiliter de
nos jours! Mais aucun d'eux n'est entouré d'un mystère plus
impénétra Me que Philippe le Bel. Ou s'est plu à lui accorder
l'inflexibilité dont son gouvernement porte l'empreinte. On en
a fait le type abstrait de la royauté , telle que les légistes
l'avaient rêvée : on l'a dépeint comme un roi sans jeunesse et
sans passions et n'ayant rien d'humain. Cette figure n'est pas
celle de la légende, qui se tait sur cet homme que l'histoire
n'a pas osé juger, et qu'elle a baptisé du nom de Bel, n'osant
pas l'appeler le Grand et ne voulant pas l'appeler le Mauvais.
Ce sont les historiens récents, qui, impuissants à soulever le
voile, ont créé une figure de fantaisie, dont rien ne garantit
la vérité. Les chroniqueurs contemporains ne sont pas aussi
muets qu'on le suppose; peut-être en les interrogeant avec
soin n'esf-il pas impossible de restituer à l'histoire cette figure
qu'on nous représente sous des traits si étranges.
Un chroniqueur publié d'hier, Guillaume l'Ecossais , moine
de Saint-Denis, qui connut Philippe le Bel et l'assista dans ses
derniers moments, a tracé de ce prince un portrait qui paraît
tout d'abord invraisemblable, tant il diffère de l'opinion géné-
ralement reçue '.
Guillaume lait le plus grand éloge de la beauté de Philippe
et de sa dignité extérieure. L'élégance de toute sa personne
et la distinction de ses manières répondaient à la beauté de son
visage. Tout en lui annonçait un roi. « 11 se faisait remarquer,
ajoute-t-il, par sa douceur et sa modestie, fuyant avec horreur
les mauvaises conversations, exact aux offices divins, fidèle
observateur des jeûnes prescrits par l'Eglise, domptant sa
chair avec un ciliée. " Il me semble que ce portrait convient
plutôt à saint Louis qu'à Philippe le Bel.
Guillaume l'Ecossais n'est pas moins favorable au roi qu'à
riiomme : il attribue l'établissement des nombreux impôts qui
signalèrent son règne moins à son initiative qu'à ses con-
seillers. Simple et bienveillant, il supposait les autres animés
des mêmes intentions, et accordait une confiance aveugle à des
' Historiens de France, f. \\I, j). 201 et suiv.
LIVRE QUATORZIEME. — COXCLUSIOX. 417
hommes qui consultaient plutôt leurs propres intérêts que ceux
de l'État '.
L'Italien Villani est en partie conforme à Guillaume l'Ecos-
sais, sauf pour la piété du roi, sur laquelle il garde le silence.
C'était, dit-il, le plus bel homme du monde, de haute stature,
bien proportionné, assez sage et bon homme, ardent à la chasse;
il négligeait le gouvernement de ses États et s'en déchargeait
sur autrui. Il suivit de mauvais conseils et fut trop confiant*.
On croirait que Villani a connu, ce qui n'a rien d'impossible,
la chronique de (înillaume l'Ecossais, tant les deux récits se
ressemblent. Geoffroi de Paris atteste l'amour du roi pour la
chasse, et se fait l'écho du sentiment public en faisant retomber
sur les conseillers du roi les nombreux impôts qui écrasèrent le
peuple^. Il les accuse plusieurs fois de tromper le roi et de dé-
tourner à leur profit les deniers publics. Lue satire composée
vers l'an 1295 montre Philippe aimant à s'entourer, dès ses
jeunes années, de traîtres et de voleurs *. L'excès de l'injure
ôte toule créance à celle accusation.
Ainsi, d'après ces divers témoignages, Philippe le Uel aurait
été un prince bon et crédule, vertueux même, si l'on en croit
Guillaume l'Ecossais. Son malheur fut de se fier à ses con-
seillers.
Philippe le Bel fut-il un prince d'un caractère faible"? La
réponse à cette question offre un puissant intérêt. Aégative,
elle laisse à ce roi la responsabilité du bien et du mal faits
sous son nom , car alors ses actes auront élé l'effet d'une
volonté arrêtée. Affirmative, elle l'absout et le met au nombre
de ces rois sans énergie, prête-noms de ministres et de favoris,
qui régnent et ne gouvernent pas. Si l'on veut bien se rappeler
le tableau que nous avons tracé du gouvernement de Philippe
le liel, on sera persuadé qu'une volonté ferme, une persévé-
rance que rien ne rebute , furent seules capables de venir à
bout d'entreprises aussi vastes : ce qui distingue ce règne, c'est
' Historiens de France, t. XXI , p. 205.
•2 Alurafori. t. IX, p. 473. — Conf. Rainaldi , t. V, p. 29.
^ Chron. métrique , vers 1301 et .suiv., 431 , 1524.
^ Satire coiimiiini(jiic'c par W. Bnrdicr. Elle a élé imprimée depuis dans le
Bulletin de la Société de l'histoire de France.
27
418 LA FRAXCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
runilè qui se fait lemanjuer dans la politique intérieure et
extérieure, depuis le jour où Philippe moula sur le troue jus-
qu'à celui qui mit fin à sa vie. Et si l'honneur n'appartient
pas à Philippe, à qui l'attribuer? à un ministre? mais quel
est-il? l'histoire ne nous a pas transmis le nom du Sujifei- ou du
Richelieu de ce règne. Les princes faibles se laissent bien gou-
verner par un homme de génie, mais jamais l'ascendant d'un
homme médiocre n'a de durée : le pouvoir des favoris qui
n'ont d'autre titre que le caprice et l'engouement du ])rince, est
trop grand pour n'être pas ardemment convoité et disputé : de
là des chutes et des élévations soudaines et des changements
dans la manière de gouverner.
Le règne d'un prince faible offre donc dans la politique et
dans l'administration des variations et des revirements qui
tiennent aux causes que je viens d'indiquer. On n'aperçoit
aucun de ces symptômes dans l'histoire de Philippe le Bel :
loin de là, on trouve une séi'ie d'actes qui dénotent une direc-
tion ferme et unique, qui ne peut venir que du roi.
Dans l'ancienne monarchie, la personne du prince était
sacrée. Une fiction ingénieuse rapportait au chef de l'Etat tout
ce qui se faisait de bien et rejetait les fautes sur ses ministres.
C'est ce qui est arrivé pour Philippe le liel , surtout h propos
des impots. Les contemporains accusèrent ses conseillers, et
ces reproches sont reproduits de nos jours et étendus au roi
lui-même. 11 y aurait, ce me semble, de l'injustice à reprocher
à Philippe le Bel d'avoir établi des impôts : j'ai démontré que
ce ne fut ni par avarice ni pour prodiguer en folles dépenses,
mais pour satisfaire aux besoins nouveaux de l'administration
qu'il fonda, et surtout pour soutenir des guerres entreprises
dans le but d'agrandir la France. Des sommes immenses furent
ainsi perçues il est vrai; le peuple, toujours prompt à soup-
çonner ceux qui gouvernent, ne put croire que tout eût été
loyalement dépensé, et soupçonna les ministres de s'en être
approprié une partie. Ces accusations se sont surtout adressées
au surintendant des finances, Enguerran de Marigny ; elles ont
même été portées officiellement contre lui , après la mort de
Philippe le Bel , lors de son procès , et contribué à sa condam-
nation. Elles étaient pourtant fausses et furent reconnues
LIVRE QUATORZIÈME. — COXCLUSIOX. 419
comme telles par une commission nommée par Philippe le Bel
sur son lit de mort, à la demande de Marigny lui-même '.
Il faut donc rejeter au rang des erreurs populaires cette
opinion qui veut donner aux conseillers de Philippe le Bel la
responsabilité de ses actes.
Loin d'avoir été un esprit fail)lc, Philippe paraît avoir été à
la fois très-ferme et très-froid. Ce que dit un témoin d'une
grande autorité, Guillaume l'Ecossais, de sa douceur et de sa
piété, s'explique en faisant la part de l'exagération dans un
moine qui avait été arraché aux solitudes du cloître pour être
transporté à la cour d'un grand roi, dans l'intimité duquel il
vécut quelque temps. Ce témoignage prouve tout au plus que
Philippe ne fut pas un de ces esprits inquiets et méfiants, aux
instincts tyranniques et mauvais, que l'on croirait nés pour le
malheur de ceux qui les approchent, un Louis XI, en un mot,
ce type complet du vilain homme, qui n'en a pas moins été
un grand roi.
Tel ne parait pas avoir été Philippe le Bel, mais il était
très-réservé et parlait peu; il était difficile de soutenir son
regard. Son ennemi mortel, l'évêque de Pamiers, Bernard
Saisset, avait éprouvé l'effet de ce regard, et il n'avait pu
l'oublier. Il avait eu des querelles avec le comte de Foix au
sujet de sa ville de Pamiers; il s'était plaint à Philippe qui
l'avait froidement accueilli. Il se vengeait en racontant un
apologue injurieux pour le roi, qu'il comparait au duc, le
plus beau, mais en même temps le plus vil des oiseaux, qne
ceux-ci avaient élu pour roi, qui ne répondait pas quand on
lui parlait, et qui ne savait que regarder fixement-. Il disait
aussi que ce n'était ni un homme ni une bête, mais une
statue^. La statue placée sur le tombeau de Philippe le Bel à
Saint-Denis lui donne des traits sévères et empreints dune
grande énergie.
1 Voyez Lacahaiic, Dissertations sur l'histoire de France, p. 9. — Ce fait
est attesté par une lettre patente conservée au Trésor des chartes , Rcy. L,
n° 115.
- Dupuy, Preuves du différend entre Pliilippe le Bel et l'écéque de
Pamiers (i In suite du différend avec Boni/ace 1/7/, p. 044.
■^ Dupuy, ibid., p. 049.
27.
420 LA FRAXCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
Quoique pourvu d'uue bonne instruction, puisqu'il savait
le latin, il n'eut jamais de goût pour les lettres. Guillaume
Guiart, qui le célébra dans un long poëme, et qui fut un vail-
lant soldat, deux titres à la protection d'un prince éclairé, ne
paraît pas avoir eu part à ses bienlails, et fut réduit, pour
vivre, de vendre pièce à pièce son chélif héritage'.
Doué d'une force physique extraordinaire, car il faisait
plier (hni\ chevaliers en leur appuyant les mains sur les épaules,
iMiilippe aimait peu les exercices corporels " ; la chasse était
son seul plaisir : c'était un goût général à la noblesse ^ Sans
talents militaires, il se dispensait volontiers de prendre part à
la guerre. On le vit plusieurs fois exciler l'indignation de son
armée en demandant une trêve la veille d'une bataille* ou le
lendemain d'une victoire*; et cependant il était très-brave.
A la bataille de Alons-en-Puelle, les Flamands surprirent le
camp français et allèrent droit à la lente du roi, (]ui n'eut pas
le temps de s'armer. Il vit ])érir à ses cotés Hugues de Bouville,
son chambellan, et les deux frères Gencien, ses écuyers, qui
lui firent un rempart de leurs corps. Il réussit à monter à
cheval, et, armé d'une masse que lui donna un boucher de
Paris, il se précipita sur l'ennemi.
Déjà l'armée française était en déroute; le bruit du danger
que courait les roi arrêta les fuyards; et dès qu'ils le virent à
cheval et frappant rudement les ennemis qui l'entouraient, ils
poussèrent de grands cris de joie : « Le roi combat! le roi com-
bat ! 1' Ils se précipitèrent sur les Flamands, les repoussèrent, et
une grande victoire termina cette bataille commencée sous de si
tristes auspices. Philippe rentra dans le camp en triomphateur;
son courage et son sang-froid avaient sauvé l'armée ".
1 De W'ailly, Xolice sur Ginllaiime Guiart.
2 c Viribus forlis et strenuiis... duos milites qiiantumlibct, poncndo ma-
num unam super unius humerum et alteram super alterius, anibos compri-
mens cogebat scdere in terra. ' Ckron. anonyme. Bibl. imp., 5689 C.
3 Chron. de Jean Desnoucllcs, Historiens de France, t. XXI, p. 192.
J. de Erathcto, Historiens de France, t. XXI, p. 22.
■i Eu 1302, avant la bataille de Courlrai. Chron. de Flandre, documents
belges, t. III, p. 124.
5 Après la bataille de Mons-eu-Puelle en 1304.
6 Chron. anonyme de D. Sauvage. Chron. anonyme inédite, Bibl. imp.,
LIVRE Ql ATORZIlhlE. — COXCLISIOX. 421
Le génie de Philippe le Bel lui faisait préférer les négocia-
tions diplomatiques à la guerre : il n'employait la force qu'à
regret. Ce qui le distingue, c'est une persévérance et une téna-
cité sans bornes; il en donna des preuves dans sa jeunesse.
A peine était-il roi que les dominicains lui demandèrent le
cœur de Philippe le Hardi pour le placer dans leur chapelle à
Paris : il le leur accorda. L'abbé de Saint-Denis réclama, se
fondant sur le testament du feu roi, qui avait élu sépulture
dans son abbaye. Le légat appuya cette réclamation, et pré-
tendit qu'il fallait une dispense du saint-siége : les théologiens
furent unanimes sur ce point. Philippe ne céda pas, et
déclara que son autorité suffisait : il fut fait ainsi qu'il l'avait
ordonné '.
Ce caractère entier, il le montra toute sa vie : il n'abandonna
jamais un projet après l'avoir conçu ; il poursuivit pendant sept
années la condamnation des templiers, et ne renonça jamais à
son plan d'incorporer la Flandre au domaine de la couronne.
Loin d'être sans énergie et sans volonté, et d'obéir à ses con-
seillers, il ne chercha dans ses ministres que des instruments*.
Dans les premières années de son règne, les comtes d'Artois et
d'Evreux, ses oncles, eurent quelque influence. L'administration
des finances fut confiée jusqu'en 1306 à ces deux Florentins
dont j'ai souvent parlé, IJichet et Mouchet. Guillaume de Flote
fut quelque temps à la tète de la justice : il périt en J3()2, et
eut pour successeur Guillaume de Xogaret, simple juge de
province, que Philippe tira de son obscurité, et qui joua un
grand rôle dans le procès de Boniface VIH. ]\LaIgré la confiance
du roi et les services signalés qu'il lui avait rendus jusqu'à se
faire excommunier, Xogaret ne put jamais obtenir le rang de
n' 5G89 C. — Guillaume l'Ecossais, Historiens de France , t. XXI, p. 205.
— Jean de Saint-Victor, ibid., p. 64-3, etc. Tous les clironiqiicurs sont una-
nimes sur ce point : AI. Kcrvyn a jugé à propos de faire de Pliilippc le Bel
un lâche; en présence du témoignage de l'histoire, c'est là une erre«r singu-
lière, mais que le patriotisme flamand de l'auteur ne peut faire excuser.
Histoire de Flandre , t. II , p. 525 et 526.
' Chron. Guillclmi de Frachcto , Historiens de France, t. XXI, p. 7.
- Xotre opinion avait été déjà adoptée par un écrivain qui avait le sens
historique très -développé, par le P. Daniel, Histoire de France, i. IV,
p. 484.
422 LA FRAXCE SOIS PHILIPPR LE BEL.
chancelior ' , dont il remplissait les fonctions. Philippe évitait
de donner ii ses ministres des positions oKicielles (|ui auraient
pu leur peimettre de résister et assurer leur indépendance.
Toulet'ois, dans les deux dernières années de son rè^i^ne, cet
esprit s't ferme semble s'être affaissé sous le poids des mal-
heurs publics et des chagrins domesti(|ues ; il investit de la
plus haute faveur un gentilhomme normand, ancien cham-
bellan de la reine, Enguerran de Mariguy ^, financier habile et
surtout dévoué, et qui atteignit un degré de puissance extra-
ordinaire. Le roi finit par ne plus voir que par les yeux de son
ministre, ce qui excita la jalousie des princes du sang, surtout
de Charles de Valois ^ Cette animosité donna même naissance
à une piquante anecdote : la cour était au château de Vin-
cennes; le roi de Xavarre, Louis le Hutin, qui était entré dans
le complot contre \Iarigny, et à qui tout semblait permis,
annonça un divertissement auquel il pria le roi d'assister avec
son ministre et toute la cour. Il s'agissait d'une représentation
de marionnettes, sous la direction d'un jongleur habile.
Le tliéàtre représentait la chambre royale, tendue de tapis-
series fleurdelisées ; mais laissons parler le chroniqueur, dont
le style naïf offre un grand charme : « Y avoit un lit paré
de drap d'or, sur lequel gisoit un personnage fait à la sem-
blance du roy. Puis avoit ledit maistre (le jongleur) plusieurs
imaiges fait et ordonné à la semblance de plusieurs grands
seigneurs, lesquels vinrent pour parler au roy l'un après
l'autre. Premier y vint Charles de \alois, qui heurta à l'huis
de la chambre, et dit qu'il voloit parler au roy : dont lui dit
li chambellans : ^- Monseigneur, vous ne poez parler, car li
» roys l'a défendu -^ : dont se parti de l'huis tout courroucié.
Puis y vinrent les autres Irères du roy, et puis Loys de Xa-
1 \nypz Ips plaintes de Xogaret. Diipuy, DiffiTcnd de Philippe le Bel
avec Boni/ace l III, p. 518 et 610.
- V'oypz sur Marigny, P. Clément, Trois drames historiques , où l'on
trouvera l'indication des principaux documents originaux qui font connaître
la vie privée de ce ministre.
3 Sur Charles de Valois, qui paraît avoir été tendrement aimé de Philippe,
qui le combla de seigneuries et lui ouvrit son trésor, mais qui ne paraît pas
lui avoir laissé de part au gouvernement, voyez Ducange, Histoire de
Constantinople , t. I et II; et Trésor des chartes, Valois.
LIVRE QUATORZIÈME. — COXCLUSIOX. 423
varre et Charles de La Marche, à qui on respondit tout pareil-
lement. Après ceux-ci vint Engherran de Marigny en grand
boban, à tout avec trois serjanz à masses devant luy, auquel
on ouvri la chambre en disant : « Monseigneur, bien soyez
5) venus, li roy a grand désir de parler à vous îj , puis s'en alla
jusqu'au lit du roy. Quand Engherran de Marigny, qui cstoit
à la fenestre, se perçut que ledit jeu estoit pour lui mocquer,
moult en fut argué. Quand Loys de Xavarre et Charles, son
frère, dirent que c'estoit leur fait. " Le roy s'emporta et punit
son fils Louis \
Cette confiance illimitée de Philippe le Bel dans son ministre
est attestée par d'autres témoignages contemporains'. Mais,
malheureusement pour Marigny, Louis leHutin allait bientôt ré-
gner, et l'on s'explique aisément comment le favori de Philippe
le Bel fut livré par le nouveau roi au ressentiment de Charles
de Valois, et expia sa grandeur sur le gibet de Montfaucon.
Malgré tout son grand pouvoir, Enguerran de Marigny n'avait
d'autre titre que celui de chambellan du roi. Il acquit d'im-
menses richesses, ainsi que les autres ministres de Philippe,
1 Chron. de Flandre, documents belges, t. III, p. 137. Quoique la
rédaction de cette chronique remonte au quinzième siècle, le compilateur
s'est seni de récits antérieurs.
2 En celé année que j'ai dist
Cil chevalier sans contredit,
Enguerran ci-dessus nommé
Fu el royauime moult renommé.
Du roy Phclippe cstoit-il sire ,
\ul de riens ne l'osoit desdire.
Tout cstoit fet ce qu'il vouloit,
De cclc part qu'il se couloit,
Le roy fesoit entièrement :
De tout ot le gouvernement.
A'us vers le roy Phelipe aler
Xe pooit pas, n'a lui parler.
Se de sa volenté n' cstoit.
Celui de tout s'entreraetoit ,
Xe les royaus riens empêtrer,
S'Enguerran vouloit conircstcr,
Riens ne pouvoient vers le roy.
Si le tenoit-on comme roi.
Chron. métrique de G. de Paris, édif. Buchon , p. 239 et 240.
424 LA FRAXCE SOIS PHIf-IPlM': I,E BEL.
qui prodijfiiait les doniaiiics de l'I'lliit à ceux qui lo scM'vaienl
avec rulélilt' '. Ccpeudaut il j)araîlrail (|iit' sa rcconuaissance
fiuissail avec les services rju'ou lui reudait, car la plupart de
ses niiuistres eurent, lui vivant, leurs biens confisqués après
leur mort '.
Philippe n'avait ])u assister en indiflV'rent aux scènes tragi-
ques qui assombrirent son règne : le supplice des Tem])Iiers,
la mort de CléuKmt V, l'adultère des deux belles filles du roi,
dont les amants furent publiquement pendus à Poissy, étaient
venus troubler cette àme si fortement trempée.
En 1314, la guerre recommença contre les Flamands. Les
révoltes de la noblesse, l'établissement des ligues, le refus des
impots, vinrent rendre la situation encore plus difficile. On
faisait circuler de sinistres rumeurs : Arnaud de Villeneuve
annonçait la fin du monde; on rappelait d'anciennes prophé-
ties; l'on touchait à la période marquée par le cinquième
sceau de l'Apocalypse, qui précédait la venue de l'Antéchrist.
Des signes apparurent dans le ciel, présage funeste de quelque
mort illustre.
Encore à la fleur de l'âge, Philippe fut pris d'un mal que
les contemporains ont voulu expliquer par le poison, d'autres
par une chute de cheval et une blessure faite par un sanglier.
Les mieux informés ne parlent que d'une maladie de langueur.
Le 4 novembre 1314, il ressentit une vive douleur à l'esto-
mac et une soif que rien ne pouvait apaiser; il se fit transpor-
' Voyez les plaintes de Philippe le Long à ce sujet dans une ordonnance
relatiie à la restitution des domaines tic la couronne aliénés. Ord., t. I,
p. (j()5.
- Exemple, les deux Irères Biciiet et Alnuchet : ^ Stcphanus de Ferreriis...
dej)ulatus ad eapiendum, veudendum, distribuendum et ex|)lectanduni aucto-
rilate re;[ia, et ad opus dnmini rejjis, omiiia l)ona mobilia et immohilia, que
doinini Bichius et Alochclus Guidi , milites domini régis, quondam liabebant et
possidebant, temporc mortis sue in scnescalliis Rellicadri et Carcassone. »
En vertu d'un mandement du roi, ordonnant la saisie des biens des deux
frères à cause des grosses sommes qu'ils devaient au roi : i. Cum defuncti
Cichius et Mochetus (juidi , fratres.. nobis ex certa causa in quadani magna
quantitate pecunie teneanlur. — Ultima die novcmbris m. ccc. vu. t Reg. XI
du Trésor des chartes, \\° xxxii. — Renier Flamand, autre agent supérieur
du roi , eut aussi ses biens confisques , projJler delicluin. Reg. Xlill du Trésor
des chartes, u" 101 (en 1309).
LIVRE OlATOnZIlhli:. — CO.VCLISKXV. 425
ter à Fontainebleau, où il était né. 11 lanjjiiil pendant trois
semaines. Le mardi avant la Saint-André (2G novembre), il fit
une confession générale et communia; dès lors il l'ut obligé de
garder le lit. Il prit ses dernières dispositions, dicta son testa-
ment avec des fondations pieuses ', et ne songea plus qu'à son
salut. Il récitait fréquemment le verset : la manus titaSj
Domine j comniendo spiritum meum^ et l'hymne Jesii, nostra
redemptio. A ceux qui s'informaient de ce qu'il éprouvait,
il répondait qu'il ressentait une soif ardente. Il demanda
l'exirème-onclion, qu'il reçut avec foi; il consolait ceux qui
l'entouraient en pleurant, et quand on lui demandait : « Sire,
comment vous est? » il disait : « Selon qu'il plaît à Dieu, aussi
il me plaît '. "
Il fit ensuite venir sa famille; et, s'adressant à son fils aîné,
il se reprocha d'avoir accablé son peuple d'impôts et d'avoir
compromis son salut éternel ^ . Il exhorta Louis à bien gouver-
ner son peuple, à observer la justice et à consulter ses
oncles. Il lui donna sa bénédiction et l'embrassa; il en fit
autant à ses autres fils et à ses frères, et les requit de faire
prier pour lui. Il demanda ensuite qu'on le laissât seul. Il
fit alors de tristes réflexions sur le néant des grandeurs hu-
maines, et s'humilia devant la main de Dieu qui le frappait.
Il appela son confesseur et plusieurs de ses serviteurs, et leur
dit : « Frères, regardez ce que vaut le monde; voici le roi de
France. «
Le vendredi matin, il sembla qu'il voulût reposer; il
demanda les prières que l'Eglise adresse au Tout-Puissant
pour lui recommander l'àme de ceux qu'il va citer à son tri-
bunal. La recommandation fut faite par l'évéque de Chà'on et
l'abbé de Saint-Denis. A l'heure de tierce, il demanda pardon
des scandales et des mauvais exemples qu'il avait donnés. Les
1 Codicille de Philippe le Bel. Or. Trésor des chartes, J. 403, n" 19,
copie K. 38, n" 16. Voyez le Icxtc dans Xotices et extraits. — Philippe
avait fait plusieurs testaments sucfcssils : h; dcrnior clait du 17 mai 1311.
Or. J. 403, n° 17.
■- Guillaume l'Kcossais, Historiens de France, 1. XXI, p. 206 et 207.
•' Jean de Saint-Victor, Historiens de France, t. XXI, p. 659. — Conf.
Chron. métrique de Geoffroy de Paris , édit. Buclion.
V2G LA FHAXCE SOUS PHILIPPE LE BEL.
clercs lurent la Passion, (ju'il écouta attentivement. Vers la fin,
il récita ce x'ersct : « Seijpiour Dieu, je rends mon esprit en
tes mains, n II resta (juclques instants sans mouvement : on
le crut mort. Quand midi sonna, il dit à son confesseur:
«Frère Renaud, je vous connais bien et tous ceux qui sont
ici. l^•iez Dieu pour moi. -^ On commença l'office du Saint-
Esprit, et quand on arriva à ces paroles : « Le prince de ce
monde est venu, " le roi rendit l'esprit '. Il était dans sa qua-
rante-septième année.
L'opinion populaire, qui se plaît à voir dans les infortunes
humaines le ch<àtiment de grandes fautes, attribua la mort
prématurée de Philippe le lie! et de ses trois fils, et l'extinc-
tion de sa race, à la colère céleste qui vengeait lîoniface VIII
et les Templiers ".
La veille de sa mort, Philippe fit des additions à son testa-
ment ; il fit quelques legs à des couvents, surtout au monastère
de Saint-Louis à Poissy, et laissa quelques gages de son sou-
venir à ses enfants et à ses vieux serviteurs. J'ai sous les yeux
l'original de ce codicille. Il porte avec la signature du secré-
taire intime de Philippe le Bel, Maillard, et à la suite de la
formule : Par le roi, cette étrange phrase : Et du consente-
ment du roi de Navarre.
Le testament de Philippe avait-il donc besoin, pour être
valable, du consentement de son héritier? L'exécution des der-
nières volontés (le cet homme sous qui tout avait plié, furent
soumises, lui vivant et régnant, à l'approbation de son fils.
Grande leçon que donne l'iiistoire! un roi, sur son lit de mort,
a dt-jà cessé de régner.
* (îiiillanmc l'ICcossais, p. 207. Conf. Lacabane , Dissertations sur l'his-
toire de France au quatorzième siècle : Alort de Pliilippr le Bol, p. 9 et 10.
— Delisle, Notice sur le recueil des historiens des Gaules, p. 9 et 10.
- Villaiii, t. VIII, cliap. xcii.
LIVRE QLATORZIEAIE. — COXCLUSIOX. 427
CHAPITRE DEUXIÈME.
RÉSUMÉ.
Comme quoi le règne de Philippe le Bel a été im jirancl règne.
« Comme on voit un fleuve miner lentement et sans bruit
les digues qu'on lui oppose, et enfin les renverser dans un
moment, ainsi la puissance souveraine, sous Auguste, agit
insensiblement, et renversa sous Tibère avec violence. "
Celte vive image, que j'emprunte à Montesquieu, exprime
avec une admirable vérité les progrès accomplis par le pouvoir
royal sous saint Louis et sous Pbilippe le Bel; non qu'il soit
possible d'établir un parallèle entre Octave et Louis IX, entre
le tyran de Caprée et l'adversaire de Boniface VIII, mais, en
France, dans la seconde moitié du treizième siècle, comme à
Rome, sous les deux premiers empereurs, la monarchie passa
brusquement et sans transition d'une situation modeste et
embarrassée aux exagérations du despotisme. Le gouvernement
de Philippe le Bel fut même plus absolu que celui de ses suc-
cesseurs, et, cbose étrange, ce résultat était dû à saint Louis
et à la force morale qu'il avait donnée au principe d'autorité.
La royauté prit pour elle les hommages qui s'adressaient au
génie et à la vertu : elle grandit dans l'opinion publique, elle
fut comme sanctifiée.
Dans les actes de Philippe le Bel, il faut distinguer ceux qui
furent le produit du développement régulier des institutions
anciennes, de ceux qui furent dictés par les circonstances. Les
uns furent intelligents et durables : c'était la continuation de
l'œuvre de Philippe-Auguste et de saint Louis. Les autres,
violents et iniques, ont peut-être pour excuse la nécessité. La
cause de tous les maux fut un immense besoin d'argent sans
cesse renouvelé, qui fut la conséquence non pas du système de
corruption qu'on prête à ce roi, mais des nombreuses guerres
qu'il eut à soutenir. Disons à son honneur que toutes ces
guerres furent entreprises pour donner à la France les limites
428 LA FRAXCE SOLS PHILII'PR LE BEL.
qui semblent lui avoir été assignées par la nature. Toutefois,
je ne veux pas cacher que les prétextes de ces guerres furent
sonvent injustes : l'injuslice est le vice capital de ce règne,
tout en est comme infecté. Et cependant que de grandes choses!
La politi(|ue étrangère d«! Henri IV et de Richelieu inaugurée,
la féodalité abaissée, l'administration établie, la séparation du
pouvoir religieux et du j)ouvoir séculier accomplie, la justice
réglée, l'armée organisée, la science financière créée, et, pour
couronner l'œuvre, la nation convoquée pour la première fois
dans les états généraux : avec Philippe le Bel cesse le moyen
âge, nous entrons dans le monde moderne.
Et ne nous étonnons pas, et surtout ne soyons pas trop
sévères en voyant les scandales, les fautes et les malheurs qui
accompagnèrent la réalisation de ce merveilleux programme.
La vie dos peuples est comme celle des individus, une lutte
perpétuelle contre des obstacles sans cesse renaissants. Le
progrès s'achète bien cher : heureux (|nand on peut l'acquérir
aux prix de douloureux sacrifices. Sans doute, les états géné-
raux ne jouèrent sous Philippe le Bel qu'un rôle insignifiant :
ils ne furent guère que les comparses de la royauté. Mais on
sut dès lors en France qu'il y avait un pouvoir qui n'était ni
la noblesse, ni le clergé, ni le tiers état, qui était a. la fois tout
cela, la nation. Chez les autres peuples, les assemblées repré-
sentatives sont issues des révolutions : les états généraux furent
convo(jués par Philippe le Bel volontairement et sans con-
trainte; il leur fit sanctionner l'indépendance de la couronne
par rapport au saint-siége ; et s'il ne les admit pas à prendre
une part sérieuse au gouvei-ncment, il n'en posa pas moins en
principe le droit de la nation d'être consultée sur les grandes
questions de gouvernement, et surtout sur le vote des impôts.
Le règne de Philippe le Long, l'un des plus féconds dans
l'histoire en sages ordonnances et en mesures réparatrices , fut
le fruit de cette politique, (]ui admettait le peuple dans les
conseils du souverain pour l'éclairer. Philippe le Bel peut donc
être regardé comme le créateur du système représentatif en
France.
Lu autre mérite de ce prince à nos yeux est d'avoir terrassé
la féodalité et de l'avoir réduile à néant, en la dépouillant de
LIVRE QUATORZIEME. — COX'CLUSIOX. 429
ses prérogatives, qui étaient contraires à la civilisation et à
l'ordre public, telles que le droit de guerre privée. Par les
anoblissements, il combla la distance qui séparait le noble du
roturier, distance que la richesse de la bourgeoisie et la pau-
vrolé de la noblesse avaient déjà diminuée : il institua de nou-
velles pairies. Jusqu'alors, la naissance avait réglé le rang:
la volonté du prince dispensa de noblesse et lut la principale
source de la grandeur. La royauté, secondée par les légistes
du tiers état, s'appliqua les maximes de Rome et s'érigea en
monarchie absolue. Elle fit des lois générales obligatoires dans
tout le royaume; elle osa même invoquer la plénitude de l'au-
torité royale, elle qui, un demi-siècle plus lot, était obligée
en droit et en fait de prier humblement les grands vassaux
d'exécuter ses ordonnances.
La féodalité domptée voulut ressaisir son pouvoir; elle pro-
fita du mécontentement général causé par les impôts pour se
soulever; elle couvrit sa révolte du prétexte du bien public;
elle voulut faire participer le peuple à sa rébellion, en lui
promettant de l'associer à sa victoire. Elle parla des libertés
publiques, et elle ne désirait qu'une chose, restaurer ses
vieux privilèges, aussi funestes au peuple qu'à la royauté.
Cette réaction eut à la mort de Philippe le Bel un triomphe
éphémère. La noblesse n'eut qu'à demander, on lui accorda
tout ce qu'elle réclamait, ce qui pouvait se résumer en trois
mois : Droit à l'anarchie. Mais son règne était fini; le peuple
avait joui trop longtemps de la paix sous le régime royal, tout
dur et tout chargé d'impôts qu'il était, pour souffiir patiem-
ment les jeux de prince dont il avait perdu l'habitude. Philippe
le Long fit alliance avec le tiers état, lui donna des armes, et
la noblesse rentra dans le devoir. Ou peut affirmer que sous
Philippe le Bel la féodalité fut moins puissante qu'elle le fut
un siècle et demi plus tard. En effet, l'avènement des Valois,
favorable aux prétentions aristocratiques, et les malheurs de
la guerre de cent ans, vinrent lui donner une force nouvelle.
La création de grands apanages en faveur de princes du sang
donna naissance à une seconde féodalité tout aussi dangereuse
pour la couronne que la première, et dont la destruction fut
l'œuvre de Louis XL
430 LA FRANCE SOLS PHILIPPE LE BEL.
Quant au tiers état, il croissait on importance politique.
Philippe choisit dans son sein ses plus fidèles conseillers et ses
agents les plus habiles. A la liberté communale, toujours
tumultueuse et souvent stérile, il substitua la liberté civile en
développant les bourgeoisies royales; c'était un progrès, car le
citoyen des communes ne jouissait de ses privilèges que dans
l'enceinte de sa ville; partout ailleurs il était un étranger, un
ennemi, tandis que le bourgeois du roi portait avec lui ses
droits et ses libertés dans les fiefs seigneuriaux, au milieu de
populations vouées à l'esclavage. Dès lors se manifeste une
tendance marquée à substituer dans les villes la tutelle admi-
nistrative à l'indépendance municipale. Les magistrats cessent
d'être le produit de l'élection directe pour devenir des officiers
royaux choisis sur une liste de présentation. Toute initiative
est délruile pour faire place à l'action de jour en jour plus
envahissante du pouvoir central.
Les grands corps de l'Etat furent constitués; le conseil du
roi, le parlement, la chambre des comptes, confondus jus-
qu'alors, reçurent une existence séparée. On ne saurait pro-
noncer le nom du parlement sans songer à Philippe le Bel.
En lisant les anciens registres de cet illustre tribunal, on est
frappé du concours puissant qu'il apporta à la monarchie. Il
retint au profit de la couronne une partie de ses anciennes
attributions politiques, que la royauté du dix-huitième siècle,
oublieuse des services rendus, lui contesta, et dont elle vou-
lut le dépouiller. On doit reconnaître dans le parlement un
des éléments de grandeur de notre patrie. On a envié à l'An-
gleterre son parlement électif, mais si le parlement anglais
lutta quelquefois, au moyen âge, contre le despotisme, il fut
aussi tour à tour le promoteur de la guerre civile ou l'appro-
bateur servile des plus grands excès de l'absolutisme; notre
parlement est une institution originale, française, conforme
aux mœurs de nos pères et au génie de la nation, et dont on
n'a pas voulu comprendre la grandeur. Ce n'était pas un pou-
voir pondérateur, car l'ancienne constitution n'admettait pas
l'équilibre des pouvoirs. La royauté n'avait pas de contre-poids;
mais au-dessous d'elle se trouvait le parlement, pouvoir modé-
rateur émanant d'elle, dévoué, mais donnant respectueuse-
LIVRE QUATORZIEME. — COXCLUSION. 431
nient et avec fermelé des conseils. Son rôle fut moins noble
sous Philippe le Jîel ; il se montra trop soumis; il fut souvent
un instrument, et fit taire fréquemment la justice pour servir
les intérêts du roi.
La confusion des pouvoirs administratifs, judiciaires, finan-
ciers et militaires, (jui cesse dans les hautes régions du pou-
voir, se perpétue dans les degrés inférieurs, moins par igno-
rance des vrais principes de toute bonne administration, (]ue
pouu laisser une plus grande autorité aux représentants du roi
dans les provinces. On trouve alors l'administration aussi for-
tement constituée que trois siècles plus tard; la vigueur du
roi maintenait même, parmi les nombreux fonctionnaires
chargés d'exécuter ses ordres, une hiérarchie et une discipline
qui n'existèrent pas à des époques plus récentes, où des con-
flits d'attributions s'élevaient à chaque instant. Le roi avait
dans ses baillis, ses sénéchaux, ses prévôts et ses sergents,
une armée obéissante et dévouée, toujours prêle à l'attaque,
dont il fallait souvent modérer l'ardeur, et qui lui conquit pied
à pied la France sur la féodalité et sur l'Eglise. A ces hommes
on ne demandait pas le respect des droits de chacun, le main-
tien des libertés publiques, la sauvegarde des intérêts privés,
mais un zèle de tous les instants à veiller sur les droits de la
couronne, à les étendre et à faire dominer en tous lieux l'au-
torité royale. De là de nombreux abus et de justes plaintes
qu'on ne pouvait laisser sans réponse, et qui provoquèrent
i'iéquemment l'envoi de réformateurs qui mettaient le comble
h l'injustice et à l'arbitraire. Les notions du juste et de l'in-
juste, en matière de gouvernement, n'avaient d'autre défen-
seur que le parlement, qui intervenait souvent en matière
d'administration, et dont on voudrait avoir à louer plus sou-
vent, sous ce règne, l'indépendance et l'impartialité.
Le service féodal était devenu insuffisant pour soutenir des
guerres qui se prolongeaient au delà de quelques mois. L'état
de la société ne permettait pas encore l'établissement d'une
armée permanente. Philippe proclama le devoir de chacun,
noble ou roturier, de contribuer à la défense de la patrie. La
levée du ban et de l'arrière-ban lui donna des armées nom-
breuses. La mise sur pied de ces armées entraîna des dépenses
432 LA FRA.VCK SOI S l'HII.IITK LE HEL.
excessives; pour y faire face on élahlit des impôts. Los besoins
de l'Etat prirent des proportions inconnues auparavant. En
même temps l'administration se constituait avec ses rouages
compli(|ués et coûteux. Pour satisfaire à ces exigences, on ne
pouvait se contenter des anciennes ressources : Philippe le
JJel eut une idée de jjêuie; il voulut élaMir des impôts indi-
rects sur les oi)jels de consommalioii. l,a niallole n'était autre
cliose (]u'un impôt de ce genre, (pii avait l'avantago d'atteindre
toutes les classes de la société. L'opjiosition sf)ulevée par
cette mesure fut générale, et telle, (jue Pliilip|)e dut sup-
primer la maltôte et recourir à des impots dont tout le poids
portait sur le tiers état; mais la noblesse ne resta pas long-
temps exempte. Il lira les conséquences du principe que tout
Français devait porter les armes; mais au service personnel
il permit de substituer le payement d'une somme d'argent qui
variait suivant la fortune de chacun. L'égalité devant l'impôt
fut rétablie |)ar ce moyen.
Le clergé contribua largement aux charges publiques, à
certaines conditions. La permission du saint- siège, exigée
jusqu'alors pour lever des impôts sur l'Eglise, devint une for-
malité. Dans ces mesures Philippe devançait son siècle; mais
il ne sut pas toujours échapper aux préjugés de son temps, et
surtout aux mauvais conseils d'une nécessité impérieuse. Il se
procura de l'argent par la persécution des Juifs et des mar-
chands lombards établis eu France. L'odieux de rinvenlion
ne lui appartenait pas; il imitait ce qu'il voyait faire partout
autour de lui. Il crut s'enrichir en altérant les monnaies, et il
acheva la ruine du commerce déjà ébranlé par les guerres. Il
ne trouvait que peu de ressources dans le crédit public tel
qu'il était organisé. L'établissement de nouveaux impôts soule-
vait de grandes difficultés; l'altération des monnaies offrait
des ressources faciles à exploiter, qui paraissaient inépuisables
et dont il eut la faiblesse d'abuser. Ses successeurs commirent
tous la même faute, sans avoir la même excuse. Les assignats
doivent nous rendre indulgents pour Philippe le Bel. Il fît des
emprunts forcés, il multiplia les confiscations : je ne prétends
pas l'excuser, mais ce ne fut pas pour pour satisfaire des
fantaisies ruineuses.
LIVRE QUATORZIÈAIK. — CO.VCLUSIO.V. 433
Il multiplia les prohil)ilions d'expoilei- les inatières premières
nécessaires à l'induslrie, mais ce l'ut sur les réclamations des
fabricants français, (jiii detnandèrcnt j)roteclioii au gouverne-
ment coutre la concurrence étrangère. Il fixa des lois de maxi-
mum pour le prix des denrées. Cette expérience produisit un
elfet opposé à celui qu'on en attendait. Ce sont là des fautes
qu'on ne peut lui reprocher; elles sont de son temps et ont
trouvé des imitateurs qui avaient cependant pour s'instruire
l'exemple du passé.
Les papes réclamaient, en qualité de vicaires de Dieu, la
suprématie sur les lois, non comme rois, mais comme chré-
tiens; celte distinction, admissible en théorie, menaçait de
s'effacer souvent dans la pratique; c'était une prétention dé-
guisée à la suprématie. Philippe-Auguste avait résisté, saint
Louis séparait à son tour le vicaire de Jésus-Christ du prince
temporel.
La question était restée indécise; Philippe la trancha, on
sait comment. Rien ne saurait faire excuser la violation du
droit des gens dont il se rendit coupable envers Boniface VIII,
ni l'odieux de la procédure qu'il intenta contre sa mémoire,
ni la pression qu'il exerça sur Clément V, ni les iniquités et les
infamies du procès et de la suppression de l'ordre du Temple,
ni le supplice de Jacques de Alolay. Pour arriver à son but, il
employa tous les moyens. La raison d'Etat étouffait en lui tout
scrupule. Mais on a été trop loin en lui prêtant de vastes des-
seins de réforme religieuse et en l'érigeant en précurseur de
Henri VIII. Il affecta, et tout porte à croire qu'il professait un
sincère attachement aux doctrines de l'Église ' et à la papauté.
Son différend avec Bonil'"ace VIII n'aflaiblit pas ce respect. Il
évita tout ce qui aurait pu amener un schisme, et repoussa les
suggestions de ses conseillers qui osaient lui montrer la sup-
pression du pouvoir temporel des papes comme le premier
échelon pour arriver à la monarchie universelle. Le transport
du saint-siége dans la ville d'Avignon ne doit pas lui être im-
1 II fonda les nionaslôrcs de Poissy en l'honneur de saint Louis, juillel 1304
(Reg. H du Trésor des chartes, n° 42j, et l'abbaye du Alonccl (Rcg. XLI du
Trésor des chartes , n° xxvii), en 1309. Ces deux établissements religieux
furent de sa part l'objet d'une grande soUicitude.
28
434 LA FRA.VCE SOIS PHILIPPE LE BEL.
pufé, mais aux llomains eux-mêmes, chez lesquels les souve-
rains pontifes ne trouvaient plus aucune sûreté. Il fit même
restituer i)ar les Vénitiens une partie du patiimoine de saint
Pierre qu'ils avaient usurpée. Les démêlés de Philippe le Bel
avec le saint-sié;je eurent pour résultat de dessiner nettement
la position respective de ri'lgiise et du pouvoir laïque, et
d'établir que, si une obéissance entière était due au pape en
matière de foi, il n'avait, pour tout ce qui concerne le tem-
porel, que le droit de donner des avis et des conseils, aux-
quels il était permis de ne pas se soumettre.
N'oublions pas surtout que Philippe le Bel voulut donner
à la France ses limites naturelles: il réunit Lyon au domaine;
il espéra chasser les Anglais de Guienne. Son intention était
de reculer le royaume jusqu'au Rhin. Il prit à sa solde
la plupart des princes allemands; son influence s'étendait
dans toute l'Europe. Mais cette grande puissance était trop
prématurée pour être stable. Il voulut faire partie intégrante
de la monarchie la Flandre, dont les comtes faisaient cause
commune avec les ennemis de la France. La Flandre elle-
même n'aurait peut-être pas demandé mieux, s'il ne l'eût
pas pressurée et accablée d'impôts. Elle engagea une de ces
résistances héroïques qui semblent ne devoir se rencontrer
que là où il y a une nationalité. Ce peuple de" marchands et
de fabricants avait besoin de liberté pour son commerce; il
lui fallait des laines anglaises pour ses métiers : il lui fallait
surtout la paix pour écouler ses produits. La France ne lui
apportait (]ue des entraves au commerce extérieur, des pro-
hibitions d'importation, la ruine, en un mot. Le choix ne
fut pas long : le duel commença avec des chances en appa-
rence inégales, avec des alternatives de succès et de revers,
duel qui durait encore quand Philippe mourut et où les Fla-
mands devaient finir par triompher. La Flandre, c'est l'om-
bre pour le règne de Philippe le Bel, c'est l'obstacle contre
lequel vinrent se briser ses projets; ce fut la source de tous
les malheurs de la France, des exactions fiscales, de l'al-
tération des monnaies, de l'épuisement des finances, de la
déchéance de l'industrie, du malaise général, du méconten-
tement de tous, de la défiance de la part du prince, et des
LIVRE QUATORZIÈME. — COXCLUSIOX. 435
actes de rigueur auxquels le gouvernement se crut obligé de
recourir pour prévenir des révoltes '.
Philippe mourut au mitieu de la désaffection de la nation,
désaffection dont nous possédons des témoignages énergiques".
La poésie se fit l'écho des plaintes du peuple et retraça dans
de vives complaintes les souffrances du pays. Elle reprocha au
petit-fils de saint Louis sa dureté, la détresse où il avait réduit
la fient menue, et prit texte des calamités publiques pour pro-
clamer qu'on était arrivé à ces temps maudits, annoncés par
d'anciennes prophéties, où l'Antéchrist devait régner ^ .
Cette impression funeste qu'éprouvèrent ceux qui vivaient
du temps de Philippe le Bel, a été partagée par un éminent
historien moderne. « On croirait volontiers, dit M. Michelet,
que ce temps est le règne du diable, n'étaient les belles
ordonnances qui y apparaissent par intervalles et y font comme
la part de Dieu. " Il y a Là une grande exagération sans doute,
mais elle peut trouver son excuse dans le désolant spectacle
qu'offraient les dernières années du règne de Philippe le Bel.
La lutte du roi contre Boniface VIÏI avait inquiété les con-
sciences. Le procès fait à la mémoire de ce pape, les infamies
1 En 1305, ic roi fit proclamer dans Paris défense à toutes personnes,
d'aucun état, métier ou condition, de se réunir au delà de cinq, soit le jour,
soit la nuit, publiquement ou en secret. Les infracteurs devaient être internés
au Chàtelet, et n'être relâchés que sur l'ordre du roi. (Mercredi après la
Quasimodo.) Ord., t. I, p. 28.
- Sur la désaffection profonde du Midi , qui était prêt à se séparer de la
monarchie, confin. Cliron. G. de Frachcto, Historiens de France, t. XXI, p. 22.
^ Car Jhcsus Cris
Aous fait savoir
Que nez pour voir
Est Autécris.
Plus n'est liés.
Car déliés
Court par le règne ,
Le pape sert
Du roi désert
Comment il règne.
Bulletin de la Société de r histoire de France, t. I, p. 223. Complainte
publiée par M. Chabaille. — Voyez aussi la prophétie que j'ai publiée, Notices
et extraits , n° xiiir.
28.
436 LA KRAXCi; SOLS PFIILIPPI-: LK BEL.
(|ii(> los minisires du roi impulaiont à celui (jui avait été en ce
monde le vicaire révère de .Iésus-(!lirist , avait ébranlé chez
plusieurs le resj)ect de l'aulorité et adaihli le |)rinci|)e d'obéis-
sance aux puissances établies, (lui jus(|u'alors était resté entier.
Le ])rocés de l'ordre du Temple, accusé par le loi d'hérésie,
avait alarmé la loi de fous et fait naiire des doutes conlie le
roi lui-même. Les supplices des Templiers avaient excité une
pitié généiale. Les désastres éprouvés en Flandre avaient
porté atteinte à l'orgueil national et diminué la confiance de la
nation en elle-même.
En résumé, Philippe le Bel est loin d'être l'idéal de la
royauté ni le type d'un bon gouvernement. Il fut arbitraire
et souvent tyrannique; mais ses défauts mêmes furent utiles.
Loin de moi le désir de faire l'apologie des mesures iniques
qui pèsent sur sa mémoire. Je sais qu'il n'y a qu'une morale,
qu'elle est la même pour les rois et les particuliers, et que le
malne peut produire le bien. Les mauvaises actions en polilique,
l'histoire est là pour l'attester, n'ont jamais prolité à leurs
auteurs; l'honnêteté est encore le moyen le plus sur de réussir.
Or, Philippe le Bel, on ne peut se le dissimuler, manqua quel-
quefois de droiture; il préféra trop souvent ses intérêts à la
justice, et commit des fautes qui rendirent sa mémoire si
détestée, que son fils fut obligé de forcer les églises à lui
accorder des prières. Mais, le dirai-je, il ne faut pas lui appli-
quer les règles ordinaires avec lesquelles on juge les hommes;
il vint à une époque de transition : il fut placé entre le moyen
âge qui finissait et le monde moderne dont il était le précurseur.
Ce fut, qu'on me passe cette expression, je n'en trouve pas
d'autre qui rende exactement ma pensée, ce fut un révolu-
tionnaire. Il rompit avec le passé, il rejeta la domination jus-
qu'alors souveraine de l'Eglise, il inaugura et organisa le
gouvernement civil. Pour atteindre ce but, il dut déployer une
vigueur peu commune, car la lutte fut vive. Il fallait de la
promptitude, de la décision et une foi presque fatale dans le
succès. Les grandes réformes ne peuvent s'accomplir sans
froisser des intérêts. Le but, pour être atteint, veut souvent
être dépassé, car il faut compter sur une inévitable réaction.
Philippe dépassa le but : au lieu de faire la monarchie forte,
LIVRE Ql ATORZIKME. — COXCLUSIOX. 437
il la rendit absolue ; mais ses successeurs se chargèrent de la
faire déchoir des hauteurs où il l'avait placée. Ses contempo-
rains eurent beaucoup à souffrir, mais leurs descendants
recueillirent les fruits des institutions dont il enrichit notre
pays. A tout prendre, son règne a été un grand règne, et son
nom doit être inscrit à coté de ceux de Charlemagne et de
Louis XIV, parmi les fondateurs de la France.
APPENDICE.
I.
TABLEAU DES VILLES QUI DEPUTEREXT AUX ETATS DE TOURS
EN 13 0 8'.
î L K DE F R A V C K.
Villes. IClecfears indiqués dans les procnralions.
Saint-Denis Une trenLiine d'habitants, comme la plus grande
partie et la plus suffisante. Précôté de Paris
(Arcli. de l'Emp., J. 415, n" 1).
Corbeil La plus grande partie et la plus suffisante des bour-
geois. Paris [ibid., n» 2).
Dammartia Le bailli, avec l'assentiment de la communauté.
Paris ( no 3 ) .
Poissy Le maire et les pairs de la commune. /V»'W (n" 8).
Montlhéry Le prévôt et la plus grande partie des plus suffi-
sants. Paris (no 7).
Dourdan Le prévôt, i'am (n<^ 4).
Bruyères Maire, jurés et communauté. Bailliage de ler-
mandois (n" 13).
Ghauni Alaire, jurés et toute la communauté. Vermandois
(u" 12).
Senlis Wà\rc ci Inr Ci. Bailliage de Senlis {n° kl).
Pierrefont La communauté, ^ew/w (n" 48).
Compiègne Maire, jurés, la communauté. . 9^72//.? (n" 48).
Mantes . Le maire et les pairs de la commune. 5rt2Y//«ye(/e
Gisurs (iv 54 bis).
' Ce tableau a été' dressé au moyen des procurations originales conserve'es aux .archives de
l'Empire, Trésor des chartes, carton J. 41.5. Le numéro entre parcnthoses indique le numéro
d'ordre que porte chaque pièce dans le carton.
440 APPENDICE.
\ AL (II s.
La Fortc-Milon Les liomincs et la coniniunautc*. Gisors (a" 5i).
s 0 1 s s 0 \ x A I s .
Soissons Maires, jurés et communauté. rer7«flrtf/o/.y (n° 5).
L.4 0.VXAIS.
Laoïi Maire et jurés. Amiens (n" G).
Cerny Alaire et jurés de la commimc. Ferntanrfo/j (n" 14).
Crespy Maire, jurés et communauté. Idem (n" 16).
Crandelin Maire, jurés et toute la conmumaulc de la com-
mune. Idem (n° 15).
VEXIN FRANÇAIS.
Ponfoise Maire et pairs de la commune. Gisors (n° 51).
Chaumont Pas de procuration. Deux éciievins se présentent.
Gisors ( n° 52 ) .
La Rocheguion Le prévôt de Chaumont nomme de bonnes gens et
dignes de foi, selon Dieu. Idem (n° 53).
COMTÉ DE DREUX.
Dreux Pas de procuration écrite. Ide?n (n" 54).
PICARDIE.
Amiens Claire, éclicvins et communauté. Amiens {n° 27}.
(Serbie Maire, jurés et communauté. Wew (n" 29).
Doullens Maire et échevius. lermandois (n° 32).
ilontdidier Maire, éciievins, jurés et communauté. Idem
(no 23).
Péronne Maire, échevins, jurés et communauté. Idem
(n°22).
Poix Maire, échevins et conunnnauté. Amiens (n"31).
Roye Maire et jurés. Idem (n" 21).
Saint-Quentin Maire et jurés. /</em (n" 7).
Wailly Maire, jurés et commune. Idem (n° 10).
COMTÉ DE B 0 L L 0 G X E .
Boulogne Maire et échevins. Amiens (n" 34).
POXTHIEU.
.Abheville Maire, éclicvins. Amiens (n" 28).
Saiut-Riquier Alaire, éclicvins, communauté. Idem (n" 30).
Monirouil Maire, éclicvins, communauté. Idem (n" 33).
APPENDICE. 441
ARTOIS.
Arras Alairc, cclievius et tniitc la communaufé. Amiens
(n"36).
Aire Maire, éclicvins, consaux. Idem (n° 38 J.
Lens Maire, échevins. Idem (n" 40).
Bcthune Comme à Arras. Idem (n"^ 39).
Saint-Omer Alaire , échevins, jurés. Idem {n" ki).
Thérouanne Echevins. Idem (n° 42).
FL A VDRE.
Lille Echevins, maire et la communaufé. .4w/e«.y (n" 43).
Douai Echevins, consaux et la communauté. /rfewe (u" 28).
\ 0 R M A X I) I E .
Alençon La ville, du commun asscnlimonf (n" 78).
Argentan Les bourgeois et le prévôt (n" 80).
Auffey Le commun accord des hommes (le la lille (n° 68).
Aumale Le maire et les échevins (n" 70).
Bayeux Le conmiun des bonnes gens (n° 76).
Beauraont Pas de procuration écrite; une simple note portant
les noms des députés (n" 58).
Bernai La volonté du commun de la ville (n" 75).
Blangy ALiire et communauté (n° 71).
Bonmoulin Le commun assentiment (n" 72).
Coutances La commune (n° 86).
Eschouchey L'assentiment de la ville (n» 74).
Escaufon Le bailli, de la volonté et du commun assentiment
de la ville (n» 79).
Essey Pas de procuration (n"83).
Eu Idem. (n" 84).
Evreux Idem. (n" 85).
Fécamp Idetn. (n"86).
Harfleur Grand foison de bourgeois en présence du vicomte
(n"66).
Montivillicrs Idem. (no67).
Xcufmarché Idem. (n'67).
Regmelard Pas de procuration en forme (n° 82).
Rochemabille La ville (n" 73).
Saint-Scélerin, Séez et vi-
comte de Falaise . . . Pas de procuration en forme (n" 81).
442 API'KXDICK.
Vernciiil Le maire et les pairs de la rommunc (n<'57).
Vernoii Une viiifjlaine (l'iiabitants, en présence du «jarde
du sceau (le la prévôté (n° 55).
Vire Le licnnile, de la volonté et du consentciiieiit des
bourjjeois (n° 75).
DRKTAC.VE.
Néant.
CHAMP i(;>;E.
Saint-Paul Le sei{|neur envoie deux de ses hommes. Bailliage
(Je Troijes (n" 129).
Villcmor Kchevins et jurés. Idem (n" 120).
Barbonnc Pas de procuration en règle. Idem (n° 129).
Ervy Ceux à ce convenables. Idem (n" 123).
Ylles Le commun des habitants de la cliàtellenic. Idem
(n" 122).
Jony-Ie-Chùtel (îrandc partie de ceux de la cliàtellenie. Idem
(n« 128).
Chaourse Plusieurs personnes de la prévôté. Ide?n (n" 124).
Provins Maire et jurés an nom de la commune. Idem
(no 126).
Vitry La commune de V^itry nomme deux clercs. Bail-
liage de Vitry (n" 130).
Fîmes Le m:iire , les jurés et le commun. /Jc?« (n" 137).
Aï La ville. Idem (n" 136).
Epernai l']clievins, pour la comnumaulé. Idem (n" 135).
Coole Le coiimum de la ville. Idein ( n" 138).
Bourg Les échevins se présentent sans procuration. Idem
(n'> 139).
Xouilly Lne trentaine de notables, et la plus ;[raiidc et la
plus saine partie do la conumuiaiilc. Idem
(n" IW).
Passavant Le lieutenant du prévôt. Idem (n" 13V).
Oucliic Le commun assentiment de foule la plus grande ,
saine et entière partie de toute la communauté.
Idem (n» 1-11).
Chàteaiilliierry Grand planté (nombre) des plus suffisants de la
ville. Idem (n" 142).
Vitry-aux-Loges Quatre bourgeois et un clerc. Ideiyi (n" 131).
Sainle-AI(-nehould .... Les quatre échevins. Idetn (n" 132).
Joinville ^Vmvc ci (idwx'mv.. Bailliage de Cliaumonl {n" iôV).
A l' P E \ D I C. E. VV3
Vaiicouleurs Maire et échevius, pour tout 1g coinniun. Chau-
inont (n" 152).
Bar-sur-Seine Idem. Idem [n" 155).
Larzicourt Le prévôt du commun accoutrement de la ville.
Idem (n" 153).
Chaumont Plus de deux cents personnes, par-devant notaire.
Idem (n" 144).
Vassy Le prévôt nonuiie deux des plus suffisants. Idem
(n" 145).
Saint-Dizier Les échcvins et la communauté. Idem (n" 150).
Châtelier Le commun des prud'hommes. Idein (u" 149).
Coiffey Les procureurs et messagers de la commune com-
parus devant le prévôt et "le tabellion. Idem
(n" 148).
.Alontigny Une députation de sis prud'hommes envoyée à
Chaumont. Idem (n^' 140).
Ferté-sur-Aube (la). . . Echevins et jurés du commun assentiment. Idem
(n"147).
Reims Pas de procuration en règle. Bailliage de \ er-
mandois (n" 24).
Tours-sur-ilarne .... Toute la conmiunauté. Idetn [n^ li).
Chaudarde Maire et jurés. Idem (n" 15).
Mézières Pas de procuration en règle. Idem (n" 26).
B 0 i: R 0 0 G X E .
ïournus L'abbé élit deux bourgeois. Bailliage de Mdcon
(n"89).
Autun Six habitants par-devant notaire. Idem (n" 92).
Beaune Maire, echevins et communauté. Idem {n° Ql).
Cluny Pas de procuration en règle. Idem (n" 90).
Sens Pairs et jures de la commune. Idem (no 95).
Chablis Pas de procuration en règle. Idem (n° 97).
Tonnerre Echevins et bourgeois. 7(/e?« (n» 101).
Molaine Communauté. Idem {n'> 107).
Chàfillon Le prévôt, du commun assentiment des habitants.
Idem (n» 104).
Rougemont Les bourgeois. Idem (n° 105).
Dijon ALiire, jurés et commune, réunis en parlement
dans le cimetière de Saint -Bénigne. Idem
(no 103).
Langres Les principaux hommes du chapitre, de son con-
sentement. Ide?n (n" 108).
444 APPEXDICE.
Milly Le prévit, de rasscntiinrnt du «omnnin. Mncon
(n-117).
Saint-Kargoaii Les bour;(rnis, d'un cnminim assentiment. Idem
(n" 180).
Perrière Le cominim. Idc7n (n" 113).
Auxcrre Pas de procuration. Idem (n" 96).
DixmonI Ide7n. Idem (n" 98).
Toiicy Idem. Idem (n" 99).
Coulanjjes Idem. Idem {ii° 100).
0 U I, K A .\ A I s .
Orléans Les Lourgcois appelés par Lan et par cris, comme
l'on a accoutumé à faire. Bailliage d'Orléans
(n"152).
Bcaugcnci Le prévôt, de l'assentiment du commun. Idem
(n-102).
Gien Les plus suffisants et la plus saine partie de la ville,
si comme ils disaient. Idem (n" 160).
Lorrls Bourgeois et commun. Idetn (n"161).
Montargis Une trentaine de bourgeois. Idem (n° 163).
Châteauneuf-sur-Loire . . Le baillj , pour le commun. Idem (n" 16V).
Saint-Benoît-sur-Loire . . La greigneur quantité du commun. Idem (n" 168).
(^■liàtillon-sur-Loing . . , Plusieurs, au nom du comnum. Idem (n" 167).
Elampes Prouneurs de la communauté des bourgeois et
gens de la ville. Idem (n" 171).
Bois-Commun Le prévôt. Idem (n" 169).
Aléréville Pas de procuration. Idem (n" 173).
tJalardon Idem. Idem (n" 174).
Millençai La plus grande partie du connnun.
Puiset Pas de procuration. Idem (n" 175).
Homorantin La plus grande partie du connnun. Idem (n" 179).
(^mnille Pas de procuration. Idem (n» 176).
Alluies Le bailli. Idem {n° 17 7).
r. ATINAIS.
Cliàteaulandon Les habitants, réunis par le prévôt. Bailliage de
Sens (n" 114).
Biannc Le prévôt. Idem (n" 115).
Puiseaux Le commun des bourgeois. Idem (n" 111).
Torn Ai\K.
FcrricresprèsdcReaulicn. Plusieurs hommes et femmes, en leur nom et en
celui de la fabrique de l'église. Bailliage de
Tours ( n" 158).
APPENDICE. 445
I' 0 I T 0 l .
Poitiers Maire et commiinaiilô. Sénéchaussée de Poitiers
(n"204).
A.\<;OUMOIS.
Angoulèmc Plusieurs bourgeois, pour leurs concitoyens. 5ene-
chaussée de Poitiers ( n" 208 ) .
BERRI.
Bourges Tout le commun, les bourgeois et habitants, ap-
pelés par le ban et réunis dans le cloître de
Xotre-Danic. Bailliage de Bourges (n° 181).
\ ierzon Les pairs, réunis dans la ciiapelle de Saint-Bar-
thélémy. Idem (no 182).
Dtin-le-Roi La communauté réunie i per clamorem t. . Idem
(n" 183).
Chàloauroux Hommes et habitants. Idem (n° 184).
Issouduu Les bourgeois, habitants et manants, assemblés au
lieu accoutumé. Ide7n (n" 185).
.\ H' K R X A I s .
Nevers Les habitants réunis dans le cimetière de l'abbaye
de Saint-Martin, lieu ordinaire des réunions du
peuple : u Xec non magna nuiltitudine clericorum
et laïcorum. » Bailliage de Bourges (n" 186).
Saint-Pierre-le-ilouticr. . Les bourgeois et habitants. Idem (n" 187).
iloulins-Engilbert .... Les habitants. Idem (n" 188).
Dissise La majorité des clercs et laïques , honnêtes bour-
geois. Idem (n" 189).
Corbigny Hommes, bourgeois, habitants, manants. Idem
(n" 190).
HOl RBOWAIS.
Aloulins Une cincpiantaine de bourgeois, pour eux et tous
les autres, réunis par un ban général. Bailliage
de Bourges (n" 191).
Souvigny Bourgeois. Idem (n" 192).
Chézy La communauté. Bailliage de Sens (n° IIG).
FOREZ.
Montbrison Consuls. Bailliage de Mdcon (n" 95).
AUVEBGNE.
Clermont Le bailli. Bailliage d'Auvergne (n° 193) i.
' clermont et Monlferrand , qui ne forment p'as qu'une ville , ont formé deui villes sépare'si
jusqu'au règne de Louis XII.
446 APPENDICE.
Moiilfcrraïul Les consuls et toute la coinmiiiiaiité. Autergne
(n» 194).
Issoirc Idem. Idem (n" 195).
Billom Idem. Wc»^ (n" 196).
Brioiulc Le prévôt de l'abbaye avec ses hommes, n Cum
non sint majores, scabini, consiiles , jurali,
communilas, sed sint persone potins siiijjiilares. »
Idem (n" 198).
Saint-Pourçain La plus saine partie des bourgeois. /Je;« (u" 197).
Saint-FIour Les consuls élisent un chanoine et deux bourgeois.
Idem (n° 199).
Manrs • . Les habitants. Idem (n"200).
Montsahn Les consuls et les habitants. Idem (n° 201).
Aurillac Les consuls. Idem (n° 202).
^Liuriac L'abbé, a. Licet villa no.stra non sit insignis, cum
non hahcat jurrijspcrifos nec sapientes, ncc
consules scu communilatem. i Idem (n°203).
ALXIS.
La Rochelle Maire et bourgeois. Sénéchaussée de Saintonge
(n° 209).
L m 0 1: s I N.
Limoges Les consuls. Bailliage de Poitiers (n" 206).
PÉRIC.ORD.
Périgueux Maire, consids et communauté. Sénéchaussée de
Périgord et de Querci ( n" 210).
Excideuil Les consuls. Idem (n" 210).
QIERCI.
Cahors Les consuh. Sénéc/iaussée de Pé7'igord et de Querci
(nf>215).
Caylus Idem. Idem (n<'2l2).
Aimct Ide7n. Idem (n"213).
Rocamadour Idem. Idem (n"217).
Souillac Idem. Idem (n<>219).
Cardaillac Idem. Idem (n«220).
Fous Idem. Idem (n<'216).
Castelnau-Montraticr. . . Idem. Idem (no218).
Gourdoi! . . Idem. Idem (no22i).
:ili.rti"l Idem. Idem (n"222).
Figcac , . . Idem. Idem (u"223).
Montauhan Idem. Idem (n<'224).
APPENDICE.
447
Moissac
Monfpézat.
Kégrcplisse
Caiissade .
Caumont .
Les consuls. Sénéchaussée de Périgord et de Querci
(n« 225)
Idem. Mon (u»226)
Idem. Idem (n°227)
Idem. Idem (n''228)
Idem. Idem (n"229)
Saint-Aîifoniii ,
Conques. . .
UOL'ERGIK.
Consuls. Sénéchaussée de Roucrgue (no236).
010 231).
Idem
Idem
LAXGUEDOC.
Villefranchc
Couserans
Sainf-Girons
Lavaur
Laiilrec
Gaillac
Castolnaudari
Carcassonnc
Xarbonnc (cité)
— (bourg). . . .
La Grasse
Monfolicu
Alontréa!
Alct
Limoux
Béziers
Saiui-Pons-de-Tliomières.
Pamiers
Foix
Lézat
Saverdun
Beaucaire
Lune!
Anduse
Sommières
Uzès
Saint-Salurnin-du-Port ,
hc?.cons\\\s. Sénéchaussée de Toulouse (n°232)
Idem. ' Idem (no234)
Idem. Idem (no235).
Idem. Idem {n° 237)
Idem. Idem (no238).
Idetn. Idem (no239).
Idem . Sénéchaussée de Carcassonne (n" 236) .
Idem. Idem (n"240).
Idem. Idetn (n''241).
Idem. Idem (no242).
Idem . Idem (n" 243) .
Idem. Idem (n''244).
Idetn. Idem (no245).
Idem . Idem (n" 246) .
Idem. Idem (n"248)
Idem. ■ Idem (n-'S^O).
Idem. Idem (n''25i).
Idem. Idem (no252).
Idem. Idem (n'"253).
Les consuls , pour eux et la communauté. Idem
(n" 254).
Consuls. Idem (n° 255).
Les bour'jeois t et lio mines popularcs » . Séné~
chaussée de Beaucaire (vP 256).
a Plures homincs popularcs. n Idem (n" 266).
Les consuls. Idem (n° 257).
L'université. Idem (n» 258).
Les consuls. Idetn {n° 259).
Pas de procuration. Idem (u° 260).
Vis APrrXDlClv
Alivis l.cs ^•^^nsu\s. Srncr/intissf^c tic Beaitcoire (n" 261).
Le Piiy Idem. hlnn (n"2fi2).
Vivions Idem. Idrtu (ii"2(>;i).
M,Mi.li< ïdem. Idem (ii"264).
Alarvi'jols Sjmlifs i\ prociironrs. Idem (ii°2f)5).
ruOCl li \Tl()\ UK l.A COMMIM', UK C 11 A U 1) A U D K
AUX KTATS 13 K 1308.
A lri<s r\(-rll(Mil sijjninir, Pli., par la j^raco Ac Diii roy Ac France, Il inniros
i-l II juré Ac la j'omimmo do Cliaiulardrrs, ryanx (eux) apparillios j\ faire
tûiii .SOS ooîiiniaiulomoiis ol sos plaisirs. Siro, nous faisons à savoir ù vosirc
très <jranl liaiilosso tpio nous, pour nous ol pour nostro oornniuno , faisons ol
olablissons \V iilauino o'on dit do (^.raonftolio, \\ illaunio o'on dit lo llourlior
{sic)y Piorro dil-on do Bmiôros, Raoul dil-on La (îriso, Roiborl o'on dit le
Bavcus, (îoraiid oon dil Pollicant, nos procureurs gonoranx et cspeciaus, et
cliasoun |)our lo tout , on toutes les causes et querelles que nous avons ou
sonuiios à Tours, oos (rois scMuainnos do Pa.sques, contre toutes personnes,
et toutes porsouuos oouiro nous, on \ostro court, par devant vous, ou par
devant les maistres do voslro court qui voslre lui tonroient , et donnons et
avons donnol plaiu pooir et niaudonu'ut ospooial as devant dis procureurs et
;\ cliasoun par lui, do dire ot do faire pour nous ol on nosiro non, et de no
couiniuno, ou ooniro n.>us, aulaul connue nous farions ou dirions, si nous i
estions prosoul , cl ospooiauniont do faire substitut en lin de yaux, se mcsticrs
osl. Kl nous prouiollons ol avons proumis cpie nous ancrons ferme et establc
(uiiuupu^ li devant dit procureur, ou li uns d'yaux, ou li substitut d'yans diront
ou feront pour nous et en nostro non. Sire, et se faisons nous à savoir i\
vostre royal inajeslo, à louz cens et à oui il apparlionl. Kn losnioi'jnajje de
ces choses, nous avons ces prosonlos lettres sooloes dou sool de nostro com-
mune dosus dite. Ce fu fait ou Tiiu do ;;raoo mil ccv ot vvil, lo jour do fosic
Saint Pbolippo ol Saint Jaciuo '.
Nous vriion.s do voir lo mandat du no i-onminno ; voyons mainliMiaiU dans quelle forme elail
donnée l,a proenrallon dune ville qui n avait pas de magistrats mnniiipani. l,a procnralion
d'Ktampcs nous l'apprendra.
rUOClUATlOX DES UAUITAXÏS n'ÉTAMTES
AUX ÉTATS DE 1308.
A tons ceux qui ces présentes lettres verront, Jean Harcbior, jjuarde de la
prevosté d'KsIampes, et Reynanl Lo Brun, jpiardo du sool d'ycelle prévoslc,
nous faisons savoir j\ tous, que par devant nous en droit jniyemenl vindrent
Pliclis noronoor, Thiorri do Krosnos, (luicbarl de Sormoisos , Jehan le Mer-
cier, Joliau Amoraudos, Symon Conylodo, Horvi le Guale, Pierre Perchot,
> l1r. J. il j . n* II.
Ai'I'K.VDICi;. 4V9
(loliii (lliaiilcl, I.iiciis (In Tiiii|tli', l.iicis l'ciiiiiicr, J( li.iii de la (loiii'l , .Icliail
le KiTi-oii , liiiillaiiriio llciiarl riK^rcicr, Kslifriiio iîoiiccl , Jclwin (jiiaraiiiljnrt ,
Jcliaii (lo Loiiiicrs, Sairicn di; V'i(''ii , (îiiillfaiiino Sajfiircaii , (if-ciiiisol le (ori-
(Iciir, Jehan l'oloyii , 'llioiirrias Hcrjjior, Itobiri l.ucl , Jcliaii h; VjoiWwr, cl
(jiiillpaninc (Ifs HfxlK-s et pliisifiirs autres, c'est à savoir la ;{rci|[tieur, la plus
fort et la plus saiiu; jiarlic! des hour<jois de la ville d'Kslatiipes , et firent,
ordrcncrcnt et establirent par devant nous, pour eus et pour la coniinunaltc
des bonrgois et des honcs gcn/. dr li ville (l'I'islaïupcs, el eu nom de eus,
des bourjjois et des ;jenz de la dite ville, .I(,lian le l*i(puirt d(; la (Jiarronnerie,
bourfjois d'Kslarn|)es lay, et Denise le Charretier d'Kstarripes, clerc, porteurs
de CCS lettres, procureurs de eus el de la cfunruunalté d(^s hour;[ois et ;rens
de la ville d'Mslampes, espéciaus et ciiucun pour le tout, pour oyr et entendre
C(! dyuicuche |)i'ocliaiu à Tours les corriniandernenz et la voulenlé de nostrc
S(.'i,'{neur le Hoy. I-cs «pielx deus procureurs dessus nomriK;/. el divisez, nous
Jehan Ilarchier, ;{uar(l(! de la priivosté d'Kslarnpes dessus dil , awius adjournéz
au dyiricnche dessus dit à Tours, pour oyr et entendre les coiumendenients
et la voulenté de nostrc seijjneur le Hoy dessus dit, par la vertu de la copie
du mandcnfient nostre sciyneur le Roy envolée à nous souz le seel de la prc-
vosté d'IIyenville, pour ce faire. \']i\ tesmoin;} de la{|uelle chose, nous, à la
rr'Cjiicstf! des hourj|ois dessus diz, avons mis en ces lettres le sce! de la pré-
voslé d'ICsIaiupes. Donné l'an de {jrace mil trois cents et huit, le premier jour
de may '.
P It 0 C U K A T I 0 \ DU S I II K D K COUTA
A tj X K T A'J^ S D 10 1 3 O H.
A très excellent et poissant prince scn chier sijjneur mon sijjnour Philippe
par la jjrace de Dieu roy de France, Kngerrans, sires de Coiiei , d'Oysi et
de lui aparilliet à faire sa volenlé. Chicrs sires, j'ai receu vos lettres (pie
je fusse à Tours as trois semaines de Pasques avec vous et h, vostre coiisaill
pour aucunes ordonnances aiditîr à faire seur le fait rpie on enmet à l'ordre
des templiers se ensi puet estre apelez, en aucunes autres choses ausi, ou je i
envoie pour mi procureur soufissanl. Sache vostre haute noblece, que je, non
Lien aisic de cors de eslrc y en propre pcrsone, dont il me poise, se il pleut
à notre sijjncur, envoie au lieu et au jour devant di/. micii sijnicur Tlioiumi.;
de le Mote, men chevalier porteur de ces lettres, pour mi (!t en meu non,
el li doins plain pooir et mandement especial de acorder et de faire, tout
autant corn je feroie, porroie et dcveroie faire, si je i estoie presens , et ai
et arai ferme et estahie ce qui seraacordc, dit et fait par le dit mon sijjneur
Thoumas es choses devant dites. Ou tesmoi;fna,';e des quels choses, je ai ces
let!res scellées de men .seel, qui furent faites l'an de ;jraee mil trois cens et
uit, le dimanche après la f(^ste saint .Mare l'éivanjjelistc -.
' Or. Arch. de l'Kmp. , J, ^ I .". , ii" 171.
2 Or. J. 4U, n".3.
2!)
450 APPEXDICE.
II.
TABLEAU DES DIVISIONS ADMINISTRATIVES DE LA FRANCE
SOUS PHILIPPE LE BEL.
J'ai essayé de reconstituer les divisions administratives de la France sous
Philippe le Bel. Une liste des baillis et des sénéchaux auxquels le roi adressa
eu 1302 un mandement relatif à la guerre de Flandre fait connaître les bail-
liages et les sénéchaussées existant à cette époque, mais elle laisse ignorer
les subdivisions inférieures. J'ai dû recourir aux comptes de receltes et de
dépenses; mais pour des raisons que j'expliquerai plus loin, je n'ai rencontré
que des comptes partiels; la chambre des comptes ne dressait point d'état
général des recettes des bailliages de tout le royaume , mais seulement des
états pour chaque grande province, telles que la France, c'est-à-dire le
domaine de la couronne avant Philippe -Auguste, la Normandie, l'ancien
domaine d'Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse, la Champagne, etc.
J'ai eu à ma disposition deux comptes originaux des bailliages et des prévôtés
de France pour les années 1299 ^ et 1305 -, un compte original de Cham-
pagne pour l'année 1287 3, et un autre compte pour l'année 1285 rapporté
par Brussel; deux comptes également originaux de l'ancien domaine d'Al-
phonse, comprenant le Poitou, la Saintonge, une partie du Querci, de
l'Auvergne et de l'Albigeois, le Rouergue et le Toulousain, pour les années
1294 et 1299 ^; une copie provenant de la chambre des comptes d'un compte
de Normandie pour l'année 1308 ^.
Il m'a été possible de donner la liste des vicomtes de Normandie, des
baylies du Midi et de l'Ouest , que Brussel avait été obligé d'omettre faute de
documents. J'ai été moins favorisé pour les bailliages et pour les sénéchaus-
sées réunis à la couronne sous Philippe le Bel , tels que les sénéchaussées de
Lyon, d'Augoulème, de Bigorre, d'Agenais, qui, pour la plupart, n'eurent
qu'une existence éphémère.
' Bibl. jmp. , siippl. français , 4943.
^ Bibl. imp. , Baluze.
3 Bibl. imp., Clairambaut, Mé]., t. IX, p. 131. — Brussel, t. I , p. 4GI.
* Arch. imp. , or. K. 501 , n"» 4 ot 5.
^ Reg. Koster. Arch. imp., copie moderne , P. 2289, fol. 852-853.
APPENDICE. 451
BAILLIAGES ET PRÉVÔTÉS DE FRANGE.
Prévôté-baillîage de Paris '.
(Département de la Seine et une partie de Seine-et-Oise. )
PRÉVÔTÉS.
Paris. Parisius. Poissy. Pissiacum.
Corbeil. Corbolhan^. Saint-Germain en Laye. S. Germanus
Chàteauforf. Castnnn-forte. in Laya.
Gonessp. Goiiessa.
Bailliage de Senlis '.
(Oise et partie de Seine-et-Oise.)
PRÉVÔTÉS.
Senlis. Sihanectam. Pierrefont. Vetre-fons.
Chaiimont. Calcus-mons . Ambligny. Amblmiacum ^ .
Pontoise. Pontisara. Ghoisy et Thoroiile. Chosiacum et
Bctliisi et \ erbcric. Betisiacum et Ver- T/iorota.
beria. Pont-Saint-Maxence. Pons S. Maxen-
Compiègnc. Compeiidium. tie.
Bailliage de Vermandois '.
(Aisne, partie de la Somme, Marne, partie de !a Meuse, Haute-Marne
et tonte la Champagne. ]
PRÉVÔTÉS.
Laon. Laudunum. Saint-Quentin et Ribemont. S. Qui-
Monldidicr. Mons-Desiderii. tinus et Ribodimons.
Roye. Roya. Chauni. Calniacum.
Péronnc. Peronna.
Bailliage d'Amiens ^.
(Partie de la Somme, Pas-de-Calais, Nord, avant la formation du bailliage de Lille.)
PRÉVÔTÉS.
Amiens. Ambiamtm. Montrciiil et Saint-Riquier. Muste-
Beauquesne. Bella-quercus. riolum et S. Richarius.
DouUens. Dullendium.
' Le prévôt de Paris était en même temps bailli. — Comptes des bailliages de France
de 1299, Bibl. imp. , suppL français, n" 4943 ; et de 1305, irf. , Baluze.
^ Réunie seulement en 1299 au domaine; faisait partie auparavant du donaire de la reine
Marguerite , veuve de saint Louis.
3 Comptes de 1299 et 1305.
* Engagée à P. Grismoton. Bmssel , t. 1 , p. 463.
5 Comptes de 1299 et de 1305.
o Comptes de 1299 et de 1305.
29.
452 APPENDICK.
Bailliage de Sens ' .
(Vonnc, Côtc-d'Or, partie de .'•ciue-ct-Mariic. )
l'KÉVÔTKS.
Sons. Seunncs. '''«'îli- l'^^ogiaciim.
Poiit-sur-Vonnc. Pontes supra lo- Lorrcz-cii-Bocaj^e. Lurriacum in
nani. Boscagio.
Grancpy. Grancehtm. ' Dixmont. Dijmons.
\'illonciivc-lcz-Sciiz. Villanova juxta Xonioiirs. Xemnsris.
Scnones. ilorct. Morehtni.
Vilicmort, Fossemoro et la Rivière. Saniois. Samcsium.
ValUs-maura , Fossa-inanra et (îrpz. Gressum.
Ripjyar'ia. Molmi. Meledunum.
Chessy. Chesijacinn. Chàtclot. Castellctum.
Docilctum. Cliàlcau-Landoii. Castrum-Xantonis .
Bailliage d'Orléans '.
(Loiret, partie d'Eure-et-Loir, de Seine-et-Oise, Nièvre.)
PRÉVÔTÉS.
Orléans. Aurelianum. Vèvrc. Evera.
Chàteauneuf. Castrum-novum. Jan ville. Yenvilla.
\eiuillc. Nova-villa. Montargis. Mons-argi.
l'itry. Vitriacum. Cépoi. Cepeium.
Boisconimiin. Buscum-commune . Lorris. Lorriacum.
Bailliage de Bourges '.
(Cher, Indre, Allier.)
PRÉVÔTÉS.
Bourges. Bituris. Diin-lc-Roi. Dunum-regis.
CeiKiuoiii. Centiconium. Issoiulun. Exoldunum.
Moiitiers. Monasteria.
Bailliage de Mâcon'^.
(Saoue-el-Loire , Loire, Rhône (avant 1308). Tout le duché de Bourgogne
ressortissait à ce bailliage. )
riîÉVÔTKS.
Màcon. Matisco. Cliàleanneuf. Caslrum-novum.
Sainl-Romain, Laynes et Pris.sc. S. Ro- Le Bois-Sainte-Marie. Bosaim B. Ma-
manus , Lana et Pi'issiacum. rie.
Hurigny. Uriniacum. Saint-Gengoul. S. Gengtilfus.
' - 3 ■* Comptes de 1209 et de ISO,')
Igé. Igiamm.
Chcvagny. Chcvignis.
Mout-Beict. Mons-Bcleti.
V^érizet. Virisetiim.
APPEXDIGE. 453
Saint- And r(' du Désert. S. Andréas de
Deserto.
Charlieu. Caroli-locus ou Carits-
locus.
Bailliage de Tours ' .
[Indre-et-Loire. L'.-lnjou , le Maine et la Bretagne rcssorlissaient à ce bailliage. [Maine-
et-Loire, Loire - Inférieure , Sarthe , Mayenne, Ile-et-Vilaine, Morbihan, Finistère,
(!ôtes-(lii-\ord. ] )
l' R i'; V ô T K s .
Saintc-AIaiirc. S. Maitra.
Langes. Langesium.
Loches. Lochiœ ou Locliœ.
Cliâlillon. CastiUio.
Cliinon. Chino.
Fontenay. Fontenaium.
BAILLIAGES ET VICOMTES DE NORMANDIE 2.
Hailliage de ^ouen.
(Partie île la Seini;-lnférieure et de l'Eure.)
VICO.MTK.S.
Rouen. Rot/toi/uigus. Pont-.Audcnier. Poiis-Aiidomari.
.^ugc. Augum.
Cacn. Cadomum.
Falaise. Falesia.
Bailliage de Caen.
(Calvados. )
VICOMTKS.
Baycux. Bajocœ.
Orbec, Orbeccum.
Coutanccs. Constanciœ.
Bailliage de Cotentin.
(Manche.)
VICOMTKS.
Carcnfun. Carentan.
Valognes. Valones.
Bailliage de Caux.
(Partie de Seine-Inférieure.)
VICOMTK.S.
Montivilliers. Moiiasterii-villare. .Arques. Arc/iiœ.
Caudebec. Calidtitn-beccnm. Xeufcliàtel. Castnun-novum.
' Comptes de 1299 et de 1303.
D'après le Reg. Kosler de la ;,liambre des comptes, copie moderne. .Irch. de l'Kinp.
P 2289, fol. 852 et 833.
454 APPKXDICE.
Bailliage de Gisors.
(Partie d« Seine-et-(Jise , de IKiiro, d'Eiire-ct-Loir, Orne.)
VICOMTES.
(lisons. Gisorcium. Vcrncuil. Venwîium.
AX'CIENS DOMAINES DU COMTE ALPHONSE
Réunis à la couronne en 1271.
Sénéchaussée de Poitou ' .
(Vienne, l)eux-Sè\re.s, partie de la Vendée. Haute-Vienne.)
P R K V Ô TÉS.
Poitiers. Pictavi. Saint-Mai.\pnt. S. Maxentius.
Montmorillon. Mons-morilionis. Xiort. Xlortum.
AIoiitrcuil-Bouin. Monastcriohtm-Bo~ Lairoiix. Laijroux.
nini.
Sénéchaussée de Saintonge '-.
(Charente et Charente-Inférieure. )
PRKVÔTÉS.
La Rochelle. Rupella. Frontenay. Fronteiiaiwn.
Saint-Jean d'Angely. .S". Ju/iannes de Saintes. Xantoucx.
Angeliaco. Vendoire. Venderc.
Banaon. Bennon. Parcoul. Paracollum.
Taiinay. Talniacum.
Sénéchaussée de Toulouse et d'Albigeois '.
(Haute-Garonne, partie du Tarn, de Tarn-el-Garonnc , du Gers, de l'.Aude ,
de i'.Ariége et des Hautes-Pyrénées.)
Fanjc^iux. Fanutn-jocis. \illcniiir. l illfi-miiri.
Laurac. Lauracuui. Montastruc. Mons-asiinichi.
Avignonnet. Acbùonctuin. Riisel. Busetum.
Caslclnaiidari. Castvum-novum de Paulhiac. Paidhacum.
Arrio. Casiel-sarrasiii. Castnim-Sarraceni.
Portel. rortellitm. ]\Iensac. Mensactiin.
Caimont. Cahus-mons. Cordes. Cordua.
Saint-Félix. S. Félix. \an<jerville. Xangcrvilla.
Pui-Laurens. Podiitm-Laurentii Montueg. Moiitoginm.
Haufpoul. Altum-pullerium. Verdun. Verdimiim.
Vaiirc. Vauriun. Cinte-Gabellc. Sancta Gavella.
' ^ •' Comptes des anciens domaines d'.Alplionse de 1294 et 1299. Archives de l'Em-
pire , K. 501.
APPENDICE.
455
Montgiscaril . Mons-CiisMnii.
Baziogc. Vadegia.
Blagnac. Blanhacum.
Bonnac. Bonhanim.
Montesquieu. Mons-esquhi.
Bonncville. Bonarilla.
^lontaigu. Mons-acutus.
Beauvoir. Pulchrum-videre .
Montauban. Movs-Albamis.
Gimel. Gimellum.
Monljoux. Mons-jocis.
Montursicr. Moiis-tnsei'ii.
Vaiire. l'aui-e.
Gaillac. Galhicicu7n.
Villeréal. l illa-regalis.
Belmont en Qiierci. Bellus-mons .
Bonscnac. Boricigiacum.
Mas-Sainles-Puclles. Mansits-ruella-
rinn.
Saint-Lizier. S. Liceriiis.
Estarviellc. Starvilla.
Plaiseiice. Plazencia.
.Aigiies-rives. AqiKV-vivcc.
Milan. Milanum i.
Lorde. Lorda.
Boulogne. Bononia.
Cologne. Colonia -.
Valentines. Valentinœ^.
Rivière. Bipparia.
Aigremont. Acer-mons.
Richement. Bicus-7nons.
Beaumarchais. Bcllum-Marchedum.
Grenade. Granata.
Rieux. Bivi.
Avellanet. AveUaneium.
Fousseret. Fosseretum.
Carbone. Carhona ^.
Saint-Sulpice. S. Sitpplicius.
Sainte-Foi. iS". Fides.
Giniont. Gimons.
Tail!e])ourg. Taillehurcjum.
Saint-Urcisse. S. Urcitius^.
Siinorre. Simorre.
Flcurance. Florencia.
Albigeois.
B.iVLIES.
Castelnau - de - Montmirail . Castmm-
novum de Monte-mirahili.
V'alence. Valencia.
^lontgaillard et Pampclonne. Mons-
gaitlardus, Toria et Pnmpelona.
Lavaur. Vaonr.
Andouque. Anducia.
Cordes. Cordiia.
Gaillac. GalUacinn.
Rabasteins. Bapistagnum.
L'Ile. Insula.
Selhonac. Seglonacum.
Puyceley. Podium-celsi.
Penne. Penna.
Causac. Causacum.
Sénéchaussée de Rouergue ^.
(Aveyron, partie de Tarn-ct-Garonne et du Lot)
BAVLIES.
La Gniole. Gleyola. Xajac. Xajacum.
Roque-Valzergue. Bupes-vallis Scr- Caylar (Le). Caslanim.
giœ. Villeneuve. Villanova.
' En pariage avec G. Bernard de la Roque.
* En pariage avec Oton de Terride.
•* En pariage Oto avec Oton de Montauf.
* Ajoutez Casel , Sejanis , lieiimis , Alanis ; villages que je ne connais pas.
^ Senna, Pelegiacum , Montias; idem.
0 Comptes de 1294 et 1299.
45fi
A P F KM) ici:.
Saiivclori-p. Salca-lerra.
Saiiil-(!ciiiès. S. (îcnesius.
Millau. Ainiliarutn.
Ro(]iio-Cc/ i èro. Bupcs-cesarca .
l't'yrii.ss('. Pclriirifi.
.\ aiissac . Xaiisxfictiin .
Vcrfcil . I iridc-folium .
Hiciipcyrniix. Hhus-petrosus.
Saint-(îcor;50.s et MontlVanc. S. Geor- lîalajjiiior. Balaguerins.
gîiis et Motix-francux . Boiirnazcl. Boiirnazcllus.
Cassajjncs. Cassiuieœ. Saint-.^iitouin. S. Antonhius K
Sailliage d'Auvergne.
(Partie (lu Puy-de-Dôme, de la Haute-Loire et du Cantal.]
l'RKV OTKS.
nrioiidc. Bricatensis.
Auzon. Ausonium.
Noncttc. Xoneta.
Monton. Montoiiium.
Pont-dii-Cliàlcaii. Pons-castri.
Thiers. Thyernum.
Bulhon. BulJiion.
Kunczac. Ennaezinciim.
Riom. Biomuvi.
Cébazac. Ccbaziacum.
Toiirnot'I. Tornolium.
Chàtcl-Guioii. Casfrum-Guidotiis.
Casteinau. Castrum-norum.
Bclicgardo. Bella-guarda.
Palluel. Paluellum.
Viclicl. Vichiacum.
Langpac . Laurjùicitm .
Piiy-Ro[[er. Podium-Botgern.
Ciissct. Ciiciacum.
Maiizac. Mauziacitm.
Moiitferraiid. Mons-ferrandi.
Revel. Bevelliim.
Cournon. Corno.
Hernicnt. Herment.
Roclie-d'.A;;oiit. Bupes-dagulfi.
Jauscrant. Jauserant.
Montède. Motitolium.
Cliaian. Cliacan.
Mirabel. Mirabtl.
Claire i al. Clara-vaîlis.
AXCIEX DOMAIXK ROYAL DAXS LE MIDI.
Bailliage des montagnes d'Auvergne.
(Cantal.)
On a la ])roiivc qu'il y avait deux bailliages en .■\iiverfi[nc sous Philippe le
Bel : l'un, appelé simplement bailliage d'Auvergne, comprenait la partie de cette
province qui avait appartenu au comte Alphonse (basse Auvergne); l'autre por-
tait le nom de bailliage des Montagnes et était formé de la partie de ce comté
réunie à la couronne sous Philippe-Auguste (haute Auvergne). Après 1271,
le bailliage des Montagnes fut soumis au bailli d'.\avergnc -\ mais il continua
à être gouverné par un bailli ou gardien '■^, aux gages de cinq sous par jour.
' Réuni en 1300 au Querci.
- Voyez le compte oriyinal du bailli d'.Auvergne pour 1299. .Arch. de l'Emp. , K. 501.
3 \tc\\. delKmp. , J. 1091 et 1098. — Otim. t. 111, p. 873.
APPEXDICE. 457
PRKVÔTKS '.
Aiii'illac. Aureliacum. Saint-Flour. S. F/oriiix. Mauriac. Maitriaciim.
Sénéchaussées de Férigord et de Querci.
I Dordogne , Lot, partie de Tarn-et-Garonne , de Lot-et-Garonne. — .\ cette sénécliaussée
ressortissait le duché de Guienneet la vicomte de Turenne, Gironde, Gers, Landes, Corrèze. )
.A la suite de la guerre des .Albigeois, la royauté eut une partie du Querci
et le Périgord, qui formèrent une sénéchaussée. En 1271, on réunit à cette
sénéchaussée les sénéchaussées de Querci et d'Agcnais ayant appartenu au
comte Alphonse, mais dont une grande partie fut restituée aux Anglais en
vertu du traité d'.Amiens.
Sénéchaussée proprement dite de Périgord.
B.IVLIES -.
(]oiirdon. Gordonium. Briies. Briia.
Alontdomc. Mons-domi . Cahors. Cadiircuiii.
Figcac (viguerie). Figiaciim. Sarlaf. Snrlatum.
ilartel. Martellum.
Sénéchaussée de Querci ^.
BAVLIES.
Lauserte. Lauserta. Molières. Moleriœ.
ilontcuq. Mons-ctici. Montalsac. Moiis-ahaci.
Jloissac. Moissiacum. ilondenard. Mous-lnnardi.
Castelsagrat. Castruin-sagiritum. Septfonds. Septem-foiites.
La Française. Villa-francisce. Caylus. Caslucium.
Montaiiban. Muns-albani. Emet. Emetitm.
Toulmont. Thulinons. Castillun. Caslilliio.
Caussade. Calciata. Réalmont. Regalismons.
Aumont et Alirahel. Altusmons et Mi- Pestillac. Peslilliacum 'K
rabellum.
Sénéchaussée de Beaucaire ^.
(Gard, .Ardèche, Haute - Ijoire , Lozère.)
V I G U E R I E S .
Xîmes. Nemausus. Lzès. L'cetia.
Beaucaire. Bellicadriim . .Anduze. Aiiduzia.
' Compte de 1299. — Voyez aussi une ordonnance de Philippe le Long de 1329. Ord. ,
t. 1 , p. 690.
- Compte de 1299. Arch. de l'Emp. , K. 501.
' Compte de 1299. Arch. de l'Emp. , K. 501.
* Rendu au roi d'.Anglelerre en 1305.
•■ Vaissètc, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 502.
A5S APl'EXDICE.
Sonimioros. Summidrinm. Bugiiols. Balneoli.
Aijjiios-inorlos. Aqiur-inorhir. Ro(jiiriiiaiirc. Rupes-mauri.
Pont-Saiiit-Ksprit. Po)is Sancti Spi- Saint-André. Satictus Andréas,
rit lis.
BAILLIAGES.
GcwLuddii. Mimatcnsis K Vivarais. luariensis'-. \è\a.\. Aniciensis^.
Sénéchaussée de Carcassonne.
(Aude, Arioge , parlie nord du Tarn.)
vu; lERIES.
Carcassonne. Carcassona. Xarbonnc. Xarboiina.
Cabaninz. Cahardc. Fcnouillède. Fenoilhetum.
Minrriois. Minerca. Terinennis. Termini.
Bézicrs. Biterrœ. Les .Allemans. Alamanni'.
Albi. Albia. Sault (bailliafje). Salins.
Gignac. Gigniacum. Montréal [c\\l\.c\\en\c). Mutis-regalis.
Limoux. Limosiis.
Sénéchaussée d'Agenais (1302) ^.
Formée d'une partie du territoire conquis sur les Anglais et restitué en 1303.
Sénéchaussée de Gascogne (1302).
Comme la urccédente.
Bailliage de rranche-Cotnlé "'. — Sénéchaussée de Bigorre.
( Partie des Ilautes-Fyrcnées. )
Dérolue à la reine Jeanne de Navarre par succession. On la trouve dès 1301 '
Sénéchaussée d'AngouIême ^.
Comté d'Angoulèmc réuni à la couronne après la mort d'Hugues le Brun.
' En pariage avec l'évèque de Mende.
- En pariage avec l'évèque de V iviers.
■^ En pariage avec l'évèque du Puy.
■* Depuis 1308 en pariage avec l'évèque de l'amiers.
5 Liste de 1302. Trésor des chartes . Rcg. XXXVI. fcl. 4.
o Trésor des chartes, J. 354, n» 31. Jean de Xouvions, bailli du roi en 129G. Perreciot ,
Etat des personnes, t. II , p. lOC.
■" Mandement au bailli de Bigorre. Tri;or des chartes , Reg. XXXVI, fol. 4 v". Eu 1302.
** - Compoti senescallicE Engolismensis, videlicet Compnac, Merpins, Leîigncui , a vigilia
S. Katarinse cccviii. '■ Tab. R. Mignon , Historiens de France. -X.XI , p. 522.
APPEXDICK. 459
Sénéchaussée de Iiyon.
( Département du Rhône. )
Instituée en 1310 '.
Lyon. Lugchtuum.
Bailliage de Iiiile -.
( Déparlement du \'ord , une partie de la Belgique. )
CH.ITELLE.VIES.
Lille. Insula. Arleux.
Douai. Duaciim. Lagorgiie.
Orchics. Orchie. Tournai. Tornacum.
Mortagne. Matiritania.
Je ne tiens pas compte de quelques bailliages momentanément réunis à la
couronne, qui fin-ent restitués à leurs anciens possesseurs, tels que la .séné-
chaussée de Ponthieii '^j confisquée sur les .Anglais et rendue en 1299, et le
bailliage de Béthune, saisi sur le comte de Flandre, etc. ■*.
Je joins le tableau des divisions territoriales de la Champagne, bien que
cette province, qui formait avec la Xavarre le patrimoine de la reine, n'ait
pas été réunie à la couronne; mais, en fait, la Champagne fut aussi étroite-
ment soumise à Phibppe le Bel et reçut la même adminislration que les autres
provinces. Après la mort de la reine Jeanne, la Champagne passa à son fils
aîné, Louis le Hiitin; mais l'influence royale ne cessa d'être toute-puissante
dans les Etats de l'héritier de la couronne , quoique les actes de l'autorité
aient cessé d'être promulgués au nom du roi.
COMTÉ DE CHAAIPAGXE5.
Sailliage de Troyes.
(Partie des départements de l'.-lube , de Seine-et-Marne et Vonne. )
PRÉVÔTÉS.
Troyes ". Vaucharcies.
Illcs. Chiiource.
' a Compoti senescalliae Lngdunensis ab anno 1310, quo dcvenit régi. ■< Tab. R. Mignon,
Bistoriens de France , t. .\XI , p. 521.
^ " Compoti bailliviae Insulœ, ab anno 1304. » Historiens de France, t. XXI , p. 521.
•* Historiens de France, t. XXI , p. 522.
i Bistoriens de France , t. XXI, p. 523.
^ Compte de Renier .■\courre et de Gentien pour la terre de Cliampagne , depuis le
dimanche 1287 jusqu'à l'octave de \oëI. Or. Bibl. imp. , Clérambault, Mélanges, t. IX. —
Voyez un compte de 1285 , cité par Brussel , Xourel usage des Jiefs , p. 461. — Conf. Lcfèvre,
les Finances de la Champagne , p. 11.
'^ Dans les comptes ces noms sont en français.
460 A P P K X I) I C E.
Sniiit-Florontin. .Mcaiix.
Villcmort. Bray-sur-Seine.
Eriy. Moiitoroaii.
Coursant. Coiilninmicrs.
Saint-Maard. Joiiy-lc-CliàtcI.
Cliablics. Sezaniu'.
Méry. Chantomorln.
Riimilly. Nojionl-sMr-Scino.
Essoycs. Pont-siir-Seitio.
Maray-cn-Othe. Vertus.
Proiins.
Sailliage de Vitry.
(Partie des départements de r.Aisiic et de la Marne.)
PRKVÔTKS.
Chàteauthicrry. Saint-Hilier.
Pachie. Joiichcry.
Vitry. Saintc-Mciicliould.
Cliûtillon et Fisiiies. Passai ant-cn-.Argoiine.
Epcrnay. Larzicourt.
Loui'ois. Cliàtrl-cii-Porticrs.
Bailliage de Chaumont.
(l'artie des départements de la Haute-Marne et de l'.Aube. J
PRKVÔTKS.
Bar-siir-Aube. Huyinos.
La Fcrté. Graiiz.
Chaumont. Coiffy.
Jlontcclairc. Vassy.
\o;jont-cii-Bassigny. Soiilciiins.
ilontigny. Roniiay.
Bonuccourt. Bar-sur-Soine.
APPEXDiCE. 4G1
III.
TABLE CHROXOLOGIQLE
DKS DOCUMENTS RELATIFS A l'hISTOIRE DE PHILIPPE LE BEL
scrvaot de Pièces justificatives à cet ouvragée »
qui sont insérés dans le tome XXII des Notices et Extraits des manuscrits
publié par l'Académie des Inscriptions.
I. Bulle du pape \icolas IV', nommant l'arclicvèquo de Rouen et
l'évèque d'Auxerre exécuteurs d'un décime accordé au roi de
France , pour subvenir aux dépenses de la guerre d'Aragon.
31 mai 1289.
II. Bulle du même sur la manière dont ce décime devait être levé.
31 mai 1289.
III. Notice d'un manuscrit inédit renfermant le rôle de la taille de
Paris pour les années 1296-1300.
IV . Instruction sur la manière de lever le centième et le dixième. (En
français.) [1295.]
V'. Mémoire de l'amiral Benoît Zacliarie à Philippe le Bel, sur les
moyens d'équiper une flotte et de se procurer une armée navale
pour faire une descente en Angleterre. (En français.) [1295.1
VI. Lettres patentes donnant à Jean d'Harcourt et à Matthieu de Mont-
morency pleins pouvoirs pour commander l'armée et la flotte
destinées à faire une descente en Angleterre. (En français.)
[Mai 1295.]
V'II. Mémoire officiel sur la guerre contre l'Angleterre, les mesures
militaires qui furent prises , les négociations diplomatiques de
Philippe le Bel pour se faire des alliés, et sur les ressources
financières que l'on se procura pour faire face aux dépenses de
cette guerre. (En français.) [V. 1297.]
l^III. Lettre de Boniface V'III à Philippe le Bel, où il lui témoigne une
vive affection, et se plaint du mauvais état de sa sanfé qui l'em-
pêche d'avoir une entrevue avec le roi. 29 décembre 1298.
IX. Lettre du même au même pour le prier de prêter, au nom de
l'Eglise romaine, 100,000 livres tournois à Charles de Valois,
qui venait au secours du saint-siége avec mille honmics d'armes.
30 décembre 1298.
«62 APPENDICE.
X. Isiiqiiètc sur les oinpic'lciiHMils de la jm-idii lion ciil(''siusli(]iic en
Lanyucdoc. [Vers i;500.J
XI. liOlIrp dos citoyens de la ville iiiijx'riale de 'l'oiil à l'Iiilippe le Bel,
pour se mettre sous le protecloral du roi de Kraïue. (I']n irautjais.)
Xovenibro 1300.
XII. Ordre de Philippe le Bel à (]uillaunic de Nogarel et à Simon de
Mareliais de s'oceuper de rendre la Seine navijjalile jiiscpi'i^
Troyes. 1302.
XIII. Lettres patentes de Philippe le Bel, portant demande d'emprunts
pour subvenir aux dépenses de la yuerrc de Klaiulre. Juillet 1302.
XIV. Lettre du même à maître .lean Croissant, au sujet d'un emprunt
i'orec de 300 livres. (En français.) 1"'' septembre 1302.
XV. Mandement pour la convocation du ban et de l'arrière -ban. (En
français.) 10 août 1302.
XVI. Lettre eonlidentielle du roi à l'éièque d'Auxerre, son ambassadeur
i\ Uonu'. \o\end)re 1302.
XVII. Bulle de Boniface VIII, réunissant à l'empire d'.Allemagne les pro-
vinces qui en avaient été distraites, l'"' juillet 13t)3.
XVIII. Mémoire (de Xogaret?) à Philippe le Bel sur les diflicultés de la
situation après l'attentat dirigé contre Boniface VIII. J303.
XIX. Pleins pouvoirs donnes à Béraud de Mercœur, P. de Belle-Perche,
Ciuiilaume de Xogaret et Guillaume de Plasian, pour mettre en
liberté toute personne détemie, n'importe pour tpiel motif. 1304.
XX. Ordre de lever double subside sur les usuriers. Acu'it J303.
X\l. Lettres du roi portant (jue les habitants de Rouen lui ont opaeieu-
semeut accorde, à la requête du comte de Valois, nu aide de
sergents, pendant (juaire mois, pour la guerre de Flandre. (l']n
français.) 1"" mai 130V.
XXII. AlaudemcMits aux baillis de faire des approvisionnements pour
« l'arnu'e. (Eu français.) .lanvier 1304.
XXIII. Lettre d'Edouard ^■^ roi d'.Anjileterre, à Philippe le Bel, an sujet
de l'arrestation des Templiers. 30 octobre 1307.
XXIV. Lettre du duc de Brabant an même, lui annonçant qu'il a exécuté
ses ordres, en arrêtant les Templiers dans ses domaines. Xovenïbre
1307.
XXV. Circulaire de Philippe le Bel au tiers état, au sujet du procès des
Templiers. 25 nuirs 1307. (Vieux style.)
XXVI. Lettre île Philij)pe le Bel à Frédéric, roi de Sicile. 23 septembre
1308.
XXVII. Pamphlet (de P. Dubois) contre Clément \ pour le forcer à sup-
l)rinu'r l'ordi-e du Tenq)le. (Eu français.) [1308.]
\rrv'\nirK. w>s
\\\ 111. IVn'toutlno n^quôto du (Hniplo »lo Frajico an rt»i (viiir doDKUxior au
r\v» i'«lH)Iilk>n il»\< Toii»jUiors. ^ Aurilnuv jk P. DuM^.") V ors ioOS.
X\IX. Xh^noirt^ nM«is i C'ôniP«t V par l^ilippo lo Rt^l. pour \c mcmc
ohjVl q«p ri-<lossHS. (^Altrilmo à P. lXib«i$.^ V. Iâ0$.
X\X. X!om»>irt^ ^do IXiln^is^ à Philippo le fn'l jnnir Tongaoor à so fairt^
crtvr omporour d'Allomaguo jMr lo papo ClonuMit \ . , loOS]
XXXI. Ploins pouvoirs do Philippo lo B<'l à (wrar»} tJo l^^n.lry. à P. Ixir-
riôri» ot v^ Hnj^Tu^s iJo la Oollo, pour traxaillor à Poloctiou do
C!u»Hos do Valois. sin> Wn\ comiin» em(H>n'ar d'Allemagne,
l ! juin 130S.
\\\l!. Quiitamv domuv jw Oharios de Valois au roi d'une somme de
10.«'>tX* livrt's tournois qui lui .Av.<>it etè founue pour fiieiliter son
élection iH^nnne euiportnir d" Alloniaone. ^^Kn français.) 16 juin
l">t)S.
\\\111 Xotice des bnllos de ClemeuJ \ . n'iatives an procès dos Templiers.
d^nmvs à Poitiers eu l;>OS et apportivs an roi jwr OiuilKAnmo
do Plasian, lo 5 st^ptombri^ de la mémo annot\
\\\1\ . iVtIro du roi au bailli de Sons de rassonïblor les «ons des com-
munes ot dos rillos, ot do courir sus aux nobles qui jH»rtoraionJ
dos anuos malj^n^ les doreuses du riu. ^Rn français.) 21 no-
\ombrt^ loOS,
\\\\ L<Mirt^ do Philippe lo Ih^I à Clemont V pour lui appnMuirv qu'il a
jKiniouno .^ Bt^nu^ni Saisst^t, évoque de IVmiers, et lui a rtnulu
ses bonnes grâces , et pour recKvmmandor lotiit èvx^quo à la bien-
\oillanco du ppe. S j.tn\ior 1309.
\\\\ 1 lA^ttre du mènjo au n»ème, curieuse pour faire connaître les mceurs
de la noblesse française. (Coimnoucoinent de l'amièe 1309.)
\\\\ 11 Mémoire do tî. de Xogaret sur la possibilité d'une eriMsado ot sur
les uïoyons d'arriver à un résultat satisfaisant. V. 1310.
\\\\ 111. Letln^ dans laquelle il rx^nmnait que les nobles d«j anuto d'.AIençou
lui ont gracieus<''ment acctvnlo la totalité dos impositions établies
sur leurs sujets à ri>eeasion du mariage de la fdie du roî , impv>-
sitions dont une part aurait dû leur revenir. (Ku français.)
Juin 1310.
\\\1\. Kxpri>pri.itiou do Jainjues Peuocho d'une n\aison, dont l'ompU-
coinoui et.^il destine .^ l'agraudissoment du palais, à Paris. Août
XL. Orvlonu.^uce lixani le budget des nivottes et des dépen.ses do l'État.
vKu frauçai.s.^ 19 janvier 131^.
XLI. lustnictions s<Yrètos pour la levée d'un nouvel impi\t. ^Ku français.)
jAoi^t 13U.]
4Gi APPKXDICK.
XLII. Ligiu" (les nobles, des pcclésiasti(]iirs, bonnes lillcs et commim du
diiclié de Bourgojpic pour résister aux exactions de Pliilippe le
Bel. (En français.) \ovcndjre JolV.
XLIII. Union des nobles et gens du tiers état des provinces de Vernian-
dois, Beauvoisis, Artois, l'ontliieu, avec les trois ordres du
ducbé de Bourgogne, pour s'opposer aux entreprises du roi
contre leurs libertés. (En français.) l^'' décendire 1325.
XLIV. Codicille de l'bilippe le Bel. 28 novendjre 1314.
WX . Propbéties relatives à la fin du treizième et aux premières années
du quatorzième siècle.
F IX.
TABLE.
LIVRE PREMIER.
DE I,A ROVAITÉ.
Chapitre I. — Caractère {jcnéral de la rojaufé 1
— IL — Accroissements du domaine royal 4
— III. — Progrès du pouvoir législatif des rois de France. . 11
LIVRE DEUXIÈME.
DES ÉTATS GÉXÉRALX.
Chapitre I. — États de 1302 19
— IL — Prétendus états de 1303. — Appels au futur concile. 26
— III. — Etats de Tours on 1308 et de Lyon en 1312 contre
les Templiers 32
— IV. — Etats de 1314 pour voter des subsides. — Conclusion. 39
LIVRE TROISIÈME.
DE LA FÉODALITlî.
Chapitre I. — Lutte de Philippe le Bel contre la féodalité 43 ^
— IL — Des anoblissements 55
— III. — Révolte de la noblesse 57
LIVRE QUATRIÈME.
DU CLERGÉ FRANÇAIS.
Chapitre I. — Intervention de la royauté dans les affaires de
rÉylise 64 V^
— IL — Lutte du pouvoir royal contre la juridiction ecclé-
siastique 69 ^"^
— III. — Restrictions apportées à l'inquisition 82
LIVRE CINQUIÈME.
rapports du roi AVEC LE SAINT-SIEGE.
Chapitre I. — Différend de Philippe le Bel avec Boniface VIII. . 88
— IL — Clément V et les Templiers 120
30
4G6 TABLE.
LIVRE SIXIEME.
Dl TIKRS KTAT.
Chapitre I. — Des communes 147
— II. — Des bourgeoisies royales 154
— III. — Des affranchissements 156
LIVRE SEPTIÈME.
DK l'.admimstkatio.v e .\ géxérai,.
Ch.apitrk I. — .Adiiiinislratioii centrale 163
— II. — Administration locale 169
LIVRE HUITIÈME.
ORGAMSATIOX JUDICIAIRE.
Chapitrk I. - — .Inridiclions inférieures 179
— II. — Juridictions de second degré 186
— III. — Parlement de Paris 192
— IV. — Hautes cours provinciales 213
— V. — Ministère public. — Avocats. — Notaires. — Gref-
fiers 218
LIVRE MEl VIÈME.
ADMIMSTRATIOX FIXAXCIÈRE.
Chapitre I. — Comptabilité des baillis 223
— II. — Trésor et trésoriers 228
— III. — Chambre des comptes. — Echiquier 234
LIVRE DIXIÈME.
RECETTES ET DÉPEXSES.
Chapitre I. — Recettes ordinaires 242
— II. — Impôts généraux extraordinaires 253
— III. — Impôts sur le clergé 277
— IV. — Emprunts volontaires et forcés 297
— V. — Impôts sur les Juifs , les Lombards et les usuriers. . 300
— VI. — Monnaies 306
— \II. — Evaluation des recettes et des dépenses 327
TABLE. 467
LIVRE ONZIÈME.
INDUSTRIE ET COMMERCE.
Chapitre I. — Industrie nationale 347
— II. — Commerce intérieur 352
— III. — Commerce extérieur 355
— IV. — Approvisionnements. — Disettes. — Maximum. —
Résultats de ce système 362
LIVRE DOUZIÈME.
ORGAMSATION MILITAIRE.
Chapitre L.viyuE. — Armée de terre. — Marine 366
LIVRE TREIZIÈME.
POLITIQUE ÉTRANGÈRE.
Chapitre I. — Guerre d'Aragon 379
— II. — Guerre de Valenciennes 383
— III. — Guerre de Gascogne 388
— IV. — Acquisition du Barrois 397
— V. — Alliance de Philippe le Bel avec l'empereur Albert. 398
— VI. — Xégociations avec l'Angleterre jusqu'au traité de
paix définitif 401
— VII. — Guerres et négociations avec la Flandre de 1300
à 1304 403
— VIII. — Accroissement du royaume du côté de l'Orient. . . 405
— IX. — Politique extérieure de 1308 à 1314 408
LIVRE QUATORZIÈME.
CONCLUSION.
Chapitre I. — Etude sur le caractère de Philippe le Bel 415
— II. — Résumé 427
468 TABLE.
APPENDICE.
I. — Tableau des villes qui tlépulèrent aux élats de Tours en 1)308. 439
II. — Tableau des divisions administratives de la France sous Philippe
le Bel 450
III. — Table chronologi([ue de documents inédits relatifs à l'histoire
de Philippe le Bel 461
FIN DE LA TABLE.
JN
Bou tarie, Edgard
2337 La France sous Philippe
B67 le Bel
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